(1894) Revue de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique, Tome 9
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(1894) Revue de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique, Tome 9

hypno_1894-1895

REVUE

de

L'HYPNOTISME

et de la

PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE

91, 498

NEUVIÈME ANNÉE

REVUE

de

L'HYPNOTISME

et de la

PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE

Paraissant tous les mois

PSYCHOLOGIE — PEDAGOGIE - MÉDECINE LÉGALE MALADIES MENTALES ET NERVEUSES

Rédacteur en chef : Docteur Edgar BÉRILLON

PRINCIPAUX COLLABORATEURS

MM. les Docteurs AZAM, prof. à la Faculté de Bordeaux; R. ARTHUR (de Sydney); AUBRY (de St-Brieuc); BARETY (deNice); DE BEAUVAI8,méd.de Mazas; BERNHEIM, prof, à la Faculté de Nancy; J. BOUYER (d'Angoulême) ; BREMAUD (de Brest); BRIAND, méd. de l'Asile de Villejuif; CRUISE (de Dublin); CHARCOT, prof. à la Faculté de Paris, membre de l'Institut;

CHILTOFF, prof. à l'Université de Kharkoff; COLLINEAU; W. DEKHTEREFF (de Saint-Pétersbourg) ; A. FOREL (de Zurich); Eugène DUPUY ;

DUMONTPALLIER, médecin de l'Hôtel-Dieu; Van EEDEN (d'Amsterdam); HACK TUKE (de Londres); G. GAUTIER ; GRASSET, prof. à la Faculté de Montpellier; KINGSBURY (de Biackpool), W. IRELAND (d'Edimbourg); LACASSAGNE, prof. à la Faculté de Lyon ; LADAME (de Genève); LIÉBEAULT (de Nancy); LEGRAIN, médecin de l'Asile de Vaucluse; LIÉGEOIS, prof. à l'Univ. de Nancy; LLOYD-TUCKEY(de Londres); O. JENNINGS ; LETOURNEAU, prof. à l'Ecole d'Anthropologie ; MASOIN, prof. à l'Univ. de Louvain : MANOUVRIER, prof. à l'Ecole d'Anthropologie; MESNET, méd. de l'Hôtel-Dieu; MABILLE, méd. de l'Asile de Lafond ; Paul MAGNIN; MOLL (de Berlin); MORSELLI, professeur à l'Université de Gênes; RAFFEGEAU (du Vésinet); Von SCHRENK-NOTZING (de Munich); SPERLING (de Berlin); SEMAL (de Mons); Aug. VOlSIN, médecin de la Salpétrière, etc.; STEMBO (de Vilna); O. WETTERSTRAND (de Stockholm); et MM. A. LA LANDE, agrégé de l'Univ.; LIÉGEOIS, prof. à la Fac. de Droit de Nancy BOIRAC, agrégé de l'Univ.; DELBŒUF, prof. à l'Univ. de Liège ; Pierre JANET, agrégé do l'Université; Max DESSOIR (de Berlin); A. DE ROCHAS; Jules SOURY, etc., etc.

LE NUMÉRO : 75 CENT.

rédaction :

14, rue Taitbout

Administration : 170, rue Saint-Antoine

REVUE DE L'HYYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

9e année. — n° 1.

Juillet 1804.

EXPÉRIENCES MÉDIANIQUES DE VARSOVIE

Les lecteurs de la Revue de l'hypnotisme n'ont, sans doute, oublié ni l'article de Lombroso (livraison d'avril 1892), contenant une tentative d'explication psychiatrique des faits « spiritiques », reconnus par ce savant comme réels après une série d'expériences avec le médium napolitain Eusapia Palladino, ni la réponse faite à Lombroso par un médecin allemand, M. Moll (juillet et août 1892), qui s'efforçait à prouver la possibilité d'une explication purement et exclusivement mécanique de ces mêmes phénomènes.

Le rapport de la commission milanaise éveilla l'intérêt d'un savant polonais, dont le nom se trouve sur la liste des collaborateurs de la Revue, M. Julien Ochorowicz, docteur en philosophie, ancien professeur-agrégé de philosophie de physique à l'université de Lemberg, auteur d'un livre français sur la « Suggestion mentale » (Paris 1877) et de plusieurs travaux en polonais concernant la physique et la psychologie. Il se rendit à Rome et y fit, dans la maison du célèbre peintre Henri Siemiradzld, toute une série d'expériences avec Eusapia Palladino, dont il fit le récit et même tenta une explication dans « le Courrier de Varsovie » (juin 1893), sous le titre « Excursion pour chercher des vérités nouvelles » et dans une série d'articles intitulés « Une nouvelle catégorie des phénomènes » (« L'Hebdomadaire Illustré » de Varsovie, du 1er juillet jusqu'à 18 novembre 1893).

Pour expérimenter avec un plus grand nombre de témoins, M. Ochorowciz invita Eusapia à Varsovie. Elle y arriva dans la moitié de novembre 1893, accompagnée de Rome par M. Sie-miradzki, et resta jusqu'à la fin de janvier 1894, donc deux

mois entiers, dans la maison de M. Ochorowicz, sans complice possible, sous l'œil toujours attentif de ses hôtes. II y eut pendant ces deux mois 40 séances, dont 8 générales ; y prirent part, outre M. Ochorowicz et sa femme, 22 personnes suivantes : 8 médecins, MM. Bujwid, bactériologue, professeur à la faculté de Cracovie; Ilarusewicz; Heryng, laryngologue; Higier; Rzeczniowski ; Watraszewski, médecin en chef de l'hôpital Saint-Lazare à Varsovie; Wienckowski, et Wro-blewski ;

7 littérateurs, MM. Gawalewicz ; Glowacki, connu sous le pseudonyme de Boleslas Prus ; Kraushar ; Matuszewski ; J.-K. Potocki, rédacteur en chef de la revue « la Voix » (Glos), sociologue et psychologue apprécié; Alexandre Rajchman, rédacteur en chef de « l'Echo musical et artistique » ; J.-A. Swien-cicki ;

3 avocats, MM. Konitz; Leszczynski ; Szadkowski (ce dernier faisait fonction de photographe) ; un employé, M. Loth ;

un ingénieur-électricien, M. Bronislas Reichman, ancien rédacteur en chef de la revue « Nature et Industrie » ; le peintre H. Siemiradzki,

et le général Socrate Starynkiewicz, ancien président de la ville de Varsovie.

Outre ces personnes, qui expérimentaient plus ou moins systématiquement, étaient présents à une ou plusieurs séances: l'ingénieur Abakanowicz, le général comte Otsoufiew, M. Za-binski, les Drs Dunin, Goscicki, Mayzet, Witkowski, et autres. A une des séances fut invité un prestidigitateur, M. Rybka, qui déclara (« Courrier de Varsovie », N° 9), que « Eusapia produit à la lumière, des phénomènes étonnants après s'être soumise à une fouille, que ne permettrait aucun, même le plus célèbre des prestidigitateurs vivants ou morts, quand il a des productions les plus ordinaires à effectuer. »

Ajoutons, pour finir avec les circonstances des faits, que Palladino obtint des membres des expériences 14,000 livres (italiens) et les frais de voyage, et qu'elle repoussa, pendant son séjour à Varsovie, deux invitations très-lucratives : d'un cercle de Moscou, et d'un cercle spirite de Varsovie, où elle aurait pu expérimenter sans aucun contrôle.

Les expériences d'Ochorowicz furent suivies avec un immense intérêt par notre classe intelligente. Les colonnes des publications spéciales (existant d'ailleurs chez nous en un très

petit nombre), et même celles de la plupart des revues scientifiques encyclopédiques, leur étaient d'avance fermées, ces publications niant complètement le spiritisme et le « média-nisme » ; les relations parurent donc dans les journaux et dans les revues mondaines, dont les lecteurs attachaient leur attention principalement à la résurrection des idées spiritua-listes et religieuses, qui leur semblait résulter de ces faits « surnaturels. » C'est alors que le camp positiviste cria au péril et décida de combattre « ce retour au moyen-âge » et commença toute une série de relations, des polémiques souvent violentes. Le premier entra dans le rang, avant la fin même des expériences, M. Bronislas Reichman. L'introduction et la conclusion de ses articles intitulés « Più luce » (« Courrier de Varsovie du 22 déc. 1893. 19 janv. 1894. Eusapia exige souvent « meno luce », moins de lumière) furent : il n'y a rien dans toutes les productions d'Eusapia, qui fasse supposer la moindre intervention des forces inconnues, car on peut les expliquer et effectuer toutes par des moyens très simples et purement mécaniques. M. Ochorowicz répondit par une série d'articles polémiques : « Encore un peu plus de lumière » (du 6 et 26 janvier du même journal). Prirent part à la discussion : le D' Harusewicz, qui publia dans « la Voix » (N° 2-8) des articles consciencieux et impartiaux intitulés : « Le médianisme chez E. Palladino »; M. Glowacki (Prus) dans « le Courrier du Jour » et « le Pays », journal Polonais de Saint-Pétersbourg (« Les phénomènes médianiques », N° 2-6) ; M. Matuszewski dans « la Galette Polonaise » ; les deux derniers, ainsi que le Dr Heryng et M. Siemiradzki, envoyèrent au « Courrier de Varsovie » des lettres élucidant des divers points en litige ; M. Gawalewicz publia une relation dans « l'Hebdomadaire Illustré » ; presque tous les journaux et revues parlèrent, se montrant « eusa-pistes » ou « anti-eusapistes ». Enfin, dans « le Courrier de Varsovie » (27 janv. 8 février 1894) et bientôt après, en brochure à part, parut le « Compte-rendu des séances avec E. Palladino, tenues à Varsovie dans l'espace de temps du 25 novembre 1893 à 15 janvier 1894. » Ce compte-rendu, rédigé par M. Matuszewski sur la base d'un questionnaire rempli par les membres, contient l'énumération des phénomènes observés dans les 8 séances collectives avec les notes et observations des membres, et les opinions sur l'ensemble des expériences, exprimées par 21 observateurs. En y ajoutant les deux qui publièrent leur avis dans les journaux, nous obtenons sur 23 observateurs :

10, qui admettent simplement et décidément la réalité des phénomènes, c'est-à-dire, affirment qu'ils sont dûs à une cause autre que mécanique. Ce sont : M. Ochorowicz ; les Drs Wien-ckowski et Wroblewski ; MM. Matuszewski, Potocki, A Rajch-man et Swiencicki, littérateurs; MM. Loth, Siemiradzki, et le général Starynkiewicz ;

7, qui tout en excluant une cause mécanique générale, font des restrictions plus ou moins grandes sur l'honnêteté du médium ou sur la manière d'expérimenter, savoir : les Drs Harusewicz, Higier, et Watraszewski ; MM. Glowacki, Kraus-kar, Gawalewicz, hommes de lettres ; M. Szadkowski, avocat.

2, qui, tout en faisant quelques restrictions, nient plutôt le caractère non mécanique des phénomènes : le Dr Bujwid et M. Konitz, avocat;

3, qui leur attribuent une seule cause : la tromperie et le batelage de la part du médium. Ce sont : le Dr Heryng, M. Bro-nislas Reichman et M. Leszczynski, avocat.

Quant à M. le Dr Rzeczniowski, il s'abstient d'exprimer une opinion quelconque, blâmant le mode d'expériences.

Le compte-rendu est terminé par trois conclusions, auxquelles se rallièrent 15 membres, savoir :

1. « Que l'hypothèse expliquant tous les phénomènes par l'hallucination doit être exclue. »

'2. « Que la - supposition de batelage n'explique pas un nombre considérable des faits. »

3. a Que malgré les préjugés dominants, ces phénomènes doivent devenir l'objet d'une étude strictement scientifique. »

Les documents concernant les expériences de Varsovie sont, on le voit, disséminés dans un grand nombre de publications éphémères, difficiles à réunir et à mettre en ordre. Ils sont écrits dans une langue presque complètement inconnue aux savants qui travaillent dans le domaine de la psychologie j physiologique en Europe Occidentale. Ce sont les deux causes, pour lesquelles j'ai entrepris l'ingrat travail de compulser les journaux énumérés, d'en choisir ce qui a un rapport immédiat aux expériences, d'en exclure les polémiques passionnées ou personnelles, et de tracer, en traduisant et en résumant tour à tour, un tableau, qui permette au lecteur de s'orienter dans le sujet. Ce tableau ne peut pas être complet, car les procès-ver-baux des séances ne se trouvent pas dans le « Compte-rendu. » Ils se trouvent sans doute en possession de M. Ochorowicz, qui promet d'ailleurs de publier sur ses expériences un livre

spécial, qui sera probablement écrit en français. Je ne considère pourtant pas mon travail comme superflu, car il contiendra les opinions des autres observateurs ; d'ailleurs, on ne sait pas encore quand paraîtra le livre de M. Ochorowicz.

Je commencerai par rémunération de tous les phénomènes, dont il est mention dans les relations citées ; puis j'en citerai les descriptions, en évitant les conclusions et les explications, qui viendront après. Il y eut dix catégories des phénomènes :

I. Soulèvement des tables : plusieurs ou tous les quatre pieds d'une table se trouvent en l'air. Terme technique : lévitation partielle ou totale. Ici se rattache la diminution ou l'augmentation de poids (gravitation) d'une table suspendue à un dynamomètre.

II. Les mouvements des objets qui ne sont pas touchés par le médium.

a) le mouvement des tablettes — observé par 5 personnes ; (1)

b) d'une sonnette suspendue à un archet, à la lumière. 14 personnes ;

c) de la même sonnette couverte d'un réseau en fil de métal mince. 3 personnes ;

d) d'un rideau (à la demi-clarté). 15 personnes ;

e) d'une petite table derrière le rideau. 13 personnes;

f) d'un tambourin, d'une sonnette dans l'air, au-dessus des têtes des personnes présentes (dans l'obscurité). 9 pers.;

g) d'une grande table (à la lumière). 8 personnes ;

h) des chaises et autres objets soulevés sur la table et descendus par terre (dans l'obscurité). 10 personnes;

i) lunettes enlevées aux personnes présentes (obscurité). 8 personnes;

k) mouvement d'une très petite table (lumière). 6 personnes ;

l) mouvement d'une sonnette derrière le rideau. 14 personnes;

m) une lampe électrique allumée à distance ;

n) soulèvement d'une planchette posée sur la table ;

o) soulèvement d'une légère planchette suspendue à une autre par une charnière mobile. III. Les attouchements des personnes présentes, observés

dans l'obscurité par 15, à la lumière par 9 personnes. Je

classe ici la vue d'une main matérialisée, qui n'était pas

celle du médium. IV. Les sons divers sans l'intervention immédiate du médium :

(1) Le nombre des observateurs de chaque phénomène est indiqué d'après « Compte-rendu ».

(1) D' Harusewicz, la Voix N° 4.

a) claquements, bruit des chiquenaudes, des baisers — entendus par 10 personnes;

b) des forts coups frappés sur la table, à laquelle était assis le médium. 8 personnes;

c) mêmes coups sur la table ou dans la porte éloignées du médium. 10 personnes;

d) sons d'un piano sans que le médium le touche. 6 personnes;

e) sons d'une harmonie (instrument) de bouche. 4 personnes; f) voix, ronflement. 6 personnes;

g) sons d'une harmonie tirée à main. 4 personnes. V. Soulèvement du médium sur la table, observé par 5 personnes.

VI. Phénomènes lumineux. 13 personnes.

VII. Signes apparaissant d'une manière extraordinaire :

a) sur le papier. 6 personnes ;

b) sur une planchette ou tablettes cachetées. 7 personnes;

c) sur les manchettes des personnes présentes. 7 personnes.

VIII. Le souffle froid ( « soffio frêdodo » ). 10 personnes.

IX. Sensibilité à distance.

X. Nombres devinés par le médium.

Le compte-rendu dit qu'on a observé dans un petit cercle chez M. Ochorowicz, outre les phénomènes énumérés, encore un certain nombre de phénomènes « supérieurs », comme la matérialisation des mains, leurs empreintes dans de l'argile, diverses lévitations, etc. Ils seront décrits dans le futur livre de M. Ochorowicz et ne nous sont pas encore connus.

I. La lévitation de la table et les attouchements sont des phénomènes typiques du médianisme. « Beaucoup d'autres phénomènes peuvent ne pas avoir lieu, même quand on les demande exprès ; mais les deux catégories citées apparaissent toujours, même contre le désir des assistants. La lévitation commence et termine toujours la série des phénomènes » (1). C'est ainsi que, sans parler des observations de ce fait dans l'obscurité, 12 personnes l'ont observé à la clarté « suffisante », dit le « Compte-rendu », et sans que le médium touche la table des mains ou des pieds. « A Varsovie on s'est servi d'une table faite exprès dans ce but par ordre de M. Ochorowicz. Elle était en bois sans peinture, oblongue, grande pour 6 personnes, de hauteur ordinaire; se composait d'une planche

posée sans saillies de bords, sur quatre pieds unis par des tringles, sans aucun autre accessoire, et pesait 25 livres. Eusa-pia se met debout ou s'asseoit constamment au côté étroit de la table, disant, que la lévitation ne lui réussirait pas du côté large ; puis les assistants forment la chaîne (catena), se prenant par les mains » ; deux voisins immédiats prennent chacun par une de ses mains une des mains d'Eusapia un peu avant la paume, et elle met ses pieds sur ceux des voisins. Les mains d'Eusapia reposent sur la table, près des bords. On attend 15, 30 minutes, parfois plus longtemps, sur la demande du médium (exprimée souvent par quatre coups, qui signifient : parlate) on cause, on chante « Santa Lucia », on joue du piano; Eusapia remue beaucoup pendant ce temps. (1) « Apparaissent les symptômes hystériques (nous y reviendrons après); la table, après quelques oscillations (M. Reichman dit qu'elle commence par se mouvoir un peu sur le plancher et se balancer des bords), s'élève à la hauteur de 30 centimètres à peu près, et de 40 centimètres au maximum, se balance légèrement dans l'air pendant quelques secondes et retombe avec bruit presque toujours sur tous les quatre pieds d'un coup. Sa position dans l'air est presque horizontale, mais les pieds du côté opposé au médium s'élèvent visiblement de quelques centimètres plus haut que du côté du médium ». M. Reichman affirme que les pieds du côté opposé quittent le plancher avant ceux du côté du médium, « Avant, pendant ou après les oscillations de la table, la robe d'Eusapia (quand elle est assise) commence de se gonfler, puis vers le pied de la table s'avance, couverte de la robe noire, comme une langue large à peu près de 5 centimètres, qui se met sous le pied de la table et l'élève. » (2) Nous trouvons pourtant trois relations, qui ne coïncident pas avec le type ci-dessus des phénomènes. M. Matuszewski écrit : (2) « J'ai vu plus de dix fois la table élevée en haut au moment où le médium ne la touchait ni des mains, ni des pieds, ni même par la robe. Quelquefois le médium était assis du côté large de la table. En contrôlant à l'aide des mains les pieds d'Eusapia, j'y aï toujours senti une forte tension et comme un effort, reprimé à toute force, d'effectuer le mouvement correspondant (au soulèvement de la table), mouvement, qui pourtant n'a jamais eu lieu. L'effort paraissait proportionnel à la force du phénomène. » Le Dr Higier témoigne : « Une seule fois

(1) Br. Reichman, le Courrier de Varsovie. N° 338 an 1893. (2) « Compte-rendu » p. 1.

j'ai vu la lévitation de la table dans les circonstances suivantes: lumière à peu près suffisante ; le médium vêtu d'un jupon blanc, du côté large de la table; les contrôleurs tenaient leurs mains sur les genoux du médium ; j'étais assis vis-à-vis du médium. Tension considérable des muscles des cuisses et des mollets pendant la lévitation, mais sans trace de contact avec la table. » Enfin, M. Ochorowicz raconte : « le 29 décembre Eusapia, vêtue d'un court jupon blanc de ma femme et des bas couleur de bronze, mais sans chaussures, était assise non sur une chaise, comme toujours, mais sur un bas divan matelassé, devant le large côté de la table. Les genoux d'Eusapia, unis, étaient également d'une demi-aune distants des pieds voisins de la table, celui de gauche et celui de droite ; à peu près la même était la distance du bord supérieur de la table. J'étais assis de gauche, Swiencicki de droite, les autres assistants, au nombre de huit (suivent les noms), formaient une chaîne en demi-cercle ouvert, en découvrant entièrement le large côté de la table. Les mains du médium reposaient sur ses genoux, et chacun de nous, les deux contrôleurs, tenait d'une de ses mains une de celles du médium avec un de ses genoux; nos genoux touchaient, outre cela, les siens, et ses pieds reposaient séparément sur les miens, qui étaient largement écartés pour faire voir la position. Personne ne touchait la table, et spécialement Eusapia, ni par la main, ni par le pied, ni par le jupon. Dans ces conditions, à la lumière obscurcie, mais permettant aux plus proches de voir toutes les formes, la table, sans oscillations préalables, s'éleva par tous les quatre pieds tout-à-fait horizontalement, et cette lévitation se répéta trois fois dans les conditions analogues » (1).

« Lors de la même séance, écrit M. Ochorowicz dans le N° 22 du Courrier de Varsovie, Eusapia, assise du côté large de la table, s'écria soudain :

Maintenant je vais lever la table à l'aide du genou gauche !

Elle avança la jambe sous la table, leva le genou gauche, et la table, dont la planche était en haut, éloignée du genou d'un quart d'aune, exécuta le même mouvement Le genou s'éleva d'environ 15 centimètres, et la table au moins de 20 centimètres.

Je la lèverai maintenant à l'aide de deux jambes ! cria Eusapia, encouragée par le succès. Et elle étendit les jambes raides en avant, de façon qu'elles

(1) Le « Courrier de Varsovie » n° 6.

passèrent de l'autre côté de la table, où les purent distinctement voir les Drs Higier, Mayzel, Witkowski, Wienckowski et autres, et s'inclinant en arrière, leva les deux jambes unies droites ensemble. Avec elles la table, que personne ne touchait, s'éleva et retomba. Eusapia se trouvait alors à l'état d'hypnose. Elle ne se souvenait point le lendemain de ces expériences et m'affirmait que la lévitation était impossible dans ces conditions. »

« Pour contrôler les pieds d'Eusapia pendant la lévitation ordinaire, écrit le même auteur (1), j'ai appliqué l'appareil suivant : Deux boîtes à cigares profondes et étroites furent placées sous la table, et Eusapia y mit ses pieds, sans chaussures. Les boites avaient les fonds doubles et étaient munies d'une telle disposition électrique, que l'on pouvait y manœuvrer librement des pieds, en les promenant de 2 pouces dans chaque direction ; mais si l'on voulait sortir le pied de la boite, la sonnette électrique se mettait à sonner déjà à la moitié du chemin et ne se taisait que lorsque le pied retournait à sa place. Eusapia ne peut pas se tenir absolument tranquille pendant les séances : Ainsi elle avait la liberté des mouvements, mais il lui était absolument impossible de se servir des jambes pour lever la table. Dans ces conditions la grande table lourde de 25 livres se leva deux fois sans que la sonnette se fit entendre; pendant la deuxième lévitation on photographia la table d'en bas : on voit sur la photographie tous les 4 pieds de la table, la gauche en contact avec la robe d'Eusapia, comme ceci a toujours lieu à la lumière, mais les boites avec les pieds du médium sont à leur place. Immédiatement après l'expérience MM. Gawalewicz, Matuszewski, Swiencicki et le Dr Wienckowski vérifièrent, que la sonnette se faisait entendre non seulement quand on sortait le pied, mais quand on l'élevait trop haut dans la boite. » M. Ochorowicz mentionne des lévitations, faites par Eusapia les pieds liés, et tenus sous la table par une personne qui y restait à genoux; les deux pieds visibles à la lumière ; avec un autre appareil électrique de contrôle fixé au plancher, etc., mais sans les décrire.

La lévitation apparaissait, d'ailleurs, sous plusieurs autres formes encore. Ainsi, par exemple, « s'élevaient très haut 2 pieds de la table, près desquels était debout Eusapia, et la table s'appuyait sur les deux opposés, faisant avec le plancher un angle de 45° peut-être. Les mains de tous les assistants

(1) Courrier de Varsovie N° 18.

s'élevaient alors au-dessus de la table, seules les mains d'Eu-sapia et des contrôleurs reposaient sur la table près des bords. Elle jouait des mains et touchait la table d'une main et d'autre tour à tour. » (1) Pour mesurer la diminution et l'augmentation du poids de la table dues à l'influence du médium, on la suspendait à un dynamomètre, attaché à l'aide d'une corde à un croc cloué dans le plafond ; la table s'accrochait au dynamomètre par un autre croc, vissé dans une série d'expériences près d'un bord de la table, et dans une autre série au centre de la planche. Dans le premier cas les deux pieds du côté opposé au dynamomètre s'appuient sur le plancher, et Eusapia se met debout du côté du dynamomètre, qui est dans l'air. Elle met ses doigts sous la tringle, la touchant d'en bas; la table s'avance vers elle sans changement de poids, alors elle recommande de tenir les pieds opposés et enfin le dynamomètre montre une augmentation de poids de 7 à 8 livres. Elle exécute la même chose quand ses doigts touchent la tringle par leurs côtés supérieurs ou quand ils en sont séparés par les doigts des contrôleurs; pas de contact avec la robe, lumière moyenne, mais suffisante. Diminution de poids de 6 à 7 livres a lieu, quand le médium met ses mains sur la table; le gonflement de la robe se glisse alors sous un des pieds de la table. Cette catégorie des phénomènes a été observée par 8 personnes. Lévitations et gravitations de la table suspendue par le centre de sa planche, vues par 7 personnes, donnent lieu à la remarque suivante de M. Reichman : « Eusapia pose les mains sur la table ; après une longue attente la table s'élève, le dynamomètre montre une diminution de poids. Placé de l'autre côté et regardant sous la table, je vois le contact de la robe, puis Eusapia, qui est debout, exécute quelques mouvements involontaires, comme un homme qui se garde de tomber. » (2) M. Matuszewski fait d'ailleurs une courte mention des changements de poids, qui eurent lieu, sans que la table fût touchée par le médium d'une façon quelconque, (3) et qui seuls lui parurent décisifs.

Et M. Ochorowicz en donne la description suivante : (4) « Le 31 décembre la lumière n'était pas affaiblie. Eusapia avait les pieds soigneusement liés à l'aide d'un ruban blanc, à travers les bottines complètement boutonnées. Le bout libre du ruban,

(1) Br. Reichman, le « Courrier de Varsovie », N° 338.

(2) Ibidem, 336.

(3) « Compte-rendu ». p. 3.

(4) Courrier de Varsovie, N° 18.

tendu de façon à éloigner les deux pieds d'Eusapia du pied gauche de la table, était tenu par un des assistants ; on recouvrait, outre cela, les deux pieds de la table par les mains. Dans ces conditions et sans aucun mouvement en arrière ou en avant, la table, que Eusapia ne touchait point en ce moment, diminua, sous l'influence de ses mains serrées dans l'air, la pression sur le dynamomètre de 7 i/2 à 0 ; retomba, s'arrêta à 6 1/2, et puis, après quelques efforts contraires, retomba encore à 9 1/2 jusqu'à 10. Nous avons remarqué que la robe se gonflait, ce que j'aidais moi-même, en tenant ses plis dans ma main, mais les jambes du médium restèrent immobiles. »

II. Je commencerai la description du deuxième important groupe des phénomènes par l'expérience avec la sonnette à l'archet. « Cette expérience eut lieu dans l'ombre d'Eusapia, derrière laquelle, à 2-3 mètres de distance, brûlait une bougie. La sonnette était ordinaire, haute de 35 millimètres » (1), « et suspendue librement à un archet en fil de métal de plus de dix centimètres de hauteur, monté sur une base en bois. (2) « J'ai préalablement examiné plusieurs fois et soigneusement cet instrument improvisé, dit le Dr Harusewicz, et constaté que la sonnette n'était pas facile à mettre en mouvement et qu'il était impossible de le faire en soufflant, sans que les assistants s'en aperçoivent. Avant de la mettre devant Eusapia, j'ai encore une fois examiné la sonnette près de la lumière et je n'ai plus permis à Eusapia de la toucher même pour un moment; alors, après quelques soupirs profonds et un léger hoquet, silencieusement et avec un certain changement de visage, comme dans une méditation profonde et sévère, Eusapia approcha les doigts réunis en cône à la distance de 3 centimètres de chaque côté de l'archet (telle était également la distance des fils de l'archet à la sonnette), les tint ainsi immobiles, une minute à peu près, appuya les coudes sur la table et promena les mains horizontalement en avant et en arriére à la hauteur de la sonnette ; celle-là exécuta le même mouvement, comme si un fil invisible passait par ses doigts et pénétrait dans la sonnette, et on l'entendit sonner légèrement, à peine distinctement. Tout cela dura 15 à 20 secondes, après quoi la sonnette, ayant perdu l'équilibre, glissa sur l'archet du côté droit, et Eusapia saisit ses doigts et se mit à les frotter,

(1) Br. Reichman, Courrier de Varsovie, N. 6.

(2) D' Harusewicz, la Voix, N. 2.

en affirmant qu'ils étaient engourdis et lui faisaient mal, à ce moment j'ai de nouveau examiné ses mains et n'ai rien trouvé de remarquable. J'ai vu une autre fois la même expérience à la pleine lumière d'une lampe, et 4 fois Eusapia, malgré ses efforts, ne la put pas exécuter. Les muscles du haut du bras tâtés au moment du phénomène me parurent fortement tendus. J'ai entendu de plusieurs assistants, que Eusapia exécuta la même expérience avec la sonnette couverte d'un réseau en fil de métal sous forme de cloche, mais en ma présence cela ne réussit pas, malgré les efforts faits... » « Une fois j'ai vu l'expérience disposée de cette façon, que le plan de l'archet était alternativement perpendiculaire ou parallèle par rapport au médium; les mouvements extérieurs des mains étaient identiques dans les deux cas, ainsi que leur effet » (3).

M. Starynkiewicz témoigne que les lunettes lui ont été enlevées dans l'obscurité complète avec une adresse remarquable ; (4) MM. Matuszewski et Potocki, qu'une table des dimensions moyennes s'approcha à la pleine lumière à la table principale de la distance d'une aune et demie (4).

Passons à l'importante catégorie des phénomènes derrière le rideau.

« Dans le logement d'Ochorowicz, écrit M. Prus-Glowacki (1), on a fait une tente dans une niche de fenêtre. Elle est formée des lourds rideaux de couleur foncée, large et haute comme la fenêtre, profonde peut-être d'une aune et demie. Les rideaux sont un peu écartés au milieu et permettent de voir l'intérieur de la tente. Les membres de la séance l'examinent en détail et voient, que la fenêtre est double, fermée, couverte des rideaux foncés et qu'elle se trouve au deuxième étage. Personne ne peut donc aider Eusapia de ce côté-là. Dans l'intérieur de la tente se trouve une petite table ; sur elle une sonnette, plus loin deux chaises et sur une d'elles, une tablette à écrire. » « Cette disposition répond jusqu'à un certain degré aux conditions favorables, comme l'affirment les observateurs du mé-dianisme, surtout à la condition principale : lé manque de lumière, et permet en même temps d'exercer un contrôle passable des mains et jambes du médium, visibles dans la chambre, qui est éclairée. » (2) « Eusapia dit que l'ouverture

(3) Idem. la Voix, N° 3.

(4) « Compte-rendu », p. 2 et 3.

(1) « Le Pays», N° 2.

(2) Dr Harusewicz, « la Voix », N° 3.

entre les deux parties du rideau était trop grande ou trop petite, ordonna de détacher les bords du rideau qui avaient été attachés au mur, et fit de sa propre main des plis à l'aide des épingles. Elle s'assit, tournant le dos au rideau; le côté postérieur de la chaise était à un pied environ du rideau (selon le Dr Harusewicz le dos d'Eusapia formait presque un plan avec l'ouverture du rideau ; devant elle il y avait une table). Bientôt Eusapia se lève et va changer la robe, qui est trop lourde. » (3) « Les Drs Heryng et Watraszewski la déshabillent et la fouillent complètement. La bougie avec un abat-jour est sur une table à 3 mètres de distance, la lumière tombe sur le médium, on peut voir distinctement (Har., Prus). Le Dr Watraszewski est le contrôleur de droite, Dr Heryng, celui de gauche; une des mains de chacun est liée à celle du médium par une bande élastique (Prus, Reichman); les contrôleurs disent à haute voix, qu'ils sentent les pieds du médium sur les siens. Après une attente d'une demi-heure et divers mouvements de la table devant le médium, Eusapia tombe dans un paroxysme de l'ire spasmodique, le visage exprime comme l'extase, de temps en temps on entend des soupirs profonds, et en même temps le rideau du côté gauche d'Eusapia se gonfle à la hauteur du coude du contrôleur, touche rapidement le Dr Watraszewski et retourne à sa place ; cela se répète 4 fois du côté gauche et 3 fois de droite. » (Harusewicz). « Le Dr Heryng, en regardant dans la tente, annonce que la petite table est tombée ( « comme si quelqu'un l'avait tirée par le pied antérieur », ajoute M. Reichman), que la sonnette a roulé par terre ; une chaise de derrière le rideau s'approche du Dr Watraszewski ; l'autre chaise se meut et s'incline; la tablette se lève et s'appuie par un de ses bords au mur. Les contrôleurs assurent ne pas avoir lâché les pieds du médium. » (Prus). M. Reichman note encore une circonstance : le Dr D. s'était placé près du rideau pour observer la jambe gauche d'Eusapia, mais comme elle affirmait que ce monsieur « lui coupait le courant » par son corps, il dut quitter cette position d'observation rationnelle.

Lors d'une autre séance, à la lumière un peu plus faible qu'à la première, mais dans les mêmes conditions du contrôle, après une fouille scrupuleuse, Eusapia s'assit de façon que son dos fût plongé dans l'obscurité de la tente, et le Dr Harusewicz, un de ses contrôleurs, plaça derrière le rideau, à 50

(3) Br. Reichman, « Courrier de Varsovie », N° 11.

centimètres du médium, une petite table à trois pieds. « Je suis beaucoup plus haut que Eusapia, dit-il, mais dans cette position il m'était impossible d'atteindre la table par le pied, plus long que celui du médium. » (1) Après une assez longue attente, avec des symptômes hystériques spasmodiques chez le médium, aucun phénomène n'a lieu, alors Eusapia dit que la table est trop éloignée et me prie de toucher la table de ma main pour un moment. Ceci fait (Eusapia ne change pas de place) elle saisit ma main, la serre convulsivement, éclate d'un rire spasmodique, crie à haute voix : « viens donc, John, viens enfin ! » (2) et au moment de sa plus grande tension et d'un visible changement de visage, on entend distinctement, que la petite table s'approche, se mouvant sur le plancher ; un moment de calme, un soupir profond, le hoquet, la toux hystérique, crampe du bras levé dans la direction de l'ombre de la tente, et nouveau bruit de la table qui se mouvait. En 5 moments pareils, qui duraient avec les pauses 15 à 20 minutes, la table s'approcha tellement de moi, que je pus m'appuyer sur elle à travers le rideau. On remarquait à ce moment l'épuisement visible sur le visage d'Eusapia; la main était en sueur, et elle-même, pâle, gémissait doucement; quand on levait son bras, il retombait inertement. Après quelques minutes de repos, nouveau paroxysme de de rire spasmodique, Eusapia fait dans l'air un mouvement repoussant de sa main avec la mienne (puis avec celle du Dr D.) et en même temps la petite table s'éloigne en arrière, ce qui se répète trois fois ; chaque fois la table avançait de 10 centimètres environ. La sonnette tomba par terre pendant un des premiers mouvements de la table, mais malgré le désir d'Eusapia elle ne sonna pas ; on l'entendit seulement glisser sur le plancher et on la trouva après sous la chaise du médium. »

Une autre fois « 10 à 12 personnes étaient assises autour de la table, Eusapia tournait le dos au rideau, elle était contrôlée par le général Starynkicwicz et le Dr Watraszewski. Moi M. Glowacki-Prus) (3), j'étais assis vis-à-vis d'Eusapia, près de Mlle X., une personne très nerveuse et fortement soumise à l'hypnotisme. La séance durait une heure environ, avec des phénomènes nombreux et variés. Eusapia, comme toujours, avait l'air de demi-connaissance. Soudain, Eusapia s'éveilla, et

(1) La Voix, N° 3.

(3) John, est le prétendu « esprit » d'Eusapia. (3) La Pays, N° 3.

Mlle X.., poussa un cri. Sachant ce que ce cri voulait dire, je lui serrai la main gauche plus fortement et puis je dus la prendre par la taille, car cette enfant devient très forte dans certains moments. La chambre était suffisamment éclairée, et voilà ce que nous avons vu et ce que j'ai senti, moi, outre cela, par les mains. Chaque fois que les muscles de Mlle X.., se tendaient plus fortement, le rideau, qui pendait vis-à-vis d'elle à 3 à 4 aunes de distance, exécutait un mouvement. La table suivante montrera cette corrélation :

Faible tension des muscles de Mlle X...

Porte tension...........................

Très forte tension, cris.................

Repos...................................

Tension des muscles....................

Forte tension...........................

et ainsi da capo.

Le rideau s'ébranle.

Il se gonfle comme un voile.

Il atteint les contrôleurs d'Eusapia et

les couvre presque entièrement. Repos.

Mouvement du rideau. Fort gonflement du rideau.

De cette façon j'ai constaté une proportionnalité frappante entre la tension des muscles du médium (qui était en ce cas Mlle X..,) et le travail mécanique du rideau en mouvement. Le général Starynkiewicz me disait le lendemain, que les mouvements du rideau faisaient une telle impression, comme si sa surface entière avait été électrisée. » Le général écrit lui-même là-dessus (1) : « le bord du rideau, s'écartant de la direction perpendiculaire, formait toujours une ligne droite du point, où le rideau était fixé en haut, dans la direction du médium. »

Encore un récit détaillé d'un phénomène remarquable : « Le 3 janvier nous nous assîmes à la table, écrit M. Ochorowicz (2), en petit comité des habitués de ma maison. Eusapia était assise, tournant le dos au rideau, derrière lequel, par terre, un peu à gauche et à distance un peu plus grande que celle qu'elle pourrait atteindre en s'inclinant de côté et ayant le bras gauche libre, j'avais placé une caisse contenant une batterie de Grenet à quatre éléments ouverts, remplis de solution de bichromate de potasse et de l'acide sulfurique. La caisse était haute et étroite, les vases avec le liquide pleins et ouverts, de sorte qu'il fallait prendre beaucoup de précautions en la transportant ou en la déplaçant, pour ne pas verser le liquide. La porte ne fermait pas complètement la caisse. Sur la surface supérieure de la caisse il y avait une lampe électrique avec un réflecteur (que l'on pouvait mettre ou enlever) et tout près d'elle une verge verticale, terminée par un bouton et soutenue

par un ressort. Quand on prenait ce bouton avec une force suffisante, la verge s'abaissait clans la caisse et plongeait quatre zings dans les quatre vases à l'acide. La lampe s'allumait alors momentanément et brillait tant que la main pressait le bouton, et d'autant plus clairement que la pression était plus forte. Une lampe à pétrole obscurcie était placé sur le plancher de l'autre côté, à l'extérieur du rideau. Nous nous asseyons; pas de coups frappés, pas de lévitations de table, mais Eusapia s'assombrit, a déjà le hoquet et est sans aucun doute à l'état de trance. Je me mets contrôleur de gauche, Swiencicki, celui de droite; pour mieux sentir les pieds j'enlève à Eusapia les chaussures. Bientôt le médium commence à s'inquiéter, à se roidir, et on entend quelque chose gratter mystérieusement derrière le rideau, comme dans la caisse à batterie. Je regarde Eusapia, elle reste sans bouger, je tiens la main gauche, je sens sans cesse le pied ; Swiencicki me dit la même chose. Nous entendons trois coups de la petite porte dans la caisse, Eusapia gémit et la lampe brilla. Elle brilla encore une fois, et nous l'entendîmes glisser sur le plancher de gauche à droite. Un nouvel effort et gémissement d'Eusapia, la lampe brilla de nouveau, encore derrière le rideau. Enfin la caisse sort de derrière le rideau et s'approche de la lampe à pétrole, qui est par terre. Nous nous inclinons tous pour mieux voir et sommes témoins de la manipulation suivante : une main inconnue élève le rideau de derrière, le replie de façon à découvrir la lampe et à couvrir le bouton, et soudain la lumière électrique brilla fortement, en éclairant Eusapia et nous tous. Cette fois la pression sur le bouton et la lumière durèrent presque 20 secondes. Je pris la mesure et mesurai les distances : De la taille d'Eusapia, qui restait sans cesse à sa place, au bouton de la lampe : 1 mètre 16 centimètres ; du pied droit d'Eusapia : i mètre 32 centimètres. Puis je lui ordonnai de délivrer le pied du contrôle de Swiencicki, de se tourner avec la chaise, de s'incliner en arrière et de tirer la jambe le plus possible dans la direction de la lampe : il manquait 38 centimètres. Pas une goutte de liquide n'était versée. J'ai répété cette expérience encore à deux séances ; l'ont vue, entre autre, MM. Ladislas Boguslawski (critique littéraire) et le Dr Z. Nieszkowski, et dans leur présence la caisse fut transportée de derrière le rideau sur la table par-dessus la tête d'Eusapia, et puis la lampe allumée, plus faiblement d'ailleurs, au milieu de la table; nous étions sûrs du contrôle. Au moment de la pression du

bouton, à la lumière de la fenêtre, j'ai vu l'ombre de la main pressante ; elle s'approche du côté d'Eusapia, mais d'en haut. »

III. Les attouchements des assistants par un corps inconnu ont été observés fréquemment; MM. Loth, Drs Harusewicz, Higier, Wroblewski, Wienckowski, Potocki, Starynkiewicz, Glowacki, Al. Rajchman, Szadkowski, Matuszewski et autres avouent les avoir éprouvés sans pouvoir contester le contrôle des mains du médium. Ils eurent lieu plusieurs fois à travers le rideau, qui se gonflait dans ce cas et dont le Dr Watras-zewski eut même une fois la tête enveloppée (1). Quand les assistants étaient touchés immédiatement, c'était par une main, qui était légère, fine et de chaleur normale (Al Rajchman), dont les doigts étaient chauds, mous et petits (Dr Wroblewski); selon M. Potocki, la main qui touchait faisait l'impression d'un appareil à pointes, qui s'écartèrent passivement au contact du corps en forme de petite fourche. » Le Dr Harusewicz raconte : (1) « Le 14 décembre Eusapia saisit la main du D[ Matuszewski et la mienne, nous fit nous asseoir à ses côtés, devant la table et s'adonna aux attouchements dans l'obscurité complète; nous contrôlions ses mains et ses pieds par les nôtres. Le Dr Matuszewski assis de gauche, annonce à chaque moment qu'il est touché ; une causette assez lourde s'éloigne du mur et frappe de temps en temps quatre coups avec beaucoup de force (parlate dans la langue de « John » ); la table, sur laquelle nous tenons les mains, s'élève et retombe toujours, enfin je demande, et M. Starynkiewicz traduit en italien, que nous soyons, le Dr Matuszewski et moi, touchés au dos en même temps. La table annonce ce phénomène par trois coups (ce qui signifie le consentement), Eusapia dit la même chose avec un effort visible et comme si elle avait la bouche pleine, et bientôt le Dr Matuszewski crie qu'il est touché; en ce moment j'avais déjà senti l'attouchement, ainsi la simultanéité est presque sûre ; les mains et les pieds sont à ce moment en ordre. Je sentis la première (et la dernière) fois une main grande à doigts largement écartés me toucher au dos, puis bientôt je fus frappé entre les épaules, ce qu'entendirent tous les assistants, mais la main ne fut plus distincte et les doigts à peine sensibles. Quant à l'impression reçue, j'affirme après les expériences faites sur ce sujet que l'on peut recevoir l'impression la plus approchée des attouchements « médianiques »

(1) « Compte-rendu », p. 11.

(2) La Voix

par l'attouchement momentané et dans l'obscurité du plat de pied déchaussé ; même quand le dos est nu, non seulement à travers la chemise et les vêtements, il est alors difficile de discerner le pied de la main. L'attouchement momentané d'une ordinaire, même petite main de femme avec les doigts largement écartés, dans le dos fait également toujours l'impression d'une main beaucoup plus grande, que celle qu'on a vue ou sentie avant peu. La plus grande partie des attouchements d'Eusapia atteint le dos, les flancs, les cuisses et les épaules ; je ne fus jamais touché à la main, au visage, aux parties sans vêtements. » M. Glowacki parle d'un attouchement au dos, quand il tenait les deux mains, du médium dans les siennes ; M. Loth note, que le médium serrait fortement la main du contrôleur avant chaque attouchement qu'il éprouva. M. Ocho-rowicz a appliqué l'appareil suivant pour rendre incontestable le contrôle des mains pendant les attouchements. (2). « Les mains d'Eusapia furent enveloppées par des bracelets de papier d'étain plié plusieurs fois et unies ensemble par un fil de cuivre mou, qui entourait le bracelet gauche et droit plusieurs fois et avait été serré sur les deux mains à l'aide de tenailles. Les deux contrôleurs avaient le pouce et l'index d'une main enveloppés des dés de même matière et également entourés de fil de cuivre. Les bouts du fil étaient d'une telle manière unis à la batterie et à l'électro-aimant d'une sonnette, que, si les contrôleurs tenaient les mains du médium à la base de la paume même le plus légèrement, de leurs deux doigts enveloppés, la sonnette se taisait; mais si quelqu'un levait le doigt ou permettait à Eusapia d'éloigner la main, elle se mettait à sonner et ne cessait pas avant qu'on revînt à la position nécessaire. Swiencicki fut touché trois fois, Glowacki deux fois, distinctement par les doigts d'une main; enfin moi, ayant posé la main sur l'épaule de Glowacki, je fus touché par les cinq doigts, chacun séparément, et puis par tous ensemble. L'appareil se taisait tout le temps ; le médium ne pouvait pas toucher les deux contrôleurs d'une seule main, l'un des doigts, l'autre de la paume, car ses doigts qui n'étaient pas garnis d'enveloppe métallique, ne pouvaient pas fermer le circuit électrique. » M. Matuszewski écrit, (1) « qu'il a éprouvé plusieurs fois les attouchements, quand il tenait les deux mains du médium dans les siennes et que les deux jambes du médium

(1) Courrier de Varsovie 20. (1) « Compte-rendu », p. 4.

embrassaient une des siennes. Il a vu également très distinctement une main grande et gauche saisir la main de Prus-Glou-wacki au moment où ce dernier tenait lui-même la main gauche du médium, dont les deux mains étaient d'ailleurs visibles et contrôlées. Ce fait fut observé par 5 personnes à la clarté suf-lisante. La main qui touchait, qu'on avait vue aussi à Milan, planait librement au-dessus de la tête du médium, était blanche à nuance bleuâtre et semblait luire légèrement. »

Le fait de pareille matérialisation des mains est rapporté encore par MM. Prus-Glowacki et Ochorowicz. (« Le Pays » N°5, et Le « Courrier de Varsovie » N° 21). Le 7 janvier M. Ochorowicz organisa une séance sans table, pour que la force du médium ne se disperse pas en phénomènes mécaniques. Le médium était assis dans l'ouverture de la tente, lui tournant le dos, contrôlé par M. Swiencicki (de droite) et M. Ochorowicz; plus loin, formant un cercle, Mme Krobicka, M. Matuszewski, Mlle X.., (l'autre médium), Mme Ochorowicz; M. Glowacki restait debout. La lumière de la lampe était affaiblie, mais permettait de distinguer les visages et les mains desassistants. La lampe électrique, placée derrière le rideau, s'allume deux fois ; bientôt dans l'ouverture du rideau, au-dessus de la tête d'Eusapia, se montre une main, d'abord indistincte et comme estropiée, puis graduellement à formes finies d'une assez grande main d'homme. Une fois se montre une autre main, beaucoup plus petite, tenant un petit fichu de blancheur neigeuse. Comme M. Glowacki ne voyait rien (seul des assistants : il est myope), il se plaça plus près du rideau, posant les mains sur les épaules de M. Ochorowicz. « A ce moment, comme j'ai vérifié à l'aide de la main, les deux jambes d'Eusapia sans chaussures, seulement vêtues de bas foncés, reposaient sur les genoux d'Ochorowicz. Après quelques minutes, à droite d'Eusapia, une demi-aune au-dessus de sa tête, sortit de derrière le rideau un objet de couleur claire, qui ressemblait à une petite main, dont l'avant-bras était nu et la paume, comme fermée en poing, était couverte d'une toile blanche. L'objet se retira bientôt en arrière et l'apparition dura quelques secondes. Alors, très étonné et ému, j'ai demandé à toucher cette main ; trois coups de table (qui était derrière le rideau) répondirent affirmativement, et Eusapia d'une voix altérée m'ordonna de tenir la main au-dessus de sa tête. Je me suis approché du rideau, j'ai pris de ma main gauche l'épaule droite d'Eusapia (Ochorowicz lui tenait cette main), j'ai tiré ma main droite à

3 pouces au-dessus de la tête d'Eusapia. Certes, c'était un moment extraordinaire pour moi, mais je me sentais les sens normaux. Soudain, j'entendis le bruit caractéristique des doigts derrière la tête d'Eusapia, une demi-minute après, le bruit comme de papier serré vis-à-vis de son oreille droite. Encore une demi-minute après sortit du côté droit d'Eusapia, lentement et horizontalement, une main gauche d'homme, serra ma main de ses trois doigts, tira légèrement mes doigts et se* retira lentement derrière le rideau. Les assistants crièrent : « une main, une grande main ! » C'était une main complètement vivante : de forme oblongue, de couleur de peau claire, de température et densité normales. Seulement, je ne remarquai pas le quatrième et cinquième doigt et je ne me souviens pas, si la partie visible et nue de l'avant-bras était longue de 3 ou de 6 pouces ; je n'aperçus aucune manche. »

IV. A la même séance Eusapia, fortement irritée par le manque de table, tomba dans l'état de trance plus profond et parlait au nom de John; d'une voix changée : « Vous m'avez enlevé la table pour découvrir les jambes du médium. Allez, je vais vous montrer, que je fais tout à l'aide des jambes du médium ! » Ce disant, elle étendit les jambes, les appuya sur mes genoux de sorte que M. Matuszewski, qui était le plus éloigné du rideau, les pût toucher, et cria : « Regardez, je frappe la table de ma jambe gauche ! » En même temps elle frappait de son pied mon genou, et tout-à-fait simultanément se firent entendre derrière le rideau à 2 mètres de distance, des forts coups, comme de la jambe contre la table, qui était dans la tente, près du mur. (1) « Les forts coups dans la porte eurent lieu, quand le médium en était éloignée (assis) de 2-3 pas » dit le Dr Wroblewski (1). Je complète ces données peu nombreuses sur les sons sans intervention immédiate du médium par la note de M. Matuszewski : (2) « Entre autres, j'ai entendu les sons d'une harmonie tirée à main, que l'on ne pouvait mettre en mouvement qu'à l'aide de deux mains. L'instrument s'approcha de moi et jouait, suspendu dans l'air à environ une aune et demie de distance du médium. » D'autres sons (pathologiques etc.) sont notés par divers observateurs à diverses occasions.

(à suivre) Casimir de Krauz.

(1) Ochorowicz, Courrier de Varsovie N° 21. (2) « Compte-reudu », p. 4.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 18 Juin 1891. — Présidence de M. Dumontpallier.

Vomissements incoërcibles depuis 10 mois, chez une jeune fille de 14 ans. — Hystérie. — Guérison rapide des vomissements après suggestion hypnotique.

Par M. le Dr Dumontpallier, membre do l'Académie do Médecine.

Mlle C. V..., âgée de 14 ans, a l'extérieur d'une nerveuse; sa physionomie, sa toilette, son langage disent qu'elle est hystérique et cette impression première est confirmée par l'examen de la malade. Elle a eu des attaques de nerfs, elle est sujette à des contractures dans les membres inférieurs, qui s'accusent surtout par un double pied-bot va-rus équin. Elle a été soumise à plusieurs traitements sans succès et deux saisons à Néris n'ont pu amener de modifications importantes dans son état nerveux. Depuis 10 mois elle vomit tous ses repas, bien qu'elle mange avec appétit; le premier déjeuner seulement n'est pas suivi des vomissements. Sa mère s'adresse à moi pour faire cesser ces vomissements incoercibles.

Je constate que Mlle C. V..., est hémianesthésique sensitivo-sensorielle droite avec diminution du champ visuel du même côté. Elle a cessé d'avoir ses règles depuis plusieurs mois, mais son linge est souvent tâché d'un liquide sanguinolent avec leucorrhée plus ou moins abondante. Cette jeune fille a maigri, mais l'amaigrissement n'est pas en rapport avec la continuité et l'abondance des vomissements. Le sommeil est souvent agité, elle appelle sa mère pendant son sommeil et demande à boire.

Dès le premier jour j'obtiens facilement, par simple suggestion verbale, l'hypnose avec amnésie au réveil; et pendant le sommeil provoqué j'affirme à la malade qu'elle ne vomira plus après ses repas et qu'elle n'aura plus de crises nerveuses ni de contractures. Le réveil est facile par simple suggestion cérébrale. Dès la première séance les vomissements ont été moins abondants et après la troisième séance d'hypnotisa-tion ils ont complètement cessé.

Je recommandai à la malade de venir me voir seulement tous les deux jours, puis deux fois par semaine. J'ajoute, pendant l'hypnose, que s'il y avait la moindre tendance au retour des vomissements il suffirait à la malade de s'endormir une ou deux minutes après chaque repas pour faire cesser toute menace de vomissements.

Le traitement avait été commencé le 29 mars. Le 22 avril je n'avais pas revu la malade et j'avais lieu de croire qu'elle était bien guérie de ses vomissements. Le 23 avril elle ne pouvait plus marcher et on l'apportait chez moi : Elle était affectée de contractures des deux membres

inférieurs avec douleur vive dans les genoux. Alors j'apprends que, le 20 avril, elle avait passé toute l'après-midi dans les salles du Musée de Cluny et que pour rentrer chez elle, n'ayant trouvé de place que sur la plateforme d'un tramway, elle était restée debout pendant tout le trajet. Le lendemain au réveil elle avait ressenti une douleur très vive dans les deux genoux et dans la journée ses membres inférieurs s'étaient contractures.

Cette contracture n'était pas très forte puisque la malade voulut sortir à pied le jour suivant ; mais, surprise par la venue d'une voiture, elle faillit être écrasée parce qu'elle ne put marcher assez vite pour l'éviter. La frayeur augmenta le degré de contracture et le lendemain on l'apportait chez moi. C'était le 23 avril ; pas de retour des vomissements. La suggestion hypnotique réussit à diminuer la douleur des genoux et la contracture des membres.

Le 24 avril les règles ont apparu et les contractures ont presque complètement cessé. Le 25 avril, il n'y a plus que de l'hésitation dans la marche, les vomissements n'ont pas reparu et j'affirme maintenant qu'elle sera bientôt guérie complètement.

Un mois après, le 25 mai, je revois la malade, les règles sont revenues le 22 mai, il n'y a plus de vomissements, ni de contractures, ni de paralysie.

Certes je ne saurais considérer cette malade comme étant complète-ment guérie, elle est hystérique et de nouvelles manifestations hystériques pourront survenir; mais il n'en reste pas moins acquis que la suggestion hypnotique a triomphé rapidement des vomissements incoërcibles qu'aucun traitement antérieur n'avait pu arrêter. De plus l'état général a été aussi très favorablement modifié, ainsi qu'en témoigne le retour régulier de la fonction menstruelle.

Attaques convulsives hystéro-épileptiques. Vertiges suivis de délire et d'hallucinations. — Hypnotisme obtenu par le miroir rotatif. — Guérison.

Par M. le D' Auguste Voisin, médecin à la Salpétrière.

J'ai eu l'occasion, il y a peu de temps, d'observer un fait qui m'a paru devoir vous intéresser comme démonstratif de la possibilité d'hypnotiser une personne sans le secours de la suggestion de dormir, mais par l'influence seule d'un corps brillant. Le corps brillant a été dans ce cas le miroir rotatif imaginé par notre collègue, le Dr Luys.

Mlle X..., âgée de 20 ans m'est amenée à ma consultation pour des attaques convulsives, très fréquentes survenues il y a un an et ayant résisté à tous les traitements suivis jusqu'ici.

Son père et sa mère sont bien portants.

Sa grand'mère paternelle est seulement impressionnable et nerveuse, sans maladie proprement dite.

Pas de maladie dans la 1er enfance ni au moment de la formation.

Il y a deux ans cette jeune fille a été prise de gastralgie très douloureuse surtout après l'ingestion des aliments même les plus faciles à digérer tels que le lait, le bouillon. Cet état gastrique a résisté aux traitements employés et en particulier à l'hydrothérapie et a disparu, il y a un an, pour être remplacé par un état plus grave.

En effet, à cette époque cette jeune fille a commencé à être frappée d'attaques convulsives caractérisées par : frissons, tremblements généraux, agitation, convulsions cloniques, mouvements désordonnés consistant à déranger et à casser tous les objets, monter sur les meubles, sur le rebord des fenêtres et enfin chute à terre avec perte de connaissance.

Ces attaques sont toujours diurnes, elles durent de 4 à 5 heures. Elles se reproduisent plusieurs fois par jour ; depuis un mois il est survenu outre les attaques, des vertiges constitués par la perte de la connaissance, la fixité du regard, les hallucinations de la vue et de la stupeur consécutive pendant une demi-heure à 1 heure.

Cette jeune fille n'a pas cessé d'être traitée pendant 1 an par des antispasmodiques, les calmants et l'hydrothérapie médicale bi-quotidienne.

Etat actuel : La conformation extérieure est normale. L'intelligence au-dessous de la moyenne. Le caractère est devenu depuis quelques mois difficile et même colère. Impressionnabilité très vive.

Pupilles égales mais larges. Un peu de rétrécissement visuel aux segments internes des deux yeux. Réflexes conjonctivaux normaux. Pas d'hypéresthésie péri-mammaire ni iliaque. Nulle part il n'existe d'anes-thésie. Il n'a jamais été fait de tentative d'hypnotisme sur elle. Sans prévenir la malade de ce que je vais faire, je là fais asseoir le dos vers la fenêtre, j'installe devant elle, sur une table, un miroir rotatif que je mets en mouvement sans prononcer aucun mot. Au bout de 50 secondes, je constate le clignotement des paupières, leur demi-occlusion, le laisser aller de la tête en arrière, l'occlusion définitive des paupières et le sommeil. Je m'assure aussitôt de l'insensibilité de la peau aux piqûres profondes d'une épingle, je lui suggère qu'elle se réveillera quand je toucherai son oreille gauche et en môme temps quelle sera calme pendant ce sommeil, qu'elle reviendra me trouver le lendemain avec sa mère, que jusqu'à son retour elle n'aura ni attaques de nerfs, ni éblouis-sements. Je ne la laisse dormir que cinq minutes et je la réveille comme je lui ai dit. Après son réveil je ne lui dis rien de ce que j'avais fait et j'ai recommandé à sa mère de ne pas lui en souiller mot. Le lendemain cette jeune fille me fut ramenée sans avoir eu d'attaques ni de vertiges. Le même procédé a été employé avec le même succès en 30 secondes. Même suggestion que la veille. Le surlendemain le sommeil est obtenu de la même façon en 15 secondes. J'ajoutai sur la demande de sa mère des suggestions concernant le caractère et la difficulté de la faire lever le matin avant 11 heures. A la 5me séance le sommeil était obtenu en 10 secondes, les attaques et les vertiges ne se sont pas reproduits et la jeune fille se lève maintenant à 9 heures. Son caractère s'est aussi amélioré : Elle n'a pas eu de colère.

En résumé, le miroir rotateur seul, sans la moindre suggestion, m'a permis d'hypnotiser celte jeune fille et la suggestion hypnotique a produit en quelques séances un résultat absolument curatif qu'un traitement prolongé consistant en antispasmodiques, en hydrothérapie n'avait pu amener pendant une période d'un an.

Séance du 19 juin. — Présidence de M. Dumontpallier.

Le tatouage chez les aliénés.

pur M. Daguilhon, ancien interne des asiles d'aliénés de la Seine.

En 1891, époque à laquelle j'étais attaché à l'Asile d'aliénés de Ville— Evrard en qualité d'interne, j'ai eu l'occasion d'observer de nombreux malades tatoués. Guidé par mon maitre, M. Marandon de Monthyel, qui, à l'Asile de Marseille où il était précédemment médecin, avait trouve des rapports entre les tatouages et le délire des aliénés, j'ai cherché si le fait constaté par lui se retrouvait chez les malades de l'Asile de Ville-Evrard, et j'ai été amené aux mêmes conclusions.

Le travail que j'ai entrepris sur ce sujet devant paraître au cours de cette année dans les Archives d'Anthropologie criminelle, je ne chercherai pas à entrer dans les détails qui feront l'objet de ce mémoire d'ensemble. Plus modeste sera ma prétention et je tâcherai seulement de vous présenter quelques indications de nature je l'espère à vous faire partager ma conviction sur cette question.

De Paoli, en Italie, le premier a recherché les tatouages chez les aliénés ; il est arrivé à cette conclusion confirmée en 1885, par son compatriote Alberto Severi qu'il n'existait aucun rapport entre le délire et tatouage dessiné, que de plus la proportion des aliénés tatoués était inférieure à celle que l'on trouvait chez les individus, sains, et que ceux des aliénés tatoués étaient généralement des aliénés criminels. J'ai depuis vainement recherché des travaux similaires sur cette question, et à part l'observation publiée par le Dr Christian, en 1891, dans les Annales d'Hygiène de Paris, je ne vois que le mémoire de M. Marandon de Monthyel en 1893, dans les Archives d'Anthropologie criminelle sur les tatouages observés à l'Asile d'Aliénés de Marseille, qui doit être considéré comme la source où j'ai puisé l'idée première de ce travail.

C'est donc la triple assertion de Alberto Severi que je lâcherai d'enfermer en ce moment.

Le nombre d'aliénés (hommes), que nous avons pu examiner à l'Asile public de Ville-Evrard, à partir du 1er Août jusqu'au 1er Novembre 1891, a été exactement de 501: sur ce nombre, nous avons observé 62 individus tatoués, soit une proportion de 1 tatoué sur 8. M, de Monthyel, à l'Asile de Marseille, avait trouvé 1 sur 4, proportion double, mais facile à comprendre, étant donné le milieu spécial où se recrutent les malades de l'Asile de Marseille (matelots, etc.) J'ignore personnellement si la proportion de 1 tatoué sur 4 est normale dans cette ville : en tous

cas, il me parait certain qu'à Paris celle de 1 sur 8 est manifestamment supérieure à celle que l'on constaterait chez des individus sains, de la même catégorie sociale. J'ajouterai que cet avis est également celui de M. de Monthyel en ce qui concerne la population ordinaire de Marseille. Contrairement à Paoli et Alberto Severi, notre avis est donc que les tatouages sont plus communs chez les aliénés que chez les individus sains.

Sur le deuxième point (moralité des sujets), les auteurs Italiens admettent que les aliénés tatoués sont des aliénés criminels. Notre statistique tendrait à infirmer du moins pour Paris, cette conclusion.

Sur nos 62 tatoués :

43 n'ont subi aucune condamnation.

5 ont été condamnés au civil (correctionnelle, assises).

4 ont subi des peines militaires (travaux publics).

Les renseignements manquent dans 10 cas (fait qui s'explique suffisamment par l'état de démence de certains de nos malades et par le fait qu'ils ne recevaient aucune visite permettant d'interroger des parents ou amis sur leurs antécédents).

C'est donc un ensemble de 9 condamnés sur 62 tatoués, proportion bien faible on l'avouera.

Sur le troisième point le plus important, nos observations nous permettent de dire qu'il y a souvent rapport entre le délire de l'aliéné et le dessin tatoué.

II importe avant d'entrer dans l'étude de ces rapports, de dire quelques mots sur le tatouage en général. On peut distinguer 3 sortes de tatouages : 1° les tatouages professionnels ; 2° les tatouages allégoriques ; 3° les tatouages sans signification précise.

A la première catégorie appartiennent les tatouages représentatifs d'une profession donnée ; ces images le plus ordinairement ont été faites dans le but d'indiquer que le porteur est bien un compagnon appartenant à la profession dont il porte les insignes. Il existe en effet une tradition, fausse du reste d'après les renseignements que nous avons recueillis et d'après laquelle l'ouvrier qui porte un tatouage figuratif de son métier, trouve plus facilement à se placer, cette marque étant l'indice qu'il est bon ouvrier.

Ces tatouages professionnels n'offrant pas d'intérêt à notre point de vue, nous les avons étudiés très sommairement.

La deuxième catégorie renferme les tatouages allégoriques. Par tatouages allégoriques nous entendons ceux qui représentent une idée ; nous avons dans cette catégorie des personnages entiers ou en buste, des fleurs, sujets erotiques, animaux, objets inanimés, emblèmes et certaines inscriptions.

Dans la troisième catégorie nous rangeons les tatouages dont la signification n'est pas déterminée ou est difficile à préciser.

A cette catégorie se rattachent quelques inscriptions, initiales et noms.

A un autre point de vue on peut examiner l'image tatouée d'après l'idée qui a présidé au tatouage. Dans cet ordre d'idée on peut distinguer :

1° Les images dont le sujet a été choisi par le tatoué qui les a désignées et imposées au tatoueur, en spécifiant que c'étaient elles et non d'autres, dont il voulait avoir le dessin figuratif sur la peau.

2° Les images dont le sujet a été choisi d'un commun accord par le tatoueur et le tatoué.

3° Celles qui ont été faites par le tatoueur sans l'assentiment du tatoué ou malgré lui, ou celui-ci restant indifférent.

Au point de vue spécial qui nous occupe, les seuls tatouages intéres, sants sont les tatouages allégoriques dont le sujet a été choisi ou accepté de propos délibéré par le tatoué.

Il est bien évident, en effet, que les tatouages professionnels, ou sans signification précise que ceux qui ont été indifférents au tatoué, ou lui ont été inspirés par le tatoueur, ne peuvent présenter aucun intérêt pour l'étude actuelle.

Sur les 62 individus tatoués, de Ville-Evrard, nous n'avons trouvé que 19 tatouages professionnels, une cinquantaine de tatouages indifférents et 200 tatouages allégoriques.

Examinés au point de vue du choix des images, ces individus comprenaient :

32 sujets qui avaient choisi les imagesde leurs tatouages (lre catégorie.)

17 appartenant à la 2me catégorie et 6 seulement à la troisième.

D'après ce que nous avons dit plus haut les seuls intéressants sont les 49 individus des 2 premières catégories qui présentaient des tatouages allégoriques.

Or, que résulte-t-il de leur examen ? En suivant nos malades au point de vue mental, nous avons constaté en comparant le délire du malade avec le dessin tatoué, que dans 16 cas il parait y avoir eu un rapport entre ce dessin et ce délire.

Les malades que nous avons observés appartenaient aux différents types cliniques de la folie ; sans entrer dans l'étude raisonnée de leurs troubles intellectuels et de la forme mentale qu'ils affectaient, étude qui nous entraînerait trop loin et qui du reste nous écarterait de notre sujet, nous dirons que nos 16 malades présentaient:

2 fois des idées de force.

2 — — de grandeur.

2 — — de mystiques.

6 — — d'érotiques.

2 — — d'homicides.

2 — — de suicide.

Nous allons rapidement citer quelques-unes des observations qui nous ont permis d'arriver à nos conclusions.

Idées de force

Un marin s'est fait tatouera l'âge de 16 ans, une panthère sur le bras droit ; ce malade âgé de 50 ans est actuellement atteint de paralysie générale avec des idées de force et de satisfaction ; il se croit plus dangereux que les bêtes féroces et dit à tout propos que sa force est supérieure à celle de la panthère dont à certain moment il imite le cri.

Un papetier, âgé de 50 ans, ancien cantinier de zouaves, a sur diverses parties du corps des croix de légion d'honneur, une femme, une botte sur la verge..., tatouages faits à l'âge de 25 ans au régiment. Il est actuellement atteint de paralysie générale et a des idées de force, de grandeur, mêlées à des idées érotiques.

Idées de grandeur Un serrurier de 51 ans porte au bras gauche un écusson héraldique surmonté d'une couronne ducale et de ses initiales ; ce tatouage lui a été fait à 22 ans sur ses indications en Algérie. C'est un dégénéré atteint d'alcoolisme chronique qui a par intervalles des idées de grandeur; dans une de ses périodes d'excitation il nous a dit qu'il était prince et que Ville-Evrard était son château.

Idées mystiques et érotiques

Un homme âgé de 55 ans hémiplégique persécuté a des idées mystiques et érotiques intenses. Il ne porte que des tatouages professionnels sans importance : mais il est tatoueur de son état et comme tel a tatoué autrefois alors qu'il avait 36 ans, des ostensoirs, sujets religieux, femmes nues, verges ailées sur le corps de différentes personnes, notamment sur ses sœurs, belles-sœurs, filles, femme, etc., Ses tatouages ont été exécutés alors que les sujets avaient de 15 à 40 ans ; il tatouait de préférence sur les bras, le dos, les cuisses. Une de ses filles actuellement âgée de 42 ans, porte depuis l'âge de 19 ans sur l'épaule droite (deltoïde) un évêque que son père lui avait dessiné, sa sœur cadette m'a-t-elle dit, a depuis l'âge de 15 ans une verge ailée sur la cuisse droite, près du pli inguinal. Il aurait tatoué également sur les cuisses d'une de ses belles-sœurs des sujets religieux (descente de croix). Ce malade est un dégénéré atteint depuis 15 ans seulement des idées de persécution qui ont motivé son internement. Au dire de sa famille il n'a présenté d'idées mystiques et érotiques bien nettes que dans ces dernières années et à l'époque où il tatouait sa famille il faisait ces dessins sans y attacher d'importance et comme faisant la chose la plus naturelle du monde. Il a actuellement conservé un certain degré de lucidité qui lui permet de répondre à nos questions et il en profite pour raconter ces faits avec une certaine ostentation.

Ce malade a des idées érotiques très accusées, il parait avoir des hallucinations nocturnes organiques et dit que sa fille a des rapports avec lui toutes les fois qu'elle vient ; quand elle vient le voir du reste elle est obligée de se tenir à distance pour éviter ses attouchements.

Un marinier porte sur la partie postérieure du bras un buste de fille publique (dessin tatoué au régiment) : il est actuellement Agé de 44 ans et atteint de paralysie générale avec idées érotiques.

Un déménageur de 32 ans a des idées mystiques et érotiques ; il est marié avec sa sœur et prétend avoir des rapports avec elle la nuit ; il est Pape et porte sur la poitrine un cœur percé d'une flèche et un Christ crucifié.

Idées homicides

Un chanteur de 34 ans porte sur le bras deux cœurs percés d'un couteau de boucher ; de la plaie s'écoulent des gouttes de sang. Dégénéré alcoolique arrêté à la suite de tentative d'assassinat.

Un homme de 50 ans s'est fait tatouer à 16 ans, une femme se mas-turtant dans un bain de siège et un cœur percé d'un couteau de boucher. Idées homicides, tentative de meurtre ; pas d'idées érotiques.

Idées de suicide

Un cordonnier de 36 ans a le sein droit recouvert par un cœur percé d'une épée dont la garde est inachevée et la lame enfoncée dans le mamelon. Arrêté à la suite d'une tentative de suicide au cours d'une crise d'alcoolisme aigu. A tenté de se tuer en se donnant un coup de couteau.

SOCIÉTÉS SAVANTES

XIe Congrès International des Sciences Médicales, tenu à Rome. Section de Neurologie et de Psychiatrie.

Le traitement de la morphinomanie.

par M. le Dr Bérillon.

Les deux méthodes de traitement de la morphinomanie, la méthode par suppression brusque ou par suppression lente, présentent toutes les deux de graves inconvénients. Actuellement, la plupart des auteurs donnent la préférence à la suppression lente. Dans la pratique, M, Bé-rilion a constaté qu'il était presque impossible d'arriver à une guérisori définitive si l'on n'a recours à la suggestion hypnotique. Avant de commencer le traitement un certain nombre de séances doivent être consacrées à l'entraînement du malade. Plus on l'aura rendu malléable et suggestible, plus il sera facile de diriger le traitement. Dans certains cas, la démorphinisation peut s'effectuer sans qu'il soit nécessaire de placer le malade dans une maison de traitement; il suffit de l'isoler de son milieu habituel. Il est des cas cependant où un isolement complet est indispensable, quand le malade, par exemple, est arrivé à la période des troubles mentaux graves ; dans ce cas, la suggestion est encore indiquée pour atténuer d'une façon très appréciable les douleurs et les

troubles mentaux exagérés momentanément par l'abstinence. La durée du traitement par la suggestion hypnotique est d'environ un ou deux mois. Quand le malade ne prend plus que quelques centigrammes de morphine par jour, on procède à la suppression définitive. Alors, apparaissent des troubles très graves, des vomissements bilieux, des diarrhées abondantes, des alternatives d'excitation et de dépression qui nécessitent une surveillance attentive et la présence constante de gardes-malades expérimentées. Tous ces accidents ne sont graves qu'en apparence chez un malade qui aura été déshabitué lentement de la morphine. Ils disparaissent habituellement au bout de trois ou quatre jours, et le tableau si pénible que présentait le malade fait place peu à peu à l'apaisement et au calme. La période de convalescence est d'autant moins longue que la suppression a été plus lente. Les guérisons obtenues avec l'aide de la suggestion sont plus sûres que celles qui sont obtenues par la suppression forcée. Elles ont pour base le réveil de la volonté du malade auquel on n'aura pas négligé de suggérer un véritable dégoût pour la morphine.

Discussion.

Tanzi (Palerme). — En 1889, à la clinique psychiatrique de Génes, j'ai eu recours à l'emploi de la suggestion hypnotique pour traiter un morphinomane invétéré, j'ai été surpris du secours qui m'a été donné par ce procédé. J'ai acquis la certitude que le malade avait été radicalement guéri. La méthode suggestive répond à des indications formelles, celles de combattre les sensations objectives du malade, qui sont le plus souvent les sensations prédominantes dans le besoin morphinique. Ces sensations objectives peuvent persister longtemps après que les sensations subjectives ont disparu et constituer à elles seules, l'état de besoin. Ce qui le prouve, c'est que le sujet peut être calmé par des injections de solutions ne contenant pas de morphine.

M. Hitzig (Leipzig). — Je suis disposé à accepter l'idée de l'emploi de la suggestion hypnotique, car le traitement moral est appelé à jouer un grand rôle dans le traitement de la morphinomanie. En Allemagne, la méthode de Lévinstein est actuellement abandonnée et nous avons recours à la suppression graduelle. Ayant constaté que les morphinomanes présentent des altérations du suc gastrique et de l'hyperchlo-rhydrie, je les soulage beaucoup par le lavage de l'estomac.

M. Bianchi (Naples). — Au point de vue clinique il me parait important de faire la distinction entre les morphinistes et les morphinomanes, les uns étant plus faciles à guérir que les autres. Pour moi les véritables morphinomanes sont des hystériques, des dégénérés ou des aliénés, toujours prêts à céder à de nouvelles impulsions et par ce fait, devant être considérés comme incurables.

M. Bérillon. — Je ne partage pas l'avis de M. Bianchi et je crois que si la distinction entre les morphinistes et les morphinomanes présente un intérêt au point de vue clinique; elle n'en n'a aucun au point de vue

thérapeutique. Chez un hystérique, un dégénéré, un aliéné qui se sera décidé à la suppression de la morphine, qui aura des motifs pour se guérir, qui en aura la ferme volonté, la guérison sera plus facilement obtenue que chez un sujet n'ayant pas les mêmes forces psychiques ou physiques qui ne sera pas décidé à se soumettre au traitement et à tenter la guérison. J'en ai vu de nombreux exemples. Ainsi une malade hystérique très dégénérée, morphinomane invétérée, s'est décidée à se guérir le jour où elle a su que ses héritiers escomptaient sa fin prochaine. Elle a voulu se guérir et elle y est arrivée assez rapidement.

REVUE BIBLIOGRAPHIQUE

Introduction à la Psychologie expérimentale

par Alfred Biset (1). La psychologie expérimentale a conquis son autonomie et s'est définitivement organisée en science distincte et indépendante. Elle représente actuellement un ensemble de recherches scientifiques qui se suffisent jusqu'à un certain point à elles-mêmes, comme celles des autres sciences naturelles.

Le laboratoire fondé en 1889 à la Sorbonne, sous la direction de M. le professeur Beaunis, a déjàproduit de nombreux et intéressants travaux ; M. Binet les présente et les analyse dans ce volume. L'auteur montre comment, avec des appareils très simples et même sans aucun appareil, on peut faire d'utiles recherches. Les sensations, les mouvements, l'attention, la mémoire, la volonté, l'idéation, la durée des actes psychiques, forment les parties de la psychologie que l'on a le mieux réussi à soumettre à l'expérimentation régulière. La psychométrie est également, avec la psycho-physique, l'une des branches les plus avancées de la psychologie des laboratoires ; c'est celle où l'on a cherché â mesurer les étals de conscience et à introduire des chiffres dans la psychologie ; M. Binet lui consacre un important chapitre. Enfin il termine ce livre par une description de méthodes d'observation à la portée de tous et par des questionnaires dont l'emploi intelligent permettrait de faire d'utiles enquêtes, et dont la psychologie expérimentale tirerait les plus grands profits.

Des Phobies ou Peurs maladives.

Le Dr Gélineau vient de faire paraître un ouvrage sur un sujet peu fouillé encore, les Phobies ou Peurs maladives.

Depuis la première Phobie observée par Bénedickt, de Vienne, l'Agoraphobie ou peur des espaces, bon nombre d'autres ont été étudiées, la Claustrophobie, la Mysophobie, l'Antropophobie, l'Acrophobie, la Pho-bophobie, la peur d'avoir peur qui les couronne toutes, mais nul auteur n'avait songé à les considérer comme une névrose indépendante et

(1) Avec la collaboration de MM. Philippe, Courtier et V. Henri (1 vol. in-12 de la Bibliothèque de Philosophie contemporaine, 2 fr. 50. — Félix Alcan, éditeur.

autonome et tous les neurologistes les rattachaient à la neurasthénie en en faisant une dépendance de cette affection.

Le Dr Gélineau, en s'appuyant sur une foule d'observations personnelles ou communiquées par d'autres médecins, démontre victorieusement que les Phobies ne sont pas une branche de l'arbre neurasthénique. Il établit d'abord les nombreuses différences existant entre la Phobie et la Neurasthénie. Le Phobique ne se plaint pas comme le Neurasthénique d'insomnie, de céphalalgie persistante, de dépression physique et morale, de mauvaise digestion, et d'un égotisme très prononcé. A part sa défaillance intermittente et une peur subite irraisonnée autant qu'irrésistible d'un objet, d'un endroit, d'une personne, il a bon pied, bon œil, bon estomac, bon cœur et se porte bien. Après avoir établi cette différence, l'auteur divise les Phobies en trois classes: 1o les Pseudo-Phobies ou aversions dont on rencontre très fréquemment des exemples (peur des chiens, des chats, des chevaux, des souris, de certaines fleurs et du tonnerre); 2° Les Phobies secondaires. qui sont sous la dépendance de la diathére nerveuse (épilepsie, hystérie, hypocondrie), ou arthritique ; 3° Les Phobies essentielles existant chez des sujets très sains, n'ayant aucune taxe physique ou psychique et et constituant à elles seules toute la maladie.

Le Traitement comprend quatre indications principales : 1o combattre l'état névropathique; 2° combattre la cause présumée; 3° le traitement hygiénique ; 4° le traitement moral ; chacun de ces chapitres contient des observations offrant l'attrait de la nouveauté, car, nous le répétons, c'est là un sujet peu étudié jusqu'à présent; ces observations démontrent qu'avec un peu d'attention et l'habitude de traiter ce genre de malades, on finit toujours par triompher du mal.

La lecture de ce livre est très attrayante et nullement pénible, malgré l'aridité du sujet. M. Gélineau a su, en effet, grâce à des recherches historiques patientes, faire une œuvre qui plaira non seulement aux médecins, mais encore à tous ceux qui suivent d'un regard attentif les progrès du nervosisme de notre fin de siècle.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société dhypnologie et de psychologie

Dans sa Séance annuelle du 16 Juillet la Société d'hypnologie a constitué ainsi son bureau:

Président : M. Dumontpallier.

Vice-Présidents: MM. Auguste Voisin et Boirac.

Secrétaire Général : M. Bérillon.

Trésorier: M. Albert Colas.

Secrétaires annuels: MM. Julliot et Valentino.

Comité de publication: MM. Babinski, G. Ballet et Déjérine.

Commission des candidateurs: MM. Gelineau, Ploix, Jules Voisin.

Les Séances annuelles de la Société reprendront le lundi 15 octobre, au Palais des Sociétés Savantes, 28. rue Serpente, à 4 h. 1/2.

Société médico-psychologique

Le Samedi 7 Juillet, la Société médico-psychologique a inauguré solennellement dans la cour d'honneur de la Salpétrière, les deux bustes de Baillarger et de Falret. Un grand nombre de notabilités scientifiques avaient répondu à l'appel de la Société et dans l'assistance très nombreuse nous avons remarqué : MM. Magnan, membre de l'Académie de Médecine, Auguste Voisin, président de la Société médico-psychologique. Ritti, secrétaire général, Falret, Voisin, médecins de la Salpétrière, Poubelle, préfet de la Seine, Raymond et Jeoffroy, professeurs à la faculté de médecine, G. Ballet, professeur agrégé à la faculté, Christian, Bouchereau, Briand, Febvré, Vallon, Marandon de Monthyel, Doutre-bente, Seglas, Deny, etc., médecins des asiles d'aliénés, Bérillon, inspecteur des asiles d'aliénés de la Seine. Motet, médecin-expert, Lebas, directeur de la Salpétrière, Semelaigue, Goujon. Pottier, Sollier, directeurs de maisons de santé, etc., etc.

Des discours éloquents ont été prononcés par MM. Magnan au nom de l'Académie de Médecine, Auguste Voisin et Ritti, au nom de la Société médico-psychologique. MM. Bouchereau et Motet ont retracé avec émotion les grandes qualités de Baillarger et de Falret, dont les travaux ont eu une influence si marquée sur l'étude de l'aliénation mentale. M. Falret, médecin de la Salpétrière a remercié la Société médico-psychologique des hommages rendus à son père. M. Poubelle, dans une heureuse et brillante improvisation a résumé les discours qui venaient d'être prononcés, et exprimé la sollicitude des pouvoirs publics pour les médecins qui vouent leur existence au traitement des aliénés. Et la cérémonie s'est continuée par un lunch, et le soir par un banquet.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné a fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

L'Administrateur-Gérant : Émile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris. — Imprimerie A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

9e année. — n° 2. Août 1891.

LES NEURASTHÉNIES PSYCHIQUES

Phobies neurasthéniques envisagées au point de vue professionnel

Par le Dr Edgar Bérillon,

Médecin-inspecteur adjoint des asiles publics d'aliénés.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.

De toutes les manifestations de l'épuisement nerveux, les plus intéressantes à étudier sont assurément les symptômes d'ordre purement subjectif désignés par Beard sous le nom de phobies, et par Bouveret sous le nom d'états d'anxiété neurasthénique. Ces états sont caractérisés par un ensemble de sensations émotionnelles au milieu desquelles la sensation de l'effroi, de la peur irréfléchie et angoissante, semble toujours dominer.

Il est peu de neurasthéniques chez lesquels ces peurs, aussi déraisonnées qu'indéfinissables, n'existent à un degré variable.

Ces troubles psychiques semblent tellement s'écarter des limites de rémotivité normale qu'il faut, pour en comprendre toute la valeur, être déjà initié aux surprises de la psychologie pathologique. C'est ce qui explique le scepticisme professé à cet égard par un grand nombre de cliniciens qui se bornent à ranger les neurasthéniques psychiques dans la catégorie peu intéressante des hypocondriaques, voire même des malades imaginaires. La réalité de ces phobies n'a cependant d'égales que leur fréquence et leur ténacité. Si l'attention des médecins n'a pas été plus tôt appelée sur ces perturbations psychiques, cela tient à ce que les difficultés de l'examen clinique résultent de l'instabilité môme de l'état mental des sujets. Alors qu'ils s'étendent avec complaisance sur un certain nombre de

symptômes pénibles, tels que la céphalalgie, la rachialgie, l'insomnie, la dyspepsie, la fatigue musculaire, et même la difficulté de se livrer à un travail soutenu, les mêmes malades ont souvent une tendance marquée à dissimuler leurs troubles cérébraux. C'est également chez eux qu'on retrouve cet état d'indécision qui les empêche de prendre la détermination la plus simple. Beard raconte que beaucoup de ses clients venaient jusqu'à sa porte et s'en allaient sans avoir l'initiative de sonner. Un de mes malades est monté ainsi chaque jour, pendant une semaine, jusqu'à la porte de mon appartement, sans se décider à entrer. Au dernier moment, malgré les instances de sa femme, il trouvait toujours un prétexte pour remettre la consultation au lendemain.

Cette irrésolution persiste dans le cabinet du médecin et c'est toujours avec beaucoup de réticences, d'hésitations et seulement après des interrogatoires dirigés avec beaucoup de tact et de persévérance qu'ils se décident à avouer la défaillance de leur volonté et à reconnaître les interprétations erronées de leur jugement.

Quelques-uns, il est vrai, n'éprouvent aucune humiliation à faire l'aveu de leur faiblesse morale, et racontent leurs états d'anxiété à tout le monde. Mais ce sont de rares exceptions.

Lorsque le médecin a reçu d'un malade la confidence d'une phobie, il se heurte à une sérieuse difficulté, celle d'obtenir une description satisfaisante du malaise ressenti. Par sa nature même, la phobie, la peur morbide, rentre dans le cas des phénomènes indéfinissables, tels que le vertige, l'angoisse, l'anxiété avec lesquels elle est le plus souvent associée d'une façon indissoluble.

Comment expliquer une peur angoissante, survenant à la vue d'un objet insignifiant, à l'idée d'accomplir un acte banal ? Le malade se rend parfaitement compte de l'absurdité de sa peur, il la qualifie lui-même très sévèrement; mais il sait par expérience que lorsqu'il se trouvera dans les mêmes conditions, en présence de circonstances analogues, sa volonté sera impuissante à éviter le retour de l'accès d'anxiété. Chez beaucoup de phobiques, il n'est même pas besoin d'une cause réelle ; une idée, un souvenir, suffit pour ramener la crise.

Nous avons pu nous rendre compte de l'intensité des souffrances éprouvées par une malade chez laquelle quelques paroles provoquent une anxiété des plus pénibles. A la suite d'une consultation médicale qui lui avait causé une vive émo-

tion, elle reste préoccupée de l'idée qu'elle doit être atteinte d'une maladie nerveuse, dont on lui dissimule la nature. Depuis lors, il suffit de parler devant elle d'une maladie quelconque pour que son visage, un instant auparavant coloré, revête une teinte blafarde. En quelques secondes, l'émotion provoque l'apparition d'un certain nombre de signes frappants : les narines se resserrent, les pupilles se dilatent, la voix s'altère ; elle perd contenance, les mains deviennent froides ; si elle est debout, les jambes fléchissent et elle est obligée de s'asseoir, comme si elle était prise de vertige. Elle craint de tomber en syncope, ce qui d'ailleurs ne lui est jamais arrivé. Si on lui affirme avec insistance que sa maladie n'est pas grave, qu'elle guérira, elle se rassure peu à peu, se met à sourire et revient insensiblement à l'état normal. Sous l'influence de suggestions faites dans l'état hypnotique, son état s'est promptement amélioré et les phobies ont diminué rapidement de fréquence et d'intensité.

Dans une récente étude (1), nous avons montré les conséquences graves que peuvent avoir les anxiétés neurasthéniques, lorsqu'elles se manifestent chez des sujets astreints au service militaire.

Elles méritent d'être également étudiées au point de vue professionnel. En effet, il est rare que les préoccupations des neurasthéniques ne se rattachent pas par quelque côté à leurs travaux habituels. C'est un fait qui jusqu'ici n'a pas paru frapper les auteurs qui ont écrit sur cette question, bien qu'il résulte de leurs observations elles-mêmes. Ainsi, dans l'observation d'agoraphobie devenue classique, que Legrand du Saulle publiait en 1878, dans les Annales médico-psychologiques, le jeune officier qui en faisait l'objet ne se sentait défaillir et n'était pris de son angoisse indéfinissable au moment de traverser une place que lorsqu'il était en habit bourgeois ; tandis que, soit à cheval, soit en uniforme et le sabre au côté, il pouvait impunément parcourir la même voie.

EXEMPLES DE PHOBIES PROFESSIONNELLES

Dans ses leçons, M. le professeur Grasset montre que les phobies n'épargnent pas les médecins. Il en est qui, sous l'influence de préoccupations liées à l'exercice de leur profession, en sont réduits à abandonner leur clientèle. Tel ce médecin des

(I). Les Phobies neurasthéniques envisagées au point de vue du service militaire. — Broch. in-8°, 15 pages. Masson. — Paris 1893.

hôpitaux de Paris, des plus distingués, dont l'anxiété commençait dès qu'un de ses malades quittait son cabinet emportant une ordonnance signée de lui. Il se demandait avec angoisse ce qui adviendrait s'il s'était trompé, et s'il avait prescrit des centigrammes au lieu de milligrammes, et il ne retrouvait le calme de son esprit que lorsque son domestique, parti à la recherche du client, lui rapportait son ordonnance, et qu'il pouvait s'assurer qu'elle était conforme aux indications du formulaire. Nous avons appris avec satisfaction que ce distingué confrère est complètement rétabli.

Grasset parle aussi d'un médecin auquel la peur du microbe, soit intérieur, soit extérieur, crée une existence des plus malheureuse. M. le Dr Brochin nous a rapporté le cas d'un médecin qui, chaque fois qu'il s'approche d'un malade atteint de diphtérie, fait preuve d'un véritable héroïsme. Indifférent à toutes les autres maladies contagieuses, son anxiété éclate dès qu'il pense à la diphtérie. Parmi les phobies professionnelles que nous avons eu l'occasion d'observer, se trouve celle d'un étudiant en médecine de troisième année, atteint d'héma-tophobie, et qui éprouvait une angoisse extrême à la vue de quelques gouttes de sang. Son état fut promptement modifié à la suite de quelques séances de suggestion. Les phobies observées chez les étudiants en médecine, ont heureusement un caractère transitoire, comme dans le cas du chef de clinique et de l'interne de Trousseau qui éprouvèrent de la dysphagie, à la vue de l'eau ou d'objets brillants, pendant un ou deux jours seulement, après avoir fait l'autopsie d'un individu atteint de rage. M. le professeur Raymond a cité un vétérinaire qui, après avoir été mordu par un chien enragé, fut pris de crises d'hydrophobie ; on substitua au chien qui l'avait mordu un animal sain en tout point semblable, et les accidents disparu-rent.Ces faits démontrent assez clairement le rôle de l'auto-suggestion dans la production des. phobies. Les médecins savent à quoi s'en tenir à ce sujet. Combien d'entre eux, étant étudiants, ont été sous l'influence au moins passagère de la phti-siophobie ou de la bacillophobie.

La liste de ceux qui, — magistrats, officiers, artistes, médecins, grands commerçants ou grands industriels, voyageurs de commerce, ont été mis dans la nécessité d'abandonner leur profession par suite d'une ou plusieurs phobies neurasthéniques, serait une liste trop longue à établir. Nous nous bornerons à citer maintenant quelques exemples observés par

nous, dans lesquels le caractère professionnel des phobies était un des plus caractérisé. Un jeune prêtre du diocèse de la Haute-Marne ressent une angoisse des plus pénibles au moment de monter en chaire le dimanche. Ses sensations longtemps attribuées à une timidité exagérée, ne sont en réalité qu'un état d'anxiété neurasthénique, car il n'est pas timide dans les autres circonstances de son ministère religieux. Un de ses collègues n'éprouvait d'anxiété que lorsqu'il s'agissait de recevoir une confession. Il était alors hanté de scrupules sans fin qui ne cédaient à aucun raisonnement, ni à aucun effort de volonté. Ces deux cas ont été traités avec succès par la suggestion hypnotique. Beard avait également observé un prédicateur célèbre qui, en chaire, parlait avec beaucoup d'éloquence et d'autorité, mais qui, dans le confessionnal, tremblait à l'idée d'assumer la responsabilité d'un conseil donné à ses pénitents.

Chez les artistes dramatiques, la neurasthénie se complique fréquemment de l'anxiété survenant au moment d'entrer en scène. Le trac des acteurs atteint dans certaines circonstances de telles proportions que des artistes de grande valeur ont dû abandonner le théâtre, à cause des angoisses qu'ils éprouvaient régulièrement à la vue du public. Nous en avons observé plusieurs cas ; dans trois d'entre eux la suggestion hypnotique a amené la guérison. M. le Dr Frémineau nous a rapporté l'observation d'une artiste du Théâtre-Français, chez laquelle les accès d'anxiété neurasthénique, survenant en scène, s'étaient manifestés seulement à la fin d'une carrière couronnée par de nombreux succès. Notre confrère, bien que peu familiarisé avec l'emploi de la suggestion hypnotique, tenta endésespoir de cause l'application de ce procédé. Il eut la satisfaction d'obtenir un succès aussi rapide que complet.

Chaque année, à l'approche des examens du Conservatoire, il est rare qu'un ou plusieurs élèves ne viennent pas nous demander le secours de la suggestion contre des phobies survenues inopinément sous l'influence d'un travail excessif.

Notre qualité de médecin de l'Association des Étudiants nous a fourni l'occasion de constater combien la neurasthénie du surmenage fait de victimes à la fin de l'année scolaire. Beaucoup d'étudiants se plaignent d'être réduits à l'impuissance absolue de lire et d'appliquer leur attention au travail. Ils manifestent un véritable désespoir, une anxiété déjà très pénible à l'idée de comparaître devant les jurys d'examen.

Chez les jeunes gens, quelle que soit leur intensité, ces phobies sont heureusement transitoires et cèdent facilement à la suggestion. Les phobies qui surviennent à un âge plus avancé, étant entretenues par des préoccupations et des responsabilités plus graves, revêtent un caractère professionnel nettement caractérisé et se montrent plus réfractaires au traitement.

Lorsque les peurs morbides se manifestent à l'occasion d'une vive impression morale, telle que celle qui résulte d'un risque couru, elles revêtent parfois un caractère si obsédant qu'elles obligent celui qui en est atteint à abandonner sa profession. Tel le cas de ce pharmacien du département de l'Aisne qui fut un moment inquiété pour avoir livré une préparation dont l'emploi avait amené la mort de son client. Il bénéficia d'une ordonnance de non-lieu, ayant prouvé qu'il s'était conformé scrupuleusement à l'ordonnance du médecin. Depuis lors son existence devint un véritable supplice, il vivait dans la préoccupation constante de commettre une erreur. Il a vendu sa pharmacie et commencé ses études de médecine. N'est-ce pas, pour un prédisposé à la neurasthénie psychique, tomber de Charybde en Scylla?

Chez un étudiant en pharmacie que nous avons traité, la phobie se complique d'un bégaiement qui n'existe réellement que lorsqu'il est dans la pharmacie en train de servir des clients.

La phobie d'un notaire de province est encore plus caractéristique au point de vue professionnel. C'est un homme instruit capable d'aborder dans une conversation les questions les plus variées et les plus délicates. II n'éprouve aucun malaise tant qu'on n'aborde pas devant lui de questions professionnelles. Mais dès qu'on lui demande un conseil relatif au notariat, il est pris d'une angoisse pénible, il pâlit, il est inquiet. Il est hanté par la crainte de se tromper dans les conseils qu'il est appelé à donner, à tel point qu'il ferme souvent sa porte et se dérobe aux affaires qui l'intéressent le plus. Sous l'influence d'un traitement hydrothérapique et suggestif son état s'est progressivement amélioré et il est rentré dans l'état normal.

Nous pourrions multiplier les exemples. Ils ont presque tous rapport à des malades exerçant des professions libérales. Cependant les ouvriers manuels n'en sont pas indemnes. Riégler a signalé chez les mécaniciens de chemins de fer une phobie qu'il désigne du nom compliqué de sidérodromophobie.

Prédisposés aux troubles nerveux par les exigences de leur profession, ils peuvent, à un moment donné, présenter entre autres symptômes une extraordinaire aversion pour leurs occupations habituelles, à tel point que la vue ou le bruit d'un train suffit pour raviver leur anxiété.

Une des dernières observations que nous ayions recueillies concerne un ouvrier coiffeur âgé de 31 ans dont les anxiétés neurasthéniques ont débuté en 1888. Il s'aperçut en servant un de ses clients que sa main tremblait. Pris de peur, il demanda à s'absenter quelques minutes, mais ne revint pas, et ce fut un de ses collègues qui fut obligé de terminer l'opération. Depuis lors la phobie est toujours allée en s'accentuant. Ce qu'il craint, ce n'est pas de couper le client, mais que celui-ci ne s'aperçoive du tremblement. A cette appréhension s'en joint une autre, celle de perdre sa place à laquelle il tient beaucoup.

Il est employé habile, et justement à cause de son habileté même, le patron de l'établissement où il travaille l'a choisi pour le raser tous les matins. Or la crainte que le patron constate le tremblement s'accroît en raison directe du désir qu'il a de conserver sa réputation d'ouvrier exercé. Etant recherché par les bons clients, ceux qui se montrent le plus généreux, c'est justement lorsqu'il se trouve appelé à raser une personne qu'il considère comme un bon client que son anxiété apparaît et détermine le tremblement tant redouté. La même anxiété n'existe pas, ou elle est négligeable, quand il s'agit d'un client inconnu ou de qualité secondaire. Là apparaît nettement l'auto-suggestion. Il nous a été facile de remonter au point de départ de cette phobie professionnelle. Sans être intempérant, le malade accepte volontiers quelques apéritifs. Il en est résulté un alcoolisme latent et atténué, mais suffisant pour lui rendre la main moins sûre. Le léger tremblement de main l'a inquiété, il s'est demandé si sa réputation d'ouvrier habile n'en serait pas compromise, et comme cette réputation n'a sa raison d'être qu'à l'égard des clients exigeants, difficiles à satisfaire qui se rencontrent le plus souvent dans les classes aisées, sa phobie, son anxiété n'apparaissent dans toute leur intensité que lorsqu'il se trouve en présence de clients de cette catégorie.

Désireux de se guérir, il s'est soumis au traitement hypnotique. Dès la première séance, bien qu'il eût présenté une résistance due à une appréhension non raisonnée de l'hypnotisme, il fut profondément endormi. Les suggestions appro-

priées ont eu un résultat satisfaisant, puisque mon confrère M. le Dr Rollin, qui me Pavait adressé, le considère comme guéri.

Personne ne sera supris du caractère professionnel des phobies neurasthéniques. On connaît la tendance que les divers spasmes fonctionnels ont à se localiser, spécialement dans les muscles mis en exercice dans les diverses professions.

Chaque jour la création de nouveaux métiers donne naissance à de nouvelles localisations des impotences musculaires. Ainsi, après la crampe des écrivains, on a vu survenir les crampes des pianistes, des violonistes, des harpistes, des flûtistes, des télégraphistes, des peintres, des fleuristes, des cigarières, des typographes, etc..

Les névroses psychiques affectent les mêmes tendances aux localisations professionnelles, et c'est, à notre avis, un caractère qui permet de les distinguer des vésanies véritables. Il est en effet difficile de considérer comme un symptôme d'aliénation mentale des sensations qui ne sont que l'exagération pathologique des sensations normales ; d'autant plus qu'elles ne sont pas accompagnées de dépression mélancolique, ni d'actes déraisonnables, ni d'impulsions irrésistibles, ni d'hallucinations sensorielles. Les neurasthéniques sont des irritables, des irrésolus, des anxieux, ce ne sont pas des impulsifs, à moins de considérer comme une impulsion en sens contraire la répulsion qu'ils manifestent pour l'accomplissement de tel ou tel acte déterminé. Il n'est d'ailleurs jamais venu à personne l'idée de demander l'internement de ces malades dans un asile d'aliénés.

Les symptômes de la neurasthénie, qu'ils soient objectifs ou subjectifs, qu'ils soient somatiques ou psychiques, ne sont en somme que le résultat d'une excessive fatigue du système nerveux. Les effets des divers surmenages intellectuel; moral, physique, sensoriel, ne sauraient être légitimement confondus avec les manifestations de la dégénérescence héréditaire. Tel dégénéré héréditaire, après les plus dures épreuves, ne devient jamais neurasthénique; par contre, tel homme normalement constitué le deviendra pour peu que les conditions de la lutte pour l'existence lui aient été particulièment défavorables. Nous reconnaissons volontiers qu'il n'est pas toujours facile d'établir la distinction qui sépare les phobies neurasthéniques des troubles mentaux décrits par Magnan sous le nom de syndromes épisodiques de la folie héréditaire.

Les neurasthéniques ne sont pas des impulsifs, ce sont des fatigués. Après avoir été des esprits vigoureux, des natures portées à l'action, après avoir dépensé sans compter toutes leurs forces, ils se trouvent placés dans l'impuissance d'agir par un défaut d'impulsion résultant de l'épuisement nerveux. Ce qui établit entre eux et les dégénérés héréditaires une distinction profonde, c'est qu'ils gardent l'intégrité de leurs facultés intellectuelles et morales et surtout qu'ils ne commettent aucune infraction aux lois morales et sociales. Une distinction peut se tirer encore du pronostic de la neurasthénie : lorsque la névrose n'est point passée depuis longtemps à l'état chronique, un traitement rationnel aboutit généralement à la guérison.

PROPHYLAXIE ET TRAITEMENT

Le caractère souvent professionnel des phobies neurasthéniques entraîne nécessairement quelques considérations au point de vue de la prophylaxie de l'affection. Beaucoup de sujets ressentent déjà dans le cours de leurs études, les prodromes de la neurasthénie. II appartient au médecin de leur conseiller de se mettre à l'abri de toutes les actions dépressives, contraires à l'hygiène dont la vie moderne est constituée. Il les invitera, quand ils choisiront leur profession, à tenir un compte sérieux des premiers troubles fonctionnels résultant de la fatigue nerveuse.

Quant au traitement, les indications fondamentales consistent à supprimer les causes de l'épuisement nerveux et à suspendre les occupations professionnelles. Beaucoup de neurasthéniques se trouvent malheureusement dans l'impossibilité matérielle de renoncer à leur profession et aussi de se soumettre aux règles d'une hygiène rationnelle, telle que le séjour dans les montagnes ou à la campagne. C'est dans ces cas-là que remploi de la psychothérapie est surtout indiquée.

Les règles de la méthode psychothérapique applicables aux neurasthéniques ont été très bien établies par Van Eeden, d'Amsterdam. Von Schrenk-Notzing, de Munich, a depuis consacré a la même question une étude très complète. Le traitement suggestif nous a donné comme à ces auteurs des résultats remarquables. II est juste de dire que la guérison des troubles psychiques dans les neurasthéniques ne saurait être obtenue qu'au prix d'une patience infini et d'une énergie qu'aucune défaillance du malade ne saurait décourager.

EXPÉRIENCES MÉDIANIQUES DE VARSOVIE

(suite)

V.— Sur la lévitation du médium même, qui est souvent précé-dée ou suivie du soulèvement de sa chaise et d'autres objets, nous trouvons dans le « Compte-rendu » (p. 4), les rapports suivants : « Le médium embrassa ma jambe droite de ses jambes, en serrant très fortement, puis quitta ma jambe, posant le pied, comme auparavant, sur mon pied ; après quelques moments j'entendis le mouvement de la chaise du médium et vis un léger mouvement de sa jambe droite, et un moment après le médium se trouva debout sur la table. Après 5-10 secondes le médium tomba en arrière sur moi, criant en italien : « Tenez-moi » ; puis sa tête s'inclina à gauche, reposant sur mon épaule et sur celle du voisin, M. Al. Rajchman. Après quelques moments Eusapia se calma, glissa de la table sur les genoux du Dr Heryng, contrôleur de droite, et resta dans cette position » (M. Loth). M. Al. Rajchman ajoute que « lorsque Eusapia en état de catalepsie s'appuya sur son épaule, il sentit le coup du bras de la chaise, qui soudain s'était trouvée sur la table au-dessus d'Eusapia. » Le Dr Wroblewski écrit : « La lévitation fut si tranquille, que le médium, à ce qui semble, ne heurta personne. Ses jambes étaient alors raides ; après quelques minutes les genoux se plièrent et le médium glissa de la table. Après la lévitation du médium sa chaise se souleva aussi et se coucha sur la table. »

« Une fois, — raconte M. Matuszewski — je fus témoin du soulèvement du médium en l'air au milieu de la chambre, sans aucun appui. Il était alors à l'état de trance, et s'élevait graduellement, lentement et légèrement en l'air (tout en restant debout), et retombait aussi lentement et légèrement sur le plancher. Cela faisait l'impression, comme si quelqu'un soulevait et abaissait le médium. Eusapia resta si longtemps suspendue en l'air, qu'on put passer librement la main sous ses pieds pour constater qu'elle ne touchait en effet absolument pas le plancher. La hauteur du soulèvement fut de quelques pouces ; le fait se répéta quatre fois. »

Je citerai ici encore un récit de M. Prus-Glowacki sur un

fait rare ; (1) « Eusapia était assise du côté étroit de la table ; à gauche, du côté large, Ochorowicz, Mme Szadkowska, moi, etc. ; il y avait près de dix assistants. A gauche et en arrière d'Eu-sapia était placée une grande table, lourde de 23 livres, et sur elle une grande terrine avec de l'argile et une sonnette. Il y avait peu de place dans ce coin gauche, car nous étions assis tout près du mur. Après des lévitations, des coups frappés, à l'ordre : meno luce, on affaiblit tellement la lumière des lampes, que je ne voyais plus rien. Dans quelques minutes la terrine et la sonnette de l'autre table se trouvèrent sur la nôtre. Ma voisine fut légèrement heurtée ; et quand je tendis la main pour en reconnaitre la cause, je constatai qu'entre moi et Mme Szadkowska glissaient en l'air les pieds de la table, dont la planche planait au-dessus de la tête de Mme Szadkowska. C'était l'autre table, celle dont on avait enlevé la terrine et la sonnette. Bientôt elle s'inclina et se coucha, les pieds en haut, et la planche sur celle de notre table, ou, pour mieux dire, sur la sonnette et la terrine. Elle resta quelques minutes dans cette position, se leva lentement et passa de nouveau par dessus la tête de Mme Szadkowska à sa place antérieure. Il était impossible d'exécuter de pareils exercices avec la table, sans aucun bruit, à une personne assise, même ayant les deux mains délivrées. Aurait pu le faire, et nécessairement à l'aide de deux mains, un homme qui aurait non seulement une grande liberté des mouvements, mais encore une grande habileté et la vue d'un oiseau de nuit, qui voit excellemment dans l'obscurité. J'ajoute expressément, que personne de nous ne s'était levé de table ni exécuté aucun mouvement suspect ; chacun contrôlait son voisin. »

VI. — Voici maintenant les données sur les phénomènes lumineux, empruntées tout d'abord au « Compte rendu » (p. 5). Les points lumineux faisaient l'impression des globules brillants, planant au-dessus de la table ou jetés de dessus la table (J. K. Potocki). « Je les ai vu bien souvent en forme d'étincelles phosphorescentes, qui apparaissaient le plus souvent au-dessus de la table des séances, ou bien au-dessus des têtes et à proximité des assistants » (H. Siemiradzki). — « J'ai vu dans l'obscurité et observé pendant quelques secondes un rond faiblement luisant, grand comme un œil d'homme ; la lumière avait la forme de spirale plate » (S. Starynkiewicz). — « Globules lumineux de couleur bleuâtre dorée, qui planaient généralement au-dessus de la table et disparaissaien

(1) « Le Pays » N° 2.

sans odeur ni fumée. Une fois je les ai vus s'écouler comme de derrière le rideau, devant lequel était assis le médium, et planer au-dessus de sa tête à la hauteur dune 1/2 aune. Le degré de l'éclat et le nombre de points lumineux, semblaient dépendre de l'état psychique du médium » (Matuszewski). — « J'ai observé à la faible lumière un point lumineux grand comme un sou, de couleur approchée d'électrique, mais plutôt bleu, de forme de la flamme d'une lampe à pétrole. Il s'est montré au-dessus de la table entre les mains du médium qui reposaient sur la table, presque au milieu, avec celles des contrôleurs. La distance d'une main du médium à l'autre était peut-être d'un pied ou un peu plus. Le phénomène dura quelques secondes » (Dr Vienc-kowski). — « J'ai vu plusieurs fois les points lumineux au-dessus de la table à la hauteur de nos têtes à peu près, quand je tenais moi-même une main du médium, et l'autre contrôleur affirmait tenir l'autre main. En fouillant Eusapia plusieurs fois très scrupuleusement, avant et après les séances, nous n'avons trouvé sur elle rien qui pût être employé pour produire un pareil phénomène » (Dr Watraszewski). Le Dr Harusewicz écrit là-dessus : (1) « Dans l'obscurité complète, immédiatement après d'autres phénomènes, quand nous tous et le médium étions debout autour de la table, en tenant sur elle les mains unies en chaine ; ma main droite était embrassée par la main gauche d'Eusapia au bord de la table ; ma main gauche avec la main du voisin reposait sur la table, presque au milieu, car je m'appuyais sur elle. Bientôt, sans annonce, parurent des deux côtés d'Eusapia et pour un moment de petites étincelles dorées ; alors j'ai remarqué exprès et en polonais, que je n'ai rien vu, et quelques moments après mes paroles, à la hauteur de 6-8 centimètres au-dessus de ma main gauche, apparut une pareille étincelle dorée et, s'élevant vite en l'air, commença à prendre la couleur et la nuance, même jusqu'à un certain degré la grandeur et la forme d'un ver luisant avec une petite queue ou excroissance en bas. Tout le phénomène ne dura pas plus de 5-6 secondes, l'étincelle s'élevait si vite que pendant une seconde j'ai vu comme une ligne lumineuse. J'ajoute que j'ai observé ce phénomène sur le fond de a fenêtre légèrement éclairée de dehors, et que, malgré l'obscurité, j'aurais pu, dans ces conditions, voir une main dans l'air, comme je l'ai vérifié ensuite. » La description d'un autre phénomène lumineux se trouve (1) « Compte-rendu » (p. 5.)

dans les citations suivantes (1) : « Deux fois, j'ai vu des lueurs en forme de gerbes de 2-3 centimètres ; une fois un nuage phosphorescent sur le mur, éloigné du médium de 4 aunes environ — dans l'obscurité ; les gerbes duraient quelques secondes, le nuage quelques dizaines de secondes » (Dr Hi-gier). — « Des petites étincelles et quelques feux d'artifice en miniature, de forme des « bougies romaines » ; outre cela, j'ai vu dans l'obscurité comme un nuage de couleur bleuâtre-claire, qui avait le contour d'une grande main avec la manchette, puis de la partie inférieure d'une tête. Ce phénomène apparaissait plusieurs fois, plus près ou plus loin d'Eusapia. Jugeant par la distance du nuage à Eusapia et autres assistants, je suis persuadé que ce ne fut ni la main ni la tête de quelqu'un des assistants. » (Szadkowski). M. Siemiradzki, dans une lettre envoyée de Rome au Courrier de Varsovie (N° 62), confirme ces deux rapports concernant le nuage. « Comme peintre, écrit-il, accoutumé à l'étude du clair-obscur, je me suis vite orienté et assuré que ce n'était ni le reflet de la lanterne, qui brûlait dans la rue, et dont les rayons passaient faiblement par les dentelles des rideaux, ni celui de la chemise de quelqu'un des assistants. Le nuage phosphorescent commença bientôt à changer de place et de forme; bientôt nous tous, qui formions la chaîne loin de la table et du médium, nous pûmes constater que sa forme s'approchait lentement de celle d'une main. » M. Siemiradzki laisse à entendre que le nuage présageait des phénomènes plus importants (peut-être la matérialisation complète ou l'apparition de « John »), mais qu'il se dispersa à cause de l'irritation du médium par les incroyants.

(à suivre) Casimir de Krauz.

(1) la Voix N° 5.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Réunion annuelle de la Société d'hypnologie et de psychogie tenue à Paris, le 16 juillet 1894.

Présidence de M. Dumontpallier.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté. La correspondance comprend des lettres de M. le professeur Bernheim, de MM. les Drs Ph. Tissié (de Bordeaux) ; Aubry (de Saint-Brieuc); Le Menant des Chesnais; Pottier; Saint-Hilaire ; Mavroukakis; Apostoli; Marcellin Cazaux etc., de MM. Daguilhon, Plista, Ratinsky s'excusant de ne pouvoir assister à la réunion; de MM. les Drs Milne Bramwell (de Londres), de Packiewicz (de Riga), remerciant la Société de leur admission, de M. Hamilton Osgood (de Boston), envoyant le montant de la cotisation pour 1894.

M. le président donne lecture d'un télégramme par lequel M. le Dr Grossmann, directeur du Zeitschrift fur Hypnostismus, de Berlin, exprime à la Société d'hypnologie ses vœux et ses félicitations.

M. le secrétaire général fait un exposé de la situation morale et financière de la Société. Le compte-rendu de la première année, arrêté à la réunion annuelle du 17 juillet 1893, indiquait la situation suivante : 59 membres avaient payé (cotisations et droits d'admission) une somme de 1,438 fr.; les dépenses s'étaient élevées à 1,309 fr., d'où un excédant de 129 fr.

Le compte-rendu de la seconde année (1892-93), indique une situation plus prospère. Le nombre des membres ayant payé leur cotisation s'est élevé à 81. Le total des recettes, cotisations et admissions, s'est élevé à 1,508 fr. Les dépenses (loyer, tirages à part, abonnements à la Revue, imprimés, affranchissements, se sont élevés à 1,430 fr. L'excédant s'élève à 72 fr.) Un certain nombre de cotisations de membres résidant à l'étranger restent encore à recouvrer. Il reste eu caisse de l'année 1892-93, une somme de 201 fr. Le recouvrement des cotisations de l'année 1893-1894 s'effectue d'une façon normale, 82 membres ont déjà acquitté leurs cotisations.

L'état de la société est actuellement des plus prospères. Le nombre des membres titulaires s'élève à plus de cent. Elle compte en outre onze membres honoraires.

Dans le courant de l'année la Société n'a perdu aucun de ses membres titulaires. Elle a perdu deux de ses membres honoraires, MM. les professeurs Charcot et Brown-Séquard. Les regrets et l'admiration de la Société ont été exprimés par la parole autorisée du président. Un membre titulaire de la Société, M. Raymond, dont les encouragements nous avaient été si. précieux lors de la création de la Société, a été appelé à occuper la chaire laissée vacante par la mort du regretté professeur Charcot. M. le Président, au nom de la Société, a exprimé tout le plaisir que ce choix nous avait causé.

M. le Président met aux voix l'approbation des comptes de l'année 1892-1803. Cette approbation est votée à l'unanimité. Il propose d'y joindre des félicitations au secrétaire général. Cette motion est adoptée.

M. le Président met au voix la candidature de M. le Dr Marandon de Monthyel, présenté par MM. Jules Voisin et Bérillon. Cette candidature est adoptée à l'unanimité.

Les élections du bureau donnent les résultats suivants : Président : M. Dumontpallier ; Vice-Présidents : MM. Auguste Voisin et Boirac ; Secrétaire général : M. Bérillon ; Trésorier : M. Albert Colas ; Secrétaires annuels : MM. Julliot et Valentino ; Comité de publication : MM. Babinski, G. Ballet et Déjérine ; Commission des candidatures : MM. Gelineau, Ploix, Jules Voisin.

Opérations chirurgicales faites pendant le sommeil hypnotique,

par le Dr Schweltz, de Nice.

OBS. i. — AMPUTATION DU SEIN FAITE PENDANT l'aNESTHÉSIE HYPNOTIQUE.

Mademoiselle Ida Malcontenti, âgée de vingt ans, née à Pise (Italie), vint me consulter pour une grosseur qu'elle portait au sein droit au commencement d'avril 1890.

Pendant l'examen de son mal qui était une tumeur sarcomateuse d'un grand volume, je remarquai que cette jeune fille pouvait être très facilement plongée dans l'état hypnotique. Je l'endormis en quelques secondes, à l'aide du regard et de quelques passes descendantes. La catalepsie et l'anesthésie me semblèrent parfaites déjà à ce moment même.

Comme traitement je proposai l'ablation complète de la glande dégé-nérée, au moyen de l'instrument tranchant, car les ganglions voisins n'étaient nullement indurés, ce qui me prouvait que la malade n'était pas infectée. L'état général du reste était bon, et comme hérédité il n'était pas question du cancer dans sa famille.

La jeune fille, d'accord avec ses parents, accepta volontiers d'être opérée par l'anesthésie qu'on obtiendrait par les procédés hypnotiques.

Voulant être absolument sûr de la réussite de l'expérience, je fis

quelques hypnotisations à plusieurs jours d'intervalle qui réussirent surtout quant à l'anesthésie : en effet, de longues épingles désinfectées furent enfoncées à différentes reprises à une grande profondeur dans diverses régions du corps, sans provoquer l'ombre d'une douleur.

Connaissant de longue date les surprises occasionnées de temps à autre par les sujets mis en état hypnotique, je me méfiai cependant, et avec raison comme on va le voir.

Au jour fixé pour l'opération, malgré la suggestion faite la veille à la jeune fille de se trouver dans mon cabinet à 7 h. 1/2 du matin, elle n'arriva que vers les 9 heures et encore après beaucoup d'hésitations. Par une indiscrétion de ses parents (malgré mes recommandations) elle avait eu connaissance du moment de l'opération. Aussi devint-il impossible d'obtenir l'anesthésie complète. Ce ne fut qu'après le départ des confrères que j'avais invités pour m'assister qu'elle reprit son assurance. L'anesthésie alors pu être produite et, grâce à une forte suggestion devant lui laisser croire au réveil que l'opération était renvoyée à huitaine, toute crainte disparut. Elle déclara pendant son sommeil qu'elle avait été effrayée par la perspective de l'opération qu'on devait lui faire ce jour-là; que c'était le motif pour lequel elle n'avait pu dormir au degré voulu. Elle donna l'assurance que l'opération pourrait avoir lieu le lendemain parce qu'à son réveil elle serait convaincue qu'elle avait encore huit jours devant elle.

Le lendemain, 12 avril, elle arriva à l'heure fixée pendant le sommeil hypnotique. L'anesthésie fut complète dès le début. La malade semblait admirablement disposée.

Les docteurs Lauza et Barriera me servirent d'aides. Je fis, après asepsie minutieuse des mains et de la région malade, l'incision classique ovalaire pour l'amputation du sein qui me permit d'enlever cet organe profondément dégénéré, avec l'aponévrose du grand pectoral. Un examen approfondi de l'aisselle me convainquit que les ganglions n'étaient pas malades. Après avoir mis 5 drains, je fermai la vaste plaie en entier moyennant 32 sutures métalliques. Pendant toute l'opération qui dura environ une heure on avait fait des lavages au sublimé et une dizaine d'artères avaient été comprimés et tordues par des pinces à forci pres-sure, suivant mon habitude dans les opérations pour les affections cancéreuses, par crainte de récidive causée par la compression exercée par les fils à ligature. Après un lavage renouvelé au sublimé, je couvris la région opérée d'iodoforme et je fis un pansement antiseptique et compressif.

Mes confrères dès le commencement de l'opération avaient été quelque peu émotionnés et ils me suppliaient d'avoir en réserve du chloroforme et de l'éther. Je n'en fis rien et ils furent bien vite rassurés quand ils virent la malade absolument insensible, dans l'anesthésie la plus profonde, généralement obtenue seulement en administrant de grandes doses de chloroforme.

