(1887) Revue de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique, Tome 2
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(1887) Revue de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique, Tome 2

REVUE

de

L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

Paris. — imprimerie charles dlot, rue bleue, 7.

DEUXIÈME ANNÉE

L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL & THÉRAPEUTIQUE

Paraissant tous les mois

91498

PSYCHOLOGIE - PÉDAGOGIE- MÉDECINE LÉGALE MALADIES MENTALES ET NERVEUSES

Rédacteur en Chef : Docteur Edgar BERILLON

PRINCIPAUX COLLABORATEURS:

MM. les Docteurs AZA M, professeur à II Faculté de Bordeaux; BARETY (de Nice) ; DE BEAUVAIS, médecin de Mazas; BERNHEIM. prof, à la Faculté de Nancy; BOURRU, prof, à l'Ecole de Rochefort J. BOUYER(d'Angouleme); BRÉMAUD(deBrest); BUROT, prof.à l'Ecole de Rochefon CHARCOT, prof, à la Faculté de Paris, membre de l'Institut; CHILTOFF (de Kharkoff) ; COLLINEAU ; W. DEKHTEREFF (de ST-Pétersbourg); L. DÉRICQ; DESCOURTIS ; DUMONTPALLIER, medecin de l"HôteI-Dieu ; Eug. DUPUY; A. FOREL (de Zurich); FRAENKEL (de Dessau); HACK TUKE (de Londres); GRASSET, professeur a la Faculté de Montpellier W. IRELAND (d'Edimbourg) ; LACASSAGNE, professeur à la Faculté de Lyon

LADAME, privat-docent à l'Université de Genève ; LIÉBEAULT (de Nancy); LUYS, membre de l'Académie de médecine, médecin de la Charité; MESNET, médecin de l'Hôtel-Dieu ; MA BILLE, médecin en chef de l'asile de Lafond ; Paul MAGNIN; J. OCHOROWICZ;

L. TETARD ; Aug. VOISIN, médecin de la Salpetrière, etc ; et MM. LIEGEOIS, professeur à la Faculté de droit de Nancy; Paul COPIN; CHARBONNELLE, vétérinaire en 1er ; DELBŒUF, prof, à l'Université de Liege ;

Felix HEMENT, inspecteur général ; Pierre JANET, agrégé de l'Université : A. NICOT; DE ROCHAS; Emile YUNG. prof, à l'Université de Genève; etc.; etc.

le numero : 75 cent.

PARIS

RÉDACTION . ADMISTRATION

40 bis, rue de Rivoli. 170, rue Saint-Antoine

1888

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET HÉRAPEUTIQUE

DE LA MÉTHODE DANS L'ETUDE DE L'HYPNOTISME

Dans le cours de l'année qui vient de s'écouler, la Revue de l'Hypnotisme, admirablement secondée par le zèle et le talent d'éminents collaborateurs, s'est efforcée d'enregistrer, de la façon la plus impartiale, tous les travaux accomplis, pendant la même période de temps, dans le domaine de l'hypnotisme. Nos lecteurs ont pu se convaincre que nous avons strictement suivi le programme scientifique que nous nous étions tracé dès le début.

Aujourd'hui, nous croyons que cette publication a pleinement justifié sa création en démontrant à tous les esprits, non prévenus, que, dans la science de l'hypnotisme, en dehors des attraits d'une vaine curiosité, il y a un côté véritablement utile.

Jusqu'ici, il n'a pas été trouvé de procédé d'investigation psychologique d'une plus grande sûreté et d'une plus grande valeur. Chaque jour la clinique et la thérapeutique élargissent le champ des applications qu'elles y trouvent. L'étude de l'hypnotisme a permis aussi de jeter les bases d'une nouvelle médecine morale dont les effets ne tarderont pas à être justement appréciés.

Au dernier Congrès de l'Association française à Nancy, la suggestion hypnotique, envisagée sous un nouvel aspect, a pu être utilisée au point de vue pédagogique.

En remettant en question le grave problème de la responsabilité humaine, l'hypnotisme s'est imposé à l'attention des médecins-légistes et des magistrats. Il faut désormais s'attendre à voir à chaque instant discuter, devant les tribunaux, sur des faits qui relèvent de la suggestion, de l'inconscience, du somnambulisme.

Ajoutez à cela les nombreux délits de médecine illégale qui ne peuvent manquer de résulter de l'exploitation, sous des noms divers, de l'hypnotisme et de la suggestion par des empiriques et des charlatans, et on pourra se rendre compte des côtés multiples sous lesquels peut être utilement envisagée la question.

Psychologues, médecins, pédagogues, magistrats, avocats, penseurs, tous trouveront leur compte dans l'étude de l'hypnotisme. Par le nombre des faits scientifiquement observés que nous avons pu grouper en une seule année, on peut juger de l'ample moisson qui reste à recueillir.

Il y aurait injustice à ne pas reconnaître que c'est â la méthode rigoureuse inaugurée par M. le professeur Charcot, que l'on doit

d'avoir pu dissiper tant de ténèbres et réalisé des progrès aussi rapides.

Les principales règles de cette méthode ont été notées par M. le docteur Paul Richer, dans ses Etudes cliniques sur la grande hystérie, qui constituent un véritable monument destiné a marquer l'entrée de l'hypnotisme dans l'enseignement officiel.

On ne saurait trop rappeler ces règles dont un expérimentateur ne saurait s'écarter sans courir le risque de s'égarer dès le début de ses recherches. Elles sont les suivantes :

1° Choisir comme matière de l'expérimentation des sujets dont les conditions physiologiques et pathologiques parfaitement connues soient les mêmes ;

2° Soumettre les diverses conditions expérimentales a un déterminisme rigoureux ;

3° Procéder du simple au composé, du connu à l'inconnu ;

4° Se mettre en garde contre la simulation, en recherchant partout et toujours, mais particulièrement dans les phénomènes d'ordre psychique, le signe physique facile à constater et qui, par sa nature même, devient un critérium certain et une preuve indiscutable de la réalité des faits observés ;

5° S'attacher surtout aux cas simples, c'est-à-dire à ceux dans lesquels les différents phénomènes apparaissent avec le plus de netteté et plus isolés les uns des autres;

6° Rechercher, suivant la méthode des nosographes. à classer les divers phénomènes en séries naturelles, de façon à établir dans ce grand groupe de faits réunis sous le nom d'hypnotisme, plusieurs subdivisions.

Ces règless'appliquaient aux formes si caractéristiques de l'hypnotisme qu'on observe dans le cours des manifestations de la grande hystérie et qu'on a désignées assez justement sous le nom de grand hypnotisme.

Depuis lors, l'Ecole de Nancy, en l'étendant à un grand nombre de sujets qui ne présentent aucun des stigmates de l'hystérie et surtout en faisant ressortir le rôle prépondérant de la suggestion dans la production des phénomènes somnambuliques, a nécessité d'élargir les bases de la méthode par l'adjonction de nouveaux préceptes.

Ces préceptes, nous les trouvons formulés aussi clairement que possible dans le travail de M. le professeur Beaunis sur le Somnambulisme provoqué :

1° Ne jamais endormir qu'avec le consentement formel du sujet, et toujours en présence d'un tiers autorisé;

2° S'enquérir auparavant si le sujet est atteint d'accidents nerveux et de la nature de ces accidents. Même précaution pour les troubles circulatoires et, dans ce cas, si l'on n'est pas médecin, n'essayer l'hypnotisation qu'après avoir pris l'avis d'un médecin, compétent;

3° Faire bien sentir au sujet qu'il n'y a aucun danger et le rassurer d'une façon absolue. S'il laisse paraître la moindre appréhension, ne pas insister et attendre une autre occasion;

4° Ne faire de suggestions qu'avec le consentement formel du sujet, et éviter toute suggestion triste, douloureuse, désagréable ou terrible, etc., etc.

Ce ne sont pas là les seules recommandations que l'expérimentateur doive toujours avoir présentesà l'esprit. Il ne doit jamais perdre de vue que la première des manifestations de l'hypnose chez un sujet n'est souvent que le développement d'une aptitude spéciale à l'automatisme et à la suggestibilité : « Mèfiez-vous de la suggestion. » Tel est le conseil sur lequel insiste avec raison M. le professeur Bernheim.

Il faut tenir aussi le plus grand compte de l'extrême facilité avec laquelle se fait l'éducation expérimentale du sujet. Dès la première séance, il est rare que l'expérimentateur n'imprime pas au sujet des habitudes et une allure spéciale qu'il conservera pour ainsi dire indéfiniment.

En se conformant rigoureusement à ces règles, si l'expérimentateur a acquis les connaissances physiologiques et médicales nécessaires pour entreprendre des recherches rationnelles, s'il y joint le tact et la prudence particulièrement indispensables dans des matières si délicates, il saura éviter tous les dangers qu'on impute assez fréquemment à l'hypnotisme.

On ne s'improvise pas plus médecin hypnotiseur qu'on ne s'improvise oculiste.

Nous avons pu nous assurer que la plupart de ceux qui n'ont eu à enregistrer que des insuccès ou des accidents, le doivent uniquement à leur défaut de méthode, à leur inexpérience et à leur incompétence.

Entre les mains d'un maladroit, d'un brutal ou d'un ignorant, il est naturel que l'hypnotisme devienne aussi dangereux que peuvent l'être la digitale et l'opium entre les mains d'un empirique.

Quant à la simulation tant de fois invoquée pour discuter les résultats des expériences, nous n'hésitons pas à déclarer que. selon nous, l'écueil réside bien moins dans la simulation consciente ou inconsciente du sujet, toujours facile à déjouer, que dans les idées préconçues de l'expérimentateur.

Nous voudrions aussi qu'on fût moins prompt à ranger dans le cadre des faits scientifiques un grand nombre de faits qui ne méritent pas cette qualification.

En hypnotisme, comme dans toute autre branche des sciences biologiques, il faut bien se convaincre que, selon la parole d'un de nos maîtres les plus éminents : « Il n'y a science que là où s'est faite une lumière définitive qui illumine les moins clairvoyants. »

Docteur Edgar Bérillon.

DES HALLUCINATIONS RÉTROACTIVES PROVOQUÉES SANS HYPNOTISME ET DES FAUX TÉMOIGNAGES

Par M. le Dr BERNHEIM

professeur a la faculté de médecine de nancy

Dans mon livre sur la suggestion, j'ai, le premier, appelé l'attention sur les hallucinations rétroactives provoquées.

Je désigne sous ce mot des images souvenirs suggérées de scènes et d'événements auxquels les sujets croient avoir assisté, bien que ces événements n'aient jamais existé.

On peut suggérer à certaines personnes qu'à un moment déterminé, elles ont vu tel fait, commis tel acte, dont l'image évoquée dans leur esprit apparaît comme un souvenir d'image réelle qui les domine, au point qu'il est pour elles d'une incontestable realité.

Que de pareilles hallucinations puissent être déposées dans le cerveau pendant l'état hypnotique et persister à I état de veille, ceci, aujourd'hui, est accepté par tout le monde 1

Le fait que j'ai démontré et sur lequel je veux insister, c'est que certains sujets suggestibles peuvent, sans être hypnotisés, par simple affirmation, à l' état de veille, subir des hallucinations rétroactives. Ce qui se passe pathologiquement, disais-je, chez les aliénés qui se figurent avoir assisté à telle scène, commis tel acte, par exemple meurtri ou vol, et retracent tous les détails du crime dont ils croient avoir été acteurs ou spectateurs, peut être réalisé chez certaines personnes, par simple affirmation, avec une facilité effrayante.

