hypno_1890
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REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
BULLETIN
L'HYPNOTISME ET LA PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE
Jusqu'à nos jours, les philosophes n'admettaient pas qu'il y eût d'autre moyen, pour arriver à la connaissance des facultés de l'âme, que de recourir à la méditation et au raisonnement.
Baser la recherche des causes sur l'expérimentation leur eût paru déroger aux principes essentiels de la philosophie classique.
Depuis Aristote, qui avait trouvé par l'observation interne tout ce que cette méthode imparfaite et empirique peut nous apprendre, la psychologie était restée stationnaire. Les découvertes modernes sur la physiologie du système nerveux avaient bien élargi un peu le domaine de l'antique psychologie. Mais, faute d'un procédé d'expérimentation directe sur les phénomènes de l'intelligence, il semblait impossible que jamais la psychologie fût à la hauteur des autres sciences.
Seuls, les savants qui se tenaient au courant des recherches scientifiques sur l'hypnotisme avaient compris que cette science ne larderait pas à constituer une véritable méthode de psychologie expérimentale. Mais il fallait compter avec l'esprit de routine qui n'avait cessé de trouver dans la philosophie classique un refuge inexpugnable.
II y a trois ans, lorsque nous avons créé la Revue de l'Hypnotisme, nous avions prévu toutes les résistances qu'il faudrait vaincre pour faire accepter l'introduction de l'hypnotisme en psychologie, aussi bien qu'en thérapeutique et en médecine légale.
Nous n'avons pas hésité, cependant, a entreprendre la lutte, car nous étions convaincu qu'il y avait un réel service à rendre à la science, en arrachant l'hypnotisme des mains des empiriques et de charlatans qui le compromettaient en l'exploitant.
Après l'Ecole de médecine, nous avons vu successivement
REVUE DE L'HYPNOTISME
toutes les Sociétés savantes : Société de Biologie, Académie des Sciences, Académie de Médecine, etc., s'ouvrir à des études laissées trop longtemps dans le discrédit. Il est juste de rappeler que !a plus grande part de ce mouvement revient à notre éminent maître, M. le professeur Charcot. Personne n'a oublié ce légitime retentissement qu'ont eu, en 878, les leçons cliniques de la Salpêtrière sur l'hypnotisme chez les hystériques.
En créant, il y a quatre ans, a Société de psychologie physiologique, dont il n'a cessé d'être le président depuis sa fondation, M. Charcot préparait aussi l'entrée de l'hypnotisme dans l'enseignement philosophique officiel.
A côté des médecins les plus distingués, un grand nombre d'universitaires et de philosophes éminents, comme MM- Franck. Paul Janet, Manon, Ribot, Sully- Prudhomme, Taine, Henri Joly, Rabier, Bertrand, etc., sont venus se grouper dans la Société de psychologie physiologique.
Aussi, on comprend que la Sorbonne ait accueilli si libéralement hier une thèse destinée à marquer une étape considérable dans le progrès des sciences philosophiques.
Le travail de M. Pierre Janet sur l' automatisme psychologique repose en effet tout entier sur l'emploi de l'hypnotisme comme méthode expérimentale. Désormais, la psychologie physiologique et l'hypnotisme ont acquis droit de cité dans le domaine de la philosophie contemporaine.
En présence de cet événement dont l'importance n'échappera à personne, la Revue de l'Hypnotisme avait le devoir d'élargir, dans une notable mesure, le cadre de son programme. Elle commencera sa, quatrième année en ajoutant à son titre celui de Revue de psychologie physiologique, qui en est le complément indispensable. C'est dire qu'elle sera libéralement ouverte à tous les auteurs qui publieront sur ce sujet des travaux inspirés par un esprit vraiment scientifique.
L'année 1S89 comptera parmi celles qui ont enregistré le plus d'acquisitions scientifiques importantes. Du 8 au 12 août. se tiendra à Paris un Congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique. Par la valeur des hommes qui ont adressé leur adhésion, par l'intérêt que présenteront les communications annoncées, on peut prédire à ce Congrès le succès le plus éclatant. Il constituera certainement les grandes assises qui marqueront d'une façon définitive Centrée de l'hypnotisme dans l'enseignement officiel.
Dr Edgar Bérillon.
ACCIDENTS HYSTÉRIQUES GRAVES SURVENUS CHEZ UNE FEMME A LA SUITE D'HYPNOTISATIONS
PRATIQUEES PAR UN MAGNÉTISEUR DANS ONE BARAQUE DE FETE":
Par M. le protesseur CHARCOT
Messieurs.
A côté des bienfaits de l'hypnotisme qui ont été suffisamment prônés et même, quelquefois, peut-être un peu trop exaltés dans ces derniers temps, il est équitable de parler des méfaits qu'on peut, ajuste titre, lui imputer. Ceux-ci arrivent parfois à constituer des accidents morbides réellement sérieux et d'autant plus regrettables qu'ils sont, le plussouvent.la conséquence plus ou moins directe de manœuvres pratiquées par des gens qui. sans aucun mandat soit médical, soit scientifique, sont animés par la seule poursuite d'un but lucratif. La malade que vous avez sous les yeux offre un exemple du genre parfaitement typique, car on peut dire sans amplification qu'elle est la victime d'un magnétiseur pratiquant dans les baraques de foire.
Il s'agit d'une femme âgée de 38 ans qui est venue nous consulter avant-hier et que, ce jour-là, nous avons admise dans nos salles. Son histoire, par conséquent, ne m'est encore connue que très sommairement.
Je vais essayer de la compléter séance tenante en procédant devant vous à un interrogatoire. Mais, je dois vous en prévenir, nous allons rencontrer dans l'accomplissement de cette tâche des difficultés sérieuses : la pauvre victime, en effet, a été, depuis cinq jours, placée sous le coup d'un mutisme complet, absolu. Non seulement il lui est devenu impossible d'articuler un mot, soit à voix haute, soit à voix basse, mais elle est incapable encore d'émettre, nialgré tous ses efforts, un son, un bruit laryngé quelconque. A la vérité, elle aura enerre, comme moyen de communiquer avec nous, «mimique qui est restée fort intelligente, et aussi, ce qui vaut mieux, l'écriture ; car, si l'aphasie motrice c silencieuse » règne
(1) Leçon recueillie par MM. Blin, Charcot, Colin, élevés du service.
ici d'une façon absolue, la faculté de s'exprimer à l'aide de l'écriture est, par un contraste frappant, demeurée, ainsi que vous allez le reconnaître dans un instant, parfaitement indemne. Après cela nous aurons encore, pour y puiser des enseignements utiles à consulter, l'observation (on intéressante concernant cette même malade, communiquée par M. le Dr Séglas à la Société médico-psychologique, dans sa séance du 29 octobre 1888 (1).
Messieurs, rien qu'à entendre la rapide énumération des Quelques traits cliniques que je viens de relever á l'instant, ceux d'entre vous qui sont au courant de notre enseignement des trois dernières années ont immédiatement compris que c'est le mutisme hystérique qui est ici en jeu. Nulle part ailleurs, en cflet, vous ne rencontrerez réuni cet ensemble de symptômes caractéristiques. Mais je ne veux pas m'arrêter pour le moment à établir cette assertion sur une discussion en règle, elle sera suffisamment justifiée par tout ce qui suivra. Je tiens d'ailleurs à procéder rapidement dans la démonstration des faits ; car nous ne devons pas oublier que l'hystérie est dans ses allures parfois mobile au plus haut degré: « bien iol est qui s'y fie ». Il pourrait bien arriver en somme que. sous l'influence de l'émotion éprouvée par la malade en présence de l'auditoire, l'ensemble symptomatique que nous avons sous les yeux s'évanouit tout à coup, et ainsi, à notre grand regret, l'occasion nous échapperait de vous montrer des phénomènes dont i! importe que vous soyez rendus témoins.
M. Charcot. s'adressant là la malade : Veuillez, je vous prie, vous approcher de cette table qui est là, près de moi. (La malade comprend immédiatement ce qui lui est ait et elle s'approche de la table devant laquelle elle s'assied.) Combien y a-t-il de jours que vous ne pouvez plus parler- Expliquez-moi votre cas... Répondez !
M. Charcot. s'adressant aux auditeurs : Examinez avec soin tous les détails de la pantomime à laquelle se livre nctre malade ; vous voyez, elle fait signe d'abord qu'elle ne peut rien dire : mais la voilà qui, jetant les yeux sur la table, saisit avec empressement une plume qui y a été placée à dessein près d'un morceau de papier et elle se met à écrire avec une rapidité remarquable. I1 y a là déjà, — je tiens à vous le faire remarquer une fois de plus,—un irait bien significatif. Vous n'ignorez pas, en effet, que les sujets chez lesquels l'aphasie motrice reconnaît pour cause une lésion organique, alors même qu'ils ont conservé les mouvements des doigts de la main droite, sont, dans l'immense majorité des cas, placés dans l'absolue impossibilité d'écrire. A peine quelques-uns
(1) Les dangers de l'hypnotisme. Annales médico-psycologiques, 7esérie, tome Partie, 1889, p. 103.
d'entre eux ont-ils gardé le pouvoir de tracer quelques caractères informes ; ou st. par exception rarissime, il en est qui sont restés capables d'écrire quelques phrases plus ou moins correctes, plus ou moins intelligibles, ce n'est qu'à la suite de grands efforts et avec une extrême lenteur qu'ils y parviennent.
Ici. vous le voyez, c'est tout le contraire qui arrive ; il semblerait même, le plus souvent, que les sujets sont rendus plus habiles et plus prompts à exprimer leur pensée par l'écriture, en raison du besoin impérieux qu'ils en éprouvent. Voici du reste, pour répondre à nos questions, ce qu'elle a écrit très vite en caractères parfaitement lisibles et avec une rédaction qui ne laisse pas grand'chose à désirer non plus que l'orthographe : « Depuis jeudi, à la suite d'une crise de nerfs et d'une attaque. Je voudrais parler, mais on dirait qu'il y a quelque chose qui m'en empêche. »
Notre malade est donc, vous le voyez, atteinte d'aphasie motrice, puisqu'il lui est absolument impossible de proférer un mot, une syllabe, bien qu'elle ait conservé dans les lèvres et dans la langue des mouvements qui, bien qu'entravés quelque peu par un certain degré de raideur, suffiraient cependant, et amplement, pour produire une articulation distincte. A la vérité, la malade est aphone : elle ne peut pas émettre un son. un bruit laryngé quelconque. Mais le larynx n'a rien à voir dans l'articulation des mots, et si notre sujet n'était qu'aphone, elle aurait tout au moins conservé la faculté de parler à voix basse, ce qui n'est pas, ainsi que je vous le fais constater.
Ainsi, c'est bien la faculté d'articulation qui fait défaut ici ; celle d'exprimer la pensée par l'écriture est au contraire parfaitement conservée.
Pourcompléiermaintenani l'étude du syndrome qui nous occupe, il nous reste à rechercher encore ce qui est advenu relativement aux deux autres éléments du langage. Notre malade peut—elle lire mentalement et comprendre ce qu'elle lit: A-t-elle conservé la feculté de comprendre le sens des paroles qui viennent frapper ses oreilles.' Voici une petite expérience qui nous permettra de répondre à la première question. Je place sous ses yeux une feuille administrative sur laquelle sont écrits les mots: a Admission d'urgence. »
M. Charcot, s'adressant à la malade : Lisez, je vous prie, et dites-moi ce que cela veut dire ? —(La malade examine le papier, lit et se met immédiatement à écrire.)
M. Charcot. aux auditeurs : Je vois qu'elle a écrit les mots : « Admission d'urgence » en les copiant textuellement sur la feuille qui lui a été remise ; ce n'est pas cela qu'il nous faut. Il y a des aphasiques par lésion organique qui sont capables de copier exactement les mots qui sont placés sous leurs yeux sans toutefois y rien comprendre.
S' adressant à la malade : Je vous demande ce que c'est qu'une admission d'urgence: — La malade reprend le papier et écrit : « Admission d urgence à l'hôpital, comme malade. »
M. Charcot. aux auditeurs : Allons, cette fois-ci c'est parlait : vous voyez que notre malade peut lire et qu'elle comprend fort bien ce qu'elle lit ; elle n'est donc point atteinte de cécité verbale.
Examinons ce qui est relatif au second point : Y a-t-il chez notre sujet surdité verbale? Ceux qui en sont atteints, vous le savez, ne sont pas sourds, dans le sens général du terme. Ils entendent parfaitement et distinguent tous les bruits qui viennent frapper leurs oreilles, môme si ce sont des paroles articulées; seulement ils les entendent « comme bruits » et ils sont incapables de comprendre ce que ces paroles signifient. En est—il ainsi chez notre malade* C'est ce que nous allons voir : déjà vous avez pu remarquer qu'elle a très bien compris tout ce que nous lui avons dit, dès le commencement de l'interrogatoire, et qu'elle a agi en conséquence; mais regardons-y encore de plus près.
Je vais prier la malade de regarder les objets qui sont sur la table et de me désigner du doigt ceux dont je vais prononcer le nom : Le crayon!., la feuille de papier. l'écritoire, la pelote...
Vous voyez qu'elle a indiqué les divers objets qu'elle a entendu nommer successivement, avec une grande précision, sans le moindre embarras; elle n'est donc pas atteinte de surdité verbale.
Je vous ferai remarquer en passant que nous trouvons chez notre malade les conditions d'une analyse psycho-physiologique délicate : vous n'ignorez pas que. d'après nos' études, le matériel de la faculté du langage se rapporte à quatre modes spéciaux de la mémoire du moi, à savoir: la mémoire motrice d'articulation, la mémoire motrice graphique, la mémoire visuelle, et enfin la mémoire auditive du mot. La suppression isolée de chacune de ces mémoires est représentée en clinique par autant de formes de l'aphasie, à savoir : l'aphasie motrice d'articulation. l'agraphie, la cécité et enfin la surdité verbales. Eh bien! le caractère fondamental du mutisme hystérique, c'est que la faculté motrice d'articulation, par une sorte de sélection fort remarquable, y est seule affectée, les autres demeurant parfaitement intactes: tandis que lorsqu'il s'agit d aphasie liée à une lésion organique, il est de règle que toutes les mémoires du mot soient touchées simultanément, bien qu'à des degrés très divers (1). L'aphasie motrice, en d'autres termes, est alors à peu près toujours compliquée en pro-portions diverses d'un certain degré d'agraphie. de cécité et de surdité verbales. Ces trois dernières, au contraire, font régulièrc-
(1) De l'aphasie en géneral et de l'agraphie en particulier. Progrès médical 4 fé-vrier 1888.
ment défaut dans le mutisme hystérique; c'est du moins ce qu'enseigne l'histoire naturelle de ce singulier syndrome, telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Le mutisme n'est pas, tant s'en faut, le seul accident hystérique que nous ayons à relever chez notre malade; il ne constitue même qu'un épisode récent survenu à la suite d'une des nombreuses attaques convulsives dont elle n'a pas cessé d'être tourmentée depuis le jour où elle a été hypnotisée, voici dans quelles circonstances (1).
Le 7 août 1888, se trouvant à ia fête d'Aubervilliers, Mme P... est entrée dans la baraque d'un magnétiseur : elle a assisté ce jour même à des hypnotisations faites sur un certain nombre de personnes et elle a été fort impressionnée, dit-elle, d'en voir quelques-unes placées dans « l'état de catalepsie ».
Elle éprouva néanmoins le vif désir de se faire endormir elle-même, mais elle n'osa pas, son mari étant présent. Le lendemain elle revint à la baraque sans son mari et cette fois elle demanda à être hypnotisée.
Le magnétiseur essaya à plusieurs reprises de l'endormir par la fixation du regard. Elle affirme que jamais elle n'a perdu un instant le souvenir de ce qui se passait autour d'elle. Mais, par contre, à chaque tentative, elle sentait son corps et ses membres se raidir au point de ne plus pouvoir faire un mouvement : deux fois ses yeux ont tourné et une fois elle est tombée à la renverse. On la tirait assez facilement de cet état en lui soufflant sur les yeux. Bien qu'elle n'eût reçu d'autres 0: suggestions » que celles qui peuvent être communiquées a l'état de veille, elle est retournée chez ce même magnétiseur cinq fois en trois semaines; elle ne pouvait pas s'en empêcher, dit-elle, c'était une obsession, un désir irrésistible.
Toujours les choses se sont passées comme ci-dessus; chaque fois qu on a voulu l'hypnotiser, elle a été prise de ses attaques de raideur: jamais elle n'a dormi.
Plusieurs fois le magnétiseur ayant eu grand'peine à la tirer de l'état où il l'avait plongée, elle l'a entendu prononcer ces paroles : « Elle est plus forte que moi! »
Il a essayé plusieurs fois de la suggestion hypnotique sans jamais y parvenir : ainsi,lui ayant affirmé un jour qu'il allait la brûler avec une lame de couteau rougie au feu, elle n'a pas senti de brûlure, mais elle a eu très peur, néanmoins, et aussitôt elle est devenue raide, comme les autres fois.
A partir des premières tentatives d'hypnolisation, P... était devenue triste : elle n'avait plus de goût à rien et elle négligeait les travaux de son ménage, elle ne pouvait plus ni penser ni compter, ses idées s'embrouillaient à chaque instart : elle se figurait cons-
(1) Nous reproduisons ici à peu près textuellement le récit de M. Séglas.
tamment ni être placée sous la domination du magnétiseur, auquel clic avait entendu dire « que. de loin comme de près, elle ne ferait que ce qu'il voudrait, quand même elle ne le voudrait pas ».
Plusieurs crises de convulsions toniques s'étaient produites sur ces entrefaites, semblables aux précédentes, mais cette fois sans provocation. Elle ne mangeait pour ainsi dire plus; elle était tourmentée du désir de quitter son domicile et d'aller retrouver celui qu'elle considérait comme son maître : enfin, un beau jour, n'y tenant plus, elle partit subitement de chez elle et alla le rejoindre, en effet, a la foire de Vincennes.
Elle resta avec lui deux jours au bout desquels, ayant appris que son mari avait déposé une plainte chez le commissaire de police, il la pressa de rentrer chez elle. Pendant toute la durée de la nuit qui suivit la réintégration au domicile conjugal, les crises de raideur furent presque incessantes: elles se reproduisirent en grand nombre encore les jours suivants et la malade fut en conséquence admise à l'hôpital de Saint-Denis, où elle resta une huitaine de jours.
Elle en sortit non guérie; depuis lors, en effet. les attaques continuent à paraître fréquemment et l'état mental est resté a peu de chose près ce qu'il était à l'origine. Les choses ont empiré récemment et le mutisme est survenu il y a cinq ou six jours, à la suite d'une forte attaque. C'est à cette occasion que le mari de la malade est venu nous prier d'admettre sa femme dans notre service.
Vous avez compris, Messieurs, que les attaques dont il a été si souvent question dans le cours de notre récit ne sont autres que des attaques hystériques : elles répondent à un type particulier dont vous trouverez la description dans les a Etudes » de Paul Richer, auxquelles je vous renvoie pour les détails, sous le nom d'attaques de contracture (1) ; je me bornerai à vous en donner ici une description sommaire, faite surtout d'après l'étude de celles dont nous avons été témoin hier chez notre malade. Il y a une aura : battements de cœur, constriction épigastrique ; puis la malade, qui quelquefois reste debout, redresse la tête et se courbe légèrement en arrière : les bras, les jambes, le tronc se raidissent alors dans l'extension. La contracture est quelquefois assez forte pourque la rigidité des membres ne puisse être vaincue, même en déployant une grande force. Les paupières sont closes et animées d'un mouvement vibratoire. Il n'y a pas de perte de connaissance, pas de secousse, pas de grands mouvements, rien qui rappelle la phase épileptique, les contorsions ou les attitudes passionnelles des grandes attaques vulgaires. Les choses restent telles quelles pendant une période de temps variable qui,chez notre sujet, ne dépasse pas quelques minutes : on peut d'ailleurs, en lui soufflant
(1) Richer, Études cliniques sur la grande hystérie, 2e édition, 1885. p. 245.
sur la figure ou en la rappelant à elle d'une voix impérieuse, abréger quelquefois la durée de la crise.
Mais il s'agit ici, veuillez le remarquer, d'un petit cas. Nous avons vu en effet chez d'autres sujets les attaques présentant ces mêmes caractères persister quelquefois durant des heures entières, ne pouvant être modifiées par aucune de ces manœuvres, — pression ovarienne ou de divers points hystérogènes, — qui, dans les attaques classiques, se montrent si fréquemment efficaces.
Le type d'attaque dont il est ici question, et que nous avons pris l'habitude de désigner sous le nom d' «attaque de contracture », se rencontre assez rarement dans la pratique. Il ne faut pas le confondre avec l'attitude dite a en arc de cercle », partie intégrante de la grande attaque hystéro-épileptique, non plus qu'avec la catalepsie, dénomination dont on abuse tant et que l'on emploie si souvent à ton et à travers (1).
J'ai vu ce genre d'attaque se produire plus souvent que le type classique dans les cas observés par moi, où les tentatives d'hypno-tisation ont déterminé sur le coup, ou à courte échéance, l'apparition d'une crise hystérique. C'est là une remarque qu'il n'est pas sans intérêt de relever.
Il nous a été impossible de décider si notre malade porte quelques stigmates permanents de la névrose dont elle est atteinte, toutes les tentatives d'exploration soit de la sensibilité cutanée, par exemple, soit du champ visuel ayant abouti constamment à la production d'une attaque.
En résumé, nous avons sous les yeux un exemple, si je ne me trompe, bien propre à montrer, une fois de plus, que les pratiques d'hypnotisation ne sont pas, pour le sujet mis en jeu. toujours innocentes. Sans doute, elles n'ont pas créé ici la maladie de toutes pièces, car l'histoire des antécédents de Mme P... signale dans son passé deux attaques d'hystérie, l'une à l'âge de 19 ans, l'autre à l'âge de 20 ans; mais le mal sommeillait depuis dix-huit ans, remarquez-le bien, lors de la mauvaise rencontre faite à la foire d'Aubervilliers.
Incontestablement. les hypnotisations du mois d'août 1888 ont eu les conséquences les plus fâcheuses, puisqu'elles ont provoqué la réapparition des accidents nerveux qui, cette fois, se sont produits sous une forme grave. Depuis cette époque en effet, c'est-à-dire durant une période de six mois, les crises nerveuses, avec les troubles psychiques que vous savez, n'ont pas cessé en quelque sorte de sévir un seul instant et rien n'annonce qu'ils doivent bientôt s'atténuer et disparaître.
On pourrait aisément multiplier les exemples de ce genre, car
(1) A propos de catalepsie, voir également Richer,l oc. cit., chap. Catalepsie et états cataleptoïdes.
ils sont presque devenus chose banale pour s'être fréquemment reproduits dans ces derniers temps.
D un autre côté, nombre de faits ont établi parallèlement que les accidents que nous signalons ne concernent pas seulement le sujet hypnotisé, mais qu'ils peuvent, dans les représentations publiques par exemple, en conséquence d'une sorte de contagion, se propager soit immédiatement, soit à longue échéance, aux assistants eux-mêmes. Comme conséquence fâcheuse oes représentations théâtrales, on pourrait signaler entre autres le développement dans une population, dans une école, de ce qu'on pourrait appeler du nom de manie hypnotisante active.
J'ai cité un exemple du genre qui me paraît bien frappant etqueie vous demanderai la permission de reproduire ici en quelques mots (1).
Il y a deux ans, un magnétiseur de profession donna, sur le théâtre de Chaumont-en-Bassigny, des représentations de « fascination i qui émurent profondement toute la population, l'affolèrent, et déterminèrent par-ci, par-là, quelques accidents plus ou moins sérieux. La manie d'hypnotiser pénétra jusque dans le collège de la ville. Plusieurs élèves pratiquèrent l'hypnotisme sur leurs camarades et quelques accidents nerveux s'ensuivirent.
Le principal du lycée mit bon ordre à la chose pour ce qui concernait les internes; mais quelques externes surveillés n'en continuèrent pas moins leurs pratiques. C'est ainsi que les nommés Blan... et Thom... se sont plusieurs fois amusés, sous un porche voisin de l'hôtel de l'Ecu, à hypnotiser par la fixation des yeux un jeune garçon âgé de 12 ans que j'ai dans le temps présenté à la clinique. C'est le petit hypnotisme sans doute qu'ils obtenaient ainsi.
En tout cas, ils réussirent à faire commettre au petit Blan..., en le suggestionnant, des actions qui les réjouissaient énormément. Ainsi Blan... fut, dit-on, promené presque nu sur la place de la Banque-de-France; il est allé demander à acheter un cheval chez un marchand de nouveautés, et autres facéties provinciales du même genre.
Jusque-là, il n'y a pas encore grand mal sans doute; mais voici le côté fâcheux. Le jeune Blan.., sans antécédents nerveux remarqués, n'avait jamais eu d'attaques jusqu'au moment où les premières fentatives d'hypnotisme ont eu lieu : mais, au bout de quinze jours, surviennent des crises se répétant presque tous les jours et qui effrayent considérablement les parents, d'autant plus que le jeune frère de notre petit malade, âge de 4 ans seulement, commençait, lui aussi, à présenter des symptômes du mime genre. C'est pour mettre fin, si possible, à tout cela, que le père nous l'a amené et,
(1) Revue de l'hypnotisme, 17; mai 1887, p. 325.
d'après notre conseil, l'a remis entre nos mains. Les accès à l'hôpital se sont répétés pendant quelque temps tous les deux ou trois jours. C'étaient des attaques hystériques assez bien formulées, précédées d'une aura : douleur de tête et battements dans les tempes, sifflements dans les oreilles; puis survenaient des contorsions et l'arc de cercle. Enfin, l'enfant prononçait quelques paroles relatives aux préoccupations de la veille. Il n'existait pas de stigmates hystériques. L'enfant est sorti, après cinq ou six mois de traitement, à peu près guéri.
Ce n'est pas la première fois que l'on voit des enfants jouant à l' hypnotisme produire sur eux-mêmes, ou surleurscamarades,des accidents plus ou moins graves. Ainsi, à Brcslau, lors du passage du fameux Hansen, un enfant hypnotisé par un de ses camarades a été pris d'attaques de contracture qui durèrent plusieurs heures et qui se renouvelèrent par la suite. Un cas du même genre est cité par M. Mercati dans les t Archives italiennes de psychiatrie ».
Ces faits, ces considérations rendent évidente la nécessité d'une réglementation des pratiques d'hypnotisme, et il y a lieu de s'étonner qu'elles n'aient pas encore paru assez convaincantes pour faire adopter en France Jes sages mesures restrictives prises depuis longtemps déjà, dans la plupart des autres pays d'Europe, à l'égard des représentations publiques des magnétiseurs.
L'hypnotisme peut être utile en thérapeutique, dira-t-on. et s'il peut nuire parfois, n'en est-il pas de même des plus précieux médicaments : l'opium, la digitale, par exemple, qui, dans de certaines circonstances et chez certains sujets, peuvent produire des effets fâcheux? Songc-t-on à les condamner pour cela ? A cela, certes, nous ne contredisons pas ; mais, d'un autre côté, n'cst-il pas clair qu'une étude clinique approfondie, et par conséquent nullement à la portée des amateurs, pourra seule, en matière d'hypnotisation, comme lorsqu'il s'agit d'opium ou de digitale, établir les indications et les contre-indications, ou. en d'autres termes, déterminer les conditions où l'on peut agir, et celles où, au contraire, il faut s'abstenir ?
Puisque la médecine, au nom de la science et de l'art, a. dans ces derniers temps, pris possession de I hypnotisme, qu'elle seule peut savoir appliquer convenablement soit au traitement des malades, soit aux recherches physiologiques et psychologiques, n'est-il pas légitime que, dans ce domaine récemment conquis, elle veuille désormais régner en maîtresse absolue et repousser toute intrusion ?
DE L'AMNÉSIE RÉTROACTIVE DANS LE SOMMEIL PROVOQUÉ
Par M. le D- BERNHEIM
proffesseur a la FACULTÉ DE médicine de nancy
L'amnésie du sommeil provoqué peut s'étendre à la période qui a précédé le sommeil. 11 m'arrive souvent, dans mon service, d'hypnotiser des sujets. A leur réveil, non seulement ils n'ont pas conservé le souvenir de ce qui s'est passé pendant leur sommeil; ils ne se rappellent même pas que je les ai endormis ; ils ne se rappellent pas que je leur ai parlé, ni même qu'ils m'ont vu dans la matinée, avant leur sommeil.
Et cette amnésie rétroactive n'est pas un fait d'imitation résultant de ce que les sujets l'ont vue se produire chez d'autres. Elle peut se développer spontanément sur des personnes qui sont endormies pour la première fois et n'ont jamais vu endormir d'autres personnes.
Voici, par exemple, une expérience de ce genre, selon que je l'ai réalisée en présence de MM. Beaunis, Liébeault et plusieurs confrères étrangers.
Une tuberculeuse vient d'entrer dans mon service. Je la vois pour la première fois. Elle ne m'a jamais vu hypnotiser et ne me connaît pas. Je l'interroge; je lui demande si elle a jamais été endormie. Elle répond que non. Je lui dis que le sommeil provoqué lui fera du bien, calmera sa toux, lui enlèvera ses points de côté, lui donnera de l'appétit, du sommeil pour la nuit, etc. Je lui demande si elle a entendu parler des cures de M. Liébeault: elle dit en avoir entendu parler. Je lui montre plusieurs fois M. Liébeault. Nous sommes dix personnes autour de son lit. Elle est intelligente, parfaitement consciente, et répond tranquillement et nettement à toutes mes questions.
Cela fait, j'essaie de l'hypnotiser. Elle paraît d'abord réfractaire, rouvre les yeux, rit, dit qu'elle ne peut pas dormir. Je cherche à l'impressionner davantage; je la brusque un peu: elle pleure. Cependant je constate une certaine tendance à la catalepsie, mais qui ne résiste pas au défi d'abaisser son bras. La malade, comme beaucoup de sujets, par cela qu'elle m'entend, n'a pas conscience d'être influencée. Alors, comme je fais quelquefois, je la laisse en lui disant : « Vous allez vous endormir toute seule, du sommeil naturel ; dormez bien jusqu'à ce que je vous réveille, » Je la quitte. Elle reste les yeux fermés, dans l'attitude d'une personne endormie. Au bout de dix minutes environ, M. Liébeault, sans rien lui dire,
lève ses deux bras ; ils restent en catalepsie : la malade ne sourcille pas. Je m'approche, et, sans rien dire, je provoque l'automatisme rotatoire des bras, lequel je n'avais pu produire auparavant; je provoque ensuite l'analgésie, des hallucinations; je lui fais boire du vin fictif. Interrogée si elle dort, elle répond que oui et profondément.
Quelque temps après, je la réveille. Elle se frotte les yeux, revient à elle et regarde l'assistance d'un air étonné, « Que faites-vous ? a dis-je. — « J'ai dormi, » — a Depuis quand ? » — a Je ne sais pas. Depuis ce matin, » — Elle ne peut plus se rappeler que je l'ai endormie, mais croit avoir dormi spontanément. Elle est convaincue qu'elle ne m'a pas encore vu, ni aucun de ces messieurs qui l'entourent. Elle se rappelle seulement que l'externe du service a pris sa température : ses souvenirs s'arrêtent là. J'ai beau la mettre sur la voie, elle ne se souvient pas; je lui rappelle alors que je lui ai parlé, que je lui ai demandé si elle avait jamais été endormie, que je lui ai montré M. Liébeault; qu'elle n'avait pas pu s'endormir facilement ; que je l'avais brusquée, que j'avais voulu lui faire tenir les bras en l'air; qu'elle m'avait dit ne pas pouvoir dormir, qu'elle avait pleuré, etc. Elle ne se rappelle rien de tout celai Et cependant, ¡1 s'agit de faits qui l'avaient impressionnée vivement ! Le souvenir de tous ces faits antérieurs à l'hypnose est éteint pour elle. M. Beaunis l'interroge à part un peu plus tard : il ne peut pas davantage réveiller les souvenirs.
Ce fait, je l'ai observé très souvent. L'interprétation m'en paraît difficile. L'amnésie du sommeil provoqué se conçoit, d'après la théorie de M. Liébeault. Toute l'activité nerveuse étant concentrée vers le cerveau, vers les centres automatiques. les sens ne transmettant aucune impression spontanée au sensorium. toutes les impressions provoquées sont créées, pour ainsi dire, avec une très grande quantité d'influx nerveux; d'où leur vivacité et leur netteté. Le sujet réveillé, toute l'activité nerveuse se diffuse de nouveau vers la périphérie, vers les organes sensoriels, vers les centres des facultés de raisonnement ; et les impressions qui ont été produites avec un excès de fluide nerveux ne sont plus assez animées pour être conscientes ; elles sont devenues latentes, comme une image qui n'est plus suffisamment éclairée.
Mais comment expliquer l'amnésie étendue à la veille préexistante ? Cela est difficile. Tout au plus peut-on citer des faits analogues se produisant naturellement à la suite de perturbations psychiques intenses.
Certains sujets, qui ont fait une fièvre typhoïde prolongée, avec délire ou stupeur, à partir d'une certaine période, du huitième jour, par exemple, ont oublié pendant leur convalescence, non seulement ce qui s'est passé pendant la période de délire ou de stupeur, mais encore ce qui s'est passé pendant la première semaine, alors que,
l'intelligence et la conscience étaient conservées. Certains sujets, à la suite d'un accès de délire alcoolique, ne se rappellent pas qu'ils ont fait des excès de boisson, ni aucune des circonstances qui ont précédé l'ivresse. Certains criminels impulsifs disent de bonne foi ne rien se souvenir de ce qu'ils ont lait antérieurement au aime, alors cependant qu'ils agissaient en connaissance de cause. Ce n'est pas une explication; c'est la confirmation de ce fait que j ai bien des fois répété : Rien ne se casse dans l'état hypnotique qui n'ait son analogue dans l'état de veille.
L'hypnose démontre des phénomènes psychiques; elle ne crée pas dans l'organisme une psychologie nouvelle. Toutes les perturbations nerveuses qui modifient profondément l'état de conscience peuvent, dans certaines circonstances mal étudiées, déterminer une amnésie rétroactive, c'est-à-dire étendue à la période préexistante.
LES FORMES INFÉRIEURES DE L'ACTIVITÉ NORMALE '
Par M. Pierre JANET
DOCTEUR DES lettres, agrége DE L'université
Si les phénomènes d'automatisme sont uniquement dus a la faiblesse, its doivent exister chez l'homme normal comme chez le malade; mais, au lieu d'être seuls comme chez celui-ci, ils sont chez celui-là masques et dépasses par d'outrés phénomènes plus complexes. Le riche possède déjà le pain et l'eau du pauvre, mais il o encore autre chose en plus; l'homme bien portant possède l'automatisme du malade, quoiqu'il ait en plus d'autres facultés supérieures. Recherchons rapidement dans la rie normale les faits analogues a ceux que nous avons étudiés et qui semblent être soumis aux mêmes lois.
Quoique le champ de la conscience soit d'oriinaire assez large et nous permette de réunir dans une même perception personnelle un assez grand nombre de phénomènes conscients, il y a cependant des moments où il se restreint au point de nous mettre dans un état analogue à celui de l'individu suggestible et hallucinablc. Au moment de disparaître dnns un sommeil complet, ou bien au moment où il se reforme •près le sommeil, l'esprit passe par une période de rétrécissement naturel et inévitable. C'est le moment des rêves: chaque image qui nait isolément dans la conscience se précise quelque peu, pas assez encore
(1) Extrait de la thèse de doctorat soutenue le vendredi 21 juin, devant la Faculté des lettres de Paris. (F. Alcan, éditeur.)
pour se manifester par un mouvement bien complet chez un homme qui n'est pas accoutumé a remuer ses membres par des images de ce genre, mais suffisamment pour paraître extérieure et objective comme les hallucinations. Pas plus que le somnambule suggestible. le rêveur ne s'étonne, ne doute de ce qu'il pense; il subit sans résistance l'automatisme des éléments auxquels son esprit est réduit. Un léger bruit, une lueur, un pli du drap, un état du corps: provoquent la suggestion ; la disposition des organes de telle ou telle manière propre à exprimer une émotion ou une passion, donne au rêve sa direction générale, et tout se passe comme dans un automatisme régulier. Nous avons également, même pendant la veille normale, des phénomènes psychologiques qui nous échappent entièrement. On pourrait compter, parmi ces actes qui se passent en dehors de la perception personnelle, les fonctions physiologiques dont personne ne conteste l'intelligence, quoique l'on ne comprenne pas bien a quel être il faut attribuer cette intelligence des organes. Peut-être y a-t-il, comme le disait Liébeault, c une rememoration inconsciente pour chaque fonction vitale, le cœur a appris à battre et les poumons a respirer (i). » « Peut-être y a-t-il en nous un grand nombre d'âmes spinales ou ganglionnaires susceptibles d'habitudes et d'éducation qui dirigent chaque fonction physiologique (2). « « Il y a peut-être dans la moelle de l'épine dorsale de l'homme des cires réels d'une plus grande valeur spirituelle que l'âme de la grenouille (3). » Mais, quoique ces suppositions nous paraissent vraisemblables, elles dépassent assez la portée des observations que nous avons faites, pour que nous évitions de les discuter dans un ouvrage de psychologie expérimentale. Nous nous contenterons de signaler de* faits plus connus que la conscience personnelle abandonne à leur développement automatique, ce sont les phénomènes de la distraction, ceux de l'instinct, de l'habitude et de la passion.
Nous disons qu'un homme est distrait quand il ne voit pas ou n'entend pas une chose qu'il devrait voir ou entendre, et ensuite quand il accomplit sans le savoir des actes qu'il n'aurait pas consenti à accomplit s'il les avait connus complètement.
Un homme préoccupé chassera une mouche de son front sans la sentir, répondra à des questions qu'il n'a pas entendues, ou, comme Biren, duc de Courlande, qui avait l'habitude de porter à sa bouche des morceaux de parchemin, détruira un important traité de commerce sans le voir (4). Qui n'a entendu parler des exploits de ces personnages qui,, lorsqu'ils parlent à table, versent de l'eau indéfiniment jusqu'à inordef
(1)liebeault, Du sommeil, p. 137.
(2) Dr Philips, Cours de braidisme, 104.
(3) Loize, Psychologie physiologique, 144. — Cf. Lewes, Maine de Brian, Œuvres inédites. 11. 13. — Hartmann, Inconscient, I, 7b.— Colsenet, Inconscient, 141, etc.
(4) Garnier, Facultés de l'âme, I, 325.
les convives ou continuent à mettre du sucre dans leur tasse jusqu'à la remplir? Les anecdotes de ce genre sont innombrables.
Ce sont les deux caractères, l'anesthésie systématique et l'acte subconscient, que nous avons signalés chez les malades. Seulement, la distraction peut provenir chez l'homme bien portant de raisons diffé-remes: tantôt elle est due. comme chez le malade, à un rétrécissement du champ de la conscience dù à la fatigue ou à un demi-sommeil : « Journée de misère et d'abattement extrême, écrit Maine de Biran, dans ce journal si curieux où i fait sur lui-même des études de psychologie expérimentale, j'ai diné chez le chancelier, je me suis trouvé dans un état de trouble, d'embarras, de surdité momentanée... Je suis comme un somnambule au milieu de ce monde gai et léger, mécontent des autres parce que je le suis de moi-même (1). » Maïs la même distraction pourra être due à une concentration excessive de la pensée, d'un autre côté, à une grande puissance d'attention qui, sans rétrécir la pensée véritablement, déplace le champ de la conscience. « Je suis presque toujours, écrit encore le même auteur, comme dit M. Deleuze en parlant du somnambulisme, en rapport avec moi-même, et je vois trop en dedans pour bien voir au dehors (2). » Mais, dans l'un et l'autre cas, un certain nombre de phénomènes psychologiques sont abandonnés à eux-mêmes et se développent selon les lois de leur propre automatisme.
Dès que les phénomènes sont ainsi isolés, soit par l'attention extrême, soit par la distraction, ils amènent la rêverie, quelquefois même l'hallucination. On entend dans le bruit des cloches des paroles scandées, on voit les personnages auxquels on pense, ou bien l'on fait des gestes brusques et l'on parle tout haut. Tous ces réflexes psychiques ont été étudiés ailleurs quand ils étaient isolés et grossis, il suffit de rappeler qu'ils jouent aussi un rôle considérable dans l'attitude et la physionomie de l'homme le plus normal. C'est à des activités de ce genre qu'il faut rattacher les actes instinctifs qui sont assez rares chez l'homme, tandis qu'ils jouent un rôle important chez l'animal. Il est impossible de supprimer la conscience dans l'instinct et d'en faire un pur mécanisme, mais on ne peut pas non plus en faire un acte intelligent et volontaire. C'est bien, comme le disait M. Lemoine (3), quelque chose d'intermédiaire entre le mouvement de la matière brute et celui de la volonté humaine. L'instinct se rapproche entièrement des actes obtenus par suggestion et, de même que ceux-ci n'étaient que la manifestation d'un phénomène de perception, on peut dire que l'instinct, c'est l'activité dirigée par des perceptions nettement consciente* chez l'animal et for-
(1) Maine de Biran, Journal intime, 242.
(3) Maine de Biran, Journal intime, 145. — Ct. Ribot, Psychologie Je l'atten-tion, 115.
(3) Lemoine, Habitude et instinct, 137, 150.
mant même la totalité de son esprit, presque toujours subconscientes chez l'homme dont l'esprit est rempli par des phénomènes plus élevés (1).
L'activité automatique s'est concentrée chez l'homme dans les phénomènes d'habitude ou de mémoire. Nous ne recherchons pas, comme nous l'avons déjà fait remarquer, si nos souvenirs subsistent toujours en nous d'une manière consciente, ce qui n'est pas invraisemblable, mais ce qui dépasse nos expériences (2). Reconnaissons seulement que nos habitudes et nos souvenirs amènent des actes, des liaisons d'idées que nous constatons plus que nous ne les produisons réellement, qui sont souvent en dehors de notre conscience et toujours en dehors de notre volonté. Les phénomènes conscients ne sont pas supprimés, ctr nous pouvons retrouver la conscience des choses que nous conservons dan» le souvenir, ou que nous faisons par habitude, mois elle est négligée, comme si ces phénomènes suffisamment exercés pouvaient être sans inconvénient livrés à eux-mêmes. « L'habitude semble émousser Porgan;, disait très bien Jourtroy, ou elle l'aiguise ; le fait est qu'elle ne l'aiguise ni ne l'émousse. L'organe reste le même, les mêmes sensations s'y reproduisent, mais lorsque ces sensations sont intéressantes pour l'àme. elle s'y applique et s'accoutume à les déméler ; lorsqu'elles ne le sont pas, elle s'accoutume à les négliger et ne les démêle pas (3). » Ces idées confiées au souvenir et à l'habitude, sont plus nettes quelquefois que celles de la conscience même, et pour trouver l'orthographe d'un mot que nous ignorons, nous laissons notre plume écrire automatiquement, à peu près comme le médium interroge son esprit. Cet oubli des phénomènes livrés à la mémoire automatique nous permet de penser consciemment à autre chose pendant qu'ils s'accomplissent tout seuls avec une régularité parfaite. « Je me rappelle, écrit Erasme Darwin, avoir vu cette jeune et jolie actrice qui répétait sa partie de chant, en s'accompagnant du forte-piano, sous les yeux de son maître, avec beaucoup de goût et de délicatesse ; j'aperçus sur sa figure une émotion dont je ne pus définir la cause ; à la fin, elle fondit en larmes; je vis alors que, pendant tout le temps qu'elle avait employé à chanter, elle avait contemplé son serin qu'elle aimait beaucoup, qui paraissait souffrir et qui, dans ce moment, tomba mort dans sa cage (4). » Que d'actions intelligentes simultanées ! Je ne compte pas, comme fait l'auteur, les battements du cœur et les mouvements de la respiration qui continuaient pendant tout ce temps, mais cette personne chantait, s'accompagnait sur le piano, jouait des deux mains des notes probablement diffé-
(l) Cf. Espinas, L'évolution mentale chez les animaux. Revue philosophique, 1888, I, 30.
(3) Ct. Colsenet, Inconscient. 339.
(3) Jouffroy, Mélanges philosophiques, 339.
(4) Erasme Darwin, Zoonomie, I, 332.
renies et cependam employait toute son intelligence consciente à suivre les phases de l'agonie de son serin ; les médiums, ni les somnambules, ne nous ont rien montré de plus compliqué. Cette facilité que nous donne l'habitude pour accomplir des actes intelligents sans perception personnelle nous permet de faire de nouveaux progrès et d'employer notre intelligence à des œuvres plus élevées : cet automatisme psychologique est lai condition de nos progrés.
L'étude de l'habitude amène si naturellement à la notion des actes automatiques et subconscients, que beaucoup d'auteurs ne peuvent la décrire qu'en se servant de l'hypothèse des deux personnalités simultanées. La description donnée par Condillac est surtout intéressante pour nous. « Ainsi, dit-il, il y a en quelque sorte deux moi dans chaque homme: le moi d'habitude et le moi de réflexion; c'est le premier qui touche, qui voit, c'est lui qui dirige toutes les facultés animales, son objet est de conduire le corps, de le garantir de tout accident, de veiller continuellement à sa conservation. Le second, lui abandonnant tous ces détails, se porte à d'autres objets. II s'occupe du soin d'ajouter à notre
bonheur, ses succès multipliant ses désirs.....Celui-là est tenu en action
par les objets dont les impressions reproduisent dans l'âme les idées, les besoins, les désirs, qui déterminent dans le corps des mouvements correspondants nécessaires a la conservation «le l'animal. Celui-ci est excité par toutes choses qui, en nous donnant de la curiosité, nous portent à multiplier nos besoins. Mais, quoiqu'ils tendent chacun à un but particulier, ils agissant souvent ensemble. Lorsqu'un géomètre, par exemple, est fort occupé de la solution d'un problème, les objets continuent encore d'agir sur ses sens. Le moi d'habitude obéit donc à leurs impressions: c'est lui qui traverse Paris, qui évite les embarras, tandis
que le moi de réflexion est tout entier a la solution qu'il cherche..... Le
moi d'habitude suffît aux besoins qui sont absolument nécessaires à la
conservation de l'animal.....La mesure de reflexion que nous avons
au delà de nos habitudes est ce qui constitue notre raison (1). » Cette description, sans doute, n'a ici que la vérité d'une métaphore, car les phénomènes conscients qui se développent automatiquement dans l'habitude ne sont pas. chez l'homme normal, groupés et synthétisés de manière à former un second moi, comme dans l'hémi-somnambullsme ; mais nos discussions précédentes, qu'il est impossible de reprendre ici. nous apprennent que, malgé cette exageration.il y a, dans cette description, plus de vérité que dans l'opinion la plus banale qui fait des phénomènes automatiques et habituels de simples mouvements physiologiques.
La plds curieuse manifestation de l'automatisme psychologique chez l'homme normal est la passion qui ressemble, beaucoup plus qu'on ne se le figure généralement, à la suggestion et a l'impulsion et qui, pendant un moment, rabaisse notre orgueil en nous mettant au niveau des fous. La
(l) Condillac. Traité des animaux (Œuvres complètes, 1778, III. 553).
passion proprement dite, celle qui entraîne l'homme maigre lui. ressemble tout à fait à une folie, aussi bien dans son origine que dans son développement et dans son mécanisme. Tout le monde sait que la passion ne dépend pas de la volonté et ne commence pas quand nous voulons; pour prendre un exemple, il ne suffit pas de le vouloir pour devenir amoureux. Bien au contraire, l'effort volontaire que l'on essayerait de faire, la réflexion et l'analyse à laquelle on se livrerait, loin d'amener l'amour proprement dit irrésistible et auveugle. nous en écarterait infailliblement et ne ferait naître que des sentiments tout contraires. De même, c'est en vain qu'on s'exciterait soi-même à l'ambition ou à la jalousie; on aurait beau déclarer ces passions utiles ou nécessaires, on ne pourrait pas les éprouver. Un autre caractère me paraît moins connu et moins analysé par les psychologues, c'est que la passion ne peut commencer en nous qu'à certains moments, lorsque nous sommes dans une situation particulière. On dit ordinairement que l'amour est une passion à laquelle l'homme est toujours exposé et qui peut le surprendre à un moment quelconque de sa vie, depuis quinze ans jusqu'à soixante-quinze. Cela ne me paraît pas exact et l'homme n'est pas toute sa vie, à tout moment, susceptible de devenir amoureux. Lorsqu'un homme est bien portant au physique et au moral, qu'il a la possession facile et complète de toutes ses idées, il peut s'exposer aux circonstances les plus capables de faire naître en lui une passion, mais il ne l'éprouvera pas. Les désirs seront raisonnes et volontaires, n'entraînant l'homme que jusqu'où il veut bien aller et disparaissant dès qu'il veut en être débarrassé. Au contraire, qu'un homme soit malade au moral, que, par suite de fatigue physique ou de travaux intellectuels excessifs, ou bien après de violentes secousses et des chagrins prolongés, il soit épuisé, triste, distrait, timide, incapable de réunir ses idées, déprimé en un mot, et il va tomber amoureux ou prendre le germe d'une passion quelconque à la première et à la plus futile occasion. Les romanciers, quand ils sont psychologues, l'ont bien compris : ce n'est pas dans un instant de gaieté, de hardiesse et de santé morale que commence l'amour, c'est dans un instant de tristesse, de langueur et de faiblesse. Il suffit alors de la moindre chose ; la vue d'un visage quelconque, un geste, un mot qui nous aurait l'instant précédent laissés tout à fait indifférents, nous frappe et devient le point de départ d'une longue maladie amoureuse. Bien mieux, un objet qui n'avait fait en nous aucune impression, dans un instant.où noire esprit mieux portant n'était pas inoculable, a laissé un souvenir insignifiant qui réapparaît dans un moment de réceptivité morbide. Cela suffit, le germe est maintenant semé dans un terrain favorable, il va se développer et grandir.
Il y a d'abord, comme dans toute maladie virulente, une période d'incubation ; l'idée nouvelle passe et repasse dans les rêveries vagues de la conscience affaiblie, puis semble, pendant quelques jours, disparaître et laisser l'esprit se rétablir de son trouble passager. Mais elle a accompli un travail souterrain, elle est devenue assez puissante pour ébranler le
corps et provoquer des mouvements dont l'origine n'est pas dans la conscience personnelle. Quelle est la surprise d'un homme d'esprit quand il se retrouve piteusement sous tes fenêtres de sa belle où ses pas errants l'ont transporté sans qu'il s'en doute, quand au milieu de son travail il entend sa bouche murmurer sans cesse un nom toujours le même ! Ajoutons que toute idée amène des modifications expressives dans tout le corps qui ne sont pas toujours appréciables pour des étrangers, mais que les sens tactiles et musculaires transmettent à la conscience; quel doit être alors l'énervement d'un esprit qui sent à tout moment son organisme révolté commencer des actes qui ne lui ont pas été commandés ! Telle est la passion réelle, non pas idéalisée par des descriptions fantaisistes, mais ramenée à ses caractères psychologiques essentiels.
Nous retrouvons en effet ces mêmes caractères dans toute espèce de passion ; pour avoir plus de liberté dans la description, prenons une passion toute particulière et bien connue, celle de la peur. Êtes-vous bien portant, intelligent et gai, vous n'êtes pas peureux et les choses que l'on raconte, les dangers qui nous environnent sont appréciés par vous avec calme et sang-froid, vous vous défendez, vous prenez des précautions : c'est là du raisonnement et non de la peur. Mais vous êtes affaibli, triste et malade, et voilà que vous sentez vos jambes qui commencent à fuir, votre cœur qui bat, votre visage qui se glace, vous vous retrouvez, comme le célèbre peureux de Toppfer, en train de regarder sous votre lit ou de fermer pour la vingtième fois la serrure ; c'est alors que vous sentez les angoisses de la peur et une frayeur invincible. Si l'on peut parler d'une autre passion bien plus minime, la passion du tabac chez un fumeur, nous trouvons dans un article de M. Delbœuf une confession qui a toute la valeur d'un document psychologique: « Le pot à tabac est à quelque distance de moi à sa place habituelle, je le sens qui m'attire. Tout à coup je me lève et me dirige inconsciemment vers lui. Je m'aperçois de ma faiblesse, je me rassieds et reprends ma lecture. Voilà que machinalement ma main plonge dans ma poche et en tire le cahier à cigarettes. Irrité contre moi, je remets violemment le cahier à sa place, etc. (1).»
Pas plus que la suggestion, que l'idée fixe ou la folie impulsive, la passion n'est une erreur; car une erreur existe tout entière dans l'esprit personnel et peut être combattue et détruite par lui, tandis que la passion a son origine en dehors de l'esprit personnel et ne peut être supprimée par ses raisonnements. On aura beau nous démontrer d'une manière irréfutable que cet amour est absurde, que cette frayeur est ridicule, nous en serons convaincus, mais nous serons toujours amoureux et effrayés. La passion se guérit quelquefois par sa satisfaction, quand ridée fixe a amené définitivement l'acte cuquel elle correspond, et disparaît par épuisement; elle peut aussi se guérir par une secousse
(1) Delbœuf, Le sentiment de l'effort. Revue philosophique, 1882, II, 516.
nouvelle qui bouleverse encore les couches de la conscience et nous permet de reprendre possession des idées émancipées.
Cette description rapide de la-passion n 'est-elle pas la reproduction exacte de ce que nous avons observé tant de fois chez le fou ou chez l'hys-térique qui a reçu une suggestion ? Chez eux aussi un état dr faiblesse momentanée de la conscience a permis de semer une idée étrangère qui n'est pas intégrée dans leurs jugements et leur volonté; cette idée se développa sans eux, malgré eux, et leur fait accomplir des actes qu'ils ignorent quelquefois, qu'ils acceptent dans d'autres circonstances et continuent, auxquels ils peuvent peut-être résister plus ou moins, mais qui leur sont toujours étrangers. Nous n'avons vraiment pas besoin de prendre du haschisch comme faisait Moreau (de Tours) pour savoir par nous-mêmes ce qu'est la folie : qui donc peut se vanter de n'avoir jamais été fou ?
SOCIÉTÉS SAVANTES
Les Congrès internationaux du mois d'août.
La plupart des Congrès scientifiques internationaux auront lieu pendant le mois d'août. Voici la date des principaux de ces Congrès :
Congrès de thérapeutique, du 1er au 5 août. Président : M. Moutard-Martin.
Congrès de médecine mentale, du 5 au 10 août. Président : M. Falret.
Congrès de psychologie physiologique, du 5 au 10 août. Président : M. Charcot.
Congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique, du S au 12 août. Président : M. Dumontpallier.
Congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences, du S au 18 août. Président : M. de Lacaze-Duthiers.
Congrès d'anthropologie criminelle, du 10 au 17 août. Président : M. Th. Roussel.
Congrès de médecine légale, du 19 au 24 août. Président: : M. Brouardel.
Congrès d'anthropologie, du 19 au 26 août. Président : M. de Quatre-fages.
La Revue de l'Hypnotisme sera représentée à chacun de ces Congrès et publiera les communications qui seront de nature à intéresser ses lecteurs.
CONGRÈS INTERNATIONAL
L'HYPNOTISME EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
(Du jeudi 8 août au 12 août 1839).
PRÉSIDENTS D'HONNEUR :
MM. les professeurs Charcot {de l'Institut), Brown-Séquard (de l'Institut) Azam, Brouardel, Charles Riciiet, Lombroso.
MEMBRES DU COMITÉ D'ORGANISATION :
M. le Dr G. Ballet, médecin des hôpitaux, professeur agrégé & la Faculté de médecine.
M. le Dr Beaunis, professeur à la Faculté de Nancy, directeur du laboratoire
de psychologie des Hautes études. M. le Dr Bérillos, rédacteur en chef de la Revue de l'Hypnotisme, membre
de la Société de psychologie physiologique. M. le Dr Bernheim, professeur à la Faculté de médecine de Nancy. M. Bordier, avocat a la Cour d'appel de Paris, membre de la Société de
médecine légale.
M. le Dr Bourru, professeur à l'École de médecine de Rochefort. M. le Dr Brian d, médecin en chef de l'Asile de Villejuif. M. le Dr Burot. professeur à l'Ecole de médecine de Rochefort. M. le Dr Collineau, membre de la Société médico-psychologique. M. le Dr Dejérine, médecin de Bicêtre, professeur agrégé à la Faculté de médecine.
M. le Dr Dubois, membre du Conseil municipal de Paris.
M. le Dr Dumontpallier, médecin de l'Hôtel-Dieu, secrétaire général de la
Société de biologie. M. le Dr FèrÉ, médecin de Bicêtre, membre de la Société d; biologie. M. le Dr fontan, professeur à l'École de médecine de Toulon. M. le Dr Forel, médecin en chef de l'Asile d'aliénés de Zurich. M. le Dr Grasset, professeur à la Faculté de Montpellier. M. Pierre Janet, professeur agrégé de philosophie, membre de la Société de
psychologie physiologique. M. le Dr Ladame, privat-docent a l'Université de Genève. M. A. Lalande, professeur agrégé de philosophie. M. le Dr Liébeault, de Nancy.
M. Liégeois, professeur à la Faculté de droit de Nancy. M. le Dr Mabille. médecin en chef de l'Asile de Lafont. NU le Dr Paul Magnin, membre de la Société de psychologie physiologique.
M. le Dr Manouvrier. professeur a l'École d'anthropologie, membre de la Société de psychologie physiologique.
m. le Dr Mesnet, médecin de l'Hôtel-Dieu, membre de l'Académie de méde-cine.
M. le Dr ramadier, médecin de l'Asile de Vaucluse.
M. le dr Aug. Voisin, médecin de la Salpêtriére, membre de la Société médico-psychologique. -m. Emile Yung, professeur à l'Université de Genève.
BUREAU :
Président: M. Dumontpallier.
Vice-Présidents : M. G. Ballet.
— M. Grasset (de Montpellier).
— M. Liégeois ;de Nancy).
— M. Aug Voisin. Secrétaire général : M. Berillon.
Secrétaires : MM. Collineau, Lalande, Paul Magnin. Ramadier.
Secrétaire adjoint au secrétariat général : Jules Braut.
RÈGLEMENT DU CONGRÈS
EXPOSÉ
En conviant au premier Congrès international de l'Hypnotisme expert-mental et thérapeutique les savants français et étrangers qui s'intéressent aux progrés de l'hypnotisme, les organisateurs ont pour but :
1. De fixer la terminologie de cette science;
2. D'enregistrer et de déterminer les acquisitions réelles faites jusqu'à ce jour dans le domaine de l'hypnotisme.
Pour conserver au Congrès son caractère exclusivement scientifique, le Comité n'acceptera que les communications se rapportant aux applications cliniques, médico-légales et psycho-physiologiques de l'hypnotisme.
Art. I.
Le Congrès se réunira à Paris du 8 au 12 août 1889. — Les séances auront lieu à l'Hôtel-Dieu de Paris.
Art. II.
Les adhérents au Congrès auront seuls le droit de prendre part aux discussions.
Art. III.
Le Congrès se composera : l. D'une séance d'ouverture;
a. De séances consacrées aux communications et aux discussions ;
3. De visites dans les hôpitaux et hospices de Paris;
4. D'une ou plusieurs conférences générales.
24 revuE DE L'HYPNOTISME
Art. IV.
Les communications seront divisées en trois groupes : 1. Applications thérapeutiques et cliniques de l'hypnotisme et de Ut suggestion; 3. Applications médico-légales;
3. Applications psycho-physiologiques et pédagogiques.
Art. V.
Les communications et les comptes rendus des discussions seront réunis dans une publication adressée à tous les adhérents.
Art. VI.
Le droit d'admission est fixe à 10 francs.
Art. VII
Les adhérents sont invités à adresser le plus tôt possible le titre de leurs communications à M. le Secrétaire général.
Art. VIII.
Toutes les communications relatives aux Congrès, demandes d'admission, ouvrages manuscrits et imprimés, etc. doivent être adressées à M. le Dr BÉRILLON, secrétaire général, 40 bis, rue de Rivoli, Paris.
QUESTIONS MISES A L'ORDRE DU JOUR (Premiere liste) Question I
De la nécessité d'interdire les séances publiques d'hypnotisme. — Inter-vention des pouvoirs publics dans la réglementation de l'hypnotisme. Rapporteur : M. le Dr Ladamf.
Question IL
Rapports de la suggestion et du somnambulisme avec la jurisprudence et la médecine légale. — La responsabilité dans les états hypnotiques. Rapporteur : M. le Professeur Liégeois.
Question III.
Indications de l'hypnotisme et de la suggestion dans le traitement des maladies mentales. Rapporteur : M. le Dr Auguste Voisin.
Question IV.
Applications de la suggestion à la pédiatrie et à l'éducation mentale des enfants vicieux ou dégénérés. Rapporteur : M. le Dr Berillon.
Question V.
Valeur relative des divers procédés destinés a provoquer l'hypnose et à augmenter la suggestibilité au point de vue thérapeutique. Rapporteur : M. le Profc«scur Bernheim.
COMMUNICATIONS ANNONCÉES (Première liste)
1. MM. les Dr Van eeden et Van Renterghem d'Amtesrdam). — Compte
rendu des résultats obtenus a la Clinique de psycho-thérapeutique suggestive d'Amsterdam. — Statistique portant sur 500 sujets.
2. M. le Dr Fontas (de Toulon». — Les effets de la suggestion hypnotique
dans les affections cum materia du système nerveux. 3- M. le Dr Paul Magnin (de Paris). — Les modifications de la sensibilité
chez les hypnotisés. 4 M le Dr de Jong ;de La Haye}. — 1. Les divers procédés d'hypnotisation;
2. Valeur thérapeutique de la suggestion dans quelques psychoses.
5. M. le Dr Levinson de Saint-Pétersbourg). — Troubles nerveux consécu-
tifs à un cas d'auto-hypnotisation.
6. M. le Dr Gascard (de Paris). — Influence de la suggestion sur certains
troubles de la menstruation.
7. M. le Dr Bérillon ;de Paris). — Les attentats à la personne morale dans
l'état d'hypnotisme. 8. MM. les Dr Hubert et Bérillon (de Paris). — Guérison par la suggestion
de deux cas de blépharospàsme chez des hystériques, 9. M. le Dr Briand (de Villejuif)- — Nouvelles applications thérapeutiques de
la suggestion.
10. MM. les Dr Bourru et Bu rot .de Rochefort). — Un cas de neurasthénie hystérique, avec dédoublement de la personnalité, guéri par la suggestion.
11. M. le Dr Burot (de Rochefort).— L'auto-hypnotisme en médecine légale, la. M. le Dr Bernheim (de Nancy). — Les hallucinations négatives suggérées. 13. M. le Dr Laurent (de Paris). — De la suggestion hypnotique chez les criminels.
CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE
Le Congrès de psychologie physiologique.
Le Comité du Congrès de psychologie physiologique qui s'ouvrira le 5 aoû: est ainsi constitué:
Président: M. Charcot ; vice-présidents : MM- Magnan. Th. Ribot, Taine ; secrétaire général : M. Charles Richet ; secrétaires: MM. Gley, Marillier ; trésorier: M. Ferrari; membres du Comité: MM. Brissaud, Ochorowicz, le docteur Ruault, Sully-Prudhomme.
Les communications relatives au Congrès doivent être adressées à M. Ch. Richet. secrétaire général, 15, rue de l'Université.
Les questions que porte le programme du Congrès sont les suivantes : I. Sens musculaire. — II. Rôle des mouvements danq la formation des images. — III. L'attention est-elle toujours déterminée par des états affectifs ? — IV. Etude statistique des hallucinations. — V. Les appétits chez les idiots et chei les imbéciles. — VI. Existe-t-il chez les aliénés des impulsions motrice indépendantes des images et des idées 2 — VIL Les poisons psychiques. — VIII Hérédité. — IX. Hypnotisme.
Nous reviendrons sur les détails d'organisation de cet important Congrès, qui offre pour nos lecteurs un grand intéret, et nous publierons les comptes rendus des discussions.
L'hypnotisme à la Sorbonne.
La docte Sorbonne elle-même n'a pu échapper à la contagion. L'hypnotisme, s'abritant sous le manteau de la psychologie physiologique, vient de faire une entrée triomphale dans le sanctuaire de la Faculté des lettres.
Vendredi dernier. M. Pierre Janet. ancien élève de l'Ecole normale supérieure et brillant agrégé de philosophie, soutenait sa thèse de doctorat sur ee sujet tout a fait nouveau.
Hâtons-nous de dire que le jury, composé de MM. Hincly, doyen, Paul Janet, Waddington, Marion et Séailles, a fait a la thèse l'accueil le plus libéral et n'a pas ménagé au candidat les éloges les plus mérités.
M. Paul Janet, avec son grand sens critique, a surtout argumenté le chapitre consacré aux dédoublements de conscience. M. Marion, avec sa grande autorité, a fait ressortir les déductions qu'on pourrait tirer de la thèse de M. Janet pour l'éducation du caractère. Quant à M. Séailles, il n'a pas hésité à reconnaître que la thèse de M. Janet constituait le signal d'une véritable révolution dans l'enseignement de la philosophie.
Ce qui nous a surtout frappé dans la soutenance de cette thèse, c'est à voir que des universitaires et des latinistes faisaient preuve, dans ces questions si complexes que soulève l'étude de l'hypnotisme, du somnambulisme et de l'hystérie, d'une compétence telle qu'on la trouverait chez peu des médecins les plus instruits.
Aussi, quand le doyen a annoncé que la thèse de M. Pierre Janet était acceptée à l'unanimité, cette décision a-t-elle été accueillie par les applaudissements d'un auditoire d'élite dans lequel nous avens remarqué MM. les docteurs Azam, Bérillon, MM. Ribot. Alcan et un grand nombre de professeurs de la Sorbonne.
Une application chirurgicale, à l'Hôtel-Dieu. de l'anesthésie
somnambulique.
Lundi dernier. M. le docteur Tillaux, chirurgien de l'Hôtel-Dieu, avait convié ses collègues de l'Hôtel-Dieu et un certain nombre de médecins à assister à une opération qu'il se proposait de faire sur un sujet plongé dans l'état de somnambulisme.
H s'agissait d'une jeune femme atteinte de cystocèle et pour laquelle l'ope-
ration douloureuse et délicate de la colporraphie avait été décidée. Un interne du service, M. Témoin, ayant constaté que cette femme était facilement hypnotisable, M. Tillaux songea à utiliser cette aptitude pour l'opérer sans chloroformisation.
La malade, hypnotisée dans son lit par l'interne du service, reçut la suggestion de se rendre à l'amplithéâtre. Là, elle se coucha elle-même sur la table, et pendant qu'on l'incisait et qu'on plaçait les points de suture, ne cessa de s'entretenir avec l'interne.
Pendant toute la durée de l'opération, qui dura en tout une demi-heure, elle ne manifesta la sensation d'aucune douleur. ,
Elle fut ensuite rapportée dans son lit sans avoir été réveillée. Là, à son réveil, elle apprit avec stupéfaction que l'opération était terminée.
Les assistants, parmi lesquels nojs avons remarqué MM. Mesnet, Du-montpallier, Bucquoy, médecins de l'Hôtel-Dieu, les docteurs Sérillon, Car-rance, Guinard, Millet, etc., ont exprimé à l'habile chirurgien de l'hôpital et à son interne toutes leurs félicitations pour le succès de cette opération remarquable à tous les égards et qui restera dans l'histoire de l'hvpno-tisme.
Les détails de l'opération feront l'objet d'une communication que nous nous ferons un devoir de publier.
Une sourde-muette célèbre.
La mort de Laura Bridgman vient de rappeler l'attention sur cette femme remarquable. Nous ne nous faisons pas d'idée aujourd'hui de l'immense intérêt que présente son cas. A l' âge de vingt-six mois, elle perdit entièrement l'usage de la vue et de l'ouïe ; jusqu à l'âge de huit ans, on ne tenta rien pour l'instruire. A ce moment elle avait entièrement perdu tout souvenir du temps -qui s'était écoulé avant sa maladie ; elle ne se souvenait absolument d'aucunes sensations tactiles ou visuelles. Le succès avec lequel le Dr Howes réussit à lui apprendre à parler, à lire, à écrire avec les mains est aussi une histoire connue de tous les psychologues.
Une étude de son état psychologique et physiologique fut écrite, il y a dix ans, par le professeur Stanley Hall. Il constata qu'elle était totalement incapable de voir ou d'apprécier aucune sensation lumineuse. Sa surcité était également complète. Mais elle pouvait apprécier différentes sortes de vibrations et reconnaître ses amis au bruit de leur pas. Le sens du goût et celui de l'odorat étaient émoussés.
Le sens tactile présentait le développement le plus remarquable et la plus .grande finesse. La sensibilité de la face était deux ou trois fois plus grande que In moyenne.
Il est difficile de donner une idée exacte de l'acuité du sens du tact, développé chez elle à un tel point, qu'elle sentait même les grains de poussière sur sa figure et ses mains. Fait assez curieux, le sens de la température était moins délicat que chez la moyenne de» personnes. Il en était de même pour les sensations de pression et pour les impressions électriques. Sa mémoire tactile était si extraordinairement développée, qu'elle pouvait reconnaître sur-le-champ des amis qu'elle n'avait pas vus depuis très longtemps, au seul contact de la main. Son sens musculaire, autant qu'on a pu en juger, n'avait pas d'acuité extraordinaire. Le sens de l'équilibre et de la
direction était très bien développé. Il est assez curieux que les mouvements de rotation lui donnaient facilement des nausées; et l'on pensa que peut-être les canaux semi-circulaires n'avaient pas été détruits par la maladie qui lui fit perdre le rens de l'ouïe.
Cette femme ne manifesta jamais qu'elle eût la notion de l'instinct sexuel. Il est d'ailleurs peu probable que son éducateur eût rien tenté pour développer ses idées dans ce sens. 11 préféra lui inculquer des idées religieuses qu'elle accepta facilement.
Le cas de Laura Bridgman est surtout curieux par la démonstration qu'il a fournie de la possibilité de développer l'intelligence à un degré assez élevé par l'intermédiaire d'un seul sens, celui du toucher.
Un ??s d'hypnotisme appliqué à la politique.
Le Standard publie une lettre de Belgrade, qui affirme que le roi Milan était hypnotisé lorsqu'il a abdiqué. Le correspondant du Standard base son opinion sur les faits suivants :
Tout indiquait dans le roi Milan un tempérament hystérique. L'influence illimitée de Maie Artémise Christitels semble inexplicable, car le roi la trouvait plus intelligente que son ministre et sa cour, tandis que tout le monde la considérait comme médiocre.
Mais elle s'occupait constamment, avec sa sœur et le roi. d'hypnotisme.
Milan était considéré comme un bon medium. Cette dame était désignée familièrement par le surnom de femme aux yeux de serpent.
Lorsque le roi parla d'abdiquer, quand il était à bout d'arguments, il s'écriait : Tout ce que vous me dites est inutile ; je dois agir comme je le fais. Au sujet de ce qui se passa, ce jour-là, voici le récit d'un témoin oculaire :
« II entra brusquement, puis s'arrêta tout à coup en baissant les yeux. Quand il commença à parler, un de ses amis les plus intimes qui se tenait à côté de lui ne reconnaissait pas sa voix. Il parlait comme un ventriloque, et si je n'avais vu ses lèvres remuer, je n'aurais jamais cru que ce fût le roi Milan qui parlait. . Un eutre officier m'a raconté ceci : « Aussitôt qu'il entra, il parut avoir perdu toute force pour contrôler ses actes et il agissait comme dominé par une autre force. Quand il eut fini, il releva les yeux pour la première fois et son regard était vague et somnolent. Mais bientôt après il reprit son attitude normale. »
L'étrange conduite du roi Milan, au moment de son abdication, s'explique parfaitement au moyen de la suggestion hypnotique.
Nous n'enregistrons ce récit qu'à simple titre de curiosité et pour montrer jusqu'à quel point l'imagination des reporters anglais peut se donner libre cours. Que le roi Milan ait été facilement hypnotisable,cela n'a rien qui puisse surprendre. Les rois sont, comme leurs sujets, accessibles à toutes les impressions qui peuvent agir sur les mortels ; étant donne que la plupart des actes humains ont pour point de départ une suggestion reçue à l'état de veille, il est possible après tout que le roi Milan ait été fortement suggestionné par des conseillers qui avaient quelque empire sur son esprit, et qu'il n'ait pas agi spontanément. Mais avant de croire qu'il ait été systématiquement hypnotisé pour arriver au résultat obtenu, nous demandons d'autres preuves que celles qui nous sont fournies par l'ingénieux correspondant du Standard.
BIBLIOGRAPHIE
L'hygiène à l'école: Pédagogie scientifique, par le Dr Collineau (1)
Le livre de noire collaborateur n'a rien de commun avec un traite élémentaire d'hygiène scolaire. C'est l'exposé critique des questions d'ordre pédagogique qui ont eu en ces dix dernières années et auront longtemps encore le privilège de fixer l'attention.
C'est ainsi que les informations si multiples, si variées, qui se rattachent a l'organisation matérielle de l'école: dispositions architecturales, orientation, éclairage, chauffage, ventilation, etc., de l'immeuble; choix rationnel des objets composant le mobilier et le matériel scolaires : tables, bancs et pupitres, livres, cahiers, cartes et types d'objets pour renseignement par les choses, toutes ces informations pratiques sont réunies dans un premier et compendieux chapitre.
L'analyse comparative des méthodes de lecture, la recherche des procédés faciles, rapides, attrayants, l'énonciation des principes qui doivent présider à la lecture expressive l'occupent ensuite.
Dans le chapitre qui suit, sur l'écriture. l'auteur met en relief les dangers que fait courir à la rectitude de la taille la coutume d'attitudes vicieuses. Il signale la scoliose comme laconséquence funeste et fréquente de l'attitude nécessairement forcée qu'implique l'action d'écrire, et don', à l'âge où l'on s'exerce à former les lettres. les jeunes enfants—la petite ; le surtout, en raison de sa docilité plus grande — sont enclins à contracter la déplorable habitude.
L'étude de la myopie scolaire et celle de l'astigmatisme ont été, dans ces dix dernières années, l'occasion de savantes communications et de discussions pleines d'intérêt. Le docteur Collineau, en colligeant et condensant ces précieux documents, livre l'état exact et complet de la science sur la matière.
L'examen de la question tant de fois reprise du surmenage cérébral s'imposait. Au résumé des travaux récemment publiés sur le sujet, fait suite une critique fortement motivée des procédés proposés à titre de remède. Trop communément, au sens de l'auteur, on pèche par ignorance : . En général, dit-il, il faut bien l'avouer, on ignore parfaitement en quoi consiste le jeu physiologique de l'organe que l'on a la prétention de cultiver. Le rôle de la sensation sur l'encéphale, celui de l'encéphale sur la volonté, l'appréciation des phénomènes de perception sensi-tive. de mémoire et de transformation de sensibilité en mouvement, en un mot l'acte nerveux réflexe est ce dont on se préoccupe le moins... On se targue d'adapter le cerveau de l'enfant à une règle, alors que tous
(1) Un vol. in-12 de 300 pages, orné de 50 figures intercalées dans le texte. Bi-éliothèque scientifique contemporaine, J.-B. Baillièe et fils, éditeurs.
les efforts devraieni tendre à adapter la règle aux virtualités propres du cerveau de l'enfant.»
La discipline scolaire, à son tour, l'arrête. Aux procédés de coercition qui n'ont joui d'une faveur que trop large et trop prolongée, à ces procédés qui (ont scandale encore de temps à autre aujourd'hui, il oppose les procédés plus humains, plus physiologiques, plus efficaces de la per suasion.
Deux questions afférentes plutôt à l'éducation qu'à l'instruction proprement dite occupent les deux chapitres qui suivent. Au point de vue pédagogique, l'auteur fait le tableau, puis montre les causes et les conséquences des terreurs nocturnes et de l'astuce auxquelles, par nos temps de nervosisme, les enfants sont de plus en plus prédisposés.
Une question, toute d'actualité, enfin, clôt le volume : celle de l'emploi en pédagogie de la suggestion hypnotique.
Le Dr Bérillon a eu le mérite d'aborder et de résoudre cette importante question, tt nos lecteurs sont au courant de ses travaux.
L'interprétation des phénomènes y est donnée. Les indications et contre-indications de l'hypnotisme en pédagogie y sont spécifiées.
Avec une prudente réserve, et d'accord, en ceci, avec les doctrines de la Revue de l'Hypnotisme, l'auteur conclut à l'urgence d'une réglementation précise des pratiques hypnotiques et à la nécessité d'en confier exclusivement l'usage à des mains intègres et expertes.
A ce propos, du reste, voici ses propres expressions : « En dernière analyse, si, en matière d'hypnose, le dernier mot est fort loin d'être dit ; si, entre des mains inhabiles ou vénales, ses pratiques entraînent d'incontestables dangers ; et si, par une réglementation sévère, l'urgence s'impose d'en réprimer l'abus, il n'en demeure pas moins acquis ce point: c'est que la pédagogie trouve, dans la suggestion hypnotique, un auxiliaire de prix et qu'il est aisé de définir les circonstances spé-ciales dans lesquelles il y a lieu de recourir à ce moyen exceptionnel d'action ; c'est que les faits qui en démontrent la puissance, de jour en jour, se renouvellent et se confirment ; c'est, enfin, que l'étude de cet agent d'orthopédie mentale se généralise et que les esprits sérieux ne sauraient désormais en désintéresser. »
Le livre du docteur Collineau comble une lacune. Au début de l'Exposition, il vient à son heure. Ecrit d'un style alerte, sans cesser d'être scientifique, il sera d'une lecture attrayante et utile pour quiconque a souci des choses de la science et de l'enseignement.
P. M.
Der Hypnotismus, par le docteur Albert Moll (1).
M. le Dr Moll, de Berlin, qui vient de publier un livre sur l'hypnotisme, est déjà bien connu de ceux qui s'occupent de cette question. A
(1) Berlin, Fischers Medizinische Buchhandlung, 1880, 279 p. in-8°.
plusieurs reprises,cet auteur a appelé l'attention des médecins allemands sur l'hypnotisme. Au début de ses études, il eut quelque peine à vaincre le scepticisme allemand. Mais il sut gagner peu a peu bien des amis a la cause de l'hypnotisme, par des travaux scientifiques exempts d'enthosiasme et d'exagérations, et qui se distinguaient par une grande réserve objective. Récemment, M. Moll. avec le concours du Dr Sper-ling, a prouvé la valeur thérapeutique de l'hypnose devant la Société médicale de Berlin, et malgré la vive opposition de M. le professeur Mendel, l'assemblée a manifesté un assentiment presque unanime pour les paroles de M. Moll.
Le livre de M. Moll, qui vient de paraître, est le premier livre allemand dans lequel la matière de l'hypnotisme soit traitée complètement. Partout on y reconnaît non seulement le médecin observateur, mais aussi le psychologue instruit. Assez longtemps on a négligé la nouvelle science en Allemagne, mais il semble que notre littérature sera bientôt aussi nombreuse sur ce sujet que celle de la France.
M. Moll n'est pas de ceux qui se contentent de copier d'autres livres ni de ceux qui, sans critique, s'attachent à une certaine école. Bien qu'il suive pour une grande partie les doctrines de l'école de Nancy, il ne rejette que ce qu'il peut refuser par des preuves scientifiques. Sans doute, il y a des points où l'on n'est fait d'accord avec l'auteur; mais toujours il expose et défend ses thèses avec une telle clarté qu'on lit même ces passages avec une grande satisfaction.
Tout ce qui a des rapports avec l'hypnotisme est discuté. L'n des chapitres les plus intéressants est celui où l'auteur traite de la simulation. Les différences entre les deux écoles sont exposées avec clarté; l'auteur nie que la question de simulation sépare les partisans de Paris et de Nancy. « Pour éviter le danger de la simulation, nous cherchons des signes objectifs, c'est-à dire des signes qui ne peuvent être produits par la volonté. De tels signes peuvent être produits par la suggestion ou sans celle-ci ; cependant c'est absolument indifférent pour décider la question de la simulation. I1 n'est pas douteux que des signes objectifs ne puissent naître par la suggestion par exemple la vésication, ce qu'ont montré les médecins de Nany. Or, il semble injuste que les élèves de M. Charcot disent que les- expérimentateurs de Nancy n'aient pas des signes objectifs et ne se gardent pas contre la simulation. L'école de Nancy a vu des signes objectifs, mais seulement à la suite de la suggestion et différents de ceux de l'école de la Salpé-trière, qui affirme qu'il y a des signes objectifs indépendants de la suggestion. Ce n'est donc pas la simulation, mais exclusivement la suggestion qui distingue ces deux écoles. »
Tout compris, le livre de M. Moll apporte une excellente contribution à l'étude de 1 hypnotisme, et il pourra être consulté avec fruit.
Max Dessoir.
NOUVELLES
Hospice de la salpétrière. — Clinique des maladies nerveuses. — M. le projeteur Charcot fait les mardis, à 9 heures 1/2. une leçon clinique sur les maladies du système nerveux ; les vendredis, à 9 heures 1/2, examen des malades.
Asile Sainte-Anne. — Clinique des maladies mentales. — M. le professeur Ball fait, les dimanches et les jeudi», des leçons cliniques sur les maladies mentales.
Hospital. de la Charité — M. le Dr Luys fait le jeudi matin, dans son laboratoire de la Charité. des conférences cliniques sur l'hypnotisme expérimental.
Cours Libre. — Clinique des maladies nerveuses 55. rue Saint-Àndré des-Arts.— M. le Dr Bérillon fait tous les samedis, a 10 heure» 1/2, une leçon clinique sur les applications de 1' hypnotisme et de la suggestion a la thérapeutique; et la pédiatrie.
Les consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis, samedis, de 10 heures à midi. Les médecins et les étudiants en médecine peuvent y assister.
Portugal. — Le Gouvernement portugais vient de prendre de nouvelle» mesures pour assurer. dans toute l'étendue du royaume. l'interdiction des séances publiques d'hypnotisme.
Congres contre l'abus du tabac. — Un Congres international contre l'abus du tabac aura lieu a Paris. du 8 au 11 juillet inclusivement. Il tiendra ses séances rue de Rennes. 44 (place Saint-Germain-des-Près;. grande salle de la Société d'Encouragement à l'industrie nationale.
Parmi les nombreuses communications annoncées. se trouve la question de l'emploi de la suggestion pour guérir de l'habitude inventérée de fumer.
OUVRAGES REÇUS A LA REVUE
Le sommeil provoqué et les états analogues, par le Dr A. Liébeault. — Paris. Octave Doin, in-12, 310 pages. 1889. — Prix: 4 francs.
Les sensations internes, par H. Beaunts, professeur de physiologie à la Faculté de Nancy, directeur du laboratoire de psychologie physiologique à la Sorbonne. — Paris, Félix Alcan, in-8°. a56 pages 1889. — Prix: 6 francs.
L'hygiène à l'école : Pédagogie scientifique, par le Dr Collineau. — Paris, J.-B. Baillière, in-12, 315 pages, 1889. - Pris : 3 fr. 5o.
The hypnotism (with démonstrations), by Karl Grossmann, M. D.. Edinburg. — In-8°, 17 pages. Edimbourg. 1889.
Réponse à la question : L'influence de l'hypnotisme est-elle nuisible?
Tokarsky, chef de clinique s l'Université de Moscou. — Saint-Pétersbourg, 50 pages in-8°, 1880.
Der hypnotismus seine bedeutung- und seine Handhabung; in kurze fasster Darstellung-, von Dr Aug. Forel. — Stuttgard. in-8°. 88 pages. 1889
Le Franc-maçon Jérôme Lalande. avec trois portraits, par Louis Amiable. — Charavay frères, in-8°, 50 pages. — Prix: 1 fr. 5o.
Des prisons-asiles pour les criminels aliénée et instinctifs, par le
Dr Semal, directeur de l'asile d'aliénés Je Mons. — Broch, 57 pages. in-8°, Bruxelles, 1889.
Das Doppel Ich. par Max Dessoir. — Karl Sigismund, in-8°. 42 pages. Berlin, 1889.
L'Administatreur-Gérant : Émile BOURIOT. 170, Rue St-Antoine. 82- 071.paris — Imprimerie Charles Blot, Rue Bleue, 7.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
BULLETIN"
LE CONGRÈS INTERNATIONAL DE L'HYPNOTISME
De tous les congrès qui se réuniront pendant la durée de l'Exposition de 1889, il n'en est pas qui présentera plus d'intérêt que le premier Congrès international de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique.
Il y a trois mois, lorsque quelques rédacteurs de cette Revue adressaient un timide appel aux savants dont les travaux ont fait entrer définitivement l'hypnotisme dans la voie scientifique, ils ne se doutaient certainement pas que l'idée ferait si vite son chemin. Ce oui n'était hier que l'expression d'un souhait, est devenu aujourd'hui une réalité. Grâce aux précieux encouragements des maîtres les plus éminents ; grâce au dévouement de tous ceux auxquels l'étude de l'hypnotisme doit ses plus réels progrès, grâce surtout au concours si libéral de toute la presse médicale et politique, l'organisation du Congrès n'aura pas demandé plus de deux mois.
La séance d'ouverture aura lieu le jeudi 8 août, à l'Hôtel-Dieu de Paris. Nos lecteurs trouveront plus loin le programme détaillé du Congrès. Il est inutile d'insister sur l'importance des questions générales pour lesquelles de remarquables rapports ont été rédigés. Il nous suffira de dire que ces rapports, destinés à mettre en lumière tous les résultats positifs appelés à devenir l'objet d'applications journalières, ont été confiés à MM. les professeurs Bernheim et Liégeois, et à MM. les docteurs Bérillon, Ladame, Aug. Voisin. Ils seront l'objet de discussions approfondies.
Un grand nombre de communications diverses, concernant la thérapeutique, la médecine légale, la pédagogie et la psychiatrie sont annoncées, c'est-à-dire que les médecins, les magistrats, les avocats, les professeurs, les philosophes, en un mot, tous ceux qui
s'intéressent aux progrès de l'esprit humain, pourront acquérir, dans le cours des séances du Congrès, d'utiles et nombreux enseignements portant sur des faits nouveaux.
Dans un autre Congrès, non moins intéressant à beaucoup de points de vue, celui de psychologie physiologique, l'étude de l'hypnotisme sera aussi abordée scientifiquement ; mais elle y sera surtout envisagée au point de vue spéculatif et philosophique.
Les organisateurs du Congrès de l'hypnotisme ont, au contraire, l'intention de rester dans le domaine des faits pratiques. Le but qu'ils se proposent est avant tout utilitaire, et ils auront pour principale préoccupation de faire ressortir les avantages positifs qu'il a été possible de retirer jusqu'à ce jour de l'étude de l'hypnotisme.
Il était temps, d'ailleurs, de soumettre les laits enregistrés par un grand nombre de savants au contrôle d'une discussion scientifique. Ce sera là un des grands avantages du Congrès que de mettre en présence des hommes qui s'occupent journellement des mêmes études et de leur permettre de s'entretenir courtoisement des problèmes dont ils poursuivent isolément la solution.
Les conclusions votées et les résolutions prises par des savants habitués à envisager les faits sans passion et à ne les accepter comme vrais qu'après les avoir soumis au contrôle de l'expérimentation, auront certainement au dehors le plus légitime retentissement.
Le Congrès sera international dans toute l'acception du mot. Des adhésions nombreuses sont déjà arrivées de Suisse. d'Italie, de Belgique, de Hollande, de Suède. d'Angleterre, d'Allemagne, de Russie, de Grèce, de Turquie, du Canada, des Etats-Unis, etc..- L'Académie de médecine de Belgique a désigné un de ses membres, M. le professeur Masoin. pour la représenter officiellement au Congrès.
Le Comité réserve à tous les savants étrangers qui nous honoreront de leur visite l'accueil le plus sympathique.
Pendant les travaux du Congrès, diverses attractions leur permettront de reposer leur attention. Les moins agréables ne seront pas les visites organisées dans les hospices de la Seine, et en particulier à l'asile de Villejuif, où une réception des plus cordiales est réservée par l'administration aux membres du Congrès.
Nous sommes convaincu que le premier Congrès international de l'hypnotisme, par son caractère intime et par l'intérêt de ses travaux, laissera dans l'esprit de ses membres le souvenir le plus agréable et le plus durable.
P. M.
VALEUR DE LA SUGGESTION HYPNOTIQUE DANS LE TRAITEMENT
DE L'HYSTÉRIE(1)
Par le Docteur Edgar BÉRILLON
Grâce aux recherches successives d'un nombre considérable d'auteurs, et en particulier de Landouzy (2), Briquet (3), Ber-nutz (4), pour ne citer que les plus illustres, l'hystérie s'est peu à peu dégagée de son obscurité nosologique pour apparaître comme une espèce morbide nettement définie. Elle a cessé d'être « ce protée qui se présente sous autant de formes que le caméléon », selon l'expression pittoresque de Sydenham.
Les travaux de Charcot (5) ont complété l'œuvre de ses devanciers, et actuellement il n'est peut-être pas d'affection dont les caractères cliniques soient mieux déterminés. Dès lors, le clinicien ayant à sa disposition tous les éléments positifs qui permettent d'établir un diagnostic précis, on pouvait espérer qu'il ne tarderait pas à être mieux armé pour le traitement de la maladie. Cependant il est probable qu'on se serait contenté encore longtemps de certaines données empiriques, si un groupe de médecins, qu'on est convenu de désigner sous le nom a Ecole de Nancy, n'avait appelé l'attention du public médical sur un nouvel agent thérapeutique, dont les résultats sont de beaucoup supérieurs à ceux des diverses médications tentées jusqu'à ce jour. Nous voulons parler de l'hypnotisme, ou, plus justement, de la suggestion hypnotique.
Bien des faits cliniques semblaient faire présager ces résultats, et l'efficacité du traitement moral s'était parfois manifestée de la façon la plus inopinée. Le fait de Boerhaave, cité par Tissot, est un des exemples les plus frappants. Dans la maison de santé de Harlem, tous les jeunes gens, filles et garçons, avaient été pris de convulsions. Boerhaave empêcha le retour des crises en faisant allumer des fourneaux ardents et en désignant l'endroit du bras où l'on
(1) Leçon faites à la Clinique des maladies nerveuses (55, rue Saint-André-des-Arts . (2) Landouzy, Traité complet de l'hystérie. Paris, 1845.
(3) Briquet, Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie. Paris, 1859.
(4) Bernutz. Leçons cliniques sur l'hystérie (Gazette des Hôpitaux, 1874);- — Art. Hystérie, du Dictionnaire Encyclopédique.
(5) Charcot, Leçons sur Us maladies du système nerveux. Paris, 1878, 1884. 1887.
devait faire une profonde brûlure dès le début de l'accès. C'est peut-être ce qui inspira à Boerhaave l'idée d'utiliser, le premier, l'action -psychique des pilules de mie de pain dorées.
Gubler et Guéneau de Mussy aimaient à démontrer à leurs élèves l'action que pouvait exercer, sur les malades hysté-riques, les pilules mica-panis, les pilules fulminantes de taraxacum, les pilules panchymagogues, etc.. sans compter les doses réfractées de protoxyde d'hydrogène. Nous pourrions multiplier à l'infini les exemples qui démontrent l'influence du traitement moral. Mais c'est aux médecins de Nancy que revient l'honneur d'avoir, dans l'emploi thérapeutique de (a suggestion hypnotique, substitué une méthode rationnelle à l'application empirique.
En présence des succès nombreux enregistres par tous les mé- decins qui se conformaient aux enseignements donnés par les professeurs de Nancy, il y avait lieu de croire que leur doctrine, ] basée sur des faits innombrables, serait acceptée sans conteste.
Aussi n'est-ce pas sans étonnement que nous avons vu quel- ques auteurs s'attarder à discuter la valeur thérapeutique de l'hyp- notisme et s'appliquer á faire ressortir certaines contre-indications là où les premiers voyaient des indications formelles. En particu-lier, n'y avait-il pas lieu d'être surpris d'entendre dire que. sil l'emploi de l'hypnotisme est indiqué contre certains des symptô-mes graves de l'hystérie, le même procédé cesse d'être applicable lorsqu'on se trouve en présence de symptômes de même nature, mais de gravité moindre.
Il était tout naturel que nous fussions amené à rechercher les j motifs de cette contradiction, motifs dont nous ne trouvions l'expli- cation ni dans notre pratique personnelle, ni dans celle des nom-breux confrères français et étrangers qui. depuis quelques années, ne cessent d'apporter à la thérapeutique suggestive d'importantes contributions.
De plus, il nous a semblé qu'il importait, dans l'intérêt de la vérité scientifique, qu'un tel débat ne restât pas plus longtemps en suspens. C'est ce qui nous a déterminé à discuter quelques opinions récemment émises qui ne nous paraissent pas conformes à la réalité des faits.
Pour la clarté de notre étude, nous adopterons la division cli-nique adoptée par M. le professeur Charcot et nous envisagerons successivement l'emploi de la suggestion hypnotique:
1° Dans le traitement des symptômes de la grande hystérie (hysteria major) ;2°ans le traitement de l'hystérie mono-symptomatique 3° dans celui des manifestations de rhystérie vulgaire (hysteria minor); 4° dans le traitement des troubles mentaux de l'hystérie.
Grande hystérie.
La grande hystérie, ou hystéro-épilepsie. est essentiellement caractérisée par des attaques convulsives, magistralement décrites par MM. Charcot et Paul Richer (1). On sait quelle est la gravité de ces accidents épileptiformes ; on sait aussi combien la thérapeutique s"est montrée jusqu'ici impuissante à y remédier. Aussi n'est-il pas étonnant que tous les neuropathologistcs soient tombés ici d'accord pour admettre, dans ce cas, la légitimité de l'emploi de l'hypnotisme. Tout en reconnaissant que l'hypnotisme a pu rendre d'indiscutables services, non seulement contre l'attaque convulsive elle-même, mais aussi contre les troubles variés qu'elle entraîne à sa suite, quelques-uns tendent encore à apporter quelques restrictions à son égard. Ils déclarent qu'ils ne pensent pas qu'on puisse en retirer d'autre avantage que la diminution des attaques, qu'il est fort probable que les stigmates de l'hystérie et la tendance aux diverses manifestations persisteront, en un mot. que ce procédé à lui seul restera insuffisant
Etait-il bien nécessaire de nous donner ces avertissements charitables ? Nous sommes les premiers a reconnaître que chez des malades qui présentent de tels stigmates de dégénérescence, la suggestion hypnotique, qui est. avant tout, une médication de symptômes, ne pourra amener une transformation complète de l'état général du système nerveux.
Cependant plusieurs faits bien observés iraient encore à rencontre de cette opinion. Il est absolument hors de doute que presque toutes les malades hystéro-épileptiques qui furent, pendant trois ans, dans le service de M. Dumontpallier, à la Pitié, soumises à des séances quotidiennes d'hypnotisme, faites à la fois dans un but thérapeutique et expérimental, ont vu peu à peu disparaître complètement, non seulement leurs attaques convulsives. mais aussi les autres symptômes qu'elles avaient présentés.
Aujourd'hui, L. G..., M. C..., B..., P..., C... et F..., ont repris la vie normale. Deux d'entre elles sont mariées, mères de famille, jouissent d'une excellente santé et n'ont plus d'attaques. Une troisième occupe de délicates fonctions administratives que son état de santé antérieur ne semblait jamais devoir lui permettre de remplir. 11 est possible qu'un choc brutal dans leur existence soit capable de réveiller tôt ou tard des manifestations convulsives ; mais, en attendant, elles bénéficient de l'état d'excellente santé relative dans lequel elles se trouvent actuellement.
Nous sommes donc autorisé par les faits à admettre que la
(1) Pau Richer, Etudes cliniques sur la grande hystérie, 2e édition, 1885.
suggestion hypnotique qui a permis, pendant de longs mois, de neutraliser les symptômes de grande hystérie dès le retour de leur apparition (attaques convulsives, contractures, anesthésies, aphonie, vomissements, amaurose, anurie, etc.), a eu chez elles le résultat le plus favorable. Il est d'ailleurs inutile d'insister sur ce point, puisqu'il est admis par tous que l'indication de la suggestion hypnotique, voire même de l'hypnotisme prolongé, est parfaitement justifiée dans le traitement de la grande hystérie et des symptômes qui lui font cortège.
Nous nous bornerons à ajouter que, dans tous les cas, la suggestion nous paraîtrait beaucoup plus inoffensive que le procédé traumatique de la compression ovarienne, dont le moindre inconvénient est de déterminer la production de profondes ecchymoses, extrêmement douloureuses. Sans compter, comme le fait remarquer justement M. Bernutz, qu'il est bien difficile d'admettre qu'une mère permette jamais de l'employer sur sa fille (1).
Hystérie monosymptomatique.
Assez souvent l'hystérie ne se manifeste que par l'apparition d'un symptôme isolé, qui, tout en étant d'origine essentiellement hystérique, n'est ni précédé d'attaques convulsives, ni accompagné d'aucun des stigmates de la névrose.
Les plus fréquentes de ces manifestations sont : le mutisme hystérique, l'aphonie, la toux nerveuse, le hoquet, les vomissements, les arthralgies, les monoplégies, les contractures, le blépharospasme, etc..
Dans ces cas. l'emploi de la suggestion hypnotique s'impose.
Les brillants résultats enregistrés par tous les cliniciens qui ont appliqué l'hypnotisme avec méthode sont trop nombreux pour ne pas justifier nettement cette indication.
Cependant, malgré l'évidence des faits, quelques auteurs persistent à affirmer que la suggestion hypnotique doit, dans les cas d'hystérie monosymptomatique, compter moins de succès que
(1) La compression ovarienne avait été employée dès le XVIe siècle par Mercado et Mouard, qui plaçaient une grosse pierre sur le ventre des malades. Boerhaave avait perfectionné le procédé- en comprimant l'abdomen avec un coussin maintenu par une ceinture et Récamier l'avait simplifié en faisant tout simplement asseoir une personne sur le ventre de la malade. Le procédé actuel consiste, la malade étant étendue sur le sol, à plonger le poing ferme, en appuyant de toute sa force, dans la fosse iliaque qui est habituellement le siège de la douleur ovarienne.
Dans certains cas. cette compression a été faite avec une telle force, que des accidents graves ont été notés. M. Comby a publié un cas de péritonite aiguë, suivie de mort, survenue chez une hystérique à la suite de la compression de l'ovaire gauche. (Progrès Médical, 1880.)
d'insuccès. Ces critiques ne sont pas nouvelles (1) et nous avons pu nous convaincre qu'elles étaient basées, en général, sur le raisonnement suivant : « Nous avons tenté l'application du procédé, et nous n'avons pas réussi : donc, il n'a aucune valeur. » Qu'il nous soit permis de trouver cette conclusion prématurée et de demander, à notre tour, si l'échec ne tient pas plutôt à la manière dont le procédé est appliqué, qu'au procède lui-même.
Nous savons d'ailleurs qu'un des travers les plus communs de l'esprit humain consiste à dédaigner les arts dans lesquels on n'excelle point.
Braid (2) s'était déjà heurté aux mêmes préventions, et, dans son livre qui renferme tant d'utiles préceptes et qui pourrait encere servir de vade-mecum au médecin hypnotiseur, il dit textuellement :
« Quelques personnes, je le sais, prétendent avoir essayé en vain ma méthode : la raison en serait simplement qu'elles ne veulent pas comprendre la nécessité de remplir toutes les conditions sur lesquelles j'ai tant insisté. Mais, en toute justice, si elles ne remplissent pas toutes les conditions, elles ne peuvent guère s'attendre à obtenir les résultats espérés et ne doivent pas s'étonner de l'insuccès. Si le sujet et l'opérateur se conforment à toutes les instructions que j'ai données, le succès est presque certain; au contraire, l'échec est presque également certain, si ces conditions ne sont pas toutes exactement observées. »
Nous aurions peu de chose à ajouter aux paroles de Braid, si un certain nombre de médecins n'avaient la prétention de vouloir appliquer l'hypnotisme et la suggestion sans s'être donné la peine de faire un apprentissage préalable. Si simple que soit en théorie l'application de la suggestion, il est hors de doute que, dans la pratique, elle nécessite une certaine expérience, et, je dirai plus, une éducation spéciale.
Il ne s'agit plus là d'un simple conseil médical, d'une consultation dont l'exécution est laissée aux soins du malade ou de son entourage. Au contraire, le médecin devient opérateur. Il fait lui-même l'application du traitement et en assume la responsabilité. Et, de même que le chirurgien ne peut se soustraire à l'obligation d'exercer sa main, de l'assouplir et de la familiariser avec
1) Toutes les méthodes t.hérapeutiques ont, dans tous les temps, été l'objet de
discussions plus ou moins passionnées, et jamais aucune n'a été assez heureuse pour rallier l'unanimité des suffrages.
« Qui vit jamais médecin se servir de la recepte de son compaignon sans y ajouter ou y retrancher quelque chose ? » (Montaigne, Essais.)
(2) Braid, Neurypnologie. Traité du sommeil nerveux, ou Hypnotisme, trad. Jules Simon. Paris, 1883.
les difficultés du procédé opératoire, de même aussi le médecin hypnotiseur ne pourra se dispenser d'apprendre à mesurer l'action de sa parole. Il ne pourra pas plus se dispenser d'acquérir les qualités de tact, de patience, de douceur, de persuasion, de précision sans lesquelles le résultat de toute expérience d'hypnotisme sera forcément livré à l'incertitude et au hasard.
La pratique de l'hypnotisme n'échappe à aucune des règles qui régissent les autres actes humains. Indépendamment des aptitudes personnelles, c'est en hypnotisant tous les jours de nouveaux sujets que certains hypnotiseurs sont arrivés à un tel degré d'habileté, qu'ils ne rencontrent pas plus de vingt sujets réfractaires sur cent. C'est à force de suggestionner qu'on apprend à adapter à tel sujet, dans telles conditions déterminées, l'artifice sans lequel la suggestion n'aura aucune prise sur son esprit. En particulier, n'est-ce pas aller au-devant d'un insuccès presque certain, que de vouloir hypnotiser un malade sans l'avoir convaincu de l'utilité qu'il pourra retirer du traitement et sans l'avoir décidé à s'y soumettre avec docilité ? Au contraire, l'opérateur n'aura-t-ii pas toutes les chances de succès, s'il a eu la patience d'attendre que le malade vienne presque exiger de lui l'application de la suggestion hypnotique ? Le médecin qui s'adonne à la pratique de l'hypnotisme doit se résoudre à ne ménager ni son temps, ni ses paroles. Il doit surtout être animé du désir le plus sincère et le plus formel d'arriver à la guérison du malade.
Malgré toute l'habileté et toute la patience de l'opérateur, l'hypnotisme comptera encore des insuccès, cela n'est pas douteux.
Mais quel traitement n'en compte pas ? L'antipyrine guérit-elle toutes les migraines? Le salycilate de soude, tous les rhumatismes articulaires aigus ? Le sulfate de quinine est-il toujours souverain dans les fièvres intermittentes? La suspension améliore-t-elle tous les ataxiques ?
Non. et il ne vient à l'esprit de personne l'idée de s'en étonner.
Dès à présent, l'Ecole de Nancy a (ait des élèves dont le nombre ne se compte plus. Déjà des statistiques imposantes, établies avec toute la rigueur désirable, sont là pour prouver que la suggestion, appliquée par des praticiens exercés, aussi bien dans le traitement des manifestations complexes de l'hystérie que dans celui des symptômes isolés, mérite d'être rangée au premier rang des agents thérapeutiques.
L'hystérie vulgaire.
Si, comme nous venons de le voir, on soulève peu d'objections lorsqu'il s'agit d'appliquer la suggestion au traitement des symptômes graves de l'hystérie, il est loin d'en être de même lorsqu'on
se trouve en présence des diverses manifestations de l'hystérie vulgaire (hysteria minor). L'adage « qui peut plus peut moins » ne semble pas devoir, aux yeux de quelques auteurs, trouver ici son application.
Le principal argument qu'ils fournissent contre l'emploi de la suggestion, est la crainte que cette médication n'ait pour effet de réveiller l'hystérie en puissance et de provoquer l' éclosion de nouveaux symptômes.
Cette supposition serait légitime, s'ils ajoutaient que ces accidents seront imputables surtout aux médecins qui auront appliqué I hypnotisme sans avoir l'expérience voulue, ou aux personnes qui se font un jeu d'endormir leurs semblables, dans un but de curiosité malsaine. Mais, s'ils veulent généraliser, nous n'hésiterons pas à protester énergiquement contre ces imputations, qui ne reposent sur aucun fondement.
Pas plus entre nos mains qu'entre celles de MM. Liébeault, Bernheim. Beaunis, Grasset, Ladame, Forel, Van Renterghem. Wetterstrand, Moll et un grand nombre d'autres cliniciens émments, 1 hypnotisme n'a engendré l'hystérie. Il serait aussi injuste de dire que leurs hypnotisation's. laites dans un but curatif. ont aggravé les troubles nerveux qu'ils avaient entrepris de traiter. Tout au plus pourrait-on admettre qu'au début de leur pratique, il a pu arriver à tous ces médecins d'acquérir de l'expérience aux dépens de quelques malades. Encore ces accidents constatés n'ont jamais dépassé les limites d'un simple mal de tête ou d'un engourdissement passager, susceptibles de disparaître sous l'influence d'une nouvelle suggestion.
La différence que présente la méthode suggestive avec les autres méthodes n'existe pas seulement dans le procédé d'hypno-tisation. Elle se retrouve aussi dans le procédé de réveil.
Réveiller un malade en lui soufflant brusquement sur les yeux constitue, selon nous. le plus sûr moyen de déterminer une attaque. Nous procédons d'une façon toute différente et nous réveillons ordinairement nos malades en leur adressant les paroles suivantes :
« Vous allez vous éveiller doucement... Et. lorsque vous serez réveillé, vous n'éprouverez aucune sensation d'engourdissement, ni de fatigue... Vous aurez l'esprit tranquille et vous éprouverez beaucoup de satisfaction d'avoir été endormi. »
Tous les médecins qui réveillent leurs malades dans ces conditions, opérant sous le contrôle de confrères et d'élèves, peuvent certifier qu'ils n'ont jamais vu survenir d'attaques convulsives à la suite d'hypnotisations. A tel point qu'à Nancy, où des malades ont été hypnotisés par centaines, la grande attaque d'hystérie est beaucoup plus rare que partout ailleurs. Quant à nous-même,
nous n'en avons jamais vu si peu que depuis que nous nous sommes adonné spécialement à la pratique de l'hypnotisme (1).
Cependant un certain nombre des malades pour lesquels on fait appel au traitement par la suggestion sont justement sous l'imminence d'attaques convulsives, d'accès d'agitation maniaque, de mélancolie. Dans ces cas-là, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'une coïncidence fâcheuse du début de l'accès et de la tentative d'hypnotisation survint à point pour donner lieu, de la part d'esprits malveillants et surtout incompétents, à des appréciations désobligeantes.
Heureusement, ces coïncidences sont rares et l'inconvénient en sera pallié par un pronostic éclairé.
Lorsque les symptômes de l'hystérie vulgaire sont susceptibles de céder par l'emploi des moyens thérapeutiques ordinaires, il est plus facile de formuler une ordonnance que de recourir à la suggestion. C'est ce qu'on ne manquera jamais de faire. Mais les malades qui recourent à la suggestion, viennent habituellement d'épuiser en vain toutes les ressources de l'arsenal pharmaceutique. Ils ne demandent secours au traitement psychique que parce que toutes les médications ont été impuissantes.
Si certains médecins ne trouvent dignes de leur attention que les contractures, les anesthésies, les amauroses, les paralysies, et estiment qu'une hystérique qui n'a pas eu d'attaques con-vulsives est à peine une malade, il en est d'autres qui pensent, avec raison, que les insomnies, les névralgies rebelles, les dyspepsies, Us troubles viscéraux et menstruels, qui sont si fréquemment sous la dépendance de l'hystérie vulgaire, méritent bien quelque attention. La suggestion ayant prouvé là sa valeur thérapeutique, pourquoi hésiteraient-ils à y recourir dans les cas qui présentent une certaine ténacité ?
Il fut un temps où les médecins considéraient comme indigne d'eux d'appliquer un traitement psychique. Le vaillant docteur Liébeault en ht la cruelle expérience, lorsque, vers 1860, il fut mis à l'index par le corps médical de Nancy, sans qu'aucun de ses confrères voulût se donner la peine de vérifier si ses assertions étaient fondées.
Aujourd'hui on ne tomberait plus dans cette erreur. Des centaines de praticiens, et non des moins instruits ni des moins honorables, appliquent journellement la suggestion, aussi bien au traitement des symptômes de la grande hystérie qu'à ceux moins graves, mais souvent aussi pénibles, qui dépendent de l'hystérie vulgaire.
(1) Dans l'espace des six derniers mois qui viennent de s'écouler, nous avonss pratiqué au moins huit cents hypnotisations sans avoir assisté à la moindre attaque convulsive.
Est-ce à dire que nous nous abstiendrons de modifier l'état général des hystériques par un traitement hygiénique approprié ? Au contraire, nous pensons qu'il ne faut jamais perdre de vue que l'hystérie est avant tout la manifestation d'une dégénérescence héréditaire ou acquise. C'est pourquoi nous pensons que, en même temps que la suggestion pourra être utilisée comme une active et inoffensive médication des symptômes, elle trouvera dans l'hydrothérapie, l'électricité statique, la gymnastique au grand air. etc., des adjuvants d'une puissante efficacité.
Hystérie mentale.
Tous ceux qui ont eu l'ennui de vivre dans l'intimité des hystériques savent, encore mieux que les médecin-;, jusqu'à quoi point peuvent prédominer chez ces malades les troubles intellectuels et les perversions du caractère. Alors même qu'ils ne présentent pas d'attaques convulsives et que les autres manifestations de la névrose sont peu accentuées, ils sont fréquemment intolérables pour leur entourage.
Malgré les remarquables travaux de Lasègue, de Legrand du Saulle et de Huhard, il semble que les cliniciens ne se soient pas assez préoccupés de ces troubles mentaux. Dans aucun auteur on ne trouve formulée d'indication thérapeutique à cet égard. On croirait presque que les médecins les plus dévoués aient trouvé la tâche au-dessus de leurs forces.
En effet, lorsqu'on considère les principaux termes qui caractérisent le désordre de l'esprit des hystériques et qui, en allant des plus simples jusqu'aux plus complexes, sont: la mobilité des idées, l'inconstance, l'absence de volonté, l'esprit de confradiction, le mensonge, la simulation, l'inconscience, la perversion des sentiments, l'indifférence, l'érotisme, les impulsions irrésistibles, les idées fixes, les illusions, les hallucinations, l'ennui, la mélancolie, l'agitation maniaque, etc., on serait presque tenté de se laisser aller au découragement.
Contre cette sorte à'ataxie morale qui se manifeste par des alternatives d'hyperexcitabïlité psychique ou de la dépression, il n'eût pas été rationnel de compter sur l'action spécifique de tel ou tel médicament. Seule une médication psychique pouvait apporter la solution du problème. Cette médication est aujourd'hui parfaitement connue. C'est la suggestion hypnotique.
Il est évident que les hystériques abandonnés a. eux-mêmes, livrés au désordre de leur esprit, se déséquilibreront de plus en plus. Au contraire, maîtrisés avec fermeté, dirigés avec une certaine autorité, suggestionnés, en un mot, dans le sens de la résistance aux impulsions qui viennent les assaillir, ils ne tarderont pas à présenter d'heureuses modifications dans leur manière d'être. S ils
sont excités, on les suggestionnera dans le sens du calme. S'ils sont déprimés, on les stimulera dans le sens de l'action. En un mot, les suggestions devront toujours tendre à les rapprocher de la normale.
Grâce à de nombreuses expériences personnelles, nous pouvons affirmer que l'action de la suggestion se manifeste par les résultats les plus favorables. Dans certains cas. nous sommes arrivé, par un nombre limité de suggestions, à modifier si complètement le caractère de certaines hystériques, que les plus sceptiques sont obligés de se rendre à l'évidence.
Nous pourrions citer à l'appui de cette affirmation un grand nombre de faits probants ; nous nous bornerons pour aujourd'hui à citer le suivant :
Mme G... âgée de 36 ans. mariée depuis douze ans, présentait quelques symptômes de la grande hystérie. Chez elle, les troubles mentaux dominaient a un tel point, qu'elle rendait la vie insupportable à ceux qui l'entouraient. Elle était en proie à une telle irritabilité et manifestait une telle susceptibilité, que la moindre contradiction de son mari provoquait chez elle des désordres mentaux allant jusqu'au délire. Il lui était arrivé fréquemment de poursuivre son mari et les membres de sa famille avec un couteau.
Quoique peu disposée à reconnaître les défauts de son caractère, elle consentit à se laisser hypnotiser. Une seule suggestion lui lut laite, celle de ne plus se mettre en colère et d'avoir la volonté de résister á ses impulsions. Six mois s'écoulèrent pendant lesquels — elle-même et son entourage sont d'accord pour le reconnaître— la suggestion a opéré en elle une transformation frappante. En effet, pendant tout ce temps, elle n'a cessé de faire preuve d'une égalité d'humeur tout à fait inaccoutumée.
Hâtons-nous d'ajouter que, pour arriver à ce résultat, il faudra obtenir que le malade consente à se soumettre avec docilité à l'action de la suggestion hypnotique.
Il ne sera pas toujours facile de leur faire comprendre l'intérêt qu'elles auraient à se soumettre à un traitement aussi inoffensif. Avec au tact, on y parviendra dans la majorité des cas. A l'objection que l'effet de la suggestion peut n'être pas indéfini, nous répondrons qu'en effet l'hystérique aura sans doute besoin qu'on lui remonte le moral de temps en temps: mais n'est-ce pas là par excellence le rôle du médecin qui traite les affections mentales, et n'aura-t-il pas rendu déjà un grand service à l'hystérique et à son entourage s'il obtient qu'un état d'équilibre de l'esprit succède à ces perversions morales et à ces impulsions qui compromettaient la dignité et la sécurité de la famille ?
Il résulte de ce que nous venons de dire, que c'est surtout dans
le traitement de l'hystérie que la suggestion hypnotique a donné les résultats les plus favorables.
De notre pratique personnelle et de celle d'un grand nombre de médecins avec lesquels nous sommes en complète conformité d'idées, nous sommes autorisé à conclure que l'emploi de la sugges-tion est nettement indiqué :
1° Contre les attaques convuisives de la grande hystérie et contre les symptômes qui peuvent persister à la suite de ces attaques (paralysies, contractures, spasmes. anesthésies,amaurosestetc.):
20 Dans les cas d'hystérie monosymptomatique (monoplégie, mutisme hystérique, aphonie,hoquet, toux,blépharospasme,dys-chromatopsie. chorée rythmée, etc.) ;
3° Contre les manifestations de l'hystérie vulgaire [insomnie, dyspepsie, troubles viscéraux et menstruels, névralgies, etc.);
4° Contre les troubles mentaux de nature hystérique (perversions des sentiments, idées fixes, impulsions irrésistibles, hallucinations, mélancolie, agitation maniaque, etc.).
Nous ajouterons que si les tentatives d'hypnotisation et les suggestions sont faites rationnellement, il n'en résultera, même en cas d'insuccès, aucun inconvénient pour le malade.
Il n'y aura pas même à craindre qu'il ne conserve l"habitude de l'hypnotisation (hypnomanie). car il sera toujours possible, par une suggestion, de le guérir de cette habitude.
En résumé, l'introduction de la suggestion dans la thérapeutique vient élargir considérablement le rôle et le champ d'action du médecin ; elle a, en outre, l'immense avantage de ne créer pour le malade aucun danger réel. Pourrait-on en dire autant de toutes les médications ?
Comme l'a si justement exprimé M. le professeur Charcot, tout ce qui frappe vivement l'esprit, tout ce qui impressionne fortement l'imagination, favorise singulièrement, chez les sujets prédisposés, l'apparition de l'hystérie.
Il est évident qu'à une époque où l'hypnotisme n'apparaissait aux yeux du public qu'avec une apparence de merveilleux, les pratiques empiriques pouvaient contribuer, dans une large mesure, au développement de la névrose.
Mais aujourd'hui, entre les mains des médecins qui se bornent à appliquer la suggestion d'une façon rationnelle, il n'y a plus rien de pareil à craindre. La suggestion hypnotique, envisagée seulement au point de vue thérapeutique, loin de constituer jamais un danger, est appelée au contraire à rendre d'inestimables services.
DE LA SUGGESTION HYPNOTIQUE CHEZ LES CRIMINELS
Par le Dr Em. LAURENT Ancien interne à l'infirmerie centrale dei Prisons de Paris.
Un romancier célèbre a un jour posé cette question : Peut-on amener un individu à commettre un crime par suggestion? Et il l'a résolue par 1'affirmative dans son roman. Puis le même romancier s'est posé cette seconde question : Peut-on, au moyen de la suggestion, arracher son secret a un criminel réticent? Et. comme la première, il l'a résolue par l'affirmative. Ce n'étaient la pour lui que des hypothèses, vraisemblables sans doute, mais non encore vérifiées scientifiquement.
Je ne retiendrai ici que cette seconde partie de la question : Peut-on faire parler, au moyen de la suggestion hypnotique, un individu accusé d'un crime et arriver, par ce moyen, à la connaissance de la vérité? Naturellement ne discuterai point sur des hypothèses ou ies possibilités, mais sur un fait très curieux qu'il m'a été donné d'observer à l'infirmerie centrale des prisons de Paris, dans le service de M. le docteur Variot. qui a assisté à la plupart de mes expériences.
Voici d'abord, en deux mots, de qui il s'agit (1).
L..., dont l'hérédité nerveuse est très chargée (grand'mère folle, grand-père alcoolique, père épileptique, mère hystérique, un oncle épileptique. une sœur hystérique, etc.), est un paysan détraqué, excentrique et bizarre, sujet depuis l'âge de dix-sept ans a des attaques d'hystérie s accompagnant toujours de crachements de sang et qui, maintenant, reviennent presque quotidiennement. Qu'on me permette d'en faire brièvement la description.
Généralement L...sent venir ses attaques; plusieurs heures avant le
début, il éprouve un malaise général, une lourdeur de tête, une angoisse thoracique vague. Constamment il est pris de boulimie : il ingère jusqu'à deux kilogrammes de pain. Puis il devient inquiet, ressent des fourmillements dans tout le côté droit; il lui semble, dit-il, que des étincelles électriques lui montent le long de la jambe; il a des battements dans tou: le côté droit de la tête. Ces, derniers phénomènes se produisent environ une demi-heure avant le début de l'attaque.
Comme autres auras, il accuse une sensation de piqûre au sein droit et une douleur vive dans l'aine droite. C'est de cette région que part une boule qui remonte en tournoyant jusqu'à la gorge. Un nuage rouge
(1) L'observation a d'ailleurs déjà été publiée in-extenso dans l'Encéphale de janvier 1889 : Em. Laurent. De l'hystérie pulmonaire chez l'homme.
passe devant ses yeux ; son oreille droite est pleine de bourdonnements et de tintements de cloches; il n'entend plus ce qu'on lui dit et tous les sons lui paraissent confondus.
Au début de l'attaque, il se couche sur le côté gauche, la face tournée contre le mur : un eblouissement se produit et il perd connaissance sans pousser un cri. Après quelques mouvements alternatifs d'extension et de flexion des bras frappant à ton et à travers les objets qui l'environnent, il est pris d'un hoquet et rend, sans effort, quelques gorgées de sang. Cet état dure deux minutes et les grandes convulsions se produisent. Il tend à se mettre en arc de cercle, la tète restant sur le traversin, les pieds ne portant sur le lit que par les talons, le bassin et le torse projetés en avant. Brusquement le malade fléchit le tronc sur les cuisses, puis l'étcnd, renverse violemment la tête en arrière, jette les jambes de côté, et dans tous ces mouvements désordonnés il se blesserait certainement et tomberait de son lit s'il n'était retenu. Sa force musculaire, durant cette agitation, est considérable, bien que ses muscles n'aient qu'un développement tout à fait moyen. C'est à peine si quatre vigoureux infirmiers, le tenant chacun par un membre, peuvent limiter ses mouvements et le maintenir sur son lit.
Pendant ce temps, sa physionomie est tourmentée et grimaçante, les yeux sont injectés et hagards, toute la peau du visage est congestionnée. II n'y a pas d'écume à la bouche, mais le malade crache violemment de temps à autre.
Sa respiration est irrégulière, évidemment troublée par la contraction désordonnée des muscles du thorax ; l'expiration est souvent accompagnée d'une sorte de grognement.
Au moment de la plus grande agitation, le malade rend comme par régurgitation, en deux ou trois fois, environ un demi-verre de sang rouge, légèrement spumeux. Il souille sa chemise et sa poitrine.
Ordinairement ce sang est projeté contre le mur auquel son lit est adossé: toute la cloison en est éclaboussée jusqu'à une hauteur de deux mètres. Quelquefois même le plafond de l'infirmerie, qui a quatre mètres de hauteur, a été atteint; tout le temps de cette attaque, le malade est absolument sans connaissance. Au bout de cinq ou six minutes, les mouvements convulsifs s'arrêtent.
Invariablement à ce moment le malade crie : Papa ! alors l'agitation se calme un peu; il rcs:e couché sur le dos, les yeux fixés sur quelque objet imaginaire. Soudain il saisit sa chemise entre ses dents et la déchire du haut en bas. Il en garde un lambeau entre ses dents en le mordillant.
Il paraît en proie à une hallucination qui l'irrite. Il appelle à plusieurs reprises : « Papa! papa! ». Il appelle son père à son aide, invective le personnage qui excite sa colère; il le provoque : « Viens donc, fainéant! Donnez-moi mon fusil! » Il le défie : « Pique, pique avec ton couteau ! » et à ce moment il se pince fortement la peau recouvrant la fosse iliaque, et il indique l'endroit ou il faut le piquer.
Les ongles, lorsqu'il se pince, restent imprimés dans la peau. Il porte les poignets à sa bouche et, si on ne le retenait avec force, il se mordrait.
Après avoir mis sa chemise en pièces, il en fait autant de son drap de lit. Il le serre violemment entre ses dents, tire avec les mains de toutes ses forces et finit par le déchirer.
Puis il revient à un calme relatif. Son hallucination persiste; il appelle encore : « Papa! » s'émeut et pleure quelques instants. Il défie de nouveau le personnage qui est l'objet de son aversion, lui montre son flanc droit : « Pique ! pique ! » dit-il. Tout à coup il se tourne vers un des infirmiers et demande impérieusement un bouton à la fin de la crise, il a presque toujours cette fantaisie, et il faut absolument lui céder). L'infirmier lui dit d'attendre un instant pour aller le chercher, mais le malade le tire par son gilet, se précipite avec la bouche sur un bouton en os, le prend entre les dents, l'arrache et le broie en le faisant croquer. Il rejette en crachotant les petits fragments du bouton. Très souvent, pour ne pas dire toujours, il demande à boire après l'attaque. avale un verre de tisane en entre-choquant ses dents avec bruit contre le verre.
Quelques instants après on l'appelle, le son de la voix le fait revenir à lui : mais ses yeux sont encore hagards; il est halluciné; car il
montre la peau de son ventre en nous disant de le piquer. Il faut encore une demi-heure pour qu'il ait repris entièrement connaissance. II ne s'est pas mordu la langue et n'urine pas pendant la crise.
Telle est l'attaque à laquelle L... est sujet. Ajoutons, pour compléter le tableau, qu'il est hémianesthésique, que c'est le plus inconstant et le plus versatile des hommes, qu'il est porté à des mouvements de violence qui rappellent les impulsions des grandes hystéro-épileptiques de la Salpêtrière.
L... est hypnotisable. Je l'ai souvent endormi par le regard ou bien en lui faisant fixer la cuvette brillante d'une montre en or. On peut ainsi le mettre en catalepsie partielle ou totale et provoquer chez lui tout l'arsenal des hallucinations qu'on produit en pareil cas. On lui persuade qu'il bégaie, qu'il est ivre, qu'il est paralysé; on lut fait boire de l'eau pour du Champagne, etc.. mais l'hallucination qui le tourmente à la fin de chacune de ses attaques, revient identique pendant l'état de somnambulisme. Il revoit l'homme armé d'un couteau et il l'invective comme dans sa crise.
L... est non seulement suggestionnable pendant son sommeil, mais la suggestion peut persister à l'état de veille. J'ai fait les expériences qu'on répète ordinairement dans ces sortes de cas: mais j'en ai tenté une qui a pleinement réussi et qui ne saurait laisser aucun doute à cet égard.
Du 10 au 28 novembre 1888. L... eut régulièrement une attaque tous les jours. Le 28, quelques heures après son attaque, je l'endors et je lui ordonne de rester deux jours sans avoir d'attaque, et celle-ci ne revient que le troisième jour, c'est-à-dire le 1er décembre. Les 2, 3 et 4 dé-
cembre, les attaques reviennent. Le 4, nouvelle séance d'hypnotisme: je lui ordonne de rester trois jours sans avoir d'attaque : il n'en a pas avant le 8 décembre. Le 9 et le 10 décembre, nouvelles attaqeus. Le 10. je lui suggère de rester une semaine sans attaque, et, en effet, il n'en a plus avant le 17. Le 18 et le 19, elles reparaissent. Le 19, dans l'après-midi, je lui suggère de rester deux semaines sans avoir d'attaque, et il n'en a plus jusqu'au 3 janvier 1889. Ce jour-là il eut deux attaques. Les jours précédents, il s'était plaint d'avoir des étouffements. « C'est le sang qui m'étouffe, disait-il, j'ai besoin d'en rendre. »
Le 4 janvier, pas d'attaque; les 5, 6, 7 et 8 janvier, une attaque chaque jour. Le 8, je l'hypnotise et je lui ordonnance de rester quinze jours sans avoir d'attaques. « Seulement, lui dis-je. si vous avez des étouffements. si le sang vous gêne, vous pourrez en rendre un peu le 16 janvier dans la matinée, mais sans avoir d'aitaque. Vous vous contenterez de cracher. Je vous défends d'avoir une attaque.» L... n'eut plus d'attaques avant le 24 janvier; seulement, le 16, dans la matinée, il rendit environ un demi-verre de sang sous forme de vomique. mais sans la moindre crise nerveuse. A partir du 24 janvier, je cessai de le suggestionner et les attaques revinrent a peu près régulièrement tous les jours jusqu'au 15 février. Il quitta alors l'infirmerie pour entrer à Sainte-Anne dans le service du Dr Magnan, où il est toujours sujet aux mêmes attaques.
Il est incontestable que la volonté de cet homme était dans ma main et que j'étais absolument maître de lui a l'état de sommeil comme a l'état de veille.
Or L... avait subi plusieurs condamnations pour violences, homicide par imprudence, escroquerie, vol. Voici le fait qui avait motivé sa dernière arrestation.
L... alla un jour avec sa maîtresse à une foire aux environs de son village. Celle-ci vola un cheval avec une voiture et les lui confia en le priant de ramener bête et attelage à la maison, lui disant qu'elle les avait achetés. Telle est du moins la version de L..., qui fut arrêté pour complicité de vol.
Je me demandai s'il ne serait pas possible d'obtenir la vérité de L... pendant son sommeil hypnotique. Je tentai l'expérience.
Je ne crois pas avoir fait là rien de contraire à la morale professionnelle. J'ai cherché simplement à résoudre un problème scientifique et je n'eus jamais l'intention de me servir de ce moyen pour faire condamner ou absoudre personne. J'étais et je reste lié par le secret professionnel. En publiant ce fait ici, je ne me délie nullement. En effet, que signifie L... pour les lecteurs? Rien, absolument rien; c'est un être fictif, la donnée d'une équation à résoudre.
Donc je plongeai L— dans le sommeil hypnotique :
— On vous accuse de complicité de vol, lui dis-je. , — Je suis innocent.
— Vous saviez cependant que le cheval et la voiture avaient été volés.
— Non, non, reprend-il avec énergie ; je n'en savais rien.
— Vous le saviez.
— Je vous jure que non.
— Je vous dis que vous le saviez.
— Non, dit-il déjà plus mollement.
— Je vous assure que vous le saviez: vous le saviez.
— Oui, je le savais.
— C'est sûr; vous le saviez?
— Je le savais.
Quel cas fallait-il faire de cet aveu ? Aucun.
La preuve, la voici :
Je dis de nouveau a L... :
— Vous ne saviez pas que la voiture avait été volée ?
— Si, je le savais.
L..., en répondant ainsi, est sous l'influence de ma première suggestion. Sa volonté a été vaincue par la mienne; il s'avoue et se croit coupable. Je continue, et sa volonté va de nouveau plier sous ma suggestion :
— Vous ne saviez pas que la voiture avait été volée.
— Si, je le savais.
— Non. Je vous dis que vous n'en saviez rien.
— Non, je n'en savais lien.
Et, en effet, en ce moment, L... ne sait plus s'il le savait ou s'il ne le savait pas. Il croit ce que je lui dis et sa volonté flottante et incertaine se plie a toutes les absurdités.
— Comment vous appelez-vous ? , lui dis-je encore.
— Je m'appelle L...
— Non ; vous vous appelez P...
— Si, je m'appelle L...
— Je vous dis que vous vous appelez P...
— Oui, je m'appelle P...
Et je serai obligé de le faire repasser par les mêmes phases pour lui faire reconnaître qu'il s'appelle réellement L... Je lui dis encore :
— Vous avez assassiné votre femme?
— Oh ! non. proteste-t-il avec énergie.
— Si, vous l'avez assassinée.
— Non.
— Je vous dis que si. J'en suis sûr. Rappelez-vous. Il réfléchit un instant, puis :
— Oui, c'est vrai ; je l'ai assassinée.
Je réveillai L... Etait-il coupable ou n'était-il pas coupable? Je n'en savais absolument rien.
Je tentai une nouvelle expérience. J'endormis L..., et cette fois je commençai par lui suggestionner de ne me dire que la vérité. Comme a première fois, toutes ses réponses furent ce que je voulus qu'elles soient.
Dira-t-on que je n'avais pas une assez grande influence sur sa volonté pour l'amener à mettre sa conscience à nu ? Je croirais plutôt le contraire.
J'ai beau lui ordonner de dire la vérité ; la vérité, pour lui. c'est ce que je lui dirai, ce que je lui ferai croire. Son moi volitionnel n'existe plus. Il ne possède plus ce « vouloir à deux tranchants qui peut se tourner dans un sens ou dans l'autre, vers le oui ou le non » ; sa volonté n'est qu'une girouette désorientée, obéissant aux impulsions d'une autre volonté plus puissante qui la dirige et la gouverne.
J'aurais pu faire tout avouer ou tout nier à cet homme; j'aurais pu le faire jurer la main sur un brasier. Mois la vérité? Impossible de la démêler.
L'état de nos connaissances actuelles ne nous permet pas de savoir si l'hypnotisé obéit à sa conscience ou à la volonté qui le tient sous sa dépendance. Aussi, à la question que j'ai posée dès le début: Peut-on, par l'hypnotisme et la suggestion, obtenir la vérité d'un criminel réticent qui sera hypnotisé à cet effet? je répondrai : C'est peu probable. Il n'en serait pas de même, ainsi que MM. Liégeois et But : l'ont démontré, d'un criminel qui aurait commis son crime sous l'influence d'une suggestion.
L'hypnotisme, déjà bien étudié au point de vue thérapeutique, mérite certainement qu'on lui accorde quelque attention au point de vue criminel et je souhaite que des recherches soient poursuivies dans le même ordre d'idées que celui que j'ai abordé dans cet article.
L'HYSTÉRIE D'ORIGINE TOXIQUE
Par le Docteur COLUSEAt'
Certains produits toxiques exercent, on le sait, sur les centres nerveux une action perturbatrice assez profonde pour déterminer l'épilepsie avec toutes ses conséquences lamentables. A ces mêmes agents — de récentes recherches rétablissent — est imputable, aussi, l'apparition de phénomènes d'ordre hystérique.
Sous l'influence du plomb, du mercure, de l'alcool, sous celle d'autres principes, sans doute, dont la participation n'est pas encore nettement définie, on voit apparaître (ceci, sous un jour particulier) les manifestations de la changeante névrose. Et il ne s'agit nullement ici — la répétition des faits le démontre — d'une curiosité clinique. Il s'agit dune modalité distincte que revêt l'hystérie, et dont la fréquence est subordonnée au sexe, à la profession, aux antécédents héréditaires. « C'est
parfois, fait observer Berbez (1). chez des individus manifestement hystériques que surviennent les accidents: mais d'autres fois, au contraire, c'est sous les dehors trompeurs de l'intoxication que la névrose évolue. » et alors, saturnine, mercurielle, alcoolique ou autre, l'intoxication imprime aux déterminations nerveuses son propre cachet.
C'est ainsi qu'après avoir observé chez un peintre en bâtiments les troubles accoutumes de l'intoxication saturnine : coliques de plomb, paralysie d'un des avant-bras (le droit), abaissement de la température normale, obtusion du goût et de l'odorat, réduction du champ visuel du même côté. Potain ne fut pas peu surpris d'assister, un matin, au transfert inopiné de tous les accidents à gauche, et put surprendre \î secret de leur nature hystérique. Dans un cas dont Dutel (2) fait la description, bien qu'intimement et ostensiblement due au saturnisme, la paralysie : monoplégie brachiale, n'en présentait pas moins nettement tranché le type hystérique. De son côté, Rendu (3) rapporte une très curieuse observation dans laquelle, après s'être dissimulée sous les dehors d'une tuberculose à laquelle des poussées congestives pulmonaires suivies d'hémoptysies semblaient préluder, l'intoxication saturnine servit ensuite à dissimuler la véritable nature, la nature hystérique devenue plus tard indéniable des phénomènes. L'hémianesthésie, a gauche, dont le malade n'avait pas conscience, l'hyperesthésie, à droite, la sensibilité à la pression de la fos«e iliaque, symptôme, pour le dire en passant, d'une saisissante analyse avec la sensibilité a la pression de l'ovaire, si commune chez la femme en pareil cas la réduction du champ visuel, et un certain degré de surdité, voila autant de stigmates de nature a assurer le diagnostic. Or, cet homme qui avait embrassé la profession de peintre en bâtiments et avait, par la suite, été victime d'un empoisonnement en rapport avec son métier, était né de père nerveux irascible et de mère hystérique. Sa sœur était atteinte de grande hystérie et lui-même, dans son enfance, avait été sujet jus-qu à 1 âge de dix ans à des troubles nerveux bizarres, k des attaques mal caractérisées avec perte totale ou partielle de connaissance. Bref, c'était un névropathe devenu saturnin.
Ces faits et tant d'autres publiés par Raymond, Ananief, Vigouroux, Hanot. Landolt, Constantin Paul. Debove, établissent en tout état de cause la relation qui existe entre l'empoisonnement par le plomb et la physionomie affectée par les déterminations de l'hystérie.
Eh bien! dans l'hydrargyrisme. la même corrélation se constate, ainsi
(1) Berbez, L'hystérie toxique. — Gazette des hôpitaux, p. 45. Paris, 1888.
(2) Dutel, Hystérie saturnine ; Monoplegie brachiale. — Gazette médicale, p. 509-.. Paris, 1888.
(3) Rendu, Poussées de congestion pulmonaire, saturnisme, hystérie. — Gazette des hôpitaux, p. 909. Paris, 1888.
que Letulle (1) l'a reconnu, entre les troubles physiologiques imputables au poison, et ceux qu'il convient d'attribuer à la diathèse névropa-thique. Les exemples fournis tour à tour, à ce sujet, par Jean, Hallo-peau, Rendu, Maréchal. Achard, viennent confirmer ses allégations.
Voici, entre autres, en substance, le cas particulièrement démonstratif observé par Rendu (a). Agé de 38 ans, le sujet avait joui jusqu'à 27 ans (époque i laquelle il prit une profession dans laquelle il lui fallait manier le mercure d'une santé parfaite. A trois reprises, dés lors, des malaises croissants l'obligent à interrompre son travail. Admis A l'hôpital Laennec. il présente l'état suivant : Tremblement à grandes oscillations, facile a distinguer, par conséquent, de celui de l'alcoolisme; incoordination motrice, avec exacerbation, titubation dès qu'il s'agit de tourner sur soi-même, et tendance aux chutes (signe de Rhomberg), dès que les paupières sont closes, mais aussi avec sudations subites, dès qu'au mouvement et a la station debout succèdent le repos et le séjour au lit ; exagération, et non suppression, comme dans l'ataxie, de la réflectivité tendineuse; légère anesthésie du côté gauche; conservation normale de la contractilité et de la puissance musculaires; troubles fonctionnels sen-sitifs, consistant en douleurs fulgurantes s'irradiant de la région lombaire aux cuisses, à la région des genoux et jusqu'à celle des malléoles, ou bien, plus rarement, remontant vers le thorax; absence totale des douleurs en ceinture caractéristiques de l'ataxie.
Ataxie, tabes, pseudo-tabes, tabes spasmodique, sclérose en plaques, à laquelle de ces affections peuvent se rattacher les accidents ? — D'une manière précise, à aucune.
D'autre part, l'influence de l'hydrargyrisme sur leur genèse est incontestable. Mais différente est leur nature, la reconstitution de l'histoire du malade l'a prouvé. Après avoir, en effet, quitté depuis un temps assez long la profession qui exigeait avec le mercure des contacts quotidiens, le sujet avait été atteint de rhumatisme articulaire. Or. la convalescence avait été marquée par la brusque apparition d'une hémiplégie du bras gauche avec hémianesthésie sensorielle et sensitive complète, sans aphasie, comme y sont enclins les hystériques. Traité pour tel, a la Salpêtrière, par Charcot, il avait, au bout de six mois, guéri tout à coup, et il ne fut pas impossible à Rendu de relever chez lui des stigmates d'hystérie non équivoques : légère diminution de la sensibilité du côté gauche, points hyperesthésiques rachidiens. rétrécissement du champ visuel des deux côtés, diminution de la notion des couleurs, hérédité (mère nerveuse, frète épileptique).
« Donc, cet homme, conclut Rendu, qui l'a eu longtemps sous les yeux, est un hystérique avéré. Mais quelle influence le mercure a-t-il pu
(1) Letulle, De l'hystérie mercurielle. — Gazette hebdomadaire de médecine et de chinirgie, p. 616. 1887.
(2) Rendu, Hystérie et intoxication mercurielle.—Gazette, des hôpitaux, p. 279. Paris, 1889.
avoir sur lui? Cette influence est des plus évidentes, puisque, jusqu'à l' âge de 27 ans, jusqu'au moment où il est entré dans la chapellerie (c'est en ces circonstances qu'il maniait le toxique pour la préparation des peaux), il n'avait jamais été malade, et que c'est à partir de ce moment aussi, ou mieux, quelques années plus tard, que sa névrose a éclate, pendant le cours d'un rhumatisme. Il y a ici une relation de cause à effet, une influence absolue du mercure sur un terrain prédisposé.
» Ce n'est point là. ajoute-t-il, un fait exceptionnel ; nous reconnaissons bien aujourd'hui l'influence métallique comme capable d'éveiller l'hystérie chez l'homme. » A tout prendre, le cas est typique, et. à ce titre, méritait, ne fût-ce que pour permettre de mieux discerner les autres, d'être, avec quelque détail, mentionné.
L'étude poursuivie par Deboye sur le saturnisme dans ses rapports avec l'hystérie, celle à laquelle s'est livré Letulle sur l'action toxique du mercure dans des conditions similaires, cette étude, Ferdinand Drey-fous (1), à son tour, l'a entreprise, en ce qui concerne l'alcool. Des observations qu'il relate, il résulterait que nombre de faits enregistrés sous le titre d'épilepsie alcoolique seraient, avec plus d'exactitude, considérés comme du ressort de l'hystérie. L'hémianesthésie dont il relève en pareil cas, l'existence très habituelle, sinon constante, est, à ses yeux, un stigmate assez significatif pour trancher la question. En ce qui a trait à la genèse des accidents, le rôle de la névrose serait, sur celui de l'intoxication, prépondérant. Quant à la valeur de l'intoxication alcoolique, en tant que cause occasionnelle de l'hystérie chez un sujet héréditaire, elle serait moindre que celle de l'intoxication saturnine ou mer-curielle.
Les assertions de F. Dreyfous reposent, est-il besoin de le dire, sur une série de faits scrupuleusement observés, sur lesquels, d'ailleurs, il porte l'appréciation synthétique que voici :
« Les sujets dont nous venons d'indiquer l'histoire sont-ils alcooliques ? Sont-ils hystériques?
» Pour répondre à ces questions, nous pouvons nous appuyer sur des preuves positives et une preuve négative.
» Qu'ils soient alcooliques, impossible de le nier. La plupart avouent leurs excès de boissons ; ils ont des pituites, des rêves caractéristiques, des hallucinations, du délire.
» L'hystérie pourrait presque être affirmée, en s'appuyant sur les caractères seuls de l'hémianesthésie sensitive et sensorielle.
» MM. Debove et Achard ont bien insisté sur la valeur séméiologi-que de ce syndrome qui porte vraiment la marque de la névrose. D'après eux, en effet, l'hémianesthésie cérébrale doit toujours et avant tout faire songer à l'hystérie.
(1) Ferdinand Dreyfous, De l'hystérie alcoolique. — Union Médicale, nes des 3, 5, 15, 24 et 29 décembre 1887, Paris.
» Cela est encore plus nécessaire si, comme dans quelques-unes de nos observations, l'hémianesthésie apparaît après une attaque apoplectique. Mais ce qui lève tous les doutes, c'est la disparition de l'hémnianes-thésie sous l'influence des courants électriques. Ajoutons a cela l'état moral d;s sujets, leur caractère bizarre qui cadre bien avec celui des hystériques ; enfin, et surtout, les attaques convulsives, qui ne sont pas celles de l'épilepsie. Elles ont quelque chose d'anormal, d'illogique, d'extraordinaire, et, comme celles de l'hystérie, se produisent la nuit comme le jour. Dans quelques cas. la description rappelle tout à fait celle des attaques hystériques avec les mouvements de bassin, le clow-nisme des hystéro-épileptiqucs. Dans un cas, en particulier, l'attaque convulsive cessa sous l'action du chloroforme. »
Il n'en pas jusqu'à certains poisons morbides, jusqu'à certains virus qui ne puissent servir de point de départ à des observations de infime ordre.
Les recherches de Charcot (1) sur les rapports entre la syphilis et l'hystérie établissent péremptoirement un fait sur lequel Ricord. le premier, puis Baumes, Zambaco, Lancereaux et autres auteurs ont appelé, chacun pour Mr pan, l'attention. De même, en effet, que le plomb, le mercure, l'alcool peuvent être la cause provocatrice des troubles de l'innervation, de même la syphilis peut servir d'occasion aux manifestations possibles de la névrose demeurée latente jusque-là. De même, en chacune de ces circonstances, l'agent provocateur imprime son cachet à la physionomie des désordres.
(A suivre)
RECUEIL DE FAITS
HOQUET DATANT DE SIX MOIS. GUÉRI EN DEUX SÉANCES PAR LA SUGGESTION
Par le docteur P. BUROT, professeur à l'Ecole de médecine de Rochefort.
Mme Bon..., 58 ans, était atteinte depuis six mois d'un hoquet presque continuel, qui avait résisté à tous les moyens employés ; deux séances par la suggestion ont réussi a le faire disparaître complètement.
Cette femme,très impressionnable, a éprouvé de grands chagrins;
(1) Charcot, Hystérie et syphilis. Analyse d'une leçon faite à la Salpetriére le 1er novembre. — Progres médical, n° 51. Paris, 1887.
elle a perdu un enfant et son mari; n'a jamais eu de grandes crises nerveuses, mais est sujette à des crises de pleurs accompagnées de tremblement dans les membres et à la migraine.
La diathèse herpétique est des plus manifestes. Il y a quatre ans, a eu un eczéma généralisé, et presque tous les ans, au printemps et à l'automne, elle a des poussées de cette affection. Au mois de février 1888, elle éprouvait des douleurs dans les bras et dans les jambes, précédant une poussée eczémateuse. Un jour apparut le hoquet subitement; il dura un quart d'heure. Ce hoquet survint tous les quinze jours, à la même heure et de la même manière, puis tous les huit jours et enfin tous les jours. Au mois d'avril, il était incessant ; il commençait le matin dès son lever, augmentait graduellement et atteignait son maximum d'intensité de onze heures à trois heures, s'accompagnant Je soulèvements d'estomac et de renvois; il diminuait dans la soirée et ne cessait que pendant le sommeil.
Au mois de septembre 1888, Mme Bon... vint me consulter; le hoquet était violent. Elle fut facile à endormir, et dès la première suggestion elle fut très soulagée. Le lendemain, nouvelle suggestion, et le hoquet disparut complètement. Une particularité intéressante, c'est qu'il était facile de faire réapparaître ce hoquet et avec l'intensité qu'on désirait.
Dans l'état de somniation, il suffisait de placer une main sur la région épigastrique et d'insinuer que le hoquet allait revenir tel qu'il se présentait a telle ou telle heure de la journée. Il était aussi facile de le faire disparaître (1).
Ce hoquet à point de départ stomacal s'accompagnait de gastralgie et de dyspepsie.
La diathèse subsiste, mais depuis huit mois le hoquet n'a plus reparu.
congrès et conférences de (.exposition
Dimanche 4. à 3 heures. — Séance d'ouverture du Congrès d'hygiène et de démographie. Séances du 4 au 11 août, à l'Ecole de médecine.
Lundi 5, à 3 heures. — Séance d'ouverture du Congrès de médecine mentale. Séances du 5 au 10 août, au Collège de France.
Lundi 5. à 6 heures. — Séance d'ouverture du Congrès de zoologie, au palais du Trocadéro. Séances du C au 10 août.
Mardi 6, à 2 heures.— Séance d'ouverture du Congrès de psychologie physiologique. Séances du 6 au 10 août, à la Faculté de médecine (Amphithéâtre du laboratoire de physiologie).
Mercredi 7, à 4 heures. — Conférence, au palais du Trocadéro, par M. le docteur Hénocque: « Le sang, sa composition, son analyse. »
Jeudi 8, à 3 heures 1/2. — Séance d'ouverture du Congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique. Séances du 8 au 12 août, à l'Hôtel-Dieu.
(1) Le docteur E. Bérillon, qui se trouvait en villégiature à Fouras, a vu cette malade.
CONGRÈS INTERNATIONAL
de
L'HYPNOTISME EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
(Du Jeudi 8 acùt au 12 août 1889)
PRÉSIDENTS D'HONNEUR :
MM. les professeurs Charcot (de l'Institut), Brown-Séqcard (de l'institut Azam, Brouardel. Charles Richet, Loubroso.
MEMBRES DU COMITÉ D'ORGANISATION :
M. le Dr G. Ballet, médectc des hôpitaux, professeur agrégé à la Faculté de médecine.
M. le Dr Beaunis, professeur à la Faculté de Nancy, directeur du laboratoire
de psychologie des Hautes études. M- le Dr Bérillon, rédacteur en chef de la Revue de l'Hypnotisme, membre
de la Société de psychologie physiologique. M. le Dr Bernheim, professeur a la Faculté de médecine de Nancy. H. Bordier, avocat a la Cour d'appel de Paris, membre de la Société de
médecine légale.
H. le Dr Bourru, professeur à l'École de médecine de Rochefort. H. le Dr Bruno, médecin en chef de l'Asile de Villejuif. M. le Dr BUrot. professeur à l'École de médecine de Rochefort. M. le Drr Collineau, membre de la Société médico-psychologique. M. le Dr Déjérine, médecin de Bicêtre, professeur agrégé à la Faculté de médecine.
H. le Dr Dubois, membre du Conseil municipal de Paris.
M. le Dr Dumomtpallier, médecin de l'Hôtel-Dieu, secrétaire général de la
Société de biologie. M le Dr Fontan. professeur à l'École de médecine de Toulon. M. le Dr Forel, médecin en chef de l'Asile d'aliénés de Zurich. M. le Dr Garnie*, médecin en chef de la Préfecture de police. H. le Dr Grasset, professeur a la Faculté de Montpellier. M. Pierre Janet, professeur agrégé de philosophie, membre de la Société de
psychologie physiologique. H. le Dr Ladame, privat-docent à l'Université de Genève. M. A. Lalande, professeur agrégé de philosophie. M. le Dr Liébeault, de Nancy.
M. Liégeois, professeur à la Faculté de droit de Nancy. M. le Dr Mabille, médecin en chef de l'Asile de Lafont. M. le Dr Paul Magnin, membre de la Société de psychologie physiologique.
M. le Dr Manouvrier, professeur à l'École d'anthropologie, membre de la Société de psychologie physiologique.
M. le Dr Mesnet. médecin de l'Hôtel-Dieu, membre de l'Académie de médecine.
M. le Dr Ramadier, médecin de l'Asile de Vaucluse. M. le Dr Semal, médecin en chef de l'Asile de Mons.
M. le Dr Aug. Voisin, médecin de la Salpêtrière, membre de la Société médico-psychologique. M. Emile Yung, professeur à 1 Université de Genève.
BUREAU :
Président : M. De mont pallier.
Vice-Présidents : M. G. Ballet.
— M. Grasset (de Montpellier).
— M. Liégeois (de Nancy).
— M. Aug. Voisin. Secrétaire général : M. Bérillon.
Secrétaires : MM. Collineau;, Lalande, Paul Magnin, Ramadier.
RÈGLEMENT DU CONGRÈS
EXPOSÉ
En conviant au premier Congrès international de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique les savants fronçais et étrangers qui s'intéressent aux progrès de l'hypnotisme, les organisateurs ont pour but :
1. De fixer la terminologie de cette science;
2. D'enregistrer et de déterminer les acquisitions réelles faites jusqu'à ce jour dans le domaine de l'hypnotisme.
Pour conserver au Congrès son caractère exclusivement scientifique, le Comité n'acceptera que les communications se rapportant aux applications cliniques, médico-légales et psycho-physiologiques de l'hypnotisme.
Art. I.
Le Congrès se réunira à Paris du 8 au 11 août 1889. — Les séances auront lieu à l'Hôtel-Dieu de Paris.
Art. II.
Les adhérents au Congrès auront seuls le droit de prendre part aux discussions.
Art. III.
Le Congrès se composera : 1. D'une séance d'ouverture;
2. De séances consacrées aux communications et aux discussions;
3. De visites dans les hôpitaux et hospices de Paris;
4. D'une ou plusieurs conférences générales.
Art. IV.