J'opérais très lentement et tout à mon aise; la malade cherchait même

par ses paroles à m'enhardir, paraissait très gaie et riait fortement de temps à autre, comme pour témoigner hautement qu'elle ne ressentait nulle souffrance. Pour me faciliter l'opération, elle se tournait et retournait elle-même pour se mettre dans les positions les plus favorables, tenant son bras droit étendu sans qu'un aide fût nécessaire pour le tenir fixé.

Je la retins chez moi jusqu'au soir pour l'observer à mon aise, après lui avoir fait la suggestion de ne pas souffrir et d'avoir une nuit excellente : c'est ce qui arriva en effet.

Les suites de l'opération furent parfaites sous tous les rapports. La plus haute température ne dépassa pas 37°,3. Je retirai les tubes le troisième jour et jusqu'à guérison qui fut déjà obtenue le quinzième jour. Je ne fis plus qu'un seul pansement, consistant en iodoforme saupoudré et en coton hydrophile. Je retirai les sutures lorsque la réunion obtenue par première intention était déjà complète.

Je n'ai observé pendant tout le temps que dura l'opération qu'une grande pâleur de la face maïs sans dilatation des pupilles ni affaiblissement du pouls. Cette pâleur du reste se présente d'ordinaire chez beaucoup de sujets profondément hypnotisés.

Une remarque bien importante pour les opérateurs est celle que nous avons déjà faite précédemment. Il est urgent, une fois l'opération convenue avec les malades, de ne les prévenir du jour de l'opération que pendant le sommeil magnétique, sous peine de ne pas réussir à les endormir ce jour-là Car il m'est aujourd'hui bien prouvé que la peur suffit pour paralyser le meilleur sujet hypnotique, peur qui mettra un obstacle absolu au sommeil magnétique. Je conseille donc, après avoir prévenu les parents et la malade, de choisir son jour sans en parler à qui que ce soit, si ce n'est aux aides qui peuvent assister l'opérateur, en leur enjoignant le plus grand secret touchant le jour où l'on opérera.

De cette manière seule la réussite sera absolument certaine. Il est aussi bien entendu, comme nous l'avons dit précédemment, que l'on étudiera bien auparavant le sujet au point de vue de ses aptitudes anes-thésiques et que l'on n'opérera que lorsqu'on se sera parfaitement assuré à plusieurs reprises du réel état de cette anesthésie.

On sait que tout le monde n'est pas sujet à être hypnotisé. Cependant si l'on n'a pas à faire des opérations urgentes on peut le plus souvent arriver au but en prenant ses précautions d'avance et en cherchant à influencer le malade quelque temps auparavant. Car il n'est pas nécessaire souvent de plonger le sujet dans un sommeil profond, l'occlusion des paupières suffisant déjà pour obtenir l'anesthésie, la plupart du temps.

Différents confrères virent à ce moment la malade, entre autres les docteurs Macario, Huillet et Lazarou. Ils constatèrent cette guérison complète si rapidement obtenue. Je leur fis voir également la tumeur pesant environ 2 kilog. Je l'avais examinée au microscope qui me démontra que nous avions affaire à une tumeur des plus malignes.

Cette observation si intéressante au point de vue de l'anesthésie obtenue par les procédés hypnotiques, semble démontrer que l'insensibilité magnétique est bien supérieure à l'insensibilité que l'on produit par tous les autres agents anesthésiques, car ces derniers sont tous dangereux, causant quelquefois une mort soudaine, ce qui n'arrive jamais avec l'hypnotisme. En outre le chloroforme et l'éther ne peuvent pas être employés pendant un temps trop long, tandis que l'anesthésie hypnotique n'a pas de limite : elle dure certainement aussi longtemps que le veut l'opérateur. C'est dire que les opérations les plus longues et les plus grandes peuvent parfaitement être entreprises, nous le répétons, mieux qu'avec tous les autres moyens. Au réveil commandé par l'opérateur et qui se fait instantanément, le sujet affirme qu'il n'est pas fatigué, qu'il ne souffre pas et qu'il serait tout prêt à recommencer. Durant l'opération, le pouls présente à peine quelques variantes : pendant les moments les plus douloureux il est très calme et très régulier. Pas une fibre de n'importe quelle région du corps ne tressaille même microsco-piquement. L'opérée semble assister avec le plus grand calme à l'opération qu'on pratiquerait sur un autre.

D'un autre côté, ce degré peut être facilement obtenu d'une manière relative chez tous si l'on est parfaitement initié aux derniers perfectionnements de la méthode hypnotique.

Voici le procédé parmi tous les autres qui me semble réussir le mieux et le plus rapidement. Le procédé des miroirs rotatifs de Luys que j'ai essayé maintes fois et que cet auteur préconise tant me semble faible en comparaison de l'ancienne méthode de la prise du regard combiné avec les passes descendantes. Cette méthode naturelle force le sujet à laisser tomber instinctivement les paupières dans un espace de temps variant de quelques secondes à quelques minutes. Si le sommeil n'est pas vite obtenu de cette manière, je précipite les choses en abaissant avec mes doigts les paupières de mes sujets, en comprimant en même temps les globes oculaires. A ce moment précis je leur fait la suggestion que je vais leur rouvrir les yeux, les fixer fortement et qu'alors les paupières tomberaient d'elles-mêmes. Si encore à ce moment l'expérience manque je recommence jusqu'à réussite ou je renvoie le malade pour recommencer le lendemain. L'occlusion des paupières une fois obtenue il est facile dans la grande majorité des cas d'obtenir une anes-thésie générale parfaite tant superficielle que très profonde, dans tous les cas aussi complète qu'avec l'éther et le chloroforme.

obs. II. — ectropion de la paupière inférieure gauche

Mademoiselle Victorine B..., âgée de 18 ans, fut atteinte d'ectropion de la paupière inférieure gauche, à l'âge de 10 mois, à la suite d'un abcès de la région sous-orbitaire, qui avait été ouvert par un médecin de Vintimille.

Elle subit à Nice deux opérations, l'une le 1er octobre et l'autre le 24 novembre de l'an 1889. La paupière inférieure tombant de plus en plus, la malade vint me

consulter en novembre 1890. Elle me déclara qu'elle avait tant souffert à la suite d'inhalations de chloroforme qu'on lui avait faites qu'elle ne se soumettrait plus à l'anesthésie pratiquée de cette façon.

J'eus alors l'idée de l'hypnotiser. Une séance de 10 minutes suffit pour me convaincre que l'opération pourrait avoir lieu dans l'état d'insensibilité le plus complet.

Le 28 novembre dernier, je convoquai mes deux confrères les docteurs Macario et Huillet, pour assister à cette opération si intéressante.

Je pris auparavant toutes les mesures antiseptiques usitées en pareil cas.

Après avoir plongé la malade dans un sommeil hypnotique, je pratiquai sur l'œil malade un lavage au sublimé au 6/1000e

La patiente, entièrement en état de somnambulisme, se mit aussitôt à dire : « c'est là un remède bien fort que vous employez. Croyant qu'elle était affectée par l'action caustique du médicament, nous lui demandâmes si l'irrigation la brûlait, « Nullement, fut sa réponse. Je suis absolument anesthésiée. Je ne ressens aucune douleur, mais ce n'est pas de l'eauchaude seule que vous irriguez, c'est un produit antiseptique puissant. C'est là ce que je ressens. »

Comme divers procédés récents pour refaire la paupière avaient échoué, je songeai à l'opération d'Adams qui avait procuré de très belles réussites surloui dans l'ectropion de la paupière inférieure, en pratiquant une large brêche dans la paupière. Je fis donc avec les ciseaux une incision en V, jusque vers le globe de l'œil, en enlevant tout le lambeau palpébral compris dans cette incision. Trois épingles placées parallèlement furent enfoncées à travers les lèvres de la plaie et un fil métallique en opéra la réunion.

Après lavage au sublimé, de la vaseline iodoformée fut étendue sur la ligne de réunion. Un pansement antiseptique sec immobilisa l'œil. J'enlevai les épingles et les fils métalliques vers le cinquième jour. A ce moment tout était réuni et guéri sans l'ombre d'une complication et sans une goutte de pus. Un pansement seulement avait suffi pour obtenir la guérison, après une opération si délicate. La malade avait été opérée chez moi et était retournée à pied chez elle immédiatement après l'opération. Je lui avais recommandé, en la suggestionnant, de tenir son œil immobile, de ne ressentir aucune douleur, de bien dormir et de manger comme d'habitude. Tous ces ordres furent exécutés à la lettre. Ce qui nous fut prouvé par l'examen ultérieur de la patiente.

Pendant tout le temps de l'opération l'anesthésie fut complète. L'opération avait été pratiquée lentement, à main reposée. L'œil, sans contention d'aucune sorte, sans l'aide de doigts d'un assistant ou d'un blépha-rostat, resta largement ouvert malgré le contact des instruments. La similitude avec le cadavre était si complète que nous crûmes un moment, en raison de la pâleur de la face et de la quasi absence de la respiration, que la patiente était prise de syncope. Ce même phénomène d'immobilité de statue et de catalepsie avec insensibilité complète nous avait

frappés dans une opération d'amputation du sein, pratiquée pendant l'hypnotisme. Mais le pouls lent et large de l'opérée nous rassura aussitôt et nous fit voir que cette pseudo-syncope n'était qu'un effet du sommeil hypnotique. C'est dire que la patiente ne ressentit pas la moindre douleur et qu'à son réveil elle ne voulut pas croire qu'elle fût opérée.

Elle ne put assez louer le procédé employé et vanter son immense avantage sur le chloroforme qui l'avait éprouvée si fortement durant les opérations précédentes et même pendant les jours consécutifs.

RECUEIL DE FAITS

Applications de la psychothérapie à la consultation médicale de l'hôpital de la Charité de Lille.

Par MM. les Drs Lemoine et Joire.

L'innovation la plus considérable que nous avions apportée en reprenant le service de la consultation médicale externe de la Charité, au mois d'avril 1891, avait été la création d'une consultaiion spéciale pour les maladies nerveuses.

C'était là une tentative absolument nouvelle, mais qui nous avait toujours semblé devoir être utile, tant au point de vue des services que cette œuvre était appelée à rendre aux malades de cette catégorie, qu'au point de vue du développement que nous pourrions donner aux études neurologiques, encore trop délaissées ici actuellement.

Il existe en effet, à l'hôpital Saint-Sauveur, une clinique ophtalmologique, une consultation spéciale pour les enfants, une consultation pour les maladies cutanées et vénériennes, etc. Plusieurs consultations libres d'otologie et de laryngologie existent également, ainsi que plusieurs autres cliniques libres; mais rien jusqu'ici n'avait été fait pour l'étude si utile et toujours si intéressante de la neuropathologie.

L'événement nous a prouvé que nous n'avions pas eu tort de croire-aux résultats intéressants que pouvait avoir cette entreprise. En effet, sur les cent soixante et un cas qui se sont présentés à notre observation, un nombre assez considérable a présenté un intérêt assez grand pour mériter d'être publiés.

Nous signalerons en particulier un cas de crise hystérique par imitation, qui a fait l'objet d'une communication spéciale à la Société d'hypnologie et de psychologie physiologique de Paris.

Parmi les plus intéressants, signalons encore un cas de délire hystérique amélioré par l'hypnotisation. Cette observation a été publiée dans un travail en collaboration avec M. le professeur Lemoine, sur l'emploi des miroirs rotatifs dans la thérapeutique de l'hystérie.

Nous avons eu aussi une observation très intéressante de contracture hystérique de l'avant-bras. Le membre était resté en contraction pen-

dant plusieurs années, et cette observation nous a permis de prouver l'influence bien réelle et spéciale du transfert par le moyen de l'aimant, et de démontrer l'importance de la combinaison raisonnée de différents moyens thérapeutiques. Dans ce cas, en effet, nous avons dû, pour arriver à un résultat efficace, employer successivement l'application de l'aimant pour produire le transfert, puis l'électricité sous plusieurs formes différentes, courants induits et décharges successives et graduées d'accumulateurs, pour réveiller la contractilité musculaire et la sensibilité; enfin nous avons employé l'hypnotisme avec et sans suggestion, seul et combiné avec l'emploi simultané de l'aimant et de l'électricité.

Parmi les succès que nous avons obtenus au moyen de la médication hypnotique, nous devons signaler en particulier un cas d'aphonie hystérique, guéri en une seule séance par la suggestion hypnotique.

Un matin, on nous amène à la consultation un jeune garçon de 16 ans, A. D..., en nous disant que cet enfant ne peut plus parler ; il prononce à peine quelques mots, mais à voix tellement basse, qu'on ne peut le comprendre. Quand on lui en fait l'observation et qu'on lui dit de parler plus haut, il fait visiblement des efforts pour y arriver, mais il semble que la voix soit complètement éteinte ;ses lèvres font le simulacre de prononcer les paroles, mais le son de la voix est imperceptible.

Par les interrogations que nous faisons à la personne qui l'a amené, nous pouvons reconstituer son histoire de la manière suivante:

Le jeune A. D... est employé comme garçon de magasin. Son père, qui exerçait le métier de tailleur, est mort il y a deux ans ; nous savons qu'il était buveur et alcoolique, mais nous n'obtenons pas d'autres renseignements sur sa santé.

La mère, qui vit encore, a 37 ans, elle a eu trois enfants dont l'aîné est notre malade, le second est mort de maladie inconnue, le troisième est bien portant. La mère est sujette à des crises nerveuses pendant ses grossesses.

Le malade que nous avons sous les yeux est un exemple de nerveux dégénéré. Il est facile de relever chez lui plusieurs stigmates hystériques.

Le réflexe pharyngien est plutôt exagéré, le réflexe cornéen est aboli, il existe à la surface cutanée des zones d'hyperesthésie et des zones d'anesthésie disséminées.

Ce malade a 16 ans, et il urinait au lit jusque dans ces derniers temps.

il y a sept ans, il fit une chute sur le siège et, à la suite de cette chute, il présenta des accidents nerveux qui durèrent deux mois et paraissent avoir consisté en délire et en coma.

Un peu plus tard, à la suite d'un voyage, il a présenté pendant un jour un air hébété et est resté toute la journée sans pouvoir parler. Celte fois-là la parole lui est revenue spontanément le soir. Mais le jour suivant, il tombe malade, nous dit-on, plusieurs fois, étant à son travail.

Hier matin, en sortant de chez lui, il était bien portant et parlait comme d'habitude. Dans la matinée, il s'est trouvé malade plusieurs fois à l'atelier. A midi, il rentre chez lui comme d'habitude, il parait gai et a bon appétit, mais il ne parle plus.

L'après-midi, il retourne ù son atelier où il se trouve encore plusieurs fois indisposé ; malgré cela il travaille toute la journée. Rentré chez lui le soir, il ne se plaint de rien, mais il ne parle pas. On lui fait prendre un bain de pied sinapisé ; pendant ce bain de pieds il prononce quelques mots pour demander à manger; mais les mots qu'il prononce, quoique articulés, sont presque imperceptibles ; ils sont émis à voix absolument basse, il est aphone, il mange bien, se couche et dort tranquillement.

Le lendemain matin, il se lève comme d'habitude sans se plaindre de rien, mais toujours aphone, il mange et part pour l'atelier.

Dans la matinée, on va le chercher à l'atelier pour l'enmcner ù la consultation.

Aux constatations que j'ai indiquées plus haut, viennent s'ajouter les renseignements suivants: le malade a été à l'école jusqu'à treize ans, il sait lire et écrire ; il est d'un caractère entêté, menteur. Un peu capricieux, il a souvent changé de métier, se dégoûtait vite de ce qu'il faisait et quittait facilement son travail par simple caprice.

Il aurait eu une certaine difficulté de prononciation.

De tout cela et des constatations physiques précécentes, il ressort sans aucun doute que nous avons affaire à un hystérique et que son aphonie n'est autre qu'une aphonie hystérique.

Je me mets immédiatement en devoir de l'hypnotiser et j'arrive très facilement à le plonger dans le sommeil profond. Je lui fais aussitôt la suggestion qu'il est guéri, que sa voix est redevenue ce qu'elle était autrefois et qu'il pourra parler sans difficulté dès son réveil.

Je provoque le réveil au bout de quelques instants et je le fais parler à haute voix.

Il fut revu quelques jours après et la guérison s'était parfaitement maintenue.

Un autre jour, on m'amenait des environs de Valenciennes un jeune garçon de 12 ans qui, depuis son enfance, n'avait jamais cessé d'uriner au lit presque toutes les nuits. Cette infirmité faisait le désespoir de ses parents qui, à cause de cela, n'avaient jamais pu le mettre en pension. On avait essayé tous les moyens pour lui faire perdre celte habitude, les punitions, les menaces et les promesses avaient été sans résultat; c'était bien pendant son sommeil et à son insu que l'accident lui arrivait.

On l'avait alors conduit à plusieurs médecins qui avaient essayé les médicaments employés en pareil cas, mais toujours avec le même insuccès.

Après avoir examiné le petit malade et constaté chez lui un nervo-sisme accusé, je pus promettre aux parents qu'il serait radicalement guéri au bout de quelques semaines. J'étais obligé de demander un temps assez long pour arriver au résultat promis, parce que les parents,

qui habitaient une localité assez éloignée, ne pouvaient me l'amener que tous les huit jours.

J'endormis très facilement mon sujet en lui faisant regarder un objet brillant placé entre les deux yeux. Dans cette première séance, je lui fis la suggestion qu'il n'urinerait plus au lit pendant les deux nuits suivantes ; je lui recommandai d'uriner avant de se coucher et de s'endormir sans s'éveiller de toute la nuit, lui affirmant qu'il n'éprouverait pas le besoin d'uriner et qu'il n'urinerait pas.

Quand on me le ramena huit jours après, le résultat avait été excellent ; l'enfant n'avait pas mouillé son lit pendant les deux nuits indiquées par la suggestion ; plus tard l'habitude était revenue.

Je l'endormis de la même façon et lui fis la môme suggestion pour quatre jours.

Le succès fut aussi complet : aussi, je n'hésitai plus dans la troisième séance à lui faire la suggestion pour la semaine entière.

La suggestion fut accomplie de point en point, mais il se plaignit la fois suivante d'avoir eu, dans le courant de la semaine, des maux de tète violents et plusieurs saignements de nez.

Par une nouvelle suggestion ajoutée à la première, je le débarrassai de ces deux inconvénients.

Je le fis revenir une couple de fois à quinze jours d'intervalle, puis à un mois de distance, en lui répétant la suggestion pour tout le temps qui séparait chaque séance.

La guérison était désormais assurée et je pus autoriser ses parents à le mettre en pension. Plusieurs mois après je recevais de ses nouvelles ; il n'avait plus jamais uriné au lit et ses parents étaient enchantés de voir leur fils aussi facilement et radicalement guéri d'une affection qui, pendant dix ans, avait résisté à toute sorte de traitements aussi pénibles que dispendieux.

Je veux encore signaler très succintement un cas, qui est intéressant précisément à cause de la combinaison des divers modes de traitement qui furent nécessaires pour en obtenir la guérison.

Il s'agissait d'une contracture hystérique de l'avant-bras droit, qui durait depuis plus de deux ans et qui nécessitait l'emploi combiné de l'aimant, de l'hypnotisme et de l'électricité.

La malade est une jeune fille de 29 ans.

Rien à signaler dans sa famille au point de vue héréditaire ; elle a encore son père et sa mère, a un frère et une sœur qui n'ont rien présenté d'anormal.

La malade est d'un tempérament très nerveux, d'une sensibilité exagérée. Réglée à 12 ans et toujours régulièrement. Elle a éprouvé parfois des migraines et des névralgies aux époques menstruelles, elle a eu quelquefois des faiblesses.

Le 13 janvier 1890, elle vitun enfant tomber d'épilepsie et en éprouva un violent saisissement.

Le lendemain, elle ressentit du malaise toute la journée, éprouvant

des étouffements et une sensation de poids au creux épigastrique.

En sortant de table à 8 h. 1/2 du soir, elle eut une faiblesse, mais s'apercevant qu'elle allait tomber elle s'était assise. On voulut lui donner à boire, mais ce fut impossible à cause de la constriction des mâchoires. Elle éprouvait en même temps des douleurs dans les talons qui l'empêchaient de se relever.

La nuit elle fut empêchée de dormir par une douleur violente derrière la tête.

Insensiblement, le bras droit devint paralysé en entier, dans la demi-flexion, la main contracturée.

Quelques jours après, il se produisit un gonflement de la main, du genou et de la cheville du côté droit. Ce gonflement dura deux mois. Pendant ce temps le bras-était insensible au toucher, mais la main et les articulations étaient le siège de douleurs spontanées. Il y aurait eu également de l'hyperesthésie de la jambe.

Cet état resta stationnaire jusqu'au mois d'août ; lorsque le 12 de ce mois, elle reçut un coup sur le coude. L'impression qu'elle en ressentit fut telle qu'elle lui fit plier brusquement l'avant-bras sur le bras, et à partir de ce moment, elle retrouva ses mouvements de l'épaule et une partie de ceux du coude.

A partir de ce jour-là, il se produisit un nouveau gonflement du bras et de la main, mais ce gonflement était excessivement douloureux et s'accompagnait de rougeurs et de plaques noirâtres, et un peu plus tard, il se produisit des phlyctèmes avec écoulement de sérosité.

Tout cela dura environ un mois. Le gonflement disparut insensiblement dans le courant de septembre et, en même temps que le gonflement, disparut la douleur du bras et de la main.

Le cas de cette malade était multiple ; il y avait chez elle une contracture hystérique évidente, qui avait été le phénomène de début. De plus, à cause du temps considérable pendant lequel cette contracture avait persisté, il y avait atrophie musculaire et demi-ankylose. ou raideur mécanique des articutalions.

C'est pour combattre ces trois causes morbides différentes, que je fus amené à lui appliquer aussi trois modes de traitements variés.

Je commençai par agir sur elle par le transfert ; c'est-à-dire que, par l'application d'un aimant puissant, je modifiais l'état nerveux qui, il faut bien le remarquer, est plus général que local. J'arrivais ainsi, au bout d'un certain temps, à rétablir l'équilibre dans l'activité nerveuse des membres.

Mais cela ne suffisait pas, et ce résultat important obtenu pouvait paraître nul au premier abord, car l'aspect extérieur du membre n'avait pas changé. La cause seule avait changé, car maintenant l'attitude vicieuse et la paralysie était dus : d'une part à l'atrophie musculaire, d'autre part à la raideur articulaire et à la douleur qui en résultait au moindre mouvement.

L'atrophie musculaire fut alors combattue efficacement par l'emploi

de l'électricité sous diverses formes. Mais comme, à cause de la sensibilité articulaire, les contractions musculaires, résultant de l'électrisa-tion, étaient excessivement douloureuses, nu point d'être insupportables pour la malade, j'eus recours dès ce moment à l'hypnotisme pour obtenir une anesthésie inoffensive, ne laissant aucun trouble après elle, et pouvant être répétée sans dangers aussi souvent que cela était nécessaire.

Cette observation comporte un enseignement au point de vue de la pratique de l'hypnotisme. En effet, quelqu'un qui, ayant diagnotisqué la contracture hystérique, eût voulu d'emblée, après avoir hypnotisé la malade, lui suggérer le retour au mouvement, n'eut certainement obtenu aucun résultat. De plus, cela pouvait porter à conclure à l'inefficacité du traitement dans le cas actuel, alors que, au contraire, la suggestion hypnotique pouvait parfaitement faire disparaître le symptôme hystérique contracture, mais ne pas pour cela ramener les mouvements. La marche normale du traitement devait donc être ici, non pas pour suggérer le mouvement, mais pour faire disparaitre la sensibilité et seulement consécutivement rendre au membre sa mobilité.

Nous pourrions encore signaler bien d'autres observations bien intéressantes, parmi les maladies nerveuses qui se sont présentées à la consultation spéciale de neurologie, mais cela nous entraînerait trop loin.

Le total des maladies nerveuses s'est élevé à 161, comprenant en grande majorité des manifestations de l'hystérie, sous les formes les plus variées.

En somme, la consultation pour les maladies nerveuses à l'hôpital de la Charité a amplement démontré l'utilité de cette innovation ; d'abord au point de vue du public qui, par son empressement à s'y rendre, a montré qu'il correspondait à un besoin réel ; de plus, au point de vue du développement des études neurologiques, l'intérêt n'a pas été moins considérable.

SOCIÉTÉS SAVANTES

Société de biologie. — Séance du 2i juillet 1894.

De la reviviscence de la sensibilité du membre amputé chez un sujet

en état hypnotique.

M. J. Luys. — Je vous présente un sujet atteint de troubles de la sensibilité qui, à mon avis, n'ont pas encore été signalés : il s'agit de la reviviscence des impressions sensitives dans un membre amputé chez un sujet en état d'hypnotisation. Cet homme, âgé de vingt-huit ans, menuisier, a subi, il y a cinq ans, la désarticulation complète du petit

doigt de la main droite, à la suite d'un traumatisme. Ce sujet est entré dans mon service à la Charité pour des accidents nerveux, caractérisés par des phénomènes subits de léthargie. Je me suis aperçu alors qu'il était très aisément hypnolisable et que, au moment où il était en état hypnotique, la région correspondant au moignon du membre amputé donnait des signes de douleur. J'ai noté en même temps que cette sensibilité reviviscente se prolongeait au-delà de la continuité du doigt absent comme si elle se manifestait sous forme d'un courant nerveux centrifuge, et qu'en faisant des pincements, des piqûres à la place qui aurait été occupée par le doigt absent, le malade accusait une douleur sensible, il se plaignait des piqûres et du mal qu'on lui faisait.

En outre, à la suite des piqûres ressenties par le malade sur le trajet du doigt amputé et répercutées par les centres de la substance corticale, j'ai vu apparaître au niveau de l'avant-bras des érythèmes, des empâtements du tissu cellulaire sous-cutané, des lymphangites partielles, etc.

L'explication physiologique de cet étrange phénomène est encore entourée de bien des difficultés.

Dans le cas présent l'hypothèse la plus vraisemblable consiste à envisager une portion de la sensibilité comme se dégageant par les extrémités digitales. Et c'est en vertu de cette puissance d'extériorisation que la sensibilité du membre amputé, qui sommeille dans les régions sensitives de l'écorce cérébrale de notre sujet, sous l'influence des perturbations de l'état hypnotique, se dégage comme un courant centripète, s'extériorise et se révèle alors avec des modalités variées sensitives et trophiques.

Ce sont les courants trophiques, sollicités centralement, qui détermineraient alors des troubles circulatoires consécutifs de la peau de l'avant-bras et qui représentent la mise en action des centres trophiques intracorticaux.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Banquet de la Société d'hypnologie et de psychologie.

Comme les années précédentes, la réunion annuelle de la Société a été suivie, le 17 juillet, d'un banquet auquel ont pris part un grand nombre des membres de la Société. M. Dumontpallier, membre de l'Académie de médecine, a ouvert la série des toasts en montrant les progrès réalisés par l'union de ceux qui croient à l'union de la psychologie et de la médecine. Il a terminé son discours, très applaudi, en buvant à l'oubli des querelles de mots et à la fusion de toutes les écoles. M. le docteur Bérillon, secrétaire général, a porté un toast aux professeurs de l'Université, représentés par M. Boirac. professeur de philosophie au lycée Condorcet, élu vice-président de la Société. D'autres toasts furent portés par MM. Auguste Voisin, Jules

Voisin, Schmeltz (de Nice), Raffegeau, Gorodichze, Bilhau, Boirac, Gelineau. Tous les convives se sont séparés en se donnant rendez-vous à l'année prochaine.

Inauguration des bustes de Baillarger et de Falret

Dans notre dernier numéro, nous avons donné le compte rendu de l'inauguration à la Salpétrière, des bustes de Baillarger et Falret. Nous sommes heureux de publier le discours prononcé en cette circonstance par notre éminent collaborateur, M. Auguste Voisin, président de la Société psychologique :

Falret.

c Mon prédécesseur, J.-B. Falret, dans la section Rambuteau, mérite hautement les honneurs que nous lui rendons, par les progrès qu'il a imprimés à la médecine mentale.

Depuis sa nomination de médecin de la section des idiotes à la Salpétrière en 1821, jusqu'à sa démission en 1867 de médecin de la première section des aliénées ou section Rambuteau, Falret n'a cessé de tirer tout le parti possible des richesses scientifiques de ce vaste établissement hospitalier, qui est d'autant plus utile à l'enseignement, qu'il est proche de la Faculté de médecine.

Il y créa aussi, après Baillarger, un enseignement clinique qu'ont suivi des élèves devenus maitres à leur tour, tels que Billod, Ch. Bernard, Morel, Lasègue, etc. ; cette phase clinique de sa vie scientifique fut la période la plus active de son existence ; c'est, disait-il, « dans l'étude directe des aliénés que le médecin aliéniste doit rechercher les fondements de la science spéciale » ; et, ouvrant largement son service à ses élèves, il les encourageait à recueillir des observations que l'on débattait et discutait en commun avec lui. Il en résultait une activité d'esprit dont ses élèves ont gardé le vivant souvenir.

Insistant sur ce que tout médecin peut être appelé à traiter des aliénés et à décider médicalement les graves questions relatives au droit civil et criminel qui concernent les aliénés, il considérait que le médecin non spécialiste devait être à même de reconnaître des le début une maladie mentale, parce que le premier il est en position d'assister aux premières manifestations du mal, et d'informer les familles des conséquences si souvent fâcheuses pour elles de l'évolution de la folie.

Falret a souvent développé cette nécessité de l'enseignement des maladies mentales à donner à tout médecin, et il a prouvé que les craintes conçues par les adversaires des cliniques, relativement à la présence des visiteurs dans les services d'aliénés, étaient sans fondement, le médecin professeur pouvant toujours détourner les excitations passagères et les faire servir au profit des malades et à l'instruction des élèves.

Falret amenait, en outre, ses contradicteurs à admettre que les aliénés sont moins défavorablement influencés par les divers faits qui

composent une Clinique qu'on ne le supposerait au premier abord, et il s'étendait longuement sur les caractères propres à chaque variété do folie pour rendre indiscutable cette vérité.

Falret donnait au plus haut point, à ses élèves et auditeurs, l'exemple du respect que le médecin et le personnel administratif doivent à l'aliéné, à ce triste déshérité de la raison ; il ne se permettait aucune marque d'ironie et de moquerie, et il se montrait plein d'égards pour eux et de déférence pour leur état; si l'expression de sa physionomie était grave, elle était en même temps doucement suggestive.

C'est dans ses leçons cliniques que Falret a développé ses idées sur la non-existence de la monomanie, sur la folie circulaire et sur l'importance des recherches anato-pathologiques chez les aliénés. Nous croyons fermement, a-t-il dit, que dans tous les cas on rencontre dans le cerveau des aliénés ou dans ses membranes, des lésions appréciables, permettant de se rendre compte des troubles des facultés intellectuelles et affectives dans la folie.

C'est le souvenir de ces importants travaux et de cet enseignement profitable à tant d'élèves qui nous réunissent aujourd'hui autour de ce buste, témoignage de nos sentiments d'estime pour sa mémoire. »

Baillarger.

« Le maître que nous honorons aujourd'hui a conquis principalement sa fortune scientifique par les leçons cliniques qu'il a faites à la Salpé-trière sur les maladies mentales, de 1849 à J869.

Il a eu le grand mérite d'inaugurer cet enseignement malgré la mauvaise volonté et la résistance en ce temps-là de la plupart des administrateurs et de beaucoup de médecins influents.

C'est dans cet enseignement clinique continué pendant 20 ans et suivi assidûment par des élèves tels que Béclard, Gratiolet, Vulpian, Broca, Charcot, Potain, Dureau, Peisse, A. Maury, l'abbé Duquesnel, H. Taine, Ribot, que Baillarger a décrit de main de maître la Paralysie générale des aliénés, et le Délire hypocondrique des paralysés généraux. Les observations sur lesquelles il a fondé ses recherches démontrent les études assidues et considérables auxquelles il a dû se livrer. A l'hôpital, Baillarger était un travailleur ayant le feu sacré. 11 a consacre une bonne partie de ses leçons à la description de la folie à double forme ; il présentait fréquemment à ses auditeurs une malade atteinte de cette variété de folie qui, transférée dans mon service, y a encore vécu 12 ans, sans que le type décrit par notre maître ait été le moindrement altéré.

C'est vous dire, Messieurs, à quel point les descriptions que présentait Baillarger à ses élèves étaient nettes, et son enseignement vrai. C'est encore à la Salpétrière que Baillarger a fait ses études sur la structure de la couche corticale des circonvulsions du cerveau ; il a démontré que celte couche est composée de six zones superposées alter-

nativement, grises et blanches, et qu'elle existait avec ses éléments dès le cinquième mois de la vie fatale. L'histologie a confirmé ces travaux originaux.

Baillarger a fait ici ces travaux sur les rapports de la surface du cerveau avec le développement de l'intelligence ; sur l'ossification prématurée des os du crâne, chez les microcéphales, sur l'importance de l'état intermédiaire à la veille et au sommeil, sur la physiologie pathologique des hallucinations et leurs différentes formes, psychiques et psycho-sensorielles et sur l'automatisme du cerveau.

Baillarger a élucidé un point obscur jusque-là de la pathologie mentale ; l'étude de la stupidité, que l'on avait cru jusqu'alors lié à la suspension de l'intelligence, et qu'il nous montrait au contraire caractérisée par un délire très actif et par des hallucinations capables de provoquer des actes dangereux; le nom de mélancolie avec stupeur qu'il donnait à cet état, dans ses leçons, lui est resté.

Les leçons de Baillarger étaient très intéressantes par la vie qu'il avait le talent de leur donner ; il faisait venir les malades dans la salle du cours, il les interrogeait, il les amenait à raconter leurs idées délirantes, il en tirait des considérations pratiques et il établissait le diagnostic, le pronostic et le traitement; tout cela exposé clairement et magistralement.

Baillarger a appris, on peut le dire, à nous tous les maladies mentales par une méthode précise, fondée sur la clinique et l'anatomie pathologique associées.

Baillarger nous communiquait le désir d'apprendre, et la volonté de pénétrer les mystères des lésions de l'intelligence. Il n'enseignait que ce dont il était sûr ; c'était là sa force, et c'est son droit à l'immortalité. »

Traitement de la constipation par suggestion.

Ce procédé a été mis en œuvre nombre de fois par les spécialistes M. Forel, de Zurich, directeur d'un asile d'aliénés, l'a fréquemment employé avec succès. Voici le modus faciendi qu'il met en œuvre:

Une fois le sujet préparé, c'est-à-dire mis dans un milieu où il constate des cas de guérison par suggestions et se fait ainsi à cette idée, on lui suggère de dormir. Puis, pendant le sommeil hypnotique, on lui palpe le ventre de façon à éveiller en lui l'idée que quelque chose se passe dans son abdomen. On met ainsi en activité les voies de transmission centripètes qui relient le ventre au cerveau. Puis par voie de suggestion, on éveille dans l'esprit du sujet le besoin d'aller à la selle et l'impulsion qui doit aboutir à l'exécution do mouvements pérîstal-tiques, et cela pour une heure déterminée. Alors l'activité cérébrale dissociée se concentre sur un appareil nerveux qui fonctionne automatiquement, et qui réagit à l'impulsion psychique par la défécation ou du moins, au début, par des épreintes.

M. Forel pense que beaucoup d'autres affections, telles l'incontinence

nocturne et diurne d'urine, la dyspepsie nerveuse, les attaques d'hystérie, etc., qui rentrent dans la catégorie des habitudes pathologiques du système nerveux, sont justiciables de la suggestion.

Troubles psychiques causés par l'abus du thé.

L'aliénation mentale est en progression menaçante en Irlande. L'alcool joue un rôle important dans ce développement de la folie. Mais l'abus du thé et surtout la manière dont les paysans irlandais préparent cette boisson, paraissent avoir leur part dans l'étiologie des affections mentales.

On n'en fait pas une infusion légère, mais une décoction forte qui mijote toute la journée dans la théière, et cette décoction, avec du pain, fait la base de tous les repas du paysan, le matin, dans la journée et le soir. Cette habitude produit une forme particulière de dyspepsie qui aboutit à une débilité générale du système nerveux.

L'insomnie est aussi une conséquence de l'abus de cette boisson.

Enfin, on attribue encore en Angleterre à l'usage abusif du thé trop fort la fréquence croissante de la carie dentaire.

Hystéro-traumatisme chez le chat.

Comme quoi les chats eux-mêmes ne sont pas à l'abri de l'hystéro-traumatisme.

Paul Arène raconte dans un des Nouveaux Contes de Noël l'histoire suivante, arrivée à un chat de sa connaissance, nommé Moricaud.

Roulé du haut d'un toit au cours de quelque expédition amoureuse, le chat fut ramassé assez mal en point, ne pouvant plus agir que des pattes de devant, et traînant lamentablement sur le pavé, comme un poids inerte, la partie postérieure de son individu.

Les commères compétentes déclarèrent qu'il avait la colonne vertébrale brisée, et, pour lui épargner d'inutiles souffrances, on décida qu'un voisin au cœur dur jetterait Moricaud à l'eau.

Ses maîtres le croyaient déjà mort, et déjà le pleuraient, quand deux heures après l'exécution il reparut, mouillé, mais fier comme Artaban, gaillard comme un sabre et valide de ses quatre membres.

M. Paul Arène ajoute : « En dépit du diagnostic des commères, Moricaud ne s'était rien brisé en tombant. Son cas — ainsi qu'a daigné me l'expliquer l'illustre professeur Charcot, aussi profond philosophe que grand médecin, et, en cette double qualité, grand contemplateur devant la nature et grand ami des animaux, — son cas devait être un de ces cas de paralysie hystérique souvent provoqués par un choc et qu'une émotion violente suffit quelquefois à guérir.

Moricaud sortait donc guéri de son périlleux bain froid, comme sort un croyant de la piscine de Lourdes.

Questionnaire sur les phénomènes de l'hypnotisme.

M. le Dr J. Crocq, de Bruxelles, vient d'adresser à un certain nombre de savants, et en particulier aux membres de la Société d'hypnologie, un appel qui, nous l'espérons, sera entendu :

Devant faire très prochainement un rapport au Gouvernement Belge sur la question de l'hypnotisme, je tiens à pouvoir citer l'opinion de tous les savants qui se sont occupés de la question.

Afin de pouvoir exposer vos idées, en connaissance de cause, je vous prie de bien vouloir répondre aux questions suivantes : 1° Le sommeil hypnotique est-il de même nature que le sommeil ordinaire?

2° Le sommeil hypnotique est-il toujours dû à la suggestion ?

3° Les trois états de Charcot existent-ils ?

4° Quel procédé d'hypnotisation et de réveil préférez-vous ?

5° Les zones hypnogènes existent-elles ?

6° Quelle est la cause du sommeil hypnotique ?

7° Quel est l'état de la sensibilité et des fonctions intellectuelles chez les hypnotisés ?

8° Quels sont les caractères de la mémoire des hypnotisés ?

9° Y a-t-il des modifications de la respiration et de la circulation ? 10° Les zones idéogènes existent-elles ? 11° L'hypnose unilatérale existe-t-elle ? 12° Le transfert existe-t-il ?

?) Transfert ordinaire de Charcot. etc.

b) Transfert à l'aide des couronnes aimantées de Luys.

c) Transfert des hallucinations.

d) Transfert bilatéral ou polarisation de Binet et Féré.

e) Hypnoscope d'Ochorowicz.

f) Visibilité des effluves magnétiques et électriques de Luys. 13° L'extériorisation de la sensibilité existe-t-elle ? (de Rochas).

14° Que pensez-vous de l'action des médicaments à distance ? (Bourru et Burot).

15° Peut-on produire des suggestions par des attitudes communiquées

et par des expressions de physionomies ? 16° L'écholalie est-elle purement suggestive ?

17° Les hallucinations suggérées entrainent-elles des modifications dans l'état physique de l'organe des sens ? (Féré).

18° Inversement certaines modifications des organes des sens entraînent-elles des modifications dans les hallucinations?

19° L'hallucination suggérée se compose-t-elle comme une sensation physique (miroir, loupe, lorgnette, etc.). Binet et Féré.

20° L'hypnotique prend-il des points de repères pour localiser l'hallucination ?

21° Le somnambule hypnotique obéit-il aveuglément, est-il un automate parfait ?

22 Ou bien n'obéit-il qu'à ce qui lui est agréable?

23° Le viol est-il possible pendant l'hypnose ; dans quelle phase est-il réalisable ?

24° Le vol et le faux suggérés sont-ils réalisables pratiquement? 25° Le crime suggéré est-il possible pratiquement ? 26° Le faux témoignage par hallucination rétroactive met-il l'accusé en danger ?

27° Faut-il réserver la suggestion comme moyen de traitement aux névropathes et aux hystériques ; ou faut-il l'étendre au traitement de nombreuses affections ?

28° L'hypnotisme présente-t-il des dangers pour le sujet et pour la Société?

29° La suggestion mentale existe-t-elle ?

30° Peut-on produire la congestion, la vésication, l'hémorragie par suggestion?

31° Faut-il interdire les séances publiques d'hypnotisme? 32° La transformation de la force neurique en mouvement, lumière, etc. existe-t-elle (Lombroso). Croyez-vous à ces expériences ? J'espère que vous voudrez bien me donner votre opinion sur ces points; je vous prie de vouloir bien me répondre le plus tôt possible, mon rapport devant être terminé dans trois semaines.

Veuillez agréer, etc.

Dr Croco fils, 1, rue du Parlement, Bruxelles.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychotérapie.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris. — Imprimerie A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 9e année. — n° 3. Septembre 1894

LES RAPPORTS DE L'HYSTÉRIE ET DE LA FOLIE (1)

Par M. Gilbert Ballet, professeur agrégé à la Faculté de Paris.

« L'hystérie, a dit Esquirol, dégénère et passe souvent à la folie et dans beaucoup de cas elle n'en est que le premier degré. » Les idées depuis lors se sont notablement modifiées et l'étiquette folie hystérique, qui fut naguère courante, n'est plus que rarement appliquée aux maladies mentales qui passent sous nos yeux dans les asiles. Avec Foville, nous comprendrons, sous la dénomination de folie, l'état de toutes les personnes qui ne jouissent pas de l'intégrité de leurs facultés intellectuelles, morales et affectives. Et maintenant, qu'est l'hystérie ?

Tout le monde s'accorde aujourd'hui à la considérer comme une maladie mentale ; personne ne songe plus à considérer ses manifestations comme des désordres réactionnels consécutifs à des troubles de l'utérus ou de ses annexes.

Une définition exacte et précise n'en est pas moins difficile à donner. Est-ce à dire que l'hystérie ne constitue pas une espèce morbide nettement distincte ayant sa symptomatologie spéciale et sa physionomie propre ? En aucune façon. On peut discuter sans doute sur l'homogénéité du type, entrevoir le moment où une pathogénie plus éclairée en permettra la dissociation et le réduira à la valeur d'une expression clinique; il n'en est pas moins vrai que ce type a une personnalité nosographique indiscutable; Si l'on est embarrassé pour dire où l'hystérie commence et où elle finit, on ne l'est cependant pas pour affirmer la nature hystérique de ses diverses manifestations, qui ont entre elles ce lien commun de dériver d'un

(1) Rapport lu au Congres des aliénistes français (Clermont-Ferrand, 1801).

même trouble du mécanisme cérébral qui parait être la caractéristique pathogénique de la maladie (Binet, Myers, Laurent, Breuer et Freud, Pierre Janet).

Le trouble mental élémentaire de l'hystérie paraît être un rétrécissement du champ de ta conscience avec conservation des phénomènes subconscients et automatiques. La personnalité étant représentée, à un moment donné, par l'ensemble des sensations, des pensées, des volitions conscientes, celle de l'hystérique est notablement modifiée, réduite et éminemment changeante.

Tous les troubles psychiques qu'on observe chez les hystériques ne dépendent pas de l'hystérie, très souvent associée à des maladies psychiques d'autre nature. C'est chose commune, en particulier, de voir l'hystérie se développer sur un fond de dégénérescence, d'où juxtaposition fréquente des manifestations mentales de l'hystérie et des perversions instinctives, des syndromes épisodiques, des délires de la dégénérescence. Du reste, peut-être ces deux ordres de phénomènes sont-ils régis par des altérations du mécanisme mental très analogues sinon identiques les unes aux autres.

Si l'on veut dégager avec quelque précison les traits du caractère propre des hystériques, il est nécessaire d'envisager ceux ou celles de ces malades qui sont affectés d'hystérie pure, en dehors des tares de dégénérescence (P. Janet, Gilles de la Tourette).

Parmi les défauts ou les vices dont on a fait plus ou moins gratuitement un apanage des hystériques, on a parfaitement insisté sur la coquetterie, l'érotisme, la tendance au mensonge, à la supercherie et à la simulation. Pour la coquetterie, peut-être faut-il tenir compte de l'âge et du sexe. Pour ce qui est de l'éro-tisme, les hystériques sont d'ordinaires plutôt frigides ; c'est à litre épisodique et chez quelques-unes seulement que se manifeste l'excitation sexuelle sous l'influence d'idées fixes plus ou moins transitoires. Quant à la tendance au mensonge, elle parait être un des traits de la dégénérescence bien plutôt que de l'hystérie.

Au contraire, au premier rang des troubles propres à l'hystérie, il faut noter la suggestibilité, la difficulté de fixer l'attention, d'où leur mobilité.

L'émotivité est fort variable, mais chez les grandes hystériques plutôt au-dessous du taux normal, ce qui rapproche ces malades des mélancoliques. Cette diminution de l'émotivité

coïncide souvent avec une exagération de certaines émotivités spéciales qui résument en elles toutes celles dont les malades sont capables. L'expression de ces émotions est peu variée et se présente presque toujours la même chez la même malade, quelle que soit l'impression qui l'occasionne. Il semble que, contrairement à ce qui se passe à l'état normal, où les réactions individuelles s'adaptent aux causes qui les provoquent, chez l'hystérique il y a un mécanisme émotionnel variable pour chaque malade, mais toujours le même chez chacune, qui entre en jeu facilement et toujours de la même façon, quelle que soit la sollicitation qui le provoque.

A mentionner également les amnésies, qui sont la règle chez les hystériques, et les aboulies, d'ordinaire systémalisées et portant sur un acte ou un groupe d'actes.

A ces troubles s'associent communément des craintes, des impulsions, des perversions instinctives, qu'on est, croyons-nous, autorisé à rapporter à la dégénérescence mentale. Signalons en particulier les impulsions au vol, au suicide, sur la nature desquelles on n'est pas d'accord. Il semble que l'on puisse, cependant, établir la distinction suivante : les impulsions dégénératives sont durables ; chez le même sujet elles revêtent une forme presque toujours la même ; elles se manifestent chaque fois que surgit l'occasion qui est propre à leur éclosion ; les impulsions hystériques seraient, au contraire, accidentelles, variables suivant les temps et les moments ; elles se développeraient, en conséquence, d'une idée lixeet, comme l'a observé Krafft-Ebing, elles dépendraient de circonstances accidentelles.

Les attaques qui, on le sait, constituent une manifestation paroxystique très habituelle de l'hystérie sont souvent précédées, accompagnées ou suivies de troubles délirants : ceux de la phase prodromique, qui peuvent précéder l'attaque de plusieurs jours, consistent en modifications du caractère, des sentiments affectifs, de l'activité et des habitudes.

A la phase des attitudes passionnelles on est en plein délire.

Parmi les variétés et les formes dites incomplètes de la grande crise, il faut citer, en particulier, celles où les phénomènes moteurs s'atténuent ou s'effacent pour céder la place aux manifestations délirantes, qui en s'isolant ou en se prolongeant, prennent dans le tableau clinique la place exclusive ou au moins, prépondérante.

Le délire des attaques où les hallucinations visuelles et

zooptiques tiennent une si grande place est un phénomène passager, ce qui permet de le différencier de certains délires maniaques ou partiels qui s'observent chez les hystériques, bien qu'ils soient, par leur nature, étrangers à l'hystérie. Ce délire des attaques, au moins dans les formes typiques, supprime ce qui reste de conscience au malade clans l'intervalle des crises, ce qui le rapproche du somnambulisme.

Les notions les plus récentes permettent d'envisager ce délire comme un rêve passager subordonné à une idée fixe, c'est-à-dire au souvenir subconscient d'un évènement qui a naguère plus ou moins impressionné le malade.

Quelques idées fixes peuvent provoquer l'éclosion de certaines idées fausses ou délirantes qui pénètrent dans le champ de la conscience, la trouble dans une certaine mesure, mais ne la suppriment pas. On étiquette aujourd'hui trop aisément, sous le nom de délire de dégénérescence, tous ceux qui ne répondent pas à un type régulier et bien classé.

Il sera intéressant de rechercher quelle peut être la physionomie, certainement fort variable, la durée possible des conceptions délirantes qui, chez les hystériques, se rattachent aux idées fixes subconscientes. C'est là, à coup sûr, l'un des côtés du sujet sur lequel il est le plus intéressant de fixer l'attention.

Dans les attaques, le sujet se borne à rêver et à exprimer son rêve ; il ne perçoit pas le monde extérieur, il ne s'y adapte pas.

Dans le somnambulisme, au contraire, on constate un développement intellectuel plus considérable qui permet au malade de voir et d'entendre d'une façon consciente, de percevoir les impressions qui frappent ses sens, et d'adapter sa conduite aux phénomènes environnants.

Il peut y avoir simple dédoublement de la personnalité, mais aussi morcellement du moi en plusieurs individualités successives et temporaires.

Dans certains cas de somnambulisme, les impressions perçues, au lieu d'être exactement appréciées, deviennent le point de départ d'associations d'idées qui constituent un véritable rêve.

Si nous jetons un coup d'œil en arrière, nous voyons que tous les troubles mentaux que nous avons passés en revue, délire de l'attaque, idées fixes pénétrant dans le champ de la conscience, somnambulisme, résultent d'une sorte de conflit

effectif entre les phénomènes conscients et les subconscients-Ces derniers, dans l'attaque comme dans le somnambulisme, se substituent complètement aux premiers, mais, au cours de l'attaque, les idées tournent dans un cercle étroit et s'organisent en une sorte de rêve, tandis que dans le somnambulisme au moins parfait, l'activité mentale est assez compliquée pour rappeler l'activité consciente.

Des psycho-névroses, des délires portant l'empreinte de la dégénérescence peuvent se juxtaposer à l'hystérie. 11 n'est pas une seule des formes de la folie qui ne puisse s'y associer : l'épilepsie avec ses délires propres, ceux des intoxications si communes dans l'hystérie, alcoolisme, morphinisme, co-caïnisme, des accès de manie ou de mélancolie, outre l'habituelle tristesse, des délires lypémaniaques transitoires se reliant étroitement soit aux conceptions délirantes de l'attaque, soit à des idées fixes ou à des rêves ; quelquefois la mélancolie franche, avec certains caractères spéciaux; la prédominence de l'élément névralgique, les hallucinations, l'apparition fréquente de la sensation de constriction pharyngée, la permanence par delà le délire du tempérament hystérique tel qu'on le concevait naguère, la tendance aux exagérations, aux doléances excessives.

A noter encore certains états de confusion mentale.

Après cette rapide revue des troubles mentaux qui peuvent s'observer chez les hystériques, nous croyons utile de résumer les points litigieux sur lesquels il nous parait indiqué d'appeler plus particulièrement l'attention des membres du Congrès :

1o L'hystérie est-elle une maladie exclusivement mentale ? Définition psychologique de l'hystérie. Rôle du rétrécissement de la conscience dans la genèse des phénomènes hystériques ;

2° Relations cliniques et psychologiques entre l'hystérie et la dégénérescence mentale;

3° Le caractère et les perversions instinctives des hystériques; leur criminalité ;

4° Les délires hystériques envisagés comme manifestations ou équivalents des attaques ;

5° Les idées fixes et les idées subconscientes; leur rôle dans la pathogénie de certains délires ;

6° Y a-t-il une manie hystérique ? Caractères cliniques, formes diverses. Relations avec les attaques et les idées subconscientes;

7° La mélancolie, lorsqu'elle se développe chez les hystériques, affecte-t-elle des caractères spéciaux?

8° Y a-t-il une confusion mentale hystérique? Ses caractères, sa durée possible;

9° Les délires associés. Préciser leur importance et leur fréquence. Les distinguer des délires hystériques. Y a-t-il des caractères fixes symptomatiques ou psychologiques permettant dans tous les cas de faire cette distinction ?

Peut-être trouvera-t-on que nous avons élargi outre mesure le cadre de la question soumise au Congrès. Nous ne le pensons pas cependant. L'étude des rapports de l'hystérie avec la folie manquerait de base et perdrait à la fois son intérêt clinique et psychologique, si on n'avait au préalable précisé autant que faire se peut les caractères des troubles mentaux qui ressortissent en propre à cette névrose. A la vérité, ces considérations préliminaires ne sont point étrangères à la question, elles sont même presque toute la question.

EXPÉRIENCES MÉDIANIQUES DE VARSOVIE

(suite)

VII. « Au nombre des phénomènes produits par Eusapia à une lumière telle que l'on peut voir, quoique pas tout à fait distinctement, les traits du visage du médium et les mains, se trouve le suivant: le médium écrit, sur le papier, une manchette ou une tablette, sans l'aide du crayon, des signes d'une forme indéterminée ou bien de simples lignes ; les signes paraissent écrits à l'aide du crayon, mais le médium se sert de son doigt, du doigt d'un des assistants, ou bien du côté opposé d'un crayon, terminé par une gomme, reconnu comme pas encore employé. A la pleine lumière de lampe, en ma présence, une pareille expérience ne réussit jamais, malgré les tentatives dans ce but. J'ai observé ce phénomène lors de l'avant-der-nière séance : un des médecins prit un crayon, le tourna par la gomme en bas et traçait des signes sur une feuille de papier blanc, à l'ombre de plusieurs personnes, qui couvraient légèrement lalampe obscurcie et placée sur le bureau. Evidemment, le résultat était nul ; mais, quand Eusapia posa sa main gauche sur celle du médecin qui écrivait, sans toucher du doigt le papier (elle touchait seulement le crayon), bientôt apparurent

sur le papier des signes visibles, tracés au crayon. D'ailleurs, j'ai observé quand Eusapia écrivait à l'aide du doigt, sur la manchette du Dr D., qu'elle grattait en même temps ; les ongles d'Eu-sapia n'avaient pas été examinés (1). » — Lors de plusieurs séances, on plaçait non loin du médium des tablettes liées l'une à l'autre, on attendait l'apparition des inscriptions sur les côtés intérieurs ; les tablettes étaient si bien liées que l'on ne pouvait rien faire entrer entre elles. Quoiqu'elles restassent pendant les séances qui réussissaient bien, jamais nous n'avons trouvé d'inscriptions (2). » — « Assis dans l'obscurité à coté d'Eusapia et touchant ses main et jambe gauches, je sentis quelque chose gratter sur ma manche; m'étant levé de la table, je vis sur la manchette de la main droite quelques zigzags informes, faits probablement à l'aide du crayon, que l'on avait sorti de la poche droite du gilet sans que je l'aie remarqué, car après la séance il se montrait de la poche, à peine entré (Szad-kowski). (3) — « En ma présence le médium, en tirant les doigts des Dri IL et D. sur les manchettes du Dr M., y produisit quelques lignes épaisses. Une autre fois Eusapia produisit sur la manchette d'un des assistants un signe rouge, en faisant à la lumière un mouvement de main à la distance de 2 aunes. » (Matuszewski) (3).

VIII. Les notes sur le « souffle froid » sont peu nombreuses. M. le Dr Higier dit (Compte-rendu, p. 5), qu'il l'a senti trois fois, chaque fois à distance excluant la supposition du souffle mécanique ; une seule fois il l'? senti de deux côtés, une fois sur la main droite, une fois sur la main gauche ; une seule fois sentit le souffle, en même temps que lui, son voisin, M. Matuszewski ; dans les autres cas il était seul à le constater.— M. Siemiradzki « Compte-rendu » (p. 6) : « J'ai senti distinctement, mais pas à chaque séance ; aux mains rarement et faiblement ; le plus fort souffle au visage, de la tête du médium, du côté où il a le crâne blessé. « Le Dr Watraszewski (ibidem). « Eusapia leva une fois ma main au-dessus de la moitié gauche de sa tête, et je sentis alors distinctement un souffle froid, allant de la tête du médium en haut ; je ne peux pas m'en expliquer la cause. « Le Dr Harusewicz (4) affirme n'avoir senti le soffio freddo pas une seule fois, malgré que les autres assis-

(1). D. Harusewicz, la Voix, n° 5.

(2). B. Reichman, Courrier de Varsovie, n° 356, an 1893. (3). « Compte-Rendu » (p. 5). (4). La Voix, N° 5.

tante eussent souvent cette impression de froid avant le commencement des phénomènes. M. Bron. Reichman écrit (2) : « Eusapia prit ma main échauffée et couverte de sueur et la promena au-dessus de sa tête. J'ai eu l'impression absolument comme si je sentais le « souffle électrique ». M. Ochorowicz affirmait qu'il était d'autre nature. Pour l'examiner, j'ai passé à la séance suivante sur la tête du médium une lame de laiton avec un aiguillon, croyant que si c'était le souffle électrique, une gerbe de lumière se montrerait peut-être. Mais il n'en fut rien. Le même jour Eusapia tint ma main au-dessus de sa tête, mais je ne sentis plus aucun souffle, seulement un froid très peu sensible et des cheveux mal coiffés... En tout cas, je crois que ma première observation ne fut pas tout à fait exempte de l'enthousiasme qui m'entraîna avec les croyants, lors de la première séance.

IX. Le Dr Higier, en examinant l'état pathologique du médium, nommé par les spirites l'état de transe, écrit entre autres (4) : « Chaque fois qu'après la transe je donnais à Eusapia ma main avec une petite boule de papier cachée entre les doigts, et invisible à la faible lumière, le médium affirmait avoir l'impression du contact de deux mains ; par conséquent, elle avait le sentiment d'un objet si petit entre mes doigts. Ce phénomène, soit qu'il dépende de la suggestion, soit de Paccroissance du sens musculaire, et la sensibilité accrue du toucher à distance, que nous avons constaté avec M. Siemi-radzki, forment des preuves curieuses, quoique pas décisives, de la réalité de la transe. En état de veille, et en général à l'état normal du médium, je n'ai jamais constaté ce phénomène. » M. Siemiradzki, dans sa lettre mentionnée ci-dessus(4), rapporte sur une pareille boule de papier des choses très étranges: « Je garde, dit-il, quelques feuilles fanées, qui ont joué un rôle énigmatique à, une des séances antérieures, tenues ailleurs qu'à Varsovie et pas avec Eusapia. Voulant examiner si la force qui se manifeste dans ces expériences laisse une trace dans les objets les plus exposés à son action (comme l'aiguille qui s'aimante par le contact de l'aimant), j'ai apporté à l'une des séances à Varsovie, sans le dire à personne, une parcelle de cette herbe, enveloppée dans un petit morceau de papier. Quand le médium, fatigué et épuisé par la séance, s'assit dans le coin de la chambre encore à demi sombre, je m'approchai

(1). Courrier de Varsovie, N° 19. (2) « Compte-rendu » (p. 8.) (3). Courrier de Varsovie, N° 62.

et lui prenant, comme je le fais ordinairement, la main de ma main droite (où j'avais caché entre les doigts le papier avec l'herbe), je demandai si elle se sentait très fatiguée. Eusapia fit soudain un mouvement et, regardant d'un œil égaré alternativement ma main et la sienne, s'écria avec l'expression du plus grand étonnement et effroi, en retirant sa main : « Qu'est-ce que c'est que ça? où est votre deuxième main ? » Quand je lui démontrai que cette deuxième main ne la touchait point, elle m'assura, avec un étonnement encore plus grand, qu'elle avait distinctement senti une autre main qui la touchait avec la mienne. Pour contrôler ce résultat de l'expérience qui était pour moi tout à fait inattendu, je mis mon herbe dans ma main gauche et touchai Eusapia de ma main droite; l'impression dés deux mains disparut, mais elle réapparut quand je pris la main d'Eusapia par ma main gauche, dont les doigts cachaient alors le papier. J'expliquai l'affaire à Matuszewski, qui répéta l'expérience avec le même résultat. Puis nous passâmes dans le cabinet d'Ochorowicz, où Eusapia, encore à demi endormie et l'œil égaré, s'assit sur un sopha, s'inclinant en avant ; moi, près d'elle, la main gauche tendue de façon à pouvoir l'approcher de son dos, sans qu'elle le remarque, et le brin d'herbe entre les doigts. Quand je l'approchai à distance de quelques pouces, elle leva la tête avec mécontentement, regarda les voisins et murmura qu'elle ne voulait pas être saisie parle dos ; elle en soupçonnait son voisin de l'autre côté, car je me tenais tranquille. Le Dr Higier, le Dr Harusewicz, MM. Matuszewski, Gawalewicz, Ochorowicz, et plusieurs autres, furent témoins de ce fait. — Quand Eusapia, revenant de Varsovie, vint me voir à Rome et me raconta son voyage, je lui serrai la main, en tenant mon brin d'herbe entre les doigts. Elle se tut, ouvrit largement les yeux, et regardant ma main, s'écria : — Qu'est-ce que c'est que ça ? j'ai l'étrange impression, comme si en même temps une autre main, una mano vaporosa, me touchait et jouait des doigts le long de tout mon bras ? »

X. Enfin, le Dr Harusewicz tenta encore une expérience de nature purement intellectuelle, qu'il décrit dans le N°5 de la Voix : il s'agissait de deviner les nombres inconnus. Lors-qu'après une séance fatigante. Eusapia se reposait un peu et commençait à rire et à parler, le Dr Harusewicz lui présenta six enveloppes, qui étaient absolument semblables, bien cachetées et faites de papier épais et opaque (Eusapia ne sait pas lire), et contenaient autant de feuilles de papier avec des nombres.

« Trois de ces nombres m'étaient inconnus — écrit le Dr Haru-sewicz — car ils avaient été préparés par un de mes amis, qui mêles apporta déjà dans les enveloppes cachetées; trois autres (je choisis, pour m'en mieux souvenir, 12, 30 et 52, qui sont connus du calcul du temps) avaient été écrits par moi-même; j'avais marqué les enveloppes, qui contenaient les nombres connus, mais je ne pouvais pas savoir ensuite laquelle contenait chacun de ces nombres. M. Siemiradzki expliqua à Eusapia ce qu'on lui demandait, je choisis une des enveloppes préparées par mon ami et la mis sous la main du médium assis à une petite table en compagnie des personnes « harmonisées », de deux dames et de MM. Ochorowicz et Siemiradzki ; on laissa la lumière, je m'écartai, mais la table s'approcha de moi et ses coups me signifièrent le désir de « John », que je m'y assoie. On forma la chaîne, mais les coups de la table devinant les nombres, furent deux fois de suite erronés. Malgré la résistance du médium, je le déterminai à faire encore une tentative, et choisis une des enveloppes, dont les trois nombres m'étaient connus ; je ne savais pas, pourtant, lequel se trouvait dans l'enveloppe choisie. Alors le résultat fut bon dans les mêmes conditions : la table frappe 12 coups, j'affirme exprès, que j'en ai entendu 13. M. Siemiradzki demande si ce n'était 14 ; réponse négative; 13, réponse négative ; 12, affirmative. Nous ouvrons l'enveloppe et trouvons 12. Eusapia refuse d'une manière décisive de faire plus d'expériences de ce genre.

* *

Voici donc l'ensemble des observations qui, M. Reichman l'affirme, reposent toutes sur la tromperie, pratiquée par Eusapia Palladino avec une grande habileté. Je dis : toutes, car pour une partie de ces faits M. Reichman tâche d'apporter des preuves du batelage ; pour le reste, il est persuadé que, tôt ou tard, Eusapia sera complètement démasquée.

Il divise tous les phénomènes en trois catégories; la première contient ceux qui ont été observés à la lumière complète, et il n'y place que l'expérience avec les tablettes à écrire liées, qu'il considère comme non réussie, et les lévitations et gravitations dynamométriques de la table. Son explication de ces derniers phénomènes, qu'il a toujours vus se produire les mains du médium touchant la table, est bien courte et simple : pour produire la gravitation, Eusapia tire vers elle, par la tringle, la table fixée au plancher par les pieds opposés, et par la plus simple décomposition de la force, la table est pressée en bas

et semble augmenter de poids ; la lévitation est toujours accompagnée du gonflement de la robe, qui se glisse sous le pied de la table et couvre, selon M. Reichman, le pied d'Eusapia, employé par elle pour lever la table (1).

La deuxième catégorie des phénomènes se compose de ceux que l'on observe à la lumière affaiblie et avec le contrôle rendu difficile ; c'est d'abord le soulèvement de la table, dont M. Reichman parle dans les Nos 358 et 359 du journal cité. « Je fus étonné, dit-il, que le pied d'Eusapia quittât à certains moments le mien (j'exerçais la fonction de contrôleur) et y retournât bientôt; au moment même de la lévitation, j'étais persuadé d'avoir le pied du médium sur le mien. A la deuxième séance, je m'assis non comme contrôleur du pied gauche, mais comme celui des genoux; assis du côté droit, je posai ma main sur les rotules d'Eusapia ; elle les poussa un peu plus haut, mais depuis le commencement de la lévitation, je ne réussis à revenir à la position voulue. Alors le genou gauche commença à s'abaisser lentement, de manière qu'à la fin il fût à 5 centimètres environ plus bas que le genou droit. Puis je sentis que le genou tournait sur l'axe de la cuisse de l'extérieur à l'intérieur, de sorte que mes doigts ne touchaient plus la partie supérieure de l'articulation du genou, mais son côté extérieur. Enfin, le genou s'éleva, je sentis dans son articulation un mouvement qui révélait le balancement du tibia; puis tout revint à la position première, mais dans un ordre inverse. La lévitation eut lieu au moment où le tibia s'était élevé et se balançait en cadence. Le contrôleur de droite affirmait alors tenir le pied droit d'Eusapia. Je contrôlais également les genoux d'Eusapia quand on photographiait la table soulevée. Le genou gauche s'éleva, et la rotule exécuta un mouvement en arrière ne laissant pas de doute sur le soulèvement du tibia Les parties de la jambe restèrent dans cette position tout le temps qu'on photographiait la table, et alors je sentais distinctement sous mes doigts un léger tremblement qui accompagne toujours un long effort musculaire. La photographie finie, tout revint à la position antérieure. Evidemment, le médecin qui contrôlait le pied gauche ne se doutait même pas de tout cela, comme moi-même, je ne m'en aperçus point quand j'étais assis de gauche et tenais mon pied sous celui d'Eusapia. Sur la base de ces observations, je conclus que la lévitation de la table se produit de la façon suivante :

(1) Courrier de Varsovie, N° 358 ( 1893).

Eusapia fait d'abord balancer la table ; et elle le fait à l'aide des mains, ce que chacun peut voir. Puis elle délivre son pied gauche et le met (couvert du gonflement de la robe : « la main de John » ) sous le pied gauche de la table élevé pendant les balancements. Ayant ainsi la table entre sa main gauche et son pied gauche, elle la presse de la main, ce qui fait que la table se trouve comme entre les deux lèvres des cisailles. C'est pourquoi la table s'élève, quoique Eusapia la presse de sa main en bas. J'ai exécuté l'expérience de cette manière, le 2 décembre, chez un médecin connu, en présence de trois personnes. Il ne s'agissait plus que de découvrir le moyen dont Eusapia se sert pour délivrer clandestinement son pied du contrôle de son voisin. Je l'ai découvert le 14 décembre. Dans une séance antérieure, on constata que la lévitation n'eut pas lieu, malgré une longue attente, quand les pieds d'Eusapia étaient par moi attachés à la chaise ; elle l'expliquait par sa fatigue. Ensuite, quand on la délia, un des médecins se déchaussa pour la mieux contrôler, mais elle lui recommanda de remettre ses chaussures. Le 14 décembre trois médecins étaient avec moi à la table. J'étais assis de gauche, et Eusapia, comme toujours, posa son pied gauche sur mon pied droit. J'approchai mon genou du sien, pour mieux contrôler. Elle se mit à remuer, à s'approcher avec la chaise, à s'éloigner, etc., enfin, je perdis le contact de son genou. Quand je le cherchai avec beaucoup de précautions, il me fallut pousser mon genou étrangement loin dans la direction de l'autre contrôleur pour retrouver le contact. A un moment (où mon genou était le plus avancé vers Eusapia) je sentis un léger coup du côté extérieur du genou, tandis que j'étais sûr d'avoir le pied d'Eusapia sur le mien du côté intérieur du même genou. C'était visiblement la jambe gauche d'Eusapia qui revenait d'une excursion. Ayant avancé mon pied gauche sous la chaise dans la direction d'Eusapia pour rechercher ce qu'elle faisait des jambes, je ressentis des attouchements délicats, produits probablement par sa jambe, quelle avait allongée pour contrôler à son tour ce que je faisais des miennes. Je demandai à l'autre contrôleur, s'il sentait le pied du médium? « Oh ! oui, je sens bien le talon ou quelque chose de pareil », fut la réponse. Alors j'avançai mon pied gauche et cherchai le pied du contrôleur : je le trouvai sous celui d'Eusapia. Retirant le pied, je rencontrai le bout de mon pied droit sous les doigts du pied du médium, à la distance de quelques pouces seulement du

pied de l'autre contrôleur. En avançant de nouveau mon pied gauche vers celui de l'autre contrôleur et en le passant momentanément et légèrement entre son pied et le mien, je devinai que nos deux pieds étaient unis par le même corps, savoir un des pieds d'Eusapia, dont le talon reposait sur le pied de l'autre contrôleur, et les doigts sur le mien. Je considère donc comme prouvé que pendant ses divers mouvements Eusapia délivre un de ses pieds sans que les contrôleurs s'en aperçoivent et met l'autre sur les pieds de deux controleurs. J'ajoute que l'absence momentanée du pied d'Eusapia sur le leur avant le commencement des phénomènes et pendant les mouvements mentionnés, fut plusieurs fois remarquée par divers contrôleurs (1). J'exécutai de cette façon la lévitation en présence de plusieurs membres des séances, qui reconnurent une grande ressemblance entre mes productions et celles d'Eusapia » (2).

Quant aux phénomènes derrière le rideau, M. Reichman (Nos 10 et 13) a remarqué que, lorsque le côté gauche du rideau exécutait des mouvements et que les attouchements avaient lieu, Eusapia s'inclinait considérablement du côté droit. « J'ai supposé, dit-il, qu'elle se sert de la jambe gauche, et assis à sa place, je réussis à lever ma jambe à la hauteur de la tête d'un des voisins. Pendant les mouvements de la table, derrière le rideau, Eusapia se retournait sur la chaise et tenait dans sa main la main du contrôleur, la promenant en avant et en arrière; cela pouvait lui faciliter le dégagement de la jambe (car la main du contrôleur reposait précédemment sur son genou) et être nécessaire pour allonger la jambe gauche. J'ai découvert le moyen dont elle dégage les pieds; M. le Dr Heryng en aperçut un autre : selon lui, Eusapia retire son pied de la bottine (qui la plupart du temps n'est pas boutonnée), laisse la bottine sur le pied du contrôleur, la presse du talon de l'autre pied, dont les doigts reposent sur le pied de l'autre contrôleur, et provoque ainsi l'illusion que les deux pieds se trouvent sous la table. »

Le Dr Heryng affirme dans sa lettre (Courrier de Varsovie, N° 17), avoir constaté les faits suivants : 1° Eusapia touchait plusieurs fois par son pied gauche, avancé hors de la robe,

(1) Les lecteurs de la Revue se souviendront que le Dr A. Moll a supposé Justement cette manière de délivrer la jambe chez Eusapia.

(2) Je crois devoir remarquer que souvent je ne cite pas à la lettre, car je dois résumer ; mais je reste toujours absolument fidèle à la pensée de l'auteur. C. de Kr.

un tambourin qui était par terre près de ma chaise ; le tambourin sonne. 2° Un moment avant que le rideau me touchât à la hanche, j'ai va la jambe gauche d'Eusapia exécuter un mouvement en arrière ; tout son corps s'inclina alors à droite. 3° J'ai constaté, en tâtant de ma main gauche, qu'un moment avant le mouvement de la table derrière le rideau, Eusapia avait délivré sa jambe gauche et l'avait allongée en arrière. — Par conséquent, Eusapia délivre, malgré le contrôle apparent, à un moment donné une de ses deux jambes pour effectuer ses productions. — D'ailleurs, le Dr Dunin, au moment où « la main de John » lui approchait les lunettes enlevées à un voisin, saisit la main d'Eusapia. » — M. Ochorowicz (N° 23), ajoute là-dessus : « Les mouvements du tambourin qui, ayant passé de derrière le rideau au-dessus de nos têtes et sonné pendant un moment dans l'air, tomba par terre, aux pieds du Dr H. et d'Eusapia, étaient dus (à cette séance, le 22 décembre) à un autre médium (Mlle X...), assis à l'autre bout de la table, et dont les contractions des muscles répondaient aux mouvements du tambourin ; Eusapia se reposait alors, et poussa le tambourin du pied, probablement pour qu'il ne la gênât. — Quant aux lunettes, le Dr Dunin saisit la main d'Eusapia avec celle d'un des contrôleurs, le Dr Mayzel, et les deux contrôleurs affirmaient n'avoir lâché la main d'Eusapia pas un seul moment. » Les mouvements de la jambe pendant les phénomènes, nous en citerons ultérieurement les explications données par M. O.

Le Dr Heryng ne se contenta pas de ses observations ; il fit des expériences pour s'assurer, s'il était possible, dans la position habituelle du médium,de mouvoir, à l'aide de la jambe, les objets derrière le rideau. « J'ai réussi facilement à attirer et à repousser, à l'aide de la jambe, la petite table avec des sonnettes derrière le rideau, de la renverser, de remuer le rideau et toucher de derrière la hanche de mon voisin, de lui enlever la chaîne, etc. J'ai démontré ces expériences à deux membres des séances, MM. Matuszewski et Prus-Glowacki. » Le premier de ces témoins affirme (N° 15), que le Dr Heryng, avant de produire un phénomène, disait toujours : « Et maintenant, Messieurs, permettez-moi de délivrer la jambe, ou la main »; le deuxième (N° 14), appelle ses expériences a une spirituelle parodie », et déclare « qu'elles ressemblaient aux phénomènes produits par Eusapia, comme les fleurs artificielles ressemblent aux fleurs vives. » Mais M. le Dr Heryng

continua : « Mes expériences ne faisaient pas une grande impression, car je ne m'entourais guère de solennité; je ne faisais pas, à mes hôtes, attendre les phénomènes pendant des demi-heures. Mais M. Glowacki ne me démentira pas, si je disque je lui demandai s'il contrôlait mon pied gauche, et qu'au moment de sa réponse affirmative il fut touché à la hanche. Il fut démontré que ma botte vide reposait sur mon pied, tandis que ma jambe gauche se trouvait derrière le rideau. » M. Ochorowicz remarque sur la valeur explicative de ces expériences : 1° qu'il est possible à un homme de lever le pied à la hauteur des hanches, et même plus haut; mais que c'est impossible à une femme assise avec une robe si étroite, comme l'avait Eusapia ; 2° qu'Eusapia a les jambes exceptionnellement courtes (85 c.), et qu'il lui est difficile de croiser les jambes ; 3° il arrive que les attouchements ont lieu à la distance de lm 60 ; et M. le Dr Harusevvicz décrit un fait, où la table s'approcha d'une distance où lui, beaucoup plus grand que le médium, ne l'aurait pu atteindre (La Voix, N° 3).

(à suivre.)

REVUE GÉNÉRALE D'HYPNOLOGIE

Suggestion, thérapeutique suggestive, traitement psychique.

Par le Dr Schrenck-Notziko, de Munich.

La plupart des travaux de l'année écoulée sont consacrés à édifier la doctrine de la suggestion, et ont trait tout particulièrement à son importance thérapeutique.

Parmi les monographies, je citerai en première ligne le travail d'Obersteiner1. Les observations personnelles de l'auteur sont essentiellement favorables à l'école de Nancy et montrent de la conscience et de la critique ; cependant la bibliographie récente est à peine mentionnée dans cet ouvrage, et beaucoup de citations sont inexactes. L'auteur, en somme, se borne à émettre son opinion dans la question discutée de la suggestion, et son travail ne contient rien de spécialement neuf.

De même le compendium de Max Mirsch 2 suit exactement la direction de l'ouvrage connu de Moll. Malgré des idées générales justes et beaucoup de remarques ingénieuses, la partie générale pèche par une connaissance insuffisante de la littérature, et les observations rapportées ne sont pas très probantes. L'auteur ne s'est pas contenté de mentionner des guérisons, mais il a aussi observé leur durée longtemps après la sortie des patients.

Il a traité par la suggestion : la neurasthénie (cérébro-spinale et sexuelle), les névroses traumatiques, l'insomnie, les douleurs de tête habituelles, la dyspepsie nerveuse, les idées fixes, l'hystérie (surtout les accès hystéro—épileptiques et l'aphonie), l'hypochondrie (qui ne donne d'espoir que dans les cas très légers) l'épilepsie (succès douteux!) la chorea minor, la migraine, la chlorose, le bégaiement, les névroses professionnelles, les névralgies, le rhumatisme, l'incontinence nocturne d'urine. Hibsch base essentiellement la description des maladies psychiques et organiques sur les observations connues d'autres auteurs. Le plan de l'auteur peut suffire pour des étudiants ; dans son ensemble, il est évidemment écrit pro domo, et ni dans son contenu ni dans sa forme, il ne peut être comparé avec le manuel très important de Forel.

Comme curiosité on peut citer ici le traité du psychologue catholique Haas 3, écrit avec une grande érudition. Il dit page 82 : « Il est établi que la possession est démontrée comme possible par suite de l'hypnotisme et de la suggestion, s'il existe un mauvais esprit ou de mauvais esprits en général (page 81). La possession doit être regardée simplement comme une hypnose diabolique. » L'auteur désigne l'hypnotisme comme un poison moral.

Dans le domaine psychologique de la suggestion, la question des modifications de la conscience dans les états hypnotiques et somnambu-liques (divison de la personnalité, dédoublement de la conscience) et de leurs rappports avec l'hystérie, a provoqué un certain nombre de travaux habiles et d'observations instructives.

L'ouvrage de Landmann4 présente une étude étendue et une critique des essais connus de Janet, de Binet, etc., sur des personnes presque exclusivement hystériques. L'auteur prend pour base de la discussion les propositions de Meynert sur le mode de fonctionnement du cerveau et étudie à ce point de vue : la catalepsie, le somnambulisme, les actes suggérés et les hallucinations, l'amnésie et la distraction, les diverses activités mentales simultanées, les diverses formes de l'anesthésie et les existences psychologiques inconscientes. Dans les expériences des psychologues français on n'a pas tenu suffisamment compte du rôle extrêmement important de la suggestion inconsciente, du changement rapide dans les fonctions psychiques qui est caractéristique de l'hystérie, ainsi que de la tendance pathologique de ces patients à la simulation et à une exposition dramatique.

D'après Laxdmann, la diversité simultanée de la personnalité mentale consiste soit dans un changement rapide des activités mentales qui forment la personnalité, soit dans une action commune des activités conscientes et inconscientes (des noyaux gris sub-corticaux et des cellules corticales du cerveau).

Landmann réunit dans le schéma suivant les anomalies fonctionnelles des organes cérébaux provoquées artificiellement :

1o Incapacité passagère du fonctionnement de tous les organes du cerveau : léthargie, hypnose complète.

2° Activité isolée du centre du mouvement sub-cortical : position cataleptique.

3° Activité isolée du centre visuel sub-cortical : imitation incons-cientedes mouvements chez les cataleptiques et les hystériques anes-thésiques.

4° Activité isolée du centre auditif sub-cortical : répétition inconsciente des mots, chez les cataleptiques.

5° Activité isolée du centre sensitif sub-cortical : mimique inconsciente des cataleptiques et des hystériques, sensation d'innervation chez les hystériques anesthésiques.

6° Activité d'un groupe isolé plus ou moins étendu de cellules corticales du cerveau que l'on appelle conscience isolée d'une série plus ou moins grande d'idées ayant une relation : actes des catalepsiques, suggestion des hypnotisés et des hystériques ; suggestion d'hallucinations générales pour transformer la personnalité.

7° Activité d'une cellule corticale éprouvant une sensation d'idée isolée, ce que l'on appelle une conscience isolée : anesthésie systématique, rapport dans l'hypnose.

8° Séparation de cellules corticales isolées : anesthésie hystérique, anesthésie, paralysie, amnésie suggérée, etc.

9° Activité de cellules corticales isolées en même temps qu'activité cervicale simultanée d'autres organes cérébraux : suggestions posthypnotiques, pluralité apparente d'existences psychiques.

10° Inactivité de cellules corticales isolées, ressentant l'activité des idées, avec activité normale simultanée (inconscience partielle) : anesthésie systématique, hallucinations négatives, anesthésie naturelle des hystériques.

11° Activité isolée de ganglions sub-corticaux avec activité normale des autres cellules corticales : actes automatiques de personnes conscientes.

12° Activité variable de diverses parties du cerveau plus ou moins étendues avec inactivité complète des autres parties : somnambulisme.

Landmann a rendu incontestablement un grand service en montrant par une soigneuse analyse critique ce qui est insuffisant dans la « psychologie hystérique » des auteurs français et leurs erreurs dans l'observation et les conclusions. Mais sa théorie nous semble aussi trop schématique et visiblement insuffisante pour les phénomènes de la suggestion en général, que l'on peut facilement produire non seulement sur des hystériques, mais aussi sur des personnes bien portantes.

Azam, 5 l'observateur de la somnambule Felida devenue fameuse, a développa sa théorie dans une monographie avec des remarques sur l'amnésie rétrograde, sur les affections cérébrales traumatiques. Rasses g, dans l'observation d'une triple personnalité chez unpara-noïque, apporte encore ici une nouvelle contribution. D'après les remarques de Séglas 7 sur la division de la personnalité et sur les hallucinations psychiques, il s'agit dans ces dernières d'un trouble des centres

moteurs de l'organisme de la parole. L'auteur attribue par conséquent une importance prédominante à l'élément moteur dans la production de ce qu'on appelle la division de la personnalité, dans laquelle, d'après cette opinion, il s'agirait dans la plupart des cas d'hallucinations psychiques.

La communication par Beauteau 8 d'un cas d'automatique somnam-bulique se rapporte à une veuve do vingt-deux ans, hystérique, ayant des prédispositions héréditaires. Effrayée par l'indication d'une opération à laquelle elle devrait se soumettre pour une salpingite, elle perd la conscience pendant trois jours, avec des mouvements convulsifs. Tandis qu'elle est incapable de rien dire de ce qui s'est passé pendant ces trois jours, dans l'hypnose elle raconte jusque dans les moindres détails. Le premier jour elle fit une route de soixante kilomètres pour chercher son enfant. Délire des persécutions avec hallucinations, qui passe à l'excitation maniaque. Les personnes qui la rencontrent la croient ivre et elle est mise à l'hôpital. Amnésie complète après son réveil. D'après l'auteur, l'état second persiste dans le somnambulisme hystérique avec dédoublement de la personnalité.

Dans son nouvel ouvrage : Neurasthénie et hystérie, Lowenfeld a donné place à une étude particulièrement soignée des accès de somnambulisme hystérique. Il distingue trois groupes : Dans le premier les malades sont atteints d'un délire dont l'ensemble est déterminé par des hallucinations extrêmement intenses et qui se manifeste par la mimique et les mouvements des patients. La forme du délire varie d'un cas à l'autre. Elle dépend essentiellement de l'individualité psychique des somnambules, de leur éducation, de leur profession, de leur situation antérieure et de leurs penchants. L'activité mentale des malades est complètement absorbée par le délire ; le monde extérieur qui les entoure a disparu pour eux ou n'est plus perçu que d'une façon fragmentaire et dans le sens du délire (et interprété d'une façon analogue). Dans beaucoup de cas il y a un changement de forme continuel. Dans d'autres cas au contraire la marche délirante des pensées est constamment dominée par une certaine idée ou un certain genre d'idées.

Dans le deuxième groupe de cas, l'état de délire hallucinatoire est encore nettement marqué, cependant le malade est plus accessible aux actions provenant de ce qui l'entoure. Il a d'avantage la notion du monde extérieur, quoiqu'il rapporte surtout ce qu'il perçoit au sens de son délire. Il peut parfois être déterminé par les suggestions verbales à certains actes même compliques.

Les choses se passent autrement dans les cas, du troisième groupe. L'attitude du malade pendant l'état de somnambulisme ne présente rien de particulier pour l'observateur inexpérimenté ou qui ne connaît pas l'individualité mentale des malades. Dans son état pathologique (second) le malade ne fait rien qu'il n'ait pu faire aussi dans son état normal (premier). Comme le fait remarquer Gilles de la Tourette, « une personne qui n'est pas prévenue d'avance pourrait être embarrassée pour

décider si ce n'est peut-être pas l'état morbide qui est l'état de santé, et inversement. »

Ces états pathologiques peuvent se montrer d'une façon tout à fait transitoire et isolées chez des personnes qui sont atteintes d'accès hystériques. Le second état peut cependant aussi avoir une durée et une importance telles que l'on soit autorisé à parler d'un dédoublement de la personnalité, c'est-à-dire d'une division de l'individu mental ou deux existences mentales séparées l'une de l'autre. On trouve décrits dans la littérature des cas dans lesquels l'état second a duré des semaines et des mois, sans interruption. Dans la plupart des cas cependant, les somnambules n'ont pas la possession complète de leurs facultés mentales et des souvenirs de leur vie normale. Dans le premier état il y a amnésie complète pour ce qui s'est passé en état second. Parfois, dans l'état second, il se produit des actes sans but et irréguliers. Pendant l'hypnose, les faits de la vie somnambulique-automatique reviennent à la mémoire.

Il y a une parenté étroite entre les états de conscience double et les expériences pour reproduire par la suggestion les anciennes personnalités du moi, telles que les rapporte V. Krafft-Ebing 10, dans sa brochure arrivée déjà à la deuxième édition. Il s'agit ici de la représentation dramatique du rôle de l'enfant par une somnambule âgée, qui, d'après l'affirmation de l'auteur, ne présentait pas de symptômes d'hystérie. La comparaison d'écrits, datant réellement de l'âge de 19 ans avec ceux qui étaient tracés sous la suggestion d'être âgée de 19 ans, présentaient, d'après l'opinion de l'auteur, une concordance non seulement graphique, mais se rapportant aussi à l'orthographe. Le reste de la représentation dramatique « de l'enfant » par la somnambule indique, d'après Krafft-Ebing, des reproductions artificielles, dans la vie d'inconscience mentale, de phases antérieures de la vie qui, pour la plupart, étaient restées latentes dans la vie consciente. .

Ces recherches intéressantes par elles-mêmes ont provoqué beaucoup d'émoi dans la Presse. Parmi les adversaires, s'est surtout fait remarquer l'opinion de Benedikt, « que tout cela n'est qu'une sotte fantaisie. » Benedikt a profité de l'occasion pour exposer sa situation à l'égard de l'hypnotisme dans une brochure 11 (de 90 pages) et pour combattre les déductions de Krafft-Ebing. La façon dont cela a été tenté sans une étude complète des faits et sans connaissance de la récente littérature se rapportant à ce sujet, avec de violentes sorties personnelles et la glorification de soi-même, rappelle le jargon de la presse des journaux de bas étage et ne peut être trop énergiquement qualifié comme indigne d'une polémique scientifique.

D'une façon plus calme, plus agréable, Jolly 12 traite la même question en s'appuyant sur une démonstration clinique. II suggère aussi avec succès à une patiente, l'état d'un enfant de 7 ans, mais il ne peut se prononcer pour les conclusions de Krafft-Ebing. Nous admettrions qu'il s'agit plutôt de l'objectivation du type, et, par conséquent, de

types d'une nature enfantine constitués simplement d'après les rudiments existants de la mémoire, mais aussi par de nombreuses idées, des traits et des particularités de caractère de la personne ultérieure et actuelle, que de la véritable et complète reproduction d'anciennes personnalités du moi. D'après mon expérience personnelle, un fait parle encore en faveur de cette opinion, c'est que les somnambules remplissent d'une façon dramatique aussi complète d'autres rôles que ceux d'un enfant.

Tandis que, comme nous l'avons déjà indiqué, les essais de Krafft-Ebing ont été faits sur une personne non hystérique, les cas de Jolly se rapportent à des hystériques. Jolly 16 dit aussi avoir observé comme conséquences fâcheuses d'hypnotisation souvent répétées, des symptômes hystériques, inconvénients auxquels, à son avis, sont parfois exposés même les hypnotiseurs expérimentés.

Ces remarques amènent à l'importante question des prétendus dangers d'une hypnotisation faite par des gens experts. Une communication récente du Dr Friedrich 14 (assistant de Ziemssen) sur 20 cas traités par la thérapie hypnotique à l'hôpital de Munich (rive gauche de l'Isar), a provoqué la continuation de la controverse entre Ziemssen et Forel en 1889 ; il rapporte des accidents effrayants et prévient de nouveau du danger du traitement suggestif. A cause de l'importance de cette publication, je l'ai examinée au point de vue critique dans une réponse spéciale 14 et j'ai montré que les « inconvénients » de Friedrich doivent toujours être rapportés à une méthode vicieuse de l'expérimentateur. On lit, page 33 de cette brochure :

Les avis de dangers de la thérapie par suggestion dont par le Ziemssen pour ses malades prives et pour ceux des médecins de Bavière seraient justifiés et fondés, si l'on pouvait reconnaître comme « typiques » les états d'excitation produits sous forme d'hypnose.

Certainement, comme le rapporte Ziemssen, il a provoqué un état anormal du cerveau, certainement on peut appeler « pathologique » le résultat de ses manœuvres.

Plus les phénomènes provoqués par Friedrich se sont éloignés de la règle physiologique, plus la différence a été grande, pour lui, entre l'hypnose et le sommeil !

A son avis, on n'a jamais observé à l'état normal l'analgésie et la catalepsie, et cependant on peut par la suggestion verbale les provoquer chez les endormis normaux qui ne sont pas encore hypnotisés ! J'ai moi-même essayé plusieurs fois, avec succès, de développer une hypnose en provoquant le rapport dans le sommeil normal ! On peut même déterminer par la suggestion le contenu des rêves ! Cependant, l'entrée en communication échoue assez facilement par le réveil de la personne endormie.

Friedrich ne s'est, en général, pas efforcé de rapprocher autant que possible la forme de l'hypnose de celle du sommeil naturel, quoique ce soit une condition capitale pour obtenir une hypnose non nuisible. C'est

pourquoi tous les médecins qui veulent employer, d'une façon sérieuse, l'action curative de la suggestion, demandent d'abord au patient une situation qui dispose au sommeil (tranquillité absolue, pas de bruit dans la pièce voisine, une température agréable dans la chambre, une position commode, l'obscurité, etc.); alors, ils suggèrent les symptômes du sommeil en écartant avec soin les irritations des sens excitantes ou fatiguantes. L'état de repos passif qui se produit d'abord n'arrive que très progressivement (chez beaucoup de personnes, craintives ou qui se sont préoccupées de la façon d'endormir, seulement au bout de vingt minutes, chez d'autres seulement à la troisième ou à la quatrième séance), à une véritable somnolence. On évitera, maintenant, d'une façon absolue toute suggestion qui ne se rattachera pas au but curatif, on rendra l'hypnose plus profonde, autant que possible seulement par la continuation des suggestions de sommeil. Les suggestions dans le domaine moteur (catalepsie, contractures) ou sensitif (analgésie), sont les meilleurs moyens de mesurer le degré d'étendue de l'hypnose. En outre, on tiendra compte des indications des patients sur leur sommeil, après le réveil (sensation de fatigue, véritable demi-sommeil avec conservation de la conscience ou amnésie, erreurs dans l'appréciation du temps). Ce n'est que lorsqu'on a établi, d'une façon approchée, le degré de suggestibilité que Ton suggère les idées relatives à la guérison, avec une rédaction appropriée à l'individualité en question. Cette méthode d'opération prévient tous les dangers dont parle Zjeussen ; elle laisse intacte pour le patient la sensation d'indépendance,— et de cette façon on peut l'endormir 200, 300 fois (comme je l'ai fait plusieurs fois), sans que, malgré une observation continuée pendant des années, on ait constaté les inconvénients que nous rencontrons à chaque pas dans les expériences de Friedrich.

Avant le réveil on suggère le bien-être post-hypnotique, et on désuggestionne progressivement ; c'est-à-dire que l'on supprime lentement les symptômes du sommeil en provoquant un réveil graduel. Les troubles fugaces, comme la lourdeur de la tête, la lassitude persistant encore après le réveil sont causés soit par une hypnose de trop courte durée, soit par un réveil trop subit. Il est utile de laisser les patients tranquilles dans leur sommeil pendant une demi-heure avant de les réveiller. Cette méthode employée depuis des années par d'autres et par moi pour endormir et pour donner la suggestion curative, ne cause pas de plus grands dommages que l'habitude d'une sieste.

Il n'est pas rare aussi que l'on ait à tenir compte, pour l'hypnotisation, des effets de l'auto-suggestion. Les personnes qui se livrent à cette expérience, avec l'idée préconçue de danger, se procurent parfois par leur propre puissance d'imagination les symptômes redoutés : les hystériques surtout présentent souvent les effets corporels de leur autosuggestion. II faut souvent toute l'habileté d'un médecin, complètement versé dans les phénomènes psychiques de l'hystérie, pour déchiffrer la forme symptô-matique, que parfois aussi les patients dramatisent d'une façon corpo-

relie sous la nouvelle étiquette d'hypnose, par suite de leur suggestibi-lité pathologique. Par une analyse psychologique exacte et en évitant la suggestion inconsciente, on arrive parfois aussi par la suggestion à l'état de veille ou même, à l'aide de la méthode que nous avons décrite, à exercer une influence favorable sur les troubles de cette nature.

La pratique que nous avons décrite reste, par conséquent, entièrement indemne de tout fait d'exhibition hypnotique (falsifications suggestives de la mémoire, production d'hallucinations, exécution d'actes, etc.); la seule influence suggestive se rapporte à la production du sommeil, à la constatation de son degré d'intensité, à la suggestion curative et au réveil.

Cet emploi des moyens les plus doux, cette renonciation à tous les tours de force psychologiques et sensationnels, constitue une garantie absolue d'inocuité.

On sera surpris que Friedrich ne le pratique pas, quoiqu'il se rapporte plusieurs fois à l'ouvrage connu de Bernheim, et tourne contre cet auteur toutes les pointes de son argumentation, car toutes les règles rapportées ici ne sont que des répétitions et des modifications des règles de Bernheim.

Mais l'étonnement est encore plus grand, quand on voit avec quelle désinvolture il passe à la vivisection mentale des patients, sans avoir les connaissances nécessaires que l'on peut trouver dans l'ouvrage de Bernheim, comme si cette entreprise était seulement un jeu de salon.

Il serait vraiment regrettable que ce premier essai du médecin assistant M. Ziemssen suffise pour détourner publiquement les médecins de la Bavière de l'emploi de la thérapie suggestive sous sa nouvelle forme, tant dans l'intérét des médecins prévenus, que dans celui de beaucoup de patients, auxquels est ainsi refusé le bienfait d'une méthode curative, capable de rendre des services.

En réalité, cependant, notre trésor curatif n'est pas atteint de pléthore! Après les expériences décourageantes avec la tuberculine, qui n'ont tressé aux médecins allemands aucune nouvelle couronne de laurier, on devrait se garder de publier si légèrement des travaux sur des tentatives qui n'ont pas encore dépassé la période embryonnaire, et d'en tirer des conséquences générales.

Le travail du Dr Friedrich a donc manqué son but, s'il voulait prouver que la thérapie suggestive, d'après les préceptes de Bernheim. comportait des dangers « qui ne sont pas compensés par les avantages et amènent les résultats les plus funestes pour la vie mentale des patients. »

En réalité, dans toute la dissertation de Friedrich, on ne trouve pas un seul exemple dans lequel il se soit produit des inconvénients à la suite de la suggestion, convenablement employée, et uniquement dans un but curatif.

Les véritables dangers de l'hypnotisme n'ont par conséquent, comme

cela résulte de toute cette discussion, rien à faire avec l'emploi thérapeutique approprié de la suggestion, en prenant les précautions connues.

Ils se produisent dans l'hypnotisme par la production imprudente d'excitations émotionnelles et par un emploi trop intense des moyens auxiliaires physiques (et chimiques), mais il est facile de les éviter en observant les règles de Bernheim.

Ils se produisent dans l'hypnose par l'entreprise de toutes les expériences psychologiques possibles, qui vont à rencontre du but curatif, et souvent augmentent un automatisme psychique non sans importance.

Ils se produisent en outre par le développement artificiel de somnambules actifs, par la production de tous les symptômes hystériques possibles chez les prédisposés, comme des accès de sommeil, des spasmes, du délire. Ces symptômes caractérisent un état pathologique et sont la contre-partie directe de l'hypnose jiassive et tranquille nécessaire pour un but thérapeutique.

Ils se produisent par le rôle souvent négligé de l'autosuggestion, dont les résultats peuvent tromper le médecin, surtout chez les personnes neurasthéniques, hystériques ou anxieuses.

Ils se produisent, en outre, par un réveil mal fait avec défaut de désuggestion, etc.

Ils se produisent par un examen et une connaissance incomplets et superficiels de système nerveux et de l'individualité sur lesquels on doit agir.

Ils se produisent également par l'idée préconçue des expérimentateurs, lorsque, par exemple, ils recherchent d'abord les signes distinctifs pathologiques ainsi que par l'atmosphère anti-hypnotique, agissant d'une façon suggestive comme une contagion psychique sur le patient.

Enfin, ils se produisent, et non rarement, par l'ignorance de l'hypnotiseur, lorsqu'il ne connaît pas à fond le manuel opératoire.

Tout le mal qu'a produit Friedrich par son mode d'hypnotisation et de traitement suggestif des patients, doit être rapporté à ces sources d'erreur et aurait sûrement été évité si Friedrich s'était, avant, un peu mieux orienté sur la nature des « esprits qu'il appelait et qu'il ne pouvait plus dominer. » Son Beelzebuth, avec lequel il voulait chasser le diable, se serait aussitôt changé en un ange bienfaisant, distribuant la guérison et le soulagement. Au lieu de faire de nouvelles blessures, il aurait guéri les blessures anciennes.

Forel 13 fait dans le Munchener méd. Wochenschrift, la critique des faits d'hypnose médicale de Friedrich, tout à fait dans le sens des remarques précédentes.

Lôwenpeld 17 s'occupe, dans un mémoire spécial, de la relation entre l'hystérie et la suggestion, que nous avons déjà mentionnée et qui a été

aussi traitée par Jolly. Tandis que les recherches sur l'hypnotisme en général, mais tout spécialement les faits de la suggestion, par laquelle on peut, à volonté, provoquer à peu près tous les symptômes hystériques, ont conduit Mobius à désigner comme hystériques les modifications morbides qui sont causées par l'imagination sans intervention de la conscience et de la réflexion. Lowenfeld raconte que tous les symptômes de l'hystérie ne proviennent pas des idées et ne sont pas, en général, de cause psychique.

Janet 18 regarde aussi comme symptômes de l'hystérie, une réceptivité particulière aux suggestions.

Tandis que chez les personnes bien portantes, l'association des pensées est réglée par la critique et la volonté, chez les hystériques, à la suite d"une idée propre ou inspirée se développe, d'une façon automatique, sans participation de la volonté, tout le système des images visuelles, auditives, des passions, des impulsions à l'action, qui forment l'idée. La précision ainsi obtenue et l'état complet de l'idée, amènent à de véritables actes et à la croyance à l'objectivité de l'idée. Les conditions pour cela sont : affaiblissement de l'attention et de la volonté, aboulie, qui se traduit par le défaut d'imitation ainsi que par l'impossibilité de se délivrer de cet état. Beaucoup de cas de la forme aboulique du délire du doute appartiennent à cette catégorie. Dans l'hystérie, l'aboulie n'atteint qu'une certaine catégorie d'actes. Elle n'atteint pas les actes automatiques, mais les actes de libre volonté. Tous les actes suggérés sont automatiques. La suggestion trouve le champ libre par la disparition des actes volontaires.

Mesnet 19 rapporte des accès de somnambulisme hystérique, dans lesquels la méthode hypnotique est restée sans résultat, tandis que le traitement psychique est efficace.

Dans un travail instructif sur\e somnanbulisme hystérique, Guinon20 développe des idées analogues à celle de Lowenfeld, sur le dédoublement de la conscience.

Le délire de cet état a lecaractère du monoxdèisme;\\ semeutdans un cercle borné d'idées et ne peut être influencé que par des voies détournées. Il désigne aussi sous le nom d'automatisme ambulatoire, le somnambulisme spontané ou hystérique. On peut provoquer le somnambulisme hystérique comme l'hypnotique; le somnambule hypnotique est suggestible, l'hystérique suit son délire. Le somnambulisme hystérique présente la phase passionnelle du grand accès ; le caractère du délire dépend des conditions individuelles.

Je ne puis qu'indiquer ici que Kochs 21 devant l'Assemblée du Psych. Verein de la Province du Rhin, a provoqué des phénomènes hypnotiques sur une hystérique et a développé alors l'opinion de l'école de Charcot sans aperçus nouveaux. Effertz dans une monographie parue pendant l'impression de cette revue, décrit ses recherches chez les mêmes patientes: « Studien uber hystérie and suggestion » (Bonn, 1894,Paul). Dans sa dissertation tirée de son propre fonds, sans tenir compte de la

littérature existante, l'auteur arrive à cette conclusion étrange, de désigner l'hypnose comme un accès épileploïde artificiel.

Nous ne pouvons qu'indiquer brièvement le côté juristique de la question de suggestion. Heborle dans un écrit d'une brièveté dont il faut lui savoir gré, présente une vue d'ensemble de l'état de la science.

Nous pouvons indiquer seulement, les travaux de Cullerre m, Bon-jean n, Benedikt 3&, et Resse m, sur le même sujet. On peut regarder l'infection psychique comme un cas spécial d'action suggestive, de grande importance pratique. Cette contagion estobservée, avec une fréquence spéciale, dans les écoles. C'est ainsi que Rieger 2î rapporte une épidémie psychique dans la classe supérieure d'une école de filles, à Biberach. 13 jeunes fillesde 11 à 13 ans furent atteintes, pendant l'année 1891, d'accidents nerveux, états de sommeil, vertiges, maux de têtes, convulsions. Ces symptômes se produisirent, sans exception, par imitation. Dans les états de sommeil existait la faculté de réagir aux suggestions verbales. Nous pouvons, par conséquent, regarder ces phénomènes comme des symptômes d'hystérie, provoqués par l'autosuggestion. Huit î8, ,et Rembold S9, rapportent des épidémies analogues de contagion psychique. D'après la relation de ce dernier, 40 jeunes filles furent infectées et 10 d'entre elles perdaient connaissance dans les accès.

Un intérêt particulier, pour cette classe de symptômes, s'attache à l'épidémie psychique du gouvernement de Kiew.que Sikowski 80 décrit en détail. Il s'agit ici de la formation d'une secte religieuse des « Malewaci ». Ceux-ci vendent tous leurs biens, ne travaillent plus, et se trouvent dans un état anormal de caractère, éprouvent un bien-être particulier, une joie exaltée, avec loquacité, larmes de joie sans motif, désir de toilette. Ils attendent sous peu le jugement dernier, et espérant dans le ciel une vie pleine de joie.SiKORSKi constate chez 80 0/0 de ces sectaires, des hallucinations de l'odorat. Ils se sentaient, mutuellement, pour retrouver les émanations de l'Esprit saint. Sensation de légèreté, d'absence de corps. Ensuite, erreurs de la vue et de l'ouïe ; ordres de Dieu, murmures de l'Esprit saint, production de spasmes (tressaillements, bonds, danses, gémissements, soupirs, hoquets). Les femmes, dans leurs bonds, se mettaient souvent à nu jusqu'à la ceinture, et présentaient nettement de l'excitation erotique. Les accès sont suivis d'épuisement corporel. Sous le rapport somatique, Sikorski observa, chez tous les sectaires, une décadence corporelle générale, une faible puissance musculaire, du tremblement des membres, une disposition aux accès spasmodiques, de l'anémie, de la faiblesse physique et mentale. Transitions sans motif de la gaîté à la tristesse et inversement. Besoin prédominant d'imitation.

Offner 3t, dans une étude instructive,a analysé la nature de la contagion psychique au point de vue de la suggestion.

Nous arrivons maintenant à des articles moins étendus, répandus dans les journaux, sur « l'importance psychologique et thérapeutique de la suggestion. »

Le Dr Schaffer. 32 a publié un travail important sur les réflexes de la réline dans l'hypnose. Le même auteur 33 avait déjà montré autrefois que chez une hystérique hypnotisée, il existe une hémicontracture du côté gauche, si on lui applique sur l'oreille gauche un diapason en vibration ; si le diapason vibre à côté de l'oreille droite, il se produit une hérnicontracture droite. A la suite de l'action unilatérale d'une irritation musicale de l'odorat, de la langue ou de la peau, il s'établit une hémicontracture de même nom, et dans le cas d'une action double, une contracture bilatérale. Alors les réflexes de la rétine disparaissent. Par l'irritation des quelques parties de la rétine on peut provoquer des contractures réflexes en divers muscles du corps. Il continue : « Si l'œil gauche étant fermé je fais fixer avec l'œil droit le bouton blanc du périmètre — en d'autres termes — si je dirige la tache jaune de l'individu sur ce point, au bout de quelques secondes de l'action continue de la lumière reflétée parle bouton ou de la flamme d'une bougie mise à sa place, il se produira une contracture totale. Par conséquent, à la suite d'une irritation unilatérale du nerf optique, il se produit une contracture bilatérale.

L'auteur a continué ses recherches en faisant porter l'irritation sur la moitié temporale ou nasale de la rétine et les a répétées sur l'œil droit.

Il résume de la façon suivante la morphologie des réflexes de la rétine qu'on peut constater pendant l'hypnose;

1° Dans le plan vertical passant par la tache jaune et jusqu'à une certaine distance de celui-ci, les irritations provoquent toujours une contracture bilatérale.

2° Sur la rétine on trouve deux champs distincts l'un de l'autre, à la suite de l'irritation desquels il se produit une hémicontracture. La moitié nasale la plus périphérique de la rétine de l'œil droit et la moitié temporale la plus périphérique de la rétine de l'œil gauche, provoquent exclusivement une hérnicontracture droite, tandis que l'irritation de la partie périphérique de la moitié temporale de la réline de l'œil droit et de la moitié nasale de l'œil gauche provoque une hémicontracture gauche.

Par suite de ces découvertes, Schaffer définit de la façon suivante l'expansion du nerf optique dans la réline:

c.Le faisceau non croisé du nerf optique droit fournit à la moitié temporale de la rétine de l'œil droit la sensation lumineuse et détermine en même temps les mouvements réflexes, la moitié nasale de la rétine ne reçoit que des faisceaux permettant les mouvements réflexes ; le faisceau croisé du nerf optique droit s'étend à la moitié nasale de la rétine de l'œil droit avec ceux qui fournissent la sensation lumineuse et les mouvements réflexes, et à la moitié temporale seulement par les fibres qui produisent les mouvements réflexes.

Les intéressantes observations de Schaffer ayant été faites sur une hystérique, on pourra se demander si les contractures n'ont pas été suggérées d'une façon inconsciente,selon la théorie de l'expérimentateur.

Un travail de Bfchtehew 31 donne des renseignements sur « les relations de temps des processus psychiques chez les personnes qui se trouvent à l'état d'hypnose. » Ces recherches ont été faites sur trois-hystériques au moyen du chronoscope de IIipp par les assistants Henjka et Worotvsski. — 1200essais, méthode de Liébeault, degrés 1, 2 et 4. — Résultats :

1° Ceux qui ont été obtenus chez les personnes à l'état de veille et avec une sensation de bien-être, pour la détermination du temps de simple réaction, de l'aperception et de calcul diffèrent très peu des données fournies par les autres auteurs pour les mêmes processus psychiques chez des personnes bien portantes. Dans les mêmes conditions les moyennes relatives au temps de calcul de nombres simples et àcelui de l'association des idées se montrent notablement plus grandes que chez les gens bien portants.

2° Dans l'état hypnotique, le temps de réaction simple d'aperception et de calcul est allongé de façon plus ou moins notable chez toutes les personnes, par comparaison avec l'état de veille. Dans la plupart des cas le temps du calcul de nombres simples et celui de l'association des idées ont été plus courts dans Vhypnose qu'à l'état de veille.

3° La durée de tous ces processus psychiquesque nous avons indiqués était, chez les trois personnes en expérience, beaucoup plus courte dans Fêtai hypnotique lorsqu'on leur suggérai; de les accomplir plus rapidement, qu'elle ne l'était à l'état hypnotique sans cette suggestion.

4° Le temps du calcul de nombres simples et celui de l'association, des idées (déduction faite du temps de simple réaction aux paroles) était dans l'état hypnotique avec suggestion d'accomplir ces actes plus rapidement, beaucoup plus court dans tous les cas, que les processus à l'état de vcîUe.Tandis que le temps de réaction simple et celui d'aperception et de calcul sont aussi plus ou moins notablement abrégés à la suite de la suggestion hypnotique, cependant ils ne se montrent pas toujours plus courts par comparaison avec les mêmes processus dans l'état de veille avant l'hypnose.

.5° Toujours, et sans exception, Vaggravalion de l'étal nerveux de la personne en expérience (par exemple par un accès hystérique antérieur ou par les prodromes d'un nouvel accès), ralentit notablement la mar-che des processus psychiques.

Il serait très désirable que les recherches dans cette direction fussent continuées sur des personnes hypnotisées, surtout non hystériques.

(à suivre)

Effets physiologiques de la musique sur des sujets en état d'hypnotisme.

Un médecin américain, le Dr Alfred Warthin, démonstrateur de clinique médicale à l'Université de Michîgan, a eu l'idée de faire expérimentalement cette étude physiologique des effets de la musique sur l'organisme humain.

Ayant constaté, dit-il, en écoutant les opéras de Wagner à Munich et à Vienne, que les auditeurs étaient plongés dans un état fort analogue, sinon identique, à l'état hypnotique, il a pensé que, pour apprécier avec précision les effets de la musique sur les fonctions physiologiques du corps, il était préférable de mettre d'abord les sujets en état d'hypnotisme afin de mieux les abstraire de toute autre impression extérieure.

II a donc pris cinq hommes et deux femmes qui ont bien voulu se prêter à ces expériences. Quatre étaient des médecins, les autres des étudiants. Tous jouissaient d'une santé normale, prenaient plaisir à entendre de la musique, mais sans posséder un sens médical bien développé. A l'état normal, la musique ne produisait pas grande émotion chez ces personnes et en tout cas aucun effet physiologique appréciable.

Les sujets placés dans une chambre, à côté d'un piano, étaient endormis par les procédés ordinaires, et, une fois en état d'hypnotisme, M. Warthin leur inspirait les suggestions suivantes : « Vous êtes mort à toute chose au monde, excepté à la musique qui va vous être jouée; vous ne sentirez et vous ne connaîtrez rien que cette musique. Une fois réveillés, vous vous rappellerez les sensations que vous aurez éprouvées. »

Les sujets ainsi préparés, on exécutait sur le piano un morceau de Wagner; les effets physiologiques sur le pouls, la respiration, etc., étaient observés et enregistrés ; on réveillait ensuite le patient et on prenait note de ses sensations.

Voici par exemple les effets de la « Chevauchée des Walkyries » sur le Dr M.., âgé de 40 ans :

« Le pouls devient au début plus rapide, plus plein, la tension augmente de 60, le nombre des pulsations s'élève à 120 ; puis le pouls devient très vif, et la tension s'abaisse. En même temps la respiration monte de 18 à 30 par minute. La figure exprime une grande agitation ; tout le corps est en mouvement ; les jambes se lèvent et les bras battent l'air; le corps est couvert d'une sueur profuse. Réveillé, le sujet déclare qu'il n'a pas perçu la musique comme son, mais comme une sensation générale, une sorte d'excitation produite par une « course furieuse à travers l'espace. »

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Même sensation de course furieuse à travers l'espace, chez M. O., âgé de 22 ans. Mêmes effets sur le pouls et la respiration. Pas de mouvements du corps cependant, ni de modifications dans l'expression du visage. La peau était couverte de sueurs profuses.

Il est à noter que le même morceau, joué à l'état de veille, n'a produit aucun effet comparable aux résultats observés pendant l'état hypnotique et n'a déterminé aucune modification physiologique.

Un autre morceau de Wagner, le motif du « Walhalla », a provoqué d'abord un ralentissement du pouls avec élévation de la tension, puis, à la fin, une accélération extrême des pulsations, un abaissement de la tension. La sensation éprouvée par le sujet a été celle de « grandeur et de calme sublimes. »

La musique de la scène où Brunehilde appelle Sigmund au Walhalla a déterminé encore des modifications marquées du pouls qui est devenu faible, irrégulier et très petit. La respiration a diminué de fréquence et est devenue suspirieuse ; la face était pâle et couverte d'une sueur froide. La sensation éprouvée par les sujets était celle de « mort » ; aucune impression précise n'a pu être décrite.

M. Warthin a observé encore que, pour produire l'état hypnotique, la musique est bien supérieure à toutes les méthodes ordinaires. A cet égard, le pouvoir des différents morceaux est assez variable. Ainsi un des sujets ne pouvait être hypnotisé que par le o Chœur des Pèlerins » du Tannhauser. Avant la cinquième mesure, il était d'ordinaire complètement endormi. -

On a accusé d'érotisme la musique de Wagner. Les expériences de M. Warthin l'absolvent complètement de cette accusation. Divers passages de la Valkyrie, de Tristan et Iseult, qui ont été particulièrement critiqués à ce point de vue spécial, ont provoqué chez les sujets hypnotisés des sensations de « désir », de « frénésie », mais n'ont jamais déterminé la moindre excitation sexuelle ni la moindre suggestion erotique. M. Warthin reconnaît cependant qu'aidée de la suggestion verbale, la musique de ces passages peut produire de pareils effets et qu'alors la sensation « d'envie », de o désir », se rapproche singulièrement du a désir physique » ; mais par eux-mêmes les sons musicaux sont incapables de provoquer un état d'éréthisme génital.

La psychologie de l'anarchismo.

Au Congrès de Budapesth, qui tient ses assises en ce moment, le professeur Crocq, de Bruxelles, a cherché à pénétrer la genèse des théories anarchistes qu'il considère comme un fruit du pessimisme et qu'il rattache aux idées mystiques du moyen âge.

Il a formulé les trois conclusions suivantes :

1° Les anarchistes propagandistes par le fait sont généralement des fous affectés de folie morale et il faut les traiter comme tels.

2° Les vrais coupables sont les écrivains, les orateurs et les journalistes qui, par leurs théories antisociales et par les conseils pratiques qu'ils en déduisent, troublent et dominent les cerveaux faibles dépourvus de force d'initiative et d'énergie de résistance. Ces cerveaux deviennent les dupes de toutes les illusions et les jouets de tous les courants qui les saisissent.

3° C'est seulement par l'application des principes de l'hygiène sociale et par la suppression judiciaire des publications capables de troubler ces cerveaux malades, qu'on peut espérer faire disparaître les dangers de la folie anarchiste.

Pour M. le Dr Macario, de Nice, l'anarchie est une névrose criminelle qui se communique par l'exemple, j'allais dire par suggestion, et la persécution ne ferait qu'accroître le nombre des fanatiques pour en faire des légions.

Témoin les premiers chrétiens qui, fanatisés par la plus sainte des causes, allaient au martyre en chantant les louanges du Seigneur. Il est plus que probable que, sans les terribles proscriptions auxquelles ils étaient en butte, la bonne nouvelle n'aurait pas pris racine, et la sublime religion de paix et d'amour prêchée par les apôtres, ne se serait pas propagée dans le monde ; c'est donc à cause de la proscription que le Christianisme conquit la moitié du monde avec une poignée de disciples, comme Mahomet conquit militairement Vautre moitié avec trois cents hommes tout d'abord.

Or, s'il est vrai que l'anarchie est une névrose qui se communique par l'exemple, les anarchistes sont justiciables d'une thérapeutique morale/

M. Macario croit qu'on pourrait faire disparaître l'anarchismc par Yisolement qui est d'une efficacité singulière dans beaucoup de maladies nerveuses, — et le fanatisme en est une.

Qu'on fasse donc le vide, c'est-à-dire le silence le plus absolu autour d'eux : qu'il soit sévèrement défendu à la Presse de raconter leurs faits et gestes; que les procès aient lieu à huis clos; que les exécutions se fassent aussi dans l'intérieur des prisons, sans publicité aucune ; que l'on agisse, en un mot, comme si l'anarchie n'existait pas, el le fléau ne tardera pas à disparaître.

A la Cour d'assises, les anarchistes se posent en martyrs, en apôtres d'un nouvel ordre social et font ainsi de nombreux prosélytes.

D'un autre côté, on ne saurait se figurer l'influence que la célébrité exerce sur notre pauvre humanité, surtout sur les esprits faibles et exaltés. Il y a très peu de personnes qui ne désirent ardemment devenir célèbres et immortelles auprès de la postérité. C'est même là une des causes les plus puissantes du Progrès civil des nations ; mais les gens vulgaires, qui ne peuveut y parvenir par des actions d'éclat, ou par les vastes conceptions du génie, choisissent souvent les moyens les plus criminels pour atteindre le môme but.

On se souvient encore de Tropmann qui, après avoir assassiné, en un

lieu désert, une famille entière composée de cinq à six personnes, dans sa prison demandait sans cesse à ses gardiens « ce que les journaux disaient de lui. »

Mais qui ne connaît, au moins de nom, Erostrate ? D'une naissance obscure et sans talent, tourmenté par le désir de s'immortaliser, Erostrate mit le feu au temple de Diane à Ephèse, une des sept merveilles du monde, en l'an 356 avant Jésus-Christ. Cet événement eut lieu la nuit même do la naissance d'Alexandre le Grand. Erostrate fut condamné à être brûlé vif. Qui Gladio ferit, gladio périt. Mais son but a été atteint, puisque son nom figure dans l'histoire.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André des-Arls. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis., jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Les leçons pratiques reprendront à partir du 1er octobre.

Enseignement populaire supérieur. — M. Retterer, agrégé à la Faculté de médecine, est chargé du cours de biologie à l'Hôtel-de-VilIe, en remplacement de M. Pouchet, décédé. Le programme de notre confrère comprend une série de leçons sur la psychologie et l'hypnotisme.

Congrès des Médecins aliénistes et neurologistes Français. — Le Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de langue française, a choisi Bordeaux comme siège du Congrès de 1895.

M. Joffroy a été nommé président du prochain Congrès et M. Régis (de Bordeaux) secrétaire général.

L'hypnotisme en Belgique. — Par arrêté ministériel du 14 juillet 1893, M. Astère Denis, do Verviers, a été autorisé à pratiquer l'hypnotisme. Cette autorisation vient d'être renouvelée pour un an, M. Denis s'étant assuré la collaboration d'un médecin.

Souscription pour le monument Charcot. — Une liste de souscription circule en ce moment en Allemagne parmi les neuropathologistes et les médecins qui veulent s'associer à l'érection du monument projeté en l'honneur de Charcot. Parmi ceux qui se sont les premiers inscrits et qui ont pris la souscription sous leur patronage, on cite MM. Erb et Hoffmann (d'Heidelberg) et Jolly (de Berlin).

Une liste de souscription semblable circule à Vienne et en Autriche.

La statue de Claude Bernard. — L'ouverture du premier Congrès français de médecine interne à Lyon coïncidera avec l'inauguration de la statue de Claude Bernard, qui aura lieu le 26 octobre.