L'idée des expériences que j'ai instituées pour établir ce fait m'a été inspirée par le procès de Tisza-Eslar. Plusieurs familles juives sont accusées d'avoir tué une jeune fille pour avoir son sang, et mélangé ce sang au pain sans levain de leur Pâque. Le fils du sacristain de la synagogue est interrogé par le juge d'instruction ; au bout de quelques heures, l'enfant avoue : son père a attiré la jeune fille à la synagogue; l'enfanta regardé par le trou de la serrure ; il a vu la scène de boucherie : il accuse son père. 11 maintient ses affirmations à l'audience ; en vain son père le conjure devant Dieu de dire la vérité : l'enfant a vu.

J'ai expliqué cette accusation monstrueuse de la part d'un enfant, qui, auparavant, n'avait pas témoigné de mauvais instincts, par l'hypothèse d'une hallucination rétroactive créée à son insu par le juge d'instruction dans un cerveau suggestible et suggestionné par l'émotion et la peur.

J'ai relaté, dans mon livre, quelques expériences qui montrent que cette hypothèse est vraisemblable.

Voici d'autres faits :

Joseph-François S..., jeune homme de 22 ans, a travaillé comme compositeur à l'imprimerie Berger-Levrault ; il entre dans mon service pour une sciatique datant de huit jours. Je reconnais qu'il est très hypnotisable, hallucinable, et suggestible à l'état de veille. En une séance, il est guéri par suggestion de sa sciatique.

C'est un garçon lymphatique, presque imberbe, ajourné au service militaire pour faiblesse de constitution. Toutefois, il est bien conformé et n'a jamais été malade ; il n'a jamais eu d'accès de somnambulisme spontané, ni d'autres manifestations nerveuses. II est assez intelligent et instruit ; honnête et laborieux, il a fait ses classes à l'école des Cordeliers ; pendant l'année 1882-83, il allait deux fois par semaine aux cours de chimie de l'Ecole supérieure; il travaille, comme compositeur d'imprimerie, depuis sept ans, et il gagnait, en dernier lieu, 3 fr. 5o par jour; il n'a jamais fait aucun excès, ni alcoolique, ni vénérien. Son père, cordonnier, a 60 ans et se porte bien, ainsi que sa mère, qui a le même âge; il a deux frères, forts et bien portants : une sœur aussi bien portante, forte, âgée de 29 ans, mère de trois enfants vigoureux. Il ne connaît aucune maladie nerveuse dans sa famille.

Le 21 mars dernier, M. le docteur Schmitt, professeur agrégé à la Faculté, étant dans mon service, je dis à S... (sans l'endormir et sans l'avoir endormi préalablement) : « Vous voyez ce monsieur, vous l'avez rencontré hier dans la rue, il causait avec plusieurs personnes. Comme vous passiez à côté de lui, il s'est approché de vous, vous a donné des coups de canne et a pris l'argent qui était dans votre poche. Racontez-moi comment cela s'est passé, » — S... raconte instantanément: « Hier, à trois heures de l'après-midi, je traversais la place de l'Académie. J'ai vu monsieur causant à haute voix avec plusieurs personnes. Tout d'un coup, je ne sais pas pourquoi, monsieur vient à moi, me donne des coups de canne, met ses mains dans ma poche et me prend mon argent. — Est-ce bien vrai? lui dis-je. C'est moi qui viens de vous le faire dire. — C'est parfaitement vrai. — Voyons, vous savez bien que je puis vous magnétiser et vous donner des suggestions. — C'est la vérité ; ce n'est pas une suggestion. — Quelle est votre profession ? lui dis-je. — Je travaille à l'imprimerie Berger-Levrault; j'ai composé sur la Revue médicale de l'Est. — Eh bien ! savez-vous qui est monsieur ? — Non, monsieur, je ne le connais pas. — C'est le docteur Schmitt, le rédacteur en chef de la Revue médicale de l'Est. Vous n'allez pas soutenir qu'un docteur comme monsieur a battu et volé un pauvre garçon comme vous ? — C'est vrai ; je ne sais pas pourquoi ; mais je ne peux pas dire le contraire, puisque c'est vrai. — Voyons, vous êtes un honnête garçon, vous avez de la religion. —

— Oui, monsieur. — On n'accuse pas quelqu'un sans être absolument sûr de son fait. Si le commissaire de police vient vous interroger, que direz-vous ? — Je dirai la vérité. Il m'a donné des coups de canne et pris mon argent. — Et vous jureriez ? Etes-vous sûr de vous, pour jurer ? Faites attention. C'est peut-être une simple idée, une illusion, un rêve. — Je le jurerais devant le Christ. — C'est peut-être quelqu'un qui ressemble à monsieur? — C'est monsieur; je suis absolument sûr. »

Pendant cette conversation, se trouvaient à côté de nous trois enfants :

L'un, Adrien V..., âgé de 14 ans, est tuberculeux et a des craquements humides dans les deux sommets. Depuis cinq ans, il est, dit-il, enrhumé tous les hivers ; mais il n'a jamais eu de manifestations nerveuses, il n'a jamais eu d'accès de somnambulisme spontané.

Il est très suggestible et hallucinable à l'état de veille et de sommeil. II est intelligent, sait lire, écrire, calculer; sa mémoire est remarquable. Enfant doux et honnête, il est depuis longtemps au service, aimé des sœurs et des malades.

Son père, alcoolisé, a abandonné sa mère en septembre dernier. Celle-ci serait bien portante, ainsi que ses frères et sœur; aucun n'aurait de maladie nerveuse.

Je dis à cet enfant: « Tu as entendu ce jeune homme te raconter cela ce matin ?» — Sans hésiter, il répond : « Oui, monsieur. — Qu'est-ce qu'il t'a raconté ? — Qu'un monsieur l'avait battu et lui avait volé son argent. — Où cela ? lui dis-je. — A l'hôpital. — Mais non, lui dis-je, il ne t'a rien dit, puisqu'il vient de nous dire que c'est place de l'Académie. » — L'enfant, sans se déconcerter : « Je ne me rappelle plus où cela s'est passé. Mais il m'a raconté qu'il avait été battu et volé- — Quand est-ce qu'il t'a raconté cela ? — Ce matin, à 7 heures 1/2. — Allons, lui dis-je, il ne faut pas me dire des choses qui ne sont pas, » et je fais mine de me tacher : « Monsieur ne t'a rien dit; c'est moi qui te le fais dire. Tu es honnête et religieux. II ne faut pas inventer des récits par complaisance. — Monsieur, je vous assure qu'il me l'a raconté ce matin. — Si le commissaire te le demande, que diras-tu ? — Je dirai ce qu'il m'a raconté. — Tu jureras ? — Je le jurerai ! »

Un second enfant, Joseph L..., âgé de 14 ans, est à côté ; c'est un enfant délicat, atteint de paralysie infantile, n'ayant pas eu d'autres troubles nerveux ; père, mère et une sœur bien portants. Assez intelligent, il lit et écrit correctement. II est suggestible à l'état de veille et de sommeil.

« Tu étais là, lui dis-je, quand monsieur a raconté qu'il a été battu et volé ?» — Sans hésiter : « Oui, monsieur. — Quand a-t-il raconté cela :— Ce matin, à 7 heures 1/2. — Voyons, il ne faut pas répéter cela comme un perroquet, parce que tu viens

de l'entendre dire maintenant. Mais l'as-tu entendu de la bouche de monsieur ce matin ? — Oui, monsieur, ce matin, à 7 heures 1/2. — Tu le jures ? — Je le jure ! »

Enfin, dans le lit voisin est un enfant de 9 ans, G..., convalescent de pleurésie, sans antécédent nerveux, bien constitué ; père et mère bien portants, deux sœurs et un frère bien portants. Cet enfant est aussi très suggestible, toutefois à un degré moindre que les précédents.

« Tu l'as entendu aussi? » lui dis-je. — Il hésite: c Je ne me rappelle pas bien. » — J'insiste : « Rappelle-toi bien, lui dis-je, il l'a raconté devant toi, ce matin. Ne te gène pas ! N'aie pas peur. Tu peuxle dire, si tu le sais. » —Il se recueille quelques instants, puis affirme : « C'est vrai, je l'ai entendu. — Quand ? — Ce matin, a 7 heures 1/2. — Quoi ? — Qu'un monsieur l'avait battu et lui avait pris son argent. — Es-tu bien sûr que tu l'as entendu raconter? Tout à l'heure, tu ne te rappelais pas. II ne faut pas le dire, si tu n'es pas sûr. Tu viens de l'entendre raconter maintenant ; mais tu ne l'as pas entendu ce matin ! — Si, monsieur, je suis parfaitement sur. »

Le lendemain, S... quittait l'hôpital. Avant son départ, je le fois venir dans mon cabinet, et là, seul avec lui, je lui dis: c Voyons, mon ami, dites-moi la vérité. Vous avez hier accusé le docteur Schmitt de vous avoir donné des coups de canne et pris votre argent. Avouez que vous avez voulu vous amuser, que cela n'est pas. Vous avez cru me faire plaisir en ayant l'air de croire ce que je vous disais. Maintenant que nous sommes seuls, dites-moi qu'il n'en est rien. » — Il me répond: « Je vous jure que c'est vrai. Je passais place de l'Académie ; il s'est approché de moi avec sa canne, m'a donné des coups et pris l'argent de ma poche. Je n'avais pas de porte-monnaie, mais dix sous de monnaie. Je ne les ai plus. — Pourquoi un médecin prendrait-il ses quelques sous à un pauvre garçon: Cela n'est pas croyable. — Je ne sais pas pourquoi, mais il me les a pris. »

Voici un autre fait :

V..., Louis, est un homme de 37 ans, tuberculeux depuis 1872; ses deux sommets sont indurés; l' affection a une évolution su-baigue: aucun antécédent névropathique. bien accusé. Tout clinicien, en l'examinant, ne constaterait en lui qu'un vulgaire phtisique, assez bien conservé en apparence, et rien de plus. Il était au service depuis plusieurs semaines, quand, un jour, M. le professeur Forel, de Zurich, un éminent collègue qui s'occupe de psychiatrie, me faisant l'honneur de suivre ma clinique pour étudier la question de l'hypnotisme, je voulus, devant lui, expérimenter des sujets nouveaux. J'essayai sur V... et je trouvai en lui un excellent somnambule, suggestible à l'état de veille et de sommeil.

Quelque temps après, le 4 avril dernier, mon honoré collègue,

M. Victor Parisot, étant avec moi au service, je dis à cet homme sans l'endormir : « Vous connaissez ce monsieur? — Non, monsieur. — Etes-vous sorti hier dimanche? — Oui, monsieur.

— Eh bien! rappelez-vous : vous avez rencontré monsieur, et, comme vous l'avez coudoyé en passant trop près de lui, il vous a donné un coup de canne. Vous vous rappelez bien ?» — Après quelques instants : et Ah! oui, dit-il, c'était dans la rue Jean Lamour; je rentrais chez moi. Monsieur m"a donné un coup de canne qui m'a fait très mal. — Etes-vous bien sûr? C'est moi qui vous l'ai fait dire. — C'est parfaitement vrai. C'est bien monsieur.

— C'est une suggestion; je vous l'ai fait rêver. — Mais non, monsieur, c'est bien vrai; j'ai bien senti la douleur à la jambe, et je la sens encore. » — Et il persiste dans son affirmation catégoriquement.

