(1892) Revue de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique, Tome 7
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(1892) Revue de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique, Tome 7

hypno_1893

REVUE

L'HYPNOTISME

ET dE la.

PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE

PARIS. — IMPRIMERIE ; BREVETÉE MICUELS ET FILS. PASSAGE DU CAIRE, 8 ET 10

SEPTIEME A N N E E

REVUE

L'HYPNOTISME

ET de la

PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE

Paraissant tous mois

PSYCHOLOGIE — PÉDAGOGIE — MÉDECINE LÉGALE MALADIES MENTALES ET NERVEUSES

Rédacteur en Chef : Docteur Edgar BERILLON

PRINCIPAUX COLLABORATEURS :

MM. les Docteurs AZAM. prof, à la Faculté de Bordeaux; K. ARTHUR (de Sydney); BARETY (de Nice); DE BEAUYA1S. médecin de Mazas; BERNHEIM.prof.àla Faculté de Nancy ;1.BOUYER(d'Angoul*mcj;BRE.MAl'D (de Brest); BRIAND, médecin de l'Asile de Villejuif; CRUISE (de Dublin); CHARCOT, prof, à la Faculté de Paris, membre de l'Institut ; CHILTOFF, professeur a l'Université de Kharkoff; COLLINEAU; COSTER (d'Amsterdam); W. DEKHTEREFF (de St-Pétersbourg); DIMONTPALLIER, méd. de l'Hotel-Dieu ; Eug. DUPUY ; Van EEDEN d'Amsterdam : A. FOREL (de Zurich); FRAENKEL (de Dessau); HACK TUKE (de Londres); G.GAUTIER ; GRASSET, prof. a la Faculté de Montpellier; KINGSBURY (de Blackpool); W. TRELAND (d'Édimbourg : LACASSAGNE, professeur à la Faculté de Lyon; LADAME (de Genève); LIEBEAULT (de Nancy); LEGRAIN, méd. de l'Asile de Vaucluse;

Émile LAURENT; LLOYD-TUCKEY (de Londres); Oscar JENNINGS; LETOURNEAU, prof, a l'École d'Anthropologie; MASOIN, prof, a l'Univ. de Louvain : MANOUVRIER, prof, à l'École d'Anthropologie: MESNET. médecin de l'Hôtel-Dieu MA BILLE, méd. en chef de l'Asile de Lafond ; Paul MAGN1N ; MOLL (de Berlin); I. OCHOROWIEZ ; MORSELLI, prof, a l'Univ. de Gênes; RAFFEGEAU (du VéSinet); Von SCHRENK-NOTZING (de Munich); SPERLING (de Berlin); SEMAL (do Mons); Aug. VOISIN, médecin de la Salpêtrière, etc.; STEMBO (de Vilna); 0. WETTERSTRAND (de Stockholm); et MM. A. LALANDE. agrégé de l'Univ,: LIÉGEOIS, prof, à la Faculté de droit de Nancy ; BOIRAC, agrégé do l'Univ.; DELBŒUF, professeur à l'Université de Liège;

Pierre JANET, agrégé de l'Univ.; .Max DESSOIR (de Berlin), A. DE ROCHAS; Jules SOURY ; Emile YUNG, prof, à l'Univ. de Genève, ect

9 1 49 8

LE NUMÉRO : 75 CENT.

PARIS

RÉDACTION Administration

40 bis, rue de Rivoli 170, rue Saint-Antoine-

1893

méthode hypnotique et suggestive appliquée à la physiologie, à la psychologie, à la pathologie, à la thérapeutique et à l'étude do la responsabilité en médecine légale, il a continué à imprimer à nos études la direction la plus sage et la plus scientifique.

L'élection de M. Dumontpallier est la récompense d'une vie consacrée tout entière à la recherche et au culte de la vérité. Nous continuerons à nous inspirer de son exemple et de ses conseils; grâce à eux, il nous sera facile d'éviter les écueils que signalait un autre de nos dévoués collaborateurs, M. le Dr Ladame, président de la Société médicale de Genève, dans son discours d'ouverture du IVe Congrès des médecins suisses, le 28 mai 1892. Après avoir exposé l'évolution de la thérapeutique pendant les trente dernières années, M. Ladame terminait par ces paroles auxquelles nous nous associons sans réserves: « La psychothérapie a une valeur incomparable, trop longtemps méconnue par les médecins, et l'hypnotisme est assurément une des plus belles conquêtes de la thérapeutique ; mais cette conquête risque fort de faire tourner la tète à maints de nos honorables confrères, qui sont bien près d'expliquer la médecine tout entière par la suggestion, nouvelle panacée universelle.

« Celui d'entre nous qui aurait parlé, il y a trente ans, de traiter ses malades au moyen du « magnétisme » aurait été lapidé par la Faculté. On en a vu d'illustres exemples. Aujourd'hui il devient nécessaire de rappeler la recommandation que le professeur Pitres adresse à ses élèves: - Surtout restez médecins; ne devenez pas hypnotiseurs ».

Dr Edg. Bérillon.

LOMBROSO ET LE SPIRITISME

Par SI. le Docteur ALBERT MOLL (de Berlin). (Zeitgest, des 8 et 15 février 1892.»

Depuis quelque temps déjà, nous avons appris par certaines publications que César Lombroso s'était occupé beaucoup, tout récemment, des phénomènes spiritiques et qu'il s'était prononcé pour la réalité de beaucoup d'entre eux. De la grande explosion de joie dans le monde des spiritistes, qui espèrent remporter, sous les auspices de l'éminent psychiatre, une victoire décisive.

Les nouvelles opinions du savant psychiatre et anthropologue italien n' ayant été Jusqu'à ce jour que peu connues en Allemagne, l'émotion provoquée par l'article que ce chercheur avait envoyé a la rédaction du Journal de Berlin (Bertiner Tageblall) et qui fut publie dans l'Esprit du Temps (Zeitgeist) du 25 janvier, n'en fut que plus grande.

Lombroso se prononce ici sans équivoque, crânement, sans aucune restriction, pour la réalité de beaucoup de phénomènes relégués Jusqu'ici dans le domaine

de la fantaisie, sans y attacher, d'ailleurs, la théorie spirile proprement dite, la croyance aux esprits.

La croyance des autorités étant universellement répandue, et le nombre des admirateurs et de partisans de Lombroso étant toujours considérable, H serait utile d'examiner la question et voir si la relation qu'il nous fait de ses séances spiriles pour ajouter foi à ses conclusions définitives. Tout d'abord, en ce qui regarde la pertonnalite de Lombroso, ses recherches dans le domaine de la psychiâtrie et tout particulièrement de l'anthropologie, lui valurent une renommée universelle.

La personnalité dont nous nous occupons présentement se distingue incon-testablement par l'abondance des idées ingénieuses, et mérite par cela l'attention la plus suivie. Mais le degré de l'examen critique de ses idées n'est pas. malheu-reu*emcnt, toujours suffisant pour nous permettre do croire Lombroso sans restriction, observateur aussi critique qu'explorateur ingénioux. Si, par conséquent, la personnalité de Lombroso ne peut pas nous engager à accepter sans critique son rapport sur le spiritismo, son exposé des phénomènes observés nous contraint a une réserve sceptique. Je m'appuie, pour le prouver, sur l'article de Lombroso relaté ci-dessus. Cela me parait — et l'auteur me l'accordera lui-même — un moyen préférable et plus noble pour combattre ses idées, que la négation à priori, si commune de nos jours et qui. comme le fait ressortir avec raison Lombroso, est extrêmement facile et n'est destinée souvent qu'à remplacer la réflexion proprement dite.

Afin que le lecteur sache de quoi il s'agit, transportons-nous dans une séance spirile, représentée par Lombroso dans l'article que je viens d'indiquer. Plu-sieurs personnes sont assises à une table, et parmi elles le médium Eusapia, qui. dit-on, est nécessaire pour que les phénomènes se produisent. Aux deux côtés du médium prennent place des personnes d'une loyauté et d'une bonne foi reconnues, par exemple Lombroso et Tamburini. Les mains du médium reposent, comme le dit la relation, dans colles de deux voisins : la pratique des séances spirites consiste, en effet, a former une chaîne, chacun prenant, généralement, la main de son voisin. Cette disposition préliminaire établie, on produit l'obscurité complète. Une partie des expériences eut lieu, il est vrai, a la clarté : J'y reviendrai plus tard. Parce que les mains du médium semblaient reposer dans celles de ses voisins, il devait lui être impossible de produire, avec leur aide, les phénomènes qui ne se manifestèrent que dans l'obscurité. Il ressort du rapport qu'une précaution analogue avait été prise lors d'une autre séance spirite : sans tenir les mains du médium, on l'avait lié complètement, ce qui semblait lui rendre impossible de se servir de ses mains pour une tromperie quelconque. Alors des choses absolument singulières semblèrent s'être produites dans l'obscurité : une cloche, qui reposait auparavant sur un bureau placé à une certaine distance, vola plusieurs fois dans l'air; une table, qui no trouvait du côté gauche du médium, s'agita ; puis les rideaux furent arraches; la chaise de Lombroso lui fut retirée, et le professeur dut se tenir debout; il fut pincé à diverses parties du corps et un autre touché au dos par des mains invi-sibles. etc.

Quant à l'explication de ce* phénomènes, qui sont très bien connus des spiriles, nous nous trouvons en présente de plusieurs théories. Selou l'opinion des spiriles, dans le sens strict du mot, ce sont les esprits qui entrent ici en Jeu, en produisant tous les mouvements des objets et les attouchements des personnes. Les autres, tout en croyant les phénomènes réels, ne les attribuent plus à l'action des esprits, mais" bien à Influence do la « psyché » du médium. Crookes est le principal représentant de ce système (1) qui, on le voit, attribue au medium une force psychique agissante d'uno façon miraculeuse, Lombroso se range

(1) Dans le texte : Direction.

ouvertement (1) à cet avis et croit que les mouvements du système nerveux central peuvent se transmettre à l'aide de l'éther aux objets extérieurs et remuer ces derniers.

Toutes les deux théories ont maintenant des partisans, mais la dernière est plus acceptée individuellement par les savants, qui sont d'accord sur la réalité des phénomènes, tandis que la première semble en général prévaloir dans le public crédule et profane. Ensuite il y a la théorie des hallucinations, qui fut motivée principalement par Edouard de Hartmann et s'appuie sur l'affirmation que les phénomènes qualifiés spiritiques ne som qu'une suite des illusions des sens; celles-là apparaissent pourtant dans la même mesure chez tous les présents, grâce à une influence particulière dn médium. Ces phénomènes ne présentent donc, selon celte théorie, rien d'objectif, mais bien quelque chose de subjectif. Cette théorie des hallucinations se rapporte, d'ailleurs, essentiellement aux apparitions des esprits; par conséquent, elle n'a aucune signification pour les phénomènes qui se produisirent chez Eusapia, le médium de Lombroso; d'autant plus qu'il s'agit ici en réalité des phénomènes objectifs; ce qui est évident, dans le cas, par exemple, où un objet placé sur la table, la séance dans l'obscurité terminée, fut retrouvé sur le plancher.

A toutes ces théories s'oppose la supposition que les phénomènes produits par les médiums ne sont que charlatanisme. Je ne veux pas affirmer qu'il en est toujours ainsi ; pourtant, à mon avis, la plupart des partisans du spiritisme ne tiennent pas toujours suffisamment compte de ce soupçon de charlatanisme. Il no me semble pas juste de rejeter purement et simplement tout, sans examen, comme une tromperie ; mais, dans chaque cas doit être posée avant toute autre cette question : Si les choses ne peuvent pas s'expliquer par l'illusion des assistants, préparée par le médium ? Tant qu'il en est ainsi, tant qu'un médium n'est plus qu'un prestidigitateur, on considérera comme justifiés les doutes d'une spéciale faculté médianique dans un cas donné et. par conséquent, on les devra prendre en considération. J'ai suivi l'histoire du batelage, qui présente beau-coup d'intérêt, et j'y ai remarqué qu'une partie des nouveaux tours sont ceux qui ont été exécutés pour la première fois par les soi-disant médiums spirites pendant leurs voyages. Ceux-ci sont généralement des individus rusés, très adroits, qui, malgré leur candeur apparente, leur air innocent, savent duper les observateurs les plus expérimentés. Ces derniers font preuve d'une naïveté telle qu'on en est souvent sérieusement étonné. Moi-même je n'ai pu me défendre d'une certaine surprise, en lisant dans le rapport de Lombroso que l'invitation lui avait été faite d'observer les phénomènes médianiques chez Eusapia à la claire lumière. Malgré ça, et c'est ce qui doit sembler incroyable, il ressort évidemment de l'exposé que la majeure partie des phénomènes s'est produite dans l'obscurité, et néanmoins Lombroso appuie son argument principal, pour la force médianique d'Eusapia. précisément sur cette circonstance que les expériences ont été faites en plein jour.

Si nous nous posons maintenant ta question, les phénomènes sur lesquels s'appuie Lombroso sont-ils explicables par le charlatanisme ? A ce que Je vois dans l'extrait du procès-ver bal, ceci ne me «omble pas douteux Pour le prouver, il me faut faire d'abord une petite digression.

C'est que les médecins spirites savent exécuter assez fréquemment le truc suivant : La pièce ayant été abondamment éclairée, le médium prend placo et met plusieurs ou même tous les doigts de sa main droite dans les doigts correspondants de la main gauche do son voisin de droite, et ceux de *a main gauche dans les doigts de la main droite de son voisin de gauche. Le lecteur le croira sans doute difficilement, et pourtant il n'en est pas autrement que, dégager les denx mains sans que le voisin de droite ni celui de gauche en aperçoive quelque

(1) Ou biun . évidemment (offenbar).

chose, n'est, pour le médium assis au milieu, qu'un tour de bateiage qui exige, toutefois, il faut le reconnaître, une grande habileté et beaucoup d'exercice. Il y parvient par un moyen que les bateleurs connaissent particulièrement à fond, savoir, à l'aide du détournement de l'attention. Dans l'obscurité, quand on ne peut pas voir les mains, les médiums parviennent souvent à dégager les leurs en donnant une autre direction à l'attention de leurs voisins. Pour que les voisins n'en aperçoivent rien, le médium s'efforce d'approcher le plus possible la main gauche du voisin de droite du la main droite de celui de gauche. De celte façon, il lui est finalement possible de toucher d'une seule main celle de deux voisins : si le médium arrive, par ce truc, à dégager .sa main droite, le voisin de gauche touche définitivement une partie, et celui de droite une autre de ta main gauche, sans apercevoir que c'est une seule et la même main qu'ils touchent tous les deux. Je crois possible que cette façon de tromperie engendre des doutes chez plusieurs lecteurs; dans ce cas, je peux seulement leur faire remarquer que j'ai vu des observateurs très consciencieux trompés facilement de cette manière. La tromperie va même plus loin : le médium parvient finalement, grâce au détournement de l'attention de ses deux voisins, à dégager, non seulement la main droite, mais aussi la gauche, et arranger les choses de sorte que le voisin de droite touche de sa main gauche la main droite de celui de gauche. Les deux voisins, qui semblent être des critiques si sévères, se louchent alors l'un L'autre, tout en croyant tenir encore le médium, tandis que celui-ci a. en réalité, les mains depuis longtemps dégagées et peut s'en servir pour ce qu'il veut. Il lui est ainsi possible de remuer une table qui se trouve à gauche; il peut se lever, il sait l'effectuer sans bruit, prendre les objets d'une table éloignée, promener en rond (dans l'air) une sonnette, toucher de ses mains les voisins, leur retirer des chaises, comme dans le cas de Lombroso, etc., etc. Il y a un certain temps, ce truc a été publié par un ancien médium spirite, mais je ne sais pas si Lombroso en avait eu connaissance. Toujours est-îl possible que le médium s'en soit servi pour exécuter une partie des phénomènes.

En général et ordinairement, les médiums imposteurs ont à leur disposition plusieurs manières pour faire leurs manipulations; ils doivent posséder, ainsi que les magiciens, le talent de varier la manière et le genre de leurs opérations, et de cette façon ils pourront encore réussir, même quand, par des précautions que l'on croît suffisantes, on leur a rendu impossible un truc ou l'autre.

Il y a, cependant, deux choses qui semblent militer contre la possibilité de pareilles manœuvres dans le cas de Lombroso : d'abord, une allumette fut subitement allumée et la sonnette qui, jusqu'à ce temps, volait dans l'air, tomba subitement par terre, sans que l'on découvrit un subterfuge quelconque; puis, la sonnette qui voyageait ainsi au-dessus des assistants se trouvait, selon le rapport, au commencement de la séance sur une table éloignée. Il sentit étrange, en effet, qu'on ne remarquât pas à la lumière que le médium avait dégagé les mains de la façon décrite ci-dessus. J'y répondrai en premier lieu que le dégagement des mains n'est qu'une possibilité que j'ai admise. D'autre part, il est pourtant certain que le médium est parfaitement en état, en opérant habilement, de mettre ses mains dans celles de ses voisins de la méme façon qu'il les avait dégagées, sans qu'ils s'en aperçoivent plus qu'ils ne soupçonnaient que les mains avaien. été retirées. E. j'affirme que cette opération peut parfaitement être exécutée par les personnes expérimentées dans l'art du batelage; je crois aussi qu'il est possible de glisser de la sorte ses mains entre celles des voisins assez vite.

D'ailleurs, malgré l'affirmation de Lombroso que la lumière de l'allumette s'est produite si subitement, il put M produire, pendant que l'on frottait l'allumette, des faibles bruits qui, à leur tour, ont été susceptibles d'avertir le médium du danger imminent et de la nécessité de prendre des précautions. Plus lard. Eusapia put augmenter l'illusion des assistants par le changement des moyens.

Si nous supposons, par exemple, que premièrement elle avait dégagé les mains et s'en était serri pour remuer la table, il est possible que, plus tard, après avoir replacé a nouveau ses mains entre celles des voisins, elle se soit levée de sa chaise et ait remué la sonnette seulement à l'aide de sa bouche. On peut supposer l'emploi de tous les instruments possibles dans ce but; elle a pu, par exemple, cacher dans ses vêtements un fil de métal mince, que plus tard elle aurait sorti pour atteindre la sonnette. De pareils instruments ont déjà été si souvent trouvés chez les médiums, que cette supposition doit être prise en con-sidération d'une manière tout à fait sérieuse. Un fil mince, à l'aide duquel Eusapia put remuer la sonnette, aurait été difficilement aperçu par les assistants, même à la lumière de l'allumette, surtout dans un instant où tous les regards étaient tournés vers la sonnette qui continuait à voler. C'est justement aussi un moyen connu des bateleurs que d'induire en erreur les assistants en jetant ou feignant de jeter un objet dans une direction quelconque : tout le monde regarde alors dans la direction de l'objet jeté, et ce que le bateleur fait dans cet instant où ce qu'il a dans les mains, échappe à l'attention détournée des assistants. Il parait impossible que le médium garde sur Lui de pareils instruments, comme un fil de métal, parce que Lombroso l'avait auparavant fouillé de la manière la plus rigoureuse. Mais une pareille fouille ne me rassure que médiocrement : elle n'aurait atteint son but que si le médium s'était complètement déshabillé en présence des personnes dignes de foi et expertes dans le charlatanisme, et aurait mis ensuite de nouveaux vêtements qui lui auraient été fournis par ces mêmes personnes Ce n'est que si celle condition est remplie rigoureusement que l'on peut croire la déclaration que le médium n'a pas eu sur lui aucun instrument destiné à la tromperie.

(A suivre.)

TABAC ET SUGGESTION (1)

COMMENT ON DEVIENT FUMEUR ET COMMENT ON EN GUÉRIT

I

On fume d'abord par persuasion.

On a vu fumer autour de soi : on a entendu dire que c'était de bon goût, qu'on avait l'air d'un homme et que. de plus, c'était un passe-temps très agréable. Alors on a voulu en faire autant. Mais la première expérience n'a pas été heureuse : le narcotique a rapidement produit sou effet. Le candidat fumeur a expié douloureusement son premier péché et s'est bien promis de ne pas recommencer. Alors les camarades l'ont plaisanté, on lui a répété sur tous les tons qu'il n'était pas un homme, si bien qu'il a recommencé. A chaque tentative nouvelle, les résultats ont été de moins en moins désastreux; son organisme, sous l'influence de

(1) Nous empruntons cette étude au nouveau livre du Dr Émile Laurent, le Nicoti-nisme, qui paraîtra prochainement à la société d'éditions scientifiqes.

l'habitude, s'est montré plus tolérant pour le poison, jusqu'au jour où, saturé et indiffèrent, il l'a supporté sans aucun malaise.

Voilà donc notre homme qui. grâce à l'influence toute-puissante de l'imitation, peut fumer comme tout le monde sans être malade ou même sans être incommodé. Alors il se demande pourquoi il fume, dans quel but il s'amuse à respirer nne fumée acre, nauséeuse et empoisonnée; il se demande pourquoi il dépense son argent en cendres et en fumée, pourquoi il incommode chaque jour par ce moyen sa femme et ses enfants, pourquoi il altère sa santé peut-être.

II

On a d'abord fumé par imitation, pour faire comme tout le monde, pour n'être point ridicule. Maintenant une autre influence va survenir, aussi puissante et aussi tyrannique que la première : c'est la suggestion du milieu, de l'entourage. Appelez-la persuasion si vous voulez; pour moi. c'est la même chose.

L'apprenti fumeur entend répéter sans cesse autour de lui que la fumée du tabac a un parfum délicieux, qu'elle porte à la rêverie, que dans ses ronds bleuâtres se cachent les plus séduisantes visions. Il reste pendant quelques temps incrédule peut-être; il s'étonne de ne point obtenir du tabac les sensations tant vantées. Néanmoins, peu à peu la suggestion sans cesse renouvelée prend pied dans son cerveau et s'y installe Il finit par se dire que son tabac doit avoir du bon. puisque tous les fumeurs le disent. Sans cela, pourquoi fumeraient-its? Cette fois, il est près d'être convaincu. Encore quelques pipes, et il se persuadera que le tabac est une chose délicieuse, une herbe divine, un présent des dieux. Il achève de lui-même de se persuader. Cette fois, c'est de l'aute-suggestion. Le fumeur est complet et il fumera jusqu'à la fin de ses jours. Il trouve dans le tabac les sensations qu'on lui avait annoncées et qu'il y cherchait. La suggestion a merveilleusement opéré.

C'est maintenant un nicotinique. Il fumait d'abord pour faire comme tout le monde ; maintenant il fume par plaisir, bien plus que par besoin : il fumait par imitation, il fume par suggestion.

III

C'est qu'il faut une grande force de volonté pour résister à cette double influence de l'imitation et de la suggestion ambiante.

Quand je fais mon examen de conscience, j- me demande par quelle chance heureuse j'y ai résisté. Car je ne suis pas ennemi du tabac par raison de santé ou par raison morale, Non c'est, je crois, de naissance.

Je ne sais si, une fois devenu fumeur, j'aurais eu le courage de me débarrasser de cette habitude tyran nique. Mais je n'ai jamais fumé.

J'ai bien, il y a quelque dix ans, grillé quelques cigarettes, fumé quelques cigares. C'était pour voir, par imitation, pour faire comme les amis.

— Cela a dû vous rendre bien malade? me demanderez-vous avec un mauvais sourire sur les lèvres.

— Pas le moins du monde. Ça ne m'a rien fait du tout. Seulement j'ai trouvé que la fumée du tabac m'occasionnait une sécheresse cuisante dans la gorge, qu'elle me mettait une saveur vireuse dans la bouche, en un mot qu'elle avait une vilaine odeur. J'ai renouvelé l'expérience plusieurs fois. On a vainement tenté de me séduire avec des offres de tabacs aussi parfumés qu'exotiques. Rien n'y fit. Je résistai. La suggestion ne prenait pas sur moi. Pourquoi ? Je ne sais pas au juste, probablement parce que ma crédivité naturelle était peu développée. Si je m'étais laissé entraîner par la puissance de l'imitation, je me montrais rebelle à la suggestion. En un mot. si vous voulez, et pour employer une expression vulgaire, je ne me laissais pas monter le coup.

IV

J'ai montré comment et par quels artifices on devient fumeur ; il sera facile maintenant d'instituer un traitement.

Il est évident, que si on prenait le fumeur à la première période, quand il fume par imitation et sans y prendre plaisir, il suffirait pour le débarrasser de cette habitude naissante, de lui faire comprendre les graves inconvénients du tabac, les dangers qu'il fait courir à sa santé et à sa bourse. Immédiatement il casserait sa pipe et jetterait son tabac au feu.

Mais ce n'est généralement pas à cette période que nous sommes appelés à intervenir. Il y a alors seulement usage du tabac et non abus. Les inconvénients sont beaucoup moindres pour la santé. Nous arrivons au contraire quand l'habitude est invétérée, l'intoxication complète. Le fumeur comprend combien le tabac lui est néfaste ; il voudrait bien ne plus fumer ; mais il est trop tard; il ne sait plus résister à son vice. Il assiste impuissant i sa propre déchéance. Il est anéanti, incapable de lutter désormais. C'est un homme qui se noie et qui appelle au secours. N'allez-vous pas lui jeter la perche?

Je ne saurais dire combien j'ai vu de gens, dans ma courte carrière de médecin, qui venaient me consulter pour des laryngites ou des dyspepsies tabagiques.

— Ne fumez plus, leur disais-je, et dans quelques jours vous serez guéris. Sublata causa, tollitur effectus.

Et tous me répondaient mélancoliquement :

— Je m'en doutais bien, monsieur le docteur, mais je ne peur pas m'en empêcher : c'est pins fort que moi.

Que faire pour ces victimes du nicotinisme?

Faudra-t-il les laisser à leur vice et achever ainsi dans la torpeur une existence misérable ?

Non. Le médecin peut quelque chose pour eux, à condition, bien entendu, qu'ils aient eux-mêmes le ferme vouloir de guérir. Ce sont des paralytiques qui voudraient marcher; ils demandent simplement qu'un bras secourable les soutienne et les aide à faire les premiers pas.

Nous avons dit qu'on devenait fumeur par suggestion. Eh bien ! la suggestion est une arme à deux tranchants. C'est elle qui a fait naître le vice, c'est elle qui le tuera.

V

Comment cela ? me demanderez-vous.

La chose n'est peut-être pas toujours facile, mais elle est possible dans bon nombre de cas. Voici comment devra procéder le médecin qui se propose de guérir un nicotinique :

Après s'être assuré que son client désire bien réellement guérir, il le rassure sur son état, lui démontre que les expériences auxquelles il va le soumettre sont absolument inoffensives ; il lui fait espérer sa guérison à peu près comme certaine. Il le prépare en quelque sorte par cette persuasion suggestive.

Alors commencent les séances d'hypnotisation. Je n'indiquerai pas ici les moyens à employer pour hypnotiser, cela m'entraînerait hors de mon sujet; je me contenterai de renvoyer aux traités spéciaux.

Mais, que! que soit le procédé employé, si le médecin arrive à plonger son malade dans un sommeil hypnotique même peu profond, il peut être certain du succès ; la guérison est sûre. Le médecin est maître de la place : le fumeur cassera sa pipe, et je ne parle pas au figuré.

VI

Mais quels moyens employer?

Oh ! les artifices sont nombreux et il faut savoir choisir suivant les circonstances.

Voici le fumeur endormi, plongé dans un état d'hypnose plus ou moins profonde. Sa volonté est anéantie; le voilà sous la domination du médecin.

Faudra-t-il lut défendre impérieusement de fumer? Non. c'est un moyen trop brutal, qui manque souvent son effet.

Contentez-vous de lui rappeler quels dangers lui fait courir l'usage du tabac. Puis raffermissez sa volonté; rendez-lui confiance en lui-même ; dites-lui qu'il peut ne plus fumer, qu'il n'a qu'a le vouloir sérieusement. 11 est bien rare qu'après celte première séance, il ne reprenne pas courage et qu'il ne diminue pas déjà la dose de tabac absorbé.

S'il se montre rebelle, employez d'autres artifices. Vous savez qu'on peut tromper par suggestion l'odorat de l'hypnotisé, lui faire respirer des odeurs nauséabondes en le persuadant que ce sont des odeurs suaves, et réciproquement. Eh bien ! suggérez à votre sujet que la fumée du tabac a une odeur répugnante ; dites-lui qu'elle lui sera désormais insupportable, qu'il ne pourra plus fumer sans avoir immédiatement envie de vomir. Vous pouvez être sur qu'au bout de quelques séances vous lui aurez inspiré une véritable répugnance pour le tabac. Il sera bien près d'être guéri, s'il ne l'est déjà.

Et, comme je l'ai dit tout à l'heure, ces artifices varient à l'infini, au gré de l'hypnotiseur. Le tout est de savoir s'en servir à propos.

LES PIGEONS VOYAGEURS

FACULTÉ d'ORIENTATION Par M. EUGÈNE CAUSTIER. professeur au lycée Biaise-Pascal.

Nous devons nous demander d'abord par quel instinct le pigeon revient à son colombier, cl ensuite comment le pigeon peut-il reconnaître son chemin? Ce sont là deux questions des plus intéressantes au point de vue physiologique. Nous allons les étudier successivement.

I. INSTINCT du retour

L'habitude du retour au nid est évidemment toute primordiale.

Mais nous avons vu que le meilleur pigeon voyageur a besoin d'une éducation préalable pour retourner à son gîte, lorsqu'il s'agit, bien entendu, de parcourir des centaines de kilomètres.

Il ne doit à cet égard subsister aucun doute, et pour cela nous devons citer un colombophile qui fait autorité en la matière.

« On aurait tort de croire, dit M. La Perre de Roo, que le pigeon messager, transporté du coup à 1,000 kilomètres de son colombier, retournerait instinctivement à son gite; il n'en est absolument rien: on doit lui faire son éducation et lui apprendre, par étapes progressives, à franchir de grandes distances. »

Cependant, hâtons-nous de le dire, il y a autre chose que l'entraînement.

En voici la preuve :

Vingt-deux jeunes pigeons, appartenant à M. Cassiers, n'avaient encore fait que le voyage de Châtelleraull à Paris (247 kilomètres à vol d'oiseau). Le 28 août 1875, on les transporta d'un bond à Agen, i 263 kilomètres plus loin, c'est-à-dite à une distance plus que double do la précédente. On les lâcha.

A peine étaient-ils partis qu'un violent orage se déchaînait sur leur route. Malgré cela, l'un d'eux était de retour à Paris le lendemain, et le 4 septembre doute autres y étaient rentrés.

La route de Chatellerault à Paris leur avait été graduellement enseignée par des lâchers successifs opérés à des distances croissantes ; c'est la méthode constante.

Mais comment avaient-ils pu s'orienter sur celle route absolument inconnue d'Agen à Chatellerault, encore plus longue que la première, et qu'ils n'avaient jamais parcourue ?

On peut répondre que ces pigeons avaient l'habitude d'aller se nourrir aux champs, et que cette habitude avait développé chez eux l'instinct du retour.

Mais cette faculté du retour peut-elle rendre inutile la connaissance d'une très vasto étendue de pays a parcourir?

Supposes qu'on nous ait entraînés comme on entraîne les pigeons, et qu'on ail obtenu le même résultat qu'avec ces oiseaux; en d'autres termes, supposez qu'on nous transporte a une grande dislance dans un pays inconnu et que nous soyons rentrés directement chez nous, sans demander noire chemin, évidemment.

Cela ne vous étonnerait pas beaucoup, car, diriez-vous, nous avons l'expérience du ciel astronomique et nous nous sommes dirigés d'après son aspect.

Oui, mais le pigeon? i l'aide de quelle boussole s'orienle-t-il ?

Voilà ce qu'il faudrait dire; mais invoquer la faculté de retour, c'est répondre à la question par la question. C'est produire le pendant i la fameuse venu dormitive'de l'opium.

Sans nous payer de mois, nous pouvons avouer carrément qu'il y a là une inconnue.

Nous dirons cependant, plus loin, quelques mots des hypothèses intéressantes qui onl été faites à cet égard.

Voici encore un fait des plus curieux qui montre bien qu'il y a autre chose quo les entraînements pour mettre nos voyageurs sur la route de leurs colombiers.

En 1874, un colombophile d'Anvers cédait à un amateur de Hambourg quatre pigeons reproducteurs que leur nouveau propriétaire tenait renfermés pendant sept mois.

Au bout de ce temps, le 2 juin 1873, l'un d'eux s'échappe; le 3 juin, il arrive au colombier de son premier maître.

Cet oiseau n'avait jamais été entraîné que dans la direction du Midi d'Anvers. On juge alors, la carte sous les yeux, si la route de Hambourg à Anvers devait lui être connue !

De son coté. M. La Perre de Roo nous fait le récit suivant :

« Il y a quelques années, je me rendais d'Anvers à Londres par le bateau à vapeur le Victor, dont j'étais l'armateur, lorsqu'un ardent colombophile de Schaerbeek-lez-Bruxelles mil l'occasion à, profit pour me remettre un petit panier contenant huit pigeons voyageurs, avec prière de les lâcher à Londres.

c Je pris les pigeons à bord de mon steamer, et le lendemain, après une traversée heureuse, nous arrivâmes devant l'hôpital de Greenwich près de Londres.

« Le temps était splendide. Cependant, craignant qu'à Londres il n'y eût du brouillard comme d'habitude, je fis servir à boire et à manger aux pigeons et je les mis immédiatement en liberté au milieu d'une forêt de mâts qui encombraient la Tamise. Après avoir plané pendant longtemps au-dessus de l'Observatoire de Greenwich, ils disparurent dans la direction de Londres, et je les croyais perdus. Mais à mon retour à Bruxelles, j'étais agréablement surpris lorsque les huit voyageurs ailés me furent présentés par leur heureux propriétaire, qui me déclara qu'ils étaient rentrés tous à leur colombier le jour même du lâcher, à sept heures du soir.

« Or, ces pigeons n'avaient jamais fait que les voyages du Midi de la France à Bruxelles; ils n'avaient jamais traversé la mer auparavant, et, sans avoir fait les étapes réglementaires de Bruges, Ostende. Douvres, etc., ils avaient été transportés d'un bond à Londres, contrairement à tous les usages en pratique en Belgique. »

Quoi qu'il en soit, il est préférable d'entraîner les pigeons dans lu même direction, car ils partent alors d'un trait, sans hésitation. Tandis quo si on les lance d'un point nouveau, ils s'élèvent à de grandes hauteurs, font osciller leur bec en tous sens comme pour explorer loua les points de l'horixon, prennent avec hésitation leur vol tantôt dans une direction, tantôt dans une autre, reviennent en arrière, jusqu'à ce qu'enfin on les voie fiter résolumenl dans une direction souvent opposée à celle qui mène à leur colombier.

Enfin, s'il est avantageux de faire faire à des pigeons un trajet toujours le même, il ne faut pas croire que cet exercice soit de nécessité absolue. Un pigeon voyageur dont l'itinéraire est changé subitement peut encore retrouver son colombier.

C'est ce que démontre l'expérience suivante faite par le service des colombiers militaires italiens, et dont la Revista d'artigliera e gento a fait connaître les plus curieux résultats :

Au Nord-Est de la Sardaigne, a coté de l'Ile de Caprera, illustrée par la

résidence do Garibaldi, est l'Ilo de la Maddalena. De cette ile à Rome, la dislance est de 270 kilomètres.

Au Nord-Est de R?me, sur l'Adriatique, se trouve la ville d'Ancone, séparée de Rome par toute la largeur de l'Italie; la distance entre ces deux villes est d'environ 200 kilomètres.

Or, neuf pigeons du colombier de Rome, habitués à y revenir de la Maddalena, furent transportés d'un bond à Ancône.

A peine lâchés, ils prirent tous le chemin de Rome. Quatre y arrivèrent le même jour. Deux y furent le lendemain. Un autre, à qui on avait coupé le bout des ailes, ne rentra au colombier quo plus tard. Les deux derniers se perdirent. Deux seulement, sur neuf !

Il y a bien autre chose que l'entraînement, c'est indiscutable.

II.COMMENT LE PIGEON RECONNAIT-IL SON CHEMIN ?

C'est là une question très difficile à résoudre et qui embarrasse fortement les physiologistes.

Tous les oiseaux, du reste, ont à un plus ou moins haut degré celte faculté d'orientation ; tous savent retrouver leur nid.

Ainsi, on l'a constaté depuis longtemps pour l'hirondelle; Spallanzani a répété plusieurs fois celle expérience : un couple d'hirondelles transporté de Pavie, où ils avaient leur nid, à Milan, où ils furent mis en liberté, étaient de retour en treize minutes auprès de leurs petits. La dislance est de 30 kilomètres a vol d'oiseau.

L'aptitude du pigeon à revenir d'une grande dislance de son nid n'est donc qu'un cas particulier d'une faculté qui appartient à un grand nombre d'animaux et en particulier aux oiseaux migrateurs.

Celle question de physiologie est donc bien d'un intérêt général. Voyons les différentes explications qu'on a essayé do donner.

Et d'abord, est-ce par la vue que le pigeon se dirige ? Non, et vous allez le comprendre facilement.

A cause de la sphéricité de la (erre, il faudrait s'élever à de grandes hauteurs pour voir â de grandes dislances. Ainsi il faudrait s'élever à :

3.143 mètres pour voir i 200 kilomètres.

7.076 — 300 —

12.586 - 400 —

19.668 500 -

Or, le pigeon ne s'élève jamais à une hauteur supérieure à 300 mètres, c'est-à-dire qu'il circule dans la zone comprise entre la surface de la terre et la courbe moyenne des nuages, située à 500 mètres environ. Cela résulte des nombreuses expériences de M. Gaston Tissandier qui. ayant lâché des pigeons à 4 ou 5,000 mètres de haut, les a tous vus tomber comme des plombs.

Donc, il y a autre chose que la vue.

Puisque ce n'est pas la vue. quel est l'agent mystérieux qui les guide?

Avec Michelet et Toussenel. M. de Roo concède à l'oiseau, non seulement une haute impressionnabilités atmosphérique, mais encore une nature éminemment électrique.

Il appuie cette opinion sur le résultat des expériences aérostatiques faites par M Gaston Tissandier.

Il constate d'ailleurs lui-même que les perturbations atmosphériques et par conséquent magnétiques empêchent le pigeon de retrouver son chemin.

Il cite par exemple des pigeons qui, lancés en pleine mer au milieu du brouillard, se sont d'abord élevés au-dessus de ce brouillard avant de prendre une direction.

Voici encore d'autres faits observés :

Lancé le malin, le pigeon s'élève au maximum de hauteur, probablement parce que l'électricité de l'air n'est appréciable qu' a une plus grande altitude.

Lâché par un temps de pluie, par un ciel chargé et couvert, le pigeon vole au contraire très bas, probablement parce que l'électricité de l'air n'est appréciable qu'à une faible distance du sol.

Les chaînes de montagne sont aussi des obstacles presque infranchissables pour les pigeons. Ainsi il est difficile, pour ne pas dire impossible, de faire traverser les Pyrénées à un pigeon, tandis qu'on peut facilement, nous l'avons vu, le faire aller de Saint-Sébastien a Bruxelles.

Cependant on a lâché dans les Pyrénées, au milieu de glaciers et de forêts, quatre-vingt-cinq pigeons emportés do Toulouse. Toute la troupe, après un mouvement de giration, partit comme un trait, et presque tous rentrèrent à Toulouse.

S'il rencontre une montagne, le pigeon se dirige vers elle, puis s'arrête tout couit et rebrousse chemin, cherchant probablement à retrouver dans d'autres couches aériennes le courant qui l'a guidé jusqu'alors.

Même manœuvre lorsque le pigeon passe au-dessus de grandes masses d'eau : il descend pour rechercher le courant.

De même encore au-dessus des grandes forêts, où l'air est plus dense et le force à monter plus haut pour retrouver le courant, qui est en général parallèle au relief du sol.

Quand la terre est couverte do neige, le pigeon est encore désorienté, sans doute parce que le rayonnement qui s'opère par la surface de la couche blanche cause des perturbations atmosphériques. 11 est vrai aussi que le froid intense paralyse la faculté d'orientation du pigeon. Ainsi, pendant le mois de janvier, si froid, de 1871, deux pigeons seulement rentrèrent dans Paris assiégé.

Le 21 novembre 1875, on lâcha à Saint-Quentin, par un temps froid et sombre, cent vingt-sept pigeons. Cinq seulement arrivaient à Liège le lende-

main, quelques autres le surlendemain, les trois quarts après un temps plus long. Un grand nombre n'ont pas reparu.

Après ces faits, citons pour être complet les hypothèses faites sur cette question.

***

M. le Dr C. Viguier croit à l'existence d'un sens de l'orientation, et il en voit l'organe dans les canaux semi-circulaires de l'oreille.

Ce n'est qu'une hypothèse ; il ne la donne pas pour autre chose. Elle parait, cependant assex bien motivée.

Y a-t-il, se demande M. Viguier. un agent capable d'exercer sur les appareils sensoriels des canaux semi-circulaires une action continue et variable suivant les diverses positions de la tète?

Voici sa réponse :

« A mon avis, cet agent existe et n'est autre que le magnétisme terrestre. Qu'une force partout présente soit sans aucune action sur notre organisme, alors que nous le voyons influencé par les moindres variations de la lumière et de la chaleur, c'est ce qui serait déjà bien surprenant.

« Mais il est incontestable que non seulement les courants galvaniques exercent une action puissante sur notre système nerveux, mais que les aimants eux-mêmes produisent des effets bien marqués dans certaines affections nérveuses...

« Je suppose donc que le magnétisme terrestre détermine dans l'endo-lymphe des canaux de l'oreille de véritables courants induits, dont l'intensité varie avec la position de ces canaux par rapport aux directions des aiguilles d'inclinaison et de déclinaison et avec l'intensité des phénomènes magnétiques, [.'animal serait ainsi renseigné incessamment sur les déplacements de sa tête dans chacun des trois plans perpendiculaires ; et. en outre, la tête se trouvant dans U position normale et orientée dans le même sens, sur l'intensité des actions magnétiques.

« Ces sensations, ordinairement inconscientes, seraient peut-être susceptibles d'éveiller, dans quelques cas, un certain degré de conscience, comme tendent à le prouver quelques faits... »

Parmi les faits qui établissent l'action physiologique du magnétisme, l'auteur cite les curieuses expériences de M. Ziegler, que M. Carl Vogt, après en avoir été témoin, a présentées au Congrès de l'Association française tenu â Alger.

« M. Ziegler prend une lentille de fer doux ; il l'expose dans une situation telle qu'elle reçoive les rayons magnétiques et terrestres et les envoie sur l'organe à étudier.

« En projetant sur le cœur d'un lapin les rayons magnétiques ainsi concentrés, on change le rythme du cceur; on provoque, si l'on concentre les rayons sur l'intestin, des mouvements péristaltiques violents. »

C'est donc d'un sens du magnétisme terrestre qu'il faudrait démontrer expérimentalement l'existence.

Il faudrait, pour avoir une opinion sérieuse sur cette théorie, procéder personnellement aux expériences do contrôle, ce qui serait évidemment très délicat et très long.

Ce serait probablement ce sens qui fonctionnerait, qui suppléerait à celui de la vue. dans le cas rapporté par G.-J. Romanes dans la Sature anglaise : des pigeons transportés d'un bond de Bruxelles à Londres et lâchés au Palais de Cristal revinrent à leur colombier avec taut de vitesse qu'une dépèche expédiée du Palais même pour annoncer leur départ ne les devança que de quelques minutes.

La conclusion à tirer de tous ces faits, c'est que les pigeons sont peut-être guidés par des courants atmosphériques dont nous n'avons pas le sentiment, quelque chose comme le sens de tespace.

Serait-ce le fameux sixième sens qu'on a souvent célébré et jamais défini? C'est résoudre une inconnue par une autre inconnue.

Mais, en réalité, on ne sait rien de bien précis, et c'est ce qui a fait dire à un physiologiste qu'un panier de pigeons voyageurs renfermait un pro— blême à désespérer les Académiciens.

Avouons noire ignorance. Observons et attendons; c'est le parti le plus sage.

En attendant, il faut reconnaître que Molière a raison de s'écrier : Les bêtes ne sont pas si bêtes que l'on pense !

III. chez les AUTRES ANIMAUX.

11 ne faut pas voir dans celte faculté un privilège du pigeon. Cette faculté est commune a tous les oiseaux, et même dans une certaine mesure à tous les animaux.

Car enfin l'abeille qui va butiner au loin sait retrouver le chemin de sa ruche. Elle y retourne même» suivant une ligne tellement droite que le vol d'une abeille chargée indique la position de la ruche avec autant de sûreté que pourrait le faire une file do jalons. Lorsqu'on déplaco la ruche pendant que les ouvrières sont en campagne et qu'on la porto à 100 à 200 mètres, les abeilles reviennent a l'endroit où elles ont quitté leur demeure et ne savent pas même trouver le nouvel emplacement de leur habitation.

De même l'anguille va droit à la mer à travers des étendues de terre relativement considérables ; elle se guide sans doute d'après des sensations tactiles et olfactives.

Les mammifères nous donnent aussi des exemples curieux de la faculté d'orientation. On a beaucoup d'obse ; valions butes sur les chiens, les chevaux, etc. Ea voici une très intéressante:

En mars 1816, la frégate anglaise l'lster avait embarqué

à Gibraltar. Un gros temps survint près de la pointe do Gat, sur la côte d'Espagne, a plus de 300 kilomètres du port de départ. La position du navire étant critique, les animaux furent lancés à la mer, dans l'espoir qu'ils pourraient gagner le rivage à la nage.

Un ace, entre autres, parvint à. terre. Il avait appartenu aux bourreaux et servait autrefois à attacher les criminels qui recevaient le fouet. 11 avait alors les oreilles trouées, suivant le vieil usage espagnol, et ce signe seul le rendait odieux aux habitants, qui ne pouvaient songer à se l'approprier.

Laissé pour cette raison en pleine liberté, il se mit a chercher sa route. Le pays lui était inconnu ; malgré cela, en peu de jours, il se retrouva dans son étable. devant sa mangeoire, à Gibraltar.

IV. CHEZ L'HOMME.

L'homme lui-même, comme le fait bien remarquer M. Houzeau, possède aussi la faculté de s'orienter.

Cette faculté, qui était plus développée chez l'ancêtre, s'affaiblit et disparait par la civilisation, comme s'affaiblit l'acuité des sens. Mais cette faculté existe chez le sauvage ; elle renaît chez le civilisé sous l'influence d'une éducation spéciale et d'exaltations des sens.

« Le sauvage, dit M. Houzeau. n'a pas sa route tracée entre deux clayon-nages; il ne rencontre pas de poteaux indicateurs, ni d'habitants pour le renseigner. Il n'a pas même de boussole, et dans le jour il ne trouve qu'un guide, le soleil. Néanmoins, nous le voyons partir d'un camp sur l'Arkansas ou la Canadienne, traverser de grandes montagnes, s'engager seul et pour la première fois dans des gorges profondes, sinueuses, obscures, ou traverser de vastes forêts. Et nous le voyons gagner un autre camp sur Grand River ou sur la rivière Verte avec une sûreté de marche absolue. »

Une troupe d'Indiens, après avoir poussé la chasse a cinquante ou cent lieues de distance du village, dans une région qu'aucun d'entre eux n'a visitée auparavant, se décide tout d'un coup au retour. Elle ne refait pas les mille circuits qu'elle a faits en venant ; les chargea sont lourdes ; elle prend le chemin le plus court.

Elle revient ainsi au village comme l'abeille ou le pigeon a son colombier,à peu près en ligne droite.

***

Nous avions donc raison au début de dire que celle faculté d'orientation était un fait biologique général.

Comment trouver l'organe de ce sens particulier de l'orientation? C'est, nous l'avons vu, très difficile.

Mais nous no devons pas nous mettre dans l'impossibilité de trouver ce quelque chose en cherchant a nous persuader par des mots, qu'il n'y a plus rien à chercher.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE

Séance du lundi 9 mai. — Présidence de m. Dumontpallier (Suite.)

Rêves spontanés et suggérés dans le sommeil hypnotique.

Par M. le Dr BÉRILLON.

Comme on le sait, l'aptitude au rêve est extrêmement variable selon les individus. Tandis que certaines personnes se mettent a rêver dès qu'elles sont endormies, il en est d'autres qui ne se souviennent pas d'avoir jamais eu le moindre rêve.

A plusieurs reprises nous avons eu l'occasion de constater celle aptitude au rêve chez des individus plongés dans le sommeil hypnotique. Le premier sujet sur lequel nous avons observé l'existence de rêves survenus spontanément dans l'étal d'hypnotisme, était une jeune fille de seize ans qui nous avait clé adressée par M. le Dr Vandenabeele et qui présentait des accidents convulsifs d'hystérie et de la diathèse de contracture.

Plongée facilement dans un état profond d'hypnose, elle restait quelque temps tranquille, puis tout en dormant ello se mettait à prononcer des mois inarticulés, elle remuait les lèvres, s'agitait sur son siège. Puis peu à peu elle s'animait, et par quelques-unes des paroles qu'elle émettait, il était facile de constater que son rêve portait sur ses préoccupations journalières. Chez ce sujet, le rêve était tellement absorbant qu'il était très difficile de l'interrompre. 11 était même difficile de réveiller la malade pendant qu'elle rêvait ainsi. A son réveil, elle ne se souvenait pas de l'objet de son rêve et semblait surprise lorsqu'on lui disait qu'elle avait parlé en dormant.

La mère de la malade nous avait appris que sa fille parlait souvent eu dormant.

Depuis quelque temps, j'observe la même aptitude au rêve chez un jeune homme que je soumets à l'examen de la Société. Il habite le département du Loiret. Atteint depuis plusieurs années d'une incontinence nocturne d'urine réfractaire à tous les procédés employés, il m'a été envoyé par M. le Dr Landry, de Courtenay. Il a été promptement débarrassé de son incontinence par suggestion hypnotique.

Au début du traitement, il fut assez difficile à hypnotiser. Ce ce fut qu'à la troisième séance, après avoir été ébloui par la lueur du magnésium, qu'il tomba dans un sommeil profond avec amnésie au réveil et anesthésie à la piqûre.

Un jour, je l'avais laissé endormi dans une pièce voisine de celle où je me trouvais, et il y dormait depuis une demi-heure, je fus surpris d'entendre sortir de sa bouche un susurrement formé de mots inarticulés. Je m'approchai de lui et je vis que sa tête était agitée de mouvements saccadés; en

même temps ses mains se soulevaient. Sa physionomie avait revêtu une certaine expression de gaieté.

Je 1 observai sans rien dire et sans qu'il se doutât de ma présence. Peu à peu je vis qu'il s'animait, le rêve se déroulait s'accompagnant d'une mimique de plus en plus expressive; on pouvait comprendre l'objet de son rêve aux mois qui lui échappaient. Le rêve avait trait aux divers incidents qui l'avaient frappé pendant ses promenades à travers Paris. Pour le moment il était avec des camarades à la foire au pain d'épices, et sa jeune imagination provinciale était véritablement éblouie par la splendeur des baraques de la foire.

Depuis lors je l'ai toujours vu rêver un quart d'heure après le début du sommeil provoqué. Pour interrompre le rêve, il suffit de lui crier : Silence ! d'une voix impérative. Mais l'interruption n'est que passagère ; au bout de quelques instants son susurrement reprend do plus belle.

J'ai voulu m'assurer si je pouvais, par suggestion, modifier le cours et l'objet de son rêve; j'ai constaté qu'il tombait très facilement dans l'ordre d'idées suggérées.

Ainsi, je lui parle devant vous d'une lutte survenue entre deux hommes et dont il est témoin. Ces deux hommes se sont donné des coups de couteau. Son visage exprime l'effroi, il est haletant, ses paroles sont entrecoupées. Laissé à lui-même, le récit continuera pendant quelque temps dans le même sens :

« Mon vieux, il est tué.....cela n'est pas fort.....C'est malheureux de

tuer un homme pour si peu... . Ce n'est pas drôle de mourir comme cela... »

Je change le cours de ses idées et lui parle d'une parade de la foire : deux clowns amusent la foule en faisant des grimaces. Immédiatement il s'esclaffe de rire. Son corps tressaute, sa physionomie prend un caractère malicieux. Le spectacle l'intéresse au plus haut point :

• Ah ! que c'est drôle, dit-il. Pour sûr, c'est drôle ! Mon vieux, ce qu'il en dît de fortes. Où va-t-il chercher lout cela... Ah! ah! ah! »

Il ne cesse de ricaner. On voit que le spectacle des clowns l'intéresse énormément.

Passant à un autre ordre d'idées, je lui dis : . Allons, descends vite; les gendarmes l'attendent pour l'interroger. Allons, avoue que c'est loi qui as volé à ton patron le chocolat et le cognac. »

Il se met à trembler :

« Ce n'est pas moi, dit-il, je n'ai rien pris ; d'ailleurs, je n'aime pas le cognac ni le chocolat. Je n'ai rien pris. »

Il se défend avec énergie et véhémence. Il est haletant : il souffre véritablement.

Je continue : Cependant, on a trouvé du chocolat dans votre malle. » Il répond :

« C'est l'autre commis qui l'a mis là; mais cela m'élonne, il n'aime pas le

chocolat. Pour le cognac, jo ne dis pas. Ah ! mais non, c'est bête d'accuser les gens comme cela... Puisque je vous dis que je n'ai rien pris ! »

A son réveil, il se souvenait parfois de l'objet de son rêve; mais souvent il l'oubliait.

On peut varier les expériences a l'infini; elles montreront que chez ce jeune homme, l'aptitude des rêves, dans le sommeil hypnotique, est très développée.

Elle est en rapport avec l'aptitude qu'il présente dans le sommeil normal. En effet, ses camarades lui ont souvent dit qu'il parlait à haute voix en dormant. Ils se sont amusés a lui faire raconter diverses choses. Dès qu'il est mis sur ce sujet, il devient Intarissable. En un mol, grâce à cette aptitude à rêver, ce jeune homme n'a pas de secrets à lui. On peut lui faire dire tout ce qu'on veut. Cela est en rapport avec l'opinion courante chez beaucoup de gens qui, lorsqu'on leur parle de les endormir, s'empressent de vous dire : « Surtout, vous ne me ferez pas parler en dormant

Chez les deux sujets que nous avons observés, le rêve ne survenait quo lorsque le sommeil était profond; il était d'origine psychique, et lorsqu'il était spontané, il empruntait ses éléments à des faits de mémoire. Il nous reste à étudier les rêves que pourraient amener, chez ces sujets, diverses impressions sensorielles, indépendamment de toute suggestion. Cette étude fera l'objet d'une prochaine communication.

Séance du lundi 13 juin 1802. — Présidence de M. DUMONTPALLIER.

Le procès-verbal de la séance du 9 Mai est lu et adopté.

La correspondance comprend des lettres de M. le Dr Auard Diaz, de M. de Jolly, de M. Camille Martinet.

M. le président met aux voix les candidatures do MM. Albert Crémieux, avocat à la Cour d'Appel; Dr Ernould, de Liège; Dr Percheron, de Paris. Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.

Démonstration des lois psycho-physiologiques de la graphologie,

Par M. VARINARD, directeur do la Graphologie.

Aujourd'hui, la graphologie est complètement reconnue et adoptée par tout le monde. Si quelques-uns se permettent encore quelques objections, ils le font avec une modération que l'on n'aurait pas trouvée il y a quelques années ; mais si ses règles se sont imposées par l'expérience et la vérification, il est un point qui peut paraître encore obscur, c'est celui du rapport des signes et leur cause. La graphologie est bien une science. Ses règles ne sont pas évidentes par elles-mêmes, il est vrai, comme pour bien d'autres sciences, du reste; mais elles sont démon-

trées par l'expérience, c'est-à-dire par l'analyse, et contrôlées tous les jours par la synthèse.

En effet, ces règles ont été établies par Michon qui. se servant de l'analyse, s'est dit : « L'individualité de l'écriture se manifeste dans la forme, la grandeur des lettres, etc. » Cette individualité doit forcément correspondre à une individualité psychologique. C'est un aphorisme à démontrer.

Si donc un nombre A de personnes ont un signe commun dans leur écriture, il s'agit simplement de vérifier, par l'expérience, si ces A personnes ont tontes an signe commun dans leur écriture et une même qualité psychologique. Si le nombre A est suffisamment grand, on peut alors admettre que la règle est certaine.

Nous qui nous servons aujourd'hui des résultats obtenus, lorsque nous trouvons un signe caractérisé, nous disons : « Ce signe représente telle faculté ». Nous synthétisons. Si cette expérience, reproduite un nombre de fois suffisant, donne un bon résultat, nous avons vérifié la règle. C'est ce que nous constatons tons les jours par nos travaux.

- Mais alors, nous dit-on. oui, le signe est exact, c'est vrai ; mais pourquoi en est-il ainsi? Quelle est la cause physiologique qui fait que telle faculté psychique se reproduit par un signe et que ce signe est tel plutôt que tel autre ? C'est-à-dire quel est le rapport entre un signe et la faculté qu'il représente? »

L'homme, quand il écrit, se trouve tout entier dans sa plume et par suite dans la main qui en est l'instrument intermédiaire ; de même, si la parole est la manifestation instantanée de la pensée, l'écriture en est une traduction tout aussi immédiate ou presque aussi rapide.

Des mouvements inconscients se produisent dans la main du sujet, et bien que très légers et à peine perceptibles, ils suffisent à l'expérimentateur. Ces mouvements ne sont après tout que des gestes en raccourci, et nous savons que le geste, d'une manière générale, est une manifestation du caractère.

C'est l'àme qui, directement, avec l'aide des intermédiaires exécutifs, pense, parle ou écrit. Tout sentiment, toute sensation, toute pensée a sa création dans le cerveau et se transmet de proche en proche, quoique nous restions immobiles et sans que nous ne nous en rendions compte, jusqu'aux muscles, par l'intermédiaire de nerfs excitatifs. Le langage qui exprime des idées n'a d'autre but que de traduire par une forme déterminée le phénomène d'impression ; il n'y a pas d'idées qui produisent un phénomène cérébral. De même, la plume est un autre procédé de traduction de la pensée, mais ce qui frappe en voyant une personne qui écrit, c'est l'oscillation continuelle de la main, oscillation proportionnelle du reste et variable avec les caractères tracés; c'est dans les articulations du poignet et surtout de la main que se passent ces mouvements. Il y a des mouvements d'extension et de flexion, puis différents petits mouvements de liaison.

Tous ces mouvements contribuent par leur action aux mouvements de la plume dans leur ensemble, tout en ayant chacun leur rôle particulier.

Cette activité musculaire, nécessaire pour écrire, a été mise en évidence par Burckhlardt, qui l'a été étudiée avec le myographe dont il est l'inventeur. Il observe que les trois lignes du myographe donnent une élévation modérée lorsque l'écrivain est prêt a écrire, ce qui semble indiquer que l'acte de tenir la plume exige une action tonique de la part des trois groupes musculaires. Si Ton n'écrit pas. l'élévation diminue et finit par se perdre ; si on écrit, à ce moment l'élévation continue et il y a formation d'un niveau secondaire ou les mouvements nécessités pour la formation des caractères se surajoutent comme les courbes du pouls pendant l'expiration.

Nous comprenons bien ainsi la création mécanique de l'écriture, par l'activité musculaire sous l'impulsion du cerveau; le cerveau lui-même produit et son excitation nerveuse se transmet par la moelle épinière.

Le langage articulé et le langage écrit, si je puis m'exprimer ainsi, étant des manifestations extérieures d'une même chose, ont des rapports si étroits qui semblent tout naturels, qu'ils doivent dériver d'un même centre de coordination.

Un certain nombre de médecins se sont occupés do cette question des rapports de l'écriture avec le cerveau au point de vue sémérotique; ce sont : Étude sur ta valeur des écrits des aliénés, du Dr Marcé, en 1864 ; il s'étend sur l'étude que l'on doit faire des écrits des aliénés, mais sans expliquer la provenance de l'écriture. Tardieu, dans une Étude médico-légale de la folie, traite le même sujet, mais moins profondément. De même Legrand du Saulle. dans son Étude médico-légale sur l'épilcpsie (1877) et dans son Etude médico-légale sur les testaments (1879). Raggi (1874). Buckwald (1879), Nicolas (1878). Ce n'est qu'à partir du travail du Dr Erlenmeyer : l'Écriture; traits fondamentaux de sa physiologie et de sa pathologie, en 1880, que les travaux médicaux prennent une nouvelle forme dans les recherches sémérotiques. Après lui vient le travail de Vogt, l'Ecriture considérée au point de vue physiologique (1880), puis l'étude faite au point de vue de l'hygiène par Jatal, Blanchi (1882), Kœnigshofer (1883). Perretti, Berlive, W. Stone, Jobert, Martial Durand (1888), Binet (l'Ecriture hystérique,. Max Simon, Amédée Mathieu, tels sont les divers auteurs qui ont étudié cette question.

Les travaux d'Erlenmeyer et de Vogt sont ceux qui semblent avoir le plus approfondi la question ; ils se rattachent au système de Brocca, en cherchant l'origine de l'écriture dans an centre analogue à celui que l'on a trouvé pour le langage dans la troisième circonvolution frontale de l'hémisphère cérébrale gauche.

En tant que nous sommes habitués à écrire avec la main droite, il est évident que les mouvements nécessaires pour l'action d'écrire doivent se trouver paralysés par une attaque do l'hémisphère gauche.

Mais nous pouvons écrire avec la main gauche ; alors la question s'étend aux mouvements de l'écriture en général et se concentre à la fin en un seul point.

Y a-t-il des faits qui nous forcent à admettre un centre particulier cérébral, c'est-à-dire la manière dont nous écrivons dépend-elle des nécessités psychologiques créées par la situation même du cerveau? Tous les peuples écrivent de la main droite; donc c'est l'hémisphère cérébrale gauche qui commande et par suite l'écriture est intimement liée au langage. En effet, le Dr Holder cite le cas d'un malade qui, à la suite d'une attaque où il avait perdu le langage, l'avait petit a petit recouvré, à l'exception des lettres f, l, r, qu'il ne pouvait pas davantage écrire ; en parlant il les omettait, et en écrivant les remplaçait par un crochet. .

On obtient du reste le même effet, d'une manière passagère, par une suggestion hypnotique, sans qu'il y ait aucune lésion ou paralysie du cerveau.

Sauf l'impression auditive, inconsciente, par laquelle l'écriture se rattache au langage, les impressions des figures décrites dans l'espace et conservées dans notre cerveau proviennent de deux sources différentes : de l'impression linoculaire transmise par les yeux et de l'impression inconsciente des mouvements exécutés par le membre droit. Les images se produisent donc dans les deux hémisphères, pour l'ordonnance des mots et des lignes de préférence, et dans celui de gauche pour l'ordonnance de la forme des lettres.

Quand ce centre est détruit ou oblitéré, il est suppléé par un similaire placé dans l'hémisphère droite qui déterminera, du côté gauche, une écriture symétrique de la promière, c'est-à-dire une écriture renversée. D'autres auteurs placent ce centre de coordination dans la moelle, à la hauteur du renflement lombaire, et pour vérifier leur dire ils s'appuient sur les expériences de Woroschiloff, qui, étudiant chez le chien les mouvements associés des extrémités antérieures et postérieures, a pu localiser ce centre de coordination dans la moelle, en un point limité de la région cervicale.

Erbs n'admet pas ce centre de coordination de l'écriture.

Pour lui, chaque caractère tracé correspond à une série de volitions distinctes, et pour expliquer le degré d'inconscience des mouvements de l'écriture, il admet que ces impulsions volontaires qui vont du cerveau à la périphérie, passent en certains endroits de la substance grise qui présentent une moindre résistance à leur transmission, grâce à une longue habitude et à une fréquente répétition des mêmes actes.

Mais la première hypothèse, celle d'Erlenmeyer et de Vogt, parait aujourd'hui être confirmée par les travaux de Charcot et de son école sur l'agraphie qui, d'après Exner, serait localisée sous le pied de la deuxième circonvolution frontale gauche (1881).

Donc, pour que l'écriture soit nettement tracée, il faut une bonne

transmission des impressions psychiques, que les impressions soient non seulement transmises régulièrement, mais que l'excitation nerveuse se répartisse dans les différents groupes musculaires qui devront non seulement être aptes à obéir aux lois physiologiques qui régissent la contraction musculaire, mais, grâce à la grande habitude, ils devront réagir avec la même régularité et la même précision.

Mais un appareil aussi compliqué doit certainement présenter des imperfections plus ou moins nombreuses, qui interviendront chacune dans l'écriture pour lui donner de la diversité et. suivant que ces imperfections sont plus ou moins accusées, elles agiront plus ou moins fortement sur la forme calligraphique, qui est le point de départ de toute l'écriture.

On conçoit ainsi que, suivant que la transmission sera plus ou moins active et que son impulsion sera calculée de façon à rencontrer une résistance plus ou moins forte, elle produira une forme variable de lettres.

Ainsi le cerveau n'est pas toujours dans un état normal et peut être dans un état d'irritation particulier, suivant les natures ; car il est certain que le cerveau de l'artiste n'est pas irrité comme celui du mathématicien qui, à son tour, ne le sera pas comme celui du simple bureaucrate, etc.

Cette excitation nerveuse transmise par la moelle peut aussi être inégalement répartie, etc.

Autant de cas qui réagiront sur le mécanisme de l'écriture pour lui donner la variété ; mais il est tout naturel qu'un môme état du cerveau, de l'activité musculaire, devra produire une môme action sur l'écriture.

En donnant un même mouvement à la main, le résultat sera une môme forme de lettre, et cette forme sera donc bien la représentation de cette faculté intellectuelle à laquelle elle se trouve ainsi intimement liée.

Le Haschisch et la Suggestion.

Résumé de la communication faite par M. le Dr DESJARDIN DE RÉGLA.

Le haschisch est une préparation enivrante, fort goûtée des Orientaux et particulièrement des Turcs et des Egyptiens.

Cette drogue est généralement tirée du chanvre égyptien. Celle du chanvre indien — Cannabis indica — s'emploie rarement.

La camnabine et le lanate de cannabine, que quelques médecins commencent à employer en France, sont loin de répondre aux espérances qu'ils ont fait naître. En tous cas. ce n'est pas avec ces deux produits chimiques que l'on peut se faire une juste idée des propriétés et de la sphère d'action du haschisch.

Le véritable haschisch, celui dont on se sert en Orient et celui que j'ai expérimenté dans plus de trois cents cas, est préparé avec les graines du chanvre mâle égyptien, que l'on broie et que l'on réduit en une pâte très fine qu'on mêle par parties égales avec du miel, auquel on ajoute un peu de poivre, de la muscade et des essences odoriférantes. Le mélange ainsi préparé, on le fait cuire avec un peu de beurre dans une casserole do terre bien vernissée, et l'on forme des tablettes assez petites, d'une teinte verdâtre et légèrement fade au goût.

La dose ordinaire de celle préparation esl d'un morceau gros comme une noiselle (1 gr. 50 à 2 grammes).

A celte préparation haschischienne, il faut ajouter le haschisch eu boisson ou liquide, employé surtout par les pauvres, et celui que l'on fume à l'état de poudre dans une espèce de nargbilch ou, comme en Algérie, dans de très petites pipes en terre, au tuyau de merisier ou de jasmin.

Le haschisch à fumer, appelé kiff, est composé généralement des sommités fleuries du chanvre.

Telle est, messieurs et chers collègues, la préparation sur laquelle je désire vous dire quelques mots et attirer particulièrement votre attention.

Et, ici, permettez-moi, messieurs, de m'élever contre la mauvaise habitude que nous avons en Europe, quand nous voulons étudier les propriétés physiologiques et thérapeutiques des substances employées par les indigènes des pays étrangers et surtout des pays orientaux, de faire subir à ces substances des préparations, dites scientifiques qui, pour aussi savantes el ingénieuses qu elles puissent être, au point de vue chimique, n'en constituent pas moins un produit nouveau, souvent fort dissemblable à celui des indigènes précités et auquel se rattachent les récits des voyageurs l'ayant expérimenté ou vu expérimenter dans le pays d'origine.

S'il faut eu croire Hérodote, l'usage du haschisch existait dans l'Inde dès l'antiquité la plus reculée. Le même auteur rapporte que les Scythes l'employaient dans la plupart de leurs cérémonies religieuses. Introduit chez les Persans, à la suite de leurs rapports avec les Indiens, il passa pendant le moyen âge chez les Musulmans de Syrie et d' Égypte, d'où il se répandit dans l'Algérie actuelle, chez les Maures d'Espague et dans toute la Turquie d'Asie et d'Europe.

Voyous, maintenant, quels sont les effets de cette préparation à la dose déjà indiquée, administrée, soit à l'homme sain. soit à l'homme malade.

El d'abord, peut-cn comparer le haschisch à l'opium et à ses dérivés, ainsi qu'ont voulu le faire quelques expérimentateurs ?

Tel n'est pas mon avis.

Le haschisch est comme le café, très peu torréfié, un excitant du cerveau. el si le Sommeil se produit après ses effets, ou ne doit voir dans ce phénomène que le résultat physiologique qui suit toutes les grandes dépenses nerveuses ou cérébro-spinales.

Le haschisch est un hilarant, un stimulant, un diffusible et un excitant, en un mot, des centres nerveux et de leurs ramifications.

En donnant aux effets de cette drogue le nom de fantaisai, les Arabes me paraissent avoir admirablement spécifié, en un seul mot, l'étrange accouplement d'idées et le milieu insensé, féerique et tourbillonnant dans lequel l'être se débat.

Si le haschisch ne cause aucune douleur de tète, s'il semble n'avoir aucune action nuisible sur la respiration qui souvent est plus forte, plus facile et plus longue qu'avant son adminisiration, il faut reconnaître que, comme toutes les boissons qui ébranlent fortement le système nerveux, il ne tarde pas à abrutir ceux qui en font un usage prolongé et à ébranler fortement la coordination des fonctions cérébro-spinales.

Le haschisch, suivant les tempéraments et les idiosyncrosies, précipite la digestion, augmente ou diminue toutes les sécrétions, précipite ou diminue la circulation sanguine. Ces états se rencontrent souvent chez le môme individu, successivement.

Le seul phénomène qui soit constant est celui de la dualité de l'être ; et ce phénomène, qui se rencontre chez quelques somnambules, peut expliquer la fameuse phrase de Papavoine accusé de plusieurs crimes : « Ce n'est pas moi, c'est l'autre ».

Mais si ce phénomène est constant, il ne s'ensuit pas, messieurs, qu'il soit toujours identique en son expression, en sa force et en son mode de manifestation.

L'être soumis à l'influence du haschisch est double, il réalise l'homo duplex des animaux : mais cet homo duplex est plus ou moins tranché.

N'y a-t-il pas là, dans ce phénomène de durabilité, qui est, je le répète, la caractéristique des effets physiologiques du haschisch, la marque, l'indice remarquable de la vie organique sexuelle et de la vie cérébrale ou intellectuelle. C'est ce qui me parait résulter de toute une série d'observations faites sur l'homme sain et sur l'homme malade.

Quoi qu'il en soit, messieurs, de cette durabilité physiologique, ce qui est certain, indiscutable, c'est que le haschischéen, à l'opposé de ce qui s'observe chez le fumeur d'opium et le buveur de ce même narcotique, est, tout à la fois, actif et passif. Il subit et observe; lutte contre des idées, des pensées qu'il sait fausses, incohérentes, sans fondements raisonnables et... se laisse à ce point dominer par elles, qu'elles l'absorbent entièrement, détruisent son individualité intelligente peur en faire, comme chez l'hypnotisé, l'objet même de l'incohérente pensée qui s'est, momentanément, localisée dans un lobe de son cerveau.

Je m'explique :

La pensée du haschischéen s'est, volontairement ou par suggestion étrangère, portée sur un être, un objet quelconque. Prenons, si vous voulez, uu animal, un lion, par exemple ; sous l'influence de celte suggestion, le sujet, tout en discutant, tout en raisonnant les effets étranges qui se passent en lui, ne tarde pas à s'imaginer qu'il n'est plus lui, c'est-à-dire Pierre, Paul ou André, mais bien l'animal dont la pensée hante son cerveau. Il lutte d'abord avec l'énergie de l'homme qui sent sa raison lui échapper, puis, finalement.

souvent à la suite de phénomènes réellement douloureux, il eu arrive à se prendre pour un lion, et, sans plus lutter, entièrement vaincu, il vit de la vie de ce superbe hôte des forets de l'Atlas et arrive, pour peu que la suggestion soit prolongée, a imiter les mouvements et les rugissements de l'animal. Parvenu à ce paroxysme du transformisme vital, le haschischéen n'est plus un homme, un sujet: c'est l'être ou la chose qui, victorieusement, a donné l'assaut à son individualité.

Cette singulière propriété du haschisch se rencontre surtout, messieurs, dans la période que j'appellerai volontiers initiale, c'est-à-dire au début des effets du cette tiugulière drogue, à la période hilarante, alors que se produit le plus distinctement la dualité dont je viens de vous parler.

Ainsi soumis à ce délire de son imagination, l'homme, ou le sujet, est-il endormi ? Est-il même dans cet état inconscient qui est la frontière qui sépare la veille du sommeil profond !

Nullement.

Le sujet est bien éveillé, complètement dans l'état de veille.

Non seulement il ne dort pas, mais il n'a pas le désir de dormir.

Dans cet état il n'y a, messieurs et chers collègues, ni temps, ni espace, ni passé, ni avenir; le devenir même n'existe pas.

Une sensation peut sembler durer des siècles ou une seconde. C'est l'état présent qui est tout. C'est la sensation vive, ardente, d'une puissance singulière, d'une acuité étrange ! Tout le reste n'est plus. II n'y a de vrai, de positif, que le phénomène qui se produit.

Voilà, messieurs, grosso modo, l'image bien imparfaite, j'en conviens volontiers, de ce qui se passe généralement chez le sujet soumis à l'influence des premien effets du haschisch.

J'ai publié dans mon ouvrage, les Bas-Fonds de Constantinople, ouvrage qui fait suite h la Turquie officielle, éditée il y a près de deux années, une série d'observations haschischéennes auxquelles je vous renverrais, si je ne voulais vous donner, ici même une observation toute personnelle qui, en confirmant celles de mon dernier volume sur l'Orient, vous donnera une juste idée de la puissance de la suggestion sur les sujets soumis aux effets de cette drogue orientale.

Voici le fait :

Lors de mon premier séjour en Egypte, en 1866-67, après la fameuse épidémie de choléra qui, de ce pays, avait envahi toute la Turquie d'Europe et d'Asie — excepté les localités situées à une altitude de 300 mètres environ, — j'avais acheté, au moment de mon départ du Caire, une préparation très concentrée de haschisch. L'Arabe qui me l'avait vendue m'avait vivement recommandé de ne m'en servir qu'à une dose très faible, ajoutant que celte préparation, qui pouvait se conserver plusieurs années, était d'une grande activité.

Quelques mois plus tard, étant à Vienne (Isère), près du poète Ponsard, auquel je donnai mes soins, j'eus à traiter un malade atteint de paralysie générale parvenue à sa dernière expression.

En souvenir de certains effets du haschisch, la pensée me vint d'essayer celle drogue dans ce cas désespéré. Mon haschisch ordinaire étant épuisé, force me fut d'avoir recours à ma préparation du Caire.

Guidé par ce que m'en avait dit mon marchand cairote, je résolus d'expérimenter ce nouvel agent sur moi-même avant de l'administrer à mon pauvre malade.

Je pris donc cette poudre condensée le soir, trois heures après un léger repas. Si ma mémoire est fidèle, j'en mis 75 à 80 centigrammes dans une tasse ordinaire de café noir, peu torréfié, mais préparé à la française. Fort heureusement, la poudre étant très sèche, très durcie par sa condensation, nu se fondit qu'en partie ; plus d'un tiers resta dans le fond de la lasse.

Malgré mon peu d'impressionnabilité aux actions médicamenteuses, les premiers effets de l'herbe magique se manifestèrent rapidement avec une grande puissance.

Je passerai, messieurs, sur les nombreux phénomènes qui se produisirent et sur les vives douleurs qui accompagnèrent ces phénomènes, pour arriver de suite à ce qui concerne le pouvoir de la suggestion sur les haschischéens.

Dans un moment donné, je m'imaginai être une jeune femme, et qui plus est, une jeune femme enceinte, enceinte et sur le point d'accoucher. En fait, j'étais en proie à une tympanite très douloureuse, avec ballonnement énorme de tout l'abdomen. L'ami chez lequel se passait la scène m'observait, non sans inquiétude. Cet ami, assez familiarisé avec le magnétisme humain, m'avait souvent entendu parler du pouvoir considérable de la suggestion dans certains cas.

Tout en étant entièrement sous l'influence de cette étrange pensée de la transformation de mon être, j'eus, dans un éclair de raison, dans un moment de la domination du moi raisonnable, la vision nette de ce qui se passait, et en fis part à mon ami en m'écriant en haletant :

— Sapristi ! que je voudrais donc lâcher quelques gaz... Je souffre horriblement !

El pendant que la femme de mon ami me demandait ce qu'elle pourrait bien me faire prendre pour me calmer et atténuer les effets trop inquiétants du haschisch, celui-ci eut l'iugénieuse idée de produire le bruit d'un... gaz s'échappanl bruyamment en imitant ce que font les gamins, c'est-à-dire eu plaçant d'une certaine manière la main droite sous l'aisselle gauche et en imprimant à celle-ci un vif mouvement de compression brusque.

Je ressentis un tel soulagement au premier bruit imitatif qui se produisit, que je priai mon ami de continuer son exercice. Chaque imitation d'élimination gazeuse amenait une diminution sensible de mon ballonnemont. La respiration, qui avait été très courte, pénible, reprenait son rythme normal ; les sueurs froides, qui inondaient mon front et mon visage, diminuaient dans les mêmes proportions; le froid des membres inférieurs faisait place à une chaleur normale, les douleurs cessaient; bref, la tympanite se fondait sans une seule élimination, sans un seul phénomène physiologique. L'i'ma-gination guérissait ce qu'elle avait produit.

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D'autres faits des plus instructifs succédèrent a celui que je viens de vous exposer grosso modo. Tous témoignèrent hautement de la puissance de la suggestion sur le haschischéen!

Que vous dire de plus? Quand les crises cessèrent, quand jo revins dans mon état normal, je savais, à n'en pas douter, tout ce qu'il y a de vrai dans l'histoire du Vieux de la Montagne.

Mais je dois me limiter et terminer. Permettez-moi donc de résumer en quolqucs mots les effets de ce haschich sous l'influence de la suggestion.

Cette drogue, sagement, prudemment administrée, peut rondre d'importants services dans le traitement des maladies mentales et de Taxe cérébro-spinale. Comme l'opium, c'est une arme a de-x tranchants. Elle peut faire beaucoup de mal et beaucoup de bien; mais, en réalité, son abus, tout condamnable qu'il soit, est encore moins dangereux que celui de l'opium et de ses sels.

Sous son influence, l'expérimenta leur peut se livrer à de» études psychiques cl physiologiques capables d'agrandir singulièrement le vaste champ que cette savante Société commenco si heureusement à défricher.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologlo et de psychologie.

La séance annuelle de la Société d'bypnologie aura lieu le Inndi 11 Juillet, à quatre heures et dtmie précites, au palais des Société» tarante*. 28. rue Serpente, tous la pre*idenee de M. le Dr Dumontpallîer :

1* Lectures et communications diverse* :

M. le Dr Hcmhclm : Deux observations de thérapeutique suggestive

avec applications de la suggestion au diagnostic et au pronostic; M. le D' A Voisin, médecin de la Salpétrière : Le Haschisch et la

Suggestion ;

M. le Dr Bérillon: Traitement psycliothérapiquc de la morpliinomanie;

M. le Dr Emile Laurent : Hallucinations collectives suggérées;

M. le Dc Ûovjardinsde Règle : /. Haschisch (ktude psychologique):

M. le Dr Naret : Obsession passsionnelle traitée par suggestion;

M. Jules Soury ; Une autosuggestion scientifique. 2* Présentation de malades; 3* Vote sur l'admission de nouveaux membres.

Adresser les communications s- M. le D' Bérillon. secrétaire général, rue de Rivoli, 40 6»».

Banquet annuel de la Société d'hypnologie et de psychologie.

Le banquet annuel de la Société aura lien immédiatement après la séance, à sept heures, au retlaurant Mignon, 110, boulevard Saint-Germain (en face de l'Ecole de Médecine).

Knvoyer les adhésions au banquet à M. le Secrétaire frenerai, 40 bis, rue de H, voli, avant le samedi 0 juillet.

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

SALPÊTRIÈRE. — M. le Dr Auguste Voisin a commencé le dimanche 12 Juin, à dix heures, dans la salle des Cours, section Bambuteau. à la Salpétrière, une série de leçons sur les maladies mentales et nerveuses.

Dans la seconde leçon. M- Auguste Voisin a présenté un malade traité avec succès par la suggestion hypnotique.

M. H. MUNSTERBEERG, privat-docent à l'Université de Freiburg i. B.. bien connu par ses travaux de psychologie, vient d'être nommé, à Cambridge (Etats-Unis. Mass.) Harvard University, professeur de psychologie expérimentale et directeur du laboratoire psycho-physiologique.

Faculté des lettres de Montpellier- — M. Lionel Dauriat a commencé à la Faculté des Lettres de Montpellier, un cours do psychologie physiologique.

Congres international de psychologie expérimentale.

programme provisoire

La seconde session du Congrès se tiendra à Londres le lundi 1er août 1892 et les trois Jours suivants, sous la présidence de M. le professeur H. Sidgwick. Le Congres se réunira dans les salles de University College, Gower street.

Le comité s'est arrangé de façon à ce que toutes les branches de la psychologie contemporaine soient représentées. Une section spéciale pour la discussion des phénomènes de l'hypnotisme et de ceux qui s'y rattachent a été organisée. Parmi les noms des savants qui ont promis leur collaboration aux travaux du Congrès, nous relevons ceux de MM. les docteurs ou professeurs Beaunis, Bérillon, Bernheim. Binet, Pierre Janet, Th. Ribot. Ch. Richet (France), Delbœuf (Belgique). Lombroso (Italie). Ebbinghaus. Hugo Munsterberg. G. Muller, W. Preyer, Mendrisohn. Von Schrenk Sotzing (Allemagne), Lehmann (Danemark), Lange (Russie). Donaldson, Stanley-Hall (États-Unis), Baldwin (Canada), Bais, Hoeslky, Ch. Mercier, Lioyd Morgan, Schaphr (Angleterre).

Au nombre des communication* annoncées figurent les suivantes :

Bain. — Leconcours de l'observation intime et de l'expérimentation en psychologie.

Baldwin. — La base physiologique de l'impulsion, du désir et de la volonté. Beaunis. - Des questionnaires psychologiques.

Bérillon. — Les applications de la suggestion hypnotique à l'éducation. Bernheim. — Les caractères psychiques do l'amblyopie hystérique. Binet. — La psychologie des insectes. Delbœuf. — L'appréciation du temps par les somnambules. Donaldson. — Laura Bridgman.

Stanley-Hall.. — Récentes recherche* sur la psychologie du toucher. Horsley. — Le degré de localisation des mouvements et les sensations correspondantes. Pierre Janet. — L'aboulie. Lange. – Une loi de la perception.

Lehmann, — Recherches expérimentales sur les rapports de la respiration avec l'attention.

Munsterberg. — Les sensations complexes du plaisir et de la douleur. Lombroso. — La sensibilité des femmes, normales, aliénées ou criminelles. M. F. W. H. Myers. — L'induction expérimentale des hallucinations.

Preyer. — L'orìgine des nombres. Th. Ribot. — Les idées générales. Richet. — L'avenir do la psychologie. Romanes - Les actes instinctifs et l'hérédité.

Schafer. — Les relations anatomiques et physiologiques des lobes frontaux. Von Schrenck Notzing. — Statistique sur la susceptibilité à l'hypnotisation. SIDGWICK- — Expériences sur la transmission de la pensée.

Le comité de réception comprend, parmi ses membres. MM. Bain. Ferrier,

Galton. Shadworth-Hodson, Horsley, Hughlings Jackson, Ch. Mercier. CROOM ROBERTSON. J. ROMANES, HERBERT spenser. Stout, Ward. de Watte-villb.

Le prix de la cotisation e»t fixé à 10 schillings. Adresser les communications à MM F. W. 11. Myers, Lecklampton-House, Cambridge, et James Sully, East-Heath-Itood, Hampsted, London, N. W.

Comme on le voit par les communications annoncées, la réunion du congrès de Londres promit d'être fort brillante. Nous tiendrons nos lecteurs au courant de tous les faits intéressants de ce congres.

Congrès de science psychique à Chicago.

La Revue philosophique annonce un projet de « Congrès de science psychique » qui doit se tenir en 1893, en même temps que l'Expositiou universelle de Chicago. D'après le programme provisoire qui nous est adressé, le Comité du Congrès se propose l'étude historique, analytique et expérimentale des phénomènes suivants :

Télépathie ou transfert des pensées : nature et étendue de son action. Cas spontanés et recherches expérimentales.

Hypnotisme et mesmérisme : auto-hypnotisme, clairvoyance, hypnotisme à distance, personnalités multiples.

Hallucinations fausses et véridiques. Présages, apparitions.

Phénomènes psycho-physiques : écriture automatique, etc., etc.

Ce congrès, qui aura lieu à une époque encore non fixée (entre mai et octobre 1893), est autorisé et patronné par le Comité officiel de l'Exposition des Etats-Unis.

Toutes les communications devront être envoyées au Président, à l'adresse suivante : John C. Bundy, Chairman of the Committee on a psychical science Con-gress. World's Congress Auxiliary. Chicago. (III.. 0. S. A.)

NOUVELLES

m. le professeur Charcot vient d'être nommé grand-croix de l'Ordre de la couronne de Roumsnie.

Faculté dm médecine do N?n??. — M. le professeur Bernheim est nommé asses-seur du doyen.

Autriche. — Congrès des médecins et naturalistes hongrois. — Ce Congrès auralieu du 20 au 25 août, à Kronstadt. Parmi tes communications annoncées, ta nombre de cent. mentionnons les suivantes :

M. Herezel : Quelques opérations nouvelles sur tes nerfs; m. Heumann : Recherches sur l'action de certains médicaments sur le pharynx et te larynx; M. Szabo: De la fièvre puerpérale au point de vue médico-légal; M. Schwimmer : Pathologie et traitement de l'eczéma; m. Jener : Rapport entre les maladies des yeux et des dents; M. Donath : De l'hypnotisme et de la suggestion en thérapeutique, etc., etc.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Blocq (Paul). — Traitement de Chystérie. (In-12 de 24 pages. — Paris, 1993.) Bourdon (de Meru). — La fièvre typhoïde considérée au point de vue du traitement

dosimétrique. (In-4e de 85 pages. — Paris, 1892.) Cruise. — Hypnotisme. (In-12 de 22 pages. — Dublin. 1890.)

Ermacora (D) . — I fatti spiritici e le ipotesi affretate ; observazioni sopre un articolo

del Lombroso, (In-12 de 43 pages. — Padone. 1892.) Eudel (Paul). — Champfleury et la pantomime. (In-12 de 16 pages. — Kolb, Paris, 1892.) Ferrière (Emile). — Plantes médicinales de la Bourgogne. (In-18 de 101 pages. —

Alean, Paris, 1892.)

Ladame. — L'attaque hystérique d'aphasie et la simulation. (Brochure de C pages. —

Extrait du Centralblalt for Neicenheilkunde, juin 1892.) Ladame, — Quelques mots sur l'évolution de la thérapeutique pendant les trente

dernières années, (In-8e de 7 pages. 1892.) Palazzi. — Les occultistes contemporains, (In-18 de 40 pages, 1892.) Ronxel. — Spiritisme et occultisme. (In-18 de 72 pages. — Paris, 1892,) The Wills eye hospital. — Philadelphie. (In-18 de 26 pages, 1891 )

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL

Nous Invitons nos lecteurs à compléter, par leurs Indications, les lacunes et les omission de l'Index bibliographique.

Arthur. — . Hypnotisme and suggestion (Indian médical Gazette, février 1892, p. 40.)

Arthur. — . Hypnotisme nnd pratical uses -. (Sydney quaterley Magazine, mars 1892.)

Baix. - . Plaisir et douleur . (Mind., janvier-avril 1892.)

Brunon. — . Tics et liqueurs .. (Normandie médicale. 1" avril 1892.)

Charcor (J.-B.). - « Sur un appareil destiné à évoquer les Images motrices graphiqnes

chez les sujets atteints de cécilé verbale ...Progrès médical, 18 juin 1892) Delhœuf. — « Sur la suggestion Criminelle » (The monist, avril 1892.) Delprat. — « Contracture faciale bilatérale hystérique -. (Nouvelle Iconographie de la

Salpêtrière, janvier 1992.) EsTeves — « Fièvre hystérique - (Nouvelle Iconographie de la Salpétrière, janvier

février 1892)

Hospital — « Considérations sur la catalepsie ». (Annales médico-psychologiques, mai-juin 1892)

Lopez villamongo. — • Cas traité par la psychothérapie •. (Revista de ciencias medicas de la Habana, avril 1892.)

Magnan et Sérieux.— . Les aliénés persécuteurs (Revue générale des sciences pures et appliquées. 15 décembre 1891.)

Marandon de Mostheyel. — . In cas do folie sans délire Annales médico-psychologiques. mal-Juin 1894.)

Peyer. — « Névroses de la prostate (international Klinish Rundesh, january 1892.) Potts. — « Deux cas d'hallucination de l'odorat. « (Universty médical magazine,

décembre 1891, p. 226) Rosse. — « Triple personnalité . (The Journal of nervous and mental disease, mars

1892.)

L'Admimistrateur-Gérant : Émile BOURIOT.

paris. — Imprimerie brevetée MICHELS et Fils, passage du Caire. 8 et 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THERAPEUTIQUE

VUE ET SENS DE LA DIRECTION

Par le D' Avo. FOREL, professeur a. l'Université de Zurich.

Le travail de M. Caustier, dans le dernier numéro de la Revue de l'Hypnotisme (1), me suggère quelques remarques. Qu'on me permette d'abord de citer le passage suivant d'un travail que j'ai publié, en 1887, sur les Sensations des Insectes (2} :

« Instinct de la direction. — M. J.-H Fabre (Souvenirs entomologiques, 1871), a fait de très ingénieuses expériences sur ce qu'il appelle « l'instinct de la direction ». Après avoir marqué des Chalicodoma et d'autres hyménoptères sociaux, il les enfermait dans une boite, et en faisant divers détours, les transportait à trois et même quatre kilomètres de distance. Puis il les lâchait. Malgré la distance, les insectes, après s'être élevés à une certaine hauteur, s'envolaient en grande partie directement dans la direction de leur nid où ils étaient de retour souvent au bout d'un quart d'heure à une heure. Cependant un bon nombre d'entre eux ne revenaient pas. M. Fabre meparait avoir trop négligé l'importance dece dernier point. Au lieu d'attribuer ces faits à un instinct de la direction, basé sur les résultais de la première partie do ce travail dans laquelle je décris divers expériences sur la vue des insectes aériens et autres, voici comment je me les explique : Les insectes aériens, et les êtres aériens en général, planant au-dessus des objets terrestres, doivent avoir et ont une connaissance des lieux fort différente de celle des êtres non ailes, bien plus sommaire et bien plus étendue. Les êtres terrestres voient leur horizon continuellement obstrué, ce qui rend leur direction par la vue bien plus difficile. Qu'on réfléchisse au coup d'œil géographique à vol d'oiseau qu'on obtient du sommet d'une colline et l'on aura une faible idée du pouvoir visuel de l'être aérien, avec celle différence que, eu un clin d'oeil, il se déplace et change ses horizons, et par conséquent l'angle relatif

(1) Revue de l'hypnotisme, n° 1, p. 10, juillet 1892.

(2) Ace. Forel: Expériences el remarques critiques sur les insectes -. (Recueil zoologique suisse, toute 1, n° 2, p. 181, 1887, chez Gersq.)

des objets qu'il voit, ce que nous pouvons faire. En vingt minutes, les Chali-codoma de M. Fabre avaient parcouru leurs trois kilomètres. L'expérience de M. Fabre me prouve simplement le fait très instructif et très intéressant que ses Chalicodoma connaissaient les lieux, pour la plupart du moins, à peu près à une lieue à la ronde. Celles qui n'ont pas su retrouver leur chemin étaient probablement plus nouvellement éclosés et n'avaient pas poussé leurs reconnaissances aussi loin. Ce qui renforce chez moi cette conviction, c'est que les fourmis ouvrières, aptères, connaissent aussi les lieux et la direction à plusieurs mètres autour de leur nid. Or, une lieue pour un insecte aérien gros comme un Chalicodoma n'est certes pas plus que quatre mètres pour une pauvre fourmi aptère. La preuve est que le Chalicodoma franchit ses trois kilomètres en vingt minutes et que la fourmi lisolée) a besoin d"un temps égal pour franchir quelques mètres. »

M. le professeur Caustier se hâte trop de trancher la question de la vue à l'aide de la rotondité de la terre. Il oublie que les pigeons, plus encore que les Chalicodoma [insectes longs de plus de deux centimètres et ressemblant à des Bourdons), emmagasinent dans leur cerveau des images visuelles, des souvenirs des lieux parcourus dans leurs excursions spontanées. Pourquoi les pigeons s'élèvent-ils d'abord fort haut et tournent-ils la téte en divers sens? Pourquoi s'elèvent-ils au-dessus du brouillard? Pourquoi un certain nombre de pigeons perdent-ils leur chemin? Pourquoi existe-t-il une distance maxima (250 à 300.kilomètres) au-dessus de laquelle les pigeons ne paraissent plus pouvoir retrouver leur chemin? Pourquoi des essais répétés petit à petit, en augmentant la distance, mais dans la même direction, sont-ils si avantageux? Tous ces faits ne parlent-ils pas clairement pour une orientation par la vue?

En invoquant la rotondité de la terre, on oublie ses inégalités : les montagnes. Le Mont-Blanc est visible, de la plaine, à plus de 200 kilomètres. Or, en s'élevant au vol à 300 mètres, on augmente considérablement le champ visuel, on voit de plus loin des montagnes moins élevées. Mais plus. M. Caustier part évidemment de l'idée (absolument erronée à mon avis) que le pigeon ne peut utiliser ses yeux pour se diriger que si, du point où on le lâche, il voit directement le lieu de son colombier. Or, je prétends qu'il lut suffit de reconnaître un point de repère quelconque situé entre les doux localités.

Mais nous pouvons aller plus loin. Le pigeon vole souvent et loin. Dans ses excursions aériennes, il s'éloigne à une certaine distance de son colombier. Or, s'il peut reconnaître un point d : repère situé à mi-chemin entre le lieu où on le lâche et le lieu (à lui connu) situé au point périphérique de ses excursions ordinaires, dans la direction du lieu où on l'a transporté, cela suffira pour le guider.

Ces derniers faits diminuent déjà la distance que nous devons exiger de la vue directe de plus de la moitié. Et qui nous prouve que les pigeons n'utilisent pas instinctivement le soleil et les autres astres pour se diriger?

A ces réflexions, il nous faut ajouter un autre fait incontestable que M. Caustier veut aussi expliquer par le fameux sens d'orientation, c'est celui de la dégénération de la faculté d'orientation cbez l'homme civilisé.

Cette dégénération, déjà énorme lorsqu'on la compare à celle de l'Indien d'Amérique par exemple, ne permet absolument plus de comparer notre vue i celle des oiseaux. L'indien a non seulement la vue bien plus perçante, mais H sait infiniment mieux s'en servir pour s'orienter. C'est l'effet de l'exercice que nous perdons grâce aux boussoles, aux routes, aux chemins de fer, etc. Chez l'oiseau, non seulement la vue est bien plus développée, mais, comme nous l'avons vu plus haut, sa position dans l'air et ses mouvements rapides lui donnent nécessairement des notions des lieux dont nous ne pouvons avoir qu'une faible idée. Si une lieue pour le Chalicodoma correspond à 4 mètres jour la fourmi, 250 kilomètres pour le pigeon correspondent bien à 4 kilomètres pour l'homme, et l'énigme est expliquée.

Qu'on fasse l'expérience. Qu'on obstrue par un ankyloblepharon par exemple les yeux d'un pigeon, d'un chat, d'un chien même (ici il faudrait tenir compte de l'odorat), et l'on verra que l'instinct de la direction aura disparu, et que ces animaux seront aussi incapables de retrouver leur chemin, au vol ou à terre, que les mouches, les bourdons et les hannetons auxquels j'avais verni les yeux et qui allaient se cogner contre la terre et contre les murs (1).

Si les abeilles ne savent pas retrouver leur rucher déplacé, cela lient à leur faiblesse de raisonnement, tandis que la vue les ramène touiours droit à l'ancienne localité.

Nous n'avons donc besoin ni de sixième sens, ni d'électricité, ni de courants atmosphériques pour nous expliquer la faculté d'orientation des oiseaux.

LOMBR0S0 ET LE SPIRITISME

Par M. le Docteur ALBERT MOLL (de Berlin). Suite et fin (1).

II. — Le second point que J'ai déjà mentionné et qui devrait être élucidé, c'est que la sonnette, qui semblait voler dans l'air pendant la séance, se serait trouvée au commencement sur une table éloignée. C'est une déclaration qu'il faut accepter avec la plus grande réserve, et pour la justifier je m'appuie de nouveau sur les expériences que l'on fait journellement dans le domaine du charlatanisme. Il arrive très souvent que les personnes croient avoir vu dans un certain moment un objet sur une table, tandis qu'en réalité il n'y était plus depuis longtemps en général, on croit voir quelque chose que l'on ne voit pas en realité. Si pourtant ceci ne suffit pas pour expliquer le phénomène, d'autant plus que les circonstances de l'expérience ne me sont pas connues dane leurs détails, il reste encore la possibilité que le médium, une fois les mains déga-

(1) Loc. cit., tome IV, n°.1.p. 19 à 22. (2) v. Recue .de l'hypnotisme, p. 2.

gées, se soit levé pour prendre la sonnette et puis s'assit de nouveau tranquillement à la table.

L'explication que Je cherche à établir des phénomènes publiés par Lombroso ne doit que montrer la possibilité que Eusapia soit une habile bateleuse ; je ne veux pas affirmer qu'elle ail exécuté en réalité ses opérations médianiques de la manière que j'ai décrite. Il est possible qu'elle se soit aussi servi d'autres trucs qui me Sont encore inconnus : mais, d'après ce que Je vols dans le« communications de Lombroso. je tiens à accentuer la possibilité que tout se soit produit de cette manière ou d'une autre identique. Ju«qn"a ce que ça soit réfuté, je considère comme non fondée l'affirmation d'une faculté médiantque spéciale chez Eusapia et croirai beaucoup plus justifiée la supposition qu'elle n'est qu'une habile bateleuse.

Je dois maintenant discuter un point sur lequel je n'ai encore rien dît, savoir, les cas où. en présence du médium, malgré qu'il soit complètement lié, les objets sont remués. Toutefois, on ne donne rien de précis sur la manière de l:er. et, tant que les expériences de ce genre se font dans l'obscurité, les liens, en fin compte, ne gênent pas beaucoup le médium. C'est une chose établie que. parmi les méthodes de lier employées avec les médiums, il en existe a peine une seule que l'on puisse considérer comme sûre. On peut lier le médium, on peut lui attacher les jambes et les mains avec des corde*. Il réussit ordinairement sans peine à s'en débarrasser. Comment s'y prend-il? C'est un secret ; mais Il est incontestable que les charlatans et les bateleurs savent admirablement exécuter ce tour.

Dans le plus grand nombre de cas. le médium ne Jai*se point aux assistants le choix sur la manière de lier; certaine* conditions sont posées qui rendent impossible an début de le lier comme on voudrait qu'il le fût. En appparence. le médium laisse naturellement aux assistants toute latitude de s'entendre sur la manière dont ils le lieront; mais ici plusieurs petits trucs jouent aussi leur rôle. Il arrive, par exemple, que les médiane* féminines, pendant qu'on leur attache les poignets avec des bandes et au moment même où l'on resserre les nœuds. poussent un petit cri de douleur- Aussitôt il vient naturellement a l'esprit de l'opérateur qu'il a fait mal an médium en resserrant les bandes, et il s'applique, sans même le remarquer, à lier plus légèrement qu'il ne se le proposait tout d'abord.

j'affirme que, parmi les manières de lier qui me sont connues et auxquelles les médiums se soumettent, il n'en existe pas une seule que l'on pourrait indiquer comme assez sûre, pour que le médium no puisse se débarrasser de ses liens complètement ou en partie. On a maintes fols constaté que les assistants, qui ne savent pas ce qui vient d'être dit, restent ordinairement la bouche béante et déclarent en voyant le médium lié et assis sur sa place, qu'il lui a été absolument i mpossible de se délivrer sans être aidé. Ce qui est d'ailleurs le plus étonnant, c'est que le médium imposteur, non seulement se de barrasse de ses lien* daus l'obscurité dans un très court espace de temps, mais qu'ordinairement il les remet aussi vite et. par conséquent, quand il fait lumière, a l'air de les avoir gardes tout le temps. J'ai assisté il y a peu de temps a une pareille séance privée où un médium étranger savait également rendre les liens tout à fait illusoires. Dans ce cercle se trouvèrent aussi des personnes dont l'opinion fut que des esprits ou d'autres forces surnaturelles devaient entrer en Jeu ici.

Heureusement Hermann. notre prestidigitateur (bateleur ?); connu, assistait aux expériences et réussit à les répéter, malgré les conditions beaucoup moins favorables dans lesquelles on l'avait mis. Les cachets de cire que l'on appose souvent aux nœuds, le scellement des cordes au plancher, n'ont pas d'autre effet que de faire croire aux assistants que les liens en deviennent plus sûrs. tandis qu'en réalité, il n'en ost rien du tout.

En résumé. Je répète que les médiums peuvent ordinairement se rendre libres, dans une séance dans l'obscurité, bien qu'on leur en ait enlevé, en apparence.

tous les movens. Ni par le moyen de tenir les mains du médium, ce qui c'est souvent, comme nom l'avons prouvé, qu'une illusion, ni par celui de le lier. On n'acquiert la sûreté que le médium ne parviendra ??r, dans l'obscurité, à dégager ses mains.

Si maintenant Lombroso veut aussi expliquer, à l'aide de ses considérations théoriques sur la force motrice du cerveau, ce fait que le médium n'agit, pour la plupart des cas, dans l'obscurité que sur son entourage le plus proche. que, par exemple, ce ne son; que les voisins les plus proches qui éprouvent les tou-chements des divertes parties du corps. Je dois alors déclarer que tout ce que j'ai dit l'explique avant l'interprétation de Lombroso- Les voisins du médium éprouvent les attouchements plus fréquemment que les personnes éloignées, parce que le médium, après avoir dégagé ses maint, ne quitte pas encore souvent sa place et ne peut atteindre avec tes mains ou ses bras que les personnes qui sout â sa proximité. Certes il arrive que le médium quitte sa place, et je ne le crois pas impossible dans les expériences de Lombroso; mais, dans ce cas, il ett plus facile de s'en rendre compte, à cause du bruit qui se produit.

J'arrive maintenant aux séances en pleine lumière, tur lesquelle Lombroso ne nous donne qu'une relation très restreinte, quoiqu'on puisse conclure de l'introduction do son article que le médium Eusapta eut exécuté tout ou au moins presque tout à la grande lumière. Les opérations à la clarté sont essentiellement moins importantes; elles consistent entièrement et exclusivement à remuer une ou plusieurs tables. Nous ferons pourtant bien d'appliquer austi nos observation- a ces phénomènes. Lombroso rapporte que la table à laquelle il était assis avec plusieurs autres personnes. à côté du médium, se remua et même s'éleva dans l'air. Il n'y a rien d'étonnant qu'une table, autour de laquelle sont assises plusieurs personnes avant les mains posées des*us, remue, et il j a longtemps que cela a été expliqué par les contractions involontaires des muscles des personnes assises, qui se produisent souvent à l'insu de ces personnes. Mais il est dit encore, dans le rapport de notre explorateur, que la table s'éleva et qu'il lui fallut une force considérable pour l'abaisser, il n'est pas dit si la table s'éleva complètement ou bien seulement du côté de Lombroso. Malgré les mesures de contrôle appliquées par Lombroso, les deux cas peuvent s'expliquer complètement et d'une façon beaucoup plus simple tans sa théorie.

Supposons d'abord que la table se levât seulement du côté de Lombroso, qui était assis près du médium. Il y a beaucoup de personnes qui croient que le médium, tout en pouvant exercer une pression sur l'endroit de la table où se trouvent ses mains, de sorte qu'elle se lève du cité opposé, ne peut pas l'élever de son côté. Mais c'est la une erreur : on peut lever une table, à moins qu'elle ne soit pas trop lourde de ce côté, où l'on va apposé les mains, chacun peut répéter celte expérience ; il ne lui faut pour cela que diriger la pression, non seulement en bas mais en même temps un peu en avant. Dans ce cas, la table s'élève de ce côté où. en apparence, on l'enfonce, et à l'endroit où les pieds, du côté oppose, toucnenl le plancher, il se forme un point d'appui autour duquel la table se meut.

Après ce qui précède sur l'affirmation de Lombroso que la table se leva dans l'air, il nous reste encore à expliquer le cas où elle se serait éloignée complètement du plancher et de tous les côtés en même temps. Si même nous l'admettons, nous avons encore a examiner si le médium ne put l'exécuter à l'aide d'un genou ou de deux. Lombroso affirme, il est vrai, que les genoux du médium touchaient lors de cette séance ceux de deux voisins : Lombroso et Tamburini, et que les pieds de ces derniers reposaient sur ceux du médium. Cependant, cela aussi n'est que l'opinion de Lombroso: il semble ne pas pouvoir prouver qu'il en était vraiment ainsi pendant toute la durée de ta séance. Et il me semble très douteux qu'Eusapia se soumit en réalité à cette condition pendant toute la durée de la séance et ne sût plus tôt duper ses voisins. D'abord, il aurait été pos-

sible qu'elle mit plus tard ses jambes dans une position telle qu'un seul genou fût touché par les deux voisins: Lombroso et Tamburini, et que tous les deux crussent néanmoins toucher un autre genou. Cela aurait été à peu près le même artifice que celai que J'ai décrit pour le cas des mains.

Quant aux pieds, imaginer.- tous donc une séance où les pieds de deux hommes ne cessent pas de reposer sur ceux d'une dame assise entre eux! Je veux relever seulement la possibilité qu'Eusapia ôtat son soulier sans que le voisin s'en aperçut, et que ce dernier eût pendant un certain temps le pied posé sur on soulier seulement, de sorte que le médium eût le genou et le pied dégagés. Que le soulier ait les parois tant soit peu dures et. inflexibles, et la tromperie est ici très facile, el il faut seulement qu'il soit fait un peu large pour rendre an médium facile de s'en débarrasser. Au moins, je suppose que la médium était chaussé, autrement il aurait fallu que les deux voisins eussent leurs pieds placés immédiatement sur ceux du médium. Maintenant, si le médium réussit de la façon décrite ci-dessus et toujours principalement grâce au détournement de l'attention des voisins, de dégager un genou, repose sur un pied : lever La table n'est qu'une bagatelle. S'il ne l'effectue pas de celte façon, il faut rappeler encore qn'il est possible que la médium eût sur lui un instrument dont il sa servit pour soulever la table. En tout cas, si un contrôle continuel n'est pas exercé par plusieurs bateleurs habiles, il y a trop de chances pour une tromperie pour qu'on soit tenu de déclarer l'affirmation de Lombroso purement et simplement bien fondée.

Il reste à disenter un fait qui me paraît, à moi aussi, vraiment remarquable, mais qui, dans l'article de Lombroso, n'est pas représente avec assez de précision pour que l'on puisse rendre sur lui un jugement définitif: Lombroso affirme qu'en pleine lumière, le medium assis et lié. une table éloignée se mit en mouvement dam la direction de celui-ci.

Une question va se poser a priori à tout la monde : n'y eut-il pas une corde ou un fil attaché à la table, dont le bout se lût trouvé entre les mains du médium, de sorte qu'il l'eût attirée à lui ? Naturellement, je suis convaincu que les assistants y firent attention, mais je doute encore qu'ils l'aient suffisamment fait; je considère une tromperie ici aussi comme probable, d'autant plus qu'un fil mince est souvent complètement invisible, même à la lumière. Le soupçon d'un truc dans ce cas aurait encore plus de raison, s'il y avait eu par hasard une autre personne qui eût arrangé la séance avec Eusapia, car il arrive souvent que plusieurs personnes travaillent ainsi en compagie. Mais si même Eusapla fut seule, je la crois toujours capable de tromper lourdement Lombroso par son charlatanisme, même à la lumière, puisqu'elle sut l'inviter â une séance en plein jour et s'arranger, malgré cela, de telle sorte que tout se passa dans l'obscurité. Les considérations ultérieures de Lombroso me paraissent ne plus présenter d'intérêt après ce qui a été dit. Il y paria encore des diverses opérations des médiums et particulièrement de l'écriture medianique, qui avait été considérée auparavant par les spiritistes comme une action des esprits, mais qui n'est, comme l'a prouvé Max Dessoir, qu'une écriture nommée automate.

Lombroso a mérité, à mon avis, beaucoup de reconnaissance pour avoir en le courage de s'occuper du spiritisme, car rien ne doit être rejeté a priori par un investigateur scientifique ; il doit rechercher et examiner tout, et ce n'est qu'ainsi que la science peut progresser. Je suis aussi complètement d'accord avec Lombroso en ce que, si l'on trouve beaucoup d'imposteurs. ce n'est pas une raison pour penser que tout le monde le soit, et que, si beaucoup de médiums soi-disant spirites ont été démasqués comme charlatans, on n'a pas le droit d'en conclure qu'ils vivent tous du charlatanisme. Mais je ne peux pas admettre qu'il considère le* expériences de son médium Eusapia comme suffisantas pour déclarer tout charlatanisme impossible. Au contraire, plus Je relisais son article, et plus j arrivais à l'opinion que Lombroso était devenu la victime d'une fine trompeuse.

Je n'y trouve rien de dit si des bateleurs expérimentes prirent part aux séances, et pourtant leur présence me parait essentiellement nécessaire. Et je crois ridicule une simple affirmation que la tromperie fût impossible par cela seul que des sommités scientifiques y assistèrent. Je crois me souvenir qu'un médium spirite qui, plus tard, dans un ouvrage qu'il a publié, a déclaré lui-même qu'il avait été simple bateleur, a affirmé qu'il avait trompé les naturalistes avec beaucoup de facilité et que c'était justement avec eux qu'il avait aimé le mieux de faire ses expériences (1).

(Traduit de lallemand par M. Casmir KRASZ.)

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE

Séance du lundi l:t Juin. — Présidence de* M. Dumontpallier. (Suite,)

Biométrie et Hypnotisme (2)

Par M. le Dr H. BARADUC-

La biométrie donnant la formule de la tension vitale et chiffrant les phénomènes d'attraction et d'expansion de notre corps, il était intéressant de savoir :

1° A quelles formules correspondaient les états de crédulité et de suggestion facilement obtenus;

2* Si dans l'hypnose pure, où toute action de radiation de l'hypnotiseur vers l'hypnotisé est niée, si, en dehors de la parole, il existait une modification dans la tension vitale des deux êtres en présence.

Chez les personnes que j'ai hypnotisées, la formule Ait / All, c'est-à-dire la formule de l'hypotension vitale, de l'impressivité physique et morale, a été observée, et le résultat facilement obtenu; c'est, je crois, la vraie formule de la suggestivité facile.

La formule All / 0, formule de la tension nerveuse, de la névrose, de l'hypocondrie, a été également observée et l'hypuo-suggestion moins facilement obtenue.

(1) Il convient. je crois. de rappeler ici un fait assez curieux pour l'hitoire du batelage intimement lie, comme en le voit des explications de M. Moll, au développement du spiritisme -c'est que ce ne sont pas les médiums « Spirites » qui inventerent les manières de se debarrasser des liens. Adam Mickiewies raconte, dan» son poëme Messire Thaldée. que les gentilsl'hommes polonais employaient dans de but un moyen que leur grande force physique leur rendait possible. La voici : quand le* vainqueurs, les Tartares ou bien les confrères du parti opposé empêchés par la nuit. |e sommeil ou livressse cessaient de surveiller les prisonniers. ceux-ci tachaient de se gonfler le plus possible pour devenir très gros ; cela faisait parfois rompre les fortes cordes, mais dans la plupart des cas. les forçait a se desserrer et s'elargir: une fois élargies,les cordes. faute de l'élasticité ne revenaient plus a leur état primitif, quand les jambes et le* bru reprenaient leur volume habituel. et le prisonnier avait par conséquent le moyen de les dégager, mutentur : la méthode perfectionnée. au lieu d'être employée pour

échapper a la mort. à l'esclavage, ou au moins à la honte, sert aux individus amenés au metier de « médium » S duper les savants. dont les prétentions critiques si mal à propos menacent de les empêcher de gagner leur pain... (Note du Traducteur

(2) La biométrie se mesure au moyen d'un instrument dont la description a éte donner dans une communication à la Société de médecine pratique et au Congrès pour l'avancement des Sciences a Marseille.

Je fais remarquer en passant que ce sont les deux formules les plus en rapport arec l'indication de l'électrothérapie statique et galvanique.

J'insiste d'une facon spéciale sur cette donnée capitale qui peut se résumer ainsi :

A l'état de rapport dit « magnétique », il n'y a pas seulement extérioration verbale par la parole pour l'hypnotiseur, réception et assimilation de la suggestion émise pour l'hypnotisé, mais encore on remarque une modification dans la formule biométrique des deux personnes en présence ; dans un sens de diminution d'expansion pour l'hypnotiseur, ce qui expliquerait la légère fatigue observée ; dans un sens d'amélioration de calme et de force pour l'hypnotisé.

Il existerait donc en tout état de choses, un contact, une sorte de fusion fluidique des deux êtres, que le mol de rapport traduit sans l'interpréter scientifiquemeint, comme le font les modifications de formules.

Voici quelques exemples à ce sujet :

M. et Mme K..., gens inquiets, tendus, à cause de leur situation matérielle, jeunes époux, viennent me trouver : le mari endort souvent sa femme qui serait sujette à des crises extatiques.

Pour faire une expérience, je prie le mari d'endormir sa femme et prends leurs tensions vitales avant l'opération et après.

Nous voyons avant l'hypnose les époux contractés, nerveux, Att 2/0 pour le mari, Att 5/0 pour la femme, changer de formule pendant la période de rapport : M. K..., de contracté devient expansif, Rep 5/0; Mme K... a la formule et une circulation fluidique de tension moyenne, Att 20 / Rep S, à son réveil, suggérée d'être moins nerveuse, elle est calme, détendue 0/0.

Interpretation Mme X... a la formule de l'hypotension impressive Att 10/ Att 15, et est endormie par la pression oculaire, et dans le rapport

magnétique elle est suggérée de prendre du calme et de la force. Menée au biomètre dans cet état, sa formule est complètement changée 0/0 + Rep 5. Réveillée complètement, elle se sent calme, forte, vivante, la formule est AU 5/ Rep S, formule de tension pondérée et équilibrée.

Le Dr B..., tendu, un peu nerveux avant l'opération, AU 5/0, voit sa formule devenir calme mais plus faible, Att 5 / Att 5.

Interprétation : Sous l'influence purement suggestive, dormez, soyez calme, raisonnable et travailleur; de la formule névrose Att 33/0 l'enfant passe a la formule plus normale Att 40 / Rep 12.

Avant la séance ma formule était Alt 20 / Rep 10, de tension moyenne. Bien que je n'ai cherché a produire qu'une sédation de l'esprit énervé et une bonne direction morale, j'ai vu ma tension vitale baisser et devenir

Interprétation . En deux séances séparées, l'enfant énervé Att 35/ 0, est arrivé à une formule d'impressionnabilité. de crédulité Att 33/ Att 10, et est resté sous l'influence du nouvel état psychique : poli, obéissant, il tient les premiers rangs dans sa classe et me témoigne de la sympathie.

(Apres trois mois, en avril l892, il a 0/0, la formule du calme).

Pour moi, je suis passé de la formule Att 10/ Att 10 un peu faible, a une formule de tension modérée, par le fait de l'énergie mise dans ma suggestion :

J'arrête ici ces exemples de suggestion et d'hypnose et veux simplement rapporter le cas suivant de contagion fluidique thérapeutique :

Mlle J..., congestion hépatique par aménorrhée, impressivité, ovarienne droite, doit refaire un traitement qui lui a déjà réussi par la faradisation ovaro-bépaiique, lorsque je ne la voit revenir qu'au bout de quinze ou vingt jours, complètement rétablie, foie ayant ses dimensions normales. Très étonné, je luì demandai qui l'avait soignée. Elle me répondit en toute sincérité : « Personne! » Seulement Mat..., une ancienne demoiselle de compagnie, est revenue et a partagé mon lit pendant quinze jours.

Je pensais de suite aux échanges fluidiques qui sont très remarquables à constater chez certains conjoints, et priai les deux jeunes filles de venir ensemble prendre leur tension vitale. Toutes deux maladives avant la cohabitation, étaient bien portantes depuis et présentaient celle singulière formule :

MAIN DROITE MAIN GAUCHE

Mlle M... All 5/0 0/Rep S pour Mlle J..., de telle façon que la main droite de Mlle M... attirail de ta même quantité que repoussait la main gauche de Mlle J...

Le coté gauche de M... était en rapport avec le coté droit de J.... qui fut guérie par ce contact.

Les tensions vitales des deux personnes se fusionnaient en une seule formule : Att 5 pour M... guérisseur, Rep S pour J... guérie. Mlle M... avait exercé autrefois une influence magnétique sur la jeune fille, ce qui aide a comprendre le mécanisme de celte cure lluidique.

Des cas de ce genre sont bien connus des magnétiseurs; il y en a de célèbres que je n'ai pas à redire, mais jamais ils n'avaient été interprétés avec preuves a l'appui; par contre, la cohabitation entre gens d'âges trop différents est dangereuse, et je soupçonne fort les névroses choréiques produites par imitation, dit-on, de l'être en réalité par contagion nerveuse, sorte de transmission fluidique maladive.

Je passe à un autre sujet.

DE L'ÉLECTRICITÉ APPLIQUÉE SIMULTaNEMENT avec la suggestion

A l'état de veille

Le sommeil hypnotique répugne à bien des personnes, aussi ai-je cherché dans le traitement de certaines manies, idées fixes, psychopathies passionnelles, à tourner la difficulté en associaut la suggestion à l'état de veille, au courant galvane'-cérébral descendant.

Il semble que le courant descendant modifie la polarisation de nos idées en dépolarisaut nos propres tensions nerveuses, tandis que la suggestion persuasive vient prendre la place des idées emportées, pour ainsi dire, par le courant électrique.

Mme- D..., 30 ans. Perd son enfant en deux jours du croup. Obsession, triste idée persistante de sa fille oppressée par le poids de la terre qui la recouvre. Insomnie. Impressionnabilité. 118 livres Att 5 | Att 10 COURANTS CONTENUS Cérébro-gastrique avec suggestion. Elle se dit tout ensorcelée et ne pense plus constamment à sa fille. Peut dormir. L'hallucination de la pensée s'efface, elle devient calme. Elle reprend sa vie active et n'a plus aucun phénomène. 114 livres Att 10 1 Rep 10 114 livres 0/0 Att 5 | Rep lu

On voit simultanément se produire l'amélioration de la formule fluidique la disparition des obsessions.

RÉSUMÉ DES 250 FORMULES BIOMÉTRIQUES

MAIN DROITE — MAIN GAUCHE Att / AU Hypotension vitale, débilité, neurasthénie, impressivité. . Si AU POINT DE VUE ÉLECTROTHÉRAPIQUE Traitement électro - sta -tique nécessaire. Passage de la formule Alt,'AII aux formules Att/Rep et Rep/Rep. Aspiration de forces. AU POINT DE VUE HYPNO-SUGGESTIF Crédules Hypno-suggestion facile.

Att/0 Déséquilibre vital, névrose .........78 Traitement galvanique dépolarisant très favorable. Recherche de la formule 0/0 et Att—Rep. Hypnose plus difficile. Efficace.

Att/Rep Tension vitale pondérée, moyenne. . . . 69 0/0 Tension vitale nulle . 7 Électrothérapie générale, utile dans certains cas. Électrothérapie localisée pour estomac, utérus, indiquée. Résultai facile, rapide. Bains statiques, — ou s'abstenir dans les formules O/Rep et Rep/Rep. Suggestifs éveillés. •

Hypertension vitale. . 14 Total.......230 Pas d'electrothérapie à faire, cesser absolument dès celle formule obtenue. Plutôt suggestionneurs que suggestionnés.

CONCLUSION

1° Il existe en nous une somme de forces libres variables, énergie cosmique, fluidique, pénétrant l'homme droit, Od des anciens, s'extériorant par l'homme gauche, 06. dont les proportions expriment la tension vitale et donnent la formule biométrique.

Les modifications de celle tension permettent le diagnostic des tempéraments et fournissent les indications et contre-indications du traitement électro-statique ;

2° Dans les psychopathies. la galvanisation cérébrale jointe 1 la suggestion à l'état de veille rend de grands services, sans avoir à employer le sommeil hypnotique, comme si In suggestion pénétrait avec le courant descendant;

3° Dans les phénomènes d'hypnose, à la place dite de rapport, en dehors de toute action électrique, on constate des modifications dans la tension vitale chez l'hypnotiseur et l'hypnotisé ;

4° Les formules Att I Att et Att /0 semblent être, la première surtout, les formules de la suggestivité, de l'hypno– magnétisme possible du contact fluidique.

L'ensemble des faits que je viens de rapporter permet, tant au point de vue physiologique que thérapeutique, de concevoir en l'homme, à cote du corps matériel mesuré par le poids, un corps fluidique évalué par la biométrie.

Parallèlement à la médication des solides et des liquides, on entrevoit la possibilité d'une médication des fluides.

Tous ces considérants établissent, sur des preuves nombreuses, les bases de la méthode biométrique.

Réunion annuelle de la Société d'Hypnologie et de Psychologie, tenue à Paris, le 11 juillet 1892.

PRÉSIDENCE DE M. DUMOSTPALLIER.

En ouvrant la séance, le président souhaite la bienvenue aux médecins et aux savants français et étrangers qui ont répondu à l'invitation de la Société, et en particulier à MM. Hamilton Osgood. de Boston, WaKefield, de Bloomington (États—Unis). Ernould, de Liège, à M. Jules Soury. maître de conférences à l'Ecole pratique des hautes etudes qui assistent pour la première fou à une séance de la Société.

M. Auguste Voisin. vice-président, au nom de la Société, exprime à M. Domontpallier de vives félicitations à l'occasion de sa récente élection à l'Académie de Médecine. La Société d'Hypnologie et de Psychologie est heureuse de cet événement qui vient si justement conformer la carrière scientifique du savant qui a donné une si vive Impulsion a nos études en acceptant la présidence du Congres international de l'Hypnotisme, en 1889, et en continuant à diriger tes travaux de la Société qui est issue du Congrès.

M. Dumontpallier remercie M. Auguste Voisin et les membres de la Société de leurs témoignages de sympathie.

M. le secrétaire général donne lecture des lettres et télégrammes d'excuses de MM. les Drs Baréty, de Nice, Ladame. de Génève, de Tong. de La Haye. Minouvrier, professeur à l'École d'Anthropologie. Babinski, médecin des hôpitaux, Scbrenk-Notzing, de Munich, Lloyd-Tuckey. de Londres. Lalande. professeur de philosophie au lycée Condorcet. M. le secrétaire général donne lecture de lettres de MM. les Drs Ernould. de Liège, et Auard Diaa. Je Matanxas. remerciant la Société de leur admission, il. le secrétaire général donne lecture d'une lettre de M. le Dr Lioyd-Tuckey. qui fait part à la Société des agissements d'un empirique français qui parcourt l'Angleterre en donnant des séances publiques d'hypnotisme et qui se pare du titre de docteur en hypnologie qui lui aurait été officiellement conféré à Paris. La Société autorise le secrétaire général a répondre à notre confrère que l'empirique en question usurpe un titre qui n'existe pas officiellement en France et que personne n'a qualité pour lui conférer.

M. le secrétaire général fait part â la Société d'un arrêt rendu récemment par la Cour d'appel de Lyon qui décideque l'emploi du magnétisme par un empirique constitue le cas d'exercice illégal de la médecine.

M. le secrétaire général fait un exposé de la situation morale et financière de la Société. Depuis l'année dernière, quatre des adhérents de la première heure sont morts: MM. Félix Hement, MM. les Berlin, de Nincy, Respaut, de Paris, et Mathias Roth. de Londres. Malgré ces pertes, la Société, qui se composait au début d'environ cinquante membres titulaires, en compte actuellement soixante-dix La situation financière n'est pas moins prospère. La Société a reçu de M- le D' Liébeault uu don de S30 francs destine a la création d'an prix.

M. le président propose, pour reconnaître les services éclatants rendus par M. Liébeault à la scieuce de l'hypnotisme, et pour le remercier de sa généreuse donation, de le porter au nombre des présidents d'honneur de la Société, et, à ce titre, de le dispenser de toute cotisation.

Sur la demande de plusieurs membres. Il est décidé que la Revue de l'Hypnotisme sera servie à tous les membres de la Société.

Le procès-verbal de la séance du !3 juin 1892 est lu et adopté, après lecture d'une lettre de M. le Dr Schrenk Notzing. de Munich. Notre collègue, à propos de la communication du M. le l)r Desjardin de Regla, sur le haschisch et la suggestion, rappelle qu'il a publié, en 1891, une étude sur les relations du haschisch et de l'hypnotisme.

M. le président met aux voix la candidature de MM. le Dr Wakefield, de Bloomington (Illinois, États-Unis): de M. Gomer Sandberg. de Skofde (Suède); de M. Pierre Baulio. avocat à la Cour d'appel de Paris; de M. le D* Cruise, de Dublin; de M. Boirac, professeur au Lycée Condorcet: de M. Plista, publiciste: de M. le Dr Oscar Jennings, de Paris.

Ces candidatures, mises aux voix, sont adoptées à l'unanimité.

La Société reçoit communication du programme du deuxième Congrès international de psychologie expérimentale, qui se réunira le 1er août, à Londres, et auquel elle sera représentée par une délégation.

Le questionnaire de psychologie physiologique formulé par M. le professeur Lacassagne, de Lyon, est distribué aux membres de la Société.

Des communications sont faites par MM. Bernheim, Auguste Voifin. Jules Soury, Ernould, Boirac, Bérillon, Paul Joire et Lemoine, Bourdon, Emile Laurent.

Un cas d'auto-suggestion scientifique.

Par M. Jules SOURY, maitre de conférences a l'École des hautes études.

Je voudrais vous parler d'un cas récent et fort curieux d auto-suggestion scientifique dans le domaine de l'étude des localisations cérébrales. Ce n'est cette fois ni la clinique ni la physiologie expérimentale qui ont fourni les matériaux de l'enquête : c'est un simple cas d'hypnotisme. La dissociation des différents processus mentaux, dont l'ensemble constitue l'intelligence, aurait été réalisée, non ; .r la maladie ni par des sections, des destructions, des dégénérescences provoquées à distance, mais par de simples percussions pratiquées sur différents points du cuir chevelu qui sont censé correspondre à des régions de l'écorce cérébrale dont la localisation fonctionnelle était d'avance connue ou supposée connue. Bref. M. Rainaldi, médecin italien, fort instruit et de parfaite bonne foi, a rencontré un sujet. B..., hystéro-épileptique, qui, dans ce qu'il nomme la période léthargique de l'hypnotisme, manifesterait une hyperexcitabilité si exaltée, qu'il serait possible, au moyen de percussions digitales, d'éveiller successivement et séparément les fonctions des différents centres de la sensibilité générale et spéciale du cerveau (1).

C'est une génétalisation du phénomène solandique de Silva. Ce phénomène consiste, vous le savez, à susciter isolément la mise en activité des fonctions de la zone solandique par la percussion ou la pression des points du cuir chevelu correspondant aux centres cérébraux sous-jacents, et cela durant l'hypnose ou à l'état de veille (1885).

Au Congrès de l'Association des médecins italiens à Paris, en septembre 1887, Rainaldi présenta sa malade en léthargie ; après avoir fait constater chez elle le phénomène de l'irritabilité neuro-musculaire, il institua une série d'expériences que nous indiquerons brièvement, avant toute discussion de la méthode ou des faits. Après avoir soumis à un examen critique les expériences de Rainaldi, nous rappellerons quelques-unes des tentatives, semblables ou anologues, qui ont déjà été faites dans le même ordre de recherches. La conclusion de cette note démontrera, je l'espère, avec la fausseté des méthodes, le caractère illusoire des faits invoqués à l'appui. En d'autres termes, l'observation qui a servi du fondement aux vastes déductions anatomiques et physiologiques de Rainaldi n'est et ne saurait être, selon moi, qu'un cas d'auto-suggestion scientifique.

1

Le sujet est dans la phase de léthargie hypnotique provoquée. En dehors du phénomène de l'hyperexcitabilité musculaire, la malade ne réagit à aucune excitation de la sensibilité générale ni spéciale; elle ne voit ni n'entend (par hypothèse) ; elle ne peut ni parler ni mouvoir ses membres, flasques et pendants; la peau et les muqueuses sont insensibles. Alors, en percutant, avec

(1) Rainaldi doit. BINALDO : Le localizzazioni cerebrali in un caso d'ipnotismo ; 1891,un vol, gr. in-4

le médius droit. le point du cuir chevelu correspondant à la région située en arrière de la suture pléro-temporale et au-dessous de la suture squameuse, partout, à l'extrémité antérieure des T1 et T2, Rainaldi provoque le retour immédiat de l'audition, à droite, par exemple, s'il a percuté à gauche. De ce côté, la surdité persiste encore ; le centre gauche de l'audition ayant été percuté à son tour, l'ouïe revient i droite. La malade entend les sons et les bruits. Mais, si on lui parle, elle se borne à tourner insensiblement la tête du côté d'où viennent les paroles ; ce ne sont pour elle que des sons qui ne réveillent aucune image verbale correspondante ; elle est affectée de surdité verbale. Pour lui rendre l'intelligence des signes du langage articulé, Rainaldi percute le T1 gauche d'abord, et B..., qui est encore aphasique, témoigne pourtant, par la mimique du visage, qu'elle comprend ce qu'on lui dit en s'adres-sant à l'oreille droite. Avant de rendre a B... la faculté d'articuler les mou qu'elle entend et comprend, il convient de rendre la motilité à sa langue et aux muscles innervés par le facial inférieur. Rainaldi percute, à cet effet, en un point du cuir chevelu qui doit correspondre, sur l'écorce, à l'extrémité inférieure des deux circonvolutions solandiques (précisément au pli de passage fronto-pariétal inférieur), le centre cortical de l'hypoglosse : les muscles de la langue ont recouvré leurs mouvements. B... est invitée à tirer la langue. Si la percussion a eu lieu à gauche, la langue dévie fortement à droite ; après la même opération à droite, il n'y a plus de déviation de cet organe. De même pour les muscles innervés par le facial inférieur, dont le siège cortical est situé immédiatement au-dessus du centre de l'hypoglosse. B... remue donc maintenant les lèvres et la langue, mais elle ne peut toujours articuler un seul mot. Percussion à gauche du centre de Broca ; B... répond sur le champ aux questions. Mais la voix est bien faible et on n'entend qu'à peine; B... est encore aphone. Percussion à gauche de la zone crânienne correspondant a un point de l'écorce situé en arrière du centre de Broca.

Rainaldi a donc (toujours par hypothèse) rendu successivement et séparément à B..., non seulement l'audition et l'intelligence des mots, mais, avec la motilité des muscles de la langue, de la face et du larynx, la faculté du langage articulé et la phonation.

Notons en passant que tous ces centres corticaux du facial inférieur, de l'hypoglosse, du larynx et de l'articulation verbale, que Rainaldi prétend éveiller isolément par la percussion digitale à travers les enveloppes osseuses et fibreuses du cerveau, sont situés à quelques millimètres carrés les uns des autres.

B..., qui entend et qui parle, ne voit pas (toujours dans l'hypothèse). Rainaldi. qui a lu Ferrier, Charcot et Pitres, percute la région du pli courbe (P2) , et la vue est rendue à la malade. S'il avail lu Munk, ou Seguin, ou Nonagel, et en général les ouvrages actuels relatif a la localisation du centre de la vision mentale, il aurait percuté la région du lobe occipital —et l'effet aurait été le même. Mais, si B... voit les choses, elle ne comprend pas le sens des symboles graphiques des mots; la percussion du centre de la mémoire visuelle des mots, du lobule du pli courbe, met fin à cette cécité

verbale et permet a la malade de lire. La paralysie flasque ou la contracture du membre supérieur droit, dans la léthargie, ne permettait pas d'expérimenter sur le centre de la mémoire motrice des signes graphiques ou de récriture, c'est-à-dire sur le pied de la F2 Mais Rainaldi met son sujet en somnambulisme et, après l'avoir frappé d'agraphie par suggestion. d' « aphasie de la main », il lui rend la faculté d'écrire en pressant le cuir chevelu de la zone crânienne correspondant au centre d'Exner.

Inutile d'insister sur les réveils successifs et toujours d'après le même procédé, des centres « moteurs » des membres supérieurs et inférieurs. La sensibilité cutanée et le sens musculaire no reviennent pas, toutefois, avec la motilité do ces parties ; c'est qu'ils n'ont point, selon Rainaldi, leurs centres corticaux dans les frontale et pariétale ascendantes, comme on l'admet généralement aujourd'hui, ni dans le lobe limbique, selon une autre doctrine également trés répandue en Angleterre et en Amérique. Pour Rainaldi, qui suit ici une troisième théorie, c'est en percutant la zone correspondante au lobule pariétal supérieur (P1) jusqu'à la suture pariéto-occipitale externe, qu'il a pu rendre i B... la sensibilité générale et le sens musculaire de la face, des membres et du tronc.

Mais ce qui, au point de vue de l'histoire des localisations cérébrales, est bien propre i nous frapper de stupeur, c'est que Rainaldi a fait évanouir l'anosmie et laguensie de B... en percutant des points correspondant aux deuxième et troisième circonvolutions du lobe occipital (02 et 03)/ Rainaldi s'est ici égaré i la suite de guides qui n'étaient ni Broca ni Mégnert. B... n'en a pas moins recouvré la faculté de sentir les odeurs et de goûter les saveurs, d'abord dans la narine et sur la moitié de la langue opposées au côté percute, puis dans les deux narines et sur les deux moitiés de la langue.

II

Telles ont été les principales expériences de Rainaldi. Elles reposent toutes sur l'hypothèse d'une transmission directe, exactement localisable, des excitations mécaniques du cuir chevelu à l'écorce cérébrale, à travers les enveloppes osseuses et fibreuses du cerveau. Or, de l'aveu de Silva lui-même, les vibrations ainsi transmises sont inefficaces; elles rayonnent sur le cuir chevelu et sur le crâne, et s'éteignent certainement sur la dure-mère.

Toutes les lois connues de la physique le démontrent d'abondance.

Si l'excitation mécanique n'explique ni le phénomène solatidique de Silva ni les expériences de Rainaldi, quelle hypothèse reste-t-il a invoquer? Une théorie vaso-motrice due encore a Silva. D'après cette théorie, entre la circulation extérieure du crâne et la circulation de l'écorce du cerveau, il existerait d'intimes rapports vaso-moteurs, dont le mécanisme aurait été indique par Sperino (1884). Je crois donc, dit Silva, cité par Rainaldi, que « l'excitation mécanique peut, dans ce cas, se propager par les nerfs vaso-moteurs. En excitant la peau chez des individus très excitables, comme chez les hypnotiques, on excite les vaso-moteurs superficiels, puis ceux situés plus profon-dément et, par ceux-ci enfin, les organes profonds ». Or, on sait que le cuir

chevelu, le crâne eT U dure-mère sont Irrigués par la carotide externe, tandis que l'écorce cérébrale reçoit le sang des carotides internes et des vertébrales. D'une « communication vasculaire » établie entre la substance corticale du cerveau et ses parois osseuses et fibreuses, on ne sait rien. C'est donc accumuler à plaisir les hypothèses que de faire dépendre le pretendu phénomène solan-dique dune prétendue communication de la circulation cranio-cérébrale.