L'Académie française a délégué MM. Joseph Bertrand et Brunetière pour la représenter à cette cérémonie. L'Académie des sciences sera représentée par MM. Chauveau et Bouchard.

Cesare Lombroso. — Le Progrès médical annonce que l'on a de très mauvaises nouvelles de la santé du Dr Cesare Lombroso. Le célèbre anthropologiste, qui présidait la section de neurologie et psychiatrie au Congrès de Rome, n'est âgé que de cinquante-huit ans.

Questionnaire sur l'hypnotisme. — Le docteur Jean Cnoco, de Bruxelles, rappelle à ses confrères le questionnaire sur l'hypnotisme publié dans le numéro d'août 1894 de la Revue, et il les prie de vouloir bien lui adresser les réponses (1, rue du Parlement, Bruxelles).

NÉCROLOGIE

Léo YVarnots

Nous avons le regret d'annoncer la mort imprévue de M. le docteur Léo Warnots, décédé à Wiesbaden, à la suite d'une piqûre anatomique. La guérison paraissait certaine, quand survint une complication rénale qui détermina des accidents presque foudroyants. Cet habile praticien est emporté fatalement à l'âge de 38 ans, alors que le plus brillant avenir lui était réservé dans le domaine de la scieffee et de l'enseignement.

Il était depuis un an professeur à l'Université de Bruxelles, où son . cours était hautement apprécié. Léo Warnots avait été l'un des organisateurs du Congrès d'anthropologie criminelle de Bruxelles. Dans ses communications et ses leçons sur le cerveau, il s'était montré psychologue de grande valeur.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris.

— Imprimerie A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL THÉRAPEUTIQUE

&• année. — n« 4. Octobre 1894.

VEILLE - SOffireiL - HYPNOTISME

Par le D- Lié beau lt, de Nancy.

Veille ou état psychique actif. — Sommeil ou état psychique passif. — Etats passifs physiologiques et morbides analogues au sommeil. — Suggestion.

Sur le terrain psychique très étendu des deux grands mouvements pensants qui,l'un, dans le système de la vie végétative, et l'autre, dans le système.de la vie animale, ont pour destination non seulement de développer, mais encore de protéger l'être humain, je ne me place que sur un terrain étroit, celui qui est indiqué à l'en-tête de cet article. Pour mieux me faire comprendre, j'y sépare ce qui est inséparable en fait : les idées, d'un côté, l'attention et la volonté, de l'autre : deux choses qui, unies, forment la pensée.

Puisse ce petit travail, — je l'ai composé dans ce but, — apporter de la lumière sur une formule énigmatique célèbre et non encore débrouillée, formule qui a été émise dans la science, il y a deux ans, au Congrès de Psychologie expérimentale de Londres, et qui me paraît, plus que jamais, devoir ajouter des notes, fausses, de plus, dans le concert déjà si discordant des hypnotiseurs. Je veux parler de cette phrase, sans ambages, énoncée presque en mêmes termes, par MM. les professeurs Bernheim et Delbœuf : « II n'y a pas d'hypnotisme, il n'y a que de la suggestion. »

I

On appelle veille, l'état actif de l'esprit dans lequel l'homme sain se trouve, lorsqu'il se met en relation avec lui-même et avec le monde extérieur. Pour cela faire, il fait effort afin de

mettre les nerfs des sens à la portée de leurs excitants directs et d'en recevoir les impressions au cerveau. Par la continuation du même effort, il perçoit dans cet organe et y transforme en sensations ces impressions venues des sens, et les dépose dans la mémoire sous la forme d'idées-images ; puis il revivifie ces idées, en dégage d'autres plus abstraites, — idées pures, — les remue, les compare et, avec l'aide de toutes, il fait acte de raisonnements et de jugements pour arriver au but final qu'il se propose d'atteindre.

Tout le [temps de la vie active de la veille, l'homme est en perpétuel effort, soit pour recueillir des sensations, soit pour fixer dans la mémoire leurs produits qui sont les idées, soit pour raisonner à l'aide de celles-ci et mettre à exécution le résultat de ses délibérations; et dans la manifestation de tous ces phénomènes, où l'attention qui les détermine en principe est mobile et présente partout, on aperçoit clairement au sommet de l'être humain, je ne dirai pas l'idée, mais la pensée tenant le gouvernail et étant la promotrice, non seulement de ses sensations et de ses idées, mais aussi de ses jugements, de ses décisions et de ses actes. Mais à la suite d'une agitation si étendue, si continuelle de l'esprit et à la suite du surmenage du corps qui obéit à l'esprit, il arrive à l'homme de perdre de la force nerveuse, malgré les apports de la nutrition, et d'éprouver consécutivement de la lassitude : il sent alors le besoin d'arrêter le mouvement de sa pensée et, en même temps, de ses sens et de ses muscles fatigués ; il entre dans un autre état, celui de repos, pendant lequel l'ordre renaîtra dans toute son économie (').

Ce qui est à la base de l'activité de la veille, c'est une sorte d'irritabilité qui, partout où il y a des extrémités nerveuses sensibles, épie les impressions et les reçoit: on la nomme: attention. Tant que l'attention, dont les foyers auxquels elle transmet les impressions centripètes des nerfs, sont les centres inférieurs surtout; tant qu'elle réagit, immédiatement, sous une excitation quelconque reportée de ces centres percepteurs aux nerfs moteurs, ainsi que cela a lieu dans les phénomènes réflexes les plus simples, on dit que cette force est spontanée.

Alors, dans ces cas de réflexibilité, lorsqu'ils se produisent, elle est donc, avant, toujours dans l'attente et prête à recevoir les impressions senties que le corps éprouve, n'importe de quels points elles peuvent venir : c'est-à-dire, pour bien me

(1) Voir moa livre : Du Sommeil, p. 12. Paris, O. Doin, 1889.

faire comprendre, elle est comme une sentinelle avancée qui guette un ami ou un ennemi, ne sachant de quels côtés l'un ou l'autre doivent apparaitre. Et, de même que cette sentinelle, l'attention spontanée est un agent informateur toujours en expectative ; seulement cet agent, au lieu d'être seul et isolé dans un endroit quelconque, est partout omniprésent dans l'organisme ; mais c'est surtout dans le domaine de la vie végétative, plutôt'que des sens externes, que non contenu, cet agent, l'attention dite spontanée, s'exerce avec le plus de liberté et d'acuité.

Tant que, au contraire, pendant la veille, par un mouvement initial centrifuge, l'attention s'exerce dans tout le système nerveux, sous l'influence d'un effort cérébral de l'esprit et comme sous son regard, ainsi qu'il arrive lors de la production des phénomènes à la fois représentatifs, intellectuels et volontaires, on la dit : réfléchie.

Ayant son point de départ au cerveau ; exerçant davantage et différemment de l'attention spontanée, son action dans le domaine de la vie animale, celle-ci prête, avec plus de conscience, son assistance active à la réception des sensations au cerveau, à la création des idées et à leur enmagasinement dans la mémoire ; elle sert par dessus tout à aider et à favoriser le travail intellectuel ; à comparer et à raisonner ; bref, à faire acte à la fois de sensibilité et d'intelligence. Mais, dès qu'elle remplit déjà ainsi ses fonctions, c'est sous l'intervention d'un autre pouvoir qui se joint à elle et vient, en définitive, la. gouverner : je veux dire, la volonté (').

La volonté, déjà en germe dans la formation des sensations et dos idées, est, en se superposant à l'attention réfléchie, le pouvoir plus actif qu'à l'esprit, à l'aide d'un effort, d'aller au-delà de ce que peut cette attention dans l'exercice de la pensée. En plus qu'avec elle seule, l'homme, grâce à la volonté, a le pouvoir de peser ses motifs d'actions, de les choisir, ou de les rejeter ; il devient une puissance, dès qu'ayant fait son choix, il dirige toutes les facultés de son esprit vers l'exécution de ce qu'il a résolu de faire ou de ne pas faire. Arrivé à ce haut degré d'activité, l'homme qui a une forte volonté peut, par la pensée, diriger à sa guise et dans toute leur plénitude, et son cerveau et ses organes de relation.

Il ne faut pas croire que l'action supérieure du pouvoir céré-

1. Voyez : Maladies de la volonté, par Ribot. Paris, G. Baillicre, pour le sens attaché aux termes : attention spontanée, réfléchie et volonté".

bral volontaire n'ait pas d'écho dans le système de la vie végétative où s'exerce surtout l'attention spontanée: les expériences de vésication et de formation de plaies, pendant le sommeil le plus profond, les stigmatisations par influence morale qui se forment chez les extatiques religieux, sont des indices que si, dans des états psychiques, certaines personnes peuvent, sur un point d'elles-mêmes ou d'autrui, asservir, détourner et diriger la force volontaire anéantie ailleurs, c'est que cette force devait déjà auparavant devoir suivre dans ce système, mais dans un but différent, les mêmes chemins où, dans le passé, d'autres voies s'étaient déjà ouvertes pour elles. Pour nia part, je ne mets plus en doute, — ce que démontre la régularité et l'harmonie des fonctions qui président à la respiration, à la circulation sanguine, au péristaltisme des intestins, etc.,— qu'il n'y ait dans les centres qui agissent dans ce même système organique et au-dessus même des phénomènes dus à l'attention spontanée et à l'attention réfléchie, une sorte de volonté qui y gouverne avec elles à l'insu de chacun et y veille toujours.

II

Si, grâce aux efforts volontaires et à l'attention qui en dépend, la veille est la manifestation de la pensée consciente en mouvement dans le cerveau et tout l'organisme, ainsi qu'il résulte de ce qui précède, le sommeil, grâce à la suspension voulue, consentie et plus ou moins complète de ces efforts, est, dans les mêmes organes, la manifestation de la pensée consciente en moindre activité ou en arrêt; et cette pensée, faute de s'activer et de se mouvoir encore suffisamment, devient par cela même le plus souvent inconsciente. Par ce côté d'inactivité, cet état est donc le contraire de la veille : il est, sans exception, par l'action très diminuée de la volonté, soit une suspension, soit un amoindrissement des mouvements de la pensée, et partant, de la conscience ; ou, pour mieux formuler, dans ce qu'il a d'irréductible, le sommeil est un arrêt ou un ralentissement du pouvoir volontaire, consenti, accepté presque toujours par celui qui s'y livre.

A la suite de la grande activité avec laquelle l'homme a employé ses facultés de sensibilité, d'intelligence et de volonté, et s'est adonné aux exercices musculaires, il finit par éprouver de la fatigue, et, par cela même, un besoin pressant de ralentir les mouvements de son esprit et de son corps. Alors, prenant une décision presque instinctive, tant l'habitude en est grande,

il s'isole de ce qui peut exciter les sens et le cerveau, il évite le bruit, il se plonge dans les ténèbres, il s'allonge sur un lit moelleux pour amortir la pression des tissus et faciliter la circulation du sang, et, après avoir ainsi écarté toutes causes de distraction, il immobilise enfin, sans s'en expliquer le mécanisme, son attention accumulée sur l'idée fixe de reposer dont le besoin s'offre à lui. Par suite, cette idée fixe devenant acte, toute activité du cerveau et des sens cesse ou diminue, l'organisme entre pour un certain temps dans une inertie plus ou moins complète de ses fonctions de relation ; tandis que, seule, la vie végétative continue à veiller : il dort.

Si c'est ainsi qu'on arrive au sommeil ordinaire, c'est par une même concentration d'esprit qu'on peut faire naître sur autrui le sommeil provoqué. Nombre d'anciens hypnotiseurs., leurs sujets y consentant, n'employaient que ce procédé simple et naturel, sauf qu'ils y ajoutaient des gestes ou passes, fruits d'une théorie fausse, lesquels pourtant, par leur répétition monotone, et y jointe finalement l'affirmation de dormir, immobilisaient encore plus, chez eux, les mouvements de la pensée et la rendait inactive. Maintenant que l'on a simplifié davantage la méthode pour endormir, il suffit seulement, pour obtenir le sommeil provoqué, que l'opérateur favorise l'accumulation de l'attention de ses sujets sur l'idée fixe de dormir,en leur suggérant, s'ils y consentent, cette idée avec persistance; et pour triompher chez quelques-uns de la résistance parfois la plus obstinée, il est besoin, alors, de leur faire regarder un objet attirant vivemert l'attention, pour aider davantage au ralentissement de l'activité de l'esprit et à son engourdissement définitif.

Par les caractères consécutifs qui suivent, caractères propres au sommeil ordinaire et que présente aussi le sommeil provoqué, tels que : ralentissement ou arrêt de la pensée et des mouvements consécutifs du corps, amortissement des sens, fermeture des yeux, rêves, etc., toutes marques du recueillement de l'esprit, ces deux sommeils sont les mêmes. Et le sommeil provoqué par cela même qu'il se développe après une affirmation acceptée d'entrer dans cet état, au moins dans quelques cas, démontre que, dans son origine suggestive, le sommeil ordinaire lui-même ne peut être, à la suite du besoin qui s'en impose, que la conséquence d'une idée de dormir, qui a dû succéder à ce besoin chez le dormeur.

Moins le besoin de dormir, absent dans le cas du sommeil

provoqué, ces deux sommeils diffèrent par une seule chose. Au lieu de s'être replié sur lui-même entièrement, en accumulant son attention sur l'idée unique de dormir, ainsi que le fait du reste le dormeur ordinaire, et au lieu d'être devenu, ainsi que ce dernier, isolé en apparence (') du monde extérieur, au point de ne plus paraître en rapport avec qui ou quoi que ce soit, le dormeur du sommeil provoqué s'endort dans une idée qui accompagne celle de dormir : l'idée de son hypnotiseur qu'il n'a cessé de sentir et d'entendre, ce que démontre l'inertie cataleptique dans laquelle il se trouve vis-à-vis de ce dernier, inertie qui est la preuve irrécusable, non seulement d'un rapport étroit idéal, continué et bien établi entre cet hypnotiseur et lui, mais aussi d'une impossibilité pour ce même dormeur de pouvoir et de vouloir.

La preuve encore que ces deux états obtenus par une semblable concentration d'esprit sont les mêmes en principe, — moins la particularité du rapport psychique établi dans le sommeil provoqué, entre l'opérateur et le sujet, la seule importante qui les différencie, et moins aussi les procédés en apparence différents pour obtenir chacun de ces états, —c'est qu'ils permettent tous deux aux forces des dormeurs, déséquilibrées pendant la veille, de se remettre en harmonie par l'effet du retentissement sur tout l'organisme de l'idée, prise par eux en s'endormant, de prendre du repos. Et cela arrive, soit que les dormeurs, isolés de tout, comme dans le sommeil ordinaire, se soient suggérés la disparition du sentiment de fatigue en s'endormant, sentiment qui disparait effectivement ; soit que, en rapport avec quelqu'un, comme dans le sommeil provoqué, ils aient reçu de celui-ci l'idée de la disparition de ce même sentiment pénible, qui s'efface aussi dans ce dernier cas. La preuve enfin de leur similitude, c'est ensuite que ces deux états sont convertibles l'un dans l'autre. Ainsi, un dormeur ordinaire, si on le touche quelque part et si, en même temps, on lui adresse la parole à voix basse d'abord, puis à haute voix, finit souvent, si l'on insiste par prêter attention et

1. Je dis : en apparence, parce que je me suis aperçu, il y a déjà 28 ans (voir mon livre : du Sommeil, p. GO), que chez les dormeurs somnambules, entre autres, — que longtemps on avait cru isolés, — les sensations et les Idées se forment toujours dans leur esprit, mais comme a leur insu au moment même, et sans qu'ils puissent manifester par un signe quelconque, que leur esprit en idée fixe d'un coté, continue de l'autre, avec subconscience, ses mouvements pensants de la veille. C'est que, par suite de l'immobilisation de leur attention sur l'idée de dormir, il no reste plus assez d'attention ni de volonté pour leur permettre la moindre manifestation à propos de ce dont ils ont pourtant toujours gardé une conscience réelle.

par répondre, sans s'éveiller, à ce qu'on lui demande, et du même coup il devient cataleptique comme le somnambule, signe évident du rapport qui commence à s'établir. Ainsi, par contre, un somnambule cesse parfois, au bout d'un temps assez long, d'être en rapport avec son hypnotiseur, s'il est abandonné à lui-même, et de ce délaissement il s'en suit que peu à peu il s'en isole tout à fait, ne présente plus par conséquent de catalepsie à son égard, et se met enfin à faire des rêves dont on se rend compte si, en le réveillant, on le questionne sur les choses auxquelles il pensait endormant.

Si la concentration de la volonté et de l'attention réfléchie sur l'idée continue de dormir détermine les sommeils ordir naires et provoqués, cette idée devenant fixe et attirant sur elle-même une grande somme d'attention, les dormeurs, mis par cela dans l'impossibilité de faire effort et de vouloir, ne peuvent se débarrasser de cette idée, et alors cette idée maintient et fait durer ces états. S'il n'y avait pas dans l'esprit des dormeurs, d'une part, une accumulation d'attention, sur une idée continue et persistante de dormir, laquelle conserve et prolonge la période de repos, il n'y aurait pas en lui, d'autre part et à l'opposé avec ce qu'il y reste d'attention, une formation de pensées; les rêves qui, tout incohérents qu'ils se présentent, sont une vraie prolongation amoindrie des mouvements psychiques de la veille. Il y a dans ce dédoublement, dans cette dissociation disproportionnelle de l'action de la pensée pendant le sommeil, il y a, par suite, affaiblissement ou anéantissement de la volonté : une diminution d'énergie due à cette cause pensante inversement proportionnelle rentrant dans la loi de balancement organique des forces formulée par Cabanis (*) et par Bichat loi qui doit aussi s'appliquer sans doute de la même façon, à la distribution des forces nerveuses dans tous les états passifs dont le sommeil est le type.

Et cette dissociation se retrouve avec évidence dans les deux sommeils naturels ou provoqués : par exemple, quand, dans l'un, on compte le temps parcouru jusqu'à l'heure fixée dans l'esprit pour le réveil, et qu'on rêve en même temps jusqu'à ce moment choisi d'avance, ou que, comme le meunier, on a, tout en rêvant, l'ouie ouverte-au tic-tac du moulin dont on reconnaît l'arrêt, signal du réveil. Elle se trouve encore, quand

(1) Rapport du physique et du moral, 1.1, p. 152. Paris, V. Masson, 1885. (2) Recherches physiologiques sur la vie et la mort. Art. I, * 5. Paris, Charpentier, 1861.

dans l'autre, ainsi que les infirmières de M. le professeur Forel, on surveille des malades, tout en dormant et songeant à d'autres choses, et que l'on accourt alors vers eux à la moindre alerte de leur part. Cette dissociation de l'action pensante se retrouve très distinctement dans certains états analogues au sommeil, et particulièrement chez les fascinés, les tourneurs de tables, les médiums écrivant, etc.

C'est parce que la pensée s'est dissociée en deux parts : l'une, — pôle passif, — où l'attention qui sert à la former s'est, de tous les points du corps, accumulée et immobilisée au cerveau sur l'idée fixe de dormir, idée qui devient acte et est le pivot du sommeil; l'autre part, — pôle actif, — où cette même force, l'attention, devenue nécessairementtrès diminuée, estfollement restée active dans le foyer de la mémoire et les sens surtout, par l'effet d'un amoindrissement d'activité en ces points, amoindrissement qui est en raison inverse de l'accumulation de l'attention qui s'est faite au pôle opposé sur l'idée fixe de dormir; que non seulement, par cette idée fixe, le sommeil se prolonge, faute de la part des sujets endormis de pouvoir faire des efforts pour en sortir; mais aussi que l'esprit des dormeurs a perdu, tout le temps de la durée de cet état, la propriété d'avoir à sa disposition assez d'attention réfléchie pour penser avec sens et avec la même activité, et assez de volonté pour se déterminer et agir ainsi qu'étant éveillés. Il n'en peut être autrement, dès que ces dormeurs n'ont plus leur pouvoir volontaire, par cause de la trop grande quantité d'attention qu'ils ont immobilisée au cerveau pensant devenu inerte par cela même ; il ne leur reste, à leur service, pour diriger encore la pensée comme à l'état de veille, qu'une attention réfléchie, diminuée, fluctuante et sans lest, ce que prouvent les songes.

Cette théorie psychologique de la distribution inégale des forces pensantes à deux pôles opposés, concorde assez, au moins par son mécanisme, d'un côté avec la notion physiologique qui admet le pouvoir modérateur du cerveau sur l'action réflective des centres de la moelle épinière, et de l'autre côté, elle concorde avec la production désordonnée des phénomènes réflexes qui surviennent dans toute l'économie animale, dés que cet organe modérateur fonctionne mal ou est supprimé. Du reste, beaucoup de faits se passant dans des états ana-logues(au sommeil confirment cette notion.

S'il n'y avait pas une telle polarisation dans l'action pensante des sujets endormis, on ne pourrait s'expliquer : ici, au pôle

passif, chez les dormeurs ordinaires, les effets grandement pondérateurs de l'idée de reposer dans laquelle ils se sont mis en entrant dans le sommeil ; là, au même pôle, chez les dormeurs provoqués, les effets énergiques que les hypnotiseurs, restés en rapport, obtiennent sur eux en bien ou en mal, par affirmation et avec rappel d'attention accumulée qu'ils empruntent, pour cela, au pôle passif do leur esprit. Non plus, s'il n'y avait encore une telle polarisation dans l'action pensante de ces sujets endormis, on ne pourrait, à l'opposé, au pôle resté actif de l'esprit, s'expliquer les désordres qui y prennent naissance et qui s'y font par suite de l'amoindrissement, à ce pôle, de l'attention réfléchie et du pouvoir volontaire, amoindrissement dont la conséquence est le laisser-aller automatique delà pensée, ainsi qu'il arrive dans les rêves.

Cette impossibilité que Ton a, pendant le sommeil, de ne pouvoir, d'un côté, faire des efforts volontaires, se déterminer et agir,-est avec la propriété passive que, de l'autre côté, on a dans cet état de ramener, dans la distribution des forces, l'harmonie rompue par la réaction de l'idée de reposer sur tous les tissus, — est le phénomène le plus caractéristique et le plus culminant du sommeil. — Cette impuissance à vouloir, qui rend inerte le corps et l'esprit, a en outre le grand avantage de permettre aux fonctions végétatives de s'accomplir sans distraction, et elle a aussi pour autre effet une inertie mentale et organique telle, que le dormeur restant sans défense, peut devenir le jouet de toutes sortes de machinations, il est vrai, mais peut encore, grâce à cette même incapacité de vouloir, être dans la situation favorable de recevoir les incitations les plus utiles à son perfectionnement moral, à son développement physique et à Pentretien de sa santé.

Je viens de dire plus haut que les dormeurs peuvent s'éveiller à l'heure qu'on leur désigne ou qu'ils désignent d'avance. Si, pour se livrer au sommeil, leur attention afflue et se concentre dans le cerveau au siège de l'idée qui fixe cet état, et cela pour un certain temps et par un mouvement centripète de cette force accourant de tous les centres et de tous les nerfs du corps, la même force, pour amener en eux le réveil, retourne du point du cerveau où elle s'était accumulée, elle retourne, grâce à l'idée prise de s'éveiller, à la périphérie vers les fonctions nerveuses de sensibilité et, intérieurement, au siège du remuement mémoriel des idées qu'elle avait surtout, entre toutes, auparavant abandonnées. Pour les faits incontestables de réveil à

heure convenue, ce retour à l'état de veille montre que le som meil suit le même chemin pour s'en aller que pour venir : c'est-à-dire que tous les phénomènes psychiques qui le commencent et le finissent parcourent la même voie, mais en sens inverse : les premiers sont Centralisateurs, les seconds, nécessairement, sont décentralisateurs.

C'est en vertu de l'inertie acquise de la volonté, pendant le sommeil, que l'on s'éveille à l'heure fixée d'avarice. Tant que cet état dure, on ne peut, pour cela, faire par soi-même aucun effort avant ce moment attendu et arrêté dans l'esprit, incapable que l'on est de réfléchir et de vouloir; et si le réveil arrive le plus souvent à des époques indéterminées, c'est que, pour cet acte, les sujets endormis n'en ont pas reçu l'ordre ou ne s'en sont pas eux-mêmes marqués d'avance l'arrivée précise. Seulement alors, dès que le travail d'équilibration et de reconstitution des forces nerveuses qui s'opère pendant le sommeil est près d'être complet; dès que, par suite, l'attention a retourné en assez grande quantité vers la mémoire et les sens, il suffit de l'impression vive d'un rêve, d'une sensation brusque, d'un besoin naturel, etc., pour tirer de leur assoupissement ceux qui éprouvent ces choses.

EXPÉRIENCES IMÉOIANIQUES DE VARSOVIE

(suite)

Nous nous sommes éloignés des explications des phénomènes médianiques fournies par M. Reichman, pour rapporter celles, appuyées par les expériences, de M. le Docteur Heryng, et la polémique qui s'ensuivit. Nous retournons aux articles de M. Reichman. Ayant remarqué que, dans l'expérience aveG la sonnette à Varchel, les mains d'Eusapia avançaient et reculaient avec un parallélisme extraordinaire, impossible sans tenir dans les doigts quelque chose tendue qui ne permet pas aux mains de s'éloigner, et que la sonnette s'ébranla au moment où la ligne unissant les doigts des deux mains atteignit son bord antérieur, et se balançait comme si cette ligne poussait le bord antérieur et lui cédait alternativement, il en conclut qu'Eusapia tenait un fil ou un cheveu, qu'il n'a d'ailleurs pas pu voir, faute de lumière suffisante. « Une fois, Eusapia fit passer ses mains de l'autre coté de l'archet;

mais la sonnette se taisait. Elle retira alors les mains, approcha les doigts et faisait de ceux de la main droite des mouvements, comme si elle tâchait de saisir un cheveu tenu dans la main gauche. Ensuite elle approcha de nouveau les mains de l'archet, sans plus dépasser la ligne de l'archet, et la sonnette sonna. 11 est donc évident que, pour montrer la possibilité de dépasser l'archet, elle avait lâché le cheveu et dut le chercher ensuite. — Une autre fois, ayant les mains plus éloignées qu'ordinairement, elle dépassa la ligne de l'archet, derrière laquelle les mains s'approchèrent : naturellement, cela dut se produire, si elle tenait le cheveu, qui rencontra la sonnette. Elle essaya de la faire sonner, mais elle ne fit que bouger légèrement. Elle retira les mains, raccourcit le cheveu tenu en jouant des doigts, et la sonnette sonna : mais ses doigts se trouvaient alors devant l'archet et sur la ligne du bord antérieur de la sonnette. — Eusapia portait souvent la main à la tête ; une fois elle était probablement trop fortement peignée, car elle se gratta plusieurs fois sans résultat; alors elle se fit apporter le peigne. On disait, pour l'expliquer, qu'elle éprouvait après les expériences un tel engourdissement de la tête, qu'elle voulait se la gratter à l'aide du peigne ; mais il est étrange qu'elle n'en disait rien avant que la sonnette fut à Tordre du jour. Quand nous tenions ses mains, elle ne se mouvaient pas parallèlement et la sonnette fut muette » (?6). M. Reichman dit ne pas avoir pu saisir le cheveu soupçonné, car il aurait été à Eusapia trop facile de le lâcher ou l'éloigner en soufflant. Le Dr Heryng exprime là-dessus les mêmes soupçons (Compte-rendu p. 2.). Mais M. Ochorowicz (Courrier de Varsovie ? 1), et le Dr Harusewicz (la Voix ? 3), affirment avoir constaté, en passant les "doigts entre la sonnette et les mains d'Eusapia, l'absence d'un cheveu ou de quelque chose de pareil ; le Dr Harusewicz ajoute que les mouvements des mains d'Eusapia étaient égaux des deux côtés de la ligne de l'archet, et considère cette expérience comme décisive, « car elle eut lieu dans des conditions absolument excluant le batelage ou la tromperie. » Le Dr Higier partage cette opinion (Compte-rendu p. 9). M. Matuszewski écrit (Compte-rendu p. 2) : « L'hypothèse du cheveu tombe, car j'ai plusieurs fois touché et frotté les doigts du médium, pendant l'expérience, sans la paralyser. » — Passons à deux expériences proposées par M. Reichman et autres adversaires du médianisme.Ils insistaient pour que l'on expérimentât

avec des appareils simples, et qu'on évitât les phénomènes habituels du médium, comme les lévitations, etc. A une séance, la grande table fut donc fixée au plancher et on y plaça la boussole, le radiomètre de Crookes, la sonnette à l'archet, enfin une planchette en bois mou, des dimensions 25 x 22 cent., épaisse de 6 cent., reposant sur 6réglets d'un pouce de longueur, collés en bas. Les expériences ne réussissaient pas ; le médium se leva, sortit, puis revint, mit ses mains pour un certain temps dans un bain d'eau froide, enfin s'assit dans une autre chambre à une table et commença ses productions ordinaires, comme la lévitation, etc.. Bientôt, elle se fit apporter la « tavolina », — la planchette, dont les réglets, faiblement collés, s'étaient décollés grâce aux pressions et mouvements. La lumière était très faible. « Eusapia — écrit M. Reichman (') —demanda au Dr Heryng, qu'elle considérait comme « sympathique », de se placer derrière elle et démettre les mains sur ses épaules : cela devait la fortifier par un fluide. Eusapia posa sa main droite sur la gauche ; elle écarta les doigts de la main gauche, qui reposait sur la planchette ; la main droite était disposée au-dessus de la gauche, de façon que le pouce, avec le deuxième et le troisième doigts, étaient approchés et placés entre les deuxième et troisième doigts de la main gauche (Heryng). La planchette s'éleva. Son bord approché d'Eusapia, se trouva plus bas que le bord opposé. Après un moment elle retomba. Quand Eusapia se mit à répéter l'expérience, moi, pris d'un soupçon, inclinai la tète et regardai attentivement sous les mains. La main s'approchait et s'éloignait de la planchette ; puis quelque chose commença à sortir d'entre les doigts et à se cacher. Après un certain temps, à proximité des bouts des doigts, se montra un aiguillon, qui s'approchait de la position verticale, en décrivant un arc, comme si son point d'appui se trouvait à la base des doigts. Il devenait toujours plus long, car les doigts en couvraient une partie toujours plus exiguë. Arrivé enfin à la position verticale, il avait plus de 4 cent, de longueur; quand son bout aiguisé était éloigné de 1/2 cent, de la planchette. Eusapia se mit à balancer la main en haut et en bas. Comprenant que ces mouvements étaient destinés à enfoncer l'aiguille dans la planchette, je lui saisis les mains de ma main droite. J'espérais que deux autres personnes m'aideraient à immobiliser les mains d'Eusapia, mais elles ne se sont pas assez vite orientées, et il

fl) « Courrrier de Varsovie a Xe- S et 9.

m'avait été impossible de leur faire auparavant un signe. Eusapia arracha momentanément sa main droite, dont elle tenait justement le bout supérieur de l'aiguille entre les doigts de la main gauche, et fit un mouvement violent en arrière, vers ses pieds. J'ai crié : « l'épingle ! » en polonais szpilka, en italien, spila. — « Spila ? Non spila !» — cria Eusapia sans réfléchir. Elle comprit donc ce dont il s'agissait, et puis feignit de ne rien comprendre, malgré les explications données en italien par M. S... Elle jouait la comédie, lorsqu'elle ne voulait pas ouvrir la main gauche, qui était vide. Pour vaincre mes soupçons, elle voulait exécuter la lévitation de la planchette encore une fois, mais n'y réussit pas ; car elle s'adonna aux phénomènes habituels. Mais bientôt elle demanda une épingle et la jeta par terre, la disant trop petite ; elle fit la même chose d'une autre ; enfin, elle enfonça la troisième au milieu de la grande table, exécuta plusieurs lévitations et la jeta ensuite également par terre. Elle rendit ainsi impossible de trouver l'épingle que j'ai vue, quoiqu'elle demandât elle-même, et avec effronterie, qu'on fit des recherches. Le Dr Heryng et M. Gawalewicz examinèrent la planchette et y trouvèrent deux grandes piqûres circulaires, une au milieu et l'autre près du bord ; je les ai regardées après la séance : elles répondaient aux dimensions de l'épingle que j'ai vue. M. Gcho-rowicz remarqua que cela ne prouvait rien, car la planchette avait été découpée dans une autre plus grande, et où auparavant était fixée une feuille de papier à l'aide de petits clous. J'ai examiné les piqûres sur l'autre partie de la planche : elles étaient plus grandes et ne ressemblaient point à celles de l'épingle.»— Ce récit est confirmé par M. le Dr Heryng ('), qui ajoute : « Ayant enfoncé une grande épingle dans la planchette, je l'ai soulevée facilement ; elle se soulevait obliquement, comme chez Eusapia » ; et par M. le Dr Harusewicz t2), qui fait remarquer que pendant cette expérience il n'y eut point de symptômes pathologiques chez Eusapia. — M. Reich-man construisit l'appareil suivant : une planche en bois de sapin, longue de 55 cent, large de 58 cent., reposant sur deux réglets transversaux, portait en bas et entre les réglets une petite planchette (découpée dans le couvercle d'une boite à cigares), suspendue par un de ses bords à une charnière, faite d'une mince et molle lame de laiton. Le bord opposé de la

(1) Compte-rendu, p. 2.

(2) La Voix, N° 6.

planchette et le point correspondant de la surface inférieure de la grande planche, étaient munis de lames métalliques, qui donnaient le contact pour la sonnette électrique, lorsque la planchette inférieure s'élevait jusqu'à la planche supérieure. Il s'agissait, pour Eusapia, de poser les mains sur la surface supérieure de la grande planche et d'attirer la planchette jusqu'à la production du son électrique (3). — Eusapia, quand on lui montra l'appareil, remarqua qu'elle pourrait soulever la planchette à l'aide du doigt, et ordonna, pour le rendre impossible, d'ajuster de quatre côtés de la planche des parois en bois, laissant pourtant quatre fentes larges de 4 à 6 millimètres, nécessaires, selon M. Ochorowicz, pour le libre passage de Pair ou pour la matérialisation de « la main de John ». Eusapia fit apporter « la machine » dans l'obscurité complète ; le contrôleur de gauche fut il. Reichman lui-même; de droite, M. Gawale-wicz. « Nous étions assis depuis assez longtemps ; la sonnette se taisait. Enfin Eusapia posa sa tête sur l'appareil ; après un certain temps quelque chose gratta à l'intérieur de l'appareil, et ce bruit dura assez longtemps. Enfin, la sonnette se fit entendre. J'ai compris qu'Eusapia soulevait la planche à l'aide d'un fil courbé, et qu'elle avait gratté, ne pouvant trouver la planchette. — J'ai pris l'appareil chez moi et l'ai modifié de façon à laisser les fentes nécessaires pour le passage de l'air, mais à mettre sur le chemin de chaque fente de la planchette un obstacle ; ainsi on ne pouvait plus atteindre la planchette sur la ligne droite, et il aurait fallu, dans ce but, courber le fil deux fois, ce qui aurait rendu impossible de le manœuvrer sous la planche. Mais on ne voulut plus employer cet appareil pour l'expérience. M. Ochorowicz (ibid. N° 25) dit, qu'en effet, on ne l'employa plus, parce que M. Reichman ne consentit jamais à déclarer que le perfectionnement de son appareil est de nature à exclure absolument toute tromperie, mais faisait toujours la réserve, qu'après l'expérience des nouveaux défauts pourraient être découverts. Il ajoute qu'il serait bien difficile d'introduire un fil dans l'appareil à l'aide de la tête, et demande à M. Reichman pourquoi, étant contrôleur d'Eusapia, et tenant sa main dans la sienne, il n'a pas saisi le fil, qu'il entendait longtemps gratter ? M. Ochorowicz fait encore remarquer qu'Eusapia n'a pas, pour un moment, eu entre les mains l'appareil, qui, apporté par le menuisier, fut immédiatement soumis à l'expérience. Le soir précédent, il a

(1) Courrier de Varsovie N° 16.

fait l'expérience avec l'appareil encore sans parois latéraux : la lampe placée sur une table voisine, à la lumière suffisante, il tenait les deux mains d'Eusapia dans ses mains, sur la planche, et après 8-10 minutes, Eusapia déclara sentir un vent froid dans les mains, un engourdissement dans les doigts, et la sonnette se fit entendre.

(à suture)

REVUE GÉNÉRALE D'HYPNOLOGIE

Suggestion, thérapeutique suggestive, traitement psychique

Par le d' Schhesck-Notzing, de Munich.

Dans un travail sur les phénomènes psijchiques du sommeil, Pilcz 35 indique comme cause une anémie relative des circonvolutions cérébrales et une hypérémie du tronc cérébral. Un nombre limité de cellules corticales disséminées (non toute la couche corticale), est excitó par des irritations du tronc cérébral hypérémie ou par des irritations sensitives de force moyenne, transmises par les nerfs phériphéri-ques. Ces irritations provoquent des rêves, tandis que de faibles excitations provenant des autres parties de la région corticale ne sont pas perçues. L'auteur explique les phénomènes du sommeil partiel, en admettant un défaut d'excitabilité des cellules de ce qu'on appelle les centres de coordination d'un ordre élevé.

Ballet 36, 37 qui a traité aussi de l'importance médico-légale de l'hypnotisme, a provoqué chez une hystérique le sommeil par la simple occlusion des yeux et des oreilles, et a trouvé que dans le sommeil produit de cette façon, il existait de la réceptivité pour les suggestions préhypnotiques, hypnotiques et posthypnotiques. (L'hypnose ne serait-elle pas produite ici plutôt par suggestion inconsciente que par une action spéciale sur les organes des sens ?).

Krarup 38 explique la production de l'hypnose par contraction primitive de la carotide interne ou par une augmentation de Vactivité nerveuse dans le plexus carotidien interne et par une dilatation secondaire de l'artère carotide externe et de l'artère vertébrale consécutive à la fluxion collatérale. Les divers phénomènes moteurs et secrétoires qui se manifestent pendant le sommeil hypnotique seproduisent, d'après lui, parce que les artères dilatées,qui sont contiguës aux 3e, 4e et 7e nerfs cérébraux, irritent les nerfs. II indique, en outre, que la moelle reçoit une plus grande quantité de sang. Il y a une importance toute spéciale dans la grande réplétion sanguine des artères spinales postérieures, parce que celles-ci sont placées directement devant les racines sensitives de la moelle, émettent des ramifications le long do ces racines et provoquent dans les racines motrices une tonicité réflexe, qui se traduit à l'extérieur par la catalepsie hypnotique. Il est cependant très probable que la catalepsie se produit par suite de l'augmentation d'énergie

potentielle, que doivent éprouver les centres moteurs, en raison de l'augmentation de l'afflux de sang artériel. Enfin Krarup montre que les diverses méthodes d'hypnolisation produisent précisément les conditions qui, d'après sa théorie, sont nécessaires pour la production de l'hypnose, une augmentation d'activité nerveuse dans le plexus carotide interne,en d'autres termes, une contraction de Tarière carotide interne.

Le manque d'espace ne nous permet pas d'étudier les travaux de Luys 39, Donath 40, Laloy 41, Robertson42, Hart43, Charcot44, Bloc45, Stembo On trouvera, dans la bibliographie, l'indication de leur contenu, qui ne présente rien de bien nouveau.

Nordenson et Wetersthand " rapportent la guérison, dans une seule séance, par le traitement hypnotique, d'un garçon de il ans, atteint d'amilyopie hystérique, avec limitation du champ visuel et cécité incomplète des couleurs (à un œil). La maladie s'était produite à la suite d'un coup de poing sur l'œil.

Reiersen18 fournit des indications pour l'emploi de la thérapie suggestive et quelques résultats personnels.

Gerrish 49 soutient la doctrine de l'école de Nancy ; il a pu hypnotiser 95 0/0 de ses patients et n'a jamais vu d'effets consécutifs fâcheux. Il poussait seulement l'état hypnotique, jusqu'au point où les sujets savaient encore ce qui se passait autour d'eux. Ses résultats ce rapportent aux idées fixes, aux névralgies, à l'insomnie, à la dyspepsie nerveuse et à la mélancolie. Le traité de Nizet 40 comprend seulement une vue d'ensemble, sans points de vue nouveaux ; et il en est de même pour les travaux de Donath 61 et de Clllerre52. Robertson53,54 a employé l'hypnose, comme moyen de sédation, dans des états d'excitation de cause épileptique et hystérique. Emploi avant l'explosion des prodromes de l'excitation. Il fait alors dormir les malades pendant quelques heures. R. a obtenu aussi le sommeil dans la manie périodique, ainsi que dans de légers accès passagers de manie hypochon-driaque et de maladie nerveuse temporaire, et a supprimé par suggestion la résistance à l'emploi de médicaments.

Moricourt 55 a guéri, par l'application de l'or (effet suggestif ?), une paraplégie et des vomissements nerveux datant de cinq ans, dans un cas de grande hystérie. Mayeh 56 a présenté une patiente de 18 ans qui fut délivrée, par l'hypnose, d'une aphasie hystérique. La maladie s'était produite à l'âge de 8 ans, à la suite d'une fièvre typhoïde. Anesthésie et troubles de la langue. Quoique la patiente eût été traitée pendant plusieurs années, par tous les moyens possibles, son mutisme commença à disparaître dès sa première séance d'hypnotisme. Elle put compter jusqu'à 3; au bout de huit jours, elle prononçait déjà des phrases entières pendant l'hypnose, et au bout de trois semaines, une guérison complète fut obtenue. Hypnose par fixation. Période de somnolence.

Les travaux de Brunschwig 67 et de Gibert 68 s'occupent de la suggestion à l'état de veille, tandis que Tonoli 58, lWilliam Lee 60, Hirt traitent du côté thérapeutique de l'hypnose (sans points de vue nou-

veaux). Les travaux de Mesnet «, de Surbled de Dufay «, de Franco63, de Denis65, et de Schmidecxz renferment des études sur le somnanbulisme et le sommeil, ainsi que des résumés d'ensemble avec commentaires théoriques et statistiques.

Bramwell 66 a présenté le 19 octobre 1893, à la Harveian Society (London), la question de la thérapie suggestive. C'est un disciple de Bernheim et il a pu mettre en état hypnotique 83 0/0 de ses patients. Les résultats se rapportent à des cas d'épilepsie, de mélancolie, d'hystérie, de neurasthénie, de dipsomanie, de névralgie, d'insomnie, d'incontinence nocturne d'urine, d'hystéro-épilepsie, d'hyperhydrose, etc. Dans la discussion, Bohnev adit que dans 5 cas où il avait essayé d'employer l'hypnose, il n'avait eu que peu de succès. Au contraire, d'après ses propres recherches, Lloyd-Tuckey confirma les indications de Bramwell. Il avait eu des succès notables dans de nombreux troubles nerveux fonctionnels, mais il signalait surtout ses résultats favorables dans cinquante cas d'alcoolisme.

Kohnfeld et Bikeles 07 s'occupent du rôle de la suggestion dans le délire des grandeurs. La volonté de ces patients est facile à déterminer par des remarques provoquées. La suggestion est au premier rang parmi les circonstances déterminantes du délire des grandeurs. On peut à volonté inspirer des idées délirantes à la plupart des paralytiques ayant du délire des grandeurs. Cela arrive souvent par des effets tout accidentels, ainsi que par des remarques moqueuses de leurs compagnons. Les idées de grandeur suggérées ne sont conservées ou développées que si elles se rapprochent de la faculté de production de l'individu, sans cela la partie suggérée est repoussée et oubliée. 11 y a impuissance à résister à une affirmation qui flatte le moi. Mais le réveil peut se produire au bout de quelques heures ou de quelques jours. Un patient, qui croyait être un homme riche avec des biens étendus et dont on recherchait la main, devint, un jour, archevêque et empereur sous la suggestion d'un de ses compagnons. Mais il ne conserva ces dignités que pendant quelques jours, pour redevenir ensuite l'homme riche. Le rêve agit comme autosuggestion. Les faits imaginés et rêvés ne sont plus distingués des faits réels. Les groupes d'idées agréables au malade peuvent du rêve passer dans la vie réelle. Des paralytiques déments de l'établissement de Krafft-Ebing, se réveillaient la nuit et disaient au gardien qu'ils étaient devenus extrêmement riches ou Dieu. Naturellement le rêve et la suggestion ne suffisent pas, seuls, à produire le délire des grandeurs.

Ribot 63 fournit un chapitre étendu sur le somnambulisme et l'hypnotisme dans son ouvrage sur « la Volonté », qui vient de paraître en allemand. Relativement à son appréciation insuffisante de la doctrine de la suggestion de Nancy, ses opinions expriment un point de vue très démodé et nous pouvons, sans inconvénient, passer outre.

Dans une étude très importante sur la conscience, Stadelmann 63 (comme Bebnheim et beaucoup d'autres auteurs) regarde l'état hypno-

tique comme une modification de l'état de la conscience ; une pluralité de conscience dans le même individu n'est qu'apparente. Son travail n'est essentiellement qu'une exposition plus étendue de la théorie de Wundt sur l'hypnose. L'auteur est tellement soumis à cette influence qu'il fait intervenir le centre d'aperception de Wundt.

Le nouveau manuel de psychiatrie de Krapelin 70 contient un chapitre étendu sur le traitement psychique. Tandis que Krapelin regarde comme indispensable le traitement psychique à l'état de veille (d'après les règles de Griesinger), il voit dans la difficullé d'hypnotiser les malades mentaux, une limitation importante de la thérapie suggestive. Les erreurs des sens, les troubles de l'appétit et du sommeil lui semblent être surtout accessibles au traitement hypnotique. « On peut aussi avec une facilité surprenante supprimer beaucoup de troubles qui se montrent dans l'alcoolisme et dans l'abstinence de morphine. L'auteur recommande, d'une façon pressante, aux médecins aliénistes, de se familiariser de la façon la plus complète avec l'emploi de ce procédé de traitement.

Franke 71 dans ses recherches sur l'étendue des états d'irritation dans le corps humain, a pris aussi un grand nombre de courbes du pouls, de la respiration et de la transpiration de la peau chez les hypnotisés et des personnes endormies, dont une partie seulement sont reproduites dans les tableaux de son ouvrage (comme exemples). L'auteur ne donne pas la définition de ce qu'il appelle l'hypnose, il n'est pas dit non plus à quelle terminologie il s'est rattaché. Il a trouvé que les activités observées pendant l'hypnose ne se distinguent que par leur plus grande régularité dans leur marche, de celles de l'état normal du corps à l'état de veille et de repos, mais que par leur nature on ne peut distinguer les unes des autres. « On est fondé à supposer que les autres activités non examinées du corps vivant, par conséquent toutes les activités du corps (abstraction faite des symptômes de mouvement du corps, hors de l'état de repos et de ce qu'on appelle les activités mentales des cellules-ganglionnaires du cerveau) se comportent dans l'hypnose de la même façon qu'a l'état normal de la veille, et sont seulement plus régulières dans leur forme « Les courbes du sommeil normal sont complètement identiques à celles du sommeil hypnotique, même dans le sommeil ordinaire, sans rêves, les manifestations vitales observées sont les mêmes qu'à l'état de veille,seulement plus régulières dans leur forme. »

Sommer 72, dans son Diagnostik der Geisteshrankheiten, fait un court exposé de la nature des états hypnotiques et de leur importance pour le traitement. Les exposés de l'auteur correspondent au point actuel de la science. Comme l'école de Nancy, il regarde comme purement psychologiques les phénomènes hypnotiques. D'après Sommer, la suggeslibilité exige trois conditions; elles résident : 1° Dans l'état des processus psychiques, qui est désigné sous le nom de « Centre des idées. » La séparation d'une partie de notre conscience à

l'état de veille et la dissolution des complexus des idées donnent la pos-sibilitê d'une explication des perception des sens.

2° Par suite de la facilité d'accès des irritations sensitives à cette conscience rudimentaire, est fournie la possibilité extérieure de perception des impressions des sens, par laquelle s'accomplit l'explication.

3° Par suite de la tendance aux manifestations. motrices, qui caractérise l'état hypnotique, se produit dans le cas spécial la transformation des idées suggérées en mouvements et en actes.

A ces trois conditions s'ajoute comme circonstance active l'excitation produite par l'hypnotisme sur l'imagination de l'hypnotisé. C'est dans le sens de celle-ci que sont interprétés les matériaux des sensations provenant de l'extérieur et incomplètement perçues.

D'après Sommer, les phénomènes cataleptiques sont produits par la limitation de la conscience à l'idée de la position des membres.

Par conséquent, le caractère moteur de l'hypnose est une limitation de la conscience aux impulsions nerveuses.

D'après Sommer, le tétanos de la raideur hypnotique est produit par l'innervation volontaire des muscles de l'extension et le défaut de sug-gestibilité pour de nouvelles sensations musculaires. La suppression de la sensation de fatigue, qui dépend, d'ailleurs, de la dissolution du complexus normal des idées, dans laquelle nous voyons le signe caractéristique commun au rêve et à l'hypnose, est la condition de l'innervation volontaire intense et longtemps prolongée, que nous regardons comme la raideur hypnotique. Au sujet du « double-mot »,Sommer remarque :

« De même qu'il s'établit un « mor » parhypostase à la suite du fait général de la pensée, par le doublement de séries psychiques, on peut employer ce fait, dans un individu, pour la construction d'un double-moi, et l'on pourrait accorder à un individu autant de « moi » qu'il possède de séries psychiques. On comprend le peu de valeur de ces constructions. »

D'après l'auteur, on ne doit recourir à l'emploi de l'hypnotisme dans un but curatif que si le traitement mécanique et la suggestion, à l'état de veille, sont restés infructueux. « On doit rejeter nettement l'emploi indistinct de cette méthode curative, quand il n'y a pas d'indication claire.»

Sommer désire beaucoup que l'hypnose ne prenne pas droit de cité dans lacté normal ordinaire de l'accouchement, simplement pour supprimer les douleurs, qui sont physiologiques.

Au point de vue du droit spécial, l'hypnose ne semble pas à l'auteur être sans importance ; au contraire, il voit une utopie, dans son emploi, pour la pédagogie.

Comme la dépendance des fonctions involontaires (l'hémorrhagie périodique des femmes, innervation des vaisseaux sanguins en général, sécrétions, innervation des intestins, états spasmodiques, etc.), des circonvolutions cérébrales démontrées par l'étude des phénomènes hypnotiques, le médecin praticien, en même temps que les méthodes phy-

siques, que la machine corporelle, devra toujours avoir sous les yeux l'importance de l'influence psychique et de l'état psychique de son malade.

Nous arrivons, maintenant, à une revue rapide des matières les plus importantes qu'ont renfermées les journaux spéciaux, pendant l'année écoulée.

Comme on peut le voir dans les rapports mensuels de la clinique hypnothérapeutique de la Charité de Paris, installée par le docteur Luys et publiés dans les Annales de Psychiatrie et d'Hypnologie on a soumis au traitement hypnotique les maladies suivantes : Paralysie a la suite de diphtérie, anémie, dyspepsie, aslasie, abasic, ataxie locomotrice, atrophie musculaire progressive, accès spasmodiques, cataleptiques, céphalalgie continuelle, chlorose, chorée, constipation nerveuse, contraction spasmodique des muscles abdominaux (à la suite de la danse du ventre), spasmes des doigts, crampe des écrivains, intoxication par le plomb, illusion des sens, hémiplégie du côté gauche, hystérie, idées mélancoliques, accès de tremblement de cause psychique, actions involontaires, délire du doute, hypochondrie, morphino-manie, alcoolisme, neurasthénie, névralgie faciale, douleurs diverses, paralysie agissante, paralysie générale, rhumatisme, goutte, schlérose multiple, tremblement mercuriel, troubles de la sensation musculaire, de la sensibilité, de la vue, contracture traumatique des extrémités inférieures, dipsomanie, épilepsie, asthmes, paralysie du côté droit, strabisme de l'oeil gauche, faiblesse musculaire, idées fixes, vomissements incoercibles, etc.

Comme nous le voyons dans la Revue de l'hypnotisme, Dumont-pallier 74 a traité avec succès par la suggestion la chorée infantile, et Mavroukakis 75 Vagoraphobie. Bérillon 76 a fait des recherches étendues sur la fréquence de I'onychophagie chez les enfants et les dégénérés ; il a pu, par le moyen de la thérapeutique psychique, supprimer cette habitude fâcheuse (chez de nombreux patients). Voisin a pu confirmer de nouveau, par des succès obtenus au moyen de la suggestion dans des hallucinations de la vue. de l'ouïe et dans le délire des persécutions, ses observations antérieures. Bourdon 78 a opéré, sans douleur, un polype de l'utérus dans un léger sommeil hypnotique après avoir simulé l'emploi du chloroforme, et a également fait disparaître, au moyen de la suggestion hypnotique, une jalousie morbide78 et une névralgie faciale79. De Jong 80 a étudié la résistance aux suggestions, en tenant compte de la loi de l'association. Tandis que Tatzel £l a obtenu, par la suggestion,-la guérison de trois cas de paralysie non hystérique, Choteau 81 a pu faire cesser, de la même façon, les vomissements incoercibles d'une femme enceinte.

En Angleterre, la commission instituée en 1800 pour étudier l'hypnotisme (au bout de 2 ans de travail), a déclaré que l'hypnotisme, comme agent thérapeutique, a souvent un effet puissant pour provoquer le sommeil, pour calmer les douleurs et contre les névroses.

Les résultats dans l'ivrognerie sont également encourageants. D'après l'avis de la commission, les dangers de ce traitement résident dans le défaut de pratique et d'expérience, dans l'insuffisance de précautions, dans remploi de ce moyen et dans sa répétition trop fréquente, dans des cas mal appropriés. Les médecins seuls devraient, d'après la commission, pouvoir employer l'hypnose.

Les membres de celte commission étaient : Broadbent, Clocston, Gairdner, Neadham, Langley, Kingsbury, Conolly, Norman, HaCk-Tuke, Otterson, Wood et Yellowlees. 83

Dans le Zeitschrift fur hypnolismus, Delboeuf 84 rapporte deux cas dans lesquels le diagnostic chirurgical fut établi à l'aide de l'hypnose (suppression des douleurs qui empêchaient l'examen). Gerster 85 rapporte dans le même fascicule cent cas dans lesquels il employa la suggestion dans un but curatif.

Résultat : guérison chez 21, amélioration chez 33, sans résultat 18; une seule tentative faite sur 8 personnes. Dans 46 cas il s'agit de troubles psychiques, et dans 54 observations, de maladies corporelles.

Grossmann 83 étudie d'une façon étendue la nature de la suggestion et son importance curative, avec des aperçus pratiques. Tyko-Brunnberg 87 (Upsal) a employé avec de bons résultats la suggestion dans 2G cas d'anomalies de la menstruation (aménorrhée psychique, chlorotique, menorrhagie mélancolique, chlorotique, hystérique, neurasthénique et dysménorrhéique).

Sur ce nombre on trouve :

Guéris avec nouvelles ultérieures.....iS — 46,2 0/0

Guéris sans nouvelles ultérieures...... 2 — 7,7 0/0

Amélioration................. 7 — 26,9 0/0

Non amélioration................5 — 19.2 0/0

56 —100 0;0

Le nombre des séances employées varie de 2 à 50. Une seule personne s'est montrée réfractaire, tantis que 14 arrivèrent au somnambulisme.

Au sujet des remarques pleines de doute de Binswanoer sur les succès de Wetterstrand chez les morphinomanes, le Dr Landgreen. « dans une lettre ouverte, insiste sur ce fait que dans le traitement des morphinomanes la suggestion s'est montrée un moyen curatif excellent, et a peut-être même fourni les plus grands triomphes, en ce qu'elle ne diminue pas seulement les souffrances qui se rattachent à la désaccou-tumance et la durée du traitement, mais elle empêche aussi les récidives.

Sur 42 cas de morphinisme, on n'a constaté de rechute que dans 2 ou 3. Landgreen lui-même est un de ces morphinomanes guéris par Wetterstrand.

Tout aussi favorables sont les conclusions de la petite étude théorique et pratique dans laquelle Forel 89, 99 100 attire l'attention sur l'importance thérapeutique de la suggestion dans le traitement de la consti-

pation. D'après lui, beaucoup de constipations habituelles dépendent d'encéphaloses fonctionnelles.

11 s'agit ici d'un effet d'arrêt provenant de l'innervation du cerveau. La défécation normale est sous l'influence d'automalismes centraux, qui de leur côté sont influencés par certaines idées de temps, qui le plus souvent restent latentes. Dans la constipation habituelle manque souvent la sensation du besoin d'aller à la selle, ou elle s'établit trop tard et d'une façon insuffisante. L'innervation musculaire comme condition préliminaire des mouvements péristaltiques de l'intestin est insuffisante. 11 en résulte que dans un certain nombre de ces cas, Forel concentra sur l'appareil nerveux agissant d'une façon automatique (pour l'activité de l'intestin) l'activité cérébrale dissociée (c'est-à-dire suggestion hypnotique du besoin d'aller à la selle), éveilla au moyen de l'imagination les mouvements péristaltiques et écarta ainsi l'habitude pathologique du système nerveux central. Comme l'a montré Brugelmann 30, cette habitude peut aussi donner naissance à l'asthme neurasthénique. C'est pour cela que cet observateur regarde comme sa principale indication du traitement de cette forme l'influence exercée sur l'esprit du patient (au moyen de la suggestion hypnotique). En faveur de cette opinion parle le grand nombre de succès obtenus de cette façon.

Un mutisme hystérique existant depuis quinze mois est guéri par Ringieb oi, tandis que Grossmann 93 a essayé la valeur de la suggestion hypnotique dans la réduction et le traitement consécutif des fractures.

Les remarques critiques de Delboeuf 53 sur les suggestions criminelles de l'école de Nancy, présentent un intérêt particulier. Il prouve que les sujets des expériences de laboratoire conservent une indépendance relative, et que les criminels survenus tels par suggestion jouent parfois leur rôle d'une façon consciente. Un exemple intéressant est celui d'une somnambule'de Delboeuf, à laquelle on suggérait de tirer avec un revolver réellement chargé, sur de prétendus voleurs. La somnambule qui, en d'autres conditions, recevait toutes les suggestions, s'étant plusieurs fois déjà convaincue que le revolver était chargé, ne put, malgré des ordres énergiques, être amenée à tirer réellement. (Delboeuf avait rapidement déchargé le revolver sans qu'elle le sût). Il résulte de cette intéressante observation que l'on n'a pas le droit de conclure des expériences de laboratoire, dont le caractère imaginaire est ressenti d'une façon instructive ou inconsciente par les sujets en expérience, à de véritables crimes par suggestion.

L'auteur de cette revue a publié dans un travail spécial sa casuistique comme complément à l'ouvrage de Muller sur la neurasthénie. Cette contribution au traitement psychique et suggestif de la neurasthénie ai contient des observations, des tableaux, etc., dont les résultats ont paru l'année précédente.

Enfin il faut encore indiquer ici l'ouvrage de Grossmann 96 qui vient de paraître: «Die Bedeutung der hypnotischen Suggestion als Heilmit-

tel ». Il contient 26 rapports médicaux et 3 juridiques sur la valeur curative et l'importance médico-légale de la suggestion. Tous les médecins, entre autres les professeurs Bernheim, Azam, Beaunis, Danilewski, Delboeue, Eulenburg, Janet, Krafft-Ebing, Forel, Morselli et Obbrs-teiner prennent parti d'une façon très chaude et très déterminée en faveur de la doctrine de la suggestion d'après les règles de l'école de Nancy, spécialement pour son emploi pratique dans la thérapeutique. Un grand nombre d'observations instructives fournissent des exemples indiquant cette puissance curative ; quelques auteurs produisent même des tableaux statistiques. C'est ainsi que Van Rentergbem et Van Eeden rapportent que dans leur établissement, du 5 mai 1887 au 30 juin 1893, 1089 patients ont été traités par la suggestion. Guérison : 28,28 0/0 amélioration durable 23,69 0/0, légère amélioration 21,02 0/0, sans succès 17,51 0/0, résultat inconnu 9,18 0/0. Wetterstrand base son jugement favorable sur le traitement par la suggestion, sur l'hypnoti-sation de 7000 personnes.

Le résumé de ce recueil intéressant, auquel nous désirons la plus grande diffusion, se trouve essentiellement dans le passage suivant du rapport de FonEL : « Malgré ses adversaires, l'hypnotisme est et restera une branche de la science, surtout de la psychologie et de la physiologie du cerveau, employée en médecine et en beaucoup d'autres cas. La doctrine de la suggestion pénètre profondément dans toute la vie de l'humanité) comme la doctrine de l'évolution, elle a des relations avec toutes tes branches de lapensêe, des sentiments, de la volonté et des efforts humains. » ,

C'.est spécialement aux médecins que Bernheim soumet l'étude de la suggestion sur le cœur. Il termine son travail par ces mots : « Sans une connaissance approfondie de l'élément psychique dans les maladies et de son rôle pathogène et thérapeutique, nous ne sommes pas en réalité des médecins, mais seulement des vétérinaires ! *

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 16 juillet 1594. — Présidence de M. Dumontpallier.

De la concordance entre les phénomènes de l'hypnose et les principes de la philosophie,

par M. julliot.

M. Julliot fait une communication dans laquelle il démontre que les phénomènes de l'hypnose peuvent tous s'expliquer par un adage de philosophie admis de tous, à savoir : a L'idée est un principe de mouve-

ment. » Tous les faits d'hypnose ne seraient ainsi que des suggestions ou auto-suggestions directes ou indirectes. L'idée est génératrice du mouvement et de la sensation. II suffit donc de provoquer l'idée chez le sujet, et !e phénomène que l'on se propose de faire naître vient de lui-même, que ce soit le sommeil, un fait ou une sensation. La fatigue des yeux n'interviendrait dans la production du sommeil qu'à titre de suggestion indirecte ou à titre d'auto-suggestîon, et par suite de l'association communément répandue dans les esprits entre l'idée de sommeil et l'idée de fatigue des yeux. La fixation du regard provoque la fatigue; la fatigue provoque l'idée du sommeil et l'idée du sommeil provoque le sommeil.

Partant de ce principe il est facile de comprendre qu'un sujet qui s'oppose énergiquement au sommeil, y tombe néanmoins assez facilement. Ce sujet, rebelle à une suggestion directe, succombe à l'autosuggestion qu'il se fait à lui-même sous l'influence de la fatigue des globes oculaires.

DISCUSSION.

M. A. Voisin. — Je suis tout à fait de l'avis de M. Julliot, quand il dit que l'hypnose ne peut réussir que_ chez les sujets qui se laissent imposer l'idée du sommeil. La difficulté que nous éprouvons journellement à endormir les aliénés tient précisément à ce que l'attention de ces malades ne peut être suffisamment fixée, absorbés qu'ils sont par leurs conceptions délirantes ou par leurs hallucinations. Aussi, chez cette catégorie de malades, est-il nécessaire, pour produire l'hypnose, d'avoir recours à des subterfuges destinés à les soustraire momentanément à leurs préoccupations habituelles et à renforcer l'action de nos procédés hypnotiques ordinaires. A ce point de vue, le chloroforme me rend les plus grands services. Les sujets les plus rebelles à l'hypnose, les maniaques furieux, par exemple, peuvent être facilement endormis au moyen de la suggestion complétée par quelques inhalations de chloroforme. Les décharges électriques peuvent rendre les mêmes services : en détournant momentanément les malades de leurs préoccupations habituelles, on les rend accessibles à l'hypnose et, une fois ce premier résultat obtenu, on réussit le plus souvent à les débarrasser complètement de leurs idées délirantes ; aussi ne puis-je m'empécher de déclarer encore une fois que la suggestion hypnotique est actuellement le mode de traitement qui donne les plus beaux résultats dans la cure des vésanies.

M. Bérillon. — Je ne crois pas, contrairement à l'avis exprimé par M. Julliot, que le sommeil hypnotique soit toujours le résultat d'une suggestion. Il n'est pas rare de voir des sujets accessibles à l'hypnose être réfractaires à toute espèce de suggestion. Un individu récemment arrêté en est un exemple frappant ; il s'agit d'un jeune homme, d'un esprit très cultivé, que j'ai vainement essayé, pendant quinze séances successives, de mettre en état d'hypnose ; il n'est doué d'aucune émoti-vité ; c'est un véritable roc. Or, ce même individu n'est pas réfractaire

à la fixation d'un miroir brillant. Il est donc inaccessible à la suggestion, mais non à la fatigue.

M. Dumontpallier. — Je crois que la question de fatigue est ici tout à fait secondaire. Ce qui empêche chez certains sujets la suggestion de réussir, c'est qu'elle se heurte à une suggestion contraire : c'est pour cela qu'on ne peut jamais endormir un sujet qui est décidé d'avance à ne pas dormir. On se trouve alors en présence d'une auto-suggestion qui contrarie votre propre suggestion et l'empêche de s'implanter dans le cerveau. Je veux bien admettre avec Braid que la fatigue peut devenir l'auxiliaire de la suggestion et la renforcer, mais son rôle n'est qu'aces-soire, tandis que celui de la suggestion est prépondérant. Ce serait du reste une erreur de croire que l'action de la suggestion est limitée aux phénomènes hypnotiques ; elle s'étend à tous les actes vitaux d'ordre physiologique, pathologique ou thérapeutique.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Un cas de mort dans l'état d'hypnotisme.

L'opinion publique en Autriche-Hongrie est émue par une dramatique histoire d'hypnotisme qui s'est passée ces jours-ci.

Voici les détails qui nous ont été transmis par les journaux de Buda-. Pesth, le Pesti Naplo et le Budapesti Hurlap :

« Un certain M. Neukomm, ingénieur-spécialiste pour le forage des puits, s'adonnait depuis plusieurs années à la pratique de Phypnotisme et était devenu célèbre à cause des cures merveilleuses qu'il aurait opérées par suggestion. Il y a quelques, mois, il vint, pour divers travaux, au château de la famille de Salomon. La conversation étant tombée sur l'hypnotisme, M. Neukomm accepta de faire des expériences. Il magnétisa deux dames de l'assistance, MIU Ella de Salomon et une amie de celle-ci, M"« Ott.

M. de Salomon, peu de temps après, publiait dans un journal de Pesth, un article dans lequel il parlait avec enthousiasme des expériences de M. Neukomm.

« Neukomm, écrivait-il, occupe la première placo parmi les hypnotiseurs ; il a réalisé chez moi les choses les plus invraisemblables. Il a fait oublier à des dames leur langue maternelle ; il les a retransportées dans leur plus tendre enfance, il les a fait pleurer ouxire à son gré. Ma fille Ella a fait les choses les plus étonnantes. Elle a retrouvé une montre d'or que sa mère avait perdue ; elle a révélé un vol, annoncé que le produit de ce vol serait restitué dans un délai déterminé, et sa prophétie s'est accomplie. Un jour la comtesse Eisa Forgah perdit une épingle de corsage qu'elle ne put retrouver; M. Neukomm questionna Ella dans l'hypnose, et Ella indiqua aussitôt l'endroit où se trouvait l'épingle : un

coin de l'escalier; la société présente courut à l'endroit, indiqué et y trouva le bijou perdu. »

Mlle Ella de Salomon se laissait très volontiers hypnotiser parce que, sujette à une maladie nerveuse, elle se trouvait mieux après chaque sommeil magnétique et parce qu'elle croyait être utile à d'autres.

Quoiqu'il en soit, les exercices de M. Neukomm furent interrompus par un événement tragique qui est rapporté ainsi par les journaux :

« Le 17 septembre, M. Neukomm hypnotisa Mlle de Salomon bien qu'elle se plaignit d'être fatiguée. L'opérateur ne tint aucun compte du malaise qu'elle accusait et il déclara qu'il allait tenter une expérience extraor-dinairement intéressante.

« Son frère, qui habite Werschetz, vomissait depuis quelque temps du sang, et les médecins ne savaient s'il s'agissait d'une hémorrhagie stomacale ou d'une maladie pulmonaire. Lui, Neukomm, voulait obtenir une certitude par l'intermédiaire de Mlle Ella. Il dit à la jeune fille endormie, sur un ton impératif :

« Nous sommes à Werschetz, voyez-vous mon frère? — Je ne le trouve q pas, répondit ta jeune fille. »

« Neukomm lui exposa l'aménagement de la maison de Werschetz et « lui dit : « Nous sommes à Werschetz. Mon frère se trouve dans la « troisième chambre. — Oui, oui, dit alors Mlle Ella avec conviction, « nous y sommes. — Comment va mon frère ?— Il est très malade. — « Qu'est-ce qu'il a ? Racontez-nous ce que vous voyez. »

« Mlle Ella n'ayant jamais ouvert un livre de médecine ignorait le langage médical. Elle expliqua cependant le mal du frère de M. Neukomm avec une telle précision qu'un médecin n'aurait pas mieux fait.

« A ce moment Mlle Ella était complètement épuisée, son visage était livide ; Neukomm voulut encore lui poser une dernière question :

« Dites-moi, qu'arrivera-t-il de la maladie de mon frère? »

« Très péniblement. Mn Ella répondit : « Préparez-vous au pis. »

« Puis la jeune fille tomba de sa chaise ; un léger cri s'échappa de sa gorge, sa langue sortit de sa bouche et elle s'affaissa inerte. Cependant le pouls battait encore, on lui fit une injection d'éther, mais vainement ; quelques secondes après elle était morte.

« Les journaux de Pesth annoncent que le procureur du roi a ouvert une enquête. »

Comme il fallait s'y attendre, l'opinion fut vivement émue de cet événement et la presse se livra à de nombreux commentaires, aussi bien dans la presse médicale que dans la presse politique. Après avoir relaté ces faits dans la Médecine moderne, notre distingué confrère, le Dr Félix Regnault, termine par les conclusions suivantes:

« Peu importent, penserez-vous, ces invraisemblances, le fait brutal est la mort de la jeune fille. La question est de savoir si elle a été causée par l'hypnotiseur ? J'en doute fort.

« Les morts subites ne sont pas rares dans notre pauvre humanité.

« Pourquoi, lorsque cette mort soudaine a lieu dans un lit ou dans un

fauteuil, n'étonne-t-elle pas outre mesure ? On prononce le mot de congestion ou de rupture d'anévrisme, et tout est dit. Mais si cette mort se produit sur une bicyclette ou à l'état de sommeil hypnotique, voilà une grosse affaire, et il est bien difficile de ne pas voir là une relation de cause à effet.

« Encore faudrait-il faire une statistique, bien difficile d'ailleurs à réaliser ; montrer que la proportion des morts subites est plus forte sur les gens qui montent en bicyclette ou se font hypnotiser que sur ceux qui ne se livrent à aucun de ces deux exercices.

« Qui nous dit que Mlle Ella n'avait pas quelque maladie organique inconnue et quelle ne serait pas morte même si on ne l'avait pas endormie? Vous n'en savez rien ni moi non plus. C'est pourquoi il ne faut pas se hâter de conclure trop précipitamment en ces histoires de mort subite. Sinon,de prohibition en prohibition, on arriverait à ne plus rien oser faire ; ceci dit même pour l'hypnotisme qui peut être bien utile en certains cas pour guérir les détraqués. Mais on peut affirmer que si M. Neukomm avait eu quelques connaissances médicales, il n'aurait pas continué ses tentatives sur un sujet qui témoignait souffrir et il se serait ainsi évité une histoire fort désagréable. »

Un rédacteur de l'Eclair a interwievé plusieurs médecins; entre autres réponses, il a reçu la suivante du professeur Bernheim :

« Je ne crois pas à la mort résultant du fait de l'état d'hypnotisme.

« Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'un sujet nerveux souffrant d'une affection cardiaque pourrait ressentir une très forte émotion, capable de provoquer la mort.

« Que cette émotion se produise, le sujet étant soit en état d'hypnotisme, soit en état de veille, le résultat sera identique, mais l'hypnotisme n'en sera nullement responsable. J'estime donc que le fait tel qu'il est présenté doit être ou mal observé ou mal rapporté ou dénaturé. »

A la Salpétrière, les internes interrogés ont répondu qu'il ne leur paraissait pas que la mort de M"* de Salomon fut le résultat de l'hypnotisme même. Malade, cette jeune femme a dû succombera sa maladie et l'opérateur n'est responsable que de s'être livré à des expériences dangereuses dans l'état où se trouvait la patiente.

Un rédacteur de la Lanterne est venu trouver le rédacteur en chef de cette Revue et lui a posé la question suivante :

« Pensez-vous que les expériences d'hypnotisme peuvent avoir pour conséquence de provoquer la mort ou même de déterminer simplement des accidents quelconques ? »

« Jamais, à ma connaissance, un seul cas réel de mort n'a été attribué à l'hypnotisme, soit en France, soit à l'étranger.

« Pendant des mois consécutifs, MM. Charcot et ses élèves,à la Salpétrière, ont hypnotisé les mêmes malades, au nombre de vingt ou trente ; ils n'ont jamais vu survenir le moindre accident. On soufflait sur les yeux du sujet et il se réveillait immédiatement.

A la Pitié, à l'Hôtel-Dieu, MM. Dumontpallier et Mesnet ont guéri par l'hypnotisme beaucoup de gens atteints de crises nerveuses, ils n'ont jamais provoqué chez leurs malades le moindre malaise. Par contre, ils ont reçu beaucoup de remerciements.

A Nancy, où la suggestion hypnotique est appliquée sur une vaste échelle par MM Liebeault et Bernheim, plus de vingt mille personnes ont été endormies et suggérées sans qu'on ait noté la moindre migraine après leurs expériences. Nous-mêmes, chaque année, nous traitons, à notre clinique, des centaines de malades atteints d'affections nerveuses les plus variées. Les malades sont endormis, sur leur demande, en présence de nombreux médecins et étudiants. Dès qu'ils dorment, on leur fait la suggestion dont ils ont besoin. Immédiatement après, on les réveille et ils s'en vont satisfaits. Jamais nous n'avons entendu quelqu'un se plaindre d'avoir été endormi.

L'hypnotisme et la suggestion associés guérissent assez souvent ; ils soulagent presque toujours, mais ne font jamais de mal. Peut-on en dire autant de tous les médicaments employés aujourd'hui avec tant de profusion?

Entre les mains d'un médecin expérimenté, l'hypnotisme ne fait pas courir le moindre danger. Comment en serait-il autrement? L'hypnotiseur n'a à son service que sa parole et son pouvoir de persuasion dont il se sert pour suggérer. Où a-t-on vu que des mots sortis de la bouche aient le pouvoir de tuer ou de rendre malade? Voici, d'ailleurs, ce qu'en disait un journaliste qui assistait à une expérience : « Je comprends parfaitement le but de votre traitement : la suggestion, telle que vous l'appliquez, c'est l'art de donner de l'énergie et de la philosophie à ceux qui en manquent. »

Les meilleures choses, entre des mains inexpérimentées ou malveillantes, peuvent comporter quelques inconvénients. L'hypnotisme ne saurait échapper à cette loi générale. Le médecin dispose déjà de trop peu de moyens de guérison pour qu'on se prive bénévolement de celui-là quand il peut rendre service. Malgré tout ce qu'on pourra dire, l'hypnotisme aura encore pendant longtemps des adversaires acharnés, ceux qui ne veulent ou ne peuvent comprendre. Par contre, il aura pour lui tous ceux qui n'ont qu'une préoccupation, élargir les bornes du savoir humain.

Les altérations de la faculté musicale dans les maladies

du cerveau.

Un philosophe moderne a cherché à faire revivre la théorie que la musique était liée intimement à la fonction du langage articulé. M. le Dr W. Ireland est absolument opposé à cette théorie, et pense, au contraire, que l'organe de la musique est d'un ordre fort inférieur à celui

de la parole. A l'appui de sa thèse, il rapporte un grand nombre d'observations intéressantes, faites sur des aphasiques, chez lesquels la faculté musicale était restée intacte, ou avait été beaucoup moins affectée que celle de la parole. Certains de ces malades, par exemple, pouvaient fredonner des airs, ou même chanter des chansons alors qu'ils étaient devenus absolument incapables d'articuler un mot dans des conditions ordinaires.

Le Dr Ireland a aussi recherché l'effet produit sur les facultés musicales par la folie et l'idiotie. Il trouve que les idiots peuvent avoir, jusqu'à un certain degré, du goût pour la musique, et certaines aptitudes musicales. « C'est pour la musique, nous dit-il, que les idiots ont le plus d'aptitudes ; pour l'arithmétique qu'ils en ont le moins. « Il cite, en outre, le cas de certains aliénés qui, quand tous leurs autres talents et facultés avaient disparu, conservaient encore du goût pour la musique et pouvaient jouer de quelque instrument. Cependant, ces facultés finissaient aussi par être affectées, à la longue, mais lentement.

De tous ces faits, le DT Ireland conclut, non sans vraissemblance : Io que le sentiment et l'activité musicaux ne doivent pas être entièrement localisées, comme la faculté du langage, dans l'hémisphère cérébral gauche, mais doivent être exercés par les deux hémisphères et ne peuvent être détruits que lorsque tous deux sont atteints à la fois ; 2° que la faculté musicale peut survivre à des troubles cérébraux, qui altèrent profondément des facultés plus complexes.

Pedagogie intensive.

On montre en public, à Berlin, un petit enfant âgé à peine de deux ans révolus qui lit assez couramment, à haute voix, l'écriture imprimée et manuscrite aussi bien en lettres allemandes qu'en lettres latines. Ce petit prodige a commencé vers la fin de sa première année k montrer un goût particulier pour la lecture, sans toutefois y être poussé par ses parents qui n'ont qu'une instruction sommaire. Il a débuté par se faire dire des légendes qui se trouvent au-dessous des images et des dessins, puis les titres des livres exposés aux vitrines des libraires, les enseignes des boutiques et les noms des rues. Cela fait, il a emmagasiné dans son cerveau l'image représentative des mots à lui connus et peu après il a de lui-même, ces mêmes mots venant de nouveau à se présenter à ses yeux, lu sans épeler mais en embrassant d'un seul coup l'ensemble de chacun de ces mots. Il a ainsi appris à connaître les diverses lettres de l'alphabet qu'il a su recohnaitre ensuite, lettre par lettre, dans d'autres mots à lui inconnus et qu'il a pu lire en entier, appliquant, de son propre mouvement, le système d'enseignement de la lecture généralement professée. Si on lui donne un certain nombre de mots, l'enfant les arrange pour en faire une phrase qu'il dit ensuite avec une voix et une prononciation qui ne sont pas autres que celles d'un enfant de son âge.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme^ t placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assiter et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Les leçons pratiques sont reprises à partir du 1er octobre.

L'enseignement comprendra les cours suivants ;

« Applications cliniques de l'hypnotisme et de la suggestion », M. le D' Bérillon.

« Pédagogie psychologique », M. le Dr de Mezeray. « Electricité biologique », M. le Dr 0. Jennings. « Psychologie générale », M. Casimir de Krautz. « Anatomie et physiologie du cerveau », M. le Dr N...

L'enseignement supérieur des femmes.— L'Université de Rome vient de décerner son premier diplôme de doctorat en droit à M'u Teresina Labriola, âgée de dix-huit ans, qui a soutenu avec une science et une verve remarquable une thèse sur ce sujet : o L'honneur au point de vue juridique. » M"c Labriola est fille d'un professeur de l'Université italienne, connue pour ses opinions socialistes.

La rue Charcot. — Le conseil municipal va prochainement baptiser plusieurs rues nouvelles et changer le nom de quelques autres. Deux rues voisines de la Salpétrière prendront les noms de rue Charcot et rue Ulysse-Trélat. La rue Saint-François-de-Sales prolongée deviendra rue Trousseau.

Le monument Charcot. — Un comité s'est constitué en Allemagne pour l'érection d'un monument au professeur Charcot. L'invitation à souscrire est faite au nom des professeurs Erb, de Heidelberg, et Jolly, de Berlin. Parmi beaucoup d'autres noms connus, le comité se compose des professeurs Curschmann, de Leipzig ; Binswanger, d'Iéna ; Kussmaul, de Heidelberg ; von Recklinghausen, de Strasbourg; Schulz, de Bonn ; von Strumpel, d'Erlangen ; Wernicke, de Brcslau ; von Ziemsen, de Munich.

Un cas de léthargie. — A Congosto, province de Léon (Espagne), une jeune enfant de 11 ans est récemment demeurée pendant cinquante-quatre jours dans l'état de léthargie. Comme on avait failli l'enterrer toute vive, le bruit s'était répandu dans les environs qu'elle était ressuscitée.

Congrès français de médecine interne (1re session, Lyon, 1894). — M. le professeur Potain a accepté de présider la première séance et de prononcer le discours d'ouverture du Congrès. Deux rapports seront présentés au Congrès sur chacune des trois questions mises en discussion :

Etiologie et pathogénie du diabète. — Rapporteurs : M. le Dr Lan-cereaux, de Paris, et M. le professeur Lépine, de Lyon.

De la valeur clinique du chimisme stomacal. — Rapporteurs : MM. les profcf seurs Havem, de Paris, et Bourget, de Lausanne.

Des aphasies. — Rapporteurs : MM. les professeurs Bernheim, de Nancy ; et Pitres, de Bordeaux.

Le Conseil de l'Association française pour l'avancement des sciences a décidé de faire représenter l'Association au Congrès, et a délégué à cet effet M. le professeur Bouchard.

Nous rappelons que le Congrès aura lieu du 25 au 29 octobre.

Le titre des communications doit être adressé à M. le Dr L. Bard, secrétaire général, rue de la République, 30, avant le 10 octobre. Les adhésions et les cotisations (20 francs) doivent être adressées à M. le D' Lannois, trésorier, rue Saint-Dominique, 14.

Chasse et hypnotisme.— La Nature nous apprend que récemment un inventeur a proposé d'utiliser la lumière électrique pour fasciner et en quelque sorte « hypnotiser » les marsouins, ce qui permettrait de les enfermer dans un solide filet manœuvré à distance, et rendrait leur capture facile.

NÉCROLOGIE

Von Corval (de Baden-Baden)

C'est avec un vif regret que nous apprenons la mort d'un médecin des plus distingués de Baden-Baden, le Dr Von Corval. 11 avait été en Allemagne un des premiers vulgarisateurs des applications médicales de l'hypnotisme qu'il avait étudié auprès de Wetterstrand, de Stockholm. Dans tous ses travaux sur la suggestion hypnotique, Von Corval s'était montré observateur consciencieux et sagace. Il était collaborateur du Zeitschrift fur hypnotismus. Nous nous joignons à notre confrère allemand pour déplorer la mort d'un praticien dévoué aux idées scientifiques qui nous sont connues.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Dr A. Bue. — a Le magnétisme curatif », în-12, 430 pages. — Chamuel, Paris, 1894.

Dr Boirac. — a L'idée du phénomène », in-8°, 346 pages. — F. Alcan. 1894.

Dr Chervjn. — « Faut-il couper le frein de la langue? ». Broch. in-8°, 16 pages. — Société d'éditions scientifiques. 1894. D'Coste. — « Les phénomènes psychiques occultes », in-! 2, 228 p.

— Masson, Paris, 1893.

Dr Delboeuf.— « Die verbrecherischen Suggestionen, in-8°, 62 pages.

— Leparat, ans der Zeitschrift fur hypnotismen. — Berlin 1894.

Dr Féhé. — « La famille névropathique », in-8°, 330 pages, relié. — Alcan, 1894. .

D' Gélineau. — « Des peurs maladives ou phobies », in-12°, 204 pages.

— Société d'éditions scientifiques, 1894.

Dr Joal. — « Des odeurs et de leur influence sur la voix ». Brochure in-16, 34 pages, — Rueff, 1894.

Drs Jollivet et Castelot. — « La vie et l'âme de la matière », in-8°, 197 pages. — Société d'éditions scientifiques, 1894.

Dr Podmobe (Franck). « Apparitions and thang transference on examination, of the evidence for telepathy. Woth numerous illustration, in-I2, 400 pages. — Walter Scott. London, 1894.

Dr Baynaly. — « Les propos d'un escamoteur. Prestidigitation, magnétisme, spiritisme », in-8°, 242 pages. — Ch. Noblet. Paris, 1894.

Dr Tatzel. — « Die psychothérapie » (Hypnose) ; ihre Handhabung und Bedeutung für den praktischen Arzt. In-8°, 80 pages. —Berlin, 1894.

Dr Schrenck-Notzing (von). « Der Hypnotismus im Münchener Krankenhause (linck der Isar) ; eine kritische Studie über die Gefahren der Suggestibvbehandlung », in-8°, 39 pages. — Leipzig, 1894. — a L'hypnotisme à l'hôpital de Munich (rive gauche de l'Isar); étude critique sur les dangers du traitement par suggestion. »

Dr Treille (Alcide). — « Le onzième Congrès International de médecine ». Brochure in-8».

Dr W. Ireland. — « On affections of the musical faculty in cerebral diseases », in-12°, 14 pages. — Londres, 1894.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris. — Imprimerie A. yuELQUWEü, rue Gcrbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

9" année. — it 5.

Novembre 1891.

DU ROLE DES PHÉNOMÈNES PSYCHIQUES INCONSCIENTS

et des rêves dans la pathogénie et la curation des accidents

hystériques,

par M. le professeur A. Pitres.

.Leçon du 9 juillet 1894, receuillie par M. E. Vénot, interne du service (clinique de M. le professeur Pitres. — Hôpital Saint-André de Bordeaux).

Messieurs, vous m'avez vu, dans ces. derniers temps, m'arrêter souvent et longuement auprès de la femme Louise G..., occupant le lit 20 de la salle VII. Craignant que vous n'ayez pas saisi tout l'intérêt d'expériences cliniques très nombreuses, pratiquées au jour le jour, parfois sans liens logiques apparents, je désire, avant de signer Vexéat de cette malade, vous raconter son histoire et vous faire connaître les faits, très instructifs ce me semble, que nous a révélés son étude.

I.

Louise G..., âgée de 37 ans, est entrée dans notre service le 20 février 1894.

Ses antécédents héréditaires sont excellents : Père et mère vivants et bien portants; grands-parents morts de vieillesse ; oncles, tantes, cousins et cousines exempts de toute maladie nerveuse.

Dans ses antécédents personnels, nous notons une rougeole à 5 ans et une fièvre typhoïde à 17 ans. Elle a été réglée à 10 ans et demi, sans accident. Mariée à 16 ans, elle a eu neuf enfants à terme (dont quatre encore vivants) et trois fausses-couches. Toujours nerveuse, facilement irritable, très émotive, elle n'avait jamais eu d'attaques de nerfs avant 1887. C'est à cette époque (elle avait alors 30 ans) qu'elle fit son entrée dans l'hystérie à l'occasion d'une émotion morale violente qu'elle ressentit dans les circonstances suivantes :

Elle résidait à Marseille. fin février 1887, un tremblement de terre se fit sentir sur le littoral méditerranéen. Louise G... était à ce moment au lit. Elle venait d'accoucher depuis trois jours. La maison qu'elle habitait fut violemment secouée. Tous les locataires s'enfuirent épouvantés en criant : « Sauve qui peut! » Louise G..., affolée de terreur, saisit dans ses bras ses deux enfants, et, tout en chemise, elle descendit dans la rue. — Là, qu'a-t-elle fait? que s'est-il passé? Elle n'en sait rien ; elle n'en a aucun souvenir. Il y a dans son esprit une lacune à partir de ce moment, et une lacune qui dure trois mois ; trou béant dans son existence, dont elle n'a aucune notion, ni à l'état de veille ni à l'état d'hypnose provoquée, qu'elle ne soupçonne que par ce qu'on a pu lui en dire.

Ce qui s'est passé pendant trois mois, son mari nous Ta raconté : Louise G... était en proie à un délire aigu entrecoupé par de grandes crises convulsives. La malade passait son temps à bercer, à emmailloter et à démailloter, à allaiter une poupée qu'on lui avait donnée, à la place de son enfant. Ses crises étaient de grandes crises convulsives, dans le cours desquelles se reproduisait toute la scène du tremblement de terre. Elle ressentait la secousse, avait une peur effroyable, prenait sa poupée dans ses bras, l'embrassait, et s'écriait : « Sauvez-vous, sauvez-vous, la maison s'écroule. »

Au bout de trois mois, après une crise plus violente que les autres, la raison lui revint subitement. Elle repoussa la poupée avec laquelle elle s'amusait précédemment. Elle réclama son enfant ; elle reprit conscience. A partir de ce moment, les attaques convulsives devinrent de plus en plus rares ; elles survinrent tous les trois ou quatre jours, puis tous les mois,, puis à de rares intervalles, à l'occasion de contrariétés accidentelles.

Tel est le premier épisode morbide qu'a présenté notre malade. Il est intéressant en ce qu'il nous montre une émotion morale violente déterminant une forme particulière de délire aigu, distincte des délires vésaniques ordinaires, car les malades atteints de délires vésaniques purs, de manie aiguë classique, se souviennent, après leur guérison, de ce qu'ils ont fait et dit durant leur maladie, tandis que Louise G... ne se rappelle rien, absolument rien, de ce qui lui est arrivé pendant les trois mois qui ont suivi le tremblement de terre de 1887. L'amnésie est au contraire de règle dans les accès de délire hystérique aigu, et sa constatation nous permet de faire

rétrospectivement le diagnostic des accidents qu'a présentés notre malade : elle a été atteinte d'un accès de manie hystérique.

II.

Guérie de cet accès de manie hystérique, Louise G... jouit d'une bonne santé jusqu'à la fin de 1893. Entre temps, elle avait quitté Marseille et était venue résider à Bordeaux, où elle exerçait, dans les faubourgs, la profession de marchande des quatre saisons. Le 20 décembre 1893, elle était allée au marché acheter des légumes. Elle conduisait elle-même sa petite voiture. Sur le banc, à son côté, était assis le plus jeune de ses enfants. Le cheval trottait sans précipitation, sur le boulevard du Médoc. Dans les environs, on tire un coup de fusil; l'animal prend peur, se cabre et s'emballe, entraînant, aune allure précipitée, voiture, légumes et gens. Dans un heurt, plus violent que les autres, de la roue contre le trottoir, l'enfant, projeté en avant, disparait entre le cheval et la voiture. Quelques mètres plus loin, c'est la mère qui tombe à son tour ; mais ne songeant qu'à « son petit », elle se relève aussitôt, elle voit qu'on emporte l'enfant chez un pharmacien, elle arrive aussi vite que possible dans l'officine, et là, tombe évanouie. Une heure après, elle reprend ses sens et demande son enfant. On tarde un peu à le lui montrer; elle est anxieuse, elle crie, elle pleure. Sûrement il est mort, écrasé, broyé, et on lui cache le cadavre. Enfin, on le lui rend; il est vivant : il n!a que quelques contusions sans gravité.

Elle rentre chez elle, et trois jours après éclate brusquement une grande crise convulsive. C'est le commencement d'une nouvelle série d'accidents hystériques. Les crises se multiplient. Elle en a sept, huit, par jour; et le 20 février 1894, elle entre salle VII. Nous l'examinons alors, et nous constatons un état actuel que je vais vous tracer en quelques mots.

Louise G... est une forte femme ayant toutes les apparences de la santé. Ses grandes fonctions organiques s'accomplissent normalement. Sa sensibilité cutanée offre les particularités suivantes : A ta piqûre : hémianesthésie du côté droit, sauf à la paume de la main et à la plante du pied ; au contact, même distribution à l'anesthésie ; il en est de même à ta température. Abolition, du même côté, de la sensibilité musculaire et de la sensibilité osseuse. Les diverses muqueuses du côté droit présentent également des troubles sensitifs; hypoesthésie de la con-

jonctive droite; analgésie de la pituitaire droite. Enfin, hypoes-thésie des muqueuses labiale, buccale et linguale du côté droit.

Les sensibilités spéciales sont conservées, la sensibilité tactile est cependant un peu diminuée à droite, et il y a un léger rétrécissement concentrique des champs visuels.

Pas de troubles de la motilité ; les différents réflexes sont normaux. Notons enfin : anesthésie ovarienne à droite, hyper-esthésie à gauche ; sensibilité épigastrique normale. Pas de zones hystérogènes.

La malade se plaint d'une hyperhydrose palmaire très intense caractérisée par de grosses gouttes de sueur perlant continuellement à la surface de l'épiderme. Elle a encore d'autres petites misères, sur lesquelles je reviendrai dans un instant : douleurs précordiales, palpitations de cœur, ciphelée, etc.

Elle est facilement hypnotisable par la simple fixation du regard. En quelques secondes ses paupières se ferment et elle se trouve en état somnambulcide, sans hyperexcitabilité cuta-no-musculaire. Dans cet état, elle répond parfaitement aux questions qu'on lui pose, mais elle est fort peu suggestible, ouf pour être plus exact, elle n'accepte pas les suggestions dans le sommeil hypnotique, tandis qu'elle exécute assez bien celles qui doivent être réalisées après le réveil.

Les attaques convulsives sont très fréquentes et très violentes. Elles se passent toujours de la même manière. Elles débutent par une tristesse morne (aura psychique) et une sensation de strangulation. Puis surviennent des convulsions épileptoïdes très courtes, suivies, pendant cinq minutes environ, de grandes convulsions classiques. Enfin, le délire éclate. Il a toujours pour objet l'accident du 20 décembre. La malade revoit son enfant tombant sous la voiture. Elle le croit mort. Elle prononce des mots entrecoupés de sanglots et de soupirs : a Ah! mon enfant... Sauvez-le... le pauvre petit... Mon Dieu! il est mort... il est mort! » Puis, le délire cessant, elle revient à son état normal, ne se souvient ni de son attaque, ni de son délire, et a parfaitement conscience que son enfant est vivant et bien portant.

Il est évident que pendant ce délire, elle revit la scène de l'accident avec les sentiments et les angoisses qui l'ont agitée à ce moment. Briquet disait que le délire des hystériques était un délire réminiscence, ce qui est parfaitement exact. Mais il est à remarquer, dans le cas actuel, qu'à l'état de veille aussi bien qu'à l'état d'hypnose provoqué, la malade sait très bien

que son enfant est vivant, qu'il n'a en aucun mal. Quand elle raconte comment s'est passé l'accident, elle le fait sans émotion. Elle avoue qu'elle a eu très peur, qu'elle a craint un instant pour les jours de « son petit » ; mais elle ajoute aussitôt que ses inquiétudes n'étaient pas justifiées puisque ni son fils ni elle n'ont été sérieusement blessés. Et cependant, le choc émotionnel a creusé dans l'inconscient une empreinte si profonde que,dans certaines circonstances pathologiques, sa reviviscence rappelle toute la série des événements psychiques qui se sont succédé au moment de sa production, en dépit du témoignage de la conscience qui en comprend et en apprécie le mal fondé.

Les choses se passent comme si une image connue, émergeant tout à coup des profondeurs de l'inconscient, annihilait le jugement et la volonté et se dérobait devant la conscience, momentanément incapable de réaction, en évoquant toutes les émotions antérieurement associées à la perception de cette image.

Je vous disais tout à l'heure que Louise G..., quoique très facilement hypnotisable, était cependant fort peu accessible aux suggestions sensasorielles, mais qu'elle exécutait bien les suggestions post-hypnotiques.

Profitant de cette circonstance, je cherchai à modifier, par suggestion, le délire consécutif à ses attaques. « Vous savez, bien, lui dis-je un jour, après l'avoir hypnotisée, que votre enfant n'a pas été grièvement blessé dans sa chute de voiture. Eh bien, désormais, quand vous penserez à l'accident qui vous est arrivé, vous songerez tout de suite qu'il n'a eu aucune conséquence grave; vous verrez votre enfant sain et sauf; vous ne serez plus émue comme vous Pavez été quand vous avez cru qu'il était mort. »

Le résultat de ce mode d'intervention dépassa mes espérances. Dans les attaques suivantes, le délire post-convulsif changea complètement de caractère. La malade songeait bien à la scène de l'accident. « Mon Dieu, s'écriait-elle, mon enfant est tombé. C'est affreux, c'est affreux » ; puis, aussitôt, elle ajoutait : « Ah! le voilà, mon cher petit. Il n'a pas de mal. Quel bonheur! » Quelques jours après, le souvenir de l'accident ne se présentait même plus du tout à la fin des attaques et le délire post-convulsif roulait sur les petits événement qui, dans la journée, avaient frappé l'esprit de la malade. En même temps, les attaques devenaient moins fréquentes, les convulsions moins violentes ; il y avait, en somme, une amélioration notable. (A suivre.)

VEILLE - SOMMEIL - HYPNOTISME

(Suite et fin.) Par le D' Liébeault, de Nancy.

III

Il est des individus qui, à l'état de veille, pour peu que l'on dirige leur esprit sur l'idée de dormir, entrent dans le sommeil provoqué presque avec la même facilité et aussi vite que lorsqu'ils évoquent et mettent à exécution une pensée quelconque. J'en ai rencontré quelquefois. Ce sont les individus qui surtout s'endorment par imitation et chez lesquels l'idée du sommeil, c'est déjà le sommeil, si cette idée s'empare d'eux dans un de ces moments d'indifférence où l'on tombe lorsqu'on est oisif. Ils n'ont ordinairement un peu de volonté, et elle est bien faible, que pour ce qui relève de l'attention réfléchie : c'est-à-dire que pour percevoir les impressions, les transformer en sensations et en idées, examiner les motifs de leurs actions et à peine, ce qui est déjà beaucoup; mais rarement ils vont au-delà. Quant à faire des efforts volontaires pour l'exécution de ces motifs, ils en sont peu capables et ils aiment mieux se laisser aller à la remorque des plus faciles à suivre, motifs qu'ils suivront s'ils s'enchaînent à d'autres qu'ils ont déjà acceptés, ou qu'ils recevront d'autrui sans y faire la moindre opposition. On reconnaît ces individus en ce que, lorsqu'on les interpelle sur quelque chose, ils répondent ; mais tandis qu'ils parlent sous l'influence de l'impulsion donnée à leur esprit, leurs bras, par exemple, gardent, sans qu'ils y songent, les positions qu'on leur imprime. Bien qu'ils soit très éveillés, on peut faire ainsi entrer dans leur esprit cette forme de la dissociation de la pensée la plus simple, celle dans laquelle tous les autres états de dissociation sont en germe, qu'ils soient naturels ou morbides.

Il est d'autres sujets un peu moins inertes de volonté que les précédents. Ils montrent plus de choix, plus de décision pour les actes qu'ils doivent accomplir d'habitude et, par cela même, ils sont déjà moins indifférents et moins prédisposés à accepter ce qu'on leur dit que ne le sont ceux de la catégorie précédente. Pour les entraîner dans la direction qu'on veut leur donner, il faut qu'ils y soient préparés par une concentration d'esprit

préalable se rapprochant plus ou moins de celle qui, chez tout le monde, est à l'entrée du sommeil ordinaire. Tant que la lutte pour l'existence n'est pas, pour eux, trop pénible et qu'ils vivent clans un milieu tranquille, ils restent assez bien équilibrés; mais s'ils se laissent absorber par une occupation asser-vissante, comme celle, par exemple, d'une croyance superstitieuse, telle : le nœud de l'aiguillette, ou comme celle de nourrir dans leur esprit, l'idée d'une souffrance, d'une guérison, etc., ces croyances, ces idées finissent par entrer en maîtresse dans leur cerveau et y faire élection de domicile : une scission se fait entre la pensée de l'état de veille qui continue ses mouvements et la pensée actuelle qui se fixe : un état passif se forme.

Il est aisé de trouver des faits à, l'appui de cette sorte d'état passif physiologique dont je parle. Autrefois, lorsque je voulais savoir si les sujets que j'avais à traiter par la thérapeutique du sommeil étaient facilement hypnotisables, je leur affirmais, en les regardant, une impression de chaleur ou de froid sur un point de la surface cutanée où j'appliquais les doigts, et plusieurs d'entre eux, dans l'attente du phénomène, parvenaient assez vite à accuser la sensation annoncée. J'étais ainsi renseigné à leur égard : ils étaient des suggestibles de la famille des nerveux en question.

Quand, une baguette à la main, Dupotet, qui se croyait en ceci magicien, faisait marcher l'un derrière l'autre, sur le contour d'un cercle tracé à la craie dont il occupait le centre, plusieurs personnes éveillées prises par lui au hasard et qui, malgré «lies, obéissaient à ses ordres, il avait affaire à des impulsifs de la même catégorie que les sujets précédents. J'ai refait, il y a bien longtemps, cette expérience de Dupotet, et je parvins à la faire réussir, dès que j'eus donné à mes 6 ou 7 marcheurs en rond, un chef de file, somnambule non endormi qui, entraîné par mes affirmations, contribua pour sa part, l'imitation aidant, à les faire avancer sur ses traces. Un seul d'entre eux put s'échapper de la circonférence du cercle, tant que je les tins sous le charme.

J'ai pu de même, par une affirmation préalable, faire apparaître la Vierge devant des paysans sains d'esprit, mais naïfs, et sans que je les eusse jamais endormis. Et bien plus, un de mes clients que je traitais par la thérapeutique du sommeil et auquel j'avais suggéré, pendant son somnambulisme, que deux jours durant, à Pâques, il trouverait à ses repas l'eau changée

en vin rouge, — ses moyens pécuniaires ne lui permettant de boire que de l'eau, — fut très étonné du prodige qui s'opéra, lui éveillé, dès qu'il se mit à table. Il couva ce vin des yeux, le dégusta, le trouva délicieux, et plein de joie il le fît goûter à sa femme et à sa fille qui, l'entendant et transportées elles-mêmes,-trouvèrent que leur eau à boire était réellement transformée en vin rouge excellent. Et tous les trois, ils s'en régalèrent ! Et cette félicité dura deux jours !

Un de mes clients, aussi d'autrefois, qui était entré dans un pré à propos duquel on avait raconté, devant lui, que quiconque s'y était introduit par un endroit non bien déterminé ne pouvait plus en sortir, quoi qu'il fasse, se mit dans la tête, y ayant' pénétré, qu'il avait passé dans l'endroit ensorcelé. Il en devint tellement convaincu qu'il ne lui fut plus possible d'en sortir. Il fallut, pour le délivrer de sa prison, l'en expulser de force.

Dans ces faits appartenant à une forme peu compliquée des états passifs, on remarque que les individus fascinés continuèrent, tout le temps qu'ils le furent, à rester en rapport avec le monde extérieur, pendant qu'ils étaient absorbés dans leurs étranges préoccupations. Il existait dans l'esprit de chacun deux courants de pensées : le courant raisonnable, continué de la veillé, et le courant nouveau et absurde qui avait abouti à l'idée fixe qui les dominait.

Il est un mode d'état passif très rapproché du précédent et qui s'y relie : c'est la fascination de Braid. On la fait naître le plus souvent chez des sujets qui, pour la plupart, sont très hyp-notisables. Il a été révélé par les expériences dont Braid a été le promoteur. « Cet état, ai-je dit dans mon livre du Sommeil (»), n'est pas encore le sommeil, puisque la personne influencée conserve une conscience assez nette du monde extérieur et d'elle-même, et qu'il lui est toujours possible de réfléchir; ce n'est déjà plus la veille, du moment qu'après une affirmation reçue, elle est tombée dans l'impossibilité de pouvoir faire un effort de volonté pour contrôler ce qu'on lui

affirme..... D'une part, une minime partie de l'attention est

immobilisée sur une idée, tandis que, de l'autre, la plus grande partie en est demeurée libre et n'a pas quitté son domaine habituel de la veille. »

Ce. mode de fascination expérimentale n'est, ainsi que les précédents, à part l'élément émotif manquant, qu'une forme de la fascination émue que l'on éprouve à la vue d'un serpent,

(1) Voyez : Du sommeil provoqué, p. 30. Paris, O. Doin, 1889.

d'un animal dangereux quelconque ; bref, d'un danger imminent : ce qui se rencontre souvent dans la vie. Dans cette dernière forme, on retrouve déjà, d'une manière plus apparente, le caractère essentiel du sommeil : l'entrainement irrésistible de la volonté ou son arrêt, deux manières d'être de l'inertie mentale des dormeurs. Car, on en fait journellement l'expérience, par l'idée que l'on inculque dans l'esprit des fascinés, on arrête à son gré leur pensée ou on la met en mouvement : ils sont, en ceci, comparables à une bille qui, placée sur une surface plane, ne peut s'ébranler d'elle-même, ni modifier et arrêter le mouvement qu'elle a reçu.

La fascination de Braid a joué un grand rôle dans ces derniers temps, au point de vue psychologique. Elle a surtout été employée empiriquement sur des sujets reconnus capables de devenir somnambules. Des artistes ambulants, Iiansen, Donato, Léon, etc., se basant sur l'impuissance des fascinés à réagir en quoi que ce soil contre les idées qu'on leur impose, se sont servis, pour amuser le public, des insolites et surprenants effets que par affirmation ils produisaient sur eux. Et devant les faits étranges et. indéniables qu'ils ont offert aux amateurs du nouveau, ils ont, pour une grande part, contribue à forcer les savants de sortir, à l'égard de ces faits, de leur réserve trop longtemps dédaigneuse.

11 est d'autres formes passives beaucoup plus marquées de la prédisposition que chacun a de perdre son pouvoir volontaire. Elles sont, comme les précédentes, le produit d'une assez courte détente de la volonté, et en ce qu'elles sont, elles n'ont pas plus qu'elles de caractères pathologiques. Ce sont des états franchement revêtus de l'élément émotif, élément formant atmosphère autour d'une idée qui en est le noyau; mais grâce à ce revêtement, ils deviennent parfois d'une intensité démesurée. On les regarde aussi comme étant de nature physiologique.

L'émotion, ce rayonnement qui, par contre-coup, vient entourer et renforcer l'idée ainsi qu'une auréole, enveloppe et fait ressortir une image, j'en ai reconnu l'efficacité virtuelle et sa grande supériorité sur ce que peut l'idée à elle seule, en expérimentant sur deux excellentes somnambules auxquelles, pendant plusieurs semaines, je n'avais, par simple affirmation et dans leur sommeil, pu faire apparaître la moindre rougeur sur la surface de leur peau. Ayant change enfin ma manière d'opérer, je parvins alors, et chaque fois que je voulus dans la

suite, grâce à un stratagème suggestif qui me permit de susciter en elles une subite et forte émotion, à les faire se brûler instantanément toutes deux contre mon poêle froid. C'était en juillet. Aussitôt qu'au sortir de leur somnambulisme, elles le touchèrent comme par inadvertance, le croyant brûlant, il se produisit, chez Tune, une rougeur vive au point de la peau de la main mis en contact du poêle, et chez l'autre, à peu près au même point cutané, une sorte de brûlure accompagnée plus tard d'une exfoliation de l'épidémie, brûlure dont les traces ne disparurent que quelques jours après. On le voit, dans ces deux cas, sous l'influence plus complète de l'idée suggérée, mais revêtue en surplus de l'élément émotif, la résistance encore quelque peu volontaire de l'esprit s'amoindrit, et son contrôle ayant cessé, il survint alors une des manifestations la plus étonnante de la réaction de la pensée sur l'organisme.

Si, chez les dormeurs, la pensée émotive peut se traduire en caractères empreints sur les tissus à un aussi haut degré que dans les cas précédents, rien n'empêche que, sous une action émotionnelle même moindre, il n'y ait en eux productions d'autres phénomènes physiologiques différents, plus faciles à obtenir, et tels qu'il en parait communément chez tout le monde ; phénomènes variant par leurs signes et leur intensité selon les idées qui sont à leur origine. Dans le nombre dé ces autres manifestations avec émotion, j'en citerai seulement quelques-unes qui sont très connues et qui se produisent pendant la veille chez la plupart des hommes. Ce sont, d'un côté, les sentiments de surprise, de joie, d'admiration, d'amour, de contemplation religieuse, etc. : passions attractives par excellence ; de l'autre, les sentiments poignants et sombres d'indignation, de colère, de peur, de haine, etc. : passions essentiellement répulsives.

Ces manifestations de divers états passionnels de l'esprit humain en idée fixe, que je viens de signaler, continuent la chaine qui, des plus simples d'entre elles aux plus élevées, les rapproche de leur type physiologique : le sommeil, état dans lequel on peut facilement les reproduire toutes par affirmation. Dans le sommeil, on retrouve des signes de chacune d'elles : idées fixes, au pôle passif; et au pôle actif, par contre-coup : isolement, immobilité, insensibilité, mouvements irrésistibles, stigmates, oubli, etc., tous signes qui les caractérisent plus ou moins en partie. Le sommeil en est véritablement la forme primitive. Et ainsi que dans le sommeil, la volonté, pendant qu'on

est sous le court empire des passions dont je parle, perd du coup son pouvoir pour calmer les idées qui sont à leur base, ou leur imprimer une autre direction. Cette faculté maitresse, la volonté, devenue comme paralysée, ne reprend sa puissance sur les sujets qui sont sous le joug des passions, que lorsqu'elles sont amorties ; mais sous ce joug, ces sujets peuvent y retourner avec autant de facilité qu'ils s'y sont mis, car le chemin en reste toujours ouvert.

Tant que, dans les états passifs analogues au sommeil, cette disposition de s'affirmer ou de recevoir des idées fixes, émotives ou non, ou ayant peu ou beaucoup de répercussion sur les organes ; tant que cette disposition dure peu, on dit que les personnes qui la partagent sont encore en état physiologique de santé. Mais, s'il arrive que la volonté de ces personnes perd davantage de son ressort, se détend tout à fait même et ne peut se ressaisir dans ses mouvements pensants, comme elle le faisait auparavant ; si les idées qui s'élaborent alors au cerveau ne demeurent plus en harmonie, par leurs effets, avec les autres pensées cérébrales et les fonctions des organes ; si surtout, ces idées restent toujours comme solitairement entourées de l'auréole de l'émotivité, on dit que les états qu'elles suscitent, la volonté étant continuellement diminuée ou absente, sont anormaux ou morbides.

Parmi les états passifs qui restent, en général, contradictoires à ce qui se passe dans l'état normal de santé, veille ou sommeil, il en est peu, en ce qu'ils sont, qui soient déterminés par une idée fixe non accompagnée de l'élément émotionnel. On cite cependant des hommes, assez bien équilibrés du reste, qui, malgré leur volonté, entière sous tous les autres rapports, sont devenus incapables d'écrire quoi que ce soit, de prononcer certains substantifs; qui, en parlant, énoncent des mots dont le sens est opposé de ceux qu'ils veulent articuler et qui, enfin, restent les yeux dirigés continuellement sur une même partie de leur corps, sans pouvoir en éloigner l'idée de leur esprit (1). Et quelques-uns demeurent des années sous la dépendance d'une telle tyrannie.

Mais, en dehors de quelques cas rares, tels que ceux dont je viens de parler, les folies partielles du même genre que j'ai observées ont été plutôt émotives, et le contre-coup, de surprises, d'impressions idéales vives. C'étaient des mutités, des

I. Voyez mon ouvrage : Thérapeutique suggestive, p. 8. (note), et p. 103 et 108. — Paris, 0. Doiu, place de l'Odéoo, 8, 1891.

paralysies d'un seul ou plusieurs membres, des impossibilités d'avaler certaines choses, des tremblements, de l'aboulie, des phobies, etc., toutes choses en rapport avec l'idée fixe et unique de leurs causes.

Je viens de citer l'aboulie. Je m'y arrête quelque peu : elle est la plus remarquable des maladies de la volonté, en ce qu'elle montre parfois l'absence complète de cette faculté, sans mélanges de symptômes hétérogènes. Elle est caractérisée par le manque presque absolu de pouvoir faire des efforts de volonté pour agir ou pour résister à une impulsion donnée. Déjà, chez des personnes saines d'esprit, capables d'attention réfléchie et capables même de se déterminer et d'agir dans les choses les plus usuelles de la vie, on la trouve en voie de formation et prête à éclore. Tant que ces personnes vivent dans un entourage paisible; que leur moral n'est pas exposé à subir l'assaut d'une passion quelconque, elles restent à peu près saines d'esprit, et même l'on peut dire que leur tendance à céder facilement aux impulsions qu'on leur donne, conjure souvent le mal qui les menace ; elles plient alors et ne se brisent pas. Mais pour peu qu'il se produise, chez elles, un trouble émotionnel quelque peu durable, un choc mental violent, leur peu de fermeté pour se décider à agir disparait, et, de l'état physiologique où elles étaient inassurées, elles descendent vers l'état pathologique et s'y laissent glisser jusqu'au bout.

On voit des personnes être affectées longtemps d'une assez grande inertie de la volonté, sans qu'il s'y mêle d'autres signes marquants de folie; mais le plus souvent l'aboulie accompagne l'aliénation mentale dans toutes ses formes, soit qu'il y ait arrêt imprimé à la pensée, soit qu'il y ait impulsion. On la trouve à un haut degré, au point d'en masquer les autres symptômes, dans la stupidité, l'enfance sénïle, la folie circulaire, etc.

J'ai trouvé l'aboulie, dans ces dernières années, presque entièrement pure et débarrassée de tout autre alliage de folie, chez une femme très impressionnable qui, à la suite de la mort de son mari, il y avait 7 mois, vint me consulter parce que, depuis ce malheur qui l'avait accablée, elle s'était laissé aller dans une dépression mentale qui ne lui permettait plus de se déterminer pour beaucoup de choses usuelles de la vie, et de résister mêmes aux propositions les plus indélicates. Sous tous les autres rapports elle ne présentait d'insolite qu'une tristesse inquiète. Un de mes anciens clients auquel elle accordait

une confiance méritée, lui conseilla de venir me trouver, assurant quelaméthode thérapeutique que j'employais, la débarrasserait de son infirmité morale. Ce qu'elle fit. Je fus confirmé dans la véracité de ses dires et de l'existence réelle de son mal, en ce qu'immédiatement, pendant que je lui adressais la parole et sans que je la prévinsse de ce que je faisais, l'un de ses bras resta en position cataleptique, dès que je l'eus soulevé, et en ce qu'aussitôt elle s'endormit par simple affirmation de ma part. Mes suggestions lui furent-elles utiles ? Je ne le sais, ne l'ayant jamais revue.

Mais on s'arrête rarement à ces premiers degrés sur la route des formes morbides des états passifs. Dès que les sujets sont sous le coup d'une impression mentale, intense ou prolongée, et si ces sujets appartiennent à la catégorie des personnes ayant peu de volonté et beaucoup d'impressionnalité, il n'est pas rare de voir survenir sur eux des accès d'hystérie, d'épi-lepsie, etc., et des formes diverses de maladies mentales, à la suite d'une grande colère, d'une frayeur excessive, de blessures froissantes, d'amour propre, de chagrins prolongés, de sentiments religieux exagérés, etc. Sous le poids de telles afflictions, le ressort de leur volonté se détend et ils deviennent incapables de s'arrêter sur la pente où ils sont disposés à glisser. Et ces états pathologiques passifs, plus haut nommés, découlent eux-mêmes, ce que nous avons constaté, des états passifs physiologiques qui en sont des formes toutes préparées et qui dérivent du sommeil : il n'en sont que des manières d'être diversifiées. Le sommeil, qu'on peut appeler : folie physiologique, est avec la veille, au point de vue psychique, la manière d'être la plus considérable de l'esprit pensant. En détail, il renferme et peut renfermer, dans ses manifestations, la plupart des phénomènes des états passifs, naturels et morbides. Par son caractère le plus irréductible, l'accomplissement ou l'anéantissement de la volonté que ces états présentent tous, le sommeil se les relie, et par lui, ils sont, morbides ou non, comme des membres plus ou moins éloignés d'une même famille.

IV

Dans ce qui précède, on constate que la veille, au point de vue essentiellement psychique, est d'abord, dans l'organe pensant, l'expression de l'attention spontanée, de l'attention réfléchie et de la volonté sur les impressions des sens converties

en sensations, puis en idées simples et composées ; on constate ensuite que la veille est en définitive l'expression de l'attention et de la volonté en mouvement par l'élaboration et le remuement des idées : comparaison, raisonnement, etc. De même, dans ce qui précède, on constate aussi que le sommeil et les états passifs, à leur tour, sont des effets du ralentissement ou de l'arrêt de tous les mouvements pensants de la veille. C'est que, pour cela, il s'est porté au cerveau une accumulation de forces nerveuses sur une ou plusieurs idées fixes, d'où, par suite de cette dérivation, il arrive que, partout ailleurs dans l'organisme, l'attention spontanée perd de son acuité ; l'attention réfléchie ou de choix, de sa liberté ; et qu'enfin, ni l'attention ni la volonté ne sont plus, comme dans la veille, des causes aussi actives de pensées, de jugements, de déterminations et d'actes.

On constate enfin, par-ce qui précède, et j'insiste sur ce point, que l'attention appliquée par quelqu'un pour faire naître sur autrui, soit le sommeil, soit ses dérivés, et cela par la présentation à l'esprit des idées qui sont à la base de ces états et les forment; on constate que cette présentation que l'on appelle la suggestion, n'est autre chose qu'un moyen opératoire, ou plutôt, un procédé pour déterminer, par l'action du moral sur le physique, non seulement le sommeil et quelques autres états passifs, mais encore un moyen, pendantle cours de ces mêmes états, pour produire, par une semblable réaction de l'esprit sur le corps, des effets physiologiques importants ou des effets curatifs. Dans ces cas, on a donné à ce mode opératoire, ou mieux, à ce mécanisme psychique, le nom de suggestion hypnotique.

Si, au contraire, la suggestion est formulée par quelqu'un qui, à son su ou à son insu, l'applique sur lui-même, comme le fait le dormeur ordinaire lorsqu'il s'endort, et ainsi qu'il arrive à tous ceux qui tombent d'eux-mêmes dans certains états passifs naturels ou morbides, on la nomme auto-suggestion.

Ces deux modes si connus d'agir sur l'esprit des autres ou sur le sien, — l'un appelé suggestif, l'autre auto-suggestif, — dans ce qu'ils ont et dans ce qu'ils créent, le second surtout, n'apportent rien de nouveau sous le soleil de la science : le sommeil, les états passifs se sont toujours formés par les mêmes procédés, depuis que le monde est monde. Et même, à la base des phénomènes passifs ainsi produits, on reconnaît le même mécanisme que celui par lequel, dans la veille, grâce

à la force d'attention, on amène, par ses efforts propres, la formation des impressions des sens et des sensations, des idées, des jugements et des actes volontaires. Or, si c'est par une sorte d'auto-suggestion que l'on accomplit tous les actes psychiques de la veille, et s'il est raisonnable d'annoncer urbi et orbi, qu'il n'y a pas d'hypnotisme, mais seulement de la suggestion, il est aussi raisonnable dédire, àproposdes autres états idéaux passifs, qu'il n'y a, en ce qu'ils sont, que de l'autosuggestion; et il est a fortiori aussi raisonnable, à propos de la veille, d'affirmer encore qu'il n'y a pas d'état de veille, chez les gens éveillés, mais uniquement de l'auto-suggestion, ce qui est de plus en plus absurde.

Ces trois modes d'agir: suggestion hypnotique, auto-suggestion dans la production du sommeil ordinaire et des états passifs, eclosión auto-suggestive de la pensée pendant la veille, tous trois se produisant par un appel d'attention sur des idées en formation ou formées, ne sont autres choses que des expressions diversifiées d'un même mécanisme. Ce mécanisme est donc à la base des phénomènes psychiques des sommeils ordinaires et provoqués, et à la base des phénomènes psychiques des états passifs autres et de l'état de veille. Et les mots : hypnotiser, faire l'affirmation, s'auto-suggestionner, actionner le cerveau pensant, etc., ne sont que des expressions ayant une signification analogue à celle des mots : suggérer; peut-être sont-elles moins actuelles et moins précises.

14 septembre 1894.