Les communications seront divisées en trois groupes :
1. Applications thérapeutiques et cliniques de l'hypnotisme et de la suggestion;
2. Applications médico-légales;
3. Applications psycho-physiologiques et pédagogiques.
Art. V.
Les communications et les comptes rendus des discussions seront réunis dans une publication adressée à tous les adhérents.
Art. VI.
Le droit d'admission est fixé à 10 francs.
Art. VII.
Les adhérents sont invités à adresser le plus tôt possible le titre de leurs communications à M. le Secrétaire général.
Art. VIII.
Toutes les communications relatives aux Congrès, demandes d'admission, ouvrages manuscrits et imprimés, etc., doivent être adressées à M. le Dr BÉRILLON, secrétaire général, 40 bis. rue de Rivoli. Paris.
QUESTIONS MISES A L'ORDRE DU JOUR (Première Liste) Question I.
De la nécessité d'interdire les séances publiques d'hypnotisme. — Intervention des pouvoirs publics dans la réglementation de l'hypnotisme. Rapporteur : M. le Dr Ladame.
Question II.
Rapports de la suggestion et du somnambulisme avec la jurisprudence et la médecine légale. — La responsabilité dans les états hypnotiques. Rapporteur .- M. le Professeur Liégeois.
Question III.
Indications de l'hypnotisme et de la suggestion dans le traitement des maladies mentales. Rapporteur : M. le Dr Auguste Voisin.
Question IV.
Applications de la suggestion à la pédiatrie et à l'éducation mentale des enfants vicieux ou dégénérés. Rapporteur : M. le Dr Bérillon.
Question V.
Valeur relative des divers procédés destinés à provoquer l'hypnose et à augmenter la suggestibilité au point de vue thérapeutique. Rapporteur : M. le Professeur Bernheim.
COMMUNICATIONS ANNONCÉES
Applications cliniques et thérapeutiques.
1. MM. les Drs Van Eeden et Vas Resterghem (d'Amsterdam). — Compte
rendu des résultats obtenus à la Clinique de psycho-thérapeutique suggestive d'Amsterdam. — Statistique ponant sur 500 sujets.
2. M. le Dr Fontan (de Toulon). — Les effets de la suggestion hypnotique
dans les affections cum materia du système nerveux.
3. M. le Dr de Jong (de La Haye). — 1. Les divers procédés d'hypnotisation;
2. Valeur thérapeutique de la suggestion dans quelques psychoses. 4- M. le Dr Gascaro (de Paris). — Influence de la suggestion sur certains troubles de la menstruation.
5. MM. les Drs Hubert et Berillon (de Paris). — Guérison par la suggestion
de deux cas de blepharospasmc chez des hystériques.
6. M. le Dr Briand (de Villejuif). — Nouvelles applications thérapeutiques de
la suggestion.
7. MM. les Drs Bourru et Burot (de Rochefort). — Un cas de neurasthénie hystérique, avec dédoublement de la personnalité, guéri par la suggestion.
5. M. le Dr Lyod Tuckey ;de Londres). — Un cas d'ataxie locomotrice traité
par la suggestion hypnotique. 9. M. le Dr Bourdon de Méru). — Quelques applications de la thérapeutique hypnotique et suggestive dar.s la pratique courante.
Applications médico-légales.
1. M. le Dr Semal, (de Mons). — La personnalité du sujet étant soit un obstacle,
soit un auxiliaire a l'exécution d'un délit suggéré, quelle est la port de responsabilité qui incombe à l'hypnotisé délinquant ? Exposé de la question.
2. M. le Dr Bérillon (de Paris-. — Les attentats à la personne morale dans
l'état d'hypnotisme.
3. M. le Dr Burot (de Rochefort). — L'auto-suggestion en médecine légale.
4. M. le Dr Laurent (de Paris). — Action suggestive des milieux péniten-
tiaires sur les détenus hystériques.
Applications psycho-physiologiques.
1. M. le Dr Bersheim (de Nancy). — Les hallucinations négatives suggérées.
2. M. le Dr Coste (de Nancy). — Expériences d'auto-hypnotisme et d'autosuggestion.
3. M. Poirault ;de Paris). — Observations d'hyperacuité visuelle, auditive et
tactile chez un sujet hypnotisé.
4. M. le Dr Aug. Forel (de Zurich). — De l'hallucination négative chez les
aliénés et de la différence entre l'hallucination des hypnotisés et celle des aliénés.
3. M. Félix Hément (de Paris). — La suggestion à l'école.
6. M. Émile Yung (de Genève). — La suggestion à l'état de veille.
7. M. le Dr Paul Magnin (de Paris). — Des effets opposés déterminés par
un même agent physique chez l'hystérique hypnotisable.
5. M. A. Binet (de Paris}. — Étude graphique sur le dédoublement de la per-
sonnalité chez les hystériques.
CONGRES INTERNATIONAL
de
L'HYPNOTISME EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
Du jeudi 8 août au 12 août 1889 A L'HOTEL-DIEU : Amphithéâtre Trousseau)
PROGRAMME
Jeudi 8 Août.
A 3 h. 1/2. — Séance d'ouverture. — Discours du Président. — Communications sur l'organisation du Congrès par le Secrétaire général.
— Rapport de M. le Dr Ladame. — Discussion. — Communications diverses.
A 9 h. — Réception et soirée à l'Hôtel de Ville.
Vendredi 9 Août. A 3 h. 1/2. — Rapport de M. le professeur Bernheim— Discussion.
— Communications diverses.
A 9 h. 1/2. — Réception et soirée chez M. Yves Guyot, ministre des Travaux publics, à l'Hôtel du Ministère, 246, boulevard Saint-Germain. (Retirer les cartes d'invitation au Secrétariat.)
Samedi 10 Août.
A 3 h. — Rapport de M. le Dr Aug. Voisin. — Discussion. — Rapport de M. le Dr Bérillon. — Discussion.— Communications diverses.
Dimanche 11 Août.
A 9 h. — Visite à l'asile d'aliénés de Villejuif, sous la direction de M. Je Dr Briand, médecin en chef. — Après la visite générale des services, banquet offert par l'asile.
(Le rendez-vous de départ aura lieu à l'Hôtel-Dieu, à 8 h. 1/2 du matin; on est prié de s'inscrire avant le samedi soir.)
Lundi 12 Août.
A 9 h. — Visite à la Salpêtrière.
A 3 h. 1/2. — Rapport de M. le professeur Liégeois. — Discussion.
— Communications diverses. — Clôture du Congrès.
Le Secrétaire général : Le Président ;
Edg. BÉRILLON. DUMONTPALLIER.
Adresser les communications relatives au Congrès a M. le Dr Bérillon,
40 bis, rue de Rivoli.
SOCIETES SAVANTES
CONGRÈS INTERNATIONAL DE L'ALCOOLISME
Séance du 29 juillet 1889. — Présidence de M. Léon SaY.
La responsabilité des alcooliques.
M. Motet. — La loi française est restée muette sur la question d'excuse tirée de l'état d'ivresse de l'auteur d'un crime ou d'un délit; elle a été plus ou moins sévère, selon les circonstances, mais il n'y a pas de jurisprudence fixe. En matière civile seulement, il est arrivé, lorsque l'ivresse du contractant a été établie, au moment où il prenait des engagements, que ces obligations qui supposent toujours la capacité de contracter ont été annulées par les tribunaux. L'état d'ivresse a été, dans ces conditions, assimilé à l'état de démence.
Il y a donc une lacune dans nos lois. et cette lacune devrait être comblée.
Pour y arriver, il y a lieu de considérer que les divers états sous lesquels se présentent les alcoolisés répondent à plusieurs types.
Dans un premier groupe on doit comprendre l'ivresse simple, accidentelle ou provoquée, et dans quelques cas préméditée, groupe auquel appartiennent les buveurs d'habitude qui, sans présenter les troubles caractéristiques de l'ivresse, sont toujours sous l'influence toxique de l'alcool.
Un second groupe comprend toutes les formes de l'ivresse pathologique, d'une part, tous les états de trouble mental subaigus, aigus ou chroniques dus à l'intoxication alcoolique. Dans cette classe rentrent encore les aliénés, les imbéciles et les épileptiques qu'un excès alcoolique peut conduire aux plus dangereux écarts en réveillant chez eux des tendances impulsives qui ne se seraient pas manifestées sans l'appoint d'excitation apporté par l'alcool.
Voici dans quelles conditions semble devoir se présenter la responsabilité des individus rentrant dans ces groupes variés :
L'ivresse est punissable aussi bien que les délits ou les crimes commis sous son influence, lorsqu'elle est simple, et qu'il était au pouvoir du délinquant de l'éviter.
Elle est punissable, lorsque l'excitation alcoolique a été recherchée pour fournir l'appoint de détermination nécessaire pour commettre un crime ou un délit.
L'ivresse est punissable, mais avec un degré d'atténuation qu'il appartient aux magistrats de déterminer, chez des individus faibles d'intelligence, chez lesquels la tolérance pour tes boissons alcooliques est diminuée par la condition d'infériorité de leur organisation cérébrale. Elle ne saurait être excusable lorsque ces individus savent qu'ils ne peuvent pas boire sans danger, et ce cas est plus fréquent qu'on ne le suppose.
Les délits ou les crimes ne peuvent pas être punis lorsqu'ils ont été commis pendant la période délirante aiguë ou subaiguë d'un accès d'alcoolisme. — Il en est de même pour l'alcoolisme chronique, à l'heure où des lésions cérébrales définitives ont compromis l'intégrité de l'organe et déterminé le trouble durable de ses fonctions. Le malade, dans ces circonstances, doit être interné, traité, et renvoyé des qu'il est guéri.
CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE
L'éducation par un sens unique.
Un de nos lecteurs nous adresse la note suivante :
La Revue d'hypnotisme du 1er juillet contient quelques mots très intéressants sur la sourde-muette Laura Bridgman.Je lis quelque chose de semblable dans un ouvrage imprimé en 1874 (La Bête, par le P. de Bonniot, Marne, p. 58). Voici ce passage qu'il ne vous déplaira pas sans doute de connaître, et peut-être de faire connaître a vos lecteurs :
« L'éducation de l'homme peut même se faire au moyen d'un sens unique. On peut en voir un exemple en ce moment même dans la banlieue de Poitiers. Une aveugle sourde-muette est arrivée, par le tact seul, à un développement intellectuel étonnant : e!ie a appris son catéchisme: elle cause, au moyen d'un système d'attouchements, avec son institutrice ; elle se livre a des ouvrages de couture et sait enfiler elle-même son aiguille. Je tiens ces détails d'un témoin oculaire. »
Agréez, etc. H. ODDEZ.
Les séances publiques d'hypnotisme.
Dans son numéro du 23 juillet, l'Union médicale publie la note suivante, qui exprime une idée trop juste pour qu'il n'y soit pas donné suite :
« Les séances publiques d'hypnotisme sont certainement cause d'accidents ou de scandales qu'il importe de faire cesser. Les pouvoirs publics en France et à l'étranger commencent heureusement à les proscrire. Dans le Mecklem-bourg-Schwerin, un arrêté vient de les interdire: en Belgique, il Genève, on a tait de même.
» En France, elles sont défendues, à Marseille et à Bordeaux ; à Poitiers sur l'avis du Conseil départemental d'hygiène publique et de salubrité de la Vienne, le recteur de l'Académie les a interdites dans les établissements de son ressort.
» I1 serait temps vraiment Je les empêcher aussi à Paris, où elles se multiplient et font peut-être plus de ravages encore qu'ailleurs. »
Une enquête sur les hallucinations.
La Société pour les recherches physiologiques Society for psychical re-search). de Londres, a ouvert une enquête sur les hallucinations. Le but de cette enquête est essentiellement de déterminer quelle est la frequence de ce phénomène chez les individus normaux. Les hallucinations des aliénés et des hystériques, les hallucinations dues à des intoxications ne seront donc pas comprises dans la statistique que l'on tentera d'établir; on exclura également les hallucinations hypnagogiques, trop difficiles à distinguer des rêves pour qui n'est pas très habitué à observer.
En même temps que des éléments pour une statistique, la Société désire réunir un assez grand nombre de documents précis et détaillés pour pouvoir déterminer en quelque mesure les conditions où se produisent d'ordinaire les hallucinations chez les sujets sains. Elle fait appel au concours et à la bonne volonté de tous pour cette œuvre, qui est essentiellement une oeuvre collective, mais elle s'adresse tout spécialement aux médecins, aux psychologues, aux écrivains, à tous ceux que leur profession et le milieu où ils vivent ont mis à même d'étudier de près les phénomènes dont il s'agit.
La Société a lancé en France un questionnaire : des questionnaires semblables ont été rédigés pour l'Angleterre et la Russie ; l'enquête est déjà fort avancée aux Etats-Unis. Il est tort à désirer que tous les questionnaires soient remplis et retournés; les questionnaires devront être envoyés à M. Marillier, 7, rue Michelet, secrétaire pour la France.
NOUVELLES
Cours libre.— Clinique des maladies nerveuses, 55. rue Saint-Andrc-des-Arts. — M. le Dr Bérillon fait tous les samedis, à 10 heures 1/3, une leçon clinique sur les applications de 1 hypnotisme et de la suggestion à la thérapeutique et à lapédiatrie.
Les consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis, samedis, de 10 heures à midi. Les médecins et les étudiants en médecine peuvent y assister.
Hospice de la salpêtrière. — Conférences cliniques sur les maladies mentales. — Le Dr Séglas. médecin suppléant, commencera une série de conférences cliniques sur les maladies mentales, a l'hospice de la .-alpétrière. le jeudi 1er août, a 10 heures du matin, et les continuera les jeudis suivants à la même heure Ces conferen.es. exclusivement pratiques, porteront surtout sur l'examen clinique de malades et sur le diagnostic différentiel des principales formes de l'aliénation mentale.
— M. le Dr Rommelaere, secrétaire général à l'Académie de médecine de Belgique, dont le projet d'interdiction des séances publiques d'hypnotisme était voté récemment par cette assemblée, vient d'être élu membre correspondant étranger de 1 Académie de médecine de Paris.
Distinctions honorifiques. — Parmi les nominations d'officiers de l'instruction publique faites à l'occasion du 14 juillet, nous sommes heureux d'enregistrer celles de deux de nos collaborateurs. MM. les docteurs Dumontpallier, médecin de l'Hôtel-Dieu et du lycée Louis-le-Grand, et Collineau, secrétaire général pour l'instruction élémentaire.
Clinicat des maladies du système nerveux.— Le concours du Clinicat des maladies du système nerveux vient de se terminer par la nomination de M. le docteur Guinon.
M. le docteur Paul Blocq a été nommé préparateur de la chaire Je clinique des maladies du système nerveux.
Nécrologie. — M. Mesnet, médecin de l'Hôtel-Dieu, vient d'avoir la douleur de perdre son fils.
Le Dr Raoul Mesnet. âgé de 35 ans. était un jeune médecin plein d'avenir. Sa mort prématurée laisse de profonds regrets aux nombreux amis que lui avaient valus sa bonté et la droiture de son caractère.
La rédaction de la Revue de l'Hypnotisme s'associe au deuil qui vient de frapper notre éminent collaborateur, et lui adresse l'expression de sa respectueuse sympathie.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL
benheim : Suggestive therapeutics. A treatise on the nature and uscs of hypnotisrm.
Translated by Christian A. Herter. New-York, London, 1889. In-8°, v-420 p. bernheim : Einige Worte Ober den Vortrag des Herrn Dr Friedlaender : « Aus
Prof. Bernheims Klinik in Nancy. » Berl. klin. Wcschr., XXVI, 26, p. 581.
BIDON: Action des medicaments à distance dans l'hypnotisme. Marseille méd XXVI, 25-41. 1889.
BRUGELMANN: Ueber den Hypnotismus und seine Verwertung in der Praxis. Neuwied, 1880. In-8°, 29 p.
charcot : Zur Suggestionstherapie. Deutsche med. Wchschr., XV, 25, p. 5o9. Ber-
lin, 1889.
von corval: Ueber Suggestivtherapie. Centralbl. für Nervenheilk., XII, 12, o 364 Leipzig. 1889.
dessoir: Das Doppel-Ich. II Stück der « Schriften der Gesellschaft für Experi-mentalpsychologie zu Berlin. » 1889. In-8°, 41 p.
forel : Der Hypnotismus. Seine Bedeutung und seine Handhabung, in kuzgefasster Dar»tellung. Stuttgart, 1S89. I .-8°, 88 p.
frey: Die praktishe Bedeutung der Hypnose. Wien. klin. Wchschr.. II 23. p. 470.
Max Dessoir.
L'Administrateur-Gerant: Emile BOURIOT.
89-763.PARIS —IMPRIMERIE CHARLES SLOT, RUE BLEUE, 7.
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
BULLETIN
LES CONGRÈS SCIENTIFIQUES INTERNATIONAUX
Grâce au groupement de la plupart des Congrès scientifiques à peu près à la même époque, Paris a présenté pendant le mois d'août une animation scientifique vraiment extraordinaire. Toutes ces réunions n'ont pas eu le même éclat ni le même retentissement. Mais il n'en est pas une qui n'ait rendu de réels services en permettant à des hommes éminents, venus de tous les points du monde, d'échanger leurs vues sur des questions d'un intérêt primordial.
Plusieurs de ces Congrès, qui se réunissaient pour la première fois, présentaient un caractère particulier de nouveauté scientifique. Parmi ceux dans lesquels des études vraiment nouvelles ont été abordées nous devons citer le premier Congrès de Psychologie physiologique, le Congrès de l'Anthropologie criminelle, enfin le premier Congrès de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique. A des titres divers, les questions étudiées dans ces trois Congrès méritent d'attirer l'attention de nos lecteurs. Nous avons pu d'ailleurs constater la présence d'un grand nombre d'entre eux à toutes les séances.
Au Congrès de Psychologie physiologique, trois sujets collectifs ent surtout été l'objet de discussions approfondies : 1° l'étude statistique sur les hallucinations ; 2° l'étude statistique sur l'hérédité ; 3° l'étude terminologique de l'hypnotisme. Il nous suffira de dire que ce Congrès, organisé par les soins de M. le professeur Charles Richet, a groupé des psychologues de la valeur de MM. Galton, Ribot, Delbœuf, Sidgwick, Myers, Espinas, Bénédikt, Danilewski, Binet, Pierre Janet, Gley, Marion, etc., pour en indiquer le succès.
Au Congrès de l'Anthropologie criminelle, nous avons assisté à de. remarquables tournois oratoires entre les savants de l'Ecole italienne et ceux de l'Ecole française. Les Italiens, malgré leur brillante dialectique et l'originalité, de leurs arguments exposés sous la forme la plus expressive et la plus saisissante, ne sont point parvenus à nous convaincre encore cette lois-ci de la réalité de l'existence d'un type criminel. MM. Lombroso, Garofalo, Ferri, Moleschott. Ojarolalo, ont trouvé dans MM. Brouardel,
Herbette, Magnan. Bertillon, Manouvrier, Lacassagne, Motet, Semal, Gar-nier, Tarde et tant d'autres savants et légistes éminents, des adversaires dignes d'eux. Au prochain Congres qui se réunira en Belgique, dans trois ans, on peut prévoir que l'anthropologie criminelle, débarrassée des incertitudes qui retardent les progrès de toute science nouvelle aura réalisé d'importantes acquisitions.
Enfin, il n'est que juste de le reconnaître, l'éclatant succès du premier Congrès de l'Hypnotisme expérimenta] et thérapeutique a dépassé de beaucoup tout ce qu'avaient souhaité les organisateurs. Restant avec intention dans le domaine des faits positifs, les membres du Congrès ont su éviter sagement les débats stériles que provoquent les interprétations prématurées.
Les remarquables rapports de MM. Ladame. Bernheim, Auguste Voisin, Bérillon. Liégeois ont été le point de départ de discussions animées. Comme il fallait s'y attendre, l'Ecole de la Salpétrière et l'Ecole de Nancy ont rompu quelques lances, sans modifier d'ailleurs en rien les opinions des expérimentateurs des deux écoles. En dehors des rapporteurs, un grand nombre d'orateurs parmi lesquels il convient de citer MM. Dumont-pallier, Masoin, (de Louvain), G. Ballet, Grasset, Forel (de Zurich). Ren-terghem (de La Haye), de Jong (d'Amsterdam), Briand, Fontan. Bourru, Burot, Gilles de la Tourette, Guermonprez, Dechtereff (de Saint-Pétersbourg), Félix Hément, Paul Magnin, etc., dans des communications personnelles, ou dans le cours des discussions, ont envisagé l'hypnotisme a des points de vue différents. Nous ne saurions oublier sans injustice les travaux de quelques jeunes savants qui se disposent à marcher avec succès sur les traces de leurs devanciers. Parmi eux, nous devons une mention particulière à MM. les docteurs Gascard, Emile Laurent. Levillain, Schrenk-Notzing (de Munich), Van Eeder. (d'Amsterdam), Repoud (de Fribourg), Tokarski (de Moscou), Velander (de Yonkoping).
Le Congrès de l'Hypnotisme, qui avait cru devoir inaugurer ses travaux en affirmant sa réprobation formelle contre les séances publiques d'hypnotisme, les a clôturées dignement en décidant la création immédiate d'une Association internationale d'hypnobgie destinée à servir de base à l'organisation du prochain Congres.
A la fin du Congrès, parlant au nom des adhérents étrangers, M. le professeur Masoin a exprimé dans les termes suivants, l'impression ressentie par tous ceux qui ont pris part à ces travaux si soutenus et si intéressants : « Eh bien, a dit l'éloquent orateur, nous sommes venus, empressés et nombreux, de tous les points de l'horizon pour prendre part à ces solennelles assises, invasion pacifique telle que les peuples n'en devraient jamais connaître d'autres. Nous avons suivi avec le plus vif intérêt les séances de ce Congrès et nous partons charmes encore une fois par l'hospitalité de la France. En rentrant dans nos foyers nous pourrons redire une fois de plus que nous avons retrouvé ici des hommes sympathiques, intelligents, instruits, attentifs à tous les progrès ; nous pourrons proclamer bien haut que, contemplant les merveilles de votre Exposition splendide et appréciant vos savants Congres, nous avons revu, vivants et triomphants, l'esprit et le génie de la France. »
P. M.
INVERSION SEXUELLE CHEZ UN DÉGÉNÉRÉ
Traitée avantageusement par la suggestion hypnotique (1).
Par Le Dr Ladame (de Genève)
Le traitement des troubles psychiques ou nerveux par la suggestion hypnotique n'étant point encore officiellement accepté en psychiatrie, je crois qu'il est nécessaire de procéder avec la plus grande circonspection dans les cas d aliénation mentale, lorsqu'on espère pouvoir utilement soumettre un aliéné a l'influence de l'hypnotisme. 11 faut rechercher des indications précises et, comme ce champ d'investigation est encore presque absolument inexploré, les médecins aliénistes qui s'occupent de thérapeutique suggestive ne sauraient se montrer trop prudents ni trop réserves dans leurs conclusions, afin d'éviter jusqu'à l'apparence d'un entraînement irréfléchi, de parti pris ou d'exagération, toutes choses habilement exploitées par le scepticisme railleur et l'opposition systématique. Rien ne déconsidère davantage le traitement par l'hypnotisme que les affirmations prématurées d'observateurs enthousiastes mais superficiels, qui ont l'air de vouloir faire de la suggestion hypnotique une panacée universelle.
D'autre part les détracteurs de l'hypnotisme s'appuient sur des observations mal laites pour condamner aveuglément son emploi. Dans une récente discussion, sur la valeur pratique de l'hypnotisme, qui eut lieu au sein de la Société Viennoise de médecine, on est allé jusqu'à dire que ce serait un grand malheur si les médecins employaient plus généralement l'hypnotisme, comme agent thérapeutique. Le professeur Meynert, si célèbre par ses belles recherches d'anatomie cérébrale, affirme même, sans preuves - qu'hypnotiser » est synonyme de « rendre hystérique. » — Ceci est une erreur qui doit être énergiquement relevée. On a vu sans doute des hystéries se développer ou s'aggraver après des tentatives imprudentes d'hypnotisaiion. Mais on peut affirmer que jamais l'hypnotisme n'a rendu hystérique une personne qui ne l'était pas, ou aggravé une hystérie déjà existante, toutes les fois que l'on a procédé à l'opération avec tact et ménagements, et d'après la méthode persuasive de suggestion qui a été enseignée par M. le professeur Bernheim. Pour ma part, après des centaines d'hypnotisations faites sans aucun accident, je crois pouvoir me ranger à l'opinion de nos confrères qui regardent le traitement hypnotique comme absolument inoffensif, sous les réserves que nous venons de mentionner.
II n'en est pas moins vrai que, chez certains individus, il faudra s'abstenir de tentatives d'hypnolisatïon, si l'on veut éviter des accidents. En tout cas, au moyen de procédés plus violents (qui peuvent réussir
(1) Communication faite au Congrès international de médecine mentale, dans la séance du mardi 6 août.
assurément dans certains cas), lorsqu'on cherche par exemple à s'imposer au malade ou à frapper son imagination, comme cela est recommandé par quelques auteurs, l'hypnotisme peut devenir un véritable agent révélateur de l'hystérie. M. le Dr G. Guinon en donne des exemples dans son excellente thèse. C'est, sans doute, à la suite de tentatives malheureuses, faites par ces procédés défectueux, que certains médecins en sont arrivés à prendre l'hypnotisme en horreur et à demander qu'on le bannisse de la thérapeutique, comme inutile et dangereux.
Le malade, qui fait l'objet de la présente communication, est un jeune homme de trente-trois ans, célibataire, de haute stature, sans anomalie du squelette. Il est assez bien musclé et marche un peu voûté, la tête en avant, d'un pas en général précipité. Son intelligence est peu développée, malgré une instruction et une éducation soignées. Il rentre dans la catégorie des esprits débiles.
Sa tare héréditaire est très lourde, surtout du côté paternel. Le grand père paternel est mort à l'âge de trente-quatre ans, d'une maladie mentale qui se serait déclarée à la suite de pertes séminales très fréquentes et de troubles sexuels se rattachant à l'onanisme. Le père et un des frères du malade ont souffert également de troubles des fonctions génitales. 11 y a aussi des aliénés du côté de la mère. D'autres membres de la famille se distinguent par leur caractère violent et excentrique. 11 n'y a pas à ma connaissance d'alcoolique dans cette famille.
M. B.. notre malade, est un type de dégénéré débile. Il offre des stigmates physiques et psychiques. Son crâne est petit, de forme irrégulière, aplati sous les tempes et étranglé en avant. Les mâchoires proéminentes, l'indice céphalique est de 69 cent, dolichocéphale très prononcé. —C'est l'indice des Australiens et des Esquimaux. Le front est bosselé, fuyant — système pileux irrégulièrement développé. Poils et barbe rares par places. Myopie prononcée. Pas d'anomalie des pupilles. Oreilles peu ourlées, détachées de la tête, lobule très petit, adhérent. Pas de difformités des membres. Une hernie inguinale, probablement d'origine congénitale. On ne constate rien d'anormal aux organes génitaux, qui sont bien développés. Bourses flasques, verge volumineuse. Réflexes crémastériens et rotaliens normaux.
Au point de vue psychique, ce qui frappe surtout, après la débilité de l'intelligence, c'est l'impressionnante excessive du malade. 11 dit lui-même qu'il est très susceptible, nerveux et que son imagination est complètement détraquée. Il s'accuse d'avoir la manie de la persécution. A plusieurs reprises il eut des accès de désespoir, dans le sentiment de son impuissance à vaincre son penchant à la masturbation et les obsessions sexuelles dont nous allons parler. Il a eu souvent, dit-il, des pensées de suicide, mais ne parait jamais avoir fait des tentatives sérieuses pour s oter la vie. Il recherche la solitude.
Depuis des années il est tourmenté par des obsessions qui sont essentiellement de deux sortes, motrices et génitales. Ces dernières sont les plus importantes et constituent le syndrome dominant caractéristique de l'inversion sexuelle — Nous y reviendrons tout à l'heure.
Quant aux obsessions motrices elles se présentent sous différentes formes Tantôt le malade s'imagine qu'il est une locomotive, remorquant un train. Il marche alors très vite, en ligne droite, au bord des
chemins et le long des trottoirs, puis s'arrête comme s'il arrivait à une station, repaît bientôt, d'abord lentement, puis avec une vitesse croissante, comme il convient a un train qui quitte une gare. Il ne s'arrêteque lorsqu'il est épuisé de fatigue. Tantôt c'est un bateau a vapeur qui tend les ondes, ou une voiture, une diligence qui court les grandes routes; tantôt enfin c'est un cheval, un vélocipède ou tout autre moyen de locomotion. Ces obsessions locomotrices varient d'intensité ; parfois très fartes ; parfois beaucoup moins, au point que le malade peut alors en devenir maître plus ou moins facilement.
Les obsessions génitales remontent â son enfance. M. B. appartient au groupe des « invertis » congénitaux. On distingue en effet comme vous le savez depuis Kraff-Ebing deux groupes de malades affectés d'inversion du sens génital. Les premiers acquièrent accidentellement la maladie, le plus souvent a la suite d'habitude d'onanisme qui les rendent impuissants à cuv ir le coît. les autres sont prédisposés dès tour naissance, par hérédité, à l'amour charnel des personnes de leur sexe. Notre malade appartient à cette dernière catégorie. Il eut toujours du penchant pour les petits garçons et était impressionné par leur nudité; tandis qu'il éprouvait plutôt de l'aversion pour les filles. Il s'est livré â la masturbation et aux attouchements des parties génitales de ses petits camarades. Depuis, il s'est abandonne aussi occasionnellement à la pédérastie passive et active. Un jour il eut affaire à un jeune garçon qui lui fit une impression sexuelle particulièrement forte. C'était en été. Il faisait chaud et le jeune homme portait des habits gris. Dès ce moment le costume gris du jeune garçon devient une obsession pour notre malade — Chaque fois qu'il voit un habillement gris il entre en érection et il fait revivre cette image dans son esprit toutes les lois qu'il se livre a la masturbation. L'habit gris éveille toujours en lui des sensations voluptueuses. 11 en est continuellement obsède. « Souvent, dit-il, mon idée remplit à tel point mon imagination que je me laisse aller pour avoir la paix ! » Voilà bien la caractéristique de l'obsession.
Plusieurs médecins ont été consultés, qui ont conseillé au malade de voir des femmes, espérant le guérir de ses penchants contre nature par l'usage des rapports sexuels physiologiques. M. B., suivant leurs recommandations, a fait, bien malgré lui, quelques tentatives qui ont été absolument inutiles, jamais il n'eut la moindre velléité d'érection auprès d'une femme — I1 n'y éprouve aucune volupté et les femmes n'éveillent en lui aucune sensation sexuelle. Il resta tout à fait impuissant, malgré les plus grands efforts et malgré même l'évocation de l'habit gris-, il finit par renoncer complètement â des essais dont il sortait honteux et déprimé.
Je l'hypnotisai pour la première fois le 27 mars. Il ne s'endormit pas mais ressentit cependant quelques impressions suggestives qui me parurent d'un bon augure, malgré ses protestations contraires. Il prétendit, en effet que jamais on ne pourrait l'endormir, que ses idées l'en empêcheraient et que je perdrais mon temps avec lui; il sentait bien, disait-il que tous mes efforts étaient inutiles.
Je lui affirmai positivement, au contraire, que tout irait bien et qu'il finirait par dormir profondément. Les tentatives subséquentes d'hypno-tisation furent encore plus mauvaises. Le malade est très énervé chaque
fois qu'il arrive chez moi, il s'agite, prétend qu'on ne réussira jamais avec lui, que ses obsessions augmentent et n'ont jamais été aussi violentes ni ses pratiques de masturbation plus fréquentes. Il se rit de l'hypnotisme et assure qu'il n'en saurait rien résulter de bon. Je combats tranquillement ses hésitations et je cherche à calmer ses appréhensions. Je lui fais remarquer que la lutte qui se livre en lui est la meilleure preuve qu'il est influencé et qu'il deviendra bientôt hypnotisable. Je lui dis qu'il n'est point nécessaire qu'il dorme dès les premières séances, que je fais toujours très courtes, cessant les tentatives d'hypnotisation après cinq ou dix minutes, si le malade n'en ressent aucun effet.
Bientôt cependant M. B. commence à s'endormir, mais à peine l'assoupissement se fait-il sentir qu'il sursaute et se réveille en ouvrant les yeux et protestant contre le sommeil qui ne viendra jamais, il en est bien sur. Après quelques séances pendant lesquelles les sursauts deviennent plus fréquents et témoignent ainsi du succès croissant des hypno-tisations, voici le malade qui vient un jour à moi. très agité et inquiet. Il m'annonce qu'il ne veut pas dormir, et me demande si l'hypnotisme n'a déjà pas rendu des gens fous furieux. Depuis que je l'hypnotise il se sent des impulsions soudaines de battre quelqu'un et il m'avoue qu'il craint beaucoup de me tomber dessus et de me donner des coups. Il est assez obligeant pour m'en prévenir car il sent bien, dit-il. que c'est plus fort que lui. En outre, il me déclare catégoriquement qu'il ne veut pas être débarrassé de ses idées fixes et que tous mes efforts pour cela seraient impuissants.
Je le rassure, le tranquillise et je l'endors. Les sursauts sont fréquents et violents, mais le sommeil est déjà plus profond quoique le malade sel souvienne de tout au réveil.
Je ne décrirai pas les péripéties qui se présentèrent dans les séances suivantes et qui n'offrent aucun intérêt spécial, je me bornerai à dire que M. B. finit par s'endormir très profondément et du premier coup; dès qu'il s'assied je ferme ses paupières et je lui dis. donnez : il tombe instantanément dans un sommeil hypnotique profond dont il son à ma volonté sans aucun souvenir de ce que je lui ai dit pendant qu'il dormait. Les suggestions thérapeuthiques ont porté jusqu'ici exclusivement sur! les anomalies sexuelles. J'affirme à M. B. que le jeune homme habillé de gris ne lui fait plus aucune impression. Je le persuade que ses idées et ses obsessions génitales lui sont devenues absolument indil'erentes et qu'il ne s'en préoccupe plus du tout.
Vers la fin de mai, après vingt-cinq séances, le malade m'annonça spontanément qu'il était beaucoup mieux et que jamais ses idées n'a vaient été aussi effacées, moins obsédantes. «Je n'y comprends rien, ajou-tait-il. je deviens de plus en plus indifférent aux pensées mauvaises qui remplissaient si fort mon imagination. Les idées sont toujours là. elles ne m'ont pas quitté, mais elles me laissent tranquille et ne me tourmentent plus. La fréquence de l'onanisme a de même sensiblement diminué.
Dès cette époque je fis les séances d'hypnotisme à des intervalles de plus en plus éloignés, d'abord toutes les semaines, puis tous les quinze jours et actuellement M. B. ne vient chez moi qu'une lois par mois pour faire renouveler ses suggestions. L'amélioration s'est affirmée et le malade m'a dit que jamais il ne s'était senti si dispos de corps et d'esprit. Plus
d'idées sombres ni de désespoirs. M. B. reprend intérêt a ses occupations ; il a fait avec plaisir des courses de montagne, mais il est toujours porté a la solitude et évite autant que possible la société des dames.
On ne peut, il est vrai, rien affirmer encore quant à une guérison proprement dite de l'inversion sexuelle chez notre malsde. Toutefois l'amélioration sensible déjà obtenue par le traitement suggestif est d'un bon augure, et le cas m'a paru assez intéressant pour en faire une com-
munication à ce congres d'autant plus qu'il n'existe à ma connaissance qu'une seule observation analogue publiée tout récemment par M. le professeur V. Krafft-Ebing dans le premier volume des Archives internatio-
nales de physiologie et de pathologie des organes génito-urinaires. Il s'agit aussi d un hemme de trente-quatre ans, souffrant d'inversion sexuelle congénitale, guéri en huit séances d'hypnotisation. Le malade de Krafft-tbing était beaucoup plus développé intellectuellcmcut et présentait une tare héréditaire bien moins lourde que celui dont je viens de rapporter l'observation. Aussi le professeur de Gratz. qui vient d'avoir l'honneur d'être nommé a Vienne, croit-il que la guérison sera définitive dans son cas. ce que je n'ose espérer pour le mien, mon malade ayant encore évidemment besoin ce suggestions longtemps réitérées avant d'être définitivement débarrassé de ses obsessions génitales, si tant est que l'on arrive jamais à obtenir ce résultat.
En résumé, je crois pouvoir conclure que nous possédons dans la suggestion hypnotique un agent efficace, dans certaines circonstances, contre tel ou tel symptôme mental, se manifestant comme obsession ou comme impulsion. C'est un traitement symptomatique qui ne modifie en aucune façon, cela va sans dire, la nature de la maladie, le moule cérébral pathologique originel du malade, le fond psychique dégénératif sur lequel se développent les obsessions et les impulsions. I1 n'en est pas moins vrai qu'au point de vue des résultats pratiques le traitement par l'hypnotisme de certaines formes d'aliénation mentale, restera une précieuse acquisition de la thérapeutique, en psychiatrie, (i).
(1)Le 30 Janvier de l'année dernière je communiquais à la Société Médico-psycho-logique une observation de somnambulisme hystérique, avec dédoublement de per-sonnalité, guéri en quelques séances par la suggestion hypnotique. Je profite de l'occasion qui m'est offerte, de rapporter une nouvelle observation d'un aliéné traité avec
succès par l'hypnotisme, pour donner quelques renseignements complémentaires sur malade de l'an passé. Elle jouit aujourd'hui de sa santé, et n'est jamais retombée, depuis le traitement suggestif. dans ses accès de somnambulisme, ni dans l'état second de sa double personnalité. Son mariage qui date de plus d'une année, n'a apporté
aucune perturbations facultés mentales, et j'ai eu récemment l'occasion de
m'assurer que Madame X . n'offre plus aucun des troubles nerveux graves contre les-
quels la suggestion hypnotique s'est montré naguère si efficace.
L'HYSTERIE D'ORIGINE TOXIQUE
(Suite et Fin) Par le Docteur COLLI NE AU
Les observations de Fournier (1) viennent corroborer d'ailleurs celles de Charcot. La syphilis, à son sens, peut fort bien stimuler, exacerber certaines névroses préexistantes en voie d'évolution, comme aussi réveiller ces mêmes névroses assoupies. Pour l'hystérie le lait lui parait incontestable. Souvent, en effet, à la période secondaire de la syphilis on voit se manifester des phénomènes hysiériformcs : excitabilité nerveuse, impressioanabtlitè insolite, énervevement, irascibilité, caprices, sensations douloureuses fixes ou erratiques difficiles à localiser, constrictionsthoraciques, vapeurs, hyperesthésicrachidienne défaillances, spasmes, crises convulsives, tout le cortège, en un mot, des phénomènes qui marquent l'invasion de la névrose. On le voit poindre et s'accentuer pour s'atténuer ensuite et bientôt disparaître
En somme, les troubles hystériformes que, plus souvent qu'on ne croit provoque la syphilis, ont pour Fournier, comme pour Charcot, un caractère essentiellement transitoire. Parfois, ils prennent pour siège d'élection un organe sensoriel dont les fonctions se trouvent abolies pour un temps sans qu'il soit possible de rattacher la perversion sensorielle à aucune raison plausible, Raymond (2) en cite un exemple.
Chez une jeune femme de vingt-six ans, l'apparition d'un chancre infectant a, au bout de deux ans et demi, réveillé, par suite, sans doute de l'anémie inséparable de l'imprégnation syphilitique , des manifestations hysteriformes assoupies depuis sept ans.
De !a sorte, la malade a pu lournir un type curieux de paralysie par auto-suggestion, ou si l'on aime mieux, de paralysie psychique. Sur cette femme, dont l'intelligence était bornée et la constitution névropathtque, des visées erronées de cause à effet ont fait naître l'idée fixe d'une paralysie d'abord, puis d'une surdité que n'expliquait aucune lésion appréciable et dont la nature hystérique ne tarda pas à être mise en évidence par leur disparition brusque sous le contrecoup d'une émotion.
Partois. comme l'ont observé Potain (3), Fournier (4), Parisot (5), les symptômes caractéristiques du mal comitial se mènent de la partie et l'on se trouve en présence de sujets atteints, à la lois, d'épilepsie, d'hystérie et de syphilis.
Et maintenant dans l'bystérie dite toxique, quelque soit le facteur des désordres, que ce soit le plomb, le mercure, l'alcool ou bien le virus
(l) Fournier, Leçons sur syphilis p.816 — 1873. — Paris. — année, Gazette des hôpitaux p. 894 — 1888.
(2) Hystérie et syphilis. — Paralysie psychique. — Progrès Mèdical n° 14 1888.
(3) Potain, Hystero-épilepsie et exostose syphilitique. — Gaz. des Hôp. p. 519. — 1887.
(4) Fournier, Epilepsie et syphilis, — Gaz. des Hôp. p. 97;. — 1888.
(5) Parisot, Syphilis et épilepsie. — Gaz, des Hôp. p. loaa. — 1888.
syphililique, faut-il voir là, comme le voit Debove (1) et comme l'admet sans grande restriction Achard (2) l'un des symptômes variés d'une intoxication de l'organisme ? Faut-il considérer cette intoxication : saturnisme, hydrargyrisme,alcoolisme, syphilis, comme capable de produire, de créer de toutes pièces, une névrose.« Une hystérie spéciale qui serait a l'hystérie proprement dite, ce que l'èpilepsie symptomatique est au mal comitial essentiel? » Ou bien avec Charcot, convient-il de limiter le rôle de l'intoxication, quelle qu'elle soit, à celui d'un cause adjuvante dans la genèse ou les retours offensifs de la névrose; cause adjuvante particulièrement efficace en une foule de cas, mais à la condition, toutefois, que la prédisposition névropa-thique existe et que le terrain soit propice? Et d'autre part, est-on en droit de conclure avec lui encore que « si les intoxications n'ont qu'une importance réduite sur la production des phénomènes hystériques elles conservent une inlluence énorme sur la forme des accidents?» A mesure que les faits d'observation s'accumulent, ils contribuent à faire prévaloir cette dernière opinion.
Ainsi, par exemple comme, après Charcot, Gilles de la Tourelle ci Berbez en citent un cas, un homme doué d'un constitution névropathique prend la syphilis, sous le choc subi par la santé générale (anémie svphilitique etc) l'hystérie, latente, jusque là, se décèle. Cet homme alors aura bien Je la céphalie, ainsi qu'y sont exposés les syphilitiques; mais c de la céphalée... non plus syphilitique, nocturne, modifiable par le traitement, et sans hyperalhésie cutanée.... de la« céphalée hysté-rique sous tous ses aspects.» A ce symptôme comme dans le cas auquel il est fait allusion, viendra s'ajouter une hémiplégie; mais l'hémiplégie s'accompagnera de l'obtusion des notions que fournit le sens musculaire et. phénomène fort rare dans les paralysies avec-lésions organiques, d'une hémianesthésie complète.
En un mot. aux mêmes litres que la céphalée, c'est-a-dire, en raison de la constitution névropathique du sujet, l'hémiplégie revêtira le caractère hystérique.
Hischmann (3) soutient la même manière de voir. « Ce serait une erreur profonde, déclare-t-il que de chercher a établir l'existence d'une hystérie symptomatique. Une pareille opinion conduirait a cette hypothèse que l'intoxication est la cause efficace unique qui amène le développement des symptômes de la névrose, tandis qu'elle agit tout au plus comme cause occasionnelle. L'hystérie existait A l'état latent chez tous les intoxiqués, soit qu'ils y fussent prédisposés de par leur hérédité (ce qui est le cas le plus fréquent), soit qu'ils réunissent, de par leur complexion particulière ou leur étal général, les conditions nécessaires pour l'évolution de la diathèse.
« Il serait cependant téméraire de nier l'influence que l'intoxication peut exercer sur la forme particulière des accidents; un certain nombre de faits nous ont démontré que, précisément, l'hystérie toxique présente certains caractères qui portent le cachet de l'intoxication qui-l'a fait apparaître. »
D'une manière générale et à s'en réferer à la très grande majorité des observations que possède la science .il est permis de conclure que dans les circonstances qui nous occupent, dans les cas où la désigna-
(l) Debove, de l' apoplexie hystérique — Bulletin de la Soc. médic. des hôp. 1886.
(2) Achard, Apoplexie hystérique. Arch. gén.de méd. 1887.
(3) Hischmann, intoxication et hystérie. th. inaug. p. 82 1888 Paris.
l'on désormais acceptée d'hystérie toxique peut être inscrite au diagnostic, l'intoxication est la cause occasionnelle des déterminations nerveuses; et la névrose, le facteur culminant.
Plomb, mercure, alcool et autres principes toxiques, dont la liste tend incessamment a s'étendre, voila pour employer l'expression pittoresque de Guinon (1) autant d'agents provocateurs de la névrose. Mais l'action de tels agents n'a rien de spécifique Ils sont l'occasion et impriment un cachet déterminé aux accidents. Quant à ceux-ci. il se peut qu'ils n'éclatent que longtemps après l'époque à laquelle ils ont été provoqués. Peut-être de celte provocation est-il résulté une pertnbaiton profonde dans la nutrition en général et dans celle du système nerveux en particulier? L'hypothèse est plausible, c'est celle en tout état de cause, qu'émet et détend Guinon.
Ces considérations sont neuves. Les recherches cliniques sur lesquelles elles reposent, de jour en jour se renouvellent. Dans l'histoire des origines de l'hystérie elles permettent d'envisager la question sous un aspect à part. Ceci justifie les développements dans lesquels nous venons d'entrer. Ces développements d'ailleurs, nous semblent de nature mettre une lois de plus, les esprits en garde contre un danger : Celui de multiplier à l'excès et sans nécessité les espèces.
(1) Guinon,les agents provocateurs de l'hystérie 1989 Paris.
CONGRES INTERNATIONAL
DE
L'HYPNOTISME EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
(Du jeudi 8 août au 12 août 1889)
PRÉSIDENTS D'HONNEUR:
MM. les professeurs CHARCOT (de l'Institut); BROWN-SÉQUARD (de l'Institut);
BROUARDEL, de Paris: CH. RICHET, de Paris; AZAM, de Bordeaux; LOM-
BROSO, de Turin. M. le Dr MESNET (de l'Académie de médecine.)
BUREAU:
Président: M. DUMONTPALLIER-
Vice-Presidents : M. G. BALLET.
— M. GRASSET (de Montpellier).
— M. LIEGEOIS (de Nancy).
— m. Aug. voisin.
Secretaire général: M. BÉRILLON.
Secrétaires : MM.COLLINEAU, Emile LAURENT, LEVILLAIN, PAUL MAGNIN,
RAMADIER.
M. ALAVOINE, de Paris. M. AchillE Léopold, publiciste à Paris. Mme la comtesse DrANDLAU, à Paris. M. le Dr AZAM, professeur à la Faculté de Bordeaux. M. le Dr BABINSKI, ancien chef de clinique de la Faculté. M. le Dr G. BALLET, médecin des hôpitaux, professeur agrège à la Faculté de médecine.
M. le DrBARÉZY, de la Société de Psychologie physiologique. M. BALLE Emile, de la Société des sciences naturelles de Rouen. M. BARROUX Abel, directeur de l'Asile d'aliénés de Villejuif. M. BAUDIH Pierre, avocat a la Cour d'Appel.
M. le Dr BEAUNIS, professeur à la Faculté de Nancy, directeur du laboratoire de psychologie des Hautes études.
M. le Dr BÉRILLON, rédacteur en chef de la Revue de l'Hypnotisme, membre de la Société de psychologie physiologique.
M. le Dr BERHEIM. professeur a la Faculté de médecine de Nancy.
M. BINET Alfred, de la Société de Psychologie physiologique.
M. le Dr BISCARRAT, médecin à Paris.
M. le Dr BONY, médecin-major.
M. BORDIER, avocat à la Cour d'appel de Paris, membre de la Société
de médecine légale. M. de BOURGON, lauréat de l'Association scientifique de France. M. le Dr BOURDON, médecin à Méru (Oise).
M. le Dr BOURRU, professeur à l'École de médecine de Rochefort. M. BOURIOT Emille, administrateur de la Revue de l'Hypnotisme. M. BRALET, économe de l'Hotel-Dieu de Paris. M. BRAUT Jules. publiciste à Paris.
M. le Dr BRIAND, médecin en chef de l'Asile de Villejuif.
M. le Dr BUROT. professeur a l'École de médecine de Rochefort.
M. CAUSTIER. licencié ès-scienecs.
M. CHATEAU, publiciste à Paris.
M. le Dr CHRISTIAN, médecin de l'Asile de Chorenton.
M..C0LAS Albert, de la Société d'Études philosophiques et sociales.
M. le Dr COLLINEAU, membre de la Société médico-psychologique.
M. Paul COPIN, publiciste à Paris.
M. le DrCOSTE DE LAGRAVE, médecin-major.
M. CRÉMEUX, publiciste à Paris.
M. COURBET, receveur municipal de la Ville de Paris,
M. DECROIX, vétérinaire principal de l'armée, en retraite.
M. le Dr DÉJÉRINE médecin de Bicêtre, professeur agrégé à la Faculté de
médecine. M. delcro Jules, publiciste à Paris.
M. le Dr DEPOUX, médecin à Paris.
M. doin octava, libraire éditeur à Paris.
M. le Dr DUBOIS, membre du Conseil municipal de Paris.
M. DUMONT-CARPENTIER, de Paris.
M. le Dr DU MON TPALUER, médecin de l'Hôtel-Dieu, secrétaire général de la
Société de biologie. M. le Dr DUPUY Eugène, de la Société de Biologie. M. le Dr GARNIER, médecin en chef de la Préfecture de police. M. le Dr CASCARD, médecin a Paris.
M. le Dr GILLES de la Tourette, chef de clinique de la Faculté.
M. GISSIEN Camille, publiciste à Paris.
M. GISSIEN Gustave, de Paris.
M. et GRANDMAISON. interne des hôpitaux.
M. le Dr GRASSET, professeur à la faculté de Montpellier.
M. le Dr GRIMOUX Henri, médecin a Paris.
H. le Dr GUÉNEU , conseiller général à Nolay (Côte d'Or).
M. le Dr GUERMONPREZ, professeur a la Faculté libre de Lille.
M. GUILHAUD, licencié en droit à Paris.
M. HÈMENT Félix. inspecteur général de l'Université.
M. HIDEUX Raoul, de Compiégne.
M. le Dr HUBERT, de la Société d'ophtalmologie de Paris.
M. JANET Pierre, docteur ès lettres, professeur agrégé de philosophie.
Mme JUGLAR,de la Société d'anthropologie de Paris.
M. le Dr LACAILLE, lauréat à la Faculté de Paris.
M. le Dr LACASSAGNE, professeur de la Faculté de Lyon.
M. LADAME James, ingénieur à Paris.
M LAMY Ernest, de la Société d'anthropologie de Paris.
M. A. LALANDE. professeur agrégé de philosophie.
M. LANZENBERG, publiciste a Paris.
M. le Dr LAURENT.Émile,médecin à Paris.
M. le Dr LEVILLAIN, lauréat de 1a Faculté de Paris.
M. le Dr LIÉBEAULT, médecin a Nancy.
M. LieGEOIS, professeur 4 la Faculté de droit de Nancy.
M. le Dr MABILLE, médecin en chef de l'Asile de Lafont.
M. le Dr MAESTRATI, médecin a Paris.
M. MÉRIC l'abbé Elle), docteur ès lettres, professeur a la Sorbonnc.
M. le Dr MAGNIN Paul, membre la Société de psychologie physiologique.
M. le Dr MANOUVRIER, professeur à l'École d'anthropologie, membre de
Société de psychologie physiologique. M. MARTINET Camille, publiciste à Pans. M. le Dr MAGnAN, médecin de l'asile Ste Anne,
M. le Dr MESNET, médecin de l'Hôtel-Dieu, membre de l'Académie de médecine.
M. METZGER Daniel, professeur de sourds muets ù Paris. M.le Dr MONIN, rédacteur scientifique du Gil Blas. M.PRESSAT Roger, avocat i la Cour d'appel.
M. le Dr PAULIER Armand. médecin a Paris.
M. le Dr PERRONET, médecin à Lyon.
M- PERSAC, conseiller a la Cour d'appel de Paris.
M. POIRAULT Georges, licencie es sciences.
M- le Dr PUEL, lauréat de l'Académie de médecine.
M- PUPIN, secrétaire de la Faculté de médecine.
M. le Dr RAmAdier, médecin de l'Asile de Vaucluse.
M. ROCHÉ Georges, licencié es sciences.
M* Dr ROCHAS, commandant, administrateur de l'Ecole Polytechnique. H. le Dr SALOMON, médecin-major
M. SICARO Franc, directeur de l'Avant-Garde de l'Ouest à Poitiers.
M- SICARD Louis, avocat à la Cour d'Appel.
M. SIM0N Georges, sous-préfet.
M. SOUQUES, de la Pointe-a-Pitre (Guadeloupe)
M. SURUGUE. avocat à la Cour d'appel.
H. G. de TENCIN, publiciste à Paris.
M. le Dr TILLAUX, membre de l'Académie de médecine, chirurgien de l'Hotel-Dieu.
M. T0UTÉE, juge au Tribunal de la Seine.
M. VIVIANI, avocat a la Cour d'appel.
M. te Dr VOISIN Jules, médecin de la Salpctriére.
M. le Dr VOISIN Aug. médecin ds la Salpctriére, membre de la Société mé-dico- psychologique.
MEMBRES ADHÉRENTS ÉTRANGERS H. le Dr ASSIMIS. ds la Faculté d'Athènes.
M. le Dr BANJENIFF médecin direetcurde l'asile de Riazanne (Russie).
M. le Dr BASALO Rodulfo, professeur à la Faculté de Caracas (Venezuela).
M. le Dr SESSIM Omer, médecin-major de l'Armée Ottomane.
M. le Dr BOUSSAKIS, professeur a la Faculté d'Athènes ; délégué du gouvernement hellénique.
H. le Dr BOUZON. médecin & Jackmcl (Haïti).
M. le Dr CALDERON Juan, médecin à Puebla (Mexique).
M. le Dr DAVID, Georges, de la Nouvelle Orléans (Etats-Unis).
M.lc Dr DEKHJEREFF, délégué de la Société russe d'Hygiène de St-Petersbourg
SL.DELBŒUF, professeur a l'Université de Liège.
M. le Dr DEVANT, médecin de la Société philanthropique de Moscou.
M. te Dr DELANY William, sénateur de l'Université Royale d'Irlande.
M. le Dr DESSOIR Mil, de Berlin.
M. le Dr DROSDOWSKI, médecin russe.
M le Dr DRZEWECKI Stéphane, de la Société technique de St-Pètersbourg. M. le Dr EEDEN Van, médecin à Amsterdam. M. le Dr ERICS0N Carl, médecin-major de l'armée Suédoise. M. le Dr FOREL, médecin en chef de l'Asile d'aliénés, professeur à l'Université de Zurich. M. le Dr FRAENKEL, médecin de l'Asile d'aliénés de Dessau.
M. le Dr SIGM Frend. médecin a Vienne.
M. le Dr FRIDENSOLM Darid, médecin a Moscou.
M. FRIEDMANN Glulio, de Rome (Italie).
M. le Dr JOAQUIM, Corren di Figueredo, médecin à Vassouras (Brésil). M. CERNAERT, de Liège (Belgique).
M. GROTENFELT, docteur en philosophie, à Helsingfors (Finlande). M. HENRIQUEZ Francis. étudiant en médecine (Etats-Unis de Colombie). M. le Dr HERRERO Abdan Sanchez, professeur a la Faculté de Valladolid. (Espagne).
M. HURRIAGA Pedro, de Haro Riega, (Espagne).
M. le Dr de JONG, de la Société médico-psychologique de Hollande, a la
Haye.
M. le Dr KOZUZOWSKI, de la Faculté de Dorpat. M. le Dr LADAME, privat-docent i l'Université de Genève. M. le Dr LEVINSON, médecin à St-Pétersbourg. M. le Dr LEDRESSEUR, professeur à l'Université de Louvain. M. 1e Dr LOMBROSQ César, professeur de médecine mentale a la Faculté de Turin.
M. le Dr MARÉCHAL Amédée, médecin a Bruxelles.
M. dt MEDVECZKY, professeur à l'Université de Buda-Pest.
M. MEMORSKI Alexandre, avocat à Moscou.
M. le Dr masoiN, professeur à l'Université de Louvain, délégué officiel de
l'Académie de médecine de Belgique M. le Dr MUNIZ Manuel, médecin-major, délégué officiel de la République
Péruvienne.
M. le Dr MYERS, de la Society for Psychical Research de Londres. M. NAGOUROSKI Paul, publiciste
M. le Dr NEILSON Hubert, chirurgien-major, de Kingston (Canada).
M. le Dr PRENDERGAST, membre du College royal des médecins de Londres.
M. le Dr Van RENTERGNEU, de la Société médico-psychologiquc de Hollande.
M. le Dr REPOUD, directeur de l'Asile cantonal de Marsens, Fribourg.
M. le Dr ROBERTSON, médecin à Peterborough (Angleterre).
M. le Dr RYBALKIN, médecin de l'Hôpital Marie de St-Pétersbourg
M. le Dr ROBINSON, des Etats-Unis.
M. le Dr ROTH Mathias, de la Ladies sanitary association de Londres. M. le Dr SAUNGRE, médecin de l'Hôpital de Tavastehus (Finlande). M. le Dr SAWAS Gerglade , de la Faculté d'Athènes.
M.le Dr Von SCHRENCK-NOTZING, de la Société d; psychologie de Munich (Bavière).
M. le Dr SEMAL, médecin en chef de l'Asile de Mons, membre de l'Acade
mie de médecine de Belgique. M. le Dr SAVINOFF Serge, médecin à Moscou. M. le Dr SPERLING, de la Société de médecine de Berlin. M. le Dr SIDERIS, de la Faculté d'Athènes. M. le Dr SIQUEIRA Ramos, du brésil. M. le Dr SOUZA RIETI.
M. le Dr TOKARSKI, médecin de ta Clinique psychiatriquede Moscou.
M. le Dr TONNER, membre de la Société médicale de New-York
M. de TRANSCHE-ROSENECK, de Livonie, Russie.
M. le Dr TRIANTAPHYLUS de la Faculté d'Athènes.
M. le Dr TUCKEY-LLOYD, médecin à Londres.
M. le Dr VELANDER, médecin à Yonkoping (Suéde,).
M. EMILE YUNG professeur à l'Université de Genève.
M. le Dr WARDE, chirurgien dentiste Américain.
M. WASON, correspondant du Sun, de New-York.
M. le Dr ZABLUDOWSKI, médecin à Berlin.
SÉANCE D'OUVERTURE
Le jeudi 8 août 1989. — Présidence de M. Demontallier
M. le Président ouvre la Séance en prononçant le discours suivant : Messieurs,
Je dois d'abord vous remercier de l'empressement que vous avez mis à répondre à notre appel. Vous avez tous compris l'importance de notre réunion et votre présence consacre officiellement l'existence de la science nouvelle de l'hypnotisme.
Il serait inutile de tracer devant vous l'historique de l'hypnose expérimentale; je désire seulement appeler voire attention sur des faits, rarement expliqués, et qui, à mon sens, ont eu une grande part dans l'origine et le développement des éludes récentes sur l'hypnotisme.
A Paris, l'Ecole de la Salpétrière a grandement contribué a établir les bases de l'hynoptisme expérimental, et l'autorité du chef de celle Ecole a ouvert la voix aux chercheurs indépendants.
A l'Hôpital de la Pitié, dès l'année 1981, je poursuivais, avec le concours de deux de mes élèves, les docteurs Paul Magnin et Bérillon, l'étude des agents physiques sur les hystériques hypnolisables. Je n'insisterai pas sur des faits qui sont connus de beaucoup d'entre vous; mais permettez-moi de vous dire dans quelles conditions on fut conduit à Paris à entreprendre les expériences qui ne tardèrent pas à avoir un certain retentissement dans le monde savant.
C'était en 1876. un homme, oui croyait sa fin prochaine, écrivit à notre grand physiologiste Claude Bernard qu'il désirait avant de mourir, savoir si, pendant un quart de siècle, il ne s'était pas (ait illusion sur des faits qu'il croyait avoir bien observés. Claude Bernard, président de la Société de Biologie, vil dans celte demande un sentiment honnête et il déféra a ce sentiment en nommant, parmi les membres de la Société de Biologie, une commission qui était invitée à vérifier les recherches métallothérapiques du docteur Burq. Les membres de la Commission étaient MM. Charcot, Luys et Dumontpallier. Le rapporteur se mit assidûment à la besogne et. après une année de recherches expérimentales, faites sur des malades hystériques du service de M. Charcol, la commission présenta deux rapports dont
les conclusions étaient confirmatives des idées du docteur Burq. Ce fut pour nous une vraie satisfaction d'avoir pu rendre justice à un chercheur dont le mérite avait été trop longtemps méconnu; de plus la commission devait être amplement recompensée, car les expériences qu'elle avait entreprises l'avaient conduite a la découverte importante du transfert de la sensibilité. Ce transfert nous l'avions détermine par les applications métalliques et les courants électriques faibles. Plus tard, nous reconnaissions que toute excitation périphérique, faible et prolongée, pouvait déterminer le phénomène du transfert et l'avenir nous réservait de constater que la suggestion pouvait nous fournir les mêmes résultats. Mais avant d'établir, par la succession des faits, comment les membres de la commission du Burquisme furent conduits à s'occuper d'hypnotisme et de suggestion, il ne sera pas sans intérêt d'exposer devant vous dans quelles conditions l'action des métaux sur les hystériques lut découverte par le docteur Burq :
Une jeune femme en état de somnambulisme provoqué, venait de poser sa main sur un bouton de porte d'appartement et tombait ne catalepsie. Le bouton était en cuivre.
Quelle pouvait être l'action du métal sur le phénomène constaté? Le lendemain l'expérience est recommencée, mais l'état cataleptique ne se manifeste pas ; on avait eu soin de garnir le bouton de cuivre d'une peau de gant. Telle fut l'origine de la découverte de la métalloscopie.
Pendant un tiers de siècle, Burq garda le secret des conditions expérimentales de sa découverte, il savait bien que parler de somnambulisme au début de sa carrière médicale, c'eût été créer une barrière infranchissable a l'étude de la métallothérapie.
C'était donc le magnétisme qui avait révélé au docteur Burq l'action des métaux sur les hystériques hypnotisables et, vingt-cinq années plus tard, c'étaient les recherches d'une commission sur la métallos-copie qui devait conduire les membres de cette Commission a étudier l'action de l'électricité, des électro-aimanls, du ter aimanté et les Jit-térents procédés des magnétiseurs pour déterminer le somnambulisme, la catalepsie et la léthargie. Ainsi Burq avait découvert la métallo-thérapie en laisant du magnétisme et plus tard les expériences de contrôle sur la métallothérapie conduisaient à l'étude de l'hypnotisme. On pourrait donc dire que Burq a été le promoteur, inconscient peut être, de la renaissance de l'hypnotisme.
Jusqu'ici nous avons vu les agents physiques déterminer les différentes phases de l'hypnotisme; c'était l'a lumière, le son, la température, les vibrations de l'atmosphère, l'électricité, les aimants qui étaient tes modificateurs de la sensibilité. Bientôt, en 1881, le docteur Barety faisait intervenir l'action d'une force neurique rayonnante; c'était revenir à la théorie du magnétisme animal. Quoíqu'il en soit des théories physiques, l'expérimentation démontre que l'expectant attention et la suggestion n'ont rien à faire dans certaines conditions déterminantes de l'hypnotisation.
J'ai hâte cependant d'arriver á une période nouvelle de progrés dans l'étude de l'hypnotisme : Vous savez. Messieurs, que M. le professeur Bernheim accorde a la suggestion une part presque exclusive dans tous les phénomènes de l'hypnotisme, et peut-être le savant professeur de Nancy serait-il disposé à penser que ceux qui l'ont précédé dans l'étude de l'hypnotisme ont fait, de tous temps, de la suggestion sans le savoir. Certes j'applaudis sans réserve au remarquable talent dont M. Bcrnheim a fait preuve pour soutenir la théorie de la suggestion; il eût été bien difficile de se montrer plus convaincu et d'être
plus éloquent que le savant professeur de Nancy, mais qu'il me permette de le dire « la vérité est dans les deux Ecoles de Paris et de Nancy ». On ne saurait nier l'action des agents physiques pour produire les états somnambulique, calaleptique et léthargique et la part reste encore assez belle, assez grande u l'Ecole de Nancy, surtout en thérapeutique et en médecine légale. MM. Bernheim, Beaunis, Liébeult et Liégeois peuvent trouver une ample satisfaction dans la grande valeur reconnue de leurs travaux.
Qu'il me soit permis de rappeler l'importance des études de MM. Pitres. Grasset, Auguste Voisin qui sont en hypno-tisme des éclectiques de grand mérite et ont largement contribué à vulgriser les enseignements de de cette science nouvelle. A côté de nos concitoyens, je suis heureux de citer les noms des professeurs Delbœuf (de Liège; Ladame , Yung. (de Genève) et Forel, (de Zurich.. Nous devons une mention spéciale aux travaux de notre collègue le docteur Mesnet et aux mémoires du professeur Azam de Bordeaux, de M. Azam auquel Braid offrait en 1860 une copie du manuscrit de ses recherches nouvelles sur la neurypnologie, et cela en reconnaissance de la sanction que le professeur de Bordeaux avait donnée par ses expèriences personnelles aux travaux du chirurgien de Manchester.
Personne de nous n'a oublié avec quelle sagacité le professeur Azam a analysé, il y a de cela vingt-neuf années, la célèbre observation de la nommée Félida, observation où se trouve consignée et étudiée avec des détails si précis la donble personnalité spontanée et expérimentale.
N'oublions pas non plus de rappeler qu'un homme qui n'est plus, le professeur Bouley, ce vulgarisateur, cet éloquent défenseur, et de la première heure, des découvertes de l'illustré Pasteur, n'a pas peu coatribué à ouvrir à l'hypnotisme les portes de l'Académie des sciences.
Avec l'appui et le concours de tels hommes, la cause de l'hypnotisme était gagnée en France. Bientôt en Belgique, en Suisse, en Italie, en Allemagne, en Espagne, l'hypnotisme s'imposait aux discussions du monde savant. L'Académie de médecine de Belgique n'a-t-elle pas désigne l'un de ces membres, M. le professeur Masoin, pour la représenter officiellment á notre Congrès.
L'Hypnotisme est une science d'expérimentation, sa marche en avant est fatale. Pour assurer son progrès, il suffit de recommander la réserve, de solliciter le contrôle et de n'accepter comme exacts et acquis que les faits qui peuvent être confirmés par tous les expérimentateurs.
Déjà l'hypnotisme compte d'heureuses applications thérapeutiques et il a fourni de précieux procédés d'analyse en physiologie normale et pathologique.
Les résultats obtenus tiennent de miracle, disent les incrédules; mais tout parait miraculeux au début des découvertes nouvelles. Oui, certaines expériences sont troublantes pour l'esprit qui voudrait se reposer dans le quiétisme. Mais quoiqu'on pense, les phénomènes existent, ils sont. On sait dans quelles conditions on peut les produire; en mesurer l'intensité, la durée; en commander le souvenir ou l'oubli aux sujets en expérience. Oui tout cela est troublant; mais cela est, et force est bien de le reconnaître et d'en accepter les conséquences.
Les faits ne sont plus discutables, l'hypnotisme expérimental et thérapeutique ne fait plus doute pour les savants les plus autorisés — nos présidents d'honneur ne sont-ils pas MM. Charcot. Brouardel,
Charles Richel. L'Académie des sciences de Paris n'a-t-elle pas accorde des recompenses el des encouragements à MM Panl Richer et Bérillon. Le professeur Brown-Sèquard n'a-t-il pas signe la pré-tace de la traduction française de livre de Braid. La Sorbonne ne ne vient-elle pas de donner son approbation a la thèse de doctoral de M. Pierre Janel, thèse où l'automatisme physique a été analysé à l'aide des différents procédés fournis par l'hypnotisme.
Avant de terminer cette allocution, je remercie M. le docteur Bérillon de son initiative et de l'intelligente activité dont il a fait preuve dans l'organisation de notre Congrès. Déjà notre confrère, il y a trois années en fondant la Revue de l'hypnotisme, avait témoigné de sa foi dans le succès et la vulgarisation d"unc science nouvelle. Ses espérances n'ont point été déçues et aujourd'hui ses principaux collaborateurs sont des professeurs de différentes Facultés et Universités françaises et étrangères, des médecins des hôpitaux.
11 est inutile d'insister plus longuement pour établir la raison d'être de notre Congrès. Mettons nous au travail. Prouvons la valeur de notre entreprise scientifique par la lecture des rapports rédigés par les plus zélés et les plus autorisés d'entre nous, par les communications de travaux originaux.
Marchons vers le progrès et ne prenons pas souci de l'indifférence et du scepticisme des hommes qui ne veulent ni étudier, ni voir, ni entendre.
Après le discours du président, accueilli par des applaudissements répétés, M. le Dr Berillon, secrétaire général prend la parole pour faire aux adhérents diverses communications sur l'organisation du congrès.
Il donne lecture d'une lettre de M. Fallières, ministre de l'Instruction publique qui, absent de Paris, exprime le regret de ne pouvoir assister a la séance d'ouverture du Congrès; il demandes l'assemblée de voter des remerciements au bureau du Conseil municipal de Paris et à M. le Ministre des Travaux publics qui ont invité tons les membres du Congrès aux réceptions données le 8 août à l'hôtel de ville et le 9 août au ministère.
Ces remerciements sont voies d'acclamation.
Le secrétaire général expose ensuite l'ordre des travaux du Congrès qui se composeront : 1° de séances consacrées à la lecture des rapports et des communications, dans l'ordre d'inscription; 2° de visites a l'asile de Ville juif et a l'hospice de la Salpètrière.
En terminant, il rappelle les précieux encouragements et les concours si dévoués qui lui ont permis d'organiser en moins de deux mois, un congrès dont les travaux sont appelés a un retentissement considérable.
Apres les paroles du secrétaire général, le Congres. désireux de témoigner a M. le Dr Mesnet, médecin de l'Hôtel-Dieu. retenu par un deuil de famille, toute sa reconnaissance pour la part prise par lui dans l'organisation du Congrès, decide à l'unanimité de lui conférer le titre de président d'honneur.
Avant d'ouvrir la séance, le président, au nom du bureau, remercie M. Peyron, directeur de l'Administration générale de l'assistance publique, d'avoir mis à la disposition du Congrès un des grands amphithéâtres de l'Hotel-Dieu.
Il annonce que l'Académie royale de médecine de Belgique a désigné un de ses membres. M. Masoin, professeur à 1'Université de Louvain, pour la représenter au Congrès, en conséquence il invite M. le professeur Masoin prendre place au bureau.
L'ordre du jour appelle le rapport de M. Ladamede Genève, sur:
La nécessité d'interdire les séances publiques d"hypnotisme. — Intervention des pouvoirs publics dans la réglementation de l'hypnotisme
M. Ladame (de Génève). — Contrairement a ce que L'on pourrait croire, la nécessité d'interdire les séances publiques d'hypnotisme n'apparaît pas évidente t toute le monde, et un professeur de philosophie de Liège, M. Del-
bœuf, n'est fait le défenseur des magnétiseurs des tretaux et cela au nom de la liberté.
L'hypnotisme libre, telle est sa formule ; il l'a développée avec ardeur et n'a pas tarde a se faire des adeptes.
Cette formule, les hommes de sciences ne sauraient l'adopter, et cela précisément au nom de la liberté.
Notre client, en ciTet, a nous médecins, c'est le malade, c'est le sujet, c'est l'hypnotisé. l'homme lige obscur de brillant magnétiseur. C'est en sa faveur eue nous réclamons l'interdiction des spectacles publics d'hypnotisme spectacles du serrage le plus absolu auquel un humme puisse être réduit par son semblable, L'hypnotisé, en effet, livré en spectacle à la foule, tourné en ridicule, halluciné jusqu'à la folie furieuse, mis aux abois par les suggestions grotesques ou criminelles que le magnétiseur lui ordonne, au risque de compromettre sa santé mentale et physique, l'hypnotisé des représentations publiques est une victime, et c'est pour cela que nous devons prendre sa défense.
Cependant M. Delbœuf affirme qu'on lèse l'humanité et la morale en interdisant les séances d'hypnotisme, et voici par quelle étrange argumentation il pense donner le change a cet égard.
« Il faut, dit-il. que chacun sache ce qui en est de l'hypnotisme, quels en sont les bienfaits et les dangers; et c'est non seulement attenter a la liberté, a la justice, à la science, mais encore léser l'humanité et la morale que de vouloir, en vue de favoriser des intérêts qu'on n'avoue pas, en réserver le monopole a des gens qui, a l'abri d'un diplôme, pourraient faire de la psychologie daus l'ombre. »
Il ajoute même qu'il n'y a pas plus de rapport entre la médecine et le magnétisme qu'entre la géométrie et la religion, la physique et la musique.
Insinuer que les médecins veulent le monopole de l'hypnotisme pour opérer dans l'ombre, a l'abri de leur diplôme, en vue d'intérêts que l'on n avoue pas, c'est les calomnier gratuitement. Si les médecins écoutaient leurs intérêts pécuniaires dans cette question, ils prêcheraient au contraire, avec M. Delbœuf, la croisade de l'hypnotisme libre, car les représentations publiques des magnétiseurs alimentent les hôpitaux et les cabinets de consultations, l'a discussion magistrale qui a eu lieu l'année dernière a l'Académie de médecine de Belgique a mis, du reste, suffisamment en relief les dangers des séances publiques des magnétiseurs pour qu'il ne soit pas nécessaire d'insister sur ce point. L'intérêt grossier et inavouable des médecins serait donc précisément de favariser ces séances qui leur fournissent des clients !
Les dangers, du reste, chacun de nous a été a même de les constater :
Nous avons observé en 1880 l'épidémie de «manie hypnotique », qui sévissait A Neuchàtel et à la Chaux-de-Fonds surtout chez les élèves des écoles, après les séances de Donato. Nous avons en connaissance a cette époque de plusieurs cas de maladies nerveuses survenues chez les personnes qui avaient assisté à ces spectacles. Nous avons même été appelé a présenter un rapport médico-légal sur un cas de viol pendant l'hypnotisme qui eut lieu peu de temps après le passage du célèbre magnétiseur.
En février 1881, nous avons vu à Lausanne des jeunes gens tomber spontanément en attaque de sommeil hypnotique pendant une conférence que nous donnions a ce sujet. Ces jeunes gens avaient été hypnotisés quelques mois auparavant par Donato. Dès lors, a maintes reprises, nous avons été consulté par des malades dont les troubles nerveux dataient d'une séance de magnétisme.
Tout récemment enfin, nous avons soutenu à Genève une polémique dans la presse, a la suite des séances publiques d'un autre fameux magnétiseur. M. OnofroiT, dont les représentations furent interdites, lorsqu'il eût donné a ces. sujets des suggestions posthypnotiques de nature a troubler l'ordre public, en les envoyant à l'heure de midi accomplir divers pantomimes sur une des places les plus fréquentées de la ville.
Au risque de répéter ce que tout le monde sait, je dirai donc, qu'outre les accidents nerveux immédiats qui peuvent frapper les sujets ou les spectateurs, il faut considérer encore les conséquences secondaires et lointaines de repré-sentations publiques.
Ces conséquence»sont :
1° La propagation d'une épidémie mentale, sous forme de manie hypnotique, pouvant donner naissance a diverses névroses et psychoses chex les personnes prédisposées.
2° La réalisation de suggestions posthypnotiques, comme M. Onofroff s'est chargé d'en donner à Genève une démonstration éclatante. Qui pourrait nier, dans un cas semblable, la possibilité de l'accomplissement d'une suggestion criminelle à échéance plus on moins éloignée.
3° L'éducation de misérables qui trouvent dans ces séances des leçons leur apprenant a se servir de l'hypnotisme pour la satisfaction de leurs vices et de leur immoralité. M. Delbœuf reconnaît lui-même que les attentats a la pudeur sont parfaitement possibles par le moyen de l'hypnotisme, et cela suffirait pour démontrer la nécessite de l'interdiction des spectacles publics où les scélérats peuvent venir s'initier aux procédés d'hypnotisation qui leur permettraient de violer ensuite impunément leurs victimes.
Mais ce n'est pas tout.
L'emploi de la thérapeutique suggestive doit rentrer, comme tout autre agent médical, dans les lois et règlements qui régissent l'art de guérir. Mais comme le diplôme de médecin ne sacre pas hypnotiseur, il devient absolument nécessaire que l'enseignement de l'hypnoptisme soit introduit d'une manière officielle dans les programmes des facultés de médecine. Il n'est pas besoin pour cela d'exiger des candidats en médecine, au moment de leurs examens de doctorat, la justification de connaissance pratiques dans l'art d'hypnotiser, et dans les applications thérapeutiques des suggestions hyno-tiqúes, comme on leur demande celle des méthodes et des procédés dans l'art opératoire de la chirurgie ou des accouchements.
Apres une intéressante discussion à la quelle prennent part MM. Bourdon (de Méru), Paul Magnin. Gilbert Ballet, Masoin (de Louvain). Dekhreff (de Saint-Pétersbourg). Decroix. Forel, de Zurich).semal (de Mons) Dumom-pallier. BERmheim de Nancy;, et Auguste Voisin, le congrès voté à l'unanimité, moins une voix. les conclusions suivantes:
Le Congrès de l'hypnotisme, vu les dangers des représentations publiques de magnétisme et d'hypnotisme.
Considérant que l'emploi de l'hypnotisme comme agent thérapeutique rentre dans le domaine de la science médicale, et que l'enseignement officiel de ses applications est du ressort de la psychiatrie.
Emet les vœux suivants :
I. Les séances publiques d'hvpnotismc et de magnétisme doivent être interdtes par les autorités administratives, au nom de l'hygiène publique cl de la police sanitaire.
II. La pratique de l'hypnotisme comme moyen curatf doit être soumise aux lois et aux règlements qui régissent l'exercice de la médecine.
III. Il est désirable que l'étude de l'hypnotisme et de ses applications soit introduite dans dans l'enseignement des sciences médicales.
Compte rendu des résultats obtenus à la clinique de psycho-thérapeutique suggestive d'Amsterdam. — Statistique portant sur 414 sujets
Par les docteurs VAN RENTERGHEM ET VAN EEDEN d'Amsterdam).
MM. van Renterghem et van Eeden (d'Amsterdam communiquent les résultats obtenus dans le traitement hypnotique de quatre cent quatorze malades par la méthode de suggestion verbale de Nancy, pratiquée sans violence et après une période d'entraînement par persuasion d'autant plus prolongée, que le sujet est plus intelligent. Le traitement a porté sur des maladies orga-
niques du système nerveux, des névroses, des maladies mentales, des névralgies, des maladies des autres appareils que le système nerveux.
Dans 71 cas, aucun résultat ; dans 97. amélioration légère; 98 fois amélioration notable; 100 fois guérison; 57 cas n'ont pas été suivis.
Nous regrettons vivement de ne pouvoir publier en entier le travail remarquable et si consciencieux de MM. van Renterghem et van Eeden. Nous croyons devoir signaler leur opinion sur la durée et la solidité des guérisons obtenues par suggestions. On a souvent reproché à la thérapie suggestive. que ses guérisons ne sont qu'apparentes et passagères.
Rien de plus injuste que ce reproche basé sur le préjugé de gens qui identifient la suggestion avec le rêve ou avec l'hallucination et pour qui son influence toute chimérique ne saurait produire aucun changement réel.
Pour quiconque a appris a apprécier A sa juste valeur l'action du moral sur le physique, il n est pas difficile a concevoir l'ineptie de ce reproche.
Si les maladies tributaires de la psycho-thérapie disposent souvent à des récidives, il laut en accuser non pas la thérapie mais plutôt l'état morbide même.
Comme contre-indications principales, les auteurs signalent la crainte in-surmoniable du sujet en traitement, certaines formes d'aliénation mentale et ausssi l'état de que'ques hystériques chez lesquelles il peut arriver que les tentatives d hypnotisme déterminent une exagération des symptômes.
(A Suivre)
DEUXIÈME CONGRÈS INTERNATIONAL D'ANTHROPOLOGIE CRIMINELLE
Tenu à Paris dm samedi 10 au samedi 17 août 1889
Le deuxième Congrès d'anthropologie criminelle a réuni au grand amphithéâtre de l'Ecole de médecin un grand nombre de savants fran-çais et étrangers.
L'anthropologie criminelle est encore une science à faire,a dit modestement M. le professeur Lacassagne, au début du Congrès. Il y a trois ans à Rome, on en avait posé les bases, bases chancelantes et discutables résumées en treize questions qui viennent de faire l'objet des plus vives controverses. Nous allons les examiner rapidement l'une après l'autre
La parole est d'abord au chef de l'Ecole italienne sur La reherches de l'anthropologie criminelle. M. Cesare Lombroso (de Turin) rappelle brièvement les dernières découvertes sur les anomalies anatomiques, morphologiques et physiologiques qui caractérisent le criminel.« La philosophe grec prouvait, en marchant, le mouvement, dit-il; c'est bien la marche toujours plus grande des découvertes de l'anthropologie criminelle qui prouve mieux son existence que les amplifications rhétoriques. » C'est en somme un acte de loi et un encouragement.
La deuxième question est celle-ci : Existe-t-il des caractères analomiques Propres aux criminels ? Les criminels présentent-ils en moyenne certains caractéres anatomismes particuliers? Comment doit-on interpréter ces caractères qui. Manou-vrier (de Paris). rapporteur, tout en reconnaissant les rapports qui existent entre le physique et le moral, la relation étroite et indissoluble qui
unit ta physiologie psychologique et l'anatomie, n'admet pas le type criminel décrit par le professeur de Turin. Le crime, dit-il, est une matière sociologique et non physiologique, car l'homme est un instrument mis en jeu par un milieu infiniment variable. Et pois il ne faut pas non plus appeler poutre chez un criminel ce qu'on appelle paille chez un honnête homme, surtout lorsqu'il s'agit de caracteres anato-miques dont on ignore complètement la signification el qui ne paraissent nullement être en relation directe avec le crime.
M. Lombroso proteste, mais il ne semble pas convaincre l'auditoire, et M. Brouardel ne craint pas de lui dire qu il considère son type criminel comme illusoire.
M. Lacassagne (de Lyon) profite de l'occasion pour faire adopter au Congres les vœux suivants : que les gouvernements facilitent aux médecins et aux anthropologisles l'entrée dans les prisons; 2° que les cadavres des suppliciés soient mis à la disposition des anthropologisles.
La question qui prédomine au Congrès est toujours celle des caractères propres aux criminels. C'est qu'il y a là, en effet, une question, qui prime toutes les autres: c'est de savoir si l'anthropologie criminelle doit être considérée comme une science ayant d'ores et déjà des bases certaines et, par suite, si elle peut fournir aux juges des éléments capables Je former ou de modifier leurs convictions. M. Sciam-manai (de Rome) y revient. « Si l'on considère combien est jeune la science de l'anhtropotogie criminelle, dit-il, on voit que l'on a fait de tels progrès dans la voie tracée par celte science, qu'on peut avoir l'assurance que bien peu de vérités scientifiques se sont imposées au monde si promptement et si universellement. » Et le rapporteur insiste Sur l'opportunité d'établir des règles pour les recherches d'anthropométrie et de psychologie cruminelles dans les hôpitaux d'aliénés et dans les prisons. (3e question) Il termine en appelant l'attention « sur l'importance exceptionnelle des recherches que l'on pourrait faire dans les maisons de correction, non seulement dans l'intérêt scientifique, ces documents pouvant servir de complément aux observations que l'on pourrait faire plus tard sur les mêmes individus dans les prisons, mais aussi par ce qu'elles serviraient peut-être de guide pour le traitement a suivre pour atteindre le but de la correction. » A mon avis, c'est là qu'est l'avenir de l'anthropologie criminelle. C'est en étudiant les criminels un à un, en recueillant ainsi des observations biographiques, anthropologiques -t psychologiques, qu'on arrivera à des résultats précis. Il faut faire dans les prisons ce que les aliénistes font dans les asiles d'aliénés.
Mais la question des caractères anatomiques revient sur le tapis avec le rapport des docteurs Frigerio (d'Alexandrie) et Ottolenghi (de Turin) sur les Organes et fonctions des sens chez les criminels. (6e question) — je ne voudrais diminuer en rien b valeur des patientes recherches de ces savants ; mais je crois qu'avec ces statistiques il font fausse route. Les criminels ont l'iris châtain, disent-ils ; les violateurs au contraire ont l'iris bleu. Or mon meilleur ami a l'iris châtain et moi j'ai l'iris bleu. Et le nez ! Les voleurs ne l'ont pas comme les assassins et les assassins ne l'ont pas comme les voleurs. Eh bien ! ctles voleurs qui deviennent assassins? Il est à présumer que leur nez doit changer de forme, lorsqu'ils changent de profession.
Spectaedum admissi, risum teneatis amici ?
M. Garofalo (de Naples) traitant De la détermination par l'anthropo-
logie criminelle de la classe ds délinquants à laquelle appartient un coupable (7e question; me semble se trouver, lui, beaucoup plus près de la vérité. II admet que les caractères anatomiques, à eux seuls, ne peuvent fournir que des indices, et qu'il faut les compléter par la figure morale du criminel qui nous dévoile son anomalie psychique. Car, dit-il encore, la psychologie a un rôle bien plus important que l'anthropologie pour nous aider à classer les auteurs des attaques à la propriété, les escrocs, les voleurs, les faussaires.
M. Taladriz (de Valladolid) revient à la charge avec son rapport sur La criminalité dans ses rapports avec l'ethnographie. (9e question). Lui aussi il admet le type criminel et il le retrouve dans chaque race. « Quelles que soient les diversités ethnographiques, quelles que soient la couleur de la peau, la couleur et la structure des cheveux, sur toutes ces variantes, plutôt apparentes que réelles, flotte toujours le type criminel sous les caractères observés dans tous les temps, décrits par les poètes et les historiens de tous les âges. II est reproduit dans les lègendes de pierre de la sculpture, dans les médailles de la numismatique par le burin de la glyptique, avec la fidèle réalité que peignait, par exemple, la terreur sur ses deniers la famille Hostilia... Dans toutes les races et à tous les âges les historiques, le type criminel a présenté ses facies, caractères ineffaçables et indestructibles, jusqu'au point que, par le langage de tous les peuples, on puisse décrire avec une parfaite identité et harmonie ces caractères qui ne sont pas inventions capricieuses de certains anthropo-logistes. » Puis M. Taladriz, rappelant les horreurs de l'Inquisition, à côté des crimes de l'individu, place les crimes du peuple ou de la nation, et il conclut : « Les grands délits commis par les races et nations doivent être l'objet d'une sanction rédigée dans un code pénal international où l'on tiendrait compte dans sa rédaction des droits sacrés des nationalités considérées comme individus supérieurs de la sociologie moderne. »
M. Lombroso a voulu voir dans presque tous les enfants des monstres, des criminels-nés que redressait l'éducation. M. Traverni (de Catane) croit au contraire que les enfants mauvais sont l'exception et M. Magnan (de Paris) ne voit dans ces enfants aux mauvais instincts que des dégénérés chez qui l'harmonie morale estrompue. C'était là la cinquième question ; De l'enfance des criminels dans ses rapports avec la prédisposition naturelle au crime.
Mais toutes ces théories sont grosses de conséquences. Que devient le libre arbitre? Que devient la responsabilité morale? Pour M. Ferri (de Rome» « la genèse naturelle des crimes obéit à une loi fondamentale par laquelle tout crime n'est que la résultante du concours simultané et indivisible soit des conditions biologiques, soit des conditions de milieu où naît, vit et agit le criminel. - Le criminel ne se fait pas plus volontairement criminel que l'aliéné se fait volontairement aliéné. Le criminel ne doit inspirer ni colère ni mépris, mais seulement de la commisération, (quatrième question : Des conditions déterminantes du cime et de leur valeur relative). M Tarde (de Sarlat) proteste contre cette . négation du libre arbitre, contre cette négation du vice et de la vertu. (Dixième question) : Les anciens et les nouveaux fondements de la responsabilité morale. Sa théorie est ingénieuse, mais bien compliquée. Et puis il part d'idées
métaphysiques et ne s'appuie sur aucun fait. Ce sont des mots et encore des mots, verba et verba.
Passons maintenant aux applications pratiques.
M. Pugliese (de Tranit voudrait voir les idées nouvelles s'implanter et amener la reforme du code d'instruction criminelle. (Onzième question : Du procèscriminel considère au point de vue de la sociologie.) Je ne le suivrai pas dans la voie des réformes nombreuses et utiles, je crois, qu'il demande. Mais il est un point sur lequel tout le monde est d'accord avec lui, c'est sur la nécessité de donner aux Juges d'instruction une éducation spéciale. « Un juge quelconque, dit-il, qui possède à peine des études juridiques dans le vrai sens du mot,est chargé de l'instruction des procès. Peut-être n'aura-t-il jamais vu un procès criminel, jamais un cadavre, une autopsie ; il ne saura rien de l'anthropologie et de la sociologie pénale, et pourtant il est appelé à exercer une très délicate, très difficile fonction de laquelle dépendra le sort des citoyens et la sûreté sociale. Il fera des expériences in corpore vivo, il apprendra a ses dépens, et en forgeant il deviendra forgeron ; sed postquam sudavit et alsit, etquand il sera devenu un médiocre instructeur, il sera changé de place et de fonction à cause de sa promotion à un nouveau grade, et un autre comme lui commencera à parcourir la ru orucis.
M. Pugliese demande aussi l'adjonction au juge d'instruction d'experts compétents, la suppression, dans la mesuré du possible, de la détention préventive, l'adjonction de la formule du non liquet aux deux formules condemno et absolvo du jury, l'extension de la révision des criminels au cas d'acquittement injuste du prévenu.
M Floretti (de Naples) admet que l'anthropologie peut avoir une grande importance comme science auxiliaire dans la partie du droit civil qui concerne les personnes. (Douzième question : De l'anthropolorgie au point de vue de us applications juridiques aux législations et aux questions de de droit civil.)
M. Van Hamel (d'Amsterdam) indique quels détenus devraient être mis en cellule et quels détenus devraient être laissés en commun, sélection sur l'importance de laquelle j'ai déjà insisté et j'insiste encore dans un ouvrage actuellement sous presse, (1) (Treizième question : Du système cellulaire considéré au point de vue de la biologie et de la- sociologie criminelles.)
Enfin M. Semal (de Mons) traite : De la libération conditionnelle. (Huitième question). Selon lui, la nécessité d'un examen psycho-moral du délinquant s'impose comme seul moyen d'affirmer l'existence des sentiments sur lesquels on spécule pour autoriser la libération ou ajourner la peine. C'est, à ce point de vue, vers l'école positive moderne qu'il faut se tourner pour attendre une solution puisqu'elleseule étudie dans le délit un phénomène naturel relevant de causes multiples, au lieu de l'envisager comme seul indice du pouvoir malfaisant de son auteur. Mais, conclut-il, pour sortir rapidement des obscurités empiriques, ces réformes
(l) Les habituels des prisons de Paris, in-8 de 500 pages nombreuses figures, chez Steinhell.
exigent la difusion d'un enseignement qui fait défaut jusqu'ici, la prison devant devenir, sous l'égide de la science médicale, le champ clinique du barreau et de la magistrature.
En voila bien long déjà sur ce congrès où tant de hautes et graves questions ont été agitées et non résolues, tant de problèmes poses. Encore un mot seulement sur les communications : je n'en mentionnerai que deux.
M. Coutagne (de Lyon) recherche L'influence des professions sur la criminalité. Pour lui, les fonctions psychiques sont influencées par la profession et la psychologie professionnelle existe. Ou est ion discutable et qui a soulevé au sein du Congrès plus d'une objection.
M. Laschi (de Vérone) émet lui des idées peut-être encore plus risquées. 11 étudie Le crime politique au point de vue de l'anthropologie. Pour lui, les révolutionnaires ardents sont brachicéphales, tel Marat; les révolutionnaires lents sont dolichocéphales, tels Voltaire et Diderot.En France et en Italie, les brachicéphales sont révolutionnaires et les dolichocéphales conservateurs. Si un dictateur allait un jour mesurer le crânes de ses sujets pour établir se liste de proscriptions ! !
M. Laschi émet une seconde idée qui me parait beaucoup plus raisonnable : c'est que le génie est mis en évidence par les évolutions rapides, et par suite est plus fréquent dans les milieux révolutionnaires. Jamais en effet Athènes ne produisit autant d'hommes de génie qu'au temps de ses révolutions.
Dr. Emile Laurent
L'ASSOCIATION INTERNATIONALE D'HYPNOLOSIE
Dans la dernière séance du Congrès de l'Hypnotisme, M. le docteur Levil-lain a développé devant le Congrès l'exposé des motifs de la proposition suivante :
Article premier. — Le Congrès international de l'Hypnotisme réuni pour la première fois à Paris, en 1889, décide la formation d'une association internationale d'hypnotisme.
Art. 11. — Cette association sera constituée par des Sociétés d'hypnologie qui s'organiseront dans les grands centres universitaires des pays représentés au Congrès et de ceux qui voudront adhérer à l'association.
Art. 111. — Les Sociétés seront entre elles en rapports constants par l'intermédiaire de leurs présidents et secrétaires et se communiqueront mutuellement leurs travaux dans les réunions périodiques qu'elles décideront de tenir.
Art. IV. — Le Congrès forme le vœu qu'une Société d'hypnologie soit dès maintenant constituée à Paris : ses règlements et statuts seront ultérieurement étudiés. Je propose au Congrès de proclamer comme membres du bureau de Société les membres du bureau du Congrès MM. Du mont pallier. Ballet. Grasset, Liégeois. Aug. Voisin, Bérillon. et d'offrir la présidence d'honneur à l'éminent doyen de la Faculté de Paris. M. le professeur Brouardel.
Art. V. — Les Sociétés composant l'Association internationale d'hypne-logie se réuniront périodiquement en un Congrès international dont le siège et le fonctionnement seront déterminés par une Commission spéciale.
Ces différentes propositions mises séparément aux voix ont été adaptées â l'unanimité.
A la suite de ce vote, il a été procédé sur la proposition de M. Masoin. à la nomination d'une Commission d'organisation du prochain Congres ; ont été nommés membres de cette Commission : MM. Dumontpallier. Masoin, Ballet, Grasset, Liégeois, A. Voisin, Bérillon. Bernheim, Ladame, Levillain.
Les nombreuses adhésions reçues assurent l'existence et le succès de la Société d'Hypnologie. Les adhésions et les demandes de renseignements peuvent être adressées à M. le Dr Levillain, 50, boulevard Saint-Marcel.
CONGRÈS INTERNATIONAL DE PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE
(Du 5 Août au 10 Août 1889).
M. Ribot a ouvert la première session du Congrès international de psychologie physiologique, en souhaitant la bienvenue aux délégués étrangers et en exposant l'état de la psychologie physiologique en 1889.
M. Charles Richet. secrétaire général du Congres, indique les raisons qui ont présidé au choix des questions, et fixe l'organisation des travaux.
Le bureau est ainsi composé :
Président, M. Ribot; vice-présidents. MM. Magnan. Taine: secrétaire genéral, M. Richet; secrétaires, MM. Gley, Marillier, Langlois, Saint-Hi laire.
Essai d'une terminologie dans les questions d'hypnotisme
M. Richet. rapporteur fait ressortir la nécessité d'être fixé sur la valeur des mots qui sont employés couramment dans les divers écrits qui ont trait à la psychologie physiologique, et suivant ses conclusions, les définitions suivantes sont votées par le Congrès.
Hypnoiisme.— Ce mot introduit par Braid, signifie somnambulisme provoqué.
En général, d'après l'acceptation commune l'hypnotisme est un somnambulisme provoqué par des actions physiques alors que le magnétisme, serait un somnambulisme provoqué dû à une influence ou a une volonté individuelles.
Magnétisme animal. — Mot vague employé dans les sens les plus divers s'appliquant surtout aux procédés qui provoquent le somnambulisme. Le mot magnétisme signifie dans son sens usuel, action à distance, il peut s'appliquer à toutes les actions qui amènent le somnambulisme; par exemple : les passes dites magnétiques produisent le sommeil magnétique. Le sommeil magnétique est 1 état de somnambulisme provoqué : le sommeil hypnotique serait le même état provoqué par une cause un peu différente, c'est-à-dire par des action* physiques au lieu d'une influence individuelle.
Somnambulisme. — Etat analogue au sommeil, mais en différant par la persistance de quelques phénomènes de la vie de relation. Il diffère de l'état de la veille normale par une modification de la personnalité et une amnésie complète. Le somnambulisme peut être provoqué ou spontané. Le somnambulisme spontané est un véritable phénomène pathologique plus fréquent chez !es jeunes sujets et qui survient, le plus souvent, dans le cours du sommeil normal. Le somnambulisme provoqué est amené tantôt par certaines manœuvres dites magnétiques, dont l'action est encore mal déterminée; tantôt par une suggestion : lantôt par une sorte d'action physique telle que la fixation d'un objet brillant... etc.: tantôt, et le plus souvent, par les diverses causes réunies.
Suggestion. — Par son étymologie, c'est le fait de suggérer (c'est-à-dire d'indiquer par insinuation, sans un énoncé détaillé, un ace ou une idée.) Par extension, l'acte ou l'idée suggérés ont pris à tort le nom de suggestion. On dit que l'individu est suggestionné lorsqu'il ne peut pas résister â l'idée ou à l'acte suggérés. La suggestion a pour point de départ un mot. un signe, un indice quelconque, si peu explicite qu'il soit. Quand le sujet se le fournit â lui-même, c'est de l'auto-suggestion. La suggestion mentale serait une suggestion où la personne qui suggère ne fournirait au sujet aucun indice appréciable, à nos sens et â nos facultés, de connaissance normale.
Après un échange d'observations, le Congrès décide qu'il y a lieu d'attribuer ure différence aux mots d'hypnotisme et de magnétisme. Le terme de magné-tisme sera réservé â l'étude de tous les faits anciens qu'on a expliqués par la théorie fluidique, celui d'hypnotisme désignera spécialement ceux qui sont du domaine plus moderne de la suggestion.
Étude statistique des hallucinations
H. Marillier (Paris) expose que la Société pour les recherches psychologiques (de Londres) a ouvert une enquête sur les hallucinations, dont le but principal est de déterminer la fréquence de ce phénomène chez les individus normaux. Elle a recueilli 2.o38 réponses, dont 945 d'hommes et 1.093 de femmes, sur lesquelles 1.7o6 sont négatives et 342 affirmatives. En France, une enquête du même genre a été commencée; sur 345 réponses, dont 113 de femmes et 232 d'hommes, il en est 70 de positives.
M.Pierre Janet (du Havre) — Il me semble que le questionnaire proposé présente un défaut capital. Il prétend ne s'adresser qu'aux gens sains, mais qui sera juge de l'état de santé parfait des individus questionnés?
J 'avoue que, pour moi, j'ai toujours remarqué des tares profondes chez tous les sujets qui m'ont fait part de leurs hallucinations. Croyez-vous que les gens du monde auxquels vous envoyez vos questionnaires, eussent été a même d'apprécier l'état de la sensibilité et le rétrécissement du champ de visuel de ces hallucinés ! Votre statistique porte donc sur des éléments disparates suivant les connaissances médicales de vos collecteurs
Je propose donc : 1° que les questionnaires ne soient envoyés qu'à des médecins ou à des psychologues compétents en la matière ; et 2° que l'on soit plus large au point de vue de l'état de santé des sujets, tout en notant en regard de chacund'eux, l'affection dont ils paraissent atteints. (Adopté).
L'hypnotisme chez les animaux
M. Danilewski (de Karkoff). J'ai obtenu l'hypnose chez les animaux les plus variés : poules, cobaye, serpent, crocodile, écrevisse, langouste, grenouille.
Pour y arriver, il suffit d'immobiliser l'animal pendant un certain temps par une pression douce, après l'avoir mis dans une position anormale, sur le dos. par exemple.
Au bout de peu de tempe, on voit survenir une anesthésie complète, la perte des mouvements volontaires et l'absence de réaction â l'occlusion des voies respiratoires.
La grenouille hypnotisée reste immobile, elle ne réagit pas aux excitations les plus douloureuses, elle se laisse chloroformiser sans résistance Si on lui ferme les narines avec un morceau de papier, elle ne cherche pas à s'en débarrasser d'un coup de patte, comme à l'état de veille. Ce n'est qu'au moment où l'asphyxie commence, qu'une convulsion fait tomber le papier et que la respiration reprend.
Si on hypnotise une grenouille, à laquelle on a préalablement enlevé un des hémisphères cérébraux, tout se passe comme précédemment. Mais si on a enlevé les deux hémisphères cérébraux, on obtient l'hypnose, c'est-à-dire l'état cataleptoïde, la perte du mouvement volontaire, mais sans anesthésie.
Chez la poule, l'anesthésie dure une demi-heure. Chez la langouste, vingt minutes Chez les autres animaux (serpent, jeune crocodille), de dix à quinze minutes.
Chez les animaux sur lesquels on a obtenu les mouvements de manège par lésion des canaux semi-circulaires, ces mouvements disparaissent dans l'hypnose.
L'hypnotisme des animaux consiste donc en une sorte de paralysie de la volonté, par une sorte de renoncement à la lutte devant une force supérieure.
Il est d'autant plus complet que le cerveau est plus apte à sentir sa défaite, c'est-à-dire plus développé.
La concentration de l'attention joue chez l'homme le rôle de la violence extérieure, douce et continue chez les animaux.
De l'hérédité
M. Galton (de Londres). Je propose au Congrès de formuler un questionnaire qui pourrait nous rendre de grands services dans l'étude si importante des influences physiques et psychologiques de l'hérédité. Il devrait être
extrêmement simple et porter sur les faits suivants, qui pourraient eux-mêmes donner lieu à des recherches plus complètes.
1° Ressemblance physique et psychique entre les différents membres d'une même famille (physionomie, intelligence, émotions, caractères, expressions);
2° Un choc, une émotion, survenant chez la mère en gestation peuvent-ils déterminer un signe quelconque sur le corps de l'enfant ? Le père de Darwin a déjà fait des recherches dans ce sens, et a conclu par la négative. Il serait bon de reprendre ses observations, et de les compléter par de nouvelles, que pourraient nous communiquer les médecins accoucheurs;
3° Transmission héréditaire des habitudes acquises, au point de vue social, mental et scientifique.
Des expériences pourraient être instituées dans ce but sur les animaux domestiques, sur les insectes.
On se rappelle cette célèbre expérience du brochet et du goujon : Un aquarium est séparé en deux compartiments par une lame de verre. D'un côté on mit un brochet, de l'autre un goujon. Pendant plusieurs mois le brochet se précipita vers le goujon pour le dévorer, mais il se heurtai: violemment le museau contre la glace qui les séparait. Au bout de ce temps, il se convainquit que le goujon était imprenable, et il ne se lit plus aucun elfort pour s'en emparer. On peut dès lors enlever la lame de verre, sans que jamais il songeât à s'attaquer au goujon. Ses descendants auraient-ils hérité de cette idée fausse.
On pourrait également demander des renseignements aux directeurs de haras sur les caractères héréditaires qu'ils observent sur les chevaux qu'ils élèvent.
Enfin, les éleveurs pourraient être consultés au point de vue de l'origine des variétés nouvelles.
Le sens musculaire
M. Gley. —1° On peut ramener â deux formes principales ce qu'on entend par le sens musculaire » : c'est, d'une part, la conscience de la situation de notre corps et de ses diverses parties, soit par rapport aux ; corps lui-même; soit par rapport aux objets extérieurs; c'est, d'autre part, la sensation qui accompagne le mouvement musculaire et qu'on a voulu faire coïncider avec le courant moteur centrifuge : la cessation du mouvement, a-t-on dit, est directement liée à l'innervation motrice; en d'autres termes, elle l'accompagne ou même la précède, loin de la suivre, et l'on peut apprécier l'intensité du mouvement avant qu'il soit exécuté et le degré de force dépensée par le cerveau dans le mouvement volontaire.
2° Cette conception du sens musculaire est-elle exacte ; Des expériences récentes et d'anciennes, autrement interprétées que l'on ne l'avait d'abord fait, paraissent montrer que le prétendu sens musculaire est réductible à un ensemble de sensations purement centripètes, comme toutes les sensations. 3° Il importerait de déterminer la part que prennent ces différentes sensations à l'élaboration des données relatives au sens musculaire et. en particulier, la part des sensations provenant de la surface cutanée, des sensations articulaires et enfin des sensations musculaires proprement dites. La réalité de ces dernières est en effet indubitable puisque l'on sait qu'il existe dans les muscles un appareil nerveux sensitif.
4° Il y aurait lieu aussi de préciser quelle voie suivent dans le cerveau les impressions s;nsitives musculaires proprement dites et. en second lieu, quels sont les centres cérebraux de sensibilité musculaire. Dans quelle mesure ces
centres cérébraux sont-ils en relation avec les centres dits psycho-moteurs. Se confondent-ils entièrement avec ces derniers comme plusieurs physiologistes le soutiennent?
5° De ce qu'il n'existe pas de sentiment de l'innervation motrice centrale, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas une certaine conscience du mouvement a exécuter; mais cette conscience est liée à la représentation même du mouvement , c'est un acte d'ordre purement intellectuel et il n'y a rien là de spécial ; c'est une représentation motrice, analogue a tous les autres. Les sujets complètement anesthésiques conservent bien entendu, ces représentations, et. par conséquent, comme ces représentations entrent dans leur conscience, ils peuvent prendre conscience des mouvements à accomplir.
6° Chez les sujeis anesthésiques, des mouvements volontaires peuvent encore être exécutés, même lorsque la vue ne les dirige pas, grâce à la mémoire motrice et au pouvoir moteur des des images, d'une part, et aussi, mais - il faudrait chercher dans quelle mesure, — grâce à la connaissant plus ou moins précise du temps nécessaire pour etTectuer ces mouvements.
De l'audition colorée
M. Grüber Roumanie), a observé un sujet qui présentait au plus haut degér les phénomènes de l'audition colorée. On sait que ces phénomemes étudies déjà par Nussbaümer. Bleuler et Legmann. consistent en ce que le sujet qui eaj est atteint, éprouve une sensation visuelle de couleur chaque fois que le Sun d'une lettre frappe son oreille.
Dans le cas précité, le malade avait une sensation tranchée de couleur pour chaque lettre, voyelle ou consonne, De plus selon qu'il avait ou une image auditive ou une image graphique de la lettre, il voyait une couleur différente. Les diphtonques lui paraissent aussi colorées. A l'auditition d'une de ces syllabes, il voit une bande de couleurs, dont l'étendue est toujours la même, mais la coloration différente avec les diverses diphtongues, triphtongues, tétraphtongue de la langue roumaine. Outre ces phénomènes d'audition colorée, le sujet présente encore des particularités du même ordre très intéressantes.
Il a des sensations diverses de tact, de goût, de sens musculaire, lorsqu'il évoque les images graphiques des lettres. Ces sensations sont constantes pour chaque lettre. Ainsi par exemple, l'O est noir pour la vue, donne la sensation d'une chaleur étouffante pour la température, la sensation de chute dans un précipice pour le sens musculaire, et la sensation de terreur pour les sentiments affectifs. Il existe enfin chez lui une audition colorée pour les chiffres, et il peut alors à l'aide des combinaisons de couleurs faire des opérations d'arithmétique.
CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE
Un vomitif révélateur
Nous trouvons dans la Pratique médicale le récit d'un fait d'un fait raconte par le Dr Maurel, dans lequel se trouve indiqué un moyen de déjouer certains simulacre d'empoisonnement très fréquents chez les hystériques :
« Le 20 février dernier, écrit notre confrère, je suis appelé en toute hâte à l'hôtel .du Nord pour un accident grave, me dit-on. Je suis reçu par un monsieur qui me dit : Docteur, voyez vite cette malade qui vient de s'empoisonner avec ces deux fioles de laudanum. Il me montra en même temps une jeune personne, fort jolie, étendue sur le lit, a demie vêtue, se cachant la figure dans son mouchoir. gémissant et sanglotant. D'après ce qu'il me fut dit. la quantité de laudanum absorbée pouvait être évaluée à 40 grammes environ, il y avait i peine un quart d'heure de cela : immédiatement j'envoyai prendre un vomitif chez le pharmacien voisin et en attendant j'engageai la malade a boire de l'eau tiède en grande quantité. Elle s'y refusa complètement, nie déclarant qu'elle ne prendrait rien. Sur ces entrelaites, on apporta le vomitif que je voulus administrer moi-même, mais malgré toutes met instances et celles de son compagnon, il nous fut impossible de rien obtenir. Le temps pressait. l'absoption devait se faire et des accidents graves ne devaient pas tarder à se produire. |e dis alors au mari, ou présumé tel, que nous pouvions donner un vomitif à la malade sins qu'elle s'en doutât. Avec sen assentiment et même ses prières, je fis chercher une solution d'apomor-phine dont j'injectai environ 3 centigrammes, au gras du bras. Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées que la malade est prise de nausées, puis des vomissements abondants de matières alimentaires mal dirigées. Le dernier repas avait eu lieu 6 heures auparavant, me dit-on. Examinées avec soin, ces matières n'avaient ni la coloration, ni l'odeur caractéristique du laudanum. Le monsieur m'en fit la remarque; mais je lui dis qu'il avait sans doute été transforme, ce qui lui avait fait perdre ses caractères. Je le rassurai alors sur les conséquences de l'accident, conseillant d'administrer une infusion aromatique. On me fit mander de nouveau dans la soirée, ponr calmer les vomissements trop persistants et trop pénibles.
La malade me regarda avec des yeux foudroyants, me demandant de la soulager. Une potion calmante procura un sommeil tranquille et le lendemain matin la malade me serra la main sans dire un mot-
La statue d'Henri Bouley à Alfort
Le 5 septembre prochain, on inaugurera 1 l'École d'Alfort la statue d'Henri Bouley, ancien directeur d'Alfort, président de l'Académie des sciences et professeur de pathologie comparée au muséum. Nous nous associons de grand cœur à l'hommage rendu à la mémoire d'Henri Bouley. L'esprit de ce grand savant était ouvert a toutes les idées nouvelles. A ce titre.s'il a droit à la reconnaissance du corps des vétérinaires tout entier, il mérite aussi celle de tous les biologistes.
Il avait compris la portée et la conséquence des études scientifiques de l'hypnotisme et il n'avait jamais marchandé ses précieux encouragements A ceux qu'il voyait diriger leurs études dans cette voie.
C'est à lui qu'on pourrait faire remonter la création de la Revue de l'Hypnotisme. En effet, ayant appris que des expériences d'hypnotisme avaient été entreprises à la Pitié dans le service de M. Dumontpallier, il vint pendant plusieurs mois suivre assidûment la marche de ces expériences. Il jugea quelles présentaient un grand intérêt scientifique et pour permettre à MM. Bérillon et Paul Magnin. élèves de M. Dumontpallier,de poursuivre leurs recherches, il leur proposa de devenir ses élèves, en restant près de lui en qualité de boursiers du muséum d'histoire naturelle. A ce trait, nous pourrions en ajouter vingt autres qui prouveraient que la sollicitude du professeur Bouley pour les jeunes chercheurs ne s'est jamais démentie Aussi aucun terme ne saurait exprimer la vénération el l'affection que ce maître illustre avait su inspirer i tous ses élèves.
Les études d'anthropologie criminelle.
Avant de se séparer, dans le but légitime de permettre les études anthropologiques, le Congrès d'anthropologie criminelle a émis le vœu que les médecins ainsi que les étudiants en médecine légale et les étudiants en droit pénal, accompagnés de leurs professeurs, fussent autorisés à entrer dans les prisons pour y examiner les détenus.
D'après les déclarations faites a ce sujet par M. Herbette, nous pouvons dire que
l'administration pénitentiaire est disposée en principe à donner les autorisations nécessaires pour visiter les établissements pénitentiaires; il importe, toutefois, que les condamnés ne se croient pas l'objet d'une curiosité trop grande. L'entrée des prisons pourra être accordée aux étudiants en droit recommandés par leurs professeurs; mais il n'en sera probablement pis de même pour les médecins, M. Herbette estimant que les condamnes ne peuvent être compares aux malades d'hôptiaux. Si l'on en croit M. le directeur de l'administration pénitentiaire au ministère de l'intérieur, il serait a craindre que le condamné ne devint par trop un sujet d'étude pour le médecin et que, par suite, beaucoup de condamnés ne simulassent des maladies pour se rendre plus ou moins intéressants aux yeux du public médical.
Toutefois, M. Herbette ne demanderait pas mieux que de faciliter les études sur les condamnés, et voici comment : l'antopsie des Individus morts pendant la durée de leur peine est de droit, si l'autorité publique le juge nécessaire. Le nombre de ces derniers est encore élevé : une partie d'entre eux sont réclamés par leur famille; les autres doivent être inhumés par les soins de l'administration. Pour ces derniers, l'autopsie pourrait toujours être pratiquée; elle pourrait l'être aussi pour les premiers, au cas où l'intérêt de la science l'exigerait.
Voilà quelle parait être la voie que l'administration pénitentiaire est déposée à suivre en France, pour ce qui a trait aux constatations médico-antrophologiques sur les condamnés.
Interdiction des séances publiques d'hypnotisme.
Au conseil général de la Seine-Inférieure. MM. les docteurs Fauvel et Leconte ont déposé une proposition tendant à ce que les représentations publiques d'hypnotisme soient interdites.
Dans la même session, le conseil général a reçu aussi :
Une proposition de MM. les docteurs Fauvel et Lemonnier, tendant a la suppression de la cantine dans les prisons et à une nouvelle réglementation du régime alimentaire des prisonniers;
Une proposition de M. le docteur Fauvel. relative a l'organisation d'un enseignement spécial pour les idiots et les faibles d'esprit à Quatre--Mares et a Saint-Yvon;
Une proposition de M. le docteur Fauvel tendant à la laïcisation du personnel infirmier de Saint-Yvon :
NOUVELLES
— Exploits d'un magnétiseur.?. — Non trouvons dans le Génevois du 22 août- une nouvelle qui pourra désillusionner certains des admirateurs de l'illusionniste Onofroff.
Nos lecteurs se souviennent du sieur Onofroff qui a donné il y a quelque temps des représentations d'Hypnotisme, au cirque. représentations qui ont ensuite été interdites par la police. Onoffroff, qui en réalité se nomme Onofry, sujet italien, devait a son maître de pension, demeurant rue da Marché, plus de 500 francs ; il était parti, promettant d'envoyer cette somme peu de temps après et laissant comme garantie des ma le* contenant des vêtements représentant, disait-il, une somme supérieure a sa dette. Le maître de pension ne voyant rien venir ouvrît les malles et ne trouva que des vieux journaux sans aucune valeur. Plainte fut aussitôt portée les Unofroff a été arrêté à Paris où il donnait des représentations. Son extradition sera réclamée.
Et dire qu'il y a quelques jours, M. Onofroff faisait les délices d'une réception ministérielle, dans laquelle il était présenté socs le titre usurpé, naturellement, de docteur.
— a la suite du Congrès de médecine mentale. il a été décidé qu'un Congrès rational de médecins aliénistes se tiendra à Rouen en 1890. MM. Delaporte et Ciraud. médecins des asiles départementaux de la Seine-Inférieure, ont été chargés de l'organisation dudit Congrès.
— Un Congrès extra-scientifique.. — On nous annonce la réunion, dans le courant du mois
d'Octobre, d'un Congres qui pourrait prendre le titre de Congrès de la Médecine illégale. Ce Contres, d'après son (programme, semble surtout compter sur le concours des industriels encore nombreux, qui vivent de la pratique de la médecine illégale.
La publication des comptes-rendus de ce singulier Congrès pourra avoir au moins un résultat aussi utile qu'inattendu : celui d'édifier le Parquet de ia Seine sur l'étendue et la gravité d'ara certain nombre de délits de médecine illégale qui se commettent journellement a Paris. En résumé tout cela est de peu d'importance, mais que penser des médecins, tris rares, il est vrai, dont le nom se trouve mêlé a de telles entreprises.
L'administrateur-gérant; Émile bouriot
paris.— imprimerie clamaron-graff,57, rue de vaugirard
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
DES OBSESSIONS INTELLECTUELLES
ÉMOTIVES ET INSTINCTIVES par M. le Docteur Falret,
Médecin de la Salpétrière, Président du Congrès de médecine mentale (1)
Le domaine de la pathologie mentale s'agrandit tous les jours de plus en plus.
Autrefois, l'absence de conscience de son état de maladie était considérée comme le critérium absolu permettant de distinguer nettement l'état de raison, et figurait même comme caractère essentiel dans la définition de la folie. Esquirol, mon père, M. Baillarger, se sont exprimés à cet égard de la façon la plus formelle, et c'était un aphorisme accepté par tous les médecins spécialistes, depuis le commencement de ce siècle, que la conscience de son état excluait nécessairement l'idée de maladie mentale.
Cependant, malgré des définitions théoriques aussi absolues, les observations particulières consignées dans les auteurs mentionnaient quelquefois la conscience de l'état de maladie comme symptôme de certaines variétés de la folie. Dans Esquirol lui-même, on trouve ce fait signalé dans quelques observations, et il est également constaté de temps en temps dans les ouvrages de tous les élèves d'Esquirol. M. Baillarger lui-même a publié une observation sous le titre caractéristique de folie avec conscience, et, depuis cette époque, tous les auteurs français et étrangers ont admis que la conscience de son étal pouvait se rencontrer dans un certain nombre de cas d'aliénation mentale (2).
La folie avec conscience a donc acquis maintenant droit de cité dans la science, et le mot est aujourd'hui généralement accepté par les aliénistes de tous les pays. Mais si tous acceptent le fait d'observation qui est in-
(1) Rapport lu au Congrès de médecine mentale.
_ (2) Delasiauve a même fait de la conscience de son état un caractère essentiel de la pseudomanie;
contestable, tous ne reconnaissent pas ce caractère comme devant servir de base à la constitution d'une espèce particulière de maladie mentale.
La question est donc à l'étude et mérite de devenir l'objet de l'attention des aliénistes. C'est pourquoi nous avons cru devoir la soumettre à l'examen du Congrès.
Dans ce rapport très abrégé, mon but n'est pas d'étudier cette question d'une manière approfondie, mais de signaler brièvement les points qui me paraissent les plus dignes de votre attention. Tout le monde reconnaît aujourd'hui, en France et à l'étranger, qu'il existe un assez grand nombre de cas d'aliénation mentale, surtout caractérises par des idées, des émotions ou des impulsions qui s'imposent à l'esprit, d'une manière pathologique et irrésistible. Les malades ont parfaitement conscience de leur état; ils reconnaissent la nature maladive des phénomènes qu'ils éprouvent, mais ils ne peuvent parvenir à s'en débarrasser. Ces idées, ces émotions ou ces impulsions dominent leur existence tout entière ; elles réagissent sur tous leurs actes et sur toute leur conduite et modifient toute leur manière de vivre. Ils luttent contre elles avec énergie, ils cherchent a les repousser et a les combattre, mais elles s'imposent à eux, au point de les rendre incapables de toute autre préoccupation. Ces idées, ces émotions involontaires ou ces impulsions morbides, qui s'imposent à l'individu malade, qui dominent sa volonté et ses actes, ont été appelées par les Allemands. Zwangs-Vorstellungen, et elles sont généralement connues aujourd'hui sous le nom d'obsessions, intellectuelles, émotives ou instinctives. Elles constituent la base de ce que Morel a décrit sous le nom de délire émotif, de ce que d'autres auteurs ont étudié sous le nom de folie avec conscience, de folie du doute, de délire du toucher ou de folie instinctive oit impulsive, et elles étaient connues autrefois sous les noms variés de monomanies instinctives, homicides, du vol. de l'incendie, etc.. etc.
Ces états pathologiques variés doivent-ils être décrits séparément, a titre de forme spéciale de maladie mentale, sous le nom d'obsessions ou de folie avec conscience ? doivent-ils être répartis, comme on le taisait autrefois, dans des formes différentes de maladies mentales? ou bien enfin, doivent-ils être tous réunis, comme le voudraient M. Magnan et ses élèves, sous le nom générique, beaucoup trop vaste et trop étendu, de folie héréditaire? Telle est la question que nous devons nous poser actuellement.
Le premier degré de l'obsession intellectuelle est presque un état physiologique. Chacun de nous, dans certains moments de fatigue ou de surexcitation du système nerveux, a observé chez lui-même ce phénomène que l'on éprouve également pendant le rêve. On est obsédé, malgré soi, par un mot. une phrase ou une idée qui vous revient constamment à la pensée, que l'on ne peut parvenir à chasser et qui s'impose à nous malgré nous. Dans d'autres circonstances, c'est un mot ou un nom propre que l'on recherche obstinément dans ses souvenirs, et cette recherche involontaire et irrésistible nous obsède à un tel point que l'on se sent forcé de continuer cette recherche fatiguante, quelquefois pendant des heures entières, jusqu'à ce que l'on ait fini par retrouver dans sa mémoire ce mot ou ce nom qui avaient échappé à notre souvenir. C'est là le phénomène élémentaire de l'obsession que chacun de nous a éprouvé de temps-; en temps dans sa vie, et qui peut nous servir de comparaison pour com-prendre ce qui se passe chez les aliénés. Il en est de même de certaines-
idées qui nous obsèdent souvent pendant longtemps et que nous ne pouvons parvenir à chasser. Tous les théologiens ont insisté sur ce fait psychologique, que nous ne sommes ni maîtres, ni responsables, des idées, des émotions ou des impulsions qui s'imposent à notre esprit involontairement. Ils ont même ajouté que la lutte intérieure, qui s'établit alors en nous, doit consister à repousser ces idées malsaines, à les combattre directement ou indirectement, et que notre responsabilité morale ne commence que lorsque nous entretenons ou encourageons ces idées mauvaises, au lieu de chercher à les repousser et à les combattre.
Un autre degré plus intense du même phénomène existe chez certains individus prédisposés et constitue déjà un phénomène anormal, une sorte d'idiosyncrasie psychique, sans pouvoir encore être considéré comme une preuve de folie. Certains individus, en effet, ont des terreurs ou des craintes instinctives dont ils ne sont pas les maîtres, et qui les dominent tellement qu'ils ne peuvent s'y soustraire et s'empêcher de céder à leur entraînement. Ainsi, par exemple, ils ne peuvent voir un rasoir, ou se raser eux-mêmes, sans se sentir poussés à se couper la gorge ; ils ne peuvent voir un couteau ou une épée, sans redouter de se sentir poussés à s'en servir contre eux-mêmes. 11 en est de même de la vue d'une fenêtre, qui inspire, à la fois, le désir et la crainte de se précipiter, de même que le séjour sur une tour élevée ou sur le bord d'un précipice détermine un véritable vertige moral de même nature.
Ce second degré du phénomène est déjà évidemment pathologique, mais il est encore compatible avec la raison et ne doit pas être confondu avec le degré plus avancé, qui constitue alors une véritable maladie mentale et rentre dans la série des faits de délire émotif ou de folie avec conscience.
Nous voulons parler de tous les faits qui ont été décrits depuis une trentaine d'années, comme autant de monomanies distinctes, sous les noms d'agoropbobie ou peur des espaces, de claustrophobie ou terreur des espaces étroits et fermés, d'onotoma manie ou besoin de répéter mentalement un mot, de coprolalie, d'écholalie, etc., etc.
Ouand ces états psychiques, évidemment anormaux et pathologiques, se passent dans le for intérieur .quand la volonté du malade peut encore les dominer ou les repousser, quand ils ne s'étendent pas à la sphère des autres idées et de la personnalité même de l'individu qui les éprouve, quand ils ne le poussent pas à l'action, et quand ils ne réagissent pas sur sa conduite et sur son existence tout entiere, on peut les considérer comme de simples états nerveux et non comme l'expression d'une véritable maladie mentale, ou d'une folie avec conscience. Mais il n'en est plus de même dans un grand nombre de cas rapportés par les auteurs français et étrangers, et qui sont maintenant bien connus dans la science.
Nous n'avons pas à insister ici sur ces faits, aujourd'hui très nombreux, que tous les médecins spécialistes sont appelés à observer dans leur clientèle privée, plus encore que dans les asiles publics, et qui ont été décrits sous les noms variés de délire émotif, de folie avec conscience, de folie du doute, de délire du toucher, et enfin sous les noms de syndromes épisodi-gues des maladies héréditaires*
Notre but n'est pas d'entreprendre ici la description, même sommaire,
de ces états psychiques variés. Elle nous entraînerait beaucoup trop loin et exigerait un mémoire spécial, ou même un volume.
Nous devons nous borner, dans ce rapport, à résumer le plus brièvement possible leurs caractères communs les plus habituels, en formulant quelques conclusions très courtes, que nous soumettons au Congrès.
Les diverses variétés d'obsessions intellectuelles, émotives et instinctives, ont des caractères communs que l'on peut résumer ainsi :
1° Elles sont toutes accompagnées de la conscience de l'état de maladie;
2° Elles sont ordinairement héréditaires ;
3° Elles sont essentiellement rémittentes, périodiques et intermittentes ;
4° Elles ne restent pas isolées, dans l'esprit, à l'état monomaniaque, mais elles se propagent à une sphère plus étendue de l'intelligence et du moral, et sont toujours accompagnées d'angoisse et d'anxiété, de lutte intérieure, d'hésitation dans la pensée et dans les actes et de symptômes physiques de nature émotive plus ou moins prononcés ;
5° Elles ne présentent jamais d'hallucinations ;
6° Elles conservent les mêmes caractères psychiques, pendant toute la vie des individus qui en sont atteints, malgré des alternatives fréquentes et souvent très prolongées de paroxysme et de rémissions, et ne se transforment pas en d'autres espèces de maladies mentales ;
7° Elles n'aboutissent jamais à la démence ;
8° Dans quelques cas rares, elles peuvent se compliquer de délire de persécution ou de délire mélancolique anxieux, à une période avancée de la maladie, tout en conservant toujours leurs caractères primitifs.
Influence de la suggestion sur certains troubles de la menstruation
Par le docteur Arthur GASCARD,
Professeur libre de gynécologie à l'Ecole pratique de la Faculté de médecine de Paris (1)
Messieurs,
Je ne saurais mieux commencer cette esquisse a grands traits de l'influence de la suggestion sur certains troubles de la menstruation
«j'en vous citant ces quelques lignes que j'emprunte au mémoire de Raciborski, publié dans les Archives générales de médecine de 1865, numéro du mois de mai.
« C'est, dit-il, un lait vraiment curieux, mais réel, que cette immixion « des opérations de l'esprit et de l'âme dans l'exercice des actes de la « vie organique, et en particulier de ceux qui sont relatifs à la repro-« duction. Les beaux et intéressants travaux de M. le professeur Claude « Bernard relatifs à l'influence du cerveau à travers les ramifications « du grand moteur organique sur les organes et leurs fonctions, peu-« vent seuls rendre intelligibles ces phénomènes qui, sans cela, seraient
(1) Communication faite an Congrès de l'Hypnotisme.
« restés incompréhensibles. Ainsi, une simple préoccupation d'esprit « peut empêcher chez l'homme des érections, comme une simple « crainte d.une grossesse accompagnée des inquiétudes sur l'apparition « des régies à l'époque voulue peut frapper d'atonie l'ovulation el « retarder l'érection o vari que qui accompagne chaque déhiscence « spontanée ».
Le systéme nerveux présidant à. toutes nos fonctions, tant de la vie de relation que de la vie végétative d'une part, le cerveau étant en sympathie avec tous les points du corps humain d'autre part, on conçoit qu'une impression psychique spontanée ou suggérée puisse faire naître dans les centres nerveux cérébro-médullaires, par voie réflexe, des modifications organiques susceptibles de retentir secondairement sor le système grand sympathique, par suite sur les vaso-moteurs.
Nous étudierons successivement:
1° L'action de la pensée à l'état de veille sur les vaso-moteurs en général.
2° L'action de la pensée à l'état de veille sur les vaso-moteurs utéro-ovariens.
3° L'action de lu suggestion dans l'état hypnotique sur les vaso-moteurs en général.
4° L'action de la suggestion dans l'état hypnotique sur les vaso-moteurs utéro-ovariens.
On ne saurait nier l'influence exercée par la pensée à l'état de veille sur les vaso-moteurs en général. Le sentiment de la pudeur ou de l'effroi en fournissent des exemples frappants.
Dans un autre ordre d'idées, |e pourrais citer l'anaphrodisie morale sous l'influence d'une idée erronée transmise par le nerf sympathique du cerveau aux organes sexuels. Ne suffit-il point parfois à ces impuissants de la première nuit de noces d'évoquer l'image d'une ancienne maîtresse pour recouvrer leur virilité.
Chez les hypochondriaques, une trop grande concentration des idées vers un organe entretient dans cet organe un foyer de congestion, y détermine des perturbations dynamiques, des troubles de la circulation vaso-motrice dont la prolongation finit par susciter un véritable travail organique. L'action de cette force psychique qui s'appelle la pensée à l'état de veille sur la circulation ovarique, est multiple et peut donner naissance à toutes les variétés connues de troubles menstruels. Les exemples d'aménorrhées psychiques sont loin d'être rares. Signalons l'aménorrhée produite par les différentes passions, frayeur, colère, joie excessive, chagrins profonds, surprise extrême, l'aménorrhée des fiancés, les retards des jeunes mariées, les grossesses nerveuses, les aménorrhées par contrariétés conjugales, par crainte excessive de devenir enceinte commandée presque toujours par la position sociale des personnes ou des considérations de famille, variété d'aménorrhée dont on trouve l'expression jusque dans les traits de la malade, dans ses yeux et dans ses paroles, l'aménorrhée résultant de l'immense désir d'avoir des enfants, de l'ennui de ne pas en avoir, etc.
A côté des aménorrhées psychiques, nous devons ranger cette forme spéciale de dysménorrhée connue sous le nom de dysménorrhée nerveuse ou spasmodique, qu'elle s'accompagne ou non d'hystéralgie ou de la contracture du sphincter de Bennct. C'est la dysménorrhée des vieilles filles et des jeunes veuves qui vivent dans une continence absolue et chez lesquels l'instinct générique n'est point satisfait, Le cerveau exerce sur l' utérus de ces femmes, surtout chez celles qui ont un
sens génital développé, une réaction continuelle qui aboutit a la production de troubles vaso-moteurs congestifs au niveau ides ovaires et de Totems, d'où dysménorrhée.
J'arrive maintenant aux métrorrhagies psychiques en dehors de l'état puerpéral. On trouve çà et là dans les différents traités de gynécologie des observations de métrorrhagies par émotion morale, à la suite de lectures ou de conversations erotiques, à la suite d'émotions très vives.
Le fonctionnement cérébral s'accomplit, dans ces cas, d'une facon inconsciente automatique, et c'est.par le mécanisme de l'inhibition ou de la dynamogénie, que les phénomènes semblent se produire. Le point de départ du réflexe est dans l'écorce cérébrale antérieure, siège de l'idéation, c'est une influence psychique qui. agissant sur le centre génito-spinal de Budgz et Goltz,, amène lu suspension d'action des nerfs vasos-moteurs de l'utérus et de la portion bulbeuse des ovaires, d'où, dilatation et rupture des capillaires.
On sait d'ailleurs que les excitations amoureuses prolongées, pendant l'entrevue de deux amants, surtout si la femme se trouve à la fin de ses règles, époque ou les femmes sont en général très excitées, très amoureuses (agitation cataméniale). peuvent activer la maturation d'un ovule prêt à éclore, provoquer la turgescence du bulbe de l'ovaire, précipiter la chute de cet ovule, et cela en dehors de la menstruation. Il s'agit alors d'une ponte provoquée. Le terrain où se développe l'ovule, se trouvant surchauffé, remplit l'ofice d'une serre chaude et fait mûrir prématurément un ovule que mon regretté maitre Gallard désignait dn nom pittoresque de primeur.
Je ne dirai rien des métrorrhagies de la lune de miel, du voyage de noce, car ici l'élément balistique l'emporte de beaucoup sur l'élément psychique. Je ne dirai rien également des règles supplémentaires, des règles déviées que Raciborski désignait sous le nom d'ataxie menstruelle; elles relèvent également de modifications de l'innervation vaso-motrice et n'échappent pas davantage aux influences psychiques.
Si donc l'influence de la pensée à l'état de veille sur les vaso-moteurs, en général est si poissante, rien d'étonnant à ce que celle influ-ence se manifeste dans la phase somnambulique de l'hypnotisme sous l'empire d'une suggestion puisque, d'après mon maître M. le professeur Charcot, c'est précisément à celle période que les phénomènes psychiques acquièrent leur plus haut degré de développement. A cet égard, je mentionnerai les expériences remarquables de M. Beaunis: suggestion d'érythème sur un point détermine du corps, la vésication par suggestion hypnoptique obtenue par M.Focachon. pharmacien à Charmes, l'hyperthermie suggestive observée par M. Dumontpallier. les hémorrhagies et les stigmates sanguinolents provoqués par suggestion par MM. Bourru et Burot( de Rochefort .
L'expérience ayant appris que si l'action de la pensée pouvait, à l'élai de veille,produire sur l'utérus des influences tâcheuses, une émotion pouvait suffire parlois à rétablir chez des jeunes filles amènorrhéiques les fonctions menstruelles, l'idée est venue naturellement à l'esprit de cherche à utiliser l'action vaso-motrice de la suggestion dans l'état hypnotique sur les vaso-moteurs utérine et de l'appliquer au traitement : des troubles menstruels après avoir préalablement provoqué l'état psychique le plus favorable.
Dans le livre de Braid de Manchester, on trouve des récits merveil-leux de modifications vaso-motrices telles que des flux menstruels rappelés en une seule opération et se montrant d'une manière presque
magique à l'appel de l'operateur. Dans l'Évangile de Saint Mathieu, chapitre 9, on trouve rapporté le fait suivant (,23° dimanche après la Pentecôte En même temps une femme qui..depuis douze ans. avait une perte de sang, sa'approcha.de lui par derrière. et toucha le. Bord de son vêtement,. car elle disait en elle-même : Si- je touche seulement son vêtement, je sarai guérie. Jésus, s'étant retourné et la voyant, lui dit : Ma fille. avez confiance, votre foi vous a sauvée, et à l'heure même cette femme lut guérie. Ce dernier exemple nous montre l'idée dans l'auto-suggestion actionnant !a cellule nerveuse en vue de la production de l'acte : ce qui n'a rien de miraculeux et rentra dans les lois.de la psychologie physiologique la. plus élémentaire.
Il paraîtra peut-être paradoxal au premier abord que la suggestion agisse aussi, éffacacement, par exemple dans le cas d'aménorrhée, ou de métrorrhagie. Ici, il n'y a plus lieu du distinguer la vaso-dilatation de la période léthargique de la vaso-constriction de la catalepsie, la suggestion- verbale dans l'état somnambulique de l'hypnotisme faisant tous les frais du phénomène. D'ailleurs, des auteurs dignes de loi en ont cité des exemples. Le docteur Voisin, de la Salpétrière, a publié, dans les Annales médico-psychologiques,t. V, mars 1887, un certain nombre de cas de guérison d'aménorrhée par la suggestion, hypnotique. M. Liébeault, dans son Traité sur le sommeil et les états analogues. cite trois observations de gué-risons d'aménorrhées et de graves hémorrhagies sans lésions organiques. M. Bernheim. dans la deuxième édition de son Traité de la suggestion, rapporte deux observations, l'une de guérison d'un retard menstruel avec suggestion, des règles à jour fixe, l'autre de mentruels abondantes (tous, les 15 jours) de leur régularisation par la suggestion à 28 ou 29 jours. Je possède moi-même deux observations de guérison de mé-trorrhagies par la suggestion verbale que je. vous demande la permission de vous communiquer. La première, que je dois.à l'extrême obli-geance de mon excellent confrère et ami M. le docteur Bérillon, est la suivante :
Observation I
Mlle C.F..., âgée de vingt-huit ans, couturière, hystéro-épileptique, est prise, sous l'influence de l'onanisme, de métrorrhagies abondantes. Elle avait depuis huit jours perdu une telle quantité de sang que sa vie était en danger et qu'elle n'avait plus la force de demander du secours. Une amie de la malade fait appeler le docteur Bérillon..qui me fait prévenir. Nous allons voir ensemble la malade qui repose sur un lit de caillots. Très hypnotisable par suite, d'hypnotisations répétées- pendant son séjour d'un an dans le service, de M. Mesnet. alors à l'hôpital Saint-Antoine, elle: est facilement plongée dans un état de somnambulisme profond. Cette malade étant en même temps atteinte d'anorexie. M. Bérillon lut fait les suggestions suivantes: « Votre perte va s'arrêter immédiatement, et. dans une demi-heure, vous aller demander a monitor, puis demain, vous m'écrirez pour me remercier. » La malade, réveillée, écrit le lendemain à M. Bérillon qu'elle a mangé, que le sang s'est arrêté des notre départ. Nous allons lavoir et nous, la trouvons dans un excellent état. Elle est restée ensuite une longue période de temps sans nouvelles métrorrhagies.
OBSERVATION- II
Dans les premiers jours du mois de-juillet dernier. Je.suis appelé en toute hâte, dans la soirée, chez Mme G. N.. , une de mes clientes, prise subitement de pertes-utérines. Cette dame, âgée de vingt-cinq ans. névropathe, présentant les diverses manifestations de l'hysterie vulgaire, est d une excessive impressionnabilité. Elle me raconte qu'elle- est sortie dans la- journée, quelle a été surprise par l'orage dont elle a très peur ce qui l'a toute bou-
leversée. Elle attribue elle-même sa perte à cette cause. Réglée assez abondamment d'ordinaire, quoique irrégulièrement, cette malade a, je dois le dire le plus grand soin de sa santé. M'ayant antérieurement prié de vouloir bien l'examiner, je savais parfaitement qu'elle ne présentait aucune lésion de l'utérus ou des annexes, aucune lésion rénale, aucune lésion cardiaque : hypercardiotrophie, rétrécissement ou insuffisance mitrale susceptible de déterminer des stases sanguines dans le système de la veine-cave inférieure. Point de signes de grossesse ni de tumeur. Sachant qu'il n'y avait ni dans l'état local ni dans l'état général de cette malade aucune lésion pouvant expliquer celte métrorrhagie subite, je me rattachai au diagnostic étiologique posé par ma malade elle-même. Je commençai parla rassurer et lui affirmer que si elle voulait bien consentir à me laisser l'endormir, je pouvais la guérir par la suggestion hypnotique. Cette malade, femme du monde, qui est très intelligente et a été hypnotisée maintes et maintes fois, me donne carte blanche. Je la plonge assez facilement dans l'état somnambulique Je lui suggère alors de dormir toute la nuit et de ne plus avoir de pertes. Je répète la suggestion à plusieurs reprises et je prends congé de la malade, après avoir prié son mari de m'envover chercher en cas de nécessité. Je retourne le lendemain voir ma malade qui était tout aussi étonnée que moi. Sa perte n'avait point reparu.
Le jour même du gracieux banquet offert par l'asile de Villejuif au Congrès international d'hypnotisme. M. le docteur Briand, médecin en chef de cet asile, nous a présenté une malade très intéressante, du nom de Charlotte, dont mon cher maître. M. le professeur Pozzi. dira quelques mots dans son Nouveau traité de gynécologie, et sur laquelle avait été faite la veille, à quatre heures, la double suggestion : 1° d'avoir ses règles le lendemain malin, a six heures; 2° de présenter au bras droit, a l'endroit même où une feuille de papier à cigarettes avait été appliquée, une vésication manifeste.
Lors de notre arrivée, nous apprenons par M. le docteur Briand que la malade a eu ses règles à l'heure prescrite, mais que ta vésication n'a point été obtenue.
La malade est hypnotisée. On lui fait alors la suggestion de ne plus avoir ses règles, Elles se suppriment et, au dessert, on vient nous annoncer que la deuxième suggestion venait de se manifester, phénomènes que tous les membres du Congrès ont pu contrôler.
Un des savants présents à l'expérience me raconta avoir permis un jour à une jeune fille d'aller au bal en lui suggérant de ne plus avoir ses règles; il la pria ensuite de vouloir bien lui indiquer elle-même quel jour et à quelle heure elle désirait les revoir; l'expérience réussit a merveille et l'autre époque revint juste un mois après le jour où la suggestion avait été faite. Il est évident que dans un cas de métrorrhagie, on n'observerait pas cette périodicité dans le retour.
Il est donc établi par les faits que la pensée exerce sur les vaso-moteurs utéro-ovariens, en particulier, à l'étal de veille, de même que la suggestion dans l'état hypnotique, une influence manifeste. Mais il ne faut pas oublier que celte influence s'exerce surtout sur une certaine catégorie de sujets, chez les femmes présentant les symptômes de l'hystérie confirmée et dont les accidents utérins relèvent de cet état pathologique. Chez ces dernières, on pourra sans danger et avec succès tenter l'emploi de la suggestion. On aura soin toutefois, dans le traitement de l'aménorrhée on ménostose, de songer à la possibilité d'une grossesse, l'avortement hyp-notique ayant été signalé. On n'oubliera pas non plus que c'est le travail
de l'ovulation qui donne l'impulsion à la fonction menstruelle et. en conséquence, on ne devra s'occuper à faire apparaître les règles qu'à une époque qui corresponde au mois où elles doivent revenir ou vers le milieu de l'espace intermenstruel (petiteépoque), à un moment, en un mot, ou existaient antérieurement des signes de fluxion utérine et ovarienne. Cette dernière précaution, en vertu d'habitudes acquises, facilitera singulièrement le succès de la suggestion. Quant au procédé d'élection, si la léthargie vraie est l'état qui doit être recherché pour l'analgésie obstétricale, ici, dans le traitement des troubles menstruels par l'hypnothérapie, la période de somnambulisme sera l'état le plus favorables aux suggestions post-hypnotiques.
Tels sont. Messieurs, les faits que je désirais avoir l'honneur de vou s exposera l'occasion de ce Congrès. Ils nous montrent que d'une façon générale l'activité psychique volontaire est la régulatrice de l'automatisme cérébro-spinal, ils nous montrent encore l'influence particulière du cerveau sur l'utérus, de la pensée sur l'ovulation. Mais l'action inverse n'est pas moins remarquable. Au lieu de se concentrer sur la sensibilité de s plexus nerveux du bassin, la surexcitation menstruelle retentit d'autrefois sympathiquement. d'une façon physiologique ou pathologique sur les idées ou même sur la locomotion. Quittant le terrain de la gynécologie, nous entrerions alors avec les névroses ou folies menstruelles dans le domaine de l'aliénation mentale. Une pareille incursion nous entr aî-nerait beaucoup trop loin.
CONGRÈS DE L'HYPNOTISME EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
DEUXIÈME SÉANCE
Le vendredi 9 août 1889. — Présidence de M. Dumontpallier
Valeur relative des divers procédés destinés à provoquer l'hypnose et à augmenter la suggestibilité au point de vue thérapeutique.
Par M. le docteur BERNHEIM, professeur de la Faculté de Nancy
Valeur relative des divers procédés destinés à provoquer l'hypnose et à augmenter la sug gestibilité au point de vue thérapeutique : telle est la question sur laquelle je suis appelé à donner mon appréciation. Avant tout, il importe de définir le mot hypnose ou état hypnotique. Sommeil provoqué est une définition trop restreinte.
Parmi les sujets hypnotisés, il en est un certain nombre seulement (1/5 a 1/6 de la clientèle de la ville, 4/5 au moins dans la population hospitalière) qui dorment profondément et ne conservent aucun souvenir au réveil.
Il en est, en second lieu, qui ont conscience de dormir et d'avoir dormi, bien qu'ayant conserve le souvenir de tout au réveil. D'autres, en troisième lieu, ne ressentent qu'un engourdissement, une somnolenoe plus ou moins .profonde. D'autres enfin, en quatrième lieu, ne dorment pas ou, du moins, n'ont pas conscience de dormir.
En général, ce sont les dormeurs profonds, avec amnésie au réveil, qui sont ics plus suggestibles.
Suggestion de motilité (catalepsie, contracture, paralysie), suggestion d'actes (obéissance passive), suggestion d'idées, suggestions sensorielles et hallucinations complexes, hypnotiques, quelquefois post-hypnotiques, tout est possible chez eux. Toutefois cela n'est pas constant.
Les dormeurs profonds, avec amnésie, ne sont pas tous hallucinantes et suggestibles à tous les degrés. D'autre part, si. en général, les sujets de la seconde catégorie : dormeurs avec souvenir au réveil, sont sugges-tibles à un degré moindre, il en est cependant beaucoup qui le sont tout autant que ceux de la première catégorie, c'est-à-dire susceptibles d'analgesie, de catalepsie, d'hallucinations, etc.
Les sujets des troisième et quatrième catégorie, qui n'ont conscience que de l'engourdissement ou n'ont aucune conscience de sommeil, ceux qui n'ont pas dormi, présentent des modes de suggestibilité variables. .1
Parmi eux, les uns sont suggestiblesquant â la motilité (paralysie, Con tracture. etc.). quant à la sensibilité (froid, chaud. anesthésie plus ou-moins marquée), quant aux actes, (obéissance passive plus ou moins complète) ; mais ils ne sont pas hallucinables.
D'autres ne sont suggestibles que quant à la motilité : on peut les ca-taleptiser, mais non les anesthésier ni les halluciner.
D'autres ont la motilité seule suggestible, comme les précédents, à un degré moindre. Ils sont cataleptisables quand on n éveille pas leur esprit de résistance; ils gardent l'attitude passive imprimée et n'acquièrent l'i-nitiative cérébrale pour n'en sortir que graduellement ou quand on les met au défi de le faire.
D'autres enfin n'ont qu'une suggestibilité ou dessuggestibilités par tielles, ils restent dociles, ne sont pas cataleptisables. ne présentent aucun phénomène dit hypnotique bien net. Cependant on peut leur faire sentir, par exemple, de la chaleur, et ics effets thérapeutiques obtenus chez eux indiquent que. bien que sans sommeil, sans catalepsie, ils ne sont pas rebelles à l'influence suggestive.
Quelques personnes arrivent par l'habitude, après un petit nombre de séances, ou même dés la première, par suggestion continue et bien dirigée, à franchir graduellement les diverses étapes de suggesubilité et finissent, après un premier état douteux, par devenir de vrais somnambules, montrant ainsi que,ces divers états correspondent à un mécanisme psychique unique, qui agit plus ou moins profondément par l'encéphale sur les fonctions organiques diverses.
L'état hypnotique est cet état psychique particulier, susceptible d'être pro-voque et qui augmente à des degrés divers la suggestibilité, c'est-à-dire l'ap-titude à être influencé par une idée acceptée par le cerceau, et à la réaliser.
Telle est la définition que je propose du mot hypnose : définition plus compréhensible que celle généralement usitée. Car définir l'hypnose,par sommeil provoqué, c'est, ou bien éliminer de l'hypnose une serie de cas
avec suggestibilité intense et même hallucinabilité, ou bien c'est donner au mol sommeil une définition arbitraire, souvent contraire à l'idée que le sujet lui-même s'en tait.
Le sommeil, quand il peut être obtenu d'une façon non douteuse, indique habituellement un étal de suggestibilité profonde, mais il n'est pas nécessaire pour obtenir l'état de suggestion, l'état hypnotique.Il y a hypnose, sans sommeil.
pour le démontrer, je procède parfois ainsi chez les très bons sujets, très suggestibles :
Je commence l'hypnose, c'est-à-dire la suggestion, parle mouvement ou la sensibilité. Je mets les bras du sujet en l'air ; ils y restent et il ne peut les changer de place, c'est la catalepsie ; je provoque leur contracture. J'y ajoute ensuite 1 analgésie. Puis je provoque des hallucinations ou je fais exécuter des actes auxquels il ne peut se soustraire. Toutes ces suggestions sont réalisées à l'état de veille parfaite ; le sujet en conserve le souvenir. Alors seulement, j'ajoute : Dormez ! Et le sommeil lui-même vient se surajouter, comme effet d'une suggestion spéciale, qui n'était pas nécessaire pour la réussite des précédentes.
Toutefois, cela ne réussit que chez les très suggestibles et qui sont à l'état de veille. Beaucoup ne deviennent très suggestibles que par l'effet du sommeil provoqué. Celui-ci augmente la suggestibilité ou la crée. Aussi cherche-l-on en général dans l'hypnose à provoquer le sommeil ou un état aussi voisin que possible du sommeil, pour rendre la suggestibilité aussi intense que possible. Mais il importe de savoir que les deux phénomènes ne sont pas absolument corrélatifs, et ce serait s'exposer à des échecs thérapeutiques fréquents que d'attendre le sommeil profond pour suggérer des états salutaires.
Ceb pose, quelle est la valeur relative des divers procédés destinés à provoquer l'hypnose?
Ces procédés sont d'ailleurs aussi nombreux que les hypnotiseurs eux-mêmes. Chacun, on peut le dire, a son procédé a lui.
Je crois inutile de relater la pratique des anciens magnétiseurs depuis Mesmer jusqu'à Deleuze et Teste, celle des magnétiseurs indiens, d'après le docteur Esdaile. et j'arrive directement à Braid.
Braid tenait un objet brillant entre le pouce, l'index, le médius gauche, à une distance de 2 5 à 45 centimètres des veux, dans une position telle au-dessus du front que le plus grand effort fût nécessaire du côté des yeux et des paupières pour que le sujet regardât fixement l'objet. Il recommande au sujet de tenir les yeux constamment attachés à cet objet et de ne se laisser distraire par aucune pensée étrangère. Par suite de la convergence forcée des globes oculaires, les pupilles se contractent, oscillent irrégulièrement, puis se dilatent. A ce moment, si l''on dirige les doigts un peu écartés de l'objet vers les yeux, les paupières se ferment seules, avec un mouvement vibratoire.
M. Charles Richet fait asseoir le sujet, prend ses pouces dans chacune de ses mains et les lui serre asser fortement pendant quelques minutes. Puis il fait des passes ou mouvements uniformes exécutés avec les mai étendues sur la tête, le front, les épaules et surtout les paupières.