En outre, à l'objection qui lui a été faite au Congrès de Paris, que l'excitation du cuir chevelu, fût-elle transmise à l'écorce, ne saurait atteindre un point circonscrit, Rainaldi répond par l'image de la pierre lancée dans un lac : les vibrations transmises peuvent sans doute se propager à d'autres xones corticales plus ou moins éloignées, mais le maximum de l'excitation cérébrale doit correspondre au point où a été appliqué le stimulus externe. Ce n'est, on le voit, qu'une image, puisque, après Silva, Rainaldi a reconnu lui-même l'impossibilité physique d'une transmission de ce genre.

Ce n'est pas à dire qu'on ne puisse, par les autres procédés d'excitation, transmettre directement à l'écorce un stimulus appliqué au cuir chevelu. Dans sa note sur les phénomènes qui se manifestent à la suite de l'application du courant galvanique sur la voûte crânienne, M. Charcot avait décrit, en 1882, des faits véritables qui sont bien du même ordre que ceux que croit avoir observés Rainaldi (1). Dans la léthargie hypnotique provoquée des hystériques, l'hyperexcilabilité neuro-musculaire, disait Charcot, ne s'étend pas seulement aux nerfs et aux muscles, mais aussi « aux régions motrices du centre cérébral ». Ainsi, en dirigeant un courant galvanique sur un des côtés du crâne, l'illustre savant vit se produire, à l'interruption du courant, des secousses musculaires dans la face et dans les membres du côté opposé chez le sujet hystérique en léthargie. A l'état de veille, le même courant ne provoquait aucune contraction.

On remarquera que la galvanisation de l'encéphale à travers ses enveloppes a produit ici une réaction d'ensemble, quoique Charcot ait noté qu'elle a été quelquefois circonscrite à une seule région du cerveau. « 11 ne s'agit pas ici de localisation cérébrale », déclare-t-il expressément. C'est « par hasard », en recherchant chez les hystériques la résistance des tissus au courant galvanique, qu'il découvrit ces faits. Il les croyait nouveaux, non sans raison. C'est pourtant à la galvanisation de la tête chez l'homme qu'est due l'origine des recherches de Hitzig sur l'excitabilité de l'écorce et sur les localisations cérébrales, ainsi qu'il en témoigne dans plusieurs de ses mémoires (2). « En faisant passer, dit-il, des couranu constants dans la région postérieure de la tête, on détermine facilement des mouvements des yeux qui ne peuvent naturellement être produits que par l'excitation directe des centres cérébraux. » Ce fut alors que, avec Fritsch. Hitzig institua une série d'expériences sur les

(1) C.-R.de la Soc de Biologie, 7 janv. 1832.

(2) E. HIRZIG : Untersuhungen ruber das Gehirn. Berlin. 1874. Voir, outre le premier mémoire Sur l'excitabilité électrique du cerceau (1870), le neuvième mémoire, intitulé Ueber die beim Galvanisiren des Kopfet entis tchenden Stoerungen der Mutketinner-vation und der Vontellungen von Verhalten in Raume (1871).

animaux pour vérifier si, en dépit de l'opinion générale, le cerveau était excitable par l'électricité.

Quelques jours après la présentation de cette note de M. Charcot, M. Dumontpallier lisait devant la même société savante un travail sur « les phénomènes qui se manifestent à la suite de l'action du vent d'un soufflet capillaire sur différentes régions du cuir chevelu pendant la période cataleptique de l'hypnotisme chez les hystériques ». Il piqua aussi avec une épingle les régions du cuir chevelu correspondantes aux centres moteurs de l'écorce cérébrale. L'éminent savant aurait obtenu avec ces deux méthodes d'excitation, outre des mouvements d'ensemble, des mouvements isolés des membres et de la face.

Dès 1886, un an avant les expériences de Rainaldi, un médecin distingué de Livourne, Giacomo Lombroso, faisait connaître que chez une hystéro-épileptique au plus haut point hypnotisable, mais dans l'état de veille, — et après avoir sillonné la tête d'échelles divisées en centimètres, — on obtenait, au moyen de légers coups frappés sur le cuir chevelu avec un marteau à percussion, une série de phénomènes paralytiques très nets. Outre la paralysie du mouvement et de la sensibilité du bras, de la jambe et de la face, Lombroso aurait produit ainsi, successivement et séparément, la cécité, la surdité, la perte du goût et de l'odorat, la paralysie de l'hypoglosse, l'aphasie, etc. De simulation, il ne saurait être question, « car la malade ne connaissait pas la théorie de localisation cérébrale ». Mais Giacomo Lombroso la connaissait cette théorie, et il n'y a aucun doute quo les résultats des expériences de Lombroso, comme ceux des expériences de Rainaldi, ne portent la date de l886 et 1887, et que le siège des localisations n'ait varié avec les livres d'où ce3 auteurs ont tiré ce qu'ils savaient de la topographie des centres fonctionnels de l'écorce. Quand on a vu Rainaldi réveiller les fonctions psychiques de la vision, du goût et de l'odorat en excitant les points du cuir chevelu correspondant aux régions verticales du pli courbe et des deuxième et troisième circonvolution du lobe occipital, on est pleinement édifié à cet égard.

J'estime donc que la critique a le droit de dire à ces auteurs (non à Charcot ), comme on l'a répété en Italie à Rainaldi : Vous avez fait de vos malades autant de miroirs fidèles de vos propres états d'auto-suggestion ; ils n'ont pu que refléter l'état de vos connaissances anatomiques et physiologiques sur le domaine scientifique des localisations cérébrales... c'est tout ce qu'ils ont fait et pouvaient faire. Votre sincérité n'est point mise en doute. Mais tous les hallucinés sont véridiques; est-ce une raison pour ajouter foi a leurs hallucinations ? Cesare Lombroso, anthropologis te, a été un guide d'une rare pénétration, qui a souvent vu juste et loin. Cesare Lombroso, spirile, n'est qu'un délirant, aujourd'hui chronique.

III

Il nous reste à dissiper une dernière illusion. Tous ces auteurs, et surtout Rainaldi, insistent, pour expliquer les faits, sur l'exaltation de la sensibilité

du système nerveux central dans l'hypnotisme et dans l'hystérie. Ainsi Rainaldi aurait constaté une fois de plus, après Charcot, l'état d'hyperexci-tabilité spécial du cerveau pendant la période léthargique de l'hypnose chez les hystériques. Le titre même du livre de Rainaldi ne fait mention que de l'hypnotisme: c'est un cas d'hypnotisme qui lui a permis d'étudier comme il l'a fait les localisations célébrales. B... relève bien, dans l'opinion de Rainaldi, de ce « grand hypnotisme » dont elle présente, dit-il, les trois phases classiques: léthargie, catalepsie, somnambulisme. B... est hystérique, sans doute; mais, comme telle, elle est éminemment hypnotisable, et c'est grâce à l'hypnose qu'elle a pu révéler a Rainaldi tant de faits surprenants.

Eh bien, je dis que, ici encore, Rainaldi est une victime de la suggestion, suggestion qu'il partage celte fois avec un assez grand nombre de ses contemporains. Dans l'étal de crédulité où il se trouve, non seulement il croit encore à un grand et a un petit hypnotisme : il attribue à l'hypnose des phénomènes qui appartiennent manifestement, non à l'hypnose, mais à l'hystérie. Les trois fameuses périodes qui ont servi de base à la nosographie de l'hypnose dans l'Ecole de la Salpétrière n'ont absolument rien à faire avec l'hypnotisme proprement dit. C'est de quoi conviennent aujourd'hui, sans exception d'écoles ni de partis, tous les bons esprits de l'ancien et du nouveau monde, et c'est ce que vient de démontrer encore, mais avec plus d'éclat que personne, le professeur Tamburini, de Reggio Émilla (1).

Dans l'hypnotisme, tout est suggestion, et le sommeil provoqué, comme le sommeil naturel d'ailleurs, ne fait qu'exalter une propriété physiologique du système nerveux central : la suggestibilité. Mais combien d'hommes, dont l'excitabilité réflexe est naturellement exagérée, sont suggealibles à l'état de veille I Pour ceux-là, « il n'y a pas d'hypnotisme » (Delbœuf). Un temps viendra où l'on se convaincra qu'il n'y en a pas davantage pour les autres, et. par ce mot,. on n'entend qu'un état physiologique d'hyperexcitabilité réflexe du système nerveux, parlant un état de suggestibilité mentale plus ou moins intense, allant jusqu'à l'automatisme.

Par suggestion, j'entends, en modifiant très peu la définition qu'a donné M. Bernhcim. un acte par lequel une perception, une image ou une association d'images est provoquée ou évoquée dans l'écorce cérébrale.

A l'état de veille, dans le sommeil provoqué ou dans le sommeil normal, le succès de la suggestion dépend, directement, de l'intensité des processus mentaux provoqués ou évoqués, et, indirectement, de l'absence relative ou totale des actions d'arrêts verticales d'origine périphérique, ainsi que du degré d'affaiblissement ou d'effacement transitoire» des perceptions des image? ou des associations d'images contraires à U suggestion.

Les diverses périodes léthargiques, cataleptiques, somnambuliques que présentent, avec l'hyper excitabilité neuro-musculaire, cutano-musculaire, avec les contractures, etc., les hystériques dans le sommeil hypnotique, on

(l) A. Tamburini : Sur la nature du phénomènes somatiques dans l'hypnotisme. (Société d'Hypnologie. séance du 12 octobre 1891. — Revue de l'Hpnotisme, nov.. 1891.)

les observe souvent, pendant la veille, chez ces malades. Ces phénomènes sont autant de stigmates hystériques qui préexistaient et que l'hypnose n'a fait qu'apparaître, à la manière d'un réactif puissant, en augmentant l'excitabilité réflexe des sujets. Si ces stigmates étaient restes latents, il les décèle et les découvre brutalement. Voilà pourquoi il n'est pas très nue de les observer au cours des hypnotiseurs, et à cet égard l'École de la Salpétrière a raison coutre l'École de Nancy. Il existe, surtout en France, semble-t-il, un si grand nombre d'hystériques, déclarés ou latents, que les phénomènes « somatiques » du « grand hypnotisme » s'observent à coup sûr très souvent. Mais l'École de Nancy, et, après elle, la très grande majorité des expérimentateurs, a raison, a son tour, lorsqu'elle soutient que chez les individus normaux, non hystériques, ces phénomènes ne se manifestent pas, parce qu'ils ne préexistent pas.

C'est que l'hypnotisme, j entends ta suggestibilité plus ou moins exaltée, n'est pas un étal pathologique, une névrose experimentale. c'est un des états les plus communs de l'intelligence dans toute la série des êtres organisé (1), et, loin d'être propre aux hystériques et aux névropathes, un sait aujourd'hui que l'hypnotisme n'exerce guère un empire assuré que sur l'immense troupeau d'intelligences simples et saines qui n'ont jamais eu d'idées, sur quoi que ce soit, que celles qu'on leur a suggérées à l'école, au catéchisme, à l'armée, à l'atelier, et qui ne sauraient d'ailleurs réfléchir sur rien. Ce troupeau-là, c'est l'humanité dans son ensemble, à travers les âges et sous toutes les latitudes. La civilisation tout entière, avec les langues, les religions et les différentes formes d'organisations sociales et politiques, dérivent de cette propriété psychique des centres nerveux, la suggestibilité. Ce qu'on appelle l'opinion publique, la tradition religieuse ou morale d'une société, les préjugés de castes, d'états ou de nation», l'esthétique d'un peup!e ou d'une race, tout, jusqu'à la mode, est réductible à cette propriété. Définir l'homme, un animal raisonnable, c'est ne pas dire grand'chose; car qu'est-ce que la raison? Question, d'école, thèse à ratiocina lions, prétexte a développements oratoires. Définir l'homme, un animal suggestible, voire hypnotisable, ce serait, quoi qu'en dise M. Charcot, une définition et plus vraie et plus simple.

Messieurs, il résulte des considérations critiques que je viens d'avoir l'honneur de présenter à la Société, uon seulement qu'il ne faut plus attribuer à l'hypnotisme, au sommeil provoqué, des phénomènes qui n'appartiennent qu'à l'hystérie, mais que ces phénomènes, et en particulier ceux de la léthargie provoquée, chez les hystériques, ne sauraient rien nous apprendre, quel que soit le procède d'excilation employé : percussion du cuir chevelu ou électrisation de la tète, ni sur le siège, ni sur la nature des localisations fonctionnelles de l'écorce cérébrale.

(1) AUG. Forel: Der Hypnotismus, Stuttgart, 1891, p. 33.

Hallucinations collectives suggérées,

Par M. le Dr Émile LAURENT.

On peut facilement provoquer des hallucinations par suggestion. Cela ne lait de doute pour personne. Un individu quelconque peut même en faire naltre chez lui par auto-suggestion. Tels sont les fantômes enfantes par la peur, la religion ou mieux la superstition.

« Sur les pas du paysan poltron, dit M. H. Jolly, les buissons se transforment en ennemis armes et menaçants, les cris des oiseaux nunoncenl des événements lugubres, les morts «orient du cimetière ».

De même G. Sand : « Le braconnier qui. depuis quarante ans, chasse au collet ou a l'affût, à la nuit tombante, voit les animaux mêmes dont il est le fléau prendre, dans le crépuscule, des formes effrayantes pour le menacer. Le pécheur de nuit, le meunier qui vil sur la rivière même, peuplent de fantômes les brouillards argentés par la lune; l'éleveur de bestiaux qui s'en va lier les bœufs ou conduire les chevaux au pâturage, après la chute du jour ou avant sou lever, rencontre dans ta haie, dans son pré, sur ses bêles même, des êtres inconnus qui s'évanouissent à son approche, mais qui le menacent en fuyant

Ce sont là des hallucinations passagères, très fugitives. El on peut dire que bien peu nombreux sont ceux qui n'en oui pas eu au moins une fois dans leur vie. Oui de nous n'a vu, le soir, les objets prendre des formes étranges, effrayantes, de simples broussailles se transformer en une armée d'êtres fantastiques ?

Il est d'autres hallucinations plua persistantes, plus précises et plus nettes, qui peuvent se développer en plein jour par de la concentration, de l'attention sur une idée. Ce sont des hallucinations provoquées inconsciemment par auto- suggestion.

Je me ferai mieux comprendre par un exemple, et cet exemple sera un fait ;que j'ai observé.

X... est un paysan peu religieux, plutôt superstitieux. 11 lui semble à peu près indifférent de travailler le dimanche, et il abandonne volontiers la messe pour son champ. Mais il est certains jours fériés qu'il respecte et, ces jours-la, il n'ose travailler. Tel est le jour des Hameaux, le jour de Pâques fleuries, comme il dit. Pourtant, l'an dernier, l'amour de sou champ l'a entraîne et il Ml parti dès l'aube pour labourer. Mais l'idée religieuse le travaillait et il redoutait quelque chose, sans trop savoir quoi. Quand, vers dix heures, il entendit les cloches du village appeler les fidèles à l'office, ses appréhensions redoublèrent dans sou esprit de plus en plus troublé. Alors il vil surgir dans la plaine, proche le bois, un temple merveilleux d'où sortaient lentement une longue théorie de prêtres en drap d'or et de jeunes filles vêtues de blanc portant des rameaux bénis et chantant : Hosaunah! Croire au Seigneur ! Hosannah ! Gloire au fils de David ! X... les vit manifestement ainsi jusqu'au

bout de son champ, où ils s'arrêtèrent. Mais il les vit très nettement pendant plusieurs minutes- Pris de frayeur, il détela son cheval et regagna le chemin du village. Quand il se retourna, tout avait disparu.

Cette hallucination très nette et persistante avait certainement été enfantée par les préoccupations religieuses dont son esprit avait été tourmenté. C'est de l'auto-suggestion.

Ce n'est pas tout. Un sujet peut développer chez lui une hallucination et la provoquer par suggestion à l'état de veille chez un autre sujet facilement impressionnable et se trouvant dans les mêmes conditions de milieu que lui.

Je prends encore un exemple :

Z... revient. la nuit, d'un village voisin. La campagne est silencieuse: on n'entend que le cri des grillons. Z... repasse dans son esprit toutes les légendes dont on a bercé son enfance, les récits d'apparitions, les histoires de revenauts et de loups-garous. Il sent un petit frisson lui courir le long de l'échine ; il hâte le pas. Tout à coup il vient d'entendre un bruit singulier, une sorte de reniflement. Il s'arrête et prête l'oreille; le bruit se fait entendre de nouveau. Il reprend sa marche et ce bruit singulier le suit, comme si quelqu'un éternuait derrière lui. Peu rassuré, il ramasse un caillou et l'enferme dans son mouchoir pour s'en faire une massue improvisée. Il cherche d'où peut venir ce bruit et ne voit rien. Lorsqu'il fut arrivé aux portes du village, le reniflement ne se fit plus entendre.

A peine rentré dans son logis, il raconte l'aventure à sa femme qui, déjà, sommeillait.

A son tour, celle-ci frissonne. Puis, il se couche et éteint la lumière; mais, brusquement, il se dresse sur son séant : il vient d'entendre un reniflement. Celte fois ça vient de dessous son lit.

— As-tu entendu ? fait-il à sa femme apeurée.

— Quoi ?

— Le reniflement.

Ils prêtent l'oreille... Ils tressaillent.

— As-tu entendu, cette fois?

— Oui, fait la femme; c'est sous le lit.

Z... se lève tremblant, allume sa lanterne et cherche en vain.

Il est évident, dans ce lait authentique, que Z..., qui avait laissé se développer chez lui use hallucination de l'ouïe, l'a provoquée chez sa femme par suggestion.

Voici un autre fait bien plus curieux encore :

L'hallucination se développe en plein jour, sous l'influence de préoccupations religieuses, chez trois jeunes filles, et dure de quinze à vingt minutes.

Laure et Marie sont des jeunes filles d'un esprit borné et dont toutes les idées se remuent dans un centre très étroit. Sans être des religieuses ferventes et pratiquantes, elles tréquentent néanmoins régulièrement les offices.

Le 15 août 1890, jour de l'Assomption, elles avaient assisté a la grand'-messe el elles se proposaient de prendre part, avec les autres jeunes filles, i la procession qui aurait lieu dans l'après-midi, après les vêpres. Mais leur père, jugeant que les intérêts de sa ferme passaient avant ceux de l'Église, les obligea à aller faner du foin dans les prés, i deux kilomètres environ du village. Elles partirent très contrîstèes, travaillèrent en silence, presque recueillies, toutes deux hanlees par la même idée : la procession qu'allaient faire leurs compagnes derrière la vierge triomphale. On peut dire qu'en ce moment leur» cerveaux étaient eu parfaite communion.

Tout à coup. Marie vient de relever la tète (1) et de cesser son travail, les prunelles fixes et dilatées pat une vision. La-bas, sur la voie, entre les lignes des hauts et sveltes peupliers, elle voit la procession venir et se dérouler.

— Vois ! crie-t-elle à sa sceur Laure. Et celle-ci voit comme elle.

Voici les enfants de chœur rouges aux aubes blanches; ils balancent devant la vierge dorée, que portent quatre jeunes filles en blanc, leurs encensoirs fumants; voici maintenant les prêtres en chasubles blanches ou de drap d'or; puis, mitré et crosse en main, un évèque; enfin, le troupeau de fidèles.

D'après les renseignements que m'ont fourni les jeunes filles, elles auraient vu ainsi pendant environ cinq minutes. Puis, elles appelèrent une autre jeune fille qui travaillait dans un pré distant d'environ cinq cents mètres. Celle-ci accourut et comme, elle aussi, peut-être, pensait a la procession, elle vil distinctement et les enfants de chœur et la vierge portée par les jeunes filles en blanc, el les prêtres et l'évèque, et la foule.

Tout cela dura bien encore dix minutes.

A ce moment passa, au bout du pré. un individu que dans le village on avait surnommé l'arsouille à cause de sa paresse et de son ivrognerie. Il était aussi peu superstitieux et aussi peu crédule que possible.

— Vois donc là-bas la procession, lui dirent-elles.

— Ou donc ? fit-il ébahi ; j'ai beau regarder, je ne vois rien.

— Mais si, là-bas, près du pont... Tiens, voilà qu'ils disparaissent au détour de la voie... On ne les voit plus. Ils sont dans les prés, derrière les arbres.

L'incrédulité narquoise du nouveau venu avait fait s'évanouir les visions enfantées par l'idée religieuse.

Les trois jeunes filles ont gardé la conviction d'avoir réellement vu.

Celle hallucination est remarquable par sa durée et par la concordance à peu près parfaite des sujets qui ont vu.

Laure et Marie sont d'accord sur tous les points, sur ceux surtout qu'elles ont fixé dans leur imagination el dans leur mémoire par leurs remarques

(l) La chaleur, jointe au changement de position pris en se redressant, peuvent avoir déterminé un certain degré d'anémie cérébrale qui put faciliter, sinon provoquer, l'hallucination.

réciproques. Elles ont vu toutes deux la procession se dérouler dans le même ordre et les personnages avec les mêmes costumes. Pourtant, si on entre dans le détail, leurs réponses sont un peu dissemblables.

— Marie, les prêtres que vous avez vu, étaient-ils nombreux ?

— Très nombreux.

— Combien à peu près ?

— Je ne saurais pas dire. — Et vous, Laure ?

— Ni moi non plus.

— Vous rappelez-vous, Marie, s'ils marchaient sur un ou sur plusieurs rangs ?

— Sur deux rangs.

— El vous, Laure ?

— Sur trois rangs.

J'ai relevé ainsi un certain nombre d'autres petites contradictions, toutes de détail.

Quant à la troisième jeune fille, moins suggestionnée que les autres et peut-être moins bien disposée à recevoir ces suggestions, elle n'a vu que grosso modo, si je puis m'exprîmer ainsi. Elle a bien vu la procession : la vierge portée par des jeunes filles en blanc, les prêtres, la foule; mais elle ne peut préciser davantage.

On ne saurait, dans ce cas, penser à une hallucination télépathique. Il y eut bien, dans le village, le même jour et peut-être à la même heure, une procession, mais elle ne ressemblait en rien comme décor à celle qu'ont vue les jeunes filles : il n'y avait qu'un seul prêtre et pas d'évoque.

11 s'agit manifestement d'un cas d'hallucination collective suggérée.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Banquet de la Société d'Hypnologie et de Psychologie.

Apres la séance annuelle, selon l'usage, les membres de la Société d'Hypnologie et de Psychologie se sont réunis en un banquet, sous ta présidence de M. le Dr Dumontpallier; un grand nombre de membres de la Société avaient pris pari à cette fête intime, et parmi les assistants nous pouvons citer il. le professeur Bernheim, M. le Dr Hamilton Osgood. de Boston, M le Dr Auguste Voisin, médecin de la Salpêtrière. M. Boirac. professeur de philosophie au Lycée Condorcet, M. le Dr Ernoold, de Liège, M. le Dr Wakefield. de Bloominirton. M. le Dr Bilhaut, M le D' Bérillon, secrétaire général de la Société, M. le Dr Hubert, y. le D' Percheron. M. Plista, M. le D' Desjardin de Régla, M. le Dr Gorodichze. M. le Dr Leparquois, M. le Dr Le Menant des Chesnais, M. Le Gall, M. le Dr Depoux. M. le Dr Bourdon de Meru, M. Bance, etc., etc.

Au dessert, M. le secrétaire général donne lecture des télégrammes et lettres d'excuses du MM. le Dr Apostoli, Gautier, Oscar Jennings, Linarix, Barety, de MM. Pierre Baudin, L. Achille, etc.

La récente élection de M. Dumontpallier à l'Académie de Médecine avait

donné à cette fête un attrait de plus et l'heure des toasts était Impatiemment attendue.

Aux applaudissements répétés de tous, M. le Dr Bérillon rappelle les titre-scientifiques nombreux qui justifient celte distinction méritée. II expose le libéralisme dont M. Dumontpallier a toujours fait preuve, soit qu'il s'agiste de reconnaître les mérites de Barq, l'inventeur de la métallothérapie, «oit de contribuer à la fondation et à la création de la Revue de l'Hypnotisme ou d'accepter le périlleux honneur de présiter le Congres international de l'hypnotisme eu 1889. Par son indépendance, par la générosité de son esprit, par la direction a la fois prudente et éclairée qu'il a imprimée à la Société dltypnologie. M. Dumontpallier s'est acquis des titres éternels à la reconnaisiance des membre* de la Société, et ils sont heureux de porter un toast a son élection à l'Académie de Médecine.

M. Dumoatpallier remercie le secrétaire général des sentiments qu'il vient d'exprimer au nom de tous et il assure que son concours ne fera jamais défaut aux chercheurs qui ne font guidés que par l'esprit scientifique. Il rappelle la part qui revient aux diverses écoles dans le mouvement psycho-physiologique actuel et il les convie à l'union dans la recherche de la vérité.

M. Auguste Voisin porte an toast aux savants étrangers qui sont venus prêter à notre Société le concours de leur expérience et de leur dévouement.

M. le professeur Bernheim remercie M. Dumontpallier du libéralisme avec lequel il a toujours accueilli les travaux des diverses écoles et en particulier de l'école de Nancy, dont il retrace l'historique. Il propose à la Société de porter un toast à l'initiateur de celte école, le modeste et savant Dr Liébeault.

M. Dumonlpallier porte un toast à l'école de Nancy, représentée au banquet par un de ses maîtres les plus éminents. Il associe dans ce toast les deux hommes dont le nom est inséparable : Liébeault, l'initiateur et le créateur de la doctrine de la suggestion. Bernheim, le clinicien éminent et le savant vulgarisateur.

M. Hamilton Osgood lève son verre au succès de la Société d'Hypnologie et de Psychologie, dont il sera en Amérique un des représentants les plus zèles.

M. Boirac exprime le» remerciements des nouveaux membres de la Société, et M. Bourdon, de Méru, clôt la série des toast* en unissant dans la santé qu'il porte les noms de MM. Dumonlpallier et Bernheim.

Banquet offert A M. Dumontpallier.

A l'occasion de l'élection de M. Dumonlpallier à l'Académie de Médecine, ses anciens élèves ont eu l'idée de lui offrir. le 19 juillet, un banquet chez Ledoyen.

C'était une réunion tout intime. Le maître n'avait pas voulu que l'on fit du bruit autour de cette petite cérémonie de famille, et nous n'étions guère réunis qu'une trentaine, choisis parmi ses élèves les plus affectionnés et les plus immédiats. La réunion a donc été des plus cordiales, et le maître a pu voir que ses élèves lui rendaient en affection et en dévouement les efforts très sincêres qu'il fait pour leur être utile du toutes les manières.

Parmi les médecin* qui s'étaient groupés autour de leur ancien maître, nom devons citer MM. les Drs Ribémont-Dessaignes, proresseur agrégé à la Faculté. Ricard, professeur agrégé à la Faculté, Faisans, médecins des hôpitaux. Charles Leroux, médecin du dispensaire Furtado Heine, Belin, chef de clinique de te Faculté, Dubief, médecin des épidémies. Chevallereau, médecin des Quinze-Vingts, Bérillon, médecin inspecteur adjoint des asiles d'aliénés. Hallez. lauréat. des hôpitaux, d'Hoiman de Villiers. de Grandmaison. Bouny. Jules Janet, Chipot. Nicolle, etc. Quelques amis intimes, et parmi eux MM. Galante. Clouet, s'étaien'. joints aux élèves du maître.

A dessert, M. Ribémont-Dessaignes. qui se trouvait être le plus ancien de élèves présents de M. Dumontpallier. a heureusement exprimé les sentiments de reconnaissance et de piété filiale qui animaient les convives :

« Mon bien cher maître,

« Lorsque mon ami Leroux vint, il y a quelques jours, m'apprendre que vos anciens élèves allaient se réunir pour fêter votre entrée à l'Académie, j'éprouvai une joie profonde a la pensée que j'avais le droit d'être l'un des convives de ce banquet tout intime. Mais, sans ménagement aucun, mon même ami Leroux me révèle que je suis le doyen de vos élèves et, très galamment d'ailleurs, me fait entendre que cette qualité me vaudra l'honneur de prendre la parole au nom de nos camarades.

« L'honneur m'est particulièrement précieux, cher maître. Mais, je l'avoue, ce n'est pas sans quelque mélancolie que je suis arrivé à me convaincre que Leroux avait dit vrai. Ce n'est point affaire de coquetterie, croyez-le bien; mais les souvenirs de mon année d'internat chez vous, dans ce bon vieil hôpital Saint-Antoine, me sont restés si vivants, si pleins de fraîcheur, qu'en toute sincérité Je croyais l'année 1875 moins éloignée de nous.

« A vrai dire, deux collègues m'avaient précédé dans votre service : Henrtet. mort trop jeune pour ses amis et. pour la science, et Laget, retenu à Marseille et qui manque à notre réunion.

« La joie fait peur, dit-on. J'en suis certain, car si depuis une semaine je suis très heureux, j'ai également très peur.

« En ce moment même, cette peur atteint sa période d'acmé.

« Je crains, en effet, de ne pas être l'interprète suffisamment éloquent de mes camarades et de ne pas savoir bien vous traduire leurs pensées, vous exprimer leurs sentiments pour vous.

« Leurs pensées sont aujourd'hui pensées d'allégresse.

« L'Académie, en vous ouvrant son sein, a couronné, comme elle le méritait, votre carrière toute de dévouement scientifique et de probité médicale.

« Cet honneur que l'Académie vous a fait, nous nous en réjouissons, nous, vos élèves, qui, depuis prés de vingt ans, avons eu successivement la bonne fortune de vivre a vos côtés et de nous former a votre école.

« Nos sentiments à votre égard sont, mon cher maître, des sentiments de gratitude et d'affection.

« Vous avez toujours été le maître à l'accueil bienveillant, au commerce sûr; le patron cordialement dévoué à ses apprentis; vous avez été le chef à l'esprit largement ouvert aux découvertes modernes, mais fidèle avant tout à la vieille, a la saine clinique française, dont les traditions, recueillies par vous des lèvres do votre illustre maître Trousseau, nous ont été fidèlement transmises par votre bouche.

« Pour tous vos élèves, vous avez été le clinicien consommé, au diagnostic sûr et raisonné, à la thérapeutique variée autant que sage, toujours bienfaisante aux malades.

« Ah! ces malades de l'hôpital, avec quelle sollicitude, avec quel respect pour leur misérable infortune vous les examiniez chaque matin, avec quelle autorité vous leur faisiez accepter le traitement nécessaire. Que d'exemples, jue de leçons dont nous nous efforcions de faire notre profit.

« Parlerai-je ici du charme des relations que vous savûz établir si cordiales avec vos internes ? Je n'apprendrai rien à ???? qui m'écoutent.

« Je préfère, cher maître, vous dire sans phrases, mais avec toute la sincérité de mon coeur, que tous nous vous avons été, vous sommes et serons loujouis reconnaissants de vos leçons excellentes ; que tous, sommes fiers de nous dire vos élèves et que nous vous entourerons toujours de notre respectueuse et filiale affection.

« Je lève mon verre en l'honneur de notre cher maître, le Dr Dumontpallier, membre de l'Académie de Médecine. »

Ce discours, couvert d'une triple salve d'applaudissements. M. Dumontpallier. profon dément ému de ces témoignages de sympathie, se leva et, dans une allocution des plus touchantes. il rappela les souvenirs qui l'unissaient à chacun des convives en particulier.

Par son discours, il sut prouver à chacun qu'il était resté en parfaite communion d'idées avec tous et qu'il n'avait oublié aucun des faits capables do cimenter entre le maître et les élèves une amitié inaltérable. Il termino en rappelant que le dévouement qu'il avait voué à chacun de ses élèves aimés ne finirait qu'avec son existence et qu'il serait toujours heureux de le dépenser sans compter à leur service.

Le caractère d'intimité de cette réunion autorisait la gaieté la plus expensive: aussi, maître et élèves faisant appel à leurs souvenirs de salle de garde, la soirée s'est terminée par un concert Improvisé.

M. le Dr de Grandmaison a interprété, en véritable artiste, plusieurs œuvres charmantes dont le sujet avait trait à des scènes de la vie médicale et qui ont été fort goûtées par les auditeurs.

L'emploi du « magnétisme » par un empirique constitue le délit d'exercice illégal de la médecine.

Dans sa séance annuelle du 11 juillet, la Société d'hypnologie et de psychologie a reçu communication du jugement suivant, qui vient combler une lacune dans la jurisprudence :

La Cour d'appel de Lyon vient de décider que la loi de ventôse, relative à l'exercice de la médecine, s'applique à tous ceux qui attirent à eux des malades, en leur faisant concevoir l'espérance d'une guérison; elle ne subordonne d'ailleurs l'existence de la contravention qu'elle entend réprimer, ni au mode de traitement employé, ni à l'administration d'aucun médicament; ces dispositions s'étendent manifestement à la pratique de tous les procédés prétendus coratifs (magnétisme, hypnotisme, etc.), alors même qu'ils n'auraient eu d'autre effet que d'agir sur l'imagination des malades.

Cette décision a été prise a propos d'un M. P ... qui attirait chez lui des malades qu'il soumettait, sous prétexte de traitement magnétique, à des pratiques étranges malt sans administration de médicaments, ce qui lui permettait de prétendre qu'il n'exerçait pas ta médecine. L'une de ses clientes, la femme N.... est devenue folle à la suite des passes qu'il lui a fait subir et des propos qu'il lui a tenus.

La Cour n'a pas admis !e bizarre système de défense du sieur P.... et l'a condamné, bieo qu'il ait «a la précaution de se couvrir de la collaboration d'un docteur en médecine pour légitimer ses pratiques « magnétiques ».

Voici quelques considérants du jugement :

« Considérant que P.... sans être muni du diplôme de docteur ou d'officier de santé, a depuis plusieurs années attiré chez lui un grand nombre de malades qu'il a traités par les pratiques du magnétisme, a été constaté, en 1687. par un jugement qui l'a condamne a quinze francs d'amende.

« Considérant qu'il est établi que, depuis sa dernière condamnation et malgré les avertissements réitérés de la Justice, P... a continué a recevoir à son domicile un certain nombre de personnes souffirant de diverses maladies qu'il a traitées par de* procédés analogues a ceux précédemment employés, tout en cherchant à en dissimuler les manifestations extérieure* et en se couvrant de la

collaboration d'un docteur muni d'un diplôme régulier, auquel il prétend avoir loué le local où se donnaient les consultations.

« Considérant notamment que la dame N... a déclaré s'être rendue chez P .. vingt-cinq foie dans le courant de l'année 1891; que, suivant ses déclarations, P... aurait vivement frappé son imagination en lui parlant de l'outre-tombe et des âmes des morts; qu'elle affirme en outre être tombée gravement malade après avoir absorbé un verre d'eau que P... lui aurait ordonné de boire et qui aurait été, dit-elle, imprégné de fluide magnétique; qu'il est malheureusement certain que cette pauvre femme, très faible d'esprit, a éprouvé, à la suite de visites faites chez P..., un trouble mental tel qu'elle a du être internée dans un asile d'aliénés; qu'à chacune de ses visites, la femme N... a pavé la somme de un franc à titre de rémunération ;

« Considérant que de son côté, la femme G..., déclare avoir, dans l'année 1891, fait cinq visites chez P..., qu'un certain nombre de personne» so trouvaient là réunies dans la même salle; que P... entrait, prononçant des paroles mystérieuses, comme s'il évoquait, dit-elle, un esprit; qu'il passait devant chaque personne, la regardait fixement, lui demandait le genre de maladie dont elle souffrait, puis ajoutait : « cela ira mieux »; qu'à chacune de ses visites, la femme G... a payé une rémunération de trois francs:

« Considérant, en droit, que In loi de ventôse a eu pour objet de protéger d'une manière générale la santé publique contre les entreprises des charlatans et des empiriques, en réservant exclusivement aux docteurs en médecine et en chirurgie et aux officiers de santé l'exercice de l'art de guérir; qu'il résulte de l'esprit et du texte de cette loi qu'elle est absolue et indéterminée dans sa portée ; qu'elle doit donc s'appliquer à tous ceux qui attirent à eux des malades, en leur faisant concevoir l'espérance d'une guérison ; que la loi ne subordonne d'ailleurs l'existence de la contravention qu'elle entend réprimer, ni au mode de traitement employé, ni à l'administration d'aucun médicament, que ses dispositions s'étendent manifestement à la pratique de tous les procédés prétendus curatifs, alors même qu'ils n'auraient eu d'autre but ni d'autre effet que sur l'imagination des malades;

« Considérant, qu'il est établi par les divers documents de la cause et notamment par les déclarations même de P... et par celles de son associé, le docteur S..., que le contrevenant prétendait agir sur les malades par l'influence du magnétisme; que le docteur Branche, entendu comme homme de l'art par le Tribunal, a déclaré de son côté que. sans recourir aux passes magnétiques, il était possible d'agir par le seul regard ou par la suggestion mentale sur certains sujets; que même de tels procédés, loin d'être d'une entière innocuité, sont de nature à produire des effets d'autant plus pernicieux sur la santé du malade qu'il est plus impressionnable et plus disposé à croire à la puissance surnaturelle de celui dont il subit la domination;

« Considérant, dès lors, que P... ne saurait actuellement prétendre qu'il n'a pas continué d'exercer l'art de guérir suivant ses pratiques habituelles;

« Par ces motifs, déclare P... coupable et le condamne à vingt-neuf amendes de 15 francs chacune, ensemble 133 francs;

« Le condamne. eu outre, aux dépens de première instance d'appel;

« Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps. »

Ainsi donc, conformément à l'arrêt qui précède, il a été jugé que le traitement magnétique, on peut ajouter l'hypnotisme, constitue, de la part d'une personne non diplômée, une infraction à la loi sur l'exercice de la médecine.

REVUE BIBLIOGRAPHIQUE

Die Suggestions-Thérapie bei krankhaften Erscheinungen des Geschlechtssixuies, mit besonderer Berùcksichtigung der Contraren Sexualempfindung, Ton Dr A. von Se scherenck-Notzing. — Stuttgart. Ferd. Enke 1892.

L'école de Nancy peut être Gère du progrès que continue à faire sa doctrine. Les mé noires de la Société d'Hypnologie et de Psychologie enregistrent des travaux et des communications de médecins des pays les plus lointains, d'hommes convaincus d'avoir trouvé dans la suggestion une arme puissante qui sait guérir là, où d'autres agents thérapeutiques ne mènent à rien.

Si la doctrine de la suggestion a rencontre de l'hostilité, du dédain même, de la part do quelques princes de la science, d'autres savants non moins illustres aiment à se considérer les élèves des maîtres de Nancy. En Allemagne, les professeurs Forel, von Kraft-Ebing, Hirt, sont de ce nombre. Les œuvres de Liébeaull, de Bernheim, de Liégeois, ont été traduites, en allemand; avec celles de Forel, de Moli, de Wetterstrand, elles ont servi à répandre la bonne nouvelle de la thérapie suggestive dans les pays d'outre-Rhin. Déjà le grain semé porte ses fruits, et plusieurs adeptes ont témoigné en faveur de la thérapeutique nouvelle. Citons Ringier. von Corval, Minde, Preyer, Grossmann, Baierlacher et tant d'autres.

Le Dr A. Baron von Schrenck-Notzing. médecin à Munich et secrétaire de la Société de Psychologie de cette ville, zélé travailleur s'il en fut jamais, déjà connu des lecteurs de la Revue de l'Hypnotisme par quelques travaux qui y ont clé analysés, vient de doter le public médical d'un beau livre, de plus de 300 pages, dans lequel il étudie les maladies psychiques de la vie sexuelle et leur traitement par la suggestion hypnotique.

Les résultats favorables obtenus par la psychothérapie dans des cas d'inversion sexuelle chez des prédisposés héréditaires, ont conduit l'auteur à tacher de résondre ce problème : « La suggestion peut-elle influencer des psychopathes héréditaires, ou bien se peut-il qu'on ait surtaxé la lare héréditaire dans la conception de l'inversion sexuelle au détriment des influences de 1 éducation? » Il fallait, pour arriver à la solution, une étude approfondie de l'étiologie et de là pathogénêsie des instincts pervers de la vie sexuelle. Les symptômes concomit-tants constants des aberrations sexuelles, notamment l'onanisme et l'impotence virile fonctionnelle, exigeaient une étude sérieuse. Tant au point de vue pathologique que thérapeutique, ces sujets ont été traités suffisamment pour arriver à se faire une juste idée de la paresthésie sexuelle.

Les symptômes de l'anesthésie sexuelle et de l'uranisme de la femme n'ont été traités que d'une façon sommaire, d'abord parce qu'ils n'ont pa* acquis dans la pratique médicale ni dans la vie sociale une valeur analogue à celle do la sexualité homogène chez l'homme, mais encore parce que. vu la rareté de ces anomalies, l'auteur n'a pas pu disposer d'observations personnelles.

Aussi, et l'auteur est le premier à en convenir, eût-il mieux valu que son ouvrage portât comme titre : Etudes pathologiques et psychothérapeutiques des perversions du sens génétique ».

On pourrait se demander si l'auteur a bien fait de nous donner une étude spéciale des anomalies du sens génésique au lieu de les traiter dans leur ensemble, avec les maladies constitutionnelles et la débilité du cerveau dont elles ne sont le plus souvent que les symptômes. Le succès énorme de la Psychopathia sexualis, du professeur von Kraft-Ebing. — la quatrième édition date de 1889, tandis que la septième vient de paraître, — peut éveiller le doute que peut être l'intérêt por-

nograpbique du public non médical y soit pour quelque chose. Nous concédons cependant que le mal produit, par la lecture d'une pathologie de la vie sexuelle, dan» des cerveaux non compétente, n'équivaut pas a l'utilité réelle et incontestable de cette étude pour le pédagogue, le médecin pratique, le psychiatre et last not least pour le magistrat.

Le D' von Schrenck Ntoring a été excellemment inspiré lorsque l'idée lui vint d'écrire son livre, mais surtout d'éclairer son sujet de la lumière de la suggestion.

Grâce au nihilisme qui continue à régner en thérapeutique, beaucoup de malades restent la proie — leur vie durant — de leurs idées obsédantes et unissent le plus souvent. soit dans un asile d'aliénés, soit dan» la prison. L'auteur, se basant sur une série de septante observations rapportées dans son livre, conclut à la possibilité de pouvoir guérir ou améliorer notablement le» aberrations de la vie sexuelle, en se servant de la suggestion à l'état de veille, mais surtout à l'état de sommeil provoqué.

Pour l'auteur comme pour le profeseur von Kraft-Ebing. les symptômes de ces aberration» doivent se comprendre comme sensation» et idées obsédantes occasionnées par auto-suggestion, ou bien étant la conséquence de désordres organiques. La suggestion ne pourra guère triompher des phénomènes morbide» chez les prédisposés héréditaires ni de ceux qui sont des manifestation» de lésion» anatomiques. Cependant, Il résulte des observation» du Dr von Schrenck Notzing que les causes occasionnelles, l'éducation jouent un plu» grand rôle dans la pathogénésie des parvenions de la sexualité que l'on n'a cru jusqu'ici. Aussi, la psychothérapie trouve-t-elle dans cette classe de maladie» une application plus large. Nonobstant, les difficultés innombrables qui s'offrent au médecin traitant des malades de cette catégorie, il ne saura assez te louer s'il sait tirer parti des services que peut lui rendre la suggestion hypnotique.

L'auteur a divisé son travail en trois parties.

Dans la première partie, il traite de l'hyperesthésie sexuelle, notamment de l'onanisme, de la satyriasis et de la nymphomanie.

Successivement, il écrit l'etiologie. la symptomatologie, le diagnostic et le prognostic de ce» états, puis il fait passer la revue aux méthodes de gaénr usitée jusqu'ici : — hygiène, traitement local, hydrothérapie, électricité, médicaments, — pour en venir à exposer la psychothérapie qu'il fait suivre de vingt observations, dont neuf sont personnelles à l'auteur, tandis que le» autres sont dues à MM. les docteurs Liébeault. Bernheim. Weiterstrand, Voisin et Forel.

M. von Schrenck note treize guérlsons et cinq amélioration» très décidées, une amélioration passagère et un effet nul. 11 ne veut pas voir ériger la suggetion hypnotique comme panacée contre l'onanisme, mais il croit qu'aucune méthode thérapeutique peut rivalliser avec elle pour ce qui regarde le cito. tuto et jucunde et la durabitité de la guérison.

La deuxième partie est vouée à l'impotence et à l'anesthésie sexuelles. Après* l'étude sommaire de la pathologie de ces états, l'auteur décrit le rôle de la psychothérapie dans le traitement de l'impotence. Après avoir fait la part des traitements usuels, il démontre que l'élément : suggestion est le seul qui agit dans les injections de liqueurs testiculaires prônées par Brosra Sequard. Il fait suivre, comme dans la partie précédente, une série d'observation» de cas traités par la méthode suggestive, dont dix guérisons. trois améliorations et cinq échecs sur un nombre de dix-huit malades. Six observation» «ont personnelles k l'auteur, les autres lui sont communiquées par MM. les docteurs van Renterghem. Liebeault. Bernheim et Moll.

Presque tous les impotents étant des neurasthéniqus, c'est-à-dire de» malades difficilet à hypnoliser, il faut avouer que les résultats obtenus par la méthode suggestive sont plus que satisfaisants cl doivent forcément conduira le praticien a y recourir dans des cas donnés.

La part du lion a été réservée à la troisième partie du travail, qui comprend presque les deux tiers du livre L'auteur s'étend largement sur les différentes formes de perversion sexelle, sur l'historique de ces aberrations ; il décrit la part prépondérante de l'hérédité et de l'éducation dans l'étiologie de ces états pathologiques, puis il traite du diagnostic et du pronostic pour en venir au traitement psychique et suggestif.

Un nombre de trente-deux observations recueillies dans sa propre pratique et dans celle de MM. les docteurs von Kraft-Ebing, Charcot et Magnan. Wetters-trau 1. Bernheim. Frauz Muller, Ladame et Moll. viennent comme pièces de conviction et clôturent le travail de l'auteur.

De ces trente-deux cas. nous trouvons notées douze guérisons, onze améliorations très décidées, quatre améliorations légères et cinq échecs.

Plusieurs malades ont été observée pendant une période de temps suffisam-ment longue (deux ans et deux ans et demi) pour pouvoir conclure à la durabi-lité de la guérison. Pour assurer cette guérison, l'auteur conseille de continuer le traitement hypnotique à Intervalles de huit a quinze jours pendant une année après leur rétablistemen:.

D'après mon expérience personnelle du traitement suggestif de névropathies et de psychopathies en général, je pense que le médecin doit continuer a rester l'ami et le soutien de ses patients guéris. 11 faut se voir de temps en temps ou bien entretenir une correspondance, de sorte qu'on soit toujours prêt, au premier signal de détresse ou de découragement du malade guéri, a lui tendre la main pour éviter la récidive. C'est bien ainsi que l'entend le professeur Forel. qui compte tant de succès dans le traitement suggestif des dip«omanes.

La guérison de l'inversion sexuelle, cependant, pour être complète, impliquerait un effacement absolu des images mémoratives de l'homo-sexualité; or cela n'est pas. On doit se contenter que ces images palissent et te trouvent réduites à un état rudimentaire inoffensif et que le malade a abstienne de toute irrégularité des fonctions génitales.

J'ose dire que le vœu exprime par l'auteur à la fin de son livre, savoir : « Qu'il ait réussi à démontrer qu'une guérison peut être obtenue par le traitement suggestif dans cet errements des plus déplorables de la nature humaine * se trouve réalisé.

Amsterdam, 5 juin 1892.

Dr A. W. van Renterghem. Post-Scriptum.

Je saisis l'occasion d'énumérer ici les travaux divers sortis de la plume féconde de notre collègue de Munich.

I. — Opera majora :

a). Ein Beitrag sur therapeut. Verwerthing des Hypnotismus. — Cet ouvrage a été publié en : 1888. sa publication a précédé celles des livres de MM. Forel et Moll. Elle contient l'apologie de la doctrine de Nancy et donne une excellente notice de la littérature des différents pays, concernant l'hypnotisme.

b). Ueber Hypnotismus und Suggestion. — Discours, appuyé d'expérimenta-tion- et de démonstrations de malades, prononcé devant la Société de Psychologie de Munich, le 14 janvier 1889.

c). Richet, Gedankenuebertraguns.— Édition allemande comprenant les écrits divers du professeur Ch. Kichet sur la transmission des pensees, parus en langues française et anglaise. Un volume de 234 pages. Le texte est précedé d'une introduction par le traducteur, Dr von Schreack-Notzing.

d). Die Bedeutung narcotischer Millet fur den ?????tismus — Brochure de 73 pages publiée dans les Annales de la Société de Psychologie de Berlin. 1891.

L'auteur résume sou travail dans ces thèses :

1° L'étal hypnotique (l'hypnose) se distingue de tous les étals analogues par la dépendance relative cérébrale du perciptent, des suggestions qu'on lui fait. Du moment que le cerveau accepte sans critique les idées suggérées, soit que le sujet se trouve à l'état de veille, soit qu'il dorme ou bien qu'il soit narcotisé. 1 hypnose existe ;

2° Les médicaments narcotiques, tels que l'éther, le chloroforme, la morphine, etc., affaiblissent le contrôle du cerveau, l'intelligence consciente, la volonté, et produisent, en créant la sensation de fatigue et de narcose, une disposition favorable à réaliser les suggérions, c'est-à-dire l'entrée en hypnose ;

3° L'état d'hypnose se greffant sur la narcose médicamenteuse est. en général, plus profond que celui obtenu chez le même individu par l'emploi isolé des moyens psychiques.

c). Ein schwerer Sensitiv-Somnambuler Krankheitsfall, geheilt ausschliesslich mittelst einfacher Anwendung des Odes, von Karl. Freihernn von Reichenbach, posthum, publié et commentarié au point de vue de la doctrine de la suggestion, par le Dr von Schrenck-Notzing, 1891.

Dans ce livre, l'auteur démontre les sources d'erreurs dans l'observation de malades hystériques, de la part d'un expérimentateur non médecin, et le rôle prédominant de la suggestion inconsciente.

f). Experimental Studies in Thought-Transference. From the Proceedings of the Society of Psychical Research. Part. XVIII, 1891. — Quelques études expérimentales sur la transmission des pensées.

g). Die Suggestions therapie bei Krankh. Erschein, des Geslechtssinnes.

II. — Opera minora : a). Fortschritte des Hypnotismus.

b). Die Gerichtliche Bedeutung des Hypnotismus. — Dans ce discours, prononce comme le précédent durant la Société de Psychologie, l'auteur signale les dangers d'expérimentations dites « spirites ».

c). Hypnotismus und Suggestion thérapie. — Une critique des nouvelles publications concernant l'hypnotisme.

d). Ueber die praktische Bedeutung des Hypnotismus.

Etc., etc.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Bourgon (Dr Charles de). — Ou glaucome hemorrhagique. (Un volume in-4° de 106

pages. — Jouve, Imprimeur, 15, rue Racine. Paris. 1892.) Ladame (Dr Paul.) — Les Mandragores ou diables familiers à Genève, au XVIe et au

XVIIe siècle. (Brochure extraite des mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéo-

logie. tome XXIII.)

Lopez de Gomara (Justo S.) — La cienca del bien y del mal. Et hypnotismo y la suggestiion al alcance de todos. (Un volume in-16" de 210 pages en espagnol. — José Escary, éditor. Buenos-Ayres, 1891.)

Rebasa Gregorio). — La sugestion en terapeutica. lésis de doctorado. (Une brochure de 145 pages, Imprenta Europea, Moreno y Defensa, Bnenos-Ayres, 1892.)

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT.

Paris. — Imprimerie. brevetée MICHELS it Fils. passage du Caire. S et 10.

REVUE DE L'HYPn0TISME

experimental et therapeutioue

LE CONGRÈS DE PSYCHOLOGIE EXPÉRIMENTALE

En se séparant, les membres du premier Congrès international de psychologie, tenu à Paris en 1889, avaient décidé de continuer l'œuvre due à l'initiative de M. le professeur Charles Richet. Le siège du second Congres fut fixé à Londres, en 1892. Nous venons de constater toute la vitalité de cette institution et nous pouvons affirmer que l'intérêt du second Congrès a égalé celai du premier.

L'organisation du Congrès de Londres fait le plus grand honneur à M. le professeur Sidgwick. qui a présidé les travaux avec un dévouement au-dessus de tout éloge, ainsi qu'aux deux secrétaires généraux, MM. F. Myers et James Sully, dont le zèle a égalé la courtoisie. Nous sommes heureux de signaler l'esprit de libéralisme qui a inspiré les organisa leurs. En effet, contrairement i ce qui se passe actuellement dans la plupart des congrès, la plus grande initiative avait été laissée aux adhérents. Les organisateurs avaient su éviter de tomber dans ce travers commun qui consiste à vouloir imprimer aux travaux d'un congrès une direction dans un ordre d'idées quelconque. Aussi le nombre de mémoires présentés a-t-il été considérable, et parmi ces travaux, le plus grand nombre présente un réel caractère de nouveauté et d'originalité.

A retenir aussi l'excellente idée de remettre aux assistants, dès le début de chaque séance, des résumés contenant les principales communications mises à l'ordre du jour. Cela avait pour but de faciliter les discussions qui, néanmoins, n'ont jamais été de longue durée. Les savants anglais connaissent le prix du temps, ils savent que les débats oratoires, si éclatants qu'ils soient, ne sauraient exercer beaucoup d'influence sur la solution des questions scientifiques. N'est-il pas de beaucoup préférable, en effet, lorsque la lecture d'un travail a été faite, que chacun de ceux qui s'intéressent à la question en fasse son profit dans son for inté-

rieur? Si les conclusions du travail présenté paraissent conformes à l'expression de la vérité, il n'y a qu'à s'incliner; si elles semblent, au contraire, mériter une réfutation, une critique sérieuse ne peut se baser que sur un contrôle sévère des faits, contrôle qu'aucune discussion académique ne saurait remplacer.

Pour gagner du temps, les organisateurs membres du comité avaient créé deux sections, l'une consacrée à l'étude des faits relevant de la neurologie et de la psycho-physiologie, l'autre consacrée à l'étude des phénomènes de l'hypnotisme ou se rattachant à l'hypnotisme.

Dans chacune des sections, des travaux importants ont été lus, et l'on peut dire que ce qui caractérisera surtout le second Congres international de psychologie, c'est que des études d'un ordre absolument nouveau y ont été abordées. Parmi elles, nous citerons celles qui ont trait à l'observation des hallucinations dites télépathiques et des phénomènes de transmission de pensée. Hâtons-nous d'ajouter que ces questions, d'un ordre particulièrement délicat, ont été abordées par leurs auteurs avec une prudence et un tact qui leur fait le plus grand honneur.

Parmi les communications qui ont donné lieu, dans la section d'hypnotisme, à des discussions assez approfondies, nous devons citer la communication de M. le Dr Van Eeden, d'Amsterdam, sur les Principes de la psychothérapie, et celle de M. le Dr Bérillon, de Paris, sur les Applications de la suggestion hypnotique à l'éducation. Nous publierons in extenso les communications et les discussions qui les ont suivies.

N'oublions pas de mentionner le séduisant programme tracé par M. le professeur Charles Richet, dans une lecture sur l'avenir de la psychologie. Après avoir montré que la psychologie n'est pas seulement la physiologie du cerveau, mais qu'elle a un rôle plus étendu, qui est d'assurer les progrès de l'intelligence humaine en établissant les bases scientifiques de la morale, de la sociologie et de l'éducation, il terminait en critiquant fort justement l'objection qu'on ne cesse d'opposer à l'étude de certaines questions et qui consiste à dire : « Puisqu'on n'a rien trouvé encore, c'est qu'il n'y a rien ». C'est par de tels raisonnements que l'on a, pendant longtemps, retardé la solution de problèmes considérés aujourd'hui comme fort simples.

Très différente a été la méthode de travail inaugurée au Congrès international d'Anthropologie criminelle qui se tenait à Bruxelles quelques jours après le Congrès de Londres. Une place considérable avait été faite à la discussion des rapports généraux et les communications dues à l'initiative personnelle avaient été forcément reléguées au second plan. Il en est résulté qu'un temps précieux a été consacré à des ques-

tions déjà résolues sur lesquelles tout le monde avait une opinion faite. Cela n'était assurément pas compensé par le plaisir que nous avons éprouvé en entendant le même orateur nous apporter sur chaque question une opinion souvent plus humouristique que rationnelle. Le fait que la même personnalité a pu, sous différents prétextes, occuper la tribune plus d'une vingtaine de fois, indique assez que les membres du Congres ont été trop exposés à entendre souvent répéter la même chose. Il y a là un écueil qu'il sera utile d'éviter à l'avenir en faisant une plus large place à l'initiative individuelle.

Parmi les rapports sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir, citons ceux qui ont été faits sur les suggestions criminelles. Une discussion, à laquelle un assez grand nombre d'orateurs ont pris part, les a suivi. Nous en donnerons le compte rendu.

En terminant, rendons hommage à la haute distinction, au tact exquis et à la courtoisie avec laquelle le président du Congres d'Anthropologie criminelle, M. le Dr Semai, médecin en chef de l'Asile de Mons, s'est acquitté de ses fonctions. Parmi les zélés collaborateurs de M. Semai, auquel revient une grande part dans l'organisation du Congrès d'Anthropologie criminelle, nous devons citer MM. Thiry, Tan Hamel, Lefebvre, Héger, Houzé, Varnots, Otlet, etc.

En reconnaissant le grand succes de ce Congrès, nous ne pouvons cependant nous empêcher de penser que la méthode employée au Congrès de Londres nous a paru beaucoup plus profitable aux progrès de la science. B...

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE

Séance du lundi 11 juillet. — Présidence de m. Dumontpallier

Obsession passionnelle traitée par suggestion.

Par M. le Dr NARET.

Le 15 avril dernier, Mme X____âgée de trente-deux ans, d'un tempérament

nerveux, mais sans lare personnelle ou héréditaire, mariée et mère d'un enfant de sept ans, vint me consulter au sujet d'insomnies qui la tenaient éveillée pendant la majeure partie des nuits, d'un manque d'appétit presque complet, et d'une grande prostration physique et morale avec crises de larmes, etc.

Je pensai qu'il devait y avoir là-dessous une cause psychique de nature intime. J'essayai de la confesser et j'y arrivai facilement.

Depuis deux ans, Mme X... s'était éprise follement de M. Z..., et celle passion, toujours restée a l'état platonique, avait pris une telle acuité que Mme X... en était arrivée à l'état décrit ci-dessus.

Je proposai séance tenante, le traitement par la suggestion qui fut accepte, mais avec la certitude de sa part que le sommeil no pourrait être obtenu et que la suggestion resterait sans influence.

En effet, les huit premières séances n'ont amené qu'un très léger engourdissement, et la suggestion était restée sans action manifeste.

Malgré son découragement et sur ma vive insistance, Mme X... a continué i venir me voir, et j'ai pu, dans les deux ou trois séances suivantes, arriver au sommeil complet. Alors j'ai affirmé qu'avant huit jours la guérison serait radicale. J'ai parlé haut et ferme, j'ai ordonné, et les effets de la suggestion ont pour ainsi dire dépassé mon atiente. Après un mois de traitement, quoique avant revu M. Z..., MmeX... a recouvré le sommeil, l'appétit, la gaîté. la force physique et morale, et le goût de son intérieur. Elle affirme qu'elle se trouve actuellement dans son état normal antérieur, comme le prouve la petite noto ci-jointe que, pendant son sommeil, je lui ai suggéré de me rédiger et qu'elle m'a remise le 27 mai 1892 :

« J'étais atteinte depuis deux ans d'une maladie noire qui, surtout depuis six mois, avait pris une telle force que je me trouvais complètement privee de sommeil et d'appétit; devenue indifférente aux distractions de toute nature, je tombai dans un état de prostration physique et morale absolue.

« Je me confiai au Dr Naret, qui me traita par l'hypnotisme et qui, avec un dévouement de chaque jour, ne tarda pas à opérer un changement radical dans tout mon être; avec une volonté rare qu'il sut me transmettre, je fus transformé au bout d'un mois et retrouvai le calme et la gallé qui m'avaient abandonnée. Je suis heureuse d'en offrir ici le témoignage sincère. »

J'ai revu Mme X... le 15 juin dernier. Son étal est toujours aussi bon, et elle a quitté Paris pour passer quelques mois à la campagne, ce qui contribuera au maintien de la guérison.

De l'hypnotisme par les miroirs rotatifs dans le traitement de l'hystérie,

Par M. le le G. LEMOI.NE, professeur a la Faculté de Lille, et M. le Dr P. JOIRE.

de Lille.

Le traitement par le sommeil hypnotique et la suggestion tend à s'introduire de plus en plus dans la thérapeutique spéciale des maladies nerveuses. Les résultats obtenus sont si satisfaisants qu'ils font disparaître peu à peu les préventions qui existaient encore dans l'esprit des malades.

C'est principalement dans tes troubles nerveux d'ordre moteur ou sensitif, qui sont sous la dépendance de l'état hystérique, que le sommeil hypnotique et la suggestion ont été jusqu'ici employés avec le plus do succès.

Un certain nombre de malades appartenant à cette catégorie, que nous avons observés à l'hôpital de la Charité de Lille, dans le service du professeur Lemoine, ont été traités avec succès par la méthode hypnotique et particulièrement par le sommeil obtenu au moyen de miroirs rotatifs.

C'est surtout chez les hystériques que l'on trouve souvent un emploi thérapeutique utile de l'hypnotisme, soit pour combattre les attaques convul-sives de l'hystéro - épilepsie, soit pour faire disparaître les différentes manifestations de la grande névrose.

Malgré les excellents résultats obtenus, il restait jusqu'ici de grands obstacles à la généralisation de cette méthode, et l'un des principaux était la difficulté de l'appliquer à tous les individus. On ne pouvait mettre en œuvre ce procédé que chez des sujets doués d'une prédisposition naturelle particulière ou soumis à un entraînement suffisant. Pour élargir le cercle des individus capables de bénéficier de l'hypnotisme, il fallait faire apparaître, chez les sujets en apparence réfractaires, certaines aptitudes hypnotiques qu'ils possèdent plus ou moins à l'état latent.

C'est ce problème que M. Luys a résolu par sa découverte du pouvoir des miroirs rotatifs qui produisent très facilement le sommeil hypnotique en agissant tout a la fois par leur éclat des plus brillants et par leur mouvement régulier et continu.

Les avantages de ce procédé sont bien évidents. Supprimant toute intervention de la part de l'opérateur, il écarte les appréhensions qui existaient encore dans le public à ce sujet. Le malade est soumis à l'influence de l'appareil mécanique, comme il serait soumis à l'action d'un appareil électrique. L'un n'est pas plus effrayant que l'autre, et le malade n'a aucuue raison pour refuser d'accepter le premier quand il accepte le second.

Chez les sujets indociles, chez lesquels il est difficile de fixer l'attention et de soutenir la bonne volonté, ce procédé évite à l'opérateur une perte de temps considérable. Il est à la fois plus actif et plus sensible et H révèle les facultés hypnotiques latentes chez les sujets difficilement hypnotisables.

Enfin chez les aliénés c'est certainement le procédé qui réussit le mieux, et c'est souvent le seul qu'il soit possible d'employer.

A cause de toutes ces considérations, nous trouvons que l'emploi des miroirs rotatifs pour provoquer l'hypnotisme thérapeutique, est un progrès d'un grand intérêt pratique et présente une supériorité incontestable sur tous les autres procédés. Les quelques observations que nous allons donner à l'appui de celte opinion montreront de plus les résultats remarquables auxquels on peut arriver dans les cas les plus variés.

Est-ce à dire pour cela qu'il faudra employer exclusivement les miroirs chaque fois que l'on aura à provoquer l'hypnotisme ? Évidemment non; c'est surtout dans les premières séances et pour obtenir un certain entraîne ment, que leur emploi est avantageux. Dans la suite du traitement, il sera quelquefois plus commode d'employer un aulre mode d'hypnotisation. Enfin l'emploi exclusif des miroirs se trouve indiqué chez certains sujets et dans certains cas que l'habitude et l'expérience permettent de discerner.

Observation i. — Tremblement hystérique simulant la paralysie agitante, datant de vingt et un ans, guéri en six jours par te traitement hypnotique, au moyen des miroirs rotatifs.

Pierre V..., âgé de cinquante-sept ans, entré à l'hôpital de la Charité de Lille le 4 Juin 1891, pour un tremblement des membres du eôté droit.

Rien à relever dans les antécédents héréditaires ou personnels du malade jusqu'en 1870.

A celte époque, pendant la guerre, à la suite d'un combat dans lequel il fut fait prisonnier, il éprouva une violente émotion. Quinze jours après, il com-mença à trembler do bras droit. Le tremblement, d'abord léger, s'accentue peu à peu. Bientôt le membre inférieur doit participer à ce tremblement qui s'éten-dait à tout le côté correspondant.

Actuellement le malade se plaint de céphalies violentes. Toute la région du sommet de la tête est douloureux, sans qu'il existe de point où la douleur soit plus aiguë.

Pas d'hyperesthésie épineuse.

Le réflexe pharingien est conservé; le réflexe cornéen parait un peu diminué. Le champ visuel est légèrement rétréci. Au point de vue de la sensibilité, on trouve des plaques d anesthésie sur le membre supérieur droit, au milieu de l'avant-bras et à la face antérieure du bras; une autre a la partie droite du front.

Sur le reste du corps, la sensibilité est normale.

Le bras droit est agite de tremblements marqués, presque rythmés, qui persistent à l'état de repos et qui s'accentuent quand le malade veut faire un mouvement.

La main gauche tremble aussi un peu, d'un mouvement qui augmente aussi dans les gestes voulu*.

La direction générale d'un mouvement commandé est bien conservée, mais le malade n'arrive au but qu'après un certain nombre d'oscillations qui grandissent peu à peu. à mesure que la main approche du bot.

Les oscillations persistent au repos.

Le 22 juin, le malade est placé devant le miroir rotatif et on le laisse un certain temps sans lui faire aucune suggestion.

Il est dans un éai de fascination, les yeux ouverts, fixes, dirigés sur les surfaces rayonnantes.

On lui fait la suggestion verbale de dormir. Ses yeux se ferment aussitôt et il se trouve dans un étal qui comme à la phase somnambulique du sommeil hypnotique.

On lui fait à plusieurs reprises la suggestion de ne plus trembler, de te trouver bien et de n'éprouver aucune fatigue au réveil. Au bout de dix minutes, on l'éveille par suggestion verbale.

A l'étal de repos, set membres ne tremblent plus du tout. Un léger tremblement existe encore dans les mouvements voulus, mais il n'est pas comparable a celui qui existait autrefois. On lui présente un doigt qu'il arrive à saisir d'une main comme de l'autre, sans hésitation et presque tans trembler. Pour sortir de la salle, il saisit le bouton de la porte avec une précision qui est remarquée par toutes les personnes présentes.

Le lendemain, on l'endort de la même façon et on lui suggère do ne plus trembler du tout.

A partir de ce moment, sa guérison est complète. 11 boit facilement d'une seule main, alors qu'il y a deux jours, il était obligé d'employer toutes sortes de moyens pour faire parvenir a sa bouche un verre à demi-plein.

De ce même jour, il mange comme tout le monde son potage, qu'il lui était impossible autrefois de prendre à la cuillère.

Les jours suivants, ou renouvelle l'hypnotisation pour confirmer la guérison, et, après un certain temps d'observation, il sort de l'hôpital no regrettant qu'une chose, c'est d'avoir souffert pendant vingt ans d'une infirmité qui pouvait être guérie en trois jours.

Observation ii. — Hyperesthesie de tout le côté gauche, datant de six mois; névralgie du côté gauche de ta tête et surdité datant de douze ans. Guérison par remploi du miroir rotatif et de la suggestion.

La femme M.., âgée de soixante-trois ans, entre à l'hôpital le 14 mai 1891, pour des douleurs dans tout le côté gauche du corps et dans la téte.

Les douleurs de tète et la surdité se sont développées en même temps et ont toujours persisté.

Pendant que l'on prend l'observation détaillée de la malade, on remarque, pendant l'examen de la poitrine, que tout le côté gauche est excessivement douloureux. L'hyperesthésie existe pour tout le côté gauche du corps, au point que la moindre pression, le moindre contact du bout du doigt sur le bras gauche ou tout autre point de ce côté, lui fait faire un mouvement involontaire et presque pousser un crî.

Les douleurs névralgiques qui siègent à la téte sont beaucoup plus prononcées à gauche, mais existent aussi à droite.

La montre n'est pas entendue, même à une distance de quelques centimètres de l'oreille gauche.

Le réflexe cornéen et le réflexe pharyngien sont presque nuls.

Le 25 juin, celle malade est endormie par le miroir rotatif.

Pendant le sommeil hypnotique, la suggestion de no plus avoir de sensibilité exagérée du eôté gauche lui est faite à trois ou quatre reprises. Pour mieux marquer la suggestion, il lui est prescrit de sentir un peu moins du côté gauche que du côté droit.

Au bout de cinq minutes, on l'éveille par suggestion verbale et aussitôt, afin d'éprouver, avant qu'elle ait pu s'en rendre compte, l'effet de la suggestion, on la saisit vigoureusement par le bras gauche. Elle ne témoigne aucune douleur. On s'assure alors du degré de sensibilité en touchant plus ou moins fort différents points du côté gauche, en la pinçant et en la piquant. Elle n'accuse aucune sensibilité exagérée et l'on peut constater par comparaison que le bras droit en maintenant plus sensible que le bras gauche, comme il lui a été suggéré.

Le lendemain, après avoir constaté que la sensibilité est restée normale du côté gauche, on l'endort de nouveau. On lui suggère alors de conserver une sensibilité normale du côté gauche, de ne plus souffrir de névralgies du côte gauche de la tête, enfin d'entendre de l'oreille gauche.

A son réveil, elle déclare ne plus avoir de douleurs de tête. On lui fait alors boucher l'oreille droite avec la main et l'on constate qu'elle entend la voix basse à quatre mètres. La montre est entendue à un mètre.

On hypnotise encore la malade les deux jours suivants, pour confirmer sa gué-rison. Elle est ensuite maintenue à l'hôpital un certain temps, sans aucun traitement et sort quand on a pu constater que sa guérison est définitive.

Observation iii. — Paraplégie hystérique guérie en une seule séance de sommeil provoqué au moyen du miroir rotatif.

La femme F..., âgée de vingt-quatre ans, entre à l'hôpital pour des douleurs des membres inférieurs, accompagnées de paralysie des jambes qui l'empêchent absolument de marcher et de se tenir debout.

On trouve chez elle une hérédité nerveuse bien accusée et des stigmates hystériques.

La paralysie, qui est surronue a la suite de troubles gastriques (une simple indigestion), date de quatre jours quand on l'apporte à l'hôpital.

La malade, endormie au moyen du miroir rotatif, tombe rapidement en état de grand hypnotisme.

Pendant le sommeil, on lui fait plusieurs fois la suggestion de ne plus souffrir des jambes et de marcher sans difficulté. Apres cinq minutes de sommeil, on l'éveille, et, sur l'invitation qui lui est faite, elle se lève très facilement, affirme qu'elle ne souffre plus et regagne seule son lit, d'un pas ferme, au grand éion-nement de ceux qui l'ont vue passer tant à l'heure, soutenue avec peine par plusieurs personnes.

Dans la journée, elle mirch; facilement et sans douleur, descend au jardin et se promène.

On l'endort de nouveau par le même procédé pendant quelques jours, pour bien continuer sa guérison, qui ne s'est, du reste. Jamais démentie.

Cette malade a été revue plusieurs mois après sa sortie de l'hôpital; sa guérison s'est maintenue compléte et est définitive.

Observation IV. — Hysterie, névralgie sciatique et parésie du membre inférieur droit. Guérison par l'emploi du miroir hypnotique.

On ne relève pas, chez la malade qui fait le sujet de cette obserration, d'antécédents héréditaires à noter, mais on constate chez elle des stigmates hystériques.

Elle présente de la parésie de la jambe droite, accompagnée de névralgie le long des sciatiques.

Cette malade fut soumise au traitement hypnotique au moyen du miroir rotatit. Dès la première séance, les douleurs disparurent cl, après quelques Jours, pendant lesquels elle était soumise, tous les matins, à une hypnolisation méthodique, elle put marcher facilement.

Un matin, comme elle s'érait plaint de la faiblesse do sa vue, qui ne lui permettait pas de distinguer les grosses lettres à une faible distance, la suggestion lui fut faite immédiatement de voir de loin et de pouvoir lire le» lettres les plus unes.

Cette suggestion fut renouvelée le lendemain, et depuis sa vue fut suffisante pour lui permettre de lire et de travailler.

Observation v. — Hémichorée hystérique.

La femme C... âgée de quarante-six ans, entre à l'hôpital pour de la difficulté de la marche, due à des mouvements involontaires et Incoordonnés du membre inférieur gauche.

Elle présente des signes d'alcoolisme et quelques stigmates hystériques.

Ses mouvements chorélques ont débuté il y a un mois et, à celle époque, ils s'étendaient a tout le côté gauche.

Elle entre une première fois à l'hôpital à cette époque, et les mouvements involontaires disparurent presque complètement du membre supérieur.

Actuellement on constate que le membre intérieur gauche ?? agité de mouvements incoordonnés et presque continus. Ces mouvements augmentent des qu'on approche de la malade ou des qu'elle est émotionnée. Le membre supérieur est encore le siège de quelques petits mouvements, particulièrement ???» l'épaule.

Cette malade est soumise an traitement hypnotique au moyen du miroir rotatif. Elle ne dépasse pas !a période du petit hypnotisme; cependant, dès la première séance, les mouvements du membre inférieur gauche deviennent beaucoup moins réquents et moins violents. Elle peut déjà, à ta suite de celle séance, se lever

sans aide et retourner seule à son lit. Quoique la. Jambe ait encore des mouvements involontaires, elle est devenue plus ferme et la marche est possible.

Les jours suivants, soumise au même traitement, l'amélioration s'accentue de plus en plus et, au bout de huit jours, on put considérer la guérison comme définitive.

Observation VI. — Hystérie, alcoolisme, aliénation mentale. Amélioration par l'emploi de l'hypnotisme au moyen du miroir rotatif.

Cette observation a trait à une femme D..., âgée de vingt-neuf ans, mariée depuis cinq ans, n'avant jamais eu d'enfants.

Plusieurs cas d'aliénation mentale sont relevés dans sa famille.

Plusieurs crises de grande hystérie que nous avons pu observer chez elle nous dispensent d'insister sur les troubles de la sensibilité qui existent aussi.

De son propre aveu, confirmé par les personnes qui l'entourent, elle a un penchant irrésistible pour les boissons alcooliques.

A l'époque où nous entreprenons de la traiter par l'hypnotisme, elle est aliénée persécutrice, et voici le résumé des particularités intéressantes qui signalèrent son traitement.

Des in'omnies rebelles, dont elle se plaignait beaucoup, furent combattues avec succès en lui suggérant de s'endormir à heure fixe et de dormir un nombre d'heures déterminé.

Ses parents prenaient certaines précautions pour ne pas laisser à sa discrétion les boissons alcooliques, mais malgré tout elle arrivait à s'en procurer. Pendant le sommeil hypnotique, nous lui faisons la suggestion de ne boire que de l'eau, et, à partir le ce moment, on peut laisser à sa portée les liquides qui lui étaient défendus.

Plus tard, elle était en proie à des hallucinations terrifiantes, dans lesquelles elle voyait des monstres ou des animaux. Il fut encore facile, par la suggestion, de faire disparaître pendant un certain temps ce symptôme.

Enfin, cette malade nous permit de démontrer combien il est facile d'éviter le prétendu danger que ferait courir aux malades l'entraînement hypnotique en les exposant à s'hypnotiser seuls devant un objet brillant, ou à être hypnotisés par une personne quelconque.

En effet, suivant la règle dont on ne jamais te départir dans ces cas, il avait été suggéré à plusieurs reprises à celte malade qu'aucune autre personne ne pourrait l'endormir.

Plusieurs mois après, se trouvant au dehors, elle fut mise entre les mains d'un autre médecin aliéniste, qui songea aussi à combattre ses insomnies par l'hypnotisme; mais il fut obligé d'y renoncer, après un grand nombre de tentatives variées pour l'endormir. Ce fait nous fut raconté plus tard par la malade qui, oubliant à l'état de veille les suggestions qui lui avaient été faites, ignorait pourquoi on n'avait pu l'endormir. L'exactitude de ce fait nous fut confirmée par d'autres personnes.

Inutile d'ajouter que depuis, nous l'avons hypnotisée aussi facilement qu'autrefois, constatant ainsi que la suggestion était la seule cause qui l'avait empêchée d'être endormie par une autre personne.

Observation VII. — Surdi-mutité hystérique avec paraplégie. Guérison par les miroirs rotatifs.

Le malade est un homme de quarante ans, qui entre à l'hôpital atteint de surdité et de mutisme absolus, avec paraplégie. Son père est mort de tuberculose pulmonaire ; il était, dit-il, très nerveux. Sa mère, qui vit encore, serait également nerveuse, mais tans qu'il puisse dire si elle a jamais eu de crises.

Il a un frère et une sœur très irritables. très Impressionnables ; ils pleurent facilement, mais n'ont pas de crises. Dans les antécédents morbides du malade, on ne relève qu'une pleurésie.

Il a eu. dît-il, beaucoup de chagrins, a ressenti une profonde douleur de la perte d'une personne qu'il aimait.

Il est marié et a quatre enfanta; il est sans cesse inquiet, se tourmentant beaucoup sur le sort de sa famille. Dans ces moments d'inquiétude, il ressent une profonde constriction à la gorge, au creux de l'estomac; il sent, dit-il, son coeur se glacer.

Il y a huit ans, à la suite d'une vive douleur morale, il eut pour la première fois une grande crise; il ressentit une violente céphalalgie, occupant le front et l'occiput Ces céphalalgies reviennent encore aujourd'hui par intermittences. Il éprouvait en même temps des douleurs tris vives à l'épigastre; une sensation de boule remontant jusqu'au pharynx et sensation de froid dans la région précordiale. 11 tomba lourdement à terre; il resta sans connaissance, entendant, dit-il, des bourdonnements, mais ne percevant pas ce qu'on dirait autour de lui.

Cet crises se répétèrent quatre ou cinq fois par au, pendant deux ou trois ans, présentant à peu près les mêmes symptômes. Il ne les prévoyait pat. Puis, tout se calma peu à peu; les crises ne se reproduisirent plus, mais le malade resta fort irritable, se fâchant malgré lui à la moindre occa* ion, riant et pleurant pour un motif futile.

Le 21 avril, il eut une discussion au sujet de sa paie: se croyant fruste dans ses droits et songeant à sa femme et à tes enfants, il entra dans une violente colère et l'intention lui vint un moment de s'armer pour se venger de celui qu'il croyait l'avoir frustré (pensée dont il rougit aujourd'hui). Il rentre chez lui en proie à de violentes douleurs dans la tête et l'épigastre, percevant toujours vers la région précordiale la même sensation de froid sur laquelle il insiste.

Toute la journée suivante, qui ett un dimanche, il reste sombre, ne Toulant voir personne; il a des frissons, Il tremble, 1! lui semble qu'il va devenir fou; ikl refuse toute nourriture.

Le lundi matin, U retourne travailler, mais il se tant tout drôle. A neuf heures, il abandonne son travail, poursuivi par son idée de persécution; il t'imagine qu'on veut faire mourir sa famille de faim. Arrivé chez lui, il se couche; il se sent prit de si violentes douleurs dans tout le côté gauche qu'il lait chercher un médecin, qui ordonne un vésicatoire. Le vésicatoire posé, le malade se lève, mais il tombe lourdement à terre, comme une masse. Cela se passait vers onze heure*. Il reste ainsi absolument étranger à tout ce qui se fait autour de lui jusqu'à une heure ci demio. Quand il revient à lui, il est fourd-muei.

C'est alors qu'on l'apporte à l'hôpital ; il est encore au moins une heure et demie, l'oeil hagard, essayant d'articuler des mots qu'il ne peut prononcer.

Le soir, la température s'élève à 39°. Le lendemain matin, la température est tombée à la normale- C'est alors qu'on peut l'examiner.

L'intelligence est intacte. Il répond très bien par écrit; on répète à dessein les mêmes questions sous plusieurs formes; il ne se contredit pas. La mémoire a conservé son intégrité.

Organes des sens. — Le goût et l'odorat sont intact*. La vue n'est pas troublée ; le champ visuel n'est pas rétréci ; il diadngue les couleurs.

L'ouïe et la parole sont complètement abolies On remarque que l'oreille externe est absolument insensible au chatouillement; on peut Introduire impunément un morceau de papier Jusqu'au tympan.

Le malade ne perçoit aucun son, quelle que toit l'intensité du bruit qu'on produit à ton oreille. Si l'on place une montre entre set dents, si on l'applique sur son front, il n'en perçoit pat le bruit, li n'a pas de cécité verbale, car il répond tres bien par écrit, et comprend même â peu prêt, au mouvement des lèvres, un de tes voulut de lit. Il faut remarquer cependant que lorsqu'il a écrit pendant

quinze à vingt minutes, il n'a pas ce qu'on pourrait proprement appeler de l'agrapbie, mais plutôt de l'amnésie. Il cherche, on le voit à set gestes, la Un d'un mot et, ne pouvant le trouver. il continue sa phrase.

Mobilité et sensibilité. — Il n'y a pas d'atrophie musculaire. La force dynamo-métrique est conservée normale. Les membres supérieurs sont intacts, mais il n'en est pas de même des membres inférieurs. Il existe une véritable paraplégie qui est caractérisée par la perte des synergies musculaires qui assurent l'équilibre de la marche. C'est surtout quand il faut marcher que l'impotence se manifeste: les Jambes fléchissent et sont prises de tremblement.

Le réflexe corneen est diminué.

Le réflexe pharyngien est aboli.

Le réflexe rotulien est aboli.

On trouve une zone assez étendue d'anesthésie cutanée sur le devant de la poitrine et un pou à droite, tandis que sous le sein gauche, on trouve une zone qui paraît hyperesthésiée. Je dis qui parait, car c'est le siège d'un véticatoire récent, et on ne peut actuellement se rendre compte de ce qu'était la sensibilité normale sur ce point

A la face antérieure do la cuisse droite, une plaque d'anesthésie de forme triangulaire, en avant du grand trochanter. Sur le même membre, uno autre plaque d'anesthésie en forme de triangle, dont le sommet serait à la rotule et la base au milieu do la cuisse. Un peu au dessus, une zone plus petite où la sensibilité est simplement retardée.

Une grande plaque d'enetthésie occupe presque toute la face antérieure de la cuisse gauche. Au niveau du genou gauche, une plaque allongée d'hypèresthésie. La sensibilité à la température est aussi profondément altérée. Nous n'entrerons pas dans plus de détails, l'observation complète devant faire l'objet d'un travail spécial

II s'agissait de soumettre ce malade au traitement hypnotique et à la suggestion. L'on voit de suite qu'il s'élevait la. une grande difficulté. Comment entrer en communication pendant le sommeil hypnotique arec un sujet absolument sourd, même aux bruits les plus éclatants.

Il s'agissait d'abord de trouver un moyen de Ini intimer l'ordre d'entendre pour produire en lui une auto-suggestion qui, aussitôt commencée, serait facilement développée. A l'état de veille, nous communiquions avec ce malade par récriture, mais je ne voulais pas employer ce moyen pour la suggestion pour plusieurs raisons :

Si la suggestion par le geste impératif peut être aussi rapide, aussi profonde, aussi efficace que la suggestion par la parole, il n'en est pas de même de la suggestion par la parole écrite. En effet, l'écriture ne peut évoquer directement une idée dans le cerveau; elle évoque seulement l'image d'un mot, que lui-même représente l'idée que l'on veut communiquer. Il s'ensuit un retard dans la trans-mission de la pensée, qui affaiblit nécessairement beaucoup l'effet de la suggestion et là où il faut un ordre rapide et un effet subît.

Un autre inconvénient a employer la suggestion par la vue, dans notre cas particulier, était que la salle où je devais endormir le malade étant très éclairée, je me trouvais ci posé, en lui ouvrant les yeux, à le faire passer en état de catalepsie, étal dans lequel la suggestion eût été impossible.

Enfin, je voulais me mettre dans les conditions où je me serais trouvé si le malade n'avait sa ni lire ni écrire. Je me décidai à employer le sens du toucher pour développer en lui une auto-suggestion capable de le taire entendre.

Le malade fut donc placé devant le miroir rotatif et, sans lui expliquer en aucune façon ce qu'on attendait de lui, je loi fis seulement signe de regarder. Au bout de dix minutes, il était évident que le malade commençait à s'hypnotiser : la poitrine était soutevée de temps eu temps par une Inspiration profonde, les yeux étaient fixes, le» paupières battant par moment.

Je lui fermai Ici yeux avec les doigts, et aussitôt une inspiration plus profonde m'avertit qu'il était bien plongé dans le sommeil hypnotique.

Je me plaçai bien en face du malade et, brusquement, j'appliquai un doigt sur le conduit auditif externe de chaque côté, de façon à le fermer complètement. Je restai ainsi quelques secondes, afin de laisser cheminer dans son cerveau une auto-suggestion encore vague, relative au sens de l'ouïe ; puis, subitement, écartant les mains, je lui criai en même temps : « Entendez ». La mémo manœuvre fut répétée trois fois, et après la troisième fois, le malade fit signe avec la main qu'il commençait à entendre de l'oreille droite. Dès lors, le succès était certain et Je pus développer la suggestion et lui ordonner d'entendre, et d'entendre très bien comme par le passé. J'appris alors qu'il avait écrit que, depuis longtemps, il entendait beaucoup moins bien de l'oreille gauche que de la droite.

Quand je fus assuré par ses gestes qu'il m'entendait parfaitement, je m'occupai de la parole et commençai à lui suggérer qu'il pouvait parler.

Je lui fis d'abord répondre : Oui, a certaines questions, en l'obligeant â répéter ce mot après moi. Je voulus ensuite lui faire prononcer son nom et celui de la rue qu'il habitait, mais je m'aperçus que la même difficulté se renouvelait à chaque syllabe nouvelle qu'il fallait lui faire prononcer. Il semblait qu'il eût à la fois oublié la notion des différents sons, et perdu la faculté de les produire. Je pris donc le moyen suivant pour rappeler rapidement à sa mémoire toutes les combinaisons possibles de sons et lui faire faire en même temps une sorte de gymnastique de la parole :

Je le forçai à répéter après moi toute la série de chiffres depuis 1 Jusqu'à 30; puis toutes les lettres de l'alphabet. Au fur et à mesure que j'avançais dans cet exercice, je voyais la parole devenir plus facile; et aussitôt cette série terminée, je fus certain qu'il pourrait parler facilement. Je lui fis quelques questions banales auxquelles il répondit correctement, puis, je lui suggérai qu'il continuerait à entendre et à pouvoir parler après son réveil et Je l'éveillai par suggestion verbale. Toute cette séance, depuis le moment où il avait été plongé dans le sommeil hypnotique, n'avait pas duré plus de quinze minutes.

Je constatai qu'il entendait parfaitement le bruit de la montre placée entre les dents et sur le front, et qu'il entendait la voix basse à cinq mètres de distance. Je ne m'occupai pas ce jour-là de la plaraplégie et Qs reconduire le malade à son lit par les hommes qui l'avaient amené.

Le lendemain, le malade fut de nouveau hypnotisé et, par la simple injonction verbale, on lui suggéra qu'il pourrait marcher. En effet, dès son réveil, il put se lever et retourner seul dans la salle ; dans la journée, il put se promener, n'ayant conservé qu'un peu do douleur et d'engourdissement dans le pied gauche.

Ces deux symptômes disparurent complètement à la troisième hypnotisation, et depuis lors, le malade marche et se promène comme tous les autres.

Il faut remarquer que, depuis la première séance d'hypnotisation, il n'avait plus été question de l'ouïe et de la parole dans les suggestions. La surdi-mutité avait été guérie radicalement en une seule séance.

Cette observation est intéressante, parce que, si les cas de mutisme hys-térique sont assez fréquents, nous ne connaissons guère d'observations dans lesquelles il ail été, comme dans ces cas, accompagné de surdité.

De plus, au point de vue de la mise en œuvre de la suggestion, cette surdité absolue apportait des difficultés intéressantes à vaincre; car, si l'on avait la certitude de guérir ce malade par la suggestion, il fallait trouver le moyen de la faire parvenir à ses centres cérébraux, rendus presque inaccessibles par la suppression du sens de l'ouïe.

Ces observations, qui portent sur des sujets assez variés, montrent une fois de plus tous les services que l'on peut attendre de la médication hypnotique dans la thérapeutique des affections nerveuses.

Cette médication, non seulement est efficace, mais de plus, appliquée judicieusement, en suivant les règles et les indications que nous connaissons bien maintenant, elle ne peut pas être nuisible. Elle a, du reste, déjà reçu la sanction du temps, et nous-mêmes qui l'appliquons depuis plusieurs années, nous n'en avons jamais observé le moindre effet fâcheux.

Il y a donc grande utilité à généraliser cette méthode et a la rendre applicable au plus grand nombre possible de sujets ; c'est ce à quoi nous arrivons par l'emploi des miroirs rotatifs.

Dans la plupart des cas, c'est la suggestion qui a été l'agent direct de la guérison; mais il est encore d'autres cas, dit M, Luys, qui pourront bénéficier du sommeil hypnotique, en dehors de toute suggestion. Ainsi, dans certaines périodes de l'aliénation mentale, où l'on ne peut rien tenter pour rétablir l'équilibre des fonctions cérébrales, on pourra encore obtenir des moments de détentes et de calme à l'aide de l'hypnotisation, et, dans ces cas particuliers, ce n'est, le plus souvent, qu'à l'aide des miroirs rotatifs que l'on pourra y arriver.

Dans certaines formes de paralysie générale, on peut espérer, d'après les observations de M. Luys, que l'on pourra en partie réparer les forces motrices et rendre aux malades une certaine dose d'énergie physique et mentale, par le calme et le repos que leur procurera le sommeil artificiel.

Quelquefois, comme dans la plupart des cas de pathologie mentale, on devra se borner à faire disparaître certains symptômes, comme les hallucinations, les idées de persécution, l'insomnie, etc.... Mais ces résultats ont déjà, par eux-mêmes, une importance suffisante, et de plus, permettent d'espérer que l'on pourra en obtenir de plus durables.

C'est principalement dans les névroses, et surtout dans les manifestations si variées de l'hystérie et dans tous les étals qui sont sous sa dépendance, que cette méthode doit triompher. Dans ce? cas, elle se place désormais hors de pair, au-dessus de toutes les autres médications, par son innocuité absolue, le peu de peine et de désagrément qu'elle occasionne pour les malades, et enfin la certitude avec laquelle elle soulage ou guérit.

Importance de la psychothérapie,

Par M. le Dr BOURDON, de Méru (Oise).

S'il est vrai qu'on ne doit pas faire consister la médecine tout entière dans la suggestion, qu'on ne doit pas faire de celle-ci une nouvelle panacée universelle, il faut bien dire cependant que sa valeur est grande, que la psychothérapie a une valeur considérable.

Tout en nous rendant au vœu légitime de MM. Pitres et Ladame, qui

veulent que « nous testions médecins, sans devenir hypnotiseurs », nous devons cependant rendre à la vérité le culte qui lui est dû, et nous estimons qu'on ne saurait trop accumuler, surtout quand ils sont remarquables, les faits de guérison par la thérapeutique suggestive qui, quand elle peut être appliquée et surtout bien maniée, peut rendre tant de services à l'humanité souffrante.

Le fait suivant parait le montrer avec évidence :

Cas remarquable d'une hystéro-neurasthénique, d'abord traitée en vain par l'hypnotisme et finalement guérie par lui. — Dilatation énorme de Cesto-mac. — Anémie profonde. — Engorgement de l'utérus avec antéversion. — Catarrhe vésical. — Constipation invincible. — Menace de phtisie.

Mme L. L..., vingt-trois ans, tempérament lymphatico-nerveux, a été malade toute sa vie : constipation opiniâtre dès son enfance ; vomissements et migraines continuels jusqu'à l'âge de quatorze à quinze ans, où apparaît la menstruation, avec règles tous les huit ou quinze jours ; anémie, perte complète de l'appétit, selles rares (tous les huit jours). Elle était arrivée à un état de faiblesse extrême, d'impressionnabilité excessive lui causant des palpitations, des maux de tète avec fréquentes syncopes. Gastralgie intense, dyspepsie, ballonnement de l'estomac, grande oppression pendant des heures.

A dix-sept ans, « épuisée, elle fait une terrible maladie et reste quatre mois au lit, avec congestion, dit-elle, de tous les organes (poumons, tête, cœur, foie, vessie, etc.) ». état causé sans doute par les troubles gastriques retentissant par voie réflexe sur les capillaires du poumon, augmentant la tension dans l'artère pulmonaire et amenant la dilatation du cœur droit, avec toutes ses conséquences de congestion hépatique, rénale, pulmonaire, etc.

« On m'empêcha de mourir, ajoute-t-elle, mais on ne me guérit pas, et quand je pus me lever, on m'abandonna en me disant guérie. Mais l'anémie persistait, avec les battements de cœur continuels, les troubles de l'estomac, do l'intestin, et la perte de l'appétit. Je restai plus faible et plus nerveuse qu'avant la maladie, en proie à des crises effrayantes.

« Désespérée, je résolus de ne plus rien faire pour me soigner, restant ainsi jusqu'au jour où je me mariai, à vingt ans. Six semaines après, j'étais enceinte.

« Me voyant très malade, mes parents font revenir le médecin. J'avais toujours des selles aussi difficiles et aussi rares, des maux de téte aussi violents, ne pouvant rien prendre et vomissant continuellement. Je fis remarquer le gonflement de mon estomac et parlai de mes palpitations continuelles et de plus en plus fortes, mais il me fut répondu : « Quand on n'est pas capable de « faire une femme, on se met religieuse. »

« Je me révoltai alors et ne voulus plus voir de médecin, préférant mourir. Cependant, force me fut d'y avoir recours pour mon accouchement, qui fut laborieux (incision de la vulve, de l'utérus, etc.), et à la suite duquel je souffris toujours dans le venue, sans qu'on voulût jamais s'en occuper.

« J'allaitai jusqu'à sept mois et demi, ce qui roc fut nuisible. Mon enfant mourut quelque temps après ; le profond chagrin que j'en ressentis aggrava mon état. On consulta un autre médecin, qui ne fit pas plus que le premier et prétendit comme l'autre que je n'étais pas malade.

« Je restai ainsi jusqu'au jour où. complètement épuisée et très malade, je vous fis venir. Et voilà que vous me trouvez une foule de choses assez graves, et, le premier, m'apportez soulagement d'abord et guérison ensuite. Je vous dois la vie, car je sentais bien que je devais mourir, et peut-être à brève échéance. »

Je constatai en effet, chez cette malade, outre une anémie profonde, une dilatation énorme de l'estomac, descendant beaucoup plus bas que l'ombilic, avec dyspepsie opiniâtre, dilatation avec tous les caractères physiques patho-gnomoniques permanents et constatés à jeun, indiquant que ce n'est pas une simple distension, gastrectasie, non symptomatique d'ailleurs, d'un rétrécissement du pylore.

Neurasthénie complète. Hystérie (peut-être hystéro-neutasthénie trau-matique consécutive à un coup de fusil reçu à l'âge de quinze ans).

Constipation excessive, opiniâtre. Engorgement de l'utérus, antéversion, catarrhe vésical.

Il y a tous tes symptômes, tous les stigmates de la neurasthénie et de l'hystérie ; céphalée neurasthénique et tout ce qui s'y rattache, plaque frontale, casque de Charcot, vertiges, ébruissements, endolorissement du cuir chevelu, insomnie neurasthénique, cauchemars, rêves fatigants, etc.

Rachialgie, amyosthénie, engourdissement de tout le Côte gauche, troubles génitaux, répugnance marquée pour l'acte sexuel, etc.

État mental avec toutes ses bizarreries.

Tous les symptômes aussi de la neurasthénie gastrique, de la dilatation de l'estomac, troubles dyspeptiques surtout, vomissemeuls, inappétence, etc. Faiblesse permettant a peine la station debout.

Tous les symptômes secondaires aussi, dans le détail desquels je ne veux pas entrer.

Elle était en outre sujette à des bronchites faeiles et répétées ; elle avait une toux fréquente, quinteuse, avec vomissements, des râles avec craquements légers, secs, aux sommets, de la respiration rude, soufflante d'un côté, obscure de l'autre, de l'expiration prolongée, de la submatité.

Amaigrissement marqué.

Tous les chemins menant plus ou moins à Rome, celle jeune femme allait à ta phtisie par la dénutrition, par la misêre physiologique.

Le traitement ad'abord été celui de la dilatation, de la constipation de l'état de l'utérus, de la neurasthénie : cachets antiseptiques, poudres laxa-tives, etc.; toniques névrosthéniques. eupeptiques, électricité, strychnine, caféine, kola, lavage de l'estomac, ceinture hypogastrique, sangle pelvienne de Glénard.

Quelques petits résultats furent obtenus d'abord, pendant environ un mois, mais bien insuffisants.

Sous l'influence du bruit fait par ma pratique, je savais qu'on avait essayé, avec persistance et sans succès, de ta traiter par l'hypnotisme et la suggestion et que, depuis lors, elle en avait horreur. Je me serais bien gardé, par conséquent, de proposer ce moyen de traitement dont on ne voulait plus entendre parler.

Mais convaincu, d'autre part, qu'en cela comme en autre chose — plus qu'en autre chose, peut-être — tout est dans la manière de s'en servir, je ne pus m'empécher de dire à la malade et à son mari que, parce que ce moyen précieux avait été mal appliqué, sans aucun doute, ce n'était pas une raison pour le condamner sans retour et que, au cou traire, si le mieux, un mieux sérieux, se faisait trop attendre, il faudrait comprendre l'utilité de cette grando ressource, qu'il faudrait savoir y faire appel et la réclamer de moi, car je n'en parlerais plus...

Mes prévisions furent bientôt justifiées... on ne tarda pas à me demander de vouloir bien employer la suggestion hypnotique sur laquelle je comptais pour obtenir un résultat. — Celui-ci dépassa mes espérances.

Le 20 avril 1891, la première séance fut inaugurée.

La malade ne voulant pas du regard, elle fut endormie par l'application de ma main droite sur le front et assez rapidement plongée dans un sommeil somnambulique (avec insensibilité, perle de rapport avec le monde extérieur, amnésie au réveil, etc.).

Le résultat de cette première séance fui la disparition de la céphalalgie et de toutes les douleurs, rachialgiques et autres, des palpitations, des vertiges, des éblouissoments, de l'insomnie, des cauchemars et surtout de la cousti-pation; le retour de l'appétit et d'un meilleur fonctionnement de l'estomac. L'engourdissement du côté gauche avait diminué.

Les lavages de l'estomac, auxquels on avait été obligé de renoncer, se firent facilement ; désormais ta malade les fil elle-même et beaucoup mieux qu'avec mon concours, etc.

Il va sans dire que, pour assurer et compléter ces premiers résultats, il fallait continuer l'action psychothérapique aussi longtemps qu'il serait nécessaire.

Les séances furent répétées d'abord tous les jours, pendant quelques jours, puis tous les deux jours, tous les trois jours, tous les cinq, six ou huit jours; enfin à des intervalles de plus en plus éloignés, à mesure que les résultats se constataient.

Mais il était facile de voir qu'il ne fallait pas faiblir, ni se relâcher, sous peine de perdre du terrain. Il fallait montrer de l'intérêt, de la sollicitude, de la confiance dans le résultat définitif...

La tonicité de l'estomac ne tarda pas à se réveiller; insensiblement cet organe revint sur lui-même; la dilatation diminua progressivement. Au bout de deux mois environ, l'estomac était déjà beaucoup au-dessus de l'ombilic; un mois plus tard, la dilatation était devenue relativement insignifiante. Les symptômes pulmonaires, précurseurs do la phtisie, avaient disparu.

L'appétit augmente chaque jour, le fonctionnement de l'intestin est parfait depuis le début, les nuits sont excellentes. Avec la nutrition, l'équilibre se rétablit de plus en plus dans cet organisme si profondément atteint. Les forces et l'embonpoint reviennent d'une façon inespérée.

Ce n'est pas sans encombre, cependant, que ce résultat fut obtenu. Certaines hostilités venant de la famille amenèrent plus d'une fuis des crises hystériques épouvantables, après lesquelles tout était remis en question, et plus d'une fois je regrettai d'avoir assumé pareille tâche. Voulant la mener à bonne fin, je dus m'armer de courage, de patience et de persévérance...

On ne sera pas trop étonné de voir use affection comme la dilatation de l'estomac, même considérable, vaincue et quasi guérie par la suggestion, puisque, par l'intermédiaire de l'électricité nerveuse mise en jeu dans la suggestion hypnotique, qu'elle vienne par le grand sympathique, le mneu-mogastrique ou par tout autre nerf, nous pouvons agir aussi bien sur les muscles do la vie organique, quand ils ne sont pas irrémédiablement compromis, que sur ceux de la vie de relation (ainsi que je l'ai obtenu pour les muscles des parois abdominales pour l'éventration).

Mais ce qui ressort surtout de ce cas particulier, c'est qu'il ne suffit pas d'être médecin dans l'acception ordinaire du mot, c'est que, * sans devenir hypnotiseur », comme nous le disions au commencement (comme ne le veulent pas MM. Pitres et Ladame ) le médecin a le soin cependant de l'être quelque peu, s'il veut appliquer l'hypnotisme avec utilité, puisque sans cela il s'expose à des mécomptes, surtout avec les hystariques...

Noua ajouterons que le vrai médecin a besoin d'être... éclectique, de prendre son bien partout où il le trouve, d'avoir à son are toutes les cordes possibles, attendu que la vérité est éparse...

Ce cas particulier montre encore, comme l'a dit quelqu'un, que « la véritable suggestion consiste aussi et surtout à imposer sa confiance au malade. 11 doit avoir foi dans son médecin, surtout dans une affection désespérante par sa longueur et ses péripéties. Le médecin y parvient par des soins attentifs et empressés, en témoignant à son malade un intérêt qui no doit jamais faiblir: si le découragement se produit chez lui, le malade ne tardera pas à s'en apercevoir et le moral s'en ressentira d'autant. Or, il est de la plus haute importance de relever les forces morales du neurasthénique et de lui iuculquer chaque jour, pour ainsi dire, la foi absolue de sa guéri son. Les exhortations du médecin rassérènent le malade et l'aident à traverser les périodes de dépression et de tristesse ».

D'autre part, il faut éviter recueil de ceux qui, toujours optimistes, répondent invariablement que le malade n'a rien, que ses souffrances sont imaginaires, qu'il lui suffit de vouloir pour ne plus Les éprouver, etc.

C'est un système fort peu politique de contrecarrer ainsi les patients (surtout quand ce sont des hystériques) qui sont en proie souvent, sinon à des douleurs vives, du moins à des malaises très pénibles et à un abattement profond.

Il faut, en un mot, comprendre sa mission et... vouloir être utile.

ERRATA

Un certain nombre d'erreurs typographiques s'élant glissées dans les précédents numéros, nous obligent à faire les corrections suivantes :

Page 24, ligne 38. lire : Cannabine. Page 47, ligne 3, lire : partant.

— 25. — 4, - mêlée. — -17, — 41, — Nothnagel.

— 26. — I, — fantasia. — 48, — 21. — agueusie.

— 26, — 11, — idiosvncrasies. — 4», — 23, — Meynert.

— 26. — 23. — anciens. — 49, — î, — Parie.

— 26, — 24. — dualité. — 50. — 13, — Lumbroso.

— 29, — 2, — grosso. — 50, — 29, — corticales.

— 46, — 18, — rolandique (et — 51, — 28, — si.

passim). — 51, — 37, — corticales.

— 47, — 2. — ptero-temporale. — 52, — 6, — hypnotisations.

CONGRÈS INTERNATIONAL DE PSYCHOLOGIE EXPÉRIMENTALE

TENU A LONDRES DU 1er AU 4 AOUT

Le Congrès s'est réuni à l'University Collège, Gower Street, le 1er août, sous la présidence de M. le professeur Sidgwick, assisté des vice-présidents dont les noms suivent : MM. A. Bain. Baldwin, Bernheim, Ebbinghans, Ferrier, Hitzig, Liégeois, Preyer, Delbœuf, Itichet, Schæfer.

Les réunions du matin étaient consacrées à des séances générales. Dans l'après-midi les membres du Congrès étaient répartis en deux sections :

1° La section de Neurologie, avec m. James Sully comme secrétaire général;

2° La section d'Hypnotisme, avec m. F. Myers comme secrétaire général.

Nous publierons in extenso un certain nombre de mémoires lus au Congrès et nous donnerons l'analyse des autres.

L'Avenir de la psychologie,

par M. le professeur Charles Richet.

Quoiqu'il soit toujours téméraire de parler de l'avenir en fait de science, on peut essayer de voir où on va et tenter quelques pronosties.

La psychologie est un des éléments de la physiologie; c'en est la partie la plus obscure, et la première question qui se pose est de savoir te lien qui unit l'esprit et les corps. Jusqu'à présent, nous n'en savons rien. Une idée, un raisonnement, une pas-ion sont des phénomènes qui ne semblent pas pouvoir se réduire a un phénomène matériel. On est sûr cependant que ce lien existe. Sans cerveau, ou plutôt sans cellule nerveuse, il n'y a pas d'intelligence.

I. Par conséquent, le premier problème de la psychologie est la physiologie plus complète du cerveau : Rapports de l'idéation avec la circulation cérébrales arec les échanges chimiques qui se font dans les cellules nerveuses, avec les phénomènes électriques; localisations des différents phénomènes psychiques dans telle ou telle partie de l'encéphale — autrement dit en résumé physiologie do cerveau. Il faut reconnaître que, malgré tous les efforts dos contemporains, cette physiologie est encore très peu avancée, et que, si on la compare à la physiologie du cceur ou des muscles, elle est encore dans l'enfance.

II Physiologie psychologique proprement dite, c'est-à-dire étude des sensations ; Rapports de la sensation avec l'excitation périphérique; sensibilité perceptive différentielle ; seuil de l'excitation, etc. Ce sont des études difficiles.

poursuivies avec ardeur, mais qui semblent moins inabordables que la physiologie générale de la cellule nerveuse.

III. Psychologie comparée, c'est-à dire rapports de l'homme au point de vue intellectuel avec les autres êtres, psychologie de l'aliéné, du criminel. Peut-être arrivera-t-on a trouver la raison d'être de la folie et du crime, avec toutes les Importantes solutions sociales que cette connaissance comporte au point de vue de la répression, de la pénalité, de la morale, de l'éducation. Qui sait même si le développement psychique de l'homme ne pourra pas être étudié? On ne peut pas admettre que l'âme humaine soit stationnais ; elle évolue, et par conséquent est capable do se perfectionner. Il faut chercher ce perfectionnement par une sorte do sélection naturelle. Problème très difficile, pour lequel les éléments nous manquent, mais qui doit tenter tout penseur, car l'avenir de l'humanité en dépend.

IV. psychologie transe en dentale. Nous possédons de nombreuses données, souvent ou presque toujours imparfaites, qui permettent de supposer que l'intelligence humaine a des ressources extraordinaires et que des forces sont en elle qu'elle ne soupçonne même pas. Nous espérons qu'un Jour viendra où toutes ces données éparses seront utilisées. On aura la clef de cet phénomènes de clairvoyance, de transmission de pensée, de pressentiment, etc.. dont nous n'avons que des bribes. Même si l'on arrive à prouver que rien de semblable n'existe, on n'en aura pas moins rendu un grand service, et on pourra affirmer — bientôt sans doute — que la psychologie transcendentale est une réalité ou une illusion.

Ainsi, il résulte de cet exposé sommaire que c'est la psychologie qui a peut-être devant elle le plus vaste champ à parcourir. L'avenir de l'humanité dépend de ce que l'homme saura de la partie la plus noble de ton être, l'intelligence.

11 ne faut donc pas, ému par la difficulté de la tâche, se décourager; mais chacun devra persévérer dans sa voie et s'occuper, non des obstacles qui se présentent, mais du but qui est à atteindre.

Résultat d'une enquête sur les concepts,

par M. le professeur Th. Ribot.

Le but de cette enquête a été de rechercher l'état immédiat de l'esprit au moment où un concept est pensé, de déterminer si cet état diffère suivant les individus et d'essayer une classification de ces variétés.

Acet effet, j'ai interrogé plus de cent personnes de tontes conditions, de tous degrés de culture, en énonçant devant eux (sans les prévenir de mon dessein) des termes abstraits ou généraux et en notant l'état de conscience immédiat que ces termes ont évoqué.

Il résulte du total des réponses recueillies, dont le nombre dépasse neuf cents :

1° Que, chez la plupart des gens, le terme général éveille une représentation concrète, ordinairement une image visuelle, quelquefois (rarement) une image musculaire;

2° Que beaucoup voient le mot imprimé purement et simplement, sans aucune représentation concrète concomitante;

3° D'autres (peu nombreux) n'ont dans l'esprit que le mot entendu, peut-être arec des images motrices d'articulation, mais sans image concrète, sans vision du mot imprimé.

s° Les concepts les plus élevés, tels que: cause, rapport, infini, etc., ne suscitent aucune représentation, quelle qu'elle soit, chez la plupart des gens. Même ceux

qui appartiennent ta type concret pur déclarent « qu'ils n'ont rien dans l'esprit. » Il y a donc quelques concepts auxquels correspond un état inconscient.

Espérant pénétrer dans la nature de cet inconscient, le Dr Wizel a continue ses recherches sur quelques hystériques de la Salpêtrière. Il les a interrogées d'abord en état d'hypnotisme, puis en état de Teille, ce qui permet de comparer leurs réponses. A l'état de somnambulisme, elles sont plus nettes, plus abondantes, plus explicites qu'à l'état de veille.

J'ai recommercé le même interrogatoire après deux an* d'intervalle. Il a donné à peu près les mêmes résultats pour chaque individu.

L'auteur se propose d'étudier, non plus l'état momentané qui répond à la présence du concept, mal* l'état permanent, les habitudes d'esprit (et leurs variétés) qui se rencontrent chez les personnes qui vivent dans l'abitraction (mathématiciens et. métaphysiciens). Il expose sur ce sujet quelques résultats provisoires.

***

De la nature psychique de l'amaurose hystérique,

par M. le professeur Bernhem, de Nancy.

J'ai le premier démontré, en 1885. que l'amblyopie hystérique, comme l'am-blyopie suggérée, est parement psychique. Limage visuelle est perçue, mais le sujet la neutralise inconsciemment avec ton imagination. C'est une illusion négative. De même la dyschromatopsie hystérique est ainsi purement psychique ; l'œil amblyopio voit la couleur réelle, mais la pervertit avec l'imagination. J'ai démontré ce fait chez tout les hémianestbésiques hystériques que j'ai eus à traiter a l'aide du prisme et de l'appareil do Snellen. Le sujet se comporte comme on simulateur. mais ce n'est pas un simulateur, c'est un auto-sugges-tionniste.

On a voulu expliquer ces expériences par l'hypothèse que l'amblyopie et la dyschromatopsie d'un œil chez les hystériques n'exittent que dans la vision monoculaire, avec l'œil malade seul et non dans la vision binoculaire.

Par de nouvelles expériences, j'établis que lamblyopie (psychique) des hystériques existe dans la vision monoculaire. J'établis aussi que les autres troubles ou perversion de sensibilité tactile et sensorielle chez les aoasthétiques, la sur-dité, l'anosmie, l'anesthésie. sont aussi des phénomènes purement psychiques. L'oreille sourde entend, la main insensible sent, mais l'esprit du sujet fausse ou neutralise.

La lésion ou le trouble qui commande ces symptômes existe, non dans les centres sensoriels ou sensitifs qui perçoivent, mais dans les cellules psychiques qui rendent la perception consciente. Il y a dans les cellules psychiques d'an hémisphère cérébral quelque chose qui neutralise ou altère les notions de sensibilité fournies par la moitié opposée des nerfs. Il s'agit d'une maladie psychique, d'une maladie de la conscience.

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Monomanie du suicide guérie par suggestion, pendant le sommeil provoqué,

par MM. le Dr LAÉBEAULT et le professeur LAÉGEOIS, de Nancy.

La Commission dont il s'agit rentre tout à mit dans les attributions du Congrès de Psychologie experimentale. C'est une observation recueillie sur une femme atteinte de monosanie impulsive vers le suicide, depuis onze mois, et guérie par suggestion hypnotique. Son auteur, le Dr Liébeault, de Nancy, après avoir énuméré quelques formes simples et d'autres assez compliquées de désordres

intellectuelt et affectifs, disparus déjà par la méme méthode, laquelle consiste à substituer suggestivement, dans le cerveau, des idées saines à des idées fausse', pense que semblablement on peut obtenir des succès encore plus remarquables, même quand les désordres de l'esprit des sujea sont plus complexes que ceux, qu'il énumère. Que les malades en traitement dorment peu on profondément, le Dr Liébeault croit qu'en insistant pour leur faire des affirmations répétées de guérir et en multipliant les séances, on doit arriver à délivrer de leur» tendances irrésistibles ceux qui sont atteints de monomanie du suicide, si surtout, comme il l'a fait conjointement avec M. le professeur Liégeois, chez la mono-mane dont il relate l'observation, l'on entreprend leur cure dans une période de temps rapprochée de l'invasion morbide. Il ne leur a fallu, à eux deux, que cinquante-huit à cinquante-neuf séances, d'une durée d'une demi-heure à trois quarts d'heure chacune, pour que la guérison de la monomanie devint complète.

Le Dr Liébeault espère bien que ce résultat restera durable, grâce à ce qu'il renouvellera de temps en temps ses séances, pour faire disparaître définitivement chez celte malade l'habitude morbide contractée.

Étude sur quelques ??s d'amnésie antérograde dans la maladie de la désagrégation psychologique,

par M Pierre Janet.

Ordinairement, on entend par amnésie la perte d'un souvenir qui a réellement existé, que l'on possédait auparavant dans la mémoire. Ce sont là les amnésies que l'on a appelées rétroactives ou rétrogrades pour montrer qu'elles portent sur le passé, sur des souvenirs anciennement acquis. Voici quoique» années que j'observe une amnésie toute différente qui me semble beaucoup moins connue. Au lieu de perdre les souvenirs qu'ils ont acquis, les malados n'acquièrent pas de souvenirs. Ils semblent avoir perdu non pas les résultats de la mémoire, mais la faculté même de la mémoire. L? sujet sent, entend, raisonne même, mais il perd complètement tous ces phénomènes dès qu'ils sont passés et n'en retrouve plus la trace l'instant suivant. M. le professeur Charcot a désigné l'altération principale de ta mémoire sous te nom d'amnésie antérograde, amnésie qui marche on avant ; amnésie continue pendant la vie de la malade, pourrait-on dire encore.

L'observation la plus nette et la plus remarquable de cette maladie a été recueillie dans le service de M. Charcot.

?me D..., jeune femme de trente-quatre ans, d'un tempérament nerveux, mais tans maladie caractérisée, a été exposée. le 28 août 1891, à une très violente émotion. Pendant qu'elle était seule dans sa chambre, elle vit la porte s'ouvrir brusquement. Un individu qu'elle ne reconnut pas s'approcha d'elle et lui dit brusquement cette phrase : « Madame D..., préparez un lit. on va vous rapporter votre mari qui est mort ». C'était en réalité une mauvaise plaisanterie, et en voyant le désespoir de cette pauvre femme, les voisins coururent chercher le mari qui se portait fort bien, mais à la vue de son mari, l'émotion de Mme D... fut trop forte, et elle tomba dans une grande crise convulsive qui dura quarante-huit heures. Au réveil de cette crise terrible. Mme D... se trouva dans un état intellectuel fort singulier caractérisé surtout par deux sortes d'amnésies.

1° Amnésie rétrograde de tout ce qui venait de se passer et même de tous les évènements qui avaient rempli les mois précédents. Avec effort, elle parvint à se souvenir des évènements arrivés en mai et en juin, mais il lui fut impossible de dépasser dans ses souvenirs le 14 juillet. Depuis le H juillet jusqu'au 30 août 1891, l'amnésie rétrograde était complète.

2e Mme D... était absolument incapable d'acquérir aucun souvenir nouveau. Toutes les impressions glissaient sur elle sans laisser la moindre trace : un voyage qu'elle lit à Rogan, quand elle fut un peu remise de celte attaque, un accident grave qui lui arriva (elle fut mordue par un chien enragé et cautérisée sévèrement), son arrivée à Paris, son traitement à l'Institut Pasteur, son entrée à la Salpétrière, rien ne laissa en elle le moindre souvenir.

En octobre, à son arrivée, et d'ailleurs pendant tout l'hiver, elle resta dans le même état, racontait sa vie en grands détails jusqu'au 14 juillet au soir, mais n'avait plus le moindre souvenir de ce qui était arrivé depuis le 13 juillet. Elle parlait bien, raisonnait correctement, avait conservé tout ce qu'elle avait appris autrefois, mais oubliait tous les faits nouveaux après deux ou trois minutes à peine.

En étudiant cette amnésie extraordinaire, on ne tarda pas à constater que les souvenirs, qui paraissaient disparaître si vite, n'étaient pas complètement anéantis, Mme D... rêvait quelquefois tout haut et on entendit certains mots significatifs: . Oh! ce vilain chien qui m'a mordue... M. Pasteur... M. Cbarcot à la Salpélrière, etc. », paroles qui avaient évidemment rapport à ses souvenirs des événements récents. On hypnotisa ta malade et l'on vit avec étonnement que pendant le somnambulisme elle avait tres exactement le souvenir de tous les événements survenus depuis le 14 Juillet Sa mémoire minutieuse pendant le somnambulisme contrastait de la façon la plus curieuse avec l'amnésie si profonde qui existait dès le réveil.

J'ai pu montrer que même pendant la veille, au moment où la malade cherchait en vain à retrouver le moindre souvenir, on pouvait mettre en évidence une mémoire absolument complète par les actes subconscients, par le moyen de l'écriture et même de la parole automatique que je suis arrivé â provoquer. Les trois lois que j'avais étudiées à propos de l'aboutie se retrouvaient avec précision : 1° la malade ne peut avoir conscience des souvenirs nouvellement acquis ; 2° elle a la conscience de tous les souvenirs anciens; 3° mais elle conserve inconsciemment tous les souvenirs des événements nouveaux qui, en apparence, ne laissent aucune trace.

L'Empoisonneuse d'Aïn-Fezza.

par M. le professeur Liégeois, de Nancy.

Dans son mémoire, il. le professeur Liégeois tente l'application de son système à une affaire criminelle qui a eu, en 1891, un grand retentissement, à savoir : l'empoisonnement tenté par Mme Weiss sur la personne de son mari, administrateur civil à Aïn-Fezza (Algérie). Les débats ont eu lieu devant la Cour d'assise d'Oran. Mme Weiss, déclarée coupable, fut condamnée à vingt ans de travaux forcés. Rentrée à la prison, elle se suicida eu absorbant de la strychnine.

L'auteur croit trouver dans le compt erendu des audiences et les documents publiés par l'Ècho d'Oran, la preuve que l'accusée était hypnotisante au plus haut degré; qu'elle a reçu du I)r Roques, son amant, des suggestions tendant à lui faire empoisonner son mari, pour recouvrer la liberté de contracter un second mariage; que sa liberté morale en a été singulièrement diminuée, ou même abolie ; que l'expertise médico-légale faite avec peu de soin et une évidente incompétence, renferme de véritables contradictions ; que dès lors, la peine prononcée contre l'accusée a été d'une excessive sévérité.

De ce cas particulier, M. Liégeois s'efforce de tirer des conclusions sur le rôle qu'auront désormais à remplir, respectivement, la magistrature, les médecins légistes et le jury dans les affaires criminelles où pourra être reconnue et constatée l'influence des différents états hypnotiques et de la suggestion, soit dans le somnambulisme provoqué, soit même à l'état de veille.

Il a semblé à l'auteur que cette question était de nature à intéresser à la fois, chez tous les peuples civilisés, les législateurs, tes philosophes, las hommes de science et les jurisconsultes.

Dû l'appréciation du temps par les somnambules,

par M. J. Delbœuf, professeur à l'Université de liège.

Dans ce travail, il n'est pas question des suggestions dites à échéance, comme en ont fait MM. Beaunis et Liégeois, et faussement intitulées : « Suggestions à 172, à 365 jours d'intervalle a. Ces expériences, en effet, ne prouvaient qu'une chose, à savoir qu'un sujet hypnotisé était capable de réaliser un acte à une date indiquée longtemps à l'avance. La faculté que M. D... a étudiée est celle d'apprécier plus ou moins approximativement, sans l'intervention consciente du calcul ou d'un point de repire, l'écoulement du temps-

Il l'a étudiée chez les deux sujets J... et M..., deux Jeunes campagnardes robustes et faines, aujourd'hui mariées et mères de famille, bonnes somnambules, dont les noms reviennent souvent dans ses travaux sur l'hypnotisme.

Ces deux sujets sont, on peut dire, incapables de réduire exactement en heures et en minutes un nombre de minutes tel que 1.000 on même 350; à plus forte raison de calculer à quelle heure tombe par exemple la 1.050° minute après 6 h. 33 du soir.

Elles reçurent des suggestion* à accomplir après 350, 900, 1-600. 1.150, 1.300, 3.300 minutes. Ces suggestions étaient faites à n'importe quelle heure de la journée ou même de la nuit, et l'échéance arrivait souvent pendant la nuit et à plusieurs jours de distance. Sur treize épreuves, il y en a eu deux qui ont réussi complètement; la plupart des autres à peu près exactement, l'erreur allant depuis 1/10° Jusqu'à 1./37° do l'intervalle.

Deux ou trois suggestions ne se sont pas réalisées extérieurement, mais bien intentionnllement, si je puis ainsi dire, les sujets ayant eu la velléité de les accomplir sans y donner suite.

M. D... ne lire aucune autre conclusion de son travail, si ce n'est qu'il y a là un sujet d'étude à explorer.

Recherches sur la loi parallèle de Fechner,

par M. le Dr M. Mendelssohn, de Saint-Petersbourg-

D'après la loi de Fechner considérée comme simple conséquence de celle de Weber, lorsque la perceptibilité d'un sens varie également pour deux excitants, la perceptibilité de ce même sens pour leur différence relative ne varie point pour cela. — L'étude de cette loi psychologique chez l'homme sain est entachée de très grandes difficultés, vu qu'il èst bien difficile et parfois même Impossible de provoquer chez ce dernier, expérimentalement, des modifications de sensibilité des différents organes des sens. — Aussi ai-je eu recours à l'observation clinique. Dans les affections do système nerveux le processus morbide remplace très avantageusement la vivisection eu éliminant la fonction d'une partie ou de tout un organe dégénéré, et en mettant en évidence la fonction voisine. Or, en étudiant les modifications de la sensibilité sensorielle chez un grand nombre des malades atteints d anesthésie partielle ou généralisée des différents sens, j'ai pu m assurer que la loi parallèle de Fechner n'est pas applicable aux modifications pathologiques de la perceptibilité sensorielle. 11 en probable que ce* dernières obéissent à d'autres lois qu'à on rapport si simple que la loi parallèle de Fechner.

Dans une série d'expériences faites sur l'homme sain, chez lequel je provoquais artiticiellement des modifications de la sensibilité sensorielle, j'ai pu m assurer que la loi do Fechner. en ce qui concerne les différents sens, n'est guère admissible que dans des limites relativement restreintes correspondant plus ou moins aux limites dans lesquelles la validité de la loi de Weber est admise pour les mêmes sens.

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Arithmogenèse,

par M. le professeur W. Reyer.

Les idées ne peuvent naître que par les sens. Aucune idée, pas même l'idée de nombre, ne prend naissance dans le cerveau d'un enfant par pure hérédité sans impressions personnelles des sens.

Cependant l'enfant peut, comme plus d'un animal, apprécier et compter les objets sans connaissance des nombres. Il sent les nombres, à l'origine, non par le sens du toucher et de la vue, mais par l'ouïe.

La série des nombres entiers positifs n'a pas pris naissance à l'origine par l'addition de 1 à 1.

Une hypothèse de ce genre suppose déjà la connaissance d'un nombre, le nombre 2, et une méthode, celle de l'addition, et celte connaissance comme celle méthode s'acquièrent. Elles s'acquièrent normalement surtout par l'ouïe et la comparaison des tous, pour se confirmer plus tard par le loucher et la vue.

Parmi tous les intervalles de tons les consonnances qui, dans les premiers temps de l'enfance ou chez les peuples primitifs, frappent le plus par les sentiments de plaisir qu'elles provoquent, tont l'octave (1/2) et la quinte (2/3); à leur suite vient la grande tierce (4/5). La septième naturelle n'est pas aussi primitive, puisqu'elle s'intercale entre la quinte et l'octave (3/2 + 4/2) 2 = 7/4. Tous les autres intervalles de sons sont directement dérivés de ceux que nous venons de nommer. La grande tierce elle-même n'est pas aussi primitive que la quinte, puisqu'elle se place entre celle-ci et la prime (1/1 : 2/2 + 3/2) /2 = 5/4. La prime ne désigne que la répétition d'un seul et même ton sans modification de hauteur, par conséquent le 1. l.a comparaison de deux impressions des sens (tons), sans qu'il en résulte une différence d'intensité et de qualité, produit l'idée de zéro.

Il est donc un fait que tous les tons en usage en musique et dans le chant, dans l'ordre naturel, par exemple :

e C 1 2

ou F F

ne sont produits que par l'octave, la quinte, la grande tierce et la septième naturelle. Toutes les autres consonnances sont superflues pour développer du ton fondamental les tous supérieurs harmoniques : ils ne font que donner plus de force aux premiers. Mais ceux-ci éveillent des sentiments, des sentiments d'intervalles, des sentiments de nombre qui, par l'usage, vont toujours en s'affir-mant et se marquent avec plus de force.

Les petits nombres entiers sont donc à l'origine les noms qui désignent les sentiments d'intervalles des tons les plus satisfaisants.

Les lacunes, fort sensibles quand on suit la marche graduelle et régulière dans la série des tons que fournil la nature elle-même dans chaque son, correspondent aux nombres premiers, 11, 13, 17, 19, etc. Les nombres premiers al leurs produits sont donc des nombres complémentaires (nombres de lacunes), tandis que les autres sont des nombres d'octaves et de quintes, et s'ils sont, divisibles par 5 ou 7, il faut les appeler nombres de tierce ou de septième. Mais ces derniers

font tous partie des nombres complémentaires 6n +1, qui constituent le 1/3 de tous les nombres. Le deuxième tiers 6n + 2 est compose de nombres d'octaves purs; le troisième par moitié de nombres de quintes purs, qui sont en même temps des nombres d'octaves 6n.

Le système naturel des nombres forme, d'après cela, une spirale avec des courbes sextuples, de sorte que de 1 à X il se présente deux nombres complémentaires pour six nombres qui se suivent.

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Théorie de la vision des couleurs,

par M. le professeur H. Ebbinghaus, de Berlin.

Je crois pouvoir tirer quelque profil pour le développement de la théorie de 1 vision des couleurs d'un certain nombre de publications récentes sur les sensations produites par les couleurs (la perception des couleurs).

I. Les difficultés qu'avait déjà rencontrées la théorie Young-Helmkoltz se sont manifestement accrues par suite de l'étude approfondie des modifications que subissent les couleurs quand l'intensité objective de la lumière s'affaiblit forte-ment. Comme Héring l'a observé dernièrement et comme A. Koning l'a confirmé, le spectre, quand la lumière est très peu forte, a exactement le même aspect pour celui dont la vue est normale que pour celui qui est atteint de daltonisme total, quelle que soit l'intensité de lumière. Il forme sur toute son étendue une raie sans couleur, avec un maximum de clarté dans le voisinage de la ligne Frauen-hofer E, au lieu d'être comme d'habitude dans le voisinage de D. Ce fait oblige la théorie Helmkollz à avoir recours à des hypothèses compliquées et douteuses en soi.

II Le fait observé se dégage de la théorie Héring d'une manière si simple et si naturelle, que Héring pouvait le supposer avant sa découverte empirique. Cependant celle théorie éveille encore quelques scrupules qui sont devenus plus sensibles récemment. On n'en peut formuler qu'un en quelques mots, c'est que la définition de Héring des différents rapports d'absorption par macula lutea et la Lntille est invraisemblable pour l'existence de deux groupes différents bien caractérises de

D'autres difficultés sont moins grandes, mais on ne peut les faire disparaître que par des explications longues et démaillées.

Les deux théories en lutte ont un défaut commun, c'est qu'elles ne se rapportent aucunement aux qualités morphologiques connues de l'épithélium optique.

A mon avis, on peut faire disparaître toutes les difficultés existantes en complétant simplement la théorie de Héring et, ce qui en est la conséquence, en la modifiant. Il faut admettre que la substance bleu-jaune de Hering est identique avec le rouge rétinien. En effet, le rouge rétinien est celte substance dont la décomposition fait uaitre la sensation du jaune; celte décomposition produit immédiatement le jaune rétinien, et la décomposition du jaune rétinien permet d'obienir la sensation du bleu. Les motifs qui militent en laveur de l'admission de ce que nous avançons sont les suivantes :

1° Le cercle d'expansion du rouge rétinien est égal à celte zone de la rétine à l'intérieur de laquelle sont éprouvées exclusivement ou tout au moins d'une façon prépondéra 11 le les sensations du jaune et du bleu ;

2" Les spectres d'absorption du rouge rétinien et du jaune rétinien coïncident avec les courbes qui, chez les daltoniques, représentent l'inicnsitè avec laquelle ils ont dans le spectre la sensation du jaune et du bleu.

Les autres motifs sur lesquels s'appuie noire théorie sont que les faits connus en découlent naturellement sans les difficultés existant jusque-là. La différence des deux groupes de daltoniques, rouge et vert, reposera sur ce fait qu'il existe deux modifications du rouge rétinien, l'une plus violette et l'autre plus rouge, qui ont leur maxima d'absorption juste aux parties du spectre qui possèdent pour les dal toniques la plus grande intensité du vert.

Naturellement, il faut admettre pour les cônes de la rétine où l'on ne trouve pas de rouge, une deuxième substance qui permet de voir le rouge et le vert; la teinte de cette substance doit être verte à l'état isolé; mais il est facile de comprendre qu'on ne peut la voir en mélange ?v?? le rouge de la rétine. Sa couleur en mélange est un gris un peu teinté, mais ce gris ne peut être vu sans difficulté en une couche d'une ténuité microscopique.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Les Fêtes du Congrès de psychologie expérimentale.

L'accueil fait aux membres du Congrès de psychologie par les membres du Comité de réception a dépassé en courtoisie et en splendeur tout ce qu'on peut imaginer. Un grand nombre de soirées particulières (at home) ont été offertes. Parmi les plus brillantes réceptions, nous devons citer celles de M. le professeur Horsley, de M. le professeur F. Myers et de l'explorateur Stanley, de H. Fowler, la garden-party de M. le Dr Woller. Mme Horsley, Myers, Stanley, Fowler et Waller ont fait les honneurs de leurs salons avec une amabilité et une grâce dont tous les membres du Congres garderont le souvenir.

En outre, de nombreux banquets ont été offerts aux membres étrangers. Nous devons une mention particulière aux banquets offerts dans son hôtel par M. le professeur Ferrier, et à ceux qu'ont donnés M. le Dr Myers et M. Waller Leaf, au Savill-Club. Dans toutes ces réunions, où la cordialité la plus exquise n'a cessé de régner, des toasts, formulés dans toutes les langues, ont exprimé à nos hôtes anglais les sentiments que nous inspiraient leur généreuse hospitalité.

Nous manquerions à un devoir si nous ne remercions pas notre distingué confrère, le Dr Lloyd Tuckcy, qui a servi de lten eutre tous les membres du Congrès qui s'intéressent aux questions d'hypnotisme.

Une visite au National Hospital de Londres.

Pendant lo Congrès de psychologie expérimentale, M. le professeur Ferrier avait invité un certain nombre de membres du Congrès à visiter l'hôpital consacré aux maladies du système nerveux, qu'il dirige avec tant d'activité. Plusieurs de nos confrères se sont livré*, sur l'invitation de M. le professeur Ferrier, à des applications cliniques de l'hypnotisme, en présence d'une assistance des plus distinguées, dans laquelle nous avons reconnu MM- les !>"• llake-Tuke, UoyôVTQckey, Waller, de Londres; Prayer, Sperling, de Berlin, Robinson, d'Edimbourg; Bérilloo, de Paris; Bernhetm, de Nancy; Van Eeden, d'Amsterdam.

Au cours de cette séance. M. le D' Sperling, de Berlin, a fait disparaître, chex une malade by*tériquc qu'il avait hypnotisée, une contracture hystérique dont le début remontait à un an.

La puissance du système nerveux.

M. le professeur Brown-Séquard, invité à faire une Conférence, à l'Hotel Continental, au profit des victimes de la catastrophe dont nie Maurice tient d'être la victime, avait choisi pour sujet : La puissance du système nerveux. Un grand nombre de savants et de médecins assistaient à cette Conférence. Parmi eux. nous avons remarqué : MM. les docteurs Gayon, de l'Institut; d'Arsonval, Bérillon. Dupuy, Depoux, Nattier, Tripier, Bcauregard; Mme Juglard, eie.

Dans le cours de la Conférence, M. le professeur Brown-Séquard a exposé sa théorie de l'inhibition et la dynamogénie, et démontre qu'il est impossible de porter une excitation quelconque sur une des parties du système nerveux, sur la moelle épinière en particulier, sans modifier l'état dynamique du système nerveux soit dans le sens de l'augmentation, soit dans le sens de la diminution. Le professeur a surtout appelé l'attention sur cette force nerveuse latente réparti* a un tel degré dans le corps humain qu'elle détermine souvent les effets les plus surprenants.

L'illustre physiologiste a cite, à l'appui de sa démonstration, un exemple qui remonte au temps de ses débuts dans la carrière médicale : En 1851, le quartier de Saint-Sulpice était mis en émoi par un cas pathologique extraordinaire : une femme habitant une maison près de l'église se levait en sursaut, tous les matins, au premior son des cloches voisines et. se dressant sur la pointe des pieds, se tenait pendant plusieurs heures sur le bord de son lit, dans celle atti-ludo, que l'homme le plus fort n'eùt pu garder un instant seulement. Le commissaire de police, prévenu par la rumeur publique et croyant, du reste, qu'il s'agissait d'une supercherie imaginée par la patiente pour intéresser le publie en sa faveur, commit un médecin pour l'examiner; ce médecin n'éialt autre que M. Brown-Séquard, qui, loin de partager l'avis du représentant de l'autorité, s'assura, par des épreuves décisives faites au moyen de courants électriques, que la femme en question se trouvait réellement actionnée par une force inconnue et extraordinaire. Ce fait inouï, dont il fut témoin, frappa vivement M Brown-Séquard et lui apporta la première idée des théories auxquelles il se voua dès lors sans retour.

Pendant la guerre de 1870, un cas du même genre fut observé par M. Malassez : un artilleur eut la tête emportée au moment même où il portait à ses lèvres un verre do vin : le reste du corps resta debout et rigide. La main étendue était comme figée sur place, et pas une goutte de liquide ne se répandit.

Ces exemples, qu'il a vérifiés pour son compte par de nombreuses expériences personnelles, l'ont confirmé dans sa théorie, que nos nerfs sont des réservoirs où sont accumulées des forces illimitées dont la science doit chercher à pénétrer le secret.

M. Brown-Séquard termine en critiquant la théorie actuellement admise du fonctionnement des centres moteurs et des localisations cérébrables; il n'en est pas partisan, convaincu qu'il est du tait que chaque hémisphère du cerveau s'acquitte dot mêmes fonctions et commande aux deux cotés du corps.

Une peuplade de fascinés.

Cn de nos correspondants d'Arménie, M. le Dr Vahan Artzronny, nous fait part d'un fait assez curieux qui n'a pas encore été signalé.

11 s'agit d'une peuplade dont tous les représentants sont fascinables, comme le sont les poules.

Sur le bord de l'Araxe, et dans les montagne! du gouvernement d'Erivan, habite un petit peuple nomade, connu sous le nom d'Elidi, appartenant au rite diabolique. Les Ézidi ont un cullo particulier pour les esprits déchus, car un

jour ils seront pardonnes et remonteront aux cieux pour reconquérir leur rang primitifs. Ils ne prononcent Jamais le mot « diable », qu'ils appellent Mélik-Tao us.