EXPÉRIENCES MÉDIANIQUES DE VARSOVIE

(suite)

Dans la troisième catégorie des phénomènes, — ceux qui ont été observés dans l'obscurité — M Reichman classe, outre l'expérience avec sa planchette à charnière, en premier lieu les attouchements des assistants. Il affirme qu'ils sont exécutés par la main du médium délivrée de contrôle, et donne la description suivante de cet artifice (N° 18): « Ayant senti l'absence momentanée de la main d'Eusapia sur la mienne, lorsque j'exerçais le contrôle, je me suis posé deux questions à examiner à fond : d'abord, si je perds ou non, fût-ce pour un

brin de temps, l'impression du toucher des doigts d'Eusapia, — et si je la perds, l'impression de ma peau reste la même avant et après le moment d'absence de ces doigts. Eh bien, j'ai constaté, avec la sûreté et la netteté complètes, la série suivante des phénomènes : Eusapia exécutait, comme ordinairement, de sa main sur la mienne, divers mouvements, et'il arriva enfin un moment, où je n'avais sur ma main que les bouts de ses doigts, qui jouaient comme sur le clavier. Puis les doigts se calment pour un certain temps, et presque simultanément a lieu l'attouchement, puis un court moment où je ne sens pas les doigts sur ma main, et enfin je sens les doigts, qui ont un autre toucher, beaucoup plus froid, et qui touchent ma main par une surface toujours croissante jusqu'à ce que je sente la main tout entière sur la mienne. — Je m'explique donc les attouchementa de la « main de John » de la manière suivante : Eusapia tient sa main sur la mienne ; manipulant de diverses façons, elle retire vers elle la paume et ne laisse que les doigts ; elle en joue, les lève et ne laisse sur ma main que les bouts. Pendant les premières manipulations, elle approche les mains des contrôleurs, elle peut donc laisser sur la main du contrôleur de droite sa paume, ou lui donner à tenir sa main, un peu avant la paume, et remplacer par les doigts de cette main droite les doigts de sa main gauche sur la main du contrôleur de gauche, qui ne peut point distinguer les uns des autres. La main gauche, ainsi délivrée, frappe le contrôleur ou lui retire sa chaise, et puis retourne sur la table. Alors les doigts de sa main droite quittent la main du contrôleur de gauche ; il y a un intervalle très court où il n'y a point de doigts, puis les bouts des doigts de la main gauche remplacent ceux de la droite, et, en jouant, Eusapia pose peu à peu sa main entière sur celle du contrôleur. — Je ne pourrais pas dire si je n'avais pas sur ma main les doigts de la main de l'autre contrôleur, au lieu de ceux de l'autre main d'Eusapia ; les expériences avec plusieurs personnes m'en montrèrent la possibilité. — Les doigts qui retournaient sur la main du contrôleur étaient plus froids, grâce à l'évaporation, qui pouvait être assez intense, car les doigts étaient toujours échauffés et suaient même, et le temps nécessaire pour frapper le voisin pouvait être de quelques secondes. »

Quant aux points lumineux, M. Reichman en a vu deux types (N° 19). « Une fois, tout près, au-dessus de la table, se montre comme une perle de couleur bleuâtre, de forme ovale, ressem-

blant, de forme et de dimension, à un fruit de l'épine-vinette, aux contours très distincts ; elle avait au bord supérieur comme un segment, limité par une ligne oblique plus sombre. J'ai conclu que c'était une bulle de verre, fermée en haut par du verre fondu et refroidi, qui réfracte la lumière autrement que les parois du tube. M'étant procuré de la solution de phosphore, j'ai constaté que ce liquide, dans un tube préparé dans ce but, provoque l'illusion d'une flamme errante. Une autre fois, j'ai vu une lumière plus grande, moins brillante, aux contours moins distincts et portant comme le dessin de petits filets sur un fond plus sombre. Elle pouvait provenir de la solution déjà épuisée qui aurait coulé sur les parois du vase comme l'anneau du vieux vin. » — M. Ochorowicz remarque (N° 24) que cela n'explique pas les lumières brillantes et de couleur dorée ou rouge, et que la feuille ne révéla la présence d'aucuns vases ni tubes.

Enfin, pour le dernier phénomène observé dans l'obscurité, le souffle froid, M. Reichman penche à le considérer en par- tie comme une illusion des sens ; et, tout en avouant qu'il n'y a pas assez de preuves pour affirmer l'intervention de la bouche d'Eusapia, déclare que l'effet serait le même si quelqu'un soufflait de la bouche ; il le fit une fois, et plusieurs assistants prirent le vent produit pour le souffle médianique (N° 19). — M. Ochorowicz lui oppose le souffle sortant de la tête d'Eusapia, qui ne souffre pas cette explication.

La simple comparaison de la partie ci-dessus de notre travail avec la précédente fait voir que M. Br. Reichman ne donne aucune explication et ne parle même point des phénomènes suivants : les changements dynamométriques, lorsque le médium ne touche pas la table ; les lévitations de table dans les mêmes conditions, et les lévitations avec l'appareil contrôleur électrique ; les mouvements d'une table éloignée ; les attouchements, lorsque les mains du médium sont contrôlées à l'aide d'une disposition électrique, la lumière d'une lampe électrique éloignée; la matérialisation de main ; divers sons; la lévitation du médium sur la table ; l'écriture à distance. Plusieurs de ces phénomènes ont été observés et décrits avec force détails par des observateurs sérieux et sans contradiction entre eux. Un grand nombre des observateurs n'admet pas dans un grand nombre de cas l'application des hypothèses de M. Reichman ; ainsi, M. Prus-GIowacki considère comme incontestablement dus à une cause non mécanique : les lévitations de la table, les attouchements, les soulèvements des

meubles sur la table ; le Dr Higier : les mouvements de la sonnette à l'archet, le nuage phosphorescent sur le mur, les lévitations des tables, les attouchements simultanés de deux contrôleurs; M. Szadkowski : la lévitation, le mouvement du rideau qui enveloppe la tête d'un des assistants, le nuage ; le Dr Watraszewski : les attouchements et la plupart des mouvements des objets éloignés ; même le sceptique Dr Heryng dit qu'il y a deux phénomènes encore inexpliqués pour lui, ce sont : la lévitation complète de la table dans les bonnes conditions du contrôle, et la lévitation partielle des tablettes à écrire derrière le rideau. ( « Compte-rendu », Opinions.)

D'autre part, presque tous les membres des séances ont constaté l'existence des mouvements suspects du médium, mouvements dirigés vers le but de l'expérience donnée ; etdans le cas de l'épingle destinée à soulever la planchette, l'intention de tromperie est presque évidente de la part du médium. Faut-il en conclure que le reste des phénomènes est également l'effet d'une tromperie, qui tôt ou tard sera découverte ? -Quoiqu'un certain nombre d'observations de M. Reichman véritie les hypothèses exprimées a priori par M. Moll, pourtant une conclusion pareille ne me semble pas juste à cause des observations, dont le contrôle a été absolument sûr. Il me semble, que plutôt ceux sont dans le vrai, qui, comme les Drs Higier et Harusewicz avec un nombre considérable d'autres observateurs, reconnaissent la réalité (et une cause autre que mécanique) des phénomènes médianiques, mais se rendent pourtant compte de la tromperie sporadique exercée par Eu-sapia, pour la plupart inconsciemment, mais parfois même en toute conscience.

Pour faire comprendre la possibilité des mouvements involontaires du médium ayant l'apparence de tromperie, il me faut résumer ici la théorie des faits médianiques, exposés par M. Ochorowicz dans l'Hebdomadaire Illustré, et passim dans ses derniers articles du Courrier de Varsovie ; le résumé sera le plus succinct possible.

M. Ochorowicz partage manifestement l'avis de Lombroso, exprimé dans la Revue de l'Hypnotisme, que « dans le média-nisme il faut étudier, comme dans la névropathie, comme dans la criminologie, comme dans l'hypnotisme, le sujet plus que le phénomène, et on en trouvera l'explication plus exacte et moins merveilleuse qu'on ne croyait tout d'abord. » Il affirme que les phénomènes médianiques pourront dans l'avenir être incor-

pores dans les phénomènes hypnotiques et magnétiques, comme leur branche spéciale. Sans cacher que toute sa théorie n'est que le premier pas dans ce domaine difficile et peu connu, il part de l'affirmation, que la pensée, quoi qu'elle soit par elle-même, est en même temps un mouvement de l'éther, et comme l'éther n'est pas limité par la surface du corps, par conséquent la pensée doit produire des traces hors du corps, dans l'éther. En généralisant, on peut dire qu'à chaque pensée A corresdond un état A de l'éther; à cette corrélation M. Ochorowicz donne le nom de l'idéoplastie cosmique ou physique. Chez des individus atteints de certaines anomalies psychiques on peut constater une série de phénomènes que l'auteur range les uns après les autres pour conduire le lecteur par les grades du miracle apparent jusqu'à l'idéoplastie physique. Il les appuie par des exemples de sa propre pratique hypnotique ou rapportés par d'autres écrivains. Ainsi : 1° l'image mentale peut voiler la réalité; 2° l'image peut recouvrir la réalité d'une illusion; 3° l'image peut lier l'illusion à la réalité, comme si l'illusion laissait des traces sur la réalité (la malade somnambule qui reconnaissait entre plusieurs feuilles semblables de papier celle où on lui avait suggéré la présence du portrait de M. Char-cot) ; 4° l'image actériorisée (l'hallucination) peut être modifiée sous l'influence des facteurs physiques (la vue d'un oiseau imagi-naire.et puis de deux oiseaux après l'interposition d'un prisme : expérience du Dr Féré); 5° les idées, les sentiments, les instincts d'une personne laissent des traces sur l'objet sur lequel son attention a été longtemps fixée, ou qu'il a porté longtemps sur lui (expérience de M. Ochorowicz, psychométrie de Korner/Denton). Il ne faut maintenant qu'un pas pour admettre que l'image cérébrale peut, dans de certains cas exceptionnels, se réaliser avec toutes les apparences de la réalité : que, par exemple, l'idée du son peut produire un son ; l'idée de la chaleur, la chaleur elle-même, etc. Cette supposition n'est d'ailleurs, selon M. Ochorowicz, qu'une conséquence particulière d'une loi générale, formulée par lui dans un travail intitulé : « La force considérée comme mouvement ('} et appelée loi de réciprocité, savoir : si dans certaines conditions la force A peut causer la force B, réciproquement, dans certaines autres conditions, la force B peut causer la force A, loi vérifiée dans un grand nombre de cas (mouvement — chaleur, procédé chimique — lumière, paroles

(1) Ateneum (revue mensuelle) Varsovie, an 1879, septembre, décembre.

— signes mécaniques (1), mouvements — lumière (2), — et pouvant être élargie en cas encore hypothétiques.

Cette condition exceptionnelle, nécessaire pour la réalisation de Tidée, c'est l'état pathologique d'une personne, nommée « médium », l'état, connu dans le spiritisme sous le nom de la transe, et qui n'est qu'un état particulier de l'hypnose, se distinguant par les qualités suivantes : Io il apparaît et disparait spontanément, sans intervention d'une personne étrangère ; 2° il est très inconstant et variable ; 3° il épuise toujours les forces du médium; 4° il est plutôt actif que passif; 5° il agit hors des limites du corps du médium. Pour justifier cette dernière hypothèse, M. Ochorowicz rappelle les cas où les hystériques et les hypnotisés se montrent sensibles à distance, ne peuvent pas supporter la présence de certaines personnes, etc., ce qui suppose une certaine extériorisation. Rappelant l'existence de toute une sphère de mouvements inconscients, qui sont étroitement liés avec la conscience de l'homme, et le fait que, dans l'état mondidêique chez un hypnotisé — l'idée perdant ses associations psychiques, retrouve ses associations organiques (les contractions des muscles du larynx, de la bouche, de la langue) et se manifeste, par exemple, par la répétition des paroles entendues, — il suppose que lorsque l'idée, à cause de l'insensibilité passagère du corps, qui caractérise l'état de transe, perd même ses associations organiques, elle peut retrouver alors ses associations cosmiques ou physiques. Dans ce cas, l'idée du bruit provoquera dans l'air environnant le médium les mêmes vibrations, auxquelles elle avait été fréquemment associée dans l'acte de la perception, et on aura l'association idéo-dynamique ou l'idéoplastie physique.

On connaît, grâce aux récentes recherches psychiatriques, les phénomènes du dédoublement de la personnalité : on a même décrit les cas. où il se formait plus de deux personnalités différentes et indépendantes dans une personne physiologique. C'est par un procédé analogue que M. Ochorowicz explique la formation des soi-disant « esprits » chez les média, comme par exemple, le « John Kir.g » d'Eusapia. Une partie des inconscients mouvements pyscho-physiologiques, provoqués par diverses impressions cueillies dans le cours de la vie du médium dans des sources différentes, se réunit par une certaine

(1) Phonautographe de Scott et phonographe d'Edison.

(2) Radiomètre de Crookes.

auto-suggestion en un personnage imaginaire Ce personnage, ce sosie médianique, se distingue des personnalités artificiellement ou pathologiquement formées chez les hystériques et les hypnotisés, parce que son caractère psychique est beaucoup moins déterminé et subit des changements considérables sous diverses influences, mais en récompense, en vertu de l'idéoplastie physique, il peut prendre une forme visible, il peut se matérialiser, M. Ochorowicz va même plus loin : il admet qu'en général l'organisme humain est double, qu'oi'dinairement ses deux formes : la forme charnelle et la forme éthérique, coïncident, mais qu'à l'état de trance la deuxième peut se détacher de la première, qui reste alors plus ou moins inanimée; le degré d'insensibilité médianique dépend justement du degré de cette division de deux formes de l'organisme. Ce sont les parties éthériques du corps du médium, détachées de ses formes charnelles, qui, dirigées par la volonté suggérée ou auto-suggérée au médium, exécutent les travaux mécaniques compris dans le répertoire des productions médianiques.

Or, cette division des deux formes de l'organisme ou de ses parties, est un acte anormal, un symptôme maladif, qui cause au médium une douleur d'autant plus intense que la division est plus complète et que la forme éthérique doit s'éloigner plus de la forme charnelle. Il est donc bien naturel que le médium, qui doit subir cette division, tend à l'adoucir et à s'épargner le plus de douleurs possible à l'aide des mouvements involontaires et instinctifs exécutés par ses membres charnels dans la direction où doit se rendre son membre éthérique détaché du corps. Le soupçon de la tromperie est ici tout indiqué pour un observateur superficiel ; mais celui qui veut approfondir la question remarquera à l'aise que souvent, par exemple, malgré le mouvement du genou vers la table que le médium doit soulever, il reste, au moment de la lévitation, un intervalle entre le genou et la table, et que la même chose a lieu dans beaucoup de cas. Il y a, selon M. Ochorowicz, un passage graduel entre les phénomènes purement mécaniques et purement médianiques ; pour obtenir ces derniers complètement purs, il faut exercer un contrôle précautionné, mais systématique,

(1) Je regrette de ne pas pouvoir répéter ici la très intéressante généalogie psycho-physiologique de John King, exposée par M. Ochorowicz. Je crois pourtant non seulement devoir, mais aussi pouvoir me résumer, car il me parait probable que M. Ochorowicz incorporera la grande partis de son intéressant travail de t Hebdomadaire Illustre, dans son livre français qu'il promet de publier. Sans cela ce travail resterait inconnu au public européen.

qui ne permette au médium de se servir de ses membres pour exécuter les phénomènes ; alors la division se produira et les membres extériorisés et souvent même matérialisés à l'extérieur du corps les exécuteront. Ceci fut même un point de controverse entre les convertis avec M. Ochorowicz en tête, et les sceptiques, qui, remarquant un mouvement suspect, laissaient Eusapia faire, pour la prendre ensuite en flagrant délit, — ce qui d'ailleurs ne réussit pas.

(A suivre.)

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 16 Juillet 1894. — Présidence de M. Domontpallier.

Hypnotisme et Religion

par M. le Dr F. Regnault.

Depuis que les phénomènes hypnotiques sont devenus de connaissance vulgaire, on a, à différentes reprises, voulu expliquer plusieurs passages de l'histoire vis-à-vis desquels la critique scientifique était jusqu'alors restée désarmée.

Charcot, un des premiers, a montré que les phénomènes convulsifs (danse de Saint-Guy, épidémie des convulsionnaires, etc.), qui éclataient aux époques de surexcitation religieuse du moyen âge, dépendaient de l'hystérie (Voir les Démoniaques dans l'art, 1887). Ses élèves, Gilles de la Tourette et Richer, par de curieuses recherches, ont élucidé plusieurs points jusqu'alors obscurs de l'histoire religieuse. Tout récemment, M. Henri Meige, dans un travail sur les p'ossédés des Dieux dans l'Art antique (Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1894, ?1), est remonté plus haut et a étudié le rôle de l'hystérie dans les religions grecque et romaine (ménades en délire, accès d'hystérie à l'occasion des mystères et des fêtes). Nous-même avons recherché dans un travail publié ici le rôle de l'hystérie dans la genèse des miracles, nous appuyant sur les faits miraculeux qui surviennent encore de nos jours à Lourdes.

Nous voulons aujourd'hui donner de ces faits une idée plus générale et embrasser le rôle de l'hypnotisme dans l'histoire religieuse en général.

L'hystérie explique à la fois :

1° Gomment peuvent se produire certains miracles. La conviction,

f

une parole dite avec autorité suffit pour guérir les paralysies, les léthargies et tous les symptômes qui relèvent de l'hystérie ;

2° Le courage et l'insensibilité dont ont fait preuve plusieurs martyrs ;

3° Les accès convulsifs ou d'extase qui surviennent chez les prêtres ou les fidèles dans certaines cérémonies religieuses.

Nous avons déjà développé le premier point. Considérons plus spécialement le second et le troisième.

Insensibilité des martyrs. — Bêtes féroces domptées.

L'histoire des martyrs au début du christianisme abonde en faits qui prouvent que souvent l'hystérie amena une insensibilité que l'on regardait comme un attribut céleste. Citons entre mille le martyr de sainte Tatienne dont on déchire le corps avec des ongles de fer. « Son corps délicat se trouve bientôt couvert comme d'un voile de pourpre, mais, quelques instants après, les blessures disparaissent. » Qui ne sait que dans l'hystérie les blessures saignent peu ou prou. Puis « elle se promène au milieu des flammes en louant le Seigneur. » Ou encore sainte Théodosie qui, sur le chevalet où on la torture, ne laisse échapper ni plaintes ni soupirs ; « son visage semble s'illuminer d'une joie céleste. » Et saint Laurent sur son gril, etc., etc.

Tous ces faits s'expliquent admirablement par l'anesthésie.

Ce qui n'a pas moins excité l'admiration, est l'attitude des botes féroces vis-à-vis des martyrs. Souvent au cirque les animaux n'osaient les toucher. Ainsi la même sainte Tatienne renouvela l'exploit de Daniel dans la fosse aux lions.

Il faut s'en rapporter à ce que l'on a écrit sur l'art du dompteur pour trouver l'explication de ces miracles. Almezeuil, qui a publié un traité sur ce sujet en 1866, prétend qu'on agit sur les animaux en leur donnant un excès de nourriture à laquelle on mêle certaines drogues débilitantes. « Mais, dit-il, le procédé le plus sûr est encore le sang-froid et le courage.

« Labéte féroce attribue à une force sûre d'elle-même l'audace qui fait qu'on la brave. Elle éprouve une sensation d'étonnement et de surprise craintive. » Et il dépeint le dompteur qui s'avance d'un pas ferme, aborde la cage, en frappant sur les barreaux un coup brutal avec la canne qu'il tient à la main. Il entre résolument, brusquement et frappe à tort et à travers sans pitié, sans merci...

L'homme sort à reculons ne quittant pas du regard les bètes féroces qu'il a plus surprises que maîtrisées.

J'ai cité le passage pour montrer l'importance que l'auteur attache à ne pas quitter du regard l'animal dompté. On prétend même que certains se dilatent la pupille avec de l'atropine pour rendre le regard plus étrange. Il y a donc là un véritable fait d'hypnotisme; l'animal bravé a peur. Il faut en rapprocher l'histoire citée par Pline.

« Dans un spectacle, dit-il, qui fut donné au cirque, on vit la férocité de l'animal tomber comme par miracle quand on lui couvrit la téle; il se laissa lier sans résistance, toute son énergie étant dans l'œil. »

Sans doute les animaux féroces auxquels on livrait les martyrs étaient souvent à jeun, ce qui serait une mauvaise condition. Néanmoins elle n'est pas absolue car (V. Dict. Larousse, article Dompteur) certains croient que a les dompteurs privent les fauves d'aliments et les polluent. »

En tous cas, l'attitude énergique et calme des martyrs a dû souvent faire reculer les fauves.

Hystérie et pratiques religieuses

Abordons la troisième partie de cette étude, le rôle de l'hystérie dans les pratiques religieuses.

Il n'est peut-être pas de religion, depuis la plus rudimentaire des sauvages les plus grossiers jusqu'à la plus évoluée et la plus noble, où l'hystérie n'ait joué un rôle. Les recherches qu'ont faites Charcot, Richer et Meige au moyen âge et dans l'antiquité, on pourrait les faire chez toutes les races qui habitent notre globe.

On retrouve la triade des attaques hystériques, convulsions, catalepsie et léthargie, chez les prêtres et les fidèles de tous les cultes.

1° Léthargie. — La léthargie était considérée autrefois comme une véritable mort. Il y avait pour les Grecs une véritable erreur des Parques. Un certain Antillus étant mort, nous dit Plutarque, descendit dans l'Adès, mais il fut aussitôt renvoyé dans le monde des vivants. Les conducteurs qui l'avaient amené reçurent une semonce sévère; envoyés pour se saisir du corroyeur Nicandas, ils s'étaient trompés.

Fait singulier, la même opinion existe encore chez les Bouddhistes. La léthargie y est aussi regardée comme une méprise volontaire ou non du roi des enfers. Dans un conte annamite, une femme de Sadec meurt. Après une nuit de catalepsie, la femme revient à elle et rapporte que le (ils du roi des enfers l'a renvoyée sur la terre. Dans un autre récit d'origine taciste, un homme revient sur la terre après avoir été sévèrement réprimandé aux enfers.

Aux Indes, la pratique de la léthargie serait devenue un véritable art chez certains brahmes. On connait ces étranges histoires de brahmes qui, par un lent exercice, arrivent à ne plus boire ni manger et à ne plus presque respirer. On les met au tombeau plusieurs jours, peut-être des mois, puis on les fait revenir lentement à la vie.

Il y a probablement de l'exagération dans ces récits, mais avec un fond de vérité. On cite en France des cas de lélhargie prolongée pendant de longs mois et des années, la malade, il est vrai, étant alimentée par son entourage.

2° Convulsions et catalepsie. — Plus universel est le rôle joué par les attaques convulsives et la catalepsie. Pour parvenir à cet étal qu'ils

considèrent comme bienheureux, les fanatiques de toutes les religions ont recours à des procédés multiples, dont les médecins ont tout récemment expérimenté quelques-uns, mais dont ils ignorent encore un grand nombre.

Dans la religion musulmane, les derviches recherchent les attaques hystériques.

Théophile Gautier, dans son livre sur Constantinople, en décrit deux sortes : les tourneurs et les hurleurs.

Les derviches tourneurs tournent infatigablement sur eux-mêmes : « quelquefois leur tète se renverse, montrant des yeux blancs, des traits illuminés, des lèvres ontr'ouvertes par un sourire indicible et que trempe une légère écume, d

« Les hurleurs forment une chaîne en se mettant les bras sur les épaules, se lancent ensemble en avant, puis reculent d'un pas, en tirant de leur poitrine un hurlement rauque et prolongé ; les yeux brillent, une écume épileptique mousse aux commissures des lèvres, les visages se décomposent et luisent lividement sous la sueur. »

Pour arriver à l'insensibilité et se blesser et se mutiler, les Tissaouas dansent et crient; ils marchent sur les mains et les genoux et imitent les mouvements de la béte. Ils dépècent les animaux vivants et en mangent les morceaux palpitants, comme faisaient les Grecs aux fêtes de Dijonynos (V. Meige).

Chez les Monçols, la religion chamane n'est guère composée que de pratiques hystériques. Les chamans ou prêtres sont bizarrement attifés, chargés de sonnettes et de ferraille. Us opèrent en battant du tambourin magique et fixent en sautant et hurlant une ouverture pratiquée dans la partie supérieure de la hutte ou de la tente. Ces exercices les font tomber en catalepsie, accident tenu pour très heureux. C'est surtout après ces attaques que les chamans peuvent sûrement rendre des oracles.

Dans le nord de la Chine, mêmes exercices sont pratiqués par une sorcière pour faire l'évocation des morts.

Au bruit des tambours, dans une chambre éclairée par de grandes chandelles et à côté d'une table où se trouvent des viandes et des gobelets de vin, une jeune femme soutenue par deux hommes se livre à une danse particulière. Elle ne tarde pas à entrer dans un état d'exaltation difficile à décrire, prononce des paroles incohérentes et tombe épuisée sur le sol quand on cesse de la soutenir ; elle a alors les yeux hagards et le système nerveux violemment surexcité. Puis elle se lève, appelle les parents défunts et les interroge. Les assistants observent son visage, si elle est triste ou souriante, et lui posent des questions auxquelles elle répond comme si elle était l'écho des défunts.

Chez les Romains existait une pratique analogue (Bouinais et Paulus, Bibl. Guimet, 73) et citait par les crises hystériques que se faisait l'évocation des morts. Lucain, dans sa Pharsale (p. 580), montre l'évo-

cation d'un soldat romain par une mégère sur l'ordre de Sextus, frère de Pompée, qui veut connaître le résultat de la bataille de Pharsale.

Les sauvages les plus inférieurs ont souvent des sorciers dont le rôlo est de faire des présages dans des accès hystériques.

En Polynésie, le prêtre fidgien fixe longuement, au milieu d'un profond silence, un ornement en baleine. Au bout de quelques minutes arrive l'accès convulsif ; le dieu s'est empare de son corps et il rapporte la réponse divine.

Le sorcier patagon lui, bat du tambour et agite sa crécelle jusqu'à ce qu'il soit saisi d'une attaque d'épilepsie.

Chez les Veddhas de Ceylan, il danse jusqu'à ce qu'il soit pris de vertiges ou de folie.

Les Néo-Calédoniens sont très hystériques. Pendant les sermons des missionnaires, il n'est pas rare de voir des femmes indigènes tomber dans des accès délirants qui parfois se propagent par contagion imita-tive. Les sorciers sont nombreux dans cette ile, et les plus estimés d'entre eux ont publiquement des accès de délire extatique, après lesquels ils rendent compte de leur vision. « Mon cœur, disent-ils, était parti, j'ai vu le père, le frère d'un tel (mort depuis tant d'années). J'ai vu tels et tels esprits. »

Dans toute l'Afrique, les nègres ne se contentent pas d'implorer leurs fétiches, ils ont des prêtres qui jouent chez eux un grand rôle social. Nous avons vu tout récemment, à Paris, danser et chanter des prêtres dahoméens, couverts d'oripeaux rouges et de verroterie. Ce sont eux qui désignent les coupables, président au jugement de Dieu..., punissent les femmes adultères, etc.

Les nègres sont d'ailleurs très nerveux et impressionnables. Il suffit, rapportent les voyageurs, qu'un homme se croie ensorcelé pour en perdre le boire et le manger, avoir des visions et souvent communiquer sa terreur à tout le village, qui ne peut trouver le repos qu'en immolant le coupable supposé.

Nous avons vu les Dahoméens du Champs-de-Mars, dans une représentation donnée aux membres de la Société d'anthropologie, consacrer et adorer une statue en terre de leurs Dieux. A la fin de la cérémonie, hommes et femmes tournent autour de l'idole, dans une course éche-velée, sous l'œil des prêtres. Quand cette cérémonie se passe dans le pays, toujours, nous a-t-on dit, quelques hommes et femmes tombent alors en convulsions. Ce sont les coupables désignés par le Dieu. Et souvent le fait est exact, car la crainte de l'idole doit, chez eux, favoriser l'attaque hystérique.

Les négresses cherchent dans certaines cérémonies religieuses à se communiquer des accès hystériques. Ainsi, chez les Bakalais (Gabonj, les femmes s'assemblent au clair de lune sur l'ordre donné par le roi de consulter l'esprit Ilogo qui habite dans la lune.

Pendant que, l'une après l'autre, les plus excitables s'efforcent d'avoir un accès extatique, les autres chantent en chœur une invocation à

l'esprit lunaire : « Ilogo ! nous t'invoquons, dis-nous qui a ensorcelé le roi ?... » Pendant ce temps, l'une des femmes réussit enfin à tomber en catalepsie, voit le dieu, et, revenant à elle, peut rassurer la population. Chaque mort est l'occasion de cérémonies analogues.

A l'occasion des funérailles, l'hystérie joue souvent un rôle important. Si on ignore la cause de la mort et qu'elle ne paraisse point naturelle, les deux porteurs de la civière, après invocation du fétiche, courent de çà et de là, la face convulsée, l'air inspiré, et s'arrêtent devant la demeure d'un coupable. Marcel Monnier nous a donné une bien jolie description de cette cérémonie : les porteurs s'arrêtent cette fois près de l'enclos sacré, indiquant que les fétiches seuls avaient frappé la morte.

Parfois l'hystérie conduit les nègres à la lycantrophte et les incite à des actes qui rappellent les histoires de loups-garous du moyen âge.

Dans son livre Askonyoland, Du Chaillu raconte l'histoire suivante :

« Deux serviteurs d'Akondogo avaient disparu. On fit venir un grand sorcier qui accusa Akosko, le propre neveu d'Akondogo. Le jeune homme interrogé avoua que c'était la vérité, et qu'il ne pouvait faire autrement. Car lorsqu'il lui arrivait d'être changé en léopard il devenait avide de sang.

« Après chaque meurtre, il reprenait la forme humaine. Et il conduisit son oncle dans une partie de la forêt où l'on retrouva les corps déchirés des deux hommes qu'il avait tués dans un accès d'hallucination morbide. Il fut brûlé à petit feu. »

Après cela on ne doit plus s'étonner des histoires de possessions par le diable, d'incubes et de succubes qui ont rempli le moyen âge de terreur. D'autres fois, l'hystérique, réveillé après l'attaque, prend pour réels les tableaux qui se son produits dans son esprit pendant l'accès. Si une femme a eu une extase voluptueuse, c'est qu'elle a été en commerce avec le Dieu. Si elle a eu des hallucinations terrifiantes, un esprit malin l'a attaquée Pendant la fête du Serpent, au Dahomey, les danses et les orgies se prolongent toute la nuit, et les négresses croient fermement avoir été possédées par le « Dam. »

Le rôle important du rêve dans les croyances des peuples n'a pas une autre origine. L'hystérique est suggestionnée par son rêve, elle peut être guérie d'une paralysie si elle rêve cette guérison. C'est ainsi que sceur Jeanne des Anges qui accusa Urbain Grandier, fut guérie de pleu-ralgie et de vomissements, nous rapporte Gilles de la Touretle. D'où la généralisation de la croyance à la véracité des rêves.

Moyens de se procurer l'hystérie. — Les accès hystériques ne sont pas toujours faciles à se procurer, et, en certains cas, il ne suffît pas de danses et de cris pour y parvenir. On emploie alors des moyens plus longs, mais plus sûrs.

1° Jeune. — Le jeûne est en honneur dans un grand nombre de religions, et est regardé comme le plus sûr moyen de se mettre en commu-

nication avec la divinité. Les Disions arrivent à la suite des ces jeûnes. Le Groënlandais, dit Tylor, perdu dans la contemplation, amaigri par le jeûne, est secoué à chaque instant par d'horribles convulsions et assiste à d'effroyables scènes : il voit avec épouvante défiler devant lui des figures imaginaires d'hommes et d'animaux qu'il prend pour des apparitions d'esprits.

Certains sujets très hystériques s'exercent à jeûner pour devenir sorciers.

A Haïti, le jeûne constitue la plus grande partie de l'éducation de quiconque se prépare à la profession de sorcier.

Pour devenir magicien chez les Abipones, il fallait s'asseoir pendant plusieurs jours sous un vieux saule au bord d'un lac, et s'abstenir de nourriture jusqu'à ce que le corps et l'esprit, devenus libres et légers,-fussent capables de percer l'avenir. C'est devenu un proverbe chez les Zoulous que le corps que l'on rem-

constamment ne saurait percevoir les choses secrètes. C'est aussi par le jeûne que le yogi hindou se prépare à voir les dieux. Suivant la légende hindoue, le roi Vasava Datta et sa femme, après avoir fait solennellement pénitence et jeûné pendant trois jours, virent en songe Siva et conversèrent avec lui.

Souvent il est difficile de parvenir au grade de magicien, et cela exige un concours qui n'est pas moins difficile que beaucoup de ceux qu'on impose à la jeunesse française.

Chez les Algonquins, le postulant au titre de sorcier, après des jeûnes répétés, raconte ses visions aux vieillards de la tribu qui jugent s'il est doué de prophéties.

Le sorcier australien doit compléter son initiation au monde des esprits, grâce à une extase qui dure deux ou trois jours.

Chez les Eskimos, 11 y a des sorciers vulgaires et d'autres en titre ou angeloks. Ceux-ci s'imposent une initiation volontaire : un temps de retraite, des jeûnes après lesquels ils finissent par avoir des visions, des convulsions.

2° Hérédité. — D'autres fois la charge de sorcier se passe de père en fils. Chez les Chamans, cette profession tend à devenir héréditaire dans certaines familles.

Chez les Zoulous il en est souvent de même, d'après le D' Callaway. Il rapporte des symptômes accusés par un de ces devins. L'homme appartenait à une famille très nerveuse et dont presque tous les membres devenaient sorciers. C'est un poids énorme qui l'accable, des rêves effrayants, des visions qu'il a tout éveillé, des airs qu'il sait chanter sans les avoir jamais appris, une sensation d'un transport à travers les airs. Enfin, parfois, le jeûne ne suffit pas et le devin a recours à des drogues.

3° Bains de vapeur. — Les Peaux-Rouges ont foi aux songes, aux visions de l'extase. Ils jeûnent pour se donner des rêves révélateurs et

cherchent au moyen de bains de vapeur à très haute température à se procurer l'extase de la catalepsie. On ne peut devenir sorcier qu'après des épreuves douloureuses. Chez les Manans le candidat doit subir l'in-serlion de courroies passées sous ses muscles pectoraux et servant à le maintenir à demi-couché, le tronc soulevé au-dessus du sol, pendant qu'il regarde fixement le soleil des heures durant.

4° Remèdes. — Le sorcier de la Guyanne, pour remplir son office, jeûne et se flagelle, il avale une potion composée de jus de tabac qui amène des vomissements sanguinolents. Alors il est arrivé à l'état de convulsionnaire et mérite la confiance. Souvent on ajoute au jeûne l'emploi de certaines drogues telles que la poudre de cohoba ou de curupa que les insulaires des Antilles et les Omaguas s'introduisent dans le nez en l'aspirant à l'aide d'un tuyau en forme d'Y et dont l'usage produit une ivresse qui dure vingt-quatre heures.

Ailleurs on emploie des narcotiques comme la graine du datura san-guinea chez les Indiens de l'isthme de Darien ou la potion que prenaient les prêtres du Pérou pour converser avec les fétiches et qu'ils préparaient avec la même plante.

Les Mexicains provoquaient du délire à l'aide d'une infusion de graines d'ololiuhqui.

Les indigènes d'Amérique s'enivrent en avalant la fumée du tabac et considèrent comme inspirés par les dieux les songes qui leur viennent pendant cette ivresse.

Chez d'autres peuples on remplace le tabac par la vapeur de graines de chanvre; les derviches perses fument l'opium et le haschich, et cette pratique les maintient dans un état extatique.

Nos ancêtres les Aryas avaient déifié le suc fermenté de l'asclepias acida a le soma » qui devint une de leurs grandes divinités.

Aussi dirons-nous avec M. Véron que ce serait s'exposer à l'erreur que de supposer que les sorciers et les devins soient des imposteurs. Le plus souvent ils sont les premières dupes de leur hystérie.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

La Société d hypnologie et de psychologie.

Le Progrès Médical, dans un numéro spécial fort intéressant qu'il public au commencement de chaque année scolaire, sous le titre Numéro des étudiants, donne les renseignements suivants sur la Société d'hypnologie :

« La Société d'hypnologie et de psychologie, fondée en 1889, pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, se réunit le troisième lundi de chaque mois, au Palais des

Sociétés Savantes, 28, rue Serpente. Les séances en sont publiques et suivies assidûment par de nombreux étudiants. « Le bureau pour l'année 1894-95 est ainsi composé : « Président, M. Dumontpallier ; vice-présidents, MM. Auguste Voisin et Boirac ; secrétaire général, M. Bérillon ; trésorier, M. Albert Colas ; secrétaires des séances, MM. Julliot et Valentino ; comité de publication, MM. Babinski, G. Ballet, Dejerine; commission de candidatures, MM. J. Voisin, Gelineau et Ploix. »

Pria: Liébeault. — La Société a reçu, de M. le Dr Lïébeault, de Nancy, une somme de 830 francs pour la fondation d'un prix destiné à récompenser un travail, qui sera mis au concours par la Société d'hypnologie, sur un sujet relatif à l'hypnotisme ou à la psychologie physiologique. La Société déterminera ultérieurement les conditions du concours.

Le sommeil de l'adolescent.

M. Moreau, de Tours, donne les conseils suivants pour assurer aux adolescents en voie de croissance un sommeil hygiénique et réparateur:

Tout d'abord, il faut éloigner de la chambre à coucher les animaux et enlever les fleurs dont la présence vicie l'air.

On se débarrassera de tout vêtement de jour gênant la liberté des attitudes, et on les mettra dans une pièce voisine pour être à l'abri des émanations qu'ils renferment. Il faut se souvenir que les vêtements sont les véhicules habituels des germes morbides, et que, comme tels, ils doivent être désinfectés, secoués à l'air, et entretenus dans un grand état de propreté. La chemise de nuit est obligatoire; elle doit être ample et très longue.

Le lit doit être en fer et à sommier, ce qui est d'un entretien facile, avec un matelas et un traversin en crin ; peu de couvertures, jamais de rideaux, d'édredon, de matelas de plumes. Les draps seront en toile de chanvre de préférence à ceux de coton qui excitent la peau, énervent et empêchent le sommeil d'être réparateur.

Tous les jours les garnitures seront aérées et séchées si besoin est. On changera les draps tous les quinze jours, plus souvent s'il est nécessaire.

La fenêtre, largement ouverte le jour, sera entr'ouverte la nuit, et les persiennes fermées laisseront, par la disposition des lames, entrer l'air dans la chambre.

Les dortoirs et chambres à coucher doivent être inhabités le jour. Les garçons et les tilles seront séparés.

L'heure du coucher sera fixée à 9 heures 1/2 jusqu'à 16ans, et 10 heures jusqu'à 20 ans.

Le lever aura lieu à 6 heures.

Le sommeil trop prolongé alourdit le sang et l'esprit. La meilleure position pour dormir est sur le côté droit. Enfin, on sera tête nue, les cheveux des filles retenus dans un filet.

Une définition, de l'amour.

M. Gaston Danville vient de publier dans la bibliothèque de philosophie contemporaine une fort curieuse étude sur la Psychologie de V amour.

Nous extrayons la définition suivante de l'amour ;

« L'amour est une entité émotive spécifique, consistant dans une variation plus ou moins permanente de l'état affectif et mental d'un sujet, à l'occasion de la réalisation — par la mise en œuvre fortuite d'un processus mental spécialisé — d'une systématisation exclusive et cons-. ciente de son instinct sexuel, sur un individu de l'autre sexe. Le plus souvent, ce phénomène ne va pas sans l'exaltation du désir.

C'est beau la psychologie ! La définition de Chamfort est peut-être plus claire.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme,et placé sous le patronage de. savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psycho- 1 logique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assiter et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

M. le Dr Bérillon, médecin, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, commencera, le jeudi 1" décembre, à 10 h. i/2, à sa clinique, 49, rue Saint-André-des-Arts, une série de leçons sur les applications de l'hypnotisme à la neuropathologie, à la psychiatrie et à la pédagogie. Il le continuera les jeudis suivants, à 10 h. 1/2.

Faculté de Paris. — Cours de clinique des maladies du système nerveux. — M. le professeur lîaymond a commencé le cours de clinique des maladies du système nerveux, le vendredi 16 novembre 1894, à 10 heures du matin (hospice de la salpétrière), et le continuera les mardis et vendredis suivants, à la même heure,

Cours de clinique des maladies mentales. — M. le professeur Joffroy fait son cours le mercredi et le samedi, à 9 h. 1/2 (asile Sainte-Anne).

Hôpital Saint-Antoine. — MM. les Drs Ed. Brissaud et G. Ballet font, pendant le semestre d'hiver, un cours clinique de pathologie nerveuse. Les leçons ont lieu, le dimanche, à 10 heures (M. G. Ballet, malaches de l'encéphale), et le jeudi, à la même heure (M. Brissaud, maladies de la moelle).

Polyclinique de Paris. — M. le Dr Legrain fera, à la Polyclinique, des conférences sur les dégénérés.

Hôpital des Enfants-Assistés. — M. le Dr Dejerîne, agrégé de la Faculté, fait les jeudis à 4 heures, dans le service du professeur Gran- " cher, des conférences sur les maladies du système nerveux.

Hôpital de la Salpétriêre. — M. le D' Jules Voisin fera le jeudi matin, pendant le mois de décembre, des conférences sur les maladies mentales et nerveuses.

Faculté de Vienne. — M. le Dr Emile Redlick est nommé privât docent de neurologie.

Faculté de Zurich. — M. le Dr C. von Monakow, privât docent d'ana-tomie et physiologie cérébrales, est nommé professeur extraordinaire.

Ecole d'anthropologie. — Anthropologie physiologique, M. L. Manou-vrier, professeur, le vendredi, à 5 heures. Programme : L'expression émotionnelle des sentiments.

L'hypnotisme a la Salpétriêre. — Jeudi dernier, la commission du Conseil général a visité l'asile de la Salpétriêre. Au cours de sa visite, elle a assisté, dans le service de M. le professeur Raymond, à des expériences d'hypnotisme reproduisant les doctrines célèbres de M. Charcot. Ces expériences ont paru vivement intéresser les membres de la commission.

Nominations. — M. G. Dumas, docteur en médecine, agrégé de philosophie, est nommé professeur de philosophie au Collège Chaptal.

NÉCROLOGIE

Louis Figuier

Nous apprenons la mort de M. Louis Figuier. Dans un travail très complet sur l'Histoire du Merveilleux, M. Figuier avait vulgarisé I7us*oi?*e du magnétisme et de l'hypnotisme. A la fin de sa vie, il s'était vivement préoccupé des questions d'occultisme et avait publié ses idées dans un livre intitulé : le Lendemain de la Mort.

L'Administrateur-Gérant: Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imprimerie A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

__????RIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE_

9e Anné. - n° 6. Décembre 1891.

LE TRAITEMENT PSYCHO -THÉRAPEUTIQUE DE LA NEURASTHÉNIE (1)

Par MM. les Drs van Eeden et Van Renterghem (d'Amsterdam).

Les résultats que nous avons obtenus par le traitement psychique de la neurasthénie et des affections neurasthéniques nous portent à considérer la psycho-thérapie parfaitement indiquée dans cette névrose. La majorité des malades que nous avons traités n'eurent recours à nous qu'après avoir suivi les différents traitements usuels. Or, une thérapie qui sous ces conditions sait produire une amélioration notable dans 35 cas, une guérison dans 21 cas, sur 99 cas traités, réclame de bon droit sa place au soleil ; elle s'impose.

Dans son livre : « Hypnotisme, Suggestion, Psycho-thérapie », le professeur Bernheim, traitant de la neurasthénie héréditaire, résume ainsi :

« Quand cette neurasthénie est héréditaire, quand elle est due à une conformation vicieuse native du système nerveux,-alors, il faut avoir le courage de le dire, elle est le plus souvent incurable. Les malades sont quelquefois difficiles à hypnotiser ; leur cerveau est obsédé par des impressions si nombreuses, si tenaces, psychiques, sensitives, sensorielles et viscérales, qu'il est souvent rebelle à toute suggestion; malgré leur docilité, leur bonne volonté, leur désir de se laisser endormir et de guérir, leur système nerveux peut offrir une résistance invincible à toutes les tentatives pour l'influencer. Il en est qui sont impressionnables à l'hypnose, et, cependant, bien que tombés en hypnose profonde, ils ne sont pas toujours

dociles à la suggestion thérapeutique. Quelquefois on arrive à

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(1) Extrait d'un livre qui vient de paraître sous le titre : Psycho-thérapie, 1894, (Société d'Editions Scientifiques).

calmer momentanément leurs manifestations ; on supprime les douleurs et divers troubles nerveux : il y a une amélioration notable ; on a l'espoir d'une guérison plus ou moins complète. Cette amélioration peut être durable, entretenue par une suggestion prolongée ou répétée. C'est beaucoup ! Chez d'autres, le soulagement n'est que momentané. Bientôt l'auto-suggestion reprend tout son empire, le mal reparait dans toute son intensité, les malades et le médecin perdent confiance dans le traitement suggestif, les malheureux courent d'un spécialiste à l'autre, promènent leurs misères dans toutes les eaux minérales, vont de l'hydrothérapie au massage, de l'homéopathie à la dosimétrie ou aux granules Mattéi. Une amélioration se produit parfois sous l'influence d'un de ces traitements ; une rémission plus ou moins longue se manifeste, post hoc ou prop-ter hoc, suivie d'une rechute ! Voilà la triste odyssée de nombreux névropathes, de par la loi fatale de l'hérédité ! La seule chose que je constate, hélas ! c'est que, quand la suggestion est impuissante, tout est impuissant. D'après nous, aucun neurasthénique n'est per se incurable. Cependant, la cure de ces maladies par la psycho-thérapie exige la création de conditions spéciales s'adaptant à chaque cas particulier. Dans trop de cas, hélas ! différentes circonstances empêchent le malade de suivre un tel traitement.

Des cliniques de psycho-thérapie devront être fondées d'abord dans les grands centres où elles trouveront une alimentation suffisante de névrosés. Au lieu de se débarrasser des neurasthéniques ou des hystériques en les faisant voyager, en les envoyant aux eaux, en les bourrant de bromures et de préparations multiples soi-disant anti-nerveuses, on pourra choisir pour eux un milieu approprié dans la ville même, ou, si rien ne s'y oppose, on pourra les faire rester chez eux. Pour la majorité de ces malades, un travail intellectuel ou corporel, adéquat à leurs forces psychiques ou physiques, est de toute nécessité; et où le trouveront-ils mieux que dans leur résidence même? Le principal pour ces malades est de trouver dans le médecin une personne sur laquelle ils puissent en toute conscience se fier, qui sache les comprendre et les conduire.

Dans le traitement ainsi compris, la suggestion joue un rôle prépondérant. Au début surtout, on aura recours à des séances fréquentes et prolongées. Si, pour une part, les neurasthéniques sont des dormeurs, d'autre part, beaucoup de ces malades ont perdu l'habitude du sommeil régulier. Ceux-ci auront

à réapprendre à dormir ; on les accoutumera à se coucher une partie du jour à une même heure, et à rester tranquilles les yeux fermés, écoutant les suggestions de calme et de bien-être que le médecin leur répétera de temps en temps, suggestions qu'il rumineront ensuite et qu'ils réaliseront petit à petit.

Quoique le médecin ait la tâche plus facile chez les bons dormeurs, en tant qu'il puisse se dispenser de refaire l'éducation de cette fonction, on ne doit pas croire que, par ce fait seul, il puisse triompher avec plus de facilité des autres symptômes morbides. Même le dormeur profond, le somnambule n'est pas toujours docile à la suggestion thérapeutique. Tant chez le dormeur que chez le malade qui ne dort pas, il faut pouvoir raisonner, savoir saisir le côté faible et opérer au moment physiologique, pour faire entrer et accepter une idée. Il faut, dès le début du traitement, inculquer aux malades de savoir se contenter d'une amélioration plus ou moins considérable dans leur état; que nés avec une constitution nerveuse, cette disposition morbide les expose fatalement à des récidives; que les organes ne sont pas entrepris, qu'il s'agit plutôt chez eux d'une fausse équilibration des forces. Un examen sérieux, renouvelé de temps en temps, servira à rassurer le malade et à empêcher le médecin de faire fausse route en se méprenant sur le caractère des symptômes : une maladie organique pouvant s'ajouter aux syndromes nerveux fonctionnels ou éclore dans le cours du traitement. On répétera à satiété et toujours de nouveau, que les phénomènes présents sont l'expression d'un trouble dans les fonctions né d'un choc moral ou soma-tique, et entretenus ou nourris par leur imagination ; qu'un affaiblissement de la volonté, un manque de confiance en leurs propres forces; que la peur d'avoir une maladie dangereuse ou incurable s'est installée dans leur cerveau, agissant comme auto-suggestion contraire et s'opposant à l'effacement des phénomènes......

Le rôle, le devoir du médecin exerçant la psycho-thérapie implique à gagner au plus haut degré la confiance du malade, à lui servir d'ami et de guide. Armé de ces qualités, il saura relever le moral du patient dans ses moments de faiblesse et d'apathie, le contraindre à faire effort de volonté, l'engager à continuer un exercice méthodique, l'entraîner, l'endurcir, lui remonter le courage en relevant les progrès qu'il a faits, le préserver d'une inquiétude hors de saison, d'un découragement possible, en l'avertissant qu'une rechute peut se pré-

senter ; qu'elles sont, à un certain point, caractéristiques et propres à la névrose ; que ces déviations de l'équilibre se présenteront avec des intervalles toujours plus grands et seront moins graves s'il continue à faire de son mieux, à suivre de point en point le régime prescrit. Puis il lui apprendra, quand l'amélioration commence nettement à se dessiner, à se passer graduellement du soutien moral de ces suggestions, à les remplacer par des auto-suggestions appropriées, lui faisant entendre, toutefois, qu'il trouvera son médecin toujours disposé à lui venir en aide si le besoin se faisait sentir, soit afin de prévenir une rechute, soit pour le remettre sur la bonne voie si l'équilibre se trouvait déjà troublé.

Envisagé de la sorte, le traitement de la neurasthénie est une cure pour ainsi dire perpétuelle, mais il est le seul rationnel et conduit infailliblement au but. Dans ce sens seulement, on peut parler d'opérer des guérisons d'hystéries, de neurasthénies. Nous sommes convaincus que l'avenir du traitement de ces névroses est à la psycho-thérapie ainsi comprise.

DU ROLE DES PHÉNOMÈNES PSYCHIQUES INCONSCIENTS

et des rêves dans la pathogénie et la curation des accidents hystériques,

par M. le professeur A. Pitres.

Leçon du 9 juillet 1894, recueillie par M. E. Vénot, interne du service, clinique de M. le professeur Pitres (Hôpital St-André de Bordeaux).

(Suite et fin)

III

Sur ces entrefaites, je fus conduit, par une observation accidentelle, à porter mon attention sur les rêves de notre malade.

Un matin, à la visite, ses voisines de lit nous ayant raconté qu'elle s'était beaucoup agitée dans la nuit, qu'elle avait crié et qu'elle avait dû avoir un mauvais cauchemar, nous la priâmes de nous dire à quoi elle avait rêvé. « Je n'ai pas rêvé, nous répondit-elle »; et comme ses voisines maintenaient fermement l'exactitude de ce qu'elles avaient avancé : « Non, dit-elle, non, je n'ai pas rêvé. Si j'avais rêvé je m'en souviendrais et je le dirais; mais je n'ai pas rêvé, je vous l'assure. »

Je l'hypnotisai alors, et lui ayant posé la même question que tout à l'heure, elle répondit aussitôt qu'elle avait rêvé toute la nuit : d'abord, que sa mère la battait; ensuite, que, revenant chez elle, elle trouvait son mari avec une autre femme qui se sauvait en l'apercevant. Réveillée de nouveau, elle ne se souvenait de rien de ce qu'elle venait de nous dire et affirmait qu'elle n'avait rêvé ni à sa mère, ni à son mari.

Pendant plusieurs jours de suite nous fîmes des constatations identiques et pûmes nous assurer que la malade se souvenait à l'état hypnotique des rêves qu'elle avait faits la nuit et dont elle n'avait aucun souvenir à l'état de veille.

Il en faut conclure que certains rêves ne laissent aucune trace dans la mémoire de l'état de veille, bien que leur souvenir soit très précis dans l'état d'hypnose. Ces rêves ont-ils lieu dans le sommeil naturel ou dans une des nombreuses variétés du sommeil hypnotique? Je n'en sais rien. Le fait en lui-même n'en est pas moins fort curieux.

Ayant bien constaté cette particularité, l'idée me vint de faire quelques expériences sur les rêves. On sait déjà, depuis longtemps, qu'on peut suggérer des rêves pendant l'hypnose provoquée. Voulant le vérifier une fois de plus, j'endormis, un matin, Louise G... par la fixation du regard; et, comme notre chef de clinique M. le Dr Sabrazès, avait pratiqué la veille, dans le service des cautérisations ponctives, sur le visage d'une jeune fille atteinte d'un lupus, je dis à notre malade : « Vous rêverez cette nuit à M. Sabrazès ; il viendra auprès de vous avec un thermo-cautère, des bistouris, des ciseaux, du chloroforme, pour vous enlever la petite cicatrice disgracieuse que vous avez au cou. « Le lendemain matin, à l'état d'hypnose, elle nous raconta avec force détails qu'elle avait eu un bien vilain cauchemar : M. Sabrazès était venu vers elle, armé d'instruments de chirurgie; il voulait à toute force lui cautériser la cicatrice qu'elle à au cou ; elle avait résisté, mais elle avait eu très peur. A l'état de veille, elle n'avait aucun souvenir d'avoir rêvé.

A ce moment, il se produisit un fait très important sur lequel j'appelle tout particulièrement votre attention.

M. le Dr Sabrazès entrait dans la salle : en le voyant, Louise G... étant parfaitement éveillée, se retourna dans son lit, elle eut une sorte de mouvement de recul dont elle ne put se défendre; ses traits exprimèrent comme de l'angoisse, de la peur. On lui en demanda la raison ; elle refusa de répondre.

On insista; elle dit alors : « Ah ! c'est M. Sabrazès, il me fait une drôle d'impression, ça m'est désagréable de le voir. » Et pourquoi ? lui demanda-t-on. « Je ne sais pas, ajouta Louise G..., je l'aimais bien pourtant, il ne m'a jamais faitque du bien, et, maintenant, je ne l'aime plus. Il me fait peur. »

Ainsi, Messieurs, voilà un rêve ignoré à l'état de veille, et qui a eu pour effet de modifier tellement les sentiments de notre malade, qu'au lieu de l'amitié et de la reconnaissance qu'elle devrait avoir et qu'elle avait pour M. Sabrazès, Louise G... n'a plus pour lui que haine et répugnance.

Ce résultat qui n'était pas cnerché, auquel je ne songeais pas en faisant l'expérience, m'a frappé énormément. Il appelait une nouvelle série d'observations. La malade avait une douleur dans le genou gauche, nous lui suggérâmes, toujours dans l'état hypnotique, que M. Escande, externe du service, lui apparaîtrait en rêve la nuit suivante, et que, sous prétexte de soigner son genou, il la tiraillerait tellement qu'au lieu de lui faire du bien, il lui ferait au contraire beaucoup de mal. Le lendemain, à l'état de veille, ignorant complètement son rêve, elle eut, à la vue de M. Escande, le même mouvement de recul qu'elle avait eu la veille pour M. Sabrazès. Endormie, elle nous raconta avoir rêvé que « ce maladroit de M. Escande était venu lui faire mal à son genou. » Mais, lui dit-on, il venait avec de bonnes intentions, pour vous faire du bien. » — « Oh ! dit-elle, avec un mouvement d'humeur, il pouvait bien rester où il était, ce maladroit. »

Et non seulement elle ne peut plus voir M Escande, ni même en entendre parler sans manifester ses sentiments à son égard, mais encore elle éprouve, dans le genou, une douleur si forte, qu'elle ne peut remuer sa jambe : second effet de ce rêve qui devient ainsi pathogène.

Voilà pour les rêves mauvais. Nous avons largement réparé cela par la suite. Si un rêve peut ainsi faire du mal, ne peut-il pas faire du bien? S'il est pathogène, ne peut-il être curateur? Telles sont les questions qui se présentaient à notre esprit et qui furent résolues de la façon suivante : Je vous ai dit, déjà, que Louise G... avait un certain nombre de petites misères: douleurs précordiales, douleurs dans la gorge, maux de tête très violents, palpitations, douleurs dans le genou, etc., dont elle se plaignait souvent. A plusieurs reprises, nous avions essayé de l'en débarrasser par la suggestion directe, soit à

l'état de veille, soit à l'état hypnotique, et, jamais, la suggestion directe n'avait pu modifier ces phénomènes.

Nous avons alors fait intervenir l'auto-suggestion par le rêve. Un jour, nous disons à la malade endormie : « Vous rêverez, cette nuit, que M. Venot viendra avec un flacon d'onguent précieux ; il vous frictionnera la poitrine et votre douleur au cœur s'en ira aussitôt. » Le lendemain, elle était débarrassée de sa douleur précordiale. La nuit suivante, M. Bernard vint, de la même façon, lui badigeonner la gorge avec un pinceau, et les douleurs de gorge disparurent de la même manière. Seulement, elle se plaignait d'une petite douleur au niveau de la voûte palatine, parce que le manche du pinceau l'avait un peu écorchée en cet endroit. « Mais ce n'est rien, dit-elle n ; et le lendemain, elle ne la sentait plus.

Les douleurs de tête et du genou furent encore guéries de la même manière par M. Venot. Moi, je me chargeai des palpitations et je les guéris également dans un rêve suggéré.

Telles sont les principales observations que nous avons faites. Je passe sous silence d'autres petites expériences secondaires qui sont venues confirmer les premières.

IV

Les études que nous avons faites sur Louise G... comportent, ce me semble, des conclusions intéressantes.

Elles montrent tout d'abord l'influence des actes psychiques inconscients sur la production de certains accidents hystériques. Le délire de l'attaque roulant sur un événement antérieur et amenant la reviviscence de toute la série des états émotifs qui se sont succédé au moment de sa production, — bien que dans l'état de veille et dans l'état d'hypnose provoqué la malade sache parfaitement que ces états émotifs sont injustifiés — constitue déjà un fait curieux. A la vérité il n'a rien de très étonnant. Il rentre — au moins par analogie — dans la série des phénomènes qui se passent dans les suggestions post-hypnotiques. Quand on dit à un sujet endormi : « Tel jour, à telle heure, vous ferez telle chose », et qu'au jour et à l'heure indiqués ce sujet quitte brusquement ses occupations pour exécuter l'ordre, si absurde qu'il soit, qui lui a été donné, sans en apprécier les motifs ni les conséquences, il se produit évidemment une annulation momentanée de la conscience, analogue, sinon identique, à celle que nous avons constatée dans le cours du délire des attaques de notre malade. M. Pierre

Janet a d'ailleurs étudié quelques faits de ce genre dans ces belles recherches sur l'état mental des hystériques.

Beaucoup plus intéressants sont les phénomènes d'autosuggestion par le rêve, dont nous avons été témoins. Provoquer ou faire disparaître par un rêve suggéré des troubles morbides reconnus préalablement inaccessibles à la suggestion directe, cela est tout à fait en dehors du cadre actuel de nos connaissances. On pouvait légitimement soupçonner l'influence auto-suggestive des rêves. Autrefois, dans les temples d'Asclépiade, c'est par l'intermédiaire des songes que le dieu communiquait avec les malades et accomplissait les cures merveilleuses dont témoignent les stèles récemment découvertes dans les ruines des Asclipicia, d'Athènes et d'Epidaure (1).

On trouve également dans les autobiographies de quelques hystériques célèbres du moyen âge, le récit de guérisons miraculeuses opérées par le même mécanisme. Sœur Jeanne des Anges guérit ainsi subitement d'une maladie que le médecin du couvent, le sieur Fanion, considérait comme une pleurésie des plus graves et pour laquelle il avait pratiqué des saignées et ordonné divers autres remèdes. Le cas paraissait désespéré. La malade avait reçu les derniers sacrements. Le médecin déclarait qu'elle n'avait plus de vie que pour une heure ou deux au plus. Elle s'endormit cependant et vit en rêve saint Joseph « en forme et figure d'homme, ayant le visage plus resplendissant que le soleil, avec une grande chevelure et une majesté bien plus qu'humaine. » Il était accompagné d'un ange « d'une rare beauté, ayant la forme d'un jeune homme de dix-huit ans..., une chevelure longue et brillante..., un vêtement blanc comme neige.., tenant en main un cierge blanc fort grand et fort gros et fort allumé. » Saint Joseph appliqua la main sur le « côté droit » de la mourante et y fit une onction. Après quoi, la malade se réveillant et se trouvant entièrement rétablie, s'écria : « Je n'ai plus de mal, je suis guérie par la grâce de Dieu ! » Elle demanda ses* habits, se leva à l'instant et alla rendre grâce au Saint-Sacrement. (*)

(1) Voyez à ce sujet : Auguste Gautier : Recherches historiques sur l'exercice delà médecine dans les Temples chez les peuples de l'antiquité. In-12, Paris 1844.

Paul Girard. — L'asclépicion d'Athènes d'après de récentes découvertes. Th. doct. de l;i Faculté des lettres de Paris. 1881.

Salomon Reinach. — La seconde stèle des guérisons miraculeuses découvertes à Epidaure. Revue archéologique. 3- série, T. V, 1885, p. 265.Vercontre. — La médecine sacerdotale dans l'antiquité grecque. Revue Archéologique. 1835 et 1886.

DîebJ. — Excursions archéologiques en Grèce. Paris, 1890, chap. IX, p. 311 à 335.

(2) Sœur Jeanne des Anges, supérieure des Ursulincs de Loudun. Réédition annotée et publiée par il M. Gabriel Légué et Gilles de la Tourrette. Paris, 1886, p. 19* et suivantes.

Ces faits démontraient bien l'influence auto-suggestive des rêves, mais la démonstration expérimentale de cette influence manquait absolument. L'observation de Louise G— nous la fournit avec toutes les garanties désirables. Elle prouve même que l'auto-suggestion par le rêve est quelquefois plus efficace que les autres modes de suggestion.

Elle prouve, en outre, et cela a bien son importance, que le rêve, d'où dérive l'auto-suggestion, peut avoir tous ses effets, bien qu'il reste ignoré par la conscience des sujets. Bien plus, ce rêve inconscient peut creuser dans l'esprit des traces profondes et avoir pour conséquences des modifications dans les sentiments conscients des sujets à l'état de veille. Cette particularité fournit probablement l'explication de la mobilité bien connue du caractère des hystériques. Les malades de ce genre sont, on le sait, extrêmement changeantes dans leurs affections. Elles détestent aujourd'hui ce qu'elles aimaient hier. Sans motifs apparents, sans cause appréciable, du jour au lendemain, elles brûlent ce qu'elles adoraient, ou poursuivent de leur haine ceux qu'elles avaient obsédés de leur tendresse. Est-ce que la cause de cette mobilité ne résiderait pas tout simplement dans les rêves inconscients qu'elles font? L'observation de Louise G... prouve certainement qu'il en est ainsi, au moins dans quelques cas.

EXPÉRIENCES MÉDIANIQUES DE VARSOVIE

(Suite et fin)

En ma qualité de rapporteur, je ne crois pas devoir juger si les théories de M. Ochorowicz, exposées ci-dessus, sont risquées ou non, et dans quel degré? Je rappellerai seulement les témoignages précédemment cités (MM. Matuszewski, Dr Higier et autres) du fait que l'on constate une tension des muscles du médium ou même un mouvement de son membre dans la direction de l'objet de l'expérience, sans pouvoir pourtant constater aucun contact entre le membre et l'objet, et je passerai à d'autres rapports sur l'état physiologique du médium pendant les expériences et sur la tromperie inconsciente de sa part, qui est liée avec cet état. Je puise les données sur l'état psycho-physiologique d'Eusapia Palladino

dans les précieux articles du Dr Harusewicz (1) : « Le passé physiologique d'Eusapia ne présente aucun cas extraordinaire; il faut pourtant noter que sa force médianique se manifesta presque simultanément avec le commencement de la menstruation, dans sa treizième ou quatorzième année. On remarqua alors que les séances spirites pratiquées à ce moment réussissaient beaucoup mieux quand elle s'asseyait à la table. Selon son propre récit, elle renonça à ces séances qui l'ennuyaient, et s'abstint de toute expérience pendant dix ans environ. Ce n'est que dans sa vingt-deuxième ou vingt-troisième année que commença la propre culture spiritique d'Eusapia, dirigée par un monsieur Damiani, spirite fervent; c'est alors qu'apparut le fameux « John King » (2) avec tous les accessoires, puis vint la gloire du médium et, en même temps, probablement la connaissance de Part de remplacer par divers artifices la force médianique, qui n'apparaisait pas toujours à volonté. Il faut noter encore, qu'Eusapia subit dès sa huitième année une hallucination obsédante à l'état de veille : on ne sait quels yeux expressifs, la regardant de derrière un amas de pierres ou un arbre, toujours de droite. Elle ne se souvient pas d'autres anomalies nerveuses; mais elle a souvent des songes très vifs et très colorés. Elle affirme n'avoir jamais été hypnotisée, et selon le Dr Ochorowicz, elle n'est que très peu sensible à l'hypnotisme. Il y a longtemps elle a supporté le typhus; dans le délire elle se blessa la tête à la partie antérieure de la région temporale gauche ; il s'y trouve une cicatrice couverte de cheveux blancs. Maintenant Eusapia Palladino est âgée de 38 ans, et n'a pas l'air plus vieux à l'état normal ; elle a la constitution régulière. Les muscles bien nourris, surtout dans les extrémités (bras et jambes), sont plus développés qu'ordinairement chez les femmes de la même complexión ; on peut dire la même chose des os. La taille assez basse, l'embonpoint considérable, et les jambes relativement courtes, la rendent un peu lourde et maladroite au premier coup d'ceil ; mais au moment de l'animation, ses mouvements deviennent élastiques, son corps et ses membres acquièrent de la souplesse, ce qui n'est pas sans signification. Malgré son air sain, Eusapia est, sans aucun doute, nerveusement malade, et sur ce point sont d'accord tous les médecins qui ont pris part aux séances. Malheureusement, on n'a pas

(1) Voir là-dessus les articles de M. Ochorowicz.

(2) La Voix, N° 8.

dûment examiné Eusapia au point de vue médical ; mais l'examen superficiel et accidentel à diverses occasions permet de diagnostiquer chez elle, avec une grande vraisemblance, l'hystérie à tendance erotique, qui est caractérisée au point de vue physiologique par la plus ou moins grande prépondérance de la fonction de la moelle épinière en qualité de centre nerveux, au lieu de la subordination naturelle de la fonction de la moelle épinière (sphère d'automatisme) à celle du cerveau (sphère de conscience). Ajoutons un léger état paré-tique de la moitié droite du corps, qui explique la supériorité musculaire des extrémités gauches sur les droites (la main droite au dynamomètre 45, la main gauche 50), quoique Eusapia ne soit pas gauchère. On constate le même rapport au point de vue de la sensibilité; mais sans examen plus soigneux on ne peut pas déterminer, si c'est l'anesthésie du côté droit, ou Thypéresthésie de gauche. Je n'ai pas remarqué l'insensibilité à la douleur. Eusapia m'a dit qu'elle éprouve souvent les constrictions ascendantes de l'œsophage (globus hystericus). D'ailleurs, les fonctions physiologiques, dit-on, sont régulières, mais chaque émotion plus forte provoque des troubles propres à l'hystérie erotique.

Il me semble qu'Eusapia se prépare, pour la séance, en respirant régulièrement et pas trop souvent ; en même temps le pouls s'élève graduellement de 88 à 120 coups par minute et devient extraordinairement vigoureux ; je ne sais pas si cette préparation est faite avec conscience, ou inconsciemment. On dit que les fakirs indiens se servent d'un moyen analogue pour entrer dans un certain état de l'hypnose (l'auto-hypnose). II faut noter pourtant, qu'Eusapia considère ces séances comme une sorte de début et d'épreuves publiques, où la réussite et l'effet lui importent beaucoup; elle éprouve donc, selon son propre aveu, les craintes et sensations des acteurs. Le plus curieux est son état pendant la durée des phénomènes médianiques; ces phénomènes dépendent des symptômes convulsifs hystériques, cela est évident au premier coup d'œil ; on peut même remarquer entre eux une proportionnalité au point de vue qualitatif et quantitatif. En général, ces symptômes anormaux font l'impression de paroxysmes hystériques de courte durée (comme les phénomènes), qui apparaissent dans de courts intervalles de temps (de 3-10 minutes et plus), et tantôt laissent la conscience intacte, tantôt la troublent et même l'abolissent. Il faut remarquer, sous toutes réserves

d'ailleurs, qu'on n'observe rien qui fasse supposer la simulation ; une pareille simulation serait vraiment-d'une constance singulière et semble impossible. Il y a d'ailleurs des cas où les symptômes mentionnés n'apparaissent point. Pour arrivera de sûrs résultats sur cette question, il faudrait introduire une division de travail entre les assistants et donner à chacun un côté des phénomènes à observer. Lorsque cet état physiologique spécial commence, Eusapia soupire très profondément, puis commence à bâiller, à avoir le hoquet, des rapports ou quelque chose d'intermédiaire; en même temps, le visage devient démoniaque : nous voyons la véritable « faciès demonica »; bientôt'se fait entendre un gémissement ou un cri prolongé. Dans les intervalles le visage est d'une pâleur presque cadavéreuse, épuisé, souvent couvert de sueur. Les jambes et les bras sont, pendant les phénomènes, dans un état de forte tension, presque de raideur, ou bien éprouvent des contractions convulsives, parfois une trépidation, qui s'étend au corps entier. Dans les intervalles, les extrémités sont presque inertes; si on lui élève la main, elle retombe par son propre poids. Mais il n'en est pas toujours ainsi. Souvent, après les symptômes décrits, de courte durée, on entend un fort rire spasmodique hystérique, le visage rougit, semble s'enfler, et prend graduellement l'expression d'une forte extase, de nature, généralement, voluptueuse, erotique ; cette extase sensuelle se manifeste non seulement dans l'état des yeux brillants, mouillés et largement ouverts, non seulement dans le sourire caractéristique, mais encore dans les mouvements. Cela dure encore un certain temps après la séance, lorsqu'Eusapia, à demi-éveillée, se jette dans les bras des hommes qui lui sont sympathiques, les embrasse et manifeste en général le désir des caresses (j'en fus trois fois témoin).

Eusapia, questionnée, n'a pas contredit mes observations : si les phénomènes réussissent, elle éprouve des frissons et des sensations agréables, même voluptueuses. La présence d'esprit, et la conscience en général, est diminuée ou même abolie; pas de réponse, ou réponse retardée sur les questions, difficulté de parler. Deux symptômes surtout fixent l'attention: c'est l'hypéresthésie cutanée et probablement musculaire, et la sensibilité à la lumière fortement accrue. J'ai observé deux fois que de la lumière, s'introduisant subitement par une porte ouverte dans une chambre voisine, provoqua chez Eusapia de véritables, quoique peu durables spasmes du corps

entier; quand on faisait subitement de la lumière, elle retournait la tête en gémissant, et le visage exprimait la souffrance. Selon le médium lui-même,la lumière subite lui cause de la difficulté de respirer, des battements de cœur, le globus hystéricus (au moins les symptômes analogues), l'irritation générale des nerfs, le mal de tête et des yeux, le tremblement du corps entier et les convulsions, excepté quand elle demande la lumière elle-même, car alors son attention en est trop occupée.

La séance terminée, tout l'état change complètement : l'excitation est remplacée par un immense épuisement des nerfs ; le visage prend une expression de souffrance, de fatigue, de vieillesse même et montre une complète apathie; la sensibilité à la lumière et au toucher reste. Surtout mérite l'attention, le fait qu'Eusapia éprouve le toucher à distance, observé, outre moi, par le Dr Higier et M. Siemiratzki. La conscience n'est pascom-plète. Tout cela dure de cinq à dix minutes et passe peu à peu. Eusapia ne se souvient pas la plupart du temps des phénomènes et ne s'en rend pas compte; pourtant, parfois elle déclare voir les lumières ou entendre les coups de table, les sons de piano, etc. Lui demande-t-onsielle peutprévoir lesphénomènes qui auront lieu, elle répond qu'elle est sûre du résultat favorable dans le cercle sympathique où elle peut produire des phénomènes à son gré, mais sans cela elle ne peut rien prévoir. Elle affirme pouvoir facilement distinguer les « courants » favorables ou défavorables partant des assistants, au simple contact de leurs mains ; ainsi le Dr Higier a été systématiquement le plus éloigné par Eusapia comme antipathique. Pendant et après la lévitation elle éprouve la douleur dans les genoux; pendant et après d'autres phénomènes, dans les coudes et bras entiers. Voici ce qu'elle rapporte de ses sensations, lorsqu'elle met en mouvement la sonnette à l'archet. Toutd'abord elle désire ardemment exécuter le phénomène, puis elle éprouve l'engourdissement et la chair de poule dans les doigts; ces sensations croissent toujours, et en même temps elle sent dans la région inférieure de la colonne vertébrale, comme un courant qui s'étend rapidement dans le bras jusqu'au coude, où il s'arrête doucement : c'est alors que le phénomène a lieu. Elle éprouve des sensations analogues, en exécutant tous les mouvements à distance. Après les séances réussies elle a le sommeil tranquille; après les séances difficiles ou manquées, elle dort mal. Je note encore que dans les expériences de Varsovie, Eusapia ne parlait presque plus de « John King », qui

céda la place à a cette force ou ce quelque chose d'indéfinissable », évidemment à cause du milieu défavorable au spiritisme. »

Cette description de l'état psycho-physiologique d'Eusapia est confirmée, avec moins de détails, par les docteurs Higier et Watraszewski ( « Compte-rendu », pages 8 et 12). Quant à l'état intellectuel d'Eusapia, le Dr Harusewicz ajoute : « Elle fait l'impression d'une femme douée par la nature d'une intelligence remarquable, mais peu développée et même déviée grâce aux influences nuisibles ; elle s'oriente vite dans une position inattendue et, sans connaître notre langue, comprend souvent ce dont on parle par la gesticulation et le jeu des visages. Ajoutons le tempérament variable et irritable, une ambition démesurée, un certain enivrement de sa gloire média-nique, et nous comprendrons le caractère anormal de son rapport avec les chercheurs et l'objet même des recherches; Eusapia a besoin d'une certaine culture préalable pour devenir un bon sujet de recherches scientifiques. »

La connaissance de l'état psycho-physiologique d'Eusapia, surtout pendant les expériences (les paroxysmes hystériques ne la laissent jamais en repos complet, mais sont accompagnés d'une foule de mouvements divers), justifiera le conseil donné par le Dr Higier : qu'un contrôle strict ne doit pas se contenter de constater un soulèvement du genou pendant la lévitation ou une tension du bras pendant les attouchements, mais doit prouver, qu'en effet un contact du genou avec la table a eu lieu, ou que la main a effectivement frappé un assistant. D'autre part, la caractéristique citée ci-dessus de son état intellectuel fait comprendre quelle ait parfois, en effet, de véritables intentions de tromperie.

Tout d'abord, remarquons avec le D' Harusewicz, qu'en général « les conditions favorables à l'apparition des phénomènes médianiques rendent en même temps, et d'une façon étrange, le contrôle difficile et l'abolissent même complètement » (1) « Ainsi, au commencement de la séance, Eusapia permet aux contrôleurs de lui tenir les mains et de mettre leurs pieds sur les siens; mais bientôt, sous prétexte de pression démesurée, elle met elle-même ses propres mains et pieds sur ceux des contrôleurs et rend ainsi le contrôle moins sûr; ce qui peut être d'ailleurs expliqué par l'hypéresthésie cutanée. Eusapia ne permet à un troisième contrôleur ni de rester debout derrière elle, ni de s'asseoir de côté et de tenir la main

(1) La Voix, n° 7.

sur ses genoux, disant que cela l'agace et diminue sa force. Elle s'asseoit généralement du côté étroit de la table, ce qui lui permet d'approcher les mains et les pieds des deux contrôleurs et d'employer les artifices que nous connaissons déjà. Elle exige la formation de la « chaîne » et demande que les assistants s'entretiennent entre eux : peut-être ces conditions aident-elles l'apparition, chez les assistants, des éléments psycho-physiologiques, automatiques et inconscients, qui s'unissent, selon M. Ochorowicz, avec ceux du médium pour former la force médianique ; mais il est certain qu'elles détournent l'attention, qu'elles gênent le contrôle à l'aide des mains et qu'elles peuvent servir à masquer des bruits provoqués par les manipulations du médium. Les paroxysmes hystériques pourraient servir de prétexte pour délivrer les mains et les pieds qui entrent alors en mouvement. Enfin, l'obscurité est la condition qui gêne le plus le contrôle ; d'autre part, il serait téméraire de nier, en présence des travaux de Maxwell et de Hertz sur la théorie dynamo-électrique de la lumière, que la lumière pourrait excercer une influence paralysant effectivement la formation de la force médianique. »

« Tout cela n'est que soupçons ; mais, outre les observons faites par M. Reichman, il y a un fait incontestable et maintes fois constaté par moi et par d'autres assistants, c'est que Eusapia surveille et contrôle elle-même ses contrôleurs, se fâche énormément en constatant l'interruption de la chaine ou une tentative de contrôle inattendu, et n'exécute pour la plupart ses productions qu'étant sûre de la disposition convenue des organes contrôleurs. »

Nous trouvons sur cette tromperie consciente de la part d'Eusapia, des remarques très justes dans les articles des docteurs Higier et Watraszewski dans le « Compte-rendu » (Opinions). Le Dr Higier dit d'abord : « Il ne faut pas oublier qu'on a dans les médiums des malades hystériques, et l'hystérie, comme on le sait, est souvent accompagnée d'une passion d'induire tout le monde en erreur. Puis, dit-il, chez un médium, élevé par les adeptes passionnés du spiritisme, on voit, après quelques efforts infructueux pour produire quelque chose par sa force médianique, apparaître la faiblesse de la nature humaine, le désir de restera la hauteur de la position conquise, et cette idée peu morale : que ce n'est point de la tromperie que d'aider la vérité ; ainsi le premier pas est fait avec l'emploi des épingles, des cheveux, etc. Un médium, auquel il n'importe-

rait point de convaincre les observateurs de l'existence réelle de la force médianique, se conduirait d'une façon tout à fait différente. » Et le Dr Watraszewski ajoute : « Eusapia ne peut pas comprendre que, si les phénomènes produits par elle dépendent des influences exceptionnelles liées avec son organisation, avec son humeur bonne ou mauvaise, avec son milieu et autres conditions extérieures, ils peuvent donc manquer à un moment donné des conditions nécessaires pour se manifester. Accoutumée à être toujours et partout admirée à cause de sa puissance mystérieuse, elle se croit personnellement compromise, si un phénomène ne peut être produit à un moment donné. » Ainsi se trouve absolument justifiée l'opinon du Dr Higier, que, si l'on admet l'existence des « média », il faut constater en même temps le regrettable faitque les spiritesont, sans le vouloir peut-être, formé de tous leurs « média » des prestidigitateurs et des bateleurs, jusqu'à un certain degré conscients.

Il est bien probable que les phénomènes médianiques, comme toute autre catégorie de phénomènes naturels, demandent un ensemble de conditions déterminées et appropriées àleur nature pour se produire et former l'objet des observations et des expériences; qu'ils craignent, par exemple, la lumière et soient favorisés par la formation d'une « chaîne » continue. Les observateurs et les expérimentateurs doivent donc adapter leurs moyens d'observation et d'expérience aux conditions de l'existence même du phénomène, et ne pas demander à la lune de s'approcher de la terre pour que les hommes voient mieux sa face. M. Ochorowicz a fait dans cette voie un pas considérable, en introduisant pour les buts du contrôle les signaux électriques automatiques, qui peuvent être modifiés et perfectionnés jusqu'à exclure toute tromperie, sans pourtant gêner la production môme de phénomènes. Il n'en est pas pourtant moins vrai que, dans cette catégorie des phénomènes, leur source même est susceptible de perfectionnements. « Chaque médium, dit le Dr Higier, dont les remarques, avec celles des Drs Harusewicz et Watraszewski et les travaux du Dr Ochorowicz, contribueront le plus au développement de l'étude scientifique du médianisme, a son esprit (John), ses conditions (de s'asseoir au côté étroit de la table ou de s'habiller en noir), ses caprices (la lumière rose, la chaine), qui sont pour la plupart le produit artificiel de la culture spiritique. J'ai personnellement constaté qu'Eusapia exécutait ses productions

presqu'irréprochablement à la chaîne interrompue, à la lumière ordinaire ou bleuâtre, assise au côté large de la table et vêtue d'une jupe blanche, le contrôle étant strict. S'il est donc vrai que les fanatiques du spiritisme subissent une suggestion de la part du médium, il n'est pas moins vrai qu'ils l'exercent aussi sur le médium. II faut convaincre le médium, coûte que coûte, que toutes ces conditions, si elles ne sont pas nécessaires pour tromper l'observateur, représentent ses propres caprices inconscients, établis par la tradition ou bien suggérés par les expérimentateurs. On pourrait désaccoutumer graduellement les média de la plupart de ces caprices et les rendre capables de se prêter à des recherches précises. Il faudrait écarter ces caprices, considérés souvent comme conditions sine qua non, à l'aide de persuasion à l'état de veille ou de suggestion pendant le sommeil hypnotique. Il est regrettable que l'on ait presque complètement négligé les expériences dans ce sens avec Eusa-pia. »

Deux mots pour terminer. Les expériences médianiques de Varsovie ont provoqué une lutte acharnée des partis, qui dévia jusqu'à devenir parfois personnelle. D'un côté, les théo-sophes, les occultistes, les spirites fanatiques et la plupart du public polonais, enclin, comme partout, à se représenter sous formes palpables les rapports avec le monde des esprits, a se laissèrent aller à l'illusion d'élargir à l'aide de la « science nouvelle » les limites de la science cd infinitum, de dépasser le domaine de l'observation immédiate et d'arriver aux phénomènes surnaturels » (Dr Iligier). On a même considéré le spiritisme « comme une tentative de prouver l'immortalité de l'âme à l'aide des méthodes scientifiques » (M. Prus-Glowacki). De l'autre, les représentants du positivisme traitèrent toute étude du médianisme de « retour au chamanisme des peuples primitifs » (M. Reichman), ou au moins aux pratiques du moyen âge, sonnèrent le tocsin et décidèrent de sauver la société de la réaction imminente. Cette sympathie ou antipathie aprioriques influencèrent la plupart des opinions exprimées chez nous sur le médianisme : notre société est encore engagée dans la lutte de la science contre la foi, lutte qui provoque les haines et les craintes réciproques. Espérons que la science de l'Europe occidentale, qui n'a plus de raison de craindre le « surnaturel », sera plus impartiale et se mettra enfin à étudier à l'aide de toutes ses méthodes rigoureuses les phénomènes qui s'imposent à l'étude scientifique. Il n'y a pas d'ailleurs de meilleur

moyen de sauvetage contre les spéculations erronées et téméraires, a car, dit le Dr Harusewicz, plus tôt le médianisme deviendra l'affaire de la science, et plus rapidement met tra-t-on fin aux nuisibles amusements de salon. »

Casimir de Krauz.

Un post-scriptum.

Au cours de la publication de mes articles sur le séjour d'Eusapia Paladino à Varsovie, j'ai reçu de M. Michel Lubicz-Szydlowski, propriétaire aux environs de Radom ;Polognerusse), que je connais personnellement, une lettre où il me demande de mentionner les expériences médianiques, faites par lui-môme à son château de Komorow. Avec la permission du rédacteur en chef de la Revue de l'Hypnotisme, je fais volontiers droit à sa demande et j'extrais les détails suivants de deux numéros d'une feuille provinciale, la Gazette de .Radom (ceux du 27 juin et du 11 juillet 1894], qui sont joints à l'envoi :

M. Szydlowski est lui-même un médium d'une force considérable, et s'occupe depuis longtemps des études hypnotiques et magiques ; il a même découvert, parmi les paysans de son village, un homme et deux femmes doués de grandes facultés médianiques. M. le Dr Jules Ocho-rowicz, camarade universitaire de M. Szydlowski, vint à Komorow sur son invitation, et c'est en sa présence qu'eut lieu la première séance, consacrée principalement à la lévitation d'une table, effectuée, selon le compte-rendu, dans des conditions exceptionnellement favorables au contrôle. Elle eut lieu dans un grand salon éclairé à jour, où l'on apporta une grande table de douze personnes, qui fut soigneusement examinée sans qu'on trouvât quoi que ce soit de suspect. Les assistants mirent leurs mains sur la table; le médium, M. Szydlowski, se tenait éloigné et n'approcha que sur le signe des assistants. Les bras nus jusqu'aux coudes, il fit quelques lents mouvements dans Pair, et un moment après la table, qu'il ne toucha point, s'éleva majestueusement à la hauteur d'une aune au-dessus du parquet. Cette expérience fut répétée deux fois avec le même succès.

Dans une autre séance eut lieu la matérialisation des esprits, le phénomène le plus élevé des spirites. M. Szydlowski, assis sur une petite banquette, eut les mains fortement attachées à l'aide de fortes cordes; les manches étaient également retroussées jusqu'aux coudes. Les assistants, se tenant par les mains et formant chaine, entourèrent le médium qui les pria de ne pas briser la chaine et do se tenir tranquilles. Ce n'est qu'alors qu'on éteignit la lumière ; après quelques mots d'invocation spirite prononcés par M. Szydlowski d'une voix lente et sonore, les assistants sentirent un frisson les traverser; un vent froid se fit sentir et, soudain, se dessinèrent des formes, des personnages lumineux allant et venant dans diverses parties de la salle. On entendait des bruissements, des craquements de meubles. Les formes lumineuses disparurent peu

à peu pour céder la place à des élincelles semblables aux vers luisants, qui s'éteignirent à leur tour. La lumière faite, on constata que le médium était épuisé, couvert de sueur, près de s'évanouir ; il se plaignait d'un violent mal de tête. Avant l'expérience, les assistants mirent, sur la demande de M. Szydlowski, des questions écrites dans une grande enveloppe fermée qui fut déposée sur une table, à l'autre bout de la salle. Après l'apparition des fantômes, on trouva dans l'enveloppe des réponses écrites également « courtes et précises », comme dit le récit de la Gazette de Radom.

Son désir ainsi largement statisfait, M. Szydlowski me permettra de remarquer que les comptes-rendus qu'il m'envoie ne présentent point des caractères suffisamment scientifiques. Il est notamment regrettable qu'ils ne soient point signés, qu'ils ne contiennent pas les noms et qualités des assistants, comme beaucoup de détails qui permettraient de juger les expériences.

C'est pourquoi il faut, avant tout, attendre ce qu'en dira M. Ochoro-wiez.

C. de K.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ D'HYPNQLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 16 Juillet 1894. — Présidence de m. Dumontpallier.

Fréquence de l'onychophagie et des habitudes automatiques chez

les dégénérés

Par M. le Dr E. Bérillox.

Une enquête poursuivie dans les écoles des deux sexes est venue confirmer une opinion que j'avais déjà exprimée, à savoir que l'onycho-phagie et les habitudes du même ordre sont généralement liés à la dégénérescence. La fréquence de l'onychophagie est très variable selon le milieu. Dans certaines écoles, on ne trouve que deux ou trois enfants sur dix, adonnés à l'habitude de se ronger les ongles ; dans la plupart des écoles de la ville de Paris, la proportion des onychophages est souvent très considérable et s'élève à plus du tiers des enfants observés. Un examen minutieux révèle presque toujours l'existence de stigmates de la dégénérescence. Ces enfants sont habituellement plus chétifs que les autres ; ils présentent des déformations crâniennes, des anomalies des dents, des oreilles.

(1) Voir Revue de l'Hypnotisme, 1893.

Les instituteurs notent chez ces sujets une antipathie assez marquée pour les exercices physiques et pour les jeux nécessitant des efforts soutenus. Ils écrivent mal, présentent une infériorité notable au point de vue de la dextérité manuelle. Leur application au travail est peu soutenue, leur caractère est indocile. En un mot, la comparaison avec les autres enfants du même âge dénote toujours une infériorité quelconque.

Tous les instituteurs sont d'accord pour reconnaître que les moyens pédagogiques habituellement usités sont impuissants à amener la gué-rison. Dans la majorité des cas. celle-ci ne peut être obtenue que par l'emploi de la suggestion faite dans l'état hypnotique. La suggestion à l'état de veille ne donne que des résultats isolés.

L'habitude de se ronger les ongles persiste parfois jusqu'à l'âge le plus avancé. Il nous a été donné de traiter avec succès un vieillard de soixante-douze ans, une dame de cinquante-six ans et un homme de cinquante-six ans qui, depuis leur enfance, n'avaient jamais cessé de se ronger les ongles.

Les indications cliniques de l'Hypnotisme

par M. le professeur Morselli, de Gènes.

Depuis que j'ai commencé mes recherches sur ce que l'on désignait sous le nom de magnétisme animai en 1879, dans l'asile de Macerata où j'étais directeur, je me suis convaincu de la justesse de la théorie de Braid, reprise alors par Charles Richet et quelques années plus tard par Bernheim.

Je n'ai pu malheureusement continuer mes expériences, soit à cause du manque de sujets, soit à cause de mes nouvelles fonctions de professeur, à Turin, et de médecin en chef de l'asile sus-indiqué.

Je repris mes recherches dans les années suivantes et j'ai toujours pu me convaincre que les phénomènes magnétiques n'étaient, comme on le disait alors, qu'un simple effet de l'imagination; de la suggestion, dirons-nous aujourd'hui.

Charcot et Bernheim ayant fait paraître leurs ouvrages, j'ai immédiatement vu que le premier avait par trop généralisé les quelques cas de névrose hystérique, tandis que le second décrivait les cas les plus fréquents dans la pratique, ceux-là même que j'avais observés le plus souvent.

Dès lors je penchais pour l'école psychologique de Nancy et je fus le premier en Italie, depuis 1886. à placer l'origine des phénomènes hypnotiques dans la suggestion.

L'hypnotisme se produit facilement au moins chez un cinquième des personnes des deux sexes, variant entre 15 et 10 ans ; sont réfractaires dans une certaine mesure les adultes, les enfants au-dessous de 12 à 13 ans, les personnes très bornées, les aliénés ; totalement réfractaires

me paraissent les neurasthéniques et la plus grande partie des hystériques et des dégénérés maniaques.

Les phénomènes hypnotiques que j'observe appartiennent, en grande partie, au cadre décrit par Bernheim et Richet. Le grand hypnotisme décrit par Charcot avec ses trois phases, m'a semblé un état artificiel, ou tout au moins le produit de l'hystérie préexistante chez le sujet.

Avec la suggestion l'on obtient tous les phénomènes bien connus : des paralysies, des contractures, des anesthésies, des transformations de la personnalité, des actions impulsives, des hallucinations en tout sens, etc. Je n'ai jamais pu me convaincre de la réalité de la polarisation cérébrale, la lucidité, la lecture et la transmission de la pensée, la transposition des sens, etc.

Quand on voulut me faire voir ces merveilles, je me suis toujours heurté ou à de la tromperie ou à de la simulation. Je ne veux pas dire par là que ces phénomènes, de même que la télépathie, ne puissent exister, je déclare seulement ne les avoir jamais vus, là même où d'autres prétendaient les constater.

Je n'ai jamais observé d'accidents fâcheux à la suite de l'hypnotisme, mais il faut savoir hypnotiser, et effacer, avant le réveil, toutes les impressions désagréables ainsi que le souvenir de la séance.

J'ai pourtant observé des cas, où l'hypnotisme, mal conduit ou trop violent, ou fréquemment répété ou suivi d'un réveil non amnésique, ou encore pratiqué sur des personnes neurasthéniques et affaiblies par l'épilepsie, l'hystérie, etc., avait produit des accidents physiques et même des crises convutsives. J'ai pu toujours neutraliser ces accidents. Pour parer à ces inconvénients on pourra obliger, par suggestion, une personne à ne point se laisser hypnotiser par aucune autre ; toutefois celte suggestion n'est pas toujours efficace.

J'ai eu l'occasion de voir des personnes devenir folles avec délire hypnotique ; mais ici l'hypnotisme jouait le rôle que la police, la physique, et autres visions jouent dans le délire de persécution.

Les applications thérapeutiques de l'hypnotisme sont incontestables ; mais elles ne sont ni très entendues, ni très constantes dans leurs effets. Mon premier enthousiasme s'est refroidi dans ces trois dernières années. Dans tous les cas j'ai pu, pour ma part, faire disparaître les troubles suivants :

a) Contractures hystériques (quelques séances suffisent dans la plupart des cas) ; b) céphalalgies hystériques; c) hoquet et vomissements incoercibles; d) aphonie, paralysies et anesthésies psychiques; e) idées fixes (on les combat difficilement; ; f) crises convulsives ; g) morphino-manie (résultats très intéressants); h) douleurs lancinantes du tabès chez la femme ; i) mouvements choréiformes et très rythmiques : j) bégaiement provenant des névroses ou d'affaiblissement consécutif à une fièvre ; k) incontinence diurne des urines (chez les enfants) ; l) insomnie.

L'hypnotisme ne me semble pas applicable au traitement de la folie, malgré mes tentatives réitérées.

Dans les affections organiques, l'hypnose agit cependant fort bien sur l'élément subjectif (douleur, insomnie, pessimisme, inappétence, etc. J'ai essayé les applications pédagogiques de l'hypnotisme ; je suis parvenu dans certains cas à modifier le caractère des enfants affectés de dégénérescence héréditaire. J'ai même essayé de combattre un amour contrarié. Mais les résultats ont été de courte durée, difficile à obtenir et demandant de la part du médecin une grande patience.

L'effet utile du traitement hypnotique n'est ni constant, ni durable ; il faut répéter les suggestions maintes et maintes fois. Quand on ne réussit pas dans la première ou les premières séances, contre certains symptômes tels qu'une contracture ou une paralysie psychiques, il est presque inutile de continuer les tentatives. Lorsqu'on a fait disparaître, à l'aide de la suggestion, un phénomène tel que la contracture, on peut voir survenir un autre trouble, qui peut également céder sous la même influence.

La suggestion hypnotique doit donc être aidée dans son application par d'autres moyens : l'hydrothérapie, l'élcctrothérapie, les drogues, l'isolement, le massage, la méthode de Weir-Mitchcll et Playfair, etc., lui rendent d'énormes services.

Incontestablement pourtant, la suggestion reste un puissant moyen thérapeutique, étant donnée la pénurie des traitements neuropathiques.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Un suggestionneur Russe.

On a beaucoup parlé de ce fameux Père Jean, qui s'est présenté à Livadia pour tenter la guérison miraculeuse du tsar. Notre confrère Henry Lapauze a recueilli sur lui quelques renseignements curieux.

Le Père Jean « faiseur de miracles », comme on l'a surnommé là-bas, aura tantôt soixante-quatre ans, étant né en 1830, dans une petite bourgade, à Soursk, éloigné de pas mal de verstes d'un centre important. Son père appartenait déjà au clergé. Il était sous-diacre, d'une grande bonté, mais aussi d'une pauvreté extrême.

Jean fut mis au séminaire, où on le poussa d'autant plus qu'il y donna très rapidement des preuves de sa jeune et belle intelligence. A la Faculté de théologie, où il entra ensuite, on le considéra tout de suite comme un sujet exceptionnel au double point de vue de la science et de la foi.

Parmi les guérisons miraculeuses obtenues, disent les Russes, par le Père Jean, on cite celle d'un étudiant, sorte d'esprit fort qui avait parié de lui jouer un bon tour :

— Vous verrez, disait-il, que si je me couche, en faisant croire que je suis malade, il ne s'apercevra pas de la supercherie.

Il lit comme il avait dit. il se coucha. Le Père Jean vint et dit :

— Reste ainsi que tu es.

Et comme le prêtre avait tourné le dos, le jeune homme voulut se lever. Vains efforts : il était frappé de paralysie ! On va de nouveau supplier le Père Jean, qui revient et doucement, mais avec un ton de volonté supérieure, prononce,ces paroles :

— Crois ! crois ! Il faut croire !

II tombe en prières, et quand il a fini, l'incrédule étudiant est guéri !

Une autre fois, un malade vient chez le Père Jean : « Enlevez-moi ma souffrance, bon Père, lui dit-il ; ce que je sens est horrible ». Le prêtre le regarde, il lui demande s'il croit fermement, et quand le patient eut répondu « oui », il lui fait boire dans une tasse où il avait bu lui-même auparavant. Tous deux prient et, après une invocation au Seigneur, le malade part : il n'a plus souffert depuis.

A Saint-Pétersbourg, dans la Grandc-Morskaïa, un général très célèbre a vu mourir, coup sur coup, deux de ses filles. Son fils aîné est frappé d'un mal terrible et qui ne pardonne pas. On appelle le Père Jean, et celui-ci accourt. Il prie d'abord, puis il pose cette double question à celui qui va mourir :

— Crois-tu ? Veux-tu croire ? Comme un souffle, sa voix répond :

— Je crois ! 11 est guéri.

On cite cent exemples de même nature. Le Père Jean ne guérit pas tous ceux qu'il approche, mais beaucoup sont soulagés par sa présence et recouvrent la santé. Ce que nous venons de citer de lui, prouve' qu'il applique admirablement la suggestion.

Influence des impressions morales sur le diabète.

Dans sa thèse récente sur le diabète et la glycosurie d'origine nerveuse, M. le Dr J. Sorel rappelle les deux observations suivantes qui montrent bien l'influence que peuvent avoir les impressions morales sur le diabète.

Dreyfous a raconté le fait suivant dans sa thèse d'agrégation : Un malade de M. Landouzy, commerçant de 40 ans, arthritique émérite, diabétique à un faible degré ( 3 grammes par 24 heures), sans amaigrissement, sans polydipsie, sans polyurie, qui se maintenait dans des conditions de santé bonne, se sentait fort, vaquait à ses affaires, n'était rien moins que frigide et se serait cru tout à fait bien portant, n'étaient les avertissements de l'analyse urinaire, quand, soudain, il perdit ses forces, maigrit, fut pris de soif vive et de polyurie (3 à 4 litres d'urine par vingt-quatre heures ) et se mit à rendre 24 grammes de

sucre par litre sans que rien autre chose ne fût survenu, qu'un immense chagrin... i! avait été trompé par sa femme. Le malade en avait éprouvé « une commotion comme jamais il n'en avait ressentie. » C'est à la suite de cette commotion que le diabète s'est brusquement aggravé (plus de 72.gr. au lieu de 3 gr. par jour ), et cette perturbation violente du système nerveux s'est révélée non seulement par la glycosurie, mais encore par des troubles fonctionnels du système nerveux rendus directement tangibles par la disparition totale du réflexe patellaire.

Le même auteur cite également un malade dont parle M. le professeur Bouchard... Devenu diabétique sous l'influence de luttes parlementaires violentes et obstinées, il avait guéri à l'occasion d'un changement de ministère qui avait mis fin à ses préoccupations et à son excessive activité. Cet homme vint en Europe guéri ; il alla faire une cure à Carlsbad. et pendant toute la durée de son séjour dans cette ville, on ne trouva pas une seule fois du sucre dans ses urines. Le jour du départ, il entre dans une violente colère, il ressent immédiatement de la sécheresse de la bouche, et ses urines examinées à l'instant même renferment du sucre !...

Polyurie hystérique et suggestion.

La polyurie survenant dans le cours de l'hystérie n'a été encore qu'assez rarement signalée : cependant, sa nature ne peut être mise en doute, et M. le D' Pierre Erhardt, qui vient de réunir dix-sept observations sur ce sujet, montre dans sa thèse que cette polyurie occupe une place importante parmi les polyuries simptomatiques.

Elle est en somme fréquente, et, chose remarquable, s'observe sur- tout chez l'homme, prédominance qui peut s'expliquer par l'influence de l'alcool qui semble jouer dans l'éclosion de la polyurie le rôle d'agent provocateur au même titre que dans la névrose. Elle peut, d'ailleurs, exister en dehors de tout autre stigmate, constituant ainsi une forme d'hystérie monosyraptomatique, et peut alterner ou se substituer à une autre manifestation névropatique.

Elle débute souvent brusquement, quelquefois au contraire graduellement, s'accompagnant, consécutivement, d'une soif constante, mais beaucoup moins intense que celle que l'on observe dans le diabète sucré ou insipide.

Un point intéressant est que beaucoup de ces malades ont présenté de l'incontinence d'urine dans leur enfance. Quant à la composition des urines, elle présente celte particularité que la proportion des chlorures y dépasse toujours la normale et que ces urines renferment un grand excès de chlorure de sodium. La polyurie hystérique serait dohc une chlorurie.

. La quantité excrétée a varié dans de grandes proportions : le maximum observé a été de 25 litres. Ce qui attire surtout l'attention des

Tremblement hystérique simulant la paralysie agitante.

M. Kliatschkine (de Kasna) décrit un cas d'hystérie qui ressemblait, à s'y méprendre, à la maladie de Parkinson. Un paysan de trente-deux ans, après une grande peur, fut pris d'un tremblement d'abord des extrémités supérieures et inférieures droites, puis de celles du côté gauche. L'attitude du malade rappelait exactement celle de la paralysie agitante (rigidité légère de la nuque et des membres, exagération des réflexes rotuliens, mouvements d'antépulsion et de rétropulsion). Il y avait en plus une anesthésie de la moitié droite du corps, sauf une bande étroite d'hyperesthésie, anesthésie intéressant la peau et les muqueuses pharyngienne et buccale, et la conjonctive du côté correspondant, avec rétrécissement du champ visuel, affaiblissement de l'ouïe, du goùtetde l'olfaction du même côté. Exagération de la sécrétion sudorale à droite. Après quelques séances d'hypnotisme, les phénomènes sensitivo-sen-soriels ont disparu, le tremblement a changé de caractère, est devenu franchement hystérique. M. Kliatschkine admet l'hystérie pure, simulant la maladie de Parkinson ; car s'il y avait coïncidence des deux affections, l'hypnotisme n'aurait pas eu une action aussi franche.

REVUE BIBLIOGRAPHIQUE

Apparitions and Thought-transference.

(By Frank Podmore, M.-A. London. Walter-Scott. Ltd 24 Warwick Lane. 1891).

Le dernier livre publié par la Contemporary Science Series a pour titre : « Les Apparitions et les Transferts de pensée. » C'est un examen très sérieux et surtout scientifique de l'évidence recueillie par la « Société des Recherches Psychiques » de certains phénomènes d'occurrence persistante, et que nous ne pouvons expliquer qu'en modifiant

malades au début, c'est la pollakiurie, bien plus que la polyurie, dont ils ne se rendent compte que lorsqu'elle a atteint un chiffre déjà assez considérable. A cette pollakiurie d'origine purement mécanique au début, vient s'ajouter chez ces névropathes une pollakiurie psychique qui ne s'installe que lorsque l'attention des malades est attirée sur leurs organes génitaux ; des lors les préocupations vésicales les assiègent continuellement, d'où les habitudes de mictions fréquentes qui en sont la conséquence.

Il y a là un ensemble de phénomènes qui permettent de discerner assez facilement cette forme de polyurie des autres, mais ce qui la caractérise essentiellement, c'est l'influence considérable de la suggestion sur le symptôme. M. Ehrardt cite ainsi un certain nombre de faits dans lesquels on a obtenu la guérison par ce moyen.

dans une certaine mesure nos théories scientifiques. Ces phénomènes, qui autrefois étaient considérés comme des miracles ou comme de la sorcellerie, selon qu'ils se produisaient en dedans ou en dehors de la sanction ecclésiastique, paraissent, aujourd'hui, se rattacher plus ou moins aux faits que la science médicale a mis en observation sous le nom d'hypnotisme.

M. Podmore a fait son livre d'une main de maître: et, chose qui ajoute considérablement à la valeur de l'ouvrage, il débule par initier ses lecteurs aux méthodes adoptées par la « Société des Recherches Psychiques » dans ses études ; de sorte que les profanes aussi bien que les savants peuvent entrer en matière, en connaissance de cause.

Après un chapitre ayant trait au transfert, à l'état normal, de goûts, de douleurs, de sons et d'images, suit un deuxième consacré aux cas des personnes qui ont éprouvé les mêmes phénomènes dans un état d'hypnose. L'auteur aborde ensuite certains faits du spiritisme, auxquels d'ailleurs, il ne croit pas, et, vers le milieu du livre, il cite de nombreuses expériences portant sur les transferts de pensée et de volonté. La deuxième moitié de l'ouvrage qui traite des diverses sortes d'hallucinations et des phénomènes de clairvoyance, conduit l'auteur à son résumé, qui est en même temps un exposé de la doctrine que soutient M. Podmore, à savoir la télépathie. Qu'est-ce que la télépathie ? Selon notre auteur, c'est la communication à distance de deux personnes au moyen des vibrations de l'air ou de l'éther de notre globe ; c'est-à-dire, supposé une certaine ressemblance physiologique et psychologique dans l'esprit de deux personnes, une espèce de télégraphie peut s'établir entre elles, qui permet l'échange de sentiments, de pensées, même de messages nettement déterminés.

La manière de cette transmission, M. Podmore la croit toute physique, bien qu'il ne soit pas à même de l'expliquer autrement que par l'analogie du courant électrique. Les changements physiques dans le cerveau, amenés par la pensée ou la sensation, produiraient des ondulations de l'éther ambiant, et exciteraient des changements correspondants dans le cerveau d'une autre personne si toutefois les rapports entre les deux cerveaux sont suffisamment sympathiques. Cette hypothèse a été chaudement soutenue par le Dr Ochorowicz dans son livre, a De la Suggestion Mentaie ». publié à Paris en 1881, et c'est celte thèse que M. Podmore s'efforce de développer.

Il nous serait impossible, dans cette courte notice, de donner aucun des cas intéressants cités par M. Podmore. Le choix est on ne peut plus judicieux, et nous n'avons qu'une critique à faire : c'est que l'auteur, dans son désir de distinguer le vrai d'avec le faux en ce genre de phénomènes tellement exploités par le charlatanisme, nous semble ne pas tenir suffisamment compte de certains faits que sa théorie ne touche pas, et qui, néanmoins, ne peuvent être classés ni comme des hallucinations, ni comme de la supercherie. F. Lawtok.

COURS ET CONFÉRENCES

L'œuvre du professeur Charcot.

Leçon d'ouverture de m. le professeur Raymond, à la Salpétrière.

Vendredi, 16 novembre, M. Raymond, successeur de M. Charcot, a inauguré son cours de clinique des maladies nerveuses à la Faculté de médecine de Paris, devant un auditoire aussi brillant que nombreux, avide d'entendre la leçon d'ouverture du nouveau professeur.

Le savant titulaire, parfaitement à la hauteur de sa tâche, a commencé par l'éloge du professeur Charcot, sa vie, son œuvre. Dans un langage aussi élevé qu'attrayant, il a retracé, non sans une profonde émotion, les traits principaux de cette grande figure qui jeta un si vif éclat sur l'hospice de la Salpétrière, par son enseignement, ses travaux, ses émi-nentes qualités professionnelles. Il a rendu un légitime hommage et payé une dette dereconnaissance ô son ancien maître, à qui il doit en grande partie sa destinée actuelle.

Passant sous silence les vertus de l'homme privé, la vie patriarcale qu'il a menée au sein d'une famille jalouse de sa gloire et qui ne vivait que de son bonheur, son âpreté au travail et son indomptable ténacité, ses merveilleuses aptitudes d'artiste, la manière dont, en qualité de chef d'école, il comprenait ses relations avec ses élèves, enfin le dévouement professionnel qu'il a prodigué à ses malades à l'hospice de la Salpétrière pendant près d'un demi-siècle, M. Raymond s'est attaché principalement à donner une idée aussi fidèle que possible médicale, et, comme préambule de sa carrière médicale, de son esprit scientifique, de sa méthode, de ses principes.

« Né à Paris le 29 novembre 1825,Jean-Martin Charcot commença ses études médicales en 1844; quatre ans plus tard, en 1848, il était nommé interne des hôpitaux. Pendant les quatre ans qu'il passa à l'internat, il eut pour chef de service le professeur Rayer, qui exerça une influence décisive sur ses destinées.

Au sortir de l'internat, en 1853, il fut nommé chef de clinique auprès du professeur Pîorry. En 1856, il concourait avec succès au bureau central des hôpitaux et, en 1860, arriva à l'agrégation, après avoir failli échouer. Aussi a-t-il toujours tenu en médiocre estime le concours considéré comme instrument destiné à juger les qualités venues et à venir d'un médecin. Ce fut en 1862, son stage de médecin du bureau central terminé, que Charcot arriva comme chef de service à la Salpétrière, la même année que son ami Vulpian.

Avec Charcot et Vulpian, une ère nouvelle s'ouvrit dans l'histoire de la Salpétrière. Ce domaine perdu apparut h ces deux esprits clairvoyants comme une mine féconde qui contenait des trésors, dont on avait jusque-

là méconnu la valeur. Tous deux, unis par une étroite amitié, associèrent leurs efforts pour en faire profiter la science jusqu'en 1869, époque à laquelle Vulpian quitta la Salpétrière pour l'hôpital de la Pitié. Charcot resta seul et n'abandonna jamais la Salpétrière, ce qui témoigne en faveur de la ténacité et de la constance de son caractère.

A l'approche de la quarantaine, s'appuyant sur la méthode anatomo-clinique et sur des principes d'une incontestable supériorité, il se prépara, dans le recueillement de la maturité, à fonder une œuvre durable. Il apporta autant d'ardeur à se tenir au courant des travaux étrangers ayant trait à la pathologie médicale, qu'il en avait mis à l'égard des autres branches des sciences biologiques. En possession de matériaux cliniques, il se borna, pendant une série d'années, à vulgariser en France, dans des revues de journaux, ceux d'entre les travaux étrangers qui lui paraissaient utiles à être connus des médecins, ses compatriotes. Mais il s'agissait alors de vulgariser les données acquises après de longues années sur le terrain de la clinique. C'est pourquoi Charcot n'hésita pas à recourir à la voie de l'enseignement.

Cet enseignement comprenait d'abord des leçons de choses, c'est-à-dire la figuration vivante des épisodes remarquables d'une maladie par la présentation des malades. Il embrassait une branche de la pathologie où tout était à remanier ou à créer, savoir : la pathologie des centres nerveux. Cet enseignement offrait donc l'attrait de la nouveauté. En-outre, il trouva dans le milieu où il se trouvait, l'occasion d'étudier les caractères généraux de la pathologie sénile ; c'est seulement un peu plus tard qu'il commença ses leçons sur le système nerveux.

L'enseignement inauguré par Charcot, en 1866, à la Salpétrière, ne tarda pas à obtenir un vif succès, malgré de déplorables conditions matérielles et l'éloignement des hôpitaux : il ne s'est pas démenti pendant plus de vingt années consécutives, en raison principalement des qualités dont faisait preuve M. Charcot.

Sans souci de briller, sans discourir jamais inutilement, il n'avait d'autre préoccupation que d'instruire et convaincre. Ennemi de l'improvisation, qui cependant lui était facile, il n'a cessé de consacrer un temps relativement considérable à la préparation de ses leçons, alors même qu'il avait à exposer des sujets dont il était imbu; parfois il se donnait la peine d'écrire sa leçon en entier de sa propre main. La leçon, une fois écrite, Charcot se gardait bien de la lire ou de la réciter comme un exercice de mémoire.

Pour faire pénétrer sa pensée et la graver profondément dans l'esprit de ses auditeurs, il savait faire appel à toutes les ressources de son imagination. II s'attachait d'abord son auditoire par un langage dépouillé de toute vaine recherche, mais d'une grande netteté d'expression. Aussi réussissait-il à rendre intelligibles et même attrayantes, aux moins avancés, les notions les plus arides relatives à l'anatomie, la physiologie, la pathologie des centres nerveux.

Doué d'une érudition étonnante, il savait se borner, en ce sens qu'il n'utilisait sa connaissance do la littérature médicale, française et étrangère, que pour les besoins exacts de la thèse qu'il se proposait d'exposer. Dans un langage séduisant de simplicité et où chaque mot avait sa valeur propre, il s'emparait peu à peu de son auditoire ébloui par la lucidité merveilleuse de sa parole et fasciné par son regard pénétrant.

Son enseignement ne s'adressait pas qu'aux oreilles. Ses leçons didactiques étaient surtout des leçons de choses. Voulait-il, lors de la description d'une maladie, mettre en relief les traits les plus saillants de cette description, il ne négligeait jamais de présenter un ou plusieurs malades qui réalisaient ces traits d'une façon nette. Bien plus : il mettait en parallèle avec ces malades, d'autres qui présentaient les mêmes traits, avec des différences peu apparentes au premier abord, mais néanmoins d'une grande importance.

C'est ainsi que l'auditeur se familiarisait très vite avec tous les phénomènes qu'on observe dans les différentes affections des centres nerveux.

Par des artifices ingénieux, il amplifiait quelquefois tel symptôme pour en faire ressortir les caractères spécifiques. Qui, parmi ses auditeurs fidèles du temps passé, n'a présente à l'esprit cette collection bizarre mais instructive de malades trembleurs, munis de coiffures terminées par de longues tiges et que Charcot présentait, dans son amphithéâtre, pour démontrer les caractères oscillatoires des diverses variétés de tremblements? Chose non moins attrayante dans cet enseignement libre ! une large part y était faite à l'exposé des résultats de sa méthode anatomo-clinique, à l'étude du siège exact et de la nature des lésions, dont dépendent les symptômes. 11 fit de son laboratoire un centre de recherches où se sont formés un grand nombre d'anatomo-palhologistes et d'où sont sortis des travaux de premier choix.

Lorsqu'en 1872, la chaire d'anatomie pathologique de la Faculté devint vacante par suite de l'accession de Vulpian à la chaire de médecine expérimentale, Charcot fut naturellement choisi pour l'occuper. Il y déploya les mêmes qualités qui avaient couronné d'un si vif succès son enseignement libre. Il se consacra néanmoins de plus en plus à l'étude des affections nerveuses. »

M. Raymond remémore ici l'époque où étaient agitées, parmi les savants, des questions qui passionnaient au plus haut degré tous ceux qui s'intéressent aux choses de la médecine, de la physiologie, de la psychologie — où le monde des biologistes était partagé en deux camps sur la question des localisations cérébrales, qui fut pour Charcot l'occasion d'assurer le triomphe de sa doctrine en même temps que la démonstration de la suprématie de la clinique sur l'expérimentation pathologique — où l'étude de l'hystérie entra dans une voie nouvelle et où les belles recherches de Charcot firent enfin connaître les lois qui régissent les manifestations, en apparence si désordonnées, de la grande névrose, dite proléiforme — où enfin Charcot, saisissant les rapports de l'hysté-

rie avec certains états ou phénomènes qui relèvent de l'hypnotismci entreprit de réhabiliter une étude reléguée dans le domaine du charlatanisme et de la supercherie par les représentants de la science officielle.

Conformément à un vœu maintes fois exprimé par Charcot, une chaire de clinique des maladies du système nerveux fut créée à la Salpétrière, en 1889. Inutile de dire qu'il fut désigné pour l'occuper. En y montant, il fit l'énumération des améliorations et des perfectionnement apportés jusqu'à ce jour dans son enseignement.

Charcot ne s'est pas contenté d'inspirer, par un nombre prodigieux de travaux et de recherches, ceux qui ont été ses élèves à des titres divers. Il leur a falicité l'occasion de les produire au grand jour, en présidant à la fondation de journaux spéciaux et de revues. II a pris une part considérable aux travaux des sociétés savantes ; il a été un des fondateurs de la Société de Biologie et son vice-président en 1860. Membre de la Société Anatomique depuis 1852, il a présidé les séances de 1872 à 1882, pendant tout le temps qu'il fut professeur d'anatomie pathologique et presque sans manquer une séance. Il fut élu membre de l'Académie de Médecine en 1872 et membre de l'Institut en 1883. La liste des titres honorifiques, dont il a été comblé dans tous les pays du monde savant, et notamment en Angleterre, en Russie, en Allemagne, est trop longue pour les rappeler ici. Dès 1883, il ne comptait pas moins de 27 titres honorifiques.

Charcot était doué d'un discernement qui lui a valu la qualification de « visuel de génie » de la part d'un des neuropathologistes les plus compétents de notre époque, de Strümpell.

Son rôle en médecine a été à la fois celui d'un homme d'avant-garde, d'un novateur de génie et d'un chef d'Ecole. Il s'est rallié à toutes les innovations utiles ; il a contribué à les vulgariser sans jamais exagérer leur valeur. Il a introduit en France l'usage de lathermométrie clinique et, l'un des premiers, il a contribué â faire connaître les services que les recherches histologiques pouvaient rendre aux cliniciens. Comme chef d'Ecole, il a été à la fois un créateur, un initiateur et un inspirateur.

On peut dire, sans exagération, qu'à l'heure actuelle, presque en tous les lieux où H existe un enseignement de la neuropathologie, on est sûr de trouver parmi ses représentants des hommes qui ont fait ou complété leurs études à la clinique de la Salpétrière et qui répandent, de par le monde, les idées, les doctrines, la méthode du plus célèbre des neuropathes de ce temps. Avec lui a disparu le plus grand médecin de ce siècle.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme,et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur lès questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assiter et sont exercés à la pratique de la psychothérapie. M. le D' Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, fait, tous les jeudis à dix heures et demie, des leçons sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

M. le Dr !.. \ -. membre de l'Académie de médecine, a fait don à l'Institut psycho-physiologique d'instruments destinés à provoquer le sommeil (miroirs à alouettes, etc.), de cerveaux préparés, de dessins et de photographies de coupes de cerveaux.

Université de Londres. (Bethlem Hospital). — M. le Dr Milne Bram- vell vient de faire à Bethlem Hospital de Londres, un cours très suivi sur les applications cliniques de l'hypnotisme.

Ecole des hautes-études. — Psychologie. — Le laboratoire de psychologie des hautes études (à la Sorbonne], dirigé par MM. Beaunis et Binet, est ouvert tous les jours, à partir du 22 novembre ; on s'inscrit le jeudi, à deux heures, auprès de MM. Philippe et Courtier, chefs des travaux.

Un nouveau journal d'études psychiques. — M. le D' Ermacora, de Padoue, nous annonce la publication prochaine de la Rivista di stxidi psichici.

Académie des Sciences.— L'Académie des Sciences vient de décerner à M. Gustave Philippon, docteur ès-scicnccs, inspecteur de l'instruction publique, un prix de 500 francs (legs Montyon), pour ses travaux ayant pour effet « les effets physiologiques de la compression et de la décomposition sur les animaux. ,

Faculté de Paris. — M. le Dr Luys vient d'offrir à la Faculté de médecine, pour le musée Dupuytren, une collection de cerveaux momifiés qu'il a préparés lui-même. Cette collection comprend 220 lobes

cérébraux et présente des échantillons multiples de lésions du cerveau humain depuis les plus communes jusqu'aux lésions les plus caractéristiques de la folie.

Académie de médecine. — Aux termes de son testament, M. Herpin, en son vivant rentier, demeurant à Paris, avenue de l'Aima, 58, décédé .à Brides en Savoie, a chargé ses exécuteurs testamentaires de faire les démarches nécessaires auprès de l'Académie de médecine pour la fondation d'un prix annuel de 3,000 fr., qui portera le nom de : « Prix Théodore Herpin, de Genève », et sera destiné à récompenser chaque année le meilleur ouvrage sur l'épilepsie et les maladies nerveuses. Les exécuteurs testamentaires achèteront dans ce but une inscription de 3,000 fr. de rente 3 0/0 française que M. Herpin lègue à l'Académie de médecine.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

D' G. Apostoli. — Travaux d'élcctrolhérapie gynécologique. Un volume in-4°, 711 pages. Société d'éditions scientifiques, 4, rue Antoine-Dubois. Paris, 1894.

M. Cottignies. — La législation des Aliénés au Congrès de médecine mentale. Brochure in-4% 32 pages. Millot frère et Cie, 20, rue Gambetta. Besançon, 1889. «

Dr Georges Dumas. — Les états intellectuels dans la mélancolie. Un volume in-86, 142 pages. Félix Alcan, 108, boulevard Saint-Germain. Paris, 1895.