A la Salpétrière, au lieu de tenir l'objet brillant de Braid à une distanc plus ou moins grande des yeux, on le place entre les yeux mêmes, à la
racine du nez. La fixation de l'objet produirait chez les hystériques la léthargie que l'ouverture des yeux transformerait en catalepsie, et l'attouchement du vertex en somnambulisme. L'état cataleptique peut aussi être provoque d'emblée, par l'effet d'un bruit intense et inattendu, d'une vive lumière impressionnant subitement la rétine ou par une fixation plus ou moins prolongée des yeux sur un point quelconque.
L'abbé Faria fut peut-cire le premier qui insista sur la suggestion verbale. Il faisait asseoir ses sujets, leur disant de penser au sommeil; de le regarder; il fixait lui-même de loin sesgrands yeux sur eux, leur montrait le revers élevé de sa main, avançait quelques pas, puis abaissait brusquement les bras devant eux. en leur ordonnant avec autorité de dormir. Quelquefois, mais rarement, il marchait jusque vers eux, et leur appuyant le doigt sur le Iront, il répétait le commandement : Dormez.
On pourrait continuer indéfiniment à énumérer des procédés cotisation. On a produit la catalepsie chez les hystériques par le bruit soudain d'un gong, par le son d'un grand diapason, par l'éclat soudain d'une lumière électrique. On a produit l'hypnose par une impression auditive faible et monotone, telle que le tictac d'une montre, voir même par l'attouchement de certaines régions du corps, dites zones hypnogènes, etc.
Tous ces procédés, si variables, si bizarres, les uns simples, les autres complexes, n'ont absolument rien de commnn. ni comme manipulation, ni comme excitation sensuelle. Chose singulière ! La même impression brusque, lumineuse, auditive, ou la même impression lente et monotone, ou les mêmes passes, ont pu fortuitement affecter souvent lessujets hyp-notisables, sans déterminer l'hypnose : elles ne l'ont produite que lorsqu'elles étaient spécialement faites dans ce but. Tout peut réussir chez un sujet, pour peu qu'il soit prévenu. C'est qu'un seul élément, en réalité, intervient dans tous ces procédés divers : c'est la suggestion. Le sujet s'endort (ou est hypnotisé i, lorsqu'il sait qu'il doit dormir, lorsqu'il a une sensation qui l'invite au sommeil. C'est sa propre foi, c'est son im-pressionabilité psychique qui l'endort. Cette vérité a été nettement établie par l'abbé Faria et surtout le docteur Liébeault.
Sans doute, Braid a pu endormir des sujets par la fixation d'un objet brillant, sans les prévenir qu'ils allaient dormir. Mais la fatigue des paupières est une sensation qui, chez certains, donne au sensorium l'idée du sommeil. C'est la sensation qui suggère l'hypnose. Certains, très impressionnables, ne peuvent fixer un objet quelque temps sans sentir les yeux se fermer, et chez eux, il suffit de fermer les yeux et de les tenir clos quel-ques instants, pour provoquer un sommeil profond. L'occlusion des yeux, l'absence d'impression visuelle, l'obscurité, concentrent l'esprit sûr lui-même, l'empêchent de se distraire au dehors, créent l'image du sommeil; c'est une invite au sommeil C'est une sensation qui réveille par habitude ou par action réflexe tous les autres phénomènes du sommeil.
Mais la plupart des personnes peuvent fixer indéfiniment un objet brillant : l'hypnose ne vient pas. J'ai maintes fois essayé ce procédé chez des sujets nouveaux, sans rien obtenir au bout de dix minutes ou plus. Et alors en quelques secondes, par suggestion verbale, quelquefois au simple mot : Dormez ! l'hypnose est là, plus ou moins profonde.
Les passes, lesattouchements. les excitations sensorielles ne réussissent, je le répète, que lorsqu'elles sont associées à l'idée donnée au sujet ou de--
vinée par lui qu'il doit dormir. Les prétendues zones hypnogènes n'existent pas. On peut les creer artificiellement chez tout sujet habitué à l'hypnose : je touche un point quelconque du corps et il s'endort : ou bien je crée certains points déterminés dont seuls l'attouchement l'endort ; j'en crée d'autres dont l'attouchement le réveille. Tout est, je le répète, dans la suggestion. Les passes, la fixation des yeux ou d'un objet brillant, l'attouchement, ne sont nullement nécessaires : la parole seule suffit.
Les gestes ne sont utiles que pour renforcer la suggestion en l'incarnant dans une pratique matérielle propre à concentrer l'attention du sujet.
Tous ces procédés divers se réduisent donc en réalité à un seul : la suggestion. Impressionner le sujet et faire pénétrer l'idée du sommeil dans son cerveau, tel est le problème.
L'expérience apprend que le moyen le plus simple et le meilleur pour impressionner le sujet, est la parole. Certains, c'est l'exception, mais ils ne sont pas rares, sont si faciles à impressionner, qu'un simple mot suffit à provoquer chacun des phénomènes de l'hypnose avec ou sans sommeil. Dès la première fois et sans qu'il ait assisté à aucune expérience de ce genre, je lève le bras d'un tel sujet, et je lui dis : « Vous ne pouvez plus le baisser ». Il ne le peut plus. Je dis : « Votre corps est insensible. » Et je le pique sans qu'il manifeste aucune douleur. Jedis ; Vous êtes obligé de vous lever et de marcher ». Et il marche, sans pouvoir résister. « Tenez ! Voici un gros chien qui aboie ! Il !e voit et recule épouvanté. J'ajoute : « Dormez ! » Il ferme les yeux et dort, par dessus le marché. Tout cela s'exécute, chez lui, le plus simplement du monde. Ce sont là des suggestibles. des somnambules, sans artifice de préparation. Chez eux, toute idée déposée dans le cerveau se traduit immédiatement en acte. L'assimilation de l'idée et sa transformation en sensation, mouvement, image, acte, souvenir rétroactif, etc., sont si instantanées que l'initiative cérébrale n'a pas le temps d'intervenir.
je pourrais insister sur le grave intérêt social et médico-légal qu'offre l'étude de ces natures suggestibles à l'extrême. Elles ne sont pas rares. Livrés sans résistance, par leur organisation, au hasard de toutes lessug-gestions conscientes ou inconscientes qu'ils trouvent sur leur chemin, ces sujets, souvent irresponsables, deviennent héros ou criminels, ou tour à tour l'un et l'autre ! Heureux si la suggestion primordiale d'une éducation bien dirigée a pu les prémunir contre les suggestions malfaisantes ultérieures ! Il appartient a la pédagogie de rechercher dès l'enfance ces natures éminemment suggestibles et d'incarner dans leur cerveau une résistance invincible aux suggestions mauvaises de l'avenir ! Chez la plupart, heureusement, l'impressionnabilité est moindre : l'hypnose ne s'obtient, qu'en renforçant l'impression par une parole répétée avec insinuation et force, aidée de certains moyens destinés à capter l'esprit.
Il est bon que la personne à hynoptiser en ait vu d'autres hynoptisées devant elle : il est bon qu'elle ait vécu pendant quelques jours dans une atmosphère suggestive, qu'elle se soit ainsi pénétrée de l'idée que tout le monde est suggestible, qu'elle ait vu les phénomènes de catalepsie, d'analgésie, d'obéissance passive, de guérison. A ceux qui sont craintifs, il est bon d'épargner le spectacle d'hallucinations ou autres phénomènes émotifs avant qu'on n'ait déjà opéré sur eux-mêmes, car il importe en gé-
neral d'éloigner de leur esprit tout ce qui peut l'effrayer, le troubler et provoquer de leur part une certaine résistance. Ils ne doivent avoir vu que les effets bienfaisants de l'hypnotisme. Quand j'ai affaire â un pusillanime ou à une personne prévenue contre l'hynotisme. j'attends en général sans la violenter; je lui insinue simplement que la suggestion lui serait utile, je lui montre des effets heureux et j'attends qu'elle me les demande elle-même. On trouve en ville beaucoup de personnes terrorisées par des médecins incompétents, sur les dangers de l'hypnotisme ; dans les hôpitaux on trouve des malades défiants qui se figurent qu'on veut en faire des sujets d'expérience. On se heurte alors à quelque résistance. La personne qu'on a l'intention d'hypnotiser doit être, si possible, dans un milieu dévoué et confiant en l'opérateur. Alors, en peu de temps, le terrain est prépare : le sujet se livre sans arrière-pensée.
L'hypnose est en général facile ; le sujet est couché ou commodément assis sur un fauteuil, je le laisse se recueillir quelques instants, tout en disant que je vais l'endormir tpès facilement d'un sommeil doux, calme comme le sommeil naturel. J'approche une main doucement de ses yeux et je dis : « Dormez ». Quelques-uns ferment les yeux instantanément et sont pris. D'autres, sans fermer les yeux, sont pris le regard fixe et avec tous les phénomènes de l'hypnose. D'autres présentent quelques clignements de paupières ; les yeux s'ouvrent et se ferment alternativement. En général, je ne les laisse pas longtemps ouverts. S'ils ne se ferment pas spontanément, je les maintiens clos quelque temps, et si je surprends quelque résistance, j'ajoute : « Laissez-vous aller ; vos paupières sont lourdes, vos membres s'engourdissent, le sommeil vient. Dormez. »11 est rare que une ou deux minutes se passent sans que l'hypnose soit arrivée. Quelques-uns restent d'emblée immobiles et inertes ; d'autres cherchent à se ressaisir, rouvrent les yeux, se réveillent à chaque instant : j'insiste, je maintiens les paupières closes, je dis : « continuez à dormir. »
Dans la pratique hospitalière où l'imitation joue un rôle suggestif considérable, où l'autorité du médecin est plus grande, où les sujets plus dociles, moins raffinés, sont plus aisés à être impressionnés, cela se passe le plus souvent ainsi.
Les 4/5 au moins de nos sujets tombent ainsi dans un sommeil profond avec amnésie au réveil.
D'autres, moins bien préparés, moins dociles, surtout dans la clientèle de la ville, se laissent aller plus difficilement. L'hypnose étant moins profonde, ils n'ont pas conscience qu'ils sont influencés. L'opérateur surprend dans l'attitude du sujet une certaine inquiétude ; quelquefois le sujet dit qu'il ne dort pas. qu'il ne peut dormir. J'insiste, je lui dis : « Je sais bien que vous m'entendez. Vous devez m'entendre : vous pouvez être hypnotisé, tout en m'entendant. Le sommeil complet n'est pas nécessaire. Ne parlez pas. Tenez les yeux clos. Ecoutez bien. etc. » Je tâche ainsi de capter son esprit soit par insinuation douce, soit par autorité, suivant l'individualité psychique du sujet. Et je lève doucement le bras en l'air, j'obtiens souvent alors, même quand le sujet ne croit pas être influencé, une catalepsie suggestive plus ou moins irrésistible, parfois des mouvements automatiques, puis de la contracture. J'arrive à un degré plus ou moins avancé de l'hypnose, sans sommeil proprement dit, ou du moins sans que ie sujet ait conscience du sommeil. Quelquefois dans la
même séance j'arrive graduellement chez lui à réaliser toute la série des phénoménes ; chez certains qui praissaient récalcitrants, j'obtiens par suggestion l'amnésie au réveil. D'autres ne franchissent pas les premiers degrés dans la première séance; dans les suivantes, ils peuvent arriver à l*hypnose complète, mais tous n'y arrivent pas.
L'opérateur doit avoir une assurance calme et froide, s'il hésite ou a l'air d'hésiter, le sujet peut suivre cette hésitation et en subir l'influence contre-suggestive; il ne s'endort pas ou se réveille. Si l'opérateur a l'air de se donner beaucoup de peine, s'il sue sang et eau pour endormir son sujet, celui-ci peut se pénétrer de l'idée qu'il est difficile à hypnotiser; plus on s'acharne après Ini, moins il se sent influencé. Calme, assurance, simplicité dans le procédé, voilà ce qui réussit le mieux.
Quelques opérateurs qui n'ont pas encore l'expérience suffisante, se bissent influencer par des signes de conscience que présente le sujet, tels que rire, geste, ouverture des yeux, paroles prononcées; ils le croient réfractaire parce qu'il rit ou manifeste. Ils oublient que l'hypnotisé est un être conscient qui entend se rend compte et subit toutes les impressions du milieu qui l'entoure. je montre tous les jours à mes élèves des hypnotisés qui rien quand on dit quelque chose qui prête à rire; il en est qui ressemblent à s'y méprendre à des simulateurs, que des observateurs non expérimentés prennent pour des complaisants. Et cependant je montre que les mêmes sujets sont analgésiques, hallucinables, amnésiques au réveil.
La plupart des hypnotisés toutefois, quand on ne les sort pas de leur torpeur.restent inertes,impassibles, le masque sérieux, le front plissé avec une expression caractéristique; mais la conscience survit toujours ce masque inerte. Chez quelques-uns cependant qui prennent dès le début la chose en riant et qui résistent, j'interviens avec brusquerie, je prononce des paroles sévères, je les impressionne avec autorité ; je réprime ainsi leur velléité de gouaillerie et de résistance, et souvent j'obtiens l'effet.
Il en est aussi qui tout en se bissant aller, ne savent réaliser qu'un engourdissement douteux qui ne les satisfait pas. J'arrive parfois à transformer cet état en sommeil profond, en disant ausujet : « Je vous laisse vous rendormir seul. Gardez les yeux fermés. Le sommeil va venir. - Et je les laisse. Au bout d'un certain temps, un quart d'heure par exemple, je retourne à lui et je dis : - Continuez à dormir. » Quelquefois je constate alors que la catalepsie existe, que les phénomènes de l'hypnose sont bien accentués, même avec amnésie au réveil chez quelques-uns. A la séance suivante, j'obtiens en général l'hypnose profonde en quelques séances. Voila dans ses grands traits notre procédé d'hypnotisation. Chaque opérateur arrivera, par habitude, à varier les procédes et à les adapter à l'individualité psychique de chacun. L'insinuation douce convient mieux pour les urs, la" brusquerie pour les autres. L'occlusion des yeux, quelques frictions sur les globes oculaires, l'exhortation prolongée, continue, grisant et berçant graduellement chez ceux-ci, l'affirmation sur un ton d'autorité sans réplique chez ceux-là, une suggestion matérielle telle que chaleur, engourdissement concentrant l'attention sur une sensation et captivant le sensorium pour l'empêcher de se diffuser sur d'autres objets, tout cela n'est pas susceptible de régie fixe. Chaque opérateur arrivera par l'habitude à se faire son modus faciendi.
A Nancy, M. Lièbeault, M. Beaunis, M. Liégeois et moi. nons opérons chacun à notre manière par suggestion. C'est aussi une question de sagacité personnelle et d'observation psychique. L'hypnotisme s'apprend à la longue, sous une bonne direction, comme l'auscultation, la laryn-goscopie, l'ophtalmoscopie. On n'est pas hypnotiseur quand on a hypnotisé deux ou trois sujets qui s'hypnotisent tout seuls. On l'est,quand dans un service d'hôpital ou l'on a de l'autorité sur les malades, on influence huit a neuf sujets sur dix. Tant que ce résultat n'est pas obtenu, on ooit être réservé dans ses appréciations et se dire que son éducation sur le sujet n'est pas achevée.
Un mot sur le réveil des hypnotisés. Il se lait de la façon la plus simple du monde par suggestion. Je dis ordinairement : « C'est fini ! Réveillez-vous ! »La plupart se réveillent. Quelques-uns paraissent avoir de la peine à le faire, an moins dans les premières séances! Ils semblent ne pas entendre! Ils n'ont pas d'initiative pour sortir spontanément de l'état hypnotique. J'accentue, je dis : c Vos yeux s'ouvrent! Vous êtes réveillé ! » Ou bien, renforçant la suggestion par une pratique matérielle, je dis aux assistants, en montrant un point arbitraire de la tète ou du corps : « Il suffit que je touche ce point pour qu'im-« médiatement les veux s'ouvrent ! » Le moyen n'échoue presque jamais : je touche ou je presse quelque peu cette région pour que le réveil se lasse. Je n'emploie jamais, ni frictions, ni insufflation sur les yeux. Le réveil est on ne peut plus facile, quand on est bien pénétré de cette vérité que tout est dans la suggestion.
Donato, me racontait un jour qu'il ne pouvait s'expliquer ce fait : Des sujets hypnotisés par lui, dans les séances publiques, étaient repris en sous-œuvres par certaines personnes. Or, il arrivait parfois qu'un de ses sujets, après avoir été par elles, facilement hypnotisé, cataleptisé, halluciné de toutes façons, ne pouvait plus être réveillé par l'assistance. Insulflation, flagellation, aspersion d'eau froide, rien ne réussit. On appelle Donato, qui souffle simplement sur le visage de l'hypnotisé. Instantanément le réveil a lieu ! Est-ce là une vertu particulière an magnétiseur!1 J'ai expliqué à Donato qui a saisi facilement mon explication, le mécanisme du phénomène. La personne inexpérimentée veut réveiller le sujet : celui-ci ne se réveille pas tout de suite. L'opérateur s'inquiète et témoigne son inquiétude; il frictionne, souffle, ouvre les yeux du sujet, s'acharne après lui. Celui-ci, témoin muet des efforts et des inquiétudes de l'entourage, se confirme de plus en plus dans l'idée que son réveil est difficile, jusqu'à ce qu'arrive l'homme dans lequel il a confiance ou qui agit simplement, avec assurance.
J'ai vu a Nancy, un sujet hypnotisé par un magnétiseur de passage et qui tombait parfois dans des accès d'hypnotisme spontané. Il restait des heures sans qu'on pût le réveiller. Un jour, un de nos anciens chefs de Clinique, expert en la matière est appelé pour le réveiller. Il affirme ausujet, qu'il va se réveiller dans une minute, par l'attouchement d'un certain point du crâne. Au bout de ce temps, les veux s'ouvraient en effet.
Ce n'est pas toujours l'ordre de se réveiller qui suffit; c'est l'affirmation calme et sûre d'elle-même que le sujet va se réveiller. Si j'insiste sur ce fait, c'est pour bien montrer combien nous avons raison de dire que tout est dans la suggestion.
L'hypnose, au point de vue médical, a pour but d'exalter la sugges-tibilité et de mettre le système nerveux cérébro-spinal dans un état tel que la suggestion l'incite à accomplir des actes utiles à la guérison.
La suggestion peut se faire sans hypnose. Chez les sujets rebelles aux phénomènes hypnotiques, on peut faire néanmoins de la sugges.
tion thérapeutique : j'obtiens des effets remarquables sans sommeil. J'invite le malade à fermer les yeux, a concentrer son attention sur moi: je cherche à l'impressionner, à capter son esprit, et j'affirme la disparition de certains troubles fonctionnels. C'est la suggestion par la parole, sans hypnotisme.
La suggestion thérapeutique ou psycho-thérapeutiquc suggestive (Hack-Tuke) consiste donc â faire pénétrer dans le cerveau, hypnotisé ou non, l'idée de la guérison ou de la disparition de certains symptô-mes.
Cette suggestion doit être adaptée à l'individualité du sujet : la parole seule suffit chez quelques-uns. Chez d'autres, la parole doit être répétée, appuyée sur des théories en rapport avec l'entendement du sujet, accompagnée de gestes, friction sur la partie malade, suggestions de chaleur, ou autres, destines à concentrer l'attention,à fixer l'esprit, à matérialiser l'idée, si je puis dire ainsi, dans une sensation physique. Quelquefois la suppression d'un trouble fonctionnel, douleur par exemple, peut être opéree instantanément, soit définitivement.soit pour un certain temps seulement : d'autrefois, ce n'est que graduellement, a la suite de séances continuées : cela dépend et de la nature du trouble et du degré, du genre de suggestibilité.
Si, le plus souvent, surtout dans l'hypnose profonde, l'affirmation simple ou plusieurs lois répétée suffit il est cependant des cas plus difficiles où la suggestion ne prend pas si aisément, oii elle a besoin d'être introduite par voie détournée.
Je citerai, comme exemple, le fait suivant :
Une jeune fille de 13 ans, remarquablement précoce et intelligente, dont la mère hystérique a fini par l'ataxie locomotrice, était traitée depuis des mois pour des crises convulsives hystériques se répétant trois fois par jour, dorant chacune environ deux heures : de pins, paraplégie complète avec exagération énorme du réflexe patellaire. Cette exagération semblait indiquer une lésion spinale commençant à se greffer sur une affection hrstérique. Mais l'excès même de cette exagération indiquait une complication hystérique. Au moindre attouchement du tendon roiulien, il suffisait même d'approcher la main comme pour le toucher, la jambe décrivait une trajectoire excessive.
Cette jeune fille tombe facilement en hypnose, mais sans dépasser le premier degré : elle avait conscience de son sommeil, ne pouvait ouvrir les yeux, mais entendait et se rappelait tout. Je ne réussis pas à provoquer la catalepsie : je m'aperçus bientôt, ce qui fut confirmé par ta famille, que toute docile qu'elle était, son premier mouvement était toujours subordonné à un esprit de contradiction qui éveillait chez elle une contre-suggestion involontaire. Je mettais ses bras en l'air : ils y restaient d'abord. Mais aussitôt que je disais : « Vos bras restent », ils retombaient. Les premières séances restèrent infructueuses. Plus je disais : a Vous n'aurez pas de crises », plus elle s'opiniâtrait à en avoir. J'essayai de couper une de ces crises par suggestion ; (j'y réussis presque toujours). Plus je lui disais de se réveiller et d'ouvrir les yeux, plus elle contractait les paupières. Alors je me décidai à faire la suggestion de façon à ne plus faire appel à sa tendance instinctive a la contre-suggestion. Je recommandai à sa famille de ne jamais parler devant elle de ses crises et pendant l'hypnose, je ne lui en parlai plus ; je me contentai de lui dire : « Votre système nerveux se modifie. Les crises pour moi n'ont pas de signification; je vous considère comme guérie; les crises disparaîtront seules, etc. »
Avec ce système, j'appris bientôt, à l'insu de la malade, (je n'avais pas l'air de le savoir) que les crises diminuaient d'intensité et de durée,
et au bout de trois semaines, sans que j'en parlasse jamais à la malade, elles avaient disparu sans retour depuis trois ans. Je procédai avec la même circonspection pour la paraplégie. La malade pal bientôt se tenir debout, appuyée et soutenue par deux personnes. Quand elle essayait de faire un pas, la jambe était projetée en avant par un énorme reflexe, faisant le grand écart el elle tombait. Quand j'avais mine d'interroger et de vouloir modérer ce grand réflexe, il s'exagérait. J'eus l'air de ne plus y faire attention. Au bout de deux mois, la malade se tenait debout seule et marchait quelques pas, étant soutenue. I1 fallut continuer pendant un an ; ce qui fut fait par l'oncle très intelligent de la malade, d'après mes indications) pour obtenir la guérison complète qui ne s'est pas démentie. J'ai rapporté ce lait pour montrer que la suggestion a besoin d'être acceptée et dirigée dans le sens voulu. Ce n'est pas lu parole de l'opérateur, c'est Le cerveau do l'opéré qui fait la guérison. Ce n'est pas l'aliment qui nourrit, c'est l'usage que les organes digestifs en tout.
L'hypnose et la parole n'ont pas le monopole de la suggestion. Celle-ci peut se faire par d'autres mécanismes ; elle a été de tout temps pratiquée par tous les médecins, consciemment ou inconsciemment. La purgation avec les pilules de mie Je pain, la guérison des convulsionnairrs par la peur du gendarme, le sommeil provoqué par le protoxyde d'hydrogène, l'eau miraculeuse de Lourdes, les pratiques des toucheurs, des masseurs, l'hydrothérapie, la métallo thérapie, l'électrothérapie. les onguents secrets, les granules de Mattei, I ho-mœopathie, la suspension des tabétiqucs agissent en tout ou en partie . par suggestion, bans doute l'hydrothéraptie, l'électrothérapie ont une action incontestable par elles-mêmes snr les fonctions de l'organisme ; mais cette action est mal connue, les assertions des auteurs sur la valeur thérapeutique de ces diverses méthodes sont vagues et ; contradictoires, précisément parce qu'on n'a pas songé avant tout à j dégager l'élément suggestion.
Il y a quelques années, avant que je connusse la suggestion, un de mes amis me consulta pour une douleur au synciput datant de plusieurs années. Je lui proposai d'enlever cette douleur par l'électricité; je l'eus à peine touché avec le récepteur de l'appareil de Gaiffe que, a mon grand étonnement et à celui du malade, la douleur disparut pour toujours. Plus tard seulement je pensai que c'était un effet de suggestion et je constatai en effet que mon ami suggestible était susceptible d'être mis en somnambulisme.
.L'électrisation me réussit souvent contre les douleurs, névralgies, rhumatisme, lumbago,aphonie nerveuse, etc., quand j'alarme au sujet que le symptôme doit disparaître par l'életrisation et que pendant l'opération je fixe son attention sur l'effet obtenu.
L'élcclrisalion avec suggestion peut même réussir là où la sugges- lion seule échoue. Un de mes malades avait depuis des mois des dou- leurs lombaires et scialiques atroces : je l'êlectrise avec suggestion (à l'eut de veille) ; la douleur disparaît à chaque séance, mats pour j quelques heures seulement. Alors j'essaie la suggestion hypnotique ; le sujet arrive au second degré. Mais l'effet obtenu est moindre; le malade a plus de confiance dans l'électrisation ; il se suggère que l'hypnose seule n'a pas d'action sur lui. Je reviens à l'électrisation et je le guéris définitivement en quinze jours à trois semaines.
Je n'ai pu constater dans la métallo thérapie qu'une vertu purement suggestive. Je ne nie pas qu'il y ait autre chose, niais je ne l'ai pas constaté. J'ai maintes lois appliqué des métaux divers ou des aimants sur la peau anesthésiée d'hystériques, sans rien leur dire, sans
CONORÈS DE L HYPNOTISME EXPKRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE II5
qu'elles pusseni deviner ce que je faisais; aucun effet ne se produirai!. Puis remettant lemêrae métal sur la main, en leur disant ou en disant aux assistants : a Voici ce métal ou cet aimant que j'applique m sur la main ; au bout de trois fois la sensibilité sera revenue dans la a main et la moitié de l'ayant-bras. par exemple, s Agissant ainsi, j'obtiens souvent l'effet désiré. Les Anglais me paraissent avoir raison, au moins en partie, quand ils attribuent l'action thérapeutique a l'ex-pectant attention-.
La suspension des tabéliques a fait grand bruit dans ces derniers temps. On a attribué à des changements produits dans l'irrigation sanguine de la moelle ou a l'élongation des nerls, les améliorations surprenantes obtenues. Dès l'origine, je pensais que la suspension constituait un appareil éminemment suggestif. Des expériences ont été laites aux Cliniques de Nancy, comme ailleurs: M. Haushallcr, chef de Clinique de mon collègue Spillmaum, a expérimenté la méthode sur un très grand nombre de sujets et obtenu des résultats heureux, non seulement chez les ataxiques, mais dans d'autres variétés de myélites, chez, les rhumatisants, chez tos hystériques, dans l'in-conlÎQcncc nocturne d'urine, dans les névroses surtout, dans les affections les plus diverses : il est arrivé à cette conclusion que la suggestion joue un rôle curalif principal, sinon exclusif dans la méthode nouvelle.
Pour éliminer l'hypothèse de modification vasculaire ou d'élonga-lion nerveuse, j'ai essayé la pendaison horizontale. Le sujet est soulevé horizontalement par une ceinture fixée autour du corps, la tète et les pieds étant soutenus par des embrasses. Dès iors, plus de con-gestioa ni d'élongation. Or, j'ai obtenu dis guérisons remarquables : un paraplégique, alcoolique, qui ne pouvait plus marcher ni se tenir debout sans être appuyé, se mit à marcher seul et assez convenablement en quelques séances. Une sciatique, qui ne s'améliorait plus par la suggestion, fut promptemenl amendée en quelques séances; la malade, immobilisée dans son lit depuis des semaines, put de nouveau se lever. Une myélite diffuse avec paraplégie absolue fut améliorée en dix séances, la malade put de nouveau, je ne dis pus marcher, mais remuer les orteils et soulever un peu les jambes dans son Ht, ce qu'elle ne pouvait faire auparavant; une hypércslhesîc hystérique de l'abdomen avec vomissements lut enlevée en deux séances. La suggestion seule incarnée dans une pratique matérielle impressionnante a amené ces résultats. Ainsi se trouvait confirmée mon idée sur le mécanisme thérapeutique de la suspension des tabétiques, idée que j'avais émise dCs l'origine à la Société de médecine de Nancy, où elle fut vivement combattue. La médecine actuelle, trop imbue des idées orga-niciennes, croit expliquer tous les mystères de la vie par la mécanique, la physique et la chimie animale. Cepen.lant, l'esprit est aussi quelque chose dans l'organisme humain; il existe une psycho-biologie, il existe nne psycho-thérapie.
J'ai hiîte de résumer cette étude déjà longue.
La suggestion appliquée à la thérapeutique, et employée consciemment ou inconsciemment de tout temps, a été érigée en méthode par l'école de Nancv. Au docteur Liébeault appartient l'honneur d'avoir créé cette méthode qui est en train de se propager à travers les deux mondes.
La thérapeutique suggestive repose sur t'influence incontestable de l'cspritsur le corps, si bien démontrée dans le livre du docteur Hack-Tukc.de Londres. L'influence psychique sur la digestion, la nutrition, la respiration, sur les battcments'du cœur, sur les fonctions sêcrôtoires
urinaires, sudorales, bilieuses, etc.. sur les sécrétions, sur la menstruation, c'est chose bien connue. Car tous les organes, toutes les fonctions sont en rapport anatomique et physiologique avec le centre nerveux cérébro-spinal. Chaque point du corps a pour ainsi dire son aboutissant dans une cellule nerveuse. Toute cellule cérébrale actionnée par une idée tend à réaliser cette idée en mettant en activité les fibres nerveuses correspondantes à sa réalisation. L'idée tend à se taire acte; c'est sur ce lait physiologique qu'est basée la psycho-thérapeutique suggestive.
L'état hypnotique créé lui-même par la suggestion, en supprimant l'initiative intellectuelle, en augmentant l'automatisme cérébral, augmente la suggestibilité, c'est-à-dire l'aptitude à transformer l'idée en acte.
L'hypnotisme n'est qu'un des procédés employés pour faciliter la suggestion : c'est l'adjuvant le plus efficace, quelquefois le seul efficace de la suggestion thérapeutique.
La suggestion a l'état de veille, par la parole, ou par des pratiques matérielles diverses, appropriées à chaque individualité, ne diftère pas en réalité, quant au mécanisme, de la suggestion hypnotique. Quelle que soit la cause morale qui invite le centre nerveux psychique a intervenir pour modifier dans un intérêt utile, les fonctions organiques de notre corps, le mécanisme dynamique de la thérapeutique suggestive est toujours le même.
C'est la loi qui sauve : et les plus incrédules ont toujours une loi (je ne dis pas la foi religieuse) : ils ne peuvent s'y soustraire pas plus qu'ils ne peuvent se soustraire aux hallucinations de leurs rêves. La crédivité (je ne dis pas la crédulité) est inhérente à l'esprit humain. Aussi, est-ce un grand artisan de miracles que l'esprit humain.
(A suivre.)
Visites du Congrès de l'Hypnotisme dans les Hospices d'Aliénés
Visite à l'Asile d'Aliénés de Villejuif
Le Dimanche 11 Août 1889
Les membres da Congrès de l'Hypnotisme avaient été invités par la Com- , mission administrative de l'Asile de villejuif a visiter ce magnifique établissement, le dimanche 11 août 1889. Partis de l'Hôtel-Dieu. à neuf heures du matin, au nombre d'une centaine environ, dans des voitures spéciales, les membres du Congrès arrivaient à dix heures a l'Asile, ou une magnifique réception les at'endait.
M. abel Barroux, directeur, et M. le docteur Marcel Briand, médecin en chef de l'Asile, n'avaient rien négligé pour laisser aux membres du Congrès le souvenir et l'accueil à la fois le plus cordiale et le plus sympathique.
Pour permettre aux membres du Congrès de se rendre' compte par une vue d'ensemble, des diverses affections mentales traitées dans l'Asile, M. le
docteur Briand avait groupe, dans une vaste salle, des malades présentant des formes caractéristiques de maladies mentales. Au dessus de chaque -malade un numéro d'ordre avait été placé et grâce a un tableau méthodique, remis à chacun des visiteurs, il était permis d'observer les malades et de connaître le diagnostic fait sur leur affection, sans qu'il fût besoin d'interroger le malade ou le chef de service.
Ce fait, si simple en apparence, montre avec quel tact le dévoué médecin en chef de l'Asile de Vaucluse sait remplir sa tâche délicate et combien il a a cœur de ménager la susceptibilité des malades confiés à ses soins.
I1 serait injuste de ne pas mentionner la part prise par les internes de l'Asile dans l'organisation de la visite. .
Il serait trop long de suivre le docteur Briand dans son exposé si clair et si intéressant de l'installation des divers services de l'Asile de Villejuif. Nous devons nous borner à rappeler que les membres du Congrès ont pu constater avec satisfaction les excellents résultats obtenus cher quelques malades par l'application de la suggestion comme moyen thérapeutique. Tout d'abord on leur a présenté des aliénées hystériques chez lesquelles l'emploi de la suggestion avait fait disparaître les attaques convulsives et un certain nombre dautres symptômes. Plus loin, ils voyaient une malade autrefois délirante, gâteuse, hémiplégique, aujourd'hui 'complètement rétablie à la suite de plusieurs séances d'hypnotisme.
Chez une malade très hypnotisable. la nommée Ch..., M. le docteur Briand a pu reproduire, devant les membres du Congrès, un certain nombre d'expériences physiologiques et psychologiques du plus haut intérêt.
Les visiteurs furent aussi très frappes de la bonne tenue des petites malades, élèves de l'école de l'Asile, et des excellents résultats obtenus par les efforts patients et bienveillants du médecin et du personnel.
Banquet du Congrès.
Après la visite, les membres du Congrès se rendirent dans une vaste salle, magnifiquement décorée, où un banquet somptueux offert par l'Administration de l'Asile les attendait.
Le banquet présidé par M. Lucien Puteaux, ancien conseiller général de la Seine, secrétaire de la Commission administrative de l'Asile, assisté de M. le professeur Liégeois, vice-président du Congrès, ne cessa jusqu'à la fin d'être empreint de la cordialité la plus parfaite.
Le premier toast fut porté par le président, M. Lucien Puteaux :
Mesdames, Messieurs,
C'est en ma qualité de secrétaire de la Commission de surveillance des Asiles publics d'aliénés de la Seine que j'ai l'honneur d'ouvrir la série des toasts. Je m'en félicite tout particulièrement, car c'est pour moi une précieuse occasion de vous assurer une fois encore de toute la sollicitude, de tout le dévouement de mes honorés collègues, pour ces pauvres déshérités dont nous avons la tutelle. Mon premier devoir — devoir doux à remplir — c'est de rendre tout d'abord un public témoignage à notre vénéré président, M. Barbier, premier président i la Cour de cassation ; c'est de nous tous le plus dévoué, le plut attaché A tes fonctions ; on affirme qu'il serait notre doyen par l'âge, il n'y paraît guère ; mais il est assurément le plus jeune de tous ses collègues dé la Commission par l'esprit et par le cœur. Qu'il me soit donc permis — lui absent — de lever mon verre en son honneur et de , boire à la tante d'un des hommes les plu» distingués par le poste éminent qu'il occupe et un des plus dévoués â l'humanité par les services qu'il lui rend. (Applaudisements).
Si nous ne rencontrons â cette table aucun représentant du Conseil général, c'est que ses membres les plus autorisés sont retenus par d'autres congrès, appelés loin d'ici par d'autres devoirs, mais il y aurait véritable ingratitude à les oublier, car tout dans cet Asile est l'œuvre de l'Assemblée départementale qui, vous le savez, n'a jamais marchandé ni set encouragements ni set
subsides lorsqu'il s'est agit d'améliorer le sort des aliénés. — Buvons donc au Conseil général de la Seine. (Applaudissements),
Je suis heureux de remercier, au nom de tous ses hôtes, M. le Directeur Barroux. dont l'hospitalité est aussi cordiale que sa modestie est grande. II aurait pourtant le droit de s'en orguiellir aujourd'hui de ce qui se passe et de ce qu'on voit dans cet Asile. N'est-ce pas au Directeur qu'il faut faire remonter la bonne tenue, l'ordre parfait que vous avez tous admirés dans les services.
Saluons aussi les deux médecins en chef de l'Asile : mm. les docteurs Briand et Vallon, dont on peut dire que. chez eux, eux, la science n'attend pas le nombre des années, car, jeunes encore, ils marchent sur la trace des maîtres.
Je ne veux oublier ni leurs internes, ni le pharmacien, ni les employés de l'administration, à la tète desquels nous rencontrons l'économe, et à sa suite tout un personnel dévoué. C'est donc à tous les collaborateurs de l'honorable M. Barroux que je m'adresse, et, comme dans toute machine bien organisée, les plus petits rouages contribuent à l'ensemble et à l'harmonie du mouvement, je veux comprendre aussi dans ce toast les plus humbles et les plus modestes de nos serviteurs, les infirmiers et les infirmières laïques qui rivalisent de zèle et de dévouement pour le bien commun de l'établissement. Buvons donc au personnel tout entier de Villejuif et à la prospérité de l'Asile.
Nous avons le bonheur de posséder a ce banquet un certain nombre de dames, elles font la grâce et le charme de cette fête ; je sais qu'elles ne s'intéressent pas seulement à nos travaux d'une façon platonique, mais que, vraiment dévouées à la science, beaucoup d'entre-elles, ont partagé vos labeurs. Poussons donc ce vieux cri de la chevalerie française : Honneur aux Dames.
C'est à l'excellent secrétaire général, au docteur Bérillon qu'a incombé toute l'organisation de ce premier Congrès international de l'hypnotisme. C'était une lourde tache dont il s'est admirablement tiré ; il s'en trouve récompensé par le succès même de ce Congrès auquel il s'est dévoué. Il n'en a pas moins droit à tous nos remerciements que je suis heureux de lui adresser au nom de cette assemblée.
Enfin et je réserverais ce toast pour M dernier, comme le plus cher et le plus sympathique au cœur d'un Français qui est lier des hommages rendus a sa patrie.
Je bois la bienvenue sur notre sol hospitalier de ces savants étrangers venus de tous les coins de l'Europe, du Nord et du Midi, de la Russie, de la Suède, du Danemarck. de l'Allemagne, de la Suisse, de l'Italie, de la Roumanie, de la Grèce, tous réunis ici, quelle que soit la diversité de leur origine, dans une pensée commune de fraternité et de solidarité scientifique.
Je bois a la science, je bois à ce Congrès international de l'hypnotisme qui nous révèle des faits si surprenants, qui soulève de si effrayants problèmes que la logique en est confondue et qu'on en arrive à se demander si l'on est en pleine possession de sa raison.
Un profane qui. dans un asile d'aliénés, fait un pareil aveu, au milieu d'aliénistes, n est-il pas un peu téméraire? Ne s'expose-t-il pas à se voir arrêté, séquestré, et à ne plus quitter ce séjour ? La punition serait douce s'il devait, comme aujourd'hui, toujours demeurer en aussi charmante com-pagnie et être aussi bien traité par un aussi aimable Directeur.(rires).
En terminant, permettez-moi de protester contre une allégation de M. le professeur Forel, de Zurich, qui en partant avec trop de modestie de la Suisse, sa patrie, la traitait de petite nation. Non. la Suisse comme la Belgique sont toutes deux de grandes nations. Il suffit de parcourir les galeries de notre Exposition Universelle, de voir ces merveilleuses machines construites à Winterthur et à Zurich, et la foule admirant cette puissante machine de Nayer fabriquant le papier sous ses yeux, pour se convaincre que la Belgique et la Suisse sont de grandes nations industrielles, mais, ce n'est point là encore ce que j'admire le plus: ce sont ces établissements d'instruction et d'Assistance publique qu'on rencontre dans ces deux pays, cette école polytechnique, et cet hospice cantonal Je Zurich, ces universités de Gand et de Liège.
Non. ce n'est point par l'étendue du territoire qu'il tant juger de la cran-deur des nations, ce n est point non plus par leurs armées et leurs forces militaires, c'est par leur valeur intellectuelle, les progrès accomplis dans les sciences et les tentatives de soulagement apportées a l'humanité souffrante, voilà pourquoi cette année 1889, si fertile en Congrès, sera une année féconde.
Vive cette année de notre glorieux centenaire Vivent l'entente et l'harmonie entre les nations, «or le terrain de la charité, de la science et de la fraternité !
Apres loi. M. le Dr Briand. remerciant les savants étrangers, venus en si grand nombre au Congrès Scientifique de l'Exposition universelle, pour rendre hommage a la science française, leur demande de bien vouloir se .joindre a lui pour porter un toast à la santé du magistrat qui préside si dignement aux destinées de la République française, à M. le président Carnot. (Vifs applaudissements.)
M. Liégois, professeur à la faculté de droit de Nancy, vice-président du Congrès, se faisant l'interprète de tous les convives s'exprime ainsi :
MESSIEURS,
C'est pour moi an devoir, en même temps qu'un plaisir, d'exprimer toute la reconnaissance qu'inspire aux membres du Congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique, l'hospitalité généreuse et cordtale'qui les a accuei-lis l'asile de Ville juif.
Sous adressons nos plus sincères remerciements au Conseil général de la Seine, à la Commission de surveillance des asiles d'aliénés du département, à M. le Directeur et a MM. les Médecins en chef du grand et bel établissement que nous venons de visiter avec tant d'intérêt, et dont les honneurs nous ont été faits avec une courtoisie et une complaisance qui nous touchent profondément. Tous vous avez pu admirer la belle organisation des services, la S3gcssc et la prévoyance qui ont présidé a leur installation, les soins dévoués dont les malades sont ici l'objet et vous seriez en droit de m'adresser des reproches mérités, sî je n'associe a nos félicitations et a nos éloges le personnel de l'asile, à tous les degrés de la hiérarchie.
Je ne veux pas, Messieurs, faire un discours; mais vous me permettrez d'ajouter à l'expression de nos remerciements quelques réflexions que m'inspire l'intéressante visite dont nous garderons un si agréable souvenir.
Dans La grande fête qui rassemble a Paris des représentants de toutes les nations, une chose m'a particulièrement frappé, c'est la galerie de l'histoire du travail. Vous pardonnerez cette prédilection a un économiste qu'un tel spectacle ne saurait laisser froid. Je ne pouvais m'empêcher, il y a quelques jours à peine, de comparer te sort de l'homme préhistorique au sort de nos contemporains, de mesurer le progrès accompli, le chemin parcouru, depuis l'ace de la pierre jusqu'au jour où l'audace de nos ingénieurs a élevé un prodigieux édifice de fer et d'acier a des hauteurs qui n'avaient point encore été atteintes.
Il y a là. Messieurs, un puissant encouragement le gage de nouveaux progrès et d'un plus énergique essor de l'industrie humaine, d'une part sans cesse croissante faite a ceux qui peinent et qui travaillant.
Mais en même temps, il faut que la Société moderne songe aux déshérités, a ceux qui ont été vaincus dans la lutte pour la vie et qui ne peuvent plus pourvoir eux-mêmes a leurs besoins, aux besoins de leur famille. C'est à eux que sont destinés des établissements comme celui que nous venons de visiter, c'est à eux que nous devons songer, après nous être légitimement enorgueillis des merveilles de l'industrie. Je porte un toast au soulagement des misères humaines par l'union de la science et de la charité ! (Applaudissements.)
M. le Dr Bérillon, secrétaire général du Congrès, constatant l'empressement avec lequel les représentants de la presse médicale et politique ont répondu à nos invitations et suivi les travaux du Congrès, rappelle le concours si libéral qu'il en a re'çu de la presse pour l'organisation de cette œuvre." C'est grâce à ce concours qu'il a été possible d'organiser en deux
mois ce Congrès dont le succès est si considérable. C'est grâce à elle que les travaux importants qui y ont été accomplis seront portés jusqu'aux coins les plus reculés de la terre. 11 est heureux de porter un toast à la presse, à laquelle on peut sans doute reprocher quelques imperfections, mais qui s'en venge noblement en facilitant la réalisation des idées nouvelles et en activant l'accomplissement des œuvres du progrès et de moralisation.
M. le professeur Boussakis, d'Athènes, levant son verre dit que représentant de la Grèce, ce pays qui fut si fertile en grands homme», qui fut si longtemps le centre de la civilisation, il veut être le premier a porter un toast à la ville de Paris, qui est aujourd'hui l'Athènes moderne, à la République française qui est le flambeau de la liberté du monde, et le foyer des lumières de la civilisation.
Après ces discours, un grand nombre de toasts sont portés a la France par les savants étrangers au nom des pays qu'ils représentent au Congrès.
M. le Dr de Jony (de la Haye) rappel les liens de sympathie qui unissent la Hollande a la France.
M. le professeur Forel (de Zurich) exprime les sentiments fraternels qui unissent les Suisses aux Français. « Je suis représentant d'un petit pays, dit-il en terminant, mais je puis affirmer que ce pays trouverait dans son patriotisme et dans son amour de la liberté, les forces nécessaires pour repousser toutes les attaques des ennemis les plus puissants. »
M. le professeur Delbœuf (dé Liège) se joint à M. Forcl pour porter un toast an nom de la Belgique qui est en communauté de langage et en communion d'idées avec la France.
M. Driewkeecki (de Saint-Pétérsbourg) dit que lessentiments d'amitié que tous les Russes ont pour la France sont plus vifs que jamais et qu'il est heureux d'être ici l'interprète fidèle de ses compatriotes.
M le Dr Karl Erickson (de Stockolm), au nom de la Suède, dont la dynastie régnante est d'origine française, porte un toast à la France.
M. le professeur Medveczki (de Buda-Pest) rappelle l'accueil fait il y a deux ans par les Hongrois à la délégation française et il n'est pas surpris de l'accueil fait a ses compatriotes. Il boit à l'union des d:ux peuples qui ont le même esprit chevaleresque.
M. le Dr Kozukowwski (de Varsovie) dit que les Polonais, dont il est heureux d'être le représentant ici. ont plus que tous les autres des sentiments de reconnaissance inaltérable à l'égard de la France.
M. le Dr Neilson (de Kingston, Canada), dans cette fête si cordiale, ne peut oublier qu'il a du sang français dans les veines, que le Canada est une ancienne terre française. Il boit à la France qui n'a cessé d'être la véritable patrie des Canadiens.
M. le Dr Georges David (de la Nouvelle-Orléans, Louisiane) revendique aussi pour les habitants de Louisiane l'honneur d'être français par le langage et par les sentiments. Il affirme qu'en cas de danger, plus d un de ses compatriotes accoureraient se ranger dans les rangs des soldats français.
M. le Dr Tonner (de New-York) prononce en anglais un discours qu'il termine par le cri de « Vive la France », et qui est très applaudi.
M. de Bourgon, au nom des internes des hôpitaux, des étudiants en médecine et des élèves de l'Ecole normale supérieure, présents au banquet, porte un toast aux organisateurs du Congrès.
M. Château, prononce quelques paroles de remerciement au nom de la presse scientifique.
M. Jean Roulet (du Voltaire), remercie les organisateurs de cette fête de l'accueil si sympathique qu'ils ont fait à la presse parisienne.
M. le Dr. Bourdon (de Méru), résume l'opinion générale en buvant à la fraternité universelle.
M. le Dr Sperling (de Berlin), s'associe aux sentiments exprimés par le précédent orateur : « Laissons de côté la politique qui divise, dit-il, et unissons-nous dans le cri de : Vive la Science ! »
M. Huard, avocat à la Cour de Paris et membre du Conseil de surveil-
lance des Asiles d'Aliénés du département de la Seine, termine la série des toasts, en piononcant une spirituelle allocution sui les surprises que la ville de Paris réserve à ceux qui veulent bien la visiter avec sympathie.
A cinq heures, les membres du Congrès rentraient à Paris, emportant de cette fête si charmante et si cordiale un souvenir qui ne s'effacera jamais de leur esprit.
VISITE A L'HOSPICE DE LA SALPÉTRIÈRE
Le lundi 12 août 1880
A neui heures, les membres du Congrès commençaient sous la direction de M. le Dr Auguste Voisin, médecin de la Salpétrière, vice-président du Congrès, la visite de la section Rambuteau.
Au cours de cette visite, M. le Dr Voisin présente aux membres du Congrès une dizaine de malades traités par la suggestion hypnotique et chez lesquels il était facile de constater les heureux effets du traitement.
Allant au devant des désirs de ses auditeurs dont le nombre s'élevait à cent cinquante, M. le Dr Voisin, fît sur un assez grand nombre de malades des expériences d'hypnotisme des plus concluantes. Il expose les procédés par lesquels il parvenait d'abord à obtenir le sommeil provoqué, puis à utiliser la suggestibilité ainsi développée.
Les membres du Congrès vivement frappés des résultats obtenus demandent à M. Voisin un grand nombre d'explications auxquelles il s'empresse de répondre avec la grande bienveillance dont il est coutumier.
Après la visite, les membres du Congrès se rendirent dans le réfectoire de service ou un lunch organisé par les soins de M. Amaury, économe, remplaçant le directeur, leur était offert.
A la fin de ce lunch, M. le professeur Masoin (de Louvain) membre de l'Académie de médecine de Belgique, remercie M. Auguste Voisin dans les termes suivants :
Messieurs,
« Tantôt, l'honorable M. Voisin nous déliait à tous la langue pour que nous formulions hautement les remarques inspirées à chacun de nous par cette visite instructive. Qu'il me permette d'user encore ici, à la table hospitalière — hospitalière à tous égards — qui nous réunit un instant, qu'il me permette d'user encore de cette même liberté de parole.
Je suis assuré d'être l'interprète de toute l'assistance en proposant la santé du maître distingué qui nous fait avec tant d'amabilité les honneurs de cette
excursion scientifique.
Tous nous connaissions par réputation M. Auguste Voisin; aussi je n ai pas à faire ici l'éloge des travaux qui lui ont valu la haute situation qu il occupe. Mais aujourd'hui que nous le voyons à l'œuvre même sur le terrain de son labeur quotidien, d'autres qualités du médecin se révèlent et le caractère de l'homme apparaît ; je ne relèverai en ce moment qu'un seul trait qui
a dû vous frapper tous : c'est le dévouement qui anime notre honorable confrère : vous venez d'en recueillir le témoignage : ne l'a-t-on pas vu s'arrêter pendant de longues heures et avec patience inaltérable au chevet de pauvres malades pour faire descendre dans des esprits soutirants les bienfaits de l'hvpnosc !
Un tel caractère, un tel talent emporte notre estime complète ; aussi je lève mon verre bien haut ; dans cet antique hospice, témoin de tant de travaux, de souffrances et d'événements, soyons joyeux un moment : exprimons â M. Voisin notre cordiale gratitude, et buvons tous ensemble à l'un des dignes successeurs de Pinel et d'Esquirol, a l'un des maîtres de la science fran-, çaisc. (Vifs applaudissements)
Après lui, M. le Dr Bérillon. secrétaire général du Congrès, porte un toast aux médecins de l'hospice de la Salpétrièrc, et à leurs zélés collaborateurs les internes et les membres du personnel hospitalier qui ne cessent de prodiguer avec tant de dévouement leurs soins aux malades les plus difficiles à soigner. Il remercie l'administration de l'Hospice représentée par M. Amaury, de l'accueil si cordial qu'il a réservé aux membres du Congrès. »
Puis M. le Dr van Renterghem : . d'Amsterdam, prononce l'allocution suivante :
Messieurs,
« Si je réclame un instant votre bienveillante attention, c'est dans un but.
D'abord, c'est pour remercier tant au nom, de mon collègue le Dr V. Eeden, qu'au mien, de la réception vraiment française c'est-à-dire cordiale, sympathique et somptueuse, qui nous a été faite et dont jamais je ne perdrai le souvenir.
Mais encore, c'est pour payer un tribut que nous devons tous à un absent à qui j'eusse tant aimé à serrer la main ici, un tribut, dis-je, que nous devons tous à l'humble, au modeste savant de Nancy, au fondateur de l'école suggestionniste, a M. Liébeault que nous connaissons tous, je l'espère, du du moins, et de qui je n'ai pas besoin de vous faire l'éloge.
J'émets le vœu qu'il restera encore pendant des longues années une des gloires de la science. Vive Liébcault ! Vive ! l'Ecole de Nancy ! »
Le lunch terminé, les membres du Congrès sous la direction] de M;. le Dr séglas, continuèrent la visite de l'hospice et parcoururent les services de MM. les Dr Falret, Jules Voisin, Séglas, l'école des petites filles idiotes et épileptiques dirigée par Mme Nicole/ l'établissement d'hydrothérapie et les divers services de l'hospice.
Les membres du Congrès ont emporté de cette visite et de la cordiale réception des médecins de l'hospice, le souvenir le plus durable.
VARIÉTÉS
Étude médico-sociale sur le nez
Un médecin humouriste (ne pas confondre avec humoriste) qui signe modestement D'Oméga, a envoyé au journal « Archivii italiani di laryngologia» sous forme de lettre ouverte à son rédacteur, une amusante et philosophique étude médico-sociale sur le nez, étude dont nous allons extraire les points essentiels.
Le nez n'est pas seulement un organe nécessaire au bon fonctionnement de l'olfaction et ayant à ce titre une certaine importance physiologique, mais il est encore un des éléments principaux «le l'expression et, disons-le. de la beauté du visage. Le menton, le front et le nez sont le. trois parties de la face qui ont la plus grande part à la constitution de la physionomie individuelle, mais ce dernier joue daas l'harmonie des traits un rôle prépondérant, et l'auteur constate, non sans regrets, que le proverbe qui dit que toute belle femme pèche un peu par le nez est surtout vrai en Italie.
Sans remonter au déluge pour rechercher ."influence des nez sur les institutions sociales, on peut s'arrêter à la remarque de Pascal qui prétend que « le nez de Cléopâtre, s'il eut resté plus court, toute la (ace de la terre aurait changé » mais il parait qu'elle a changé tout de même, car, actuellement on n'apprécie plus la longueur du nez chez la femme autant que parurent le faire Antoine et César.
La classification des nez est encore à établir, cependant on peut faire rentrer toutes les formes possibles de cet organe dans trots système, le droit, le courbe et le mixte.
Au premier système appartiennent le nez grec, le nez rectiligne, le nez coudé et le nez pointu, dans le second système nous trouvons les nez aquilins, bosselés, bossus, crochus, les nez de perroquet, de chouette et les nez en trompette ; le système mixte comprend les nez camus, onduleux, en pomme de terre, le nez ensellé et le nez de polichinelle.
Dans l'antiquité les nez bien développés jouirent en divers lieux d'une grande faveur ; ainsi, paraît-il, les Perses ne jugèrent dignes de régner sur eux. après la mort de Cyrus-le-Grand, qui possédait un nez phénoménal, qu'un homme qui fut pourvu d'un appendice préfacial de même dimension : d'autre part les peuples de l'Asie-Mineure n'élisaient comme juges que des individus a nez long et magistral ; enfin les matrones romaines favorisaient les gladiateurs qui combattaient dans le cirque, en proportion de la grandeur de leur nez; l'exemple, il est vrai, date de haut, puisque la chronique de l'Olympe voulait que Vénus eût épousé Vulcain en partie à cause de son grand nez, et Vénus devait s'y connaître!
Les goûts modernes sont quelque peu différents, la vogue des grands nez a pris fin, auprès des belles du moins ; nous n'oserions pourtant rien affirmer à ce sujet, car là aussi, il y a peut-être une question de mode, mais quelle consolation pour les nez de se voir représentés à travers les âges et jusque dans nos temps par des hommes illustres dans les arts, les sciences ou la poli-tique, tous remarquablement pourvus sous ce rapport !
Parmi les Anciens, certains hommes devinrent aussi célèbres, aux yeux de leurs contemporains, pour la forme et la grandeur de leur nez que pour leurs Œuvres, citons entre autres Viagile, Ovide, Aristippe, Cratippe. lsocrate, Solon, Démosthène. Xénophon, Alcibiade. et les pères de la médecine. Hippocrate et Galien. N'oublions pas Scipioa auquel son nez formidable valut du Sénat romain l'honneur du surnom de nasica.
Plus tard on compta parmi les nez célèbres ceux de Mahomet, Luther, Gré-groîre XVI, Dante. François Ier. Michel-Ange, Mazarin et Mirabeau.
Le roi Ferdinand VI. de Naples, était pourvu d'un nez remarquable, mais bien loin de lui faire honneur, les lazzarones finirent par ne plus l'appeler que « Re Nasone ».
Parmi les physionomies modernes empruntant au nez leur élément le plus caractéristique, on cite celle de Gambetta, Wagner, Moltke, Gladstone et.... Paulus!
Des l'antiquité on avait cru voir une relation entre le caractère d'un individu et la forme de son nez; Zopire considérait comme étant enclins à la luxure les hommes à nez aquilin ; Plutarque voyait dans les nez retroussés un signe d'imprudence, et Aristote pensait qu'un nez long et courbe dénotait la magnanimité.
Lavater a repris cette étude avec toutes les extravagances que l'on sait, et les personnes instruites qui, actuellement, ajoutent foi i ses théories sont peu nombreuses, mais dans les couches populaires on est très porté encore à juger du caractère d'après le ???, organe qui joue, du reste un grand rôle dans beaucoup de locutions usuelles, telles que avoir du nez mener quelqu'un par le nez, faire monter la moutarde au nez, etc., et à Naples. par exemple, on le considère comme un signe de bonne éducation d'où le proverbe : ?hi ,cne ??s tene crianza (celui qui a du nez a de la politesse).
L'auteur entrevoyant un grand avenir à la science du nez, apporte un document qui pourrait servir à ceux qui seraient tentés d'établir une classification des nez médicaux suivant la spécialité exercée par l'individu, ce document consiste en une reproduction exacte de tous les nez professoraux de la docte Faculté de médecine de Naples !
Nous voilà donc prévenus : une nouvelle science est en train de naître ; qui sait si, au vingtième siècle nous n'aurons pas dans nos facultés des chaires de rinigraphie comparée ? Le plus difficile assurément sera de découvrir la cause des nombreuses différences que l'on observe dans la morphologie des nez, mais en cherchant bien on trouvera : pourvu que ce ne soit pas encore microbe ! (G?z. hebd. des sc. méd. de Bordeaux).
CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE
Un cas d'hallucination collective de la vue
L'independant de la Dordogne. rapporte les faits suivants, nuis en déclarant qu'il ne les accepte que sous bénéfice d'inventaire. Sous les reproduisons, de notre côté, à titre de simple curiosité :
« Une petite bergère d'un village appelé Carabaud, situé entre Savignac-les-Eglises et Saint-Vincent-sur-1'lsIe. étant allée garder ses brebis dans un bois a peu de distance de chez elle, crut voir soudainement apparaître, sortant d'un tas de pierres, l'image de la Sainte-Vierge. Comme la petite bergère était seule, elle fut tellement frappée par celte apparition inattendue, qu'elle tomba sans connaissance. Une fois revenue à elle, la fillette retourna chez ses maîtres, sans toutefois leur raconter ce qui venait de lui arriver. Ce n'est que pressée de questions par ses derniers, qui lui trouvaient depuis quelques jours un air extraordinaire, qu'elle finit par leur avouer ce qu'elle avait vu.
Depuis cens époque, presque tous les jours, les mêmes faits se sont reproduits. D'autres enfants et même de grandes personnes ont eu également les mîmes visions. Aussi l'affluence des curieux est-elle chaque jour considérable, et chacun veut (aire ce pélerinage tout spontané pour se rendre compte de visu de la réalité des faits. Mais la plupart doivent se borner à écouter, au comble de la surprise, les enfants qui sont là devant eux et qui leur racontent avec force détails tout ce qu'ils voient se dérouler deuant leurs yeux, en désignant du doigt les endroits précis où se posent les Images qu'ils aperçoivent. »
Anesthésie chloroformique pendant le sommeil.
Est-il possible de pratiquer la chloroformisation pendant le sommeil naturel, sans que le sujet s'éveille ? Cette question, dont il est facile de comprendre toute l'importance au point de vue médico-légal, a donné lieu a de nombreuses recherches dont les unes ont été négatives, les autres ont démontré la possibilité de faire passer sans secousses un sujet du sommeil naturel au sommeil chloroformique. S'il pouvait rester un doute a ce sujet, il disparaîtrait a la lecture de l'observation publiée par M. Théodore Potter, dans The Médical recors, et dont nous donnons le résumé.
Il s'agit d'un jeune garçon de sept ans qui avait subi, deux heures avant la visite de M- Potter, un traumatisme du bras. Cet enfant était délicat, très impressionnable et exprimait au plus haut degré la terreur que lui inspirait l'examen de sa blessure. Le médecin ne crut pas pouvoir faire un examen sérieux sans avoir recours à l'anesthesie. A ce moment on lui objecta les faits suivants :
Sept semaines plus tôt, le même enfant, à la suite d'une blessure à la tête, avait dû être chloroformé. Or. les vomissements qui avaient accompagné et suivi l'usage de l'anesthésique. avaient été très pénibles à ce point que le petit malade refusait absolument de se laisser endormir de nouveau.
En présence de celte résistance, M. Potter se borna à faire un pansement provisoire et quitta le malade. Quand il revint, au bout d'une heure et demie, l''enfant était plongé dans un protond sommeil.
A la demande de la Camille, le médecin résolut alors de pratiquer la chloroformisation sans éveiller le malade, chloroforme fut administré au moyen d'une compresse, avec toutes les précautions nécessaires et l'expérience réussi parfaitement. L'enfant passa insensiblement du sommeil naturel au sommtil chloroformique, :ans éprouver aucun phénomène d'excitation, sans faire aucun mouvement, sans révéler par aucun symptôme important qu'il éprouvât l''effet de l'anesthésique ; il y eut seulement un léger ralentissement d« la respiration.
L'anesthesie dura vingt minutes et fut complète avec relachement musculaire, au point qu'on pût réduire aisément la fracture de l'extrémité inférieure de l''humérus qui avait été produite. Au bout de ce temps, on cessa l'administration du chloroforme et, lentement, sans secousse, l'enfant revint au sommeil naturel; il ne s'était éveillé! aucun moment. Le sommeil se prolongea pendant trois heutes et demie. Au réveil, l''enfant se trouvait parfaitement bien, il ne vomit pas, il n'avait pas vomi non plus pendant l'administration du chloroforme; et, preuve que l''anesthesie, avait été complète, il exprima la plus vive surprise en constatant qu'un appareil avait été appliquée.
L'auteur, qui relate en même temps plusieurs observations publiées avant la sienne, fait observer que le cas actuel est surtout remarquable par ce fait que le sommeil naturel s'est prolongé sans interruption après l'anesthesie, et qu'il prouve nettement la possibilité de l'anesthesie chloroformique sans accidents, pendant le sommeil, au moins chez l'enfant.
Prescription d'un somnambule
Le rédacteur en chef de l'Union médicale a reçu la lettre suivante qu'il s'empresse de
publier pour l'édification du public, relativement à la médecine des somnambules.
Monsieur le Rédacteur,
A propos de prescriptions de somnambules, en voici une qui mérite d'être signalée, moins encore pour son originalité que pour le danger de son administration :
Prenez :
Au cimetière Montmartre (sic) :
Un morceau d'os de la jambe, envelopper dans une chaussette portée pendant une semaine, plongez le tout dans un litre d'eau, faites bouillir pendant une heure. Le malade devra boire cette tisane dans l'espace d'un jour.
La mère du jeune homme auquel était destiné cette affreux breuvage, vint me consulter pour avoir mon avis sur l'innocuité de cette boisson.
Voilà, au centre de Paris, un nouvel exemple du crédit que la faiblesse humaine est susceptible d'accorder au charlatanisme le plus extravagant.
La criminalité en Allemagne.
Les relevés statistiques de la criminalité en Allemagne peadant l'année 1867 viennent confirmer de nouveau fait qui avait été mis en évidence par les statistiques précédentes. Depuis plusieurs années, le caractère de la criminalité s'est radicalement modifié : tandis que les crimes et délits contre la propriété subissent une diminution sensible et graduelle, les attentats contre la vie cesses d'augmenter. Ce fait parait provenir, pour le premier point, de l'amélioration des conditions sociales des classes pauvres, et, pour le second, de l'extension croissante de l'alcoolisme. En effet, si l'on tient compte de la répartition des attentats contre les personnes, on voit qu'ils sont en corrélation étroite avec l'extension de l'alcoolisme; c'est ainsi que ce genre de crimes est plus fréquent dans les districts bavarois et vieux-prussiens, où précisément l'alcoolisme est le plus répandu. Celte constatation démontre qu'il est du devoir du gouvernement de ne plus ajourner la discussion du projet de lot contre l'alcoolisme, présenté depuis plusieurs années au Parlement.
De l'abus de la morphine
Nous extrayons quelques passages d'un intéressant rapport de MM. Descourts et Lutaud au Congrès de médecine légale. Après avoir montré comment débute généralement l'usage de la morphine d'après l'avis des médecins, ils examinent comment le malade continue a se servir de la seringue laissée a sa disposition et comment il cherche a se procurer une nouvelle solution.
Les conséquences du morphinisme chronique sont parfois favorables, quelquefois indifférentes et le plus souvent nuisibles. « Elles sont favorables dans les maladies chroniques et incurables. L'un de nous a récemment publié un assez grand nombre d'observations tendant à démontrer l'utilité du morphinisme chronique chez les femmes atteintes de cancer utérin. La morphine, amenant un ralentissement de la nutrition, diminue les hémorrhagies. supprime la douleur et semble prolonger l'existence dans les affections où la mort à courte échéance et peut être évitée. Il va sans dire que. chez les malades de cette catégorie, la morphine devient une ressource thérapeutique; mais celte ressource n'en doit pas moins rester sous le contrôle du médecin.
- Dans la seconde catégorie, nous rangerons les cas, beaucoup plus rares, où l'emploi prolongé de la morphine a des doses variant de 0 gr. 25 a o gt. 50 par jour a pu être prolongé pendant des années sans affecter sensiblement l'organisme. Chez quelques malades soumis a notre observation, la morphine peut être employée pendant six. huit et même dix années sans provoquer aucun trouble grave dans l'économie. Le médicament agit à la manière d'un stimulant et le morphinisme chronique est alors comparable a l'alcoolisme chronique.
» Mais ces cas sont exceptionnels. Le plus souvent, les malades ne savent pas se modérer dans l'emploi des médicaments, La faible dose qui agissait comme agent stimulant est augmentée chaque jour. Les malades ne peuvent accomplir aucun acte important sans avoir fait l'injection hypodermique; l'injection, renouvelée toutes les heures et même plus fréquemment, donne lieu à des abcès et à des phlegmons: les malades s'étiolent, leur maigreur devient extrême et la mort est souvent la terminaison du morphinisme. Nous n'insisterons pas sur la description du morphinisme, qui est connue de tous les médecins.
» Comment les morphinomanes se procurent-ils le poison ? Comment certains d'en-tre-eux arrivent-ils à assurer leur provision, qui est quelquefois de 4 gramme et plus par jour ?
» C'est là une question complexe sur laquelle notre enquête a principalement porté.
» Le morphinomane est presque toujours porteur d'une ordonnance de médecin. C'est la première ordonnance qui lui a été délivrée à une période de sa maladie où l'emploi du médicament était justifié.
«Depuis diverses condamnations extrêmement sévères encourues par quelques mem-
bres de la corporation des pharmaciens qui avaient livré des doses toxiques de morphine, le nombre des pharmaciens qui transgressent la loi est devenu de plus en plus rare.
» Nous avons consulté plusieurs pharmaciens de Paris connus parmi les plus honorables. Tous nous ont dit que la quantité de morphine qu'ils vendent est a peu près in-signifiante. La propriétaire d'une des plus importantes pharmacies de Paris nous a af-firmer que pendant l'année 1888, il a à peine vendu pour 200 francs de morphine, alors que la vente pendant les années antérieures dépassait 1,000 francs. Les pharmaciens voient leurs anciens clients morphinomanes, mais ils savent qu'ils ne s'approvisionnent plus chez eux.
» Par qui le poison est-il vendu?
« C'est sur ce point que notre enquête nous paraît avoir donné des résultats. Une de nos malades atteintes d'un cancer de l'utérus et que nous avions autorisée à employer elle-même la médication morphinée, était arrivée à consommer de 0 gr 75 à. 1 gramme par jour. Nous ne lui avions jamais refusé les ordonnances nécessaires pour se procurer le médicament que nous considérions à bon droit comme nécessaire. Lors d'une visite récente, celte malade nous dît que. grâce à l'intermédiaire d'un ami, commissionnaire en marchandises, elle se procurait elle-même la morphine par flacons de 30 grammes, ce qui lui permet de réaliser une économie considérable. Dernièrement, M. le professeur Brouardel nous disait avoir vu. chez une mondaine très connue, un flacon contenant 200 grammes de morphine. Un grand nombre de renseignements analogues nous outété fournis par des contrites et des pharmaciens.
« Il résulte donc de notre enquête que ce n'est plus aujourd'hui dans le détail de la pharmacie que le morphinomane se procure le poison, mais dans les maisons de droguerie. Le morphinomane a aussi le triple avantage : 1° D'échapper à la surveillance du médecin ;
2° De se procurer le toxique en quantités illimitées ;
3° De le payer beaucoup moins cher.
» Il est bon en effet de faire remarquer que le prix relativement élvé auquel la morphine est vendue en solution était un frein salutaire pour beaucoup de malades qui ne pouvaient Suffire à une dépens: quotidienne de s ou 3 francs.
» Certains morphinomanes se procurent leur provision grâce à certains intermédiaires plus ou moins interlopes, tels que les marchandes a la toilette. Mais nous pensons qu'il suffit de signaler le fait i l'administration, qui est suffisamment armée par la loi pour combattre ce commerce illicite
» D'autres morphinomanes se procurent la morphine en faisant eux-mêmes leurs ordonnances qu'ils signent du nom d'un médecin. Nous avons observé plusieurs cas de ce genre, principalement chez les femmes. Mais il s'agit là du véritable faux contre lequel la justice peut sévir et nous ne pensons pas qu'aucune réglementation nouvelle puisse être utilement appliquée dans ce cas.
» Il suffit de signaler le fait i la vigilance des pharmaciens. Les fausses ordonnances seraient du reste moins fréquentes si les médecins avaient le soin de n'écrire leurs prescriptions toxiques que sur du papier portant leur adresse imprimée et de les signer lisiblement.
» En ce qui concerne la vente au détail de la morphine par des pharmaciens, nous ne pensons pas qu'il y ait lieu d'édîcter aucune règlementation nouvelle. Les lois existantes sont suffisantes et les pharmaciens connaissent les risquesqu'ils courent en livrant de la morphine sans ordonnance.
» Nous proposerons cependant que toutes les prescriptions de morphines exécutées par le pharmacien soient inscrites non seulement sur le livre d'ordonnances, mois encore sur le livre de police. On sait que chaque fois que le pharmacien vend une substance vénéneuse en gros pour un usage domestique, il doit inscrire sut un livre spécial le nom de la substance, la quantité livrée et le nom de la personne à laquelle il vend. On pourrait ainsi avoir un double contrôle et les précautions imposées au pharmacien ne pourraient qu'augmenter sa vigilance.
» Nous proposons donc au Congrès d'émettre les vœux suivants :
» 1°Les droguistes et fabricants de produits chimiques et pharmaceutiques ne peuvent vendre de la morphine et de la cocaïne qu'aux pharmaciens ; la livraison du toxique ne peut avoir heu qu'à domicile;
» Le pharmacien ne peut exécuter qu'une seule fois une ordonnance de ces deux substances toxiques à moins d'une prescription contraire du médecin. »
NOUVELLES
— La Société de medecine pratique de Paris organise pour le mercredi soir, 2 octobre. à huit heures et demie très précises , au grand amphithéâtre de l'hôtel des Sociétés savantes. 28, rue
Serpente, une conférence sur les drivers effets de la suggestion. Expérience et théorie. Cette conférence sera faite par le docteur E.Bérillon.
— ?ritish hypnotic society. — Nous apprenons avec plaisir la création, à Londres, d'une Société composée de praticiens éminents des Universités dont le but est de vulgariser-l'enseigne-. ment de l'hypnotisme et de faire voler par le Parlement une loi interdisant les séances publiques de magnétisme et d'hypnotisme.
— La folie en irlande — Au 1er janvier 1889,il y avait 15,685 alienés dans les différents Asiles d'Irlande, ?eux qui avaient été chargés de ce recencement ont trouvé que 473 fois les troubles cérébraux devaient être attribués à des causes morales ; 977 fois à des causes physiques; 571 fois on pouvait invoquer l'hérédité , enfin, dans 799 cas, la cause était inconnue.
— Cours libre. — Clinique des maladies nerveuses, 55. rue Saint--André-des-Arts. — M. le docteur Bérillon fait tout les samedis, à 10 heures 1/2, une leçon clinique par les applications de l'hypnotisme et de la suggestion a la thérapeutique et a la pediatrie.
Les consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudis. samedis, de dix heures à midi. Les médecins et les étudiants en médecine peuvent y assister.
— Congrès de pysiologie. — Le premier Congrès international de physiologie s'est tenu à Bile les 10, 11 et 12 Septembre,
123 physiologists avaient répondu à l'appel du Comité d'initiative (20 Anglais, 5 Améri-cains. 25 Allemands, - Autrichiens. 20 Suisses, 10 Italiens, 7 Belges, 4 Russes. 3 Suédois, 1 Hollandais, 1 Roumain, 1 Portugais, et 19 Français).
Du coté des Français, la physiologie comptait MM. Cauveau. Bouchard (de Paris). Dastre, Kaufmann. Gley. Charrin,, Loyc, Langlois, Roger. Bcaudoin, Arthur. Lapicque (de Paris),, Ar-loing. Morat. Dubois. Doyon (de Lyon). Lannegrace, Hédon (de Bordeaux), Meyer (de Lille).
Dans sa séanc? de clôture, le Congrès a fixé à trois ans sa prochaine session, laquelle aura lieu en Belgique ou en Suisse, Sur la proposition de M. Kronecker, il a été établi que cette prochaine session se tiendrait dans une ville de langue français, la langue allemande ayant été 1a lingue administrative à Bâle. Le Congrès s'est terminé par un grand banquet présidé par M. ??lmgren (d'Upsal ; le recteur de l'Université de Bâle, MM. Heidenhain. Dastre. Mosso, Kronecker ont successivement pris la parole.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL
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Dr Max Dessoir.
L'Administrateur-Gérant: Émile BOURIOT
paris. — imprimerie Clamaron-graff, 57, rue de vaugirard
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
DE L'ACTION SUGGESTIVE DES MILIEUX PÉNITENTIAIRES SUR LES DÉTENUS HYSTÉRIQUES
Par le docteur Emile LAURENT (1)
Ancien interne à l'infirmerie centrale des prisons de Paris.
Messieurs,
L'hystérique est un être changeant et versatile, un protée aux multiples formes. Nul mieux que lui ne sait s'accommoder aux circonstances et aux milieux. C'est le plus opportuniste des hommes. Honnête, en apparence au moins, au milieu des honnêtes gens, il se transformera vite en larron au milieu des voleurs et hurlera avec les loups. Non-seulement il se mettra au niveau du milieu où on le placera, mais encore il le dépassera. Mettez un hystérique dans un couvent, cet hystérique, fut-il un ancien viveur, un débauché même, à peine aura-t-il respiré l'odeur de l'encens, que le changement sera complet; en quelques jours il aura quitté avec une facilité surprenante ses anciennes habitudes, il aura pris les habitudes et les goûts de la maison; il aimera la messe et l'église comme il aimait le bal et le théâtre ; il aimera la prière comme ïl aimait la débauche ; en un mot, selon la parole d'un docteur de l'église, il aura dépouillé le vieil homme et fait peau neuve. Et ce ne sera point un dévôt ordinaire ; il ne sera pas pieux sans ostentation ; il priera avec éclat comme il a péché avec scandale ; sa religion sera un mysticisme plein d'exaltation.
Prenez le même sujet et placez-le dans une prison, au milieu de gens tarés, de voleurs et de meurtriers. Nouvelle métamorphose ! En moins d'une semaine, il aura mis un nouveau masque sur son visage. On dirait que les murs de la prison ont déteint sur lui, tant la transformation a été subite et complète. En quelques jours il aura pris le langage, les goûts et les habitudes de la maison. Cet homme qui vient pour la première fois en prison, est devenu tout de suite un criminel d'habitude ; il en remontrerait en vices et en fanfaronnades aux « chevaux de retour ».
(1) Communication faite au Congrès internationale de l'Hypnotisme expérimentale et thérapeu-
tique.(Août 1889).
C'est là ce que j'appelle l'action suggestive du milieu pénitentiaire sur le détenu hystérique. Il suffit en quelque sorte à cet être singulier de
respirer l'air de la prison pour se suggestionner lui-même, tuer en lui ce qui reste de l'honnête homme antérieur et se façonner à l'image du plus parfait gredin.
Pendant les deux annéesque j'ai passées comme interne à l'infirmerie centrale des prisons de Paris, il m'a été donné d'observer plusieurs hystéri-ques arrêtés pour vols et escroqueries. I! faut voir avec quelle audace ils s'érigent en héros de cour d'assises, en criminels illustres.
Un jour on amena à la prison de la Santé un hystérique condamné pour escroquerie. Cet individu qui avait été soigné peu de temps auparavant à l'hôpital de la Pitié, s'était fait payer pour un jockey connu dans le monde du sport et dont le nom m'échappe. Un interne naïf lui confia cent vingt francs pour les placer sur un « tuyau ».c'est-à-dire, en terme de sport, sur un cheval sûr de gagner. Un autre interne en fit autant. Mais le drôle, une fois sorti, dépensa l'argent et ne donna plus de ses nouvelles. C'est sur la plainte des deux internes qu'il fut arrêté et condamné à un an de prison. A peine arrivé.il se posa en criminel de haute marque, lui qui venait de jouer à l'honnête homme hait jours auparavant. Il se mit à me raconter avec un sang-froid étonnant les histoires les plus invraisembla-bles. Chaque jour, me dit-il, il se grisait au Champagne, vivant avec le produit de ses vols, dans une perpétuelle orgie. II a vu passer dans son lit toutes les prostituées connues, toutes les actrices en renom de beauté; une danseuse illustre a dansé, nue et pour lui seul, un pas qui, à l'Opéra, avait enthousiasmé tout Paris ; deux célébrités théâtrales se sont livrées devant lui aux plaisirs saphiques. Quant à son crime, il se garde bien de l'avouer. Lui, passer pour un escroc de bas étage ! Fi donc ! Il me raconta qu'il avait été compromis dans l'affaire des faux billets de banque de cinq cents francs et qu'il avait ainsi volé plusieurs millions. Or, malgré les sommes considérables qu'il n'a jamais dépensées qu'en rêve, il a toujours vécu dans un état voisin de la misère. Cette histoire de faux billets était, comme vous pensez, absolument fausse. Il avait voulu se hausser et se grandir dans !e crime. Même sur ce théâtre misérable, il lui fallait un piédestal.
Aussi, en peu de jours, les autres détenus s'y étaient laissés prendre et avaient pour lui toute l'estime et l'admiration qu'ils portent généralement aux héros de la pègre. Et il était si bien entré dans son rôle, qu'il se croyait un grand criminel.
N'est-ce pas là, Messieurs, une sorte d'action suggestive ? Ne faut-il pas un cerveau tout prédisposé pour ressentir et répercuter d'une façon aussi complète l'influence du milieu ? Le misérable qui tombe pour la première fois dans le crime et vient échouer en prison, ne se fait pas criminel aussi vite. Le remords agite sa conscience, ou au moins il pleure sa liberté perdue, son avenir brisé. Il lui faut de longs mois pour devenir un criminel d'habitude, un être semblable aux gredins qui l'entourent. L'hystérique est au contraire un être malléable, une cire molle où le plus léger contact laisse une empreinte. II a respiré l''air du crime : il se fait criminel, au moins en imagination. C'est en quelque sorte une auto-suggestion résultant du milieu.
C'est la ce qu'on pourrait appeler la suggestion ambiante, la suggestion du milieu proprement dite. Mais, a côté de cette influence, il en est une autre plus efficace, plus puissante encore, celle qui agit plus ou moins sur tous les esprits faibles et sans êonsistances, sur les volontés défaillantes, c'est la suggestion émanant des habitants du milieu. Il ne s'agit pas bien entendu, d'une suggestion à l'état de sommeil ou de simple engourdissement ; il s'agit d'une suggestion à l'état de veille, d'une suggestion à froid, si vous voulez me permettre cette expression. Sans doute son action est moindre qu'à l'état de somnombulisme, mais qui oserait cependant nier son efficacité ! N'en voit-on pas des exemples tous les jours ? Une hystérique monoplègique ou aphasique a entendu les prêtres lu: répéter du haut de La chaire qu'il est des eaux miraculeuses qui guérissent les paralysies. Cette fille part, transfigurée par la foi. elle se plonge dans la source sacrée et, ô merveille des merveilles, elle en sort guérie et attache ses béquilles en ex-voto à l'autel de la madone. N'est-ce point là une suggestion, une suggestion à l'état de veille ? Le prêtre qui lui a donné la foi, ne l'a-t-il pas suggestionnée? Ceites oui, et d'une façon puissante.
Alors pourquoi n'admettrait-on pas l'action suggestive des criminels les uns sur les autres ? Tout le monde se plaît à reconnaître que la prison en commun est un système détestable, que les détenus se corrompent les uns les autres, qu'ils s'influencent en un mot. Que sera-ce s'il tombe parmi eux un hystérique ? Ils auront plus de prise encore sur cet esprit détraqué. Ce sera un jouet entre leurs mains et ils en feront tout ce qu'ils voudront. L'hystérique, en effet, est aussi crédule qu'il est menteur. Les plus grossiers artifices même ne rebutent point sa crédulité. Et c'est par ce point faible que les autres détenus pourront agir puissamment sur lui.
Souvent même, comment un hystérique devient-il criminel ? Rarement de lui-même. Ce n'est point à lui, en général, qu'appartient l'initiative du crime; presque toujours une volonté plus puissante a pesé sur la sienne. Facile à entraîner, on l'a fait tirer les marrons du feu et. au moment du danger, le complice s'est prudemment dérobé. Il est par excellence l'être qui répond le mieux aux impressions venues du dehors, el il y obéit sans contrôle. D'ailleurs, son amour des excentricités et des bizarreries le prédispose déjà merveilleusement à se mettre hors la loi et à suivre la voie du crime, ne serait-ce que pour devenir célèbre et faire parler de lui.
Qu'une influence étrangère vienne donner l'impulsion à cet esprit détraqué et incapable de réflexion, il deviendra vite un instrument de crime aux mains de qui saura s'en servir.
Messieurs, je ne vous rapporterai pas ici toutes mes observations. Je craindrais de lasser votre bienveillante attention. Elles seront d'ailleurs publiées in extenso dans un ouvrage sur les Habitués des prisons de aris,(l)
(1) Un gros volume in-8° avec nombreuses figures sur planches, cher Steinheil à Paris et chez Storck à Lyon.
actuellement sous presse. Néanmoins, laissez-moi vous citer brièvement un seul fait où cette influence vraiment suggestive est indiscutable.
Il s'agit d'un hystérique à hérédité nerveuse très chargée et dont l'existence a été, comme toujours, des plus accidentées. Je ne vous parlerai que de sa vie criminelle.
Un jour, un individu lui confia des bijoux volés en le priant de lui rendre le service d'aller les porter au Mont-de-Piété. Dupe ou complice, il obéit. Dans tous les cas, l'initiative du crime n'est point de lui; il à été trompé ou entraîné par un filou.
Après avoir purgé une condamnation à dix-huit mois de prison, il fit connaissance, a peine sorti, d'une marchande de poisson, âgée d'une quarantaine d'années, qui s'éprit pour lui d'une de ces passions qui enflamment assez souvent les femmes aux approches redoutables de la ménopause. Elle prit chez elle l'adolescent, le logea, le nourrit, le dorlota, en un mot en fit sa chose. Mais celui-ci, écoutant de perfides conseils, la lâcha brusquement en lui emportant cent cinquante francs. L'irascible marchande de poisson porta plainte et l'amoureux fut de nouveau condamné à dix-huit mois de prison. Compromis et entraîné par d'adroits coquins dans l'affaire Romanoff, qui eut un jour de célébrité, il n'eut que trois mois de prison, grâce a un rapport favorable du docteur Garnier.
À peine remis en liberté, il fit connaissance d'une jeune fille avec qui, comme il le dit, il ne croyait passer que quelques jours. Mais il « s'éprit pour elle d'une amitié sans bornes ». Cette femme profita de l'empire qu'elle avait sur lui et lui fit vendre une montre et une chaîne en or qu'elle avait volées. Tous deux furent arrêtés. Le pauvre diable protesta de son innocence. D'ailleurs, sa femme repentante lui écrivait des lettres qui sembleraient lui donner raison. Elle avoue qu'elle seule est coupable, qu'elle a volé les bijoux et qu'elle a trompé son mari en lui disant que c'était un.cadeau d'une amie. Cette fois un rapport du docteur Garnier amena l'acquittement.
Malgré tout, cet homme est doux et bon, sympathique même, capable de sentiments généreux. 11 est évident qu'il a été influencé, qu'on t paralysé en quelque sorte sa volonté et que, a chaque crime, son complice en a fait sa chose.
III
Mais voici maintenant l'hystérique en prison, placé au milieu des autres détenus. Ils ne tarderont pas à sentirles faiblesses de cette âme docile, de cet être sans consistance, et, je vous l'ai dit, ce sera un jouet entre leurs mains. Non-seulement ils s'en amuseront, le taquineront, l'exciteront pour amener du désordre et provoquer le retour des attaques dont ils rient, mais encore ils s'en serviront pour exécuter des vengeances contre leurs co-détenus ou mieux contre les gardiens.
J'ai vu en particulier un misérable hystérique entraîné toute sa vie par des influences mauvaises et dont tous les détenus se jouaient, lui faisant croire toutes sortes d'absurdités, le poussant à commettre des violences contre les gardiens.
Cet individu était hypnotisable et il obéissait merveilleusement à toutes mes suggestions. S'il a été endormi par d'autres détenus, jen'en ai jamais rien su ; mais ce qui est certain c'est que, même à l'eut de veille, on pouvait en faire tout ce qu'on voulait; il croyait sans contrôle tout ce qu'on lui disait et agissait avec la même irréflexion. Ainsi, un jour un détenu vindicatif lui persuade qu'un infirmier détesté l'a frappé pendant son attaque, chose absolument fausse. Il entre aussitôt dans une violente colère et veut assommer le malheureux infirmier tout ahuri. D'autres fois ils l'excitaient contre mol, contre un gardien, contre le directeur. A défaut d'actes de violence, il se livrait à des violences de parole ex nous couvrait d'injures grossières.
De plus, je viens de le dire, cet homme était facilement hypnotisable et les suggestions faites pendant le sommeil conservaient leur action a l'état de veille. Supposez qu'un autre détenu l'ait secrètement hypnotisé ; la chose était non-seulement possible, mais très facilement exécutable. Et si ce détenu lui avait suggéré de planter un couteau dans le ventre du médecin ou, chose moins grave, d'assommer le directeur ou un gardien !
Je pourrais, Messieurs, citer d'autres exemples, multiplier les faits; ce serait me répéter. Je m'en tiendrai là.
IV
Mais, me direz-vous peut-être, personne ne doute de ce que vous avancez. Alors si personne n'en doute, pourquoi ne cherche-t-on pas à remédier à cet état de chose ? Et c'est pourquoi j'ai tenu. Messieurs, à exposer devant vous ces idées peu dites et peu prouvées, mais admises en principe par tout le monde. Peut-être aurai-je ainsi attiré l'attention sur une question pénitentiaire et médico-légale d'un haut intérêt.
Il est certain qu'un hystérique sera infiniment plus dangereux et plus perverti à sa sortie qu'à son entrée en prison, que son pauvre esprit se sera déséquilibré de plus en plus. Ainsi le châtiment n'aura eu pour lui aucune efficacité. II aura trouvé, au contraire, au milieu des criminels, une magnifique occasion de donner cours à ses mauvais instincts : terrain tout préparé, la semence du mal y germera et y poussera vite une moisson abondante de vices.
Que conclure de cela? II n'y a pas deux solutions: il faut isoler les hystériques criminels.
Après la lecture de la communication de M. le docteur Laurent, plusieurs membres lui ont demandé de formuler des conclusions qui pourraient itre transmises aux pouvoir» publics.
Après un échange d'observations entre mm. Bérillon, Persac, Gascard, dumontpal-lier et Laurent, les conclusions suivantes sont mises aux voix et adoptées a l'unanimité;
« Considérant l'influence pernicieuse que les criminels exercent au point de vue moral sur les prisonniers hystériques, je propose au Congrès de voter le vetu suivant : Les hystériques délinquants devraient être isolés dans les prisons et
mis sous la dépendance du médecin de la maison. »
Ce voeu sera transmis par les soins du bureau à M. le Ministra de l'Intérieur,
LES EFFETS DE LA SUGGESTION HYPNOTIQUE DANS LES AFFECTIONS cum materià DU SYSTÈME NERVEUX
Par M. le Professeur J. FONTAN, de Toulon (1)
Messieurs.
Je viens vous apporter quelques nouveaux faits cliniques, de nature à établir dans quelle mesure l'action de la suggestion est utile dans les affections matérielles du système nerveux. En employant ce mot « affections matérielles », je veux bien préciser que j'entends parler d'affections à lésions anatomiques connues, et dont le diagnostic ne peut être mis en doute. Je sais, Messieurs, combien le médecin qui fait de l'hypno-tisme doit se défier de ses propres entraînements, et c'est avec une rigueur extrême que j'exclue de ce travail les faits contestables soit par le diagnostic, soit par les résultats obtenus. Aussi pensé-je que des observations recueillies avec cette préoccupation consciencieuse, tombent toujours sous le coup de la critique du public médical, mais nullement, comme il est arrivé parfois, sous celui d'un scepticisme de parti-pris.
Pour ne pas être induit en erreur, la méthode est bien simple. Elle consiste à se placer devant un malade, à édifier un diagnostic aussi certain que possible, en recherchant avec soin toute trace d'hystérie (est-ce folie d'affirmer le diagnostic d'une sclérose en plaques ou d'une apoplexie cérébrale?); puis combattant par la suggestion telle ou telle perturbation saillante, on enregistre le progrés accompli, le nombre de kilos gagnés en quelques minutes par un biceps parésié, le chiffre de l'acuité visuelle récupérée. La place de l'erreur est bien réduite avec cette manière de procéder.
Je déclare de suite que je n'ai jamais guéri, par la suggestion, une maladie cum materià du système nerveux. Mais j'ai soulagé beaucoup de malades, j'ai rendu des forces à plusieurs, j'ai donné à quelques-uns l'illusion d'une guérison complète. Comment cela peut-il se faire? Voyons d'abord les faits avant d'essayer d'en fournir l'explication.
Parmi les maladies cérébrales le groupe des apoplexies offre des lésions grossières suivies de perturbations fonctionnelles: paralysies, aphasie, contractures, nettement liées à ces lésions. A priori il semble impossible que l'hypnose et la suggestion aient quelque influence sur de pareils désordres.
Elles en ont pourtant dans une certaine mesure et dans certains cas.
Dans la forme apoplectique commune de l'hémorrhagie cérébrale, ce n'est ni dans la période de paralysie qui suit l'ictus, et dont le pronostic n'est pas encore dégagé, ni dans la période d'encéphalite réactionnelle qu'il faut tenter d'agir. Ce n'est qu'au moment où l'encéphalite s'est
(1) Communication faite au Congrès de l'hypnotisme.
calmée, et où l'on peut dire que le malade est disposé à l'amélioration.
A cette heure favorable, la suggestion réussit à ramener la force et les mouvements dans les membres paralysés, mais à condition qu'il n'y ait ni hypéresthésie, ni excès de douleur, ni contracture. Si les symptômes d'irritation initiale persistent, ou si des contractures se sont établies par suite de dégénérescences médullaires consécutives, il n'y a rien à faire.
On objectera sans doute que ces apoplectiques dont je parle étaient tellement bien disposés i guérir, qu'ils auraient guéri sans hypnotisme. Peut-être, mais jamais d'une façon aussi rapide.
Dans une hémiplégie post-apoplectique, l'amélioration ne se prononce et ne s'accomplit spontanément qu'après plusieurs semaines ou plusieurs mois. Elle est lente, graduelle et souvent incomplète. Par la suggestion hypnotique, c'est brusquement, en deux ou trois séances, quelquefois en dix minutes, que l'on voit la paralysie se dissiper, ou tout au moins se réduire à un minimum, qui ru sera pas franchi. II semble que la gué-rison est là, en expectative, et que la suggestion la réalise d'un seul coup.
C'est ainsi que j'ai présenté le fait suivant.
Obs. I. — Mme G..., soixante-sept ans ; constitution vigoureuse, nullement entachée d'hystericisme. Frappée, en octobre 1888, d'un ictus moderé, défaillance, chute, perte de connaissance incomplète et fugitive, parole embarrassée, figure déviée légèrement, bras gauche inerte, Jambe gauche inerte.
Je suis appelé vers le vingtième jour. La face a repris sa régularité ; la langue n'est pas déviée ; la parole est libre.
Le bras est absolument inerte, avec œdème de la main qui commence à se contractera. Douleurs spontanées dans ce bras.
Le membre inférieur a repris des mouvements ; il jouit d'une assez grande liberté au lit : debout, il peut être projeté en avant, mais retombe sur la pointe, n'a point de farté sur le sol, et ne peut supporter le poids du corps. Il n'y a pas de douleurs dans la ïambe, mais seulement quelques fourmillements.
Sommeil conservé; appétit; état moral et intellectuel satisfaisant.
Je donne des soins pendant deux semaines sans parler d'hypnotisme.
Première séance. — A ce moment (35e jour), l'état étant peu différent de celui que Je viens d'indiquer, je pratique l'hypnotisation par le regard d'abord, puis par l'occlusion. des paupières. Sommeil léger, mais bien établi.
je prescris : 1° du sommeil pour la nuit (depuis quelques jours, en effet, on se plaint d'insomnie); 2° de la souplesse dans le bras; 3° de la force dans les jambes pour la marche.
Le résultat est nul pour le bras; il est tris sensible pour la marche. Aidée par une personne qui lui tient le bras du côté paralysé, la malade descend du lit et fait le tour de la chambre, lançant la Jambe, mais appuyant fermement le pied au sol sans qu'il glisse jamais. La malade est radieuse.
Le surlendemain, 30 novembre, le progrès obtenu pour la jambe persiste: pour le bras le résultat est nul. Les nuits ont été remplies par on excellent sommeil.
Deuxième séance. —... « Vous marcherez de mieux en mieux, sans vous fatiguer, avec une simple canne, et sans le secours de personne. »
La malade fait aussitôt après le réveil une trentaine de pas a peu près dans les conditions indiquées ; elle n'a besoin qu'on la soutienne que pour tourner sur elle-même, s'asseoir et se lever du fauteuil.
5 décembre. — Il a été fait deux autres séances ; la marche est devenue très facile. Mme G..., se promène chaque jour plusieurs heures dans son jardin, avec une canne, sans l'aide de personne, traînant un peu la jambe, mais d'un pas assuré. A partir de ce moment, malgré plusieurs autres séances, les fonctions sont restées stationnaires, et après six mois la malade n'a plus rien gagné ni perdu.
Ainsi quatre séances de suggestion en huit jours ont fait brusquement gagner au
membre inférieur une force, une mobilité et une coordination que l'on aurait peut-être obtenues, après des mois de convalescence graduelle.
Plusieurs fois J'ai réussi avec l'hypnotisme à effacer des traces fort anciennes d'hémiplégies, post-apoplectiques, qui n'avaient laissé après guérison qu'une impotence partielle.
J'en ai déjà publié quelques exemples; en voici un nouveau.
Oss. II. — Mme B..., âgée de cinquante-cinq ans environ, a été atteinte il y a six ans, d'une attaque apoplectique, qui lut a causé de l'aphasie temporaire, de la para, lysie du bras droit et de la jambe du même côté. Lorsqu'elle vient me trouver en mai 188,eIle ne conserve de cette attaque, qui ne s'est pas renouvelée, qu'une difficulté dans la locomotion, par faiblesse et attitude vicieuse de la jambe droite. 11 existe de ce coté une certaine rétraction des fléchisseurs dans la région poplitée. Le pied porte sur la pointe, et Mme B... pour dissimuler la claudication et faciliter la marche, se sert d'un talon élevé. L'attitude hanchee qui en résulte est fatigante, et la marcheest très pénible, surtout sur un pavé inégal. Aussi Mme B..., est-elle devenue tout-à- fait sédentaire. Elle est encore sujette à des migraines congestives et a des vertiges fréquents.
L'hypnose étant facilement obtenue chez cette dame, je suggestionne la disparition des divers malaises, vertiges etc., et surtout de la claudication. Je déclare que le pied portera a plat sur le sol, et que la marche se fera sans fatigue aucune, aussi bien dans la rue que sur parquet.
La transformation est immédiate, et dès la première séance. Mme B... marche d'un pas ferme, se débarrasse de sa chaussure spéciale, pose te pied à plat et fait de véritables promenades sur de mauvais pavés, sans souffir ni de la Jambe, ni de la région lombaire. L'état général s'améliore aussi beaucoup. Cinq ou six séances consécutives ne font que confirmer un succès qui surprend sa famille et ses intimes.
Plusieurs fois depuis cette époque, Mme B... m'a témoigné par écrit de la grande satisfaction que lui donne toujours ce rétablissement inespéré.
C'est, je crois, dans les maladies de la moelle que la suggestion donnera les résultats les plus inattendus. Je ne reviendrai pas longuement sur le cas si curieux de Lance, que J'ai publié in extenso avec mon savant ami le docteur Ségard, cas dans lequel nous avions obtenu la plus surprenante amélioration chez un malheureux atteint de sclérose en plaques, presque aveugle, cloué sur son lit depuis des années, et que la suggestion a rendu actif, capable de marcher, de lire les journaux pendant ? a S mois, jusqu'au moment où sa mort nous donna le critérium anatomique irrécusable d'un diagnostic que l'on avait voulu contester.
L'observation suivante a trait à une myélite bien caractérisée.
Oss. III. — Mme R... femme de quarante-cinq ans, est atteinte d'une myélite, qui a débuté par une invasion aiguë et qui persiste aujourd'hui sous forme d'un état chronique.
Quand je la vis pour la première fois en septembre 1888, elle souffrait de douleurs violentes dans la région dorsale avec irradiations en ceinture, et dans les membres inférieurs. Ceux-ci étaient en paraplégie depuis quelques semaines. La région sacrée était le siège d'une énorme escharre très douloureuse à évolution rapide.
Il y avait rétention d'urine et des matières ; fièvre, insomnie; aucune trace d'hystérie.
je fus d'abord assez mal accueilli par la patiente, a qui les soins médicaux n'avaient pas apporté grand soulagement. Cependant après dix jours de soins, j'étais arrivé à combattre bien des inconvénients par des moyens appropriés (urines boueuses, escharte putride et douloureuse).
La confiance extrême que la malade me montrait alors, me décida à l'hypnotiser, pour calmer les accès de douleurs qui étaient toujours intolérables. Endormie en pleine crise de douleurs en ceinture, malgré ses cris, et hissée dans le sommeil une demi-heure, la malade fut réveillée que lorsqu'elle eût cessé de gémir, et promis de ne plus souffrir. Dès la première journée les douleurs perdirent leur caractère fulgurant; la respiration reprit son jeu naturel.
Après trois séances, les douleurs avaient complètement disparu. Je suggérai alors que la miction serait libre et volontaire ; que la force allait revenir aux jambes; que la malade pourrait les mouvoir et même se lever et marcher.
Le résultat fut incomplet. La miction fut à peu près libre pendant une dizaine de jours. Quant aux jambes, le sujet put dès ce moment les déplacer dans son lit, et même s'asseoir seule sur le bord du lit. Elle en était enchantée, car la veille encore, elle ne pouvait faire aucun mouvement.
Ce progrès a été maintenu, mais ses ïambes n'ont jamais pu la supporter complètement. Elle ne peut marcher qu'avec l'aide de deux personnes.
J'avais perdu de vue cette malade après l'avoir ainsi améliorée, quand )e fus rappelé, huit mois après, pour une nouvelle crise aiguè : accès de douleurs en ceintura comme autrefois — cicatrice sacrée en voie d'ulcération — contracture complète des membres inférieurs, les talons étant fixés contre ses fesses.
La suggestion hypnotique supprima encore totalement les douleurs, et les accès d'étouffé ment, mais ne put rien contre la contracture des membres inférieurs.
Là encore on peut préciser la limite d'action de ta suggestion : efficacité pour les phénomènes douloureux, influence au moins partielle sur les musdes paralyses, nulle sur les muscle* en contracture.
Dans un cas d'ataxie locomotrice, j'ai obtenu une amélioration très nette, limitée a l'organe de la vue. qui était atteinte d'amblyopie depuis quelque temps.
Oss. IV.— M. D..., atteint d'ataxie locomotrice, l'est depuis huit ans. Il présente les symptômes principaux : incoordination des mouvements, marche hésitante, impossible dans l'obscurité, abolition des réflexes rotullens, douleurs fulgurantes, enfin troubles visuels caractérisé* par l'abaissement de l'acuité à droite, avec sensation d'un nuage central se plaçant devant la vue. Cet état est assez récent, mais D... a éprouvé il y a dix ans, du même coté, du ptosis avec diplopie.
L'examen de l'œil ne laisse voir qu'une légère mydriase, mais aucune lésion caractérisée du fond de l'oeil.
La suggestion hypnotique pratiquée en avril 1889 ne donna aucun résultat pour la marche, ni pour les douleurs. Mais le résultat est excellent au point de vue du moral, et pour la fonction visuelle.
La vue de l'œil droit, qui n'était pas chiffrable, devient après 3 séances VO D= \- En même temps, la pupille s'est rétrécie et elle est a peu près comme celle du côté gauche.
Depuis J'ai obtenu un certain degré d'amélioration générale par la suspension pratiquée conjointement avec la suggestion,mais il m'est impossible de taire la part de l'une et l'autre méthode.
Tels sont les cas où la suggestion n'est pas restée stérile. Je compte aussi des insuccès, et quoi qu'il soit inutile de les détailler complètement, je ne puis les passer sous silence. Je n'ai obtenu aucun résultat dans une paralysie infantile, une paralysie saturnine, une paralysie traumatique du nerf radial, une paralysie oculaire syphilitique. J'ai échoué aussi dans plusieurs hémiplégies d'origine centrale, et quelques affections médullaires diverses, sans que je puisse dire pourquoi.
Je remarque cependant que l'on ne doit pas compter sur le succès dans les paralysies périphériques, ou dans les paralysies centrales avec contractures. On réussira au contraire dans les paralysies centrales en voie d'amélioration, dans les amblyopies peu anciennes, ou encore dans les reliquats paralytiques incomplètement dissipés.
Et maintenant. Messieurs, peut-on se hasarder à donner une explication de ces faits, ou doit-on, tout en les tenant comme acquis, les laisser dans cette ombre de l'inexplicable, que l'hypnotisme introduit beaucoup trop dans la sience. 11 parait absurde dans l'état actuel de la science, de soutenir que la suggestion régénère des cellules atrophiées, ou rétablit des tubes conducteurs interrompus. Mais les perturbations sensitives ou motrices dont elle triomphe, sont-elles directement liées à de pareilles lésions anatomiques ? Cela n'est pas sûr, et quand même cela serait, tant que la dégénérescence n'est pas totale, on pourrait invoquer la doctrine des suppléances et rappeler les paroles de Vulpian qui disait que la propagation des excitations nerveuses se fait ordinairement par des voies
prévues et systématiques, mais que si celles-ci sont obturées, elle peut se faire par des chemins de traverse. Eh bien, la stimulation suggestive ne peut-elle rouvrir des chemins de traverse à la marche des impressions centripètes ou centrifuges ? Telle est la première hypothèse.
En second lieu, il est des malades qui, lorsqu'ils restent affligés de quelques reliquats de paralysie, peuvent être réellement dans un état de guérison anatomique, sans avoir guéri tout à tait phystologiquement. Les fonctions avaient pu rester altérées par une sorte d'habitude, de pli pris, contre lequel en reprenant son activité, l'impotent n'avait pas su lutter. On voit bien des imposteurs conserver la claudication qu'ils ont simulée pendant longtemps. A plus forte raison un hémiplégique peut traîner le pied longtemps après qu'il est guéri, s'il ne songe pas à corriger son attitude vicieuse. Ici la correction se fait facilement par la suggestion, qui démontre d'un seul coup au convalescent sa disposition. Telle serait suivant moi l'explication du succès de l'observation II
Enfin, même dans une maladie cum materiâ bien constatée, il y a des paralysies qui ne sont pas en proportion, et sous la dépendance directe des tissus détruits ou sclérosés. Pour les amblyopies dans les affections médullaires, le fait est bien connu. L'amblyopie peut apparaître, s'effacer, ou persister longtemps, sans relever d'une véritable atrophie. Elle est alors en tonction de troubles vasculaires qui obéissent sans doute a l'altération des centres vaso-moteurs. Mais ces amblyopies ne sont pas irrémédiables, elles peuvent se résoudre spontanément et l'on comprend que fa suggestion en ait facilement raison. Or, pourquoi d'autres paralysies ne seraient-elles pas du même ordre ? Pourquoi des perturbations d'origine circulatoires ne viendraient-elles pas dans les nerfs du bras ou de la jambe se surajouter à des troubles de nature trophique. ou les simuler?
Dans ce cas la suggestion pourrait en triompher, en limitant son action juste au point où la lésion devient nutritaire. En fait la méthode suggestive n'a le plus souvent réalisé que des succès partiels et semble s'arrêter devant des lésions incurables, après avoir dissipé une quantité déterminée de paralysie surajoutée. Cette délimitation entre la paralysie maniable et la paralysie irrémédiable mérite toute l'attention des cliniciens.
En résumé, je pense que les faits acquis de guérison ou d'amélioration dans les maladies matérielles du système nerveux, en dehors de toute hystérie, ne nous placent point en révolte contre les données de la physiologie classique. Elles peuvent s'expliquer par l'une des trois hypothèses suivantes :
1° On a rétabli îa fonction altérée, en provoquant des phénomènes de suppléance ;
2° On a corrigé des habitudes fonctionnelles vicieuses ;
3° On a triomphé de certains troubles fonctionnels d'ordre circulatoire, curables, surajoutés aux altérations irrémédiables, d'ordre histo-nutritif.
NOTES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE LA THÉRAPEUTIQUE
PAR SUGGESTION HYPNOTIQUE
Par M. Marcel. BRIAND(i)
Médecin en chef de. l'Asida de Villejuif.
Mon intention n'est pas de m'étendre longuement sur l'inépuisable
Îquestion de la suggestion hypnotique. Les limites du temps dont vous disposez ne me le permettent pas. Je veux seulement vous apporter brièvement quelques faits observés, soit dans mon service à l'asile de Villejuif. soit dans ma clientèle et qui vous prouveront de la façon la plus indéniable que la suggestion seule peut être invoquée pour expliquer la guérison des malades dont je viens vous entretenir.
Ma première malade est une femme de cinquante-deux, ans, qui soutirait depuis plusieurs années d'une névralgie sciatique rebelle i tout traitement. Cette femme fut endormie très facilement. Dans son sommeil, je l'entretins des influences mystérieuses d'un traitement énergique que nous allions lui appliquer. A son réveil, ma pensionnaire était guérie. Celte guérison, qui remonte au mois de septembre 1888, ne s'est pas démentie.
Celle malade, qui était une alcoolique chronique, avait en outre des hallucinations de l'ouïe assez intenses. Une injure lui était particulièrement pénible: elle s'entendait appeler c vieille saucisse» ; aussi, dans sa confiance en l'hypnotisme, nous dcmanda-t-elle plusieurs fois de l'endormir pour la débarrasser de cette hallucination dont elle avait une complète conscience. Mais, malgré plusieurs séances de sommeil avec suggestions appropriées, l'hallucination persista pendant longtemps encore, et quand elle se dissipa, nous avions déjà cessé tout traitement depuis plusieurs semaines. Le rôle de l'hypnotisme ne peut donc pas être invoque pour expliquer la disparition de ce second phénomène.
Vers la même époque, j'avais dans mon service une autre femme, âgée de trente-six ans, qui portait les stigmates certains d'hystérie. Elle ètait entrée pour s'y faire traiter de certains troubles intellectuels se manifestant par de l'excitation. De plus, elle avait une hémiplégie du côté droit Le premier médecin qui l'avait visitée, se basant sur on liseré gingival très accusé et caractéristique de l'intoxication par le plomb, avait pensé à des accidents saturnins. La malade avait, en effet, quelques (Ours auparavant une sorte d'attaque apoplectiforme accompagnée d'un hémispasme glosso-labié. Le surlendemain, une deuxième attaque la laissait paralysée du bras droit et enfin, peu de jours après, une dernière crise lui enlevait l'usage de la jambe. Dans la première séance d'hypnotisme, celle femme, à la suite d'une suggestion, fut débarrassée ,1e l'hémiplégie faciale; le lendemain, par le même procédé, le mouvement était rendu à un doigt de la main droite désigné d'avance, puis à la main tout entière, an bras, etc., et toujours au plus grand étonnement du suiet qui, malgré l'évidence, ne pouvait croire a un traitement dont elle ne voyait que les effets sans en connaître le mode d'application.
(1) Communication faite au Congrès de l'hypnotisme.
Dans les deux cas précédents, les suggestions avaient toujours été faites pendant le sommeil hypnotique, mais le hasard nous a permis, peu de temps après, de juger par comparaison de l'influence de la suggestion à l'état de veille. Le fait est trop précis pour le passer sous silence.
Il s'agit d'une hystérique de quinze ans qui, à-la suite d'un accident de voiture, avait été subitement frappée de paraplégie flasque avec anesthésie des membres inférieurs. Elle entrait à Villejuif dans le cours d'un accès de dépression mélancolique évoluant à l'occasion de sa paralysie qui la préoccupait beaucoup. Cette jeune fille ne put jamais être endormie, malgré de nombreuses tentatives, ni à la consultation externe de M. le professeur Charcot, ni dans le service M. Magnan où elle fit un séjour d'un mois. Nous essayâmes aussi vainement pendant plusieurs semaines et sans plus de succès, de provoquer le sommeil. Un jour que Marie D... se désolait davantage et nous suppliait de la guérir, je lui annonçai, avec assurance, que sa maladie ne pouvait pas durer plus de six mois, qu'un jour elle aurait une attaque qui la débarrasserait et qu'enfin nous pouvions prédire la veille, l'heure exacte de l'attaque. Peu après, l'un des internes lui annonça que l'attaque surviendrait avant vingt-quatre heures. Le lendemain matin je feignis de reconnaître à ses yeux qu'elle était sous l'éminence d'une crise et que dans quelques minutes elle serait guérie. Les infirmières, mises au courant de la situation, apportèrent précipitamment des matelas qu'elles étendirent sur le parquet et, à peine avions-nous le dos tourné, que notre petite malade roulait à nos pieds. L'attaque dura vingt minutes et Marie se releva ayant recouvré l'usage de ses jambes. L'anes-thésie cutanée avait également cessé. Le mois suivant, toutes ses idées mélancoliques s'étant dissipées, cette jeune fille fut rendue à la liberté.
Permettez-moi de vous entretenir d'un autre cas qui me parait très instructif à cause de la longue durée des accidents qui ont cédé à la
suggestion hypnotique. Il est relatif à une nommée Virginie N....,âgée
de trente-huit ans, qui présentait toutes les apparences de la démence précoce. Ce que je pus obtenir comme renseignement sur sa situation antérieure, se résume ainsi : elle était devenue paralysée des jambes au mois de janvier 1884 et le mois suivant elle perdait la faculté de mouvoir le bras gauche; puis, son intelligence s'obscurcissant peu à peu, elle semblait devenir indifférente à tout et tombait enfin dans le gâtisme. En même temps, ses membres paralysés se contracturaient progressivement à un tel point qu'il fallait lui maintenir dans la main une bande roulée pour empêcher les excoriations épidermiques.
Désireux d'étudier le rôle de la suggestion dans les paralysies organiques, je crus voir en celle malade l'occasion de faire une expérience. A ma grande surprise, elle s'endormit facilement et à ma plus grande surprise encore elle obéit pendant le sommeil à l'ordre que je lui avait donné de lever le bras paralysé. Il est inutile d'ajouter qu'elle recouvra tout aussi facilement l'usage de ses jambes. La contracture avait duré dix-huit mois. A partir de ce jour, son intelligence se réveilla et Virginie perdit l'habitude de gâter. J'avais eu affaire à une hystérie se présentant sons des dehors qui ne pouvaient guère la faire soupçonner.
Je voudrais ajouter quelques considérations particulières sur la façon d'effectuer une suggestion, mais, pour mieux faire comprendre ma pensée, j'aime mieux faire appel à un exemple caractéristique : Il y a quelques mois, un médecin m adressait une dame qui poussait toutes les nuits et, à la même heure, des vociférations qui effrayaient son
mari et aussi les voisins. Elle n'avait elle-même aucune conscience de ses cris. Un confrère qu'elle avait consulté en premier lieu, se basant sur la régularité des accès, avait conseillé le sulfate de quinine; un antre s'appuyant sur la perte des souvenirs de l'impulsion et pensant à l'épilepsie larvée, avait administré, sans plus de succès, des doses (levées de bromure de potassium. J'essayai d'endormir Mme X..., et comme j'avais réussi assez facilement, jc'lui fis ma première suggestion en ces termes :« Vous ne crierez plus pendant la nuit. » Deux jours après, le mari revenait m'informer que, contrairement à mon attente, le résultat du traitement avait été négatil. Je pensai alors que peut-être il eût été préférable de suggérer à la malade, que les raisons qui la taisaient crier n'existaient plus et j'engageai son mari a l'interroger au moment même de la crise et de me livrer le résultat de son enquête. Il fut très difficile au mari de me fournir les renseignements demandés. Cependant il finit par comprendre, d'après les réponses de sa femme, qu'elle était eo proie a un cauchemar épouvantable : s'ima-ginant assistera son convoi funèbre, elle était obsédée par l'idée qu'on allait l'enterrer vivante, et ses appels déchirants coïncidaient avec le moment où les fossoyeurs jetaient la terre sur son cercueil.
Lorsque je la revis, je fis repasser sous ses yeux, pendant l'hypnose, toute la scène de l'enterrement, en ayant soin d'affirmer à la malade qu'avant la fin du rêve, je l'arracherais aux mains des croquemoris; je lui affirmai aussi qu'elle assistait à cette scène pour la dernière fois et que jamais elle ne serait la victime d'un pareil accident. A la suite de cette seconde séance. Mme X.... dormit cinq nuits sans être obsédée par son cauchemar. Une deuxième suggestion lui procura un mois de tranquilité. Depuis la troisième séance, je la considère comme complètement guérie.
Vous avez que la non-réussite de ma première expérience tenait à ce
Sque je ne m'étais pas suffisamment rendu maître du sujet. J'avais beau lui dire: c ne criez plus, » comme les frayeurs causes de ses cris persistaient, elle continuait à pousser des gémissements. Il eût mieux valu lui dire : s vous n'aurez plus peur, » mais encore eût-il été nécessaire, pour formuler ainsi la suggestion, de savoir que les cris étaient imputables à ta peur. Il valait encore mieux pouvoir lui parler de la chose qui lui faisait peur et chasser tout d'abord cette idée de son esprit. La malade n'a d'ailleurs guéri qu'après une suggestion ainsi effectuée.
Je pourrais citer beaucoup d'autres faits analogues à ceux dont je viens de vous entretenir, mais ils n'ajouteraient rien a l'opinion que vous partagerez sans doute sur la réalité des phénomènes dont nous nous occupons ici.
Je préfère terminer par cette déclaration : j'ai essayé maintes fois d'endormir des aliénés délirants, ne présentant aucune tare hystérique, mais je n'ai jamais été assez heureux pour obtenir aucun résultat; — je me trompe : un certain nombre de mes malades ont fermé les veux et ont poussé la complaisance jusqu'à paraître s'assoupir, mais je dois à la vérité d'avancer que tous ceux-ci ont fini lût ou tard par m'avouer qu'ils avaient feint le sommeil pour mettre un terme à une insistance qui les ennuyait.
EXTRACTION D'UNE LOUPE PENDANT LE SOMMEIL HYPNOTIQUE SUR UN JEUNE HOMME DE VINGT ANS
Par le docteur J.-A. FORT, (1)
Ancien professeur d'anatomie.
Si Ici médecins faisaient connaître les cas d'opérations pratiquées pendant le sommeil hypnotique, aujourd'hui surtout que l'hypnotisme est étudié d'une manière sérieuse par des médecins d'une valeur incontestable, il est probable qu'on pourrait éviter l'emploi du chloroforme cher un certain nombre de sujets, et par conséquent les accidents qu'il peut déterminer.
Il y a quelques jours à peine, M. le docteur Mesnel, médecin des hôpitaux, communiquait une observation des plus intéressantes i l'Académie de Médecine sur le même sujet. Il s'agissait d'une opéra-tion pratiquée par M. Tillaux, pendant le sommeil hypnotique, pour
une cystocèle vaginale.
L'observation suivante, intéressante par elle-même, prouve qu'on peut également pratiquer des opérations sur l'homme hypnotis, et
qu'il n'est pas nécessaire d'avoir recours a un intermédiaire pour pro-duire le sommeil hypnotique.
Le 21 octobre 1887, un jeune Italien, employé de commerce, âgé de 20 ans, Jean Marabotti, se présente a moi et me demande de lui faire l'extraction d'une loupe siégeant a la région fronialc, un peu au-dessus du sourcil droit. La tumeur a le volume d'une noix.
Reculant devant 1 emploi du chloroforme, que le malade^ désire, je me livre sur lui A une couric expérience d'hypnolisation. Voyant que j'ai affaire A un sujet hypnotisable, je lui promets de lui l'aire l'extraction de sa tumeur sans douleur et sans employer le chloroforme. . i
Le lendemain, je le fais asseoir sur une chaise et ;e .e plonge dans le sommeil hypnotique par la fixation du regard, ce qui a lieu en moins d'une minute.
Les docteurs Triani cl Colombo, médecins italiens, présents a 1 opération, constatent que le sujet a perdu toute sensibilité et que ses muscles conservent toutes les positions qu'on leur donne, comme dans l'état cataleptique. Il ne voit rien, il ae sent rien, il n'entend rien; son cerveau reste en communication avec moi seul.
Dès que nous eûmes constaté que le malade était complètement plongé dans le sommeil hypnotique, je lui dis: « Vous dormirez pendant un quart d'heure », sachant que l'opération ne durerait pas plus longtemps. Il resta assis, parfaitement immobile.
Je fis une incision transversale, de six centimètres de long, je disséquai la tumeur que j'enlevai entière, je pinçai des vaisseaux avec les pinces hémostatiques de Péan, je lavai la plaie et j'appliquai le pansement. Je ne fis pas une seule ligature.
Le malade dormait toujours. Pour maintenir le pansement, j'enroulai une bande autour de la tête. Je disais au malade : « Baissez la tête, lever la tête, penche; la tête à droite, à gauche » il obéissait avec une précision mathémalique. Lorsque tout fut terminé, je lui dis : réveillez-vous. Il se réveilla et déclara qu'il n'avait rien senti, qu'il ne souffrait pas; et il se retira a pied, comme s'il n'avait pas été touché. L'appareil fut enlevé cinq jours après ; la cicatrisation était complète.
(1) Communication faite au Congrès du l'Hypnotisme.
OBSERVATIONS D'HYPER ACUITÉ VISUELLE AUDITIVE ET TACTILE CHEZ UN SUJET HYPNOTISÉ
Par MM. POIRAULT et DRZEWIECKI (1)
Je dois tous dire d'abord que la Russie csl le pavs de la suggestion et de l'hypnotisme par excellence ; je crois qu'il n'y a pas de contrée où l'on trouve autant de sujets suggestibles et hypnotisables. Le sujet
sur lequel nous avons fait les expériences était une jeune fille de vingt ans, très intelligente, ne présentant aucun syptôme de l'hystérie,
d'un caractère doux et faible. Je l'avait plusieurs fois hypnotisée et avec beaucoup de facilité ; au point de vue hypnotique elle était un sujet remarquable; mais aussi à l'état de veille, il était très facile de lui faire toutes espèces de suggestions hallucinatoires, motionnelles, négatives el autres. Sous l'influence de la suggestion, ses sens acquéraient une hypéracuité extraordinaire. Je présentais au sujet un paquet de cartes en Bristol blanc, aussi unies que possible, toutes exactement de même dimension et de môme aspect, el je lui suggérais que sur l'une de ces caries (marquées par moi sur le verso), je traçais une figure quelconque : au bout de très peu de temps elle apercevait ou croyait apercevoir la figure imaginaire, et lorsque je lui remettais le
paquet de cartes bien battu, elle retrouvait dans la masse la carie qui lui avait été montrée. Sa vue avait acquis une telle finesse, qu'elle découvrait sur celte carte (qui pour tous était unie cl ne présentait aucun caractère distinctif), des points et des signes particuliers qui réveil-laient dans son esprit la figure imaginaire suggérée.
Je suis parvenu aussi à lui faire distinguer des objets disposés sur une table dans une chambre absolument sombre ; elle était devenue nyctalope par suggestion.
Le sens olfactif présentait chez la personne en question la même hypéracuité par suggestion. Elle reconnaissait infailliblement au milieu d'une trentaine de cartes celle pour laquelle je lui avait suggéré une odeur particulière. Elle avait alors les yeux bandés. Je lui faisais aussi retrouver par l'odorat un mouchoir caché dans une chambre ; elle agissait en ce cas comme un véritable chien de chasse, en prenant le vent.
Le sens de l'ouïe, quoique hypereslhésié, présentait moins d'hy-peracuité.
Une expérience assez curieuse et plus difficile â comprendre était celle dans laquelle le sujet reconnaissait neuf fois sur dix, au toucher (sur sa joue) une carte pour laquelle je lui avais suggéré une sensation de température différente des autres ; ce fait ne peut s'expliquer que par l'association de la sensation tactile dûe à la surface môme de la carte, avec l'impression thermique suggérée.
En général je puis dire que chez la plupart des sujets sur lesquels j'ai opéré en Russie, j'ai rencontré cette hypéracuité sensorielle suggérée à l'état de veille, à un degré plus ou moins développé.
(1) Communication faite au Congrès de l'Hypnotisme.
COMORES DE L'HYPNOTISME EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIÛUB
DEUXIÈME SÉANCE
Le vendredi 9 août 1889. — Présidence de M. Dumontpallier
Valeur relative des divers procédés destines à provoquer l'hypnose et à augmenter la suggestibilité au point de vue thérapeutique. (1)
Par M. le docteur BERNHEIM, professeur de la Faculté de Nancy
DISCUSSION'
M. Forel (de Zurich). — Dans ma pratique personnelle, j'ai eu l'occasion de vérifier i maintes reprises les assertions de M. le docteur Bernheim. J'ai observé, en particulier une hystérique qui présentait à la fois des attaques convulsives et des accès de somnambulisme naturel. Je réussis à la guenr de ses attaques par suggestion ; mais j'échouai contre les accès de somnambulisme. J'eus alors recours à l'artifice suivant : ayant remarqué que cette malade avait une véritable aversion pour l'eau, je lui déclarai qu'uni seul bain prolongé suffirait pour la guérir, on la laissa dans le bain tonte la journée et depuis ce moment les accès de somnambulisme n'ont pins reparu.
M. Bourdon (de Méru). — J'ai observé un fait assez curieux de traitement par suggestion. Un de mes malades souffrait depuis longtemps d'insomnies rebelles à tout traitement. Un soir, en le quittant, je lui serrai la main, te lendemain le malade me déclara qu'il avait très bien dormi et il ajouts qu'il attribuait a ma poignée de main l'heureux résultat obtenu. Depuis, j'eus souvent l'occasion d'utiliser contre l'insomnie de ce malade, l'action suggestive de ma poignée de main. Cet exemple démontre que si la foi du sujet est nécessaire au succès, le médecin de son côté, doit témoigner d'une confiance absolue dans l'efficacité de son srt.
M. Gilles de la Tourette. — Je voudrais répondre a M. Bernheim, mais la tâche est difficile, car je ne trouve pas dans son discours fort académique de véritables arguments. J'ai entendu parler de suggestion tous toutes les formes, t l'état de veille, pendant le sommeil physiologique et je me demande dans tout cela ce qu'est devenu l'hypnotisme qui devait faire la base de cette communication. M. Bernheim a bien voulu nous dire que ses sujets dormaient, mais il n'a oublié qu'un point : i savoir de nous te prouver. Il se contente d'une affirmation de leur part. Il suffit que l'état qu'il détermine chez eux se caractérise par une exagération de leur suggestibilité et il se déclare satisfait. Tout est dans la suggestion ; c'est elle seule qui produit le sommeil hypnotique lequel ne serait pas une névrose mais bien on état physiologique ; les contractures, les anesthésies, les phénomènes cataleptiques sont d'origine suggestive. Chaque sujet les produit â sa manière, sans règles, sans lois fixes d'aucune nature.
(1) Voir le rapport dans le dernier numéro de le revue de l'hypnotisme, n°4, octobre 1889; p.106
J'avoue me faire une tout autre idée de l'hypnotisme, véritable névrose provoquée, qui a ses lois parfaitement constatables et constatées, qui, en un mot, est soumise fatalement a un déterminisme comme peut l'être l'hystérie ou tout autre affection parallèle.
Ce déterminisme, je le trouve justement dans ces stigmates physiques immuables, dans ces diverses formes de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire, si nettement mises en lumière par MM. Charcot et Paul Richer et qui sont à l'hypnotisme ce qu'est la fièvre à la pneumonie, sans que la suggestion ait à intervenir en quelque façon que ce soit dans la circonstance. Tout est suggestion dit Bernheim. Comment se fait-il alors qu'il ait, lui aussi, constaté à l'aide de l'appareil enregistreur de Marey que dans la catalepsie — qu'il appelle suggestive — il y ait toujours et d'une façon spontanée, indépendante de la volonté du sujet, ralentissement du pouls et de la respiration. Et n'est-ce pas une forme de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire que cette tétanisation cataleptique qui fait que le bras reste tendu aussi longtemps et sans fatigue apparente. La suggestion est-elle capable de les modifier, ces phénomènes physiques et tout individu mis en catalepsie ne les présente-t-il pas immanquablement ! C'est qu'ils sont fonction de la catalepsie et que la suggestion n'a rien à voir dans leur production.
Voilà le véritable critérium de l'hypnotisme, le seul qui ne puisse être simulé, car il est, je le répète, indépendant de la volonté de l'hypnotisé.
M. Bernheim, cherchant a connaître la susceptibilité des divers sujets par l'hypnose, procède de diverses façons qu'il serait trop long de rappeler à nouveau, et conclut qu'il arrive surtout à endormir les individus sains, indemnes de toute tare hystérique, par exemple. Voilà une opinion qui est en contradiction axec les faits connus et j'ajoute avec les faits publiés par M. Bernheim lui-même : Sur 105 malades qu'il a endormis et dont il rapporte succinctement l'histoire dans un livre récent, nous relevons : 17 affections hystériques, 18 affections névropathiques, 15 névroses diverses, 3 névralgies ; et il vient nous dire que ses sujets ne sont pas des névropathes. C'est une singulière taçon, on l'avouera, d'appuyer des théories.
M. Bernheim va plus loin dans l'application de ses théories : les effets de la métallothérapie, de l'électrisation, de la suspension dans l'ataxie locomotrice seraient dûs à la suggestion. A propos du traitement de cette dernière affection, je me trouve encore en contradiction avec le professeur de Nancy.
Je ne vois pas, en effet, quel peut-être l'effet de la suggestion sur les troubles vésicaux, ou sur l'incoordination de la marche qui ne sont guère, que je sache, des phénomènes d'ordre dynamique. Mais que dire surtout des faits suivants nettement établis par M. Charcot. Les malades à réflexe patellaire absent, les ataxiques en un mot, retirent le plus souvent des bénéfices de la suspension, alors que les médullaires à réflexes exagérés (scléroses en plaques, myélites transverses, etc.), voient presque toujours la contracture de la paraplégie spasmodique se montrer a la suite des premières tentatives de pendaison. A-t-on donc suggéré à l'un une amélioration, à l'autre une aggravation sous forme de contracture : je ne pense pas que cela soit même supposable. C'est la maladie qui réagit elle-même suivant son déterminisme particulier.
Je le répète, i! y a dans l'hypnotisme un ensemble de stigmates physiques et c'est sur eux que devra se fonder le critérium de l'hypnose car leur constatation permet seule de déjouer la simulation.
M. Bernheim (de Nancy) — La première partie de l'argumentation de M. Gilles de la Tourelle pourrait s'adresser au rapport de M. Liégeois, qui sera lu dans une des prochaines séances, et non pas au mien. Je n'ai donc
pas a y réponJre. .Mon contradicieur me reproche de ne pas apporter des faits; il reconnaîtra qu'il ne m'était pas possible d'apporter avec moi mon service de l'hôpital de Nancy. Tout le monde est libre de venir se renseigner aux sources et assister aux nombreuses expériences que je fais chaque jour et depuis longtemps dans ce service. M. Gilles de la Fourette est bien venu a Nancy, autant que je me rappelle, mais il a passé à peine une demi-
REVUE DE L'HYPNOTISME
journée avec nous, temps vraiment insuffisant pour pouvoir apprécier en connaissance de cause la valeur de mes résultats-
Quant à la supposition que nos malades simulent, nous devrions dédaigner d'y répondre.
Chez un grand nombre de nos sujets, l'anesthésie provoquée par suggestion est tellement profonde qu'on peut leur piquer la peau ou les muqueuses avec une épingle sans provoquer le moindre réflexe.
On ne peut nier les faits que j'ai apportés ici ; tout le monde peut les constater, et ils se défendent d'eux-mêmes ; c'est bien la de l'hypnotisme et pas autre chose ; quant au critérium, l'anesthésie me parait en constituer un suffisant.
M. Rom (de Londres). — Depuis 50 ans je suis médecin homéopathe et je crois qu'il est de mon devoir de protester contre l'opinion de M; Bernheim, au sujet de l'homéopathie, d'autant plus que mes succès en thérapeutique n'étaient pas moins bons que ceux de mes collègues de la vieille médecine. Il y a plus de trente ans que j'ai fait avec M. Burq des expériences de métal-lotnérapie dans un hôpital de Londres; depuis encore plus longtcnraps j'ai appliqué l'hydrothérapie, l'électricité et le massage et je ne peux pas admettre que ces différents agents thérapeutiques n'agissent que par suggestion.
Pendant ma longue carrière médicale, je me suis beaucoup occupé du traitement des variétés de paralysie et je crois qu'une partie de mes succès ont été dus à l'influence de la volonté des malades, chez lesquels je tachais d'exciter l'effort de cette faculté; ce n'est qu'après un séjour à Nancy, où j'ai étudié pendant plusieurs jours le traitement du doc eux Lièbcault, que je me suis aperçu que j'avais pratiqué la suggestion dans l'état de veille.
L'n des précédents orateurs a déclaré que le malade doit avoir une foi aveugle dans le médecin, autrement il est peu suggestible.
Permettez-moi de remarquer que parmi les paralytiques que j'ai traites, il y avait des enfants de trois à six ans ; il n'est pas probable que ces enfants eussent quelque foi en moi et pourtant je suis parvenu, avec beaucoup de travail, a les améliorer considérablement et quelquefois à les guérir par le massage, l'hydrothérapie et la suggestion a l'état de veille.
M. Guermonprez (de Lille). — Quand un débat s'élève entre deux opinions aussi coutradictoires, il n'est pas toujours nécessaire de prendre parti ; aussi je m'abstiendrai d'opiner pour l'école de la Salpètrièrc ou pour celle Nancy.
Autant que tout autre, f'ai apprécié la haute valeur du très remarquable rapport dont nous venons d'entendre la lecture. C'est une façon magistrale, absolument académique, de démontrer toute la puissance de la suggestion. Avec un talent que personne ne peut contester, M. le professeur Bernheim nous a admirablement établi toute la dextérité dont il dispose pour employer avec art les diverses manières de suggestion. Ce point est bien acquis et il n'est nullement question de le diminuer. Toutefois, je le prie de me permettre de lui présenter très respectueusement l'expression de mes sincères regrets au sujet de la façon exclusive dont il entend tout rapporter à la suggestion.
C'est là une façon trop absolue, et il me parait indispensable d'insister afin qu'il soit bien établi qu'au Congrès, tout le monde n'accepte pas l'opinion professée a Nancy et soutenue si éloquemment ici par M. le professeur Bernheim.
Messieurs, nous venons d'entendre une protestation présentée par un honorable confrère anglais au nom de l'homéopathie. Nous n'avons pas à discuter ici si les globules d'Hahnemann agissent par suggestion ou par action dynamique ; mais nous avons entendu une profession de foi homœo-
Eathique : Il est bien permis d'y opposer nos convictions allopathiqucs, à ombre de ce buste de notre célèbre Trousseau. Tous ceux d'entre nous qui pourraient éprouver le besoin de raffermir leur foi dans la médecine traditionnelle n'ont qu'à relire les pages puissamment écrites du Traiti di matière médicale et de thérapeutique. C'est 1 un des beaux morceaux littéraires du professeur éloquent qui a jeté tant d'éclat sur l'enseignement donné à l'Hotel-Dieu de Paris.
Je n'insisterai donc pas sur ce point. Mais il en est plusieurs autres sur lesquels je prie le Congres de m'accorder quelques instants d'attention.
M. Bernheim nous a dit que toutes les pratiques hypnogènes se ramènent A la suggestion. Pour lui, la fatigue que cause la fixation du regard, les passes diverses, l'attouchement des zônes hypnogènes et le reste, tout cela n'agit que par suggestion. Pour lui, l'hypnotiseur, en déterminant l'hypnose par les divers agents physiques connus, fait inconsciemment de la suggestion. Pour lui, lorsqu'il n'y a pas d'hypnotiseur en cause, c'est le sujet qui se suggestionne lui-même, c'est le sujet qui fait de l'auto-suggestion : c'est encore le résultat des suggestions antérieures plus ou moins inconscientes d'un hypnotiseur passé. (M. Bernheim fait un signe d'assentiment).
Eh bien! je Le demande : comment est-il possible d'admettre la suggestion lorsque l'hypnose est produite chez les animaux, lorsqu'elle est obtenue cher les poulpes, les seiches, les crabes, les homards, les langoustes, les écrivisses, les grenouilles, les crocodiles, les serpents et les cobayes; l'hypno-tisation de ces divers animaux est un fait aequis. Nous venons d'en avoir une preuve nouvelle par une très belle communication présentée par M. Danilewski (de Karkoff), dans une autre assemblée. Je n'ai pas 4 l'apprendre à M. le professeur Bernheim : c'est lui-même qui présidait la séance au cours de laquelle nous avons eu la bonne fortune d'entendre cette curieuse communication.
Et chez les enfants, M. Bernheim a eu la bonté de nous apprendre lui-même dans une autre enceinte comment M. Liébault (de Nancy), arrivait A une hypnotisation réelle, même chez les enfants A la mamelle. Il lui suffit d'appliquer une main sur le ventre et l'autre sur le dos du petit sujet. M. Bernheim lui-même a dit qu'il avait réussi à hypnotiser pendant les premières années de la vie S'il croit que ces manoeuvres peuvent encore être qualifiées « suggestives » j'ai le regret de dire que malgré sa grande autorité, il m'est impossible d'accepter son opinion. Je me fais de la suggestion de de l'auto-suggestion une idée absolument différente.
D'ailleurs, il existe des faits dans lesquels les agents physiques ont détermine le sommeil hypnotique sans que le sujet soit prévenu, sans qu'aucune suggestion soit en cause. C'est ainsi qu'un coup de tonnerre, un coup de fusil, un coup de gong ou de tam tam. une lumière intense ont fait tomber certains malades pour la première fois en catalepsie hypnotique. Il n'est pas question de mettre ici en cause une suggestion antérieure : il s'agit d'une première attaque du sommeil provoqué.
Et cette hystérique qui s'introduit furtivement dans un cabinet de la Sal-pétrière dans le but d'y dérober une photographie ? Elle était en train d'accomplir son larcin ; le tiroir était ouvert ; elle mettait la main sur la photographie convoités, et brusquement elle était tombée en catalepsie ! Est-il possible d'admettre qu'elle se soit suggéré l'hypnose pour un pareil moment? Est-il vraisemblable qu'elle ait voulu se faire prendre en flagrant délit de vol ? Ce n'est pas tout encore.
Oui certes. Il faut bien revenir sur les accidents de l'hypnotisme. 11 ne sont
pas niables, et les médecins eux-mêmes n'en sont pas exempts. On connaît bien des faits de sujets pourvus de quelque tare héréditaire et qui étaient en imminence morbide au moment où on tentait sur eux les pratiques de l'hypnose. Ces sujets n'avaient eu antérieurement ni une attaque d'hystérie, ni une attaque d'épilepsie. Par un procédé ou par un autre, on arrive au sommeil provoqué. Et brusquement survient une première attaque d'épilepsie ou d'hystérie, brusquement, au grand désespoir de l'hypnotiseur et de l'entourage !
Croyez-vous qu'on puisse supposer le malade lui-même assez insensé pour être l'auteur des accidents par auto-suggestion ? Mais ce serait contraire A l'essence même de la nature humaine ! Je sais bien qu'on voit des malheureux poussés A cette aberration extrême, qui est le suicide, mais je ne sache pu que jamais personne se soit rencontre qui ait voulu, de propos délibéré, commencer la série des attaques du haut mal ou de la grande hystérie !
Mettrez-vous en cause l'hypnotiseur lui-même ou quelque personne de l'entourage? Ce serait là une intention criminelle et je ne voudrais la supposer, et je ne voudrais la prêter à personne, pas même à mes pires ennemis.
Non, messieurs, la suggestion n'a rien à faire dans ces infortunes, dans ces accidents, dans ces malheurs de l'hypnotisme.
Non certes, la suggestion n'est pas tout dans l'hypnotisme. Et le sommeil provoqué peut bien venir sans aucun élément suggestif.
Si vous vous en tenez aux hvstériques. aux névropathes et 1 tous les sujets qui ont une tare du système nerveux, nous sommes parfaitement d'accord. Dans toute la thérapeutique qui leur est attribuable, il faut faire une grande part à la suggestion.
Mais il y a dans votre rapport un autre passage où il est question non plus seulement d'électrotherapie, mais encore de massage, de suspension, d'hydrothérapie, de métallothérapie et de plusieurs autres choses encore. C'est tout ce passage que j'ai eu en vue.
M. Bernheim- — Je n'ai jamais voulu dire que le massage, l'électrothé-rapie et la métallothérapie n'étaient que des procédés suggestifs, mais que, dans ces procédés, dont le mécanisme et l'inprétation physiologiques sont mal connus, il faut accorder une grande part à la suggestion.
Quand à ce qui est de l'hypnose expérimentale chez les animaux, c'est une question trop vaste et encore trop obscure, pour être abordée maintenant.
M. Pierre Janet (du Havre). — Je me place au point de vue uniquement psychologique et je crois que même sur ce terrain, M. Bernheim a émis des opinions dangereuses et qui amèneraient la suppression de toute espèce de déterminisme; Pour ma part je n'hésite pas à affirmer que ses interprétations sont aussi anti-psychologiques, car la psychologie comme la physiologie a des lois que la suggestion est incapable de faire fléchir.
M. Bernheim. — Il y a des lois en effet, et je puis en formuler une : toute cellule cérébrale, actionnée par une idée, tend à réaliser cette idée ; l'idée doit se faire acte ; cette transformation se fait plus facilement quand l'automatisme cérébral est paralysé par l'engourdissement des facultés cérébrales supérieures (attention, perception, etc.j.
M. Dumontp allier. — M. le professeur Bernheim a dit dans son rapport que la métallothérapie, ainsi que beaucoup d'autres méthodes ou procédés thérapeutiques, empruntait son efficacité à la suggestion. Je suis invité à répondre à l'assertion de M. Bernheim et je n'hésite pas le faire.
Le savant professeur de Nancy n'ignore pas l'admiration sincère que j'ai pour son œuvre sur la suggestion ; cette admiration date déjà de longtemps, c'est-à-dire de l'époque où M. Bernheim donna lecture à la Société de Biologie, en 1883, de son remarquable mémoire sur la suggestion à l'état de veille.
Mais qu'il me soit permis de dire à M. Bernheim qu'il immole trop facilement sur l'autel de la suggestion toutes les méthodes thérapeutiques et pour prouver que la métallothérapie a une action réelle, dans des conditions que j'ai eu soin de bien déterminer dans des écrits antérieurs, il me suffira de citer une observation qui concorde avec d'autres observations dont tous les détails ont été publiés par moi dans mon second rapport à la Société de Biologie, 10 août 1878, sur la métallothérapie. Un fait, c'est-à-dire une observation bien recueillie, ne vaut-il par mieux que les plaidoyers les plus éloquents?
Voici cette observation de métallothérapie expérimentale : à une époque où les professeurs Claude Bernard, Charcot et Béclard étaient convaincus de la valeur réelle de la métalloscopie, un homme, dont le nom fait autorité dans la science autant par son caractère que par ses travaux scientifiques, M. le professeur Vulpian, doutait encore et voulait être converti par des expériences auxquelles il devait assister. Il vint donc à la Salpétrière où je pratiquais les expériences sur la métallothérapie. Je lui montrai une malade hystérique, la nommée Bar et, après lui avoir fait constatater que ladite malade était bien une hystérique hémi anesthésique j'appliquai sur le bras anesthétique des plaquettes de cuivre. Déjà depuis plusieurs minutes les
plaques étaient appliquées et la sensibilité ne réapparaissait pas- J'étais très surpris de ce mécompte et M. Vulpian avait déjà sur la figure un sourire presque bienveillant et peut être était-il un peu étonné de nepas me voir plus désappointé. J'enlevai les plaquettes que j'avais appliquées, je les confiai à M. Vulpian et je recommançai l'expérience en mettant de nouvelles plaquettes de cuivre et au bout de quelques instants la malade avait recouvré la sensibilité cutanée et sensorielle. Ou est-ce que cela voulait dire ? Je priai alors M. Vulpian de me donner les plaquettes que je lui avais confiées : ces plaquettes étaient des plaquettes d'or et celles que j'avais appliquées au moment de la seconde expérience étaient bien, cellcs-la, des plaquettes de cuivre. La malade avait une aptitude au cuivre. Vulpian fut convaincu.
L'énoncé simple de cette double expérience pourrait se passer de commentaires : l'aptitude cuprique avait été démontrée indirectement et directement. Mais il me reste, pour répondre à M. Bernhcim, à faire remarquer que la suggestion et l'expectante attention n'avaient rien eu a faire dans cette expérience. En effet, je désirais dans la première partie de l'expérience comme dans la seconde un résultat affirmât! f. la malade elle-même expcctaU, attendait le résultat qu'elle connaissait et cependant la sensibilité n'avait pas réapparu en présence des plaquettes d'or tandis que le eurert ramena très rapidement la sensibilité cutanée et sensorielle. Cette observation prouve donc qu'il existe des aptitude» métalliques spéciales A certains sujets et que l'expectante attention et la suggestion n ont aucune part, en certaines circonstances, bien déterminées, dans les résultats obtenus.
Dans la même séance d'intéressantes communications ont été faites :
r* Par M. le LV Fontac (de Toulonl : Let rmts dt U surttstiou typaetùpu dams Us effectuât cum materiâ du système nerveux. (Voir plus haut).
a* Par M. le D* Forel (de Zurich) : De Hallucination niiatnt eier Ut aliénés it dé ta différence dt l'hallucination dés hypnotisés avec celle du aliénés,
3* Par M. le D' Gascard : Influent de U tutfestion sur certains troubles di la menstruation.
a* Par M. le LV Emile Laurent : Sur faction suggestive des milieux pénitentiaires $mr Ut détenus hystériques. (Voir plus haut}.
TROISIÈME SÉANCE
Le Samedi 10 août 1889. — Présidence de M. Dumontpallier»
Les indications de l'hypnotisme et de la suggestion hypnotique dans le traitement des maladies mentales et dés états connexes.
Rapport de M. le docteur Auguste VOISIN, médecin de la Salpetrière.
J'ai dit, il y a quelques années, qu'il serait heureux que tous les aliénés fussent hypnotisables.
L'expérience que j'ai acquise depuis cette époque me confirme dans cette opinion.
Rien n'est, en effet, satisfaisant comme d'avoir un moyen d'enlever en très peu de temps, parfois en deux à trois séances, à un aliéné ses idées délirantes et ses hallucinations. II y a de quoi désarmer l'incrédulité des médecins qui n'ont pas loi dans l'art de guérir.
L'impossibilité d'hypnotiser les aliénés était, vous le savez, considérée' comme absolue avant mes premières tentatives de 1880, sur des aliénées atteintes de munie aiguë.
Depuis, le succès ayant encouragé mes efforts, j'ai essayé l'hypnotisme sur toutes les aliénées qui entrent dans mon service et je suis assez heureux pour en hypnotiser un certain nombre, soit à peu près 100/0.
J'espère arriver a un chiffre plus élevé, en perfectionnant et en multipliant les procédés dont je me sers.
j'ai étendu successivement ce traitement à tous les états connexes, à l'aliénation mentale, aux troubles moraux, aux vices, aux penchants inférieurs, vol, abus des boissons, abus des médicaments, onanisme, aux défectuosités natives ou acquises de la mémoire et de l'intelligence, aux attaques convulsives, aux troubles des sens et de la sensibilité générale, aux névralgies, aux contractures et aux perturbations intellectuelles et morales qui surviennent pendant les règles.
Il ne faut pas se dissimuler qu'il est nécessaire d'user d'une grande patience et de donner à ce traitement beaucoup de temps. J'ai dû rester auprès de plusieurs malades pendant deux ou trois heures avant de réussir à les endormir. Il faut varier les procédés d'hypnotisme et recommencer fréquemment jusqu'à dix-huit à vingt fois les séances avant de renoncer au succès.
Le sommeil à obtenir doit être la léthargie ou le somnambulisme, mais la léthargie est de beaucoup préférable ; la suggestion permet, du reste, de transformer le somnambulisme en léthargie.
Une fois le premier sommeil obtenu, il faut laisser dormir les malades pendant une demi-heure à une heure, mais c'est seulement à la deuxième séance qu'il faut employer la suggestion qui est le corollaire de l'hypnotisme et le fondement de cette méthode thérapeutique.
Les suggestions doivent être limitées tout d'abord ; c'est ainsi qu'il ne faut agir dans te début que sur une conception détirante ou sur les hallucinations d'un sens. Ce n'est que dans les séances consécutives qu'il faut entreprendre d'agir sur d'autres conceptions délirantes ou sur d'autres hallucinations.
Il résulte de ma pratique que les suggestions données en trop grand nombre à la fois déterminent un état de malaise évident qui se traduit par des crispations dans les muscles de la face, et qu'elles sont moins bien exécutées au réveil. De plus le malade ne doit pas être réveillé dès la suggestion faite ; il est nécessaire qu'il soit laissé tranquille pendant un quart d'heure ou une demi-heure afin qu'il s'approprie la suggestion et qu'il s'en pénètre pour ainsi dire.
Il arrive quelque fois que je laisse dormir pendant 12 ou 23 heures con-sécutives et même pendant plusieurs joursdesaliénéshallucinésettrèsagités.
Les suggestions doivent être faites à haute voix, formulées d'une façon précise et articulées avec conviction et avec autorité. II faut signifier au malade de ne plus entendre telle voix, tel bruit, de ne plus voir des choses extraordinaires telles que des animaux, des ombres, de ne plus sentir telle odeur ; de ne plus avoir telle idée délirante.
Il faut leur affirmer que toutes ces idées sont fausses, qu'elles résultent de leur maladie, qu'ils guériront, qu'ils sont guéris et enfin, qu'ils continueront à se bien porter.
On observe quelquefois sur la physionomie des aliénés hypnotisés une mauvaise humeur évidente, lorqu'on leur (ait telle ou telle suggestion contraire à leurs idées ; il faut insister jusqu'à ce que le malade ail acquiescé par un mol ou par un geste et ta suggestion réussit alors.
Il arrive même que la suggestion a son effet bien que l'hypnotisé ait fait mine de ne pas obéir.
Je pense qu'il faut poser comme un principe absolu de ne jamais suggérer à un hypnotisé, ni illusion, ni hallucination, ni aucune idée, ni aucun acte mauvais ou nuisible et de ne lui donner que de bons avis : obéir, travailler, penser au bien ; faire le bien ; délester le mal et vice ; être agréable, se rendre utile, aimer les siens et son entourage. Il faut se garder de faire de l'hypnotise un être à expériences et à curiosités.
En outre, il est essentiel de ne jamais dire devant l'hypnotisé que sa maladie est grave ou incurable ; il faut, au contraire, affirmer nettement que son mal est léger et qu'il guérira.
Il est encore un point sur lequel j'appelle tout particulièrement votre attention, c'est de ne jamais hypnotiser les malades, et de ne pas leur faire de suggestions, devant d'autres malades.
Il est indispensable que l'hypnotisé reste isolé pendant son sommeil, afin qu'il ne lui soit pas fait de suggestions opposées aux vôtres ; cette mesure est surtout essentielle dans un service de névropathes et d'aliénés où les idées de malice et de méchanceté sont si communes.
C'est ainsi que j'ai pu constater que d'autres malades avaient suggéré à des hypnotisées de ne plus se laisser endormir par moi « parce qu'elles me servaient de poupées », disaient-elles, et que j'ai eu beaucoup de peine à détruire cette idée suggérée.
C'est en agissant d'après ces données, que j'ai appliqué la thérapeutique suggestive au traitement des aliénés et des nerveux de mon service ou de ma pratique privée.
On arrive à guérir chez ces malades des troubles et des hallucinations de la vision, de l'audition, de l'odorat, du goût, de la sensibilité générale et spéciale ainsi que les conceptions délirantes les plus diverses . . .