Mais le fait intéressant pour nous, c'est le suivant :

Si l'on trace, avec le bout de la canne, un cercle sur la terre autour d'un Ézidi, celui-ci restera enfermé dans ce cercle et n'osera jamais franchir la ligne fasci-natoire. Il se débattra comme une bète fauve dans sa cage; il y mourra de faim, mais restera quand même cloué sur place. Les Arméniens et les Mahométans s'amusent souvent à tracer ce cercle maudit autour des Exidi endormis, et d'assister à leur rage, impuissants au réveil.

Écoles primaires pour les entants arriérés.

Le Conseil d'État du canton de Bâle-Ville, se fondant sur ce que les enfants arriérés, soit au point de vue physique, soit au point de vue intellectuel, ne peuvent ordinairement, faute d'une dire.-tion particulière, faire les mêmes progrès que leurs condisciples, bien que cependant ils ne soient pas atteints d'infirmité physique ou cérébrale nécessitant leur exclusion de l'école, vient de décider la création, dans renseignement primaire, de classes spéciales dans lesquelles seront placés ces enfants, après un essai d'un ou de deux ans dans une classe ordinaire- Un ne peut qu'approuver cette disposition, mais nous regrettons d'avoir à constater que la mesure nouvelle a un caractère quelque peu coercitif, puisque l'enfant arriéré peut être exclu de l'école au cas où les parents, pour une raison qui se conçoit facilement, s'opposent à ce qu'il soit placé dans la classe spéciale correspondant à la force de l'élève.

REVUE BIBLIOGRAPHIQUE

Les altérations de la personnalité, par A. Binet, directeur adjoint du Laboratoire de Psychologie physiologique de la Sorbonne.

Sous ce titre, la Bibliothèque scientifique internationale, dirigée par M. Em. Alglave. publie un ouvrage d'un des représentants les plus distingués de la nouvelle École philosophique, ouvrage qui ne peut manquer de piquer la curiosité du public par les faits étonnants qu'il révèle et dont il donne l'explication scientifique. M. Binet montre que le fameux moi indivisible de la vieille philosophie peut se dédoubler en plusieurs personnalités coexistantes ou successives parfaitement distinctes ; en un mot. qu'un même homme peut être a la fois plusieurs personnes. Ces faits extraordinaires, constatés scientitiquement, conduisent M. Binet à expliquer d'une manière naturelle des faits réputés miracle» ou impostures, comme les phénomènes du spiritisme. (1 vol. in-S° cartonné a l'anglaise, avec figures. Librairie Felix Alcan. Prix, G fr.)

Les Bas-fonds de Constantinople (1), par M. Paul de Régla.

Ce nouveau livre, de l'auteur de la Turquie officielle et de Jésus de .Nazareth, est bien l'osuvre la plus vivante et la plus étrangement documentée qui ait été écrite sur les mœurs si ignorées des peuples divers, dont les passions grouillent dans les bas-fonds de Constantinople.

(1) Tresse et Stock, éditeurs, Paris.

Femmes turques, grecques, arméniennes et levantines prêtresses de Sapho, mangeuses et mangeurs de haschisch, chefs de voleurs et de mendiants, chiens des rues, colonies étrangères, diplomates, espions et conspirateurs s'y coudoient dan* une suite de scènes et de tableaux où. avec une verve et un esprit critique, souvent endiablé mais toujours correct, l'auteur se montre aussi bon observateur que psychologiste remarquable.

Avec M. Paul de Régla, point n'est besoin de quitter Paris pour connaître l'Orient et ses mystères les plus cachés: quelques heures, d'une lecture toujours facile et entraînante, en apprendront davantage au lecteur qu'un séjour de plusieurs mois dans la capitale ottomane.

Don hypnotisher auggestlonen och dess anvândning vid menstruations rubbningar,

af Dr Fyko Brunnberg. Upsaler, 1892.

Le Dr Bumberg, — initié a la psychothérapie suggestive par son compatriote le Dr Wetterstrand, et jouissant d'une réputation bien méritée de médecin savant et expert, — n'a pas hésité à se servir de la suggestion hypnotique dans quantité de cas appropriés à ceue thérapeutique, Rompu aux moyens classiques de guérir, il ne s'est trouvé que trop heureux de pouvoir soulager ses malades mieux et plus vile en se servant de la nouvelle méthode thérapeutique.

Dans une brochure de 30 pages, il expose les résultats brillants qu'il a obtenus par ce traitement dans une série de troubles de la menstruation. Je ne puis pas me refuser le plaisir d'analyser ce travail, assuré qu'il engagera d'autres praticiens à essayer la suggestion dans des cas analogues.

L'auteur a donné, dans un tableau que août faisons suivre [voir pages 94 et 95), un abrégé de tes observations.

Il fait précéder la partie essentielle de son travail de quelques considérations générales dont voici le résumé :

L'organe psychique exerce une influence sur le système vaso-moteur en général ; cette influence s'étend aussi tar les vaso-moteurs ovario-utérins de personnes normales non hypnotisées. On sait que les émotions et les impressions psychiques sont en état de produire des modifications très étendues et compliquées dans les fonctions de la vie animale et végétative. Les impressions psychiques ont une action prépondérante sur les fonctions des organes ovario-utérins; elles peuvent supprimer les époques et les augmenter, produire dos irrégularités dans la période ou la rendre douloureuse. Ces effets se produisent chez des personnes parfaitement normales et à l'état de veille. Seulement, pour la grande minorité des individus, notamment chez les femmes tres suggestibles. cette sug-gestibilité peut facultativement lire éveillée dans un degré plus ou moins avancé. en plongeant les personnes en sommeil hypnotique. La suggestion thérapeutique tend à rétablir l'équilibre dans les fonctions.

L'étude do l'hypnotisme rappelle au souvenir du médecin l'élément psychique dans certaines maladies, ainsi que la possibilité d'une psychothérapie, questions trop négligées depuis longtemps. On aura à faire la pan, dorénavant, de l'élément psychique dans le traitement des maladies, toit qu'on se serve de l'aide de l'hypnotisme, ou bien qu'on s'en passe.

L'auteur rappelle le grand mérite de MM- Liébeault et Bernheim.

Suivent les vingt-quatre observations que nous ne suivrons pas en détail.

Le Dr Brunnberg. se basant sur les résultats par lui obtenus. fait l'éloge de la méthode suggestive dans des cas de maladie appropriés et insiste sur les avantages récit et l'absence de tout danger pour lo malade, qu'offre la psychothérapie.

NOUVELLES

Les Pharmaciens en Belgique. — L'Académie de Médecine de Belgique à voté la résolution suivante :

• L'Académie, se plaçant aux seuls points de vue de l'exercice de l'art de guérir et des intérêts de la santé publique, estime que la limitation du nombre des pharmacies est le seul moyen de mettre un terme aux abus distants. »

Statistique universitaire. — Il y a 147 universités dans le monde entier. La plus considérable est celle de Paris, qui compte 9,215 étudiants: puis viennent celle de Vienne, avec ses 6,220 élèves; l'université de Berlin, avec La plus petite est une

succursale de l'université de Durham. dans le territoire de laquelle

compte 12 étudiants et... 5 professeurs.

Un musée de psychiatrie criminologique va être établi à l'Université de Turin, sous la direction du professeur César Lombroso. Le but est de rénnir une collection aussi propre que possible a renseigner sur les caractères de l'état mental et physiqne des aliénés et des criminels, et de fournir les matériaux nécessaires à l'étude scientifique des différents types d'aberrations mentales ou morales. Parmi les objets de la collection, on verra des crânes, des squelettes, des cerveaux de criminels, des spécimens pathologiques de corps de criminels et d'aliénés, des Instruments pour l'étude do l'aliénation et pour la craniométrie, des plans do prisons et d'asiles d'aliénés, des autographes de ces catégories, des matériaux pour la distribution géographique et pour les statistiques, du crime, etc.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Morselli Prof Enrico). — Genio e neurosi. — Le variete personali del - Genio -e la teoria exclusiva della neurosi degenerativa epiletlode. (Brochure de 30 pages, en italien. — Tipographia cooperativa, insubria, via stella. 9. Milano.)

Schrenck-Notzing Dr A. Freibern ???). — Ine suggestione. — Therapie bei

krankhaften erscheinungen des geshlechtssinnes. (Un volume in-4°, en allemand. de

312 pages. — Verlag von Ferdinand Enke. Stuttgart, 1892.) Sighele Scipio). — La faute criminelle, essai de psychologie collettive. (Un volume

in-18°de 185. pages, traduit de l'italien. par Paul Vigny. — Félix Alcan. éditeur.

108. boulevard Saint-Gerrmain. Paris, 1892.) Weill Alexandre). — L'art est une religion et l'artiste est un prêtre. (Un volume

in-18° de 100 pages. — Sanvaltre, éditeur, 72, boulevard Haussmann. Paris, 1892.)

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL

Nous invitons noe lecteurs A complèter, par leurs Indications, les lacunes et les omissions de l'Index bibliographique.

Sallé. — « Guérison rapide en trois jours d'accidents convulsifs revenant le malin et le soir, depuis une année, chez un hystérique masculin, a l'aide de miroirs rotalifs et de la suggestion ». (Annales de psychiatrie et d'hypnologie, avril 1892.

Stefanoser (Dimitri). — « Le passivisme » (Archives d'anthropologie criminelle, 15 mai 1892)

Thla (Alfredo de). — « Ipnosi et delitto. (Diritto et giurisprudenza, Naples, 1891.)

L'Administrateur-Gérant : Émile BOURIOT.

Paris. — lmprimerie brevetée MICHELS ET FILS, ??ssag? du Caire. 8 et 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

LES PRINCIPES DE LA PSYCHOTHÉRAPIE(1)

Par le Dr F. VAN BEDEN (d'Amsterdam).

Suivant l'exemple du Dr Liébeault. de Nancy, le Dr Van Rentorghem et moi nous avons appliqué la psychothérapie comme méthode spéciale de traitement à notre clinique d'Amsterdam, pendant ces cinq dernières années.

Lors du Congrès de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique de 1889, mon collègue Van Renterghem a communiqué le compte rendu des résultats obtenus par nous dans la première période, 1887-1889.

Je viens maintenant vous faire part sommairement des vues théoriques que m'ont inspirées mon expérience.

Ce sont des idées très simples que le bon sens naturel doit forcément faire éclore dans l'esprit de tout observateur sérieux. Je crois cependant ne pas faire œuvre inutile ni superflue en vous les communiquant, parce que, je ne le sais que trop bien, beaucoup de savants et de médecins n'ont pas, sur ces questions, l'opinion assurée que des recherches pratiques spéciales et longtemps continuées leur auraient données.

Nons choisîmes comme nom collectif pour indiquer ce traitement, en 1889, celui de psychothérapie, et nons nommâmes ainsi toute thérapie guérissant par l'intermédiaire des fonctions psychiques du malade. La priorité de ce nom revient à Hack Tuke.

Nous y ajoutâmes le mot « suggestive » parce que la suggestion — comprise dans te sens déterminé par Bernheim — joue dans notre thérapie le rôle principal.

Nous évitâmes avec dessein les mots « hypnotisme » ou « hypnose ». Quant à moi, je voudrais bien qu'on ne se servit jamais de ces mots quand il s'agit de psychothérapie. L'emploi déraisonnable de ces

(I) Mémoire lu au Congrès de psychologie expérimentale de Londres (1er-4 août 1892).

mots a donné naissance à des préjugés, à la confusion et aux malentendus.

Le Dr Hack Tuke, dans son Traité de l'influence de l'esprit sur le corps, a fait entrevoir la possibilité de guérir celui-ci par celui-là.

Si l'on avait accepté dans sa pureté cette idée riche et simple et si on l'eût rendue applicable dans la pratique, grâce à la doctrine de la suggestion de Bernheim, nous serions déjà beaucoup plus avancés.

Il me semble qu'alors la psychothérapie n'aurait jamais rencontré d'opposition sérieuse et qu'elle aurait été étudiée et perfectionnée sons préméditation par les médecins comme une chose naturelle et pleine de raison.

Cependant les recherches de l'hypnotisme, si intéressantes en elles-mêmes, ont séquestré l'attention des savants au détriment du développement normal de cette science.

L'hypnotisme, porté par le nom de réminent Charcot, popularisé par les exhibitions publiques, a pénétre plus tôt et plus avant dans l'esprit des savants et du public.

La psychothérapie a eu le grand tort d'être venue à sa remorque. Elle ne vint pas au monde comme une découverte nouvelle et importante de la science thérapeutique, comme l'idée pure et indépendante : le corps peut être guéri par l'esprit. Elle naquit au contraire comme une partie inhérente, une conséquence de la doctrine de l'hypnotisme. C'est bien cela surtout qui a valu à cette nouvelle branche de la thérapie d'être reçue avec tant de méfiance et d'inimitié.

Or l'hypnotisme, tel que Charcot l'introduisit dans la science, fut censé être d'une importance peu commune au point de vue psychologique et scientifique en général, mais il présentait un caractère tellement baroque, inquiétant et anormal, que les médecins — avertis qu'on allait s'en servir comme méthode thérapeutique — y voyaient de suite l'exploitation banale d'une nouveauté à des fins charlatanesques.

Le sort de la psychothérapie eût été meilleur si le Dr Liébeault eût réussi à attirer à sa modeste clinique, une dizaine d'années plus tôt, les professeurs de Nancy, avant l'avènement de la doctrine de l'hypnotisme de la Salpêtrière.

Dans ces conditions, la psychothérapie suggestive, pacifique et non préjudiciable, eût trouvé son chemin, comme le massage, l'hydrothérapie et l'électrothérapie, le plus innocemment du monde.

L'idée qu'on ait jamais pu faire courir du danger aux patients dans la clinique de Liébeault, est tout bonnement ridicule. Mais l'hypnotisme tel que le font comprendre l'école de la Salpètrière et les séances des Hanzen et des Donato, a terni dès le premier

abord et rendu suspecte l'idée si simple et si intelligible do guérir les malades par leur propre esprit, guidé par la suggestion el favorisé par le sommeil.

Voilà pourquoi je me suis appliqué, dès le début de ma pratique, de séparer les deux notions : hypnotisme et psychothérapie.

L'hypnotisme est une subdivision de la psychologie: il est d'an intérêt exclusivement théorique et n'a rien à démêler avec la thérapeutique.

Le sommeil utilisé en psychothérapie dans le dessein de favoriser la guérison et d'augmenter la suggestibilité. auquel on peut brièvement donner le nom d'hypnose, ne doit pas être autre chose qu'un sommeil normal opéré par la suggestion, un sommeil suggéré.

Il est de la plus grande importance de bien séparer ces choses, et on prévient ainsi toutes sortes de confusion et de difficultés.

Ainsi je n'aurai pas à parler de l'hypnotisme, du somnambulisme, de la doctrine de Charcot. Toutes ces choses sont des questions non comprises dans le sujet qui m'occupe.

La doctrine de la suggestion, et l'autorité de l'esprit sur le corps, de la fonction psychique sur la fonction physique, seuls relèvent de mon sujet.

Ainsi, avant d'entrer en matière, je formule brièvement les définitions suivantes :

1° J'appelle psychothérapie toute méthode curative qui se sert d'agents psychiques pour combattre la maladie par intervention des fonctions psychiques.

2° Dans le sens le plus étendu du mot, j'entends par suggestion toute impulsion communiquée par un esprit à un autre. Aussi dans la série des agents psychiques pouvant influencer le malade, la suggestion tient le premier rang.

3° Je comprends sous le nom d'hypnose thérapeutique un sommeil normal suggéré.

4° Sous la dénomination « hypnotisme » je comprends un nombre d'états anormaux, d'ordre spontané, c'est-à-dire pathologiques, ou bien d'ordre artificiel, c'est-à-dire expérimentaux, mais n'ayant rien à démêler ni les uns ni les autres avec la thérapie.

Si l'on m'objecte que l'hypnose thérapeutique, telle que la décrivent beaucoup d'observateurs, comporte décidément un caractère anormal, je réponds que d'après ma conviction cela ne doit pas être et que ce n'est jamais nécessaire.

Il est connu de tout le monde qu'on peut produire par suggestion les états les plus anormaux. Mais je soutiens que la suggestion abandonne

le terrain de la thérapie simple et empiète sur celui de l'expérimentation, du moment qu'elle produit qaelqae chose d'anormal.

Il peut être difficile de définir en général la conception de ce qui est normal. Cependant, je pense que tout le monde pourra assez vite dire dans chaque cas spécial si quelque chose doit être normal ou anormal. Je sous-entends que la suggestion visera dans chaque cas spécial l'état normal.

Cela est-il possible? Voilà la question qui se pose. Mon expérience me répond affirmativement. Il n'y a dans le sommeil, dans lequel je plonge journellement beaucoup de mes malades, que deux symptômes qu'on pourrait nommer anormaux. Notamment, l'anesthésie d'abord, puis la possibilité de faire réagir le dormeur aux impressions du dehors, sans l'éveiller.

Dans !e but de guérir, on ne peut se passer de ces deux symptômes. L'anesthésie, quoique faisant souvent défaut, est nécessaire et doit être renforcée par la suggestion, si l'on veut profiter du sommeil pour faire une opération chirurgicale.

Or. l'anesthésie se présente aussi dans le sommeil normal. Dans le sommeil ordinaire, les membres du malade peuvent subir quelquefois une pression continue telle qu'ils se paralysent par compression du nerf. Cela ne pourrait pas se produire à l'état de veille sans exciter de la douleur.

De même, le fait de ne pas réagir durant le sommeil aux impressions du dehors n'est pas absolument anormal. Ce phénomène se présente souvent, en dehors de toute suggestion, chez les enfants, par exemple. On pourrait avec autant de raison prétendre que le concierge d'un hôtel qui. dans son sommeil, entend la sonnette et tire le cordon, ou bien la mère qui a pris la coutume de .se déranger dans son sommeil au moindre vagissement de son enfant, ont acquis une qualité anormale, que de dire que le patient qui s'est accoutumé à répondre à la voix de son médecin sans s'éveiller se trouve par ce fait dans un état anormal.

Cependant, il est difficile de poser ici la limite et elle est bientôt dépassée.

Si l'on suggère à un malade de causer beaucoup, d'écrire, de se promener, d'ouvrir les yeux pendant son sommeil, je conviens qu'on ait produit un état anormal. Et j'ajoute que, en thérapie, il faut certainement s'en abstenir. N'est-il pas évident qu'en agissant de la sorte, on puisse produire l'état pathologique de somnambulisme nocturne ?

Cependant, les symptômes divers de la maladie nous obligent souvent à contraindre le dormeur à des actes d'un homme éveillé. On fait parler les bègues pendant le sommeil, on excite les malades affligés de la

crampe des écrivains (a) [1] à écrire en dormant, les parétiques endormis sont invités à faire des mouvements, ceux qui souffrent des yeux exerceront leur vue à l'état de sommeil. Car les suggestions produisent leur maximum d'énergie et l'effet thérapeutique obtenu est le plus grand à l'état de sommeil.

On peut cependant quand même respecter les limites de l'état normal et se restreindre, de sorte qu'on évite de produire le somnambulisme complet. Il faut, afin d'éviter la création d'un état vraiment anormal, s'appliquer à rendre le rapport du dormeur avec le dehors aussi minime que possible.

L'état anormal, le somnambulisme est créé du moment que le dormeur vit pendant son sommeil d'une vie psychique active, indépendante, du moment qu'il agit en dormant comme une personne consciente, indépendante, et qui assimile toutes les impressions du dehors; il est créé lorsque l'esprit désagrégé par le sommeil s'associe de nouveau et forme un autre état de conscience.

Ceci relève de la pathologie ou de l'expérimentation et doit être évité à tout prix dans la thérapie.

J'ai insisté sur ce point dès le début, et depuis, ma rigueur s'est affermie encore, parce que j'y vois un danger sérieux pour l'avenir de cette thérapie. L'hypnotisme de la Salpêtrière est le plus grand ennemi de la psychothérapie. Il fait peur aux malades et rend les médecins méfiants.

La crainte, la méfiance, les idées fausses créent plus d'entraves, causant plus de peine et de déboires au médecin exerçant la psychothérapie qu'à tout autre de ses confrères. Tout collègue qui s'est occupé de cette thérapie s'en sera aperçu comme moi.

Ce n'est pas le public seul, ce sont encore nos collègues qui nous rendent la vie dure. Il arrive maintes fois que des médecins avertissent leurs malades et avec insistance : « Vous ferez ce que vous voulez, seulement, pensez-y, ne vous laissez jamais hypnotiser ! » Ou bien quand un malade a été traité avec succès par la psychothérapie, ils disent: « Soyez tranquille, ça n'est qu'une guérison apparente, il vous eu cuira plus tard! » Ou encore : « Gare, cela n'est pas une chose si innocente que vous croyez! *

Un de mes malades réfutant ces avis de mauvais augure hasarda : « Vous ne croyez pas pourtant, docteur, que j'en mourrai? — Non, répondit le médecin, vous n'avez pas à craindre la mort, mais il vous arrivera pire que cela. »

[1] Voir les annotations, page 117.

Un autre malade, à peu près guéri par mes soins et qui osa le dire à un médecin, reçut cette apostrophe : « Il est impossible que ça vous ait guéri, vous eussiez guéri tout de même sans ce traitement », etc. Tous ces propos sont authentiques et je pourrais vous en citer beaucoup d'autres.

Si cela se passe dans la pratique médicale ordinaire, ou chirurgicale ou gynécologique, on taxera ces propos de déloyauté entre confrères, on haussera les épaules et passera outre, le tout ne tirant pas à conséquence.

Mais dans la pratique psychothérapeutique, la signification de ces propos n'est pas du tout indifférente.

Ils présentent pour les médecins exerçant la psychothérapie un désagrément et un danger analogue à ce qu'éprouverait un chirurgien à l'insu duquel on se servirait de ses instruments pour faire des autopsies et des opérations sur le cadavre.

Car ces propos, dictés avec l'autorité d'un médecin, sont des suggestions qui peuvent continuer à agir des années durant sur des nerveux et des impressionnables.

Or, dans une chose si subtile et si délicate que le traitement psychique des malades, la méfiance une fois suscitée entrave absolument tout succès.

Il faut cependant convenir d'emblée que la frayeur et la méfiance ont quelque fondement. Certes ! si jamais l'on n'eùt entendu de la suggestion autre chose que ne nous en apprend la clinique du vénérable Dr Liébeault, alors il y aurait de quoi qualifier de préjugé stupide et aveugle la crainte des uns et la méfiance des autres.

Mais il y a d'autres sources auxquelles on a. hélas! largement puisé. On connaît les cas extraordinaires de la Salpêtrière. on a vu les photographies de cataleptiques, de personnes en léthargie, on a ouï parler de meurtres suggérés, des expérimentations étranges des psychologues, on a vu les exhibitions des hypnotiseurs de tréteaux, si humiliantes pour l'humanité! Vraiment, il ne faut pas s'étonner que ces faits aient fait naître la crainte et la méfiance; ils doivent seulement nous engager à éviter soigneusement tout ce qui peut donner lieu à inspirer l'une et à exciter l'autre.

Nous autres médecins - notre but principal étant de guérir — nous n'avons à opposer à cette méfiance que la pureté absolue de nos visées, que le désir le plus sincère de guérir, et rien d'autre. Alors seulement la psychothérapie pourra tenir ferme.

Je ne veux pas décider du plus ou moins de danger que peuvent susciter les expérimentations hypnotiques.

Des observateurs très compétents comme Bernheim prétendent que, bien conduites, elles n'en présentent pas.

Sans doute est-il à peu près toujours possible de réduire toute conséquence nuisible à presque rien, grâce à des suggestions contraires énergiques. Cependant, j'ai une objection théorique. Les expériences souvent répétées augmentent la suggestibilité. Et voilà ce qni doit être évité.

Une suggestibilité augmentée correspond à une exaltation de l'ataxie psychique. Le sommeil — comme le dit si bien le professeur Forel — exhalte la suggestibilité parce qu'il produit l'ataxie de l'esprit. En répétant souvent les suggestions, cette ataxie peut aussi se présenter à l'état de veille. Et personne ne contredira que voilà un désavantage, nne chose anormale.

Des personnes, telles qn'on les voit dans le service de M. Bernheim, réalisant d'emblée à l'état de veille chaque suggestion, sont des personnes non normales Il se peut que cet état de choses ne leur nuise pas directement; cependant nul de nous n'aimerait être à leur place, nul de nous ne voudrait être si suggestible qu'il crût M. Bernheim sur parole, quand celui-ci lui certifie d'être matelot ou soldat. Ceci suppose une désagrégation de l'esprit artificielle, devenue permanente. Je ne me sens pas avoir le droit de produire un tel état chez mon prochain.

Il en est de même quant au dédoublement de la personnalité. Avec un peu d'éducation, on peut dédoubler la vie psychique d'un homme et faire de lui un être à deux personnalités différentes. Il se peut parfaitement que cela ne soit aucunement nuisible pour la personne. Cependant, cela crée un état anormal qu'on n'est pas autorisé à produire sans le désir formel de la personne qui est en jeu.

Moi aussi, j'ai, au début, fait des expériences analogues sans causer un dommage quelque peu appréciable. Mais j'ai remorqué qu'il se produisait, au commencement de l'éducation, quelques perturbations défavorables.

Je traitai une petite fille de dix ans, à laquelle j'appris un peu de français pendant son sommeil hypnotique, sans qu'elle s'en rendit compte à l'état de veille.

Un beau jour, je réveillai les souvenirs hypnotiques chez ma petite malade éveillée, qui se trouva ébahie de son nouveau savoir.

Cependant, je remarquai qu'elle se trouvait plus fatiguée et avait les joues en feu après ses leçons de français. J'y vis une indication à ne pas continuer l'expérimentation.

On peut accoutumer la personne à ces expériences, mais cela ne me paraît pas souhaitable, car il ne faut pas oublier que l'ataxie psychique est un des principaux symptômes de l'hystérie.

Sans doute, l'on ne rendra personne hystérique par des suggestions strictement thérapeutiques, mais je n'oserais pas certifier qu'on ne puisse éveiller l'hystérie latente en multipliant et en répétant souvent les expériences.

Aussi, à moins que la personne elle-même ne m'y invite, je m'abstiens absolument, comme régie générale, de faire des expérimentations, et je ne donne pas de suggestions qui ne s'accorderaient pas avec les fonctions normales de l'organisme.

Car j'établis comme principe thérapeutique fondamental qu'il faut se servir de la suggestibilité présente, mais ne l'exalter que le moins possible.

Cela semblera être impossible à plusieurs de vous, mais je vais tacher de vous expliquer comment j'applique ce principe.

Quiconque étudie à Nancy la thérapeu-suggestion croit d'abord que cette méthode, est une chose tres simple et des plus faciles. On suggère le sommeil plus on moins profond, selon l'impressionnabilité de l'individu; on enlève les douleurs et fait disparaître les symptômes morbides ; on commande l'appétit, le repos normal de la nuit, les selles à heure fixe; on normalise la diurèse — et il semble qu'on n'aie pas à suivre d'autre technique que de payer d'énergie et d'aplomb. Celui qui sait donner la suggestion de la façon la plus décisive, celui-là recueillera les meilleurs résultats. Si la suggestion énergique fait échec, il faut abandonner la cure.

Mais l'expérience personnelle nous apprend que la chose n'est pas aussi simple que cela. Nous avons déjà insisté sur ce point il y a quelques années, lors du Congres de l'Hypnotisme; quelle différence capi-tale il y a que de traiter des gens simples, tans éducation notable ou bien des personnes d'un développement intellectuel supérieur.

L'application de la psychothérapie dans la pratique des indigents ou dans un service d'hôpital présente peu de difficultés et donne un grand succès.

Le système a suivre est bien simple : on te pose avec autorité, on commande, on ne dépense pas beaucoup de mots, on ne se perd pas en explications, et les résultats qu'on obtient sans peine sont brillants.

Cependant, du moment qu'il s'agit de personnes instruites, on s'aperçoit bien vite que ce système ne réussit pas. Celles-ci sont plus sceptiques, plus indépendantes. Un ton d'autorité les irrite et leur semble ridicule. Elles ne veulent pas être commandées et surtout elles ne veulent pas accepter sans comprendre. Vous ne pouvez pas faire une impression sur elles sans que vous leur ayez donné une idée claire de la chose. Si cela ne vous réussissait pas et si vous vouliez obtenir gain de cause

en pavant d'aplomb et en donnant vos suggestions avec plus d'énergie, elles vous riraient au nez, perdraient confiance et abandonneraient la cure.

Et voila une difficulté énorme et d'intérêt capital pour l'avenir de la nouvelle méthode thérapeutique. Car il est évident, n'est-ce pas, qu'on ne crée pas une thérapie pour les gens sans éducation et pour les pensionnaires d'hôpital seuls. C'est un sentiment très raisonnable de l'homme que celui de ne pas vouloir être commandé, qui s'oppose à un ton d'autorité, et c'est un désir des plus raisonnables de vouloir comprendre ce qu'on veut faire de lui et comment on le guérit.

Le cas échéant, nous no pourrions pas soigner les plus intelligents, les plus nobles d'esprit de nos prochains ! Et no comptons-nous pas surtout dans cette classe le plus grand nombre de malades psychiques et de névrosiques ?

Beaucoup de mes collègues se plaignent des résultats piteux qu'ils obtiennent de leur traitement des névrosiques de la classe aisée, dans les neurasthénies, les hypochondries. Or, la psychothérapie est la seule rationnello et est parfaitement indiquée chez ces malades.

La psychothérapie est mal vue de la classe aisée et intelligente. Ce n'est pas la frayeur du danger seulement ni l'opposition des médecins qui en sont causes. Mais cela vient de ce qu'elle ne comprend pas bien la chose et qu'elle n'a pas confiance dans ce qu'elle ne laisit pas. et surtout parce qu'elle y voit une question d'autorité, et parce que, de droit, dans leur qualité d'hommes indépendants, ses membres ne veulent pas être commandés.

Ils n'ont pas tout à fait tort. Jusqu'à ce jour, la psychothérapie — comme elle a été appliquée la plupart du temps — est une affaire d'autorité, une question de prépondérance du médecin vis-à-vis de son malade.

Et je suis convaincu que si elle continue d'être cela, non seulement elle ne se popularisera jamais, mais son existence se trouvera diminuée. Elle pourra alors trouver son application chez les classes inférieures, chez les enfants et chez les personnes dociles et soumises, mais elle ne se généralisera pas et l'extension qu'elle mérite par sa belle idée fonda-mentale ne lui sera pas dévolue.

Il n'y a pas de principe plus fort que celui qui tient compte de nus meilleurs désirs et de nos meilleures espérances. Nous devons souhaiter et attendre que la majorité des hommes devienne civilisée et indépendante. La théorie de la psychothérapie devra se baser sur cette espérance.

Partant d'un point de vue théorique, on aura donc ù abandonner le

système d'autorité, de prépondérance. Il est évident que cela n'est pas toujours pratiquement possible. Mais l'idéal, vers lequel doit toujours tendre notre dessein, est la conservation de l'indépendance individuelle la plus stricte.

La classe intelligente s'oppose à la psychothérapie, parce qu'elle y voit une atleinte permanente ou incidentelle portée au libre arbitre.

La manière de faire de beaucoup de médecins dans leur application de la psychothérapie est en effet celle de commander, de diminuer l'indépendance.

Les suggestions sont des ordres. Le but de la plupart de ces médecins, l'exaltation de la suggestibilité. est sans doute un affaiblissement permanent de la faculté de résistance de l'individu.

Quand même cela ne serait la plupart du temps qu'un affaiblissement insignifiant et de courte durée, un homme indépendant n'en veut pas même pour quelques instants. Ainsi, comme idéal, comme principe théorique, il faut bannir de la psychothérapie l'autorité, la supériorité de la volonté.

Son avenir est incertain et elle ne sera jamais acceptée sans cela.

Nous devons nous appliquer à suggérer sans autorité et à guérir par suggestion sans exalter la suggeslibilité, car la suggeslibilité, comme je l'ai dit précédemment, est basée sur une désagrégation, sur l'ataxie psychique, c'est-à-dire sur un relâchement de la connexion psychique.

Une exaltation permanente de la suggestibilité correspond ainsi à une diminution de la connexion psychique et encore à un affaiblissement de la force de résistance individuelle.

Cela doit être et peut être évité.

J'ai trouvé que la psychothérapie réussit le mieux sur des malades qui ne comprennent rien de la chose ou chez ceux qui en comprennent tout ce qui, à cette heure, peut être compris. J'ai nommé les gens sans éducation et les très intelligents.

Les premiers se fient sans examen à la supériorité de notre savoir. Ils croient en nous, et la foi existant, l'autorité est superflue. Vous leur dites : « Cela se passera de telle ou telle manière et vous guérirez en faisant ce que je vous dis ».

Et les intelligents, vous leur parlerez comme vous parleriez à vous-même. Vous leur expliquez l'idée idéoplastie (c), l'idée suggestion, vous leur montrez qu'il est possible de dominer et de guérir des états pathologiques par des fonctions psychiques, par des idées, des volitions. Vous leur dites que vous ne les contraindrez pas, mais que vous leur montrerez simplement le chemin. Vous leur annoncez que les symptômes morbides disparaîtront, non par la prépondérance de votre volonté.

mais grâce à un effort de leur volonté à eux. En un mot. vous expliquez et vous dirigez, sans contrainte, sans autorité, sans commandement.

Dans les deux cas. il est possible de suggérer sans autorité, sans exalter la suggestibilité. Et dans le dernier cas, on se trouve sur le chemin idéal et pur de la psychothérapie.

La mise en pratique cependant présente des difficultés énormes. Les très intelligents sont rares. La majorité n'est cultivée qu'à demi. Elle n'est pas assez intelligente et elle est présomptueuse. Elle ne peut pas vous comprendre et ne veut pas pourtant être traitée sans comprendre. Elle ne veut pas incliner devant notre savoir et elle n'a pas assez de savoir à elle-même pour nous suivre. Ces gens-là sont les plus importants et les plus difficiles.

Avec ceux-ci. il ne faut pas seulement guérir, mais il faut encore instruire. Il faut faire comprendre, donner une idée plausible de la chose, ménager leur sentiment d'indépendance et, cependant, user de notre ascendant intellectuel.

Néanmoins, dans ces cas aussi, il faut continuer à viser l'idéal: ménager la liberté individuelle, ne pas commander mais diriger, centraliser au lieu de désagréger, augmenter la force de volonté el celle de résistance.

CENTRALISATION DES FONCTIOSS PSYCHIQUES

Voilà le deuxième principe de la psychothérapie.

La tendance de ce principe doit sembler claire à chaque psychologue. L'organe psychique, comme tout organisme, est un total de forces collaborantes. Aussi, l'ordre et l'équilibre, partant l'unité du gouvernement et la centralisation, sont indispensables à l'énergie et à la force de résistance de tout organisme.

Vous comprendrez que le siège du gouvernement doit se trouver dans les états psychiques conscients et que la direction executive doit être la volition consciente.

Je vais tacher de vous expliquer par un exemple ce que j'entends, au point de vue pratique, par centralisation.

Un malade est affecté d'aphonie hystérique (c), c'est-à-dire nerveuse fonctionnelle. L'innervation des cordes vocales se trouve tout à coup supprimée par une émotion et elle se rétablit quelque fois soudain par la même cause. 11 y a différentes manières de produire cette guérison passagère; par exemple, en faisant boire un verre de Champagne, en usant de l'électricité, en appliquant des pointes de feu. mais encore en suggérant avec énergie au malade hypnotisé : « Parlez, je veux que vous parliez ». La force active résidant dans chacune de ces manières est la

suggestion. Tout médecin sait que tontes ces suggestions perdent leur pouvoir, et qu'il faut souvent varier le procédé de suggestion : par exemple appliquer une lame magnétique de grande force ou parler d'un nouveau médicament de rare énergie. Le génie peut s'épuiser en expédients pour déguiser la suggestion et ils finiront tous par ne plus réussir. Maintenant, il n'y a qu'un seul chemin qui conduise à la guérison durable et qui n'aie pas besoin de varier. C'est de faire comprendre au malade que tous les moyens employés n'ont eu d'efficacité que grâce A son organe psychique propre et que tous peuvent être remplacés par sa propre volonté consciente. C'est-à-dire que ni l'électricité, ni la cause magnétique, ni la volonté du médecin ne sont en jeu, mais que c'est sa volonté A lui qui doit effectuer la guérison. Il faut lui donner dans les mains les différents fils, sur lesquels on a tiré A son insu, et lui apprendre à les tirer lui-même au besoin.

Ainsi faisant, on ne peut pas s'égarer, ce médicament ne manque jamais au malade et il porte toujours sur lui ; tout ce qu'il lui faut encore en plus, c'est de la patience et de l'exercice sans fin.

En effet, c'est encore de cette méthode qu'on se sert de plus en plus, dans ce dernier temps, pour traiter l'aphonie.

Ht beaucoup de médecins, qui n'ont cure de la psychothérapie, se sont ainsi servi d'elle et l'ont appliqué parfaitement. Cet exemple n'a donc rien de nouveau.

Mais on n'est pas convaincu, généralement, que la manière de procéder envers ce symptôme hystérique peut servir de principe capital dans le traitement de quantité d'antres états morbides, dans la plupart des névroses et même dans les maladies organiques.

En agissant de cette manière, en faisant apprendre à la volonté consciente du malade A dominer ses symptômes morbides, j'ai su triompher de formes graves de neurasthénie (d) et d'hypocondrie ayant résisté A toute autre médication.

A un point de vue théorique, il n'est pas osé de dire que lorsqu'une maladie chronique guérit ainsi, elle offre le minimum de chances de rechutes. Et on peut même poser comme principe qu'il faut compter dans chaque maladie avec ce facteur psychique comme on compte avec une bonne nourriture, avec la propreté et l'air pur.

Cette idée de centralisation psychique ne trouvera pas d'opposition directe, mais on doutera de son efficacité. Ou croira que c'est un idéal hors de notre portée de guérir ainsi plus que quelques malades. Mais alors, je fais appel A la théorie de la suggestion si clairement exposée par Bernheim.

La suggestion, ou, disons mieux. la suggestibilité, est composée de

deux éléments : l'aptitude à recevoir l'impulsion du dehors et la faculté idéoplastique. I! faut bien distinguer les deux, elles sont parfaitement indépendantes.

Il y a des malades qui sont très dociles et impressionnables, ils acceptent toute idée suggérée, ils ont une foi plénière et une confiance absolue en nous. Mais l'influence des idées sur les fonctions physiologiques est médiocre. Ils ne réalisent pas les suggestions; les symptômes morbides cèdent difficilement. La faculté idéoplastique laisse à désirer.

D'autres malades, au contraire, acceptent difficilement une suggestion, ils sont incrédules et récalcitrants, et cependant l'on observe que, chez eux, les processus physiologiques et pathologiques se modifient facilement par l'influence psychique, môme par des auto-suggestions. Dans ces cas. la suggestibilité est moindre et se trouve dépassée par la faculté idéoplastique.

Cette faculté fait la base de la psychothérapie. Ses limites peuvent s'étendre plus loin qu'on ne le croyait auparavant et que le savent à cette heure les physiologues.

Mais il n'existe pas le moindre doute que des maladies organiques (e) telles que le tabès dorsal, l'arthrite urique, la névrite chronique et aiguë, et plusieurs autres, peuvent être améliorées par influence psychique seule. Les observations complètes de Liébeault, Bernheim, Bérillon, Lloyd-Tuckey, Kongolensy, Wetterstrand et notre expérience personnelle, ne permettent pas le doute. Déjà l'observation de Delboeuf concernant l'amélioration notable d'une affection luétique de l'œil, amélioration obtenue par la suggestion, est d'une précision telle et si bien constatée qu'elle entraîne la conviction. Parmi les faits dûment constates, je relève ceux de l'amélioration obtenue dans des cas de phtisie pulmonaire (f) par des agents psychiques, amélioration portant sur l'état général.

Quand on admet l'existence et le pouvoir de cette faculté idéoplastique et quand on admet ce grand avantage de la centralisation des fonctions psychiques, il est rationnel de tâcher à soumettre cette faculté a l'influence de la volonté consciente.

Je ne dis pas que maintenant déjà cela devra pouvoir se faire dans tous les cas. Plus que tout autre médecin, celui qui traite ses malades par la psychothérapie (g) devra varier sa méthode dans chaque cas particulier, suivant les circonstances. Mais la tendance de ses efforts doit être dans tous les cas dans cette direction.

Il doit s'appliquer, non pas à augmenter la suggestibilité, mais à exalter la faculté idéo-plastique et à la placer sous l'empire de la volonté consciente.

Voici donc l'idéal : une réceptivité exiguë pour l'impulsion du dehors, une centralisation et une faculté idéo-plastique aussi grande que possible.

Très rarement on peut atteindre ce summum dans la pratique.

D'après mon expérience, la faculté idéo-plastique est le plus développée chez les gens de peu d'éducation, chez les enfants et chez les hystériques; mais chez ceux-ci on trouve aussi le plus souvent une suggestibilité exagérée et une centralisation médiocre; tandis qu'en outre une intelligence médiocre, une conception défectueuse de nos visées constituent des entraves sérieuses.

Cependant ce summum n'est pas hors de portée — et il est toujours possible de s'efforcer a l'atteindre. Or le meilleur moyen d'y parvenir se trouve dans l'exercice, l'éducation, l'entraînement.

D'aucuns m'objecteront : Si vous endormez vos malades et si vous les traitez pendant cet état de sommeil, comment pouvez-vous parler alors d'un effet conscient de la volonté ?

J'y répondrai d'abord avec une expérience que j'ai acquise et laquelle cadre parfaitement avec ce que je viens d'avancer plus haut.

Cette expérience m'apprend que dans les cas chroniques, la guérison obtenue paraissait être plus durable chez les malades qui avaient eu le sommeil très léger.

Elle m'apprend encore que l'équilibre psychique, retrouvé par la suggestion chez des dormeurs profonds avec amnésie et anesthésie, se troublait plus vite chez ceux-ci que chez d'autres malades guéris qui n'avaient dormi que d'un sommeil très léger, qui avaient eu pendant cette somnolence la conscience parfaite de tout ce qui se passait autour d'eux et dont le souvenir au réveil était intact.

Aussi dans beaucoup de cas je m'efforce à ne produire chez le malade qu'un état somnolent, qui n'est pour ainsi dire qu'un état de passivité dans lequel se tient la personne couchée sur un lit de repos, les yeux fermés, une espèce de concentration interne servant à faire agir avec sa plus grande énergie l'effort psychique. — Dans d'autres cas, dans la mélancolie, l'insomnie, les états d'anxiété et d'angoisse, nous nous efforçons au contraire d'obtenir un sommeil des plus profonds.

Mais encore daus ces cas s'appliquent-on, par l'exercice et l'entraînement, à développer la faculté de s'endormir sans l'influence de la volonté consciente, de sorte que les malades apprennent i s'endormir quand ils ont envie de se reposer.

Régler le repos est une chose capitale dans le traitement de toutes les névroses et les psychonévroses. Et il est étonnant de voir ce qu'on obtient de résultats inouïs par un entraînement patient et persistant.

Pendant les cinq dernières années, je ne me suis pas servi une seule fois d'un médicament hypnotique, et je suis convaincu que l'application de remèdes hypnotiques (h) dans les maladies chroniques est innécessaire et nuisible.

On réussit à la lin toujours à persuader les malades très intelligents qu'ils se suggèrent à eux-mêmes, avant de s'endormir, que l'effort de volonté conscient fait avant le sommeil agira pendant l'état de repos.

Il va sans dire qu'on doit s'attendre à ce que ce pouvoir de faire effort de volonté se perde chez beaucoup de malades s'ils se trouvent abandonnés à leurs propres ressources pendant longtemps. C'est un processus subtil et compliqué qui peut être entravé par des causes innombrables, par une conception défectueuse, par la dépression psychique, par la méfiance, par l'influence d'autrui.

On conçoit qu'il faut alors de nouveau faire appel à la suggestion dirigeante du médecin pour prévenir la rechute complète. Mais encore, ne sont-ils pas des malades et n'est-il pas le médecin ? Et connait-on une méthode thérapeutique dont les résultais excluent toute possibilité de rechute ?

Il n'y a pas d'objection aussi inepte, aussi dépourvue de sens, que celle d'accuser la psychothérapie de ne pas faire des guérisons complètes et durables.

Les guérisons de ces mêmes maladies obtenues par le médecin ordinaire sont-elles donc à l'abri de rechutes, sont-elles persistantes ? Peut-on me nommer un remède chimique prévenant les rechutes ?

Je renvoie le reproche. Je dis qu'une personne prétendue guérie d'une maladie chronique par des agents chimiques, n'est pas guérie complètement, parce que rien ne m'assure que son pouvoir de résistance ait augmenté. Au contraire, elle sera plutôt affaiblie et gâtée par l'usage des médicaments.

On ne pourra convenir qu'elle ait gagné un peu et que les chances de rechutes ont diminué, que du moment que sa force de volonté se trouve augmentée par l'exercice.

Cependant, je répète une fois de plus qu'il serait insensé et infructueux de vouloir appliquer ce système — pour plaire aux vues théoriques — à tous les malades indifféremment. Il n'est pas applicable absolument à quelques-uns ; il y a beaucoup de malades qui exigent un traitement autoritaire, énergique, absolu. Toutefois, il devra rester l'idéal que nous avons constamment sous les yeux, le but que nous nous efforçons d'atteindre.

Dans ces conditions exclusivement, la psychothérapie vivra et s'étendra.

J'ose même prédire qu'elle produira alors une révolution complète dans l'art de guérir !

Une autre objection qu'on nous fait quelquefois, c'est que tout cela n'est pas nouveau, qu'on a de tout temps fait usage d'agents psychiques et qu'on n'a jamais douté de l'utilité de la force de volonté individuelle.

Je concède que l'idée n'est pas nouvelle. Il faut avouer même qu'on honorait cette idée, il y a une cinquantaine d'années, beaucoup plus que dans ces derniers temps; les œuvres de Ruseland, von Feuchters-leben. Johannis Millier peuvent l'attester.

Mais je vais vous dire ce qui est nouveau. La méthode conséquente et la conviction sont nouvelles.

Ainsi, comme science et comme application, l'idée est sans nul doute nouvelle, car l'idée devient science grâce à la méthode, et la conviction que l'idée peut servir invite à l'appliquer.

La grande majorité des médecins applaudit probablement l'idée et la trouve belle, mais elle ne croit pas absolument à sa valeur pratique. Et tout cela simplement parce qu'elle ignore les découvertes récentes de la psychologie.

Or, cette notion imparfaite de la psychologie et une connaissance plus étendue de la physiologie, de la chimie et de la physique font que la médecine, de nos jours, s'appuie principalement sur les agents mécaniques, chimiques, électriques, et qu'elle n'ose pas se fier au pouvoir des fonctions psychiques.

Voilà un grand défaut, car ces fonctions jouent dans l'organisme un rôle considérable. A force de les négliger, de mésestimer leur existence et leur pouvoir, la médecine s'égare.

Elle n'apprendra jamais à connaître l'homme à fond et jamais elle ne pourra le soulager sérieusement. Son secours sera toujours empreint d'un cachet temporel, provisoire, incomplet.

Je me permets d'interposer ici la remarque que je ne sous-entends pas que la médecine est trop matérialiste.

Les sciences naturelles sont la connaissance de l'ensemble des phénomènes externes du monde phénoménal, comme nous pouvons l'observer par nos sens, des phénomènes de temps et d'espace, tout comme la philosophie constitue la connaissance de la pensée, du monde spirituel.

Les sciences naturelles doivent ainsi forcément être matérialistes, puisqu'elles étudient les choses phénoménales que nous appelons matière ou force.

Il existe un matérialisme insensé et réprouvable, assignant aux sciences naturelles une supériorité au détriment de la philosophie et estimant le monde matériel, phénoménal, supérieur au monde spirituel. Ce maté-

rialisme est une négation de la pensée, la supposition insensée que la matière serait plus réelle que l'acte de penser, que les phénomènes auraient plus de réalité que l'âme, que la réalité de l'objet l'emporte sur celle du sujet, que le papier et l'encre d'un livre constituent quelque chose de plus considérable que son contenu spirituel.

Mais beaucoup de personnes croient qu'on se rapproche du monde spirituel par la découverte de nouvelles forces et de phénomènes inconnus. Ils pensent que la matière très subtilisée et douée de qualités très étranges finira par se faire esprit.

Tel n'est pas mon avis. Quoique la télépathie, la clairvoyance et toute cette science étrange et nouvelle soit déterminée et définie, elle est et reste néanmoins une chose phénoménale et matérielle. philosophie et l'éthique, le monde de la pensée, le véritable monde spirituel, le monde du sentiment, de l'imagination, la raison et la beauté morale n'ont que faire des choses pour être reconnues et respectées.

Aussi, lorsque je parle de fonctions psychiques les mettant en contraste avec les fonctions physiques ou physiologiques, je vise alors simplement ce groupe de forces supérieures dont on ne connaît encore qu'imparfaitement l'essence et qui paraissent être familières à la matière spécialement.

Le fait que ces forces sont liées plus intimement avec notre réflexion ou perception interne ne rabat en rien leur caractère phénoménal.

Il me semble que la plus grande faute, la faute principale de la médecine moderne réside dans la négligence et dans le dédain de cette portion considérable de notre organisme. Et je pense que la nouvelle doctrine de la psychothérapie constitue la première et la très énergique correction de cette faute.

La doctrine du vitalisme, de la force vitale, est abandonnée de nos physiologues. Après la découverte de Virchow que le corps est une combinaison de cellules collaborantes, il semble une insipidité aussi grande d'admettre une force vitale que de parler d'une force de bataille on de la force d'État. Les mouvements d'une bataille, la constitution d'un État dépendent simplement de la collaboration d'un grand nombre de parties indépendantes.

Tout cela est parfait. Mais voici la faute commise : on qualifia de physiques et de chimiques les qualités de l'âme vivante, et on méconnut ou on négligea les fonctions spéciales de la cellule vivante, que j'appelle des fonctions psychiques.

Qu'elles existent, ces fonctions, et qu'elles sont inhérentes dans une certaine mesure à toute cellule vivante, voilà une conclusion forcément émanante des découvertes de la psychologie récente.

J'ose déclarer qu'il est impossible d'enchaîner raisonnablement ces nouvelles découvertes sans convenir de l'existence de forces inconnues, inhérentes spécialement à la matière vivante; même la doctrine de la suggestion, l'idéoplastie et l'étude des états somnambuliques me paraissent absolument incompréhensibles si l'on n'admet pas cette hypothèse.

La faute qu'on a faite peut être comparée à celle commise par quelqu'un qui voudrait expliquer l'organisme de l'Etat sans tenir compte du fait que les membres de l'État peuvent lire et écrire.

Il n'est pas besoin de croire à une force vitale pas plus qu'à une force d'État. Ainsi pour comprendre l'organisation de l'État il faut connaître les qualités des parties constituantes. Et l'ensemble de l'organisme humain — comme nous l'avons appris à connaître maintenant — n'est pas explicable à moins qu'on n'admette l'existence de forces spéciales des parties que je nomme forces psychiques (j), forces qui jouent un rôle comparable à celui de la faculté de lire et d'écrire des membres dans l'ensemble d'un État.

Le médecin qui veut conserver un organisme et qui ne tient pas compte du pouvoir des fonctions psychiques, mais qui veut tout faire avec des agents chimiques, électriques et mécaniques — fera absolument comme qui voudrait réformer un État sans connaître la force de la parole écrite et qui s'imaginerait devoir ainsi communiquer ses idées de vive voix à chacun des membres.

Et pourtant de tout temps l'idée fondamentale de la médecine est restée la même ; pour arriver à guérir il faut soutenir la guérison naturelle, il faut créer des conditions favorables. On a toujours parlé d'une « vis modératrice naturelle » (A). Cette conception très vague, il faut le dire, semblerait indispensable.

Or il est parfaitement impossible de définir le mot nature. Et il se fait que cette i vis modératrix » de l'existence de laquelle on ne peut pas douter, il se fait qu'elle n'est pas une « vis naturalis ». mais bel et bien une « vis corporis ». Elle constitue cette faculté — que jusqu'ici on n'a pas encore suffisamment scrutée — propre à chaque organisme bien constitué, la faculté de défense à l'égard d'influences nuisibles; celle de restaurer des défectuosités ; la faculté de réintégrer, la faculté de résister.

Et maintenant je voudrais poser la question aux médecins modernes s'ils ne pensent pas que la loi physiologique bien connue : « Les fonctions de l'organisme s'affaiblissent par l'inaction » ne soit applicable à cette faculté ?

Et s'ils répondent par l'affirmative, je leur demanderais encore :

« Qu'avez-vous donc fait pour prévenir la déchéance de celle faculté on ne peut plus utile ? »

Cela regarde surtout la médecine proprement dite et spécialement le traitement des maladies chroniques.

Les médicaments qu'on prescrit sont-ils donnés avec l'intention de renforcer et de faire agir cette faculté, ou ne sont-ils pas donnés plutôt pour la soutenir, pour lui venir en aide, pour la remplacer autant que possible et s'il se peut pour la rendre superflue ?

N'est-il pas évident que ce faisant, on débilite ainsi à la longue infailliblement cette précieuse faculté ?

Le système entier de la médication chimique se base, i quelques exceptions près, sur la protection, sur faction d'amignarder et sur la stimulation.

On fait contracter des mauvaises habitudes a l'organisme en le gardant avec inquiétude de toute influence nuisible et en secondant, de tout notre possible, la résistance normale de moyens anormaux.

Si l'on renforce cette résistance, on le fait temporellement à l'aide de stimulants anormaux, en introduisant des matières étrangères dans le corps. Et cette stimulation anormale — l'expérience nous l'apprend — est suivie impitoyablement d'une réaction, d'un affaissement, d'une rétrocession de la force de résistance normale.

Il est raisonnable et rationnel d'agir ainsi dans le traitement des maladies aiguës, dans des moments de danger immédiat. Mais d'agir ainsi toujours et continuellement dans les maladies chroniques, doit conduire à l'affaiblissement de l'individu, à la déchéance de l'espèce.

C'est précisément dans cette catégorie de maladies que les charlatans et les rebouteurs ont beau jeu; ils appliquent un système simple d'entraînement, d'exercice, de suggestion masquée sous une forme ou une autre, et ils font des guérisons que n'a pas pu obtenir la médecine officielle.

Cela ne mène à rien que d'ignorer avec préméditation les guérisons de charlatans ou de gens parfaitement honnêtes comme le curé Kneipp. Il est rationnel que la médecine méprise la suggestion sous forme de réclame, mais en même temps elle doit reconnaître que celle-ci représente un agent psychique de grande valeur auquel elle ne peut rien apporter qui l'équivaille. Cet équivalent elle le trouvera dans la psychothérapie.

La médecine ne doit pas rester aveugle en se contentant d'améliorer le malade momentanément par l'action de stimulants anormaux. Elle doit s'appliquer à fortifier son pouvoir de résistance, à augmenter la « vis

modératrix ». Et si elle veut stimuler, le stimulant devra pouvoir être normal et permanent.

Or je ne connais qu'une façon stable et normale de stimuler. J'ai nommé l'exercice et l'excitation de l'énergie psychique, et la concentration de celle-ci dans la volonté consciente.

Mais il faut en même temps un entraînement systématique, un exercice méthodique de la force de résistance du sujet ; il faut lui apprendre à vaincre les influences nuisibles toujours croissantes.

Il n'y a pas, dans ces derniers siècles, de remède qui cuisse rivaliser en énergie d'action et en étendue de crédit, à ce que je sache, avec le vaccin de la petite vérole.

Or, la vaccination ne constitue-t-elle pas un exemple d'une médication qui tend à fortifier l'organisme en l'apprenant à résister et à craindre l'action nuisible d'un poison ? Et n'est-ce pas encore ce principe qui préside aux recherches d'un remède contre la rage et la tuberculose ?

Avouons que ce mode de faire est supérieur à celui du traitement de l'impaludisme par la quinine. Dans ce dernier il ne s'agit, en effet, que d'une stimulation passagère de la force de résistance des globules du sang, puisque l'action bactérienne de la quinine ne vient pas en ligne de compte.

La quinine ne guérit pas pour de bon, pas pour toujours le malade ; elle ne peut pas le garantir contre les récidives et les fièvres paludéennes continuent à régner comme toujours, tandis que les épidémies de petite vérole ont diminué considérablement.

Personne, je l'espère, ne me prêtera l'idée absurde de vouloir remplacer la médication par la quinine ou la vaccination par l'entrainement de la volonté. Je ne me fais pas, à tort ou à raison, l'esclave de conceptions théoriques.

Remarquez cependant que ces idées ne sont pas, en effet, si absurdes qu'elles puissent paraître à beaucoup de gens.

Hack Tuke ne traite pas de ridicule l'idée d'échapper aux maladies épidémiques à force de volonté. Et mon collègue, le Dr Ven Renterghem, n'a-t-il pas réussi à arrêter net un accès manifeste de fièvre intermittente par la suggestion énergique ?

On me concédera sans doute que cette thérapie — celle qui tend à se guérir soi-même par la volonté consciente — répond à tous les vœux. Et l'on partagera certainement mon avis qu'il est de notre devoir de tendre à la réalisation de cet idéal dans la mesure du possible.

Je bornerai ici mes considérations, qui ont déjà trop longtemps occupé votre bienveillante attention. Je ne puis pas vous donner plus

que les indications sommaires et rapides des suggestions provisionnelles.

Mais veuillez me permettre de vous rappeler que j'ai appliqué ces théories a la pratique, dans la mesure de mes forces, pendant de longues années déjà.

Et, quoique j'aie eu à lutter contre la prévention du public, contre l'opposition des médecins et quoique les malades qui viennent à moi comme à un dernier refuge, constituassent un assemblage de cas difficiles et désespérés, des véritables « cruces medicorum », les résultats que j'ai obtenus ont été des plus favorables et des plus heureux (l).

Aussi, fort de mon expérience, j'ai la conviction ferme que la psychothérapie, portée plus avant dans cette direction par des esprits nombreux et éclairés, pourra constituer un grand progrès dans l'art de guérir.

ANNOTATIONS

(a) Je n'ai en vue ici que la névrose locale, dans laquelle l'acte d'écrire se trouve entravé par inhibition de la volonté.

(b) Idéo-plastie, faculté idée-plastique ainsi nommée par Forel. On entend par la le pouvoir inhérent aux idées d'Influencer des états phytiques. Par exemple, la production de stigmates aux mains et aux pieds par la pensée continue aux plaies du Christ crucifie, les symptômes du choléra éveillés par la peur.

(c) Traitement de l'aphonie — Il y aura toujours des cas de non-réussite. Cependant, j'ai eu à noter des succès complets, dus à ta méthode suggestive, dans des cas d'aphonie où j'ai continué le traitement avec persévérance pendant deux ou trois ans. Il est décourageant et certainement nuisible de varier toujours les méthodes et les médica-menta. Seule, une direction ferme donnée « la thérapie » fuit naître souvent la confiance inconnue jusqu'alors et la patience. J'ai en vue ici cette légion de névrosés qui font le tour de toutes les médications et qui essaient de tous les remèdes sans avancer le moins du monde.

(d) Bernheim dit que les neurasthéniques sont les malades qui lui ont donné le moins de succès. J'ai été plus heureux que lui. J'obtins en effet, dans le traitement suggestif de la neurasthénie, des résultats excellents. Ces résultats, cependant, je ne les ai jamais obtenus par la suggestion autoritaire; Je les obtins grâce á une patience infinie et A nne énergie constante qui ne se laissèrent pas décourager par les récidives. Il me semble quelquefois qu'on pourrait guérir tout neurasthénique si on pouvait seulement se vouer exclusivement à lui, de sorte qu'on pût le soutenir et le diriger constam-ment.

Notre énergie personnelle et notre temps ayant leurs limites. Il se tait souvent qu'on n'arrive pas à guérir certaines maladies, qu'on estimait du reste parfaitement guérissables.

(e) Amélioration de maladies. — Le Dr Lloyd-Tuckey a publié, dans la

dernière édition de son livre psychotherapeutics (p. 144), un cas d'ataxie locomotrice amélioré par la suggestion. Le Dr E. Bérillon obtint également un résultat favorable dans un cas analogue. (Comp. Revue de l'Hypnotisme, déc. 1891).

Il y a deux ans, j'ai présenté un tabetique devant la Société de Médecine d'Amsterdam. Personne ne douta le moins du monde que ce ne fût un véritable tabétique; l'influence favorable de la suggestion était ostensible après chaque séance. Le résultat favorable s'est conservé, el l'état du malade reste stationnaire.

Que peut-on désirer de plus dans celte maladie ?

A quelque temps de là, un collègue qui était présent à la séance de la Société de Médecine, me rencontrant, me dit que s'il avait voulu il aurait pu faire des objections.

Il est à croire qu'il n'est abstenu pour m'épargner. Et néanmoins il se trouve encore des médecins qui continuent à prétendre que l'hystérie seule est Justiciable de la sug-gestion.

(f) Phtisie pulmonaire. — Küstermann (Münch, Med. Wortkins, 1891) rapporte qu'une amnistie attendue en vain augmentait considérablement le nombre des phtisiques dus une prison. (Voyez aussi les exemples cites par Hack Tuke dans Influence of the mind upon the body, vol. II. p.216)

L'engouement extraordinaire, i propos des injections Koch, n'a été dû qu'à l'ignorance da pouvoir de la suggestion de la part du grand bactériologue. Un n'a pu pensé à éliminer l'élément suggestion dans les experimentations sor l'homme. Du moment qu'il se produisit de l'amélioration, Koch attribua ce résultat à son remède; on sait les conséquences.

(3) Opportunisme necessaire. - C'est une affaire de beaucoup de tact que l'insitance chez des malades i faire effort de volonté. Beaucoup de médecins commettent la faute d'irriter et de vexer leurs malades en leur disant que leurs maux sont Imaginaires et qu'ils n'ont qu'à bien vouloir pour ne plus être malade. Cette manière de raisonner doit faire sur la majorité dea patienta un même effet que al od les priait de toucher du piano, tandis qu'ils n'ont pas la moindre notion de musique, en leur disant : - Allez donc, Jouez! ai votre volonté est bonne, voua réussirez! »

Une volonté ferme peut faire beaucoup, elle peut surmonter les plus grands obstacles, mais il faut en même temps une bonne direction, de l'exercice et du temps.

(h) Les remèdes somnifères sont nuisibles — Leur emploi ne peut être justifié que par l'unique raison qu'on ne peut pas donner toujours la somme de temps et de peine nécessaire à chaque malade. En les employant, on recule la guérison au profit d'un soulagement momentané.

(i) Vitalisme. — La doctrine du vitalisme n'a jamais discontinué i livre. Il y a toujours eu des médecins connaisseurs qui ont rejeté quelque chose de trop en s'étant débarrassés du vitalisme. (Charpignon : Études de médecine animique et vitaliste. De la part de la médecine morale dans le traitement des maladies nerveusee, 1882) Liébeaolt a parié de : Vitalismus rudimium. Et les médecins dosimètres, les élèves de Burggraewe continuent à se servir do mot vitalisme.

(j) Force psychique. — La manifestation la plus évidente de cette force est la télépathie. Pour quiconque a suivi tes Procceding of the Society for Psychical Research, l'existence de cette force n'est plus douteuse.

Lombroso, convaincu de l'existence de phénomènes spirites par Eusapia Paladius. étudie ce sujet maintenant avec ardeur. Un serait tenté de dire : maintenant qu'il sait que cela est. il le trouve tellement évident qu'il s'étonne de quiconque ne partage pas sa conviction. C'est encore la force psychique, en harmonie parfaite avec la science, du reste. (Lombroso: Le Spiritisme et la Psychiâtrie, deuxième année, n° 3; Leilgeist, 25 Janvier 1892; Rveue de l'Hypnotisme, avril 1892.)

M'est avis cependant qu'une fois de plus Lombroso veut comprendre l'union trop vite. Ses explications excluent de nouveau beaucoup de choses dont l'exlatence me parali évidente. Je suis sûr qu'un jour Lombroso sera porté à faire acte d'une nouvelle conversion.

D'après un calcul du Dr Dariex (Annales des Sciences psychiques,2° année, n° 3, mai-juin 1892, p. 134). les probabilités de l'existence d'hallucinations auditives télépa-iniques, d'après les données d'aujourd'hui, seraient en proportion de 1,-493,190 contre une chance de hasard.

La proportion de probabilités pour les hallucinations visuelles télépathiques (apparitions d'esprits) serait de 4.140,545 contre une; pour les apparitions coïncidant avec un événement (décès, malheur, etc.), de 804,622,222 contre un.

(k) Vis medicatrix. — Il me semble qu'il y ait une connexion entre celte force et l'idéo-plastie. et que les deux sont basées sur les qualités psychiques de la cellule. Et je crois qu'une culture raffinée, c'est-à-dire une prépondérance de la vie cerebrale, doit affaiblir, tant l'idéo-plaslie que la vis médicatrix.

D'après le Dr Felkin (Dues the increase of civilisation render the occurence of depsis more common. Read befort the obstetrical Society of Edimburgh. 12th June (l889), il existe chez certaines tribus de nègres d'Afrique une aptitude guérissante de beaucoup supérieure à cette que possèdent les Européens, de sorte que des plaies pénetrantes de

l'abdomen, qui seraient mortelles pour cet derniers, guérissent parfaitement et très vite chez les Africains, même sans traitement convenable.

Cela ne prouve pas évidemment qu'une culture raffinée ne peut pas marcher de la front avec une grande force de résistance. II se peut que l'équilibre soit trouble par un développement Inégal.

(l) Beaucoup de personnes guéries par la psychothérapie avaient passé un véritable purgatoire de méthodes, de médicaments, et subi dea opérations douloureuses on mutilantes pour la vie, et tout cela en peine perdue. On n'hésite pas journellement à faire dea opérations chirurgicales graves, à exposer à des intoxications chroniques ou 1 soumettre à un traitement gynécologique douloureux et désagréable, dea malades qu'on pourrait soulager mieux et plut facilement par une direction psychique avale, matique simple.

C'est l'ignorance de l'action suggestive résidant dans les opérations, l'ignorance dn pouvoir de l'exercice et de la direction psychique, et la crainte des dangers Imaginaires de l'hypnotisme, qui sont causes qu'on aime mieux, de nos Jours encore, exposer un grand nombre de névrosés aux dommages et aux dangers, autrement réels et graves, d'empoisonnements et d'opérations chirurgicales, avant de faire une tenta-tive sérieuse a les débarrasser de leurs maux d'une manière plus normale, moins dangereuse et plu* douce.

CONGRÈS INTERNATIONAL DE PSYCHOLOGIE EXPÉRIMENTALE

TENU A LONDRES DU 1er AU 4 AOUT

section d'hypnotisme. - Présidence de m. Sidgwick.

Les principes de la Psychothérapie,

par le dr Van Eeden (d'Amsterdam). (Voir plus haut le texte in extenso de celle communication.) Discussion.

M. Bernheim (de Nancy). — Je suis très disposé à me rallier aux mes théoriques exprimées par M. Van Eeden. J'ai pu, depuis plusieurs années, constater la valeur thérapeutique de la suggestion, et à force de voir que le point de départ de ces phénomènes résidait dans la suggestibilité des sujets, suggestibilité très variable selon leur Individualité, nous sommes arrivés, a Nancy, à l'opinion que tout est dans la suggestion. En agissant par la parole sur un sujet, nous ne faisons pas autre chose que d'exalter sa suggestibilité et mettre son système cérébro-spinal dans un étal tel que la suggestion l'incite à accomplir des actes utiles i sa guérison. On peut faire do ta suggestion à l'état de veille, tans sommeil, car la suggestion thérapeutique ne consiste qu'à faire entrer dans le cerveau du sujet, endormi ou non, l'idée de la guérison ou de la disparition de certains symptômes.

La parole n'a pas le monopole de la suggestion. Elle peut se faire par d'autres mécanismes; elle a été de tons temps pratiquée inconsciemment. L'hydrothérapie, la métallothérapie, l'electrothérapie, beaucoup de médications agissent en tout ou en partie par la suggestion. Elles la renforcent le plus souvent et réussissent où une simple suggestion verbale n'aurait pas sufù. L'hypnotisme n'intervient que pour faciliter la suggestion; il intervient pour exalter la suggestibilité; il ne modifie rien : ce n'est pas on état pathologique, comme on l'a dit, c'est un phénomène physiologique. Aussi, je suis porté a dire comme M. Delbomf : • La suggestion est le seul phénomène, l'hypnotisme n'existe pas ».

M. Bérillon (de Paris). .— Si j'approuve presque entièrement les vues de m. le Dr Van Eeden en ce qui concerne la pratique de la psychotérapie. je ne

partage pas son avis au point de vue théorique, surtout en ce qui concerne l'exaltation de la suggestibilité. Quant à l'opinion émise par M. Bemheim, à savoir qu'il n'y a pas d'hypnotisme, je ne saurais y souscrire davantage. Quand nous voyons un sujet privé de sa faculté de contrôle par des procédéd divers et en particulier par la suggestion, accomplir automatiquement les actes suggérés. nous ne pouvons admettre que nous n'avons rien produit chez lui et qu'il est dans le même état psychique que précédemment.

II y a un moment où la suggestion amène chez le sujet la suppression du pouvoir de contrôle; c'est à ce moment que l'hypnotisme commence, car à mon avis le mot hypnotisme ne saurait avoir d'autre signification que celle-ci : sommeil de la volonté, sommeil ou abolition momentanée du pouvoir de contrôle.

M. Delbœuf (de Liège). — La plupart des idées exprimées par M. Van Eeden sont conformes à celles que j'ai formulées dans deux mémoires sur l'origine des effets curatifs de l'hypnotisme, en 1887.

C'est en faisant naître dans l'esprit du sujet l'idée de la guérison que l'on l'obtient. Je rappellerai h ce sujet mon expérience des brûlures ; deux brûlures faites au même sujet, a deux endroits symétriques, dont l'une était soustraite par suggestion a la douleur, ont manifesté des réactions absolument différentes, l'une suivant son cours naturel et s'accompagnant d'un processus inflammatoire, l'autre se bornant à la destruction des tissus.

M. Sperling (de Berlin). — Je ne puis que désapprouver qu'on ait ainsi posé la question : L'hypnotisme est il un état de sommeil normal physiologique ou un état anormal, pathologique? M. Bernheim prétend que c'est un état normal ; d'antres affirment le contraire. De quel coté est la vérité 1 Nous ne connaissons même pas le sommeil naturel dans ses états profonds et dans ses modifications individuelles; nont ne savons même pas dans quelles conditions il se produit. II est des médicaments qui produisent le sommeil chez les uns et qui excitent les antres. Si vous voulez dune comparer une chose avec une autre, il faut les connaître toutes les deux ; sans cela la comparaison n'est pas rationnelle. On ne peut donc comparer l'hypnose avec le sommeil naturel. S'attarder à ces débats, c'est parler pour le roi de Prusse.

M. Bernheim a dit que beaucoup des effets thérapeutiques attribués a l'électricité, l'hydrothérapie, les agents chimiques sont dus à ta suggestion. Cela ne me parait pas exact, au moins en ce qui concerne l'électricité. On trouve dans la littérature électro-thérapeutique des cas de guérisons obtenus chez des petits enfants et sur des chiens. J'ai pu m'assurer moi-même qu'on pouvait obtenir de remarquables effets par des courants galvaniques. Il y a aussi des effets certains produits par les agents chimiques et ces effets ne peuvont être mis au compte de la suggestion. Il y a même là de nouvelles études à entreprendre et il serait utile de connaître l'action de beaucoup de substances en dehors de toute suggestion. Il y aurait aussi à rechercher si la puissance électrique de ces «ubsuinces, ayant une certaine analogie avec la force vitale de l'organisme humain, n'est pas la cause active de leur action thérapeutique.

M. Pierre Janet. — Autrefois on s'efforçait de montrer la réalité et l'importance des phénomènes hypnotiques, de les distinguer, autant que possible, de la simulation et de la complaisance. Aujourd'hui tont est changé ; l'hypnotisme est confondu avec les phénomènes les plus simples de la vie courante. Bien plus, on renonce au mot hypnotisme et à la cho«e même. On ne conserve plus qu'une notion : c'est que cet hypnotisme qui n'est rien, possède une puissance merveilleuse et guérit tout. Faut-Il doue que la psychologie introduite dans la médecine vienne simplement y apporter le gâchis. Claude Bernard l'a déjà démontré autrefois : tous les phénomènes pathologiques contiennent à tour point de départ des phénomènes normaux et en sont cependant bien distincts. L'hypnotisme ne saurait lui non plu» échapper à cette loi.

VARIÉTÉS

La Psycho-physiologie a la Comédie-Française.

La reprise du Juif Polonais, à la Comédie-Française, ramène l'attention sur une des tentatives les plus hardies qui aient été faites au théâtre d'analyser des phénomènes d'ordre purement psychologique, comme le sont les rêves. En effet, la scène capitale du beau drame de MM. Erkmann et Chatrian est constituée par l'étude d'un cauchemar, pendant lequel le vieil assasin Mathis rêve qu'il passe en Cour d'assises et que la puissance mystérieuse d'un hypnotiseur lui arrache son secret.

Rappelons d'abord en quelques mots le sujet du drame, d'après un compte rendu fait en 1869 par M. Jules Claretie :

« Le bourgmestre Mathis, un soir d'hiver, il y a longtemps, a vu rentrer chez lui un juif polonais avec une ceinture pleine. Mathis était alors aubergiste et l'auberge allait mal. L'échéance approchait; point d'argent, et sur la tète une menace d'expropriation. Cette ceinture posée là par le juif sur la table de l'auberge, elle pourrait tout sauver? Mathis se pose sur le passage du juif, une hache à la main. Il entend la sonnette du cheval, se précipite sur l'homme et le tue. Puis, la ceinture prise, il porte le cadavre dans uu four à plâtre et l'y brûle. Et c'est ainsi qu'on fait fortune.

« Depuis ce temps, Mathis a vécu heureux, honoré, riche et bourgmestre. Il a son banc à l'église; on le salue quand il passe. C'est un fou mari et un bon père. Sa femme Catherine, qui ne se doule de rien, l'adore, cl sa fille Annette est la plus belle du pays. Mathis ne croit pas au remords. Comment y croirait-il ? Il entend bien parfois à de certaines heures, comme un bruit de sonnette qui lui rappelle le tintement des grelots du cheval. Mais qu'est cela? Cest le sang. Il se met le petit doigt dans l'oreille et le remords cesse, puisque pour lui le remords est un bourdonnement. Ce Macbeth madré et bourgeois n'a pas peur du spectre de Banquo, et il se frotte les mains, de temps à autre, en se redisanl qu'il mourra vieux, et qu'il aura une belle pierre avec des lettres d'or sur sa tombe. Ce sceptique s'amuse même des épilaphes. Il sait que la vertu et la bonne renommée s'achètent chez le marbrier.

« Mais il y a aussi le gendarme. Mathis n'hésite pas : il met la gendarmerie de son coté. 11 donne sa fille, qui est riche, au maréchal-des-logis Christian, qui n'a rien. Et qu'on vienne donc parler au gendre des exploits nocturnes du beau-père.

« — Ça va bien ! ça va très bien ! dit Mathis.

« D a pourtant des inquiétudes, li a vu lout à l'heure, à Ribeau ville, un Parisien qui endort les gens en leur faisant des signes el qui les force a parler. Je vous demande un peu cette invention ! Tout en songeant, el pendant que les gens de la noce chantent, Mathis se met au lit, s'endort et fait

un rêve. Un rêve ? Celui de tous les coupables : le rêve du tribunal qui condamne et du bourreau qui va punir. Les juges en robe rouge sont là, les accusateurs et la hache et la robe du juge, et le président qui demande à Mathis:

« — Pourquoi entendez-vous des bruits de sonnette? . Pâle, en haillons. Malhis se débat. Il nie, il réclame, il avoue bien qu'il entend ce bruit, mais eu rêve. « si ce n'était pas un rêve, est-ce que ces

« juges porteraient des perruques, comme du temps des anciens seigneurs. « il y a plus de cent ans ? » Mais le président le menace de faire venir le songeur, cet homme qui fait parler les gens malgré eus. Matins proteste, il crie, il appelle Christian. Où est Christian? Pourquoi Christian n'est-il pas ici ? Christian est mort. Le songeur eutre. On met à Mathis le manteau du juif. El le songeur, fixant ses yeux sur l'assassin, le courbe, le magnétise et le force à conter tout haut, devant tous, comment il a tué le juif polonais dans la neige.

« Ce qui est tout à fait remarquable ici et nouveau au théâtre, c'est la façon dont MM. Erckmann-Chatrian ont rendu l'obsession du cauchemar el le décousu du rêve. La scène entière a je ne sais quoi de bizarre et de falot. Le meurtrier y rumine véritablement loul son passé, tous ses souvenirs, toutes ses craintes. Il est bien seul dans ce tribunal, abandonné, comme dans ces mauvaises rêveries où, en dormant, on sent autour de soi le vide. C'est encore du réalisme, cet acte fantastique, et la vérité est là toute psychologique ou physiologique. »

Depuis 1869, la science psychologique a marché. Les recherches sur l'hypnotisme sont venues éclairer d'un jour nouveau beaucoup de ces questions considérées comme appartenant au domaine du merveilleux. L'on ne sait véritablement ce qu'on doit admirer le plus de l'art dramatique déployé par les auteurs ou bien de leur puissance de conception qui leur a fait deviner, pour ainsi dire, le rôle que la suggestion joue dans la production des phénomènes.

Tout d'abord ce qui frappe, c'est la résistance de Mathis à se soumettre à l'expérience proposée. La discussion de savoir si un juge a le droit de se servir de l'hypnotisme pour obtenir l'aveu d'un accusé, a été maintes fois soulevée depuis quelques années. Elle a toujours, jusqu'ici, été résolue dans le sens de la négative cl comme contraire aux principes du droit strict. C'est aussi à ce point de vue que se place Mathis. 11 s'oppose à ce qu'on l'endorme et il invoque les deux arguments qu'on a coutume d'invoquer en pareil cas :

« Les songes ne prouvent rien; c'est contraire à la justice. »

Le juge passe outre, et l'attitude, ainsi que les paroles de l'hypnotiseur, nous montrent qu'il connaît la suggestion. En effet, il procède, pour endormir le criminel, comme s'il était imbu des doctrines de l'Ecole de Nancy. Il commence par affirmer qu'il peut l'endormir, et, lorsqu'il a provoqué chez Mathis l'hallucination rétroactive qui portera sur le souvenir du crime, c'est par suggestion qu'il le réveille : « Eveillez-voust dit-il, je le veux ! » Ce

procédé de réveil n'est-il pas conforme à ce qu'enseignait depuis longtemps M. le D' Liébeault. à Nancy. D'ailleurs, la scène ne se passe-t-elle pas en Alsace, à quelques lieues de Nancy?

La pièce fut jouée en 1869, et le livre de M. Liébeault date de 1S66. Les pratiques étaient connues de beaucoup de personnes en Alsace-Lorraine, puisqu'il avait déjà, à cette époque, endormi plusieurs milliers de sujets. On savait, dans la région, que le savant médecin de Nancy avait le pouvoir d'endormir les gens en leur disant : « Endormez-vous. » Ils savaient aussi qu'ils les éveillait comme le fait l'hypnotiseur dans la scène du Juif polonais, par ces simples mots : « Eveillez-vous, je le veux. »

Ces rapprochements n'étaient pas inutiles à faire, aujourd'hui que la doctrine de la suggestion, discutée encore hier, est acceptée par tous comme un phénomène élémentaire. Nos lecteurs pourront se faire une idée plus complète de l'intérêt psychologique que présente la scène à laquelle nous venons de faire allusion en lisant le texte :

LE CAUCHEMAR DE MATHIS

SCÈNE IV

mathis, le greffier, le président

Le greffier, lisant l'acte d'accusation. — En conséquence, messieurs les juges, Haas Mathis est accusé d'avoir, dans la nuit du 24 décembre 1818. entre minuit et une heure du matin, assassiné le Polonais Baruch Kowesky sur le pont de Wéchem pour lui voler sa ceinture remplie d'or.

La président. — Hans Mathis. tous venez d'entendre l'acte d'accusation et les dépositions des témoins. Qu'avez-vous à répondre?

Mathis. — Des témoins! Des gens qui n'ont rien vu... des gens qui demeurent à deux, trois lieues de l'endroit où s'est commis le crime... dans la nuit... en hiver. Vous appelez cela des témoins!

Le président. — Bépondez avec calme; ces gestes, ces emportements ne peuvent vous être utiles. Vous êtes un homme bien rusé.

Mathis. — Non, monsieur le président, je suis un homme simple.

Le président. — Vous avez su choisir le moment... Vous avez su détourner les soupçons... Vous avez écarté toute preuve matérielle. . Vous êtes un être redoutable !

Mathis. — Parce qu'on ne trouve rien contre moi, je suis redoutable. Tous les honnêtes gens sont donc redoutables, puisqu'on ne trouve rien contre eux?

Le président, d'un ton grave. — Accusé, vous persistez dans vos dénégations ?

Mathis, avec force. — Ouil Il n'y a rien contre moi. C'est la plus grande injustice de tenir un honnête homme dans les prisons. Je souffre pour la justice.

Lb Président. — Vous persistez. Eh bien! nous, considérant que celte affaire dure depuis quinze ans, qu'il est impossible de l'éclaircir par les moyens ordinaires; — Vu la prudence, la ruse et l'audace de l'accusé; — Vu la mort des témoins qui pourraient nous éclairer dans celle œuvre laborieuse, à laquelle s'attache l'honneur de notre tribunal ; — Attendu que le crime ne peut rester impuni, que l'innocent ne peut succomber pour le coupable ; — Considérant que cette cause doit servir d'exemple aux temps à venir pour refréner l'avarice, la cupidité

de ceux qui se croient couverts par une longue suite d'années; — A ces causes, ordonnons qu'on entende le sondeur. — Huissiers, faites entrer le songeur!

Mathis. d'une voix terrible. — Je m'y oppose... Je m'y oppose.» Les songes ne prouvent rien!

Le president — Faîtes entrer le songeur.

Mathis, frappant sur la table. — C'est abominable, c'est contraire à la justice.

Le président. — Si vous êtes innocent, pourquoi donc redoutez-vous le songeur ? Parce qu'il lit dans les âmes I Croyez-moi, soyez calme, ou vos cris prouveront que vous êtes coupable.

Mathis. — Je demande l'avocat Llnder, de Saverne; pour une affaire pareille. Je ne regarde pas à la dépende. Je suis calme comme un homme qui n'a rien a se reprocher. Je n'ai peur de rien; mais les raves sont des rêves...

SCÈNE V

les précédents, le songeur

Le songeur. — Monsieur le président et messieurs les juges, c'est In volonté de votre tribunal qui me force a venir; sans cela, l'épouvante me tiendrait loin d'ici.

Mathis. — On ne peut croire aux folies des songeurs; ils trompent le monde pour Bagner de l'argent. Ce sont des tours de physique. J'ai vu celui-ci chez mon cousin Both, à Ribeauvillé.

Le président, ou songeur. — Pouvez-vous endormir cet homme?

Lb songeur, regordant Mathis. — Je le puis. Seulement, existe-t-il quelques restes de la victime?

Le président, indiquant les objets sur la table. — Ce manteau et ce bonnet.

Le songeur. — Qu'on revête l'accusé du manteau.

Mathis, poussant un cri épouvantables — Je ne veux pas !

Le président. — Je l'ordonne.

Mathis, se débattant. — Jamais !... Jamais !...

Le président. — Vous êtes donc coupable?

Mathis, aux gendarmes qui lui mettent le manteau. —Tuez-moi tout de suite.

Le président. — Votre résistance vous trahit, malheureux!

Mathis. —Je n'ai pas peur... (Il a le manteau et frissonne. — Bat, te parlant à lui-même.) Mathis. si tu dors, tu es perdu!... (Il reste debout, les yeux fixes devant lui, comme frappé d'horreur. — D'un ton sourd.) Non... non... Je ne veux pas... je... — (D'une voix haletante.) Otez-moi ça... ôtez....(Il s'affaise sur sa chaise, dominé par le regard du songeur.)

Le songeur, se précipitant. — Il dort. Que but-il lui demander ?

Le président. — Ce qu'il a fait dans la nuit du 24 décembre, il y a quinze ans.

Le songeur. — Vous êtes à la nuit du 24 décembre 1818?

Mathis, endormi. — Oui.

Le songeur. — Quelle heure est-il ?

Mathis. — Onze heures et demie.

Lb soxobur. — Parlez... je le veux.

Mathis. — Les gens sortent de l'auberge. Catherine et la petite Annette sont allées se coucher. Kasper rentre... il me dit que le four à plâtre est allumé. Je lui réponds : — C'est bon... va dormir, j'irai là-bas. — D monte. Je reste seul avec le Polonais, qui se chauffe au fourneau. Dehors tout est endormi. On n'en-tend rien que de temps en temps la sonnette du cheval sous le hangar. Il y » deux pieds de neige. (Silence.)

Le songeur. — a quoi pensez-vous ?

Mathis. — Je pense qu'il me faut de l'argent... que si je n'ai pas trois mille francs pour le 31, l'auberge sera expropriée... Je pense qu'il n'y a personne dehors... qu'il fait nuit et que le Polonais suivra la grande route, tout seul dans la neige.

Le songeur. — En-ce que vous êtes déjà décidé à l'attaquer ?

Mathis, après un instant de silence. — Cet homme est fort... il a des épaules larges... Je pense qu'il se défendra bien, si quelqu'un l'attaque. [Mouvement de Mathis.)

Le songeur. — Qu'avez-vous?

Mathis, bas. — 11 me regarde... Il a les yeux gris. (D'un accent intérieur, comme se parlant à lui-même.) Il faut que je fasse le coupl... Le songeur. — Vous êtes décidé ?

Mathis. — Oui... Je forai le coup!... je risque... je risque... Le songeur. — Parlez 1

Mathis. — Il faut pourtant que je voie... Je sors... Tout est noir... il neige toujours... on ne verra pas mes traces dans la neige. (Il lève la main et semble chercher quelque chose.)

Le songeur. — Que faites-vous ?

Mathis. — Je tâte dans le traîneau... s'il y a des pistolets !... (Les juges se regardent, mouvement dans l'auditoire.) II n'a rien... je ferai le coup... oui ! (Il écoute.) On n'entend rien dans le village... L'enfant d'Anna Waber pleure... Une chèvre bê!e dans l'étable... Le Polonais marche dans la chambre.

Le songeur. — Vous rentrez ?

Mathis. — Oui. Il me demande combien jusqu'à Mulxig ?... Quatre petites lieues... Je lui souhaite un bon voyage... Il me répond : Dieu vous aide! (Silence.) Ohl oh ! (La figure de Mathis change.)

Le songeur. — Quoi ?

Mathis, bas. — La ceinture! (Brusquement, d'une voix sèche.) Il sort... il est sorti !... (Mathis. en ce moment, fait quelques pas les reins courbés; il semble suivre sa victime à ta piste. Le songeur lève le doigt, pour recommander l'attention aux juges. — Mathis, étendant la main.) La hache!... où est la hache?... Ah: ici, derrière la porte. — Quel froid! la neige tombe... pas une étoile... courage, Mathis. tu auras la ceinture... courage! (Silence.)

Le songeur. — Il part... Vous le suivez?

Mathis. — Oui.

Le songeur. — Où êtes-vous ?

Mathis. — Derrière le village... dans les champs... Quel froid! (Il grelote.) Le songeur. — Vous avez pris la traverse ?

Mathis. — Oui... oui... (Etendant te bras.) Voici le grand pont... et là-bas. dans le fond, le ruisseau... Comme les chiens pleurent à la ferme de Daniel... comme ils pleurent !... Et la forge du vieux Finck, comme elle est rouge sur la côte !... (Bas, se partant à lui-même.) Tuer un homme... tuer un homme... Tu ne feras pas ça, Mathis... tu ne feras pas ça... Dieu ne vent pas 1... (Se remetíant à marcher, les reins courbés.) Tu es fou!... Ecoute, tu seras riche... ta femme et ton enfant n'auront plus besoin de rien... Le Polonais e*t venu... tant pis... tant pis... Il ne devait pas venir!... Tu payeras tout, tu n'auras plus de dettes... (Crtani d'un ton sourd.) Il n'y a pas de bon Dieu, il faut que tu l'assommes !... Le pont!... déjà le pont!... (Silence; il s'arrête et prèle l'oreille.) Personne sur la roule, personne... (D'un air d'épouvante.) Quel silenceI (Il s'essuie te front de ta main.) Tu as chaud, Mathis... ton cœur bat... C'est à force de courir... Une heure sonne à Wéchem... et la lune qui vient.. Le Polonais est peut-être déjà passé ?... Tant mieux... tant mieux! (Écoutant.) La sonnette... oui!... (Ils'accroupit brusquement et reste immobile. Silence. Tous les yeux sont fixés sur lui. — Bas.) Tu seras riche... tu seras riche... tu seras

riche!... (Le bruit de la sonnette s'approche rapidement. Une jeune femme se couvre la figure de son tablier, d'autres détournent ta tête. Tout à coup Mathis se dresse en poussant une sorte de rugissement et frappe un coup terrible.) Ah: ah ! je le tiens... juif!... (Il se précipite en avant et frappe avec une sorte de rage.) Une femme. — Ah!

Mathis, se redressant. Il se penche et regarde; puis frappant un dernier coup. — Il ne remue plus ...(Il se relève en exhalant un soupire et promène les yeux autour de lui.) Le cheval est parti avec le traîneau. (Ecoutant.) Quelqu'un!... (Il se retourne épouvanté et veut fuir.) Non... c'est le vent dans les arbres... (Se baissant.) Vite... vite... la ceinture !... Je l'ai... ah! Ut fait le geste de se boucler la ceinture aux reins.) Elle est pleine d'or, toute pleine !... Dépêche-toi. .. Mathis... dépêche-toi... emporte-le !... (Il se baisse et semble charger te corps sur son épaule; puis il se met à tourner autour de la table du tribunal, les reins courbés, le pu lourd comme un homme plogant sous un fardeau.)

Le songeur. — Où allez-vous ?

Mathis. s'arrètant. - - Au four à plâtre.

Le songeur. — Vous y êtes.

Mathis. — Oui! (faisant le geste de jeter son fardeau à terre.) Comme il était lourd ! (Il respire avec force, puis et se baisse et semble ramasser de nouveau le cadavre. — D'une voix rauque.) Va dans le feu. Juif ! va dans le feu !... (Il semble pousser avec une perche de toutes ses forces. Tout à coup il jette un cri d'horreur et s'affaise, la tête entre ses mains. — Bas.) Quels jeux !... oh! quels yeux !... comme il me regarde !... (Long silence. Relevant la tête. ) Tu es fou, Mathis!... Regarde... Il n'y a déjà plus rien que les os... Les os brûlent aussi... Maintenant la ceinture... Mets l'or dans tes poches... C'est cela. (Il fait le geste de jeter la ceinture dans le four.) On ne trouvera pas de preuves... Personne ne saura rien... rien !...

Le songeur, au président. -- Que faut-il encore lui demander?

Le président. — C'est bien. [Au greffier. ) Vous avez écrit ?

Le greffier. — Oui, monsieur le président.

Le président, — Eh bien, qu'on l'éveille et qu'il voie lui-même.

Le songeur. — Éveillez-vous... je le veux ! (Mathis s'éveille; il est comme étourdi.)

Mathis. — Où donc est-ce que Je suis ? (Il regarde.) Ah! oui... Qu'est-ce qui se passe ?

Le greffier. — Voici voire déposition... Lisez.

Mathis, après acoir la quelques lignes. — Malheureux! j'ai tout dit! Je suis perdu !...

Erckmann-Chatrian.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

La Société d'hypnologie se réunira le lundi 17 octobre, à quatre heures e d'emie précises, au palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. le Dr Dumontpallier :

l° Lectures et communications diverses :

2° Présentation de malades;

3° Vote sur l'admission do nouveaux membres.

Adresser les communications à M. le Dr Bérillon. secrétaire général, rue de Rivoli, 40 bis.

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Institut psycho-physiologique de Paris. 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé eu 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronnage de sifunis et de professeurs autorises, est destiné à fournir aux médecins et aux éludants an enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerreuses est annexée à l'Institut psycho-physiologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis. Jeudis et samedis, de 10 heures à midi. Les médecins et étudiants régulièrement Inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Pendant le semestre d'hivor 1892-93. de« leçons théoriques et pratiques seront faites le samedi, à 10 heures et demie, par MM. les Drs Bérillon et O. Jennings.

Faculté de Nancy. — M. le professeur Bernheim. consacre chaque année, pendant le semestre d'hiver, plusieurs leçons cliniques à l'étude de la suggestion et do l'hypnotisme. ,

Sorbonne. — M. Jules Soury, docteur ès-lettres, maître de conférences à l'École pratique des Hautes Études, commencera, le vendredi 18 novembre, à la Sorbonne, un cours de psychologie physiologique. Il traitera de l'Audition intérieure.

Université de Zurick. — M. le professeur Forci a inauguré, pendant le semestre d'hiver 1887-1888, un cours universitaire sur l'hypnotisme. Ce cours est répété depuis lors toutes les années pendant le semestre d'hiver.

The american psychological association . — Sur l'invitation de M. le professeur Stanley Hall, de la Clark university, une réunion de psycholopues américains s'est réunie à l'Université de Wercester (Massachussets). La réunion était présidée par M. le professeur Fullerton. de l'Université de Pensylvanie.

Elle a décidé la création aux Etats-Unis d'une Société pour l'étude des question» psychologiques.

Le Comité d'organisation est représenté par MM. Stanley Hall, Fullerton, Jastrow, W James, Ladd, Cattel et Baldwin La Société comprend déjà un assez grand nombre d'auteurs connus par des travaux importants. Le secrétaire général est le professeur Jastrow (Madison. Wisconsîn).

Un nouveau journal d'hypnotisme.

Nous apprenons l'apparition, pour le 20 octobre, à Berlin, d'un nouveau journal d'hypnotisme, sous le titre de : Zeitschrift fur hypnotismus, sugges-tionstherapie, suggestionstehre, und verwandle psychologische Fors chungen.

Celle publication sera dirigée par M. le Dr Grossmann, de Konitz. Sur la liste des collaborateurs, nous relevons les noms d'un grand nombre de collaborateurs de la Revue de l'Hypnotisme.

Nous pensons que le Zeitschrift fur hypnotismus est appelé à vulgariser rapidement, en Allemagne, des doctrines qui. depuis plusieurs années, ont acquis droit de cité en France. Il est même étonnant que l'Allemagne soit restée si longtemps indifférente à ce mouvement et que l'idée de publier un Journal spécial sur cette question n'ait pas été plus tôt imitée.

Nous exprimons à notre nouveau confrère tons nos souhaits pour l'œuvre utile qu'il entreprend.

L'Hypnotisme à Florence

Nous avons déjà, annoncé la création, à Florence, d'une société fondée dans le but d'étudier les questions qui reliront de l'hypnotisme. Cette société, qaî compte actuellement enriron cinquante membres et est composée presque exclusivement de médecins, de jurisconsultes et de profeseurs. a pour organe une Revue mensuelle qui a pris comme titre : Magnetismo et Hypnotismo.

Nous avons suivi avec le plus grand intérêt les progrès réalisés par cette excellente revue, sous la direction de. M. C. D. Oliuto del Torlo. Nous apprenons que, pour mieux préciser le but scientifique qu'elle poursuit, l'organe de la Société médico-psychologique italienne simplifiera son litre. Dès le commencement de l'année 1893, elle s'appellera simplement : L'Ipnotismo.

Actuellement, tons les savants semblent s'être mis d'accord pour comprendre, sous le nom générique d'hypnotime, l'ensemble des phénomènes provoqués chez les sujets par l'effet d'une action purement psychique. La vulgarisation de ces études ne peut que gagner à l'emploi d'une terminologie acceptée par tous avec la même signification.

Un faux témoignage suggéré devant la justice. La suggestion et l'hypnotisme, qui ont joué an si grand rôle dans un procès récent, ont pénétré depuis dans un bon nombre de procès criminels. Dans la dernière session des assises de l'Aisne, ces idées nouvelles paraissent avoir agi en faveur d'un accuse ; elles ont brouillé si bien la cervelle des Jurés qu'ils ont voté l'acquittement. Il s'agissait d'un assassinat et d'une tentative d'assassinat sur un mari et sa femme. La femme périt, le mari en réchappa. Mais quel était l'assassin î Le mari l'avait vu, et il lui semblait que c'était un nommé Damble— mont. Malheureusement, il ne pouvait l'animer, et le médecin qui lui avait donné les premiers soins avait déclaré qu'il était alors atteint de commotion cérébrale ; c'était bien vraisemblable, puisqu'il avait reçu on coup de marteau sur la tête et on autre qui lui avait cassé la mâchoire. il est donc probable qu"il n'avait pat les idées très nettes lorsqu'on l'interrogea quelques minutes plus tard.

Mais voilà où apparaissent la suggestion et l'hypnotisme. Au nombre des personnes accourue près du blessé, par charité ou par curiosité, se trouvaient un instituteur et un greffier de juge de paix. El alors se passa une scène à trois personnes qui devint presque le nœud de l'affaire. L'instituteur : M. Lemaire : le greffier : M. Faisant; le blessé : M. Bouvry. L'instituteur demanda k Bouvry qui l'avait blessé. « Je crois, répondu celui-ci. que c'est Damblemont, mais Je ne puis l'affirmer; je ne me souvient pas..., c'est comme dans un rêve. — Mais c'est Damblemont qui est coupable ; c'est Damblemont », dit par trois fois Lemaire k Bouvry. comme si, dit M. Faisant, il voulait lui Insinuer cette idée et la lui imposer. Et le greffier insiste : « Pour moi, l'accusation de Bouvry lui a été suggérée; le nom de Damblemont a été prononcé devant Bouvry k plusieurs reprises et a fini par s'insiuuer dans son esprit ». Le juge de paix lui-même croît à la suggestion ; il croit que Lemaire avait beaucoup d'influence sur l'esprit de Bouvry.

Tontes ces dispositions ont jeté un tel désarroi dans l'esprit des juges que, dans leur doute, ils se sont abstenus do condamner l'accusé, qui pourtant avait de terribles charges contre lui. (Union médicale.)

L'Adimnistrateur-Gérant : Émile BOURIOT.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THERAPEUTIQUE

LE TRAITEMENT PSYCH0THÉRAPIQUE DE LA MORPHINOMANIE (1)

Par le Dr BÉRILLON

Médecin inspecteur adjoint des Asiles publics d'aliénés. Directeur de la Revue de l'Hypnotisme.

La question du morphtnisme ou de la morpbinomanie. qui en est la conséquence inévitable, commence ajuste titre a préoccuper les médecins et les psychologues.

Cette nouvelle forme d'intoxication a fait de tels progrès dans ces dernières années, que beaucoup d'autours n'hésitent pas à la signaler comme un véritable danger social. A nos yeux, la gravité du mal résulte moins de son extension rapide à toutes les classes de la société que de la fréquence de son développement dans les milieux intellectuels. Si l'on établissait la liste de tous les esprits d'élite, savants, médecins, littérateurs, artistes, qui sont devenus les tributaires de la plus tyrannique des habitudes, on serait surpris de sa longueur. L'on ne serait pas moins étonné de la notoriété des hommes que la morphinomanie a brusquement arrêtés dans le cours d'une brillante carrière et qui lui ont sacrifié entièrement leur valeur morale et intellectuelle.

Il faut bien le reconnaître, c'est surtout dans les milieux intellectuels que la douleur morale et physique est la plus redoutée; c'est ce qui explique la facilité avec laquelle beaucoup de personnes ont recours à la morphine pour se soustraire à des douleurs jugées intolérables. Presque tous les morphinomanes que nous avons eu l'occasion d'observer avaient d'abord accepté avec reconnaissance le secours de ce merveilleux anes-thésique. Aucun d'eux ne se doutait de la rapidité avec laquelle s'établit le besoin morphinique, et l'accoutumance au poison s'était opérée d'une

(1) Communication faite à la Société d'Hypnologie el de Psychologie.

façon si insidieuse, que la plupart ne savaient plus faire la distinction entre les souffrances de l'abstinence et celles qui avaient amené l'usage du médicament.

Cette confusion constitue le plus souvent la première difficulté à laquelle on se heurte lorsqu'il s'agit d'entreprendre le traitement de la morphinomanie. Le malade manque rarement d'invoquer l'argument suivant :

« Qui me répond, lorsque je serai débarrassé de la morphine, que je ne ressentirai plus les douleurs qui en avaient précédé l'emploi ? »

Cette difficulté n'est pas la seule. Sous l'influence de son intoxication, le morphinomane ne tarde pas à présenter les troubles psychiques les plus variés. De toutes les fonctions, celle du sommeil est la plus profondément altérée. Si la morphine favorise le sommeil au début, elle ne tarde pas, au contraire, à engendrer l'insomnie nocturne ta plus rebelle. Le malade ne peut plus s'endormir le soir et il devient fréquemment noctambule; par contre, pendant la majeure partie de la journée, il lui arrive souvent de rester comme une masse inerte, incapable de penser, d'agir, de se mouvoir. Il n'a pas le courage de s'arracher de son lit et. si sa situation de fortune le lui permet, prend facilement l'habitude d'y passer la plus grande partie de la journée. Selon qu'il est ou non sous l'influence de ses piqûres, il passe par des alternatives d'anesthésie profonde ou d'hyperesthésie auxquelles participe le système nerveux tout entier. Si, à certains moments, il est indifférent a tout, dépourvu d'initiative, en proie a des rèvasseries pénibles, à d'autres, lorsqu'il sera sous l'influence d'une piqûre récente, vous le verrez brillant, animé, capable de faire une certaine figure dans le monde ou de se livrer à ses occupations habituelles. Il lui semble qu'il s'est infusé, par l'injection hypodermique, comme un élixir de vie. Mais la durée de la période d'animation tend de plus en plus à s'abréger. Bientôt l'excitation factice créée par l'injection s'éteint, les sensations les plus normales sont douloureusement ressenties. A mesure que la crise d'abstinence se développe, les souffrances prennent un tel caractère d'acuité que le malade ne néglige rien pour en éviter le retour. C'est alors que l'on peut observer, dans toute sa netteté, le côté psychique et moral de la maladie, et constater l'apparition de singuliers phénomènes d'auto-suggestion. Démoralisé par la peur de la souffrance, le morphinomane s'exagère inconsciemment les effets douloureux de la suppression de la morphine. Il est en proie à une véritable hyperesthêsie auto-suggérée. Dans ces conditions, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'il subordonne toutes ses actions au désir d'éviter des douleurs dont la seule pensée détermine chez lui une dépression morale profonde.

Le morphinisine est donc primitivement une intoxication, secondairement il devient une véritable maladie do l'esprit, dont les effets se manifestent surtout par une altération de la faculté maltresse : la volonté. C'est dire que toute thérapeutique qui ne serait pas basée sur l'observation rigoureuse de l'état mental du malade, sera vouée a l'impuissance.

Ce qui caractérise essentiellement l'état psychique du morphinomane, c'est l'engourdissement, c'est l'anesthésie de la volante. Si la plupart de ses facultés intellectuelles sont restées intactes, si son imagination a survécu, et même, dans certains cas. si elle s'est exaltée, par contre, son initiative est abolie. Rien n'est plus frappant que l'esprit d'indécision, d'irrésolution d'attermoiement qu'il manifeste, surtout lorsqu'il s'agît d'entreprendre la cure de son habitude.

Une des illusions auxquelles nous tenons le plus, c'est celle de notre libre arbitre. Le morphinomane n'en est pas dépourvu. L'illusion qu'il caresse le plus longtemps est celle qu'il pourra se débarrasser de la morphine quand il le voudra. Pour en justifier la continualion. il se fournit à lui-même les arguments les plus spécieux, à tel point qu'il se félicite des services qu'elle lui rend lorsqu'il a besoin d'agir ou de travailler, ne voulant pas s'avouer à lui-même qu'il les paye d'un prix exagéré. En résumé. le morphinomane est avant tout victime de l'engourdissement de la volonté. Ajoutons i cela que les morphinomane* sont rarement indemnes des deux névroses qui exercent l'action la plus dépressive sur l'énergie morale, c'est-à-dire de l'hystérie, de la neurasthénie, sans compter le tabagisme et l'alcoolisme, si fréquemment observés chez ces malades, et l'on se rendra compte des difficultés inhérentes à toute tentative de traitement de la morphinomanie

Cependant, malgré l'étendue de leur irrésolution, il arrive souvent que, justement inquiets des troubles graves survenus dans leur nutrition, frappas de la déchéance de leurs facultés intellectuelles, nn de ces malades se décide à demander à la médecine de les guérir d'un mal qu'elle a presque toujours causé. Il reçoit alors le conseil de s'isoler momentanément dans une maison de santé.

Le conseil en lui-même est bon. mais il a peu de chances d'être écouté. Peu de morphinomanes, en effet, se résigneront à faire un tel aveu de leur impuissance. La plupart, adonnés à des travaux divers, le plus souvent scientifiques, littéraires ou artistiques, qu'ils parviennent à continuer, grâce à l'emploi de doses croissantes de leur «citant habituel, ne veulent pas se résigner à abandonner leur situation sociale ni la direction de leurs affaires. Ils redoutent les traits de la malignité publique, portée à considérer comme un aliéné toute personne qui entre dans une

maison de santé. En présence du refus obstiné de malades do se soumettre à l'isolement, un certain nombre de médecins se sont décidés à recourir à l'emploi de la psychothérapie, c'est-à-dire de la suggestion pendant l'hypnose, pour arriver â la guérison des morphinomanes.

A cet égard, les observations publiées par MM. Burkhard, Wet-terstrand (1), Auguste Voisin, Forel, Blocq. Zambaco, Morselli, Goro-dichze, sont des plus concluantes, et les résultats obtenus par nos confrères sont de nature à entraîner les convictions. Ayant eu nous-mème l'occasion d'appliquer la suggestion au traitement d'un certain nombre de morphinomanes, nous croyons le moment venu de préciser le rôle que la psychothérapie est appelée à jouer dans le traitement du morphi-nisme et de la morphinomanie. Ce rôle sera d'autant plus étendu que ces malades se montrent généralement très sensibles à la suggestion dès qu'ils se sont déterminés à guérir. Le médecin, et c'est là un point sur lequel nous jugeons utile d'insister, ne doit commencer le traitement que lorsqu'il s'est assuré qu'il a acquis la confiance absolue du malade. Ce n'est souvent qu'avec beaucoup de temps et beaucoup de patience qu'on parvient à acquérir sur les morphinomanes l'influence nécessaire pour diriger la cure avec autorité. Les faits viennent prouver que la guérison, pour être difficile, n'est pas impossible à obtenir. C'est pourquoi nous publions le résumé de quelques-unes de nos observations, qui nous semblent comporter un certain nombre d'enseignements utiles à retenir.

Observation I.

La première malade que nous avons eu l'occasion de traiter, Mme C..., âgée de cinquante-cinq ans, vint, en 18S7, nous demander le secours de la suggestion hypnotique contre des douleurs intolérables qu'elle éprouvait dans la région ovarienne gauche. Quelques années auparavant, elle avait subi une opération assez grave dans cette région, et c'est pendant la convalescence qu'elle avait commencé à recourir, sur les conseils de son médecin, à l'emploi de la morphine. Elle marchait le tronc fléchi à un angle de 45 degrés et ne se redressait que sous l'influence de piqûres de morphine. Alors môme la colonne vertébrale restait ensellée et elle n'avançait qu'en imprimant aux deux hanches des mouvements a latéralité analogues à ceux que présentent les personnes atteintes de luxation congénitale de la hanche. L'état général était des plus défectueux et la faiblesse très accentuée.

La malade ne venait pas nous demander de la guérir de l'habitude de la morphine; elle n'etait. préoccupée que des douleurs qu'elle ressentait dans l'abdomen. Nous épuisâmes -ans succès tous nos arguments pour la décider a diminuer la

(l) Le travail de M. te Dr Wetterstrand porle sur vingt-deux cas traités uniquement pur la suggestion. Dans dix-neuf cas, le traitement a été suivi de guérison complète. M. Wetterstrand considere le traitement psychologique comme devant amener une revolution complète dans le traitement de lu morphînomanie. Chez plusieurs de ses malades, il a eu secours à un sommeil prolongé pendant plusieurs semaines- Chez d'autres, la guérison a été obtenue en un temps très court.

morphine, attribuant a des phénomènes d'abstinence le retour périodique de ses douleurs. Nous nous heurtâmes à cette pétition de principes que nous avons rencontrée depuis lors chez la majorité des morphinomanes : « Guérissez-moi d'abord de mes douleurs; nous verrons ensuite ». Je dus me conformer à son désir, et elle fut profondément endormie en quelques séances. Incidemment, il m'arrira, en lui suggérant de ne plus ressentir ses douleurs, de lui faire valoir l'intérêt qu'elle aurait à supprimer l'usage de la morphine, cette habitude devant abréger notablement la durée de sa vie. Cette idée, déposée dans son esprit, y lit rapidement son chemin; quelques Jours après, la malade venait spontanément me demander de l'aider par la suggestion a se démorphiniser. Elle me donna ainsi l'explication de sa détermination : « Je tiens â vivre le plus longtemps possible, car jo sais que la nouvelle de ma mort ferait le plus grand plaisir à tel de mes héritiers. Or. si la morphine doit abréger ma vie, je vais la supprimer ».

Le traitement fut entrepris sans méthode. Je me bornai à lui suggérer de garder la volonté formelle de se guérir promptement, de devenir très avare de piqûres, et de continuer la suppression malgré toutes les souffrances qu'elle pourrait éprouver.

La malade était animée d'un tel désir d'arriver à la guérison complète qu'elle se deshabitua beaucoup plus rapidement que je ne lavais prévu, En moins de quinze jouis, sans le secours d'aucuu adjuvant médicamenteux, par la seule puissance de la volonté, secondée et stimulée par des suggestions quotidiennes, elle triompha des malaises les plus pénibles. Il fut possible, par des suggestions, d'atténuer beaucoup l'intensité des symptôme» et en particulier des sueurs profuses dont elle fut incommodée encore pendant plusieurs mois après la suppression définitive.

La guérison de la malade s'est maintenue depuis cinq ans. Elle m'a dit que l'argument qui avait eu une action décisive sur la guérison avait été la crainte, par moi suggérée, d'abréger les limites de son existence.

Observation ii.

La seconde malade que nous avons eu l'occasion de traiter par la suggestion, Mlle B.... Agée de trente ans, femme intelligente, ayant dirigé comme religieuse un service d'hôpital, mois ayant été expulsée de la communauté après une mise en demeure de supprimer brusquement son habitude, nous fut adressée par M. le Dr Gouel. Elle vint nous consulter le 4 février 1890. Trois ans auparavaut. e.le avait été atteinte de névralgies faciales intermittentes, pour lesquelles on lui fit des injections hypodermiques pendant deux ans (une ou deux par jour au début, huit à la fin:. Dans le courant de 1887,elle eut des abcès multiples pour lesquels elle entra à l'hôpital Beaujon. Elle y fut traitée par MM. les Drs Millard et Schwarz. qni décidèrent la suppression brusque de la morphine; elle tomba dans un délire qui dura quinze a dix-huit Jours. Elle fut en proie à uue grande excitation, chantant jour et nuit des cantiques. Quand le délire fut Uni, elle se réveilla guérie radicalement de son habitude, et la guérison se maintint deux ans. Il y a huit mois, les névralgies étant revenues, elle reprit de la morphine et débuta de suite par quatre injections par jour.

Le jour où elle vient nous consulter, elle a le teint jaunâtre, cachectique. Elle souffre de maux d'estomac; les digestions sont pénibles et elle a des alternatives de constipation et de débâcle. Depuisquelque temps, elle a des cauchemars terrifiants. Les règles sont supprimées depuis quelques mois. Quand l'heure de la piqûre arrive, si elle essaye de la relarder, elle est prise d'une façon presque inopinée de vomissements, de frissons et de diarrhée. Les idées tristes l'ont envahie et elle vit dans une préoccupation constante de l'avenir. Elle se fait par jour quinze piquûres de 5 milligrammes chaque ; la dose absorbée est d'environ S centigrammes par vingt-quatre heures.

Le traitement est comrnencé le 6 février 1890. Il est décidé que la malade tiendra se soumettre tous les Jours à la suggestion, et qu'elle supprimera une piqûre par Jour. Elle est profondément endormie dés la première séance- Le viugtième jour, conformément à une suggestion faite, elle dépose sur mon bureau les seringues et ce qui loi reste de morphine. Tous les malaises qu'elle ressent, tel" que diarrhée, vomissèments, sueurs profites, disparaissent sous l'indueuce de la suggestion. Les règles réapparaissent. Deux mois après, la malade était méconnaissable.

Le succès de cette cure a été dû engranda partie à une infirmière très dévouée, Mme Rousseau, qui, en massant fréquemment la malade, en la soutenant de ses conseils, en la surveillant avec vigilance, a contribué a assurer la guérison complète tt rapide de la malade. Dix- huit mois après, la guérison persiste.

Observation iii.

Mme B..., âgée de trente-trois ans, mère de quatre enfants, a commencé, en 1884. l'usage de la morphine à l'occasion de coliques néphrétiques. Ensuite, elle en fit à propos des moindres névralgies et surtout après l'ablation d'un polype de l'utérus opéré par le Dr Gooel. qui conseilla à la malade de venir me consulter. Elle y vint le 3 juillet 1890 Deux ans auparavant, ayant tenté de substituer la cocaïne à la morphine, elle fut prise do troubles mentaux assez graves, et surtout d'hallucinations. Elle entra à l'asile de Charenton. Le Dr Ritti supprima radicalement la morphine. Entrée le M février 1888, elle an sortit à la fin d'avril guérie et bien portante. Elle a gardé de ce traitement un souvenir terrifiant. Quand slie pense aux douleurs qu'elle a éprouvée, elle se demande comment elle n'est pas restée folle- A son entrée, elle pesait 99 livres; à sa sortie, elle en pesait 123. La guéri son fut de courte durée, au mois de septembre de la même année, étant en état de grossesse, son médecin lui exprime la crainte d'uue récidive de son polype de l'utérus. Par désespoir, elle reprend de la morphice. recommençant de suite par cinq piqûres par jour. Le jour où elle vient me consulter, elle en prend 40 centigrammes par vingt-quatre heures. Elle bit souvent plusieurs Injections sans retirer l'aiguille, car elle redoute les piqûres, ayant eu et ayant encore un certain nombre d'abcès; c'est, d'ailleurs, ce qui la décide à se guérir.

La malade passe la nuit à lire ; ses lectures dénotent un esprit assez cultivé : elle a lu tous les romans écrits par des auteurs connus. Elle ne s'endort qu'a quatre ou cinq heures du matin et se lève fort tard. Elle ne déjeune pas et se rendort souvent dans l'après-midi. Son caractère est devenu irritable et elle est presque insociable.

Le traitement, commencé le 3 juillet, fut continué sans interruption pendant un mois. Chose extraordinaire, la malase vint chique Jour à une consultation, sans en excepter une seule fois. 11 est Juste de dire qu'elle avait versé d'avance le montant du premier mois de traitement. Cela a certainement eu beaucoup d'influence sur sa persévérance. Dès le juillet, trois Jours après le début du traitement, elle ne prenait plus que 20 centigrammes. Le 16 juillet, elle n'en prenait plus que 3.

A chaque séance, elle était plongée dans un sommeil profond, avec amnésie au réveil. Elle recevait la suggestion et ne se faisait de piqûres qu'avec une profonde répugnance. Malgré les malaises éprouvés, vomissements, diarrhées, sueurs profuses, elle tint bon.

Le 21 Juillet, elle déposait sor mon bureau sa collection de seringues, conformément a une suggestion faite. Elle continua pendant quelques semaines à demander le secours de la suggestion contre des malaises qui surviennent de temps à autres. Elle avait repris l'habitude de dormir la nuit et elle avait recouvré son appétit et une excellente apparence générale.

Observation IV.

Le 1er mars 1892, Pauline L..., âgé de vingt-six ans. vient a ma clinique se plaignant de troubles nerveux et mentaux assez graves : hallucinations, cauchemars, idées de suicide, etc. Elle attribue ces symptômes à l'usage de la morphine. Entrée a la Charité en 1888, pour ses crises nerveuses, elle y fut traitée par des injections de morphine- En sortant de l'hôpital, elle en prenait 1 gramme par jour. Elle continua après sa sortie. Un pharmacien « à la conscience large », selon l'expression de celte femme, lui en vendait tant qu'elle voulait, au prix de 3 francs le gramme. Elle travaillait jour et nuit pour s'en procurer, préférant s'abstenir de manger que de s'en abstenir. L'apparition d'abcès, elle en eut jusqu'à dix à la fois, la déterminèrent à diminuer les doses; elle descendit d'elle-même à 50 centigrammes par jour.

Lorsqu'elle vient me consulter, elle prend 30 centigrammes par jour en huit piqûres. Elle est arrivée à un degré d'énervation extrême, ses sensations génitales sont abolies, la menstruation est presque entièrement supprimée.

Très hypnotisable, le traitement est facile. Chose assez curieuse, elle ne veut et ne peut être endormie que par certaines personnes. On lui suggère de diminuer les injections, une à une, chaque jour. Au bout de quatre jours, des vomissements bilieux ayant apparu, elle en a repris un peu plus. Au bout de quinze jours, elle n'en faisait plus que deux.

Pour terminer Je lui suggère, en rentrant chez elle, de jeter ses solutions, et après avoir tenté inutilement de se (aire une piqûre, de jeter la seringue par terre et de l'écraser avec le pied.

La suggestion est exécutée ponctuellement. Pendant quatre jours elle est restée au lit, ayant des vomissements et de la diarrhée, des sueurs froides, demandant de la morphine à ceux qui l'entouraient. Mais sa sœur, prévenue, faisait bonne garde. Le cinquième jour, les malaises avaient disparu et la malade se félicitait de n'être pas retombée dans ses habitudes. Depuis le 1er avril 1891, elle n'a pas repris de morphine. Elle a d'ailleurs reçu la suggestion énergique de résister à toute envie qui pourrait survenir. Pendant deux mois elle a eu encore des sensations très pénibles : crainte de mourir, état d'esprit lamentable à certains moments: mais elle s'empressait de venir demander le secours de la suggestion et toutes ses souffrances disparaissaient comme par enchantement.

J'ai pu m'assurer d'une façon indubitable que le malade «tait bien réellement guérie et qu'elle ne prenait plus de morphine.

Observation V.

Mme 0..., âgée de vingt-six ans, dans le cours d'une phlébite compliquée d'œdème douloureux remontant jusqu'au thorax, a commencé à prendre des injections de morphine qui, seules, arrivaient à calmer ses douleurs. L'accoutumance au médicament a été rapide, bien qu'elle n'en eût jamais éprouvé d'autre satisfaction que celle de combattre la douleur. Au bout de quelques semaines, "le médecin qui la traitait lui apprit à se taire des piqûres. Elle est arrivée ainsi â prendre 7 a 8 centigrammes par jour.

Le traitement est commencé le 24 mai 1892. Dès la première séance, une somnolence manifeste est obtenue. La malade reçoit la suggestion de supprimer d'elle-même une piqûre. Le soir même elle en supprime une et néanmoins passe une nuit meilleure.

Le lendemain, elle reçoit la suggestion de supprimer radicalement les piqûres du malin et de se lever à huit heures sans éprouver les malaises habituels. La suggestion est accomplie ponctuellement et la malade passe une matinée très agréable, s'étant levée à huit heures. Très intelligente, la malade seconde le traitement avec entrain. Elle manifeste le désir de se guérir très vite.

Des la troisième séance, elle dort profondément et reçoit ta suggestion de dîner le soir en Tille, sans piqûres préalables, et de m'apporter le lendemain ses flacons et les instruments qu'elle possède. A l'heure dite, la malade m'apporte deux seringues et deux flacons de morphine en cubes, rendus par un pharmacien peu scrupuleux.

Les effet» de celle suppression bru«que se sont promptement manifestés : pendant uu mois, elle a été très agitée, elle a en des frissons et des sueurs froides. Le lendemain de la suppression, une diarrhée abondante est survenue, elle a vomi son dîner de la Teille et elle arrive cher moi exténuée, découragée, se traînant avec peine. Je l'endors très profondément. Par une suggestion, je m'applique à dissiper les malaises et a lui rendre courage. Elle me quitte très gaie, trés ranimée et décidée s ne céder a aucune tentation de reprendre de la morphine Les jours suivants, elle reçoit la même suggestion La guérison s'est maintenue depuis six mois; tout fait prévoir qu'elle sera durable.

Pendant quatre mois, la malade est Tenue demander de temps en temps le secours de la suggestion.

Celte observation est remarquable par la rapidité avec laquelle la suppression a été effectuée. L'application rigoureuse do la méthode que nous appliquons eût exigé une suppression beaucoup plus lente: mais nous avons cédé aux sollicitations de la malade, pressée d'en finir. Nous devons reconnaître qu'elle a fait preuve d'une volonté peu commune; elle est d'ailleurs douée d'une intelligence très vive et d'un esprit très alerte. Nous avons, chez cette malade, eu recours a quelques stimulants physiologiques pour compenser les effets de la suppression brusque (digitale, extrait de coca), nous conformant, comme nous l'avons fait dans toutes les circonstances analogues, aux préceptes si justement formulés par le Dr Jennings.

Dans trois autres observations, le traitement par la suggestion a été employé comme adjuvant au traitement dirigé par notre éminent confrère le Dr Jennings, dont la compétence sur toutes ces questions est si grande. Le Dr Jennings a pu constater comme nous combien les phénomènes d'auto-suggestion dominent la situation, et il se propose d'y revenir dans un travail prochain, travail où seront consignés les résultats obtenus. Ce que nous devons retenir de l'influence de la suggestion dans le traitement, c'est qu'elle joue le rôle principal, tout d'abord pour déterminer le malade à entreprendre la guérison, ensuite pour réveiller sa volonté, la stimuler, lui rendre une somme d'énergie sulllsante pour ne pas se laisser décourager par les premiers malaises ressentis.

Nous sommes arrivés promptement a cette conviction, c'est qu'il y a intérêt a consacrer les premières séances de suggestion a raviver chez les malades la volonté défaillante. La partie essentielle du traitement consiste surtout à déterminer le malade à vouloir arriver à une guérison complète, à exalter son désir de se soustraire à la tyrannie de cette habitude, à la lui rendre odieuse, i le décider à faire preuve pour cela d'une

certaine initiative personnelle, en un mot à en faire l'agent le plus actif de la guérison.

De notre observation personnelle, nous croyons pouvoir déduire les conclusions suivantes :

1e Si la distinction qu'on a cherché à établir entre les morphiniques simples et les morphinomanes présente un certain intérêt au point de vue clinique et médico-légal, elle n'offre qu'un intérêt secondaire au point de vue thérapeutique ;

2° Dans les deux cas la psychothérapie, c'est-à-dire l'emploi de la suggestion hypnotique, permet, dans la majorité des cas, d'arriver à la suppression complète de la morphine sans avoir recours à l'isolement des malades dans un établissement spécial;

3° Dans les cas où l'isolement est jugé nécessaire, la psychothérapie facilite la guérison en diminuant d'une façon très appréciable les douleurs et les troubles variés de l'abstinence ;

4° La difficulté de la démorphinisation n'est nullement en rapport avec les troubles mentaux que présentent les malades, ni avec leur état de faiblesse au moment du début du traitement. Elle résulte surtout du défaut d'énergie du malade et de son irrésolution à se guérir;

5° La durée du traitement psycholhérapique est d'environ un mois; la morphine doit être supprimée graduellement. Lorsque le malade ne prend plus que 2 ou 3 centigrammes, il est utile d'effectuer la suppression définitive. A ce moment, les séances de suggestion devront être répétées pour combattre les malaises et soutenir l'énergie du malade;

6° La période de convalescence est d'autant moins longue que la suppression de la morphine a été plus lente. Pendant quelques mois après la suppression totale, les malaises qui surviennent fréquemment chez le malade sont facilement dissipes par suggestion ;

7° Les guérisons obtenues par l'emploi et avec l'aide de la suggestion sont beaucoup plus sûres que celles qui sont obtenues par la suppression forcée. Elles ont pour base le réveil de la volonté chez le malade, et la mise en jeu de cette volonté sera le meilleur obstacle à la récidive. En outre, il est possible d'inspirer par suggestion, a certains malades, un véritable dégoût pour la morphine.

L'ÉLOQUENCE ET LA SUGGESTION(1)

Par M. Paul SOURIAU. Ancien élève de l'École normale supérieure, professeur a la Faculté des Lettres de Lille.

Dans l'opinion courante, l'orateur est un artiste comme un autre, qui lui aussi se propose avant tout de nous donner le sentiment du beau. Pour nous montrer à quelles hauteurs peut s'élever l'art oratoire, volontiers on nous citera en exemple quelque morceau d'éloquence académique. Cette conception me semble bien superficielle. L'éloquence n'est pas l'art de bien dire, ni surtout l'art de bien parler pour ne rien dire. « On juge de l'habileté d'un musicien, a dit Ciceron, par les sons que rendent les cordes de sa lyre; de même on apprécie le talent de l'orateur d'après l'impression qu'il sait communiquer aux esprits. Un homme qui se connaît en éloquence n'a souvent besoin, pour établir son opinion, que de passer et de donner un coup d'œil sans s'arrêter, sans prêter son attention. Voit-il le juge bâiller, parler avec son voisin, se lever de sa place, s'informer de l'heure qu'il est, demander au président qu'il termine l'audience, c'en est assez; il comprend aussitôt qu'il n'y a pas là un orateur dont le discours fasse sur l'esprit des juges ce que la main du musicien fait sur les cordes d'une lyre. Mais s'il voit les juges, attentifs et les yeux fixés sur celui qui parle, témoigner par des signes d'approbation que le discours porte la lumière dans leur esprit; s'il les voit ravis, en extase, demeurer, pour ainsi dire, suspendus aux lèvres de l'orateur, comme on voit rester immobile un oiseau enchanté par des sons mélodieux; s'il voit enfin, ce qui est le plus important, la pitié, la haine ou quelque autre passion, les remplir d'un trouble involontaire; s'il s'aperçoit, dis-je, en passant, de pareils effets, même sans rien entendre, il prononcera hardiment qu'il y a devant ce tribunal un véritable orateur, et que l'œuvre de l'éloquence s'accomplit ou est déjà consommée (2). » On ne peut mieux dire. L'effet de la haute éloquence n'est pas esthétique, mais moral. Si l'orateur parle de son mieux, s'il cherche à charmer son auditoire, c'est pour augmenter son autorité personnelle de l'admiration et de la sympathie qu'il inspire; il n'orne son discours que pour en mieux faire accepter le fond. Son but n'est pas de faire briller son talent, mais d'agir sur les âmes.

L'action que l'on peut exercer sur une personne par suggestion ver(l) Extrait d'un livre uni vient de paraître choz Alean, sous le titre : La Suggestion dans l'art.

(2) Brulus, trad. V. Le Clerc. Paris. Lefevre, 1821, p. 149.

bale dépend du degré de suggestibilité du sujet et de l'autorité personnelle de l'opérateur.

Suggestibilité de l'auditeur. — Nous sommes tous disposés a croire ce qu'on nous dit au moment même où l'on nous parle, et par conséquent suggestibles jusqu'à un certain point. Le seul effort que nous faisons pour comprendre ce que l'on nous dit est un commencement d'adhésion. Comprendre une phrase, c'est entrer dans les idées elles sentiments qu'elle exprime, quitte à s'en dégager ensuite. Le grand silence qui s'établit dans une assemblée, dès les premières phrases, montre non seulement que l'orateur parle seul, mais que seul il pense. Tant que ses auditeurs le suivent, on peut dire qu'ils n'ont plus une idée à eux. De cette identification provisoire avec la pensée d'autrui, il est impossible qu'il ne reste pas toujours quelque chose.

Mais il est des personnes particulièrement dociles à l'influence de la parole. Ce sont celles qui par nature ont la volonté faible et l'imagination forte. A en juger par certains entraînements politiques que nous avons subis, et par la facilité avec laquelle nous nous laissons mener par des mots, on pourrait croire que le tempérament français est singu-lièrement suggestible.

II est encore des occasions où notre pouvoir de réaction personnelle aux influences extérieures sera diminué d'une manière notable : ainsi quand nous faisons partie d'une foule. L'homme des foules est un être particulier, dont on doit bien connaître la psychologie si l'on veut réussir dans la carrière oratoire. Il s'émeut vite et fortement; il a des instincts plutôt que de la réflexion; il se laisse aller très facilement aux sentiments généreux, que le respect humain lui impose alors même qu'il n'y serait pas porté pour son compte : « Honneur ! patrie ! liberté ! » Avec ces trois mots, prononcés d'une voix vibrante, on est sur de le forcer à applaudir. Mais aussi comme il est facile de surexciter ses pires instincts ! On est parfois surpris du succès qu'ont dans certaines réunions publiques les paroles de haine. Prenez les assistants un à an. vous trouverez des hommes de sens assez rassis et de moeurs paisibles, peu disposés à partir en guerre contre personne. Prenez-les tous ensemble, vous avez une foule exaltée, qui applaudit avec frénésie aux déclamations les plus sauvages. — Tous les acteurs savent que leurs effets portent bien plus si la salle est bien garnie que si l'auditoire est clairsemé : les émotions suggérées à de nombreux auditeurs se communiquent de l'un à l'autre par sympathie morale, reviennent à l'acteur dont elles échauffent le jeu. et sont renvoyées encore une fois à l'auditoire dont l'émotion est ainsi portée à son comble. — Il en est de même pour les effets de l'éloquence : la voix de l'orateur qui harangue une

foule y trouve un echo qui en augmente la force pathétique. Dans sou beau livre Des Sociétés animales (1). Alfred Espinas a fait une intéressante tentative pour expliquer mathématiquement cet effet de multi-plication. — « Examinons ce qui se passe dans une assemblée devant laquelle parle un orateur. Je suppose que l'émotion ressentie par lui puisse être représentée par le chiffre 10 et qu'aux premières paroles, au premier éclat de son éloquence, il en communique au moins la moitié i chacun de ses auditeurs qui seront 300, si vous le voulez bien. Chacun réagira par des applaudissements on par un redoublement d'attention; il y aura dans l'attitude de chacun je ne sais quoi de tendu, de tragique, et l'ensemble de ces attitudes soudainement manifestées produira ce qu'on appelle dans les comptes rendus un mouvement (sensation). Mais ce mouvement sera ressenti par tous à la fois, car l'auditeur n'est pas moins préoccupé de l'auditoire que de l'orateur et son imagination est soudainement envahie par le spectacle de ces 300 personnes frappées d'émotion : spectacle qui ne peut manquer de produire eu lui, d'après la loi énoncée tout à 1 heure, une émotion réelle. Admettons qu'il ne ressente que la moitié de cette émotion et voyons le résultat. La secousse ressentie par lui sera représentée, nou plus par 5, mais par la moitié de 5 multipliée par 300, c'est-à-dire par 750. Que si l'on applique la même loi à celui qui est debout et parle au milieu de cette foule silencieuse, ce ne sera pas le chiffre de 750 qui exprimera son agitation intérieure, mais 300 fois puisqu'il est le foyer oh toute cette foule profondément remuée renvoie les impressions qu'il lui communique. C'est ce qui fait que tant d'orateurs mal aguerris sont arrêtés à leur premier élan, précisément par le succès de leur parole : l'effet qu'ils produisent revient à eux tellement accru qu'ils en sont pour ainsi dire accables. Mais, quand l'orateur réussit à vaincre son émotion et réagit sur la foule, on voit quelle répercussion de chocs électriques doit s'établir entre lui et son auditoire et comment l'un et l'autre sont en quelques instants emportés bien au delà de leur diapason moral accoutumé. » — Si l'on voulait contrôler ces chiffres, on trouverait qu'ils sont évidemment exagérés. A ce compte, il n'y aurait pas de raison pour que l'émotion n'allât pas se multipliant à l'infini. Mais je ne voudrais pas discuter lourdement cette ingénieuse théorie. Ce qu'il en faut retenir, c'est que dans un nombreux auditoire les émotions ne se communiquent pas seulement de l'orateur a l'auditoire et de l'auditoire à l'orateur, mais que dans ce va-et-vient elles prennent une intensité croissante, jusqu'à ce que toutes les personnes présentes soient parvenues au comble de l'exaltation.

(l) 1re édition, p. 361.

Par contre, on sera moins impressionnable aux effets pathétiques de l'éloquence quand on ne subira pas cette contagion de l'exemple. On sera par nature rebelle à la suggestion verbale quand on aura l'esprit positif, des idées arrêtées, une volonté énergique, l'habitude de mener les autres plutôt que de se laisser mener. Quelques personnes ont l'esprit ainsi fait qu'elles prennent immédiatement le contre-pied de tout ce qu'on leur dit : il va de soi qu'il sera difficile de les amener, sauf par ruse, à une opinion donnée. Il en est encore qui peuvent se donner à volonté une sorte de surdité psychique; tout ce que vous leur direz sera non avenu : elles ne veulent pas vous entendre. Ce phénomène se produit fréquemment par l'effet de la discussion. En général, quand une personne avec qui vous discutez commence à parler fort et surtout à prendre la voix de tète, vous pouvez lui abandonner la partie : à partir de ce moment, elle s'auto-suggestionne, vous n'avez plus de prise sur elle.

Autorité de. l'orateur. — L'autorité de l'orateur s'explique par les sentiments que sa personne inspire, et qui disposent l'auditoire à approuver ce qu'il dira avant même qu'il ait ouvert la bouche.

Plus nous aurons d'affection pour la personne qui nous parle, mieux nous nous prêterons à ses moindres intentions Notre premier mouvement sera de tenir pour vrai tout ce qu'elle nous dit. L'estime dans laquelle nous tenons l'orateur est aussi pour beaucoup dans la vertu persuasive de ses discours.

c L'honnête homme, disait Aristote, persuade mieux et plus vite dans toutes les circonstances en général, mais surtout et d'une manière absolue quand la vérité n'est pas facile à saisir et qu'elle reste dans le doute (2). » On pourrait se demander, il est vrai, si en telles matières le plus honnête homme du monde n'est pas aussi sujet à l'erreur qu'aucun autre; logiquement, chacun ne devrait faire autorité que dans sa spécialité, l'artiste dans les questions d'art, le savant en matière de vérité scientifique, l'hunnête homme en morale. Mais nous ne critiquons pas ainsi son témoignage; la droiture de son caractère nous est une garantie de rectitude dans ses jugements : nous sommes disposés sans plus d'informations à tenir pour vrai tout ce qu'il affirme, convaincus qu'il n'avancerait rien à la légère.

(1) « Il n'est pas indifférent qu'un maître de musique, c'est-à-dire celui qui bat la mesure, toit aimé des musiciens qui exécutent sous lui. Le moindre geste, le plus petit coup de son bâton ou do son pied est saisi par tout le monde : c'est un fluide qui te communique dans tous les coins d'un orchestre, si grand qu'il soit. » (Grétry, Memoires, 1er vol.. p. Cela n'est-il pas aussi Vrai de l'orateur?

(2) Rkétorique. 1. I, ch. 1.

Tout ce qui n'est donner plus de prestige à un homme augmentera son autorité. « Si celui qui parle s'énonce avec facilite, s'il garde une mesure agréable dans ses périodes, s'il a l'air d'un honnête homme et d'un homme d'esprit, si c'est une personne de qualité, s'il est suivi d'un grand train; s'il parle avec autorité et avec gravité, si les autres l'écoutent avec respect et en silence: s'il a quelque réputation et quelque commerce avec les esprits de premier ordre: enfin t'il est assez heureux pour plaire et être estimé, il aura raison dans tout ce qu'il avancera, et il n'y aura pas jusqu'à son collet et à ses manchettes qui ne prouvent quelque chose (I). »

Et pois il y a. comme toujours. le je ne sais quoi Certaines personnes ont sur la foule une action extraordinaire; elles In retourneront d'un mot; il leur suffira d'émettre un doute pour ébranler les convictions; toutes leurs assertions ont force impérative Pourquoi ? On ne le saurait dire. Peut-être simplement parce qu'il est reçu qu'elles ont de l'autorité. En y réfléchissant pourtant, on trouverait, je crois, que celte force mystérieuse dont nous subissons l'influence est l'énergie morale. L'homme de volonté s'impose. Quand il nous parle, il ne nous supplie pas en lui-même d'adopter ses Idées ; il nous ordonne de le faire, il veut que nous croyons, et nous obéissons parce que nons sentons en lui un maître. Qui sait même si cette influence ne s'exerce pas directement sur nous, indépendamment de l'opinion que nous pouvons en avoir, par suggestion mentale immédiate? Est-il sûr que la volonté d'un homme ne puisse pas agir, sans l'intermédiaire d'aucun signe conscient, sur la volonté d'un autre homme?

l'art de persuader

Maintenant, mettons l'orateur à l'œuvre et voyons quels sont les procédés de persuasion les plus efficaces.