Césah Lefort. — Solution biologique de l'énigme cosmique. Broch. in-4°, 16 pages, O. Berthier, 104, boulevard Saint-Germain. Paris, 1894.

Lucien Puteaux. — Elude sur l'alcoolisme en Suisse. Brochure in-4', 67 pages. Imprimerie typographique de l'école d'Alembert. Monté-vrain, 1894.

D" A. W. van Renterghem et F. van Eeden. — Psycho-Thérapie. Un volume in 4°, 291 pages. Société d'éditions scientifiques, 4, rue Antoine-Dubois. Paris, 1894.

M. le baron T. de Ravisi. — Egyptologie. Un volume in-4°, 604 pages. Maisonneuve et Cie, 25, quai Voltaire. Paris, 1880.

A. Pitres. — Rapport sur la question des aphasies. Brochure in-4°, 29 pages. G. Gounouilhou, 11, rue Guiraude. Bordeaux, 1894.

Dr Lad Haskovec. — Effet hypnotique du chlorolose, extrait. Brochure in-4°,4 pages. G. Masson, 120, boulevard St-Germain. Paris, 1894.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imprimerie A. Quelqcejeu, rue Gerbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE.

9e année. — n° 7. Janvier 1895.

LE CONCOURS DE L'AGRÉGATION EN MÉDECINE

Le concours de l'agrégation devant le Congrès de l'enseignement supérieur. — Définition du professeur moderne. — Le remplacement du concours par l'institution des privat-docent. — Les grands progrès de la médecine sont dus à l'enseignement médical libre. — Opinion de la presse médicale. — Conclusions.

Le concours pour l'agrégation, en 1892, a donné lieu à des revendications assez bruyantes. Des candidats ont cru pouvoir porter l'affaire devant le Conseil d'Etat qui s'est enfin décidé à statuer, à la veille de l'ouverture du concours de 1895.

Le principal grief des candidats évincés était tiré de ce fait que lejury, informé d'une indisposition passagère d'un de ses membres, s'était ajourné au lendemain, au lieu de se compléter par un tirage au sort fait parmi les membres suppléants.

Ces candidats croyaient pouvoir soutenir cette thèse que, si le membre absent eût été sur-le-champ remplacé, leurs chances eussent été modifiées. Ils déclaraient que cette irrégularité avait pu vicier à leur détriment les opérations faites.

Le Conseil d'Etat n'a pas pensé comme eux, parce que le premier jour, il n'a été procédé à aucun acte de concours, les opérations ayant commencé seulement le lendemain, quand le jury était au complet.

Ce procès n'a pas été sans causer dans le grand public un vif sentiment de surprise. Il a paru singulier que des candidats aient pu affirmer cpi'ils auraient eu plus de chances de succès avec un jury qu'avec un autre. Admettre que la seule intervention d'un nouveau juge peut modifier les résultats d'un concours, n'est-ce pas insinuer que la capacité du candidat n'est pas seule en cause, et que le juge fait entrer en compte ses propres sentiments, à l'exclusion de ce qu'il doit à l'équité scientifique absolue ?

Se placer sur ce terrain, est évidemment aller trop loin. Le jury est constitué par des hommes estimables, dignes de tout

notre respect, et si les mêmes récriminations se reproduisent à la suite de chaque concours, ce n'est pas sur les hommes qu'il faut en faire, retomber la responsabilité, mais sur l'institution elle-même.

Au récent congrès de' l'Enseignement supérieur, tenu à Lyon, au mois d'août 1894, la question du recrutement des professeurs des Facultés de médecine avait été exposée dans un rapport rédigé par MM. les professeurs Lépine et Lortet. Lorsque ce rapport fut mis en discussion dans la section de médecine, le rapporteur, M. Lépine, avec un grand libéralisme, lit observer qu'il n'avait obéi qu'à une seule préoccupation, celle de présenter la situation sous son véritable jour, sans vouloir imposer son opinion à personne. Après avoir établi la différence qui sépare le praticien, le médecin d'hôpital du professeur, il résumait dans les lignes suivantes le rôle de celui auquel l'Etat confie la mission d'élever les jeunes générations médicales : « Que faut-il pour les élever ? Suffit-il de leur transmettre fidèlement le trésor des connaissances que nous ont laissé nos devanciers ? — C'est ce que faisaient les maîtres durant le moyen âge, si stérile. Mais, depuis la Renaissance, qui fut une véritable révolution scientifique, on ne comprend plus de cette manière l'enseignement supérieur : de dogmatique, il est devenu essentiellement critique et rénovateur. Les meilleurs maîtres sont les travailleurs, ceux qui prouvent par l'exemple que, sauf les vérités mathématiques, il n'y a point de vérités scientifiques absolues et définitives; que si on n'atteint jamais la vérité, notre destinée est de nous efforcer de nous en rapprocher sans cesse ; que la science est un perpétuel devenir. — En instituant des professeurs de faculté, l'Etat leur impose donc implicitement l'obligation de chercher les voies conduisant au progrès. Professeur veut dire chercheur. — Faire des découvertes est la meilleure manière d'enseigner. »

Or, la préparation des concours, toujours longue, est-elle compatible avec les recherches personnelles? Ceux qui se livrent à des études qui n'ont pas d'autre effet que de transformer leur cerveau en dictionnaire ambulant ne se condamnent-ils pas d'eux-mêmes à la stérilité scientifique? I! y avait là un beau thème à soutenir pour les adversaires du concours de l'agrégation. Aussi, dans la séance de la commission, divers orateurs ont eu beau jeu pour ébranler sur sa base une institution surannée et ils ne se sont pas fait faute de rappeler le bruit soulevé autour des derniers concours. Est-il utile d'insis-

ter sur tous ces faits : les places données à l'avance une fois le jury tiré; l'aveu public de ces faits par les juges eux-mêmes; les candidats se retirant quand ils n'ont pas leur jury; certain juge faisant de même et déclarant publiquement que, du moment qu'il en est ainsi, il est bien inutile de lui faire perdre son temps; les disputes terribles et les inimitiés profondes survenant par la suite entre partis ennemis; les scandales qui font le tour de la presse, etc., etc.

La section de médecine avait commencé par admettre un principe nouveau, celui de la rétribution directe des agrégés par leurs élèves. M. le Dr Bérillon, représentant de l'enseignement médical libre, fit observer que l'adoption de ce principe entraînait, comme conséquence inévitable, la liberté laissée aux élèves de choisir le professeur qui leur conviendrait le mieux. Autrement il n'y aurait rien de nouveau qu'une aggravation de charges pour l'élève. En conséquence, il proposait de mettre aux voix la motion suivante : Le concours de l'agrégation est supprimé. Il complétait sa proposition en demandant que l'agrégation supprimée fût remplacée par une organisation analogue à celle qui existe dans les universités allemandes, et qui repose essentiellement sur l'institution des privat-docent. Dans ces universités, le personnel enseignant se compose de professeurs ordinaires (titulaires), de professeurs extraordinaires, assistés par des chefs de travaux et des préparateurs, tous rétribués par l'université, et de privat-docenten qui n'en reçoivent aucun traitement.

Les professeurs ordinaires sont nommés à vie, à traitement intégral et inamovibles ; les professeurs extraordinaires sont nommés à temps. Les privat-docenten étant la pépinière où se forment et grandissent ceux qui plus tard seront les professeurs, on voit qu'à la base du système allemand est la liberté, l'indépendance, mais aussi la lutte parfois dure, et au sommet la sécurité et la stabilité. Comment se fait, dans chacune de ces .universités, le recrutement des professeurs?

Il se fait parmi les docteurs; mais ce grade est loin d'être, en Allemagne, l'équivalent scientilique de celui auquel nous donnons le même nom : c'est plutôt un titre d'apparat et d'ornement. Aussi, le premier pas à franchir pour un docteur qui se destine au professorat est-il d'obtenir le titre de privat-docent, qui lui donne le droit d'enseigner dans l'Université, à ses risques et périls d'ailleurs, telle théorie scientifique qui lui convient.

Pour cela, le candidat doit prouver, par un certain nombre de travaux originaux, qu'il est apte aux recherches scientifiques. Il doit aussi montrer, par l'analyse et la discussion des travaux faits avant lui. qu'il possède une réelle capacité pédagogique.

Son avenir ultérieur dépend alors du succès de son enseignement, du nombre d'élèves et de travailleurs qu'il sait réunir autour de lui, et des travaux qu'il publie ou suscite. Le privat-docent ne reçoit d'ailleurs en général pour cela aucun subside de l'Université. Il est au contraire entraîné à des dépenses parfois considérables ; dans les sciences expérimentales, par exemple, il s'entoure de préparateurs, achète des produits rares, ne néglige rien pour arriver, par ses découvertes, à la notoriété scientifique, sans laquelle l'accès des chaires magistrales lui est interdit.

Une université l'appelle alors dans son sein comme professeur extraordinaire, puis bientôt une autre comme professeur ordinaire ; et si sa notoriété continue à grandir, les universités riches, dont les ressources sont considérables et qui sont libres de fixer le chiffre de son traitement, se le disputent afin d'attirer chez elles les étudiants que son enseignement séduit, et de tirer ainsi de sa présence renom et profit.

M. Bérillon ne manqua pas de faire valoir, à l'appui de sa proposition, les raisons les plus légitimes, et en particulier celle qui peut être tirée de la situation faite aux agrégés eux-mêmes par l'organisation actuelle. Le nombre des places vacantes limite le nombre de ces agrégés qui, pendant neuf ans, sont appelés à professer ; après quoi, à moins de rares circonstances, ils rentrent dans le rang et redeviennent des praticiens plus ou moins célèbres. Il demandait, dans l'intérêt bien entendu de tous ceux qui se sentent la vocation d'enseigner, que le professorat ne fût plus un monopole aussi étroit. Au lieu de limiter le nombre des professeurs, pourquoi ne pas donner à tout candidat qui présenterait les aptitudes et le savoir nécessaires, le droit d'enseigner à ses risques et périls, dans les bâtiments mêmes de l'Etat? Il en ferait sa carrière si ses goûts l'y poussaient, il se formerait un auditoire fidèle qu'il n'aurait pas à craindre d'avoir à quitter après une période de neuf ans.

Il est absolument évident que cette situation précaire de l'agrégation aboutit à un enseignement donné sans enthousiasme par des hommes qui se préoccupent, et avec raison, de

s'assurer après neuf ans une situation sortable. Ils font, à l'abri de leur titre de professeur rétribué par l'Etat, moins de leçons que de clientèle. A quoi bon s'échauffer dans une entreprise qui n'est que temporaire et mal rétribuée, et sans concurrence qui stimule ? On y cherche le brillant du titre, qui fait valoir le prix des visites et des opérations; mais se préoccuper d'étendre l'enseignement, de le mettre à la hauteur des progrès modernes, de s'outiller en vue des perfectionnements à apporter au savoir que l'on donne : à quoi bon?

Tous ces arguments ont paru valables aux professeurs présents, puisqu'ils ont adopté, à l'unanimité, le premier article de la proposition soutenue par M. le Dr Bérillon, à savoir : le concours de l'agrégation est supprimé. Mais à peine ce premier article était-il voté, qu'effrayés de leur propre audace, les orateurs se perdaient dans une discussion confuse, dans laquelle, en même temps que la préoccupation de sauvegarder les droits acquis, se manifestait la crainte que la concurrence des nouveaux privat-docent ne fit pâlir la renommée des anciens agrégés. C'est ainsi que, sous forme d'amendements, furent successivement adoptés les articles suivants, qui réglementent une fonction dont l'article premier votait purement et simplement la suppression :

Art. 2. — Chaque faculté s'adjoint le nombre d'agrégés qu'elle croit utile;

Art. 3. — Les cours libres que les agrégés seraient autorisés à faire ne donneront lieu, de la part de l'Etat, à aucun traitement, mais seulement à une rétribution résultant d'une taxation scolaire fixée par la faculté ;

Art. 4. — Les règlements détermineront les rétributions accordées aux agrégés pour les suppléances, les examens et les enseignements imposés ;

Art. 5. — Un nouveau titre garantissant des connaissances générales, par exemple celui de « docteur ès sciences biologiques », obtenu dans des conditions analogues à celles qui sont indiquées dans le rapport de MM. Lépine et Lortet, sera exigé des candidats au titre d'agrégé ;

Art. 6. — Les agrégés sont nommés pour une période de trois ans qui est indéfiniment renouvelable, sur la proposition du Conseil de la faculté.

» »

Dans notre argumentation contre l'organisation actuelle du concours de l'agrégation, nous n'avons pas cru devoir nous

borner à faire appel aux considérations inspirées par le sentiment de l'équité. Nous avons aussi fait appel à l'éloquence des faits. En nous en tenant à la définition du professeur, donnée par M. le professeur Lépine, il nous était facile de prouver que l'enseignement libre a toujours occupé le premier rang dans tous les progrès de la médecine française. L'enseignement médical officiel n'a jamais suivi que de très loin et d'un pas boiteux les voies tracées par des esprits indépendants. Chacune des grandes étapes de la science médicale a été marquée par des noms d:hommes qui avaient été rejetés par les concours ou qui, mieux avisés, les avait simplement dédaignés. L'illustre Claude Bernard avait été malheureux dans tous ses concours. Les jurys des hôpitaux et de la Faculté lui avaient également été défavorables. C'est à cette sévérité qu'il dut assurément d'acquérir le titre de créateur de la physiologie. Paul Bert, un de ses disciples les plus éminents, n'avait jamais abordé aucun concours.

Notre grand Pasteur, à qui la médecine contemporaine doit ses méthodes les plus fructueuses, n'a jamais eu l'idée de gaspiller sa puissante activité dans des concours plus hiérarchisés que ne le sont ceux des mandarins de la Chine. Le plus émi-nent de ses collaborateurs, M. le Dr Roux, a poussé si loin le dédain des concours, qu'il n'a pas même été externe des hôpitaux. Si l'on établissait le bilan des travaux vraiment originaux sortis de l'Institut Pasteur, on verrait qu'ils sont dus à des hommes qui, comme Nocard, Chamberland, Metchnikoff, Yer-sin, Calmettes, ne se sont pas attardés une seule minute dans la préparation stérile des concours.

On peut affirmer, sans crainte d'être démenti, que si l'enseignement de la Faculté de Paris est resté si incomplet sous tant de rapports, c'est à l'agrégation qu'il faut l'attribuer. L'agrégé qui, le concours passé avec succès, voudra se spécialiser dans l'étude d'une branche particulière de la médecine, ne pourra jamais prétendre à la compétence de la plupart des professeurs libres. Ceux-ci, à un âge où la main est capable d'acquérir de la dextérité, et où le cerveau est largement ouvert à toutes les doctrines nouvelles, ont tout le temps nécessaire pour suivre, tant en France qu'à l'étranger, les leçons des maîtres les plus éminents.

Si nous restons sur le terrain de l'observation médicale, il faut encore reconnaître que c'est à l'enseignement libre que Paris doit ses plus grandes gloires. Pour cela, il suffirait de

citer le grand Duchenne de Boulogne. Le professeur Charcot ne manquait jamais une occasion de rendre une éclatante justice à ce grand neurologiste dont les travaux l'avaient souvent inspiré. Charcot savait lui-même, mieux que personne, qu'il n'avait acquis ses aptitudes au professorat que dans l'enseignement libre organisé par lui à la Salpêtrière. A son sujet, M. le professeur Lépine faisait ainsi ressortir un des plus grands inconvénients du concours : « Tel homme, disait-il excellemment, médiocre en apparence jusqu'à trente ans, est devenu un grand médecin. Le professeur Charcot ne parvint à l'agrégation qu'à grand'peine; et, dans sa jeunesse, il passait généralement pour incapable de faire un professeur; c'est peu avant l'âge de quarante ans qu'il s'est révélé. D'autre part, tout jeune homme brillant ne sera pas plus tard un maitre. Pour mériter ce titre honorable entre tous, il faut acquérir de l'autorité ; or, on ne l'acquiert que par un long effort. »

Il faut croire que l'exemple de Charcot est des plus caractéristiques, car, dans sa récente leçon d'inauguration, M. le professeur Raymond ne pouvait s'empêcher d'y faire allusion en disant : « En 1860, Charcot arrive à l'agrégation, après avoir failli échouer. Aussi a-t-il toujours tenu en médiocre estime le concours considéré comme instrument destiné à juger les qualités venues et à venir d'un médecin. »

C'était l'avis de Paul Bert qui, avant de se tourner vers l'étude de la physiologie, s'était préparé à l'école polytechnique et avait pris sa licence en droit, ce qui valait encore mieux que de transformer son cerveau en dictionnaire.

Des branches entières de la médecine, et non des moins importantes, doivent tous leurs progrès aux représentants de l'enseignement libre. La pathologie mentale, en particulier, a été entièrement créée par les Pinel, les Esquirol, les Baillar-ger, les Fairet, les Morel, les Voisin, les Legrand du Saulle, les Magnan, les Luys, etc.; aucun d'eux n'avait conquis le grade d'agrégé. En oculistique, en laryngologie, en otolo-gie, en art dentaire (t), en gynécologie, tout ce qu'on sait, on le doit à l'enseignement libre.

(1} il y a quelques années, deux Ecoles dentaires, sans rien demander à l'Etat, ont organisa a Paris un enseignement pratique absolument remarquable. Lo succès légitime de ces Ecoles a été si considérable qu'il a troublé le sommeil de lagentbud-gôtivorê. Déjà, à maintes reprises, renseignement officiel a dirigé vers l'art dentaire plusieurs de ses insidieux tentacules. Heureusement, la Cnambre des Députés a compris qu'on lui proposait de rééditer contre les écoles dentaires le fameux n Sic vos non vobis.,.o, de Virgile, tant de fois appliqué avec succès contre les pionniers de l'enseignement médical libre. Quelle que soit l'importance do la somme

L'histoire de l'électrothérapie est liée tout entière, en ce qui concerne la France, aux noms de Duchenne de Boulogne, de Trifier, d'Apostoli et de d'Arsonval. Aucun de ces hommes de grande valeur n'a jamais eu l'idée d'affronter les péripéties des concours.

L'enseignement des maladies cutanées et syphilitiques s'honore surtout des Ricord, des Diday (de Lyon), des Vidal, des Mauriac, des Besnier et de beaucoup d'autres qui ont toujours professé librement et gratuitement. Sans être agrégé, Pajot fut le plus admirable professeur d'accouchements qui ait jamais existé. En médecine et en thérapeutique générales, Bretonneau, Rayer, Trousseau, Germain Sée, Brown-Séquard et beaucoup d'autres ont prouvé qu'il n'était pas nécessaire d'être agrégé pour ouvrir des horizons nouveaux. (4)

Lorsque l'enseignement de l'histologie fut créé, à la Faculté de Paris par Charles Robin, et au Collège de France par Ran-vier, on ne se préoccupa pas de savoir s'ils étaient pourvus d'une agrégation quelconque.

Littré, Dechambre, pour ne citer que les plus éminents parmi les vulgarisateurs des doctrines médicales, ne s'attardèrent pas non plus sur le chemin des concours.

Récemment encore, quand la Faculté de Bordeaux a voulu installer l'enseignement de la laryngologie, elle a dû s'adresser à un professeur libre, à l'exclusion de ses nombreux agrégés.

Il ne serait pas difficile de démontrer que les conquêtes les plus audacieuses de la chirurgie moderne ont été dues à des professeurs libres. La chirurgie française est surtout connue à l'étranger par les opérations de Péan, de Lucas Champion-nière et de quelques autres, qui, bien qu'ils ne soient ni agrégés ni pourvus du moindre enseignement officiel, sont honorés

demandés au budget, jamais l'enseignement des Écoles dentaires ne sera égalé par l'enseignement officiel. Quoi qu'on fasse, elles resteront toujours, par excellence, les écoles de la prothèse dentaire, sans laquelle la profession du dentiste se borne à l'art d'extraire les molaires. Dans ces conditions, pourquoi l'Etat licndrait-il à monopoliser l'enseignement de l'art dentaire, puisque l'inltiatire privée y-pourvoit d'une façon très large et très suffisante ? Le besoin d'alourdir sans cesse le budget de nou- . Telles charges semble le principal mobile qui inspire toujours les actes de nos administra teura.

(I) Parmi les médecins dont les leçons ont fait le plus grand honneur & l'enseignement libre, nous aurions pu citer les noms d'un certain nombre d'agrégés. La plupart d'entre eux n'ont fait i la Faculté qu'un enseignement très limité, portant sur des sujets anciennement connus. Leur rôle s'est surtout borné, pendant les quelques années de leur temps d'exercice, à faire passer des examens. S'ils ont acquis une réputation méritée, c'est par leur enseignement libre et non rétribué, qu'ils y sont arrivés.

par tous, dans les congrès et dans les grandes réunions internationales, du titre de professeur.

Nous ne pouvons faire allusion à la chirurgie sans rappeler le cas de réminent doyen de la Faculté libre de Lille, M. le professeur Duret. Tout le monde se souvient de quelle, façon scandaleuse, malgré les épreuves les plus brillantes, malgré les ovations répétées d'un millier d'étudiants et de médecins accourus à sa leçon d'inauguration pour le soutenir de leurs applaudissements, sa carrière fut brisée à Paris, par une de ces iniquités dont fourmille l'histoire de l'agrégation.

Duret n'avait qu'une seule préoccupation, consacrer sa vie à l'éducation des jeunes générations médicales. Il avait l'ambition d'être professeur, la partialité d'un jury l'obligeait à être un praticien.

C'est également à cette institution surannée que la médecine doit d'avoir perdu la légitime influence qu'elle était appelée à exercer dans le domaine de la psychologie expérimentale.

Malgré les oppositions systématiques que rencontrent toutes les sciences nouvelles à leurs débuts, nul ne peut nier aujourd'hui l'importance et la valeur des travaux inspirés dans tous les pays du monde, par l'étude de l'hypnotisme. Il en est résulté une véritable révolution scientifique, dont les effets ne se manifestent pas seulement par l'emploi d'une terminologie nouvelle, mais surtout par des interprétations de beaucoup de phénomènes restés jusqu'alors inexpliqués. Les médecins ne se bornent pas à employer à chaque instant les mots nouveaux de suggestion et d'hypnotisme, ils ont appris à apprécier la puissance de l'intervention psychique. Là, où, selon la pittoresque expression de Voltaire, « ils passaient leur temps à mettre des drogues qu'ils ne connaissent pas, dans des corps qu'ils connaissentmoins encore », il sont acquis la ressource de faire plus sagement de la psycho-thérapie. L'homme qui a le plus contribué à effectuer cette révolution scientifique, n'a pas le moindre galon officiel. C'est un savant modeste, doué, au plus haut degré, de cette puissance d'observation, de cette sincérité profonde, de cette largeur de vues qui constituent le véritable homme de science. M. le Dr Liébeault a formé plus d'élèves, dans sa clinique particulière à Nancy, que beaucoup des professeurs les plus en renom. Il y a peu d'hommes auxquels autant de médecins éminents, français ou étrangers, aient dédié leurs ouvrages comme à un maître vénéré. Celui-là est un profes-

seur, selon M. Lépine. Il a cherché et créé une méthode nouvelle, et il a fait progresser la médecine.

Dans les hôpitaux de Paris, MM. Mesnet et Dumontpallier ont eu également le grand mérite d'entretenir la tradition des rapports de la médecine avec la psychologie, l'un par ses

recherches sur les somnambulismes, l'autre par ses leçons sur Phypnotisme.

Pendant longtemps renseignement des sciences médicales a été donné par deux catégories de maitres : les uns professant librement, les autres ayant reçu l'investiture officielle. Les premiers donnaient gratuitement leur enseignement, les autres étaient rétribués par l'Etat. Cela constituait déjà une différence. Il y en avait encore une autre: l'enseignement libre avait généralement un caractère plus original que l'enseignement officiel. Ajoutons encore que si le plus souvent les amphithéâtres accordés dans les hôpitaux ou à la faculté (') aux représentants désintéressés de l'enseignement libre étaient insuffisants poulies nombreux auditeurs qui y affluaient, par contre les cours magistraux de la faculté y groupaient généralement fort peu d'élèves. Mais, dès que l'Ecole de médecine constatait, par le succès croissant d'un professeur libre, la nécessité d'élargir le cadre de son enseignement, elle s'empressait de faire appel au secours du budget pour neutraliser une concurrence qui lui

(1) On a maintes fois supposé que les cours libres de l'Ecole pratiquo donnaient une satisfaction suffisante aux médecins dévorés du prurigo doceiidi. Rien n'est plus inexact. 11 suffit pour cela de se rappeler les locaux infects mis à la disposition des professeurs libres dans les caveaux du musée Dupuy tren. Aucun de ses locaux n'eût pu supporter la visite de la commission des logements insalubres.

Un fait particulier montrera combien les cours libres tiennent peu de place dans les préoccupations de la Faculté. En 1893, notre cours libre de neurologie et de psychologie fut interrompu, dans les conditions suivantes : à l'heure du cours, à deux reprises différentes, l'amphithéâtre Cruveilhier, qui nous avait été désigné par la Faculté, se trouvait occupé par une conférence d'internat qui ne voulait pas céder la place, prétendant qu'on lui avait attribué le même local comme lieu de réunion.

Malgré la bicnveillanto intervention du doyou, m. Brouardel, qui s'empressa de nous rendre la disposition de l'amphithéâtre, ces incidents avaient eu pour effet de disperser la plus grande partie de nos auditeurs en leur faisant supposer que notre cours n'aurait pas lieu.

Un second point sur lequel nous appelons vivement l'attention do M. Liard, c'est la parcimonie avec laquelle la Faculté procède à l'affichage des cours libres. Trois affiches, donnant collectivement, en caractères minuscules, la date de l'ouverture des cours libres, sont apposées dans les coins les moins fréquentés de l'Ecole., et c'est tout. Dans toutes les autres facultés (droit, lettres, sciences) les cours libres, autorisés par le Conseil supérieur des Facultés, sont annoncés individuellement par des affiches analogues à celles des professeurs titulaires. La façon d'agir de la Faculté de médecine n'indique-t-elle pas, d'une façon très frappante, son désir do se soustraire à la concurrence de renseignement libre ?

portait ombrage. C'est ainsi que Fort, dont le cours libre d'anatomie attirait chaque année à l'Ecole pratique, des centaines d'étudiants français et étrangers, fut mis peu à peu dans l'impossibilité de continuer un enseignement qui a été imité, mais n'ajamais été égalé à la Faculté de Paris. Les cours de Fort avaient cependant sur tous les autres plus d'une supériorité, ne fût-ce que celle de ne rien coûter à l'Etat.

Actuellement, toute concurrence a disparu pour l'enseignement officiel.Il est resté seul maître de la place et c'est ce dont il meurt. Comment les professeurs, surchargés par les examens, par les jurys de concours, tenus par les services des hôpitaux, par les diverses fonctions officielles dont ils sont investis, pourraient-ils se livrer à des recherches personnelles et préparer leurs leçons? La situation des agrégés est encore plus pénible : ils doivent se préoccuper de constituer la clientèle qui sera leur seule ressource quand le temps d'exercice sera terminé. L'organisation actuelle est déplorable pour tout le monde. D'abord pour les élèves qu'on voit errer d'un cours àTautre sans direction et sans profit, ensuite pour ceux qui se destinent à l'enseignement. Candidats, il leur est très difficile d'entreprendre des travaux personnels pendant la préparation des concours. Devenus agrégés, ils n'ont plus le temps de mener à bien un travail de quelque importance. Cela est si vrai, que tous les esprits larges qui ne sont guidés dans leur opinion que par l'intérêt de notre enseignement supérieur, arrivent à la même conclusion. Au congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences, à Caen, en 1894, M. le professeur Bouchard fut amené à prendre part à la discussion sur les exercices physiques dans les lycées. Partisan du développement normal de lajeunesse, il s'élevait vivement contre les concours sportifs et les luttes interscolaires, dans lesquels les jeunes gens sont exposés, sinon excités, à dépasser les limites physiologiques de leurs forces. A ce moment un interrupteur s'écria: « Et les concours médicaux? » M. Bouchard, dont la haute autorité suffirait à elle seule pour trancher le débat, répondit : « Je suis autant l'ennemi des concours médicaux que des autres. »

La difficulté de répondre à cette série d'arguments mettait la section de médecine du congrès de l'Enseignement supérieur dans l'obligation de voter la suppression pure et simple de l'agrégation, comme nous le demandions dans notre proposition. Mais, à peine ce vote était-il exprimé à l'unanimité, que

MM. les professeurs Mossé, Debierre, Lortet et quelques autres, s'empressaient d'en atténuer la portée, en proposant quelques arlicles additionnels dans lesquels ils s'appliquaient à réglementer une fonction qu'ils venaient de supprimer. Il eût été facile de faire ressortir les contradictions établies entre l'article premier, qui déclarait formellement : Le concours de l'agrégation est supprimé, et quelques-uns des articles suivants. Mais nous pensions que l'essentiel était obtenu. Le vote de la suppression du concours de l'agrégation était le premier coup de pioche venant faire chanceler sur sa base un édifice vermoulu. Le reste n'était qu'accessoire. C'était l'avis nettement exprimé par M. le professeur Testut, de Lyon ; pour lui, le régime de la libre concurrence était le seul capable de revivifier notre enseignement supérieur. Nous manquerions à un devoir si nous ne mentionnions le libéralisme élevé et la courtoisie exquise dont le rapporteur, M. Lépine, et le président de la section, M. Mossé, ont fait preuve au cours de cette discussion. En effet, apfès nous avoir invité à exposer notre opinion, ils ne firent aucune difficulté à mettre aux voix notre proposition de supprimer purement et simplement le concours de l'agréga tion, et de le remplacer par l'organisation des privat-docent, telle qu'elle existe en Allemagne et dans d'autres pays. Comme on l'a vu, seule la première partie de notre proposition a été votée. Il n'y a pas lieu de s'en étonner. On ne se décide pas facilement, dans notre pays, à reconnaître que nos voisins nous sont parfois supérieurs dans l'organisation de leurs divers enseignements. En ces matières, il n'y a cependant pas de meilleurs modèles que les Allemands. En la hiérarchique Berlin, on ne décerne pas, comme chez nous, tant de boutons de cristal pour d'inutiles mandarinats. Toutes les portes sont ouvertes pour qui veut et peut enseigner. Le diplôme de privai-, docent, facile à obtenir, confère ce droit. Il s'exerce dans les bâtiments de l'Etat, mais l'Etat ne rétribue pas les professeurs; leur nombre n'a donc rien à voir avec son budget. Ce sont les étudiants eux-mêmes qui s'inscrivent et payent. Plus il y a d'étudiants et plus le professeur gagne. Son talent est donc de plaire, d'attirer. On n'attire que par un savoir lumineux, attachant, productif. L'étudiant va au mieux renseigné, qui se trouve ainsi former une jeunesse studieuse, remarquable.

C'est un système dont l'excellence a frappé tous ceux qui sont allés en Allemagne. On y trouve des professeurs qui, jusqu'à la fin de leur vie, suivent leur mission, laquelle est

d'enseigner. Tels font de bons professeurs, qui feraient de médiocres praticiens. Tels, en vue de leur tâche, se créent un matériel d'enseignement extrêmement précieux. Allez donc vous meubler ainsi pour un bail à courte échéance.

* *

Comme il fallait s'y attendre, la presse médicale s'est empressée de commenter le vote du congrès. Hâtons-nous de le reconnaître, presque tous les journaux de médecine ont approuvé, sans réserve, la suppression du concours de l'agrégation.

Parmi les opinions les plus vigoureusement exprimées, nous citerons d'abord celle du plus important des journaux médicaux, la Semaine médicale, qui écrivait ceci : « Nous constatons avec satisfaction que, de l'aveu même d'un certain nombre de professeurs de Facultés de médecine, l'agrégation a fait son temps. Elle doit donc faire place à un autre système qui soit plus conforme aux idées modernes et aux besoins de ceux qui veulent recevoir l'enseignement auquel ils ont droit, moyennant une rétribution fixe. »

Après avoir approuvé la suppression du concours, M. La-borde, clans la Tribune médicale, se préoccupait déjà de l'organisation du nouvel enseignement : « L'unique garantie exigée dans le projet du congrès de Lyon, est le titre de docteur ès sciences biologiques ; elle ne nous semble pas suffisante pour un candidat chargé d'un enseignement public, pour lequel on doit, au moins, s'assurer, par une épreuve appropriée, de l'aptitude nécessaire et essentielle, celle de l'exposition parlée : cette épreuve peut et doit consister en une leçon publique sur un sujet choisi par le candidat lui-même. ïl est à peine besoin de signaler l'importance de l'une des principales réformes indiquées dans ce projet : celle qui est relative à !a rétribution du professeur par l'élève, d'après une taxation scolaire ; réforme que nous appelons depuis longtemps de tous nos vœux, et qui est bien mûre, celle-là: on pourrait dire, d'après un mot célèbre, pourrie. »

Le Lyon médical n'était pas moins formel dans ses appréciations, et il disait : « Nous trouvons pour notre part, dans le projet, deux principes excellents : celui de la rémunération du professeur par les élèves, et celui de la substitution au concours de la concurrence permanente, basée sur le succès de l'enseignement et sur la production de travaux scientifiques. »

Dans la Médecine moderne, M. le Dr Félix Iîegnault sonnait

ainsi la charge contre le concours de l'agrégation : « Dans les sociétés un peu vieilles, comme la nôtre, les enthousiasmes et la foi sont rares. » Il ajoutait, et ce sont de graves paroles qui ne font que résumer ce que nous avons entendu dire de tous côtés dans le cours de cette enquête :

« Et pourtant la question en vaut la peine. De l'aveu de tous, l'étranger nous devance ; pour quelques hommes de valeur dont nous pouvons encore nous glorifier, il nous oppose une légion de travailleurs. Déjà Panatomie, la chimie et la physiologie françaises font triste mine devant celles de nos concurrents d'outre-Rhin. C'est l'aveu de nos maîtres les plus autorisés, ils ne se cachent pas pour le dire dans une conversation privée, mais ils n'osent l'écrire alors qu'il faudrait le crier au contraire bien haut. Nous avons été vaincus sur le terrain militaire, mais cette défaite était réparable, car nous en avons ressenti vivement la honte et les malheurs. Il en est d'autres plus graves et plus définitives, celles qui s'accomplissent silencieusement et dans la lenteur des années. La défaite scientifique est moins notoire, moins éclatante que l'autre; aussi est-elle bien plus grave, car notre insouciance et notre ignorance nous empêchent d'en avoir conscience. »

Nous terminons ces citations par celles du Progrès médical, qui, en cette circonstance, se montrait le continuateur de ses traditions d'indépendance et de libéralisme. Entraîné par un sentiment d'enthousiasme, son rédacteur écrivait au lendemain du vote du congrès : « Nous sommes bien aise d'enregistrer ces vœux, que nous appuyons de toutes nos forces, et nous adressons tous nos remerciements aux professeurs en fonctions qui ont le courage d'affirmer ainsi leur opinion. Ils ont bien mérit'é de la science et de la médecine françaises ! »

En allant au congrès de l'Enseignement supérieur de Lyon pour soutenir une proposition quelque peu hardie, nous étions loin de nous attendre à ce que le vote du principe de la suppression du concours de l'agrégation fût obtenu aussi facilement. Nous pensions, à tort, que les membres du congrès, ayant tous de profondes attaches avec l'enseignement officiel, ayant suivi la voie des concours, n'accepteraient pas sans déplaisir la discussion sur une formule nouvelle. Cette discussion nous a appris que le régime du concours, en ce qui con-cerne l'enseignement de la médecine, n'avait satisfait personne. Ceux que favorise le succès se demandent eux-mêmes si le résultat obtenu mérite bien la somme d'efforts stériles qu'ils

ont dépensée. En réalité, la plupart des agrégés ne sont-ils pas condamnés à n'être que des professeurs intérimaires? La titularisation, quand elle arrive, les trouve dépourvus de cette énergie, de ce feu sacré, de cette ardeur aux recherches personnelles, sans lesquels aucun enseignement fécond ne saurait exister.

Ce serait une grave erreur de croire que les abus du concours de l'agrégation datent d'aujourd'hui. En annonçant à ses lecteurs la mort de M. Victor Duruy, la Tribune médicale racontait récemment l'anecdote suivante : « A la suite d'un concours d'agrégation à la Faculté de médecine, resté célèbre par une illégalité cyniquement commise à l'instigation du président du jury, M. V. Duruy, sur la plainte motivée des candidats sacrifiés, laissa en suspens la signature des nominations définitives durant plusieurs mois, et nous avons eu personnellement l'assurance que, parfaitement édifié sur la réalité, cette fois, du manquement aux statuts du concours, et aux premières règles de l'équité, il n'eût point ratifié ces nominations, s'il était resté au pouvoir ministériel. « Son successeur, un nommé Bourbeau, de prestigieuse mémoire, apposa, un beau matin, sa noble signature au bas d'une listequi futglisséeau milieu d'un grand nombre d'autres papiers pour être soumis à la.... machine à signer... « Et voilà comment fut consacrée la nomination des agrégés de cette fournée... »

Le Progrès médical, après avoir cité son confrère, ajoute d'un ton sceptique : « Il y en a eu bien d'autres, dira-t-on, ejus-dem farina! » Ce qui ne veut pas dire que nous assisterons encore longtemps aux mêmes errements. Beaucoup ont exprimé la crainte que les vœux du congrès de Lyon n'aient qu'un effet platonique. Nous sommes certains du contraire, et nous n'en voulons pour preuve que les paroles prononcées au même congrès par M. Leygues, ministre de l'Instruction publique :

« La civilisation, disait-il aux applaudissements de tous, repose de plus en plus sur la science, et la science n'existe que si elle se développe incessamment. Or, c'est la liberté seule qui peut assurer ses progrès. Hors la liberté, il n'y a pour elle que sommeil et immobilité. Il faut donner aux foyers où elle nait et d'où elle rayonne, une vie de jour en jour plus active. Il faut assurer aux institutions qui la propagent une indépendance de plus en plus grande. Le rêve serait d'arriver à avoir des universités autonomes et rivales, jalouses de leur éclat et de leur prospérité. Ce beau système, que la France a créé au

treizième siècle, a été imité partout en Europe. Nous seuls l'avons abandonné. Il y faudra revenir et reprendre nos anciennes traditions. Ce sera, croyons-nous, le moyen le plus sûr d'assurer l'avenir de nos Facultés, d'accroître le développement de celles qui prospèrent et de vivifier et rajeunir celles qui languissent. Un pas décisif dans ce sens a été fait, lorsqu'on a donné, par le décret du 10 août 1893, la personnalité civile aux groupes de Facultés existant dans la même circonscription académique. Il ne s'agirait donc plus que de compléter l'œuvre à laquelle depuis longtemps se sont voués tant d'hommes éminents, et parmi eux « l'un des collaborateurs les plus actifs et les plus précieux de l'instruction publique», que je vois assis à mes côtés, l'un des esprits auxquels notre Université doit le plus. Pourquoi avoir peur des audaces et des hardiesses ? La démocratie est la raison des audaces, et ce que nous souhaitons n'est point si nouveau, puisque c'est un retour au treizième siècle... »

Ces paroles constituent un engagement. Les ministres passent, mais le directeur de l'Enseignement reste. Il se demandera s'il est bien logique, à une époque où la Faculté de Paris se plaint si amèrement de la difficulté de donner une instruction suffisante aux six ou huit mille étudiants qui l'encombrent, de limiter systématiquement le recrutement du personnel enseignant. Tous les trois ans, les divers concours de l'agrégation en médecine ouvrent à dix ou onze candidats, qui ne sont pas toujours les mieux doués, les portes de l'enseignement officiel. Cela fait, par année, une moyenne d'environ quatre agrégés, promus professeurs, ne l'oublions pas, à titre tout à fait provisoire. Cela est d'autant moins admissible, qu'un grand nombre de jeunes médecins sont animés du vif désir d'aborder, à leurs risques et périls, la carrière de l'enseignement. Ils ne demandent qu'une chose, c'est, après s'être munis d'un titre justifiant leurs prétentions, que l'Etat ne leur fasse pas, avec les deniers des contribuables, une concurrence contre laquelle toute initiative individuelle est destinée à succomber.

Si M. Liard, l'éminent directeur de l'Enseignement supérieur, conserve encore quelques illusions sur la valeur du concours de l'agrégation, nous lui conseillons d'assister incognito à quelques-unes des séances du concours actuel. Il se demandera d'abord pourquoi beaucoup de médecins éminents, qui ont donné en d'autres circonstances des preuves d'une

valeur indiscutable, désertent actuellement ce concours. Il sera bientôt convaincu que ces séries interminables d'épreuves ont surtout pour résultat de faire perdre à tous, candidats en tenue de soirée et juges vêtus de rouge cramoisi, un temps précieux. Malgré la pompe dont sont entourés ces exercices de mémoire, il ferait preuve d'une indulgence vraiment excessive s'il les trouvait en rapport avec la haute idée qu'il doit avoir de notre enseignement médical.

Résumons-nous. Notre proposition tendant à supprimer le concours de l'agrégation en médecine a été votée par le congrès de l'Enseignement supérieur. Ce vote a été ratifié par les organes les plus influents de la presse médicale.

En supposant que le ministre de l'Instruction publique tienne compte de ce vœu, par quoi le concours de l'agrégation devrait-il être remplacé? A notre avis, une seule institution peut donner une complète satisfaction aux étudiants et à ceux qui veulent consacrer leur existence à l'enseignement médical, c'est celle des privat-docent, telle qu'elle existe en Allemagne,

Cette institution présenterait les avantages suivants. Le collège des professeurs titulaires, recruté parmi les privat-docent dont l'enseignement aurait été, pendant un assez grand nombre d'années consécutives, couronné desuccès, deviendrait surtout un corps examinant. Il aurait pour mission, en élevant le niveau des examens, de tenir les études médicales au courant de tous les progrès scientifiques.

Les étudiants français, beaucoup plus fortunés en général que les étudiants allemands, feraient comme ces derniers. Ils suivraient les cours dont l'utilité leur serait démontrée par leurs goûts ou par les nécessités de leurs examens. La libre concurrence d'une part, la suppression des droits d'inscriptions de l'autre, auraient pour effet de maintenir à un prix très accessible les cours des privat-docent.

Il y aurait économie pour tous. Pour l'Etat, qui pourrait supprimer du budget de son enseignement supérieur des dépenses considérables ; pour les étudiants, qui trouveraient dans des cours privés une direction capable de leur faire gagner un temps considérable.

L'enseignement médical deviendrait pour beaucoup d'hommes de valeur une carrière définitive, et l'on ne pourrait plus dire

que le titre d'agrégé ou de professeur est recherché par le plus grand nombre, moins parce qu'il corresponda une véritable vocation d'enseigner, que parce qu'il facilite la conquête brillante de la clientèle.

SOCIETES SAVANTES

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 16 Juillet 1891. — Présidence de M. Dumontpallier.

Lourdes et la Soience

Par le Dr L. Berteacx (de Thuin).

Dans le cours de l'année dernière, la Société d'hypnologie s'est occupée des faits dont la ville de Lourdes a été et est encore le théâtre. Les événements qui se sont produits et les guérisons extraordinaires obtenues à la grotte de cette localité pyrénéenne confinent au merveilleux; leur étude présente un puissant intérêt pour les incrédules comme poulies croyants.

Nous ne soulèverons aucune protestation en demandant que ces faits soient traités avec la même rigueur attentive dont les analystes délicats et subtils ont usé dans l'étude des phénomènes spiritiques (') ou des cas de transmission de la volonté Il nous parait légitime de leur appliquer le conseil fondamental de Claude Bernard :

« La première condition pour le savant qui se livre à l'investigation expérimentale des phénomènes naturels, c'est de ne se préoccuper d'aucun système et de conserver une entière liberté d'esprit assise sur le doute philosophique » (3).

Pour fixer la question, et avec l'intention d'être agréable aux membres de la Société d'hypnologie ainsi qu'aux nombreux lecteurs de la Revue qui en est l'organe, nous avons rédigé une courte notice sur Lourdes. Les éléments en sont puisés dans Notre-Dame de Lourdes, par H. La-serre et dans Y Histoire médicale de Lourdes, par le Dr Boissarie (s). Le romancier réaliste, Emile Zola, a d'ailleurs récemment donné un regain d'actualité à ce sujet, par la publication de son roman intitulé Lourdes,

(1) Revue de l'Hypnotisme, 1892. Avril, juillet, août.

(2) Revue de l'Hypnotisme, 1893. Décembre.

(3) Introduction a l'Etude de la médecine expérimentale.

(4) Trente-neuvième édition. 1871, Palmé. Paris. (5)Tolra. Paris, 1891.

i. — lourdes et la science historique.

En l'année 1858, Bernadette Soubirous, chétive bergère âgée de 14 ans, ne sachant ni lire ni écrire, prétendait qu'une belle dame lui était apparue, à plusieurs reprises, aux grottes de Massabielle. Ces visions se renouvelèrent, d'après les dires de l'enfant, dix-huit fois depuis le 11 février jusqu'au 16 juillet. Cette apparition garda souvent le silence ; d'autres fois elle prit la parole pour demander l'érection d'une église en ces lieux, pour exhorter le monde à la pénitence, pour révéler enûn à Bernadette qu'elle était l'Immaculée-Conception.

Le 25 février, en présence de nombreux témoins, sur l'ordre de l'apparition, la petite Soubirous creusa, avec les doigts, en un coin de la grotte parfaitement sec, et où jamais aucune fontaine n'avait existé.

Sur-le-champ, un filet d'eau suinta, mince d'abord, et grossissant ensuite de jour en jour ; au bout de quelques semaines, la source avait acquis son débit actuel, soit plus de cent mille litres par jour.

Le 5 avril, sous les yeux du médecin Dozous, incrédule notoire, et de plusieurs autres témoins, Bernadette, sous le charme de l'apparition, tint les doigts entrelacés dans la flamme d'un cierge pendant plus d'un quart d'heure. Non seulement il y avait eu analgésie, mais la peau était restée intacte. Après l'extase, Dozous, à l'improviste, dirigea la flamme sur les doigts de la fillette qui les retira vivement en lui criant : « Vous me brûlez.

- La première guérison se produisit peu de temps après le jaillissement de la source. Vingt ans auparavant, Louis Bourriette, carrier à Lourdes, avait eu la région orbitaire droite blessée par un éclat de mine. Cet accident fut suivi d'une méningite et il en résulta une amaurose de l'œil droit, qui résista à de nombreux traitements ; quand Bourriette fermait l'œil gauche, il ne pouvait plus distinguer un homme d'un arbre. Cet ouvrier applique de l'eau de la grotte sur l'œil malade, et, du coup, l'acuité visuelle revient presque totalement ; le lendemain il discernait nettement les objets.

Cette guérison fut constatée le surlendemain par le Dr Dozous, qui traitait cet homme depuis l'accident, et vérifiée par le Dr Verger, médecin des eaux de Barèges, professeur agrégé à la Faculté de Montpellier.

De nombreuses guérisons survinrent par la suite et se produisent encore de nos jours. Nous en cilons quelques-unes des plus typiques :

En une nuit, celle du 20 avril 1858, par l'application d'un linge imbibé de l'eau de Lourdes, le jeune Henri Busquet, de Nay, fut complètement guéri d'un vaste ulcère ancien de deux ans, situé sur le haut de la poitrine, consécutif à des abcès ganglionnaires du cou.

Pierre de Ruddcr est un Flamand, habitant de Jabbeke, non loin de Bruges. En 1867, un tronc d'arbre roule sur lui, et lui cause une frac-turc complète et communiquante du tibia gauche. Malgré les soins des Dri Affenaer, d'Oudenberg; Jacques et Verriesl, de Bruges, la formation d'un cal ne put être obtenue. Huit ans après l'accident, en 1875, la

partie inférieure de la jambe est mobile en tous sens, les deux extrémités des fragments osseux, distantes de trois centimètres, sont visibles au fond d'une grande plaie en suppuration continue. De Rudder est transporté au sanctuaire de Noire-Dame de Lourdes à Oostacker-Iez-Gand ; il y boit de l'eau de la source de Massabielle; assis devant la statue, il prie avec ferveur, il est tout à coup saisi d'un trouble étrange, se lève, marche sans béquilles. La réunion des parties molles et osseuses s'était opérée' instantanément. Une légère marque bleue indiquait la place de la fracture. Le Dr Affenaer put le constater le lendemain, et par la suite, vingt-deux médecins, dont deux de Paris, visitèrent Pierre de Rudder.

Le 6 septembre, le Dr Proidbise, d'Ohey (Belgique, Namur), certifie que Mlle Joachime Dehant, de Velaines-sur-Sambre, présente une luxation de la hanche, un pied bot varus accidentel et un ulcère couvrant les deux tiers externes de la-jambe droite. Treize jours après, le môme médecin constate que ces lésions ont disparu, une simple rougeur indique la place de l'ulcère. Quel traitement avait-on fait subir à cette infirme ? Des immersions dans la piscine de la grotte de Lourdes : la première n'apporta aucun changement ; à la seconde, la cicatrisation complète et instantanée de l'ulcère fut obtenue ; à la neuvième, Joachime ressentit de violentes douleurs et elle vit son pied difforme se redresser avec la régularité d'une aiguille qu'on avance sur un cadran; elle s'évanouit dans le bain; quand elle rouvrit les yeux, toute douleur avait cessé, les membres étaient remis en place ; elle se leva droite et agile, et d'un pas régulier, guérie, elle porta ses béquilles à la grotte.

James Tonbridge, de Paris, souffrait depuis longtemps d'un mal de Pott avec abcès et plaies étendues. La poitrine avait été atteinte à son tour, et ce malheureux était tourmenté d'une toux incessante. Au mois d'août 1879, on le transporte sur un brancard dans la piscine. A peine dans l'eau, il sent une force extraordinaire qui le pénètre, il se relève, s'habille et marche sans appui. Les médecins, Mac-Geven et Thorens, tous deux de religion protestante, qui avaient soigné Tonbridge pendant sa maladie, constatèrent la guérison radicale de ses maux.

Tl y avait huit ans que Marie Barret (rue de la Harpe, 49, à Paris), souffrait de goitre exophtalmique, d'hypertrophie du cœur, avec paralysie de la jambe gauche et ulcère variqueux. Elle avait été soignée par les Drs Panas, Barrault, Péan et Jolin. L'histoire de cette malade est consignée en détail dans les archives d'ophtalmologie de janvier et février 1880. Elle part pour Lourdes le 17 août 1881. Son état empire tellement pendant le trajet qu'à Poitiers on lui donne l'Extrème-Onc-tion. Le 22 août, elle est portée évanouie dans la piscine. Au sortir elle reprend ses sens, ses yeux revoient, elle peut lire, elle se lève, affirme sa guérison et court écrire une longue lettre à son mari. Cette guérison a été contrôlée par le Dr Vergez déjà cité.

A la date du 13 août 1882, le Dr Leys constate une dernière fois chez René de Bill, son client depuis cinq ans, une tumeur blanche du genou,

avec ulcère fîstuleux. Le 3 septembre de la même année, après le pèlerinage, ce médecin vérifie la disparition du gonflement et de l'ulcère, le redressement de la jambe, la possibilité de marcher facilement sans béquilles.

Sœur Julienne, native de La Roque (Dordogne), religieuse au couven de Brives, ressent les premières atteintes de sa maladie à l'âge de 22 ans, en 188G. Après plusieurs alternatives de rechutes et d'améliorations fugitives, nous la retrouvons alitée en février 1889. Elle a été examinée par les Drs Boissarie, Pamarel, Lagorce, Peyrat et Marfan. Tous sont d'accord, il s'agit de phtisie devenue galopante. Celte malade est conduite mourante à Lourdes ; grâce au consentement du médecin de la communauté, on permet l'immersion de la piscine. Au contact de l'eau, la vie renait dans ce corps exténué ; sœur Julienne se lève, s'habille et marche sans appui. Le Dp de Suint-Maclou l'examine immédiatement, il ne trouve plus aucun symptôme de tuberculisation pulmonaire. Les médecins Pamarel, Peyrat et Boissarie ont vérifié cette cure.

L'observation suivante a été publiée dans les Annales de Lourdes, en décembre 1893 :

Amélie Chagnon, de Poitiers, avait 13 ans en 1887. quand débuta une carie du deuxième métatarsien du pied gauche. Un trajet fîstuleux se forma par la suite, et, plus tard, l'articulation du genou fut envahie à son tour. Elle se décida à faire le pèlerinage avant de laisser faire dans le genou des injections au chlorure de zinc. Le 21 août 1891, après quelques instants passés dans l'eau de la grotte, elle en sortit complètement guérie. Une cicatrice solide remplaçait l'ulcère, l'os carié avait la forme normale, l'articulation du genou était libérée. Les traces des pointes de feu subsistaient. La maladie et la guérison ont été attestées par les D" P. Dupont, de Poitiers ; et Gaillard, de Parthenay.

Les Annales de Lourdes (mai-août 1893), contiennent la relation d'une dernière enquête sur P. de Rudder, par le D' Roger, de Lens-Saint-Remy, en compagnie de M. Taflenier, négociant libre-penseur, d'Anvers.

Une autre enquête sur Joachime Dehant (Annales de Lourdes, janvier 1894) a été faite par le dit médecin Roger et M. Deploige, professeur à la Faculté de Droit de Louvain.

II. — Lourdes et la science médicale. Théorie catholique du miracle

Supercherie? Hallucinations ou extases hystériques? Folie? Nous ne nous attarderons pas à discuter les visions de Bernadette. L'honorable confrère Boissarie traite longuement ce point dans son livre ('), et nous conseillons vivement la lecture de son instructive discussion.

II n'est pas inutile de rappeler que tous les malades qui font le pèlerinage ne reviennent pas guéris ou améliorés de cet illustre sanctuaire. (1) Histoire médicale de Lourdes, p. 29 à 96.

Parmi ces infortunés il en est cependant, et nous en connaissons particulièrement, qui remplissaient toutes les conditions au point de vue de la foi curative.

Voici le long cortège des affections nerveuses sans lésion anatomique perceptible par nos moyens actuels d'investigation. Les succès obtenus dans cette classe sont explicables par la suggestion, c'est possible. Mais la suggestion, mais l'hypnotisme, peuvent-ils aider à pénétrer le mystère des guérisons que nous avons brièvement rapportées et de beaucoup d'autres semblables? Charcot, le neuropathologique éminent dont le monde savant déplore encore la perte prématurée, demandait à voir repousser un membre (') avant de reconnaître une intervention surnaturelle. Il l'insinuait du moins. Or, la soudure instantanée des deux fragments osseux d'un tibia purulent, la guérison non moins instantanée et complète de tuberculoses osseuses suppurées et de cavernes pulmonaires ne sont-elles pas des phénomènes surnaturels au même litre que la reconstitution d'un membre amputé? Une restauration instantanée de pareilles lésions est au-dessus des lois de la nature et de la puissance de l'organisme. Les tissus se reconstituent comme ils se sont formés, au moyen de cellules nouvelles engendrées sur place. Et, pour cette opération, il faut deux choses qui demandent du temps : le courant sanguin doit apporter des matériaux, et il faut que les cellules vivantes s'emparent de ces molécules inertes, charriées par le sang, pour leur communiquer les vibrations vitales et les transformer en protoplasme animé. Il faut ensuite que les cellules se multiplient en d'autres cellules.

Rien de tout cela ne peut être instantané; et c'est une loi bien connue que la puissance de prolifération cellulaire décroit à mesure que l'on s'élève dans l'échelle des êtres organisés, d'une part, et, d'autre part, dans un animal donné, a mesure qu'on s'éloigne des tissus embryonnaires et conjonctifs vers les tissus plus délicatement différentiés.

Les ulcérations profondes, et surtout les lésions du système osseux, se cicatrisent par un travail lent et progressif. Natura non facit saltus. Attribuer ces guérisons instantanées à des émotions mentales, et croire que l'imagination ou la volonté ont une puissance médicatrice assez forte pour modifier les lois constantes de la formation des tissus, c'est se mettre en contradiction formelle avec les principes les plus incontestés de la science médicale. La persistance des cicatrices, ou les vestiges des traitements appliqués, n'infirment en rien le caractère extra-naturel de ces cures ; ils subsistent plutôt comme les témoins irrécusables des affections disparues. Faut-il se résoudre à invoquer une intervention divine? Ces guérisons contituent-elles des miracles? Nous soumettons la question aux savants spécialistes en pathologie nerveuse et en hyp-nologie ; mais il est évident qu'une enquête minutieuse et une discussion approfondie s'imposent avant de prononcer un jugement définitif.

Parlant du miracle, le Dr F. Regnault (2) affirme, dans sa communi-

(1) Revue de l'Hypnotisme, mars 1893.

(2) id. id. mars 1894, p. 273.

cation, que les catholiques actuels ne donnent aucune explication de la genèse des miracles, et qu'ils croient qu'il n'y a miracle que lorsqu'il y a contravention aux lois de la nature. Cette imputation est erronée et nécessite une justification complète.

Voici la théorie du miracle exposé par le chanoine Dhuilé, de Saint-Projet, de Toulouse (1). Elle est en parfait accord avec les doctrines apologétiques des premiers siècles de l'Église : Origène (an 200), saint Grégoire de Nysse (vers 350), saint Augustin (vers 400), saint Thomas d'Aquin (1250). Le savant apologiste français définit le miracle : a Un phénomène sensible pouvant être observé, vérifié comme tout phénomène expérimental, mais qui ne saurait être scientifiquement déterminé, c'est-à-dire rattaché à une cause seconde immédiate. »

Son essence est de dépasser avec évidence les énergies connues et connaissables de l'univers. Son caractère théologique est de manifester l'intervention de la volonté divine; d'accréditer la parole de Dieu ou de son envoyé. ,

Le miracle n'est pas une suspension, encore moins une transgression de la loi générale. Ce n'est pas une modification postérieure des résolutions précédemment arrêtées, une correction qui témoignerait d'une imperfection dans le plan. C'est un écart prévu, librement voulu dans le fonctionnement de l'univers ; un phénomène sensible en dehors des prises de la science parce qu'il est indépendant des causes secondes, mais conforme à l'idée supérieure d'ordre et de finalité. Le miracle entre dans le plan de la création comme élément extraordinaire, mais son rôle est tracé ; il est une conséquence de la continuation de l'énergie créatrice en parfaite harmonie avec le principe de continuité pris dans son acception la plus compréhensive, c'est-à-dire la Providence en tant que constance de l'impulsion initiale. — Quel est, en effet, l'enseignement de la science moderne sur le principe de continuité?

La science positive (nous ne disons pas positiviste) professe la constance de la masse et la constance de l'énergie. Le principe de Lavoisier o plus rien ne se perd, plus rien ne se crée » constitue la pierre angulaire de la chimie. D'autre part, Helmoltz a formulé le principe de la conservation de la force en ces termes : « La quantité de force capable d'agir qui existe dans la nature inorganique, est éternelle et invariable tout aussi bien que la matière. » Nous admettons l'invariabilité, mais nous rejetons l'éternité de cette force en tant que distincte de la force créatrice. A ce propos, citons les paroles de Dubois-Reymond, chef de la physiologie positiviste allemande, à l'Académie de Berlin, le 8 juillet 1880 : « Le mouvement n'étant pas essentiel à la matière, le besoin de causalité exige ou l'éternité du mouvement, et alors il faut renoncer à rien comprendre, difficulté absolue pour tout homme sain d'esprit; ou une impulsion surnaturelle, et alors il faut admettre le miracle, difficulté désespérante pour le positiviste. »

{1) Apologie scientifique de ta foi chrétienne. 3° édition, 1890. p; 182-207.

Mais la loi d'Helmoltz perd le caractère de certitude quand on passe de la nature inerte au monde organique. On se trouve ici en présence d'une troisième catégorie d'existence, l'âme ou la vie (force évolutive de Cl. Bernard) dont il faut tenir compte, bon gré mal gré, pour comprendre l'harmonie qui résulte de la corrélation des mouvements et de la constance de la force. Il y a, dans les mouvements volontaires, la manifestation d'une force extérieure, non atomique, qui tend à altérer la constance de l'énergie totale de l'univers.

On peut bien montrer que la plus grande partie de la force disponible chez les êtres animés, provient des actions chimiques (décomposition des aliments endothermiques), c'est-à-dire que l'énergie est à peu près conservée, mais il est impossible de démontrer qu'elle le soit absolument (1). Cela suffit pour enlever à l'hypothèse du déterminisme universel et absolu, tout caractère positivement scientifique.

Mais, au-dessus de la loi de conservation de la matière et de la force, il y a un principe qui l'éclairé et la complète, une idée souveraine qui domine tout : l'idée d'ordre et de finalité, sans laquelle le monde n'est plus qu'un monceau de faits. Certitude à la fois philosophique et scientifique, elle est le corollaire des sciences anciennes comme l'astronomie, et elle éclate dans les premières révélations des sciences plus jeunes telles que la géologie, la chimie et la physiologie. Ce principe est proclamé par des chimistes comme Chevreul et Wurtz, par de Lapparent, l'éminent géologue. .

La science, vraiment positive, oppose donc l'idée d'ordre et de finalité à l'idée de fatalité absolue et de mécanisme universel. Elle établit une distinction profonde entre les lois mathématiques nécessaires, et les lois physiques expérimentales ; entre les lois logiques qui se confondent avec la raison elle-même, avec l'essence des choses et des lois cosmiques constatées par l'observation essentiellement contingente. Bien plus, cette science consiate que le monde actuel aurait pu exister d'une autre façon : le nombre des atomes et des astres est un nombre actuellement déterminé, par conséquent fini, mais il aurait pu être plus grand ou plus petit. Ce caractère de contingence se retrouve encore plus clairement dans la nature vivante : les différentes espèces d'animaux ont leur caractère propre, ce sont des faits que l'expérience zoologique constate, mais ce n'est pas une nécessité ; les vers n'ont pas de pattes, les insectes en ont huit, des crustacés en ont dix, et, cependant, cela aurait pu exister autrement. Entre ces lois contingentes, entre tous ces phénomènes, ces arrangements, ces mouvements d'atomes que nous pouvons concevoir autrement, il en est qui offrent une délicatesse de construction telle qu'ils semblent avoir pour caractère l'incalculabilité. Les mouvements orbitaires des planètes sont évidemment calculables et calculés d'avance avec la plus rigoureuse exactitude. .Mais les mouvements météorologiques ne le sont pas : ils se produisent avec la brusquerie et l'inattendu inhérent à la délicatesse. Aussi, oni-ils été instinc-

(1) Mosso : La fatigue intellectuelle et physique. 1891, p. 40.

tivement attribués à l'intervention d'une volonté supérieure particulière. Auguste de la Rive proclamait la conservation de l'énergie créatrice comme conclusion dernière de ses leçons de physique. Or, une série de phénomènes peut être profondément altérée sans qu'il soit nécessaire d'interrompre le cours des lois générales. Il y à deux choses distinctes -dans tout phénomène de dynamique : les lois générales et l'état initial. En faisant varier celui-ci, on obtient avec les mêmes lois des résultats très différents. Dieu a établi les lois générales qui sont fidèlement suivies ; il a disposé en même temps un état initial des atomes en vue des

. phénomènes intellectuels et moraux, auxquels ils doivent concourir dans la suite des temps. Or, ce qui a déterminé le choix providentiel entre les états initiaux, c'est la prévision des actes libres. Les catholiques ne prient pas pour changer le plan divin, mais pour obtenir ce

' dont l'accomplissement a été dans ce plan subordonné à la prière. Quand un lidèle adresse à Dieu une prière digne d'être exaucée, ce n'est pas seulement alors qu'elle parvient à la connaissance de Dieu. Il Ta entendue de toute éternité et il a arrangé le monde exprès en faveur de cette prière, en sorte que l'accomplissement fût une suite naturelle du cours des événements (Euler, 1750). En exauçant telles ou telles prières, Dieu, qui a tout prévu, tout voulu dans son acte unique, ne change pas, il ne tombe pas avec l'homme dans le temps qui est sa créature comme l'atome (Jules Simon) ; il n'interrompt pas le cours des lois générales, il les réalise; il ne modifie pas ses résolutions, il les exécute.

Telle est l'interprétation catholique du miracle. Nous serons heureux si, par la lecture de ces opinions, quelques-uns des membres de la Société d'hypnologie étaient amenés à scruter d'une façon méthodique les problèmes qu'elles évoquent.

Suppression de l'habitude do fumer par la suggestion

Par M. le D' Huoenschmidt.

Les deux cas suivants, qui m'ont donné un résultat favorable complet, démontrent l'influence et le pouvoir que peut avoir la suggestion pour supprimer une habitude ancrée depuis de longues années chez certaines personnes :

Mon premier cas : Homme âgé de 63 ans, fumeur acharné, commençant à fumer le matin aussitôt réveillé, pour continuer toute la journée et ne s'arrêter le soir que vaincu par le sommeil. Il a commencé l'usage du labac à l!âge de 16 ans, et n'a pas discontinué depuis cette époque.

Dans ces dernières années, sur les conseils de son médecin traitant, il avait essayé, à différentes reprises, de supprimer son habitude ou au moins de modérer son ardeur pour le tabac, sans parvenir ni à l'un ni à l'autre.

On avait été jusqu'à lui dire, le malade se plaignant de troubles digestifs, dyspeptiques, qu'il avait les symptômes d'une lésion stomacale qui pourrait se terminer par un cancer, affection due à son abus

du tabacet qui disparaîtrait certainement avec la suppression de la cause.

A la suite de cette encourageante déclaration, le patient se modéra pendant quelques jours, mais cette modération ne devait être malheureusement qu'éphémère, car quelque temps après, il retombait, de plus fort, dans son habitude invétérée.

Le 6 août dernier, il nous demanda s'il n'y avait réellement aucun moyen assez puissant pour restreindre son désir excessif de fumer. Lorsqu'il m'eut indiqué les vains efforts qui avaient été faits pour le dissuader de cet abus désordonné, je lui proposai la suggestion mentale, comme seul remède.

Après quelque hésitation, due à l'idée erronée, gravée dans l'imagination de la grande majorité des personnes, que l'hypnotisé ou le patient est placé définitivement sous la dépendance de la volonté de l'hypnotiseur à partir du moment où il s'est soumis à une hypnotisation, la suggestion fut acceptée par notre patient, qui avait une confiance très limitée à l'égard du succès de notre intervention.

L'hypnose fut obtenue en moins de trois minutes en priant le sujet de fixer notre index gauche. La suggestion indiquée fut : « Votre désir de fumer n'existe plus ; à partir de ce moment vous ne penserez plus au tabac, vous ne fumerez plus ni cigare, ni cigarette, ni pipe. Vous refuserez tout tabac, cigares ou cigarettes, qui pourraient vous être offerts par vos amis ; le tabac vous dégoûtera. »

Le lendemain, notre sujet nous annonçait, avec joie, qu'il n'avait pas fumé depuis la veille, et qu'il n'en avait nullement le désir.

Pour me rendre compte s'il existait une détermination réelle à résister à toute offre de la part d'une autre personne, idée suggérée la veille, je sortis une boite do cigarettes de ma poche et en offris à mon patient, il refusa d'une manière catégorique ; je le priai d'essayer de fumer : il ne le voulut pas. J'allumai alors une cigarette en sa présence, et je laissai la boite ouverte devant lui, et continuai à causer de choses et d'autres : il ne fil pas une seule fois allusion au tabac, il semblait avoir tout oublié.

Quelques jours plus tard, un de ses amis vint lui rendre visite, et, ignorant son abandon du tabac, il lui offrit un cigare : il refusa net, et sans explications, il remit à celte personne tous les cigares qui lui restaient, disant qu'il ne pouvait plus les voir.

Cette cure a persisté jusqu'à ce jour, et il n'y a aucune raison pour qu'elle ne soit pas définitive.

Mon second cas est un homme de 46 ans, fumant en moyenne vingt cigarettes par jour ; il avait commencé à fumer à 14 ans. Comme le précédent, il avait essayé, à différentes époques, d'abandonner son habitude, qui, il le savait, était défavorable à sa santé, mais il lui avait été impossible de se débarrasser de sa tyranique cigarette.

Le 3 octobre dernier, sur le désir nettement exprimé par ce patient, je me décidai à l'endormir : l'hypnose fut obtenue très rapidement par la fixation de l'index et l'injonction de dormir.

La suggestion fut : « Votre désir de fumer a disparu, vous ne fumerez plus ni cigares, ni cigarettes, et n'en accepterez de personne. Si vous essayez de fumer la cigarette, vous serez indisposé. »

Notre séance eut lieu dans la matinée, et, l'après-midi, notre sujet voulut essayer de fumer. Il fut pris de nausées, d'une sensation de constriction de la gorge, avec sécrétion exagérée de la salive, et fut obligé de jeter sa cigarette à peine commencée. Il n'essaya plus de fumer pendant cette journée ; mais le lendemain il recommença à trois reprises différentes, ayant le désir de fumer, mais les mômes symptômes désagréables de la veille l'obligèrent à discontinuer.

La suggestion ne l'avait influencé que partiellement jusqu'alors ; le lendemain, le troisième jour, son action était nulle; car il avait repris son habitude, comme avani notre intervention.

- Ce même jour, nous l'hypnotisâmes de nouveau, la suggestion première fut exactement renouvelée. Le résultat de cette seconde tentative a été des plus satisfaisantes, car notre patient n'a plus fumé depuis.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Distinctions honorifiques

Dans le courant de l'année qui vient de s'écouler, des distinctions honorifiques, auxquelles nous avons applaudies, ont été décernées à deux membres de la Société d'hypnologie et de psychologie. M. le professeur Bernheim, de la Faculté de Nancy, et M. le Dr Babinski, médecin des hôpitaux, ont été promus chevalier de la Légion d'honneur.

M. Emile Bouriot, administrateur de la Revue de l'Hypnotisme, a été également nommé officier d'Académie, dans le cours de l'année 1894. Cette nomination n'était que la juste récompense des services qu'il avait rendus lors de l'organisation du Congrès de l'hypnotisme en 1869. Depuis la fondation de la Revue, en 1886, M. Bouriot n'a cessé de se consacrer à son administration avec le plus grand dévouement.

La promotion du 1er janvier 1895 nous apprend la nomination au grade de chevalier de la Légion d'honneur, de MM. les D" Grasset, professeur à la Faculté de Montpeller; Gilbert Ballet, agrégé à la Faculté de Paris, médecin des hôpitaux, et Hubert, ancien interne des hôpitaux, oculiste à Paris.

Nous sommes heureux d'adresser nos vives félicitations à nos trois collègues de la Société d'hypnologie et de psychologie.

Nous sommes également heureux d'annoncer que trois membres de la Société d'hypnologie et de psychologie ont été aussi nommés officiers d'Académie à la promotion de Janvier, ce sont MM. les docteurs Hamadier, médecin en chef de l'asile d'aliénés de Hodez ; Paul Richer, lauréat de l'Institut, chef de laboratoire à la clinique des maladies nerveuses; Saint-Hilaire, médecin de l'Ecole Turgot.

Parmi les représentants du corps médical qui ont été nommés dans

la même promotion, nous citons avec plaisir : Officiers de l'Instruction publique : MM. Barbaud, médecin de la Société des gens de lettres ; Blondel, directeur de la Revue thérapeutique ; Dubousquet-Laborderie, médecin-inspecteur des écoles à Saint-Ouen ; Mme Gàches-Sarraute; Le Blond, médecin de Saint-Lazare.— Officiers d'Académie : MM. Caudron, à Paris; Déléage, de Vichy; Dupain, médecin des asiles d'aliénés à Alençon; Froger, médecin de l'Assistance publique à Paris; Jean, professeur à l'Union des Femmes de France; Jasiewicz, professeur à l'Ecole polonaise à Paris; Malbec,à Paris; Sallefranque, à Saint-Maur-les-Fossés; Barrier, professeur à l'École vétérinaire d'AIfort; Lemesle, professeur à l'École dentaire; Levadour, dentiste à Paris ; Jolly, pharmacien, conseiller général de Sézanne.

A propos d'un prétendu cas de mort dans l'état hypnotique

A propos de la mort de Mlle Elsa Salomon, deux opinions se sont fait jour : l'une, l'attribuant à l'hypnotisme ; la seconde, à toute autre cause, à rechercher, si possible. La première de ces opinions était mise en avant par des journaux, comme le montrent les titres retentissants : Une victime de l'hypnotisme, l'hypnotisme tragique et les dangers de l'hypnotisme, donnés aux articles qui relataient le cas; la seconde est celle d'hypnotiseurs compétents, ayant longtemp pratiqué, tels que les Drs Bernheim, Félix Regnault, Edgar Bérillon, etc., dont nous trouvons les déclarations dans la Revue de l'Hypnotisme du mois d'octobre dernier.

Désirant faire la lumière sur ce cas étrange, le gouvernement. hongrois a ordonné une enquête médico-judiciaire, dont il est intéressant de connaître le résultat. Grâce à un de nos compatriotes, consul belge à Buda-Pesth, j'ai pu me procurer des renseignements certains à ce sujet, et je me fais un devoir de les publier. Disons, tout d'abord, que les conclusions de l'enquête ne comportaient aucune suite à donner à l'incident. II n'a pas été prouvé que Neukomm, l'opérateur, ait causé, ni même hâté le décès de Mlle Salomon. Celle-ci est morte d'une anémie cérébrale. Fait important à noter : d'après les pronostics médicaux antérieurs, telle devait être sa fin.

La malheureuse souffrait de crises nerveuses fréquentes, au point qu'elle ne mangeait plus et dépérissait à vue d'œil. Dix-huit mois avant sa mort, son médecin, à bout de ressources, recourut à l'hypnotisme et chargea de la conduite des opérations un médecin expert en la partie. Les résultats en furent excellents. La malade se remit à manger et regagna des forces. Sa guérison complète paraissait cependant impossible quand Neukomm eut l'occasion de l'hypnotiser. Les expériences dont elle fut l'objet avaient cette fois-ci un but expérimental.

Si c'est un devoir — et c'en est un à mon avis — d'hypnotiser, dans un but thérapeutique, une personne malade, fût-elle aussi anémique, aussi faible, aussi nerveuse que l'était Mlle Salomon : c'est, d'un autre

côté, une imprudence de le faire, soit pour donner satisfaction à une vaine curiosité, soit même dans un but de recherches scientifiques. Les expériences sont utiles, indispensables ; mais elles doivent être faites à bon escient sur des sujets choisis, et elles doivent être conduites avec toute la lenteur voulue. Il est nécesaire de tenir compte des renseignements donnés par les sujets sur les sensations qu'ils éprouvent.

Je suis personnellement d'avis que le côté expérimental ne doit pas être négligé. C'est le seul moyen de découvrir ce qu'il y a de réel, de scientifique, dans les faits avancés par les occultistes, les spirites, les fluidistes, les somnambules, les fakirs. La psychothérapie qui rend des services signalés à tant de malades, que la thérapeutique médicamenteuse ne peut guérir, n'aurait peut-être pas encore vu le jour, si Braîd ne s'était mis à expérimenter. En voulant confondre le magnétiseur Lafontaine, il fut mis à même de reconnaître la réalité de certains phénomènes.

Ne rien nier à priori, mais, sans se départir du doute scientifique, opérer néanmoins, telle doit être la ligne de conduite des chercheurs.

Il n'est pas inutile d'affirmer, de temps à autre, le droit des praticiens, qu'ils soient médecins ou psychologues, à faire des expériences. Car, à chaque accident, sans rechercher à qui et à quoi en incombe la responsabilité, certains journaux publient des articles à sensation, le public s'émeut et les gouvernements promulguent des lois, qui, trop souvent, dépassent le but; le tout à la grande joie des pessimistes et des routiniers, qui se permettent de juger sans s'être donné la peine d'expérimenter. Qui pâtit, en somme, des mesures prises? La vraie science et le public. Les malades, effrayés, continuent à se morfondre dans leurs souffrances, et à rendre la vie impossible à leur entourage, alors que quelques séances d'hypnotisme pourraient ou les guérir, ou, au moins, les soulager.

Le gouvernement hongrois n'a pas encore pris l'initiative d'une loi contre l'hypnotisme ; mais ¡1 a publié un arrêté provoqué par les procédés de Neukomm, qui continuait à opérer. Il faut croire que ce Neu-komm, qui, je le dis en passant, est praticien dans l'art de forer des puits et non ingénieur, ne se sentait pas responsable et ne croyait pas même avoir commis d'imprudence. L'autorité s'est donc émue, et elle a promulgué un arrêté portant : 1° Les médecins, c'est-à-dire les diplômés des Universités, régulièrement autorisés à exercer l'art de guérir, ont seuls le droit de pratiquer l'hypnotisme ;

2° Ils ne peuvent le faire que sur une demande, signée devant témoins, par la personne à hypnotiser ; 3° Les opérations doivent se faire devant témoins.

Le premier effet de cet arrêté sera d'empêcher les opérateurs présents et futurs d'hypnotiser, fût-ce en présence d'un médecin, comme, au reste, Neukomm l'avait fait. Il aura de plus graves conséquences encore ; il présentera aux populations l'hypnose comme ayant des effets

bien autrement redoutables que les poisons utilisés aujourd'hui en médecine. Ces poisons, les personnes autorisées à pratiquer l'art de guérir peuvent les administrer sans contrôle aucun, et sans même prévenir les patients. Leurs effets, qui dépendent des tempéraments, ne peuvent pas toujours être prévus. Des doses habituellement employées de ces médicaments produisent des effets exagérés chez certains malades, c'est un phénomène bien connu sous le nom de idiosyncrasie. Un seul centigramme de morphine, par exemple, peut provoquer un empoisonnement.

Les hypnotiseurs les plus en renom, tels que Liébeault, Bernheim Dumontpallier, Bérillon, etc., etc., sont unanimes à déclarer que pas le moindre accident n'est survenu aux centaines, aux milliers de malades qu'ils ont endormis. Vaines affirmations : la peur, mauvaise conseillère, produit ses effets.

Souhaitons, puisqu'il en est temps encore, qu'on ne fasse pas, en Autriche-Hongrie, de loi mettant des entraves aux opérations des médecins, parce qu'il s'est peut-être trouvé parmi eux un imprudent, et empêchant les psychologues présents et futurs, même étrangers à la médecine, de se livrer à leurs travaux. Les professeurs Delbœuf, à Liège; P. Janet, au Havre; Liégeois, à Nancy; l'avocat Bonjean, à Verviera ; le colonel de Rochas, à Paris, et leurs émules dans tous les pays, n'ont pas mérité d'être exposés aux rigueurs d'une loi d'occasion, parce qu'ils se sont appliqués à rendre service à l'humanité et à éclairer la science. _ Aster e Denis.

La médecine des Primitifs d'Australie

M. Elie Reclus, avec un style pittoresque, nous conte dans son nouveau livre, les Primitifs d'Australie, la manière dont la médecine est exercée chez cette race.

« Les nègres, dit-il, se remettent des blessures qui seraient mortelles chez nous : crânes fracturés, ventres fendus, poitrines ouvertes. Tel avait été percé d'une lance barbelée qui ressortait sous l'os scapulaire ; des fragments de poumon adhéraient aux crocs. Les amis du patient élargirent la blessure, la nettoyèrent, l'enduisirent de graisse, la bouchèrent avec de la gomme et des herbes. Huit jours après, le blessé marchait ses 30 kilomètres. D'autres attendent que la suppuration expulse le corps étranger. Ils soignent les fractures et les dislocations en immobilisant le membre dans l'argile. Comme nos ancêtres qui se trépanaient le crâne pour en expulser le démon, ils traitent leurs migraines en se faisant des trous à la tète.

a On s'étonne de les voir si durs au mal : l'un s'amputait la jambe tranquillement en la brûlant avec un tison. Mais si les chirurgiens admirent la facilité avec laquelle guérissent leurs blessures, les médecins s'étonnent de voir combien vite ils succombent aux maladies. Ils sont particulièrement sujets aux rhumatismes, aux maux de dents, aux ophtalmies occasionnées par la chaleur et envenimées par les mouches.

On dit que les deux tiers de la population souffrent de quelque affection hépatique.

« En fait de médecine, ils déclarent la graisse humaine le plus efficace des remèdes. Les Castillans de Fernand Cortez pansaient aussi leurs plaies avec de l'onguent pris sur des Indiens tués à la bataille.

« Le sang, précieux liquide, source de vie, passe, cuit ou cru, pour un thériaque d'effet souverain. On s'ouvre une veine, on la fait dégoutter sur l'enfant malade ou le vieillard affaibli.

« Reconstituant par excellence, le lait est un remède souverain, même pour les adultes. Quant au sperme, il serait impossible d'en dire toutes les vertus. Une panacée que l'urine, et particulièrement celle des jeunes femmes. Il faut l'appliquer à même, ne pas laisser froîdir.

« Ils traitent les arthrites et les affections pulmonaires par une forte sudation, laquelle guérit les forts et tue les faibles. Ils creusent un trou, y allument un bon feu, jettent sur les cendres des feuilles mouillées, le patient s'y couche ; on le recouvre de manteaux et de sable. »

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de Paris. 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypno-tisme.et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assiter et sont exercés à la pratique de la psychothérapie. M. le Dr Bérilion, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, fait, tous les jeudis à dix heures et demie, des leçons sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

Ecole des Hautes-Etudes. — M. Binet (Alfred), directeur-adjoint du laboratoire de psychologie physiologique de l'Ecole pratique des Hautes-Etudes (section des sciences naturelles), est nommé directeur du dit laboratoire, à dater du ler janvier 1895, en remplacement de M. le Dr Beaunis, relevé; sur sa demande, de ses fonctions et nommé directeur honoraire.

Un nouveau recueil psychologique. — MM. Beaunis, Binet et Ribot, avec le concours de MM Delabarre, professeur de psychologie à l'Université de Rhode Island (Amérique) ; Flournoy, directeur du laboratoire de psychologie à Genève; Wecks, membre du collège de Harvard,

et de quelques autres jeunes psychologues, préparent une publication destinée à enregistrer chaque année le mouvement des études de psychologie.

Le premier volume donnera le compte rendu aussi complet que possible des différents travaux de psychologie parus en tous pays pendant l'année 1894, un index bibliographique contenant l'indication de tous les travaux parus pendant la même, année et intéressant l'histologie, l'anatomie, la psychologie du système nerveux de l'homme et des animaux, la pathologie mentale et nerveuse, la psychologie, la philosophie, la morale, la pédagogie, la criminalité, la psychologie des enfants; plusieurs articles et mémoires inédits avec planches, graphiques et tables, représentant la majeure partie du travail du laboratoire de la Sorbonne ; et enûn l'indication des observations, expériences et instruments nouveaux pouvant servir à la psychologie.

Cette publication, qui sera annuelle, rencontrera certainement le meilleur accueil auprès de toutes les personnes qui s'intéressent à la psychologie, et sera pour les chercheurs un instrument de travail des plus utiles.

Hospice de la Salpétrière. — M. le Dr Déjerine, professeur agrégé, médecin de la Salpétrière, a commencé ses leçons cliniques sur les maladies nerveuses le jeudi 24 janvier, à 5 heures, Il les continuera les jeudis suivants, à la même heure. (Le cours aura lieu dans la salle de la consultation externe).

Académie dk Médecine. — Dans sa dernière séance, l'académie a élu M. le Dr Motet, secrétaire général de la Société de médecine légale, membre titulaire dans la section de médecine légale. Nous adressons à notre eminent confrère nos vives félicitations.

Congrès de Médecine mentale et nervedse. — Le sixième Congrès annuel des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française s'ouvrira le jeudi 1er août 1895, à Bordeaux, sous la présidence de M. le Dr Joffroy, professeur à la Faculté de Paris.

Le programme comprendra : 1° Pathologie nerveuse : glande thyroïde et goitre exophtalmique; rapporteur, M. Brissaud. Pathologie mentale : les psychoses de la vieillesse ; rapporteur, M. Ritti. Médecine légale: les impulsions épileptiques au point de vue médico-légal; rapporteur. M. Parant. — 2° Lectures, présentations, travaux divers. — 3° Excursions, visites des Asiles, banquet.

Adresser les communications «i M. le Dr E. Régis, secrétaire général du Congrès, 54, rue Huguerie, à Bordeaux.

L'Administrateur-Gérant. Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imprimerie A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

9e année — n° 8. Février 1895.

L'HYPNOSE ET LES SUGGESTIONS CRIMINELLES(1)

Par J. Delboeuf,

Membre de l'Académie royale de Belgique, professeur à lX'niverslU de Liège.

Chaque siècle à son tour se vante d'avoir inauguré le vrai règne des lumières ; et le nôtre, sans contredit, peut revendiquer cette gloire. A peine une idée jaillit-elle du cerveau d'un savant que des vulgarisateurs, surgissant de partout, s'en emparent et l'expliquent aux profanes — parfois, il est vrai, sans la comprendre. Et aussitôt une moisson de journalistes — dont la spécialité est de tout savoir — raccommodent à l'intelligence de leurs nombreux lecteurs et, anticipant l'avenir, en tirent des conséquences merveilleuses que l'auteur n'a pas même entrevues. Aussi, actuellement, bien des sciences, jadis l'apanage exclusif de ceux qui s'y adonnaient avec patience et ardeur, deviennent du jour au lendemain le patrimoine de tout le monde.

Mais il en est une qui, plus rapidement que. toutes les autres, est entrée dans l'avoir commun à tous : c'est l'hypnotisme. Il y a sept ans, personne — à en croire un organe plus ou moins officiel d'un des premiers corps savants de la Belgique — personne n'en connaissait rien (2) ; moins de six mois après, ceux pour qui elle n'avait plus de secrets étaient légion. A l'heure qu'il est, un étudiant est à peine assis sur les bancs de la faculté de médecine, qu'il est au fait de la théorie ; il les a à peine quittés que, le cas échéant, il en remontrera aux vieux maîtres.

(1) Discours prononcé dans la séance publique de la Classe des Sciences de l'Académie royale de Belgique, le 12 décembre 1894.

(2) Cela est écrit dans l'article ironique du 10 août 1887 que la Presse médicale belge consacre à ma lecture sur l'Origine des effets curatifs de l'hypnotisme.

Aussi n'est-ce pas sans hésiter que je me suis décidé à choisir la matière de mon discours dans un domaine si familier à mes compatriotes. Mais j'ai pensé que c'était pour moi une façon de payer la dette que j'ai contractée envers la Classe des Sciences, le jour où elle me fit l'insigne honneur d'accueillir, malgré des préjugés alors tout-puissants en Belgique, ma pre- mière communication sur l'Origine des effets curatifs de t'hypno-. tisme (1).

Aujourd'hui qu'elle m'honore de nouveau en me donnant la parole dans cette solennité, je me suis permis de compter sur la bienveillance traditionnelle de cet auditoire, et j'ai espéré que je ne fatiguerais pas trop son attention en fouillant devant lui, plus profondément peut-être qu'on ne l'a encore fait, un certain coin du vaste champ du magnétisme. Je veux en effet l'entretenir de la possibilité ou mieux de l'impossibilité d'abuser de l'hypnose dans des intentions criminelles non dirigées contre l'hypnotisé lui-même.

I

Depuis quelques années, il n'est pour ainsi dire plus de crime un peu dramatique où l'on ne cherche à invoquer l'hypnotisme en faveur de l'accusé. Aussi la question est-elle du plus pressant intérêt, non seulement pour le philosophe, mais pour le magistrat, le juriste, le législateur.

Ce n'est pourtant pas de nos jours qu'on l'a soulevée. Elle l'avait été dès l'apparition du mesmérisme, comme on disait alors. Elle fut nettement posée par le Dr Charpignon, pour qui toutefois il était « beaucoup plus facile de rendre morale une somnambule qui a dévié de la sagesse que de pervertir une femme vertueuse: »

En 1866, le Dr Liébeault, dans son livre sur le Sommeil et les états analogues, dont, à cette époque, il ne fut pas vendu dix exemplaires, lui donne une solution affirmative. Le passage est trop mémorable pour ne pas être rapporté presque en entier (p. 524) :

« L'on peut poser en principe qu'une personne mise en somnambulisme est à la merci de celui qui l'a amenée à cet état... Ce que j'avance résulte, pour moi, d expériences que je tentai sur une jeune fille très intelligente, et qui, en état de sommeil profond, était la plus revêche et la plus indépendante de caractère que j'eusse rencontrée. Cependant, je parvins toujours à

(1) Le 4 juin 1887. Voir Bulletin de l'Académie royale des sciences, même date.

m'en rendre maitre. J'ai pu faire naître dans son esprit les résolutions les plus criminelles, j'ai surexcité des passions à un degré extrême ; ainsi, il m'est arrivé de la mettre en colère contre quelqu'un et de la précipiter à sa rencontre, le couteau à la main ; j'ai déplacé en elle le sentiment de l'amitié, et, avec le même instrument tranchant, je l'ai envoyée poignarder sa meilleure amie qu'elle croyait voir devant elle, d'après mon affirmation : le couteau alla s'émousser contre un mur. Je suis parvenu à déterminer une autre jeune fille, moins endormie, à aller tuer sa mère, et elle s'y dirigea, en pleurant, il est vrai. Eh quoi ! un homme sain d'esprit jusqu'alors, entend une voix qui, pendant la nuit, lui répète : Tue ta femme, tue tes enfants; il y va. poussé par un mouvement irrésistible, et un somnambule, toujours disposé à recevoir des hallucinations, ne serait pas capable d'un même entraînement involontaire ! J'ai l'intime conviction, d'après d'autres expériences encore, qu'un somnambule même auquel on aura suggéré de commettre des actions mauvaises après son réveil, les exécutera alors sous l'influence de l'idée fixe imposée; le plus sage deviendra immoral, le plus chaste impudique ! Si l'on a porté, de cette façon, une femme publique à abandonner son infâme métier, pourquoi ne pervertirait-on pas pour l'avenir et par le même moyen, la fille la plus vertueuse ? L'endormeur peut, plus encore, suggérer à son somnambule, non seulement d'être médisant, calomniateur, voleur, débauché, etc., pour une époque ultérieure au sommeil, mais il peut l'employer, par exemple, à accomplir pour lui des actes de vengeance personnelle, et ce pauvre rêveur, oublieux d'une telle incitation au crime, agira pour le compte d'autrui comme pour le sien, entraîné qu'il sera par l'idée irrésistible et fixe qu'on lui aura imposée ! Quand le crime sera commis, quel est le médecin légiste qui viendra éclairer la justice et faire soupçonner d'innocence un homme qui n'aura jamais montré de signe de folie, qui aura gardé toutes les apparences de la raison, et qui, convaincu de sa mauvaise action, avouera de bonne foi l'avoir accomplie de son propre mouvement? Qui sait si des faits semblables, ne se sont pas déjà produits ? »

Ces graves paroles passèrent inaperçues. Alors le monde ne croyait plus au magnétisme animal, comme on disait encore dans ce temps-là (1).

(1) Et comme on devrait encore dire, car le terme d'hypnotisme est bien impropre. Celui de magnétisme a sur lui l'avantage d'etre historique. Al. Bertrand (Le magne-

MM. Rîchet et Charcot le remirent en honneur. L'école de la Salpêtrière prit naissance. Elle crut découvrir dans le somnambulisme un état pathologique. En même temps faisait son apparition l'école rivale de Nancy, qui, à la suite du Dr Lié-beault, son chef, n'y vit qu'un phénomène physiologique. C'est l'un de ses plus savants adeptes, M. Liégeois, professeur à la Faculté de droit, qui, en 1884, par sa brochure : La suggestion hypnotique dans ses rapports avec le droit civil et le droit criminel, soumit nettement le problème aux méditations des moralistes.

M. Liégeois, comme M. Liébeault, ne s'en tint pas à la théorie pure ; il prétendit démontrer sa thèse par des expériences concluantes. Sur ce point également, l'école de la Salpêtrière adopta et défendît la thèse opposée.

Certes, ce n'est pas là le côté le moins étrange de cet antagonisme entre les deux écoles. Celle qui fait de l'hypnose un phénomène purement psychologique et nécessairement passager, ne craint pas de soutenir qu'il peut rendre « le plus sage immoral, le plus chaste impudique », et va jusqu'à assimiler les hypnotisés à des malheureux obsédés par une idée fixe. Au contraire, l'école opposée, qui voit en eux des malades, comme le sont à ses yeux le fou et le criminel, affirme qu'on ne pourrait les inciter au crime !

Comment de pareilles contradictions sont-elles possibles? C'est parce que, en cette matière, il est difficile, quoi qu'on en dise, d'en appeler à l'expérience. Oh ! vous venez d'entendre M. Liébeault, vous allez entendre M. Beaunis, M. Bernheim, M. Liégeois. A l'exemple de leur illustre prédécesseur, ils feront servir le magnétisme à l'exécution de crimes imaginaires et les tiendront pour des expériences décisives. Je me propose de montrer qu'en cela ils se trompent, et que ces crimes de laboratoire, comme on les a spirituellement qualifiés, n'ont pas la portée qu'ils leur supposent.

Je suis d'autant plus à l'aise pour juger en toute liberté d'esprit les essais et les opinions de ceux qu'avec raison on regarde comme des maîtres, que mes propres observations et réflexions m'ont fait en quelque sorte passer d'un camp dans l'autre. La thèse nancéenne a trouvé en moi d'abord un adepte, puis un adversaire.

tisme animal en France, 1826) proposait celui d'extase, qui était bon, mais qui prolait à équivoque à cause de son sens général.

Lors donc que je me hasardai à hypnotiser moi-même — c'était en janvier 1886, bien que depuis plus de trente ans j'eusse foi dans le magnétisme, — je crus fermement que le sujet devenait la chose du magnétiseur. Bien mieux, je passai, sans y ajouter d'importance, à côté de résistances manifestes à mes injonctions, résistances qui se faisaient jour à tout propos et sous toutes les formes, de la part de sujets qu'on pouvait dire parfaits à tous égards, de sujets tels que cette robuste et saine jeune fille dont je reparlerai plus loin. C'est elle qui, à l'état de veille, se laissait percer la langue avec une grosse aiguille à bas par un médecin sceptique, mon collègue, M. Ma-sius (1), et se prêtait à être brûlée, d'abord au fer rouge, puis au thermocautère, par mon collègue, le chirurgien von Wini-water, en vue d'expériences sur l'action curative de l'hypnotisme (2).

Jurant, pour ainsi dire, sur la parole de MM. Liébeault et Beaunis, j'écrivais à la fin de 1886 les lignes suivantes (3) :

« Ce qu'avance M. Beaunis... est de la plus absolue exactitude. Le somnambule, entre les mains de son hypnotiseur, est mieux que le cadavre auquel doit ressembler le parfait disciple d'Ignace. C'est un esclave qui n'a plus d'autre volonté que celle qu'on lui inspire ; qui, pour accomplir les ordres qu'on lui impose, poussera la précaution, la prudence, la ruse, la dissimulation, le mensonge jusqu'aux extrêmes limites. Il ouvrira, il fermera les portes sans bruit, marchera sur ses bas, aura l'oreille et l'œil au guet, et quelle oreille! quel œil ! Il se souviendra de ce qu'on voudra, il oubliera ce qu'on voudra. II accusera en justice, de la meilleure foi du monde, un innocent; il aura vu ce qu'il n'a pas vu si on lui a commandé de le voir, il aura entendu ce qu'il n'a pas entendu, il aura fait ce qu'il n'a pas fait. Il jurera ses grands dieux qu'il a agi librement, volontairement; il inventera, s'il le faut, des motifs, et couvrira complètement son hypnotiseur. »

Il est vrai que j'ajoutais immédiatement cette restriction significative :

« En théorie, une pareille puissance est tout ce qu'il y a au

(1) Même insensibilité chez les convulsionnaires de Saint Médard.

(2) Voir op. cit., pp. 14, 29 et suivantes.

(3) Dans mon article paru dans la Revue de Belgique et intitulé Une visite à la Salpétrière (tiré à part, p. 35).

monde de dangereux. Je crois qu'en pratique, cependant, sauf en ce qui concerne les abus corporels et les testaments, elle ne l'est pas ou l'est peu. On s'alarme, me semble-t-il, outre mesure. » En note, mentionnant avec grand éloge le court mémoire de M. Liégeois, je disais : « Je ne m'alarme pas pour des raisons que je ne puis développer ici. » Entre autres raisons, je songeais à la difficulté, disons mieux, à l'impossibilité qu'il y a d'obtenir du sujet un asservissement absolu, tout en lui laissant l'initiative nécessaire pour parer aux accidents imprévus qui peuvent venir compromettre la réussite de l'acte commandé.

On le voit, mon assentiment comportait des réserves notables. Je distinguais entre la possibilité en théorie et la réalisation en pratique, c'est-à-dire que je restreignais les causes d'alarmes à deux cas bien circonscrits, les attentats à la pudeur et les testaments.

Deux ou trois mois plus tard, je ne me serais plus exprimé de cette façon (1). Alors déjà je soupçonnais que ce poignard, dirigé par M. Liébeault contre l'image suggérée d'une amie et qui allait s'émousser contre un mur, n'aurait pas blessé la personne. N'avais-je pas vu moi-même une jeune fille, métamorphosée en chat, se précipiter les dents grinçantes, les ongles dressés, vers le visage de mon collègue, M. Nuel, en qui elle voyait une souris, et se borner à l'effleurer délicatement? Alors déjà j'étais en possession de faits nombreux dont j'avais été témoin sans en saisir d'abord la portée, et qui commençaient à attirer mon attention rétrospective.

Et maintenant, sauf pour les deux cas que j'ai exceptés, je regarde comme fort problématique ce que je jugeais alors réalisable, à savoir qu'un scélérat qui médite un crime, puisse facilement trouver un complice dans un somnambule honnête. En tout cas, je pense encore, comme je le faisais en ce temps-là, qu'un pareil complice serait non seulement maladroit, mais compromettant.

C'est cette dernière proposition que je vais démontrer par la critique d'une expérience faite en vue de me convertir (2).

(1} Lire les réflexions qui, dans mes articles sur la Veille somnambulique (Revue philosophique, février et mars 1887), accompagnent le récit de mes expériences, vieilles alors de plus d'un an. (Voir notamment la note de la livraison de février 1887, page 119).

(2) Elle est contée dans mon récit des Fêles de Montpellier (Paris, Alcan ; Liège, Desoer), pp. 9 et suivantes.

A la fin de mai de l'année 1890, j'étais de passage à Nancy avec quelques amis, entre autres M. Léon Fredericq, professeur de physiologie à l'Université de Liège.

Nous passions notre soirée chez M. Beaunis, en compagnie de MM. Liébeault, Bernheim et Liégeois. La question des suggestions criminelles fut naturellement mise sur le tapis et discutée à fond sans avancer d'un pas. On prit rendez-vous pour le lendemain à l'hôpital, où M. Bernheim nous promit une expérience propre, d'après lui, à me convaincre.

Je la raconte au long, car, en pareille matière, le moindre détail a son importance.

Le sujet est un grand diable, très suggestible, que sa maladie n'empêche pas d'aller et de venir dans la salle. M, Bernheim l'endort et lui dit: « Tout à l'heure, à votre réveil, vous déroberez son orange à ce malade que vous voyez là dans ce lit. Remarquez bien que c'est malhonnête, ce que ce vous allez faire. C'est un vol, et vous risquez de vous faire punir. »

L'homme, réveillé, cherche visiblement à rassembler ses idées, il se frotte le front, il pense. Moi : « Qu'est-ce que vous avez? A quoi pensez-vous? — A rien. — Vous avez l'air tout préoccupé. — J'ai, en effet, quelque chose à faire. — Quoi? — Je'n'ai pas de compte à vous rendre. — Ah! est-ce que vous combineriez un mauvais coup par hasard? Où allez-vous? — Je vais faire une commission.— Quelle commission? — Cela ne vous regarde pas. — Très bien! je vous surveille et vous suis. »

Je le suis en effet. Il va près du lit de son compagnon, jette un coup d'œil sur l'orange, puis il s'accoude à la fenêtre dans une attitude indifférente et me fait admirer des cerises accrochées à un arbuste qui pousse dans un pot. 11 ne bouge pas. Pourquoi ? Uniquement parce que je lui ai dit que je le surveil-. lais; sinon, ma présence ne l'eût pas gêné. C'est en effet ce qu'on va voir.

M. Bernheim vient prévenir celui qui est au lit et qui d'ailleurs a tout entendu : « Il n'en fera rien, je pense, Monsieur le docteur ; c'est un camarade à moi, et il ne voudrait pas me voler. » M. Bernheim s'éloigne ; je l'accompagne et rejoins le groupe des personnes restées à l'écart. Le sujet, me voyant partir, s'imagine que je ne songe plus à lui, étend vivement le bras, saisit l'orange placée dérrière le coussin de son camarade, celui-ci le regardant.

Triomphe de M. Bernheim, mais triomphe aussi de M. Del-bceuf.

Il me faudrait une heure pour commenter à fond cette expérience. Mais je me bornerai, ici, à mettre en lumière les points essentiels.

Ainsi, ce prétendu automate, averti par moi que je le surveillerais, se garde bien, tant qu'ostensiblement j'ai l'œil sur lui, d'aller sur-le-champ, « avec la fatalité, a-t-on dit, de la pierre qui tombe », accomplir l'ordre intimé. Mon avertissement suffît à le retenir. Mais, qui plus est, son obscure conscience le pousse à épier chez moi un instant de distraction, et, sottement, il ne remarque pas que son camarade a le regard fixé sur lui et suit tous ses mouvements avec la plus vive curiosité. A peine ai-je fait semblant de tourner le dos qu'il lui vole l'orange sous son nez.

N'oublions pas non plus que c'est M. Bernheim, le médecin en chef de l'hôpital, qui lui donne « la commission » d'aller prendre l'orange. Il est vrai qu'il la fait suivre d'une petite leçon de morale. Mais comment le sujet a-t-il interprété cette leçon ? N'y a-t-il pas vu, comme nous, des phrases en l'air, sans portée, dites pour la galerie? Si M. Bernheim s'était adressé dans les mêmes termes et avec la même absence de conviction à M. Fredericq, celui-ci n'aurait-il pas exécuté ponctuellement la commission ? Pourquoi aurait-il désobligé M. Bernheim ? Combien y en a-t-il ici même qui, priés par un escamoteur de lui prêter aide pour mystifier le public, s'y sont refusés ou s'y refuseraient ?

Et puis le raisonnement de mes contradicteurs est commode. Si le sujet résiste à la suggestion criminelle, c'est, disent-ils, qu'il est mauvais somnambule, ou que l'expérience n'a pas été bien conduite, ou que l'on n'a pas assez insisté, etc. Il est inutile alors d'expérimenter, puisqu'ils ont toujours des ressources pour expliquer l'insuccès. Mais, à mon tour, quand ils réussissent, ne pourrai-je pas conclure avec autant de raison, qu'ils ont eu affaire à un criminel-né, à un voleur latent, à une dévergondée qui s'ignore? Et ce mode d'argumentation serait souvent plus légitime que l'autre. Qui de nous est vraiment vertueux? demande le Vautrin de Balzac (1) Que d'actions reprehensibles, selon nos codes ou notre morale, un parfait honnête homme, l'occasion s'offrant, se laissera aller à commettre sans remords !

(1) Le père Goriot.

Voyons donc la suite de l'expérience. Notre homme a mis l'orange dans la poche de son pantalon, et elle y fait une énorme saillie. Pas dissimulateur le criminel ! Moi, le regardant fixement : « Qu'est-ce que vous venez de faire ? — Rien; j'ai fait ma commission. — Vous avez volé ! — Quelle idée ! — Qu'avez-vous dans votre poche?— Rien. (Remarquez la bêtise!) — Comment, rien? Qu'est-ce que cela? — Tiens ! une orange ! Elle est belle, cette orange. Ma foi, je ne sais pas comment elle est venue là. »— M. Bernheim intervient : « Vous l'avez prise à un compagnon, à un camarade ! C'est mal. — Oui, c'est vrai, mais j'en avais envie. Dites, avez-vous jamais eu en main une aussi belle orange? Elle m'a donné dans l'œil, j'ai tenu à l'avoir. D'ailleurs, il ne l'a pas vu (!), et, pas vu, pas pris. » — Moi : « Comment dites-vous ? — Mais oui, pas vu, pas pris », répond-il avec un petit clignement d'yeux fûté et significatif. Quelques instants après, quand on ne songeait plus à lui, il vint faire spontanément et en riant à M. Fredericq l'aveu qu'il « chipait » volontiers du tabac à ses camarades, toujours en vertu de la théorie du pas vu, pas pris ; « Ce sont des farces, quoi ! »

Conclusion : le sujet en question avait peut-être en lui le germe du vol ou, si vous voulez, de la petite filouterie. Or, que de gens ont ce germe sans oser se l'avouer à eux-mêmes ! Qui, parmi les plus probes, ne croit pas excusable de frauder la douane, le fisc, une compagnie de chemin de fer, ou ne regrette pas de ne pouvoir s'approprier un objet trouvé ?

Mais je viens de dite peut-être. C'est que je n'oserais jurer de l'indélicatesse foncière de cet homme. N'était-ce pas de sa part une manière de disculper M. Bernheim, en se faisant plus mauvais qu'il n'est? Que de questions sans réponse possible !

IV.

M. Liégeois va dire : « Soit ! celte expérience a laissé à désirer. Le sujet n'était sans doute pas d'une moralité à toute épreuve, et il a fait des pas de clerc. Mais voici des expériences absolument probantes. » Et, là-dessus, M. Liégeois nous racontera les histoires de Mlle E..., de M. N.... de Mme G..., et de Mme C... (1) Voici ces histoires. Elles ont été rééditées par lui dans l'affaire Gouffé-Bompart. J'emprunte les termes des récits à l'auteur lui-même.

(I) Voir le mémoire précité. Elles sont reproduites dans son ouvrage : De la suggestion et du somnambulisme. Paris, Doin, 1889.

Première histoire. — M. Liégeois s'imagine « avoir produit chez M,le E... un automatisme si absolu, une disparition si complète du sens moral, de toute liberté, qu'il lui fit tirer, sans sourciller, un coup de pistolet à bout portant sur sa mère. Lajeune criminelle paraissait aussi complètement éveillée que les témoins de cette scène, mais elle est beaucoup moins émue qu'ils ne le sont eux-mêmes. (Notez cette remarque). Et presque sans transition, sa mère lui reprochant ce qu'elle vient de faire, et lui disant qu'elle a voulu la tuer, M"* E... répond, en souriant et avec beaucoup de bon sens : « Je ne t'ai pas tuée, puisque tu me parles ! »

« A qui fera-t-on croire, ajoute M. Liégeois, qu'il n'y ait là que comédie et simulation, et qu'une fille s'amuse, pour tromper la galerie, à tirer sur sa mère avec un pistolet qu'elle ne sait pas n'être pas chargé? »

Je rétorque tout de suite l'argument : A qui fera-t-on croire qu'une fille qui, sans émotion, tire sur sa mère un coup de pistolet, ne se doute pas que la scène est arrangée, que son arme est inoffensive et son acte sans conséquence? Elle sent que tous ceux qui sont là sont momentanément des comédiens, et c'est sans scrupule qu'elle fait la comédienne. Pourquoi d'ailleurs s'y refuserait-elle? N'est-ce pas M. Liégeois qui monte la pièce ? ne voit-elle pas sa mère y tenir un rôle et les spectateurs suivre son jeu avec une curiosité haletante?

L'hypnotisé n'est pas soustrait au monde réel autant que beaucoup seraient tentés de le croire. Il l'est moins que le dormeur. D'abord il reste en communication intelligente avec son magnétiseur. Ensuite il voit le théâtre où il se meut. Si on lui commande d'aller prendre un livre sur une table où il y a encrier, boites, cahiers, statuette, il ira prendre le livre, et non, par exemple, la statuette. Si on lui enjoint de marcher droit devant lui dans une chambre encombrée de chaises, il saura éviter les chaises ; ou, si l'on a cherché à pousser plus loin chez lui ce que l'on appelle des hallucinations négatives, c'est-à-dire tendant à faire disparaître les objets, il s'y heurtera peut-être, mais, à coup sûr, avec ménagement. De là vient que, sur les scènes publiques, il ne se blesse jamais, malgré la violence et l'étourderie apparentes de ses mouvements.

Il conserve aussi à tout le moins une certaine part d'indépendance. Il n'est pas sans deviner à quel moment on le fait servir à des démonstrations. Il lui arrivera de regimber, surtout devant le public; plus souvent il y mettra de la complaisance.

Et il se fait ainsi que, dans les expériences auxquelles il se prête et qui sont destinées à faire ressortir son prétendu automatisme absolu, les préparatifs de la scène où il aura à remplir un rôle de criminel, l'honorabilité de celui qui le lui dicte, l'attitude des spectateurs pendant qu'il le joue, la tranquillité des victimes supposées, tout concourt à lui rendre ce rêve factice moins trompeur qu'un songe réel.

Le dormeur qui rêverait qu'il tue sa mère, la verrait terrifiée et suppliante, implorant la pitié de son fils ou le secours de témoins indignés. Lui-même se sentirait mû par un motif quelconque, absurde où vraisemblable, mais impérieux. En un mot, le rêve serait une espèce de drame incohérent, composé, comme toujours, d'éléments réels et de réminiscences, et d'où l'horreur ne serait pas bannie. Ou bien, s'il voyait sa victime souriant et lui parlant au milieu d'une assemblée simplement attentive, il se douterait, dans son sommeil même, que ce qu'il voit et ce qu'il fait est illusion pure.

Dernièrement — c'était au commencement de janvier — j'ai rêvé que j'assistais à une vente de tableaux. Parmi les œuvres exposées, il y avait une longue peinture de cinq à six mètres de haut sur moins d'un mètre de large, représentant Passomp-tion d'une sainte. A peine le commissaire a-t-il fait connaître la mise à prix, 6,000 francs, que je fais un signe d'assentiment. Il m'est adjugé. Je rentre chez moi avec mon acquisition. Mais, en chemin, le regret me saisit. Quelle folie je venais de faire! Où accrocher ce sujet religieux? Si même je trouve une place, dans la cage de l'escalier, par exemple, quel effet va-t-il faire avec son vieux cadre noir et ses dimensions insolites ! Et quel prix, en quel moment, lorsque affluent les notes des fournis- • seurs! Sur ces réflexions, je me réveille. Mon cœur battait avec force ; pendant tout le reste de la nuit, c'est-à-dire pendant plusieurs heures, j'ai continué à être sous la plus pénible des impressions. J'avais beau me sentir éveillé, me raisonner . et m'exciter à la joie en me disant que ce n'était qu'un rêve* l'énormité de ma bêtise m'étouffait, et j'en restais toujours à appréhender les reproches des miens quand ils apprendraient le beau marché que je venais de faire.

Que cette oppression, persistant après le réveil, est loin de la placidité souriante de Mlle E... ! Et, dès lors, ne sommes-nous pas autorisés à penser que son rêve n'avait pas la puissance d'illusion qu'atteint parfois le rêve naturel?

Ces drames inventés manquent de vérité et ne trompent guère plus l'acteur que les spectateurs.

M. Liégeois affirme que Mlle E... ne sait pas que le pistolet n'est pas chargé. Je n'en crois rien. D'où infère-t-on qu'un somnambule est un imbécile? Mais vous, moi, tout le monde a deviné que le pistolet de M. Liégeois n'est pas chargé. Pourquoi Mlle E... ne le devinerait-elle pas? N'en est-elle pas absolument certaine par le fait même que M. Liégeois le lui remet pour tirer sur sa mère? N'a-t-elle pas compris, à l'attitude des spectateurs, qu'ils étaient dans l'attente, qu'ils n'avaient nulle inquiétude, et n'aura-t-elle pas voulu les étonner par sa docilité, par son sang-froid? Toutes les suppositions sont possibles et légitimes. Bien plus, les somnambules, tout entiers à leur affaire, ont, en général, une perspicacité plus prompte et plus sûre. Leur sensibilité est affinée, leur adresse, leur mémoire dépassent les bornes où elles sont renfermées à l'état normal. Ne parle-t-on pas d'écoliers qui, dans des accès de somnambulisme, apprennent en peu de temps leurs leçons et font admirablement leurs devoirs?

J'ai raconté dans la Revue philosophique (août 1886) le trait d'un somnambule sur qui j'expérimentais pendant l'une de mes leçons. Voici le récit :

« L'expérience que je vais rapporter peut servir à expliquer bien des miracles. B... est un jeune et fort garçon de quinze ans, très intelligent, ancien sujet de Donato, excellent somnambule, ayant figuré dans beaucoup de séances publiques. Je l'ai endormi devant mes auditeurs. Il s'agit de lui donner un ordre singulier à accomplir après son réveil, sur un signal donné. Le signal sera un coup frappé par moi sur le pupitre ; l'ordre, celui de porter un verre d'eau (un verre et une carafe sont sur la chaise) à l'élève Eucher. Il ne connaît aucun des quinze élèves présents et n'a pas entendu prononcer leurs noms. Les élèves se rangent au hasard, les uns debout, les autres assis. B... est éveillé. Nous causons. Je donne le signal. B... se lève, remplit un verre, et, sans la moindre hésitation, le porte à l'élève désigné, assis sur l'un des derniers bancs, à côté d'un de ses condisciples.

« Nous nous regardons tous avec stupéfaction. Le but de l'expérience était uniquement de voir comment B... obéirait à un ordre obscur. Or, parmi mes auditeurs, il y en avait d'assez disposés à croire à la seconde vue. Le résultat était de nature à renverser toutes mes convictions.

« Je le rendors, et lui enjoins de porter un verre d'eau à l'élève Gérard. Nous restons en place, tous debout, attendant avec une curiosité impatiente ce qui va se passer. B... remplit le verre, et, cette fois-ci, interroge du regard tous les spectateurs, présente le verre à l'un, puis à l'autre. Bref, je dus lui désigner l'élève Gérard, qu'il força de boire.

« Je le rendors de nouveau et lui demande à qui il a porté le premier verre d'eau. — « A M. Eucher. — Le connaissiez-vous ? — Non. — Comment l'avez-vous reconnu ? — A son maintien ; il avait l'air de se dissimuler. »

« Et voilà comment le mystère fut éclairci. Nous avions inconsciemment arrangé la scène, et c'est l'arrangement qui nous avait trahis. Ce n'en est pas moins un remarquable exemple de la perspicacité déployée par les somnambules. »

Cette observation montre bien que le somnambulisme peut aviver l'intelligence au lieu de la déprimer.

Un dernier mot sur l'expérience de M. Liégeois.

On va m'objecter : Mais si cependant le pistolet avait été chargé, Mlle E... tuait sa mère! — Oui, en supposant que la mère et les spectateurs eussent cru qu'il ne l'était pas. Car, sinon, leur effroi seul aurait probablement suffi pour rappeler le sujet à la réalité. Et si même le meurtre se fût accompli, serait-il moralement autre chose qu'un homicide par imprudence? J'entends par là que, pour les spectateurs, pour la victime, pour le meurtrier, l'acte ne changerait pas de caractère parce que le magnétiseur aurait mis en la main de celui-ci* par erreur ou avec mauvais dessein, un pistolet chargé au lieu d'une arme inoffensive. J'ose à peine faire remarquer du reste qu'un crime réel ne se commettra jamais dans de pareilles conditions.

V.

La seconde expérience de M. Liégeois m'est tout aussi suspecte et pour des raisons tout à fait semblables : « Je présente àN... une poudre blanche dont il ignore la nature. Je lui dis : « Faites bien attention à ce que je vais vous recommander. Ce « papier contient de l'arsenic. Vous allez tout à l'heure rentrer « rue de ... chez votre tante, Mme M..., ici présente. Vous pren-« drez un verre d'eau ; vous y verserez l'arsenic que vous ferez « dissoudre avec soin ; puis vous présenterez le breuvage « empoisonné à votre tante. — Oui, monsieur. » Le soir, je reçois de Mme M... un mot ainsi conçu : « Mme M... a l'honneur

« d'informer M. Liégeois que l'expérience a parfaitement « réussi. Son neveu lui a versé le poison. » Quant au criminel, il ne se souvenait de rien, et l'on eut beaucoup de peine à lui persuader qu'en effet il avait voulu empoisonner une tante pour laquelle il a une profonde affection. L'automatisme avait été complet. »

J'ai, autrefois, admis l'expérience et la conclusion comme valables. Aujourd'hui je ne puis m'empêcher d'y voir un cercle vicieux. On conclut de l'absence de souvenir que le somnam- ¦ bule est un automate et, de là, qu'il gobe tout ce qu'on lui dit. Mais s'il écoute la voix de son hypnotiseur, s'il saura, pour accomplir l'ordre, faire des choses qu'on ne lui a pas commandées, mais qui sont implicitement comprises dans l'ordre, comme de prendre de l'eau à un puits, à une pompe, pourquoi ne veut-on pas qu'il fasse des réflexions sur la nature de la chose qu'on lui demande? Pourquoi N.... qui sait qu'on le soumet à des expériences, ne se dirait-il pas, tout endormi, qu'il s'agit d'une expérience à faire ; que le papier ne contient pas de l'arsenic; que M. Liégeois ne peut pas avoir l'idée de lui faire empoisonner sa tante, sa tante qui est présente et qui entend tout? Encore une fois, un hypnotisé n'est pas un idiot; au contraire. Toutes les précautions que M. Liégeois prend pour rendre l'expérience sincère et décisive, tournent contre sa démonstration. Voyez-vous le médecin empoisonneur Castaing disant à un domestique, devant Hippolyte Ballet, l'ami dont il médite la mort : « Voici du vin empoisonné ; vous le donnerez tantôt à ce malade que vous voyez là dans son lit! » Mais s'il avait fait cela, on n'aurait pas tranché la tête à Castaing, on l'aurait tout bonnement enfermé dans un asile d'aliénés. Pour le reste, ma foi, le domestique aurait pu, sans appréhension ni soupçon, présenter le breuvage et Hippolyte Ballet le boire.

Mais c'est assez nous arrêter à des suppositions irréali- sables. Passons à la troisième histoire.

M. Liégeois fait tirer à M"" G... un coup de pistolet sur M. P..., ancien magistrat. Pour bien marquer que le pistolet devait être chargé, M. Liégeois tire un coup dans le jardin, et rentre montrant aux assistants un carton que la balle venait de perforer. « Avec une inconscience absolue et une parfaite docilité, Mme G... s'avance sur M. P... et tire un coup de revolver. Interrogée immédiatement par M. le Commissaire central (qui assistait à la séance), elle avoue son crime avec une entière indifférence. Elle a tué M. P... parce qu'/7 ne lui plaisait pas (!).

On peut l'arrêter, elle sait bien ce qui l'attend. Si on lui ôte la vie, elle ira dans l'autre monde, comme sa victime, qu'elle voit étendue à terre, baignant dans son sang. On lui demande si ce n'est pas moi qui lui aurait suggéré l'idée du meurtre qu'elle vient d'accomplir. Elle affirme que non ; elle y a été portée spontanément; elle est seule coupable ; elle est résignée à son sort ; elle subira, sans se plaindre, les conséquences de l'acte qu'elle a commis. »

Plus je médite aujourd'hui sur ces expériences, moins elles me semblent établir ce qu'elles sont destinées à prouver. Cette parfaite tranquillité de Mme G..., sa générosité à ne pas inculper M. Liégeois, le motif plaisant par lequel elle justifie son acte, sa résignation devant le sort qui l'attend, montrent à l'évidence, j'ose le dire, qu'elle n'est pas dupe et qu'elle n'a pu songer un instant à tuer M. P... Elle joue consciencieusement un rôle qu'elle improvise en partie, qu'en partie elle compose de bribes retenues par cœur, et où elle entremêle des traits de sa façon, des traits de gamin, par exemple que sa victime lui déplaisait. Rappelons-nous le malade qui dérobait une orange parce qu'elle était belle.