En résumé. Messieurs, je me suis efforcé et je m'efforce chaque jour d'agrandir les horizons de la thérapeutique suggestive et de l'étendre à l'aliénation mentale et aux névroses connexes.
Je ne saurais trop vous encourager à vous engager dans cette voie.
La pratique de la suggestion hypnotique vous donnera, comme à moi, des satisfactions, et plus vous en userez, plus vous jugerez de l'importance de la découverte des Braid, des Lièbeault et des Bernheim.
DISCUSSION
M. Forel (de Zurich). — J'aurai» voulu répondre en quelques mots à la communication de M. Voisin, mai» le temps ne l'a pas permis. Mes essais de suggestion dans le traitement des maladies mentales ont donné des résultats assez conformes à ceux qu'à exposés M. de Jong dans sa communication, mas» non pas aux résultats de M.Voisin. Sans doute, on peut couper des crises de manie hystérique ou certaines psychoses analogue» qui ont un caractère fugitif et passager; j'ai aussi réussi à faire disparaître, du moins
momentanément, les hallucinations de certains malades, à procurer ie sommeil, a faire travailler un malade dément paresseux. Dans un cas de démence arec inactivité, tendances vicieuses et accès submaniaques intercurrents, j'ai réussi a produire le travail et à supprimer les tendances vicieuses. Les attaques submaniaques n'ont pas reparu depuis près de trois ans, a ce que m'assure mon collègue, le docteur Bleulex, qui a continué la suggestion du malade, à l'asile de Khéman, où il a été tranféré. Mais l'effet est ici peut-être indirect, par l'intermédiaire de la production du travail qui suffit souvent 1 déterminer de pareilles améliorations. Par contre, je n'ai, à part cela,
mais réussi à changer le cours des maladies mentales par la suggestion, n cas de manie chronique, avec hallucinations (passage à une démence systématisée) et qui dirait de violents accès de fureur, pouvait être endormi au milieu de l'accès qui était ainsi coupé. Mais le lendemain, il se réveillait aussi malade que la veille. Les idées détirantes n'ont jamais été modifiées cher aucun malade, même ceux que je parvenais à hypnotiser, a rendre anes-thêsiqucs, amnésiques, auxquels je faisais réaliser des suggestions post-hypnotiques, se refusaient à accepter toute suggestion allant contre leurs idées délirantes. Je n'ai jamais réussi 1 influencerie cours de la vraie mélancolie (je ne parte pas des mélancolies hystériques) par la suggestion, tout au plus à produire parfois le sommeil et à activer la convalescence dans un cas.
Le cerveau est l'instrument dont nous nous servons dans la suggestion. Si l'instrument lui-même est gâté, s'il est atteint d'un fonctionnement, d'un dynanisme vicieux, par suite d'une irritation maladive violente, nous ne pouvons guère nous en servir et surtout pas, ou fort peu, pour réagir sur lui-même, sur son fonctionnement général.
Au contraire, j'ai obtenu d'excellents résultats, durables, sur les alcooliques (non pas pendant le delirium tremens, mais après), en leur suggérant l'horreur des boissons alcooliques, l'abstinence totale de ces boissons pour toute leur vie et leur incorporation à une société d'abstinence totale. Cette dernière leur procure de vraiment bons amis qui continuent, par leur fréquentation devenue définitive, la suggestion (sans hypnotisme !) c'est-à-dire l'habitude de l'abstinence totale pour toute la vie. De même pour les mor-phiniques et cocalniques. Seulement ici, les sociétés font défaut. C'est la Société de tempérance de la Croix-Bleue, laquelle a aussi une section à Paris, qui m'a secondé dans ces efforts
M. Berillon (de Paris). — J'ai suivi pendant assez longtemps les expériences thérapeutiques qui ont été faites dans le service de M. Voisin, à la Salpétrière, pour être convaincu de l'importance des résultats obtenus par lui. Néanmoins, comme un certain nombre de médecins émettent fréquemment l'opinion qu - les aliénés hystériques sont tous susceptibles d'être sué-ris ou améliorés par la suggestion, je demanderai à M. Aug. Voisin s'il a obtenu des résultats favorables contre des troubles mentaux graves qui ne dépendaient pas de l'hystérie.
M. Aug. Voisin. — Je suis heureux de la question qui m'est posée, et il m'est facile d'y répondre en vous montrant dans mon servi ce des dipjoma-nes, des mélancoliques, des malades atteints de syphilis celébrale, qui ne sont nullement hystériques et dont l'état a été déjà sensiblement amélioré par la suggestion hypnotique. Vous pourrez voir aussi un certain nombre de jeunes gens et de malades qui présentaient des hallucinations et qui ont été guéris par la suggestion. Vous ne constaterez chez eux aucune manifestation de l'hystérie. Il est certain que l'hypnotisme doit être réservé au traitement des psychoses, et que les affections caractérisées par de graves lésions ana-tomiques ne retireront aucun avantage de cette médication.
M. Repoud (de Fribourg). — A l'asile cantonal de Marsens, canton de Fri-bourg. nous avons appliqué la suggestion au traitement des troubles mentaux chez des aliénés qui n'étaient nullement hystériques. Nous avons aussi pu guérir des dipsomanes, dont la guérison s'est bien maintenue. Nous avons pu faire disparaître des hallucinations: nos résultats concordent avec ceux que M. Aug. Voisin nous a montré dans son service. Cependant il faut recon-
naître que l'application de la suggestion hypnotique exige beaucoup plus de temps chez les aliènes et qu'elle demande de la part des médecins beaucoup plus de patience.
Les applications de la, suggestion à la pédiatrie et à l'éducation mentale des enfants vicieux ou dégénérés.
Par M. le docteur Edgar BERILLOX.
M. le docteur Berillon a terminé son rapport par les conclusions suivantes :
En résumé, nos observations personnelles, conformes à celles qui ont été recueillies par d'éminents confrères, au nombre desquels nous citerons particulièrement MM. les docteurs Bernheim, Liébeault, Auguste Voisin. Van Renterghem, Van Eeden, Ladame, de Jong, Westerstrand, Moll, Herrero, etc., nous autorisent à formuler les conclusions suivantes :
1° La suggestion, employée rationnellement par des médecins expérimentés et compétents, constitue un agent thérapeutique fréquemment susceptible d'être appliqué avec avantage en pédiatrie.
2° Les affections dans lesquelles les indications de la suggestion ont été établies chez les enfants par des faits rigoureusement observés, sont :
L'incontinence nocturne d'urine;
L'incontinence nocturne et diurne des matières fécales ;
Les tics nerveux ;
Le bégaiement ;
Les teneurs nocturnes ;
La corée rythmique ;
L'onanisme irrésistible ;
Le blèpharospasme ;
Les attaques convulsives d'hystérie ;
Us troubles purement fonctionnels du système nerveux.
3° La suggestion n'a pas, jusqu'à ce jour, donné de résultats appréciables dans le traitement de l'idiotie, du crètinisme, de la surdi-mutité.
4° La suggestion envisagée au point de vue pédagogique, constitue un excellent auxiliaire dans l'éducation des enfants vicieux ou dégénérés.
5° L'emploi de la suggestion doit être réservé pour les cas où les pédagogues avouent leur complète impuissance. Elle est surtout indiquée pour réagir contre les instincts vicieux, les habitudes de mensonge, de cruauté. de vol, de paresse invétérée, de malpropreté, d'indocilité, de pusillanimité.
6° Le médecin sera seul juge de l'opportunité de l'application de la suggestion contre ces manifestions mentales qui sont sous la dépendance d'un véritable état pathologique, le plus souvent héréditaire, et, en aucun cas, nous ne conseillons l'usage de la suggestion en pédagogie lorsque l'enfant sera susceptible d'être amendé par les procédés habituels d'éducation.
DISCUSSION
M. Tokarski (de Moscou). — J'ai fait quelques applications de la suggestion à la pédiatrie, mais je n'ai pas obtenu beaucoup de résultats chez les dégénérés proprement dits. A mon avis, il importe de ne pas confondre les termes vicieux et dégénérés. Un enfant peut être vicieux sans présenter pour cela des stigmates de dégénérescence. Dans le premier cas, la suggestion nous a donné quelques résultats favorables, mais elle nous en a donné très peu dans le second.
M. Berillon. — Je fais la distinction très naturelle entre les enfants vicieux et les dégénérés. Lorsque ces derniers ne sont pas dépourvus complètement d'intelligence, lorsqu'ils sont capables de comprendre ce qu'on leur dit, il est souvent possible d'obtenir par de patientes suggestions, la disparition de certains symptômes morbides, de certaines habitudes vicieuses, de l'onanisme, par exemple. Les enfants vicieux, mais normalement constitués et bien portants sont assurément plus faciles à guérir. On constate souvent, non sans surprise, que l'enfant se soumet avec une grande docilité au traitement par la suggestion et qu'il apprécie très bien l'importance du service qu'on cherche a lui rendre. Il faut aussi insister sur ce point important, c'est que l'influence du milieu joue un rôle considérable dans l'application du traitement. Un enfant qui vit dans une famille disposée à seconder avec intelligence tous les efforts du médecin aura beaucoup plus de chances de guérison qu'un enfant soigné dans un asile.
H. Félix Hement. — Permettez, Messieurs, à un professeur qui pendant de longues années s'est beaucoup préoccupé des problèmes qu'à soulevé l'éducation de l'enfance de dire son avis sur l'application de la suggestion hypnotique à la pédagogie, c'est-à-dire de la répression par ce procédé des enfants vicieux qui sont restés rebelles aux moyens ordinairement employés. Il s'agit donc des enfants que l'on place dans les maison de correction ou comme mousse sur un navire, et qui, loin de s'amender, deviennent pires.
Nous avons si souvent entendu dire à des parents: on ne peut rien tirer de cet enfant ; — il est incorrigible ; — nous avons tout tenté sans succès ; — qu'il nous a paru qu'en dernier ressort, il était bien permis d'employer la suggestion là où tous les autres moyens avaient échoué. Ce n'est plus ici seulement une question médicale ou hygiénique ou pédagogique, mais une question d'humanité, de charité. Voici comment nous procédons. Après avoir fait venir l'enfant dans notre cabinet, milieu qui ne lui est pas familier, et qui exerce sur lui une première impression, nous prenons un air grave et résigné. Nous Je faisons asseoir en face de nous et. lui prenant les mains, en le fixant avec insistance par le regard, nous lui parlons lentement, avec douceur et fermeté à la fois, sur un ton uniforme, sans élever ni abaisser la Voix de façon à préparer l'enfant au sommeil par cette monotonie. Dans ce sommeil crépusculaire, la volonté de l'enfant se trouve affaiblie ; nous lui parlons alors de la faute qu'il a commise ou de ses mauvaises habitudes, nous lui en faisons sentir les inconvénients ou les dangers, nous lui en montrons les conséquences, en lui faisant craindre que ses défauts ou ses vices ne diminuent la tendresse de ses parents, n'affaiblissent la confiance, l'estime, la sympathie de ses amis et de ses maîtres. Nous lui inspirons des regrets, le désir de se faire pardonner et la résolution de se faire pardonner et la résolution de se corriger.
L'enfant est somnolent, son esprit vacille, sa volonté lui échappe, nous le désarmons sans l'anéantir ; nous le privons de ses éléments de résistance. Nous ne voulons pas substituer notre volonté à la sienne, mais l'amener à penser comme nous, à partager nos idées. Loin de détruire en lui le sentiment de la responsabilité, nous rendons ce sentiment plus vif. Que l'enfant reste éveillé ou s'endorme, ¡1 n'y a pas à s'en préoccuper. Nous ne cessons pas de l'exhorter. C'est un siège en règle que nous entreprenons, avec méthode et sans lassitude, car il faut triompher. Lorsque nous aurons pénétré dans la place, que nous aurons amené l'enfant à penser comme nous, il n'en sera pas moins libre qu'auparavant, ni moins responsable.
Nous revenons à plusieurs reprises et sans impatience, afin de le lasser par notre insistance et de le vaincre. Lentement et progressivement, nous amenons l'enfant à sentir la gravite de son état et la nécessité d'y porter remède. Nous martelons nos enseignements dans son esprit. Il nous écoute, il nous comprend, il se laisse persuader dans son sommeil léger ou profond naturel ou artificiel, et, revenu à la réalité, il se trouve dans la situation de ceux qu'un rêve a obsèdes. Une première amélioration s'est produite, le mauvais pli a été défait peu à peu, comme par un effort mécanique, lent et continu, on parvient à redresser un bâton tordu.
Chaque fois que nous revenons à la charge, l'amélioration s'accentue. Des enfants grossiers, turbulents, indociles, paresseux, sont transformés. On a raison de leur trop grande étourderic, de leur nature rebelle ou emportée, de leur apathie ou de leur incapacité d'attention. C'est un traitement qu'on peut désigner sous le nom d'orthopédie morale. Si la guérison est lente, elle n'en est pas moins certaine. S'il y a rechute, nous n'hésitons pas à reprendre le traitement jusqu'à la guérison complète.
Remarquons toutefois qu'une première amélioration obtenue rend plus facile une amélioration plus grande ; ¡1 en est des acquisitions morales et intellectuelles comme des exercices corporels : les effets d'une gymnasuque méthodique et graduée se superposent et accroissent les forces d'une manière continue; Chaque progrès dans le bien est la source d'un progrès nouveau. Il est bien plus facile à un esprit cultivé d'acquérir des connaissances nouvelles qu'à un esprit inculte d acquérir les premières notions.
Les premiers ébranlements préparent l'accès à ceux qui suivront, et, de
roche en proche, le mouvement se propage dans tous les points de la masse a nature humaine poursuit ainsi son redressement d'elle-même. par sa propre puissance, lorsqu'une première impulsion a été donnée. L'homme devient le collaborateur de ceux qui suscitent en lui de bons sentiments de même que le grain de blé mis en terre donne naissance à un épi, de même une idée déposée dans un esprit convenablement préparé y devient le germe de nombreuses idées. L'esprit a, comme le corps, des ressources propres qui ne lui viennent pas du dehors et qui lui permettent de combattre les causes de débi-litation morale, comme le corps réagit contre les causes de débilitation physique. Nos conseils ou nos remèdes ne font qu'aider cette disposition natû-
Après la clôture de la discussion. M. le Président met aux voix les conclusions du rapport de M. le docteur Bérillon. Ces conclusions sont adoptées à l'unanimité.
Le Congrès décide, en raison de l'intérêt qu'elles présentent au point de vue pédagogique, aussi bien qu'au point de vue de l'éducation pénitentiaire, que ces conefusions seront transmises, parles soins du bureau, a M. le Ministre de l'Instruction publique et à M. le Ministre de l'Intérieur.
(A Suivre.)
SOCIÉTÉS SAVANTES
SOCIÉTÉ MÉDICALE DES HOPITAUX
Séince du 25 octobre 1889,— Présidence de M.Cadet de Cassicourt
Hystérie tabagique
M. Gilbert. — Je présente à la Société un homme de 62 ans, employé depuis 40 ans dans une manufacture de tabacs, et qui, en raison de ses occupations, a presque toujours les mains et les bras dans le jus de labac. En outre, ayant du tabac à sa disposition, il fume, prise ou chique tout le temps.
Or, il a été pris peu à peu l'an dernier de troubles de la motilité et de la
sensibilité limités aux membres inférieurs, troubles qui ont disparu après quelques semaines de séjour à l'hôpital. Comme il n'y avait chez lui aucune intoxication A invoquer en dehors du tabac, et comme les accidents disparurent sous l'influence de la thérapeutique assez banale des accidents hystériques (agents cestniogènes, etc.) j'en conclus qu'il s'agissait d'une hystérie tabacique. Ce qui me confirma encore dans ce diagnostic c'est que le malade ayant repris ses occupations 4 sa sortie oe l'hôpital a eu progressivement une rechute des accidents pour lesquels je Pavois dèja traité. Occupant d'abord les membres inférieurs, comme la première fois, ils ont pris bientôt, la forme d'hémiplégie gauche, avec anesthésie sensitivo-sensorielle. Ils se rem nouveau très amendés sous l'influence des mêmes moyens, et il ne reste plus guère en ce moment que de l'anesthésie partielle. Ce malade prétend que ces accidents sont assez fréquents a la manufacture des tabacs, mais je n'ai pu faire encore une enquête sur ce point.
M. Hayem. — Il semble qu'on abuse un peu, présentement, du root : hystérie, et qu'on le détourne de son acception primitive. Sous ce nom, on désignait, en pathologie générale, une névrose spéciale, une véritable espèce morbide.
Aujourd'hui cette espèce morbide devient tout simplement un élément morbide, commun à bien des choses, notamment à beaucoup d'intoxications. On commet donc une confusion regrettable, i mon avis, en appliquant le même mot a un élément d'une maladie donnée et a cette maladie elle-même prise dans son ensemble. Or. on sait que la confusion dans les mots entraîne aisément la confusion dans les choses. De la mon observation.
M.Letulle.— J'ai vu le malade de m. Gilbert dans mon service et je partage son diagnostic.
Assurément, la dénomination d'hystéries toxiques prête à confusion si on ne différencie pas soigneusement les divers cas. D'autre part, cette hystérie toxique ne ressemble pas, c'est certain, à l'hystérie commune, à L'hystérie des anciens auteurs (c'est ainsi que les crises nerveuses font défaut), mais elle offre avec elle deux ressemblances frappantes, à savoir : i° existence des mêmes troubles nerveux, moteurs et sensitifs, sans lésions matérielles appréciables ; 2° même curabilité sous l'influence d'une thérapeutique tout aussi insignifiante (l'action des aimants, par exemple).
M. Ballet. — Que le mot « hystérie toxique », ne soit pas irréprochable, je n'y contredis pas. n n'en est pas moins légitime, comme vient de L'observer m. Le tulle, d'appliquer la dénomination d'hystérie A ces cas morbides dans lesquels on trouve ce qui est véritablement la caractéristique de l'hystérie : troubles nerveux sans lésions matérielles, et amélioration ou guèrison par les acents esthingènes ; sans compter que dans ces hystéries toxiques les troubles sensitifs et sensitivo-sensoriels se combinent avec d'autres manifestations, telles que les paralysies, les contractures, etc., tout tomme dans l'histérie proprement dite. Puisque dans les deux cas les manifestations essentielles ont le même aspect on ne voit vraiment pas pourquoi elles n'auraient pas même nature.
J'ajouterai que dans nombre d'hystéries toxiques, on note maints symptômes d'hystérie vulgaire et que, dans les deux cas, on a affaire très souvent i des névropathes, a des bizarres, je dirais même à des dégénérés, si je ne craignais que le mot parut trop gros a certains de nos collègues.
Cette influence du terrain sur le développement de l'hystérie toxique est si fréquente et si importante, i mon avis, que dans le cas de M. Gilbert, j'ai peine 1 croire que le tabac soit seul en cause.
Il faudrait, en effet, admettre dans cette hypothèse, qu'après être resté quarante ans sans accuser son influence toxique, le tabac l'a révélée tout à coup par les troubles moteurs et sensitifs observés. Il me paraîtrait plus rationel de penser que quelque cause occasionnelle a rais à iour l'intoxication jusqu'alors latente, comme cela s'observe souvent dans l'hystérie saturnine.
M. Gilbert. — C'est fort possible : je n'ai cependant rien trouvé en dehors du tabagisme.
Accidents nerveux provoqués par la foudre
Dans une de ses dernières leçons, M. Charcot ayant pu étudier une série de troubles nerveux survenus chez un homme de quarante-cinq ans a la suite de la fulguration, a fait d'intéressantes remarques sur les paralysies des foudroyés. Chez ce dernier malade observé, il a retrouvé fa plupart des phénomènes qu'on rencontre en étudiant les troubles nerveux consécutif* aux collisions de chemins de fer. Celles-ci d'ailleurs, ne sont-elles pas, à quelques égards, comparables au choc de la foudre par la soudaineté de l'accident, le caractère terrifiant des circonstances, par la commotion, mécanique dans un cas, électrique dans l'autre ? Ce sont ces mêmes troubles qui ont été décrits sou* le nom de névrose iraumatique, de « Railway spine», de névrose des chemins de fer, que l'on s'efforce aujourd'hui de rattacher à une névrose spéciale et que M. Charcot considère pour sa part comme étant purementet simplementde nature hystérique.
Une zone hystérogène, des accès incomplets qui se bornent aux symptômes de l'aura, des crises de larmes, puis des pertes de connaissance précédées de l'aura, un rétrécissement bilatéral du champ visuel, etc., n'y a-t-il pas là de quoi lever tous les doutes? L'homme observé est donc un hystérique ; et l'hystérie s'est développée cheï lui i l'occasion de la fulguration.
Mais, tous les accident» nerveux qui ont été observés dans ce cas, sont-ils hystériques dès l'origine ? Les premiers troubles apparus immédiatement après la fulguration ne relèvent-ils pas directement du choc électrique ? M. Charcot croit qu'il y a eu d'abord chez le malade une paralysie par fulguration sur laquelle la paralysie hystérique est venue se greffer. Et voici, selon lui, comment les choies se sont passées ; il y a eu en premier lieu choc électrique, choc local, suivi d'une esquisse de paralysie. Puis, i la faveur de l'état d'asthénie nerveuse créé par un surmenage récent, l'hystérie s'est bientôt développée chez cet homme sous l'influence de la commotion physique et de l'émotion qui l'a accompagnée.
Terrifié, rêvant de tonnerre et d'éclair, presque hypnotisé, sachant déjà que sa jambe gauche était affaiblie, il a pu, dans un pareil état d esprit compléter par auto-suggestion sa paralysie. Ainsi, la paralysie hystérique est venue se superposer à l'ébauche de paralysie qu'avait produit le choc.
Ainsi, et cela était à prévoir, les fulgurations partielles ou générales, lorsqu'elles rencontrent chez les victimes un terrain prédisposé, peuvent déterminer le développement d'accidents hystériques. La foudie doit donc figurer parmi les agents provocateurs de l'hystérie. 11 est mime singulier que ces cas ne soient pas plus fréquents. On peut cependant en citer trois : un de Nothnagel, un de M. Onimus, enfin une observation de M. Gibier de Savigny. C'est peu ; mais lenombre s'en multipliera, si, a l'avenir, on étudie la lumière de nos connaissances actuelles concernant l'hystérie mile, les troubles nerveux divers qu'on observe chez les foudroyés.
Aussi M. Charcot pense qu'on peut conclure ce qui suit :
1° Dans les cas de fulguration, en outre des accidents nerveux qui relèvent directement de la commotion électrique, il faut s'attendre l'intervention de l'hystérie ;
2° Lorsqu'une fulguration partielle a déterminé une paralysie simple, si l'hystérie entre en scène, la paralysie hystérique peut se superposer, puis se substituer à la paralysie primitive.
L'ébriété de la joie subite
Les phénomènes suivants sont-ils une maladie particulière, ou bien les symptômes d'une affection qui aurait son siège plus ou moins profond dans l'organisme, et dont l'évolution aurait pour cause une stimulation accidentelle, le plus souvent une (oie vive et subite, dans quelques cas un accès de colère? J'ai eu connaissance, soitdans ma pratique, soit dans mes lectures, de sujets qui. sous l'influence d'une joie subite, sont tombés dans la torpeur de l'ébriété. La colère brusque et d'autres causes peuvent produire des effets semblables. Voici d'abord quelques faits qui ne me sont pas personnels.
Un militaire éminent, qui. pendant qu'il faisait la_ guerre, n'avait fait uugc du vin qu'avec une grande modération, et qui ensuite s'en était comptétemeut abstenu, étant, vingt ans après, a dîner avec quelques-uns de ses anciens camarades, devint tout i coup d'une hilarité excessive, prononça de (biles paroles, tomba ivre en arrière sur son siège, et finalement fut emporté chei lui dans un état de torpeur. Il n'avait bu aucun liquide spiritueux, seulement du ca(é et de l'eau, et cependant il présent, tous tes symptômes de l'intoxication alcoolique.
Un autre cas est celui d'un individu qui avait été, à une époque, dans l'habitude de s'enivrer, mais qui s'était complètement guéri de cette passion. Plusieurs années après sa guérison, il fut élu à une fonction qu'il désirait, et il réunit quelques amis à un dîner pour filer cette élection. Plusieurs de ses convives manifestèrent quelques signes d'ébriété ; or, bien qu'il n'eût bu que d« l'eau, il fut pris en même temps qu'eux d'hilarité, puis tomba dans la torpeur. Il fut porté dans son lit avec tous les signes de l'ivresse alcoolique, mais il se rétablit, et, le lendemain matin, il n'avait qu'une notion confuse de ces événements.
Un troisième cas datait de quatre ans quand j'en ai eu connaissance. Un homme qui venait d'être réformé du service, et qui vivait dans la sobriété depuis douce ans, participa à une excursion militaire avec des gens qui buvaient, et, bien qu'il ne prit pas autre chose que de la limonade, il fut atteint d'ivresse comme ses compagnons.
Voici maintenant des faits que j'ai observés :
Une dame qui n'avait jamais bu qu'accidentellement, et même très rarement, un verre de vin. invita, six semaines après ses couches, un certain nombre de ses amis pour le baptême de son entant. Bien que plusieurs de ses convives fissent un usage assez abondant du vin, elle s'en priva ; et cependant, après un certain temps, elle devint excessivement gaie, parla au hasard de plusieurs choses tout i fait hors de propos ; et finalement, il fallut la porter à son lit dans un état de torpeur. Les yeux de la malade ressemblaient a ceux d'une personne qui sort d'une orgie bachique ; et, en vérité, si je n'avais eu positivement connaissance de toutes les circonstances, j'aurais pu donner dans cette erreur.
Un autre cas est celui d'un individu qui ne buvait presque jamais de liqueurs fortes. Ses appointements, en raison de son mérite, furent subitement augmentés d'un millier de dollars par an. Aussitôt qu'il en reçut la nouvelle, il vint me faire part de celte bonne chance, dans un état de joie extrême. Après avoir parlé pendant quelque temps sur ce sujet, il se leva subitement et retourna à son bureau pour terminer une correspondance qu'il avait laissée inachevée. Une demi-heure plus tard, je fus appelé en hit* auprès de lui. je le trouvai inconscient, dans un état de torpeur, et je ne pus obtenir aucune réponse de lui. Ses collègues me dirent qu'en entrant il s'était mis a son ouvrage de la mime façon que ce coutume, mais que tout coup il s'était endormi et qu'on n'avait pas pu le réveiller. Il était plie Il n'avait bu aucune liqueur, et cependant il offrait toutes les apparences d'un individu qui s'est livré i un excès bachique. Tantôt il était abattu et disait qu'il avait besoin d'être soulagé ; tantôt il essayait de chanter. Puis, il se mit a prier, affirmant qu'il allait mourir et demandant un prêtre. Au bout de huit jours. Il était entièrement guéri.
Je pourrais produire plus de vingt cas semblables; mais je pense que ce qui précède suffit pour prouver qu'il y a d'autres causes d'ébriété que l'intoxication alcoolique.
Dans tous les cas que j'ai eu l'occasion d'observer, et cela d'une manière presque identique, j'ai constaté les faits suivants :
Un état d'abattement, de dépression mentale, plus ou moins prolongé, précède le premier stade de la maladie, et pendant ce temps l'esprit manifeste une acuité au-dessus de l'ordinaire. Dans ces conditions, sous l'influence d'une stimulation — la joie, ou dans quelques cas, la colère, — le patient est pris d'hilarité ou d'excitation suivant la cause stimulante, prononce des paroles incohérentes, peut devenir tout à fait inconscient, et sort de cet état tremblant et nerveux, ne sachant rien de ce qui s'est passé dans cette période, mais se rappelant parfaitement les (ails intérieurs. J'insiste sur cette dernière considération parce qu'elle est propre i favoriser le diagnostic.
L'état d'un homme qui. pouvant rendre un compte exacte de ses paroles, de ses actions, même de plusieurs de ses pensées, et en même temps donner un plein souvenir de ses conversations avec d'autres Individus, presque avec les mêmes expressions, devient subitement comme un mort pour lui-même, cet état, dis-je, dénote une condition de l'économie encore peu connue.
Vient ensuite ce qu'on peut appeler le second stade de Ja maladie, qui consiste, en
général, dans un grand dégoût pour les aliments. Puis, il y a une période de dépression mentale, alternant avec de l'assoupissement, laquelle a son tour est suivie d'éclairs vifs de l'esprit, sous l'influence desquels le patient paraît être dans son état normal, seulement un peu nerveux.
Le troisième stade est une période d'insomnie pendant laquelle le malade est exessi-vement nerveux, livré sans frein à son imagination, et a horreur d'être seul, surtout pendant la nuit. Toutefois, sain d'esprit pour toutes les chose» ordinaires de la vie, calme mais inquiet.
La finit, en général, l'attaque par le retour a la santé.si elle est convenablement traitée ou surveillés ; autrement, le patient peut avoir une tendance à se laisser aller au suicide ou i quelque autre action déraisonnable.
Je viens de tracer le caractère de la maladie — qu'on la dénomme comme on voudra — telle qu'elle s'est manifestée dans les nombreux cas que j'ai pu observer ;ct, bien que plusieurs des symptômes qu'elle présente lui soient communs avec l'alcoolisme, cependant je n'ai ici en vue que des sujets qui n'ont tait aucun usage des spiritueux, ou qui n'en ont fait qu'un usage insignifiant.
La question qui se présente est celle-ci : le passage subit d'un état de l'esprit a un état différent peut-il produire un tel enchaînement de phénomènes sans que le sujet présente d'ailleurs une condition pathologique, ou bien est-Il nécessaire qu'il existe au préalable une maladie dans un de ses organes?
(The Therap. Gaz 15 août 1889.) Dr JOHN-A. Lanigan.
NOUVELLES
COURS DE LA FACULTE DE MÉDECINE
—clinique des maladies du système nerveux — m. Charcot, professeur. mardi, vendredí, à 9 heures 1/2 à la Salpétrière).
— Clinique de pathologie mentale—M. Bill, professeur, dimanche, jeudi, à 10 heures-et (àl'asile Sainte-Anne).
— M. Ballet, agregé. — Pathologie mentale et maladies de l'encephale. — Lundi. mercredi,l vendredi, à 5 heures (Amphithéâtre Laennce).
— A Agen. m. Grillet de Fleurette, sabstitut du procureur général, a prit pour sujet de discourt de rentrée de la cour et des tribunaux : « L'hypnotisme au point de vue médico-légal.»
— A Besancon, e discourt de m. Cottignies, avocat général, a porté sur les améliorations à appoerze à la loi de 1838 sur les aliénés.
— Emseignement libre, — m Lafon. chimis-expert. lauréat da l'académie de médecine, ancien préparateur du professeur Brouardel. fera pendant l'année scolaire 1889-1890, au court pratique, permanent, de chimie, de bactériologie et de microscopie medicales.
S'inscrire à l'avance la 3 à 4 heures, au laboratoire, 7. rue des Saints-Pères, 7.
— Cours libre. — Clinique des maladies nerveuses, 55, rue Saint-André-des-Arts. — m. le docteur Berillon fait tous les samedis. a 10 heures 1/2, une leçon clinique sur les applications de l'hypnotisme et de la suggestion à la therapeutique et à la pédiatrie.
Les consultations sratuitet ont lieu les mardis, jeudis, samedis, de dix heures a midi. Les médecins et les étudiants en médecine peuvent y assister.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL
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Dr Max Dessoir.
OUVRAGES REÇUS A LA REVUE
Traité pratique des maladies mentales, par le Dr CULLERRE. — Paris, J.-B. Bail-lière, in-12, 618 pages, 1890.
Lu maladies de l'esprit : Etudes cliniques et médico-légales, pir le Dr G. ?ICHON. — Paris, Octave Doin, in-8° 567 pages, 1888.
Hérédité et alcoolisme : Etude psychologique et clinique sur les dégénérés buveurs et les familles d'ivrognes, par le Dr M. Legrain, avec une preface de M. le Dr Magnan. — Paris, Octave Doin, in-3°, 414 pages, 1889. — Prix : 7 fr.
La morphinisme: Habitudes, impulsions vicieuses, actes anormaux, morbides et délictueux des morphinomaux, par te Dr G. Pichon.-- Paris, Octave Douin, in-12, 489 pages, 1890. — Prix : 4
Etude cliniques sur les maladies mentales at nerveuses, par le Dr Jules Falret.— Paris, J.-B. Balliere, in-8°, 623 pages, 1890.
De l'oreille : Anatomie normale et comparte, embryologie, développement, physiologie. pathologie, hygiène. pathogénie et traitement de la surdité, pax le Dr Gillé , T. II, Lecrosnier et Babé, in-8°, 178 pages, 1888.
La sommeil provoqué et les états analogues, par le Dr. A. Liébeault. — Paris, Douin, in-12, 310 pages. — Prix : 4fr.
Dar hypnotismus, van Dr Albert MOLL.— Berlin, Fischer. 170 pages, in-8°, 1889.
L'Administrateur-Gérant : Émile BOURIOT
PARIS.— IMPRIMERIE CLAMARON-GRAFF, 57, RUE DE VAUGIRARD
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPERIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
QUELQUES EXPÉRIENCES D'AUTO-HYPROTISME ET D'AUTO-SUGGESTION
Par le docteur COSTE DE LA GRAVE, (1)
1. Auto-hypnotisme.
Quand on s'observe, aux approches du sommeil, lorsque l'on cherche à dormir tout en conservant la conscience du moi, lorsqu'on veut réglementer son propre sommeil, on pratique l'auto-hypnotisme.
L'auto-hypnetisme est donc l'étude, l'exercice, l'activité de la volonté pendant le sommeil.
Avec des exercices suffisants, on arrive a des résultats constants.
Moments favorables à l'auto-hypnotisme.
Les meilleurs moments pour pratiquer l'auto-hypnotisme sont ceux qui avoisinent le sommeil. Le soir, en se couchant, la nuit, quand on se réveille, le matin encore, en se réveillant, l'après-midi, quand on fait la sieste.
Exercices d'auto-hypnotisme. Sommeil à volonté.
Le premier exercice à faire est de s'éveiller et de s'endormir à volonté. Le moment le plus favorable est celui du réveil, soit le matin, soit pendant la sieste de l'après-midi.
Le matin, j'ai pratiqué cet exercice, le réveil à volonté, un très grand nombre de fois (deux mille fois environ). Il consiste, lorsqu'on est réveillé du sommeil de la nuit, à s'endormir de nouveau, pendant quelques minutes seulement, et à se réveiller. On a ainsi une période de sommeil succédant à la veille. On arrive a s'endormir et à se réveiller facilement trois fois de suite dans une heure. Le sommeil est léger, accompagné parfois de rêves, et on conserve dans certains cas une demi conscience de l'état où l'on se trouve.
Je citerai, comme exemple particulier, ce fait : un jour, août 1888, pendant la sieste, je me suis endormi et réveillé cinq fois dans une heure. Le premier réveil s'est accompagné d'oppression due à l'arrêt de la respiration, puis de mouvements respiratoires fréquents, amples et précipités. Or, dans les périodes de sommeil et de réveil qui ont succédé, le réveil s'est fait chaque foisdans les mêmes conditions, accompagné d'oppression, de respiration fréquente et précipitée. Toutefois, l'oppression était de moins en moins grande, et au cinquième réveil elle était peu accusée.
(1) Communication faite au Congrès de l'H??notisme.
Auto-hypnotisme et rêves.
Avec un exercice suffisant, on arrive à avoir un sommeil très léger. On conserve la conscience de soi, et cependant l'on dort, puisque l'on rêve.
En août 1888. pratiquant l' auto-hypnotisme, je m'endors en conservant la conscience de moi. Je rêve que je vois des hommes noirs, couverts de chapeaux à grands bords rabattus et portant chacun quelque chose dans la main, le premier portait un balai. J'étais assis moi-même sur un banc, devant une table. Je me suis réveillé, en ayant conservé la conscience de moi avant le rêve et pendant ce rêve qui a duré moins d'une seconde.
Je ne compte plus les rêves que j'ai eus de la sorte, sans perdre la conscience de moi. J'en ai au moins un chaque fois que je pratique l'auto-hypnotisme, et ce sont bien des rêves, car ce sont des représentations fantaisistes et désordonnées, et je ne peux rêver ce que je veux.
Le propre de ces rêves est d'être oubliés très rapidement. La pratiqueobtenueavec un exercice prolongé lait que j'ai la conscience que je rêve.
Une fois, en juin 1889, j'ai cette conscience de rêver, je vois une réunion de gens indifférents et habilles d'une façon commune. Je veux diriger ce réve et le transformer en reunion brillante, sympathique et richement habillée. Mais je n'y parviens pas ; l'effort que j'ai fait m'a réveillé. Ce que j'ai manifestement constaté, c'est que je rêvais : J'avais la conscience de rêver et voulais diriger mon réve.
II. AUTO-SUGGESTION.
L'hypnose est un état qui se rattache au sommeil. Le rêve est un état hypnotique spontané, naturel, non provoqué Si on arrive à diriger son propre rêve, on fera de l'auto-hypnotisme parfait, et on pourra utiliser cet état pour le même but que celui de l'hypnose provoquée, par exemple, pour se donner des suggestions. On pratiquera alors l'auto-suggestion.
Moments favorables à l'auto-suggestion.
On peut provoquer des états plus ou moins profonds de l'hypnose pour donner des suggestions. Il en est de même dans la pratique de l'autosuggestion. On peut utiliser des états de somnolence ou de sommeil plus ou moins profond.
La somnolence qui précède le sommeil, ou celte qui accompagne le réveil est la plus favorable à l'auto-suggestion. Elle est analogue à une hypnose légère, après laquelle le souvenir persiste. C'est cette somnolence que je cherche à produire lorsque je pratique l'auto-suggestion. Pour cela, si je suis levé, je m'allonge sur un canapé ou sur un lauteuil, je ferme les yeux, je cherche à dormir et je pense à l'auto-suggestion désirée.
EXEMPLES D'AUTO-SUGGESTION.
Les quelques expériences que j'ai faites en ce qui concerne l'autosuggestion sont les suivantes :
1° Marcher sans se fatiguer.
A la suite d'une dyssenterie contractée au Tonkin, je suis dyspeptique -et présente un grand nombre de signes habituels aux névropathes. Sans insister sur les divers symptômes présentés, je dirai seulement que je ne pouvais faire deux cents pas sans me fatiguer. Quand j'avais fait un kilo mètre dans ma journée et à différentes reprises, c'était tout le travail que je pouvais faire. Un soir de décembre 1887. je me donne 1'auto-suggestion de ne pas être fatigué. Le lendemain, je fais une promenade de huit kilomètres coupés par un repos d'une heure. Depuis ma rentrée en France, c'est-à-dire depuis plus d'un an, c'était la première fois que je pouvais faire une aussi longue marche. (Exemple cité dans mon ouvrage Hypnotisme.)
2° Avoir faim.
A la même époque, étant dyspeptique et n'ayant jamais faim, je me donne l'auto-suggestion d'avoir faim. Au repas suivant, j'ai bon appétit, et le repas fini, la faim persistant, je mange après le dessert une croûte de pain pour la satisfaire,
30 Avoir chaud aux pieds.
C'est une expérience que j'ai faite plus de cinquante fois, et je vais rapporter les principales circonstances dans lesquelles je l'ai faite.
(a) En décembre 1888, suivant à cheval une marche militaire, par un temps de neige, et ayant horriblement froid aux pieds, ne pouvant pas marcher, parce que la marche me fatigue, je me donne l'auto-suggestion d'avoir chaud aux pieds. Je reste à cheval, je me mets dans l'état le meilleur possible pour favoriser l'auto-suggestion. Je ferme les yeux et cherche à m'endormir en pensant à avoir chaud aux pieds. le suis resté ainsi pendant une demi-heure entière, mais au bout de ce temps, j'avais la sensation d'avoir chaud aux pieds. Je n'ai pas constaté à la main si les pieds étaient réellement chauds, mais la sensation de chaud étant différente de la sensation de froid, je constatais très bien cette différence et le bien-être résultant de la chaleur.
Le résultat obtenu. les pieds étant chauds, j'ai cessé tout travail d'autosuggestion. En très peu de temps, les pieds sont redevenus froids. Au bout de dix minutes, j'avais froid aux pieds comme avant.
Cette observation est très concluante, car elle est faite dans des conditions irréprochables, par un froid indiscutable, en plein air. La sensation de chaud a accompagne l'auto-suggestion, a disparu avec elle. Le résultat a été lié intimement à la cause et a disparu avec cette cause.
Je n'ai pas continué ce jour-là l'auto-suggestion d'avoir chaud aux pieds, car le travail que j'ai fait, c'est-à-dire l'auto-suggestion pratiquée pendant une demi-heure m'avait fatigué, et je me sentais incapable de recommencer. Je préferais avoir froid aux pieds. L'auto-suggestion, en effet, ne se fait pas sans fatigue et peut même provoquer des accidents.
(b) J'ai voulu constater si le chaud aux pieds était bien réel, ou si c'était une illusion des sens. Pour cela, je pratique l'auto-suggestion d'avoir
chaud aux pieds, en Juillet 1889; j'avais froid aux pieds depuis plusieurs heures, il faisait froid dans la ville du nord où j'étais. Au bout de cinq minutes environ.j'ai chaud aux pieds.Je constate, en touchant directement mes pieds avec la main que le pied droit est manifestement chaud, sans trace de fraîcheur superficielle. Le pied gauche est également chaud, mais je sens que la peau est légèrement fraîche à la superficie.
Il faut noter cette action de l'auto-suggestion plus rapide à droite qu'à gauche, action qui tient à ce que le côté droit, chez les droitiers étant plus exercé, plus habile, réagit mieux aux excitations et émotions.
(c) Voici d'autres exemples d'auto-suggestion de chaud aux pieds : Dans l'hiver 1887-88, me trouvant au théâtre de S.... lequel n'est pas
chauffé, ayant froid aux pieds, suivant mon habitude, dans un entr'acte je me donne l'auto-suggestion d'avoir chaud aux pieds. Au bout de dix minutes, j'ai chaud aux pieds; j'espère conserver cette sensation, mais, le rideau étant levé, les acteurs étant en scène. l'auto-suggestion n'est plus possible, et le froid aux pieds revient immédiatement.
(d) Entrant chez moi, et ayant froid aux pieds, je m'allonge sur un canapé et me donne l'auto-suggestion d'avoir chaud aux pieds, le résultat est obtenu en cinq minutes environ. Cette expérience a été faite très souvent.
(e) Rentrant chez moi et ayant froid aux pieds, je me promène dans ma chambre avec l'auto-suggestion de conserver mes pieds froids. Je conserve les pieds froids pendant une demi-heure. Au bout de ce temps, je me donne l'auto-suggestion d'avoir chaud aux pieds. Moins de cinq minutes après, j'ai la sensation d'avoir chaud aux pieds, et je constate, par le contact de la main, que j'ai bien réellement chaud aux pieds.
Cette façon dont l'auto-suggestion a été pratiquée, varie avec les précédentes. J'ai voulu avoir chaud aux pieds, sans fermer les yeux et sans changer ma manière d'être éveillé. J'ai voulu pendant cinq minutes une seule chose, avoir chaud aux pieds, cet effort de volonté a été suivi d'un résultat positif et persistant. Cette façon de pratiquer l'autosuggestion trouve beaucoup d'analogie dans la manière de se comporter de plusieurs personnes.
4° N'avoir fias mal à l'estomac.
(a) En décembre 1888, me trouvant chez moi. et ayant depuis plus d'une heure un violent mal à l'estomac, mal qui m'empêchait de me livrer à toute occupation intellectuelle, je pratique l'auto-suggestion de ne pas avoir mal à l'estomac. Au bout de vingt minutes, le résultat est obtenu ; le mal d'estomac disparaît et ne reparaît plus. Je puis me mettre au travail.
(b) Dans les mêmes circonstances, ayant mal à l'estomac et froid aux pieds, je me donne l'auto-suggestion de ne pas avoir mal à l'estomac ; pendant ce temps, je pensais que je voudrais bien aussi ne plus avoir froid aux pieds. Mais je ne pratiquais pas l'auto-suggestion pour le froid aux pieds qui m'incommodait moins que le mal d'estomac. Le simple désir, la pensée de ne plus avoir froid aux pieds avait suffi pour que l'auto-suggestion ait un résultat positif. De plus, comme j'avais pratiqué l'auto-suggestion d'avoir chaud aux pieds bien plus souvent que l'autre, n'avoir pas mal à l'estomac, par le fait de l'éducation, c'est elle qui a été
la première exécutée au bout de dix minutes. La seconde, ne plus avoir mal a l'estomac, a été aussi exécutée, mais au bout de vingt minutes.
5° Hallucinations.
(a) Un soir, ayant de m'endormir. au moment où je faisais ordinairement mes expériences d'auto-suggestion, j'ai lu un chapitre sur les hallucinations. Cette lecture a été analogue à une auto-suggestion, car le lendemain, dans la matinée, j'ai eu des hallucinations. L'état dans lequel je me suis trouvé est difficile à définir, je n'avais pas conscience de ce que je pensais, je ne raisonnais pas, j'avais des idées bizarres, je me faisais de la vie et des relations sociales un tableau que je ne m'étais pas fait auparavant. Cet état, que je n'ai pas voulu faire disparaître pour l'observer, a duré environ une demi-heure.
(b) Le soir, en me couchant, pour contrôler le fait précédent, et dans le but de trouver la clef du problème des hallucinations, je me donne l'auto-suggestion d'avoir les hallucinations. Le lendemain, dans la matinée, le même état hallucinatoire se présente, mais plus accentué. Je ne raisonnais plus, tout me paraissait absurde, je ne pensais plus, je ne liais pas deux idées ; je ne vivais plus avec les vivants, je faisais partie d'un autre monde, d'une autre société, pensant et raisonnant d'une façon toute différente. Ce ne sont pas des hallucinations proprement dites que j'ai eues, mais un état particulier qui n'est pas l'état normal, que je n'ai eu que ces deux jours, qui ne s'était jamais produit avant et que je n'ai pas cherché à reproduire dans la suite.
(c) Cet état hallucinatoire, provoqué par l'auto-suggestion, était si accusé, qu'à un moment donné j'ai eu peur de devenir réellement halluciné, et je me suis donné l'auto-suggestion inverse, nepas avoir d'hallucinations. Le résultat a été, du reste,obtenu très facilement au bout de deux minutes, et je n'ai pas cherché à reproduire cet état hallucinatoire mal défini, mais qui est très pénible et très ennuyeux.
Ce qu'il faut constater, c'est que l'auto-suggestion a suffi pour faire disparaître cet état crée par l'auto-suggestion.
6° Excitation génésique.
Cet état nerveux a été supprimé très facilement en quelques minutes par l'auto-suggestion,
7° Causer.
Je me donne l'auto-suggestion de causer d'une façon intéressante, quand je me trouverai auprès de Mme X..., femme d'un de mes supérieurs. Quelques jours avant, lui rendant visite, je n'avais rien trouvé à lui dire, la conversation laissait beaucoup à désirer, et j'avais été obligé de faire une visite très courte. Grâce a l'auto-suggestion je fais la seconde visite d'une heure un quart, et la conversation ne tarit pas pendant tout ce temps.
Ce qu'il y a de plus curieux, c'est que, pour que je cause en la corn pagnie de cette dame, il faut que je pratique chaque fois l'auto-suggestion. Si je ne suis pas prépare par l'auto-suggestion, je ne trouve rien à dire.
comme la première fois. Si l'auto-suggestion est bien forte, elle a un résultat et je puis parler d'une façon suffisante.
J'ai fait des expériences analogues ayant en vue d'autres personnes. Je crois que les résultats obtenus sont réels et vrais, mais les observations ne sont pas assez nettes et indiscutables pour être énoncées.
8° Avoir des idées
(a) Un soir que je pratiquais l'auto-suggestion, pendant la somnolence qui précède le sommeil, sans m'en apercevoir je me donne l'autosuggestion d'avoir des idées fausses. En me réveillant de cette somnolence, en revenant à moi, je constate que je me suis donné cette auto-suggestion d'avoir des idées fausses. Le lendemain, quand je veux me mettre au travail, il ne me vient que des idées absurdes, erronées, et je suis obligé de cesser de travailler ; il ne me vient pas d'autres idées à l'esprit, je constate qu'elles sont fausses, qu'il est inutile de les écrire, et je ne puis en avoir d'autres.
(b) Je me suis donné souvent l'auto-suggestion d'avoir des idées vraies, mais ce n'est pas moi qui puis vérifier si l'auto-suggestion est bien exécutée.
9e Écrire.
Je pratique l'auto-suggestion pour écrire. La somme de travail donné est toujours proportionnée à l'auto-suggestion. La durée de l'autosuggestion est très importante pour la perfection des résultats.
L'auto-suggestion d'écrire et d'avoir des idées est celle que je me suis donnée le plus souvent. C'est celle qui, pour moi. est la plus probante. Souvent, je me suis mis à ma table de travail sans m'étre donné l'autosuggestion d'écrire et avoir des idées. Au bout de dix lignes, j'étais à court, je ne savais que dire, je n'avais rien à écrire, j'étais obligé de faire autre chose.
Quand l'auto-suggestion « avoir des idées et écrire» était bien faite, pratiquée pendant une durée suffisante, je pouvais écrire, accomplir un travail que je constatais. La valeur du travail n'est pas en question, mais le travail existait ; il a été deux fois jusqu'à quatorze pages de papier écolier écrites dans une journée, non copiées, mais au courant de la pensée. Il faut ajouter que ces jours-là j'ai voulu épuiser l'excitation produite par l'auto-suggestion et voir jusqu'où elle pourrait aller. Cependant, il est prudent de ne pas user de la sorte et de ne pas épuiser l'excitation procurée par l'auto-suggestion. La dépression qui suit est d'autant plus grande.
10° Chanter
Je chante mal et n'ai aucune prétention à exceller dans ce genre. Je pratique l'auto-suggestion pour chanter avec goût, faire plaisir aux personnes qui mecouteront. Après avoir chanté, je reçois des compliments pour la première fois de ma vie.
11° Haïr.
le me donne l'auto-suggestion de haïr une personne, D..,, qui m'a fait du mal. Le résultat est positif, je la hais. Cette expérience ne prouve
pas grand chose, mais c'est la suite qui est intéressante. Cette autosuggestion de haïr crée en moi un caractère particulier tel que je ne puis souffrir certaines personnes indifférentes auparavant. Alorsque j'ai pratiqué l'auto-suggestion de haïr pour une seule personne D, cette auto-suggcstion s'accomplit bien pour cette personne D, mais elle s'accomplit aussi pour d'autres X, Y, Z, qui, auparavant, m'étaient simplement indifférentes. C'est ce qui m'a fait cesser cette sorte d auto-suggestion.
12° Rives et auto-suggestion.
Quelquefois on rêve du sujet pensé pendant l'auto-suggestion.
J'ai rêvé que j'écrivais après m'être donné l'auto-suggestion d'écrire, j'étais a ma table de travail, une plume blancne dans la main.
J'ai rêvé que j'avais de l'imagination après avoir voulu me donner l'auto-suggestion d'avoir des idées.
J'ai souvent rêvé des personnes auxquelles je pensais pendant l'autosuggestion.
Pendant un de mes exercices d'auto-suggestion. 33 juillet 1889. je rêve que j'ai une fille de 15 ans, travaillant à côté de moi ; je la surveille, pendant que de mon côté, installé à ma table de travail, je me livre a mon exercice d'auto-suggestion, je pense à avoir des idées et à écrire. J'avais la conscience que je pratiquais l'auto-suggestion, d'avoir des idées, et cependart je rêvais, puisque je me croyais une fille de 15 ans que je n'ai jamais eue.
Ce soir là, j'ai eu trois rêves pendant les exercices d'auto-suggestion que j'ai faits. Il faut ajouter que je recherche le rêve comme critérium d'un bon état pour l'auto-suggestion. Il est certain que c'est par autosuggestion que je rêve en même temps que je pratique mon exercice d'auto-suggestion pour avoir des idées,
accidents DUS a l'aUTO-SUGGESTION.
Les accidents provenant de la pratique de l'auto-suggestion sont les mêmes que ceux qui proviennent de l'hypnose, fatigue, dépression proportionnée au travail effectué, etc. etc. Je ne veux pas développer ce sujet, je veux cependant faire connaître que ces accidents existent.
Je ne citerai que le cas suivant de céphalée provoquée par l'autosuggestion :
Au mois d'août 1888, voulant à toute force arriver à un résultat, un peu fatigué par le traitement alcalin d'une ville d'eaux, je pratique l'auto-suggestion avec trop d'ardeur. Durant trois heures la veille au soir, et deux heures le matin, je me livre à cet exercice. Je veux me mettre au travail dans l'après-midi, mais le résultat est nul. Je souffre d'un mal de tête intense, atroce, j'ai une calotte de plomb qui me serre la tête, et ce mal persiste malgré tout. Je plonge ma tête dans l'eau froide sans réussir a modérer ce mal, j'essaie de me reposer, puis me promène au grand air. Le mal de tête continue, et je sens que, s'il dure longtemps, je n'aurai plus la force de le supporter. Après avoir essayé de plusieurs dérivatifs, je vais à la salle de jeu, et l'émotion causée par le jeu me fait disparaître ce mal de tête en quelques minutes.
L'auto-suggestion mal pratiquée développe l'hystérie ainsi que l'hypnose mal pratiquée.
Mais l'auto-suggestion pratiquée avec sagesse, prudence, et une bonne observation de soi-même, ne développe aucun accident, pas plus que l'hypnose pratiquée avec sagesse et prudence.
Conclusion,
J'ai pratiqué l'auto-suggestion pour un grand nombre de faits ; je l'adapte à toutes les circonstances de la vie, et je crois que cette pratique est appelée à être généralisée.
Du reste, l'auto-suggestion est pratiquée naturellement par beaucoup de personnes. Le savant préoccupé d'une question y pense dans lesilence et le recueillement de la nuit. C'est de l'auto-suggestion naturelle. La personne qui désire vivement une chose ou un fait, y pense également dans le recueillement de la nuit. Cet état, par lequel tout le monde est passé, et qui consiste à ne pouvoir dormir pendant la nuit, à passer une nuit blanche sous l'influence d'une émotion, joie ou chagrin, cet état est très favorable à l'auto-suggestion.
L'insomnie provenant du calé est également très propre à l'autosuggestion.
L'auto-suggestion est un travail qui est quelquefois pénible et fatigant; ce n'est pas toujours un repos. Prendre du café avant cet excercice est excellent, car les nerfs sont capables d'un travail plus grand et l'autosuggestion est plus parfaite.
D'après les exemples qui précèdent, on peut dire que l'auto-suggestion est la volonté en activité, ou une manière d'être de la volonté.
LES HALLUCINATIONS RÉTROACTIVES SUGGÉRÉES DANS LE SOMMEIL NATUREL OU ARTIFICIEL (1)
Par M. le professeur BERNHEIM (de Nancy).
J'ai le premier appelé l'attention sur le phénomène des hallucinations rétroactives ou souvenus illusoires rétroactifs (comme préfère l'appeler M. Forel). J'ai montré qu'on peut faire croire à certains sujets, très sug-gestibles, qu'ils ont vu tels événements, qu'ils ont été acteurs ou spec-tateurs de tel drame; cl la scène, le souvenir suggéré, soit à l'état de veille, soit à l'état de sommeil, se présente dans leur esprit comme si elle avait réellement existé.
Je veux montrer aujourd'hui comment un pareil souvenir illusoire, donnant lieu à un (aux témoignage de bonne foi, peut s'insinuer dans le cerveau despersonnes qui dorment, soit du sommeil naturel, soit du sommeil provoqué.
(1) Communication faite au Congrès de l'hypnotisme.
Voici l'une de nos expériences démonstratives :
Un jour, en présence de deux ecclésiastiques distingués, j'endors presque toute une salle de malades, au nombre de onze; un dormait spontanément. Je ne prends que ceux susceptibles d'être mis en sommeil profond avec analgésie cl amnésie au réveil.
J'en réveille un; c'est un jeune homme de vingt-six ans, soldat revenant du Tonkin, convalescent de dyssenterie, jeune homme intelligent, assez instruit ; il travaillait dans les bureaux, ne présentant d'ailleurs aucun symptôme névropathique. Je lui dis :« Vous voyez le numéro trois, oui est assis sur une chaise. Hier, il est rentré ivre. Il chantait et criait dans ta salle, et quand I infirmier a voulu le rap¡>eler a la raison, il ?? battu, lui a donné un coup de poing sur le nez, si bien que le sang a jailli. Vous étiez là » . Je réputé une seconde fois, en accentuant bien. En quelques secondes, l'halluciualion rétroactive était fuite; il me raconte la scène dans tous ses détails: le numéro trois, ivre et faisant du tapage, l'infirmier lui faisant des remontrances, l'ivrogne lui répondant: « Tu me cherches toujours des raisons », se précipitant sur lui, lui appliquant un violent coup de poing, le sang coulant du nez, la sœur Claire et lui-même accourant pour arrêter le sang, etc., etc. J'ai beau lui dire alors que ce n'est pas vrai, que c'est moi qui viens d'inventer toute cette histoire, il reste convaincu que c'est vrai; ce n'est pas un réve, il l'? vu.Les ecclésiastiques ont beau intervenir ai nom de la religion, lui dire qu'il ne laut pas faire de faux témoignage, sur une simple idée vague qui peut être une suggestion, mon honnête garçon ne comprend rien a ces remontrances ; il est sur de lui, prêt a répéter sur la foi du serment : il a vu.
Je réveille alors le voisin, qui dormait profondément, analgésique Il se réveille en se frottant les yeux et ne sait pas combien de temps il a dormi, ni ce qui s'est passé pendant son sommeil. Au bout d'un certain temps, je lui dis :
f Qu'est-ce qui s'est donc passé hier dans la salle avec le numéro trois ? » Il réfléchit deux secondes et répond : ? Ah oui ! cet ivrogne! • — » Qu'est-ce qu'il a lait? » — « Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé! Je dormais et j'ai été réveillé par le bruit qui se faisait dans la salle. Au moment de mon réveil, je l'ai vu qui donnait un coup de poing sur le nez de Charles, si fort que le sang a jailli. ». — « Qui est-ce qui a commencé ? » — « Je ne sais qui a commencé, puisque je dormais ; je n'ai vu que le trois donner un coup sur le nez de Charles ; puis la sœur Claire est venue avec une cuvette d'eau, etc. » Je réveille successivement tous les malades endormis, après m'être assuré préalablement qu'ils éiaient en sommeil profond, analgésiques. Sur les onze, huit avaient vu la scène, la racontaient dans tous leurs détails, étaient prêts à donner leur témoignage sous la foi du serment. Parmi ces nuit, se trouvait celui qui dormait spontanément. Le numéro trois, lui-même, incriminé, réveillé, aussitôt que je lui taisais une question relative à la scène dont il avait été l'auteur coupable, se mît à balbutier cr qu'il n'était pas ivre; c'était l'infirmier qui avait commencé, il n'avait fait que se défendre. C'est vrai qu'il luiavait donné un coup sur le nez, mais c'est parce que Charles l'avait bousculé lui-même ». Je le sommai de dire la vérité, lui promettant de ne pas ls punir pour cette fois; il avoua tout, il était ivre; il ne recommencerait plus.
J'ajoute qu'aucun des sujets n'avait assisté encore à des expériences de ce genre.
J'ai répété maintes fois cette expérience de façons diverses avec de nouveaux sujets et toujours avec succès. Un jour, le docteur Semal, de
Mons, me faisait l'honneur d'assister à ma clinique; j'ai suggéré à un sujei endormi que mon confrère était photographe, était venu la veille, à quatre heures du soir, faire sa photographie, lui avait donné deux francs. Au réveil, le malade en était convaincu, affirma avoir vu M. Semai la veille au soir avec son appareil photographique, etc. El, chose curieuse, parmi les malades de la salle, plusieurs, trois ou quatre au moins, affirmaient avoir été là et vu M. Semai prendre la photographie du sujet en question.
L'expérience ne réussit pas toujours de la même façon. Parmi les malades interrogés comme témoins, les uns ont vu, nettement vu, d'autres n'ont rien vu; d'autres n'ont pas vu, mais ont entendu parler du fait dans la soirée ou dans lamalinée; ils racontent ce qu'ils ont entendu dire et apportent leur témoignage non visuel, direct, mais auditif indirect.
J'ai voulu montrer comment, ;1 la laveur du sommeil artificiel on naturel, une idée fausse, un souvenir illusoire, un taux témoignage peut se glisser dans le cerveau.
Le dormenr entend, lorsqu'il a l'esprit fixé sur la personne qui parle, il entend cl enregistre, il accepte sans contrôle. Au réveil il ne se rappelle rîcn spontanément. Mais, aussitôt que j'évoque le souvenir d'un des incidents de la scène, celle-ci se représente à l'imagination. Et, comme le sujet n'en sait pas l'origine, ne sait pas que c'est un rêve suggéré, comme son sommeil n'a pas laissé de souvenirs spontanés dans son esprit, il accepte ce souvenir illusoire comme une réalité: il croit que c'est arrivé. Je définis quelquclois d'une façon humoristique que le sommeil : « C'est un état dans lequel on croit que c'est arrivé ». Et j'ajoute : « Ne dites jamais de secret devant une personne endormie si elle ne doit pas l'entendre. Elle peut l'entendre et l'enregistrer. Défiez-vous des gens qui dorment.
DE L'AUTO-SUGGESTION EN MÉDECINE LÉGALE (0
Par le docteur P. BUROT.
Professeur à l'École de médecine de Rochefort.
Les accidents morbides qui relèvent de l'hypnotisme sont de plusieurs sortes. I1 en est qui sont la conséquence plus ou moins directe des manœuvres pratiquées par l'opérateur.
Ces accidents, signalés par divers observateurs ci étudiés par M. Charcot, ne sont guère à redouter entre les mains des personnes expérimentées, grâce à la méthode suggestive de douceur; ils sont presque exclusivement provoqués par des gens qui, sans aucun mandat soit médical, soit scientifique, opèrent sur des sujets très impressionnables, avec une grande bruialité et sans ménagement, à l'effet d'éton- ner le public. Une sage réglementation de l'hypnotisme ne tardera pas san doute â les faire disparaître, parce que l'hypnotisme applique
(1) Communication faite au Congrès de l'hypnotisme.
sans but ou dans un but d'amusement esta la lois immoral et dange-
est une autre sorte d'accidents qu'il importe de connaître. Il peut arriver qu'on soit surpris, au cours d'un traitement régulier, par des accidents qui relèvent du sujet lui-même, par une sorte d'auto-suggestion. Certaines personnes sont toujours prêtes à saisir le côté merveilleux des choses, objectivent puissamment leurs idées et arrivent avec une étonnante facilité à donner un corps aux actions écloses dans leur imagination, comme l'a très bien dit M. Motet, à propos des (aux témoignages chez les enfants.
Dans un cas récent, je me suis trouvé aux prises avec des difficultés assez sérieuses que je crois devoir signaler.
Mme,Heu .., 30 ans,très impressionnable et nerveuse,soutirait depuis de longues années de douleurs dans le bas-ventre et de dysménorrhée. Appelé a donner mon avis, j'affirme avec conviction, après examen complet, qu'il n'existait aucune maladie organique et qu'il s'agissait de phénomènes nerveux localisés. Dès le lendemain, le ballonnement du ventre et les douleurs avaient disparu Ce résultat avait été obtenu sans aucune tentative d'hypnotisation et par une simple affirmation à l'étal de veille. Quelques jours plus tard, le ventre était toujours libre, les règles avaient même eu lieu sans douleurs, mais il s'était développé un état d' énervement général et de légères crises convulsives. Son mari que je traitais par la suggestion pour combattre des habitudes alcooliques et dont l'étal s'était amélioré, me pria d'user de ce moyen pour dissiper les troubles nerveux que présentait sa femme.
Tout d'abord l'effet me parut favorable mais bientôt l'énervement augmenta et le sommeil était agité et entrecoupé de rêves. Un jour qu'elle paraissait très inquiète, elle me dit qu'elle avait peur, sans s'expliquer d'avantage. Ne devinant pas la cause de sa frayeur et de son inquiétude je la rassurai d'une manière banale. J'étais loin de soupçonner son tourment, parce que la suggestion avaiteu lieu en présence de son mari et que le sommeil était assez léger pour ne jamais lui faire perdre le souvenir au réveil de ce que je lui avais dit.
En rentrant chez elle. Mme Heu.... fut prise d'un véritable accès de folié ; elle courait chercher un prêtre pour se confesser, portait des cierges à l'église et sanglotait. Elle finit par dire à son mari qu'elle avait peur de moi, parce que je connaissais le fond de ses pensées et que je pouvais lui jeter ma malédiction ; du reste, elle sentait que j avais dû l'empoisonner. Sa langue était épaisse : le pouls était très fréquemment à 130 et 140, le rhythme de la respiration excessivement troublé; l'angoisse était grande. Et puisque je l'avais empoisonnée, elle, je pouvais également empoisonner son enfant qui se trouvait au lycée, dans une ville voisine. Aussi, elle fit envoyer des dépêches au directeur de l'établissement, qui répondit que l'enfant se portait bien ; mais elle n'en crut rien et elle voulut qu'on fil venir son fils.
J'ignorais ce qui se passait, parce qu'elle avait détendu de me faire appeler. Dès que j'eus connaissance de la situation, je fis mon possible pour voir la malade et j'y réussis.
A sa première parole, je devinai sa préoccupation : « l'hypnotisme n'est donc pas une chose surnaturelle, me dit-elle ; vous ne pouvez donc pas deviner ce que je pense? » Je parvins à la rassurer et après une crise convulsive qui eut lieu la nuit suivante, l'accès de folie, qui avait duré trois jours, prit fin. Elle se réveilla comme d'un cauchemar affreux dont elle avait gardé le souvenir.
Cherchons maintenant les causes de ces troubles psychiques. Il est
certain qnc les manœuvres hypnotiques ne peuvent pas être mises en cause. Je n'avais agi qu'avec la plus grande douceur, par l'application de la main sur le front, l'occlusion des paupières avec le doigt, sans aucune fixation préalable du regard et par l'insinuation du calme complet. Je n'avais point forcé le degré de sommeil, qui était très léger, et j'avais eu soin de bien la réveiller après chaque séance.
La cause est donc ailleurs ;elle est uniquement dans l'esprit du sujet qui a été trappe de différentes manières. D'abord Mme Heu...allait tons les jours dans un milieu où elle entendait très souvent parler de l'hypnotisme dans un sens exagéré et tout à fait faux. C'était, du reste, au moment où le magnétiseur Pickmann venait de faire sa tournée dans la région et où chacun discutait et interprétait à sa façon les expériences dont il avait été témoin. Une circonstance toute particulière avait, en outre, fortement contribué ù troubler ce cerveau. Mme Heu... me conduisit un jour son fils âgé de dix ans ; elle avait eu soin, au préalable, de m'avertir des mauvaises habitudes qu'il avait et que je devais corriger. Pour impressionner l'enfant, sans avoir recours à l'hypnotisme, je lui dis que je connaissais ses défauts, que je savais ce qu'il faisait et je l'engageais à ne plus recommencer. Ayant jeté par hasard les yeux sur ses doigts, je m'aperçus que ses ongles étaient rongés et je lui dis que je savais bien aussi qu'il avait cette mauvaise habitude. A ce moment, la mère medit « Vous avez deviné cela, docteur. » Croyant qu'elle voulait donner plus de poids à mes paroles, je répondis: « Certainement madame. » Malheureusement, la mère avait été plus impressionnée que l'enfant et à partir de ce moment elle me crevait capable de tout deviner, elle m'accordait tous les pouvoirs imaginaires. Elle aurait même témoigné en justice que je l'avais empoisonnée et son imagination exaltée aurait trouvé des preuves accablantes.
C'est donc bien l'auto-suggestion qui a été la cause des accidents céré-braux. On pourrait jusqu'à un certain point faire intervenir le transport au cerveau ou la métastase de l'affection douloureuse et ancienne de l'utérus brusquement déplacée ; mais la véritable raison a été la croyance au surnaturel. Il faut être prévenu de la possibilité de ces accidents ; ils imposent l'obligation de préparer les sujets et de les mettre en garde contre les mauvaises impressions du dehors, en leur inculquant l'idée que la suggestion hypnotique est un procédé aussi naturel que n'importe quelle médication.
UN CAS D'INVERSION SEXUELLE AMÉLIORÉ PAR LA SUGGESTION HYPNOTIQUE.
Par le Docteur Baron Von SCHRENCK-NOTZING (de Munich).
Encouragé par le mémoire du professeur docteur von Krafft-Ebing, qui, après six séances, a, dit-il, obtenu de bons résultats dans le traitement par la suggestion d'un malade atteint d'inversion sexuelle, je viens vous présenter un cas analogue. Le traitement dura, il est vrai, plusieurs mois, du 2 mars 1889 jusqu'au mois de juillet de la même année et
nécessita 45 séances. Voici donc ce fait dont j'ai déjà fait mention le 5 avril 1889; à la séance de la Société de Médecine de Munich, lors de la discussion sur l'hypnotisme, soulevée par ma statistique hypnotique de ces derniers temps.
Le 20 janvier 1889, je reçois la visite d'un fonctionnaire, âgé de 28 ans, chez qui l'inversion sexuelle paraît innée. D'après son dire, son père est très nerveux et sa mère est morte d'un cancer utérin. Le frère et la mère de cette dernière étaient des aliénés. Les frères et les sœurs de R... étaient égalemont des nerveux. Un de ses frères souffre de neurasthénie et présente des aberrations de l'instinct sexuel, un deuxième frère est un excentrique, un troisième est également atteint d'inversion sexuelle. Sa sœur est sujette à des attaques de convulsions
A part les maladies deson enfance, R... n'a pas eu de maladies sérieuses. Son état physique et nerveux est satisfaisant.
Jusqu'à ce jour, R... n'avait pas encore pratiqué le coït avec une femme. L'idée d'un commerce charnel avec une femme lui répugnait. Il avait cependant fait appel à toute sa force de volonté pour se rendre maître de ses sensations maladives en essayant maintes (ois d'accomplir l'acte sexuel avec une femme, mais il ne parvint jamais à s'exciter suffisamment pour avoir des érections. Il resta donc impuissant à l'égard des femmes et n'attacha de prix à ses relations avec celles d'entre elles qui étaient instruites que pour les avantages intellectuels qu'il pouvait en retirer.
Son penchant pour les hommes était fortement développé chez R... depuis la puberté- Le seul contact avec des personnes de son sexe suffisait pour produire chez lui une vive excitation qu'ilapaisait soit par la masturbation, soit par un commerce illicite avec des individus de la plus basse condition, rencontrés la nuit dans la rue et auxquels il demandait contre de l'argent de satisfaire sa passion. Retenu par les convenances sociales et les lois d'un côté, et de l'autre, impuissant à se rendre maître de ses sentiments, son âme fut envahie par un grand trouble. Les Les besoins sexuels et la réflexion entrèrent en lutte ; des rêves lascifs, dans lesquels des hommes jouaient le principal rôle, augmentèrent ce trouble. De temps en temps la raison triomphait ; R... trouvait alors assez de force pour quitter la société masculine dès qu'il se voyait menacé de succomber à sa passion . Le plus souvent cependant, le besoin sexuel l'emportait. Alors, R... se sentait profondément malheureux. La vie lui devint un tardeau.
Il était dans cet état de dépression psychique lorsqu'il vint me trouver.
Le 22 janvier 1889. j'essayai pour la première fois d'hynoptiser R... en employant les procédés en usage à Nancy. R.. tomba en somnolence, et quelques jours après, il parvint, par la répétition du procédé hypnogè-ne, à atteindre l'hypnose. Dès lors, il y eut toujours catalepsie suggestive, mais avec conservation de la consience.
Plus tard le malade tomba en somnambulisme avec amnésie au réveil. Il se trouvait toujours bien après son réveil.
Il prétendait même que sa force intellectuelle avait augmenté pendant le traitement.
Les suggestions se réalisaient presque sans exception avec une grande
précision, que le malade ait été en état de somnambulisme ou de somnolence.
Le traitement suggestif était systématiquement dirigé contre la perversion sexuelle.
L'indifférence pour les hommes et la faculté de résister furent d'abord promis avec l'assurance que l'intérêt que le patient porterait au commerce avec les femmes augmenterait toujours. De plus, défense d'avoir la moiniie inclination à la masturbation.
Les figures masculines des songes nocturnes furent peu à peu remplacées par des figures de femmes, et déjà, après quelques séances, le malade éprouva, à la vue des formes féminines, un plaisir qu'il n'avait pas encore connu. A la septième séance, l'union sexuelle avec une femme fut ordonnée avec la persuasion d'une réussite complète, et le mime jour. 29 janvier 1889. le coït normal réussit au patient pour la première fois de sa vie. Dès lors le commerce sexuel de R... fut réglé suggestivement et pratiqué toujours avec succès, à des intervalles fixes.
La crainte d'une rechute m'engagea à continuer pendant quelques temps encore les séances hypnotiqnes avec des intervalles variables.
A l'aide de la suggestion, R... avait recouvré son équilibre psychique.
Tout au moins ne se ser.tait-il plus dans la même dépendance à l'égard des hommes. Néanmoins, il lui resuit des tentations fréquentes, surtout lorsque les intervalles des suggestions devenaient plus longs. Après que
R.......toujours sous l'influence moralisatrice de la suggestion, eut
passé trois mois en pleine jouissance de ses facultés sexuelles normales, il eut une rechute, le 22 avril 1889, occasionnée par un malheureux atteint de la même aberration. Il me l'avoua avec sa franchise habituelle. Des remontrances énergiques pendant l'hypnose amenèrent aussitôt le repentir et l'horreur de la faute.
Afin de mettre à l'épreuve l'équilibre qui se rétablissait de plus en plus, le malade coîta avec une femme, de son propre gré et en présence de son séducteur, avec qui il rompit immédiatement.
A cette époque, R... m'avoua qu'en cohabitant avec des personnes d'une éducation fort au-dessous de la sienne, la satisfaction du besoin esthétique lui faisait défaut et qu'il ne croyait pouvoir la trouver que dans un mariage heureux. Je fortifiai cette pensée, et quelques semaines plus tard,je reçus sa carte de fiançailles avec une amie de jeunesse.
Lors desa visite, R... m'assura que le bonheur qu'il éprouvait dans ses relations avec sa fiancée le rendait insensible à toute autre impression. H se croit rétabli et pense posséder définitivement l'équilibre psychique produit par lasuggestion—équilibre qui dure depuis six mois, en faisant abstraction toutefois de la rechute dont il a été parlé plus haut.
Jusqu'à quel point le traitement psychique a-t-il réussi à vaincre ou à limiter la disposition héréditaire du malade et ramener son instinct sexuel dans la voie nornale : c'est une question qui ne pourra être examinée que dans plusieurs années.
Mais le fait que par l'application systématique de ce nouveau moyen d'éducation, on a obtenu six mois de changement intérieur complet et durable, n'est pas, à mon avis, un progrès à dédaigner, surtout si l'on considère l'impuissance des autres méthodes de traitement.
Si. par malheur, une rechute se produisait, il reste toujours comme correctif, la répétition du procédé, la suggestion hypnotique.
UN CAS DE MUTISME MÉLANCOLIQUE GUÉRI PAR SUGGESTION
Par M. le docteur VELANDER (de Yonkoping, Suède).
En un an et demi, j'ai traite plus de six cents personnes par la suggestion hypnotique et chez un nombre de cas assez respectable, j'ai obtenu des guerisons importantes. Comme maladies les plus aptes a être traitées par cette méthode, j'ai trouvé : douleurs en général, névralgies, insomnies, mélancolie même, dysménorrhée, aménorrhée, incontinence nocturne et diurne d'urine, auto-somnambulisme, rhumatisme aigu et chronique, ambryopie nerveuse, habitudes vicieuses, dipsomanie, etc.
j'ai fait l'iridectomie deux fois, l'extraction de kystes une fois, l'opération de Bowman deux fois, l'extraction des dents plus de vingt fois, pendant l'hypnose, avec amnésie complète ou presque complète au réveil.
Enfin, il me faut ajouter que ce qu'ont écrit et dit MM. Bernheim, Aug. Voisin, E. Bérillon et tant d'autres médecins français distingués est parfaitement d'accord avec mon expérience personnelle.
Sans vouloir prendre le temps trop précieux de ce Congrès, je voudrais seulement vous citer avec quelques détails un cas assez remarquable de ma pratique.
Jeanne-Sophie D..., trente-six ans, née de parents sains, avait toujours joui d'une bonne santé. A l'âge de 25 ans, elle tombait subitement malade ; elle poussait la première nuit de sa maladie des cris violents, s'inquiétait du sa'ut de son âme ; de plus en plus discrète, elle devenait bientôt parfaitement muette; d'ailleurs indifférente a tout, elle était devenue très faible. Elle fut traitée par différents médecins, lit deux cures d'eaux minérales et revenait peu à peu à la santé. Elle se rétablit complètement, mais la parole ne revint pas. Son frère aîné, qui l'amena chez moi, assurait que pendant dix années elle n'avait pas le moins du monde essayé de remuer les lèvres pour parler, malgré les exhortations, les prières et les instances de ses parents.
Vers la fin de juillet passé, elle vint me voir pour la première lois ; elle avait l'air d'être en parfaite santé! La vue et l'ouïe étaient bonnes, l'intelligence sans défaut ; seulement, complètement muette, elle ne pouvait pas prononcer la moindre syllabe,
Peut-être dirait-on qu'elle est hystérique, cette fille, mais elle ne m'a point lait du tout l'impression d'une folle. D'après mon jugement, elle a montré plutôt tous les signes d'une mélancolie.
Quoique je n'eusse que de faibles espérances de la guérir, je me résolus, à la prière de son frère, à tenter une épreuve. L'ayant donc placée sur un canapé, je lui dis de s'endormir ; en moins d'une minute, elle était plongée dans un état d'hypnose assez profond, avec catalepsie suggestive (Bern-heim), anesthésie aux piqûres d'épingles, etc.
le lui ordonnai, pendant l'hypnose, de parler, de dire si elle était tout à fait muette ; la suggestion lut répétée quantité de fois en variant les procédés,le tout sans effet; toujours le mème silence. Je lui percutai ensuite les tempes, en lui assurant qu'elle pouvait répondre à ma demande : « Sentez-vous ? » Pas de réponse, c'était comme si j'eusse trappe un rocher. Enfin je lui ordonnai d'ouvrir la bouche : elle obéit tout de suite. Pressant sa langue avec assez de force, je l'assurai que je déliais les liens de sa langue. Encore une fois, je lui percutai les tempes, en demandant : « Sentez-vous! » J'observai alors un petit tremblement des lèvres. Encouragé, je continuai mes tentatives jusque là infructueuses, et, après presque une heure d'efforts, j'eus le plaisir de l'entendre répéter dans un chuchotement à peine perceptible les mots: oui, non et Jeanne. Le lendemain, elle faisait des progrès, répétait plusieurs mots, toujours en chuchotant, mais plus haut que la veille. A la troisième séance, on pouvait déjï entendre ses réponses d'une chambre voisine, la porte ouverte; et, à la quatrième séance, elle parlait et lisait assez haut et assez distinctement.
Au bout de deux semaines seulement, j'avais le plaisir et la joie de l'envoyer chez elle parfaitement guérie. Ses réponses étaient d'abord un peu hésitantes, comme si elle avait un obstacle à vaincre, mais peu à peu elle répondait plus vite et avec facilité. C'était vraiment touchant de con-verser avec cette femme, car ses mots étaient accompagnés de regards étincelants qui reflétaient la joie de pouvoir de nouveau communiquer avec ses semblables.
INFLUENCE DE L'ÉDUCATION ET DES MILIEUX SUR LA CRIMINALITÉ(1)
Par le Docteur émile LAURENT
Ancien interne à l'infirmerie centrale des prisons de Paris
I
Helvétius conclut quelque part que « l'inégilité des esprits est due à la différence de l'éducation », et Locke assure que c de cent hommes, il y en a plus de quatre-vingt-dix qui sont ce qu'ils sont, bons ou mauvais, utiles ou nuisibles à la société, par l'éducation qu'ils ont reçue.
(1) Extrait du livre: Les habitués des prisons de Paris, Etude d'anthropologie et de psychologie criminelle, in- 8° de 600 avec nombreuses planches et figures. Chez Steinheil à Paris, et chez Storck à Lyon.
C'est de l'éducation que dépend la grande différence aperçue entre eux ».
Sans exagérer cette influence heureuse ou malheureuse de l'éducation, on ne saurait nier l'importance du rôle considérable qu'elle joue dans la vie. Sans uoulc il est de ces êtres pervers, de ces fous moraux, de ces criminels-nés sur lesquels on ne peut absolument rien et qui naissent avec le crime dans le sang. Mais beaucoup de criminels seraient éducables.
De l'avis même de Lombroso, le sens moral peut s'acquérir. Tous les enfants l'acquièrent, avec plus ou moins de facilité, suivant leurs dispositions; mais chez aucun ce sentiment n'est inné ; il n'est que le fruit de l'éducation. L'auteur italien a longuement montré combien lus enfants sont généralement menteurs, voleurs, gourmands, cruels, colères, vindicatifs. Les bons exemples, les remontrances accompagnées, s'il est nécessaire, de légers châtiments physiques, suffisent souvent i les ramener à de bons sentiments. Certaines natures, profondément et en quelque sorte fatalement mauvaises, résistent à cette influence et restent telles ou à peu près. Mais tous ceux dont l'âme renferme un bon sentiment, l'éducation, si elle est bien dirigée, suffit pour le faire éclore et donner une abondante moisson de bienfaits.
« On sait, dit le DrA. Bordier, que les cellules cérébrales, lorsqu'elles ont été très fortement excitées, ou lorsque, sans l'être aussi fortement, elles l'ont été très souvent et toujours de la même manière, gardent, à la suite de cette excitation très lorte et unique, ou faible main répétée, un état anatomique particulier, quelque chose comme une mémoire matérielle, qui lait que toute excitation nouvelle les remet dans l'état même où elles se sont trouvées lors de la grande excitation ou lors de ces excitations toujours les mêmes et mille lois répétées qu'elles ont subies ; il semble qu'elles ne sont plus aptes dès lors qu'à un seul genre d'ébranlement, qu'à une seule idée, l'ébranlement et l'idée qui correspondent aux idées précédentes (1). »
Tel est, conclut M. Paul Copin, le point de départ physiologique de l'action exercée par le milieu social sur les unités qui le composent Et il ajoute : « Les hommes sont bien ce que les ont faits les milieux par eux traversés, avec les différences du plus ou moins résultant des énergies constitutives et des facultés d'assimilation particulières à chaque individu, différences qui correspondent d'ailleurs aux divers degrés de docilité rencontrés par les hypnotiseurs chez leurs sujets.
« Ceux-ci, comme le prouvent des milliers d'expériences, peuvent être persuadés gré du caprice de l'expérimentateur, qu'ils boivent mangent, marchent, dansent, entencenl tel ou tel air de musique, assistent à un mariage ou à un enterrement ; ils se livrent, malgré eux, à une foule d'actes qu'ils s'imaginent accomplir librement, convaincus, d'ailleurs, soit de la nécessité, soit de la légitimité de ces actes.
« Les sujets hypnotisés par les milieux sociaux en arrivent à peu
près à ce point d'inconscienc e.Vaincus par la contagion de ces milieux, eur instinct, leur bon sens, tout ce qu'il y a de sentiment vraiment personnel entre eux se trouve comme fasciné par les idées généralement admises. La vérité, le devoir, la vertu ne dépendent pour eut ni de la connaissance exacte des choses, ni des enseignements de la raison naturelle, mais de la façon de penser, d'apprécier, de juger qui règne dans la sphère où ils vivent.
« C'est par la suggestion des milieux que les masses humaines
(1)A. Bordier, La Vie des sociétés.
adoptent sans examen les formules religieuses et politiques au milieu desquelles le hasard les a placées et qu'elles leur prodiguent tous les aplatissements de leurs adorations alors même que celles-ci, usées par le temps, corrompues, impuissantes, méconnaissables, ont a jamais perdu leurs vertus moralisatrices. C'est par celte même suggestion que chacun de nous est ce qu'il est et pourrait être exactement le contraire, croyant aussi bien que libre-penseur, protestant aussi bien que catholique, mahométan aussi bien que boudhiste, allemand aussi bien que français, si le sort nous avait placés dans des conditions différen-tes de celles qui ont constitué notre individualité, c'est-à-dire si la suggestion subie avait été autre (1). »
Malgré leur pointe d'exagération, ces idées sout profondément justes. Les milieux ne créent pas, mais ils ont une puissance modificatrice considérable.
L'éducation n'a et ne peut avoir ancune prise sur la virtualité, les dispositions, l'activité native des facultés intellectuelles, affectives on morales. Elle s'empare de ces dispositions, de cette activité telles que la nature les a faites, petites ou grandes, débiles ou puissantes, et leur imprime des directions variées, en favorise même jusqu'à un certain point le développement en les plaçant dans des conditions favorables, mais elle ne les crée pas. En d'autres termes, la vitalité psycho-cérébrale est essentiellement innée et se rattache ù des conditions primitives d'organisation ; elle est. pourainsi dire, la matière première sur laquelle l'influence éducatrice pourra opérer, sans rien changer à son énergie première, sans la diminuer ou la grandir (2). » Aussi, je crois que beaucoup d'individus pourraient rester vicieux sans devenir criminels, si on les surveillait attentivement pendant leur enfance et leur adolescence. Une éducation sévère et bien entendue, sans en faire de bons sujets, les préserverait peut-être de la prison en les empêchant d'entrer en lutte contre la société.
II
« L'individu moral, dit le Dr Magnan. n'est pas prédisposé naturellement au crime; s'il devient criminel, criminel d'occasion aussi bien que criminel d'habitude, il le devient sous l'influence d'une passion ou d'une éducation vicieuse (3). »
Je ne saurais dire combien de fois on retrouve, au début de l'existence des criminels, ce manque de dit ection et d'éducation qui laisse éclore tous les mauvais instincts. Et puis, que de fois les mauvais exemples viennent compléter les effets pernicieux de cet abandon moral ! Non-seulement on ne parle pas à l'enfant de vertu, d'honneur de probité ; mais tous les jours, au contraire, les parents étalent leurs vices à ses yeux :le père s'enivre, vole et va en prison; la mère se prostitue dans le lit même de son mari. Et le fils devient ivrogne et voleur comme son père, et la fille se fait prostituée comme sa mère.
Je n'ai que l'embarras du choix pour citer des exemples.
C.... a dix-neuf ans. Sa mère est aveugle ; elle vivait collée avec un chauf-
(1) Voyez à ce sujet, ma communication au Congrès international de l'hypnotisme tenu à Paris en 1889: De l'action suggestive des milieux pénitentiaires sur les detenus hystériques. (2) J. Moreau. Psychologie morbide.
(3) Voyez Congrès international de l'anthopologie criminelle tenu à Paris en 1889 Rapport sur la cinquième question, par le Dr Magnan: De l'enfance des crimineles dans ses rappors avec la
prédisposition naturelle ou crime.In Archives de l'anthropologie criminelle, n°23, 1889
feur-mécamcien dont elle eut six enfants. C... est de ceux-ci. Cette femme, abandonnée par son premier amant, se remit en ménage avec un autre, dont elle eut encore cinq enfants.
Aussitôt qu il put sortir, C... fut abandonné à lui-même, il passait presque toutes ses journées a vagabonder. Sa mère, son beau-père et ses frères ne s'occupaient de lui que pour lui distribuer des gifles. A douze ans, il quitta sa mère et s'engagea au cirque Cocherie, où il faisait des culbutes sur le tapis. A quinze ans, il quitta le cirque et se mit polisseur sur métaux, état qui lui rapportait de cinq à six francs par jour. C'est un garçon pâle chétif. aux yeux noirs, doux et profonds, ombrages par de longs cils. Il est certain que les milieux où s'est passée son enfance ontconsidérahlement influé sur sa conduite: s'il eut reçu une éducation différente, s'il eut été élevé au milieu de gens honnêtes, il eut pu, lui aussi, devenir un garçon honnête et bon. Au contraire, il est devenu voleur. Il a subi cinq condamnations pour vol à l'étalage; la première fois il n'avait que douze ans. La dernière fois ¡1 a été condamné pour tentative de vol avec effraction.
Si le fils devient voleur, ai-je dit. la fille se prostitue. La prostitution étant si souvent la première étape du crime chez la femme, je ne croirai pas trop sortir de mon sujet en demandant la permission de rapporter ici quelques observations où cette influence du manque d'éducation et des mauvais exemples est absolument indiscutable.
Chez certains parents il n'y a que négligence : on parle et on agit sans se gêner devant les enfants ; on les laisse s'habituer à ne rien faire, traîner toute la journée dans la rue et c vadrouiller » (1) le soir. La fille se débauche et tourne mal. Tant pis ! Elle n'en sera pas plus malheureuse pour cela, au contraire! Et c'est en quelque sorte l'approuver que de ne point lui faire de reproches.
Jeanne a dix-sept ans. Son père était un ivrogne, un homme violent et emporté, se livrant dans son ménage â des scéues de violences regrettables, tantôt sur sa femme, tantôt sur ses enfants Il est mort paralytique général à l'asile d'aliénés de Vaucluse. Sa mère est une femme faible de caractère, incapable d'attention, sans volonté comme sans énergie, terrorisée par son mari qui la brutalisait. Ses deux sœurs se livrent a un dévergondage notoire. Son frère a subi deux condamnations pour ivresse et batteries.
Jeanne est une fille de petite taille, aux formes graciles, mais élégantes et harmonieuses, aux yeux noirs très vifs, avec un visage pâle et enfantin. Elle s'exprime avec volubité. ayant quelquefois des saillies drôles, mais plus souvent yrossiéres ou obscènes. Elle parle argot et déclare que son frère est un « méque ». Assez intelligente, sachant lire et écrire, bien qu'elle ait passé fort peu de temps à l'école, elle lit les romans de Richebourg avec enthousiasme. « La Terre », malgré sescrudités. l'a laissée froid; ; néanmoins elle s'est réjouie des gaîtés tumulteuses du héros ventueux de Zola; cela lui rappelait les « magnifiques pétarades » paternelles qui faisaient la joie de ses premiers ans.
Jeune au lieu de l'envoyer à l'école ou d'essayer de lui apprendre un métier, on ta laissa traîner dans la rue avec des galopins de son âge. Elle devint rapidement savante en vices. Souvent, le dimanche, son père s'enfermant seul avec sa mère, la chassait, l'envoyant jouer. Intriguée, elle remontait sournoisement avec d'autres gamines écoucer à la porte. Elle ne tarda pas à comprendre ce qui se passait. C'était chaque fois pourelle un motif de « rigolade ». Elle ne manquait jamais de venir écouter à la porte, puis, en descendant, elle disait en riant à la concierge ahurie: « Maman vient de se pousser du plaisir. Vous allez voir c'te geule éreintée qu'elle a. » Elle ne tarda pas à essayer d'en faire autant, et, pour un couteau, elle se livra à un gamin de douze ou treize ans qui
(1) Courir dans les rues.
fit sur elle des tentatives de coït dans le nombril. Elle ce moqua de lui et le traita d'imbécile, outrée d'une pareille ignorance. La scene se passait dans l'escalier d'une cave ; elle avait alors dix ans.A quelque temps de là. chez des voisins, elle essaya de faire pratiquer devant elle le coït, par un gamin deonze ans. sur sa sœur qui en avait neuf, aidant de ses conseils et de ses mains les deux débutants.
A douze ans elle se livra de nouveau â un gamin, sur les fortifications, pour un couteau et deux sous de pommes de terre frites. Il y eut simplement tentative de coït. A quinze ans. des amies du même âge et deja déflorées la présentèrent â un souteneur du quartier, très connu de ce petit peuple, et qu'on avait surnommé d'un sobriquet diffìcile â écrire, mais qui indiquait que chez lui les érections Doutaient donnera son organe la rigidité de l'acier. On entraîna Jeanne dans un hôtel meuble. Elle se laissa faire des caresses saphiques par le « méque «, mais refusa énegiquement de se livrer. Ses amies furent obligées de lui tenir les pieds pour que l'acte pût s'accomplir. Elle resta ensuite environ trois mois sans revoir d'homme. Puis, sa soeur lui ayant présenté le frère de son amant, elle se prit pour lu; d'un « béguin » et resta avec lui un certain temps. Bien que peu portée aux plaisir de l'amour, elle n'est cependant pas insensible à l'acte vénérien ; il lui arrivait assez fréquemment de rester couchée avec son amant des nuits et des jours entiers, ayant jusqu'à dix rapports de suite. Un jour, ayant entendu parler d'onanisme bucai, ellevoulut le pratiquer sur son amant, puis ce fut le tour de ce dernier, qui dut lui faire des caresses saphiques.
A la suite de discussions où les giffles intervenaient trop souvent, elle quitta « le chéri de son cœur », se livra ensuite à diffférents individus et à plusieurs simultanément. Aujourd'hui e!'e vit ouvertement de prostitution.
Dans d autres circonstances, la jeune fille livrée à elle-même prend un amant. La mère, femme peu scrupuleuse, ne tarde pas à s'en apercevoir. D'abord elle se fâche, mais pas sérieusement, et, réflexion faite, elle se dit que si sa fille a mal tourné, il vaut mieux essayer de tirer partide ce capital perdu ; elle lui conseille elle-même de « lâcher son galvaudeux et de faire la noce avec des miches chouettes ».
Sarah a dix-huit ans. Son père est mort fou. Sa mère est une femme sans pudeur qui vit de la prostitution de sa fille.
D'une taille au-dessous de la moyenne. Sarah est maigriote. avec des cheveux blonds pales et des yeux bleus. Elle présente du strabisme assez prononcé de l'œil gauche. Peu vicieuse et peu portée aux plaisirs de l'amour, elle tut déflorée à seize ans par un ouvrier du même âge qui fréquentait la maison. Mais bientôt, conseillée par sa mere, elle abandonna son amant et cessa complè-tement de travailler pour vivre de prostitution.
C'est une fille d'humeur douce, subissant l'homme plutôt qu'elle le recherete, se prostituant avec un cynisme plein de gaité. Elle habite avec sa mère et son frère qu'elle nourrit tous les deux.
D'autres fois, et ces cas sont plus fréquents, ce sont les mauvais exemples de la mère qui ont perdu la fille. Celle-ci a assisté aux fornications de celle-là et, aussitôt que l'occasion s'est présentée, elle en a fait autant, heureuse souvent de déserter le domicile maternel, devenu un enfer.
Andréa a dix-sept ans. Sa mère s'est toujours livrée â un dévergondage notoire, se prostituant presque au premier venu. Son mari, fatigué de ses fornications, dégoûté de la voir toujours ivre. l'a abandonnée un jour et on ne l'a jamais revu depuis. La mégère se remit alors en ménage avec un autre homme, un individu ivrogne et brutal. Andréa, qui couchait dans la même chambre qu'eux, assista de bonne heure à leurs scènes d'amours, à leurs orgies, a leurs disputes et souvent à leurs rixes. Maltraitée par l'un et par l'autre, elle s'absentait le plus souvent possible, courant les bals de Montmartre, mais allant de préférence au Moulin de la Galette. C'est là, d'ailleurs,qu'elle fit la connaissance de son premier amant; elle n'avait que quinze ans.
De plus en plus rudoyée par sa mère, àseize ans elle partit de chez elle, abandonna son métier de piqueuse de bottines et se mit à vivre ouvertement de prostitution. Actuellement elle est rentrée avec sa mère, qui a accepté la situation et en vit.
C'est une fille d'une taille très au-dessous de la moyenne, avec des cheveux noirs abondants, une tète forte au front proéminent et bombé, avec des petits yeux vifs et un nez retroussé en trpmpette. Bien qu'elle ne soit pas bossue, sa colonne vertébrale n'a pas la courbe harmonieuse habituelle et indique des traces manifestes de rachitisme. Sans être portée d'une façon exagérée aux jouissances de l'amour, elle y trouve cependant un certain plaisir. Enfin, malgré le déplorable milieuoù ellea été élevée, elle a encore conservé un certain décorum et se prostitue avec quelque dignité.
III
Telle est l'influence de la première éducation sur l'enfant. Mais ce n'est point tout. Plus tard, quand l'enfant devenu adolescent sortira de la famille, quand il ira à l'atelier, le péril ne sera pas moins grand, et c'est là surtout qu'il aura besoin d'être surveillé et conseillé pour pouvoir résister aux entraînements de mauvais camarades. Combien d'enfants ont été perdus de cette façon, et perdus à tout jamais !
Du reste, j'ai été frappé de ce fait: c'est que neuf fois sur dix le premier délit a été commis de complicité avec un autre individu ordinairement plus âgé et récidiviste, et c'est de ce dernier qu'est partie l'initiative.
Je pourrais citer des faits par douzaines. Prenons seulement deux exemples.
L. .. a à peine connu ses parents et il a été jeté fort jeune sur le pavé de Paris. I1 a aujourd'hui seize ans. C'est un garçon au front un peu étroit, à la figure imberbe, douce et presque angélique, à la peau blanche et fine, au pubis glabre, à la verge infantile, aux testicules petits.
Il est condamné pour la première fois. I1 a volé des peaux de lapin, en compagnie d'un autre individu âgé de vingt-huit ans. C'est ce dernier qui a eu l'initiative du vol, qui a indiqué à I----l'heure et l'endroit pour le commettre, qui en un mot la entraîné. L... reconnaît avec franchise qu'il a agi de propros délibéré et que son complice l'a facilement gagné ; mais il est certain, et il le dit lui-même, qu'il n'eût pas osé tenter le coup tout seul.
Le fait suivant est tout aussi probant sous ce rapport.
F... a perdu sa mére. depuis longtemps et son père l'a abandonné fort jeune. Cest un garçon de seize ans. peu intelligent, sachant néanmoins lire et écrire, aux oreilles larges et écartées, aux arcades orbitaires saillantes. I1 est condamné pour la première fois, pour vol d'une pipe en écume. Ce vol a été com-mis à l'instigation d'un complice de dix-neuf ans qui avait déjà subi plusieurs condamnations.
Je parlais tout à l'heure des prostituées. Combien sont entraînées par une amie peu sage qui leur présente un ami de leur amant et aide ainsi à leur déshonneur !
IV
Et cette influence pernicieuse des mauvaises fréquentations n'agit pas seulement sur l'enfant et l'adolescent. Elle agit aussi sur certains hommes peu courageux qui trouvent dans ces milieux un encouragement à leur paresse et à leurs vices.
On va d'abord dans telle brasserie ou dans Ici cercle parce qu'on s'y amuse, qu'on y passe agréablement une soirée après son travail fini. Mais rapidement des relations secréent et souvent la soirée se prolonge pendant une partie de la nuit; on cause et on boit. On a laissé ainsi uue grande partie de son argent au café, sans compter que le lendemain on a peu de courage au travail. On revient presque naturellement au café, et on expose son embarras aux amis. Ceux-ci encouragent au mal, lèvent les derniers scrupules et proposent de tenter un coup en commun pour se tirer de la misére.
Veut-on un exemple? Je n'ai que l'embarras du choix.
M... est un garçon assez instruit et fils d'honnêtes cultivateurs des environs de Blois. Il a travaillé au Louvre et dans différents magasins de nouveautés, où il gagnait largement sa vie. Le soir il fréquentait une brasserie bien connue du faubourg Montmartre, brasserie où se donnent rendez-vous toutes les prostituées des environs. Là, il fit connaissance l'un faux-monnayeur dont j'ai déi't parlé dans un autre chapitre. Celui-ci fit miroiter aux yeux du commis les agréments d'une vie large et heureuse, les ennuis du travail régulier supprimés, les longues soirées de noce et les journées passées à ne rien faire, à se promener dans les rues. M... se laissa séduire et s'engagea comme émetteur. Il ne tarda pas à être pris et fut condamné à cinq ans de réclusion. C'est maintenant un homme à jamais perdu.
Tous les criminologistes se sont plus à reconnaître cette influence prépondérante des causes sociales. Le milieu social, dit le prolesscur Lacassagne, « c'est le bouillon de culture de la criminalité ; le microbe, car le criminel, est un élément qui n'a d'importance que le jour où il trouve le bouillon qui le fait fermenter. Les sociétés n'ont que les criminels qu'elles méritent »
V
Mais, detoutes les écoles du vice, la plus dangereuse est sans contredit la prison, Ouand un homme a fait deux ou trois séjours dans les prisons de Paris ou les maisons centrales, il n'en faut plus rien espérer ; c'est un membre gangrené qu'il faudrait retrancher pour toujous du corps social. « La prison, telle qu'elle est organisée, dit Emile Gautier, est un véritable cloaque épanchant dans la société un flot continu de purulences et de germes de contagion physiologique et morale. Elle empoisonne, abrutit, déprime et corrompt. C'est à fois une fabrique de phthisiques. de fous et de criminels. J'ose même prétendre que la prison est une sorte de serre cha de pour plantes véneneuses. et que c'est la surtout que se recrute et s'exerce la redoutable armée du crime (1)»
M. Macé s'exprime â peu près de la même façon. « Que de vols, dit-il. que de crimes ont été conçus à Sainte-Pélagie, où la promiscuité met en contact direct l'apprenti voleur avec le récidiviste rompu à toutes les ruses du métier ! Les malfaiteurs professionnels racontent leurs forfaits en les complétant de détails fantaisistes afin de mieux frapper, par l'audace de l'exécution l'esprit de leurs auditeurs. Les leçons dans l'art de voler et de se servir habilement du couteau sont écoutées par des élèves complaisants et jaloux de passer maîtres. Là. comme à l'école, et dans toutes les circonstances de la vie, régne la force physique et la force morale (2).»
Voici, en effet, ce qui se passe pour le commun des criminels. Un individu
(1) Emile Gautier. Le monde des prisons. In Archives de l'anthropologie criminelle de novembre 1888. (2) G. Macé. Mes lundis en prison.
est condamné pour un premier délit. Si sa peine ne dépasse pas un an. il devra la subir en cellule. Oh : alors c'est pour lui une peine terrible. Vivre de pain noir, de légumes secs cl d'eau. souffrir peut-être du froid, tout cela n'est rien : ce qui l'effraie, c'est ta solitude à laquelle on va le condamner. Incapable presque toujours de s'intéresser sérieusement â une lecure ou à un travail intellectuel quelconque, les heures lui paraissent des siècles, j'ai vu des hommes à la figure énergique pleurer et demander à genou un compagnon de cellule. Mais le détenu sait parfaitement que. cette douloureuse étape franchie, il passera, lors d'une seconde condamnation, au quartier commun, où l'on a des amis et où l'on est plus malheureux. Cette perspective détruit le plus souvent la réaction salutaire, la crainte qu'avait inspirée la cellule, et le criminel ne tarde pas â revenir. Alors, au milieu d'être pervers et dégradés, tous ses vices éclatent ; tous les mauvais instincts qui sommeillaient au fond de son cœur remontent â la surface ; ceux qui n'étaient qu'en germe grandissent comme une herbe parasite sous une pluie de mauvais conseils et de mauvais exemples ; on lui enseigne les vices qu'il ne connaissait pas encore ; il fait connaissance de gredins avec qui il médite des coups i tenter une fois dehors ; il devient en peu de temps un type complet de déchéance morale. Veut-on des preuves? Veut-on des faits? En voici deux choisis entre mille.
D..., dix-sept ans, est né à Paris. Ayant perdu son père de bonne heure, il était brutalisé par sa mère et son beau-pere, qui se grisaient, dit-il. presque quotidiennement. A douze ans, il se sauvait de la maison, vivant depuis de mendicité, de petits travaux et de vols à l'étalage.
Bien qu'il ait dix-sept ans, il en paraît quinze au plus. C'est un garçon imberbe, a la figure douce et agréable, mis avec des veux lascifs et sournois. Conseillé par un individu qui l'entretenait et a qui il servait de • petit jésus », il se fit condamner deux toit pour vol de sommes assez, importantes. On n'a pu le conserver que peu de temps l'infirmerie centrale. Dés son arrivée, plusieurs détenus se sont empressés de l'accabler de questions infimes. Sans la moindre pudeur, il y répondait avec l'aplond d un roué. Des rendez-vous se donnaient dejà dans les cabinets. Redoutant les rixes et peut-être les coups de couteau, j'éloignai cette drôlesse. « Il y a longtemps, disait-il, que j'y ai passé pour la première fois. Quand je serai en centrale, je ne mourrai pas de faim; je choisirai mon petit homme. » »Il avoue que, lorsqu'il était dehors, il raccolait les homme» place au Chatelet ou sous les ponts. «Je trouvais presque toujours un client à faire. Si c'était un pantre, je le dégringolais et je me faisais la paire (1).
Autre exemple.
V.... trente-sept ans, comptable, né dans .Maine-et-Loire, refuse de donner des renseignements sur ses parents. Il appartient, dit-il. à une honorable famille de l'Anjou et n'eut jamais sous les yeux que de bons exemples. Il fut élevé par si mère, excellente femme qui le gâtait. « La main ferme d'un père, m'êcrit-il. aurait pu peut-être me corriger de certains défauts qui, en germe lors de mon engagement, ne firent que grandir et me précipitèrent dans le crime Ma mère bonne et aimante, ne s'aperçut de rien, comme toute femme qui n'a qu'un fils. J'étais son idole et rien ne m'était refusé. »
Avant reçu une bonne instruction primaire, il s'engagea dans les tirailleurs algériens et devint rapidement sergent-major .Il se mît alors à boire le poison algérien, l'absinte, À courir les filles, a fréquenter les mauvais lieux. Sa déplorable conduite l'obligea a d"minssionner.
Rentre dans son pays, il trouve un emploi honorable et assez lucratif. Mais, s'éiant fait dresser procès-verbal pour chaste en temps prohibé, il insulte grossièrement le procureur de la République, refuse énergique'icnt de rétracter ses paroles et se fait condamner à trois ans de prison. En centrale, il fit connaissance de deux faux-monnayeurs. A sa sortie, il se mit à la tête d'une bande avec ces deux individus, et, pendant dix ans, il a émis de la
(1) Si ?'était imbécile, je le dévalisais et me sauvais.
fausse monnaie. La cour d'assises de la Seine vient de le condamner aux travaux forcis a perpétuité.
Voici donc deux individus mal équilibres, je crois : l'un, un enfant, tombe aux mains d'un credin qui façonne cette argile malléable à sa propre image et en fait a une fleur fauchée, une fleur de bagne »; l'autre, faute d'une main ferme pour le guider, devient un ivrogne et, grâce aux conseils puisés à la centrale, va finir a la Nouvelle. Si ces deux individus n'avaient pas passé dais les milieux défavorables où ils ont vécu, le premier eût pu rester un gavroche vicieux et paresseux, le second un officier indiscipliné et noceur; les mauvaises liaisons et surtout le séjour dans les prisons les ont menés au bagne. Intelligences débiles qui ne savent pas bien distinguer le bien du mal, volontés sans consistance qui côtoient toujours l'ornière du vice et du crime, ef que le moindre choc abat pour toujours. « Au lieu de les corriger, dit encore Emile Gautier, la prison les vicie jusqu'aux moelles. Il semble que leur perversité grandit avec la peine et que, dans leur conscience contami, née, la notion du bien et du mal, de plut en plus confuse, tende à s'effacer. Désormais, ils sont voués A vivre en marge de la société, jusqu'à ce que celle-ci les reprenne, la main dans le sac ou dans le sing. pour les écraser sans merci, comme des punaises immondes, entre les deux pages d'un code qu'on ne leur avait pas donné à lire ».
CONGRÈS INTERNATIONAL DE L'HYPNOTISME EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
QUATRIÈME SÉANCE
Le Lundi 12 août 1889. — Présidence de M. Dumontpallier
(Suite)
Rapports de la suggestion et du somnambulisme avec la jurisprudence et la médecine légale. — La responsabilité dans les états hypnotiques (1).
Par M. Liégeois, professeur I la Faculté de droit de Nancy.
Le rapport de M. Liégeois fait d'abord ressortir la haute importance que
résente, pour la bonne distribution de la justice une étude approffondie des lits qui se rattachent a la suggestion, au somnambulisme et aux divers étals hypnotiques.
Il classe les questions a examiner sous quatre chefs principaux: 1° suggestions criminelles; 2° expertises médico-légales ; 3° jurisprudence criminelle ; 4° Questions diverses.
§ 1. SUGGESTIONS CRIMINELLES.
La première et la plus importante des questions médico-légales que soulève l'hypnotisme, comprend les suggestions de crimes ou d'autres actes
(I) Nous regrettons de ne pouvoir donner ici qu'une analyse trop succincte du remarquable
rapport de M. Liégeois et de l'importante discussion qui l'a suivi et nous renvoyons nos lecteurs aux comptes rendus du Congrès. — Doin, édit, Paris In 8, 370 pages.
délictueux qui peuvent être faites à des somnambules. C'est M. le docteur Lièbeault, de Nancy, qui a, dis 1865, signalé la possibilité, en même temps qus la gravité et le danger de pareilles suggestions.
La question a été reprise en 1884, dans une lecture sur la suggestion hypnotique dans ses rapports atec le droit civil et le droit criminel, faites a l'Académie des sciences morales et politiques. L'auteur essayait de montrer, par des expériences, qu'on a, depuis, qualifiées du nom pittoresque de " crimes expérimentaux " que. chez certains sujets, on peut produire, par des moyens très variés, un état de somnambulisme protond ; que, dans cet état, on peut suggérer a la personne endormie, non-seulement, ce qu'on savait déjà, des sensations et des hallucinations, mais, chose plus grave, des actes, que. une fois réveillée, elle accomplira avec une inconscience absolue. Il tirait de là cette conséquence, que, un crime, étant commis par suggestion, l'auteur du fait matériel devrait être tenu pour irresponsable, que, seul l'auteur de la suggestion devrait être recherché et puni. Cette thèse, que les limites d'une lecture académique avaient forcément écourté, a été développé depuis dans un ouvrage ou. plus libre dans sa discussion, l'auteur a apporté des vues nouvelles, des arguments complémentaires, et surtout des expériences confirmatives, dues A des savants trançais et étrangers.
Cette doctrine est d'ailleurs celle que professent non-seulement M. le Docteur Liébeault, mais aussi deux membres éminents de la faculté de médecine de Nancy, MM. les docteurs Bernheim et Beaunis.
Elle est, au contraire, en opposition complète avec les théories de l'Ecole de la Salpètriére. C'est dans un autre rapport, qui sera mis en lumière et discuté, au point de vue physiologique, l'autogonisme qui a éclaté entre l'Ecole de Paris et l'Ecole de Nancy (1). On n'en veut retenir ici que ce qui touche au côté médico-légal des questions soulevées par l'hypnotisme.
A ce point de vue, on doit signaler le livre publié en 1887, par.M. le docteur Gilles de la Tourette sous le titre suivant : L'hypnotisme et les états analogues au point de vue medico-légal (2). La tendance de cet ouvrage, pour lequel M. le Doyen Brouardel a écrit une élégante préface, peut se résumer dans la proposition suivante : « L'hypnotisme peut rendre de grands services ; il a peut être la cause ou le prétexte de grands dangers : ce n'est pas dans la « suggestion que résident ces derniers (p. 3821. » De son coté. M. Brouardel professe, à son Cours de médecine légale, que les somnambules ne réalisent que « les suggestions agréables ou indifférentes que leur offre un « individu agréable (3). »
Au contraire, MM. Le docteur Licbeault, les professeurs Bcrnheim et Beaunis, de la faculté de médecine de Nancy, et Liégeois, de la faculté de droit, tiennent pour constant, après des expériences nombreuses et qui leur semblent concluantes, que, s'il y a, au point de vue médico-légal, quelque chose à redouter dans l'hypnotisme, c'est la suggestion. M. Licbeault, qui a pour ainsi dire créé la doctrine de la suggestion verbale, proclame, que, même pour des Suggestions criminelles, les somnambules vont à leur but comme la pierre qui tombe.
II- EXPERTISES MÉDICO-LÉGALES.
Si l'on admet la possibilité de faire exécuter par suggestion des actes criminels, il pourra arriver qu'on ne connaisse pas l'auteur de la suggestion. Comment s'y prendra-t-on pour le rechercher et le découvrir ? Avant d'exa-
(1) Rapport de M. le professeur BERSHEIM sur la question II. (2) t vol. in-8, Pub, 1887. Plon et Nourrit. (3) Gazette des Hôpitaux.8 nov. 1887. p. 1125.
miner cette question, le Rapporteur fait remarquer que ces conclusions sur l'irresponsabilité des sujets hypnotisables. ne s'appliquent. —on l'a parfois trop oublie. — qu'à ceux qui peuvent être mis en état de somnambulisme profond. Four ceux-là. l'automatisme est absolu : n'étant pas libres, ils ne sauraient être responsables.
Le Rapport donne ensuite quelques indications sur les moyens auxquels on rourra recourir pour constater : i* que l'auteur du fait délictueux est hypnotisable ; 2° qu il l'est a un point tel qu'on peut lui faire réaliser irrésistiblement des suggestions. Mais une difficulté plus grave encore peut se présenter dans les expertises médico-lègales en matière d'Hypnotisme. L'auteur de la suggestion criminelle a pu, il a du plutôt, suggérer au « sujet» dont il voulait faire l'instrument de ses vengeances ou de ses convoitises, de ne se rappeler aucune des circonstances qui ont précédé le crime ou le vol. de croire qu'il en a eu seul l'idée, d'être convaincu, qu'aucune suggestion ne lui a été faite. etc., etc. L'amnésie ainsi provoquée serait un Obstacle sérieux, contre lequel pourraient échouer les recherches les mieux dirigées.
Le Rapporteur, se fondant sur des expériences qu'il a soumises au contrôle de MM. les Docteurs Liébeault et Bernheim, propose un moyen qui lui parait de nature à résoudre cette difficulté. C'est de combattre l'automa-tisme somnambulique en le contraignant a produire des effets contraires à ceux que le vrai coupable avait pu s'en promettre. En d'aut'es termes,
puisque le prévenu, en vertu de l'ordre reçu, ne dénoncera jam-is directement l'auteur de la - suggestion, il faut faire en sorte de le lui faire dénoncer indirectement, par des actes dont il ne comprendra pas la signification. ou même par des démarches auxquelles on donnera une fausse apparence de protection ou de défense pour le criminel lui-même. On pourra faire ainsi au t-ujet hypnotique, relativement a l'auteur, quel qu'il soit, de la suggestion de crime, toutes les tu .gestions, qui ne teront pas directement et expressément contraires à l'amnésie Le véritable coupable tombera ainsi au pouvoir de la justice, parée qu'il lui aura été impossible de tout prévoir (1).
§ III- JURISPRUDENCE CRIMINELLE.
C'est en vain que l'on tenterait de montrer l'influence que peuvent exercer les phénomènes hypnotiques sur la distribution de la justice, si l'on ne pouvait invoquer que des considérations purement théoriques. Aussi le Rapporteur a-t-il cru devoir emprunter, à la jurisprudence des Cours d'assises et des tribunaux correctionnels, un certain nombre d'affaires, djns lesquelles les divers états hypnotiques ont présenté une importance et joué un rôle souvent méconnus.
Il cite d'abord trois erreurs judiciaires :
1° L'affaire la Roncière (1835). dans laquelle un officier de l'armée française fut condamne à dix années de réclusion, sur les accusations d'une jeune fille hystérique, somnambule et hallucinée;
2° L'affaire Benoit, parricide (1832); l'innocence du sieur Labauce, qui n'avait échappé à la mort que par un partage égal des voix des jurés ; fut plus tard judiciairement constatée ;
2°L'affaire Julie Jacqmin (1814) ; il y avait eu, dans cette affaire, une fausse accusation portée par la comtesse de N... contre sa servante ; celle-ci avait même été condamnée à mort ; heureusement l'arrêt fut cassé et l'innocence de ta malheureuse pleinement démontrée (a).
(1) Jules LIEGEOIS, De la la suggestion et du somnambulisme, etc., p.686. Voy . aussi Revue de l'hypnotisme, 1er juillet 1888 et la France Judiciaire, 1889, page 21.
(2) Ibidem,505, 510, 532.
Viennent ensuite les crimes commis contre des somnambules :
1° Affaire Marguerite A...., de Marseille : accusation de viol ; 2° Affaire Castellan, viol ; Cour d'assises du Var ; 3°Affaire Lévr, viol, Cour d'assises de la Seine-Inférieure : 4° Affaire Maria de L.... , de la Chaux-de-Fonds. (Suisse), accusation de viol ; 5° Affaire C..., accusation de viol. — Rapport de M. Tardieu. (1)
Enfin, dans certains cas, des crimes ou det délits ont été imputés à des somnambules, savoir : i- Affaire D..., prévention d'outrages publics à la pudeur; le prévenu, sujet à des aceés de somnambulisme spontané avait été condamné par le tribunal correctionnel de la Seine pendant une de ses crises. La Cour de Paris, éclairée par M. le Docteur Motet infirma le jugement. 2° Affaire L.R....prévention de vol ; une servante somnambule, accusée d'avoir volé des bijoux a sa maîtresse, fut reconnue innocente, grâce A l'inter-vention de M. le Docteur Dufav, sénateur de Loir-et-Cher ; 3° Affaire Anneste G..., prévention de vol d'une couverture; condamnation en police correctionnelle ; expertise confiée a MM. Charcot, Brouardel et Motet ; information en appel ; 4° Affaire Ulysse X...., Elève dentiste à Paris; X...., en état, somnambulisme ou de « condition seconde ». avait, en plein jour, enlevé des meubles d'un magasin voisin pour les transporter dans m cour ; rapport médico-légal de M. le Docteur Paul Garnier ; ordonnance de non-lieu (2).
§ IV. QUESTIONS DIVERSES
La question de la suggestion, malgré son importance, n'est pas la seule qui, en matière d'hypnotisme, présente de l'intérêt su point de vue médico-légal. Aussi le rapport appelle-t-il l'attention des membres du Congrès sur tout ce qui concerne :
La condition seconde et les étals analogues ;
L'amnésie suggérée et les changements de personnalité;
Le somnambulisme naturel (qu'on peut guérir au moyen du somnambulisme provoqué) ;
L'état intermédiaire entre la veille et le sommeil ; Les hystériques et leurs fausses a.cusations ;
Les accouchements sans douleur dans le sommeil hypnotique, avec oubli eomplet, au rêve l, de toutes les ci constances du fait (cet oubli pouvant favoriser des substitutions d'enfant») ;
Les hallucinations, et en particulier, le» hallucinations négatives ou rétroactives ;
Les suggestions à l'eut de veille qu'a surtout fait connaître l'école de Nancy ;
Enfin les faux témoignages produits soit par une suggestion intentionnelle, fortifiée au besoin par une hallucination rétroactive, soit spontanément par des hystériques ou par des enfants.
DISCUSSION
La lecture du rapport de M. LIEGEOIS a été suivie d'une longue discussion A laquelle ont pris part MM. gilles de la TOURETTE, GUERMOUPREZ, LIEGEOIS, BERNHE1M. DUZEVIECKI et GRASSET.
La longueur de cetic discussion publiée. in-extenso, dans les comptes-rendus officiels du Congrès, nous oblige, à notre grand regret, à ne citer que les conclusions par lesquelles M. le professeur GRASSET a résumé et clos la discussion.
(3} Ibidem. p. 536, 537. 549, 355, 559. (1) Jules. LIEGEOIS, op. cit, p. 571, 580, 583, 589.
M. GRASSET (de Montpellier). — Ne vous semble-t-il pas. Messieurs, que les discussions d'école et de personnes ont été traitées avec assez d'ampleur et d'éloquence pour que nous puissions essayer de ramener la question à ce qu'elle a de fondamental et de pratique ?
En somme, toute la question soulevée par le rapport revient aux deux suivantes :
1° Existe-t-il une suggestion criminelle?
Ici le désaccord est bien moins qu'on ne croit entre les divers orateurs. M. Gilles de la Tourette, comme M. Liégeois, admet la suggestion criminelle dans le laboratoire ou t l'hôpital. Cela nous suffit, à nous médecins.
S'il n'y pas eu encore, aux assises ou en police correctionnelle, d'exemple de suggestion criminelle, tant mieux : félicitons-nous en. Espérons même qu'il n'y en aura jamais et souhaitons pour cela que la presse extra-médicale s occupe peu de nous et de ces problèmes.
Mais si la suggestion criminelle est possible (pour moi, je l'admet absolument), cela suffit pour que le médecin doive se préoccuper de la seconde question.
2°En médecine légale, comment un expert pourra-t-il établir la réalité de l'état sugge-tible chez l'accusé?
C'est là qu'intervient la question des stigmates physiques et des trois états. Elt-il nécessaire de retrouver les signes du grand hypnotisme pour établir l'état de suggestiblité ? Je ne le crois pas et on peut trouver dans les stigmates physiques provoqués par suggestion (comme les admet l'école de Nancy) la preuve de la suggestibilité, en dehors de toute simulation.
Tels me paraissent être les points vraiment importants de la question qui intéressent pratiquement tous les médecins.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Les fous et l'hypnotisme
Tous les médecins aliénistes savent quelle est la tendance des fous à faire porter leurs conceptions délirantes sur les préoccupations scientifiques ou politiques du milieu où ils vivent.
C'est ainsi qu'après avoir rendu pendant longtemps les jésuites, les francs-maçons, la police secrète, les carbonari, responsables de leurs persécutions, les aliénés d'aujourd'hui sont fréquemment obsèdes par l'idée qu'on veut leur nuire â l'aide du téléphone, du phonographe cr de toutes les découvertes récentes à la physique. Un certain nombre se plaignent d'être persécutés par des individus qui les magnétisent, voire même les hypnotisent malgré eux.
Inutile de dire que ces préoccupations absurdes ne sont que l'une des manifestations de leur folie. Un de ces cas de persécution par l'hypnotisme vient de faire beaucoup de bruit. Dans leur ignorance de ce que sont les phénomènes d'hypnotisme, beaucoup de journalistes se sont empressés de chercher dans ce fait invraisemblable les éléments d'une copie facile. Comme il fallait s'y attendre, l'enquête la plus élémentaire a suffi pour prouver qu'il s'agissait en somme de peu de chose. Voici le fait :
Entre l'île Seeland, qui est danoise, et la côte Malmœhus. qui est suédoise, se trouve le Sund, c'est-à-dire le détroit proprement dit. Helsingborb, petite ville qui s'y trouve bâtie sur la terre de Suède, vient d'attirer l'attention sur son tribunal par la façon dont s'est présenté un procès bien étrange au début,bien simple dans sa conclusion.
Le récit primitifs fait le tour de la presse française en octobre dernier; il était de nature à intriguer bien des lecteurs.
« Un jeune étudiant en médecine avait porté plainte contre un médecin de la ville parce que celui-ci l'avait hypnotisé à plusieurs reprises sans autorisation ; il serait résulté de ces opérations une altération fâcheuse de son système nerveux et un affaiblissement de ses facultés mentales. De nombreux témoins étaient cites par le plaignant. A la grande surprise du tribunal, les témoins se contredisaient absolument entre eux; ils racontaient les choses les plus invraisemblables. Personne n'y comprenait risn; on aurait dit des fous défilant devant le tribunal. — Enfin, un médecin, témoin également. vint déclarer devant les juges que son confrère avait hypnotisé tous les témoins et leur avait suggéré les déclarations qu'ils venaient de faire. — Le tribunal a ajourné l'affaire, afin qu'elle fui soumise â l'examen de quelques médecins spécialistes. »
Notre confrère te Docteur Guermonnez. de Lille, a eu l'idée de s'adresser directement a Mgr. Bitter, vicaire apostolique de Suède et de lui demander quelques renseignements précis.
Il lui a été répondu que les faits rapportés par les journaux fronçais sont en partie vrais; mais, d'autre part, ils sont inexacts quant à l'importance du procès.
D'ailleurs les témoins (contrairement aux assertions des journaux) ont tous été unanimes à déclarer qu'ils n'avaient pas la moindre connaissance de quelque hypnotisation du plaignant.
Le 3 de ce mois de Novembre 1889, le tribunal d'Helsingborg a rendu son jugement, acquittant complètement le médecin accusé, les médecins experts ayant démontré et les témoignages unanimes ayant confirmé que M. Kallenberg (l'étudiant demandeur) était un fou obsédé de la manie de l'hypnotisme, qu'il en voyait partout et s'étant toujours cru hypnotisé.
Il s'agit donc là d'une simple affaire d'aliénation mentale, sans aucun rapport direct avec l'hypnotisme.
un grand nombre de médecins des plus distingués de Suède parmi lesquels nous citerons MM. les Docteurs Wetterstrand, Norstrom, Velander, Erickson, etc.. etc., s'adonnent avec le plus grand succès à la pratique de la psycho-thèrapie-suggestive. Ils ont hypnotisé déjà des milliers de malades et nous sommes certains que, si entre leurs mains expérimentées l'hypnose a amené la guérison d'un Grand nombre de troubles mentaux, jamais par contre, n'a jamais, provoqué le moindre accident.
L'insinuer serait une véritable imputation calomnieuse qui ne pourrait être inspirée que par l'ignorance ou la mauvaise foi.
Les fous en liberté
M. le professeur Ball a repris dimanche ses leçons cliniques à. l'asile Sainte-Anne, au milieu de l'affluence accoutumée. Le professeur traitait, dans cette première leçon, des fous en liberté, à propos d'un fait assez remarquable.
Un homme des plus honorables et d'ailleurs très intelligent, chevalier de la légion d'honneur et de l'ordre du Mexique, épouse sur le tard et sans connaître ses antécédents, une femme dont le père avait été longtemps aliéné. Cette femme est bientôt prise du délire des persécutions et se croît en butte à l'animosité de tout le voisinage. Son mari essaie d'abord de lui montrer son erreur, mais finit par se trouver entraîné dans le même délire. C'est un de ces faits curieux de folie à deux, qui sont loin d'être rares.
Plus hardi, le mari, ancien militaire, descend dans la rue avec son revolver, et, fort de son honorabilité, il appelle en vain ceux des locataires de sa maison qui veulent lui chercher dispute. Bien entendu, personne ne répond. Un jour, il s'entend provoquer en duel et, enfin, satisfait de trouver à qui parler, il se rend A quatre heures du matin au rendez-vous fixé, sur les fortifications, mais il n'y rencontre aucun adversaire.
De guerre lasse, il se rend chez le comnissaire de son quartier. Celui-ci lui conseille amicalement d'aller voir le procureur de la République, chez qui il le fait conduire. Ce procureur de la République n'était autre qu'un honorable confrère par lequel notre malade fut expédié A l'asile Sainte-Anne, où il est depuis quatre ans.
Cet homme est encore à l'asile, mais il est parfaitement guéri. Il raconte son histoire de la façon la plus lucide et la plus intelligente, et il serait immédiatement remis en liberté s'il n'y avait encore chez lui sa femme qui est toujours aliénée, elle, l'étant de façon héréditaire, et qui est toujours prête à le contagionner de nouveau. Le malheureux, quoique guéri, sent lui-même qu'il aurait encore de la peine a résister a ces sollicitations de tous les instants, mais le commissaire du quartier dans lequel habite sa femme, prétend qu'elle n'est pas aliénée et l'administration n'a aucune prise sur elle.
(France Médicale).
Epïlepsie procursive.
Cette affection est exposée dans un travail publié dans la Revue de la Suisse romande, par le Dr Ladame, qui en formule ainsi les conclusions :
1° L'épilepsie procursive est une forme du mal comitial, dans laquelle l'accès se manifeste par une course impulsive en ayant, accompagnée ordinairement de cris et de perte de connaissance, rarement d'une aura.
2° Cette forme de l'épidémie est le propre de l'enfance et de la jeunesse.
3° L'épilepsie procursive peut durer plusieurs années avant de se transformer en épilepsie vulgaire. Lors de cette transformation. les accès peuvent alterner et revêtir tantôt une forme, tantôt l'autre. Mais cette transformation arrive tôt ou tard et peut avoir lieu brusquement.
4° Il est impossible actuellement de préciser la localisation anatomique de cette forme infantile du haut-mal. En particulier, rien n'autorise à supposer qu'une lésion du cervelet soit la cause organique de l'épilepsie procursive.
5° L'épilepsie procursive parait se développer de préférence chez les indi-vieus qui offrent une grossière lésion anatomique des organes encéphaliques. Il est probable cependant que cette forme de l'épilepsie. comme toutes les autres, peut se manifester sans lésion organique appréciables dans les centres nerveux.
6° L'épilepsie procursive se complique fréquemment de folie morale.
Dans la plupart des cas, la première chose a faire sera d'éloigner l'enfant de sa famille, de le séparer de ses parents, c'est-à-dire de l'arracher au milieu funeste dans lequel sa maladie s'est manifestée. 11 faudra ensuite le placer dans un mileu favorable à sa guérison ; mais c'est ici que les difficultés surgissent. Parmi les établissements destinés à l'enfance il ne s'en trouve presque pas qui soient appropriés ?u traitement rationnel de ce genre de maladies.
Sorcellerie
Un journal d'Alsace, la Poste de Strasbourg, a raconté le fait suivant qui s'est passé dans une commune des environs de Strasbourg: une histoire de sorcellerie prouvant jusqu'à quel point la superstition est encore enracinée dans les campagnes.
Les héros de l'affaire ne sont pas de vulgaires naïfs, mais bien des commerçants qui se trouvaient dans de mauvaises affaires. Pour relever leur situation, ils eurent recours à l'aide d'un sorcier à qui ils achetèrent un vieux grimoire pour cent francs. Ce bouquin indiquait la manière de se procurer facilement de l'argent. Secondement, suivant la lettre, ils procédèrent comme il suit :
A minuit, un ami de la famille, mandé pour la circonstance, se coucha dans un cercueil neuf, et se laissa vigoureusement brosser par les époux supersticieux. Sous un trou pratiqué dans le plafond de la chambre était pendu un grand sac, que le diable, suivant le livre dont nous avons parlé, devait remplir d'or.
Pendant l'opération, le sorcier gagna le large, non sans avoir, au préalable, reclamé pour ses peines la bagatelle de cent cinquante francs qui lui furent délivres
Inutile de dire le résultat de toute cette cabale ; le sac resta vide et l'est encore. Quand au naïf qui s'était prêté si bénévolement aux frictions de la brosse, il sortit de l' affaire en si piteux état qu'il fut obligé de garder le lit pendant plusieurs jours et d'endurer de cruelles souffrance.
Voilà ce qui s'est passé en l'an 1889
Ce n'est, du reste, pas seulement en Alsace que l'on relève de semblables dits, mais en Galicic ; le bourgmestre du village Je Zuraki, a intenté devant le tribunal de Solotrin une action contre Jean Kowalesink qu'il accuse d'avoir, par des pratiques de sorcellerie, amené la grêle qui a dévasté les champs de Zuraki le 28 juillet 1888. Les dégâts seraient de 6000 florins.
Nous ignorons malheureusement quelle suite a été donnée A cette bizarre affaire.
Enseignement libre.
Psychiatrie. — Le Docteur BÉRILLON, directeur de la Revue de l'hypnotisme,
commencera le samedi, 14 décembre, A dix heures du matin, une série de leçons cliniques sur les applications de l'hypnotisme à la thérapeutique des affections
mentales et nerveuses. Il étudiera spécialement les procédés d'hypnotisation.
Les leçons auront lieu tous les samedis, A dix heures.
L'assolement dans l'éducation.
Nous trouvons dans un ouvrage posthume de M. Guyau, sur l'éducation, quelques considérations qui tendraient A prouver que la prolongation d'une race dans une même condition sociale serait généralement fatale pour la vie de cette race. Il en arrive A conclure que c'est un devoir pour l'éducateur de se jamais presser le fils Je suivre ta profession du père, toutes les fois du noms que cette profession, comme celle d'artiste, d'homme politique, de savant, ou simplement d'« homme occupé ». d'« homme distingué ». a exigé une dépense nerveuse trop considérable. Rien de plus naïf, pour qui regarde de haut, que la pour de l'obscurité, la peur de ne pas être « quelqu'un ». Les dualités réelles d'une race ne se perdent pas pour n'être pas mises au au jour immédiatement ; elles s'accumulent plutôt, et le génie ne sort guère que des tirelires où les pauvres ont amassé jour à jour le talent sans le dépenser en folies. Ce n'est pas sans quelque raison que les Chinois décorent et anoblissent les pères au lieu des fils : les fils célèbres sont des enfants prodigues, et le capital qu'ils dépensent ne vient pas d'eux. La nature acquiert ses plus grandes richesses en dormant Aujourd'hui, dans notre impatience, nous ne savons plus dormir : nous voulons voir les générations toujours éveillées, toujours en effort. Le seul moyen, encore une lois de permettre cet effort sans repos, cette dépense constante, c'est de la varier sans cesse : il faut se résigner A ce que nos fils soient autres que nous, ou a ce qu'ils n'y soient pas.
Acuité anormale de la mémoire
Dans un travail publié dans le ?ulletin médical sur l'étude de quelques phénomènes de spiritisme, le Dr Paul B.ock est amené. A rappeler qu'A l'occasion d'influences spéciales, la mémoire prend,-comme on sait, une acuité extraordinaire : son développement anormal fait que chez le médium, les laits complètements oublies d'habitude, reviennent alors comme un souvenir prées qui animera leur plume.
Il cite A-cette occasion deux exemples intéressants. Récemment une Revue occultiste publiait une pièce de vers d'une facture charmante qu'elle attribuait A une jeune provinciale qui les aurait composés inconsciemment sons l'ins-
piration de l'âme de son fiancé. Or cette poésie avait été publiée autrefois par Armand Sylvestre, comme le reconnut lui-même ultérieurement le directeur de cette Revue, homme de parfaite bonne foi.
A la Saloetrière, une somnambule hypnotique intrigua fort, il y a quelques années par une aventure du même genre. C'était au début des remarquables études de M. Charcot ; plusieurs savants, entre autres le regretté Parrot. avaient été conviés a venir observer les phénomènes de l'hypnotisme. M.Charcot instamment sollicité de chercher à provoquer des effets de
lucidité psychique, demanda à la jeune X.....mise en somnambulisme, de
dire le nom du professeur Parrot qu'il lui désignait. Elle le nomma sans hésitation, alors qu'éveillée elle affirmait ne pas le connaître. L'enquête a laquelle on procéda dévoila le mystère : X..., étant enfant. 7 à 8 ans auparavant, avait été soignée dans le service de Parrot. Elle avait depuis complètement oublié le nom de ce médecin, mais le souvenir s'en était réveillé en ètai de somnambulisme !
Dans le même article, M. Block montre aussi fort justement que certains états hystériques, et le somnamoulisme hypnotique en particulier, se rapprochent au point de se confondre avec la disposition psychique qui caractérise l'état de médium.
Ces sujets sont rares ce qui prouve qu'ils sont anormaux, et dans les rela-tions spirites elles mêmes il ne manque pas de traits qui confirment cette similitude, et permettent presque le diagnostic de la névrose dont le médium est atteint ; mais il y a plus, et cette constatation a été effectivement, faite ainsi qu'on s'en rendra compte en relisant la très instructive leçon de M. Charcot, intitulée « Spiritisme et htstérie » (1). où il est question de plusieurs individus d'une même famille, 'qui à la suite de !a mise en œuvre des procédés spirites, se sont confirmés dans l'hystérie.
BIBLIOGRAPHIE
Premier Congrès de l'Hypnotisme expérimental et thérapeutique. (Août 1889).
Comptes-rendus publics par le Docteur E Bérillon, secrétaire-général (1). Nous sommes heureux d'annoncer la publication Jes comptes-rendus du
remier Congrès de l'Hypnotisme. Dans ce magnifique volume, édité avec luxe par M. Doin, se trouvent synthétisées toutes les découvertes faites sur l'hypnotisme dans ces dernières années.
Les remarquables rapports de MM. Ladame, Bernheim, A. Voisin,
Bérillon. Liégeois, suivis d importantes discussions mettent nettement en lumière tous les faits positifs acquis dans le domaine de l'hypnotisme.
A ces travaux d'ensemble se joignent un nombre considérable de communications portant sur les points les plus variés. Chacune d'elles apporte une contribution nouvelle à ces études si intéressantes.
Si quelques esprits conservaient encore à l' égard des services thérapeutiques et psychologiques que peuvent rendre les études sur la suggestion et l'hypnotisme, des défiances que rien ne justifie plus, il leur suffirait de parcourir le beau volume qui renferme les travaux du Congrès pour voir se dis-siper leurs derniers doutes.
Le volume des comptes-rendus du Congrès de l'hypnotismeasa place chez tous ceux que préoccupent les études de psycho-thérapie et celles de psycho-physiologie. P M
( 1). Doin, éditeur, in 8. 370 pages
L' Administrateur-Gérant: Émile BOURIOT
PARIS. — IMPRIMERIE CLAMARON-GRAFF, 57; RUE DE VAUGIRARD
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
L'HYPNOTISATION FORCÉE ET CONTRE LA VOLONTÉ ARRÊTÉE
DU SUJET
Par le docteur ABDON SANCHEZ HERRERO
Professeur de clinique médicale à la Faculté de médecine de Valladolid
Tant que l'hypnotiseur n'emploie d'autres procédés et moyens hypno-gëniques, que ceux si connus, de la fixité du regard du sujet, soit dans le regard de l'opérateur, soit sur les extrémités des doigts, index ou majeur de l'une des mains de celui-ci, ou bien des passes, ou de toute autre opération, même accompagnée de la suggestion Verbale, qui réclame une position ou un exercice plus incommodes ou fatigants, que la position ou la tranquillité du sujet, comme cela arrive toujours; en supposant même que celui-ci n'est pas aveugle et conserve la posture ordonnée, on en trouvera encore beaucoup qui soient doués d'une résistance suffisante, à l'hypnotisme, pour fatiguer l'operateur, au point de faire désister celui-ci de son entreprise. Pour ces nombreux cas, j'ai inventé un appareil hypnotisateur(1)qui.avec la seule condition .que le sujet ne soit point aveugle, et se soumette pour un temps indéfini â la position hypnogénique, vainc toutes les résistances, s'il est aidé par des suggestions de sommeil, faites a intervalles de cinq a dix minutes et d'une patience de la part de l'opérateur, à l'épreuve même d'heures d'attente. Il vaine toutes les résistances dans les conditions exprimées plus haut, quand même le sujet emploie toute l'énergie de la volontèe pour ne pas dormir.
Le sujet peut être aveugle, trembleur ou coréique, et quand même il le veuille, ne pourra pas prendre la position hypnogénique; mais dans ces circonstances, les opérations qui ne réclament pas celte position déterminée et fixe, et la suggestion, «m viendra presque toujours à bout, et dans le cas contraire, il reste toujours la ressource extrême dont je vais m'occuper.
Les individus les plus difficiles, au point d'être inabordables, sont sans doute, ceux qui devraient être hypnotisés, non seulement ne veulent pas, mais qui encore résistent de toutes leurs forces à prendre la position convenable, s'agitent et luttent avec l'énergie du désespoir pour déjouer tous les procédés d'hypnotisation. Il est clair. aupoint de vue thérapeutique
(1)Voy la description et la photographie dans mon livre: L'hypnotisme et la suggestion, p.85
de tels individus doivent être ou enfants ou fous, les seuls sur lesquels est permis, sur la demande de leurs familles, exercer une violence dans le but de les hypnotiser ; mais le jour est proche de l'introduction, dans le droit pénal, de l'hypnoscopie inquisitiorale. et alors il se produira avec fréquence des cas où les inculpés doivent résister, par tous les moyens imaginables, a être placés dans un état dans lequel le mensonge est impossible.
Malgré que j'ai traité cette question, d'une manière très étendue dans mon livre précédemment cité; j'ai cru opportun d'insister sur la démonstration de la thèse uniquement soutenue par moi, que je sache, que tous les individus humains sont hypnotisables, qu'ils veuillent ou non être
hypnotisés.
On doit distinguer trois classes de sujets parmi ceux qui ne veulent pas être hypnotisés et qui ne se prêtent pas à se placer dans la position hypno-génique, ni a la conserver.
1° Ceux qui sont facilement hypnotisables, qui ont été plusieurs fois hypnotisés jusqu'au somnambulisme ou autre grade du sommeil suggestible.
2° Ceux qui sont facilement hypnotisables, mais qui n'ont jamais été hypnotisés, ou s'ils l'ont été, ne sont pas arrivés à acquérir un degré de sommeil assez suggestible et 3° les résistants.
Je juge presque impossible qu'un individu plusieurs lois hypnotisé en somnambulisme, et quels que soient les motifs qu'il ait pour ne passe laisser hypnotiser, résiste à la présence et à l'ordre suggestif de son hyp-notisateur antérieur, et ne prenne immédiatement la position hypnogéni-que, ne dorme: ou bien qu'il ne s'endorme dans quelle position que ce soit dans laquelle le surprend la suggestion sommifère. Mais, de toutes maniétes. la violence nécessaire pour le soumettre a la position dans laquelle il avait coutume de s'endormir serait petite, et sa résistance à l'hypnotisme très faible.
Pour les deux autres classes de sujets, et même pour celle citée, il y a en tout cas, trois moyens de violence. Le premier consiste a les surprendre pendant le sommeil ordinaire et au moyen de passes et de suggestions habilement dirigées, les transformer en véritables hypnotisés. Ce moyen est peu applicable quand le sujet se doute qu'on va l'hypnotiser contre sa volonté et dans un but qui le contrarie, parce que, à la première opération ou suggestion, il s'éveillera presque toujours. Le second pourrait être nommé violence mécanique, et sa découverte est due a l'éminent médecin de la Salpétrière, M. Auguste Voisin. Comme son nom l'indique, il se réduit a assujettir les individus, soit au moyen desaides ou d'attaches,dans une position convenable et fixe, employant les blépharostates pour les-obliger a conserver les yeux ouverts, et se servir de tous les moyens hyp-nogéniqnes connus; spécialement la lampe de magnésium, ou mieux lampe électrique placée auprès des yeux un peu au-dessus, la suggestion coup sur coup, et la patience. Mais ce moyen restera pour toujours relégué dans les prisons et dans les bagnes; pour ma part, je doute qu'il donne des résultats sur des sujets résistants, sans provoquer des perturbations que je ne puis déterminer pour le moment. C'est, en effet, une-scène horrible et impossible dans le sein des familles, ce qui se produit quand on attache sur un fauteuil ou sur un lit un parent, crispé par la
colère, vociférant, et invoquant h pitié des assistants, lançant des injures et des blasphèmes, se tordantdans son immobilité, et présentant une figure pleine d'une terreur et d'un désespoir indescriptibles, avec les yeux carrés par les branches des blépharostates, tout violacé parles efforts impuissants qui augmentent la coloration vert-noir, si on veut arrêter les blasphèmes au moyen du bâillon.
Ceux qui sont faciles à hypnotiser, s'ils se prêtaient volontairement à l'opération, seraient hypnotisés contre leur volonté par ce procédé ; quant à ceux qui résistent, j'ignore le moyen ; je manque de l'expérience suffisante sur celte matière; je puis seulement dire qu'une tentative de ce genre échoua complètement,
II reste pour ceux-ci, comme pour les autres disposés a résister à l'hypnotation par tous les moyens, surtout quand on veut éviter des scènes pénibles et des accidents possibles, le troisième moyen de violence, qu'on peut appeler la narcotisation préalable, dont les résultats sont constants. J'ai pris une part dans cette découverte, qu'on appréciera par la relation suivante.
Je lus dans la Revue de l'hypnotisme. 2e année, page 397. au commencement de 1 888, la communication faite par M. le docteur Rifat a la Société de Médecine de Salonique, dans laquelle il affirmait que le sommeil chlorophormique, celui produit par le chloral, par la morphine et par tous autres narcotiques, avait des périodes aussi suggestiblesque l'hypnotisme somnambulique lui-même, et quand l'occasion se présenta, je fis l'expérience du fait, quanta ce qui est du chlorophorme. Je choisis et j'expérimentai successivement sur les sujets sur lesquels je pouvais en faire et qui présentaient le caractère uniforme d'une résistance à l'hypnotisme supérieure à demi-heure de position, opérations et suggestions hypnogéniques. Sur six sujets qui furent tous soumis a cette épreuve, sur les six je reconnus l'exactitude de l'affirmation de M. Rilat. La chlorophormisation, à la fin de ia période plus ou moins notable d'excitation nerveuse, et dans les moments qui précèdent le délire tranquille ou loquace, que cet auteur compare avec raison au somnanbulisme actif, est un sommeil aussi sug-gestible que l'hypnotisme somnambulique.
Mais, il m'arriva que sur quatre de mes sujets, soit que j'eusse précipité l'inhalation chlorophormique, soit par la réceptibilité exagérée de ceux-ci pour l'action anesthésique, que pendant la première chlorophormisation, les moments dans lesquels se présente la suggestibilité furent de si peu de durée, qu'ils me donnèrent à peine le temps pour faire les suggestions probantes et ne me permirent pas d'en faire d'autres qui pussent se véri-fier après le sommeil médicamenteux, comparables à celles appelées post-hypnotiques. Incomplètement satisfait de tels résultats, je me décidai à répéter la chlorophormisation. !e jour suivant sur deux des sujets, et après deux jours sur les deux autres, avec les précautions nécessaires pour voir si je réussirais à prolonger la période de suggestibilité, et de cette répétition sortit le rayon de lumière, précurseur de la transformation du sommeil chlorophormique en hypnotisme.
Un des individus s'endormit comme un somnambule après quatre ou cinq aspirations de chlorophorme, je retirai l'appareil d'inhalation, et le sujet resta somnambule tout le temps que je voulus (deux heures ). Les trois autres nécessitèrent moins de la moitié de temps et de médicamentation
que dans l'expérience précédente pour arriver au degré de chlorophormi-sation. Je déduisis alors que le chlorophorme est un moyen suggestif de premier ordre, et qu'avec lui on arriverait à hypnotiser tout le monde.
D'abord je suggérai au premier dans son somnambulisme pseudo-chlo-rophormique, qu à l'avenir on aurait pas besoin d'un pareil agent pour arriver à un sommeil semblable. Une demi-minute de fixité de son regard dans le mien devait suffire, et cette suggestion donna le résultat obtenu. Je suggérai aux autres pendant la période de suggestibilité de chlorophormisation, qu'ils résisteraient moins chaque fois a l'action anesthésique, et celui qui tarda le plus ne tarda que cinq jours à s'endormir presque ins-' tantanément, par l'application sous les narines de l'inhalateur sec ou humecté avec un peu d'alcool. Je suggérai alors qu'aucun médicament ne serait nécessaire à la première occasion, obtenant les mêmes résultats.
En résumé, quatre sujets résistants à l'hypnotisme, amenés facilement en êtres hypnotisables et en excellents somnambules par l'action du chlorophorme, par la suggestion puissante qui l'accompagne et par les suggestions; de transformation, faites dans la période opportune du sommeil.
Ceci était concluant, quant à vaincre les résistances inconscientes de l'hypnotisme ; mais ne l'était pas encore assez quant aux résistances opposées par la volonté.
Peu de temps après se présenta une dame, attaquée d'une vraie démo-nophobique, qui considérait l'hypnotisme comme un art satanique et qui commença par reluser absolument ce moyen de traitement. En outre, avant de formuler une opinion, son médecin de Madrid avait tenté l'hyno-tisation pendant un mois en séances journalières de demi-heure à deux heures, sans résultat. Je me trouvais donc en présence d'un cas d'épreuve résistant en premier lieu et refusant maintenant l'hypnotisation avec une volonté de maniaque. Je lui proposai la chlorophormisation comme dernier recours pour obtenir sa guérison, et je ne lui dis plus un mot de l'hypnotisme une fois éveillée; elle accepta le moyen.
Quinze grammes de chlorophorme versés dans l'inhalateur suffirent pour provoquer, en moins de cinq minutes, la période suggestible du sommeil anesthésique et j'entrepris la tâche suggestive-thérapeutique et suggestive transformatrice en même temps,
Le lendemain, trois grammes de chlorophorme suffirent ; le jour suivant l'inhalateur à sec, et le quatrième jour, elle-même, convaincue de son erreur, me demanda d'abandonner le médicament, car elle était sûre de s'endormir en regardant l'extrémité de mes doigts index et majeur, suggestion employée dans les séances précédentes. Le traitement dura deux mois, et son hypnotisation fut presque toujours instantanée par le procédé sus-mentionné.
Depuis, j'ai fait la preuve plusieurs lois de la démonstration; n'ayant éprouvé qn'un seul insuccès dont je ne veux pas parler, parce qu'il fut positivement dû à des obtacles et à des suggestions opposées de la famille de la malade, au résultat que je me proposais, et qui me forcèrent à abandonner mon entreprise. Cet insuccès est venu me confirmer dans mon opinion que les tous peuvent rarement être traités efficacement au sein de leurs familles ; mais non détruire la sûreté d'expériences répétées dont la conclusion est :
Par la chlorophormisation préalable et la suggestion dans sa période
suggestible, on arrive toujours à l'hypnotisation en somnambulisme, quelles que soient les résistances inconscientes ou volontaires opposées par le sujet.
ASPHYXIE LOCALE DES EXTRÉMITÉS CHEZ UN HYSTÉRIQUE
Par le docteur P. BUROT
Proffesseur à l'École de Médecine de Rochefort.
Les troubles circulatoires que l'on peut a volonté, faire apparaître et disparaître chez certains hystériques, sont particulièrement intéressants A étudier, purcequ'ils défient la simulation. Depuis longtemps, j'observe un homme hystérique qui, à plusieurs reprises, a présenté, d'une manière spontanée, de l'asphyxie locale des extrémités. J'ai pu modifier facilement ce phénomène, le faire disparaître et réapparaître dans des conditions qui m'ont permis de faire de curieuses remarques sur la maladie de Raynaud.
Bel... Pierre, 30 ans, ouvrier à l'arsenal de Roehefort, a été profondément éprouvé en 1887 par des chagrins de ménage. II fut d'abord atteint d'une névralgie faciale double durant plus de deux mois. Cette névralgie résista à tous les moyens ordinaires et ne se dissipa que par l'emploi de la suggestion à laquelle je n'avais eu recours qu'en désespoir de cause. C est alors que je me suis aperçu que cet nomme était hystérique avec des zones d'anesthésie et et d'hypéresthésie. Dès qu'on lui parlait de dormir il tombait d'emblée dans l'état de somnambulisme.
Il présenta plus tard des phénomènes de différentes sortes, des crises et surtout de la contracture des membres.