Le moyen le plus sur, pour convaincre l'auditeur, est, bien entendu, d'avoir de solides arguments à lui fournir. Encore, y a-t il moyen de les présenter. Vaut-il mieux donner d'abord ses meilleurs arguments et faire passer les plus faibles par la brèche ouverte, ou réserver ses bonnes raisons jusqu'à la fin du discours et les démasquer brusquement pour frapper le coup décisif? Il y a là toute une stratégie dont il est vraiment amusant d'étudier les ruses dans les anciens (mités de rétho-riqne. C'est que l'orateur ne peut se contenter, comme le géomètre, d'établir paisiblement sa démonstration : la démonstration oratoire est une lutte. L'orateur a des adversaires contre lesquels il se débat et qui

(l) Malcbranche,. Recherche de la retiré. 1.1. eh. XVIII.

ne veulent passe laisser convaincre; dans son auditoire même, il rencontre souvent des partis pris. La lâche est ardue alors : il est encore plus difficile de déraciner une vieille idée que d'en implanter une neuve, et ici on a les deux à faire. Cela demandera toujours un certain temps.

Le temps même est ici un facteur nécessaire. C'est une loi de l'esprit, qu'on ne peut passer brusquement d'une conviction à la conviction inverse. Jamais on a vu un homme abandonner un préjugé invétéré pour un mot qu'on lui aura dit quand ce mot serait un argument sans réplique. Il faut insister, accorder à l'auditeur un instant de répit pour laisser à la réflexion le temps d'agir, puis revenir à la charge. On est souvent tenté de trouver que les avocats parlent trop longtemps. A quoi bon entasser tant de raisons? Une seule suffit, pourvu qu'elle soit bonne. Oui, une seule suffirait si l'on avait affaire à un esprit non prévenu. Elle sera impuissante à dissiper une prévention. 11 faut parler longtemps pour désorganiser peu à peu l'idée que l'on attaque et habituer l'esprit de l'auditeur a l'idée nouvelle. L'amour-propre seul exigerait ce délai : on ne veut pas avoir l'air de se déjuger trop vite.

Aux raisons logiques qui ne s'adressent qu'à l'intelligence, devront s'ajouter les raisons de sentiment, qui s'adressent aux passions individuelles. En général, l'éloquence ne fait appel au raisonnement que pour calmer les susceptibilités de la raison, qui protesterait si l'on avait pas l'air de la consulter. C'est au sentiment surtout que l'on s'adresse, car c'est lui vraiment qui décide de nos convictions.

Les logiciens et les moralistes ont souvent gémi de cette intervention de la passion dans un débat que seul l'entendement pur devrait trancher. « Cette âme impérieuse, qui se vantait de n'agir que par raison, suit, par un choix honteux et téméraire, ce qu'une volonté corrompue désire, quelque résistance que l'esprit trop éclairé puisse y opposer. C'est alors qu'il se fait un balancement douteux entre la vérité et la volupté, et que la connaissance de l'une et le sentiment de l'autre font un combat dont le succès est bien incertain, puisqu'il faudrait, pour en juger, connaître tout ce qui se passe dans le plus intérieur de l'homme, que l'homme môme ne connaît presque jamais (1) ». Cela est fâcheux, sans doute, mais l'orateur est bien obligé de prendre l'homme tel qu'il est. Toutes les idées que Ton voudrait nous faire admettre et qui ne s'accorderaient pas avec l'ensemble de nos convictions antérieures seraient bientôt éliminées, comme ces aliments non assimilables que l'organisme rejette peu à peu de lui-même. Il faut donc, si l'on veut nous donner une conviction solide, rattacher les idées qu'on nous pré-

(l) Pascal. De l'art de persuader.

seule, non pas aux principes abstraits que nous professons du bout des lèvres, mais aux sentiments profonds qui sont les véritables principes directeurs de notre conduite. Il faut parler àchacun sa langue. A l'égoïste on montrera que son intérêt lui conseillerait plutôt d'adopter cette thèse; i l'homme de cœur qu'elle est généreuse et belle. Au cours d'une discussion, nous sommes parfois étonnés de la résistance qu'oppose notre interlocuteur i nos arguments les plus solides. Nous réfutons ses objections, aussitôt il en imagine d'autres; c'est donc qu'il décidé àne pas se laisser convaincre et qu'il a quelque raison de derrière la tete, c'est-à-dire une raison de sentiment qui le rend rebelle à tous nos raisonnements. C'est ce sentiment qu'il faut découvrir et atteindre, si nous voulons que notre argumentation porte.

Mois la tuche la plus difficile pour l'orateur, son triomphe, quand il y réussit, c'est de nous décider à agir. Mous nous laisserons aisément persuader quand on ne nous demandera qu'une application toute platonique. Faut-il en venir à l'action, nous commençons à réfléchir. On sait que d'ordinaire les conseils n'agissent sur nous qu'à la longue, par la sonrde obsession des idées suggérées. Le difficile sera donc d'obtenir de nous, par la force de la persuasion, une résolution immédiate. Ici les raisons, même de sentiment, ne sont plus suffisantes ; pour vaincre la force d'inertie de la volonté, il faut agir directement sur elle, par la voix, par le geste, par l'expression du regard. Il faut parler avec assez de passion et de force pour entraîner la conviction par la seule contagion de l'exemple. « Ceux qui imaginent fortement les choses les expriment avec beaucoup de force, et persuadent que tous ceux qui se convainquent plutôt par l'air et par l'impression sensible que par la force des raisons. Car le cerveau de ceux qui ont l'imagination forte recevant, comme on l'a dit, des traces profondes des sujets qu'ils imaginent, ces traces sont naturellement suivies d'une grande émotion d'esprit, qui dispose d'une manière prompte et vive tout leur corps pour exprimer leurs pensées. Ainsi, l'air de leur visage, le ton de leur voix et le tonr de leurs paroles, animant leurs expressions, préparent ceux qui les écoutent et qui les regardent à se rendre attentifs et à recevoir machinalement l'impression de l'image qui les agite. Car enfin, un homme qni est pénétré de ce qull dit en pénètre ordinairement les autres, un passionné émeut toujours; et. quoique sa rethorique soit souvent irrégulière, elle ne laisse pas d'être très persuasive, parce que l'air et la manière se font sentir et agissent ainsi dans l'imagination des hommes pins vivement que les discours les plus forts qui sont prononcés de sang-froid (1). »

(1) Mallcbranche. Recherche le la vérité, I. Il, 3e partie.

On sait combien l'influence morale que l'on peut exercer sur une personne est plus forte quand on se met avec elle en communication physique. Prenons la main d'un homme et demandons-lui quelque chose : pour dire non, il faudra qu'il commence par retirer sa main. Je prêche depuis dix minutes un ami pour le décider à une démarche qui lui coûte : « Allons, va! » lui dis-je enfin en lui touchant l'épaule; et il part. C'est ainsi que l'orateur agirait s'il pouvait sur ses auditeurs, surtout dans cet instant décisif où il les voit ébranlés, prêts à céder. Ils sont convaincus; ils n'ont plus rien à objecter aux raisons qu'on leur donne; mais ils hésitent encore. Une impression toute physique, un éclat de voix, un coup frappé sur la tribune fera plus pour vaincre cette dernière résistance de la volonté que ne ferait aucun argument. L'orateur antique avait raison : toute la vertu de l'éloquence est dans l'action oratoire.

l'art d'émouvoir

On a remarqué qu'au théâtre il n'était pas facile de provoquer les effets de terreur oa de pitié en nous mettant seulement sous les yeux des spectacles terribles ou lamentables, mais qu'on obtenait sûrement l'effet voulu en nous montrant l'impression produite par ces mêmes spectacles sur un des personnages du drame. C'est que nous avons peine à prendre tout à fait au sérieux les scènes représentées; mais si nous voyons devant nous un homme qui a l'air de croire que tout cela est arrivé, qui donne des signes manifestes d'épouvante on de commisération, son exemple nous entraîne. Un fantôme parait sur la scène, inondé d'un jet de lumière électrique. Nous sommes tentés de sourire ; mais que sur la scène ou dans la salle, peu importe, quelqu'un pousse un cri d'effroi, nous sommes secoués. Lessing l'a finement observé : « Le spectre agit sur nous par Hamlet plus que par lui-même. L'impression produite sur lui passe en nous, et nous sommes pris trop soudainement et trop fortement pour songer à douter de !a cause, tout extraordinaire qu'elle est (1). » Peut-être même verrions-nous encore mieux le spectre si l'on ne nous en mettait pas sous les yeux une image matérielle. La vue d'un homme qui regarde dans le vide avec des yeux dilatés par l'effroi est plus effrayante qu'aucun effet de lanterne magique. La chose la plus hallucinante qui soit, c'est un visage d'halluciné.

Cette règle d'esthétique théâtrale n'est-elle pas valable pour l'éloquence? Ce qui nous émeut dans un discours, ce n'est pas tant la chosp dont on nous parle que l'émotion visible de celui qui nous parle. On

(1) Dramaturgie de Hambourg, trad. Ed. de Suckau Paris, Didier, 1869, p. 57.

aura beau nous présenter des images aussi pathétiques que possible, nous ne serons jamais bien sûrs que tout cela soit arrivé : ce spectacle imaginaire ne nous donnera qu'un semblant d'émotion. Mais qu'on nous raconte le fait d'une voix étranglée par l'émotion, avec des larmes dans les yeux, voilà quelque chose de bien réel, qui nous émeut par une sorte de choc en retour du sentiment, et du même coup nous convainc de la réalité du fait. Tout l'art de l'orateur est de produire ses sentiments au dehors; de les manifester par les signes les plus expressifs ; et surtout, c'est la chose essentielle, de les mettre dans sa voix. Comment expliquer cette vertu pathétique de la voix humaine ? Notre voix, c'est ce qu'il y a en nous de plus intime, de plus profondément individuel ; selon notre tempérament, notre caractère et nos passions du moment, elle prendra un timbre doux ou mordant, grave ou aigu, pur ou éraillé, vibrant ou sourd. Et c'est aussi ce qu'il y a en nous de plus expansif. Avec noire voix, nos sentiments prennent une sorte de résonnance matérielle : ils vont directement frapper l'auditeur. La voix qui parle n'agit pas seulement sur l'auditeur par le sens des mots prononcés, mais aussi par son expression musicale. Dans la parole, il y a un chant. Écoutez une personne qui cause dans une chambre voisine : vous ne distinguez absolument pas les mots qu'elle prononce; mais vous entendez la voix monter, descendre, s'enfler, s'affaiblir. Tantôt elle est brève, saccadée, rythmée; tantôt elle forme comme une mélopée continue. Ce chant de la voix humaine est si bien indépendant de tonte articulation qu'un instrument de musique, un violon, par exemple, pourrait le reproduire exactement avec toutes ses nuances. Dans ce mouvement, qui tantôt se précipite, tantôt se ralentit, se balance ; dans ces inflexions et ces changements de timbre; dans ces sourdes onomatopées du gosier qui roule et fait gronder intérieurement les mots; dans le frottement des syllabes dures et le glissement des syllabes douces, nous trouvons des nuances pour exprimer tous les sentiments, des analogies avec toutes les sensations.

On sait l'importance qu'attachaient les rhéteurs anciens au rythme de la phrase. Cette préoccupation serait puérile, s'il ne s'agissait que de cadencer les sons d'une manière agréable. Mais ce que l'orateur doit se proposer, comme l'écrivain, c'est d'exprimer métaphoriquement, en quelque sorte, par la cadence de la parole, le mouvement des idées et des sentiments. Le rythme, dit excellement Diderot (1), c'est un choix particulier d'expressions, c'est une certaine distribution de syllabes longues ou brèves, dures ou douces, sourdes ou aigres, légères ou

(1) Salon de 1767. Œuvres complètes, Carnier. t. II. p. 268

pesantes, lentes ou rapides, plaintives ou gaies, ou un enchaînement de petites onomatopées analogues aux idées qu'on a et dont on est fortement occupé, aux sensations qu'on ressent et qu'on vent exciter; aux phénomènes dont on cherche à rendre les accidents ; aux passions qu'on éprouve, et au cri animal qu'elles arracheraient; à la nature, au caractère, au mouvement des actions qu'on se propose de rendre; et cet art-là n'est pas plus de convention que les effets de 1 arc-en-ciel; il ne se prend point, il ne se communique point; il peut se perfectionner. Il est inspiré par un goût naturel, par la mobilité de l'âme, par la sensibilité. C'est l'image même de lame rendue par les inflexions de la voix, les nuances successives, les passages, les tons d'un discours accéléré, ralenti, éclatant, étouffé, tempéré en cent manières diverses... Ce n'est pas à l'oreille seulement, c'est à l'âme d'où elle est émanée que la véritable harmonie s'adresse. Ne dites pas d'un poète sec, dur et barbare, qu'il n'a point d'oreille; dites qu'il n'a pas assez d'âme. « Voilà la véritable harmonie de la parole, l'harmonie expressive, celle qui n'est pas faite pour amuser l'oreille, mais pour toucher le cœur.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE

Séance du lundi 11 juillet 1892. — Présidence do M. Dimontpallier

(Suite).

Thérapeutique suggestive avec application de la suggestion au diagnostic et au pronostic (1),

Par M. le professeur BERNHEIM.

Je désire vous communiquer deux faits qui prouvent que la suggestion n'est pas seulement un moyen de traitement, mais qu'elle peut encore servir au diagnostic des maladies.

Le premier concerne une fillette de quatorze ans, manifestement tuberculeuse, qui était complètement aphone depuis trois mois. Celle aphouie était-elle la conséquence d'une laryngite tuberculeuse ou bien était-elle purement nerveuse? Pour le savoir, j'endormis séance tenance la malade et lui suggérai qu'au réveil elle aurait recouvré la parole. Il n'en fut rien, mais à la suite d'une seconde séance d'hypnotisation suivie de suggestion, son aphonie disparut complètement. Il s'agissait donc d'un trouble purement dynamique, sans lésions organiques. Mon second malade est un homme adulte, nerveux, très impressionnable, qui reçut à la région pariétale droite un coup provenant de la projection d'une masse de 3 kilogrammes. Après quelques minutes de

(1) Note résumée de In communication.

perle de connaissance, il put rentrer chez lui à pied, mais ressentit consécutivement de vives douleurs à la nuque et à l'épaule droite. Anesthésie tactile de la main droite, avant-bras droit collé au corps, la douleur empêchant tout mouvement d'abduction du membre. Trois semaines après l'accident, l'anes-thésie avait disparu et le sujet pouvait porter sa cuillère à la bouche avec la main droite : mais la douleur au niveau de la nuque et de l'épaule persistait, faisant craind:e une lésion de la colonne vertébrale. A son entrée dans mon service, le sujet avait l'attitude d'un individu atteint de mal de Pott cervical. Le repos, l'immobilisation, les révulsifs avaient été successivement employés sans le moindre succès quand je vis cet homme pour la première fois. Un examen attentif m'ayaut démontré qu'il n'y avait aucune lésion des vertèbres ni des articulations vertébrales, j'endormis le malade et lui suggérai qu'au réveil il pourrait remuer la tête sans éprouver la moindre douleur. Comme dans le cas précédent, j'échouai à la première séance, parce que je voulais aller trop vile et qu'en imprimant moi-même des mouvements un peu brusques à la tète du malade, je réveillai ses douleurs. 11 tomba à la renverse et eut immédiatement une crise de larmes. Je recommençai quelques jours après, en procédant avec plus de douceur et, cette fois, ayant pris la précaution d'agir lentement et progressivement dans les mouvements imprimés à la tête pendant le sommeil de suggestion, l'état anormal disparut au bout de dix minutes et la guérison s'est maintenue depuis.

Dans ces deux cas, et c'est le point essentiel de cette communication, en même temps qu'elle a guéri les malades, la suggestion a donc servi à éclairer le pronostic et à démontrer la véritable nature de l'affection dont ils étaient atteints.

Discussion.

M. Desjardin de Régla. — Chez ce second malade. ne peut-on pas s apposer que la guérison a été bâtée par la première séance d'hypnotisation, au cours de laquelle des mouvements brusques avaient été imprimés à la tète?

M. Bernheim. — Je croirais plutôt le contraire, et voici un fait qui le démontre : Chez une jeune fille qui avait une paralysie hystérique du bras, j'échouai complètement dans mes tentatives de suggestion, et cela en y revenant à diverses reprises, parce qu'au cours de la première séance, je lui avais réveillé ses dooleurs. Je lui obligé de renoncer à guérir cette jeune fille et la plaçai dans une section d'incurables; mais ce que je n'avais pu faire, la religieuse de celle section le fit. a l'état de veille, en s'y prenant avec plus de douceur et de ménagement que moi. La peur, en effet, est l'ennemie de la suggestion ; elle constitue, pour ainsi dire, une contre-suggestion.

M. Gorodichze. — J'ai donné des soins à une Jeune femme hystérique qui était atteinte à la fois de vomissements incoercibles et d'aphonie. Je la traitai par la suggestion d'abord, pour ses vomissements, dont je réussis complètement à la débarrasser en très peu de jours. J'en avais conclu que j'obtiendrais le même auccès en procédant de la même manière à l'égard de l'aphonie. Il n'en fut rien. Je m'y employai pendant un mois avec acharnement, la parole ne revint pas. J'en étais arrivé a douter de la nature hystérique de cette aphonie et J'aban-donnai cette malade, quan i un beau jour je fus rappelé auprès d'elle parce que ses vomissements étaient revenus. Je l'endormis de nouveau et lui suggérai de

ne plus vomir, ce qui eut lieu. mais, à mon grand étonnement, a la suite de cette suggestion, son aphonie, à laquelle je n'avais pat fait la moindre allusion, disparut également. La suggestion n'a donc pas une valeur diagnostique aussi grande que le dit M. Bernhalm, puisqu'elle peut échouer, momentanément il est vrai, dans des affections purement nerveuses.

M. Bernheim. — Nous tommes parfaitement d'accord. M- Gorodîehze et moi. Quand on a guéri par la suggestion une affection de nature douteuse, on peut en conclure qu'elle était purement nerveuse; mais la réciproque n'est pas vraie, et du fait que la suggestion n'a pu donné de résultats, on n'est pas autorité à conclure qu'il ne s'agit pas d'une affection dynamique.

Séance du lundi 17 octobre 1893. — Présidence de M. Dumontpallier.

Le procès-verbal de la séance du 11 juillet est lu et adopté.

M. le secrétaire général fait part de la présence à la réunion de M. le D' Deschamps, président du Conseil général de la Seine.

La correspondance imprimée comprend un volume : La Thérapeutique psychique, par Lloyd-Tuckey ; traduit de l'anglais, par M. le Dr David, de Sigcan, membre de la Société.

La correspondance imprimée comprend des lettres de MM. les Dr Burot. David, Bonamaison, Martinet, van Renterghem, Paul Joire. Liégeois, van Velsen, Cruise. envoyant le montant de leurs cotisation* pour l'année écoulée: de MM. les D" Bourdon (de Méru), A. Voisin, Hubert Neilson, s'excusant de ne pouvoir assister a notre séance.

M. le président met aux voix les candidatures de M. le Dr Jules Voisin, médecin de la Salpétrière; de M. le D' Herbert Adams; de M. le Dr Ouiday; de M. Varinard, directeur de la Graphologie; de M. 1* D' Heddon, directeur de la Villa Penthievre, à Sceaux ; de MM. les Drs Depoux et Bilbaut; de M. Puecu, avocat à la Cour d'appel de Paris.

Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.

La contagion hystérique et les crises par imitation

Par le IV Pan. JOIRE (de Lille).

Le terme de contagion, a proprement parler, ne devrait s'appliquer, d'une façon absolue, qu'aux maladies infectieuses, dont la transmission s'effectue par le transport d'un germe; ce qui a lieu alors, le plus souvent, directement par contact un contagion.

Toutefois il ne faut pas s'attarder à discuter sur la valeur absolue des mots, ceux-ci n'ayant en réalité que celle qu'on leur attribue. L'usage doit donc prévaloir avant tout et un terme, quelque peu impropre mais reconnu, vaut souvent mieux qu'un terme nouveau. Il importe avant tout de bien définir ce que l'on veut dire afin de s'entendre.

Nous désignerons donc par contagion hystérique ou ente par imitation, un accès qui se sera développé chez on individu atteint de la névrose, et qui sera la reproduction d'un accès analogue, dont le sujet aura été témoin cher un autre malade.

Nous y ajouterons cette condition, que la crise seconde, ou imitation, présente avec la crise première, ou imitée, certaine ressemblance, certains traits communs qui seront reproduits, d'une manière plus ou moins exacte, dans la seconde comme dans la première.

Ces termes communs sont essentiellement variables ; ils pourront consister soit dans l'identité de la cause qui détermine l'attaque, soit dans la manière dont elle survient, soit dans sa forme elle-même plus ou moins spéciale, soit dans sa durée, soit enfin dans la marche d'ensemble de l'accès, dont le second peut reproduire le premier d'une façon à peu près identique. L'imitation peut consister aussi dans l'apparition, au cours d'un accès de forme différente, de symptômes ou de traits particuliers, frappants, et reproduisant exactement certains symptômes ou traits qui ont dominé d'une façon remarquable dans les deux cas.

Ces traits ou ces symptômes, qui forment le point capital de l'imitation dans la crise imitatrice, peuvent être, dans la première, absolument indépendants de la névrose hystérique. Ils peuvent appartenir à une crise morbide, de nature absolument différente ; être un cachet propre à l'individualité du sujet de l'accès imité, ou dépendre absolument de circonstances fortuites et indépendantes à la fois de la crise et du sujet.

Quelle que soit leur nature, ils n'en seront pas moins reproduits dans la crise seconde d'une façon absolument identique, mais avec celle différence caractéristique que la cause qui a donné lieu à ces symptômes dans le premier cas, n'existe pas dans le second et se trouve ici remplacée uniquement par l'état de crise hystérique bien déterminé.

Ces conditions générales étant données, voyons quels sont les autres caractères cliniques de la contagion hystérique ou de la crise par imitation.

Il faut d'abord bien se garder de confondre l'imitation avec la simulation ; ce sont deux choses absolument différentes, ainsi que nous allons le voir.

Dans la simulation hystérique, il y a toujours imitation.

Le simulateur imite soit ce qu'il a vu, soit ce qu'il a lu. soit ce qu'il a entendu décrire. II peut, de plus, mélanger tous ces facteurs pour eu faire un tout, plus ou moins disparate, mais qui n'en est pas moins simulé et imité.

L'imitation, par le fait de la simulation, se trouve toujours plus ou moins imparfaite.

¿1 la simulation a pour objet une crise ou les symptômes d'une maladie, il s'y mélange des circonstances, plus ou moins hétérogènes, qui sont formées par l'adjonction d'éléments étrangers, placés d'une manière plus ou moins inconsciente, par l'imagination du simulateur.

Le début de celle crise arrive sans prodromes, à l'improviste en apparence; mais, en réalité, au momeut choisi par le simulateur. Jamais la crise simulée ne se produit lorsque le malade se trouve seul. Il sera toujours entouré d'un certain nombre de témoins et plus ou moins en évidence; quelquefois la crise se reproduira toujours devant les mêmes personnes.

Dans la majorité des cas, la crise simulée ne subit aucune transformation et ne devient pas une crise véritable d'un caractère nouveau. Elle cesse comme elle est venue, par la volonté du simulateur ou par ton manque de volonté pour la continuer.

Dans 1« crise par imitation, au contraire, il n'y a pu de simulation.

Les prodromes sont les mêmes que ceux d'une crise vulgaire et sont apparenta pour le malade comme pour son entourage. Le début de la crise pourra se produire aussi bien lorsque la malade se trouvera seul que lorsqu'il est entouré de monde. 11 n'y a aucune régularité, ni pour le temps, ni pour le lieu de l'attaque.

La crise est réelle. Son débat arrive fatalement, indépendamment de tout effort de la volonté du sujet.

La crise suit son cours, et le malade ne peut de lui-même modifier en aucune façon ses différentes phases, pas plus qu'il ne pourrait l'arrêter spontanément.

Le tableau se déroule dans le sujet, malgré lui et i son insu. Bien d'étranger ne vient s'y mélanger tout d'abord, et la reproduction est d'autant plus fidèle qu'elle est inconsciente.

La chose imitée est grossie dans son ensemble, comme toutes les productions hystériques; mais les différentes parties sont proportionnées et con- * cordent entre elles. Il n'y a pas de ces exagérations flagrantes comme dans la crise simulée.

Mais voici qu'à la fin de l'accès la scène change; la terminaison n'est pas livrée au caprice du sujet comme dans le premier cas.

Spontanément et d'une façon graduelle, la crise se transforme. Les symptômes étrangers se fondent, insensiblement et sans secousse brusque, dans les divers cléments de l'une des formes de la crise hystérique, et ordinaire-ment dans celle de ces formes qui est la plus habituelle chez le sujet.

Peu a peu, cette dernière a tout envahi et reste seule, substituée en quelque sorte à la première scène, qui a complètement disparu. La terminaison se fait lentement et suivant le mode habituel correspondant à la forme de la crise névropathique.

Nous savons maintenant que celte contagion hystérique, qui aboutit à l'imitation ou à la reproduction d'une crise ou d'un fait produit par un autre? malade, est le résultat d'une auto-suggestion. Le fait dont le malade imitateur a été témoin ou qu'il a entendu décrire, ou même qu'il a lu quelque part, a frappé vivement son imagination déjà malade; il s'est imprimé prvfon-ment. et malgré lui, dans son cerveau ; l'auto-suggestion se forme spontanément et chemine lentement, et, à un moment donné, lorsqu'elle est arrivée à dominer complètement toute son activité cérébrale, elle donne lieu aux actes inconscients que nous venons de décrire. D'autres fois, comme toutes les suggestions, elle peut rester un certain temps dans le cerveau a l'état latent, pour ne se développer que plus tard, sous l'influence d'une cause occasionnelle qui sera venue réveiller son activité.

On comprend, dès lors, comment une impression vive, une autre émotion violente, venant dans l'intervalle porter son action sur les centres nerveux, peut arrêter la suggestion primitive dans son cours et produire de toutes pièces une contre-suggestion.

C'est, en effet, ce qui s'est produit dans tien des cas et ce qui a donné souvent lieu, bien à tort, à la confusion entre l'imitation et la simulation.

Quoique l'imitation, dans les névropathies et les délires, puisse se porter sur toutes sortes d'objets, ce sont surtout les faits qui présentent un certain éclat et une certaine mise en scène, qui donnent le plus souvent lieu à la contagion. Il y en a surtout trois ordres principaux ; les actions criminelles suicides, homicides), les hallucinations et les attaques convulsives.

Les exemples de suicide par imitation ou contagion sont des plus nombreux et ont été signalés a toutes les époques.

L'anecdote si connue des jeunes femmes et des filles de Milet remonte à la plus haute antiquité. Plusieurs auteurs parlent d un transport de même nature qui saisissait les femmes de Lyon et les portait à se noyer. Esquirol rapporte qu'autrefois, à Marseille, les jeunes filles se tuaient à cause de leurs amants. Dans les guerres du Milanais, vingt-cinq maîtres de maisons se tuèrent en une seule semaine.

L'imitation dans le suicide, comme, ainsi que nous l'avons vu, dans toutes les crises imitées, affecte en général la plus bizarre fidélité dans la reproduction de l'acte qu'elle copie. Cette fidélité ne s'étend pas seulement au choix du même moyen, mais souvent au choix du même lieu, du même âge, et à la plus minutieuse représentation de la première scène.

Sous l'Empire, un soldat se lue dans une guérite; plusieurs autres font élection de la même guérite pour se tuer. On brûle la guérite et l'imitation cesse. Sous le gouverneur Sérurier, un invalide se pend à une porte; dans l'espace d'une quinzaine de jours, douze invalides se pendent a la même porte. Sur le conseil de Sabalier. le gouverneur la fait murer; la porte disparue, personne ne se pend plus.

Les hallucinations sont encore une des formes les plus fréquentes de la contagion névropalhique.

On cite l'histoire d'un régiment qui, en Italie, après une longue marche, devait loger dans les bâtiments d'une vieille abbaye. Les habitants prévinrent les soldats qu'ils n'y pourraient rester, parce que les bâtiments étaient hantés chaque nuit par les esprits. L'on ne fit qu'en rire et les soldais se couchèrent sur de la paille étendue sur le plancher. Vers le milieu de la nuit, on les entendit pousser des cris affreux, et tous se précipitèrent dehors, racontant qu'ils avaient vu le diable sous la forme d'un chien noir qui était entré par une extrémité de la salle et sorti par l'autre, après avoir marché sur leurs poitrines. La nuit suivante, on leur persuada, à grand' peine, de reprendre les mêmes places. Cette fois, les officiels, pour rassurer leurs hommes, veillèrent dans la salle même. A la même heure que la nuit précédente, et sans que rien d'anormal eût été constaté par les officiers qui étaient

bien éveilles, les hommes endormis furent repris de la même hallucination.

Dans un ordre de faits différent, d'autres auteurs racontent l'histoire d'une communauté très nombreuse de femmes qui se trouvaient prises tous les jours, a la même heure, d'une crise des plus singulières par sa nature et par son universalité, car tout le couvent y tombait à la fois. Chacune de ces femmes se mettait à imiter le cri d'un chat ; de sorte que celait un miaulement général par toute la maison qui durait jusqu'à plusieurs heures, au grand scandale du voisinage qui entendait miauler toutes ces tilles La police dut intervenir, et les magistrats leur firent savoir qu'au premier miaulement, des soldats entreraient dans le couvent et fouetteraient chaque fille qui aurait miaulé. C'en fut assez pour frapper ces imaginations malades et arrêter la crise épidémique dans son cours.

L'histoire de la maison de charité de Harlem est semblable à la précédente. Une jeune fille entretenue dans celte maison tomba, après une frayeur, dans des accès convulsifs qui revenaient périodiquement. Une autre jeune fille, qui la soignait dans un de ces accès, fut attaquée du même mal ; le lendemain une seconde, le surlendemain une troisième, et, presque successivement, presque tous les jeunes gens de la maison, tant filles que garçons. On employa bien des moyens pour arrêter ces crises, mais sans succès. Enfin, on eut l'idée de faire prétarer dans la salle des fourneaux allumés, avec des fers rouges, et de prescrire d'appliquer ces fers rouges à un point désigné du bras pour produire une profonde brûlure au premier moment de l'accès. L'effroi et la mise eu scène produisirent la contre-suggestion efficace, et la maladie ne reparut plus.

L'on sait que dans la trop célèbre épidémie de démonopathie des religieuses de Loudun, les crises présentaient une forme identique et reproduisaient toutes certains caractères bien déterminés. Ces caractères mêmes furent invoqués comme une preuve de possession par les personnages de cette époque, qui avaient intérêt à faire admettre celle interprétation et servaient d'armes contre ceux que l'on voulait perdre. Admirablement décrits par les historiens, témoins impartiaux de ces faits révoltants, il en reste un exemple des plus remarquables de la contagion de la grande crise hystéio-épileptique, et, chez d'autre», des caractères frappants de simulation hystérique d'observation que nous allons rapporter est remarquable, par sa nature clinique même, et par la complexité des détails qui se sont trouvés reproduits dans la crise seconde.

Il s'agit d'un accès de coliques hépatiques, absolument avéré, qui forme seul le premier terme de 1 observation, et qui se trouve, dans le second, imité, d'une manière complète, dans une attaque de grande hystérie.

Mme E. C..., âgée de vingt-cinq ans, est depuis longtemps sujette à des coliques hépatiques. Celles-ci ont été constatées maintes fois, depuis plusieurs années, d'une façon indubitable ; et nous pouvons ajouter de suite. que, dans plusieurs circonstances, la présence de calculs est venue confirmer le

diagnostic. — Cette malade a été en traitement à Vichy, il y a quelques années: elle s'en est bien trouvée et a eu des accès moins nombreux. Depuis quelques mois, les crises de coliques hépatiques ont repris et se répètent, plus fréquentes et plus violentes que jamais.

Le 14 août, celte malade qui se trouvait, depuis plusieurs jours, sous l'influence d'accès répétés de coliques hépatiques, est prise d'une crise d'une violence inouïe.

L'accès dure sept heures, avec douleur atroce dans la région hépatique et dans tout le flanc droit: on observe le point douloureux épigastrique, le point scapullaire et l'irridiation de la douleur dans l'épaule et le bras.

Pendant toute la durée de l'accès, on voyait la malade se tordre sur son lit, no hachant quelle position prendre |>our diminuer sa souffrance. Dans ses mouvements inconscients et désordonnés, on la voyait à chaque instant porter la main violemment à son coté droit, comme pour en arracher la douleur, dans un geste caractéristique et inoubliable pour les témoins de cette crise violente. Pendant que la crise se prolongeait ainsi et que la douleur arrivait a son maximum d'acuité, on observait les irradiations les plus douloureuses vers le creux épigastrique, la poitrine et vers le bas-ventre.

Nous remarquions-aussi, au cours de cette crise, que la malade portait fréquemment la main au sommet de ta tête, el ce geste, tout insignifiant qu'il puisse paraître, était un de ceux qui pouvait le plus frapper les assistants a cette scène.

Après celte crise, des le soir et le lendemain, se produisit un ictère considérable, accompagné d'une émission d'urine caractéristique, indiquant bien l'obstruction momentanée des voies biliaires. Quelques jours après nous retrouvions dans les selles un gros calcul, confirmant le diagnostic.

Le frère de cette malade, jeune homme âgé de vingt-trois ans, avait assisté à une grande partie de la crise traversée par sa sœur.

Ce jeune homme, qui est le second sujet de notre observation, est d'un tempérament faible, atteint de bronchite chronique depuis plusieurs années, mais n'ayant jamais présenté aucun signe d'affection hépatique; dans les examens antérieurs il nous avait, au contraire, été donné de constater qu'il ne présentait aucune lésion du côté du foie.

Par contre, d'un névrosisme exagéré, il est hystérique. 11 présente des troubles de la sensibilité, consistant surtout en certaines zones d'hyperes-thésie cutanée. A l'état de repos, il a fréquemment les muscles supérieurs et les doigts agités de mouvements inconscients. Sous l'influence d'une contrariété, il est pris d'un tremblement nerveux qui dure quelquefois plusieurs heures. A trois reprises différentes, nous avions observé chez lui antérieurement de grandes crises convulsives qui étaient de véritables attaques d'hystérie.

Ce jeune homme avait été vivement frappé de la crise dont ¡1 avait été témoin, et les jours suivants il se disait mal a l'aise, se plaignant de douleurs vagues et d'une grande faiblesse.

Huit jours exactement après la crise dont il avait été témoin chez sa sœur. il est pris lui-même d'une crise.

Au début, ¡1 accuse aussi des douleurs dans le côté droit: il désigne bien, comme siège de ces douleurs, la région hépatique, mail l'on peut constater que le foie n'est nullement douloureux à la pression.

Ses gestes et ses plaintes sont absolument identiques à ceux que nous avions observés dans le cas précédent. Il pousse les mêmes gémissements, il porte sa main crispée à son colé droit, comme pour en écarter l'objet qui lui fait mal. Au bout d'un certain temps, cette même douleur semble s'irradier vers la région épigastrique, vers la poitrine et vers le ventre. Il se tord sur son lit, exactement de la même façon que l'avait fait la malade précédente huit jours auparavant. La scène ne peut pas être plus parfaitement imitée, et l'on pourrait vraiment croire i uue colique hépatique vraie, si la fin de l'accès ne venait nous donner la preuve d'une origine différente. Les moindres détails de la crise précédente se reproduisent ; c'est pour cela que nous avons signalé ce geste remarqué fréquemment chez la première malade, qui portail à chaque instant les mains au sommet de la tête pour exprimer sa souffrance.

Dans tout le cours de sa crise et tout en se retournant sur son lit, le second malade répète de la même façon le même geste.

L'accès semble arrivé à son maximum d'intensité ; on pourrait croire que, suivant la marche ordinaire, il va prendre fin: mais, succédant au tableau qui reproduisait irait pour trait la scène précédente, voici qu'il s'en déroule un autre. Insensiblement la crise se transforme ; ce n'est plus la douleur vers la région hépatique qui domine la scène; la douleur qui Mégeail vers la poitrine devient une constriction qui remonte jusqu'à la gorge et produit la sensation d'étouffement caractéristique de la boule hystérique. La douleur du bas-ventre, qui avait pour siège l'intestin et l'utérus par leurs irradiations nerveuses, chez la première malade, prend ici son siège dans la vessie et le malade demande à uriner sans pouvoir y parvenir.

Enfin apparaissent des spasmes convulsifs et, au milieu de tout cela, un peu d'écume se montre entre les lèvres du malade ; la grande crise couvulsive d'hystéro-épilepsie est complète. Enfin, comme dernier signe caractéristique, elle se termine par une émission d'urine abondante, absolument claire et limpide comme de l'eau.

Le» deux jours suivants, le malade eut de nouveau deux crises, moins violentes, mais nettement d'origine névropathique. Il eut encore des crises semblables, au nombre de quatre, dans les quinze jours qui suivirent.

L'intérêt de cette observation porte sur l'imitation parfaite, absolue, de la colique hépatique par la crise hystérique.

L'imitation était tellement exacte que quiconque eût été témoin de la première partie seule de la crise imitée, eût pu croire à une véritable colique hépatique, a ia seule exception du peu de sensibilité que présentait le foie a la pression. Et pourtant, malgré cette similitude parfaite dans les symp-

tomes qui formaient la première partie des deux crises. elles ont présenté chacune des caractères pathognominiques absolument précis qui ont rendu le diagnostic tout à fait indiscutable. C'était la terminaison seule de ces crises qui permettait de les classer i leur véritable place dans le Cadre noso-logique et de confirmer le diagnostic.

Dans le premier cas, en effet, outre les antécédents hépatiques de la malade, un ictère très manifeste apparaissait dès la fin de l'accès cl durait plusieurs jours. L'émission d'urine, d'abord peu abondante, permettait de constater sa coloration, d'un rouge bien caractéristique, et d'y reconnaître la présence de la bile eu abondance. Eufin, quelques jours après, un calcul biliaire retrouvé dans les selles nous mettait sous les yeux le corps même du délit.

Chez le second malade, au contraire, la crise se transforme, les caractères propres de la crise hépatique s'effacent peu à peu pour faire place a ceux de la crise convulsive, qui arrivent à dominer seuls toute la scène. Cette crise est enfin caractérisée par l'écume qui apparaît entre les lèvres du malade, par l'emission d'uriue claire et aboudante qui marque la fin de l'accès. Dans la suite, les crises cunvulsives nouvelles viennent achever de dissiper tous les doutes qui auraient pu subsister.

L'hystérie, nous le savons, peut, dans ses formes multiples et variées, imiter toutes les maladies, mais elle imite surtout de préférence les affections qui présentent des accès à grand éclat. Cela ressort de la nature même de la grande névrose. Les accès de colique hépatique répondent en tous points à ces conditions.

Au point de vue des crises par contagion ou imitation, on a plutôt signalé la contagion de la véritable crise couvulsive-hystéro-épileplique. ou des hallucinations, ou des impulsions criminelles. A ce titre un peu exceptionnel, cette imitation d'une crise de colique hépatique mérite d'être signalée dans l'histoire des imitations hystériques

DISCUSSIONS ET POLÉMIQUE

L'amaurose hystérique et l'état hypnotique.

Un récent article de M. Pierre Jauet sur le Congrès psychologique de Londres, publié dans la Reçue générale des Sciences, a amené, de la part de M. le professeur Bernheim, la publication de la note suivante :

« Je suis obligé de rectifier les assertions de M. Pierre Jauet me concernant, insérées dans son article sur le Congrès international de Psychologie expérimentale {Revue générale des Sciences, du 15 septembre).

« L'auteur veut bien ne pas contester l'intérêt de mes expériences sur la nature psychique de l'amaurose, puisque, dit-il. il a signalé lui-même, « en 1887, exactement les mêmes faits ei que, depuis, il les a décrus a plu-

« sieurs reprises ». Le lecteur pourrait conclure de ce qui précède que je n'ai fait que répéter les expériences de M. Janet, ce qui est le contraire de la vérité; car il oublie d'ajouter que ma première communication sur ce sujet a été faite en 1886 à l'Association pour l'avancentent des Sciences, session de Nancy (voir 15° session, page 744, et Revue de l'Hypnotisme, 1re année, page 68]. Si je suis revenu à la charge avec de nouveaux faits, c'est parce que le professeur Pitres et M. Gilles de la Tourelle ont récemment combattu mon interprétation.

« M. Janet a travesti et dénaturé les idées que, à la demande de M. le président Sidgwich, j'ai exposées au Congrès sur la suggestion de l'hypnotisme. Je n'ai jamais prononce' la phrase qu'il me fait dire entre guillemets, je n'ai pas dit que l'hallucination n'est rien, je n'ai pas dit que l'hypnotisme guérit tout. J'ai dit que L'étal dit hypnotique n'est pas une névrose, que le sommeil obtenu par la suggestion ne diffère pas essentiellement du sommeil normal, que les phénomènes qu'on produit dans l'un chez certains sujets [catalepsie, anesihésie, hallucinations, etc.) peuvent être obtenus dans l'autre chez quelques-uns, que les rêves sont des hallucinations spontanées du sommeil naturel, comme les hallucinations suggérées sont des rêves provoqués, que tous les phénomènes dits hypnotiques peuvent être obtenus chez les personnes suggestibles, sans sommeil, que ce qu'on appelle hypnotisme, n'est autre chose que la mise en activité d'une propriété physiologique du cerveau, la suggestibilité, que l'hypnotisme n'est dangereux que par les suggestions mauvaises qu'on peut faire.

« Ces idées se trouvent développées dans mon livre Hypnotisme, Suggestion, Psychothérapie, dans mon Rapport sur la valeur relative des divers procédés destinés à provoquer l'hypnose, etc. (Congrès international de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique de Paris, 1889. — Revue de l'Hypnotisme, septembre et octobre 1891. Les faits sur lesquels j'appuie ces idées, je les montre à tous ceux qui visitent ma clinique.

« Je prie le lecteur qui désire réellement connaître mes idées sur la suggestion, de les chercher dans ces écrits et à ma clinique, et de juger par lui-même les appréciations que M. Pierre Janet. à la suite d'aulres élèves de la Salpètrière, a cru devoir eu donner, avec une désinvolture qui n'a rien de scientifique. « Bernheim.»

M. P. Janet, après avoir pris connaissance de la recitticalion envoyée par M. Beroheim, a adressé à la Revue générale des Sciences, la réponse que voici :

« Je ne désire pas entamer une discussion avec M. Bernheim sur uue question de bibliographie, ni sur un problème psychologique; je désire seulement lui expliquer les quelques mots qui lui ont déplu dans mon Compte rendu du Congrès de Londres. Je n'avais pu retenir entièrement l'expression d'un mécontentement que j'avais éprouvé, moi aussi, et qui était, je crois, bien naturel.

« La légèreté avec laquelle, — bien involontairement sans doute, — M. Bernheim. dans sa communication sur les anesthésies hystériques, oubliait tous les travaux qui avaient été faits sur ce problème, m'avait causé une certaine surprise. Sans doute, cet auteur a publié, en 1866). un article sur les amauroses unilatérales, et je connais bien ce travail pour l'avoir souvent cité, longuement discuté et défendu même contre certaines critiques. Mais cet article reproduisait seulement les expériences anciennes de M. Ré-gnard et de M. Parinaud sur les amauroses unilatérales, avec une autre interprétation, il est vrai. Dans sa communication au Congrès M. Bernheim a rapidement laissé de côté ce point de détail pour parler d'expériences sur les anesthésies tactiles cl sur les insensibilités hystériques en général. Quand même M. Bernheim aurait parlé de ces expériences-là avant 1887, ce que je ne crois pas, il me semble inadmissible de les présenter aujourd'hui comme nouvelles, alors que, depuis cinq ans, elles ont été l'objet d'une grande quantité de travaux et de controverses.

« Depuis longtemps, bien avant d'avoir l'honneur d'être un élève de la Salpêtrière, j'avais été étonné de la confusion que M. Bernheim cherchai! à faire entre tous les phénomènes psychologiques et surtout autre les faits normaux et les phénomènes pathologiques. Je ne puis admettre qu'il toit bon de répéter sans cesse que l'accès de somnambulisme est identique au sommeil normal, que rhalluciuation. éprouvée au milieu de la veille, et malgré les sensations réelles environnantes, soit identique au rêve de la nuit. Quels que soient les intermédiaires innombrables qui permettent de montrer dans ce cas. comme dans tous les autres, l'évolution des phénomènes normaux vers les phénomènes pathologiques, il faut que le médecin, aussi bien que le psychologue, sache distinguer des choses qui ne sont pas identiques. Exprimer cette opinion, cela n'a rien, je pense, de blessant pour M. Bernheim,

« Or, celte confusiuu, que je regrettais, a été encore accentuée au Congrès de Londres, et elle a été exprimée en termes tellement exagérés que j'ai cru devoir les écrire sou* ta dictée de M. Bernheim. J'ai reproduit ces termes d'après mes notes, précisément pour que l'on ne put pas m'accuser de mal interpréter ses paroles. Je regrette que M. Bernheim ne te souvienne pas de ces expressions, qui ont étonné et même provoqué une réplique. Mais je suis heureux de prendre acte de sa déclaration : ces paroles dépassent sa pensée. Peut-être M. Bernheim n'est-il ??s aussi éloigné que je l'ai cru, d'après quelques exagérations de langage, d'accepter l'opinion qui me semble a moi-même la plus exacte sur ces phénomènes névropathiques.

« Pierre Janet. »

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

La Société d'hypnologie se réunira le lundi 21 novembre, à quatre heures et demie précises, au palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. le Dr Dumontpallier :

1° Lectures et communications diverses :

3° Présenation de malades ;

3° Vote sur l'admission de nouveaux membres.

Adresser les communications a M. le Dr Bérillon, secrétaire général, rue de Rivoli. 40 bis.

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Institut psycho-Physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronnage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée a l'Institut psycho-physiologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de dix heures à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Pendant le semestre d'hiver 1892-93, des leçons théoriques et pratiques sont laites le jeudi, à dix heures et demie.

Cours et Conférences du semestre d'hiver 1892, à l'Institut psycho-physiologique (49, rue Saint-André-des-Arts).

COURS PRATIQUE D'HYPNOTISME ET DE PSYCHOTHÉRAPIE

M. le Dr Bérillon commencera, le jeudi 24 novembre, à dix heures et demie, un cours sur les Applications de l'hypnotisme au traitement des maladies nerveuses et à la pédagogie.

Il le continuera les jeudis suivants, a. dix heures et demie. On s'inscrit à la Clinique, 49 rue Saint-André-des-Arts, les mardis, jeudis et samedis, de dix heures à midi.

CONFÉRENCES

M le D' Armand B- Pauiter fera, le Jeudi 8 décembre, à dix heures et demie, une conférence sur les Circonvolutions cérébrales. Il exposera son nouveau Procédé de mensuration de la surface du cerveau.

M. le Dr Saint-Hilaire. secrétaire général de la Société d'Otologie et de Laryn-gologie, fera, le jeudi 22 décembre, a dix heures et demie, une conférence sur la Psy liotogie du sourd.

M. le Dr Collineau fera, le jeudi 12 janvier, à dix heures et demie, une conférence sur l'Education des dégénérée,

M. le Dr Oscar Jennings fera, le jeudi 26 janvier, à dix heures et demie, une conférence sur l'Etat mental et physiologique des morphinomanes et des dypsomanes.

École d'Anthropologie.

Anthropologie biologique. — il. J.-V. Laborde, le mercredi, à quatre heures. Programme : Les sensations et les organes des sens. Evolution organique et fonctionnelle. Rôle physiologique et anthropologique.

Géographie médicale. — M. Arthur Bordier, le vendredi, a quatre heures. Programme : Naissance et évolution des pratiques et des idées médicales che; les différents peuples. Superstitions médicales.

Anthropologie physiologique. — M. L. Manouvrier, le vendredi, à cinq heures. Programme : Physiologie générale du cerveau. La fonction psycho-motrice.

Sociologie. — M. Charles Letourneau, le samedi, à quatre heures. Programme : La guerre, ses causes et ses effets, dans les diverses races humaines.

Ethnographie comparée. — M. Adrien de Mortillet. le samedi, à cinq heures. Programme : La parure et le vêtement chez les peuples primitifs anciens et modernes.

Faculté de Médecine de Paris.

Clinique des maladies du système nerveux. — M. le professeur Charcot, le mardi et vendredi, à dix heures. Leçon clinique, à la Salpétrière.

Bloomington, Illinois (États-Unis). — M. le Dr Homer Wakefield. membre de la Société d'Hypnologie et de Psychologie de Paris, vient de créer à Bloomingion une clinique de psychothérapie.

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL

Mous invitons nos lecteurs à compléter, par leurs indication!. les lacunes et les omissions do l'Index bibliographique.

Aubry (P-). — « Le crime et la presse ». (L'Indépendance bretonne, 27 août 1892.)

BERNHEIN — « Observation de névrose traumatique de la nuque », (Rev. méd. de l'Est.

15 Juillet 1892)

Guillot. — « Étude do psychologie judiciaire ». (Bull, de la Société de méd. légale de

Freinte, tome XII. première partie, Paris, 1892) Guinon — « Du dédoublement de la personnalité d'origine hystérique ». (Progrès

medical, 1892, nos 11, 13, 19. 27. 28 34, Herold (O.). — « Utersuchnngen über den Hypnotimos ». (Allg. Zeitsch. f. Psichiatr,

XLIX. 1.2.) « Recherches sur lhypnotisme ». Hitzig (E). — « Schiafattacken und hypnotische Suggestion ». (Berl. klin. Wochensch..

IV septembre.) « Acces de sommeil et sug*gestion hypnotique ». IRELAND (W.-W.). — « Le peuimisnie et ses relationS avec le suicide » (The Alienist

and neurologist , avril 1892. p. 313-321.) Kiernan (J.-C). — « L'art chez les aliénés. (The Aliénât and neurologist, avril 1892,

p. 244-276.)

Kölle (TH.).—-Ubeber die Variabilitat der Wahnvorstellungen und Sinnestauschungen. » (Allg. ZEitsch f. Psychiatr., XLIX, 1-2.) » De la yariabilité des Idées délirantes et des hallucinations ».

L'Administrateur-Gérant : ÉMILE BOURIOT.

Paris. — Imprimerie brevetée MICHELS ET FILS, passage du Caire. 8 et 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

LA PERCEPTION DES COULEURS FONDAMENTALES DU SPECTRE

ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE Par M. le professeur CHaUVEaU. de l'Institut.

Dans la théorie Yung-Helmholtz sur le mécanisme de la perception des sensations lumineuses colorées, la sélection des couleurs fondamentales peut être supposée accomplie, ou par les éléments impressionnables de la rétine, ou par les conducteurs centripètes qui transportent les excitations lumineuses au sensorium commune, ou par les cellules per-ceptrices auxquelles aboutissent les tubes nerveux conducteurs dans le ceotre cérébral. Ou bien encore on juge nécessaire d'attribuer à chacune de ces trois sortes d'éléments, l'indépendance et l'adaptation physiologique spéciale qui créent l'aptitude à la vision séparée des couleurs fondamentales.

Jusqu'à présent, on ne s'est guère occupé, du moins explicitement, que de la spécialisation possible des organes périphériques, tubes nerveux et rétine, particulièrement des éléments de la couche des cônes. N'est-il pas possible de démontrer que les cellules des centres percepteurs participent aussi à cette spécialisation? J'ai rencontré un nouveau fait qui est favorable à l'admission de celte participation. Il me parait utile de le faire connaître. Ce fait, je l'ai cherché inutilement pendant bien longtemps. Si le hasard qui me l'a fait rencontrer après tant d'efforts infructueux avait leurré l'idée instigatrice qui dirigeait ces efforts, si mon fait n'avait pas réellement la signification que je lui attribue, il n'en resterait pas moins intéressant et curieux.

Le raisonnement qui a servi de base logique à mes nouvelles recherches est bien simple. On sait quelle marche suit l'assoupissement des organes

des sens au moment du sommeil normal ou du sommeil provoqué. Cet assoupissement est loin d'être simultané, et il en est de même du réveil. La simultanéité n'existe même pas pour les sensations diverses qui ont leur siège dans un seul et même organe. La peau, par exemple, ne perd ni ne récupère exactement au même moment l'aptitude aux sensations de tact, de douleur, de chaleur. On sait, de plus, que le rôle essentiel est joué, dans ces phénomènes d'anéantissement et de résurrection, par le système nerveux centrât, c'est-à-dire par les cellules spécialisées des centres psychiques et, dans une certaine mesure, par celles des noyaux gris auxquels aboutissent les tubes nerveux du système périphérique. En effet, les organes de ce système périphérique ne perdent pas nécessairement leur activité propre pendant Le sommeil. Ainsi, sur l'homme profondément endormi, incapable d'éprouver la moindre sensation visuelle quand on lui entr'ouvre les paupières, la rétine et les tubes du nerf optique conservent parfaitement la propriété de conduire à la moelle allongée les excitations lumineuses qui provoquent le resserrement réflexe de la pupille.

11 est donc bien établi que les cellules perceptrices des centres nerveux préposés à l'exercice des diverses sensations perdent et recouvrent leur activité avec une inégale rapidité, au moment du sommeil et au moment du réveil. Alors n'est-on pas autorisé à supposer que cette inégalité peut se retrouver dans les trois sortes de cellules centrales qu'on suppose présider à la perception de chacune des trois couleurs fondamentales admises par Yung ? Si donc l'expérimentation et l'observation démontraient qu'au début et à la fin de la phase du sommeil, la perception des couleurs fondamentales n'a plus lieu qu'avec éclipse fugitive de l'une ou de l'autre d'entre elles, cette lacune ne démontrerait-elle pas, du même coup, que les cellules perceptrices du rouge, du vert et du violet existent en réalité et qu'elles ne sont pas influencées exactement de la même manière par le sommeil î

Voilà mon raisonnement. Je dirai de suite que les recherches méthodiques qu'il m'a inspirées tout d'abord ont complètement avorté : non pas qu'elles ne fussent susceptibles de réussir à donner une solution ferme en plaidant pour ou contre mon idée préconçue, mais la constatation des résultats était soumise à tant d'aléas que j'ai fini par me rebuter et par abandonner mon entreprise.

Il s'agissait, en effet, de s'assurer si les trois couleurs fondamentales, étalées à l'aquarelle sur un tableau de papier blanc convenablement placé dans ma chambre à coucher, seraient toutes vues ou non, avec leur teinte et leur valeur réelles, au moment du réveil. Or, voici ce qui m'ar-rivait toujours : ou bien je me réveillais avant que le jour fût suffisam-

ment vif; ou bien j'étais place, au moment du réveil, de manière a ne pas voir le tableau que j'avais à contempler; ou bien enfin, et ceci était le plus fréquent, j'avais complètement oublié, à l'instant où j'ouvrais les paupières, la petite opération psycho-physique que j'avais à exécuter.

Comme je suis doué à an assez haut degré de la faculté de m'endor-mir à volonté, j'avais esquissé un programme pour l'exécution de ces expériences en plein jour, en me plaçant dans des conditions beaucoup moins aléatoires.

Mais, sur ces entrefaites, le hasard me mit en possession d'une autre méthode de recherches, à laquelle je crus devoir m'attacher exclusivement, parce que, d'une part, elle me donnait de fort beaux résultats et que, d'autre part, elle se rattachait à un ensemble d'antres études dont je m'occupais alors.

Voici le fait qui m'a mis sur la voie de ma nouvelle méthode.

Étant endormi dans un wagon, je fus réveillé brusquement par une oscillation un peu plus forte que les autres et j'ouvris immédiatement les yeux : ils me parurent aussitôt, et pendant un instant très court, vivement illuminés en vert; le drap gris clair du compartiment et les housses blanches qui le recouvraient me donnèrent, en effet, l'impression très fugitive d'être teints en beau vert clair. C'était aux premières lueurs du matin. Quoique frappé par cette sorte d'apparition extraordinaire et y pensant assez fortement, je ne tardai pas à me rendormir.

Au second réveil, j'éprouvai encore la mente sensation d'illumination de mes pupilles en vert. Mais, cette fois, un travail mental, s'opérant pour ainsi dire instantanément et machinalement, rapprocha ce fait des tentatives par lesquelles j'essayais alors de démontrer qu'il y a, pour chacune des couleurs fondamentales, une catégorie spéciale de cellules perceptrices. « Mais, m'écriaî-je intérieurement, la démonstration cherchée, la voilà ! Les objets blancs ou gris clair m'ont paru verts, au premier moment du réveil, parce qu'à ce moment les centres percepteurs du vert étaient seuls éveillés! »

Je conçus de suite le projet de faire des recherches dans cette direction nouvelle. Quoique encore très aléatoires, ces recherches l'étaient beaucoup moins que celles dont j'avais eu l'idée en premier lieu.

Il est parfaitement inutile que j'expose en détail toutes mes tentatives, avec les incertitudes, les mécomptes du début, le succès constant réservé i l'expérimentateur lorsqu'il parvient à échapper aux pièges qui l'environnent, à son inattention principalement. Je sois aujourd'hui assez sûr des conditions nécessaires à la production du phénomène, ainsi que du phénomène lui-même, pour me sentir autorisé à résumer comme il suit.

dans une très courte formule synthétique, tout ce que j'ai à dire sur ce sujet.

Si l'on s'endort sur un siège placé obliquement devant une fenétre laissant arriver, un peu de côté, sur les deux yeux à la fois, la lumière du ciel éclaire par des nuages blancs, les objets de couleur claire existant dans la chambre paraissent illuminés en vert pendant un très court moment, lorsque les paupières se soulèvent au moment même du réveil. Cette illumination d'un vert très vif et très pur, lorsque les surfaces ou les objets placés dans le champ visuel sont à peu près blancs, occupe toujours tout ce champ visuel.

S'agit-il bien là, en effet, d'un phénomène particulier, inédit, indépendant de tous les phénomènes de coloration induite connus jusqu'à présent? 11 m'a été facile de m'en convaincre en l'analysant minutieusement et en le comparant aux autres phénomènes plus ou moins analogues. Tout examen fait, j'ai dû conclure que ce phénomène nouveau ne se manifeste jamais que dans les conditions suivantes, absolument étrangères à la production de ceux qui pourraient en être rapprochés :

1° Le phénomène se produit seulement sur tes sujets sortant d'un profond sommeil;

2° li n'a lieu que si les paupières se soulèvent immédiatement au moment du réveil.

En ce qui concerne la première de ces deux conditions, je ne saurais dire combien d'essais variés j'ai faits pour reproduire les résultats de l'expérience sur l'homme à l'état de veille. Dominé pendant longtemps par l'idée que je pouvais bien n'avoir affaire qu'à une forme particulière des résultats obtenus dans l'expérience de l'éclairage latéral, j'ai supposé qu'il suffirait peut-être de se tenir longtemps exposé, les yeux fermés, à la lumière d'un ciel blanc entrant largement de côté par une fenêtre, pour provoquer l'illumination fugitive en vert au moment du relèvement brusque des paupières. C'était une erreur. Dans ces conditions, j'ai toujours vu apparaître immédiatement, avec leurs couleurs vraies, les objets contenus dans la chambre.

Donc, le sommeil préalable est bien la condition sine qua non de la manifestation du phénomène de l'illumination en vert, au premier moment de l'irruption de la lumière blanche au fond de l'œil.

La seconde condition est non moins indispensable. Il m'est arrivé souvent, ayant perdu le souvenir de l'expérience à laquelle je me livrais, de rester les yeux fermés pendant quelques instants après le réveil ; alors l'illumination en vert ne se manifestait pas au moment où les paupières se relevaient.

D'où j'ai dû conclure que, pour éprouver la fugitive sensation de vive coloration verte des objets quand les yeux s'ouvrent après le sommeil, il faut que la vue de ces objets frappe les yeux très peu de temps après le réveil.

Comment interpréter ce phénomène de perception chromatique ?

On ne le peut, i mon avis, autrement qu'avec l'aide de la théorie Yung-Helmholtz et en y faisant jouer le principal rôle aux cellules per-ceptrices des centres nerveux. C'est bien la un des cas dans lesquels se révèle l'aptitude de l'œil à analyser la lumière blanche, à y voir seulement l'une de ses couleurs fondamentales ou la teinte complémentaire, par le fait d'une modalité particulière très fugitive des cellules percep-trices des centres nerveux.

On remarquera d'abord que l'isolement du vert de la lumière blanche, dans mon expérience, donne une sorte de réalité objective à l'une des couleurs fondamentales admises par Yung. Cet isolement concourt certainement à montrer l'appareil rétinien, ses conducteurs centripètes et les groupes de cellules réceptrices, auxquels ces conducteurs aboutissent dans les centres nerveux, comme étant disposés pour la perception indépendante des trois couleurs fondamentales qui composent la lumière blanche. Les vibrations lumineuses répondant a ces trois conteurs, séparées ou combinées, arrivent sur la rétine et l'excitent chacune à sa manière. Puis les trois excitations colorées, transportées par un conducteur commun ou par des conducteurs spéciaux (ce qui est indifférent), sont amenées chacune à une cellule spécialisée des centres percepteurs qui en prennent connaissance, soit à l'état d'isolement, soit a l'état de combinaison ou de fusion, suivant la diversité des ondes lumineuses impressionnantes.

Il suffît, comme on voit, dans cette manière de présenter la théorie Yung-Helmholtz, d'admettre l'indépendance et la spécialisation fonctionnelle des cellules centrales préposées à la perception des trois couleurs. Peut-être même la supposition d'une seule espèce de cellules réceptrices suffirait-elle à l'explication cherchée, si l'on admettait que chacune d'elles est douée de trois propriétés distinctes lui permettant de répondre isolément ou simultanément aux vibrations du rouge, du vert et du violet. Mais, pour la commodité de l'exposition et en me conformant, du reste, à l'exemple déjà donné par Helmholtz, en ce qui regarde les tubes nerveux préposés à la conduction des excitations colorées, je continuerai à raisonner comme si la propriété de perception des couleurs fondamentales appartenait sûrement à trois sortes de cellules spéciales.

Les choses étant comme nous venons de le supposer, on s'explique très bien que, si un artifice expérimental quelconque vient à éteindre passa-

gèrement l'activité de deux de ces organes percepteurs, la lumière blanche qui frappera la rétine ne pourra être vue qu'arec la couleur à la perception de laquelle est destiné l'organule resté seul actif. Par exemple, si ce sont les cellules préposées i la perception du rouge et du violet qui sont paralysées, l'œil ne percevra que le vert dans la lumière blanche.

On peut de même supposer que les trois centres, après avoir été passagèrement paralysés, ne recouvrent pas tous simultanément leur activité. Si ce sont les organes du rouge et du violet qui retardent, le vert, cette fois encore, sera perçu seul dans la lumière blanche, jusqu'au moment où la reviviscence sera complète dans les trois sortes de cellules réceptrices.

On devine maintenant le parti qui peut être tiré de ces prémisses pour expliquer les caractères du phénomène nouveau dont il est ici question.

Notre conclusion, d'accord avec ces prémisses, est conforme aux prévisions exposées au début de cette note : c'est que l'illumination de l'œil en vert, su moment du réveil, s'explique très bien par un défaut de simultanéité dans la récupération de l'activité des trois centres percepteurs de la lumière colorée. Les cellules du vert sont en très légère avance sur celles, dn rouge et du violet. D'où la sensation très fugitive d'une belle coloration verte quand le regard, au moment même du réveil, tombe sur une surface blanche.

Voilà mon explication. Et-elle complète Le mécanisme de cete tès courte illumination en vert ne comporte-t-il pas d'autres facteurs ? Il y en a certainement. Ainsi, dans notre dispositif expérimental, quoique les paupières soient fermées, les globes oculaires sont exposés, pendant le sommeil, à l'action de la lumière blanche. L'illumination en rouge pourpre qui en résulte pour le fond de l'œil, en provoquant une certaine fatigue des organes du rouge pourpre, favorise sans doute du même coup les organes percepteurs du vert. Mais ce ne peut être là qu'une cause simplement adjuvante. Le principal mécanisme de l'illumination en vert, au moment du réveil, réside nécessairement dans une inégale rapidité de la reviviscence des centres préposés à la vision des couleurs.

Voici, résumées sous forme systématique, les propositions que l'on peut tirer de la présente étude :

1° Le vert, par démonstration directe, le ronge et le violet, par déduction, semblent bien avoir droit, physiologiquement parlant, à

la qualification de couleurs fondamentales qui leur a été attribuée par Yung ;

2° Il y a, en effet, dans les centres nerveux, pour la perception de ces couleurs, des cellules distinctes, ou tout au moins douées de trois sensibilités indépendantes : une qui est excitée par les vibrations du rouge, l'autre par celles du vert, et la troisième par les vibrations du violet ;

3° Ces propriétés, assoupies pendant le sommeil, ne reviennent pas simultanément à l'activité : c'est l'aptitude à la perception du vert qui se réveille la première ;

4° Aussi l'homme endormi près dune fenêtre, laissant arriver la lumière du ciel à peu près également sur les deux yeux, voit-il dans la chambre, quand les paupières se relèvent au moment même du réveil, les objets blancs ou gris illuminés fugitivement en vert très vif et très pur;

5° L'œil normal possède donc l'aptitude à analyser la lumière blanche et à la décomposer en ses couleurs fondamentales, par un procédé psycho-physique résultant de l'intervention de modalités particulières, plus ou moins fugitives, imprimées aux cellules perceptrices des centres nerveux.

La netteté tranchante donnée intentionnellement à ces propositions facilitera les objections et les critiques auxquelles donne prise le déterminisme dn phénomène exploité dans cette étude, surtout celles que je me propose de présenter moi-même dans une prochaine note.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'ÉTAT MENTAL CHEZ LES HYSTÉRIQUES

DÉNONCIATION DE CRIMES IMAGINAIRES Par M. le D' LANGLOIS. de Joigny (I).

Le mercredi soir 2 juillet 1890, à neuf heures, une fillette de quatorze ans se présentait à Joigny chez M. le commissaire de police, auquel elle faisait un récit de crimes tellement monstrueux que ce dernier fit prévenir M. le procureur de la République qui, après avoir entendu la jeune Angélina Rocher, adressa aussitôt dans différentes directions le télégramme suivant :

Prière de rechercher immédiatement un nommé Rocher (Angelin), âgé de trente-cinq ans, portant une moustache et une petite mouche, avant de grandes oreilles, dont la droite a la partie supérieure retournée sur elle-même; se tient très droit ; taille ordinaire; grands cheveux noirs

(1) Communication faite a la Société de Médecine légale.

Vêtu d'un paletot gris et d'un pantalon de coutil blanc jaunâtre, chaussé de bottines à élastiques, coiffé d'un chapeau marron. Est prévenu d'un doubla assassinat.

Il voyage avec sa femme, Alphonsine Tardy, âgée de trente ans environ, assez forte, taille moyenne, et avec son fils Eugène, âgé de dix-sept ans, grand, sur une voiture assez élevée, dont les deux roues de devant sont petites et peintes en vert et les deux de derrière plus grandes et rouges.

Ces deux individus sont saltimbanques. Ils jouent la comédie dans les villages, et ils donnent en représentation ta Guerre au Tonkin.

Le cheval, de taille moyenne, est gris pommelé ; il parait âgé de sept ans.

Prière défaire une perquisition dans la voiture qui pourrait receler un cadavre. Mettre les trois personnes en état d'arrestation.

Après avoir envoyé cette dépêche dont les termes et les détails étaient empruntés au récit d'Angélina, M. le Procureur la fit conduire A la gendarmerie où il me fit demander, à onze heures du soir, pour examiner l'état mental de la fillette.

Angélina interrogée par moi me fit le récit suivant :

La famille Rocher se compose du père, de la mère et de quatre enfants : un garçon de dix-sept ans, Angélina âgée de quatorze ans, une fille âgée de dix ans et un bébé de six mois, ces deux derniers victimes des crimes dénoncés par Angélina. — La famille Rocher exerce la profession de saltimbanques ou acteurs en plein vent; les affaires vont mal, les enfants sont contraints par le père à commettre des larcins, surtout dans les jardins.

En face de cette misère, le père dit un jour à la mère : « Nous n'avons pas de quoi manger, ton lait s'épuise et est à peine suffisant pour le petit; c'est une bouche inutile, nous allons nous en débarrasser ». Et, passant près d'une rivière, il jeta le petit a l'eau.

Par trois fois, le petit être revint à la surface et le père fut obligé de couper une gaule le long de la rivière pour le faire plonger dans l'eau et l'y maintenir.

Le premier du mois, c'est-à-dire hier mardi, aux environs de Bassou, à deux lieues de Joigny, Rocher enjoignit à ses deux filles d'escalader le mur d'un jardin pour aller y cueillir des framboises. Le mur était recouvert de tessons de bouteilles et, malgré ses efforts, sa petite sœur, qu'Angélina élevait dans ses bras, ne put, tout en se meurtrissant les mains, escalader le mur.

Le père alors, pris do rage, lui frappa violemment le visage sur le mur, la jeta sur le sol et la piétina jusqu'à ce que mort s'ensuivit.

Le petit cadavre fut mis dans la voiture et on continua la route.

Pendant la route, lepère marcha sans le vouloir sur la main de la petite morte étendue sur le plancher de la voiture et Angélina se mit à pousser des cris. Rocher résolut aussitôt de se défaire de ce témoin gênant, et aidé de sa femme qui s'opposait à ce qu'il tuât sa seconde fille, il attacha Angélina à un arbre dans un petit bois voisin de la route et la voiture repartit. On était alors au mardi 1er juillet, neuf heures du matin.

Ce n'est que le lendemain malin, mercredi 2 Juillet, que les cris d'Angélina furent entendus par un voiturier passant sur la route avec ses chevaux, qui remit Angélina en liberté, et c'est le soir, à neuf heures, qu'elle arriva à Joigny.

Tel est le récit qu'Angélina fit devant moi, à la gendarmerie, le mercredi soir, à onze heures, récit déclaré conforme par M. le Procureur, de tous points à celui déjà fait à ce magistrat.

Pendant qu'elle parle, j'examine Angélina : son accent est celui de la sincérité; les faits qu'elle dénonce, elle les raconte avec une sorte de timidité empreinte d'énergie; rien n'y manque, elle sait s'émouvoir à propos et pleurer discrètement à certains endroits.

Ce qui attire tout d'abord mon attention, c'est son attitude qui n'est pas celle d'une fille de saltimbanques et son costume qui est celui d'une petite campagnarde de nos pays. Lorsque je lui eu fais la remarque et que je lui demande pourquoi elle a un tablier bleu, une robe et des sabots comme les filles des environs, elle me répond aussitôt qu'avant de l'attacher à l'arbre, son père lui a enlevé son costume de saltimbanque, sa robe qui était rouge, pour lui faire revêtir des habits de campagnarde qu'il avait volés, espérant à l'aide de ce déguisement détourner les soupçons, et que son tablier bleu lui servait à faire la vaisselle et les lits dans la chambre.

A ce mot de chambre, je fais immédiatement un mouvement de surprime et elle se reprend aussitôt en disant que pour elle la chambre c'est la voilure.

Elle sait lire, écrire et compter, chose rare chez les enfants de saltimbanques, mais elle n'a pas de peine à me démontrer que le père leur a appris à lire pour qu'ils puissent mieux jouer la comédie.

Elle ne porte pas de traces de violences et, bien qu'elle montre avec insistance quelques plis naturels de la peau, au niveau du pli du coude, il est impossible, avec la meilleure volonté du monde, de se ranger à son avis.

Angélina prétend que la corde avec laquelle on l'a attachée était rouge, en fait de corde rouge, nous ne connaissons que la ficelle du bureau et les cordons de tirage pour les rideaux.

C'est alors que je lui demande pourquoi elle n'a rien raconté de son histoire au voiturier. Elle me répond aussitôt qu'au moment où elle allait la lui raconter, ses chevaux qu'il avait laissés sur la route étalent repartis et qu'il n'avait eu que le temps de les rejoindre en lui criant d'aller raconter son affaire à la justice de Joigny.

En face de ces faits, et après cet examen sommaire, je déclarai à M. le Procureur que je croyais me trouver en présence d'une petite fille vicieuse et menteuse comme la plupart des hystériques. Ce magistrat, avant de m'avoir consulté, avait dès neuf heures du soir expédié des dépèches dans toutes les directions, et je ne me crus pas autorisé à arrêter ce commencement d'enquête, Angélina ayant très bien pu broder sur un fond de vérité.

Le lendemain jeudi, IL le Procureur, accompagné d'un gendarme, conduit la fillette aux environs de Joigny, aux endroits où elle disait

pouvoir reconnaître le fameux bois et revient sans avoir rien découvert.

Pendant cette journée et toute celle du lendemain, la gendarmerie de cinq départements a été sur pied, toutes les roulottes de saltimbanques ont été fouillées.

Le vendredi, j'examine Angélina à l'hospice, avec un de mes confrères, et, à la suite de cet examen, nous rédigeons le rapport médico-légal suivant :

Vu le peu de temps qui s'est écoulé entre notre réquisition et la demande de notre rapport, et étant donné que l'appréciation de l'état mental exige souvent des examens répétés et une longue observation, nous devons faire quelques réserves.

Il résulte néanmoins de notre examen qu'Angélina doit rentrer dans la catégorie de ces filles menteuses, dissimulées et perverses qui mentent avec une ténacité et une effronterie inouïes, pour le seul plaisir de mentir et pour qu'on s'oc-cupe d'elles; qui portent contre autrui de fausses accusations de meurtre et se disent victimes d'alternats ci do viol.

Si, à côté de ces troubles physiques, nous avions pu découvrir certaines paralysies ou contractures, certains troubles de la sensibilité cutanée ou des organes des sens, nous n'hésiterions pas à ranger cet état mental dans celui qui caractérise l'hystérie, mais il nous faudrait, pour être affiramatifs à ce point, d'autres documents ci une plus longue observation du sujet.

Quoi qu'il en soit, Angélina a pu forger de toutes pièces les histoires qu'elle a racontées.

Malgré les recherches les plus attentives, il ne nous a pas été permis de déceler les moindres trace de violences sur Angélina, et la corde avec laquelle elle prétend avoir été liée, n'a pas laissé de marques sur son corps ni sur les vêlements.

Angélina. âgêe do quatorze ans, ne serait pas encore réglée. Les seins sont déjà apparents et le pubis recouvert de quelques poils. La membrane hymen est déchirée, ses lambeaux présentent des cicatrices non récentes. Le vagin est notablement élargi et peut permettre l'intromission facile d'un corps volumineux comme !c membre viril.

Les fesses sont régulièrement développées; l'orifice anal, normalement conformé, présente dans certaines attitudes un léger enfoncement. Le doigt introduit dans le rectum y pénètre sans difficulté, et le sphincter n'a pas la tonicité qu'il devrait avoir, bien qu'Angélina contracte fortement les fesses.

De tout ce qui précède, nous nous croyons autorisés à conclure :

1° Qu'au point de vue de l'élat mental, Angélina, sans pouvoir être rangée d'une façon absolue dans la catégorie des hystériques, pour les raisons que nous avons données, présente cependant un état psychique en rapport avec celui de ces dernières. Menteuse, dissimulée et perverse, elle n'a fait que mentir avec une ténacité et une effronterie inouïes, el elle a très bien pu forger de toules pièces les histoires qu'elle a racontées;

2° Angélina ne porte aucune trace de violences sur le corps et la prétendue corde n'a pas laissé de marques ;

3° La déchirure de la membrane hymen, ses lambeaux cicatrisés depuis longtemps, l'élargissement notable du vagin, permettent de supposer l'intromission d'un corps volumineux comme le membre viril;

4° Du coté de l'anus, les signes habituels de l'intromission d'un corps volumi-mineux comme le membre viril ne sont pas assez caractérisés pour permettre une affirmation absolue.

Pendant ces recherches et ces expertises, les journaux du département, qui s'étaient emparés de la chose, font supposer à un nommé Rollinat, demeurant à Perrigny, près d'Auxerre. qu'une petite servante, qui a disparu de chez lui le mercredi '2 juillet, pourrait bien être la même qu'Angélina Rocher.

M. Rollinat, accompagné du sous-directeur des enfants assistés de la Seine, qui avait placé la petite fille disparue en service chez ce cultiva-valeur, arrivent a Joigny le dimanche suivant et se mettent k la disposition du parquet.

Avant de laisser confronter Angélina avec ces deux personnes, nous tâchons encore de lui faire avouer ses mensonges; elle n'en persiste que plus énergiquement dans ses dénonciations; c'est même son frère Eugène qu'elle accuse de l'avoir violentée. Elle insiste avec les mêmes expressions sur les détails dans lesquels nous sommes déjà entrés et, pressée par nous de revenir sur de pareils mensonges, elle fond en larmes en nous disant : « Puisque vous ne voulez pas me croire, je ne vous dirai plus rien : j'ai dit la vérité, rien que la vérité, et je n'ai rien à ajouter. »

C'est alors qu'on introduit auprès de nous le sous-directeur des enfants assistés et M. Rollinat, qui reconnaissent immédiatement Angélina pour la nommée Louise-Adèle Degrosd, placée en service chez M Rollinat, à Perrigny.

Angélina les reconnaît également et on n'en peut plus obtenir une seule parole.

Ces messieurs nous apprennent qu'Angélina était très précoce; qu'en service a Cravant. quelques mois auparavant, elle se sauvait le soir dans les bois, en compagnie des garnements du pays.

Très intelligente et très avancée pour son âge. on l'a souvent surprise la nuit lisant des feuilletons dans son lit ou écrivant des lettres anonymes aux habitants du pays, à son patron, à son sous-directeur et à elle-même.

Avant de partir, M. Rollinat a trouvé dans sa paillasse de la chandelle, du papier à lettre et des brouillons de lettres. Elle était paresseuse et menteuse.

CONCLUSIONS

Nous nous trouvions donc en présence d'un état mental tout particulier et de manifestations intellectuelles et affectives que nous allons

essayer, en l'absence de toutes constatations somatiques, de faire rentrer dans l'hystérie confirmée.

Ce qui frappe tout d'abord dans le récit d'Angélina. en dehors de son talent de comédienne et de sa facilité de répartie, c'est la variété et la précision des couleurs qu'elle dépeint et qui y jouent un grand rôle : le père a un paletot gris, un pantalon de coutil blanc jaunâtre, un chapeau marron; les roues de la toiture sont peintes les unes en vert, les autres en rouge. La robe qu'elle portait avant d'être abandonnée était rouge; la corde avec laquelle on l'a attachée également rouge.

Ce luxe de couleurs, cette abondance des détails dans le récit sont bien le fait des hystériques.

Avons-nous eu affaire ici à une fillette nerveuse, à l'imagination saturée d'histoires romanesques, récoltées dans des feuilletons à bon marché, poussée pur des impulsions irrésistibles, peut-être soumise à des hallucinations passagères, dans tous les cas atteinte d'un dérangement tel des facultés qu'elle a pu croire sincèrement, pendant un temps, à la réalité des crimes imaginaires qu'elle est venue dénoncer?

Nous trouvons-nous, au contraire, en face d'une fille consciente, éprouvant le besoin impérieux de se rendre intéressante, de faire parler d'elle à tout prix et d'attirer sur elle l'attention publique?

M. le Dr Huchard (I) a fait de l'état mental des hystériques une étude très complète, et on trouve dans le livre du Dr Legrand du Saulle, sur les hystériques (2). des renseignements très précis sur les troubles intellectuels de l'hystérie.

Ce qui n'a pas été suffisamment mis en relief, c'est l'existence évidente de l'hystérie confirmée sans troubles physiques et confirmée par les seules manifestations de l'état mental. Assurément, ce genre d'hystérie est à suivre, et il est probable qu'aux troubles intellectuels et affectifs se joindront tût ou tard les troubles physiques.

Le nombre est grand déjà, dans les annales médico-légales, d'hystériques ayant compromis par leurs dénonciations calomnieuses des parents, des amis ou môme des étrangers.

Le fait que je viens de rapporter s'ajoutera à ce dossier et me permettra de demander à votre Société si. au point de vue Je la médecine légale, on peut considérer, ainsi que j'ai essayé de l'établir dans ces conclusions, comme franchement hystériques des malheureuses qui ne présentent encore de cette maladie que les troubles mentaux. D'un autre

(1) Huchard. Archives de neurologie. 1882.

(2) Legrand du Saulle. Les Hystériques, 3e, édition, Paria, 1891.

coté, ces troubles seuls suffisent-ils à faire bénéficier les personnes qui en sont atteintes de l'article 64 du Code pénal ?

J'ai laissé de côté, A dessein, ce que j'ai pu constater du côté des organes génitaux, me rangeant à ce propos à l'avis du Dr Legrand du Saulle et convaincu que lubricité et hystérie sont loin d'être deux termes fatalement associés.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE

Séance du lundi 21 novembre 1892. — Présidence de M. Dumontpallier.

Le procès-verbal de la séance du lundi 17 octobre en lu et adopté.

M. le président met aux voix les candidatures de MM. Dumas, ancien élève de l'Ecole normale supérieure, professeur agrégé de philosophie; Dr Dechtereff. de Saint-Pétersbourg ; Dr Charles Vie. et Levassort, chef de clinique à la Clinique Française. Ces candiditures sont nommées à l'unanimité.

La Société décide de mettre à l'ordre du jour la question suivante : La Klep-tomanie et le vol dans les grands magasins. Les membre de la So:iété qui désirent prendre la parole dans cette discussion, qui sera continuée dans la séance du lundi 19 décembre, sont invités a se faire inscrire à l'avance.

Observation de chorée guérie par la thérapeutique

suggestive,

Par M. le Dr DUMONTPALLIER, membre de l'Académie de Médecine.

Une jeune personne de douze ans et demi, affectée de chorée depuis le mois de novembre 1891. est amenée dans mou cabinet à la fin d'octobre 1892, et sa mère me demande ce que je puis faire pour son enfant.

La malade est anémique, et je constate qu'elle ne peut rester tranquille dans la position assise. Il n'existe que peu de mouvements spasmodiques dans la jambe droite, mais la face est sans cesse grimaçaute; la commissure labiale droite est à chaque instant entraînée en haul et en dehors, en même temps que la téte est inclinée vers l'épaule droite cl entraînée à gauche par un mouvement de rotation. Puis l'épaule est portée en haut el en avant. Le bras, lavant-bras el la maiu sont agités de mouvements de pronation et de supination incessants. Le membre inférieur droit ne parait pas atteint de spasmes musculaires. Le côté gauche, au dite de la mère de la malade, n'a jamais été atteint de mouvements convulsifs, mais la marche fatigue l'enfant et il existe un léger degré de parésie du membre inférieur droit. La sensibilité est normale à la face est daus le membre supérieur droit. L'ouïe, l'odorat et le goût ne présentent point de troubles fonctionnels ; la vision est normale des deux côtés, il n'y a point de dyschromalopsie. Point de stigmates de

l'hystérie franche, mais une très grande impressionnabilité. L'enfant parait distraite; elle ne peut ou ne veut plus apprendre ses leçons; elle ne peut rester en place ; elle touche à tout, et les mouvements spasmodiques de la main droite ne lui permettent pas d'écrire ni de se livrer à aucun travail de coulure.

Le bromure de potassium, les bains sulfureux, les préparations de fer et de quinquina n'ont modifié que tres peu et très passagèrement l'état de la malade, et, depuis une année, la mère de l'enfant nous dit qu'il n'y a jamais eu d'amélioration notable et que les mouvements spasmodique n'ont jamais cessé complètement.

De plus l'enfant a des palpitations nerveuses; jamais de douleurs rhumatismales, pas de souffle cardiaque.

La chorée a débuté huit jours après une grande colère el une violente émotion éprouvées par l'enfant.

Nous sommes donc autorisé à ne pas considérer cette chorée comme étant de nature rhumatismale, d'autant plus que les père el mère n'étaient point rhumatisants. Le père est mort phtisique : la mère est anémique ; ta grand'-mère est très bien portante; une sœur de la malade esl morte de convulsions à l'Age de deux ans.

Nous ne sommes pas non plus autorisa à affirmer qu'il s'agit dans ce cas d'une chorée hystérique, puisque les stigmates de l'hystérie classique n'existe pas chez celle jeune fille.

Et je conclus seulement que cène chorée est nerveuse, c'est-à-dire liée à la grande impressionnabilité naturelle de celle jeune malade.

Cela étant el connaissaut les résultats favorables que MM. Liébeault, Bernhcim, Beaunis et Bérillon ont obtenu dans la chorée par la thérapeutique suggestive, je proposai à la mère de la malade le même traitement, en lui donnant l'espérance du succès.

Séance tenante, je m'appliquai à gagner la confiance de la petite malade el lui dis que si elle consentait à s'endormir, elle serait guérie à son réveil.

L'enfant ne fit aucune résistance et, assise dans un fauteuil, la tète appuyée sur un coussin, je lui dis qu'elle allait dormir; qu'il lui suffirait pour cela de fixer ses yeux sur les miens et de penser à ce qu'elle ressentait le soir lorsqu'elle sentait venir le sommeil, et je l'aidai en lui disant :

« Vos yeux vous piquent, vos paupières se ferment, votre téte devient lourde ; vous sentez vos bras cl vos jambes s'engourdir. Tenez, vous donnez. Dormez ! »

L'enfant dormait el ne sentait plus la piqûre d'une épingle sur lavant-bras ni sur la figure.

« Donnez! dormez! Déjà vous n'avez plus de tic; votre figure ne grimace plus, votre téte ne remue plus, votre épaule, votre bras, votre main ne sont plus agiles de mouvements. Vous dormez bien tranquillement ; vous êtes heureuse de dormir ainsi et, lorsque je vous réveillerai, vous n'aurez plus de mouvements dans la ligure, dans le bras, et vous serez guérie. De plus, vous serez bien obéissante, vous serez respectueuse pour votre grand'-

mère; vous apprendrez facilement vos leçons ; vous pourrez écrire vos devoirs, vous pourrez travailler à ta couture. Vous aurez de l'appétit ; vous n'aurez pas mal à l'estomac ; vous irez à la garde-robe tous les jours à la même heure, le malin. Vous pourrez jouer, courir avec vos petites camarades, et le soir, quand sera venu le moment de vous coucher, vous dormirez d'un bon sommeil ; vous n'aurez pas de mauvais rêves, et le lendemain matin, quand vous vous réveillerez, vous sentirez que vous avez eu une bonne nuit, que le sommeil a bien réparé vos forces et vous serez tout heureuse. »

Je laissai l'enfant sous l'empire de la suggestion hypnotique pendant une demi-heure. Alors, je lui dis :

« Réveillez-vous doucement, sans secousse; réveillez-vous, réveillez-vous ! »

Elle ouvrit les yeux, redressa la tête, qui s'était inclinée sur le coussin ; j'agitai l'air autour de sa tête et le long de ses membres avec un éventail et j'ajoutai :

« Levez-vous, marchez. Vous êtes guérie. »

L'enfant se lève, l'air un peu étonné de n'avoir plus de spasmes dans la figure, dans les bras, et de porter sa tète sans éprouver de mouvements con-vulsifs.

Le lendemain, j'appris de la mère que son enfant était restée deux grandes heures sans avoir de mouvements spasmodiques, qu'elle avait bien mangé, qu'elle avait été docile, attentive aux remarques qui lui étaient faites, et qu'elle avait bien dormi.

Le second jour et les jouis suivants, je répétai les mêmes suggestions que le premier jour, dans le sommeil hypnotique, et de jour en jour la durée d'accalmie augmentait et. après la quatrième séance de suggestion, les spasmes choréiques ne se montraient plus que dans la matinée.

Bientôt, c'est-à-dire le huitième jour, il n'y avait plus de mouvements choréiques ; l'expression de la figure disait le retour de la santé générale, le regard était vif, intelligent; l'enfant était reconnaissante, elle apprenait ses leçons avec grande facilité, s'occupait utilement toute la journée, dormait bien et était très obéissante, attentive â l'école, et partageait les jeux de ses petites camarades.

A partir de la seconde semaine, elle ne fut plus soumise au traitement suggestif que tous les deux jours; puis, la troisième semaine, que deux fois la semaine et, à dater de la quatrième semaine, je ne la voyais plus qu'une fois par semaine. Au commencement de décembre, il était permis de considérer la guérison comme étant complète.

Toutefois, j'ai engagé la mè:e à venir me revoir une fois par semaine pour m'assurer qu'il n'y aura pas de rechute, et il est convenu qu'au moindre retour de mouvements spasmodiques, quelque légers qu'ils fussent, on me ramènerait l'enfant.

Pendant toute la durée du traitement suggestif, l'enfant n'a pris aucun médicament, et le retour de l'appétit et d'un bon sommeil ont suffi, avec la suggestion, à faire disparaître l'anémie et à rétablir la santé.

Je ne croîs pas qu'il soit nécessaire de discuter longuement pour établir le bon résultat du traitement suggestif dans ce Cas particulier. On ne serait pas fondé à prétendre qu'il y a eu là une coïncidence beurcuse ou que la suggestion n'a fait que ce que font tous les traitements au début de leur emploi. Les résultats immédiats, progressifs et persistants obtenus dans ce cas par la suggestion verbale chez une enfant qui. depuis une année, n'avait relire aucun bénéfice notable de tout autre traitement, font justice de toute autre objection.

Du reste, la présente observation ne fait que confirmer ce que d'autres observateurs ont constaté lorsqu'ils ont fait un usage méthodique de ta thérapeutique suggestive.

Quant à la nature do la chorée en général, je me réserve de la disculer plus lard. La lecture attentive des divers travaux qui ont été publiés sur ce sujet depuis un demi-siècle cl dans ces dernières années, me conduit à penser que l'on a fait une pari très exagérée i la diathèse rhumatismale dans l'étiologie de la chorée. Celte maladie, dans la très grande majorité des cas, est une névrose indépendant ; de l'arthritisme et dont l'étiologie déterminante est presque toujours une violente émotion morale. Pour s'en convaincre, il suffit de lire les observations des différents auteurs, et si l'émotion morale, c'est-à-dire un trouble psychique violent, est la cause obligée de la chorée. il n'y a rîen que de tres rationnel de tres logique, à accepter qu'un traitement moral, psychique, renforcé par l'hypnose, puisse guérir à bref délai une affection qu'un traitement médicamenteux à hautes doses, complexe el prolongé, ne parvient souvent qu'à modifier incomplètement.

Deux applications inopinées de la suggestion hypnotique,

par M. Ch. LEVASSORT, chef de clinique du service d'orthopédie à la Clinique française.

En juin dernier, des amis me demandèrent un conseil pour leur domestique qui avait des crises de cerfs fréquentes, pleurant sans motif, etc. Je fis conduire cette malade à la clinique du Dr Bérillon et elle y fut soumise â diverses reprises au sommeil hypnotique. Rapidement améliorée, cette malade fil ce que tant d'autres font : elle négligea do retourner à la clinique.

Pendant les vacances, au mois d'août, jo me trouvais chez mes amis à la campagne; Ils avaient amené de Paris leur domestique et celle-ci souffrait depuis plusieurs jours d'une constipation opiniâtre. On avait, à l'égard de cette constipation, usé des moyens habituels, mais sans le moindre succès, et les lavements n'étaient même pas rendus. Tout secours médical étant fort éloigné, je me décidai â endormir la malade, qui disait alors n'avoir pas eu de selles depuis quatorze jours.

Mon premier essai fut suivi d'un sommeil rapidement obtenu. Pendant qu'elle dormait, je fis sur le ventre quelques manœuvres de massage. Le ventre, qui était dur et tendu comme un ballon, devint rapidement beaucoup

plus souple. J'ordonnai alors à la malade d'aller à la selle, des que je l'aurai réveillée, et de continuer à y aller régulièrement les jouis suivants à la même heure. Le résultat fut complet : sitôt les yeux ouverts, elle fit un geste d'une éloquence toute spéciale et l'effet salutaire de mes recommandations pendant le sommeil hypnotique se continua les jours suivants.

Peu de temps après, celte fille fut prise d'un torticolis aigu qui la faisait souffrir cruellement; elle remuait la tête et le tronc tout d'une pièce, dans l'altitude classique que chacun connaît et se trouvait ainsi fort gênée pour taire son service.

Il s'agissait probablement là de contracture d'origine hystérique, un torticolis survenu, comme cela arrive souvent, à la suite d'une altitude vicieuse, d'un refroidissement ou d'un mouvement brusque.

J'endormis de nouveau la malade et, après quelques attouchements sur le slerno-clèldo-mastoïdien fortement contracture, j'oblins des mouvements de la tèle non douloureux. J'insiste, et à dessein, sur le massage venant en aide à la suggestion ; je crois, en effet, que dans ce cas-là l'effet cherché est obtenu plus complet et plus rapide. On voit des constipations rebelles céder à des séances de massages répétées et assez longues, de même qu'à la suggestion. Mais pourquoi négliger d'user de deux moyens combinés dans le but d'obtenir un même résultat ? Le massage constitue une sorte d'autosuggestion de l'organe malade.

Dans le cas particulier du torticolis, les premiers effleurements parurent très douloureux, puis peu à peu tout rentra dans l'ordre, les mouvements de la tète dans tous les seas devinrent faciles et, au bout de trois à quatre minutes, la matado réveillée déclara ne plus rien avoir, sauf un peu d'endo-lorissement le long de son sterno-mastoïdien.

Ces deux faits n'ont d'autre valeur que celle de montrer combien ta suggestion peut rendre de services dans des cas où toute médication serait longue à produire ses résultats et, parfois même, impossible à appliquer, le médecin n'ayant aucun médicament à sa disposition.

Vomissements incoercibles de la grossesse traités avec succès par la suggestion,

Par M. le Dr BÉRILLON.

La malade que j'ai l'honneur de présenter à la Société est venue me consulter à ma clinique le 29 octobre 1892. Elle était enceinte, arrivée à la septième semaine de sa grossesse, et se plaignait de vomissements incoercibles. Dès le début de la grossesse, elle avait été atteinte de nausées, et trois ou quatre jours après, les vomissements s'établissaient. Dès qu'elle avait mangé, elle vomissait les aliments ingérés, puis de l'eau amère.

La malade a des antécédents nêvropathiques. Son père est mort à quarante-deux ans; il était buveur. Sa mère est morte a vingt-trois ans; elle était nerveuse. Chez elle, les troubles digestifs ont toujours existé; ainsi, elle n'a

pu manger de viande jusqu'à l'Age de treize ans. Elle a eu quelques crises de nerfs assez faibles, sans perdre connaissance.

Elle a eu déjà dis grossesses. Quatre se sont terminées par des fausses couches et six par la naissance d'enfants vivants. Daus le cours de sa dernière grossesse, elle a été atteinte de vomissements incoercibles qui n'ont cessé qu'avec la délivrance. Un grand nombre de traitements avaient été appliqués en vain, c'est pourquoi cette fois-ci elle n'a pris aucun médicament.

La milade n'a pas toujours suivi un régime alimentaire très rationnel. Ainsi, depuis un au, elle mangeait beaucoup, avec voracité, était insatiable et se relevait la nuit pour manger. Depuis quelques jours, voyant qu'elle ne gardait aucun aliment daus l'estomac, elle s'était mise à absorber du thé au rhum.

Le jour même de la visite, je Liante à se soumettre à l'emploi de la suggestion. Elle présente une certaine résistance, et je parviens à peine à l'engourdir légèrement. Néanmoins, une suggestion énergique lui est faite de manger, en rentrant chez elle, des aliments solides : du pain, de la viande, des légumes cl des confitures; je lui affirme qu'elle ne vomira plus et qu elle digérera parfaitement son déjeuner.

La malade revient le 1er novembre; elle déclare n'avoir pas vomi une seule fois. Le seul aspect de sa physionomie confirme sa déclaration. Cette fois, soumise à une nouvelle tentative d'hypnolisalion, elle est assez profondément endormie.

Depuis environ un mois, les vomissements ont complètement cessé. Elle s'est strictement conformée à mon injonction de résister de toutes ses forces au besoin de vomir et d'employer toute son énergie à les empêcher. Elle a été fort surprise de la rapidité du résultat obtenu. Inutile d'ajouter que la malade a reçu la suggestion de s'abstenir désormais de l'usage du vin pur et des boissons alcooliques auxquelles elle attribuait une action utile et pour lesquels elle manifestait un certain penchant.

RECUEIL DE FAITS

Chorée guérie par la suggestion A l'état de veille.

M. Gibert (du Havre) a publié, dans la Normandie médicale, page 333, 1892, la très intéressante observation d'une enfant de douze ans. guérie d'une chorée grave par la suggestion à, l'état de veille. Voici comment s'exprime notre distingué confrère :

« Cette enfant, gâtée outre mesure par ses parents, n'ayant aucune discipline dan» sa vie, habituée à faire des grimaces que jamais on n'avait songé à corriger, c*t prise d'une véritable danse de Saint-Guy, dans sa forme la plus violente.

« De nuit comme de jour, les mouvements Incoordonnés sont incessants. C'est alors que j'ai la pensée d'intervenir en disciplinant l'enfant par ma volonté.

« L'enfant, que je fais asseoir devant mol, est en proie à de véritables mou-

vements convulsîfs. Tous les muscles du corps.sont pris. Los jambes, les bras, sont, perpétuellement agités de mouvements violents incoordonnés. La chorée a gagné les muscles de la langue et du larynx. Elle aboie, elle se coupe la langue entre les dents dès qu'elle veut parler. Son visage est agité par des grimaces incessantes. Le regard est atone. L'état mental en tel que les parents croient que leur fille est devenue idiote.

« Je lui prends alors les mains et, l'obligeant à me regarder en face, je lui commande de rester deux minutes sans faire un mouvement. EI!c obéit, et subitement tout son corps reste absolument immobile; mais au bout de quatre secondes, tous ses mouvements recommencent. Je lui dis alors que si elle ne m'obéit pas d'une manière absolue. J'ai des moyens de la punir. Elle se calme aussitôt, et, cette fois, j'obtiens une minute entière de repos absolu. Je la lâche alors, et pendant quelques minutes je lui laisse sa liberté. Je recommence, et cette fois je l'oblige à rester debout, sans mouvement, ce qu'elle fait. Puis enfin, pour terminer la séance, après un te:nps de repos, je réussis à lui faire faire cinq pas. la longueur de la chambre.

« Cette première séance est renouvelée tous les jours suivants et dure plus longtemps; l'amélioration obtenue le premier jour s'accentue do plus en plus, et, en moins de quinze jours, la chorée avait non pas disparu, mais s'était considérablement atténuée. Plus de grimaces, plus de pincement de la langue, plus d'aboiement; l'enfant mangeait seule, et l'expression de son virage devenait intelligente.

« Comme j'avais la conscience que je n'obtienirais pas la guérison si elle restait dans son milieu, j'obtins qu'elle fût conduite en pleine campagne, chez des paysans, avec ordre exprès que personne ne fit attention à elle, et que, faisant ou ne faisant pas de mouvements, on n'y prit pas garde.

« La guérison fut rapide, elle vient de m'étre ramenée complètement guérie. Phénomène intéressant ; la malade ne se souvient plus de rien. »

Nous nous bornons à ajouter une simple réflexion. Ne resulte-t-il pas de l'observation elle-même que l'enfant a subi un commencement d'hypnose ou tout au moins une hypnose passagère? Cela n'est il pas indiqué par l'état d'immobilité dans laquelle elle est plongée et aussi par l'amnésie consécutive au traitement? Ne savons-nous pas qu'un sujet peut être profondément hypnotisé, tout en gardant l'apparence de l'état de veille? '

De la suggestion dans le sommeil chloroformique.

La Normandie médicale a publié également deux observations de M. Gibert (du Havre} sur la suggestion dans le sommeil chloroiormique.

Dans le premier cas, il s'agit d'une jeune femme, une Anglaise, qui, dans le cours d'un accouchement laborieux, est soumise à l'action du chloroforme pour permettre l'application du forceps. Dès que lanesthésie apparaît, la malade se croit transportée au jour du jugement, et alors, à haute et intelligible voix, elle fait le récit de tout un roman. L'accoucheur n'a que le temps de faire sortir le mari.

Il faut saroir que peu de temps après son mariage cette jeune femme était devenue folle et que son mari avait dû l'interner dans une maison de santé pendant deux ans. Sortie et, en apparence, guérie, elle n'avait pas lardé à moutrer de nouveau des signes d'aliénation. Elle ne dormait pas, elle était prise à tout instant de tremblements convulsifs, elle était triste, elle ne mangeait pas et, de temps en temps, survenaient d'effroyables crises de nerfs.

La confession sous le chloroforme donna la clef de tous ces accidents M. Gibert fut mis au courant de toute l'histoire de la malade, et alors, il eut

l'idée de profiler du sommeil ebloroformique pour détruire radicalement, effacer pour toujours, la cause de cette longue maladie.

Le succès de la suggestion fut complet, quoique la malade n'ait jamais su ce qu'il lui était arrivé. Le mari, sa famille et les médecins anglais attribuent la guérison à l'influence d'un accouchement laborieux.

M. Gibcrt s'était contenté d'imprimer fortement dans le cerveau de sa malade la certitude du pardon et mime lu; avait ordonné, arec toute la volonté dont il était capable, de ne plus se souvenir du pas-'é, comme s'il n avait jamais existé.

Dans sa seconde observation. M. Gibert rapporte l'histoire d'une jeune fille de quinze ans. qui. depuis plus d'un an, était étendue dans sou lit avec l'attitude d'une coxalgie droite avec luxation externe.

La contracture des adducteurs était telle que la cuisse droite contracturée et le genou doit étaient presque parallèles au diamètre transversal du bassin. Celui-ci était tellement dévié, allongé, que l'épine iliaque antérieure cl supérieure droite était de 10 centimètres plus élevée que la gauche.

M. Gibert vit immédiatement que cette jeune fille avail subi une attaque et qu'ello était dans l'attitude de la défense. L'attitude s'était fixée, mats il y avail eu comme point de dépari une cause morale profonde, un drame peut-être, une lutte certainement.

Les médecins de la famille n'acceptèrent d'abord pas le diagnostic de M. Gibert, puis après enquête constatèrent sa justesse.

M. Gibert chloroforma alors la jeune fille. Quand elle fut tombée dans un sommeil profond, il lui suggéra avec force de ne plus se souvenir; il fit des efforts pour chasser du cerveau de la malade toute apparence de la scène sauvage qui avait bouleversé sa vie : et immédiatement le membre abdominal contracture reprit peu a peu sa situation normale.

Quatre semaines plus tard, l'enfant, complètement guérie, pouvait faire plusieurs kilomètres à pied.

Celle observation prouve encore une fois qu'on peut utiliser le sommeil ebloroformique pour obtenir un résultat, par suggestion, aussi manifeste que dans te sommeil cataleptique.

REVUE CRITIQUE

Over de waarde der electrische behandeling bÿ slaap-verlammingen (1)

door Dr C. C. DELPRAT.

Le Dr P.-J. Moebius a émis l'avis, dès 1887, qu'il n'est pas démontré que les paralysies organiques bénéficicraient d'un traitement par l'électricité. Les paralysies causées par la destruction d'éléments nerveux centraux, dit-il, ne guérissent jamais; quant aux paralysies par lésion de nerfs périphériques ou de muscles, si elles guérissent, elles guérissent d'elles-mêmes, suivant des lois déterminées, el jusqu'ici on ne connait pas un seul fait prouvant que l'électricité puisse accélérer cette régénération. Dans les cas où l'électricité parait

(l) In Weekblad v. h. Nederi, Tijlishr. v. Geneeskund e. 12 Nov. 1892; 2° deel, n° 20. Cursi ver, Dr M.

être d'une utilité i acontes table, notamment dans certaines douleurs, dans les paresthésies, les symptômes d'irritabilité motrice, son action est d'ordre suggestif. N'est-ce pas dans ces mômes affections que la méthode suggestive compte ses meilleurs succès?

11 résulte en outre des données que nous offrent les médecins spécialistes que, pour obtenir un mémo résultat favorable, les méthodes les plus différentes d'application de l'électricité conduisent au but; une même méthode donne des résultats brillants à l'un, nuls à l'autre, d'expérimentateurs également précis et minutieux dans l'observation de toutes les règles de l'art.

Du moment qu'on fait la part du facteur psychique dans le traitement par l'éleclricité, cette irrégularité dans l'effet obtenu s'explique aisément; elle reste incompréhensible pour quiconque n'attribue qu'une valeur physique à cette médication.

11 est juîte de dire que les idées de Moebius n'ont pas reçu l'approbation unanime des médecins exerçant l'électrothérapie.

Le Dr Delprat, quoique admettant leur plausibilité, relève que le Dr Moebius n'a pas produit jusqu'ici des arguments irrécusables qui soutiendraient sa thèse. Il croit pouvoir démontrer, cependant, qu'elles sont absolument vraies, du moins pour ce qui regarde certaines paralysies périphériques connues sous le nom de slaap-verlammingen, c'est-à-dire paralysies par pression durant le sommeil, et que, dans ces cas spéciaux, du moins, la médication par l'électricité ne l'emporte pas en résultais favorables sur la médication suggestive.

Il s'occupa, dès l882, de rassembler dans la policlinique qu'il dirige a Amsterdam des données qui élucideraient la question : Auquel des deux courants, galvanique ou bien faradique, doit-on attribuer la plus grande valeur dans le traitement des paralysies périphériques? Il a étendu ses recherches, en 1887, par l'élude de cette autre question : L'application de courants électriques quelconques est-elle d'une valeur réelle dans le traitement de ces paralysies?

L'auteur a expérimenté dons des cas de paralysie des membres supérieurs, exclusivement, notamment de celles occasionnées par pression durant le sommeil.

L'obscivation s'étend sur cent trente-trois cas.

L'auteur en élimine quarante-six, qu'il ne met pas en ligue de compte parce que les malades ne se sont présentés qu'une seule fois ou bien trop irrégulièrement. Des quatre-vingt-sept cas restants, trente-trois furent soumis au courant faradique, vingt-huit au courant galvanique et vingt-six à un pseudo-courant, c'est-à-dire que, pour ceux-ci. toutes les manipulations d'une médication par l'électricité furent faites, mais que le courant fut intercepté quelque part.

Je relève comme résultats des observations du Dr Delprat :

1° Qu'il n'y eut pas de différence notable dans l'effet favorable obtenu par l'une ou l'attire des deux méthodes d'électrisation;

Que cet effet favorable no surpassa pas celui obtenu par la pseudo-électrisation :

3° Que l'effet suggestif n a rien à faire avec la sensation directe du courant; si cela était, l'effet favorable aurait alors sans doute dû être plus grand dans les cas où l'on se servait de courants véritables. Auuterdam, 15 novembre l892.

Dr A. V. Van Renterghem.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Institut Psycho-Physiololgique db Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'élude des applications cliniques médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronnage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psycho-physiologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardi*, jeudis et samedis, de dix heures à midi. Les médecins cl étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Pendant le semestre d'hiver 1892-93, des le;ons théoriques et pratiques sont faites le Jeudi, à dix heures et demie.

Sorbonne. — 51. Charles Henry, maître de conférences à l'École pratique des hautes éludes, ouvrira le samedi 26 novembre, à dix heures du matin, au laboratoire de psychologie physiologique, à la Sorbonne, son cours de physiologie des sensations.

Dans le premier semestre, il traitera do la photométrie des intensités très faibles et de différents problèmes de photoptométrie ; il exposera la théorie et les principales applications d'un thermomètre physiologique, fondé sur le principe de Carnot. Il terminera par le développement des méthodes qui permettent d'explorer l'olfaction.

Des exercice- pratiques sur ces matières auront lieu : de onze heures à midi, le samedi, et à des jours et heures qui seront fixés ultérieurement.

Cours et Conférences du semestre d'hiver 1892. à l'Institut psycho-physiologique (49, rue Saint-André-des-Arts).

cours pratique d'hypnotisme et de psychothérapie

M. le Dr Bérillon a commencé, le jeudi 2i novembre, à dix heures et demie, un cours sur les Applications de l'hypnotisme au traitement des maladies nerveuses et à ta pédagogie.

Il le continuera les jeudis suivants, à dix heures et demie. On s'inscrit à la Clinique, 49, rue Saint-André dcs-Arts, les mardis, jeudis et samedis, de dix heures à midi.

CONFÉRENCES

M. le Dr Saint-Hilaire. secrétaire genéral de la Société d'Otologie et de laryngologie, fera, le jeudi 22 décembre, à dix heures et demie, une conférence sur la Psychologie du sourd.

M- le Dr Collineau fera, le Jeudi 12 janvier, à dix heures et demie, une conférence sur l'Education des dégénéres.

M. le Dr Oscar Jenmngs fera, le jeudi 21 Janvier, à dix heures et demie, une conférence sur l'État mentat et physiologique des morphinomanes et des dypsomanes.

L'enseignement de l'hypnotisme a Bruxelles.

A Bruxelles, le Conseil d'administration de l'Université vient de recevoir la leure suivante :

« Messieurs,

« L'hypnotisme prend, comme vous le savez, une importance de plus en plus considérable au point de vue de l'expérimentation en psychologie et en physiologie. D'autre part, le traitement par l'hypnose et la suggestion s'emploie de jour en jour davantage dons la thérapeutique, spécialement dans la thérapeutique des maladies nerreuses. On eu a obtenu des résultats si satisfaisant* en un grand nombre do cas bien déterminés, que les préventions dont ce procédé avait été l'objet dans l'esprit de quelques-uns, ont aujourd'huit presque entièrement disparu. Nous voyons ceux qui avaient soulevé le plu* d'objections contre celte méthode curative, maintenant mieux éclairés, y re:ourir eux-même fréquemment.

¦ Mais beaucoup de médecins, fort disposés à taire usage de l'hypnose et de la suggestion, se trouvent souvent arrêtés par l'inexistence d'un enseignement théorique et pratique et par la difficulté de se livrer isolément aux cm les nécessaires.

« La Faculté de Médecine de Paris possède actuellement un cours libre d'hyp-nologie. Nous pensons. Messieurs, que le moment est venu pour l'Université de de Bruxelles, d'instituer un cours semblable, et nous vous demandons l'autori-sation de l'établir sous ses auspices et en dehors de toute Faculté.

• Nous espérons que son opportunité vous fera prendre cette domande en considération et vous prions d'agréer. Messieurs, nos salutations les plus distinguées.

« Signé : Peeters,

• Docteur en médecine. chirurgie et accouchements de la Faculté de Bruxelle.

« Henri Nizet. • Docteur en philosophie et lettre. docteur en droit des Facultés de Bruxelle. »

Nous ne pouvons qu'applaudir à l'initiative de MM. Peeters et Henri Nizet, et nous espérons que l'Université de Bruxelles, bien Inspirée par ses traditions libérales, fera droit a leur légitime désir.

Le « kitsùne tsùki » ou possession par les renards.

M. le Dr Baret, médecin de la marine, vient de publier. dans les Annales médico-psychologiques, un travail intéressant sur un délire particulier avec dédoublement de la personnalité. Nous lui empruntons les passages suivants :

« On observe, au Japon, une curieuse affection mentale accompagnée d'hallu-cinations internes et de dédoublement de la personnalité. Elle est connue sous

le nom de kitsàne-tsüki « possession par les renards », cl frappe surtout les femmes M les jeunes filles, principalement celles des bas-cs classes de la société japonaise.

4 11 faut dire d'abord, pour l'intelligence de ce qui va suivre, qu'au Japon, les renards (kilsùne), les blaireaux (tanüki) et les chats (neko), mais surtout les premiers, sont l'objet d'une crainte superstitieuse de la part d'une grande partie de la population. La croyance populaire leur attribue le pouvoir de prendre la forme féminine, pour jouer aux pauvres humains toutes sortes de tours pendables.

« Les contes et les légendes brodés sur ce thème forment, avec les histoires de revenants, le fonds de la littérature populaire japonaise.

« Non contents d'usurper la forme humaine, les renards choisissent parfois le corps d'une personne vivante pour en faire leur demeure. C'est ici que la superstition confine à la folie ; la crédulité excessive des esprits faibles engendre les troubles psychiques : renards ou démons, c'est la mémo étiologie que pour les Possédés du moyen age. Suivant l'opinion populaire, c'est parfois par les orifices naturels, psr le mamelon, mais le plus souvent par l'extrémité sous-un guale des phalangettes que le renard pénètre dans le corps de l'individu qu'il a choisi. Une fois dans la place, il vit de si vie propre, complètement indépendant de son hôte.

« Il en résulte un véritable dédoublement de la personnalité, une double conscience : le possédé entend et comprend tout ce que dit et pense le renard. Parfois mémo, hôte et locataire se querellent violemment : le renard parle alors d'une voix étrange et tout à fait différente de ta voix naturelle de la malade.

« Les. femmes presque seules, et surtout celles de ta basse classe, sont atteintes, de ce délire; les conditions prédisposantes sont : une intelligence bornée, un esprit superstitieux,les affections délirantes, et particulièrement la fièvre typhoïde. Une condition absolument nécessaire est la connaissance, par la malade, de cas de possession ci la croyance ferme à la possibilté de tels accidents.

« Je résume ci-dessous, d'après le Dr Baelz. de l'Université impériale du Japon, une observation typique de kitsùne-tsüki.

« Je fus appelé, dit cet auteur, près d'une jeune fille atteinte d'une fièvre typhoï le. Elle guérit; mais, pendant sa convalescence, elle entendit des femmes causer entre elles d'une autre femme qui avait un renard et qui ferait tout son possible pour le passer à quelqu'un d'autre et en être débarrassée. A ce moment même, elle éprouva une sensation étrange ; le renard venait de prendre possession d'elle. Tous ses efforts pour s'en débarrasser furent inutiles. « Il vient, il vient, s'écria-t-elle. » Et alors, d'une voix étrange, sèche, fêlée, le renard de répondre par sa propre bouche et de railler son hôtesse infortunée.

« Cet état de choses dura trois semaines, au bout desquelles on se décida à aller chercher un prêtre bouddhiste de la secte de Nichiren. Il interpella violemment le renard qui, toujours par la bouche de la jeune fille, répondit et conclut enûn : — «Je suis fatigué d'elle; je ne demande pas mieux que de m'en aller. « Que me donnerez-vous pour cela ? » Le prêtre demanda ce qu'il voulait. Le renard demanda, toujours par la même voix, certains gâteaux et certains fruits qui devaient être placés toi jour, à quatre heures de l'après-midi, dans un lieu qu'il désigna. La jeune fille avait conscience des paroles qu'elle prononçait, mais elle était incapable d'en dire d'autres. Les objets indiqués forent portés a, l'endroit désigne, et le renard quitta la jeune fille sans autres difficultés. »

Le Dr Birret rattache celle curieuse affection a l'hystérie ci aux faits d'hypnotisme et a la suggestion.

Dans tous les cas, le tratiement doit étre évidemment suggestif. Le médecin, ou plutôt exorciste, doit être une personne de volonté énergique, ayant une certaine autorité sur la malade et possédant ta confiance. L'expulsion do la bête est parfois accompagnée de cris, ou même d'une véritable attaquo de nerfs;

mais, le plus souvent, elle se fait tranquillement. Elle laisse, dans tous les cas, après elle, une grande prostration qui persiste un ou deux Jours. Il arrive même que la malade a perdu toute conscience des événements.

N'y aurait-il pas lieu de rapprocher ces fait* de ceux qui ont été observés autrefois dans notre pays chez les gens qui se croyaient possédés par les loups et qu'on désignait sous le nom de lycanthropes.

Gustation colorée.

M. le Dr Paul Sollier a fait à la Société de biologie une curieuse communication sur ce sujet. Le but de ceue note es: de signaler un phénomène dont il n'est fait mention nulle part. 11 s'agit de gustation colorée, analogue à l'audition colorée.

Le sujet chez lequel elle a été observée présentait du reste les deux phénomènes, ce qui montre leur analogie. Il n'a pas été possible, malheureusement, d'étudier ce malade plus complètement le sujet n'ayant été vu qu'une fois.

Il s'agit d'un homme de quarante-six ans. ancien syphilitique, neurasthénique depuis trois ans et qui était venu consulter pour un accès aigu d'hypochondrie ayant débuté six mois auparavant. Les sensations hypochondriques étaient des plus nombreuses, et il est inutile d'en parler ici; les deux seuls phénomènes intéressants qu'il présentait, du reste, étaient de l'audition colorée qu'il avait toujours eue, et de la gustation colorée qui paraissait n'être survenue que depuis son hypoehondrie.

L'audition colorée était un peu spéciale et ne portait que sur la voix chantée. Les lettres, la vois parlée, les notes de musique n'éveillaient aucune sensation colorée. Au contraire, la voix chantée s'associait aussitôt à une sensation de couleur qui persistait dans le souvenir et lui restait toujours liée. Très amateur de musique, il attribuait à la voix de tous les chanteurs célèbres qu'il avait entendus une coloration spéciale, et même des nuances très délicates : c'est ainsi qu'il qualifiait telle ou telle voix de rouge écarlate, ou de bleu pale, ou vert de mer, etc., etc.

La gustation colorée n'était très développée que pour certaines sensations gustatives. Du fait de son hypochondrie. il ne se figurait pas sentir le goût des aliments qu'il mangeait. Mais, par contre, les éructations auxquelles il était sujet, comme tous les hypochondriaques, s'associaient à une sensation colorée. C'est ainsi qu'il avait des éructations vertes, qui lui rappelaient comme nuance la coloration des cadavres en putréfaction, ce qui éveillait en même temps chez lui nn goût « cadavéroïde », ainsi qu'il disait lui-mime. C'étaient les plus fréquentes; mais il en avait cependant d'autres violettes et d'autres jaunes.

La difficulté qu'on avait de le retenir sur ce sujet qui ne lui paraissait pas important, tandis qu'il se répandait en remarques sur ses sensations hypochon-driaques, ont empêché de préciser, comme il aurait fallu, les conditions de ce phénomène.

Il n'en reste pas moin* qu'il existe une gustation colorée, comparable à l'audition colorée : il est done utile de !a signaler à i attention lorsqu'on se trouvera en présence de cas d'audition colorée à laquelle elle peut être souvent associée.

Médecine et confession

Nous allons reproduire un document ancien qui remonte à Louis XIV et qui est bien intéressant au point de vue de la déontologie médicale.

A !a dale du 13 janvier 1831, la Gazette littéraire, aujourd'hui défunte, insérait la communication publiée plus loin. Un de ses correspondants, un médecin, en

visitant de vieux papiers de famille, avait trouvé la pièce qui suit, transcrite par an greffier du Parlement de Paris, pour motiver une signification adressée à M..-, docteur en médecine. Il ne fallait pas moins qu'une copie authentique, revêtue du sceau des autorités judiciaires, pour être obligé de reconnaître un monument historique du xviiie siècle dans l'incroyable déclaration que nous reproduisons ci-dessous d'après la France médicale :

« Louis, etc., etc., à tous ceux, etc., salut.

« L'attention que nous avons toujours eu à seconder le zèle des évesques de notre royaume dans tout ce qu'ils ont cru devoir faire dans l'intérêt de la religion et le salut des peuples de leurs diocèses, nous a porté à leur accorder toujours notre protection, lorqu'ils l'ont réclamée et que nous l'avons jugée nécessaire pour l'exécution de leurs pieuses intentions; et comme rien ne nous a paru plus utile à nos sujets ny mériter davantage d'être appuyé de notre authorité que l'ordonnance que notre très-cher et bien aimé cousin le cardinal de Noailles, archevesque de Paris, a jugé à propos de faire le 9 de mars 1707, pour engager les médecins, conformément aux décrets des saints conciles, et entr'autres d'un concile tenu à Paris en 1429, et de plusieurs conciles provinciaux de notre royaume, à avertir les malades de son diocèse dans le commencement de leurs maladies de penser à leur conscience, et de ne pas différer à leur en parler quand la violence du mal ne leur permet plus d'y mettre ordre avec la liberté et l'attention nécessaires; nous avons appris avec peine qu'une ordonnance aussi salutaire n'a pas eu jusqu'à présent l'exécution qu'elle méritait, et étant à craindre que celle de notre dit cousin le cardinal de Noailles a fait le 16 du mois dernier pour renouveler la première, n'ait pas plus de succès que les ordonnances semblables que d'autres évêques de notre royaume ont faites ou pourront faire sur la mesme matière ne demeurent aussy sans effet, sy nous n'en assurons l'exécution par la crainte des peines temporelles, nous avons résolu d'y pourvoir par notre authorité en la matière qui nous a paru le plus convenable.

« A ces causes, et autres, à ce, nous mouvans de notre certaine science, pleine puissance et authorité royales, nous avons, par les présentes signées de notre main, dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons et nous plaist que tous les médecins de notre royaume soient tenus le second jour qu'ils visiteront des malades attaqués de fièvres ou autre maladie qui, par sa nature, peut avoir trait à la mort, de les avertir à se confesser ou de leur en faire donner avis par leur famille et en cas que les malades ou leurs familles ne paraissent pas disposez à suivre cet avis, les médecins seront tenus d'en avertir le curé ou le vicaire de la paroisse dans laquelle les malades demeurent, ou d'en tirer un certiûcat signé desdits curés ou vicaires, portant qu'ils ont été avertis par le médecin d'aller voir lesdits malades.

« Défendons aux médecins de les visiter le troisième jour s'il ne leur parait pas un certificat du confesseur desdits malades qu'ils ont esté confessés, ou du moins qu'il a esté appelé pour les voir, et qu'il les a vus en effet pour les préparer à recevoir les sacrements. Pourront les médecins qui auront averti les curez ou vicaires des paroisses où les malades font leur demeure et qui en auront retiré on certificat signé desdils curez ou vicaires, continuer de voir lesdits malades sans encourir les peines ci-dessous marquées, et chargeons en ce cas l'honneur et la conscience des curés ou vicaires de procurer aux malades les secours spirituels doni ils auront besoin, voulons que les médecins qui auront contrevenu à notre présente déclaration soient condamnés, pour la première fois, à 300 livres d'amende, qu'ils soient interdits, pour la seconde fois, de toute fonction ou exercice, pendant trois mois au moins, et pour la troisième, déclarés déchus de leurs degrés, qu'ils soient rayés du tableau des docteurs ou licenciez de la Faculté où ils auront pris leurs degrés, et privez pour toujours du pouvoir d'exercer la médecine en aucun lieu de notre royaume; ordonnons qu'il en sera

usé de la même manière et sous les mêmes peines pour les chirurgiens et apo— ticaires qui seront appelez pour voir Its malades dans les lieux où il n'y a pas de médecin»: n'entendons au surplus dispenser les médecins ny chirurgiens ou apo-ticaires dans ledits lieux d'avertir les malades. me«me avant le second Jour de leur maladie, de se confesser lorsque la qualité de mal l'exigera; voulons que ceux qui y auront manqué soient sujets aux peines portées par notre présente déclaration.

« Si donnons en mandement à nos amez et féaux conseillers les gens tenant notre cour de Parlement de Paris, que ces présentes, ils fassent publier et enregistrer et le contenu en icelles garder et observer; en foy de quoy nons avons but meure notre scel à cesdites présentas,

« Donné à Versailles, le 8 mars de l'an de grâce 1712 et de notre reigne le 69e. »

Tout commentaire affaiblirait la portée d'un tel document qui. on l'a pu constater, semble d'une authenticité absolue. En 1712. Louis XIV est sur le déclin de sa vie. Il a signé la fatale révocation de ledit Nantes. Il est à la merci d'un entourage qui lai dicte la pire des politiques.

Et dire que. malgré tout, on était heureux de vivre sou» le grand Roi !

REVUE BIBLIOGRAPHIQUE

Une page du « Jésus de Nazareth s de Paul de Regla.

Le succès toujours grandissant de l'œuvre si remarquable qu'a publié notre collègue P. Desjardin (de Régla) sur la vie de Jésus-Christ (1), nous engace à lui emprunter les lignes qui suivent. Nos lecteur» nous en sauront gré. Ils Jugeront par cette citation de la valeur de cet ouvrage.

L'auteur, après des commentaires très remarquables sur le fameux sermon de la montagne, s'exprime ainsi :

« Ce qui frappe le plut dans l'enseignement de Jésus, de cet enfant du peupla parvenu déjà à une réputation prophétiqua assez considérable pour attirer l'attention de quelques docteurs et de plusieurs Pharisiens, c'est qu'il semble, lui, le déshérité du monde social, résumer en tonte sa personne, dans une admirable synthèse philosophique et intellectuelle, toutes les vérités émises ça et là. ainsi que les aspirations les plus hautes, des hommes supérieurs de son temps !

s Tout un monde se résume en lui. Et ce monde n'est pas seulement celui de ce pauvre peuple hébreu, au milieu duquel il est né, mais bien celui de l'intelligence universelle, qai palpite en même temps à Alexandrie, à Athènes et à Rome.

« Au paria sans nom, à l'enfant de la société juive, la nature a confié les héritages successifs de la sagesse des siècles, pour le faire fructifier dans le présent et l'avenir !

« Ce n'est pas. en effet, an peuple juif seulemeot que Jésus s'adresse; c'est à toute l'humanité, à tout les hommes.

« La révolution sociale qu'il prêche, il la prêche à l'universalité de ht famille humaine.

« Son « royaume », il en ouvre les issues à tous et à toutes; sa réforme, il l'applique ,à tous les sujets, avec des degrés.

(1) Jésus de Nazareth, au point de vue historique, identifique et social. — G. Carré éditeur.

« Indulgent pour- les simples. les pauvres, les malheureux, il est plus sévère, plus exigeant pour ses disciples, ses apôtres.

« Ce royaume des deux, il faut le conquérir. Les armes qui peuvent en forcer les portes sont celles de la plus haute vertu !

« En opposition aux pratiques bigotes, méticuleuses et charlatanesques des Pharisiens et des Scribes, il oppose la plus grande simplicité dans l'accomplissement des actes religieux.

« C'est dans son cabinet, seul, face à face dans sa conscience avec Dieu, que l'homme doit prier.

« C'est dans les mêmes conditions de secret qu'il doit exercer sa charité.

« C'est à la suite du sermon de la montagne que se placerait, d'après Matthieu, la guerison à distance d'un membre de la maison d'un centurion de Capharnaum. qui est désigné par Luc comme nn des esclaves de ce centurion.

« Sans nous attacher aux divergences qui existent sur le même fait dans les deux évangé'istes (I). dont l'un, Matthieu, fait venir directement le centurion près de Jésus tandis que l'autre, Luc, n'y fait venir que les messagers de ce même personnage. Sans même insister sur cette divergence encore plus grande qui. dans Matthieu, met en présence Jésus et le centurion, alors que ce dernier n'apparaît pas dans Luc. même au moment où Jé«us est près d'arriver à la demeure du centurion, qui se contente de lui envoyer, cette fois, des amis chargés de lui répéter les paroles qui, d'après Matthieu, sont dites par lui dans la demeure même où habitait Jésus :

« Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres chez moi, mais dis seulement « une parole, et mon serviteur sera guéri, car quoique je ne sois qu'un homme ¦ soumis à la puissance d'autrui, j'ai sous moi des soldats et je dis a l'un : va. et « il va ; et à l'autre : viens, et il vient; et à mon serviteur : fais cela, et il le « fait. »

« Nous entrerons immédiatement dans l'explication scientifique de cette guérison, considérée comme une des plus miraculeuses par les écrivains ecclésiastiques.

« Ici, Jésus n'a ni vu. ni touché le malade; on ne peut donc faire entrer en scène son action électro-organique.

« L'action immédiate, imposition des mains, souffle, suggestion par la parole, action du regard, n'existe pas.

« Faut-il donc en conclure au rejet de celte cure ?

« Certes non.

« Si nous n'avons pas, dans ce cas, l'action personnelle et immédiate de Jésus, nons avons une force tout au moins aussi considérable que celle qui pouvait émaner du sublime thérapeute galiléen.

« Cette force. c'est la foi, la foi dont chacune des paroles du centurion témoigne de toute la puissance. Ce dernier n'est-il pas convaincu qu'il suffit à Jésus de dire un mot, pour que la maladie disparaisse; comme il lui suffit, à lui, centurion, de donner un ordre pour que ses soldats obéissent ?

« Le doute n'existe pas dans l'esprit du demandeur.

« Pour lui, la chose demandée n'est pas plus difficile à exécuter qu'un ordre à donner.

« Et Jésus, le grand initié, le thérapeute en qui toute la science des mages s'est concentrée, par la seule puissance de sa propre nature, n'hésite pas un instant à reconnaître combien est active la foi de cet homme qui. par ses fonctions et sa nationalité, doit être rejeté du sein des Juifs, comme un gentil qu'il

est.

« Aussi, devant l'expression d'une telle foi, Jésus s'écrie-t-il : « Je vous dis

(1) Matthieu, chap. VIII, v. 5-13; Luc, chap. VII, v. 1-10.

« en vérité que Je n'ai point trouvé une ti grande foi, pas même en Israël » et, constatation des plus scandaleuses au point de vue juif, il continue en prononçant ces paroles, si profondes quand on les dépouille de leur forme symbolique ;

« Je vous dis que plusieurs Tiendront d'Orient et d'Occident, et seront à table s au royaume des Cieux, avec Abraham, Isaac et Jacob, et les enfants du « royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors; il y aura là des pleurs e: « des grincements de dents. »

« Si, maintenant, on nous demande quelle est la nature de cette force, qui fournit le pouvoir de la réalisation au sentiment auquel nous donnons le nom de foi, nous répondrons :

c Cette force est celle qui. de nos jours, prodoit les cures dites miraculeuses, opérées dans les chapelles consacrées à des madones aux noms divers, au profit des croyants qui. placés dan* le rayonnement magnétique imprimé à ce* chapelles par la foule des fidèles, foule d'autant plu* puissante qu'elle est bigote et naïve, y arrivent, comme le centurion dont il est Ici question, avec la conviction qu'il suffit d'un mol pour que leurs prières soient exaucées.

« Celle force, c'est encore la même que celle qui fait qu'on mot peut mer ou guérir; celle qui, dans un incendie d'hôpital, permet à un paralytique, sur le point d'être atteint par les flammes, de se lever brusquement et de s'enfuir loin du sinistre; celle qui fait que, sous l'impression d'une vive émotion, le cerveau se détraque et donne naissance à la folie.

« C'est celle force, essentiellement physiologique et psychique, qui peut nom donner le choléra sous l'influence de la peur, et peut nous en guérir par une influence contraire.

« Cette force, ou plutôt cette puissance, après avoir violemment surexcité notre cerveau, se porte dans les plus petite» ramifications du systeme- nerveux et peut ainsi produire le bien ou le mal sur l'organe où elle concentre son action (I).

« On nous objectera que les cures relatées par les Journaux chargés d'assurer la prépondérance de telle chapelle sur telle autre, ne aont pas loules exacies et que beaucoup d'enure elles ne peuvent supporter l'examen de la critique médicale et scientifique.

« A celle objection, souvent fondée, nous répondrons qu'il suffit qu'un seul fail de ce genre ait été constaté, pour prouver la vérité de nos assertions. Or, les esprits les plus prévenus voudront bien admettre, avec nous, que ai le charlatan,' le plus éhonté se rencontre ici, comme il se rencontre dans presque toutes les apéculations humaines, il n'en est pas moins vrai que l'on ne peut admettre qu'une erreur aussi capitale ait été commise par l'humanité depuis qn'elle existe, car il n'est pas de religion qui ne possède des masses de ces faits, classes par l'ignorance dans la catégorie des miracles, mais dont, pour quelques-uns, la réalite a été constatée par des témoins dignes de foi.

« C'est donc celle puissance électro-organique, vibratoire, créatrice et stimulante, issue d'un mouvement vital considérable du cerveau et do notre imagination, mis en activité extraordinaire par l'explosion qui résulte de la tension violente d'une idée, absorbant toutes les autres pour constituer une force collective considérable, qui prodiusit la guérison da Jeune esclave, serviteur du centurion.

« Comme exemple de la puissance de ce fait physiologique et psychique, Jésus ne dit-il pas souvent que s la foi peut soulever des montagnes et annihiler le « venin des serpents ? »

(1) Ce sont là des phénomènes qui appartiennent aux fonctions de l'axe cérébro-spinal.

Thérapeutique psychique ou traitement par l'hypnotisme et la suggestion, par Lloyd-Tuckey, traduit de langlais par le Dr David, de Sigean. (Paris Société d'Éditions scientifiques. Prix: 3 fr. 50.)

L'hypnotisme bien appliqué soulage toujours, guérit souvent, ne nuit Jamais. Telle est la doctrine que professent depuis longtemps Liébeault, Bernheirn et toute l'École de Nancy. L'auteur de l'ouvrage que nous présentons aujourd'hui à nos lecteurs défend absolument la même doctrine et partage les principes de celte école, en rejetant les théories artificielles de la Salpétrière. Son livre est un véritable traité d'hypnotisme, mais un traité simple, clair, attachant comme un roman et surtout êxemple de toute pédanterie et de toute exagération. Il nous apprend comment il a vu hypnotiser dans le service du D' Liébeault, le véritable créateur scientifique de la nouvelle thérapeutique hypnotique, comment il a été amené à reconnaître la vérité et l'importance pratique des principes du maître et les résultais excellents qu'il a obtenus dans sa clientèle.

Les oxemples probants abondent dans le livre du Dr Tuckey. Certes, comme il le déclare nettement, l'hypnotisme et la suggestion ne consument pas des panacées universelles; ils ont même leurs Inconvénients, leurs insuccès et leurs contre-indications formelles. 11 n'en est pas moins vrai que tout médecin doit savoir y recourir à l'occasion et, par conséquent, être à même de prévoir les cas où sou usage serait utile. C'est à ce point de vue surtout que le livra du Dr Tuckey, élégamment traduit par le Dr David, est appelé à rendre de grands services au corps médical.

La Pathologie des émotions, études physiologiques et cliniques, par le Dr Ch. Férré, médecin de Bicétre. Un volume grand in-8° de 620 pages. (Alcan, Paris. Prix: 12 francs.)

Les conditions tomatiques des phénomènes psychiques, leurs variations individuelles, normales ou pathologiques, les dîfferents modes d'expression de la douleur ne nous sont pas encore connus d'une manière précise. Celle élude n'a pas la prétention de combler ce vide, mais seulement de réunir des documents capables de servir à éclairer la question, à la lumière des faits d'observation ou d'expérience.

L'auteur s'est proposé de déterminer autant que possible les conditions physiologiques des émotions et de montrer que ces conditions sont identiques aux réactions tomatiques résultant do l'action des agents physiques à l'influeace desquels l'homme est soumis. Ceite similitude des conditions physiologiques le conduit a établir la nature physique des phénomènes, tant normaux quo pathologiques de l'esprit, et â indiquer des mesures prophylactiques, hygiéniques et thérapeutiques dont l'action physiologique soit expérimentalement adaptée à. leur but.

Ce livre s'adresse, non seulement aux médecins, mais à tous ceux qui s'intéressent aux questions psychiques, à ceux qui ont à s'occuper de l'influence des émotions sur nos actions : philosophes, jurisconsultes ou pédagogues.

NOUVELLES

Dans sa dernière séance, l'Académie des Sciences a élu M. le professeur Brouardel a la place d académicien libre. Celle nomination sera accueillie avec Joie par le corps médical tout entier.

– Nous apprenons avec plaisir la nomination de M. le D" Ch. de Bourgon, aux fonctions de chef de clinique des Quinze-Vingts. M. le D- de Bourgon a été l'un des

premiers adhérents au Congres international de l'hypnotisme en l889, et son concours nous a été des plus précieux.