Que Mme G... voie M. P... baignant dans son sang, c'est plus que douteux; j'ai les mains pleines de faits qui prouvent que les somnambules artificiels ne sont pas dupes des illusions qu'on leur donne; leur sérénité même en fait foi. Certes, je ne voudrais pas nier qu'on puisse leur faire accomplir un acte dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui : je m'expliquerai dans un instant sur ce point Mais de là à une complicité criminelle, il y a une distance incalculable.

Que le somnambule puisse répéter une leçon apprise, c'est ce qui ressort d'une autre histoire de M. Liégeois :

« Mme C... doit donner de l'arsenic à boire à M. D..., qui a soif. Mais M. D... fait une question que je n'avais pas prévue ; il demande ce que contient le verre qu'on lui présente. Avec une candeur qui éloigne toute idée de simulation, M"" C... répond : « C'est de l'arsenic ! » Il faut alors que je rectifie ma suggestion. Je dis-: « Si l'on vous demande ce que contient ce verre, vous direz que c'est de l'eau sucrée. » Et Mme C... répond à une nouvelle question : « C'est de l'eau sucrée. » Très bravement, M. D... absorbe le prétendu poison. Interrogée par M. le Commissaire central. Mme C... ne se souvient absolument de rien. Elle n'a rien vu, rien fait, n'adonné à boire à personne; elle ne sait pas de quoi on veut lui parler. »

Encore une fois, tout cela me prouve que Mme C... sent qu'on lui commande une chose innocente. II eût été intéressant de la réveiller au milieu de l'action (1), pour voir si elle aurait pu retrouver les pensées qui traversaient son esprit au moment où elle donnait à boire à M. D... Je ne sais pas si elle n'aurait pas répondu comme Mlle E..., qu'elle ne doutait nullement que l'empoisonnement était simulé et la scène imaginaire.

Nous venons de voir M. D... faire une question à laquelle M. Liégeois ne s'attendait pas, et qui dérange tout le crime. Nous avons vu le malade de M. Bernheim voler une orange sous le nez du volé qui le regarde. J'admets cependant que tout ait été prévu ; que M. Liégeois ait mis Mme C... en garde contre toutes les questions qu'on pouvait lui faire; que M. Bernheim ait bien recommandé à son sujet de commettre son vol à l'abri de tous les regards, et qu'il n'y ait eu aucun accroc. Aurions-nous là des images fidèles de crimes? Pourrions-nous tabler sur elles pour en conclure qu'un hypnotisé quelconque, un hypnotisé honnête se prêtera à servir de complice à un criminel véritable?

Sans hésiter, je réponds non.

(à suivre)

(1) Voir mon article sur la Mémoire des hypnotisés. (Revue Philosophique, mars 1886),

THÉORIE HISTOLOGIQUE DU SOMMEIL

Hypothèses sur la physiologie des centres nerveux.

Par H. le professeur Matus-Duval (l).

Les notions nouvelles introduites dans l'histologie du système nerveux par les recherches de Golgi et Ramon y Cajal sont de nature à suggérer d'intéressantes conceptions sur le mode de fonctionnement intime des éléments des centres. Il est universellement admis aujourd'hui que les cellules nerveuses sont en rapport les unes avec les autres, non par continuité, mais par simple contiguïté des arborisations terminales du cylindre de l'une avec les prolongements de protoplasma de l'autre. Il en résulte que, par exemple, pour l'acte réflexe, le lien de transformation de l'excitation sensitive en excitation motrice, le centre réflexe, en un mot, est représenté non par une

cellule nerveuse, mais par l'articulation à distance des prolongements sus indiqués (Voir: Morat, Revue scientifique, 24 nov. 1894). Dans les agents qui, tels que la strychnine ou le bromure de potassium, modifient le pouvoir réflexe, agissant sur ces lieux de contact des prolongements des cellules nerveuses, l'idée qu'un poison peut porter son action non sur la cellule nerveuse, mais spécialement et exclusivement sur les ramifications terminales de ses prolongements, est confirmée par ce que nous savons du mode d'agir du curare exclusivement sur l'arborisation terminale du nerf moteur.

S'il en est ainsi, et comme il nous est permis d'étendre ces notions à tous les centres nerveux, nous pouvons aujourd'hui bien mieux comprendre les conditions anatomiques,les processus histologiques des phénomènes tels que la mémoire, l'association des idées, l'imagination, et de même comprendre histologiquement les résulats de l'habitude, de l'éducation.

C'est ainsi que récemment E. Tauri (Rivista sperim. di Frena-tria e med. leg., 1893) fait remarquer que, comme tout acte fonctionnel réitéré hypertrophie l'origine qui en est le siège, le passage répété des courants nerveux doit provoquer l'hypertrophie dans les cellules nerveuses en fonctions ; si cette hypertrophie a lieu dans le sens de la longueur du prolongement , elle diminuera la distance entre les parties qui doivent communiquer; quand le passage de neurone à neurone devient très facile, par plus de proximité, il devient inconscient; c'est pourquoi les actes très habituels, automatiques, sont inconscients.

Mais on peut encore se demander s'il s'agit là d'une proximité définitivement établie entre les ramifications terminales, ou d'une facilité acquise par ces ramifications de s'allonger à un moment donné, de se rétracter à un autre moment, par une véritable propriété amœboïde de leur protoplasma. Des observations de Wiedersheim (Anat. Au%g.t 1890) sur le cerveau de la Leptodera hyalina lui ont permis de constater que les cellules nerveuses ne sont pas immobiles, mais présentent des changements de forme, des mouvements amceboïdes. D'autre part les cellules olfactives sont considérées aujourd'hui comme des cellules nerveuses, et on sait que leurs prolongements périphériques, homologues des prolongements dits de protoplasma d'un neurone, sont doués de mouvements. L'hypothèse

(I) Communication faite à la Société de Biologie.

de ramœboïsme des ramifications nerveuses terminales a ainsi pour bases des faits d'observation. Nous pouvons donc penser que non seulement les connexions des cellules nerveuses, dans les centres, sont de pure contiguïté, mais encore que cette contiguïté peut être d'un moment à l'autre plus ou moins intime, qu'elle présente une certaine adventicile (1), selon les circonstances. On conçoit qu'ainsi l'imagination, la mémoire, l'association des idées deviennent plus actives sous l'influence de divers agents (thé, café) qui auraient sans doute pour action d'exciter l'amceboïsme des extrémités nerveuses en contiguïté, de rapprocher ces ramifications, de faciliter les passages.

Cette conception, qui ramène les actes cérébraux même les plus élevés à des processus histologiques semblables à ceux que nous observons sur les amibes ou les leucocytes, trouverait son application dans l'analyse du phénomène du sommeil et réveil, et nous donnerait ce que j'appellerais la théorie histologique du sommeil. Chez l'homme qui dort, les ramifications cérébrales du neurone sensitif central (Voir la nomenclature de Van Gehuchten pour les neurones sensitifs) sont rétractées, comme le sont les pseudopodes d'un leucolyte anesthésié, sous le microscope, par l'absence d'oxygène et l'excès d'acide carbonique. Les excitations faibles portées sur les nerfs sensibles provoquent, chez l'homme endormi, des réactions réflexes, mais ne passent pas dans les cellules de l'écorcecérébrale; des excitations plus fortes amènent l'allongement des ramifications cérébrales du neurone sensitif, par suite le passage jusque dans les cellules de l'écorce et pat' suite le réveil, dont les phases successives traduisent bien ces rétablissements d'une série de passages précédemment interrompus par rétraction et éloignement des ramifications pseudopodiques.

Mais de même que des excitations particulières, violentes ou non habituelles amènent l'amibe à se rétracter, de même des excitations spéciales produiront la rétraction des pseudopodes nerveux, l'arrêt de la fonction nerveuse correspondante (actes d'inhibition, choréede l'interférence nerveuse), et des excitations violentes, anormales, par le même mécanisme, produiront les anesthésies et paralysies hystériques. Nous ne saurions insister ici sur ces interprétations, mais il est évident qu'elles

(1) Cette expression, très heureuse, a été employée par M. Dastre au cours de la discussion qui a suivi ia présente communication.

se prêtent merveilleusement à l'explication de la production comme de la disparition des troubles hystériques.

M. Azoulay a récemment communiqué à la Société le résultat de ses recherches sur l'anatomie pathologique de la paralysie générale, étudiée par la méthode de Golgi-Cajal. Il a constaté la disparition d'une partie des ramifications des panaches des cellules pyramidales, c'est-à-dire une atrophie partielle, non plus adventice, des pseudopodes du neurone.

La comparaison, l'identification du neurone avec un amibe et ses pseudopodes a déjà été faite, à propos de la dégénérescence des nerfs sectionnés, et on a très heureusement rapproché ce processus de celui observé par Balbianidans ses expériences de mérotomie chez les infusoires (Morat, op. cit.). Les idées que nous émettons aujourd'hui sont une extension légitime de ces rapprochements. La comparaison du neurone avec l'amibe peut éclairer encore bien d'autres questions que celles ici indiquées. Pour en signaler une encore, nous dirons combien, à la lumière de cette comparaison, doit paraître vaine et sans raison d'être la fameuse hypothèse de la neurilité ou conductibilité indifférente de la fibre nerveuse, et, par suite, combien perdent de leur intérêt les ingénieuses mais toujours infructueuses tentatives de Paul Bert pour souder un nerf sensitif avec moteur. Ces expériences, qui nous ont tous enthousiasmés autrefois, nous paraissent aujourd'hui sans raison d'être, ou se réduisent au problème de savoir si on pourrait, après avoir sectionné un pseudopode d'un amibe, amener la soudure de ce pseudopode avec le corps d'un autre amibe.

SOCIÉTÉS SAVANTES SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 16 juillet 1894. — Présidence de M. Duuontpallier.

Un cas de neurasthénie syphilitique. Guérison en une seule séance par la suggestion hypnotique.

Par m. le d' David, de Narbonne.

Il y a seize ans environ, j'ai soigné M. G..., porteur d'un chancre induré à la partie antérieure du sillon balano-préputial. M. G... avait à cette époque 13 ans. Pendant trois ans consécutifs il a suivi le traite-

ment antisyphilitique d'une façon très rigoureuse. Puis, se croyant guéri et malgré mon avis contraire, il se marie. Notons en passant qu'il n'a jamais eu de manifestation secondaire.

Sa femme est une personne robuste, resplendissante de santé, n'ayant jamais été malade, et ne présentant aucun symptôme se rattachant à l'hystérie ou à toute autre maladie du système nerveux.

Les années s;écoulent, et rien d'anormal ne survient. Je me demande si je n'ai pas fait une erreur de diagnostic. Mme G... accouche, dans d'excellentes conditions, d'un garçon magnifique, lequel grandit et se développe parfaitement, sans présenter aucun accident syphilitique. La femme, d'ailleurs, parait indemne. Quand arrive la onzième année de mariage, M. G... vient me trouver et me présente une superbe roseóle syphilitique et en même temps des plaques muqueuses disséminées dans la bouche ; ce qui le désole, c'est que sa femme présente les mêmes accidents, et il m'affirme que depuis son mariage il ne s'est exposé à aucune contagion extra-conjugale.

J'ai tenu à raconter la première phase de cette observation, à' cause de cette particularité intéressante d'une syphilis qui, traitée dès le début avec vigueur, serait restée latente pendant onze ans. Je n'insiste pas davantage sur ce sujet qui m'entraînerait trop loin, et j'arrive au point important de cette communication.

En présence des accidents syphilitiques présentés par Mme G..., j'institue le traitement classique : Deux pilules Dupuytren, pendant six semaines. Sur ces entrefaites, elle est obligée de quitter la localité avec son mari, et, dans sa nouvelle résidence, elle consulte un médecin qui lui conseille le sirop de Gibert. Dès ce moment éclatent les accidents neurasthéniques : Perte complète de l'appétit, crampes continuelles à l'estomac, tristesse profonde, indifférence absolue, insomnie, pleurs faciles, faiblesse généralisée, refroidissement des extrémités, céphalée fréquente. Pendant plus d'un an, Mme G... absorbe, sous toutes les formes, tous les reconstituants connus, sans oublier les antispasmodiques, voire même du sulfate de quinine, mais sans aucun résultat. Dans l'entourage on parle déjà d'une tuberculose. C'est dans cet état que la malade me revient.

M™ G... est, en effet, bien changée. Les traits sont tirés, les yeux enfoncés dans l'orbite; elle me raconte son histoire avec un découragement profond, insistant sur les douleurs de l'estomac, la perte de son appétit. Elle ne peut pas s'asseoir à table avec les siens, non pas seulement parce qu'elle n'a pas faim, mais surtout parce que la vue des mets lui provoque des nausées. Elle prend à peine une petite tasse de tait dans la journée. La nuit, il faut qu'on la veille parce qu'elle ne dort pas et qu'elle a toujours peur de se trouver mal. Elle a la sensation d'un casque serrant la tête, une douleur très vive entre les épaules, les pieds et les mains sont toujours froids, et tout la porte à pleurer. Rien ne lui fait plaisir, pas même l'arrivée de son fils à l'époque des vacances.

Le diagnostic n'était pas difficile. L'exploration des organes ne révèle ancune lésion organique, l'utérus et les ovaires sont sains. Je propose le traitement par la suggestion hypnotique.

Mme G... est fort bien disposée à subir ce traitement, qui lui inspire une grande confiance. Elle entre, en effet, tout de suite, dans un sommeil profond, pendant lequel je suggère la disparition de tous les phénomènes nerveux. Je passe en revue, sans en oublier aucun, tous les symptômes morbides qu'elle vient de m'énumérer, je les supprime les uns après les autres, et, au réveil, notre malade est transformée; l'expression de la physionomie est, maintenant, celle d'une personne qui se porte bien et qui ne souffre pas.

Le jour même, et immédiatement après la séance, elle mangeait avec les siens sans ressentir aucune douleur gastralgique ; en même temps que l'appétit, elle recouvrait sa belle santé d'autrefois. Cette observation date du mois de novembre de l'année dernière. Il y aura donc bientôt deux mois que la guérison se maintient. Sera-t-elle définitive? L'avenir le démontrera, mais il n'est pas niable que la suggestion a guéri, en une séance, une malade qui avait traîné pendant plus d'un an une existence pénible et douloureuse, après avoir épuisé tous les remèdes généralement employés pour combattre la neurasthénie.

Nicotinisme guéri par suggestion.

Par le Dr A. Voisin.

M. X... âgé de 45 ans, est venu me consulter pour un état hypocondriaque et une diminution notable de la mémoire et de la force morale, ainsi que pour des accidents cardiaques. La famille du malade attribuait ces accidents à des abus considérables de tabac, et on me l'avait amené pour essayer de le guérir de cette habitude par la suggestion hypnotique. M. X... fume, depuis quinze ans, 40 à 60 cigarettes par jour. Il éprouve des douleurs au niveau de la première vertèbre dorsale, une sensation continuelle de fatigue, un affaiblissement général, et il a beaucoup maigri. Je constate que les masses musculaires des quatre membres sont excessivement maigres.

Les battements du cœur sont très faibles et on peut même dire qu'ils battent par moments d'une façon presque insensible. Le pouls est chétif; les poumons ne présentent qu'un peu de catarrhe; le malade tousse fréquemment, les pupilles sont égales. II n'existe aucun trouble dans le sens de la vue, de l'ouie, de l'odorat. Le goût est seulement un peu obtus. La parole est nette ; la mémoire a diminué dans une assez forte proportion ; il en est de même de la force morale. M. X... a des tendances manifestement hypocondriaques. Cet état maladif ne l'empêche pas cependant de s'occuper de ses affaires.

L'appétit est considérablement diminué; aussi M. X... mange très peu ; c'est à peine s'il prend chaque jour quelques bouchées de viande.

Je le soumets à des tentatives d'hypnotisme au moyen du procédé de la fixation des yeux sur un ou plusieurs doigts. L'hypnose n'a pu être obtenue qu'au bout de deux séances. Le malade ne peut pas être plongé dans un état dépassant la demi-léthargie ; il ne peut ouvrir les yeux ; il ne peut non plus se redresser sur son fauteuil, quoiqu'il nous affirme n'avoir pas dormi entièrement.

"Dès cette séance, je suggère au malade de ne plus aimer le tabac et de ne plus fumer que trois cigarettes par vingt-quatre heures. Au bout de deux autres séances, c'est-à-dire le sixième jour après le commencement du traitement, je suggère au malade de ne plus fumer du tout, et, qui plus est, de détester absolument le tabac.

Le 30 mars, M. X... vient me trouver, me dit qu'il n'a pas fumé depuis la dernière séance ; il se sent un peu mal à l'aise, il a de fréquents bâillements.

Il vient me revoir le 2 avril et l'on me raconte qu'il a dit dans sa famille qu'il éprouvait maintenant un dégoût inouï pour le tabac. Il lui a été fait trois autres séances d'hypnotisme pour amener sa guérison, qui ne s'est pas démentie.

Ces résultats sont assurément très encourageants, et la médecine et la science ne seront plus désormais impuissantes contre une des plaies sociales les plus désastreuses de notre siècle.

FOLKLORE

Superstitions ardennaises. — Le Dr Jaillot, qui a longtemps exercé la médecine à Apremont, sur les confins de la Meuse et des Ardennes, public dans la Revue d'Ardenne et d'Argonne quelques notes sur le Folk-lore Argonnais ; il reproduit certaines pratiques superstitieuses dont voici les plus intéressantes au point de vue médical :

A Exermont, de vieilles femmes guérissent la maille (kératite) au moyen de signes de croix et de cette sorte de prière rythmée :

« Mère Marie s'en va au moûtier, — prit ses heures et bien lui sied j — elle rencontre son cher fils : — Que faites-vous là, mère Marie ? — Hélas ! mon cher fils, je crois que je perds la clarté. — Non fait, mère Marie, non fait, ne savez-vous pas cette belle oraison qui guérit de l'ongue, — la mal ongue (cataracte), de la fleur et du bourdon (orgeolel), la maille et tout ce qui s'ensuit?

« Ceux qui trois fois cette oraison diront « Jamais la clarté ne perdront. »

D'autres prétendent guérir les entorses en faisant le signe de la croix avec le pied, et en disant:

« In te, domine, speravi ; non confundor in œlemum »

A Apremont, le guérisseur sagne avec son pied droit trois fois le pied malade et prononce la formule suivante :

Ante sperante super et sperante te (pour les femmes), Antum sperantum et super sperante tum (pour les hommes).

Je ferai remarquer en passant que le guérisseur d'Apremont estropie la formule classique qui est :

Et le, super ante et super ante te.

On se préserve du mal de dents en disant cinq pater et cinq aue et en faisant vœu de ne jamais manger de viande le jour de Pâques.

Pour faire passer le hoquet (souglot), il suffit de répéter, jusqu'à ce qu'il soit disparu :

J'â l'suglot, Par Jésus, Dieu m'iait donné, Je n'iâ pus.

Il serait facile de continuer la série de ces pratiques bizarres ; j'en citerai encore une en usage dans les environs de Vouziers. Quand on veut guérir les porreaux (verrues), on jette dans un puits une poignée de pois et on s'éloigne aussi rapidement que possible ; si on n'entend pas les pois tomber dans l'eau, les verrues disparaissent comme par enchantement.

Luette et superstitions. — Dans un travail assez récent sur les anomalies de la luette, le Dr J. Makenzie (de Baltimore) raconte que les nègres du Sud emploient un moyen assez curieux pour guérir les maladies connues sous l'expression générale: the patate is down, et qui comprend toutes les affections de la gorge depuis l'inflammation cutanée jusqu'à la tuberculose et le cancer. Ils attachent une touffe de cheveux sur le derrière de la tête avec un mouchoir rouge, puis impriment de fories secousses à la bouche pour ramener le palais tombé à sa place initiale.

Il est curieux de constater que ce procédé est connu dans certains villages de Bretagne, où les rebouteurs remettent en place la luette tombée en tirant un cheveu de l'occiput pendant qu'ils appliquent un coup de poing dans l'estomac. On y ajoute quelques paroles sacramen-* telles à eux seuls connues et la guérison doit arriver promptement.

*

» *

Médecins de l'ancienne Egypte. — La Gazette médicate de Liège nous donne la plus ancienne prescription du monde. Elle a été déchiffrée par le professeur Macalisher de Cambridge dans un papyrus égyp»

tien. II s'agit d'une eau capillaire destinée à faire repousser les cheveux de la mère du roi de Chata, deuxième roi de la première dynastie égyptienne, lequel régna environ 4.000 ans avant Jésus-Christ. La voici :

Bourrelets de pieds de chien. ... 1

Dattes' ........... 1

Sabots d'âne.........1

Faire bouillir le tout dans l'huile. Et s'en frotter énergiquement le cuir chevelu.

Cette mixture ne devait pas être plus mauvaise que les nombreuses que l'on prône aujourd'hui. Demandez plutôt aux chauves. Je crois que sur ce point la science n'a pas fait beaucoup de progrès.

Superstitions lorraines. — Le Dr G. Etienne, de Nancy, a publié dans la Revue médicale de l'Est quelques pratiques en usage parmi les paysans lorrains.

Le traitement de l'ictère n'est pas très tentant, mais il a des allures dosimétriques qui en relèvent un peu la prescription.

Les gens pressés peuvent se contenter de faire frire dans du beurre chaud des poux cueillis sur la tête d'un enfant et d'avaler chaud. Mais l'efficacité du remède est plus grande en procédant de la manière suivante dans l'administration des poux :

Faire une neuvaine ; le premier jour, avaler dans du lait caillé un pou ; le deuxième jour, 2 poux ; et ainsi de suite jusqu'à 9 poux le neuvième jour. Diminuer ensuite la dose d'un pou par jour jusqu'à un pou le dix-huitième jour. La guérison est certaine pour le dix-huitième jour.

Une manière de diagnostiquer le sexe de l'enfant avant l'accouchement. S'il y a des mouches dans la chambre où commence le travail, ce sera un garçon.

Autre procédé. Quand le premier-né parle pour la première fois, s'il dit papa, il aura un frère ; s'il dit maman, il aura une sœur.

Pour activer un accouchement trop lent, la femme doit revêtir la chemise de son mari, son pantalon, et se coiffer de son bonnet de coton.

Le moyen de remédier à une menace d'avortement est aussi à citer. Il faut se hâter d'empêcher que la matrice remontant à la gorge n'étouffe la malade. Pour cela, il faut sans tarder placer à la vulve un grand nombre de bonnets de nuit d'homme ; l'odeur d'homme attirera la matrice à sa place.

*

Êtres fantastiques oui font dormir les enfants. — La Revue des Traditions populaires publie les communications suivantes qui se rat-

tachent à des habitudes populaires. Dans beaucoup de pays, les mères éveillent l'idée du sommeil dans l'esprit de leurs enfants et leur imposent la réalisation de cette idée en invoquant l'intervention d'êtres fantastiques capables de faire dormir les enfants :

A Hingene (province d'Anvers), on menace les enfants qui ne veulent pas s'endormir du Slokkebeer (de l'ours avaleur, qui avale), et quelquefois aussi du Kleude (autre qualificatif de l'ours qu'on représente enchainé).

On y parle aussi du Pakkeman (l'homme qui prend). Le Slokkebeer se retrouve également dans les eaux.

(Comm. de M. Alfred Haron).

Dans l'Amiénois, quand, le soir, les enfants bâillent et se frottent les yeux, on dit : « Allons, le marchand de poussière va passer. »

(Comm. de M. PonchonK

*

A Anvers, quand un marmot n'est pas sage et qu'il ne veut pas aller se coucher, on le menace du Slokkemann (l'homme qui mange, avale ses enfants). C'est le Manducus des Romains.

(Comm. de M. Alfred Haron).

Je sais une chanson, Sans terme, sans pareille ; Avant le dernier son Toujours l'enfant sommeille. Le petit homme va son chemin, Dormez, dormez jusqu'à demain.

Le petit homme en passant Vous jette sa poussière ; C'est un charme puissant Enfant sur ta paupière. . Le petit homme va son chemin. Dormez, dormez jusqu'à demain.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances auront donc lieu les lundis 18 Mars ; 15 Avril; 20 Mai; 17 Juin. La séance annuelle et le banquet de la Société ont lieu le 15 Juillet. Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, 14, rue Taitbout.

Un petit liseur de pensées.

Le Dr Quintard a communiqué à la Société de médecine d'Angers l'histoire d'un petit prodige de 6 ans qui laisse loin derrière lui tous les g liseurs de pensées ».

On crut d'abord à un nouvel Inaudi, car l'enfant indiquait, avec une rapidité extraordinaire, la solution des problèmes les plus compliqués.

Mais le père ne tarda pas à remarquer que la présence de la mère était une condition expresse de réussite des expériences, et qu'il fallait que celle-ci eût sous les yeux ou dans la pensée la solution demandée; sinon l'enfant restait muet.

Le père en conclut que l'enfant ne calculait pas, mais devinait, ou, pour mieux dire, pratiquait sur sa mère « la lecture des pensées ».

Que Mme X... marque de l'ongle un mot quelconque sur un livre, et l'enfant questionné nomme aussitôt le mot. Une phrase est écrite sur un carnet; si longue soit-elle, il suffit qu'elle passe sous les yeux maternels pour que l'enfant répète la phrase mot pour mot.

Mais son triomphe, ce sont les jeux de société. 11 devine l'une après l'autre toutes les cartes d'un jeu. Il indique, sans hésitation, les objets que l'on cache à son insu sous les meubles, dans les tiroirs, etc. Si on lui demande ce que contient une bourse, il mentionne jusqu'au millésime des pièces qui s'y trouvent.

S'agit-il de suggestion mentale ? M. Quintard ne le pense pas ; il croit à une véritable transmission à distance de la pensée. Il en donne comme preuve le fait suivant :

Mme X... ayant observé que son fils n'émaillait d'aucune faute ses plus longues dictées quand elle était à son côté, elle eut l'idée d'aller se placer derrière un paravent. « Aussitôt, dit le Qr Quintard, le devoir de l'écolier devint à souhait rempli d'injures contre la grammaire. » Le paravent aurait ainsi arrêté les vibrations nerveuses comme un écran intercepte les rayons de lumière.

Le jeune sujet du Dr Quintard a été examiné par plusieurs médecins d'Angers, qui ont vérifié tous les faits signalés. L'authenticité du cas n'est donc pas contestable. Il reste à l'interpréter.

Les concours à Bucarest.

Les médecins-adjoints des hôpitaux de Bucarest sont nommés au concours. La première épreuve est une épreuve écrite sur une question tirée au sort.

Pendant la composition du dernier concours, trois candidats sont surpris en train de s'aider de notes préparées d'avance. Un quatrième, plus loyal, se retire, en déclarant la question au-dessus de ses forces.

Que fait le jury en apprenant l'incident ? Il élimine, croyez-vous, les

candidats pris en flagrant délit de tricherie ? Pas du tout ; il annule tout simplement l'épreuve faite par les 25 autres concurrents et décide de faire recommencer la composition écrite sur une nouvelle question.

Cette incroyable décision a été acceptée par la moitié des concurrents ; l'autre moitié s'est retirée.

Il reste donc 13 candidats pour 19 places vacantes.

La Presse médicale roumaine qui signale ces faits proteste avec raison contre de pareils procédés de concours et déclare qu'il serait plus juste dans ces conditions de distribuer les places au bon plaisir.

Ces réflexions pourraient malheureusement s'appliquer à un certain nombre de concours français.

Bibliothèque circulante de médecine.

M. le Dr Marcel Baudouin, secrétaire général de l'Association de la Presse médicale française, a eu, le premier en France, l'idée de fonder une Bibliothèque circulante de Médecine, organisée à l'instar des Circulating Library de Londres pour la littérature.

Cette institution expédie à ses abonnés toutes les revues, tous les livres dont ils ont besoin. Il suffit de verser 20 francs, représentant le montant de l'abonnement, et une somme variable à titre de cautionnement [5 francs par livres empruntés à la fois). Les frais d'envois, calculés par des moyennes, sont prélevés sur les cautionnements envoyés à l'avance, jusqu'à épuisement de la réserve en caisse.

A côté de ce service, M. M. Baudouin en a créé un autre, non moins intéressant, dit: Service des Fiches bibliographiques. Au lieu de grouper les faits publiés, comme cela se pratique dans le journalisme suivant la notion de temps, il a entrepris le groupement journalier de ces faits par ordre de spéciales. L'abonnement est de 10 francs par an ;. ou paie, en sus, 0,05 centimes par fiche bibliographique communiquée.

Dans un avenir prochain, M. Baudouin ajoutera aux services précédents : 1° Un service de Fiches analytiques, donnant l'analyse en français des mémoires publiés en langues étrangères ; 2° Un service spécial, qui permettra à l'abonné de recevoir, non plus seulement l'indication bibliographique du travail qu'il recherche, mais le texte complet de ce travail.

A partir de novembre 1895, cette Bibliothèque circulante aura une salle de lecture à Paris. Pour pouvoir y lire ou y emprunter des volumes, il suffira d'être abonné.

Une phobie professionnelle.

Une singulière phobie professionnelle est celle dont vient d'être atteint le Dr Demosthène, professeur à la Faculté de médecine de Buca-

rest : « La personne qui « honore » le médecin, fait observer notre savant confrère, prend souvent l'argent, monnaie ou billet de banque, tantôt sur la table du malade, tantôt sous son oreiller, c'est-à-dire dans des endroits où il a pu être infecté par le malade (il s'agit, bien entendu, uniquement des cas de maladies coniagieuses, fièvres éruptives, érysi-pèles, etc.) Alors même que « l'honoraire n n'aurait pas subi ce contact impur avec le malade, il peut,— ajoute M. Demosthène, — être chargé de germes par la personne qui le remet au médecin, parce que cette personne est en contact avec le malade, en raison des soins qu'elle lui donne. Bref, dans les deux cas, le médecin va devenir lui-même', et à son insu, un agent de contamination pour ses autres clients, et ainsi de suite.

« Donc, conclut le professeur de Bucarest, — dont nous reproduisons scrupuleusement les recommandations, — il faut nous méfier de l'argent de nos malades atteints de maladies infectio-contagieuses, le considérer comme un objet contaminé et nous conduire en conséquence, à savoir :

« 1° Etre toujours muni soit d'un porte-monnaie tout en métal, soit d'une pochette en toile imperméable susceptibles d'être stérilisés (par l'ébullition, le flamblage, les solutions antiseptiques) ;

« 2° Après avoir reçu l'argent, se désinfecter immédiatement les mains avant de quitter la chambre du malade ;

« 3° Rentré chez soi, se laver de nouveau les mains, stériliser le porte-monnaie et les pièces métalliques par le flambage, et désinfecter le papier monnaie par une solution phéniquée à 5 pour 100 ou même 10, pendant au moins une heure. »

Nous croyons que ce souci exagéré de l'antiseptie dissimule mal une véritable phobie neurasthénique compliquée, vraisemblement de délire du toucher. Ou bien le D' Demosthène a contracté, sous l'influence de l'épuisement nerveux, une peur effroyable de microbes, ou bien le contact de sa main avec des billets de banque lui procure une sensation désagréable. C'est pourquoi il a imaginé de préconiser la désinfection de toute la monnaie.

Nouveau traitement de l'insomnie.

Il n'est pas de supplice plus atroce que l'insomnie. Nons avons tous souvenance de Régulus, condamné à ne point dormir par les Carthaginois. Combien de jours un homme peut-il volontairement rester dans l'insomnie? A ce titre, la lutte contre le sommeil, qui a eu lieu en Angleterre, présente un grand intérêt. Sur douze concurrents, trois seulement ont tenu quatre jours. Le cinquième jour, il n'en restait plus qu'un, un marin anglais, qui fut déclaré vainqueur, après être resté sept jours et sept nuits sans fermer l'œil.

Mais il était, après cette semaine d'insomnie, dans un tel état d'excitation qu'on a pu craindre qu'il ne devint fou.

Les médecins ont souvent reçu les plaintes des neurasténiques à ce sujet. Mais il faut alors distinguer. Certains ne dorment que deux ou trois heures dans la nuit. D'autres prétendent ne pas dormir du tout, mais ils sont en réalité dans un état de demi-assoupissement où il y a repos, bien que la conscience ne soit pas tout à fail abolie.

On est alors souvent très embarrassé, et on épuise en vain tout l'arsenal thérapeutique, de l'opium au sulfonal. Il est un moyen simple que les Suédois déclarent infaillible. Toute personne qui se plaint d'insomnie est balancée comme tout trembleur était trépidé dans le service de Charcot. Le malade est assis, deux aides se placent chacun à un de ses côtés et se renvoient régulièrement, pendant dix à quinze minutes, son corps qui oscille comme le balancier d'une pendule. Il en serait de cet exercice comme d'un voyage en chemin de fer. Il constituerait lesopori-tif le plus efficace.

Le retour aux châtiments corporels.

Le Dr Curier, dans un travail lu devant l'Académie de médecine de New-York, demande l'application de peines corporelles pour les maris qui battent leurs femmes. Les peines actuellement en usage ne sont d'aucun effet, dit-il, sur la brutalité de certaines natures ; un châtiment corporel lui semble le seul remède.

La motion de M, Curier a été soutenue par un certain nombre d'orateurs. M. Gerry pense qu'elle pourrait être étendue sans inconvénient aux coupables de sodomie, d'attentats sur les enfants et autres crimes de même nature.

Le Dr Grandin s'est montré encore plus radical. Il a réclamé l'émas-culation comme châtiment de tout attentat à la pudeur. « Vous serez puni par où vous avez péché », a dit l'Écriture.

Le Tatouage à Naples.

M. Virgilio Rossi publie dans l'Antropologia Criminale une étude intéressante sur le tatouage chez les prostituées et les criminels napolitains.

Sur 4817 sujets, M. Rossi a trouvé 236 tatoués. Les tatouages son1 d'espèces différentes. Les plus communs sont les tatouages d'amour ; ils sont dans la proportion de 1.20 pour 100.

Puis viennent les tatouages religieux, 0.8 pour 100; les commémoratifs, 0.5 pour 100; les obscènes, 0.4 pour 100.

Les tatouages professionnels sont assez rares, 0.1 pour 100. A Naples, les individus qui se laissent couvrir le corps de tatouages, appartiennent

presque toujours aux plus basses classesde la population. En Angleterre, il n'est pas rare, au contraire, de trouver des tatouages sur le corps de personnes appartenant à des milieux relativement élevés. Il était bien porté, il n'y a pas longtemps, chez les jeunes gens ayant des prétentions à l'élégance de se faire graver des tatouages sur les bras. Aux bains de mer, de jeunes Anglais se montrent très fiers de ces tatouages.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme, et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'élude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assiter et sont exercés à la pratique de la psychothérapie. M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, fait, tous les jeudis à dix heures et demie, des leçons sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

Cours a l'Ecole pratique.— Le Conseil supérieur des Facultés, dans sa séance de février, a autorisé M le Dr Bérillon à faire à l'Ecole pratique, pendant le semestre d'été, un cours libre sur le sujet suivant : Psychologie physiologique et pathologique. — Applications cliniques de l'hypnotisme. Ce cours commencera le lundi 29 avril, à cinq heures, dans l'amphithéâtre Cruvelhier. Il continuera les lundis et vendredis suivants à la même heure.

Faculté de médecine de Paris. — Clinique de pathologie mentale, M. Joffroy, mercredi et samedi à 9 heures (asile Ste-Anne).— Clinique de maladies du système nerveux, M. Raymond, mardi et vendredi, à 10 heures (Salpétrière). — Médecine légale, M. Brouardel, lundi et vendredi, à 4 heures. (Grand Amphithéâtre de l'Ecole).

Distinctions honorifiques. — Dans les dernières promotions, nous relevons avec plaisir la nomination du Dr Cadier, au grade de cheva-ier de la Légion d'honneur; du Dr de Cours, de notre confrère Armand Cazaux, directeur du Monde Thermal, au titre d'Officiers de l'Instruction publique ; des Drs Dcléage, de Vichy, Froger et Hector Lefèvre, de Paris, au titre d'Officiers d'Académie.

Nous apprenons également avec plaisir que Mme Pigeon, la dévouée directrice de l'Ecole des enfants arriérés à la Salpètrière, a reçu les palmes académiques.

Association française pour l'avancement des sciences- — Congrès de Bordeaux. — La vingt-quatrième session des Congrès de l'Association se tiendra à Bordeaux, sous la présidence de M. Emile Trélat, député, directeur de l'Ecole spéciale d'architecture. Par suite de circonstances particulières, la date précise n'a pu être encore arrêtée ; cette date, ainsi que la liste du Comité et les indications générales, seront données dans le prochain fascicule. La Société philomathique a organisé pour 1895 sa treizième exposition. Cette exposition sera ouverte du 1er mai au 1er novembre. Parmi les excursions projetées, citons la descente de la Gironde, la visite des vignobles de Pauillac, Arcachop, Dax, Bayonne, Saint-Jean-de-Luz, Fontarabie, Saint-Sébastien, Bilbao.

La Suggestion criminelle aux Etats*Unis. — Les jurés des Etats-Unis n'hésitent pas à appliquer jusqu'au bout les conséquences des théories de l'Ecole de Nancy.

Un fermier du Kansas, ayant assassiné un de ses voisins, prétendit pour sa défense qu'il avait été hypnotisé par un ennemi de la victime, un nommé Gray, et qu'il avait été forcé, par suggestion, de commettre le crime.

Le jury a admis cette version, et, après avoir acquitté le fermier, a déclaré Gray coupable de meurtre au premier degré.

Hàtons-nous d'ajouter que ce verdict a été cassé par la Cour suprême et qu'une nouvelle instruction a été ouverte.

L'hypnotisme en Russie. — Le département de médecine du ministère de l'intérieur ayant à décider si un hypnotiseur non médecin peut prendre part à une cure par l'hypnose sous la surveillance et sur l'invitation de médecins, a déclaré que les procédés de traitement par l'hypnotisme étant connus de tous les médecins et ce traitement étant considéré comme un remède violent, le conseil médical trouve que les médecins seuls peuvent être autorisés à l'appliquer à leurs malades.

NÉCROLOGIE

DUJARDIN - BEA.UMETZ

Le Dr Dujardin-Beaumetz, que le hasard seul avait fait naître à Barcelone de parents français, et qui avait au cœur le culte de sa patrie, vint faire ses études médicales à Paris. En 1862, il obtenait le diplôme de docteur, et sa thèse de doctorat sur « l'ataxie locomotrice » indiquait déjà un savoir étendu;

En 1865, il était nommé chef de clinique de la Faculté et il publiait en 1868 un ouvrage sur les « troubles oculaires dans les maladies de la moelle épinière » et un autre sur « l'emploi du phosphore en médecine. »

.11 a publié depuis : a Delà myélite aiguë», en 1872; « des Recherches expérimentales sur les alcools par fermentation », en 1875; « des recherches expérimentales sur la puissance toxique des alcools », avec le Dr Audigé en 1889. Et en 1878-1883, des leçons de clinique thérapeutique.

Tous ces travaux lui ouvraient le 15 juin 1880 les portes de l'Académie de médecine, et il était promu officier de la Légion d'honneur le 10 juillet 1883.

Le Docteur Dujardin-Beaumetz était alors en pleine possession de ses facultés merveilleuses ; il entreprenait la publication du Grand Dictionnaire de thérapeutique, de matières médicales, de toxicologie et des eaux minérales (1883-1885). Il dirigea comme rédacteur en chef le Bulletin de thérapeutique. Les questions d'hypnotisme et de psychothérapie ne l'avaient pas laissé indifférent, et il les avait commentées avec intérêt dans diverses communications.

Gomme on le voit, le Dr Dujardin-Beaumetz s'est surtout adonné à la thérapeutique. C'est certainement le maître de la matière, et son formulaire, en collaboration avec le Dr Yvon, est un livre magistral.

En 1894, il était nommé commandeur de la Légion d'honneur. — Dujardin-Beaumetz eût mérité d'être professeur à la Faculté, car peu de professeurs ont consacré autant de temps et de talent à l'enseignement que cet éminent praticien.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

J. Crépieux-Jamin. — Vécriture et le caractère. Un volume in-8°, 441 pages. — Alean, éditeur, 108, boulevard St-Germain. Paris, 1895.

Dr A Mercier. — La diminution de poids du cerveau dans la paralysie générale. In 4°, 41 pages. —Masson, 201, boulevard St-Germain, Paris, 1895.

Professeur W. Prever. — Ein merkwürdiger Fall von Fascination. In 8*, 55 pages. —Ferdinand Enke. Stuttgart, 1895.

Dr Josa Lopes Villalonga. — Importancia de la Terapeutica Hipnótico-Sugestiva. — Broch. in-8°, 34 pages. — Habana 1895.

Blnet. — Contribution à l'Etude du système nerveux sous intestinal des insectes. Thèse de doctorat. In-8°, 132 pages, — Alean. Paris, 1895.

Thomas. — La Sxiggestion, son rôle dans l'éducation. — In-12. 140 p. Alean. Paris, 1895.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imprimerie A. Quelquejzu, rue Gerbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

9e année. — n° 9. Mars 1805.

LE SOMMEIL HIVERNAL DE LA MARMOTTE F)

Par M. le D* Raphaûl Dubois, professeur à la Faculté des Sciences de Lyon.

On a fait beaucoup d'hypothèses, plus ou moins ingénieuses, sur le mécanisme du sommeil; mais les faits expérimentaux manquent, et les seules indications scientifiques que nous possédons ont été fournies par les cas de sommeil pathologique suivi de mort. J'ai l'honneur de communiquer à l'Académie les principaux résultats des recherches que je poursuis depuis plusieurs années sur le mécanisme du sommeil hivernal chez les mammifères, lequel ne diffère du sommeil ordinaire que par sa durée plus prolongée, avec un état d'hypnose et d'hypothermie beaucoup plus profond.

J'ai, en vain, recherché la présence de toxalbumines, de toxines et de principes analogues somnifères, dans l'organisme et dans les excrétions des marmottes en hivernation, mais l'analyse des gaz du sang m'a donné des résultats très importants, au point de vue de l'explication du sommeil et de l'hypothermie. Contrairement, à ce que l'on pouvait croire, d'après les recherches de Regnault et Iîeiset sur la respiration des hivernants, la quantité d'oxygène contenu dans le sang artériel est à peu près la même dans l'état de veille et dans l'état de torpeur; son chiffre est toujours élevé : on en trouve, en moyenne, 0 ce 16 pour 100 ce de sang. La quantité totale des gaz est beaucoup plus forte que chez le lapin : elle est, en

1. Communication faite ù l'Académie des Sciences, le 25 février 1895.

moyenne, de 0 ce 87 dans l'état de sommeil et de 0 ce 60 dans l'état de veille. L'écart de ces chiffres est dû à l'acide carbonique, lequel, très abondant déjà dans le jeûne hivernal, augmente de 0 ce. 42 à 0 ce. 71 environ quand l'animal tombe en torpeur.

L'acide carbonique s'accumule depuis le commencement du sommeil jusqu'à la lin. Or, on sait qu'en faisant respirer des mélanges convenables d'acide carbonique et d'oxygène à des lapins, on peut provoquer une narcose prolongée, accompagnée d'hypothermie considérable. Le même effet s'obtient avec la marmotte, mais celle-ci supporte bien des abaissements de température de 30°, et elle' peut facilement se débarrasser d'un excès d'acide carbonique ne lui venant pas du dehors, au moment du réveil, lequel s'accompagne d'accélération de la respiration et de la circulation.

L'accumulation d'une quantité aussi forte de gaz, dans le sang, s'explique non seulement par la lenteur de la circulation et de la respiration, par le refroidissement progressif, mais encore, et surtout, par la concentration du sang, facile à prou, ver par l'augmentation du nombre des globules rouges, de l'hémoglobine, de la densité, et par la dessiccation. Il y a donc déshydratation du sang. On pourrait employer, pour les marmottes, une expression populaire servant à désigner les individus somnolents, apathiques : elles ont, en hivernation, le sang lourd, épais.

Pendant le réveil, une partie de l'eau est éliminée par le poumon, les urines et les fèces ; puis l'animal s'endort et, pendant le sommeil, il s'accumule une certaine quantité de liquide dans l'estomac et le cœcum, d'une part; dans les séreuses et surtout le péritoine, sous forme de lymphe, d'autre part. Celle-ci renferme des leucocytes possédant à un haut degré le pouvoir de transformer le glycogène en sucre, et, sortis par diapédèse des vaisseaux, ils y rentrent précisément au moment du réveil, avec l'eau de réserve. La circulation porte, qui s'était ralentie considérablement pendant la torpeur, en même temps que le glycogène s'accumulait dans le foie grâce à la circulation artérielle hépatique, s'active au moment du réveil et chasse le glycogène, transformé en sucre, vers le poumon, le cœur et les muscles thoraciques qui concourent très activement, par leur suractivité, au réchauffement du réveil. Tous ces phénomènes principaux, ainsi que les modifications vaso-motrices qui les accompagnent, sont placés sous

l'influence du système nerveux. Chez la marmotte, la température la plus convenable, pour rhivernation, et celle de 10% qui provoque un abaissement de la pression intra-artérielle, avec un ralentissement du cœur chez ranimai éveillé. Le point de départ de l'autonarcose est dans la sensibilité thermique périphérique : son centre est situé vers la partie antérieure de l'aqueduc de Sylvius, et sa voie centrifuge suit l'axe gris de la moelle, les rami communicantes, qui se rendent au premier ganglion thoracique, d'une part, et les nerfs moteurs de la cage thoracique, d'autre part. Elle se continue, du premier ganglion thoracique, par la chaîne sympathique et les nerfs splanchni-ques, vers le plexus solaire, qui commande â la circulation porte et aux phénomènes qui en dépendent, au moment de la veille ou du sommeil.

L'accumulation d'acide carbonique dans le sang et la déshydratation de ce dernier suffisaient à expliquer, à la fois, l'autonarcose et rautohypothermie de l'hivernant, mais j'ai pensé que, dans ces conditions, il pourrait se produire de l'alcool. Ce n'est pas de l'alcool que j'ai trouvé, mais de l'acétone, et l'acétonémie est notablement plus accentuée dans l'état de torpeur profonde que dans le réveil. Cela n'a rien de surprenant, puisqu'il s'agit d'animaux en état déjeune absolu et d'autopha-gie prolongée, consommant principalement, pendant la torpeur, des albuminoïdes, et, pendant la veille, des composés ternaires.

5 ce. d'acétone, injectés dans le tissu cellulaire d'une grosse marmotte nourrie et n'hivernant pas, ont amené une torpeur prolongée, ressemblant beaucoup à celle de l'hivernation, mais sans hypothermie bien accentuée.

Pour ces raisons, et pour d'autres, qui seront développées et accompagnées de tous les documents nécessaires dans un mémoire complet, je considère comme démontré que le sommeil hivernal de la marmotte est une autonarcose carbonico-acéto-némique.

L'HYPNOSE ET LES SUGGESTIONS CRIMINELLES

Par J. Delboeuf,

Membre de l'Académie royale de Belgique, professeur a l'Université de Liège.

{suite et fin) ,

VI.

Tout convaincu que j'étais de l'impossibilité de faire des expériences ayant force probante, les circonstances m'ont cependant permis d'en imaginer une bien propre à montrer qu'il n'est pas si facile que quelques-uns le pensent de transformer un sujet en automate assassin.

J..., cette fille dont j'ai déjà parlé, est l'exellente somnambule à qui mes expériences ont donné une certaine notoriété : grande, robuste, bien portante, intelligente, travailleuse. C'est elle qui, avec sa sœur, m'a servi à mes études sur la mémoire des hypnotisés, sur leur esprit d'imitation, sur la veille somnambulique ; c'est elle encore qui, à plusieurs reprises, s'est prêtée de son plein gré à des expériences douloureuses ou désagréables, entre autres, par deux fois, à celle des brûlures faites sur des points symétriques du corps, et dont Tune, suggestionnée, ne donnait lieu à aucun phénomène inflammatoire (1).

Mariée, elle a eu son premier enfant en janvier 1891 ; l'accouchement s'est fait absolument sans douleurs dans l'hypnose avec le concours de M. F. Fraipont, professeur de clinique obstétricale à l'Université de Liège, et jamais la puissance de l'hypnotisme ne s'est manifestée par des effets plus remarquables (2). Chez elle, oubli absolu au réveil. J'entre dans ces détails pour bien convaincre le lecteur qu'il est impossible d'opérer avec un meilleur sujet. J'ai ailleurs (dans la Revue philosophique) raconté d'elle des traits qui, dans mes débuts, étaient bien de nature à me faire croire à la sénilité absolu des hypnotisés.

Pour juger de la portée de l'expérience, il faut encore savoir que J... est une fille courageuse et résolue. Elle est restée plusieurs étés à la campagne, dans les environs de la'popu-

(1) Voir mon opuscule sur l'Origine des effets turatifs de l'hypnotisme.

(2) Voir Revue de l'hypnotisme, avril 1891. Elle a eu son 'second entant en 1893. N'ayant pas cette fois été hypnotisée, elle a passé par toutes les douleurs de l'enfantement.

leuse cité ouvrière de Seraing. Elle dormait dans la chambre de ma femme malade, et, en dehors de l'époque des vacances, il lui arrivait souvent de passer la nuit seule avec elle. Un revolver à six coups chargé était accroché à sa portée. Nous avions pris cette précaution à la suite des fameuses grèves qui avaient éclaté en 1886 parmi les ouvriers des nombreux établissements industriels de notre voisinage.

Dans l'été de 1887—j'étais justement absent — un homme vint pendant la nuit rôder dans le jardin et tâtonner autour de la porte, dont il força même la serrure. Les chiens aboyant, J... s'éveilla, ouvrit la fenêtre, vit l'homme, prit le revolver et descendit dans le vestibule, épiant le moment de tirer sur ce visiteur nocturne. L'homme, entendant du bruit, s'esquiva au plus vite.

En ville, dans l'année où se fit l'expérience, J... dormait au premier étage, dans la chambre de la malade, avec son revolver chargé pendu à un clou à côté d'elle.

Le 24 février 1888, sans communiquer mon dessein à personne, si ce n'est à ma fille et encore au moment même de l'expérience, je déchargeai le revolver. II était six heures du soir. Une demoiselle, elle-même hypnotisable, et ma fille sont à table découpant des articles de journaux qu'elles mettent en liasses. J'appelle J..., et à l'instant où elle ouvre la porte, je l'hypnotise d'un geste. « J..., lui dis-je d'un ton ému, voilà des brigands qui m'enlèvent des papiers ! » J... s'approche vivement et se tournant vers moi : « Non, monsieur, ils jouent avec. — Ils les enlèvent, vous dis-je ! » J... va tout près d'elles résolument, leur arrache les journaux, les pose sur la table, et d'un ton impératif: « N'y touchez plus ! » Moi : « Vous n'allez pas laisser ces malfaiteurs dans la maison. Courez prendre le revolver! » Il était dans la chambre joignante. J... y court sans hésiter. Elle revient tenant l'arme, et s'arrête à la porte. « Tirez ! lui criai-je. — Monsieur, il ne faut pas tuer. — Mais si ! des brigands ! — Non,monsieur,je ne tuerai pas. —Il le faut! —Je ne veux pas. » Elle recule, tenant toujours le revolver. Je la suis en réitérant l'ordre avec vigueur. «Je ne veux pas, je n'irai pas, je ne tuerai pas. » Et elle dépose le revolver par terre avec précaution. Elle recule encore. J'insiste en la poursuivant: « Je ne le ferai pas ! » Acculée dans un angle, elle me repousse avec violence. Je juge prudent de la réveiller. Réveillée, elle sourit comme à l'ordinaire. Le souvenir est absent. Il lui revient vaguement quelque chose de la scène quand elle voit le revol-

ver par terre. Eile n'est nullement émue. Le rêve l'eût certainement agitée d'avantage.

Voilà ce que l'on peut appeler une expérience concluante, si jamais une expérience négative pouvait l'être. Commentons-la.

Il est visible que J... n'est pas dupe de lhallucination qu'on lui a donnée. Elle ne prend pas les deux jeunes demoiselles pour des malfaiteurs. S'il en eût été ainsi, je doute qu'elle eût fait preuve d'autant d'audace. Elle ne prend pas davantage les journaux pour des papiers de valeur ; sa première réponse: c Non, monsieur, ils jouent avec », est à cet égard significative. En outre, sa physionomie, son attitude, la manière dont elle regardait les deux prétendus voleurs et leur arrachait des mains les journaux, avait quelque chose de si voulu, de si arrangé, de si théâtral, que les témoins et moi n'avons pu croire à son absolue bonne foi.

¦

Je l'ai d'ailleurs souvent interrogée à propos des illusions que je lui donnais. Je lui ai demandé, par exemple, si quandje me faisais apparaître à elle sous un autre aspect, ainsi sous celui d'un jeune homme à la chevelure abondante et à la barbe noire, elle n'y retrouvai rien de mon aspect réel. Elle m'a invariablement répondu qu'elle voyait ma personne véritable comme dans un nuage derrière la figure que j'évoquais.

Il est donc fortement probable qu'elle reconnaissait ma fille et son amie dans les personnages que je lui désignais comme des voleurs. J'aurai pu m'en assurer en rappelant ses souvenirs. Mais je sais que ceux qui combattent ma thèse récusent, non sans quelque apparence de raison, des témoignages ainsi obtenus, parce qu'ils y soupçonnent de la suggestion.

Si donc il en estainsi, J... jouait la comédie, non sans doute à la façon du comédien ordinaire, qui répète des paroles apprises par cœur et des gestes étudiés, mais avec la conscience cependant qu'elle avait à représenter un personnage déterminé.

Or, il est incontestable que c'est là ce que fait le sujet. Lorsque, par exemple, on lui étend le bras et qu'on le défie de l'abaisser, il a bien l'air de faire des efforts d'abaissement, mais, en réalité, il ne fait pas agir les muscles appropriés. Si on lui impose de tenir sa main ouverte, il ne songe pas à faire agir les muscles fléchisseurs. Bien mieux, des spectateurs cherchent-ils à lui abaisser le bras ou à lui fermer la main, ils se heurtent à une résistance énergique.

On va me demander pourquoi J... n'a pas poussé jusqu'au

bout la feinte, pourquoi, après être allée d'un pas délibéré prendre le revolver, elle n'a pas tiré. C'est que, vu la rapidité de l'action, elle n'a pas eu le temps de réfléchir, elle a dû croire et elle a cru que le revolver était chargé, comme toujours. C'est ce que prouve la précaution avec laquelle elle l'a manié et mis par terre. Il est clair qu'elle a estimé le jeu dangereux. Si j'avais su à l'avance comment il tournerait, j'aurais pris l'arme de ses mains et annoncé que j'allais tirer moi-même, pour voir ce qu'elle aurait pensé e.t fait.

Si pourtant elle avait tiré, aurions-nous pu en -conclure qu'elle était de complexión à commettre un meurtre ? Cette conclusion encore ne serait pas légitime- Car si, comme nous venons de le dire, J... n'a pas été absolument arrachée au monde réel, elle pouvait assez naturellement penser qu'il s'agissait d'une fiction, queje n'avais garde de la faire tirer sur mon propre enfant, et que, par conséquent, elle ne devait éprouver aucun scrupule à exécuter l'ordre que je lui donnais.

Voici qui vient à l'appui de ce que j'avance. Lorsque J... accoucha de son premier enfant, elle demeurait encore chez moi avec son mari. Le lendemain de son accouchement, mon gendre vient pour lui faire visite. J'endors J... à l'improviste et lui suggère de donner un bon soufflet à mon gendre quand il s'approcherait d'elle pour l'embrasser. — « Non, monsieur. — Si ! vous ne pourrez pas vous retenir. Cela partira malgré vous. » Elle se tait. Mon gendre monte ; je le préviens et ne me laisse pas voir. J... s'est bornée à lui donner un imperceptible coup de coude au flanc, pendant qu'il l'embrassait. Mon gendre sorti, je rendors J... et lui demande pourquoi elle ne m'a pas obéi. « Je ne voulais pas. Je ne veux pas que vous me donniez do pareils ordres ; et si.vous m'en donnez, je n'obéirai pas. »

VII.

Le problème qui s'agite ici est très grave. C'est un problème de psychologie. J'ai déjà fait pressentir la solution que je suis porté à lui donner. Je ne puis mieux rendre ma pensée que par la formule suivante : on ne fera exécuter au sujet que les actes qu'il lui arriverait d'exécuter en rêve.

Si l'on me mettait en état de somnambulisme, on pourrait sans doute me faire faire bien des choses; mais—j'en suis sûr— maltraiter des animaux, surtout les souffre-douleur, crapauds, couleuvres, orvets, salamandres, scarabées, jamais. Pourrait-

on me faire prendre une couleuvre pour une vipère, un grillon pour un scorpion? Peut-être alors tuerais-je ces animaux, non toutefois sans une violente révolte de ma sensibilité. Mais quelle distance il y a entre cette illusion grossière et momentanée et le système compliqué de mensonges logiques et enchaînés qu'il faudrait pour transformer un somnambule en un instrument avantageux de crime !

J'ai demandé à nombre de personnes, à des magistrats entre autres, si elles avaient déjà rêvé qu'elles commettaient des vols ou des meurtres ; jusqu'à présent toutes m'ont répondu non. Et pourtant les magistrats interrogent les criminels et ils pourraient, pour un instant, par un de ces dédoublements de personnalité dont j'ai parlé, après d'autres, dans mon ouvrage sur le Sommeil (1), entrer pour un temps dans la peau d'un assassin. Il n'y aurait rien là d'absolument impossible. Au romancier, à l'acteur qui, pour composer des œuvres d'imagination, doivent s'incarner dans les plus vilains personnages, arrive-t-il jamais que, pendant leur sommeil, ils soient ces personnages? Il y aurait à ce sujet une enquête sérieuse à faire. Et quand même on recueillerait des faits positifs, il resterait encore à se demander si l'on obtiendrait d'eux, mis en somnambulisme, qu'ils passent à l'action.

Sans doute, un anatomiste peut rêver qu'il découpe un cadavre. Y aurait-il moyen de produire chez lui une hallucination assez puissante pour lui faire pratiquer l'incision cruciale sur un homme vivant? Pourrait-on faire croire à un boucher qu'un enfant est un mouton? J'estime la chose possible. Mais cette concession n'affaiblit nullement ma thèse. Allez donc, vous qui avez de mauvais desseins, hypnotiser au préalable un anatomiste ou un boucher, puis leur amener à point nommé la victime, comme mouton ou comme cadavre ! Supposons même que la combinaison réussisse, comment arriverez-vous à faire le secret sur vos manœuvres et à donner une couleur de vraisemblance à la culpabilité de vos auxiliaires ? L'adage cui bono? ne se retournera-t-il pas enfin de compte contre vous? Pour atteindre l'impunité, il faudrait surmonter une série d'impossibilités matérielles dont la moindre sufïità dissiper toutes les appréhensions chez les esprits en qui les craintes chimériques n'ont pas tué la raison. „

On le voit, porté sur le terrain expérimental, le débat touchant la possibilité théorique des suggestions criminelles

(1) Le sommeil et les rêves (Paris, Alcan), pp. 24 et suivantes.

ne peut pas se vider. Les crimes si justement appelés de laboratoire, ne ressemblent en rien à des crimes véritables. Si un jour la question doit être tranchée, elle ne le sera que devant la cour d'assises, lorsqu'un Tropmann,un Pranzini ou un Eyraud aura été l'opérateur et qu'on aura vu l'intérêt qu'il avait à se servir d'un complice passant pour inconscient et automate. Alors nous pourrons apprécier dans quelle mesure le magnétisme est une arme dangereuse pour la société(l). Toutefois n'oublions pas que tous nos remèdes sont des poisons et qu'il peuvent tuer plus sûrement encore qu'ils ne guérissent.

Le problème est donc inextricable. Voici une histoire qui m'a été contée par le Dr Liébeault.

Celui-ci — à moins que ce ne soit M. Bernheim, ou tous les deux — ayant hypnotisé un ouvrier, lui inspira l'idée de dérober deux statuettes en plâtre garnissant une cheminée d'une maison où il travaillait. Il le fît ; mais on perdit l'affaire de vue parce que la suggestion ne s'était pas réalisée tout de suite. Deux ou trois mois plus tard, cet ouvrier était condamné pour s'être emparé d'un pantalon à l'étalage d'un magasin de confections. C'est même à ce propos qu'on songa à la première histoire.

Pour moi, je pense que cet homme — et combien n'y en a-t- il pas de cette trempe? — n'avait qu'un respect médiocre pour le bien d'autrui, comme cet autre que nous avons vu chipant volontiers du tabac à ses camarades, et qu'il n'était pas nécessaire de l'hypnotiser pour lui faire dérober des statuettes. Mais, d'autre part, cette expérience — qui n'avait rien prouvé — peut donner lieu à des déclamations intéressées venant de gens qui jugeront opportun de soutenir que c'est la première suggestion qui a inculqué à cet homme le goût du vol.

VIII.

Je résume d'un mot cette étude. Il résulte de mes expériences et de mes analyses que les expériences si consciencieuses de ceux dont je combats les théories, ne prouvent rien. Pour le moment, je me borne à cette conclusion purement négative. Mais la question est abordable par un autre côté que l'expé-

(1) A rapprocher de cclto affirmation de M. Le Jeune, Ministre de la Justice, lors de la discussion delà loi sur la réglementation de l'hypnotisme en Belgique : « Il n'en est pas moins certain que le magnétiseur peut imposer au magnétisé les actes les plus criminels. -

rience. Elle l'est aussi par l'observation et par l'examen attentif et minutieux des actes des magnétisés.

Je viens de dire que le degré de mortalité dont fait preuve le sujetdans ses rêves est propre à donner la mesure extrême de ce que Ton peut obtenir de lui par Phypnotisme. Sans aucun doute,par l'hypnotisme on peut aviver la cupidité, la haine, la sensualité. Mais, dans mon idée du moins, il ne les fera pas naître; et, dans tous les cas, il sera toujours moins puissant que la corruption par la parole ou l'exemple, par Por ou l'exaltation des passions.

Toutes les expériences vraiment bien conduites ont mis en lumière l'analogie du rêve naturel et du rêve provoqué, et c'est aujourd'hui, on peut déjà l'affirmer, la doctrine de l'avenir .Or, que nous apprennent-elles ? C'est que tel sujetqui admet sans peine qu'il est en sucre ou en verre, qui se sent fondre sous la pluie ou casser en morceaux par des promeneurs maladroits, se refuse dans le même état d'hypnose à s'emparer d'un porte-monnaie sans maître; que tel sujet qui s'allume sMmaginant être un quinquet, ou se laisse traîner, se figurant être une brouette, repousse l'offre d'un rendez-vous amoureux ou soufflette un mannequin entreprenant qui veut l'embrasser (1).

Dès lors, la conclusion s'impose : l'hypnotisé n'est pas si peu lui que d'aucuns inclinent à le croire ; malgré toute sa docilité superficielle, il y a des choses qu'il ne fera absolument pas. Chérubin ne fera pas Jack l'Eventreur, ni Marie Alacoque la Marión Delorme. Si jamais le raisonnement par analogie a été légitime, c'est quand il assure que celui qui ne veut pas donner une chiquenaude ne donnera pas un coup de couteau, que celle qui refuse un baiser repoussera des tentatives plus sérieuses, et qu'un loup ne sera jamais un bon pasteur.

Des faits que l'observation nous fournit on peut donc inférer que l'hypnotisé conserve une part suffisante d'intelligence, de raison, de liberté —je souligne le mot — pour se défendre de réaliser des actes inconciliables avec son caractère et ses mœurs. Et en attendant le résultat denquéles ultérieures, ne nous laissons pas trop émouvoir par ce qu'on peut lire clans des livres, ni surtout par les articles sensationnels auxquels, lors des crimes retentissants, les journaux donnent l'essor.

(1) Voir Revue philosophique, mars et août 1886, et principalement février et mars 1887.

SOCIÉTÉS SAVANTES SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 16 octobre 1891. — Présidence de M. Dumontpallier.

Le procès verbal de la réunion annuelle du mois de Juillet 1894 est lu et adopté.

La correspondance écrite comprend des lettres de MM. les D" Hamilton Os good, de Boston, et Cruise, de Dublin. M. le président met aux voix la candidature de M. Mac Donald, professeur, attaché au Bureau of éducation de Washington. Il est admis à l'unanimité. M. Mac Donald, chargé par le gouvernement américain d'une mission officielle pour étudier l'organisation de nos services pénitentiaires, assistait à la séance.

Une partie de la séance est consacrée à des expériences de perception par l'intermédiaire du sens musculaire. Ces expériences sont faites par M. Wassilief, étudiant russe.

M. Wassilief expose les procédés grâce auxquels il arrive à percevoir chez diverses personnes les mouvements inconscients qui lui permettent de deviner leur pensée. Ces expériences donnent lieu û un échange d'observations entre les membres de la Société, et M. le président remercie l'expérimentateur de ses explications très scientifiques.

Douleurs consécutives à des coliques hépatiques, traitées avec succès par la suggestion

Par M. le docteur de Mézeray.

Le fait suivant que j'ai eu l'occasion d'observer m'a paru, par certains côtés, mériter d'attirer votre attention.

Mm* B..., âgée de 45 ans, souiïrc, depuis bien des années, de coliques hépatiques, affection pour laquelle elle avait été soumise à la médication classique par les médecins qu'elle avait consultés.

Les crises n'étaient pas fréquentes autrefois, mais, depuis quelques mois, elles s'étaient renouvelées à de courts intervalles.

A chaque fois, les injections sous-cutanées de morphine avaient été appelées à conjurer la douleur, si bien que la malade, même dans la simple crainte d'une crise, se faisait une piqûre pour éviter la souffrance.

Déjà nerveuse à l'exès, la morphinomanie, qui se dessinait à l'horizon, trouvait un terrain propice chez cette malade.

Au mois d'août dernier, j'eus l'occasion de voir cette personne et je me trouvai fort embarrassé. Quel conseil lui donner, en effet, après l'énumération des drogues absorbées, après une cure à Vichy et l'assurance que le régime le plus sévère était observé. Je ne pus que la mettre en garde contre l'abus de la morphine. Je lui fis un tableau noir de l'état où elle pourrait tomber en s'entraînant de la sorte, et la nécessité où elle serait d'augmenter les doses qui ne la soulageraient qu'à ce prix. La malade me demandant de remplacer la morphine par un autre calmant, mon seul conseil fut de remplacer l'alcaloïde par la suggestion, lui démontrant que, dans tous les cas, si le moyen n'était que palliatif, il était au moins inoffensif; et, par discrétion, je lui indiquai les maitres en cette matière, à qui elle pourrait s'adresser.

C'est avec hésitation que je donnais ce conseil, car je savais que le milieu auquel je m'adressais, quoique d'idées élevées et au courant de beaucoup de choses, était ignorant des questions d'hypnotisme.

Pour ce monde-là, suggestion ou hypnotisme était synonyme de sorcellerie charlatanesque. En effet, le mari, en m'entendant, se mit à sourire, la femme poussa des exclamations d'effroi, et je me retirai sur un concert d'incrédulité qui pourtant ne devait pas être le dernier mot de l'histoire.

Car, quelques jours après, je recevais une dépêche qui me demandait en hâte. La malade avait une crise violente, le mari craignait d'augmenter la quantité de morphine, la dose habituelle, déjà dépassée, était insuffisante, et, en désespoir de cause, on me demandait de tenter la suggestion.

Plus rapidement que je ne l'espérais certainement, étant donné surtout le scepticisme de l'entourage, j'obtins l'hypnose, et, sous cette influence, j'ordonnais à la malade de ne plus souffrir, lui affirmant qu'à son réveil elle se sentirait très calme et passerait une bonne nuit.

Je l'éveillai ; elle n'accusa plus, en effet, aucune souffrance et avait même perdu la mémoire de la douleur.

Je dois le dire, le mari fut en proie à une véritable stupéfaction, et, le lendemain, lorsque je vins, je constatai que la psychothérapie comptait des adeptes de plus.

De nouveau j'endormis ma malade afin de lui faire la suggestion suivante : « A chaque fois que vous vous sentirez prise de malaises qui vous indiquent d'ordinaire une crise, vous tomberez dans l'état hypnotique, et vous vous ferez, à vous-même, la défense de souffrir, o

'Depuis, je suis retourné la voir et je retrouvai la malade en parfait état de santé. La crise, non seulement est enrayée dès son apparition, mais encore la malade n'en a ressenti qu'une seule atteinte depuis le mois d'août, au lieu de deux ou trois par mois, comme précédemment.

Que conclure de cette observation, banale au premier abord?

L'action analgésique de l'hypnotisme substituée à tout autre stupéfiant, ou anesthésique, se conçoit aisément. Mais les crises éloignées, presque supprimées, ont laissé dans mon esprit un point d'interrogation.

Comment attribuer à un agent spécial du système nerveux comme la suggestion, une action directe sur un état pathologique aussi caractérisé que les coliques hépatiques?

C'est là le côté intéressant de cette observation et ce qui ma décidé ù vous la communiquer.

La malade a le foie hyperthrophié ; les urines, pendant les crises, avaient la couleur caractéristique. Elle n'a aucune trace héréditaire, mais, dans sa première jeunesse, elle a eu des troubles hystériformes, des contractures passagères, la boule hystérique, qui, d'ailleurs, avaient entièrement disparu depuis de longues années.

Utilité sociale de la suggestion religieuse

par M. le docteur Félix Regnault.

Nous avons montré, ici môme ((), le rôle de l'hystérie dans l'entretien de la foi religieuse. Allons maintenant plus loin, et marquons dans l'hypnotisme, la raison d'être, l'utilité sociale de la religion.

Tous ceux qui se sont appliqués à détruire l'idée religieuse, se sont bornés à montrer l'absurdité de ses conceptions. 11 eût semblé, à les entendre, que l'humanité fût devenue croyante par pur acte de folie, alors que la religion a, chez tous les peuples, constitué le ciment de l'édifice social.

La croyance à un Dieu ou à des Divinités protectrices agit par suggestion. Elle constitue pour la société une meilleure protection contre les sentiments égoistes, que celle résultant de la crainte du gendarme ou du voisin ; elle s'adresse, en effet, au principe même de l'acte : à la pensée.

La prière provoque une auto-suggestion puissante, quoiqu'elle ait paru, à certains sociologistes, une formule sans valeur.

a Celui qui s'adresse à Dieu, disent les prêtres, sent dans son âme le courage nécessaire pour accomplir l'acte devant lequel il reculait auparavant. » C'est bien là l'expression exacte de la vérité. Quiconque est familiarisé avec la suggestion, en comprendra l'immense portée morale. La prière amène le calme dans l'esprit et procure la force d'éviter les suggestions inverses et de réprimer ses passions; donne enfin le courage d'accomplir un acte par la croyance au succès.

Une objection se présente : La demande de pluies et de récoltes abondantes est bien évidemment innefficace. L'ardeur de (la prière ne peut suffire à former et à faire crever des nuages. Le rôle de la prière est ici dévié. Mais, même en ce cas, elle sert à entretenir l'espérance.

En bien d'autres circonstances, lorsqu'il existe un acte à accomplir,

(1) Revue de l'Hypnotîsmt, Mars 1S94.

elle est éminemment favorable. Prenons quelques exemples. Comme autrefois les anciens, quand les Indiens d'Amérique voyagent sur le lac Supérieur, ils lui font un sacrifice pour que le temps reste calme. Cette croyance leur permet évidemment d'accomplir un voyage devant lequel ils reculaient.

Mais c'est surtout dans la guerre que se manifeste l'utilité de la croyance religieuse, au point qu'on ne peut comprendre l'histoire ancienne, si on n'a constamment à la pensée l'importance des pratiques religieuses. Fustel de Coulanges, dans son ouvrage sur la cité antique, a bien mis ce fait en évidence. Les Dieux protégeaient la ville, et les anciens étaient persuadés qu'elle ne pouvait jamais être prise tant qu'ils y résidaient; si elle succombait, c'est qu'ils l'avaient d'abord abandonnée.

Aussi les assiégeants cherchaient à faire trahir les Dieux ennemis. Les Athéniens, dit Hérodote, voulant faire la guerre aux Eginètes, vouèrent pendant trente ans un culte à leur Dieu Eacus, persuades qu'ainsi ce Dieu finirait par passer de leur côté. Et, en effet, ils remportèrent la victoire.

Véies, rapporte Tile-Live, ne fut pris que lorsqu'on eut rendu favorable Junon, protectrice de la ville. On obéit aux indications d'un prêtre Véien, qui ordonna de diminuer l'étiage du lac Albam en creusant des canaux. Camille, avant l'assaut, invoque Junon et la prie de recevoir son culte.

Pour faire sortir les Dieux de la ville assiégée, les Romains employaient une formule spéciale, que Macrobe nous a conservée, et dans laquelle ils demandaient aux Dieux de la cité de venir à eux.

Les batailles comme les sièges exigeaient l'assentiment des divinités. Pendant le combat, si avantageuses que fussent les dispositions, le général ne pouvait donner le signal que si les oracles étaient favorables. Il fallait que le soldat fût persuadé du succès.

Ainsi, à Platée, les Spartiates attendent, sous les flèches de l'ennemi, que les victimes présentent des signes favorables. Deux, trois, quatre victimes sont successivement immolées, et ils commencent l'attaque seulement quand les Dieux les y invitent.

De même chez les Romains. N'être jamais obligés de combattre quand les Dieux sont contraires, tel est le fond de leur art militaire. Aussi faisaient-ils de leur camp chaque jour une sorte de citadelle.

L'expédition des Grecs en Sicile montre l'importance capitale des augures. Nicias, le généralissime, ne croyait pas au succès de l'expédition, parce que ses prêtres lui avaient annoncé des présages défavorables. Aussi, devant Syracuse, resto-t-il toujours craintif et circonspect, n'osant jamais donner le signal d'un combat, lui que l'on connaissait pour être si brave soldat et si habile général. Se voyant vaincu, il se décide à la retraite, la mer est libre encore. Mais survient une éclipse

de lune. Il consulte son devin ; le présage est contraire, il faut attendre trois fois neuf jours. Nicias obéit et reste dans l'inaction, offrant force sacrifices pour apaiser la colère des Dieux. Pendant ce temps, les ennemis détruisent sa flotte et s'emparent de son armée.

La croyance aux devins avait donc été, en ce cas particulier, défavorable. Pourtant les Athéniens blâmèrent Nicias, non pas d'avoir suivi les arrêts de la religion, mais d'avoir emmené un devin ignorant. « Pour une armée qui veut faire retraite, dirent-ils, une lune qui cache sa lumière est un présage favorable. »

L habileté du général consistait donc surtout à obtenir des aruspices favorables, donnant confiance au soldat quand il se trouvait dans une position avantageuse.

De nos jours, il en est comme autrefois : la victoire reste à celui qui croit en elle. Si la confiance n'est plus obtenue par les pratiques religieuses, il appartient au général de la communiquera ses troupes, et à la nation d'avoir foi en elle.

Il est une autre utilité de la religion, plus importante encore pour l'évolution de l'esprit humain, qu'Auguste Comte a le premier indiqué (Cours de philosophie positive, IV, 1840). « Les premières hypothèses religieuses furent, dit-il, une tentative d'explication, et secouèrent la torpeur intellectuelle de l'homme. » Attribuer des faits que l'on ne comprend pas à des esprits, c'est déjà sortir de l'insouciance de la brute qui ne songe à rien de ce qui l'environne. Or, les phénomènes hystériques furent des plus importants pour faire sortir l'homme primitif de son indifférence. Les actes qui se répètent constamment ne pouvaient avoir le privilège de l'élonner. De même que les animaux, le sauvage fut frappé de terreur par l'inusité. Les convulsions hystériques, la léthargie, les rêves furent les premiers à surexciter son imagination. Les maladies, la mort enfin, le rendirent inquiet. D'où la croyance à des ombres malveillantes qui seule existe chez les peuples arriérés, Bushmens, Australiens, Tasmaniens, etc., et qu'on retrouve dans les légendes de tous les peuples. Ces ombres, ces esprits, ces lutins, ces mauvais génies agissaient comme agit l'homme. Ainsi le raisonnement par analogie tendait déjà à expliquer l'incompréhensible en le rapprochant des actes humains et en le rapportant à une personne dont les actions étaient analogues aux nôtres. Les primitifs n'ont pas d'autre croyance, le culte et l'adoration sont l'apanage de peuples plus civilisés.

Plus tard, l'attention une fois éveillée, les phénomènes naturels, à leur tour, excitèrent la curiosité, le raisonnement par analogie se généralisa, les phénomènes naturels, cours du soleil, des astres, du vent, etc., furent, eux aussi, attribués à des personnalités. Les Dieux étaient créés, et la religion allait s'emparer de l'humanité.

COURS ET CONFÉRENCES

Le professeur Charcot

(Leçon d'ouverture du cours de pathologie interne, par le professeur Debove)

Chez Charcot, l'homme et le savant étalent confondus aussi bien que le maître et l'ami. Dès qu'on avait le bonheur d'être son élève, il ne vous livrait pas seulement sa vaste expérience clinique et son érudition, il vous ouvrait son cœur, son amitié, vous admettait à son foyer, dans son intimité, dans l'intimité de sa famille; aussi aujourd'hui l'affection que nous portons aux siens subsiste tout entière et ses élèves se considèrent comme appartenant à une même famille. En raison de cette intimité, il nous était facile de savoir qu'elle avait été son existence pendant sa jeunesse et quelles difficultés il avait rencontrées dans sa carrière. Il nous racontait alors que les moyens de sa famille étaient limités, qu'il avait dû, étant interne, donner des leçons et qu'il était fils de ses œuvres.

Les obstacles qu'il eut à surmonter ne furent pas seulement d'ordre matériel. Dans notre pays, on arrive par le concours ; or, Charcot n'avait pas les qualités qui permettent d'y briller et il n'avait rien fait pour les acquérir.

II n'était pas orateur : loin de là, il avait une grande difficulté de parole. Il fit des leçons d'agrégation qui parurent médiocres, et cependant, il fut justement nommé, car il fut supérieur dans une épreuve, l'épreuve de la thèse aujourd'hui supprimée. La thèse consistait en un travail dont le sujet donné par le jury était tiré au sort. On avait quinze jours pour le faire et l'imprimer. Il fallait ensuite répondre publiquement aux critiques parfois acerbes, mais ordinairement justes des autres compétiteurs, car rien ne rend plus clairvoyant que la rivalité des candidats; du premier coup, ils distinguent le point faible d'un travail. Charcot fit sur la pneumonie chronique, une thèse que nous lisons encore avec intérêt ; il la défendit avec beaucoup de science et d'à-propos et montra ses qualités de critique en argumentant ses compétiteurs. Un de ses juges, Rayer, fit valoir aux yeux du jury l'intérêt de ses titres scientifiques et, pour la plus grande gloire de cette Faculté, il fut nommé agrégé. S'en fût-on tenu à la lettre du concours, nous aurions pu être privés de Charcot comme nous l'avons été de Claude Bernard.

Charcot enseigna d'abord (je ne parle ici que de son enseignement officiel, car avant d'être professeur officiel, il avait enseigné à la Salpé-trière et groupé autour de lui un auditoire d'élite) l'anatomie pathologique dans cet amphithéâtre, puis les maladies nerveuses à la Salpé-

trière. Malgré le haut mérite de ses leçons sur les maladies du foie, du rein, du poumon, etc..., ses leçons sur les maladies nerveuses ont surtout contribué à sa gloire. Avec quelle clarté et quelle précision il enseignait! Mais, ici, je parais me contredire, je disais tout à l'heure que Charcot n'avait point de talent de parole. Cela était vrai au début de sa carrière, mais ne l'était plus à la fin. En professant, il était devenu un professeur remarquable, il parlait lentement, n'hésitait jamais, trouvait l'expression toujours juste, souvent pittoresque. Il parlait sans aucune note. Cependant il n'improvisait pas, toutes ses leçons étaient écrites à l'avance, mais souvent il négligeait de les relire. Autrement dit, il avait besoin de penser avant de parler, de préciser sa pensée en lui donnant une forme.

C'est un bonheur qu'il n'ait point connu la trop grande facilité et qu'il ait toujours été obligé de travailler ses leçons, elles sont restées dignes de lui jusqu'à la fin de sa carrière, et les dernières publiées ne sont en rien inférieures à celles qui les ont précédées.

Ces leçons n'étaient pas seulement des exposés fidèles de l'état des malades mêlés à des vues géniales, .elles étaient des leçons démonstratives. Les malades étaient présentés aux élèves, et, comme la plupart des maladies nerveuses s'accusent par des signes extérieurs, il pouvait faire des démonstrations impossibles dans d'autres domaines de la pathologie. A cet égard, il était favorisé par la nature de son enseignement; le premier il sut en profiter, ses successeurs en profiteront, mais en s'inspirant de son exemple.

Donnons un aperçu des principaux sujets qu'il a traités.

Le premier, il considéra la moelle, non comme un organe, mais comme une série d'organes fusionnés en apparence, mais en réalité seulement accolés, ayant un développement, une physiologie, une pathologie distincts.

S'il n'est pas le premier qui eut l'idée des localisations cérébrales, ce fut lui qui en démontra la réalité par des séries d'autopsies dans lesquelles les lésions et les symptômes étaient soigneusement superposés.

Parlerai-je de ses travaux sur les névroses ? Seulement pour dire qu'ils furent un acte de courage. L'hypnotisme, le somnambulisme avaient mauvaise réputation. Depuis fort longtemps des charlatans exploitaient cette branche de la science, qui dans leurs mains était devenue une branche lucrative d'industrie. Lorsque Charcot aborda ces questions, ce fut un grand émoi. On lui représenta qu'il se faisait le plus grand tort, qu'il compromettait notre Faculté, que jamais, s'il persistait, les portes de l'Institut ne s'ouvriraient devant lui.

Les personnes qui lui firent ces objections n'étaient pas les premières venues, c'étaient des amis intimes, des hommes éminents. Heureusement il ne se laissa pas suggestionner, il poursuivit ses études; elles eurent le retentissement et le succès que vous savez.

Son œuvre si considérable ne peut tenir en ce court exposé, mais je

n'insisterai pas. Je dois consacrer ce semestre à l'étude des maladies du système nerveux, et vous verrez que notre cours deviendra de ce fait l'exposé des travaux de notre maître.

Un autre titre de gloire de Charcot est d'avoir fait des élèves, c'est-à-dire d'avoir laissé une empreinte scientifique durable sur l'esprit de presque tous ceux qui l'ont approché. Il vous encourageait à travailler, développait votre originalité sans chercher à faire des élèves qui fussent à son image. Il exerçait une influence que je ne saurais définir, une influence de contact. Vous connaissez les phénomènes d'électrisalion par influence dans lesquels un corps électrisé électrise un corps neutre voisin. II en était ainsi de Charcot, soit qu'il parlât, soit qu'il restât silencieux, car il n'était pas bavard.

Si je vous citais tous les élèves de Charcot qui ont un nom dans la science, leur énumération serait longue, ils sont nombreux parmi les agrégés, les médecins des hôpitaux et parmi ceux qui n'occupent aucune situation officielle.

La vaste expérience de notre illustre maître tenait à sa pratique hospitalière et aussi pour une grande part à sa clientèle. Il était le plus célèbre médecin de notre époque, on venait le consulter des cinq parties du monde. On avait raison; car il examinait à fond ses malades; il ne les guérissait pas tous, mais il faisait sur tous un pronostic et un diagnostic exacts. Il était dans ses consultations le type de la probité professionnelle, il est toujours resté indifférent à toute question de gain. Dans les dernières années de sa vie, sa profession était devenue lucrative, mais il n'avait rien fait pour cela, la fortune était venue le chercher, il ne lui avait fait aucune avance. Jamais il n'a sacrifié à un intérêt pécuniaire ni son enseignement, ni ses recherches scientifiques. Il se ménageait même du temps pour s'occuper d'art. II se reposait d'un travail en s'occupant d'un autre, de ses études médicales en s'occupant de littérature, d'histoire, de beaux-arts.

Permettez-moi, à ce propos, de vous faire un peu de morale. Je suppose que tous vous étudiez la médecine avec ardeur, je suis persuadé que votre repos est surtout destiné à réparer vos forces, pour vous permettre de mieux travailler ensuite. La meilleure façon de vous reposer d'un travail est de passer à un autre travail. Si vous me permettez une comparaison empruntée à l'agriculture, je vous dirai : préférez le système des assolements à celui des jachères. Dans le premier on laisse reposer un terrain en variant sa culture, dans le second on le laisse reposer en ne semant rien. (Je crains que quelques-uns n'aient abusé du système des jachères). Faites comme Charcot, reposez-vous d'un travail en vous livrant à un autre. Un médecin qui ne serait que médecin ne serait jamais un esprit distingué. Ne restez complètement étranger à aucune connaissance humaine. Je vous recommande particulièrement, je ne dirai pas à vos moments de repos, de cultiver un peu les lettres. Depuis Cicéron, tous les professeurs de littérature ont fait l'éloge des belles lettres et montré qu'elles étaient

le plus noble plaisir de l'âge mur et la consolation de la vieillesse. Je me placerai à un point de vue moins élevé, je ferai appel à votre intérêt personnel. Un grand nombre d'entre vous devront concourir ; beaucoup échoueront pour ne pas avoir suivi le conseil que je donne aujourd'hui.'Il ne suffit pas desavoir, il faut encore montrer que l'on sait; vous ne pourrez pas le faire si vous n'avez pas cultivé les lettres. Certes, l'œuvre scientifique de Charcot estconsidérable, mais s'il n'eût fait œuvre d'artiste en les écrivant, beaucoup de ses leçons perdraient de leur saveur. Ne négligez donc pas, en cultivant les lettres, un puissant moyen d'action, un précieux ëlément-de succès. Vous êtes des latins appelés à vivre au milieu des latins, et chez eux l'art de bien dire a toujours été hautement prisé, il ,a même été quelquefois trop prisé. Nos mœurs ne sont pas près de changer, ne laissez pas à vos compétiteurs la supériorité de la langue et de la plume.

Je voudrais vous montrer Charcot dans sa famille, vous dire combien l'homme privé fut digne du savant, combien il aima les siens et combien il en fut aimé, mais je craindrais de blesser leur modestie en parlant d'eux dans cet amphithéâtre. Je dirai seulement qu'on lui aplanit toutes les difficultés de la vie matérielle, que jamais on n'essaya de le distraire de ses travaux.

Son esprit ne fut jamais obligé de descendre des hauts sommets de la science pour s'occuper des vulgaires petits soucis quotidiens. Par le fait de cette existence, cet homme si instruit, si génial, était même ignorant des petites choses de la vie pratique.

Les anciens ont dit : « Ceux que les dieux aiment meurent jeunes »; j'aurais préféré dire : ils meurent sans infirmités, d'une courte maladie, dans la plénitude de leur intelligence, à l'apogée de leur gloire. Telle fut la fin de Charcot.

VARIÉTÉS

Les miracles de Lourdes et le livre du D Boissarie

Lorsque M. Henri Lasserre publia son volume sur N.-D. de Lourdes, il y eut dans le monde savant une sorte de protestation tacite contre le surnature] dont ce livre était imprégné. Matérialistes, positivistes, spiritualistes même, n'admettaient pas qu'au xixe siècle, le surnaturel pût jouer un si grand rôle.

Les gens du monde, au moins ceux qui avaient la foi, avaient été fortement remués par les récits des guérisons miraculeuses racontées par M. Lasserre.

Comme il s'agissait de médecine, n'était-il pas naturel que les médecins, plus animés d'esprit critique que les gens du monde, et générale-

ment plus instruits et très indépendants, n'examinassent de plus près les faits rapportés dans le livre en question ?

Pour eux, et cela ne peut faire l'objet d'aucun doute, Bernadette était une malade, une hallucinée, anesthésique au moins pendant l'extase. Mais au lieu d'être, comme la plupart de nos névrosées des grandes villes, hystérique ou érotomane, elle était imbue d'idées religieuses puisées dans son enfance à Bartrès, bien quelle n'eût point encore suivi le catéchisme dans sa paroisse de Lourdes.

Comme, en définitive, on ne peut nier, d'une façon absolue, que le grand architecte n'eût pu choisir, s'il eût voulu, cette petite simplette pour manifester sa puissance, tout esprit scientifique et critique doit, ce me semble, examiner, contrôler les guérisons annoncées avec fracas, avant de nier toute intervention surnaturelle.

Dans un article que j'ai publié dans la France médicale, du 25 Mai 1894, sous la rubrique : Contractures, ankyloses, mystères et miracles, après avoir prouvé la possibilité de la guérison des contractures et des ankyloses par la simple influence du moral sur le physique, je terminais en disant: « Tout est mystère ici-bas, mais mystère n'est pas miracle, et la science éclaircira les mystères et dissipera les ombres comme l'aurore dissipe les ombres de la nuit. »

Je ne veux pas, dans un article si court, qui ne s'adresse qu'à des confrères, analyser le livre de M. Zola, c'est un roman d'ailleurs, et, quelle que soit la valeur du style, je ne veux ici analyser que des choses scientifiques.

Je prendrai pour cela le livre de M. le Dr Boissarie, ancien interne des hôpitaux de Paris, médecin à Lourdes. (Lourdes, depuis 1858 jusqu'à nos jours.) Après avoir raconté l'histoire de Bernadette, aujourd'hui connue, M. Boissarie reprend les premières guérisons déjà rapportées par M. Lasserre. Puis il expose dans son livre les annales de Lourdes, où, en sept chapitres, il énumère de nouvelles guérisons et l'histoire des grands pèlerinages si suggestifs sur l'esprit du public qui fréquente à ces lieux d'élections. Trois cents médecins, dit-il page 225, attestent les guérisons de Lourdes. D'après l'auteur, les seuls médecins qui les auraient condamnées, les auraient jugées sans examen, d'après leurs systèmes et leurs tendances matérialistes.

Je ne suis point matérialiste, j'ai été partisan de l'école de Comte, mais depuis les choses merveilleuses produites par le magnétisme, l'hypnotisme, la suggestion et, plus récemment, par la télépathie, je pense que tout ne finit pas avec la vie et que quelque chose d'immatériel, que nous l'appelions psychée ou âme, pourrait bien résister à la décomposition chimique après la mort. Si c'est là ce qu'on appelle spiritualiste, je suis spiritualiste. A ce titre, j'ai voulu voir par moi-même ce qu'il pouvait y avoir de sérieux dans les miracles annoncés et j'ai profité d'une occasion que j'avais de passer quelques jours dans le

Midi pour étudier à Lourdes ce que je pourrais appeler la clinique de Lourdes.

Je rencontrai, d'abord à Saint-Jean-de-Luz, un confrère très instruit, le Dr Flurin, ancien interne des hôpitaux, médecin consultant à Caute-rets, qui me fit de grands éloges de M. Boissarie. Examinez surtout, me dit-il, quand vous serez là-bas, les guérisons des cas chirurgicaux, et vous resterez convaincu que la suggestion hypnotique ou non hypnotique ne peut être pour rien dans ces guérisons.

A Dax, je trouvai M. le Dr Larauza, médecin de l'établissement thermal, qui me répéta à peu près la même chose.

Aussi, dès mon arrivée à Lourdes, m'empressai-je de faire visite à M. Boissarie; malheureusement, il était absent, mais j'achetai son livre et je vis le P. Norguès, auquel on m'avait adressé en l'absence du docteur.

Celui-ci me remit les annales et le journal de Lourdes, mais ne put satisfaire ma curiosité en me montrant le bureau des constatations qui ne fonctionne, parait-il, qu'au moment des grands pèlerinages.

J'avais évité exprès ces grandes affluences de pèlerins, parce que ce n'est pas le moment propice pour l'étude et que, quelque bien pondéré qu'on soit, on est toujours plus ou moins entraîné au milieu dlun public surchauffé par la foi, la prédication et l'espoir de la guérison. Cela se voit, du reste, dans les assemblées publiques et dans les révolutions : si on ne quitte pas sa place, on est plus ou moins entraîné à suivre l'impulsion générale.

Quoi qu'il en soit, le P. Norguès me raconta l'histoire d'un certain D... qui, après six ans de séjour dans les hôpitaux de Paris, notamment à la Salpètrière, où il aurait été pendu plusieurs fois, avait été guéri à Lourdes d'une ataxie locomotrice progressive, constatée par douze médecins, parmi lesquels, me dit l'abbé, étaient MM. Charcot, Sée et Rigal.

Retourné à Paris quelques années après, ce malade, dont la guérison ne s'était pas démentie pendant ce temps, eut une rechute pour laquelle il réclama de nouveau son entrée à Sainte-Anne. Mais, après huit jours de séjour, il fut renvoyé comme simulateur, retourna à Lourdes et guérit encore. Est-il possible, me demandait le P. Norguès, qu'un homme jugé malade pendant six ans par les sommités de la science, ne fût qu'un simple simulateur? Comme bien on pense, ne connaissant pas le malade, je ne voulus pas me prononcer ; mais je vis et j'examinai les pèlerins qui allaient à la piscine, à la fontaine et à la grotte, et, si j'en vis qui paraissaient bien pondérés, j'en vis aussi qui, par leurs manifestations exagérées, auraient plutôt été capables de faire prendre ce monde des pèlerins en pitié que de donner la foi dans les miracles de Lourdes.

Pour revenir au livre de M. Boissarie, où il est aussi question de la clinique de Lourdes, j'y vois bien la composition du bureau de constatation, la venue des médecins de plus en plus nombreux, la présence,

parmi ceux-ci, d'un médecin protestant, et la moyenne des guérisons de chaque année, mais je cherche inutilement un bureau de consultation où les médecins susdits pourraient contradictoirement établir leur diagnostic avant que le malade n'allât à la piscine, d'où il pourrait revenir faire constater sa guérison par les mêmes médecins qui auraient posé le diagnostic.

M. Boissarie me permettra de lui dire que, tant qu'il s'en rapportera, pour le premier diagnostic, à des certificats de confrères inconnus, quelquefois complaisants, ou au malade lui-même, son bureau de constatation ne présentera pas, pour les médecins, une garantie scientifique assez sérieuse.

Quant à la moyenne des guérisons constatées, elle n'est pas en rapport avec le chiffre des pèlerins qui vont à Lourdes, et nos hôpitaux à Paris présentent des statistiques où le tant pour cent des guérisons est plus élevé. Mais je fais bon marché des statistiques et je passe à une autre critique.

On dit que les affections chirurgicales prouvent une intervention surnaturelle, plus que ne le font les guérisons médicales, dans lesquelles l'élément nerveux peut jouer un grand rôle.

Mais, outre que certaines affections chirurgicales peuvent elles-mêmes être parfaitement sous l'influence de l'élément nerveux, je demanderai pourquoi M. le Df Boissarie se refuse obstinément à faire un atlas iconographique, comme celui de la Salpêtrière, où l'on verrait le malade avant le traitement et après la guérison.

Pour du suggestif, voilà du suggestif! et de toutes les raisons données, par M. Boissarrie pour s'opposer à cet élément de contrôle . .. aucune n'est valable.

Si j'avais l'honneur d'être à la tête d'une clinique comme celle de Lourdes, je voudrais convaincre les médecins de la réalité des guérisons, et j'aurais, dans cet album iconographique, réservé d'ailleurs aux seuls médecins, la meilleure des pièces de conviction. •

Je n'insisterai pas plus longtemps; je ne nie pas, d'ailleurs, la réalité des miracles de Lourdes, mais j'estime qu'ils s'expliquent sans faire intervenir le surnaturel, je demande seulement que ces miracles soient constatés plus scientifiquement, comme ceux que l'hypnotisme, l'électricité, l'hydrothérapie produisent tous les jours. Jusque-là, je les tiendrai simplement pour des mystères.

Admettre l'intervention divine dans l'interruption de l'ordre naturel, c'est ne rien comprendre à la direction intellectuelle de notre temps, qui admire bien plus la toute-puissante créatrice dans la marche régulière de la nature.

Dr Verrier.

JURISPRUDENCE MÉDICALE

La pratique du magnétisme et la loi sur l'exercice de la médecine

Un arrêt récent de la Cour d'Angers semble indiquer que la pratique du magnétisme ne peut être considérée comme constituant l'exercice de la médecine tel qu'il a été défini par la loi du 30 novembre 1892. Cette interprétation a inspiré à un rédacteur de la Médecine moderne des considérations très intéressantes que nous nous faisons un devoir de reproduire.

Le rédacteur de la Médecine moderne a d'abord exposé quelle était, sous l'ancienne loi, la situation légale des magnétiseurs; puis, il a fait connaître les conséquences de droit tirées en leur faveur par la cour d'Angers de la loi nouvelle de 1892 sur la médecine légale.

L'arrêt de la cour d'Angers proclame que la loi nouvelle a déterminé ce qu'est l'exercice illégal de la médecine et qu'elle n'a pas attribué ce caractère aux manœuvres des magnétiseurs dont la science spéciale n'a pas été visée. Il importe tout d'abord de remarquer que cet arrêt de la cour d'Angers n'est pas le seul document de jurisprudence de la matière.

Le tribunal correctionnel de la Seine a eu aussi à faire connaître son opinion et l'a fait dans un sens diamétralement opposé. II faut ajouter que ce jugement n'a pas été frappé d'appel de telle sorte que la question se trouve aujourd'hui résolue en sens divers par la cour d'Angers et par le tribunal de la Seine.

Voici dans quelles conditions la question se posait devant le tribunal de la Seine :

Le zouave Jacob, le roi des magnétiseurs, condamné sous la loi de ventôse appliquée antérieurement à la loi de 1892, avait cru pouvoir reprendre sa médication magnétique en 1893. Le parquet exerça des poursuites et il fut traduit devant le tribunal correctionnel. Comme la loi de 1892 n'était applicable qu'un an après sa promulgation, le tribunal pouvait se bornera condamner en appliquant l'ancienne loi; mais il a tenu à établir que la loi de 1892 ne modifiait pas la jurisprudence acquise, et après avoir établi que cette jurisprudence (arrêt de cassation du 18 Juillet 1884) interdit tout exercice de l'art de guérir, quels que soient le remède et le traitement employés ; il déclare que c'est une erreur de prétendre que la loi de 1892 ne punit pas les pratiques magnétiques et motive comme suit son opinion :

« Qu'en effet, il appert des travaux préparatoires de cette loi que, si o le législateur n'a pas voulu réserver exclusivement aux médecins les

« expériences de magnétisme et d'hypnotisme, c'est à la condition que « les profanes resteraient dans le domaine des expériences purement « scientifiques et n'entreraient pas dans celui de la médecine proprement « dite, c'est-à-dire ne se serviraient pas du magnétisme et de l'hypno-« tisme pour exercer la profession de guérir; que cette pensée se mani-« feste nettement dans le rapport du Dr Chevandier à la Chambre des « DéputéSj rapport dans lequel, après avoir fait Ja critique de l'exiguïté « des peines de la loi de l'an XI, qui a eu pour effet d'encourager les « charlatans. les rebouteux et quiconque prétend tenir d'un don spécial « les secrets de guérir, le rapporteur ajoute : « Nous croyons que le « moment n'est pas venu d'enlever ces expériences aux profanes, et de « les confier exclusivement aux médecins;

« Que le rejet par le Parlement de l'article 12 du contre-projetde loi « de M. David, qui avait pour but d'atteindre tout particulièrement les « hypnotiseurs, ne peut intéresser ces derniers que comme savants à « la recherche de phénomènes magnétiques nouveaux et jamais comme u guérisseurs ;

« Que, d'ailleurs, c'est volontairement que la loi nouvelle ne définit « pas les faits qui constituent l'exercice illégale de la médecine, de la « chirurgie, de l'art dentaire et de la pratique des accouchements, « parce qu'on ne peut indiquer dans un article de loi (rapport du « D' Cornil au Sénat) tous les détails, toutes les formes sous lesquels se « présente l'exercice illégal, et qu'il est préférable de laisser à ce sujet « la plus large appréciation aux tribunaux;

« Que, dans ces conditions, rien ne s'oppose à ce que la jurispru-« dence fixée par l'arrêt du 13 juillet 1884 soit maintenue même après « le 30 novembre 1893, le principe établi étant absolument compatible « avec la loi nouvelle, derrière laquelle Jacob voudrait dès aujourd'hui « s'abriter.

« Par ces motifs... condamne... »

Ainsi le tribunal de la Seine avait posé très nettement ces trois points :

1° Les travaux préparatoires de la loi révèlent que l'on ne s'est occupé des magnétiseurs que pour leur laisser le domaine purement scientifique;

2° La loi n'a pas défini les faits d'exercice illégal de la médecine pour laisser aux tribunaux le soin d'apprécier;

3° II n'est pas douteux que pratiquer l'art de guérir la maladie par des procédés magnétiques, c'est faire de la médecine illégale si l'on n'est pas diplômé.

Cette thèse du tribunal de la Seine arrivait pour nous à une conclusion inattaquable en droit et en fait; mais, à vrai dire, elle prêtait le flanc à la critique par quelques-unes de ses prémisses. Aussi a-t-elle été critiquée par MM. Floquet et Léchopié dans leur commentaire de la

loi, et c'est certainement dans ce commentaire qu'il faut chercher les motifs qui ont amené la cour d'Angers à statuer en sens contraire..

C'est très regrettable, et nous sommes convaincu que ces auteurs très estimables ont fait fausse route.

Leurs arguments reproduits par la cour d'Angers sont, en résumé, les suivants :

1° Les travaux préparatoires de la loi ont, au contraire, établi que les procédés magnétiques ne seraient jamais considérés comme exercice de la médecine ; .

2° La loi de 1892 a défini l'exercice illégal ; il faut des prescriptions, de véritables médicaments, ou des réductions de fractures, qu autres actes de même nature.

Sur le premier point, il est certain que le doute est permis. Une pétition de magnétiseurs avait posé la question sur un terrain parfaitement déterminé. Ces industriels réclamaient le droit de guérir par leurs pratiques, et ce droit, on ne le leur a pas refusé littéralement dans la loi. Le rapporteur, M. Chevanrlier, a lui-même été assez hésitant et sa pensée n'est pas absolument claire. Il est certain qu'on a été d'accord pour reconnaître aux hommes de science qui veulent étudier le magnétisme et l'hypnotisme leur pleine liberté scientifique et que, mémo pour les expériences que peuvent comporter les études, on n'a pas voulu les réserver aux médecins.

Est-ce à dire qu'on a laissé la porte grande ouverte à une médecine nouvelle appelée le magnétisme, et qu'on a permis à des empiriques sans diplôme d'ouvrir des cabinets d'escroquerie sous couleur de magnétisme ? C'est ce qu'il est impossible de voir dans la discussion de la loi.

La question est donc restée entière et il faut la résoudre la loi à la main.

D'ailleurs, les tribunaux ont le droit de puiser, dans les travaux préparatoires d'une loi, des éléments précieux d'appréciation: mais ces travaux ne sont pas la loi. Le texte sorti de la discussion des idées et promulgué fait seul la loi; c'est lui que le juge doit considérer, et il n'est pas rare de voir la jurisprudence, placée en présence des nécessités et des leçons de l'expérience et de la pratique, donner à une loi, sur des points obscurs, une interprétation toute différente de celle qu'avait pu prévoir un rapporteur ou même un ministre.

Nous sommes ainsi conduits à examiner le texte de la loi et à nous demander sur le second point de l'argumentation de MM. Ploquet et Léchopié s'il est vrai que la loi a défini nettement l'exercice illégal de la médecine.

Ici, nous partageons absolument l'avis du tribunal de la Seine, tout en reconnaissant qu'il est exprimé sous une forme trop générale. Que dit la loi dans son article 16?

Exerce inégalement la médecine :

1° Toute personne qui, non munie d'un diplôme, etc., prend pan habituellement ou par une direction suivie au traitement des maladies ou des affections chirurgicales ainsi qu'à la pratique de l'art dentaire et des accouchements, sauf les cas d'urgence avérée.

Il est certain qu'il y a là une définition de l'exercice illégal de la médecine; mais le tribunal a raison de dire que la loi n'a pas défini les faits qui constituent cet exercice illégal; et il est certain qu'en agissant ainsi et en donnant une définition aussi peu précise, le législateur a entendu laisser une très large appréciation aux tribunaux; il a voulu seulement les enfermer dans cette limite définie qu'il faut prendre part à un traitement par une direction suivie ou habituellement.

En réalité, le législateur n'a pas voulu que l'on pût rechercher et poursuivre des cas isolés souvent justifiés par les circonstances ; mais il a laissé les tribunaux juges d'apprécier à quel moment l'exercice de l'art de guérir devient par sa répétition ou sa durée une atteinte à la profession médicale.

De même en prenant le mot général de traitement des maladies qui comprend tous les procédés de toute nature, le législateur n'a nullement entendu exiger l'ordonnance de médicaments ; c'est encore aux tribunaux à apprécier quand il y a traitement.

Ceci établi, et l'appréciation des tribunaux ainsi réservée, revenons à l'espèce de la cour d'Angers, et voyons si le tribunal de Mayenne n'avait pas mille fois raison :

Quels étaient les faits poursuivis?

Une femme sans diplôme avait donné ses soins à nombre de personnes; elle allait chez les clients, se faisait payer chèrement, et prétendait les guérir par des passes magnétiques suivant un traitement qui durait parfois plusieurs mois; elle prescrivait l'usage de boissons aimantées et l'application de plaques aimantées qu'elle vendait elle-même.

N'est-ce pas là, sans contestation possible, un exercice suivi et habituel de l'art de guérir sans diplôme, et les pratiques employées, passes magnétiques ou boissons aimantées, ne constituent-elles pas un véritable traitement, au sens général du mot ? Allez donc dire au malade naif et convaincu que soignait cette femme qu'il n'a pas suivi un traitement.

Il vous répondra par cet argument tonique : la preuve que j'ai suivi un traitement, c'est que j'ai payé pour le suivre.

Au surplus, le médecin qui vous soigne pour une gastralgie et vous indique ce qu'il vous est défendu de manger ne vous fait-il pas suivre un traitement ?

N'y a-t-il pas des traitements par l'hygiène, par les bains de mer, par l'air qui n'exigent aucun médicament?

C'est à plus forte raison un traitement parfaitement caractérisé que celui qu'impose le magnétiseur à ses clients.

Il exerce donc réellement l'art de guérir, et s'il veut le faire sans enfreindre la loi il doit se munir d'un diplôme. Que de raisons d'ailleurs appuient cette sage et prudente solution !

Voilà déjà que la troupe des farceurs, qui n'a aucun rapport avec les hommes de science et de bonne foi attachés à l'étude des problèmes troublants de l'hypnotisme, se prépare à ouvrir boutique sur la voie publique pour abuser de la crédulité des malades.

Il vient de paraître un livre appelé le Magnétisme curatif, qui a la prétention d'être le formulaire du médecin magnétiseur sans diplôme, et l'on ne tarderait pas à voir les campagnes comme les villes à la merci de ce nouveau personnel n'ayant aucune garantie.

Ce serait d'abord, avec la naïveté et la crédulité naturelles des hommes, un coup terrible porté à l'exercice déjà si difficile de la médecine dans les campagnes ; le corps médical en souffrirait, beaucoup de vocations seraient peut-être découragées, et l'on sait pourtant quel intérêt présente le recrutement du corps médical pour la paix et surtout pour la guerre.

Mais une autre considération domine le débat ; c'est une considération de sécurité ou mieux de santé publique.

Si la loi exige pour le médecin la justification de connaissances suffisantes, .ce n'est pas seulement pour qu'ils soient hors d'état de tuer, c'est surtout pour qu'ils puissent guérir.

Et alors le dilemme suivant se pose : ou bien la médication magnétique est inoffensive, et alors la permettre c'est favoriser l'escroquerie et exposer les malades à mourir faute de soins; ou bien elle produit des effets et peut guérir, et alors il est indispensable de connaitre et suivre la maladie, et un diplôme est nécessaire.

C'est donc avec toutes les raisons du droit, du bon sens et de la justice que le tribunal de Mayenne avait dit à la veuve Blin : vous voulez faire métier de guérir les gens ; prenez un diplôme. La cour d'Angers, en réformant cette décision, a commis une faute grave. Le corps médical ne doit pas s'en tenir là. Il a des représentants, des associations, des syndicats. Qu'il agisse et qu'il veille !

Si l'arrêt de la cour d'Angers n'est pas déféré à la Cour de Cassation, qu'il sollicite du Ministre de la Justice ou du procureur général un pourvoi dans l'intérêt de la loi.

Et si cette porte lui est fermée, qu'il saisisse la première occasion de faire juger la question après un débat complet en le conduisant, s'il est nécessaire, jusqu'à la Cour suprême.

C'est un double intérêt qui le commande, intérêt public et intérêt professionnel qui se confondent et doivent s'allier.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances auront donc lieu les lundis 18 Mars; 15 Avril; 20 Mai; 17 Juin. La séance annuelle et le banquet de la Société ont lieu le 15 Juillet. Adresser les communications à M. le D' Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotirations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.

Le cours de M. le professeur Bouchard.

M. le professeur Bouchard a repris son cours de pathologie générale à la faculté, en présence d'une affluence considérable d'élèves.

Ce cours portait sur les modifications de la nutrition qui résultent des maladies. Le professeur Bouchard commence par définir la nutrition « un double mouvement d'assimilation et de dénassimilation qui s'exécute au moyens de matières introduites par L'alimentation, dont les unes deviendront matières vivantes tandis que les autres, détruites par l'organisme, y font naitre la force. » Puis en termes éloquents et douloureusement émus le professeur Bouchard rend hommage au travailleur infatigable, à l'observateur attentif, à l'homme de science qui a disparu en Brown-Sequard. Des applaudissements nourris prouvent que ces quelques paroles ont clé vivement senties par l'auditoire.

En effet, Brown-Sequard a plus que personne contribué à démontrer que les tissus jouissentde propriétés spéciales et que comme les glandes vasculaires sanguines, ils jettent dans le torrent circulatoire des produits . qui contribuent à la vie.

Présentation de miraculés de Lourdes au Cercle catholique

de Paris.

Le Dr Boissarie, dans le but de réfuter diverses assertions de Zola dans son livre sur Lourdes, et de prouver que les cures qui ont eu lieu à la grotte sont vraiment miraculeuses, avait fait venir de différentes parties de la France quinze personnes guéries à Lourdes, en ces deux ou trois dernières années, de maladies que la science médicale avait déclarées incurables.

Parmi elles se trouvait Marie Lemarchand, qui figure dans le livre de Zola sous le pseudonyme d'Elsie Rouquet. Cette fille était allée à Lourdes défigurée horriblement par un lupus qui s'étendait sur toute la face ; le nez et la bouche en partie détruits : Zola en donne une description réaliste qui fut lue devant rassemblée.

Tout de suite après, Marie fut priée de se lever et de montrer sa figure. A sa vue, il y eut une exclamation générale d'etonnement. La victime du lupus, que la médecine avait été impuissante à guérir, était devenue de nouveau une campagnarde fraîche et vraiment jolie, d'une santé parfaite.

Se montrèrent ensuite : un sujet reconnu à la Salpêtrière atteint de cécité par atrophie des nerfs optiques, instantanément guéri à Lourdes; une fille guérie d'un cancer inopérable ; une autre d'une carie au pied , M1,M X..., Z..., que des maux incurables avaient abattues, déformées, jetées presque mourantes et qui maintenant se dressent pleines de force et dans tout l'éclat de la santé. Les deux sœurs R..., qui boitaient horriblement, frappées d'une sorte de paralysie iDfantile, et qui maintenant marchent comme tout le monde. Des applaudissements enthousiastes ont salué chaque miracle, au fur et à mesure que M. le D' Boissarie les énonçait. M. Peri-Morosini, secrétaire de la nonciature, représentait Mgr Ferrata à la cérémonie ; il était assis à la droite du conférencier, qui a conclu en ces termes : « Lourdes n'est pas une question d'ordre scientifique; le miracle est partout. C'est un réveil du parti catholique tout entier. »

Tentative de meurtre sur un médecin par un épîleptique.

Le 19 janvier dernier, notre confrère le Dr de Keraval, médecin de l'asile d'aliénés de Vaucluse, a été victime d'une tentative de meurtre. Pendant qu'il faisait sa visite, un malade de. son service, épileptique-alcoolique, s'est approché de lui, dissimulant un couteau qu'il tenait dans la main, et lui en a porté un coup violent dans le flanc gauche. Fort heureusement, un surveillant fit dévier la main du meurtrier, et la lame du couteau ne put pénétrer que d'un centimètre environ.

Le coup avait été dirigé dans la région du cœur ; mais grâce à la déviation de l'arme, ce sont les parties molles de la région sous-dra-phragmatique qui ont été intéressées.

Dans les premiers moments, l'abondance de l'hémorrhagie avait fait craindre une plaie pénétrante de l'abdomen. Par bonheur il n'en était rien: la plaie était superficielle, et une suture put être pratiquée séance tenante.

L'état de notre confrère est actuellement aussi satisfaisant que p ossi-ble. Nous pouvons espérer que. la cicatrisation de la plaie se fera rapidement et sans accident.

Cette tentative de meurtre parait avoir été préméditée par le malade, il s'est en effet servi, pour l'accomplir, d'un couteau dont il avait aiguisé la lame, de façon à la transformer en véritable poignard.

Impressions maternelles

Le Britisck Médical Journal publie une note d'un de ses abonnés sur deux cas de corrélation entre une impression de femme enceinte et une anomalie chez l'enfant. Dans l'un, la mère avait été très impressionnée par la lecture d'un roman dont un des personnages avait un doigt surnuméraire : son enfant vint au monde avec un doigt surnuméraire. Dans l'autre, une femme enceinte vit passer un montreur d'ours qui tira si fort sur sa bête que l'anneau déchira une partie de la cloison des narines : son enfant eut un léger bec de lièvre. Le Médical Record a, il y a deux ou trois ans, publié tout une série de cas de ce genre. Les faits sont sans doute exacts, mais l'interprétation en est difficile, si l'on tient compte surtout du fait qu'à l'époque où se produisent les impressions, les anomalies qui sont supposées en dériver, doivent être déjà produites. Admettra-t-on que des parties normalement formées peuvent se déformer ensuite ? Cela est difficile, en raison du mécanisme des anomalies.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assiter et sont exercés à la pratique de la psychothérapie. M. le D' Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, fait, tous les jeudis à dix heures et demie, des leçons sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

Cours a l'Ecole pratique.— Le Conseil supérieur des Facultés, dans sa séance de février, a autorisé M. le Dr Bérillon à faire à l'Ecole pratique,

pendant le semestre d'été, un cours libre sur le sujet suivant : Psychologie physiologique et pathologique. — Applications cliniques de l'hypnotisme. Ce cours commencera le lundi 29 avril, à cinq heures, dans l'amphithéâtre Cruvelhier. Il continuera les lundis et vendredis suivants à la même heure.

L'enseignement de l'hypnotisme a lille. — Nous apprenons avec plaisir que notre colfaborateur, M. le Dr Paul Joire, va inaugurer à Lille un enseignement complet de la psychothérapie et de l'hypnotisme.

Institut de psychologie expérimentale a vienne. — On nous annonce la création, à Vienne, d'un institut de psychologie expérimentale dont la direction serait confiée à M. Emile Mack, professeur de physique à l'Université de Prague, connu par divers travaux sur la sensation.

Faculté de médecine de rome. — Est nommé privat-docent de psychiatrie : M. le DT S. Tonnini.

Institut neurologique de Bruxelles. — M. le Dr L. Peeters a créé à Bruxelles un institut comprenant tout ce qui est nécessaire au traitement des maladies nerveuses. Parmi les procédés employés, M. le D' Peeters a surlout recours à la psychothérapie, et nous enregistrons avec plaisir le succès de son institut.

Congrès international de Moscou en 1896. — Il s'est formé, à Moscou, une commission spéciale pour l'organisation du Congrès international de médecine qui aura lieu dans cette ville en 1896. Le président est le doyen de la Faculté de médecine de Moscou, J.-Th. Klein. Cette commission fait partie d'un comité présidé par l'inspecteur de l'enseignement de la circonscription scolaire de Moscou, le comte P.-A. Kapnist, et parmi les membres duquel se trouvent presque tous les professeurs de la Faculté de médecine de Moscou.

Congrès des Sociétés Savantes. — La Société d'hypnologie et de psychologie a désigné, pour la représenter au Congrès des Sociétés Savantes qui se réunira à la Sorbonne, le 16 avril 1895, MM. les docteurs Gascard, Gorodischze, Bérillon et M. Henri Valentino.

Congrès français de 1895. — Congrès international de la protection de l'enfance à Bordeaux, le 22 juillet. — Congrès annuel de médecins aliénistes et neurologistes français, à Bordeaux, le 1er août (M. Joffroy, président). — Congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences, à Bordeaux, le 4 août. — Deuxième Congrès de médecine interne, â Bordeaux, le 10 août (M. Pitres, président). — Séance annuelle de la Société d'hypnologie et de psychologie, à Paris, le 15 Juillet (M. Dumontpallier, président).

Congrès international de Pédiatrie. — Le Comité de Vienne pour le Congrès international de Pédiatrie qui doit se tenir l'année prochaine à Florence, a élu comme président, M. le profr Widerhofer et comme vice-président, M. le prof Monti.

NÉCROLOGIE

Hack Tuke

Un des psychologues les plus éminents d'Angleterre le D'Hack. Tuke, directeur du Journal of mental Sciences, vient de mourir, après une carrière bien remplie. M. Hack Tuke avait été un des premiers collaborateurs de la Eevue de l'hypnotisme. Il était de ceux qui ont le plus contribué, après Braid, à vulgariser la connaissance de l'hypnotisme. Il avait publié un travail important sous le titre Sleep Walking and hypnotisme.

Son livre sur les rapports du physique et- du moral a été traduit en français. Récemment il avait entrepris la publication d'un dictionnaire de psychologie médicale. Nous serions heureux si un de nos collaborateurs anglais ncus donnait un exposé de l'œuvre psychologique de Hack Tuke, dont la mort laisse un vide difficile à combler.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

J. Crépieux-Jamin. — L'écriture et le caractère. Un volume in-8°, 441 pages. — Alean, éditeur, 108, boulevard St-Germaîn. Paris, 1895.

Dr A Mercier. — La diminution de poids du cerveau dans la para-lysie générale. In 4°, 41 pages. — Masson, 201, boulevard St-Germain, Paris, 1895.

Professeur W. Prever. —Ein merkwürdiger Fall von Fascination. In 8°, 55 pages. — Ferdinand Enke. Stuttgart, 1895.

D' José Lópex Villaloxga.— importancia de la terapeutica hipnótico-Sugestiva. — Broch. in-S°, 34 pages. —Habana 1895.

Binet. — Contribution à l'étude du système nerveux sous-intestinal des insectes. Thèse de doctorat. In-8°, 132pages, — Alean. Paris, 1895.

Thomas. — La Suggestion, sonrôledans l'éducation. — In-12.140p. Alean. Paris, 1895.

Erny (Alfred). — Le psychisme experimental- Un vol. in-8°, 232 p. — E. Flammarion, Paris, 1895.

Dr Lacassagne.— Albert Bournet. Brochure in-4°. 8 p. — Lyon, 1895.

Ch. Godon, A. Bonnet. — Une mission en Amérique. Un vol. in-4fl, 138 p. — Bailhère et Fils. Paris, 1894.

P. Garnault. — Précis des maladies de l'oreille. Un vol in-8°, 549 p. — Prix : 8 francs. — 0- Doin. Paris, 1895.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imprimerie A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

9e année. — n° 10. Avril 1895.

SUGGESTIONS CRIMINELLES HYPNOTIQUES

Arguments et faits à l'appui

par M. le docteur Lïédeault (de Nancy)

Cet article, que je présente dans la Revue de l'Hypnotisme, est une exposition de principes et de faits, contradictoires en bien des points à ceux qu'a soutenus, il y a quelques mois, M. le professeur Delbœuf, à l'Académie des Sciences de Bruxelles. Il s'est prononcé, devant cette Académie, contre la possibilité de certaines suggestions criminelles hypnotiques et post-hypnotiques : je me prononce, ici, pour leur possibilité. Qui s'égare et se trompe de lui ou de moi? C'est au lecteur d'apprécier.