Dans la même salle, en face de lui, est couché un malade, T..., Nicolas, âgé de 34 ans, plâtrier, depuis deux ans au service pour une insuffisance mitrale, sans trouble nerveux, très suggestible à l'état de veille et de sommeil. Je l'interpelle à distance : « Est-ce vrai, lui dis-je, que V... vous a raconté cela hier soir?» — Sans hésiter : a Oui, monsieur, hier soir, en rentrant, il m* a raconté : « Je viens de recevoir un coup de canne d'un monsieur, en » passant rue Jean Lamour. » — Quel monsieur ? — Il ne m'a pas dit qui. 11 ne le connaissait pas. » — Je m'approche de son lit et je lui dis : « Voyons, mon ami, il ne faut rien dire dont vous ne soyez sûr! N'affirmez pas par complaisance. 11 n'a pas reçu de coup de canne. C'est une suggestion que je lui ai faite. — Cependant, il me l'a dit hier soir. — A quelle heure? — A 4 heures 1/2, en m'apportant un œuf de Pâques. »

Et ¡1 me montre un œuf de Pâques qui était dans son tiroir. V... m'affirme en effet lui avoir apporté un œuf; il en avait acheté deux, et il me montre son congénère, de même couleur, dans son tiroir. Coïncidence remarquable! L'hallucination rétroactive provoquée chez T... était associée dans son esprit à un fait réel. Le témoignage était corroboré par ce fait incontestable : l'œuf était là! Et voyez comme en justice ce témoignage acquerrait par là d'importance !

Autre fait :

En novembre dernier, reprenant mon service après les vacances, je passe devant une grosse fille épaisse, assez obtuse d'intelligence, domestique, âgée de 22 ans, Joséphine T..., affectée de rhumatisme articulaire, nullement névropathe. Elle était couchée à côté de Mme G..., blanchisseuse, âgée de 54 ans, affectée d'ataxie locomotrice, très intelligente et éminemment suggestible. (Voir son observation, page 56 de mon livre Sur la suggestion.) Les élèves me disent, en parlant de la première : Cette fille est bonne somnambule comme la voisine.

Alors, sans l'endormir, je lui dis à brûle-pourpoint : « Qu'est-ce que vous avez donc eu avec votre voisine hier matin ? Elle vous a jeté ses crosses à la tête et vous a attrapée sur le nez. Vous vous rappelez bien ! » — Elle paraît d'abord un peu étonnée. Je répète la chose une seconde fois : « Ah! oui, me dit-elle après quelques instants. C'était après le déjeuner. Nous nous chicanions un peu. Tout d'un coup, elle devient colère et m'a jeté ses crosses sur le nez. Elle m'a fait très mal. J'ai encore une bosse. — Voyons, sotte, lui dis-je, vous l'avez rêvé. C'est moi qui viens d'inventer cette histoire. — Non, monsieur, je n'ai pas rêvé! Je ne suis pas maboule ! Elle m'a jeté ses crosses à la tète. Je t'ai dit que je le dirais à M. Bernheim! — Vous avez rêvé. » — Elle se fâche : « Je sais ce que je dis ; je ne suis pas maboule! Tous les malades l'ont vu et peuvent le dire !» — Et elle invoque successivement le témoignage de toutes ses voisines. C'est un éclat de rire général dans la salle.

La voisine G... se tord. Joséphine T... est furieuse, lui fait des menaces, lui montre le poing. La scène se prolonge pendant 20 minutes.

Au bout de ce temps, je dis à la femme G... : « Pourquoi riez-vous? » — Elle me montre la voisine : « Mais, dis-je. est-ce que par hasard ce n'est pas vrai? Vous l'avez déjà oublié? Rappelez-vous! » —Aussitôt sa physionomie devient sérieuse; un souvenir s'y reflète et l'assombrit : « Tiens, mais c'est vrai! Aussi, pourquoi est-elle toujours après moi à m'ennuyer ? J'avoue que j'ai eu un mouvement de colère, je n'ai pas été maîtresse de moi. Je lui ai jeté mes crosses à la tête ! — Et vous lui avez dit un gros vilain mot. — Ma foi, cela m'a échappé. Je lui ai dit g...; je vous demande bien pardon. Il ne faut pas m'en vouloir. Est-ce que tu avais besoin de le dire à M. Bernheim ?—Rassurez-vous, lui dis-je, tout cela n'est pas vrai. C'est une suggestion que je vous ai faite. —Mais non, monsieur, c'est vrai. »—Et elle persiste dans son affirmation, convaincue de sa réalité, si bien que quand je veux quitter son lit, elle se montra fort inquiète et me dit : « C'est qu'elle est furieuse; je crains qu'elle ne me batte pour se venger. — Ne craignez rien, lui dis-je, je vais l'endormir et effacer en elle le souvenir de ce qui s'est passé. » — C'est ce que je fais, et Mme G... est rassurée.

Je pourrais multiplier ces laits; je terminerai par le suivant, que j'ai constaté le 8 avril. Je dis à Charles R..., maçon italien, âgé de 20 ans, au service pour une pleurésie tuberculeuse, garçon un peu lymphatique, mais sans antécédent nerveux, très suggestible d'ailleurs : « Etiez-vous hier dans la cour quand deux infirmiers ivres se sont battus ? L'un a eu une jambe cassée et on a dû le transporter en chirurgie; l'autre a saigné du nez. » — Il me répond : « Je ne sais pas, je n'y étais pas. — Rappelez-vous, lui dis-je. Vous m'avez

raconté la chose ce matin. Vous y étiez, hier, à 3 heures, dans la cour. » — Et je répète l'histoire,en insistant sur les détails. Au bout de deux minutes environ. le souvenir hallucinatoire est éclos dans son cerveau; il a vu: c'étaient les deux infirmiers du service de chirurgie; c'est le plus vieux qui a eu la jambe cassée; c'est lui qui a commencé. Ils se sont dit des gros mots : cochon, etc. La police est venue, etc.

Je lui demande son nom pour le donner au commissaire de police qui viendra faire une enquête auprès des témoins de la scène. Il dira ce qu'il a vu et prêtera serment.

Toutes ces expériences ont été faites, l'une indépendamment de l'autre, dans des salles différentes: aucun des sujets n'avait assisté à une expérience semblable; il n'y a pas eu de suggestion par imitation.

J'ajoute que toutes ces insinuations je les ai faites avec douceur, le plus souvent sans chercher à en imposer au sujet, sans trop chercher à provoquer une réponse favorable. Quelques-uns étaient suggestionnés d'emblée : chez d'autres il fallait quelques instants, deux minutes tout au plus, pour que l'image souvenir hallucinatoire fût évoquée. Après leur affirmation, j'insistais pour leur démontrer qu'ils étaient dans l'erreur; j'avais l'air de me fâcher contre eux. Le faux témoignage persistait, parce que les sujets voyaient : l'hallucination rétroactive était créée.

Quelques-uns racontent les faits avec un luxe de détails inouï. D'un sang-froid imperturbable et d'un air de conviction parfaite, ils inventent de toutes pièces comme un menteur de profession. Leur imagination leur suggère toutes les circonstances du drame qu'elle évoque. Ils rappellent ces aliénés d'apparence lucide, qui inventent mille calomnies, qui s'ingénient à jeter la discorde partout où ils peuvent, qui affirment avec une bonne foi absolue et un raffinement de détails qui en imposent, des histoires sur Pierre et Paul dont rien n'est fondé. Le monde croit à de la méchanceté, à de la perversité morale. là où il n'y a quelquefois que de l'aliénation mentale. Les instincts pervertis par la maladie engendrent dans ces imaginations faciles des hallucinations rétroactives qui s'imposent à ces aliénés comme des vérités. Semblables i nos sujets expérimentés, ils ne mentent pas ; ils sont induits en erreur par la folle de leur logis.

On dira : « Quelle preuve avez-vous de la véracité de vos sujets ? N'y mettaient-ils pas de la complaisance? » Je réponds : c Je n'ai aucune preuve certaine, mais j'ai multiplié les expériences sur nombre de sujets différents; ces sujets, depuis quelque temps au service, je les connaissais comme honnêtes. Tout dans leur physionomie, leurs allures, leur intonation de voix, leur manière de raconter, dénotait la conviction et la sincérité.

Le docteur Motet a signalé des faits semblables; il a appelé ré-

cemment l'attention de l'Académie de médecine sur les faux témoignages des entants devant la justice ; il cite l'affaire de Tisza-Eslar, qu'il interprète comme je l'ai fait moi-môme: il montre la bonne foi de ces enfants agissant par auto-suggestion. M. Motet n'avait sans doute pas connaissance des faits et expériences que j'avais publiés dans mon livre: car il ne les cite pas. Son opinion a d'autant plus de valeur, comme venant confirmer celle que j'avais émise.

Comme on l'a vu, ce ne sont pas seulement des enfants qui peuvent, de bonne foi et avec sincérité, faire de faux témoignages, ce sont encore des adultes sérieux qui comprennent la valeur de ce qu'ils disent et ne parlent pas légèrement.

Je le répète : c'est une véritable hallucination rétroactive qui leur dicte leur témoignage : l'image de la scène fictive existe dans leur cerveau; ils ont vu, de leurs propres yeux vu, tout ce qui s'appelle vu.

Est-il besoin d'insister sur l'importance au point de vue social et juridique des faits expérimentaux que je viens de relater? Les étudier, c'est éclairer la justice, c'est prémunir la société contre les erreurs judiciaires graves pouvant résulter de leur ignorance. Car il suffit que l'attention soit éveillée sur ces phénomènes de suggestion pour que la vérité soit, le plus souvent, facile à dégager.

Voici, pour rassurer les consciences que mes révélations pourraient troubler, quelques indications pouvant servir à établir le diagnostic différentiel entre le témoignage vrai et le témoignage faussé par la suggestion :

1° Il m'a paru que les témoins ou accusateurs faussés comme il vient d'être dit, ne se comportent pas absolument comme les témoins ou accusateurs vrais. Le souvenir de l'événement suggéré ne me semble pas persister avec la môme intensité; l'impression n'est pas aussi continue ; le souvenir redevient latent ou obscur, tant qu'on ne l'évoque. Voici un jeune homme qui, suggestionné par moi, accuse une personne de l'avoir volé. Il affirme avec vigueur, avec conviction quand je l'interroge. Mais ce jeune homme, «ans la journée, vient à rencontrer son pseudo-voleur : il ne lui viendra pas dans l'idée de l'accuser, de lui reprocher son vol, de le dénoncer à la justice (à moins que la suggestion spéciale dans ce but ne lui ait été faite). On dirait que l'hallucination rétroactive créée est latente, à l'état normal, et ne se réveille que lorsque je l'évoque par interrogation. Celle-ci constitue une véritable suggestion qui provoque l'hallucination en développant l'état de conscience spécial dans lequel le sujet la perçoit.

2° Le magistrat devra interroger le témoin, sans peser sur lui, sans chercher à le mettre sur la voie, sans lui faire pressentir son opinion, sans y mettre du sien. On a fulminé contre les abus de

l'hypnotisme ; on s'est récrié, avec raison, contre l'idée de recourir à la suggestion hypnotique chez les accusés, dans le but d'obtenir des aveux. Mais le magistrat sait-il qu'il est exposé, avec une effrayante facilité chez certains sujets, à faire de la suggestion à son insu et à leur insu?