— La section de médecine et de chirurgie de l'Académie des Sciences vient de prendre l'initiative d'une souscription pour offrir un souvenir et un hommage à il. Pasteur, à l'occasion de son 70e anniversaire, qui aura lieu le 27 décembre prochain.

Les Aliènes do la Seine. — Le Conseil général de la Seine a discuté récemment le rapport présenté par M. Deschamps, au nom de la troisième Commission, sur un projet de placement familial de certaines catégories de malades internes dans les asiles de la Seine.

M. le rapporteur a exposé l'économie du projet et Tait ressortir tes expériences concluantes, â son avis, faites à l'étranger, notamment en Belgique, dans la colonie familiale de Gheel, ville de 13,00»âmes, où les aliénés, au nombre de 1.800. sont disséminés dans les familles du pays. Après une discussion à laquelle ont pris part MM. Hop-penheimer, Rousselle, le directeur des Affaires départementales, Levraud. Piperaud, G. Berry, Cattiau, le préfet de la Seine, et Deville, les conclusions du rapport de M. Deschamps Invitant l'administration à établir a Dun-sur-Auron (Cher), une première colonio familiale de cent déments séniles exclusivement choisis parmi les inoffensifs, ont été adoptées. Un crédit de 75,625 francs est mis a cet effet a la disposition de l'administration.

Une malade trop curieuse, — Sous ce litre, le Médical Record, de New-York, public le récit suivant :

« Comme exemple d'un bon mol dans la bouche d'un chirurgien, on raconte ce qui suit du docteur A..., médecin en chef dans un de nos hôpitaux. Il était en train de pratiquer une dangereuse opération sur une femme. Le docteur qui, malgré son grand âge, est animé d'un esprit vif et d'un véritable enthousiasme professionnel, est toujours entouré de docteurs plus jeunes. C'est l'un de ceux-ci qui éthérisait la patiente; mais, à un certain instant. Il se trouva si intéressé à l'œuvre du vieux praticien qu'il laissa s'éloigner le cone anesthesiant des narines de la patiente. Celle-ci se réveille à moitié, se soulève a demi-assise et jette des regards sauvagement stupéfaits surceox qui l'entourent. La situation était critique; le vieux docteur avait besoin de n'être pas Interrompu. — « Couchez-vous donc, ma bonne femme -, dit-il, et, d'un ion bref:

- Vous êtes plus curieuse qu'un étudiant en médecine ». Elle se coucha et l'opération se termina bien.

Ce récit n'est certainement pas fait pour les besoins de la cause, el cependant les caractères de la suggestion y peuvent être constatés avec une évidence qui la met hors de doute et avec un succès tout à fait évident.

La malade se soulevant, se mettait elle-même et tous les assistants dans une situation critique. Elle était encore sous un reste de l'influence anesthésiante, et par conséquent très suggestible. Si les gens de l'entourage et le chirurgien, qui était le porte-parole, avaient laissé paraître la moindre inquiétude, celle-ci se fut répercutée en se grossissant encore dans les centres impressionnables du sujet, Heureusement, le médecin lui parle avec calme, lui dit très simplement : • Couchez-vous donc, ma

- bonne femme.......Mais, ce qui détermine le caractère de celle suggestion, ce qui

loi donne la vraie tonalité calmante, c'est la façon dont elle est motivée : « Vous êtes » plus curieuse qu'un carabin .. Le Dr Bérillon, dans ses leçons si rationnelles, d'une tendance si pratique en même temps que si modérée, a plusieurs fois rendu ses auditeurs attentifs a la nécessité de motiver les suggestions et a insisté sur l'utilité du tact et du savoir-faire qui s'obtient par la vigilance perpétuelle de l'esprit et par une longue pratique. Eh bien, il me semble que. dans cette phrase dite d'un ton bref : • Couchez-vous, vous êtes plus curieuse qu'un carabin ! -, l'analyse découvre bien évidemment tous les caractères d'une suggestion claire, motivée, de façon à rendre le sujet docile devant un auditoire qui lui inspire une certaine déférence, et, du même coup la suggestion est motivée sous celle forme de reproche moitié brusque, moitié amical, de manière s, écarter de l'idée de la patiente toute trace d'inquiétude. Le vieux le A..., tout en étant un excellent chirurgien, a fait là ci d'une manière supérieure, au moment vraiment psychologique, et avec toutes les conditions qui devraient la rendre efficace, une suggestion qui a été en effet suivie d'un plein succès. Que de faits de cette sorte dont une analyse exacte donnerait ainsi une explication a la fois satisfaisante cl vraie.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Callerre. — La thérapeutique suggestive et tes applications aux maladies nerveuses et mentales, à la chirurgie, à l'obstétrique et à la pédagogie. — (Un volume in-16 de

318 pages [3 fr. 50].--Bibliothèque scientifique contemporaine -, J.-B. Bailliere

et fils, édit., 19, rue Hautefeuille, Paris, 1892.)

David. — Thérapeutique psychique, par LIoyd-Tuckey, traduit de l'anglais par David.

— (Un volume in-12 de 284 pages (3 fr. 501. — Société d'Éditions scientifiques, Paris, 1892.)

Deschamps (L.). — La philosophie de l'écriture. — (Un volume In-8°. — Alcan, édit., Paris, 1893)

Férè (Ch.). — La pathologie des émotions, éludes physiologiques et cliniques. — (Un volume grand in-8° de 620 pages [12 fr.]. — Alcan, édit., Paris, 1893).

Lloyd-Tuckey. — The value of hypnotism in chronic alcoolisme. (Un volume in-12 de 57 pages- — Churchil, Londres, 1892.)

Nizet (Henri). — L'hypnotisme, élude critiqua. — (Un volume in-12 de 304 pages. -Charles Roger, édit., Bruxelles, 1893.)

Queyrat. — L'imagination et ses variétés chez l'enfant. — (Un volume in-12 [2 fr. 30].

— Alcan, édit., Paris, 1893.)

Souriau (P.). — La suggestion dans l'art. — (Un volume In-8° [5 fr.]. — Alcan, édit-, Paris, 1893.)

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL

Nous Invitons nos lecteurs à compléter, par leurs Indications, 1m lacunes et les omissions de l'index bibliographie

Bechterew. — « Des rapports de temps des processus psychiques chez le» individus en étal d'hypnose (Leber Zeitlicher Verhältnisse...) (Neurelog. Centrant., n* 10.)

Coran (L.-R-). — « Monoplegie hystéro-traumatique »- (Province médicale, 24.)

CorvAL. — « Suggestionstherapie-psychotherapie ». (Real Encyclopédie der Gesamnten Heilkunde. - II Band, Jahrbücher, I.)

Grossmann. — « Die Erfolge der Suggestionstherapie bei nicht hysteriachen Lähmungen und Paralysen. — Die Erfolge der Suggestionstherapie bei Influenza » . (Berlin, 1892.)

LANO EASTLAKE (W. C. De). — « Hypnotisme et suggestion en thérapeutique -.(The

med. and surg. report., Philad. 5 sept. ;1891 p. 363.) StCLOiet Londe. — « Sur les hallucinations, et en particulier les hallucinations verbales

psycho-motrices, dans la mélancolie (Archive de Neurologie, 1892, n° 69.) Lemoine (G.). — « Note sur un cas de paramyoclonus multiplex suivi de troubles

psychiques et d'échotalie ». (Bull. méd. du Nord, 9 sept.) Mlodzeievsky (V.) . Phénomènes cutanés vaso-moteurs chez ont hystérique » (en

rosse]. Méd. Obozr., XXXIII, 15-16.) MÔBIUS (P.). — « Utber die Seelenstörungen nach Selbstmordversuchen. (Münch, med.

Wochenseh., 6 sept ) — Des troubles mentaux coasécutifs aux tentatives de suicide. Schedtler (H.). — - Casuistischer Beitrag zur Lehre von den Erinnerungsfalschungen ..

(Allg. Zeitsch, ( Psych., XLVIII, 2.) « Contribution a i étude de l'infidélité de la

mémoire ».

Toulouse (E,). — « Des hallucinations unilatérales ». (Gaz. des hôpit., 65.)

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT.

Parts. — Imprimerie brevetée MICHELS ET FILS. passage du Caire. 8 et 10.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPETIQUE

DE LA SUGGESTION

paR

L'INTERMÉDIAIRE DES IMAGES MOTRICES GRAPHIQUES

chez une hystérique frappée simultanément de cécité, de surdité et de mutisme,

Par le Dr A. CULLERRE. Médecin-Directeur de l'Asile d'Aliénés de La Roche-sur-Yon.

L'existence d'un centre cérébral destiné à recueillir les images motrices graphiques parait suffisamment démontrée par la clinique et par les expériences faites sur des sujets en état d'hypnotisme. Rappelons le malade du professeur Charcot, dont l'observation a été publiée par M. Bernard qui, frappé de cécité verbale, arrivait cependant à comprendre les mots écrits qu'on lui mettait sous les yeux en exécutant de la main droite les mouvements nécessaires à la reproduction de ces mots par l'écriture (l).

Rappelons encore les expériences de M. J.-B. Charcot. Deux jeunes hystériques furent placées par lui dans l'état de somnambulisme. On leur suggéra que, tout en pouvant continuer à parler et à écrire, il leur était devenu absolument impossible de lire les caractères imprimés et l'écriture. La suggestion ayant réussi, les sujets se trouvaient atteints de cécité verbale pure. Chez les deux, on obtint des résultats identiques ; elles écrivirent sans difficulté sous la dictée une phrase qu'elles furent dans l'impossibilité de relire, mais dont elles parent énoncer chaque mot en repassant la plume sur chaque caractère tracé. Les images motrices

(1) Bernard. De Caphaiit et de sa diverses formes. (Thèse de Paris, 1885.)

graphiques se superposaient ainsi aux images visuelles et réveillaient les idées que ces dernières étaient devenues incapables d'évoquer (1).

Les hasards de la clinique nous ont fourni l'occasion d'observer un cas à la vérité plus complexe que dans l'expérience précédente, mais qui ne me parait pas moins démonstratif au point de vue de l'existence d'un contre des images motrices graphiques.

Le cas en question met eu outre en relief, ce qui. je crois, n'avait pas encore été lait jusqu'ici. l'importance de ce centre comme voie de pénétration des suggestions thérapeutiques, lorsque l'exercice de tous les sens, hors le tact, étant suspendu dans le cours de l'hystérie. ce der-nier est le seul intermédiaire par lequel le médecin puisse entrer en communication avec son malade.

Mme X... a vingt-huit ans. Des sa Jennesse. elle a donné des signes d'un tempérament névropaihique excessif et d'une déséquilibrât ion mentale de» plus accentuées. Des grossesses nombreuses, des ennui» domestiques, une métrite pendant laquelle elle devint morphinomane, provoquèrent peu i peu l'éclosion d'une hystéro épilepsie confirmée dont les accidents, en grande partie psychiques necessitèrent l'internement de la malade.

Je l'observe depuis dix-huit mois et. en dehors des stigmates permanents de la névrose, tels que analgésie généralisée. dyschromatopsie bilatérale plus prononcée a droite, anorexie, vomissement», asphyxie locale des extrémités, névralgies, etc., les phénomènes auquels J'ai pu assister depuis cette époque peuvent se grouper de la façon suivante :

1° Attaques convulsives;

2° Attaques somnambulo-délirantes;

3° Accès de vigitambnlisme prolonge on de condition seconde;

4° A ces manifestations pathologiques il convient d'ajouter le somnambulisme hypnotique, qu'il est facile de provo-quer, mais qui dégénère très vite en som-n*mi-ali>m* délirant, se transformant aînsi en attaque hystériqae.

Les attaques convalsives, tantôt épileplodes, tantôt exclusivement cloniques, sont plus ou moins fortes ; quelquefois à peine indiquées par quelques spasmes. d'autres fois se prolongeant plusieurs minutes. Elles précédent on terminent les accès délirants dont la durée est de plusieurs heures, parfois de nuits et de journées entières.

Cet accès délirants vont de deux formes :

La nuit principalement, ils s'accompagnent d'hallucinations terrifiantes et surtout de la vision d'une sorte de tratire qui pousse la malade an suicide, qu'elle tente d'exécuter par tous les moyens possibles.

La nuit, ils affectent souvent une forme spédale. C'est une sorte de vie som-nambulique : la malade agit, travaille, va et vient, tout en délirant; mai» comme le délire, dan» cet état, est très cohérent, sans hallucinations, sans idées absurdes, tout le monde s'y trompe, sauf les initiés qui. rien qu'à la modification du regard, reconnaisseat facilement l'étal somnambulique.

accès de condition seconde, qui ne sont en somme que l'attaque somnambulo-délirante prolongée, durent de quelques Jours à un mois. Ainsi, du 8 sep-tembre an 7 octobre dernier, la malade a été, sauf une interruption de quelques

(1) J.-B. Charcot Sur un appareil destiné à évoquer les images motrice graphiques

chez les sujets atteints de cecité verbale. Application à le demonstration d'un centre moteur graphique fonctionnellement distinct. (Progrès medécal, n° 25, 1892.)

minutes le 18 septembre, eu état de condition, seconde, ayant des attaques eon-vulsives. les accés de délire hallucinatoire, et le reste du temps délirant d'une façon continue, tout en Tirant de la vie de tout le monde, Quand elle a reprit pied dans la vie normale, elle te trouvait en retard don mois sur la date réelle, le temps écoulé depuis celte époque étant comme non avenu pour son état conscient habituel.

Nous n'entreront pas dans l'exposé détaillé de cette longue et intéressante observation qui, ici, ferait hors-d'œuvre. Arrivons tout de suite k ce qui hit l'objet de la présente note.

Dans tes accès délirants, la malade, objectivant ses propret pensées, voit un individu à face repoussante et terrible qui lui rappelle sans cesse ses chagrins domestiques et l'excite a y mettre fin par la mort. De là les tentatives incessante* de suicide auxquelles elle s'est livrée pendant plusieurs mois et qui n'ont échoué que grâce à une surveillance étroite et continue. et échec persistant n'a pas découragé la vision obsédante qui substitua son initiative k celle de la malade en cherchant à l'étonner : aux prises avec l'hallucination, Mme X... eut en effet, pendant plusieurs semaines, chique nuit, des crises asphyxiques subin-trnntes pendant lesquelles elle se croyait étouffée dans les bras du fantôme ut qui mettaient sa vie en danger. Ces attaques à forme asphyxique n'amenant pas le résultat attendu, survinrent de* attaques syncopales. La vision disait : « Tu vas mourir ». et la malade, perdant l'usage de tous les sens, entrait dans une pâleur de mort, avec suspension presque complète de la circulation et do la respiration.

Or il arriva qu'à la suite de ce* attaques à forme syncopale. Mme X... revenait à elle, mais sans recouvrer l'usage de ses sens. demeurant aveugle, sourde et muette. Dans cet état, non seulement elle est aphasique, mais encore l'inhibition s'étend a tous les muscle* du pharynx et de la langue. Non seulement elle ne peut crier, parler, chuchoter, mais encore elle no peut accomplir l'acte de la déglutition, ce qui. au point de vue de l'alimentation, a les inconvénients les plus graves. Si on ouvre la bouche de force, on constate une anesthésie totale de toute la région bucco-pharyngienne avec suppression des réflexes.

Dans ces conditions, les représentations motrices des gestes et de l'écriture étaient les seules qui ne fussent pas frappées d'inhibition et par lesquelles la

sible de comnuniquer par gestes arec eue puisqu'elle était aveugle; il ne restait que l'écriture, on plutôt que les mouvements de la main nécessaires à cette opération. Ce sont ces mouvements que le hasard conduisit à utiliser pour entrer en communication arec Mme X.... et, comme on Ta le voir, la suCccès fut complet.

Le 25 Juin 1892. pendant la nuit. Mme X--. après quelques contractions épi-leptoïdei des muscles de la face, entrait en eut de mort apparente. avec tous les symptômes habituels de la syncope.

An bout de quelques minutes, les signés de la vie reparurent, moins l'usage des sens. La malade se mit d'abord à remuer les mains, à les promener amour délle, cherchant à se reconnaître au contact de* objets, pois montrant par des gestes qu'elle ne voyait pas, n'entendait pas et ne pouvait s'exprimer par la parole. La religieuse aux soins de qui elle est confiée s'ingénia par diverses manœvres, telle) que l'excitation des zones hystérogènes, puis l' application de l'aimant à provoquer toit une attaque, soit le réveil des sens; mais, après de nombreux essait infructueux, elle dut y renoncer. Cependant la malade faisait toujours des gestes de détresse, lorsque la religieuse t'imagina de lui mettre un cravon dans la main droite et de loi faire écrire, en dirigeant ses mouvement', la phrase suivante :

« Vous allez vous endormir, et an bout de dix seconde. vous vous réveillerez et pourrez parler, voir cl entendre. »

Il fallut longtemps et recommencer souvent à lui faire écrire certains mou avant qu'elle comprit cette phrase. Elle y parvint pourtant et obéit à la suggestion. Elle s'endormit et au bout de quelques secondes, en se réveillant, elle avait recouvré la parole, mais la parole seulement. L'opération recommença, mais avec plus de facilité, la malade pouvant prononcer les mots an fur et à mesure qu'ils étaient écrits et être reprise aussitôt par la main qui guidait la sienne, lorsqu'elle se trompait et énonçait mal un mot.

Ces crises l'étant répétées assez souvent par la suite, la malade acquit une grande habileté à saisir le sens de» phrases qu'on lui faisait écrire, et eu arriva à entretenir de véritables conversations avec la religieuse qui la soignait.

Les originaux de ces entretien» sont sous mes yeux : de grandes feuilles de papier couvertes dans tous les sens d'une double écriture; l'une fine et serrée, celle de La malade; l'autre irrégulière, grosse, maladroite, cède qu'on obtenait en dirigeant ta main. Je déchiffre la conversation suivante, qui donnera une idée du détire somnarabulo-hystérique de la malade; car, lorsqu'elle a perdu l'usage de ses sens, elle est en attaque délirante, et l'abolition des sens est le résultat d'une véritable auto-suggestion.

Mme X... est, comme précédemment, aveugle, sourde et muotle. La religieuse lui met un crayon entre les doigts prend sa main dans la scienne et l'entretien s'engage ainsi :

D. (1) — Vous allez dormir et dans dix secondes vous vous réveillerez, puis vous entendrez, vous parlerez et vous verrez.

R. — Va donc le coucher (2). Mme X... ne sera plus méchante. Elle travaillera toujours désonnais sans rien dire. Elle ne parlera plus n'entendra plus et ne verra plus rien.

D. — Pourquoi cela ?

R. — Parce que Timoléon (3) le veut.

D. — Il faut dormir et vous reposer sans vous inquiéter de ce personnage qui n'existe pas.

R, — Je ne comprends pas du tout. Tu me dis qu'il faut dormir, et puis quoi ? D. — Et vous reposer.

R. — Et puis toi aussi, tu vas te coucher tout de suite. Ta me ferais beaucoup

de chagrin si ta restais.

D. — Vous serez bien raisonnable, alors. Vous resterez au lit et vous ne vous ferez point de mal.

R. — Tu dis qu'il faut que Je sois raisonnable. Alors Je ne remuerai plus du tout. Maintenant je suis perdue, je no guérirai jamais la vie m'est à charge ; adieu.

D. — Vous pensez donc mourir cette nuit pour parler ainsi ?

H. — Pals-moi le plaisir d'aller te coucher. Demain tout le monde me fera des reproches que lu as encore passé la nuit prés de moi et cela me fait tant de chagrin puisque je sais malade et que cela n'est pas de ma faute. Oh ! si je pouvais guérir et ne pas être obligée de vivre avec ma belle-mère, je m'en irais tout de suite, puis...

A ce moment survient une attaque convnlsive qui interrompt l'entretien. La crise passée, sans que l'état antérieur ail été modifié, la malade fait signe qu'elle veut le crayon et écrit ce qui suit :

(1) P. — Ce qu'on fait écrire a la malade ; R. Ce qu'elle écrit spontanément.

(2) En attaque somnambulique. délirante, Mme X... tutoie tout le monde et parle souvent d'elle-même a la troisième personne.

(3) Timoléon cal le nom que se donne l'individu que la malade volt dans son délire.

R. — Pourquoi ne vas-tu pas le coucher? Comme ta me fais du chagrin.

d. — Promettez-moi d'être raisonaable, de ne pas chercher à vous faire du ma), et je m'en irai tout de suite.

R. — Si tu étais à ma place, je ne sais si tu ne serais pas aussi désespérée que moi. Pour cette nuit tu peux être tranquille.

Il arriva que la religieuse fut impuissante à obtenir par ce procédé le retour des fonctions sensorielles et qu'a la visite du matin je trouvai la malade sourde, aveugle et aphasique ; j'en profitai pour contrôler les expériences relatées précédemment et en faire de nouvelles.

Le 1S septembre dernier, au malin, la malade se trouve, depuis la nuit, privée de l'usage des sens. Le tact seul est conservé, et c'est par le tact qu'elle arrive à connaître les objets et les personnes.

Je lui mets un crayon entre les doigts de la main droite, saisis sa main dans la mienne, et lui fais écrire ce qui suit :

D. — Faites bien attention, je vais vous rendre la parole. R. — Rendre quoi? D. — La parole. R. — Oui.

A ce moment Mme X... sent noire manchette et repousse notre main avec énergie ; la religieuse substitue la sienne à la nôtre et elle se laisse faire.

D. — Vous allez dormir... (à ce moment, elle repousse la main de la religieuse et écrit toute seule :)

R. — Va donc pas si vite !

D. — Vous allez dormir... (elle repousse de nouveau la main de la religieuse et écrit :)

R. — Je voudrais entendre, et surtout voir, et puis boire, j'ai grand soif(l). D. — Vous allez dormir cinq secondes, puis vous verrez, entendrez, parlerez et boirez. R. — Oui. Tout de suite, si tu veax.

La malade a quelques spasmes des membres, quelques battements des paupières et s'endort. Mais le réveil n'a pas lieu au bout de cinq secondes. Deux ou trois minutes s'écoutent avant qu'elle revienne à elle. Aussitôt elle s'empare du crayon et écrit :

— Il y a longtemps que cinq secondes sont passées et je ne vois pas encore

D. — Ça va venir.

R — Comment que lu l'appelles ? Tu n'es pas si fine que sœur 0.. puisque tu ne peux pas me faire voir |2). Fais-moi voir, Je l'en supplie 1 D. — Je vais vous souffler sur les yeux et vous verrez, immédiatement. R. — Ça m'est égal, si tu peux me guérir.

Nous lai soufflons sur les yeux; aussitôt elle les ouvre tout grands, regarde d'abord comme une personne atteinte d'amblyopie, et qui ne distingue pas ; peu à peu l'acuité du sens augmente et elle finit par reconnaître tout ce qui l'entoure.

Pour la faire entendre, nous procédons de la façon suivante. Nous écrivons et lui faisons lire ce qui suit : « Je vais vous toucher les deux oreilles et vous entendrez. »

(1) La malade est privée do l'usage de la bouche et du pharynx et ne peut accomplir les mouvements de déglutition.

(?) Trompée par ce qui s'est passé au début de l'expérience, la malade croit avoir affaire à une autre personne que la religieuse qui s'occupe d'elle habituellement.

Quelques instants après elle saisit le crayon et écrivit : « Ou'est-ce qui sonne comme cela dans mes oreilles ? Parle donc plus fort. Je n'entends pas »

Ce n'est que peu à peu que l'acuité auditive redevient normale. Pour lui rendre la parole. il suffit ensuite de lui affirmer qu'elle peut parler et la suggestion réussit.

J'arrête ici l'exposé de ces expériences, la relation précédente me paraissant suffisante pour en montrer lu nature et la signification. Une hystérique frappée .simultanément de cécité, de surdité et du mutisme est complètement retranchée du inonde extérieur. Les mouvements de l'écriture que l'on fait exécuter a sa main réveillent dans son cerveau l'idée que représentent les mots écrits, et la voilà de nouveau en communication les personnes qui l'entourent. Si le fut est réel et bien observé, il y a la un phénomène intéressant au point de vue psychologique et une confirmation de la théorie des localisations cérébrales.

Pour que le fait ne soit pas tel que nous l'avons observé et décrit, il faudrait que la malade n'eût pas été réellement frappée de l'abolition simultanée de la vue, de l'ouïe et de la parole, par conséquent qu'elle ait simulé.

La question de la simulation cher les hystériques est trop bien connue pour qu'à priori on s'attache à cette hypothèse. Les hystériques ne sont pas les simulatrices que l'on croyait il y a quelques années encore, et d'ailleurs dans quel but aurait-elle simulé des troubles aussi pénibles, alors qu'au contraire les conditions psychiques de l'attaque en expliquent si naturellement la production? La malade, d'après son système délirant, devant mourir dans l'atttaque, l'abolition des sens est le premier phénomène qui doive résulter et qui résulte en effet de cette auto-suggestion : le mourant, avant de perdre conscience de lui-même, cesse de voir, d'entendre et de parler. L'attaque terminée, c'est une véritable résurrection qui se produit. La conscience qui s'était éteinte en dernier lieu réparait, comme il est naturel, la première, mais la rétrocession des phénomènes s'arrête en route et les appareils sensoriels demeurent obnubilés.

Combien de temps celte obnubilation eût-elle duré? C'est ce que nous ne pouvons dire, car nous nous sommes toujours efforcé de la faire cesser, aussitôt que possible d'abord pour mettre un terme à la situation pénible où se trouvait placée la malade, ensuite dans la crainte de voir les troubles s'enraciner par leur propre durée, et devenir de moins en moins accessibles à la suggestion. Les exemples ne sont pas rares d aphasies et de surdités hystériques d'une durée très longue, presque indéfinie. Une malade que j'ai guérie cette année même en quelques minutes d'une moitophégie brachiale et d'une surdité hystéri-

ques était depuis sept ans paralysée et sourde. A la vérité le concours simultané de la cécité, de la surdité et du mutisme ne doit pas être commun et peut-être notre cas en offre-t-il le premier exemple. Ce qu'on peut supposer dans l'espèce, c'est que la fréquence des attaques convulsives chez notre malade, modifiant incessamment le dynanisme de son système nerveux, aurait fait disparaître le triple syndrome inhibitoire au profit de quelque autre manifestation d'un ordre différent.

Quelque vraisemblable pourtant que fùtcette hypothèse, nous n'avons pas cru prudent de nous y fier, et chaque fois que le syndrome s'est reproduit, nous avons eu recours, aussitôt que possible, à la suggestion pour le faire disparaître.

Pour cela, tantôt la simple affirmation a suffi, tantôt il a fallu user de procédés détournés ou de suggestion indirecte. La malade est très sensible à la suggestion, mais comme il arrive souvent, beaucoup plus souvent que ne le croient nombre de personnes adonnées à l'hypnotisme, elle n'obéit que d'une façon capricieuse et désordonnée, ou n'obéit pas du tout.

Remarquons que quand elle est aveugle, sourde et muette, elle est en attaque délirante et cependant suggestible, ce qui n'a rien de contradictoire; pourtant, elle l'est moins qu'en état hypnotique, ou si ce mot ne parait pas suffisamment justifié, lorsqu'elle est dans un état artificiel qui se produit quand nous lui commandons de dormir.

Si nous écrivons avec sa main ; « Vous allez dormir cinq secondes et quand vous vous réveillerez, vous verrez », la suggestion est habituellement suivie d'effet. Que se passe-t-il ? La malade entre-t-elle réellement dans un état hypnotique au sens propre du mot ? Elle change tout au moins d'état somnambulique, car pendant cette période de cinq secondes, les yeux qui étaient ouverts se ferment, il se produit quelques spasmes et l'expression de la physionomie subit une modification complète.

Dans d'autres circonstances, il a suffi de lui faire comprendre : « Je vais vous toucher les oreilles après quoi vous entendrez › ; ou bien : « Je vais vous souffler sur les yeux et après vous pourrez voir ». pour que ces suggestions à l'état simple fussent suivies d'un plein effet.

Quoi qu'il en soit, ce sur quoi nous voulons insister, en terminant, c'est la voie par laquelle nous avons pu faire pénétrer dans l'entendement de la malade ces suggestions thérapeutiques. Privée des sens qui nous mettent en communication avec nos semblables, elle était dans une détresse morale profonde. Le tact et le sens musculaire étaient conservés : on eut l'idée de s'en servir pour réveiller dans son cerveau l'image des mouvements de l'écriture et les idées associées à ces images : le suc-

cès a été complet et la malade non seulement a pu reprendre contact avec le monde extérieur, mais a pu recevoir les suggestions appropriées a son mal et sortir d'un état dont on a peine a se figurer les tortures morales et qu'on estimerait intolérable et pire que la mort, si on ne savait que les hystéro-épileptiques ont des grâces d'état pour supporter les misères de leur lamentable existence.

QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA PSYCHOLOGIE DE L'HYPNOTISME à propos d'un cas de manie homicide guérie par suggestion

Par M. DELBŒUF, professeur à l'Université de Liège.

I

Depuis plus de quarante ans, je me suis tenu an courant de l'histoire du magnétisme animal, et en 1869 déjà, j'expliquais comme dus à la suggestion, lorsque les savants en titre les attribuaient au miracle ou à la supercherie, les phénomènes présentés parla fameuse Louise Lateau. Ce n'est qu'an commencement de l'année 1886 que je m'enhaidis à la pratique et expérimentai par moi-môme. En moins de (rois mois, je m'assurai et donnai la preuve que le sommeil provoqué était de même nature que le sommeil naturel, que les rêves suggérés pouvaient se raviver dans le souvenir aussi bien que les rêves ordinaires, et que les actes étranges qu'on pouvait faire exécuter aux somnambules étaient le produit de la suggestion directe ou de l'imitation.

C'est ce que j'établis dans une séria d'articles parus dans la Revue philosophique sous ces titres : La mémoire chez les hypnotisés; De l'influence de l'imitation et de l'éducation dans le somnambulisme provogué; De ta prétendue veille somnambulique.

Dans la Revue de l'Hypnotisme, qui fnt créée en cette même année 1886, je publiai quelques notes qui tendaient à justifier cette manière de voir, notamment celle sur l'Analogie entre l'état hypnotique et l'état normal (avril 1888), et récemment (novembre 1891) celle que j'intitulai : Comme quoi il n'y a pas d'hypnotisme. Cette opinion, je l'ai soutenue au récent Congrès de Londres, et j'ai été heureux et fier de l'entendre corroborer par M. le professeur Bernheim.

Qu'on n'aille pas se méprendre sur ma pensée. Il serait singulier qu'un collaborateur i une revue consacrée tout entière à l'hypnotisme soutint

que son objet n'a pas d'existence. Mais hypnotisme signifie sommeil. La plupart des personnes s'imaginent que le sommeil est le phénomène essentiel de l'hypnotisme, tandis qu'il n'en est qu'un phénomène très accessoire et par conséquent nullement indispensable.

L'hypnotisme ou, comme on l'appelait autrefois et comme on aurait dû continuer à l'appeler, le magnétisme animal (1), a mis en lumière la puissance de l'esprit sur le corps. Certes, nous savions que des états psychiques sont provoqués par des états corporels, que nous voyons par les yeux, que nous entendons par les oreilles, que nous goûtons par la langue et le palais ; nous savions encore que le fau nous brûle, qu'une piqûre d'aiguille nous fait mal, que les oignons nous font pleurer, que le vin nous enivre; mais, bien qu'il y eût un certain nombre de faits avérés qui eussent dû nous faire réfléchir, par exemple, le lait que, dans le rêve, nous voyons les yeux fermés, entendons les oreilles bouchées, goûtons en l'absence d'aliments, néanmoins, jusqu'à la fin du siècle dernier, nous avons ignoré que l'idée pouvait faire surgir l'état corporel correspondant, que nous pouvions voir ce qui n'est pas, en nous persuadant qu'il est, et ne pas voir ce qui est, en nous persuadant qu'il n'est pas; que nous pouvions entendre des voix muettes, trouver a la pomme de terre crue le goût de la pèche, a l'aloès celui du sucre; que les brûlures, les piqûres pouvaient ne pas être senties, et. bien mieux, qu'un vésicatoire ou un fer chaud imaginaires pouvaient amener une vésication ou une ampoule réelles.

Dieu sait quelle a été la résistance du monde savant à reconnaître la réalité de ces phénomènes. L'histoire impartiale racontera un jour quels immenses services ont rendu a la science les adeptes de la première heure, méconnus, honnis, conspués par les corps académiques, et les apôtres de la dernière heure, les Donato et les Hausen, traités d'imposteurs et de charlatans par ces mômes corps, et aujourd'hui dépouillés du fruit de leurs découvertes et de leur industrie.

Mais, quand ces phénomènes eurent été mis hors de doute, le plus grand nombre de ceux qui se qualifient entre eux de savants y virent — et beaucoup persistent encore à y voir — les effets d'une puissance dangereuse et mystérieuse dévolue au magnétiseur, et partirent de là pour jeter l'alarme dans toutes les têtes et dans tous les cœurs, et pour revendiquer en faveur d'une corporation l'exercice de cette puissance!

Or. il n'y a pas de puissance ni mystérieuse ni dangereuse et, par-

(1) Je ne trouve aucun avantage a changer, sous prétexte de précision scientifique, les noms consacrés par l'histoires Navons-nous pas conservé les mots d'algèbre, de chimie, d'électricité, d'optique, de physiologie, damitomie, etc., qui. ètymologique-ment, n'ont que fort peu de rapport avec les sciences qu'il désignent ?

tant, il n'est personne qui en soit investi. Toutes les manifestations hypnotiques sont dues au sujet et rien qu'au sujet. L'hypnotiseur n'intervient ici que pour lui donner la persuasion qu'il peut faire ce qu'il ne croyait pas pouvoir faire, ou qu'il ne peut pas faire ce qu'il croyait pouvoir faire. Tout le charme de l'hypnotisme est dû à la conviction qu'a le sujet qu'il possède ce charme. Au fond, tout hypnotiseur mérite les épithètes dont, vers ces derniers temps, dans certains milieux scientifiques, on s'est plu, croyant par là rabaisser leur art et se mettre au-dessus d'eux, à qualifier Donato et Hansen.

Quand donc l'hypnotiseur rabat les paupières de ses sujets en leur persuadant qu'ils dorment, ou leur lève un bras en l*s défiant de l'abaisser, il ne fait par là que leur donner une idée mensongère de son pouvoir. Il leur impose par son assurance, de même qu'on peut imposer par l'éloquence, par le sophisme, par la crainte, par la force; en un mot, il se donne le prestige. En résumé, c'est les sujets qui font tout, mais il leur arrivera d'en attribuer tout le mérite à celui qui a su prendre sur eux cet ascendant.

Voilà ce qu'aucun hypnotiseur sérieux n'oserait nier, bien que son intérêt, aussi bien que l'intérêt de ses clients, doive le plus souvent le lui faire nier.

Telle est la thèse que je me propose de démontrer par quelques exemples topiques.

II

Un très haut fonctionnaire vint un jour chez moi, accompagné de son médecin ordinaire. Il me tint ce langage : « Monsieur, je viens vous trouver pour faire plaisir i mon médecin, que voilà. Je sais à l'avance que vous ne pouvez rien à mon mal. J'en souffre depuis vingt ans. J'ai toujours été nerveux, mais certains événements ont porté ma nervosité i un point insupportable; je ne puis rester en place, je m'agite sans cause et sans but; j'entre dans des impatiences et des colères injustifiées; je ne sais pas m'appliquer sans des efforts qui m'épuisent; je ne dors plus. Naturellement, j'ai consulté les plus hautes sommités; j'ai pris toutes les drogues qui passent pour calmer les nerfs; j'ai visité tous les établissements qu'on m'a recommandés; j'ai fait des cures de villes d'eaux et de bains de mer. En dernier lieu, on m'a conseillé d'essayer de l'hypnotisme. Je n'ai pas voulu m'y refuser. Je suis allé à Bruxelles trouver un tel et un tel. Ils n'ont réussi qu'à me mettre dans tous mes états et à me donner grand mal de tète. Mon médecin, que voilà, me dit que vous êtes plus habile et que vous réussirez là où les autres n'ont pas réussi. Je veux bien me prêter ù vos manœuvres, mais c'est surtout pour le con-

vaincre que mon mal est bien sans remède. D'ailleurs, je ne crois pas à tout ce qu'on raconte. »

J'avais justement sons la mais l'une des jeunes filles qui m'avaient servi à mes premières expériences. Devant lui. je traverse ses bras d'une longue aiguille sans qu'elle donne le moindre signe de douleur et même de sensibilité. Cette expérience le surprit, non qu'il ne la connût on ne l'eût vu faire, mais il lui répugnait de croire ici i une imposture. Alors, je lui demandai comment les docteurs de Bruxelles s'y étaient pris avec lui. L'un avait employé la lumière oxyhydrique; l'autre le brillant de Braid. « Je ne m'étonne pas. lui dis-je. qu'ils n'aient pas réussi avec vous. Ils n'ont pas songé qu'ils avaient A foire à un homme de haute intelligence sur qui ces moyens vulgaires ne pouvaient avoir prise; ils n'ont pas vu que cette mise en scène avait précisément pour effet de vous mettre eu défiance. Avec un homme comme vous, de votre situation, de votre instruction, habitué aux grandes affaires, il suffisait de faire appel à votre volonté. Il est clair que. quand vous le voulez, vous avez une volonté de fer, et je vais vous le prouver. Vous avez vu cette jeune fille se laisser percer le bras sans sourciller. Vous, vous êtes capable d'autant et de plus. Donnez-moi votre bras; regardez-moi fixement en me montrant par votre regard qu'il vous plaît de ne rien sentir, et vous ne sentirez rien ». Il le fit; je lui perçai le bras : il ne sentit rien ou. ce qui revient au même, ne sentit pas de douleur. Il croyait que son bras n'était pas transpercé. Il fut stupéfait de voir qu'il l'était. Il me fit recommencer l'expérience; elle réussit comme la première. Il ne revenait pas de son étonnement; il voulait retourner chez lui avec ses aiguilles pour les montrer chez lui. Alors je lui dis ces simples mots : « Vous avez de la volonté quand il s'agit d'administration, de vos subordonnés ou de votre entourage, mais vous n'en aviez pas sur vous-même. Je viens de vous prouver que vous êtes en état, non pas seulement de surmonter la douleur, mais de la vaincre au point de ne pas même la sentir. Cette volonté, dont vous avez aujourd'hui la preuve, vous allez dès maintenant l'appliquer à dompter vos impatiences, à dominer votre agitation. A réfréner vos colères. I-a chose va vous être désormais des plus faciles, et vous recouvrirez le repos. »

« C'est ce que je vais faire », fut sa réponse.

Il n'est plus revenu. Il est guéri (i).

(1) que cet article est écrit, je l'ai revu; il est resté guéri. il m'a demandé de

le débarrasser de sa passion pour le tabac. Il fumait aver acharnement entre ses repas. Il vint chez moi un dimanche à midi et quart ; je me suis borne a le regarder dans les yeux et i lui assurer que la premiere cigarette qu'il voudrait fumer lui serait insupportable. Il me quitta un quart d'heure aprés pour aller dejeuner: en me quittant, il me dît qu'il ne pouvait croire à. reflet de ma suggestion, que ce serait miraculeux.

Est-ce là de l'hypnotisme? Oui et non. Oui, si par hypnotisme on entend la suggestion ou ce que l'on aurait appelé jadis la persuasion par exhortation. Non, si l'on veut y voir autre chose que l'exercice normal de la volonté libre sur les passions.

Continuons. Un vieillard de près de quatre-vingts ans souffre de névralgie faciale depuis plus de quinze ans. Il s'est fait arracher toutes les dents, il a subi la résection du nerf sus-orbicu!aire sans résultat. Il me demande de l'hypnotiser. Il ne sait pas ce que c'est que l'hypnotisme ; il sait seulement qu'on lui attribue des miracles. J'arrive près de lui et, le tirant violemment par la barbe, je lui annonce qu'il n'a plus mal, qu'il n'aura plus mal (1) — et la prédiction se réalise.

Ici. le sujet croit que j'ai fait quelque chose. Pourtant, cette fois encore, il n'en est rien. C'est lui qui s'est commandé à lui-même de ne plus sentir sa névralgie. Il avait cette faculté ; je ne l'ai ni créée, ni transmise. Sa foi en ma puissance mystérieuse a été un adjuvant dont j'ai usé et dont j'ai bien fait d'user. Seulement, avec le haut fonctionnaire, j'aurais eu tort de chercher à m'appuyer sur une foi qu'il n'avait pas.

Voici maintenant un homme qui abuse du tabac, un enfant qui ronge ses ongles, cet autre malpropre sur sa personne. Il est clair qu'ils pourraient, s'ils le voulaient, se corriger; mais ils ne savent pas vouloir. Je les endors ou, plus exactement, je leur fais croire qu'ils dorment. Je leur donne ainsi une preuve palpable du pouvoir que dans leur pensée, la nature m'a déparli. Puis, je les mets dans l'impossibilité de fumer, de se ronger les ongles, de supporter la saleté. Ici encore, j'ai éveillé, chez tous trois, la volonté jusque-là inactive; seulement, ils n'ont pas conscience qu'ils veulent; ils s'imaginent, non pas que je les fais vouloir, mais que je veux à leur place. J'ai commencé par frapper leur imagination, et dès lors, pour eux, tout ce qui est en eux vient de moi, et il n'y a rien que je ne puisse mettre en eux.

C'est là l'hypnotisme vulgaire.

Voici ce qu'il m'écrivait le mardi : - Ma première cigarette, hier, après déjeuner, m'a semblé d'un goût désagréable ; je l'ai reprise, même impression. Croyant A une mauvaise disposition, j'ai différé de vous écrire ainsi qu'il était convenu ; mais depuis, après quatre repas, je continue a n'éprouver que de la répugnance il fumer. Le succès a donc dépassé toute attente, et je n'aurai pas eu grande force de volonté a exercer pour dominer une habitude qui ne me procurait plus qu'une sensation désagréable. Puissé-je renier émancipé... etc. « Au moment où j'écris ces lignes, après huit semaines, il reste émancipé,

(1) J'ai raconté l'histoire tout au long dans la Revue de l'Hypnotisme (numéro cité) et dans mon opuscule intitulé : l'Hypnotisme devant les Chambres belges (Liége-Paris, l892. Ce vieillard est resté guéri (octobre 1892).

III

J'en viens maintenant au cas de mania homicide qui sert d'en-tête à cet article. Il s'agit de la gaérison d'une dama de quarante ans qui voulait tuer son mari et ses enfants, et qui. chaque matin, dans ton lit. se demandait avec angoisse si ce serait pour aujourd'hui. C'est la une guérison classique, quoique rare. Nous allons voir qu'elle s'explique de la même manière. Faisons observer toutefois que les bienfaits de l'hypnotisme, dans les maladies mentales, sont dus à une action de l'esprit, non sur le corps, mais sur l'esprit lui-même. C'est, pour ainsi dire, la partie saine du cerveau qui vient corriger la partie malade.

J'extrais les renseignements qui suivent de la lettre qne le mari a bien voulu m'écrire a ma demande, après guérison confirmée :

c ... Je puis vous dire que la santé de ma femme, physiquement et psychiquement. est meilleure qu'elle n'a jamais été. Son cerveau, qui avait été ai ébranlé, est maintenant en parfait état; elle est allée dernièrement voir sa sœur à B... La visite dans cette ville, ou elle a tant souffert, ne lui a pas causé la moindre émotion.

« Je ne sais a quelles causes attribuer la grave maladie qu'elle a eu à supporter, mais je suppose que c'est dû à une longue suite d'inquiétudes que lui ont données les nombreuses maladies de deux de nos enfants, ainsi que toutes celles qu'elles a eues pendant les douze premières années de notre mariage, a savoir, maux de seins à la suite de couches, mal de gorge diphtérique, nombreux abcès à la gorge, fièvre scarlatine, fièvre muqueuse-typhoïde, et enfin influenza. C'est pendant l'influenza, en décembre 18S9, qu'elle a ressenti pour la première fois cette espèce de syncope qui lui causait une si vive frayeur. Elle éprouvait alors une impression qui lui faisait croire que la vie l'abandonnait.

« Le pr-mier docteur consulté à ce moment m'a dit que c'était de la dépression. Cette syncope, ou plutôt cet état (car il n'y avait pas évanouissement) lui était extrêmement pénible, elle redoutait qu'il ne se reproduisit. Cependant il s'est reproduit encore plusieurs fois, en mars 1890, en mai (a X..., tout en se promenant), enfin le 2i juillet. A cette date, elle s'est mise au lit pendant huit à dix jours ; elle avait la tangue très chargée; elle a été traitée sur une maladie d'estomac. Après ce laps de temps, le docteur l'a autorisée a manger des choses Ingères et lui a ordonné les promenades, la campagne, le grand air. Les crises dont il question se sont reproduites alors très fréquemment, surtout du 1er août au ler septembre 1890; à cette époque, elle est allée passer

quelque temps à Anseremrae (1), près Dinant. et ensuite à Heyst. Dans cette dernière ville, une crise très forte l'est produite; elle a dû s'aliter à l'hôte pendant dis jours. Un médecin liègeois rencontré A Herst l'a traitée sur un catarrhe d'estomac ; mais un malheureux médicament, dont la formule a été mal comprise par le pharmacien (parait-il), lui a occasionné un véritable empoisonnement. Elle a eu la bouche pleine

d'ulcères et a été plus malheureuse que jamais. Revenue à L.....elle a

dû s'aliter de nouveau, pendant les mois d'octobre, novembre et décembre; sa préoccupation constante était de ne pas manger; elle était obsédée par la crainte de la crise. Pendant les mois de novembre et décembre, les docteurs ... et ... prétendaient cependant que son esto-ma; allait mieux et qu'elle pouvait manger davantage- Elle avait de temps on temps de violentes crises de larmes et de chagrin.

« Enfin, voyant qu'ils n'avaient plus d'influence sur elle, je me décidai à l'envoyer i B.... pour être mise sous la direction du Dr B..., dont j'avais entendu dire grand bien (ma femme pesait alors 37 kilos!). M. B... prit immédiatement un grand empire sur elle et l'obligea à manger des quantités considérables de nourriture, en suivant un traitement qui facilitait la digestion. Au bout d'un mois, elle avait reconquis 17 livres. Aucune crise ne s'était produite jusqu'au 15 février. Du 15 février 1891 au la mai 1891, elle fut sujette à de nouvelles crises extrêmement violentes; elle se jetait sur son lit les poings fermés et en se tordant les bras, se trouvant horriblement malheureuse et pleurant abondamment. Le docteur me disait alors qu'elle était neurasthénique et mélancolique.

« Ces terribles crises ont fini par se calmer; elle est allée ensuite passer deux mois à D.... chez son père; sa santé physique était excellente; elle mangeait de tout, mais elle continait à se trouver malheureuse.

« Le 14 juillet 1891, je suis allé la rechercher à D... Elle a d'abord été très heureuse de me revoir, mais, pendant le retour de voyage même, son visage s'est assombri et les idées de chagrin l'ont encore une fois envahie.

« Du 14 juillet à fin décembre, les mêmes idées noires revenaient fréquemment et ont fini par se modifier; pendant les mois d'octobre, novembre et décembre, ces idées ont pris la tournure dangereuse que vous connaissez et dont vous êtes parvenu i la débarrasser. »

C'est, en effet, une chose oubliée. Cette dame a une santé excellente, elle est heureuse, elle est gaie, elle a lait un nouveau pacte avec la vie.

(1) Localité où beaucoup de personnes vont en villégiature

Le premier jour que je l'ai vue. elle avait une figure tirée, sombre, navrée; elle a maintenant une figure jeune, ouverte, souriante. On ta disait folle, et on m'avertit sous main à plusieurs reprises. — ne sachant pas que je la traitais, — de ne pas la recevoir chez moi, qu'elle pourrait y faire un malheur.

Quand on lui parla de se faire hypnotiser, elle s'y refusa d'abord. Le mari vint me trouver. Je lui donnai peu d'espoir. Je lui fis entrevoir le séjour dans une maison de santé comme le remède indiqué, convaincu que le régime et le repos auraient sur la maladie des résultats favorables. Toutefois, comme je m'étais déjà occupé avec succès de maladies mentales, je voulais bien entreprendre cette nouvelle cure.

Elle me fut donc amenée dans la seconde moitié de décembre. Je lui fis raconter, non sans peine, ses douleurs et ses désespoirs; elle s'épancha fort peu ; néanmoins, je gagnai sa confiance et l'assurai d'une guérison prochaine.

Je lui annonçai que j'allais, comme on dit, l'endormir, mais qu'elle ne dormirait pas; seulement, elle ne saurait plus ouvrir les paupières. J'obtins cet effet rapidement, en moins d'une minute. Et alors, je la défiai d'avoir ses idées sinistres pendant qu'elle était là à côté de moi. sous mon regard. C'est ce qui se réalisa. J'eus beau mettre devant ses yeux l'image de son mari, de ses enfants, éveiller chez elle l'idée de les tuer, cette idée ne vint pas. J'insistai pendant près d'un quart d'heure, la laissant parfois plusieurs minutes en plein silence.

Or, il est clair pour un psychologue qu'il était difficile, sinon impossible, que, dans ces conditions, l'idée du meurtre se présentât à son esprit, distrait qu'il était par ma présence, et encore plus par mon défi. Par cela même qu'elle faisait des efforts conscients et observait ce qui se passait en elle, il ne pouvait rien s'y passer, si ce n'est l'effort reconnu immédiatement comme inefficace. L'occlusion des paupières n'avait ici d'autre action que de préparer l'esprit et la volonté du sujet à se laisser diriger dans les voies que je lui traçais. D'ailleurs, j'avais soin de suivre sur sa physionomie le jeu des pensées intérieures, et dès l'instant où je soupçonnais une défaillance, j'intervenais par une exclamation de triomphe : « Vous le constatez; vous ne pouvez pas faire renaître vos mauvaises idées, ma parole et ma présence les repoussent ».

Quand je jugeai l'épreuve suffisamment longue, je lui annonçai que le lendemain, de huit à neuf heures du matin, — elle devait regarder la pendule, — il lui serait impossible, bien que hors de ma présence, d'avoir ses velléités morbides; que, pendant cette heure, elle se sentirait assez d'empire sur elle-même pour les chasser; que ce ne serait plus nia volonté qui les repousserait, niais sa propre volonté à elle qui ressaisi-

mit un pouvoir qu'elle n'aurait jamais perdu sans les fatales maladies qui l'avaient affaiblie; et que, en constatant que cette volonté morale et saine n'était pas tout à lait morte, elle verrait renaître en elle l'espoir et le courage, etc. Je prolongeai le discours sur ce thème de manière à donner à son esprit assez d'occupation pour cette heure-là. En rentrant chez elle, elle dit à son mari qu'elle s'était dit ces choses vingt fuis à elle-même, mais que maintenant elle se les répétait avec une énergie dont elle ne se croyait plus capable, et qu'elle était certaine à l'avance du bon effet de sa résolution.

Ainsi donc, cette personne, — dirons-nous qu'elle était à l'état d'hypnose? — subissait un ascendant normal, l'ascendant de la raison sur la folie, et toute mon intervention reposait en définitive sur ma réputation d'hypnotiseur.

Le lendemain, en effet, de huit à neuf heures, il lui fut impossible de s'abandonner à ses idées de meurtre, elle était bien trop occupée à s'observer elle-même, et à remarquer — avec joie — qu'elle avait la volonté et la faculté de les écarter.

Quand elle revint, quoique toujours sombre et profondément malheureuse, elle m'avoua la satisfaction qu'elle avait éprouvée le matin en se sentant pleine de bonne résolution pendant toute une heure.

On devine la suite. Je lui promis que le lendemain elle aurait le même courage pendant deux heures; que de neuf heures à onze heures (je la consultais sur l'heure), elle irait su promener dans la ville et reprendrait plaisirà regarder les étalages; que sitôt que sa volonté faiblirait, elle se raidirait pour la stimuler. Bref, au bout de huit ou dix jours, je parvins, à obtenir le sommeil tranquille pendant toute la nuit. Les appréhensions au moment du réveil furent les dernières à disparaître.

Je pourrais m'arrèter là; mais ce que je vais ajouter ne laisse pas d'être instructif. Je devais m'absenter pendant les vacances de Noël et ne rentrer que dans les premiers jours de janvier. En outre. Mme 2... devait avoir son époque dans l'intervalle. J'avais été prévenu que. dans ces moments, les idées étaient plus noires. Certes, j'aurais pu risquer de lui certifier qu'elle était guérie à jamais. Mais, c'eût été jouer trop gros jeu (1 ). Je crus plus prudent de ne lui certifier la guérison complète absolue que pour Pâques : « Elle ne devait pas s'alarmer si elle éprouvait de temps en temps une rechute, surtout quand elle aurait son époque.

(1) J'ai joué récemment, cette partie avec un névropathe de la même espèce, et je l'ai perdue. Mais je savais que je pourrais réparer immédiatement la perle en lui. confiant que j'avais fait une expérience que quelques-uns me reprochaient de n'avoir pas faite une première lois. Et, en effet, mon récit me fit regagner d'un coup tout le chemin perdu.

accident qui affaiblit le cerveau; qu'on ne fait pas disparaître en huit jours des idées maladives qui ont mis des années à s'implanter dans l'esprit; qu'il faut d'ordinaire du temps pour détruire ce que le temps a construit, etc. »

Je crois que j'ai lieu de me féliciter de ma prudence. Je n'étais pas absent de trois jours que son époque arrivait, et venait s'ajouter à l'angoisse provenant de mon éloignement. Tout le cortège des idées sinistres reparut plus terrifiant que jamais. Elle se présenta plusieurs fois chez moi dans l'espoir de mon retour, puis tomba dans un abattement horrible et sombre.

Le mari m'en informa; je lui répondis que dès que je reverrais sa femme, tout cela s'évanouirait. En effet, dès le soir même où je la revis, j'avais reconquis presque tout ce qui était perdu. La réalisation de mes prédictions pessimistes était, pour ainsi dire, un gage sûr de la réalisation de mes prédictions optimistes. Tout en soignant son état mental, je régularisai ses fonctions menstruelles que je fis revenir tous les vingt-neuf jours avec une durée de trois jours; je régularisai ses garde-robes, et par là ses digestions; en un mot, l'amélioration de son état physique vint corroborer l'amélioration de son état psychique, c'est ce qui résulte du reste do la lettre qu'on vient de lire et que son mari m'écrit le 9 août, c'ost-à-dire quatre mois après la cessation du traitement.

IV

Je reviens maintenant à ma thèse.

Sans contredit, il n'y a rien dans ce traitement qui s'écarte des lois psychologiques normales. Mon rôle a été celui d'un soutien, et ma force était la confiance, la foi que le sujet avait en moi. D'où cette proposition, en apparence paradoxale, que la puissance de l'hypnotisme consiste surtout dans le mot même d'hypnotisme, parce qu'il ne se comprend pas bien.

Seulement, il se comprend un peu; et ce que le malade croit en comprendre est plus nuisible qu'utile, car, ayant entendu dire qu'hypnotisme signifie sommeil, s'il lui plaît de constater qu'il ne dort pas. il se croit réfractaire. Au point de vue de l'exactitude scientifique, le terme de psychothérapie, ou, mieux encore, de psychodynamique, est de beaucoup préférable.

Certes, la forme sous laquelle, dans ces quelques pages, je viens d'esquisser ma pensée, est abrupte, et, en maint endroit, elle aurait besoin d'être adoucie et entourée de restrictions ou de commentaires.

Avec l'École de Nancy, je pense et j'affirme que la cause des phénomènes de l'hypnotisme réside dans la suggestibilité du sujet; mais,

d'autre part, l'art de l'hypnotiseur consiste à provoquer cette suggesti-bilité. Or, chacun sait que cet art ne s'enseigne pas ou. du moins, ne se communique pas. et que les bons hypnotiseurs sont rares, très rares môme. La faculté qui leur est dévolue n'est donc pas étrangère à leur personne. Je crois qu'il serait difficile d'hypnotiser par interprète — bien que je l'aie déjà fait — et, dans tous les cas. qu'il serait impossible au premier venu d'hypnotiser en suivant un formulaire.

A quoi tient donc cette faculté? Peut-être bien à une forme particulière de sensibilité. Quand je suis en présence d'nn malade, je ressens assez vivement sa maladie: s'il souffre, je partage sa souffrance; s'il pleure, je pleure avec lui. Il y a ainsi entre lui et moi une espèce de communion. Cette sympathie, qui est cause qu'en lui parlant, je me parie pour ainsi dire à moi-même, ne fait-elle pas que lui, quand il m'entend, croit entendre ses propres paroles? La compassion n'est-elle pas le secret de ceux qui s'appliquent avec succès au soulagement des maux de leurs semblables? Dans mon volume sur le Magnétisme animal (1), j'ai raconté l'impression que m'a faite la voix chaleureuse, tendre, persuasive du docteur Liébeault.

Si cette manière de voir a du vrai, il s'ensuivrait que le patient hypnotise, de son côté, en quelque sorte l'agent.

J'aurais beaucoup à dire à ce sujet; j'y reviendrai un jour avec plus de développement, j'essaierai de prouver qu'une sensibilité malade ne peut guère être guérie que par une sensibilité, une volonté malade que par une volonté.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOCIE

séance du lundi 19 décembre 1892. — Présidence de M. Dumontpallier

Le procès-verbal do la précédente séance est lu et adopté. M. le Président annonce la présence à la réunion de M. le professeur Brémaud, de Brest, dont il rappelle les travaux sur l'hypnotismc.

M. le Président met aux voix les candidatures de M. le Dr Luys membre de

l'Académie de Médecine, médecin de la Charité; de M. le Dr Mavroukakis, de M. le D' Dariex, directeur des Annales psychiques; de M. le Dr Brémaud, professeur à l'École de Médecine de Brest; de M. le Dr Charles Vie.

Ces candidatures sont adoptées a l'unanimité.

(1) Le Magnétisme animal, à propos d'une visite à l'Êcole de Nancy. — Paris, Félix Alcan; Liège, Descer, 1889

Tremblement choréiforme du membre supérieur droit- — Lypémanie, idées de mort et de suicide- — Guérison par la suggestion hypnotique.

Par M. le Dr Aug. VOISIN, médecin de la Salpêtriere.

La nommée Lég...,trente-quatre ans, est venue me consulter le 7 novembre 1892. Je t'avais déjà, observée en 1838. A cette époque elle était malade depuis l'année 1870, à la suite de l'incendie de sa maison. Elle avait été prise de tremblement choréiforme du membre supérieur droit qui n'avait pas cessé depuis lors.

Il faut dire aussi que cet état morbide avait été précédé d'uu allaitement qui avait duré vingt-doux mois.

De 1876 à 1888, évanouissements, absence de force. Depuis 1881, idées noires qui ont augmenté d'intensité lors de ma première visite en 1888. Elle avait fait une tentative de suicide par submersion dan» te canal Saint-Martin.

Voici quel était son état fin juin 1888 :

Physionomie triste, souffrante. Tremblement choréiforme du membre supérieur droit continu, consistant en petits mouvements rythmés d'élévation de ce membre jour et nuit et comparables au tremblement de La paralysie agitante. Evanouissements fréquents. Idées de suicide constantes. Pleurs. Insomnie ou cauchemars presque continuels. Douleurs dans les deux membres inférieurs ; gène dans la marche. Douleurs dans les mains. Nausée-incessantes. Voix rauque.

Pas d'hérédité.

Elle été traitée antérieurement sans résultat aucun par les bromures à moyennes et hautes doses, par La valériane, par l'hydrothérapie et par des vésicatoires.

« Le seul traitement que j'ai employé, en 1888, a été la suggestion hypnotique. J'ai pu l'endormir à La troisième séance au moyen du prisme et de la suggestion. Dès te premier sommeil provoqué, je lui ai suggéré de ne plus avoir d'idées noires, ni d'idées de suicide.

Dans une deuxième séance (dix jours après), mes suggestion* ont porté sur le tremblement, sur les douleurs du membre, sur les évanouissements et sur la céphalée.

Le tremblement seul u'a pas cessé de suite, il a fallu trois autres séances: mais eu août, la malade ne conservait de son affection très compliquée que de la faiblesse et un peu de mal de tète au réveil.

La guérison se maintint sans nouveau traitement jusqu'au 7 novembre 1892, époque à Laquelle elle a été reprise d'évanouissements, d'idées noires et de suicide, de douleurs et du même tremblemment très intense et continu du membre supérieur droit à la suite d'un très grand chagrin.

Elle est revenue me consulter le 7 novembre 1892. Je l'ai hypnotisée de nouveau au moyeu du prisme ; le premier sommeil provoqué, j'ai pu par

suggestion faire disparaître le tremblement, les idées noires, les évanouissements et les douleurs des membres.

9 novembre. Pas de tremblement, pas d'évanouissements. Pas d'idées noires.

Il existe de la douleur précardiaque et des palpitations. La suggestion hypnotique s'adresse aux phénomènes décrits cl à ces troubles cardiaques. 16. Bien. Hypnose.

23. A. eu un peu de tremblement cette nuit. Pour le reste, bien. Suggestion hypnotique.

Le traitement continuera à des intervalles de plus en plus éloignés.

En résumé, celle malade était atteinte, depuis dix-huit ans, de tremblement choréiforme lorsque je l'ai vue pour la première fois, en 1888, et cet état s'était récemment compliqué de troubles mentaux graves, consistant en mélancolie, idées délirantes tristes, en tentative de suicide, et d'évanouissements et de phénomènes divers très pénibles.

De nombreux traitements étaient restés sans succès. J'employai la suggestion hypnolique et après trois ou quatre séances, je pus faire disparaitre le tremblement et tous les autres phénomènes morbides.

Une rechute survenue par cause morale quatre ans après, c'est-à-dire ces jours-ci, fut traitée de mème avec succès en deux séances.

Aucun médicament, aucun traitement n'a été donné.

Cette malade présente cette particularité que l'application de l'hypnoscope â l'index gauche en détermine l'insensibilité.

Dans ce cas, il m'a paru que la cause de ce tremblement résidait dans la partie de la circonvolution frontale ascendanle gauche, siège de la fonction motrice du membre supérieur droit et que des troubles de circulation et de fonctionnement avaient provoqué â leur suite des phénomènes mentaux lypenisniaques.

Il est intéressant que la suggestion hypnotique ait pu modifier el guérir ces troubles de circulation et psycho-moteurs.

Sur la scoliose hystérique,

Par M. le Dr Charles VIC.

- Je voudrais entretenir la Société d'hypnoIogîe et de psychologie de certaines formes de contracture hystérique dont j'ai fait le sujet de ma thèse inaugurale. Je veux parler de la scoliose hystérique, c'est-à-dire de la déviation latérale droite ou gauche de la colonne vertébrale due à la contracture des muscles du rachis agissant dans le sens de l'inclinaison latérale.

C'est pendant mon externat chez M. le professeur Lannelongue que j'ai eu l'occasion d'observer ces faits de scoliose spéciale. Le diagnostic de l'un d'eux a été fait par le maître lui-mémo. C'est sur sa haute autorité que je

m'appuie pour rapporter les faits suivants. Voici le résumé très bref des deux observations qui Tonnent le fond de ma thèse.

Il s'agit de deux jeunes filles : Berthe R..., âgée de onze ans, et Albertine V..., âgée de douze ans et demi; l'une et l'autre sont des enfants très bien conformées pour leur âge, très intelligentes et légèrement sournoises : on est frappé quand on les interroge de la décision de leurs réponses.

Les antécédents héréditaires, au point de vue nerveux, n'ont rien de bien précis chez la première.

Chez la seconde, la mère est sujette à des attaques d'hystérie : et, il y a un point très intéressant à noter dans l'histoire de celte mère, c'est le souvenir d'une scoliose qui survint tout d'un coup quand elle était jeune fille cl qui disparut très peu de temps après, avec la même rapidité. C'est là un fait d'hérédité directe qui, il me semble, plaide très fort en faveur du diagnostic déjà posé : n'est-ce pas en effet en hystérie que l'influence, soit directe, soit transformée, de l'hérédité est incontestable et incontestée?

Dans les antécédents personnels des deux enfants, rien à noter de saill-lant : au point de vue spécial de l'hystérie, on ne trouve aucun des stigmates définis. Et cela est encore la règle, car vous n'ignorez pas que la contracture est souvent la première manifestation — le premier stigmate révélateur de l'hystérie. L'hérédité provoque chez ces jeunes êtres l'hystérie qui couve sous la forme d'une virtualité, dirait-on, en philosophie : les jeunes filles prédisposées sont dans ce que la Salpètrière nomme étal d'opportunité de contraction, ce que MM. Brissaud et Ch. Richet appellent étal d'imminence de contracture ; Charcol l'a qualifié diathèse de contracture, terme qui prévaut aujourd'hui.

Les attaques convulsives, les émotions, les états morbides sont des causes ordinaires des contractures. Ici, c'est surtout le traumatisme qui en agissant sur la masse sacro-lombaire provoque la scoliose, la déviation latérale.

En effet, chez l'une, c'est une chute sur le flanc dans un escalier humide.

Chez l'autre, c'est une chute sur les bords d'un seau d'eau qu'elle portait à bout de bras, avec lequel elle a trébuché, qui l'a entraînée par son poids ; c'est encore l'hypocondre qui est contusionné.

Le lendemain de l'accident, au dire de la mère, le côté droit sur lequel. Berthe R... est tombée, est très gonflé; de plus, la mère s'aperçoit que sa fille est toute penchée sur le côté.

On la conduisit au dispensaire Purlado-Heine, puis chez M. de Saint-Germain, aux Enfants-Malades. On porte le diagnostic de scoliose vulgaire. M. de Saint-Germain affirme même que la déviation doit dater de l'enfance. C'est alors qu'elle est amenée A l'hôpital Trousseau.

On constate, en effet, par les photographies de la maiade, l'attitude spéciale et bien caractéristique de ta scoliose vulgaire. Mais ce qui frappe surtout à la vue de l'enfant, outre la difformité, c'est la raideur qui domine, qui semble l'avoir envahie tout entière. Elle marche avec beaucoup d'appréhension et tient ses jambes fléchies sur ses cuisses, et les cuisses fléchies

sur le bassin. La confusion, cettes, était facile, avec les différentes variétés de scoliose.

Mais, devant les dénégations de la mère assurant que sa fille n'avait jamais rien eu de semblable, un procède à nu examen détaillé et l'on constate au palper dans l'hypocondre droit celle raideur que la vue avait fait pressentir. L'anesthésie complète sous chloroforme est pratiquée et l'on arriva ainsi à uu redressement complet du rachis. Au réveil, la guerison se maintint quelques heures durant, mais, les douches et la suggestion a l'état de veille par de continuelles recommandations : « Allons, tiens-loi droite, » suffisent à la redresser définitivement quinze jours après.

Elle quitte l'hôpital. Deux mois se passent, et un matin elle revient avec les mêmes symptômes de scoliose, peut-être plus accentués : on recommença les douches et les observations sur un ton impérieux ; huit jours après, elle sortait absolument droite et depuis, il y a deux ans, la guérison s'est maintenue.

La jeune Albertine V..., dont l'observai ion plus récente m'est absolument personnelle, n'est atteinte de scoliose qu'un mois après sa chute (le 10 octobre 1892) et cela, dans des circonstances assez curieuses.

Elle avait été placée comme bonne d'enfant chez un cocher, à la Villelle : elle promenait sur ses bras de douze ans, un bébé de sept mois : poids bien lourd, comme vous le pensez, pour une enfanl de cet age.

Le sixième jour de ses précoces fonctions elle se réveille toute penchée sur le coté droit, précisément du côté sur lequel elle était tombée un mois auparavant. La veille, cependant, elle avait déjà ressenti une grande fatigue ei uu profond engourdissement dans tout ce liane.

Les parents effrayés amènent l'enfant a Trousseau : d'après ce début brusque et ces symptômes analogues à ceux de l'observation précédente, on porte le diagnostic de scoliose hystérique.

En effet, cinq jours après de douches, de bromure et de recommanda lions impérieuses, il n'y paraissait plus rien. La difformité était partie comme elle était venue.

Il me semble qu'il y a un réel intérêt à signaler ces faits : ils pourront éviter des erreurs pénibles surtout au point de vue du traitement. Car, ce ne sont pas des cas de cordose et de cyphose, des bossus, eu un mot : uon, ce sont de vériubles scoliatiques, des types très nets de déviation latérale du rachis qui prètent facilement a des confusions et qui partout doivent garder une place à part dans l'histoire si discutée des scolioses.

Ce sont la aussi des phénomènes évidents de contractures hystéro-trau-matiques. El à ce litre, je les crois justiciables du traitement hypnotique. On ne peut nier aujourd'hui les merveilleux résultats de l'hypnothérapie sur le redressement moral des enfants. M. Dumontpallier, dans la dernière séance, en rapportait des faits absolument eoncluauls. Il s'agira ici, il est vrai, de redressement physique, main, entendons-nous, redressement physique particulier, d'origine nerveuse qui, par conséquent, dépendra encore du moral.

Rupture du périnée complète datant de quelques années. Maladie organique du cœur défendant l'emploi du chlorolorme pour provoquer l'anesthésie. — Opération radicale et sans douleurs notables, sous 1 influence de la suggestion sans sommeil.

Par le D- A. W. VAS RENTERGHEM (d'Amsterdam).

11 est de notoriété générale que la suggestion peut avantageusement rem-placer le chloroforme. Souvent on a tait appel i ses services pour atténuer et même supprimer complètement les douleurs de l'enfantement et pour pratiquer des opérations chirurgicales plus ou moins graves.

Dans tout les cas publiés venus à ma connaissance, l'opérateur fut assez heureux de pouvoir mettre sou malade en sommeil profond ou eu somnam-bulisme, c'est-à-dire dans un état allant de pair avec l'anaigésie complète et dans lequel les douleurs peuvent facilement être supprimées par la suggestion.

Beaucoup de personnes cependant, sinon la majorité d'elles, ne jouissent pas de cet avantage et, quoique hypnotisables, elles n'arrivent pas au degré de sommeil voulu.

Est-ce que pour celles-ci la suggestion ne pourrait rien ? Seraient-elles forcément privées des avantages indéniables d'une analgésie suggérée? Nous ne le pensons pas.

L'aptitude à accepter une suggestion d'abord, à La réaliser ensuite, varie beaucoup et dépend souvent des circonstances, mais surtout de l'individualité. Or, tel sujet réalise parfaitement la suggestion du sommeil qui se montre réfractaire à une suggestion de sensibilité ou de motilité ; tel autre n'accepte pas l'idée suggérée de sommeil, alors que cependant ses membres se raidissent ou sont frappés d'anesthésie par simple injonction verbale. Convenons, toutefois, que généralement nous réussirons plutôt à suggérer l'analgésie à un dormeur profond qu'à une personne en eut de veille ou simplement somnolente. Dans le dernier cas, le succès ne s'obtient que grâce à un grand talent de persuasion, à une application sans répit, au tact de l'opérateur dont le rôle implique alors de mater la suggestion contraire du sujet et d'engourdir son contrôle cérébral, afin de lui faire agréer sa suggestion à lui. Il devra savoir exploiter la crédulité naturelle du sujet, ou bien encore faire appel à son amour-propre, à sa vanité. C'est au médecin de trouver le défaut dans la cuirasse du malade, de bien entrer dans sa peau, de savoir tirer parti enfin des moindres circonstances favorables pour lui faire accepter ses idées.

L'observation suivante est instructive dans ce sens qu'elle nous apprend que, même chez une personne soi-disant non hypnotisable, c'est-à-dire chez Laquelle la suggestion de sommeil ce se réalise pas, la suggestion d'analgésie relative peut être acceptée. Dan* le cas présent, La suggestion a su remplacer le chloroforme et a permis de soumettre une [«entonne à une opération prolongée et des plus douloureuses, sans que celle-ci ail notablement souffert.

Nous insistons à être bien compris, c'est-à-dire que le succès obtenu dans ce cas ne nous porte pas à condamner le chloroforme et qu'il est loin de notre pensée de vouloir substituer eu chirurgie la suggestion à cet anesthésique puissant.

Nous nous bornons simplement à appeler l'attention de nos confrères sur les services que la méthode suggestive peut rendre dans un cas approprié.

Le 7 mars 1892, M. N.... accompagné de sa dame, vint à ma consultation. Mme N... a trente-quatre ans et jouit apperamment d'une excellente santé, elle tend un peu à l'obésité. Elle est mère de quatre enfants. Depuis son dernier accouchement, datant de quelques années déjà, elle est très incommodée d'une déchirure complète du périnée. Elle a consulte à ce sujet le Dr M. de L..., gynécologue renommé de celte ville, qui lui a donné l'avis de se soumettre à une opération douloureuse mais radicale.

Mme N.... se sachant très sensible à la douleur, objecte que, l'opération étant si douloureuse, elle ne pourra pas se faire opérer, vu que son médecin qui l'a soigné jadis pour une affection du cœur lui a dit qu'une narcotisation par le chloroforme lui pourrait être fatale.

Un examen institué par le DrM. de L... cl par un professeur de la Faculté constate en effet une affection organique du cœur en état de compensation. Aussi dut-on répondre par l'affirmative à une demande catégorique posée par le mari : La chloroformisation peut-elle exposer dans le cas donné à des accidents funestes? il. N... s'informa alors s'il n'y avait pas d'autres procédés pour obtenir l'analgésie; on discuta une méthode d'anesthésie réeemmeunt introduite en chirurgie par un docteur de Berlin, savoir : des piqûres multiples endermiques faites, toute l'opération durant, au fur et à mesure du besoin et permettant d'introduire des doses minimales d'une solution très faible de cocaïne. L'analgésie ainsi obtenue exclurait tout accident et aurait permis de faire sans douleurs des opérations graves, telles que l'ablation des seins.

On ne s'y arrêta pas craignant autant la cocaïne que le chloroforme. Enfin, on discuta l'anesthésie locale par réfrigération et on convint que celle-ci ne pourrait entrer on ligue de compte que pour permettre de pratiquer une première incision du tégument cutané sans douleurs. Ou se préparait à abandonner toute idée d'opération lorsque le Dr Mendez de Leon, se rappelant quelques faits d'aneathésie chirurgicale obtenus par suggestion, pria M. et Mme N... d'aller demander mon avis.

Attendu que dans ce cas la méthode suggestive constitua la dernière ressource, j'opinai bravement que l'hypnotisme lui réussirait.

Je priai la malade de venir me voir chaque jour à la même heure et je lui assurai que mes suggestions réitérées produiraient après un certain temps l'analgésie désirée.

Autant qu'elle craignait la douleur, autant M" N... désirait être débarrassée de son infirmité Aussi son assiduité à se faire hypnotiser était-elle exemplaire. Cepeudant malgré sa bonne volouté le sommeil ne vint pas. Je

ne parvins a procurer à ma malade qu'une légère béatitude, qu'un étal de somnolence tout au plus. Prévoyant que cet eut de choses pût ralarmer, j'eus soin dès le début, de lui suggérer que le sommeil n'était pas nécessaire, qu'un eut de somnolence suffirait à la réalisation de me» suggestions d'analgésie. J'appuyai mon assertion en lui faisant, pendant la séance, des piqûres au bras avec une aiguille ; piqûres qu'elle s'imagina sentir beaucoup moins qu'à l'étal de veille complet. Puis, je frappai sou imagination en pratiquant l'extraction d'une dent sur une dame à l'étal de veille. Celle-ci était une personne que j'avais maintes fois endormie et qui était très suggestible.

Je fis appel à son amour-propre, je lui répétai sans cesse que sa volonté à vaincre la douleur et i ne la pas sentir s'accrut à chaque séance, je lui promis d'assister à l'opération, que tout le temps durant je lui continuerais mes suggestions, enfin je lui assurai que j'étais parfaitement sur du fait, qu'elle se tiendrait à merveille et qu'elle ne souffrirait presque pas. , J'avertis alors mon collègue, le docteur M. de L.... de la disposition de la malade et celui-ci fixa la date l'opération au 24 avril suivant. Le 21 de ce mois Mme N... enlra dans la clinique gynécologique où je continuai à lui donuer sa séance chaque soir. La nuit du 23 au 24 avril fut excellente ; Mme N... dormit d'un excellent sommeil ; elle donna fort peu de signes d'agiu-tion lorsque je la vis un moment avant d'entrer dans la salle des opérations.

L'opération commença à dix heures environ et fut terminée a onze heures moins le quart. La première incision du tégument cutané fut précédée d'une application de chlorure d'aethyle; après on s'abstint absolument de l'emploi d'anesthésiques.

Tout le temps que dura l'opération ma main gauche reposait sur le fioul de ta malade lui fermant doucement les yeux, ma droite tenait ses deux mains et je ne discontinuai pas à raffermir sa volonté, à vanter sou courage, à lui persuader qu'elle ne sentait presque pas la douleur. Mme N... se tint admirablement bien, elle ne fit pas le moindre mouvement, ne poussa pas un seul cri et l'opération faite elle m'assura avoir en effet très peu souffert.

A trois semaines de là. la malade quitta la clinique, parfaitement guérie ; l'opération plastique ayant eu un succès complet.

VARIÉTÉS

Lourdes. — Psychologie pathologique ; impressions

diverses.

L'étude faite récemment de ce pays par un grand écrivain a vivement réveillé l'attention sur cette pieuse station d'été. Je n'ai pu résister au désir de voir à mon tour ce lieu si fertile en miracles. Après y avoir passé quelques heures, je l'ai quitté en regrettant de n'avoir pas pu y séjourner plus longtemps, tellement j'ai été frappé par tout ce que j'y ai observé.

J'avouerai tout de suite qu'en descendant du chemin de fer. j'éprouvai une désillusion cruelle : deux ou trois mendiants en guenilles exhibent l'un ses plaies, 1 autre ses infirmités, implorant d'une voix lamentable la compassion des passants- Ce spectacle assez répugnant par lui-même est, d'autre part, peu fait pour encourager les innombrables pèlerins venant demander leur guérison à la divinité du lieu. L'administration locale ne devrait pas souffrir ces choses-là! Je demandai à l'un de ces mendiants particulièrement affligé pourquoi il n'allait pas consulter, lui aussi, la si puissante vierge de Lourdes, et je n'eu pus tirer que des paroles incohérentes. Ou a dû si souvent lui poser celte question qu'il eu est probablement devenu idiot.

Au fur et à mesure que l'on descend dans le pays, on est frappé par l'animation qui y règne. On se croirait tombé au beau milieu d'une foire campagnarde. Tout ce monde s'agite, crie; les marchands hèlent les passants. On ne voit qu'hôtels de tous ordres, surtout très modestes, des pensions, et une foule de boutiques et de bazars, où l'article à treize est remplacé par des objets de piété tels que chapelets énormes, scapulaircs, croix, médailles, etc.

Mais voici la place qui conduit à l'église! On a sous les yeux le spectacle d'une fourmilière, tellement celte foule est active et affairée.

Quand on n'est point prévenu, et je ne l'étais pas, ce qui frappe tout d'abord, c'est le nombre considérable de bidons, de bouteilles, de récipients de toutes sortes que portent les pèlerins. Ils vont à la source sacrée les remplir de l'eau de Lourdes, dont les propriétés thérapeutiques et miraculeuses sont bien connues par tous les spécialistes eu celte matière. Les plus riches ont les plus grands bidons, et l'on rapporte le précieux liquide sur commission aux amis qui n'ont pu faire le pèlerinage- Je no pus m'empècher de songer, en voyant tout cela, à ces pauvres missionnaires, riches de foi el d'énergie, qui se fout tuer pour ramener à l'orthodoxie des sauvages portant des amulettes et adorant des divinités en bois mal sculpté ! L'humanité, du haut eu bas, ne vit que d'illusions!

La foule se compose en majorité de femmes, paysannes pauvres ou d'accoutrement modeste, listées par le soleil, flétries par le travail quotidien. Il y a bien aussi des paysans, mais en plus petit nombre et ayant également cette attitude harassée et un peu abrutie des hommes de la terre, Ça et la, ou voit aussi de pauvres prêtres dont la soutane râpée et décolorée accuse la misère et dont la mine humble et ahurie contraste violemment avec la superbe assurance des prêtres du lieu.

Quand j'arrive devant la piscine, je vois, prosternés et les bras en croix, une foule de pèlerins. Un prêtre de haute encolure, grand, robuste, le teint fleuri, la voix forte, domine toute cette foule. Il récite une invocal ion à la Vierge avec celte voix chantante spéciale qui est en quelque sorte la musique de ces psalmodies. Des sous-ordres, séminaristes ou diacres, faisant comme lui face à la foule agenouillée, les bras en croix, semblables à des chefs d'or-chestre, enlèvent d'un vigoureux mouvement d'épaules les répons des fidèles. Ce bourdonnement puissant contient tous les harmoniques, dont

la fusion donne un charme et une action spéciale à celle mélopée ci particulière.

L'effet est considérable, irrésistible même. Ou sent que plane sur cette foule un de ces grands courants dont nous ne connaissons point la nature, vibrant à travers tous ces organismes et n'en faisant en quelque sorte qu'un seul et même individu susceptible d'éprouver au même moment toutes les impressions, toutes les orientations qu'un fait accidentel ou une volonté énergique pourra leur imprimer. Malgré moi, la belle scène de l'église écrite par Guy de Maupassant dans la Maison Tellier, me revenait à l'esprit en considérant celte foule dominée, émue, tremblante (1).

Il faut aussi reconnaître que les pèlerins sont dans des conditions physiques spéciales. Ils ont voyagé de longues heures, pressés dans des wagons surchauffés, souvent même ils y ont passé une ou plusieurs nuits. Que de récits ils ont échangé sur les guérisons miraculeuses qu'on leur a racontées, gué-risons qu'ilssont sûrs de voir se reproduire sous leurs yeux : au moius ils eu sont convaincus ! Leur esprit est tout entier tendu vers ce spectacle que les imaginations les plus ardentes, les plus exaltées osent à peine entrevoir et dont la réalistion va s'opérer tout a l'heure en plein soleil et devant eux !

Mais ils savent que, pour l'accomplissement de tels prodiges, il faut une foi ardente, sans arrière-pensée, el ils s'exaltent de façon à obtenir, les uns leur guérison, les autres à contempler cette preuve de la puissance divine : le miracle, en un mot, défi jeté A la faiblesse de la raison humaine, renversant et confondant toutes les lois sous lesquelles vil notre monde physique. Ces idées passent sans doute confusément dans l'esprit de ces êtres simples

(1) Nous empruntons les réflexions suivantes à un écrivain des plus distingués. M. le Dr Cabanes, qui a publié dans le Journal de Médecine de Paris uu article très intéressant sur les crimes de la foule :

Comment s'expliquer cette action commune d'une foule composée d'éléments hétérogènes, ets'organisiint cependant d'une façon soudaine, comme si un moteur puissant la incitait tout ù coup en branle?

Une note unique, une voix — vox popoli, vo? Dei — la voix du peuple souverain, du peuple dieu, domine dans un concert d'imprécations dissonnantes. Toutes les personnalités se fondent en une seule, semblant obéir à un mot d'ordre.

« Une foule, a excellement écrit M. Tarde, est un ramassis d'éléments hétérogènes' inconnus les uns aux autres ; pourtant, dés qu'une étincelle de passion jaillit de l'un d'eux, électrise ce péle-mele, il s'y produit nnc sorte d'organisation subite, de génération spontanée. Cette incohérence devient cohésion, ce bruit devient voix, cl ce millier d'hommes presses ne forme bientôt plus qu'une seule et unique bète, un fauve innommé et monstrueux, qui marche à son but avec une finalité irrésistible-.. Tel qui était accouru précisément pour s'opposer au meurtre d'un innocent, est des premiers saisis par la contagion homicide, et qui plus est. n'a pas l'idée de s'en étonner. »

La plupart viennent par curiosité, par badauderie. par esprit d'imitation. Et c'est bien aussi par imitation, croyons-nous, pour notre part, que les gens d'humeur paisible à leur ordinaire se laissent gagner par ce délire contagieux qui les transforme subitement en moutons enragés.

N'est-ce pas l'imitation qui, dans les réunions publiques, nous invite à hurler avec les loups -, c'est-a-dire à nous ranger à l'avis de l'orateur le plus bruyant ? N'est-ce pas l'imitation qui fait déchaîner une bordée de sifflets ou une salve d'applaudissements dans les salles de spectacle?

N'est-ce pas l'imitation qui, dans les assemblées légiférantes, conduit des hommes, d'esprit pondéré et ?éfléchfi, quand on les prend individuellement, aux notions les plus inattendues ou les plus contradictoires ?

Mais outre cette imitation, ne se passe-t-il pas, en pareil cas, un phénomène de sug-

et ils s'y abandonnent sans résistance. On conçoit à quel degré d'impression-nabililé peut arriver une foule aussi surchauffée, dans laquelle domine l'élément féminin.

Tout à coup des cris éclatent. C'est une hystérique vaincue par ces impressions multiples. Immédiatent la foule, croyant à quelque manifestation miraculeuse, se met à onduler, à s'agiter. On dirait des épis d'un champ de blé courbés par un vent d'orage. Toutes ces femmes haletantes, effrayées, sont prétes à défaillir, elles aussi. Allons-nous avoir une série d'attaques d'hystérie ? Mais-non; l'habile et puissant metteur en scène qui maîtrise cette foule fait enlever la femme hystérique, et tout rentre bientôt dans le calme. Cette mesure d'ordre a été rapidement prise par des gens bien stylés, supérieurement conduits.

La foule s'est amassée, on se pousse, on se bouscoule pour voir le miracle. Parmi les pèlerins, en effet, il y a beaucoup de curieux et de touristes à bon marché. « Ou'y a-t-il ? » répète-t-on; les interrogations se croisent. Les sous-ordres ou les sous-régisseurs, si on le préfère, vont, viennent et rassurent la foule. L'un d'eux, sur la figure duquel on lisait je ne sais quelle bêtise exallée, répétait à tout venant : « C'est une fausse émeute! » Etait-ce une formule, un mort d'ordre, une définition? J'avoue n'avoir pas bien saisi, et les pêlerins, complètement ahuris par ces mots qu'ils ne comprenaient pas, se répétaient cette phrase l'un à l'autre d'un air entendu et satisfait. N'étaient-ils pas la dans le pays des merveilles, des choses extraordinaires, inexplicables? A quoi bon chercher à comprendre? C'était une fausse émeute !

Ces gens sont du reste dans un tel état de surexcitation nerveuse que le moindre bruit les agile, qu'ils crient au miracle et se précipitent, comme une avalanche humaine, vers le théâtre supposé du prodige. Cet empressement

gestion inconsciente, de suggestion à l'état de veille! Le problème, comme on le volt, se complique. S'est-il pas évident, comme nous le laisse entendre SI. Slghele, le crimi-naliste italien qui a étudié avec beaucoup de soin la psycho-physiologie de la foule, que « même au milieu d'une multitude, le cri d'un seul individu, la parole d'un orateur, l'acte de quelque audacieux, exerce une suggestion sur tous ceux qui entendent ce cri ou cette parole, ou qui votent cet acte, et les conduit comme un troupeau docile, même à de mauvaises actions ».

Alors, d'après celte théorie, l'homme deviendrait assassin parce qu'il voit tuer!

Evidemment, celte conclusion serait excessive. Il est plus naturel de penser qu'il faut que le terrain soit prédisposé. Le plus souvent, l'homme que protège son éducation native s'arrête aux contins de l'homicide. Ceux qui deviennent criminels ont déjà des tares héréditaires. Cest l'opinion qne vient récemment de développer au Congrès de Bruxelles le Dr P. Garnier. Pour le D" P. Carnier, les crimes des foules seraient exclusivement dus à l'action prépondérante des aliénés ignorés et des alcooliques qui s'y trouvent mêlés.

Tel n'est pas l'avis d'un médecin russe qui a observé de près les troubles d'Astrakan. Selon M. Dektereff, il n'y a pas de chef dans les foules criminelles; les éthyliques, pas plus que les déments, nentraJoent les masses. C'est une sorte de délire brutal, presque inexplicable. Dans une émeute, il y a. croyons-nous, en dernière analyse, ;ux éléments qui apisient : les uns, les entraîneurs, sont à l'avant; les autres, les passifs, suivent le plus souvent le courant inconsciemment, par suggestion épidé-démique; d'antres fois, de crainte de se laisser déborder par le flot montant, la vague humaine qui déferle. En plus de cela, il y a celte griserie qui gagne les cerveaux les mieux équilibrés quand ils ont en mains la toute-puissance.

C'est, comme l'a écrit Taine, . un vin trop fort pour la nature humaine; le vertige vient, l'homme voit rouge el son délire s'achève par la férocité... »

est inspiré autant par une curiosilé exaspérée par des récits merveilleux que par des sentiments religieux profonds.

Bien que les miracles soient des plus fréquents à Lourdes, m'a-t-on dit, je n'ai guère été favorisé. Toutefois, j'ai failli eu voir uu, mais, suivant l'expression d'un de mes voisins, prêtre local sans doute, le miracle était incomplet.

Celte imperfection m'a surpris et choqué. Je m'étais figuré que la toute-puissance qui opère à Lourdes ne pouvait se manifester que par des œuvres complètes, sinon parfaites, mais il parait que je me suis trompé. J'aurais mauvaise grâce à me montrer plus difficile que les spécialistes.

Donc, tout à coup la foule se précipite vers une piscine où, parait-il, vient de s'opérer une guérison miraculeuse. Bien placé pour voir, j'étais fort intéressé, vous pouvez le croire. Les cris : « Un miracle ! un miracle! » retentissaient. La foule des pèlerins se bousculait, heurtant bidons et bouteilles. La porte s'ouvre, l'anxiété des spectateurs est au comble. J'ai observé a ce moment des femmes absolument sidérées par une sorte de terreur religieuse, pâles et tremblantes à tomber. Je vis apparaître une jeune sœur, l'œil brillant, le sourire aux lèvres, tenant de chaque main une béquille désormais inutile et ayant dans son attitude quelque chose de la danseuse qui vient saluer un public idolâtre. Ses gestes voulaient dire : « Je suis guérie; ce n'est pas plus difficile que cela! » En effet, suivie par une foule énorme, elle se dirige vers la grotte pour aller remercier la divinité du lieu. Mais ses forces la trahissent chemin faisant, et elle est obligée de reprendre ses béquilles. Je la vis repasser quelques instants après, traînée dans une voiture, pâle et affaissée.

Je soupçonne cette infortunée d'avoir voulu collaborer avec la dispensatrice des miracles, afin de réchauffer le zèle des fidèles, et d'avoir fait tout cela de très bonne foi. La foule était, je dois l'avouer, horriblement désappointée. Les prêtres allaient de groupe en groupe, exhortant les pèlerins à la prière et à la foi, sources inépuisables de miracles. « Il y avait bien eu miracle, disaient-ils, mais il était incomplet ! * Hélas ! rien n'est donc parfait, même au paradis ?

Puis, je vis un lamentable défilé de malades, de mourants même, spectacle peu engageant et peu réconfortant. 11 y avait certainement là des gens dont les jours étaient comptés, et il est permis de se demander si l'hydrothérapie, même sacrée, était bien indiquée?

(A suivre.)

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

La Société d'hypnologie se réunira le lundi 20 février, à quatre heures et demie précises, au palais des Sociétés savantes, 28. rue Serpente, sous la présidence de M. le Dr Dumontpallier :

1° Lectures et communications diverse? :

2° Présentation de malades.

3° Vole sur l'admission de nouveaux membres.

Adresser les communications à M. le Dr Bérillon. secrétaire général, me de Rivoli, 40 bis.

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Institut Psycho-Physiologique de Paris. 19, rue Saint-André-de-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronnage de savants et de professeur autorisés est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psycho-physiologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardi', jeudis et samedis, de dix heures à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Pendant le semestre d'hiver 1892-93, des leçons théoriques et pratiques sont faites le samedi, à dix heures et demie, par MM. les Drs Hérillon et O. Jennings.

Le Musée psychologique du professeur Mantegazza.

Dans une séance de la Société italienne d'anthropologie, tenue le 28 novembre 1886, le professeur Paolo Mantegazza, président, avait présenté le projet d'un Musée psychologique.

« Je croîs disait-il, qu'en dehors do toutes les collections faites ici pour illus-b trer la pensée, les passions et toutes les formes de l'activité cérébrale de

« l'homme, il en est encore une à faire, répondant à un besoin de notre temps,

« à la direction tout expérimentale et d'observation de la psychologie moderne. « Le Musée psychologique, tel que je le conçois, devrait recueillir tous les

« documents qui ont illustré Ics passions humaines, à l'exception de l'élément

« ethnique. Dans les musées d'ethnographie, nous avons devant les yeux les « minifestations do la pensée, des arts, des industries de tous les peuples de la « terre; dans le Musèe de psychologie, nous verrions les faits qui ont illustré « les variations individuelles des diverses attitudes psychiques. Il est certain

« qu'il s'agit plus d'une question de méthode dans l'ordonner des objets que

« d'une diversité d'objets à recueillir; mais, dans la science, les questions de

« méthode sont aussi importantes que les questions de fait...

« Il serait .intéressant d'avoir un Musée d'ethnographie, disposé suivant l'ordre «. psychique. et non dans l'ordre ethnologique. Cette tentative a été faite, mais

« l'antre méthode est plus commode et plus facile à comprendre.

« Pourtant, il est une foule d'objets qui échappent à la classification géogra-

« phique et éthnique, et que Je voudrai* cette année recueillir dans une vitrine, « qui sérait comme la première pierre d'un futur Musée de pathologie.

« Tels font les objets que je vous présents aujourd'hui : voici un calice, un « poignard corse, un collier de femme des Andes fait avec les os de son enfant « et la mâchoire d'un autre entant, porté en guise de bracelet par une femme c de la Nouvelle-Guinée.

« Tous les départements de mon Musée psychologique devraient illustrer aussi « on sentiment humain. Dans celui de l'amour, vous devriez trouver les désirs c de l'amour, les instruments pour défendre la pudeur des femmes et assurer la « chasteté. les engins malthusianistes et ceux de la luxure, etc.

• Dans le département de l'orgueil, on verrait les insignes du pouvoir on « des hiérarchies sociales, les décorations. Dans celui des sentiments religieux. * le* amulettes, les Idoles, tous les objets des divers colles. Et ainsi de suite s.

Aujourd'hui, le Musée psychologique du professeur Mantegazza est réalisé: ce n'est plu* seulement une vitrine, mais trois belles salles artistement disposées, qui sont annexées au riche Musée d'anthropologie et d'ethnologie de Florence.

Quant aux objets destinés à prendre place dans ce Musée, il faut d'abord s'entendre sur le sens du mot psychique.

Il est certain que, prise dans son acception la plus étendue, toute chose humaine est un produit psychologique, avant toujours en partie relation avec la vie psy-cbique, qui ne peut se séparer de la vie végétale : mais, si nous délimitons plus strictement et plus nettement le champ d'observation, nous pouvons nous occuper seulement des objets qui sont produits purement psychologiques, n'étant pas choses de nécessite matérielle, c'est-à-dire dans lesquelles le coté psychique est tellement au détriment da côté utilitaire matériel, que celui-ci vient pour ainsi dire à manquer, on pis à être interverti, et en même temps laissons de côté le* objets de nécessité, pour ainsi dire utilitaires, dan* lesquels le côté psychologique n'entre qu'autant qu'il est indispensable, nécessaire à tout acte de l'homme.

Prenons un exemple : les vêtements ont une certaine forme, sont décorés de façons diver et par effets de faits psychiques divers; ils sont cependant le produit direct d'une nécessite matérielle, celle de préserver le corps des intempéries. Comme tels, les vêtements se rapportent aux musées ethnologique*.

Il en est aussi qui ne répondent que très peu au but de protection, mai* qui satisfont uniquement A un concept psychique d'esthétique de goût ou de vanité. et qui se rapportent au Musée psychologique. Tels sot., par exemple, les innombrables modèles de tournuress qui ont été faits pour donner à certaines parties du corps de la femme on profit favorable a certains de no* désirs psychique* qui, portés à l'excès, ont eu pour effet la construction d'engins monstrueux et d'un goût esthétique maladif.

Voila done trouvés les éléments pour le nouveau musées. Actuellement, le professeur Montegazza a réuni les objets qu'il avait recueillis en plusieurs groupes, dans lesquels nous énumérerons rapidement les plus intéressants.

Dan* le groupe de la vanité : les tournures, les chaussures, les peignes de dimensions colossales et de formes étranges, etc.

Dans le departements des sentiments divers : le sentiment patriotique est représenté par le premier drapeau incolore italien, don de Napoléon Bonaparte à un régiment de la République Cisalpine. La manie des collections. — boites d'allumettes, tabatières. — on fragment du trône de Charles X. Le sentiment de la propriété est synthétisé par une collection très variée de clefs et de serrares à secret.

La cruauté nous fait voir tout un arsenal d'instruments de torture : poire d'angoisses, casse-tête, une canne-fusil qui servil a tuer un grand nombre d'Autri-

chiens pendant la guerre de l'Indépendance italienne, on poignard corse qui servit pendant cinq générations a la vendetta des Casablanca contre les Casanova.

Dans la collection religieuse : médailles, médailles, rosaires ciliées, amulettes, talismans, série complète du tatouage de la sainte maison de Lorette. Une petite chambre, fermés au public vulgaire, est réservée à la luxure-La collection d'autographes est une des plus curieuses du Musée, entre autres trois lettres de Napoléon III député, président, empereur. Puis viennent une foule d'objets non encore classés et non moins intéressants. Nous avons été guidé dans notre visite par M. Ehrenfreund, le brillant élève du professeur Montegazza, auquel nous devons aussi les détails complémentaires qui précèdent, et que nous sommes heureux de remercier encore une fois de l'accueil si couriois qui nous a été fait à Florence.

L'amour lesbien.

À la Société de psychiatrie de Berlin, dans une discussion sur un cas médico-légal d'inversion du sens génital, M. Senator a posé la question suivante :

« La loi défend-elle l'accouplement des femmes entre elles ? »

A quoi M. Lewin a répondu que la loi défend la sodomie et la pédérastie, mais point l'amour lesbien.

Il en est de même, croyons-nous, en France. Il serait intéressant de savoir d'un légiste les raisons de celte indulgence pour le sexe féminin.

REVUE BIBLIOGRAPHIQUE

La thérapeutique suggestive et ses applications aux maladies nerveuses et mentales, a la chirurgie, à l'obstétrique et a la pédagogie, par le Dr A. Cullerre. (l vol in-12. J.-B. Baillière et fils, 1892.)

La vertu curative de la suggestion hypnotique que de nombreux savants depuis quelques années, ont mise en pleine lumière, est un des aspects, et non des moins dignes d'intérêt, de l'évolution qui s'opère actuellement dans l'art de guérir. C'est ce dont permet de se rendre compte un petit livre où M. Cullerre a essayé d'exposer, d'une façon impartiale, l'état de la thérapeutiqne suggestive.

Après avoir étudié, dans un chapitre préliminaire, toutes les questions générales qui se rattachent à ta psychothérapie, l'auteur étudie successivement l'action de la suggestion dans l'hystérie, dans les névropathies dans les alfocllons organiques, dans les maladies mentales. Un chapître est consacré à l'action anesthé-sique de la suggestion dans la chirurgie et les accouchement*. Kniln, dans le dernier, on trouvera un résumé de ce qui a été écrit sur la s uggestion dans ses rapports avec l'éducation des enfants vicieux et dégénérés.

Pour la partie clinique. M. Cullerre a mis largement a contribution la Révue de l'Hypnotisme. De nombreux exemples, choisis avec soin, font ressortir l'im-portance de traitement psychique daus les circonstances les plus diverses et parfois les plus inattendues. Dr O...

L'Administrateur-Gérant : Émile BOURIOT.

Paris. — Imprimerie brevetée MICHELS et Fils, passage du Caire.8 ret 10

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THERAPEUTIOUE

DE LA NATURE PSYCHIQUE DE L'AMBLYOPIE DES ANESTHÉSIES HYSTÉRIQUES (1)

En 1880. au Congrès pour l'avancement des sciences, j'ai le premier démontré que l'amblyopie hystérique se comporte comme l'amblyopie suggestive : elle est purement psychique. Le sujet voit avec sa rétine, il voit avec son cerveau. La première reçoit l'impression ; le second par son centre cortical visuel le perçoit. Mais l'image visuelle perçue, l'amaurotique par suggestion et l'hystérie la neutralisent inconsciemment avec leur imagination. Ils voient avec les yeux du corps ; ils ne voient pas avec les yeux de l'esprit: l'amaurose n'est qu'une illusion négative.

J'ai démontré le fait à l'aide du prisme et de l'appareil de Snellen.

On sait qu'un prisme placé devant un œil dévie l'image correspondante et produit ainsi la diplopie. L'autre œil étant fermé, il n'y a pas de diplopie : l'objet placé devant le prisme est vu simple.

Dans l'amblyopie hystérique et suggestive unilatérale, le prisme placé devant l'œil sain devrait fournir une seule image, l'autre œil ne voyant pas. Or les sujets voient sans hésitation deux images également nettes, correspondantes à la situation du prisme. Donc l'œil amaurotique voit.

L'appareil de Snellen consiste en une paire de lunettes dont l'un des verres est rouge et l'autre vert. A travers ces lunettes le sujet lit sur un cadre noir six lettres recouvertes de carrés de verre alternativement rouges et verts. En regardant les deux yeux ouverts, on lit les six lettres ; en regardant avec un seul œil. l'autre étant fermé, on n'en voit que trois, celles recouvertes par le verre de même couleur que celles du

(I) Communication faite au Congrès international de Psychologie expérimentale de de Londres, par le professeur bernheim.

verre de lunette correspondant à l'œil qui regarde : les lettres rouges si c'est l'œil à verre rouge qui regarde ; les lettres vertes si c'est.l'œil à verre vert. Ceci résulte de ce que le vert et le rouge mélanges font du noir ; si avec un verre rouge on regarde du vert, par transparence, on voit du noir.

Or nos hystériques et nos amblyopiques par suggestion regardent à travers la lunette les six lettres, les lisent seuls sans hésiter, donc ils voient de l'œil amblyopique Si on leur ferme cet œil. alors ils ne voient que trois lettres.

J'ai établi que l'achromatopsie, comme l'amaurose par suggestion ou par hystérie, est aussi purement psychique. L'expérience du prisme le démontre. Voici un hystérique à dyschromatopsie gauche ; par exemple : un carré de papier vert placé devant cet œil est vu gris. Or ce même carré vert étant placé devant l'œil sain armé d'un prisme, le sujet voit deux carrés verts ; donc l'image fournie par l'œil gauche est verte.

M. Parinaud, qui avait fait avant moi cette dernière expérience, l'expliquait en admettant que l'achromatopsie n'existe que dans la vision monoculaire, mais non dans la vision binoculaire. II établit l'hypothèse que dans la vision de chaque œil séparément, la rétine se met en rapport avec l'hémisphère opposé, mais que dans la vision binoculaire, les deux yeux peuvent se mettre en rapport avec l'un ou l'autre hémisphère.

Il n'a pas vu qu'il s'agit là d'un phénomène purement psychique. L'achromatopsie hystérique n'est qu'une illusion de l'esprit sur la couleur fournie par un œil ; le centre sensoriel voit la vraie couleur ; mais l'esprit du sujet ne la voit pas.

Mon explication n'a pas été saisie par beaucoup d'auteurs. C'est pour cela que je reviens à la charge. M. Pitres, de Bordeaux, après avoir répété et confirmé la réalité de mes expériences, ajoute : Je ne comprends pas comment l'hystérique peut neutraliser inconsciemment, avec son imagination, les perceptions monoculaires, et ne pas neutraliser inconsciemment aussi les perceptions binoculaires, ou tout au moins la partie de ces perceptions qui provient de l'œil amblyopique. L'hypothèse de la multiplicité des centres sensitifs satisfait même mon esprit et, jusqu'à plus ample informé, je lui donne la préférence. »

Mon explication sera plus claire, si je dis que l'imagination du sujet est altérée de façon à neutraliser involontairement ou de bonne foi les perceptions sensorielles d'un œil.

L'observation suivante achèvera, je l'espère, de compléter cette interprétation, et en tout cas. de détruire celle qu'on lui oppose.

Un malade, que j'ai pu observer cette année, m'a donné l'occasion d'établir dune façon nette la nature psychique de l'hémianesthésie sensitivo-sensorielle hystérique, l'amblyopie. la surdité, la perte de sensibilité tactile. Il s'agit d'un jeune nomma de dix-neuf ans qui, le i janvier, fut pris de grippe intro-intestinale. diarrhée, vomissements, qui ne durèrent que deux jours. En même temps, toux et picotements douloureux dans le côté gauche de la face et du corps provoqués par la toux ; sensation de douleur avec aigreur remontant de l'appendice xiphoïde à la gorge.

A son entrée à la clinique, ce jeune homme, de constitution délicate, maigre, nerveux, présentait une hémianesthésie sensitivo-sensorielle gauche à peu près complète (à l'exception de la jambe et de la face postérieure de la cuisse). C'est sur ce symptôme seul que je veux insister ici.

Étudions d'abord l'amblyopie :

Il a de l'amblyopie gauche ; il ne reconnaît pas les objets ; la main placée devant l'œil est vue comme une plaque noire ; une montre, de même. Je mets un doigt devant l'œil, il ne voit rien ; je n'y mets rien, il dit voir deux doigts. Il ne peut lire. Quelquefois il reconnait vaguement les objets.

Il a de plus de la dyschromatopsie gauche : le 9 janvier, par exemple, le blanc est va rouge ; le bleu est rouge ; le jaune est blanc ; le ronge est gris.

Mais ces indications relatives aux couleurs varient suivant les jours. Le 12, par exemple, le blanc est vu noir, le bleu est vu jaune, le jaune est vu bleu, le rouge est vu gris.

Cette discordance dans la vision des couleurs donne déjà lieu de penser que l'imagination capricieuse du sujet joue un rôle dans les résultats obtenus.

L'expérience du prisme placé sur l'œil droit montre dans ce cas. comme dans ceux observés déjà antérieurement par moi, que l'œil gauche amhlyope voit. Un objet vu à travers ce prisme est en effet dédoublé : et les deux images également nettes sont juxtaposées, comme elles doivent l'être suivant la position du prisme. L'œil gauche étant fermé, l'œil droit ne voit qu'une seule image à travers ce prisme.

On pourrait conclure avec M. Parinaud. que l'amblyopie gauche n'existe que dans la vision séparée de cet œil et non dans la vision binoculaire. Cette conclusion est confirmée par les expériences suivantes :

Avec l'appareil de Snellellen. les deux yeux ouverts étant armés de la paire de lunettes rouge et verte, il lit les six lettres et reconnaît leurs couleurs, tandis que l'œil droit étant fermé, il voit tout noir; l'œil gau-

che armé du verre rouge étant fermé, il ne voit que les lettres vertes correspondant I l'œil droit. Ce résultat montre que l'œil gauche, d'une part, voit ces couleurs, mais, d'autre part, distingue les objets, puisqu'il lit les lettres : et cela sans qu'il y ait vision binoculaire, puisque l'œil droit, d'après la théorie de l'appareil, ne voit pas les lettres vues et reconnues par l'œil gauche seul.

On pourrait conclure, il est vrai, conformément à la doctrine de M. Parinaud, que l'ouverture des deux yeux suffit pour permettre à chaque œil de se mettre en rapport avec l'un ou l'autre hémisphère. L'œil gauche pourrait ainsi voir avec l'hémisphère gauche. Les expériences suivantes montrent que cette hypothèse est insoutenable. L'œil droit armé du verre vert étant fermé, l'œil gauche armé du verre rouge étant seul ouvert, il lit les lettres rouges ; l'œil gauche armé du verre vert lit les lettres vertes, sans reconnaître, il est vrai, la couleur. Donc cet œil voit les objets dans la vision monoculaire.

Ajoutons d'ailleurs, que comme dans les autres expériences, les deux yeux ouverts sans lunettes, il voit les six lettres et les six couleurs, avec l'œil droit seul, il les voit toutes ; avec l'œil gauche seul, il ne voit rien. De même avec un prisme sur l'œil gauche, l'autre étant ouvert, un objet bleu donne des images bleues: l'œil droit étant fermé, une seule image grise est vue.

Ces expériences montrent que l'œil gauche voit les couleurs et les objets dans la vision monoculaire, sans s'aider de la notion fournie par l'œil sain, avec l'hémisphère droit seul. L'œil voit. lorsque l'imagination du sujet désorientée ne peut pas intervenir pour neutraliser ou fausser la perception.

L'expérience suivante est plus concluante encore :

Le 18 janvier, j'envoie mon malade à la clinique ophtalmologique, pour l'examen des yeux. M. Kochler, chef de clinique, après avoir constaté que l'œil gawhe ne peut pas lire, ni reconnaître les objets, dit au sujet que maintenant, il va lui choisir des lunettes, et pour cela il prend avec l'échelle de Monoyer, l'acuité visuelle ; il constate que cette a coite, pour les deux yeux, est de 0.6: pour l'œil droit de U.6; pour l'ceU gajche de 0.5. Cet œil seul lit très bien les cinq dernières lignes de l'échelle.

Je refais l'expérience le 19. ne in expliquant pas comment le eejet qui. devant moi. ne pouvait pas lire de l'œil gauche, les plus gros caractères d'imprimerie sur un livre ou sur un journal, avait pn lire devant M. Kochler des caractères bien pins petits sur l'échelle de Monayer. Je constatai à ma surprise, qu'à la distance de cinq pas et au delà, jusqu'à cinq mètres, il lisait très bien les cinq dernières lignes;

il distingue nettement les lettres noires sur un fond blanc. Mais plus près, il ne peut plus lire ; il voit des jambages blancs sur un fond noir

J'essaie la vision des couleurs avec l'œil gauche. Le noir est vu blanc jusqu'à la distance de cinq pas ; plus loin il est vu noir ; le bleu et le ronge sont vos gris jusqu'à la distance de cinq pas ; plus loin la vraie couleur apparaît. Les couleurs et les lettres de l'appareil Snellen. avec l'œil gauche seulement, sans lunettes. sont vues tontes nettement à cinq pas et au delà. De plus près, tout est noir et illisible. Avec un prisme, l'œil droit étant fermé, l'œil gauche voit les couleurs (un livre bleu) à la distance de trois pas déjà et au delà ; de plus près, le livre est gris. Le sujet à mal calculé la distance.

Ces expériences contradictoires avec les précédentes, ne s'expliquent que par un caprice d'imagination. L'esprit du sujet, troublé par l'expérience, en face de l'échelle visuelle de Monoyer a oublié de faire l'inhibition des images et des couleurs perçues ; et ainsi s'est faite l'autosuggestion de voir à la distance de cinq pas. Une fois que l'œil surpris par l'expérience instituée par M. Kochler a vu et transmis ces résultats an sensorium. celui-ci. pour ne pas se donner un démenti, a continué à voir à cette distance, mais à cette distance seulement.

On dirait une grossière supercherie ! Y a-t-il simulation ?

Oui, si l'on veut ; mais simulation involontaire, simulation forcée, comme celle des hypnotisés ! Voici tes champs visuels du malade pris au périmètre ; celui de l'œil gauche est considérablement retracé ; celui de l'œil droit l'est aussi mais à un degré moindre. Ce tracé ne peut être simulé ; le malade n'est pas au courant des choses de la médecine, il ne sait pas que l'hystérie détermine ce mode de rétrécissement ; il ne sait pas que l'œil sain présente ordinairement un rétrécissement concomitant. mai> moins considérable que celui de l'œil malade.

D'ailleurs toutes les amblyopies hystériques et suggestives examinées avec le prisme et l'appareil de Snellen se comportent d'une façon analogue à celle de notre malade, qui ne constitue pas une exception. D'autres malades, il est vrai, plus intelligents, plus logiques, ne se laissent pas surprendre aussi aisément et trahissent moins leur simulation (involontaire). Mais on peut démontrer pour tous que l'amblyopie parait simulée.

Faut-il admettre que tous les hystériques s'entendent pour simuler de mauvais foi ce symptôme. Notre sujet ne savait pas que l'hystérie est caractérisée par une hémiansthésie gauche sensitivo-sensorielle.

J'examine les autres modes d anesthésie cher, notre garçon. Voyons s'ils relèvent du même mécanisme psychique.

L'anesthésie sensitive d'abord. Elle paraît complète; anesthésie tactile, anesthésie, thermo-anesthésie. absence du sens musculaire. Je pique, je pince, j'électrise le coté anesthésie. sans aucune réaction Et cependant le jeune homme est très pusillanime; sa puissance de simulation ne va certainement pas jusqu'au martyre. Si je pique 1e coté droit, il réagit très vigoureusement et très douloureusement.

Pour le prendre en flagrant délit de simulation ou d'auto-suggestion, j'essaie plusieurs fois de le surprendre par une piqûre d'épingle faite i l'improviste sur le côté gauche de la nuque; il ne manifeste aucune sensibilité.

Il semble bien que l'anesthésie soit réelle. D'ailleurs la main et l'avant-bras gauche présentent une teinte bleuâtre et un abaissement de température très nets, indiquait une paralysie vaso-motrice, il y avait donc la quelque chose de bien réel.

Certaines expériences montrent cependant que la aussi l'élément psychique joue un rôle. Il y a chez notre malade de la thermo-anesthésie ou plutôt la sensibilité thermique est pervertie. Un objet froid placé sur la main, le bras ou l'avant-bras gauche lui paraît froid. Le 15 janvier. ses yeux étant fermés, j'applique sa main gauche sur la fonte d'un poêle chauffé, il dit que c'est froid, et laisse sa main appliquée contre la foute, jusqu'à la brûlure, sans manifester aucune douleur. Si j'ouvre ses yeux de façon qu'il voie Où est sa main, il dit ne plus avoir aucune sensation, ni de froid, ni de chaud.

Cette perversion de la sensibilité ne peut être due qu'à un jeu de l'imagination ; aucune donnée physiologique ne peut l'expliquer. L'imagination seule pervertie peut suggérer du froid A la place dn chaud, de même qu'elle change le blanc en noir et le noir en blanc, substituant ainsi la sensation opposée à la sensation réelle (ce qui existait chez notre malade â partir d'un certain moment).

L'expérience suivante montre que l'anesthésie musculaire de notre malade est purement psychique. Il semble avoir perdu la notion de la position du membre supérieur gauche; il ne peut, de cette main, ramasser une épingle : il ne peut dire si cette main est en l'air ou couchée sur la lit. Si je lui ferme les yeux et que je l'invite à chercher sa main gauche avec la droite, il ne la trouve pas. Si je mets ma propre main dans la sienne, il croit que c'est sa main droite.

Cela posé, j'endors le malade et je lui suggère que sa main droite est devenue un aimant qui attire fa gauche à une certaine distance. La sag-gestion se realise : la main gauche vient s'accoler à la droite, preuve que la notion de la position de cette main qui ne paraissait pas exister, existe.

Je répète l'expérience plusieurs fois. Alors j'explique aux assistants que cette expérience ne réussirait pas, que la main gauche ne trouverait pas la main droite, si le malade ne sentait pas les deux mains. Si après cette explication, je répète l'expérience, elle ne réussit plus. Le sujet, instruit par l'observation que j'avais faite, neutralise de nouveau le sens musculaire et se suggestionne : la main gauche est bien attirée vers la main droite, mais à côté, elle n'arrive plus à la loucher.

Le malade étant réveillé, ses yeux étant clos, je lui dis de chercher sa main gauche avec la droite; il ne trouve pas. Si j'approche la mienne, il la prend pour la sienne. Mais si je mets sa main gauche dans sa droite, il la rejette, refusant de la considérer comme sienne. Par cette expérience naïve, i! est pris en flagrant délit, non pas de supercherie, mais d'auto-suggestion.

Voyons lanesthésie sensorielle auditive gauche ; elle paraît complète. Le malade n'entend pas le tic-tac de la montre approchée contre l'oreille droite avec le doigt, et je continue sans affectation à l'interroger à voix basse, et en me tenant à une certaine distance. Il répond très bien, témoignant ainsi qu'il entend de l'oreille gauche seule. Je lui demande alors comment il se fait qu'il m'entende alors que sa bonne oreille est bouchée. Il répond qu'il ne sait pas comment cela se fait ; il lui semble comprendre.

Mais à partir de ce moment, son attention étant éveillée, il fait l'inhibition. J'ai beau crier à haute voix devant cette oreille, il n'entend plus rien et ne répond plus.

Bien plus ! Je débouche alors l'oreille droite, et je parle à haute voix, criant et chantant, mais en me plaçant devant son oreille gauche, et ayant l'air de ne parler que pour elle seule. Il ne perçoit pas, bien que l'oreille droite doive m'entendre. Il affirme ne rien entendre. Aussitôt que je me tourne vers son oreille droite, il me répond.

Donc ici encore, il est pris en flagrant délit de naïve auto-suggestion.

De môme encore pour l'anesthésie olfactive. Un papier trempé dans du vinaigre introduit dans la narine gauche, ne détermine ni odeur ni réaction. J'introduis le papier au delà de la narine jusque dans le pharynx, de façon que les vapeurs vinaigrées, affectent la fosse nasale droite ; il continue à ne rien percevoir, alors qu'il devrait sentir avec cette dernière qui n'est pas affectée dans l'anesthésie sensorielle.

Cet ensemble d'expériences montre donc que l'amblyopie, la surdité, l'anosmie, lanesthésie musculaire, sont de nature purement psychique. Aussi un traitement psychique bien dirigé de façon à lutter contre l'autosuggestion tenace du sujet a-t-il fini, au bout de trois semaines, par restaurer graduellement toutes ces fonctions. Je n'ai laissé persister à

dessein comme stigmate de la maladie, que l'analgésie de la nuque; le malade la présentait encore au bout de trois mois.

Toutes ces anesthêsies. je le répète, se comportent absolument, comme celles qui sont suggérées dans l'hypnose. L'amblyopie hystérique ressemble a l'amblyopie suggestive. Du côté amblyopique on dira cependant : l'amblyopie hystérique présente un rétrécissement concentrique considérable du champ visuel et un rétrécissement concomitant moins considérable de l'œil sain.

Or j'ai constaté qu'il en est de même dans l'amblyopie suggérée. Si je suggère a un sujet hypnotisé qu'il ne voit pas de l'œil gauche ou presque pas, sans dire autre chose, et si au réveil je mesure le périmètre des deux yeux, je constate un rétrécissement concentrique considérable du côté suggestionné et souvent, en même temps, un rétrécissement moindre, mais accentué, de l'autre œil. C'est ce que vous verrez sur les tracés suivants. Cette expérience achève l'assimilation entre les deux variétés d'amblyopie.

Vais-je conclure de cette observation et des observations analogues, que l'hémianesthésie sensitivo-sensorielle hystérique n'est qu'une pure fantaisie de l'imagination, sans lésion réelle? Évidemment non. Pourquoi l'imagination des hystériques, créerait-elle, à l'insu du sujet, chez tous chez beaucoup, une hémianesthésie sensitivo-sensorielle gauche ? Le sujet ne peut pas se suggérer un phénomène dont il n'a pas l'idée.

11 y a, je pense, dans l'hémisphère droit du cerveau quelque chose qui crée cette hémianesthésie ; mais ce quelque chose n'est pas dans les centres sensoriels cervicaux; j'ai démontré que ceux-ci perçoivent. Ce quelque chose est, à mon avis, dans les centres psychiques, dans les cellules des lots antérieurs qui rendent la perception consciente. Ces cellules étant modifiées dans leur modalité, c'est la conscience des sensations perçues qui est neutralisée ou pervertie. Il y a dans ces cellules une anomalie qui les empêche d'accepter, ou les pousse a altérer les sensations perçues. C'est une véritable aliénation mentale limitée aux perceptions de la sensibilité. C'est une illusion négative. C'est une maladie des cellules conscientes aesthésodiques de l'hémisphère droit du cerveau.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE

Séance du 19 décembre 1892. — Présidence de M. Dumontpallier. (Suite).

Morphinomanie et suggestion ; guérison datant de trois

ans et demi.

Par H. le docteur F. MAROT.

Dans un intéressant article sur le rôle de la psychothérapie dans la mor-phimanie, M. Bérillon rapportait récemment (1) plusieurs observations de guérîson de morphimanie. Il nous a semblé que l'observation suivante méritait d'être rapprochée de celles de M. Bérillon.

Il s'agit d'une femme de trente-sept ans, mère de cinq enfants, qui, après avoir été morphinomane pendant six ans, fut guérie, il y a trois ans et demi, par la suggestion dans l'hypnose, avec suppression brusque de la morphine.

Voici, brièvement, l'histoire de cette malade :

Petite hystérique pendant longtemps, elle devint, à partir de l'âge de vingt-six ans, grande hystérique, avec, tous les jours, une ou plusieurs attaques du type Charcot-Richer : période épileploîde, période de cloro-nisme. période d'attitudes passionnel les.

Naturellement, les principaux stigmates hystériques : région ovarienne gauche très sensible, anesthésie cutanée complète à gauche, très obtuse à droite, anesthésie pharyngienne, rétrécissement du champ visuel, surtout à gauche, dyschromalopsie, sensibilités sensorielles très affectées.

Des le début, clinomanie — à peu près dix-huit mois sans quitter le lit — et toxicomanie : éther, chloroforme, chloral, cédant bientôt la place au poison préféré, la morphine.

Pendant la plus grande partie de la période de clinomanie : anorexie, — pour laquelle, la malade étant arrivée au dernier degré d'èmaciation et d'affaiblissement, on se décida enfin a suivre le conseil que — nous inspirant des enseignements de notre maître d'alors, M. le professeur Charcot — nous avions cru pouvoir donner : l'isolement absolu qui, des le premier jour, détermina la guérîson définitive de l'anorexie.

Un peu plus tard, au cours dune grossesse, les crises diminuèrent un peu de nombre et de violence. — Une dizaine de jours après l'accouchement, la malade ne croyait pas encore être accouchée. La montée du lait se fit seulement après ces quelques jours, et seulement dans le sein droit : le sein gauche est resté, tout le temps de l'allaitement, petit, et complètement vide de lait.

(1) Revue de l'Hypnotisme, novembre 1892.

Enfin, deux ans avant ta suppression de la morphine, et plusieurs fois depuis, la maladie présenta des symptômes d'angine de poitrine, probablement de nature hystérique, peut-être cependant morphiniques : douleur subite irradiant du petit doigt à la main et au bras gauches, à la région scapulaire et à la jambe gauches ; palpitations, mort prochaine, si caractéristique ; faciès livide. Plusieurs médecins — et nous-même — ne trouvèrent, à l'auscultation, aucun signe de lésion organique du cœur. Ces accès sont devenus moins fréquents à la suite, semble-t-il, de suggestions a l'hypnose.

C'est le 13 août 1883 que, à l'occasion de la première grande attaque, le médecin appelé fit la première injection de morphine. Depuis ce jour jusqu'à la fin de juillet 1889 la morphine ne cessa pas d'être libéralement fournie. C'était à qui, dans l'entourage direct, à la moindre menace d'attaque, ferait une injection, et la ferait le mieux. Du reste, à l'occasion, la malade se chargeait elle-même de remplacer les opérateurs.

Il est très difficile de déterminer exactement quelles furent les doses quotidiennes. Le pharmacien ordinaire et la malade avouent de dix à vingt centigrammes. Mais il y avait des pharmaciens extraordinaires, et d'abondantes réserves, auxquelles on puisait sans trop compter.

Quelle que fut la quantité prise, le morphinisme était attesté par les troubles manifestés lorsque l'injection n'était pas faite à son heure : sensation de « froid partout ». « de glace dans les veines », tremblements, sueurs froides, hallucinations terrifiantes représentant en particulier des animaux féroces, loups ou autres, enfin perle de connaissance ou crise de nerfs. L'injection faite, tout rentrait dans l'ordre, avec l'euphorie accoutumée.

Pendant la dernière grossesse, en 1887, les quantités de morphine furent particulièrement considérables. L'enfant, qui vit encore et est en bonne santé, eut quelques convulsions, mais pas d'autres troubles. La mère lui donna le sein, environ cinq mois, en même temps qu'une nourrice étrangère.

C'est à la fin de juillet 1889 que nous fûmes amené à essayer la suggestion. Un soir la malade nous demanda si nous pourrions l'endormir et la guérir ainsi des insomnies qu'elle avait depuis longtemps. Par la fixation du regard, suivie de la pression des globes oculaires, le tout accompagné de : « Vous allez dormir. — Vos paupières deviennent lourdes. — Votre vue se trouble. — Vous dormez ». Après une courte période d'excitation, la période de dépression désirée se montra rapidement dès cette première tentative. Nous donnâmes la suggestion : « Vous dormirez jusqu'à demain matin, huit heures. - La malade dormit ; et, des personnes non prévenues, étant entrées dans sa chambre le matin avant huit heures, ne purent la réveiller. Dans la journée elle dit que ce sommeil l'avait un peu reposée.

Des le soir du second jour nous eûmes l'idée, sans prévenir la malade, l'endormant encore sous le prétexte de ses insomnies, d'essayer de lui suggérer de ne plus vouloir de morphine. Voici quelles furent nos suggestions : . Vous ne vous ferez plus d'injections de morphine. — Si l'on veut vous en faire, vous ne le permettrez pas. — Vous ne désirerez plus de morphine ». Le lendemain, un médecin non prévenu, ayant voulu lui faire une injection,

la malade s'y opposa. Nous renouvelâmes une fois encore noire suggestion ; à part une autre fois, un an et demi plus tard, jamais depuis, autrement que verbalement, sans hypnose ou par Lettre.

Les quinze jours qui suivirent nous pûmes avoir La certitude que la suppression de la morphine était absolue.

La malade présenta divers troubles : sensations de froid, nausées sans vomissements, vertiges, diarrhées très abondantes qui se prolongèrent pendant trois mois, crises de sommeil, crises de nerfs ; enfin, un peu plus tard, après une période d'activité fébrile où elle ne pouvait « tenir en place », prostration, incapacité d'agir, de penser, de vouloir.

Quelques extraits de la correspondance d'alors de la malade paraitront peut-être intéressants au point de vue psychique.

A la question, peut-être un peu imprudente : Si elle reprenait de la morphine?

14 août 1889. — • Comme s'il m'était possible d'en prendre ! » 17 septembre 1889. — «... Cola ne me vient même pas a l'idée, et j'en suis étonnée ; pourquoi ?? •

21 septembre 1889. - • Une idée domine toutes les autres : savoir pour-

« quoi je n'ai pas envie de morphine. Ce serait un grand service à me rendre

« que de m'expliquer ce pourquoi. J'ai toujours aimé à me rendre compte

« des choses, et c'est une vraie souffrance de ne pouvoir y arriver. C'est une

« idée fixe, une vraie monomanie. — Quand on me parle de la morphine, j'en

« parle comme d'une chose qui ne me lente pas ; si j'en souffre, je ne me dis « pas : « Si j'en avais ! » Non. L'idée ne me vient pas que je pourrais facile-« ment m'en procurer; pourquoi cela? — Vous à Paris, je pourrais facile-« ment eu prendre sans que vous le sachiez ; alors, pourquoi, pourquoi ? Je

« crois que si l'on voulait m'en donner, je ne laisserais pas faire; et cela

« i ce point qu'une nuit, ayant rêvé qu'on m'avait fait une piqûre, la sensa-

« tion a été si forte que je me suis reveillée en sursaut et ai sauté de mon lit,

« me lAianl bras et jambes pour trouver la trace; je pensai que peut-être

« j'avais eu une crise et que le médecin appelé m'avait fait une piqûre. Vous « ne pouvez vous imaginer ce que j'ai souffert jusqu'au matin, où alors j'ai « été rassurée. Malgré cela, toute la journée j'ai été inquiète et tourmentée,

et l'idée seule que cela pourrait arriver me donne du tremblement. »

Nous avons pu nous assurer de la réalité de la guérison par tous les modes de renseignements que nous avoos mis à contribution.

D'abord, cette guérison nous a été affirmée par toutes les personnes approchant plus ou moins la malade — cl la surveillance est relativement facile dans la petite ville où cette dernière habite.

Autrefois la malade ne pouvait rester uue heure ou deux sans piqûre. Or, il nous a été donné i différentes reprises, de passer auprès d'elle, sans la quitter, tout un après-midi, quelquefois presque tout une journée, sans que, non seulement elle se fit une piqûre, mais même sans qu'elle manifestât aucun des troubles que déterminait autrefois la privation de la morphine.

Enfui, et ceci surtout nous paraît probant, autrefois la malade était couverte de stigmates morphiniques : traces de piqûres, peau épaissie, lardacée, à tel point que, au niveau de l'abdomen par exemple, il était impossible d'y faire un pli pour les injections; l'aiguille devait être enfoncée directement; un peu partout, sur les bras et sur les jambes en particulier, nodosités sous-cutanées multiples; enfin, nombreuses cicatrices d'abcès. — Actuellement — et nous avons pu faire récemment un examen complet — on ne trouve nulle part des nodosités, la peau est partout, eu particulier au niveau de l'abdomen, redevenue souple; nulle part il n'y a trace de piqûre; enfin, le nombre des cicatrices d'abcès n'a pas augmenté.

Tout cela, semble-t-il, nous autorise suffisamment à conclure a l'entière guérison.

M. le Dr J en oings, a la séance de la Société d'Hypnologie(l), où nous avons eu l'honneur de communiquer cette observation, insista sur l'intérêt que présentait la porto du désir de la morphine au point de vue thérapeutique. Le besoin organique de morphine, en effet, est souvent assez facilement diminué ou supprime par un traitement sérieux. Les malades sortent eu apparence guéris des maisons de santé. Pendant quelque temps, ils ne reprennent pas de morphine. Puis, uu jour, à une occasion quelconque, le désir de la morphine se remontre, obsédant ; c'est la rechute presque inévitable.

Il semble que la suggestion seule puisse supprimer ce désir, qu'elle soit comme un spécifique dans ces manies diverses. Le malade n'a plus besoin de ces surveillances qui, quelque attentives qu'elles soient, sont toujours en défaut; c'est lui-même qui se surveille et, au besoin, surveille même son entourage.

Nous ne nous dissimulons pas que la guérison ne doit pas être toujours aussi facile à obtenir que pour notre malade. Cette observation nous a paru toutefois instructive et digne d'être rapportée avec quelques détails.

JURISPRUDENCE MÉDICALE

L'Hypnotisme et l'exercice illégal de la médecine.

Un médicastre bien connu, dont les premiers exploits datent des dernières années de l'Empire, le zouave Jacob, vient d'être condamné pour la quatrième fois par le Tribunal correctionnel de la Seine pour exercice illégal de la médecine. A différents points de vue, notamment à celui de l'application ultérieure et prochaine de la nouvelle loi sur l'exercice de la médecine, ce jugement et certaines circonstances de la cause nous paraissent tout à fait dignes d'intérêt et d'attention.

Disons tout d'abord que le zouaves'en est tiré avec une amende de 15 francs! C'est pour rien, étant donné surtout qu'il en était à sa quatrième condamna-

(1) 19 décembre 1892.

tion et qu'il avouait tout, mais, à l'excuse de cette pénalité dérisoire, nous devons faire remarquer que la nouvelle loi sur l'exercice illégal ne régit pas encore la matière. Cette loi, en effet, n'est applicable qu'un an après sa promulgation, ce qui nous recule au 30 novembre prochain. Les juges, dans l'espèce, ont dû par conséquent appliquer l'ancienne loi de ventôse, contre laquelle le corps médical a prolesté vainement pendant prés d'un siècle avant d'obtenir sa revision.

Mais là n'est point le coté vraiment suggestif de cette curieuse affaire. Que pendant dix mois encore, les charlatans de toutes sortes, avec ou sans culottes de zouave, avec ou sans trombone accompagnateur — Jacob en avait un a ses débuts — jouissent de leur reste, c'est-à-dire de la loi de ventôse, cela importe peu. Ce qui importe davantage et ce qui ne manque pas d'imprévu, c'est que, avec la nouvelle loi, les tribunaux pourront parfaitement ne pas juger comme l'a fait le Tribunal correctionnel de la Seine et acquitter purement et simplement les zouaves Jacobs de l'avenir! Celte conséquence de la loi que nous avons vivement sollicitée est si bizarre, si imprévue, que nous devons en donner l'explication.

Dans sa défense, le zouave Jacob a fait valoir très adroitement l'argument suivant, qui sera certainement repris par ses collègues après la mise en vigueur de la nouvelle loi :

« Je ne fais pas de médecine, a-t-il dit en substance aux juges, et je n'ordonne aucun médicament. Je reçois des gens de toutes les classes de la société, et je ne sais qu'une chose, c'est que les gens qui viennent chez moi me disent que je les guéris; je n'en connais pas la cause, je la constate. Je me contente de les regarder. Tout le monde me sollicite et rient chez moi ; je ne demande pas d'argent ; je fais simplement une quète après chaque séance ; chacun donne ce qu'il veut, rien si ça lui convient »

En d'autres termes, il a soutenu que, ne fournissant aux badauds qui le consultent ni ordonnances, ni médicaments, et ne se livrant sur eux à aucune pratique chirurgicale, il n'exerçait pas la médecine, mais faisait simplement du magnétisme. « Or, a-t-il ajouté, la loi nouvelle sur l'exercice de la médecine permet explicitement aux profanes les pratiques du magnétisme. »

On pourrait ne voir là qu'un argument de plaideur aux abois. Il n'en est cependant rien. Des jurisconsultes, tout à fait désintéressés dans le cas spécial du zouave Jacob, ont soutenu la même opinion. C'est ainsi qu'une consultation de Me Lechopié, avocat à la Cour d'appel, a conclu à l'inapplicabilité de la loi nouvelle à l'emploi du magnétisme pour le traitement des maladies.

Quant au ministère public qui siégeait dans l'affaire qui nous occupe, sans se prononcer pour ou contre telle ou telle doctrine, il les a passées successivement en revue, et voici ce qu'il dit en faveur do celle du zouave guérisseur :

« La nouvelle loi sur l'exercice de la médecine, dans son article 16, édic-tant les pénalités relatives à l'exercice illégal de la médecine, de la chirurgie, de l'art dentaire el de la pratique des accouchements, ne définit pas — volon-

tairement d'ailleurs — les faits qui constituent cet exercice. M. le Dr Corail, dans sou rapport au Sénat, s'exprimait ainsi : « On ne peut indiquer, dans un « article de loi. tous les détails, toutes les formes sous lesquelles se présente

l'exercice illégal. Nous avons préféré laisser aux tribunaux plus de latitude

dans l'appréciation de l'exercice illégal ».

« D'autre part, a la fin de son rapport, M. Chevandier, s'occupant de l'hypnotisme, concluait dans ces termes : « Nous croyons que le moment n'est pas

venu d'enlever ces expériences aux profanes et de les confier exclusive-« ment aux médecins ». Et il résulte de ce même passage du rapport que la commission de la Chambre a rejeté un projet présenté par M. le Dr David, qui considérait l'hypnotisation comme un procédé d'exercice illégal de la médecine.

« Cette manière de voir a été affirmée en termes plus formels encore par M. le Dr Chevandier dan» une lettre par lui adressée, le 18 juin 1892. au comte de Constantin, président du Congrès international de Magnétisme humain, en 1889, et dans laquelle il s'exprime ainsi :

« Il a été reconnu par l'unanimité des membres présents de la commission

que la loi sur l'exercice de la médecine ne visait ni les masseurs, ni les

magnétiseurs, tant qu'ils n'appliqueraient que leurs pratiques ou leurs

procédés au traitement des maladies. Ils retomberaient sous le coup de la

loi le jour où, sous le couvert du massage, du magnétisme ou de l'hypno-tisme, ils feraient de la médecine ou prescriraient des médicaments. »

Dans ces conditions, le ministère public a été amené a se demander si, dans l'intention du législateur de 1892, les individus qui se livrent au traitement des malades par le magnétisme, comme le zouave Jacob, ne sont pas exempts de toute peine, sauf, bien entendu, dans le cas où ils se livreraient à des manœuvres frauduleuses constitutives du délit d'escroquerie.

Ainsi que nous l'avons dit plus haut, le ministère public n'a pas conclu; il s'est borné à se demander « si le zouave Jacob ne devra pas être exempt de toute peine... » à partir du 1er décembre 1893!

Quant au Tribunal correctionnel de la Seine, il a déclaré, comme on le verra dans les considérants ci-dessous, que même après le 1er décembre 1893, c'est-à-dire après la mise en vigueur do la nouvelle loi, il condamnerait Jacob en cas de récidive. C'est parfait ; malheureusement, cela n'engagera en rien les autres tribunaux, qui pourront juger en sens con-traire. A Paris, médecins et magistrats s'éclairent volontiers réciproquement, et ce n'a pas été le moindre avantage de la création de la Société de Médecine légale mais en province les points de contact sont beaucoup moins nombreux. Aussi peut-on craindre que la magistrature des départements se préoccupe beaucoup plus, dans des cas semblables, de la lettre que de l'esprit de la nouvelle loi sur l'exercice de La médecine.