I

Il y a déjà longtemps, en 1855, M. le docteur Durand (de Gros), sous le pseudonyme de Philips, publia un livre intitulé: Electro-Dynamisme vital, livre remarquable par l'originalité et la nouveauté des aperçus scientifiques. On y reconnaît, comme aussi dans les œuvres subséquentes du même auteur, un penseur indépendant, à idées hardies, insoumis à l'autorité des maîtres de la science et ne rejetant pas, avec eux et en aveugle, des vérités importantes que des observateurs même vulgaires, constataient cependant tous les jours.

Dans ce livre, page x, (') M. Durand (de Gros), qui était de retour des Etats-Unis depuis 1853, parle de « phénomènes extraordinaires et nouveaux, dont l'avènement dans le domaine

(1) V» Electro-Dynamisme vital. Paris : G. Baillière, 1855.

de la science expérimentale tenait l'Amérique entière, en émoi », et il raconte qu'il chercha, depuis lors, à en donner des explications dans des conférences qu'il fit à Bruxelles, à Paris, à Alger et enfin à Genève. Il ajoute ensuite que pour produire ces phénomènes extraordinaires, « il n'y a qu'à s'emparer par des manœuvres spéciales et par affirmation verbale, de la direction absolue des fonctions animales et végétatives d'un sujet quelconque, pour les calmer ou les surexciter, et pour rétablir chez ce sujet, s'il y a lieu, l'équilibre de la santé. » Aujourd'hui, sous ces derniers rapports, on ne dirait pas encore mieux.

Un jour qu'à Alger, dans une de ces séances, il développait par ses manœuvres, « sur des personnes de l'humeur habituelle la plus inoffensive et la plus bienveillante, des dispositions morales tout opposées », un des auditeurs, Espagnol d'origine, fut frappé des métamorphoses rapides ainsi développées par lui dans la nature morale de ceux qui se soumettaient à ses expérimentations. Cet Espagnol vit, dans la reproduction de tels changements, une analogie avec le changement qui s'était opéré, de même, dans le caractère d'un individu de son pays poursuivi et condamné à mort pour des crimes atroces, ce qui ressortait d'un article d'un journal de Galice qu'il venait de recevoir d'Espagne. Il y était raconté que cet homme, nommé Manuel Blanco, sous l'influence de l'idée qui lui vint d'être ensorcelé, s'étant cru changé en loup, avait tué six personnes et avait dévoré même quelques parties du corps de chacune d'elles. C'était là véritablement un fou, qui l'était devenu sous l'influence des croyances populaires en la possibilité d'un tel changement de personnalité, dont le moyen âge a présenté de nombreux échantillons, sous le nom de loups-garous.

L'auditeur espagnol, ayant transmis son journal à M. Durand (de Gros), celui-ci, après avoir lu le compte-rendu du procès criminel, n'hésita pas à croire que l'affreux penchant que le condamné Blanco avait montre, était chez lui la conséquence d'une aberration mentale, née par auto-suggestion, dans des conditions physiologiques à peu près analogues à celles où il agissait suggestivement sur ses sujets d'expérimentations. Mêmes idées et mêmes actes absurdes chez Blanco et chez eux, et surtout même impuissance de la raison et de la volonté.

Le condamné Blanco, qui partageait avec beaucoup de ses compatriotes la croyance aux sorciers et aux loups-garous, n'avait pu se défendre, son entourage aidant, de l'idée qu'on

lui avait jeté un maléfice et qu'il était transformé en loup-ga-rou. Sa volonté avec sa raison avaient fait naufrage, et, complè- tement identifié avec le rôle de bête fauve : loup, il avait agi en loup. Pour le conférencier d'Alger, il s'agissait donc ici d'un aliéné monomaniaque que ses juges, mal éclairés par les médecins-juristes, avaient pris pour un imposteur; tandis qu'il n'était, par son organisation crédule, qu'une victime des préjugés populaires et, par suite, une victime de la justice mal informée.

Plein de cette conviction, M. Durand (de Gros) « écrivit au Ministre de la Justice d'Espagne, pour lui exposer son opinion à ce sujet, lui offrit de se rendre à ses frais jusqu'en Galice ou partout ailleurs, pour démontrer devant telle commission qu'il lui plairait nommera cet effet, que Blanco, en prétendant avoir contracté ses habitudes anthropophagiques sous l'influence de ce qu'il appelait un maléfice, pouvait bien être autre chose qu'un imposteur, contrairement à la décision des médecins chargés de vérifier l'existence de la monomanie alléguée pour sa défense. Et cette démonstration devait consister à développer sur des individus présentés à lui par les commissaires, tous les instincts de meurtre ou de cannibalisme, offerts par le prétendu coupable, et à leur communiquer en outre les conceptions délirantes et les hallucinations de lycanthropie, sous l'empire desquelles celui-ci affirmait avoir été poussé à la perpétration de ses crimes. »

Quand on connait la réserve timide et prudente des médecins à l'égard des vérités qui ne sont pas entrées dans le domaine de la science, proposer de rendre fou presque subitement des hommes sains d'intelligence et de volonté, dans le but de sauver un de leurs semblables, devenu criminel par suite certaine d'un même égarement insensé de l'esprit, ainsi que le fit alors M. Durand (de Gros) à peine âgé de 26 ans, devait être à tous les yeux la plus grande des témérités : il brûlait ses vaisseaux ! Pour moi, c'est de l'héroïsme.

Néanmoins, M. Durand (de Gros) eut la satisfaction inattendue d'apprendre que son offre d'expérimentation probatoire avait été agréée et qu'un décret de la reine, publié parla Gaceta de Madrid, ordonnait qu'il fut sursis à l'exécution de Blanco, pour que le condamné fût soumis à son examen. Comment, après une attente d'un mois et ses réclamations par l'intermédiaire du consul espagnol de Genève, pour se présenter devant la commission demandée, il ne lui fut plus soufflé mot de cette

affaire qui promettait un grand intérêt aux hommes de loi et aux médecins? Par quelle influence occulte et intéressée les choses en restèrent-elles là? Toujours est-il qu'il ne fut pas possible à M. Durand (de Gros) de démontrer la similitude qui existait : entre la formation de l'état de folie de Blanco, qui, par l'affirmation qu'il s'en était faite, s'était cru changé en bête comme Nabuchodonosor, et entre la formation de Pétat de fascination où tombaient ses sujets d'expérimentation, lesquels croyaient, quoique en un état encore physiologique, être transformés en tout ce qu'il leur affirmait. L'origine et la nature de l'aliénation mentale de Blanco, et par conséquent son innocence, ne purent être démontrées. .

Des phénomènes que M. Durand (de Gros) produisait par affirmation sur autrui, c'était leur mode de formation qui paraissait surtout alors une chose étrange et nouvelle ; mais ces phénomènes n'étaient pourtant pas sans précédents. On les avait connus de tout temps, sauf qu'on n'en avait jamais compris le mécanisme. C'est qu'au lieu de se développer sous l'influence de l'idée suggérée par une personne sur une autre, comme cela se passait démonstrativement au moment même avec M. Durand (de Gros), ils se formaient d'ordinaire sous l'action auto-suggestive et inconsciente du sujet pensant, sur lui-même.

Le lycanthrope Blanco et tous ses pareils qui, à travers les âges, se sont cru transformés en bêtes, étaient eux-mêmes, sans que qui que ce soit ni eux s'en doutassent, les propres artisans de leur obsession. Les livres des aliénistes fourmillent de faits de changement de personnalité, et ces faits, bien observés de nos jours, viennent, sous des rapports plus ou moins ressemblants, à l'appui de la présente démonstration. Pour ne parler que d'une seule forme de changement de ce genre, ne voit-on pas des hommes qui, à force de caresser des idées, des actions qu'ils admirent, se les rendent peu à peu personnelles et se les identifient au point qu'ils ne peuvent plus, par la réflexion et la volonté, s'en débarrasser.

Morel a donné autrefois, dans un de ses livres, le portrait gravé d'un fou que le tout Nancy d'alors a connu, qui, plein d'admiration pour ce qui appartenait à l'armée, finit par se croire général. C'était une sorte de Don Quichotte à peu près inoffensif, bel homme et chevaleresque, qui, avant d'être interné à l'asile de Maréville, s'était fait habiller en général de fantaisie et avait pris fort bien le ton, le port et les allures de

sa prétendue dignité. Il aurait pu tout aussi bien, dans un autre milieu, se croire loup-garou comme Blanco, et comme lui agir en loup.

Il m'a été donné d'observer un cas d'altération d'esprit ana-logue à celui qui a attiré l'attention de M. Durand (de Gros). Seulement ce changement de personnalité, au lieu d'avoir pris son origine dans une auto-suggestion, fut causé par affirmation verbale. Ce cas concerne une jeune fille de 9 à 10 ans, qui se croyait transformée en chienne. Cette fille ne différait du lycanthrope espagnol que par le genre de personnalité : elle était, à vrai dire, une cynanthrope ou chienne-garou. Je l'avais déjà mise en somnambulisme profond, quelques mois auparavant, pour des douleurs névralgiques greffées sur de l'anémie ; et à la suite de mes suggestions, elle avait éprouvé un grand mieux. Ramenée chez moi, de nouveau, par sa grand'-mère désolée des manifestations étranges que cette petite présentait depuis deux jours, je ne pensai rien faire de mieux que de la traiter encore par suggestion hypnotique. Elle fut guérie en deux séances. Elle s'était donc crue transformée en chienne; ainsi elle marchait à quatre pattes dans la maison, aboyait, se couchait devant les portes pour les garder et, quand quelqu'un entrait, se jetait sur lui pour le mordre. Toutefois, elle sortait de ce rôle dès qu'on l'interpellait : alors, elle répondait aux questions qu'on lui adressait et se laissait conduire par ses proches.

Cette sorte de folie, où l'intelligence et la volonté avaient en grande partie fait naufrage, folie que je rencontrai pour la première fois, a été signalée dans la science. J'ai souvenir d'avoir lu une relation de deux cas identiques extraite d'un journal médical allemand. Je me suis demandé bien des fois comment avait pu se former une si étrange aberration d'esprit. L'avenir enfin m'en dévoila le mystère.

Une seconde fois, la même personne qui m'avait amené cette fillette vint me consulter, mais confidentiellement, pour s'informer si je ne pourrais pas débarrasser son gendre d'une honteuse passion. Il se livrait à des rapports lascifs sur son enfant; mais craignant que les obscénités de ce père dénaturé ne fussent enfin dévoilées à la justice et pensant que, pour y mettre un terme, je pourrais peut-être, soit par des remèdes anaphrodisiaques à lui donnés à son insu, soit par mes procédés d'hypnotisation, assoupir ou éteindre sa coupable passion, elle venait me demander d'entreprendre sur cet homme un

traitement occulte. Je m'y refusai pour des raisons queje laisse à deviner.

Toujours est-il que, dès ce jour, je fus certain, et d'une des causes de l'anémie de la jeune fille que j'avais déjà traitée, et de la cause de la singulière folie qu'elle avait présentée ensuite. Et ce qui me donna une assurance nouvelle que je ne me trompais pas, c'est que ce satyre, peu de temps après, toujours de plus en plus enhardi, encouragé qu'il était par le silence de ses proches, se livra à son immonde passion sur une petite voisine qu'il avait attirée dans sa maison. Mais l'enfant ayant parlé à ses parents de ce qui lui était arrivé, ceux-ci dénoncèrent cet homme à la justice. On s'empara de lui : dans l'instruction il avoua tout, fut traduit en cour d'assise et condamné aux travaux forcés à perpétuité. Appelé comme témoin dans son affaire, à propos des causes des accidents maladifs de son enfant, moins que jamais je doutai que celle-ci n'eût reçu de son père l'affirmation qu'elle était une chienne et que, dans cette persuasion, elle n'avait pu faire autrement que d'agir en chienne.

A propos des deux histoires écœurantes ci-dessus : l'une, écho lointain d'un aspect de la constitution pathologique des sociétés du moyen âge; et l'autre, plaie de notre civilisation, je fais ici une pause, pour appeler l'attention du lecteur sûr la méthode dont se servait M. Durand (de Gros) pour s'emparer de l'esprit des personnes qui se soumettaient à son action. Elle se rattache à peu de chose près à celles de Faria et de Braid, pour l'Europe; et de Grimm, pour l'Amérique (1). Elle consiste à concentrer les yeux du sujet vers un objet, pendant qu'on affirme la production sur ce sujet d'un phénomène psychique ou organique quelconque, d'où il suit que, perdant tout son pouvoir de faire effort, par suite du dédoublement du travail de son esprit, ce sujet devenu plus ou moins sans volonté, reste à la merci des injonctions de l'hypnotiseur.

La manière d'opérer de Grimm est probablement antérieure à celle de Braid. Ce qui me porte à le croire, c'est que, il y a plus de trente ans, un élève de Schwilgué, M. E. Guérin, avec lequel j'ai eu des relations suivies, m'a raconté qu'à la Nouvelle-Orléans où il venait d'habiter vingt ans, il avait vu autrefois un électro-biologiste qui, sur des nègres, dans des séances

(1) V' Le merveilleux scientifique, p. 107 et suivantes. Paris: F. Alcau, 1894.

publiques, opérait par fascination, ainsi que l'ont fait plus tard Hansen et autres thaumaturges. Cet Américain, peu respectueux de la dignité d'hommes de ces nègres, affirmait d'un côté, aux uns, qu'ils étaient devenus chiens, chats et autres bêtes agressives, et, de l'autre côté, aux autres, qu'ils étaient devenus lapins, rats et autres bêtes inoffensives. Obsédés chacun de l'idée particulière qui leur était imposée par l'élec-tro-biologiste, ils subissaient entre eux la provocation de se battre devant les spectateurs, d'où des scènes étranges, grotesques, mais écœurantes pour quiconque n'a pas les préjugés du Yankee contre le nègre.

Il ressort, de la production de ces phénomènes paraissant alors extraordinaires, que, si Braid en a justement attribué la formation à une concentration de la pensée, M. le docteur Durand (de Gros) a le premier nettement compris (1) que ces phénomènes une fois engendrés, avaient pour effets d'être accompagnés d'une perte parfois absolue de la volonté, malgré même la révolte de l'esprit presque encore intact et réagissant avec rage.

II

Si, dans l'état de fascination, cette forme amoindrie du sommeil où Ton reste encore comme éveillé, on arrive parfois, malgré ses protestations, à priver un être intelligent du pouvoir de résister par la volonté aux incitations diverses qu'on lui fait, à plus forte raison dans le sommeil à son plus haut degré, ou au lieu d'être en rapport avec tout le monde, le sujet est isolé, inerte d'esprit, en monoïdéisme enfin et incapable de penser et de vouloir librement, ce qui est relativement rare; à plus forte raison, pendant le sommeil, l'endormeur acquiert-il sur son sujet un pouvoir absolu ; incapable alors de remuer des idées, de prendre des déterminations, de les exécuter de sa propre initiative, il reste entièrement à la merci de celui qui l'a endormi, sans pouvoir s'indigner même de ce qui est contraire à ses convictions et à ses principes moraux: il est forcément Cartouche ou Mandrin, si on le lui fait accroire; il en est de lui comme d'un morceau de cire qui garde toutes les empreintes qu'on lui donne, ou comme d'une bille sur un plan horizontal qui prend toutes les directions qu'on lui imprime.

. (1) V. Cours de Braîdisme. p. 117 : observation Laverdant. Paris : Gerraer-Baillière et (ils, 1860.

Mais, pour mieux me faire comprendre à propos de cette vérité que j'émets: que dans le sommeil le plus profond, il y a chez ceux qui y tombent, absence totale de volonté, absence, pour le dire en passant, qui s'étend du plus au moins par gradation descendante à ses formes inférieures et à ses états analogues, il est bon de faire bien connaître qu'il reste des rapports intimes : entre la veille, où l'homme pense et agit avec une liberté complète de toutes les fonctions psychiques et organiques, et le sommeil, où les mêmes fonctions de la pensée et du corps deviennent amoindries ou presque anéanties, par suite de, la concentration de l'attention sur cette cheville ouvrière du sommeil : l'idée fixe de reposer. Si, en principe, les phénomènes caractéristiques de ces deux états s'excluent l'un l'autre, en réalité ils se pénètrent réciproquement, à mesure que l'idée, dans laquelle on s'est concentré pour dormir et qui fixe le sommeil, perd de son ressort et se détend.

Et pour preuve de ce que j'avance, il apparait, de l'observation que l'on fait des caractères appartenant soit à la veille soit au sommeil, que, dans la veille, il survient des signes du sommeil: ainsi des hallucinations physiologiques ou morbides; ainsi des actes par entraînement que, tout réveillé, on exécute sans remords comme Gabrielle Bompart et la Feynarou ; ainsi des idées fixes que l'on garde consciemment, sans pouvoir s'en défaire et qui s'expriment, chez moi, par l'impossibilité d'avaler des aliments non triturés, même un pépin de raisin; ainsi, mille autres idées suggestives que l'on a reçues ou que l'on s'est faites de la veille au sommeil et que l'on garde. Dans le sommeil, à l'opposé, ils se produit des manifestations de la pensée ressemblant tellement à celles de la veille qu'on peut s'y méprendre : telles, s'il est profond, les rêves somnam-buliques pendant lesquels s'exécutent des mouvements commandés du corps, des opérations compliquées de l'esprit : calculs, poésies, compositions musicales, etc. ; telles, s'il est léger, une sorte de sensibilité générale qui monte la garde, surtout aux portes des sens externes, et veille sur l'être endormi pour l'avertir d'un danger, d'un travail mécanique qui s'arrête et voire même du temps écoulé, etc.

Entre ces états tout opposés, veille et sommeil, on constate donc une pénétration réciproque, un enchevêtrement de leurs fonctions. L'homme qui est parvenu dans le sommeil au plus haut degré et qui, par cela même, est nécessairement privé de

toutes communications avec son entourage, de toute initiative, et reste sans volonté, l'esprit immobilisé dans un monoï-déisme complet, celui-là va à son but, par auto-suggestion, ou par suggestion, comme la pierre qui tombe. Ce n'est que lorsque cet homme est rentré dans un sommeil de plus en plus léger, qu'il regagne peu à peu de son pouvoir volontaire et qu'il peut offrir, alors, aux hypnotiseurs inexpérimentés, des arguments de faits contre la possibilité des suggestions suivies d'effets criminels. Ne trouve pas qui veut un somnambule au plus haut degré de concentration d'esprit ; je n'en ai rencontré que 4 à 5 sur 100 parmi les sujets que j'ai soumis à l'hypnotisation, sujets par l'intermédiaire desquels on aurait pu sûrement faire commettre les crimes les plus épouvantables et que l'on n'exécute que dans certains états de folie.

Quant à ne parler que du sommeil ordinaire, il y a déjà des preuves à l'appui qu'on peut, la volonté faisant défaut, par la suggestion qu'on s'en fait automatiquement, accomplir des actions criminelles pendant son cours et même après, par répercussion. Dans mon livre : Du Sommeil, j'ai relaté, d'après Charpignon, des faits qui démontrent que, pendant ce sommeil, s'il est surtout profond, l'homme jouit de si peu de liberté qu'il lui est impossible de résister même aux impulsions de tuer qui surgissent dans son esprit. Ce médecin hors ligne a rapporté autrefois, dans une brochure concernant la médecine légale du sommeil, pour ne citer que les meurtres, que, sur 9 cas de tentatives de ce genre de crimes conçus et effectués sur autrui pendant cet état, il y en eut 2 sans résultats; 2 suivis de blessures graves, et 5 suivis de blessures mortelles. Dans 3 cas la justice intervint; il y eut 2 acquittements et une ordonnance de non-lieu. Ces crimes commis par des dormeurs, dans leur sommeil ordinaire, à la suite d'une auto-suggestion venant d'eux-mêmes insciemment, n'auraient-ils pu être accomplis aussi sur d'autres personnes par suite de suggestions faites par quelqu'un sur ces mêmes dormeurs mis dans le sommeil provoqué? Que peut répondre à cela M. le Pr Delbœuf qui admet* l'analogie du rêve naturel et du rêve provoqué? »(')

On trouve même dans les auteurs, que, dans le nombre des dormeurs ordinaires, il en est dont les pensées du rêve aboutissent à une action criminelle post-hypnotiques ; mais surtout on en rencontre dont les rêves renforcent les conceptions cou-

(I) V L'hypnose et lessugg estions criminelles, p. 32.

pables nées dans leur esprit, pendant les journées et les nuits qui ont précédé l'accomplissement du crime.

Les visions, les voix, les impressions tactiles, etc., des hallucinés, ces sensations vives et remémorées, qu'ils éprouvent même aussi pendant ,1a veille, les entraînent pendant le sommeil à des actes post-hypnotiques en corrélation avec ces erreurs des sens, malgré que leur intelligence proteste souvent. J'ai déjà rapporté, dans mon livre : Du Sommeil, d'après Brière de Boismont, le récit qu'il a fait (1) d'une veuve Schoulqui, durant trois nuits consécutives, ayant entendu une voix qui lui criait : « Tue ta fille », finit, après beaucoup de résistance de sa part, par céder à cet ordre, et, dans son automatisme, immola son enfant.

J'ai eu pour client, entre autres hallucinés, un ancien soldat d'Algérie, ayant servi quatorze ans, et par conséquent ayant longtemps obéi passivement, qui même éveillé, entendait une voix qui lui donnait des ordres. Un jour, sortant presque de me consulter, à cause de son importunité incessante alors, il lui arriva, dans la nuit qui suivit, d'entendre cette voix lui crier : « Lève-toi et marche »,et de parcourir malgré lui, à peine vêtu et par une pluie battante, une route récemment empierrée et partout rocailleuse. Ce ne fut qu'à 20 kilomètres de Nancy, lorsqu'il était déjà harassé de fatigue, que cette même voix lui dit enfin : « Retourne.» J'appris, deux ans après, que cet ancien soldat qui s'était montré brave et dont j'avais quelque peu calmé l'obsession par mes procédés de suggestion hypnotique, venait d'être condamné en police correctionnelle pour vol de bois. Ce délit ne fut-il pas dù à des injonctions venant de la voix qu'il entendait souvent?

C'est principalement lorsque les rêves hallucinatoires prennent leur germe dans un cerveau fanatisé, qu'ils aboutissent à des conceptions criminelles hardies. Dans un travail intéressant sur les hallucinations oniriques, M. le docteur Régis (2) cite un passage extrait du Journal de Henri III, par Palmaget, où il est raconté que Jacques Clément, quelques jours avant de commettre son crime, vit venir près de son lit un ange que Dieu lui-envoyait en vision. Cet ange lut apparut entouré d'une grande lumière, et lui présentant un glaive, lui dit : «Frère Jacques, je suis le messager de Dieu tout-puissant et je

(1) Vr Traité des hallucinations p. 271.

(2) Vr Tnbmie médicale, n° 8, année 1895, p. 152.

viens t'accerteuer que par toi le tyran de France doit être mis à mort. » On sait ce que fît frère Jacques.

Dans le même travail, on trouve aussi, d'après les Témoignages historiques de Desmarets, que Frédéric Staaps, qui voulut tuer Napoléon Ier à Schœnbrunn, écrivit à son père un peu avant : « Encore cette nuit Dieu m'est apparu. Il avait une ligure semblable à la lune. Sa voix m'a dit : Marche en avant, tu réussiras dans ton entreprise ; mais, tu y périras.» Et obéissant à cette voix impérieuse, il marcha en avant.

Sans doute que Jacques Clément et Frédéric Staaps considéraient depuis longtemps l'assassinat politique comme une œuvre méritoire; sans doute qu'ils s'étaient nourris des opinions hostiles qui faisaient atmosphère autour d'eux ; mais on ne peut contester que les hallucinations mystiques, survenues automatiquement dans leur sommeil et auxquelles ils croyaient de toute leur âme, tant elles paraissaient être la réalité, n'ayent été d'un grand poids dans leur détermination homicide. Je m'en suis convaincu, bien des fois, chez des sujets mis au plus haut degré du sommeil : chez eux, il n'y a plus de désillusions produites par des sensations vraies de la veille se mêlant avec les créations peu imagées du rêve et venant les détruire. L'hallucination d'une chose et la réalité de cette chose sont pour eux semblables et équivalentes; ils croyent à la réalité des deux, sans plus en faire la diffé-rence : aussi, quand l'hallucination, cette expression de la pensée fixe mise dans leur esprit, est si exclusivement rendue, elle entraine fortement la volonté et peut-être aussi bien, si ce n'est mieux, que ne le ferait l'objet lui-même. (1)

(1) A l'appui de cette opinion, M. Liégeois et moi avons été témoins, entre aulres, d'un fait qui semblerait prouver à lui seul, que, dans certains cas, l'hallucination est plus vivement représentée que l'objet réel n'est perçu au moment même. Par exemple, M. Liégeois ayant suggéré a un dormeur de lui donner sa montre, puis lui ayant fait croire qu'au Heu d'une montre il y en avait deux dans les mains de l'expérimentateur, le somnambule invité à choisir entre les deux, reprit comme étant sa propriété la montre imaginaire.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 19 novembre 1891. — Présidence de m. Dumontpaluer

La correspondance écrite comprend des lettres de MM. Bourdon, de Méru, Hamilton Osgood, de Boston.

La correspondance imprimée comprend les journaux et bulletins des sociétés correspondantes. MM. les Drs Van Eeden et Van Renterghem, membres de la Société, adressent un de leurs ouvrages ayant pour titre : Psychothérapie. Un compte rendu en sera donné à la Société.

M. le président met aux voix les candidatures de MM. le docteur Spehl, professeur à l'université de Bruxelles; A. Bertrand, professeur de philosophie à la faculté des lettres de Lyon ; Casimir de Krauz, professeur; Castan, ancien chef de laboratoire à la faculté de Montpellier; docteur de Mézcray. Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.

Quatre cas d'eczéma et un de dermatite traités par suggestion

Par M. le Dr Hauilton Osgood, de Boston (Etats-Unis).

En octobre 1893, un garçon de 11 ans me fut amené par sa mère qui espérait que, par la suggestion, on ferait cesser une démangeaison intolérable dont souffrait l'enfant, démangeaison qui non seulement le privait de tout sommeil régulier, mais obligeait la mère à lui faire des lotions sur le corps plusieurs fois par nuit.

Pendant longtemps, on lui avait pendant la nuit mis des gants très épais à fin de l'empêcher de se gratter. L'état de l'enfant était pitoyable, et la nécessité de se lever fréquemment la nuit avait beaucoup fatigué la mère.

La cause de cet état était un eczéma apparu pour la première fois lorsque l'enfant était âgé de dix-huit mois, et qu'il avait conservé, en dépit des nombreux remèdes prescrits par des dermatologistes habiles et expérimentés, jusqu'au moment où il fut traité par la suggestion.

En m'amenant l'enfant, la mère espérait que la suggestion ferait cesser la démangeaison ; mais elle comptait continuer les remèdes ordonnés par le spécialiste qui soignait alors le malade.

L'eczéma s'étendait largement au-dessous de l'ombilic et descendait le long des jambes jusqu'aux pieds.

Les avant-bras était tout couverts de croûtes et de plaies. Sur le dos des poignets, se trouvaient de profondes crevasses dont le fond était enflammé. Dans les creux poplités existaient depuis longtemps des plaies d'une très grande étendue. Ces plaies et les crevasses des poignets

avaient défié touttraitement pendant plusieurs années. L'enfant était d'un tempérament inquiet et nerveux,facilement contrarié,impatient,irascible.

Dès la première séance, , il entra dans le premier stade de la somnolence (classification de Bernheim). Je ne le retins que cinq minutes dans cet état, et aux séances suivantes, je ne prolongeai pas la durée de la somnolence.

Le patient était quelque peu agité pendant les suggestions. Ses mains et ses pieds remuaient fréquemment.

Je lui fis les suggestions suivantes: la peau sera parfaitement calme, toute démangeaison cessera, l'enfant dormira toute la nuit sans appeler sa mère une seule fois. La peau du corps entier deviendra si vigoureuse que tout signe d'eczéma disparaîtra.

Les dermalologistes avaient, pendant deux ans, défendu à l'enfant de se baigner et même de se mouiller la peau avec de l'eau.

Je lui suggérai qu'il pouvait impunément prendre des bains fréquents, et se laver les mains librement.

Le jour suivant, la démangeaison avait cesse, et le malade avait dormi toute la nuit les mains non enveloppées.

On fit les suggestions tous les jours pendant la première semaine, puis trois fois par semaine, et finalement une fois par semaine. Elles durèrent, en tout, trois mois.

Quinze jours après la première suggestion, la présence générale de l'eczéma avait disparu. Les plaies invétérées des creux poplités et les profondes crevasses des poignets diminuaient rapidement.

Des bains étaient pris souvent. Aux poignets on appliquait de l'oxyde de zinc pulvérisé.

Voici le résultat : au bout d'un mois, la peau du corps entier était saine, douce, libre de toute irritation. Le sommeil était bon et l'enfant put retourner à l'école, ce qu'il n'avait pu faire depuis longtemps.

Dès le commencement du traitement par suggestion, tous les remèdes ordonnés par les dermalologistes furent laissés de côté, et l'enfant mis complètement entre mes mains.

La mère m'avait dit que son fils était incapable d'épeler correctement et me demanda si je pouvais l'aider.

La séance suivante, je suggérai à l'enfant que, lorsqu'il étudierait sa leçon, chaque mot se graverait si profondément dans sa mémoire que. lorsqu'on lui demanderait d'épeler un mot, il en verrait distinctement chaque lettre.

Peu après, sa mère me ditque son fils avait fait des progrès si remarquables,qu'on lui avait donné de si bonnes notes, que jamais auparavant il n'en avait obtenu de pareilles.

Quelques mois plus tard, le malade me fut amené avec un eczéma aigu, sur les bras, eczéma dont l'apparition avait suivi immédiatement un coup que l'enfant avait reçu en jouant à la balle. Cette attaque d'eczéma fut complètement guérie par quelques suggestions répétées à divers intervalles.

Quelques mois plus tard, le malade avait contracté un eczéma sur les hanches et sur une partie des pieds, qu'il se frottait l'un contre l'autre pendant la nuit. Cette attaque aussi céda au traitement suggestif au bout de peu de temps.

La dernière fois que j'ai eu de ses nouvelles, il était complètement débarrassé de son eczéma, il jouait avec entrain et transpirait sans inconvénient.

Pendant-l'hiver, il fut souvent mouillé en jouant dans la neige, mais son eczéma ne réapparut plus. Selon moi, cet eczéma était dû en grande partie à une excessive irritabilité nerveuse.

2e Cas. — Une dame âgée de 68 ans demande quelque soulagement à un eczéma du cuir chevelu des mains et des pieds qui dure depuis huit ans.

La démangeaison du cuir chevelu l'empêchait, non seulement de dormir, mais travaillait même son état mental.

L'eczéma du cuir chevelu était dû au grattage de boutons qui apparaissaient fréquemment et lui causaient une démangeaison intolérable. La forme écailleuse de l'affection était confinée aux mains et aux pieds.

Les dermatologistes avaient abandonné la malade, et elle était venue me trouver, désespérée.

Elle ne dépassa jamais le premier état de somnolence, mais dès la première suggestion, la démangeaison cessa complètement, les éruptions du cuir chevelu cessèrent, le sommeil devint profond et la malade ne s'éveilla pas une seule fois durant la nuit qui suivit la première visite. Je la traitais trois fois par semaine. Après quatre séances, l'état des mains s'était tellement amélioré que je crus pouvoir assurer à la malade qu'elle serait bientôt complètement guérie.

Pendant ce temps, l'état d'esprit s'améliorait, elle était moins déprimée, et se sentait plus heureuse qu'elle ne l'avait été depuis longtemps.

Ce qui la ranimait spécialement, c'était le bienfaisant sommeil de la nuit.

Je la traitai en tout dix-huit fois, mais deux semaines, au moins, avant qu'elle cessât ses visites, tout signe d'eczéma avait disparu et l'état général de la malade semblait normal.

Avant de me quitter, la malade me dit: Je suis venue vers vous souffrant d'un eczéma du cuir chevelu, des mains et des pieds, j'étais sans sommeil et complètement déprimée. Je suis maintenant parfaitement bien sous tous les rapports. Pendant que vous me soigniez, je n'ai jamais été assoupie, du moins je n'en ai pas eu conscience. Dites-moi comment vous avez changé ma condition ?

Je lui expliquai la différence entre la somnolence et la suggestion et j'ajoutai qu'elle était si suggestible, que mes suggestions, de simples « impressions mentales » qu'elles étaient, étaient converties en une autre forme d'impressions, lesquelles avaient un certain pouvoir sur son système nerveux. Sa peau bénéficiait du changement dans la mesure nécessaire pour soulager son eczéma.

Si l'on considère la somnolence si légère de la malade, la force et la durée de ses souffrances, ce cas montre d'une manière frappante, l'efficacité de la suggestion.

J'ajouterai que cette malade n'est pas la seule qui ait été guérie par moi, tout en ayant gardé toujours pleine conscience d'elle-même. Beaucoup ont été dans le môme cas, et m'en ont exprimé leur surprise.

La plupart des patients sont désappointés quand ils ne tombent pas dans un sommeil profond, mais, d'après mes observations, seulement deux sur dix sujets vont au delà du 4e stade de la classification de Dernheim. Ceci me porte à croire que les Américains sont moins dociles à la suggestion de sommeil que ne le sont les français.

3* Cas.—Jeune femme, 28 ans. Eczéma rubrum partialis, affectant spécialement le cuir chevelu, le visage, les mains et les pieds. Visage très .coloré, démangeaison intense du cuir chevelu; les mains, spécialement la paume, épaissies de manière à faire croire à l'éléphantiasis. La maladie dure depuis quatre ans. On a essayé en vain de nombreux remèdes.

La malade a atteint le troisième degré de la somnolence. Elle est venue trois fois par semaine, en tout 47 fois. Après la première séance, elle commence à dormir la nuit. Le cuir chevelu s'améliore graduellement et la face devient moins rouge. Prescriptions d'huile de coco pour les mains. Peu à peu, les poussées d'eczéma deviennent moins fréquentes ; la démangeaison cesse.

L'eczéma des mains et des pieds disparait, ainsi que les profondes crevasses des paumes des mains, qui perdent leur raideur et dont la malade peut alors se servir.

4' Cas. — Homme de 60 ans. Présente un eczéma rubrum très prononcé, avec très grande décharge séreuse, et par la suite, formation d'une telle quantité de croûtes, que le malade m'assurait en avoir rassemblé, à une certaine période, un baril et quart.

Avant de me consulter, il avait été soigné par quatre-vingt-quatorze médecins sans obtenir aucun soulagement; ses souffrances étaient si terribles qu'il préférait la mort.

Le cuir chevelu, le visage et le cou, étaient les parties dont le malade souffrait le plus.

Ses attaques consistaient en décharges soudaines de grandes quantités d'un liquide « ichoreux » suivie de la formation de croûtes en masse.

A ces époques, les souffrances et les démangeaisons étaient intolérables. Il ne semblait pas qu'il y eut beaucoup à espérer dans un cas pareil. L'affection durait depuis au moins quarante ans.

Le malade, au deuxième degré de somnolence. De fortes suggestions lui furent faites trois fois par semaine, pendant cinq mois.

Pendant ce temps, le malade eut plusieurs accès ; mais à des intervalles de plus en plus éloignés et d'un caractère plus bénin.

Le malade m'assura que pendant un grand nombre d'années il n'avait pas joui d'un état aussi bon que celui dont il jouissait dans l'intervalle de ses crises relativement bénignes.

Il était capable de vaquer à ses affaires plus aisément et d'une manière plus suivie qu'il ne l'avait pu faire jusque là.

Le 5' Cas est simplement une dermatite causée par un vent froid et sanglant, qui avait légèrement gelé les joues de la patiente.

Quand elle me demanda mon avis, je l'envoyai à un dermatologiste.

Au bout de quatre semaines, elle me revint disant qu'elle avait suivi fidèlement les conseils du spécialiste, qu'elle avait appliqué ses remèdes avec constance. Mais non seulement elle n'était pas guérie, mais la der. matite s'était étendue et l'inflammation s'était aggravée à tel point qu'elle en avait perdu le sommeil.

Je l'amenai au deuxième degré de somnolence et lui suggérai que la dermatite cesserait immédiatement, que les lymphatiques des joues mettraient plus de zèle à remplir leur fonction, que la peau deviendrait tranquille et que la circulation se ferait mieux.

Après quatre séances, le visage était complètement normal.

En vérité, la guérison fut si rapide qu'elle étonna la malade aussi bien que moi.

Durant l'hiver suivant, les vents froids causaient un léger retour de l'affection. Quelques suggestions guérirent la malade comme la première fois.

Epilepsie Jacksonienne traitée par la suggestion

Par le docteur Auguste Voisin, médecin à la Salpetrière

Epilepsie Jacksonienne datant de la première enfance. — Hémiplégie a droite.— débilité intellectuelle.— mauvais instincts. — traitement par la suggestion hypnotique. — DIX jours de sommeil Par

mois. — Suppression a peu prés complète des attaques. — Guérison des troubles moraux.

La nommée M., âgée de 19 ans, est entrée dans mon service le 12 juin 1893.

Les renseignements héréditaires recueillis sur cette malade apprennent que sa mère a été atteinte d'attaques de nerfs, que son père se livrait à la boisson.

A cinq ans, à la suite, nous dit-on, d'une frayeur, elle a été atteinte de convulsions qui ont duré plusieurs jours. Elle eut à la suite du délire et une" hémiplégie droite qui intéressait la face et la langue. L'hémiplégie a peu à peu diminué, mais il en reste quelque chose.

A-dix ans, elle a été prise de nouvelles attaques qui ont continué jusqu'à ces jours-ci au nombre de 15 à 20 par mois. Elle est devenue, en outre, extravagante et elle a commis des actes méchants; elle s'est livrée à des violences sur les personnes, sur le mobilier; elle cassait les vitres, pénétrait dans les jardins où elle volait des fleurs et des fruits. Elle s'est sauvée de la maison paternelle et allait se cacher dans les champs et dans les bois. Ses parents l'ont placée par mesure de correction à la maison de Saint-Michel, mais on n'en a rien obtenu tant à cause de son indiscipline qu'à cause de ses violences et de ses attaques.

Ces dans ces conditions qu'elle est amenée à notre consultation à la Salpétrière.

A son entrée dans notre service, nous constatons : léger strabisme interne de l'œil droit ; rétrécissement du champ visuel de cet œil en bas et en dedans. Déviation de pointe de la langue, à droite monoplégie incomplète dans le membre supérieur droit. Le dynamomètre marque à droite 0 kilos et à gauche 28. Circonférence du bras droit à 3 cent, au dessus du pli du coude : 24 cent. ; au bras gauche 26.

Circonférence de la jambe gauche au mollet, 32 cent. ; à la jambe droite 31 cent.

Contractilité et sensibilité électrique : membre supérieur droit : sensibilité nulle ; contractilité normale.

Membre supérieur gauche: sensibilité et contractilité normales.

Au membre inférieur droit, sensibilité nulle; contractilité très faible.

Membre inférieur gauche, sensibilité et contractilité faibles.

L'expérience avec l'épingle montre qu'il existe de l'anesthésie dans les membres droits.

Le chatouillement n'est pas senti à la plante du pied droit.

La parole est nette, la mémoire est à peu près normale; l'intelligence est au-dessous de la moyenne.

Pendant les premiers temps de son séjour dans mon service, elle a été prise une quinzaine de fois par mois d'attaques ayant le caractère suivant : Perte de connaissance, chute à terre, tremblements, mouvements convulsifs saccadés surtout dans les membres droits, dans le début, s'étendant aux autres membres.

Par intervalles, convulsions toniques. Pas de morsure de la langue. Laideur de la face. Durée ordinaire de l'attaque : dix à vingt minutes.

Au sortir de l'attaque, elle ne reconnaît pas le plus souvent les personnes qui l'entourent et même quand on lui parle on l'entend dire : « Je ne vous connais pas. »

Interrogée par moi pour quelle raison elle faisait le mal, elle se livrait à des violences, à des bris d'objets, elle se sauvait de la maison paternelle et elle volait, elle répond qu'elle ne sait pas pourquoi et qu'elle n'éprouvait aucune satisfaction à faire le mal.

Pendant les deux premiers mois de son séjour dans mon service, je lui ai administré du bromure de potassium à la dose de 4 à 6 gr. par 24 heures, puis de l'extrait de valériane à haute dose, du borate de soude sans aucun résultat.

Je pensai alors à employer le traitement par la suggestion hypnotique et à l'époque de ses règles où les attaques survenaient toujours infailliblement.

Nous l'avons fait placer sur un lit ayant au-dessus de ses yeux une boule brillante, et il lui a été dit qu'en regardant cette boule elle arriverait à dormir. Après trois essais à un jour d'intervalle, la malade a été hypnotisée. J'ai alors commencé les suggestions consistant à lui dire qu'elle n'aurait plus d'attaques. Le résultat a été rapidement obtenu

par des séances distantes de deux à trois jours pour les attaques qui survenaient en dehors des époques menstruelles. (La durée de chaque sommeil était d'une demi-heure).

Mais les attaques persistant pendant les périodes menstruelles au nombre de trois à six pendant trois ou quatre jours, je la laissai dormir pendant toute la durée des périodes menstruelles : deux ou trois jours avant, deux à trois jours après ; au total huit à dix jours, et je lui faisais des suggestions chaque matin. (1)

Le résultat est jusqu'à ce moment très satisfaisant. Elle n'a plus que une ou deux attaques maximum pendant les périodes de règles, et même il lui est arrivé à trois reprises, ainsi cette fois, de ne pas en avoir une seule.

De plus, son caractère est devenu aimable, elle ne se livre plus à aucune violence, elle est sortie plusieurs jours de suite chez ses parents sans qu'on eût rien à lui reprocher ; j'ai donc lieu d'espérer que la continuation du traitement amènera la guérison parfaite.

En résumé: En dehors de l'intérêt que présente l'influence de la suggestion hypnotique et d'un sommeil provoqué durant huit à dix jours de suite, il est intéressant de voir que ce traitement exerce une influence incontestable sur un cas d'épilepsie Jacksonienne accompagnée de troubles très nets dans la sensibilité et dans la motilité d'un côté du corps liés à une région cérébrale, alors surtout que l'on a dénié au traitement hypnotique la propriété d'agir en aucune façon sur l'épilepsie.

De plus, il a été très satisfaisant de faire disparaître par cette méthode le3 mauvais instincts et les défautsdu caractère de cette jeune fille.

Action psycho-mécanique associée à la suggestion. — Création d'un centre d'arrêt

Par M. le docteur Edgar Bérillon

Un des chapitres les plus intéressants est assurément celui des artifices par lesquels on arrive à renforcer l'action de la suggestion. Le cas suivant dans lequel l'artifice consistait en une action psycho-mécanique suffirait à le prouver.

M. T..., âgé de 56 ans, est atteint depuis son enfance de l'habitude de se ronger les ongles. Malgré tous les efforts tentés, il n'est jamais parvenu à se débarrasser de son onychophagie. On pourrait croire, en présence d'une habitude automatique si invétérée, que l'état mental de celui qui en est atteint doit présenter d'autres manifestations du même ordre. Il n'en est rien. M. T... n'est ni joueur, ni fumeur, ni impulsif. C'est un homme calme, ayant supporté avec assez de fermeté et de courage les difficultés d'une existence assez laborieuse. Il se sent capable de résister aux entraînements les plus divers; seule l'habitude de se ronger les ongles échappe à l'empire de sa volonté. Je lui demande de

(1) La malade n'a pas cessé pendant ces jours de sommeil de prendre ses repas et de faire ses besoins.

m'expliquer le mécanisme de son habitude : « Je sais, dit-il, que cette habitude m'est très nuisible et je lui attribue une série de troubles gastro-intestinaux ; je crois également qu'elle a pu contribuer à aggraver diverses affections pulmonaires dont j'ai été atteint; c'est dire que j'ai le plus ardent désir de me guérir. Je n'ai rien négligé pour cela. J'ai consulté les manicures les plus célèbres ; j'ai suivi leurs conseils. L'habitude a persisté malgré ma vigilance et mes efforts. Je ne puis regarder mes ongles rongés sans éprouver un sentiment de malaise et d'humiliation. Il faut croire que mes ongles sont insensibles, car je les ronge sans en avoir conscience. Lorsque je m'aperçois que mes mains sont dans ma bouche, il est trop tard, le mal est fait. »

I! fut convenu de suite que le malade se soumettrait au traitement psychothérapique. Mais, ayant noté chez lui une certaine inquiétude à l'idée d'être hypnotisé, je lui proposai de le traiter par la suggestion à l'état de veille, ce qu'il accepta avec empressement.

Craignant que l'impression mentale fût insuffisante, j'eus l'idée de renforcer la suggestion par un procédé mécanique dont j'avais eu à maintes reprises l'occasion de vérifier l'efficacité chez des enfants atteints d'onanisme, de choree, de tics ou d'onychophagie. Voici le procédé dans toute sa simplicité : Le malade étant assis sur un fauteuil, les deux avant-bras reposant sur les appuis du siège, je saisis la main et le poignet du sujet et je les maintiens solidement. Je m'adresse alors au malade et lui dis : « Essayez donc de porter votre main à votre bouche et de vous ronger les ongles. — Vous voyez que vous ne le pouvez pas. — La pression que j'exerce sur votre main est un obstacle que vous ne pouvez vaincre. — Eh bien, lorsque les circonstances dans lesquelles l'habitude se renouvelle surviendront, vous éprouverez en la main la même sensation de pression que vous ressentez en ce moment. Votre bras vous paraîtra lourd à soulever. Celte fois, la résistance sera créée non par ma main, mais par votre propre cerveau dans lequel je crée un cran d'arrêt. La force à dépenser pour vaincre ce cran d'arrêt vous donnera le temps de vous ressaisir, d'avoir conscience du mouvement que vous alliez exécuter et de faire intervenir votre propre volonté. » Je répète cet exercice à plusieurs reprises, pour l'une et l'autre main, et la séance est terminée.

Trois jours après, je recevais la visite de M. T... Il n'avait pas porté ses doigls une seule fois à sa bouche. Chaque fois que sa main s'était soulevée automatiquement, il avait nettement ressenti dans l'avant-bras une sensation de pesanteur qui avait contrarié le mouvement. Cette sensation de pression était telle qu'il éprouvait dans le bras un réel engourdissement, à tel point qu'il aurait eu quelque peine à en triompher. Il revenait afin qu'on renforçât cette résistance qui avait paru diminuer le troisième jour. Une seconde séance de suggestion, analogue à la première, eut lieu. Il ne fut pas nécessaire de renouveler le traitement. Six semaines après, les ongles de M. T... étaient admirablement repoussés et il est convaincu que la guérison de l'habitude est définitive.

Depuis lors, j'ai appliqué la même action mécanique, renforçant la suggestion à l'état de veille, avec un égal succès dans quatre cas d'ony-chophagie.

Je laisserai aux psychologues le soin d'interpréter le mécanisme par lequel se crée !e centre d'arrêt qui permet au malade de trouver pour sa volonté un point d'appui suffisant. Je me borne à présenter à la Société un fait très caractéristique, me réservant de lui soumettre prochainement un travail d'ensemble sur le même sujet.

Séance du 17 décembre 1895. — Présidence de M. Duwontpallier.

La correspondance écrite comprend une lettre de M. Auguste Voisin, qui. membre du jury de l'internat des asiles de la Seine, s'excuse de ne pouvoir assister à la séance.

La correspondance imprimée comprend les publications habituelles et un volume de M. G. Dumas, ayant pour titre : Les états psychiques dans la mélancolie. _

Le pouvoir d'arrêt. — A propos d'onychophagie.

Par M. Albert Colas.

Notre secrétaire général a, lors de notre précédente réunion, donné communication d'une expérience psychologique qui mérite, à plus d'un titre, de retenir notre attention.

Il s'agit d'un homme âgé atteint d'onychophagie à qui le docteur Bé-rillon suggère, à I'étatde veillle, de ne plus se ronger les ongles. — Il n'y a là rien d'extraordinaire : c'est la suggestion simple pratiquée tous les jours avec plein succès. Mais, la suggestion a été complétée d'un moyen mécanique qui, à mon sens, a une grande importance.

J'ai dit qu'il s'agissait d'une expérience psychologique ; mais n'est-ce pas le caractère spécial de cette science si nouvelle et déjà si féconde qui fait l'objet de nos études? L'hypnologie n'est-elle pas le plus merveilleux instrument d'analyse psychologique? C'est précisément ce que cette communication a pour but de démontrer.

Voici l'expérience :

Le docteur Bérillon prend la main et le poignet du patient et les retient solidement en disant: Essayez donc de vous ronger les ongles? — Vous voyez que vous ne pouvez pas. — Je retiens trop solidement votre bras ; — vous n'êtes plus libre de porter votre main à votre bouche. — Eh bien! chaque fois que l'idée vous viendra de vous ronger les ongles, vous penserez à cette force qui vous empêche d'accomplir l'acte et ainsi vous ne l'accomplirez pas, vous serez guéri. — Et il fut guéri.

L'ordre des phases successives de cette expérience si simple, démontre que notre collègue possède, au plus haut point, en même temps que les éminentes qualités du suggestionneur que nous lui-connaissons tous, les qualités plus spéciales et aussi rares du psychologue sans lesquelles il n'y a pas de bon psycho-thérapeute.

Quel est donc l'état psychique du sujet dans les conditions spéciales qui nous occupent?

Il semble se bien porter, il n'a aucune tare héréditaire, tout dans sa manière d'être et sa conduite est normal, à l'exception de son onycho-phagie. 11 sait que c'est fort mal de se ronger les ongles ; mais c'est plus fort que lui, il ne peut pas faire autrement.

Il est, semble-t-il, pour ce cas seulement, — car partout ailleurs il a une volonté saine et forte, — livré au pouvoir dynamique de ses réflexes.Et cependant il a conscience de son état puisqu'il sait, et quand l'idée vient, il a conscience de ne posséder aucun moyen pour empêcher l'acte de s'accomplir.

Ces constatations faites, revenons à l'expérience. Qu'arrive-t-il au moment où le docteur dit : Essayez donc de vous ronger les ongles ? II y a mouvement pour exécuter l'acte, la volition se développe ; mais, la résistance opposée par le docteur et son affirmation : Vous voyez que vous ne pouvez pas — rendent évidente l'impossibilité d'activer cette volition. — L'empêchement, l'arrêt qui s'est interposé entre le vouloir et l'acte ont été mis violemment en relief et l'image associée à cet arrêt, à cet empêchement a dû se graver profondément dans la mémoire.

Ensuite, qu'advient-il? Notre docteur psychologue s'est aisément rendu compte de ce qui venait de se passer et il fixe l'image en répétant : Chaque fois que l'idée vous viendra de vous ronger les ongles, vous penserez à cette force qui vous empêche d'accomplir l'acte, et vous ne l'accomplirez pas.

En effet, quand après cela l'idée vient, c'est un mouvement commencé qui suit la voie que l'on vient de tracer et qui se heurte à l'image qui a fixé la puissance d'arrêt où le mouvement vient se perdre. — Il y a là répétition exacte de l'action suggérée, l'acte ne s'accomplit pas.

A s'en tenir aux faits, on dirait dans le langage courant : le patient n'avait plus de volonté, la suggestion du docteur la lui a rendue.

Ce n'est pas tout à fait cela, car le patient n'était pas dans l'état d'aboulie. — Cette expérience mérite, on le voit, d'être interprétée.

Le patient avait certainement une volonté, il avait même, comme nous le verrons tout à l'heure, deux volontés, l'une positive, l'autre négative; mais non simultanées, ce qui est impossible, car il ne pouvait, en même temps, vouloir ne pas faire et concevoir l'impossibilité où il était de résister.

Quel est donc le caractère dominant de l'expérience? le fait qui en est la caractéristique? N'est-ce pas la création, la détermination devrais-je dire, du fait du suggestionneur d'un pouvoir d'arrêt spécial approprié à un cas spécial, d'un pouvoir d'arrêt positif qui vient se substituer à un arrêt négatif.

Nous ne savons pas si la suggestion simple aurait suffi à rétablir ce pouvoir, comme c'est le cas, le plus souvent pour les actions anormales qui ne sont pas suffisamment intégrées. Mais, le moyen mécanique, cela est évident, est venu très efficacement s'ajouter à la suggestion; car il

était un arrêt physique vivant toujours supérieur à une simple représentation. — Plus tard la représentation a suffi pour déterminer ce môme pouvoir.

C'est précisément ce pouvoir d'arrêt qui caractérise l'acte volontaire, c'est lui qui constitue les mouvements volontaires. — Chaque fois qu'il manque, l'action réflexe suffit à l'explication, il n'y a pas de volonté, il n'y a pas d'attention consciente.

Si nous le cherchons dans son évolution, sa nécessité apparaît aussitôt que l'action réflexe se différencie. Prenons une excitation quelconque, elle parcourt nécessairement un chemin de moindre résistance et cela seul suppose des arrêts plus ou moins prolongés, des résistances vaincues ou évitées que nous ne nous représentons pas sans impression ; c'est le phénomème de la mémoire — Ces arrêts sont évidemment déterminés par des contacts qui nous échappent dans leurs éléments et dans leur complexité; mais qui marquent des stades dans le chemin que parcourt toute excitation. — 11 en résulte des différences d'impressions perçues : c'est l'état conscient. Etat fugace le plus souvent, car il constate une situation qui n'a quelquefois pas de durée appréciable; mais, ce sont ces états de conscience fugaces qui forment le fond de notre personnalité psychique sur lequel s'édifie l'état de conscience intensif et prépondérant qui accompagne tout acte volontaire.

Tous ces petits états de conscience font mieux comprendre encore la nécessité d'une grande somme d'inconscience ; car la conscience constante et adéquate à tous les mouvements ou fraction de mouvement rendrait toute solution impossible et équivaudrait à la négation même de la conscience. — Ainsi se trouve péremptoirement démontré la nécessité des arrêts que l'expérience nous avait fait entrevoir.

L'acte volontaire serait de plus une concordance de l'état de conscience intensif et prépondérant avec tout ce qui constitue notre personnalité psychique. C'est ainsi qu'on peut appeler l'état de conscience intensif et prépondérant volonté négative quand la concordance n'existe pas, et volonté positive quand la concordance existe.

Examinons dans ce sens le cas de notre sujet. Nous savons qu'il avait conscience de son état, il y avait donc dans le processus psychique qui le constituait, un arrêt ou une comparaison avec un état autre. — Il n'était pas soumis au pouvoir dynamique de ses réflexes; car alors l'idée première, l'état conscient primitif — il savait que c'était mal — aurait suivi son cours normal et il ne se serait pas rongé les ongles. Mais, dans son mouvement centrifuge, l'idée première subissait un nouvel arrêt qui constituait chez lui un état conscient plus intense, une conscience prépondérante, une volonté négative qui constatait l'impossibilité où il était de résistera l'accomplissement de l'acte, et il l'accomplissait.

Il y avait deux états conscients successifs : le premier qui constatait que c'était mal et qui n'était pas suffisant à arrêter l'acte commencé, l'autre qui constatait la nécessité de l'acte et qui renforçait l'action.

Qu'est-ce qu'a fait la suggestion aidée de l'action mécanique ? Elle

n'a rien innové dans la marche du processus psychique, elle a simplement, par une démonstration physique tangible, déterminé un arrêt, un état de conscience intensif et prépondérant, une volonté positive en concordance avec la personnalité psychique du sujet, qui s'est substitué à un arrêt, à un état de conscience intensif et prépondérant, à une volonté négative.

C'est ainsi que le sujet pense maintenant agir volontairement, tandis qu'autrefois il agissait malgré lui. Cependant, le processus psychique est exactement le même, il n'y a que la concordance en plus.

Je n'ai pas voulu aborder ici le fond du problème de la volonté, je n'ai voulu en retenir qu'un des côtés, celui qui est relatif au pouvoir d'arrêt. Mais il est cependant nécessaire que je dise que la volonté n'est pas l'acte ni la délibération, puisque l'acte peut être la terminaison d'une succession de mouvements nécessaires et inconscients, et la délibération une lutte entre des motifs divers dont la plupart n'apparaissent pas à la conscience ; mais qu'elle est : la conscience intensive d'un arrêt prépondérant, dans un mouvement à direction déterminée, dont la fin est présumée en raison de sa concordance avec notre personnalité psychique.

C'est ainsi qu'on peut dire que ce mouvement est exécuté cérébrale ment avant sa terminaison physiologique. Il s'ensuit que la terminaison physiologique peut n'être pas conforme à la terminaison prévue, et faut alors en inférer que la volonté n'agit pas ici comme cause efficiente; mais qu'elle n'est qu'une prise de possession par la conscience d'un état ou d'une succession d'états d'un mouvement en marche vers une solution nécessaire.

Il peut arriver aussi que la terminaison soit conforme à la fin présumée et alors, par une action en retour sur l'état conscient, se produit l'illusion d'une volonté libre.

Je termine ici, Messieurs, car je viens d'énoncer le problème le plus important, le plus controversé et le plus passionnant qui s'attache à l'étude de la volonté, et je crois qu'il est prématuré d'en poursuivre la solution devant vous.

VARIÉTÉS

Cas d'une jeune fille qui aurait été miraculeusement guérie d'une paralysie, à la source de Sainte-Winifred, dans le pays de Galles.

(Par le docteur Thomas Oliver, Médecin du Royal Infirmery, Newcastle.)

La publicité donnée dans la presse quotidienne et hebdomadaire, aux « cures miraculeuses » effectuées à Holywell, les représentations imagées de « Saint-Winifred's Well » (source de Saint-Winifred), dans plusieurs des journaux illustrés, et le nombre de lettres que j'ai reçues

depuis quelques semaines, de divers points de l'Angleterre (dont la plupart sont restées sans réponse, je l'avoue ). sont les raisons qui m'ont déterminé à publier dans The Lancet les faits cliniques d'un cas, déjà entouré d'une auréole romanesque, et sur lequel on jette un voile mystérieux.

Depuis quelque temps, Holywel a été le rendez-vous d'un nombre toujours croissant de malades, dont chacun espère que l'immersion le guérira de ses infirmités. Si les récits des « cures miraculeuses » qui y ont été accomplies sont dignes de foi, la source de Sainte-W'inifred promet de rivaliser avec Lourdes, dont la grotte est connue par tout le monde, et dont Zola a donné une si merveilleuse description réaliste, de môme que de la foule des pèlerins qui s'y pressent. Holywell revendique ses cures avec non moins de raison, quoique d'une façon moins éclatante, que la petite ville française des Pyrénées, et, comme une des cures récentes qui y ont été accomplies se rapporte à une malade soignée antérieurement par moi au Newcastle Infirmary, je vais brièvement rapporter l'histoire de sa maladie, avant sa visite à Holywell et depuis son retour, n'y ajoutant que quelques observations qui m'ont été fournies par la malade ou par sa mère qui l'a accompagnée pendant son voyage.

La patiente, une jeune fille de dix-sept ans, fut admise au Royal Infirmary de Newcastle, le 28 Avril 1894. Elle avait une incurvation de la colonne vertébrale, se plaignait de douleurs dans les jambes, éprouvait de la difficulté à marcher, des douleurs de tête et de temps en tempsde la faiblesse de la vue. Son père était mort quinze ans auparavant d'une fièvre typhoïde; la mère est vivante et en bonne santé. Elle a cinq frères et une soeur, tous assez délicats. A l'âge de onze ans, la malade quitta l'école; mais, pour cause de mauvaise santé, n'eut pas d'occupation régulière jusqu'à l'âge de quatorze ans où elle devint domestique. Elle quitta sa place au bout d'un an avec du mal de gorge. Ses règles apparurent lorsqu'elle eut seize ans, et sont toujours revenues régulièrement.

La malade dit qu'aussi loin que remontent ses souvenirs, elle a toujours eu la colonne vertébrale incurvée, et qu'en marchant, sa tête était toujours fixe et légèrement penchée en avant. Aumoisde juin 1893, elle avait eu une pleurésie du côté gauche, sans épanchement ; à ce moment, elle garda le lit pendant un mois. Lorsqu'elle se releva, elle remarqua qu'elle se courbait davantage en marchant, et qu'elle éprouvait de la souffrance dans la tête et dans le cou ; ce ne fut que huit mois plus tard que les douleurs affectèrent les jambes et les genoux. La douleur est décrite par la malade comme étant constante, sourde, aggravée par la marche ou lorsqu'on touche les membres affectés.

Voici son état au moment de son admission à l'hôpital. Système alimentaire : les lèvres sont normales, et les dents saines, la langue est épaisse, pâle et recouverte d'un enduit blanchâtre. Il y a un peu de dysphagie, due à l'hypertrophie des amygdales. Le palais est très

voûté, ce qui fait que la malade ne parle pas distinctement. L'appétit n'est pas bon, et il y a de la constipation. Système circulatoire : le pouls est de 84 et faible ; les bruits du cœur sont normaux: les poumons sains ; les pupilles bien dilatées et égales, elles réagissent à la lumière et à I'acccommodation. Système nerveux : une légère incurvation angulaire de la colonne vertébrale, plus prononcée dans la région dorsale. Il y a au toucher .une hyperesthésie marquée de la peau recouvrant la colonne vertébrale, et à la percussion, la malade ressent de la douleur particulièrement dans la région dorsale intérieure. En faisant appuyer la tête sur la colonne vertébrale, on cause de la douleur dans la région cervicale. Lorsqu'on pique avec une épingle la plante du pied gauche, la malade ne sent rien, mais il y a de l'hyperesthésie du pied droit. La sensation est normale sur le devant des jambes. Les réflexes pédieux sont présents. Les réflexes rotuliens sont normaux lorsque l'attention de la jeune fille est éveillée. Lorsqu'elle marche, on remarque que la tète est projetée en avant, et que le pied gauche traîne un peu.

Le 5 mai 1894, les bords de la pupille optique sont égaux et la rétine en bon état. 11 y a encore de l'analgésie du pied gauche et les réflexes rotuliens sont exagérés dans les deux jambes.

Je considérai la maladie comme étant d'une nature fonctionnelle ou névropathique, chez une jeune fille atteinte depuis nombre d'années d'une légère incurvation de la colonne vertébrale non accompagnée de symptômes de compression de la moelle.

On ne jugea donc pas nécessaire de la garder à l'hôpital ; mais elle fut soignée à la consullation externe. Je puis ajouter qu'avant d'être vue par moi, elle avait été traitée par un de mes collègues, un chirurgien, qui la regardait comme une hystérique.

A partir de ce moment (mai 1894), je ne revis plus la malade, jusqu'au mois de février 1895, où, après avoir reçu plusieurs lettres se rapportant à sa « cure merveilleuse » à Holywel, j'écrivis à la mère demandant qu'elle me ramenât sa fille à ma consultation pour être examinée. Elle revint le 7 février et voici ce que la mère me raconta : En novembre 1894, sa fille était au lit, incapable de marcher, ni même de se tenir debout. Elle ne s'était pas levée depuis six mois, ce qui expliquait pourquoi je ne l'avais pas revue à la consultation externe de l'hôpital. M. Galbraith, de Gosforth, l'avait visitée de temps en temps. Elle reçut alors des nouvelles d'une amie, une boiteuse, habitant le comté de Durham, qui avait été « miraculeusement guérie de son infirmité à Holywell ». Là-dessus, il fut arrangé qu'elle irait aussi à la source sacrée. Le 27 novembre, au matin, on la leva, on l'habilla, la mit dans une voiture pour aller à la gare, et on la porta dans un compartiment de 3'classe où elle resta étendue sur la banquette jusqu'à l'arrivée du train à Holywell, dans la soirée. De la gare elle fut portée dans un omnibus qui la transporta à l'hospice, situé à environ deux kilomètres et demi. Cet hospice est surtout destiné à recevoir des catholiques malades visitant Holywell, et est dirigé par deux religieuses. II n'est

pas toutefois exclusivement réservé aux catholiques. On y admet également des protestants, pourvu que ceux-ci aient évidemment foi dans la vertu curative des eaux. Il y avait là plusieurs malades des deux sexes.

Le lendemain de son arivée à l'hospice, à dix heures du matin, la jeune malade fut voiturée jusqu'à la source de Sainte-Winifred où on la déshabilla. Elle revêtit un costume de bain, et sa mère, aidée d'une autre femme, la porta dans l'eau. Peu après l'immersion la malade perdit connaissance, mais elle resta dans l'eau assez longtemps. Il ne se célébrait pas de service religieux sur les bords de la source; il n'y avait pas eu non plus de service spécial à l'hospice avant le départ des malades, à part le service ordinaire et quotidien du matin, auquel du reste la malade n'avait pas assisté. Celle-ci, je dois ajouter, professe la religion catholique. Aucun effet immédiat ne suivit la première immersion. Elle fut donc ramenée en voiture à l'hospice et fut placée dans un fauteuil dans la salle commune. Elle resta courbée pendant une heure ou deux, mais put ensuite se redresser, et maintint celte posture droite pendant presque toute la journée ; elle n'essaya pas toutefois de marcher. Le lendemain, on recommença l'expérience. Après cette immersion, on remarqua qu'elle avait pu mouvoir les deux jambes et qu'elle avait gravi seul les quelques marches qui conduisaient à l'eau. Elle revint à l'hospice à pied (une distance de 800 mètres), soutenue par sa mère et une autre personne.

Le jour suivant, aidée de sa mère, elle marcha jusqu'à la source. Pendant qu'elle était dans l'eau, elle aurait dit, d'aprèsla mère : « Mère ! j'éprouve une curieuse sensation ; je sens une chaleur brûlante dans le dos. n A quoi la mère aurait répondu : « Oh, Anna! prie, tu vas être guérie!» La-malade sortit de l'eau sans aide et se rendit à la cabine, où on remarqua que « tout son corps était enveloppé de vapeur. » Elle se plaignit de picotements et d'une sensation de chaleur dans l'épine dorsale, et la mère en l'examinant dit: « Oh, Anna ! tes os sont rentrés, » Elle rentra à rhospice,toujours à pied, où elle fut examiné par un médecin qui la prononça une cure merveilleuse. Dans la soirée, elle alla dans la ville, et passa les trois jours suivants en promenade avec sa mère.

Une semaine après, la malade quitta l'hospice. A la gare, elle se rendit de l'omnibus jusqu'au compartiment du train, à pied et sans aide.

Elle rentra chez elle dans la soirée du 4 décembre ; au bout de ce long voyage, elle fit encore à pied le trajet entre le terminus du tramway et leur demeure située à Coxlodge, à environ un kilomètre et demi.

Voici la condition de la malade, lorsque je la vis le 7 février: Il y a encore une légère inclination de la tète du côté droit, faisant paraître le cou plus court de ce côté. Il y. a aussi une petite incurvation latérale de la colonne vertébrale dans la région dorsale, l'inclinaison étant vers la droite, avec une proéminence distincte des deux dernières vertèbres dorsales. A la percussion de l'épine dorsale, la malade dit n'éprouver aucune douleur. Lorsqu'elle se baisse, on remarque que la colonne

vertébrale se meut en masse, avec une tendance du corps à fléchir vers la gauche. Il y a une légère hyperesthésie de la peau du dos; la piqûre d'une épingle et la pression causée par une pointe quelconque, donnant évidemment des impressions exagérées. Les réflexes rotuliens sont excessifs ; il y a un faible réflexe pédieux. La malade marche remarquablement bien et parait très fière de cela. Elle ne traîne pas les jambes. En marchant elle tient la tête penchée en avant, inclinant plutôt du côté droit. Elle porte toujours une jaquette poroplastique qui lui a été ordonnée au commencement de l'année 1894, et, sur les conseils du médecin de Holywell, va continuer à la porter pendant tout l'hiver. Le cœur et les poumons sont sains.Les règles reviennent régulièrement.

Voici donc brièvement les faits cliniques de ce cas. Une jeune fille, vue par moi en avril 1894 et considérée comme névropathe, avec une légère incurvation de la colonne vertébrale mais sans compression de la moelle, et regardée par un de mes collègues de l'hôpital comme ayant des manifestations hystériques, — cette jeune fille a subséquemment une paralysie des membres inférieurs qui dura six mois. La paralysie ?'est pas plus douteuse que ne l'est aujourd'hui pour elle la possibilité de marcher.

La malade partit pour Holywell au mois de novembre, avec beaucoup de confiance en sa guérison, et s'attendant à des merveilles. Elle communia dans son lit la veille de son départ. Le prix du séjour à l'hospice est de 7 shellings (soit 8 fr. 75) par semaine et par personne. Ces frais, ajoutés à ceux du voyage et à quelques frais divers, rendirent nécessaire de ne faire qu'un très court séjour dans le pays de Galles, car la famille appartenait à la classe ouvrière.

Il est difficile d'apprécier à leur juste valeur les effets de l'immersion de tout le corps dans une source d'eau froide exposée à l'air, un matin de novembre, et cela chez une personne non habituée, ni préparée à ce traitement ; mais il est sûr que ces effets doivent être considérables. Ce que le manque de volonté causa, c'est-à-dire le mal, et la guérison qu'il empêcha, de fortes impressions morales et physiques en vinrent à bout. Ce n'est pas la première fois que le contact subit de l'eau froide sur tout le corps — et cela sans aller si loin que Holywell — a réveillé une énergie nerveuse dormante, et a été suivie de résultais aussi satisfaisants et permanents que la « cure miraculeuse n de la malade en question, accomplie-par l'immersion dans la source de Sainte-Winifred.

(The Lancet, 16 mars 1895).

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

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Société d'hypnologie et de psychologie.

Les séances de la Sociéié d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

Les prochaines séances auront donc lieu les lundis 20 Mai et 17 Juin. La séance annuelle et le banquet de la Société ont lieu le 15 Juillet. Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.

AVIS-— La séance du mois d'Avril tombant le lundi de Pâques, a été remise au lundi 22 Avril.

L'exercice vélocipédique au point de vue neuro-pathologique.

Le professeur J. Boguel a fait, à la Société des aliénistes et des neu-ropathologistes de Kazan, une communication sur l'influence qu'exerce le sport vélocipédique sur la circulation et sur le système nerveux des membres inférieurs, et sur l'utilité ou le danger qui peut en résulter pour la santé générale. Après avoir examiné au point de vue physiologique les conséquences du travail musculaire développé par les cyclistes, M. Doguel a conclu que cet exercice est non seulement inutile, mais même dangereux.

Celte conclusion est basée sur les considérations suivantes :

1' Le développement exagéré des muscles des membres inférieurs qui peut se produire à la suite de l'emploi de la bicyclette ne peut pas être considéré comme utile pour la santé générale ;

2° La construction de la selle de l'appareil et les conditions dans lesquelles les extrémités inférieures du cycliste exécutent leur travail ne sont pas irréprochables;

3° Un emploi prolongé de la bicyclette doit nécessairement provoquer des modifications marquées de la circulation, non seulement dans les membres inférieurs,, mais aussi dans les viscères (cceur, poumons, reins.)

Cet exercice a une fâcheuse influence sur la composition du sang, sur les fonctions des viscères abdominaux, sur la température du corps, sur la sécrétion sudorale, etc. Mais ce sont surtout les membres inférieurs qui souffrent plus que toutes les autres parties du corps de celte gymnastique exclusive.

Le travail prolongé et systématique des muscles des membres inférieurs, inciiés à cette activité par les centres nerveux, ne reste pas sans effet sur les centres eux-mêmes (encéphale et moelle), de même que sur les organes génito-urinaires. Il faut aussi prendre en considération le sexe, l'âge du sujet et l'état de ses appareils cardio-pulmonaire et rénal. Chez un sujet non encore complètement développé, un abus du vélocipède peut avoir une influence défavorable sur le développement des os.

Pendant une course rapide, la résistance qu'oppose l'air agit inévitablement sur la respiration et amène comme conséquences immédiates

une accélération des battements cardiaques et une augmentation de la tension sanguine. Aussi ne peut-on guère conseiller l'emploi de la bicyclette comme un exercice utile pour la santé. On dit, il est vrai, que son emploi modéré est très utile; mais c'est précisément un genre d'exercice où il est très difficile de rester dans la limite de la modération, et il ne faut pas oublier l'adage qui dit que « la goutte d'eau n'use pas la pierre par sa force, mais par sa fréquence. »

Le Concours de l'agrégation en médecine

Notre éminent collaborateur le professeur Grasset, de Montpellier, vient de résumer dans un. article paru dans le Nouveau Montpellier médical, ses impressions sur le concours d'agrégation qui vient de finir à Paris. Il constate que tous, même les professeurs, ont assez de cette institution et, après avoir préconisé le système de la décentralisation des concours, ce qui, à nos yeux, ne serait qu'une aggravation du système fâcheux qui nous régit, il termine ainsi:

« Le concours centralisé à Paris, tel qu'il a été organisé il y a vingt ans, parait avoir fait son temps. »

« J'ai assisté a sa naissance, je l'ai suivi dans son évolution et sa décrépitude rapide, il agonise.

« C'est pour éviter, si possible, d'assister à son enterrement que je soumets à mes collègues des diverses Facultés les réflexions que le concours d'agrégation m'a inspirées vingt ans après.

« Mais pourquoi donc prolonger une agonie inutile ? Au contraire, qu'on se hâte de l'enterrer et qu'on n'en parle plus. »

Les idées émises l'an dernier à Lyon, par le Congrès de l'Enseignement supérieur, font donc rapidement leur chemin. On vient de leur donner satisfaction relativement aux vœux qu'ils ont émis sur la réforme du doctorat en droit. On ne tardera sans doute pas à faire de même pour l'agrégation de médecine. On n'a pas oublié que le Congrès de l'enseignement supérieur a proposé purement et simplement, sur la proposition du docteur Bérillon, la suppression du concours de l'agrégation en médecine. Maintenant la parole est au directeur de l'Enseignement supérieur.

L'hystérie à Madagascar.

Sous ce titre, notre collaborateur, M. le Dr Cullerre, publie dans le Progrès médical, l'intéressante note qui suit :

« Le hasard m'a mis sous la main le numéro de février d'une publication religieuse Intitulée : Annates de l'Œuvre de la Sainte-Enfance, ou je trouve un article intéressant au point de vue de la pathologie nerveuse. Il s'agit d'une lettre du R. P. Castets, missionnaire à Madagascar, district d'Arivoni-mamo, lettre dans laquelle il décrit une affection qui sévit parmi les populations de ce pays, et qui, de toute évidence, n'est autre que l'hystérie.

« Il existe ici, dit-il, une maladie étrange et fort commune : on l'appelle Menabé. Il m'est impossible d'indiquer exactement le sens et l'étymologie de ce nom. A la lettre, il signifie rougegrand ; c'est peut-être une allusion aux fantômes effrayants qui passent sous les yeux du malade aux heures de crise. Ce rapprochement permettrait de traduire Menabé par colosse rouge, colosse aux regards flambloyants, colosse vêtu de flammés. Le Menabé s'appelle d'un autre nom plus caractéristique, Ramanenjana ; et ce mot, dont l'origine est Henjana (raide, tendu), rappelle l'état extérieur du malade aux heures de souffrance, où son corps se raidit, se soulève et subit de violentes

contorsions. »

« Appelé un jour auprès de trois jeunes filles atteintes de crises, il les trouva dans l'état suivant : « Les trois enfants étaient couchées à terre, sur une natte, et presque pltées en deux. Elles étaient immobiles et semblaient piongées dans le sommeil; toutefois les yeux ouverts et presque effarouchés ne permettaient pas de croire a un repos réparateur ; c'était un état de prostration profonde, qui les rendait insensibles à l'àpreté du froid, sous un clair de lune hivernal. » Il les emmène à l'infirmerie de la Mission où il ne tarde pas a assister à une crise complète : « A peine rentrées dans la case-infirmerie, elles sentent venir la crise et demandent la présence du Père. Le garde-malade m'appelle, j'accours à l'instant et rassure les pauvres petites en leur promettant de les assister ; j'ai pu alors me rendre compte de la crise dans tout son développement. Les frissons précurseurs durèrent environ cinq minutes; leur violence alla toujours croissante, jusqu'à produire des secousses qui faisaient bondir la malade. Aux frissons succèdent des élancements de poitrine, qui prennent un caractère terrifiant, et leurs flancs semblent, à chaque instant, sur le point de se rompre ; puis, c'est le tour des convulsions et des balancements qui portent le buste de droite à gauche, comme une balançoire mue par un ressort puissant et rapide ; enfin, les trois malades bondissent de leur couche et cherchent à s'enfuir dans la cour pour gagner l'espace. Quatre personnes avaient peine à les retenir ; ne pouvant saisir la porte que nous couvrions de notre corps, elles bondissent vers la fenêtre pour s'échapper. Alors, ce sont des cris d'épouvante et de supplication : // est là, il nous saisit... Il nous emporte... Non, non... Empêchez-le... Je ne veux pas, je ne venxpas... Ecartej-te, écartej-Ie... Il me tue, je meurs, je suis perdue... Et les pauvres enfants repoussaient de leurs deux bras le spectre qui voulait les emporter, s'accrochaient à nos habits pour résister à la violence, bondissaient pour échapper a ses poursuites. »

« Lorsque le Menabé existe dans une contrée, on fait venir les sorciers qui pendant que les malades sont en crises, se livrent À diverses jongleries accompagnées d'une musique bruyante composée de chants, de battements de mains et de roulements de tambour, « Ces concerts à mesure rapides mais à cadence uniforme, se font surtout entendre matin et soir, a des heures réglées : le matin depuis le point du jour jusque vers neuf heures( et le soir, depuis quatre heures jusque bien avant dans la nuit, » II en résulte une propagation rapide du mal, une véritable épidémie d'attaques hystériques qui se changent alors en crises maniaques que le P. Castets décrit comme il suit :

« Le malade est pris de frissons et de tremblements, sa poitrine se soulève, tout son corps s'ébranle, et, comme entraîné par une force irrésistible, il se met à courir, au caprice de ses impressions. A ces heures de surexci-

talion, le malade devient très vigoureux et très hardi. Ainsi l'une de nos trois malades, enfant faible et timide, a gravi pendant la nuit et presque en bondissant un énorme rocher qui s'élève à pic sur la montagne. Comme l'agitation se renouvelle à des heures fixes, les jongleurs et chanteurs se tiennent prêts; et dès que le malade se soulève sur son séant, ils se mettent à l'œuvre. Le bruit des tambours et les chants étourdissent le malade, les jongleries le jettent dans une sorte d'ivresse, il perd toute conscience de son état. Ahuri du tumulte et des scènes étranges qu'il voit à demi et comme dans l'horreur d'un cauchemar, il devient, suivant l'expression d'une de nos chrétiennes, comme un taureau épouvanté, s'enfuit à toutes jambes et, au hasard, se couche à terre, se relève en pousant des cris et fait mille contorsions. A chaque fois que la crise reprend ou semble devenir plus aiguë, c'est un nouveau tumulte, ce sont de nouvelles jongleries. Cette comédie meurtrière dure parfois de longues heures et ne finit pas avant que le malade tombe épuisé de forces et comme sans vie »

« Tout en attribuant au Malin Esprit la production de cette affection qui, chez ses trois malades, n'a pas résisté à quelques gorgées d'eau bénite — bel exemple de thérapeutique suggestive que je recommande aux méditations des médecins trop dédaigneux de cette méthode — le P. Casscts ne laisse pas de se faire une idée assez nette des origines réelles de cette maladie. « Pour moi, dit-il, je n'hésite pas à reconnaître que la sympathie nerveuse peut avoir une grande part dans cette contagion ; je crois aussi que l'influence de l'hérédité prédispose le tempérament physique et moral à ces débauches d'irritabilité nerveuse, et que, suivant une expression chère à la médecine contemporaine, les Malgaches sont, par le seul fait de leur naissance, d'excellents sujets pour les expérienses du Menabé. >

a Mais voilà : le Démon profite de ces mauvaises dispositions naturelles et c'est pourquoi les Malgaches sont, paraît-il, si réfractaires à la conversion. Qu'on vienne, après cela, nier encore le mauvais caractère des hystériques. »

A. cullerre.

NOUVELLES

Enseignement de Phypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assiter et sont exercés à la pratique de la psychothérapie. M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, fait, tous les jeudis à dix heures et demie, des leçons sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme.

Sorbonne. — M. Charles Henry, maître de conférences à l'Ecole pratique des hautes études, commencera le samedi 27 avril, à 10 heures, une série de conférences sur la psychologie des sensations.

Cours d'hypnotisme a l'Ecole pratique dr la faculté. — M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, directeur de la Revue de l'hypnotisme, commencera le lundi 29 avril, à cinq heures, à l'Ecole pratique de la faculté de médecine, (amphithéâtre Cruvelhier), un cours libre sur les applications cliniques et médico-légales de Vhypnotisme. Il le continuera les lundis et les vendredis, à cinq heures.

programme du cours Psychologie physiologique et pathologique — Hypnotisme

1° L'Ecole psychique française. — La méthode psycho-physiologique. — Valeur de l'hypnotisme comme moyen d'Investigation psychologique et clinique.

2° Etude physiologique de l'hypnotisme. — Les procédés pour produire l'hypnose. — Les phénomènes somatiques : modifications de la sensibilité et de la motilité. — Classification des degrés de l'hypnotisme.

3° Les théories modernes sur la production du sommeil. — Analogie entre le sommeil normal et le sommeil provoqué. — Les sommeils pathologiques. — Les rêves et les hallucinations hypnagogiques.

4° Etude psychologique de l'hypnotisme. — La suggestion et l'auto-sugges-tion. — L'attention spontanée et l'attention volontaire. — Les modali-tités de la suggestibilité. — Le type normal. — Le type moteur, le type visuel et le type auditif.

5° Phénomènes psychiques de l'hypnotisme : Illusions, hallucinations, variations de la personnalité.

6° Les principes de la psychothérapie. — Influence de la suggestion sur les fonctions de la vie organique et les sensations internes. — Applications à la thérapeutique générale. — Névroses et psychoses suggérées.

7° Les indications de la suggestion dans le traitement des névroses et des psychoses.

8° Application de la suggestion à la pédiatrie et à la pédagogie des enfants

vicieux ou arriérés. 9° L'hypnotisme et l'expertise médico-légale. — Les fondements de la res

ponsabilité morale et pénale. 10° Les suggestions criminelles et déliclueuses. — Les faux témoignages

suggérés. — Les attentats contre les hypnotisés. — Questions de

déontologie.

n. D. — Le cours sera complété par des démonstrations cliniques a l'Institut ps.vcho-plivsio-logique, 49, rue Salut-André-des-Arts.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine.

Paris, Imprimerie A. Quelqcejeu, rue Gerbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

9e année. — n° 11. Mai 1895.

ETUDE SUR UN CAS DU PHÉNOMÈNE

dit de

« TRANSMISSION DE LA PENSÉE »

(exposé d'une méthode de recherches)

Par le D' LAUPTS.

Il y a quelques mois, j'assistais au théâtre d'une petite ville de province avec deux amis, MM. les lieutenants B... et H..., à l'une des séances qu'y vint donner le fameux prestidigitateur, hypnotiseur et transmetteur de pensées Pickmann. Malgré le succès rencontré une première fois avec une salle assez recueillie, la deuxième partie de cette nouvelle séance (Iransmission de pensées), échoua presque complètement, les expériences furent manquées et le public gouailleur commença à rire et à s'impatienter. Avant de le reprendre par des scènes d'hypnotisme, toujours assurées de l'attention et même de l'enthousiasme, Pickmann se retira dans les coulisses ; ce fut là où (l'encombrement ne m'ayant point permis de me placer dans la salle même), j'avais dû me loger tant bien que mal, que je le trouvais au comble de l'énervement. Je lui pris la main pour examiner le pouls, qui était très rapide, et soudain l'idée me vint de lui faire exécuter quelque acte. Il s'en aperçut facilement; mon regard l'indiquait avec netteté; il s'y prêta volontiers, mit sur ses yeux un bandeaudoublé d'une épaisse couche de ouate, prit ma main droite qu'il appuya fortement avec la sienne sur sa tempe gauche à plusieurs reprises. Je résolus de lui faire accomplir une action un peu imprévue et bizarre et lui suggérai (je reviendrai tout à l'heure sur la signification que je

donne à ce mot), d'aller tirer l'oreille d'un monsieur inconnu qui se trouvait là. Il se dirigea aussitôt vers lui et, après quelques tâtonnements, saisit avec une grande rapidité l'oreille gauche de celui que j'avais choisi comme sujet. Je fus très violemment étonné, car je n'avais communiqué mon dessein à personne ; aucun signe, si minime fût-il, aucun regard ne m'avait trahi, et Pickmann avait pris l'oreille gauche (qui était bien l'oreille mentalement désignée par moi), avec une sûreté remarquable, et bien qu'il eût les yeux complètement bandés. Je lui suggérai alors de donner un soufflet à M. le lieutenant H...; bien qu'il y eut plusieurs personnes rassemblées, il se dirigea vers ce dernier, hésita un instant ; à ce moment l'expérience fut subitement interrompue, le public et l'entourage réclamant la suite de la séance.

Extrêmement étonné du succès de mon expérience personnelle, pour laquelle il était impossible d'admettre aucun compérage, je priai M. Pickmann de m'accorder une soirée au cours de laquelle il nous eût été loisible de nous livrer à quelques essais de ce genre. II promit, puis se déroba. Pourquoi? je l'ignore; il craignit peut-être qu'une publication ne nuisît à ses intérêts, et certes il eut tort; car, je me plais à le reconnaître ici, c'est un prestidigitateur hors ligne, un hypnotiseur remarquable, et, vraies ou fausses, ses expériences de transmission de la pensée ne peuvent qu'intéresser tout le public, savant ou non. C'est de plus un galant homme et un causeur charmant.

Je restais donc avec mon expérience isolée; je ne parle pas de celles où je n'eus point de part; si probantes que plusieurs me parussent, je n'en veux point tenir compte. J'allai trouver M. le docteur H... et son ami le célèbre professeur physiologiste et psychologue R... qui, m'avait-on dit, connaissaient, pour l'avoir examiné autrefois, Pickmann; ces messieurs m'entretinrent avec beaucoup de complaisance et me mirent d'abord en garde contre tout professionnel. — Tout professionnel, me dirent-ils, surtout quand il est doublé d'un prestidigitateur, ne peut guère concourir à une vraie expérience scientifique. Comment voulez-vous qu'il ne soit pas amené à donner, et c'est le cas de le dire à la lettre, le coup de pouce pour faire réussir l'expérience et cela d'une façon qui devient inconsciente, car nous ne mettons nullement en doute la parfaite honorabilité de M. Pickmann. Dès lors l'expérience se complique. Quelle est la part de la transmission, quelle est celle de la suggestion, de la prestidigitation ?

Ces remarques sont infiniment justes, un théâtre n'est point un laboratoire, et la difficulté en pareille matière provient de ce que le transmetteur demande l'énervement, la surexcitation de la salle, alors que le physiologiste agit quasi mathématiquement. L'optimum ne peut être obtenu que dans un cercle assez étroit, composé d'amis constituant un petit public nécessaire mais sûr, patient et dévoué. C'est ce que j'offrai à M. Pick-mann. Il n'a pas pu ou voulu accepter, et je suis demeuré avec le cas unique observé par moi ; et, malgré sa netteté, il me reste encore problématique.

Que j'aie été ou non victime d'une illusion, je ne le sais; mais il importe de résoudre cette intéressante question de la transmission, aussi j'ai résolu de soumettre au public quelques réflexions qui me paraissent devoir être prises pour base d'une méthode de recherches, tout au moins simplifier celles des personnes auxquelles leur situation ou le hasard permettront de faire avec des sujets convenables ce que j'eusse souhaité de faire avec M. Pickmann.

* *

La pensée, dans les actes habituels de la vie, se transmet par les manifestations qui lui sont adéquates. Un son, un mot, une image, au besoin un geste, un signe signifient telle ou telle pensée ; ce sont instruments de communication indispensables aux hommes pour se comprendre ; ils constituent les moyens usités, banaux de la transmission normale de la pensée; d'aucuns perfectionnent un procédé inhabituel: un mouvement quelconque. Ainsi les tressaillements, contractions plus ou moins conscientes de la main, qui, dans certains jeux de salon, aident la personne aux yeux bandés à s'arrêter devant tel objet pensé par son conducteur; ce dernier, passant devant l'objet, tressaille, et par là, qu'il le veuille ou non, avertit le sujet. Les tressaillements souvent involontaires, cultivés chez certaines personnes, peuvent amener à donner des résultats au premier abord surprenants et incompréhensibles ; mais il ne s'agit que d'un phénomène facile à saisir et qui repose sur une certaine émotivité naturelle qui fait tressaillir, unie à beaucoup de science, qui permet de ne tressaillir qu'au moment voulu. On pourrait appeler cette transmission : transmission digitale, les doigts étant généralement, dans ce cas, les instruments révélateurs, transmetteurs.

Autre est le phénomène de la transmission vraie, selon

Pickmann et ses congénères. Il s'agit, dans ce dernier cas, de faire parvenir à une personne donnée, sans communication matérielle autre que celle de l'air environnant, une pensée, une idée.

Remarquons d'abord que, au moins dans l'immense majorité des cas, la pensée s'appuie sur une sensation ou sur un souvenir de sensation, qui en constitue en quelque sorte comme le subtratum ou la trame. Ainsi nous parlons d'un arbre et mentalement nous voyons un arbre, nous pensons à la guerre et nous voyons le mot guerre écrit devant nos yeux. Nous ne pensons en somme qu'avec des souvenirs d'actions ou de réactions. Or, quels sont ces centres de souvenirs d'actions (sur nous) de réaction (de nous), dont le rôle est si prépondérant dans le phénomène de la pensée? — le centre de la mémoire-visuelle ; — le centre de la mémoire auditive ; — le centre de la mémoire visuelle verbale; celui de la mémoire auditive verbale; enfin les centres moteurs. Tous ces centres ont leur existence anatomique démontrée : ainsi !e centre de la représentation visuelle des mots du langage siégeant, avec ou sans participation du pli courbe, dans le lobule pariétal inférieur, et dont la lésion entraîne la cécité verbale ; le centre de conservation des empreintes auditives verbales qui correspond à la partie postérieure de la première circonvolution temporale gauche, dont la destruction entraine la surdité verbale; enfin le centre d'em-magasinement des mouvements d'articulation, nécessaires à effectuer pour prononcer les mots du langage et dont la perte ou aphasie motrice est le résultat de la lésion du pied de la troisième circonvolution frontale gauche ; à côté de ce dernier, au niveau de la deuxième frontale gauche, existe un véritable centre de l'écriture, puisque sa destruction entraîne l'agraphie ou perte du souvenir des mouvements indispensables à l'acte d'écrire.

Dans le phénomène de la transmission, nous sommes tout naturellement amenés à voir l'établissement d'une communication cachée entre tel centre du sujet inducteur (celui qui transmet) et tel autre centre du sujet induit (celui auquel est transmis).

Nous supposerons donc tout de suite deux sortes de transmission:

1° Celles dans lesquelles la transmission se fait entre un des centres de l'inducteur et le centre identique du sujet induit. — Inductions, transmissions homogènes.

2° Celles qui comporte l'induction d'un des centres du sujet par un centre autre de l'inducteur. — Inductions, transmissions allogènes.

Je m'explique par des exemples :

A) — Inductions homogènes : a) inductions visuelles. — Exemple : l'inducteur / se représente mentalement, un monument, une image visuelle quelconque : le Louvre par exemple ; ou une carte à jouer (exemple souvent choisi). Le sujet induit i aperçoit mentalement le même monument : i le Louvre ou la même carte (soit le roi de trèfle).

b) — Inductions auditives. Exemple : l'inducteur 1 s'imagine mentalement le bruit du ressac des vagues sur les rochers, l'induit entend ce bruit.

c)—Inductions verbales visuelles. — L'inducteur imagine, lit mentalement le mot maison ; l'induit aperçoit le même mot écrit.

d) — Inductions auditives verbales. — L'inducteur imagine un nom propre prononcé à ses oreilles, l'induit entend mentalement ce nom.

e) — Inductions motrices verbales. Ici une explication est nécessaire. Elle sera comprise à priori par celles des personnes qui appartiennent au type décrit par Charcot sous le nom de « moteur ». Le moteur parle mentalement, sans remuer la langue, les mots de ses pensées ; sa pensée, suivant une vieille définition de Bain, est un acte contenu ; il pense le souvenir de ses réactions verbales; il a une mémoire très développée, des mouvements nécessaires à effectuer pour prononcer les mots et il pense sur ces souvenirs. C'est ce type que j'ai nommé ver-bo-moteur (1), c'est-à-dire qui, je le répète, sans remuer la langue, prononce mentalement les mots de ses pensées; certaines personnes ne peuvent comprendre cette définition; au contraire, celles qui sont, soit constamment, soit d'une façon intermittente, verbo-

[ moteurs, se l'assimileront tout de suite. Quoiqu'il en soit, nous appellerons transmissions verbo-motricés, celles où l'inducteur prononçant mentalement un mot, le mot « chien » par exemple,

(1) Les mots verbo-moteurs, verbo-visuels, verbo-auditivo-moteurs, grapho-moteurs. endopbasie, formule endophasique, verbalisme, que j'ai proposés en 1893, et qui ont été à peu près généralement adoptés pour la plupart, doivent leur aspect, de prime abord un peu bizarre, à la nécessité d'éviter les périphrases, de synthétiser les locutions nécessaires à l'expression complète de la pensée, dans ces études un peu abstraites.

l'induit sera amené à dire mentalement, ou par extension, tout haut « chien. »

f) — Inductions motrices. — Il s'agit ici d'un phénomène plus délicat encore. Tout acte laisse sur le système nerveux une trace ; si l'acte devient fréquent, la trace devient profonde, et il existe une mémoire persistante de cet acte (une mémoire de la sensation centripède et de la réaction centrifuge), mémoire qui n'est pas constituée par un souvenir visuel des membres se mouvant, mais par la mémoire même des modifications occasionnées sur le système nerveux par ce mouvement. Je dis moteurs les sujets pour lesquels ce phénomène est possible.

Si vous êtes moteurs, fermez les yeux, et, sans bouger ni faire agir aucun muscle de votre bras droit, pensez un, mouvement de ce bras, vous aurez alors par la mémoire le souvenir de la sensation de ce qui se passe en votre système nerveux lorsque ce bras se meut. De là une nouvelle forme de transmission ; l'inducteur sans bouger pense, tend à exécuter un mouvement, sans cependant remuer, et l'induit non seulement pense mais exécute ce mouvement, le bras ou la main de l'induit agissant comme s'il appartenait à l'inducteur. Ainsi vous imaginerez vos bras en croix, vous faites mentalement comme si vous vouliez les mettre en croix (sans les remuer) et l'induit exécute le mouvement.

g) — L'induction graphique motrice sera celle où l'inducteur écrivant mentalement certains mots, l'induit chercherait à écrire ou même écrirait ces mots.

B. — Inductions allogènes. — Leur existence parait infiniment plus problématique encore que celles des transmissions homogènes ; elles consisteraient dans l'induction d'un des centres du sujet par un centre autre de l'inducteur ; exemple: induction auditive-visuelle ; l'inducteur imagine le bruit d'un train en marche et l'induit voit mentalement un train ; induction vcrbo-motrice, verbo-auditive, l'inducteur prononce mentalement le mot « bateau », et l'induit entend mentalement ce mot: induction verbo-motriceauditive; l'inducteur prononce mentalement le mot « bateau », et l'induit entendrait le bruit de la machine ou l'eau frappée par l'hélice; induction motrice visuelle, l'inducteur ferait mentalement, sans remuer les mains, le geste d'applaudir ; et l'induit verrait des mains applaudir, etc., etc.

On peut imaginer ainsi toutes les combinaisons entre les

centres ; comme l'explique le tableau suivant dans lequel les centres visuels seuls sont pris comme exemples d'inducteurs :

INDUCTIONS VISUELLES

Induction visuelle. Verbo-visuelle (une chose vue mentalement par I (1)

le mot lu mentalement par i)

id. Verbo-auditive id. id. entendu id. i)

id. Verbo-motrice id. id. parlé id. i)

id. Verbo-grapbîque id. id. écrit id. i)

id. auditive id. la chose entendue id. i)

id. motrice id. l'acte exécuté id. ù

INDUCTIONS VERBO-VISUELLES

Induction verbo-visuelle. Verbo-auditive (un mot lu mentalement par I,

entendu mentalement par i) Id. Verbo-motrice id. prononcé id. i)

id. Grapho-motrice id. écrit id. j)

id. auditive id. la chose représentée par le

mot entendu mentalement par i) id. motrice id, la chose représentée par le

mot mentalement ou réellement

exécuté par.......0

id. visuelle id. la chose représentée par le

mot vue mentalement par . . i)

Voilà pour les centres visuels; on peut en faire autant pour les autres centres.

Il est inutile de continuer ce jeu ; on peut sur le papier reproduire toutes les combinaisons possibles et les rechercher dans la pratique ; par un procédé analogue nous admettons des transmissions homogènes généralisées : (un ensemble de centres inducteurs faisant vibrer l'ensemble identique de centres du sujet induit), des transmissions allogènes généralisées ; enfin des transmissions surnuméraires) celles où telle sensation mentale, accessoires au phénomène de la pensée, une sensation olfactive par exemple, est éveillée par une induction des centres généralement usités, ou par une induction d'un centre similaire.

Si j'ai quelque peu insisté sur la multiplicité des éléments qui peuvent entrer dans une expérience de transmissions de la pensée, ce n'est pas pour, théoriquement, jouer sur le papier avec les données fournies par la physiologie et par la psychologie; mais, pour faire comprendre qu'en pareille matière, il faut savoir nettement ce que l'on veut et ce que l'on cherche.

(1) Par abréviation, je désigne par / l'inducteur, par i l'induit.

Voulez-vous une transmission visuelle, ne tendez pas, n'exoi-tez pas vos centres auditifs, ou ceux de votre sujet, mais recommandez-lui de porter toutes les forces de son attention sur la puissance visuelle comme vous devez y porter la vôtre, car il est à supposer que les transmissions homogènes (entre centres identiques) doivent être plus fréquentes, plus faciles que les transmissions allogènes.

Et ici une observation s'impose : Quelle est la formule du langage intérieur de votre sujet? quelle est sa formule endo-physique ? On sait que Charcot a découvert que tout homme lisait, entendait ou parlait les mots de ses pensées ; de là les types du visuel, de l'auditif, du moteur, magistralement décrits par Ballet(1). Je crois avoir démontré(2) qu'il n'y a pas de types nets, et que, en majorité, les hommes se rapportent à des types mixtes comme celui de l'auditivo-moteur par exemple, qui, simultanément, entend et prononce les mots de ses pensées, et mes conclusions consécutives à une enquête effectuée grâce à mon excellent maitre Lacassagne, ont été tout récemment confîr-mëes dans un ouvrage de très bonne psychologie de M. Ajam(3). Mais purs ou mixtes, les types diffèrent les uns des autres, non seulement pour l'ensemble de leurs phénomènes psychiques, mais encore pour tel acte de réflexion qui commande plus fortement l'attention. Je m'explique: M. Pickmann est certainement verbo-moteur (il parle les mots de ses pensées, et, moteur, il agit mentalement sa pensée); — telle est du moins la façon dont à la suite d'un entretien avec lui, je me le représente. Eh bien, lorsque précédemment, je disais lui avoir suggéré de tirer l'oreille d'une personne placée à côté de nous, je voulais exprimer que, en ce moment, j'avais fait acte non d'auditif, non de visuel, mais de moteur. Sans remuer le bras, j'effectuais intérieurement l'acte, et sans bouger, je m'imaginais agir sur le bras de M. Pickmann, comme s'il m'eût appartenu, le mien contenu, retenu à ce moment, pour ne point exécuter lui-même le mouvement, que je me commandais si fortement en dedans. Il s'agissait d'une suggestion motrice.

Les auditifs, les visuels purs, les sujets dénués de toute mimique interne, en aucune façon moteurs, qui liront ces lignes, ne comprendront certainement pas le fait; il est fort probable qu'ils constituent ces détestables sujets de transmission, dont

(1) Le langage intérieur. Alcan.

(2) Essais sur te langage intérieur. Slorck et Masson, 1892. (3) La parole en public. ChamVel, 1895.

se plaignent les transmetteurs de pensée, car il est logique de penser que les transmissions homogènes sont plus faciles que les transmissions allogènes.

Si donc on veut voir si le phénomène de la transmission sans contact existe, il faut :

1° Savoir si l'inducteur ou l'induit ont la même formule, c'est-à dire la même formule de langage intérieur, la même formule cndophasique; tout au moins si dans l'acte nécessité par une attention profonde portée sur un objet, ils peuvent en employer une identique. Il se peut que certains transmetteurs soit visuels d'autres auditifs, de même qu'Inaudi est verbo-moteur et tel autre calculateur prodige verbo-visuel. En majorité ils doivent être moteurs; le fait d'être moteur constituant déjà presque un commencement d'action, de réaction, une réaction embryonnaire; si on admet une transmision explicable grossièrement par un retentissement sur un autre identique, d'une vibration d'un centre donné (de même que la dernière des billes d'ivoire d'une série se met en mouvement sous l'influence de celui de la première) au moins supposera-t-on que les centres de réaction (centres moteurs) sont plus sujets, plus aptes à la transmission que les centres de réception (visuels et auditifs). De là une deuxième recommandation :

2° Essayer d'abord des réactions motrices et éliminer à priori les personnes qui ignorent ce qu'est « être moteur » et ne parviennent pas à le comprendre.

Avec les sujets prédisposés au contraire : verbo-moteurs, graphomoteurs, moteurs, essayez par exemple l'expérience de M. Pikmann : l'induit écrit sur le papier un mot que l'inducteur écrit mentalement sans qu'il y ait communication entre l'inducteur et l'induit. Si leurs mains se touchent en effet, l'inducteur finit par diriger le crayon, l'induit par se laisser diriger sans que ni l'un ni l'autre aient conscience de leur acte — (cette dernière expérience est facile à effectuer).

Une autre expérience (toujours motrice) est la suivante: l'induit, les yeuxbandés, suit sur le sol une ligne tracée à la craie dirigée par l'influence de l'inducteur, qui fait mentalement le même mouvement, commande mentalement le pied de l'induit. M. Pickmann exécute dans la perfection cette expérience. L'unique critique — primordiale il est vrai — à lui faire, est celle-ci : « de temps en temps » il presse contre sa tempe gauche la main droite de l'inducteur. N'est-ce pas un moyen de desserrer le bandeau et par là de donner, surtout sur le sol, un certain

champ à la vision ? A ceux qui essaieront cette transmission, je recommande ce que j'eusse voulu faire : à un moment donné, que l'inducteur quitte mentalement la ligne tracée; si l'induit voit ou simule, il la continuera malgré tout; si la transmission existe, il exécutera l'écart imposé, et le fait de la transmission sans contact sera acquis à la science.

Comme conclusion1 à cette^note, je dirai donc : Le problème de la transmission de la pensée sans signes ni contact, posé par des esprits éminents, existe; il importe donc, non de nier à priori, par haine de l'inhabituel et du nouveau, non de s'enthousiasmer, par amour de la nouveauté, mais de s'efforcer d'accumuler une série de faits qui puissent permettre de conclure par l'affirmative ou par la négative, et d'appuyer la réponse sur des expériences rigoureuses et scientifiques. Etje soutiens qu'il n'est d'expériences rigoureuses et scientifiques en la matière, que celles qui prendront pour base des données psychologiques bien établies, chercheront la correspondance entre centres identiques (et ce sera vraisemblablement au début entre les centres moteurs); tiendront enfin un compte exactdela nature de l'endophasie des expérimentateurs, en un mot supprimeront l'arbitraire et remplaceront le hasard par la méthode.

D' Laupts.

SUGGESTIONS CRIMINELLES HYPNOTIQUES

Arguments et faits à l'appui

par M. le docteur Liébeault (de Nancy) (suite et fin)

III

Eh bien! les crimes ou les délits qui se rencontrent, comme par accident, dans le sommeil ordinaire, il est possible de les reproduire dans le sommeil provoqué, et cela, ainsi que je l'ai déjà dit, au moins quatre ou cinq fois sur cent des sujets que l'on hypnotise, ces deux états étant caractérisés par ce signe commun : l'absence ou la diminution de la volonté, suite de la dissociation cérébrale de la pensée en deux parts, l'une fixe et l'autre continuant son mouvement.

Je considère les somnambules, et ils sont rares comme on le voit, qui tombent en une concentration et un isolement de l'esprit dont ne peuvent les tirer ceux qui sont autour d'eux, excepté l'endormeur, je les considère comme étant seuls aptes à exécuter, sans qu'ils puissent y résister, les suggestions à mal faire auxquelles on les poussera. Etant, par eux-mêmes, impuissants à faire effort pour sentir, remuer des idées et agir, ils sont de toute nécessité impuissants aussi à résister aux méchantes tentations. Ils n'ont plus de volonté ; ce qu'ils ont perdu de cette faculté, en général, ils l'ont en même temps perdu en détail, pour résister aux suggestions criminelles. Ces dormeurs somnambules profonds sont, par rapport aux autres dormeurs, aux fascinés, etc., ce que les épileptiques, isolés dans leurs accès à la suite d'une frayeur, sont aux hystériques, rarement isolés dans leurs crises venues aussi par une même frayeur. Les premiers de ces malades sont en mo-noïdéïsme ; tandis que les seconds présentent encore des mouvements de la pensée.

C'est que, je le répète, chez ces somnambules si absorbas mentalement, a disparu toute initiative et toute activité sensible et intellectuelle : trois qualités de l'esprit que j'ai retrouvées toujours plus ou moins parmi les autres dormeurs. Tandis que, chez ces derniers, l'attention se porte, d'un côté, sur l'idée de reposer l'organisme; de l'autre, ce qu'il en reste agit encore ' plus ou moins dans le domaine fonctionnel des sens et de l'intelligence. Et dans ce domaine elle manœuvre, mais le plus souvent avec subconscience : les sujets, ayant leur activité amoindrie, sentent encore et même enregistrent des idées, mais n'ont plus déjà qu'exceptionnellement assez de force de volonté pour les émettre au dehors. Cet ordre de faits, je l'ai signalé dans mon livre : Du sommeil, en 1866, et d'autres observateurs en ont confirmé la réalité.

Ce qui a trompé les expérimentateurs qui ont admis l'impossibilité de provoquer des actions criminelles sur quelqu'un, par l'intermédiaire des dormeurs, c'est le choix peu réfléchi qu'ils ont fait de ceux auxquels il les ont voulu imposer. Aussi ne faut-il pas s'étonner s'ils ont rencontré dans ceux-ci des sujets désobéissants aux ordres donnés, du moment que ces ordres étaient principalement contraires à leurs principes moraux ou à leurs intérêts : deux motifs puissants. Et, encore, ces dormeurs auraient-ils peut-être cédé à leurs injonctions,

si elles avaient été insinuées dans leur esprit avec art et insistance.

Ces faits d'activité d'esprit chez les somnambules non entièrement privés de leur volonté, j'en ai observé quelques-uns et, entre autres, à une séance de Donato où cet habile fascinateur faisait, suggestivement, tomber sur le sol une dizaine de sujets endormis se tenant par la main. Il y en avait quelquefois parmi eux, ainsi que l'avouait Donato, qui, dans une telle expérience, se blessaient ou se contusionnaient; mais, en général, presque tous les autres tombaient avec mollesse. J'en remarquai un, entre autres, qui, sans s'éveiller, détourna instinctivement sa tête d'un pilier contre lequel elle allait frapper. Evidemment, ce dernier sujet aurait pu être du nombre de ceux qui, dans leur sommeil, montrent de la résistance morale, comme en a pu rencontrer M. Delbœuf.

Non seulement sur la plupart des somnambules ordinaires, mais même sur ceux qui sont tombés dans le monoïdéisme le plus complet, on peut rencontrer des résistances incroyables aux suggestions criminelles qu'on veut leur faire exécuter. Il suffit, par exemple, que ces êtres impressionnables se soient affirmés ou se soient laissé affirmer, avant d'être endormis, l'idée fixe de ne pas accepter d'ordres qui leur soient déplaisants, pour qu'ils résistent à toutes les injonctions, bonnes ou mauvaises, auxquelles on voudrait les obliger. Que de fois MM. Liégeois, Beaunis et moi, avons-nous confirmé ce genre de faits, en défendant à qui que ce soit qui endormirait l'un ou l'autre de nos sujets, de pouvoir leur dicter certaines suggestions hypnotiques ou post-hypnotiques, et nul ne le pouvait. M. Delbœuf s'est-il gardé do cette seconde pierre d'achoppement dans ses expériences contraires aux nôtres? Jen doute.

Déjà, en 1866, j'écrivais : « L'endormeur est un véritable grand-prêtre. Tous ses sujets se façonnent sur sa personne : habitudes, langage, théories morales, sensations douloureuses, maladies, etc. ; ils acceptent tout de lui à leur insu ; ils vivent de sa pensée et de sa chair; ils sont les os de ses os. » M. Delbœuf n'a-t-il pas joué inconsciemment ce rôle de pontife sur la meilleure de ses somnambules? Celle-ci qui, sur son injonction, refusa de tirer un coup de revolver sur des brigands supposés lui volant ses papiers qu'on rangeait, n'était-elle pas pénétrée des sentiments compatissants de son maitre pour les humbles et les animaux souffre-douleurs ? Je défierais bien M. Delbœuf d'oser faire tirer sur lui-même un coup

de pistolet, chargé en présence du somnambule, par un des sujets qui ont servi à MM. Liégeois et Beaunis dans leurs expériences, ce sujet endormi n'ayant été préalablement préparé à rien. Sur ces dormeurs, le pouvoir de la suggestion avait été gardé entier : ils étaient novices presque tous et plongés, au moment même, dans un isolement complet, sans aucun dressage antérieur.

Pour combattre l'opinion de M. Delbceuf, qui nie la possibilité des actes criminels d'un dormeur à l'égard de quelqu'un que ce dormeur soit dans le sommeil ou redevenu éveillé, et, pour en finir, j'en appelle seulement à un fait pour l'accomplissement duquel j'ai été l'un des acteurs ; il en vaut mille, et parce qu'il s'est produit imprudemment dans des expériences de laboratoire, et parce qu'il a abouti à une condamnation judiciaire, et, enfin, parce qu'il détruit à lui seul tout l'échafaudage de la longue argumentation élaborée par ce savant.

Un jour, il y a sept ans, en octobre 1887, à la fin de ma séance dhypnotisation, il survint un médecin, le Dr X..., qui m'exprima le désir d'assister à une expérience de suggestion criminelle. Comme parmi les quelques clients qui se trouvaient encore là, il y avait précisément un excellent somnambule de 17 à 18 ans que j'avais guéri et qui avait déjà été utilisé, par M. Liégeois et moi, pour diverses expérimentations dont quelques-unes ayant rapport à la suggestion de petits actes délictueux, j'accédai à la demande de ce collègue.

Nous convînmes de faire faire un vol à ce somnambule dans les conditions les plus rigoureuses de contrôle possible. Justement, il venait de sortir de ma clinique un vieillard, M. F.., ancien notaire, qui ne manquait pas alors d'y venir tous les jours. Sans toutefois le mettre dans la confidence, nous le primes pour victime dans la perpétration du vol que nous projetâmes de faire commettre. Comme ce vieillard recevait d'habitude ses visites dans sa chambre, sur la cheminée de laquelle il y avait deux statuettes fort visibles, je dis à ce somnambule endormi : « Vous irez demain, à onze heures et demie, chez M. F..., lui faire visite. Vous serez reçu dans sa chambre où vous verrez sur la cheminée deux statuettes ; vous vous en emparerez avec adresse, après avoir parlé de choses et d'autres, et les emporterez cachées sous vos vêtements. Mais, le surlendemain, vous vous repentirez de ce que vous aurez fait, et, pris de remords, vous rapporterez les statuettes à M. F...,

vers la même heure. » Cela bien exprimé et répété par moi avec insistance, le Dr X..., pendant que je me préparais à réveiller ce dormeur, lui dit à son tour, ayant été mis en rapport, il lui dit énergiquement, sans me consulter : « Et vous volerez, entendez-vous, vous volerez. »

Le lendemain, nous attendîmes la venue de M. F... ; mais, contre son habitude, il ne vint pas ni les jours suivants, ayant été pris d'une indisposition. Mais, quand quelque temps après il reparut à ma clinique, il eut hâte de me raconter que le jeune N.... qu'il y avait déjà vu plusieurs fois, était venu le voir un jour, avant son déjeuner. — c'était précisément le jour et l'heure fixés par moi ; — mais qu'à peine était-il parti et descendu dans la rue, il s'était aperçu de la disparition de deux statuettes posées sur sa cheminée. Or, l'auteur de ce vol ne pouvait être que N...f étant le seul qui, à cette heure, fût entré dans sa chambre. Mais, chose étrange, ajouta M. F..., le surlendemain du jour où il avait été dépouillé de ses deux objets d'art, un enfant de 8 à 10 ans les lui avait rapportés, un peu avant midi, disant que c'était de la part d'un jeune homme qui se trouvait devant la maison. Et ce jeune homme, nous sûmes plus tard que c'était N...

En admettant pour le moment l'hypothèse tant de fois ressassée que, dans cette expérience de laboratoire, ainsi que dans d'autres semblables, le sujet n'a exécuté son vol que parce que c'était un jeu plaisant de notre part; en admettant aussi l'hypothèse que le même sujet, sur lequel nous agissions, n'aurait cédé à la tentation à lui donnée que parce qu'il y était porté par des instincts pervers (ce que ne prouve pas la honte qu'il eut de faire lui-même le rapportage d'objets qu'il avait gardés deux jours entiers, sans en bien comprendre la raison, car il ne conservait aucun souvenir de ce qui lui avait été suggéré), il n'est pas facile d'accorder les renseignements qui suivent avec ces hypothèses.

Environ deux mois après, ce somnambule, allant en commission au deuxième étage d'une maison, s'empara, en plein jour et sans se cacher, d'un pardessus accroché à un portemanteau de l'appartement situé immédiatement au-dessous. Il l'endossa, sortit dehors tranquillement, se pavanant dans ce vêtement. Mais, comme il avait été vu, il fut suivi, dénoncé à la police et enfin écroué. On trouva sur lui un calepin où il avait inscrit bêtement une série de petits larcins que, depuis peu, il venait de commettre, et, entre autres, le vol insensé de

caries de visite. Pendant les quatre années qui suivirent cette échappée criminelle, j'en attribuai la cause, et je ne pouvais autrement, aux suggestions hypnotiques faites par moi et, surtout, par le Dr X..., deux mois auparavant. Maintenant même que je suis mieux informé, il me reste encore la conviction que l'idée générale de voler suggérée par le Dr X..., suggestion en quelque sorte indéfinie, fut pour beaucoup dans les actes délictueux du somnambule N...

En outre, dans cette affaire, bien des choses, au moment même, me parurent suspectes et à éclaircir. J'en parlai à M. Liégeois (auquel je fis part de ma déconvenue), lequel portait de l'intérêt au jeune N... qui lui avait déjà servi de sujetd'expérimentation. M. Liégeois s'empressa, persuadé de son innocence, de charger un de ses amis, M.Louis Lallement, de vouloir bien prendre la défense, en police correctionnelle, de cette victime de paroles imprudentes. Cet avocat, faisant valoir les bons antécédents et la naïveté de son client qui inscrivait sur un calepin ses vols enfantins et maladroits, tel le vol de cartes de visite, par exemple, obtint-pour lui une réduction de peine à deux mois de prison. Les doctrines de la Salpétriêre triomphèrent dans cette affaire d'un nouveau genre ; on ne tint pas compte des nôtres, et l'on refusa même l'expertise demandée par la défense.

Mais ce n'est pas tout, Nous en étions restés là, M. Liégeois et moi, croyant quand même à l'innocence de N... ; mais désireux toutefois de nous renseigner plus complètement près do ce somnambule. Nous aurions voulu pouvoir le remettre, au moins une fois, dans le sommeil, pour que, dans cet état, il puisse nous éclairer sur ce qui nous avait paru étrange dans sa conduite. Mais ce ne fut que longtemps plus tard, lorsque N... fut majeur, que, sur son consentement, nous pûmes le rendormir, son père, depuis quatre ans, nous en ayant fait la défense, irrité qu'il fut contre nous jusque-là. Or, entre autres choses, ce jeune homme nous révéla dans son sommeil des détails très importants se rattachant à sa déplorable affaire, et qui le réhabilitent tout à fait : c'est que, à la même époque où il s'empara du pardessus dont le vol amena sa condamnation en police correctionnelle, le Dr X... l'ayant rencontré en ville, l'avait invité à l'accompagner dans un café, l'y avait endormi devant quelques spectateurs et l'avait engagé à dérober des petits objets : montres, porte-monnaie, gants, etc., et probablement des cartes de visite, ce dont il s'acquitta sans faire de

façon. Mais surtout il s'empara, par suggestion, d'un pardessus suspendu à un mur et s'en revêtit. Nous ne pûmes, sur ces points divers, en apprendre davantage : ce fut suffisant, à la rigueur, pour nous ouvrir entièrement les yeux.

De cette confession et de tout ce qui précède, nous comprimes que si N... avait pu puiser, pour une part, son impulsion au vol dans l'expérimentation faite par moi avec le Dr X..., il avait surtout, pour l'autre part, puisé le choix de ses petits vols indiqués sur son calepin et le choix du vol d'un pardessus, dans la séance si singulièrement improvisée dans un café. Tous ces vols, petits et grands, eurent lieu ensuite ; — car on ne peut sonder le mystère possible de ridée qui aurait pu être imposée à N... de ne plus se souvenir d'avoir été suggestionné à mal faire après son réveil ; — tous ces vols se manifestèrent par le contre-coup d'une imitation se répétant de l'esprit sur lui-même, qui, sur N.... se forma d'une manière intes-line et se joignit à l'impulsion énergique et vague causée par les mots impérieux : « Et vous volerez. » Ces mots englobèrent toutes les paroles du même genre qui lui avaient été suggérées dans des buts semblables et divers.

Je termine ce long article : il est suffisant pour prouver que les suggestions hypnotiques criminelles peuvent avoir des conséquences malheureuses sur des somnambules, etc. ; que sur certains d'entre eux, pas plus qu'avec le feu, on ne doit jouer avec elles. Ce long article est aussi suffisant pour prouver qu'il ne faut pas trop s'aventurer sur le terrain de la négation des suggestions criminelles hypnotiques et post-hypnotiques, avant d'avoir quelque peu approfondi l'étude de la psychologie du sommeil et de ses analogues, dont la propriété la plus culminante est la diminution ou la disparition de la volonté.

Nancy, 30 avril 1895.

A. A LIÉBEAULT.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 21 Janvier IS95. — Présidence do M. Dumoutpallier.

La correspondance imprimée comprend une lettre de M. le Dr Le Menant de Chesnais.

La correspondance imprimée comprend les envois des sociétés correspondantes et les bulletins de la commission d'hygiène de l'enfance de l'Académie de médecine. La Société a reçu un travail de M. le docteur Schrenck-Notzing, membre de la Société, intitulé Le Procès Czinski. M. le Dr A. Voisin est chargé de donner le compte-rendu de cet ouvrage.

Guérison d'un cas d'alcoolisme chronique par la suggestion. Annulation de la suggestion par un rêve.

Par M, le Docteur kxory (d'Odessa)

Au commencement de juillet 1894, Mme D..., habitant Nicolaeff, ville voisine d'Odessa, .ayant entendu dire que je m'occupais d'hypnotisme, vint me prier de la délivrer de son habitude de boire de l'eau-de-vie.