3° Les témoins peuvent se suggestionner réciproquement. Si l'un d'eux affirme avec force et conviction et raconte les faits à sa manière en présence des autres, quelques-uns, parmi ceux-ci, sont influencés, acceptent son dire et se font une image de l'événement, à l'instar de celle qui vient de leur être présentée. Aussi chaque témoin devra-t-il d'abord être interrogé isolément et faut-il s'assurer que, dans leurs conversations antérieures, aucune suggestion réciproque préalable n'a eu lieu. L'accord de plusieurs témoins sur les circonstances du fait n'est pas toujours un argument en faveur de la réalité du fait, même alors que les témoins sont connus comme étant de bonne foi. Il peut y avoir un suggestion-neur et des suggestionnés. Rien n'est plus faux que le dicton : Vox populi, vox Dei.

4° Le magistrat éclairé peut mesurer la suggestibilité du témoin suspect par un interrogatoire habilement dirigé dans son but. Il aura l'air d'accepter son dire, insistera sur les incidents, y ajoutera du sien, suggérant des détails qui trahiront la suggestibilité du témoin, s'il les confirme.

Il lui dira, par exemple : « Vous avez raconté que quand X... vous a pris votre argent, il a laissé tomber une pièce et l'a ramassée. Vous vous rappelez ce détail? » Si l'accusateur tombe dans le piège et confirme, la question est par cela même jugée.

5° L'examen médical du sujet par un médecin bien au courant de la question permettra, je crois, dans la majorité des cas, d'établir qu'on a affaire à un suggestible. En effet, tous ceux chez lesquels j ai réussi ces expériences sont hypnotisables (par notre procédé),; suggestibles à l'état de sommeil et de veille ; chez la plupart on peut: produire de la catalepsie par simple affirmation, chez quelques-uns; des hallucinations.

Tels sont les faits que j'ai l'honneur de soumettre à l'appréciation de mes confrères; je les ai étudiés sans parti pris,: sans dépasser la limite de l'observation stricte et rigoureuse.

L'étude de la suggestion ouvre des horizons nouveaux à la méde-cine, à la psychologie, à la sociologie. La pauvre imagination! humaine est ouverte à toutes les impressions bonnes ou mauvaises, salutaires ou pernicieuses! Tousles criminels ne sont pas des coupables; toutes les contre-vérités ne sont pas des mensonges; il y al des mystificateurs et des mystifiés sans le savoir; il y a des gens qui se dupent eux-mêmes ; il en est beaucoup, de par le monde, po ur me servir d'une locution familière, qui croient que c'est arrivé.

Les esprits scientifiques n'accepteront mes révélations qu'après les avoir vérifiées. Mais ceux qui, de parti pris, refusent systématiquement d'examiner les faits, parce que ces faits ne concordent pas avec leurs idées à priori, ceux qui jugent sans avoir vu, ni voulu voir, ceux qui ont assez de confiance en eux-mêmes pour croire que les conceptions de leur esprit s'identifient avec la vérité et que les faits doivent s'incliner devant elles, ceux-là aussi croient que c'est arrivé.

Ils n'ont pas médité cette parole de Claude Bernard : « Les hommes qui ont une foi excessive dans leurs théories ou dans leurs idées sont non seulement mal disposés pour faire des découvertes, mais ils font aussi de très mauvaises observations... Il faut accepter les résultats de l'expérience, tels qu'ils se présentent, avec leur imprévu et leurs accidents. »

EXPÉRIENCE DEVANT SERVIR A L'EXPLICATION DE LA VERTU CURATIVE DE L'HYPNOTISME

Par M. J. DELBŒUF

professeur a l'université de liège

L'étude dont l'indique le litre paraîtra prochainement dans les Bulletins de l'Académie royale de Belgique. J'en détache l'expérience capitale qui lui sert de pivot, m'abstenant absolument de tout commentaire.

Le respect de certaines douleurs me défend de dire par quelle suite de circonstances je fus amené à la faire. Toujours est-il que le sujet à qui je la proposai, une jeune fille très forte et d'excellente santé, hypno-tisable et éminemment suggestible, accorda son consentement sans hésitation aucune, en raison du but élevé et humanitaire que j'avais en vue.

Il s'agissait de lui faire aux bras deux brûlures symétriquement placées et aussi égales que possible. L'une d'elles devait cire insensibilisée, l'autre abandonnée a la nature.

Donc, le mardi 7 septembre 1886, vers sept heures du soir, je déterminai sur chaque bras, face postérieure, à dix centimètres du poignet, deux points exactement correspondants. Je chauffai au rouge un barreau de fer arrondi de huit millimétres environ de section. Je m'exerçai a. rythmer mes mouvements de manière a laisser le fer appliqué sur la peau environ une seconde et demie.

Je lui 6s poser les deux bras sur la table : je me bornai a lui annoncer, sans l'hypnotiser, qu'elle ne sentirait rien au bras droit, et je pratiquai

les deux cautérisations. Le derme fui atteint. Les marques sont encore aujourd'hui légèrement visibles. Elle n'a rien senti au bras droit ni pendant ni après l'opération. J'entourai d'une bande les deux brûlures, pour éviter les irritations involontaires qui pourraient se produire pendant la nuit. Le lendemain matin, je trouvai les bandes non dérangées. Examen des brûlures.

Le bras droit présentait une escarre nette de la largeur exacte du fer sans inflammation ni rougeur. Le bras gauche, une plaie avec cloches enflammées sur une étendue de trois centimètres de diamètre. Ce bras avait occasionné au sujet une légère douleur pendant la nuit.

Pendant que l'escarre au bras droit ne bougeait pas, la brûlure du bras gauche alla s'étendant et empirant. Le jeudi, elle faisait beaucoup souffrir le sujet.

J'appliquai alors la suggestion à ce bras. A partir de ma parole, la plaie sécha; l'inflammation disparut rapidement, au point que, deux jours après, c'est-à-dire le cinquième jour, le docteur Henrijean, assistant de la clinique chirurgicale a l'université de Liège, s'étonnait que la brûlure fût si récente.

Cette expérience avait besoin d'être renouvelée par un homme de l'art. Mon éminent collègue, M. Von Winiwarter, l'élève et le collabo-rateur de Billroth, professeur de clinique chirurgicale à l'université de Liège, voulut bien me prêter le concours de sa science et l'autorité de son expérience et de son nom.

Le sujet consentit une seconde fois de bonne grâce. L'opération fut faite par M. Von Winiwarter, assisté de M. Henrijean. L'examen des plaies fut fait par M. Von Winiwarter seul, loin de ma présence. Les notes qu'il a recueillies et qu'on va lire, je n'en ai eu communication qu'au moment de les utiliser, c'est-à-dire le 24 mai dernier.

« Expérience faite sur***.

« Dimanche, 23 janvier 1887 (vers six heures du soir).

» Dans la région cervicale, à droite et a gauche de la colonne verté-brale, on pratique deux cautérisations d'égale intensité au moyen du thermocautère chauffé au rouge. Chacune des plaques cautérisées a la forme et à peu près les dimensions d'une pièce de dix centimes en nickel (1). A droite, la peau n'a pas été insensibilisée, tandis qu'on a expliqué à *** qu'elle ne sentirait pas de douleur à gauche.

» Après la cautérisation, les deux brûlures sont badigeonnées au col-Iodion iodoformé et recouvertes d'emplâtre de Bavière (2).

» Lundi, 24 janvier.

» Pansement intact. Peu Je sensibilité à droite; rien à gauche partie insensibilisée.

(1) La distance de leurs centres en de deux centimètres. La pièce de nickel de dix centimes a21 millimètres de diamètre.

(2) Espèce de sparadrap agglutinatif, dit de Bavière, depuis toujours en usage à l'hôpital de Liège.

» Mardi. 25 janvier.

» Douleurs assez vives à droite; rien du côté gauche. L'emplâtre de Bavière est enlevé. Les deux brûlures sont recouvertes de collodion. Pas de sécrétion. Une légère rougeur les entoure en forme d'une zone d'un millimètre de largeur à peine. Emplâtre de Bavière réappliqué.

» Mercredi, 26 janvier.

» L'emplâtre de Bavière qui recouvrait la brûlure à gauche (partie insensibilisée) s'est détaché pendant la nuit et a dû être renouvelé le matin (1). Pas de douleur de ce côté. À droite, l'emplâtre est resté en place; douleurs très vives.

» A trois heures de relevée. examen. L'emplâtre appliqué le matin à gauche est resté en place. On l'enlève: la plaie est sans irritation, sans sécrétion; pas de rougeur dans le voisinage, pas de sensibilité. Le collodion, qui avait été appliqué sur la plaie, s'était détache avec l'emplâtre de Bavière pendant la nuit. A droite, on constate, après avoir enlevé l'emplâtre de Bavière, que la couche de collodion est restée en place et qu'elle est soulevée en partie par une sécrétion séro-purulente peu abondante. Tout amour de la plaie, la peau est rouge, irritée, sensible au toucher. Il existe une différence manifeste entre le côté gauche insensibilisé) et le côté droit. Seulement les deux plaies n'ont pas été absolument dans les mêmes conditions, puisque, à gauche, l'emplâtre s'était détaché pendant la nuit, tandis que, à droite, il était resté en place. Lavage à l'eau phéniquée des deux plaies. Pansement a l'emplâtre de Bavière. »

Ici je reprends pour un instant la plume. Ce mercredi, vers six heures, ***, dont la souffrance était grande, me demanda si je ne pouvais pas encore la lui enlever. J'accédai à sa prière. Cétait, du reste, dans le plan convenu. Je rends maintenant la parole a mon_collègue.

« Jeudi, 27 janvier.

» Pas de douleurs spontanées. La plaie a droite est légèrement sensible, celle de gauche insensible. La rougeur à droite a disparu. Les deux plaies suppurent très peu; elles ne sont nullement irritées.

» Vendredi 28 janvier.

» Pas de différence, les deux brûlures sont i peu près également insensibles.

» La marche ultérieure de la cicatrisation n'a pas présenté de différences appréciables entre les deux côtés. »

Cette expérience, bien que contrariée par un accident qui, heureusement, affecta le côté insensibilisé, confirme dans ses traits essentiels celle que j'avais faite quelques mois auparavant : différence de plus en plus marquée entre les deux plaies jusqu'au troisième jour; de moins en moins marquée après la suggestion, et cicatrisation rapide.

(1) Cest moi qui ai replacé l'emplâtre.

GUÉRISON PAR L'HYPNOTISME D'UNE MANIE DES NOUVELLES ACCOUCHÉES

Par M. le Docteur BRÉMAUD

Mme B..., âgée d'environ vingt-cinq ans, a eu deux grossesses antérieures n'ayant présenté aucun accident particulier; les suites de couches ont été heureuses. Mme B... vit en très bonne intelligence avec son mari, soigne très affectueusement ses enfants; son caractère est enjoué, aimable... Survient une troisième grossesse qui arrive a son terme et se termine par la naissance d'un enfant très bien portant. Pendant cette grossesse rien de particulier à noter, mois immédiatement après la par-turition apparaissent des troubles marqués du caractère et des sentiments affectifs: elle devient sombre, prend en aversion son mari et ses enfants, et rapidement se développe en quelques jours une affection mentale dont le pivot est une perversion de l'idée religieuse.

Mme B... s'imagine que son mariage et ses grossesses consécutives sont des causes de damnation éternelle;quc son âme est condamnée aux souffrances et aux tortures pendant l'éternité ; le célibat et la virginité ouvrent seuls les portes du ciel, elle se les est fermée par une union charnelle. La présence de son mari, la vue de ses enfants redoublent les angoisses de cette malheureuse femme en lui montrant à chaque instant les preuves vivantes de son péché. Aussi ne veut-elle plus les voir, en entendre parler; — elle ne porte plus son anneau de mariage et cherche de quelle façon elle pourra expier sa faute. Rien qu'une pénitence éclatante ne peut racheter son âme perdue. Elle prend donc la résolution de se laisser mourir de faim.