Une des formes principales du charlatanisme que nous combattons pourra donc parfois s'abriter tranquillement, chose assez bizarre, sous l'égide de la loi que nous avons en tant de peine a obtenir !

Quoi qu'il en soit, voici les considérants du jugement dont nous venons de parler. Ils méritent d'être lus attentivement :

* Attendu qu'il résulte de l'information et des débats que Jacob, sans être docteur en médecine ni officier de santé, reçoit, chaque jour, 23, avenu; de Mac-Mahon, une cinquantaine de malades qui viennent lui demander de les guérir, persuadés qu'ils sont que cet ancien zouave possède dans le regard un fluide magnétique capable de soulager presque tous les maux ;

« Qu'il se borne à pratiquer, en s'entourant d'une certaine mise en scène, des passes magnétiques, imposition des mains, légers attouchements sur le malade, placé devant lui sous son regard ; qu'il n'ordonne ni médicaments, ni traitements, et se contente de recommander, après avoir assuré de la guérison, de s'abstenir de boissons gazeuses, d'éviter de manger de la viande et de ne jamais avoir recours aux médecins et aux pharmaciens;

« Attendu que la disposition de l'article 35 de la loi du 19 ventôse an XI est générale et absolue; que celte loi ne subordonne pas l'existence de l'infraction qu'elle prévoit à telles ou telles conditions particulières, à telle ou telle prescription ou administration de médicaments, mais qu'elle frappe, abstraction faite de tout remède, de tout traitement pratiqué, tout exercice de l'art de guérir sans diplôme de médecin ou d'officier de santé (arrêt de la Cour de Cassation du 18 juillet 1884) ; qu'en conséquence, le fait de la part de Jacob, d'avoir hautement émis la prétention de guérir les maladies au moyen d'un fluide qui lui serait propre et traité des malades par ce prétendu fluide qu'il est censé transmettre à l'aide du regard et de l'imposition des mains sans ordonner ni médicaments ni traitement, tombe indubitablement sous le coup de la loi pénale ;

« Attendu que c'est interpréter d'une façon erronée la pensée du législa-lateur que de prétendre que la nouvelle loi sur l'exercice de la médecine, promulguée le 30 novembre 1892, mais seulement exécutoire un an après sa promulgation, ainsi qu'en dispose son article 34, ne punit pas les pratiques magnétiques, les seules qui puissent être reprochées au prévenu ; qu'en effet, il appert des travaux préparatoires de cette loi que, si le législateur n'a pas voulu réserver exclusivement aux médecins les expériences de magnétisme et d'hypnotisme, c'est à la condition que les profanes resteraient dans le domaine des expériences purement scientifiques et n'entreraient pas dans celui de la médecine proprement dite, c'est-à-dire ne se serviraient pas du magnétisme et de l'hypnotisme pour exercer la profession de guérir ; que cette pensée se manifeste nettement dans le rapport du docteur Chevan-dier à la Chambre des députés, rapport dans lequel, après avoir fait la critique « de l'exiguïté des peines de la loi de l'an XI qui a eu pour effet d'encourager les charlatans, les rebouteux et quiconque prétend tenir d'un don spécial les secrets de guérir », le rapporteur ajoute : . Nous croyons que le moment n'est pas venu d'enlever ces expériences (hypnotisme) aux profanes, et de les confier exclusivement aux médecins » ;

« Que le rejet par le Parlement de l'article 12 du contre-projet de loi pré-

sente par le Dr David, qui avait pour but d'atteindre tout particulièrement les hypnotiseurs, ne peut intéresser ces derniers que comme savants à la recherche de phénomènes magnétiques nouveaux et jamais comme guérisseurs:

« Que, d'ailleurs, c'est volontairement que la loi nouvelle ne définit pas les faits qui constituent l'exercice illégal de la médecine, de la chirurgie, de l'art dentaire et de la pratique des accouchements, parce qu'on ne peut indiquer dans un article de loi (rapport du Dr Cornil au Sénat) tous les détails, toutes les formes sous lesquelles se présente l'exercice illégal, et qu'il est préférable de laisser à ce sujet la plus large appréciation aux tribunaux ; que, dans ces conditions, rien ne s'oppose à ce que la jurisprudence, fixée par l'arrêt du 18 juillet, soit maintenue, même après le 30 novembre 1893, le principe établi étant absolument compatible avec la loi nouvelle, derrière laquelle Jacob voudrait dès aujourd'hui s'abriter ;

« Qu'enfin le juge ne saurait, i l'heure présente, faire eut de la loi du 30 novembre 1892 et s'arrêter à la règle de droit criminel qui veut que, de deux législations, l'une antérieure, l'autre postérieure au délit, ce soit la plus douce qui soit appliquée, parce que le délai de l'article 34 de la loi ne permet pas de la considérer comme existante, la promulgation qui en a été faite n'ayant pu, en droit, avoir d'autre objet que celui de faire courir le délai d'un an nécessaire à sa mise en vigueur ;

« Par ces motifs,

« Faisant au prévenu application de l'article 466 du Code pénal et de l'article 35 de la loi du 19 ventôse an Xï, le condamue a quinze francs d'amende. »

Après avoir donné le compte rendu de cette affaire, notre confrère du Bulletin Médical, justement ému de certaines interprétations de la nouvelle loi émises au cours des débats, s'est empressé d'aller consulter deux des personnalités les plus autorisées dans celte question. Le rédacteur du Bulletin Médical a interrogé MM. Cornil et Brouardel, et leur a demandé leur opinion sur la valeur d'une pareille thèse, qui nous exposerait, dans certains cas, à être moins protégés par la loi nouvelle que nous ne l'étions par la loi ancienne.

Voici ce que M. Cornil, rapporteur de la loi au Sénat, et M. Brouardel, ont répondu :

* Dans l'état actuel de ta question, le ministère public et la jurisprudence sont dans le vrai : il est fort probable que nombre do tribunaux acquitteraient, a partir du 1er décembre prochain, les médicastres qui se placeraient dans la situation ou s'est trouve le zouave Jacob, et cela est d'autant plus i craindre que. devant certains tribunaux, dont les juges ne nous seraient pas très favorables, le prétexte « d'hypnotisme » peut être, à l'occasion, une porte ouverte à toutes sortes d'abus.

« Mais il ne faut pas croire que nous soyons absolument désarmés. Tout au contraire ; nous avons par devers nous deux armes sérieuses dont nous saurons nous servir à l'occasion.

« Tout d'abord, dans la loi, se trouve un mot que nous y avons placé avec intention ; c'est le mot « habituel » et, grâce à ce mol, un fait isolé de magnétisme, qui serait, en réalité, un cas d exercice illégal, pourrait peut-être échapper a toute sanction pénale, mais il n'en serait pus do même si cette pratique est - habituelle ». Or, si nous nous en rapportons à la jurisprudence relative i un autre délit, l'usure, ce délit est considéré comme « habituel », s'il s'est reproduit seulement deux fois; ce qui est accepté pour l'usure pourra donc l'être pour le magnétisme.

* Mais ce n'est pas tout :

« L'application de la loi nouvelle dans ses détails doit être fixée par un règlement d'administration publique. Or, soyez sans inquiétude ; les points litigieux du genre de celui que vous nous signalez seront résolus dans un sens tout à fait favorable aux médecins, et les cas d'exercice illégal qui pourraient échapper à la loi, appliquée directement, tomberont sous le coup de règlements do police que visera le règlement d'administration publique prévu par cette mémo loi.

« Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de s'inquiéter par trop. »

VARIÉTÉS

L'Organisme humain.

Discours prononcé à la séance de rentrée des Facultés, le 3 novembre 1892, « Par M. le Dr BERNHEIM, professeur A la Faculté de Médecine de Nancy.

Monsieur le recteur, Messieurs,

C'est à un professeur de la Faculté de Médecine qu'incombe, cette année, le périlleux honneur de vous entretenir quelques instants. Et, d'abord, pourquoi la Faculté de Médecine, qui donne un enseignement professionnel, vient-elle s'asseoir dans cet hémicycle universitaire avec ses sœurs, lettres, sciences, droit, qui donnent un enseignement purement théorique et spéculatif ? Car, si l'Université embrasse toutes les notions laborieusement amassées par l'esprit humain, elle laisse aux écoles spéciales l'application de ces notions utilisées dans un but professionnel. L'Université fait des savants et non des professions. Les écoles d'architectes, d'industriels, d'agronomes, qui élaborent leur art et édifient leur technique avec les données que la science pure leur apporte, ces écoles ne constituent pas des Facultés. Seule, l'Ecole de Médecine est considérée comme telle, dans tous les pays du monde. On l'accepte, bien qu'elle donne un apprentissage pratique : on ne l'exclut pas du cénacle, bien qu'elle fasse des médecins ! Et voyez l'intruse I Admise par privilège spécial, malgré son vice originel, â prendre place dans le groupe universitaire, elle tend à accaparer la place toute entière ; car pour le public.

en Fiance, nous sommes les seuls docteurs. Que nos confrères en doctorat des autres facultés veuillent bien nous pardonner celle injuste valeur, qui nous confond, à notre corps défendant.

Si, à l'exclusion des autres écoles professionnelles, celle de médecine est néanmoins considérée comme une école de haut enseignement pur, c'est d'abord parce que la science qu'elle professe est bien de sa nature une branche spéciale, spécifique, qui ne saurait être subordonnée à aucune autre; c'est ensuite parce que l'application de cette science, c'est-à-dire la médecine proprement dite, ne peut être distraite de la science elle-même.

C'est celle de l'homme; c'est l'étude de l'organisme humain, dans son évolution, depuis sa naissance jusqu'à sa fin: car créé pour un temps limité, fatalement destiné à se détériorer et à détruire, cet organisme naît, se développe, décline et meurt. L'histoire naturelle de l'homme comprend toutes ces phases; elle étudie toutes les causes qui les entravent; elle scrute la vie et la mort, la santé et la maladie, la physiologie et la pathologie. Et voilà pourquoi l'étude de l'homme malade, science appliquée, est intimement liée a l'étude de l'être humain, science pure.

Sans doute, les autres facultés s'occupe aussi de l'homme; mais plutôt de l'homme considéré en dehors de lui-même, objectivement, par les productions matérielles et intellectuelles issues de son initiative. La pensée humaine qui émane du cerveau, souvent vague et confuse, les lettres la recueillent et la dégagent nette et précise à L'aide d'un merveilleux instrument, la parole, qu'elles embellissent et perfectionnent sans cesse, afin que celle parole aussi éclaire et agrandisse la pensée de l'homme.

Les lettres étudient l'humanité collective, fouillant les archives et les monuments, pour pénétrer ses origines et son évolution historique : elles étudient aussi l'individualité humaine, plongeant, pour la déchiffrer, un regard indiscret dans les profondeurs de l'âme ; la psychologie est un domaine sur lequel se rencontrent l'homme de lettres et le médecin.

Les sciences explorent la nature, telle qu'elle se manifeste a nous; elles scrutent les causes et les lois des phénomènes auxquels nous assistons; elles interrogent !e monde que nous habitons et les autres mondes que nos sens peuvent atteindre de loin ; elles créent aussi une langue spéciale, artificielle, instrument merveilleux aussi, qui sert à calculer et à formuler les lois qui régissent les forces et la matière.

Le droit étudie les lois des sociétés, celles par lesquelles s'établit l'association des êtres humains, sans lesquelles l'homme, réduit à ses propres forces, ne vivrait pas ou vivrait à l'état sauvage ; il formule les règles, les principes, les procédés artificiels à l'aide desquels les hommes, réunis dans un intérêt collectif, sont constitués en communautés qui ont besoin de ce mécanisme complexe pour subsister, fonctionner et se garantir.

Tout cela est de l'humanité. La médecine seule étudie l'homme complet en lui-môme, l'homme subjectif, l'être humain qui a élaboré tous ces produits de l'esprit dont les autres facultés vous ont livré le secret.

Qu'est-ce que l'homme ? Il se trouve sur ce globe avec d'autres êtres

vivants qui naissent et meurent comme lui. D'où vient-il ? Nous l'ignorons. Que devient-il ? Nous l'ignorons encore. La Bible dit : « Dieu prit de la terre, la pétrit, en fil le corps de l'homme el lui insuffla une âme ». Poussière terrestre animée par le bouffie divin !

Depuis l'origine mystérieuse du premier homme, les autres procèdent d'un œuf fécondé qui apparaît comme une cellule microscopique. Cette cellule se développe el, par un travail de segmentation dont la science a étudié toutes les phases, elle donne lieu aux premiers linéaments de l'être humain. D'abord greffé sur l'organisme maternel, l'homme mûrit, naît cl commence sa vie indépendante.

Vous connaissez dans ses gros traits la structure de cet organisme et le fonctionnement de ses rouages. Il a pour charpente, pour carcasse, cet affreux squelette, avec son crâne à la face hideusement excavée, spectre grimaçant de la mort, plantée sur la longue lige vertébrale, à laquelle s'insèrent deux ceintures, celle des côtes et celle du bassin, armées de larges leviers articulés. Sur ce squelette se moulent comme des courroies élastiques les muscles qui le mettent en mouvement. Dans ses cavités, les divers appareils : celui de la digestion, qui reçoit les aliments et, avec ses annexes, les transforme en sang, liquide nourricier ; le cœur et l'arbre circulatoire qui répandent ce sang a travers l'organisme; les organes sécréteurs qui éliminent les résidus; l'appareil respiratoire ou ventilateur qui renouvelle l'oxygène, et l'appareil nerveux qui actionne le tout ; sans lui l'appareil serait inerte.

Il s'y passe des phénomènes chimiques. La transformation des aliments en matières assimilables, la combustion respiratoire, les fermentations organiques, l'oxydation du sang et des tissus, la fabrication du sucre animal, tout le travail de la nutrition s'opère dans notre corps comme dans un vaste laboratoire de chimie. Ce laboratoire est aussi une fabrique de poisons : les plo— maïnes, les leucomaïnes, les toxines nombreuses que l'analyse extrait du corps humain sont les scories de celte chimie animale qui doivent être éliminées ou transformées ; leur accumulation dans le corps produit la maladie et la mort.

Il s'y passe des phénomènes physiques. La mécanique osseuse, articulaire et musculaire, ta station et la locomotion sont commandées par les lois de la physique; la circulation du sang obéit aux principes généraux de l'hydrodynamique; le travail de laé machine, la contraction des muscles, l'activité de toutes les fonctions, dégagent ou absorbent de la chaleur el de l'électricité. Une série d'appareils physiques et physiologiques, les organes de la vision, de l'audition, de l'olfaction, récoltent les vibration* lumineuses, sonores, olfactives et autres, émanant du monde extérieur, pour mettre en rapport avec lui l'organisme humain.

Mais les lois de la physique et de la chimie ne jouent qu'un rôle secondaire dans notre économie. Il y a un autre ordre de phénomènes qui la gouvernent et qui différencient notre machine d'avec toutes celles que nous construisons et dont le mécanisme nous est connu. Ce sont les phénomènes vitaux ou biologiques. Notre machine est vivante.

La bouchée de pain qu'elle ingère ne devient pas seulement peplone dans l'estomac, albumine dans le sang, myosine dans le muscle, cholestérine ou biliverdine dans le foie, cérèbrine ou prolagon dans le cerveau. Ces transformations, le chimiste peut ou pourra un jour les accomplir.

Mais celte bouchée devient globule sanguin; elle devient muscle, os, foie, cœur, nerf, cerveau; la matière vivante se l'incorpore et lui donne la vie; chaque organe la façonne à son image, en fait la chair de sa chair et l'imprègne de ses propriétés. Telle parcelle alimentaire, transformée par les sucs digestifs, modifiée chimiquement et physiquement par le travail de la nutrition dans son transfert à travers l'organisme, finit son évolution dans le foie et devient cellule hépatique : elle fabrique de la bile et du sucre. Telle autre finit dans le cerveau et devient cellule cérébrale : la substance inanimée est devenue organe de la pensée, la chair s'est faite esprit ! Mystère de la vie, plus étrange que ceux de la cornue. Ces transformations, le chimiste ne les fera jamais; la vie seule peut les faire.

La vie, la biologie, c'est ce qui préside à l'évolution de l'œuf fécondé, c'est la transformation moléculaire incessante qui s'accomplit dans les organismes, qui naissent, croissent, se reproduisent et meurent : ce sont les cellules ou éléments microscopiques qui s'agrandissent, se remplissent de noyaux, prolifèrent, se transforment en fibres, en muscles, en vaisseaux, en organes divers; c'est l'affinité élective qui porte chaque élément chimique, albumine, fer, phosphore, soufre, sels, vers sa place déterminée a l'organe qui en a besoin et se l'incorpore, c'est ce travail de végétation et d'organisation qui s'opère par des lois et des procédés inconnus que les corps vivants se communiquent de génération à génération.

Nous créons les phénomènes physico-chimiques dont les lois nous sont connues ; nous observons les phénomènes vitaux ou biologiques dont l'essence nous échappe, chez le végétal, chez ranimai, chez l'homme. C'est la vie végétative qui se révèle a nous; elle est chez l'homme comme elle est chez la plante.

Physique, chimie, biologie, est-ce tout? Sommes-nous de simples plantes qui végétons et évoluons par les lois de la vie? N'y a-l-il en nous, pour nous distinguer de la matière brute, que la biologie cellulaire?

II y a autre chose : il y a des phénomènes d'un autre ordre, vitaux aussi, mais dont nous ignorons l'évolution matérielle ; ce sont les phénomènes de l'esprit ou de l'Ame, les phénomènes psychologiques. L'homme a conscience d'être; il seul, il pense, il a une vie psychique.

A côté de nous existant d'autres êtres, conformés d'une façon analogue à la nôtre. Comme nous et les plantes, ils végètent ; comme nous, ils ont un cerveau et un système nerveux ; ils manifestent des phénomènes de conscience. Ils sentent, ils pensent, ils ont une vie psychique. Nous les appelons des animaux. Sommes-nous des animaux comme eux?

Des savants l'ont dit avec modestie : « L'homme, disent Littré et Robin, est un mammifère de l'ordre des primates, de la familles des bimanes s.

« L'homme, dit Charles Richet, est le roi des animaux. »

Est-il vrai que l'homme n'est qu'un animal au sommet de l'échelle et que c'est vanité humaine que le différencier dans le classement naturel des êtres d'avec ses congénères ? Ce n'est d'ailleurs au fond qu'une question de définition.

Sans doute, notre organisme matériel ressemble à celui des animaux; notre vie végétative et en partie notre vie psychique ressemblent à la leur. Il y a de la bête dans l'homme. Elle a été étudiée, éventrée, disséquée dans tous ses organes par les anatomistes, la bête humaine. Elle a été fouillée aussi, disséquée, scrutée dans tous les replis de son être moral par les romanciers naturalistes et psychologues de cotre fin de siècle ; je doute que jamais aucune bête animale ait scruté avec autant de sagacité l'Ame d'un de ses semblables.

Ce n'est pas la structure matérielle de la machine qui établit la prééminence de l'homme sur tes animaux, ou. si l'on veut, sur les autres animaux; ce n'est pas l'existence d'une âme consciente et pensante, car les autres aussi en ont une : c'est la qualité de celte ame, c'est la qualité de celle pensée !

Celle de l'animal reste éternellement embryonnaire, comme celle de l'entant nouveau-né : elle n'évolue pas, elle ne développe pas. L'animal sent, souffre, manifeste de 1a joie, de la douleur, de la colère; l'animal pense, mais sa pensée est asservie à ses sensations, à ses instincts, aux besoins de son organisme ; elle ne dépasse pas la conception de son être matériel et de ce qui peut réagir sur cet être; on peut dire de lui que l'esprit n'est la que pour servir les organes.

L'homme a une ame perfectible dans l'individu comme dans l'espèce ; sa pensée se détache de lui-même, se porte sur les abstractions, s'élève vers l'idéal, s'élance à la conquête du monde matériel et moral. Et quand un voit ce pauvre petit être, avec ce pauvre petit cerveau logé dans cette étroite boite crânienne, jeté sur la terre sans savoir d'où il vient ni où il va. s'emparer du globe tout entier, en fouiller les secrets, dérober à la nature ses lois et ses mystères, asservir ses forces, chaleur, lumière, électricité, s'étudier lui-même, mesurer la distance qui le sépare des astres, arpenter les mondes lointains; quand on pense que l'homme qui n'est rien embrasse tout avec son esprit, quand on songe au labeur intellectuel immense que l'humanité poursuit sans cesse dans son évolution progressive, quand enfin on envisage tout ce qui est éclos de ce cerveau humain, on reste confondu par le contraste de cette petitesse avec celle immensité ! On peut presque dire de l'homme : C'est un esprit servi par des organes !

« Oui, trop modestes savants, vous n'êtes pas seulement les rois des animaux, tous n'êtes pas seulement des mammifères de l'ordre des primates, de la famille des bimanes ou même des hominiens ! Sans doute, dans quelques millions d'années ou de siècles, quand vous serez devenus des fossiles paléon-tologiques, les Cuviers d'alors ne trouveront pas dans vos squelettes les éléments suffisants pour justifier une classe à part parmi les êtres animes de l'ère actuelle. Mais nous tous, aujourd'hui, qui avons conscience de cotre ètre moral et intellectuel, nous protestons contre l'identité que les naturaliste ?.

scrutant la matière et négligeant l'esprit, veulent établir entre l'homme et la bête! Que dans lm collections zoologiques, le squelette de l'homme figure parmi les objets du lègue animal, je le concède : notre être matériel est un animal. Mais, parmi les animaux de La nature rivante, l'homme avec son esprit réclame une place à part, si l'esprit n'est pas quantité négligeable dans l'organisme humain.

Poussière terrestre animée par un souffle divin! Comme je préfère, dans sa naïveté sublime, cette conception biblique à la définition que, dans sa modestie prétentieuse, la science dite positive voudrait lui substituer.

Esprit et corps ! Force et matière ! Telle est la machine humaine vivante, avec sa structure complexe, avec son anatomie et sa physiologie, avec sa biologie et sa psychologie ! C'est elle que la médecine doit étudier et explorer, c'est elle que le médecin a pour mission de sauvegarder.

Créée pour un temps déterminé, elle est condamnée, de par son organisation, à une usure fatale, Une vie séculaire, voilà, selon Buffon et Flourens. ce que la Providence lui a destiné. « Mais aussi, dit ce dernier, avec ses mœurs, ses pas-dons, ses misères, l'homme ne meurt pas, il se tue. » Le plus souvent, en effet, 1a machine est frappée et meurt avant d'être usée par l'âge. Fragile, elle peut être blessée ou tuée par un traumatisme. Délicate et impressionnable, elle subit l'influence du milieu ambiant, des changements atmosphériques, des écarts de régime, du surmènement physique et moral. En outre, dans cette lutte à outrance pour la vie qui s'établit entre les êtres animés qui peuplent le globe et se dévorent entre eux, notre organisme devient la proie, non des plus grands — ceux-ci il les maîtrise — mais, ô ironie de ht nature! La proie des plus petits, des microbes : il devient pour ces êtres microscopiques un champ de culture où ils végètent et prolifèrent, et qu'ils empoisonnent par les toxines ou poisons qu'ils sécrètent; de là les maladies.

L'organisme n'est pas désarmé contre ses ennemis. Grâce aux secrets rouages de sa structure et aux forces inhérentes à ses éléments, il réagit de façon à neutraliser ou à éliminer les influences nuisibles. On dirait que le constructeur, ayant prévu le danger, a imaginé les dispositions mécaniques propres à l'éviter. Voyez ce corps étranger qui veut entrer dans l'œil; vile le muscle se contracte qui rapproche les paupières et soustrait le globe à son action. Une substance irritante s'est introduite avec l'air dans le larynx ou dans les bronches; la toux a lieu avec des secousses d'expiration brusque qui rejettent l'intrus hors des voies respiratoires. Notre corps est exposé à une température trop basse et tend à se refroidir par La surface; voilà les vaisseaux de la peau qui se crispent et refoulent à l'intérieur du corps le sang, véhicule de la chaleur, qui est soustraite ainsi à l'action réfrigérante du dehors. An contraire, La température extérieure devient-elle excessive et dangereuse, vile les vaisseaux de la peau se dilatent, les glandes sndoripsxes entrent en jeu, l'évaporation est activée, toutes les bouches de chaleur s'ouvrent pour Laisser s'échapper l'excédent de calorique nuisible. Une balle est projetée dans nos tissus ; ceux-ci reagissent, engendrent une capsule fibreuse protec-

trice qui enkysle la balle ei la rend moffensive ; ou bien la réaction engendre du pue qui distend les tissus et se fait jour vers la peau; la balle est éliminée avec le pus. Les microbes eux-mêmes trouvent à qui parler dans l'organisme humain, car notre sang et nos tissus contiennent des éléments cellulaires connus sous le nom de leucocytes ou globules blancs, qui ont la propriété d'absorber, de dévorer, d'annihiler dans une certaine mesure ces terribles microbes : c'est ce que les bactériologiste» appellent la phagocytose.

Ainsi notre organisme se protège et se défend, mais il peut succomber dans la lutte Le médecin lui vient en aide. Explorer la machine humaine, interroger le fonctionnement de ses divers organes et déduire de cet examen la nature du mal. provoquer ou activer les réactions nécessaires à la restauration organique et fonctionnelle ; en un mot, aider la nature vivante dans son œuvre biologique de réparation, telle est sa mission. Esse nuturœ minister, non esse magister !

Panser une plaie, ce n'est pas la guérir ; c'est la mettre dans des conditions telles que l'organisme vivant lui-même, avec ses propriétés biologiques, puisse la combler et La cicatriser. « Je le paosay et Dieu le guairit

On nous dit matérialistes, parce que nous traitons la matière. On nous dit les médecine du corps et non ceux de lame. Médecins du corps, nous le sommes, toujours occupés de nos lésions organiques et de nos microbes, armés de nos agent» chimiques, de nos drogues et de nos bistouris.

Mais nous tommes aussi médecins de l'esprit : car si nous soignons la guenille humaine, et cette guenille nous est chère, elle n'appartient à notre ministère que tant qu'elle est vivante ; le corps sans La vie qui l'anime ne nous appartient plus.

Nous savons que l'esprit est le gouvernail suprême de La machine humaine ! Lui absent, elle est frappée de paralysie psychique. Spectacle douloureux ! Elle git inerte, stupide, sans mouvement, avec des yeux qui ne voient pas, des oreilles qui n'entendent rien du monde extérieur. Cependant la vie persiste : la machine continue à se nourrir ; le sang circule a travers ses éléments ; elle absorbe et excrète, elle digère, elle respire, elle présente des manifestations chimiques, physiques et biologiques : c'est La vie encore, mais la vie automatique et végétative. Ce n'est plus une machine humaine ; ce n'est même pas une machine animale : c'est une plante qui continue a évoluer, inconsciente d'elle-même, qui n'a plus de spontanéité, plus de moi !

L'esprit absent, l'être humain n'existe plus ; son corps lui survit. Car si L'automatisme des fonctions vitales suffit à entretenir l'évolution de La vie végétative, il faut l'Ame consciente et pensante pour déterminer La spontanéité de la vie de relation, de la rie animale. L'homme manifeste son activité, se démène et s'agite, travaille ou ne travaille pas, accomplit tous les actes bons et mauvais de son existence, parce que l'esprit agit en lui. parce que l'idée inhérente au cerveau commande ces actes, donne l'impulsion aux organes et fait mouvoirs les leviers.

Mens agitat molem et magno se corpore miscet !

Mens, c'est l'homme ! «.Substance, dit Descartes, dont toute l'essence ou la nature est de penser ». L'homme pense : la machine automatiquement obéit et réalise la pensée. Qu'une idée possède le cerveau ! le corps vibre à son unisson et la matérialise ; car tous ses ressorts sont subordonnés à l'organe psychique ; car tous les actes, tous les phénomènes qui sont au pouvoir de la machine, l'esprit en a la clef et peut les déterminer. Voyez chez l'homme sain l'idée suggérée au cerveau, son instrument, jouer sur lui comme sur un clavier pour actionner les organes et les fonctions qu'il commande, faire à volonté de la paralysie ou des convulsions, provoquer ou neutraliser les douleurs, ralentir ou accélérer le cœur, faire avec le cerveau lui-même des émotions, des illusions, des hallucinations! Voyez chez l'homme malade, la simple parole, c' est-a-dire l'idée qu'elle contient, donner un sommeil bienfaisant, calmer les souffrances physiques et morales, arrêter des convulsions, restaurer l'appétit, augmenter la force musculaire, régulariser des fonctions diverses, guérir des maladies !

Sunt verba et voces quibus hunc lenire dolorem Possis et magnam morbi depellere partem

Devant ces miracles réalisés par la force psychique, on se sent pénétré de cette vérité que toute la biologie n'est pas dans la végétation cellulaire, que toute la thérapeutique n'est pas dans la médication pharmaceutique! El le médecin n'est pas un simple vétérinaire!

Imbus des idées organiciennes à outrance, habitués à considérer te corps humain comme une machine obéissant à des-lois physiques et chimiques, douée encore, on l'admet, de propriétés biologiques, certains médecins ont voulu traiter le corps malade uniquement comme on traîte une machine détériorée, ou tout au plus comme on traite une plante malade, par exemple la vigne atteinte du phylloxéra. On purge, on saigne, on désinfecte, on stimule, on calme le système nerveux, on refroidit, on réchauffe, on ralentit le cœur, on acidifie, on alcalinise l'estomac, on tue le microbe ! Tout cela est nécessaire, il serait insensé de ne pas le faire! Mais ce n'est pas tout ! L'esprit est aussi quelque chose dans notre vie physiologique et pathologique et le médecin guérisseur doit uliliser ce levier puissant. Car, comme dit Moulaigne, « c'est un grand ouvrier de miracles que l'esprit humain ».

Il existe une psychobiologie, il existe une psychotherapeutique qui agit sur l'organe de la pensée pour réagir suc les autres organes, qui fait intervenir l'esprit pour guérir le corps !

Elle est signalée depuis longtemps, l'action considérable du moral sur le physique, de l'esprit sur le corps. Assertion banale, mais vaguement conçue et incomplètement appréciée, aujourd'hui cela est devenu une vérité scientifique qui se démontre rigoureusement, comme une réaction de chimie. Une nouvelle psychologie expérimentale est née qui apporte à la thérapeutique une arme nouvelle, souvent efficace. D'une portée plus vaste encore, elle éclaire bien des questions obscure ? dans l'histoire de l'homme et de l'huma-

nité ; elle dépouille bien des mystères et des miracles en tes ramenant aux lois de la nature. Lumière projetée dans l'âme humaine, elle fouille le monde moral comme le scalpel dissèque le monde physique ! Doctrine exacte, basée sur les faits expérimentaux, par ses applications à la médecine, a la sociologie, à l'humanité, elle constitue, je n'hésite pas à le dire, une des grandes conquêtes scientifiques de notre temps.

Mais je retourne â noire organisme humain Tandis que nous l'interrogeons d'un dernier coup d'oeil, en nous scrutant nous-mêmes, j'entends une question qui impérieusement se dresse devant moi ! L'homme est une machine qui pense. Matière et esprit ! Êtes-vous matérialiste? Ètes-vous spi-ritualiste ?

Nous affirmons hautement au nom de la science, que l'esprit commande et fait agir la machine. Mais nous ajoutons, au nom de la science, que si l'esprit actionne les organes, ceux-ci a leur tour, agissent sur l'esprit. la matière lui est subordonnée ; mais lui-même est prisonnier de la matière. Chez l'homme vivant, la vie psychique est liée à l'organe ; nous ne l'observons que comme fonction du cerveau, centre de la vie psychique, comme de la vie végétative. Et cette fonction, je veux dire l'esprit, grandit, évolue, décline, se modifie, se pervertit, avec le cerveau lui-même dont elle suit les vissicitudes orgaoiques. Nous ne connaissons lame qu'enchaînée au corps, inhérente à la matière, et la science ne peut dire si lame est indépendante du corps, si l'esprit existe sans la matière ! La science seule*ne peut répondre et je crains de m'aventurer dans le domaine de la spéculation métaphysique ou de la conscience individuelle.

Je m'arrête au seuil de l'inconnu, avec le sentiment de mon ignorance profonde, mais avec foi dans l'intelligence qui règle notre destinée ! Certaines questions sollicitent avec obstination notre curiosité inquiète et impuissante. Hommes de science, sachons rester dans le domaine qu'il nous est donné d'explorer. Il est vaste et beau le monde moral et physique que nos sens contemplent, que notre intelligence embrasse, dont l'horizon est accessible à nos yeux du corps et de l'esprit ! Mesurons avec une fierté légitime le chemin déjà parcouru et avec une confiance invincible celui qui nous reste à parcourir !

Messieurs les étudiants.

Ce n'est pas de notre jeunesse universitaire qu'on peut dire : « C'est un corps sans âme ! « Vous avez affirmé voire vitalité ! Avec l'élan de vos cœurs généreux et enthousiastes, vous avec rehaussé l'éclat de nos belles fêtes, en y conviant vos camarades de France et de l'étranger. Ce n'est pas sans une profonde émotion que nous avons salué tous ses drapeaux amis venus de si loin pour se fusionner en un seul faisceau, dans une étreinte commune de sympathie pour la France et de confraternité humanitaire! Tous ces jeunes cœurs battaient A l'unisson du vôtre et dans le vôtre battait l'âme de la France ! Vous avez fait honneur au drapeau que les dames de l'Université vous ont confié. Qu'il me soit permis en leur nom de vous remercier !

Sur ce drapeau est inscrit la devise de notre martyre lorraine. » Vive labeur! » Écoutez cette parole et labourez avec ardeur le champ de la science pour que l'Université de Nancy mérite le double titre de foyer patriotique et foyer scientifique.

Le siècle touche à sa fia. Nul plus que lui n'a été tourmenté et déchiré par les événement ? et par les hommes ; mais nul n'a été plus fécond ; nul dans sa douleur n'a enfanté plus d'idées, plus de science, plus de découvertes utiles; nul n'a fouillé avec autant de pénétration les grands secrets de la nature.

Le vingtième siècle vous appartient. Faites-le aussi glorieux, faites-le plus heureux que le nôtre !

Lourdes. - Psychologie pathologique ; impressions diverses (1).

On ma, du reste, raconté le fait suivant : Une femme depuis longtemps malade et découragée, vint à Lourdes et demanda à la Vierge de la guérir ou de la faire mourir. Elle contracta une pneumonie double, à la suite de son immersion, et mourut. C'était toujours cela! Lassé d'attendre et ne voyant rien apparaître de miraculeux, je m'éloignai, bien à regret, de ce spectacle, un des plus curieux qu'il m'ait été donné de contempler.

Chemin faisant, je fus frappé de l'air de gaieté et de satisfaction des prêtres attachés à la grotte. Ils ressemblaient à des commerçants dont les affaires prospèrent et qui se frottent joyeusement les mains en voyant affluer la clientèle. Cette attitude m'a froissé, il m'a semblé qu'elle manquait de dignité et que, dans tous les cas, elle contrastait trop durement avec la naïveté et la sincérité de la foule, et surtout avec l'humble posture des pauvres desservants de villages, à la soutane râpée, à la mine contrite et ahurie, que tant de splendeurs, tant de zèle religieux, jetaient dans un émoi facile à comprendre.

Quelle mine féconde d'observations curieuses pour un philosophe, pour un neuropathologiste ! C'est tout une saison qu'il faudrait restera Lourdes, et on ne risquerait pas de s'y ennuyer. Lourdes est une véritable Cour des Miracles. On y vil en plein moyen âge, on y voit, on y entend les choses les plus extraordinaires, et je crois qu'il n'y a pas en France l'équivalent de ce pèlerinage.

Aux pieds de l'imposante basilique, j'ai vu un petit réduit plus que modeste, propre â peine, où un médecin contrôle et enregistre les miracles. J'avoue ne pas comprendre. Les malades venant à Lourdes ont tous plus ou moins épuisé les ressources de la médecine, et c'est pour s'adresser directement à celte puissance occulte et surhumaine, pour laquelle il n'y a ni

(1) Extrait du Journal des connaissances médicales. (2) Voir le numéro précédent.

lésions anathomiques, ni pathologie ni physiologie ! Le mincie, tel qu'il est

réputé se produite à Lourdes, est la négxtion même de ces lots!

Que vient faire ici un médecin ? Constater l'impuissance de la médecine dans certains cas par opposition à 1s toute-puissance divine ! La Vierge, pour les croyant», n'a que taire du contrôle d'un médecin. C'est ridicule! La foi suffit; le surnaturel ne s'explique pas. il s'impose. L'expliquer, l'enregistrer, c'est le supprimer. Le Credo quia absurdum est La régie. A Lourdes, la médecine ne peut être que la servante de la religion. Passons!

Ce serait commettre une grave erreur que de croire que ces impressions ont été fixées par un ennemi des idées religieuses. J'estime, au contraire que ces croyances, pour ceux qui les possèdent, sont une source de consolations, au milieu des épreuves de la vie. Il faut envier ceux qui croient et non les blâmer. C'est Là. du reste, un domaine d'ordre tellement intime et individuel que chacun y est maître. Mais, au-dessus de cette foule de fidèles, n'apportant dans sa foi aucune préoccupation matérielle, il y a un certain nombre d'individualités dont le désintéressement et le détachement des choses terrestres m'ont paru moins évidentes. J'en ai été heurté. Peut-être suis-je injuste, mais j'ai cru constater une exploitation peu digne d'idées respectables. La définition de Guy-Patin m'est montée aux lèvres : Animal four-bissimum bene faciens miracula, atque lucrans mirabililer ! Il faudrait méditer La lettre qu'écrivait de Jérusalem a sa mère ce grand esprit, ce coeur tendre que fut Flaubert! Le proverbe a raison : « Méfie-toi du hadji pèlerin) a. En effet, on doit revenir du pèlerinage moins dévot qu'on n'était parti. Ce qu'on voit ici de turpitude», de bassesses, de simonie, de choses ignobles en tout genre, dépasse la mesure ordinaire. Ces lieux saints ne vous font rien. Le mensonge est partout trop évident ».

***

Ayant eu la bonne fortune de rencontrer à Lourdes un de nos plus distingués confrères, accompagné de sa femme, je demandai à celle-ci de vouloir bien me communiquer ses impressions. Mme X... est douée d'une très vive sensibilité, son intelligence est brillante, son esprit Large,et, au point de vue religieux, elle est croyante. J'ai pensé qu'il serait intéressant de meure en . présence ce» impressions subie» par deux individualités differant si profondément entre elles. J'ai promis de ne pas divulguer le nom do ma correspondante cl je tiendrai parole. Je m'étais également engagé à arranger La note qui m'a été remise : de cela je me garderai bien, mes lecteurs y perdraient trop !

« Nous avion» voulu revoir ce joli pays de Lourdes, aujourd'hui devenu si célèbre. Déjà à Tarbes on s'aperçoit que l'on approche du sanctuaire. Notre compartiment est envahi par des pèlerins. Celui-ci va demander à Notre-Dame-de-Lourdes la guérison de si main, celui-là l'apaisement de violentes douleurs de dents, préférant, disait-il, offrir à la Vierge un cierge do 3 francs que de donner dix fois plus à un dentiste ! Crédulité et économie domes-

tique! Tout cela dit du ton le plus naturel, comme s'il s'agissait d'une transaction banale.

« Ces conversations m'avaient troublée et j'étais envahie par je ne sais quel malaise qui ne fit que s'accroître en pénétrant dans la ville sainte. C'est bien ainsi qu'on peut l'appeler. Une odeur indéfinissable flottait dans l'air et m'impressionnait désagréablement. Je cherchai vainement à la préciser. Était-ce l'odeur de la foule ou du pays? Tous ces gens affairés, bizarres, m'inquiétaient. On eût dit d'une fourmilière sur laquelle on aurait marché. Fourmis rapides, nerveuses, affolées. 11 me semble pénétrer dans une ville exclusivement peuplée d'agités.

• Nous entrons dans un hôtel. Là encore cette impression persiste, J'éprouvai, dans l'immense salle à manger, la sensation que donne une table que viennent de quitter des convives peu soigneux et pressés. Nappe rouverte de tourbillons de mouches, maculée de vins, verres à moitié pleins avec ce relent aigre et particulier qui vous prend à la gorge et vous fait monter le cœur aux lèvres. Depuis trois jours quarante mille pèlerins avaient traversé Lourdes ! Dans uu coin cependant, je vis un spectacle un peu plus réconfortant. Un prêtre, à physionomie ouverte, de louable embonpoint, pensant évidemment que rien ne doit troubler l'honnête homme qui dîne, dégustait son café à petits coups et fumait lentement un cigare. Sa vue me reposa un peu. Au moins celui-là n'était pas pressé! Et par la fenêtre, je voyais le flot des pèlerins, toujours, toujours, se précipitant, qui avec des bidons, qui avec des bouteilles, vers la précieuse source. Après avoir pris une collation aussi rapide que peu appétissante, nous partons pour visiter l'église et la grotte. Nous sommes arrêtés par une voiture barrant la route. Des femmes l'entourent en criant. Nous voyons un religieux bénissant la foule et dont on baise les mains. C'est du délire. On ne voudrait point le laisser partir; mais lui, promenant sa cioix sur les fidèles prosternés, se relire au milieu des gémissements et des exclamations : « Un si saint « homme! Ne nous abandonnez pas! Revenez-nous! etc. »

« Puis la foule, semblable à un torrent un instant détourné, se précipite vers la grotte miraculeuse. Nous sommes emportés par le courant et, chemin faisant, on nous accable d'offres de bouquets blancs, de cierges, de chapelets, etc. a Cela vous portera bonheur », disent les marchands, de la même voix compassée et trainante. Nous arrivons enfin à la grotte. A droite et à gauche, nous voyous des prêtres récitant à haute voix une invocation â la Vierge, et à leurs pieds, les pèlerins prosternés dans un espace défendu par des cordes et des piquets. II y a là, nous semble-t-il, des centaines d'hommes, de femmes cl d'enfants, les bras en croix, suggestionnés, fanatisés et répétant à haute voix, après le prêtre, les plus singulières litanies qu'on puisse imaginer.

« Nous avons l'impression absolue que nous revivons des âges à jamais écoulés, qu'un sourire, qu'une observation rendrait cette foule furieuse, qu'un sérait lapidé.

« L'odeur bizarre qui m'avait tant impressionnée lors de mon arrivée.

devient plus intense autour de nous, sans que j'arrive encore a la caractériser.

« Après une longue attente, nous pénétrons enfin dans la grotte, à la file indienne. Un gardien est préposé à l'entrée et perçoit les offrandes : un autre stimule La lenteur émue des visiteurs et recueille encore une contribution. C'est a peine si on a le temps de distinguer un nombre considérable de cierges de tous calibres, se consumant lentement en l'honneur de la Vierge aux miracles et jetant une lumière bizarre et tremblotante sur les parois de la grotte, peu profonde et tapissee d'une forêt de béquilles. La foule est toujours la, agenouillée, demandant la guérison de ses misères. A coté du prédi-cant se tient un prêtre chargé de recevoir les suppliques écrites, adressées, pensons-nous, directement a la Vierge ! Voilà qui laisse loin derrière soi les superstitions dont au couvent on nous appris à rire, sans songer que nous avions mieux ou tout aussi bien près de nous!

« Ce spectacle m'avait tellement impressionnée et rendue nerveuse que j'en étais arrivée a ne plus m'étonner de rien. Je m'attendais d'un instant à l'autre à voir tous ces gens tomber en extase ou en convulsions. J'étais oppressée et envahie par je ne sais quelle terreur mystérieuse. J'avais envie de me sauver. Mon mari et un ami me rassurent et me retiennent.

« Nous allons visiter la chapelle du Rosaire. Toujours celte même multitude pressée, compacte, chantant un Ave Maria quelconque. Pour essayer de secouer l'angoisse qui m'étreint et grandit, je tente, moi aussi, de chanter, mais sans succès. En revanche, je finis par me rendre compte de la nature de la singulière odeur qui me poursuivait depuis mon entrée i Lourdes. Elle est complexe el faite à la fois de l'odeur d'encens, des cierges, à laquelle se mêlent des émanations d'iodoforme et d'acide phémque!

« Dans celte chapelle obscure et basse, dont l'air est si peu respirable, je me sens de plu* en plus devenir nerveuse. Pour me donner le change, je regarde les ex vota, mais tans attention soutenue. Là encore j'aperçois une femme déposer une lettre sous le socle d'une statue de la Vierge! Les confessionnaux ne désemplissent pas !

« Nous montons enfin à l'église supérieure, non encore terminée. Là au moins la foule est moins compacte, on a plus de lumière et d'air respirable. Je me reprends peu à peu, Toujours des ex vota, toujours des prêtres distraits et alfa ires.

« Je ne pus en voir davantage; il me semble que moi aussi je suis hallucinée et que je vais voir surgir quelque apparition. J'étouffe! Mes compagnons . un peu effrayés à ridée que je pourrais devenir une miraculée. m'entrainent et me font remoniter vivement en voilure. En présence de cette grande et féconde nature pleine de lumière et de parfums, je sentis mon esprit allégé s'élever librement vers Dieu ! »

De ce récit, nous ne retiendrons qu'une chose, c'est la contagion nerveuse qui s'établit si facilement dans un pareil milieu ; il faudrait être absolument dépourvu d'impressionnabilité pour y échapper complètement.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

La Société d'hypcologie se réunira le lundi 20 fevrier, à quatre heures et demie précises, au palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. le Dr Dumonlpillier :

1° Question à l'ordre du jour : Kleptomanie et vol dans les grands magasine (suite),

2° Lectures et communications diverses.

3° Présentation de malades.

4° Vote sur l'admission de nouveaux membres.

Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général rue de Rivoli, 40 bis.

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

INSTITUT PSYCHO-PHYSIOLOGIQUE DE Paris. 49. rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronnage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladie* nerveuses est annexée à l'Institut psycho-physiolo-glque. Des consultations gratuites ont lieu les mardi-, jeudis et samedis, de dix heures a midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exerces à la pratique de la psychothérapie.

Pendant le semestre d'hiver 1892-93, des leçons théoriques et pratiques sont faites le samedi, à dix heures et demie, par MM. les Dr Bérillon et O. Jennings.

Hospice de la SALPÊTRIÈRE. — MM. Joffroy et Jules Voisin ont commencé à la Salpêtrière leur cours sur les maladies nerveuses et mentales, le 21 Janvier, et le continuent le jeudi et le samedi de chaque semaine, à oeuf heures quarante-cinq du matin.

Hopital Lariboisière. — Le Dr Raymond a repris jeudi dernier ses conférences c iniques sur les maladies du système nerveux, et les continuera tous les jeudis,dix heures du matin, à 1 hôpital Lariboisière, salle Trousseau.

Congrès annuel des médecins aliénistes de France et des pays de langue française.

(Session de La Rochelle, 1893.)

Le Congres se réunira à La Rochelle du 1er juin au 6 août 1893; il discutera les question» suivantes :

1° Pathologie : Des auto-intoxications dans les maladies mentales. — Rapporteurs : MM. Régis et Chevalier-Lavaure.

2s Médecine légale : Des faux témoignages des aliénés devant la justice. — — Rapporteur : kl. Cullerre.

3° Législation et administration : Des sociétés de patronage des aliénés. — Rapporteur, M. Uiraud.

Les personnes qui désirent adhérer au Congrès sont priées d'adresser leur adhésion et leur cotisation (20 francs, à M. H Manille, directeur-médecin en chef de l'asile de Lafond (La Rochelle).

La Section de Psychologie à 1 Exposition universelle de Chicago.

Nous recevons de M. le Dr Jastrow. organisateur de cette section, une com-munication dont nous extrayons les principaux passages :

« Dans cette section on se propose de maintenir un laboratoire en opération, atfn qu'on poisse voir les méthodes et les résultais des expériences psychologi-ques : et de montrer par une collection d'instruments, photographies, cartes, livres, etc., l'état actuel de la psychologie expérimentale. »

On est prié d'envoyer :

1° Des photographies représentant le laboratoire avec son aménagement intérieur et tes instruments ;

2° Les instruments eux-mêmes ou. a leur défaut, des photographies ou des-sins de ces appareils, avec une description détaillée qui en indique l'usage ;

3° Des publications psychologiques. On fera une collection spéciale de toutes celles qui ont été publiées dans les laboratoires ou ailleurs depuis 1870. On demande aussi une description complète des cours de psychologie expérimentale.

Chaque article ou ouvrage portera sur une étiquette le nom de celui qui l'a fourni et ce nom paraîtra de plus dans le catalogue officiel. Tous les envois doivent être adressés au professeur Joseph Jastrow, Madison (Wisconsin), directeur de la section de psychologie.

L'Institut psycho-physiologique de Paris et la Société d'Hypnologie et de Psychologie ont décidé de participer à cette exposition psychologique.

Un Musée de Psychologie et de Criminologie, à Paris.

On nous annonce la création, à Paris, d'an Musée de Psychologie et de Crimi-nalogie, dont l'organisation sera inspirée à la fois par L'Idée qui a présidé à la creation du Musée Psychologique du professeur Mantegazza, a Florence, et par celle que M. la professeur Jastrow de Madison (Wisconsin), se propose de réaliser a l'exposition de Chicago. Cest-a-dire que, si une large place est accordée an côté ethnographique, la partie consacrée a la psychologie expérimentale ne sera pas négligée.

Un Comité composé do médecins et de psychologues a été formé. Déjà un certain nombre d'objets, de do:uments intéressants, de photographies, d'appareils M d'instruments utilisés dans les recherches de psychologie expérimentale, ont été groupes.

Une somme assez importante mise à la disposition du Comité, par plusieurs souscripteurs, essore, dès à present, le fonctionnement du Musée de Psychologie et de Criminologie, dont le siège provisoire a été fixé, rue Saint-André-des-Arts.

A travers la Presse.

La Rivista spirimentale di freniatria nous apprend que le Comité central du Congrès international de Rome, a décidé, sur la proposition de ht. le professeur Lombroso, que l'anthropologie criminelle serait annexée à la section de neurologie et de psychiatrie, ce qui amènera, étant donné le nombre de communica-

tions annoncées, la nécessité de diviser cette section en deux ou trois sous-sections. N'eût-il pas été préférable de joindre l'anthropologie criminelle à la section de médecine légale, à laquelle elle s'allie par des liens tout à fait naturels?

L'Ipnotismo de Florence, organe de la Société médico-psychologique de cette ville dont elle publie les comptes rendus, fait aussi l'accueil le plus sympathique aux communications de la Société d'hypnologie et de psychologie de Paris. Cette Revue contient un grand nombre d'articles très intéressants.

Science, de New-york, donne le compte rendu de la dernière session de l'American psychological Association, tenue à Philadelphie, en décembre 1392, sous la présidence de M. le professeur Stanley Hall, de Clark University. De très intéressantes communications ont été faites par MM. Jastrow, Munsterberg, Sanford. Bryan. Nichols, Pace, Witmer, Chamberlain, Hay. Le président a fait ressortir les progrès rapides réalisés en Amérique dans le domaine de la psychologie expérimentale. La prochaine cession aura lieu à Columbia. Le bureau de l'Association a été ainsi formé : M. le professeur Stanley Hall, président; M. le professeur Ladd, vice-président, et M. le professeur Jastrow, secrétaire.

Nouveau traitement de l'hystérie.

Un médecin allemand, le Dr Wiederhold, vient d'être traduit devant le tribunal de Cassel. pour sériées graves envers une de ses clientes qu'il aurait bousculée, souffletée, battue a coups de canne et de cravache. Pour sa défense, il a déclaré qu'il était dans son droit, la correction physique étant un excellent remède contre l'hystérie. (Gaz. Heb. de Med. et de chir.J

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Du Potel. — La Magir dévoitee ; Principes de science occulte. (Un volume in-8° de 330 pages, 9 edition. — Paul Vigot. 10. rue Monsieur-le-Prince. Paris, 1893.)

Borno. — Contribution a l'étude de la Blépharite; essai d'un traitement par la glycé-rine au sublimé. (Une brochure ln-8° de SO pages. — Henri Jouve, 15. rue Racine.

Paris.)

Lcewenberg. — L'Otite grippale, observée à Paris en 189l, extrait des Annales des

Maladies de l'oreille et du larynx, novembre 1891. (Une brochure in-8° de 25 pages.

— Paul Bousrez. Tonrs. 1892) Semelaigne. — De la Législation sur les aliénés dans tee Iles Britanniques. (Un volume

in-8° de 136 pages. — Steinheil, rue Cssimir-Delavigne, Paris, 1892.) Semelaigne. — Du Restraint et du ??? Restraint en Angleterre. (Une brochure in-8°

de 36 pages. — Au? bureaux du progrès medical. 14. rue des ?arm?s; E. Lecrosnier

et Babé. place de l'Ecole-de.Medecine, Paris, l890.) Semelaigne. — Philippe pinet et sen œuvre, au point de vue de la médecine mentale.

(Un volume in.-8°- de 176 pages. — Imprimeries Reunies, me Mignon. Paris. Henri Dedichen. - Étude sur Pinel. (Une brochure in-8° de 11 pages. - Kristiana Del

Steenske bogtrykkeri, 1892)

Longbois. — Contribution à l'étude de l'état mental des hysteriques. (Une brochure in-8° de 25 pages. - Henry Oilier, 11 et 13, rue de l'Ecole de-Medecine, Paris, 1892.)

L'Administrateur-Gérant : Émile BOURIOT.

Paris. — Imprimerie brevetée MICHELS ET FILS, passage da Caire. 8 et 10.

REVUE DEL'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL,ET THÉRAPEUTIQUE

LA FOLIE COMMUNIQUÉE DE L'HOMME AUX ANIMAUX (1)

Par M. Dr Cs. FÊRÉ. médecin de Bicêtre.

L'intelligence des animaux ne se distingue de celle de l'homme que par des degrés (2) ; leurs passions sont comparables aux passions humaines (3) II n'y a donc rien d'étonnant de voir chez les animaux les anomalies et les maladies intellectuelles qui s'observent chez l'homme.

La folie se montre dans certaines espèces avec la même hérédité que d'autres névroses, comme l'épilepsie, La plus fréquente. Young a cité une famille de chats où l'épilepsie s'est montrée dans trois générations, et où dans deux générations on a vu la folie puerpérale se manifester deux jours après la délivrance (4). Si les maladies mentales sont moins fréquentes chez les animaux, c'est que la civilisation les pénètre moins et ne laisse guère parmi eux ses déchets, et que, d'autre part, la sélection est moins contrariée chez eux par de mauvaises lois.

La rareté de la folie chez les animaux rend compte de La pénurie des documents scientifiques qui la concernent. Les traités d'art vétérinaire sont a peu près muets à cet égard. La plupart des études sur ce sujet émanent de médecins qui ont le plus souvent appliqué à l'interprétation des faits les données de la psychologie humaine (5). L'imbécillité n'est pas rare parmi les animaux domestiques, en particulier chez le chien et

(1)Communication faite a la Sociéte de Biologie, le 25 fevrier 1893.

(2) Romanes. L'Intelligence des animaux, 1887. (3) E. P. Thompson. The passions of animate, 1861.

(4) British medical Journal, 1873, t. II, p. 92.

(5) Ennemoser. Beitrage zur Seeclenkunrie der Thiere. (Zeitschr. f. psych. Aerte, 1820. III, p. 49.) — Nasse. Vom Irrescyn der Thiere (ibid., p. 170). — Pienquin. Traité de la folie des animaux, 2 vol. in-8, 1839. — Lindsay. Madness In animals. (The Journal of mental Science. 1871-1872, p. 181); The Pathology of mind in the lower animals (ibid.. 1877p. 17.)

chez le cheval, mais, pas plus que l'idiotie, elle n'a guère fixé l'attention. Il en est de même de la démence paralytique (1).

Les troubles psychiques qui ont été étudiés chez les animaux sont les perversions instinctives, que l'on a fait entrer dans l'histoire de la criminalité chez les animaux (2), et les épidémies mentales se rapportant surtout aux paniques qui se manifestent principalement chez les chevaux pendant les guerres ou les manœuvres, sur les champs de foire ou dans les ferrades (3). Ces derniers faits sont particulièrement intéressants en ce qu'ils montrent bien l'influence de l'imitation parmi les animaux d'une même espèce, et c'est justement sur l'imitation des troubles morbides que je veux appeler l'attention.

Il est à remarquer d'ailleurs que des faits d'imitation entre des animaux d'espèces différentes ont été quelquefois observés, et qu'ils peuvent constituer une véritable anomalie chez l'imitateur qui en arrive à se livrer à des actes inusités dans son espèce. C'est ainsi que Romanes cite un terrier king-charles, qui avait été élevé et allaité dès le troisième jour de sa vie par une chatte et qui avait aussi peur de la pluie que sa mère d'adoption : jamais, s'il pouvait l'éviter, il ne posait ses pattes sur un endroit humide ; il se léchait les pattes deux ou trois fois par jour pour se laver la figure ; il accomplissait cet acte tout à fait à la façon des chats assis sur la queue ; il restait des heures entières à guetter un trou de souris, etc. (4).

L'existence à l'état physiologique de l'imitation chez des animaux de même espèce ou d'espèce différente nous conduit par des transitions naturelles à des faits pathologiques qui ne paraissent pas avoir beaucoup fixé l'attention : à la contagion de la folie de l'homme aux animaux.

Depuis le mémoire de Lasègue et Jules Falret, on décrit chez l'homme sous le nom de folie communiquée, un délire identique chez deux ou plusieurs personnes, vivant ensemble, mais développé plus tard chez l'une des deux, remarquable en général par sa débilité mentale. La folie

(1) Menus, Ueber paralytischen Blodsim bei Hunden (Allg. med. centr. Zeit.. Berlin, 1884, L. III, p. 569.)

(2) Lomhroso. L'homme criminel, 1887, ch. I. — Lacassagne. De la criminalité chez les animaux. (Revue scientifique, 1882, 3e série, t III, p. 35.) — A. Goubaux. Des aberrations du sens génesique et de Phybridité chez les animaux : les jumars. (.Nous. Arch. d'Obttétrique et de gynécologie, 1888, t. III, p. 455, 492.)

(3) Decroix. La Panique chez les animaux. (Bull de la Société imp. et centrale de méd. vétérinaire, 1870, p. 101.) — P. Delorme. Études sur les terreurs paniques chez les animaux. (Recueil île médecine vétérinaire. 1871, p. 753.) — G. Fleming. Panics among horses. (The Veterinarian, 1871, t XLIV, 706, 777.) — Lindsay. Mental Epidémies among the lower animals. (The Journ. of mental Science, 1871-1872, p. 425.) — Abadié. Panique chez les animaux. 'Revue vétérinaire de Toulouse, 1887, t. II, p. 496.)

(4) Romanes. L'évolution mentale chez les animaux, p. 223.

communiquée est plus fréquente chez les individus sur qui pesé une lare héréditaire commune. Son évolution présente un point particuliè-ment intéressant, c'est que la séparation amène la guérison rapide de l'imitateur, tandis que l'initiateur évolue suivant la nature de son propre mal. Plus souvent qu'une véritable folie, on voit se communiquer des anomalies émotionnelles et des intolérances sensorielles : des personnes qui vivent longtemps en commun finissent par partager des répugnances morbides pour certaines odeurs ou pour certaines saveurs ; les craintes morbides sont aussi souvent partagées. La contagion de l'émoUvité et ta répétition fréquente de l'expression des mômes émotions rend compte de la ressemblance physique qui finit quelquefois par s'établir entre ces malades.

Cette contagion des intolérances sensorielles n'est pas rare de l'homme aux animaux qui vivent en communauté avec lui. et en particulier les chiens d'appartement qui pour la plupart appartiennent à des races artificiellement dégénérées. Les relations étroites qu'il a avec l'homme (1) et son aptitude à l'imitation sont les principaux facteurs du développement intellectuel du chien. Ce sont ces mêmes facteurs qui jouent le rôle principal dans le développement des troubles intellectuels communiques.

L'induction des émotivites morbides diffuses ou systématiques (2) s'effectue d'autant plus facilement chez les animaux qu'ils y sont spontanément sujets : les peurs morbides ne sont pas rares chez les chiens et chez les chevaux (peur de la foudre, peur du sang, etc.). Rodet a môme signalé (3) chez le cheval, longtemps avant que Morel eût décrit son délire émotif, des émotivités systématiques bien caractérisées. Il cite une jument qui n'avait peur que du papier, soit qu'elle le vit, soit qu'elle l'entendit froisser ; une autre, qui ne craignait que les corps blancs inanimés, et un cheval qui avait une haine systématique pour les chevaux gris clair.

Je ne m'arrêterai pas aux faits de contagion d'intolérances sensorielles qu'on voit assez souvent se développer chez les chiens d'appartement qui vivent dans la communauté d'hysténques ou d'émotifs et incapables de supporter certaines odeurs ou certains bruits sans réagir par des manifestations bruyantes : ces animaux en arrivent rapidement à réagir de la même manière aux mômes excitations, même lorsqu'ils sont seuls. L'association de la réaction morbide de l'excitation une fois

(1) Calderwood. The Relations of mind and brain, 3e éd., 1892, p.233

(2) Ch. Fêré. La pathologie des émotions, 1892, p. 398.

(3) Rodet Doctrine physiologique appliquée à la médecine vétérinaire, 1828, p. 272.

établie est tenace, elle ne disparaît pas toujours par le seul fait de la séparation de l'animal de son maître.

Les faits d'émotivité morbide induite sur lesquels je vais appeler l'attention se rapportent exclusivement à l'agoraphobie. J'ai observé deux cas analogues, et le Dr Capitan m'en a communiqué un troisième. Je rapporterai avec quelques détails le fait que j'ai en occasion d'observer plus complètement.

Une dame. âgée maintenant de cinquante-trois ans, est atteinte d'agoraphobie depuis l'âge de vingt-deux ans. Pendant longtemps, les crises d'angoisse et d'anxiété ont conservé le même caractère, se produisant exclusivement lorsque la malade était dehors et voulait traverser une place ou une large voie. L'appui d'une personne quelconque suffisait à ht calmer, de sorte que son émotivité morbide, qui avait résisté à des traitements divers, était supportée avec résignation. Je la connaissais depuis plusieurs années, mais elle ne me demandait d'avis qu'à propos de névralgies et d'insomnies : elle était convaincue d'avoir épuisé la thérapeutique relative à l'agoraphobie. Elle ne me parlait de ce dernier trouble que pour m'intéresser à son griffon écossais qu'elle prétendait affecté de sa maladie, par contagion. J'ai accueilli avec négligence ses récits jusqu'au jour où une autre malade de la même catégorie m'a rapporté des faits absolument identiques, dont j'ignore d'ailleurs l'évo-lution ultérieure

Le chien avait environ un an quand il a été acheté par la malade; il ne présentait aucun trouble comparable à ceux qu'il éprouve aujourd'hui et dont on ne s'est aperçu qu'environ dix-huit mois plus tard. Lorsqu'il sortait avec sa maitresse qui suivait les murs et qui, lorsqu'elle avait à traverser une rue ou une place, tout accompagnée qu'elle était, s'emparait de son chien, le portait dans son bras (et il la soutenait, suivant son expression). l'animal paraissait parfaitement normal. Mais lorsqu'il sortait avec une autre personne, on remarquait qu'il suivait les murs et que quand on voulait lui faire traverser la rue. il était impossible de le faire sortir du trottoir, même tenu avec un cordon. Il manifestait tous les signes de la peur ; on était obligé de le porter. Même en suivant les murs, il ne marchait presque jamais en avant de la personne qui raccompagnait. Lorsqu'il le faisait et qu'il arrivait à une encoignure, il s'arrêtait court et quelquefois tombait.

Au mois de janvier 1890, Mme X... prit l'influenza et dut garder la chambre pendant plus de six semaines. Sous l'influence de l'affaiblisse-ment produit par la maladie aiguë, son émotivité morbide s'accrut considérablement, a tel point que le seul fait de rester debout sans soutien au milieu de la chambre lui donnait de l'angoisse, et qu'il lui était

devenu impossible de pénétrer seule dans une autre pièce de l'appartement. Pendant tout le temps que sa maltresse avait gardé la chambre, le chien ne l'avait quittée que pour ses nécessités et n'était plus descendu dans la rue ; il n'était plus sorti de l'appartement. Mme X... dut faire un assez long apprentissage pour redevenir capable de redescendre son escalier. Les essais durèrent une quinzaine de jours avant qu'une sortie dans la rue fût possible. On avait à peine remarqué pendant ce temps que le chien n'avait fait aucune tentative pour sortir de l'appartement; il s'arrêtait sur la porte et n'allait pas plus loin. Quand Mme X... eut repris ses anciennes habitudes et fut redevenue capable de sortir comme autrefois avec un appui, elle voulut faire sortir sa bête; mais quand il s'agit de descendre l'escalier, on trouva une résistance absolue. Quand on essaya de traîner la bête avec son cordon, elle fut prise d'un tremblement général, laissa aller ses urines et ses excréments; on dut renoncer à la descente La tentative a été renouvelée en ma présence, et j'ai pu observer chez cet animal tous les phénomènes caractéristiques de la terreur si bien décrits par Darwin (1) : les oreilles se portaient en arrière, la queue se plaçait entre les pattes de derrière, il était pris d'un tremblement général, se roulait par terre en hurlant, et il laissait aller ses excréments. J'ai remarqué pour la première fois dans cette circonstance, et je l'ai vu souvent depuis, un fait qui a échappé à Darwin, c'est qu'un des premiers phénomènes d'une émotion pénible chez le chien est la sécheresse du nez, qui se manifeste chez quelques chiens à la moindre contrariété. Chez l'animal en question, le phénomène était très marqué dès le moment où il était mis en demeure de franchir un espace. Lorsqu'on essayait de te descendre dans la rue et de le faire marcher, môme à côté d'une personne, la môme scène se renouvelait.

La personne qui avait vendu le chien offrit de le reprendre pour le guérir. Le fait est que quand cette bête eût été remise avec d'autres et laissée libre, elle reprit très rapidement des habitudes normales, et quand on la rendit a sa maitresse, au bout d'un mois, elle était capable de traverser une rue quand on l'appelait de l'autre trottoir. Mais au bout de quelques semaines, elle avait repris ses habitudes morbides, suivant sur les talons.

En somme, il s'agit d'un animal qui est devenu agoraphobe au contact d'une agoraphobe, et qui était susceptible de guérir par la séparation. On retrouve là les caractères principaux de la folie communiquée dans laquelle un individu atteint d'un délire qu'il a inventé, le communique à un autre, généralement d'une intelligence inférieure, qui vit avec lui. Il

(1) Darwin. L'Expression des émotions. 1877, p. 132

n'est pas sans intérêt de remarquer que l'animal qui fait l'objet de cette observation avait une aptitude très marquée à l'imitation du mouvement. Un petit garçon qui fréquentait la maison le plaçait en face de lui et lui faisait imiter des mouvements alternatifs d'élévation des mains ou de projection de la langue.

Sur l'autre cas, je n'ai que des renseignements très incomplets, n'ayant vu la malade que deux fois. L'animal, entré sain dans la maison, était devenu agoraphobe après six mois de contact. Dans le cas qui m'a été communiqué par M. Capitan, l'agoraphobie est aussi très ancienne chez la vieille fille propriétaire du chien; et l'animal présente une particularité qui mérite d'être signalée. Lorsqu'il passe dans un escalier où il y a une glace, qui lui donne sans doute l'illusion d'un large espace, il est pris de mouvements convulsifs et tombe en poussant des cris; sa maltresse est obligée de l'emporter.

Ces faits montrent que les animaux sont capables de contracter certaines émotions morbides qui paraissaient réservées à l'homme, et que l'imitation peut jouer un rôle important dans la pathogénie de ces troubles intellectuels.

HYSTÉRIE GRAVE

GUÉRISON PAR LA SOGGESTION HYPNOTIQUE (1) Par le professeur F. R. de KRAFFT-EBIXG, de Vienne.

Mlle P. B..., âgée de dix-huit ans, est entrée le G décembre 1800 à la clinique psychiatrique de l'Université de Vienne. — Dans les antécédents de la malade, on ne trouve aucun cas de maladie mentale ou nerveuse. Elle n'était pas née à terme (huit mois) Une chute de sa mère fut la cause de sa naissance prématurée. Elle n'a pas eu de convulsions ni les maladies infantiles habituelles, et a présenté dans les premières années de sa vie an développement normal. A l'âge de quatre ans elle a éprouvé une forte commotion cérébrale, sans conséquences très appréciables.

De dix ans à treize ans. elle eut des frayeurs nocturnes, paraissant atteinte de somnambulisme ; elle était nerveuse, irritable, coléreuse, cependant son intelligence était assez vive, et elle apprenait bien.

A l'âge de treize ans et demi, les règles apparurent, sans douleurs, et depuis furent normales, excepté pendant quatre mois, pendant lesquels elles s'arrêtèrent sans cause appréciable.

(1) Traduction de l'allemand par le Dr W. Soubotitch, de Belgrade (Serbie).

En 1889, la malade éprouva une grande frayeur par l'explosion d'une lampe, par suite de laquelle elle eut des brûlures superficielles an cou. A la suite de ce choc, elle présenta des troubles nerveux, devint peureuse, impressionnable, émotive, oublieuse, dormait mal, ayant des cauchemars, se réveillant souvent en sursaut. Elle eut un peu de dysménorrhée et du météorisme au moment des règles.

Au mois de mai 1890, la malade éprouva une grande contrariété. Elle fut accusée d'avoir eu un rendez-vous galant. On 1 avait confondue avec une autre. Depuis ce moment, elle se montra triste, distraite, éprouvant le matin, à son réveil, un état d'enervement difficile à dissiper.

Au commencement du mois de juillet, elle eut des accès de vertige, précédés d'une érythropsie ; elle voyait tous les objets teints de sang, et avait des scintillements devant les yeux.

Le 29 juillet, la malade eut une crise; elle s'emporta pour une cause insignifiante, puis, perdant conscience, elle eut un vertige, tomba sur le sol, en proie à un accès d'hystéro-épilepsie ; l'écume lui vint à la bouche.

Cet accès fut suivi d'un état de délire qui dura quatorze jours. Pendant son délire, elle parlait d'événements passés, chantait et riait, mais de temps en temps elle avait des visions effrayantes.

Le 12 août, elle revint à elle subitement, se sentant très faible, accusant une amnésie complète de ce qui s'est passé pendant la maladie.

Le 2G août, après une nouvelle irritation psychique, une exacer-bation de la névrose hystérique se manifesta : elle se mit à pleurer sans cause, souffrant au creux épigastrique, à l'ovaire droit, ayant des accès hystéro-épileptiques deux fois par jour.

L'aura commençait par une douleur de l'ovaire droit, s'irradiant vers l'épigastre et gagnant la tète, puis apparaissaient les phénomènes épileptoïdes, l'arc de cercle, les grands mouvements, les hallucinations de la vue (elle voit la mort avec une faux).

Comme les accès augmentaient d'intensité au point de durer plus d'une heure, de plus la malade étant envahie d'idées de suicide, on dut l'envoyer à l'hôpital.

A son entrée à l'hôpital, on constata : ovarie droite, hyperœsthésie cutanée dans la région de l'épigastre, affaiblissement général, confusion mentale.

La malade avait deux fois par jour des accès d'hystéro-épilepsie, d'une durée de vingt â vingt-cinq minutes, avec amnésie totale après la crise.

Le 15 septembre, premier essai de traitement par l'hypnose. La méthode habituelle ne réussit pas à cause de la difficulté d'obtenir la Concentration de l'attention et la fixation des yeux sur un objet brillant. Les passes et la suggestion verbale provoquent, au contraire, us engourdissement profond. Elle reçoit la suggestion de « dormir pendant un quart d'heure et à son réveil de se sentir calme ». La suggestion réussit pleinement. Le reste du traitement se borne à l'hydrothérapie.

18 octobre. — Hypnose par les passes et la suggestion verbale : la malade doit s'endormir après avoir entendu réciter l'alphabet jusqu'à la lettre P. Dans cette séance, l'état de somnambulisme est obtenu. La suggestion faîte est la suivante : - L'accès ne reviendra qu'après-demain ».

19 octobre, — Lu malade, qui ne savait rien de la suggestion intra-hypnotique. ressent les symptômes avant-coureurs de l'accès, mais elle n'a pas de crise et s'en étonne, car elle l'avait tous les jours.

20 octobre. — L'accès est limité à l'aura. Hypnose (somnambulisme) produite par les passes. Suggestion : « Vous serez exempte de votre maladie pour aujourd'hui, demain et après-demain; vous n'aurez qu'un pressentiment de l'accès ».

22 octobre. — Etat de santé très bon.

Comme la malade n'a pas encore fait l'objet d'une leçon, et comme on voit que les suggestions auront bientôt amené une guérison complète, nous nous décidons de faire un « experimentum crucis s et de faire servir la malade à la démonstration de l'accès bystéro-épileptique à nos élèves.

On l'hypnotise et on lui fait la suggestion suivante : « Vous viendrez dans la salle des cours, demain, dans l'après-midi, à cinq heures moins dix minutes, et à cinq heures précises vous aurez un accès de votre maladie: cette crise sera très légère, et je réussirai à la faire cesser au moyen des passes et du sommeil hypnotique. Cet accès sera le dernier de votre maladie. A partir de ce moment là, vous n'aurez plus jamais d'accès, et vous retournerez dans votre famille, bien portante ».

25 octobre, — La malade apparaît dans la salle de cours à l'heure indiquée, et elle est présentée aux élèves. Parmi les auditeurs, aucun ne savait rien de la suggestion faite la veille. La pendule de la salle du cours marque déjà un peu plus de cinq heures, et on ne remarque encore rien d'extraordinaire sur la malade. A cinq heures six minutes le faciès de la malade se modifie, elle devient pâle, manifeste de l'inquiétude, puis elle perd conscience et présente un accès léger d'hystéro-épilepsie. Immédiatement je l'hypnotise et fais la suggestion

suivante : « Vous êtes dès à présent débarrassée de vos accès et voua retournerez bientôt guérie chez vous ». A son réveil, elle présente une amnésie complète.

La comparaison des montres des assistants avec la pendule montre que celle-ci avance de six minutes. Ainsi la malade avait l'accès qui lui avait été suggéré exactement lorsqu'il était cinq heures à Vienne !

La malade n'avait pas de montre sur elle, et elle était assise vis-à-vis de la pendule qui avançait de six minutes.

Si la malade avait simulé son accès, il est évident qu'elle l'aurait fait lorsque la pendule marqua cinq heures,

4 novembre. — Jusqu'à présent la malade s'est très bien portée. Elle n'a plus d'ovarie et sort guérie de l'hôpital.

4 décembre 1891. — L'ancienne malade, sur notre désir, revient à la clinique. Elle présente un aspect de santé florissant et assure qu'elle se porte bien depuis qu'elle est sortie de l'hôpital.

17 décembre 1892. — Mlle 8... nous répond à une lettre que nous lui écrivons : » Je ne puis vous donner que de bonnes nouvelles, car mon état de santé est excellent ».

28 décembre 1892. — La malade revient nous voir. Elle a toujours l'air florissant, et elle assure que depuis sa sortie de la clinique elle n'a jamais souffert de son ancienne maladie. D'après un examen le plus sérieux, on peut affirmer qu'il n'y a plus chez elle aucun stigmate hystérique. Elle est bien convaincue que c'est la thérapeutique suggestive qui lui a rendu la santé, car depuis ce temps-la elle s'est sentie toute transformée, tandis qu'auparavant son état s'aggravait malgré l'emploi de tous les médicaments qu'on lui administrait, à tel point qu'elle commençait déjà à douter de la possibilité de sa guérison.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE

Séance du lundi 15 Janvier 1893. — Présidence de M. Dumontpallier.

La corretpondance imprimée comprend les quatre premiers fascicules de la Revue de l'hypnotisme allemande (Zeitstchrifl fur hypnotismus) publiée à Berlin par le Dr Grosamann, Le numéro de l'Hypnotismo, publié à Forence par le Dr Olinto del Torto.

La correspondance imprimée comprend des lettres de plusieurs membres s'ex-cusant de ne pouvoir assister à la séance.

M. le président met aux voix la candidature de M. le Dr René Semolaigne, ancien chef de clinique adjoint de la Faculté de médecine, présenté par MM. Du-montpallier et Bérillon. Cette candidature est adoptée a l'unanimité.

Sur le minimum perceptible de la lumière.

Par M. Ch. HENRY, maître de conférences à la Sorbonne.

J'ai l'honneur de présenter à la Société un photomètre-pholoptomètre spécialement destiné à la mesure des éclairements très faibles. Cet appareil très simple est fondé sur la loi de déperdition lumineuse avec le temps, d'un corps remarquable par son inaltérabilité chimique, le sulfure de zinc phosphorescent, que je suis parvenu à préparer industriellement. Il consiste en trois tubes noircis intérieurement, qui se raccordent; celui qu'on applique contre l'œil est muni, de ce côté, d'une lentille convergente à grande distance focale, ayant pour but de supprimer du champ de la vision distincte les parois du tube. Ce tube glisse à coulisse dans un autre présentant deux échancrures ellipsoïdes en bas et en haut; un ruban de magnésium, de 0m,003 de large, de 0m, 13 de long environ, de 0m-,0001 d'épaisseur, suspendu à une potence, est destiné à brûler dans cet espace isolé de l'intérieur de l'appareil par deux verres protecteurs : ces dimensions de ruban suffisent pour donner au sulfure l'illumination maxima.

Sur le tube moyen sont vissées : intérieurement, une bague qui peut maintenir en vue de la photoplométrie un nombre variable à volonté de verres dépolis ; extérieurement, le tube antérieur, terminé par deux écrans semi-circulaires, séparés par une cloison, perpendiculaire : l'un, composé de verres dépolis de couleur jaune verdâtre, identique à la teinte phosphorescente, et auquel on peut substituer, en vue des intensités très faibles, tout autre écran moins absorbant par le simple jeu d'une bague, reçoit la lumière extérieure ; l'autre est recouvert de sulfure de zinc. On sépare le tube postérieur du tube antérieur, on allume le ruban de magnésium, on note le temps au moment de l'entination, on replace le tube postérieur contre le tube antérieur, ou note te temps au bout duquel il y a égalité d'éclat entre les deux écrans.

J'ai trouvé pour les éclats i du sulfure aux différents temps f des valeurs représentées, si l'on donne la valeur 100 à l'éclat du sulfure au bout de 85 secondes, avec une approximation suffisante par l'équation.

i 0.568 (6 + 22,35) = 1701,2.

Connaissant avec toute la précision possible te temps au bout duquel il y a égalité d'éclat entre l'écran phosphorescent et l'écran translucide, on prend l'ordonnée correspondant sur la courbe des observations au temps indiqué par le chronomètre et marqué sur l'abcisse ; on la rapporte à une ordonnée quelconque exprimée en bougie-mètre, et l'on a immédiatement l'éclairement de la source en fractions de bougie-mètre. C'est ainsi que j'ai pu mesurer les éclairements de la pleine lune, des points du ciel opposés à la lune, etc.

Pour les égalités de teintes qui se produisent avant 1,400 secondes, la courbe des observations est immédiatement utilisable ; pour les éclairements plus faibles, le plus convenable est d'appliquer une formule olymptatique

qui reproduise la plus fidèlement possible les dernières observations, et, en conséquence, offre toutes les garanties d'ètre vraie beaucoup plus loin.

J'ai été conduit par une remarque théorique de M. II. Becquerel a trouver, pour les intensites de 900 à 1,400 secondes, la formule suivante :

i0.5 (1 — 18,5) — 1777,8.

C'est par l'entrapolation légitime de cette fût mule que j'ai déterminé la lumière diffuse des étoiles le 22 août 1892 (0 bgm-,0OO57O4) et le minimum perceptible de lumière.

Aubert a indiqué comme minimum perceptible de lumière une intensité 300 fois moindre que celle de la pleine lune.

L'éclairement produit par la pleine lune, dans les meilleures conditions atmosphériques, sur l'écran translucide de mon photoptomètre a été trouvé de 0bg.m, 272 ; en admettant que la quantité de lumière transmite par cet écran n'est que le 0,03 de la lumière incidente, il en résulte, pour l'intensité perçue, environ la valeur 0bg,008 qui, divisée par 300, donne 0bg-.0000267. Ce nombre est trop grand Les ingénieurs du service des phares ont adopté comme limite supérieure du minimum susceptible d'éclaîremcnt, dans une atmosphère complètement transparente, pour des yeux normaux exposés à des éclairements faibles (1), la valeur de 10 — » bougie-mètre environ. Ce nombre est très rapproché de la vérité, comme on va pouvoir s'en rendre compte.

J'ai noté le temps quatre heures) au bout duquel mon œil, après un séjour d'une heure dans l'obscurité, pouvait a peine distinguer l'intensité du suffure de la lumière propre do la rétine. J'avais eu soin, pour diminuer l'attente, d'interposer entre l'écran phosphorescent de mon photoplomètre et le ruban de magnésium quatre verres dépolis, je pouvais m'assurer, en enlevant un verre, que la tache lumineuse perçue n'était pas une illusion. En

désignant par i/d2 l'éclairement de l'écran translucide équivalent à l'éclat

du sulfure calculé par la formule asymplotiquo, en appelant d le coefficient moyen d'absorption des quatre verres pour des intensités très fortes de magnésium incandescent ;(a = 0,878. ; 6 le coefficient moyen d'absorption des quatre verres pour des intensités très faibles, comparables à celle do sulfure (b—0,71); i le coefficient d'absorption de l'écran translucide du photomètre (À = 0,0324), on a le minimum perceptible ? par la relation

bougies (29 milliardièmes de bougies).

(I) Pour avoir des nombres le plus petits pessibles, il est indispensable de conserver l'œil le plus longtemps possible dans l'obscurité. En calculant les expériences que M. A. Charpentier a .faites pour les variations du minimum perceptible p suivant la durée a du séjour de l'œil dans l'obscurité, j'ai trouvé qu'elles son! passablement bien représentées de 3e à 11e par la formule lsp-t, c'est-à-dire que les minima perceptibles, en raison inverse du carré des temps d'exposition à l'obscurité.

De quelques suggestibilités particulières ; phénomènes moteurs suggérés,

Par M. le Dr BÉRILON, médecin inspecteur adjoint des Asiles publics d'aliéné».

Plus on avance dans l'étude de l'hypnotisme, plus on constate que les phénomènes observés sont sous la dépendance de la suggestibilité du sujet. Mais ce qui frappe surtout, ce sont les modalités variées qu'affecte cette suggestibilité. Tandis que les uns présentent une aptitude particulière à tomber dans le sommeil provoqué et semblent avoir épuisé par cet acte l'étendue de leur suggestibilité, d'autres, au contraire, se montrent portés à réaliser tous les phénomènes psychiques qu'il plaira à l'expérimentateur de faire apparaître. Ils seront tour à tour hallucinables et amnésiques. D'autres, enfin, se montrent réfractaire ? à la production du sommeil, leur cerveau neutralise avec la plus grande facilité les illusions qu'on leur suggère ; par contre, leurs fonctions motrices et sensitives sont susceptibles d'être influencées avec la plus grande facilité. Très souvent des expérimentateurs ont déclaré à tort que certains sujets n'étaient pas suggestibles, parce qu'ils avaient oublié que la suggestion peut affecter isolément la motilité, la sensibilité, l'émotivité, chez des personnes qui offrent de la résistance à la suggestion du sommeil. C'est ainsi que je viens d'observer plusieurs sujets chez lesquels la motilité s'est montrée éminemment suggestible, bien qu'ils eussent été capables de résister au sommeil suggéré.

Le premier de ces sujets, âgé de 32 ans, me fut envoyé par M. le Dr Dreu-mont, de Caudry. Cet homme, de complexion très robuste, doué d'une force musculaire au-dessus de la moyenne, n'en est pas moins atteint d'impuissance sexuelle. Celle impuissance est de nature psychique, car elle ne se manifeste qu'en présence d'une femme. Lorsqu'il est seul, il est susceptible d'avoir des érections, voire même des pollutions. L'idée d'être endormi le préoccupait vivement et je ne fus pas surpris de le trouver réfractaire au sommeil. Si je m'étais borné aux premières tentatives d'hypnotisation j'aurais pu formuler, avec quelques apparences de raison, l'idée que cet homme n'était pas hypnotisante. Je me serais trompé, car chez lui la fonction motrice était suggestible et hypnotisante au plus haut degré. En effet, lui ayant appliqué les mains sur le dos, je lui affirme qu'il se sentira attiré vers moi par une force supérieure à sa volonté; presque immédiatement son corps, formant l'arc de cercle, se renverse et vient s'appuyer sur moi. Ayant acquis la certitude de sa suggestibilité motrice, je lui suggère ensuite, à l'état de veille, que ses jambes vont fléchir et qu'il va tomber à genoux malgré sa résistance. Quelques secondes après, a son grand étonnement, il tombe lourdement sur les genoux.

L'ayant conduit au fond de la salle, je lui montre un fauteuil assez éloigné de lui et je lui dis : « Il ne se passera pas deux minutes avant que vous soyiez allé vous asseoir dans ce fauteuil. Vos jambes vous y porteront malgré vous. Vous pouvez résister tant que vous voudrez, mais votre résistance sera

inutile ». Le temps indiqué n'était pas écoulé que, malgré une résistance très évidente, le sujet est assis dans le fauteuil et que l'acte suggéré est exécuté. Ce sujet, réfractaire au sommeil suggéré, cesse de pouvoir résister à la suggestion, lorsqu'elle porte sur un phénomène moteur. Il est cependant doué de muscles puissants, sur lesquels cependant la volonté d'arrêt perd momentanément son action.

Les mêmes expériences furent faites sur un jeune homme, morphinomane et neurasthénique, traité à la maison de santé du Dr Pottier. Il avait exprimé le désir d'être traité par l'hypnotisme, mais en même temps, il s'était mis dans l'esprit l'idée qu'on ne pourrait l'endormir. Il fut cependant assez influencé et plongé dans l'état de somnolence. Comme le précédent sujet, il se montre incapable de résister à la suggestion d'aller à un endroit désigné. Il s'y rend, disant que les jambes l'y portent malgré lui. La suggestibilité de sa fonction motrice parait limitée aux membres inférieurs, car il est impossible de lui faire exécuter la suggestion dôter son habit. 11 seul qu'il peut résister à cet ordre, alors qu'il ne peut résister à la suggestion de venir se rapprocher de l'expérimentateur lorsqu'il en est éloigné de quelques mètres et qu'il reçoit l'injonction de le faire.

Chez un troisième sujet, adjudaut de cavalerie, atteint d'ataxie locomotrice, qui me fut envoyé par M. le Dr Dromain et qui relira de grands avantages du traitement psychothérapique, je constatai la même suggestibilité en ce qui concernait la motilîté.

Sur une simple suggestion, faite à l'état de veille, ce malade, qui ne tombait que dans un sommeil très léger et qui ne s'avouait pas hypnotisable, se sentait obligé d'avancer ou de reculer. Il lui était impossible de résister plus de quelques secondes lorsqu'il recevait la suggestion de tomber à genoux. Comme chez les sujets précédents, sa résistance aux suggestions s'adressant à des phénomènes moteurs était de 1res faible durée, et il manifestait le plus grand étonnement d'être obligé d'aller, malgré lui, s'asseoir sur tel ou tel siège que je lui désignais.

Un autre jeune homme, âgé de seize ans, traité pour des troubles du caractère et un penchant à l'onanisme, se montre assez réfractaire à L'hypnotisa-lion. J'explore l'étendue de sa suggestibililé en ce concerne la motilité et je surpris de le voir tomber à geeoux à mon commandement, reculer ou avancer sous l'influence d'une suggestion. Un un mot, manifester une suggestîbilité excessive dès que la suggestion porte sur l'accomplissement d'un mouvement.

Je réalisai encore plus facilement les mêmes expériences chez une jeune fille de 19 ans qui résistait avec beaucoup de force a la suggestion du sommeil. Lui avant suggéré de danser eu mesure une polka jouée sur le piano, elle exécuta la suggestion, étonnée d'être obligée de danser par l'effet d'une simple suggestion ; il suffisait que La même polka fût jouée, pour quelle se sentit poussée à danser (1).

(1) Des expériences analogues. desunces à vérifier la suggestibilité de la fonction motrice, ont été réalisées par nous, avec le même succès, sur un assez grand nombre de sujets des deux sexes, de tous les ages. Il nous a paru que chez les malades atteints

Ces faits suffisent à montrer combien les modalités de la suggeslibilité varient selon les sujets II nous semble qu'on pourrait les rapprocher du cas très intéressant observé par MM. les Drs Gilles de la Tourelle et Damain et qui concerne un danseur monomane qui se livre, dans les bals publics, à une danse désordonnée, dès qu'il entend les premiers sons de l'orchestre. Ce malade subit au plus haut degré l'action entraînante de certains airs et il se trouve dans l'impossibilité de commander a ses muscles et de résister à l'impulsion de les mettre en mouvement.

Ce danseur impulsif nous parait présenter, en ce qui concerne la modalité particulière de sa suggestibilité, quelque analogie avec les sujets dont nous venons de parler à la .Société. Nous pensons que ces faits expérimentaux constituent autant d'exemples très frappants de ces actes réflexes désignés par M. le professeur Ch. Richet sous le nom de réflexes psychiques. En effet, il s'agit bien là d'un acte réflexe dans lequel l'excitation périphérique repose surtout dans une opération intellectuelle. Comme le dit justement M. Ch. Richet, l'intervention de l'intelligence n'enlève pas à ces actes le caractère réflexe, car ils sont involontaires, et même dans une certaine mesure, inconscients. Chez nos sujets, le cerveau semble avoir perdu le pouvoir modérateur qu'il exerce habituellement sur les actes réflexes et on ne peut reprocher au sommeil provoqué d'être la cause de cette inhibition cérébrale, puisque les expériences ont été faites à l'étal de veille.

Séance du lundi 20 février 1893. — Présidence de M. Aeoêm Voisin

la correspondance comprend une lettre de M. Dumowpallier, président, qui s'excuse de ne pouvoir assistera la séance, et MU. Haoul Hideux et Fontenay envolent le montant de leur cotisation pour l'année 1893: de M. le D! Jackson, de New-York, demandant â être admis parmi les membres de la Société: de M. le Dr Wakefield, de Bloomington (Etats-Unis).

M. le président met aux voix les candidatures de M. le Dr Marot, préparateur à la Faculté de médecine, présenté par MM. Auguste Voisin et Bérillon; de M. le Dr Jackson, de New-York, présente par MM. O. Jennings et Béril!on; de M. Su-rugue, docteur en droit, secrétaire particulier de M. le ministre de la Justice, présenté par MM Pierre Baudin et de Fontenay. Ces candidatures sont adoptées a l'unanimité.

M. le secrétaire général annonce que la Société a reçu de M. le professeur JastroW. secrétaire de la section de psychologie (congres d'anthropologie), une invitation à se faire représenter à 1 Exposition de Chicago; de M Clarck Bell, une invitation à prendre part an Congrès de médecine légale, organisé à l'Exposition de Chicago par la Société médico-légale de New-York. Les délégués de la Société seront désignés dans la prochaine séance.

d'ataxie locomotive, de neurasthénie, cette suggestibilité particulière était, en général, portée a son plus haut degré. Ajoutons qu'après ces expériences la suggestibilité du sommeil provoqué était sensiblement augmentée. La plupart des sujets ayant acquis la certitude qu'une influenee était exerceé sur eux, devenaient plus sensibles à l'hypnoti-sation et étaient plus facilement endormis.

(l) Gilles de la Tourelle et Damain : Un danseur monnmane. (Progrès méditai. 14 Janvier 1893) 1

Note sur un cas de léthargie observée chez une enfant de treize ans,

Par le Dr RAFFEGEAU, médecin de l'Etablissement hydrothérapique du Vennet Messieurs,

Permettez-moi d'appeler un moment votre attention sur un cas de léthargie qu'il m'a été donné d'observer depuis quelques mois, et dont certaines particularités que je n'ai pas retrouvées dans les cas analogues (1) acquis déjà à la science m'ont paru de nature à intéresser la Société d'Hyp-nologie.

Il s'agit d'une jeune fille de treize ans, non encore réglée, et dont les parents, riches propriétaires, habitent la province, qui me fut adressée le 18 novembre dernier par un distingué confrère de Paris, le D' Viallc, après une consultation de M. le professeur Charcot, qui avait prescrit l'isolement à la campagne.

On venait d'installer la petite malade dans sa chambre, où son père l'avait portée lui-même dans ses bras, lorsque j'arrivai près d'elle, et voici ce que je remarquai tout d'abord :

I.'vufant, dont le visage est d'un ovale assez régulier, était grande pour son âge et très émaciée [elle avait perdu, parait-il. trente livres depuis six mois). Elle faisait entendre une sorte d'aboiement continuel, et toutes les cinq minutes survenait une crise pendant laquelle elle sautait sur son fauteuil, et d'un mouvement saccadé se frottait vivement la tète où elle paraissait beaucoup souffrir dans la région frontale. C'est du bras gauche qu'elle se servait exclusivement, et le sourcil gauche était usé dans sa moitié externe par suite des frottements répétés.

La bouche était largement ouverte (les condyles du maxillaire étant sortis delà cavité glénoïde) et laissait voir les amygdales dont l'une, la droite, était énorme et touchait la luette.

La voûte palatine était légèrement rétrécie, et les dents, assez bien plantées, ne présentaient aucune carie. Notons, toutefois, que les incisives sont dentelées et qu'il existe un certain prognathisme de la mâchoire supérieure, facile a reconnaître depuis que la bouche est fermée.

La langue était blanchâtre, mais l'haleine n'était pas fétide.

Le nez était décoloré et comme aminci. La muqueuse qui tapisse les fosses nasales était presque desséchée.

J'essayai de faire parler ma nouvelle pensionnaire, mais ce fut eu vain ; son œil me fixait bien un peu, mais elle n'avait pas l'air de m 'ntendre.

N'en pouvant rien obtenir, et désireux de connaître les antécédents de la maladie avant de poursuivie mon examen, je priai les parents de m accompagner dune mon cabinet, et voici ce qu'ils m'apprirent :

(1) Symelaigne. Du sommeil pathulogique chez les aliène: Parie, 1835, in-8", et Annales médcio-psychologiques, janvier 1885. — Bérillon .La léthargique de Thenelles. (Revue de l'Hypnotisme, avril 1897)

La petite V... est née le 25 octobre 1879. En venant au monde, elle pesait neuf livres. La dentition fut régulière, et jusqu'à l'âge de onze ans rien de particulier à noter.

D'une intelligence ordinaire, mais d'un caractère très gai, elle s'amusait avec ses petites camarades aux jeux de son age, et se montrait affectueuse pour ses parents et pour sa sœur, plus âgée qu'elle de deux ans.

A la fin de l'année 1890, elle fut atteinte d'une fièvre muqueuse légère, et au mois de mai suivant de la rougeole.

Cette dernière affection ne présenta rien d'anormal. L'enfant s'en remit assez bien, mais l'amygdale droite resta hypertrophiée.

Pendant l'été, le médecin de la famille eut à soigner plusieurs amygdalites successives. La croissance continuait rapide, mais l'enfant, qui avait pesé jusqu'à quatre-vingt-dix livres avec ses habits, maigrissait un peu, et sa gaieté avait disparu.

Au mois d'octobre 1891, bien qu'un peu fatiguée, elle est mise en pension avec sa sœur, mais au bout d'un mois survient une nouvelle amygdalite qui la force à rentrer chez ses parents. Au bout de quinze jours elle reprend ses études et les continue jusqu'au premier de l'an, puis rerient dans sa famille, fatiguée de nouveau, et paraissant s'ennuyer à la pension, où elle ne partageait plus les jeux de ses compagnes et avait toujours peur d'être prise en défaut.

Vers la fin de mars, elle rentre un jour de la promenade en se plaignant d'un violent mal de tète qui dure deux ou trois jours, puis surviennent des douleurs frontales qui persistent pendant cinquante jours et résistent à tous les calmants.

Pendant tout l'été, elle se plaint d'une douleur assez vive au sommet de la tête, puis au commencement de septembre réapparaissent les crises de douleurs frontales qui reviennent toutes les heures dans le jour, car, chose bizarre, les nuits étaient bonnes.

Le 1er octobre, on observe pour la première fois que la mâchoire est con-fracturée. L'enfant ne peut ouvrir la bouche ni prendre des aliments, sauf à de grands intervalles, où la bouche s'entrouvre un peu pendant quelques minutes. II en est de même les jours suivants, et pour la nourrir on est obligé de se tenir en permanence près d'elle avec du lait el du bouillon pour s'en servir au moment opportun.

Le hoquel apparut le 6 octobre el se transforma bientôt en aboiement.

A la fin du mois, les parents se décidèrent à conduire leur petite fille près du professeur Charcot, qui conseilla de la placer dans un établissement hydrothérapique.

Tels sont les renseignements qui me furent fournis par le père et la mère, qui sont vigoureux, bien portants, et ne m'ont signalé aucun antécédent héréditaire. Leur fille aînée jouit d'une bonne santé et a été réglée à quatorze ans.

Dès que les parents se furent éloignés, je remontai auprès de la jeune V... el cherchai à m'éclaîrer sur son état.

Je coustatai en premier lieu une auesthésie a la piqûre complète, sauf a la région thyro-hyoldienne, au niveau des vertèbres lombaires et a l'ovaire gauche, où la moindre pression était douloureuse et provoquait un gémissement.

Les réflexes tendineux du genou étaient complètement abolis, et en procédant à celte constatation, je m'aperçus que les jambes étaient comme paralysées. Il nous fut impossible en effet, non seulement de faire marcher Mlle V..., mais même de La faire se tenir debout.

J'essayai ensuite de lui faire avaler un peu de lait, mais toute La région pharyngée, d'une sensibilité extrême, était le siège d'une sorte de spasme qui s'opposait i tout mouvement de déglutition, et je dus faire usage d'une sonde œsophagienne assez petite que j'introduisis du côté gaucho de La Lueue. L'enfant avala ainsi une bonne lasse de lait.

Tel était l'état de la jeune V... en arrivant au Vésînet. Le soir, la bouche se ferma vers six heures d'une façon automatique, mais elle resta contracturée el pendant la nuit le sommeil fut empêché par des crises analogues à celles du jour.

Le lendemain, vendredi 11 novembre, la bouche se rouvrit vers sept heures et se ferma de nouveau vers six heures du soir. Comme la veille, il fut impossible d'obtenir le moindre mot ni le moindre signe de la petite malade, saut lorsqu'elle voulait aller à La selle, alors elle faisait entendre une petite plainte et il en fut ainsi pendant tout le temps que dura la léthargie.

C'était bien une léthargique en effet que j'avais sous les yeux, et ma pensionnaire ne se rappelle nullement aujourd'hui son voyage i Paris ni son arrivée au Vésinet, mais en la voyant s'agiter dans ses crises, se frotter vivement la tôle pour calmer sa douleur, el fixer son regard sur les personnes qui l'entouraient, je ne songeais pas encore â porter ce diagnostic.

Placée sur La bascule, elle accusa un poids de 33 k. 500.

Je fis trois fois usage de la sonde au moyen de laquelle j'introduisis dans l'estomac du lait, du bouillon, des œufs et un peu de vin.

La journée du samedi 12 ressembla en tous points a la précédente, mais La nuit fut un j«u meilleure. Pendant le sommeil, La bouche restait contrac-turée quoique fermée, cl les paupières étaient abaissées. La respiration était normale el je comptais 84 pulsations a La minute.

Le dimanche 13, la bouche ouverte, comme les autres jours depuis sept heure-du matin, se ferma encore vers six heures du soir, mais le visage prit en même temps une expression extatique qu'il garda une heure, puis les yeux se fermèrent et le sommeil survint.

Le lundi 14, après une assez bonne nuit et dix minutes d'aboiement, le visage de l'enfant prit de nouveau une expression d'extase qu'elle conserva loule la journée. En même temps les crises cessèrent, tout le corps restait dans une immobilité absolue, el lorsque je soulevais les bras ils gardaient La position que je leur donnais. Celle disposition A la contracture acheva de m'éclairer sur la nature de l'affection de Mlle V...

Les mêmes phénomènes se manifestèrent pendant plusieurs semaines.

A partir de sept heures du matin, moment où elle ouvrait la bouche, la petite V... restait sans mouvement, les yeux grands ouverts et fixes, et ne faisait plus entendre qu'une légère plainte après le repas, comme si la digestion eût été difficile.

Lorsque le sommeil survenait, ordinairement vers neuf heures du soir, la bouche, fermée depuis quelques heures, restait contraclurée, mais les membres étaient en résolution (on la vil plusieurs fois ramener sur elle ses couvertures) et l'enfant paraissait dormir du sommeil le plus nature!. A une heure, à quatre heures, à six heures, el quelquefois plus souvent, elle était réveillée par des crises où elle sautait sur son lit et se frottait vivement la tète comme au premier jour de son arrivée. Si on lui parlait alors, la croyant consciente de ce qui se passait, on ne recevait aucune réponse. Le réveil de sept heures était toujours accompagné d'une sorte d'aboiement qui durait de dix minutes à un quart d'heure.

l'eu à peu cependant l'étal général s'améliorait sous l'influence d'une alimentation substantielle et de soins analogues à ceux qu'aurait reçus une malade ordinaire : (massage, hydrothérapie, promenades au grand air, etc.), et le poids était passé de 33 le. 500 à 36 k. 500.

Vers la fin de décembre, les membres perdirent leur disposition à la contracture et l'œil devint également moins terne. Bientôt je pus obtenir que le regard de l'enfant suivit le mien dans toutes les directions, qu'à ma prière sa main pressât légèrement la mienne et dès lors j'essayai, mais en vain, de l'hypnotisme pendant des heures entières.

Survint, le 6 janvier, une visite des parents à laquelle je ne m'opposai pas assez énergiquement et qui me fil perdre tout le chemin parcouru. L'enfant pleura d'abord à leur entrée dans sa chambre [el sans que la bouche se fer-mat !), mais ce fut tout. Elle retomba bientôt dans son attitude extatique, ses membres recouvrèrent leur disposition à la contracture, les mains se fermèrent roidies et elle ne voulut plus me regarder jusqu'au 15 février. Pendant toute cette période, j avais continué à la soumettre chaque jour au massage des membres cl à la douche, mais l'état général était resté stationnai re.

Vers la fin de janvier, les membres perdirent de nouveau leur disposition à la contracture et l'on s'aperçut qu'elle retirait instinctivement les pieds lorsqu'on lui donnait un pédiluve un peu chaud. La sensibilité semblait donc un peu revenir.

Quant à l'amygdale droite que je m'étais borné à loucher avec un collutoire, elle restait toujours hypertrophiée et je résolus d'employer la cautérisation au thermo-eautère. La première séance eut lieu le 7 février en présence du docteur Le Menant des Chèsnais, qui voulut bien me prêter son assistance. La petite V... poussa d'abord un faible cri, puis redevint impassible.

Le 14 février eut lieu la deuxième cautérisation, qui ne provoqua aucune réaction.

En même temps j'eus l'idée de masser tous les muscles qui s'insèrent sur

le maxillaire inférieur. Le soir méme, la bouche se ferma un peu et l'œil déviai moins atone.

Le lendemain 15, je continuai le massage pendant un quart d'heure. La bouche se ferma encore plus et le regard de l'entint recommença à suivre le mien a droite et à gauche comme avant le premier de l'an. Des lors, j'essayai de nouveau de la suggestion. « Vous pouvez fermer la bouche, lui dis-je, vous pouvez me parler ». cl m'adressant à la religieuse qui la gardait : « Ne vous étonnez pas, nu sœur, de voir bientôt les lèvres se loucher ».

Le jeudi 16, mêmes pratiques et progrès encore plus marqué ; j'obtiens des serrements de main à plusieurs reprises.

Le vcnlredi 17, les dents se louchaient dans l'après-midi et j'arrivai a faire prononcer d'une façon assez distincte, malgré la contracture de la mâchoire qui persistait encore, les voyelles a, o, u, e, i, et les mots papa, maman. Je me relirai plein d'espoir, nuis quelle ne fut pas ma joie lorsque le lendemain malin à sept heures un quart, la religieuse vint me dire tout émue : « Docteur, Mlle V.„ parte et boit seule ». Je courus aussitôt auprès de ma petite pensionnaire que toutes ses voisines entouraient déjà émerveillées cl qui me reçut en souriant : « Bonjour, monsieur le docteur, sœur Louise m'a tout raconté et je suis bien heureuse d'être guérie ».

voici comment le réveil avait eu lieu : l'a peu avant sept heures, l'enfant avait eu le hoquet comme d'habitude, puis tout à coup elle s'était mise à pleurer en icgardanl autour d'elle et s'écrianl : « Où suis-je donc ? » La religieuse s'étant approchée immédiatement pour la rassurer: « Mais qui êtes-vous ? » lui dit-elle. La sœur la mit aussitôt au courant de ce qui s'était passé el la royant rassurée s'empressa de venir m'annoncer la bonne nouvelle.

Le réveil était complet en effet, ainsi que je pus m'en rendre compte par les différentes réponses qui me furent faites, mais je constatai non sans surprise que les derniers souvenirs de l'enfant remontaient a la dernière quinzaine de septembre. Ainsi elle avait quille son pays, était restée quelques jours à Paris et avait été conduite au Vésinet sans en avoir conscience. Elle ne se rappelait pas non plus avoir prononcé la veille les voyelles a, e, i,o, u, ni le» mots papa, maman.

Après m'étre assuré que les mouvements de déglutition se faisaient avec facilité, j'essayai de faire marcher la petite malade, mais les reins étaient faibles et elle ne put avancer que soutenue sous les épaules et en faisant glisser les pieds sur le parquet. Je remarquai également qu'il existait une semi-anesthésie du côté droit et une parèsie du bras droit.

Hier dimanche, le nez a commencé a redevenir humide et l'enfant s'est mouchée deuz fois.

Mlle V... prend maintenant ses repas à La table commune et avale facilement des œufs i la coque, des purées, de la viande coupée par petits morceaux, etc. C'est une enfant modeste, mais d'un caractère gai el plutôt un

peu babillarde ; elle est, du reste, fort bien élevée et fait preuve de sentiments délicats.

Aujourd'hui lundi, la marche est déjà plus facile et j'espère bien que ma petite pensionnaire pourra bientôt rentrer dans sa famille tout à fait guérie.

Applications thérapeutiques de la suggestion prœ-hypnotique,

Par le Dr L. STEMBO, de Wilna.

L'application thérapeutique de la suggestion, d'une manière ou d'une autre, gagne de plus en plus de terrain.

Des sommités médicales comme Möbius et Leyden la préconisent dans leur enseignement. Le premier attribue, comme on sait, les quatre cinquièmes des résultats obtenus par l'électrothérapie, à la suggestion. Leyden considère la suggestion, comme il le déclarait dans sa dernière communication à la Société " Hufelaod", à Berlin, comme un très puissant élément de notre action médicale.

Ewald (Berlin) considère aussi l'action calmante de la faradisation chez, certains nerveux hyperœsthétiques de l'estomac, comme une conséquence de la suggestion. C'est pourquoi on comprendra que, nous médecins, ayons, dans la pratique habituelle, recours à la suggestion, toujours dans les cas appro-priés.

Les suggestions sont, comme on sait, divisées en intra et post-hypnotiques. Maack, de Kiel, parle aussi de suggestions prœ-hypnotiques.

Les idée» suggérées pendant l'hypnose et devant se développer pendant l'hypnose, s'appellent intra-hypnotiques Si l'action de la suggestion doit se-produire immédiatement ou peu de temps après l'hypnose, on la nomme post-hypnotique. Quand on suggère quelque chose à un sujet, à l'état de veille, avant la production de l'hypnosc, et que l'idée suggérée doit se réaliser pendant l'état d'hypnose subséquent, on doit se réaliser sous l'influence-de l'hypnose, ou désigne celle suggestion sous le nom de pro--hypnotique.

Il y a encore la suggestion rétroactive où il s'agit de li suggestion de souvenirs illusoires, persistants après le réveil.

Au lieu de la division en tant de degrés, Liébeaultel Bernheim, divisent, maintenant, d'après Forel, le sommeil hypnotique en général, seulement en trois degrés : premier degré, somnolence ; second degré, léger sommeil (hyp-notaxie ; troisième degré, profond sommeil (somnambulisme).

A l'état de somnolence, la personne peut facilement repousser les suggestions. Au second degré, les suggestions sont déjà plus facilement exécutées, mais dans les deux premiers, l'amnésie n'exisle pas. Dans le somnambulisme, presque toutes les suggestions sont accomplies avec complète amnésie au réveil..

Mais il y a quelques malades, peu nombreux d'ailleurs, pour lesquels la manière habituelle de suggestionner, pendant le sommeil, si bien fondée qu'elle soit, ne réussit pas. Premièrement, il y a des malades qui par l'hyp-

nolisation, tombent dans le sommeil ordinaire au lieu du sommeil hypnotique; quand il en est ainsi, ou le reconnaît facilement à ce que, quoique dans le plus profond sommeil, ils n'accomplissent pas les suggestions et qu'ils laissent retomber la main quand on la soulève (Prever).

Deuxièmement, il y a des patients qui, même après plusieurs essais d'hyp-notisation. n'arrivent qu'à éprouver de la somnolence. Mes efforts pour les éveiller et les endormir plusieurs fois, consécutivement, comme le conseillent Wetterstrand, Forel et de Corva), pour fortifier l'hypnose, restèrent souvent sans résultats.

J'ai aussi plusieuis fois essayé par de petites doses de narcotique (von Schrenk-Notzing), de renforcer le degré de l'hypnose, ce qui aussi souvent réussit, mais malheureusement, par ce procédé, la suggestibilité que nous cherchons principalement à obtenir, n'est pas essentiellement augmentée.

Troisièmement, il y a des cas, il est vrai, où ils tombent facilement dans le second degré de l'hypnose ; mais la circonstance qu'il n'y a pas d'amnésie, empêche de réussir, car beaucoup des personnes des meilleures classes qui ont lu ou entendu parler de l'hypnose, n'acceptent les suggestions comme devant être suivies de résultais, que s'il n'ont aucune mémoire de ce qui leur est arrivé pendant l'hypnose ; dans le cas contraire il se fait chez eux une auto-suggestion contraire, qui agit contre la nôtre.

Beaucoup de patients de cette catégorie ne peuvent exécuter certains mouvements, signe qu'ils sont vraiment dans l'hypnose.

Chez de tels malades, la suggestion ne réussit pas, parce que ceux de la première catégorie n'entendent pas et par conséquent ne peuvent saisir, et chez ceux des deux dernières catégories, parce qu'ils entendent et gardent le souvenir de ce qu'ils ont entendu. L'assertion de Pitres ( 1 ) que « Certains sujets ne sont pas susceptibles d'être influencés par les suggestions pendant leur sommeil hypnotique, et que d'autres sujets acceptent les suggestions dans certaines phases du sommeil hypnotique et ne les acceptent pas dans les autres », se trouve complètement confirmée par mes observations.

Je veux ici, incidemment remarquer, que la définition de Bernheim, l'hypnose est un étal psychique que la suggestibilité caractérise, doit au moins supporter une réduction, car une suggestion à l'état de veille peut être plus efficace qu'une hypnotique. Donc, dans tous les cas, où après quatre ou cinq suggestions pendant l'hypnose, aucun résultat n'a été obtenu, je me tournai vers la suggestion prœ-hypnotique, la suggestion nécessaire étant donnée avant l'hypnose.

Moi-même, ou un des médecins assistants, disais au malade : * Vous serez bientôt endormi et votre souffrance, votre penchant pervers ou votre habitude sera pendant tel ou tel laps de temps, ou pour toujours, guérie ». La-dessus le patient était hypnotisé et pendant son sommeil, il ne lui était fait aucune suggestion. Chez une grande partie de ceux-là, de celle façon, le but cherché fut obtenu.

(1) Leçons cliniques sur l'hysterie, 1891, t. II, p. 166.

Des nombreux cas que j'ai observés, je citerai seulement les quatre suivants : deux de dipsomanie, un d'incontinence d'urine et un de morphino-manie.

L alcoolisme a déjà été bien des fois l'objet d'un traitement par la suggestion thérapeutique par Forel, Beraheim, Wetterstrand, Bérillon. Ladame, Ringier, Lloyd-Tuckoy, NeiLson et beaucoup d'autres. Les deux observations suivantes viennent confirmer leurs conclusions :

Première observation. — B. B.. , soixante ans, issu d'une famille saine, a beaucoup travaillé dans sa vie, mais encore plus bu; il s'adonna surtout à la boisson torique, il y a douze ans il cessa ses affaires et commença à vivre en rentier. Il but journellement plu* de trois bouteilles de vin et de deux à quatre qnarts d'eau-de-vie.

Depuis plus de huit ans commencèrent à se manifester chez lui différents signes de l'intoxication chronique par l'alcool, tout d'abord une néphrite chronique, puis deux ans après une polinevrite siégeant principalement dans les extrémités inférieures. Enfin apparurent du tremblement, des vomissements, de l'anorexie et l'affaiblissement de la mémoire; puis survinrent des accès con-vulrifs.

Comme tous les moyens échouaient, les parents du malade et le patient lui-même me demandèrent d'essayer l'hypnose.

Il s'endormit facilement dès le premier essai. Comme j'étais persuadé qu'il n'était pas dans le sommeil hypnotique, je tentai, dès la séance suivante, de la suggestion prœ-hypnotique.

Celte suggestion eut un effet si remarquable que le malade, après trois séances faites dans l'espace de six Jours, cessa pendant deux mois de prendre de l'eau-de-vie. et te contenta d'un peu de vin dont je loi prescrivis moi-même l'usage. Malheureusement l'amélioration dura seulement trois mois.

Deuxième observation. — Il s'agit aussi d'un cas de diplomanie périodique. Je l'ai traité par le même procédé, et la guérison fut durable.

Il concerne un domestique qui me fut envoyé par mon collègue M- le Dr Pro-zorom, pour tenter le traitement hypnotique. C'était un homme d'uue qunran-taine d'années, qui, autrefois, menait une vie très tranquille et sobre, et élait depuis beaucoup d'années en service chez la même personne. Depuis six an* il avait commencé à ressentir en lui, tous les trois ou quatre mois, des accès dipsomaniaques qui doraient pendant sept, même dix jours, pendant lesquels aucun moyen ne pouvait le détourner du besoin de boire de l'alcool.

Au premier jour d'un tel accès j'entrepris le traitement, et après six suggestions prœ-hypnotiques, il était guéri. Depuis un an et demi, il n'a plus eu d'accès.

Troisième observation. — Un garçon de douze ans, faible. Issu d'uno famille fortement névropathique, et souffrant d'une incontinence d'urine, me fut envoyé par mon collègue, M. Scmcnlzki, pour essayer le traitement suggestif si l'électricité ne réussissait pas. Mais là, l'électricité, qui dans beaucoup de cas de eetie maladie m'a rendu des service» excellents, ne produisit aucun résultat, nonob-tant les différentes méthodes que J'avais employées.

Alors mon collègue, sur le désir de» parents, me pria d'essayer do la thérapeutique suggestive chez l'enfant, dont la grand'mère souffrait également d'une incontinence d'urine : ce n'était par seulement une énurésie nocturne, mais aussi une diurne, car le petit, par défaut d'attention, urinait aussi dans le Jour. La mère devait plusieurs fois, chaque nuit, se lever pour mettre l'enfant sur la vase. avec cela son sommeil était si profond qu'il n'ouvrait même pas les yeux; le lendemain il n'avait aucun souvenir d'avoir été réveillé pendant la nuit.

Maigré ces précautions, il urinait encore très souvent ai lit. En outre, l'enfant était toujours très distrait, étudiait sans application, ne témoignait aucune sym-patbie aux amis de sa famille. Des quatre enfants de ses parents, il était le seul

qui présentai ces troubles.

La première séance de sommeil à laquelle le Ds Semeotzki eut la bonté d'sssi'tor dura à peu près dii minutes.

Ouoiqu'il fût plongé pendant les trois séances suivantes dans un sommeil assez profond, il ne se manifesta cependant dans son état normal aucun changement appréciable. C'est pourquoi Je procédai ?v?? lui par suggestion prœ-hyp-Dotique.

Comme essai. je lui suggérai d'abord seulement qu'il devait dès maintenant saluer les connaissances de ses parents ainsi que les siennes, ce qu'il accomplit après ponctuellement.

Les suggestions suivantes furent dirigées contre l'énarésie diurne, et, en effet, dans l'espace de plusieurs jours qui s'écoulèrent entre cette hypnotisation et les suivantes, il ne se mouilla plus pendant te Jour.

La foîs suivante je lui dis :

s Eh bien, puisque tu en es à ce point, chaque fois que tu auras besoin la nuit, tu t'éveilleras et tu prendras le vase et lu feras. »

Cette suggestion fut accomplie à la lettre, l'enfant s'éveilla, alla les yeux ouverts au vase et urina, ce que sa mère vit arec le plus grand étonnement, car l'enfant n'avait jamais rien fait de semblable. Après deux autres suggestions, le traitement de ce malade était terminé.

Ouelques temps après, je rencontrai mon collègue Semenizki. et il me dit que la guénson se maintenait

Ce procédé me réussit encore avec quelques enfants que j'avais hypnotisés sans succès, et j'obtins des résultats très favorables.

Je n'eus pas un aussi bon succès hypnothérapique arec les morphinomanes qu'avec les dipsomanes ou les incontinents, cependant les succès de Bernhelm, Wetterstrand et Bérilloa soit nombreux.

C'est pourquoi je veax aussi publier le cas suivant de morphinomanie que j'ai traité avec succès par la suggestion prœ-hypnotique.

Quatrième observation. — G. L.... trente-cinq ans, capitaine de cavalerie, souffrait depuis plusieurs années d'une hémicranio gauche qui l'importunait très souvent, et était accompagnée de fortes contractures dans tous les membres (sans perte de connaissance).

Les douleurs étaient si insupportables qu'il essaya de se suicider en s'en— vojant une balle dans la poitrine. Heureusement la balle n'atteignit qu'une cote et se logea près de la colonne vertébrale, d'où plus tard elle fut enlevée. ? l'émicranie se joignirent encore des douleurs dans l'épaule gauche et dans l'extrémité inférieure du même côté.

Pour apaiser ou au moins diminuer ses douleurs intolérables, les médecins lui firent des piqûres de morphine. lesquelles bientôt durent être laites de plus en plus souvent et a plus forte dose. Mais comme son médecin habituel se refusait à lai administrer une plus grande dose de morphine, il s'adressa souvent à d'autres médecins. Il alla si loin dans cette voie qu'il arriva à la dore quotidienne de douze grammes de morphine.

Lorsqu'à la fin do mars M. le Dr Korneitzik-Servastjanow me l'envoya, cet homme de moyenne force, très affaibli, se plaignait d'une faiblesse générale, d'un manque de sommeil, d'appétit et d'énergie, accusait des sensations douloureuses dans différents nerfs.

Chose remarquable, je ne constatai chez ce malade aucun rétrécissement de la pupille, aa contraire, il présentait de la mydriase.

Le malade avait déjà tenté de différents essais de suppression, mais comme

l'énergie lui manquait pour persévérer, il me pria de lui venir en aide avec l'hypnose.

Dès la première sensation d'bypnotîfation. qui fut faite en présence de mon collègue, M. Korneitzik-Servastjanow, ce malade tomba en somnolence. La seconde séance fut faite chez mon collègue, mai* je ne réussis pas à l'endormir, très probablement parce que le malade était très agité. A la troi*ièrae séance, il tomba dans un léger sommeil. Un sommeil plus profond ne fut pas obtenu même avec l'aide du chloral. Les suggestions qui lui furent faites dans cet état hypnotique restèrent sans sucess parce que. comme le malade le dit lui-même, il était convaincu que seulement en l'état de complète hypnose, avec amnésie, une suggestion pouvait agir efficacement. Comme d'aucune façon on ne pouvait l'amener au troisième degré de l'hypnose, j'e**ayai avec lui de la suggestion prœ-bypnotique.

Encore avant mon arrivée le Dr Servastjenow lui dit : « Le Dr Stembo vous endormira de nouveau et vous suggérera que vous aurez pendant quarante-huit heures un dégoût de la morphine. Vous ne pourrez ni voir la morphine ni même y penser, et ainsi de suite. Vous n'aurez pendant ce temps aucune douleur, par suite aucune raison d'employer de la morphine s.

Là-dessus, j'arrivai. Je l'hypnotisai sans lui faire la moindre suggestion. A son réveil, le patient était très satisfait de cette hypnose, disant qu'il n'avait pas entendu les suggestions qui lui avaient été faites, et que, par conséquent, il avait très profondément dormi.

Cette suggestion fut ponctuellement suivie. Quatre autres séances, faites dans les mêmes conditions, amenèrent le résultat désiré.

La suggestion prœ-hypnotique consiste donc en une suggestion donnée dans l'étal de veille proprement dit, laquelle ne se fortifie que par le sommeil suivant, soit hypnotique, soit naturel.

Comme dans la thérapie suggestive il ne s'agit qu'avoir un effet suffisant sur la psychique, il nous est indifférent d'agir par un procédé ou par un autre qui amènera le résultat désiré.

Par quel que soit le procédé employé, si nous pouvons seulement soulager les malades, nous aurons obtenu un résultat utile. Que nos malades, traités par la suggestion hypnotique aient des rechutes dans quelques cas, cela ne doit pas nous empêcher de recourir à ce procédé.

Pas plus que les autres médications, la suggestion, prœ-hypnolique ou non, n'esl infaillible. L'essentiel, c'est qu'elle rende des services là où les autres moyens ont échoué. Le but de cette note était de signaler à nos confrères un nouveau moyen de déposer la suggestion dans l'esprit du patient lorsqu'il no parait pas disposé à la recevoir par les moyens de suggestion habituels.

Maladie de Basedow traitée avec succès par la suggestion hypnotique. — Disparition presque complète du goitre.

Par M le Dr Ant. MAVROUKAKIS

Messieurs,

Avant de vous communiquer mes observations, je suis heureux de profiter de l'occasion qui m'est offerte, de prendre aujourd'hui la parole devant vous, pour remercier la Société d'Hypnologie et de Psychologie, do l'honneur

qu'elle m'a fait dernièrement, en m'admettant parmi les siens, et aussi pour proclamer hautement toute ma gratitude envers mon maître, M. le docteur Bérillon, qui a mis tant de complaisance à me fournir tous les moyens de n'exercer à la pratique de la thérapeutique suggestive dans son Institut de Psycho-physiologie.

J'ai eu l'occasion d'y étudier de près bien des malades différents et d'y faire l'expérience sérieuse de la bienfaisante influence de la suggestion sur l'esprit de ces malades. Deux, entre tous, m'ont paru particulièrement intéressants. C'est l'un d'eux que je vais avoir l'honneur de vous présenter aujourd'hui-même, me réservant pour l'autre jusqu'à un moment plus opportun.

Le cas dont il s'agit est un goitre exopthalmique. - La malade. Mme Ch..., est âgée du 50 ans. Elle est mariée depuis l'âge de 27 ans, mais n'a jamais eu d'enfants. Son père est mort d'un accident, sa mère d'une maladie de cœur. Elle ne porte aucune autre tare héréditaire. Depuis sa naissance jusqu'au moment où la maladie présente a commencé, cette femme n'a eu aucune maladie grave. La menstruation seule a toujours été irrégulière, tantôt apparaissant huit ou dix jours avant le terme cl tantôt tous les deux ou trois mois, toujours avec des douleurs et une perte insuffisante de sang. Il y a déjà neuf ans, c'est-à-dire deux ans avant que la menstruation cesse, que la malade a seDli à son ovaire gauche des douleurs légères qui ont passé telles qu'elles sont venues, sans aucun traitement. Six mois après, la malade a aperçu que son cou augmentait de volume, et cet accroissement devenait plus grand après chaque émotion vive ou chaque fatigue corporelle. Il y a déjà quatre ans, après une émotion très vive, la malade a eu des palpitations du cœur assez fortes et de la dyspnée. Depuis, les palpitations se répétèrent lous les deux ou trois jours et même quelquefois tous les jours ou deux fois par jour. Ensuite la grosseur est devenue considérable et une éruption esl apparue sur la joue gauche et sur le front. Maux de tète par accès. Polydurie el pollakiourie après chaque émolion. Pendant ces derniers quatre ans, elle a eu cinq ou six attaques hystériques.

Le jour de sa présentation à la clinique de M. le Dr Bérillon, le 15 novembre 1892, nous avons examiné la malade et voilà ce que nous avons pu constater :

Du côté des yeux seulement, une diminution de la réaction de la pupille gauche. Du côté du corps thyroïde, uue tuméfaction bi-laléra!e considérable et des pulsations plus intenses des vaisseaux du cou. Son cou mesurait trente-sept centimètres et demi. Du côté du cœur, palpitations par accès tous les jours, mais, quoique j'aie ausculté le cœur, je n'ai constaté rien d'anormal. Son pouls est faible el fréquent, 85 à 90, et pendant les accès, 110 à 120; température normale. Insomnie, dyspuée, surtout pendant les accès, inappétence, constipation opiniâtre. Hémianesthésie du côté gauche. La malade avait le caractère égal et doux avant la maladie, mais pendant sa durée est devenu emportée. Elle n'a pas d'hallucinations, sa mémoire est intacte, son intelligence bonne, sa volonté assez ferme. Elle a des idées

noires et elle craint de mourir d'une maladie du cœur comme sa mère. Sueurs pendant la nuit. Les réflexes teudineux sont normaux.

La malade est bien hypnotisable et bien suggestible. Dès la première fois je l'ai endormie, cl pendant les séances suivantes je lui ai suggéré l'idée de la guérison el j'ai pu arriver aux résultats suivants :

La tuméfaction du corps thyroïde a diminué considérablement, son cou mesure à l'heure qu'il est trente-deux centimètres et demi, c'est-à-dire qu'il y a une diminution de cinq centimètres. Un jour son cou mesurait trente-quatre centimètres, j'ai endormi la malade et je lui ai dit : « Madame je m'en vais vous faire une opération pour enlever la grosseur du cou, et quand elle sera faite je vous réveillerai et il n'existera plus aucune trace », et eu disant ces mots, j'ai enveloppé son cou avec le mètre, sans exercer la moindre pression. Un quart d'heure après je réveille la malade, je supprime le bandage et je fus étonné en voyant que son cou ne mesurait que trente-deux centimètres. Depuis, sa grosseur est revenue à la suite d'une émotion très vive, mais elle n'a jamais dépassé les trente-trois centimètres. Les palpitations sont déjà rares et la sensibilité est presque revenue, les maux de tète ont passé, elle dort bien la nuit, sans lèves et sans suffocation, elle est bien calme et gaie, l'inappétence est disparue ; mais une chose encore aussi frappante que la diminution de la grosseur du cou, est celle-ci :

11 y a déjà quatre ans que la malade souffre d'une constipation opiniâtre, eh bien ! dès la première séance, je lui ai suggéré l'idée qu'il fallait qu'elle aille tous les malins à sept heures et demie à la selle, et. chose curieuse, la malade ne peut pas s'en dispenser ; à sept heures et demie juste elle est forcée d'y aller. « Plusieurs fois j'ai essayé de résister à ce besoin, me dit la malade, mais je ne peux pas y arriver; quelque chose m'y pousse malgré moi ».

Maintenant je puis considérer la malade comme guérie, il n'y a plus besoin que de quelques séances pour consolider la guérison.

VARIÉTÉS

La guérison par la foi.

M. le professeur Charcot vient de publier dans la New Review un intéressant article dont nous extrayons les passages suivants :

On peut, dit-il, définir le miracle thérapeutique, et les lois qui président à sa genèse et à son évolution commencent à être suffisamment connues pour que l'ensemble des faits réunis sous cette dénomination soient présentés de manière précise, de manière à ne point échapper à l'appréciation. Nous devons nous féliciter aussi que, grâce à une intelligence plus claire de son pouvoir, les grandes ressources de la guérison par la foi soient chaque jour plus complètement dans notre main et que, par suite, la maladie nous trouve plus fortement armés contre elle.

Là se trouvent groupés tous les éléments de la définition que nous nous

proposons de discuter. Ce groupement nous conduira à une conclusion que je puis, dès à présent, formuler. La guérison instantanée produite par la foi et connue sous le nom de miracle est simplement, comme le prouve l'immense majorité des cas, un phénomène naturel, commun a toutes les époques, aux procédés les plus différents de la civilisation et dans les religions les plus variées Il est aussi irrégulier dans ses manifestations et qu'il est généralisé sous toutes les latitudes.

Les faits miraculeux ont un double caractère : ils naissent d'une disposition spéciale du patient, confiance, crédulité, facilité à la suggestion, comme on dit aujourd'hui, toutes circonstances favorables à la guérison par la foi, qui sont, du reste, survenues de mille manières différentes.

D'antre part, le domaine de celte guéridon par la foi est limité. Pour produire ses effets, elle ne doit être employée que dans les cas dont le traitement réclame, pour unique intervention, la puissance que l'esprit exerce sur le corps. Par exemple, on ne saurait trouver, dans les annales sacrée», de cures prétendues miraculeuses dans lesquelles la foi ait suffi pour rétablir un membre amputé, tandis qu'au contraire les cas abondent de guérison de paralysies.

M. Charcot établit tout d'abord une importante constatation :

Les médecins nommés pour examiner d'un peu près ces miracles sont obligés de convenir que la disparition soudaine de la paralysie et des convulsions n'est due à aucune cause qui sorte du domaine de la loi naturelle. Ils se contentent de chercher à démontrer que les tumeurs et les ulcères sont marchandise courante dans le royaume de la thérapeutique miraculeuse. Cela même, M. Charcot ne le conteste pas. Il reconnaît que la foi peut, dans certains cas, faire disparaître ulcères et tumeurs; mais il affirme, en revanche, que les lésions de cette espèce, malgré leur dissemblance apparente, sont de la même essence que la paralysie dont il a été question tout à l'heure. La science a démontré que la paralysie et les convulsions avaient une commune origine hystérique, ce qui revient à leur donner un caractère, non pas organique, mais dynamique ; si l'on arrive donc à prouver que les cancers et les tumeurs sont aussi d'origine hystériques et susceptibles du même traitement que la paralysie et les convulsions, c'en sera fini de la théorie des miracles.

Que la guérison par la foi. dit M. Charcot. soit religieuse ou laïque, c'est une distinction sans aucune importance : le même travail du cerveau produit dans les deux cas le même effet. Ce qu'on observera pour le second cas peut donc, en tout élat de cause, s'appliquer au premier.

L'antiquité et le moyen-àge fourmillent d'exemples de celle thaumaturgie, depuis le Magicien jusqu'au prince de Ilohenlobe, au commencement de

ce siècle, sans parler du diacre Paris, qui jouissait du pouvoir d'accomplir des cures miraculeuses. Et il est curieux de consister avec quelle unanimité ces différents thaumaturges qui, d'ailleurs, appartenaient presque tous à des ordres religieux, fondaient des lieux de pèlerinage, où les miracles continuèrent, bien entendu, à se produire après leur mort. Il est a noter que, dans ces pèlerinages, ce n'est pas la Divinité elle-même qui est invoquée, mais ses prophètes ou ses disciples.

Presque toujours, c'en un simple mortel, favorisé de la canonisation pour avoir réalisé des miracles pendant sa rie. Et souvent, ces thaumaturges eux-mêmes avaient été atteints pendant presque toute la durée de leur vie de ces maladies qu'ils guérissaient si rapidement chez les autres. Saint François d'Assises et sainte Thérèse, dont les pèlerinages comptent parmi les plus renommés pour leurs cures miraculeuses, étatent, à n'en pas douter, des hystériques.

Il faut remarquer également que les guérisons par la foi ne produisent pas toute leur intensité dès le premier moment.

Et. à ?? propos, M. Charcot analyse les phénomènes par lesquels passe le futur miraculé avant le miracle lui-même.

Un malade entend parler de guérisons miraculeuses survenues dans tel ou tel pèlerinage. Il est rare qu'il résiste à la tentation de s'y rendre lui-même Immédiatement. Mais des milliers de difficultés matérielles s'opposent, au moins temporairement, à la réalisation de son projet. Ce n'en point une petite affaire, pour un aveugle ou un paralytique, que d'entreprendre un long voyage. Il interroge ses amis. Il demande des détails sur ces cures miraculeuses dont lui a parlé la rumeur publique. Bien entendu, les encouragements lui parviennent de tous celés, non seulement de son entourage, mais du médecin même qui le soigne et qui se reprocherait d'enlever au malade son dernier espoir, surtout s'il croît le mal guérissable par la foi, remède qu'il n'a pas osé prescrire lui-même. La cure miraculeuse est dès lors commencée et elle poursuit son développement. La conception du projet, sa séparation, le pèlerinage lui-même, deviennent une idée fixe... Dans ces conditions, l'esprit n'est pas long à prendre barre sur le corps. Et quand, après la fatigue d'un long voyage, les patients arrivent au lieu de pèlerinage, Ils se trouvent dans un état d'esprit éminemment susceptible de suggestion. « SI l'esprit du malade, dit Barvell, est dominé par cette idée qu'une cura va s'opérer en lui, la cure est opérée par cela même... Un dernier effort, une immersion dans la piscine, une dernière et fervente prière aidée par l'extase que produit la solennité du rite, et la guérison par la foi produit le résultai désiré. La cure miraculeuse devient un fait accompli.

M. Charcot passe ensuite en revue certains cas de guérison par la foi et plus spécialement celui de Mlle Coirin au xviiie siècle.

Au mois de septembre 1716, Mlle Coirin, alors âgée de trente ans, avait fait deux chutes de cheval successives, et il en était résulté chez elle un état pathologique grave. Une première période avait été marquée par des vomissements de sang et de la prostration. Trois mois après, une énorme glande apparut sur le côté gauche de la poitrine. Celte glande, d'un ronge violet, était dure et douloureuse. Une petite cavité purulente y apparut bientôt, qui ne tarda pas à s'étendre et à augmenter graduellement de.surfaee. Un cancer fut diagnostiqué par le médecin traitant, et déclaré incurable. Deux ans plus tard, la paralysie envahit tout le coté gauche de corps. La jambe gauche, violemment contractée, avait notablement diminuée de longueur.

Le 9 août 1731, quinze ans après le début de la maladie, Mlle Coirin chargea une vieille femme de Nanterre de faire pour elle une neuvaine au tombeau de bienheureux François de Paris, de toucher le tombeau atee une chemise qu'elle lui donna, ci de rapporter une motte de terre prise au même lieu. Ces instructions furent ponctuellement suivies. Le lendemain, dès que la malade fut en possession de la chemise qui avait touché le tombeau du saint, elle put se retourner dans son lit sans l'aide de personne. Le jour suivant, elle se hâta d'appliquer la précieuse motte de terre sur le cancer et elle s'aperçut presque immédiatement que la plaie était assainie et commençait à se cicatriser. Dès Ion, chaque jour amena une amélioration nouvelle. La paralysie céda peu à peu. Le 21 août, elle put sortir, et le 3 septembre, elle fit sa première promenade en voiture.

Je confesse, dit à ce propos M. Charcot, que, il y a seulement dix ans, l'explication des divers éléments do ?e cas étrange auraii présentée maintes difficultés. La nature hystérique des vomissements de sang et do la paralysie n'aurait fait douto pour personne; mais comment expliquer l'atrophie qui accompagnait Ut paraiysie? II est heureusement prouvé aujourd'hui que l'atrophie musculaire est fréquemment constatée dans les cas de paralysie hystérique et de contraction de membres... Il en est de même du prétendu cancer. Chacun sait à présent que les

ulcérations persistantes Je la peau ne sont pas rares dans tes dérangements da système nerveux, comme en témoignent les stigmates do saint François d'Alaises et les ulcères de Louise Lateau.