La contracture des bras s'accompagna d'un certain degré d'asphyxie locale des mains qui dura plusieurs semaines et que j'ai réussi A modifier par la suggestion.
Le 21 mars 1889, Bel... entra de nouveau A l'hôpital de la marine, présentant cette lois de la contracture de la mâchoire et des muscles du pharynx, à tel point que la mastication et la déglutition étaient difficiles. En deux jours, j'ai pu faire disparaître, par la suggestion, cette contracture. Je fus très surpris en m'apercevant que la contracture s'était déplacée et localisée dans le bras, surtout A gauche en s'accompagnant d'une asphyxie locale des mains, A un degré très prononcé.
Les deux mains étaient violettes, gonflées, principalement le soir, froides au toucher et le thermomètre appliqué sur le dos de la main accusait le 27 Mars 19°6 A gauche et 24°5 à droite. En admettant que 32°soit le chiffre normal à cette région, comme me l'ont indiqué des expériences comparatives, on voit que la température de ces régions avait subi un abaissement considérable de 12°4 à gauche et de 7°5 à droite.
La suggestion hypnotique fut employée et la température s'éleva
progressivement tous les jours d'un degré environ des deux côtés.
27 Mars, Main gauche 19°6. Main droite 24°5
28 » » 2o°5. » 25°8
29 » » 21°8. » 27°
30 » » 23°6. » 27°8
Sans répéter ls suggestion, j'ai pris la température locale..tous les jours et vers le 10 avril les deux mains présentaient une température d'environ 30°. Il avait suffi de donner l'impulsion pour rétablir graduellement la circulation.
Ainsi, la suggestion a pu, en quelques jours, faire remonter de 10° la température dans une région considérablement refroidie.
Une remarque que j'ai faite à ce moment la ne manque pas d'intérêt. Le 5 avril, le thermomètre accusait ù la main gauche 26°6. Désirant arriver très vite à la normale, j'eus l'idée de contracturer le bras gauche, dans l'espoir que le travail musculaire ramènerait plus facilement la chaleur. En même temps je taisais la suggestion que la température allait s'élever. Une demi-heure après, je tus étonné de constater 24°5 il s'était donc produit en même temps que la contracture et contrairement à la suggestion, un abaissement de 20. Toutefois le lendemain matin la température de la main gauche était à 27°8, c'est-à-dire que depuis la veille elle s'était accrue de 1°2. J'ai réfléchi pendant longtemps à cette contradiction apparente, sans pouvoir trouver une solution satisfaisante. Elle m'a été fournie, je crois, par des expériences récentes et peut ainsi se formuler: Des contractures d'un certain ordre entraînent avec elles le refroidissement d'une région du corps, malgré la suggestion, mais celle-ci reprend ses droits en effaçant la contracture provoquée.
Le malade est sorti de l'hôpital le 8 juin; avec une température de 320 aux deux mains. Au mois de Septembre 1889, il rentra à l'hôpital dans un autre service que le mien où il resta plus d'un mois avec l'asphyxie des mains. Voyant que l'aflection ne se modifiait pas par les moyens ordinaires, on me l'adressa. Il m'a été beaucoup plus facile que la première fois d'élever sa température, ce qui se comprend aisément si l'on songe avec quelle facilité se reproduisent les phénomènes chez les nerveux. C'est alors que j'ai tenté quelques expériences pour élucider le mécanisme de l'asphyxie locale.
En 24 heures je pouvais faire varier en plus ou en moins, la température des mains de 10°. Un jour, je lui dis: c La main gauche va « devenir froide et violette ainsi que l'avant-bras gauche » ; en précisant exactement et touchant les parties désignées. Le lendemain matin, la main était froide et violette, à la face palmaire comme à la face dorsale, ainsi qu'à la partie inférieure de l'avant-bras. Le thermomètre appliqué sur le dos de la main accusait 20° tandis que la veille, il donnait 30°. L'anesthésie et l'analgésie étaient complètes sur tout le membre. Les muscles de l'avant-bras étaient contractures, ceux du bras ne l'étaient pas. Le poul radial était sensiblement plus petit que de l'autre côté. Le malade accusait un resserrement siégeant au dessus du coude et surtout dans un point correspondant exactement à l'artère humérale, un peu au-dessus du pli du coude, sous l'extension du biceps.
Le 13 décembre la température des deux mains était à 320. En pré-sence de plusieurs de mes collègues et entr'autres de M. Fontorbe, professeur de clinique chirurgicale et de M. Duval, professeur de physiologie, j'endors le malade et je lui dis que la main et l'avant-bras au côté gauche allaient se refroidir. Une heure après on notait sur la main gauche, le thermomètre étant reste appliqué, une différence eu moins
de 1 degré. Le lendemain malin, nous observions une diminution de 9°4 à gauche el de 1°5 seulement a droite.
14 Décembre. Main droite 30°5. Main gauche 22°6
Sans l'endormir et en touchant simplement la main gauche, je dis: « Cette main va se refroidir», et la diminution constatée fui encore assez sensible û gauche.
15 Décembre. Main droite 30°. Main gauche 19°.
Ainsi donc en 48 heures, la température de la main gauche s'était abaissée de 13 degrés sous l'influence de la suggestion. En outre de la contracture de l'avant-bras et de la teinte violette de la main ainsi que de la partie intérieure de l'avant-bras, on notait une différence très grande des deux pouls. Les tracés sphygmographiques ont été pris à plusieurs reprises et ils sont très significatifs.
Bras droit non influencé. T 30°
Bras gauche asphyxié. T 19°
A droite le tracé est à peu près normal. Agauche on voit l'amplitude décroître et le décrotisme disparaître. On a pris les précautions vou-luespour s'assurer que l'instrument ne comprimait pas l'artère. Les modifications observées indiquaient qu'il y avait augmentatiou de pression sanguine ne pouvant être attribuée qu'au rétrécissement de l'artère.
Le 16 Décembre, le thermomètre était de 30° à droite et de 20° à gauche ; on dit au malade eu touchant sa main gauche : « La chaleur va revenir ». Dès ce moment. Bel... a éprouvé un fourmillement dans les doigts et un agacement qui le forçait à les remuer. Ces phénomènes se sont accentués et ont duré 3 heures, en même temps qu'il se produisait un tremblement dans la main et l'avant-bras.
La température a été prise d'heure en heure.
9 heures 20°5.
10 heures 23°5
11 heures 26° 5 Midi
Le 17 Décembre la température était à 31* \ gauche comme à droite. Les tracés sphygmographiques ont témoigné de la légalité des deux pouls.
Bras droit. T. 31°
Bras gauche. T31°
Les expériences ont clé répétées plusieurs fois ; le sujet a été obser scrupuleusement et aucun doute ne peut s'élever sur lu réalité des phénomènes.
Le 19 Décembre en présence de M. le docteur Bonnet, médecin major au 6° de ligne, j'ai déterminé l'asphyxie de la main droite. Avant l'expérience à 9 heures du matin la température des deux mains était de 30°. une demi-heure après la suggestion, le malade accusait une cons-triction au-dessus du coude; le pouls radial était déjà sensiblement modifié, ainsi que le prouvaient le toucher et le tracé sphygmogra-phique. Ce simple fait tend a démontrer que le rétrécissement de l'artère est le premier phénomène et que le refroidissement est consécutif. A 11 heures la température était de 20° 5; à droite et de 30° à gauche; à 3 heures du soir à 19°6 à droite et 28°7 à gauche.
Les tracés sphygmographiques sont encore concordants.
Bras droit asphyxié. T. 20°5
Bras gauche non influencé. T.28°7
J'ai également produit l'asphyxie des deux côtés simultanément et j'ai obtenu 18°5 à droite et 18°3 à gauche. Les tracés indiquent encore
un effacement de l'artère ; le pouls est petit et serré ; l'amplitude de l'oscillation est courte et le dicrotisme fait défaut.
Enfin, il me parait utile de signaler deux remarques importantes. La première est relative a la difficulté que j'ai éprouvé, un certain jour, à produire l'asphyxie ; en cherchant la raison, je me rappelai que le sujet avait eu la veille au soir une crise assez violente provoquée par une grande contrariété, je pensai alors d lui dire qu'il allait se trouver dans l'état où il était quelques jours auparavant et après une petite en se, je pus facilement obtenir l'abaissement des températures recherché ; ce qui prouve une lois de plus que pour avoir des résultats identiques, il faut opérer dans des conditions semblables et qu'il faut toujours te demander si l'état nerveux n'a pas varié.
La seconde remarque, est d'un autre ordre, le bras droit était asphyxié et je venais de prendre des tracés qui m'indiquaient la compression de l'artère. A un moment donné j'obtins un tracé présentant nne amplitude beaucoup plus grande. L'artère s'était décomprimée sous l'influence d'un massage prolongé, au niveau du pli du coude dans le but d'explorer l'artère humérale et peut-être aussi par le fait de l'application du esphygmographe à cet endroit. Le thermomètre nous démontra que la temperature commençait à s'élever. Il était naturel de penser que le lien de compression existait seulement au pli du bras et que ce lien avait été enlevé par les diverses excitations physiques, sans aucune idée de notre part ni du sujet.
Quel est le mécanisme de l'asphyxie? Il n'est pas douteux qu'il s'agisse d'un phénomène de contracture. On observe, il est vrai, de la contracture des muscles, mais elle parait bien insuffisante pour expliquer l'asphyxie ; On voit souvent des contractures musculaires très marquées sans que l'asphyxie en résulte.
C'est plutôt a une contracture de vaisseaux qu'il convient d'attribuer l'asphyxie locale.
Dans le cas présent, il est possible d'admettre une contracture siégeant sur un point de l'arière humérale sous l'expansion du biceps, avant sa bifurcation. C'est donc à une action vaso-motrice qu'est dû le phénomène.
L'artère est rétrécie ; l'apport du sang est moins considérable et le refroidissement beaucoup plus grand surtout sur les parties découvertes.
Comment se fait-il qu'en disant à un sujet, dans des conditions déterminées :« Votre main va devenir froide », le grand sympathique réponde en resserrant le vaisseau au point voulu pour que le résultat cherché soit obtenu. C'est ce qui dépasse notre imagination.
Quoiqu'il en soit, nous savons qu'on peut avantageusement modifier, par la suggestion un symptôme qui en se perpétuant, pourrait devenir grave, puisque la gangrène est possible.
Il convient de faire remarquer qu'un grand nombre d'observations d'asphyxie locale ont trait à des nerveux et il est permis de se demander, si dans certains cas, i! n'aurait pas été possible d'empêcher les accidents consécutifs de se produire.
HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE
Service de M. le Dr Auguste VOISIN
Lypémanie anxieuse avec gémissements. — Insuccès de la médication morphinique. — Guerison en deux séances par la suggestion hypnotique.
La nommée D... âgée de 22 ans, couturière, est entrée le 26 février 1889 dans le service de M. Auguste Voisin, à la Salpètrière, dans on état de mélancolie anxieuse. ,
Antécédents héréditaires: Ses parents sont bien portants. Son père est vif. Un frère bien portant. Un oncle aliéné. Pas de maladies dans l'enfance. Pas d'habitudes alcooliques. Pas d'attaques de nerfs.
Elle a souvent répété depuis quatre ans qu'elle était poitrinaire et qu'elle allait mourir. Elle a été déjà souffrante à cette époque pendant six mois.
Il a été trois fois question de la marier, mais cette pensée l'a tellement énervée et agitée que ses parents ont bissé ces projets de côté.
Un certificat médical du mots de mars 1888 nous apprend que cette malade était anémique et que ses digestions étaient mauvaises. Depuis le commencement de l'hiver, son état de mélancolie anxieuse avec gémissements s'accentua; elle se plaignit de souffrir de diverses par-tics du corps. Elle se refusa à manger. Depuis lu même époque elle a
erdu le sommeil. Ses règles ont été régulières. Elle a maigri depuis e commencement de l'hiver.
Elle a été placée a l'hôpital Necker, puis A Ste-Anne, puis à Villejuif d'où elle a été envoyée dans le service de M. Auguste Voisin, à la Salpétrière.
Cette malade est grande. Traits réguliers. Front bien fait. Oreilles bien faites, symétriques. Pas de goitre. Pas de tremblement de la langue, ni des lèvres. Orthognathe. Voûte palatine normale. Pas de déformation du corps. Les diamètres crâniens sont normaux:
Antéro-postérieur 0,173m
Transversal 0,146
Bi-auriculaire 0,135
Temporal 0,134
Frontal 0,100
Pas de pléiade ganglionnaire cervicale. Pupilles égales, moyennes, contractiles. Pas d'ambliopie, de dyschromatopsie. ni d'astigmatisme. Elle lit facilement les lignes parallèles n°4 allas de Galezowski). Pas de troubles de la sensibilité générale. Pas de stigmates sus et sous-mammaires, iliaques et vertébraux.
Palpitations fréquentes depuis six mois ; souftle cardiaque, systoli-que, à la base.
Pas de signes de tuberculisation pulmonaire.
Dyspepsie flatulente. Inappétence. Refus ou à peu près de manger. Constipation.
Il existe à la partie inférieure de la jambe gauche une ulcération et une ligne rosée circulaire qui a été produite par des entraves posées dans un des trois hôpitaux par lesquels elle a passé.
Depuis son entrée, elle ne cesse de se plaindre et de pleurer. « Oh là ! là laut-il, laut-il !, répète-t-elle jour et nuit. » Mon service retentit de ses gémissements incessants.
Il est impossible d'obtenir d'elle la moindre réponse. Elle ne parait pes avoir d'hallucinations. L'alimentation naturelle étant très difficile et la fétidité de son haleine indiquant un commencement d'inanition et le mauvais état de la muqueuse des premières voies digestives et de l'esiomac. l'emploi de la sonde œsophagienne a été rendue nécessaire dès le premier jour.
De la teinture de Mars, de l'huile de foie de morue ont été administrées en même temps.
Je lis faire à la malade des injections sous-cutanées de chlorhydrate de morphine.
Dose initiale o,001 bis, chaque jour 2 Mars. La dose est augmentée de 0,001 le soir. 10 » La dose est portée à 0,002 bis.
14 » 0,003
16 » » 0,004. bis.
18 » La dose de 0,004 n'est pas supportée. Elle produit des vomissements.
Je fais injecter une solution de 0,004 morphine
et de 0,001 d'atropine
qni est supportée.
20 Mars. Morphine 0,005 Atropine 0,0003
23 » Morphine 0,006 Atropine 0,0005
26 m Morphine 0,007 Atropine 0.0006
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28 » Même état. Pas de sommeil. Mon interne essaie d deux reprises différentes, sans succès, de produire l'hypnose.
30 Mars. Morphine 0,008
Atropine 0,0008 2 Avril. Morphine 0,01
Atropine 0,001 5 » Morphine 0,013
Atropine 0,001 7 » Morphine 0,015
Atropine 0,001
9 » Morphine 0,017 Atropine 0,001
11 » Morphine 0,02 Atropine 0,001
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L'état de mélancolie anxieuse, les gémissements sont les mêmes, ainsi que le relus de manger.
J'essaie d'hypnotiser moi-même la malade et j'y réussis au bout de 10 minutes par le procédé de la fixation de ses yeux, de l'application de ma main sur son front et l'injonction de dormir.
J'obtiens la léthargie et je lui fais les suggestions suivantes :
Se laisser endormir par moi, quand je le jugerai convenable, ne plus avoir de tristesse, de gémissements, ne plus se plaindre, avoir l'humeur enjouée, dormir la nuit cl de manger ce qu'on lui donnera
Je la laissse dormir une demi-heure.
Les injonctions morphiniques sont suspendues.
Le 14 avril, la malade a cessé absolument de gémir et de se plaindre Elle a mangé seule et elle a dormi.
Je l'ai depuis ce temps hypnotisée tous les 2 jours. Je lui ai suggéré de ne plus avoir de douleurs, d'être certaine d'être guérie et d'avoir la physionomie enjouée. — Ces suggestions ont réussi.
1er Mai. La malade a engraissé et a bonne mine Le 15 Mai. son état est si satisfaisant que je lui ai accordé la permission de rester 8 jours chez sa mére.
25 Mai. Elle continue à aller bien. Je l'hypnotise tous les deux jours pour consolider la guérison.
ler Juin Nouveau congé chez sa mère.
La guérison se maintient. La menstruation a été régulière. Sortie définitive de la malade.
26 Juin. Sa mère m'apprend qu'il est question de projets de mariage et elle me demande de lui en parler pendant son sommeil.
Je lui suggère de ne plus jamais être exagérée dans ses sentiments, d'être modérée dans ses appréciations en toute chose, d'être calme dans ses entrevues avec son prétendu, de ne plus avoir d'idées tristes.
Je lui suggère, en outre, de ne jamais se laisser endormir que par moi seul et je lui fais écrire pendant son sommeil qu'elle ne pleurera plus et qu'elle est guérie.
29Juillet. La guérison s'est maintenue, sa mère ne donne sur sa façon d'être les détails les meilleurs.
Elle m'apprend que les projets de mariage se sont accentués et elle me demande d'autoriser le mariage que j'avais désiré ne pas se faire .avant le commencement de l'automne. Je l'hypnotise et je réitère mes suggestions et je lui dis qu'elle se mariera le 14 septembre et qu'elle viendra me voir le 20 octobre suivant.
Ces suggestions se sont réalisées.
11 Décembre. D.... va très bien.
En résumé, celle malade avait passé par trois services différents avant d'arriver dans le mien; je l'avais de plus inutilement traitée pendant un mois au moyen d'injections sous-cutanées de morphine. Ayant échoué dans cette médication, j'ai réussi dans ma première tentative d'hypnotisme, et j'ai pu, au moyen de la suggestion, faire disparaître les principaux troubles mentaux, c'est-à-dire la lypémanie, les plaintes, les gémissements, les pleurs, le refus de manger, l'insomnie. La séance suivante a achevé le traitement commencé et les séances successives ont consolidé la guérison et ont fait cesser les douleurs.
LA FOLIE DE MOHAMMED TOGHLAK
sultan des indes
Elude médico-psychologique, traduite de l'anglais par le dr Edgak bérillon.
Du berceau à la tombe,l'homme a besoin de l'assistance de son espèce. Seul, il est faible, mais il peut centupler sa force en prenant la direction de la force des autres hommes. A la fois le plus puissant et le plus asservi des animaux, il peut tenir dans sa main un sceptre qui règle le sort de plusieurs millions d'hommes, ou bien être si complètement esclave de la force, tellement lié par les arrangements de la fortune et la loi des contrats, qu'il n'ait aucun droit à l'existence jusqu'à ce qu'il mérite ce privilège en servant ceux qui détiennent la richesse du monde. Même s'il n'est pas l'esclave né d'un autre homme, partout quelqu'un viendra le chasser et lui dire : « Ce sol est à moi ». S'il erre ça et là, il est emprisonné comme un vagabond. S'il ne veut pas travailler, il doit mourir de faim ; s'il porte la main sur quelque chose, il est saisi comme un voleur. Par une rude expérience, il apprend la loi de son sort rigoureux, s'il se révolte, il devient criminel ; s'il ne peut ou ne veut pas s'instruire, il est traité comme fou. Telle est la condition de ceux qui sont nés pauvres et dans un rang inférieur, et il n'est pas surprenant que tous désirent y échapper. Ainsi, le désir du pouvoir, l'amour du privilège, la recherche de la richesse, qui est un des plus sûrs moyens du pouvoir, sont universels ; mais la compétition constante d'autres hommes met obstacle à la réalisation complète des désirs de tous. Il arrive ainsi que quelques hommes acquièrent une situation si prépondérante et une telle autorité sur les autres, que la résistance de ces derniers ne compte pour rien etque leur approbation ou leur désapprobation ne se manifeste que d'une façon très circonspecte. Connaissant la volonté capricieuse et tyrannique du maître, ils feignent d'approuver ce qui leur répugne. Un tel despotisme est rare, car les gouvernants, en général, ont à faire beaucoup de sacrifices et de concessions pour contenir leurs sujets ou éviter l'hostilité de leurs voisins. En fait, le pouvoir est toujours trop ardemment convoité pour cesser d'être un objet de contestation. Cependant en lisant l'histoire des générations connues, ou en étudiant les observations des voyageurs modernes, nous voyons beaucoup de despotes dont la volonté fut toute puissante sur les tribus ou les nations sujettes.
On trouve un exemple frappant des effets ordinaires du pouvoir sur une race grossière et inculte dans le chef africain tel que le décrivent les explorateurs. Vivant parmi les sauvages dont les notions de morale sont ru alimentaires, dans un pays où le frein de la loi n'existe pas, jouissant du droit de vie et de mort sur ses sujets, entouré de courtisans indignes et corrompus qui passent leur temps à le flatter et à favoriser ses désirs, il cède au caprice du moment, et satisfait ses appétits déréglés. Il envoie au supplice la femme qu'il caressait une heure avant; il tombe, après ses débauches, tantôt dans des accès de fureur, tantôt dans une léthargie stu-pide ; il tyrannise ses noirs sujets jusqu'à ce que ses excès l'emportent ou qu'il meure par suite du complot d'un rival ou par les lances ennemies
(1) Extrait du livre The blot upon the brain, studies in history and psychology, par M. le Dr W.IRELAND.
de quelque tribu voisine. Si son nom porte partout la terreur, le roi africain peut essayer de vaincre la nature ou faire exécuter quelque caprice féroce, défendre aux jeunes gensdese marier, avoir des régiments de femmes-soldats, ou laire flotter son canot sur une rivière de sang humain.
L'effet d'une telle situation sur le caractère peut intéresser un observateur de la nature humaine. L'homme dont chaque fantaisie est immédiatement satisfaite par la servilité empressée des autres, est dans une position dangereuse par son développement mental. On augmente ses appétits en satisfaisant ses désirs, mais on affaiblit en même temps sa volonté. Comme son opinion n'est jamais discutée ni ses erreurs corrigées, son jugement se dérange. Son égoïsme est continuellement nourri par la prompte réalisation de ses désirs à peine formes, et les droits des autres hommes sont regardés par lui comme rien.
Le premier effet du pouvoir absolu semble être un libre penchant aux plaisirs sensuels, allant jusqu'à une concupiscence et à une débauche immodérées. Le second est une tendance à dominer les autres, à les mettre dans des positions dégradantes, à leur faire exécuter des travaux pènibles, méprisant leurs souffrances ou prenant un réel plaisir à les voir souffrir.
Un pouvoir sans limites aboutit toujours à l'abus, sauf chez quelques natures rares et délicates.
Le pouvoir n'est rien s'il est conciencieusement appliqué. L'homme qui récompense seulement celui qui le mérite, qui ne punit que le coupable, qui n'absout que l'innocent, n'a en réalité aucun pouvoir. Un sens impérieux du devoir règle sa voie. Au contraire, l'homme qui n'obéit qu'aux entraînements de la nature préfère ceux qu'il connaît mieux ou qu'il aime mieux, satisfait ses goûts d'une façon inconsciente. absout le coupable ou condamne l'innocent. Si les hommes étaient les serviteurs du devoir et connaissaient réellement leur propre cœur, le pouvoir ne serait pas si universellement convoité. Mais, peu de ceux qui l'ont atteint sont désireux de l'abandonner, et le seul moyen d'empêcher les hommes d'en abuser est de ne leur en confier qu'aussi peu qu'il est nécessaire. La crainte de perdre le pouvoir rend les hommes circonspects, attentifs dans la manière d'en user, mais elle ne les conduit pas toujours dans le droit chemin. Comme Machiavel l'a sagement observé : « Souvent les hommes s'attirent autant de haines en faisant le bien qu'en faisant le mal.» Ainsi un prince qui désire maintenir son pouvoir est quelquefois contraint de ne pas être bon, spécialement dans les temps où les mœurs sont corrompues. La seule chose qui ait de la valeur réelle dans un homme, c'est sa raison, qui, lui montrant les limites de sa nature et de sa condition, le sauve de l'impulsion des passions, réprime ses désirs et les écarts de son imagination.
Au-dessus de la conscience et du cœur d'un homme, en face de son propre égoïsme, sont les consciences et les cœurs des autres hommes. Leur désapprobation le met mal à l'aise, il est peiné de leurs remontrances, craint leur blâme et leur mépris et souffre de leur déconsidération. Même quand il peut exécuter ce qu'il veut en dépit de leur opposition ou les forcer à faire ce qu'ils désapprouvent, sa satisfaction est incomplète. Par suite, il désire non seulement dompter leur résistance, mais changer leur volonté et diriger leurs pensées, et le moindre insuccès en ces matières suffit pour exciter son ressentiment. Quand le pouvoir est très grand,
ces obstacles qui pourraient peut être retenir un homme dans les liens de la raison et de la modération sont souvent écartés ou dirigés dans un sens contraire. Un entourage de flatteurs peut dissimuler l'opinion publique et conduire uu homme dans une voie dangereuse par des suggestions mauvaises et par l'approbation servile de tout ce qu'il fait.
Si l'on observe qu'à côté de celte influence dégénératrice, le souverain absolu est toujours tenté de se livrer à toutes sortes de plaisirs sensuels, sans aucune retenue, on ne sera pas surpris que la folie ait apparu dans toutes les grandes familles régnantes. Dès les temps historiques les plus reculés, nous la voyons dans la dynastie babylonienne et dans la dynastie persane, dans la famille Julia, dans celle de Charlemagne, dans la famille royale d Espagne, et dans beaucoup de maisons royales. Mais il n'est pas de dynasties ou la folie et l'imbécilité soient plus fréquentes que chez les princes de l'Inde. L'histoire de Mohammed Toghlak donne la mesure des excès dans lesquels a pu tomber un de ces fous sanguinaires.
I
Les origines de Mohammed Toghlak. — Ses premiers crimes.
La généalogie de Mohammed Toghlak ne remonte pas haut. D'après Ferishta, son père, Geias u din Toghlak. était un esclave turc, et sa mère une femme Jat. De fantassin. Gheias était devenu gouverneur de Debal-pur, ville du Pendjab. Son fils, Mohammed, ou Juna, comme on l'appelait alors, était chef des écuries impériales à Delhi pendant que Khusru Khan, était sultan. Un jour, Juna partit à cheval avec le fils de Kichlu Khan, gouverneur de Multan, pour se joindre à une révolte contre le souverain. Khusru Khan fut défait et s'enfuit, et les chefs des insurgés s'emparèrent du palais royal de Delhi.
Gheias u din Toghlak dit à Kichlu Khan : « II faut que vous soyez sultan ». — « Vous devez plutôt l'être, » répondit l'autre. Ils continuèrent la discussion pendant quelque temps jusqu'à ce que Kichlu Khan dit à Toghlak : « Si vous refusez d'être sultan, votre fils le deviendra. » Toghlak, qui ne le voulait pas, s'établit lui-même sur le trône. Le monarque vaincu, Khusru Khan, découvert dans sa retraite, fut conduit au nouveau sultan par Juna. et mis à mort. Sa tête et son corps furent jetés de la terrasse, comme Khusru Khan avait fait de la tête de son prédécesseur, et le royaume appartint en paix a Gheias u din Toghlak, qui eut la réputation d'un roi juste et vertueux. Sa femme était une personne vertueuse, renommée pour ses œuvres charitables. Leur fils Juna, qui parait avoir joué un rôle important dès l'origine, fut d'abord employé par son père aux expéditions militaires chez les rajahs Hindous du Dekhan.
D'après Ibn Batuta. Gheias avait de bonnes raisons de suspecter la fidélité de son fils. Désirant peut-être rester à la tête de l'armée, le sultan partit pour une expédition au Bengale, laissant son fils comme vice-roi à Delhi. Juna acheta un grand nombre d'esclaves, fit de magnifiques présents, et consulta des devins et des astrologues au sujet de son futur sort. Quand son pére revint avec l'armée, il sortit pour aller à sa rencontre et se prépara à le recevoir dans un grand pavillon de bois qu'il avait élevé en son honneur. Batuta, qui connut l'histoire par des témoins oculaires, dit que le pavillon était construit de telle sorte qu'il devait
s'écrouler quand les éléphants passeraient à un certain endroit. Le kiosque tomba sur le sultan et sur son fils favori. Juna ordonna qu'on apportât des pioches et des pelles pour chercher son père, mais il fit signe de ne pas se presser,et les outils ne furent apportés qu'après le coucher du soleil.
On trouva le sultan couché sur le corps de son fils. On dit même qu'il n'était pas encore mort, mais qu'on l'acheva. On l'enterra pendant la nuit, lbn Batuta, qui croit â cette histoire, dit que Khwaja Jehan, le constructeur de ce bâtiment, conserva un grand crédit auprès du successeur de Gheias u din. En même temps il fut le vizir utile et fidèle de Juna qui alors (1325) devint sultan sous le litre de Mohammed Shah Toghlak. A son avènement il devait avoir au moins trente ans. Le portrait le plus détaillé de ce monarque se trouve dans les Voyages de lbn Batuta, (1) indigène de Tanger, qui commença ses voyages environ trente ans après qu'un autre grand voyageur du midi, Marco Polo, fût revenu en Italie. Il visita l'Egypte. l'Arabie, l'Asie-Mineure, la Russie Méridion-nale, Boukara, Constantinople, la Perse, le Khorassan, et Kaboul. Il entra dans l'Inde en 1333, et resta environ dix ans dans ce pays. C'était au temps d'Edouard III et de Philippe de Valois, quand Pétrarque et Boccace avaient déjà acquis la renommée, et que Chaucer et Froissart étaient encore enfants.
II
Portrait de Toghlak
lbn Batuta fut reçu avec faveur par Mohammed Toghlak. qui lui fit de riches présents, et qui. à plusieurs reprises, paya ses dettes. Il le fit juge à Delhi, avec un fort traitement ; et comme le voyageur ne connaissait pas la langue du pays, il lui donna deux substituts. Batuta eut plusieurs entrevues avec toghlak. Ses voyages furent écrits après son retour à son pays natal, au Maroc, il ne pouvait donc avoir de motifs pour dire autre chose que la vérité. Quoique le caractère merveilleux des événements racontés puisse rendreson récit sujet à caution, la partie la plus incroyable de sa narration est confirmée par les historiens indiens, qui écrivireut d'après différentes sources. I.e grand voyageur oriental nous a donné le portrait vivant du monarque indien.
Toghlak, nous dit-il, aimait surtout à taire des présents et à verser le sang. A la porte de son palais, on voyait toujours quelques mendiants qui devenaient riches, ou les cadavres de quelques hommes mis à mort. Sa générosité, sa bravoure et ses actes de violence et de cruauté envers ceux qu'il trouvait en faute, lui ont valu une notoriété parmi le peuple. En dépit de cela, c'est l'homme le plus humble et le plus équitable. Les cérémonies de la religion sont observées à sa cour, et il est très sévère sur l'assistance régulière à la prière. Il mit à mort neuf personnes en un jour, pour avoir néglige les prières accoutumées. Les contrées voisines, telles que l'Yémen, le Khorassan et la Perse, étaient remplies de légendes au sujet de ce prince et de sa grande générosité envers les étrangers.
Ferishta, l'historien mahométan des Indes, qui écrivait environ 260 ans plus lard, dit que Toghlak fut le prince le plus éloquent et le plus accompli de son temps ; il composa quelques bonnes poésies, et fut le protec-
(1) Histoire de l'élevation au pouvoir de Mohammed dans l'Inde jusqu'à l'année A.D.1612 traduite du texte persan de Mogammed Kassim Ferishta, par John Briggs, M.R.A.S. lieutennat colonel dans l'armée de Madras.London; 1829, PP.410,411
LA FOLIE DE MOHAMMED TOCIU.AK
teur des hommes de lettres (i). Ses lettres, en arabe et en persan, montrent tant d'éloquence, de bon goût et de bon sens que les secrétaires les plus capables des derniers temps les étudiaient avec admiration. Batuta nous dit que, quoique Toghlak comprit assez bien l'arabe, il ne pouvait pas le parler couramment. II est donc probable qu'il eut recours à quelque secrétaire arabe. Ce prince aimait beaucoup l'histoire, et avait si bonne mémoire qu'il se rappelait tous les événements avec leurs dates. 11 était également habile dans les sciences physiques, la logique, l'astronomie et les mathématiques. Ilavait le talent de découvrir le caractère des personnes après un très court examen. Il alla iusqu'à soigner des malades qui étaient affligés de maladies extraordinaires.- II étudia la philosophie des écoles grecques, et après son avènement au trône, il soutint des discussions avec le métaphysicien Assaud Muntuky, le poète Oobeid, et d'autres dont les noms étaient autrefois dans la bouche du peuple. Les présents qu'il fit à ces lettrés qui le flattaient surpassent presque la croyance. L'histoire racontée par Batuta au Maroc, que lors d'une entrée solennelle à Delhi, le sultan fit jeter des pièces d'or et d'argent du haut des éléphants au milieu du peuple, fut reçue avec méfiance ; mais un semblable récit se trouve dans Khoudemir (2) et dans Ferishta, pris chez un contemporain de Mohammed Toghlak, l'historien Ziai din Burny. On dit que le Sultan n'encourageait pas les plaisirs immodérés et donnait l'exemple d'une vie austère (?). Il n'y a rien qui indique que le sultan se livrât aux excès de la boisson ou qu'il fût adonné au commerce des femmes. Le contraire nous semble plus vraisemblable. Mais la réclusion jalouse des harems cache beaucoup de la vie privée d'un prince oriental, et les Mahométans considèrent comme de mauvais goût de faire allusion aux femmes d'une famille. A sa mort il ne laissa qu'un fils, que son vieux vizir Khivaja Jehan désirait mct're sur le trône, et que son neveu traitait comme un enfant supposé.
Mohammed Toghlak avait évidemment un caractère d'une profondeur peu commune. Accompli, appliqué aux affaires, ferme, brave et énergique, élevé dans les camps, et habile dans la guerre, il aimait la science et la société des hommes instruits. Il étudia l'histoire quand il devint prince, mais avec une curiosité sans fin, éveillée par les mystères de l'esprit humain.Cependant, bien qu'il connut par des prières journalières que la vie est courte et que Dieu est le souverain Juge de tous, cela ne semble pas l'avoir préservé du mal.
Comme Mountstuart Elphinstone l'a observé : (4) ¦ Ces splendides « talents et ces perfections lui furent donnés en vain. Ils étaient accom-« pagnes d'une perversion du jugemeut, qui après chaque concession « qu'il fait à l'enivrement du pouvoir absolu, nous laisse douter s'il n'a • pas été affecté, plus ou moins, de folie. Toute sa vie se passa à pour-
[¦) Hitiotre l'clcvfttìon au pouvoir de Mohammed daoi l'Inde |u*qu'à l'inni* A- D. i6ia. traditile du teate periati de Mohammed Kiiìra Ferìthta, par John Sr!z£* il. R. A. S. Ucuicnaat co! onci rfam l'arme* de ìladra*. Lonlon. pp. 410, 411.
(j) \ o> «.. > d'ibn Bit ut ab, Tome IH. Avertuacmcat, p. XV: I et noie p. 464.
HI HUtoire de l'Iadomtan. : r . .- du ; n ..r., par Alataodre Dow. London 1811 voi. I, p. *8o.
MI The Hivtory of India. The Hiadu and Mabomctan Periodi, by The Hoa. Mounutuait Elphintione. London, IS57, p. 347.
« suivre des projets visionnaires par des moyens également déraison-t nables, avec un oubli total des souffrances qu'il occasionnait à ses sujets. - Les résultats en furent plus malheureux que ceux du régne d'aucun « autre Indien ». Ferishta nous dit que cet homme « qui établit des hô pitaux pour les malades et des maisons de refuge pour les veuves et les orphelins, était complètement dépourvu de pitié ». Il hésitait si peu à répandre le sang qu'on aurait pu croire que son but était d'exterminer entièrement l'espèce humaine. Une semaine ne se passait pas sans qu'il mît à mort un ou plusieurs des hommes savants et saints qui l'entouraient, ou quelques-uns des secrétaires qui le servaient. « Tous les jours, écrit lbn Batuta, on amenait à la grande salle d'audience des centaines de gens enchaînés, les bras attachés au cou et les pieds liés : quelques-uns étaient tués, d'autres torturés ou battus. Les bourreaux étaient assis à la porte extérieure de la salle d'audience, et les corps des victimes restaient exposés trois jours. Les éléphants du sultan avaient appris à lancer les hommes en l'air, et a les rattraper avec leur trompe, à couper les membres sur des couteaux attachés à leurs défenses, ou bien à les piétiner. Ce gouverneur effrayant ne se plaisait pas à lire des contes et des romans, et n'encourageait ni les bouffons, ni les acteurs. Sa plaisanterie même était cruelle ; quand il voulut exiler ses beaux-frères, les maris de ses sœurs, il écrivit sur un morceau de papier : « Bannissez l'enfant trouvé, et bannissez le mangeur de souris ». Un d'eux était d'une origine inconnue, et l'autre était un arabe du désert. Or on disait que les Arabes mangeaient la gerboise, petit rongeur classé par le peuple parmi les souris. Cette veine de plaisanterie sinistre était un peu héréditaire du côte de son père, qui. quoique gouverneur oriental, n'avait cependant pas une réputation de cruauté. Un jour, la nouvelle avait été répandue par son fils que l'empereur était mort, et, en conséquence, l'armée fut dissoute et le siège de Warangol fut levé. Le vieil empereur, saisissant quelques-uns de ceux qui colportaient cette nouvelle, ordonna qu'ils fussent enterrés vivants, disant : « que comme ils l'avaient enterré vivant en plaisanterie, il les enterrerait vivants en réalité ».
III
Ses premiers actes politiques et ses premières cruautés.
Les premiers actes de Mohammed Toghlak semblent avoir été raisonnables et assez politiques. Il fit la paix avec le général d'une armée d'invasion mongole. N'étant pas assez fort pour le repousser, il le décida, en lui donnant une énorme rançon, à se retirer. Mohammed tourna alors son attention vers l'Inde, et subjugua les provinces éloignées, de sorte que son autorité fut reconnue aussi loin que Chittagong et jusqu'aux rives du Carnate. En fait, l'Empire Mulsulman. pendant la première partie de son règne, était plus étendu qu'il ne fut jamais jusqu'au temps d'Aurangzib.
Une de ses premières entreprises extravagantes fut d'assembler une grande armée pour la conquête du Khorassan ; mais les troupes, trouvant qu'on n'avait pas pris des arrangements convenables, pour leur subsistance, se dispersèrent, pillant le pays partout où elles allaient.
Beha u din, le neveu de Gheias u din.était un grand guerrier ; il avait été nommé gouverneur d'une province. Après la mort de son oncle, il refusa de se soumettre à son fils Mohammed. Ayant été défait sur le champ de bataille
après une lutte sanglante, il se réfugia chez le Rajah de Cambila. Le prince Hindou, bloqué dans une forteresse et incapable de tenir plus longtemps, dit à Beha u din de prendre refuge chez un autre Rajah, Alors il ordonna d'allumer un grand feu, et dit à ses filles « Je désire mourir ; que ceux qui veulent en faire autant le fassent ! » Alors les femmes parfumèrent leur corps, et se jetèrent dans les flammes. Les femmes des principaux officiers firent de même. Le Rajah, et ses alliés se précipitèrent sur l'armée mahométane, et ils combattirent jusqu'à ce qu'ils fussent tous tués. La ville fut prise, et onze fils du Rajah de Cambila furent amenés au sultan, qui les fit musulmans et leur rendit de grands honneurs a cause de leur naissance et de la conduite de leur père. L'autre Rajah, n'ayant pas la même fermeté, abandonna Beha u din, qui fut conduit au sultan les bras liés au cou. Il fut amené à ses parents qui lui dirent des injures et lui crachèrent a la figure. A la fin on l'écorcha vivant et sa chair cuite avec du riz, fut envoyée a sa femme et à ses enfants. Il fut empaillé, et avec les restes d'une autre victime, Bahadur Boura, il fut exposé dans l'Inde comme un avertissement pour les rebelles. Dégoûté de cette barbarie. Kichlu Khan, quand ces corps furent apportés dans sa province, ordonna qu'ils fussent enterrés. Redoutant le ressentiment de .Mohammed Toghlak, Kichlu Khan, qui avait tant fait pour placer son père sur le trône, souleva une formidable révolte (1327). Toghlak qui suivant Batuta, montra un grand courage, fut encore victorieux, tua Kichlu Khan dans la bataille, et suspendit sa tête a la porte de Multay. On le dissuada difficilement d'un massacre général du peuple de cette grande cité.
IV
Ses réformes et ses folies.
Mohammed Toghlak avait entendu parler du papier monnaie employé en Chine, et pensait enrichir le trésor impérial en fixant une valeur arbitraire à la monnaie de cuivre. On l'accepta seulement par crainte: mais on ne put la passer dans les provinces éloignées. On permit à des négociants d'en frapper de très grandes quantités à la Monnaie, par une faveur spéciale. Ils achetèrent des marchandises qu'ils exportèrent dans les pays étrangers. Le mécontentement devint si grand que le roi fut obligé de faire retirer de la circulation la monnaie de cuivre de valeur imaginaire, et d'arrêter les paiements, de sorte que des milliers de gens furent ruinés. Personne n'en profita, si ce n'est quelques marchands et quelques banquiers.
Une autre fantaisie du despote fut de diviser le pays de Surgdemary sur le Gange, en districts de soixante-six milles carrés, sous un inspecteur ou intendant qui devait être responsable de la culture des terres. Des sommes d'argent furent allouées pour mettre l'affaire en train : mais elle manqua « et il est vraisemblable, ajoute Feristha. que si le roi était retourné à Delhi il n'aurait pas épargné la vie d'un seul de ses fonctionnaires comptables. »
Dans ses tentatives pour transférer la capitale de l'Inde de Delhi à Diogiri. Toghlak montra à la fois la bizarrerie de son esprit et sa force à surmonter tous les obstacles qui s'opposaient à l'accomplissement de ses désirs. Suivant Ibn Batuta, il était provoqué par des lettres anonymes jetées la nuit dans la salle d'audience, et où on lui reprochait ses
crimes et ses folies. Faute de découvrir les auteurs de ces libellés, sa colère tomba sur toute la population de Delhi. Il donna aux habitants une indemnité pour leurs maisons, leur ordonna de se diriger vers Diogiri. presque à sept cents milles de distance, et se décida à faire de cette ville la capitale de l'Inde, sous le nom de Donlatabad. Ceux qui n'avaient pas d'argent furent nourris en chemin au frais du public.
Des crieurs proclamèrent qu'après trois jours, personne ne devrait être trouvé dans la cité de Delhi. II ordonna qu'on recherchât soigneusement ceux qui se cacheraient. Ses esclaves trouvèrent dans les rues deux hommes, l'un paralytique et l'autre aveugle. Ils les amenèrent devant le souverain qui ordonna que le paralytique fût lancé par une catapulte et que l'aveugle fût traîné de Delhi à Donlalabad, c'est-à-dire à quarante jours de marche. II tomba en pièces durant le voyage, il n'arriva qu'une jambe à Donlatabad. Tous les habitants quittèrent Delhi. Ils abandonnèrent leur mobilier, leurs biens, et la cité devint un désert.
« Une personne digne de foi », continue Ibn Batuta » m'a assuré que le sultan monta un soir sur la terrasse de son palais, regarda vers la cité de Delhi, où il n'y avait ni fumée, ni lumière, et dit : « Maintenant mon cœur est satisfait, et mon esprit est tranquille. » Mais il y avait dans son cerveau un feu qui ne devait pas le laisser en repos. Quelque temps après, il écrivit aux habitans de différentes provinces de venir à Delhi. Ils ruinèrent leur pays, mais ne peuplèrent pas Delhi, tant la cité était grande. A notre entrée dans la capitale, nous la trouvâmes vide, abandonnée par sa population. »
Toghlak conduisit encore son armée à Delhi, y resta deux ans et se remit en tête de revenir à Donlalabad. Il fit transporter une seconde fois toute la population à Deckan, faisant de la noble métropole de Delhi le lieu de rendez-vous des corbeaux et la résidence des bêtes du désert. Les malheureux habitants conduits à Donlalabad, réduits à la pauvreté sur un sol étranger, sans maisons ni emplois.tombèrent dans une grande misère. Le pays d'alentour, exaspéré par les exactions du sultan, se soulevait constamment contre lui, et ses troupes furent chassées du Deckan. A la fin, il perdit même la cité de Donlatabad. où quelques uns des grands travaux qu'il entreprit atlestent encore ses vastes desseins.
Ferishta rapporte un exemple moins sérieux du caractère étrange et de l'égoisme excessif de cet homme. « Sur le chemin de Donlatabad. il fut affligé d'un violent mal de dents et en perdit une qu'il ordonna d'enterrer avec beaucoup de cérémonie à Bhir. Un magnifique tombeau qui fut I élevé à cet endroit, reste comme un monument de sa vanité et de sa folie ».
V
Ses folies guerrières.
En l'année 1337. il conçut l'idée d'envahir la Chine. Ce fut en vain que ses conseillers d'Etat l'assurèrent qu'il était impossible de conduire une armée à travers les montagnes qui séparent le Thibet de l'Inde. La volonté arbitraire du monarque étouffa toute remontrance, et cent mille cavaliers, dit Ferishta, furent envoyés sous le commandement du fils de sa sœur à travers le Népaul. Quelques-uns arrivèrent de l'autre côte de l'Hymalaya. où ils furent aisément repoussés; et par suite de In poursuite des Chinois. des attaques des montagnards, de la famine et de la saison pluvieuse.
il revint à peine un homme, sauf les soldats laissés en garnison dans quelques forts pour assurer les communications, et ceux-là furent mis à mort par l'ordre du roi à leur retour à Delhi.
Toghlak. ayant mis son honneur à être confirmé sur son trône par le Calife nominal. Aboul Abbas d'Egypte, avança à pied à la rencontre de l'envoyé et mit la lettre du calife sur sa tête. Il ordonna de faire de grandes réjouissances et d'effacer du registre des sultans dans les mosquées le nom des rois qui n'avaient pas été confirmés. Au nombre de ces souverains dégrades était son propre père. L'envoyé fut récompensé, reçut des présents à profusion, et ses chevaux furent ferrés d'or.
VI
Ses prodigalités et ses excentricités.
Quelque temps après, Ghiyath u din. descendant du Calife Almos-tausir. vint dans l'Inde pour visiter Toghlak. Le monarque alla à sa rencontre hors de Delhi, tint l'étrier pendant que son hôte montait â cheval, lui présenta du bétel de sa propre main, se tint debout quand il entra et ordonna à ses courtisans de témoigner au fils du Calife le même respect qu'à lui-même. Cent villages lui furent assignés pour son entretien, et il reçut les plus riches présents. Ibn Batuta. qui connut ce personnage favori, dit qu'il était aussi avare que Toghlak était généreux. Il donne un exemple bizarre de la considération superstitieuse que le souverain de l'Inde montra pour l'aventurier. Ghiyath u din. devenant jaloux des honneurs faits à un autre visiteur, le roi de Gaznah. envoya un message à Toghlak pour lui dire qu'il pouvait reprendre tous ses présents. En entendant cela, écrit Batuta. le souverain monta à cheval sans perdre un moment, et se rendit vers le fils du Calife, accompagné par dix de ses serviteurs. Il se fit annoncer, descendit de cheval avant d'arriver à sa maison sur la grande route, où il fut rencontré par le fils du Calife qui était prêt à accepter ses excuses: mais le sultan reprit : « Au nom de Dieu, je ne croirai que vous vous plaisez avec moi, que lorsque vous aurez mis votre pied sur mon cou ». Ghiyath u din répondit : « Quand je devrais mourir, je ne veux pas faire une telle chose ». Le sultan reprit : je jure par ma tête que vous le ferez » Il mit sa tête sur le sol. et un de ses grands officiers prit dans sa main le pied du fils du Calife et le plaça sur le cou du souverain, qui se leva alors, disant :« Mon esprit est en repos, car je sais que vous vous plaisez avec moi. »
Un homme d'un rang élevé parmi les Hindous prétendit que le souverain avait causé la mort de son frère sans motif justifiable, et le cita devant le juge. Le monarque vint à pied, sans armes. Il salua le tribunal, et se tint devant le Cadi. Il avait préalablement averti ce fonctionnaire qu'il ne se levât pas pour lui, et ne bougeât de sa place quand il arriverait au tribunal. Le juge décida que le souverain était tenu à dédommager la partie adverse pour le sang qu'il avait versé, et la sentence fut exécutée. Dans une autre circonstance, un Musulman prétendit que le sultan lui devait de l'argent. L'affaire fut démontrée en présence du juge, qui condamna Toghlak à payer une somme d'argent, et il la paya.
: Un jeune homme de la caste des fils des rois, et grand
officier de la couronne, accusa le souverain de l'avoir frappe sans cause, et le cita devant le Cadi. Celui-ci décida que le sultan devait indemniser le plaignant en lui donnant une somme d'argent, s'il était satisfait; sinon, qu'il avait droit à une revanche directe. Toghlak envoya chercher le jeune homme et lui remit un bâton, disant : « Par ma tête, vous devez me battre comme je l'ai fait pour vous. » Le garçon prit le bâton, et donna au sultan vingt-et-un coups avec une telle vigueur que son bonnet tomba de sa tète.
VII
Ses cruautés.
Le monarque avait un frère appelé Mashoud Khan, dont la mère était la tille d'un ancien sultan Ala u din. « C'était », dit Batuta « une des plus belles créatures que j'ai jamais vues en ce monde ». Toghlak l'ayant soupçonné de vouloir se révolter contre lui. il avoua par crainte de la torture. « En fait, ajoute Batuta. celui qui nie les accusations de ce genre formées contre lui par le sultan, est naturellement mis à la torture, et lu plupart des gens préfèrent la mort à la torture ». Le sultan ordonna que la tète de son frère fût tranchée sur la place publique, et le corps resta trois jours abandonné à la même place, suivant la coutume. La mère de Mashoud avait été lapidée deux ans avant pour cause d'adultère.
Un jour, il ordonna à deux hommes instruits dans la loi d'aller dans une certaine province, avec un Turc qui exécuterait leurs ordres. Soupçonnant que cet homme était envoyé comme espion, ils répondirent : « Il vaudrait mieux que nous allions comme deux témoins et que nous lui montrions le chemin de la justice qu'il peut suivre. Alors le souverain dit : « Assurément votre intention est de dévorer et'de dévaster mes biens, et de rejeter le blâme sur le Turc qui n'a aucune connaissance ». Les deux nommes de loi répondirent: « Dieu nous garde de cela. 6 maître du monde, nous ne recherchons pas une telle chose. » Le sultan reprit : « Vous n'avez pas d'autre pensée. » Et il dit à ses gens : « menez-les au Sheikh Zadeh. qui leur administrera le châtiment. » Quand ils furent amenés devant ce terrible fonctionnaire, celui-ci leur dit: « Le sultan désire votre mort : avouez ce dont on vous accuse, et ne vous faites pas mettre à la torture. » Ils répondirent: « Nous n'avons jamais voulu que ce que nous avons dit. » Zadeh reprit, s adressant aux exécuteurs : « Faites-leur en goûter quelque chose. » ce qui voulait dire : « mettez-les à la torture. » Ils les couchèrent sur le dos et leur placèrent sur la poitrine une plaque de fer rouge: ensuite ils prirent des cendres qu'ils appliquèrent sur la plaie. Alors les deux victimes avouèrent que leur intention avait été exactement exprimée par le sultan, qu'ils étaient deux criminels qui méritaient la mort, et qu'ils n'avaient aucun droit à vivre, ni à se plaindre de leur sang répandu, en ce monde ou dans l'autre. Ils écrivirent cela de leur propre main, et reconnurent leur écrit devant le Cadi qui légalisa la déclaration que leur confession avait été faite volontairement et sans contrainte. S'ils avaient dit: « Nous avons été forcés à cela », ils auraient été infailliblement torturés davantage. Ils pensèrent qu'il valait mieux avoir la gorge coupée sans délai que mourir dans les tourments. Ils furent tués. Que Dieu ait pitié d'eux. »
Ibn Batuta déclare que. suspectant quelques gens notables de sympathiser avec des révoltés, il en emprisonna quelques-uns et mit à mort les autres. Un Cadi. qui avait eu les yeux crevés pour cette offense présumée, fut amené devant le sultan et invité à donner les noms des personnes de sa ville qui pensaient et agissaient comme ceux qui avaient été exécutés. Le Cadi dicta les noms d'un grand nombre des principaux personnages du district. Quand le monarque vit la liste, il dit: « Cet homme désire la destruction de la ville ; » et s'adressant à ses esclaves : Coupez-lui la tête : » ce qui fut fait immédiatement. « Que Dieu ait pitié de lui. » En vérité, les gens étaient à plaindre sous un despote cruel jusque dans la clémence et qui ne pouvait pardonner à l'un sans massacrer l'autre.
Un Indien, nommé Ein-ul-Mulk. gouverneur d'Oude. se révolta soudain, et fut près de causer le meurtre du monarque. Fait prisonnier dans une bataille, il fut amené, monté à nu sur un taureau, à la tente de Toghlak. qui épargna sa vie. et même autorisa sa mère, sa sœur et sa femme à vivre avec lui. Mais le sultan victorieux attaqua une tour et fit lacérer jusqu'à la mort soixante-dix de ses partisans. On les fît lancer en l'air par les éléphants, au son des trompettes et des tambours. Les morceaux de leurs corps furent jetés au chef de la rébellion. Ein-ul-Mulk obtint à la fin son pardon, et fut fait inspecteur des jardins impériaux.
Chihab u din était un homme renommé par ses vertus. Il avait l'habitude de jeûner pendant quinze jours de suite. Les deux sultans précédents l'ayant en grande estime, avaient coutume de le visiter et de lui demander sa bénédiction. Il refusa dans une audience publique une place offerte par Mohammed Toghlak. qui donna l'ordre à un célèbre jurisconsulte de lui arracher la barbe: et ce dernier refusant, il ordonna qu'on leur arrachât la barbe à tous deux et qu'on les envoyât dans des emplois éloignés. Chihab u din. après avoir été sept ans à Diogiri. fut rappelé, et fut de nouveau tenu en honneur par le sultan. Ensuite, il se retira sur un terrain inculte à quelques milles de Delhi, où il vécut dans une grotte qu'il avait fait creuser, et s'occupa pendant plus de deux ans à cultiver et à irriguer les terres désolées qui étaient à l'entour. Le monarque, à son retour de Delhi, le reçut avec pompe. Quelque temps après, il l'envoya chercher de nouveau, mais Chihab u din refusa de venir. Alors le sultan dépêcha un de ses principaux fonctionnaires qui l'avertit du danger qu'il y aurait â persister. Le cheik répondit : « Je ne servirai jamais un tyran ; » et quand le sultan fut informé de ceci, il ordonna que Chihab u din fut amené devant lui, et lui demanda: « Dites-vous que je suis un tyran ? » Il répondit: « Oui. vous êtes un tyran. » lui rappelant plusieurs choses qu'il avait faites, parmi lesquelles ïa dévastation de la ville de Delhi. et l'ordre donné à tous les habitants de quitter la ville. Le sultan tira son cimeterre et le passa à Sadr Aldjihan, disant : « Confirmez que je suis un tyran, et coupez-moi le cou avec cette épée. » Chihab u din reprit: « Celui qui porterait témoignage de ce fait, sans aucun doute, serait tué ; mais vous avez vous-même conscience de vos propres crimes. » Ses pieds furent liés ensemble et ses mains attachés a son cou. Il resta dans cette position pendant quatorze jours sans manger ni sans boire. Chaque jour on l'amenait à la salle d'audience, et les avocats et les cheiks lui disaient: « Rétractez votre assertion. » Chihab u din répondait : « Je ne me rétrac-
terai pas: » et il demandait le martyre. Le quatorzième jour,le sultan lui envoya de la nourriture : mais le cheik ne voulut pas manger, et dit : « Mes biens ne sont plus de ce monde. Retournez vers votre maître avec votre nourriture ». Le sultan l'ayant appris, ordonna immédiatement que l'on fit avaler au cheik environ deux livres de matières fécales. Des balayeurs ramassèrent cette ordure et la firent dissoudre dans l'eau; puis, le jetant sur le dos, ils lui ouvrirent la bouche avec des tenailles et la lui firent avaler. Le jour suivant, le cheik, refusant toujours de retirer sa parole, fut décapité. Le sentiment de la justice outragée et de la pitié avait rempli son âme d'indignation, au point qu'il ne voulut pas servir un tyran. Seul il osa exprimer les murmures et les pensées de tous à la face du despote, parmi tant de courtisans rampants et vils prêts à remplir l'office de bourreaux. Chihab un din se plaça lui-même dans l'armée des martyrs, et toutes les tortures ordonnées par ie sultan, ne purent arracher à sa faiblesse un mot pour adoucir le fol orgueil du tyran. Nous sommes quelquefois étonnés de la terreur que les méchants ont pour l'opinion qui coïncide exactement avec leurs pensées intérieures. Le mot qui les juge entre dans leur âme, et ne cesse pas de les torturer, rappelant leur avilissement, et éveillant ce sentiment si profondément gravé dans le cœur humain, qu'un homme sera jugé d'après ses actes.
Ibn Batuta, qui avait la réputation d'être un ami de Chihab u din. était en grand danger de tomber victime de la colère du sultan. Ce fut probablement à cause des pénibles impressions qui suivirent sa fuite, que le voyageur renonça à toutes ses possessions, et se retira pour vivre dans l'ermitage d'un célèbre saint musulman, avec lequel il resta cinq mois. A la fin de ce temps, Mohammed Toghlak le rappela en sa résidence, et l'envoya dans une magnifique ambassade auprès de l'empereur de Chine.
Dans le temps où Toghlak resta à Delhi, il mena son armée à la chasse, selon la coutume de ces princes. Quand ils arrivèrent dans le district de Reiram. il dit à ses officiers qu'il ne venait pas pour chasser les bêtes, mais pour chasser les hommes ; et sans aucune raison connue, il commença à massacrer les habitants. Il eut même la barbarie de rapporter quelques milliers de tètes, et de les suspendre sur les murs de la cité. Dans une autre occasion, il fit une excursion vers Canory, et mit à mort les habitants de cette ville et du voisinage sur plusieurs milles à la ronde, répandant la terreur et la désolation partout où il tournait les yeux. Quantité de gens s'enfuirent au Bengale où Mullik Fakr s'était révolté (1339) et trouvait le moyen de tenir contre le tyran.
Afin de pouvoir prodiguer des dons extravagants aux étrangers, et entretenir une armée de Mongols, de Turcs, de Persans et d'Afghans, il chargea le peuple d'impôts si énormes que dans les terres fertiles entre le Gange et Jumna, les cultivateurs, fatigués de l'existence, mettaient le feu à leurs maisons et se retiraient dans les bois avec leurs familles et leur bétail. Beaucoup de villes populeuses furent abandonnées et restèrent ainsi pendant plusieurs années. Quelques receveurs d'impôts, incapables de percevoir le montant demandé, devinrent eux-mêmes les chefs des révoltés.
VIII.
Fin et malheurs de son règne.
Quand nous pensons à la condition épouvantable des peuples de l'Inde, nous sommes tentés de nous demanderai c'étaient eux qui étaient atteints de folie ou le tyran contre lequel aucune épée ou aucune lance ne se levait.
Comme Mounstuart Elphinstone le remarque: « il y a en général si peu de scrupules à se débarrasser d'un mauvais roi dans l'Est, qu'il est rare qu'un mal aussi étendu soit accompli par le mauvais gouvernement d'un seul homme. » Nous n'entendons parler d'aucun complot dans le palais, mais il y avait des révoltes en grand nombre. Ferishta nous parle de quinze. avec deux invasions du Nord-Ouest. Comme on l'a observé dans l'Inde, par suite de la diversité des castes et de l'antagonisme de religions rivales, une entente commune de tout le peuple est difficile sinon impossible.
Les espions du sultan étaient partout. Ce que les hommes disaient à leurs femmes dans l'obscurité de la nuit, était rapporté au palais. Il vivait surtout nu milieu des étrangers qu'il avait attirés à sa cour et donnait de grandes charges à des créatures obséquieuses qu'il avait élevées d'une basse condition. Il était à la tète d'une armée en grande partie composée d'étrangers qui aimaient mieux ravager l'Inde que de vivre en paix. La révolte leur rapportait du butin et des esclaves. « Les femmes captives, écrit Ibn Batuta. ont à peine de valeur dans l'Inde, car elles sont sales et ignorantes des convenances de la vie dans les villes. Même celles qui ont été instruites coûtent très bon marché, et on n'apas besoin d'acheter de captives.» Batuta en eut dix qui lui furent données par le vizir. « J'en donnai une, écrit-il, a l'homme qui les amena ; mon compagnon en prit trois des plus jeunes ; quant au reste, je ne sais cas ce qu'elles sont devenues. »
« Les infidèles, continue-t-il. occupent des places voisines de celles que les Musulmans ont conquises. Ces Hindous se fortifient dans les montagnes et les passages âpres. Ils s'entourent de plantations de haies qui deviennent extrêmement épaisses et fermées, et qui ne peuvent pas être brûlées. Dans ces parcs, ils tiennent leur bétail et leur grain, et recueillent l'eau de pluie. »
Le pays était infesté de brigands. Nous lisons le récit d'une grande peste en 1341. qui fut bien près de détruire une armée entière dans le Deckan. Ce fut peut-être une invasion de l'épidémie de choléra qui réduisit d'une façon si terrible la population de l'Europe quelques années après. Nous lisons, en outre, le récit de sécheresses et de famines épouvantables. Le sultan, fit distribuer de la nourriture au peuple de Delhi pour six mois. Les grands magasins publics de blé étaient approvisionnés pour plusieurs annnées. Quand Ibn Batuta retourna à Tanger, et parla de ces faits étonnants, il fut traité d'imposteur. Mais de notre propre temps nous avons vu la grande cité de Delhi dépourvue de ses habitants, et des milliers de malheureux mourant de
faim nourris par l'administration d'un pouvoir étranger, aux portes de la cité.
Toghlak. qui était brave, actif et habile à la guerre, dispersa souvent ses ennemis, et ravagea les provinces révoltées avec une cruauté sans merci ; mais les rajahs Hindous du Deckan recouvrèrent leur indépendance et le Bengale devint d'une manière permanente détache de sa dynastie. En fait, toutes ses conquêtes lui furent enlevées, excepté Guzerate.
Férishta rapporte que le roi dit à Ziai u din Burny l'historien, qu'il comprenait que les rébellions pouvaient venir de ses punitions trop sévères. « mais, dit-il, le peuple ne les empêchera jamais : les crimes doivent être punis. Vous êtes un grand historien et un homme instruit dans la loi, dites-moi en quelles circonstances sont autorisées les peines capitales. »
L'historien reprit : « Sept sortes de criminels méritent un châtiment sévère, mais trois seulement demandent la mort, par la loi du Koran : les apostats, ceux qui versent du sang Musulman et les doubles adultères ». Le roi dit : « Tout cela peut-être vrai, mais l'humanité est devenue beaucoup plus mauvaise depuis que ces lois furent faites». Dans une autre occasion, Toghlak dit qu'il n'avait pas plus tôt réprimé les révoltes dans une place qu'elles éclataient dans une autre, et il demanda à Burny de lui suggérer quelque remède. Celui-ci répondit que quand la désaffection du peuple était si profonde, il était difficile d'y remédier. 11 eut le courage de conseiller au monarque d'abdiquer en faveur de son héritier. Toghlak répondit avec colère qu'il n'y avait personne sur qui il pût compter, et qu'il était déterminé à châtier ses sujets rebelles, quelles que pussent en être les conséquences. Quelques jours après, ayant mangé avec excès d'un poisson goûté dans l'Inde, il mourut près de Tatta dans le Sind, après un règne de vingt-sept années.
Il eut comme successeur son neveu, Firus Toghlak, qui avait été souvent son compagnon et l'avait suivi dans ses campagnes. Firus fut regardé comme un roi juste et bienfaisant. Parmi les pénibles souvenirs laissés par Mohammed Toghlak, Ferishta cite un décret gravé sur la Mosquée de Firosabad (1).
« Ça été la coutume dans les temps précédents de répandre le sang des Mahométans dans les circonstances futiles, de les mutiler et torturer pour de petites fautes en leur coupant les mains et les pieds, le nez et les oreilles, en leur arrachant les yeux, en pulvérisant les os des coupables vivants avec des maillets, en brûlant les corps avec le feu, en les crucifiant, en leur clouant les mains et les pieds, en les écorchant tout vifs, en leur coupant les jarrets et en taillant leur corps en pièces. Dieu, dans sa bonté infinie, s'étant plu à me conférer le pouvoir, m'a aussi inspiré de mettre fin à ces pratiques ».
A un autre endroit de la description, Firus dit : « J'ai pris aussi la peine de découvrir les parents survivants de tous ceux qui ont souffert de la colère de mon dernier seigneur et maître, Mohammed Toghlak, et les ayant pensionnés et pourvus, je les ai amenés à accorder leur plein pardon et leur rémission à ce prince, en présence des saints et savants hommes de ce temps, dont les signatures et les sceaux, comme
(1)Brigg's Ferishta, vol. I, p.462-463.
témoignage, sont joints à ces documents. Le tout a été mis dans une boite et déposé dans le caveau où Mohammed Toghlak est enterré ».
Un homme semblable a Mohammed Toghlak serait dans la vie privée un homme intelligent et plein de vigueur, courageux et habile dans les exercices de corps, rigide dans les formalités du culte religieux, avant au plus haut degré le sentiment de la responsabilité, avide de savoir et ami de la société des gens instruits, mars dépourvu de jugement. Aimant le pouvoir et probablement pénétré de sa propre importance, il serait cependant sujet à des excès d'extravagante humilité. II prodiguerait l'argent dans des présents exorbitants et essayerait d'en gagner davantage par des spéculations absurdes et chimériques, sans se montrer instruit par ses insuccès et sans souci de la ruine qu'il causerait aux autres. Il serait injuste et cruel pour ceux qui seraient en son pouvoir, exaspéré jusqu'à la frénésie par la moindre contradiction, mais capable de pardonner à ceux qui l'offenseraient quand sa fureur serait passée. Un tel homme aurait bientôt dissipé sa fortune et s'abandonnerait à de coupables excès jusqu'à ce qu'il tombât sous le coup de la loi. ou qu'il fût enfermé dans un asile d'aliénés. Malheureusement, Toghlak était un prince puissant, à la tête d'une armée conquérante de mercenaires, et entouré de courtisans serviles qui désiraient s'enrichir par sa profusion. Gouverneur absolu d'une race soumise pour laquelle l'oppression n'était pas chose nouvelle, il représentait aussi une religion fantastique, orgueilleuse de son monothéisme et de la pureté de son dogme, au milieu d'une nation de polythéistes, qui voulaient faire disparaître de la terre la justice et la clémence, et qui étaient destinés par leur incrédulité obstinée à d'étemels tourments. Il présente à l'humanité le spectacle effrayant d'un fou sur le trône, se servant du pouvoir absolu pour accomplir les chimères d'un esprit dérangé, traînant une nation entière à la ruine et à la misère par ses illusions insensées et son activité délirante, ayant une bande de bourreaux toujours prêts à exécuter ses fantaisies dépravées, et une armée disposée à commettre le massacre sur une grande échelle ; et cela tout en conservant assez de sens et de direction pour rester le maître et le fléau de l'Inde.
Dans les Leçons sur les Maladies Mentales du docteur Ball, nous trouvons, sous le nom d'excitation maniaque, une description de symptômes qui rappellent le dérangement du monarque indien. Ball accepte la définition de Falret. qui décrit cette forme de folie comme une excitation générale de toutes les facultés et une irrégularité d'action, sans aucun dérangement évident de l'intelligence. C'est une mobilité dans les idées qui cependant ne va pas jusqu'à l'incohérence : et il y a là un certain degré de logique qui domine la situation et empêché les malades de tomber dans une complète absurdité. En même temps, une perturbation morale pousse le détraqué à des actions souvent extravagantes, quelquefois criminelles. Dans ces sortes de cas. on constate souvent un développement excessif de certaines facultées intellectuelles, spécialement de la mémoire. Il sont amoureux de la poésie, des spéculations financières et ont l'esprit rempli de projets nouveaux.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Statistique du Congrès de l'Hypnotisme.
Le Congres de l'hypnotisme qui s'est tenu a l'Hôtel-Dieu de Paris du 8 au 12 août a groupe 174 adhérents, sans compter un assez grand nombre de savants français et étrangers Qui ont suivi les séances du Congrès sans avoir-donné officiellement leur adhésion.
Sous le rapport de la na'ionallté les adhérents inscrits se répartissent ainsi : Français 104; Russes 16; Belges 6; Américains des Etats-Unis 6; Anglais et Irlandais 6: Allemands 5; Grecs 5; Suisses 4; Hollandais 3 ; Suédois 2 ; Italiens 9 : Brésiliens 2 ; Autrichiens 2 ; Espagnols ; Colombien 1 ; Canadien 1 ; Haïtien 1 : Mexicain 1 ; Roumain 1 ; Turc 1 ; Vénézuélien 1.
Les médecins étaient au nombre de 106; les professeurs et étudiants de l'Université, de 23; les magistrats et les avocats, de 12; etc.
Trente et un journaux étaient en outre représentés officiellement par des collaborateurs spéciaux.
Plus de cent adhérents ont pris part au banquet offert aux membres du Congrès à l'Asile de Villejuif.
Hypnotisme et médecine légale.
Le tribunal de Nuremberg, en Bavière, vient de juger une intéressante affaire d'hypnotisme. Dans la nuit du 26 au 27 juillet dernier, le commis-négociant Léonard Putz prenait ses consommations au café de l'Orient. Les consommations lui étaient servies par une femme. Putz invita la femme à le regarder dans le blanc des yeux. La femme obéit, et elle ne tarda pas a tomber dans un état d'invincible somnolence ; elle en sortit cependant au bout de quelques minutes. Putz renouvela sa tentative une demi-heure après, avec plus de succès encore, l.a jeune fille, se sentant prise de sommeil, eut encore la force de se traîner dans une pièce voisine, et la, elle s'endormit si profondément que le proprétairc du café et sa femme essayèrent en vain, pendant dix minutes, de lui faire reprendre ses sens. Effrayés, ils appelèrent un médecin. Le médecin chercha a réveiller la sensibilité de la peau par divers moyens: rien n'y fit, le sommeil persista. Enfin, le médecin passa la main sur (a ligure de la jeune fille et cria d'une voix forte: « Réveille-toi ! » La dormeuse se réveilla et, ouvrant les yeux, elle s'écria avec effroi ; « L'homme aux yeux terribles est-il encore là ? » On la rassura, et elle reprit son service sans autre incident. Putz fut cité à comparaître devant la justice de Nuremberg pour avoir commis le délit d'attentat à la liberté de la Jeune femme. L'affaire a été jugée A la fin de la semaine dernière. Le ministère public a requis la peine de l'emprisonnement pendant huit jours pour l'hypnotiseur. Putz a été acquitté, le tribunal ayant admis que la jeune fille savait quel pouvoir exerçait l'hypnotiseur, celui-ci ayant, à plusieurs reprises, fait en sa présence des expériences semblables à celle dont elle a été victime et au sujet de laquelle elle avait porté plainte.
Un cas d'agraphie et de cécité verbale.
Le cardinal Harnald ( d'Allemagne ) est atteint d'une affection cérébrale qu'il nous paraît utile de signaler en raison de sa rareté (agraphie et cécité verbale). Il s'entretient avec tout le mondc comme au temps ou il jouissait d'une parfaite santé ; il parle couramment toutes les langues qui lui août
familières et donne ses ordres comme d'habitude ; mais il ne sait plus du tout ni lire ni écrire. Son nom même, le cardinal ne saurait l'écrire que d'après une de ses signatures qu'on lui met sous les yeux.
Un cas de léthargie.
On écrivait de Rodez, le 14 décembre: Un sieur Alary. âgé de soixante ans, du village de Vimenet, canton de Laissac, ayant eu une attaque de paralysie, tomba en léthargie. Après vingt-quatre heures de rigidité complète on le crut mort et on I enterra. Le lendemain, le fossoyeur travaillant a côté de la tombe, entendit plusieurs coups frappés à l'intérieur de la bière. Effrayé, il s'enfuit à toutes jambes et arriva chez lui où il tomba évanoui. Il raconte a plusieurs personnes ce qui avait occasionné sa frayeur. On courut au cimetière où la bière d'Alary fut ouverte Le cadavre fut trouvé encore chaud. Le malheureux venait de mourir asphyxié. — Une enquête devrait être faite pour établir la véracité de tels faits, en raison de leur importance scientifique et pratique.
Des exercices immodérés de l'Esprit.
A une époque où la question du surmenage intellectuel est à l'ordre du jour, et prime en quelque sorte toutes les questions pédagociques, il est curieux de faire une incursion dans les vieux auteurs et d'y rechercher comment ils envisageaient la question. A ce titre, nous reproduisons un chapitre de la Pathologie de Gaubius, auteur de la seconde moitié du XVIIIe siècle. — ( 1 )
« L'examen réfléchi de ce qu'éprouve aisément chacun sur soi-même, enseigne suffisamment que les exercices de l'esprit ne dissipent pas moins les forces que ceux du corps, et que, pour que la santé ne soit point altérée, les uns et les autres doivent être entremêlés d'un repos successif.
« L'âme est intimement liée, pendant la vie, avec le corps, en sorte qu,il est difficile de concevoir dans ses opérations une simplicité si exacte, que les changements du corps ne fassent sur elle aucune impression. En effet, outre que des mouvements déterminés du corps suivent plusieurs pensées, les sens tant internes qu'externes, paraissent ne pouvoir guère donner lieu aux pensées, sans que les fibrilles des parties aient éprouvé quelque espèce de trémoussements. Il faut donc, lorsque l'âme logée dans le corps, est mise en action, que ces organes soient plus ou moins agacés, tendus, relâchés, dans un mouvement d'oscillation, agités entre eux, et soient au moins, en quelque façon, dans un état différent que lorsqu'elle est mise en action par un artifice.
« Il est plus vraisemblable que le système nerveux, comme le principal agent du sentiment, est animé par une espèce de force motrice, que l'on doit peut-être comparer à la force vitale ou musculaire, laquelle agissant, les filets nerveux peuvent être tendus, se raidir, se gonfler, être disposés à prendre des oscillations lorsqu'ils sont irrités ; et réciproquemment être relâchés, devenir flasques, lorsque la force motrice n'agit plus. Peu importe qu'on fasse venir cette force dans l'esprit appelé animal répandu dans les nerfs, ou qu'on pense qu'elle est innée chez nous de toute autre manière, ou que, comme moi, on se contente de supposer, sans rien deviner dans une matière aussi obscure. Il parait cependant qu'on doit reconnaître que l'âme a sur cette force un certain empire, par lequel elle peut â son gré, lorsque celle-ci est tranquille, l'exciter
(1) Pathologie de M. Gaubins : traduite du latin en français par M. Suc le jeune._ maître en chirurgie, chirurgien ordinaire de l'hôtel de ville, adjoint au comité perpétuel de l'Académie royale de chirurgie, professeur démonstrateur d'anatomie et de clinique à l'École pratique. — Paris 1770.
à agir, tant dans tout le corps, que dans une seule partie, de même que les muscles obéissent aussi à notre volonté.
« Or, il est constant que cette force de sentiment communique avec la vitale en sorte que l'une peut exciter l'autre, et vice versa. Il y a peut-être encore entre la première force et la musculaire, un commerce réciproque, par le moyen duquel, et par l'intervention des nerfs, les ordres de l'aine sont portes aux muscles, à moins qu'on n'aime mieux croire qu'il y a des deux côtes un même principe de mouvement, mais qui agit de différentes manières, suivant la diverse conformation des parties qu'il met en jeu. Ce qu'il y a de certain, c'est que la force des nerfs et celle des muscles ne sont pas inépuisables et ne résistent pas à des efforts trop longtemps continués; l'une ne saurait être fatiguée sans préjudice pour l'autre. « Ainsi, quoique les agitations qui sont excitées dans les nerfs, soient bien moins évidentes que les mouvements des muscles, l'extrême délicatesse de la mœlle nerveuse est cependant cause qu'un exercice immodéré doit l'affec-ter, la changer même plus fortement, ou au moins autant que le sont les muscles, lorsque le mouvement animal est poussé à l'excès; et les lésions - qu'elle éprouve alors ne doivent pas être différentes. En effet, les filets très mois ébranlés, de quelque manière que ce soit, plus fréquemment, plus fortement froissés les uns contre les autres, sont fatigués, perdent leur ton, ont des trémoussements irréguliers, involontaires, qu'ils communiquent même contre l'ordre naturel aux parties voisines; sont comme raidis par les spasmes, ou devenus flasques, se relâchent ; la force nerveuse elle-même languit, se dissipe. Si on ne rétablit par un prompt repos ces filets dans leur ancien état, ils causent l'affaiblissement des sens internes et externes, l'impuissance la confusion des idées, le sommeil agité, les veilles, l'imagination dépravée, le délire, la folie. La sécheresse, la rigidité, que contractent les muscles ex-cercès sans relâche ne peuvent-elles pas aussi avoir lieu dans ces organes, et donner, en conséquence, prématurément aux facultés de l'âme les qualités vicieuses qui n'appartiennent qu'à la veillesse.
« Mais ces maux deviennent plus graves et sont encore augmentés par des nouveaux, lorsque l'agitation du genre nerveux porte â des mouvements extraordinaires les vaisseaux du cerveau et remplit la tète d'une trop grande quantité de sang : de là l'écartement des parties. la douleur, la chaleur, l'inflammation, et, de ces derniers accidents, les différents désordres dans les fonctions de l'âme.
« Bien plus, le rapport mutuel des principes du mouvement est cause que les faces nerveuses étant trop tendues, fatiguées, dissipées, celles des autres actions éprouvent des maux semblables et qu'en conséquence, le corps sans son travail est épuisé de lassitude et que toutes les fonctions sont ensuite lésées.
« Ajoutez â cela les vices du mouvement animal négligé, et la vie sédentaire ou de cabinet, si famillière aux gens de lettres. Les maux qui résultent de là, quoique assez graves par eux-mêmes, sont encore plus accélérés et deviennent plus forts, lorsque la force du corps est diminuée par des pensées inquiétantes.
« Cependant, l'excès avec la variété des études est plus supportable, mais il y s peu de personnes à qui des réflexions profondes et longtemps méditées sur un même suiet ne soient très nuisibles. En effet, cette partie du genre nerveux qui alors est seule en action, et sur laquelle l'âme excerce. pour ainsi dire, toute sa force, n'éprouve pas une moindre violence que les muscles lorsqu'ils sont fortement et longtemps contractés: aussi les filets sont-ils dans une tension si opiniâtre, qu'ils ne peuvent plus ensuite être relâchés ou dans une oscillation continuelle, ayant été trop fortement ébranlés, ou enfin perdent leur continuité, après avoir souffert un trop grand écartement: de là naissent toutes les espèces des désordres de l'âme, la mélancolic, la stupeur, la manie, la catalepsie, la folie, là perte des sens, la paralysie, et autres accidents semblables.
« Il est vrai que la négligence â cultiver l'esprit engourdit les organes des sens internes, afflaiblit et détruit la force nerveuse, jette dans la langueur toutes les facultés de l'âme ou chacune en particulier; en sorte que toutes, ou quelques-unes, sont dans une inertie oisive.
« Mais, au reste, pourvu que le mouvement animal ait toujours lieu, cette
négligence n'est pas si nuisible aux autres fonctions, qu'on ne voie presque toujours les gens lâches et stupides, plus souvent que les gens d'esprit, jouir d'une très bonne santé jusqu'à une vieillesse très avancée. En comparant ensemble tout ce qui a été dit, il est évident que l'excès des exercices de l'âme affaiblit bien davantage la santé que celui des exercices du corps. On conçoit en même temps à quel âge, a quel sexe, à quel tempérament les grandes études et les veilles ne conviennent nullement ; pourquoi de profondes méditations fatiguent plus que le mouvement musculaire, pourquoi l'application d'esprit est si pernicieuse a ceux qui. après avoir été épuisés par une forte maladie, reviennent en santé, tandis qu'au contraire un exercice modéré du corps leur est très salutaire. » Qui se douterait que ces remarquables pages ont cent vingt ans de date!
D*rP. Moreau (de Tours.)
Guérison de certaines maladies opérées par des Saints
La plupart des maladies avaient des saints auxquels on s'adressait pour obtenir la guerison : saint Loup était invoqué pour la rage ; saint Faron, pour les hémorrhoïdes ; saint Ouen. pour recouvrer l'ouïe.
On avait recours a saint Acairc pour radoucir les personnes acariatres;saint Aignan. contre la teigne ; saint Atourin, contre les étourdissements ; saint Boniface, pour obtenir de l'embonpoint ; saint Clair, sainte Claire, sainte Luce, contre les maux d'yeux ; saint Cloud, contre les furoncles : saint Fort, contre les faiblesses ; saint Genou, contre la goutte ; saint Ladre, contre les ladreries : sainte Marie pour la gale aux mains ; saint Marcoul contre les écrouelles ; saint Paterne, contre ia stérilité.....etc.
On trouve une longue nomenclature a cet égard, dans un livret populaire intitulé : le médecin des pauves, ou recueil de prières et oraisons présiceuse
contre le mal de dents, les coupuees, les rhumatisme, la teigne, la colique, les brûlure,
les mauvais esprits, etc.
Voici un échantillon que renferme ce livre :
« Sainte Apoline assise sur une pierre de marbre, notre Seigneur passant par lé lui dit :
« — Apoline que fais-tu là? « — Je suis ici pour mon chef, pour mon sang et pour mon mal de dents. »
« Apoline, retourne-toi ; si c'est une goutte de sang, elle tombera, si c'est un ver, il mourra. »
« Cinq Pater et cinq Ave Maria en l'honneur et à l'intention des cinq plaies de N. S. J. C, le signe de la croix sur la joue avec le doigt, en face du mal que l'on ressent, et en très peu de temps vous serez guéri. »
Le même livret renfermé une Oraison à saint Antoine de Padoue pour retrouver les pertes et autres besoins que nous avons chaque four ; elle est en vers et elle débute ainsi :
Père et patron, saint Antoine de Pade.
Qui vous invique, au besoin vous évade,
Périls de mort et de calamités.
Des lèprès, fièvres et entres infirmités.
Remédie à mort subite et peste.
En terre et mer cesse foudre et tempeste,
Pour retrouver toutes chevet perdues.
Une oraison, la dernière, possède de telles vertus, que celui qui la portera sur soi ne peut périr, ni par le feu, ni par l'eau, ni en bataille, et il aura bonheur et victoire sur ses ennemis. Une femme en travail, sur laquelle on mettra la dite oraison sera délivrée.
Les idées sur la guérison des maladies par les prières sont répandues en maints pays. Elles florissaient surtout en Espagne où !a science des Ensalmas ou oraison était une branche des connaissances humaines fort cultivée chez les duègnes et les mendiants. Les aveugles en faisaient une étude approfondie. Il existait de ces oraisons contre tous les maux, contre toutes les affections ;
leur succès était infaillible, si elles étaient récitées avec componction, d'une voix grave et posée. L'oraison à sainte Apolline était la plus célèbre; il en est fait mention dans l'histoire de l'immortel don Quichotte.
Divers livres populaires de l'Espagne renferment des oraisons contre la peste, adressées a sainte Rosalie et au Seigneur saint Raphaël Archange.
(Extrait des Curiosités théologiques, par un bibliophile )
BIBLIOGRAPHIE
Du traitement des Aliénés dans les familles.
Par Ch. Féré, in-12, Alcan. Paris.
On se platt à répéter que le nombre des aliénés a singulièrement augmenté depuis le commencement de ce siècle. Sans nous arrêter à la recherche du pourquoi, sans examiner si cette augmentation est réelle ou fictive, c'est-à-dire, à savoir si la maladie fait véritablement plus de victimes ou si plutôt les familles se rendant mieux campte de l'intérêt de leurs malades, hésitent moins a recourir aux lumières de l'art, ne cachent plus comme autrefois la triste affection qui frappe les leurs, et réclament pour eux les soins qui leur sont nécessaires, il n'en est pas moins vrai que la question du traitement des aliènes a pris, dans ces dernières années, une importance considérable.
Jusqu'à ce jour, le chapitre de la thérapeutique mentale, bien qu'étudié par tous les auteurs spéciaux, était cependant un peu resté dans l'ombre. Aussi, est-ce avec une véritable satisfaction que nous avons vu paraître un ouvrage sur cette thérapeutique. Notre savant confrère, le Dr Féré, médecin de l'hospice de Bîcètre, avec le remarquable talent d'exposition qui caractérise ses écrits, a eu i'heuriusc idée de présenter un petit Traité complet sur cette matière.
Ce travail comprend deux parties: dans la première, l'auteur montre tes avantages de l'assistance des aliénés dans les familles ; il s'appuie sur les résultats fournis par les institutions coloniales de Gheel et de Lierneux en Belgique, snr la pratique du patronage familial en Ecosse et en Amérique, et il passe en revus les conditions dans lesquelles ce mode d'assistance économique peut-être applicable en France. Dans la seconde, il étudie les condi-tions, et les principales difficultés du traitement des aliénés dans les familles. Ne pouvant entrer ici dans l'examen de chacun de ces chapitres, nous reproduirons seulement les conclusions auquclles l'auteur arrive.
Conclusions. — Cet exposa succinct, et fort incomplet, des conditions nécessaires au traitement des aliènes dans les familles, suffira pour faire comprendre que ce traitement ne peut être mis en pratique que dans des conditions exceptionnelles, et généralement à crands frais, sauf dans quelques formes bénignes qui peuvent être traitées dans le propre domicile du malade.
Les avantages économiques du système familial adapté aux aliénés pauvres ne peuvent être maintenus qu'a la condition que ce système ne soit appliqué qu'à des aliénés incurables et inoffensifs, pouvant vivre de la vie commune, et n'ayant aucun bénéfice i tirer des soins les plus éclairés.
Cette catégorie de malades est assez nombreuse dans les asiles, pour que l'application du système permette de réaliser des économies sérieuses, non-seulement en diminuant les frais d'entretien des malades, mais encore en permettant d'éviter la nécessite de la construction de nouveaux asiles.
L'elo'gnement de ces malades, qui ne tirent aucun profit de leur séjour dans les asiles, permettrait un emploi plus utile du temps du personnel médical et administratif.
Les conditions du traitement familial semblent pouvoir être améliorées par une éducation appropriée des gardes, qui devraient être munis d'instructions générales sur les soins essentiels réclamés par les aliénés.
L'exemple de l'Ecosse montre que la principale condition du succès réside dans une inspection efficace.
L'Administrateur-Gérant; Émile BOURIOT
PARIS. — IMPRIMERIE-GRAFF, 57 rue DE vaugirard
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
BULLETIN
L'HYPNOTISME ET LA PRESSE
A une époque où le grand public manifeste la plus vive curiosité pour toutes les découvertes scientifiques, il ne faut pas s'étonner de voir fréquemment l'hypnotisme revenir à l'ordre du jour dans la presse parisienne.
Dans le courant du mois de janvier, deux circonstances différentes ont ramené sur l'hypnotisme l'attention des journalistes. Tout d'abord, la question de l'interdiction des séances publiques d'hypnotisme a été remise sur le tapis par un tragique événement survenu à* Béziers.
Un de ces hypnotiseurs forains, que le public désigne avec raison sous le nom de magnétiseurs, — marquant ainsi qu'il n'existe dans son esprit aucune confusion entre les savants et les barnums, — donnait en spectacle les expériencss qu'on a pu voir naguère aux « Folies-Bergère ». Il introduisait dans la cage une jeune fille plongée dans un sommeil cataleptique, et les fauves allaient, venaient, sautaient autour du sujet endormi.
Dans une des séances précédentes, un des lions avait déjà blessé assez grièvement avec ses griffes le sujet endormi. Les expériences n'en furent pas moins continuées. Quelques jours plus tard les spectateurs virent avec épouvante le lion saisir dans sa puissante mâchoire la malheureuse hypnotisée et la traîner dans la cage en lui faisant de profondes blessures. La victime transportée à l'hôpital, dût, si nous en croyons le récit des journaux, subir l'amputation de la cuisse. Depuis on a annoncé qu'elle était morte des suites de ses blessures.
En présence de ces faits, le ministre de l'Intérieur a adressé au préfet de l'Hérault une note, à l'effet d'obtenir sur ce terrible événement les détails les plus précis.
Il est certain que des mesures sévères vont être prises pour mettre fin au scandale des représentations publiques d'hypnotisme. Le ministre de l'Intérieur, a, d'ailleurs, entre les mains, les renseignements les plus propres à éclairer sa décision. La seule chose qui puisse étonner c'est que toutes les municipalités, investies par la loi de pouvoirs suffisants, n'aient pas suivi l'exemple qui leur a été donné par les maires de plusieurs grandes villes, en particulier par celui de Bordeaux.
Nous aurons d'ailleurs à revenir prochainement sur l'existence de sociétés privées, qui se sont constituées jusque dans les campagnes reculées et dont les membres s'amusent à s'hypnotiser entre eux, à défaut d'autres distractions, pendant les longues soirées d'hiver.
L'opinion des gens sérieux et instruits est faite, dès à présent, en France, sur la nécessité de reprimer ces abus, et il ne s'élèverait pas une voix dissidente dans toute la presse française pour critiquer la décision que pourrait prendre le ministre.
Nous ne rééditerons donc pas toutes les considérations qui pourraient justifier une mesure de salubrité publique. Nous nous bornerons à reproduire l'interview suivant, publié dans l'Eclair, et qui nous parait résumer parfaitement l'état de la question :
— « Qui sollicite l'interdiction des séances publiques d'hypnotisme ?
— « La plupart des médecins, pour ne pas dire tous. A mesure que les séances publiques d'hypnotisme ce sont multipliées, des dangers de plus en plus graves ont été signales. Le plus souvent, ce sont certains malades qui eux-mêmes, font remonter le debut des accidents mentaux ou nerveux dont ils souffrent à des manœuvres d'hypnotisme auxquelles ils se sont prêtés inconsciemment. D'autres fois ce sont des familles qui se plaignent qu'on ai tait accomplir a des personnes nerveuses des actes ridicules ou même reprehensibles sous l'influence de suggestions hypnotiques.
« Après le passage des magnétiseurs, on a signalé, dans plusieurs villes, des épidémies de manie hypnotique. Les docteurs Ladsme et Gilles de la Tourette ont groupé, dans des ouvrages fort intéressants á consulter, un grand nombre de faits du même ordre. Les dangers des séances publiques d'hypnotisme, qui ne sont jamais faites par des médecins, car ces exhibitions théâtrales sont incompatibles avec la dignité médicale, sont assez fondées pour que la plupart des gouvernements aient cru devoir intervenir. L'Autriche, l'Italie, le Danemark, l'Allemagne, la Suisse ont complètement interdit ces représentations.
Toutes ces décisions prises par les divers gouvernements ne l'ont été qu'après des enquêtes sérieuse* mettant nettement en lumière les inconvénients des séances publiques. Cependant, la France est peut-être le pays où l'on a le plus abusé de cet exhibitions.
— « Se craignez-vous pas que l'application de cette mesure ne soit difficile? Tout te monde, assurément, a le droit de se livrer, sur une personne qui y consent, à des expériences d'hypnotisme. Vouloir laisser aux seuls médecins le droit de pratiquer de* expériences pourrait nuire aux études psychologiques qui peuvent être entreprises au moyen de la suggestion et de l'hypnotisme.
— « Cela est certain, il n'est Jamais venu à l'idée de personne de discuter ce droit. On demande seulement que les séances d'hypnotisme soient interdites, parce qu'elles
sont fréquemment le point de départ d'une contagion nerveuse dont les effets sont nuisibles, et parce que l'on considere que c'est porter atteinte à la dignité humaine que de
montrer en spectacle des individus privés momentanément de leur libre arbitre.
« Nous nous elevons contre ces expériences publiques d'hypnotisme, comme nous nous élèverions contre le» scènes de chloroformisation, d'opérations chirurgicales ou mime simplement de vivisection.
« Quant aux recherches psychologiques faites a l'aide de l'hypnotisme, qui constituent une méthode expérimentale de la plus grande valeur, elles pourront être poursuivie* sous la responsabilité des expérimentateurs.
« Néanmoins, la prudence leur conseille de s'assurer du concourt d'un médecin Etant données les modifications physiologiques qui surviennent chez l'hypnotisé,e médecin et le physiologiste ont seuls la compétence voulue pour juger de la dose d'hypnotisme qui peut être appliquée sans inconvénient. Car il ne faut pat oublier que, entre des mains d'hommes prudents et possédant les connaissances médicales nécessaires, les expériences d'hypnotisme, non-seulement ne présentent pis d'incovénients, mais peuvent être utilement employées comme avant thérapeutique. Au contraire, elles n'offrent aucune sécurité entre celles des empiriques et des individus qui s'en servent pour exploiter la curiosité publique. »
Tous les corps savants ont exprimé des idées analogues. Après l'Académie de médecine de Belgique, qui se prononçait it la presque unanimité pour l'interdiction des séances publiques, n'avons nous pas vu la Société de Médecine légale de Paris, le Congrès international de l'Hypnotisme, dans lesquels se trouvaient représentées toutes les profes-
sions libérales, émettre des vœux semblables. A ce dernier congrès, pour rendre hommage à la vérité reconnaissons qu'une seule voix s'est élevée pour protester. Il est juste de dire aussi qu'elle n'a pas trouvé d'écho. La cause est donc entendue et nous souhaitons que te ministre de l'Intérieur ne tarde pas à prononcer son jugement.
. Dans une affaire criminelle qui préoccupe au plus haut point l'opinion publique, on n'avait pas été sans remarquer le singulier état mental présenté par une des personnes les plus gravement compromises dans cette affaire.
Les contradictions successives de la fille Gabrielle Bompard, ses crises de larmes et de rires, enfin son attitude générale, ont tout de suite fait croire qu'on se trouvait en présence d'une hystérique, c'est-à-dire d'une femme affectée d'une sensibilité nerveuse anormale.
D'autre part, on a su qu'à différentes reprises. Gabrielle Bompart avait servi de sujet dans des expériences d'hypnotisme.
M. G..., le personnage qui l'a ramenée de San-Francisco, a raconté qu'un jour qu'il voulait obtenir d'elle l'explication d'un état de tristesse qui l'intriguait, il l'avait hypnotisée et qu'alors, sous l'empire d'une sorte d'hallucination, elle s'était écriée : assassin ! assassin!
De là à se demander si Gabrielle Bompart était une complice consciente ou si elle avait agi sous l'influence d'une suggestion criminelle, il n'y avait qu'un pas.
Aussi, les journalistes se sont immédiatement mis en campagne pour avoir l'opinion des savants compétents et ils sont allés questionner MM. les docteurs Charcot, Dumontpallier, Bérillon, Bernheim.
Nous savons qu'il ne faut pas s'attendre à trouver dans des interviews des opinions formulées avec une précision mathématique. Les reporters, comme c'est leur rôle, se préoccupent plutôt de dégager des paroles de leur interlocuteur son opinion sur un cas particulier, que l'exposé d'une doctrine scientifique.
Néanmoins il nous a paru intéressant, ne fut-ce qu'à titre documentaire, de reproduire les paroles prêtées à des hommes dont la compétence, sur les questions d'hypnotisme et de celles responsabilité qui y sont intimement liées, n'est pas discutable.
Voici, d'après l'Echo de Paris et le Petit Parisien l'opinion de M. le professeur Charcot :
« J'ai observé des faits très curieux de Suggestion dans ce que j'appelle « le grand hypnotisme ». J'ai a ma Clinique lies malades particulièrement sensibles qui m'ont fourni des expériences fort intéressantes et dont j'ai obtenu absolument tout ce qu'il est possible d'obtenir à mon avis. En effet, le cerveau de l'hypnotisé plongé dans le sommeil peut être considère comme absolument vide et incapable par lui-même d'aucune volonté; il est alors possible à l'operateur d'y imprimer à son gré des sensations, des images et d'y faire naître la volonté d'un acte quelconque ; ces sensations, ces images, et celte volonté se reproduisent photographiquement par des actes correspondants, mais sans aucune modification.
Par exemple : je montre a un sujet, sur le parquet absolument net, un serpent ou un lion supposés, et l'hypnotisé manifeste immédiatement tous les signes de la terreur; s; je lui dis une minute après que c'est un colibri, il l'admire et le caresse.
« Je peux même lui ordonner d'aller voler un porte-monnaie dans la poche d'un
assistant, il le fera, non sans toutefois résister d'abord. s'il est honnête : il peut même obéir à cette sugsestion après son réveil, le lendemain ou plusieurs jours après, au moment précis que je lui ai indique. »
A l'heure même où ces journalistes parisiens le questionnaient, M. Charcot communiquait à un journal de New-York : le Forum, des notes intéressantes sur la suggestion.
Le caractère psychologique de cet état, d'après le professeur de la Salpétrière, est la crédulité sans bornes que le sujet met à accepter les dires de l'hypnotiseur. Si improbable que soit l'assertion exprimée par celui-ci, le sujet l'accepte et la fait sienne ; elle devient le centre de son activité cérébrale : toutes ses pensées en découlent jusqu'à ce qu'un autre élément soit fourni à sa crédulité, la nouvelle assertion fût-elle absolument contraire à la première.
Voici un exemple entre mille :
« Je présente a une femme en état d'hypnotisme dit M. Charcot, une feuille de papier blanc et je lui dis: « Voici mon portrait : le trouvez-vous ressemblant ? »
« Après un instant d'hésitation, elle répond : Ah ! oui, c'est votre photographie; voulez-vous me la donner ?»
« Afin de mieux imprimer dans l'esprit du sujet l'idée de ce portrait imaginaire, je lui indique du doigt un des borJs du papier en affirmant que mon profil est tourné dans cette direction ; je décris mes habits, l'indique tel ou tel accessoiie supposé. Puis. reprenant le papier, je le place parmi beaucoup d'autres feuilles blanches toutes pareilles, non sans y avoir fait une légère marque, presque imperceptible, pour le reconnaître. Enfin, je livre le tout au sujet, en lui disant d'examiner ce paquet et de voir si elle n'y trouve pas quelque chose qu'elle connaît.
e Elle se met à feuilleter les papiers, et aussitôt qu'elle arrive au portrait supposé on l'entend s'écrier: « Tiens ! votre photographie ! »
« Si. dit M. Charcot, je lui reprends le papier pour le retourner, elle proteste que le portrait est a l'envers.
« Je la réveille alors et je renouvelle l'expérience en lui livrant tout le paquet de papiers : comme précédemment elle le feuillette et s'arrête au portrait imaginaire en déclarant que c'est ma photographie.
« Je renvoie alors cette femme. Elle rentre au dortoir et montre à ses compagnes le prétendu portrait que je lui ai donné. Leurs rires sont impuissants a la détromper.
« Si je lui donne l'ordre, avant le réveil, de rester plusieurs Jours de suite sous l'influence de cette hallucination, le phénomène se prolonge pendant le nombre de jours indiqué.
« Telle est prsoprement la suggestion. »
En résumé, d'après M. Charcot, les choses se passent comme s'il existait dans le cerveau, sous l'influence de l'hypnotisme, un vide absolu de pensée et comme si toute idée jetée par la suggestion dans ce vide profitait de sa solitude pour se répandre de tous côtés et assurer son empire, dans toutes les directions, dans ce domaine inoccupé. C'est là la théorie que soutenait d'ailleurs, dès 1866, l'honorable Dr Liébeault, de Nancy, dans son livre sur Le sommeil, et les états analogues.
Quand un sujet, sur une injonction, continue après le réveil à voir un portrait sur une feuille blanche, nous avons la preuve de la profonde impression que la pensée suggérée peut laisser sur le cerveau ; puisque de même à l'état normal, dans la vie ordinaire, cette impression persiste, comme un parasite, pendant des heures, des jours et des semaines sans rien perdre de sa puissance.
La gravité du phénomène et les conséquences qu'il peut entraîner en médecine légale n'échapperont à personne.
Nous ferons aussi observer que si les paroles prêtées par les journalistes à M. Charcot sont exactes, il n'y aurait pas entre l'Ecole de Paris et celle de Nancy, à l'égard des sujets plongés dans un état réel d'hypnotisme, cette différence d'opinions qu'on leur prête. Toutes les deux seraient également d'accord sur ce point, que la suggestion hypnotique comporte essentiellement chez le sujet une tendance irrésistible à réaliser l'idée suggérée. L'école de Nancy généraliserait davantage ; voila tout.
En ce qui concerne particulièrement Gabrielle Bompard. M. Charcot voit simplement dans cette fille un être pervers et détraqué, qui a très bien pu participer consciemment au crime sans l'intervention d'aucune suggestion hypnotique.
M. le Dr Dumontpallier, médecin de l'Hôtel Dieu, également consulté par un rédacteur du Gaulois a répondu que l'état mental de Gabrielle Bompard lui semblait le résultat d'une névrose, de l'hystérie, mais que l'hypnotisme n'avait rien à voir dans la participation au crime.
Le Dr Bérillon, interviewé par des rédacteurs de l'Echo de Paris sur la question de savoir si l'on ne pourrait trouver dans des suggestions hypnotiques l'explication des actes de Gabrielle Bompard, a fait sur leurs questions des réponses qu'ils ont résumées ainsi :
— « Vous m'embarrasseriez beaucoup, si vous me mettiez en demeure de trancher ces questions. C'est là une théorie séduisante en ce qu'elle donnerait la clef de la conduite étrange de cette fille et qu'elle permettrait d'établir facilement quelle a pu 'être sa part de responsabilité. Pourtant, je dois l'avouer, j'ai observé chez divers sujets des dispositions vraiment extraordinaires à subir l'influence d'une volonté forte, même en dehors de toute suggestion hypnotique. C'est ainsi, par exemple, qu'a Nancy, le docteur Bernheim endort tous ses malades par une simple sommation faite brutalement ou même d'un ton bienveillant où perce une volonté arrêtée a laquelle peu de sujets résistent.
— En ce qui concerne personnellement Gabrielle Bompart, quelles sont les particularités qui vous portent a affirmer qu'elle serait hystérique?
— « D'abord sa mobilité d'impressions, ses rires, ses larmes et Jusqu'à ses contradictions. Un effet, comme vous le savez peut-être, l'hystérie se présente assez souvent chez des sujets d'apparence très saine ; elle se manifeste alors par des phénomènes purement cérébraux dont le plus général est l'absence d'esprit de suite et un développement exagéré des images dans le cerveau. Un mot suffit pour éveiller dans l'esprit d'une véritable hystérique la vision entière d'une scène qui semble surgir de toutes pièces et vivre ; elle croit y prendre part et bientôt la confond avee la vérité elle-même. Elle mélange le fait réel avec ses propres imaginations et ment lorsqu'elle en faille récit avec l'impudence la plus déroutante. C'est peut-être le cas de Gabrielle Bompart.
— Et quant i sa participation au crime... ?
— Oh ! quant à sa participation. Je ne pense pas qu'elle ait alors agi sous l'influence d'une suggestion hypnotique Elle a pu être, dans une certaine mesure, terrorisée par son amant et lui obéir sans trop savoir ce qu'elle faisait. Si cela était établi, la responsabilité de la maîtresse d'Eyraud pourrait, a mon avis, en être considérablement diminuée ; d'ailleurs l'état de nos connaissances actuelles ne nous permet pas de savoir si l'hypnotisé peut résister à la volonté qui le tient sous sa dépendance.
— Pourrait-on, par l'hypnotisme et la suggestion, obtenir d'une hystérique comme Gabrielle Bompart la vérité sur un crime auquel elle a assisté ?
— Cest peu probable, a moins que ce crime n'ait été commis pendant que le sujet était lui-même sous l'influence d'une suggestion. Vous voyez donc que l'hypnotisme mérite qu'on lui accorde quelque attention au point de vue criminel. »
D'ailleurs s'il pense que dans le cas de Gabrielle Bompard, il n'y a pas lieu de supposer l'intervention de suggestions hypnotiques. M. Bérillon n'est pas moins convaincu de l'influence que des suggestions criminelles peuvent exercer sur certains sujets suggestibles.
Au congrès de l'hypnotisme, une importante discussion fut soulevée au sujet des conclusions du rapport de M. le professeur Liégeois, sur la possibilité d'obtenir la réalisation des suggestions criminelles.
Les adversaires de M. Liégeois lui disaient : « Nous ne croyons pas à la réalisation de véritables crimes sous l'influence de la suggestion. Vos expériences ne prouvent rien parce que vous n'avez réalisé que des. crimes de laboratoires. »
Tout d'abord on se demande comment M. Liégeois aurait pu faire d'autres expériences. Aurait-on voulu qu'il fit accomplir un crime réel pour affermir ses convictions?
A notre avis l'objection n'était pas sérieuse et il eut été facile â M. Liégeois de confondre ses contradicteurs en leur proposant de se soumettre eux-mêmes à une expérience réelle. Ils auraient pu constater à leurs dépens que certains sujets, beaucoup plus nombreux qu'on ne le croit, accomplissent automatiquement tout acte suggéré, fut-il repré-hensible ou criminel. Aussi M. le professeur Bernheim interrogé à son tour par un correspondant du Temps, a résumé ainsi l'opinion de l'Ecole de Nancy, à propos du cas de Gabrielle Bompard :
L'hypnotisme n'a que faire ici. Il y a suggestion, non pas hypnotisme.
L'hypnotisme n'est, après tout, qu'une de» formes de la suggestion.
L'hypnose (ou sommeil) peut fortifier la suggestion, mais elle est inutile pour opérer sur les cerveaux très suggestibles.
Gabriel le Bompard est une excellente suggestible, pas plus. Pour ce qui est de la puissance de la suggestion, il est bien vrai que l'école de Nancy diffère radicalement d'avis avec celle de Paris. M. Charcot dit qu'il n'y a pas d'exemple de crime commis sous l'empire d'une suggestion. Sans doute, il n'y a pas d'exemple... peut-être parce qu'on redoute d'en établir. D'abord, le suggestionneur ne se démasque pas, et le suggestionné ignore son état. Mais on retrouverait la suggestion dans la plupart des actes humains, car elle est la base même de la vie.
Il existe plusieurs échelons dans les êtres. Ceux pourvus d'un solide sens moral sont plus difficilement suggestibles. Mais les meurtriers, bêtes féroces, sont des impulsifs qui agissent comme des épileptique». Troppmann devait-être de ceux-la. On a retrouvé dans sa chambre un roman de Ponson du Terrail où était indiqué en germe l'hécatombe qu'il a accomplie. Dans un autre ordre de faits, l'épidémie de boulangisme qui, l'été
dernier, passa sur ce calme et raisonnable département de Meurthe-et-Moselle fut due à une suggestion. Les gens naïfs avaient les yeux et les oreilles remplis des images de Boulanger et des louanges de Boulanger. Et vous savez qu'aucun raisonnement ne prévalait contre leur marotte.
Pour nous résumer, j'estime que Gabrielle Bompard est un être faible, roué dans une mesure à déterminer, mais surtout victime d'un manque natif de sens moral et d'une impressionnabilité excessive, Si l'Ecole de Nancy n'a pas à présenter de « sujets » ayant perpétré un meurtre par suggestion préalable, elle n'en pense pas moins que ces sujets existent. Mainte expérience m'a prouvé que certains impulsifs sont construits de façon i aller jusqu'au bout. C'est une conviction qui, chez moi, st fortifie chaque jour. »
Contrairement à l'avis de certains journalistes, nous croyons qu'il n'était pas sans intérêt d'ouvrir de nouveau le débat sur la question de la responsabilité. Les conclusions formulées par M. Liégeois dans son livre sur la Suggestion et le Somnambulisme dam leurs rapports avec la médecine légale n'ont pas jusqu'ici donné lieu à une discussion assez approfondie.
Elles ont cependant une portée trop considérable pour ne pas s'imposer à l'attention de tous ceux que préoccupe la question de la responsabilité humaine.
André PRESSAT.
SUGGESTION ET RÉACTION
Par le Dr P. BU ROT
Profeseur à l'école de médecine de Rochefort.
L'étude des phénomènes réactionnels qui accompagnent ou suivent la suggestion n'a pas été faite jusqu'à présent. Il me parait cependant que c'est la une question très importante et j'oserais même dire de premier ordre N'importe-t-il pas, en effet, de savoir si l'on doit respecter ou arrêter un phénomène qui se présente?
Depuis plusieurs années que je me livre à l'étude de l'hypnotisme et que j'applique la suggestion au traitement des maladies nerveuses, je me suis trouvé parfois embarrassé. Un malade venait me trouver pour être guéri de ses crises, j'avais la ferme volonté de les arrêter du premier coup par la méthode classique et j'étais surpris de les voir se développer quand même et quelquefois avec plus de violence, dès que je touchais le sujet.
Je dois ajouter que j'arrivais dans bien des cas à me rendre maître des crises et à les réprimer; mais elles reparaissent ? la moindre occasion, comme pour me démontrer qui si j'avais calmé et endormi le mal, je ne l'avais point déraciné.
Certains faits m'ont appris à respecter la réaction qui se manifeste quelquefois à la suite de la suggestion et je suis même arrivé à penser qu'elle est souvent utile, à la condition qu'elle soit bien dirigée. On me reprochera sans doute de chercher à ressuciter la théorie des crises salutaires. Et cependant, n'at-t-on pas vu souvent, sous l'influence de crises spontanées, certaines paralysies, persistant depuis des mois et même des années, disparaître instantanément ?
Il est donc permis de croire qu'il y avait une part de vérité dans la prétendue vertu curative des phénomènes convulsifs. Quelques exemples suffiront à faire comprendre ma pensée.
Mme M... malade depuis un grand nombre d'années, était atteinte d'un trouble nerveux très complexe qu'on peut désigner sous le nom de neurasthénie hystérique. Son état ordinaire était caractérisé par de la torpeur et une faiblesse générale. La première fois que l'hypnotisme fut tenté sur elle, il se développa une hallucination amenant une grande agitation et des secousses convulsives telles que l'opérateur fut effrayé et jura de ne plus recommencer. Cependant le résultat fut merveilleux. Depuis longtemps, elle ne pouvait marcher, ni faire quoique ce fût. en raison de l'engourdissement de son cerveau, après celte première séance d'hypnotisme, elle put marcher, sortir et vivre de la vie commune. Plus tard l'engourdissement revint. L'hypnotisme fut de nouveau appliqué. Tout d'abord les résultats obtenus furent encourageants et à peu près semblables à ceux de la première intervention. Mais après plusieurs mois de traitement les effets étaient nuls, parce qu'on s'efforçait d'empêcher la crise hallucinatoire et d'arrêter les mouvements convulsifs qui en étaient la conséquence. Des modifications favorables sont survenues à
partir du jour où vint l'idée de respecter la réaction qui tendait toujours à se produire (1).
Mme D..., arthritique et nerveuse, souffrait depuis de longues années de douleurs diverses, les unes localisées, les autres erratiques, a l'estomac, au cou, à la tête, dans le dos et dans le bas ventre. Rien n'avait pu la soulager. La première séance de suggestion hypnotique fut accompagnée de mouvements nerveux et fut suivie d'une diarrhée très abondante qui produisit un grand soulagement.
N.. , ouvrier, âgé de 23 ans, de souche nerveuse, était atteint depuis plusieurs années de grandes crises d'nystérie. Quand j'eus l'occasion de le voir, il sortait d'une série de crises, il était aphone. Dés que je lui appliquai mes mains sur le front et sur la gorge en lui disant que j'allais le guérir, je vis se dérouler la grande crise d'hystérie, avec les quatre périodes classiques ; je continuai la suggestion, sans m'inquiéter de la crise et à son réveil la voix était revenue. Pendant quinze jours, je pratiquai la suggestion ; la crise survenait mais de moins en moins forte. Tout rentra dans l'ordre et il fut guéri.
C'en est assez, il me semble, pour justifier ma proposition, à savoir que la suggestion, dans bien des cas, est accompagnée ou suivie d'une réaction qui peut être utile. La réaction individuelle est variable dans sa forme et son mode de production. Le plus souvent, ce sont des tremblements, un frémissement, des secousses sur différentes parties du corps; d'autres fois, de vérirables crises, des convulsions, des pleurs, des rires ; parfois de la diarrhée et souvent un sentiment de chaleur ou un frisson.
En y réfléchissant, on verra que ce n'est point un paradoxe. L'organisme devient malade à la faveur des crises qui peuvent le guérir ; ce sont des crises qu'on peut appeler rétrogrades, parce que la maladie nerveuse, pour disparaître, suit une série des phases analogues à celles qui l'a engendrée.
D'autres part, remarquons ce qui se passe en nous quand nous Sommes en état de suggestion, ce qui est assez fréquent. Il arrive souvent que nous sommes fortement et inopinément impressionnés par tel ou tel fait de la vie commune; une nouvelle nous a émus jusqu'aux larmes, une parole entraînante nous a captivés, un récit nous a attristés. Si nous analysons ce phénomène banal, nous trouvons trois éléments constitutifs : le fait en lui-même, l'impression ressentie, la réaction qui a suivi. Quand cette succession se produit, l'effet est complet et nous sommes réellement influencés; sinon c'est un fait sans importance et qui ne laisse aucune trace en nous. Il est facile de se rendre compte de cette différence en écoutant deux orateurs : l'un nous laisse froid et indifférent, parce qu'il ne sait pas nous intéresser : l'autre nous charme et nous fascine et de temps à-autres nous sentons un frisson passer dans tout notre être. Nous avons parfaitement conscience de cette vibration intérieure, quand elle est suffisamment intense. Elle est très marquée chez les personnes sensibles, chez cerraines femmes surtout très facile à émouvoir.
La suggestion thérapeutique est de même ordre ; elle détermine souvent un mouvement vibratoire d'un ordre spécial, en rapport avec l'état du
(1) Voy. Comptes rendus du Premier Congrès international de l'hypnotisme, 1889, p-228.
sujet. Ce n'est point là une vue théorique, mais un fait d'observations.
Le mot vibration que j'emploie, pour caractériser ce mouvement intime, n'est pas seulement une image, mais correspond à une réalité. La modification qui s'opère dans un nerf par suite de son excitation est un courant nerveux, ou plutôt une onde, une vibration. Ainsi M. Ch. Richet a proposé d'appeler vibration nerveuse la modification qui se passe dans les nerfs excites et la propriété qu'a le nerf de répondre par une vibration ou un ébranlement moléculaire à une excitation quelconque, c'est la neuri-lité de Vulpian. La pensée, résultat de l'activité cérébrale, a des analogies avec l'ébranlement du muscle qui se contracte, avec la vibration de l'ether produite par la lumière, l'électricité, la chaleur; la pensée aussi est une vibration. La neurilité est l'homologie de la contractibilité du muscle. L'un et l'autre organe sont irritables, mais le ner( repond par une vibration ondulatoire, sans mouvement apparent, tandis que le muscle répond par une ondulation visible au dehors en se traduisant par un raccourcissement de la fibre.
Le terme de vibration nerveuse sert à exprimer l'ébranlement du nerf par l'excitation. C'est une ondulation qui parcourt le nerf avec une vitesse variant de 20 à 80 mètres par seconde et qui se produit chaque fois qu'une force modifie l'état du nerf, et par conséquent met en jeu son activité, 'liais si le muscle qui est associé au nerf entre en mouvement, la convulsion se produit ; c'est la vibration musculaire.
Les nerveux sont dans un état vibratoire anormal, leur potentiel nerveux est change et notre but doit être de rétablir l'équilibre physiologique. Aussi la suggestion n'est profitable dans certains cas que lorsqu'elle détermine la réaction apparente qu'il faut respecter et parfois exciter. Il importe avant tout de se rendre compte de l'impression à laquelle vibre tout particulièrement le sujet et savoir utiliser son impres-sionnabilité pour diriger la vibration nerveuse et musculaire.
S'il en es: ainsi, notre manière de voir sur l'hypnotisme et la suggestion doit se modifier. L'hypnotisme serait un état nerveux spécial, analogue au sommeil, dans lequel te sujet est susceptible d'entrer facilement en vibration. La suggestion est la méthode à l'aide ce laquelle on peut déterminer et diriger la réaction qui doit rétablir l'équilibre nerveux.
Et, ce qui surprendra peut-être beaucoup mais qui me parait absolument justifie, c'est qu'il est inutile, pour obtenir le résultat cherché, de taire perdre conscience au malade ; en un mot, le sommeil n'est pas nécessaire et je fais en sorte de ne pas endormir un malade qui vibre sans cela.
Ainsi disparaissent certains dangers de cette méthode thérapeutique si féconde en résultats pratiques.
UN CAS REMARQUABLE D'HYPNOSE SPONTANÉE GRANDE HYSTÉRIE ET GRAND HYPNOTISME
par le Dr BONAMAISON
Directeur de l'Établissment hydrothérapique de Saint-Didier (Vaucluse).
L'impulsion donnée ces dernières années, par l'école de la Salpêtrière, à l'étude des névroses en général et de l'hystérie en particulier, a été le point de départ de nombreuses recherches, qui ont mis en lumière et placé sous leur véritable jour, un certain nombre de phénomènes, relégués pendant longtemps dans le domaine du merveilleux et qui se rattachent h peu près tous à la grande névrose.
La reproduction par l'hypnose de certains états que les hystériques peuvent réaliser spontanément, est venue faciliter leur étude. Il en est cependant qui, par leur rareté et leurs relations étroites avec des phénomènes psychiques dont le mécanisme nous échappe, restent encore obscurs.
Si l'histoire pathologique de la grande hystérie est aujourd'hui à peu près complète, son histoire psychologique est encore à faire et les matériaux propres à l'édifier sont précieux à recueillir. L'observation qui va suivre est assurément une des plus intéressantes à ce double point de vue. Elle emprunte son intérêt, non seulement à la multipli-cité, mais encore à la rareté des phénomènes observés.
Il s'agit d'une grande hystérique que nous avons eu l'occasion de soigner pendant deux ans dans notre établissement et d'observer par conséquent chaque jour. On aurait pu dire d'elle, sans crainte d'être: taxé d'exagération, qu'elle était le tableau vivant et complet de la grande névrose, dans ses formes les plus variées et ses manifestations les plus rares.
Mlle X... est américaine; elle est venue en France à l'âge de 14 ans, après la mort de ses parents et à la suite de revers de fortune qui ont produit un changement complet dans son existence. Remarquablement intelligente et douée d'une grande impressionnabilité, elle a vivement ressenti le contre coup de toutes les peines morales qui, à partir de ce jour, sont venues l'assaillir.
Rien dans ses antécédents héréditaires ne paraissait la prédisposer à la névropathie : son père est mort d'une maladie de cœur, sa mère des suites d'une couche. Rien de particulier à noter chez les collatéraux. La malade a une sœur et trois frères bien portants ; un autre de ses frères est mort de la fièvre jaune. Mlle, X... a joui d'une bonne santé jusqu'à l'âge de 14 ans. A cette époque, à l'occasion de rétablissement de la fonction menstruelle, elle aurait éprouvé quelques phénomènes nerveux sur lesquels nous n'avons pu avoir d'indications bien précises : sensation de brûlure autour de la tête, syncopes (?) etc.. La menstruation a toujours été irrégulière.
C'est en 1881. la malade étant âgée de 19 ans. qu'apparaissent les premiers symptômes de l'affection nerveuse : peur des chevaux, des chats, modifications du caractère.
Mise dans la nécessite de gagner sa vie. Mlle X... entre en octobre 1884 dans un couvent comme sous-maitresse. En proie à une grande exaltation religieuse, elle s'y adonne à des pratiques de dévotion exagérées : longues prières qui produisent une sorte d'extase : « Après avoir prié longtemps, nous dit-elle, il me semblait que mon corps s'évanouissait »; mortifications et jeunes volontaires qui amènent la perte de l'appétit et une anémie profonde, La menstruation se supprime complètement.
Un jour, tandis qu'elle surveille pendant la récréation les enfants qui lui sont confiés, elle reçoit de l'une d'elles un coup de tête violent dans la région hypogastrique. A partir de ce jour, elle éprouve des douleurs sourdes d'abord, puis plus violentes dans cette région. A quelque temps de là, une véritable épidémie hystérique éclate dans le couvent; quatre religieuses sont prises successivement de crises hystériques violentes et notre malade est appelée à les assister. C'est le dernier coup donné à son système nerveux, déjà fortement ébranlé et le s avril 1885 se produit la première attaque hystérique. Les attaques se succèdent pendant trois jours après lesquels se produit une accalmie qui permet à la malade de quitter le couvent pour revenir chez elle.
Nous arrêterons ici l'histoire de la malade pour ne nous occuper que du récit de sa maladie. Nous croyons en avoir assez dit. pour permettre de juger la part qui revient, dans l'étiologie de son affection, aux peines morales et aux diverses circonstances relatées plus haut. Nous devons ajouter cependant, pour permettre de comprendre l'étrange complexité de l'état de notre malade, qu'ucune des provocations, aucune des secousses qui peuvent amener à son summum d'acuité la tention nerveuse ne lui a été épargnée. Aussi allons nous voir sa névrose se développer avec un luxe incroyable de manifestations et faire de cette malade, comme nons l'avons dit, une sorte de tableau vivant de la grande hystérie.
Nous allons énumérer, dans l'ordre de leur apparition et sans y résister davantage, les différents phénomènes nerveux que Mlle X... a présentés avant d'être soumises à notre observation. La plupart d'entre eux s'étant reproduits pendant le séjour de cette malade dans notre établissement, leur description trouvera sa place dans le courant de l'observation.
Avril 1885.. —Début des attaques convulsives qui se produisent par séries; ovaralgie intense, hémianesthésie gauche sensitivo-sensorielle.
Novembre. — Début des attiques de sommeil. La première a duré 48 heures, elle a été suivie d'une attaque convulsive au réveil. Les attaques de sommeil se sont ensuite reproduites régulièrement chaque jour de 8 h. du matin à 1 ou 2 h. de l'après-midi. Le réveil se produit sans attaque convulsive.
Janvier 1886. — Première attaque de somnambulisme spontané.
A la suite d'une attaque convulsive, la malade entre en somnanm-bulisme. Pendant trois mois consécutifs elle reste dans cet état avec des retours très-courts à l'état normal, (1 à 2 h. par jour). Les attaques de
sommeil et les attaques convulsives se produisent dans cet état, comme à l'état normal.
A partir du mois d'avril, les périodes d'état normal deviennent de plus en plus longues et le somnambulisme ne se montre plus que sous forme d'attaques qui prennent rang, à partir de ce moment, parmi les manifestations quotidiennes de la névrose. Elles se reproduisent chaque jour, plus particulièrement le soir et durant plusieurs heures.
A ces différentes manifestations de la névrose, qui se sont établies pour ainsi dire à demeure et qui sont venues se substituer successivement à la vie normale chez cette malade, chacune prenant ses heures dans la journée, sans préjudice pour les autres ; sont venues encore s'ajouter, à différentes époques, des manifestations transitoires, dont les apparitions ont été séparées par des intervalles plus ou moins longs. C'est ainsi qu'elle a présenté de la catalepsie spontanée, une paralysie complète des membres inférieurs et, à différentes reprises, des contractures variées, du mutisme, de l'aphonie, des vomissements, de la diarrhée nerveuse, etc., etc.
Etat de la malade à son arrivée à Saint-Didier le 15 mars 1887
Mlle X... a 22 ans, elle est grande, brune, le regard est brillant et la physionomie respire l'intelligence.
Nous constatons du côté de la sensibilité : hémianesthésie sensi-tivo-sensorielle gauche très prononcée. Douleur ovarienne intense du même côté, avec irradiations douloureuses sur le fond de l'utérus ; cette douleur est exaspérée par la pression et la marche. Clou hystérique, sensation fréquente de brûlure autour de la tête.
Du côté du mouvement: hémiamyosthénie gauche: la main gauche est maladroite et n'a aucune force : la jambe gauche est faible, quelquefois même elle refuse tout service. A l'examen local, le col nous t paraît normal, l'utérus est abaissé et en anteflexion. Nous constatons en outre un empâtement du tissu cellulaire périutérin.
La malade use depuis longtemps déjà de l'apiol pour favoriser l'apparition des menstrues qui, sans cela, sont, parait-il, irrégulières et peu abondantes. La période menstruelle produit toujours une augmentation de la douleur locale et une recrudescence des phénomènes nerveux.
Mlle X... ne dort qu'avec des doses énormes de chloral (5 à 6 grammes); elle fait usage de la morphine. La belladone est employée à l'état d'extrait pur en applications sur le col pour calmer les douleurs utérines. Cette malade a largement usé et abusé de tous ces médicaments. Mlle X... a une peur horrible des chats : la vue d'un chai produit presque sûrement chez elle la crise convulsive.
Les diverses manifestations de la névrose se présentent chez cette malade avec deux types bien distincts : les états périodiques, quotidiens et les étais intermittents. C'est cette division, établie par la maladie elle-même, que nous allons adopter pour faciliter la description des manifestations si nombreuses de la nevrose chez notre malade.
Etats quotidiens
Attaques de sommeil. — C'est par l'attaque de sommeil que commence la journée pathologique de notre malade. MlleX... se réveille du sommeil normal et se livre aux occupations habituelles de la matinée. Vers neuf heures, l'attaque débute sans autre prodrome qu'un besoin invincible de dormir. La malade est étendue sur son lit. dans le decubitus dorsal, les yeux sont fermés, la face présente son aspect naturel bien qu'un peu plus pâle. Pendant toute la durée de l'attaque on ne consulte pas le moindre mouvement ; pas de vibration des paupières, pas de saltations ni de soubresauts. Le corps est rigide et il est absolument impossible de déplacer les membres. La respiration et le pouls sont ralentis. Toute espèce d'excitation : pincement, piqûre, brûlure, etc., laisse la malade impassible et ne provoque aucun mouvement.
M11e X.... entend cependant ce qui se dit autour d'elle. Les sens de l'ouïe et de l'odorat acquièrent même, dans cet état, une accuité excessive; les moindres bruits sont perçus par la malade qui peut à son réveil rendre compte de ce qui s'est passé dans sa chambre pendant l'attaque. Elle est souvent incommodée, dans cet état, par des odeurs qu'elle ne percevait pas à l'état normal.
Du mois de Novembre 1885 jusqu'au mois de Mai 1887, les attaques de sommeil se sont invariablement produites chaque matin avec la forme que nous venons de décrire. A partir de cette dernière époque nous avons observé, certains jours, une légère modification : la rigidité avait fait place à une simple raideur, avec mobilité des grandes articulations permettant le déplacement des membres. Dans cette seconde variété de l'attaque, la malade parait sensible aux excitations extérieures; c'est ainsi que si on la pince fortement, elle balbutie comme dans un rêve, change de place et s'immobilise dans sa nouvelle position. Mais aucune excitation, aucun effort de la malade ne peut provoquer le réveil.
L'attaque dure environ de 4 à 5 heures ; le réveil se produit généralement entre 1 et 2 heures de l'après-midi, sans secousses et sans crise convulsive.
C'est en vain que Mlle X... a essayé à plusieurs reprises de lutter contre le sommeil, elle n'a pu éviter un seul jour l'attaque.
Avant de terminer la description des attaques de sommeil qu'offre cette malade, nous tenons à signaler un fait curieux qu'il nous a été donné d'observer dans quelques attaques appartenant au premier type (avec contracture) : c'est le croisement de la contracture. Tandis que le bras droit et la jambe gauche étaient contractures. la jambe droite et le bras gauche restaient souples, la tête était inclinée à droite par suite de la contracture des muscles du cou.
Catalepsie.— Les attaques de catalepsie ne se présentent pas. chez notre malade, avec la régularité et surtout la périodicité qui caractérise celles que nous venons de décrire. Elles doivent cependant prendre place dans la description des états quotidiens, en ce sens que, presque toujours, une courte phase cataleptoïde précède l'attaque de somnambulisme qui se produit elle-même chaque soir.
La moindre émotion, la moindre contrariété, la vue d'un chat, suffisent pour provoquer la catalepsie. L'attaque est soudaine, la malade reste figée dans la position qu'elle occupe. Les yeux sont largement ouverts. le regard est fixe ; les membres ont une certaine rai-deur et gardent toutes les positions qu'on leur donne.
La catalepsie peut encore se produire sans provocation extérieure apparente. Nous avons trouvé plusieurs fois notre malade en catalepsie dans sa chambre, debout devant sa glace, les bras en l'air soutenant ses cheveux, l'attaque l'ayant surprise au moment où elle se coiffait. Si on ferme alors les yeux de la malade, elle pousse un profond soupir et entre en somnambulisme.
Somnambulisme. — L'attaque de somnambulisme peut se produire à la suite d'une attaque convulsive : elle peut aussi succéder à une attaque de catalepsie. Mais en dehors de ces deux circonstances, nous l'avons vu se produire spontanément chaque jour, pendant plus d'une année, et débuter presque d'emblée chaque soir entre six et sept heures. Elle est précédée par une courte phase cataleptoïde. Le regard devient fixe, la malade cesse la conversation ou le travail commencés et reste immobile dans la position qu'elle occupe ; cet état dure de quelques secondes â deux minutes environ, puis une inspiration profonde indique que la malade entre en somnambulisme. Elle jette alors autour d'elle un regard étonné en disant aux personnes présentes : « Bonjour » ou bien encore : « Ah ! vous voilà ! » puis parait se souvenir et reprend la conversation ou le travail interrompus au point où elle les avait quittés.
Quelquefois la phase cataleptoïde est si courte qu'elle passe inaperçue et que la malade parait être passée sans transition de l'état normal à l'état second (1).
Dans ce cas, les personnes qui sont autour d'elle et qui ignorent cette étrange anomalie ne peuvent s'en apercevoir. Mais, pour un observateur attentif et prévenu, une modification sensible s'est produite dans les allures et le caractère de Mlle X... : l'expression de sa physionomie est différente, les yeux sont plus brillants, l'allure plus dégagée et plus vive ; elle cause et rit avec plus d'animation. Très docile à l'état normal, elle devient, en état second, volontaire et capricieuse. Elle s'occupe de préférence, dans cet état, à des ouvrages de broderie ou de couture minutieux et difficiles, qu'elle conduit avec une activité fébrile et une dextérité peu commune.
L'intelligence et la mémoire sont plus affinées ; la suractivité de cette dernière faculté est surtout manifeste. Le souvenir de faits oubliés à l'état normal se réveille et se présente à son esprit avec une netteté extraordinaire et elle les raconte avec une verve et un entrain qu'elle n'a pas habituellement. Nous l'avons entendu plusieurs fois chanter, en somnambulisme, une romance en anglais apprise pendant son enfance et dont elle ne sait plus le premier mot une fois revenue â l'état normal.
Pendant l'attaque de somnambulisme, la malade a gardé le sou-
(1) Pour faciliter la description, nous désignerons, comme l'ont fait certains Auteurs, l'état de somnambulisme sous le nom d'état second, par opposition à l'état prime ou normal.
venir de tout ce qui s'est passé pendant l'état normal et les attaques de somnambulisme précédentes.
Quelquefois cependant la malade paraît avoir oublié, pendant l'état second, les faits qui ont immédiatement précédé le début de cet état. C'est ainsi, qu'étant entrée un jour en somnambulisme à la fin du repas, elle s'étonnait qu'on commençât par le dessert, ne se souvenant plus qu'on avait auparavant servi le dîner.
Revenue à l'état normal, la malade a complètement oublié tout ce qui s'est passé et tout ce qu'elle a dit pendant l'attaque de somnambulisme, mais il arrive bien souvent que le lendemain, en rentrant en somnambulisme, elle cherche à renouer la conversation où à continuer la lecture ou l'ouvrage commencés pendant le période de somnambulisme précédente et qu'elle avait oubliés pendant l'état normal.
Comme nous l'avons dit plus haut, la malade entre en somnambulisme chaque soir entre six et sept heures et reste dans cet état toute la soirée. C'est en état second qu'elle se couche et s'endort, non sans avoir payé un dernier tribu a la névrose implacable qui a déjà absorbé à peu près toutes les heures de sa journée et qui la poursuit jusque dans le sommeil. En effet, au moment où la malade va s'endormir et dans cette état indéterminé qui sépare la veille du sommeil, elle pousse par instant un cri involontaire ou plutôt une sorte d'aboiement. Cet aboiement se produit quelquefois pendant plus d'une heure, cessant quand on réveille la malade pour reprendre dès qu'elle va se rendormir. La malade en a à peine conscience et si elle s'en aperçoit, elle avale à la hâte quelques gorgées de sirop de choral pour pouvoir trouver un peu de repos.
Notre malade se réveille le lendemain en état normal pour recommencer au bout d'un moment, par l'attaque de sommeil, le cycle à peine interrompu de ses manifestations névropathiques.
Il semble qu'après avoir ainsi envahi la vie de cette malade et s'être emparée de tous les instants disponibles, la névrose ne puisse plus, pour ainsi dire, trouver place pour d'autres manifestations. Il n'en est rien cependant et les états périodiques, ne dispensent point la malade d'autres manifestations moins régulières mais non moins pénibles de sa terrible maladie.
Etats intermittents
Attaques convulsives. — Les attaques convulsives se produisent, chez notre malade, isolément ou par séries, sans périodicité bien marquée, pendant l'état normal ou l'état second. Presque toujours, quand l'attaque convulsive se produit pendant l'état normal, la malade ne tarde pas à entrer en état second et ce dernier se prolonge parfois fort longtemps après la cessation de l'attaque convulsive proprement dite.
Celle-ci revet la forme classique de la grande attaque hystérique si magistralement décrite par le Dr Charcot. Elle débute, sans autres prodomes qu'un certain degré d'agacement et une exaspération de la douleur ovarienne gauche, par une contracture généralisée avec claquement des dents, sifflements, etc., (phase tonique). Vient ensuite la période des grands mouvements, véritable attaque de clownisme. pendant laquelle
la malade se livre aux acrobaties les plus extravagantes : sauts, culbutes, arbre droit, ascension du lit et des meubles sur lesquels la malade se hisse en s'y accrochant par les pieds, etc., etc. Pendant la période de délire qui suit, la malade voit des chats, (qui sont pour elle à l'état ordinaire l'objet d'une répugnance invincible), sa mère morte, etc. Les scènes de sa vie passée se déroulent devant ses yeux et sa mimique très-expressive rend fidèlement compte de ses hallucinations. Nous n'insisterons pas davantage sur la description de ces attaques qui offrent, comme on peut le voir par ce court exposé, le tableau classique de la grande attaque hystérique. Nous signalerons seulement, parmi les épisodes de l'attaque, et à titre de phénomènes plus rares : les saltations avec projection de la langue en dehors de la bouche, ce que la malade appelle sa « crise de pendu » ; une contraction violente des muscles de la mâchoire inférieure produisant l'ouverture démesurée de la bouche et une sorte de subluxation de la machoire qui reste béante, jusqu'à ce que, par une pression énergique exercée d'avant en arrière sur les ciondyles, en ait fait céder la contraction et ramené les surfaces articulaires au contact. La langue, au lieu d'être projetée hors de la cavité bucale, est parfois relevée et renversée vers l'isthme du gosier, de façon à produire la suffocation.
L'attaque convulsive se termine, le plus souvent, par un spasme respiratoire qui, par sa durée, son intensité et sa tendance à se substituer parfois aux autres manifestations de l'attaque convulsive, constitue une sorte d'attaque spéciale que nous allons décrire.
Allaques spasmes. — Ces attaques que la malade appelle ses « crises d'étouffement » sont assurément, de tous les phénomènes nerveux qu'elle présente, de beaucoup le plus pénible et le plus alarmant.
Tantôt la contraction spasmodique semble partir de l'épigastre et remonter à la gorge. La malade angoissée se soulève sur son lit, les yeux sont hagards, la bouche ouverte ; la face se contracte douloureusement, les veines du cou et de la face se gonflent, c'est une véritable strangulation. An bout d'un moment, le spasme cède, la malade fait un mouvement de déglutition suivi de plusieurs inspirations successives et rapides, puis le phénomène recommence et cela pendant des heures entières.
D'autrefois, le spasme parait atteindre plus spécialement les muscles thoraciques et le diaphragme. Les mouvements respiratoires s'affaiblissent de plus en plus et s'arrêtent ou du moins deviennent impossibles à déceler, le pouls s'affaiblit, les battements du cœur sont précipités : l'angoisse de l'attaque précédente a frit place à une immobilité plus inquiétante encore. La face devient cyanosée, les yeux sont fermés, la bouche légèrement entrouverte, les lèvres violacées ; les extrémités sont froides, la malade présente tous les phénomènes de l'asphyxie. Si elle n'est pas retirée de cette état, l'asphyxie complète parait imminente. Une excitation très vive peut seule vaincre le spasme, elle est suivie d'une inspiration et le spasme recommence. Avant que cette malade fut placée sous notre direction, les personnes de son entourage n'avaient rien trouvé de mieux, pour la retirer de cet état, que de lui appliquer un fer rouge sur la peau. A chaque brulure, la malade faisait un soubresaut, le spasme cédait pendant quelques secondes, permettant quelques inspirations rapides, pour recommencer immédiatement après.
Nous sommes arrivé au même résultat, sans imposer à cette pauvre malade cet affreux supplice, au moyen de la faradisation qui nous a permis de vaincre de temps en temps le spasme et de la faire respirer, pour ainsi dire artificiellement, pendant une, deux et quelquefois trois heures, durée maxima de l'attaque spasmodique.
Peu à peu le spasme cède, les inspirations deviennent plus fréquentes et plus faciles. L'attaque se termine par des éructations et une abondante émission d'urine.
IL nous faudrait passer en revue la symptomatologie entière de la grande hystérie, si nous voulions décrire toutes les manifestations de la névrose observées chez notre malade, car elle n'a épargné chez elle aucun organe ni aucnne fonction. Nous n'avons rien dit ni des contractures variées succédant aux attaques convulsives, ni de l'aphonie survenant brusquement à la suite d'une émotion ou d'une douleur plus vive dans la région utéro-ovarienne. Le ptyalisme, les vomissements, l'anuric, la diarrhée nerveuse intermittente et périodique et bien d'autres manifestations banales, qui constituent le cortège habituel de la grande hystérie, ont dû céder la place dans notre description aux phénomènes plus rares et par suite plus intéressants.
Parmis ceux-ci. deux méritent surtout de nous arrêter un instant, nous voulons parier des attaques de sommeil et du somnambulisme spontané.
Notre malade est une dormeuse et ses attaques de sommeil offrent, de prime abord, tous les caractères de celles décrites par Charcot, Gilles de la Tourette, Grasset, etc. Elles en différent par la durée. Tandis que chez les dormeuses du grand type décrit par Charcot, le sommeil peut durer des semaines et même des mois entiers ; chez notre malade, les attaques ont pris l'allure quotidienne et périodique qui caractérise un certain nombre des manifestations de sa névrose. Mais là ne se bornent pas les différences que nous avons constatées. Dans la plupart des cas analogues, on a noté une insensibilité générale absolue, ainsi que l'abolition complète des sens spéciaux. On a vu, dans la description que nous avons donnée de l'attaque de sommeil chez notre malade, que les excitations les plus vives, pincement, piqûre, brûlure, etc., la laissent impassible et ne provoquent aucun mouvement, de sorte que l'anesthésie paraît complète. Il n'en est rien cependant et toutes les sensations sont parfaitement perçues, mais la malade est dans l'impossibilité absolue de réagir. Ses plaintes et ses explications au réveil ne nous laisser* acun doute sur la conservation de la sensibilité. Plus lard, lorsque se. ques de sommeil ne sont plus accompagnées que d'une simple raideur, nous voyons la malade réagir sous l'influence des excitations, autant que peut le lui permettre l'état de son système musculaire. C'est donc la contracture qui, en s'opposant aux mouvements, pouvait de prime abord, faire croire à l'existence de l'anesthésie.
Quant à l'état des sens spéciaux, nous avons vu aussi, dans la description de l'attaque, que, non seulement il n'étaient pas abolis, mais que l'ouïs cl l'odorat étaient même hypéresthésiés.
En somme, les attaques de sommeil de noire malade, nous semblent devoir se rattacher à la variété désignée sous le nom de lèthargie lucide.. L'hyperacuité des sens spéciaux la rapproche de la léthargie provoquée
par l'hypnose; elle n'en diffère que par la raideur musculaire qui est la conséquence de la tendance si marquée à la contracture qui caractérise la plupart des manifestations spontanées de l'hystérie. Nous n'avons jamais pu cependant constater d'une façon bien nette, dans cet état, l'existence de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire.
Nous n'insisterons par sur les attaques de catalepsie. Nous n'avons du reste rien à ajouter à la description que nous en avons donnée dans le cours de l'observation. Elles étaient très fréquentes chez notre malade et précédaient toujours l'attaque de somnambulisme. Cette dernière manifestation est à notre avis, de beaucoup la plus intéressante.
Le somnambulisme spontané, avec dédoublement de la personnalité, est une des manifestations les plus rares de la grande hystérie, et la littérature médicale ne renferme que quelques exemples de cette étrange anomalie. L'observation publiée par Azam (de Bordeaux), est une des plus curieuses et sa Félida reste encore le type le plus complet que l'on ait, croyons-nous, observé jusqu'ici
Notre malade, comme celle d'Azam, présente un état second qui se distingue de l'état normal par des modifications de la personnalité absolument caractéristiques : transformation du caractère, des allures; suractivité des fonctions psychiques, en particulier de la mémoire ; qui s'en distingue surtout par l'oubli complet, pendant l'état normal, de tout ce qui s'est passé pendant cet état second.
On peut dire que, par suite du retour périodique de l'état second, notre malade vit de deux vies distinctes et que sa personnalité se trouve dédoublée en deux individualités différentes. On pourrait même ajouter que l'état second est en somme, de ces deux vies, la plus agréable pour la malade et la plus complète, puisque dans cet état elle a conservé le souvenir de son existence toute entière, tandis que dans l'état normal, toutes les périodes d'état second en sont complètement effacées.
Nous ne faisons que mentionner, sans y insister davantage, l'intérêt que peuvent présenter, au point de vue médico-légal, de pareilles Situations pathologiques. Il y a, entre cet état spontané et le somnambulisme provoqué par l'hypnose, une analogie frappante. Ce dernier n'en diffère que par un degré de suggestibilité plus prononcé. Les modifications du caractère, de l'allure, de la mémoire sont identiques.
Notre malade réalise donc spontanément les trois principaux états du grand hypnotisme, décrits par l'école de la Salpétrière : la léthargie, la catalepsie, et le somnambulisme. Elle est un exemple remarquable des relations étroites qui existent entre la grande hystérie et le grand hypnotisme.
Cette parenté de la névrose provoquée et de la névrose spontanée est très intéressante à constater. Nous nous bornerons à cette constatation, sans essayer une interprétation des faits encore impossible. La Lumière se fera peut-être un jour plus complète sur ces phénomènes sortis du domaine du merveilleux, pour entrer dans le cadre des sciences médico-psychologiques, qui nous donneront, dans un avenir très prochain sans doute, l'explication de ces étranges anomalies.
En sa qualité de grande hystérique réalisant spontanément les phénomènes de l'hypnose, Mlle X... devait se prêter admirablement à toutes les expérience d'hypnotisme et de suggestion. Notre malade est en effet
rapidement endormie par le regard et arrive au somnambulisme profond, en passant successivement par les phases léthargique et cataleptique, pendant la léthargie hypnotique, elle présente au plus haut degré le phénomène de l'hypérexcitabilité neuro-musculaire. On peut provoquer chez elle, avec une extrême facilité, pendant la période cataleptique et le somnambulisme, toutes les hallucinations positives et négatives. En somnambulisme hypnotique. Mlle X... va et vient dans sa chambre les yeux ouverts ; elle cause et s'occupe comme à l'état normal, mais elle ne voit ni n'entend les personnes présentes et n'est en rapport qu'avec nous. Nous pouvons, à volonté, la mettre en rapport avec une ou plusieurs des personnes présentes et supprimer ce rapport par la simple affirmation que la personne a disparu.
Nous n'insisterons pas sur toutes ces expériences qui ont été laites et décrites depuis longtemps déjà par un grand nombre d'expérimentateurs. Ce n'était point d'ailleurs dans un but d'expérimentation que nous endormions cette malade, mais dans un but purement thérapeutique et. à ce point de vue, l'hypnotisme nous a rendu chez elle de réels services.
Les attaques de sommeil ont été progressivement enrayées par la suggestion. Nous avions essayé, au début, de supprimer totalement, par une suggestion, l'attaque de sommeil ; mais nous avons acquis la conviction, qu'en présence de manifestations aussi anciennes, il était nécessaire de procéder graduellement. En effet, quand l'attaque de sommeil était totalement empêchée par la suggestion, la malade éprouvait toute la journée un malaise indéfinissabl e; son sommeil lui manquait. Nous avons procédé de même pour les attaques de somnambulisme, les crises d'aboiement, en un mot pour toutes les manifestations périodiques de la névrose.
Mais c'est surtout contre les attaques de spasme que la suggestion hypnotique nous a été utile, en nous permettant d'éviter cette manifestation de beaucoup la plus pénible pour la malade et la plus grave.
Enfin nous avons pu, grâce à la suggestion, vaincre l'insomnie, régulariser la fonction menstruelle, restreindre la durée et la fréquence des attaques convulsives, pendant que le traitement hydtothérapique, suivi avec régularité et persévérance, en rétablissant l'équilibre du système nerveux, rendait stables les résultats obtenus.
Quant Mlle X... a quitté Saint-Didier, les principales manifestations de sa névrose avaient disparu depuis plusieurs mois déjà, après des alternatives et des vissicitudes nombreuses, dues surtout à la provocation constante de la lésion utérine dont nous avons parlé dans le cours de l'observation. Cette complication locale a, pendant longtemps, entravé la marche progressive vers l'amélioration; chaque période menstruelle, par son retentissement sur le système nerveux général, venant faire perdre au bout du mots une partie du terrain reconquis sur la névrose.
En somme et malgré la persistance de l'état local, la situation de cette malade est au point de vue général aussi bonne que possible et nous ne doutons pas qu'elle ne se maintienne telle, si un traitement approprié, rendu aujourd'hui possible par le bon état général, vient modifier heureusement la situation locale.
GUÉRISON PAR LA SUGGESTION HYPNOTIQUE D'UN ACCÈS DE MÉLANCOLIE CHEZ UNE DÉGÉNÉRÉE
Par J. ROUBINOVITCH, interne à l'asile Ste-Annc.
SOMMAIRE : Dégénérescence mentale avec troubles hystériques. Délire mélancolique survenu au deuxième mois de la grossesse. L'accès de mélancolie est guéri par la suggestion hypnotique.
Le 30 Août 1889, notre honoré maître M. le Dr A. Voisin nous a charge de nous occuper de la nommée P.... Catherine, cultivatrice âgée de 30 ans, originaire de La Forain (Vosges) atteinte d'une aftec-:ion mentale qu'il considère pouvant être traitée par l'hypnotisme.
Les antécédents héréditaires dénotent immédiatement l'origine psycho-palhique de notre malade. Quoique sur la ligne paternelle nous ne trouvions rien, la ligne maternelle montre une merc morte au cours d'une attaque de paralysie et un cousin fou-épileptique, âgé de 50 ans, séquestré depuis longtemps ù l'asile de Mareville. Notre malade a deux sœurs manifestement névropathes que nous avons eu l'occasion de voir et d'examiner nous-mêmes (une de 40 ans, l'autre de 28 ans) et un frère, âgé de 32 ans, aliéné alcoolique également séquestré d l'asile de Mareviile.
Quants aux antécédents personnels, nous trouvons chez notre malade des signes de dégénérescence psychique. Ainsi, elle était toujours d'une impressionnabilité et d'une èmotivité exagérées: les bêtes les plus calmes lui faisaient peur ; les disputes des voisins, le tonnerre, la fou-dre la faisaient trembler. Puis, vient la période de formation accompagnée d'étourdissements, de défaillances, de palpitations et d'es-soultlements. Ajoutons que son intelligence était bonne et qu'elle apprenait d l'école avec beaucoup de facilité.
A l'âge de 20 ans. son caractère est devenu plus sombre ; on ne l'entendait parler que de choses subtiles, mystiques; la vie ordinaire la dégoûtait et elle manifestait l'intention d'aller pour toujours dans un couvent. Il est curieux de noter les troubles digestifs qui se sont déclarés deux, trois ans après cet état psychique qui persistait depuis en tonnant comme le fond de son caractère. Vers l'âge de 30 ans, cet étal mélancolique s'est compliqué d'une espèce d'idée obsédante : elle entendait une voix intérieure qui lui disait continuellement: « Il faut que tu te maries, a Or. l'idée du mariage était toujours contraire d sa manière de penser. Cependant, les parents auxquels elle a communiqué l'idée qui l'obsédait y ont vu comme un avis de la Providence et ont fini par la marier, en avril 1889, à un homme plus jeune qu'elle et pour lequel elle n'avait aucune affection. Depuis ce mariage cl surtout depuis sa grossesse, son état mental s'est singulièrement aggravé.
Actuellement elle est enceinte de 2 mois. Sa physionomie est le type d'une lypémaniaque mais avec un trait particulier sur lequel M. A. Voisin a attiré notre attention : une expression d'une inspirée analogue à celle qu'on trouve chez certaines hystériques en état d'extase. Ses yeux excavés expriment une profonde tristesse ; sa figure est maigre au dernier degré, pâle, avec des traits tirés. Sa parole, très rare.
est plaintive, lente. L'haleine est fétide. Dans l'attitude et dans la toilette on observe une négligence hors ligne.
Son délire se résume en ceci : elle est très malheureuse elle ne de vait jamais se marier, quoique son mari soit très bon pour elle; rien ne l'intéresse plus dans ce bas monde, ni son père, ni toute autre personne de sa famille ; il lui est inutile de vivre ; elle embarrasse tout le monde, etc.. — Elle n'a pas d'hallucinations, sauf ces voix psychiques intérieures dont nous avons déjà parlé. Elle a du raccourcissement du champ visuel en bas, par moments elle a la boule qui l'étouffe et de nombreux points douloureux (sur la colonne vertébrale, au-dessus cl au-dessous de chaque sein). Pas d'hémianésthésie.
Troubles digestifs consécutifs très probablement dus à son état lypé-maniaque et à la grossesse. Les poumons ci le cœur sont sains. Du côté de l'abdomen ; l'utérus est augmente de volume ; pas de douleurs à la
palpation ; pas de pertes ; pas de vomissements ; I ombilic est déprimé, 'utérus quoique augmenté de volume paraît abaissé ; au loucher, le col est accessible et la muqueuse du museau de lauche paraît légèrement ramollie ; les seins sont manifestement gonflés.