Les instances de sa famille, de sa mère, les exhortations du prêtre qui a dirigé son éducation religieuse, rien ne peut la ramener à des idées plus saines: elle refuse tout aliment et tombe bientôt dans un état de faiblesse extrême ; la fièvre s'allume, l'insomnie est continuelle, la maigreur fait des progrès rapides et on ne peut méconnaître une issue rapidement fatale.

Appelé en consultation à ce moment et mis au courant de ces faits par le médecin de la famille, j'offris d'essayer d'endormir la malade et, dans l'état hypnotique, d'agir par suggestion sur ce cerveau déséquilibré.

Le médecin et les parents ayant accepté cet essai, je fus présenté à la malade le 12 mai 1885.

Mme B..., couchée, très pâle et peu disposée à accepter les soins d'un inconnu, me reçoit d'abord assez mal et me demande ce que je viens faire. — D'un ton très bref je répondis que j'étais appelé par ses parents, son mari, son médecin ; en pareille circonstance, je ne m'arrêtais pas devant les susceptibilités d'un malade, et du reste, dans le cas présent, il n'y avait qu'une seule volonté légitime, la mienne.

Fort interdite et décontenancée, la malade me regardait d'un air hagard; m'avançant rapidement vers elle, je lui touchai du doigt le front et lui ordonnai de dormir immédiatement.

Mme B... éprouva un léger frisson et s'affaissa sur son oreiller les yeux grands ouverts; je fermai aussitôt les paupières et affirmai que le sommeil était venu. La malade reposait immobile, la respiration calme, le pouls légèrement fébrile. Je débutai par voie de suggestion indirecte, affirmant aux parents qui assistaient à la visite que, dans l'état où se trouvait la malade, elle était absolument insensible à la douleur et que les membres, devenus comme de la cire, garderaient sans fatigue la position où je les mettrais. Je pus alors piquer avec une épingle le bras de la malade sans que celle-ci parût ressentir aucune douleur, et les deux bras élevés au-dessus de la tête restèrent ainsi quand je les abandonnai à eux-mêmes.

Je commençai alors un véritable sermon, dans lequel, avec textes à l'appui, furent développées les idées suivantes, fort canoniques, du reste, puisque ce sont celles que saint Paul émet aux Corinthiens dans sa seconde épître. Voici du reste le texte lui-même.

« Que chacun ait sa femme, que chaque femme ait son mari. »

« Que le mari rende à sa femme la bienveillance qui lui est due, et que » la femme de même la rende à son mari. »

« Que si tu te maries, tu ne pèches point, et si la vierge se marie, elle » ne pêche point aussi, »

Enfin, je continuai mes suggestions en faisant remarquer c qu'un prêtre n'aurait jamais consenti à bénir une union qui, par le fait même de son existence, entraînerait la damnation éternelle...

» Les scrupules venus depuis peu et qui la conduisaient à une résolution aussi funeste ne pouvaient être que le fait du Malin, qui, comme chacun le sait, se plait à induire les hommes en tentation et la menait ainsi au suicide, genre de mort réprouvé par toutes les lois divines. »

De semblables exhortations avaient déjà été faites à la malade et par des personnes bien plus compétentes que je ne pouvais l'être dans cet ordre d'idées. On sait qu'elles étaient restées infructueuses. Grâce à l'état de sommeil dans lequel était plongée la malade, celles-ci eurent un effet presque immédiat. La respiration devint anxieuse, suspiricuse, des larmes abondantes s'échappèrent des paupières mi-closes; il était évident que le raisonnement faisait un effet réel sur l'esprit de Mme B...

Je terminai ce long discours en déclarant aux parents que la malade était convaincue et qu'a son réveil elle en donnerait des preuves certaines, réclamerait d'elle-même son alliance, embrasserait son mari et ses enfants et demanderait à manger.

Avant de la réveiller, et pour ne pas m'en remettre absolument à l'effet des suggestions post-hypnotiques, je lui commandai de prendre un peu de bouillon, et sur le désir exprimé parla malade, encore endormie, on y ajouta un jaune d'œuf.

Ce léger repas terminé, je laissai Mme B... dans son état de sommeil

et continuai à agir par suggestion indirecte, m'adressant aux parents et affirmant qu'il était absolument impossible que les suggestions restassent sans effet. Une recommandation, faite à voix très basse, leur enjoignait de rester absolument immobiles au réveil de la malade et de la laisser parler, agir, demander, etc.. sans manifester aucun éton-nement.

Le réveil fut alors commandé et je me dissimulai dans l'embrasure d'une fenêtre.

Apres deux profonds soupirs et quelques 'mouvements, Mme B... se réveilla et parut étonnée de voir tant de monde dans sa chambre. Elle regarda son mari, ses enfants, sans manifester aucun sentiment de répulsion. La première parole fut adressée à sa mère: elle réclama son alliance et la mît à son doigt en jetant à son mari un regard affectueux, puis demanda à embrasser ses enfants. Il y eut alors un temps de silence ; Mme B... paraissait indécise, regardait son mari, puis les assistants; enfin, se décidant brusquement, elle témoigna l'envie d'embrasser une jeune belle-soeur, qui se trouvait à côté du mari ; mais, en embrassant cette jeune fille, ses regards étaient dirigés du côté de M. B..., et il apparut manifestement à tous les assistants que, honteuse d'embrasser son mari en présence de tant de parents, elle avait pris un moyen détourne d'exprimer ses sentiments.

Du reste, aucune apparence d'étonnement chez la malade. Tous ces actes s'accomplirent comme choses absolument naturelles et sans autre importance ; enfin, après quelques moments, la malade déclara qu'elle se sentait faible et qu'elle prendrait volontiers quelque nourriture.

Elle but quelques gorgées de bouillon et témoigna le désir de dormir, se sentant légèrement fatiguée.

Après quelques heures de sommeil, elle se réveilla et prit encore quelques aliments.

Pour ne pas prolonger inutilement cette observation, je me bornerai à dire que depuis ce moment la convalescence s'établit franchement, les digestions s'établirent régulières, les forces revinrent, les idées de damnation éternelle ne reparurent plus, les scrupules religieux sur l'état de mariage disparurent complètement : la santé morale était recouvrée.

Le lendemain, je me présentai à la malade en même temps que son médecin ordinaire, et fis connaître à Mme B..., qui ne s'en souvenait aucunement, ma première visite et la provocation du sommeil hypnotique.

Mme B .. n'avait qu'un souvenir très vague des faits qui avaient suivi ses couches, rit Franchement et affirma qu'elle devait avoir été bien folle pour avoir pu prendre en aversion son mari et ses enfants.

Elle se prêta facilement à une seconde séance de sommeil pendant laquelle je renouvelai énergiquement les suggestions qui me parurent opportunes.

Depuis cette époque, près de deux ans, la santé morale de cette jeune femme ne s'est pas démentie.

GUÉRISON PAR L'HYPNOTISME D'UN DÉLIRE ALCOOLIQUE

Par M. le Docteur BRÉMAUD

M. D..., homme fort, vigoureux, âgé de 40 ans environ, riche propriétaire et industriel, à la tête d'affaires considérables un moment compromises par la crise qui sévissait à la fin de 1885, avait cherché dans des excès alcooliques, malheureusement trop répétés, l'oubli des affaires et la tranquillité de l'esprit; en même temps, la morphine dont il usait en Injections sous-cutanées pour calmer des douleurs névralgiques lui devint une nécessité de tous les instants, et en peu de temps il présenta des symptômes marqués d'alcoolisme et de morphiomanie.

Sa santé inspirait des inquiétudes sérieuses aux membres le» plusclair-voyants de sa famille, quand vers la fin de 1885 éclata une forte crise de delirium. A cette première crise qui céda aux moyens ordinaires succéda, en février 1886. une attaque formidable : hallucinations continuelles, démons, diables en voulant à sa vie, insomnie persistante, refus de prendre aucun aliment. Etat de fureur presque constant contre ses proches, tes amis, ses domestiques, tous les gens qui l'entouraient; brutalités et tentatives de meurtre; essai de suicide.

On dut exercer sur M. D... une surveillance de tous les instants. Laissé libre dans une vaste habitation a la campagne et pourvu d'un nombre suffisant de gardiens robustes, M. D..., pendant plus d'un mois, résista à tous les essais de médication.

C'est alors que je fus appelé en consultation le 10 avril 1886. Je fus informé de ce qui précède et consulté pour savoir si des suggestions hypnotiques pouvaient avoir quelque effet heureux dans la circonstance.

Ma réponse fut qu'en toute occurrence l'essai ne pouvait être préjudiciable au malade et que, tout ayant échoué jusqu'à présent, il semblait utile de tenter un moyen nouveau et inoffensif. Du reste, la surexcitation nerveuse d'origine alcoolique paraissant prédisposer a l'hypnotisme, l'état particulier du malade semblait devoir motiver un augure favorable.

Mes confrères se rangèrent a mon avis et la famille, consultée, ayant accepté cette tentative de médication, il fut décidé qu'on me mettrait en présence du malade. Cette détermination était a peine prise que M. D... fit irruption dans la salle où nous étions rassemblés, s'avança vers moi les yeux hagards, l'air furieux, et subitement, s'armant d'une assiette qu'il arracha des mains d'un domestique qui passait, il s'apprêta à me la lancer au visage.

Directement mis en cause, et sans attendre le secours des gardiens, je me levai aussitôt et, regardant fixement le malade, lui enjoignis de s'arrêter et de rester immobile. Surpris de cette interpellation et du ton dont elle était formulée, M. D... s'arrêta net et je pus enlever de sa main crispée l'assiette menaçante. Profitant de l'étonnement où se trouvait le malade, je déclinai rapidement mon titre, le motif de ma visite et, sans le

laisser revenir de sa stupeur, je le conduisis dans sa chambre, le fis immédiatement s'allonger sur son lit et lui intimai l'ordre de s'endormir aussitôt. A peine étendu, M. D... poussa un profond soupir, ferma les yeux et parut s'endormir. Je procédai alors par voie de suggestion indirecte, et m'adressant aux confrères qui m'avaient appelé et aux parents présents, j'annonçai une analgésie complète et l'état cataleptoïde du système musculaire. Une piqûre au bras ne provoqua aucun sentiment de douleur, et les bras mis en arc au-dessus de la téte du patient restèrent dans cette position incommode quand ils furent abandonnés à eux-mêmes. « M'adressant directement alors au malade endormi et l'appelant par

» son nom, je cherchai à réveiller ses sentiments affectifs, lui parlant » longuement de sa jeune femme, de ses enfants qu'il n'avait pas em-» brasses depuis plusieurs semaines, et lui racontai les progrès de l'aîné. » Je lui parlai de ses proches auxquels il attribuait bien à tort des senti-» ments malveillants à son égard, et m'attachai, en les lui nommant tour » à tour, à faire ressortir leurs qualités et leur dévouement depuis qu'il

» était malade ; car lui, D..., était malade depuis quelques semaines avec » une vilaine fièvre qui lui avait causé nombre d'hallucinations et de » frayeurs ; mais cette fièvre était tombée maintenant et quand il allait se » réveiller, il reconnaîtrait ses proches ici leur énumération), et serait » fort heureux de revoir en bonne santé sa femme et ses enfants. Du » reste, tout était pour le mieux dans la plus heureuse des familles... La » crise commerciale touchait a sa fin... on avait les plus heureuses nou-» Telles... une hausse prochaine était immanquable et ses frères ou » beaux-frères qui avaient dirigé les affaires pendant sa maladie, lui ren-» draicnt le meilleur compte de leur gestion temporaire. Enfin, tout était » en bonne voie, mais il ne fallait pas qu'il s'occupât immédiatement de » choses sérieuses, il aurait la tète encore trop faible et sa convalescence » ne serait assurée que par un repos complet d'esprit. » Je développai de mon mieux toutes ces idées en m'aidant des détails minutieux de sa vie domestique, détails qui m'avaient été confiés par sa famille. Après ce long discours et pour intervenir fructueusement contre les phénomènes de morphiomanie. il fut fait pendant le sommeil une première injection sous-cutanée de chlorhydrate de cocaine. Revenant après un temps de repos sur les idées déjà suggérées, j'ordonnai de laisser le malade reposer et s'éveiller de lui-même. Après un laps de temps d'un quart d'heure environ, M. D... fit quelques mouvements, se réveilla comme d'un sommeil normal et se dressa sur son séant. Il reconnut ses parents, leur tendit la main et, se levant, fit quelques pas dans sa chambre; la démarche était chancelante, incertaine, la figure calme, avec une expression de physionomie atone ; pas de vivacité dans le regard.