La conclusion découle tout naturellement de ces prémisses es. Chez les sujets hystériques, l'influence de l'esprit sur le corps est a»sez forte pour guérir des maladies que le défaut de connaissance» a fait jusqu'à ce Jour, considérer comme incurables. Tel eu le cas des trouble» d'origine hystérique qui commencent 4 peine à être connus, et dans lesquels 02 range l'atrophie musculaire, l'oedème, les tumeur» ulcérées. Si l'on entend parler de la guérison miraculeuse d'un cancer a la poitrine, il est permis de rappeler le cas de Mlle Coirin.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Institut psyciio-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des application» cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotysme, et placé sous le patronnage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuse- est annexée à l'Institut psycho-physiologique. Des consultations gratuite» ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de dix heures à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis a y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Pendant le semestre d'été 1892-93, de» conférences seront faite» le jeudi, â dix heures et demie, par M le Dr Bérillon, sur les applications de la suggettion à ta et à la pediatrie.

La suggestion pédagogique au Congrès de l'Association française pour l'avancement des Sciences.

Le volume des comptes rendus du Congrès de Pau, nous apporte le résumé d'une communication faite dans la section de pédagogie par M. le Docteur de Dekterow, de Saint-Pétersbourg; voici quelles sont les idées qui ont été émises par cet auteur :

« L'hypnotisme, en médecine comme en pédagogie et jurisprudence, à eu son âge mythologique héroïque, de grandes aspirations; on s'est beaucoup trop emballé. A présent, par «a vraie valeur scientifique, il occupe dans la science la place importante qui lui est due, mais il est rentré dans ses cadres, dans des limites rigoureusement définies. En physiologie, en médecine pratique, eu psycbologio, il est toujours le bienvenu.

« Les espérances do certains médecins et pédagogues de pouvoir réagir sur la formation du caractère de l'enfant et même sur le pouvoir de discipline mentale de l'adulte, ont presque échoué, vu la complexité des phénomènes intellectuels et moraux en jeu avec l'hérédité de l'individu. Mais on rencontre dans les deux sexes certains points d'habitudes vicieuses, plus répandues qu'on ne le croit en général dans le grand public, et l'absence de volonté nocturne {surtout quand les enfants s'oublient dans leurs lits, ne voulant ou ne pouvant se lever a temps, quoique à peu près éveillés) où les efforts des pédagogues deviennent très souvent nuls, les châtiments ne mènent à rien et peuvent même

aggraver les cas chez le» enfants dégénérés ou hystérique», ei le» jeter dus une mélancolie noire, dans une hypochondrie malsaine. C'est la le vrai champ d'application pour l'hypnotisme.

« M. de Dekterew ne parle pas de maladies nerveuses d'enfants proprement dits : les ouvrages français sar l'hystérie chez les enfants et sur le suicide chez les enfants, une belle étude du Dr Moreau, de Tours, etc., ainsi que le volume classique, paru il J a trois ans du professeur Emminghausen, sur les maladies psychiques de l'enfance (professeur à Dorpat, en Russie, et maintenant appelé en Allemagne; et autre» mémoires; les cas du D' Voisin, de la Salpétrière, des élèves de Charcot et de la clinique de M. Bérillon, rédacteur en chef du journal la Revue de l'hypnotisme, disent assez la fréquence des cas de maladies nerveuses chez les enfants. Mais quant aux habitudes vieicuses, c'est par les pédagogiques que l'on commence à les combattre. Mois très souvent il faut finir par la médecine, spécialement avec l'hypnotisme et la suggestion. Le pédagogue et le médecin doivent marcher en général en amis, la main dans la main, et, dans ce» cas et surtout chez des enfants à propositions héréditaires, agir de concert.

« Mais l'hypnotisme ne peut être, ne doit être pratiqué que par le médecin et très prudemment. Les entants, généralement réagissent bien, s'endorment vite, vu le peu de résistance de leur système nerveux. L'hypnotisation ne laisse pas de traces après, comme chez certains adultes, sur leur organisme. Il ne faut jamais forcer l'hypnotisation si le sujet est rebelle chez tous les enfants il faut agir peu à peu. procédant par nasses légères et usant de suggestion, donnant des ordres simples, faciles à accomplir.

« Les résultats sont alors des plus satisfaisants, »

Querelle extra-scientifique a propos de l'anatomic pathologique

du tabès dorsalis.

Notre confrère du Concourt médical résume, dans les termes suivants, une affaire qui, heureusement, s'est terminée sans effusion de sang et qui vient de se passer entre deux agrégés de la Faculté, s'occupant spécialement des affections

nerveuses :

M. Déjerine a publié, dans le courant de décembre, un article paru dans la Semaine médicale, sur la « Sclérose médullaire des ataxiques ». Il y affirmait av.- : beaucoup d'autorité et de vraisemblance que la lésion originaire n'était pas celle de la moelle, mais bien l'altération des racines postérieures. Dans le cours de l'article, il disait : « La théorie, suivant laquelle le» lésions du tabès ne sont autre chose que la prolongation, dans les cordons postérieurs, de la lésion des racines correspondantes, fut ezposée pour la première fois par mol dans mes conférences a la Faculté, en 1889 et 1890 ». Et plus loin : « J'ai eu la satisfaction, cette année même, do voir que la doctrine du tabès par lésion des racines postérieures a été adoptée chez nous par M. Marie ».

Cet article, très scientifique et n'ayant aucune allure de polémique, attira cependant a son auteur une violente réplique de M. Marie, dans le Progrès médical du 21 décembre. Ce dernier, dans un langage d'une Ironie très caustique, affirme que M. Déjcrine s'ntribue sciemment la propriété dantrui, car la théorie qu'il déclare sienne a été édifiée longtemps auparavant par Leydet, et que M Déjerine c'a eu d'autre mérite que de savoir ce que tout le monde savait, que c'était d'ailleurs nne habitude chez cet auteur de faire des revendications de priorité, et qu'il osait pour cela d'un troc très commode, émettant des idées contradictoires, de façon à pouvoir toujours dire un jour: « Ainsi que Je l'ai

montré en 1890..... Il terminait ainsi: « Après tout, libre à M. Déjerine de

traiter, si cela lui convient, la science comme une loterie; qu'il prenne garde.

cependant, qu'en continuant à ponter ainsi à la fois sur la rouge et sur la noire, il risque fort de se ruiner sous peu ».

Il y avait dans cette réponse, en dehors de la question scientifique proprement dite, une attaque violente contre la probité scientifique de M. Dejerine.

Ce dernier a immédiatement répondu par un envoi de témoins, MM. Letulle et Gley, professeurs agrégés, que M. Marie a mis en rapport» avec ses témoins, MM. Bfis»aud et Chauffard, également agrégés de la Faculté. A prés différents pourparlers, ceux-ci ont alarmé, au nom de M. Marie, que « ni l'honorabilité personnelle, ni la bonne foi scientifique de M. Dejerine n'étaient en cause ». et par suite, que la question ne pouvait être portée que sur le terrain de la libre discussion.

Les lettres des témoins ont été publiées dans le Progrès médirai, et à la suite, M. Dejerine a, dans un langage tres calme, réfuté les allégations de M. Marie. Il a prouvé par la citation de Leyden, traduite plus exactement, que ce dernier S'était borné à po»er la question sans la résoudre aucunement en 1889. tandis que lui-même disait en 1890 : » Rien ne prouve que la lésion médullaire du tabes soit primitive. L'anatomie pathologique, au contraire, tend chique jourà nous montrer qu'elle est la conséquence d'une altération primitive, d'une névrite des racines postérieures ». A l'accusation d'avoir soutenu à la fois l'origine interstitielle et l'origine parenchymateuse du tabès. Il répond par un démenti catégorique et sans réplique.

Telle a été la Un de cette affaire, qui aurait ires bien pu avoir son dénouement ailleurs que sur le terrain scientifique.

D paraît d'ailleurs qu'il y avait là plus qu'une querelle de personnes: et la réclamation violente de M. Marie venait peut-êrre de e« qu'il est elêve de M. Charcot, tandis que M. Dejerine est élève de Vulpian. On trouve fort ridicules les querelles et les haines de clochers. Que dire de ces rivalités d'écoles, capables de porter un savant distingué à enlever à un collègue le mérite qui loi revient pour en faire cadeau à un étranger.

N ÉCROLOGIE

Benjamin Bail.

M. te professeur Ball est mort, le jeudi 23 février, des suites de la longue et douloureuse maladie qui le tenait éloigné de son enseignement depuis plus d'une année.

M. Ball (Benjamin) est né à Naples le 20 avril 1333. Il a fait ses études médicales à la Faculté de Paris, a été nommé interne des hôpitaux en 1855. et reçu docteur eu médecine en 1862. Sa thèse avait pour titre : Des Embolies pulmonaires.

Il a été nommé médecin des bôpitaux le 12 août 1470, agrégé de la Faculté en 18CG, et membre de l'Académie de Médecine en 1883.

Apres avoir fait, pendant deux ans ( 1875-76), le cours complémentaire de maladies mentales, il fut nommé, le 18 avril 1877, à la chaire de pathologie mentale et des maladies de l'encéphale, qui venait d'être créée 4 la Faculté da Médecine de Paris. Depuis lors. M- le professeur Bail s'est consacré exclusivement à l'élude des maladies mentales. 11 a publié de nonbreux travaux de pathologie mentale. M. Bail laissera le souvenir d'un professeur éloquent et d'un naître bienveillant.

NOUVELLES

— Mistress Mary Putnam vient d'être élue présidente de la section neurologique de l'Académie de médecine de New-York, c'est la première fois qu'une femme docteur est appelée, par un vote, à présider une Société savante.

— La Société contre l'abus du tabac, vient d'ouvrir un nouveau concours. Voici les questions qui intéressent nos lecteurs :

N° 1. Prix médecine. — Rapporter au moins quatre observations inédites, bien circonstanciées : (étiologie, symptomatologie, terminaison, etc.) d'affections exclusivement atiribuables à l'abus du tabac

Le prix consistera en un lot de livres d'une valeur de SOU francs environ et une médaille de vermeil.

N° 2. Prix du Dr Gruby : 100 francs. — Dans l'intérêt des fumeurs incommodes par le tabac et qui disent ne pouvoir vaincre leur passion, faire connaître un moyen pratique et peu couteux de détruire le plus possible les principes délétères de la fumée du

tabac.

Le programme détaillé du concours sera envoyé gratuitement aux personnes qui en feront la demande au président, 00 bis. rue Saint-Benoit, Paris.

— Un généreux donateur a laissé à la ville de Milan la somme de 1 million pour créer un établissement à enseignement supérieur et de préférence une Faculté de médecine.

La Société de Médecine «le Lombardie s'est réunie afin de discuter les moyens propres à réaliser les désirs de ce bienfaiteur.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Bernheim. — Traité clinique et thérapeutique de la tuberculose pulmonaire. (L'n volume ln-8° de 070 pages. — Société d'Editions scientifiques.)

Gautier et Larat. — Technique d'éléctrothérapie. (Un volume in-8° de 256. pages— Maloine, 91, boulevard Saint-Germain, Paris. — 1893.)

Laborde. — Traité élémentaire de physiologie, d'après les leçons pratiques de démonstration, précédé d'une introduction technique à l'usage des élèves. (Un volume in-8° -1Ó0 pages, avec 130 gravures dans le texte et 25 planches dans l'introduction. — 10 fr.; cartonné, 12.)

Laurent (Émile). — Le Nicotinisme, nouvelle élude de psychologie. (Avec dix portraits

hors texte. —Société d'Editions scientifique», I, rue Autoine-Dubois, place de l'Ecole-de-Médecine, Paris.)

Martin (E). — L'Opium, ses abus; mangeurs et fumeurs d'opium; morphinomanes. (Un volume in-8° de 167 pages. — Société d'Editions scientifiques, 4. rue Antoine-Dubois, place de l'Ecole-de-Médecine, Paris. — 1893.)

Martinet (C.). — Le Socialisme en Danemark. (Un volumi- in-8°de 114 pages. — Société d'Editions scientifiques, 4, rue Antoine-Dubois, place de l'Ecole-de Médecine, Paris.)

Moli ( Dr A). — Les Perversions de l'instinet génital, avec une préface du Dr R.-V. Krafft Ebing, traduit de l'allemand par les Dr Pactet et Romme.

Nizet (Henri). — L'Hypnotisme, étude critique. (Un volume in-8° de 302 pages. Deuxième édition. — Félix Alcan. éditeur, 108, boulevard Saint-Germain. — 2 fr- 50.)

Paulier (Dr Armand-B.). — Recherches sur la notion de surface en anatomie. Détermination de la surface des organes en général et du cerveau en particulier, par la méthode des pensées (mensurations faites sur vingt-deux cerveaux). (Brochure in-8° de 24 pages, avec figures. — 1 fr.)

L'Administrateur-Gérant : ??ile BOURIOT.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPERIMENTAL ET THERAPEUTIQUE

OBSERVATION D'UN HYSTÉRIQUE

CINQ TENTATIVES DE SUICIDE. — UNE TENTATIVE DE SUICIDE A DEUX.

UNE TENTATIVE DE SUICIDE ET LIBÉRICIDE. TRAITEMENT PSYCHOTHÉRAPIQUE.

Par le Dr. BRÉMAUD, médecin principal de la A l'École de

Médecine navale de Brest-

L'observation suivante pourrait, a l'exemple de M. le professeur Grasset, être intitulée « le Roman d'un hystérique » ; quelques fragments en ont été publies dans la thèse de M. le Dr L. Laurent (1). Nous la donnons aujourd'hui entièrement, le malade qui en est l'objet étant maintenant libéré du service militaire et échappant désormais h notre contrôle. Il est cependant probable que cette observation aura une suite; de nouveaux incidents d'ordre médical, d'ordre judiciaire peut-être, surgiront sans doute dans l'existence mouvementée de E...

Cette note contribuera à fixer ses antécédents et son état pathologi-qoe avant l'événement possible qui rejettera ce malheureux en plein roman ou en plein drame.

Observation. — E .. Lucien, soldat d'infanterie de marine, entre dans noire service à l'Hôpital de la marine, à Brest (service des maladies nerveuses et mentales) en juillet 1892, avec la note suivante : Prévenu de tentative d'assassinat sur la personne de son enfant, envoyé à l'hôpital pour examen de son état mental, a eu hier une crise épileptiforme dans te bureau du lieutenant de vais-s mu instructeur. Renseignements suivront.

Sans attendre aucun renseignement . nous procédâmes immédiatement à l'examen physiologique de ce militaire. Avec l'aide de MU. Palud et Laurent, nous pûmes rapidement constater des stigmates indubitables d'hystérie. Les nombreux interrogatoires auxquels le malade se prêta volontiers, la communication ulté-

(I) États seconde. — Variations pathologiques du champ de la conscience. (Bordeaux et 0. Doin, Paris.)

rieure des pièces du dossier, l'enquête personnelle à laquelle nous nous sommes livrés pour la recherche des antécédents, l'examen de la femme de E..., nous ont permis de reconstituer l'histoire entière du malade.

Pour mettre de l'ordre dans ces nombreux détails, nous suivrons l'or ire suivant :

1° Étal du malade à l'entrée à l'hôpital;

2° Ses antécédent! héréditaires ;

3) Ses antécédents personnels :

4° Accomplissement de l'acte incriminé;

5° Ordonnance de non-lieu :

6° Traitement psycho-thérapique ;

7° Résultats obtenus.

1° État du malade à son entrée à l'hôpital. — Homme de vingt-trois ans, d'apparence vigoureuse, physionomie douce, intelligente, les yeux saillants presque à fleur de tète, la ligure colorée, palissant et rougissant très facilement. Air inquiet et intimidé. Les pupilles sont extrêmement dilatées. Voulant être fixés sur la façon dont elles réagissent à la lumière, nous ordonnons à E... de suivre du regard le doigt d'un de nos aides. Presque instantanément le regard de E... devient fixe, le malade s'efforce de suivre le doigt qui se déplace; l'occlusion des paupières aussitôt pratiquée change en somnambulisme cet état de fascination, et l'insufflation sur les yeux amène le réveil immédiat.

On constate les stigmates suivants : voute palatine ogivale, pas de déformation crânienne. Oreille assez bien formée mais à lobule adhérent.

Pas de sensibilité profonde à la torsion des membres. Hypoalgésie de tout le corps; par endroits analgésie complète, hypo-estbésie généralisée avec anesthé-sie tactile localisée ça et là. Hyperesthésie des joues et du pourtour des orbites. Anesthésie des conjonctives. Points hyperesthésiques à la pression le long des apophyses épineuses, et, du reste, à presque tous les endroits d'élection. La pression violente de ces points hyperesthésiques ne détermine point d'attaque, mats provoque des contorsions et des cris de douleur.

Le champ visuel est rétréci à 45 degré;. Pas de zone hystérogène ou hypno-gène.

On constate un tremblement marqué des mains, assez fort pour empêcher le malade de dessiner ou d'écrire convenablement.

La surveillance des infirmiers et des sœurs de service fait constater que E... est atteint de somnambulisme spontané. Son sommeil ordinaire est très léger; E.. s'éveille an moindre bruit, au premier appel ; mais endormi, il parle souvent et à plusieurs reprises on la, vu, pendant la nuit, se lever, s'habiller et se placer, au port d'armes, au pied de son lit, comme dans l'attente d'une inspection ou d'ordres imaginaires.

Réveillé avec ménagement, il prononce quelques paroles incohérentes se déshabille, se recouche e: s'endort aussitôt. Le lendemain matin, il n'a aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant la nuit, ne sait point s'il a rêvé, ne se rappelle point avoir été réveillé par l'infirmier

Pendant son séjour à l'hôpital, E... n'a eu aucune attaque hystérique, mais leur existence a été constatée par nombre de témoins qui, à la prison militaire et an cabinet du juge instructeur, en ont remarqué tes traits principaux : mouvements désordonnés, position fréquente les bras en croix, le corps reposant sur la nuque et les talons. Ces crises, d'après le malade, sont précédées d'une aura : c'est la sensation d'une corde qui, se tendant à l'intérieur de ses bras et de ses jambes, lui raccourcirait les membres; survient alors une envie de crier qu'il parvient à retenir; enfin, parait un nuage gris qui voile tous les objets. E... perd alors connaissance. Quand il reprend ses sens il est fatigué comme après une marche

militaire, ne pouvant s'empêcher de tressauter et «entant comme des fourmillements dans tous les membres.

L'hypnose est facile à provoquer; la simple injonction : « Dormes! » prononcée à voix basse à l'improviste derrière lai, pendant qu'il parle, la détermine immédiatement. E.... réveillé avec précaution, reprend la conversation an point où il l'a laissée, sans souvenir apparent de l'interruption par le sommeil.

Pendant le sommeil provoqué, la voix devient faible. lente, émue; le malade semble alors sentir plus vivement la triste situation où il se trouve.

A l'état de veille. E... accepte toutes les suggestions: on provoque ainsi des hallucinations visuelles (image d'une rose), des hallucinations plus compliquées, saignement de nez, etc.

Ces constatations une fois faites, E... n'a été l'objet d'aucune tentative d'expériences.

Disons immédiatement que pendant son long séjour a l'hôpital, E... s'est montré terviable, empressé à copier on a dessiner toutes les notes ou documents qu'on loi connaît. Quelquefois triste, le plus souvent gai, d'un caractère un peu brusque, obéissant à la première impression, il n'a jamais donné Heu au moindre reproche, s'est fait aimer de tons ses camarades de la salle. La sœur hospitalière le traita;! en enfant gâté. E... s'est toujours montré inoffensif, bon enfant, paraissant à son entourage incapable d'aucun mauvais sentiment, d'aucun acte répré-henrible.

2° Antécédents héréditaires. — E .. est âgé de vingt deux ans et demi. Son père est entrepreneur de charpente; de bonne santé habituelle, mais, parait-il, d'un caractère emporté et violent. Sa mère est sujette à des attaques de nerfs, autrefois très fréquentes, réduites maintenant à deux par semaine, depuis l'époque de la ménopause; ces attaques surviennent à la suite d'émotions ou de vives contrariétés; précédées pendant plusieurs heures d'agitation, elles sont caractérisées par une chute presque brusque, avec perte de connaissance, cris, mouvements désordonnés, bras en croix, le corps se mettant en arc de cercle sur la nuque et les talons.

C'est ainsi que E... nous décrit les crises de sa mère, il n'en a pourtant vu que quelques-unes, car, à cause de leur fréquence, ses frères et lui ont été pendant leur Jeune âge tenus éloignés de leurs parents et élevés par une tante maternelle.

La grand'mère maternelle, avant vu périr dans un naufrage deux de ses fils, est devenue folle et, quelque temps après, s'est noyée volontairement. Une cousine est très nerveuse, emportée, d'un caractère fantasque, mais n'a pas de crises, t'a oncle paternel est sujet à des accès effrayants de colère folle.

Le malade n'a pu nous donner d'autres renseignements sur sa famille, mais ces renseignements sont suffisants pour caractériser une hérédité névropathique trés chargée, d'autant qu'ils sont confirmés par le certificat suivant d'un médecin de Nantes, le Dr M... :

« Je, soussigné, docteur en médecine, certifie que le sieur Pierre E.... actuel- lement soldat dans l'infanterie de marine, est un névropathe héréditaire de « père et de mère. Je l'ai soigné, il y a plusieurs années, pour des crises de « douleurs hypogastriques qui lui arrachèrent des cris pendant plus de vingt-« quatre heures. »

3° Antécédents personnels. —E.. . pendant sa première et sa seconde enfance, a eu la rougeole et la variole (celle-ci n'a laissé aucune trace) ; à la puberté, une fièvre typhoïde et une pneumonie. Il a commencé ses études au lycée de Nantes où il s'est montré assez mauvais élève, intelligent mais très étourdi, incapable de fixer son attention, et parfois indiscipliné. Au lycée, on remarqua pour des motif' futiles ou même sans motifs dos accès de cris et de pleurs sans perte de

connaissance et sans chate, parfois des colères inexpliquées. devenant pourtant moins fréquentes à mesure qu'il avance en âge. Vers l'âge de quatorze ans, son père, voyant que les études lai profitent peu ;il Baissait sa troisième), 1: relire du lycée et le prend en apprentissage.

E... éprouve de fréquents maux de téte, survenant surtout quand il est contrarié. Celle céphalalgie, localisée au pourtour des orbites, loi donne la sensation d'aiguilles de feu qui traverseraient les téguments. Eblouissements, diplopie sur-venaut quand il lit ou fixe trop longtemps un objet; de temps un temps surviennent des contractures des masseters ou des muscles des membres inférieurs; ces phénomènes, survenant surtout le soir, quand il est fatigué, disparaissent

pendant le sommeil.

E... a toujours parlé à haute voix- pendant son sommeil, incommodant ses voi-sins au lycée ou a la chambrée. Il a toujours recherché la société des femmes» caractère efféminé loi-méme, très porté sur l'ace sexuel. Il a souvent enu des pertes de connaissance après s'être livré au coït, reliant étendu, le corps raidi, en sueur et tremblant (d'après ce que nous a raconté sa femme).

Ajoutons que, depuis la puberté, c'est un masturbateur effréné, se livrant à l'onanisme jusqu'à cinq et six fois par nuit, même depuis son mariage, quelquefois même auprès de sa femme.

Première tentative de suicide. — Quelques Jours après sa mise en apprentissage, qui l'avait beaucoup froissé, on butte aux réprimandes de son père qui loi reprochait de ne pas avoir su profiter de ses études, il part en courant et se jette dans une rivière, sans songer qu'il sait un peu nager; l'instinct de la conservation remporte, il regagne la rive et rentre cher lui tout trempé, disant qu'il est tombé à l'eau.

Deuxième tentative. — Pendant trois ans, il ne fait aucune grosse extravagance ; il travaille dans divers endroits pour le» entreprises de charpente. A l'Age de dix-sept ans travaillant avec an contre-maitre sur an échafaudage très élevé à. l'église de Saint-Dolay (Morbihan), cet individu lui fait un reproche pour son travail ; froissé, il se Jette immédiatement du haut de l'échafaudage ; une poutre en saillie l'accroche heureusement par sa veste flottante et sa ceinture; il peut saisir une traverse et, à grand' peine, aidé du contre-maitre, reprend pied, heureux, après réflexion, d'en être quille à si bon marche.

Troisième tentative, — Peu après, revenu dans sa famille et devant en repartir pour une autre entreprise de charpente, il s'éduit la bonne de ses parents et l'eaa-mène à Vannes. Un soir, pendant une querelle avec sa maîtresse, il ouvre brusquement la fenêtre et enjambe l'appui,mais cette femme, très vigoureuse, le saisit par l'autre jambe et le rentre de force dans la chambre, où il tombe évanoui. Il ne reprend connaissance que le lendemain matin.

Quatrième tentative. — Quelque temps plus lard, il habite avec la même femme à Sainte-Marie du Pornic Dans une nouvelle dispute, elle loi déclare qu'elle ne veut plus vivre avec lui et sort de la chambre en loi disant : « Adieu, tu ne me reverras plus ». Elle descend jusque dans la rue. puis, réfléchissant et craignant que E ... dont elle connaissait le caractère, n'ait fait quelque malheur, elle remonte et le trouve pendu à la flèche de son lit avec la corde d'une malle ; elle la coupe; il est encore évanoui, mais se ranime assez rapidement.

Cinquième tentative. — Dans la même localité et avec la même femme, se promenant sur le môle, auprès du phare, au milieu d'une nouvelle dispute, il sé jette à la mer; mais, cette fois encore, il se sauve 4 la nage et trouve, l'attendant sus la rive, le garde-champêtre à qui il déclare qu'il est tombé l'eau par accident. Le garde-champêtre dresse procès-verbal.

Le 22 novembre 1890. il s'engage volontairement à Brest dans l'infanterie de marine. Noté comme très bon soldat, il n'a, pendant ses deux ans de service, en

que trois punitions, dont la première se rapporte a la sixième tentative de suicide que uous allons raconter.

Sixième tentative (à deux). — Au mois de ferrier 1601, il fait 1 Brest la connaissance d'une Jeune fille que nons ne désignerons que par son prénom, Joséphine. Quelques jours après, il la demande en mariage et, sur les vires instances de la jeune 61!e, les parents y consentent, non sans lui avoir dit ces quelques mots curieux que nous relevons dans en interrogatoire : a Bien sur, il but que cet homme-la t'ait magnétiséé pour que tu l'aies aimé aussi vite ».

Mme E... est une jeune femme brune, petite, aux veux vifs, au regard mobile: d'après mes propres constatations, et la suite du récit le prouve, elle est aussi hystérique et aussi suggestible que son mari.

Le mariage nn se fit pourtant pas aussi facilement qu'il s'annonçait. Sous un prétexte futile, les parents de la jeune tille retirèrent lenr autorisation. Les deux fiances en conçurent une vive contrariété. E... rencontre Joséphine un dimanche matin; elle allait seule à la messe. Il lui propose de mourir ensemb'e, et elle accepte tout naturellement, nous a-t-elle dit. E... n'avait pas d'argent : elle lui en donne. (Nous avons omis de dire que, couturière de son état, elle travaillait beaucoup, suffisamment pour avoir économisé, depuis son apprentissage, plus de 3,000fr.|

E..., muni de quelque argent, prépare tout pendant la matinée. loue une chambre garnie, achète un réchaud et du charbon, calfeutre le fenêtres- Rendez-vous était pris pour l'après-midi, ils partent ensemble faire une promenade à la eampigne, à quelques kilomètres de Brest, y dînent en tête-à-tête, reviennent par le train du soir et rentrent dans la chambre louée Is matin même.

Ils se couchent (jusque-là elle n'avait pas été la maitresse d'E...| vers trois heures du matin, ils se lèvent et essaient d'allumer le charbon du réchaud, mais celui-ci prend difficilement ; tous deux, à tour de rôle, s'épuisent à souffler avec la bouche (il fallait les entendre raconter les faits dans les moindres détails), enfin Joséphine, étourdie par l'oxyde de carbone, se couche, laissant E... souffler seul ; étourdi à son leur, il se couche aussi et tous deux t'évanouissent.

Le lendemain matin, la police qui les cherchait sur la demande des parents, pénètre dans la chambre, tous deux reviennent a eux, mais Joséphine reste pendant trois jours s dans une sorte de sommeil oh on lai faisait faire tout ce qu'on voulait >, les parents en profitent pour lui faire signer une pièce déplaçant ses économies et les leur confiant, fait qui plus lard aura son importance. E... re-vien: seul à la caserne, où il est puni de huit jours de prison, plus sept jours d'augmentation pour absente illégale de quarante-huit heures et pour avoir re-fusé de donner aucune explication en ajoutant : « Je recommencerai a la première occasion ».

Aux parents de la Jeune fille, tons deux déclarent qu'ils ont ainsi agi pour les forcer au mariage, mais la famille ne veut plus en entendre parler. Joséphine s'enfuit alors de chez elle et se réfugie à Nantes chez les parents de E... qui l'accueillent, E... restant soldai a Brest. Au bout de deux mois, tout fiait par s'arranger et, avec l'autorisation militaire, le mariage est célébré. Tous deux habitent à Brest, loin des parents de la jeune fille. Mme E... irai aillant suffit aux besoins du ménage, avec les quelques subsides qu'envoient les parents de son mari, celui-ci. étant soldat, ne pouvant rien gigner.

Septième tentative. — Une grossesse survient, le travail de la Jeune femme est pins difficile, ils se rapprochent alors des beaux-parents, et, à partir de ce jour, leur ménage devient un enfer, grace à la présence la belle-mère, type

classique, harcelant son gendre. Lassé de l'existence, E... tente de s'empoisonner. sa femme le surprend et lui fait entendre raison.

Acte incrimine — Huitième tentative; tentative de libéricide. — L'n mois après il recommence et tente d'empoisonner son enfant avec lui, mais nous pré-

férons lui laisser la parole pour décrire ces scène* d'Intérieur et copier le texte d'un de ses interrogatoires. L'enfant avait deux mois et demi :

« C'est depuis celte époque (la naissance de l'enfant) que mes beaux-parents « commencèrent à nous reprocher notre mariage. Je n'étais plus chez moi, j'étais

chez ecx. ils me reprochaient la naissance de l'entant, et ma belle-mère s'étant

complètement emparée de l'esprit de ma femme, 1 empêchait de coucher avec

moi, de peur que nous n'ayons d'autre enfant ; il fallait nous cacher. Je vojais

sourent les jeux de ma femme rougis de larmes et Je souffrais moi-même des

reproches que l'on m'adressait sans cesse. Je ne pouvait rien apporter à la

maison, étant soldat ; ce que Je mangeais, ce que coulait l'enfant, ce que l'on faisait pour ma femme m'était reproché; ils ne nous avaient jamais parlé des

trois mille francs de ma femme et nous n'osions pas les réclamer.

« Ma belle-mère, devant moi, se faisait soutenir par ma femme et c'est ne a sachant comment sortir de cette situation que je voulus boire un flacon de

laudanum; ma fomme, qui m'avait vu, me retint. quand Je commençais a le

faire, me disant que pour elle, pour notre enfant, il fallait supporter encore

cette rie pendant les quelques mois de régiment qui me restaient à faire. Je

ramassai le laudanum et bientôt je sus que ma femme avait tout raconté à ma belle-mère qui lui avait répondu que j'étais trop lâche pour mourir.

« Je restai dans cette triste situation un mois encore, c'est alors que désespéré,

à bout de courage, voyant que je ne pouvais pas laisser vivre mon enfant avec

ma belle-mère, je résolus de le tuer avec moi, je pris la bouteille de laudanum,

j'en réservai une demi-cuillerée à café pour l'enfant et je vidai le reste d'un

trait, je voulus le lui faire boire, mais je tremblais tellement que l'en versai

la plus grande partie sur la bavette et, le laudanum étant amer, il vomit sur sa bavette presque tout te reste. Alors ma femme rentra, me vil et, effrayée,

appela sa mère, on fit chercher un médecin qui soigna l'enfant; quand je le

vis sauvé, je ne voulus plus mourir, mais vivre pour lui. Mon beau-père me

ramena à la caserne; en route, j'eus plusieurs faiblesses, mais mon beau- frère avait prévenu au quartier de ce que je venais de faire et je me réveillai la nuit en prison où Je me forçai à vomir; le lendemain. J'étais très malade, on

m'envoya chez le commissaire de police, j'eus encore plu«iear* faiblesses; à

mon retour à la caserne, le médecin me rit envoyer à l'hôpital où je restai trois jours, puis on me renvoya en prison. »

Ce récit, fait avec l'accent de la plus grande sincérité, est confirmé, matériellement, par tous les témoignages; quant au mobile du crime, sa femme l'attribue à un sentiment incexplicable, la belle-mère au sentiment d'avarice d'un homme qnine voulait rien dépenser pour son enfant (véritable explication de belle-mère).

Au moment oit E..., transféré de la caserne à la prison, prenait ses vêlements de prisonnier, on trouva dans ceux qu'il quittait la lettre suivante, adressée à sa femme :

« Baraques, neuf heures du soir.

Joséphine, c'est pour toi que Je meurs. Je t'avais élevée si haut dans mon

cœur que pour moi la vie était une souffrance pire que la mort; ton dédain

pour mol. ta froideur el peut-être aussi, pardonne-le moi, une pensée sans cesse présente a mon pauvre cerveau que, pendant que je couchais dans mon

pauvre petit lit de soldat, tu n'étais pas seule dans le tien, m'a rendu fou. Tu te souviens que certain dimanche, par la faute, il s'en était fallu de bien peu

que je ne mourusse. Aujourd'hui, c'est fini. Adieu, soi* heureuse avec celai

que tu préfères: mais surtout si Bébé, qui, je le croif, est de moi, vit comme « je le crois, car il a vomi, fais qu'il n'ait pas a donner les premières caresses à mon rival. Souviens-toi plus tard que le dernier mot que ma bouche pronon-

cera et ma dernière pensée aérant pour toi. « Adieu, adieu, mou bébé, Fifine »

E... reconnaît bien, cette lettre, quand noua ta lui montrons, pour être de son écriture, mai* il dit n'avoir aucun souvenir de l'avoir écrite, cherche dan» *a mémoire et n'y trouve rien: bien plus, il nie avoir jamais éprouvé de sentiment de jalousie envers sa femme, qu'il aime et dont il se sait aimé. Soumis à l'hypnose, il nous révèle Immédiatement les circonstances dans lesquelles cette lettre a été écrite; c'est lorsque, conduit à la caserne par son beau-père après sa tentative de libéricide. il resta quelque* instants dans la chambrée avant d'être mené en prison. Or, à l'état de veille, il prétendait avoir perdu connaissance, ébloui par la lumière de la chambrée et ne s'être réveillé qu'en prison. La déposition de ses camarades confirme le fait matériel de récriture de la lettre à ce moment; tous ont remarqué que E... avait l'air bizarre, mais les veux étaient ouverts. Il y a donc eu là une manifestation nette, d'un véritable état second sur l'importance duquel nous aurons à revenir plus tard.

E.... Interrogé par nous, semble n'avoir aucun remords de se* acte*. Tout et raconté sur un mode gai. Il dit qu'il ne recommencera plus ses suicides parce que c'est bêle de se tuer pour rien, mais trouve tout naturel de l'avoir tenté. En avouant ta passion pour la masturbation, il voudrait bien en être débarrassé parce que cela l'affaiblit, mais le côté moral lui échappe. C'est un honnête homme; il ne supporte pas l'idée d'un vol ou d'un crime quelconque; il n'a pas eu l'idée que ses actes puissent être considères comme criminels. A reste, il ne réfléchit pas : l'idée lui vient. l'acte qu'elle sollicite suit immédiatement. Actuellement, ce qui l'inquiète n'est pas ce qu'on pense de lui, la peine qui l'atteint, la crainte que sa femme ne l'aime plus - pourquoi cela serait-il ? il ne lui a jamais fait de mal — mais bien de savoir si sa belle-mère permettra à sa femme de vivre avec lui ; elle est si méchantel Ajoutons que Mme E... nous dit aimer son mari et être prête à retourner vivre avec lui.

Ordonnance dm non-lieu. — A la suite d'un rapport médico-légal longuement motivé, une ordonnance de non-lieu fut rendue. E... fut considéré comme un hystérique irresponsable, son affection mentale entraînant une obnubilation presque absolue du sens moral, et il fut renvoyé à l'hôpital, dans notre service, pour être soumis au traitement psycho-tbérapique que préconisait le rapport. Il n'est sorti de l'hôpital que pour être réformé sur notre proposition comme atteint d'hystérie.

Traitement psycho-thérapique. — Guérir l'hystérie nous paraît impossible; on ne peut refaire un esprit, mais on peut combattre efficacement certains symptômes.

Le traitement consista donc en pratiques hydrothérapiques et suggestions morales.

L'électrothérapie ne put être employée, le cabinet d'électroibérapie ne fonctionnant pas encore à celle époque. Les suggestions eurent pour principal objet de déterminer :

1° La cessation du tremblement, de la céphalée, de l'insomnie ; 2° La suppression de la masturbation ;

3° L'obligation de résister à toute impulsion subite, et de réfléchir avant d'agir.

Dès le» première* séances le tremblement diminua et le sommeil reparut. Forts de ces premiers résultats, nous attaquâmes la masturbation-

Donc, un Jeudi matin, pendant l'hypnose d'abord (1), éveillé ensuite, E... subît donc un long sermon très énergiquement suggestif sur le» dangers du la mastur-

(1) Toutes nos suggestions morales ont été faites de la façon suivante : d'abord le malade étant en état d'hypnose, puis le malade étant éveillé. Ces deux suggestions identiques et conçues dans les mornes termes, se suivaient à quelques secondes d'In-tervalle, — Ce mode de procéder a pour but de donner s. la suggestion toute l'intensité possible, et de permettre à l'observateur de suivre la série d'états de conscience du sujet à l'eut de veille, le sujet pouvant lui-même prendre note de ses sensations, de ses idées, de ses déterminations et les rapporter aux suggestions subies dont il a nécessairement souvenir.

bation. puis nous l'abandonnons a lui-même pendant cinq jours, pour voir ee qui en adviendrait ; au boni de ce temps il non- remet un papier Intitule « mes impressions au jour le jour, s et dont nous extrayons ce qui suit :

Vendredi. — Lors de sa dernière visite, M. Brémaud ma fait comprendre tout ce que la masturbation avait d'odieux pour un homme dans ma position. Je sois résolu à faire mon possible pour me corriger de ce triste défauL I.a nuit dernière. J'ai résisté saus trop de mérite, car j'ai bien dormi,— ce qui ne m'était pas arrivé depuis longtemps Cependant, j'ai été éveillé au milieu de la nuit par des crispations; j'ai eu une espèce de petite crise qui a duré une demi-heure, et je me suis endormi jusqu'au matin.

Samedi. — J'ai dormi, mais plus mal que la nuit dernière, car j'ai été éveillé trois fois par des crispations et, chaque fois, j'ai été obligé de résister de tontes mes forces à ma passion. Je crois que plus Je résiste plus les crises sont douloureuses; pourtant, je tiens bon. Je ne céderai pas. Aujourd'hui, je suis mal a l'aise. Je crois qu'il ne faudrait pas une grande émotion pour me faire éclater; je sens dans les membres des tiraillements et, par instant, comme des piqûres l'aiguilles rougis à blanc. Je recommence à trembler.

Dimanche. — J'ai encore plus mal dormi. Toute la nuit n'a été qu'une alternative de demi-sommeil et de crispations douloureues. Rêves étranges. Voyages dans l'espace en compagnie de ma femme, et lorsque j'étais éveillé, grâce an privilège que J'ai d'évoquer les images qui me sont chères, je croyais qu'elle était la près de moi. partageant mon lit; alors, pour ne pas me laisser aller à la masturbation, j'ai fait des efforts inouïs : je mordais dans mes draps. Ce matin. Je suis brisé et pourtant très agité : ce n'est plus du saug, c'est du salpêtre qui me brûle les veines. Je n'ai plus du tout d'appétit; pourtant, je n'ai pas faibli : il mo semble que Je suis soutenu par une volonté plus forte que la mienne, mais, je la seus, c'est la lutte du pot de terre contre le pot de fer.

Lundi. — C'est honteux. Je le sais J'ai cédé ! Ma femme était venue me voir hier et j'avais l'esprit plein d'elle. La nuit a commencé par l'insomnie Jusqu'à minuit. J'ai lutté ; enfin, vaincu, j'ai cédé. La jouissance a été si grande que J'ai perdu connaissance et ne me suis éveillé que ce matin. Je suis mieux, moins agité et pourtant fort mécontent de mou

Cet autographe est très curieux, car il indique par l'écriture les progrès de la crise. Au début, l'écriture est régulière, puis de plus en plus tremblée & mesure que l'esprit se trouble davantage, pour devenir plus nette encore qu'au début aux mots : s C'est honteux, je le sais ».

La suggestion a naturellement été reprise et. au bout de six semaines environ, E... était complètement guéri. Il «erait curieux de reproduire, car ils sont typiques, les papiers qu'il écrivait chaque jour, pour noter l'état de son âme. Il craint jusqn'à l'acquittement, de peur de retomber sous le joug de sa belle-mère : « Au moins, les matelots mariés peuvent coucher chez eux ; pour les soldats c'est différent, je ne pourrais être permissionnaire de la nuit qu'une fois par semaine, je ne verrais ma femme qu'une fois par semaine; a l'hôpital, je suis assez fort pour résister, au milieu d'influences extérieures je ne m'appartiens plus. Si j'avais ma femme chaque jour, en un mot, si je couchais chez moi, je ne me masturberais jamais. Mais, acquitté, couchant au régiment.

placé forcément sous l'influence de ma belle-mère et do la masturbation, qu'arrivera-t-il? »

Après six semaines de traitement, E... ne se masturbait plus et n'avait plus de lutte à soutenir contre lui-même ; le tremblement avait cédé aux premières suggestions et le sommeil de la nuit était devenu calme et profond.

A son entrée à l'hôpital. E... était fort irrité contre sa belle-mère: sous l'influence de* suggestions il parla bientôt d'une façon plus calme de ses relations avec la mère de sa femme, et envisagea de sang-froid la possibilité d'une entrevue.

Après avoir, pendant près d'un mois encore, reçu les suggestions les plus énergiques sur la nécessité de ne jamais céder a son premier mouvement et de toujours réfléchir avant de parler ou d'agir, E... fut autorisé a sortir de l'hôpital pendant quelques heures. Sa femme vint le chercher et ils sortirent ensemble. L'entrevue avec la belle-mère, quoique froide, ne donna lieu à aucun incident. Les sorties se répétèrent fréquemment. Les suggestions furent continuées jusqu'en janvier 1893. E... avait alors pris un air réfléchi qui ne lui était pas habituel auparavant et nous pûmes, à plusieurs reprises, constater par nous-mêmes que son caractère subissait une certaine modification.

Ses élans désordonnés pour accomplir un ordre, l'emportement tumultueux qui caractérisait autrefois tous ses actes, ont fait place à une sorte de pondération voulue et réfléchie qui met plus de lenteur dans ses mouvements.

E... reçoit fréquemment la visite de sa femme et de son enfant, et ne semble avoir aucun sentiment de jalousie maritale ; il couvre son enfant de caresses.

Après quatre mois de demi-réclusion, entrecoupée de sorties et de visites, et cinq mois de suggestions journalières, l'aspect de E... est celui d'un homme de tempérament très calme. Mais la facilité avec laquelle E... cède aux suggestions et s'endort au premier ordre, nous semblant incompatible avec le service militaire, nous nous décidons à le proposer pour la réforme.

Rendu a la vie civile, B.... accompagné de sa femme et de son enfant, a regagné Nantes. a la fin de janvier 1893 et repris son travail de charpentier. Depuis ce temps il mène une existence tranquille et laborieuse. Mais quel sera son avenir t Les circonstances heureuses lui permettront peut-être d'atteindre sans encombre l'âge auquel l'hystérie disparaît souvent d'elle-même. D'autre part, des circonstances défavorables pourront surexciter un système nerveux profondément ébranle et provoquer des impulsions regrettables.

UN CAS DE PSEUDO-COXALGIE CHEZ UN ENFANT MENTEUR

Par M. le D- BEZY (de Toulouse).

J'ai observé, dans le courant de l'année dernière, deux cas de mensonge chez l'enfant (1) : un des deux enfants a présenté une pseudocoxalgie et une arthralgie hystérique, plusieurs mois avant de commettre son mensonge. Ces deux observations m'ont paru intéressantes à publier, soit au point de vue clinique, soit au point de vue de la valeur du témoignage des enfants en justice.

Observation I.

E. C,.., âgée de dis ans, est amenée parsa mère a la consul talion de la clinique infantile de la Faculté, le 27 décembre 1891.

Le père est, nous dit-on, bien portant. La mère est très maigre, anémiée, et a les épaules très étroites.

Trois frères sont morts en bas âge.

Elle nous est amenée parce qu'elle botte depuis quelque temps. En recherchant les causes do celte claudication, nous arrivons sans peine à constater qu'elle est due à une contracture des muscles de la hanche droite, et notre attention est naturellement attirée du côte de la coxalgie; aussi invitons-nous la mère à nous ramener bientôt la petite malade pour que nous puissions examiner cette articulation pendant l'anesthesie chloroformique.

La respiration est légèrement souffrante au niveau d'un des poumons.

Traitement ; Huile de foie de morue, tannin.

Quelques jours après, l'enfant nous est ramenée ; mais ce jour-la, elle ne boite pas et la contracture de ta hanche a disparu. La mère nous dit du reste que la claudication, qui dure depuis plusieurs mois, est intermittente. Nous l'invitons à nous ramener l'enfant quand la boiterie reparaîtra.

Le 8 mars 1892, l'enfant nous est ramenée pour une douleur siégeant au genou gauche (la hanche malade est la droite), sans gonflement.

La contracture n'existe pas; l'état des poumons est excellent.

Nous nous demandons alors s'il ne s'agit pas de phénomènes d'ordre hystérique, et la ma ade est mise en observation.

Le 5 mai, l'enfant est eu très bon état.

L'examen de la région, pratiqué plusieurs fois depuis le début, n'a révélé aucun signe local de coxalgie. Un n'a pas pu découvrir non plus des stigmates

d'hysterie.

Le 23 mai, la mère nous ramène l'enfant, qui prétend avoir été victime d'un attentat. Notre pratique étant, dans ces cas, de ne procéder qu'avec la plus grande prudence, nous nous contentons de lui demander ce qui lui est arrivé. Elle nous raconte alors, sans hésitation et sans paraître troublée par la présence des étudiants (elle baissait cependant un peu la tète), qu'un individu l'a appelée chez lui et qu'en compagnie d'un autre individu il s'est livré sur elle a des pratiques obcènes qu'elle nous raconte avec certains détails que l'on me dispensera de rapporter ici. Une phrase cependant me trappe ; quand je lui demande ce que lui a fait le premier individu qui l'a appelée, elie me répond sans hésiter : « il a mis ses parties dans les miennes ». Je cite cette réponse textuellement parce qu'elle

(l) Communication faite à la Société de Médecine de Toulouse.

ne laisse pas que d'étonner dans la bouche d'une fillette de dix ans. Nous aurons à en discuter plus loin la vâleur.

Aune autre question, elle répond qu'elle a beaucoup souffert pendant l'acte.

Nous l'examinons alors, sur la demande formelle de la mère, et nous constatons qu'il n'existe absolument aucune trace de déchirure de la membrane, ni aucune ecchymose.

Plainte ayant été portée par la famille, l'enfant a été soumise a un examen médico-légal, qui a été négatif comme le nuire.

Nous l'avons revue quelque temps après, et nous avons su que l'accusé n'avait pas été poursuivi.

Certains faits nous paraissent intéressants à relever dans cette observation ; d'abord elle nous présente un cas assez intéressant de pseudo-coxalgie. Nous attirons l'attention sur l'arthralgie du genou ; si cette douleur avait précédé l'apparition des phénomènes de la hanche et si elle avait siégé du côté de la contracture, la ressemblance avec la coxo-tuberculose aurait été plus grande et aurait pu causer une erreur de diagnostic préjudiciable à la malade. En second lieu, la justice n'ayant pas cru devoir même poursuivre l'accusé, il est à supposer qu'il n'était pas coupable, et. dans tous les cas. nous pouvons affirmer qu'il n'existait aucune lésion de la vulve, bien que l'enfant ait prétendu avoir éprouvé une vive douleur.

Il nous reste à justifier ce double diagnostic. Pour cela, nous allons d'abord étudier ce qu'est la pseudo-coxalgie; nous étudierons ensuite le mensonge chez l'enfant, et nous verrons ce qui. dans chacun de ces deux chapitres, est applicable à notre malade.

I. — Pseuso-coxalgie

Plicque (1) a présenté de cette affection une description très complète à laquelle nous ferons de larges emprunts.

D après cet auteur, elle se caractérise par une série de symptômes que nous allons reprendre en les comparant à ceux présentés par notre malade.

Le début porte d'emblée les symptômes a leur maximum ; l'imitation joue quelquefois un rôle ; Charcot en a provoqué par suggestion. Chez notre malade, il nous est difficile de savoir quel a été le mode de début, mais il parait ne pas avoir été lent, et dans tons les cas. lu contracture a atteint dès le premier jour son maximum el n'a jamais augmenté.

La douleur est superficielle et très vive ; le simple pincement de la peau est très douloureux (signe de Brodie). Ce signe n'existait pas chez notre malade, mais chaque fois que nous avons voulu vaincre la contracture, nous avons provoqué de la douleur.

(1) Gazette des Hôpitaux, 6 juin 1891, p. 609.

La boiterie apparaît d'emblée. Ce fait, très important à m?n avis, a été très net chez notre malade, car on nous l'? menée parce qu'elle boitait et elle n'avait jamais eu à se plaindre d'autres symptômes. J'insiste particulièrement sur l'absence de douleur qui nous servira tout à l'heure, quand nous nous demanderons s'il ne s'agit pas de coxalgie simulée.

La contracture se rencontre ordinairement sur d'autres groupes musculaires. Ce fait n'existait pas chez notre malade.

L'examen de l'articulation est un fait capital et entraîne souvent de grandes difficultés. Dans la pseudo-coxalgie on ne trouve ni lésions articulaires, ni abcès, ni empâtement vrai ou simulé par l'application répétée de topiques irritants. Nous y reviendrons dans un instant. Remarquons seulement en passant que la déformation de la fesse peut être causée par certaines attitudes.

L'état général du malade doit être aussi examiné. La neurasthénie est quelquefois difficile à établir. Paget recommande, dans ce cas, de rechercher dans les antécédents héréditaires l'aliénation mentale et l'alcoolisme. Nus renseignements, difficiles à obtenir du reste, ne nous ont rien révélé dans ce sens. il faut aussi examiner le caractère de l'enfant. Notre malade n'étant venue qu'à la consultation, et encore irrégulièrement, nous avons peu étudié son caractère. Il est permis de se demander s'il n'existe pas, chez elle, cet état mental particulier que Dufestel a signalé chez les jeunes simulateurs (1). Cependant, en ce qui touche la coxalgie, nous ne croyons pas à la simulation dans ce cas, pour Les motifs que nous donnerons bientôt.

La durée est ordinairement très longue ; on a signalé des guérisons brusques, une notamment qui survint au moment où on allait mettre le malade dans un appareil. IL existe fréquemment des intermittences. Ce dernier caractère s'est manifesté chez notre malade.

Si donc nous résumons les signes de pseudo-coxalgie présentés par cette enfant, nous avons à signaler le début brusque, la boiterie paraissant d'emblée, la contracture intermittente, les phénomènes négatifs du côté de l'articulation. Il était donc permis de songer à cette affection; mais pour établir un diagnostic ferme, il fallait éliminer certaines maladies ; je n'insisterai à ce point de vue que sur la coxalgie vraie, certaines arthrites mixtes signalées par Plicque, et enfin la coxalgie simulée.

Le diagnostic avec la coxalgie vraie est, dans bien des cas, plein de difficultés, témoin la malade qui souffrait depuis six ans et à laquelle Bœekci fit la désarticulation de la hanche; à l'examen, l'articulation fut

(1) Dufestel : Des maladie simulée chez les enfants. . Thèse. Paris. 5 janv. 1888, p. 15 et suivantes.

trouvée saine (1) : Plicque dit que dans la coxalgie hystérique, la douleur est superficielle et ne cause pas de soubresauts pendant la nuit, que les contractures peuvent occuper d'autres régions que la hanche ; il n'y a ni empalement, ni adénopathie. ni douleur profonde par compression de l'arcade fémorale, ni atrophie. Pour ce dernier signe, je crois, et Plicque le reconnaît, qu'il faut faire des réserves, car Charcot et Ba-bînski (2) ont signalé des cas d'atrophies consécutives à des contractures hystériques et dues à des troubles trophiques. Gilles de la Tourotte, dans son remarquable traité de l'hystérie, dit : « Cette atrophie se montre beaucoup plus rarement toutefois que dans les arthrites organiques, quelle que soit l'articulation atteinte » (3). Au résumé, il s'agit de ne pas rencontrer les signes articulaires que l'on rencontre dans la coxalgie vraie. Ce défaut de symptômes positifs existait bien chez notre malade. De plus, lorsque nous avons pu l'examiner en dehors des périodes de contracture, nous n'avons jamais produit des craquements. C'est ce qui nous a dispensé de l'examen sous le chloroforme auquel Sergiu attribue une grande importance (4) dans une de ses leçons. Il ne faut cependant pas oublier qu'au début, on peut ne pas produire de craquements après avoir fait cesser la contracture par le chloroforme.

Dans l'espèce nous avons, sans insister davantage, un signe qui nous permet d'éliminer d'emblée la coxalgie vraie, c'est la guérison, car à l'heure actuelle (février 1893), il y a plus d'un an que la maladie a commencé, et en supposant que la contracture ait persisté, ce qui n'est pas, l'absence de lésions articulaires, après ce laps de temps, diminue singulièrement les chances de voir paraître une coxalgie vraie.

On pourrait objecter que l'enfant n'a présenté aucun symptôme d'hystérie ; mais ne savons-nous pas que chez les enfants en particulier, la contracture est souvent la première manifestation de l'hystérie et que celle-ci peut être monosymptomatique (5). Enfin, le diagnostic de coxalgie vraie se trouve éliminé, aujourd'hui, par la guérison, et l'arthralgie du genou me parait bien aussi de nature hystérique.

Ne s'est-il pas agi d'une poussée d'arthrite non tuberculeuse empruntant ses caractères spéciaux au terrain sur lequel elle évoluait? Nous savons, en effet, que non seulement la contracture peut siéger au niveau de l'articulation malade, mais encore Cazin a signalé des contractures de la hanche dues à une arthrite du pied.

(1) Gazette médicale de Strasbourg. 1870.

(2) Charcot : Leçons sur les maladies du système nerveux, t. 3, p. 477. — Babinsk) : Arch. de neurologie, n° 34 et 30, 1890.

(3) Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie (hystérie normale), p. 240. 1891.

(4) Revue mensuelle des maladies de l'enfance, septembre 1891, p.

(5) P. Richer : Paralysie et contracture hystérique, 1892

Pour ce cas encore, l'absence totale de symptômes articulaires locaux et la guérison rapide permet de se prononcer pour la négative ; mais au début, il n'était pas permis .l'être aussi affirmantif, et l'on sait de quelles difficultés est entouré ce diagnostic; aussi les cliniciens disent-ils de ne pas faire à l'entourage des malades des promesses qui pourraient ne pas se vérifier. Paget recommande de répondre évasivement. M. Saint-Germain, dans une de ses leçons, recommande de faire allonger le malade dans tous les cas; « s'il ne guérit pas. dit-il, votre diagnostic sera vérifié; s'il guérit, vous aurez le mérite de la cure(1) ». J'ai préféré, dan» l'espèce, ne pas suivre ce précepte, et je m'en suis bien trouvé.

Enfin, il était permis de se demander s'il ne s'agissait pas d'un cas de simulation, surtout lorsqu'on a su plus tard qu'on était en présence d'un enfant menteur; je ne le pense pas. En général. la coxalgie n'entre pas dans le cadre des maladies simulées chez l'enfant. Dufestel (2). qui rapporte dans sa thèse soixante-dix-neuf observations de maladies simulées chez les enfants, ne cite qu'un cas de coxalgie simulée par un garçon de quatorze ans qui feignait surtout les phénomènes douloureux. Chez notre malade, il y avait de la contracture, et il me parait difficile de simuler une contracture de cette région. De plus, l'enfant n'avait aucun intérêt dans l'espèce, il n'y avait pas là une question de dommages, comme celle que nous allons retrouver dans la seconde partie de son histoire. La mensuration a démontré qu'il ne s'agissait pas d'une de ces pseudo-coxalgies dépendant d'une différence de longueur des membres, par suite d'un défaut de symétrie dans le développement des deux membres inférieurs, signalées par Mesnard. Terrillon. etc. (3).

Malgré ces probabilités, on ne peut poser un diagnostic absolument certain, car lorsqu'on s'occupe de médecine infantile, on est frappé du nombre d'enfants qui simulent des maladies dans l'unique but de se rendre intéressants. Je n'oserais donc pas affirmer d'une façon absolue que je ne me suis pas trouvé en présence d'une simulatrice. Du reste, dans ce cas particulier, le diagnostic entre l'hystérie et la simulation n'a pas une grande importance; or. nous savons que l'hystérie n'est pas rare à cet âge et même au-dessous (4).

Je crois donc ètre autorisé à poser le diagnostic de pseudo-coxalgie chez cette enfant. Les phénomènes locaux sont guéris pour le moment.

(1) Bulletin médical,

(2) Lot. cit., p. 87. Observation 48.

(3)Journal de médecine et chirurgie pratiques, 10 octobre 1891. p. 732 (4) Voir notamment Burnet thèse, Paris, 1891), qui cite vingt-et-une observations, prises dans le service d'Ollivier. d'enfant hystériques entre deux ans et demi et cinq ans. — Grancher: Journal de médecine et de chirurgie pratiques, mai 1891, p. 336. — Chaumier : Académie do médecine, 1er décembre 1891.

mais je fais mes réserves an point de vue du terrain. I! ne faut pas perdre de vue, en effet, que « ces phénomènes d'hystêrie locale ne sont que des épisodes et des signes avant-coureurs de phénomènes plus graves dans l'histoire des hystériques ». Je cite, comme très appropriée au fait en question, cette phrase que je trouve dans une excellente thèse qui vient d'être soutenue à Paris (1), II me reste maintenant à justifier le diagnostic d'enfant menteur.

II. — Enfant menteur.

Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'est battue en brèche la théorie de la candeur enfantine. Sans vouloir reprendre l'historique de la question, j'aurai occasion de citer, chemin faisant, les ouvrages qui, à ma connaissance, en ont traité. Je n'insisterai pas davantage sur la question de savoir jusqu'à quel point cette enfant a menti; cela regarde surtout le médecin légiste et le magistrat. Tout ce que je sais, c'est qu'elle a menti en nous disant qu'elle avait été victime d'un viol. Il me parait donc intéressant de rechercher quelles sont les causes qui font ordinairement mentir les enfants et quelles sont celles qui ont pu inspirer notre malade:

Il y a d'abord lieu d'établir deux grandes catégories d'enfants menteurs: les simulateurs de maladies et les menteurs en général.

Les simulateurs de maladies sont très longuement étudiés dans la thèse de Dufestel dont j'ai déjà parlé. Je n'y insiste pas et je passerai seulement en revue les diverses catégories d'enfants menteurs en général.

La première catégorie comprend les menteurs par badinage, ils ne présentent d'autre intérêt que d'indiquer à l'entourage que le terrain est préparé et qu'il faut diriger l'éducation de façon à éviter plus tard un type plus complet.

La seconde catégorie comprend les menteurs par imitation. Bourdin (2) en cite le singulier exemple suivant : une petite fille adoptée dans une famille entend lire dans les journaux une histoire d'attentat à la pudeur. Un jour quelqu'un la voit embrasser sa poupée sur le haut des cuisses. On lui demande ce qu'elle fait ; elle répond que c'est ainsi que son frère de lait agissait avec elle, qu'elle l'appelait son petit mari, que le père et le grand-père de celui-ci avaient abusé d'elle. Au moment où l'affaire allait passer en Cour d'assises, elle avoue qu'elle a simplement voulu

(1) De l'hystérie simulatrice des maladies organiques de l'encéphale chez les enfant, par A. Bardol, th, Paris, 26 janvier 1893.

(2) Annales médico-psychologiques, 6e série, 1883 tome 9, p. 65.

faire ce qu'elle avait entendu lire dans le journal. Nous avons demandé s'il n'y avait pas une canse analogue pour notre malade, la mère nous a affirmé que non.

Dans une troisième catégorie se trouvent les enfants qui mentent par intérêt. Les exemples en sont nombreux. Bourdin (1) cite une petite fille qui. sur les conseils de sa mère, disait qu'elle avait un caillou dans l'oreille et qui guérit dès qu'elle fut mise en vacances. Un petit garçon simulait un mouvement rotatoire de la tète, il fut guéri quand on l'eut puni, ta supercherie ayant été reconnue. Une jeune fille était très heureuse en se racontant des histoires où elle jouait un rôle. Nous avons vu l'an dernier, à la Clinique, la petite L... qui nous fut menée par sa mère pour des « crises de nerfs ». Les élèves ont encore présente a la mémoire la figure de la mère lorsque, sur mon insistance et en face de mes doutes, la fillette nous avoua que ses crises étaient simulées et n'avaient d'autre but que d'obtenir tout ce qu'elle désirait. Il y a en ce moment à la clinique infantile de l'Hôtel-Dieu une fillette de cinq ans qui simule admirablement te sommeil au moment de ma visite pour éviter les médicaments. Motet (2) cite un enfant de quinze ans simulant des attaques d'hystérie qu'il avait vues chez sa mère. Mon collègue et ami. le D-' E. Noguès. a rapporté le fait d'un petit garçon qui simulait des attaques d'hystérie pour éviter d'aller au collège Un motif d'intérêt existait-il chez notre malade? Nous verrons bientôt que l'intérêt n'a pas été le premier mobile de l'enfant: mais je pense que la mère, qui voyait une espérance de dommages-intérêts, ne cherchait aucunement à la retenir.

La classe de ceux qui mentent par peur n'est pas moins intéressante, Bourdin cite le cas d'un enfant qui simula la surdi-mutité pendant un an parce que son père l'avait menacé de le tuer s'il parlait. Motet (4) raconte l'histoire d'un enfant paresseux âgé de douze ans. qui prétend avoir été abandonné et est un jour reconnu par son père. Fouruier relate le fait d'une fillette de huit ans qui avait une vulvite très intense et qui guérit cependant très vite : sa mère lui avait fortement frotté la vulve avec une brosse à cirage et lui avait dit d'accuser un individu fort riche de l'avoir violée. L'enfant n'avait pas osé résister à sa mère (5).

J'ai récemment observé le cas d'an petit garçon mentant par peur.

(1) Académie de Médecine, 26 octobre 1880.

(2) Annales médico-psychologiques, 6e série,1883, tome 9, p. 54.

(3) Société médico-psychologique, séance du 27 novembre 1882

(4) Midi Médical, 3 et 10 décembre 1892.

(5) Loc. cit.

mais cachant sa maladie au lieu de )a simuler; en voici l'observation

résumée :

OBSERVATION II

Élicane C... âgé de dix ans. Tient à !a consultation de la clinique infintile de la Facullé, le 17 novembre 1891, présentant des fissuses anales. L'aspect infondi-buliforme de cet anus me frappe, mais je ne crois pas devoir insister sur des question* indiscrètes. Des suppositoires à l'idioforme améliorent la situation.

Le 28 décembre, l'enfant revient avec une éruption confluente de plaques moqueuses A l'anus à la verge. à la porte, des ganplions inguinaux, axillaires, cervicaux. Le traitement anti-syphilitique est institue. Malgré des questions pressantes, l'enfant nie toute contagion.

Le 21 janvier. - 1892. cet enfant entre à l'Hotel-Dieu et finit par faire des aveux : il a été victime l'un adolescent, son voisin. L'affaire s'est terminée en police correctionnelle.

Je ne crois pas que notre petite malade appartienne à cette catégorie.

Rien ne m'autorise à la classer dans la catégorie des menteurs par désir de nuire, appelés impulsifs par Legrand du Saule (1). anomaliens par Bourdin (2) non plus que dans celle des instinctifs qui mentent sans raison.

Je ne pense pas qu'il faille la classer parmi les inconscients. Brouardel cite bien le cas d'une petite fille qui prétendait avoir été « touchée ». On lui demande par qui, elle ne sait que répondre. On lui demande si c'est par tel individu que l'on sait absent, et elle répond oui.

Il n'y a pas non plus de raison pour la classer parmi les hallucinés.

Il me parait plus juste de la classer parmi les hystériques. Il y a lien d'en distinguer deux classes, selon qu'ils mentent par auto-suggestion ou par suggestion provoquée.

Comme type de menteur par auto-suggestion. Motet (3) cite un enfant qui accusa de l'avoir jeté à l'eau un certain C... qui l'a beaucoup étonné parce qu'il parle dans un musée au milieu de figures de cire. Sa mère, marchande de journaux, lui frappe l'imagination par la lecture des faits divers. Il pisse au lit et a des cauchemar*. Renseignements pris, il s'agît d'un cas d'auto-suggestion.

Les menteurs hystériques par suggestion provoquée sont importants à connaître, car ils sont très dangereux au point de vue du témoignage en justice. Ce sont ceux que l'on suggestionne volontairement ou qui sont suggestionnés par des questions indiscrètes qu'ils finissent par prendre pour la vérité. Charcot (4) suggère à une jeune fille l'idée qu'elle a de l'argent, et quelques jours après elle raconte qu'elle a acheté

(1) médico-psychologique, 6e sér., t 9, 1883, p. 134.

(2) Ann. médico-psychologique, 6e ser., t. 9, 1883, p. 378.

(3) Ann, d'hyg. pub. et méd. légale, 1887, t. 17, p. 486.

(4) Motet : Ann. d'hgg. pub, et méd. légale, 1887, t. 17, p. 495.

quelque chose avec cet argent. Motet (1) raconte qu'un enfant, rudoyé par un magistrat, finit par dire que son père a assassiné une jeune fille. Lasègue (2j cite un enfant à qui on fait des questions et qui répond toujours oui. Il compromet un individu en disant qu'il en a été victime, et l'alibi est facilement établi.

Notre malade est une hystérique, et je crois qae c'est dans cette catégorie de menteurs hystériques par suggestion provoquée qu'il faut la classer. En effet, nous ne savons pas exactement quel est le point de départ de son mensonge; mais ce qui est certain, c'est qu'elle emploie des expressions qui étonnent dans la bouche d'une petite fille de dix ans. Comme je l'ai fait observer au début, elle dît que celui qui l'a appelée a « mis ses parties dans les siennes ». J'aurais été moins étonné si elle avait employé des expressions plus triviales, étant donné qu'elle vit dans un milieu où elle aurait pu les entendre. Il est plutôt à penser que c'est en répondant à diverses questions posées indiscrètement que cette entant a appris le mot et a fini par créer plus ou moins complètement son histoire que nous savons fausse sur bien des pointe.

En terminant, j'insiste de nouveau sur ces notions au point de vue du témoignage des enfants en justice. C'est bien le cas d'appliquer ce principe des médecins légistes: ouvrir les yeux et fermer les oreilles. Je constate que cette opinion se trouve défendue par une thèse récente de la Faculté de Lyon, inspirée par le professeur Lacassagne (3). Dans ses conclusions, l'auteur dit que devant les tribunaux, les témoignages de l'enfant, sujet à l'erreur et dominé par le mensonge, doivent être, sinon annules, du moins sérieusement contrôlés.

Il m'a paru intéressant de publier l'histoire de ces deux enfants, dont l'un nous montre successivement de la pseudo-coxalgie, de l'arthralgie hystérique du genou et des troubles psychiques la faisant classer parmi les enfants menteurs.

Ces deux exemples, surtout le premier, montrent une fois de plus avec quelles réserves on doit accepter, soit en justice, soit ailleurs, le témoignage des enfants. L'histoire de la petite E. C... prouve que le magistrat ne doit accepter ce genre de témoignage qu'après s'être bien enquis de l'état psychique de son auteur, et aussi après avoir su par le médecin si l'enfant n'a pas présenté ou ne présente pas des troubles nerveux qui puissent faire songer à ce que l'on pourrait appeler l'hystérie à l'état naissant.

(1) Motet : Ann. d'hyg. pub. et med. légale, 1887, c 17, p. 493.

(2) Molet : Ann. d'hyg. pub. et méd. légale, 1887, t 17, p. 484.

(3) Rassier (th., Lyon, juillet 1892 : De la valeur du témoignage des enfants en juttice.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE

Séance du lundi 21 mars. — Présidence de M. Dumontpallier

Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté.

La correspondance manuscrite comprend des lettres de MM. Plista. Bourdon, rie Méru; Petersenv de Boston; Jastrow, de Madison: Herbert Adams. de Si. la Dr Brémaud et de M. de Fontenay, qui envoient le montant de leur cotisation pour l'année.

M. le Dr Desjardins de Régla présente à ta Société trois volumes dant il est l'auteur et avant pour titres : Jésus de Nazareth, la Turquie officielle, les Bas-forvls de Constantinople. Dans chacun de ces livres sont relatés des faits qui, par leur caractère d'observation psychologique, rentrent dans le cadre d'études de notre Société. Le volume consacré à Jésus de Nazareth contient une étude approfondie sur le* miracles et les faits de goémon attribués à Jésus; le volume consacré aux bas-fonds de Constantinople contient une élude expérimentale sur les phénomènes du haschich.

M. le secrétaire général annonce qu'il a reçu de la Société médico-légale de New-York l'avis qu'une section de psychologie allait être fondée dans le sein de cette Société, et il propose à la Société d'hypnologie et de Psychologie d'entrer en correspondance avec la nouvelle Société.

M. le Président met aux voix les candidatures de M. le Dr Duhamel, directeur de la Maison de Santé de Saint-Mande, présenté par MM. Babinski et Bérilton: de M le Dr Gélineau. présenté par MM- Dumontpallier et Bérillon; de M. le Dr Petersen, de Boston, présenté par MM. Dumontpallier et Bérillon; de M. Pé-ehard. magistral, présenté par MM. Auguste Voisin et Bérillon.

Ces candidatures sont adoptées à l'unanimité.

De la cessation instantanée d'accès de catalepsie par la faradisation du mamelon gauche.

Par M. le Dr AUGUSTE VOISIN, médecin de la Salpétrière.

On sait la difficulté et quelquefois l'impossibilité où l'on est de faire cesser le sommeil cataleptique que l'on voit durer des semaines et des mois.

La difficulté est grande, puisque la sensibilité sensorielle et cutanée est abolie.

Ayant eu l'occasion récente d'observer deux de ces cas. j'ai eu l'idée d'employer le courant faradique sur un point du corps resté sensible.

Mon maître Briquel m'avait appris que le mamelon gauche est l'ultimum moriens de la sensibilité.

Les piqûres avec une épingle n'amenant aucun résultat, j'ai essayé les courants faradiques forts, et le succès a répondu à ce procédé de traitement chez ces deux malades.

Hystérie. — Attaques cataleptiques datant de sept ans. — Délire lypema-àaque. — liées et tentative de suicide. — Procédé pour faire cesser ta

catalepsie. — Guérison par ta suggestion hypnotique.

La nommée M..., âgée de vingt-neuf ans, est entrée dans mon service le 11 août 1687.

Pas d'hérédité morbide.

Pas de maladie avant l'âge de onze ans. A cet âge, elle a eu une première se-cousse morale déterminée par une tentative de viol dont elle a été l'objet et qui a été suivie d'inflammation des parties sexuelles très douloureuse. A l'âge de vingt-deux ans, elle a eu une antre secousse morale; en rentrant ches elle, elle a trouvé étendu à terre le cadavre de son grand-pire. Elle était dans une période menstruelle et il en est résulté un état hémorrhagique qui a duré plusieurs mois. Depuis, sa santé ne s'est pas remise et elle a été prise assez fréquemment d'attaques convulsives du genre cataleptiforme et hystériforme.

De violents maux de tête et de la dépression mélancolique qui a beaucoup augmenté dans ces derniers mois. Elle est entrée, il va quinze Jours, dans le service de Chareot, à la Salpêtrière, mais on n'a pu l'y garder en raison d'hallucinations et d'idées de suicide.

11 août. — Étal actuel :

La physionomie est tranquille. Apparence de santé. Symétrie des yeux. Égalité de» pupilles. Pas de trouble de la vue ni de la vision des couleurs. Ouïe normale. Articulation des mots facile. Pas de trouble de ta mémoire. Rien de particulier dans les poumons et an cœur.

Pendant que nous l'interrogeons sa physionomie change, elle devient gale, la malade rit aux éclats sans qu'on puisse savoir pourquoi. mais il est évident qu'elle prête l'oreille à des voix; un instant après sa physionomie devient sérieuse, triste, et le regard est fixe.

Pendant qu'on l'interroge elle est prise d'un tremblement rapide et rythmé dans les membres gauches, d'une durée de quelques secondes. Pas d'anesthésie cutanée. Douleur ovarienne bi-latérale à la pression. Conservation des réflexes rotuliens. Pas de trépidation des pieds provoquée par la flexion.

La malade est sujette depuis deux ans à des attaques convolsives semblables à la suivante que nous constatons : soupirs, respiration râlante, contracture do membre supérieur droit, puis convulsions cloniqoes dans ce membre suivies de contracture générale des quatre membres.

De plus, depuis son entrée, elle a été prise un grand nombre de fois de sommeil d'une demi-heure à une heure, à n'importe quel moment de la journée. Elle a alors l'apparence d'une personne profondément endormie et dans le calme le plus grand.

Ces sommeils sont précédés, dit-elle, d'une sensation d'engourdissement dans le pied droit, sensation qui monte le côté droit du corps Jusqu'à l'œil droit. Dès que l'aura est arrivée à l'œil, elle est obligée de s'asseoir ou de s'étendre, sans quoi elle tomberait à terre.

Pendant ces sommeils, elle entend tout ce que l'on dit, mais il lui est impossible de répondre. Il lui arrive quelquefois d'ouvrir les yeux, mais elle les referme aussitôt. J'ai essayé les effets de l'hypnoscope sur la sensibilité des duigts, mais il n'en est résulté aucun phénomène propre à cet instrument.

Étude de la sensibilité en dehors des accès. — Pas d'anesthésie de la peau. Douleur à la pression des régions ovariennes droite et gauche, Pas 4e douleur spinale. Conservation et même exagération des réflexes. Pas de trépidation des pieds provoquée par la flexion. Pas de trouble de la vue ni de la vision des couleurs. Symétrie des yeux et égalité des papilles. État normal de l'ouïe, de l'odorat. Pas d'insensibilité conjonctivale ni épiglottique. Pas de traces de syphilis.

État de la sensibilité et de la contractilité musculaire (courants induits) pendant l'état de sommeil. — Insensibilité de la moitié droite du troue et du membre supérieur droit Contractilité dans ces même ? parties. Sensibilité très vive et contractait.; de la moitié gauche du tronc et do membre supérieur gauche

Sensibilité et contractilité de membre inférieur gauche et du tiers supérieur et moyen de la jambe droite.

Contractilité du membre inférieur droit, mais insensibilité de ce membre. Contractilité de la face à droite, mais insensibilité de cette partie. Contractilité et sensibilité de la lace à gauche.

Contractilité de la région fessière droite, mais insensibilité de cette région.

Contractilité et sensibilité à gauche; de même dans les régions lombaire et dorsale droites et gauches.

17 novembre 1887. — A huit heures du matin, la nommée Ren.... sur

une :chaise , se penche, appuie sa tête contre la table et s'endort. A ce moment, elle n'a pas poussé de cris, elle n'a pas eu d'attaque convulsive, pat de chute à terre.

La malade va se coucher d'elle-même.

A dix heures et demie, nous la trouvons en état cataleptique; elle est étendue sur son lit toute droite, dans le décubitus dorsal.

Les quatre membres sont dans l'extension et complètement raides; les mains sont contracturées; certains doigta étendus, les autres fléchis; c'est ainsi que, pour ht main droite, le médius et l'annulaire sont fortement fléchis, tandis que le petit doigt et l'index sont dans l'extension. Les mâchoires sont fortement serrées et la malade grince fortement des dents. A ce moment, il n'y a pas de raideur à la nuque. Les yeux sont fermés, mais en soulevant la paupière, on constate que les veut sont en strabisme convergent. Par instants la malade se contracture et fléchit les membres, le tronc présente une tendance a l'arc de cercle. La pression des ovaires ne modifie pas cet état A ce moment le thermomètre donne 36. 3 sous l'aisselle. Le pouls est à 6i par minute.

L'examen avec la machine électrique donne les résultais suivants au point de vue do la sensibilité :

La réaction semble nulle du côté droit; elle est au contraire assez vive à gauche et provoque de grands mouvements. Les muscles excites réagissent peu du coté droit; pourtant, a la face, on obtient quelques contractions musculaires qui amènent une déviation de la commissure droite. Du coté gauche, la réaction est très nette et telle que chez un individu sain. Cet examen terminé, la malade est soumise aux inhalations chloroformiques. Rapidement on obtient une resolution musculaire complète; les membres deviennent flasques, et bientôt la résolution est telle que les membres soulevés retombent lourdement sur le lit.

Le trismus a cessé, ainsi que la contraction oculaire; mais, presque aussitôt après que l'on a cessé les inhalations, la contraction se reproduit et la malade est de nouveau dans l'étal cataleptique où nous l'avons trouvee. Elle est cou-iracturce a ce point qu'on peut 1 enlever par la nuque et par le pied, le corps restant droit comme une planche.

Puis, lorsque l'on touche la malade, soit au niveau de l'abdomen, so:t aux membres, elle est prise de violents soubresauts avec mouvements de tout le tronc, tendance â l'arc de cercle, flexion et extension excessive des bras. A ce moment, les doigts sont fléchis au point qu'on ne peut ouvrir la main.

Une fois laissée en repos, la malade reste tranquille, a peine fait-elle de temps à autre quelques mouvements des doigts; elle parle a haute voix, disant qu'elle est malade, qu'elle vent aller chez Charcot; elle parte de M. Vial, de sort mari, etc.

Elle se plaint de violente* douleurs dans le côté droit de la tête.

19 novembre. — Le sommeil et les phenomènes cataleptiques n'ont pas cessé depuis quarante-huit heures.

Je fais apporter l'appareil électrique d'induction du service et, malgré le courant le plus fort, quoique la contractilité musculaire soit partout normale, la

sensibilité est nulle. J'applique an des tampons sur le mamelon droit. Aucune sensibilité, mais

aussitôt applique sur le mamelon gauche, la malade manifeste un peu de douleur, puis elle pousse un gémissement. douloureux. elle se réveille.

Les phénomènes cataleptique* cessent aussi.

J'ai répété le même procédé d'autres fois; le succès a été le même.

J'ai employé le sommeil hypnotique et les suggestions. Puis la thérapeutique hypnotique suggestive a été continuée tous les deux jours, pui* tous les quatre jours et à des intervalles de plus en plus éloignes, et la malade a pu sortir guérie le 12 août 1888.

Je viens de la voir le 21 février 1S93; la santé est restée bonne.

Hystérie. — Accès de catalepsie datant de huit mois. — Procédé pour faire cesser tes accès de catalepsie.

La nommée P.... âgée de dix-huit ans est entrée dans mon service à la Salpè-trière le 20 décembre 1892.

Antécédents héréditaires. — Père alcoolique. Mère bien portante. Trois frères et une sœur bien portants. Une autre sœur est restée quarante-huit heures en léthargie.

La malade a eu des convulsions au moment de la dentition. Elle a été réglée à treize ans et demi. Pas de maladie pendant ce temps, ni ensuite.

Depuis huit mois, à chaque période menstruelle, céphalalgie qui dure pendant tout le temps des règles et les jours qui précèdent. Pendant la céphalalgie elle sentait une douleur dans la région iliaque gauche. Cette douleur montait jusqu'à la région épigastrique, puis jusqu'au pharynx, avec constriction et sensation de boule.

Depuis ces huit mois, pendant le cours des règles, la malade a des syncopes qui durent, la première dix minutes, puis une demi-heure, puis une heure, puis deux heures.

Pendant l'attaque, elle perd connaissance. Revenue à elle, se sourient comment l'accès s'est produit, mais ne sait rien de ce qui s'est passé pendant sa durée.

Il y a trois semaines, en dehors des règles, la malade a la même sensation de douleur iliaque et de constriction épigastrique et œsophagienne pendant qu'elle travaille. Elle a le temps de s'asseoir et s'endort. Cette crise dure une heure ; on la réveille en lui appliquant des sinapismes aux Jambes.

En huit Jours, la malade tombe deux fois dans la même journée. La seconde fois, elle se réveille et s'endort presque aussitôt.

Ceci se passait à cinq heures du soir. Elle et mise en voilure et amenée à la Salpêtrière dans le service de M. Aug. Voisin, le lendemain matin, sans s'ètre réveillée.

Etat à son entrée. — P... nous est apportée en voiture sans connaissance, dans un étal de catalepsie absolu, les membres, le cou, le tronc complètement raides, insensible de tout le corps, respirant à peine. Le pouls bat à Ï6. Conservation des réflexes sous-rotuliens.

Intégrité de la coutractilité électro-musculaire de la face, des membres inférieurs el supérieurs, du tronc.

La sensibilité au courant électrique, même fort, est nulle en tous points, sauf au mamelon gauche : en effet, dès que le tampon la touche, la malade pousse un gémissement, se redresse, ouvre les yeux et me dit : « Je vous connais, vous êtes monsieur Voisin. » (J'apprends de son amie, qui l'avait amenée, qu'elle est d'une partie de la Sarthe où j'ai une campagne). L'accès de catalepsie durait depuis la veille cinq heures du soir.

Pendant son séjour dans mon service, P... a eu quatre ou cinq autres accès de catalepsie analogues, que j'ai tait cesser de la même façon.

Depuis le 3 février, je la traite par la suggestion hypnotique (tous les trois jours). Deux accès légers hystériques sans catalepsie se sont produits jusqu'à ce Jour, 20 mars. Le traitement est continué.

La circoncision envisagée comme une suggestion religieuse,

Par M. le Dr DESJARDIN DE REGLA.

En étudiant un manuscrit arabe consacré à la religion musulmane, et rédigé par un commentateur mahomélan des plus érudits, j'ai trouve ce passage, relatif à la circoncision. L'auteur envisage cet acte religieux à un point de vue tout à fait nouveau et il le considère comme destiné surtout A exercer une action psychique et suggestive. Pensant que ce document intéresserait la Société, je l'ai traduit et je le lui soumets en lui conservant sa forme originelle.

« Beaucoup pensent que la circoncision est un acte purement religieux, imposé par notre saint Prophète, que son nom soit 4 tout jamais béni ! à ceux qui suivent les lois de l'Islam ou de la résignation à Dieu.

C'est la une erreur, ainsi que je vais vous le démontrer, s'il plaît à Dieu.

La circoncision existait chez !es juifs comme marque de leur bonne foi et de leur baptême, avant, bien avant la venue de Mohammed ; mais les juifs n'ont pas eu l'initiative de cette opération. Avant eux, des peuples du continent asiatique la pratiquaient, sinon au point de vue religieux, du moins au point de vue hygiénique et social.

C'est aux Egyptiens, un des peuples les plus anciens, que les Israélites empruntèrent cette opération, dont ils firent, par la suite, le signe indélébile de leur croyaucc. Elle constitua plus tard le véritable baptême national et devint ainsi l'acte religieux le plus important du judaïsme.

Quand Mohammed nous apporta la bonne nouvelle de l'Islam, la circoncision, pratiquée suivant la mode israélite, ou suivant différentes méthodes employées |«ar des tribus de toute la presqu'île arabique (l), existait à l'état de coutume générale. L'histoire de la circoncision se perd dans les temps mythiques.

Les chrétiens et les salvéens faisaient seuls exception. Quant aux disciples de Jean-Baptiste, ils étaient alors circoncis, comme ils le sont encore, mais chez eux, cette opération ne s'est pas transformée en baptême, ils ne la pratiquent qu'au point de vue hygiénique et comme marque de leur origine israélite. Il eu est de même de chrétiens abyssins.

Mohammed, béni soit son nom ! ayant constaté les bons effets hygiéniques et sociaux de la circoncision, la laissa aux croyants, mais sans en faire une obligation absolument religieuse.

(1) Il existe encore dans certains tribus des environs d'Aden. mais un peu dans l'intérieur des terres, des familles entières où la circoncision est pratiquée du haut en bas du penis. par l'enlèvement de tout l'épiderme dont l'extrémité forme le prépuce. J'ai vu à Constantinople entre les mains d'un médecin polonais, au service de l'année

turque, une pièce anatomique constituée par un de ces pénis, pris par mon confrère sur le cadavre d'un homme issu d'une des tribus dont je viens de parler. (R. de P.).

C'est donc un tort de voir dans l'opération du prépuce un sacrifice rappelant, même de loin, ceux qui se pratiquaient à La Mecque par les idolâtres.

C'est également un tort, vous le savez, ô vous, les véritables croyants ! de voir dans cette ablation une cérémonie religieuse, conforme a celle des

juifs.

La circoncision n'est ni un baptême pour nous, ni une affirmation de notre foi. C'est un acte d'obligation initiative, dont on peut cependant se dispenser en cas de danger ou d'empêchement naturel (1).

Ceci dit, pour répondre plus particulièrement aux assortions mensongères des juifs, des chrétiens et des idolâtres, j'ajoute que cette opération, exécutée généralement par un barbier public, doit être vivement recommandée a tous les bons musulmans comme une partie légale, hygiénique et même religieuse, si on le juge convenable de l'appuyer de l'autorité de la loi.

Mais la circoncision, telle que nous la pratiquons, a des vertus singulières qui font que, si on peut être bon musulman, fidèle A la loi de l'Islam, sans être circoncis, il n'est pas moins vrai que tout croyant doit (aire circoncire ses enfants, et cela pour les causes et les motifs qui suivent.

(1) Cette affirmation du Khödja paraitra peut-être très osée A beaucoup de nos lecteurs. On va voir qu'elle est absolument conforme i l'esprit de l'Islam et A son culte : en effet, conformément au code d'Ibraïm-Healeby, le jour de la circoncision n'est pas celai où on donne un nom nouveau à l'enfant, ou au néohyte, c'est-à-dire le Jour où l'on pratique la cérémonie qui se rapproche le plut du baptême, tel que l'entendent les juifs et les chrétiens.

Cette cérémonie petit avoir lien pendant les quarante jours qui suivent la naissance de l'enfant ; mais l'usage veut qu'elle se fasse le jour même de sa naissance, après les trois premières heures canoniques qui la suivent. Point n'est besoin de l'iman de la Mosquée pour la pratiquer; le père de l'enfant, ou A son défaut, le tuteur naturel, a le droit do procéder A cet acte et de donner A l'enfant le nom qu'il lui plaît, mais non sans avoir, au préalable, pris l'avis de la mère.

Dans les villes, c'est généralement l'iman qui procède à cette cérémonie ; mais, je le répète, sa présence n'est pas indispensable et obligatoire.

Rien do plus simple, du reste, que cette formalité :

Si c'est l'iman qui l'opère, il n'a qu'A s'approcher de l'enfant et A prononcer A son oreille droits les paroles de l'Esann et A celle de gauche, celles de l'ikameth (*): ces deux prières prononcées, l'iman. le père ou le tuteur, l'adressant A l'enfant même, lui dit : « Ibraim... (ou Ali, ou tout autre des noms indiqués par le père et acceptes par la mère), est ton nom. »

On volt qu'il y a loin de cette simple cérémonie au baptême proprement dit des juif* ou des chrétiens.

On peut certainement pratiquer la circoncision le jour même où l'on a donné le nom A l'enfant, mai» aucun texte de loi n'en fait une obligation.

J'ajoute que la circoncision est il peu un baptême, qu'elle n'est jamais Imposée aux chrétiens adultes qui embrassent l'islsmisme.

On peut lire A ce sujet ce que j'ai raconté dan* la Turquie officielle, relativement A l'abjuration de la religion arménienne, par Chabaz, effendi, un des Jurisconsultes les plus éminents de l'empire Ottoman. (Voir Turquie officielle, chap X, pages 249 et suivantes.)

(*) L'Ezann est use des prieres instituées par le Prophète, c'est, à proprement parler, l'an-amtm in heures canoniques. En les paroles . Dieu très haut : Dieu très haut : Dieu très baut : Dieu très haut: J'atteste Qu'il a point de Dieu, sinon Dieu. j'atteste que Mohammed est

i la prièra ; venez au Temple du salut. Grand Dieu ! Grand Dieu ! Il n'y a point de Dieu, sinon

L'Ikameth n'est qu'une simple repetiton de l'Ezaan, à laquelle on ajoute. après les paroles : • Venez au Temple du salut •, • Certes, tout est prépare pour la prière. »

1° L'enlèvement du prépuce, tout en facilitant le développement du dkeur et en augmentant sa puissance, ou plutôt sa force, préserve l'enfant des démangeaisons produites- par l'accumultion de la matière cehacée sécrétée par la muqueuse qui enveloppe la base du gland. En le préservant de ces démangeaisons irritantes, il lui enlève le désir de se frotter le dkeur. et, par conséquence naturelle, toute idée, toute pratique et tout désir d'onanisme.

2° Plus tard, chez l'adulte, où le jenne homme, pour lequel se Lève I aurore des plaisirs du coït, la circoncision, en facilitant le développement et la force du dkeur, le mettra à même de mieux profiter de ses ablutions et de pratiquer la copulation avec moins de danger pour sa santé et plus de plaisir pour la femme, dont les premiers organes seront frappés par un dkeur tout à la fois ferme, doux et de forme parfaite.

3° Enfin, si le jeune homme pratique le coït dans un réceptacle malsain. ¡1 sera moins exposé que les incirconcis ; et s'il devient malade, son affection sera plus facile à soigner, car elle ne pourra se compliquer ni de phimosis, ni de paraphimosis.

Mais ce ne sont pas là les seuls avantages de la circoncision; il en est d'autres qui, pour être plus moraux que physiques, n en doivent pas moins être pris en sérieuses considérations, ainsi qu'on va le voir.

Chacun sait qu'en religion comme en politique, il suffit d'une marque suggestive pour rappeler, par son symbolisme, les bases des principes adoptés par long les membres appartenant a la même tribu, à la même famille, au même dogme religieux, à la même espérance, à la même foi et aux mêmes coutumes.

Si ce signe est imprimé sur notre chair, son symbole s'incarnera dans notre cerveau avec une telle puissance qu'il deviendra pouvoir agissant pendant toute la durée de notre existence, et sera transmis aux œuvres que nous créerons avec une puissance d'autant plus grande que ces œuvres seront issues de notre sang et de notre volonté.

Or, par l'organe sur lequel s'opère la circoncision, organe en sympathie directe avec le cerveau, celui-ci sera fortement imprégné des stigmates moraux représentés par ce signe indélébile, et ces stigmates influenceront a tel point le cerveau humain qu'il ressemblera à un véritable microcosne dont les fonctions, plus nu moins diversifiées, obéiront à l'ensemble des forces psychiques et idéales symbolisées par l'opération de la circoncision.

Sous la suggestion de cette opération, tous les individus se fondront en une seule race, possédant les mêmes caractères généraux, intellectuels et physiques.

Il est probable qu'avec le temps ces caractères disparaitraient pour se fondre ou tout au moins s'estomper au contact des qualités et des défauts des autres peuples. Mais comme la circoncision se renouvelle sur les enfants des circoncis, il en résulte que tout ce qu'elle renferme d'ordre moral et sociologique se perpétue de père en fils, en conservant la même puissance d'unification et de suggestion.

Ainsi considérée, la circoncision est un acte aussi social que politique.

C'est un signe qui réunit ceux qui en sont marqués dans l'espérance d'une même foi et de* mêmes principes.

Par lui et avec lui, les générations se succèdent en conservant les mêmes idées, les mêmes lois et les mêmes qualités, bonnes ou mauvaises.

C'est cette loi d'atavisme qui, seule, peut expliquer et explique, en effet, la perpétuité du caractère juif i travers les dispersions et les nombreuses persécutions qu'ont subies les enfants d'Israël depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours.

Alors que tout a changé autour d'eux, ils sont restés au fond ce qu'ils étaient dans le principe.

Socialement et politiquement, ils n'ont rien oublié et rien appris, et se sont toujours élevés, avec le même esprit révolutionnaire, contre tous les pouvoirs établis.

Ko fait, ils ne sont d'aucune nationalité.

Ils n'obéissent a personne, ilsne connaissent qu'une chose : c'est qu'ils sont circoncis et israélites.

Ils ne sont ni Syriens, ni Ottomans, ni Algériens, ni Allemands, ni Anglais,

ni Portugais, ni Russes, ni Espagnols, ni Français.....Ils sont les circoncis

de Jéhovah !

Et ils sont les circoncis de Jéhovah parce que la circoncision est pour eux un signe tout à la fois religieux et politique.

Religieux, parce qu'il représente leur baptême et l'ensemble de leur foi. Politique, parce qu'il est l'expression de leur aspiration révolutionnaire à la domination matérielle du monde.

Tout autre est pour nous, enfants de l'Islam, la circoncision dans son influence morale et suggestive : n'étant point un baptême ni le symbole absolu de notre foi, elle ne peut s'opposer ni aux progrès de notre race, ni au développement de l'Islam à travers les peuples et les nations.

Toute sa vertu se résume dans ses propriétés hygiéniques et dans la puissance virile qu'elle contribue à nous donner en nous sauvegardant de l'onanisme quand nous sommes enfants, et des immoralités ily phalliques quand nous sommes adultes.

Certes, il existe bien eu elle une suggestion islamique qui forme comme un lien entre nous tous; mais cette suggestion n'étant plus du même ordre que celle des Juif», n'influence que très peu la diversité des caractères et des types physiologiques qui se rencontrent dans les divers peuples ayant embrassé l'islamisme.

C'est également ce qui se rencontre chez les chrétiens abyssins ou coptes qui, comme les disciples de Jean-Baptiste et les Sabéens. ont conservé la circoncision, sans y attacher le principe religieux qu'ils ont transporté à leur haptème, véritable et seul symbole de leur foi en Jésus, fils de Marie.

Faites donc circoncire vos enfants pour toutes les raisons que je viens de vous donner, mais n'imposez pas cette opération au nouveau membre de l'Islam. »

RECUEIL DE FAITS

Une Suggestion originale.

Mon cher directeur.

Je vous envoie sous ce pli une fantaisie, à mon sens, des plus intéressantes. Des théoriciens la rattacheront a la double personnalité. Je ne partagerai pas leur manière de voir, mais je n'ai nulle envie de la combattre et ce n'est pas le moment.

J'ai entre les mains un névropathe par hérédité. C'est un homme dans la trentaine, grand, fort et beau, marié, dans une belle position de fortune, considéré. Mais c'est un mélancolique assailli continuellement d'idées plus noires que l'encre. L'obscurité, la solitude, tout est pour lui une cause de terreurs indicibles. La moindre indisposition d'un membre de sa famille est à ses yeux une maladie mortelle. L'un des sujets les plus constants de ses craintes, c'est le choléra; il le redoute, non pas pour lui, mais pour les siens. Quand il s'absente de chez lui, il s'attend i trouver à son retour le choléra installé dans sa maison. Les moindres allusions à ce fléau dans un journal le plongent dans des angoisses funèbres; il le voit partout, dans les aliments, les eaux, le sol, dans l'air, et il s'attend — c'est chez lui une conviction inébranlable — à son retour pour ce printemps-ci.

Je le vois en moyenne tous les huit ou quinze jours, car il doit faire un long voyage pour venir chez moi. Je l'ai déjà reçu une dizaine de fois.

J'ai assez bien adouci son état par suggestion. Il va mieux et se guérira, j'en ai la ferme assurance. Mais connue j'avais beaucoup de lièvres à chasser, j'ai commencé par ceux qui me paraissaient mieux à portée de mes armes, réservant te choléra pour la fin. Je l'ai attaqué sérieusement la semaine dernière, et je me suis avise d'un procédé assez bizarre : j'ai commande au malade, dans son sommeil (il s'endort très bien), d'écrire l'éloge du choléra et de me l'envoyer. Nous avons jeté une espèce de plan et émis quelques idées. Il riait aux éclats, toujours dans son sommeil : « Ah ! que ce sera drôle! • ' Le surlendemain, je recevais par la poste le morceau ci-joint. Il l'accompagnait de ces quelques mots: « Je ne sais si vous trouverez cela drôle; pour ma part, je vous avoue que je raille un peu le choléra comme les enfants rient du loup quand il leur tourne le dos. Je sens bien que je ne serais pas si brave si je le voyais en face. C'est même celte obsession qui persiste le plus en ma malheureuse cervelle, et c'est contre elle que vos suggestions restent le plus impuissantes. »

N'empêche que je trouve très curieux d'avoir obtenu de lui une marque aussi manifeste d'indépendance d'esprit à l'égard d'une crainte si puissamment organisée.

Je soumets à la critique de mes confières en hypnotisme ce moyen —est-il allopalhique ou homœopathique ? — de lutter contre certaines idées morbides, en forçant le sujet i s'en occuper.

Agréez, mon cher directeur, etc.

J. Delebœuf.

ÉLOGE DU CHOLERA

« L'homme est, de tous les animaux, le plus ingrat, sans conteste.

Insensible aux bienfaits qu'il reçoit, prompt à l'oubli des plus élémen-mentaires devoirs de reconnaissance, il semble n'avoir reçu la mémoire que pour les choses désagréables qui lui arrivent, et l'imagination que pour exa-gérer les malheurs qu'il redoute.

« Si quelques rares exceptions nous réconcilient parfois avec la vilaine espèce dont nous sommes membres, combien, par contre, ne trouvons-nous pas d'occasions de fortifier notre misanthropie!

« Pour un grand cœur comme saint Labre, combien ne rencontre-t-on pas d'êtres cruels qui écrasent leurs puces?

« L'exemple de Marie Alacoque ingurgitant, par amour du prochain, les parcelles de poumon chues des lèvres des phtisiques, arrête-t-il les innombrables indifférents qui, chaque jour, passent le pied, insoucieux, sur leurs propres crachats abandonnés dans la poussière des chemins ?

« Et si Monselet a tenté de réhabiliter le cochon, ce pauvre méconnu, n'entendons-nous pas encore trop souvent insulter à ses mérites par l'usage abusif qu'on fait de son nom au profit d'un las de gens qui ne méritent pas cet honneur ?

« Mais si le sort de ces victimes de l'ingratitude des hommes doit toucher nos cœurs accessibles à In tendre pitié, combien davantage doit nous émouvoir le malheur de colles qui, moins heureuses que la vermine de saint Labre, les déjections de Marie Alacoque et le cochon de Monselet, n'ont jamais trouvé un chantre, ni même un défenseur!

• Pour n'en citer qu'une, en est-il de plus intéressante que ce bienfaisant et tant honni choléra?

« Qui dira jamais, 6 pauvre fléau vilipendé, l'amertume oh doit te plonger la bêtise des hommes, parmi ' lesquels tu comptes si peu d'amis pour tout le bien que lu leur fais?

« A ton approche, ainsi que des moineaux s'envolent devant le geste du gemeur qui répand le grain dont ils se nourrissent, mus par un ne sait quelle antipathie irraisonnée, tu les vois s'enfuir a perdre baleine, sans prendre même le temps de te saluer.

« Et pourtant, s'ils voulaient te mieux connaitre, combien ils reviendraient de leurs préventions ridicules!

« Car enfin, parmi les nombreux préposés au passage du Styx depuis que Caron s'est retiré des affaires, tu es encore un de ceux qui accomplissent le plus convenablement leur délicate mission.

« Tandis que la phtisie, celle vilaine pécore, ou le cancer, cet impitoyable rongeur, nous conduisent au terme du voyage dans des trains de banlieue qui nous font regretter les vieilles pataches de nos pères, toi, tu prends l'express et l'on n'a pas le temps de s'ennuyer.

« Pas d'arrêts inutiles en chemin, pour permettre à ces contrôleurs de la ligne .qu'on .appelle médecins, d'examiner votre langue pour s'assurer que

votre coupon est en règle, et qui, s'ils ont des doutes, vous réclament un supplément, mais ne vous font jamais descendre de voilure.

« Plus de temps perdu à stationner dans des endroits où des amis venus pour vous saluer au passage s'impatientent parce que vous leur faites manquer d'autres rendez-vous en lardant trop à vous en aller.

« Résolue aussi la question des préparatifs, qui arrêtent tant de gens sur le point de se mettre en route : comme le trajet n'est pas long, on n'y pense guère la veille, et quand vient le moment de partir, on est prêt en moins que rien.

« Tous ces avantages, pourtant, que tu procures aux voyageurs que tu pilotes, sont peu de chose en comparaison des satisfactions que lu donnes à ceux qui n'ont pu le suivre.

« Sans parler des médecins qui, grâce à ta réputation détestable, trouvent une excuse facile quand leurs clients décampent et une gloire pins aisée encore si, par générosité, tu les leur abandonnes : sans parler des pharmaciens et autres parasites de la naïveté humaine qui. â la faveur de la crainte que tu inspires, vendent au poids de l'or les mixtures infernales dont ils sont les premiers a ne pas faire usage, il y a tant d'autres mortels dont tu combles les vœux sans éveiller en eux la moindre reconnaissance !

« Les héritiers, dont lu réalises les espérances; les gendres fatigués que lu soulages de leurs belles-mères ; les crèvr-la-faim, les misérables, les sans-travail, à qui tu adoucis le pénible struggle for life en déblayant les chemins trop encombrés de monde; les prêtres dont lu favorises le commerce; les gazeliers à qui lu fournis de la copie on abondance; les chasseurs de rubans qui, moyennant d'inoffensives coliques, décrochent une décoration quelconque en récompense de leur courage civique; et surtout la taurin ?, les malheureux, ceux qui, végétant sous les derniers degrés do l'échelle sociale, n'attirent jamais l'attention des puissants el des riches et qui, grâce a loi, o bienfaisant choléra! voient leurs masures blanchies de frais, leurs taudis aérés, leurs paillasses renouvelées, leurs bardes remplacées.

« Un savant hygiéniste anglais, seul peut-être, t'a rendu justice en affirmant que, tous comptes faîfs, lu saurais plus d'existence* humaines que lu n'en compromettais.

« Sous ton influence. on voit les ivrognes s'abstenir, les goinfres serrer leurs ceintures et les gens sales se laver.

« A ton approche,on lessive, on récure, on nettoie de toutes parts, et, par la magie de ton nom seul, les administrations publiques les plus inertes — et qui dira jamais jusqu'où va l'inertie administrative ?— s'agitent, se remuent, et les ronds-de-cuir deviennent impétueux.

« Un répare les égouts, on assainît les impasses, et on s'aperçoit tout â coup qu'il y a de la cruauté a laisser croupir dans des caves infectes des infortunés à qui l'on s'empresse de procurer des logements plus salubres.

« Tu es le grand stimulant de ces admirables élans de philanthropie, l'inspirateur de ces travaux d'assainissement dont d'autres, a la place, s'enorgueilliront ensuite; le bienfaiteur de noire pauvre monde, enfin, qui, sans

loi, 1res probablement, De connaitrait pae les premiere éléments de l'hygiène.....

......Et pourtant, tu es honni, bafoué, détesté, redouté a l'égal des maux

les plus terrible».

a On effraie lus hommes avec ton nom, comme les enfants avec Croquemi-

taine.....

« Qui dira pourquoi?....

« Hélas! mon pauvre choléra, je croîs que la raison de ces préventions injustes à ton égard résulte de la mauvaise liaison que lu fis en ta jeunesse.

« Un destin perfide t'a uni avec sainte Frousse, et comme les maris débonnaires portent ht peine des gredineries de leurs femmes, toi, tu endosses la responsabilité de tout le mal que fait la tienne.

• Partout où lu te présentes, elle le précède, et tu n'as pas le temps de t approcher de quelqu'un qu'elle n'ait déjà sauté dessus et l'ait remis dans le plus pileux étal.

• Les Orientaux, qui connaissent mieux la femme que nous, t'ont défendu contre la calomnie qui l'attribue tous les forfaits de sainle Frousse.

« Te souviens-tu de ton fameux voyage à La Mecque, où tu promis de n'emmener que ciuquanle voyageurs et où sainle Frousse en débaucha cinquante mille?

« Tout le monde te donna tort.

On crut de ta part à un oubli impardonnable de U parole jurée, et les plus modérés le traitèrent de « sale type ».

« Cependant, ce n'était plus toi qui étais coupable, c'était l'autre « Alors, pourquoi continues-tu à te promener par le monde en si mauvaise compagnie?

« Si tu veux qu'on le rende justice, crois-moi, débarrasse-toi de celle virago, qui te perd dans l'estime des honnêtes gens.

« El si tu ue sais vraiment qu'en faire, colle-la dune au ministère qui nous rase depuis huit ans.

« En échange de ce service, je le réponds qu'avant peu je ne serai plus le seul à chauter tes louanges. »

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savante et de professeurs autorises, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladie» nerveuses est annexée à l'Institat psycho-physiologique. De* consultations gratuites ont lieu les mardis, Jeudis et samedis, de dix heures à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Pendant 1* semestre d'été 1892-93, des conférences seront faites le jeudi, ? dix heures et demie, par M. le Dr Bérillon, sur les application* de la suggestion à la pédagogie et à la pédiatrie.

M- le Dr J.-O. Jennings fera le samedi des démonstrations pratiques d'électro-physiologie.

Sorbonne. — Psychologie expérimentale. — M. Charles Henry, maître de conférences, fait le samedi, ? dix heures, des conférences sur la physiologie des sensations.

Psychologie physiologique. — M. Jules Soury, maître de conférences, fait des leçons sur les doctrines contemporaine* de la psychologie physiologique, les lundis et vendredis, à quatre heures et demie.

Collège de 1 France. — Psychologie expérimentale et comparée. — M. Th. Ribot étudiera, les lundis, à trois heures on quart, la psychologie des sentiments; les Jeudis, à la même heure, les images et l'imagination active.

Histoire générale des sciences. — M. Pierre Laffite traitera de la théorie de la science abstraite et de l'évolution mathématique de l'astronomie en Grèce, les mardis et les samedis, à deux heures.

Hôpital des Enfants assistés. — M. le Dr Déjerinc, professeur agrégé, a a repris son cours sur les maladies nerveuses, les jeudis, à cinq heures.

Association de la Presse médicale.

RÉUNION OU 7 AVRIL 1893.

Le second dîner statutaire pour l'année 1393 de l'Assemblée de ta Presse médicale a eu lieu le 7 avril 1893, au restaurant Marguery: quatorze membres ont assisté a cette séance que présidait M. de Ranse, syndic; le président, M. Cornil, est venu à la réunion qui a suivi le dîner.

MM. Gilles de la Tourelle et Chevallereau ont fail leurs rapports sur les candidatures do MM. Bérillon et Henri Fournier.

A l'unanimité, M. Bérillon, directeur de la Revue de l'Hypnotisme, el M. Henri Fournier, directeur du Journal des Maladies cutanées et syphilitiques, ont été admis comme membres de l'Association de la Presse médicale.

Sur la demande de M. Gilles de la Tourelle, secrétaire général du Comité pour l'érection d'un monument k Théophrasie Renaudot, une commission & été nommée pour représenter l'Association de la Presse médicale à l'inauguration très prochaine de la statue qui sera élevée au fondateur du journalisme sur la place du Marché aux fleurs à Paris. Celte commission se compose de MM. Cadet de Gassicourt, Cézilly et de Ranse. M. Cadet do Gassicourt prendra la parole au nom de la Commission.

Une commission a été nommée, en outre, dans le but de présenter au rapporteur de la loi sur les patentes à la Chambre des députes, les objections émises par l'unanimité des membres présents de l'Association contre l'agra-vation. proposée pour la patente des médecins. Celle commission se compose de MM. Cherallereau, de Ranse, Céxilly, Lereboullei, et Marcel Baudouin, secrétaire.

Deux candidatures, ayant trait à des journaux de pharmacie, n'ont pas été admises en raison de l'article 5 des statuts.

Puis le secrétaire a communiqué à l'Assemblée les renseignements qui lui ont été adressés par le Comité central italien relativement au Congrès inter-

national de médecine de Rome, et a résumé les démarche faites récemment auprès du président de la Commission de l'armée à la Chambre des députés par la commission nommée pour l'étude du service militaire des étudiants en

médecine. , le Secretaire : Marcel Baudouin.

NÉCROLOGIE

M. le Dr Gallet-Lagoguey. — Nous avons le regret d'annoncer la mort de M. le Dr Gallet-Lagoguey. fondateur de l'Association Médicale mutuelle do département de la Seine. Notre regretté confrère avait apporté à son œuvre un tel zèle. un tel dévouement; il y a si peu ménagé son temps et ses peines que les fatigues qui en sont résultées n'ont pas été sans influence sur l'aggravation de la maladie dont il était atteint depuis longtemps. On peut dire qu'il est mort à la tache, et à une noble tache. Il aura au moins la consolation de constater lui-même le succès de l'œuvre à laquelle son nom restera attaché.

Sur la tombe, des discours éloquents retraçant la vie de cet homme de bien ont été prononcés par MM. les Dr Kuhff V et Laborde.

— M. le Dr Danet — Le Dr Dahet. de Paris, médecin de la famille Bona-piue, est mort le 12 avril, après une courte maladie. Reçu en 1857, M. Danet était médecin du palais du Luxembourg en 1871. Grâce à son courage et à sa présence d'esprit, il avait pu sauver le palais de l'incendie et du pillage. Il avait été promu officier de la Légion d'honneur en récompense de sa conduite en cette circonstance. Nous n'oublierons pas les encouragements donnés à nos travaux par notre regretté confrère, dont l'esprit était ouvert à toutes les idées nouvelles.

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL

Nous Invitons nos lecteurs a compteur, par leurs indications, les lacunes et les omissions de l'Index bibliographique.

Ballet(J.). — « Les persécuteurs fomiliaux - (Bulletin médical,1er février 1893.) BAROSCINI. — « Un caso di amnesìa retroattiva ». (Ricitta di freniatria, p. 599. 1892 Belmondo. — - Sull' azione sedativa ed ipnotica della Duboisina nelle malattie mentali -.

(Rivista di freniatria, p. 140, Britto Romana (Dr). - - Esorcizzitori. e esorcizzali ». (L'ipnotismo, février 1893.) Debove.. — - sciatique et hystérie , (Gaiette des hôpitaux 21 juillet 1892) De Sarlo. — « Sulla psicologia di Cristina regina di Sveria ». (Révista di freniatria,

p. 1892.)

Licas. — « Étude sur les aliènes à séquestrations multiples » (Thèse, p, 106, Paris,

1892)»

LYsing, — « Sonnambulisno naturale, patologico e Isterica ». (L'ipnotismo, p. 25, février 1893.)

Macario. — « Des rèves considérées sons le rapport physiologique, psychologique et

pathologique » (Italia termale. 1er février 1893 et suivants.) Massaut. — « Un cas de folie du doute avec délire du toucti't ». (Bulletin de la Societé

de médecine mentale, de Belgique, 1893.)

L'Administrateur-Gérant : ÉmiLe BOURIOT.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAl ET THÉRAPEUTIQUE

SUR QUELQUES PHÉNOMÈNES DE L'HYPNOSE

Par M. le Dr croco, Fils, de Bruxelle

i. — Les phases do sommeil hypnotique.

L'expérimentation clinique présente en hypnologie de sérieuses difficultés: si l'on soumet un grand nombre de sujets au sommeil hypnotique, on constate, non seulement une énorme différence dans la facilité avec laquelle on les endort, mais encore, lorsqu'ils sont endormis, ils présentent des phénomènes différents. Cette grande variabilité de formes du sommeil hypnotique a été le point de départ des deux grandes théories émises à Paris par Charcot et à Nancy par Bernheim. Charcot, frappé de la variabilité des phénomènes hypnotiques, s'est efforcé d'établir des points de repères fixes permettant d'étudier plus facilement ces symptômes si complexes; il a établi trois états hypnotiques fondamentaux : l'état léthargique, l'état cataleptique et l'état somnam-bulique.

L'état léthargique est caractérisé par la résolution musculaire, l'analgésie de la peau et des muqueuses, l'exagération des réflexes tendineux et l'hyperexcitabilité neuro-musculaire; les sujets en léthargie paraissent endormis, ils ne peuvent d'aucune façon communiquer avec le monde extérieur, leurs membres soulevés retombent inertes. Les paupières sont fermées et agitées d'un frémissement continuel, les globes oculaires sont fortement dirigés en haut.

L'hypcrexcitabilité neuro-musculaire se traduit nettement; si l'on exerce une pression modérée sur un muscle, il se contracte et reste dans cet état tant que dure l'excitation.

L'état cataleptique se reconnaît à la fixité du regard, l'immobilité des membres, la conservation des attitudes, la possibilité de provoquer

des impressions automatiques et des hallucinations. Le caractère principal réside dans la conservation des attitudes, sans fatigues quoique les membres ne soient pas raides. L'hyperexcitabilité musculaire n'existe pas, la sensibilité est généralement absente. Le sujet ne comprend pas ce qu'on lui dit, mais il entend, puisque, quelquefois, il répète les mots que Ton prononce; de plus, si l'on fait devant lui des mouvements rythmés, il les imite. Souvent, le sens musculaire est à ce point développé qu'il suffit de placer le sujet à genoux, les mains croisées, pour que «on visage prenne une expression extatique.

L'état somnambulique se caractérise par l'analgésie cutanée, l'hyperexcitabilité de certains sens et la suggestibilité des sujets : l'individu en état de somnambulisme parait endormi, il répond aux questions qu'on lui pose et exécute aveuglément les ordres qu'on lui suggère.

Chacun de ces états peut être primitivement ou secondairement, suivant qu'il se développe par un des procédés hypnogènes ou qu'il provienne de la transformation d'un autre état.

Voilà, en résumé, la doctrine de Charcot, qui est basée sur l'expérimentation chez les hystéro-épileptiques.

L'École de Nancy envisage tout autrement les phénomènes hypnotiques. « Si nous n'avons pas pris, dit Bernheim comme point de départ de nos recherches, les trois phases de l'hypnotisme hystérique, telles que Charcot les décrit, c'est que nous n'avons pas pu par nos observations en confirmer l'existence. Voici ce que nous observons constamment à Nancy : Quand un sujet, hystérique ou non, est hypnotisé par n'importe quel procédé, fixation d'un objet brillant, des doigts où des yeux de l'opérateur, passes, suggestion vocale, occlusion des paupières, il arrive un moment où les yeux restent clos, souvent mais non toujours, renversés sous les paupières supérieures; quelquefois les paupières sont agitées de mouvements ftbrîllaires; mais ce n'est pas constant. Nous ne constatons alors ni hyperexcitabilité neuro-musculaire, ni exagération des réflexes tendineux. Est-ce la léthargie? dans cet état comme dans tous les états hypnotiques, et j'insiste sur ce fait, l'hypnotisé entend l'opérateur, il a l'attention et l'oreille fixés sur lui. Souvent il répond aux questions, il répond presque toujours si on insiste et si on lui dit qu'il peut parler... Le sujet dans cet état est apte a manifester les phénomènes de catalepsie ou de somnambulisme, sans qu'on soit obligé de le soumettre à aucune manipulation, pourvu qu'il soit à un degré suffisant d'hypnolisation.

(1) Bernheim. : De la suggestion page 124, Paris 1888.

« Pour mettre an membre en catalepsie, il n'est pas nécessaire d'ouvrir les yeux du sujet, ni de le soumettre à une vive lamiere ou à un broit violent, comme cela se fait à la Salpêtrière ; il suffit de lever ce membre, de le laisser quelque temps en l'air, au besoin d'affirmer que le membre ne peut plus être abaissé: il reste en catalepsie suggestive. L'hypnotisa, dont la volonté ou le pouvoir de résistance est affaibli, conserve passivement l'attitude imprimée.....

c Nous n'avons constaté que des degrés variables de suggestibilité chez les hypnotisés : les uns n'ont que de l'occlusion des yeux avec ou sans engourdissements; d'autres ont. en outre de la résolution des membres avec inertie ou inaptitude à faire des mouvements spontanés; d'autres gardent les attitudes imprimées 'catalepsie suggestive;. Enfin la contracture suggestive, l'obéissance automatique, l'anesthésie, les hallucinations provoquées marquent le développement progressif de cette suggestibilité. Un sujet environ sur six ou sept de ceux qu'on hypnotise arrive au degré le plus élevé, au somnambulisme avec anémie au réveil, et, quand il n'y arrive pas d'emblée par le seul fait de l'hypnotisation, aucune des manœuvres que nous avons essayées n'a pu le développer; la suggestion seule continuée a pu le produire.....

' Jamais je n'ai pu réaliser tes trois phases de la Salpètrière, et ce n'est pas faute d'avoir cherché. J'ajoute qu'à Paris même j'ai vu dans trois hôpitaux des sujets hypnotisés devant moi; ils se comportaient tous

comme nos sujets..... Une seule fois j ai vu un sujet qui réalisait a la

perfection les trois périodes : léthargique, cataleptique, somnambulique. C'était une jeune fille qui avait passé trois ans à la Salpètrière, et l'impression que j'en ai conservée, pourquoi ne pas le dire? c'est que, soumise par des manipulations à une culture spéciale, imitant par suggestion inconsciente les phénomènes qu'elle voyait se produire chez les autres somnambules de la même École, dressée par imitation à réaliser des phénomènes réflexes dan» un certain ordre typique, ce n'était plus une hypnotisée naturelle, c'était un produit de culture faussé, c'était bien une névrose hypnotique suggestive. »

Se basant sur ces idées, Bernheim divise les états hypnotiques en neuf degrés : Dans le premier degré, le sujet dit n'avoir pas dormi et en effet, il a toutes les apparences do l'étal de veille; cependant il est suggestîonnable. On peut ainsi faire disparaître certaines douleurs; il peut ouvrir les yeux spontanément.

Dans le deuxième degré, l'apparence est la même, mais le sujet ne peut ouvrir les yeux spontanément ; dans le troisième degré, les yeux sont ouverts ou fermés, le sujet est susceptible de catalepsie suggestive, mais, si on le défie de charger de position, il fait un effort de volonté et

change l'altitude: le quatrième degré est caractérisé par l'impossibilité de changer l'attitude provoquée Dans le cinquième degré, le sujet peut être contracture par suggestion : on le défie de fléchir son avant-bras, il ne peut le faire. Le sixième degré est caractérisé par une obéissance automatique plus ou moins grande.

Dans ces six premiers degrés, il n'y a pas amnésie au réveil, le malade se souvient de ce qu'on lui a dit; dans les trois derniers degrés, au contraire, le souvenir est effacé au réveil. Dans le septième degré, il y a amnésie au réveil, mais absence d'hallucinabilité ; dans le huitième degré, il y a hallucinabilité pendant le sommeil, mais on ne peut suggérer des hallucinations pour le réveil; enfin dans le neuvième degré, il y a possibilité de réaliser des hallucinations hypnotiques et post-hypnotiques.

Fig. I. — Schéma représentant les trois états du sommeil hypnotique-. (D'apres Luys.)

Résumons, en quelques mot-, les grandes lignes qui différencient les Écoles hypnotiques de Paris et de Nancy. Pour la première, trois états caractéristiques se produisent : le somnambulisme, la catalepsie et la léthargie; pour la seconde, ces étals ne sont que des phénomènes artîfi-ficiels; la catalepsie ne se produit pas d'emblée, elle résulte d'une suggestion; enlin toujours le sujet est suggestionnable, il entend son magnétiseur. Certains adeptes de l'École de Charcot ont modifié ces idées premières. Ainsi, tandis que cet auteur considère les trois états hypnotiques comme pouvant se développer primitivement, d'emblée, par les

moyens hypnogènes. Lnys (1) pense qu'ils se succèdent toujours dans le même ordre : somnambulisme, catalepsie, léthargie; la léthargie serait ainsi l'état le plus profond de l'hypnotisme. Certains sujets « brûlent les états somnambuliques et cataleptiques », comme dit Luys, c'est-à-dire qu'ils tombent tellement rapidement dans l'état léthargique, qu'on ne peut pour ainsi dire pas apercevoir les deux autres états par lesquels ils ont passé.

Nous avons entendu Luys développer ces idées dans ses leçons cliniques à la Charité : il y montrait deux beaux sujets qui tombaient au commandement en état léthargique; on pouvait facilement les faire revenir aux états précédents par certaines manœuvres. Voir ci-dessus la figure schématique très intéressante que M. Luys a fait faire à ce sujet.

Richet (2) a appelé l'attention sur un état qu'il appelle cataleptoïde et qu'il ne faut pas confondre avec la catalepsie véritable : « A côté des cas que l'on pourrait appeler des cas types et réguliers, dans lesquels tous les symptômes offrent le caractère de précision sur lesquels nous venons d'insister, il en est d'autres moins parfaits, dans lesquels le sommeil hypnotique n'est plus susceptible d'être divisé en deux périodes distinctes: état léthargique avec hyperexcitabilité neuro-musculaire et état cataleptique. C'est une sorte d'état mixte qui paraît tenir des deux à la fois, et qui compte au nombre de ces manifestations les symptômes cataleptoïdes dont il est question ».

Dans cet état cataleptoïde, il n'y a généralement pas hyperexcitabilité neuro-musculaire, les paupières sont ouvertes ou fermées et les yeux ne se laissent pas ouvrir facilement, la pupille fuit la lumière en se cachant, soit sous la paupière supérieure, soit sous la paupière inférieure; lorsqu'on arrive à les ouvrir, la convulsion des globes oculaires empêche toute fixité du regard. Pour que l'attitude persiste, il faut souvent maintenir le membre pendant quelque temps, et lorsqu'on le lâche, il retombe bientôt de lui-même.

Pitres (3) a également apporté d'imporlantes modifications au croquis hypnologique dressé par Charcot : il étudie un grand nombre d'états hypnotiques mixtes et frustes, tels qu'on les rencontre habituellement : « Les trois grands stades de l'hypnotisme, dit-il, la léthargie avec hyperexcitabilité neuro-musculaire, la catalepsie avec plasticité des membres et automatisme spinal, le somnambulisme avec excitabilité cutano-musculaire et automatisme cérébral, correspondent à des types bien

(1) Luys : Leçons orales à la Charité', 1892.

(2) Richet : Étude clinique sur la grande hystérie, Paris 1885.

(3) Pitres : Leçons cliniques sur l'hystérie et l'hypnotisme.

tranchés qui se trouvent rarement réalisés dans la nature à l'état de pureté parfaite.

« On les rencontre de loin en loin chez quelques sujets, mais ils ne font pas partie de la clinique courante. Je n'ai pu en trouver un seul exemple parmi les malades qui sont en ce moment dans le service, et c'est pour cela que, contrairement à mes habitudes, je n'ai fait, dans la dernière leçon, aucune démonstration objective. - « En revanche, on observe très souvent, chez les hystériques, des états hypnotiques mixtes et frustes ressemblant par quelques-uns de leurs symptômes aux états typiques décrits par Charcot, mais en différant par des particularités importantes. Il y a un sérieux intérêt à les connaître et à les classer. »

Leurs principales variétés sont indiquées dans le tableau ci-après :

Variétés des états hystéro-hypnotiques.

ÉTATS TYPIQUES

1o État léthargique...

2° Étal cataleptique...

3° État somnambulique.

4° États frustes.

ÉTATS MIXTES OU FRUSTES

?. État léthargoïdo les yeux ouverts.

b. Étal léthargolde les yeux fermée, c. Léthargie lucide.

a. État catalepiolde les yeux ouverts.

b. État catalepiolde les yeux fermés.

c. État catalepiolde avec byperexcita-

bilité musculaire.

d. État d'extase.

a. État de fascination.

b. État de charme.

e. État parophronique.

d. État onéirique.

e. État de veille somnambulique.

Dans l'état léthargoïde, il n'y a pas. comme dans la grande léthargie, hyperexcitabilité neuro-musculaire ; de plus, la malade a l'air de ne pas entendre, mais si ou lui suggère un acte à exécuter après le réveil, il l'exécute, la surdité n'était donc qu'apparente; cet état léthargolde peut exister les yeux fermés et les yeux ouverts, d'où deux formes distinctes. L'état lélhargoïde lucide est caractérisé par une stupeur générale avec conservation de la conscience et souvenir au réveil.

Les états cataleptoïdes diffèrent de la catalepsie véritable eu ce que les sujets répondent aux questions, ils obéissent aux ordres qu'on leur donne; malgré cela, les membres conservent les attitudes. Cet état catalepiolde peut se produire les yeux ouverts où les yeux fermés, d'où les deux premières variétés mentionnées dans le tableau de Pitres.

La troisième ne diffère des deux précédentes que par la présence de l'hyperexcitabilité musculaire au lieu de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire, c'est-à-dire que la pression des muscles provoque seule des contractions, la pression des nerfs ne produisant rien. Enfin l'état d'extase, que l'auteur considère encore comme appartenant a la catalepsie, se produit facilement en faisant de la musique devant les sujets en état cataleptique.

Les états hypnotiques dérivés du somnambulisme sont plus nombreux encore que ceux qui appartiennent aux deux états précédents. Dans l'état de fascination, le sujet imite servilement et automatiquement tous les gestes de l'hypnotiseur; l'état paraphrenique est caractérisé par une sorte de délire accompagné de mouvements d'attitudes, de paroles en rapport avec les corruptions délirantes du sujet; l'état onéirique diffère du précédent parce que le délire est purement et simplement un délire de paroles; enfin l'état de veille somnambulique est celui dans lequel les sujets, paraissant éveillés, accomplissent les suggestions qu'on leur donne.

Les états frustes de l'hypnotisme diffèrent A peine de l'état normal, le sujet est engourdi, somnolant mais non complètement endormi. Le grand mérite des travaux de Pitres est d'avoir montré que les phénomènes hypnotiques, loin de présenter une constance absolue, sont, au contraire, fort variables. Les formes dérivées qu'il indique peuvent servir de point de repère, mais on ne peut, avec son tableau des états hypnotiques, caractériser tous les états qui peuvent se présenter: c'est qu'en effet, tous les symptômes principaux indiqués par Charcot peuvent se combiner de toutes les manières imaginables, et créer ainsi une multitude d'états hypnotiques nouveaux.

Que devons-nous penser en présence des deux grandes doctrines si différentes de Charcot et de Bernheim ? laquelle allons-nous admettre?

Un simple raisonnement ne peut résoudre cettequestion. l'expérimentation clinique seule est capable de nous éclairer, nous allons, par conséquent, décrire les phénomènes qui ont présenté quelques-uns des sujets que nous avons hypnotisés. Afin de nous mettre à l'abri de toute cause d'erreur, nous avons hypnotisé des sujets différents, les uns manifestement hystériques, les autres presque normaux, c'est-à-dire se trouvait dans les nombreux étals transitoires qui existent entre cette névrose et l'état normal.

Observation 1. — Jeanne U... possède encore son père et sa mère, l'un est âgé de quarante-neuf ans, l'autre de quarante-trois an» ; le premier est ivrogne et joueur, la seconde est dyspeptique. La malade a une sœur qui est assez maladive; elle-même a vingt-trois ans, elle est anémique et se plaint de névralgies et de migraines durant souvent plusieurs jours, elle a également l'estomac capricieux.

La sensibilité est Dormale, le goût et l'odorat sont également accentués des deux côtés, l'ouïe est plus délicate adroite qu'à gauche : le tic-tac d'une montre cesse d'être entendu à trente centimètres à gauche, à droite il est encore perçu à quatre-vingt-dix centimètres. L'œil droit voit mieux que le gauche, ce qui correspond à l'étal des champs visuels

Un Jour qu'elle se plaignait de la persistance de sa migraine, je tentai de l'hypnotiser : la fixation d'un objet brillant ne réussit pas, mais les passes parvinrent, au bout de trois à quatre minutes, à mettre la malade dans un état d'engourdissement manifeste : les yeux étaient ouverts a demi, la respiration forte, mais on voyait parfaitement que le sommeil hypnotique n'était pas complet. Aussi, pour éviter le retour à l'eut de veille, je loi suggérai, en continuant les passes, que la douleur avait disparu. Je ne pus obtenir un sommeil plus profond, et, lorsque je cessai les manœuvres, Jeanne D... se réveilla bientôt. Sa migraine avait disparu, elle avait donc bien été en état do soggestibitité sans pour cela avoir présenté de véritable somnambulisme. En renouvelant l'hypnotitation, je n'ai jamais pu obtenir d'autre phénomène.

Observation II. — Jean S..., âgé de vingt-et-un ans, exerçant la profession de boulanger, est entré à l'hôpital de Molenbeck le 27 février 1893. Il occupait le lit 2 de la salle 3.

Son pète est mort à trente-deux ans, de tuberculose pulmonaire, sa mère est morte à trente-quatre ans du croup, un frère est mort en bas âge, il a encore deux frères et une sœur, tous trois bien portants.

Jean S... est atteint de gastralgie ; il ne boit pas d'alcool.

La sensibilité est normale, son goût, son ouïe et son odorat sont également bien développés des deux côtés; ses champs visuels sont notablement rétrécis.

La motilité et le sens musculaire sont intacts.

Fig. 1 - Jean S... à l'état de veille.

Fig. 5. — Jean S... en état somnanbuloïde, 2e degré-

Par la fixation d'un objet brillant, les paupières de Jean S... s'agitent et se ferment au bout de cinq minutes, des passes achèvent l'hypnotisa lion : il entend ce qu'on lui dit, il obéit aux ordres qu'on lui donne; mais si on le défie d'ouvrir les veux, il les ouvre et se réveille ; la sensibilité est conservée pendant le som -meil.

Observation III. — Mme— M ... âgée de cinquante ans, est atteinte d'une dys-pepsie nerveuse; ses parents sont morts vers quarante ans de cause inconnue, deux de ses frères et sœurs ont succombé, l'un à vingt-cinq ans de Sèvre typhoïde, l'autre a ironie ans d'une pneumonie; il lui reste Actuellement deux (reres qui sont bien portants.

Fig G. — Champs visuels de Mme M...

Mme M... s'est toujours bien portée avant que son estomac ne se soit entrepris. Elle est très nerveuse et très colérique. Comme elle souffrait continuellement de gastralgie, je lui ai proposé l'hypnotisation. La sensibilité existait des deux côtés

du corps, mais elle était beaucoup plus accusée à droite qu'a gaucho ; le goût, l'odorat, l'ouïe et la vue étaient également plus délicats de ce coté et le champ visuel était moins rétréci a droite qu'à gauche.

La motilité, le sent musculaire, les réflexes étaient normaux. Le sommeil hyp-notique ne se manifesta pas rapidement : il fallut user des différents moyens hipnogèaes pour parvenir, au bout de trois quart d'heure, à provoquer on léger sommeil somnambulique; les paupiéres se fermèrent insensiblement. la sensibilité restant intacte, la malade entendait les questions et y répondait parfaitement mais elle n'exécutait pas les ordres qu'on lui donnait. Lorsque l'on déliait Mme M... d'ouvrir les yeux elle enir'ouvrait les paupières et se réveillait : jamais on obtint un sommeil plus profond.

Observation IV. — Anna M..., Agée de ans. est entrée en sep-

tembre 1890à l'hôpital Saint-Pierre, dans le service du professeur Rommelaere; elle occupe actuellement le lit 10 de la salle 37.

Ses parents sont vivants, son père est bien portant, sa mère a une tumeur dans le ventre, deux de ses frères et sœurs sont morts en bas âge. quatre frères sont bien portants.

Anna M... est atteinte d'un tremblement hystérique très accentué : à son entrée a l'hôpital elle pesait 116 kilogrammes; pendant le début de ion -.-jour, elle a considérablement maigri et son poids est descendu à 96 kilogrammes ; actuellement elle a de nouveau augmenté de poids, de telle sorte qu'elle a atteint iii kilogrammes.

La malade n'a jamais eu d'attaque de nerfs; la sensibilité exis:e des deux côtés, mais elle est moins délicate a droite qu'à gauche; le goût, l'ouïe et l'odorat sont sensiblement égaux des deux côtés, l'œil droit voit mieux que le gauche et les champs visuels sonl rétrécis.

G 3>

Fio. 7. — Champs visuels d'Anna M... (Prit par Coppey n!s.(

La motilité, le sens mosculaire et les réflexes tonl normaux. Par la fixation d'un objet brillant ou par de simpies pa-sc. Anna s'endort très facilement : ses paupières se forment, elles sont animées d'un frémissement semblable a celui de la léthargie ; cependant la malade n'est pas profondément endormie, elle entend, elle obéît aux ordres mais sa senribilite cutanée persiste, son tremblement cesse presque complètement et si on la dé6e d'ouvrir les yeux, elle fait de vains efforts. On ne peot obtenir le somnambulisme les yeox ouverts ; aucun autre état ne se manifeste, même en répétant fréquemment l'hypnoiisation.

Observation V. — Celestino B ... âgée de seixe ans, se trouvait, en avril 1893, à l'hôpital Saint-Pierre, dans la service du professeur Bommelaere, salie 30, lit 2.

Les parents sont bien portants. elle a une sœur également bien portante, elle-même a toujours souffert de maux d'yeux ; actuellement elle est malade depuis cinq semaines. A la suite d'une grande frayeur, elle te vit atteinte de mouvement» désordonnés dont le caractère est nettement chorériforme ; elle n'a jamais eu dattaque* de nerfs.

La sensibilité est normale, ses organes des sens sont également développés des deux côté» du corps, la motilité et le sens musculaire «ont intacts, ses champs visucls sont rétrécis.

Fig. 8 — Champs visuels de Celestine B...

Sous l'influence de quelques passes, Célesttne ferme les yeux au bout de quelques secondes : dans cet état, elle entend et obéit, sa sensibilité est normale et si on la délie d'ouvrir ses yeux, elle fait d'inutiles effort* : malgré cela la malade était suggestion nable.

Observation VI — Eudoxie m..., âgée de vingt-quatre ans, exerçant la profession de tailleuse est entrée à l'hôpital de Molenbeck en février 1893, elle occupait le lit 3 de la salle 8.

Fig. 9. — Champs visuels d'Eudoxie M...

Son père est mort a cinquante-deux ans de la fièvre typhoïde, sa mère est bien portante : deux frère et sœur sont morts en bas Age; deux vivent encore, l'un est bien portant, l'autre est hystérique. Elle-même a eu la fièvre typhoïde ;

en ce moment, elle est à l'hôpital pour myocardite avec tarhycardie et rythme couplé du cœur.

Elle n'a jamais eu d'attaque de nerfs ; sa sensibilité est normale et ses champs visuels sont rétrécis; le goût, l'ouïe, l'odorat sont sensiblement égaux des deux

côtés.

La molilité est intacte, le sens musculaire conservé, les réflexes sont normaux ; l'intelligence est vive. La malade est endormie au bout de quatre minutes par la fixation d'un objet brillant, l'hypnotisation est complétée par des passes ; l'état dans lequel elle se trouve se rapproche du somnambulisme : les veux sont fermés, les paupières agitées d'un léger frémissement, les membres sont flasques et ne conservent pas les attitudes, la sensibilité est intacte. Eudoxie entend parfaitement et répond de même, elle est suggestionnable mais on ne peut lui faire a*oir des hallucinations; ainsi, nous lui disons : « Voyez ce beau petit singe qui est devant vous », la malade rit et déclare ne rien voir; cependant quand nous lui délions d'ouvrir les veux, elle fait de vains efforts, Si nous lui ordonnons un acte elle l'accomplit, à moins qu'il n'ait une importance morale; ainsi, elle refuse d'aller voler une bague à une de ses voisines.

En soulevant. les paupières d'Eudoxie, on transforme son état somnambuloïde les veux fermés, en état somnambulolde les yeux ouverts ; elle a les apparences de la veille et cependant elle obéit automatiquement et son regard n'a pas l'expression ordinaire.

Nous n'avons pu par aucun procédé produire un sommeil plus profond; après son réveil Eudoxie ne se souvient de rien.

Observation VIL — Julie M..., âgée de vingt-trois ans, exerçant la profession de servante, entre à l'hôpital de Molenbeck on février 1893. Elle occupe le lit 1 de la salle 9.

Son père est bien portant; il a cinquante-trois ans. Sa mère est morte à trente-deux ans de tuberculose pulmonaire. Un frère est mort du choléra. Un frère et une sœur sont bien portants. Enfin, une autre sœur a des attaques de

nerfs.

Fig . 10. — Champs visuels de Julie m (Pris par M. Mahillon, spécialiste a l'hôpital de Molenbeck.)