Enfin, pour compléter notre examen.nous avons cherché chez elle les signes de la dégénérescence physique: nous n'en avons trouvé aucun; elle est bien conformée, elle n a pas de goitre, ni pléiades ganglionnaires ; ses dents, sa voûte palatine, ses oreilles sont de forme normale.
Le lendemain nous essayons de l'hypnotiser par la fixation de notre regard. Aussitôt un tremblement général se manifeste qui dare peut-être deux ou trois secondes, puis ses yeux se mettent en strabisme supérieur et interne et lus paupières tombent. Elle paraissait profondément engourdie, sinon endormie complètement. La peau est devenue insensible à la piqûre, les membres soulevés tombent comme des masses inertes et molles, les traits de la physionomie sont devenus immobiles. Elle nous entendait, cependant, parfaitement bien cl nous avons profité de cette circonstance pour lui donner immédiatement la suggestion capitale, en lui disant qu'à partir du momnent où elle sera réveillée, elle mangera avec beaucoup d'appétit et elle ne sera pluss triste. Le 3 septembre, nous constatons une amélioration notable : elle a mangé tous les jours, elle n'était plus aussi triste. Sa physionomie encore pâle et maigre souriait légèrement.
Nous l'avons endormie successivement le a, le 4, le 6 septembre et l'amélioration s'accentuait de plus en plus A mesure que nous taisions disparaître par suggestion un par un tous les symptômes psychiques qu'elle avait présenté à notre premier examen.
A la fin d'octobre elle ne pensait plus à se tourmenter pour son mariage ; elle s'intéressait à tous ses parents ; elle travaillait avec un zèle exemplaire; elle se considérait très heureuse cl n'avait aucune envie de s'adonner à la tristesse comme avant.
Elle a quitté Paris débarrassée de son délire mélancolique et jusqu'à présent la guérison, constatée à la fin d'octobre par M. Voisin, se maintient. Nous avons reçu d'elle deux lettres, l'une du ta novembre 89, l'autre du 39 décembre.
Dans la première elle dit entre autre ceci: « Maintenant, au con-« traire. le bonheur est rentré chez nous, car comme vous me l'avez « assuré je me trouve mieux chez moi qu'à Paris; je suis contente, « courageuse, j'aime bien mon mari et mon père, et j'ai repris du goût « dans mon ménage ; j'ai toujours bon appétit et je dors bien; je n'ai « pas eu de vomissements ; j'ai repris mes habitudes d'autrefois. Il me
« semble que ce qui s'est passé est un rêve et que je rentre dans la vie « de tout le monde »
La seconde lettre qu'elle a écrite sous l'impression de l'état maladif de son pére qui soutire d'une affection cardiaque, contient les aveux suivants : a Je suis, je ne dirai pas heureuse, mais soumise i ce qui « peut m'arriver. J'ai toujours une bonne santé et bon appétit et je dors « bien. J'ai encore louteloi» des petits moments de tristesse, car depuis « que je suis venue ici. mon bon père est tombé malade. Depuis quel-« ques jours il est plus soutirant que jamais, je crains de le perdre « bientôt, ce moment m'épouvante et je regarde par instants l'avenir « avec crainte. Toutefois je reprends toujours courage et je ne faiblis
« plus derant mon devoir, je travaille toujours avec goût et je lais mon c ménage comme avant. J'aime bien mon mari, qui, lui aussi me rend c mon affection cl j'attends avec un peu de crainte tout de même mon petit « enfant. Ma grossesse ne me fait pas souffrir; j'ai beaucoup engraissé: « je pèse à présent cinquante cinq kilog. et quand je parlais pour Paris « je ne pesais que quarante-deux. Enfin, Monsieur, si mon pére n'était « pas malade, je serais très heureuse. »
Ces deux lettres se passent de commentaires et montrent que la gué-rison est suffisamment stable, car elle résiste même à des émotions et à des préoccupations morales très graves, de même qu'elle permet à la grossesse d' évoluer de la façon la plus normale.
OPÉRATION CHIRURGICALE PRATIQUÉE DANS L'ÉTAT D'HYPNOTISME
Par le Dr Edward WOOD (de Minnéapolis).
C'est à la courtoisie de mon confrère le Dr Hugo Toll que je dois de pouvoir publier l'observation suivante, car le malade qui en fait l'objet, bien que soigné par lui, avait été admis dans mon service de chirurgie à l'hôpital Saint-Barnabe.
A. S..., jeune homme de 17 ans, de nationalité suédoise, entre à l'hôpital le 8 septembre 1889 pour une ostco-myélite du tiers supérieur de l'humérus. Il ressentait une vive douleur au niveau de la région malade. Le bras était rouge et tuméfié; les mouvements de l'articulation scapulo-humérale et ceux du coude étaient très limités et tout le membre supérieur était condamné à une immobilité presque absolue. Le malade présentait trois ouvertures de fistules : l'une débouchait directement dans le creux de l'aisselle, une autre au-dessous du niveau de l'insertion numérale du deltoïde, la troisième à la partie postérieure du bras.
Le Dr Toll l'hypnotisa trois fois dans les trois jours qui précédèrent l'opération afin de l'y habituer. Le 9 septembre, au matin, l'opération élant décidée, on l'hypnotisa dans son lu, puis on le conduisit à l'amphithéâtre où on le fit coucher sur la table (1).Les fistules furent explorées, grattées, injectées, pnis on fit une incision de 4 ponces de long
(1) Il n'est pas sans interêt de faire remarquer que les conditions dans lesquelels a été faite l'opération par le Dr Wood sont identiques à celles dans lesquelles s'étaient placés, ily a
quelques mois, MM.Tillauxet Mesnet, lorqu'ils firent à l'Hôtel Dieu de Paris, une opératio de cystocèle sur une jeune malade hypnotisée.
à la face externe du tiers supérieur du bras, Jusqu'à l'os, et à l'aide du ciseau on fit une ouverture de 3 pouces de long et de 3/4 de pouce de large jusqu'au canal médullaire; ce qui fut assez difficile à exécuter à cause de l' éburnation de l'os.
Je n'ai pas l'intention d'entrer dans tous les détails techniques de l'opération, ni dans toutes les considérations que pourrait provoquer l'étude clinique de la lésion. Je me bornerai à dire que toutes les précautions antiseptiques de rigueur furent prises. Après avoir place des des drains dans fes incisions, la plaie fut pansée avec la gaze iodo-formée. Le pansement et l'application des bandages parent se faire avec une grande facilite, parce que le patient, encore en état cataleptique, pouvait se tourner, se lever, s'asseoir à notre commandement.
A 9 heures 50, il lut ramené à son lit ; on lui fit la suggestion de dormir jusqu' à midi, heure à laquelle il se réveillerait, pourrait s'asseoir sur sou lit et demanderait à manger ; on lui défendit de faire le moindre mouvement jusqu'à son réveil.
Il resta parfaitement endormi jusqu'à l'heure fixée et à midi précis, on le vît s asseoir sur son lit et étendre le bras sain; il prononça alors les paroles suivantes : « M. le Dr Toll a dit qu'il fallait me donner à manger à midi, »
L'amputation du bras au-dessus du coude n'aurait certainement pas été plus douloureuse que l'opération qu'il venait de subir. Cependant le malade resta complètement insensible, dans, l'état d'hypnotisation pendant toute la durée de l'opération qui fut environ d'une minute et demie.
A maintes reprises, j'avais vu faire de petites opérations sur des malades hypnotisés, mais j'avoue que ce cas fut pour moi comme une révélation,ainsi qu'il le sera pour beaucoup de nos confrères. Je crois que les conditions dans lesquelles s'est faite celte opération sur un hypnotisé appellera leur attention sur la possibilité de recourir à l'anes-thésie hypnotique lorsqu'on se trouve en présence d'un sujet hypno-tisable.
SOCIÉTÉS SAVANTES
SOCIÉTÉ DE MÉDECINE LEGALE
Séance du 13 janvier 1890.— Présidence de M. Brouardel.
État mental d'un homme arrêté pour avoir coupé des nattes de cheveux à des femmes.
M. Motet.— Nous avons élé commis. MM.. A. Voisin, Socquet et moi, à l'effet de constater l'etat mental du nommé X..... prévenu « d'avoir soustrait frauduleusement des nattes de cheveux au préjudice de diverses personnes. »
Voici d'abord quelques renseignements sur les antécédents héréditaires et personnels du prévenu, dont l'observation nous a paru fort intéressante, très complète et assez rare au point de vue médico-légal.
X..... quarante ans. serrurier d'art, célibataire. Vit seul depuis 1887, après
avoir vécu jusque-là avec ses parents, puis avec sa sœur. De 1887, datent les actes dont le tribunal nous a demandé de déterminer le caractère.
Dans la ligne paternelle, deux cas d'aliénation mentale ; un cas au moins dansla ligne maternelle. Le père, â la suite d'une discussion, est mort dans un accès de délire qualifié « fièvre cérébrale ». La mére, quoique d'un tempérament nerveux, est la mieux équilibrée de la famille.énergique et laborieuse.
X... n'a jamaiseu de maladies graves, s'est élevé très facilement ; s'est toujours montré très intelligent, mais a toujours eu des « manies a, était très méticuleux en toutes choses. — sans en excepter les plus indifférentes — un peu timide, d'une sentimentalité exagérée. Conduite toujours excellente. Affirme, et on peut l'en croire qu'il n'a jamais eu dans sa jeunesse d'habitudes de masturbation. Il passa par le conservatoire des arts et métiers et devint bientôt un ouvrier très habile dans une profession qui confine à l'art. Quelques accidents rhumatismaux depuis de grands froids supportés pendant la guerre.
Grâce â son travail, à son économie, il devint chef de maison et réussisait fort bien dans ses affaires lorsque, vers 1884. il se laissa entraîner, quoique peu entreprenant par caractère, dans une vaste entreprise de serrurerie, montée en Société et dans laquelle il trouva la ruine. Ses pertes s'élevèrent, dît-il. â près de 500.000 francs. Par surcroit, il tomba malade (fièvre, délire) pendant une période d'instruction militai e.
Comme la plupart des timides. i1 a eu de: exaltations de sentiments restées platoniques. C'est ainsi qu'il a aimé follement et successivement, dans des conditions qui rendaient â peu prés tout mariage impossible, d'abord une jeune fille de quinze ans, puis une jeune veuve, enfin — et c'est la dernière en date — une autre veuve. A la façon des érotomanes.il la pare de toutes les qualités imaginables et veut même. dit-il, « se la conserver vierge ! a Au total, il est arrivé à quarante ans sans avoir jamais eu de maîtresse et ce n'est que rarement qu'il a pris au hasard une fille rencontrée dans la rue et de chez laquelle il sortait plutôt dégoûte que satisfait.
Au total, un héréditaire, un prédisposé, un dégénéré, disons le mot. intelligent, violemment ébranlé par des commotions morales qu: précipitent la déchéance des predisposés et laissent le champ libreâ des aberrations sexuelles bien propres à dérouter ceux qu; n'ont pas été à même d'étudier ces anomalies.
Ce sont des aberrations de cette nature qui, dés 1886 c'est-à-dire après la
maladie dont nous venons de parler, amenèrent X___, â commettre des actes
pour lesquels, finalement, il fut arrêté, le 23 août 1889, à la station d'omnibus du Trocadéro. Après plusieurs tentatives pour se rapprocher, au milieu de la foule, d'une jeune fille qui portait une longue natte de cheveux, il avait fini par la lui couper et, immédiatement après s'était enfui. Mais il fut rattrapé et parfaitement reconnu par la jeune fille. Il ne pouvait nier, il avait la natte â la main et danssa poche une paire de ciseaux.
Une perquisition pratiquée chez lui amena la découverte de soixante nattes outresses de cheveux de diverses nuances classées en plusieurs paquets, sans compter des boucles de cheveux qu'il se faisait donner par des femmes de son entourage, des petits bouts de rubans et mille riens féminins. Il reconnut avoir coupé ces soixante nattes a autant de jeunes fille». Il nous raconta, du reste, avec une entière franchise et une sincérité évidente, à quelles impulsions ilavait obéi.
Ces impulsions remontaient à trois ans. Elles avaient été précédées d'une certaine perte de mémoire et du syndrome qu'on a désigné sous le nom de « recherche angoissante des mots ». Puis l'idée lui vint de toucher à des cheveux de femme. Il ne se rappelle pas exactement comment il opéra la première fois qu'il coupa une natte. Il se souvient fort bien que lorsqu'il l'eut dans la main il éprouva une sensation voluptueuse telle, qu'il entra immédiatement en érection et que. sans attouchements, sans qu'il se fût frotté contre la jeune fille, il eut une éjaculation. Jamais, dit-il, même dans des rapprochements sexuels, il n'avait rien ressenti de pareil.
A partir de ce moment, et bien que honteux de lui-même, il fut obsédé par l'idée de toucher toutes les chevelures qu'il voyait flotter sur les épaules des jeunes filles ou des femmes ; après quoi, ces attouchements ne lui suffisant plus, il voulut posséder, et un soir il coupa une natte avec son couteau. Serrant la tresse dans ses mains il courut à son domicile et fut repris de la même excitation génésique que la première fois, excitation qui avait, du reste, commencé au moment où il sectionnait la natte.
Ces mêmes actes se reproduisirent, comme nous l'avons dit, un nombre considérable de fois, mais les impulsions irrésistibles étaient séparées par des intervalles de calme, dont quelques-uns furent de plusieurs mois et pendant lesquels, humilié de ce qu'il avait fait, il s'enfermait chez lui, ou, s'il sortait n'osait pas sortir seul. Il raconte que lorsqu'il avait réu-si à couper une natte, et qu'il avait les cheveux dans la main, rienau monde ne lui aurait fait lâcher prise, que s'il échouait dans sa tentative, il rentrait immédiatement chez lui, violemment contrarié, et se dédommageait — toujours avec le même résultat génésique — avec les tresses de sa collection.
Les cheveux à l'étalage des coiffeurs le laissent froid; ce qui le tronble, c'est d'apercevoir le coiffeur tenir dans sa main la chevelure d'une femme. Si cette femme sort avec les cheveux relevés, il reste calme ; il n'est hors de lui et invinciblement attiré que par les cheveux pendants, ceux que sa main peut prendre.
« Je me juge, nous dit-il, plus sévèrement peut-être que les autres ne le font. Je me suis juré de ne jamais recommencer. Je me jetterais plutôt sur un sergent de ville en lui disant : « Empèchez-mci. emmenez-moi. »
Il contient d'ajouter à ce récit que X..., a toute sa vie poussé à l'excès la passion de la collection, même pour des choses sans valeur et qui n'avaient pas pour lui l'agrément des nattes de cheveux, Il avait, en outre, des appréhensions inexplicables. C'est ainsi que pour se rendre au tribunal de commerce, où l'appelaient souvent ses affaires, il n'aurait, pour rien au monde, passé par la rue Saint-Martin, bien que celte rue se trouvât sur son chemin direct. Il présentait, en outre, comme nous l'avons dit, et au plus haut degré, le syndrome dit « recherche angoissante des mots. »
Un homme, dans ces conditions, est évidemment malade Il rentre dans la catégorie de ceux que Morel a, le premier, appelé « des dégénérés » et dont MM. Charcot et Magnan ont si bien fait l'histoire en 1882-83 dans les Archives de neurologie. Chez ces malades, issus de parents névropaliques ou aliénés, la tare héréditaire se révèle par les plus singulières anomalies, anomalies dont les perversions ou les inversions sexuelles ne sont qu'un élément, parfois qu'un épisode. Il importe donc de bien persuader la justice que ces individus sont absolument incapables de résister à des obsessions pathologiques, à des sollicitations instinctives ; qu'il y a chez eux de- accalmies de durée variable, parfois même un commencement de lutte contre l'entraînement à commettre un acte que la conscience juge encore, mais la fatalité morbide est plus puissante et l'obsédé sera toujours vaincu.
Les exemples de cas analogues à celui de X .. sont assez peu nombreux. Il en existe cependant quelques-uns qui ont été étudiés et analysés avec soin. Le plus connu est celui de cet homme, d'une intelligence distinguée, d'une vaste érudition, que la vue des clous piqués sur la semelle d'une chaussure de femme, que le contact de ces clous mettaient hors de lui. amenant des spasmes voluptueux et l'éjaculation, même sans masturbation. Tel encore le cas de ce malade qu'une longue suite d'aventures ont finalement conduit à Sainte-Anne, qui volait des tabliers blancs pour se masturber après les avoir attachés à sa ceinture et qui, pour se les procurer, n'hésitait pas à courir les plus grands dangers. Tous ces cas rentrent dans ce que l'on désignait autrefois sous le nom « monomanie instinctive ». Des études plus approfondies permettent aujourd'hui de les rattacher au groupe des folies héréditaires. Notre malade X... est
un type des plus complets dans ce genre. Il n'est pas punissable, mais la société a le droit de se protéger et de se défendre. Nous avons donc émis l'avis qu'il devait être placé dans un asile d'aliénés. C'est ce qui a eu lieu. Il est à Sainte-Anne, dans le service de notre collègue M. Magnan.
M. Guillot (¡ugc d'instruction). — . A côté des malades du genre de celui dont M. Motet vient de nous tracer la très intéressaute histoire, il convient de distinguer des farceurs, des gredins lubriques qui commettent, en parfaite connaissance de cause, des actes parfaitement répréhensibles et punissables. Ils commencent par des choses sans grande importance, puis, ils avancent progres-sivement dans une voie où ils trouvent la satisfaction des plus mauvais instincts.
M. Magnan. — Les vrais malades, eux. ne suivent pas, dans la perpétration des actes dont il s'agit, la progression dont parle notre collègue M. Guillot. L'obession leur vienttout d'un coup et elle est toujours la même, elle a toujours le même caractère.
Quant au sujet dont vient de nous parler M. Motet, il va beaucoup mieux depuis son séjour à Sainte-Anne. Il est possible que je le laisse bientôt sortir de l'asile, où la vie tranquille, l'isolement ont sur ces malades une influence généralement très heureuse. On peut même espérer qu'il laissera désormais tranquilles, au moins pendant quelques années, les chevelures des femmes et des jeunes filles.
C'est ainsi qu'une amélioration durable s'est produite chez le malade que nous avons observé avec M. Charcol et qui offrait une inversion du sens génital. Depuis qu'il a été remis en liberté, il s'est marié: il va très bien, et il ne manque jamais, chaque année, de me remercier des soins que je lui avais donnés et de faire dans sa lettre une allusion toujours un peu attristée aux actes qui avaient motivé son internement.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Statistique internationale sur l'application de l'hypnotisme
I.es recherches, auxquelles les questions suivantes se rattachent, tendent à établir par une statistique comparative les résultats positifs et négatifs, obtenus dans l'application de la thérapeutique suggestive. Cette statistique portera sur les quatre points suivants: (a) La proportion des personnes qui sont sensibles à l'influence hypnotique.
(b) L'impressionabilité hypnotique relative à l'âge, au sexe, à la constitution physique et psychique, par rapport aux divers procédés appliques.
(c) Les degrés d'influence hypnotique dans lesquels sont susceptibles d'être plongés les divers individus.
(d) La valeur de la suggestion hypnotique comme moyen thérapeutique par le nombre des succès et des insuccès, par la durée et la fixité des guéri-sons, par les améliorations, etc.
Cette enquête est très importante parce que les savants, ont des opinions opposées sur les divers-.questions précédentes. C'est pourquoi M. le Dr Schrenck Notzing.de Munich, adresse aux médecins, qui appliquent l'hypnose comme moyen thérapeutique ou dans un autre but scientifique, un questionnaire qu'il leur demande de remplir complètement ou partiellement avec toute la précision désirable. Le compte rendu, qui résumera l'ensemble
des matériaux recueillis et mis en ordre sera envoyé a tous les médecins qui auront la bonté de mettre à sa disposition leurs notes ou leurs travaux d'ensemble déjà publiés sur les questions demandées. — M. Schrenck-Notzing demande d'employer dans l'appréciation du degré d'influence hypnotique la classification des trois degrés suivants du sommeil provoqué, qui suffisent à indiquer le résultat obtenu.
I. — Sommeil léger. — Sentiment de fatigue- La volonté du sujet n'est pas abolie ou est un peu modifiée. L'impossibilité ou la difficulté d'ouvrir les yeu\ existe souvent. Le sujet réveillé se souvient de ce qui s'est passé dans l'hypnose et n'a pas eu la sensation de dormir.
II — Sommeil profond — La volonté du sujet est supprimée complètement ou partiellement. Les yeux sont le plus souvent clos, parfois ouverts. L'amnésie est complète ou incomplète après le réveil. Le dormeur reconnaît au réveil d'avoir eu plus ou moins la sensation de dormir.
III. — Somnambilisme. — Amnésie complète après réveil avec possibilité de réaliser des hallucinations et des autres suggestions hypnotiques et post-hypnotique s.
Notre confrère demande en outre d'indiquer les méthodes d'hypnotisation dans les réponses par les signes suivants :
(a) Méthode de Braid et de Charcot. Moyens physiques. Impression sensorielle vive (lumière, son etc.) Fixation d'un objet brillant. Pression ou friction des régions déterminés du corps (zones hypnogènes). Monotonie des impressions sensorielles, etc.
(b) Méthode de Liébeault et de Bernheim. — Suggestion. — La méthode de Nancy.
(c) Méthode combinée. Méthode jointe à suggestion employée systématiquement.
On peut demander des circulaires imprimées au dr baron de Schrenck-Notzing, médecin a Munich (Bavière), Herzog Wilhelms) rasse, 39.
Le somnambulisme devant l'Eglise.
Les attaques dirigées contre l'hypnotisme avec autant d'incompètence que de parti pris dans quelques journaux religieux ont provoque la réponse ci-jointe qui vient trop à point pour que nous ne nous fassions pas un devoir de l'insérer:
« Monsieur te directeur,
» L'excellent article que vous avez publié sous ce litre : Le somaambulisme devant l'Eglise, déplait au Dr Guermonprez qui essaye, aujourd'hui, de le réfuter dans le Monde. Le professeur de l'Université catholique de Lille continue sa malheureuse campagne; il affirme. et il prêtent prouver que l'hypnotisme est mauvais en lui même, diabolique, immoral, quelles que soient les qualités, l'honorabilité, la vertu de celui qui le pratique ; il appelle de ses vœux une condamnation qui fasse écho a la condamnation isolée que l'on a entendue ailleurs, et les lecteurs du Monde doivent être bien certains aujourd'hui que votre docteur en théologie est en défaut et qu'il a mal interprété la réponse de ta Sacre-Pénitencerie.
» Tout ceci est fort grave: et ces exagérations déplorables nous livrent a la risée des savants si nombreux, si considérables qui, aujourd nui. dans le monde entier, s'occupent de l'hypnotisme et ce ses effets thérapeutiques.
» Cette année même, plus de trois cents savants réunis à l'Hôtel-Dieu, tous la présidence de M. le docteur Dumontpallier, ont étudié à fond la question de l'hypnotisme. Le docteur Guermonprez s'y trouvait: il avait à une excellente occasion d'exprimer ses pensées et de flétrir l'hypnotisme. Loin de la, M. Guermonprez a prononcé un discours ; il a eu soin de le faire imprimer, plus tard, à Lille, avec le calme et la réflexion, et, après avoir juste-
REVUE DE L'HYPNOTISME
ment signalé le danger des séances publiques de magnétisme, il a conclu ainsi :
« Nous sommes désormais avec M. le professeur Pitres, avec M. Pierre
» Janet. avec b en d'autres encore et surtout avee ce maître éminent qui est » l'illustre professeur Charcot. avec tous ceux qui se font un devoir de ne » jamais pratiquer l'hypnotisme A l'aventure, de le réserver pour des sujets
» compromis par l'hystérie, la folie, l'état vicieux ou dégénéré.
» Nous sommes avec ces hommes distingués, qui reçoivent les épaves
» accumulées .prés les troublantes et désolantes séances publiques d'hypno-
» tisme(1).
» Mais, si l'hypnotisme est chargé de tant d'iniquités en lui-même, s'il est immoral, diabolique, etc.. je ne sais plus en vertu de quels arguments .e Dr Guermonprez justifiera la pratique du Dr Charcot, qu'il appelle un maître éminent. »
«J'ajoute que le congres de l'hypnotisme s'est terminé par une agape fraternelle, et que le Dr Masoin. professeur de l'Université catholique de Lou-vain, et délégué de l'Académie de médecine de Bruxelles, a porté un toast très applaudi. au nom des savants étrangers.
» Le Monde qui publie avec tant de complaisance des attaques excessives contre l'hypnotisme, devrait bien pub ier avec vous cette nécessaire application : mais c'est peut-être trop attendre de son impartialité.
» Je vous prie, monsieur le directeur, dé vouloir bien insérer cette lettre dans votre journal, afin d'éclairer les sectaires et de ne pas laisser dévier le débat, et d'agréer l'expression de mes sentiments les plus distingués. »
Paul DU PIN.
Une rectification à propos du Congrès de l'Hypnotisme
M. le Dr Forel. de Zurich, nous adresse le texte exact des paroles qu'il a prononcées au banquet du Congrès. Nous nous empressons de réparer une erreur involontairement commise:
Monsieur le Rédacteur,
« A la page 120 de la Revue de l'Hypnotisme, (1er Octobre 1889), vous mettez « dans ma bouche des paroles que je n'ai point prononcées. Il y a évidemment
» confusion avec un autre orateur. J'ai dit simplement ceci: La Suisse profite « avantageusement de sa situation entre quatre grands pays de langues et de « civilisations diverses.
« Pressentant leurs contre-coups et leurs influences, elle les utilise en les « adaptant A son génie propre. C'est du choc des idées que jaillit la lumière.
» Les congrès internationaux offrent un phénomène analogue et c'est A eux, « A leurs progrès dans l'avenir que je porte mon toast. »
Questions à résoudre
Un de nos correspondants d'Angleterre, M. le docteur Lloyd Tuckey médecin aussi compétent que distingué, nous adresse la lettre suivante sur laquelle nous appelons l'attention de nos collaborateurs:
Monsieur le Directeur.
Je crois avoir l'honneur d'être le premier qui ait appelé l'attention du public anglais sur la méthode thérapeutique de l'École de Nancy, par un article dans The Nineteenth Century, de Décembre. 1888. — Cet article a été la cause première d'une longue discussion pour et contre dans les journaux anglais, et beaucoup de questions ont été soulevées a ce propos.
(1) Comptes rendus du Congrès internationale de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique, tenu à Paris, du 8 au 12 août 1889
Arguments présentés par le Dr Guermonsprez, page 274.
Comme il y a déjà longtemps que je suis adonne A l'étude des phénomènes de l'hypnotisme, je fais appel A votre bienveillance pour m'aider à élucider
qurlques-uns des points non Élucides. Les Anglais ont une peur extraordinaire e tout ce qui est nouveau, surtout de ce qu'ils ne comprennent pas, et ils semblent croire que Ici dangers qui résulteraient de l'application générale de l'hypnotisme, surpasseraient de beaucoup les avantages que l'on pourrait jamais en retirer. Ils craignent que des personnes sans principes ne servent de l'influence acquise par son moyen pour commettre des outrages et des crimes-Dans un livre que je viens d'écrire A ce sujet, j'ai démontré qu'il y a eu bien peu de cas sur le continent ou l'on s'était servi de l'hypnotisme dans un but immoral, et j'ai rappelé l'opinion de M. le professeur Bernheim. qui affirme que lors même un crime serait commis sous l'influence du somnambulisme hypnotique, il serait facile d'en découvrir l'auteur en ré-hypnotisant le sujet et en lui faisant divulguer le secret dans l'état de somnambulisme.
Toutefois un critique, dans le Saturday Revue, fait observer que le Dr Bernheim dit dans son ouvrage qu'il lui est possible de garantir ses sujets sensibles contre l'hypnotisition par d'autres personnes que lui-même et ceux qu'il lui plan de choisir, et que par conséquent le criminel n'aurait qu'à défendre au sujet de se laisser hypnotiser par qui que ce toit pour que la suggestion devint impossible.
Y a-t-il une réponse A faire A cette dernière assertion du Dr Bernheim? Je vous serais bien reconnaissant si vous aviez la bonté de me l'indiquer. — Le même critique énonce plusieurs opinions exagérées que )e crois avoir réfutées avec succès. Il prétend que l'administration préalable d'un peu de chloroforme rendrait toute personne susceptible A l'hypnotisme et A la suggestion. En a-t-on fait l'expérience? Un de vos savants lecteurs aurait-il l'obligeance de répondre A ces questions?
Recevez, Monsieur le directeur, l'assurance de ma considération distinguée et de ma haute estime.
Votre tout dévoué, Dr Lloyd TuCKEY (de Londres).
Nous accueillerons avec plaisir les réponses aux questions que posera notre confrère anglais.
Méfaits de magnétiseurs.
Si nous le voulions, il ne se passerait pas de mois où nous ne pourrions signaler quelque nouveau méfait dû aux entrepreneurs d'exhibitions publiques d'hypnotisme.
Récemment, M. Arthur Tooth, de Croydon, écrivait au St-James Gazette de Londres, qu'un magnétiseur de profession nommé Milo de Meyer, ayant, dans une séance publique, suggéré a un sujet hypnotisé de voler une montre, ce sujet s'approcha de son propre frère pour exécuter la suggestion. Mais ce dernier ayant voulu s'opposer A l'exécution de cet acte, le sujet le blessa grièvement d'un coup porté A la tète, prit la montre et tomba lui-même dans une violente attaque de nerfs.
M Tooth protestait avec raison contre l'immoralité d'un tel spectacle.
Ce qui précède nous fournit l'occasion de donner A plusieurs de nos lecteurs quelques renseignements sur une prétendue société scientifique qui se serait créée A Londres pour l'étude de l'Hypnotisme. Beaucoup de savants français avaient été sollicités par une lettre circulaire, d'accepter le titre de membres honoraires de cette société.
Nous avons écrit A ce sujet A plusieurs de nos correspondants les plus autorisés de l'Angleterre et nous avons appris avec surprise que la société en formation n'avait de scient tique que le nom, et qu'elle était créée sous l'inspiration de plusieurs magnétiseurs forains, en particulier de M. Milo de Meyer.
Nous engageons nos collaborateurs et nos lecteurs à se défier de toutes les propositions analogues qui pourraient leur être faites par des instituts d'allure suspecte. En particulier. ils feront bien de se garder de répondre aux demandes de subventions qu'un institut magnétique espagnol, placé sous le haut patronnage de l'Empereur d'Allemagne (?) et de M. Carnot. président de la République française (?) et de Sa Majesté la reine Victoria ;haute protectrice de l'oeuvre) (?), etc., ne cesse d'adresser a un certain nombre de nos compatriotes.
Etant donné que l'application de le thérapeutique suggestive peut se faire à peu de frais et que surtout le fluide magnétique ne coûte rien a ceux qui s'en prétendent les détenteurs, nous nous demandons avec étonnement A quelle nécessité philanthropique répondent ces demandes de secours.
L'Espagne ne serait-elle plus assez riche pour payer sa gloire ?
Hypnotisme et ménageries
Nous trouvons dans le Bulletin médical, cette appréciation humouris-tique, au sujet d'un incident dont la presse parisienne s'est occupée pendant quelques jours:
« Cela devait arriver.
L'hypnotisme a fini par tomber peu à peu jusqu'aux cirques forains- Pour corser son spectacle. un dompteur a eu l'idée de placer une jeune fille en état de sommeil hypnotique dans la cage où évoluaient ses fauves. Or, l'un deux, un lion, dans un moment d'oubli, sans doute — qui n'en a pas? — s'est précipité sur la jeune fille et a failli la dévorer. Elle en sera quitte, d'après les journaux locaux, avec une amputation de cuisse!
Le fait s'est passé A Béziers et on dit qu'après une enquête sur ce triste incident. M.. le ministre de l'Intérieur prendrait des mesures sérieuses contre les pratiques extra-médicales de l'hypnotisme.
S il en est ainsi, ce lion de ménagerie aura eu beaucoup plus d'influence auprès de l'administration supérieure que nos journaux de médecine, que nos Sociétés de médecine, que les neuro-pathologîstes les plus éminents, ceux auxquels on doit les meilleurs travaux sur l'hypnotisme.
Nous adressons donc A cet animal, malgré l'humiliation qu'il aura infligée au corps médical, nos bien sincères félicitations. »
Concours relatif à l'Hypnotisme
L'institut des sciences de Milan ayant établi un concours international pour le meilleur travail original sur la question de l'hypnotisme, nous sommes heureux d'apprendre que le jury, a décerné le prix d'une valeur de 2, ooo francs, au mémoire écrit en français de MM, les docteurs de Grand-champs et Régnier, anciens internes des hôpitaux de Paris.
Nous avions annoncé ce concours l'année dernière, dans la Revue de l'Hypno-tisme. Le sujet était : Histoire de l'Hypnotisme. Etude critique de tous les documents qui s'y rattachent. Observations personnelles. Le mémoire couronné portait pour épigraphe : SCIENTIA COMMUNID.sapientum pATRIA.
Nous adressons à MM. de Grandchamps et Régnier nos sincères félicitations.
Nouvelle réglementation du mariage.
La Chambre législative de l'Etat de Kentuky vient d'être saisie par un député d'un projet de loi tendant à interdir le mariage à tout individu idiot, aliéné, indigent, mendiant, vagabond, ivrogne, joueur de profession, condamné A la prison pour vol ou pour crime, ainsi qu'A tout individu rendu par sa constitution physique incapable de remplir convenablement les devoirs
conjugaux. Cette interdiction devrait mime être étendue, d'après le projet en question â toute personne douée d'un caractère violent ou qui dans l'espace d'une année aurait été convaincue d'être entrée d-ns une maison de prostitution.
Il est probable que ce projet n'a aucune chance d'être pris en considération. Il n'en serait pas moins intéressant de connaître les considérants sur lesquels s'est appuyé l'auteur de cet original projet de loi.
NÉCROLOGIE
Le docteur Puel
Un praticien aussi modeste que méritant, le docteur Puel, vient de succomber à Tige de 77 ans.
Un remarquable mémoire de lui, sur ta Catalepsie, fut couronné, il y a quarante ans, par l'Académie dé médecine. Pue! s'était toujours préoccupé des problèmes que soulevé l'étude de l'hypnotisme et il avait fondé une Revue de psychologie expérimentale.
Malheureusement, Puel, comme tant d'autres esprits distingués, ne sut pas se garder de certaines idées métaphysiques incompatibles avec les recherches scientifiques et son autorité en diminua d'autant.
Maigri son grand âge, il prit encore l'année dernière une part assidue aux travaux du Congrès de l'Hypnotisme, il y reçut de nombreuses marques de sympathie dont il se montra fort touché.
Le Dr Puel fut un honnête homme dans toute l'acception du mot ; après avoir exercé la médecine à Paris pendant plus de cinquante ans, il est mort pauvre.
Dr E. B.
NOUVELLES
— DISTINCTIONS HONORIFIQUES. — Deux des collaborateurs de U Revue de l'hypnotisme. MM. les Drs Buot, de Rochefort. et Edgar Bérillon. rédacteur en chef. viennent de recevoir les palmes d'Officier d'Académie.
— morphenomanie.— Un des savants les plus connus de Berlin. le professeur Westfalen. vient d'être interné dans une mission de santé. Il est devenu fou à la suite de trop nombreuses piqûres de morphine. .
Ce -loi rend la nouvelle pirticulièrement curieuse, c'est que M. Westfalen avait à Berlin la chaire des maladies nerveuses et avait perdant trois semestres étudié la morphinomanie.
— Cours et conférences. — M. Gilbet Ballet, professeur agrègé, a repris ses conférences sur la pathologie mentale et les maladies de l'encéphale, a la Faculté de Médecine, les mardis, jeudis et samedis, à quatre heures.
— Cours libre — Clinique des maladies nerveuses, 55. rue Saint-André-des-Arts. M. le docteur Bérillon fait tous les samedis, a 10 heure« 1/2 une leçon clinique sur les applications de l'hypnotisme et de suggestion à 1a thérapeutique et à la pédiatrie.
Les consultations gratuites ont lieu les mardis, jeudi», samedis de dix heures à midi. Les médecins et les étudiants en médecine peuvent y assister.
— UN MUSÉE PSYCHOLOGIQUE — M. le docteur Mantegazza vient d'instituer à Florence an Musée psychologique destiné à recueillit « tous les objets pouvant servir à l'étude des passions, »
— Peix. _ L'Académie de médecine de Belgique vient de partager le prix de 8,ooo francs qu'elle avait destiné au meilleur mémoire sur l'épilepsie, ex aquo entre un de nos confrères américains et M, le docteur J. Christian, médecin de 1a maison nationale de Charenton. Nous adressons à ce dernier nos félicitations.
BIBLIOGRAPHIE
papus. - LE TAROT DES BOHEMIENS. g. Carré. Paris 1889.
« Nous sommes a la veille d'une transformation totale de nos méthodes scientifiques, dit Papus. Le matérialisme a donné tout ce qu'on pouvait attendre de lui, et les chercheurs désabuses pour la plupart, attendent beaucoup de l'avenir, sans vouloir s'attarder plus longtemps sur les errements du présent. L'analyse a été poussée, dans toutes tes branches de nos connaissances, aussi loin que possible et n'a fait que creuser davantage tes fossés qui séparent les sciences. » L'auteur en conclut que c'est vers les sciences occultes que nous devons tourner nos regards.
Le peuple chargé de transmettre dés la plus haute antiquité L'enseignement occulte, continue l'auteur, c'est le peuple Bohémien. « Les Bohémiens possè-dent une Bible ;cettc Bible les fait vivre car clic leur permet de tirer la bonne aventure ; cette Bible est une cause de distraction, car elle leur permet de jouer.
« Oui. ce jeu de carte nommé Tarot que possèdeot les Bohémiens, est la Bible des Bibles. C'est le livre de Tot Hermès Trismégiste. c'est le livre d'Adam, c'est le livre de la Révélation primitive des anciennes civilisations.
« C'est grâce au Tarot que nous allons pouvoir retrouver et développer cette loi synthétique cachée dans tous les symbolismes : « l'heure approche où la parole perdue sera retrouvée; Maîtres, Rosecroix et Kadosches. vous qui formez le triangle sacré de l'initiation maçonnique, souvenez-vous! »
Je ne suivrai point l'auteur dans ses développements sur le sens cabalistique du mot sacré Iod-hé-voo-hé. sur la signification symbolique des arcanes majeures et des arcanes mineures qui composent les lames du Tarot, sur eurs combinaisons mystérieuses. Je ne chercherai même point a tirer les cartes avec le Tarot. L'auteur nous prévient d'avance au début de son livre qu'il faut être initié pour comprendre. Or je ne suis point initié.
II.
Dr J. gouzes. — LE PROBLÈME DE LA VIE ET LES FONCTIONS DU CERVELET Dans la bibliothèques ds actualités médicales et scientifiques- o. Doin. Paris 1889.
Malgré le sujet un peu ardu de cette étude, le livre du docteur Gouzer est des plus intéressants, car il touche à un problème physiologique et psychologique de la plus haute importance.
L'auteur recherche l'origine de la force qui met en jeu l'Irritabilité primordiale en dehors d'une excitation de la substance organisée, ou en dehors de la circulation. De déductions en déductions, il en est amené à reconnaître que son foyer producteur n'est autre que la peau.
Pour lui, le cervelet est l'organe régulateur central du tonus des éléments organiques acti s. Et la cause qui donne naissance au tonus musculaire engendre aussi le tonus nerveux de l'axe spinal, du grand sympathique et de son domaine. Mais le cerveau échappe a peu près complètement à cette influence.
Pour le Dr Gouzer. le tonus nerveux existe dans les conditions habituelles de la vie et il est produit par l'action de l'air sur notre surface cutanée normale. Et il ajoute : « Je crois pouvoir déclarer presque avec la conviction d'une certitude absolue, dût-on trouver mes preuves insuffisantes, que c'est le Mimétisme terrestre tendant a s'écarter de la surface du globe et se densifiant du coté où le soleil fait sentir son attraction, qui est la cause principale, habituelle, sinon unique de l'éveil cérébral, c'est-à-dire de son excitabilité parfaite, de sa conscience, de son tonus ; ce qui semble tout un. »
Dr Emile LAURENT.
L'Administrateur-Gérant: Émile BOURtOT
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REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THERAPEUTIQUE
L'HYPNOTISME ET LA MEDECINE MILITAIRE
Nous avons eu souvent l'occasion de constater, comme bien d'autres, qu'il régnait dans le public, une réelle prévention à l'égard de la valeur mé dicale des médecins militaires. Qui de nous n'a entendu formuler d'une façon un peu triviale.par quelque soldat récemment libéré du service, cette appréciation sur tel ou tel médecin major : « Je ne lui donnerais même pas mon chien à soigner. »
Nous nous demandions sur quoi pouvait reposer cette prévention, car l'armée possède actuellement un grand nombre de jeunes médecins aussi instruits que disposés à faire leur devoir.
Une récente circulaire ministérielle vient de nous donner de ce fait une explication inattendue. En voici la teneur exacte : « L'hypnotisme pouvant, de l'aveu même de ceux qui le préconisent, faire courir des dangers aux malades qui y sont soumis, j'ai l'honneur de vous informer que j'en interdis, d'une manière absolue, la pratique dans l'armée. Vous voudrez bien prescrire à M. le directeur du service de santé de veiller à ce qu'aucun médecin militaire n'y ait recours, pour quelque motif que ce soit. Jusqu'à nouvel ordre. — Signé : C. de Freycinet.
La lecture de cette circulaire évoque naturellement à l'esprit le souvenir de quelques-unes des gaffes célèbres de ce siècle : Napoléon 1er considérant la navigation à vapeur comme une utopie; Arago, s'effrayant à l'idée des dangers d'asphyxie que feraient courir aux voyageurs les trains passant sous les tunnels; Thiers, montant â la tribune pour s'opposer à la création des chemins de fer, bons tout au plus, selon lui, à servir d'amusement aux parisiens; Bouillaud, persistant à ne voir dans le phonographe que la mystification d'un habile ventriloque; enfin l'aimable M. Roger, de l'Académie de médecine, contestant avec opiniâtreté la réalité des phénomènes de l'hypnotisme, etc.
La circulaire inspirée par le directeur de la santé militaire, car la personnalité du ministre de la guerre reste absolument étrangère a ce débat médical, vient continuer agréablement la série. Il est regrettable que les bureaux du ministère aient refusé de nous faire connaître le nom de cet intelligent adversaire de l'hypnotisme. Il serait vraiment dommage que nous n'eussions pas, quelque jour,le plaisirde le transmettre à la postérité.
Les rigueurs ministérielles ne devaient pas s'en tenir la. Le mi-
nistre de la marine, renchérissant sur l'exemple donné par son collègue de la guerre, a cru devoir devoir aussi interdire formellement la pratique de l'hypnotisme aux médecins de la marine. Il est même allé plus loin, et il défend à nos malheureux confrères de s'en occuper, soit au point de vue théorique, soit au point de vue curatif. Ce qui revient a dire que non-seulement les médecins de la marine n'auront plus le droit d'avoir une opinion personnelle sur l'hypnotisme, mais qu'ils auront encore moins le droit de l'exprimer.
Pour ceux qui connaissent l'organisation du service de santé militaire, les circulaires ministérielles ont un caractère beaucoup plus grave qu'on le croirait au premier abord. Elles visent surtout les médecins en chef des hôpitaux militaires. Que les médecins régimentaires qui, en dehors de la chirurgie, ont plutôt, en général, à se préoccuper du diagnostic que du traitement des affections internes, soient invités à laisser la pratique de l'hypnotisme à leurs collègues des hôpitaux, cela pourrait à la rigueur se concevoir. Mais que des médecins dont les services reçoivent fréquemment des malades atteints d'affections nerveuses, n'aient pas le droit de se servir du procédé thérapeutique le plus efficace contre certaines de ces affections, c'est à la lois illogique et injurieux pour lecaractère de ces médecins.
D'autant plus, comme cela nous a été répondu au ministère de la guerre, qu'aucun acte, qu'aucun accident survenu dans les hôpitaux militaires n'est venu justifier cette mesure.
En réalité, il ne faut voir dans ces circulaires qu'une manifestation de l'ignorance, de l'esprit de routine, du régime du bon plaisir dont les administrations nous donnent si souvent de regrettables exemples.
Il faut être évidemment ignorant des récents progrès réalisés dans le domaine de l'hypnotisme pour avoir eu seulement l'idée de rédiger des circulaires conçues dans un tel esprit. Les mêmes hommes, qui, hier encore, niaient la réalité de l'hypnotisme, le trouvent aujourd'hui trop dangereux. Comment concilier ces deux opinions successives et contradictoires?
L'hypnotisme dangereux! Ce n'est pas à leur compétence qu'ils doivent cette certitude. Leur opinion ne repose. le texte de la circulaire en fait foi, que sur des racontars. Ont-ils consulté les professeurs compétents? Ils s'en seraient bien gardés. Est-ce que les galons ne tiennent pas Heu de toute science et de toute compétence? Si la cause de l'introduction de l'emploi de l'hypnotisme réside réellement dans les dangers que cette méthode peut faire courir aux malades qui y sont soumis, que n'interdisent-ils point la chloroformisation, l'éthérisation. les injections hypodermiques de morphine, de cocaine, l'administration de l'opium, de la digitaline, du salycilate de soude, et de tous les médicaments dont s'est enrichie la chimiâtrie moderne. A-t-on jamais signalé un cas de mort dû à l'hypnotisme? On ne peut malheureusement en dire autant de toutes les médications que nous venons d'énumérer!
11 n'existe pas, dans tout l'arsenal thérapeutique, nous ne craignons pas de l'affirmer hautement, de procédé plus inoffensif, entre les mains des médecins compétents, que la suggestion hypnotique. MM. Charcot, Du-montpallier, Bernheim, Beaunis, Liébeault, Azam, Grasset, Mesnet.Pitres, Gilbert Ballet, Voisin, Charles Richet, Briand, etc., pour ne parler que des
médecins français qui ont expérimenté l'hypnotisme et la suggestion comme agent thérapeutique et qui en ont formulé d'utiles indications, n'ont jamais reconnu que cette médication comportât des dangers spéciaux? Il est tort heureux pour les médecins éminents que nous-venons de citer, qu'ils n'aient pas appartenu a la médecine militaire, ils seraient condamnés a attendre que le bon plaisir ministériel leur permît de soigner leurs malades comme ils le jugent rationnel.
Il vient d'être démontré, une fois de plus, que ce qui est bon pour les civils ne l'est plus pour les militaires. Tandis que le médecin d'un hôpital civil a le droit de recourir à la suggestion pour guérir promptement. soit une incontinence nocturne d'urine, soit une insomnie rebelle, soit une névralgie ou bien encore quelque symptôme de l'hystérie; dans les mêmes circonstances, le médecin d'hôpital militaire, lui, doit rester indifférent et impuissant. Lorsqu'il n'aurait, souvent, qu'à fermer les yeux d'un malheureux en proie à de violentes crises d'hystérie et à lui faire une suggestion pour calmer l'attaque et en empêcher le retour, il doit assister impassible à tout le cycle des accidents convulsifs. La modeste pilule mica partis, inoffensive intermédiaire d'une efficace suggestion sera désormais impitoyablement rayée du répertoire de pharmacie militaire.
Aujourd'hui l'hypnotisme et la suggestion ont fait leurs preuves. Leur valeur thérapeutique n'a plus besoin d'être démontrée. Il n'est au pouvoir d'aucune circulaire ministérielle d'empêcher les hommes instruits que renferme le corps de santé militaire, et ils sont nombreux, de se tenir au courant des progrès de l'art de guérir. Nous sommes convaincus, au con-traire.que désormais l'hypnotisme aura pour eux l'attrait du fruit défendu et qu'ils voudront savoir à quoi s'en tenir sur cette science à laquelle on voudrait les empêcher même de penser.
La discussion de la circulaire ministérielle pourrait nous entraîner dans des considérations d'un ordre plus élevé. On peut, en effet, se demander si, au point de vue humanitaire, le ministre a le droit d'interdire au médecin d'appliquer au malade qui s'y soumet librement, le traitement qu'il juge le plus propre à le guérir. Il est facile de démontrer.sans grandes arguties qu'un médecin n'a pas plus le droit de laisser couler le sang d'un blessé,lorsqu'il peut faire la ligature de l'artère, qu'il n'a celui de le laisser en proie à une attaque convulsive ou à une douleur violente,lorsqu'il petit le calmer par une simple suggestion.
Aurons-nous l'ennui de voir infliger trente jours d'arrêts de rigueur à un médecin militaire dont le seul crime serait de savoir mieux son métier qu'un autre ? Nous ne croyons pas qu'on puisse aller jusque-là. C'est déjà assez qu'au lieu de dire à nos confrères: «travaillez sans relâche, continuez à vous instruire, tenez-vous au courant des progrès de la science » une circulaire intempestive vienne leur donner des instructions qu'on peut ainsi très légitimement traduire: «Désintéressez-vous de l'art de guérir; encroûtez-vous ! »
Il y a deux jours, un prédicateur éminent, le Père Lemoigne, de la compagnie de Jésus, traitant, avec l'assentiment de l'archevêque de Paris, la question de l'hypnotisme médical, laissait tomber, du haut de la chaire de l'église St-Merry, en présence d'une assistance considérable, les paroles suivantes, qui doivent être retenues :
« Hypnotiser quelqu'un pour lui éviter les souffrances d'une opération douloureuse. l'Eglise le permet ! »
« Employer l'hypnotisme et la suggestion pour faire marcher un malade qui croit avoir perdu !a possibilité de le faire, l'employer pour permettre à ce malade de manger, de recouvrer la parole momentanément perdue, l'Eglise le permet ! »
« Hypnotiser un malade pour lui procurer le repos réparateur que donne le sommeil, l'Eglise le permet ! »
« Hypnotiser un malade pour le soulager ou le guérir de ses maux ; l'hypnotiser pour empêcher le retour des crises nerveuses, qu'on rencontre si fréquemment chez les femmes et même parfois chez les hommes, l'Eglise le permet! »
Eh bien! ce que l'Eglise permet. M. le ministre de la Guerre, moins libéral, croit devoir l'interdire.
Nous souhaitons que le principal résultat de sa dernière circulaire ne soit de provoquer, tôt ou tard, la démission de quelques-uns de ses meilleurs serviteurs justement froissés de ne pouvoir, comme leurs confrères civils, faire bénéficier les malades confiés à leurs soins, d'un procédé thérapeutique dont la valeur et les indications deviennent de jour en jour plus formelles et mieux définies.
Un de nos confrères de la presse parisienne chez lequel nous sommes habitués à rencontrer d'ordinaire plus de précision de l'esprit, a dit, à ce sujet, que critiquer la circulaire ministérielle se serait porter atteinte à la discipline. Qu'il nous permette de n'être pas de son avis. S'il en est qui s'exposent à faire tort à la discipline, ce sont ceux-la seuls qui, sans motif plausible, s'ingénient à prendre des mesures bien faites pour diminuer leur autorité morale et scientifique aux yeux de leurs subordonnés.
Quant à nous, nous continuerons cette campagne jusqu'à ce que le ministre de la guerre, mieux renseigné, revienne sur la malencontreuse décision qu'on lui a fait prendre.
Dr Edg. Bérillox.
LES SUGGESTIONS CRIMINELLES
Leçons professées a la Faculté de Nancy, par M. le professeur BERNHEIM
Les expériences auxquelles vous avez assisté, soulèvent les questions les plus graves que l'homme puisse se poser! Libre arbitre, responsabilité, tels sont les problèmes qui se dressent devant nous! Nous sommes tous suggestibles dans une certaine mesure. Notre raison, dont nous sommes si fiers, nous abandonne parfois. Les mauvaises pensées s'insinuent alors comme par effraction dans notre imagination dépourvue de contrôle, et la pensée tend à devenir acte. Jusqu'à quel point pouvons-nous résister à cette tendance ? Et ne peut-elle s'imposer fatalement à notre être, la loi de l'automatisme idéo-moteur ou idéo-dynamique qui
transforme l'idée en acte et arme notre bras? Des crimes peuvent-ils être commis par suggestion?
A cette question, l'Ecole de Nancy répond par l'affirmative. MM. Lié-beault. Liégeois. Bcaunis disent, comme moi. que certains somnambules peuvent, sous l'influence de la suggestion, soit pendant le sommeil, soit après le réveil, accomplir avec docilité l'ordre qui leur a été donné : on les transforme en voleurs, en faussaires, en assassins. Les nombreuses expériences de mon collègue et ami Liégeois semblent devoir entraîner la conviction.
L'École de Paris, à sa tète mon éminent maître Charcot, MM. Brouardel. Gilles de la Tourette répondent par la négative. M. Delbœuf. de Liège, qui partage nos autres idées sur l'hypnotisme et la suggestion, est.pour cette question, de l'opinion professée à Paris. MM. Dumontpallier et Bérillon sont de notre avis. On voit combien les esprits sont divisés sur cette question fondamentale qui n'est pas encore résolue, il faut le dire, et on en conçoit la raison, par une expérience décisive.
On a dit : Les somnambules ne réalisent que les suggestions qui leur sont agréables. Une femme ne se laissera violer en état de somnambulisme que si elle veut bien ne pas résister. Si son sens moral est naturellement faible, elle se bissera faire une douce violence. Les crimes que nous faisons commettre aux sujets sont des crimes de laboratoires : Voilà une jeune fille à laquelle vous donnez un poison fictif qu'elle verse dans un verre et qu'elle fait boire à sa mère. Elle vous obéit parce qu'elle sait que c'est une expérience, que c'est vous qui agissez par elle et que votre intention n'est pas d'empoisonner sa mère. Voilà un homme auquel vous donnez un couteau de papier pour tuer son voisin. Il sait que ce couteau est une arme inoffensive et il l'aplatit sans crainte sur la poitrine de son adversaire. Il sait que le pistolet qu'il va décharger ne contient pas de balle. Sa confiance en vous le rend docile à la suggestion. II se sait en représentation, il joue de bonne foi la comédie que vous lui imposez !
Cela est vrai pour certains somnambules. Ils jouent leur rôle sans conviction. Ainsi en est-il, parfois.dans le rêve naturel. Nous savons que nous rêvons. Ou bien sans le savoir précisément, nous rêvons d'une façon passive : notre ancienne conscience subsiste à côté de la nouvelle. On subit les actes les plus terrifiants, on est en plein naufrage, on est condamné à mort, on monte à l'échafaud. on voit tuer ses parents et amis les plus chers, et cela sans en ressentir aucune émotion. Le cœur ne bat pas plus vite, la respiration n'est pas accélérée : on reste indifférent au drame dont on est acteur, comme s'il s'agissait d'un autre soi-même. L'être conscient, je le répète, veille à côté de l'être nouveau que j'appelle subconscient. Le sentiment de notre identité est plus fort que celui de l'hallucination, qui frappe nos sens sans atteindre le fonds moral de notre être.
De même si chez certains sujets hypnotisés, je provoque une hallucination émouvante, j'obtiens l'hallucination, je n'obtiens pas l'émotion. Je dis par exemple à l'un d'eux: «Voici un chien, il est méchant.il va vous mordre. » Le sujet voit le chien, éloigne son bras, met la main sur son mollet où il a reçu une morsure fictive; tout cela sans le moindre signe d'effroi, sans que sa physionomie trahisse la moindre anxiété. Il dit que le chien est là. qu'il sent sa morsure, que son sang coule : il en parle
froidement et d'un air indifférent, comme si ce n'était pas de lui qu'il s'agissait. Il est halluciné, mais son être moral n'est pas identifié avec l'hallucination. Si je lui suggère d'aller frapper son voisin, il ira mollement, sans conviction et le frappera faiblement, un peu plus fort si j'insiste. On voit qu'aucune passion n'anime sa main.
D'autres sujets résistent aux suggestions qu'on veut leur imposer : car les somnambules ne sont pas tous des êtres dépourvus de résistance, livrés corps et âmes à l'hypnotiseur. Ils conservent une certaine initiative: il en est qui ne réalisent que les suggestions qui leur sont agréables ,ou indifférentes. Voici une excellente somnambule endormie. Je veux la découvrir. Son sentiment de pudeur se révolte : elle rougit et réagit comme si elle était réveillée. — Je lui ordonne de voler une montre ; elle refuse, elle n'est pas voleuse. — J'ai beau chercher à lui suggérer une autre personnalité, à lui dire qu'elle est pervertie, qu'elle n'a aucun scrupule; elle pourra accepter passivement mon dire, mais je n'arriverai pas à lui faire commettre un vol ; je ne pourrai pas briser sa résistance. Tous les degrés existent d'ailleurs entre l'obéissance active, impulsive, immédiate, avec conviction, et la résistance inébranlable. Il en est qui résistent dans une certaine mesure et qui finissent, après bien des hésitations, par se laisser aller à l'acte criminel. On comprend d'ailleurs que le fonds moral héréditaire ou acquis par l'éducation constitue lui-même une suggestion primordiale antérieure qui neutralise les suggestions ultérieures. Si je dis à une somnambule: « Personne ne pourra vous endormir que moi », elle pourra être désormais réfractaire aux tentatives d'hypno-tisation émanant d'autres personnes. Je lui dis : « Si on vous suggère de voler, ou de tuer, ou de commettre un autre acte mauvais, vous ne le ferez pas. » Elle pourra être désormais cuirassée contre des suggestions criminelles dont elle sera l'objet. Or une personne douée de sens moral, élevée dans des principes religieux ou humanitaires qui se sont incarnes dans son âme, sera comme celle à laquelle j'ai fait la suggestion morale hypnotique. Dans son enfance, on a inscrit dans son cerveau : Tu ne voleras pas, tu ne tueras pas! Et celte suggestion par l'éducation pourra être assez fortement enracinée dans sa conscience pour la prémunir contre les idées criminelles qu'on voudra lui suggérer dans la suite.
Voilà les faits qui donnent raison aux observateurs de Paris et de Liège. Maison a eu tort de généraliser. Si beaucoup de sujets savent résister aux suggestions désagréables, si d'autres n'accomplissent l'acte suggéré que comme des comédiens qui jouent leur rôle, il en est d'autres qui n'ont aucun pouvoir de résistance et qui sont identifiés avec leur rôle. L'être subconscient chez eux annihile l'être conscient : la vraie conscience n'existe plus. Ceux-ci vont au crime.
N'en est-il pas de même dans le sommeil naturel? Si certains rêves sont vus, sans être vécus, s'ils n'atteignent pas. comme je l'ai dit. le fonds moral de notre être, si le sentiment de notre identité domine l'acte hallucinatoire, n'est-il pas d'autres rêves où nous ne sommes plus nous-mêmes, où nous sommes incarnés.corps et âme.dans le personnage que l'imagination nous suggère. Nous tombons dans un précipice. Un lion se jette sur nous : nous sommes terrifiés, le pouls s'accélère, la respiration est anxieuse, la face est pâle, la physionomie reflète les impressions de l'âme. Nous crions, nous gémissons, nous nous débattons. C'est un horrible cauchemar! Et au réveil, c'est un soupir de soulagement! Nous avons
vécu notre rêve, fil dans le rêve actif ou somnambulisme, n'v a-t-il pas des exemples de crimes ou délits commis sans responsabilitér Un som nambule d'une parfaite moralité, dit A. Maury, peut dans sa vie som nambulique devenir un criminel. Le somnambule de l'hôpital Saint-Antoine, dont le docteur Mesnet à raconté l'histoire, se livrait à des vote incessants pendant ses crises. Ce sont ces vols qui décélèrent l'existence du phénomène auquel il était sujet. Il servait comme garçon chez un coiffeur de Paris où la disparition d'un certain nombre d'objets attira l'attention. On découvrait des objets dans la chambre du somnambule et il fut même condamné pour vol par le tribunal. En mars 1877 les journaux ont parié d'une femme qui se volait elle-même : les soustractions ayant éveillé de sa part la pensée qu'un voleur s'introduisait b nuit chez elle, elle mit son fils en surveillance et celui-ci ne découvrait pas, sans étonnement.quel était le voleur. Un élève du séminaire de Saint-Pons, raconte le Moniteur du 2 juillet 1868. se lève pendant la nuit, se rend vers l'un de ses professeurs et le frappe de trois coups de couteau qui, mal dirigés, n'atteignent que le matelas. C'était la première fois que le somnambulisme se manifestait chez ce jeune homme. Le lendemain, quand on lui apprit son acte qu'il ignorait complètement, l'élève manifesta ses regrets et le désir de rentrer chez lui. Les journaux américains de 187b rapportèrent le fait d'un enfant qui, pendant un accès de somnambulisme, alla tuer un de ses camarades et qui. mis en prison, tenta pendant l'accès suivant de tuer un de ses co-détenus. »
Ce qui se fait dans le somnambulisme naturel ne peut-il se faire dans le somnambulisme provoqué? Vous avez vu cette jeune artiste à laquelle j'avais suggéré pendant son sommeil de voler ma montre à son réveil. Elle le lit sans hésiter, et quand je découvris le vol. vous l'avez vue confuse, tremblante, nous suppliant de ne pas la faire arrêter! Ce n'était pas une émotion simulée, une émotion de comédienne ! C'était réelle ment arrivé! Et cette jeune femme était une bonne et honnête naturel
Parmi les somnambules qui. au réveil, accomplissent l'acte suggéré, il en est qui agissent comme des impulsifs épileptiques. Aussitôt eveiliés. ils se lèvent automatiquement et vont, comme mus par une force invincible: ils ne semblent pas réfléchir; ils vont droit au but. Que se passe-t-il dans leur cerveau? Sont-ils sous l'empire d'hallucinations, d'idées délirantes? Ont-ils conscience d'un mobile illusoire qui les fait agir? Ou bien est-ce un acte automatique, est-ce une idée fixe.sans raison, qui les domine. Je crois qu'il en est parfois ainsi. L'épileptique qui se précipite et tue. sait qu'il tue. mais il ne sait pas toujours pourquoi il tue. Certains aliénés disent : * J'ai une idée folle de mettre le feu à la maison, ou de tuer mon enfant».—Pourquoi, dans quel but? « N'aimez-vous pas votre enfant? » — «Si! je l'aime! Je sais que c'est mal. Je n'ai aucune raison pour le tuer. C'est plus fort que moi! » Je crois que la suggestion peut réaliser sur certains sujets un état psychique semblable, une impulsion instinctive aveugle et sans rai son, vers l'acte suggéré. C'est une folie impulsive, passagère, que la suggestion a faite. Un honnête homme a pu commettre un acte monstrueux sous l'influence d'une impulsion créée par l'épilepsie ou la folie. La suggestion ne peut-elle réaliser le même phénomène? Un jour, je rencontrai dans un magasin une jeune dame fort intelligente, d'une honnêteté et d'une moralité parfaites, d'un caractère très doux. Elle était nerveuse et son mar
l'hypnotisait souvent dans un but thérapeutique. Elle me dit : « Je n'ose pas vous regarder, je suis sure que je dormirais! » Je réponds : « Il est inutile que je vous regarde, vous dormez ! * immédiatement ses yeux se ferment et elle est en somnambulisme. Je prie son mari présent de lui faire une suggestion pour le réveil. I1 lui fait celle de me tirer les oreilles : Je la réveille, me tenant à distance. Aussitôt elle vient droit sur moi et me tire les oreilles. « Pourquoi faites-vous cela? lui dis-je. » — « Je ne sais, répond-elle. C'est une idée. Je ne me rends pas compte pourquoi je le fais. Mais je ne peux faire autrement.» — C'est une suggestion de votre mari. Et s'il vous avait suggéré de me tuer avec un poignard? » — « Je l'aurais fait, » dit-elle, d'un ton bref et sur qui semblait bien affirmer que l'acte serait aussi net que la parole.
D'autres somnambules n'agissent pas avec cette brusquerie. Ce n'est pas une impulsion instinctive, c'est une idée délirante ou une hallucination qui commande l'acte ordonné. Je dis. par exemple à l'un deux pendant son sommeil : « A votre réveil, vous irez voler mon porte-monnaie sur la table.» Le sujet accepte l'idée tout de suite ou seulement après des suggestions répétées. Au réveil, il accomplit le vol. Je lui demande : « Pourquoi avez-vous volé? » — « C'est pour reprendre ce que vous me devez. Je vous ai prêté de l'argent et vous n'avez pas voulu me le -rendre. C'est une restitution, ce n'est pas un vol. » Ainsi, dans ce cas, je n'ai pas produit une perversion du sens moral : l'imagination facile du sutet a tourné la difficulté. Arrêtée par la suggestion morale préexistante, elle a suggéré elle-même au sujet un souvenir illusoire rétroactif, à la faveur duquel le vol devenait licite et la suggestion réalisable. Je dis au sujet endormi : « Voici un pistolet chargé. A votre réveil, vous tuerez cet homme. » Au réveil il tire sur lui. Pourquoi? L'autre l'a provoqué, l'a insulté! Il avait son pistolet braqué sur lui. Lui n'a fait que se défendre! Ici encore ce n'est pas une perversion instinctive, c'est une hallucination qui a fait le crime! Hallucination que l'imagination du sujet, docile à la suggestion, créé spontanément pour fournir à celle-ci un prétexte rationnel. D'ailleurs cette hallucination, cette idée délirante nécessaire à certains sujets pour l'accomplissement du crime, je puis la créer, si l'auto-suggestion ne vient pas spontanément me prêter son concours. Je puis lui dire : « Voici un homme qui a séduit votre femme. Quand vous vous réveillerez, vous vengerez votre honneur et vous le tuerez. »
On comprend d'ailleurs que chez les sujets dont le sens moral est faible et la suggestibilite grande, l'imagination n'a pas besoin de ces subterfuges. Le terrain est naturellement accessible aux idées criminelles. A ceux-ci on peut suggérer directement qu'ils voleront pour le plaisir de voler, qu'ils tueront pour le plaisir de tuer. On peut pervertir leurs instincts; la conscience morale n'existe pas pour rejeter la suggestion.
Une question à laquelle je ne puis répondre est celle-ci : La suggestion peut-elle directement affaiblir et pervertir le sens moral chez les sujets qui ont ce sens développé, et provoquer ainsi directement l'accomplissement d'un acte criminel?
Mais je suis convaincu qu'un honnête homme peut commettre un crime, entraîné par un vertige impulsif ou conduit par une idée délirante ou hallucination. N'est-ce pas le mécanisme générateur de beau-
coup de crimes? Ce mécanisme psychologique. la suggestion peut le réaliser.
Les nihilistes, les anarchistes, les socialistes, les révolutionnaires, les fanatiques de toute espèce, politiques et religieuse, ne deviennent-ils pas. en réalité, des criminels par suggestion? Et dans les jours d'effervescence populaire, lorsqu'on voit la foule, qui contient beaucoup de braves gens individuellement, se ruer féroce et sanguinaire sur un pauvre diable noffensif qu'une dénonciation malveillante désigne à sa vindicte, n'est-ce pas une suggestion collective? Une idée se répand dans les foules, un simple mot : espion, traître, exploiteur du peuple! Les cerveaux se montent. On s'entraîne, on se fanatise! Personne ne songe à contrôler! C'est une passion aveugle qui emporte les masses! La brute est déchaînée !
On dira : « Ce n'est pas de la suggestion hypnotique, et vos expériences, d'autre part, ne contiennent pas des preuves décisives. Vous avez fait commettre des simulacres de crimes et non des crimes. » C'est vrai et je m'engage à ne jamais faire d'expériences décisives.
Mais on dit encore : « Il n'y a pas un seul exemple certain de crime commis sous l'influence de la suggestion hypnotique. Parcourez les annales des tribunaux. Vous n'en trouverez pas. » C'est possible. Les criminels ne sont pas. en général, des hypnotiseurs et tous les hypnoti-seurs ne sont pas des criminels. D'ailleurs si un homme versé dans la question de l'hypnotisme avait abusé de son pouvoir pour suggérer un crime, il ne le dirait pas, et le suggestionné ne le saurait pas. La vérité est que la suggestion joue un rôle dans beaucoup de crimes-
On n'a pas compris ce fait parce qu'on a cru que la suggestion ne s'accomplit qu'à la faveur de l'hypnose et que l'hypnose est un sommeil qui ne s'obtient qu'à l'aide de manœuvres prolongées, passes ou fixation d'un objet brillant. Nous avons vu que l'hypnose existe sans sommeil, que la suggestion peut se faire à l'état de veille, que certaines personnes sont normalement très suggestibles : la parole seule suffit à réaliser chez elles de l'analgésie, de la catalepsie, des hallucinations, des actes. Toute idée introduite avec assurance dans leur cerveau, alors qu'elles l'acceptent et n'ont su se prémunir contre elle, toute idée imposée par surprise à leur cerveau impressionnable devient acte. Avec ces suggestibles, aucun sommeil, aucune manœuvre préliminaire n'est nécessaire : la suggestion se fait à leur insu et à l'insu parfois de celui qui les fait.
Un procès criminel se poursuit actuellement qui passionne vivement l'opinion publique. Les idées que je viens d'exposer y trouvent leur application.
Le crime rappelle celui de Gabrielle Fenayrou, auquel j'ai fait allusion dans mon livre sur la suggestion : Voici une jeune fille élevée dans de bons principes et que tous s'accordaient à considérer comme honnête et douce. Elle se marie : les premières années sont heureuses. Elle paraît épouse dévouée et bonne mère. Un jeune homme, élève pharmacien chez son mari, s'empare de son imagination. Son mari, aux prises avec les difficultés de l'existence, la néglige : elle se donne à ce jeune homme. Plus tard le mari rumine des idées de vengeance contre ce jeune homme qui, après avoir séduit sa femme, a fondé un établissement rival qui prospère, tandis que le sien périclite. Pour assouvir sa vengeance, il captive de nouveau l'esprit de sa femme, lui persuade que son rival est cause de leur malheur, et lui insinue qu'il faut le tuer. Elle se laisse aller à
cette suggestion. Docile, cédant aux menaces, elle donne rendez-vous à son ancien amant, sous prétexte de renouer des relations anciennes interrompues. Elle y va : chemin taisant, elle entre prier à la Madeleine, puis, froidement, sans émotion, elle conduit l'homme qu'elle a aimé à son mari qui l'assassine. Aucun remords, aucun regret n'agite sa conscience : elle ne parait pas se douter de l'énormilé de son crime.
Rien dans ses antécédents ne faisait prévoir cette perversité monstrueuse du sens moral. Devant le jury, sa maitresse de pension affirme que c'était l'élève la plus docile, la mieux disciplinée. Un témoin à dit d'elle : « C'était une pâte molle, elle allait au vice aussi bien qu'à la vertu. » Traduit en langue psychologique : C'était un cerveau sugges-tible, elle était docile à toutes les suggestions, j'ajoute que le sens moral, ne faisait pas contre-poids à sa suggestibilité excessive. C'était moins une perversion peut-être qu'une absence entière de sens moral : c'était une imbécilité instinctive. »
Le cas de Gabrielle Bompard est sans doute analogue. Hlle aussi est esclave de ses instincts; le sens moral fait défaut. Elle peut être intelligente, mettre de la linesse et de l'habileté à accomplir les projets qu'elle a conçus, être spirituelle dans la conversation. Mais dépourvue de frein moral, livrée aux suggestions de ses instincts, sans volonté, sans initiative, elle ne sait pas se conduire : elle est conduite par l'entrainement de ses sens et la volonté des autres.
Encore enfant presque, elle attire des jeunes gens chez elle. Aujourd'hui elle ne s'inquiète pas au souvenir de son crime : elle le raconte en riant, elle revoit sans émotion le théâtre où il s'est accompli, elle s'amuse de l'attention dont elle est l'objet; elle joue à main chaude avec ses gardiens; elle mange de bon cœur ; elle s'étonne qu'on la détienne en prison. Sa conscience morale ne lui reproche rien : elle n'existe pas.
Gabrielle Bompard est, de plus.émùiemment suggestiblc : elle est cer-trainement hypnotisable. Mais le sommeil provoqué n'est pas nécessaire pour éveiller sa suggestibilité : celle-ci est naturellement développée. Elle s'est donnée corps et âme à Eyraud. homme d'affaires vermoulu, beaucoup plus âgé, vivant d'expédients : elle qui est jeune, agréable, ayant une certaine intelligence, du piquant, et faite pour réussir dans le demi-monde, elle reste sous la domination d'un être qui l'exploite, qui la bat peut-être. Docile à ses suggestions, elle se laisse aller à lui amener l'huissier qu'il veut assassiner : elle assiste au meurtre, elle y collabore, elle aide à le ficeler, à coudre le sac où on met le cadavre; elle passe la nuit avec ce cadavre. Aucun remords ne la poursuit. Elle suit son amant à travers les deux mondes, se laisse jeter par lui dans les bras de plusieurs personnes de rencontre. Finalement elle tombe dans ceux d'un homme intelligent qui s'intéresse à elle, qui la captive à son tour, qui obtient d'elle l'aveu de son crime, qui la décide facile ment à se livrer naïvement à la préfecture de police. Une scélérate habile, sachant se conduire, experte en l'art de tirer son épingle du jeu, n'aurait pas accepté cette dernière suggestion! Sans doute, elle commence par effacer son rôle; elle ne se charge pas d'abord : elle invente, d t-on, un homme à barbe blonde et lui endosse sa propre responsabilité. Elle ment effrontément, dit-on encore! Elle change de version tous les jours ! Elle déroute la justice avec un art infernal! Arguera-t-on de ces faits pour conclure que c'est une rouée, que c'est une habile?
Mais plus lard, docile aux suggestions de l'interrogatoire, elle avoue son rôle :« elle a cousu le sac. elle a aidé à ficeler le cadavre comme un poulet. » Elle ne cherche plus a atténuer sa collaboration. Est-ce le fait d'une habile ?
Les suggestibles mentent souvent parce qu'ils sont les premiers dupes de leur imagination. Ils ajoutent à la vérité, de leur propre crû. ou en retranchent. Ce que l'imagination mue par l'intérêt, l'impression du moment, les idées que l'interrogatoire éveille en eux, leur suggère, ils le prennent pour des réalités. Il est possible que Gabrielle Bompard. poussée par l' nterrogatoire dans un sens ou dans un autre, animée aussi par instants dudésir d'effacerson rôle, crée dans son imagination des souvenirs illusoires qui s'imposent à elle, comme si c'était arrivé: qu'elle ajoute ainsi inconsciemment du vrai au faux et ne sache plus démêler elle-même la vérité vécue d'avec la vérité créée ou falsifiée par son ima-gination.
(A suivre)
AUTOMATISME AMBULATOIRE CHEZ UN HYSTÉRIQUE
par M. le Professeur; PROUST (1)
Médecin de l'Hôtel-Dieu de Paris
Emile X..., 33 ans; fils d'un père original et buveur; mère nerveuse, un frère cadet rentrant dans la catégorie des arriérés. Lui, au contraire, est d'une intelligence assez vive. Il a fait de bonnes études classiques e; remporté même des succès dans les concours académiques. Après avoir étudié la médecine pendant quelques mois, il est passé à l'étude du droit, s'est fait recevoir licencié, et, depuis quelques années, il est inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Paris.
X...,a présenté les signes les plus manifestes de la grande hystérie, (attaques, troubles de sensibilité, de motilité, etc., etc.). Il est presque instantanément hypnotisable. Cest là une circonstance qu'a bien mise en relief M. Luys, qui a eu le malade dans son service. Il suffît qu'il fixe un point dans l'espace, qu'il entende un bruit un peu fort, qu'il éprouve une impression vive et subite pour que, aussitôt, il tombe dans le sommeil hypnotique. Il était, un jour, au café, place de la Bourse. Il se regarde a la glace. Immédiatement il s'endort. Etonnées et effrayées les personnes avec lesquelles il se trouvait le conduisirent à l'hôpital de la Charité où on le réveilla.
Une autre fois, au Palais, pendant qu'il plaide, le président le fixe. Il s'arrête court et s'endort, et ne peut reprendre sa plaidoirie que lorsqu'un de ses confrères, qui connaît son infirmité, l'a réveillé.
Mais ce n'est pas tout.
(1). Lecture faite à l'Académie des sciences morales et politiques
REVUS nt; i.'hypnotisui*
À certains moments, Emile X... perd complètement la mémoire. Alors, tous ses souvenirs, les plus récents comme les plus anciens, sont abolis. 11 a complètement oublie son existence passée. 11 s'est oublié lui-même. Cependant, comme il n'a pas perdu la conscience, et que, pendant toute Il durée de cette sorte d'état de condition seconde, — qui peut se prolonger pendant plusieurs jours,— il aura, comme dit Letbnitz - la perception de ses perceptions >, une nouvelle vie, une nouvelle mémoire, un nouveau moi commencent pour lui. Alors il marche, monte en chemin de fer, tait des visites, achète, joue. etc.
Quand, subitement, par une façon de réveil il revient à sa condition première, il ignore ce qu'il a fait pendant les jours qui viennent de s'écouler, c'est-à-dire pendant tout le temps de sa condition seconde.
Ainsi, le 2} septembre 1888, il a une altercation avec son beau-père (le second mari de sa mère). Il est vivement impressionné par cette altercation dont il a gardé le souvenir très présent. Mais il ignore ce qu'il a fait depuis cette date du 33 septembre jusqu'au milieu d'octobre suivant. A ; cette dernière époque, c'est-à-dire, trois semaines après sa dispute avec son parent, on le retrouve à Villars-Saint-Marcelin 'Haute-Marne). Comment a-t-il vécu?où est-il allé? Il l'ignore. Ce qu'il en sait, i! l'a appris depuis par des rapports venus de divers côtés. On lui a dit qu'il s'était rendu chez le curé de Villars-Saint-Marceliu.**qui l'avait trouvé bizarre », qu'il était allé faire visite à un de ses oncles, éveque in partibus dans la Haute-Marne, et que là, il aurait brisé différents objets, déchiré des livres et même des manuscrits de son oncle. Il a su, depuis, qu'il avait contracté cinq cents francs de dettes pendant ses pérégrinations, qu'il avait été traduit devant le tribunal de Vassy pour acte de filouterie et condamné par défaut.
Autre épisode :
Le 11 mai 1889. il déjeune dans un restaurant du quartier latin. Deux jours après, il se retrouve sur un; place de Troyes. Qu"a-t-il fait pendant ces deux jours? Il n'en sait pas le premier mot.
Tout ce qu'il se rappelle, c'est qu'en revenant à lui, il s'aperçut qu'il avait perdu son pardessus et son porte-monnaie contenant deux cent vingt-six francs.
C'est donc un cas bien net d'automatisme ambulatoire chez un hystérique. Ce fait peut-être rapproché de celui qu'a communiqué récemment à la Société médico-psychologique M. J. Voisin, de celui de M. Mesnet, — survenu à la suite d'un traumatisme du crâne —, enfin de celui relevé par M. Charcot chez un épileptique et dont l'observation a été publiée dans un journal de médecine (Bulletin médical, 1889, n» 18). Tout le monde connaît, du reste, l'histoire célèbre de Felida, rapportée, il y a déjà longtemps, par M. Azam, de Bordeaux
Dans l'observation d'Emile X... comme dans les observations similaires, on relève, notamment, les deux points suivants :
l* Une rupture dans la continuité des phénomènes de conscience, et ce, bien que l'individu, pendant cette rupture, aille, vienne, agisse conformément aux habitudes de la vie courante.
2" S'il y a discontinuité entre les phénomènes de conscience de la période de condition seconde et ceux de la vie normale, il y a, au contraire
continuité entre les phénomènes de conscience des périodes de condition seconde.
Ainsi, Emile X..., dans son état normal, ignore ce qu'il a fait pendant les périodes d'automatisme ambulatoire, mais il suffit, en le plongeant dans le sommeil hypnotique, de le replacer en condition seconde pour qu'aussitôt il se rappelle les moindres détails de ses pérégrinations. Eveillé, il ne sait ce qu'il a fait du 23 septembre au 15 octobre; endormi, il révèle tous les incidents de son voyage. S'il a dépensé 500 francs c'est qu'il a joué. Il dit les sommes perdues, et a quel jeu. Il donne le nom de son partenaire. Il raconte tout ce qu'il a fait et dit chez le curé son ami, et chez révoque son oncle.
Même chose pour sa fugue à Troyes. Pendant le sommeil provoqué il dit : « le 17 mai, au sortir du restaurant, j'ai pris une voiture, je me suis tait conduire à la gare de l'Est. Je me suis embarqué par le train de 1 h.25 et suis arrivé à Troyes à 5 h. 37; je suis descendu à l'hôtel du Commerce, chambre n° 5. J'ai déposé mon pardessus, qui renfermait mon porte-monnaie, sur le dossier d'un fauteuil. Je suis ensuite allé au café place Notre-Dame, puis je suis rentré dîner à 6 h. 1 /3. Je suis allé faire visite à un négociant de ma connaissance. M. C..., et j'ai passé chez lui la soirée jusqu'à 9 heures. Puis je suis revenu me coucher. Je me suis levé le lendemain à 8 heures, j'ai déjeuné chez M. C...,Je l'ai quitté après déjeuner, j'ai pris la rue de Paris et me suis senti malade. Je me suis alors adressé à un sergent de ville qui m'a conduit chez le commissaire de police, et de là à l'hôpital de Troyes, où on m'a réveillé. »
A titre de renseignement complémentaire, j'ajouterai le détail suivant :
Après avoir appris du malade endormi l'endroit où il avait laissé son pardessus, nous l'avons engagé, après son réveil, à écrire à l'hôtel du Commerce. Le surlendemain, à son grand étonnement, il recevait son pardessus et son porte-monnaie avec les 326 francs qu'il renfermait. Ces objets, je l'ai dit, étaient égarés depuis plus de six mois, et notre malade manquait d'argent.
Emile X... avait été condamné, par le tribunal de Vassy, pour filouterie commise pendant sa période d'automatisme ambulatoire. Le jugement a été annulé quand on a su dans quelles conditions le délit avait été commis.
Plus récemment Emile X... a, de nouveau, été inculpé d'escroquerie. Il aurait emprunté une somme, d'ailleurs minime, à un employé du palais de justice, en se targuant d'une qualité fausse.
Sur un rapport de MM. Motet et Ballet, une ordonnance de non-lieu a été rendue en sa faveur.
LE ROMAN D'UNE HYSTÉRIQUE
Histoire vraie pouvant servir à l'étude médico-légale de l'hystérie et de l'hypnotisme.
Par M.le professeur J. GRASSET (de Montpellier)
Deux faits récents redonnent de l'actualité à l'étude médico-légale de l'hystérie et de l'hypnotisme.
D'un côté, ce sont les récits bizarres, multiples et contradictoires, de Gabrielle Bompard, qui passionnent la France entière et font le bonheur des journalistes ; d'un autre côté, c'est le drame plus voisin de la ménagerie de Béziers. avec la tragique aventure de miss Sterling.
Un lait, observé dans le service, me fournit aujourd'hui l'occasion de vous entretenir de la grosse question médico-légale de la responsabilité des névrosées.
Nous avons, dans la salle des femmes, une jeune fille dont l'histoire, pour n'être pas aussi dramatique que celles auxquelles je viens de faire allusion, n'en est pas moins curieuse et instructive. Bien qu'elle se trouve dans le service depuis plusieurs mois, je m'étais jusqu'ici abstenu de vous en parler, afin de pouvoir un jour vous présenter le roman dans tout son ensemble.
Aujourd'hui l'enquête est terminée. Notre fidèle collaborateur, M. le docteur Rauzier, qui a utilisé en cette matière ses qualités multiples de chef de clinique et de licencié en droit, a terminé l'instruction. Je vais donc pouvoir vous raconter cette histoire, qui a toutes les allures d'un roman, mais qui est en réalité une observation clinique, c'est-à-dire un fait scrupuleusement vrai et scientifiquement analysé.
Au mois d'août dernier, alors que je me trouvais en consultation dans un chef-lieu de département éloigné, mon excellent confrère et ami le docteur X...., que je vous demande la permission de ne pas nommer (uniquement pour ne donner aucune indication sur la ville où se sont
passées les premières scènes de notre histoire), le docteur X.....dis-je,
me mena voir une jeune fille qui présentait des attaques d'hystérie extrêmement remarquables.
Agée de dix-neuf ans, forte, grande, bien charpentée, la mine intelligente, Louise A...., offrait, depuis le mois de septembre 1S88. des crises nerveuses spontanées de deux types : de grandes crises convulsives ( que je vous décrirai tout à l'heure) et de petites crises de sommeil à forme cataleptique et somnambulique. De plus, elle était hypnotisable : son médecin avait pu l'endormir à plusieurs reprises.
J'assistai à une grande attaque et n'eus aucune peine à diagnostiquer une bystéria major, c'est-à-dire une hystérie en forme de clownisme.
Le docteur et la famille me demandèrent alors à la recevoir, à Montpellier, dans mon service de clinique. J'acceptai, et la malade fut, le 7 septembre, admise à l'hôpital Saint-Eloi. où le service, à cette époque
et jusqu'à la fin des vacances, était confié à mon excellent collègue M. le professeur agrégé Brousse.
Le diagnostic d'hystérie se trouva confirmé dès le début. La jeune malade, a des intervalles irréguliers, présenta, durant les vacances et après mon retour dans le service, des crises très curieuses, souvent rapprochées, auxquelles la plupart d'entre vous ont pu assister. En voici la description, empruntée à l'observation, soigneusement recueillie de M. Rauzier:
« 1° Crises convulsives — Début par la sensation de boule et des fourmillements dans les membres. La malade étouffe et ne peut parler pendant toute la durée de la crise. Elle tombe souvent sans perdre connaissance, mais ne s'est jamais fait mal. Dès le début, elle entre en contracture, et se place d'abord en opisthotonos, les mains jointes sur la poitrine, les pieds en varus équin. Puis l'opisthotonos s'exagère, la malade s'arque de plus en plus et se rejette enfin, brusquement, sur le côté, les mains gardant la même position, les pieds restant en varus équin avec les orteils en flexion, le pouce seul en extension.
» Après ce début, à peu près constant, clownisme remarquable, mouvements lents et progressifs, poses bizarres, paraissant impossibles à simuler par qui ne serait pas gymnasiarque de profession.
» Après sa projection latérale, elle se place sur le ventre, puis forme un arc à concavité dorsale supérieure, (pose de sirène), se relève lentement sans le secours des mains et, une fois à genoux, se projette en arrière. Elle se relève ensuite, sans s'aider de ses mains en aucune façon, se maintient sur un pied, le droit par exemple, pirouette entièrement sur cette seule base de sustentation, et descend de son lit sur le pied gauche.
» Une fois à terre, poses plastiques diverses: simule la colère et menace, les poings fermés; — se maintient en position transversale, parallèlement au sol, reposant exclusivement sur une jambe, seule verticale; — gestes d'orateur etc.
» Quelquefois, vers la fin de la crise, mouvements rhytmiques généralises, assez rapides, mais peu d'amplitude.
» Durant toute la crise, les yeux sont fermés; la lace est souvent congestionnée, l'insensibilité complète; la malade ne répond jamais aux questions. Durée: demi-heure à trois ou quatre heures. Arrêt spontané, ou provoqué par la pression de l'ovaire. Fatigue intense au réveil, empêchant souvent la malade de rentrer seule dans son lit.
» 2° Sommeil spontané. — Crises pouvant durer plusieurs heures, débutent, le plus souvent, avant ou pendant la visite, permettant à la jeune fille, qui est couchée, les yeux clos, dans son lit de, causer et d'exécuter tous les actes qu'on lui commande. »
En dehors de ces crises, curieuses et typiques, on retrouvait chez la jeune fille ce que, dans ces dernières années, on a appelé les stigmates hystériques, c'est-à-dire des signes fixes et permanents, qu'il faut rechercher pour les trouver, et qui dénoncent la névrose dans les intervalles de ses manifestations spontanées. C'est ainsi que l'on constatait :
1° Une hémianesthésie relative du côté gauche;
2° L'anesthésie de la langue et l'abolition du réflexe pharyngé;
3° Un rétrécissement notable du champ visuel à gauche;
4° L'existence de zones hystèrogènes. se comportant aussi comme zones hystéro-phrénatrices. dans la région ovarique gauche et au niveau du vertex.
Le diagnostic n'était donc nullement douteux ; en raison de ses crises et de par ses stigmates, la malade était une grande hystérique.
Pour compléter le tableau, et comme le docteur X..., l'avait annoncé, la jeune fille était hypnotisable. M. Brousse, M. Rauzier, moi-même dans la suite, l'avons endormie un certain nombre de fois. Je vous résume, d'après l'observation de M.Rauzier, les caractères de ce sommeil provoqué:
« Crises déterminées par la fixation du regard ou d'un objet brillant pendant quelques secondes. Louise ferme les yeux et reste dans la position où elle se trouve, mais présente, dès ce moment, une anesthésie complète. Durant le sommeil, elle cause et répond à toutes les questions ; quand on lui demande ce qu'elle fait, elle répond qu'elle dort. Elle exécute les actes qu'on lui commande, s'habille sans ouvrir les yeux, s'en va les yeux fermés à tel ou tel point de la salle, va prendre un livre placé sur la table d'une malade et le porte â une autre, etc. »
Les phénomènes précédents sont susceptibles de subir des transfor mations, grâce à certaines manœuvres. En voici quelques exemples, tirés des notes quotidiennes de l'observation :
« 18 septembre. — Endormie, non plus par fixation, mais par pression des globes oculaires, la malade ne peut plus parler, elle fait signe qu'elle entend, produit les gestes d'une conversation, mais n'émet aucun son. Pas d'anesthésie.
_. » Elle passe à l'état de catalepsie par l'ouverture des paupières. Le regard devient fixe, l'ancsthésie apparaît.
» La fascination survient: Louise suit M. Brousse du regard et écarte violemment ceux qui cherchent â s'interposer entre elle et lui. Aucune conversation n'est possible et n'a jamais été possible dans cet état. Réveil en souillant sur les paupières.
» 20 septembre. — Endormie par pression des globes oculaires, la phase de somnambulisme survient d'emblée : la sensiblité n'es t absolue qu'au bout d'un instant. A la suite d'une nouvelle pression des globes oculaires, suivie de l'ordre d'ouvrir les yeux, la malade entre en contracture, avec impossibilité de parler: la face est immobile, les yeux sont ouverts Elle retombe en somnambulisme par pression sur le vertex. .» 35 septembre. — Hypnose en état de somnambulisme, par pression des globes oculaires. Extase par le soulèvement des paupières. Sommeil somnambulique obtenu de nouveau en posant la main sur les yeux. Fascination provoquée par le relèvement des paupières. Retour de la parole et de la forme habituelle de l'hypnose par la pression du vertex. Anesthésie absolue durant toutes ces manœuvres.
» Jamais, au réveil, on a pu obtenir l'exécution d'ordres donnés pendant l'hypnose.
» A diverses reprises, on a vu survenir, pendant le sommeil, une contracture de l'un des membres supérieurs : cette contracture a toujours cédé à la friction des muscles antagonistes. » Transfert spontané de névralgies et de l'hémianesthésie. »
Vous le voyez, non seulement notre malade était hypnotisable. mais encore, suivant que l'on variait le mode d'hypnotisation, elle présentait une forme différente de sommeil provoqué.
Telle est la première partie du roman, consistant dans la présentation et lu mise en scène de l'héroïne. Jusqu'ici, rien de bien attrayant: c'est |"histoire classique, banale, presque vulgaire, d'une grande hystérique hypnotisable.
La deuxième partie est moins banale
Réglée à quatorze ans. b jeune tille avait accusé, dès son entrée à l'hôpital, des irrégubrités menstruelles. On ne prêta, d'abord, qu'une médiocre attention à ce symptôme, fréquent chez les hystériques.
Cependant, le 11 octobre, en présence du ballonnement du ventre qui s'accentuait tous les jours. M. Rauzier crut devoir pratiquer un examen plus approfondi de l'abdomen. Ce fut un examen purement exté-térieur, mais le palper et l'auscultation révélèrent nettement l'existence d'une grossesse, grossesse déjà avancée et parvenue au moins au cinquième mois.
C'était b une surprise, et une surprise d'autant plus grande, que les allures extérieures de b malade étaient très modestes : elle avait tout à fait l'aspect d'une jeune fille naive et sage. Je savais, de plus, par le docteur X—, qu'elle appartenait à une famille fort honorable, et je tenais, de sa mère elle-même, avec quij'avais causé longuement, qu'elle n'avait jamais donné prise à la moindre critique et justifié la moindre observation touchant ses mœurs et sa conduite.
Il fallut cependant lui annoncer qu'elle était enceinte, et alors, au milieu de sa confusion et de ses larmes, elle raconta la triste histoire qui va suivre et qui pouvait s'ajouter à la liste déjà nombreuse de; crimes commis à la faveur, sinon de l'hypnotisme, du moins de l'hystérie :
Dans les derniers jours de mai 1889. un colporteur était venu chez elle et avait vendu de la toile à sa mère : la jeune fille était présente, fin causant (vous savez combien, dans certaines classes de la société l'on est bavard et l'on cause des choses que l'on devrait celer), la mère-raconta au colporteur que sa fille était bien malheureuse : malgré son air de santé, elle avait de grandes attaques durant lesquelles elle perdait connaissance. Le colporteur parut s'intéresser à cette histoire: reconnaissant des emplettes que la mére avait faites, il promit d'apporter une douzaine de mouchoir en étrennes à la jeune fille. Peu de jours après, en effet, il revient, croise en route b mère qu'il feint de ne pas voir et trouve la jeune fille toute seule: « je vais chercher ma mère. » dit-elle. — « C'est inutile », répond le colporteur. Il se jette sur elle. La jeune fille tombe en crise, perd connaissance et ne se rappelle plus rien. Quand elle reprend ses sens, le colporteur a disparu, et. depuis, on ne l'a plus revu.
Au retour de sa mère. Louise lui raconte tout. La bonne femme, émue à la façon de certaines gens du peuple, pousse des cris, se lamente en famille, mais ne songe pas à poursuivre le coupable, ou du moins, soucieuse cette foisdu «qu'endira-t-on ». ne veut pas saisir la justice. D'ailleurs, b pauvre mère (que j'ai revue le 25 octobre et qui m'a confirmé en tous points le récit de sa fille) ne parait pas avoir, à ce moment envisagé la possibilité d'une grossesse, dont la révélation est la cause, pour elle et sa famille, d'un affreux chagrin.
On endort la jeune fille à plusieurs reprises et on lui pose, durant le sommeil, des questions sur le viol dont elle a été victime : chaque fois elle répète exactement le même récit.
Il ne pouvait subsister de doute : nous étions bien en présence d'un fait criminel commis dans les circonstances les plus remarquables ; il s'agissait d'un viol commis sur une femme adulte et forte, à la faveur d'une attaque d'hystérie provoquée.
Comme la malade était hypnotisable et complètement anesthésique pendant le sommeil, nous conçumes alors la pensée de faire naître, sans que la mère en eut conscience, cette enfant dont la conception avait eu lieu dans l'état d'inconscience.
Nos dispositions furent prises pour garder la malade dans nos salles jusqu'à l'accouchement, qui devait avoir lieu fin février. On devait endormir la jeune femme dès les premières douleurs, l'accoucher à son insu, et je comptais vous faire ensuite une leçon sur cet enfant, conçu et mis au monde par une mère inconsciente.
C'est sur ce projet qui n'a été qu'un rêve, que se termine la deuxième partie de notre histoire.
Il ne reste plus qu'un acte à vous conter: l'acte du dénouement, avec la moralité de l'histoire.
Le viol ayant été commis fin mai, 1 accouchement devait avoir heu fin février.
Or, le 50 décembre au matin, des douleurs surviennent et le travail s'établit. La jeune tille attribue ces phénomènes prématurés à une chute faite la veille dans l'escalier. Un examen complet, pratiqué par M. Rauzier, semble démontrer, au contraire, qu'il s'agit, non point d'une fausse couche, mais bien d'un accouchement à terme.
11 n'y avait plus qu'à provoquer l'anesthésie hypnotique
M. Rauzier endort la malade, à plusieurs reprises par les procédés habituels. Le sommeil s'établit chaque fois, mais il cesse aussitôt que survient une contraction utérine un peu violente ; la jeune femme ouvre immédiatement les yeux, pousse des cris et déclare qu'elle ne peut rester endormie. Il y a loin de là à l'insensibilité absolue de miss Sterling sous la dent du lion.
La nuit suivante, l'accouchement se produit régulièrement : il se termine par l'expulsion d'un enfant à terme.
C'était pour nous une déception et une surprise.
Une déception, parce que nous n'étions point parvenus à faire expulser sans douleur cet enfant que le colporteur avait réussi à faire concevoir dans l'état d'inconscience.
Une surprise, puisque cet enfant, conçu fin mai, ne devait naître que fin février, et n'avait aucun droit à naître à terme fin décembre.
Cette dernière considération était capitale, mathématique, et renversait à elle seule tout le récit, quelque intéressant qu'il fût, de notre malade.
La conception ayant forcément eu lieu fin mars et non fin mai (date effective de la visite du colporteur), le colporteur devait être innocenté.
Et déjà M. Rauzier, en digne émule de M. Doppfer. reconstituait par la pensée le véritable roman de la manière suivante :
La jeune fille, bien que très surveillée par sa famille, a eu un amant. Elle est devenue enceinte en mars et ses règles ont manqué pour la première fois fois fin mars. Lorsqu'elle a été certaine, après une deuxième défection menstruelle, fin avril, d'être grosse, elle a imaginé, pour fournir à sa mère une explication relativement honorable, l'aventure du marchand de toile. Celui-ci a existe, il s'est présenté chez elle en mai. il est
venu à la maison en l'absence de sa mère (celle-ci l'a. en effet, rencontré se dirigeant vers sa demeure, alors qu elle en sortait), mais il n'a fait aucune tentative.
Ce puissant travail d'imagination terminé. M. Rauzier va trouver la malade. Avec autorité et assurance, il déclare qu'il sait tout, donne son hypothèse comme vérité démontrée, et ajoute que l'examen complet, pratiqué pendant l'accouchement et à l'occasion de ce dernier, ne permet pas d accepter la possibilité matérielle d'un viol. La jeune fille fond en larmes et avoue.
Telle était donc la vérité. L'histoire du colporteur était un pur roman, fruit d'une imagination fertile, vous l'avouerez.
Celle constatation avait une autre conséquence.
Vous vous rappelez que la jeune fille avait textuellement maintenu son récit au cours du sommeil provoqué; vous vous souvenez aussi que ce sommeil avait bien vile cédé, devant les douleurs de l'accouchement. D'où cette deuxième conclusion, que le sommeil provoqué était lui-même simulé. Poussée à bout, pressée par la rigueur du raisonnement, elle finit par avouer la simulation.
Ces aveux étaient-ils bien véridiques? Ne pouvaient-ils constituer, en dehors de toute vérité, un moyen comme un autre d'attirer l'attention, de rappeler un intérêt que des observateurs blasés sur les manifestations si souvent répétées de sa maladie, commençaient à lui refuser?
Une dernière expérience a mis le fait hors de doute.
J'étais censé, jusqu'alors, ignorer l'enquête pratiquée par M. Rauzier. je fais venir la jeune fille au laboratoire ; l'hypnose étant produite par le procédé habituel, je vérifiai l'anesthésie qui est absolue ; puis, brusquement, je lui annonce que je sais tout et qu'il est inutile de continuer à nous tromper. Aussitôt elle ouvre les yeux, place sa main devant sa figure et S'en va en pleurant.
Donc, les scènes de sommeil provoqué, dont je vous donnais plus haut le détail, étaient simulées, tout au moins en grande partie. Que la fixation du regard provoquât, chez celte hystérique, un léger degré d'hypnose s'accompagnant d'insensibilité, c'est possible: mais, en tout cas, l'ensemble des actes et phénomènes accomplis durant le sommeil étaient simulés.
Egalement simulées, étaient les crises spontanées affectant la forme du sommeil.
Il ne restait plus, pour connaître l'histoire dans son entier, qu'à savoir où la jeune fille avait fait une éducation hypnotique aussi complète. Il parait démontré que, chez elle, elle lisait peu. ne sortait pas: jamais on ne l'avait fait assister à des scéances publiques d' hypnotisme. Et pourtant, elle jouait admirablement son rôle; la fascination, notamment, était merveilleusement simulée.
Longtemps elle refusa de parler, niant toute initiation et prétendant que tous les phénomènes accomplis étaient du ressort de son imagination personnelle. De question en question, M. Rauzier finit par lui faire avouer qu'un sien cousin (peut-être le sosie du colporteur) hypnotisait fréquemment une bonne en sa présence. Telle était l'origine de son apprentissage hypnotique.
Voilà donc une hystérique (l'hystérie ne saurait être contestée, en raison des stigmates qu'elle présente et des grandes crises, dont la
simulation parait impossible) qui. pour le seul plaisir d être intéressante, et avant d'avoir besoin de l'hypnotisme pour justifier ses fredaines, commence, devant le docteur X..., à simuler l'hynose. Plus tard, ayant un amant et devenant enceinte, elle imagine d'utiliser ses connaissances pour accuser un innocent et se transformer en victime.
Réfléchissez aux conséquences effroyables que pouvait avoir cette accusation.
Supposez — ce qui n'a rien d'impossible — des parents moins niais, demandant une solution judiciaire à l'accusation de leur fille. Le pauvre colporteur était poursuivi, arrêté. Son affaire était claire; malgré ses dénégations. la condamnation n'était pas douteuse : il était facile d'établir qu'il s'était rendu chez la jeune fille, sachant qu'elle avait des attaques ii la moindre émotion et que sa mère n'y serait pas. Les médecins consultés au point de vue médical, auraient affirmé que la jeune fille était hystérique et que le crime était possible. Tout se tenait, tout était vraisemblable. Vous entendez d'ici le beau réquisitoire qui écrasait le pauvre diable, certain d'être condamné! Seul, le père inconnu de l'enfant aurait bien ri pendant les débats.
Heureusement, pour faire finir notre roman comme un drame de l'ancien temps, par la récompense de la vertu et la réhabilitation de l'innocence, l'accouchement serait peut-être arrivé au moment du départ du colporteur pour Nouméa, et les ongles bien formés de l'enfant à terme auraient pu motiver la grâce du pauvre diable.
Quel beau sujet de roman, et combien vous trouveriez féconde l'imagination d'un auteur, si vous lisiez ce fait dans un volume à l'usage des gens du monde au lieu de l'observer à l'hôpital!
Et, cependant, c'est une histoire vraie, le roman vécu d'une hystérique.
0 muthos deloi oti disait Esope. Tirons de ce fait, à titre de moralité, les enseignements qu'il comporte :
l° Il faut toujours se méfier de la simulation dans les études d'hypnotisme : ne jamais se lasser de multiplier les épreuves, même quand on a les meilleurs renseignements sur la malade, qu'elle possède une mine rassurante et qu'elle présente de l'anesthésie durant son sommeil ;
2° La chose est surtout difficile quand toutes les manifestations ne sont pas simulées, quand il existe, comme dans le cas précédent, un curieux mélange, une bizarre association de phénomènes absolument vrais (grandes crises et stigmates), et de phénomènes simulés ou considérablement exagérés. On doit éviter de se baser sur les premiers pour passer condamnation sur les autres ;
5° L'hystérie, par elle-même, porte à l'exagération et à la simulation. Elle entraine souvent un état mental particulier, qui porte la malade à faire ou à dire les choses les plus étranges (souvent même à rencontre de son intérêt), pour le seul plaisir de faire parler d'elle ou de raviver l'attention près de s'éteindre ;
4° Dans l'étude médico-légale de ces questions, quand il s'agit notamment d'apprécier la vivacité et la part de responsabilité d'une hystérique, il faut toujours faire usage d'une extrême prudence. Même en présence de preuves positives de la névrose, il faut se rappeler que tous les actes d'une hystérie hypnotisable n'ont pas été nécessairement commis par suggestion; qu'une femme peut être une hystérique avérée,
sans que. pour cela, tous les actes qu'elle attribue à la névrose doivent lui être forcément rapportés; autrement dit, qu'il ne faut pas donner le bénéfice de la névrose à tous les actes d'une hystérique.
Une hystérique peut aussi être une rouée : telle est !a morale de mon histoire.
RECUEIL DE FAITS
Réveil d'une mélancolique en état léthargique.
La femme Drouilhou... habitant un village des environs de Rochefort, a été atteinte spontanément d'une attaque de léthargie d'où j'ai pu la faire sortir.
Cette femme, âgée Je vingt-huit ans, très impressionnable et d'un tempérament nerveux, mère de plusieurs enfants, est accouchée de nouveau au mois d'octobre 1889. Elle a présenté en accouchant une attaque d'éclampsie.
Vers la fin de Novembre, un mois après sa couche, elle paraissait rétablie et allaitait son enlant, quand se manifesta brusquement une douleur localisée à la partie postérieure de la poitrine. Mon confrère le docteur Boutiron (de Fouras), lui donna ses soins: il appliqua un vésicatoire morphine, prescrit du valérianate de quinine, ainsi qu'une potion au chloral et au bromure de potassium, car il savait que la malade était excessivement nerveuse.
Ce traitement rationnel n'amena aucune amélioration. Une idée fixe obsédait la malade ; elle était atteinte d'une fluxion de poitrine qui devait la faire mourir. Ne voulant ni boire, ni prendre aucune nourriture, elle attendait la mort. Pendant deux jours et deux nuits, elle ne cessa de se lamenter; « elle était à l'agonie et se disposait à mourir. » Elle fit venir tous ses parents, ses amis, pour leur faire ses recommandations ; elle envoya chercher le prêtre pour lui donner les sacrements. Tout le monde croyait a une fin prochaine, a l'exception toutefois du docteur Boutiron qui rassurait les parents, connaissant la nature hystérique de sa malade.
Le 3 décembre 1889. l'état s'aggravant de plus en plus, M. Boutiron conseilla aux parents de me faire appeler. A mon arrivée, je trouvai la malade plongée dans an sommeil profond. On ne pouvait réussir à la réveiller pour lui taire prendre un peu de bouillon- Depuis deux jours, clic n'avait pris aucune nourriture ; les mâchoires étaient serrées la respiration accélérée; le pouls fréquent et faible; la peau un peu chaude et visqueuse. Du côté des membres, la résolution était complète. Pour la réveiller, j'ai d'abord employé la parole, et le souffle sur les yeux. Chaque lois que je relevais les paupières convulsées, en soufflant énergiquement et en disant: « Réveillez-vous ». il se produisait un tressaillement, ce qui me donnait à croire que je devais réussir. Cependant le résultat se faisait attendre. J'eus l'idée de rechercher s'il existait, sur le corps, des points sensibles et, des pressions surcertaines régions de la poitrine, déterminèrent de grandes crises omvulsives,
avec arc de cercle. Apres trois heures de ces manœuvres, la malade commençasse réveiller et il fût possible de lui faire prendre du bouillon.
Puis la parole revint, mais elle délira une partie de la nuit.
Le lendemain, l'exaltation fut très grande; le délire continua ; c'était surtout un délire de sensations. La pression que j'avais exercée sur la poitrine avait produit de la douleur que son imagination rapportait à du pétrole dont je l'avais arrosée.
M. Boutironqui a continué j voir la malade a pu rétablir le calme par la suggestion simple sans hypnotisme. Il réussit à la taire manger, provoqua des garde-robes, l'empêcha d'uriner au lit, procura un sommeil calme pour la nuit el, enfin, pût combattre l'idée fixe qu'elle avait de rester tu lit, en lui disant de se lever, de s'occuper de son ménage et de ses entants.
Ala fin de décembre,la malade avait reprisses occupations et depuis deux mois la guérison est complète.
C'est encore une application heureuse des études sur l'hypnotisme. Celte femme aurait pu rester longtemps dans son état léthargique et peut être ne pusse réveiller.
Dr P.B
REVUE CRITIQUE
Recherches thérapeutiques sur la suggestion dans l'école de psychiatrie autrichienne.
par M. le Dr E. BERGER
BIBLIOGRAPHIE :
1) KRAFFT-EBING, Uber Hypnotismuss. Mittlhilungen des Vereines der Arzte in Sinermark. Gratz, Leuschner et Lubenskg. 1889. p.55
2) Krafft-ESING. Eine experimentalle Studie auf dem Gebiete .les Hypnotismus.
2me édition. Stuttgart. Enke. 1889. 3) Krafft- Esing, Angeborene Contraresexualempfindung. Erfolgreische hyp-
notische Anbsuggerirung homusexualer Empfindungen. Internat. Central-
blatt fûr die Physiologie und Pathologie der Hirn und Sexualorgane. Bd. I.
Heti. I.
4) Muller Franz. Mittheil. des Ver. der Arzte Steiermarks, 1889, p.65. 5) GUTMANN L., Mittheil, des Ver. der Arzte Steiermarks 1889. p. 69. 6) V. KÖFT, Mittheil. des Ver. der Arzte Steiermarks 1889, p. 70.
Les recherches rar l'hypnotisme laites par M. Krafft Ebing, professeur de psychiatrie et de néuropathologie à l'université de Vienne, ont attiré l'attention de tous les médecins autrichiens sur la question de l'application thérapeutique de la suggestion dans le traitement de l'hystérie et d'autres maladies du système nerveux.
M. Krafft-Ebing est bien connu dans le public comme médecin de plusieurs membres des familles souveraines de l'Europe, en outre le
monde médical l'estime comme un clinicien très sérieux, dont les outrages : « Traité de psychiatrie (2 éditions) (Lehrbuch der psychiatrie), psychopatia sexualis, (4 éditions) el la psycologie criminelles (Criminal psychologie) (a éditions) onl obtenu un succès presqu'inouï.
Les expériences sur l'application de l'hypnotisme dans l'hystérie ont été communiquées par M. Kratft-Ebing d'abord dans une société médicale (1). Les interprétations de l'hypnotisme données par M. Krafft-Ebing.ont été contestées par M.M. Millier (4), Gutman (5) et V. Kôpl (6). Mais leurs objections ont été réfutées par M. Krafft-Ébing dans une récente monographie(3) : Etudes expérimentales sur l'hypnotisme.
Voilà les points les plus importants des observations de M. Krafft-Ebing concernant l'hystérie.
M. Krafft-Ebing a réussi par la suggestion à arrêter immédiatement une diarrhée violente' accompagnée de coliques et les selles demandées dans un délai de 10 heures apparurent d'une façon précise.
11 a souvent réussi à produire à une heure fixée d'avance par la suggestion l'apparence d'une température demandée (p.ex.de 36,0 et 38, 5 degrés). Mais quelquefois la température demandée dans certains cas anormaux se produisait avec un peu de retard.
A plusieurs reprises des accès hystéro-épilepliques apparurent pendant la suggestion. M. Krafft-Ebîng a surtout constaté que de tels accès exercent uncintluence inhibiioire sur la suggestion en détruisant complètement le souvenir des questions posées pendant le sommeil. Après ces accès d'hystèro-épilepsie, la malade s'etlorçait de reproduire les paroles suggérées pendant l'hypnoiisation, mais c'était sans aucun succès. M. Kratft-Ebing a réussi chez la même malade à guérir complètement par la suggestion la céphalalgie, l'anorexie, les troubles digestifs, l'insomnie et le dégoût de la vie ; il a même inhibé par la suggestion l'apparition des accès hystéro-épilcpliques. Un lait du plus haut intérêt fut la production, par suggestion, d'un sommeil d'une durée de vingt-deux heures. Il fut très difficile de convaincre la malade à son réveil le lendemain que c'était le mardi et non le lundi.
M. Krafft-Ebing, a fait des recherches très importantes sur la théorie de l'étal post-hypnotique. Il a réussi à obtenir que la malade vint en état post-hypnotique dans une société médicale pour y être présentée. Son état avait beaucoup d'analogie avec le somnambulisme naturel. Seulement après l'exécution des faits demandés par la suggestion faite vingt-quatre heures d'avance, la malade se réveilla et le sommnabulisme disparut. M Krafft-Ebing explique ce lait intéres-sant pazu auto-hypnose. Dans cet état, ta volonté la spontanéité et la perception claire des faits extérieurs, manquent complètement. L'inhibition par l'auto-hypnose n'est pas si complète que celle qu'on obtient par l'hypnose expérimentale. La malade entend et aperçoit aussi d'autres personnes que l'expérimentateur mais le tout se passe comme pendant le rêve.
Quelque fois même la malade tombait spontanément dans l'état de l'auto-hypnose; cela se produisait par la vue d'objets brillants, par exemple en regardant les aiguilles à tricoter pendant son travail.
M. Krafft-Ebing admet l'existence chez cette malade de trois états mentaux distincts. (« Bewusslscinzusände ») 1 l'état normal 2° l'état produit par l'hypnose expérimentale 3° l'état produit par l'autohypnose. La malade a un étal mental triple, chaque état reposant sur un mécanisme particulier des systèmes nerveux. Ces cercles des états mentaux ne se superposent jamais, chaque état mental ayant sa mémoire particulière.
- K. E. a réussi de tranformer l'état 1 en état il par la vue des objets brillants, par la compression des globes oculaires etc. L'état III était produit par la suggestion dans l'étal : 1 ou par l'auto-hypnose. Par les mêmes moyens qui reussisent à transformer l'état 1 en 11, on peut transformer l'étal 111 en 11.
L'étal 111, produit par l'auto-hypnose spontanée est en quelques points de vue dillérent de celui produit par l'auto-hypnose consécutive à la suggestion. Les laits suivants sont très importants au point de rue de i interprétation médico-légale des vols commis à plusieurs reprises par la malade.
Le 35 janvier 89 les médecins trouvent la malade triste, tranquille, la tète appuyée sur les mains. Elle ne répond pas comme toujours au salut matinal. Les yeux, vagues comme dans un rêve n'aperçoivent pas les objets voisins ni les personnes présentes, ni même l'expérimentateur habituel.
Celui se place en face d'elle et la regarde. Subitement la malade prend une expression de physionomie spéciale. Elle entend le bruit de la montre placée dans la poche du médecin, elle s'approche avec adresse, décroche la montre d'une façon très habile et la cache dans une fente de son fauteuil. De même elle prend quatre autres montres des médecins internes et les cache dans un pot de fleurs. Ensuite la malade regarde dans un livre et en tricotant il se produit chez elle l'état de l'auto-hypnose.
Elle ne réagit pas par les diverses excitations des organes de sens ; seulement quelques mesures d'une chanson la lont s'émouvoir et la plongent en catalepsie. Lorsqu'un des médecins provoque des cliquetis métaliques avec des florins d'argent la malade se jette avec avidité sur les pièces de monnaie et les fait disparaître dans sa poche.
La même chose se passe, lorsque un autre médecin provoque un cliquetis avec des clefs. Comme il ne se laisse pas prendre ses clefs, elle veut les arracher de force, elle le frappe, luttant pour avoir les clefs et les cache ensuite dans un poële. Ensuite elle reprend son livre pour lire. Les objets volés sont repris par leurs propriétaires sans que la malade les en empêche. M. Kralfl-Ebing transforme l'état 11 en état 1. La malade est tout à fait étonnée, elle ne sait pas rien de ses vols, et est surprise de voir autour d'elle des médecin sans qu'elle les ait une entrer.
Le lendemain 38 janvier M. Krafft-Ebing demande ù la malade à fixer une montre brillante. Immédiatement elle passe dans l'état 11 et alors il observe desphénomènes caractéristiques de la continuation de l'état mental 111 dans lequel elle était la veille.
Elle cherche dans ses poches les montres, ainsi que dans le pot de -fleurs. Elle est consternée de ue pas trouver les objets volés; puis elle devient agitée et s'irrite cherchant vainement dans les fentes du fauteuil.
En passant la main sur le front de la malade M. Krafft-Ebing produit l'étal il. Elle devient immédiatement tranquille et apathique. Dans l'étal 11 elle aperçoit la montre mais elle ne fait aucune tentative pour s'en emparer. Après un certain temps très court. M, Krafft-Ebing la réveille.
D'après M. Kralfl-Ebing, dans l'état 1, les fonctions psychiques sont normales, le sujet n'est malade à aucun point de vue. Elle est dans cet état une personne très honorable.
Dans l'élat 11 les fonctions intellectuelles sont complètement inhibées. La malade a l'apparence endormie et l'inhibition des actes psychiques est telle qu'aucun acte psychique pas même celui des rêves ne se mani-
feste. Seulement les sensations tactile et auditive ne sont pas inhibées-Spontanément seulement des perceptions y naissaient. Mais ces sensa. lions auditives rendent l'acte de la suggestion possible. Par la voie de la suggestion tout l'appareil psychique devient disponible, mais la fonction s'exerce d'une taçon machinale, tout-à-fait automatique, avec une perleclîon admirable.
La personnalité 11 ressemble tout-à-fait à l'état du somnambulisme et est provoquée par des idées de rêve, pendant que l'état 11 est produit par l'hypnose expérimentale.
La spontanéité manque complètement dans l'état II, la malade est devenue un automate : « l'homme machine. »
L'inhibition des actes psychiques est beaucoup moins développée dans l'état ni. Il y a la une variété spéciale : l'auto-hypnose produite par l'auto-suggestion. La malade exécute les faits désirés par son expérimentateur. Les actes psychiques se bornent avec une précision admirable aux idées provoquées par la suggestion.
M. Krafft-Ebing a réussi aussi a guérir par suggestion un cas de perversion sexuelle.
Un docteur de philosophie, âgé de 34 ans, allemand, se présenta chez M. Krafft-Ebing en demandant où il serait possible de le guérir de sa perversion sexuelle. Il n'a jamais éprouvé aucun attrait pour le sexe féminin, mais il a une inclination très marquée pour les hommes. Le malade voudrait bien se marier, mais dans les conditions présentes il le trouve impossible.
Dans la première séance M. Krafft-Ebing lui suggère d'avoir dès aujourd'hui la même indifférence pour les hommes qu'il l'avait pour les femmes.
Cinq jours après le malade revient tout à lait changé dans son caractère. Il sent que son énergie et sa volonté sont augmentées.
Les sept jours suivante le malade est hypnotisé et M. Krafft-Ebing fait la même suggestion que la première fois. Le malade retourne en Allemagne complètement guèri de sa perversion sexuelle. L'aspect extérieur du malade ne révêlait aucune anomalie quand à l'état soma-tique. Il était très légèrement atteint de neurasthénie.
G.s quelques faits prouvent que l'école psychiatirque de Gratz n'est pas resté indifférente aux recherches faites sur l'hypnotisme par les savants de l'école de Nancy. M Kraflt-Ebing a apporté des contributions fort intéressantes à l'étude de la suggestion. Il n'était pas sans intérêt de signaler ce mouvement psychiatique, tout en reconnaissant qu'au point de vue de l'hypnotisme, les recherches psychiatriques, de M.Krafft Ebing ne font que confirmer des faits déjà connus.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Leçon clinique de M. Dumontpallier à l'Hotel-Dieu de Paris
Jeudi dernier, M. Dumontpallier, médecin de l'Hôtel-Dieu, à fait devant un nombreux auditoire de médecins et d'étudiants une leçon clinique sur les applications thérapeutiques de l'hypnotisme. Parmi les auditeurs de marque, venus pour assister à cette leçon si instructive à tous égards, nous pouvons citer: m. leprofesseur Verneuil, professeur de clinique chirugicalc, MM. les docteurs Mesnet, Proust, médecins de l'Hôtel-Dieu, Clado, chef de clinique.
Gidel, proviseur du Lycée Louis-le-Grand, etc., et même plusieurs médecins militaires. L'amphitéatre n'était pas assez grand pour contenir tous les auditeurs entassés jusque dans les escaliers.
Au cours de sa leçon. M. Dumontpallier a présenté une jeune malade du service de M.Verneuil.qui, depuis cinq mois, était restée immobile dans son lit par suite d'une coxalgie et d'un pied bot hystériques du côté droit. Invité par M. Verneuil a traiter cette malade par l'hypnotisme, M. Dumontpallier l'endormit dès la première séance et, trois jours après, la malade pouvait se lever et aller le malin, à la visite, au devant de M. Verneuil.
Les assistants n'ont pas ménagé leurs applaudissements au Dr Dumontpallier qui, comme on le sait, a été un des premiers initiateurs à Paris, de la thérapeutique suggestive.
Nous aurons le plaisir de donner in-extenso le texte de l'intéressante leçon de M. Dumontpallier.
Suicide chez le vieillard.
Dans une thèse récente sur la folie chez les vieillards, M. le Dr Thivet montre que le suicide, à cette période de la vie,est plus fréquent qu'on ne le croit généralement. Une statistique de Garisson par exemple, trouve que pour 100 mille habitants, 47 suicides se font de quarante à soixante ans, et 75 de soixante â soixante-dix ans.
On von donc que le suicide s'accroît avec l'âge. L'accroissement s'arrête pour l'homme de 71 à 80 ans; il continue pour la femme jusqu'à la limite de la vie. Pour les deux sexes, il ne subit aucune interruption. Ainsi donc, la règle d'après laquelle le vieillard, a mesure qu'il avance vers le tombeau, se rattache davantage à l'existence, souffre de nombreuses exceptions et le suicide reparaît d'autant plus ( Foville ) que le vieillard veut continuer à vivre avec les passions, les désirs, les habitudes d'un autre âge.
Le penchant au suicide s'observe le plus souvent dans les états de dépression mentale qui sont fréquents chez le vieillard, l'hypochondrie et la mélancolie, et cela se conçoit d'autant mieux que l'homme avancé en âge réagit moins contre les états de douleur mentale. Son moi est plus faible et la pensée de suicide, soit spontanée, soit communiquée, ne trouve dans son esprit aucun penchant contraire capable de le contre-balancer.
Cette question de suicide chez le vieillard, plus encore que chez l'adulte, se rattache étroitement à celle de la validité des testaments écrits dans ces conditions. Legrand du Saulle professe que c'est une erreur scientifique et une opinion dangereuse que de considérer le suicide comme un symptôme constant de folie. Et. en effet, bien des testaments portant l'empreinte du sang froid, d'une volonté sérieuse et d'une grande lucidité d'esprit ont été écrits par des malheureux quelques instants avant l'exécution de leur fatal projet. Dans bien des cas les jurisconsultes, adoptant cette manière de voir, ont repoussé des demandes en nullité de testaments qui n'avaient d'autre base que le suicide du donateur.
Le suicide n'est donc en lui-même nullement un obstacle à la validité d'un testament.
Médecine clandestine
Le parquet de Château-Gontier, saisi des plaintes d'un grand nombre de personnes, vient d'ouvrir une enquête sur un fait bizarre et monstrueux qui s'est produit dans la région. Un de ces individus qui. dans les campagnes, exercent clandestinement la médecine, avait une façon toute particulière de soigner ses malades. Il allait dans les cimetières, ramassait les os desséchés,
prenant de préférence les crânes humains. Il faisait bouillir ces ossements, es pulvérisait et les donnait en poudre à ses clients pour certaines maladies spéciales. Il y a encore beaucoup, dans les campagnes, de ces prétendus médecins, de ces sorciers jeteurs de sorts. Qu'on n'épargne pas celui-là !
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Stigmates hystériques
Le docteur KrnouI,de Saint-Malo, adresse au Progrès mUiicat la courte observation suivante qui présente quelques analogies avec les stigmates présentes p.rquelqes extatiques, en particulier par Louise Lateau.
Une jeune fille de ¿2 ans est malade depuis un an. Elle a de fréquentes attaques a"kr$tirif, surtout au moment des règles. Le champ visuel est rétréci des deux côtés; elle ne distingue pas lt violet et le vert. Elle a presque tou» tes jours des hémorragies de ta peai; tout A coup des jouîtes de sang s'écoulent, une petite plaie se forme, elle est longue en générai, d'un demi-ccati-mètre. de forme ovale et déprimée au centre ; cette plaie, qui saigne souven t plusieurs fois à différents jours, ne se cicatrise qu'au bout d une quinzaine de |0urn. La malade présente un autre phénomène: sur différents point* du corps, tout a coup, la peau devient rouge, douloureuse, enflammée pendant un ou deux jours; puis l'épidcrmc s'enfeve, le sang sort par gouttelettes c* une excoriation se forme qui se cicatrise dans 15 a 30 jours, après avoir saigné deux ou trois fois à quelques jours d'intervalle.
Singuliers guérisseurs
Un de nos correspondants de Belgique nous signale le fait suivant : Deux simples paysans de Braine l'A kjJ.(B-abait).sont associés ensemble pjurle traitement des maladies qu'ils prétendent découvrir et traiter avec une clairvoyance supérieure que le magnétisme donnerait a l'un d'entre eut, (Sylvain Van de Voit .;i'autre est simplement le magnétiseur. Il n'est pas mime nécessaire de se présenter devant eux poar être traité, il suffit de leur envoyer un morceau de toile quiaêté porté parle malade pendant un i/jd'heurc Leur ignorance des choses de la médecine, comme de l'hypnotisme, est com -plète, et ils ne s'en cachent pas; leurs prescriptions sont bizarres, incohérentes, irréalisables! Et pourtant la foule se porte en rms« chaque jour auprès de ces individus pour les cousulter. Les journaux belges se sont déjà occupés d'eux, mais la justice s'en occupe aussi. L'affaire devra prochainement se présenter devant le tribunal de Nivelles.
BIBLIOGRAPHIE
1.
b- LEGK S — HÉRÉDITÉ ET ALCOOLISME .a* Dom. P.fU. .1889
Dans cette importante étude, le docteur Lcgrain a formulé les lois suivant lesquelles l'hérédité et l'alcool réagissent l'un sur l'autre. D'après une analyse scrupuleuse et fouillée des faits, il a suivi pas à pas, dans sa lutte avec l'aie- ¦ 1', le dégénéré avec ses irois grands caractères : son état mental, ses impulsions, sa propension A délirer pour la cause la plus légère.
L'auteur prend l'alcoolique en puissance d'hérédité pathologique et le compare aveé l'alcoolique indemne de toute tare. « Lesaccidents alcooliques, se demanJc-t-il. seront-ils les mêmes chez le premier et le second? S'ils diffèrent, l'influence de l'hérédité sera-t-ellc la cause de cette dissemblance, et. si elle en est la vraie cause, en quoi consistera son iaffuenec ? Quels en seront les indices révélateurs? Que deviendra l'alcoolisme classique quand il évoluera sur un terrain chargé d'une t-re héréditaire? » Tels sont le» problèmes qu'il se propose de résoudre.
Il montre en effet que les dégénérés sont plus susceptibles que les individus bien équilibrés vis-A-vis de l'alcovl, et qu'une fois le délire alcoolique constitué, il offre un tableau symptomatique différent de ce qu'on a coutume d'observer chez les buveurs non tarés.
Après avoir analyse l'état mental dus buveurs, des buveurs conscients et inconscients, des buveurs dipsomanes. après avoir remonté à leurs ascendants et montré la tendance à boire qu'ils en héritent, il étudie minutieusement l'ivresse du prédisposé, et compare ses diverses formes a celles de l'ivresse vulgaire. Pour lui, les héréditaire* sont de véritables « sensilives » vis-â-vis de l'alcool ; l'ivresse arrive chez eux 3 brève échéance; une fois qu'elle s'est installée, elle revêt des formes qui rappellent la nature et la prédisposition, mais elle met surtout en relief les caractères habituels de l'état mental, qui n'est, en somme, psychologiquement parlant, que le produit synthétique des diverses influences héréditaires».
Aussi le délire alcoolique des prédisposés ne ressemble pas au délire alcoolique stéréotypé. Chaque malade y ajoute sa note personnelle. Les signes de l'intoxication et les signes révélateurs de la prédisposition héréditaire conservent une certaine indépendance qui les rend facilement méconnaissables- La lenteur de l'évolution, la fréquence des rechutes, l'affaiblissement précoce des facultés mentales, le polymorphisme du délire caractérisent 1 alcoolisme des dégénérés.
Néanmoins le docteur Legrain reconnaît que les abus invétérés de boisson, chez les gens non héréditaires, entraînent la création d'un terrain de dégénérescence, qui comporte les mêmes particularités que le terrain de dégénérescence héréditaire. Il y germe des syndromes et des idées délirantes, copiés sur ceux des dégénérés ordinaires- Il montre en même temps que la résistance organo-psychique des malades diminue progressivement, au fur et a mesure que le nombre des excès devient plus grand. Au début, l'alcool y engendre son délire spécial : peu à peu il ne joue plus que le rôle d'un appoint.
un chapitre est consacre aux raprorts de l'alcoolisme avec les états con-vulsifs. Pour l'auteur, l'épilepsie alcoolique n'existe pas en tant qu'entité morbide, sauf dans les cas exceptionnels où les malades sont intoxiqués par des substances èpileptisantes (absinthe, furfurol). Dans les autres cas, elle révèle l'existence dune tare héréditaire, nébropathique, vésanique ou épilcptiquc
Consacrant un autre chapitre à la descendance des alcooliques et des buveurs, il y présente quelques types de dipsomanes.
Enfin, le docteur Lccrain termine par un aperçu médico-légal sur la responsabilité des alcooliques et des buveurs. Il répudie hautement cette formule d'un autre âge: Ebrius punitur propterr ébrietatem. Car il est démontré, dit-il, que dans bon nombre de cas, l'homme n'est pas libre de ne pas boire. Il se rallie à la doctrine des responsabilités atténuées, ou mieux des pénalités atiénuées.
II
G. VARIOT. - LES TATOUAGES ET LES PEINTURES DE LA PEAU. Extrait de la
Revue scientifique. 1889.
Le Dr G. Variot continue la série de ses intéressantes recherches sur les tatouages. Cette fois c'est sur les hôtes exotiques de l'exposition que ses études ont porté.
Il a examiné les tatouages des Algériennes, des Kabyles, des Canaques, des Sénégalais, des Nègres, et il les met sous nos yeux grâce à la reproduction en phototypie d'excellentes photographies ducs au regretté professeur Damaschino.
Ensuite il étudie les peintures de la peau chez les Peaux-Rouges de Bceuf-a-l'huile, et les danseuses Javanaises. « Le maquillage de leur visage est un véritable travail, dit-il. Elles ne craignent pas de procéder aux soins de leur toilette coram populo; nous avons donc pu y assister el en analyser les détails.
« Toute la peau du visage et du cou est d'abord enduite d'une sorte d'empois qu'on laisse sécher, après l'avoir soigneusement étalé. La figure parait ainsi comme plâtrée. Puis la danseuse s'arme d'un pinceau qu'elle trempe dans l'encre de Chine et se dessine deux bandeaux noirs sur le front. Ces bandeaux qui s'étendent depuis la racine des cheveux jusqu'au voisinage des sourcils, semblent prolonger la chevelure en avant. Une grosse bande noire en forme de mèche recourbée, est tracée de la même manière au-devant des
oreilles, sur la peau des joues. Les sourcils sont noircis et un peu allonges avec le même pinceau, et une petite mouche noire circulaire est ajoutée au-dessus du nez. Les bavures de l'encre de Chine sont enlevées ; les bouts des dessins sont rendus plus nets par un peu de blanc surajouté, puis les cheveux sont lissés avec une brosse imprégnée d'encre de Chine. L'excès de blanc est essuyé très légèrement avec un petit tampon, et la peau du visage reste recouverte d'une sorte de duvet qui atténue la teinte bronzée.
« Par tous ces apprêts, le caractère de la physionomie est considérablement modifié. De loin, les bandeaux peints à l'encre de Chine donnent l'illusion des cheveux avec lesquels ils se confondent. >
Le Dr Variot termine par quelques considérations générales. « La décoration de la peau, dit-il, cultivée dans tous les temps et chez tous les peuples sous des formes variées, se rattache à un des instincts primordiaux de 1'humanité : l'amour de la parure.
« C'est cet instinct qui guide l'homme le plus sauvage des Iles Marquises lorsqu'il se scarifie et se peint toute l'enveloppe cutanée, aussi bien que les femme la plus raffinée qui recourt aux maquillages artistiques pour ajouter à ses charmes un éclat emprunté, a
III
Dr A. corre. LE CRIME ?n PAyS créoles. - (Esquises d'orthnographie criminelles Dans la Bibliothèques scientifique de l'avocat et du magistrat sous la direction du De A.
Laccassagne, Storck à Lyon et Steinhell à Paris.1889.
Aux colonies, la population renferme à côté d'une minorité d'hommes blancs une masse numériquement prédominante d'hommes de couleur, qui emprunte à son origine africaine, sinon certains caractères d'infériorité, au moins certaines aptitudes particulières.
Le Dp Corre se demande s'il faut attribuer a cette prédominence d'un élément relativement grossier, a la forme cérébrale du noir, les modalités principales de la criminalité, ou bien si celles-ci doivent relever plutôt des conditions sociologiques que des influences de race.
Dans un premier chapitre, l'auteur étudie l'évolution générale dans les pays créoles pendant la période esclavagiste, pendant la période d'émancipation et pendant ce qu'il appelle la période d'assimilation.
Au temps de l'esclavage, dit-il, le nègre, être passif, presque négatif, commet moins de crimes que le blanc, et la sphère de ses attentats gravite autour de ses besoins, vrais ou factices, très réduits; le Diane qui est tout, voit - multiplier pour lui les occasions de conflits, les plus susceptibles de l'entraîner aux pires écarts; il n'a aucune retenue, il s'adonne a la fougue de ses plus mauvais instincts, jusqu'à commettre le crime avec une cruauté frivole et raffinée : il fournit le plus grand nombre des attentats punissables et les plus violents.
A l'époque de l'émancipation, au cours d'une effervescence qui n'était que trop à prévoir, les tares organiques émergent du flot houleux où. Noirs et Blancs, mélangent leurs couleurs, leurs rancunes et leurs haines ; les affranchis d'hier se livrent à des actes abominables, puis, le calme revenu, on se trouve en opposition, dans le milieu social transformé.
Une population blanche, très réduite, à son tour rivée au second plan : elle ne fournit plus guère a la criminalité parce qu'elle s'isole de plus en plus, et perd l'influence qui expose aux chocs et aux contacts, d'où naissent, le plus souvent, les éclats criminels ou délictueux, avec les intérêts égoïstes et antialtruistes en pleine activité militante.
Une population de couleur, forte par le nombre et l'indépendance : elle alimente presque exclusivement la criminalité locale, a mesure que le champ de ses appétits s'élargit davantage, avec celui de son omnipotence. Cependant la criminalité s'est atténuée proportionnellement au chiffre de la population. Si le développement social est une cause de conflit entre les individus, qu'il rapproche les uns des autres et dont il accroît les intérêts avec les besoins, c'est aussi un correcteur et un réducteur des impulsivités dangereuses, par l'instruction des unités, par l'éducation collective, sur lesquelles il repose. L'émancipation a certainement amélioré le nègre, mais avec l'assimilation, le nombre des attentats délictueux et criminels reste formidable.
Dans le second chapitre, le Dr Corre passe en revue les facteurs généraux de la criminalité dans les pays créoles. Un graphique en couleur nous montre les rapports de la criminalité avec les influences climatériques et saisonnières. Puis, après avoir comparé les impulsivités chez le noir, le mulâtre et le blanc, nous examinons les causes de la criminalité créole proprement dite: le relâchement des mœurs et de la famille, l'alcoolisme, l'abus de l'opium, la superstition. Quant à la criminalité indienne, elle a deux mobiles tout particuliers : les conflits avec l'engagiste qui, par suite du manque de protection et de justice a l'égard de l' engagé, entraînent chez ce dernier le suicide ou l'attentat, et la criminalité sexuelle qui reconnaît pour cause l'insuffisance du nombre des femmes.
Dans le troisième chapitre, nous abordons les formes de la criminalité créole le proprement dite. Et l'auteur étudie minutieusement toutes les causes qui poussent plus spécialement les créoles au crime : les veillées mortuaires où l'on boit le rhum avec excès et qui finissent si souvent par des rixes ; les duels si en honneur à la Guadeloupe et qui ne sont souvent que de véritables tueries; l'homicide et le cannibalisme provoqués par le culte du Vaudou ; les empoisonnements dont on a exagéré la fréquence au point de créer de véritables légendes ; les attentats à la pudeur sur les enfants amenés par la précocité sexuelle et les provocations lascives de ceux-ci ; les viols si hardis et si étranges sur les femmes endormies. Le Dr Corre cite, à propos de ces dernières Formes de la criminalité, des faits extrêmement curieux et quelques uns, forts amusants. Telle est. en particulier, la mésaventure de cette négresse, racontée par elle-même, dans une lettre au Procureur de la République. Cette négresse croyait se livrer aux caresses de son mari et ce ne fut que grâce aux proportions génitales exagérées de son violateur par surprise, qu'elle s'aperçut de la supercherie et de son erreur.
L'avortement et l'infanticide sont assez rares chez les créoles. Quant aux crimes contre les propriétés, ils se manifestent presque toujours par l'incendie. Le créole se venge du maître en incendiant ses propriétés ou ses récoltes.
Le quatrième et dernier chapitre consacré aux formes de la criminalité d'importation ou indienne : les crimes-personnes, occasionnés par l'adultère, la jalousie, la sexualité, l'infanticide et la vengeance, et les crimes-propriétés qui, comme chez les créoles, se traduisent par L'incendie et quelquefois par le vol.
Tel est ce livre plein de documents curieux et intéressants. C'est une étude d'ethnographie criminelle que tous tes savants et tous les magistrats voudront lire.
Dr Emile LAURENT.
NOUVELLES
Congrès. — Le congrès des Sociétés savantes s'ouvrira le mardi 37 mai prochain. Le bureau dei sciences est ainsi composé :
Président. M. Barthelot; vice-présidents. MM. Mascart. Milne-Edwards. Dirbroux et Le Roy de Méricourt: secrétaires. MM. Angot et Vaillant.
dixième Congrès médicale international.— Conformément aux résolutions du neuvième Congrès tenu à Washington, le dixième Congrès médical international aura lieu à Berlin du 4 an 9 août
Une exposition internationale des sciences médicales sera annexée M Congres.
La cotisation des membres est fixée à 20 marks payables au moment de l' inscription.
Les langues officielles pour toutes les sections sont l'allemand. 1 anglais et le français-
Le Congrès comptera dix-huit sections. 1°- Anatomie gérant Hertwig;-2° Physiologie et chimie physiologique, gérant Du Bois-Reymond : 3°Pathologie générale et anatomie pathologique, gérant Virchow; 4° Pharmacologie gérant, Liebreich; 5° Médecine interne, gérant Ler-
den; 6° Pediatrie, gérant Henoch; 7° churirgie, gérant Bergmann; 8° Obstétrique et gynéco-logie, gérant Martin; 9° Neurologie et psychiatrie, gérant Gérant Laehr; 10° Ophtalmologie. gérant Sebwergger; 11°- Otialrie. gérant Lucae: 12° Laryngotogie et rhinologie. gérant Fraenkel ; 13° Dermatologie et syphiligraphie. gérant Lassar; 14° Odontologie, gérant Busch; 15° Hygiène, gérant Pistor; 10° Géographie médical: et climalologie (histoire et statistique). gérant Hirsch;
17°- Médecine légale, gérant Liman; 18°- Hygiène militaire, gérant Krocker.
Toutes les demandes et communications doivent être adressées au secrétaire général docteur Lassar, Berlin, nw, 19. Karistrasse.
— L'Associatioa médicale mutuelle de la Seine, qui comptait 67 sociétaires en 1887.123 en 1888, en compté 149 en 1889. Le taux de la cotisation est de 10 francs par mois ; il est alloué une indemnité de 10 francs par jour au sociétaire malade. En 1887 il n'y a pis eu de malades ; en 1888. l'Association a payé 329 journées de maladie et 355. en 1889.
Asiles d'alénés. — M. le Dr Combemate est nommé médecin adjoint 'à l'asile des aliénés de Bailleul — le Dr Lapointe est nommé médecin de l'asile d'Auxerre; — M. le D Breston est nommé directeur de l'asile de Montdevergne | — M. le Dr josserand est nommé directeur de l'asile du Mans; — M. le Dr Chambard est nommé médecin en chef de l'asile de Ordillac; — M. le Dr F.bre est nommé directeur de l'asile de Saint-Didier: — M. le Dr Bassiere est nommé médecin directeur de l'asile de Saint-Alban.
— Le ministère de l'instruction publique vient de publier une italique de l'enseignement supérieur de 1878 à 1888 dans laquelle on reléve on détail assez curieux.
Depuis du ans le nombre des étudiants en médecine a doublé.
Il y avait, en 1888, 6.455 étudiants inscrits dans les écoles de médecine.
Or. si le nombre des étudiants s'est considérablement acru. on constate que celui des diplomés est resté à peu près stationnaire. Le nombre des docteurs reçus en 1866 était de 520; il était de 610 en 1876; depuis cette date, une seule fois a atteint 690: mais d 'autres années, il est tombé à 590 et même à 540 ; ce qui ne prouve pas en faveur du zéle des étudiants.
— La Société française de tempérance contre l'abus des boissons alcoolisés a reçu de Mme Lunier une somme de 1,000 francs destinée à récompenser, sous le titre de: Prix lamier, l'auteur du meilleur travail sur la question vivante :
« Quelles sont les conséquences héréditaire de l' alcoolime et de l'Ivrognerie ?
« Quels sont les moyens a prendre pour empêcher ces conséquences de se produire, ou pour en atténuer les effets?
Les candidats devront s'inspirer des travaux de Lunier sur l'alcoolisme.
La Société française ne limite pas le champ des recherches et désire que l'étude des moyens
propres à prévenir les conséquences de l'alcoolisme et de l'ivrognerie s'étende aux moyens mauraux sociaux, thérapeutiques, etc.
Par occupation, les travaux imprimés depuis moins de deux ans, an ler janvier 1890 sont, au même titre que les manuscrit, admis à concourir.
Les manuscrits, portant le nom et l'adresse de leur auteur. les ouvrages imprimés.seront adressés, au plus tard le 31 décembre 1890, à M. le docteur Motet, secrétaire général de la Société, à Paris, 161, rue de Charonne.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL
(Nous invitons nos lecteurs à compléter par leurs indication, le lacunes de cet index).
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L'Administrateur-Gérant; Émile BOURIOT
PARIS.— IMPRIMERIE CLAMARON-GRAFF,57, RUE DE VAUGIRARD
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
L'HYPNOTISME ET LES CONTRACTURES HYSTÉRIQUES
par M. le Docteur DUMONTPALLIER (1}
Médecin à l'Hôtel-Dieu.
Au n° 14 de la salle Notre-Dame, dans le service de M. le professeur Verneuil, se trouve une jeune fille de dix-huit ans, affectée de contracture hystérique des muscles pelvi-trochantériens, des fléchissures du genou et du jambicr antérieur.
Au début, il y avait eu, chez cette malade, une coxalgie avec renversement du membre en dedans, et, dans certains moments, avec renversement du membre en dehors. Quand M. Verneuil prit possession du service de clinique chirurgicale, il avait trouvé cette malade traitée par l'extension continue. Après l'avoir chloroformée, il fit appliquer un appareil plâtré, et plus tard il plaça la malade dans la gouttière de Bonnet. Depuis trois mois et demi, la malade était donc traitée par les appareils contentifs, et cela sans résultat favorable.
C'est dans ces conditions que M. Verneuil m'a engagé à voir cette malade et à faire ce que je pourrais pour lui être utile.
Je constatai une hémianesthésie générale cutanée et sensorielle du côté droit, en même temps qu'un affaiblissement musculaire du membre supérieur du même côté. La sensibilité et la force musculaire étaient conservées pour le côté gauche du corps. Il existait une rétention d'urine absolue; le cathétérisme vésical devait être fait plusieurs fois par jour. Continuant mon examen, j'apprends que cette jeune fille a eu une attaque d'hystérie, il y a deux ans, pour la première fois, à la suite d'une grande frayeur. A partir de ce moment, elle a été sujette à divers accidents nerveux. De plus, elle avait de l'ovarie du côté gauche, c'est-à-dire du côté opposé aux manifestations hystériques. Menstruation régulière.
Il était donc établi que cette jeune malade était hystérique ; les contractures des muscles du membre inférieur avaient eu pour cause déterminante une lésion péri-articulaire du genou. C'était donc bien une observation du genou de Brodie, et la contracture s'était étendue aux muscles pelvi-trochantériens et au jambier antérieur.
Nous arrivons maintenant au traitement.
(1) Extrait d'une leçon faite par M. le docteur Dumontpallier, sur l'invitation de M. le professeur Verneuille, dans l'amphithéâtre de la clinique chirurgicale de la Faculté de médecine.
Briquet a écrit dans son Traité de l'hystérie, ouvrage publié en 1859, «t qui restera classique : « Quant aux contractures, je ne sais absolument rien y faire. » I! était donc très difficile de guérir la contracture, de l'aveu de Briquet.
Aujourd'hui, les différents procédés pour obtenir cette guérison sont nombreux. On peut, ainsi que l'a démontré M. Charcot, avoir recours au transfert de la contracture au moyen de de l' électro-aimant ou de l'aimant ordinaire, et je dois, en passant, signalera votre attention la communication que MM. Proust et Ballet exposèrent au Congrès d'Amsterdam, en 1880, sur l'action des aimants chez les hystériques.
Vous n'ignorez pas que Burq d'abord, puis M. le docteur Moricourt, ont publié nombre d'observations où la métallothérapie a guéri des contractures hystériques.
Mais ces différents modes de traitement exigent plusieurs séances, les résultats obtenus sont intermittents et d'une durée variable. Leur application fatigue souvent la patience des malades et des médecins, et, dès lors, est d'un usage peu pratique. Par contre, nous disposons aujourd'hui d'une méthode de traitement rapide dans ses résultats thérapeutiques, et d'une application facile et conséquemment pratique. Je veux parler de la suggestion dans l'état hypnotique, et c'est à cette méthode de traitement que j'ai eu recours pour guérir la contracture de notre jeune malade.
Avant de vous exposer comment j'ai procédé dans ce cas, permettez-moi, puisque j'ai parlé du traitement de la contracture par le transfert de la contracture d'un côté à l'autre du corps, de vous dire comment a été découvert le phénomène dit du transfert. Cette digression sera utile à beaucoup d'entre vous, et vous invitera à étudier cette question intéressante du transfert.
La découverte du transfert est française, et est acceptée aujourd'hui du monde savant. Elle appartient à la commission de la Société de biologie qui avait été chargée, à la demande de l'illustre Claude Bernard, d'étudier les travaux du docteur Burq. Les membres de la commission étaient MM. Charcot, Luys et Dumontpallier, rapporteur.
La commission s'était adjoint MM. Landolt et Gellé, qui, par leurs connaissances spéciales, pouvaient nous prêter un utile concours dans l'étude des troubles de la vision et de l'ouïe chez nos hystériques en expérimentation métalloscopique. 'Dans une des séances de la commission, M. le docteur Gellé me signala un fait important dans ces termes : « Mais pourquoi rendre la sensibilité de l'ouïe du côté droit à cette malade puisqu'en même temps elle diminue du côté gauche ? Je n'y vois pas grand bénéfice. »
Cette remarque fut une révélation pour moi, et aussitôt, dans la même séance, je constatais sur plusieurs de nos malades, dont je connaissais l'aptitude métallique, que si elles recouvraient, sous l'action locale du métal, la sensibilité, la force musculaire, la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût, elles perdaient du côté opposé une portion de ces mêmes propriétés physiologiques.
Ce n'est pas le lieu d'entrer dans tous les détails des expériences que j'entrepris dans le temps; qu'il vous suffise de savoir que je ne me déclarai convaincu de la réelle valeur scientifique de cette découverte du transport de la sensibilité et de la force musculaire, que le jour où je constatai que les oscillations de la température périphérique des malades mar-
chaient parallèlement avec les oscillations de sensibilité et de la motilité. et. à ce transport de la sensibilité, de La motilité et de la température d'un côté à l'autre côté du corps, je donnai le nom de transfert, qui lui est resté depuis 1877.
Expérimenter la métalloscopie, essayer l'action intermittente des aimants sur notre petite malade, c'était, je le répète, trop long pour elle et pour nous. Alors je pris le parti d'agir à la façon de Liébeault et de Bern-heim, par la suggestion, si la malade était hypnotisable.
Depuis longtemps déjà, je savais les chances de succès de la méthode de Nancy; je l'avais souvent employée à ma grande satisfaction, et Mesnet, Charcot, Proust, Paul Richer. Balle., Charles Richet, Grasset, par leurs publications, ont enseigné ce que peut donner la suggestion, dans les paralysies psychiques et dans les contractures.
C'est dans ces conditions que je m'approchai de U malade, et que je lui demandai si elle voulait être endormie pour guérir rapidement de sa contracture.
M. Bernheim emploie deux procédés : la suggestion impérative : « Faites ceci, je vous l'ordonne »; ou bien la suggestion par persuasion.
La malade étant très émue de me voir, se souvenant de l'insuccès des traitements antérieurs, et craignant même qu'une intervention nouvelle ne lui fût pas plus utile et ne la fit souffrir, j'employai la pîrsuasion. Immédiatement je fus assez heureux pour la convaincre. Je procédai donc à la suggestion, de la façon suivante. Je lui dis : « Mon enfant, vous avez là un mal qui vous fait bien souffrir; voilà longtemps que vous êtes à l'hôpital, vous êtes bien malheureuse d'être dans cette position. Vous ne pouvez pas uriner seule, c'est pénible pour une jeune fille de votre âge. Vous avez des attaques de nerfs. Eh bien, si vous voulez vous laisser endormir, entourée que vous êtes par les élèves du service que vous voyez tous les jours, par les infirmières qui vous soignent, quand vous vous réveillerez, vous serez déjà mieux et peut-être que, demain ou après, vous serez guérie. » Je lui dis de me regarder, et j'ajoutai : c Ayez la volonté de dormir, et regardez-moi. »Je lui ai répété simplement plusieurs fois : « Dormez, dormez, dormez ! » Bientôt ses yeux sont devenus humides, ses paupières se sont abaissées par petites saccades, puis se sont fermées. Elle dormait, elle était en hypnose somnambulique. Elle m'entendait, elle répondait à mes questions, et l'analgésie du côté gauche était assez marquée pour que je me crusse autorisé à penser que la malade était bien en hypnose somnambulique.