Il s'informa de ses enfants et voulut se rendre à un salon du rez-de-chaussée où les enfants se tenaient avec leur mère. Il descendit l'escalier d'un pas mal assuré et faillit tomber à la dernière marche; il se traina jusqu'au salon et demanda à embrasser ses enfants, puis s'écria : « Ah ! mes amis, j'ai été bien malade. »

Il parut reconnaître chacun des assistants et sembla étonné de ma présence. Après avoir été présenté dans les formes comme un médecin l'ayant soigné pendant sa maladie et ayant une certaine part dans sa guérison, je pus constater qu'il n'avait aucun souvenir des premiers moments de notre entrevue. Après quelques minutes de conversation, il s'anima peu à peu: la voix était saccadée, hésitante: il cherchait péniblement les mots, mais avait de la suite dans les idées. Il s'informa de quelques détails domestiques et se retira peu après pour prendre quelque nourriture.

Environ une demi-heure après, je fus averti que l'excitation morbide paraissait revenir et qu'il semblait voir des objets imaginaires. Me rendant près du malade, je recommençai, mais sans l'endormir, les suggestions précédentes : il parut écouter avec intérêt les détails concernant la crise sucrière.

Redescendant alors au salon, il reprit la conversation, s'informant de quelques livres récemment parus et de quelques faits musicaux, et pendant près de deux heures parla avec hésitation, fort lentement, mais le plus sensément du monde.

Je le quittai alors; dans une conférence avec mes confrères, il fut convenu qu'un traitement méthodique par les injections sous-cutanées de cocaïne serait institué et que le malade serait soumis à une suggestion permanente de la part de toutes les personnes de son entourage, chacun prenant à tâche d'avoir une figure souriante, de lui affirmer sa complète guérison et la reprise fructueuse des affaires, sujet dont on l'entretiendrait en détail dés que la convalescence serait franchement établie.

Ce régime moral fut soigneusement suivi et, pendant trois semaines, il n'y eut aucune rechute intellectuelle; l'appétit revînt peu à peu, le tremblement disparut à vue d'œil. M. D... semblait impatient de reprendre la direction de ses affaires; c'était la le moment critique, car il était impossible de méconnaître l'état de plus en plus précaire de la situation industrielle.

La chance voulut qu'à ce moment un revirement complet survînt : rentrées importantes dont on désespérait depuis longtemps, hausse légère et divulgation d'un procédé de fabrication diminuant les frais de production. La crise était commercialement conjurée, et on put bientôt, par des faits précis et probants, confirmer au convalescent la bonne tournure qu'avaient prise ses affaires.

Il n'y eut donc pas, heureusement, au moment du rétablissement complet de la santé, une désillusion amère qui aurait pu détruire l'effet heureux des suggestions.

La convalescence s'affermit donc et j'ai pu revoir M. D... en plein état de santé reprendre sa vie habituelle et la direction d'affaires importantes.

Depuis plus de huit mois. la guérison ne s'est pas démentie.

REVUE CRITIQUE

Le magnétisme animal, étudié sous le nom de force neurique, rayonnante et circulante, dans ses propriétés physiques, physiologiques et thérapeutiques, par le Dr Baréty (1).

Si la réalité des phénomènes de l'hypnose est aujourd'hui au-dessus de toute contestation, il n'en est pas de même de la nature de la cause dont ils dérivent.

Les uns rapportent tout à une disposition nerveuse spéciale du sujet, disposition qui le rend apte à recevoir des suggestions, c'est-à-dire à accomplir automatiquement certains actes dont l'idée lui est suggérée par l'opérateur.

Les autres admettent parfaitement cette cause, mais ils vont plus loin ; ils supposent que la suggestibilité des sujets n'est point un état permanent et qui leur soit spécial; ils affirment que cet état peut se développer chez un grand nombre de personnes sous l'influence d'agents plus ou moins énergiques dont la fixation d'un point brillant, le ton impéra-tif, l'occlusion des yeux, la pression sur le vertex, etc., ne sont que des cas particuliers. D'après eux, ces agents seraient capables, non seulement de déterminer la suggestibilité et tous les phénomènes qui en sont la conséquence, mais encore de produire sur le système nerveux du sujet des modifications spéciales à la nature de l'agent et à son point d'application; en tête de ces forces externes, ils placent le fluide des magnétiseurs, que M. Baréty désigne sous le nom de Force neurique rayonnante.

Il semble, au premier abord, que tienne soit plus facile que de trancher la question par l'expérience; il n'en est rien cependant, parce que ces forces, si elles existent, sont en général beaucoup trop faibles pour agir sur nos instruments de laboratoire, composés de matières inertes grossièrement travaillées; il faut, pour les mettre en évidence, l'admirable appareil qui, d'un bout à l'autre du corps vivant, transmet les vibrations infinitésimales des sens ou de la pensée: et encore cela ne se produit-il, d'une manière suffisamment intense pour la commodité de l'étude, que chez certaines natures exceptionnellement impressionnables dont les nerfs vibrent presque avec la même facilité sous les influences internes et externes, de telle sorte que la véritable origine du phénomène est souvent douteuse.

Dans ces conditions, on ne doit point espérer établir d'emblée une doctrine inattaquable ; la première phrase de la science naissante doit consister à accumuler les observations en variant les méthodes et les sujets, de manière à mettre en évidence les points saillants et à déterminer les influences perturbatrices.

[(1) Paris, Doin, 1887; in-8° de 662 pages avec 82 figures dans le texte.

Le livre du Dr Baréty est, à ce point de vue, un document d'une importance considérable.

Pendant cinq ans, de 1880 à 1885, le savant médecin de Nice a eu l'occasion de soigner une douzaine de malades doués de la propriété de sentir des piqûres partout où il dirigeait ses doigts, son regard ou son souffle; il a naturellement supposé que ces piqûres étaient ducs à une émanation se propageant par rayonnement ou ondulations, comme la lumière et la chaleur; hypothèse qu'il a vérifiée en projetant les émanations à travers des prismes et des lentilles ou sur des surfaces polies et en constatant qu'elles s'y réfractaient ou s'y réfléchissaient suivant les lois connues.

De plus, en se servant de l'émanation d'un de ses doigts comme réactif, il a reconnu que le corps de ses sujets se divisait en deux parties très nettement délimitées, l'une antérieure, l'autre postérieure, qui, sous l'Influence de ce même agent, présentaient des phénomènes différents, soit au point de vue de la sensibilité organique (hyperesthésie ou anesthésie), soit au point de vue de la sensibilité psychique (gaîte ou tristesse).

Ainsi serait démontrée, d'une part, l'existence du fluide, de l'autre celle de la polarité humaine.

Ces principes étant admis, l'auteur n'a plus eu qu'à les combiner pour en déduire une série très nombreuse de conséquences qu'il a vérifiées.

On lui a déjà reproche (I) de ne point avoir donné des détails suffisants pour prouver qu'il s'était bien mis à l'abri de toute cause d'erreur. II peut répondre en citant certaines expériences comme celle de la neu-risaùon d'une bande du sol qu'il décrit page 295 et celle de la transradia-tion neurique oculaire (p. 220-221), et qui me semblent ne laisser prise à aucun doute ; ensuite en disant que, dans cet ordre d'idées, on parvient rarement à convaincre autrui, puisque des expériences comme celles que je viens de rappeler ne paraissent pas décisives; et enfin, en montrant la grosseur déjà énorme qu'il a dû donner à son livre, simplement pour exposer les résultats obtenus avec les développements qu'il jugeait suffisants.

Quant à moi, je serais plutôt tenté de critiquer cette grosseur même. Dans un siècle affairé comme le nôtre, le lecteur s'effraie quand on lui demande, tout d'un coup, un travail intellectuel trop considérable; s'il ne voit pas de suite les grandes lignes, il a de la peine à fixer son attention surles faits d'importance secondaire qui s'alignent d'une façon monotone les uns après les autres (2). Le voyageur, qui aborde un pays inconnu, doit s'orienter et prendre une vue d'ensemble avant de décrire

(1) Revue Scientifique, numéro du 3o avril 1887.

(2) Il est équitable de faire remarquer au lecteur réellement désireux d'approfondir la question, que le livre est parsemé de résumes nombreux qui facilitent son travail, en réduisant ce gros volume i quelques pages où rien n'est oublié.

minutieusement tel ou tel accident du sol; sans quoi il risque de se perdre dans l'accessoire et de passer à côté du principal sans le voir. C'est peut-être là ce qui est arrivé à M. Baréty.

D'autres expérimentateurs (1), reprenant les enseignements de Mesmer et de Reichenbach, ont en effet reconnu aussi l'existence du fluide et de la polarité; mais, d'après eux, la polarité essentielle serait autrement répartie et le fluide présenterait des propriétés différentes suivant la source dont il émane. M. Baréty aurait donc consacré un peu inutilement son immense travail à l'étude d'une disposition qui pourrait n'être qu'exceptionnelle, même chez les sujets observés, et qui se serait maintenue par suite de la propriété, aujourd'hui bien établie pour l'organisme des hystériques, de répéter inconsciemment une foule d'actes nerveux quand ces actes ont été produits une première fois sous une influence quelconque.

Cette objection est, il est vrai, aussi bien applicable aux uns qu'aux autres et, dans l'état rudimentaire de nos connaissances sur ce sujet délicat, chacun a le droit de défendre la valeur de ses observations jusqu'au moment où l'on aura recueilli une majorité imposante de faits dans tel ou tel sens, en prenant toutes les précautions possibles pour éviter la suggestion, l'éducation, ainsi que les autres causes perturbatrices connues.

Pour ma part, je ne suis point parvenu à reconnaître chez aucun de mes sujets la polarité indiquée par M. Baréty; j'ai toujours constaté celle qu'ont décrite MM. Dècle et Chazarain.

En revanche, j'ai été amené à vérifier très nettement l'action des rayons oculaires, digitaux et pneumiques, à la suite d'une observation tout à fait accidentelle.

J'avais mis une jeune fille en état de somnambulisme, et, pendant que je réfléchissais à la suggestion que j'allais lui donner, mes regards s'arrêtèrent sur l'une de ses mains; je m'aperçus alors avec étonnement qu'elle retirait vivement cette main comme si elle était piquée. Je regardai l'autre : le même effet se produisit, et ainsi de suite à plusieurs reprises. Je me rappelai alors que le fait avait été signalé dans une brochure publiée par le D' Baréiy,en 1881 ; je la relus et je reproduisis, le sujet étant réveillé, la plupart des phénomènes relatifs aux propriétés physiques de la force neurique rayonnante.