Julie M... n'a jamais eu d'attaque, mais elle est atteinte depuis un an de tuberculose. Sa sensibilité est normale; l'ouïe est beaucoup plus prononcée à droite : tandis qu'à 75 centimètres de l'oreille droite le tic-tac d'une montre ci encore perçu, à gauche elle ne l'entend plus a S centimètre.: le goût et l'odorat sont aussi moins délicats à gauche. Les champs visuels soul rétrécis.

Cette malade s'endort facilement par la fixation d'an objet brillant; ses jeux se ferment et ses muscles son: en résolution; elle présente un état absolument semblable A celui de la malade précédente : état somnambuloide avec conserva-tion de la sensibilité et suggestibilité. Si l'on défie Jolie d ouvrir ses yeux, elle fait des efforts sans y parvenir. En soulevant les paupières, on détermine l'état somnambulolde les yeux ouverts que nous a présenté la malade de l'observation VI. Il a été impossible d'obtenir un état de sommeil plus profond.

Observation VIII. — Mme B... est Agée do cinquante an». Son père est mort A quarante-sept ans de tuberculose pulmonaire. Sa mère est bien portante. Elle a une sœur vivante qui a été atteinte de tubercolose pulmonaire. Elle-même a été chlorotique à vingt ans. puis tuberculeuse.

Comme Mme B... se plaignait de maux de tète persistants, je loi proposai de l'hypnotiser, ce qu'elle accepta, du reste. Cette dame est très nerveuse, mais elle n'a jamais eu d'attaqoe. Sa sensibilité est normale; l'ouïe, le goût, l'odorat et la vue semblent égaux des deux côtés. Ses champs visuels sont notablement rétrécis.

G D

Fig. 11. — Champs visuels de Mme B

Par la fixation d'un objet brillant, la respiration devint fort difficile; enfin les paupières se fermèrent et la malade s'endormit. La sensibilité était complètement absente; la personne obéissait aux ordres et répondait aux questions, les membres soulevés retombaient inertes, tous phénomènes qui appartiennent au somnambulisme véritable. L'élévation des paupières transformait l'état somnam-bulique les yeux fermés en état somnambulique les yeux ouverts, tous les autres phénomènes restant semblables. Le seul fait remarquable est que Mme B... respirait avec beaucoup de peine, ouvrant la bouche à chaque inspiration et disant continuellement : « Jétouffe ». Par la suggestion. le calme revint bientôt. Jamais nous n'avons pu déterminer d'autre état que ces deux variétés de somnambulisme.

Observation IX. — Marie P..., âgée de vingt-cinq ans, exerçant la profession de tailleuse, occupait, en mars 1893, le lit 2 de la salle 9, à l'hôpital do Molenbeck.

Son père est mort d'ivrognerie à trente-cinq ans. Sa mère est bien portante. Une sœur est morte en bas âge. Un frère est buveur. Marie P... n'a jamais été sérieusement malade; à la suite d'une colère, elle a eu une violente attaque de nerfs, puis de la gastralgie. Elle est entrée à l'hôpital pour ses douleurs d'estomac.

La sensibilité est égale des deux côtés. Le contact, le chatonillement, le pincement, la piqûre, la température sont également bien perças; le goût et l'odorat

paraissent normaux. L'oreille droite perçoit le tic-tac d'une montre Jusqu'à 60 centimètres; la gauche seulement jusqu'à 43 centimètres. L'œil droit voit mieux que le gauche. Les champs visuels sont rétrécis.

La motilité est intacte ; le sens musculaire est normal; les réflexes sont sains: l'intelligence est vive.

Les attaques convulsives que la malade a eues ont été peu nombreuses, mais bien accotées; pas de zones spasmogènes ni d'aura.

Marie P... s'endort en trois minutes par la fixation d'un objet, brillant. Les veux sont fermés, la sensibilité est abolie, les membres sont flasques, caractères qui tous appartiennent au somnambulisme véritable. L'état somnambulique les yeux fermés peut se transformer en état analogue les yeux ouverts. L'hynotisa-tion répétée ne parvint pas i provoquer un autre état hypnotique.

Fig. 13. — Champs visuels de Louise T...

Observation X — Louise T..., âgée de vingt ans, exerçant la profession de modiste, était couchée, en février 1893. salle 9, lit 20, à l'hôpital de Molenbeck.

Ses parents sont bien portants. Une sœur est morte à huit ans du croup. Un frère vil encore; il est bien portant. Louise T... a eu la fièvre typhoïde à quinze ans; en ce moment, elle est en traitement pour de la chlorose : ses muqueuses sont anémiées; au cœur, on entend un souffle anémique très prononce.

La sensibilité est normale pour tons les modes d'exploration. Le goût, l'odorat, l'ouïe et la vue sont plus délicats à gauche. Les champs rituels sont rétrécis.

La motilitéest intacte; le sens musculaire et les réflexes sont normaux; l'Intel- ligence est bien développée.

A peine fait-on fixer un objet brillant \ la malade que ses paupières se ferment. La sensibilité a disparu; l'audition persiste, et la jeune fille obéit aux ordres qu'on lui donne. En soulevant les paupières, on transforme ce somnambulisme les yeux fermés en somnambulisme les yeux ouverts. En répétant l'hypnotisation, nous n'avons pn amener aucun autre état.

Observation XI. — Adrienne C....agée de vingt ans, est entrée eu mars 1893, à l'hôpital Saint-Pierre, dans le service de M. le professeur Rommelaere. Elle occupe le lit 8 de la salle 37.

Sa mère est morte de cause inconnue. Son père est bien portant: il est buveur. Deux frère et sœur sont morts en bas âge. Deux sœurs et un frère sont bien portants.

Adrienne est malade depuis six ans. Un Jour. elle a ressenti un tremblement dans la jambe, et pendant la nuit s'est déclarée la première attaque de nerfs. Depuis lors, elle a toujours eu des accès en grand nombre.

La sensibilité est normale. Le goût, l'odorat, l'ouïe et la vue sont sensiblement égaux des deux côtés du corps. Les champs visuels sont rétrécis.

C s

Fig. 14. — Champs visuels d'Adrienne C... (Pris par MM. Vues et Vandamme.)

La motilité est un peu altérée; la malade ressent une certaine difficulté à marcher. Le sens musculaire est normal.

La malade s'endort rapidement au moyen de quelques passes; elle obéit à la suggestion, mais «a sensibilité est conservée. et quand on la défie d'ouvrir les yeux, elle se réveille. Au bout de quelques séances, cet état somnambuloïde est remplacé par le somnambulisme vrai, et cela en continuant les pa»ses alors que la ma!ade était déjà en état somnambulolde. La sensibilité disparut et le somnam-bolisme typique te montra. Noos n'avons pu arriver 4 produire on sommeil plus profond.

Noos pourrions multiplier a l'infini le nombre des observations dans lesquelles le sommeil hypnotique ne se manifeste pas par un somnambulisme plus ou moins caractérisé.

Si l'on examine les onze observations que nous venons de rapporter, on voit combien les états hypnotiques dérivant du somnambulisme sont variables. Dans l'observation 1. Jeanne U... ne présente qu'un engourdissement rappelant ce que Pitres appelle la fascination et le charme; Jean S-, de l'observation II. et Mme M ... de l'observation III. se trouvent dans un état un peu plus profond, leurs yeux sont fermés, mais ils peuvent les ouvrir spontanément et se réveiller; Anna M ...de l'observation IV, et Célestine B.... de l"observation V. sont dans le même état que les malades précédents, mais elles ne peuvent ouvrir les yeux si on les en défie Eudoxie M.... de l'observation VI. et Julie M..., de l'observation VII. présentent encore un état somnambuloïde avec conservation de la sensibilité et impossibilité d'ouvrir spontanément les yeux; mais, si on soulève leurs paupières, leur état somnambuloïde les yeux fermés se transforme en état somnambuloïde les yeux ouverts. Enfin Mme B...,de l'observation VIII.Marie P....de l'observation IX. Louise T.... de l'observation X, et Adrienne C ... de l'observation XI, manifestent le somnambulisme véritable, tel que Charcot l'a décrit. D'autres malades que nous avons hypnotisée*, nous ont présenté les mêmes phénomènes; d'après cela, nous pouvons admettre, parmi les états se rapportant au somnambulisme, deux variétés fondamentales : tes états somnambu-loides et tes états somnambuliques proprement dits.

Les états somnambuloïdes sont ceux que nous ont présentés les malades des sept premières observations ; ils sont caractérisés par la conservation de la conscience et de la sensibilité : les états somnambuliques nous ont été offerts par les quatre derniers sujets : ils s'accompagnent de la perte de la conscience, d'automatisme et de perte de la sensibilité.

Parmi les états somnambuloïdes, nous devons admettre quatre variétés essentielles :

1° Engourdissement sans perte de conscience ni de sensibilité, état cessant aussitôt que les moyens hypnogènes sont suspendus, les yeux sont ouverts (observation I).

2° Engourdissement plus profond, sans perte de conscience ni de sensibilité, ne cessant pas lorsqu'on suspend les moyens hypnogènes; les yeux sont fermés; si on défie le sujet d'ouvrir les yeux, il se réveille (observations II et III).

3° Sommeil véritable, sans perte de conscience ni de sensibilité, ne cessant pas lorsqu'on suspend les moyens hypnogènes; les yeux sont fermés: si on défie le sujet d'ouvrir les yeux, il fait de vains efforts (observations IV et V).

4° Sommeil véritable, sans perte de conscience ni de sensibilité, ne cessant pas lorsqu'on suspend les moyens hypnogènes, les yeux sont

fermés ; si on défie le sujet d'ouvrir les yeux, il fait de vains efforts. Si on soulève les paupières, cet état somnambuloïde les yeux fermés, se transforme en état analogue les yeux ouverts (observations VI et VII).

Dans tous ces états somnambuloïdes la conscience et la sensibilité persistent, le malade est suggestionnable, mais il n'exécute pas les ordres contraires à son sens moral.

Les états somnambuliques véritables se caractérisent par la perte de la conscience et rie la sensibilité : le sujet en état somnambuloïde n'exécutait pas l'ordre qui lui répugnait ; en état somnambulique il agit automatiquement, sans contrôle.

Comme on le voit dans les observations VIII, IX. X. et XI. il y a deux variétés d'états somnambuliques :

° État somnambulique les yeux fermés.

2° État somnambulique tes yeux ouverts.

Toutes les formes se rapportant au somnambulisme peuvent trouver place dans ces états types. Voici, en regard l'un de l'autre le tableau donné par Pitres pour classer ces états, et le nôtre :

TABLEAU DE PITRES

État somnambulique

État de fascination. État de charme. État paraphronique. État onéiriqne.

État de veille somnambulique.

États frustes.

1° États somnambuloïdes sans perte de conscience ni de sensibilité, le sujet n'exécute pas les ordres contraires à sa volonté.

TABLEAU DE L'AUTEUR

a. Engourdissement, sans perte de conscience ni de sensibilité, état cessant aussitôt que les moyens hypnogènes sont suspendus; les yeux sont ouverts.

b. Engourdissement plus profond, sans perte de conscience ni de sensibilité, ne cessant pas lorsqu'on suspend tes moyens hypnogènes; tes yeux sont fermés; si on défie te sujet d'ouvrir les yeux, il se réveille.

c. Sommeil véritable, sans perte do conscience ni de sensibilité, ne cessant pas si on suspend les moyens hypnogènes, les yeux sont fermés; si on défie te sujet d'ouvrir les yeux, il fait de vains efforts.

d. Sommeil véritable, sans perte de conscience ni de sensibilité, ce cessant ??r lorsqu'on suspend les moyens hypnogènes, les yeux sont fermés; si on défie le sujet d'ouvrir les yeux, il fait de vains efforts. Si on soulève tes paupières, cet étal somnambuloïde les yeux fermée se transforme en état analogue les yeux ouverts.

perte de la conscience et de a Les yeux fermes-la sensibilité, automatisme b Les Yeux ouverts, absolu.

En entreprenant l'étude des phénomènes hypnotiques, nous croyions peu aux phases de léthargie et de catalepsie décrites par l'école de Paris et les trente premiers sujets que nous avons hypnotisés ne nous ont présenté que des phénomènes somnambuliques ; cette série, donnant raison à la théorie de Bernheim. ne continua pas, et bientôt nous avons pu nous convaincre que les trois phases décrites par Charcot existent réellement spontanément chez certains sujets. Voici trois faits à l'appui de cette manière de voir :

Observation- XII. — Joséphine D... âgée de dix-huit ans, exerçant la profession de tailleuse. est entrée à l'hôpital de Molenbeck le 6 mars 1893; elle occupait le lit 14 de la salle 9.

Ses grands-parents sont morts âgés, son père a succombé à l'âge de quarante-trois ans à la tuberculose pulmonaire, sa mère est bien portante ; quatre de ses frères et sœurs sont morts en bas âge, elle a encore deux sœurs dont l'une est hystérique, l'autre migraineuse.

Joséphine n'a jamais eu d'autre maladie que celle pour laquelle elle est entrée à l'hôpital : son mal a débuté il y a quinze mois, brusquement, sans cause appréciable ; elle fut prise d'un fort mal de tète, puis elle ressentit une boule partir de l'estomac et lui monter à la gorge, à ce moment l'attaque commença. Ces accès duraient souvent longtemps, et, à leur suite, la malade restait sans connaissance pendant quelque temps; les crises étaient fréquentes, elles atteignaient souvent le chiffre de dix en une journée.

Fig. 15. — Champs visuels de Joséphine D... (Pris par M Manillon, spécialiste à l'hôpital

de molenbeck.

En mai 1892. Joséphine a été à l'hôpital Saint-Pierre, dans le service de M. le professeur Rommelaere; elle est partie au bout d'un mois fort améliorée, elle est allée alors passer un mois a Marcoberke et elle n'y a eu qu'un accès, mais à

son retour, la maladie a de nouveau augmenté, et, à son entrée à l'hôpital de Molenbeck, elle avait journellement plusieurs crises.

Son état général était boa, elle se plaignait de douleurs à l'épigastre, l'appétit était irrégulier, les autres fonctions se faisaient normalement.

Joséphine est somnambule, elle rêve tout haut et se lève en dormant ; la sensibilité à la douleur est inégale des deux côtés du corps, le droit étant plus sensible que le gauche: le contact, le chatouillement, le pincement, la piqûre,

Fig. 16. — Josephine D... » l'état de veille.

Fig. 17, — Joséphine D... en somnambulisme

la température, tout est perçu également. L'œil droit est plus clairvoyant que le gauche, ce qui correspond à l'état des champs visuels

L'ouïe, l'odorat, le goût, sont nettement moins développés à gauche. L'appareil musculaire est intact, le sens musculaire est bien conservé, les réflexes sont normaux ; l'Intelligence est vive, la mémoire bonne.

Les attaques convulsives sont spontanées ou provoquées : les attaques spontanées sont toujours précédées d'un aura qui se manifeste sous la forme d'une douleur a l'estomac. Les accès présentent une période épileptoïde pendant laquelle

Fig. 18. — Joséphine D... en état cataleptoïde les yeux fermés.

Fig. 19. — Josephine D... en état cataleptoïde les yeux ouverts.

la malade se raidit, les yeux fixant un objet invisible, puis vient la période cloniqne accompagnée de cris ; après racées, elle tombe dans un état de sommeil comateux pendant plus ou moins longtemps ; en se réveillant, elle n'a aucun souvenir de ce qui s'est passé.

Les attaques provoquées sont pareilles aux précédentes, elles sont aussi fortes que les autres; elles se manifestent soit par la compression de la zône spasmo-gène (ovaire gauche), soit par suggestion; il suffit, en effet, de dire à la malade endormie : « Faites comme quand vous avez une attaque », pour qu'aussitôt se

déclare un accès très prononcé. Nous n'avons pu découvrir de zone spasme— frénatrice, de sorte que l'accès, une fois commencé, continue sans que rien puisse l'arrêter.

Par la fixation d'un objet brillant, suivie de quelques passes, la malade s'endort bientôt, ses jeux se ferment et elle présente, dès la première séance, le somnambulisme véritable avec abolition de la sensibilité cutanée, suggestibilité, etc.; en relevant les paupières, on provoque un état somnambulique les yeux ouverts, la sensibilité restant absente.

A la troisième séanee nous avons obtenu, en prolongeant le sommeil, un état cataleploïde spécial, non pas la catalepsie véritable, car la malade restait en communication avec le monde extérieur, elle entendait ; sa sensibilité était absente, mais ses membres conservaient les attitudes qu'on leur donnait. Cet état catalep-toïde les yeux fermés pouvait être transformé en un état analogue les yeux ouverts, en relevant les paupières. Dans les deux cas le sens musculaire était conservé, car si l'on joignait les mains de la malade, sa physionomie prenait immédiatement l'expression de la prière.

Nous n'avons jamais pu obtenir d'autre état que celui que nous venons de décrire.

Observation XIII. — Collette EL.., âgée do vingt-trois ans, est entrée en octobre 1892 à l'hôpital Saint-Pierre, dans le service de M. le professeur Rom-melaere; elle occupe le lit 6 de la salle 30.

La sensibilité est normale et les organes des sens paraissent normaux, les champs visuels sont réirécis.

Fig. 20. — Champs visuels de Collette ii... (Pris par m.Coppey fils.)

Collette H... est atteinte d'attaque hystériques suivies d'un sommeil comateux avec contracture durant fort longtemps en dehors des attaques, elle est atteinte de mouvements cholériformes avec tremblement, surtout localisé au côte droit do corps.

Par la fixation du regard, la malade s'endort bientôt et passe a l'état de somnambulisme avec perte de sensibilité et suggestibilité : elle répond aux questions et l'on peut, en lui ouvrant les yeux, provoquer un état somnambulique les yeux ouverts.

A la seconde séance, nous avons continué les passes lorsque la malade était en somnambulisme et un état cataleptique s'est déchue : les yeux étaient fermés, les attitudes les plus bizarres persistaient et la malade n'obéissait plus à aucun ordre, elle n'était plus en communication avec le monde extérieur ; en maintenant les yeux ouverts quelque temps, est état cataleptique les yeux fermés se

changeait en un état cataleptique les yeux ouverts, correspondant au véritable état cataleptique de Charcot.

Nous avons pu depuis reproduire ces phénomènes, mais jamais la léthargie ne s'est montrée.

Fig 21. Collette H... à l'état de veille.

Fig, 22 — Collette H... en somnambulime-

Fig. 23. — Collette- H... en état cataleptique les yeux fermés.

Fig- 24. — Expression de Collette H... lorsqu'on lui Joint les nains.

Observation XIV. — Alice V..., âgée de seize ans, est entrée en avril 1893, à l'hôpital de Molenbeck, salle 9, cabinet 1.

Ses parents sont bien portants, quatre frères et soeurs sont morts en bas âge, deux sœurs et un frère sont bien portants. Alice n'a Jamais été malade antérieurement : il y a huit mois, à la suite d'un rêve dans lequel elle avait vu son père tuer sa mère, elle a eu une attaque de nerfs ; les accès ont été nombreux et la malade a été transportée à l'hôpital Saint-Pierre, où elle est restée pendant sept semaines, dans le service de M. Spehl. Elle est sortie de l'hôpital considérablement améliorée, mais huit jours après, à la suite d'une colère, les accès sont revenus ; on l'a conduite à l'hôpital de Molenbeck, d'où elle est bientôt sortie. La récidive s'est encore produite deux fois, et, en ce moment, elle entre à l'hôpital de Molenbeck pour la troisième fois.

La sensibilité est complètement absente à droite et tous les organes des sens sont plus développés à gauche ; ses champs visuels sont rétrécis.

La motilité est également fort entreprise : tout le côté droit est paralysé, sauf la face; de plus, la jambe gauche se meut difficilement ; la malade ne peut quitter son lit, c'est pourquoi nous avons été obligés de la photographier couchée. Le sens musculaire est normal a gauche; à droite, il est évidemment absent; l'intelligence est intacte.

La malade possède on point spasmogène situé à l'ovaire gauche. Lorsqu'on veut (aire fixer un objet brillant à Allée, un accès survient immédiatement, mais en faisant des passes lentes on parvient, au bout de quelques minutes, à produire le sommeil hypnotique.

L'état qui se présente alors ne ressemble plus à ceux que nous avons rencontrés précédemment : tandis que, jusqu'ici, le somnambulisme se produisait toujours avant tout autre état, chez Alice, l'état léthargique se montre d'emblée. Immédiatement il y a insensibilité complète avec perle absolue de l'audition et non suggestibilité ; il y a une hyperexcitabilité neuro-musculaire telle que la moindre pression provoque une contracture très manifeste, enfin les muscules sont dans un état de relâchement complet et les yeux sont dirigés fortements en haut. Si l'on maintient les yeux de ta malade quelques instants ouverts, on produit un état léthargique les yeux ouverts, absolument analogue à l'état léthargique les yeux fermés : alors le regard se fixe sur un objet virtuel et l'expression de la face prend l'aspect de l'extase.

Fig. 25. — Alice V... en Fig. 26, — Alice V... en Fig. 27. — Alice V... à état léthargique les état lethargique les l'état de veille,

yeux ouverts. yeux fermes.

Pour réveiller la malade, le commandement ne suffit pas, il faut souffler éner-giquement à différentes reprises sur les yeux. Ces états léthargiques se sont manifestés dès la première séance, Us se sont reproduits chaque fois que la malade a été endormie.

En résumé donc, dans l'observation XII, nous avons obtena d'abord l'état somnambulique véritable, les yeux fermés et les yeux ouverts: en rendant l'hypnose plus profonde, nous avons va se produire les deux états cataleptoïdes décrits par Pitres, avec conservation des attitudes, insensibilité et aadition des ordres et des suggestions.

Collette H..., de l'observation XIII, présente également les deux états somnambuliques véritables que nous avons décrits précédemment; en poursuivant l'hypnose, cette malade tombe dans l'état cataleptique les yeux fermés, caractérisé par la conservation des attitudes, l'insensibilité, l'absence d'audition et de suggestibilité; en soulevant les paupières, cet état se tranformait en catalepsie les yeux ouverts : le regard est fixe, aucune communication n'existe plus entre la malade et le monde extérieur.

Alice V..., de l'observation XIV, brûle les phases somnambulique et cataleptique, elle tombe d'emblée en léthargie avec inertie musculaire, absence de communication avec le monde extérieur et hyperexcitabilité neuro-musculaire; si l'on maintient les yeux ouverts, cette léthargie les yeux fermés se transforme en léthargie les yeux ouverts. Ces faits nous ont convaincu de la réalité des phases décrites par Charcot. Dans les trois cas, nous n'avons rien suggéré, la catalepsie et la léthargie se sont montrées spontanément.

Il faut néanmoins remarquer que ces trois cas se rapportent à des sujets hystériques très caractérisées, dont les crises nombreuses sont suivies d'un état de sommeil comateux rappelant un peu les états cataleptiques et léthargiques; nous n'avons pu obtenir ces phases chez des sujets ordinaires, ce qui semblerait prouver que ces états cataleptiques et léthargiques ne sont que des sommeils pathologiques. Il y aurait dès lors deux espèces de sommeils hypnotiques, les uns superficiels ou somnambuliques, se développant chez les sujets sains ou légèrement hystériques, les autres profonds, se montrant seulement chez les individus sujets à des crises hystériques suivies de sommeil comateux plus ou moins profond.

D'après ces observations, on voit qu'outre les états bien définis de catalepsie et de léthargie décrits par Charcot, il faut admettre des états incomplets sur lesquels Pitres a attiré l'attention. Nous avons observé quatre états différents se rattachant à la catalepsie :

1° États cataleptoïdes avec conservation des attitudes ( a. Les veux fermés, mais communication avec le monde extérieur. ( b. Les veux ouverts.

2° États cataleptiques avec conservation des attitudes a. yeux fermés, mais sans aucune communication avec le monde ex- teneur. b. Les yeux ouverts.

Pour la léthargie, nous avons observé deux états, mais en prenant en considération les cas observés par Pitres, nous pouvons, comme précédemment, admettre quatre variétés :

1° États léthargoïdes. Immobilité, le malade entend a Les yeux fermés, mais ne réagît pas, pas d'hyperexcitabilité neuro- ) musculaire. b. Les yeux ouverts.

2° Étais léthargiques Immobilité, le malade n'entend a. Les veux fermés, pas, hyperexcitabilité neuro-musculaire. b. Les yeux ouverts.

Pour terminer ce qui concerne la classification des états hypnotiques, nous devons mettre en regard l'un de l'autre le tableau donné par Pitres et le notre.

variété Des ÉTATS HYSTÉRO-HYPNOTIQUES D' a près PITRES

1° État léthargique......

?. État léthargoïde les yeux ouverts.

b. État léthargoïde les yeux fermés, c. Léthargie lucide.

2° État cataleptique.....

?. Etat eataleptolde les yeux ouverts.

b. État cataleptoïde les yeux fermés.

c. Etat cataleptolde avec hyperexcitabilité neuro-

musculaire.

d. État d'exiase.

3° Etat somnambulique..

?. Étal de fascination.

b. État de charme.

c. Étal paraphronique.

d. État onéirique.

c. État de veille somnambulique.

TABLEAU DES ÉTATS HYPNOTIQUES D'APRÈS L'AUTEUR

Etats se rattachant au somnambulisme.

1° États somnambuloide..

2° États somnambuliques...

États se rattachant à la catalepsie.

1° États cataleptoïdes.......

2° États cataleptiques.......

États se rattachant à la léthargie.

1° Étais léthargoides. 2° Étais léthargiques.

?. 1er degré.

b. 2e degré.

c. 3e degré.

d. 4e degré.

?. Les yeux fermés.

b. Les yeux ouverts.

?. Les yeux fermés.

b. Les yeux ouverts.

a. Les yeux fermés.

b. Les yeux ouverts.

?. Les yeux fermés, b. Les yeux ouverts, a. Les yeux fermés.

b. Les yeux ouvert».

Sans faire de distinction de sujet, nous admettons donc que le sommeil hypnotique peut se présenter sous trois aspects fondamentaux : le somnambulisme, la catalepsie et la léthargie. Devons-nous, avec Charcot, considérer le somnambulisme comme le dernier stade du sommeil, ou devons-nous, avec Luys, l'envisager comme le premier ?

Dans nos onze premières observations, nous avons eu des sujets de plusieurs catégories : les uns étaient très peu sensibles à l'action des moyens hypnogènes, d'autres, au contraire, étaient rapidement influencés par ces pratiques. Les premiers ne présentèrent que des états incomplets du somnambulisme, les autres montrèrent le véritable sommeil somnambulique ; aucun de ces sujets n'a présenté ni la catalepsie, ni la léthargie. Il semble donc que depuis l'état de veille jusqu'au véritable somnambulisme, il y ait une série de transitions parmi lesquelles les

états cataleptiques et léthargiques ne trouvent pas place. Au contraire, dans les deux cas ou nous avons observé la catalepsie, nom avons vu passer successivement les états somnambuliques puis cataleptiques : les malades des observations XII et XIII étant en somnambulisme, pour obtenir la catalepsie, nous n'avons eu qu'à continuer les passes.

Quant à la léthargie, la malade qui nous l'a présentée ne permettait pas d'apercevoir les états somnambuliques et cataleptiques intermédiaires, ce qui ne prouve pas que la léthargie soit la première phase du sommeil ; nous croyons avec Luys que, dans ce cas. les deux phases précédentes sont brûlées, elles se succèdent avec une telle rapidité que l'on ne peut les apercevoir.

Ou ne peut ériger une régie d'après une exception, il faut considérer la généralité des faits ; et bien, voici ce que l'on observe communément : les personnes peu sensibles à l'hypnotisme présentent des états somnambuliques plus ou moins atténués, celles qui sont très vivement impressionnées par les moyens hypnogènes sont seules susceptibles de présenter les phases cataleptiques et léthargiques ; ces derniers sujets passent, en général, d'abord par les états somnambuliques, puis par les états cataleptiques, enfin par les états léthargiques.

C'est pourquoi nous nous rangeons à l'opinion de Luys, nous croyons que le somnambulisme est le premier état, la catalepsie le second et la léthargie le troisième. (A suivre.)

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE

Séance du lundi 17 avril. — Présidence de M. Dimontpallier.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.

La correspondance imprimée comprend des lettres de MM Persae, Dr Jean Crocq, Bourdon (de Méra).

M. le président met aux voix les candidatures de Mil. le Dr Bonnier. présenté par MU Bérillon et Saint-Hilaire; de M. Persac, conseiller a la Cour d'appel, présenté par MM. Touiée et Bérillon; de M. le D' Nieoolidis. présente par MM. Mavroukskis et Dumontpallier; de M. le Dr Subotic de Belgrade), présenté par MM. Mavroukakis et Dumontpallier; de M. le Dr Marrogény-Pacna, presenté par MM. Desjardin de Régla et Bérillon.

Ces candidatures sont adoptées a l'unanimité.

Remarques sur la nature de la chorée infantile et sur son traitement par la suggestion hypnotique.

Par M. le Dr DUMONTPALLIER.

Dans une séance du commencement de la présente année, j'ai communiqué à la Société d'Hypnologie une observation de chorée chronique chez une jeune

fille de treize aus, laquelle chorée avait été traitée avec un succès complet et durable par la suggestion hypnotique.

A l'occasion de cette observation, qui a été publiée in extenso dans la Revue de l' Hypnotisme, j'avais posé deux questions :

La chorée est-elle toujours de nature rhumatismale?

Quelle que doive être la réponse à cette première question de thérapeutique psychique, c'est-à-dire suggestive, est-elle la meilleure méthode de traitement de la chorée, et ceux quelle que soit la nature supposée de chorée?

Cela étant, je demandai 4 mon confrère et ami, le Dr Leroux, qui est chargé du service médical du dispensaire Furlado-Heine, de m aider dans mon entreprise, ce qu'il lit avec la meilleure grâce, en m autorisant a observer des enfants choréiques qui vivent au dispensaire et a les soumettre, avec le consentement des parents, au traitement psychique.

Je commençai mon expertise clinique le 3 décembre 1892, et je la continuai jusqu'à la fin de janvier. Quatorze enfants de huit à quatorze ans furent soumis à mon examen, soit neuf jeunes filles el cinq garçons. Chez presque tous, il fut possible de relever dans l'étiologie une émotion vive et une grande frayeur. Une seule entant. Agée de huit ans, avait eu des douleurs rhumatismales avec battements de cœur, sans souffle organique au moment de mon examen. Dans plusieurs observations, on notait des troubles nerveux chez les ascendants.

L'éliologie rhumatismale, dans cette série d'observations, était donc exceptionnelle. Je sais bien qu'on pourrait prétendre que la diathèse rhumatismale était latente cl que plus lard elle se révélerait par des manifestations spéciales. Cela est possible, mais le doute est permis. Quoi qu'il en soit, treize enfants sur quatorze n'avaient pas eu d'arthrite ni d'ende-péricardite ; aucun de ces enfants n'avait eu de scarlatine.

La durée de la chorée datait de plusieurs semaines ou de plusieurs mois. Chez quelques-uns de ces enfants, il y avait eu, i six mois ou à deux ans de distance, récidive, cl si l'antipyrine avait paru donner des résultats assez satisfaisants, elle n'avait pas réussi à guérir à bref délai les mouvements choréiques. Du reste le grand nombre de médicaments mis en usage depuis le commencement du siècle présent dans le traitement de la chorée et le soin que l'on met à en expérimenter de nouveaux suffisent à démontrer que l'on n'esi guère satisfait des moyens de traitement que l'on a préconisés à différentes époques.

C'est dans ces conditions que, frappé de la fréquence de l'éliologie psychique dans les manifestations choréiques, j'entrepris de rechercher quels seraient les résultais fournis par la médication psychique.

Déjà plusieurs observateurs m'avaient précédé dans cette voie thérapeutique; qu'il me suffise de nommer les Dr Liébeault. Bernheim, Beaunîs, Bérillon, Voisin; mais, confiants qu'ils étaient dans l'action générale de la suggestion pour guérir diverses manifestations morbides et en particulier la convulsion choréique, je ne crois pas qu'ils aient été guidés par l'étiologie

psychique, étiologie à laquelle je croîs qu'il convient d'accorder une part très grande dans le chorée.

A l'asile Furtado-Heine, les résultais que j'ai obtenus en ayant recours à la suggestion hypnotique ont été très remarquables. On sait combien les enfants sont facilement hypnotisables et suggestionnables. En quelques secondes, la plupart des jeunes choréiques entraient en hypnose et étaient insensibles à la piqûre. Quelques séances de suggestion hypnotique ont suffi pour modifier, puis pour guérir des chorées plus ou moins rebelles aux différents traitements qui avaient élé antérieurement mis en usage. En même temps, le caractère des enfants était amélioré, à la grande satisfaction de leurs parents.

Jecrois donc que le traitement psychique doit être grandement recommandé dans le traitement de la chorée infamille. Il n'offre aucun inconvénient et peut rendre des services vraiment remarquables. La suggestion serait-elle un moyen de guérison infaillible de la chorée? Certes, je me garderai bien de l'affirmer, mais je n'hésite pas à engager mes confrères â l'essayer avant tout autre mode de traitement.

Un cas de contracture psychique guérie par la suggestion à l'état de veille,

Par le Dr GOROMCHZE.

Le 27 décembre 1892, je fus appelé par mon très distingué confrère, le D' Mugnier, auprès de Mlle Alphonsine C..., Agée de dix-neuf ans.

Son père et ses cinq frères et sœurs ont toujours été dune bonne Santé. Sa mère est morte au mois de mars 1892 de démence paralytique ayant évolué en onze mois. Les phénomènes paralytiques ont débuté par une douleur au genou et à la hanche gauche, suivie bientôt de paresse d'abord et de paralysie complète ensuite. Ce point particulier de l'histoire pathologique de la mère est inléressaut à noter, car il va nous donner la clef do l'affection nerveuse de la tille, comme vous allez le voir par la suite.

Le père de ma malade, la sachant ai impressionnable et la voyant si affectée par la cruelle maladie de sa mère, l'a éloignée de Paris pour vivre à la campagne d'où elle n'est revenue qu'en octobre 1892.

De retourà la maison, où tout lui rappelait les angoisses par lesquelles elle a passé en voyant la déchéance physique et mentale de sa mère, elle cherchait à reconstituer dans son esprit la marche de sa maladie, persuadée qu'elle était d'avoir le plus d'affinités avec la défunte, et d'hériter par conséquent de son mal. En effet, au bout de quelques jours, elle commence à se plaindre d'une douleur à l'aine et au genou gauches, traîne bientôt sa jambe et, le 3 novembre 1892, s'allite et ne peut plus marcher.

Le Dr Mugnier, après avoir employé contre la douleur du genou tous les topiques usités en pareil cas, pria le Dr Jalaguier d'examiner la malade sous le chloroforme. Les organes pelviens, l'articulation coxo-fémorale et celle du genou furent reconnus indemnes de toute lésion. L'impotence fonctionnelle

commençait à gagner déjà le bras gauche, et c'est vers cotte époque que je fus appelé.

Les antécédents personnels de Mlle Alplionsine C... ne présentent rien de particulier à noter. La première et la seule crise hystérique a éclaté après la chloroformisation du mois de novembre. Son eut général actuel est bon, les nuits sont cependant troublées par des rêves, des cauchemars, des soubresauts dans les membres et des réveils subits.

Le membre inférieur gauche est dans l'attitude d'extension avec le pied bot talus. Cependant, les articulations tibio-tarsienne et coxo-fémorale conservent une certaine mobilité, tandis qu'il est impossible d'imprimer le plus léger mouvement au genou. Le triceps crural et ses antagonistes sont en contraction permanente et donnent très nettement cette sensation à la main appliquée i plat. Exagération du réflexe rotulien. Trépidation du pied. Absence d'atrophie musculaire. Hémianesthésie gauche complète. Rétrécissement concentrique du champs visuel. Spasme intermittent de l'accommodation, fait, entre parenthèses, que j'ai observé chez beaucoup de névropathes. Impossibilité absolue de marcher et de se tenir debout. Sa jambe droite, indemne de contracture, exécute des mouvements incoordounés (aslasie-abasie), et la malade tomberait infailliblement si on ne la soutenait pas vigoureusement de deux côtés.

La malade est incapable de fixer mon regard, ne serait-ce que pendant quelques instants, sans détourner la tète, et je vois très clairement qu'il y a de sa part une résistance voulue et consciente, malgré ses protestations.

Après cinq ou six tentatives infructueuses d'hypootisation, je résolus d'avoir recours au stratagème suivant : J'engage Mme Alph. C..., debout, au milieu de la chambre, et tenue fortement par mes deux bras, de me regarder fixement en faisant de fortes inspirations. Sans la prévenir, je lui fais faire une pirouette sur elle-même en m'éloignant brusquement, Étonnéc, surprise, elle reste toute ébahie au milieu de la pièce sans tomber sous le coup d'une forte émotion.

Cela n'a duré que quelques secondes; je l'ai rassise aussitôt dans un fauteuil, en lui disant : « Vous voyez bien, mademoiselle, que rien que les tentatives d'hypnose ont été déjà suffisantes pour amener un résultat si merveilleux. Du reste, vous ne pouvez ne pas guérir, parce que ce n'est pas la maladie de voire mère que vous avet, qui était paralysée, tandis que vous, au contraire, vous êtes contracturée. « Après lui avoir expliqué la différence de ces deux états et affirmé, en partant, que le lendemain elle pourra plier un peu son genou, non pas complètement, mats un peu, et que, de cette façon, en dix jours je lui garantis de pouvoir se servir de sa jambe comme auparavant.

Mes prévisions se sont réalisées. Tous les jours, à ma visite, je lui taisais faire des mouvements coordonnés de gymnastique, et, vers la fin du mois de janvier, elle marchait tout à fait bien, sans même traîner sa jambe. Le bras gauche, dont la tendance à la contracture a vivement préoccupé son père, s'est également dissipé.

Le :résultat ainsi obtenu ue me satisfaisaisait pas pleinement, sachant combien ces contractures hystériques ont une tendance à revenir, et je me suis attaché de toute mon autorité et de la grande confiance que j'inspirais alors a la malade, de me taire avouer la cause de sa résistance au sommeil hypnotique. Après bien des réticences, elle finit par me dire qu'elle a peur d'avoir des attaques de nerfs après chaque séance, comme une de ces amies qu'on essayait d*endormir. J'ai pu lever toute appréhension de ce côté-là, lui faire comprendre que l'hypnotisme bien appliqué guérit même les crises de nerfs, au lieu d'en provoquer; elle finit par se rendre a l'évidence, et je n'ai pas lardé à la plonger dans le sommeil hypnotique profond, avec amnésie au réveil.

C'est surtout à partir de ce moment-là que l'amélioration de son état général était sensible. Impressionnable à l'excès, triste et mélancolique, ne pouvant pas même mettre les pieds dans la chambre de sa mère sans éclater en sanglots, incapable de se livrer à un travail continu quelconque, couture, broderie, musique, sans immédiatement avoir des maux de tète, des troubles de la vue, l'aihétose des mains, un besoin constant de tordre ces bras comme-si elle était en imminence de crise hystérique, tout cela a disparu graduellement sous L'influence de la suggestion. L'hémianesthésie a également disparu et j'ai tout lieu de croire ma malade complètement guérie.

Malgré la perte de la sensibilité du côté gauche et la persistance de la contracture pendant le sommeil de la nuit, je me crois autorisé d'affirmer que c'est bien à une contracture psychique ou à une contracture d'appréhension, comme l'appellerait Dally, que nous avions affaire. C'est, en effet, frappée par la marche de la maladie de sa mère que la fille l'a imitée 4 sa façon. Elle s'est autosuggestionnée. Du jour où j'ai pu lui faire comprendre la différence entre sa maladie et celle de sa mère et lui persuader que la paralysie générale n'est nullement transmissible, son esprit a modifié l'action d'inhibition de son écorce cérébrale.

C'est à tort, à mon avis, qu'on a voulu diviser les contractures hystériques en psychiques et contractures hystériques permanentes et assigner aux lésions dynamiques de ces deux formes deux sièges différents : la moelle et l'écorce cérébrale. Tou'.es me paraissent être de nature psychique, aussi bien les paralysies que les contractures, et si j'ai fait suivre dans l'entête de ma communication le mot contracture de l'adjectif psychique, c'est parce que le mecanisme de la production de la contracture dans mon cas est particu-lièrement net au point de vue de la cérébration consciente. Ma malade était sûre de devoir être atteinte de ce qu'elle appelait la paralysie de sa mère.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

La Société d'hypnologie se réunira eu séance ordinaire le lundi 19 juin, à quatre heures et demie précises, au palais des Sociétés savantes, 28, rue Serpente, sous la présidence de M. le Dr Dumonlpallier :

l° Lectures et communications diverses.

2° Présentation de malades.

3° Vote sur l'admission de nouveaux membres.

Adresser les communications à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, rue de Rivoli, 40 bis.

N.-B. — Nous rappelons que la séance annuelle de la Société aura lieu le lundi 17 Juillet, à quatre heures, et qu'elle sera suivie, comme les années précédentes, d'un banquet.. _

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Institut psycho-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts. — L'Institut psycho-physiologique de Parts, fonde eu IS9I pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et de professeurs autorisés, est destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psycho-physiologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de dix heures à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assister et sont exercés à la pratique de la psychothérapie.

Pendant le semestre d'été IS92-93. des conférences seront faites le jeudi, à dix heures et demie, par M. le I ) ' Bérillon, sur les applications de la suggestion à la pédagogie et à la pédiatrie.

M. le Dr J.-O. Jennings fera le samedi des démonstrations pratiques d'électro-physiologie.

Salpetrière, — Clinique des maladies nerveuses. M. le D' Charcot : leçons le mardi à 9 h. 1/2

Maladies nerveuses et mentales. MM. Joffroy et Jules Voisin : le jeudi et samedi de chaque semaine, à 9 h. 45.

Maladies mentales. M. Auguste Voisin, le dimanche, à dix heures du matin.

L'affaire Valroff et l'expertise médicale.

Aucune affaire n'a donné lieu à des appréciations plus différentes au point de vue de la responsabilité mentale de l'accusé que celle de Valroff, le valet de chambre qui tenti d'assassiner Mme Garin de Cocconato et la domestique Caroline Bracco.

Tout d'abord, trois médecins de Nice, MM. les Drs Fighiera, Moriez et Planai, avaient rédigé sur l'état mental de Valroff un rapport qui trahissait assez nettement l'incompétence de nos confrères sur les questions de somnambulisme et d'automatisme cérébral. Nous comprenons d'ailleurs fort bien que le« remarquables études de Lasègue et de Mesnet sur les cérébraux et les impulsifs ne soient pas l'objet d'une préoccupation constante de la pan de médecins qui ne

sont qu'occasionnellement appelés a anaty«er l'état psychique d'un aceusé. C'est pour cela quo la défense avait sagement agi en demandant un supplément d'enquête médico-légale et en sentourant do toutes les lumières que pouvaient lui fournir les hommes compétents. Valroff fut amené à Paris et soumis à une nouvelle expertise par MM. les Brouardel. Motet et Garnier, qui rédigèrent sur son cas un rapport circonstancié. Or, le rapport ayant été fournis a quelques médecins et en particulier à MM. Charcot, Auguste Voisin. Dumontpallier, etc., il arriva que ces derniers ne trouvèrent pas que toutes les conclusions fassent rigoureusement déduites des prémisses et des faits observés. Ils ne te génèrent pas pour exprimer leur opinion à ce sujet. La défense ne pouvait manquer une si belle occasion de prétendre que, puisque les sommités médicales consultées étaient en désaccord au sujet de l'étendue de la responsabilité de Valroff, le doute devait bénéficier à l'accusé.

C'est ce qui est arrivé, et Valroff n'a été condamné qu'à une peine insignifiante, ce dont il aurait grand tort de se plaindre. En effet, placé entre cette alternative d'être considéré comme responsable et dans ce cas condamné a une peine sévère, ou bien d'être Jugé irre pensable et interné pour un temps prolongé dans un asile d'aliénés, il s'en tire avec quelques mois de prison. Le principal intéressé dans l'affaire ayant lieu d'être satisfait, tout le monde aurait dû l'eue. Il n'en a pas été ainsi, et c'est ce qui nous a valu la lettre suivante que nous adresse un de nos collaborateurs les plus éminents :

« Mon cher rédacteur,

« Nous avons appris qu'on avait été ému en haut lieu de l'avis que des médecins compétents avaient formulé, à la demande de ion défenseur, sur l'état pathologique de l'accusé Valroff.

« L'émotion des médecins experts, commis dans l'affaire Valroff près la cour d'assises, se fondait sur la témérité qu'il y a à se prononcer en semblable circonstance sans avoir observé l'accusé.

« A cela, nous répondrons que les médecins auxquels les experts ont prétendu infliger un blsme étaient parfaitement autorisés à formuler leur opinion, puisqu'ils avaient eu communication des rapports des experts et que ce n'est qu'après avoir pris connaissance des dits rapports qu'ils ont émis un avis contraire à l'avis des experts.

« On ne saurait en droit refuser au défenseur de demander un avis en semblable affaire.

« On ne saurait non plus prétendre interdire k des médecins, reconnus compétents, le droit de donner leur avis, surtout lorsqu'ils l'établissent sur les faits consigues sur les rapports des experts eux-mêmes.

« Est-il besoin d'avoir vu les possédées de Loudun pour affirmer que ces malades étaient de« hystériqces ? Pour avoir aujourd'hui une opinion sur ces malades, il suffit de lire les rapports du temps,

« A plus forte raison, il est permis à on médecin de se faire une opinion précise sur l'état mental d'au accusé lorsqu'il a sous les yeux le rapport rédigé par ses confrères. Il lui sera même permis de Juger, dans certains cai, que des conclusions différentes pouvaient logiquement être déduits des faits exposés par les experts.

« Agrées, etc. »

L'hypnotisme chez les Annamites.

D'après. M. Michaud, l'hypnotisme serait très fréquemment mis en usages dans certaines cérémonies religieuses, chez les Annamites. Parmi les procédés employés pour provoquer l'hypnotisation, le suivant mérite d'être signalé.

Le sorcier se fixe derrière les, pavillons des oreilles deux baguettes de bois

odorant. Ces baguettes sont allumées et brûlent lentement en formant deux charbons brillants. Après avoir fait asseoir le sujet en face de lui, le sorcier lui tient nn long discours accompagne de gestes. En même temps, il agite la tête très vite et dans tous les sens. Le patient qui a reçu au préalable l'ordre de fixer ses regards sur les points lumineux produits par les baguettes en combustion, s'il est hypnolisable, ne tarde pas à s'endormir.

(Bull, thèrap.)

Pilules suggestives.

M. Km. Gilbert, pharmacien à Moulins, nous apprend que la patrie des pilules est l'Angleterre. Nos voisins d'outre-Manche en avalent, par jour, dans toute la Grande-Bretagne, le nombre fabuleux de 3,613.961. Tout citoyen, depuis le pins ancien des vieillards Jusqu'au plus Jeune baby, consomme au moins une pilule par semaine.

Les pilules consommées annuellement donneraient un poids de 181,000 kilogrammes et nécessite raient, pour le transport, un train de marchandises de trente-six wagons. De plus, ri on les plaçait bord à bord en une seule ligne, elles donneraient deux fois la distance de Liverpool à New-York. Il serait intéressant de rechercher la part qui revient à la suggestion dans l'action exercée par toutes ces pilules. Il est vraisemblable qu'une race, si bien trempée qu'elle fût, ne résisterait pas longtemps, à l'absorption d'une telle dose de médicaments, si les pilules qu'on leur administre avec tant de libéralité étaient douées d'une réelle action médicamenteuse.

NÉCROLOGIE

M. le Dr Marrotte.

M. le Dr Marrotte, qui vient de mourir dans un âge avancé, était médecin honoraire des hôpitaux et membre de l'Académie de Médecine.

C'était un clinicien de l'ancienne école, observateur sagace et souvent un thérapeute heureux. Il avait conservé jusqu'à la dernière heure un grand amour pour la médecine, et, si les infirmités de son grand âge ne lui permettaient pas d'assister avec assiduité aux séance* de l'Académie, il en suivait avec une curiosité toujours égale, les travaux hebdomadaires.

La vie n'avait pas été toujours facile pour M. Marrotte; el il avait souvent trouvé que Justice ne lui avait pas été toujours rendue. Cependant il mirait dû être satisfait ; N'avait-on pas accepté avec éloges ses travaux sur l'alimentation dans les maladies fébriles; n'avait-on pas applaudi au rapport magistral qu'il avait rédigé sur le thermocautère, à une époque où les indications de cette opération n'étaient pas encore acceptées par le corps médical; n'avait-on pas rende hommage à l'originalité de sa conception sur les hémorragies nerveuses et ne devait-il pas se trouver amplement récompensé, en voyant que Claude Bernard avait pris en grande considération les observations du clinicien. Le sage doit être content de son sort, et à tout prendre, M. Marrotte n'avait pas le droit de se plaindre. L'Académie lui avait prouvé qu'il avait une famille scientifique.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMETAL ET-THÉRAPEUTIQUE

SUR QUELQUES PHÉNOMÈNES DE L'HYPNOSE

Par M. le Dr CROCQ Fils. de Bruxelles. Suite et fin (1)

11. — DES ZONES HYPNOGÈNES.

Charcot et Richer ont observé que la pression du vertex était susceptible de transformer l'état léthargique en état somnambulique ; Dumontpallier a vu que cette pression était capable de provoquer d'emblée le sommeil hypnotique, mais c'est surtout Pitres qui. il y a peu de temps, s'est occupé de cette question : « Je désigne, dit Pitres, sous le nom générique de zones hypnogènes. des régions circonscrites du corps, dont la pression a pour effet, soit de provoquer instantanément le sommeil hypnotique, soit de modifier les phases du sommeil artificiel, soit de ramener brusquement à l'état de veille, les sujets préa-lablement hypnotisés ».

Les zones hypnogènes peuvent se rencontrer, d'après l'auteur, a toutes les régions du corps et en nombre plus ou moins grand; la peau qui les recouvre est absolument normale, elles sont souvent symétriques et ne sont nullement en rapport avec les anesthésies cutanées. Leur étendue est ordinairement restreinte, quelquefois, cependant, elle atteint plusieurs décimètres carrés ; leur action se manifeste quelquefois par simple frôlement, mais, la plupart du temps, il faut une compression assez forte pour provoquer les effets voulus.

D'après la nature des effets qu'elles provoquent. Pitres a divisé ces zones en hypnogènes proprement dites et en hypno-frénatrîces : les unes provoquant le sommeil, les autres le faisant cesser brusquement. Dans le groupe des zones hypnogènes proprement dites, il distingue :

(1) Voir le numéro précédent.

1° Les zones hypnogènes simples qui, comprimées à l'état de veille, déterminent invariablement une phase constante.

2° Les zones hypnogènes à effets successifs dont la compression donne successivement lieu à des phases de plus en plus profondes.

3° Les zones hypnogènes a effets incomplet», dont la compression ne produit rien à l'état de veille, mais peut modifier les phases du sommeil hypnotique.

Les zones hypno-frénatrices sont également divisées en trois variétés semblables.

Dans toutes les expériences hypnotiques, l'hypnotiseur peut se suggestionner lui-même; ces recherches sur les zones hypnogènes sont excessivement intéressantes, mais nous ne pouvons admettre les conclusions de Pitres qu'après avoir fait des recherches personnelles.

Fig. 28. — Zones hypnogènes de Anna M..

Dans les quatorze observations que nous avons rapportées au chapitre I, nous avons recherché chaque fois les zones hypnogènes et voici ce que nous avons observé : dans le premier cas. chez Jeanne U..., Jean S... et Mme M..., il n'y avait aucune zone qui, comprimée, amenait le sommeil; mais dans la quatrième observation, chez Anna M..., nous avons pu

déterminer de nombreux points hypnogenes dont voici l'énumération : bosse frontale gauche, région sus-mamillaire gauche, ovaire gauche, face externe de la cuisse gauche, jambe gauche tout entière, colonne vertébrale, région lombaire, fesse gauche ; à droite seulement fesse et face externe de la cuisse. Voici la représentation schématique de ces points hypnogènes.

Eudoxie M... présentait trois points semblables : deux aux bosses frontales et un au vertex ; Julie M... avait une zone hypnogène très étendue mais unique, allant des arcades sourcilières a la bosse occipitale et comprenant les régions frontale, pariétale et occipitale.

Mme B... n'avait aucun point semblable: Marie P... en avait au contraire beaucoup, en voici l'énumération : bosses frontales, parties supérieures des seins, ovaires, régions poplitées. plis du coude.

fig. 29 — Zones hypnogènes de Marie P...

Louise T... en présentait plus encore : bosses frontales, région cervicale de la colonne vertébrale, mammelons, région épigastrique, fesses, régions inguinales, parties externes des cuisses.

Adrienne C... n'avait aucune zone hypnogène; Joséphine D... en avait trois : deux aux bosses frontales et une au vertex ; Collette H...

n'en avait pas; enfin Alice V... en présente plusieurs d'une grande étendue, ce sont : le front et les pariétaux, le ventre tout entier, un point sur la cuisse gauche, un au-dessus de la rotule gauche et un dans l'aisselle gauche.

Fig. 30. — Zone hypnogènes de Louise T...

Dans d'autres cas encore, nous avons obtenu des résultats analogues ; toujours nous avons vu des zones hypnogènes simples, jamais nous n'avons observé les zones à effets successifs ni les zones a effets incomplets ; nous ne pouvons affirmer la réalité de ces deux dernières espèces de zones parce que nous avons pris pour ligne de conduite, en bypnolo-gie, de n'admettre que ce que nous voyons, cependant nous croyons à leur existence et nous espérons trouver bientôt un cas qui nous enlève nos derniers doutes.

Quant aux zones bypno-frénatrices. nous n'en avons vu qu'une fois, c'est chez Joséphine D... : en appuyant sur l'ovaire droit la malade se réveillait: ici encore c'est une zone hypno-frénatriée simple, les deux autres variétés ne se sont pas montrées chez nos sujets.

Ce que nous pouvons certifier, et c'est là le point le plus important, c'est qu'on rencontre fréquemment chez les hystériques, des zones circonscrites dont la pression provoque le sommeil hypnotique.

Un problème intéressant est de se demander s'il est possible d'endormir le sujet sans qu'il le sache ou sans qu'il le veuille, en comprimant ces zones hypnogènes. Pitres s'est posé cette question et voici comment il y répond : « Pour répondre avec certitude à cette question, les expériences

fig- 31. - Zones hypnogènes. d'Alice V...

du laboratoire sont sans valeur. Le fait seul que les malades se trouvent en présence de médecins ou d'étudiants qui les ont déjà endormis ou qu'ils savent capables de les endormir, suffit pour jeter le doute sur les résultats obtenus. La solution du problème posé doit ressortir d'observations accidentelles, réalisées dans des circonstances imprévues, indépen-demment de toute intervention des personnes qui pourraient avoir sur les malades une autorité ou une influence quelconque. Je ne connais qu'un fait qui réponde à ces desiderata, encore n'est-il pas absolument irréprochable ».

Pitres ne résoud pas la question, il doute; cependant si l'on expérimente sur Joséphine D..., on peut facilement se convaincre que la pression des zones hypnogènes peut endormir le sujet sans qu'il le sache ou

sans qu'il le veuille.

Lorsque nous avons recherché pour la première fois les zones hypno-

gènes de Joséphine, elle ne savait pas ce qui devait se produire puis-qu elle n'avait jamais assisté à une expérience semblable : sans rien lui dire nous avons appuyé légèrement sur le vertex, ses yeux se fermèrent et elle tomba en somnambulisme. Nous Pavons alors réveillée et nous avons appuyé de la même manière au-dessus des seins, rien ne se produisit ; nous avons ensuite pratiqué la pression aux bosses frontales et la malade s'endormit aussitôt. L'expérience étant répétée successivement pour les différentes parties du corps, le sommeil ne se produisit que pour les trois régions indiquées.

Ceci prouve bien que l'on peut endormir un sujet sans qu'il le sache, mais peut-on l'endormir sans qu'il le veuille ? Oui, et en voici la preuve : Dans l'observation de Joséphine, nous avons dit que l'on pouvait produire des attaques par suggestion ; pour connaître ce fait, la malade étant endormie, nous lui avons suggéré d'avoir un accès. Le lendemain de cette expérience, la malade refusa de se laisser endormir, alors nous avons appuyé sur les régions hypnogènes frontales, et, en quelques secondes, le somnambulisme s'est déclaré.

Grâce à ces faits nous pouvons éviter les doutes de Pitres, et déclarer que la pression des zones hypnogènes est capable d'endormir le sujet sans qu'il le sache et sans qu'il le veuille.

III. — De la mémoire dans les états hypnotiques.

L'étude de la mémoire chez les sujets hypnotisés a donné lieu à de nombreux travaux : Braid. Carpenter, Azam. avaient déjà reconnu que les personnes hypnotisées oublient, après leur réveil, ce qu'elles ont fait ou appris durant leur sommeil et qu'elles s'en rappellent lorsqu'on les replace en état de sommeil hypnotique. Plus récemment, Richet, Bern-heim. Delbœuf, Dechas. Beaunis. Luys, Pitres, etc.. ont repris la question et sont arrivés aux conclusions suivantes :

1° Les personnes hypnotisées se rappellent, dans l'état de sommeil, tout ce qu'elles ont appris antérieurement lorsqu'elles étaient à l'état de veille.

2° Les personnes qui ont été hypnotisées, ne conservent, après leur réveil, aucun souvenir de ce qu'elles ont fait ou appris pendant qu'elles étaient en état de sommeil hypnotique.

3° Les personnes en état de somnambulisme spontané ou provoqué se souviennent de tout ce qu'elles ont appris, soit dans l'état de veille normale, soit dans les états hypnotiques antérieurs.

Ces propositions reposent sur un grand nombre de faits observés par

différents auteurs ; afin de rester fidèle à ta ligne de conduite que nous avons admis pour l'étude des phénomènes hypnotiques, nous devons expérimenter par nous-mêmes pour nous faire une opinion.

Il est évident que la mémoire ne peut être étudiée que dans les états hypnotiques dans lesquels le sujet entend, c'est-à-dire les état somnam-buloïdes, somnambuliques et certains états cataleptoïdes et léthargoïdes. Dans les cas que nous avons eu l'occasion d'observer, lorsque le sujet hypnotisé entendait et répondait, il se rappelait toujours de ce qu'il avait appris antérieurement, à l'état de veille ; cela aussi bien pour les deux états dérivés du somnambulisme que pour les états cataleptoldes. Joséphine, en état cataleptoïde se rappelle tout ce qu'elle connaît à l'état de veille.

Une seule condition paraît nécessaire pour pouvoir démontrer la persistance de la mémoire, c'est que le sujet soit en communication avec l'extérieur et qu'il puisse répondre aux questions; ceci nous conduit à penser que la mémoire des choses connues à l'état de veille est conservée dans tous les états hypnotiques, mais que nous ne pouvons nous en convaincre que lorsque le sujet nous répond.

Examinons maintenant la deuxième proposition : les sujets ne conservent-ils au réveil aucun souvenir de ce qu'ils ont fait ou appris pendant qu'ils dormaient? Cette question résolue affirmativement par les auteurs doit être l'objet d'une distinction que l'on a trop négligée. Comme nous l'avons établi, le somnambulisme comprend une foule d'états intermédiaires le reliant à l'état de veille; pour tous ces états, le sujet ne se rappelle-t-il pas au réveil de ce qui s'est passé pendant le sommeil? Pour résoudre cette question, voyons les phénomènes qu'ont présentés les personnes dont les observations précèdent.

Jeanne U..., qui a présenté le premier degré des états somnambuloï-des, se rappelait parfaitement au réveil de tout ce qui s'était dit et fait pendant l'hypnotisation : il en a été de môme pour Jean S... et Mme M.... qui ont manifesté te second degré; Anna M... et Célestine B..., qui ont atteint le troisième degré, se trouvent dans le môme cas; enfin. Eu-doxie M... et Julie M..., qui ont présenté le quatrième degré, se rappellent également au réveil des faits écoulés pendant leur sommeil. Au contraire, tous les autres sujets, qui ont manifesté des états somnambuliques véritables, avec perte de conscience et de sensibilité, ont présenté au réveil une amnésie complète de tout ce qui avait eu lieu pendant leur sommeil. Notre division en états somnambuloïdes et somnambuliques trouve ici encore sa raison d'être, et, indépendamment du caractère si important qui les différenciait déjà, à savoir la conservation ou l'absence de la conscience et de la sensibilité, nous trouvons, dans la réminiscence

au réveil, des faits écoulés pendant le sommeil, un phénomène capital qui sépare complètement ces deux ordres d'états.

Nous concluons donc, pour la seconde proposition, que le souvenir au réveil, des faits écoules pendant le sommeil, se produit dans certains états hypnotiques que nous appelons somnambuloïdes. dans toutes tes phases plus profondes, l'amnésie au réveil est là règle.

Pour la troisième proposition, nos résultats n'ont pas été semblables à ceux des autres auteurs : ici encore nous devons faire la distinction entre les états somnambuloïdes et les états somnambuliques : pour les premiers, puisqu'il n'y a pas de perte de conscience et que les sujets se rappellent au réveil ce qui s'est passé pendant le sommeil, il est évident que si l'on recommence l'hypnotisation, le sujet se rappellera ce qui s'est passé pendant son sommeil précédent, comme il s'en rappellerait à l'état de veille. Dans les états somnambuliques véritables, ainsi que dans les états plus profonds, nos sujets n'ont généralement pas pu H rappeler des faits écoulés pendant leur sommeil datant de deux jours; Mme H.... Marie P.... Adrienne C... Joséphine D.... Collette H.... n'ont pas présenté, pendant le sommeil somnambulique, la réminiscence des faits écoulés pendant un sommeil antérieur. Louise T... a seule présenté ce phénomène d'une manière caractéristique. Pendant son sommeil nous lui prenons une bague; à son réveil elle ne sait ce que son bijou est devenu, elle le cherche en vain ; deux jours après nous l'endormons de nouveau et nous lui demandons ce que sa bague est devenue, elle répond aussitôt : « Vous me l'avez prise avant-hier » ; à son réveil elle cherche encore l'objet et parait fort étonnée quand nous le lui rendons.

D'après ces expériences, on voit qu'on ne peut être catégorique relativement à la troisième proposition émise- à propos de la mémoire des sujets en état de sommeil hypnotique : d'après nos recherches, les sujets en états somnambuloïdes sont les seuls qui se soient constamment rappelé, pendant leur sommeil, des faits écoulés pendant une hypnotisât. :; antérieure: les personnes en états somnambuliques et cataleptoldes ne nous ont généralement pas présenté ce phénomène : nous l'avons observé une seule fois.

IV. — De LA PSEUDO-EXTÉRIORISATION DE LA SENSIBILITÉ.

« Dès qu'on magnétise un sujet, dit le colonel Albert de Rochas (1), la sensibilité disparaît chez celui-ci à la surface de la peau. C'est là un fait établi depuis longtemps: mais ce que l'on ignorait, c'est que cette sensibilité s'extériorise : il se forme, dès l'état de rapport, autour de

(l) De Rochas : Les états profonds de l'hypnose. Paris. 1892, p. 57.

son corps une couche sensible séparée de la peau par quelques centimètres. Si le magnétiseur ou une personne quelconque pince, pique ou caresse la peau du sujet, celui-ci ne sent rien ; si le magnétiseur fait les mêmes opérations sur la couche sensible, le sujet éprouve les sensations correspondantes.

« De plus, on constate qu'à mesure que l'hypnose s'approfondit, il se forme une série de couches analogues à peu prés equidistantes, dont la sensibilité décroît proportionnellement à leur éloignement du corps ».

Les expériences du colonel de Rochas, auxquelles nous avons assisté fréquemment. a l'hôpital de la Charité, dans le service de M. Luys, sont fort intéressantes : lorsqu'il pique avec une aiguille l'atmosphère entourant le sujet, aussitôt celui-ci ressent une douleur, alors que l'on peut traverser la peau de part en part sans qu'il manifeste rien. Si l'on place un verre d'enu dans les mains du sujet et que l'on plonge une pointe dans le liquide, la douleur est aussitôt ressentie. Ce phénomène se produit même si l'on éloigne le verre de la personne en expérience : il faut donc que l'eau se soit chargée de la sensibilité extériorisée. Cette sensibilité peut persister assez longtemps dans les corps qui en sont chargés : « J'ai sensibilisé, dit M. de Rocha*, une dissolution saturée d'hyposulfite de soude en la plaçant à la portée du bras de L... endormie et extériorisée. Le sujet étant réveillé, un aide a déterminé, a son insu, la cristallisation, et au même instant, le bras de L... s'est contracture, lui faisant éprouver de violentes douleurs. C'était prévu ; mais ce qui l'était moins, c'est qu'une douzaine de jours après, quand j'enfonçai la pointe d'un poignard dans le ballon qui contenait l'hyposulfite cristallisé, un cri retentit dans la pièce voisine oit L.... ignorant ce que je faisais, causait avec d'autres personnes : elle avait ressenti le coup, probablement au bras; mais, ne m'occupant pas alors du phénomène de la localisation des .sensations, je ne pensai pas a le lui demander ».

« J'essayai, dit encore M. de Rochas, si la cire ne jouirait pas comme l'eau de la propriété d'emmagasiner la sensibilité, et je reconnus qu'elle la possédait au plus haut degré, ainsi que d'antres substances, comme le cold-cream et le velours.

« Une petite statuette, confectionnée avec de la arc à modeler et sensibilisée par un séjour de quelques instants en face et i une petite distance d'un sujet extériorisé, transmettait à ce sujet la sensation des piqûres dont je la perçais, vers le haut du corps si je piquais la statuette à la tète, vers le bas si je la piquais aux pieds.

c Cependant, je parvins à localiser exactement la sensation, en implantant dans la tête de la figurine, une mèche de cheveux coupée à la nuque du sujet pendant son sommeil.

« M. X... ayant alors emporté la statuette ainsi préparée, derrière an bureau où nous ne pouvions la voir, ni le sujet ni moi, je réveillai le sujet qui, sans quitter sa place, se mit à causer jusqu au moment où, se retournant brusquement et portant la main derrière sa tète, il demanda en riant qui lui tirait les cheveux, au moment précis où M. X... avait, à son insu, arraché les cheveux de la statuette ».

Si l'on remplace la statuette par une plaque photographique sur laquelle on reproduit ensuite l'image du sujet, chaque fois qu'on touche la photographie, l'individu le sent. Voici un fait de cette nature raconté par Sicard de Plauzolles (1). « Une troisième plaque, qui, avant d être placée dans l'appareil photographique, avait été fortement chargée de la sensibilité du sujet endormi et extériorisé, a donné une photographie présentant un rapport complet de sensibilité avec lui. Chaque fois que M. de Rochas touchait l'image, le sujet endormi sentait le contact précisément au point du corps correspondant au point touché de la photographie. M. de Rochas prit une épingle et égratigna deux fois la plaque sur l'image de la main du sujet : celui-ci s'évanouit, quand il fut réveillé, la main présentait deux stigmates rouges.

Nous avons essayé de reproduire ces phénomènes chez nos sujets : pour exposer les résultais obtenus, nous devons envisager successivement deux formes différentes de pseudo-extériorisation de la sensibilité, la pseudo-extériorisation spontanée et la pseudo-extériorisation artificielle.

1° Pseudo-extériorisation spontanée. — Collette H.... de l'observation XIII, a présenté, ainsi que nous l'avons dit, trois étals distincts : somnambulisme, état cataleptique les yeux fermés et état cataleptique les yeux ouverts. Dam l'état somnambolique. Collette présentait, dès la première séance, les phénomènes suivants : la sensibilité était complètement absente ; si au lieu de piquer dans la peau, on piquait à plusieurs reprises dans l'athraosphère, à une distance de un à deux centimètres, la malade interrogée indiquait parfaitement l'endroit exact où l'on opérait, si l'on piquait à une distance plus grande, elle ne ressentait rien.

Ayant constaté ce premier point, nous avons voulu essayer de charger une statuette de cire ou un verre d'eau de cette sensibilité': une statuette de cire étant placée dans la main de Collette, nous piquons cette statuette à l'aide d'une épingle, la malade ne ressent rien, si nous pratiquons la même expérience en plaçant la poupée sur la poitrine de la malade, elle ne ressent pas davantage la piqûre : ri nous piquons la

(1) Sicard de Plauzolles : les expériences du D Luys et de XI. de Rochas sur l'exté-iorisation de la sensibilité (Ann, de Psychiâtrie, 1893, n° 2.)

figurine après l'avoir enlevée du contact de Collette, aucune sensation n'est non plus perçue.

Avec des plaques photographiques, nous n'avons rien obtenu; celles-ci, étant appliquées au contact du sujet extériorisé et, reproduisant ensuite l'image de ce dernier, n'ont pas présenté les particularités qu'ont observé de Rochas et Luys.

Ces expériences, faites sans parti-pris, car nous avouons n'avoir pas cru jusqu'ici à ces phénomènes prouvant que, cites certains sujets spéciaux, il y a un semblant d'extériorisation de la sensibilité, existant spontanément pendant le sommeil hypnotique.

Nous ne pouvons être aussi affirmatif que de Rochas, qui semble dire que l'extériorisation de !a sensibilité est la règle chez les sujets en état somnambulique. Quant à la possibilité de charger un corps de la sensibilité de la personne extériorisée, nous ne pourrons l'admettre que lorsque nous serons parvenu à le reproduire chez un sujet non habitué aux manœuvres hypnotiques. Le doute persiste en notre esprit à cet égard, mais nous espérons, si le fait existe réellement, pouvoir bientôt nous en assurer d'une manière indéniable.

2° Pseudo-extériorisation artificielle. — Nous avons appelé pseudo-extériorisation spontanée, celle qui se manifeste d'elle-même, sans suggestion aucune; pour mettre les expérimentateurs à l'abri de toute cause d'erreur, nous allons montrer que l'on peut produire par suggestion une pseudo-extériorisation artificielle, absolument semblable à la précédente. Joséphine D.... de l'observation XII, présente trois états distincts : état somnambulique, état cataleptoïde les yeux fermés et état cataleptoïde les yeux ouverts : dans ces trois états, la malade reste en communication avec le monde extérieur.

La première fois que nous atons hypnotisé Joséphine, elle ne présentait aucun phénomène d'extériorisation de la sensibilité; comme elle est très intelligente, nous lui disons : « Ecoutez bien : votre sensibilité, au lieu d'être sur votre peau, sera maintenant au-dessus de votre peau, de telle sorte que quand je piquerai la peau, vous continuerez à ne rien sentir et quand, au contraire, je piquerai dans l'air qui se trouve au-dessus de la peau, vous sentirez. Est-ce bien compris? » La malade nous répond affirmativement et aussitôt elle présente une extériorisation de la sensibilité aussi développée que celle de Collette.

Si nous lui plaçons la figurine de cire en mains, elle ne sent pas quand nous piquons dans la cire, à la poitrine. les résultats sont les mêmes : avec un verre d'eau, les phénomènes sont semblables. Comme précédemment aussi, si nous enlevons l'objet de la zone sensible, le sujet ne ressent pas les piqûres.

Avec des plaques photographiques sensibilisées, les résultats ont été aussi négatifs.

Ces phénomènes se sont reproduits chaque fois que nous avons hypnotisé la malade, sans nouvelle suggestion. Cette pseudo-extériorisation artificielle de la sensibilité n'a pu être reproduite chez aucun autre sujet, il faut donc admettre une particularité individuelle, comme pour la pseudo-extériorisation spontanée.

Nous conclurons donc que chez certains sujets spéciaux on peut produire, par suggestion, une pseudo-extériorisation artificielle de la sensibilité en tout semblable à la pseudo-extériorisaiion spontanée;

Nous avons à dessein appelé pseudo-extériorisation ce que de Hochas appelle extériorisation, parce que nous croyons que ces phénomènes doivent être expliqués tout autrement qu'on ne l'a fait jusqu'à présent, Ce qui parait surnaturel pourrait bien n'être qu'un phénomène physique très simple, tel que : vibration de l'air, température de l'objet approché du corps, etc. Ceci ne peut encore être expliqué scientifiquement, ce n'est pas une raison pour croire aussitôt au surnaturel.

DE LA SIMULATION HYSTÉRIQUE

Par le Dr Paul JOIRE (de Lille).

Avant d'aborder l'étude de la simulation hystérique et pour éviter toute confusion. nous allons dire quelques mots de la simulation de l'hystérie, qui doit être bien différenciée de la première.

En effet, la simulation de l'hystérie est une simulation vulgaire, elle ressortit à l'élude de la simulation en général et non à celle de l'hystérie.

On simule l'hystérie comme on simule l'épilepsie. comme on simule toute autre maladie, dans un intérêt déterminé. La simulation, dans ce cas, est un sujet bien portant, ou tout au moins qui n'est pas atteiot de l'affection dont il veut se servir, soit pour émouvoir, soit pour obtenir un résultat quelconque, La plupart du temps, le but poursuivi par la simulation est facile à découvrir: il s'agit, ou d'obtenir un avantage auquel peut donner droit, d'une façon quelconque, la maladie simulée, ou d'éviter par son moyen un assujettissement ou une charge qui se trouve incompatible avec elle. C'est ce qu'on observe, par exemple, dans le cas le plus fréquent, chez les conscrits ou les soldais en activité de service qui cherchent, par la simulation, à se faire exempter du service militaire ou a obtenir des congés de convalescence ou de réforme.

Autrefois, il était assez difficile, en particulier, de déjouer la simulation de l'hystérie, à cause précisément de la variété infinie des formes de cette

maladie; mais il faut ajouter que, plus que tous autres, les symptômes présentés donnaient prise à la défiance et il y eut peut-être plus d'hystériques vrais qui furent pris pour des simulateurs, que de simulateurs ayant réussi à se faire passer pour hystériques. Actuellement, depuis les travaux récents qui nous ont si bien fait connaître les stigmates et les symptômes propres de la grande névrose, on peut dire que la simulation n'est plus guère possible et peut être facilement déjouée.

Bien différent de celle-là est la simulation hystérique, ou, si l'on veut, simulation chez les hystériques.

Ici, le simulateur est véritablement malade, il est toujours hystérique. Ce n'est pas à dire pour cela que le champ de la simulation en soit pour beaucoup rétréci, car l'hystérique simulateur peut tout simuler, même les affections les plus étrangères à sa maladie propre.

11 y a pourtant une fréquence plus grande et une certaine prédilection de la part des hystériques pour quelques simulations particulières : ces simulations sont celles qui consistent à reproduire des symptômes qui se présentent quelquefois dans Leur affection, ou à exagérer ceux dont ils peuvent présenter quelque trace.

Nous pourrions dans ce classement mettre en première ligne les symptômes d'ordre sensitif : douleurs, impressions morales, etc. Ces simulations, qui se font sans beaucoup d'éclat et sont souvent acceptées pour véritables, sont certainement les plus fréquentes, soit à l'état de production purement fantaisiste et artificielle, soit à l'état d'exagération notable d'un symptôme vrai mais fort peu accusé.

Après ceux-ci. nous pourrions mettre en seconde ligne les symptômes de l'ordre sensoriel. Ici, le fait est beaucoup plus éclatant et ne peut, en aucune façon, passer inaperçu au milieu des caractères vrais de la maladie que peut présenter le sujet. La surdité, le mutisme, l'aphonie, l'amaurose se rencontrent également comme manifestations vraies de la grande névrose, et ont été bien souvent aussi simulés par les hystériques.

Après ces simulations de symptômes à grand éclat, nous placerions les manifestations d'ordre moteur, telles que les paralysies, les contractures diverses et les phénomènes qui sont sous leur dépendance.

Enfin, après ces symptômes habituels de la maladie, viennent une foule de simulations diverses, s'éloignant plus ou moins de tout ce qui peut se rattacher à la névrose, et variées à l'infini, autant que les idées extravagantes peuvent se présenter à l'imagination de ces malades.

C'est ici que nous voyons défiler la longue série de la simulation de toutes les maladies imaginables les plus hétérogènes, mais parmi lesquelles reviennent toutefois, le plus souvent, celles qui présentent un certain éclat extérieur, qui offrent des crises violentes, effrayantes ou capables d'émouvoir la sensibilité, que d'une façon quelconque frappent l'imagination, ou qui ont impressionné vivement le sujet lui-même, soit par un fait dont il a été témoin, soit par les recitó qu'on a pu lui faire.

Nous trouvons un élément très important du diagnostic de la simulation hystérique dans la recherche même des motifs de cette simulation.

Pourquoi l'hystérique simule-t-elle un symptôme, une lésion, une crise ou une affection quelconque? Alors que nous avons vu que, chez les simulateurs ordinaires, nous trouvons un intérêt, une crainte ou la recherche d'un avantage, toujours à la source de la simulation, ces motifs n'existent pas chez les hystériques. Sans doute, il pourra se faire quelquefois qu'un iutérèi quelconque du sujet coïncide, plus ou moins exactement, avec ce que peut résulter pour lui de l'affection simulée, mais ce cas sera exceptionnel, ou du moins il n'est pas prémédité ni préparé en aucune façon. L'hystérique simule pour cette raison qu'elle est hystérique. C'est dans l'état mental, qui résulte de sa maladie et qui eu est une des caractéristiques principales, qu'il faut chercher et que l'on trouvera toujours la cause déterminante de sa simulation.

L'hystérique est essentiellement menteuse, mais il ne faut pas croire, comme on le dit quelquefois, qu'elle ment pour le plaisir de mentir; elle ment par nécessité, ou il serait plus exact de dire par fatalité. Son penchant au mensonge est le fait de son affection, au même titre que les anomalies que présentent sa sensibilité ou les organes des sens.

Quoi qu'il eu soit, c'est avec une habileté extraordinaire et sur un luxe de détails d'une apparence absolument vraisemblable, que les hystériques appuient leurs mensonges ou la simulation. On en a vu tromper ainsi non seulement leur famille, mais les médecins et les tribunaux, qui se laissaient prendre à l'art inoui avec lequel elles soutenaient leurs mensonges.

En effet, tant que l'on n'a pas l'idée de chercher ce qu'il peut y avoir de simulation dans le cas donné, il est d'autant plus difficile de dévoiler leur imposture que l'on ne comprend pas le but qu'elles se proposent.

M. Bréuardel cite l'histoire d'une jeune fille de bonne famille qui racontait qu'elle avait été obligée, pour se débarrasser d'un monsieur, aux environs de Bougival, de lui donner un coup de couteau (et elle montrait le couteau sanglant) et de le précipiter dans la Seine. Toutes les recherches étant restées infructueuses, pour retrouver le cadavre, elle finit par avouer que son récit était un conte.

Une autre disait avoir été l'objet d'une attaque en wagon et présentait eu effet une toute petite plaie au-dessous de la mamelle gauche. Le magistrat chargé de l'enquête était très défiant à cause de la mine de la victime, lorsqu'il découvrit que le couteau, abandonné par l'assassin et qui n'offrait aucun nom de marchand, avait été vendu un mois avant à la victime elle-même.

Rappelons encore ce fait signalé par Lasègue : Une jeune fille de bonne famille se plaint d'avoir été violée et elle désigne comme coupable un personnage très en vue. L'affaire menaçait de faire un très gros scandale. Le juge d'instruction avait accepté les dires de la victime, la police commençait à se remuer, lorsque Lasègue, chargé d'examiner la jeuue fille, découvrit tout simplement qu'elle était vierge.

Si ces exemples célèbres montrent l'habileté avec laquelle les hystériques

peuvent soutenir leurs mensonges et leurs simulations, dans 1* cours ordinaire de la vie, elles ne mentent pas moins pour des choses de peu d'importance, par suite du même penchant maladif.

Ce qui prouve bien que le mensonge et la simulation sont dus, chez elles, à une influence morbide et à un penchant irrésistible, c'est que l'éducation, les considérations morales ou les menaces n'ont pour ainsi dire pas de prise sur celle aberration mentale.

On peut donc dire, ce qui au premier abord peut sembler paradoxal, que l'hystérique, dans ses mensonges ou ses simulations, le plus souvent manque non de sincérité mais de véracité.

Nous avons connu nombre d'hystériques qui, pour rien au monde, n'auraient voulu commettre une imposture, et qui pourtant, à chaque instant, pouvaient être prises en flagrant délit de mensonge. C'est que l'hyslérique, quand elle ne peut pas ou ne veut pas mentir aux autres, se ment à elle-même; elle se représente les choses les plus fausses, soit comme les ayant vues, soit comme les ayant entendues ou apprises de quelque façon, et, une fois bien persuadée elle-même de son mensonge, elle le débite avec toute la sincérité possible.

Il en est de même pour la simulation ; et où le point très délicat est de déterminer les limites de ce qu'a pu produire, dans chaque cas en particulier, l'auto-suggeslion inconsciente. En effet, de même que les hystériques peuvent tromper sans mentir, elles peuvent simuler sans le savoir; et la simulation primitive peut su bout d'un certain temps devenir une réalité, par le fait d'une auto-suggestion. Nous verrons tout à l'heure comment ou peut déterminer ces différents cas.

Il ne faudrait pas croire qu'il est très facile de déceler la simulation chez les hystériques. Prenons en effet le cas le plus flagrant : nous avons affaire à une hystérique qui simule un symptôme ou une affection qui se rencontre souvent dans la grande névrose. L'examen le plus élémentaire du sujet démontrera qu'il est vraiment hystérique; mais par ce fait même, il pourrait présenter réellement le syndrosne qu'il simule.

De plus, l'hystérique est généralement douée d'une certaine dose d'intelligence el surtout d'une grande perspicacité; le fait qu'elle simule ne lui est pas étranger, elle en a vu des exemples, elle en a lu la description ou en a entendu le récit. Dans tous les cas, la malade s'attachera avec le plus grand soin à le reproduire aussi exactement que possible, el de fait, elle y arrivera le plus souvent, à tel point que ce n'est pas par des défauts de détails que nous arriverons à découvrir qu'il y a simulation.

Ajoutons, pour plus de difficulté encore, que la plupart du temps, les manifestations hystériques fonctionnelles n'existent pas en tant que troubles organiques matériels; elles ne résident ni dans l'organe, ni dans une de ses parties ; elles sont localisées uniquement dans le centre nerveux cérébral, ce sont des manifestations psychiques. Comment après cela les différencier d'une simulation bien faite. Prenons, par exemple une hystérique qui simule la surdité. Nous pouvons prouver que le sujet est hystérique ; nous pouvons

constater, autant qu'il est possible, par l'examen direct, que l'organe de l'ouïe ne présente aucune lésion. Tout cela se retrouverait, tout à la fois, dans un cas de véritable surdité hystérique et dans la simulation de cette surdité. Si nous prenons pour exemple Inmaurose hystérique, la difficulté sera encore plus grande: comme les autres anesthésies sensitivo-sensonilles des hystériques, elle est purement psychique. Le sujet voit avec sa rétine : il voit avec son cerveau ; la rétine reçoit l'impression, le centre cortical visuel la perçoit. Mais l'hystérique neutralise l'image inconsciemment avec son imagination ; il ne voit pas avec les yeux et l'esprit, il se fait une illusion négative ou destructive des impressions perçues, il ne sait pas qu'il voit.

On connaît l'expérience de M. Bernheim sur une hystérique présentant de l'amaurose de l'œil gauche, par laquelle il démontre que celle cécité était purement psychique. Il met à sa malade des lunettes ayant un verre muge et un verre vert, et lui fait lire sur un cadre six lettres imprimées sur des verres alternativement verts et rouges.

On sait que si avec un verre rouge on regarde un verre vert par transparence, on ne distingue rien, le vert et le rouge mélanges donnant du noir, En effet, les hystériques de M. Bernheim. lisant de l'œil droit seul (le gauche-étant fermé} avec le verre rouge, ne voyaient que les lettres sur un verre rouge et non les vertes : mais, si on leur laissait les deux yeux ouverts, elles lisaient couramment toutes les lettres sur verre rouge et sur verre vert ; elles lisaient ce qu'elles étaient censées ne pas voir et qu'elles voyaient à leur insu et d'une façon inconsciente.

Cet appareil et celte expérience servent communément à déjouer les amau-roses simulées; pourtant il eut été absolument faux de mettre sur le compte de la simulation l'amaurose de la malade de M. Bernheim.

J'ai pu de môme démontrer par une expérience inédite que les hallucinations suggérées chez les hypnotisées, sont, dans certains cas, également purement psychiques. Je dis dans certains cas, car je crois pouvoir bientôt démontrer que dans un certain nombre de cas, les hallucinations peuvent affecter d'une manière réelle l'organe sensoriel. Quoi qu'il eu soit, voici l'expérience que j'ai faite : Je suggère à uue de mes hypnotisées, pendant le sommeil provoqué, que son nom (elle se nomme Marie! est écrit sur une feuille de papier que j'ai eu soin de choisir bien blanc, ne présentant aucun signe visible et légèrement transparent. Lui ayant montré la feuille pendant qu'elle est eu état d'hypnotisme, je lui dis qu'elle y verra encore son nom écrit après son réveil. L'ayant réveillée, je place la feuille de papier comme je la lui ai présentée, contre la glace de la fenêtre, et lui dis de suivre avec un crayon le contour des lettres qu'elle y voit tracées. L'hallucination suggérée s'est produite, elle lit le mot Marie el trace avec son crayon les lettres marie. Toute celle première partie de l'expérience n'est qu'une preuve destinée à contrôler le résultat de la seconde partie.

J'endors de nouveau la malade et, lui montrant une autre feuille de papier exactement semblable à la première, je lui fais la même suggestion el recommence le tout exactement comme la première fois. Seulement en appliquant

le papier sur la fenêtre, j'ai soin, sans qu'elle puisse s'en apercevoir, de le placer à l'envers, c'est-à-dire, le côté qui est censé écrit contre la vitre. Je m'étais assuré au préalable, par moi-même, que si un mot était écrit au crayon sur un papier de cette nature, il apparaissait nettement, vu par transparence, dans la disposition d'éclairage que je Lui donne. Je donne donc encore l'ordre à la malade de suivre exactement avec le crayon les traits qu'elle aperçoit et voici les lettres qu'elle trace : eiram. Elle a donc bien tracé au rebours le mot qu'elle croyait voir, mais il est évident que si elle l'avait vu réellement par transparence, elle aurait aussi renversé chaque lettre, ce qu'elle n'a pas fait. Donc, elle a bien vu que le papier se trouvait retourné, comment le voit-elle? Par de ces détails imperceptibles, qui ne peuvent échapper à l'accuité anormalement exallée des sens chez les hypnotisées, mais que nous ne pouvons comprendre, car cette feuille de papier immaculée présente à l'examen le plus attentif deux faces absolument identiques. Mais, si elle voit le papier retourné, sa conviction psychique est bien que le mut qu'elle croit y voir tracé doit être, lui aussi, renversé ; aussi elle l'écrit en commençant par la dernière lettre; toutefois, l'itallucination n'est pas assez profonde pour que la main trace les lettres à l'envers. Nous savons tous qu'il y a une certaine difficulté, un effort à faire, pour tracer des lettres conttairemenl à l'habitude acquise, l'hallucination n'est pas assez forte pour vaincre celle difficulté, aussi elle s'arrête là et reste incomplète.

11 serait puéril d'objecter que dans ce cas il pourrait y avoir simulation de la part de l'hypnotisée; outre la démonstration que nous en donnerons tout à l'heure, le seul fait de reconnaitre que la feuille de papier blanc avait été retournée eut étè impossible en dehors d'un véritable éiat d'hypnotisme.

Nous allons voir combien diffère l'observation suivante que nous devons à l'obligeance de M. le professeur Lemoine qui a bien voulu nous la laisser prendre dans son service. Nous la donnerons comme type de simulation hystérique, et elle nous permettra de démontrer comment on peut découvrir cette simulation.

Une jeune fille de dix-huit ans est amenée à l'hôpital pour une contracture des mâchoires.

Comme antécédents héréditaires nous ne trouvons rien de spécial. La malade elle-même n'a jamais eu de maladie sérieuse avant celle qui a amené les phénomènes que nous observons.

Réglée à quatorze ans. la menstruation a toujours été régulière, mais c'est de celte époque que date la maladie qui l'amène aujourd'hui à 1 hôpital.

Elle eut d'abord plusieurs crises nerveuses, dans lesquelles elle ne perdait pas complètement connaissance et pouvait encore répondre aux questions qu'on lui adressait. Ces attaques augmentèrent de fréquence pendant trois mois et elle en eul jusqu'à plusieurs par jour.

Elle fut ensuite atteinte de paralysie du bras droit accompagnée de contracture. Le bras était dans la rectitude et ne pouvait étre fléchi ; il était complètement insensible et ne pouvait exécuter le moindre mouvement.

Celle paralysie dura un mois et demi et disparut, dit-on, sous l'influence de l'électricité.

Rien de nouveau ne se produisit jusqu'il y a six mois, époque à laquelle elle eut une attaque, et, à la suite, le bras et la jambe du côté droit restèrent paralysés.

Cette paralysie dura quatre mois. Le bras était toujours dans l'extension: les doigts élaieul fléchis dans la paume delà main. Le bras guérit le premier, mais la jambe ne guérit qu'incomplètement ; elle la traîne toujours un peu.

Depuis quatre mois, elle est atteinte de contracture des mâchoires ; elle ne peut manger d'aliments solides ; on ne pouvait lui faire avaler que des liquides el le médecin qui la soignait lui faisait des injections de morphine pour faciliter l'écartement des mâchoires. Cette contracture a persisté depuis quatre mois sans jamais diminuer d'intensité.

A l'examen de la malade, on constate que le réflexe cornion est conservé; on ne peut naturellement rechercher le réflexe pharyngien à cause du tris-mus des mâchoires.

Elle a le clou hystérique et accuse la sensation de la boule ; le point mammaire existe, mais on ne trouve pas d'hypéresthésie épineuse ni de sensibilité ovarienne.

Au point de vue de la sensibilité cutanée, on constate que la face interne de la jambe droite est complètement aneslhésiée, ainsi que la face externe de la cuisse, tandis que la sensibilité reste intacte sur la face externe de la jambe et la face interne de la cuisse.

La sensibilité est normale au membre inférieur gauche et aux deux membres supérieurs.

Il résulte, sans contestation, de cet examen, que la malade est bien hystérique; sur ce point pas de difficulté. Mais la contracture de la mâchoire est-elle une manifestation de la névrose ? Il y a-t-il chez elle une contracture vraie ou de la simulation?

Si l'on se contente d'examiner le symptôme présenté, il est absolument impossible d'en faire le diagnostic. Rien, absolument rien dans la contracture des mâchoires ne diffère de ce que serait une contracture vraie.

Mais, si nous considérons la marche el le développement de son affection ; si nous considérons surtout l'aspect général et l'ensemble de la malade, la manière dont elle réagit aux différents modes d'exploration que nous pourrons employer à son égard, nous ne larderons pas à nous convaincre que nous avons affaire à une hystérique simulatrice. Nous trouverons alors dans les procédés hypnotiques un critérium certain qui viendra confirmer notre conviction, et enfin, la terminaison, comme nous allons le voir, en apportera la preuve absolue.

Je ne veux pas m'apesantir sur les phénomènes qui ont précédé celui pour lequel la malade entre à l'hôpital, mais j'avoue que cette contracture du bras, qui dure un mois et demi et qui guérit sous l'influence de l'électricité, ne m'inspire pas grande créance. Ce n'est pas Là l'allure d'une contracture hystérique vraie, ni la manière dont elle guérit. L'éleclrisation peut agir de trois

manières sur une contracture hystérique Traie. Ou bien elle produira une guérison d'emblée, subite, en une seule application, et dans ce cas c'est par le mécanisme de l'auto-suggestion qu'elle agit. Ou bien elle amènera la guérison en plusieurs séances, au bout d'un temps plus ou moins long. Dans ce dernier cas, c'est par l'intermédiaire du phénomène du transfert qu'elle agira et chaque application, au début surfont, sera marquée par un phénomène nouveau ; modification importante et qu'il est absolument impossible de laisser passer inaperçue. Dans le récit de cette partie de l'observation il n*a été nullement question de ces phénomènes de transfert ; nous pouvons donc en conclure qu'ils n'ont pas existé. Dans un troisième ordre de faits, l'électricité agit sur la contracture hystérique, non plus pour la guérir, mais pour réparer seulement les désordres qu'elle a produit. Dans ces cas. la cause qui a produit la contracture a déjà disparu, la contracture en elle-même, lorsque l'on fait l'application de l'électricité, a été guérie par suggestion, par transfert, ou a disparu spontanément ; mais la contractilité n'est pas revenue dans ces fibres musculaires qui ne sont plus paralysées ou contracturées mais sou» encore inertes ou ont été atrophiées. C'est alors, pour ramener la conlractilité. pour faire disparaître l'atrophie, que l'électricité peut dans ces cas agir efficacement. C'est donc de la même façon qu'après toute autre paralysie, pour quelque cause que ce soit, et avec la même lenteur que l'effet se produira.

La seconde attaque de paralysie, dans le cas actuel, présente moins d'invraisemblance ; mais comme nous manquons de détails nous ne ht jugerons pas.

Arrivons maintenant à cette contracture de la mâchoire, qui est ici en cause. Au moment où nous l'examinons, rien, disions-nous, ne la différencie d'une contracture vraie ; mais dans les commémorai ifs, nous trouvons encore quelque chose d'équivoque. On nous dit que par des injections de morphine on facilitait l'écartement des mâchoires pour la faire manger. Comment donc agissait celte injection sur une contracture hystérique? Par suggestion? Elle eut dû, dans ce ens, amener la guérison d'emblée et totalement. Si ce n'était ainsi, elle ne devait en aucune façon modifier la violence de la contracture. Celte circonstance ne cadre donc pas non plus avec ce que nous savons des contractures hystériques.

Il nous restait a . ... la preuve palpable que nous avion* réellement affaire à une hystérique simulatrice, et que la contracture de la mâchoire, le phénomène objectif actuel, était bien un symptôme simulé. L'hypnotisa lion et la terminaison de la maladie ont complété cette démonstration.

Nous taisons donc placer celte malade devant le miroir hypnotique, en suivant les régies ordinaires pour l'hypnotisation des hystériques. Le premier moment de curiosité, provoque chez la malade par la vue de cet appareil nouveau pour elle, une fois passé, nous pouvons remarquer qu'elle ne réagit pas devant l'objet fascinaleur comme les autres malades. Il est clair, pour un uni exercé, qu'elle ne s'abandonne pas, son regard n'est pas attire par les points lumineux, elle n'est pas fascinée car elle conserve sa volonté.

volonté de résistance. Ne laissant rien paraître de cette remarqua que nous faisons, nous continuons à l'observer. Bientôt elle ferme les yeux et semble se laisser aller avec mollesse, comme une personne qui s'assoupit.

Il était évident pour nous qu'elle simulait le sommeil ; mais ceux d'entre les témoins de cette scène qui n'avaient pas une grande habitude de l'hypnotisme la croyaient endormie. Aussi nous nous hâtons de leur faire faire le diagnostic de ce sommeil simulé. Saisissant le bras de la malade, nous retendons de manière à provoquer la rigidité catalepliforme. Elle laisse aller son bras et le maintient étendu, croyant qu'il faut le faire ainsi ; mais il n'a rien de cette rigidité spéciale aux hypnotisés. Peu à peu son membre se fatigue, on observe des secousses fibrillaires dans les muscles, la main s'abaisse peu à peu, et lorsqu'elle s'en aperçoit, elle fait un effort volontaire pour le maintenir et le relever.

Enfin, comme preuve plus importante et définitive, nous expérimentons l'hyperexcitabilité neuro-musculaire. Lui ayant de nouveau saisi et ramené à nous le bras, nous excitons, par une pression légère et au moyen de petits coups répétés, les tendons et les nerfs de l'avant-bras. Comme nous l'avions prévu, nous n'observons aucune réaction; la main retombe inerte ou reste maintenue dans l'état où nous l'avons placée, mais les nerfs et les tendons touchés ne donnent pas à l'excitation leur réaction spéciale.

La preuve éuit amplement faite. Nous disons à la malade d'ouvrir lesyeux et son prétendu réveil ne présenta naturellement pas plus que son sommeil les caractères de l'hypnotisme vrai.

Pour terminer cette observation, ajoutons que. la nuit suivante, la malade simula une attaque d'hystérie ; elle simula quelques mouvements convulsifs et se jeu au bas de son lit. I,e lendemain, le tremens avait disparu. On la mit alors aux douches, et au bout de peu de temps, la parésie du membre inférieur disparut aussi.

Celte observation nous prouve encore que l'hypnotisme peut servir, non pas seulement à guérir les symptômes réels présentés par les hystériques, mais encore à démêler ce qu'il peut y avoir d'artificiel dans les manifesta-lions de la névrose qu'ils offrent à notre observation, et a déjouer la simulation.

Nous sommes loin, comme on le voit, de ces esprits timides et craintifs qui prétendaient qu'il n'y avait dans l'hypnotisme que simulation de la part du sujet et duperie pour l'observateur.

L'existence de plusieurs états hypnotiques différents, les règles auxquels sont soumis ces différents états et leur symptomalologie spéciale, peuvent donner une base scientifique certaine aux expérimentateurs et les mettre à l'abri des supercheries de la fantaisie et du caprice.

Dans l'étal léthargique, par exemple, le phénomène désigné par M. Charcot sous le nom d'hyperexcitabilité neuro-musculaire, est un fait objectif des plus saisissants, des plus faciles à mettre en évidence. Ce phénomène consiste sommairement dans l'aptitude qu'acquièrent les muscles de la vie animale à entrer en contracture sous l'influence d'une simple excitation mécanique.

L'excitation peut être portée d'ailleurs sur le tendon, sur. le muscle lui-même ou encore sur le nerf dont il est tributaire; le résultat est identique. Il suffit d'exciter le muscle au travers de la peau, soit en pressant, en percutant ou en frottant, même légèrement, pour provoquer sa contraction à la façon de ce qui a lieu dans l'électrisation localisée. La contraction du muscle sur les membres persiste après l'excitation, pour peu que celle-ci soit un peu forte et un peu prolongée, et se transforme facilement en contraction permanente.

Tous les muscles sont susceptibles de se contracter ainsi, et, suivant la durée et l'intensité de l'excitation, on obtient à volonté une contraction ou une contracture. La contracture ainsi provoquée est très énergique, elle résiste même aux efforts violents; elle peut persister pendant des journées entières, telle quelle, après le réveil. Mais, tant que dure l'état léthargique, on la (ait céder presque instantanément en portant l'excitation sur les antago nistes des membres contractures.

Il faut encore savoir que ceci s'applique d'une façon générale aux muscles des membres, du tronc et du cou. A la face, au contraire, et c'est la un fait digne de remarque, parce qu'il correspond vraisemblablement à une différence physiologique jusqu'ici restée inaperçue, les excitations mécaniques, portées soit sur les muscles eux-mêmes, soit sur le trajet du nerf facial, déterminent, non pas une contracture durable, mais une simple contraction qui s'efface dès que l'excitation a cessé.

Daus l'état somnambulique, au contraire, Fhyperexcilabilité neuro-musculaire telle qu'elle vient d'être définie n'existe pas, c'est-à-dire que l'excitation des nerfs, des muscles, ou la percussion des tendons ne détermine pas de contracture. Mais, par contre, on peut, par diverses manœuvres, entre autres i l'aide de légers attouchements promenés à plusieurs reprises sur la surface d'un membre, ou encore a l'aide d'un souffle léger dirigé sur la peu, développer daus ce membre un état de rigidité qui diffère de la contracture liée à l'hyperexcitabilité neuro-musculaire. en ce qu'elle ne cède pas, comme celle-ci, a l'excitation mécanique des muscles antagonistes, tandis qu'elle cède, au contraire, en général très facilement, sous l'influence de ces mêmes excitations cutanées faibles qui l'ont fait naître.

La constatation de ces phénomènes, pour nous en tenir aux plus importants, peut être considérée comme une épreuve anatomo-physiologique qui met l'observateur a l'abri de toute crainte de simulation et d'intervention active de la part du sujet. On voudra bien en effet, je pense, reconnaître que l'anatomie et la physiologie si compliquées du système neuro-musculaire ne s'improvisent pas. Or, supposer que lu premier venu soit capable, par une mimique aussi savante qu'habile, de simuler, dès une première expérience, avec une précision absolument rigoureuse, sur plusieurs pointa du corps à la fois, l'action isolée ou combinée des muscles, ou encore les effets de l'excitation d'un tronc nerveux quelconque, pris au hasard, serait chose vraiment puérile.

Il est donc prouvé que le sommeil hypnotique n'est plus, comme certains

l'ont soutenu longtemps et le pensent peut-être encore, un caprice du hasard dans lequel l'observateur court risque de se laisser tromper par le sujet et serait livré aux caprices de la simulation.

La simulation, dont on parle tant lorsqu'il s'agit d'affections nerveuses sans lésions matérielles appréciables, n'est plus à craindre dans l'étal actuel de nos connaissances que pour les timides et les novices. Le médecin, véritablement expérimenté dans ces matières, saura dépister la fourberie partout où elle se produira et dégager des symptômes réels faisant foncièrement partie de la maladie les symplômes simulés que l'artifice des malades voudrait y surajouter.

SOCIÉTÉ D'HYPNOLOGIE

Séance du lundi 15 mai 1893. — Présidence de M. le Dr Dumontpallier.

Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté.

La correspondance comprend des lettres de M. le D' Bechterew, président de la Société des médecins neurologistes et aliénisies de l'Université de Kasan ; de M. le D- Jean Crocq ; de M. le Dr Paul Joirc ; de MM. les Drs Gelineau et Brémond. adressant le montant de leur cotisation pour l'année 1892-93.

La correspondance imprimée comprend la première livraison du Nevrolo-gitchesky Viestnick, de Kasan; du Zeitschrift fur hypnotismus (Dr Grossmann); l'Hypnotismo (Dr Olinto del Torto); le Bulletin of psychologique section of the medico-legal society of New-York; (Clark Bell.). Chacun de ces journaux contient d'importantes contributions à l'étude de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

M. le président met aux voix la candidature de M. le Dr Jean Crocq, de Bruxelles, présenté par MM. Dumontpallier et Bérillon. Cette candidature est adoptée a l'unanimité.

M. le secrétaire général rappelle que la séance annuelle de la Société aura lieu le lundi 17 juillet et qu'elle fera suivie, comme les années précédentes, d'un banquet. Il exprime l'espoir qu'un certain nombre de membres de la Société qui résident en province et à l'étranger viendront, ainsi qu'ils l'ont toujours fait, prendre part aux travaux de la séance annuelle. Il les invite à lut faire parvenir à l'avance, autant que possible, les titres de leurs communications et leur adhésion au banquet.

Les neurasthéniques et la suggestion. — Agoraphobie traitée avec succès par la suggestion,

Par M. le Dr Antoine MAVROUKAKIS.

Parmi les nombreuses observations que j'ai recueillies a la clinique de mon maître, M. le Dr Bérillon, l'une d'elles me parait présenter un assez grand intérêt, car c'est celle d'un neurasthénique cérébral présentant de l'agoraphobie.

Mais avant de faire celle communication, je veux, en quelques mots, présenter les remarques que j'ai pu faire sur les neurasthéniques, étudiés au point de vue de la suggestion thérapeutique.

Divers auteurs ont émis l'opinion que les neurasthéniques sont moins hypnotisables et moins suggestibles que les autres personnes. M. le Dr Bérillon, Mme le D'de Mezeray et moi nous avons eu à maintes reprises l'occasion de constater le contraire. Parmi le grand nombre des neurasthéniques que nous avons eu l'occasion de traiter il n'y en a que deux ou trois qui se sont montrés refractaires à l'hypnotisme, tous les autres ont dormi d un sommeil assez profond pour que leur cerveau pût recevoir la suggestion thérapeutique avec la même facilité que tout autre individu, et cela, sinon après la première séance, mais du moins toujours avant la sixième. Il est certain, en effet, qu'en général le neurasthénique montre une certaine résistance pendant la première, la seconde ou la troisième séance, mais vers la quatrième ou la cinquième il cède, ne pouvant plus résister au besoin du sommeil, d'où il faut conclure qu'il n'est pas plus réfractaire que les autres.

Sa résistance peut être attribuée à la nature même de la maladie. Un neurasthénique ne peut pas fixer son attention, ne peut pas concenter toute sa pensée par l'idée du sommeil. D'un coté, le moindre bruit peut le distraire, et de l'autre son esprit est tellement préoccupé de son idée morbide qu'il ne peut l'en détacher et porter son attention sur l'idée du sommeil. Il se croit lui-même réfractaire, cl parmi les neurasthéniques il y a des individus qui ne veulent pas essayer la suggestion thérapeutique, persuadés qu'ils sont qu'ils ne pourront être endormis. D'autres individus sont empêchés de dormir par leur amour-propre. Ils se croiraient humiliés à la pensée de subir l'influence de quelqu'un.

Pour arriver à endormir un neurasthénique, pour vaincre sa résistance et obtenir un résultat thérapeutique, il faut beaucoup de patience, recourir à des suggestions verbales très actives et lui imposer une fixation du regard très intense pour détacher son attention de l'idée morbide. Quand le neurasthénique a été une fois endormi, il devient un bon sujet, surtout au point de vue thérapeutique.

Après ces considérations générales, je vais vous présenter le sujet qui les a surtout inspirées : Le malade Jules J..., photographe, est marie et Agé de soixante-quatre ans. Son père est mort d'une congestion cérébrale et sa mère d'une pneumonie. Il n'a pas d'antécédents héréditaires bien marqués. Une sœur du malade est nerveuse et a un caractère emporté. Le malade abuse du tabac et s'est livré à des excès vénériens dès l'âge de quatorze ans. A l'âge de dix ans il a eu la scarlatine et à la même époque il a perdu l'œil gauche par ophtalmie; ayant habité le Brésil, il y a été atteint de fièvre jaune. La sensibilité cutanée est normale. Il ne présente pas des signes physiques de dégénérescence. Pas de trouble de la vue, de l'ouïe, de l'odorat, du goût. Insomnies de temps en temps. Le sommeil a été troublé par des rêves dans lesquels il croyait avoir des relations avec sa mère, sa sœur et d'autres femmes proches parentes. Les réflexes rotuliens sont exagérés. Pas de troubles digestifs appréciables. Pas d'hallucinations. Caractère plutôt gai. Émotivité exagérée, il s'emporte facilement et souvent sans cause. Mémoire et volonté bonnes. Intelligence assez développée. Maux de tète par accès. Vertiges fréquents, peut-être liés i l'usage du tabac. Idées plutôt ambitieuses. Le malade a passé la plupart de sa vie au Brésil. La mort de sa femme et de son enfant lui ont causé beaucoup de chagrin ; à l'occasion

de cette dernière perle sa maladie s'est aggravée. Dès l'âge de dix ans il avait déjà des manies, la peur des couteaux, des ciseaux, etc., et chaque fois qu'il voyait les couteaux sur la table il sentait naître une anxiété. C'est ainsi qu'.à debuté: sa maladie. Peu à peu s peur- ont augmenté et bientôt après il n'osait plus se risquer à sortir tout seul dans la rue, faisant tout son possible pour être accompagné par quelqu'un, sans cependant se résoudre à avouer ses sensations parce qu'il en avait honte. En même temps il sentait naître en lui des impulsions. Ainsi, un jour qu'il voyageait sur un bateau à vapeur, en regardant l'eau il fut pris d'anxiété et d'une envie de se jeter à l'eau pour se suicider. Il lutta courageusement contre relie impulsion, mais il sentait que si, cinq minutes après, le bateau ne s'était pas arrêté, il n'aurait pu résister. Le malade pense que cette impulsion ne pouvait être attribuée à l'ardeur du soleil. Dès cette époque, il lui fut impossible de voyager tout seul. Il y a trente ans qu'il n'a pas fait un seul pas sans être accompagné par quelqu'un. « Je crains les dislances, dit le malade, je ne peux pas traverser les places, je ne peux pas marcher tout seul dans les rues, et se servant de l'expression de Legrand du Saulle : j'ai peur de la peur et cela m arrive même souvent en rêvant ». Le malade n'a pas peur du public. Sa maladie présente une particularité assez importante. Il n'ose pas sortir tout seul, car il craint, s'il lui arrive un accident quelconque, de n'avoir personne pour le soigner ou pour l'aider. Il craint l'inconnu. Se trouvant par exemple tout seul, il a peur, mais il retrouve son ancien courage dès qu'il aperçoit un ami. Il aime la société et bien rarement il cherche la solitude. Il y a encore quelque chose de curieux chez ce malade. II ne crainl pas les dangers. Il risque lotit. Si, par hasard, il voit un inecudie, il M jette dans le feu pour nauver les gens sans penser » sa propre existence. S'il voit un cheval tombé par terre, il désire le relever tout seul. Au Brésil il a soigné un grand nombre de malades atteints de la fièvre jaune sans rien craindre. Il est, en un mot, courageux. 11 est aussi doué d'une curiosité au plus haut degré. Il cherche à savoir et à expliquer tout. Il bavarde presque continuellement, mais il s'occupe aussi souvent de sa maladie. Il raisonne assez bien et souvent il se met encolère contre lui-même, a cause de cette peur d'avoir peur. J'ai essayé de l'endormir pour la première fois le 13 avril dernier. Je lui ai fait fixer les yeux pendant trois quarts d'heure et par une suggestion verbale assez énergique, j'ai pu détacher son a lient ion des idées morbides qui tourmentaient son cerveau et lui imposer le sommeil comme provenant de lui-même de sa propre volonté. Il tentait d'opposer à ma suggestion une résistance assez grande, il se frottait le» yeux comme pour chasser le sommeil et il répétait : « Je veux bien dormir mais je ne peux pas, je ne dormirai pas, j'en suis sûr et ça me contrarie énormément, etc. » Mais au bout de trois quarts d'heure une crise de larmes survint el quand elle fut terminée le malade se trouva être profondément endormi. Pendant son sommeil hypnotique, il eut trois crises de larmes; à la seconde séance il en eut seulement deux, à la troisième une seule et dès la quatrième les crises do pleurs avaient cessé. J'ai remarqué que quand une crise de larmes le prenait el que je lui disais qu'il fallait être raisonnable, la crise continuait dix minutes ou un quart d'heure, tandis que quand je lui disais : « Pleurez, ça vous soulagera, pleurez autant que vous voudrez, etc., » la crise cessait immédiatement, et par une suggestion opposée, pour ainsi dire, je

supprime ces crises apres son réveil. J'ai demandé au malade ce qui le faisait pleurer, s'il était ému par un rêve, un souvenir ou une anxiété ou autre chose, mais il n'a pas pu me renseigner.

J'ai appliqué les deux formes de la suggestion a l'état de veille et a l'état de sommeil hypnotique j'ai taché de stimuler un peu son amour-propre en lui répétant qu'il est très intelligent et que son cerveau est assez développé pour recevoir l'idée du sommeil. Et cela a parfaitement réussi. Au bout de quatre séances le malade a commencé de se sentir mieux et il a pu se promener une demi-heure tout seul et même traverser un quartier tout à fait inconnu pour lui. D'un jour a l'autre sa confiance augmentait et trois jours après il se promena seul pendant trois heures. Il est vrai qu'au bout d'une heure et demie la peur l'avait pris et qu'a un moment donné il avait cru qu'il ne pourrait pas retourner à pied chez lui, mais il lutta et il est arrivé à son but. Maintenant, presque tous les jours il sort tout seul trois ou quatre heures de suite et de temps en temps l'anxiété le prend, mais très atténuée et elle se passe immédiatement. II y a dix jours qu'il n pu voyager sur l'impériale du chemin de fer de Ceinture sans avoir peur et sans avoir l'impulsion de se jeter d'en haut, chose qu'il n'a pas obtenu depuis trente ans. Son émotivité est moins exagérée. Il traverse les [tiares, il va partout sans rien craindre.

Je crois qu'après une amélioration notable on peut bien espérer une complète, permanente et cela en peu de temps.

Pendant trente ans il a eu des impulsions, pendant trente ans il n'a pas ose sortir tout seul et ses obsessions étaient permanentes, et après treize séances hypnotiques, il sort, il traverse les places, il voyage sans avoir des impulsions, sans que la peur le prenne. Cela ne peut-il pas prouver que son amélioration n'est pas une rémission de sa maladie, mais qu'au contraire nous assistons à un des effets les plus frappants et les plus nets du traitement psychothérapique ?

Un cas de folie passagère par imitation inconsciente.

Par MM. BOIRAC et PUJADE.

J'ai l'houneur de communiquer à la Société d'Hypnologie une observation du Dr Pujade. maire d'Amelie-les-Bains (Pyrénées-Orientales), sur un cas de folie passagère par imitation inconsciente ou auto-suggestion.

« Un de mes administrés, m'écrit M. le Dr Pujade, qui, depuis plusieurs mois, était atteint de manie avec alternative de dépression et d'excitation, fut pris subitement de delire furieux et. comme il était dangereux pour la sécurité publique, je le fis conduire à Perpignan pour observation, et de la a l'asile d'aliénés de Linnona, où il est encore.

« Un de ses camarades, qui conservait quelque influence sur lui, l'accota-pagua à Perpignan. Au retour, vers les six heures du soir, le camarade donna a table des signes d'excitation et de trouble intellectuel. Ces troubles s'acceutuèrent rapidement et, au bout de quelques minutes, le nouvel aliène reproduisait exactement la stomatologie délirante de son ami : grimaces, menaces, tentatives de suicide, violences inouïes sur sou entourage. Une toute petite sœur pouvait seule calmer son grand frère.

« Je me contentai de faire surveiller le malade, affirmant à la famille que le lendemain il n'y paraitrait rien.

« Mon sujet se coucha à deux heures du matin, se réveilla tres courbaturé, très pâle, et remplit tant bien que mal ses occupations ordinaires, ignorant ce qui s'était passé. Il l'ignorera toujours. »

M. le Dr Pujade ajoute que le sujet est peintre en bâtiments et qu'il n'est pas un modèle de tempérance. Sa santé générale est parfaite ; il n'a jamais eu de coliques de plomb. Malgré ces apparences satisfaisantes, il ne serait pas impossible qu'un début de saturnisme et un léger degré d'alcoolisme ne fussent pas étrangers aux phénomènes bizarres qu'il a présentés pendant plusieurs heures.

CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE

Société d'hypnologie et de psychologie.

La Société d'hypnologie se réunira en séance ordinaire le lundi 19 juin, à quatre heures et demie précises, au palais des Sociétés savantes, 28. rue Serpente, sous la présidence de M. le Dr Dumontpallier :

1° Lectures et communications diverses.

2° Présentation de malades.

3° Vote sur l'admission de nouveaux membres.

Adresser les communications, à M. le Dr Bérillon, secrétaire général, rue de Rivoli, 40 bis.

Avis important. — Nous rappelons que la séance annuelle de la Société aura lieu le lundi 17 juillet, à quatre heures, et qu'elle sera suivie, comme les années précédentes, d'un banquet.

Enseignement de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Institut psycuo-physiologique de Paris, 49, rue Saint-André-des-Arts.— L'Institut psycho-physiologique de Paris, fondé en 1891 pour l'étude des applications cliniques, médico-légales et psychologiques de l'hypnotisme, et placé sous le patronage de savants et do professeurs autorises, es: destiné à fournir aux médecins et aux étudiants un enseignement pratique permanent sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique.

Une clinique de maladies nerveuses est annexée à l'Institut psycho-physiologique. Des consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis et samedis, de dix heures à midi. Les médecins et étudiants régulièrement inscrits sont admis à y assitster et sont exercé* à la pratique de la psychothérapie.

Pendant le semestre d'été 1392-93, des conférences seront faites le Jeudi, à dix heures et demie, par M. le Dr Bérillon, sur les applications de la suggestion à la pédagogie et à la pédiatrie.

M. le Dr J.-O. Jennings fera le samedi des démonstrations pratiques d'électro-physiologie.

Salpêtriêre. — Clinique des maladies nerveuses. M. le Dr Charcot : leçons le mardi, à 9 h. 1/2.

Maladies nerveuses et mentales- MM. Joffroy et Jules Voisin : le joudi et samedi de chaque semaine, à 9 h. 45.

Maladies mentales. M. Auguste Voisin, le dimanche, à 10 heures du matin.

Hospice de Bicètre. — Maladies des vieillards et maladies chroniques du système nerveux. M. Dejerine, le mercredi, à 10 heures.

Maladies mentales. M. Charpentier, le mercredi, à 8 h. 1/2.

Maladies nerveuses des enfants. M. Bourneville, le samedi, à 9 heures.

Faculté de médecine de Bobdeaux. — M. le D' Régis est chargé. Jusqu'à la fin de la présente année scolaire, d'un cours complémentaire des maladies mentales.

Faculté de médecine de Paris. — La chaire de clinique de pathologie mentale et des maladies de l'encéphale, à la Faculté de médecine de Paris est déclarée vacante.

La statue de Théophraste Renaudot.

C'est le 4 juin qu'a été inauguré en grande pompe le monument élevé à Théophraste Renaudot, dans la rue de Lutèce, entre le Palais-de-Justice et l'Hôtel-Dicu, qui est l'œuvre du grand sculpteur Alfred Boucher.

Intelligence féconde, novateur entreprenant et audacieux, il eut comme ennemis tous ceux qui ce pouvaient admettre qu'on changeât quoi que ce soit au vieil ordre de choses: aussi a-t-il dû attendre longtemps qu'on lui rendit justice. M. Dupuy, président du conseil des ministres, a bien esquissé les divers mérites de Renaudot : médecin, il secoue le joug de l'école, et, tout en respectant les anciens, il veut qu'on accorde davantage à l'observation et l'expérimentation; il devient un véritable chef d'école très combattu et tris écouté; il fonde un établissement de consultations gratuites, premier essai d assistance publique à domicile; il essaie d'introduire en France l'institution des Monts-de-Piété; il crée un bureau d'adresses et de rencontres pour faciliter le placement des personnes en quête de travail : c'est de là que sont nés les bureaux de placement : il crée aussi, en 1637, un bureau de ventes qui fut le premier Hôtel des Ventes: puis naît la Gazette qui devient rapidement un organe d'informations et un journal : ce fut le premier journal fondé en France.

Cette énumération montre dans quel injuste oubli avait été laissé Théophraste Benaudot; et cette journée d'inauguration est un grand honneur pour le comité de souscription et surtout pour son secrétaire, le Dr Gilles de La Tourcue, qui en a été l'initiateur. La remise de la statue a été faite au nom du comité par M. Jules Claretie. M. Alphonse Humbert. le nouveau président du Conseil municipal, a répondu et remercié les souscripteurs au nom de la Ville de Paris.

Nons ne pourons reproduire les nombreux discours que l'on a prononcés. Bornons-nous à dire que XI. le Doven de la Faculté a su. comme toujours, se concilier les suffrages de l'assemblée. Il a reconnu les services incomparables rendus par Renaudot, l'a vengé des persécutions de Guy-Patin et a lait toucher du doigt les différences qui distinguent la Faculté de médecine qu'il dirige de la Faculté antique, fermée, stationnaire, tandis que celle de 1393 est apte à tous les progrès : « lnspiré par Renaudot, le cardinal de Richelieu avait compris, dit le D' Brouardel, « qu'on ne peut laisser à une corporation le soin d'enseigner la médecine et de faire des médecins, et s'il avait vécu quelques mois de plus, la Faculté d'État élait créée. »

L'ancienne Faculté de médecine répondait par des procès, par des anathèmes à toutes les découvertes : circulation du sang, de la lymphe. Elle repoussait l'usage de l'opium, du quinquina, de l'antimoine ; elle faisait condamner, après sa mort, Guy de la Brosse, le fondateur du Jardin des Plantes.

Elle donnait à traiter des propositions de thèse parmi lesquelles on trouve :

« Peut-on, sans dommage pour la santé, manger deux fois du poisson le même jour? »

« Doit-on saigner une Jeune fille folle d'amour ? »

« Celui qui mange du miel et. du ??urr? tait-il réprouver le mal et choisir le bien ? »

II. Cadet de Gassicourt, an nom du Syndicat de la presse médicale, a rends à Renaudot. médecin, le tribut de reconnaissance qu'il mérite. Et enfin notre éminçât collaborateur, il. le professeur Grasset, en disant qu'on aurait pu, au bas du buste. inscrire l'épigraphe : « Gloria victis a montré Renaudot persécuté et Iromphant, puisque ses ennemis : Parlements, Ecolo*, et» . se sont, au bout de deux siècles, coalisés pour lui élever une statue.

Le professeur de Montpellier a terminé en disant anx jeunes : » Si Jamais, dans les luttes quotidiennes de la vie, vous sentiez le découragement ou la désespérance faire le siège de votre Ame. élevez votre regard vers la statue de Renaudot, vous y lirez que la force ne prime rien, que le droit fait tout et que. quelles que soient les défaites d'un jour, la victoire définitive, la vraie, la seule, est toujours à l'individualité puissante qui cherche le bien de tous par le travail personnel et indépendant ». Le discours de M. Grasset est vivement applaudi par l'assistance.

Après la cérémonie. M. le ministre a remis. aux applaudissements de tous, les insignes de chevalier de la Légion d'honneur à M. le D' Gilles de la Tourelle.

NÉCROLOGIE

Delasiauve

Un médecin aussi modeste qu'émanent, M. le Dr Delasiauve, médecin honoraire de la Salpêtrière. vient de mourir à l'âge de 89 ans.

Reçu médecin en 1813, il fit à l'Ecole pratique de la Faculté un cours libre très brillant sur la thérapeutique. Peu après, il était nommé médecin de Bicétre et chargé du service des épileptiques et des enfants arriérés. De là est sorti son beau Traité de l'épilepsie (1851) et son remarquable mémoire: Des principes qui doivent présider a l'éducation des idiots. Il quitta Bicêtre en 1864 pour prendre à la salpétrière la direction médicale du service consacré aux épileptiques et aux idiotes adultes.

M. Delasiauve a été l'un des fondateurs de la Société médico-psychologique. dont il fut le président, et prit à ses travaux une part des plus actives, ainsi qu'en témoigne la belle collection des Annales médico-psychologiques. 11 fut aussi l'un des dix-neuf fondateursde la Société d'anthropologie (1839), participa souvent à ses discussions et en fut le président. Il regrettait que son grand âge ne lui permît pas de s'associer aux travaux de la Société d'Hypnologie et de Psychologie, dont il avait approuvé la fondation. Même arrivé à un âge déjà avancé. M. Delasiauve avait gardé un esprit ouvert à toutes les idées nouvelles. Il laissera à tous ceux qui l'ont connu l'impression d'un médecin de grande valeur et d'un esprit élevé.

Moleschott

Né à Bois-le-Duc (Hollande), Moleschott enseigna d'abord la physiologie à Zurich; de là, il fut appelé a professer à Turin, puis à Rome. Pour le remercier de l'éclat qu'il jetait sur la science italienne, le roi le nomma sénateur du royaume d'Italie. Moleschott ne fut pas seulement un physiologiste, il fut aussi un grand anthropologiste et surtout un psychologue. Lorsqu'il vint au Congres d'anthropologie criminelle, à Paris en 1839, il poussa des accents éloquents pour témoigner la sympathie qu'il éprouvait pour la France, et les membres du Congres ne lui ménagèrent pas les ovations les plus enthousiastes. La mort de Moleschott laisse un vide difficile à combler, et nous joignons nos regrets à ceux de nos confrères italiens.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT.

TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES

Affaire Valroff et l'expertise médicale

(l') 350.

Agoraphobie traitée avec succès par la suggestion. 374.

Aliénés de la Seine. 191.

Altérations de la personnalité (les), par A. Binet. 92.

Amaurose hystérique (de la nature psychique de l'). par Bernheim. 84.

Amaurose hystérique et l'état hypnotique (1). par Bernheim. l36.

Amaurose hystérique et l'état hypno-tiqne (l'). par Pierre Janet. 157.

Amblyopie et des anesthésies hystériques (de la nature psychique de l'), par Bernheim, 225.

Amnésie antérograde dans la maladie de la désagrégation psychologique, par Pierre Janet, 83.

Amour lesbien (l'), 224

Animaux | la folie communiquée de l'homme aux|, par Féré, 257.

Applications inopinées de la suggestion hypnotique, par Levassort. 176.

Appréciation du temps par les somnambules (de 1'). par J. Delbœuf, 87.

Arithmogénese. par Reyel, 88.

Art de persuader (l'), par Paul Souriau. 142.

Art d'émouvoir (l'). par Paul Souriau, 145.

Association de la Presse médicale, 319.

Auto-suggestion scientifique (un cas d'|, par Jules Soury, 46.

Avenir de la psychologie (l') par Charles Richet, 82.

Ball, nécrologie, 987.

Banquet annuel de la Société d'hypno-

logie et de psychologie, 56, 29. Banquet offert à M. Dumontpallier, 37. Bas-fonds de Constantinople (les), par

Paul de Régla, 92.

Biométrie et hypnotisme, par Baraduc,

39.

Cauchemar de Mathis (le), 123.

Centralisation des fonctions psychiques, 107.

Cessation instantanée d'accès de catalepsie par la faradisation du mamelon gauche, par Auguste Voisin, 307.

Chorée guérie par la thérapeutique suggestive, par Dumontpallier, 173.

Choree guérie par la suggestion a l'état de veille. 178.

Circoncission envisagée comme une suggestion religieuse (la), par Desjardin de Régla, 311.

Concepts (résultat d'une enquête sur les), par Th. Richet. 83.

Congrès international de psychologie expérimentale, 30, 63, 82, 90.

Congrès de Science psychique àChicago, 31.

Congrès des médecin* aliénistes de

France. 254. Contagion hystérique et les crises par

imitation par Paul Joire. 149. Contracture psychique guérie par la

suggestion à l'étal de veille, par Go-

rodichze, 347.

Danet, nécrologie,

Delasiauve, nécrologie, 380.

Démonstration des loi* psyche—physiologiques de la graphologie, par Va-nnard, 20.

Dénonciation de crimes imaginaires, par Longbois. 107.

Eloquence et la suggestion (I") par Paul

Souriau, 138. Empoisonneuse d'Ain-Fezza (l'), par

Liégeois, 80. Enfants arriéres ¦école primaire pour

les). 92. Enfant menteur. 303. Enseignement de l'hypnotisme et de la

psychologie physiologique. 30. 127,

139. 182. 350, 222, 254, 318, 378. Enseignement de l'hypnotisme à Bru-

xelles (l'), 183. État mental chez les hystériques, 167. Exercice illégal de là médecine et

l'hypnotisme. 230. Extériorisation de la sensibilité (de la

pseudo), 360.

Faculté d'orientation, 10. Fascines (une peuplade de), 91. Faux témoignage suggéré devant la

Justice (un), 128. Folie communiquée de l'homme aux

animaux (la), par Féré, 257.

Folie passagère par imitation inconsciente, 377.

Gallet-Lagoguey, nécrologie, 320. Graphologie (démonstration des lois psycho-physiologiques de la), par

Guérison d'hystérie grave par la suggestion hypnotique,par Krafft-Ebing

262.

Guérison par la foi (la), par Charcot.

282._

Gustation colorée, 185.

Hallucinations collectives suggérées,

par E. Laurent, 53. Haschich et la suggestion (le) par Des

jardin de Régla. 2(. Hypnotique, hystérie grave, guérison

par la suggestion hypnotique, par

Féré, 262. Hypnotisme et l'exercice illégal de la

médecine (l') 236. Hypnotisme chez les Annamites! (l'), 351. Hypnotisme à Florence. 128. Hypnotisme et psychologie physiologique (enseignement de 1'), 30. Hypnotisme et biométrie, par Baraduc.

39.

Hypnotisme par les miroirs rotatifs le traitement de l'hystérie, par

G. Lemoine, 68. Hypnotisher suggestionner och dess

avandning vid menstruations rubb-

ningar, par Fyko Brunnberg. 93. Hypnotisme (quelques considérations

sur la psychologie de 1'), par Delbœuf,

200.

Hystérie grave, guérison par la suggestion hypnotique, par Krafft-Ebing.

262.

Hystérie (de l'hypnotisme par les miroirs rotatifs ët le traitement de l'). par G. Lemoine. 68.

Hysterie (nouveau traitement de l'), 256.

Hystérique, traitement psychothérapique (observation d'un), par Brémaud. 289.

Images motrices graphiques (de la suggestion par l'intermédiaire des), 193.

Importance de la psychothérapie, par Bourdon. 77.

Index bibliographique international, 32, 96, 160. 192, 320.

Jésus de Nazareth (une page de), par

Paul de Régla, 187. Journal d'hypnotisme (nouveau). 127. Kitsùne-tsuki. ou possession par les

renards (le), 183.

L'emploi du « magnétisme » par un empirique constitue le délit d'exercice illégal de la médecine, 59.

Léthargie observée chez uno enfant de treize ans. par Raffegeau, 271.

Loi parallèle de Fechner, 87.

Lombroso et le spiritisme, par Moll, 2, 35.

Lourdes. Psychologie pathologique. 217, 230.

Lypémanie, guérison par suggestion, par Auguste Voisin, 211.

Magnétisme [par un empirique constitue le délit d'exercice illégal de la médecine l'emploi du), 59.

Malade trop curieuse (une], 191.

Maladie de Baseiow traitée par la suggestion, par Mavroukakis, 280.

Marotte, necrologie, 352.

Médecine et confession. 185.

Mémoire dans les états hypnotiques (de la), 358.

Minimum perceptible de la lumière (sur le) par Ch. Henry. 266.

Moleschott. nécrologie. 380.

Morphinomane ( le traitement psychothérapique de la) par Bérillon, 129.

Morphinomanie et suggestion, par Maro:, 233.

Musée de psychiatrie criminologique (un) . 96.

Musée psychologique du professeur Mantagezza de), 222.

Musée dé psychologie et de criminologie, 255.

National hospital de Londres (une visite au), 90.

Nature de la chorée infantile et son traitement par la suggestion hypnotique, par Dumontpallier. 345.

Nature psychique de l'amblyopie des anesthésies hystériques (de la). par Bernheim. 225.

Neurasthéniques et la suggestion (les), par Mavroukakis, 374.

Obsession passionnelle traitée par suggestion, par Naret, 67.

Opération sous l'influence de la suggestion sans sommeil, par Van Renter-ghem, 215.

Organisme humain (l'), par Bernheim,

Over de waarde der electrische he-chandling by slaap-ner lammingen, c. c. Delprai. 180.

Pathologie des émotions. 190. Perception des couleurs fondamentales du spectre (la), par Chauveau, 161.

Phases du sommeil hypnotique (les), 321

Phénomènes de l'hypnose, par Crocq, 321. 353.

Pigeons voyageurs (les), par E. Canotier, 10.

Pilules suggestives, 352.

Principes de la psychothérapie (les), par Van Eeden, 97.119.

Prœ-hypnotique (applications théra peu-tiques de la suggestion), par Slembo, 276.

Pseudo-coxalgie chez un enfant menteur, par Bezy, 298-

Psychologie pathologique. Lourdes, 217. 230.

Psychologie de l'hypnotisme, par Delbœuf. 200.

Psychologie (avenir de la), par Charles Richet, 82.

Psychologie expérimentale (congrès international de). 30, 66.

Psycho-physiologie a la Comédie-Française (la), 121.

Psychothérapie (la), 1, 77.

Psychothérapie (les principes de la) par Van Eeden, 97.

Puissance du système nerveux (la), 91

Querelle extra-scientifique à propos du tabès dorsalis, 286.

Réunion annuelle de la Société d'hyp-

nologie et de psychologie, tenue à

Paris le 11 juillet 1862, 44. Réves suggères et spontanés dans le

sommeil bvpnotique, par Bérillon,

18.

Science psychique Chicago, congrès de), 31. '

Scoliose hystérique (sur la), par Charles Vie, 212

Section de psychologie A l'Exposition de Chicago (la). 255.

Simulation hystérique (dela), par Paul Joire, 361.

Société d'hypnologie et de psychologie, 18.29. 44, 56, 126, 147, 159, 173,345. 350, 210. 222. 254, 265. 307. 345, 374.

Sommeil chloroformique (de la suggestion dans le), 179.

Spiritisme (Lombroso et le), par Mol), 2, 35.

Statue de Théophraste Renaudot (la), 379.

Suggestibilité de l'auditeur, par Paul Souriau, 139.

Suggestibilités particulières, phénomènes moteurs suggérés, par Bérillon, 268.

Suggestion (le haschich et la), par Desjardin de Régla, 24.

Suggestion (tabac et), par E. Laurent, 6.

Suggestiy-térapie (die), par A. Von Schrenck-Notzing, 61.

Suggestion (obsession passionnelle traitée par), par Naret, 67.

Suggestion par l'intermédiaire des images motrices graphiques, par A. Cul-lerre, 193.

Suggestion pédagogique (la), 285,

Suggestion prœ-nvpnotique. par Stem-bo, 276.

Suggestion originale (une), par Del-bœuf, 315.

Tabac et suggestion, par E. Laurent, 6.

Thérapeutique psychique ou traitement par l'hvpnotisme et la suggestion, par Lloyd Tuckey. 190.

Thérapeutique suggestive avec application de la suggestion au diagnostic et au pronostic, par Bernheim, 147.

Thérapeutique suggestive (la). par A. Cullerce, 224.

Traitement psychothérapique de la morphinomanie (le), par Bérilton, 129.

Traitement psychothérapique. Observation d'un hystérique, par Brémaud,

289.

Tremblement choréiforme du membre supérieurdroit. Lypémanie, guérison par la suggestion, par Aug. Voisin, 212.

Un cas d'auto-suggestion scientifique, par Jules Soury, 46.

Veille (opération sous l'influence de la suggestion à l'état de;, 215.

Vision des couleurs (théorie de la), par H. Ebbinghaus 89.

Vomissements incoercibles de la grossesse traités avec succès par la suggestion, par Bérillon. 177.

Vue et sens de la direction, par Aug. Forel, 33.

Zônes hypnogènes (des), 353.

TABLE DES AUTEURS FT DES COLLABORATEURS

Baraduc, 39. Barel, 183.

Bérillon, 1. 18, 119, 120, 268, 177. Bernheim. 84. 119. 147, 149, 156, 225.

241. Bézy. 298. Binet, 92. Boirac. 377. Bourdon, 77. Brémaud. 290. Brouardel, 379. Brown-Séquard, 91. Brunnberg (Fyko), 93.

Caustier (E). 10. Charcot, 282. Chauveau. 161. Claretie (Jales). 121. Crocq (Jean), 321, 353. Cullerre. 193, 224.

David, 190. Deckterew. 285. Déjcrine. 286. Delbœuf. 87, 120. 200, 3183. Delprat. 180.

Desjardin de Régla, 24 , 92. 148. 187, 311.

Dumontpallier. 173, 245.

Ebbinghaus, 89. Eeden (Van). 97. 119. Féré. 257, 190. Ferner. 90. Forel, 33.

Giberl. 178. 179. Gorodichze, 148, 317. Grassel. 378. Grossmann, 127.

Henry (Ch.), 266.

Janet (Pierre). 85. 120, 137.

Jastrow, 255. Joire(Paul) 68,149. 364.

Krafft Ebing. 263.

Laurent (E ). 6. 53. Lemoine, 68. Levassort, 176. Liageois. 84, 86. Liebeault. 81. Lloyd-Tuckey. 190. Longbois, 167.

Mautegazza, 222. Marot, 233.

Mavroukakis, 280. 374. Mendelsohn, 87. Michaud, 351. Moll, 2, 35.

Naret, 67. Nizet, 183.

Olinto del Torto. 128.

Peeters. 183. Preyer, 8S. Pujade, 377.

Raffegeau. 271.

Renterghen ;(Van), 63. 93, 213. Ribemont-Dessaignes. 58. Ribot (Th.) 83. Richet Charles], 82.

Schrenck Notzing ( Von) 61. Senator, 224. Sollier(Paul]. 185. Souriau(P-), 138. Soury ( Jules), 46. Sperting. 120. Slembo, 276.

Vahau Ortzronny, 91. Varinard. 20.

Vie (Charles). 212.

Voisin ( Auguste), 211, 307.

FIGURES CONTENUES DANS LE VOLUME

Fig. 1. — Schéma représentant les trois états du sommeil hypnotique, 324. Fig. 2, 3, 6. 7, 8. 9, 10, 11. 12, 13, 14, 15. 20- — Champs visuels, 328 et suiv. Fig. 4, 5, 16, 17, 18, 19. 21. 22, 23. 24. 23, 26, 27. — Sujets plongés dans les

divers états hypnotiques, 329 et suiv. Fig. 28, 29, 30. 31. — Zones hypnogènes, 354 et suiv.