Je continue : - Vous m'entendez? Oui, eh bien, nous enlèverons bientôt l'appareil ; vous pourrez remuer les doigts de votre pied, étendre votre jambe, vous allez pouvoir vous retourner du côté droit sur le côté gauche, et vous aurez soin d'uriner seule ; vous demanderez le bassin, et on n aura plus besoin de vous sonder. « J'ajoutai : « Vous dormirez pendant une heure, et, à votre réveil, vous vous rappellerez toutes les recommandations que je vous ai faites, et au moment de vous endormir ce soir, vous penserez à ce qui a été fait ce malin. »
Les hystériques en état d'hypnotisme, ont une conscience du temps que je ne m explique pas, mais enfin qui existe. J'avais eu soin de lui suggérer que l'amélioration qu'elle éprouverait du côté droit, elle ne l'aurait pas aux dépens du côté gauche, et que, lorsqu'elle recouvrerait la sensibilité
de la peau et des sens à droite, elle conserverait la sensibilité du côté gauche, c'est-à-dire qu'il n'y aurait pas de transfert, ce qui était important.
Le lendemain, quand je revins dans le service, l'infirmière m'apprit que la malade s'était réveillée au bout d'une heure, qu'elle avait demandé le bassin, et qu'on n'avait pas été obligé de la sonder dans la journée, qu'elle avait pu dormir sur le côté gauche, ce qu'elle n'avait pas fait depuis plusieurs mois, et qu'elle avait eu un très bon sommeil; qu'elle avait bien mangé et bien digéré, et que, conformément à la suggestion que je lui en avais donnée, elle était allée à la garde-robe.
Mais voilà que le lendemain j'apprends que, la nuit, elle avait uriné au lit. Il a suffi d'une nouvelle suggestion pour remédier à cet inconvénient et maintenir les heureux résultats obtenus dès la première séance.
Le surlendemain, quand j"arrivai pour endormir la malade et continuer les suggestions, j'appris qu'elle n'avait plus d'incontinence d'urine, et qu'elle avait demandé le bassin. De jour en jour les progrès se sont accusés ; chaque jour nous avons gagné du terrain ; nous n'avons pas constaté, comme cela arrive assez souvent, que d'un jour à l'autre, la malade eût perdu le bénéfice qu'on avait obtenu la veille. Si bien que, le quatrième jour, M. Verneuil, en arrivant dans son service, trouve la petite malade débarrassée de la gouttière de Bonnet, assise dans un fauteuil et pouvant remuer sa jambe, au grand étonnement de tout le monde.
Elle paraissait, en un mot, sur la voie certaine d'une guérison; je dis paraissait sur la voie certaine d'une guérison. parce qu'avec les hystériques, il faut toujours se tenir sur ses gardes. Il suffit d'une émotion morale vive pour déterminer une attaque de nerfs, et, après l'attaque, on voit souvent réapparaître les accidents qui avaient disparu par la suggestion. Mais j'avais eu soin de dire à la malade : « Vous êtes guérie de votre contracture, vous pourrez marcher (ce qu'elle fit les jours suivants); vous n'aurez plus d'attaques de nerfs et toutes vos fonctions s'accompliront régulièrement, vous dormirez le soir à l'heure du sommeil, vous n'aurez pas de cauchemars, de mauvais rêves. Vous sentirez vos forces revenir après le sommeil de chaque nuit, et vous ne serez plus malade. »
Dans ces conditions, nous avons été utile à cette malade. Aujourd'hui, elle aurait pu venir en s'aidant de sa canne, dans cet amphithéâtre. La contracture a disparu, mais il reste une atrophie des muscles de la jambe et principalement du triceps crural. Le massage et la suggestion modifieront cette atrophie, et l'hydrothérapie, les toniques et l'exercice rendront au membre malade sa force et ses fonctions.
LES SUGGESTIONS CRIMINELLES
Leçons professées d la Faculté de Nancy, par M. le professeur BERNHEIM (Suite et fin)
J'ai dit que certains suggestibles peuvent mentir de bonne foi, parce qu'ils sont dupes de leur imagination.
Ce n'est pas une simple vue de l'esprit. Vous avez vu combien il est facile de créer chez les suggestibles éveillés des souvenirs fictifs qui constituent ce que j'ai appelé des hallucinations rétro-actives ; vous avez vu combien il est facile de créer des faux témoins de bonne foi. J'ai cité de nombreuses expériences de ce fait dans mon livre sur la suggestion. Vous avez assisté, il y a quelques jours, â la suivante : Je trouve un malade endormi dans mon service. C'est un Suggestible atteint de myélite chronique, hypnotisable avec hallucinabilité et amnésie au réveil. Je le prends dans son sommeil naturel et je lui dis : « Je sais bien pourquoi vous dormez maintenant. Votre voisin ne vous a pas laissé dormir la nuit: il toussait, il gémissait, il chantait, il s'agitait. Puis il a ouvert la fenêtre ; ensuite il est allé arranger le feu, faisant un ramage tel que tous les malades se sont plaints. » Plusieurs minutes après, je le réveille. Il se frotte les yeux, croit s'être réveillé spontanément et n'a souvenir de rien. Alors je lui dis : « Vous dormez donc toute la journée. »
— Non, me répond-il, mais je n'ai pu dormir la nuit. » — Pourquoi?
— «A cause du six : il était malade probablement ; il étouffait, criait se plaignait, chantait comme en délire. Je ne sais quel diable le possédait.
Il est allé ouvrir la fenêtre ; puis il a mis de la houille dans le poêle, taisant un vacarme infernal. » -— C'est-ii bien vrai ? lavez vous bien entendu? Je crois que vous l'avez rêvé. » — Tous les malades l'ontentendu comme moi : ils peuvent vous le dire. » Alors je fais travailler son imagination sur ce thème et je crée de nouveaux souvenirs non suggérés pendant le sommeil. » —Et les autres malades n'ont pas réclamé? Qu'est-ce que le 4 lui a dit ? » — « Le 4 lui a dit de fermer la fenêtre et de ne pas faire de vacarme. » — « Et a ors que s'est-il passé ? » —Le 4 s'est levé, est allé à lui ; et ils se sont battus. »—Et la sœur ?» — c La sœur n'a pu les faire taire. »— Est-ce que le directeur n'est pas venu? »
— « Le directeur est venu, en robe de chambre bleue et leur a dit qu'il les mettrait à la porte aujourd'hui tous les deux. » — - Ce n'est pas vrai tout cela : vous l'avez rêvé !» —Je n'ai pas revé, puisque j'étais éveillé. Tous les malades peuvent le dire ». J'interroge sucessivement les malades de la salle, tous éveillés. Sur quatorze, sept avaient entendu et vu ; ils étaient convaincus que c'était arrivé : la scène était présente devant leurs yeux. Les sept étaient des suggestibles qui avaient déjà été hypnotisés. Un paralytique général, dont l'intelligence, sans délire, suffisament conservée, excluait toute idée de malice ou de simulation me raconta de sa voix lente et monotone ce qui s'était passé : « Il avait très bien vu ; il ne dormait pas. C'était entre minuit et
1 heure. C'est le 6 qui avait commencé le tapage en ouvrant la fenêtre
et arrangeant le feu. Il avait vu le directeur en robe de chambre; il me montre l'endroit précis près du lit n° 6 où le directeur s'est arrêté, etc. Un autre me raconta tous les propos échangés entre les deux malades avec un luxe de détails et une ingénuité qu'on aurait juré la vérité vraie.
Voici une autre expérience que j'ai relatée au congrès international d'hypnotisme. Un jour, le docteur Semai, de Mons, me faisait l'honneur d'assister à ma clinique. Je siggérai à un sujet endormi que mon confrère était photographe et qu'il était venu la veille à 4 heures du soir faire sa photographie et lui avait donné deux francs. Au réveil, le sujet était convaincu ; le docteur Semai était venu avec son appareil à photographie etc. — Chose curieuse, parmi les malades de la salle, trois, parfaitement éveillés, parfaitement sains d'esprit, affirmaient avoir été présents et avoir vu M. Semal prendre la photographie du malade en question, j'eus beau leur dire que cela n'était pas, que toute cette histoire n'était qu'une suggestion donnée à l'autre : leur conviction était faite — En interrogeant individuellement chacun de ces suggestives, il m'eut été facile d'amplifier ma suggestion par leur auto-suggestion, de leur faire ajouter des détails de leur propre cru.
Certains sujets ont l'imagination si facile, qu'il suffit de la mettre en branle, pour qu'elle crée de toutes pièces une auto-suggestion de souvenir fictif.
Voici Henriette que vous connaissez. C'est une ancienne hystérique guérie depuis trois ans, par suggestion ; elle n'a plus aucune manifestation nerveuse. C'est une bonne et honnête fille. Conversez avec elle, interrogez là ! Vous ne trouverez absolument rien de particulier dans ses allures. Une commission de médecins aliénistes ne trouverait che2 elle aucun indice de maladie mentale : elle est saine d'esprit. —Je la sais très suggestible, hypnotisable, hallucinable à l'état de veille. Je vais faire sur elle une expérience que je n'ai jamais faite avec elle, ni devant elle. (Tout cela est dit, en l'absence d'Henriette).
Je la fais venir et je lui dis : « Henriette! Je vous ai rencontrée hier, place Stanislas. Vous étiez dans une singulière situation! Henriette! Qu'est-ce qui vous est arrivé, quand je vous ai vue ?» Je répète la question en la regardant. Sa physionomie change d'expression : un souvenir s'y reflète. Elle rougît et dit : « Je n'ose pas le dire. » —J'insiste . Dites-le - — - J'ai été battue, » me dit-elle à voix basse — « Par qui ? » — « Par un ouvrier» —« Pourquoi? » —Silence: elle est honteuse et ne veut avouer. — « Allons, dites le moi ? » Elle me dit dans l'oreille : « Je n'ai pas voulu aller avec lui. » Je la regarde sévèrement : « Henriette! Vous mentez ! vous voulez nous induire en erreur. Pourquoi vous a t-il battue ? » Elle pâlit, devient confuse, se met à pleurer en se couvrant la figure : « Dites moi ce que vous avez fait hier? » — « J'ai voulu lui voler sa montre. » — « Et puis ?» « On m'a emmenée à la police! La pauvre fille est suffoquée de honte. » J'efface le souvenir, en disant: « Vous ne vous rappeléz plus rien. » L'hallucination rétro-active est éteinte.
Sans doute il s'agit d'une personne très suggestible et dont l'imagi-tion entraînée par de nombreuses hypnotisations transforme avec éclat les idées qui y naissent en images. Mais les criminels par suggestion sont aussi très suggestibles. Ces expériences ne sont-elles pas grosses de réflexions et d'enseignements ?
Dans les deux exemples de procès criminels que j'ai relatés, il s'agit de sujets dépourvus de sens moral, offrant un terrain favorable aux suggestions criminelles. On trouverait aisément les exemples de personnes honnêtes que la suggestion a poussé à des actes contraires à leur vraie nature. L'affaire Chambige est encore présente à tous les esprits : elle a vivement émue l'opinion et les débats n'ont pas éclairci le mystère.
Une jeune femme du meilleur monde et d'une moralité parfaite, adorant son mari et ses enfants recevait chez elle un jeune homme, ami de sa famille, Chambige. Un jour, on la trouve dans un pavillon isolé de son jardin, nue, tuée par une balle, le corps souillé par un attentat. Chambige était à ses côtés, évanoui, blessé par un coup de pistolet. Revenu à lui, il raconta que la jeune femme éperdument amoureuse, s'était donnée à lui à condition qu'ils ne survivraient ni l'un ni l'autre à son deshonneur. Il avait juré de la tuer et de se tuer ensuite.
Ce récit était-il vrai ? Chambige l'affirmait avec un grand accent de franchise qui a impressionné même ceux qui ne voulaient voir eh lui qu'un vulgaire assassin. Beaucoup de personnes n'ont vu dans ce drame qu'un acte de folie amoureuse. On sait combien la passion peut égarer les natures les plus honnêtes.
Mon impression n'a pas été la même. Immédiatement avant ce drame terrible, alors que, suivant Chambige. le projet était convenu entre eux, la pauvre femme écrivait à je ne sais quelle personne de sa famille une lettre calme et sereine, elle y parlait de son intérieur, de ses enfants, même je crois, de Chambige, en termes si simples, si naturels, qu'ils indiquaient une tranquillité d'esprit parfaite. La femme qui écrivait ainsi ne pouvait avoir conscience des événements qui se préparaient. Elle ne songeait ni à manquer à ses devoirs ni à se faire tuer.
De l'avis de tous ceux qui l'ont connue. Madame Grille était la candeur même. Elevée dans des principes sévères de moralité dont sa famille lui donnait l'exemple, c'était la femme du devoir dévouée à son mari et à ses enfants, douce, timide, bonne, affectueuse, nullement passionnée. Elle était suggestible : un jour, en fixant une cuillère, elle était tombée en extase hypnotique. Elle n'aimait pas Chambige : elle le craignait. Je tiens ce détail de quelqu'un qui était lié avec sa famille, qui la connaissait fort bien elle-même, ainsi que son mari.
Comment expliquer ce drame mystérieux ? Chambige est-il un vulgaire assassin doublé d'un imposteur qui, après avoir lâchement violé et assassiné cette femme qui lui refusait ses faveurs, aurait inventé cette histoire pour attacher son nom à un roman conçu par son imagination malsaine, et poser devant ses contemporains en héros de tragédie amoureuse ? Je ne le crois pas non plus.
Chambige était, il est vrai, une imagination pervertie à l'école de ces jeunes psychologues décadents qui substituent la sensation au sentiment. Doué dune intelligence vive, en imposant à ses camarades comme un esprit supérieur, pénétré lui-même de l'idée de sa supériorité. Avec cela, peu ou point de sens moral. Chambige avait soif de sensations et buvait sans scrupules à toutes les sources qui pouvait assouvir cette soif. Mais Chambige paraissait avoir la franchise de ses convictions : il raconte la scène avec une apparence de vérité et de sincérité : il produisit devant le jury non l'impression d'un imposteur qui viole, tue et
calomnie une femme innocente, mais l'impression d'un homme franc, sans cœur et sans préjugés, étranger à toute sensibilité morale, suivant avec audace les impulsions de ses suggestions instinctives.
Il vit madame Grille : il désira la posséder. Habitué à dominer parce-qu'il avait de l'intelligence, de la volonté et de la décision, il ne tarda pas à prendre sur cet esprit faible un ascendant étrange. Cette pauvre femme ne l'aimait pas ; mais elle était dominée et fascinée par lui. En sa présence, elle ressentait je ne sais quel malaise indéfinissable, une vague terreur. De même qu'un jour regardant une cuillère, elle était tombée en extase hypnotique, de même en présence de Chambige, troublée profondément par son regard, ses allures, peut-être ses déclarations, elle tombait en extase somnambulique ; elle perdait sa personnalité ; elle était en condition seconde. Chambige agissant vivement sûr cette imagination facile, lui imposait une autre conscience. Alors elle était suggestible : il lui suggérait une passion malsaine : il lui suggérait une excitation sensuelle : les facultés de raison avaient abdiqué : elle ne pouvait résister. Chambige faisait de la suggestion sans le savoir: il pouvait croire qu'elle l'aimait de bonne foi ; il ne savait pas que cette folie amoureuse suggestive n'existait qu'à la faveur d'un état de conscience nouveau que son ascendant provoquait à son insu sur cette imagination délirante. L'être conscient normal ne l'aimait pas; l'être subconscient faussé l'aimait.
Revenue à sa conscience normale, Madame Grille ne se souvenait de rien. Ainsi le matin du crime, quand la pauvre victime écrivait sa lettre, elle ne savait pas ce qui allait se passer ; son esprit était calme. Un instant après Chambige a pu la suggestionner, l'entraîner au pavillon, implanter dans son imagination une passion folle, dans ses sens une excitation irrésistible. Si la pauvre femme a fait promettre à son séducteur de la tuer pour ne pas survivre à son déshonneur, c'est le sens moral survivant dans son nouvel état de conscience comme une suggestion ancienne, héréditaire ou par éducation, qui ne pouvait être déracinée : c'est sa vraie conscience morale indestructible qui pouvait être dominée, mais non éteinte dans son état somnambulique. Mais la suggestion possède son être physique et moral : la passion suggérée l'emporte, irrésistible. Ce n'est plus elle-même!
Telle me parait-être, éclairée par la doctrine de la suggestion, comme je la conçois, la psychologie de ce drame mystérieux! Il la connaissait bien, l'honnête homme qui lui a donné son nom quand il disait: Vivante ou consciente, elle n'eût jamais été à lui !
On sait avec quelle facilité chez certains sujets se constitue spontanément ce second état, qui n'est autre chose qu'un état de somnambulisme ou de vie somnambulique. Ce qui caractérise le somnambulisme, je ne cesse de vous le dire, ce n'est pas le sommeil ; il y a une veille somnambulique : la conscience existe : mais c'est un autre état de conscience dans lequel les facultés de raison sont amoindries ou absentes, et les facultés d'imagination, l'automatisme idéo-dynamique, dominent la scène. Le sujet n'est plus lui-même
Voyez la somnambule Hélida, si bien étudiée par le docteur Azam. Dans son état normal, le caractère est sérieux, triste. Félida se préoccupe de son état maladif : la parole est rare, les sentiments affectifs peu
développés, au moins, en apparence ; la volonté est très arrêtée ; le travail acharné ; il y a indifférence pour tout ce qui n'est pas en rapport avec le mal dont elle souffre. Dans le second état, le caractère est vif, gai, enjoué : la physionomie est mobile et souriante. Toutes les facultés paraissent plus développées : l'imagination et les sentiments affectifs sont surexcités : la volonté est moins arrêtée. Dans cet état Félida se laisse séduire par un homme qui l'a épousée depuis : elle devient grosse et parle de sa situation sans inquiétude et sans tristesse, tandis que quelque temps après, se trouvant dans l'état de condition première, elle éprouve, quand on lui apprend sa grossesse qu'elle ignorait alors, une commotion nerveuse avec crises convulsives.
Rappelons encore le cas signalé par le docteur Bellanger (1):
Une jeune fille de bonne famille, fort intelligente, d'un caractère doux et affectueux, fut hypnotisée par un jeune médecin pour des crises d'hystérie. Chaque crise était ainsi transformée en accès de somnambulisme. Pendant un de ces accès elle fit à son médecin l'aveu de l'amour qu'elle ressentait pour lui ; elle s'était mariée contre son gré. Le docteur X. devint l'amant de madame de B. pendant, bien entendu, le seul état somnambulique.
Dans son état normal, elle n'avait souvenir de rien. Devenue enceinte, elle n'eut aucun soupçon de sa grossesse, n'ayant plus eu de rapport avec son mari depuis un an, et sure de n'avoir pas manqué à ses devoirs. Elle attribuait ses malaises à une maladie insolite. Dans le somnambulisme seul, elle savait ce qui en était et ne s'inquiétait pas trop de la situation. Quand finalement la malheureuse femme découvrit la nature de son mal, l'anxiété fut extrême ; sa tête s'égara ; elle crut aux esprits, aux maléfices. Au terme de sa grossesse, l'aliénation fut complète et nécessita son transport dans une maison de santé.
« Madame de B., dit le docteur Bellanger, fut toujours innocente : la somnambule s:ule en elle fut coupable. Elle guérit toutefois : ses attaques disparurent. Elle ne ravit que quelques années plus tard le docteur X. et ne soupçonna jamais qu'il avait été le héros de l'aventure dont elle avait été la victime. »
Ces exemples montrent que la vie somnambulique naturelle ou provoqué modifie les penchants, les instincts, le caractère, diminue la résistance morale et engendre des actes que la vie normale ignore ou réprouve. Une femme de mœurs irréprochables et qui résiste aux tentations mauvaises dans les conditions ordinaires peut succomber en condition seconde.
Voici encore un exemple de double personnalité que M. Proust vient de communiquer a l'Académie des sciences morales et politiques. Il concerne un avocat de 33 ans. d'une intelligence très vive, mais hystérique ; il est très-hypnotisable. Un bruit un peu fort, un coup de sifflet, le reflet d'une glace frappant ses yeux, et il tombe dans un sommeil hypnotique. Un jour, il plaide : le président le fixe : il s'arrête court et s'endort. Souvent dans ces conditions, il présente le phénomène de la double personnalité : il oublie son existence passée et entre dans une condition Seconde; il va, vient, monte en chemin de fer, fait des visites,achète.
(l) Bellanger, le magnétisme et chimères de cette science occulte, par le docteur , Bellanges Paris. in-8° 4 chap XI p 207-293.—Observ.
relatée par Gilles de la Tourette dans son livre de l'Hypnotisme et les étas analogues.
joue. Puis quand subitement, par une sorte de changement d'état, il revient à sa condition première, il ignore absolument ce qu'il a fait pendant les jours qui viennent de s'écouler. Un jour, après une altercation avec son beau-père, il a une crise qui fait apparaître la seconde personnalité. Trois semaines après, on le retrouve dans la Haute-Marne: on a su qu'il était allé chez un curé qui l'avait trouvé bizarre, qu'il était allé rendre visite à un de ses oncles, évêque in partibus. et que là. il aurait brisé plusieurs objets, déchiré des livres et même des manuscrits de son oncle. On a appris qu'il avait contracté 500 francs de dettes, qu'il avait été traduit devant le tribunal de Vassy pour escroquerie et condamné par défaut. Une autre fois, il fut de nouveau inculpé d'escroquerie. Il avait emprunté quelques francs à un employé du palais de justice en se targuant d'une qualité imaginaire. Tous ces souvenirs, effacés dans l'état normal, redevenaient conscients dans l'état de somnambulisme provoqué.
Ces états variables de conscience sont peut-être plus fréquents qu'on ne s'imagine ; ils peuvent être méconnus. Ils ne sont reconnus comme anomalie pathologique que lorsqu'il y a amnésie complète de l'un à l'autre, lorsque le sujet ignore ce qu'il a fait pendant une certaine période de son existence. Mais l'amnésie est elle consume ? Nous avons vu que les faits de la vie somnambulique provoquée ne sont pas toujours effacés du souvenir; l'amnésie peut-être incomplète ou passagère, elle peut faire défaut. N'en peut-il être de même pour les faits de la vie somnan-buliquc spontanée ou condition seconde? Et si le souvenir est conservé, le diagnostic est difficile: l'idée de somnambulisme ne vient pas à l'esprit. Nous connaissons tous des personnes dont la vie est pleine d'inconséquences et de contradictions. Tel est par exemple, d'une conduite irréprochable : caractère timide, reserve dans ses allures, sensé et ordonné dans ses actes: tout parait dénoter chez lui un équilibre moral et intellectuel parfait. Puis, de temps en temps, l'humeur e modifie, il devient capricieux, extravagant, se laisse aller au gré de les instincts, commet des actes repréhensibles. Cela dure un certain temps : puis l'état normal reparait. C'est un vicieux par intermittences. Tous les degrés peuvent exister d'ailleurs de conscience modifiée, depuis un simple changement d'humeur perceptible seulement pour l'entourage intime, jusque la transformation complète de l'être moral. Cette transformation peut constituer une véritable maladie mentale : la mélancolie périodique, la dipsomanie intermittente, la folie passagère, toutes les maladies mentales à répétition ne sont en réalité que des états de conscience modifiée. Les degrés extrêmes seulement frappent notre attention: les degrés légers nous échappent et nous attribuons à l'humeur capricieuse des sujets ce qui peut être dû à un état maladif de la conscience.
Vous avez vu avec quelle facilité chez certains hypnotisables la suggestion réalise ces modifications psychiques. On produit alternative-ment la gaité et la tristesse, l'humeur calmeou irascible, l'esprit d'obéissance ou d'insubordination, l'affection ou la haine. Les actes et les allures du sujet peuvent se conformer aux penchants psychiques suggérés.
Un publiciste distingué, M.Henri de Parville! auquel nulle question scientifique n'est étrangère, a compris ce sujet avec sa sagacité habi-tuelle : « L'état spontané d'automatisme et de dédoublement de la conscience, dit-il. n'est sans doute pas aussi rare que l'on serait tenté de le
penser tout d'abord. En cherchant bien, on en trouverait des traces dans beaucoup de circonstances. Quelques fois, il finit par se produire par entraînement hypnotique. En tous cas. il est assez facile à déterminer artificiellement chez les personnes prédisposées. Ainsi nous suivons de près depuis trois ans deux sujets, un jeune homme et une femme, chez lesquels l'état de conscience varie avec une rapidité vraiment incroyable.
Le jeune homme a vingt cinq ans : il suffit d'uu coup d'œil pour le transformer complètement. D'habitude il est triste, doux calme, timide, impressionable, au point de ne pouvoir prendre dans ses mains un poisson vivant ou ramasser un ver de terre. Subitement il devient gai, hardi, entreprenant. On lui présente un ver, il le saisit, le regarde avec complaisance, etc. On le ramène dans son premier état, en lui touchant le front. Il voit le ver et s'en écarte : « Mais vous l'avez eu dans votre main, il y a un instant, » lui dit-on. Il réplique: « Quelle plaisanterie. Je les ai en horreur et je n'y toucherais pas pour tout l'or du monde. » Il a tout oublié. Un regard et il ramasse le ver librement, sans aucune suggestion.
La femme est voisine de la quarantaine, intelligente et forte, mais très hypnotisable. Elevée dans un milieu honnête et très-respectab!e. elle est ordinairement très-réservée et presque prude. On appuie sur les globes oculaires ; immédiatement se révèle une toute autre personnalité. On peut parler librement devant elle, sans qu'elle se formalise, elle rit, répond aux plaisanteries et ne s'en émeut point. Une seconde après, dans sa condition normale, elle se facherait très sérieusement. Le curieux, c'est qu'avec un peu d'entraînement. je suis parvenu à la taire passer d'un état dans l'autre successivement un nombre indéterminé de fois en moins d'un quart d'heure, de sorte que l'on peut poursuivre une conversation entière comme avec deux personnes distinctes. En quelques secondes, les personnalités se succèdent sans qu'elles en aient la moindre conscience. Madame X, se double d'une madame Y. et Mesdames X. et Y. soutiennent la conversation chacune pour leur compte absolument comme si elles existaient séparément, l'une ignorant complètement l'existence de l'autre. Il en résulte une discussion à bâtons rompus souvent fort amusante. Chaque personnalité conserve nettement son indépendance et malgré le changement d'état ne perd pas le fil de la conversation : tout se suit et s'enchaîne sans lacune, sans la plus petite absence de mémoire et sans que le sujet manifeste le moindre étonnement. Ces transformations rapides et successives sont extrêmement saisissantes. »
Ces expériences sont faciles à répéter chez beaucoup de somnambules ; elle réalisent artificiellement ce qui se fait spontanément dans les faits relatés de double conscience ou double personnalité. L'hypnose ne crée rien de nouveau ; elle démontre les phénomènes psychologiques tels qu'ils peuvent spontanément se produire.
Des suggestions criminelles peuvent-elles naître ou être provoquées a la faveur de l'état de conscience modifiée ? Cela ne me parait pas douteux.
Les faits que je viens d'exposer suffisent-ils à établir que la doctrine de la suggestion bien conçue peut apporter des lumières à la justice ?Et cette étude ne s'impose-t-elle pas aux magistrats, aux moralistes, aux
criminalistes, aux philosophes, â tous ceux dont l'esprit libre sait se dégager des idées préconçues et qu'anime la seule passion de la vraie vérité, de la vraie justice?
La suggestion est dans tout ; elle conduit beaucoup de nos actes; et si l'on veut donner à ce mot sa signification la plus large et la plus vraie, on peut dire que dans toutes les actions, bonnes ou mauvaises, la suggestion joue un rôle. Les plus grands criminels ne sont pas toujours les plus coupables, Troppmann n'était peut être que la victime irresponsable d'une auto-suggestion. Je fais bondir parfois les magistrats, quand je leur dis cela. Et cependant voilà un garçon qui sans avoir commis auparavant d'actes bien reprehensibles, sans antécédents bien mauvais, pour son premier crime, pour son crime d'essai, accomplit cette chose inouïe, horriblement monstrueuse, de préméditer et de préparer avec une habileté extraordinaire, de longue main, et de perpétrer l'assassinat d'une famille entière de sept ou huit personnes. II attire le père dans une forêt de l'Alsace, l'empoisonne avec l'acide prussique et l'enterre; il creuse une fosse dans un champ de Pantin, y attire le fils ainé, l'assomme et l'enterre ; il creuse une fosse pour la mère et quatre ou cinq enfants, les y attire aussi, les tue à coups de pioche et les jette pèle mêle dans la fosse. II veut gagner l'Amérique, se faire passer pour le père qu'il a assassiné et par je ne sais quelle combinaison réaliser la modeste fortune de cette famille exterminée. Quelle ingénuosité extrême, quelle série de crimes épouvantable pour un bénéfice aléatoire, alors qu'avec cette intelligence, cette audace, il eu pu réaliser un crime simple, plus facile, plus lucratif ! Ce n'était pas, quand on le vil, l'homme aux proportions gigantesques qu'on aurait supposé ! C'était un pauvre sire : ni son physique ni sa trempe morale ne semblaient l'avoir prédestiné à l'acte infernal dont il était l'auteur. L'idée d'un pareil crime peut-elle germer dans un cerveau sain ? Seul un monstre moral peut la concevoir et la réaliser ! Un monstre est un être pathologique. On disait que l'idée d'un crime analogue était exposée dans un roman de Ponson du Terrail, que l'assassin avait lu ! Est-ce de ce livre, est-ce d'ailleurs que cette idée a pris naissance dans ce pauvre cerveau? Ne s'est elle pas imposée comme une obsession, comme une auto-suggestion irrésistible, contre laquelle la raison a peut-être lutté, sans pouvoir l'expulser? Comme une tumeur maligne qui évolue dans un organe, celte conception monstrueuse morbide s'est implantée dans son cerveau, a pris possession de lui, de même que chez d'autres s'implante sans raison l'idée fixe du suicide ; et par une évolution fatale, elle a armé son bras et l'a conduit à réaliser brutalement cette chose infernale ! Je n'at firme pas que telle soit la vérité, je l'ignore ! Mais je dis que cela est possible.
Eût-il révélé déjà par sa conduite antérieure. la perversité de ses ins-tincts. je ne formulerais pas encore un jugement certain. Quand Je vois deux enfants élevés ensemble, soumis à la même éducation, vivant dans le même milieu, l'un manifester de bonne heure des instincts d'honnêteté et de moralité qui guideront tous les actes de son existence, l'autre s'affirmer d'emblée comme un vaurien sourd à toute les exhortations, qui n'obéit qu'à ses impulsions mauvaises et sera toute sa vie un malfaiteur, quand je suis ces deux natures depuis leur naissance,
je me demande si leur évolution morale n'était pas dans l'œuf, comme leur évolution physique ! El je me dis : Où est la responsabilité ? Quand je suis en présence d'un criminel, je me demande quelle était à l'origine la conformation native de son être moral ? Quelle part revient au terrain, à l'organisation, à la suggestibilité héréditaire? QueIle part revient aux suggestions de l'éducation, du milieu, des lectures, des rêves, des personnes en contact avec lui, des événements de la vie ? Quelle était sa capacité de résistance ? Quelle part reste-t-il au libre arbitre? Quel est le degré de responsabilité?
Je ne prétends pas désarmer la société. Elle a le droit, de se défendre ! Elle a le droit, dans l'intérêt de sa conservation, d'anéantir ou de rendre inoffensifs les éléments dangereux ! Elle peut et doit recourir à des mesures de préservation sociale ! Elle peut se garantir et par des-exemples salutaires, par la crainle du châtiment, faire aussi de la suggestion utile ! Mais peut-elle toujours juger en connaissance de cause ? Appelé à me prononcer sur la culpabililé réelle d'un criminel, j'avoue que souvent, en mon âme et conscience, je ne pourrais formuler un verdict ; les éléments d'appréciation me feraient défaut pour résoudre cette grave question. Je ferais de la justice humaine et ce n'est pas toujours la justice !
QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LA MÉLANCOLIE DES DÉGÉNÉRÉS
GENÈSE DES IDÉES DÉLIRANTES PAR AUTO-SUGGESTION
Par le docteur LEGRAIN
Médecin de la colonie de Vaucluse
Les travaux, si remarquables à tous égards, de l'école de Nancy, n'ont pas encore convaincu tous les esprils de la possibilité de développer les phénomènes hypnotiques chez les sujets normaux. En d'autres termes, la question de savoir si l'hypnose est un phénomène physiologique, et si elle peut exister en dehors de tout état de nervosisme, préparant le terrain, n'a pas encore reçu de solution définitive. Si l'école de la Salpétrière relie peut-être un peu trop souvent les phénomènes de l'hypnose à l'hystérie, par contre l'école de Nancy ne semble pas avoir tenu assez grand compte du substratum mental des sujets, de leurs antécédents héréditaires ; elle s'est peut-être trop confinée dans l'observation matérielle de faits isolés.
Pour un grand nombre d'observateurs, il n'est pas douteux que les sujets hypnotisables sont en grande majorité des nerveux, des prédisposés, des émotifs: hypnose et aliénation d'autre part sont bien sou-Vent deux anneaux d'une chaîne ininterrompue de phénomènes reliés
entre eux par un lien commun : l'état de dégénérescence des sujets. Cette thèse trouve un point d'appui dans ce fait que les hystériques sont tous hypnotisables, que la grande majorité des hypnotisables sont des hystériques, et que c'est chez ces derniers enfin, que les phénomènes hypnotiques présentent leur plus complet et leur plus parfait développement.
Ce qui se dit de l'hypnose peut sedire au même titre de la suggestion verbale, aussi bien de la suggestion posthypnotique que de la suggestion à l'état de veille. Nul doute que les sujets les plus sugg;estibles ne soient ou les hystériques ou les simples névropathes. Mais, en ce qui concerne les suggestions à l'état de veille, l'école de Nancy reprend toute son autorité, car il est incontestable que cette suggestion, sous toutes ses formes, est un phénomène biologique normal, courant, que subissent les gens les mieux pondérés, réserve faite toutefois pour ce fait que les émotifs, les névrosés, en un mot tous les prédisposés du système nerveux, les dégénérés à état mental faible sont plus aptes que tous autres à subir, consciemment ou inconsciemment, les influences suggestives.
Les études d'aliénation sont si voisines des recherches des neurologis-tes hypnotiseurs, que ces derniers s'intéressent toujours, a juste titre, aux faits de psychiatrie qui se rattachent, même d'une façon lointaine, à l'histoire de l'hypnose ou de la suggestion mentale.
Or, il est toute une catégorie de délires, observés surtout chez les dégénérés (ceux qui sont reconnus pour être les plus hypnotisables et les plus suggestibles) et dont la base repose essentiellement sur un phénomène d'auto-suggestion. Rappelons que, dans l'espèce, cette autosuggestion est singulièrement favorisée, et n'est même possible que grâce à l'émotivité du sujet observé, émotivité qui est un des caractères fondamentaux de son état mental. Ainsi donc, émotivité du sujet trouvant son explication dans l'existence d'une tare héréditaire, phénomène connexe d'auto-suggestion, tels sont les deux facteurs qui interviennent fréquemment, d'une façon exclusive, dans la genèse d'idées délirantes chez certains dégenérés. Le fait suivant en est une confirmation. Il s'agit d'un jeune dégénéré ayant puisé dans un événement vulgaire les éléments d'un délire à forme mélancolique. On verra le rôle prépondérant qu'a joué, dans la genèse de ses idées délirantes, l'émotivité habituelle du sujet, et la singulière faculté d'auto-suggestion dont jouissent les prédisposés. Cette observation nous servira, en outre, à mettre en lumière quelques points de l'histoire de la mélancolie chez les dégénérés.
OBSERVATION
L.... âge de 17 ans, est entre à la colonie de Vaucluse, le 7 mars 1888.
C'est un arriéré simple chez lequel les signes de dégénérescence sont surtout psychiques. Au point de vue psychique on constate une très notable asymétrie crânio-facialc, des malformations dentaires, du prognathisme de la mâchoire supérieure, une hernie inguinale congénitale.
Au point de vue psychique, L.. présente l'aspect d'un faible d'esprit. Ses facultés intellectuelles sont toujours restées bornées. Sa puissance d'assimilation est très restreinte ; il est mou, apathique, indolent, manque de ressort. Son instruction est élémentaire; d'autre part, le métier de cordonnier, dont
il a reçu l'ébauche, était, suivant son expression, « trop dur pour sa cervelle.
Au point de vue moral, il est doué d'une émotivité exagérée, qui jouera tout à l'heure un rôle important dans la genèse de ses idées délirantes.
C'est, d'ailleurs, un enfant doux, affectueux, débonnaire, chez lequel les mauvais instincts n'ont pas pris de développement.
Passons rapidement sur ses anitécédents hérédiraires qui sont demeurés peu connus, malgré nos recherches, mais qui suffisent, d'ailleurs, pour faire sentir l'influence d une tare nerveuse de famille.
La mère était excessivement émotive, peureuse, craintive; elle est morte tuberculeuse.
Le père assez mal équilibré, faisait des excès d'absinthe. Il a été fusillé pendant les affaires de la Commune.
Une sœur, névropathe, d'une intelligence, au-dessous de la moyenne, vient de mourir accidentellement.
L... a touiours présenté le type le plus complet de l'émotif. Véritable sen-sitive, il réagit violemment en face des moindres événements, heureux ou malheureux. Les impressions laissées par ceux-ci dans son esprit ont uue intensité telle qu'elles opèrent, a leur profit, une véritable dérivation d- toutes les opérations intellectuelles, captivant l'intelligence, dont elles annihilent les moyens de réaction volontaire. Elles ont une durée écalemcnt très longue. L. ., entend-il parler d'un meurtre, lit-il un fait divers à sensation, il est saisi d'angoisse pendant toute la journée; se représente avec une vivacité d'imagination extrême les scènes qu'il a lues, croit en être l'acteur ou le plus souvent la victime. Il est obligé de se distraire, de lutter pour chasser ses craintes. Il sort de chez lui. parcourt les rues, s'arrête devant les boutiques, et ne parvient qu'avec beaucoup de peine a rétablir le calme dans ses esprits. Ainsi ballotte d'émotion en émotion depuis sa première enfance, il a mené une assez triste existence.
De temps à autre, L... a présenté quelqu'une de ces obsessions ou impulsions si communes chez les émotifs, et qui le font rentrer mieux encore dans le cadre des dégénérés. Ces états de souffrance, parfaitement conscients, ont surtout consiste dans trois choses :
L'impulsion à jeter les objets;
L'impulsion a fuir;
La terreur des chiens.
Parfois, pris tout à coup de l'idée de jeter ou détruire un objet quelconque à sa portée, il ne pouvait y résister: « Ça me soulageait, dit-il. ensuite je reprenais mon bon sens et je restais tranquille, sinon j'étais excité et triste toute la journé;, je pleurais, je gémissais. »
D'autre fois, il était pris de l'idée de fuir devant lui, de quitter ses occupations, sans rai-on valable, par pur besoin de changement, sans avoir a se plaindre de ses patrons. Il a particulièrement souffert de cette obsession.
Enfin, pendant fort longtemps, la vue d'un chien lui produsit une terreur inexprimable, qu'il ne pouvait s'expliquer et q-i l'obligeait a fuir.» Alors, dit-il, je me troublais, mon cœur battait violemment; il me semblait qu'on délirantes pussennt y germer. La genèse de ces idées délirantes repose tout, entière sur le fond' d'émotivité extrême que nous avons décrit. En 1887, au moment des débats de l'affaire Pranzini. il fut singulièrement impressionné par les détails du procès. Comme toujours, il fit sienne cette histoire dramatique, mais l'impression fut beaucoup plus violente que de coutume. Poussé maigre lui et malgré le mal qu'il savait se faire a lire les jour..aux. il s'abreuvait, en quelque sorte, des détails terrifiants qui y étaient relatés. A partir de ce moment, il n'eut plus la moindre tranquillité. Nuit et jour, obsédé par la pensé; du crime et de son auteur, il ne dormait plus, voyait apparaître devant lui l'assassin armé qui le menaçait. Il assistait au crime, dont il suivait anxieux toutes les péripéties, entendait la voix des victimes et tremblait de tous ses membres. Pranzini lui apparaissait surtout à la tombée de la nuit, lui disant qu'il s'acharnerait après lui et qu'il lui ferait toujours du mal.
Cet état dura quelques mois; l'anxiété devînt peu a peu moins vive, mais le coup était porté. Profondément attriste, indifférent, apathique, soucieux, voyant tout en noir, en proie a toutes espèces de craintes, L... ne pouvait plus travailler, dormait mal; ses nuits étaient troublées par des cauchemars : Pranzini était toujours son idée fixe. L'exécution de celui-ci n'apporta aucune trêve a ses préoccupations; il conservait une arrière-pensée, se rappelait toujours les menaces dont il avait été l'objet, impuissant a en chasser la souvenir. C'est dans Cet étal d'esprit qu'il dut être séquestre dans le courant de mars 1888.
A la colonie, la marche de son délire tut assez irrégulière. Elle a affecté le type rémittent. Très mobile dans ses idées, mais conservant toujours un fond mélancolique, L... était tour a tour conscient et inconscient de son état, parfois franchement mélancolique, d'autrefois persécuté, affectant l'attitude en rapport avee ces deux états bien différents.
Son délire fut surtout remarquable par ses phénomènes hallucinatoires qui ont dominé la scène et sur lesquels nous insisterons quelque peu. Voici, en résumé, l'histoire de ses idées délirantes pendant son séjour à Vaucluse.
Pendant quelques mois il tut calme; on le voyait errant dans les cours, soucieux, peu parleur, ne jouant jamais, visiblement préoccupé, mais très réticent. Il travaillait assez assidûment pendant le jour à l'atelier de cordonnerie, mais ses nuits étaient mauvaises. Il avait des cauchemars et des préoccupations franchement mélancoliques ou hypochondriaques» il avait l'attitude d'un déprimé, mais n'exprimait pas catégoriquement d'idée délirante. Sa santé physique paraissait seule le préoccuper; il se croyait gravement atteint de maladies imaginaires, mais il n'y attachait pas autrement d'importance, et n'était nullement angoissé.
Au mois d'octobre 1888 peu à peu. en quelques jours, on vit son état se
modifier sans cause intercurrente notable. Très anxieux, très excite, en proie à des idées mélancoliques et à des idées de persécution très pénibles, il était à ce moment surtout le jouet d'hallucinations multiples, ponant sur tous les sen«, y compris la sensibilité générale, mais avec une prédominance remar-
quable sur les sens de la la cuz et de l'ouïe. Son délire, d'ailleurs, qui se mani-festat mieux alors au dehors grâce à ce nouvel état d'érethisne cérébro-spinal n'était en réalité que l'exagération de son état habituel, une poussée aiguë succédant d'un état subaigu.
L... assiste maintenant pendant le jour aux scènes dramatiques qui se sont déroulées dans ses cauchemars nocturnes. Il entend des bruits confus, mais il. voit apparaître devant ses veux, avec la plus grande netteté, les personnages imaginaires qui ont troublé son sommeil. « Il croit, dit-il, qu'il aurait pu tes toucher. » La facilité avec laquelle il pouvait, a ce moment, provoque l'ballu cination est d'ailleurs très remarquable. Il lui suffisait de penser à une personne pour la voir immédiatement apparaître devant lui, ? en char et en os, » suivant son expression. Comme ses idées étaient très mobiles, les tableaux auxquels il assistait se modifiaient d'un instant à l'autre, ce qui donnait a sa physionomie un aspect spécial. ?n pouvait lire, en quelque sorte, son délire sur son visage.
En quelques jours, l'érèthisme s'amende un peu et le délire se circonscrit. Pranzini reprend son rôle ; L... l'aperçoit constamment devant ses yeux, non pas comme une image fixe, immobile, mais agissant suivant ses conceptions dèlirantes: il la suit dans ses déplacements. Le malade extériorise admirablement et donne une forme absolument palpable a ses conceptions pénibles. Pranz ni port: le costume que l'on représentait sur les gravures ; il brandit un couteau; il est entouré de ses trois victimes. L .. recon tituc la scène du meurtre. voit l'assasin se livrer à une luxure effrénée, puis immoler ses victimes. Puis le couteau se tourne contre lui-même; Pranzini menace de le tuer. L... cherche a éviter les coups, s'enfuit, se ? che dans les coins; ? l'on se place devant lui, pour lui dérober la vue de l'image, il la retrouve dans une autre direction, et fixe eut successivement différents points de l'espace.
Pendant la nuit, son tourmenteur lui montre des spectacles obscènes; ce sont des femmes nues qu'il fait défiler devant lui. Pranzini les lui décrit, et le force à les regarder.
Ces hallucinations visuelles ont une intensité extraordinaire ; elles sont
multiples, fugitives, se transforment rapidement, et plongent le malade dans une angoisse ininterrompue. A considérer leur caractère de fugacité, joint a leur caractère terrifiant et a leur exacerbation nocturne, ne serait-on pas frappé de leur ressemblance avec celles du délirant alcoolique?
L'érethisme des centres nerveux est général ; tous les centres coriicaux interviennent, et les phénomènes hallucinatoires, bien que cantonnés d'une façon prépondérante dans la sphère visuelle affectent tous les sens- L. entend son persécuteur l'injurier, l'appeler coquin, lui dire qu'il lui fera du mal partout où il ira. Il entend distinctement les propos qu'il tient en immolant ses victimes. D'autre part, il sent nettement fa main de son persécureur se poser sur son corps; il est de sa part l'objet d'attouchements obscènes; on lui provoque des érections, en .ui disant : « Je vais m'amuser avec toi. » Eprouve-t-il une douleur en un point quelconque du corps, il s'entend dire : Tu auras mil dans l'endroit que je touche. On lui palpe sa hernie ; ses dents, rendues un peu mobiles par un léger degré de périostile, sont ébranlées par son persécuteur. Il se touche, se palpe a chaque instant pour chasser l'importun et témoigner de la realité des souffrances qu'on lui impose En un mot, ses moindres sensations sont interprétées dans le sens de ses idées mélancoliques. « Il me tuera, dit-il, un de ces jours, et me fera avoir une agonie quelconque- » Il ne se croit pas seul l'objet de tourments; il croit que Pranzini fait du mal a sa sœur, à sa grand'mère. Celle-ci a fait une chute dans un escalier; il ne manque pas de dire : « C'est de sa force, il ne fait que des tours comme cela. »
La nature de toutes ces hallucinations, ainsi que leur contenu, permettent de se rendre compte facilement de la genèse de ces phénomènes conicjux qui sont tous sous la dépendance étroite des idées délirantes. L'hallucination procède de l'idée délirante au lieu de l'engendrer; primitivement psychique, elle ne devient qu'ensuite psycho-sensorielle. L... donne A ses conceptions délirantes une forme extérieure, matérielle en quelque sorte, et ainsi transformée, elles deviennent un aliment facile pour l'entretien du délire. Le malade éprouve-t-il une sensation quelconque, émet-il une pensée, aussitôt il entend son persécuteur lui dire:« C'est cela que je voulais te faire, c'est cela que je voulais te dire. *
Cet état se prolonge pen tant une huitaine de jours avec les mêmes caractères, puis s'emende progressivement. Au bout de quinze jours, t.... n'est plus angoissé. ni hallucine. mais, encore inconscient de son état, il ne croit pas avoir été l'objet d'hallucinations. le reste déprimé. mélancolique; sa sœur l'abandonne parce qu'il n'est plus digne de la voir; il interprète tout en mal, voit tout en noir. ¡1 verse d'abondantes larme» et pense à se faire mourir: mais l'idée du suicide l'effraie: il ne voudrait pas se donner la mort lui-même. Peu à peu le calme se rétablit dans son esprit, mais il reste passif, découragé; il a un profond dégoût de l'existence. Il n est plus alors question de «es persécutions récentes.
Le 28 décembre, une nouvelle exacerbation se produit; le même délire hallucinatoire occupe la -cène: mêmes phénomènes d'hyperesthésie psycho-sen-sonc le ; mêmes idées détirantes. Tout ce qu'il pense prend pour le malade une forme extèreure ; ses paroles sont rèpercutées. ses représentations mentales usuelles deviennent autant d'hallucinations. C'est encore Pranzini qui répète ses paroles, qui lui fait voir des tableaux obscènes, le menace et se montre à lui. Tout ce qu'i lit est interprété dans un sens mélancolique. Pranzini lui dit : « Tout ce que lu penses, tout ce que tu lis est vrai, cela va t'arriver, tu vas y passer. » Il redoute de lire, de se récréer, il voudrait ne pas penser, parce que ses mo ndres manifestations psychiques prennent im-médiatement une forme extérieure et viennent s'identifier avec ses idées délirantes
Son attitude est lamentable. Les idées de suicide sont cette fo;s plus nettes, « Le plus toi que je mourrai sera le mieux. » Mais il ne se détruit pas parce qu'il a piur d'être vu et parce qu'on l'empêcherait de le faire. Personne ne pense plus A lui. il est indigne; il ne guérira pas ; sa famille n'existe plus, etc. Pendant quelques jours il offre l'aspect d'un parfait négateur.
Cette seconde exacerbation s'amende en quinze jours comme la première. Elle est suivie d'une rémission d'un mois.
En février 1889, troisième exacerbation; le délire est, cette fois, plus fran
chement mélancolique, bien qu'il s'y mèle encore des idées de persécution calquées sur te modèle des précédentes. Il s'accuse de mauvaises actions, déchire les lettres qu'il reçoit, parce qu'il n'a plus le droit de faire partie de sa famille, prétend qu'il sortira de l'asile en passant par l'amphithéâtre; il entend des chants sinistres. « Je vois, dit-il, des chœurs et des personnes comme au temps de l'Inquisition. » il entend des hymnes, des De Profundis qu'il aime à chanter à voix basse « Parfois. dit-il, je vois emporter ma mère, et j'entends chanter comme au jour de son enterrement. »
Ces idées nettement mélancoliques sont encore entrecoupées par d'autres conceptions délirantes. Il voit encore Pranzini, mais il a besoin d'y songer. Celui-ci est accompagné par une bande d'assassins. On lui arrache le nez et les oreilles; on l'étouffé la nuit sous ses couvertures ; on lui dît des injures et l'on se moque de lui. Il entend crier: « A l'assassin de la rue Montaigne. » il assiste à des orgies terribles; on lui montre toujours des femmes nues, on cherche a avoir des relations avec lui; on le saisit eux parties; des chiens lui mordent les jambes. Pour la première fois, et d'une manière très fugace, apparaissent des hallucinations de l'odorat : on lui envoie des parfums comme ceux des femmes; ses persécuteur- l'empoisonnent Je leur haleine.
Cette troisième exacerbition s'amende en très peu de temps. L'intermittence, cette fois, est plus longue Le malade, toujours déprimé, commence a s'apercevoir qu'il est le jouet de conceptions imaginaires, mais il conserve des doutes.
En juin 1889, une dernière exacerbation se produit, plus courte et moins aiguë que les précédentes. Les idées délirantes sont de plus en plus exclusivement mélancoliques. L... se lamente, pleure une partie du temps. Tout le dégoûte, tout l'ennuie. « Dans ces conditions, dit-il, il vaudrait mieux en finir tout de suite. » Il s'accuse de fautes imaginaires, évoque le souvenir de peccadilles passées, et leur attache une importance considérable. Ses persé-cutions d'autrefois sont maintenant très confuses. Il entend des voix inconnues; il voit apparaître des tûtes d'assassins, mais il ne précise plus. Parfois il se croit encore menacé, mais il s'en préoccupe peu.
Cette dernière exacerbation n'a qu'une durée éphémère. L'amélioration s'accentue de jour en jour. L... redevient peu à peu conscient de son état, travaille d'une façon suivie, et apprécie a leur juste valeur les troubles nerveux dont il a été l'objet. Aujourd'hui on peut le considérer comme guéri de son accès mélancolique, mus il a repris son état émotif d'autrefos; son équilibre mental est toujours chancelant. De plus, ses tendances mélancoliques sont toujours aussi accentuées. Il a coutume de voir les choses sous leur plus triste aspect, d'interpréter les événements dans un sens défavorable pour lui. En un mot, il semble présenter un terrain favorable à l'éclosion de nouvelles idées délirantes, dont les éléments lui seront fournis sans doute encore a l'occasion par son émotivité naturelle.
Telle est cette observation qui m'a paru présenter quelque intérêt à titre de document pouvant servir à l'histoire de la mélancolie chez les dégénérés. En invoquant par la pensée le souvenir du tableau clinique de la mélancolie vraie, on peut apprécier les différences qui les séparent. Tout ce que le dégénéré touche, il le dénature et le marque au coin de son étal mental. Dans l'état émotif de notre malade réside ici la seule cause de l'accès de délire que nous avons décrit; nous avons assisté à une véritable auto-suggestion. L... est bien foncièrement un déprimé, qui n'est persécuté que secondairement et. accessoirement, quelle que soit l'importance apparente que prennent parfois les idées de persécution. En somme, son délire ne repose comme base sur aucun fait matériel, sur aucun incident vrai, mais faussement interprété, comme il arriverait chez le persécuté. Notre, malade, profondément impressionné (grâce à son origine spéciale) par un événement absolument impersonnel, reste longtemps déprimé, in-capable de réagir contre l'impression initiale. Survient alors une série
de phénomènes imaginatifs, grâce auxquels inconsciemment et progressivement il arrive à se convaincre qu'il a participé 1 l'événement, dont il centuple la valeur en inventant des situations nouvelles (à la façon du peureux dont l'imagination surexcitée grossit les faits). Le malade est de plus en plus terrorisé. On voit survenir alors périodiquement cette angoisse panophobique, pendant laquelle les centres nerveux sont à ce point surexcités que l'hallucination prend naissance ; les représentations mentales s'extériorisent, et le malade dont la conscience est depuis longtemps obscurcie, devient non plus seulement l'inventeur, mais le spectateur et b victime des drames que son imagination d'émotif a créés de toutes pièces. Voila ce que peut faire le dégénéré avec son imagination fertile mise au service d'une émotivité qui est la base immanquable de son état mental.
Notre malade réagit à la façon d'un mélancolique, c'est-à-dire comme un être passif qui subit un mal et reste sans défense. Il pleure, gémit, s'accuse de fautes imaginaires, qui sont pour lui la justification de ses malheurs, désire la mort. Mais il se sépare ici du vrai mélancolique, car même au sein de son angoisse panophobique, il n'a pas le courage de se supprimer; il souhaite qu'on le fasse mourir. Dans les périodes de calme, il reste déprimé, voit tout en noir; les moindres incidents prennent une teinte triste: il se plaît à évoquer le souvenir d'événements douloureux.
La marche rémittente des phénomènes délirants nous a paru intéressante. Si la mélancolie typique peut procéder également par voie de recrudescences successives, jamais pourtant on ne les voit éclater avec autant de brusquerie, sans intervention d'une cause occasionnelle de quelque importance, s'élever rapidement au plus haut degré d'acuité, et s'amender en aussi peu de temps. Nous reconnaissons encore ici la façon de faire habituelle aux dégénérés, qui, lorsqu'ils délirent, procèdent de préférence par à-coups, par accès successifs et soudains. Les recrudescences auxquelles nous avons assisté sont, en somme, une série de bouffées délirantes dont l'irruption est brutale et la disparition non moins rapide, reliées entre elles par une série d'états de conscience qui ne diffèrent que bien peu de l'état habituel du malade.
Notons encore les particularités suivantes : la dominante du délire reste toujours la note mélancolique, mais l'analyse nous a montré la coïncidence dans le même temps d'idées délirantes de nature variée : idées mélancoliques, idées de persécution, idées hypochondriaques, idées erotiques. C'est encore un cachet bien spécial qu'il nous est facile de reconnaître. Tout à l'heure notre malade avait des bouffées délirantes qui nous rappelaient les délires d'emblée; le voici maintenant mobile, protéiforme dans ses conceptions délirantes. Bien que restant foncièrement mélancolique, le délire de notre malade présente pourtant à l'occasion le caractère de polymorphisme dont la valeur est significative.
Le caractère des hallucinations est digne de remarque. Elles ont été multiples, variées; elles ont affecté tous les sens, le goût excepté, témoignant ainsi de la participation de tous les centres de l'axe cérébrospinal dans les manifestations symptomatiques, surtout dans les périodes
aiguës. Dans ces périodes, les hallucinations tenaient toute la scène. A peu près ininterrompues pendant plusieurs jours consécutifs, elles maintenaient le malade au sein d'une angoisse inexprimable.
Mais le point le plus saillant de l'observation est peut être l'existence et l'intensité des hallucinations de la vue. Chez le mélancolique simple, elles ne sont pas à beaucoup près aussi communes, et, en tout cas, elles n'ont pas le même caractère. Chez le mélancolique, l'hallucination visuelle semble être, le plus souvent, plutôt une série d'illusions, de cauchemars à l'état de veille, qu'une véritable hallucination ; elle est, en somme, presque exclusivement psychique, et n'est que plus rarement psycho-sensorielle; c'est-à-dire que des objets entrevus par le malade sont rarement extériorisés; ses visions mentales ne revêtent pas pour lui une forme palpable, tangible; au lieu d'extérioriser, il intériorise. C'est un phénomène uniquement psychologique et Imaginatif, comme le rêve, sans retentissement obligé sur les sphères motrices ou sensorielles. Le malade, comme dans une rêvasserie pénible, voit défiler devant ses yeux (vision mentale) des quantités de tableaux que son imagination de mélancolique invente au fur et à mesure des besoins, symbolisant ainsi ses préoccupations intimes. 11 est figé dans cette sorte de réprésentation mentale qui reste à l'état de représentation mentale. Comme la conscience est obscurcie, ces représentations s'incorporent à son délire, au lieu de rester à l'état de conceptions imaginaires, et c'est ainsi que le malade croit à la réalité de l'existence de ces tableaux terrifiants qui cadrent si bien avec la nature de ses idées. Ainsi se crée le pénible cercle vicieux dans lequel tourne le mélancolique : dépression psychique engendrant l'hallucination psychique, qui, à son tour, fournit au phénomène dépression les éléments de son entrelien. Aussi ne voit-on que bien rarement le mélancolique vrai réagir en face des tableaux affreux qu'il dit apercevoir: il est facile de se rendre compte que ces tableaux se déroulent dans son imagination, et qu'ils ne prennent pas pour le malade une forme tangible, contre laquelle il réagirait avec une mimique bien significative, comme le font les vrais hallucinés de la vue. L'hallucination visuelle du mélancolique, en résumé, naît et se réfléchit dans le cerveau antérieur, et reste confinée dans l'intelligence proprement dite : c'est une hallucination psychique.
Tout autre est notre malade, chez lequel l'hallucination visuelle est réelle et possède bien véritablement ses caractères psycho-sensoriel. Les tableaux pénibles inventés par son imagination étaient autant de tableaux vivants qui défilaient devant ses yeux avec une rapidité quasi caleidoscopique que nous ne saurions mieux comparer qu'à celle des hallucinations visuelles de l'alcoolique ou de l'hystérique. Le malade suivait les objets dans leurs déplacements et les localisait dans l'espace. Cette particularité nous a paru digne d'attention, car on ne la rencontre qu'à titre purement exceptionnel dans la mélancolie vraie; on sait aussi qu'elle est une rareté chez les persécutés indemnes d'alcoolisme.
L'apparition si multiple et si facile d'hallucinations de tous les sens trouve son explication dans la manière d'être habituelle du dégénéré émotif. Chez lui, la couche corticale est douée en tout temps d'une véritable hyperesthésie ; la moindre sensation, la moindre impression est centuplée. A un degré de plus, les centres entrent dans un véritable
éréthisme, et l'hallucination surgit. Notre malade, même dans ses périodes de calme, possédait le pouvoir d'évoquer l'apparition de personnes ou d'images immanentes à ses conceptions délirantes, et l'on sait que beaucoup de dégénérés non délirants possèdent en tout temps le pouvoir de créer ainsi des hallucinations conscientes par un simple effort de la volonté.
Telles sont les particularités intéressantes qui nous paraissent ressortir de notre observation. Elles mettent en lumière quelques points de l'histoire de la mélancolie chez les dégénérés: on peut les résumer ainsi :
1° Jeune âge du sujet;
2° Cause première résidant dans l'état mental du sujet, témoin de la tare héréditaire dont il est porteur, et par conséquent base émotive du delire. Genèse des premières idées délirantes par une série d'autosuggestions qui se complètent et se compliquent mutueliement.
3° Marche rémittente de la maladie, qui procède par accès successifs, à apparition et à disparition brusques;
4° Mélange d'idée» delirantes de nature diverse avec les idées mélancoliques qui restent la note dominante et permettent de qualifier l'accès délirant;
5° Enfin, hallucinations de tous les sens ayant un caractère d'acuité inusité dans la mélancolie typique. Prédominance des hallucinations visuelles, douées d'un caractère de mobilité et d'extériorisation rappelant celui dans délires toxiques.
Loin de moi l'idée de généraliser et de faire de cette observation un type despecé du genre mélancolie. Les digénéres transforment tout ce qu'ils touchent, et les modalités qu'ils peuvent créer dans le genre mélancolie sont innombrables. C'est même un des caractères marquants de la mélancolie des dégénérés de conserver toujours une absolue originalité, et de n'être jamais superposable à un type clinique bien arrêté.
A la vérité, le dégénéré pourrait bien présenter a l'occasion un délire mélancolique se rapprochant beaucoup du tableau connu de la mélancolie typique, mais il est indubitable qu'il y mélangera toujours sa note personnelle, note discordante qui le fera reconnaître, et dont on trouvera l'explication dans son état mental originel.
ENCORE L'INTERDICTION DES REPRÉSENTATIONS PUBLIQUES DE MAGNÉTISME ET D'HYPNOTISME
par le Dr LADAME (de Genève).
Malgré la répugnance que j'éprouve à m'occuper d'un incident personnel, je m'y vois contraint par la dernière brochure de M. Del-bœuf (1) (annoncée dans le précédent numéro de la Revue de l' Hypnotisme), que j'ai reçue « de la part de l'auteur,» à titre gracieux. Il s'est trompé d'adresse, car ses injures ne peuvent m'atteindre. De fait, en cette
(1) Magnétiseurs et Médecins, in-8°, 115 pages. F.Alcan, Paris, 1890.
occurence, il s'agit moins de ma personne que du rapporteur de la première question du Congrès international de l'Hypnotisme, qu'on déchire après avoir déclaré que le rapport était « insaisissable. » C'est pourquoi je dois quelques explications aux membres du Congrès et au comité qui m'a fait l'honneur de me confier cette tache. Je l'ai acceptée comme un devoir professionnel, sans me dissimuler combien elle était ingrate.
Dans son dernier ouvrage, dont le volume des comptes rendus du Congrès fait en bonne partie les frais. M. Delbœuf change d'attitude. Il s'efforce de déplacer la question. Il s'arroge le droit de haut justicier, devant la science et devant l'histoire. Au lieu d'accepter loyalement la responsabilité de ses opinions et de se présenter pour les défendre, il n'est pas venu à la séance dans laquelle il savait qu'on les discutait. Ensuite il a tenté de se dérober, dans sa réponse à mon rapport, en reniant ce qu'il avait dit et imprimé. Aujourd'hui ce n'est même plus lui qui est en cause. Pour se soustraire plus aisément à une responsabilité trop gênante, il a inventé de se poser en arbitre, dans un soi-disant
procès Ladame-D.....(1), dont il vient, dit-il, soumettre les pièces à
l'opinion publique !
Le nouveau factum de M. Delba-uf peut se résumer en un mol. M. D..
est un concurrent qui me ruine et m'offusque. Je demande, en consé- : quence l'interdiction des séances publiques d'hypnotisme pour lui couper l'herbe sous le pied. C'est toujours la thèse légendaire des intérêts qu'on n'avoue pas! Si mon rapport avait eu besoin d'une justification, je ne saurais assez remercier M. Delbœuf du concours inespéré qu'il m'apporte, en se donnant une peine infinie, pour accumuler surabondamment les preuves qui témoignent de la nécessité de mon argumentation.
L'intérêt caché des médecins cl l'innocuité des séances des magnétiseurs ambulants sont toujours tes deux seuls motifs avancés par M. Delbœuf, cl perpétuellement réédités par cet auteur, depuis l'apparition du volume sur la Liberté des Reprisentations publiques. Mon rapport avait pour but de réluter ces motifs. Je n'ai rien à y ajouter.
Pour faire accroire que je persécute D...... M. Delbœuf s'y prend
de toutes façons ;
1° D'abord par des notes, habilement intercalées dans mon rapport qu'il reproduit, il feint toujours de supposer que les phrases générales de mon discours, qui s'adressent à tous les exploiteurs de magnétisme et d'hypnotisme, visent uniquement D.....;
2° Puis, profitant de ce que je n'ai pas reproduit, en toutes lettres, les citations de son livre sur le Magnétisme animal, dont je me suis borné à indiquer les pages, il émet la prétention de les reproduire lui-même intégralement. Je rappelle qu'il s'agissait de cette phrase de mon rap-port. « M. Delbœuf va plus loin. A l'entendre, ce sont les médecins qui « ont créé les dangers de l'hypnotisme, parce qu'ils n'y connaissent « absolument rien, et expérimentent de travers, » phrase contre laquelle M. Delba-uf a protesté avec indignation dans sa réponse, en accusant mon interprétation d'être inepte et méchante, et en mettant en cause ma moralité scientifique.
Dans ma réplique, j'indiquais les pages du Magnétisme animal, où se trouvaient mot pour mot ce que j'avais dit dans le rapport. Ce sont sur-
(1) M. D.....est un magnétiseur ambulant dont la personnalité se cache derrière un nom d'em-
prunt auquel nous jugeons .Inutile de faire de la réclame. (N.D.L.R.)
tout les pages 55, 65, 66 el la note de la page 105. Entre les mains de M. Delbœuf, el toujours dans le même bui. ces indications deviennent les notes des pages 55, 6s, 99 et 105 (1). Je rétablis ici les vraies citations :
A la page 55 du Magnétisme animal, on peut déjà lire (l'auteur parle de toutes les personnes qui s'occupent d'hypnotisme, entre autres des médecins) :
«... En fait d'hypnotisme des gens aujourd'hui savent tout, qui hier ne savaient rien.,. » (2).
El plus bas, après la citation du Dr Bérillon :
«... Il est bien plus commode de se dire en possession de la science, sans avoir lu, sans avoir expérimenté, ou, ce qui est presque aussi grave, sinon plus grave, pour avoir expérimenté de travers. »
Quant à la note de la page 55 et à celles des pages 65 et 99, elle ne prouvent qu'une chose, c est que M. Delbœuf s'occupa beaucoup de D....., mais elles sont absolument étrangères a cette discussion.
Je renvoyais encore a la page 65 du Magnétisme animal, où on lit :
« Les hystériques de la Salpêtrière m'ont fait l'effet d'être réservées c pour les démonstrations publiques el les cours. C'est ainsi qu'au-jourd'hui la célèbre Blanche Wittman est devenue totalement insen-« sible, a perdu le sens muscolaire, l'ouïe de l'oreille gauche, le sens des c couleurs, et une grande partie de l'acuité visuelle, el on la fait en-« core servir à la démonstration des fameux trois états. »
A la page 66 (et non pas 99, comme l'imprime M. Delbœuf, qui voit à son gré les choses à l'envers el le contraire de ce qu'on a dit- Il s'excuse alors en disant qu'il a commis un lopsus oculi (3), on peut lire :
« En bonne logique, on est en droit, après cela (son affirmation dé l'innocuité de l'hypnotisme, corroborée par la pratique de M. Ber-nheim), de soutenir que les praticiens, entre tes mains de qui l'hypnotisme a produit des accidents — d'ailleurs généralement peu graves — en sont eux-mêmes la Cause. »(4)
El voilà pourquoi M. Delbœuf renvoie à la page 99! O moralité scientifique!
30 Enfin, il attaque M. Strohl d'une manière inqualifiable. Ne pouvant plus soutenir que je dois tout à D....., il affirme que je dois tout
à M. Strohl, « l'élève de D......» Ne faut-il pas démontrer que j'ai
mordu le sein qui m'a nourri? Voici dans quel style 1'auteur exprime sa conclucion : « l'autre (c'est de moi qu'il s'agit), n'ayant encore rien mis
au jour, mais avide de bruit et de renommée ; dérobant à D....., par le canal d'un
affilié, sa science pratique, et la débitant sur les mêmes théâtres, après l'avoir déguisée sous un misque scientifique... »
Il y a longtemps que la Névrose hypnotique n'est plus en librairie. Il sera donc utile de rappeler que c'était essentiellement une œuvre de vulgarisation, sortie des conferences sur le « Magnétisme animal qui m'avaient été demandées par M. le Directeur de l'Instruction publique du canton de Neachâtel « pour donner des éclaircissements scientifiques aux populations du pays, mises en émoi pur un magnétiseur fameux. » Or, M. A. Strohl, aujourd'hui docteur en chimie a Neuchâtel,
(1) Magnétiseurs et Médecin, p 76, lorsqu'il reproduit ma réplique, au 3°, 21° ligne, et page 80; au 2°
(2) Dans sa réponse à mon rapport (Comptes rendus du Congrès, p. 491.M. Delbœuf confesse ou-
varement qu'il s'adressait bien ici aux médecins, en disant ; « j'ai attaqué d'une façon générale
« ces médécins qui la veille avouaient ne rien savoir de l'hypnotisme..., et qui , le lendemain ..., se
« pour prendre tout d'un coup en gens pour qui l'hypnotisme n'avait plus de secrets.»
(3)Magnétiseur et Médecins p.70, la note
(4)Le Magnétisme animal, au haut de la page 66.
était alors pharmacien à Fontaines, ou il s'occupait depuis plusieurs années de magnétisme, en amateur. Je l'avais vu opérer. Je connaissais sa parfaite honorabilité. Il vint a diverses reprises chez moi, à Dom-bresson, où j'étais directeur-médecin de l'Orphelinat cantonal, et soumit a mon examen plusieurs malades atteints de troubles nerveux (1). J'avais lu les travaux de Charcol, les mémoires de liai-denhain.Weinhold, Eulcnburg.Benediki.d Espine,Charles Richet. etc., et j'observais, sur les malades de M. Strohl, les phénomènes décrits par ces savants. Lors donc, que je fus appelé a donner les conférences dont j'ai parlé, je demandai que l'on m'autorisât à présenter la démonstration clinique des symptômes de la « névrose hypnotique », et M. Strohl voulut bien se charger de ces expériences, d après mes directions. J'ai retrouve dans mes papiers une lettre qui me paraît de
nature a mettre M. Strohl entièrement en dehors de ce débat.........
...............................................J'avais lait envoyer
à M. Strohl un exemplaire de mon livre, cl voici la réponse que je reçus de lui à la date du 16 juin 1881. Il m'a autorisé a publier cette lettre, qui se terminait ainsi :
« M. Jules Sandoz (mon éditeur), m'a envoya votre ouvrage sur la Né-vrose hypnotique. Je l'ai lu avec d'autant plus d'intérêt que vous n'y avez pas ménagé mon nom, ce qui est très gracieux de voire port, car rien ne vaut obligeait à me citer. -
La tactique deM.Delbœuf est exactement la même que celle de D.....
et l'on s'aperçoit de suite, quand on est au courant de la question, que l'auteur de Magnétiseurs et Médecins s'est inspiré de la brochure publiée à Neuchâtel, en novembre 1880. par le professeur de magnétisme humain, en réponse aux attaques de l'avocat Lambelet (2). On y retrouve le même procédé de polémique, mais sous une forme courtoise
qui est toute à l'avantage de D..... Celui-ci parle beaucoup de
M. Charcol et de ses élèves. On peut lire entre autres, dans sa brochure.
« Enfin, répondant à une question, d'ailleurs indiscrète, j'ai dit que « M. Charcot, loin d'être mon professeur, comme on se le figurait, « s'était, au contraire, inspiré de mes expériences pour exécuter les « siennes. Ce sont là des vérités parfaitement évidentes, dussent-elles « déplaire à M. Charcol. elles n'en seraient pas moins incontestables, « La vérité, a dit d'Alembert, est plus respectable que toutes les aca-« démies, et j'ajouterai que tous les académiciens.
« Il est possible que le savant professeur de la faculté de Paris ne « m'ait jamais vu. Il l'écrit, je le crois. Mais, me démentira-t-il si « j'affirme que ses élèves ses internes et ses confrères m'ont vu à « l'œuvre, lui ont rapporté mes expériences, lesquelles faisaient grand « bruit à Paris, et que c'est alors qu'il a eu l'heureuse idée du tenter « des essais dans son hôpital ? »
Aujourd'hui M. Delbœuf, sous une forme outrageante, réédite contre nous les mêmes affirmations. Ses accusations sont trop méprisables pour être relevées.
(1)Avant mon séjour à Dombresson, j'exerçai pendant douze ans la médecine au Logle; m'oc-cupant de préférence de l'étude des affections du système nerveux, et spécialement des maladies du cerveau.
(2) Ce M. D ..comme touts les magnétiseurs forains tranche assez volontiers du professeur A l'en croire, sans lui, l'Ecole de la sulpétrière et l'Ecole de Nany n'auraienet jamais existé.
Je me borne a répéter que je ne connais pas D..,..(1). que je n ai jamais été, ni de prés ni de loin, ni directement ni indirectement, ni par le canal de M. Strobl, ni
par celui d'aucun autre, en relations avec D....., et que f ignore par conséquent ce
qu'on peut apprendre a son école.
« Payait-on l'entrée de ces conférences, « se demande M. Del-« bœuf (2). » ou bien n'avaient-elles pas un but lucratif immédiat, j'ai es-« sayé d avoir des renseignements sur ce point; ils me sont arrivés « contradictoires. »
Au lieu du travail souterrain auquel il s'est livré, M. Delbœuf, dont les intentions sont si pures et si élevées, aurait pu facilement savoir la vérité, puisque tous les journaux du temps l'ont publiée. Les communes oui désiraient ma conférence s'inscrivaient au bureau du département de l'Instruction publique (3). Le directeur de l'intérieur, président de la commission de surveillance de l'Orphelinat, à l'organisation duquel je m'étais consacré, m'accorda l'autorisation de faire payer l'entrée de mes conférences, lorsque les comités locaux y consentaient, dans le but de créa un fonds spécial destiné à venir en aide aux orphelins, à leur sortie de l'établissement. Les sommes ainsi obtenues ont été intégralement versées dans cette caisse, et les comptes détaillés du produit des conférences sont déposés en double aux archives de l'Orphelinat Borel, à Dombresson, et à la direction de l'Intérieur, à Neuchâtel.
Il est étrange que M. Delbœuf. qui semble si exactement renseigné et qui publie des correspondances adressées à la presse neuchâteloise sur
les séances de D....., n'ait pas inséré aussi le chiffre du produit de ces
conférences et leur destination spéciale. Comment cette pièce manque-t-elle à son son dossier?
L'argumentation tout entière de M. Delbœuf repose, en effet, sur cette question, qui est pour lui fondamentale. C'est ici qu'il croit avoir mis la main sur les intérêts qu'on n'avoue pas. Pour qu'il ne s'expose plus à l'avenir au desappointement de recevoir, sur une affaire de cette importance, des renseignements contradictoires, je lui recommande de s' adres-ser désormais, par voie diplomatique, au Conseil fédéral suisse, .qui transmettra sans doute sa requête au gouvernement de Neuchâtel,.lequel s'empressera, j'en suis sûr, de lui faire tenir, par la même voie, une copie officielle de ces comptes.
Après avoir méconnu mes sentiments et travesti mes intentions, M Delbœuf s'imagine maintenant que le public va le considérer comme le héros d'une noble cause.
A la fin de son pamphlet, il s'écrie que le lecteur verra dans cette longue campagne, qu'il a menée dès le début, guidé par l'amour seul de la vérité historique et de la vérité scientifique (comme ces vérités doivent se
voiler la face), le procès général de la science libre et progressive (D.....) contre
la science patentée et conservatrice (Ladame), celui de la médecine qui se croit faite
(1) M D.. .. ayant dans le cours de séances, aujourd'hui interdites à Paris, formulé de. imputatins calomnieuses à l'égard de quelques uns de nos collaborateurs, nous ne nous attarde-rons pas à diacuter sa perionnalité plutôt théâtrale que scientifique.. (N. D. L. R.)
(2) Magnétiseurs et Médecins, p. 100.
(3) En dehors du canton de Neschâtel. Genève et Lausanne furent les seules villes où je donnai ma conférence. A Genève. M. le président de la Société d'utilité publique, voulut bien de charger de l'organiser. A Lausanne, ce fut mon excellent ami, M. le Dr Marc Dufour, qui s'occupa de ce soin.
pour les malades (Ladame) et dela médecine qui estime que les malades sont faits pour elle (Delbœuf) (1).
Cet auteur s'est lait ici. comme d'habitude, une grosse illusion.Tout le monde a déjà compris que Magnétiteurt et Médecins est le fruit d'un malheureux froissement d'amour-propre. hors de toute proportion arec la protestation que j'ai fait entendre au Congrès contre les accusations adressées aux médecins par M. Delbœuf, accusations que le rapporteur de la première question ne pouvait manquer de relever sans faillir a son mandat.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Cours à l'Ecole pratique de la Faculté de médecine
M. le docteur Bérillon. directeur de la Revue de l'Hypnotisme, commen--cera le lundi 21 avril, A cinq heures du soir, dans l'amphithéâtre n° 3, de l'Ecole pritique de la Faculté de médecine un cours libre de Pathologie nerveuse et de psychiatrie sur les applications cliniques de l'hypnotisme, et le continuera les lundis et les vendredis suivants, i cinq heures.
Dans ce cours, le docteur Bérillon pissera en revue les acquittions récentes faites dans le domaine de l'hypnotisme. Il étudiera spécialement les indications et les contre-indications de l'hypnotisme et de la suggestion dans le traitement des maladies nerveuses et mentales.
programme du cours Pathologie nerveuses et psychiatrie. — Applications cliniques de l'hypnotisme
I. L'enseignement de l'hypnotisme, de la psychiatrie et de la psycho-
logie physiologique.
II. Le sommel naturel et le sommeil provoque — Importance de leur
étude au point de vue psychologique et clinique.
III. De la suggestion a l'état de veille et dans l'état d'hypnose.—De l'auto-
suggestion et de l'automatisme psychologique
IV. Les procédés pour provoquer l'hypnose et augmenter la suggestibilité.
V. Etude physiologique de l'hypnotisme. — Influence de la suggestion sur les fonctions de la vie organique et sur celles de la vie de relation.
VI. Indications de la suggestion hypnotique dans le traitement des né-
vroses et des affections du système nerveux.
VII. Indications de la suggestion hypnotique dans le traitement des mala-
dies mentales.
VIII. Les applications de la suggestion à la pédiatrie et a la pédagogie.
IX. L'hypnotisme dans les rapports avec la déontologie médicale et
la médecine légale.
X. Les causes d'insuccès, les écueils et l'avenir de la psycho-thérapie.
(1) Voir dans le fameux passage du Magnétisme animal, P.104 (reproduite en note dans la réponse à mon rapport et dans Magnétiseurs et Médecines), cette phrase significative où l'auteur parle des malades, comme aucun médecin ne le ferait; « Tous les médecins de Liège et d'autres villes qui m'ont ameneé leurs clients, savent combien peu j'en ai marqué. Je n'en comte certainement pas vingt sur un nombre supérieur à cent.»
Communication de M. Mesnet à l'Académie de médecine.
Notre éminent collaborateur M. le docteur Mesnet. médecin de l'Hôtel-Dieu et membre de l'Académie de médecine, a lait mardi dernier devant l'Académie, une lecture sur une nouvelle forme de troubles nerveux qu'il a désigné sous le nom d'autographisme. Ces phénomènes consistent dans la production expérimentale sur la peau de certains sujets, de stigmates ayant une analogie apparente avec les éruptions intenses de l'urticaire, mais qui en différent en ce que tes reliefs de la peau procèdent d'une cause matérielle et sont toujours provoqués par une excitation mécanique faite à la surface de la peau. L'autographisme a pour caractère generis la reproduction, en reliefs saillants et cimités des emblèmes, figures, et mots qu'il a plu â l'expérimentateur de tracer. Ces reliefs peuvent se voir à une distance de vingt mètres etl persistent pendant plusieurs heures.
M. Mesnet a pu ainsi faire apparaître d'une façon très nette, sur le dos d'une jeune malade qu'il présentait a l'Académie le mot : Satzn.
Après avoir indiqué les rapports que présente ce phénomène avec ceux qu'on retrouve dans les anciennes accusations de sorcellerie, M. Mesnet a terminé en montrant les relations intimes qui existent entre ces phénomènes vaso-moteurs et les pertubatîons cerébrales dynamiques qui accompagnent l'hypnotisme.
Nous donnerons dans notre prochain numéro le texte complet de cette intéressante communication et les photographies de ces stigmates.
L'Hypnotisme et les magistrats
M. le Juge d'instruction, chargé d'une affaire qui fait ces temps-ci beaucoup de bruit, aurait dit â un reporter: « Comme je viens de vous le dire, je ne crois pas à l'hypnotisme ; un magisirat, d'ailleurs, me peut ni ne doit croire à l'hypnotisme (Temps). » M. le Juge a-t-il bien réfléchi avant de prononcer cette phrase ? S'il disait vrai, pouquoi, dès lors, la Justice appellerait-elle à son secours les lumières de la Science.
Telle est l'appréciation judicieuse que suggère au Progrès médical la peu spirituelle boutade de M. le Juge d'instruction.
Nous nous étions demande en lisant la note du Temps si le Juge en question n'exprimait pas une idée généralement admise au palais.
Les réponses de plusieurs des magistrats les plus êminents nous ont appris qu'ils ne partageaient en aucune façon l'opinion ci-dessus énoncée. Plusieurs n'ont pas hésité à nous déclarer que la phrase du juge d'instruction était trop absurde, trop dépourvue d'un sens quelconque pour qu'il l'eut réellement prononcée.
Dans tous les cas. elle n'a pas été démentie et nous avons le regret de constater qu'il existe encore des magistrats, rares il est vrai, dont l'ignorance fanatique rendrait des points aux Laubardemont, aux Dodin, d'Angers.
Nier l'hypnotisme à la fin du XIX siècle, n'est-ce pas raisonner comme le fameux Boquet, de St.-Claude, qui poussait l'humanité jusqu'à faire étrangler les sorciers avant qu'on les jette au feu, « sauf toutefois pour les loups-garous qu'il faui avoir soin de brûler vifs. »
Nous voudrions bien savoir ce que M. le Juge d'instruction pense du conseiller de Lancre, du parlement de Bordeaux, qui, en moins de trois mois expédia au bucher des plusieurs centaines de sorcières et de sorciers, parmi lesquels trois prêtres. Il répondrait certainement qu'il lui parait plus orthodoxe de brûler des sorcières que de croire à l'hystérie et à l'hypnotisme.
Dixième Congrès médical international.
Nous ayons reçu à ce sujet l'invitation suivante :
« Conformément à la décision prise a Washington par le neuvième Con-grés, c'est à Berlin qu'aura lieu du 4 au 9 août de ectie année, le dixième Congres médical international. Les soussignés ont été désignés par les délègues des Facultés de médecine et des principales Sociétés médicales de l'Empire Allemand, comme membres d'un comité d'organisation pour la section. C'est en cette qualité que nous avons l'honneur ¿. vous inviter à bien vouloir prendre part aux travaux de notre section Ce sera pour nous un plaisir et un honneur tout particuliers de pouvoir saluer chez nous en aussi grand nombre que possible nos honorés confrères. Nous vous communiquons ci-contre le programme provisoirement fixé des travaux de la section, et nous vous prions de nous informer le plus tôt possible des propositions, communications ou démonstrations que vous désirez faire.
Comptant sur un travail fructueux et profitable à notre science, nous vous adressons un salut confraternel et vous prions de recevoir l'assurance de notre parfaite considération.
Le Comité d'organisation de la section de névrologie et psychiatrie
Binswanger-Jena Emminghaus-Freiburg, . Erb-Heilgdelberg. Flechsig-Leipzig Fürstner-Heildelberg.. Grashey-München. Hitzig-Halle. Jolly-Strassburg. Laehr-Berlin.
On est prié de s'adresser au docteur H. Laehr, à Berlin-Zehlendorf, pour tout ce qui concerne spécialement la section.
Séquestration d'enfants dans un but scientifique
Le comte Zorouboff, médecin à Berlin, vient d'être poursuivi, mais acquitté, pour avoir séquestré des enfants. Depuis plusieurs années, en effet, il tenait enfermés et isolés de la façon la plus absolue d'avec le reste du monde quatre enfants d'un âge peu avancé. Ces enfants, qui étaient confiés à la garde d'une gouvernante sourde et muette et qui vivaient enfermés dans un appartement, avaient été achetés par ce médecin à des parents dénués de toutes ressources. Zorouboff. dont la tentative va rester cèlèbre, se pro-
posait d'étudier chez ses enfants les instincts primitifs de l'homme. Mal-heureusement l'affaire a été ébruitée et l'expérimentateur a été traduit devant les tribunaux. Comme il a pu démontrer qu'a part cette question de l'isolement radical, les enfants avaient été traités avec les plus grands égards, il a été acquitté. Mais le médecin a dû prendre à sa charge les frais d'éducation des enfants. Au point de vue scientifique exclusivement, il est regrettable que cette tentative hardie et originale n'ait pas abouti. Au point de vue humanitaire, cependant, il vaut peut-être mieux qu'elle n'ait pas pu être continuée.
L'idée du médecin berlinois n'est certes pas nouvelle, mais son expérience l'est peut-être. I1 est en effet, assez difficile d'admettre la véracité du conte à dormir debout que raconte a ce propos le vieil Hérodote. Il affirme. on s'en souvient, qu'un pharaon essaya de faire nourrir deux enfants dans l'isolement le plus complet, au haut d'une tour.
M. Zorouboff a remarqué, dit-on. que les enfants séquestrés et élevés par la sourde-muette ne parlaient pas. Le fait est intéressant, s'il est exact, quoique le contraire eût été étonnant Mais, en définitive, l'expérience n'avait jamais été faite et on en saura gré à l'expérimentateur. Los enfants, ajoute-t-on, proféraient seulement une sorte d'aboiement et se jetaient sur la nourriture à la façon des animaux. On nous permettra de douter sur ce point; au fait, lu gouvernante se rapprochait peut-être beaucoup.....de la bête.
(Progrès médical) M. B.
Le cerveau de M. Gladstone
m. Gladstone a la tête une grosseur exceptionelle.
Lors de son dernier séjour au château de Hawarden, l'illustre and told man causait avec un de ses amis. et la conversation tomba sur la phrénologie.
— C'est moi qui suis un bon sujet pour les phrenologues, dit M. Gladstone. Depuis vingt ans. le volume de roi tête a augmenté à ici point que cela commence même à m'inquiéter, car je n'avais jamais eu connaissance d'un fait de ce genre Je vais vous le prouver.
Et M. Gladstone alla chercher un de ses vieux chapeaux :
— Voici, dit-il. un chapeau que je portais, il y a vingt ans, à toute» les cérémonies officielles. Il m'était trop large à cette époque, et aujourd'hui, voyez, il ne m'entre plus sur la tête !
Société contre l'abus du Tabac
La Société contre l'abus du tabac vient d'ouvrir un nouveau concours dans le ]uel nous trouvons les questions suivantes qui peuvent intéresser nos lecteurs. — N° 1. Prix de médecine ; De l'influence du tabac et de la nicotine sur las fonctions digestives. le prix consistera co un lot de livres d'une valeur de 2,000 frans environ et une médaille de vermeil. — N°2 Prix de l'hypnotisme Un prix de 400 francs, dont 100 francs pour rachat de cotisation du vjmqutur, est offert par M. Decroix au médecin français ou étranger qui relatera plus grand nombre de cas de guérison d'affections nico-tiniques, — mais au moins quatre, — par le renoncement au tabac, obtenu à l'aide de l'hypnotisme et de la suggestion. Chaque observation devra faire connaître l'âge du sujet, depuis combien de temps il fumait, la quantité approximative de tabac consommée par jour, les symptômes constatés (angine
ranuleuse, crampes d'estomac, dyspepsie, pyrosis, angine de poitrine, am-lyopie. perte de la mémoire, etc.), le nombre de séances de suggestion pour obtenir la guérison, avec les dates 4 l'apui. Les mémoires pour les deux prix ci-dessus pourront être rédigés en français, en allemand, en italien ou en espagnol. Le programme détaillé sera envoyé à toute personne qui en fera la demande au siège de 1a Société, 38 rue Jacob, Paris.
Une nouvelle ivresse.
L'Amérique, la terre classique des excentricités de toutes sortes, vient de nous révéler un nouveau genre d'ivresse d'une nature originale- Il existe à Boston et dans les environs un nombre très considérable de manufactures de caoutchouc, à la purification duquel le naphte est employé. Ce naphte, en ébullition, est contenu dans de grandes cuves et soigneuse nent préservé des atteintes de l'air- Cesmanufactures sont une ressource précieuse pour la classe ouvrière, car on y emploie une grande quantité de femmes et de jeunes filles. On ne tarda pas à s'apercevoir, dans l'une de ces fabriques, que la presque totalité des ouvrières semblaient dans un état perpétuel d'ébriété. On lessur-veilla et l'on fut stupéfait de constater qu'elles s'enivraient à plaisir en respirant les vapeurs qui s'échappaient des chaudières de naphte. Ces femmes dèclarèrent que ce funeste abus était devenu pour elles presque une nécessité, par l'habitude qu'elles en avaient contractée. Les sensations que cette Ivresse procure sont, paraît-il. si délicieuses, qu'elles surpassent les enchantements et les molles rêveries que font naître l'opium ou le haschish.
The american Society for psychical research
Les journaux de médecine américains annoncent qu'une importante Société psychologique des Etats-Unis (The amrerican Society for psychical research) cessera
tes travaux après sa prochaine assemblée annuelle. Comme le fait remarquer le Médical Record, les membres de cette société sembleraient reconnaître implicitement par cette détermination qu'ils renoncent à poursuivre la vérification expérimentale des phénomènes de double vue. Je transmission de pensée et d'évocation des esprits dont l'opinion s'était un peu préoccupée dans ces derniers temps. En effet ces recherches d'un ordre psychologique tout spécial, occupaient la place principale dans le programme de la Society for psychical research.
Nous ne sommes ras surpris de cette détemination. En effet, jusqu'ici, rien, dans les nombreux travaux publics par celte société, n'avait paru justifier ls espérances spiritualités des membres de la société.
En France, quelques observateurs ont entrepris dans cet derniers temps des études sur le même sujet. Malgré les nombreux encouragements qui ne leur onl pas fait défaut, nous devons déclarer qu'aucune des expériences paraissant confirmer la réalité de la transmission dépensée n'a pu résister a un controle scientifique et sérieux.
Nouvelle législation sur les aliènes
L'Etat de Rhod-Island vient d'adopter une loi par laquelle le gouvernement doit réunir une commission spécial pour l'examen de tout aliéné dont ont demande l'internement.
Se confermant à cette décision le gouvernement a abrogé toutes les dispo-titions législatives antérieures et desormais aucun aliéné ne sera plus interne dans un asile avant d'avoir subi une sorte de jugement devant un jury spécial.
Folie meurtrière
Le Soleil donne le récit suiv.-nt d'un grave événemement qui vient de se passer a Spizza-Suttomoret.cn Dalmatic. Un cordonnier atteint de folie, profitant de l'absence des soldats qui étaient partis en manœuvres parvint a pénétrer dans la caserne où il s'empara d'un fusil et de deux gibernes remplies de cartouches. Deux sentinelles, en le voyant ainsi sortir avec cet attirail, accoururent pour le désarmer, mais le cordonnier dirigea contre elles son fusil,menaçant de tirer. Pour ne pas s'exposer à une mort certaine, les soldats battirent la retraite et coururent donner l'alarme. Les militaires qui se trouvaient dans la caserne s emparèrent de leurs armes et accoururent pour se rendre maïtre du fou qui commença â faire feu. Plusieurs soldats furent blessés plus ou moins grièvement : l'un eut son képi enlevé; un vieillard qui passait reçut dans l'échiné une ba le qui le tua ; un autre passant fut également tué : une dame qui était dans un état intérressant a eu la jambe cassée d'un coup de fusil. Un garde des finances s'élança, sabre en main, sur le torcené pour le désarmer. Il reçut uns balle en pleine poitrine Finalement, les soldats reçurent l'ordre de faire usage de leurs armes et de s'emparer du fou, mort ou vivant. Ils essayèrent de l'enfermer, mais l'enragé tireur continuait a faire feu. Alors commença une véritable chasse a l'homme. Rendu furieux par les blessures faites par cet homme, les soldats déchargèrent leurs fusils contre lui. Mais horriblement blessé, il n'en continuait pas moins désespérément la lutte. C'est alors qu'un sergent, très habile tireur, demanda et obtint de mettre fin à cet scène sanglante. Il chercha une position favorable, mit un genou à terre, épaula lentement et, visant au cœur du fou, il retendît raide mort d'une seule balle. Les blessés furent transportés à l'hôpital. Quelques-uns sont très gravement frappéss Cet événement a profondément impressionné la population.
Puisse-t-il servir d'enseignement aux journalistes qui ne cessent de protester contre la séquestration des fous !
La malpropreté facultative.
Bien souvent ici et ailleurs, nous avons protesté énergiquement contre ce que nous avons appelé la malpropreté obligatoire. .Maintes fois nousavions constaté a la suite d'enquêtes multiples et répétées que couvents, lycées cl collèges étaient des écoles de malpropreté nationale, c'est là que filles et garçons prennent ces habitudes anti-hysiéniques qu'ils rapportent ensuite dans la société et transmettront a leurs enfants aussi bien par l'exemple que par la tradition.
Il résulte d'une enquête à laquelle je me suis livré que la plupart des éta-blissements d'instruction publique le temps dévolu aux enfants pour pratiquer, même une toilette sommaire, est absolument insuffisant. Dans un des établissements les plus aristocratiques de Paris, les enfants ont un quart d'heure pour leurs ablutions; le dimanche, afin qu'ils soient un peu moins sales, on leur accorde vingt minutes ! Or, il n'est personne ayant quelque souci de la propreté individuelle, qui ne convienne qu'un pareil laps de temps ne soit absolument insuffisant, même en agissant avec la célérité la moins compatible avec la minutie nécessaire en pareil cas. Tour avoir consacré si peu de temps aux soins corporels, il 'aut que les auteurs de cette discipline aient rompu depuis longtemps avec la propreté! Dans ce même établissement les enfants n'ont pas même un robinet d'eau a leur disposition et on leur verse parcimon cusement la quantité du liquide jugée nécessaire, dans une cuvette de; plus modestes. Plus d'une lois, l'eau ayant servi à ètancher la soif du collégien, on comprend qu'il n'en restait guère pour la toilette. Aussi ne s'étonnera-t-on point que la première préoccupation de certaines mères de famille, lorsqu'elles ont le bonheur de posséder leur enfant, soit de le livrer a un décrassement sérieux.
Mous ne parlerons que pour mémoire de la repoussante saleté de la plupart des cabinets d'aisance, et je sais des enfants délicats qui ne fréquentent ces dépotoirs en miniature qu'à la dernière extrémité, tellement ils ont horreur de l'odeur qu'on y respire et des souillures qui peuvent les atteindre. J'en ai connu qui ont beaucoup souffert de cette conslipation volontaire, d'autres qui attteints de diarrhée restaient toute une semaine salis par leurs déjections.
J'ai fait autrefois une communication à la Société de médecine publique sur l'hygiène pans les pensionnats de jeunes filles. On a nommé une commission qui ne s'est jamais réunie je n'y reviendrai donc pas.
La réforme qui s'impose est double, elle doit porter sur le temps consacré aux soins corporels et sur le matériel nécessaire à ces soins. En outre, comme je l'ai dit autrefois, la propreté doit être enseignée au même titre que l'orthographe et c'est a ceux qui ont assumé le soin d'élever les enfants de se pénétrer de l'étendue de leurs devoirs. La propreté devra être obligatoire; a toute obligation il faut une sanction et les enfants sales devront être punis.
L'Université, qui se laisse si difficilement entamer dans ses prérogatives et ses traditions routinières, semble cependant, sous la pression de l'opinion publique, se décider a faire quelques concessions. Ce résultat n'a pas été obtenu sans peine, et il faut savoir gré à ceux qui ont entamé ci soutenu la lutte, des maigres succès qu'ils ont obtenus. Avec l'Université, la défiance est un devoir. Ce qu'elle donne de la main droite clic le reprend aisément de la main gauche et si l'on procède par les moyens mis en œuvre actuellement, nos arrière-neveux ne verront pas encore cet âge d'or que nous avions rêvé pour nos fils.
Lorsque nous avons lu le compte rendu de la dernière séance du conseil supérieur de l'instruction publique, nous avons poussé un soupir de satisfaction en présence de la phrase suivante: « Une demi-heure sera accordée pour les soins de la toilette ; quelques minutes prises sur celte demi-heure pourront, dans la belle saison, être consacrées à une courte récréation dans la cour. » Je n'ai point de souvenirs très précis, sur les hautes personnalités universitaires qui constituent la majorité de ce conseil supérieur, mais je veux croire que ce sont des hommes qui après avoir été élevés dans l'isolement, poursuivent leur existence dans le célibat le plus absolu. Ce ne sont certai-
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REVUE DE L'HYPNOTISME
nement point des pédagogues , ces hommes n'ont point de famille, ils n'ont jamais vu d'enfants ou, s'ils en ont vu, ils ne les, ont jamais observés. S'il en était autrement, ils n'ignoreraient point que dès son plus jeune âge, l'enfant manifeste pour l'eau, appliquée à l'aide d'une épouge ou d'une serviette l'aversion la plus profonde. Ce n'est que par l'éducation, l'habitude et par une surveillance toujours en éveil, que l'on peut arriver à maîtriser cette répulsion Abandonnez l'enfant à lui-même,n'excercez sur lui aucun contrôle, obéissant à des instincts quï je suis tenté de croire heréditaires, il réduira ces soins de toilette a la plus simple expression.
Or vous places cet entant entre une récréation et la nécessité de se livrer a des ablutions, dont l'oubli ne sera soumis à aucun contrôle, et vous croyez qu'il hésitera à sacrifier les sins de sa toilette au plaisir d'aller jouer avec ses camarades? C'est bien mal connaître le naturel de l'enfant. et je suis en droit de m'etonner que l'on confie la direction des générations futures àdes mains aussi ignorantes.
Une demi-heure pour vaquer aux soins de la toilette est un minimum nécessaire pour toute personne ayant quelque souci des devoirs qu'elle a à remplir vis-à-vis d'elle-méme. Vouloir distraire une partie dece temps, c'est s'exposera négliger plus ou moins ces devoirs.
Nous demandons donc que cette demi-heure, obtenue si difficilement, soit tout entière consacrée à sa destination, que la propreté des enfants soit soumise à un contrôle sérieux, que les éducateurs tassent leur éducation au point de vue de l'hygiène, et pour conclure, que la journée de l'enfant commence néanmoins par une récréation.
Dr GALIPPE.
NOUVELLES
COURS. — M le professeur Brocarde: a commencé le cours de /médecine le lundi 17 mars 1890, à quatre heures de l'après-midi (grand amphithéâtre de l'Ecole pratique), et le continuera les vendredis et lundis suivants à la même heure. — Objet du cours : Le criminel. Blessures. Empoisonnements. Asphyxies.
— M. De - - agrégé, a commencé ses conférences le lundi 17 mars 1890 à trois heuresde l'après-midi (grand amphithéâtre de l'école pratique), et les continuera les mercredi, vendredis et lundis suivants, à la même heure. Objet des conférences : Maladie du système nerveux.
Enseignement des maladies mentales. — Le London County a décidé la construction d'an hôpital, non pas spécialement pour l'hospitalisation des aliénées, mais pour le traite-ment des maladies psychiques et l'instruction des spécialistes. Il y aura là un personnel d'experts hab les, et le Conseil est disposé à depenser chaque années 10,000 dollars — Ce fait montre 1'imp-- portance que l'on accorde en Angleterre l'eseignement des maladies mentales et témoigne des efforts faits pour avoir dam les asiles des médecins instruits.
Ecole pratique ds hautes-études. — M le Dr Paul Loye, préparateur à la Faculté des sciences et à la Faculté de médecine, vient d'être nommé maître de conférences de physiologie à l'Ecole pratique des Hautes-Etudes. Sous lui adressons nos plus sincères félicitations.
— Le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts a décerné:
1° Un prix de 1, 500 francs a M. le docteur F. Lagrange pour son travail relatif à rétablissement de jeux gymnastique et athlétiques, notamment dans les écoles primaires.
2° Un prix de 500fr à M le docteur A. Fabre pour son mémoire relatif aux jeux actifs à in-troduire ou à encourager dans les écoles d'aveugles.
L'Administrateur-Gérant: Émile BOURIOT
paris —imprimerie clamaron-graff, 57, rue vaugirard
REVUE DE L'HYPNOTISME
EXPERIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE
AUTOGRAPHISME ET STIGMATES
Par M. le Docteur MESNET
Médecin de l'Hôtel-Dieu, membre de l'Académie de Médecine
Ma communication a pour but d'appeler l'attention de l'Académie sur un fait de physiologie pathologique dont la connaissance exacte et la saine interprétation, eussent sauvé du bûcher un grand nombre de victimes.
Il appartient, par sa valeur rétrospective, à l'histoire de la sorcellerie du xvie et du xviie siècles.
A cette époque de possession, où la croyance au surnaturel faisait intervenir le démon dans les actes de ta vie et du monde, où le convul-sionnaire était un possédé, où la grêle qui ruine la moisson, où l'inondation qui dévaste la campagne, où l'incendie qui détruit la maison, étaient le résultat d'une évocation diabolique inspirée par la méchanceté et la vengeance: à cette époque, dis-je, le diable régnait en maitre, et les cours judiciaires, les Parlements, qui reconnaissaient sa toute-puissance, condamnaient impitoyablement au bûcher les malheureux que la clameur publique conduisait à leur barre. Tel. par exemple, le Parlement de Lorraine, dont les jugements sont inscrits et commentés dans ce livre manuscrit, dédié à l'illustre duc et cardinal Charles de Lorraine, par Nicolas Rémy, procureur général et conseiller privé du duc. livre écrit en 1595, dans lequel nous trouvons les instructions et jugements de plus de neuf cents individus qui, en Lorraine, ont, dans l'espace de quinze années, payé de leur tête le crime de sorcellerie!! Les mêmes procès, les mêmes exécutions se multipliaient partout en France, de l'Est à l'Ouest, du Nord au Sud, de même qu'en Angleterre, en Espagne, en Suisse, en Allemagne, en Italie!!
11 est vraiment difficile, même à trois siècles de distance, de rester indifférent à de pareilles hécatombes! C'est pourquoi j'ai pensé que vous trouveriez quelque intérêt à connaître et à voir passer sous vos yeux quelques exemples des stigmates qui, à cette époque, accusaient le plus directement la présence du démon.
Tout être accusé de sorcellerie, soit pour la singularité de ses actes, soit pour la simple déclaration de quelque malveillant voisin, était, en présence de ses juges, soumis à l'examen le plus minutieux de toutes les parties de son corps.
L'examen se faisait sous la pression de l'idée préconçue : que le diable marquait le plus souvent sa présence par quelque signe particulier apparent a la surface du corps: une tache de la peau, une touffe de poils
sur une plaque épaissie du derme étaient suspectes. le pincement sans douleur, l'insensibilité à la piqûre d'une épingle étaient signes certains, de même que les empreintes, considérées invariablement comme le sceau de la griffe dn démon. -
Il arrivait même souvent, qu'en dehors de tout signe extérieur propre à l'accusé, le fait seul entraînait, par son éclat, et par sa notoriété, la condamnation sans preuves.
Tel était, à cette époque, le rôle des stigmates devant la justice: ils avaient une importance capitale. Voyons ce qu'ils sont aujourd'hui, au point de vue nosologique.
Il y a dix ans, à l'hôpital Saint-Antoine, mon collègue et ami Dujardin-Beaumetz, avait dans son service une femme dont la peau rougissait au moindre contact, sans que la malade éprouvât de chaleur ni de démangeaisons aux points érythémateux.
On pouvait, à l'aide d'un crayon ou d'une pointe mousse quelconque, promenée légèrement sur les différentes parties de son corps, provoquer des reliefs de toute forme, de toute ligure, que nous voyions se développer en quelques minutes sur tous les points parcourus par l'instrument.
C'était un fait nouveau, qui fixa d'autant plus l'attention de Beaumetz qu'il ne le trouva signalé nulle part.
Avant remarqué, en outre. la coexistence de troubles nerveux multiples, tels que des mouvements spasmodiques des paupières étendus à quelques muscles de la face, une impressionnabilité excessive, se traduisant par des pleurs ou des rires involontaires, quelques phénomènes de catalepsie associés à des convulsions hystériques. Beaumetz me demanda d'examiner avec lui cette malade, au double point de vue de son système nerveux, et des manifestations cutanées qu'elle présentait.
Elle avait la peau blanche, fine, d'aspect normal sur toute la surface du corps, à cela près qu'elle avait perdu toutes ses sensibilités, que l'analgésie et l'anesthésie étaient complètes en quelque point qu'on tentât l'expérience.
Elle ne sentait ni le contact de ses vêtements, ni le pincement des bras et des jambes. Le simple contact d'une pointe d'épingle — qu'elle ne sentait pas, — produisait aussitôt une rougeur diffuse, suivie bientôt d'une élevure d'un blond rosé qui mettait en relief le point sur lequel l'épingle avait été promenée. Il en était de même pour toute excitation de la peau produite par un corps dur quelconque : par les ongles, par le grattage, par un pli de sa chemise, par une pression sur un meuble.
Si, prenant un stylet mousse, un crayon taillé fin. nous tracions sur ses épaules, sur sa poitrine, sur les bras, sur les cuisses, le simulacre d'un mot, d'un nom. d'une figure, en promenant légèrement l'instrument sur tous les points figuratifs du mot ou de l'inscription que nous voulions produire, nous voyions presque ¿1 l'instant une rougeur vive se manifester sur la ligne parcourue par l'instrument.
Cette rougeur diffuse constitue le premier temps du phénomène.
Deux minutes après. la lettre ou l'inscription commence à paraître sous forme d'un tracé blanc rosé, d'une teinte beaucoup plus pâle que. l'érythème rubéolique qui l'encadre de tous côtés. Ne quittez pas la malade, suivez attentivement les diverses phases de l'expérience, et vous voyez l'inscription se compléter sous vos yeux, la ligne pâle s'étendre.
grossir rapidement, prendre un relief de plus en plus saillant, arrondi au sommet, et atteindre le volume d'une demi-plume d'oie appliquée sur la peau.
Bien des fois, nous avons obtenu ainsi des inscriptions assez développées pour qu'on pût les lire à vingt mètres de distance.
En voici quelques exemples reproduits par ces photographies, que je fais passer sous vos yeux : je les dois à l'obligeance d'un jeune artiste qui m'a prêté gracieusement son concours ; elles ont été faites cinq minutes après le tracé, et n'ont été ni exagérées, ni retouchées : sur le dos, vous voyez inscrit en gros caractères le quantième du mois et l'année de l'expérience; sur la poitrine, une série de signes cabalistiques. (Fig. 1 et Fig. 2).
Tout dans ce monde a un nom, les êtres comme les choses: nous discutâmes longtemps sur le nom qui conviendrait au fait nouveau que nous venons d'étudier, nous nous arrêtâmes au mot autographisme que j'avais proposé ; c'est le nom sous lequel il a vécu jusqu'à ce jour, en attendant un meilleur!
La première indication en a été faite par Beaumetz â la Société des hôpitaux, dans la séance du n juillet 1879 (Bulletin de la Société médicale dis Hôpitaux, t. XVI, 2e série, p. 197, 1879 ). Depuis cette époque, un certain nombre de nouveaux faits ont été observés à la Salpê-trière, à Bicétre et dans plusieurs hôpitaux.
Telle est l'expression de l'autographisme dans toute sa simplicité; étudions maintenant sa pathogénie, et la part qu'il avait autrefois dans les procès de sorcellerie.
Ma communication s'établit sur quatre observations : la première est celle de la malade qui a été le point de départ de cette étude ; les trois autres ont été recueillies dans mon service, et comprennent deux femmes et un homme.
L'ensemble de ces observations présente un air de famille, qui démontre, a priori, leur commune origine; troubles fixes et persistants des sensibilités périphériques, analgésie, anesthesie soit générale, soit partielle, insensibilité des muqueuses à leurs points d'origine, souvent troubles fonctionnels des organes des sens, particulièrement de la vue et du goût, tels sont les caractères communs à tous ces malades. (1). D'autre part, l'examen de la sensibilité morale, de l'émotivité, du caractère, nous démontre chez tous une grande mobilité de l'esprit, une impressionnabilité très vive, des modifications incessantes du caractère, des alternatives subites de gaieté ou de tristesse que rien n'explique, ni ne motive, tantôt de l'indifférence, tantôt de l'exaltation des sentiments...., en un mot, toutes les expressions du névrosisme hystérique qui s'accuse, du reste, chez la plupart d'entre eux, par les manifestations plus ou moins fréquentes des grandes attaques de l'hystérie convulsive.
Etant donné le terrain pathogénique sur lequel se développe le phénomène que nous voulons étudier, recherchons dans quelles conditions il se réalise?
Peu importe que la partie de la surface cutanée sur laquelle vous ferez '
(1)La malade de l'observation n°3 semble faire exception à cette loi ; elle avait, en effet,
conservé ses sensiblitités, mais hyperesthésiées, et elle présentait, d'autre part, à leur maximum d'intensité, tous les autres troubles nerveux de nature hystérique.
l'expérience, chez un malade autographique, soit sensible ou insensible, vous verrez le phénomène se produire toujours le même.
Prenons la malade de l'observation n° 2. dont je vous ai présenté les photographies.
Elle est hémi-anesthésique gauche, avec la ligne médiane du corps pour limite exacte.
Portez le stylet sur l'épaule, le dos, le bras gauche : elle ne sentira rien, ni piqûre, ni contact ; elle n'aura aucune connaissance de l'opération pratiquée sur elle ; l'impression portée sur sa peau sera pour elle indifférente et nulle, puisqu'elle n'aura produit aucune sensation.
Du côte droit, il en est tout autrement : la sensibilité conservée s'éveille au moindre contact : l'impression du stylet promené sur la région dorsale, devient sensation dès qu'il a dépassé la ligne des apophyses épineuses, limite exacte de l'anesthésie.
Ces conditions si dissemblables du premier temps de l'opération ne modifient cependant en rien la manifestation du phénomène autographique ; il n'est, sur l'un comme l'autre côté de la région dorsale, ni retardé dans son apparition, ni amoindri dans son évolution. Il se manifeste à l'insu de la malade, sans qu'elle éprouve de sensation de chaleur ou de picotement : et après quatre ou cinq minutes écoulées, l'inscription apparaît dans tout son relief, passant d'une épaule à l'autre, sans différence appréciable.
Il est évident que la sensibilité de la peau est bien une condition indifférente, puisque l'impression du stylet sur le côté gauche, bien que non sentie, n'en a pas moins son retentissement sur les centres nerveux, centres d'action des actes réflexes, s'accusant par des troubles des vasomoteurs.
L'autographisme est donc assurément un acte réflexe, répondant à une impression sentie à droite, et non sentie à gauche, dont les effets sont les mêmes sur l'un et sur l'autre côté du corps. C'est ainsi que, mon ami Vulpian et moi, nous l'avions compris, quand il y a dix ans, nous l'étudiâmes ensemble, chez une première malade que je lui avais conduite dans son laboratoire.
L'autographisme n'est point un fait transitoire, d'une durée éphémère; il persiste comme les troubles nerveux au milieu desquels il se développe. Depuis plusieurs années, je suis et je surveille les malades dont je cite les observations — l'une depuis six ans, les autres depuis quatre et deux ans — sans avoir observé d'autres modifications qu'une différence du plus au moins dans la saillie du relief cutané, ou une persistance plus ou moins longue de l'empreinte qui disparait, après deux ou trois heures, au lieu d'une durée prolongée de six à huit heures.
Quelques malades m'ont signalé ce fait particulier: que les reliefs de leur peau variaient aux différentes saisons de l'année, et qu'au printemps, ils se montraient plus particulièrement avec toute leur intensité.
L'époque des règles, ainsi que les excitations du système nerveux, reportent momentanément le fait pathologique à son maximum de développement (1).
(1) Se reporter aux observations 1 et 2et voir les effets obtenus avec différent, ingesta, les
fruits rouges, fraises, fraimboises; avec le écrevisse , crevettes, homards, toutes les substances développant l'urticaire chez les gens prédisposés; de même que led effets produits par le refroi-dissement moyennant l'application de la glace, ou la compression asphyxique sur un membre.
L' autographisme ne peut être confondu avec la raie méningitique ou typhoidique, car il n'y a de commun entre eux que la teinte érythéma-teuse qui suit immédiatement la pression de l'ongle ou du stylet sur la peau du malade en expérience.
Il n'en est pas de même de l'urticaire qui. par ses caractères extérieurs et par ses analogies, se rapproche de l'autographisme au point que tous deux semblent appartenir au même groupe nosologique.
Cependant .ils se distinguent l'un de l'autre, comme se distinguent les différents êtres d'une même famille, par quelques caractères propres à l'individu, qui constituent sa personnalité. C'est ainsi que l'autographisme a été désigné sous le nom d'urticaire artificiel ou factice, en raison des conditions particulières qui président à son développement ; il procède toujours, en effet, d'une cause matérielle, d'une excitation mécanique portée à la surface de la peau ; et il a, pour caractères sui generis, la reproduction, en reliefs saillants et teintés, des emblèmes, figures ou mots qu'il a plu à l'expérimentateur de tracer de sa main.
Indépendant de tout état organique appréciable, étranger à la diathèse arthtritique, qui compte à juste titre dans l'étiologie générale des urticaires, l'autographisme semble avoir, pour cause prédisposante à ses manifestations. les troubles fonctionnels du nervosisme hystérique.
Telle est, du moins, la déduction clinique des observations qui ont servi de base à cette étude.
Tous ces malades sont, en effet, profondément hystériques, non seulement par leurs troubles sensitivo-sensoriels, non seulement par les accidents convulsifs à répétitions fréquentes qu'ils nous ont présentés, mais surtout par la facilité avec laquelle ils subissaient tous l'action hypnotique quej'ai, à maintes reprises, constatée chez eux.
Toutefois, il importe, pour rester dans la vérité, de ne considérer, l'autographisme, tel que nous venons de le décrire, que comme un fait exceptionnel dans la série des troubles hystériques, puisque nous l'avons, le plus souvent, cherché chez un grand nombre de malades névrosés, sans autre résultat qu'une rougeur suivie d'un tracé sans relief appréciable et sans durée.
Cette série de faits dans lesquels nous voyons coexister, chez les mêmes malades, les stigmates de l'autographisme d'une part, et d'autre part une extrême impressionnabilité à subir à l'action hypnotique, nous conduit à émettre la proposition suivante :
Y aurait-il quelque trait d'union, quelque relation intime, entre les troubles des vasomoteurs périphériques, provoqué par l'action, mécanique d'un stylet porté sur la peau, et les perturbations dynamiques qui accompagnent l'hypnotisme.
En d'autres termes:
Le phénomène extérieur de circulation capillaire, qui se passe sous nos yeux dans l'autographisme, aurait-il son congénère dans un trouble intime et profond de la circulation capillaire du cerveau, trouble que nous ne pouvons constater de visu mais dont les effets se traduiraient à nous par la dissociation momentanée dans l'exercice des facultés intellectuelles?
Je m'arrête devant ce point d'interrogation !
Messieurs,
L'étude des stigmates et des empreintes, n'ayant plus aujourd'hui qu'une valeur rétrospective basée sur la signification que leur donnaient les Parlements d'autrefois, je dois, pour compléter et pour justifier ma communication, vous dire en quelques mots comment ces Parlements comprenaient :
1° Les agissements du démon pour circonvenir et envelopper sa victime ;
2° Et quelles marques il lui imprimait pour établir sa possession !
Ce qui conduit les hommes à cet abîme. — dit Nicolas Remy. procureur général et conseiller privé du duc de Lorraine, — et par abîme il entend possession, — c'est de vouloir examiner et soumettre à leur jugement des dogmes qui dépassent la raison : c'est d'avoir l'esprit empreint de faiblesse et d'ignorance, naturellement porté à la crédulité : et de se laisser entraîner par des passions violentes telles que la colère et la cupidité.
Alors, intervient le démon attentif aux faiblesses humaines, sans cesse à la recherche des hommes lâches que la pauvreté réduit au désespoir, que le ressentiment conduit à la vengeance, et qui sont disposes a tout sacrifier pour obtenir l'objet de leurs désirs.
Dès qu'il les touve, il dresse contre eux toutes ses batteries, parvient à les gagner et à se les dévouer par de grandes et magnifiques promesses.
Nous voilà en plein xvie siècle !
Permettez-moi d'emprunter au poème de la démonolâtrie, écrit à cette époque, une citation qui vous peindra bien mieux que je ne saurais le faire, les prétendus agissements du diable pour circonvenir et envelopper sa victime.
S'il voit l'infortuné plongé dans la misère.
Gémir sur ton état avec douleur amère,
S'il l'aperçoit épris d'un amour insensé,
Ou d'une âpre vengeance fortement occupé ;
Il se présente à lui dans quelque solitude.
Et, prenant d'un ami les dehors d'habitude :
Ah ! mon cher, lui dit-il, d'où vient cet air chagrin :
Pourquoi désespérer de fléchir le destin ?
Pour peu que vous vouliez vous montrer avec zélé
De mes commandements l'exécuteur fidèle,
Bientôt, j'allégerai de vos maux le tourment !
En attendant, prenez cette somme d'argent...
Je saurai mieux, plus tard, arrondir votre bourse.
Telle était, à cet époque d'illusions, de rêve et de folie, la partredou-table que l'imagination faisait à Satan dans l'exposition des misères humaines ! !
Sa personnalité matérielle et charnelle était chaque jour attestée par les sorcières qui, déclarant devant leurs juges, le voir, le sentir, avoir avec lui quelque commerce impur, justifiaient ainsi, par leurs propres aveux, l'accusation dont elles avaient à se défendre.
Mais, ce n'était point assez pour les démons de lier et d'enchaîner
par une stipulation de paroles.
De même qu'autrefois les maîtres imprimaient à leurs esclaves des marques pour les reconnaître dans leurs fuites, de même aussi les dé-
mons imprimaient, avec leurs ongles, des marques qui attestaient perpétuellement la servitude dans laquelle ils avaient entraîné leurs nouveaux adeptes.
Ces marques, ces stigmates étaient, entre tous les signes de possession, le plus démonstratif le plus fatal ! Celait le stigma ou sigillum diaboli!
Une éraillure de ta peau, une ou plusieurs empreintes accusaient la griffe du diable, marquée soit par un ongle —le plus souvent auriculaire — soit par tous les doigts ensemblent appliqués sur la peau.
Une cicatrice — où qu elle fut placée — était signe de possession ancienne ; une rougeur avec gonflement et sailli indiquait la possession récente.
C'était, d'habitude, sur les parties découvertes que le diable imprimaient sa marque, le plus souvent sur la face, sur le front, souvent sur ; les épaules, mais quelques fois aussi sur les parties basses du corps, sur les reins, sur les cuisses.
Entre toutes les épreuves, celle de l'aiguille était la plus redoutable ! car si le démon, seul, pouvait, disait-on rendre la peau insensible â la piqûre, lui seul pouvait bien mieux encore faire naître des rougeurs, des élevures. des saillies sur ces régions du corps privé de sensibilité.
Et. quand au milieu de ces cruelles épreuves, survenaient spasmes et convulsions, c'était encore œuvre du diable agitant le corps de sa victime.
Il est heureux qu'à cette époque de fanatisme et d'erreur, l'autogra-phisme dont je viens de vous parler n'ait point été connu!! Assurément il existait alors tel qu'il est aujourd'hui : assurément il avait ses fatales empreintes qui comptaient, hélas ! comme preuve à condamnation : mais l'inscription nominale qui lui donne sa caractéristique, ne se trouvant indiquée dans aucun des procès que j'ai eus sous les yeux, a dû passer inaperçue.
Ignorance cent fois heureuse à cet âge de la sorcellerie ! Si l'on veut bien se représenter à quels déplorables entraînements se seraient abandonnés les juges, en voyant surgir en caractères irrécusables sur les épaules d'une accusée, un nom — non pas celui de Marie inscrit sur cette photographie — mais le nom de Satan marquant de son sceau sa malheureuse victime. (Pig. 3).
Les découvertes de la physiologie ont porté la lumière dans ces ténébreuses questions.
Le diable a dû battre en retraite devant les progrès de la Science et de la Raison.
Et les convulsionnaires stigmatisés d'autrefois soustraits aux Cours de justice criminelle, sont devenus de sympatiques malades tributaires du médecin.
Obs. i. — Cette malade est celle qui a servi à nos premières études sur l'autograghisme.
Entrée à l'hôpital Saint Antoine en juin 79. son observation, communiquée par Dujardin-Beaumetz à la Société médicale des hôpitaux, a été publiée en partie dans ses recueils, T. XVI, 2e série, page 197, 1879.
Il me suffira de l'indiquer à grands traits, mais en la complétant par l'étude de quatre années de soins et de surveillance continus.
C'est une femme âgée de vingt neuf ans. de complexion délicate, et surtout d'un tempérament nerveux très prononcé. Son père est mort à cinquante et un an d'une affection chronique de la poitrine : sa mère est morte à cinquante deux ans. ayant eu depuis sa jeunesse un grand nombre d'attaques de nerfs.
Blé a eu quatre frères et sœurs, tous aujourd'hui morts: les uns de la poitrine, les autres de méningite tuberculeuse. Le dernier, qui a succombé à l'âge de vingt et un ans à une fièvre typhoïde, était somnambule, il avait l'habitude de courir la nuits sur les toits.
Ainsi tous, dans cette famille, présentaient une grande faiblesse de constitution, et une disposition non douteuse aux névroses.
Notre malade accuse dès son jeune âge, une grande prédisposition aux affections nerveuses de tout ordre.
A neuf ans, elle devient sourde des deux oreilles, et cette surdité, sans écoulement par le conduit auditif, sans mal de gorge, se dissipe après quelques mois.
A douze ans. elle est prise d'une chorée violente qui lui enlève le sommeil pendant plus d'un mois, et qui disparaît incomplètement après deux ans et demi de durée, en lui laissant quelques mouvements spasmodiques des paupières et des muscles de la face, ce qui lui donne un aspect grimaçant.
A seize ans. la menstruation apparaît: la mort de son père survient à la même époque : alors se manifesta la première grande crise nerveuse.
Elle perdit connaissance pendant trois jours et trois nuits, et présenta pendant tout ce temps une grande agitation de tout le corps.
A dix-huit ans, la mort de son frère lui provoque une nouvelle crise d'une violence extrême qui dura pendant neuf jours.
Depuis cette époque jusqu'à l'âge de vingt-huit ans. sa santé fut assez bonne, bien que très nerveuse, très impressionnable, et sujette à des attaques d'hystérie de moyenne intensité chaque fois qu'on la contrariait.
Vers le mois de mai 1879, elle déprouva de violentes douleurs dans la poitrine, dans le ventre: ses attaques d'hystérie devinrent fréquentes, plus violentes ; et ce fut à cet occasion qu'elle entra à l'hôpital.
L'examen de cette malade, si profondément hystérique par ses antécédents, révèle des troubles nerveux multiples du côté des sensibilités cutanées.
La sensibilité générale est profondément modifiée ; anesthésie, analgésie complète, on peut lui traverser de part en part la peau des membres, du ventre, des seins, sans qu'elle ressente la moindre douleur.
La sensibilité au froid, à la chaleur, au chatouillement est complètement abolie.
Le tact est affaibli dans une mesure notable.
La malade se plaint plusieurs fois par jour d'une sensation de boule qui part de la région épigastrique, et lui remonte vers la gorge : elle se plaint également de névralgies intercostales, lombaires, et de vomissements à répétition fréquente.
Tel était l'état de cette malade au moment où nous constatâmes pour la première fois, et par hasard, les phénomènes d'autographisme dont; nous venons de donner une description méthodique.
Sortie de l'hôpital après un séjour de deux mois, elle rentra dans mon service trois ans plus tard, au mois de juillet 1882. sans qu'elle eût cessé de venir me voir de temps en temps. Pendant cette longue période de temps, nous avions pu constater, un grand nombre de fois, la persistance du phénomène autographique, que nous avions constamment retrouvé semblable à lui-même, sans que la malade en éprouvât d'autre incommodité que la persistance des reliefs sur la peau de la face chaque fois qu'elle se piquait ou se grattait.
L'examen que nous fîmes à cette époque, des diverses sensibilités, nous démontra que l'analgésie cutanée était restée la même, mais que les troubles s'étaient étendus vers les membranes muqueuses.
L'insensibilité de la pituitaire était complète ; on enfonçait une allumette en papier dans toute la profondeur des fosses nasales, jusqu'au voile du palais, sans provoquer de chatouillement, sans autre effet qu'un larmoiement abondant, signe de la conservation du réflexe lacrvmal.
Si, lui tenant les yeux bandés, on lui mettait au contact des lèvres un verre contenant un liquide quelconque, du vin. du lait, du vinaigre, elle ne s'en apercevait pas : lorsqu'on lui versait le liquide dans la bouche, elle l'avalait sans savoir, sans connaître quel il était.
L'odorat était non moins perdu.
La malade nous ayant dit que. quelques jours avant son entrée à l'hôpital, on l'avait trouvée la nuit, en chemise, dans la cour de sa maison, et ramenée dans sa chambre, sans qu'elle en eût connaissance, nous apprîmes d'elle quelle était depuis longtemps sujette à des accès de somnambulisme spontané, qu'elle marchait la nuit, tout en dormant comme l'avait fait son frère.
Les troubles hypnotiques constatés dès sa première entrée, en 1879. dans le service de Beaumetz, se retrouvaient tels qu'à cette époque, à cela près qu'ils se montraient avec une intensité beaucoup plus grande. Il suffisait de fixer un instant cette malade pour qu'aussitôt elle s'endormît et présentât successivement les trois grandes phases de la névrose hypnotique : catalepsie, léthargie et convulsions.
Sa sensibilité hypnotique s'était développée au point qu'elle s'endormait quand elle nous voyait venir près de son lit, à l'heure de la visite, et que maintes fois nous l'avons vue, les jours de cousultation, s'immo-biliser en catalepsie, la main sur le bouton de la porte qu'elle venait d'ouvrir, pour entrer nous demander un conseil.
Elle présentait tous les troubles des facultés intellectuelles et affections qui appartiennent à cet état, et réalisait l'hypnotisme dans toute son intensité.
Les phénomènes d'autographisme ne s'étaient nullement modifiés depuis quatre ans que nous suivions celte malade ; les tracés faits sur la peau donnaient toujours les mêmes reliefs, dont la durée était de six à huit heures.
Pendant son séjour dans nos salles, j'expérimentai sur elle, à plusieurs reprises, l'action de diverses substances excitantes, telle que ; fruits rouges, fraises et framboises, les moules, les huîtres, les écrevisses et crevettes, qui ont plus particulièrement la propriété de provoquer des poussées d'urticaire chez les gens prédisposes. L'effet se produisit sous
lente attaque de nerfs, la ramène dans mon service ; quelques heures après, tout était rentré dans le calme, il ne lui restait qu'un souvenir vague de ce qui c'était passé.
L'examen des diverses sensibilités nous révèle les mêmes troubles du côté gauche, vers la peau, comme du côté des organes des sens. L'au-tographisme persiste, mais dans une forme plus atténuée.
L'ensemble de la santé générale est plus satisfaisant, bien que la malade continue à se plaindre de céphalagie, de gastralgie, de vomissements, et autres accidents nerveux.
Les lèglessont à peu près régulières ; l'examen des organes thoraciques ne révèle aucune lésion : les hemoptysies des années précédentes ne se sont pas renouvelées.
J'ai profité du séjour de ma malade pour faire diverses expériences relatives à l'autographisme, entre autres :
Je lui ai fait appliquer sur le bras droit (côté sensible), une bande d'Esmarch enroulée depuis le coude jusqu'à l'épaule, avec une compression assez serrée pour produire un arrêt de la circulation périphérique, une compression des nerfs superficiels, et de la cyanose du bras. Après quoi, je fis sur la partie antérieure de chaque avant-bras des tracés avec une pointe mousse.
L'autographisme se produisit sur l'avant-bras gauche avec ses caractères habituels: aucune saillie ne se montra sur l'avant-bras droit. Après dix minutes d'attente, la bande d'Esmarch fût enlevée, peu à peu la cyanose disparut, et l'inscription, restée fruste pendant vingt minutes, se montra en reliefs égaux sur les deux bras.
Quelques jours après, je fis appliquer de la glace sur l'épaule droite (côté non anesthésique) et quand un refroidissement fût complet, la peau fortement érythémateuse, et descendue a une basse température, je fis sur les deux épaules, aux régions symétriques, des tracés comparatifs.
L'inscription se fit régulièrement sur l'épaule gauche, mais elle n'apparut sur l'épaule droite qu'après le rétablisement complet de toute les fonctions cutanées, momentanément interrompues par l'application de la glace.
Je savais, depuis deux ans, cette malade accessible à l'action hypnotique; la voyant vomir presque chaque jour, j'essaie de l'endormir, espérant ainsi supprimer ses vomissements. Après l'avoir fixée pendant cinq à six minutes, avec l'idée ferme de l'endormir, elle ferma spontanément les yeux (bien qu'elle ne se prêtat pas volontiers à l'expérience), ses bras restèrent en catalepsie, son côté droit devint insensible comme le gauche, elle était en somnambulisme, apte à subir toutes les suggestions. Je lui commandait de ne plus vomir désormais, et de digérer sans malaise !
Les vomissements ne reparurent plus.
Cette malade, qui n'a que très tarement été hypnotisés, ne peut être considérée comme entraînée par des expérience multiples répétées sur sa personne, elle est spontanément hypnotique, prédisposée à cet effet par sa chlorose, et par les troubles nerveux fonctionnels qu'elle présente depuis si longtemps.
Obs. III. — En janvier 1883, un jeune médecin de mon voisinage m'amena dans mon cabinet une dame fort inquiète des élevures qui se fardent sur sa peau.
Mme A..., âgée de trente-deux ans. née dans le Midi, est une femme d'une constitution vigoureuse et d'ne santé parfaite, sous la réserve des troubles nerveux dont nous avons à parler.
Sa mère a toujours été nerveuse, d'une extrême sensibilité.
Son père, irascible et violent.
Elle, mariée à dix-sept ans, a eu six enfants sans accidents de couches.
Mme A... a reçu dans sa jeunesse une bonne instruction elle est intelligente, d'un esprit vif et alerte, très mobile dans ses idées, portée en toutes choses à l'exagération, sans attaques de nerfs jusqu'à l'époque de son mariage.
Dés son entrée en ménage, elle se trouve en face de grandes déceptions, elle s'agace, s'irrite et entre à pleines voiles dans le nervosisme convulsif. Ses crises s'étendent et se multiplient en raison des difficultés qui viennent l'assaillir.
Quinze années se passent avec les accidents hystériques les plus variés, sans que Mme A... vit sa santé s'altérer en quoi que ce soit.
Il y a trois ans. — elle avait à cette époque vingt-neuf ans. — elle éprouva, dit-elle, des sensations de chaleur vers la peau, et des démangeaisons qui la firent se gratter; elle remarqua alors que tous les points sur lesquels elle passait ses ongles étaient marqués par des traînées rouges, qui devenaient saillantes et boursouflées quelques minutes après.
- Conduit par la nature de ce phénomène, qu'elle nous disait avoir persisté depuis trois ans. sans intermittence, je lui traçai sur les épaules un nom, sur les bras quelques lignes irrégulières, que nous vimes apparaître en l'espace de cinq minutes, en reliefs autographiques assez saillants pour qu'on puisse les lire â 20 mètres de distance.
Ce phénomène était devenu un des faits habituels de sa vie: l'impressionnabilité de sa peau était telle que le moindre contact, de quelque nature qu'il fût, s'inscrivait en traces révélatrices pendant cinq à six heures.
L'excitation qui accompagnait l'époque des règles, de même que le trouble apporté par une émotion gaie, expansive. exagérait le phénomène et prolongeait sa durée.
L'examen direct de la malade nous démontra que toutes les sensibilités de la peau étaient conservées et égales des deux côtés ; elle sentait la pointe d'une épingle, le contact des objets, la pression sur la peau, l'impression du froid et du chaud.
Les yeux tenus fermés, elle avait la notion exacte des diverses positions que nous donnions à ses membres, des mouvements que nous leur imprimions: le sens musculaire était donc bien conservé.
Les sensibilités, bien qu'éveillées sur toute la surface du corps, n'étaient cependant pas dans leur mesure normale ; elles étaient exagérées, hyperesthésiées sur un grand nombre de points. Le tracé au crayon, indifférent et insensible pour les autres malades, éveillait chez elle une douleur assez vive, dont elle se plaignait â chaque tracé, en disant que le contact de la pointe lui donnait la sensation d'un fer rouge
passé sur la peau. L'exaltation de la sensibilité et du sentiment était telle que. si nous avions insisté sur nos expériences d'autographisme, nous aurions assurément provoqué quelque grande attaque d'hystérie comme elle en avait souvent.
Elle nous dit qu'elle avait souvent été hypnotisée; qu'elle s'endormait avec une extrême facilité en regardant un objet ; qu'elle avait des attaques de nerfs chaque fois qu'on la contrariait dans son sommeil; que, réveillée, elle n'avait aucun souvenir de la durée du sommeil, non plus que de ce qu'elle avait fait en dormant.
Je n'ai point renouvelé l'expérience. Je n'ai vu cette dame qu'une seule fois; mais j'ai eu de ses nouvelles pendant plusieurs années, et je sais que l'autogrophisme durait encore trois ans après ma visite.
Obs. iv— Le 29 mai 1889, entre dans mon service à l'Hôtel-Dieu, le nommé Jules Leroy, âgé de trente-deux ans, menuisier.
Il me dit qu'il ne peut se servir du bras droit depuis quatre jours; qu'étant à son établi, occupé a raboter, son bras avait tout à coup perdu sa force, qu'il pouvait te remuer, mais non plus travailler, sans qu'il eût ressenti du reste aucune douleur, ni éprouvé malaise, ni vertige quelconque.
Que déjà, l'an dernier, au mois de novembre, le même fait s'était produit sur le même bras et qu'il avait guéri par des électrisations.
Interrogé sur ses antécédents héréditaires, nous apprenons qu'il est enfant naturel, qu'il n'a jamais connu son père, et que sa mère est morte de la poitrine.
11 est d'une bonne santé habituelle, sobre et raisonnable, nous dit-il ; dans sa vie ordinaire, il ne fait pas d'excès. Il est timide, pusillanime, rougit facilement, se trouble à la moindre émotion et éprouve des suffocations, des malaises qui se traduisent par des secousses, par des tremblements qu'il ne peut dominer,
Son regard timide, sa voix doucereuse, accusent évidemment un certain degré de féminisme dans le caractère de cet homme.
Il se présente à nous, le bras droit allongé le long du corps, non pas à l'état de paralysie flasque, mais avec une certaine rigidité qui cède très facilement aux mouvements qu'on lui imprime. 11 peut de lui-même lever le bras et le porter horizontalement, avec un effort considérable, jusqu'à la hauteur du cou; mais il lui est impossible de le porter sur sa tête ; le bras levé n'a ancune résistance, il cède à la plus légère pression. Il ne peut étendre sa main qui reste fléchie sur le poignet. Il donne, au dynanomètre, 45 degrés du côté gauche, 0 du côté droit.
Cette parésie incomplète est limitée au bras; la jambe droite n'a rien perdu de son mouvement ni de sa force.
L'examen des diverses sensibilités relève une hémianesthésie complète à droite.
La peau est insensible à toutes les excitations, qu'elles qu'elles soient : contact, piqûre, pression, chaleur, refroidissement, sont inaperçus.
Toutes ses muqueuses à l'orifice des sens ont également perdu leurs sensibilités à droite.
Lessens eux-mêmes, l'ouïe, l'odorat, la vue, neperçoivent plus à droite.
L'hémianesthésie est complète, absolue pour toute la moitié droite et a pour limite exacte, à quelques millimètres près, la ligne médiane du corps en avant comme en arrière.
Les sensibilité du coté gauche sont intactes sans l'hyperesthésie supplémentaire qu'on observe souvent en pareil cas.
Les recherches que j'avais faites sur la peau de cet homme pour explorer ses sensibilités à l'aide d'une épingle, m'ayant montré que chaque piqûre était suivie d'une élevure saillante et rosée, je fus conduit à rechercher l'autographisme,
L'expérience me donna les résultats les plus complets; et mon ma lade vit avec stupéfaction s'inscrire sur ses deux bras, son nom de Jules. Les reliefs présentèrent le maximum possible de développement, et durèrent huit heures, sans différence appréciable sur l'un comme sur l'autre bras, malgré l'émianesthésie de la peau.
Guidé par la notion acquise, depuis longtemps, des rapports que j'avais observés, entre l'autographisme et la disposition de ces mêmes malades à subir l'action hypnotique, j'essayai aussitôt d'endormir mon malade par la fixation du regard. En quelques minutes, il arriva au sommeil hypnotique, avec anesthésie généralisée, occlusion des sens (excepté de l'ouïe qui le laisse en rapport exclusivement avec moi), état cataleptoïde des membres. La démonstration était faite par cette première tentative, qui me donnait l'indication a suivre pour la guérison.
Après quelques hypnotisations pratiquées les jours suivants, dans le but de gagner de plus en plus sa confiance, et de le diriger dans la voie que je voulais suivre: après avoir constaté à diverses reprises que je pouvais réveiller par suggestion ses sensibilités sur telles ou telles parties de ses membres engourdis, je me décidai à abandonner l'usage de l'électricité et des aimants que je lui appliquais inutilement depuis une quinzaine de jours, et à tenter résolument l'action curative de l'hypnotisme.
Ma confiance dans le succès était d'autant plus grande que la concentration de mon malade dans l'état hypnotique devenait de plus en plus exclusive sur ma propre personne ; qu'il n'avait plus de rapports qu'avec moi; et que je pouvais à volonté, lui faire entendre tel ou tel autre interlocuteur en lui servant d'agent de transmission par le contact des mains, tel que j'ai indiqué dans un précédent mémoire.
Le 28 juin, le malade ayant été mis par moi dans le sommeil hypnotique, et toute son attention fixée sur ce que j'allais lui dire, je lui fis la suggestion suivante :
Je vais vous guérir à l'instant. A votre réveil, vous sentirez dans tout votre côté droit : votre bras droit sera aussi fort, aussi libre dans ses mouvements que le bras gauche : et vous resterez guéri ! !
Réveille, il retrouve sa sensibilité complète; l'hémianesthésie a disparu; son bras droit meut aussi librement que l'autre ; et il se livre, dans sa satisfaction, a une véritable débauche de mouvements d'extension et de flexion de l'avant-bras sur le bras, et du bras sur le tronc.
Au dynamomètre, il marque 45 degrés de l'un et de l'autre côté.
Sorti le 5 juillet 1888, je l'ai revu plusieurs fois depuis: il n'avait point cessé de travailler depuis sa sortie, sa guérison s'était maintenue complète.
NEURASTHÉNIE GRAVE TRAITÉE AVEC SUCCÈS PAR LA SUGGESTION HYPNOTIQUE
Par le lecteur Edgar BÉRILLOX
L'interdiction de l'hypnotisme aux médecins militaires donne un intérêt particulier à l'observation suivante. Comme elle a trait â un de nos officiers supérieurs les plus distingués, elle tendrait il démontrer que la décision du ministre de la guerre pourrait bien avoir pour effet, dans quelques cas, de laisser perdre à l'armée quelques-uns de ses meilleurs serviteurs. Il est hors de doute que, sans l'emploi de la suggestion hypnotique, l'officier qui fait l'objet de cette observation eut été mis par sa maladie dans la nécessité de quitter le service.
M. F..., commandant d'état major, âgé de 40 ans. marié, pére de trois enfants bien portants, a été atteint, il y a sept ans, d'une attaque de rhumatisme articulaire aigu généralisé. Il s'était d'ailleurs complètement rétabli, ne conservant de cette maladie que de légers troubles dyspepsiques.
Jusqu'à ce qu'il eut été attaché à l'état major d'un corps d'armée, il se livrait à un certain entraînement physique et s'adonnait notamment à l'équitation. Sa santé était satisfaisante. Mais il y a deux ans, il dut modifier complètement sa manière de vivre. Chargé de travaux importants relatifs à la mobilisation, il s'imposa un surmenage intellectuel intense. En même temps, il cessa de monter à cheval, menant une existence de plus en plus sédentaire.
Dans le courant de l'année 1888, les premiers symptômes de la neu-rasthémie se manifestèrent et il vint consulter M. le professeur Bouchard qui diagnotiqua une dilatation de l'estomac, lui prescrivit un traitement hygiénique et l'envoya aux eaux de Plombières. Le malade n'en éprouva pas une amélioration sensible. Depuis lors, repris par les nécessités de son service, il ne tarda pas à voir s'accentuer chez lui tous les symptômes de la neurasthénie confirmée. Entre temps, il se soumit aux traitements les plus variés, sans aucun résultat.
Lorsqu'il vient nous consulter au mois de mai 1889, il présente les manifestations les plus graves de l'état névropathique. Sa nutrition est profondément altérée, il est pâle, amaigri, presque incapable de marcher ou de se tenir debout.
Il se plaint d'éprouver les douleurs les plus diverses et en particulier des céphalagies intenses qui ne lui laissent aucun repos.
Les fonctions digestives sont profondément troublées. L'appétit est nul : les digestions sont extrêmement pénibles ; après les repas, il est sujet à des éblouissements, des vertiges, à des éructations gazeuses fort pénibles. Du côté du cœur, il accuse des palpitations fréquentes, de l'angoisse prœcordiale. Des douleurs s'irradiant dans tout le bras gauchey déterminent une sensation constante d'engourdissement.
Le malade se plaint aussi d'être atteint d'insomnie. Il passe
les nuits entières sans dormir et sans se reposer.
En un mot il présente au plus haut degré les maniféstations de l'état nerveux chronique que presque tous les neuropathologistes sont d'accord aujourd'hui pour désigner sous le nom de neutrasthénie.
Ce qui donne à son état un certain caractère de gravité, c'est que le malade est en proie à un profond découragement. Se sentant incapable de se livrer au moindre travail intellectuel, il se voit dans la nécessité d'interrompre une carrière qui se présentait pour lui assez brillante. Sous l'influence de ses idées hypocondriaques, il en était arrivé a considérer le suicide comme le seul moyen de se soustraire à ses souffrances. Il déclare qu'il se sent actuellement incapable de tout réaction personnelle et, comme il a suivi avec conscience tous les traitements possibles, il ne veut plus avoir recours qu'il l'hypnotisme.
Le 23 mai, une première tentative d'hypnotisme est pratiquée sur le malade. Il s'y soumet avec la plus grande docilité. En moins de deux minutes, il tombe dans un sommeil profond. Dans cet état, il présente les phénomènes habituels d'automatisme (catalepsie suggestive et automatisme rotatoire). De plus, il est devenu tout à fait anes-thésique à la piqûre de l'épingle :
Je lui fait alors des suggestions ayant trait à ses idées hypocondriaques. Je lui suggère d'avoir plus d'initiative, d'éprouver le besoin de marcher, de reprendre son activité, d'avoir de l'appétit, de digérer sans fatigue.
A son réveil, je constate une amnésie complète. Dès le lendemain, le malade accusait une amélioration notable. I1 avait déjà pu faire à pied une assez longue course, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps.
Les suggestions des jours suivants portèrent sur la disparition des phénomènes douloureux. Pendant le sommeil, recourant à un artifice qui m'a donné souvent d'excellents résultats, je lui fis exécuter à maintes reprises des exercices gymnastiques des bras.
Toutes les douleurs éprouvées par le malade s atténuèrent rapidement. L'angoisse prœcordiale et l'engourdissement du bras furent plus tenaces. Elles finirent aussi par disparaître complètement.
En moins de trois semaines, l'état général de M. F... était complètement modifié. Son aspect physique dénotait une amélioration évidente. Le malade qui, sur mon conseil, s'était pesé dès le premier jour du traitement, constatait que son poids était déjà augmenté d'une façon très appréciable.
L'amélioration de l'état mental avait marché parallèlement avec celle de l'état physique.
Les dernières suggestions furent consacrées à faire disparaître chez le malade toute prédisposition à de nouvelles hypnotisations.
Depuis un an. le commandant F... complètement rétabli, a repris son service. Sa guérison ne s' est pas démentie.
Dans l'observation qui précède, le résultat de la suggestion hypnotique est venu confirmer ce qu'on sait de l'efficacité du traitement moral dans certaines affections nerveuses ou prédominent le défaut de réaction et l'atonie du système musculaire. Là. l'excitation psychique
est souvent capable de produire des effets dynamogéniques que les médications les plus variées auraient été seules impuissantes à provoquer.
Dans tous les cas, sans l'emploi de l'hypnotisme la carrière du commandant F... eut été brisée et l'on est en droit de se demander pourquoi il aurait été interdit à des médecins militaires de rendre à ce malade le service que nous-mêmes lui avons rendu.
DE LA NUTRITION DANS L'HYSTÉRIE ET L'HYPNOTISME
par M.M.GILLES de la Tourette et CATHELINEAU.(1)
On tend généralement à admettre que les hystériques ne s'alimentent que très insuffisamment et que, par contre, leur nutrition générale semble ne pas en souffrir.
C'est ce sin gulier problème de la nutrition dans l'hystérie que nous avons également essayé de résoudre, en nous basant sur l'analyse des excreta urinai res.
Il nous a semblé d'abord qu'il était indispensable d'établir deux catégories dans les hystériques: les hystériques normaux, les hystériques pathologiques. Les hystériques normaux sont ceux qui ne présentent au moment de l'observation que les stigmates nécessaires pour légitimer le diagnostic de la névrose: les hystériques pathologiques sont ceux qui. en plus de ces stigmates permanents, présentent la série des accidents variés: attaques, état de mal, etc. constituant la pathologie de l'hystérie.
I. Nos recherches ont porté pour le premier groupe sur dix hvstériques: sept femmes, trois hommes; elles nous ont démontré que chez eux la nutrition, malgré les troubles du goût toujours présents etqui expliquent certaines bizarreries dans l'alimentation, s'effectuait normalement. Les éléments constitutifs de l'urine sont qualitativement et quantativement les mêmes que chez les individus sains.
II Les phénomènes pathologiques que nous avons plus particulièrement étudiés sont, en ce qui regarde l'attaque: 1° l'attaque convulsive aux quatre périodes; 2° l'attaque bornée à l'une de ses périodes ou avec prédominance de cette période : forme épileptoïde, léthargique, etc. ; 3° l'attaque a forme d'épi-lepsie partielle; 4° les attaques de chorée rythmée, toux, etc.
Dans tous les cas, les résultats des analyses, comprenant la période des vingt-quatre heures à partir du début de l'attaque, nous permettent de conclure : 1° qu'il y a diminution du résidu fixe, de l'urée, des phosphates; 2" que le rapport entre les phosphates terreux et alcalins, qui, normalement, est comme 1 est à 3 devient toujours comme 1 est à 2 et souvent comme 1 est à 1. C'est ce que nous avons appelé l'inversion de la formule des phosphates.
En ce qui regarde le volume de l'urine des vingt-quatre heures, celui-ci est en réalité diminué. La première miction qui suit l'attaque est généralement plus considérable qu'une miction ordinaire. C'est elle qui crée la polyurie, lorsqu'elle existe.
(1) Communication présentée à l'Académie des sciences par M. le professeur Charcot.
De plus, l'élude de la courbe des excréta urinaires, pendant la durée des états de mal. montre qu'au début il y a chute des éléments urinaires. puis plateau, et relèvement quelques jours avant la sortie de l'état du mal. Ce sont là des phénomènes dus a l'hystérie et non à l'inanition. L'étude de 1a courbe des excréta permet donc de prédire le retour de l'état normal.
Quelque soit l'état de mal observé, le poids des sujets diminue journellement d'une quantité qui varie entre 200 gr. et 300. par jour.
III. Chimiquement, l'attaque d'hystérie est l'inverse de l'accès d'épilepsie.
Les accès d'épilepsie vraie et d'epilepsie partielle symptomatique. de même que les états de mal correspondants, se jugent par une élévation considérable des principes constitutifs de l'urine. L'attaque d'hystérie et les états de mal, quelque forme qu'ils revêtent. se jugent par une diminution considérable de ces mêmes principes. Cette différence radicale peut constituer, à l'occasion, un excellent élément pour le diagnostic parfois difficile de ces deux maladies con-vulsives. On comprend l'importance de cette question pour l'institution d'un traitement, surtout lorsque, dans l'epilepsie partielle vraie, celui-ci peut être la trépanation.
Entre autres faits, nous avons pu, chez deux sujets, établir chimiquement la cœxistence, à l'état isolé, de l'attaque d'hystérie et de l'accès d'épilepsie, con-firmant ainsi l'opinion de M. Charcol : l'indépendance absolue des deux névroses, quelques formes similaires qu'elles puissent parfois revêtir.
Il résulte des expériences que nous avons entreprises sur des hystériques plongées dans l'état hypnotique que. pendant les périodes de léthargie, de catalepsie et de somnambulisme provoques, il existe des modifications constantes des excreta urinaires, consistant dans l'abaissement du volume de l'urine, du taux du résidu fixe, de l'urée et des phosphates avec inversion de la formule de ces derniers. En un mot, les phénomènes observés se rapprochent jusqu'à se confondre avec ceux que nous avons notés dans l'attaque et l'état de mal hystériques, de même d'ailleurs que, cliniquement, l'hystérie a de nombreux points de contact avec l'hypnose. L'analyse chimique nous fournit donc un nouveau stigmate à ajouter â l'hyperexcitabilité neuro-musculaire, aux tracés pneumographiques de la catalepsie, tous phénomènes indépendants, à l'inverse des suggestions, de la volonté des sujets.
Nous ajouterons que l'état dit second observé chez deux malades ne donne, au point de vue chimique, que des résultats négatifs ou très atténues dans le sens que nous venons d'indiquer, de même que les contractions, les paralysies hystériques n'influencent que peu ou pas les excréta urinaires. Il faut qu'il y ait crise pour que les modifications se produisent.