J'ai cru reconnaître de plus que les rayons oculaires possédaient la même polarité que le côté du corps d'où ils partaient; que les rayons digitaux émanant de la main droite étaient positifs et que ceux qui émanaient de la main gauche étaient négatifs; enfin, que le souffle lui-même était positif ou négatif, suivant qu'on le projetait chaud ou froid.

(1) Durville, Traité expérimental et thérapeutique de magnétisme. Paris, 1886; in-12 de 179 pages. — Chazarain et Dècle, Découverte de la polarité. Paris, Doin,

i885»; in-8° de 32 pages. —A. de Rochas, Les forces non définies, recherches histo-riquet et expérimentales. Paris, 1887, Masson; in-8°, de 392 pages.

N'ayant pas sous la main des feuilles de papier colore pour refaire les expériences relatives a leur pouvoir diancurique (p. 14), je me servis de vitraux de couleur et je constatai que le verre jaune avait la singulière propriété d'intervertir les polarités : c'est-à-dire qu'en se servant, par exemple, de lunettes faites avec ce verre, le rayon émanant de l'œil droit devenait positif et celui qui émanait de l'œil gauche négatif, de telle sorte qu'on contracturait la bouche d'un sujet simplement en la regardant en face. M. Dècle, à qui je communiquai cette observation, voulut la contrôler et n'obtint point à Paris les mêmes résultats que moi a Blois; nous échangeâmes alors les verres dont nous nous étions servis, et nous vérifiâmes que, parmi tous ces morceaux identiques en apparence, il n'y avait que ceux provenant d'une plaque déterminée qui possédaient le pouvoir intervertisseur.

J'ai rapporté ce fait pour montrer d'abord que l'on n'obtient pas toujours ce qu'on a dans l'esprit, comme le prétendent la plupart des Braidistes; puis, que nous ignorons encore absolument où se bornent les conditions qui peuvent influer sur la production des phénomènes de la polarité; rien ne prouve, en effet, que ce soit ici la couleur et non la structure du verre qui ait agi, puisque nous n'avons encore essayé qu'un petit nombre de verres.

Parmi les observations du Dr Baréty dont j'ai pu reconnaître la justesse sur mes sujets, la plus curieuse est certainement celle qui a trait à la direction des passes (p. 213-218), parce que la théorie qui en découle s'appuie sur une disposition anatomique et que par conséquent on peut, jusqu'à un certain point, en comprendre le mécanisme.

En résumé, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation analogue a celle d'un expérimentateur qui chercherait à reconnaître des attractions ou des répulsions magnétiques extrêmement faibles à l'aide d'une aiguille aimantée suspendue à l'extrémité d'un long fil tenu entre les doigts d'un aide. La moindre émotion de celui-ci fera mouvoir l'aiguille , souvent dans un sens contraire au mouvement qui devrait résulter de l'action magnétique (1). Est-ce une raison pour en conclure que cette action n'existe pas ? Certainement non ; surtout si nous parvenons à la reconnaître avec netteté en remplaçant l'aide par un pied en bois ou en métal.

Nous, nous ne pouvons changer le support et nous n'avons point encore trouvé le moyen de le rendre inerte. Il faut donc se résigner, pour le moment, du moins, à voir échouer la plupart des expériences où l'on chercherait une preuve décisive des hypothèses dans la reproduction continue d'une même conséquence, chaque fois que le procédé opératoire influera sur le système nerveux du sujet, soit par la fatigue

1) Ce sont cet mouvements qui expliquent comment on a été amené i dire que l'agent qui défait est le même que celui qui fait. Le sujet, étant dans un état détermine, juge inconsciemment qu'il doit en changer quand il sent une action et l'effet de cette suggestion peut être tout différent de l'effet caractéristique de l'agent.

d'une trop longue attente, soit par la surexcitation due à la répétition du phénomène.

On ne doit pas oublier non plus que le doigté est pour beaucoup dans le succès; il ne suffit pas de lire un cours de physique ou de chimie pour pouvoir réussir toutes les expériences qui y sont décrites.

D'ici à longtemps nous ne pourrons donc essayer de nous former une opinion que sur l'ensemble d'un très grand nombre d'observations faites par et sur des personnes différentes, et les divergences des observateurs actuels ne doivent avoir d'autre effet que de nous inspirer une très grande réserve dans le degré de généralité qu'il convient d'accorder aux théories individuelles.

Albert de Rochas.

SOCIÉTÉS SAVANTES

ACADÉMIE DE MÉDECINE

Séance du 21 juin. — Présidence de M. Sappey

Du surmenage intellectuel et de la sédentarité dans les écoles

Par M. le professeur Brouardel

Suivant moi, l'étiolement physique et intellectuel qui atteint une partie des élèves do renseignement secondaire de nos lycées n'a pas seulement pour cause le surmenage intellectuel et la sédentarité, il faut y joindre le séjour dans les grandes villes.

Pour dégager l'influence du surmenage intellectuel de celle du séjour dans les grandes villes, examinons les enfants qui n'ont pas reçu une instruction intensive, puis nous replacerons ces enfants dans le milieu collégial et nous verrons les différences.

Chacun de nous a été frappé de la vivacité de l'intelligence du gamin de Paris livré a lui-même, quand celui-ci a conserve une bonne santé; il est petit à la vérité, mais prompt à la réplique et très adroit a se débrouiller dans les petites difficultés de sa vie.

Plus d'une fois il s'impose comme directeur de sa famille quand celle-ci vient à manquer du père, son chef naturel. Tel il est à l'âge de dix à douze ans. Mais si nous le suivons de quelques années, nous le retrouvons plus tard éteint, sans vivacité et sans volonté. Physiquement, il a subi le même arrêt de développement que son intelligence, et ses organes génitaux ainsi que son corps sont restés ceux d'un enfant et ne subissent point l'évolution naturelle de la puberté. Le squelette lui-même ne prend pas la configuration masculine. Ces jeunes garçons ressemblent, par leur abdomen et leur thorax, à de» jeunes filles, reproduisant le type dont la fable nous a laissé le modèle sous le nom do Ganyméde. Cet état anatomique est définitif.

On a invoqué, pour expliquer cet arrêt de développement, l'abus prématuré des liqueurs, les excès vénériens de toute nature ; je ne nie pas que ces causes ne se surajoutent à l'influence, plus générale, du séjour dans les grandes villes, mais celle-ci occupe le premier rang.

La même évolution funeste s'observe chez les ouvriers des grandes villes et la déchéance est surtout sensible dans la fonction genésique. Vers seize ou dix-huit ans, et quelquefois plus tôt, ces infantiles prennent de l'embonpoint, leurs membres des allures féminines, et c'est parmi eux que les pédérastes choisissent leurs sujets, leurs clercs; ainsi que le remarque Tardieu, ce n'est pas parce qu'ils se livrent à des actes contre nature que ces individus prennent des allures féminines, mais c'est parce qu'ils sont physiquement féminins qu'ils se laissent embaucher par les pédérastes exploiteurs.

L'étiolement intellectuel et l'inaptitude génésique sont les deux caractères prédominants de l'enfance des grandes villes. Les facteurs qui concourent à ce triste résultat sont multiples.

Voyons ce que devient cet enfant des grandes villes quand il est appelé à subir la vie scolaire. Tout d'abord, il étonne sa famille par sa précocité et devient un petit prodige ; puis, quand survient la puberté, il subit dans son intelligence et dans son appareil physique de profondes modifications.

Vers douze ou treize ans, il engraisse, ses seins se développent, parfois il se forme des abcès mammaires- Puis, la croissance s'arrête. Celle-ci, d'ailleurs, n'a pas lieu régulièrement, mais procède par à-coups, et le fait a été noté depuis longtemps. Il est des enfants qui grandissent plus en une saison et d'autres en une saison différente. Cette croissance irrégulière dans sa progression est parfois aussi irrégulière dans son siège, car les diverses parties du corps peuvent se développer isolément les unes par rapport aux autres.

Pendant ce temps, les organes génitaux tendent à s'atrophier, dans une moindre mesure pourtant que les ouvriers cités précédemment ; c'est une impuissance relative qui menace l'avenir de l'enfant. Un jeune homme, sorti l'un des premiers d'une école du gouvernement, m'a fait à cet égard ses confidences. Il avait des érections rares, courtes, et suivies d'éjaculation au moindre contact Pas de spermatorrhée, une ou deux émissions nocturnes par mois. Ce jeune homme était d'une continence absolue et privé de presque tout désir vénérien. Physiquement, il présentait une diminution de volume des organes génitaux, ainsi qu'une déformation du bassin et des parties molles des hanches et de la région fessiére. Un traitement hygiénique et gymnastique fut employé, joint à un autre traitement extra-médical destiné à le déniaiser et à développer ses appétits sexuels. A vingt-huit ans, ce jeune homme s'est marié, il a perdu un de ses enfants d'une méningite ; un autre est atteint de paralysie infantile.

Ces arrêts de développements physiques et génitaux ne sont pas les seuls qui atteignent le petit Parisien : généralement l'intelligence, elle aussi, s'étiole, et ce sont les jeunes camarades venus de province qui prennent d'ordinaire les premiers rangs.

Ce qui manque le plus a ces enfants, c'est la faculté d'arrêter leur attention sur une même question. L'effort nécessaire pour approfondir un sujet leur fait défaut. Le maître emmagasine trop de choses dans la tête de l'élève, qui n'a le temps d'en étudier aucune, et encore moins de tirer de lui-même les conclusions qui découlent des faits qu'il examine.

Le développement de l'intelligence chez ce jeune homme procède par

à-coups, ainsi que le développement de son organisme physique; à des périodes de paresse succèdent des phases d'activité, suivies, elles aussi, d'accalmie.

Que deviennent plus tard ces jeunes Parisiens ? Incapables d'accomplir un long et consciencieux travail, ils excellent d'ordinaire aux choses artistiques. S'ils sont peintres, ils ont plus de couleur que de dessin; s'ils sont poètes, la ciselure du vers assure leur succès plus que la vigueur de la pensée.

En somme, pour lutter contre l'étiolement, il faut autant que possible éviter les grands internats.

L'encombrement qui en résulte place les enfants des ouvriers dans les conditions les plus fâcheuses.

il faudrait placer les lycées en dehors des villes, dans un endroit orné de grands jardins, dont l'air, avant d'arriver aux poumons de l'enfant, n'ait pas traversé plusieurs fois ceux de ses camarades. Tous les ans, il faudrait envoyer les enfants, pendant les vacances, dans des bois ou au bord de la mer. organiser ces colonies de vacances dont les premiers résultats sont si encourageants.

L'enfant né dans les grandes villes, ou celui qui y sera prématurément envoyé, puis placé comme interne dans un lycée, est exposé à subir des arrêts de développement physiques et intellectuels les plus graves pour l'avenir.

Ce qui est le plus frappant, dans ce dernier ordre d'idées, c'est pour ces enfants internés la difficulté et parfois l'impossibilité d'accomplir l'effort intellectuel personnel. Pour combattre cette tendance, il faut, au lieu de multiplier les matières des programmes, contraindre ces enfants à penser par eux-mêmes et arrêter leur esprit sur des objets bien précis.