Mme D..., âgée de 34 ans, fille de parents sains, n'a eu aucune maladie grave. 11 y a trois ans. à la suite d'un grand chagrin, elle se mit à boire de l'eau-de-vie, et bientôt cette mauvaise habitude se transforma en un besoin irrésistible; elle ne se sentait bien qu'après avoir prisplu-sieurs petits verres d'eau-de-vie. Ses parents prirent toutes les mesures possibles pour lui faire passer cette habitude, mais sans résultats; au contraire, ce besoin de boire qui d'abord ne se faisait sentir qu'à des intervalles plus ou moins longs, pendant lesquels elle ne buvait pas, devint de plus en plus fréquent, et les derniers mois, dès qu'elle pouvait trouver de l'eau-de-vie, elle en buvait jusqu'à ivresse complète.

T'hypnotisai la malade en lui faisant fixer pendant quelques secondes un coupe-papier, et en lui suggérant l'idée de dormir. La première fois je n'obtins que l'occlusion des paupières et je lui dis que non seulement elle n'aurait plus jamais envie de boire, mais qu'elle aurait toujours le dégoût de l'eau-de-vie et qu'elle serait incapable d'en avaler une goutte.

Les trois jours suivants j'obtins un état d'hypnose un peu plus profond (4me degré d'après M. Bernheim), mais sans amnésie au réveil. Je répétai ma suggestion, en ajoutant que personne ne pourrait la faire boire, qu'elle se moquerait méme de ceux qui lui proposeraient de le faire.

Des la première séance toute envie de boire cessa; après la quatrième

la malade étant obligée de partir, je la priai de revenir me voir dans quelques mois et je l'engageai à me donner des nouvelles de sa santé.

A la On de novembre, un monsieur de Nicolaeff vint me consulter, se disant envoyé par madame D..., dont la santé ne laissait rien à désirer et qui depuis mon traitement n'avait jamais pris une goutte d'eau-de-vie et se considérait comme totalement guérie.

Brusquement les choses changèrent : je reçus vers le milieu de janvier une lettre du frère de madame D..., dans laquelle il m'annonçait que sa sœur avait recommencé à boire de plus belle et qu'il me l'amènerait dans quelques jours.

Voici ce que me raconta la malade : elle ne ressentait plus aucun besoin de boire, regardait tranquillement les personnes de son entourage prendre leurs petits verres d'eau-de-vie et se moquait de ceux qui lui proposaient d'en faire autant. Tout se passa bien jusqu'au 6 janvier. Mais la nuit précédente elle vit en rêve sa sœur s'approcher d'elle et lui dire : « Ce sont des bêtises, tu peux boire de l'eau-de-vie, et dès demain tu le feras. »

S'étant levée et profitant de l'absence des siens, elle prit de l'eau-de-vie dans l'armoire et put très bien en avaler; le jour môme elle en but plusieurs petits verres, et s'enivra les jours suivants. C'est alors que je reçus la lettre du frère et qu'on l'amena chez moi.

Je l'hypnotisai de nouveau pendant cinq jours de suite, et à mes suggestions antérieures j'ajoutai que rien ne pourrait annuler mes ordres, qu'aucun rêve, ni suggestion d'une autre personne ne pouvait l'influencer, et que désormais elle cesserait de boire pour toujours. Comme la première fois, l'envie de boire cessa dès la première séance, et les dernières nouvelles que j'ai d'elle (un mois et demi après le traitement) me confirment sa guérison.

Je n'aurais pas relaté ce cas comme preuve de la guérison de la dyp-somanie par la suggestion (ces faits ne sont plus à enregistrer), mais il m'a paru intéressant de noter celte influence d'un réve détruisant l'effet d'une suggestion antérieure.

L'article intéréssant de M. le professeur Pitres (Revue de l'Hypnotisme, décembre 1894) sur le rôle des rêves nous montre qu'au moyen de rêves ou peut obtenir des effets curatifs qui ne se produisent pas à la suggestion directe, soit à l'état de veille, soit pendant l'hypnose. Mon cas confirme cette forte influence du réve, en sens contraire, cette fois, comme auto-suggestion, annulant les suggestions faites antérieurement.

Si, comme règle générale : plus le sommeil est profond, plus forte est l''influence de la suggestion, ne pourrait-on pas admettre que dans mon cas, le réve arrivant au milieu d'un sommeil profond alors qu'aucune idée contraire ne vient s'opposer à celle émise par le réve, celle-ci devait être plus facilement acceptée par la malade que ma suggestion, faite dans un état d'hypnose plutôt superficiel, alors que le contrôle du « moi » n'est pas entièrement éliminé ?

Je profite de l'occasion présente pour relater un autre cas ayant trait à la guérison de l'alcoolisme par la suggestion.

En 1887 je traitais un officier pour des accidents secondaires de la syphilis; il avait l'habitude de prendre plusieurs petits verres d'eau-de-vie par jour; je lui recommandai de cesser complètement l'usage des spiritueux, en attirant son attention sur l'influence pernicieuse de ceux-ci sur la maladie qu'il avait contractée ; malgré cela, le malade continua à boire et il lui arriva fréquemment de s'enivrer. Au mois d'avril 1891, je fus appelé auprès de lui ; je constatai une hémiplégie gauche, due à des accidents tertiaires du cerveau; un traitement, énergique (frictions et iodure de potassium à hautes doses) eurent bientôt raison de l'hémiplégie. Alors le malade me pria de lui faire passer sa mauvaise, habitude par l'hypnotisme. Séance tenante j'essayai de l'endormir, mais en vain; alors, lui tenant les paupières fermées avec mes deux pouces, je lui en-joignai l'ordre de ne jamais boire de spiritueux. Cette unique suggestion à l'état de veille suffît: depuis quatre ans il est incapable de boire quoi que ce soit de spiritueux; maintes fois, à la suite de moqueries de ses camarades, il a essayé déboire, mais en vain; pas plus tôt avait-il une gorgée dans la bouche qu'il était oblige de la cracher. Son étal actuel continue à être tout à fait satisfaisant.

Diagnostic différentiel des attaques d'épilepsie et d'hystérie.

Par M. le D' Aug. Voisin

A l'occasion de ma récente communication sur un cas d'épilepsie jacksonienne traitée avec succès par la suggestion, notre président à soulevé la question si importante du diagnostic différentiel de l'attaque d'épilepsie avec l'accès convulsif d'hystérie.

Je suis heureux de l'occasion qui m'est fournie de démontrer qu'il nous est souvent possible de diagnostiquer d'une façon précise la nature de l'affection convulsive que nous avons à traiter. Je n'insisterai que sur les signes essentiels et pathognomiques.

L'attaque d'épilepsie débute quelquefois par une aura; lorsque cette aura est sensorielle, elle peut s'accompagner d'hallucinations dangereuses qui poussent le malade à se suicider ou à tuer; ces auras sont parfois accompagnées d'impulsions redoutables.

Les auras des hystériques ne présentent aucun caractère dangereux.

L'attaque d'épilepsie s'annonce souvent par un cri tout particulier, souvent horrible, que l'on n'oublie pas lorsqu'on l'a entendu une fois.

Le cri de l'hystérique est un cri de frayeur qui n'a d'impressionnant que son intensité.

Dans l'attaque d'épilepsie il y a toujours perte de connaissance.

L'hystérique ne perd pas entièrement connaissance.

Ayant perdu connaissance, l'épileptique tombe à terre sur l'occiput, sur le front, sur le menton, les tempes, et se fait des contusions et des plaies, ou bien il tombe dans le feu, etc., ou se casse les dents.

Rien de semblable chez l'hystérique.

Au moment où l'épileptique est pris de son attaque, sa face devient d'une pâleur tout à fait caractéristique qui tient à de l'anémie cérébrale.

Rien de semblable chez l'hystérique dont la face est plutôt vultueuse.

L'épileptique se mord la langue, il se la coupe même parfois dans une étendue de un centimètre.

L'hystérique se mordille seulement les joues et. la langue sans se faire de plaie.

L'épileptique présente une bave et une écume sanguinolentes ducs surtout à ces morsures. Rien de pareil chez l'hystérique.

Dès le début de l'attaque d'épilepsie la face devient laide, repoussante, souvent horrible. Ce caractère manque absolument chez l'hystérique.

Dès le début aussi du grand mal, les pupilles se dilatent et ne se contractent pas à la lumière artificielle. C'est un excellent signe que je recommande toujours aux employées de mon service afin de bien me rendre compte de ce qui se passe dans l'intervalle de mes visites.

Ce signe n'existe pas dans l'hystérie.

Les convulsions présentent en outre des caractères différentiels.

L'attaque d'épilepsie débute par des convulsions toniques qui portent sur les quatre membres et le cou, le tronc, le cou et la tête. Les mains sont fortement fléchies; les pouces en adduction sous les index; la tète inclinée d'un coté le plus souvent ; les globes oculaires portes e.i haut. Cet état convulsif produit, s'il se prolonge, une asphyxie passagère qui est caractérisée par la coloration violacée de la face et du thorax et laisse souvent à sa suite ce piqueté de la face et de la poitrine patho-gnomique de l'épilepsie que l'on trouve du reste sur les poumons des individus morts en état de grand mal. L'hystérique a bien des convulsions toniques, mais les pouces ne sont jamais chez elle sous les index, la face n'est pas cyanosée, les yeux ne sont pas portés en haut. Le visage ne présente pas d'asphyxie, de piqueté, on ne constate que de la rougeur.

Les convulsions toniques sont suivies de convulsions cloniques qui sont aussi bien différentes chez l'épileptique et chez l'hystérique. Chez le premier, elles sont composées de secousses fortes, rapides, bientôt suivies de convulsions qui agitent le corps et prédominent le plus ordinairement dans une moitié ou une partie du corps.

J'ai vu des malades qui étaient soulevés par bonds et se retournaient complètement. La face participe à ces convulsions et prend une expression hideuse, repoussante, qu'elle doit surtout au tiraillement destraits, à la tuméfaction des lèvres, à l'écume buccale, à la teinte livide. Les convulsions des yeux qui sont portés en tous sens et roulent dans leurs orbites augmentent encore l'aspect repoussant de l'épileptique.

Chez l'hystérique elles sont désordonnées, passionnelles, se rapportent

toujours plus ou moins au type en arc de cercle avec propulsion du ventre en avant et tenue de la nuque en arrière.

L'incontinence d'urine et quelquefois des fèces est encore un signe pathognomonique de l'épilepsie. Il n'existe jamais dans l'hystérie.

Il est un autre ordre de signes des plus importants que révèle le sphyg-mographe, et qui permettent de découvrir la simulation. Deux à trois secondes avant une attaque, le pouls augmente de rapidité, son impulsion est moindre, les courbes sont moins hautes et plus nombreuses; l'attaque survenue, on voit cinq ou six petites ondulations disposées suivant une ligne ascendante, puis une suite de courbes peu élevées ; ces courbes se prononcent plus tard davantage, présentent une convexité supérieure très accusée à une hauteur trois à quatre fois plus grande qu'avant l'attaque et redescendent en présentant les caractères les plus accusés du dicrotisme. La durée de cette forme de pouls varie de une demi-heure à plusieurs heures.

Ces caractères n'existent pas chez le simulateur, ainsi que j'ai pu m'en assurer chez un individu qui avait échappé au service militaire en simulant le grand et le petit mal et qui était interné à l'Asile de Clermont.

Ces signes n'existent pas non plus chez l'hystérique.

Après l'attaque d'épilepsie, le malade reste dans l'obtusion ou bien il est pris de sommeil, d'un délire passager ou bien peut reprendre ses occupations interrompues, mais jamais il n'est pris d'hallucinations comme dans son aura sensorielle (1), tandis que les hallucinations sont fréquentes après l'attaque d'hystérie, et les maisons d'aliénées renferment des malades qui sont devenues aliénées quelquefois même après une seule attaque et qui sont restées aliénées.

(1) Je ne parle pas des cas où, plusieurs attaques se succédant, il se produit de la manie aiguë et des hallucinations.

ENSEIGNEMENT DE LA MÉDECINE

Comment on passe sa thèse !

Notre collaborateur, M. le docteur Félix Regnault, vient de publier sous ce titre, dans la Médecine moderne, un courageux article qui nous parait mériter les honneurs d'une reproduction in extenso. On se demande comment les professeurs de la Faculté de Médecine peuvent rester indifférents quand on leur signale un pareil état de choses. Ce que nous raconte le docteur Regnault est à peine croyable : rien n'est plus vrai. Vous tous qui pensiez que la thèse de doctorat en médecine n'avait

été conservée que parce qu'elle était une sanction sérieuse des études médicales, lisez et soyez édifiés :

« Vous avez consciencieusement accompli vos études médicales, passé correctement vos examens et fait vos preuves en histoire naturelle, physique, chimie, anatomie, physiologie, pathologie thérapeutique. Uien de toutes ces sciences ne vous est inconnu, et votre belle jeunesse s'est passée à apprendre à soigner vos semblables.

« Mais vous n'en êtes pas jugé encore digne, l'Etat exige de vous quelque chose de plus... la thèse.

« La thèse de doctorat est un vestige des anciennes idées médicales. Époque où notre profession n'était pas autre chose qu'un art. On savait bien peu dans celte branche de l'activité humaine, quelques remèdes empiriques et c'était tout. Pour que ces remèdes eussent toute leur efficacité, il fallait savoir les envelopper de paroles disertes et assurées. Tout bon médecin se doublait d'un beau parleur. La thèse constituait alors une consécration légitime à la profession. On la passait en grand apparat. Candidat et examinateurs péroraient, et péroraient en latin. Puis l'impétrant répondait à des questions fixées à l'avance. Et on le déclarait solennellement : « dignus est intrare ».

« Le progrès marchant avec le temps, la thèse devint française et les questions disparurent. Puis on n'admit plus que celte thèse fût une simple dissertation, un exercice de rhétorique, il fallut faire preuve d'esprit critique, observer, être original. De l'ancien examen, il ne resta que la toge ridicule et la loque grotesque que loue le larbin moyennant finances, et le format des thèses incommodes et inusité en librairie.

Donc vous avez 25 ans, âge moyen des néo-docteurs. Pendant toute la durée de vos études, on n'a songé qu'à brider votre initiative et à exercer votre mémoire, et brusquement, sans transitions, on vous demande un travail original ! Pour intelligent que vous soyez, vous serez certes embarrassé. Et tel praticien qui, au bout de quelques années d'exercices, a observé et mûri ses pensées, et pourrait, s'il avait le temps, nous conter de bien jolies choses, n'avait, au début de sa carrière, qu'un cerveau bourré de connaissances disparates.

a Et.puis, à 25 ans, on peut se révéler poète; mais savant à cet âge ? on n'en voit guère !

« Qu'arrive-t-il? Si vous voulez voler de vos propres ailes, vous ferez généralement quelque chose de mauvais, mais de personnel. Plus avisé, vous demanderez un sujet à votre maître, ce sera meilleur, mais vous aurez employé votre temps à habiller l'idée d'un autre.

« Si vous avez quelque argent, avec bon sens vous en porterez une part à un faiseur de thèses. Professions que tiennent pas mal d'internes et même quelques médecins.

« La thèse en effet a un marché.

« Pour trois cents francs, on fabrique une thèse correcte ; on en a vu de mentionnées par la Faculté. Si vous marchandez, vous pourrez

l'avoir pour deux cents, mais ce sera court et mauvais. Si vous voulez faire beau, les figures et toute page au-dessus de quarante exigent un supplément.

v L'interne, qui désire grossir ses maigres appointements hospitaliers, possède toute une organisation. 11 a des rabatteurs, rastaquouères, étudiants de vingtième année, assidus de café, parfois même garçons de Faculté. Tel utilise ses camarades des premières années d'études faites en province, et j'en connais qui ont le monopole fructueux de fabricants de thèse, pour telle ou telle école de médecine.

« On va même plus loin, et certaine revue médicale, dont je tairai le nom et l'auteur pour ne pas lui faire de réclame, insère en annonce qu'un tel est prêt à donner ses conseils aux étudiants. Un de ces jours, un fabricant de thèses viendra louer boutique vis-à-vis de la Faculté !

« Pour fournir une copie suffisante, l'interne possède une autre organisation. Dans son casier, se trouvent, cataloguées en bon ordre, toutes les observations tant soit peu intéressantes qu'il a pu recueillir. Tous les éléments d'une thèse accumulés en une chemise de papier ! En désire-t-on ? vite on vide l'enveloppe, on ordonnance le contenu, quelques coups d'index médicus fourniront la bibliographie. En trois jours, on peut faire une thèse. L'interne s'entend avec l'éditeur, lui porte son travail, corrige les épreuves. Le candidat n'a rien à faire. Son seul travail consistera à accoler les épitaphes du début : a A la mémoire de mes glorieux ancêtres, à la gloire de mon Maître, le premier des cliniciens et savants qui m'a appris le peu que je sais, etc., etc. » On remplit ainsi parfois deux ou trois pages de noms, ce qui fait ressembler les premiers feuillets de la thèse à une pierre tombale.

« Les malins exécutent un petit préambule où, en quelques phrases bien tournées, ils distribuent d'habiles coups d'encensoir aux maîtres qui pourront leur être utiles.

« Mais vraiment je ne sais pourquoi je conte tout cela. Ce sont faits connus de nous tous, ignorés du seul bon public qui croit à la grandeur du monument et aussi du Ministre qui envoie aux Universités étrangères des liasses de ces inepties, etc.

« Quoi ! On a supprimé la thèse d'agrégation parce qu'elle n'était qu'un exercice puéril. En six semaines, il fallait écrire un traité sur un sujet donné. Le candidat réunissait ses amis, on se partageait la besogne, et à jour dit, chacun revenait avec son travail de bibliographie, et tant bien que mal on ordonnançait le tout ; et il s'est trouvé des admirateurs de ces travaux !

i Mais la thèse de doctorat n'est pas seulement un exercice puéril. Elle donne lieu à un trafic honteux. Il y aura, je le sais, des gens pour la défendre. Un abus est toujours proclamé justice par ceux qui en vivent. L'éditeur ne peut que trouver l'institution excellente, quelques anciens internes lui gardent un souvenir attendri, et les maîtres qui ne méprisent pas le coup d'encensoir, puis tous ceux qui tiennent au

passé, parce que c'est le passé, sans savoir pourquoi. La thèse fait vivre du monde. Argument semblable à ceux qui cassent et abiment tout pour faire aller le commerce. L'argent dépensé ainsi par le Candidat serait plus utile à la société et à lui-même, s'il en avait la libre disposition. 11 irait au marchand qui doit le meubler et aux fabricants d'instruments de chirurgie.

« Quant aux rares étudiants qui ont une idée nouvelle, qui font des recherches originales, il y a assez de revues et de journaux. Et si la thèse parait nécessaire, faites-en une oeuvre réellement scientifique, qu'elle soit la sanction de ceux qui veulent se consacrer au laboratoire, aux recherches et à l'enseignement, qu'elle confère enfin ce titre de docteur ès-sciences biologiques dont on parle tant. Mais qu'on cesse cette ridicule et piteuse comédie qu'on appelle : « passer sa thèse ».

Dr F. Regnault.

Or, comment concilier cet abaissement progressif d'une partie des études médicales avec l'accroissement du nombre des étudiants ? M. Brouardel, réminent doyen de la Faculté de Paris, ne manque jamais de signaler les conséquences graves qui peuvent résulter pour l'exercice de la profession médicale de l'augmentation injustifiée du nombre des médecins. A l'assemblée générale des médecins de la Seine, il disait fort justement:

« Je vous disais il y a deux ans que le nombre des étudiants augmentait rapidement. Le mouvement ne s'est pas ralenti. Dans toutes les Facultés de France, le nombre de nos futurs confrères a doublé depuis dix ans. Il en est de même en Allemagne, en Angleterre. On a invoqué bien des causes ; on a cru en trouver une dans la loi sur le service militaire. Il n'en est rien, les lois n'ont pas changé en Allemagne ou en 'Angleterre, etla progression est la même. En France, les candidats sages-femmes qui n'ont rien à voir avec le service militaire sont deux fois plus nombreuses depuis cinq ans.

« Pour ma part, ajoute M. Brouardel, je suis convaincu que la publicité donnée aux conquêtes de la science a fait illusion aux familles. Chaque jour, dans le journal, elles voient quelles sont les préoccupations qu'inspire la santé des populatious civiles et militaires ; elles s'imaginent logiquement que ceux qui sont chargés de résoudre ces grands problèmes reçoivent une compensation proportionnée. Elles pensent que leurs enfants trouveront dans ce grand mouvement honneur et profit. On les étonnerait beaucoup si on leur disait que les efforts que nous faisons pour assainir les maisons, enrayer les épidémies, améliorer les questions d'assistance, restreignent de plus en plus les champs dans lesquels le médecin faisait une récolte parfois bien maigre.

« Or, dans dix ans, le nombre des moissonneurs aura doublé. Je ne

veux pas prévoir les conséquences au point de vue de la pratique médicale. Mais ce qui est certain, c'est que si le nombre des médecins double, le nombre des médecins malheureux aura triplé, »

Or, en même temps que la Faculté reconnaît son impuissance à donner une instruction médicale suffisante aux étudiants qui l'envahissent, elle semble prendre à tâche d'abaisser systématiquement la valeur des épreuves. Non seulement la plupart des étudiants ne prennent plus la peine de faire eux-mêmes leur thèse, mais, ce que M. le Dr Regnault n'a pas assez dit, c'est que les trois quarts des examinateurs, pour ne pas dire davantage, n'ont pas même feuilleté la thèse qu'ils ont le devoir d'éplucher et d'argumenter (1).

Le moment ne serait-il pas venu d'apporter un remède à toutes ces pratiques qui nous diminuent aux yeux de l'étranger, et de procéder à une réorganisation complète de l'enseignement médical ? Pourquoi ne pas faire comme en Allemagne. Là, les pri-vat-docenten, contre rétribution, se chargent de l'éducation et de l'instruction des futurs praticiens. Les professeurs titulaires peuvent alors se consacrer entièrement à leur haute mission, qui est d'élever constamment le niveau des études et de leur imprimer une vigoureuse direction scientifique.

Ce n'est assurément pas en Allemagne qu'on verrait des professeurs éminents s'assujettir chaque jour à cette humiliante et avilissante besogne : adresser de chaleureuses félicitations à un candidat pour une thèse dont il n'a pas pensé ni même écrit une ligne.

Jamais le dignus est intrare n'a été plus abaissé. Les examinateurs ont substitué au chapeau pointu de belles toques rouges à trois étages ornées de glands et de gourmettes dorées, comme en portaient les mamelucks de la garde impériale; longtemps avant les élégantes, ils avaient adapté à leurs robes cramoisies, ces manches bouffantes d'un effet si gracieux lorsque le costume est bien porté, et voilà tout le progrès p). Quant à la réception du nouveau docteur qui se présente, lui, modestement revêtu d'une blouse noire, il semble qu'on se soit appli

(1) Actuellement, on ne refuse guère plus d'une demi-thèse par an, c'est-à-dire une thèse tous les deux ans.

(2) Depuis longtemps, les professeurs de facultés dos lettres et des sciences ont abandonné ces costumes surannés. Les thèses soutenues en Sorbonne sont des travaux assez sérieux pour pouvoir se passer d'un apparat tout de routine et de clinquant.

que, par les interrogations indulgentes qu'on lui fait subir, à copier indéfiniment l'immortelle cérémonie de Molière. A tel point qu'on peut se demander, les soirs où l'on joue le Malade imaginaire, si la faculté n'a pas prêté ses décors à la Comédie-Française.

Il en sera peut-être encore longtemps ainsi, à moins que la direction de l'Enseignement supérieur ne se décide quel-que jour à sortir de la phase des éloquents discours, pleins de promesses et de hardiesses, pour entrer résolument dans une voie vraiment réformatrice.

II n'en faut pas moins féliciter notre collaborateur M. le Dr Félix Regnault d'avoir signalé, avec autant d'esprit que de courage, un des stigmates de la dégénérescence de notre faculté de médecine.

REVUE D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOTHÉRAPIE

Traitement de l'alcoolisme chronique par la suggestion hypnotique

(Bushnell : The médical News, 1891, p. 337)

Sur 23 individus soumis à cetraitement, il y eut 8 guérisons complètes et définitives de prime abord, et 3 après une reprise du traitement, et 8 insuccès, 7 résultats inconnus et 2 décès par maladies intercurrentes. Les récidives ont été amenées non par le besoin de l'alcool, mais par la nécessité de reprendre les relations antérieures et de fréquenter les buvettes. L'auteur endort — pas très profondément — ses sujets, leur suggère qu'ils ont une répugnance de plus en plus vive pour l'alcool et les en prive progressivement. On inspire ainsi très facilement le dégoût de l'alcool, mais pas celui de la bière, parait-il. Séances d'abord répétées, puis de plus en plus éloignées. Si après cela le malade se remet à boire de l'alcool, il le supporte bien plus mal qu'auparavant.

Surdi-mutité hystérique guérie par la suggestion à l'état de veille

Xavier Francotte : Communication à la société médico-chirurgicale de Liège, Mercredi Médical, 3 Octobre 1894).

L'observation qui fait le sujet de cette communication concerne un homme de 35 ans qui, à la suite d'une frayeur, fut atteint de surdité et de mutisme. L'auteur essaie d'abord d'hypnotiser ce malade par le regard, mais comme il n'y arrive pas facilement, il lui fait fixer l'extrémité brillante d'un athésiomètre de Brown-Sequard. Le sommeil ne seproduitpas,

mais le sujet est fort ému et, sur un commandement de M. Francotte, il entend et commence à articuler les syllabes qui lui sont indiquées. Depuis ce moment la surdité disparut ainsi que le mutisme. Etant donnés le début et les caractères de cette affection, l'auteur n'hésite pas à porter le diagnostic de surdi-mutité hystérique.

Emploi de l'hypnose prolongée dans un cas de somnambulisme

hystèro-épileptique

par M. le Dr BonjOur, de Lausanne, à la réunion des médecins suisses,

à Lausanne.

Il s'agit d'un homme dans la force de l'âge atteint de crises soranam-buliques depuis plusieurs années, précédées par une aura sensitive ou sensorielle, les crises s'accompagnaient de nombreux stigmates permettant d'affirmer l'hystéro-épilepsie. L'hypnose passagère n'ayant pas donné de résultats durables, M. Bonjour employa l'hypnose prolongée pendant six semaines en suggérant à son malade de s'endormir spontanément chaque fois qu'il compterait jusqu'à 20 ; cela arriva en effet ainsi, et dès lors, c'est-à-dire depuis six semaines, les crises ont complètement cessé. Tous les narcotiques, chloral, bromure, etc., avaient été employés en vain auparavant.

Sur un cas d'ypnotisme mortel; « post hoc, non propter hoc. »

(Revue médicale de l'Est, 1er Février 1895.)

M. le Pr Bernheim se défend d'avoir contribué en rien à la mort d'un de ses malades qui succomba à la suite d'une séance d'hypnotisation. Cet homme,âgé de 37 ans, était entré dans son service pour une phlébite de la veine tibiale postérieure et de la poplitée gauche probablement de nature grippale. Très amélioré au bout de vingt jours, il fut pris d'accident non douteux d'embolie pulmonaire (dyspnée, toux, crachats, hépmop-loiques, râles fins aux deux bases). Une quinzaine de jours plus tard, comme il se plaignait de douleurs dans la jambe et la cuisse gauches, M. Bernheim lui proposa de l'en débarrasser par suggestion. A peine endormi, il fut pris d'oppression anxieuse qui ne fit que s'atténuer par suggestion et par le réveil ; il succomba trois heures plus tard en disant que l'hypnotisme l'avait tué. La marche des accidents était déjà contraire à cette hypothèse; l'autopsie la réfuta complètement : dans les deux poumons, on trouva de nombreux et volumineux infarctus; dans le tronc et les deux branches de l'artère pulmonaire,unénorme thrombusdûà une embolie ultime se prolongeant jusqu'au-dessus des valvules sigmoides.

Telle est l'interprétation exacte de l'accident mortel. L'hypnotisme par lui-même est inoffensif, lorsqu'il est manié par un médecin expérimenté capable de prévenir chez les sujets nerveux l'émotion, qu'il faut rendre responsable des palpitations, de la syncope, qui peuvent tout aussi bien se produire à l'état de veille.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

La prochaine séance aura lieu le lundi 17 juin. La séance annuelle et le banquet de la Société ont lieu le 15 juillet. Adresser les communications et les lettres de candidature à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.

Leçon d'ouverture du Dr Bérillon à l'Ecole pratique.

M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, a commencé la première leçon de son cours le 29 avril, en présence d'un auditoire très nombreux. Parmi les médecins qui s'étaient joints aux étudiants, nous avons reconnu MM. les Drs Félix Regnault, Valentin, Boisleux, Henri Bénard, Lagelouse, Acard, Salomon, Bédié, de Castro, Barruol, Wolf, Ferraton, Lhomme, Enriquezj Boyer, Marinho, Marcel-lin Cazaux, etc..

Après avoir rappelé les grandes traditions de l'école psychologique allemande et exposé l'influence exercée à la fin du xviiie siècle et au commencement du sixe par les écrits des médecins psychologues français, le professeur a montré comment la méthode psycho-physiologique s'était peu à peu dégagée des études poursuivies par les écoles de la Salpètrière, de la Pitié et de Nancy. Après avoir fait l'exposé des erreurs auxquelles nous expose la clinique lorsqu'elle se borne à l'exploration des organes, il a conclu en démontrant la nécessité de joindre à l'examen clinique, tel qu'il est pratiqué habituellement, une étude approfondie de l'état mental et des ressources psychologiques du malade. Entre des mains compétentes, l'hypnotisme ne constitue pas seulement un procédé thérapeutique d'une grande valeur, il devient, dans un grand nombre de cas, un moyen d'investigation clinique des plus précieux, capable de faciliter le diagnostic et d'éclairer le pronostic.

- L'enseignement du D' Bérillon, qui marque un retour vers les traditions philosophiques qui ont si longtemps inspiré l'enseignement de la Faculté de Paris, a été accueilli avec une faveur marquée. Pour le prouver, il suffira de dire que le chiffre des auditeurs, qui était de cent douze à la séance d'ouverture, était resté le même à la sixième leçon.

Les dernières leçons seront consacrées à l'étude de l'hypnotisme dans ses rapports avec la pédagogie et médecine légale.

Ecoles d'ambulancières et d'ambulanciers

inauguration de la section de l'Ecole dentaire de Paris.

Mercredi 15 Mai a eu lieu, dans l'amphithéâtre de l'Ecole dentaire de Paris, 4, rue Turgot, l'inauguration de la troisième Ecole d'ambulanciers et d'ambulancières, sous la présidence de notre ami M. Paul Strauss, le dévoué conseiller municipal de Paris, assisté de MM. Godon, directeur de l'école dentaire, de MM. les docteurs Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles d'aliénés, Régnier, et Albin Rousselet, secrétaire général. Parmi les nombreuses personnes qui remplissaient l'amphithéâtre, nous avons remarqué MM. les docteurs Butte, directeur de la Policlinique de Paris, Perchaux, professeur à la Société des Secouristes français, Valentino, chef de bureau au Ministère de l'Instruction publique, Bar-bizet, sous-chef de bureau, représentant M. Peyron, directeur de l'Assistance publique, MM. Martinier et Barrier, professeurs à l'Ecole dentaire, Lowenthal et Loup, chefs de clinique, Delaunay et Billebaut, démonstrateurs, etc., etc.

Dans son allocution, M. Albin Rousselet a développé le but de ces Ecoles qui sont absolument calquées sur le même modèle que celles fondées par M. Bourneville dans les hôpitaux de Paris. Après avoir rendu hommage au Dr Butte, avec le concours duquel il fondait il y a cinq ans à la Policlinique de Paris la première Ecole, il a été heureux de voir ces Ecoles prospérer et s'agrandir, grâce aux encouragements du Conseil municipal et au zèle des médecins dévoués qui donnent gracieusement leur temps pour l'instruction des gardes-malades.

Il y a deux ans, notre ami le Dr Paul Cornet, avec les docteurs Bil-haùt et Aubeau, installaient une deuxième école d'ambulancières à l'hôpital international, rue de la Santé. Enfin, cette année, M. Godon, directeur de l'Ecole dentaire de Paris, de concert avec l'administration de l'école, mettait à la disposition des ambulanciers un de ses amphithéâtres. M. Rousselet termine en remerciant le Conseil municipal et en particulier M. Paul Strauss, qui s'occupe avec tant de dévouement de tout ce qui concerne l'Assistance. Il rappelle les magnifiques institutions hospitalières étrangères où l'instruction est donnée à profusion aux infirmières. Il cite les nombreux exemples rapportés par notre secrétaire de la rédaction, Marcel Baudouin, lors de son voyage en Amérique, et espère que bientôt la France suivra l'exemple de l'Etranger.

Ensuite, la leçon d'inauguration a été faite par M. le Dr Bérillon. Le professeur avait choisi pour sujet de la leçon l'éducation des enfants arriérés. Après avoir fait l'éloge d'Esquirol, de Séguin et de Bourneville, les véritables promoteurs de l'hospitalisation et de l'éducation de ces déshérites de la vie, il a fait entrevoir combien pourrait être utile, pour le médecin et pour les familles, la collaboration de gardes-malades éclairées, sachant reconnaître et même prévenir les mauvaises habitudes desdégénérés. M.Paul Strauss, après avoir remercié les organisateurs de

l'Ecole, a promis son appui et son concours dévoué au Conseil municipal. Il a développé en termes éloquents l'utilité de faire de bonnes gardes-malades instruites, réformé qui ne pourra réussir que grâce à l'initiative privée, qui seule peut hâter les lenteurs administratives.

Les étudiants en droit en Russie.

A Odessa, pour mettre les étudiants en droit un peu au courant des pratiques de la médecine légale, on les fait assister aux nécropsies judiciaires et le professeur, M. Korsch, leur donne les explications indispensables. Il est bien évident que les futurs avocats ou magistrats ne peuvent que gagner à acquérir ainsi de visu les notions fondamentales de la médecine légale. Il ne serait peut-être pas non plus inutile, pour donner aux étudiants en droit des notions sur l'étendue de la responsabilité morale, de les admettre à des expériences d'hypnotisme.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'élude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assiter et sont exercés à la pratique de la psychothérapie. M. le Dr Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, fera, à partir du 6 juin, tous les jeudis à cinq heures, des leçons pratiques sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme. Il sera assisté dans ses démonstrations par les Drs Valentin, Félix Regnault et Lagelousc.

L'organisation actuelle de l'Institut psycho-physiologique et l'enseignement qui est y donné permettent de le considérer comme une véritable Ecole pratique de psychologie expérimentale et de psychothérapie.

Cours annexe de l'Institut psycho-physiologique a Lille. — Un des collaborateurs de l'Institut psycho-physiologique de Paris, M. le Dr Paul Joire, va faire, pendant le semestre d'été, un. cours sur l'hypnotisme à Lille.

Voici le programme du cours de notre correspondant, dont l'enseignement se rattache directement à celui de l'Institut psycho-physiologique : 1° Etat de veille. — Sommeil. — Rêves. — Sommeil pathologique ;

2° Mémoire. — Maladies de la mémoire. — Mémoires visuelle, auditive. — Imagination;

3° Hallucinations. — Causes. — Sujets. — Hallucinations collectives:

4° Névroses. — Hystérie. — Extase. — Catalepsie. — Diverses manifestations de l'hystérie. — L'hystérie en médecine légale ;

5° Hypnotisme. — Sommeil hypnotique. — Zones hypnogènes. — Fascination. — Hypnotisation à distance ;

6° Différentes phases du sommeil hypnotique. — Etat somnambu-lique. — Excitabilité des centres cérébro-moteurs ;

7° Suggestion. — Transfert. — Rapports de l'idée et de son expression extérieure. — Suggestion mentale. — Double personnalité ;

8° Suggestion. — Somnambulisme provoqué. — Suggestions pendant le sommeil, à l'état de veille, post-hypnotiques. — Effets des suggestions sur les fonctions organiques. —Auto-suggestion ;

9° Etude médico-légale de l'hypnotisme et de la suggestion. — Attentats sur les sujets hypnotisés. — Suggestions criminelles. Responsabilité des hypnotisés ;

10° Etude médico-légale de quelques causes particulières ;

11° L'hypnotisme et la suggestion en thérapeutique;

12° Différents procédés de l'emploi thérapeutique de l'hypnotisme. — Rêves suggérés ;

13° Les expériences médianiques et l'hypnotisme.

Cours d'hypnotisme a l'Ecole pratique de la faculté. — M. le Dr Bérillon, médecin inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, directeur de la Revue de l'hypnotisme, a commencé le lundi 29 avril, à cinq heures, à l'Ecole pratique de la faculté de médecine (amphithéâtre Cruvelhier), un cours libre sur les applications cliniques et médico-légales de l'hypnotisme. Il le continuera les lundis et les vendredis, à cinq heures.

Les leçons du vendredi 31 mai et du vendredi 7 juin seront consacrées à l'étude des rapports de l'hypnotisme sur la médecine légale.

Facultés Etrangères. — M. le Dr Meyer, privat-docent à l'Université de Vienne. est nommé professeur de psychiatrie et de neurologie, à Innsbruck. —M. le D' Sommer, privat-docent à l'Université de Wurtz-bourg, est nommé professeur de psychiatrie à Giessen.

Distinctions honorifiques.—Nous apprenons avec un grand plaisir la nomination au grade de chevalier de la légion d'honneur de M. Ch. Verdin, le constructeur auquel la psychologie expérimentale et la physiologie sont redevables de tant d'appareils ingénieux. M. Ch. Verdin, dont la collaboration n'a jamais fait défaut à l'Institut psycho-physiologique, est le fondateur du remarquable Musée physiologique de la Faculté de médecine de Paris.

Société des Sauveteurs de la Seine. — Le Ministre a remis à notre collaborateur, M. le Dr de Bcauvais, médecin de Mazas, une médaille d'argent de 1re classe pour les services qu'il a rendus depuis dix-huit

ans à la Société des sauveteurs dont il est l'administrateur et le médecin en chef.

Ecoles d'Ambulanciers et d'Ambulancières (section de l'Ecole dentaire de Paris, A, rue Turgot). — Voici le programme des cours qui ont lieu tous les mercredis et samedis à 8 heures et demie du soir, dans le petit amphithéâtre de l'Ecole.— Anatomie : Dr Isch-Wall;— Physiologie : Dr Bérillon ; — Hygiène : D' Régnier ; — Pharmacie : M. Henri Bocqcillon ; — Soins à donner aux femmes en couches : DF Gotchaux ; Pansements : Dr Saxdras ; — Assistance : M. Albin Rocsselet. — Les inscriptions sont reçues tous les jours à l'Ecole dentaire de Paris, 4, rue Turgot, de 3 à 5 heures.

Le cours du Dr Bérillon {physiologie et pédagogie des enfants arriérés)-aura lieu les mercredis à 8 heures et demie du soir, à partir du mercredi 15 mai.

NÉCROLOGIE

M. le professeur Karl VOGT (de Genève).

La semaine dernière est mort à Genève un savant célèbre, un amoureux d'idées générales autant que de recherches minutieuses, Karl Vogt.

Né à Giessen le 5 juillet 1817, il était fils d'un naturaliste médecin, Philipp-Pried-Wilhem Vogt, qui a laissé des œuvres importantes. Il commença les mêmes études que son père en 1833, à la petite Université de sa ville, sous la direction de Liebig. En 1835, il suivit à Berne son père, qui avait occupé une chaire à l'Université, et assista aux leçons du célèbre physiologiste Valentin. Ayant pris ses grades, il passa à Neufchâtel, où il fut encore cinq ans élève et collaborateur des célèbres naturalistes Desor et Agassïz. Nommé professeur à l'Université de Giessen, il ne tarda pas à quitter l'Allemagne pour se fixer en Suisse, où il fut nommé professeur à l'Université de Genève. II y a professé jusqu'à l'âge de 76 ans.

Bien qu'adonné spécialement à l'étude des sciences naturelles, Vogt doit être considéré comme un des grands penseurs et un des grands philosophes de ce temps. Son esprit était ouvert à toutes les idées générales, et son œuvre scientifique fut considérable.

Nous transmettons à son fils, le Dr Vogt, fixé à Paris, l'expression de nos sentiments de regret pour le grand savant qui vient de disparaître.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT 170, rue Saint-Antoine. Paris, Imprimerie A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE 9e année. — n° 12. Juin 1895.

LES IDÉES FIXES DE FORME HYSTÉRIQUE (1)

Par le Dr Pierre Jasit, Agrégé de l'Université, Docteur es-lettre».

Messieurs, le professeur Raymond m'a chargé de vous exposer aujourd'hui quelques notions psychologiques, qui vous seront utiles pour comprendre les accidents des hystériques. Je dois vous parler des idées fixes, qui jouent dans la pathogé-nie de ces accidents un rôle considérable, et dont il faut sans cesse se préoccuper quand on veut diriger le traitement de ces malades.

Cette étude des idées lixes dans l'hystérie a commencé, comme vous le savez, avec les travaux de Charcot sur Us accidents traumatiques des hystériques. Dans ses leçons de 1884-1885, il fit une analyse restée justement célèbre de plusieurs cas de monoplégie brachiale (2) : il montra que, pour les expliquer, il fallait éliminer toutes les légions grossières des nerfs périphériques, de la moelle, de l'encéphale. Une seule supposition restait donc possible, celle qui avait été indiquée par Brodie en 1837, et surtout par Russel Reynolds (3) en 1869. « Il s'agit probablement, disait Charcot, d'une de ces modifications transitoires des cellules de l'écorce cérébrale qui se manifestent sous la forme d'un trouble psychologique. » Ce sont des paralysies qui dépendent des idées « dependent of idea. »

Charcot insista sur l'émotion primitive au moment de l'accident, sur la reproduction de faits identiques par la suggestion,

(1) Conférence faite à la Salpêtriére. le 3 mai 1893, dans le service de M Je professeur Raymond.

(2) Charcot. — « Œuvres T. III, p. 335, 44?.

(3) Russel Reynolds. — « Remarcks on paralysis and other disorders ot motion and sensation dependent of idea », 1869. Un travail sur le même sujet de Err, 1878.

sur le traitement par l'isolement et les influences morales qui modifient non l'état physique, mais l'état mental pathologique de l'hystérique. Peu à peu, avec beaucoup de réserve, il appliqua la même interprétation à d'autres phénomènes, à des contractures, à des mutismes, à des anorexies. Beaucoupd'au-teurs, en France et à l'étranger, et en particulier Mœbius et Strümpell, ont adopté cette conception des accidents hystériques et ont été jusqu'à déclarer que « l'on peut considérer comme hystériques, toutes les modifications maladives du corps qui sont causées par des représentations, durch Vorstellungen (1). »

Il faut reconnaître cependant que, malgré les démonstrations de Charcot, malgré les observations nouvelles, un doute subsistait dans beaucoup d'esprits. Nous voyons des auteurs comme Oppenheim et Jolly (2) en Allemagne, Grasset en France (3), plus récemment Bastian en Angleterre (4), qui cherchent à interpréter autrement les accidents hystériques. D'autre part, Charcot lui-même et ses élèves hésitent à généraliser cette conception relative au rôle des idées dans l'hystérie et emploient bien rarement, à propos de ces malades, le mot précis d'idêes fixes qui devrait caractériser leurs accidents.

Cette hésitation nous semble facile à expliquer. Depuis longtemps, on connaissait le phénomène des idées fixes, décrit déjà par Esquirol sous le nom de monomanie, puis étudié longuement par les aliénistes sous les noms de délire émotif, ver-tige mental, obsession, impulsions, phobies, syndromes épisodiques des dégénérées, etc. Il était facile de remarquer que les hystériques ne présentaient pas souvent des phénomènes absolument semblables à ceux qui avaient été décrits par les aliénistes, et l'on ne trouvait pas chez elles les véritables idées fixes telles qu'on les connaissait. Cette remarque est juste, mais ne doit pas, à notre avis, être exagérée. Il faut chercher si les idées fixes ne se dissimulent pas chez nos malades en prenant une

(1) Mœbius. — « Ueber den Begriff der Hysterie », Centralblatt fur nerven-keil-kun de, von D. Erlenmeyer, T. XI, 1388, n° 3.

A. Strümpell. — « Uebeq die Ensrhchung und die Heilung von Krankheiten durch Vorstellungen. » Erlangen, nov. 1892.

(2) H. Oppesheim. — « Thatsachliches une hypothetisches über das Wesen der Hysterie, » Nerven-klinick der Charité, oct. 1889.

Jolly. — « Ueber hystérie beikindern. » Sonder Abdruck aus der Berliner klinische Wochenschrift, 1892, n° 34.

(3) J. Grasset.— « Leçons sur rhystero-traumatisme », 1889.

(4) Bastian.— « Hysterical paralysis », 1893.

forme un peu particulière, il faut chercher en un mot s'il n'existe pas des idées fixes de forme hystérique.

Pour y parvenir, je résumerai brièvement certains caractères des idées fixes les plus connues pour montrer que les hystériques ne présentent pas des phénomènes absolument comparables et pour constater enfin quelle modification l'idée fixe présente chez nos malades.

1

Pour constater les idées fixes sous leur forme la plus simple, je vous rappellerai brièvement l'observation d'une malade qui s'est présentée récemment à la consultation.

Observation I. — Mme A..., une femme de trente-trois ans, d'une famille prédisposée aux troubles mentaux (un oncle et une tante du côté paternel sont morts aliénés), a toujours été elle-même arriérée et peu intelligente, quoiqu'elle n'ait pas présenté dans sa jeunesse d'accidents nerveux bien caractérisés. Elle s'est mariée jeune et a quatre enfants. Il y a quatre ans, elle fut obligée de faire appeler un médecin de son quartier pour soigner un de ses enfants. Je ne sais ce que notre collègue avait de séduisant et d'irrésistible en auscultant l'enfant, mais Mme A... fut émotionnée et bouleversée par ce spectacle. Depuis, pendant trois années consécutives, elle n'a pas pu détacher son esprit de la pensée de ce médecin. Elle en était devenue complètement amoureuse, d'une manière bien invraisemblable. Elle passait ses journées en contemplation devant son image, car elle croyait le voir ; au moindre bruit d'un pas dans la rue elle prétendait l'entendre qui montait chez ello et qui lui parlait, nuit et jour; elle lui adressait de tendres discours. Enfin, elle commit mille excentricités pour chercher à le revoir. Depuis un an. cette préoccupation s'est modifiée : Mme A... s'accuse d'une faute imaginaire qu'elle aurait commise avec ce médecin et passe ses nuits à se confesser à son mari : une idée fixe de remords a remplacé presque complètement l'idée amoureuse. D'ailleurs, ces idées, même la dernière, diminuent sensiblement depuis quelque temps, surtout depuis que la malade est isolée et séparée de son mari.

Je n'insiste pas sur tous les caractères de cette idée fixe, ce qui n'est pas l'objet de mon étude actuelle, je vous fais seulement remarquer que toutes les images, visuelles, auditives, etc., qui constituent la notion d'une personne, du docteur X... en particulier, se développèrent complètement dans la conscience de Mme A... L'idée fixe était ici bien analogue à une suggestion, elle était le développement complet, automatique,

de tous les éléments d'une idée en dehors de la volonté du malade (1). Mme A..,, tout en déplorant son état, savait très bien qu'elle pensait tout le temps au Dr X. Aujourd'hui encore, elle nous déclare qu'elle s'en souvient parfaitement: la conscience et le souvenir sont donc complets.

Cette malade ne présentait pas uniquement ce symptôme de Vidée fixe, elle avait depuis longtemps un état d'esprit tout particulier qui, à mon avis, a permis le développement de l'idée fixe. Cet état, qui se caractérisait surtout par la suggestibilité, consistait en troubles de la perception, en altérations curieuses de la mémoire se rapprochant beaucoup de l'amnésie continue, cet oubli continuel des choses récentes (2), en une diminution considérable de la volonté et de l'attention. Ces divers symptômes fondamentaux constituent les signes de la faiblesse mentales des stigmates de psychasthénie.

Enfin, d'autres symptômes peuvent être considérés comme postérieurs à l'idée fixe, comme la conséquence de cette idée ; ce sont, en premier lieu, des actes, des paroles, des délires et aussi de nouveaux troubles de la sensibilité, de l'attention et de la mémoire, qui se surajoutent aux premiers.

Si nous faisions une étude complète des idées fixes, il faudrait étudier séparément ces trois groupes de symptômes, distinguer soigneusement ce qui est un stigmate primitif, ce qui est une idée fixe accidentelle, et ce qui est une conséquence fixe. Un même phénomène comme le doute, par exemple, peut, suivant la façon dont il se présente, être simplement un stigmate, constituer une idée fixe ou dépendre d'un trouble d'attention consécutif à l'idée fixe (3). Ces distinctions ne sont pas, à mon avis, sans importance. Il faudrait aussi étudier le phénomène des idées fixes en lui-même et constater les variétés qu'il représente, suivant que l'idée est complète et se développe jusqu'à l'hallucination, ou qu'elle est incomplète et se réduit le plus souvent à l'obsession verbale, suivant que l'idée est primitive ou qu'elle est secondaire et dérive de la première, comme l'idée

(1) Pierre Janet. — « Accidents mentaux des hystériques » 1894, p. 30, 56.

(2) Pierre Janet « Amnésie continue ». Revue générale des sciences, 1893, 176.

(3) J'ai déjà discuté quelques-unes de ces distinctions dans plusieurs articles : « Etude sur un cas d'aboulie et d'idées rixes ». Revue philosophique, 1891, I, 280 ; « Amnésie continuo n Revue générale des sciences, 1893, p. 176 ; « Histoire d'une idée fixe » Revue philosophique, février 1891, p. 12!. Dans tous ces travaux, j'ai insisté sur ce point que les stigmates, l'anesthésie elle-même, peuvent être la conséquence indirecte de l'existence d'une idée fixe. Mais, je ne crois pas qu'il en soit toujours et nécessairement ainsi.

de remords dans le cas présent dérivait de l'idée amoureuse, suivant que l'idée est acceptée par le sujet qui croit à la réalité extérieure ou qu'elle est repoussée par le malade qui se rend compte de son trouble mental, etc. Mais nous ne pouvons entrer dans ces questions, que nous avons étudiées ailleurs et qu'il suffît de rappeler. Constatons seulement que, chez cette malade, les trois groupes de symptômes, les stigmates antérieurs, l'idée fixe et les accidents consécutifs, sont tous les trois parfaitement s nets et visibles, et que les malades de ce genre ont la conscience et le souvenir de leur idée fixe.

II

Les hystériques peuvent présenter quelquefois des idées fixes à peu près analogues aux précédentes, des idée fixes qui sont même très complètes, mais le plus souvent il n'en est pas ainsi. Si nous considérons quelques-uns de ces accidents hystériques que nous sommes disposés à expliquer, suivant la théorie de Charcot, par des idées fixes, nous voyons que les phénomènes ne sont plus exactement les mêmes, du moins que les diverses catégories de symptômes ne se présentent plus toutes les trois avec la même netteté.

Voici d'abord un cas d'un accident hystérique assez rare et dont la description seule est intéressante pour la clinique.

Il y a trois ans, Charcot préparait un cours que quelques-uns d'entre vous ont peut-être entendu, sur les vertiges au cours de la neurasthénie. Nous avons cherché sur sa demande, sans en trouver d'exemples bien nets, des cas de vertige chez des hystériques, et Charcot avait conclu dans sa leçon que le vertige fréquent dans la neurasthénie est fort rare dans l'hystérie. Aussi me semble-t-il intéressant de signaler le cas. suivant.

*

Observation II. — B... est une femme de vingt et un ans dont l'histoire est trop longue et trop compliquée pour que je vous la raconte ; elle a déjà présenté la plupart des accidents que les hystériques peuvent avoir, somnambulismes spontanés, contractures, attaques, délires prolongés pendant plusieurs mois avec amnésie consécutive, etc. Je n'insiste que sur un nouveau phénomène assez curieux qui se produit depuis le début du mois de mars. Quand elle marche dans la rue, elle se sent prise tout d'un coup d'un grand vertige, le sol se dérobe sous elle, elle se sent précipitée en avant et doit se raccrocher aux arbres ou aux murs pour ne pas tomber; le même vertige la prend aussi et avec violence quand elle est assise. Cet accident se produisait, au début du

mois de mars, plusieurs fois par jour; il n'existe plus guère maintenant qu'une fois par jour.

Ce vertige ne s'accompagne ni de sensation de bruit dans les oreilles, ni de troubles oculaires, ni de nausées. Il est isolé et en même temps exagéré : il constitue, si j'ose m'exprimer ainsi, un accident absurde qui ne se rattache à rien de précis. Je connais la malade, et je sais combien elle est suggestible, combien elle a eu de tics bizarres, d'idées fixes absurdes : je suis donc disposé à croire qu'il s'agit encore, dans ce cas, d'un phénomène du même genre. Mais cette malade, si on l'interroge dans ce sens, affirme qu'elle n'a aucune idée obsédante et qu'elle n'a jamais réve à un vertige ; elle ne sait même ce que nous voulons dire en parlant d'idées de ce genre, et elle est persuadée qu'elle a une maladie purement physique.

Cette même malade présente un autre accident plus banal, ce sont des peurs qui la tourmentent depuis plusieurs années. De temps en temps, sans raison apparente, elle sursaute, frissonne, se sent, dit-elle, envahie par une grande peur, mais ne peut aucunement expliquer ce qui l'effraye ainsi. Elle regarde de tous côtes pour voir ce qui lui a fait peur et ne trouve rien:

Observation III.— Cette autre malade, C..., âgée de trente-deux ans, se portait bien jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans, quoiqu'elle fût très nerveuse et très impressionnable. A ce moment, elle éprouva successivement une série d'émotions violentes; elle vît son père perdre une partie de sa fortune, elle assista à l'agonie d'une amie intime qui mourut de phtisie, enfin elle vit dans la rue un homme écrasé par une voiture. A la suite de ce dernier incident, elle fut si bouleversée et si tremblante, qu'elle ne put rentrer chez elle; on dut la conduire en voiture, mais on fut fort étonné de la voir s'endormir dans la voiture. Il fallut la descendre endormie, et elle ne se réveilla que deux heures après, sans pouvoir expliquer ce qu'elle avait éprouvé. Depuis, à chaque instant, à propos de la plus légère secoussse, elle s'endort pendant deux ou trois heures; une fois, à la suite d'une réprimande de son père, elle dormit trois jours entiers. Pendant le mois de février, qui a précédé son entrée à l'hôpital, elle avait des attaques de sommeil de durée variable, à peu près tous les jours. Pendant ce sommeil elle était fort calme, les yeux à demi fermés, avec quelques tremblements rares des paupières-, les membres en résolution et insensibles, elle se réveillait en gémissant et sans aucun souvenir de ce qui avait pu provoquer l'attaque. Si on tient compte des circonstances qui ont déterminé ces sommeils, de la tristesse continuelle de la malade, de son caractère qui a toujours été très susceptible, on est disposé à rattacher ces sommeils à des émotions et à chercher l'idée, le fait psychologique, qui les provoque. Mais, comme je l'ai remarqué, C... a beau faire effort, elle ne retrouve aucun souvenir de ce qui se passe pendant ces sommeils, elle affirme n'avoir

au début aucune idée en tête et même avoir à peu près oublié ses anciennes émotions.

Observation IV. — Cette malade est un peu différente des précédentes, mais je crois cependant qu'elle peut à certains points de vue leur être comparée. M... est une jeune fille de seize ans qui était atteinte, il y a quelques mois, car la maladie est maintenant terminée, d'une bien désagréable infirmité. Pendant son sommeil elle urinait toutes les nuits dans son lit. Bien des signes sur lesquels je ne puis insister nous montrent que celte incontinence nocturne a des caractères tout spéciaux. Elle n'a commencé qu'à l'âge de douze ans, après l'entrée de M... à la pension, ce qui a provoqué une série d'émolions et d'ennuis : elle ne s'accompagne d'aucun des troubles qui pourraient nous faire songera une lésion organique ; enfin elle n'existe à aucun degré pendant le jour. Je suis tout naturellement conduit à la comparer à ces incontinences décrites autrefois par L.-J. Petit et que mon frère, le Dr Jules Janet, a étudiées dans sa thèse sur les troubles psychopathiques de la miction, à des incontinences psychiques dépendant d'une idée, d'un rêve. Mais nous nous heurtons toujours à la même difficulté. M... a été interrogée de cent manières, elle ne peut aucunement expliquer ce qui se passe la nuit quand elle urine ; elle n'a pas le moindre souvenir d'un rêve quelconque.

Observation V. — Celte dernière observation me parait la plus importante de beaucoup et mérite que nous nous y arrêtions un peu. Voici dans quelles circonstances j'ai fait la connaissance de cette malade, que j'ai déjà signalée dans divers travaux sous le nom de Maria. (1) Il y a quatre ans, je travaillais à Saint-Antoine dans le service de mon excellent maitre, M. Hanot. Des agents de police ont amené un matin, une jeune femme qu'ils avaient ramassée absolument ivre dans le ruisseau. Elle tenait encore à la main un litre renfermant au fond une liqueur nauséabonde que j'ai appris plus tard être un mélange de vulnéraire et d'éther. M. Hanot me fit appeler et me dit en plaisantant que, si je voulais étudier la psychologie d'une femme saoule, j'avais là une belle occasion. Je remerciai M. Hanot du cadeau qu'il me faisait et je me mis en devoir de faire connaissance avec cette nouvelle malade. Malgré tous mes efforts, il me fut impossible d'en tirer un mot, elle dormait tranquillement et profondément. Le lendemain, à ma grande surprise, elle dormait encore. Ce ne fut que le surlendemain que l'on put la tirer un peu de ce sommeil singulier et en obtenir quelques réponses.

Les renseignements que j'ai recueillis sur elle ont été depuis confirmés par quatre années d'observations et par les communications des parents. Maria appartenait à une famille évidemment tarée : un frère était hystérique, une sœur aliénée, le père et le grand-père étaient

(l) Pierre Janet. — « Stigmates mentaux des hystériques », 1893, p. 77, 94, 108, HO.

ivrognes et alcooliques. Malgré les apparences, Maria n'était pas comme eux une ivrogne : elle avait même une telle peur de ce vice qui avait causé la ruine de sa famille, qu'elle buvait uniquement de l'eau. Elle n'avait aucun goût pour l'alcool et ne se sentait aucunement le désir de fréquenter les cabarets et de s'enivrer en compagnie. Mais, de temps en temps, surtout au moment de ses époques, elle se sentait mal à l'aise, éprouvait une angoisse toute particulière et partait seule de la maison: elle entrait dans tous les cabarets, buvait de l'alcool, du vulnéraire, de l'absinthe. Dans les pharmacies elle demandait de l'éther « plein sa bouteille », elle vidait la bouteille d'éther devant le pharmacien, puis demandait qu'on la remplit de nouveau, ce que cet honorable commerçant ne refusait jamais. Après quelques journées de ce genre, Maria tombait ivre-morte dans quelque ruisseau et se réveillait à la préfecture de police ou à l'hôpital, honteuse et désespérée de sa nouvelle mésaventure. En un mot, cette malade était une dipsornane tourmentée périodiquement par l'impulsion de l'alcool et de l'éther.

Mais nous allons être bien embarrassés, si nous interrogeons la malade comme je l'ai fait à Saint-Antoine après son réveil, et si nous lui demandons de décrire cette impulsion qui l'entraîne. Elle raconte bien qu'elle s'est sentie malade et angoissée au milieu de son travail, mais elle déclare qu'à ce moment elle ne pensait pas à boire. Elle ne sait aucunement ce qui s'est passé ensuite, et elle ne connaît que par les récits des autres ses stations dans les cabarets. Des agents de police vinrent à l'hôpital pour l'interroger sur quelques détails de sa dernière équipée; malgré son inquiétude et ses efforts, elle ne put retrouver aucun souvenir. L'amnésie était absolument complète et s'étendait également sur tout l'accès de dipsornanie, depuis l'angoisse du début jusqu'au moment du réveil.

Cette malade fort intéressante présentait beaucoup d'autres accidents. Je rappellerai seulement un phénomène curieux qu'elle appelait ses fixités et qui semblait analogue à une attaque extatique. Très souvent, au milieu de l'état le plus normal, elle s'arrêtait en fixant un objet, puis restait absolument immobile, les yeux grands ouverts. On ne. pouvait la sortir de cette extase, et on la transportait sur son lit sans qu'elle s'en doutât et sans qu'elle modifiai la direction de ses yeux (1). Elle se réveillait au bout d'un temps plus ou moins long, en poussant quelques soupirs, mais sans le moindre souvenir de ce qui s'était passé. En un mot, cette femme avait évidemment des impulsions et même des idées fixes, mais ne pouvait les décrire, car elle n'en avait ni la conscience ni le souvenir.

Si nous résumons les observations précédentes, nous voyons que, chez ces quatre malades, nous ne retrouvons pas tous les groupes de symptômes que nous présentaient d'ordinaire

(1)Pierre Janet.—« Accidents mentaux des hystériques », p. 163.

les malades obsédées par des idées fixes. Des trois groupes de symptômes que nous avons constatés, les stigmates préalables, les idées fixes conscientes pour le sujet et conservées dans le souvenir, les accidents consécutifs à l'idée fixe, nous n'en pouvons observer que deux, le premier et le troisième. Les stigmates qui caractérisent la suggestibilité et la faiblesse mentales sont, chez toutes ces malades, extrêmement importants, vous savez même que chez ces malades hystériques les troubles de la sensibilité, de la mémoire, de la volonté, sont devenus beaucoup plus nets et beaucoup plus caractéristiques.

Les accidents consécutifs sont aussi très évidents ; ce sont des vertiges, des peurs, des sommeils, des mictions involontaires, des excès de boisson, des ivresses, des extases, de nouveaux troubles de la sensibilité et de la mémoire, etc. Mais le phénomène intermédiaire, cause supposée des accidents, l'idée obsédante et impulsive, le rêve émotif, où est-il? Les malades ne cachent rien, et nous n'avons pas de raison pour mettre en doute leur sincérité. Elles affirment qu'elles ne pensent à rien de semblable et qu'elles ne se souviennent pas d'avoir eu en tête des idées de ce genre.

On comprend donc que beaucoup d'auteurs aient hésité à expliquer avec Charcot les accidents des hystériques par des idées fixes, car il est incontestable que, bien souvent, ces idées ne se manifestent pas chez elles d'une façon claire comme chez les autres aliénées.

III

Faut-il conclure de ces remarques que les idées fixes n'existent pas chez ces malades et chercher une autre explication de leurs accidents?

Nous savons aujourd'hui que notre conscience ne saisit pas tous les phénomènes psychologiques qui se passent en nous, et qu'il y a dans notre esprit bien des faits que nous ignorons. Cette remarque est encore bien plus vraie quand il s'agit des hystériques. Vous savez qu'il existe dans leur esprit des sensations qu'elles ignorent, et je vous ai présenté dernièrement une femme hémiopique qui avait cependant des sensations subconscientes dans la moitié en apparence insensible de sa rétine (1). Vous savez que ces malades ont également des souve-

(1) Pierre Janet.— « Un cas d'hémianopsie hystérique ». Archives de Neurologie. mai 1895, p. 337.

nirs sans s'en rendre compte; l'amnésie qui suit le somnambulisme et qui disparait dans le somnambulisme suivant, en est bien la preuve. Eh bien, les hystériques ont aussi des idées dont elles n'ont pas conscience et de véritables idées fixes qui restent subconscientes.

Pour constater leur existence, il faut rechercher chez les mêmes malades les diverses manifestations des phénomènes inconscients dans les rêves, les attaques, les somnambulismes, les écritures automatiques, etc. Toutes ces études nous montreraient des phénomènes intéressants; nous insisterons surtout sur les somnambulismes, qu'il est plus facile de vous présenter ici rapidement.

Obsebvation II (suite). — B... dont nous avons déjà constaté les vertiges et les peurs, présente un état somnambulique très facile à provoquer, c'est une reproduction de ces somnambulismes naturels autrefois si importants. Dans cet état elle se souvient des attaques, des somnambulismes précédents, des délires et en particulier de certaines rêveries qu'elle fait à tout moment de la journée, dans un état de demi-sommeil, et dont elle semble pendant la veille avoir perdu le souvenir. Dans cet état, elle nous raconte très bien ce qui l'obsède depuis le mois de mars.

A cette époque, elle fit une visite à des parents qui habitaient Neuilly ; ceux-ci lui reprochèrent vivement sa conduite et voulurent la forcer à se réconcilier avec sa mère. En revenant, elle rêvait aux reproches qu'on venait de lui faire, à sa mauvaise conduite, et prenait dans son rêve une résolution qui simplifie toujours beaucoup les choses, celle de se jeter à la Seine ; elle enjambait le parapet et sautait dans l'eau. Mais cette chute imaginaire déterminait un soubresaut qui la réveillait. Elle se sentait alors tomber en avant sans savoir pourquoi, et éprouvait cette impression de vertige dont elle est venue se plaindre. Depuis, ce rêve s'est répété plusieurs fois par jour, avec la régularité d'une obsession déterminant chaque fois le vertige consécutif

Dans le même état somnambulique, elle nous raconte aussi que ses peurs ne sont pas sans motifs : « A ce moment, dit-elle, elle voit des serpents autour d'elle. » C'est là le souvenir d'un incident de son enfance ; elle avait été effrayée par une couleuvre et, comme cela arrive fréquemment, elle voyait de nouveau sa couleuvre pendant les attaques d'hystérie. Les attaques ont disparu, mais l'hallucination du serpent se reproduit encore de temps en temps ; seulement elle se reproduit d'une façon subconsciente, l'émotion seule, la peur étant clairement perçue par le sujet.

Observation III (suite). — On peut, en hypnotisant C..., reproduire artificiellement ses sommeils spontanés, et pour comprendre la nature

et la production de ces sommeils, il suffit de lui faire une suggestion bien simple, celle de rêver tout haut. J'ai eu quelque peine à l'habituer à rêver tout haut; maintenant, elle exprime assez bien son rêve, au moins en partie. « Ma pauvre amie, dit-elle, il faut que je porte des fleurs sur sa tombe. ..des fleurs blanches... on en fera des bouquets pour moi... il faut pour moi une petite boite de bois blanc toute petite, on la mettra sur deux chaises, la voici, on l'apporte... etc.» Vous voyez la nature lugubre de ce réve, qui se reproduit, comme je l'ai vérifié depuis deux mois, à peu près toujours le même. Ne disons donc pas que la malade a des crises de sommeil, disons plutôt qu'elle a des attaques de réve, d'idées obsédantes avec hallucinations toujours les mêmes, et que ces rêves remplissent assez son petit champ de conscience pour ne laisser place à aucune autre perception et pour subsister à part, sans laisser aucun souvenir conscient.

Observation V (suite). — Vous vous souvenez que nous n'avons pu retrouver chez Maria le souvenir de ses impulsions dipsomaniaques, ni les rêves qui remplissaient ses extases. Pour comprendre ces crises singulières, il faut d'abord remonter à leur début. Maria, fille et petite-fille d'alcooliques, était dès son enfance très nerveuse ; à quinze ans, à La suite d'une colère violente de son père, elle eut sa première attaque convulsive. C'était une attaque d'hystérie indiscutable, qui se reproduisit ensuite très fréquemment. Pendant quatre ans au moins, ces attaques conservèrent leur caractère purement hystérique: aura, sensation de boule, convulsions, cris, arc de cercle et sommeil assez prolongé après l'attaque, tout était fort simple et régulier. Quand la malade eut l'âge de dix-neuf ans, on s'aperçut d'un détail singulier de ses attaques : elle interrompait ses convulsions pour jouer avec un verre qu'elle cachait sous son lit ; au réveil, elle n'avait aucun souvenir de ce petit fait et restait bien surprise quand on lui montrait le verre. Cependant, dans l'attaque suivante, elle recommençait et entrait en fureur quand on voulait lui retirer son verre. Un peu plus tard, à la même période de l'attaque, on la vit jouer avec une bouteille de cassis qu'elle avait prise et se mettre à boire. Puis, cette période de l'attaque pendant laquelle la malade buvait se développa au détriment des périodes convulsives, et à l'âge de vingt-quatre ans, l'attaque dipsomaniaque se présentait de la manière suivante. Maria, fatiguée et angoissée, avait encore nettement la sensation de la boule, puis survenaiseni quelques secousses dans les membres et quelquefois même (je les-ai vues une fois) quelques convulsions. Mais la malade se relevait aussitôt, la figure sombre, les yeux fixes, et cherchait à sortir ; si elle le pouvait, elle allait dans tous les cabarets et buvait tout ce qu'elle trouvait, surtout de l'éther, pendant plusieurs jours. Enfin, elle tombait endormie d'un sommeil que j'avais pris, au début, pour le sommeil de l'ivresse, et qui était surtout un sommeil hystérique analogue à celui qui suivait ses premières crises. Une fois, ce sommeil s'est prolongé huit jours. Enfin, elle se réveillait avec

l'oubli absolu de tout ce qui avait suivi l'aura. Voilà bien une dipso-manie hystérique, au moins par son évolution. Ne peut-on pas dire qu'il s'agit d'une idée fixe, développée par une suggestion due au spectacle des ivresses paternelles, pendant un somnambulisme hystérique?

Nous le comprendrons encore mieux si nous interrogeons la malade dans un de ces états si faciles à reproduire chez elle. Pendant le somnambulisme, elle retrouve, comme la plupart des hystériques, tous les souvenirs de son attaque, elle se souvient des rues où elle a passé, de la façon dont elle a perdu son argent en le jetant place de la Bastille, des cabarets où elle a bu de l'absinthe, des pharmaciens qui lui ont donné de l'éther, etc., elle se souvient surtout des idées qui l'obsédaient, elle décrit son besoin impérieux de boire, la pensée que « boire était bon pour elle, qu'elle mourrait si elle ne buvait pas, etc. » Elle se souvient même que, dans ses premières crises, elle pensait constamment à son père, le'marchand de vins ivrogne, et qu'elle cherchait à l'imiter. Voici l'idée fixe qui s'exprime et qui s'explique complètement.

Pendant qu'elle est endormie, interrogeons-la aussi, car cela est curieux, sur les pensées qu'elle avait pendant les crises d'extase que je vous ai décrites. Elle s'interrogeait elle-même, nous dit-elle avec précision, sur l'objet qu'elle avait fixé et surtout sur sa fabrication. « Qu'est-ce donc qu'un ressort à boudin? Comment est-ce fait ? Ils sont bien malins les ouvriers qui font ces ressorts, etc. d Ou bien elle s'interrogeait sur un objet naturel. « Comment donc les arbres font-ils pour pousser? Comment font-ils'pour être si verts? » Vous reconnaissez bien ces formules, elles sont classiques. C'est bien là le délire du doute, ou mieux le délire de l'interrogation, le grübel-sucht. Mais il se présente ici d'une manière toute particulière, il est subconscient : la malade éveillée n'en a aucunement le souvenir et elle ne le retrouve qu'en somnambulisme. Sans insister davantage dans cette revue rapide, voici donc une malade qui présente de la dipsomanie et du délire du doute d'une façon subconsciente et sous une forme nettement hystérique.

Observation TV (suite).— Je n'ajoute que peu de mots à l'observation de l'incontinence nocturne, et je vous la présente seulement pour vous montrer de qu'elle façon curieuse se manifeste chez elle le souvenir des rêves. Je vous ai dit que par aucun procédé jen'avais pu retrouver lamé-moire des rêves qui déterminent l'incontinence. En somnambulisme même, au moins au début de nos recherches, cette malade ne s'en souvenait que d'une manière incomplète. Maisj'ai remarqué que la malade pouvait présenterde l'écriture automatique à la façon des médiums spirites. Cette écriture, dont elle ne se rend pas compte, nous a fourni le récit des rêves et de la miction nocturne. Fait singulier, elle ne rêve pas à uriner, elle ne rentre pas tout à fait dans la catégorie des malades décrites par .Iules Janct ; elle a simplement des cauchemars, des rêves émotionnels. Elle rêve, par exemple, que son petit chien se fait écraser par un train qui passe, que des cheminées lui tombent sur la tète, et au mo-

ment de la plus forte émotion, elle urine. Ce n'est donc pas tout à fait une malade ayant subconsciemment une seule et unique idée fixe bien nette. Cet exemple nous montre seulement comment un accident physique comme l'incontinence peut être le résultat de rêves absolument oubliés au réveil, de phénomènes uniquement subconscients.

Tous ces accidents que je vous avais présentés étaient donc bien déterminés par des idées, malgré l'assurance des malades à nier toute idée obsédante. Seulement ces pensées, qui dans certains cas avaient été concientes au début, avaient peu à peu cessé d'être connues par le- sujet. Elles ne se manifestaient plus que dans des rêves ou dans des états somnambuliques et restaient au-dessous du seuil de la conscience, comme sont les sensations dans Panesthésie hystérique.

IV

Messieurs, cette forme particulière que prennent, dans certains cas, les idées fixes, ne me semble pas une simple curiosité clinique. Cette étude est importante à bien des points de vue.

Io Cette étude peut être utile pour préciser la classification des maladies mentales. Au lieu de réunir en un seul groupe ces idées fixes, ces monomanies qui forment ainsi un amas un peu trop confus de symptômes divers, on peut mettre à part, comme un groupe assez bien délimité, les idées fixes de forme hystérique. Sans doute, il restera d'autres subdivisions à établir, mais celle-ci met en relief un caractère psychologique important.

2° Cette étude nous semble intéressante pour la théorie, pour l'interprétation des idées fixes. Cette dissociation de l'esprit, que l'on constate dans l'hystérie, cet isolement de l'idée fixe en dehors du contrôle des autres phénomènes psychologiques, sont des caractères importants qui permettent de mieux comprendre son développement et son pouvoir. Je ne serais pas surpris si, pour comprendre les idées fixes en général, on était obligé de commencer par l'étude des idées fixes subconscientes.

3° Enfin, la considération de cette forme des idées fixes n'est pas indifférente au point de vue thérapeutique. Vous avez remarqué que la plupart des malades que je vous ai présentées sont des malades guéries dont les idées fixes ne sont plus qu'un souvenir.

Les vertiges de B... existent encore, parce que j'ai voulu vous présenter cette malade sans avoir modifié ses symptômes; d'après les observations que j'ai déjà faites de ses accidents, je sais qu'ils disparaîtront très facilement quand je modifierai les rêves qui les déterminent (1). C..., après six semaines de traitement, n'a plus de sommeils spontanés ; ses rêves ne se reproduisent plus que si je les rappelle dans le somnambulisme artificiel que vous avez vu, c'est-à-dire qu'ils ont disparu en tant qu'accident hystérique. M... qui, pendant quatre ans, a uriné au lit toutes les nuits, n'est pas entièrement guérie, mais elle n'a plus son incontinence nocturne que d'une manière très irrégulière, à peine une fois par mois. Enfin, permettez-moi de vous dire quelques mots de la guéri-son de Maria. Cette femme, qui a eu de si terribles attaques de dipsomanie, tous les mois pendant plus de dix ans, a vu d'abord ses attaques diminuer en durée et en nombre et, depuis deux ans complets, elle n'a plus eu une seule rechute. Au lieu de traîner dans les hôpitaux et dans les prisons, elle a pu prendre un métier, gagner honorablement sa vie, elle a retrouvé l'intelligence et les sentiments qu'elle avait entièrement perdus. La psychologie, comme vous le voyez, peut être bonne à quelque chose. Si ces guérisons ont été obtenues, c'est qu'il a été possible d'agir sur ces idées fixes, de les dissocier. Autant ces accidents sont rebelles à toute thérapeutique quand on les comprend mal, quand on ne remonte pas à leur origine, autant ils sont faciles à faire disparaître quand on a bien saisi leur mécanisme.

Aussi cette étude des idées fixes de forme hystérique s'est-elle assez rapidement développée.

J'ai présenté, il y a quelques années, la description d'une malade de ce genre en 1886, je suis revenu avec plus de précision sur la description du type en 1889 et 1891, et dans un grand nombre de travaux plus récents. J'ai été très heureux de voir un élève de M. Pitres, le D' Laurent (de Bordeaux), dans une thèse intéressante sur les états seconds, 1893, confirmer mon interprétation et donner d'autres observations curieuses de faits du même genre. M. Pitres lui-même, dans un article du Progrès médical en 1893, montrait les accidents que pouvaient produire des rêves dont le sujet n'avait aucun souvenir et dont il ne retrouvait la notion que pendant l'hypnose..

(1) Ces vertiges ont complètement disparu après deux séances de somnambulisme dans lesquelles j'ai simplement cherché a effacer le rêve de suicide.

En Allemagne, les travaux de M. Pick, de M. Breuer, de M. Freud, ont apporté de nouvelles observations, dont quelques-unes sont fort nettes, des mêmes faits.

Enfin, vous connaissez le très récent et remarquable travail de M. Lévy sur la maladie de Raynaud et Pérythromélalgie chez les hystériques (i) : ce travail nous montre très bien comment des rêves subconscients peuvent déterminer des troubles vaso-moteurs.

Il nous semble que ces études peuvent être présentées comme la continuation des travaux de Charcot sur les maladies par idée, par imagination, et qu'elles ont contribué à expliquer et à défendre l'interprétation si juste qu'il avait présentée de certains accidents hystériques.

(1) L. Lévy. — " D'une forme hystérique de la maladie de Raynaud et de l'éry-thromélalgie. » Archives de Neurologie, ¡895, p. 102, 166.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE ET DE PSYCHOLOGIE

Séance du 18 Février 1895. — Présidence de M. Dumoxtpallier.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.

La correspondance imprimée comprend un volume de M. le Dr Durand deCros, intitulé : Le Merveilleux Scientifique, dont M. Dumontpalier accepte de donner le compte-rendu à la Société, et un volume de M. Thomas, professeur au Lycée de Versailles : La Suggestion envisagée au point de vue pédagogique.

Un cas exceptionnel de lecture de pensées.

Par M. Casimir de Kracz

Messieurs, il y a quelque temps, dans votre séance du mois d'octobre, vous avez assisté à de curieux phénomènes exécutés par un liseur de pensées, M. Wassilieff.

A cette époque, quoique n'étant pas encore membre de la société d'hypnologie, j'eus cependant l'honneur d'être convié à la séance par M. le Dr Bérillon pour servir d'interprète à M. Wassilieff, qui s'exprimait en français avec quelque difficulté.

A propos des explications données par M. Wassilieff sur ses expériences, j'eus l'occasion de prononcer quelques paroles, dans lesquelles M. Bérillon a bien voulu trouver l'expression d'une appréciation per-

sonnelle qu'il m'a engagé à développer et à consolider, dans un travail écrit. C'est donc sur lui que doit peser la responsabilité de cette petite communication (responsabilité que je n'aurais peut-être pas osé assumer) que je commence en rappelant brièvement les faits que nous avons tous observés.

Pour lire les pensées d'un des assistants, M. Wassilieff se faisait prendre et serrer fortement les poignets par celui dont il voulait lire les pensées. Puis il prenait une attitude extrêmement recueillie, son visage dénotait une attention énergiquement soutenue et concentrée, comme celui d'un homme qui dans une foule de menues impressions venant de tous côtés, s'attend à quelque chose d'important pour lui.

Tout à coup il faisait un vif et brusque mouvem.ent ; c'était, comme il le dit lui-même, un demi cercle qu'il parcourait au début. Celui qui lui tenait la main, avait reçu la double recommandation :

Premièrement, de penser à ce qui devait être exécuté. L'action ne devait pas être représentée dans la pensée sous l'unique forme d'une vision d'ensemble, mais décomposée mentalement en une série de mouvements consécutifs simplifiés jusqu'à la dernière limite, c'est-à-dire dénués de toute carnation ou coloration visuelle ou auditive, et qui De devaient en outre occuper la pensée que l'un après l'autre au fur et à mesure de leur exécution par le liseur ;

Secondement, de n'avancer ni reculer que conformément aux mouvements du liseur, et de ne pas l'arrêter par une résistance.

Quand ces deux prescriptions étaient scrupuleusement observées par le guide du liseur, ce qui, surtout pour la première fois, est plus difficile qu'il ne parait et exige du guide une volonté ferme et un esprit de suite exercé, le liseur, en s'agitant nerveusement dans diverses directions, arrivait assez vite a deviner et reproduire des séries longues et compliquées 4e mouvements qui avaient été, en son absence naturellement, concertées entre les assistants. Par exemple, il trouvait un livre caché, et dans ce livre, la page, la ligne et la lettre demandées, qu'il marquait à l'aide d'une épingle.

La pratique de M. Wassilieff, il est facile de le remarquer, diffère totalement de celle employée par les liseurs de pensées de l'école cum-berlandiste. Ceux-là se font généralement poser la main du sujet sur le front, ou bien ils la prennent dans leur main en appliquant le doigt sur le pouls.

Souvent ils se font bander les yeux et s'avancent, tantôt lentement, tantôt d'un pas leste et assuré selon leur degré de perfectionnement, mais sans jamais exécuter ces mouvements brusques et en apparence désordonnés, qui sont si caractéristiques chez M. Wassilieff. En outre, ils devinent aussi les pensées du sujet sans avoir besoin de les décomposer en mouvements simples et successifs ; il en est qui ne peuvent se prêter à cette décomposition, comme les nombres, les mots, etc....

Il existe encore une autre manière, beaucoup plus rudimentaire, pratiquée en Pologne .mon pays) comme un jeu de salon, où on conserve

volontiers, surtout en province, la tradition des tables tournantes et autres pratiques ; en y attachant une croyance à demi avouée avec une sorto de gène, à demi niée avec quelque chose comme de la crainte. Un des assistant est choisi comme médium, on le prend plutôt parmi les femmes ou les personnes nerveuses; un autre s'improvise guide. Le guide prend la main du médium qui a les yeux bandés, ou bien lui pose les deux mains sur les épaules en se mettant derrière lui. Avec un effort'de volonté et d'attention concentrées, il parvient le plus souvent à imposer au médium l'exécution de sa pensée, qui consiste en une série de mouvements simples et voulus successivement : par exemple, d'avancer de quelques pas dans une direction; de lever la main vers un objet, de s'incliner devant quelqu'un.

Le médium dit généralement avoir senti quelque chose de plus ou moins irrésistible, comme une force qui le poussait malgré ses efforts pour ne pas bouger. J'ajoute qu'avec un individu très sensible — c'était un garçon de 18 ans — il m'est arrivé, il y a 6 ou 7 ans, au cours d'une expérience de ce genre, un fait qui m'a passablement effrayé : à peine avais-je pris et serré légèrement son poignet en lui enjoignant mentalement d'aller en avant, qu'il s'endormait debout et il m'a fallu le piquer avec une épingle pour l'éveiller.

En s'expliquant avec une sincérité parfaite, M. Wassilieff nous a dit : je profite consciemment et constamment de la tendance inconsciente du sujet vers le'but du mouvement qui occupe sa pensée. Je fais exprès mon demi cercle au début, car mon guide, par une résistance presque imperceptible au moment où je l'entraîne hors de la direction choisie, indiquera déjà cette direction. Je fais exprès tous ces mouvements brusques dans toutes les directions, car la main de mon guide, que je sens continuellement résister, à un moment donné se laisse aller: c'est cet instant que guette M. Wassilieff pour faire un pas sûr dans la bonne voie. En sorte que, dans toute celte agitation déconcertante, il n'y a rien de subi, de passif ou d'inconscient ; au contraire, tout est prévu, provoqué volontairement pour servir d'indication et saisi avec une promptitude d'esprit et une lucidité merveilleuse.

C'est justement, il me semble, en quoi consiste le caractère spécial des expériences de M. Wassilieff et leur différence essentielle avec celles des cumberlandistes. Chez ces derniers on se trouve toujours en présence d'un état plus ou moins anormal. Dans le cas le plus rudimen-taire, celui du médium occasionnel poussé dans une direction donnée par un guide quelconque, lui appuyant les mains sur les épaules ou lui tenant la main, il est clair que, sauf la suggestion mentale qui vient se joindre aux causes du phénomène dans quelques cas de média plus sensibles, ce sont des petites poussées de la main du guide, se produisant dans la direction visée, indépendamment de sa volonté consciente, qui s'accumulent pour composer la force mécanique ressentie par le médium et assez grande pour lui faire faire un pas puis deux et ainsi de suite. C'est comme dans le cas des soucoupes voyageant sur une feuille, de

papier, ou des petites tables se mouvant sur le parquet sous l'influence des mouvements inconscients et infiniment petits des mains qui reposent sur elles. Si nous nous élevons maintement aux phénomènes plus compliques de la lecture des pensées à la Cumberland, nous serons évidemment beaucoup plus embarrassés pour dire quelle est la nature des mouvements correspondant aux pensées du sujet guide et perçus par le médium liseur ; mais restant dans les limites de la conception mécanique du monde, nous aurons le droit de supposer que c'en est un qui se communique au liseur à travers les parois du crâne du sujet ou la peau de son poignet.

Allons jusqu'à former le terme de cette série avec les phénomènes télépathiques, les états pathologiques de sensibilité à distance, le mé-di&nisrne etc., etc., nous voyons apparaître les hypothèses basées sur la propagation et la transformation des vibrations psychiques d'éther, etc., etc., comme celles de Lombroso, d'Ochorowicz et autres.

Les vibrations matérielles, comme les petites poussées des.mains dont j'ai parlé, celles éthériques ou autres que l'on est réduit de supposer, sont toutes imperceptibles pour un homme à l'état normal de conscience. Pour qu'il puisse les apprécier, il lui faut restituer, dans son fonctionnement psychique, la prépondérance aux éléments inconscients, il lui faut, pour employer une expression de psychologie allemande, plonger en dessous du seuil de la conscience. C'est ce qu'on constate en effet, mais dans des proportions différentes dans les trois degrés précités.

Au médium occasionnel des jeux de salon, on bande les yeux pour lui retrancher une partie des impressions qui alimentent sa vie consciente ordinaire : on amène ainsi un fonctionnement plus vif des éléments inconscients.

Le liseur cumberlandiste, auquel il faut un degré de subtilité bien supérieur, tout en employant les mêmes moyens restrictifs de la conscience, me parait en outre se servir d'auto-suggestion pour amener un degré de passivité plus complet.

Ne devient pas, en général, liseur de ce genre qui veut: il faut, pour y arriver, certaines qualités naturelles qui semblent devoir être pathologiques au point de vue psychique. Mais il est aussi évident que notoire que ces liseurs s'entraînent graduellement pour exercer cette profession et parviennent, d'un côté, à renforcer ces capacités naturelles, de l'autre à savoir se mettre dans les meilleures conditions pour assoupir leurs sens normaux et éveiller ceux repoussés habituellement dans le domaine inconscient.

En ce qui concerne la « clairvoyance médianique », qui, d'ailleurs, jusqu'à présent, ne parait pas appuyée par des observations aussi régulières que plusieurs autres phénomènes du même ressort, elle est accompagnée, comme ces autres phénomènes, des symptômes maladifs pendant lesquels le médium est souvent plongé dans une inconscience complète et perd ses « associations » psychiques ordinaires.

Remarquons que, si chez le médium de sulon et chez le médium clas-

sique, !e médium médianique, nous voyons la passivité complète (tout à fait différente dans les deux cas) il n'en est pas de même chez un cumberlandiste du degré moyen. Il y a, au contraire, de la part de celui-ci, une intervention bien caractérisée dans la marche des phénomènes (si je voulais être moins bref, je pourrais m'étendre sur le fait constaté dans les expériences médianiques, des velléités interventionnistes de la part des média ; mais je dois passer sous silence les termes transitoires et ne m'attacher qu'aux types marquants.) Un liseur s'entraîne, se prépare et préparé certaines circonstances de l'expérience. C'est en quoi, Messieurs, M. Wassilieff lui ressemble ; mais j'ai, intentionnellement, écarté le liseur cumberlandiste des sujets qui me paraissent être ses inférieurs et ses supérieurs, pour pouvoir faire ressortir ce caractère anormal, cette revanche de l'inconscient qui apparaît dans ses productions. S'il s'exerce, c'est seulement à provoquer chez lui l'inconscience plus ou moins avancée. Il est impuissant à aiguiser ses sens occultes qui échappent au gouvernementde sa volonté, à l'aide desquels il perçoit — risquons le mot — les vibrations de la pensée de son semblable ; il ne fait que les faire sortir tels quels, innés de l'obscurité ou les avait refoulé le développement de l'espèce.

Tout autre me parait être le cas de M. Wassilieff. II s'est aussi exercé longtemps — c'est ce qu'il nous a dît — avant d'arriver à ce degré de perfection qu'il nous a montrée. Mais ces exercices portèrent sur les parties tout à fait différentes de son fonctionnement psychique.

D'abord, pour « lire » nos pensées, il ne s'est pas adressé aux mouvements infiniment petits de telle ou telle essence, mais continus et • nécessairement cachés, en dehors des limites de la conscience ; ce qui le guide c'est, il est vrai, l'état de l'attention du sujet, mais cet état il ne l'apprend qu'indirectement par l'intermédiaire d'une prompte conclusion, tirée de la résistance inconsciente et encore plus involontaire opposée à une de ses nombreuses agitations; et cette résistance, qui présente un mouvement unique, isolé, il l'observe avec le plus, scrupuleux effort d'attention qu'il puisse atteindre.

Un long exercice lui a appris à remarquer ce qui passerait inaperçu pour chacun et aurait passé pour lui même avant son entraînement. II fait absolument le contraire d'un liseur cumberlandiste ; loin de faire évanouir sa conscience et languir sa volonté, il leur demande des efforts extrêmes, qui maintenant encore se traduisent sur son visage par les sourcils froncés et les yeux élargis. S'il est, lui aussi, anormal à un point de vue, c'est dans le sens tout opposé au passif cumberlandiste, et en lui le développement des facultés qui sont actuellement l'essence même de la force et de la santé psychique est extraordinaire, et non celles qui, inutiles dans la vie basée sur la conscience, ont été atrophiées, ou plus exactement repoussées à l'arrière-plan de l'être.

Au point de vue du « deviner, » il est comme un athlète aux muscles saillants. Ainsi, c'est par voie de raisonnement, de raisonnement régulier, syllogistique, que M. Wassilieff détermine la pensée des autres.

Mais, comme dans le cas, particulièrement intéressant, des mouvements complexes, il doit refaire son raisonnement à chaque changement de direction, comme il est exposé à beaucoup de retards nécessairement liés aux solutions des problèmes du calcul des probabilités comprenant de grands dénominateurs, et comme en définitif, il se tire assez vite de l'affaire, ses raisonnements doivent être presque instantanés. Ils le sont en effet, ils sont même en train de devenir instinctifs. Et c'est justement sur ce côté des expériences que je voudrais attirer votre attention, car à ce point de vue, elles présentent, dans notre société civilisée, un exemple curieux de la production artificielle d'un instinct nouveau, analogue par sa genèse et son application aux instincts naturellement formés chez les sauvages sous l'influence des besoins vitaux. L'instinct, je je veux dire une série de mouvements coordonnés vers un but défini et se reproduisant invariablement, immédiatement et sans l'intervention de la volonté consciente, sous la même influence extérieure, a à sa base une coordination consciente, une volition résultant d'un raisonnement.

La répétition durant des générations, dont la suite, comme dit M. Ribot, au point de vue de la formation des instincts, peut être considérée comme un seul organisme vivant réduit la durée du raisonnement et de la volition et rend superflue l'intervention de la conscience, en leur créant des voies de moindre résistance.

Telle doit être l'histoire psychologique de ces peaux-rouges ou de ces nègres, qui stupéfient les voyageurs par leur extraordinaire facilité et leur promptitude à se reconnaître parmi les vestiges d'un gibier ou d'un ennemi. Ce sont également les premières lignes de la première page d'une pareille histoire, qui m'apparaissent dans les productions de M. Wassilieff.

Dans les deux cas, nous n'avons encore qu'un instinct en voie de formation. Même chez les sauvages, nous sommes encore loin de la précision et de l'inconscience mécanique d'un instinct, comme, par exemple, l'odorat du chien.

L'instinct de la « lecture des pensées » est encore beaucoup moins avancé ; il en est au premier tâtonnement du premier expérimentateur.

Supposons une suite de générations, qui s'adonneraient à sa culture, et nous pourrons prévoir à la suite une nouvelle forme de communication entre les hommes. Si cette supposition est purement fantaisiste, c'est que les essais de M. Wassilieff ne relèvent d'aucun besoin réel de l'humanité, qu'elles sont, pour ainsi dire, purement académiques. Mais ce sur quoi il importait d'insister, c'est que pour les entreprendre et les mener à bonne fin, il n'est pas besoin d'une prédestination organique, mais seulement d'un effort continu d'attention et de volonté. Si donc le cas de M. Wassilieff est jusqu'à présent exceptionnel, unique même, parmi les liseurs de pensées, il ne repose sur aucune qualité qui lui soit exceptionnelle par rapport à l'espèce humaine. Quiconque, doué d'une volonté ferme, s'aviserait de suivre l'exemple de M. Wassilieff, pourrait,

me semble-t-il, arriver aux mêmes résultats. Ce serait même beaucoup plus facile que d'imiter le chat qui tombe.

Je me résume donc, en répétant les différences entre un a liseur de pensées » ordinaire, passif, que j'appelle cumberlandiste, et le liseur raisonnant, explorateur, dont M. Wassilieff présente le premier échantillon.

Celui-là se laisse pousser par une force, l'autre prête l'oreille à une indication. Le cumberlandiste abaisse le niveau du développement de la conscience ; M. Wassilieff, au contraire, l'élève. Tandis que l'un se prosterne devant l'émanation venant de son guide, l'autre se dresse pour tirer de lui sa direction. Celui-là fait valoir ses qualités pathologiques. Il commence à créer un nouvel instinct, et le cumberlandiste ramène à la surface les instincts ataviques abandonnés.

Mais, chez ce dernier, ce sont les qualités innées, personnelles et exceptionnelles qui entrent enjeu, tandis que M. Wassilieff présente un exemple de ce que chacun pourrait devenir.

Voici les conclusions, Messieurs, que je ne me flatte pas d'ailleurs d'avoir réussi à préparer avec assez de clarté, de précision et de preuves à l'appui, pour pouvoir me passer de terminer comme j'ai commencé, en invoquant, en faveur de mon inexpérience et des hardiesses d'un aspirant, l'autorité de votre bureau, sans l'instance duquel je n'aurais pas occupé cette tribune.

Casimir de Kbauz.

Un cas d'hyperhydrose localisée, traité avec succès par la

suggestion hypnotique

Par M. le D' Milxe Bramwell, de Londres(note présentée à la Société par M. le D' Gorodichze.)

Notre très distingué collègue, le Dr Milne Bramwell, de Londres, m'adresse une observation fort curieuse, tant au point de vue de l'affection à laquelle elle a trait qu'au point de vue du succès thérapeutique, et qu'il me prie de communiquer à la société d'hypnologie. Il s'agit là d'un cas de transpiration pathologique limitée à une petite portion de la face dorsale de l'avant-bras.

Vous savez, Messieurs, combien il est rare (pour ma part, je ne connais pas d'observation analogue à celle-ci) de voir cette affection siéger dans cette région. En effet, c'est aux pieds, première en ligne, aux mains, au territoire innervé par le trijumeau, que l'hyperhydrose localisée trouve son lieu d'élection. Quand elle siège aux pieds, elle constitue une repoussante infirmité, et, aux termes de l'instruction du conseil de santé des armées en date du 27 Février 1877, les sueurs fétides sont même un motif d'exemption du service militaire, lorsqu'elles peuvent être un objet de dégoût pour les autres.

Tous les auteurs anciens et même d'autres plus modernes, comme

Trousseau et Pidoux dans leur. Trafic de Thérapeutique, envisageaient la transpiration localisée comme un émanctoire et considéraient sa suppression comme dangereuse. Le célèbre dermatologiste de Vienne, le Dr Hebra, s'est élevé contre ces craintes chîmériques et dit ne jamais avoir observé d'accidents chez les sujets qu'il a été assez heureux de débarrasser de l'hyperhydrose. Le cas de notre collègue corroborerait encore cette façon de voir, puisque sa malade n'a pas présenté le moindre trouble depuis sa guérison qui remonte déjà à plus de cinq ans. Mais ce qui donne tout spécialement à cette observation le droit d'être porté à la tribune de la Société d'Hypnologie, c'est le mode de traite- -ment, qui a été, vous le devinez, la suggestion.

Le nombre des cas de troubles vaso-moteurs, modifiés ou guéris par la suggestion, sont encore trop rares, pour que je n'aie pas cru devoir engager vivement notre confrère de Londres à vous communiquer ce curieux exemple.

Voici, du reste, la traduction de cette intéressante observation que je n'ai pas eu malheureusement le temps de vous lire à notre séance du mois de Février:

« Miss D... âgée de quinze ans, me consulta pour la première fois en Janvier 1890, pour de fréquents accès de migraine, souvent accompagnés de vomissements, et dont elle souffrait depuis trois ans.

Sa mère était d'un tempérament quelque peu nerveux ; à part cela, il n'y avait rien de particulier à noter dans l'histoire de la famille.

Miss D... elle-même était grande et un peu anémique; mais, à l'exception des maux de tête déjà mentionnés, elle jouissait d'une bonne santé. La menstruation était régulière, pas de symptômes d'hystérie. " A la face dorsale de Pavant-bras gauche, se trouvait une plaque d'environ deux pouces et demi de long sur un pouce et demi de large, qui était le siège d'une transpiration constante et excessive. Il en avait été ainsi depuis l'enfance. Elle avait toujours été abondante, et augmentait invariablement à la suite d'une émotion ou d'un effort. La malade avait toujours l'avant-bras enveloppé de bandes, mais elles se saturaient rapidement, et alors des gouttes de sueur tombaient par terre. A l'école c'était pour elle une cause fréquente de punitions, parce que, en travaillant à l'aiguille, elle salissait son ouvrage. Son moral en était très-affecté, car elle ambitionnait plus tard de devenir couturière.

Elle fut facilement hypnotisée dès le premier essai, et des suggestions lui furent faites pour soulager les fréquents maux de tète dont elle souffrait. Elle revint quelques jours après, et déclara que, dans l'intervalle, ses maux de tête n'ont pas reparu. Elle fut alors de nouveau hypnotisée, et les suggestions furent dirigées en vue d'arrêter l'hyperhydrose. Le lendemain, la transpiration avait fortement diminué. De nouvelles suggestions furent faites. Et à partir de ce jour l'état de la peau est devenu normal, et tout traitement fut abandonné.

Je l'ai revue un an plus tard. Dans une circonstance seulement, un

jour qu'elle avait eu très-chaud en gravissant une hauteur, la transpiration était revenue quoique d'une façon très légère.

J'ai fait d'ailleurs plusieurs expériences avec ce sujet. J'ai toujours pu facilement provoquer les phénomènes caractéristiques de l'hypnose la plus intense : analgésie, altérations des sens spéciaux, hallucinations négatives et positives avec amnésie complète au réveil.

Ce cas a été exposé devant la Société Médicale d'York, et aussi au Congrès International de Psychologie expérimentale tenu à Londres en Août 1802. Il ne s'était produit jusqu'aujourd'hui, autant que j'ai pu l'apprendre, aucun retour, tant de l'hyperhydrose, que des maux de tête. La malade se livre actuellement à la profession de son choix.

Séance du 18 Mars 1895. — Présidence de M. Dumoxtpallieb.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.

La correspondance-manuscrite comprend une lettre de M. le Dr Paul Joire. La correspondance imprimée comprend une brochure de M. le Dr Schrenck-Notzing, de Munich, sur l'Inversion sexuelle.

M. le Président prononce l'éloge funèbre de M. le D' Calmeil, ancien médecin en chef de l'asile de Charenton, et rappelle l'importance des travaux de M. Calmeil au point de vue de la médecine philosophique.

M. le Président met aux voix la candidature de M. A. Binet, docteur ès-sciences, directeur du laboratoire de psychologie à la Sorbonne. Cette candidature est adoptée à l'unanimité.

M. Tarde, directeur de la statistique au ministère de la justice, assistait à la séance, ainsi que M. le Dr Duncan, de New-York.

Paralysie hystèro-traumatique du bras droit datant de deux mois, consécutive à la morsure d'un chien. Guérison en une seule séance par la suggestion à l'état de veille.

Par M. le Dr David, de Narbonne. *

Mademoiselle L... des environs de Narbonne, âgée de onze ans, fût mordue à la main droite par un chien dans la cour du couvent où elle s'amusait avec ses amies. Cet accident est survenu le 26 janvier 1895. La plaie fut soignée immédiatement par la sœur de l'établissement qui fit un pansement sommaire, et puis par le médecin de la famille qui mit le bras en écharpe. Le bras resta ainsi immobilisé pendant 18 jours, et. quand on enleva l'écharpe, on s'aperçut que l'enfant ne pouvait le mouvoir. Le médecin, de nouveau appelé, constata à la partie supero-interne de l'humérus, au-dessous du col anatomique, une tumeur dure, de la dimension d'une grosse noix, qu'il prit pour une exostose et à laquelle il attribua l'impotence fonctionnelle du membre. Son avis fut qu'une opération était nécessaire.

Les parents effrayés partirent le lendemain avec leur enfant pour Montpellier et allèrent consulter un professeur de la Faculté. Celui-ci partagea la manière de voir du confrère qui avait déjà visité l'enfant. Sans prétendre que l'opération fût urgente, il estima qu'elle s'imposerait à bref délai pour éviter l'atrophie musculaire. En attendant il ordonna des toniques et des reconstituants.

La petite L... fut soignée pendant deux mois chez elle sans aucune modification du côté paralysé. Les parents se décidèrent alors à repartir pour Montpellier afin de faire subir à leur enfant l'opération déjà conseillée, mais auparavant, ils voulurent avoir l'avis d'un médecin de Narbonne.

La petite L... fut donc amenée chez le docteur N... qui fit, d'ailleurs, le même diagnostic que ses confrères et proposa des pointes de feu sur la tumeur.

C'est ce jour-là, 13 mars, que, sur les conseils d'un de mes clients, les parents conduisirent leur enfant dans mon cabinet.

Etat actuel

C'est une enfant qui parait bien développée pour son âge et présente toutes les apparences de la santé. La figure est ouverte et la physionomie intelligente. Tout d'abord elle se prête difficilement à l'examen et elle pleure abondamment parce qu'elle a peur de l'opération et quelle se figure avoir été amenée chez moi pour que je lui enlève la tumeur du bras. Peu à peu cependant je la rassure, les pleurs cessent et je poursuis à mon aise l'examen. Là tête bien conformée présente à la partie postérieure, dans la région occipitale, un engorgement ganglionnaire; sur les côtés du cou existe aussi la chaine glanglionnaire; aux aisselles et aux aines cet engorgement n'est pas apparent. Les organes des sens n'offrent rien de particulier; la dentition est quelque peu défectueuse; les amygdales sont légèrement hypertrophiées. Du côté des membres, renflement osseux très-prononcé et notamment à l'extrémité supérieure du bras paralysé. Sur les parties latérales du sternum, ce même renflement osseux est manifeste et on le constate encore par places le long des côtes où l'on a la sensation de petites aspérités.

Pas de convulsions, — aucun trouble urinaire. — Intégrité cérébrale et psychique. — L'appétit a diminué et est devenu capricieux depuis la morsure.

J'examine alors le bras paralysé. L'avant-bras est en privation; les fléchisseurs sont légèrement contractures; le biceps et le brachial antérieur sont aussi en contracture permanente. D'ailleurs, aucune douleur. La petite ne se plaint que lorsque je veux mettre le membre malade dans l'extension forcée, et encore la douleur n'est-elle pas tres-vive. Dès que je l'abandonne, le bras reprend sa position en formation, l'avant-bras et la main légèrement fléchis. Avec l'aide de sa main

gauche et en inclinant la tète du côté droit, l'enfant réussit à faire le signe de la croix.

La sensibilité est parfaite du côté paralysé. Il y a même un léger degré d'hyperesthésîe.

Je m'empresse de dire que du côté opposé il n'y a pas la moindre anesthésie et que la sensibilité y est normale.

La température est un peu plus élevée. Il y a donc aussi un peu d'hyperthermie.

Diagnostic

Ecartons tout d'abord le diagnostic d'exostose. Cette tuméfaction dure de l'extrémité supérieure de l'humérus est le résultat d'un renflement osseux, lequel s'observe d'ailleurs aux aulres extrémités osseuses. C'est du rachitisme. Faut-il attribuer à cette tumeur osseuse l'impotence fonctionnelle du bras ainsi que le croyaient les confrères déjà consultés? Quoique les parents ne l'eussent point remarqué auparavant, il est certain que ce renflement osseux existait depuis quelques années comme il existait aux poignets, aux coudes, aux genoux, aux malléoles, sur le sternum.

Aurions-nous affaire à ce que l'on a décrit sous le nom de syndrome de Brown-Séquard ?

Xous avons, en effet, une paralysie motrice avec conservation de la sensibilité, et un peu d'hyperesthésie. J'ai même noté une légère hyper-thermie. Mais du côté opposé, la sensibilité est normale, il n'y a pas d'anesthésie. De plus, la petite n'étant pas tombée au moment où elle fut mordue par le chien, il serait difficile de faire intervenir une commotion médullaire.

Le diagnostic qui s'impose est donc celui de paralysie hystéro-lrau-matique.

Cette paralysie a-t-elle été provoquée par la morsure ou par l'immobilisation prolongée du membre ? La morsure entre peut-être en ligne' de compte; la frayeur éprouvée par l'enfant pouvant avoir déterminé un certain trouble dans les centres nerveux, mais l'immobilisation prolongée (18 jours) est certainement le facteur principal. II s'est produit une sorte d'exhibition du sens musculaire.

Le diagnostic de paralysie hyslèro-traumatique est-il confirmé par les antécédents de la malade ? Jusqu'à ce moment elle n'avait présenté aucun accident nerveux, mais sa grand'mêre maternelle a été enfermée dans une maison de santé, et sa mère obéit parfois à des impulsions bizarres; il lui arrive de venir à pied de chez elle à Narbonne (20 kilomètres) sans savoir pourquoi.

Du côté du père s'explique la tare rachitique. On peut encore observer chez lui le long des côtes des aspérités osseuses très marquées. 11 jouit, d'ailleurs, d'une excellente santé.

Traitement

Je propose le traitement psychique qui est accepté. Sans endormir l'enfant, en lui suggérant seulement que j'allais la guérir, j'ai pris le bras malade, j'ai promené sur ce bras à plusieurs reprises un fort aimant pour impressionner la petite L... et attirer son attention, puis j'ai imprimé au membre, insensiblement, de petits mouvements de flexion et de rotation ; et, quand j'ai compris sur la physionomie étonnée de l'enfant que la paralysie était vaincue, j'ai dit d'une voix assurée : « Mademoiselle, vous voilà guérie. » En effet, la demoiselle était guérie, au grand étonnement et à la grande satisfaction du papa et de la maman. J'ajoute que la guérison s'est maintenue.

Conclusions

Il résulte de cette observation:

1° Qu'il n'est pas besoin de grands accidents pour déterminer une paralysie hystéro-traumatique.

2° Que cette paralysie ne succède pas toujours à une commition médullaire.

3° Que cette paralysie peut survenir chez des sujets n'ayant présenté jusque-là aucun accident hystérique.

4° Que les sujets atteints peuvent conserver l'intégrité cérébrale et psychique.

5° Que le meilleur traitement à opposer à cette affection est le traitement psychique.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnoIogie et de psychologie.

Les séances de la Société d'hypnologie et de psychologie ont lieu le 'troisième lundi de chaque mois, à 4 heures et demie, au Palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. Dumont-pallier, membre de l'Académie de médecine.

La séance annuelle et le banquet de la Société ont lieu le 15 juillet. Adresser les communications et les lettres de candidature à M. le Df liérillon, secrétaire général, 14, rue Taitbout, et les cotisations à M. Albert Colas, trésorier, 1, place Jussieu.

Association de la Presse médicale.

Assemblée du 10 mai 1895.

La deuxième réunion statutaire pour l'année 1895 a eu lieule vendredi 10 mai 1895, au restaurant Marguery. sous la présidence de M. Cornil.— 23 membres assistaient au diner.

MM. Augagneur, Butte. Variot et Rodet, directeurs de la Province Médicale, de l'Assistance, du Journal de Clinique et Thérapeutique infantiles, et des Archives générales d'Hydrologie, ont été nommés membres de l'Association. M. le Dr A. Robin, comme directeur du Bulletin de Thérapeutique, a été admis à remplacer M. Dujardin-Beaumctz, décédé. —M. Ollivier a été nommé rapporteur pour Ta candidature de M. 0. Ouelliot (de Reims), directeur de l'Union médicale du Nord-Est. — Le secrétaire général a remis aux assistants un exemplaire du Livre d'Or de la Souscription Lafilte, souscription dont le montant a dépassé le chiffre imposant de 19,500 francs. Un exemplaire de cette brochure va être expédié à tous les Syndicats et à toutes les Associations médicales, de même qu'à tous ceux qui ont directement souscrit aux bureaux de l'Association de la Presse médicale.

Les petits hommes.

Le Dr Lombroso a fait une statistique assez complète, dans laquelle il a montré le grand nombre d'hommes petits qui se sont illustrés en tout genre.

Voici, dans l'antiquité, les propriétaires de tailles exiguës qui se sont le plus signalés à l'admiration de leurs contemporains et de la postérité : Philopœmen, Narsès, Alexandre le Grand, Aristote, Platon, Epi-cure, Chrysippe, Laerlius, Archimede, Diogene, Hipponax, Epictète.

Et dans les temps plus modernes : Erasme, Linné, Gibbon, Spinoza, Montaigne, Pope, Mézeray, Lalande, Beccaria, Lulli, Cujas, Napoléon, Balzac, Thiers, Louis Blanc, Meissonier, etc.

NOUVELLES

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psychologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de 10 h. à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assiter et sont exercés à la pratique de la psychothérapie. M. le D' Bérillon, inspecteur-adjoint des asiles publics d'aliénés, y complète son cours à l'Ecole pratique tous les jeudis à cinq

heures, par des leçons pratiques sur les applications cliniques et pédagogiques de l'hypnotisme. Il est assisté dans ses démonstrations par les D" Valentin, Félix Regnault et Lagelouse.

L'organisation actuelle de l'Institut psycho-physiologique et l'enseignement qui est y donné permettent de le considérer comme une véritable Ecole pratique de psychologie expérimentale et de psychothérapie-

Hospice de la Salpétrière. — M. le Dr Auguste Voisin commencera son cours annuel sur les maladies mentales et nerveuses le dimanche 9 juin, à 10 heures du matin (section Hambuteau). — Plusieurs leçons sont consacrées aux applications de l'hypnotisme au traitement des maladies mentales.

Biographie. — La Médecine moderne du 8 Juin consacre un article biographique à M. le Dr Dumontpalier, membre de l'académie de médecine. Elle rappelle qu'il dirige les travaux de la Société d'hyno-logie dont il est président, avec une expérience et une autorité qui n'atténuent en rien la vivacité de l'intelligence et l'ardeur de conviction.

Faculté de Paris. — M. le Dr Charrin est nommé directeur-adjoint du laboratoire de pathologie et de thérapeutique générales de la Faculté de médecine de Paris.

Etudiants étrangers. — Dans la semaine d'hiver 1894-1895, on comptait à Vienne 1.881 étudiants en médecine; à Berlin, 1.220; à Munich, 1.168; à Wurzburg, 779; à Leipzig, 752; à. Graz, 612; à Fribourg, 466; à Erlangen, 465; à Greifswald, 381; à Zurich, 316; à Strasbourg, 316 ; à Breslau, 297 ; à Innsbruck, 282 ; à Heidelberg, 225 ; à Marbourg, 225; à Kiel, 251 ; à Halle, 249; à Bonn, 245; à Genève, 233; à Tubingue, 233 ; à Kônigsberg. 221 ; à Berne, 212 ; à Göttingue, 207 ; à Iéna, 190; à Baie, 162; à Glessen, 142; à Rostock, 110; à Lausanne, 108.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Dr von Schrenck-Notzing. — Ein beitrag zur actiologie der contraren aexualempfindung. In-4°, 36 pages. Vienne, 1895.

Dr Laupts. —r Une perversion de l'instinct. — L'amour morbide, sa nature et son traitement. In-8°, 10 pages. G. Masson. Paris* 1895.

Dr H.-P. Blavatsky. — La clef ae la tkêosophie, traduit de l'anglais. In-8°, 410 pages. 11, rue de la Chaussée-d'Antin. Paris, 1895.

Prof. Henrico Morselli. — 1 disturbi della coscienza, in relazione con le dismnesie. In-4°, 30 pages. Firenze, 1895.

Dr Ed. Retterer. — Georges Pouchet. In-4°, 15 pages. Bureaux de la Revue Scientifique. Paris, 1895.

Drs Armand Corre et Paul Aubry. — Documents de criminologie rétrospective. In-4°, 580 pages. G. Masson. Paris, 1895.

TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES

Action psycho-mécanique associée à la

suggestion. — Création d'un centre

d'arrêt, par Bérillon, 306. Adolescent (le sommeil de 1'). 158. Agrégation en médecine (le concours de

1'), 193, 317. Alcoolisme chronique par la suggestion

hypnotique (traitement de 1'), par

Bushnell, 346. Alcoolisme chronique par la suggestion

(guérison d'un cas d'), annulation de

la suggestion par un rêve, par Knory.

337.

Aliénés (le tatouage chez les), 24.

Amour (une définition de 1'), 159.

Amputation du sein faite pendant l'anesthésie hypnotique, 47.

Anarchisme (la psychologie de 1'), 93.

Anesthésie par l'hypnose, 47, 50.

Applications de la psychothérapie à la consultation médicale de l'hôpital de la Charité de Lille, 52.

Apparitions and Thought-transference, par Franck Podmore, 185.

Arrêt (le pouvoir d'), 308.

Attaques d'épilepsie et d'hystérie (diagnostic différentiel des), par A. Voisin, 339.

Attaques convulsives hystéro-épilep -tiques, vertiges suivis de délire et d'hallucinations, guérison, 23.

Banquet annuel de la Société d'Hypno-

logie et de psychologie, 58. Bibliothèque circulante de médecine, 251.

Charcot (le professeur), par Debove, 272.

Charcot (l'œuvre du professeur), par Raymond, 187.

Chasse et hypnotisme, 127.

Châtiments corporels (le retour aux), 253.

Coliques hépatiques traitées avec succès par la suggestion (douleurs consécutives à des), par de Mézeray, 267.

Concordance entre les phénomènes de l'hypnose et les principes de la philosophie, par Julliot, 119.

Concours de l'agrégation en médecine (le), par Bérillon, 193, 317.

Congrès international des sciences médicales, tenu à Rome, section de Neurologie et de Psychiatrie, 28.

Concours à Bucharest (les), 250.

Corval (von), nécrologie, 127.

Constipation par suggestion (traitement

de la), par Forel, 61.

Cours du Dr Bérillon à l'Ecole pratique (programme), 320.

Cours du Dr Paul Joire, à Lille (programme), 350.

Cours de M. le professeur Bouchard, 284.

Dégénérés (habitudes automatiques chez les), 179.

Dermatite traitée avec succès par la suggestion, 300.

Diabète (influence des impressions morales sur le), par Sorel, 183.

Distinctions honorifiques, 219.

Douleurs consécutives à des coliques hépatiques traitées avec succès par la suggestion, 267.

Dujardin-Beaumetz, nécrologie, 255.

Ecoles d'ambulancières et d'ambulanciers, 349.

Ectropion opéré pendant le sommeil

hypnotique, 50. Eczéma et un de dermatite traités par

suggestion (quatre cas d'), par H.

Osgood, 300. Enfants (êtres fantastiques qui font

dormir les) 248. Enseignement de l'hypnotisme et de la

psychologie physiologique, 32, 64, 95,

1366, 159, 191, 223, 254, 286, 319, 350, 379. Etats passifs physiologiques et morbides

analogues au sommeil, suggestion,

par Liébeault. 97. Expériences médianiques de Varsovie,

par de Kraüz, 1, 42, 70, 106, 143, 169. Epilepsie Jacksonnienne traitée par la

suggestion, par A. Voisin, 304.

Epilepsie et de l'hystérie (diagnostic différentiel de 1'), par A. Voisin, 339.

Etudiants en droit en Russie (les), 350.

Exercice vélocipédique au point de vue neuro-pathologique (l'), par J. Boguel, 310.

Faculté musicale dans les maladies du cerveau (les altérations de la), par Ireland, 124.

Figuier (Louis), nécrologie, 100.

Folie (les rapports de l'hystérie et de la), par Ballet, 65.

Folklore, 246.

Hack Tuke, nécrologie, 288.

Habitudes automatiques chez les dégénérés (fréquence de l'onychophagie et des), par Bérillon. 179.

Habitude de fumer par la suggestion (suppression de l'), par Hugenschmidt), 217.

Hommes (les petits), 379. Hyperhydrose localisée traitée avec suc-

cés par suggestion, par Milne-Bram-

well, 373.

Hypnose et les suggestions criminelles

(l'), par Delbœuf, 225. 260. Hypnose prolongée. 34?. Hypnotisme (les indications cliniques

de 1'), par Morselli. 180. Hypnotisme obtenu par le miroir rotatif,

22.

Hypnotisme en Belgique (l'), 95.

Hypnotisme, par le Dr Liebeault, 97, 134.

Hypnotisme mortel (sur un cas d') par Bernheim, 347.

Hypnotisme et religion, par F. Ke-gnault, 150.

Hypothèses sur la physiologie des centres nerveux (Mathias. Duval), 240.

Hystérie et de la folie (les rapports de 1'), par Ballet. 65.

Hystéro-traumatisme chez le chat. 62.

Hystérie et pratiques religieuses, 152.

Hystérie à Madagascar (l'), par Cullerre. 317.

Idées fixes de forme hystérique (les),

par Janet, 353. Impressions maternelles, 286. Inauguration des bustes de Baillarger

et de Falret, 59. Indications cliniques de l'hypnotisme

(les), 180.

Influence des impressions morales sur

le diabète, 183. Insomnie (un nouveau traitement de 1'),

252.

Introduction à la psychologie expérimentale, par Binet, 30.

Leçon d'ouverture du Dr Bérillon à

l'école pratique, 348. Lecture de pensées (un cas exceptionnel

de) par Krauz. 367. Léthargie (un cas de), 127. Liseur de pensées (un petit), 250. Lourdes et la science, par L. Berteaux,

210.

Mugnétisme et la loi sur l'exercice de

la médecine (la pratique du), 279. Marmotte (le sommeil hivernal de la),

par Raphaël Dubois, 257. Martyrs (insensibilité des), 151. Maternelles (impressions), 286. Meurtre sur un médecin par un épilep-

tique (tentative de), 285. Médecine des Primitifs d'Australie (la),

222.

Médianiques de Varsovie (expériences), 1, 42, 70, 106, 143, 109.

Miroir rotatif (hypnotisme par le), 22.

Miracles de Lourdes et le livre du Dr Boissarie (les), 215.

Miraculés de Lourdes au Cercle catholique de Paris (présentation de), 284.

Morphinomanie (le traitement de la), par Bérillon. 28.

Mort dans l'état d'hypnotisme (un cas de). 121.

Mort dans l'état d'hypnotisme (à propos d'un cas de), 220.

Musique sur les sujets en état d'hypnotisme (effets physiologiques de la), Warthin, 91.

Neurasthénies psychiques (les), 33.

Neurasthénie ( le traitement psycho-thérapeutique de la), par van Eeden et van Renterghem, 161.

Neurasthénie syphilitique (un cas de), guérison par la suggestion hypnotique, par le Dr David, 243.

Nicotinisme guéri par la suggestion, par A. Voisin, 245.

Onychophagie et des habitudes automatiques chez les dégénérés (fréquence de 1'), par Bérillon, 179.

Onychophagie (à propos d'). Le pouvoir d'arrêt, par A. Colas, 308.

Opérations chirurgicales faites pendant le sommeil hypnotique, 47.

Paralysie, à la source de Ste-Vinifred, dans le pays de Galles (cas d'une jeune fille qui aurait été miraculeusement guérie d'une), par Olivier, 311.

Paralysie hystéro - traumatique guérie par la suggestion, par David, 375.