L'HYPNOTISME AU CONSEIL MUNICIPAL DE PARIS
Question de M. Despres relative â des expériences d'hypnotisme sur les malades d'un service de médecine de l'Hôtel-Dieu devant un public non médical (1).
m. DESPRÉS- — Je crois rendre encore un service aux hôpitaux parisiens e! à nos malades, en adressant à M. le Préfet et incidemment à M. le directeur de l'Assistance publique une question sur des faits dont les journaux politiques entretiennent leur lecteurs depuis quelques jours.
Il s'agit d'expériences d'hypnotisme faites, devant d'autres personnes que des médecins, dans les salle* de médecine de l'Hôtel-Dieu...,
(1) Nous extrayons ce compte-rencu du Bulletin Municipal pour montre à nos lecteurs le peu de ca que les membres du Conseil Municipal font des idées fantaisistes de M. Desprès.
M. Alphonse HUMBERT. — Cette question n'est pas urgente.
M. JACQUES. — Nous avons beaucoup d'affaires A l'ordre du jour.
M. DESPRÉS. — Je n'en ai pas pour longtemps.
M.Alphonse Humbert — Il aurait fallu au moins consulter le Conseil.
M. LYON-ALEMAND. — Vous avez deux tribunes A votre disposition, M. Després; poser votre question à la Chambre.
M. DESPRÈS. — Cela n'est pas de sa compétence, le préfet ne peut pas m'y répondre.
M. Alphonse HUMBERT. — La discussion du rapport sur l'affaire des Mouli-neaux devait être reprise a 4 heures. Il est 4 h. 1/2.
Le PRÉSIDENT. — M. Després m'a promis d'être bref.
M. DESPRÉS. — J'aurais déjà fini si vous ne m'interrompiez pas.
Je dis donc qu'il est urgent d'entendre l'Administration nous dire ce qu'elle pense et ce qu'elle entend faire a propos de ces expériences théâtrales dont tous les journaux ont parlé.
Je demande donc a M. le Préfet de la Seine, vu nom des médecins attachés aux traditions et au nom des malades, quelles mesures il pense ordonner pour empêcher des journaux qui n'ont rien de médical de donner des comptes rendus d'expériences publiques d'hypnotisme, je dirais presque de somnambulisme, expériences vraies ou fausses, j: lui demande quelles mesures il compte prendre pour empêcher de faire en public de telles expériences.
Une voix- — Mais Burk avait commencé ces expériences, il y a vingt ans.
M. DESPRÈS. — Et notez. Messieurs, que .es journaux politiques en donnent le récit à leurs lecteurs avant les journaux médicaux. C'est là, à mon sens, le point le plus grave.
M Alphonse HUMBERT. — Cela prouve qu'ils sont mieux informés.
M. DESPRÈS- — Rien de tout cela ne se passait jadis, les élèves eux-mêmes ne l'auraient pas toléré, ils auraient sifflé. Ah! je sais bien que ces expériences ne sont pas nouvelles.
Nous avons vu produire dans des hospices les phénomènes de la passion hystérique devant un public de journalistes, de romanciers et de comédiens, que dii-|c, on y a vu, A ces expériences publiques, des hommes politiques et même des femmes!
Eh bien! Messieurs, cette publicité, ces spectacles — car on en fait de véritables spectacles. — ne sont pas dignes de la ville de Paris.
Le conseil qui est intervenu tant de fois et. A tort, suivant moi, dans l'administration intérieure des hôpitaux, tout en respectant les droits de la science, a le devoir de demander A l'Administration quelles mesures elle compte prendre pour couper court à cet état de choses: en un mot qu'elle nous dise si elle est, en celle occurrence, complaisante ou complice.
M.le Directeur de l'Assistance publique. — Messieurs, l'honorable M. Després m'a demandé quelles mesures l'Administration comptait prendre pour empêcher les journaux de parler.
Messieurs, c'est une question qui échappe A ma compétence et à mon action et je n'a: A me préoccuper que des dangers que peuvent courir le bon ordre et la discipline de nos services hospitaliers.
Je suis d'avis, avec M. Desprès. et certainement avec vous. Messieurs, d'empêcher que les expériences scientifiques dans nos hôpitaux ne tournent A la représentation théâtrale. Si nous nous reportons a l'incident visé par M. Després, une lettre de M. le professeur Bernheim publiée par le journal des Débais et. d'autre part les renseignements qu'a bien voulu me faire procurer M, le Dr Dumontpallier peuvent vous rassurer complètement, et la leçon que M. le professeur Bernheim a bien voulu faire à l'Hôtel-Dieu a gardé un caractère absolument médical, absolument scientifique.
En dehors de quelques médecins et de- quelques élèves en médecine, il y avait M. Alexandre Dumas et M. Morault. Il n'y avait ni magistrats, ni avocats.
M. Paul BROUSSE. — Mais c'est aussi le rôle des magistrats de se rendre compte des résultats de telles expériences. (Très bien!)
M.le Directeur de l'Assistance publique. — L'administration de l'Assistance pu-
l.'llYPNOTISMi: AU CONSEIL MUNICIPAL lit PARIS
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bliquc. vous pouvez en être assures, est décidée a ne laisser pénétrer dans nos hôpitaux que des curiosités scientifiques...
If. Paul BROUSSE. — Ou juridiques.
Af. /* Directeur dt !'Asittarct publiqua. — Mais aller jusqu'à restreindre au seul public médical cet enseignement dont les hôpitaux de Pans sont le théâtre, telle n'a jamais été la doctrine de l'Assistance publique et ne peut pas être la rôti».
Les faits signalés par M. Després n'ont pas un intérêt purement médical, ils ont encore un intérêt psychologique, philosophique et pénal. Les personnes qualifiées par leurs études ou leur situation pour étudier ces questions, pour s'y intéresser sont parfaitement à leur place, lorsqu'on procède A des expériences et lorsque par un mobile supérieur a une banale curiosité, elles viennent non pas a un spectacle, mais assister sérieusement â un enseignement sérieux. (Très bien: Très bien!}
kl. COCHIM. — Je partage lavis de M. Després.
Ce qui se passe depuis quelque temps a la Salpétrière offre un spectacle qui n'a rien de scientifique.
On m'a proposé d'y assister. Ces expériences sont, d'ailleurs jugées depuis longtemps.
Tous les auteurs qui se sont occupés de l'hypnotisme constatent que les sujets, hommes ou femmes, sont au début récalcitrants a l'inlïunencc de l'expérimentateur.
Ce n'est que petit a petit que le sujet devient plus docile.
On forme donc ces sujets, on cultive cette maladie en vue d'expériences publiques, en \-ede spectacles immoraux.
Quant à l'intérêt scientifique, il est nul.
hl.l» Cirtcttur dê l'AuiHênt»publique- — M- Cochin a touché un point que m. Desprês a laissé de côté. 11 n'a pas parie seulement des opérateurs, il a parié de l'effet des expériences sur les malades.
Sur ce point, je ne suis point inquiet, car je m'en rapporte a l'honneur professionnel dis médecins des hôpitaux.
On ne saurait confondre les spectacles publics qui ont été donnés et amené â Bordeaux, a Chaumont. de véritables épidémies d'hypnotiune avec ce qui se passe dans nos hôpitaux.
Les expériences qui ont lieu dans les hôpitaux de Paris sont faites en vue du développement de la science auxquels les hôpitaux ne sont jamais restés étrangers, et en vue du soulagement des malades. ("Très bien!)
J'estime, je '.c répète, que jusqu'à présent nous sommes restés dans de justes limites et, sans tomber dans le spectacle, dans la représentation théâtrale, nous avons repoussé cette interprétation étroite que les seuls médecins devraient pouvoir assister aux expériences de cette nature. (Approbation sur plusieurs bancs.)
kl. Paul BROUSSE- ~ A mon sens, le Conseil ne peut pas s'occuper dans le détail d'expériences techniques qui ont lieu sous la direction d'hommes de science respectés de tous. Je ne suis pas surpris que M. Cochin, dont nous connaissons les convictions profondes et respectables, soit venu combattre le développement d'une doctrine qui atteint directement la religion, et que M. Després, dont personne ici n'ignore les manifestations cléricales, soit venu l'appuver. Ili „¦>.
J'ajoute qu'alors que le public croit que. dans beaucoup de cas, la responsabilité humaine et pénale est limitée ou absolument déruite. il est indispensable que, par des expériences appropriées, les savants contrôlent le vérité de cette opinion et que non seulement les médecins, mais encore les magistrats et tous ceux qui peuvent apporter quelque lumière dans la question, puissent assister a ces expériences. Je prie le Conseil de ne pas s'ussocîer aux protestations de M. Desprês. Très bien!).
U. Alphoraa HUkIBERT.— Puisqu'on a mis les journalistes en cause, permettez-moi de dire que j'appartiens à un journa1 qui, voulant traiter du danger ou de l'innocuité de ces expériences, s'est adressé pour cela a plusieurs médecins.
Les uns ont déclare qu'elles étaient dangereuses, d'autres qu'elles étaient sans danger.
Les médecins n'étant pas d'accord sur ce point, je me demande s'il est raisonnable d'appeler le Conseil municipal a les départager. (Rires) M.després .— Ce n'est pas la question !
M. DESCHAMPS. — Ne demandez donc pas l'avis des médecins!
M. Albert PÉTROT. — Ne les consultez pas sur une question médicale. (Rires.)
M. Alphonse Humbert- — La question pjsée par M. Despres n'est pas de la compétence du Conseil municipal: elle relève de l'Académie de médecine, il est libre de la lui porter.
M. DESPRÉS. — Ma question se résume à ceci : Les malades doivent-ils être donnes en spectacle ?
Voix nombreuses. — L'ordre du jour!
L'incident est clos.
POLÉMIQUE
L'interdiction de l'hypnotisme aux médecins militaires.
Nous avons déjà exprimé une partie de nos impressions au sujet de l'inter-diction faite aux médecins militaires de recourir á l'hypnotisme pour quel que motif que ce fût.
Les critiques que nous adressions à la circulaire ministérielle ont certainement touché leur but. Si nous en croyons le Bulletin Médical, toujours bien informé, les intéressés s'en sont émus ; â telles enseignes que l'un d'eux, homme considérable, très indépendant d'esprit et de caractère et â la recherche de tout ce qui est progrés, c'est le Bulletin Médical qui nous l'apprend, a cru devoir fournir a notre confrère des commentaires qui, s'ils concordent avec l'esprit, qui a inspiré la circulaire, tendent néanmoins à en atténuer quelque peu la brutalité.
Voici comment il s'exprime:
« Naturellement, les partisans — pour ne pas dire les fanatiques de l'hypno tisme — devaient s'indigner de nous voir interdire l'emploi de pratiques qu'ils croient efficaces dans nombre de cas morbides. Mais les soldats qui sont confiés à nos soins ne sont pas des sujets à expériences et nous n'avons pas moralement le droit d'essayer sur eux les nouveautés innombrables de la thérapeutique.
« La morphine, la cocaïne, le salicylate de soude, et bien d'autres substances aussi importantes, n'ont été admises dans la pratique de la médecine militaire qu'après la sanction des sociétés savantes et notamment de l'Académie de médecine. Dans nos prescriptions, nous ne devons pas sortir du formulaire approuvé par le comité technique de santé. Or. jusqu'ici l'hypnotisme ne s'y trouve pas, et voilà tout. Qu'il tasse ses preuves, que l'Académie de médecine décide qu'il rend de réels services, qu'il convient de l'employer dans tel ou tel cas. et on verra alors. Mais il n'en est pas encore là. tout le monde le sait. Encore une fois, nos hommes ne sont pas des bêtes à expériences et nos hôpitaux ne sont pas des laboratoires.
« Et puis, la question de l'hypnotisme se présente dans l'armée sous une autre face, qui mérite qu'on s'y arrête.
« Il est certain — et les partisans les plus résolus de l' hypnotisme ne le con-
testeront pas — que la suggestion peut développer et développe souvent une hystérie jusqu'alors a l'état latent.
« Or, l'hystérie — que nous savons reconnaître, quoiqu'on en ait dit, — est rare dans l'armée et l'hypnotisme la rendrait, j'en suis convaincu, beaucoup plus fréquente. Ça pourrait nous mener loin, avec des sujets jeunes et réunis en masses plus ou moins considérables, dans des casernes et des hôpitaux.
« En outre, en dehors du développement de l'hystérie par imitation, il faut bien, au régiment, compter un peu avec les carottiers qni ne tarderaient pas, soyez-en surs, à devenir d'excellents sujets pour l'hypnotisme et le reste.
« A elles seules, ces considérations d'ordre militaire me paraîtraient de nature à nous faire éliminer les pratiques de l'hypnotisme.
« Au surplus, et en attendant qu'il ait pris place au Codex, que ses partisans veuillent bien retenir que le ministre nenous l'a pas interdit â perpétuité. C'est seulement jusqu'à nouvel ordre. »
Dans ces commentaires, à des choses justes, viennent malheureusement s'ajouter des allégations qui ne reposent sur aucun fondement.
Tout d'abord nous sommes heureux d'apprendre à notre confrère que, si le nombre des partisans de l'hypnotisme s'accroît tous les jours dans des proportions considérables, celui des fanatiques de cette science tend fort heureusement à diminuer.
Nous ne sommes pas les derniers à regretter que des esprits mal pondérés aient contribué par leurs exagérations et leur absence de contrôle scientifique â jeter quelque défaveur sur des études qui méritaient d'être abordées avec plus de sagesse et de précision.
Ne voit-on pas tous les jours deschirurgiens porté à exagérer les indications ou ta valeur de telle ou telle intervention chirurgicale. Il ne vient cependant à personne l'idée de limiter te champ des applications chirurgicales.
En aucun cas les soldats ne doivent servir de sujets à expériences, cela est hors de discussion ; mais appliquer l'hypnotisme dans un but thérapeutique ne saurait plus passer actuellement pour une expérience.
Quant à l'argument qui consiste a dire que l'hypnotisme a encore besoin de la sanction des sociétés sa vantes .mous nous permettons de te trouver démodé.
Si l'honorable commentateur de la circulaire ministérielle lisait les comptes-rendus des sociétés les plus importantes,il saurait que l'Académie des sciences. l'Académie de médecine, la Société médicale des hôpitaux, la Société de biologie, etc. reçoivent fréquemment des communications dans lesquelles l'application de l'hynotisme comme moyen thérapeutique est parfaitement justifiée par le succès. Il n'ignorerait pas que M. le Professeur Proust, secrétaire de l'Académie de médecine, avait précisément choisi l'année dernière, comme texte de son rapport annuel, les applications récente de l'hypnotisme et que tout récemment l'Académie des sciences n'hésitait pas â récompenser, dans la même année, quatre auteurs dont tes travaux avaient trait à l'hypnotisme, sans compter que la valeur thérapeutique de l'hypnotisme a été contrôlée et indiquée par des clini-ciensqui s'appellent Jules Cloquet. Azam.Broca, Laségue. Charcot, Demarquay Grasset, Pitres. Bernheim, G. Ballet. Mesnet, Dumontpallier, etc.... etc..
I.'antipyrine, la cocaïne, et le salycilate de soude ont-ils eu plus d'honneur? C'est peu probable. En revanche, ces médicaments ont déterminé, et ne cessent de déterminer chaque jour, les accidents les plus redoutables. Si on voulait relever les cas d'empoisonnement dus à l'administration de ces drogues, il faudrait plusieurs volumes. L'hypnotisme, lui, entre les mains les plus maladroites, n'a jamais causé le moindre décès.
Ouant à l'allégation que la suggestion peut développer une hystérie souvent latente, elle dénote que celui qui l'exprime a du entendre quelquefois parler de l'hystérie, mais quel'étude de cette affection lui est peu familière. Sinon, il saurait que toute émotion, tout choc moral ou physique peut être considéré comme
agent provocateur de l'hystérie et que contre cent crises déterminées par l'application d'une bonne giffle, par exemple, il n'en est peut-être pas une qui soit le résultat d'une tentative d'hypnotisme.
Et dans ce cas là encore, il y aurait quelque injustice à dire que c'est l'hypnotisme qui a développé l'hystérie. Il faudrait plutôt incriminer la maladresse ou l'incompétence de l'hypnotiseur.
Si l'on disait que telle ou telle intervention obstétricale a provoqué chez une malade réclosion de la fièvre puerpérale, tous les accoucheurs s'insurgeraient en démontrant que l'infection a été causée par le défaut de propreté de l'opérateur ou par une négligence dans les précautions antiseptiques.
Certainement, il y a des médecins qui ne peuvent faire de l'hypnotisme sans provoquer l'hystérie. Il y en a aussi d'autres qui ne manquent jamais de compliquer d'une fausse route le catéthèrisme de l'urèthre. Condamne-t-on pour cela l'emploi du catéthèrisme?
Par ce qu'il arrive trop fréquemment a des confrères de ne pouvoir réveiller des opérés qu'ils ont soumis à la chloroformisation, en a-t-on pris texte pour interdire aux médecins militaires l'emploi du chloroforme?
Aussi sommes nous surpris de voir des esprits réputés éclairés faire un tel usage de leurs facultés de déduction et de généralisation lorsqu'on les met sur le terrain de l'hypnotisme.
L'hypnotisme est une chose nouvelle, qu'ils ignorent. Plutôt que de s'imposer la fatigue de son étude, ils aiment mieux bacler une circulaire dépourvue de justification. C'est plus expéditif.
Leur seule excuse serait peut-être d'avoir compris que la pratique de l'hypnotisme ne s'improvise pas ; que pour être profitable. L'étude de la suggestion hypnotique demande a être complétée par des connaissances psychologiques qui ne font pas partie de l'enseignement officiel.
Dans ce cas, il faudrait avoir la sincérité de le reconnaître. Si vous croyez que vos subordonnés ne sont pas capables d'appliquer utilement l'hypnotisme, dites-le franchement. Mais ne vous en prenez pas à un procédé thérapeutique dont les résultats, dans un certain nombre d'indications, sont au moins aussi indiscutables que ceux de n'importe quelle autre médication.
Un autre argument contre l'hypnotisme, dont l'apparition était prévue, c'est celui du carottier légendaire, dont fourmillent nos régiments, parait-il. Pour tout bon médecin militaire la peur du carottier est le commencement de la sagesse.
Si, à tous les procédés employés pour déjouer la perspicacité du bon major, on ajoute encore la catalepsie simulée, comment pourra-t-il s'en tirer? Il vaut mieux couper court à ces graves dangers, en renonçant à l'hypnotisme, à ses pompes et à ses œuvres.
Il y a quelques jours, un des médecins les plus distingués du Val de tGrâce, M. le professeur Duponchel, présentait à la société médicale des hôpitaux, un militaire bien constitué, plutôt vigoureux, atteint depuis l'âge de dix ans d'un tremblement hystérique.
En lisant cette intéressante observation, nous nous demandions quelle objection on pourrait opposer à ce que l'emploi de la suggestion hypnotique fut tenté chez ce malade.
Mais M. le professeur Duponchel appartient au corps de santé militaire et il ne doit même pas songer à un traitement qui, entre tes mains des hommes les plus autorisés, a donné dans des cas analogues des résultats remarquables.
Expliquera qui pourra cette chinoiserie administrative? On veut bien nous dire que l'interdiction de l'hypnotisme dans l'armée n'est que provisoire. Hélas! nous n'avons pas oublié l'histoire de la sentinelle placée auprès du banc qu'on venait de repeindre, pour empêcher les passants de se tacher, et qui
vingt ans après, était encore renouvellée toutes les deux heures au même endroit sans qu'on se fut jamais demandé pourquoi.
La circulaire ne sera rapportée que le jour où un ministre mieux renseigné aura compris que l'esprit aussi bien que les termes de cette circulaire constituent une grave atteinte à la dignité du corps de santé militaire.
Dr EDG. Bérillon
ANALYSES ET COMPTES RENDUS
J. LIÉGEOIS. — De la suggestion et du somnambulisme dans leurs rapports avec la jurisprudence et la mediciné légales. In-12. 760 pages. Doin. Paris 1889.
Voilà certes l'ouvrage le plus complet et le plus consciencieux qui ait paru sur cette importante question que M. Liégeois examine sous toutes ses faces. Pas un point ne reste dans l'ombre et toutes les solutions sont formulées avec une précision et une clarté remarquables. Quiconque voudra avoir une connaissance précise et complète de ces études pleine, d'actualité, devra lire l'ouvrage de M. Liégeois qui n'est d'ailleurs que le développement du mémoire sur le même sujet qu'il fut admis à lire en 1884, devant l'Académie des sciences morales et politiques et qui souleva, à cette époque, d'importantes discussions. Cette question amena même une polémique dans les journaux, polémique qui provoqua les appréciations et les solutions les plus diverses. M. Liégeois ne se répandu pas, attendant en savant qui se recueille, et préparant l'important ouvrage que je vais essayer d'analyser aujourd'hui.
L'auteur refait l'histoire du magnétisme depuis Mesmer et Braid jusqu' à nos jours. Il rappelle la théorie du fluide animal, le fameux baquet magnétique et la condamnation de la Société royale de médecine de Paris, à la suite de l'examen ordonné par Louis XVI. puis les miracles du marquis de Puységur et de l'arbre magnétisé de Baugency, les enthousiasmes et les déceptions de l'abbé Faria, les lettres du général Noizet, les nouvelles discussions de l'Académie de médecine et le rapport du Dr Husson. M. Liégeois rapporte par le menu ces débats si curieux après lesquels, malgré l'évidence des faits, les yeux restèrent fermés, et les déclarations imprudentes de l'Académie de médecine déclarant qu'elle ne s'occuperait plus du magnétisme animal.
Nous arrivons ensuite à Braid à qui découvre réellement l'hypnotisme cl le formule dans son traité de neurypnologie. Puis vient la liste de tous les hommes qui ont conquis à cette science nouvelle le droit de cilé : Durand de Cros, Charpignon, Azam. Liébcault. Charcot, Bern-heim, Dumontpallier, Richel, Bernheim, Pitres, Bérillon, Beaunis, etc.
M. Liégeois étudie, dans le chapitre suivant, les divers procédés d'hypnotisation et les divers degrés de sommeil. Repoussant les idées de l'école de la Salpétrière, il admet avec Bernheim que le sommeil peut-être obtenu chéries sujets sains et non hystériques, et, se basant sur les statistiques du Dr Liébeault, il déclare presque tous les sujets plus ou moins hypnotisables et accepte la théorie de la suggestion qui expurge l'hypnotisme de fluide magnétique.
Plus loin, M. Liégeois nous montre l'influence toute puissante de la suggestion, même à l'état de veille; il nous rappelle ses observations et celles de Liébeault et Bernheim, puis ses conclusions si discutées à l'Académie des sciences morales et politiques, et enfin les expériences confirmatives de Pitres, Beaunis, Ladame, Forel, sur les suggestions hypnotiques et post-hypnotiques. Il examine ensuite les effets physiologiques de la suggestion, l'anesthésie chirurgicale, la vésica-tion. les stigmates, puis les effets psychologiques, les hallucinations provoquées et les hallucinations rétroactives, les amnésies suggérées. Les chapitres sont bourrés de faits indiscustables et scientifiquement constatés par les médecins de Nancy.
La condition seconde et les états analogues sont également magistralement étudiés. Rapportant la belle observation du docteur Azam de Bordeaux, l'histoire si curieuse de Félida X..., M. Liégeois montre que c'est en condition seconde que se réalisent les suggestions d'actes et distingue en outre la condition seconde de l'état hypnotique ordinaire.
Les suggestions à l'état de veille constituent également un important chapitre où sont apportées des observations très probantes et très curieuses qui amènent l'auteur à conclure que. le sommeil provoqué, engourdissant les facultés de raison, l'activité automatique cérébrale domine la situation. L'auteur, en somme, partage l'opinion ou mieux l'hérésie de Bernheim qui fait du sommeil hypnotique quelque chose d'analogue au sommeil naturel. Les états de rêves analogues ne sont pas pour nous des preuves suffisantes pour amener une semblable couclusion. Il y a entre le sommeil hypnotique et le sommeil naturel des différences presque pathognomoniques. Mais j'analyse et je ne discute pas; passons.
Le somnambulisme naturel n'est point passé sous silence et les rapports avec le somnambulisme provoqué sont consciencieusement étudiés. de même que l'état intermédiaire entre la veille et le sommeil ordinaire et les crimes qui peuvent être commis dans cet état intermédiaire Tout le monde connait d'ailleurs l'histoire de Bernard Schidmaizig qui tue sa femme qu'il a pris pour un fantôme.
Quant aux faux témoignages portés par les hystériques, ils sont bien connus, surtout depuis les remaquables travaux ce Legrand du Saulle et d'ailleurs ils ne dépendent pas de la suggestion. On pourrait tout au plus dire que ce sont des auto-suggestions. Les faits expérimentaux abondent et les annales judiciaires en sont pleines : telles les affaires célèbres d'Urbain Grandier et de La Roncière. Par la même occasion,l'auteur rappelle les études du Dr Motet sur les faux témoignages des enfants et commente, a peu près dans les mêmes termes et dans le même sens que M. Bernheim, la triste affaire de Tisza-Eslar. Pour eux, l'enfant dénonciateur a obéi à une suggestion.
Nous arrivons maintenant à la partie médico-légale, aux questions de jurisprudence que soulève la suggestion hypnotiqne. L'auteur rapporte d'abord trois erreurs judiciaires qu'il met sur le compte de la suggestion: l'affaire La Roncière sur laquelle il insiste longuement, l'affaire Benoist et l'affaire Julie Jacquemin. Ces histoires sont des plus intéressantes,mais elles ont toutes rapport à des faux témoignages portés par des hystériques et n'ont rien â voir avec la suggestion. Il en est de même des crimes commis contre les somnanbules que cite l'auteur, excepté cependant la fameuse affaire Castellan, ce mendiant vagabond qui hypnotise une fille et lui ordonne de le suivre, quelque répugnance qu'elle en ait. M. Liégeois a repris l'affaire point par
point et, son interprétation est des plus remarquables. Tous les détails en sont expliqués scientifiquement et les côtés les plus mystérieux en sont éclaircis, grâce à la suggestion hypnotiquc.Commc on peut restituer le squelette d'un animal fossile au moyen de quelques-uns des os dont il était formé, il recompose la suggestion de Castellan à Joséphine X... Dans celle affaire,« sans la suggestion tout reste obscur, mystérieux, incompréhensible ; avec la suggestion tout s'éclaircit et la vérité apparait complète, éclatante, lumineuse. » M. Liégeois cite ensuite un certain nombre de faits où des crimes ont été commis par les somnambules ou par des personnes en état de condition seconde; ce qui l'amène à étudier la responsabilité dans les états hypnotiques. II rappelle a ce sujet les divergences de l'école de Nancy et de l'école de la Salpétrière qui admet que tous les sujets hvpnotisables sont des névropathes ; il cite l'opinion de M. Gilles de la Tourette qui soutient que le somnambule n'exécute que ce qu'il veut bien exécuter, celle de M. Delbœuf qui prétend que l'hypnotisé sait qu'on lui demande de jouer une comédie. M. Liégeois se range complètement à l'opinion du Dr Liébeault : les somnambules vont à leur but comme la pierre qui tombe. Pour lui, les somnambules et les sujets en état de condition seconde ou de somnambulisme provoqué sont absolument irresponsables. L'hypnotiseur qui les tient sous l'empire de sa volonté est seul responsable ; l'hypnotisé est un automate dont il peut se servir comme il l'entend ; il peut abuser de lui; en faire l'objet de ses convoitises ou s'en servir dans un but criminel. On peut par des hallucinations rétroactives provoquées même à l'étal de veille, amener des individus à porter de faux témoignages, à commettre des crimes, à voler. Un malfaiteur pourrait donc se servir de pareils sujets pour perpétrer ses mauvais desseins et échapper ainsi au châtiment. M.Liégeois pousse le cri d'alarme. Il a raison de mettre en garde et d'éclairer les magistrats contre de pareilles tentatives, surtout contre les taux témoignages des enfants. Mais de véritables crimes commis par des somnambules aggissant à leurs risques et périls au profit de celui qui les a hypnotisés, n'ont pas encore été réalisés et ne se réaliseront sans "doute jamais. Ce sont des crimes expérimenteaux qui ne sortiront pas des laboratoires, comme l'a dit un des représentants de l'école de la Salpétrière. Si un criminel employait un semblable moyen pour commettre un crime et arriver à ses lins sans la responsabilité d'autrui, il se perdrait bien plus sûrement que s'il agissait lui-même. M Liégeois indique d'ailleurs par quel procédé on arriverait facilement A déjouer son artifice et comment on pourrait avec la suggestion exécutée pendant l'hypnotisme remontera celui qui en est l'auteur et le châtier. I1 n'y a donc pas lieu de pousser le caveant consules.
Dans un dernier chapitre. M. Liégeois indique la marche A suivre dans les expertises médico-légales en cas de suggestion criminelle. Il met en garde contre les simulations fréquentes des sujets qui prétendent avoir été hypnotisés et avoir agi sous l'influence d'une suggestion à laquelle ifs n'ont pu résister. Il donne les moyens de les déjouer et montre comment on peut s'assurer si un sujet est ou non hypnotisable et par suite suggestionnable. C'est la un chapitre important de médecine légale. Le livre de M. Liégeois doit être le vade-me-cum de tous ceux que préoccupent les questions de responsabilité judiciaire.
Dr Emile Laurent.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Relèvement des études médico-légales.
M. le 1> Motet, dans un remarquable rapport lu à l'assemblée générale de l'Association générale des médecins de France a exprimé l'idée que, pour arriver au relèvement des études médico-légales, il n'y a pas d'autre moyen que d'adopter résolument la proposition "depuis longtemps formulée par M. le professeur Brouardel : s'il n'est pa» possible d'imposer à tous les élèves en médecine de faire des études médico-légales complètes, il est aisé de créer, pour ceux qui se sentiraient attirés vers elles, un enseignement supérieur. Après les examens du doctorat, une année d'études complémentaires, avec les travaux des laboratoires de chimie, de toxicologie, de micrographie avec l'observation des aliénés dans les services spéciaux, permettrait de subir un nouvel examen de médecine légale proprement dite, et ceux qui l'auraient passé avec succès, pourraient devenir les auxiliaires compétents et précieux de la justice. Il ne s'agit pas, dans notre pensée, de créer un ordre de médecins, fonctionnaires a demi, encore moins défaire revivre d'antique* privilèges. Il s'agit seulement de préparer des homnes qui, par leur savoir, puissent venir en aide a l'administration de la justice. Ils ne lui seront jamais imposés; elle restera libre vis-a-vis d'eux, comme ils seront libres eux-mêmes vis-à-vis d'elle ; mais il deviendra tout naturel qu'elle les recherche, qu'elle s'adrese à eux. Ils ne lui refuseront pas leur concours, puisqu'ils se seront ainsi mis en état de le lui prêter utilement, qu'ils seront aptes à des opérations médico-légales que d autres trouvent périlleuses, et devant lesquelles.à bon droit, ils reculent.
Asiles u'aîtente pour les périodes de remission de l'aliénation mentale
M. Gilbert Ballet a donné communication à la société de médecine légale d'un rapport sur l'état mental d'un employé d'une cran de administration publique qui a assassiné, il y a quelques mois, — l'aliai re a eu un grand retentissement — un de ces chefs, et qui se trouve actuellement à l'asile sainte-Anne.
Comme le rapport de M. Ballet peut-être considéré encore, parait-il, comme une pièce de procédure, nous ne croyons pas devoir en rendre compte. Au surplus, le cas est vulgaire, le sieur X... étant tout simplement un persécuté qui a tué. comme tuent les aliénés de ce genre. Mais, et ceci est plus important. M. Ballet a tait observer que, suivant toutes probibilités, le sieur X~ amélioré par le séjour de l'asile, reviendrait probablement assez vite à un état cérébral normal m isp^tute. Dès lors, a-t-ildlt. on peut s'attendre à voir la famille rèclam:r sa mise en liberté. Si on la refuse, il ne manquera pas de journalistes pour crier à la séquestration arbitraire ; c'est une vieille habitude. (Quelques députés feront sans doute chorus, et. finalement, X... sortira de l'asile. Or, tout porte à croire que. dans un temps plus ou moins rapproché, on entendra parler de lui. Et ceci montre, conclut fort judicieusement M. ftillet, combien il serait nécessaire d'avoir des maisons spéciales, sortes d'asiles d'attente, dans lesquelles on tiendrait en observation les malades de cette catégorie pendant les rémissions de leur affection, rémissions
Îui passent pour des cuérisons aux yeux du public- En ce qui concerne X... est certain que, s'il eut été examine en i8Si, on aurait conclu à son inter ncment, et l'assassinat retentissant de M. »... n'eût pas eu lieu.
Folie du doute simulant la crampe des écrivains
M. Séglat a observé dernièrement a la Salpetrière un jeune homme de 19 ans qui se plaignait d'éprouver depuis quelque temps une grande difficulté pour écrire. Il ressent immédiatement dans l'avant-bras droit une fatigue douloureuse qui l'empêche de continuer. Il n'y a ni spasmes, ni tremblement, ni paralysie dans la main.
Comme antécédents, de six à huit ans, ce malade avait eu des accès de terreur et de somnambulisme nocturne : a dix ou douze ans, premiers symp-tômes de doute ; ayant plusieurs objets dans la main, il ne savait lequel poser le premier. Onanisme a quatorze ans, puis tristesse, ennui vague, palpitations, éblouissements, apparition des premiers symptômes relatifs a l'écriture.
En janvier 1888, il eut ce qu'il appelle des scrupules d'argent, c'est-à-dire la crainte de causer à autrui-un dommage quelconque. Il tenait une liste de ses dettes imaginaires pour les paver plus tard et cela le tranquilisait ; puis un jour, trouvant cela absurde, il a brûlé sa comptabilité et n'v a plus pensé ; mais plus tard il a le scrupule de manger de la viande parce qu'elle provient d'animaux vivants ; mais au moment des repas, sous l'influence de la faim, il mange de la viande sans remords.
Il craint d'avaler des microbes en respirant, de peur de leur faire du mal; il a des incertitudes fréquentes lorsqu il met une lettre a la poste, lorsqu'il ferme une porte, lorsqu'il cherche un nom dans un répertoire.
Les troubles de l'écriture remonte a 1884, il a alors trouvé qu'il écrivait plus mal qu'avant. Sous la dictée il écrit sans hésitation; il n'a jamais de crampes, de faiblesse, mais seulement de la fatigue dans l'avant-bras droit ; en même temps il éprouve un ennui causé par ses préoccupations continuelles et s'accompagnant parfois de palpitations, de chaleur à la tête.
Ce malade est atteint de la folie du doute ; il n'a pas de crampe des écrivains : l'écriture n'est pas modifiée, il n'y a ni spasmes, ni tremblements, ni impotence.
L'utilité de la catalepsie.
On écrit de Dunkerque. 14 avril.
Une jeune fille de 17 ans, nommée Hostelandt, prise d'une violente attaque d'èpilepsie, est tombée aujourd'hui dans le canal de dérivation.
Un batelier s'est jeté à l'eau pour aller à son secours, mais n'a pu la ramener sur la berge qu'après vingt minutes de recherches.
Ce qui rend cet accident tout à fait singulier, c'est que la jeune fille, sortie de l'eau, présentait tous les symptômes de la catalepsie, et qu'on a pu, après cette longue immersion, la rappeler à la vie. Son état n'inspire aucune nquiétude.
Interdiction de l'hypnotisme aux médecins de marine
Voici a titre de document le texte de la circulaire que M. le ministre de la marine a adressé aux vice-amiraux, commandants en chef:
« M. le Président du Conseil supérieur de santé de la marine a appelé mon attention sur ce fait que, dans certains hôpitaux maritimes, des recherches, ayant pour objet l'étude de l'ypnotisme, étaient parfois pratiquées, et que ces expériences, pour lesquelles on allègue la nécessité de la science. avaient plus ou moins détourné renseignement et la pratique du service médical de la clinique vraiment rationnelle.
D'un autre côté, l'hypnotisme pouvant même de l'aveu de ceux qui le préconisent, faire courir des dangers aux malades qui y son soumis j'ai accueilli les observations de M. le Dr Bérenger-Féraud.
En conséquence, j'ai l'honneur de vous informer que j'interdis d'une manière absolue la pratique de l'hypnotisme dans la marne. Vous voudrez
bien prescrire aux officiera du corps de santé, places sous vos ordres, de n'y avoir recours, pour quelque motif que ce soit. »
Des deux arguments sur lesquels repose cette interdiction un seul à notre avis mérite d'être accueilli comme ayant quelque valeur, c'est celui qui consiste à interdire aux médecins de la marine toute recherche faite dans un but scientifique. D'après l'esprit de cette circulaire, la science ne devrait désormais plus avoir rien de commun avec la médecine maritime et cela A tous les degrés de la hiérarchie. Que cela fait d'honneur aux dignitaires du corps de santé maritime !
Expériences d'hypnotisme à l'Hôtel-Dieu de Paris
Ce mois-ci, les médecins de l'Hôtel-Dieu de Paris ont convié M. Bernheim A venir exposer devant eux les phénomène» de suggestion et d'hypnotisme étudiés par l'école de Nancy.
M. le professeur Bernheim, par des expériences concluantes faites sur des sujets éveillés ou hypnotisés, a démontré que la suggestion était le point de départ de tous les phénomènes observés.
Ce qui a surtout surpris les nombreux assistants, c'est la facilité avec laquelle, chez un grand nombre de sujets, on peut provoquer par suggestion l'accomplissement d'actes normaux ou délicieux et en particulier la facilité avec laquelle on arrive A la production d'un faux témoignage.
La constatation de ces faits a vivement impressionne l'auditoire qui a suivi les expériences et dans lequel nous avons reconnu M.Alexandre Dumas, MM. les docteurs Dumontpellier, Mesnet, médecins A l'Hôtel-Dieu. M. le professeur Proust, M. le docteur Tillaux, chirurgien de l'hôpital, MM. les docteurs Bérilion. Paul Magnin, etc., ainsi qu'un grand nombre d'étudiants.
Hypnotisme vétérinaire.
M. Boelman, vétérinaire militaire, public dans le Répertire de plice sani--taire et d'Hygiène publique une sérié de faits qui démontrent, sans contredit, l'in-flucnce magnétique ou fascinatrice de l'homme sur le cheval.
Voici a titre de spécimen l'un de ces cas :
« Le commandant de M.... qui s'occupe d'élevage, possédait un poulain de trois ans qui faisait des difficultés inouïes pour se laisser bridonner. Un jour, qu'on l'avait amené au manège, le capitaine D... l'aborde dans un coin, et là, sans quitter ses yeux du regard, commence à lui faire des passes avec sa cravache, sur le chanfrein, sur la nuque, l'encolure, la ligne du dos, et même sous le ventre.
« Le cheval, d'abord très contracté, cherche à se soustraire à l'obsession, puis, peu A peu, sa tête s'allonge, la détente se produit: on lui enfonce deux doigts dans la bouche pour la favoriser, et on arrive à mettre, à enlever et à remettre le bridon, sans aucune résistance. Le résultat obtenu s'est maintenu jusqu'à ce jour. »
BIBLIOGRAPHIE
I.
Dr A. CLEISZ. RECHERCHES DES LOIS QUI PRÉSIDENT A LA. CRÉATION DES
SEXES- — (in-8 p.Paris 1889, sociétés d'éditions scientifiques.4 Rue Antoine Dubois}..
La question de l'origine des sexes a justement préoccupé les esprits depuis un temps immmémorial, mais, il faut bien le dire, jamais, jusqu'au commencement de ce siècle, on n'a pensé à résoudre scientifiquement ce problème. L'imagination s'est donné libre carrière, et, devant une période bien des fois séculaire, nous ne sortons pas du monde des hypothèses et de la plus pure fantaisie.
bibliographie
Actuellement on n'est pas encore arrivé à une formule précise et immuable de ces lois, néanmoins les premières lignes en sont tracés. Le Dr Cleisz m réuni dans un travail d'ensemble une foulé de notes éparses.
Pour lui et d'après les statisques des auteurs qui se sont occupés de et la question, un excédant de garçons supérieur au rapport normal des sexes est un signe de faiblesse et non de force ; cet excédant croit chez les peuples en décadence; il est plus éléve dans les campagnes que dans les villes où l'on a une meilleure alimentation et moins de fatigue Au contraire, il y a excédant relatif de filles quand il y a prospérité publique, et cet excédant est inversement proportionnel A la cherté des vivres. Enfin, il il y a plus de filles chez les personnes aisées; il y a prédominance de garçons chez celles qui sont de condition inférieure.
Les mariages entre proches parents sont moins teconds que les autres : ils amèment un grand excédant de garçons.
L'embryon mal nourri tend vers le sexe masculin : son sexe est susceptible d'être modifié par les circonstances extérieures jusqu'au 27 em jour de la vie embryonnaire.
Quand le père est beaucoup plus âgé que la mère, le produit de conception tendra vers le sexe masculin ; il en sera de même quand il sera beaucoup plus jeune. Le père dans la force de l'âge engendrera plus de filles ; épuisé, plutôt des garçons. Les premiers-nés sous mariage sont plutôt des filles-Plus l'intervalle entre deux naissances est grand plus on a de chance d'avoir un garçon.
Les femmes primipares très jeunes tendent a avoir des filles : simplement jeunes ou âgées, elles auront plutôt des garçons. Les mères de bonne santé, d'un robuste aDpetit, auront plutôt des filles ; au contraire, les mères épuisées par un accouchement encore récent, par l'avortement, auront plutôt des garçons.
Enfin d'une manière générale, un œuf plut mûr assurera plutôt la naissance d'un mâle, et un œuf moins mûr la naissance d'une femelle.
Telles sont les grandes lois qui semblent se dégager du travail du Dr Cleisz Et il en arrive â cette conclusion:
« Le fait seul, dit-il de cette longue énumération des diverses influences capables de déterminer le sexe dans un sens ou dans l'autre peut faire comprendre qu'on se berce d'illusion, si l'on espère arriver un jour à la création volontaire des sexes.
Oui, on créera un sexe a volonté, si l'on réunit toutes les conditions les plus favorables au développement de ce sexe. Mais qui sera à même de réunir toutes ces conditions ? aussi, quoique nous fassions sans doute, la constance du rapport des sexes, à part quelques variations locales, restera-t-elle toujours la même.
Mais s'il en est ainsi pour l'homme, il en est tout autrement pour l'animal, et. comme on peut avoir un grand intérêt à procréer des individus d'un sexe plutôt que d'un autre, rien n'empêchera de se placer dans les conditions voulues pour atteindre ce but et. comme dit Thierry, ce n'est pas la première fois qu'une découverte purement scientifique sera devenue un élément appréciable de richesse sociale. »
II.
-Dr W. LOWENTHAL MÉTHODE DANS LES SCIENCES MEDICALES ESSAI D'UNE ÉTUDE HISTORICO-PHILOSOPHIQUE. —Thèse de Paris.1890
« La méthode déductive est morte, dit le Dr Lowenthal, s'en est fini avec la domination despotique et pernicieuse de la philosophie transcendante dans les sciences. »
La méthode déductive pas plus que la méthode expérimentale ne peuvent donner du grands résultats isolément. Il faut partir de l'analyse rigoureuse des faits ; mais il faut ensuite en faire la synthèse. Et l'auteur dans un aperçu d'histoire et de philosophie des sciences médicales, montre les grandes découvertes qu'a amené la combinaison de ces deux méthodes en anatomie et en physiologie : la circulation, le tissu et la cellule, les lois de l'embryologie, etc.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL
(Nous invitons nos lecteurs à compléter par leurs indications, les lacunes de cet index
ABDON SANCHEZ HERRERO : L'hypnotisation forcée et contre la volonté arrêtée du sujet,
(Compte rendus du Congrès de l'Hypnotisme. Paris 1890)
BERNHEIM Les hallucinations rétroactives suggérées dans le sommeil naturel ou artificiel.
(Compta rendus du Congrès de l'hypnotisme. Paris 1890.)
BIOLON : Inconvenients ou avantages de l'hypnotisme. Marseille medical n° 5. p. 261.
BOURDON ; Application» diverses de l'hypnotisme à la thérapeutique. (Centres fe l'Hypnotisme).
BOURRU ET BUROT : Un cas de neurathénie hystérîque avec double personnalité (Congrès de l'Hypnotisme).
BUROT De l'auto-suggestion en médecine legale. (Congres de l'Hypnotisme).
CH. RICHET Essai d'une terminologie dans les question d'hypnotisme.. (Congrès de Psycho-logie physiologique).
COSTE DE LAGRAVE : Quelques expériences d'auto-hypnotisme et d'auto-suggestion. DE JONG : Les divers procédés d'hypnotisation.. (Centra de l'Hypnotisme).
DE JONG : Valeur thérapeutique de la suggestion dans quelques psychoses,. (Congrès de l'Hypno-
tisme).
EMILE LAURENT : De l'action suggestion des milieux pénitentaires sur les détenus hystéri-
que. (Congrès de l'Hypnotisme).
FELKIN Hypnotbme ou psychotherapie (Edimb med. Journal. sept. 1889.)
FONTAN Les eftets de la suggestion hypnotique dans les affections cum matérià du sytème nerveux. (Congrès de l'Hypnotisme).
FOREL De l'hallucination négative chez les aliénés et de la différence entre l'hallucination des aliénés et celle des hypnotisé. (Congrès de l'Hypnotisme).
FORT Extraction d'une loupe pendant le sommeil hypnotique sur un Jeune homme de vingt ans. (Congrès de l' Hypnotisme)-
GASCARD . Influence de la suggestion sur certains troubles de la menstruation. (Centres de l'Hypnotisme).)
HIRT Zur Würdigung der Suggestivthérapie. (La suggestion thérapeutique.) Wien. med. Presse. 45)
HJELMANN Une épidémie.-d'extase religieuse hystérique dans la commune de Nilsia, (Finsk2 Iskar Handlingar XXXI.) n°6. Join 1889.
OUVRAGES REÇUS A LA REVUE
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Grasset et Rauzier. — Leçons sur deux cas d'hystérie provoqués par une mala-die aiguë : 54 pages, in. 8°. Masson. Paris. 1890.
Ladame. — On paralysing vertigo (Gerlire's disease): Brochure in 8°.
DalsCue. — Les péchés de Thémis: 310 p. in. 16. Bourcoton. Paris, 1889.
emile Yung. — Hypnotisme et spiritisme in-8° 174 Burkhart. Geneve, 1890.
Masoin — Coup d'œil sur l'assistance des é pileptiques en Belgique et dans le pays étrangers. 30 p. in 8° 1887.
icard. — La femme pendant la période menstruelle : 1890. Alcan. 380 p. in-8°
FéRé.— Les epilepsies et let épileptiques : G. in-8° planches, figures: 636 p.20 fr. Alcan, 1890.
Falter. — Las aliénés et les asiles d'aliénés : ¡n-8° 564 p. 8 fr. J. B. Baillière. Paris. 1890.
Lombroso. — L'anthropologie criminelle et tes récents progrès: in-12° 180p.
2 fr.50. Alcan. Paris
L'Administrateur-Gérant; Émile BOURIOT
paris. — imprimerie clamaron-graff, 57, rue de vaugirard
de la température de deux à trois degrés et quelquefois davantage. Il y manquait encore ce caractère fondamental qui provient de la brusquerie, de la soudaineté de leur apparition et de leur disparition.
Enfin l'œdème bleu dont il est question actuellement et qui n'est qu'une forme spéciale mais nettement spéciale des œdèmes hystériques n'avait pas été observé jusqu'en ces derniers temps.
Or l'œdème bleu en outre des caractères habituels de l'œdème hystéri-quequ'il possède tous au plus haut degré, offre cette particularité d'avoir une teinte violacée, bleuâtre, presque noirâtre dans certains cas. au point de donner l'inquiétude aux malades et d'être pris par eux pour une manifestation gangreneuse. Il est dur, résistant : la pression du doigt ne fait que décolorer la peau sans y produire d'enfoncement; il n'occupe qu'un seul côté du corps : mais il paraît siéger de préférence aux membres supérieurs, main et poignet, du moins dans les observations étudiées jusqu'à ce jour ; il est constamment le même pendant toute sa durée ; il apparaît d'habitude assez brusquement et après avoir duré plus ou moins longtemps, disparait de même pour récidiver assez fréquemment au même endroit ; il est froid, très froid mème : le membre envahi offre une différence de température de trois à cinq degrés inférieure au membre sain : dans une observation de M. Raymond on a signalé un abaissement thermique de dix degrés sur toute la surface envahie: enfin et c'est ce qui le caractérise surtout, il a une teinte cyanosée qui peut aller jusqu'au bleu indigo.
Cet œdème bleu s'accompagne fréquemment de troubles de la sensibilité consistant d'habitude dans une anesthésie complète des téguments affectés. Dans un cas cette anesthésie avait pris la forme de la dissociation syringomyclique avec perte totale de la sensibilité à la température et à la douleur et conservation intégrale du tact. Et cette combinaison de l'œdème et des troubles dissociés de la sensibilité pouvait certes emba-rasser le diagnostic entre une affection organique la syringomyélie et une affection dynamique l'hystérie.
Mais le plus souvent le diagnostic est facilité par la cœxistence des stigmates spécifiques de la grande névrose ou bien par les antécédents personnels du sujet. Ainsi, chez une enfant de treize ans qui avait été précédemment atteinte de mutisme hystérique, on vit brusquement survenir à la jambe une plaque d'œdéme bleu noirâtre, qui inquiéta a ce point la famille que le chirurgien mandé en toute hâte s'empressa d'inciser cette plaque d'aspect gangreneux. Il n'en résulta rien de fâcheux, grâce au pansement antiseptique, néanmoins cette intervention chirurgicale n'était rien moins que justifiée. En effet, quelques jours plus tard, cette première plaque d'œdème bleu disparut comme par enchantement, pour reparaître ensuite sur le membre opposé : et cette fois elle guérit de même sans aucune intervention sanglante. A ce propos. M. Charcot rappelle le mot d'un chirurgien anglais au sujet des affections chirurgicales du système nerveux: « J'ai à vous recommander, écrivait-il. de vous abstenir le plus souvent ». Car il peui arriver qu'une intervention intem-pestive complique l'œdème bleu simple, d'une contracture beaucoup plus lente à disparaître.
Pour revenir au cas présent, M. Charcot après avoir présenté deuxtypes d'œdème bleu hystérique occupant toute l'extrémité du membre supérieur et donnant à ces mains l'aspect de mains tuméfiées, énormes.
bluâtres, froides, contrastant au plus haut point avec la main opposée, de volume, de température et de coloration normales. M. Charcot présente à l'auditoire une grande hystérique hypnotisable, à laquelle depuis 4 ou 5 jours on a donné chaque jour les suggestions suivantes, pendant le sommeil hypnotique.
On lui a dit que sa main droite enflait, devenait plus grosse que l'autre, qu'elle bleuissait, devenait rouge, puis violette, qu'enfin elle était dure et se refroidissait de plus en plus.
Eh bien ! sous l'influence de ces suggestions répétées pendant cinq ou six séances hypnotiques .cette main droite est devenue assez rapidement énorme, presque double du volume de l'autre : elle est actuellement très colorée et d'une véritable teinte cyanique ; elle est dure à la pression et le doigt ne s'y enfonce pas ; enfin elle est d'une température de trois degrés au dessous de la température normale de tout le reste du corps. Elle ressemble en un mot de tous points, à la main d'une autre malade hystérique atteinte d'œdéme bleu spontané ! On a donc pu. à l'aide de simples suggestions psychiques produire et localiser dans cette main des désordres de nutrition et de circulation durables et tels que cette main est moitié plus grosse, plus colorée et beaucoup plus froide que l'autre main.
Niera-t-on, après un exemple aussi manifeste aussi palpable pourtous l'influence considérable de la suggestion hypnotique sur des phénomènes à substratum organique, absolument en dehors de toute simulation possible. Qui de vous en effet, pourrait, par le seul effort de sa volonté et de de son désir de tromper, se faire une main plus grosse, plus dure, plus colorée et de 3 degrés plus froide que l'autre et cela d'une manière persistante et aussi durable?Par bonheur ce qu'on peut faire ainsi on peut le défaire de même, et la suggestion fait facilement disparaître cet cedème bleu expérimental qu'elle a créé de toutes pièces.
Dr LEVILLAIN.
ROLE DE LA SUGGESTION DANS LE DÉVELOPPEMENT DU GOUT ET DE L'ODORAT
Klude de psychologie physiologique, Par le Docteur Emile LAURENT
Anrim interne à 1 lat----r - rentrai* d-« prlaona d- Parii.
€ Lorsque l'homme tait son apparition dans le monde, le sommeil dont il dort est mille fois plus profond que le sommeil provoqué par le plus habile des hypnotiseurs sur le plus docile des sujets. C'est l'engourdissement léthargique dans lequel sont ensevelis toutes les facultés encore sans existence. A peine au lendemain de son existence, avant l'apparition des premières lueurs intellectuelles, il est l'objet des sugges-
lions de ceux qui l'entourent. Avant qu'il y ait en lui ni volonté, ni raison, ni sentiments, il subit l'envahissement journalier, continu, sans trêve de leur volonté, de leur raison, de leurs sentiments ».
En effet cet entourage va se charger de l'éducation de toutes les facultés et de tous les sens de l'enfant. On lui apprendra à représenter chaque chose par des sons, chaque image par un mot spécial; on lui apprendra à parler, à sourire, à boire, à manger, à sentir, en un mot, à se servir de tous ses organes. On habituera ses oreilles à l'harmonie, ses yeux aux couleurs, ses narines aux parfums et son palais aux mets dont il devra se nourrir.
L'influence suggestive du milieu est toute puissante. Les éducateurs formeront l';nfant presque comme le potier pétrit l'argile molle et lui donne mille formes variées. Mais il est deux sens sur lesquels cette influence de la suggestion parait avoir une action particulière et vraiment surprenante : le goût et l'odorat.
Il
Le nouveau-ne n'obéit d'abord qu'à son instinct : il prend le sem maternel et le lait est sa première nourriture. Si la mère lui refuse le sein, on le trompe avec un lait analogue et un biberon. Son palais peu délicat et non encore éduqué. par conséquent incapable de percevoir une différence gustative aussi peu considérable, se laisse prendre à l'artifice.
Mais voici que l'enfant grandit : à mesure que ses facultés se développent, que le sourire apparait sur ses lèvres, que les sons deviennent des images verbales pour son oreille, que son intelligence s'ouvre aux premières notions, son appétit grandit et ses besoins augmentent. Par contre, au fur et à mesure que l'appétit grandit, le sein maternel se tarit. Il va donc falloir puiser la vie ailleurs. Le lait est toujours son aliment de prédilection. Mais voici que sa bouche se garnit de dents et ces nouveaux organes appellent naturellement d'autres aliments plus durs, plus résistants et en même temps plus nutritifs.
C'est à ce moment que commence le rôle de La suggestion maternelle, suggestion que l'enfant accepte aveuglément de celle qui le soigne et le nourrit, entraîné d'ailleurs par la crédivité naturelle à tous les êtres raisonnables. La mère lui présente un nouveau met auquel il n'a jamais goûté, et elle lui dit : mange, c'est bon. L'enfant l'accepte d'abord avec quelque hésitation, puis avec indifférence et bientôt avec plaisir. C'est bon, affirme la mère : sur cette affirmation, le petit européen trouve le pain excellent, et le petit nègre ou le petit arabe mangent avec plaisir le skouskoussou. C'est là la première suggestion gustative.
A chaque aliment nouveau qu'on présentera à l'enfant, il faudra une nouvelle suggestion de la mère pour le lui faire accepter. C'est ainsi que se développent en nous les habitudes gustatives. si l'on peut s'exprimer ainsi. Nous aimons les aliments auxquels on nous a habitués.
Mais bientôt, avec les années, l'enfant se passera de la suggestion
maternelle: la suggestion du milieu suffira. Il verra manger tel aliment, tel met autour de lui. il entendra affirmer que cela est excellent : il en mangera et ses papilles gustatives seront agréablement impressionnées.
IV
Puis cet enfant qui ne connaissait que la cuisine de famille, les petits plats succulents que préparait la mère, bonne ménagère, deviendra homme: il quitterra les siens pour vivre dans un milieu différent. Après une certaine éducation et avec un peu d'entraînement, son palais, comme son estomac, s'habituera à la cuisine des restaurants et à leurs sauces frelatées. Ce sera alors une suggestion plus large, la suggestion du milieu proprement dite.
V
Telle est également l'origine des cuisines locales, des mets nationaux. Un ragoût estimé a Paris, sera réputé fadasse à Londres, où l'on préférera le plumpuding qui nous paraîtra à nous trop compliqué : la soupe à la tortue impressionnera désagréablement notre palais mal préparé à un tel excès de graines de pipéracées. tandis que le lapin au lait nous paraîtra un aliment sans saveur. Un chinois se délectera d'un potage aux nids d'hirondelles qui nous soulèvera le cœur à nous autres Européens.
Néanmoins, chez les gens intelligents, éducables et facilement perfectibles, ces répugnances pour certains aliments sont vite surmontées. Leur volonté impose silence à leurs papilles gustatives qui doivent d'abord supporter l'aliment nouveau sans rien dire cl finissent par se déclarer satisfaites et même délicieusement impressionnées.
Ainsi procède l'homme intelligent. C'est de l'auto-suggestion.
VI
Chez les gens bornés, à l'esprit étroit et défiant, les choses se passent fan peu différemment et. pour s'habituer à un met nouveau, il leur faut un temps beaucoup plus long. Qu'on amène un paysan français â Moscou et qu'on lui serve du caviar, au lieu de violenter ses habitudes gustatives. il repoussera le plat avec répugnance, refusant catégoriquement d'en manger, déclarant à priori la chose mauvaise. Ce n'est que petit à petit, avec beaucoup de tâtonnements et de défiance, entraîné par l'exemple, par imitation, et quelquefois par besoin, qu'il se décidera à accepter le met nouveau. Puis il s'y habituera et finira même par le déclarer délicieux. Ainsi tel mangera les garbanzos espagnols et les déclarera supérieurs à la soupe aux choux et tel autre la mortadella bolognaise qu'il mettra au-dessus du jambon dont on aura engraissé sa jeunesse. C'est de l'imitation et de l'entraînement, et aussi de la suggestion. Mais cette suggestion n'agit chez certains individus que fort lentement, parce qu'elle a à lutter contre les préjugés, les défiances et contre les suggestions contradictoires venues du sujet lui-même.
VII
L'homme intelligenl finit par accepter à peu près tous les mets. Certains aliments, sans doute, pour des raisons complexes où l'habitude l'hygiène, l'olfaction tiennent leur place, impressionnent plus agréable-* ment son palais. Mais quel que soit l'aliment qu'on lui présente pour apaiser sa faim, il saura vite oublier ses préférences, dompter ses papilles gustatives qu'il forcera à accepter le nouveau venu et à lui faire les honneurs de la maison.
On a vu des explorateurs manger les aliments les plus étranges, chez les peuplades qu'ils visitaient, alors que les individus qui les accompagnaient refusaient ces aliments parce qu'ils n'étaient point ceux de leur tribu, dont ils différaient légèrement. Et cependant quelquefois, ils leur étaient supérieurs en nature et comme préparation. Prenez un indien non encore civilisé; offrez-lui un morceau de pain et un beafteck : il le refusera, même s'il a faim; donnez un plat de kouskoussou, une tranche de buffle rotie sur les charbons, voir une friture de vers, à un Stanley ou à un Livingstone. il acceptera et mangera avec appétit.
VIII
Je crois qu'avec un peu de patience et de bonne volonté, nous finirions par nous habituer â tous les mets. Il en est quelques-uns, qui pour une raison ou pour une autre, nous laissent indifférents ou même nous inspirent de la répugnance. Nous nous expliquons très difficilement pourquoi, et, sans nous en inquiéter davantage, nous passons outre. Nous avons sous la main des aliments qui nous paraissent plus appétissants, ou mieux qui flattent davantage notre gourmandise; et c'est à ceux-là que nous nous adressons pour apaiser notre faim. A quoi bon en effet, pensons-nous, manger des choses qui nous répugnent ou au moins ne nous procurent aucune jouissance gustative? Pourquoi contrarier notre palais pendant qu'on peut, avec un choix particulier et des sauces savantes, en tirer de si agréables sensations?
C'est au moyen de ce raisonnement que nous finissons par nous accoutumer à certains mets et à nous rendre absolument récalcitrants pour d'autres. Nous avons fait croire à notre estomac qu'il ne devait accepter que tels ou tels aliments, que tous les autres étaient mauvais et qu'il devait les repousser. Nous avons suggestionné notre muqueuse stomacale. Nous lui avons dit que certains fromages exalaient des odeurs analogues à celles des matières fécales, que les huitres avaient le goût et l'aspect de crachats de phtisiques, que la confiture de groseilles ressemblait à du placenta et les épinards en purée à du méconium : Il n'en a pas fallu davantage. N'essayons plus maintenant de les donner â notre estomac : nous lui avons dit qu'ils étaient mauvais et nauséabonds; il a fini par le croire et dorénavant il refusera énergiquement de les recevoir. A leur approche, il se contractera et nous les rejettera avec mépris et colère à la face.
IX
Mais, je l'ai déjà dit. nous pourrions facilement triompher de ces répugnances la plupart du temps nullement justifiées. Il faudrait mettra un frein à nos préférences gustatives, imposer silence à notre gourmandise et faire la contre-suggestion. L'estomac se révoltera peut être d'abord, mais il finira pas se taire et par rentrer dans l'ordre : il grondera un peu. il tentera des velléités de régurgitation : mais, si on sait lui commander impérieusement, force lui sera bien de se soumettre et d'accepter les aliments qu'on lui donnera, et. s'il les rend, se sera après les avoir utililisés et en nous criant par l'autre porte : mer...ci
Il est si facile de tromper nos papilles gustatives! Nous avons tous vu de ces somnambules à qui on fait manger des pommes de terre pour d;s oranges. Elles les croquent avec la plus vive satisfaction, On leur donne un verre d'eau de Vichy en leur annonçant du Champagne, et elles font claquer leur langue, trouvant le breuvage délicieux.
X
La suggestion joue un rôle beaucoup moins important dans le développement de l'odorat. La raison en est simple. C'est que ce sens a chez nous une importance beaucoup moins considérable que le goût. Pensez donc : la bouche ! ou comme disent plus énergiquement quelques uns. la gueule !
Pour certains individus, c'est toute l'existence.
Le débauché ne vit que pour le bas-ventre: le poëte ou l'homme de science pour l'idée : le peintre pour le coloris ; le musicien pour le rythme et la mélodie ; l'avare pour la joie immense de contempler des tas d'or ; le gourmand ne vit que pour la gueule qu'il remplit de mets succulents. C'est encore pour la gueule que vit l'ivrogne. car c'est elle qui lui donne toutes ses joies. Mais le nez ? C'est un organe de délicats, en dehors des moments où, en aspirant le fumet des sauces, et le bouquet des vins, il vient lui aussi aider au bonheur de la gueule. Le nez sert à respirer l'odeur des lys et des roses. Combien de gens sont sensibles à cela ? Combien de raffinés aiment ces sensations peu coûteuses de respirer l'odeur des foins coupés ou des verveines sauvages ? Aussi notre sens olfactif subit une éducation beaucoup moins compliquée que notre sens gustatif. Le plus souvent il se la fait lui-même son éducation! L'enfant qui court dans un jardin, aimera à respirer un œillet ou une rose tandis que son odorat sera désagréablement impressionné par l'odeur de l'ail ou de l'oignon.
XI
Donc, instinctivement, sans que notre organe olfactif ait été suggestionné ou préparé, comme vous voudrez, il est des .odeurs qui nous paraissent agréables et d'autres désagréables, et, à quelques exceptions près, nous sommes tous d'accord sur ce point. Ce n'est que plus tard que le rôle de l'éducation et de la suggestion se fait sentir.
Il est bien entendu que l'odorat suit dans son développement une marche parallèle avec le goût. Ainsi, tel aliment dont la saveur flatte agréablement notre palais, doit aussi nous plaire par son odeur. Dans cet ordre de sensations, les deux s'éduquent et se suggestionnent ensemble, peut-être l'un l'autre. Le nez se déclare satisfait de telle odeur pour ne point déplaire aux papilles gustatives. ses voisines, qui en raffolent, et réciproquement celles-ci déclarent succulent le met dont le parfum a séduit leurs sœurs olfactives.
XII
Ce n'est pas là la seule éducation que subit l'odorat. Il va en effet intervenir dans les recherches de la toilette, et là on le pliera à de drôles d'exigences. Car pourquoi tel parfum est-il préféré par presque toutes les femmes de certains milieux et détesté par les femmes d'un autre milieu? Affaire d'habitude et de suggestion en même temps.
Les cuisinières se parfument au patchouli et les pompiers raffolent de cette odeur. Les soldats n'ont pas de préférence, sans doute parce que les bennes qu'ils fréquentent volent généralement les parfums de leurs maîtresses, et s'imprègnent indifféremment de toutes les essences odorantes qui leur tombent sous la main. Les prostituées de bas étage, celles qu'on appelle les péri-patéticiennes. se parfument au musc, et les gens du peuple qui les suivent sont entraînés par cette odeur pénétrante qui simule assez celle d'une femelle en rut. Les petites ouvrières se parfument à la violette ou à la rose, odeurs tendres et douces comme leurs petites âmes aimantes. Aussi les calicots en inondent leurs mouchoirs. Les bourgeoises passionnées se parfument avec des odeurs pénétrantes, comme l'héliotrope blanc. le jasmin. l'YIan-Ylan, cl ces odeurs grisent, parait-il. les hommes qui frisent l'âge ingrat. Les demi-mondaines préfèrent les odeurs fines ou bien compliquées comme leurs vices: le muguet, le corylopsis, le réséda, etc. Les femmes amoureuses et portées à la poésie, ou à la mélancolie, se créent des parfums tout à fait spéciaux qui le plus souvent n'ont le don de charmer qu'elles seules.
Evidemment il y a là une sorte de suggestion olfactive. Si telle cuisinière se parfume au patchouli comme sa voisine, telle mondaine au corylopsis comme sa rivale, telle bourgeoise à l'héliotrope comme son amie, c'est qu'elles se sont persuadées ou suggestionnées l'une l'autre que ces parfums étaient suaves.
XIII
On peut en effet puissamment impressionner l'odorat par suggestion. Ne voit-on pas tous les jours des somnambules humer avec délices l'odeur de l'huile de foie de morue ou de tout autre liquide nauséabond qu'on leur persuade être un parfum délicieux?
Cette suggestion s'exerce même à l'état de veille.
J'ai soigné pendant quelque temps une demoiselle qui s'était adonnée avec trop d'entrain au culte de Vénus. Elle avait tant et tant sacrifié sur-
l'autel de la génisse-déesse Astarte qu'elle se trouva quelque peu endommagée et dut avoir recours à la pommade à l'iodoforme. Sa bonne découvrit un jour la petite boîte parfumée. Le pharmacien avait écrit dessus : usage externe. Huit francs. — Huit francs une si petite boîte de pommade! Mais alors c'était un parfum rare. Et combien pénétrant ! Puis, après réflexion : mais c'est celui que ma maîtresse a adopté depuis quelque temps! L'auto-suggestion était faite, et le soir la bonne enduisait ses cheveux de la précieuse pommade.
XIV
Croyez-vous que ce n'est pas la suggestion qui a agi dans cette circonstance?
Enfin, n'est-ce pas par des phénomènes d'auto-suggestion analogues que certains individus en arrivent à trouver le summum de la volupté en flairant les évacuations de celles qu'ils aiment? L'odorat est donc un sens qu'on peut facilement tromper et par conséquent un sens facilement suggestionnable.
BRULURE DU SECOND DEGRÉ PROVOÛUÉE PAR SUGGESTION
Par le docteur J. RYBALKI
Médecin de l'hôpital Marie à Saint-Pétersbourg
Pendant notre séjour Télé passé, à Nancy, nous avons visité le service du professeur Bernheim et la clinique du Dr Liébeault, Grâce à
leur amabilité, nous avons pu étudier la plupart des phénomènes de l'hypnotisme.
A notre retour à St Pétersbourg, dans la réunion d'octobre des médecins de l'hôpital, nous avons pu les exposer presque tous à nos collègues de l'hôpital et à beaucoup de médecins qui suivent notre clinique des maladies nerveuses
En étudiant l'effet thérapeutique et les phénomènes de l'hypnotisme aur nos malades nous avons réussi à produire des modifications orga-I niques chez un des somnambules de noire clinique. Une expérience ; préliminaire nous ayant persuadé de la possibilité de provoquer un pemphigus par suggestion, nous l'avons répétée devant nos collègues à la séance du 21 février 1890. Macar K.. âgé de 16 ans, peintre en bâtiment, atteint d'attaques de grande hystéric avec anesthésic de tout le corps, excepté du bout du nez, du scrotum et du pénis,avec achromatopsie et rétrécissement du I champ visuel, très hypnotisable, a été mis en somnambulisme à 8 heures 1/2. Nous lui avons dit : « A ton réveil tu auras froid,tu iras le réchauf-
REVUE 02 L'ilYl'NOTISMt:
fer au poêle et tu te brûleras l'avant bras sur la ligne que je viens de tracer. Cela te lera mal. une rougeur paraîtra à ton bras, il y aura du gonflement, des phlyetènes de brûlure, a Après son réveil, le malade nous obéit. Il poussa même un cri de douleur au moment où il toucha la porte du poêle, qui n'avait pas été allumé. Quelques minutes après, il fut possible de constater une rougeur sans onllement à la place indiquée cl une vive douleur au contact. Un nndeau lut nus sur le bras ci le malade se coucha, dans un lit, sous nos yeux.
A la hn de la séance, à 11 heures et demie, nous constations un gonflement considérable accompagné de rougeur et d'un éry thème papuleux à la place de la brûlure, autour de laquelle, dans une étendue de quatre
• i[ i. — 'l-ùlure provoquée par luggctttoa.
centimètres, un simple attouchement déterminait de vives douleurs. Le chirurgien Dr Praline plaça une bande sur l'avant bras, elle remontait jusqu'au liers supérieur du bras.
Le pansement enlevé ù dix heures du matin, on vit à la place de la brûlure, deux phlyetènes l'une de la grandeur d'une uoisetie et l'autre d'un pois et un groupe de petites bulles.
Tout autour de celle place, la peau était rouge et sensible 1 avant l'ex-
Îiériencc, cette région était ancsthésiqueX A trois heures, après midi es bulles se confondirent dans une seule grande bulle comme on le voit sur la planche photographique. (Fig. i). Le soir la bulle remplie d'ua liquide jaunâtre fl demi transparent perça el une croule couvrit la peau découverte. Huit jours après, la sensibilité revint et quinze après jours il n'y avait plus à la place de la brûlure qu'une marque rouge. Le cas a été décrit en détails dans la Bolmtschnaja Gazcta Boikina.
REVUE CRITIQUE
L'Automatisme psychologique (2)
Le livre de M. Pierre Janet est l'œuvre d'un philosophe, non d'un métaphysicien ou d'un médecin. Ce n'est pas à dire que les métaphysiciens et les médecins n'y puissent rien apprendre: loin de là, les premiers y verront que les prétendues aperceptions par lesquelles nous croyons nous connaître en tant que substances simples sont au fond la résultante d'actions psychologiques singulièrement délicates et complexes ; et les seconds pourront s'y convaincre que bien des maladies rebelles à toutes les explications et â tous les traitements physiologiques se laissent facilement aborder et guérir pour qui sait élargir sa méthode et les considérer par leur face intellectuelle et morale. « Ce qu'on appelle maladies nerveuses, dit M. Janet, serait souvent bien mieux dénommé maladies psychologiques. » Et lui même raconte comment, par le seul jeu des états de conscience, il a pu faire disparaître des crises et des accidents dont un traitement purement somatique avait vainement cherché la racine avant lui. Aussi la lecture de cet ouvrage serait elle éminemment profitable à ceux qui demandent trop à l'esprit, et croient saisir en lui l'absolu, comme à ceux qui ne lui demandent pas assez, et n'y veulent voir qu'un épiphénoméne, aussi incapable de réagir sur nos processus physiologiques que l'ombre sur les pas du voyageur, selon l'énergique expression de Maudsley. — Mais si les uns et les autres ont tout à gagner dans l'étude de l' « Automatisme psychologique » il ne but pas oublier non plusque ce n'est point à eux qu'il s'adresse spécialement. L'auteur remercie fort les médecins qui ont mis à sa disposition leur science pathologique, mais s'élève vivement contre ceux qui font dépendre la psychologie de la physiologie : et quant aux métaphysiciens, il les éconduit poliment en les invitant à chercher de nouvelles hypothèses qu'il ne manqueront sans doute pas de trouver : car. dit-il avec une bonhomie qu'il ne faudrait peut-être pas trop prendre au mot. « ils cherchent à exprimer la réalité des choses, et une expression de la vérité ne peut pas être en opposition avec une autre.»
Quelle est donc la thèse philosophique.soutenue dans les cinq cents pages compactes de M. Pierre Janet ? Il n'y en a pas une. à proprement parler, mais plusieurs, qui dérivent l'une de l'autre comme dans la na-ture même les fonctions les plus complexes sortent des formes vitales les plus simples. C'est une psychologie complète de l'hypnose, et même des états analogues. Elle ne laisse en dehors de ses recherches aucun des phénomènes constatés (2) de cette classe, et même én cite un nombre
(1) L'automatisme psycholoque, essai de psychologie expérimentale sur les formes inférieures de l' activité humaine, par PIERRE JANET, aucun élève de l'Ecole Normale, professeur agregé de philosophie, docteur ès-lettes. (2)je ne parle que des phénomènes constatés pour respecte la réserve que M Janet a cru devoir faite lui-même à l'occasion d'un certain nimbte de fais dont l'extistence même est encore contestée comme la vision à distance dans le temps et dans l'espace, l'action télépathique, la lévitation de Crookes , la suggestion mentale, etc.
considérable qui soni le résultat d'expériences personnelles. La catalepsie, le somnanbulisme. la suggestion, les anesthésies. les paralysies y sont tour à tour l'objet d'études toujours intéressantes et délicates, mais qu'il serait trop long d'analyser dans le détail. Aussi, devant cette richesse de faits et d'idées serons nous forcés de laisser dans l'ombre certaines parties, quelque remarquables qu'elles soient en elles-mêmes, comme l'explication psychologique de la catalepsie (1 ) ou la théorie de la suggestion, pour nous en tenir il l'idée la plus nouvelle et la plus frappante de cet ouvrage: la désagrégation mentale et la multiplication des personnalités.
. En effet ce qui caractérise le somnambulisme, selon M. Janet, ce ne sont pas les phénomènes physiologiques qu'il présente. Tous ceux qui ont été proposés pour en être le criterium par MM. Despine, Charcot. Binet, etc. se rencontrent aussi dans des états qui n'ont rien de commun avec celui-là. C'est donc à l'étude de l'esprit qu'il faut avoir recours. « Loin de pouvoir expliquer le somnambulisme, dit-il. la physiologie ne peut même pas le reconnaître. Bertrand. Braid et plus récemment Gur-ney, Bernheim, ont eu le grand mérite de reconnaître que le somnambulisme est un phénomène psychologique et ne peut être constaté que par des caractères uniquement psychiques. »
Ces caractères sont l'oubli au réveil (bien que ce mot de réveil soit impropre) et la renaissance du souvenir quand le même état pathologique se reproduit. Le somnambule possède ainsi deux périodes distinctes: l'une, dite normale, dans laquelle il n'a que le souvenir des périodes normales : l'autre, somnambulique, dans laquelle il se rappelle les événements des deux périodes. C'est le phénomène de la mémoire alternante et la base de toutes les complications ultérieures présentées par les états hypnotiques plus complexes. — Le phénomène en lui même est incontestable, et connu depuis longtemps. L'original est l'interprétation qu'en donne.M. Pierre Janet. On avait déjà remarqué, et le dix-huitième siècle avait particulièrement insisté sur ce point, qu'il y a une étroite liaison entre la pensée et les sens. C'est là, selon lui, que se trouve l'explication du phénomène, et voici son hypothèse : tout individu susceptible d'être hypnotisé serait atteint d'une ou plusieurs anesthésies, non pas physiques, mais psychiques, portant sur l'énergie spécifique des sens, et par conséquent détruisant aussi bien les images que les perceptions correspondantes (2). A l'état normal, le sujet serait donc incapable de faire naître ces images et par conséquent ne s'en servirait jamais pour penser. Au contraire, l'étal d'hypnose ressuscite le sens qui faisait défaut : le somnambulisme (c'est un fait) restaure momentanément une série de sensations et d'images ordinairement absentes. Dès lors le sujet à
(1) Il est cependant impossible de passer entièrement sous silence l'argumenteation si serée avec laquelle M. Janet montre: : 1° que la catalepsie ne peut s'expliquer physiologiquement; a qu'elle depend de la persistance et de la liaison de certains états de conscience ; 3° qu'ele est une ap-plication de lois générales de la force idéomotrice, bien connues en psychologie depuis les tra vaux M. Fouillée. — C'est un modèle d'analyse philosophique.
(2) Nous rappelons, dans le cas où cela serait nécessaire à quelques lecteurs que l'énérgie spécifique d'un sens est la propriété psycholoque par l aquelle les existations reçues par un certain centre se présentent à nous sous la forme d'états de conscience qualitativement différents les uns des autres ( sensations) et qui ne ressemblent en rien à cette excitation, ( couleurs, sons, odeurs, etc) — Il est bien évident que l'intégrité de cette énergie spécifique est aussi nécessaire à la production des images qu'à celle des perception, puisqu'il n'y entre ces deux formes de conscience, qu'une différence d'intensité et non de nature.
Résumons, maintenant, dans les terme? de l'auteur, la synthèse finale :
« Nous voyons ainsi la vie organique d'abord, psychologique ensuite,
« et enfin sociale, résulter des déterminations ou différenciations que « provoquent sur la matière organique, sur les organismes vivants, sur « le système nerveux, sur le corps social, les innombrables actions des
« milieux ambiants et leurs correspondances internes. Nous pouvons « donc embrasser d'un seul coup d'œil l'évolution du monde organique « qui nous paraît causée, c'est-à dire provoquée par la tendance des « forces internes et des actions externes à se contrebalancer, à s'équi-
« librer, et conditionnée, déterminée, fixée par les moments ou périodes « d'équilibration, c'est-à-dire par leur solidarisation. De sorte que, en « définitive, la genèse de la vie, l'organisation et l'évolution du règne « végétal et animal, la genèse de la conscience, In différenciation et
« l'évolution psychiques, la genèse et l'évolution morales et sociales, ne « sont que les résultantes de l'enchaînement infini des actions et réac-
« lions qui constituent les phénomènes conformément à la loi commune « générale de l'équilibration, c'est à-dire de la tendance nécessaire des « forces et des mouvements à se contrebalancer, à s'équilibrer, d'où « résulte un mouvement perpétuel de va-et-vient, do composition et de « recomposition qui constitue l'universel et éternel devenir des choses,
« des phénomènes, des existences, des consciences et des sociétés, « chaque sériation, coordination, groupement, unification résultant
« d'une équilibration mutuelle, réciproque des parties composantes « dans chaque tout, c'est-à-dire leur solidarisatîon. »
La conclusion est plus spécialement philosophique. La relativité de la connaissance qui est la condition même de toute philosophie scientifique y est encore une fois ramenée au développement organique; car c'est avec insistance que M. Pioger traite, dans le cours de son ouvrage de la relativité de la connaissance, dans sa préoccupation constante de faire pièce à la métaphysique et de combattre partout où elle peut se poser la doctrine de l'essentialisme. Du reste, les conceptions mécaniques ont cela de spécial : qu'elles s'expliquent par des déductions identiques et simples qui ne s'interrompent jamais des prémices à la conclusion. C'est l'ordre scientifique dans toute sa clarté convaincante.
Avant de terminer, je veux vous faire part d'une impression qui m'a accompagné pendant toute la lecture de cet ouvrage si savant et si intéressant : c'est qu'il a été écrit avec la préoccupation d'en tirer des conclusions sociales et morales. Attendons donc pour juger de l'œuvre entière qui est un véritable corps de doctrines embrassant toutes les sciences jusqu'aux sciences morales et politiques que M. Pioger ait fait paraître « la vie sociale et la vie morale » qu'il nous annonce.
Rémercions-le. Messieurs, pour notre agrément personnel et aussi pour le mérite qui s'attache â une œuvre de synthèse scientifique aussi savamment et aussi consciencieusement écrite.
Albert Colas.
nommé l'automatisme partiel, mais qui n'est à vrai dire que le développement complet des phénomènes précédents, en même temps qu'il en contient en partie l'explication.
Certains sujets présentent en même temps, — et non plus successivement comme dans les expériences précédentes, — plusieurs personnalités distinctes, qui semblenl s'ignorer et se partager l'empire de leurs sens : ainsi la main pourra écrire des pensées fort suivies et raisonnées, pendant que la voie et l'ouïe entretiendront une conversation tout à fait différente, sans même se douter du mouvement de la main. Ce second moi auquel appartient l'écriture subconsciente est le même qui occupe l'esprit tout entier ou plutôt la surface toute entière de l'esprit pendant le somnambulisme : il sait en effet tout ce que le premier moi oublie et ignore, retient les suggestions, la date de leur échéance, les repères divers qui les fixent; souvent même, quand l'opérateur excite artificiellement quelques phénomènes subconscients de ce genre, le second moi, mis par là en activité, élargit sa part de lui-même et envahit tous les sens, — ce qui fait que le sujet se trouve en complet somnambulisme. 11 y aurait donc, comme M. Janet le représente par une figure schématique très claire, deux ou trois personnalités superposées, qui affleurent au jour tantôt une à une. tantôt simultanément: et alors même qu'elle ne se manifeste pas, chacune de ces personnes continuerait encore à être, et même à communiquer avec les autres dans une certaine mesure: car souvent la première éprouve une peur en apparence sans raison, parce que la seconde se représente des images effrayantes; ou souvent encore les volontés et les idées de la seconde se traduisent chez la première en impulsions instinctives, en tendances inexplicables par le seul jeu des états qui sont conscients pour celle-ci.
D'où vient cela? De la désagrégation des phénomènes psychiques qu'une conscience rétrécie ne peut plus embrasser totalement. Cette incapacité de synthétiser à la fois un grand nombre d'images dans les catégories de notre entendement est la misère psychologique ; et c'est elle qui donne naissance à plusieurs groupements secondaires capables de durer simultanément, d'entrer successivement en rapport avec l'extérieur, et même de réagir quelque peu les uns sur les autres. C'est ainsi qu'un pays dont le gouvernement central serait affaibli, romprait son unité pour s'organiser en provinces indépendantes. Par là s'expliquent encore les anesthésîes systématisées, les électivités, même les paralysies et les contractures. Enfin, cette hypothèse rend fort bien compte d'une foule de phénomènes curieux, notamment le spiritisme qu'on reléguait volontiers autrefois dans le domaine du pur charlata nisme. Le médium écrivain ne simule pas l'inconscience : c'est véritablement un autre esprit que le sien propre qui dicte ses phrases, et il peut être tout le premier surpris de ce qu'il révèle. Mais cet autre esprit est en lui-même; c'est une seconde personnalité formée par l'organisation des états de conscience que son premier moi n'avait pas la force de coordonner et de retenir. De même dans les possessions et toute la diablerie du moyen-âge. En résumé, « tout se passe comme si les » phénomènes psychologiques élémentaires étaient aussi réels et » aussi nombreux que chez les individus les plus normaux, mais ne
» pouvaient pas. à cause d'une faiblesse particulière de la faculté de » synthèse, se réunir en une seule perception... et donnaient alors *. naissance à plusieurs groupes de phénomènes conscients, groupes » simultanés mais incomplets, et se ravissant les uns aux autres les » sensations, les images et par conséquent les mouvements qui doi-» vent être réunis normalement dans une même conscience et dans un » même pouvoir. »
Tels sont les faits et l' hypothèse. Celle-ci a été accueillie par une incrédulité générale dans la masse du corps philosophique et même médical, bien que le scepticisme n'ait pas osé, faute de preuves, se manifester trop ouvertement. A quelqu'un qui arrive les mains pleines de faits, il est difficile d'opposer une simple fin de non recevoir; c'est seulement au nom de l'expérience qu'on a le droit de contester d'autres expériences. Mais ce qui a indisposé les esprits, et les a portés à des plaisanteries faciles, c'est l'aspect romanesque de ces substitutions et de ces luttes entre les personnages somnambuliques; et surtout, — faut-il le dire? — ce sont les noms dont ils sont désignés, Adrienne répondant par l'écriture pendant que Lucie bavarde, et Léonie 2 écrivant à M. Janet des lettres qu'elle cache à Léonie I. Laissons-la ces railleries; ce n'est pas ainsi qu'on discute une hypothèse aussi sérieuse que celle-là. Ce n'est pas à dire qu'elle doive être reçue à priori comme une vérité définitive : on peut, on doit même se défier de ce que le savant le plus impartial met de lui-même dans ses expériences, et l'esprit même de la méthode expérimentale veut qu'on doute jusqu'à complète vérification. Peut-être la rigueur extrême avec laquelle se doublent et s? triplent les sujets de M. Janet n'est-elle pas étrangère à sa propre influence, et ce n'est pas d'aujourd'hui qu'est connue la tendance des hystériques à dramatiser leurs actes. Il suffit d'un mot involontaire pour leur donner un canevas sur lequel ils brodent; Dieu sait jusqu'où va leur imagination. Si un autre expérimentateur cherchait à mêler ces couches si bien délimitées, rien ne prouve qu'il n'y parviendrait pas, — Tout en acceptant la désagrégation psychologique comme un fait, la constitution de personnalités nouvelles laisse un doute dans l'esprit. Est-elle absolument spontanée? L'éducation ne joue-t-elle pas un rôle prépondérant dans sa formation? Peut-être en principe les états de conscience désagrégés restent-ils isolés et ne se concentrent-ils en une personnalité nouvelle que si on leur en donne l'occasion et la permission (1). Les médiums sont intéressants à ce point de vue : leurs états de conscience désagrégés, ne vont point reformer un second moi stable; mais, conformément aux croyan-ces du spiritisme, qui sert ici de principe directeur aux groupements, ils se sont cristallisés autour d'un nom, Socrate ou Voltaire, et abandonnent au bout de quelques instants cette combinaison pour une autre. M. Janet cite lui-même (2) nombre de faits qui montrent combien il est
(1) Le dialogue rapporté dans la séconde partie, chap.II, est reparquable à ce point de vue. C'est l'opérateur qui démontre au sujet la nécessité d'une seconde personnalité « Il faut bien qu'il y est quelqu'un qui m'entente et qui ensuite, malgré le refus du sujet, donne un nom à cette seconde
personne. Or rien n'est plus propre qu'un nom à créer une personnalité fictive : témoin toute la mythologie. — Auparavant, au contraire, le sujet continuait à unifier son moi d'une manière très normale en disant, pour rendre l'état particulier qu'il éprouvait : « Je réponds, mais je m'entends pas»
(2) IIe partie, chap. III, page 406 407.
facile de faire entrer en scène avec les médium et les hystériques, des personnalités artificielles inventées de toutes pièces : témoin. Frédégonde Jules, et Carita. dont il a tout l'air de se moquer. — El enfin, dans un moi normal le nombre des états de conscience perdus est toujours considérable par rapport à celui qui se conserve : pourquoi donc le dédoublement serait-il la conséquence exclusive de la misère psychologique? Tous les hommes à ce point de vue sont misérables, si l'on compare le petit nombre de sensations et d'idées qu'ils gardent à la masse énorme de celles qu'ils ont reçues ou créées. Tous par conséquent devraient avoir un autre moi pour hériter de ces souvenirs. Pourquoi donc ne se manifeste-t-il pas?
Quoi qu'il en soit de ces doutes, que l'expérience seule pourrait confirmer ou détruire, le remarquable ouvrage de M. Janet doit être considéré avec respect. — et par les psychologues avec reconnaissance — car il apporte une contribution considérable au problème proprement philosophique de l'Inconscient.
Il a prouvé en premier lieu ce fait, longtemps rejeté pour des raisons métaphysiques par la théorie classique, qu'il y a malgré l'apparente antinomie des mots, des états de conscience inconscients: c'est-à-dire une infinité d'actions, d'idées, de sentiments secondaires dont la vie consciente est le résultat, mais qui sont inaccessibles â cette faculté d'observation interne dont une certaine école fait le tout de la psychologie. Le premier et le troisième chapitre, si pleins de faits, sont de nature â couper court à toute théorie de ce genre : il faut définitivement que les philosophes rayent de leurs papiers l'antique adéquation de l'esprit et du moi.
En second lieu, la nature de cet inconscient est singulièrement éclair-cie par cette étude. M. Ribot. dans la leçon d'ouverture de son cours sur l'Inconscient (1). disait : « Pour nous l'inconscient, c'est exclusi-
- vement le physiologique: il n'y a rien là d'obscur ni de mystérieux :
- un état inconscient est seulement un processus cérébral auquel s'est » ajoutée à un certain moment la conscience, ou qui est susceptible » de se traduire de nouveau par elle. Ce n'est donc en soi qu'une » simple série de phénomènes nerveux. » — « Le psychologue, répond M. Janet. est trop souvent disposé à se déclarer incompétent et à demander à la physiologie un secours qu'elle ne peut lui fournir, » C'est en realité ne rien expliquer, que de ramener au mécanisme cérébral les états inconscients : cela est d'un autre ordre. Mais l'erreur vient des mots. Ces états sont inconscients pour celui qui parle et s'analyse : en eux-mêmes ils n'en renferment pas moins une conscience qu'ils peuvent manifester: ce sont bien des états psychiques. Il n'y a pas de phénomène cérébral purement cérébral, et toute action du système nerveux est toujours liée à une action mentale, claire ou obscure, connue ou inconnue, mais peut-être plus réelle, comme le dit Spencer lui-même que l'acte matériel qui lui correspond et la représente au regard des sens. — Et même, généralisant un peu cette vérité à laquelle nous amènent, toutes les sciences naturelles, n'aurait on pas le droit d'affirmer que tout tait ou toute
(1) Cours professé à la Sorbonne, 1887-1888.
force physique est la forme phénoménale et sensible d'un fait ou d'une tendance psychique qui, le cas échéant, pourrait-être connue comme telle? Leibnitz l'a pensé, et bien des philosophas avec lui. Il est pour le moins intéressant de voir quelle confirmation imprévue ces anciennes hypothèses reçoivent d'une étude nouvelle par les faits et par la méthode.
Et enfin, il est impossible de ne pas rapprocher les conclusions de l' Automatisme psychologique de celles d'une autre thèse philosophique qui fit aussi grand bruit, et qui ne le méritait pas moins. Je veux parler de l'étude de M. Espinas sur les sociétés animales. Tout esprit, disait-il, est une société d'esprits; l'unité de l'individu n'est que le résultat d'un consensus et d'une organisation entre tous les états de conscience élémentaires dont il se compose, et qui sont primitivement autant de moi distincts. Suivant qu'il enveloppe la conscience d'un nombre plus ou moins grand de ces éléments il est plus fort ou plus faible; Une conscience affaiblie est une conscience dispersée. » Ce mot par lequel M. Espinas résume sa thèse ne semble-t-il pas écrit par M. Janet pour servir de conclusion à son œuvrer Et d'autre part ne croirait-on pas lire les Sociétés animales en rencontrant dans l'ouvrage que nous analysons des propositions comme celles-ci : « Peut-être y a-t-il en nous un grand nombre d'ames spinales ou ganglionnaires, susceptibles d'éducation et d'habitude, qui dirigent chaque fonction physiologique. Peut-être y a-t-il dans la moelle de l'homme des êtres d'une plus grande valeur spirituelle que lame de la grenouille. » Je sait bien que M. Janet ne veut pas s'arrêrer sur ces hypothèses, et trouve qu'elles dépassent le cidre rigoureux de la méthode expérimentale : il avouera cependant qu'il y est nécessairement amené et qu'il rejoint par là l'œuvre de M. Espinas. L'un part des formes les plus inférieures de la vie animale; il en décrit les complications et les perfectionnements successifs à mesure que de nouveaux agrégats se composent, tendant de plus en plus vers l'unité d'un moi parfaitement centralise ; l'autre analyse au contraire les états pathologiques les plus complexes de l'esprit humain, la destruction de cette unité, la désagrégation mentale:— et voici qu'ils aboutissent â la même conclusion. C'est qu'au fond la thèse de M. Espinas était consacrée toute entière â raconter l'évolution de la personnalité, de même que l'œuvre désormais classique de M. Janet a pour objet d'en étudier la dissolution; et ces deux processus qui s'opposent toujours doivent nécessairement manifester l'un et l'autre h nature et les lois essentielles de l'être étudié.
André Lalande
SOCIÉTÉS SAVANTES
SOCIETE DE PSYCHIATRIE DE HOLLANDE
Séance du Jeudi 21 Novembre 1889 tenue à Utrecht
La Psychothérapie suggestive
Le docteur F. van Eeden, d'Amsterdam, obtient la parole et prononce le discours suivant:
Messieurs.
Dans la séance précédente ;du 27 Juin), notre savant confrère van Deven-ter a déjà su vous donner un aperçu assez complet du sommeil provoqué et de la suggestion appliquée à la thérapeutique. La tâche d'introduire devant vous ce sujet, que m'a gracieusement imposée notre bureau, s'en trouve d'autant allégée; aussi je pense pouvoir resteindre mon rôle à vous offrir un résumé succinct de l'état présent de la question en appuyant sur les points litigieux les plus importants : je finirai en vous présentant quelques thèses sur lesquelles la Société voudra bien prononcer son opinion.
Remarquons d'abord que selon toute probabilité il faut rapporter les opinions si divergeantes et la confusion régnante en science hypnologique à une cause première. Notamment les états divers auxquels on accorde le nom d'hypnose sont essentiellement si différents, qu'il n'est pas trop dire qu'entre les deux extrêmes il ne se trouve plus aucun point de conformité.
Le professeur Delbœuf, de Liège par exemple, vous présentera une personne hypnotisée, paraissant parfaitement éveillée, en apparencetout à fait normale vaquant à ses occupations et gardant à son réveil le souvenir de tout ce qui s'est pissé. Cependant cette personne aura été dûment en état d'hypnose. Elle s'est trouvée dans un état de conscience autre, duquel on a pu la faire sortir par suggestion. La différence entre les deux états, n'est presque pas appréciable pour un tiers non initié. Le critérium unique étant l'anesthésie et l'exaltation de la suggestibilité. car M. Delbœuf aurait eu soin de supprimer l'amnésie par suggestion.
Comparez a celle-ci une malade de la Salpêtrière, dans l'état de léthargie et voyez la différence énorme : suppression de rapport avec l'extérieur, abolition totale de conscience,pas le moindre vestige de suggestibilité exaltée, amnésie complète au réveil.
Complétons ces deux exemples en vous rappelant le premier degré du sommeil provoqué comme nous le décrit M. Liébeault. Voila un homme commodément installé dans son fauteuil, fermant simplement les yeux et écoutant religieusement la parole suggestive de l'hypnotiseur.
Il va sans dire, n'est-ce pas, qu'on ne puisse tomber d'accord du moment qu'on accorde le même nom â ces états si différents et qu'on parle de l'origine et des effets de l'hypnose sans distinction aucune.
Aussi je pense avec les élèves de M. Charcot qu'on fait bien de distinguer entre une grande et une petite hypnose.
Le grand hypnotisme comprendrait les perturbations de conscience profondes qui se produisent chez les névropathes soit spontanément soit d'une manière artificielle et portant un cachet pathologique non douteux. Quelques auteurs lui prêtent le nom de hystéro-hypnose en opposition à l'hypnose normale.
Nous devons l'étude scientifique de l'hystéro-hypnosc en premier lieu â M. Charcot. Les études ultérieures des savants allemands Rieger (1), Heiden-hain (2), Kraft-Ebing (3) et autres portent aussi principalement sur les phénomènes hystéro-hypnotiques.
Dès le début, la notion, que l'hypnose soit nécessairement liée à l'hystérie,
(1) Rieger. Der Hypnotismus.. Jéna. 1884.
(2) R. Heldenhain Der sogenannte thierische Magnetismus. Leipzig 1880.
(3) Kraft Ebing Eine experimentelle Studie aus dem Gebiete des Hypnotismus. Stuttgard 1888.
qu'elle ne puisse être étudiée que sur les hystériques, a forcement dû conduire les expérimentations dans une certaine direction et elle a continué à régner si longtemps qu'aujourd'hui encore un grand nombre de savants ignore et ne veut pas entendre parler d'une autre Terme d'hypnose.
Ils expliquent le fait que la plupart des personnes bien portantes est hypnotisable en prétendant qu'on les rend hystériques.
« Produire l'hypnose veut dire rendre hystérique » dit Strümpell (1) après Meynert. dans la dernière édition de son manuel.
C'est dans cet état dliystéro hypnose qu'on peut observer et produire artificiellement un nombre de phénomènes remarquables avant une valeur réelle pour la science psycho-physiologique. Les trois états de Charcot, l'hyperexcitabilité névro-musculaire, le transfert, l'hyperesthesie des sens, le dédoublement de la personnalité, sont du domaine de la grande hypnose.
Les hystériques de la Salpêtrière rendus cataleptiques par dizainecs à la fois sur le son d'un gong, les malades de Luys (2) sensibles aux médicaments a distance, les somnambules de Pierre Janét (3) qu'on peut à loisir feire entrer dans deux, même dans trois états de conscience différents — qui possèdent ainsi une personnalité triple,— toutes ces personnes sont des sujets rares, des névropathes décidés,ayant reçu une dressure hypnotique de quelque durée.
Les phénomènes observés chez ceux-ci, soit qu'ils se produisent spontanément, soit qu'ils émanent de suggestions inconscientes, ne peuvent servir à former l'image véritable de l'hypnose en général. Puisqu'cntin dans la grande majorité des états d'hypnose, ils ne se présentant pas. Aussi la proposition de Luys présentant l'hystéro-hypnose comme la seule vraie et ne voyant qu'une forme abortive dans l'hypnose normale, est-elle arbitraire. 11 me semble qu'on ait plutôt le droit à qualifier d'hypnose vraie et normale un état qu'on puisse susciter chez 80 0/0 des individus en général et encore chez des personnes parfaitement bien portantes, qu'un autre qui soit très rare et ne puisse être provoqué que chez les grandes hystériques.
Les élèves de Charcot ne discontinuent ??? à produire toujours les huit ou dix mêmes cas classiques tandis que le nombre de cas rentrant dans le soi-disant hypnotisme normal ou petit hypnotisme communiqué par les auteurs des différents pays, compte plusieurs milliers et va en augmentant tous les jours.
Bernheim dans sa définition de l'hypnose normale ne s'appuie que sur un phénomène essentiel, notamment l'exaltation de la suggestibilité.
Selon cet auteur on peut affirmer l'existence de l'hypnose sans qu'il y ait sommeil ou une modification quelconque de l'état de conscience du moment que la suggestibilité est augmentée.
En se rangeant a cet ordre d'idées cependant la signification première du mot hypnose se perd complètement. Je suis d'avis qu'il n'est pas impossible de faire la part de l'hypnose d'un côté, et de la suggestibilité exaltée de l'autre. On entendra par hypnose normale le sommeil provoqué par une autre personne pendant lequel le dormeur reste en rapport avec l'hypnotiseur.
Il n'est pas douteux que le jugement d'une personne ne connaissant que l'hystero-hypnose—pour ce qui est de la valeur de l'application thérapeutique de l'état hypnotique — doit être différent de celui d'une autre qui a appris à connaître l'hypnose normale. En effet pour la première, l'application de l'hypnose —qu'on ne peut provoquer qu'exceptionnellement : d'un état qui produit des perturbations psychiques si graves—comme agent thérapeutique general dans une foule de maladies qui n'ont que faire avec l'hystérie a dù sembler une absurdité. Beaucoup de médecins, fidèles aux doctrines orthodoxes de Charcot, con sidèrent l'application de l'hypnotisme comme un moyen de propagation de l'hystérie, or ils ne se rendent pas compte de ce fait : que toute hvpnose n'est pas de l'hystéro-hypnose.
L'opposition de Charcot et de ses élèves soulevée contre l'application de la thérapeuthique suggestive, se comprend ainsi facilement.
(1) Strümpell. Kreankheiten des Nervensystems, 1889. p.305
(2 Revue de l'Hypnotisme, 1887.P 139
(3)L'automatisme psychologique Paris 1890.
On peut aujourd'hui distinguer trois parties:
1° Les incrédules, les adversaires absolus de tout ce qui touche l'hypnose ou In suggestion.
Je ne pense pas que pour le moment on en trouvera encore beaucoup d'exemples.
Citons entre les plus remarquables, les professeurs Ewald et Mendel de Berlin (1), d'autant plus que leur vaste savoir et leurs connaissances en autres matières font ressortir davantage leur défaut de pénétration et leurs erreurs dans la question qui nous occupe.
2° Les élèves de Charcot qui ne connaissent qu« l'hystero-hypnose. Ils Concèdent une valeur thérapeutique à l'hypnose et à la suggestion ; seulement l'application de cet agent- doit être réservé pour les malades hystériques ils condamnent une application plus generale, la jugent inutile et dangereuse Citons entre autres: Luys (2), Gilles de la Tourette (3). Regnard(4) Espinas (5). Guermonprez et les allemands : Binswangcr (6), von Ziemmsen(7) Mynert, Ricgcr, Strümpell et autres.
3° L'école de Nancy préconisant l'application générale de la thérapie sug-gestive, admettant la parfaite innocuité de l'hypnose et taxant d'artificiels les principaux phénoménes de l'hystéro-hypnose. Mentionnons ici avec Bernheim, Liébeault. Beaunis et Liégeois, en France: Bérillon(S).Fontan,Segard,.Marcel, Briand; en Suisse: les psychiatres Forci. Ladame; en Allemagne: Moll (9),Baier-lacher (10). V.Schrenk-Notzing(11),Maack(12),Schuster (13), Corval(14);en Angleterre : Lloyd Tuckey (15) ; en Suède: Wetterstrand etc..etc.
Comme un signe caractéristique de l'état présent de d'histoire de l'hypnotisme, nous tenons à signaler que le savant psychiatre Aug. Voisin, élève de Charcot, médecin de la Salpètriere, quoique admettant les trois états classiques de Charcot. préconise la suggestion 'hypnotique dans le traitement d=s névropathes et des aliénés de son service et a obtenu des résultats beaucoup plus favorables que M. Forel.
La plupart des médecins français et étrangers ont reconnu ouvertement lors des derniers congrès à Paris avoir abandonne les vues de Charcot pour les doctrines de l'ecole de Nancy. Enfin au Congrès de psychologie physiologique tenu sous la présidence d'honneur de M. Charcot. les principes de Nancy ont été acclamés a la grande majorité. Il me semble, messieurs, que notre assemblée ne vise pas a débattre les phénomènes de la grande hypnose ni de faire matière à discussion de la question soulevée par Luys et Binswanger, savoir s'il ya une différence entre l'hypnose provoquée par des agents physiques et celle obtenue par suggestion, attendu qu'elle ressort du. domaine psycho-physiologique. Nous avons la certitude absolue que l'hypnose normale obtenue par suggestion verbale, suffit parfaitement aux besoins vie la thérapie suggestive.
Ainsi l'hypnose normale est un sommeil plus ou moins profond avec ou sans amnésie complète ou partielle au réveil — un état qui ne se distingue du sommeil normal qu'en tant que l'hypnotisé continue à réagir sur des excitations sensuelles provenant de l'hypnotiseur. Dans ces conditions la suggestibilité est augmentée. Cette exaltation de la suggestibilité n'est pas un
(1) Berlin. Klin. Woch n° 26 1887.
(2) Luys. Leçon cliniques sur les principaux phénomènes de l'hypnotismee.Paris. 1890. (3) Gilles de Tourette L'hypnotisme et les états analogues 1887.
(4)P. Regnard. Les maladies épidémiques de l'esprit 1883.
(5) Congrès international de psychologie physiologique 1889 Séance du 7 août. (6)Therapeutische Monstshette 1889, 2, 3 4e Heft. (7) Münchener Med. Wochenschrif n° 31 30 Juli 1889.
(8) Bérillon. Application à la pédiatrie, et à la pédagogie. Pris 1886-90. (9) Moll. Der Hypnotismus Berlin 1888.
(10) Balerlacher. Suggestion. thérapie und ibre Technik Stuttgard 1889 (11) V. Schrenck Notzing. Therapeut. Anwendung des hypnotismus. Leipzig 1888 (12) Maack. Zur einführung in das Studium des hypnotismus.
(13) Schuster. Therapeut. Verwerthung der hypnose. Thérap. Monachefte juli 1889 (14). Therapeut. Monataheite Sept 1889-(15) Ch. Lloyd Turkey. Psycho-Thérapeutics. London 1890, 2e éd.
phénomène caractéristique du sommeil provoqué attendu qu'il dérive comme l'a démontré le professeur Forci des propriétés comme du sommeil naturel. En effet dans le sommeil normal le dynamisme psychique se trouve affaibli, il y a hypotaste. Ainsi dans nos rêves. nous acceptons les faits les plus invraisemblables, parce que le controle de la conscience éveillée nous fait défaut. On conçoit donc que la suggestion, l'imposition d'images et d'idées doi réussir plus facilement dans le cerveau hypotactique du dormeur que dans celui d'un homme éveillé.
Nous touchons maintenant, messieurs, a une question des plus difficiles et des plus compliquées de l'hypnotisme thérapeutique.
Nul ne me contredira, je pcn»e. qand j'avance que le simple point de dormir ne soit ni nuisible, ni dangereux. Or la thérapie suggestive se sert simplement des propriétés du sommeil normal. Du moment qu'on en lasse un usage prudent, il ne doit y avoir, dirait-on aucun péril pour le malade, a se soumettre aux procédés hypnotiques. Partant du principe de Bernheim que la seule suggestion verbale suffit, que tout agent physique est superflu, il n'y aurait qu'à éviter toute suggestion nuisible. La question s'il y a différence entre le sommeil provoque par suggestion et l'hypnose déterminée par des agents physiques perd dès lors tout intérêt pour la psychothérapie et l'on peut abandonner l'étude de l'hystéro-hypnose a la psychologic expérimentale.
Cependant l'expérience nous apprend que la suggestion répétée exalte la suggestibilité du sujet.
L'esprit s'accommode de plus en plus à accepter les images imposées; bientôt on peut se passer de l'état de sommeil et le sujet est devenu plus sug-gestible qu'auparavant même à l'état de veille.
Cet état de choses doit paraître un avantage au médecin qui se propose de guérir son malade par suggestion. Bernheim ne dit-il pas qu'il faut de toutes les manières tâcher a augmenter la suggestibilité du sujet.
Il me semble cependant peu avantageux de transférer de la sorte a l'état de veille, une imperfection du dynamisme psychique existant à l'état normal pendant le sommeil seulement. On crée ainsi une permanence de l'hypotaxie temporelle du sommeil, de la suppression passagère du contrôle logique, de la dissociation.
En dehors de celte objection théorique, se présente aussi la difficulté pratique que la suggestibilité du sujet se trouve augmentée non seulement vis à vis la suggestion salutaire du médecin mais vis à vis toute autre et surtout vis à vis 1 autosuggestion, souvent importune et dangereuse.
La dénomination: autosuggestion est à vrai dire une nouvelle étiquette attachée a un fait connu depuis longtemps. Ses phénomènes sont des fonctions spéciales du mécanisme psychique, d'ordre réflexe idèo-moteur, idéo-sensible et idéo-abstrait.
L'exaltation anomale de ces réflexes est un des symptômes principaux du syndrome: hystérie.
Une émotion psychique légère peut suffire chez l'hystérique a provoquer une paresis, une contracture, une névralgie.
Il ne s'en suit pas forcément qu'en augmentant la suggestibilité on crée l'hystérie. Je connais des personnes très suggestiblcs, nullement hystériques. Cependant j'oserais affirmer que d'augmenter la suggestibilité de l'hystérique ou du sujet prédisposé à l'hystérie n'est pas exempt de danger.
L'expérience en effet a démontré que la thérapie suggestive chez l'hystérique présente beaucoup de difficultés et que chez ces malades on obtient tout ou absolument rien, une belle cure chez l'un, un effet nuisible chez I'ju-tre. Comment s'expliquer ces faits ? L'esprit de l'hystérique se trouve en équilibre instable, la coordination psychique est imparfaite, la malade ne sait pas vouloir ou sa volonté agit à rebours. Si le médecin parvient à dominer complètement la vie psychique d'un hystérique, il peut supprimer la volonté malade du sujet et lui imposer sa volonté à lui. de sorte qu'en centralisant les fonctions dissociées il produise une perturbation totale vers le bien Pour arriver à cette fin cependant, il doit s'imposer et rester despote absolu. Subit-il un échec, il aura en exaltant la suggestibilité, ajouté au pouvoir des auto-suggestions qui gagneront toujours du terrain c! finiront à triompher
Je son influence cl a paralyser complètement ses suggestions salutaires. Voilà pourquoi M. Forel insiste à obtenir l'assujetissement complet| du malade dans le plus bref délai. Cette manière d'opérer cependant, quelque péremptoire elle puisse paraître me semble discutable sous certains rapports :
1* U se peut qu'un assujettissement puisse être obtenu chez tous les sujets; cependant dans plusieurs cas il faudra pour l'obtenir un tact, une énergie et un savoir-faire exceptionnels.
2° Si d'une part nous concédons comme permise cette contrainte forcée chez des personnes à volonté maladive, chez les hystériqucs, nous pensons que d'autre part il faut en pnnepe. la desapprouver chez les personnes bien équilibrées. N'est-il pas reprouvable en effet de provoquer ou de favoriser chez celles-ci un état permanent dans lequel leur dynamisme psychique est subordonne i la volonté d'autrui, quand même cette volonté agirait favorablement, quand même celte autre personne mériterait une confiance absolue et qu'on pourrait restreindre la subordination du sujet exclusivement a cette personne.
Voilà, Messieurs, d'après mon avis, la difficulté principale, l'objection 1a plus fondée qu'on puisse soulever contre la thérapie suggestive, une objection qui s'est présentée a moi-même nonobstant ma prédilection décidée pour cette méthode de guérir.
Cependant sans vouloir dénier cette objection, je ne la crois pas suffisante pour condamner la psychothérapie, l'objection n'étant principalement valable qu'au point de vue théorique.
Les avantages pratiques contrebalançant cette objection sont si décidées qu'on ne saurait les abandonner pour un raisonnement théorique. Il faut toutefois ne pas perdre de vue et tâcher d'éviter cette difficulté! On n'abandonne pas non plus la chirurgie opératoire parce qu'une opération présente du danger pour l'organisme, parce qu'elle produit des lésions et laisse des cicatrices; ou s'évertue à limiter le danger, à restreindre les bornes du dégât, à faire témoins de cicatrices possible. Il s'entend que tout cela demande beaucoup d'études préparatoires de l'exercice, une certaine dextérité et du tact. On ne s'improvise pas hypnotiseur comme nul ne devient d'un coup opérateur. Disons plus et avançons que l'aptitude i devenir l'un ou l'autre ne revient pas à tout le monde.
Quiconque de vous messieurs, a eu l'avantage de voir hypnotiser M Bernheim conviendra d'abord que le grand tact et l'énergie seuls de ce maître expliquent l'absence totale d'accidents ou de phénomènes détavocables dans ses expérimentations multiples. Du reste l'application journalière de l'art d'endormir nous a appris depuis longtemps que l'objection susdite ne dépasse guère les limites théoriques e. n'a pas en pratique la va leur supposée. Dans la grande majorité des cas on n'observe rien ou presque rien de cette permanence d'une suggestibilité augmentée, de cette hypotaxic persistante. Et quand elle voudrait se montrer, l'opérateur prudent s'en apercevrait aussitôt et saurait prendre ses mesures. Tantôt il se servirait de la volonté personnelle du malade comme intermédiaire exclusif, tantôt il imposerait sa volonté propre à celle du sujet si cela lui semble permis, ou encore il cesserait la médication suggestive ou supprimerait au moins le sommeil préalable.
Je n'entrerai pas dans des plus amples détails, les réservant pour une étude spéciale et me bornerai à vous résumer les résultats de la psychothérapie en médecine mentale.
Parmi les savants expérimentateurs dans cette voie nommons M. Forel (1), de Zurich. M Ladame (2); de Genève, MM. Auguste et Jules Voisin de la Salpétrière, M. Burkhard (4), directeur de l'asile de Prèfargier, en Suisse, M. Briand (5), médecin de l'asile de Villejuif M Répoud (5) de l'asile de Mar-
(1) Forel Correspondens Blatte für Schweizr Acrate 15 Aug, 1887. (2) Revue de l'hypnotisme Nov. 1887,— Sept 1889. (3)ibid. Février, 1888
(4)ibid. Août, 1888 (5) Congrès d'hypnotisme, Paris, 1889
sens. à Faubourg (Suisse). MM. Luys (1),Séglas (2), Bleuler, de l'asile Rheinau et l'en passe des meilleurs.
Tous ces auteurs sont d'avis que la suggestion hypnotique doit être considérée comme une acquisition remarquable comme un agent thérapeutique précieux dans le traitement des nevropathies et des maladies mentales.
Quant aux indications de cette méthode thérapeutique les opinions sont divisées. Forci avance que l'aliène constitue le sujet le moins propre a être hypnotise et que dans la folie proprement dite la suggestion n'agit point puisqu'elle doit se servir du cerveau comme intermédiaire : or l'intermédiaire étant malade on ne peut s'attendre a son fonctionnement correct. Lui réussit-il parfois a endormir un aliéné, la suggestion resta impuissante a détruire la conception délirante. Une folle qui se figure être une autre personne, a réalisé la suggestion de dormir la nuit, d'avoir de l'appétit, même des hallucinations post-hypnotiques, mais du moment qu'on attaque sa conception délirante, clic secoue In tête — dans un sommeil très profond — comme pour dire qu'elle n'accepte pas cela. (3).
Les résultats obtenus par contre par M. Auguste Voisin qui a appliqué ces six dernières années la suggestion thérapeutique dans son service d'aliénés à la Salpctriére — résultats qu'il a communiqué dans la Revue de l'hypnotisme et au premier congrès de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique sont de beaucoup plus favorables. D'après cet auteur, il faut pour provoquer l'hypnose et pour obtenir la guérison par voie suggestive chez l'aliéné,de la patience et une persévérance considérables; le succès serait à ce prix seulement. Le docteur Voisin qui a su dépenser une somme de travail et de temps inoui pour atteindre ce but, a été plus heureux que M. Forci. Il a obtenu des guérisons ou a su améliorer des cas de dipsomanie. de folie morale, de manie mélancolique avec hallucinations, de manie aigûc et subaigue. d'habitudes vicieuses, de théleptomanie chez le dégénéré, même de folie luétiquc. La revue de l'hypnotisme a inséré vingt deux observations de ses malades: quelques-unes datent des 5 ans.dont la guérison ou l'amélioration à 3 exceptions près n'a pas depuis été démentie. (Août 1889, Congrès de l'hypnotisme).
M. Voisin a essayé l'hypnotisme sur toutes les aliénées Qui entrent dans son service et a été assez heureux d'en hypnotiser 10 0/0. Si l'on veut bien se rendre compte des difficultés multiples, de la mauvaise volonté, de la tromperie, de la moquerie, de l'impassibilité à fixer l'attention de la part du malade, il faut avouer que ce chiffre est très élevé.
Le docteur Répoud de Fribourg prétend être arrivé à un résultat égal.
M. Burckhard (voir la Revue de l'hypnotisme du mois d'Août 1888) a constaté des effets favorables dans l'hypocondrie. le délire de persécution avec mégalomanie et hallucinations, la mélancolie passive, dans une manie puerpérale très aigûe. Le médecin de la Charité, M. Luys, dans son livre déjà cité mentionne des améliorations obtenues par suggestion dans la paralysie générale; dans un cas de mélancolie aigûc avec hallucinations et idées de suicide la suggestion a favorisé manifestement la guérison. Particulièrement dans la dipsomanie, la psychothérapie suggestive semble appelé a un grand avenir. Les résultats décidés appuyés d'amples observations de Ladame et d'Auguste Voisin en sont la preuve évidente.
Déjà en 1885, au Congrès de Grenoble, le docteur Voisin a communiqué l'histoire d'un malade de 35 ans présentant régulièrement 3 fois par mois un accès de dipsomanie d'une durée de dix jours. La suggestion hypnotique appliquée deux fois pendant deux jours consécutifs a su supprimer les accès pendant deux ans. En 1887, quatre nouvelles guérisons; Voisin croit pouvoir conclure que dans ces cas la suggestion est toujours favorable du moment qu'on la fait avec méthode et la patience nécessaires. C'est également en 1887 que Ladame public une guérison de véritable dipsomanie et de deux cas d'alcoolisme chronique. Nottons en passant que depuis Esquirol, la dipsomanie fut considérée comme incurable.
« Mon excellent ami Foville,dit M. Voisin,m'avait a peu prés défié de guérir des dipsomancs par la suggestion hypnotique. »
(1) Luys.Leçons cliniques sur les principaux phénomènes de l'hypnotisme, 1890 (2) Archives de neroligie, Nov, 1885.
(3)Forel. Der Hypnotismus P.53
Ne faut-il pas convenir messieurs, maintenant que je vous rappelle ces belles cures que la thérapie suggestive est une acquisition précieuse pour la psvchiatrie ?
Un cas de perversion sexuelle innée traité et amélioré par la suggestion hypnotique a été communiqué par M. Ladame au congres de médecine mentale de 1889. MM. Kraft-Kbing et von Schrenk-Notzing ont publié des résultats analogues obtenus dans des cas de même nature.
Notre expérience personnelle de la suggestion appliquée dans des cas d'aliénation mentale proprement dite est minime, vous avez pu vous en apercevoir dans notre rêcente publication (1).
Rappelons ici un cas de délire de persécution sans hallucinations ni mégalomanie. La malade fut traitée par moi pendant environ 3 mois.
Hypnose peu profonde, effets de la suggestion peu persistants: un calme passager fut a peu près tout le bien qu'elle retirt de mon ministère.
Eh bien! un |Our que j'entrai incidemment chez elle, je la trouvai en proie à un de ses accès de furie — dans cet état elle vociférait, promulgant des injures pendant des heures entières — et je fus assez heureux de couper son accès en produisant le sommeil. Je réussi généralement a lui enlever ses maux de tète, des picotements dans les parties génitales, mais aussitôt que j'essayai de lui persuader que ces sensations n'étaient pas causées par une certaine personne qui la persécutait, elle ébaucha un sourire en secouant la tête, comme si elle voulait dire : « Qu'en savez vous? *
Elle a fini par être internée dans un asile d'aliénés.
Nous avons — M- van Renterghem et moi — été moins heureux dans le traitement de la mélancolie idiopathique que notre confrère M. de Jong de la Haye, qui rapporta quelques résultats favorables lors du Congres de l'hypnotisme.
Nous réussîmes au contraire, parfaitement à guérir l'état de lypémanie, d'hyperalgie psychique consécutif ou concomiïtant chez les névrasthéni-ques, les onanistes, tes impotents virils, dans nombre de psycho-névroses-
Les cinq observations produites dans notre Compte-rendu se rapportent a des folies avec conscience. Nous avons même cru d'abord que la psycho thérapie suggestive ne se trouverait plus indiquée au delà de la limite séparant la folie de la névrose.
Nous crûmes la suggestion impuissante ou simplement d'un effet palliatif, du moment que le malade croyait a la réalité de ses sensations subjectives, de ses hallucinations et qu'il trouvait ses idées noires motivées. Les résultats publies par le docteur Voisin cependant ont forcément su modifier notre opinion.
Toutefois notre expérience personnelle nous permet de signaler les obsessions intellectuelles, émotives et impulsives de Falret, les différents états anxieux : la claustro-l'agoraphobic, l'onomatomanie, la coprolalie et les états correspondants comme favorables a être traités par la thérapie suggestive. Le plus souvent ces malades, mêmes quand on ne réussit qu'à les mettre dans un état de somnolence, bénéficient la suggestion. La peur des espaces, celles de se trouver en voiture, en wagon de chemin de fer ,1a peur du suicide, de la folie, la syphiliphobic etc./ ont été guéris ou beaucoup améliorés. Si nous ne parvinmes pas toujours à déraciner complètement les idées maladives, nous réussîmes le plus souvent a rendre au malade son empire sur lui-même, à supprimer l'influence des obsessions mentales à réprimer les impulsions morbides.
Permettez-moi, messieurs, à la fin de ce court exposé, de formuler les conclusions suivantes:
1° La suggestion hypnotique ne sera appliqué que par les hommes légalement autorisés et suffisamment experts en science hypnologique. L'autorisation doit être accordé par l'État et réglé devant la loi.
2° Dorénavant la suggestion hypnoyique devra être classée comme agent thérapeutique dans le traitement des maladies mentales.
Différents orateurs, parmi lesquels les docteurs van Deyenter, Winkler, de
(1) Clinique de psycho-thérapie suggestive dirigée par les docteurs A. W van Renterghem c F. San Eeden. Compte-rendu des résultats obtenus etc.1889
Jong, Jelgersma, Tellegen prennent part aux débats et discutent le pour et le contre de la méthode suggestive. 1-? premier de ces orateurs propose enfin d'amender la première des conclusions de M. van Eeden et de ta lire ainsi:
« La société de psychiatrie de Hollande est d'acis que l'étude de la psycho-thérapie doit dorénavant faire partie de celle des science médicales. » Le docteur Kuisch propose à y ajouter cette sentence:
« L'application de la suggestion hypnotique par des personnes non autoriseés doit être considéré dangereuse et défendue. Le docteur van Eedrn ne s'opposant pas aux propositions ainsi amendées, elles sont soumises a l'approbation de rassemblée,
La première est acceptée à grande majorité 17 voix contre 4). la seconde est acclamée par l'unanimité de voix.
VARIÉTÉS
SOMNAMBULISME LUCIDE ET EXERCICE ILLEGAL DE LA MEDECINE
Condamnation pour escroquerie
Nous empruntons à la Semaine médicale l'intéressant récit suivant :
L'arrondissement de Nivelles Belgique] est infesté par une catégorie spéciale de charlatans qui, sous te nom de spirites, simulent le sommeil hypnotique et donnent, dans cet état, des consultations médicales.
L'an dernier déjà, l'un deux,un certain Blanpain. fut poursuivi pour exercice illégal de l'art de guérir et escroquerie; il fut condamné à 60 fr. d'amende du premier chef, et acquitté du second. Pour se mettre àl'abri d'une nouvelle contravention, il s'associa avec un docteur en médecine et il continue aujourd'hui sa lucrative industrie.
Il y a quelques mois, le maégnisé et le magnétiseur se brouillèrent; ce dernier, un nommé Vandevoir (Sylvain), ex-garçon épicier, ouvrit à son tour un cabinet de consultations sans médecin pour le couvrir, et, dés les premiers jours de son installation, il vit accourir une nombreuse clientèle ; d'après une déclaration faite au tribunal, on peut évaluer a une centaine le nombre journalier des consultants.
Voici quelle était sa façon d'opérer: imitant son maître et prédécesseur Blanpain, Sylvain Vandevoir se faisait endormir au moyen de passes par son beau-frére, Detrez, et c'est durant son prétendu sommeil magnétique qu'il traiiait les malades. Ces derniers n'avaient, au reste, pas besoin ne se présenter eux-mèmes : il leur était loisible de se contenter de l'envoi d'un linge tenu quelque temps au contact dr leur corps; Vandcvoir y voyait l'affection dont ils souffraient et prescrivait un remède approprié. Les prévenus m réclamaient jamais de salaire, ils acceptaient ce que les consultants leur offraient.
Mais, un beau jour, le parquet vint les interrompre dans leurs opérations. Espérant éviter la contravention, ils cherchèrent de suite un médecin, et ils trouvèrent un docteur, du nom de Carlier. qui consentit a couvrir de son diplôme cette exploitation, et baptisa l'établissement du nom d'Institut médico-magnétique..
Le parquet poursuivi quand même Vandevoir et Detrez,non pas pour exercice illégal de la médecine, mais pour escroquerie, la condamnation de ce chef étant beaucoup plus sévère que celle pour contravention à la loi sur l'art de guérir, qui n'entraîne en Belgique que 60 fr. d'amende, et chargea de l'exper-
tise M. le docteur Masoin, professeur de physiologie à l'Université de Louvain qui s'est distingue déjà par de nombreux travaux sur l'hypnotisme,et M. le docteur Schoofs (de Nivelles).
Des expériences auxquelles se sont livrés les médecins légistes, il résulte A l'évidence que Vandevoir simulait le sommeil magnétique. L'attitude de Vandevoir endormi rappelait grossièrement ta phase léthargique de l'hypnotisme ; ses membres soulevés retombaient inertes, mais il continuait à être en rapport avec le monde extérieur: il causait avec son entourage, il gesticulait; la sensibilité n'était pas abolie chez lui; il ne présentait aucun des phénomènes décrits par Charcot : ni hyperexcitabilité neuro-musculaire, m passage d'un état dans un autre ; pas d'automatisme ; au réveil il disait ne se souvenir de rien.
Le contre-expert, en la personne du docteur Carlier. se basant sur les théories de l'Ecole de Nancy, rejetait les preuves tirées de l'hyperexcitabilité neuro musculaire, de la sensibilité, de la relation avec le monde extérieur, de la transition aux divers états, comme sans valeur aucune. Mais, comme l'ont fait ressortir les médecins experts, ce en quoi il avait maladroitement éduqué son sujet, c'est en faisant se rencontrer chez lui à la fois des phénomènes ne se trouvant, les uns que dans les degrés inférieurs et, les autres, que dans les degrés les plus élevés de l'hypnose.
Interrogé quant à la faculté toute spéciale que possède son sujet qai m'a jamais étudié la médecine) de reconnaître les maladies, soit sur les patients eux-mêmes, soit en palpant des linges portés par eux, il cherchai l'expliquer par l'exaltation extraordinaire des sens que confère l'hypnotisme. Mais les témoignages de nombreux malades traités, et les expériences faites parles médecins légistes démontrèrent qu'il était dons les habitudes de Vandcvoir de se tromper quant au diagnostic. C'est ainsi qu'une fistule a l'anus était traitée pour une bronchite ; un accès pelvien pour de l'albumic (sic) ; une affection cardiaque pour une eau sur les nerfs ; une épilepsic pour une affection de la lurette (sic).
Les experts lui présentèrent des linges portés par les malades atteints l'un, d'entérite chronique, et l'autre, de laryngite chronique; les diagnostics posés par Vandevoir furent emphysème et maladie de l'irlette (sic). Ses prescriptions, avant l'arrivée du docteur Carlier. étaient à la hauteur de ses diagnostics. Depuis l'entrée d'un médecin dans l'association, elles étaient très correcte s; mais le médecin se bornait à les écrire sous dictée et à les signer; le diagnostic continuait A être posé par Vandevoir. Ajoutons qu'on ne réclamait jamais de salaire, et qu'on acceptait ce que les consultants offraient
Au cours de sa déposition, M. le professeur Masoin a stigmatisé, au nom du Corps médical belge, la conduite d'un médecin qui déshonore son diplôme en s'associant A des escrocs pour couvrir leurs tripotages.
Le Procureur du roi, de son cité, a annoncé publiquement que le docteur Carlier serait déféré aux tribunaux comme co-auteur de cette es croquerie.
Gain de cause est resté cette fois au ministère public. Le tribunal de Nivelles, par un jugement rendu le vendredi 2 mai, considérant la prévention d'escroquerie comme suffisamment établie, a condamné les prévenus Vandevoir et Detrez. chacun A six mois de prison .
L'action judiciaire contre Vandcvoir et Detrez ayant commencé avant l'arrivée du docteur Carlier dans l'association, ce dernier n'était pas c mpris dans l'affaire; mais de nouvelles poursuites sont dejà exercées A l'égard des prévenus, y compris cette fois le docteur Carlier, pour les infrections postérieures à l'entrée de ce médecin dans l'association. Nous ferons connaître plus. tard le jugement que rendra le tribunal dans cette nouvelle aflaire.
CHRONIQUE ET CORRESPONDANCE
Délire Electrique
On signale aux Etats-Unis une singulière influence de la généralisation de l'emploi industriel de l'électricité:
« Il n'entre presque plus dans nos asiles, dit un des patriciens les plus distingués, de persécutés attribuant leur malheur au diable ou aux esprits : presque tous actuellement se déclarent poursuivis par quelque nouvelle invention électrique, par quelque machine à éclairs, etc. .etc.» Il est encore une autre classe des persécutes électriques qui méritent d'être signalés, ce sont ceux qui croient avoir subi un choc électrique et qui simulent dehors les symptômes les plus variés, convulsions, tremblement, etc. Leur nombre est grand en Amérique.
Erratum
Dans la livraison d'avril, la note 2. de la page 312. de l'article de M. le Dr Ladame, devait être suivie de N. D. L. R. Cette indication ayant été omise par suite d'une erreur typographique, nous nous empressons 3e faire la rectification qui nous est demandée à ce sujet.
Mutisme hystérique et suggestion
M. le docteur Charazac (de Toulouse], relate 1'observation d'une jeune fille de dix-huit ans, atteinte de mutisme à ta suite d'une vive douleur éprouvée pendant un mouvement brusque quinze jours après l'ingestion d'une aiguille. Le mutisme, comme il arrive fréquemment, se produisit chez elle a titre d'accident hystérique mono-symptomatique- La malade était persuadée que le mutisme était déterminé chez elle par l'aiguille avalée, logée, d'après elle, au niveau de l'hypochondre gauche, où elle éprouvait une vive douleur. La suggestion pendant le sommeil hypnotique rendit la parole à la malade pendant deux tours, mais l'aiguille et la douleur, suivant elle, n'étaient que déplacées, Une seconde fois, la malade étant endormie, l'orateur fit une injection hypodermique de morphine au point douloureux; la douleur disparut pour ne plus revenir et, depuis lors, la malade n'a plus éprouvé de rechute.
BIBLIOGRAPHIE
E. mason. COUP D'OEIL SUR L.'ASSI STANCE DES EPILEPTIQUES EN BELGIQUE ET DANS LES PAYS ETRANGERS. — Rapport présenté à l'académie royale de medecins Belgique dans la séance du 30 novembre 1887
Dans ce savant rapport M. Masoin passe toutes les principales puissances en revue et il reconnaît qu'il n'y a guère qu'en Suisse, en France, en Angleterre, en Hollande et en Allemagne que les épileptiques aient les asiles spéciaux. Il décrit comme un des mieux organisés l'asile de la Treppe dans la brome contenant deux cent trente toute malades qui forment une espèce de colonie.
M. Masoin regrette qu'en Belgique il n'y ait pas d'asiles de ce genre. On rte peut pas laisser les épileptiques sans surveillance, tout le monde le recon-nait, un ne peut pas non plus les placer dans les hôpitaux où ils seraient dangereux pour les autres malades, ni dans les asiles d'aliénés puisqu'ils ne sont pas aliènés. Le rapporteur conclut en demandant l'organisation pour les èpi-leptiques d'une espèce de colonie où ils seraient soumis au régime végétarien qui, selon Dujardin-Beaumetz, leur serait très favorable.
L'hospitalisation des épileptiques est une des plus graves questions qui puissent préoccuper actuellement le corps médical.Nous reviendrons prochainement sur l'important travail de M. le professeur Masoin.
NOUVELLES
Académie de Médecine. — Notre émirent collaborateur. M. le professeur . Lacassagne vient d'être elu membre correspondant de l'Académie de médecine de Paris. Nous toi envoyons toutes nos félicitations
Cliniques des maladies nerveuses — M. le docteur Bérillon. fait tout les samedis, de dix heures à onze heures 1/2 du matin à la clinique des maladies nerveuses, 55 rue Saint-André des Arts, une leçon pratique sur les applications de l'hypnotisme. Ces leçons sont exclusivement destinées aux médecins et aux étudiants en médecine.
Congres annuelle d'allenation mentale. — Nous rappelons à nos lecteurs que ce Congres aura lieu a Rouen, du 4 au 8 août. Le programme comprend : 1° Questions de pathologie mentale. Relation de la paralysie générale et de la syphilis. — 2° Question de médecine légale. — Le projet de révision de la loi du 30 juin 1838.— 3° Mémoires présentes par les membres du Congres. - 4° Visite des asiles d'aliénés de la Seine-Inférieure. — Les adhésions sont reçues par M. le Dr Giraud, directeur-médecin de l'asile Saint-Yon. par Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Intérieure).
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL
(Nous invitons nos lecteurs à compléter par leurs indications, les lacunes de cet index).
KRAFT-EBING : Du traitement par 1'hypnotisme. Wien. mel. Presse, n°29. p. 1185.
KURELLA : Théorie de l'hypnose et de l'hystérie (Cent. f. Nervenb. Juin 1889).
LEVILLAIN : Considérations générales sur les applications de la méthode psycho-physique à l'étude de l'hypnotisme (Congrès de I'Hypnotisme)
LLOYD-TUCKEY: Un cas d'ataxie locomotrice (tabes dorsalis) traité par l'hypnotisme et la suggestion. (Congrès de l'hypnotisme)
MAGNIN ; Des Des effets opposés déterminés par un même agent physique - épileptiquc hypnotisable. (Congrès de l'hypnotisme).
MARCEL BRIAND : Notes pour servir à l'histoire de la thétrapeutique par suggestion hypnotique. (Congrès hypnotisme).
HENDEL: De l'hypnotisme en thérapeutique (Berlin klin. Woch. pr 504. Juin 1889 NONNE Sur l'hypnotisme (id).
POIRAULT ET DEZEVIECKI :Observations d'hyperaculté visuelle, auditive et tactile chez
un sujet hypnotisés. (Congrès de l'hypnotisme)
RINGIER : Quelques remarques sur l'hypnotisme. Corresp. Blatt f. schweizer Aertze. n° 10. p. 490. 18 août 1889.
ROSSOLYMO : Un cas d'oliguris hystérique guéri par la suggestion hypnotique. (Revue générale de clinique n° 39 1889. .
VAN RENTERSHEM ET VAN EEDEN: clinique de psychothérapie suggsetive d'Amsterdam. Compte rendu des résultats obtenus pendant La première période bis-annuelle 1887-1889 (Comptes-rendus du congrès d'Hypnotisme in 8° Doin Paris 1890).
VELANDER : Un cas de mutisme mélancolique guéri par suggestion. (Congrès de l'hypnotisme).
VON CORVAL : De la suggestion hypnotique. Berlin. klinik. Woch. n°31 p. 750. Août 1889.
VON SCHRENCK-NOTZING: Un .cas d'inversion sexuelle améliore par la suggestion hypno-que. (Congrès l'hypnotisme).
ZIEMMSEN : Les dangers de l'hypnotisme. Munch, med. Woch. n° 31 juillet 1889
L'Administrateur-Gérant: Émile BOURIOT
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
Abus de la morphine (de l'), 126.
Accès de mélancolie chez une dégénérée (guéris par suggestion), par Roubi-nowitch, 244.
Accidents hystériques chez une femme à la suite d'hypnotisations pratiquées par un magnétiseur, par Charcot. 3.
Action suggestive des milieux pénitentiaires sur les détenus hystériques, par E. Laurent, 129.
Activité automatique, 17.
Activité normale (formes inférieures de l'). 14
Adhérents français du Congrès de l'hypnotisme, 74.
Adhérents étrangers du Congrès de l'hypnotisme, 77.
Affaire Chambige (opinion de M. Bern-heim sur l'), 295.
Affections cum materià du système nerveux (la suggestion dans les), par Fon-tan, 134.
Alcooliques responsabilité des), par Motet: 62.
Alcoolisme (hérédité et), par Legrain, 284.
Aliènes (nouvelle législation sur les), 318.
Aliénés traités dans les familles, 224
Agraphie (un cas d'), 220.
American society for sosychical research, 318.
Amnésie rétroactive dans le sommeil provoqué, par Bernheim, 12.
Animaux l'hypnotisme chez les., par Danilewski, 92.
Anthropologie criminelle (Congrès de l') . par Emile Laurent, 83
Anthropologie criminelle (les études d'), 96
Application chirurgicale de l'anesthésie somnambulique, 26
Application de la suggestion à la pédiatrie et a l'éducation mentale des entants vicieux, ou dégénérés, par Bérillon. 153.
Asiles d'attente pour les aliénés, 148
Asphyxie locale des extrémités chez un hystétique, par Burot 197.
Association internationaIe d'hypnologie, 89.
Assolement dans l'éducation (l'), 191. Ataxie locomotrice, traitée par suggestion 137.
Attaques de sommeil,241.
Audition colorée (de l'). par Grüber. 94.
Autographisme et stigmates, par Mesnet, 321.
Auto-hypnotisme et auto-suggestion, par Coste de Lagrave, 161.
Automatisme ambulatoire chez un hystérique, par Proust, 267.
Automatisme psychologique, par André La-lande 363.
Auto-suggestion en médecine légale (de l'). par Burot. 170.
Brûlure provoquée par suggestion, par Ribalkin, 361.
Catalepsie (utilité de la . 349.
Cécité verbale (un cas de), 220.
Cerveau de M. Gladstone ,(1e), 317.
Chloraformisation avant la suggestion, 196.
Clinique de Psycho-thérapeutique suggestive d'Amsterdam, par Van Renler-ghem et van Eeden, 84.
Comité d'organisation du Congrès de l'hypnotisme, 22.
Communication de M. Mesnet a l'Académie de médecine, 315.
Concours relatif à l'hypnotisme.
Congrès de psychologie physiologique. 25, 90.
Congrès international de l'alcoolisme. 62. Congrès international de l'hypnotisme.
22, 56, 74. 105. 192. Congrès international de l'hypnotisme le .
par Bérillon, 33 Congres internationaux de l'Exposition.
(les), par P. m., 63. Congrès médical international de Ber-
lin, 316.
Contractures hystériques (l'hypnotisme et les), par Dumontpallier, 29.
Cours d'hypnotisme à l'école pratique, 314.
Criminalité en Allemagne (la) 126
Criminalité (Influence des milieux sur la). par E. Laurent. 176.
Criminels (suggestion chez les), par E. Laurent, 46.
Crime en pays créoles (le), par Corre, 285. Détenus hystériques (action des milieux
pénitentiaires sur les), 129 Discours de M. Dumontpallier au congres
de l'hypnotisme. 79. Ébriété de la joie subite (l'). 138 Éducation par un sens unique (l');. 63. Éducation mentale des enfants vicieux ou
dégénérés, 153
Étude statistique sur les hallucinations, 93.
Enfants jouant à l'hypnotisme. 11.
Entants séquestrés dans un but scientifique. 316.
Enquête sur les hallucinations (une). 03.
Épilepsie procursive, par Ladame. 190.
État mental d'un homme arrêté pour avoir coupé des nattes de cheveux i des femmes, par Motet.247.
table des matières
Études médico-légales (les), 348. Étude-médico-sociale sur le nez, 122. Exercice illégal de la médecine, 377. Exercices immodérés de l'esprit, 221. Expériences d'hypnotisme à l'Hôtel-Dieu
de Paris, 350. Expertises médico-légales (des), 185. Extraction d'une loupe, pendant le sommeil hypnotique, par Fort, 143.
Familles (du traitement des aliénés dans
les), par Féré, 334. Folie de Mohammed Toghlak sultan des
Indes (la), traduit par Bérillon 207. Folie du doute simulant la crampe des
écrivains, 249. Folie meurtrière, 318. Formes inférieures de l'activité normale,
par Pierre Janet, 14. Foudre (accidents nerveux provoqués par
la), par Charcot, 156. Fous en liberté (les). 191. Fous et l'hypnotisme (les) 188.
Cabrielle Bompart (opinion des médecins sur l'état mental de) 227, 266.
Genèse des idées délirantes par auto-suggestion, par Legrain, 301.
Goût (suggestion dans le developpement du), 355.
Grande hystérie, 37.
Grande hystérie et grand hypnotisme,434. Guérison de certaines maladies opérées par
des saints. 223. Guérisseurs (singuliers), 383.
Habitudes phénomènes d'), 17.
Hallucination collective de la vue, 124.
Hallucinations rétroactives dans le sommeil naturel ou artificiel, par Bernheim, 168.
Hallucination rétroactive. 493.
Hallucinations (une enquête sur les),63,91.
Hémiplégie traitée par suggestion, 135.
Hérédité (de l'), par Gallon, 93.
Hoquet datant de six mois guéri par suggestion, par Burot, 55
Hygiène à l'Ecole, par Collineau, 39.
Hyperacuité visuelle, auditive, tactile. 143.
Hypnose spontanée cas remarquable d'). par Bonamaison,, 234.
Hypnotisation forcée et contre la volonté arrêtée du sujet, par Herrero, 193.
Hypnotisme au Conseil municipal de Paris
Hypnotisme à la Sorbonne (l'), 26.
Hypnotisme appliqué (l') la politique, 38.
Hypnotisme et la presse (l'), par A. Pressat, p. 225
Hypnotisme et ta psychologie physiologique (l') . par Edg. Bérillon. 1.
Hypnotisme et médecine légale, 330.
Hypnotismus (der). par Albert Moll, 30.
Hystérie et hypnotisme, 370.
Hystérie mentale, 43.
Hystérie monosymptomatique, 38. Hystérie d'origine toxique, par Collineau,
31, 72
Hystérie suggestion dans le traitement de
l'), par Bérillon. 35, Hystérie vulgaire, 40.
Indications de l'hypnotisme dans le traite-ment des maladies mentales,par A. Voisin,
Influence de l'éducation et des milieux sur la criminalité, 176.
Influence de la suggestion sur certains troubles de la menstruation, par Gascard, 100.
Interdiction de l'hypnotisme aux médecins
militaires (l') par Bérillon, 344. Interdiction de l'hypnotisme aux médecins
de la marine, 349. Interdiction des séances publiques d'hyp-
notisme, 696. Interdiction des séances de magnétisme et
d'hypnotisme (encorel), par Ladame, 309 Intervention des pouvoirs publics dans la réglementation de l'hypnotisme, par
Ladame, 82. Inversion sexuelle améliorée par la sugges-
tion hypnotique.par Schrenk Notzing, 172 Inversion sexuelle chez un dégénéré, traitée par suggestion, par Ladame, 67. Ivresse (une nouvelle), 317.
Joie subite (ébriété de la), 158 Jurisprudence criminelle, par Liégeois, 186. Jurisprudence la suggestion dans ses rapports avec la), par Liègeois, 158.
Laura Bridgman (le cas de), 27.
Leçon clinique à l'Hôtel-Dieu, par M. Du-
montpallier, 281. Léthargie (un cas de), 221. Loupe (extraction d'une), 142. Lypemanie anxieuse avec gémissements.
guérie par la suggestion, par A. Voisin,
202.
Magistrats (l'hypnotisme et les), 315
Maladies mentales indications de la suggestion dans les), par A. Voisin. 149.
Malpropreté facultative (la) ,par Galippe. 319.
Manie hypnotisante active, 10.
Mariage nouvelle réglementation du), 254.
Matériel de la faculté du langage, 6,
Médecine clandestine, 282.
Médecine légale, auto-suggestion en), 170,
Médecine militaire (l'hypnotisme et la), par Bérillon, 257.
Méfaits de magnétiseurs, 253.
Mélancolie des dégénérés (la) par Legrain,
Mémoire (acuité anormale de la), 170. Ménageries hypnotisme et), 225, 254. Menstruation (influence de la suggestion sur la), par Giscard. 100.
Méthode dans les sciences médicales, 351, Mohammed Toghlak (la folie de), 205. Morphine (de l'abus de la,, 126. Myélite chronique traitée pat suggestion, 136.
Mutisme mélancolique guéri par sugges-tion, par Vélander, 175.
Nécessité d'interdire les séances publique» d'hypnotisme, par Ladame,84.
Nez (étude médico-sociale sur le), 122.
Neurasthénie grave traitée avec succès par la suggestion hypnotique, par Bérillon, 336.
Nutrition dans l'hystérie et dans l'hypnotisme (de la) par Gilles de ta Tourelle et Cathelineau. 338.
Observation d'hyperacuité visuelle, auditive et tactile chez un hypnotisé, par Poirault et Drzeviecki, 143.
Obssession intellectuelles, émotives et instinctives, par Falret, 97.
Œdème bleu des hystériques reproduit expérimentalement par suggestion, par Charcot, 353
Odorat [suggestion dans le développement
Opération chirurgicale pratiquée dans l'état d'hypnotisme, par E. Wood 246.
Paralysie organique, traitée par sugges-tion. 140.
Paraplégie hystérique, traitée par suggestion. 140. Passion (la). 18.
Pédiatrie (application de la suggestion à
la),153.
Présidents d'honneur du Congrès de l'hypnotisme. 74. Problème de la vie (le), 256. Programme du Congrès de l'hypnotisme, 61. Puel (le docteur), nécrologie, 255 Questions a résoudre, 252,
Réaction (suggestion et), 231. Recherches thérapeutiques sur la suggestion dans l'École autrichienne, par E Berger, 278.
Règlement duCongrés de l'hypnotisme, 23
Réglementation de l'hypnotisme, 82.
Responsabilité dans les états hypnotiques, par Liégeois, 184
Réveil d'une mélancolique en état léthargique, par P. B , 277.
Rôle de la suggestion dans le développement du goût et de l'odorat, par E. Lau-tent, 355.
Roman d'une hystérique (le), par Grasset,
270.
Séances publiques d'hypnotisme (les, 63 Séances publiques d'hypnotisme nécessité
d'interdire les,226. Sens musculaire (le), par Gley. 93. Sexes (lois qui président à la création des).
330.
Simulation dans l'hypnotisme. 276. Société contre l'abus du tabac, 317. Société de médecine légale, 347. Société de psychiatrie de Hollande, 370. Somnambule (prescription d'une) , 125. Somnambulisme devant l'église (le), 351 Somnambulisme lucide, 377-Sommei! anesthésie, chlorformique pendant le;. 135. Sorcellerie, 190.
Souide-muette célèbre (une), 27.
Statistique du Congrès de l'hypnotisme, 222.
Statistique intenationale sur l'application de l'hypnotisme, 250
Statue d'Henri Bouley, à Alfort (la), 95.
Stigmales hystériques, 283.
Suggestibilité (valeur relative des procédés destinés à augmenter la), par Ber-nheïm, 105.
Sugesstion chez les criminels (de la), par Laurent. 46.
Suggestions criminelles (le), par Bemheim, 260, 293.
Suggestions criminelles, par Liégeois, 184.
Suggestion dans les affections cum materia du système nerveux, par Fontan. 134,
Suggestion et du somnambulisme dans leurs rapports avec la médecine légale, par Liégeois. 345.
Suggestion et réaction par p. Burot, 231.
Suicide chez le vieillard, 284.
Tabagique (hystérie), par Gilbert, 155.
Tarot des bohémiens (le), 256.
Tatouages (les) . par Variot. 284.
Terminologie dans les questions d'hypnotisme, par Ch. Richet 90.
Thérapeutique par suggestion hypnotique, par Briand, 139
Valeur de la suggestion dans le traitement
de l'hystérie, par Bérillon, 35 Valeur relative des divers procédés destinés à
provoquer l'hypnose, par Bernheim. 103. Vétérinaire .hypnotisme . 330. Violence mécanique l'hypnotisation par ,194 Visite a l'asile de Villejuif ('Congrès de
l'hypnotisme . 116. Visites l'hospice de la Salpétrière(Congrès
de l'hypnotisme),.121. Vomitif révéleteur (un), 105.. Vue (hallucination collective de la), 124.
FIGURES CONTENUES DANS LE VOLUME
Asphyxie locale des extrémités. — Traces sphygmographiques, 190 et 200. Autographisme et stigmates. Fig. 1, 2; 323. Fig. 3, 327. Brûlure obtenue par suggestion, 362
TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS
Ball, 189. Ballet, 156, 348.
Bérillon, 135, 151, 153, 205, 253.
314, 336,342.
Bernheim, 12, 103, 145. 148. 168, 260.
293, 350. Berger (Emile), 278.
Boelman, 330.
Bonamaison. 234.
Bourdon, 144.
Briand, 117, 119, 139.
Brouardel.
Burot. 55. 170, 177, 331.
Cithelineau. 338. Charcot. 3, 137, 353 Cleisz, 350. Collineau. 29, 51, 72. Corre, 284.
Coste de Lagrave, 161. Coutagne, 89.
Danilewiki, 93. Descouls, 126. Dessoir (Max.). 31. Drzzewiecki, 143. DumontpaIlier, 79, 148, 381. 389.
Ecden (Van), 84, 370 Ernoul, 283.
Falret,97. Féré, 224. Ferri, 87. Fontan, 134. Fort, 14.
Forel, 144, 151, 252.
Calton, 92. Catofalo, 86. Cascard, 100. Cley, 93. Gilbert, 133.
Gilles de la Tourette, 144, 318. Gouzer, 256. Grüber, 94. Grasset. 188, 270. Guermonprez, 148. Guyau, 191.
Hamel (van), 88. Herbette, 95. Hément (Félix),. 154, Howes. 27.
Herrero (Abdon Sanchez), 193
Irelandw. 205.
Janét (Pierre). 14, 26,91, 148,.368 Kraft-Ébing, 378.
I.acassagne, 86.
Ladame. 65, 82, 190, 309.
Lalande (André), 363.
Laurent (Émile),46, 85, 176, 129,345, 355.
Laschi, 89.
Legrain, 283,301.
Letulle, 156.
Levillain, 153.
Liégeois, 283, 301.
Lloyd-Tuckey, 254
Lombroso, 85.
Lowentrul, 351.
Lutaud, 126.
Magnan. 87, 250 Magnin (Paul), 31. Manouvrier. 85. Marillier, 91. Masoin. 121, 378. 379. Morel, 95 Mesnet, 315, 321. Moll, 30
Motet, 62, 247, 348.
Ottolenghin, 86.
Papus, 356.
Poirault, 143.
Pressat (André), 225.
Proust, 267.
Puteaux (Lucien), 117.
Renterghem (van), 84, 122
Repoud, 152.
Ribot. 90
Richet (Ch.), 90.
Roth.,146.
Roubinowitch, 244.
Rybalkin, 361.
Sciammana, 86.
Schrenek Notzing (von), 172. 250. Séglas, 249. Semai, S8.
Tarde. 87. Thivet, 282. Tillatix, 26. Tokarski, 154.
Variot, 284. Velander, 176.
Voisin (Aug.). 121, 149. 152, 202. Wood (Ed.), 246.
paris. — imprimerie clamaron-graff, 57, rue vaugirard