Je suis d'accord avec la commission qui propose à l'Académie d'appeler l'attention des pouvoirs publics sur les graves conséquences morbides du surmenage intellectuel et de la sédentarité dans les écoles, lycées ou écoles spéciales et sur la nécessité d'apporter de grandes réformes aux modes et aux programmes d'enseignement actuellement adoptés.

Je vous demande seulement d'y ajouter la proposition suivante :

Le séjour des adolescents dans les grandes villes, leur internat dans les grands établissements d'enseignement les exposent à des arrêts de développement physiques et intellectuels. Il y a utilité, par suite, à placer ces établissements loin du centre des grandes villes, à faire aux exercices du corps, en plein air, une large pan presque égale au temps d'étude, à veiller à ce que chaque année ceux des élèves à qui leur famille ne peut assurer pendant les vacances un séjour à la campagne, puissent y être conduits, au grand bénéfice de leur développement physique et intellectuel.

REVUE DE LA PRESSE

Les dangers de l'hypnotisme extra-scientifique.

Il y a quelques jours, on conduisait à l'hôpital Saint-André, salle 16, dans le service du professeur Pitres, un jeune homme qui, dans une crise de som-meil hypnotique, avait cherché à se suicider. Ce malade, employé à la Compagnie des chemins de fer du Midi, était un des sujets ordinaires à l'aide

desquels M. Donato faisait dernièrement, à Bordeaux, des séances publiques d'hypnotisme. Depuis cette époque, il est sujet à des crises de sommeil spontané pendant lesquelles il accomplit des actes inconscients qui ne sont pas sans danger pour lui et pour les personnes de son entourage.

M. Pitres s'efforce de ramener le calme dans ce cerveau malade. Apres une on deux courtes séances d'électrisation cérébrale, il a recommandé le repos intellectuel le plus absolu. Plus tard, on essayera de détruire une a une les diverses suggestions sous l'influence desquelles il parait encore se trouver. Depuis qu'il est entré à l'hôpital, une amélioration sensible s'est produite dans son état.

Cet exemple regrettable démontre les dangers des pratiques d'hypnotisation inconsidérée et non scientifique. Les sujets hypnotisés sont des malades qu'il peut être parfois utile de montrer dans une clinique à un public médical, mais qu'il n'est pas sans inconvénients d'exhiber en public et de soumettre à des expériences fréquemment répétées.

(Journal de médecine de Bordeaux.)

BIBLIOGRAPHIE

I. — De la Morphinomanie. — Traitement et Diagnostic. — 2e édition, J.-B. Baillière, par le Dr Oscar Jennings.

II. — Sur l'arrêt inhibition du besoin de la morphine par la nitroglycérine, associée à la spartéine. — Communication lue à la Société médicale de l'Elysée, par le Dr Oscar Jennings.

Dans le premier travail, l'auteur préconise un nouveau traitement qui aurait donné, entre ses mains, des résultats fort satisfaisants. Frappé de l'insuffisance et de l'infidélité des moyens dont on dispose pour déjouer les supercheries des morphinomanes, il eut l'idée d'étudier l'état du coeur et du pouls au moyen du sphygmographe. Ces travaux sont exposés dans ce mémoire et ont permis a l'auteur de formuler des règles précises de diagnostic. Ils ont, en outre, fourni des indications importantes pour le traitement. Les moyens à employer, selon le Dr O. Jennings, seraient de remplacer la morphine parun stimulant d'ordre différent; ce résultat est obtenu par l'emploi des excitations physiques et mécaniques, telles que le massage, la chaleur, les frictions et, avant tout, l'électricité faradique.

Dans le deuxième mémoire, l'auteur développe son idée et s'adresse a l'inhibition par des agents pharmaceutiques. Ce dernier travail peut se résumer en quelques lignes: le besoin de morphine est une souffrance complexe, cérébrale et périphérique, dont chaque élément peut être combattu par une médication appropriée. La défaillance organique est soutenue par la spartéine, qui relevé le cœur, chez les morphinomanes en privation, comme le fait une piqûre de morphine. La souffrance cérébrale, souvent de beaucoup plus pénible, et qui répond a un besoin particulier de congestion habituelle, est arrêtée

par la nitro-glycérine. Pour les morphinomanes en privation, ce médicament rappelle, par les sensations qu'il fait naître, l'effet de la piqûre. Quant au mécanisme du soulagement, il serait dû à un phénomène d'arrêt par une action à distance, plutôt qu'à une sédation essentielle des centres nerveux. Ajoutons que ces deux ouvrages contiennent, intercalés dans le texte, de nombreux tracés sphygmographiques qui donnent la preuve expérimentale de ce que l'auteur avance.

CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE

Tentative de meurtre par un aliéné sur M. Deny, médecin de Bicêtre.

On se souvient qu'au mois de novembre 1885 un individu, Corse d'origine, 3gé de 58 ans, Mariot..., avait tiré sur la voiture de M. de Freycinet dans le but d'attirer l'attention sur sa personne. Il demandait une réparation du soi-disant assassinat de sa fille, morte à Panama, réparation d'argent qui le mettrait à l'abri de la misère. On reconnut qu'il ne jouissait pas de toutes ses facultés mentales, qu'il avait présenté autrefois des idées de grandeur et de persécution qui l'avaient poussé à commettre son dernier acte. Comme tous les malades de ce genre, il avait accumulé des écrits autobiographiques volumineux. Depuis son entrée à Bicêtre, il s'était toujours montré calme, soumis, quoiqu'il n'ait jamais voulu travailler. Il protestait sans violences, ni de langage, ni d'action, contre son internement, réclamant d'être jugé par les tribunaux. En présence de sa manière d'être, M. Deny, dans le service duquel il se trouve, crut pouvoir lui délivrer l'année dernière un certificat de sortie. La préfecture, sur l'avis du médecin délégué, !a refusa. Trois autres certificats eurent le même résultat. M... accusa alors M. Deny de le jouer et de le retenir au lieu de le faire sortir comme il le lui promettait. Mais, néanmoins, il ne le menaça jamais. Vendredi dernier, 17 juin, vers le milieu de la visite, les malades se trouvant rangés contre le mur. M... s'avança tout à coup sur M. Deny et chercha à le frapper dans le bas-ventre avec un instrument qu'il tenait à la main. M. Deny put éviter le coup en sautant en arrière et M... fut aussitôt saisi- Il se laissa emmener sans résistance. L'arme dont il s'était servi est un couteau de table qu'il avait eu soin d'aiguiser à la pointe.' Il en avait enveloppé le manche de chiffons, et avait enroulé une feuille de papier autour de la lame, la pointe seule dépassant légèrement. Puis il l'avait glissé dans sa manche et avait pu ainsi le dissimuler jusqu'au moment où il fit sa tentative, qui a fort heureusement échoué. Interrogé depuis, il a dît qu'il n'avait pas l'intention de recommencer, même s'il avait une bonne occasion.

NOUVELLES

— La municipalité de Bordeaux a interdit les représentations d'hypnotisme que des personnes étrangères à la médecine donnaient dans différents théâtres de la ville. Cette interdiction est motivée par des accidents survenus chez quelques sujet* hypnotisés.

A la suite de l'?rrête pris par la municipalité, les journaux de Bordeaux nous annoncent que M. Donato a fait plusieurs conférences, sans expériences, dans lesquelles il s'est appliqué à démontrer que la mesure prise n'était pas justifiée.

— Un relevé de médecins, officiers de santé, sages-femmes, pharmaciens et herbo-ristes vient d'être publié par le Ministère du Commerce et de l'Industrie.

Ce recensement donne un total de 36,512 personnes diplômées en France.

Dans Paris seulement, on compte 2,188 médecine (le sixième du total général), 1,523 sages-femmes, 762 pharmaciens et 548 herboristes.

Les individus des deux sexes inculpés d'exercice illégal de la médecine forment encore un contingent annuel de 35o en moyenne, et cependant, jusqu'à ce jour, le parquet a fait preuve vis-a-vis d'eux d'une indulgence relative assez grande.

— Concours. — Parmi les questions que la Société contre l'abus du tabac met au concours, voici les termes de celles qui intéressent les médecins :

N° 1. — Prix de 600 francs. — Un prix de 600 francs, dont une médaille d'or de la valeur de 100 fr., est offert par M. le Dr Depierris à l'étudiant en médecine, à quelque école française qu'il appartienne, qui fera le meilleur mémoire sur cette question : » La cachexie nicotique : ses symptômes, sa marche, ses effets, démontrés » par au moins huit observations cliniques, recueillies, soit dans les hôpitaux, soit » dans la pratique civile ou militaire. »

Le travail demande peut être une thèse pour le doctorat, mais ce n'est pas une obligation, tous les élèves, quelle que soit leur ancienneté d'études, pouvant prendre part au concours.

S'il y a lieu, des médailles honorifiques seront accordées aux auteurs des mémoires qui, sans obtenir le prix de 600 fr.. auront néanmoins une valeur scientifique digne de fixer l'attention.

N° 2. — Prix des gens de lettres. — Un prix de mille francs, dont une médaille d'or de cent francs, est offert par M. le Dr Depierris, à l'auteur du travail le plus méritant sur la question suivante :

« Des effets du tabac sur la santé des gens de lettres. De son Influence sur l'a-» venir de la littérature française. »

Le concours sera clos le 31 décembre 1888.

N° 3. —Prix de médecine. — Rapporter au moins quatre observations inédites, bien circonstanciées (étiologie. symptomatologie. terminaison, etc.), d'affections exclusivement attribuables à l'abus du tabac.

Le prix consistera en un lot de livres d'une valeur de 200 francs environ et une médaille de vermeil.

Le mémoire pourra être rédigé en français, en allemand, en anglais, en italien ou en espagnol.

Le programme détaillé des conditions du concours sera adressé gratuitement aux personnes qui en feront la demande au Président, 38, rue Jacob. Paris.

Inauguration de l'Exposition d'Hygiène de l'Enfance.

Nous avons assisté jeudi matin, au pavillon de la Ville de Paris, à l'inauguration de l'Exposition d'hygiène de l'Enfance, sous la présidence de M. Mesureur. M. le Dr Chassaing, président de la Société d'hygiène de l'Enfance, a exposé le but de l'Exposition. M. le Dr Félix Brémond, commissaire général, a annoncé ensuite que, pendant toute la durée de l'Exposition, des conférences de vulgarisation seront faites le jeudi à 4 heures du soir et le mardi a 10 heures du matin.

Nous donnerons à nos lecteurs un compte rendu complet de tout ce qui peut les intéresser dans cette Exposition.

index bibliographique international

HYPNOTISME (depuis ;83o)

Karl du Prel: Expériences d'hypnotisme instituées par la Société Psychologique de Munich. (Allgemeine Zeitung. Munich. 19 et 20 avril 1887.)

Max Dessoir: L'Hypnotisme en France. (Le Sphinx. Leipzig, mars 1887.)

— Catalogue des publications modernes sur l'hypnotisme et les phénomènes du mime ordre. (Le Sphinx. Leipzig, mars 1887.)

Rouquette : Contributions à l'étude de l'hypnotisme. Applications thérapeutiques, etc. (Journ. de Méd. et de Pharm. de l'Algérie, fév.)

Tereo (V.) : Erregbarkeit des Nerrens und Muskels in der Hypnose. (Centr. cf. f. d. Med. Wiss., ; avril.) — Excitabilité du nerf et du muscle dans le sommeil hypnotique.

Auvard et Varnier : Accouchement chez une hypnotique. (Annales de Gynécologie, mai 1887.)

Sicard(L.): Cas remarquable d'hypnotisme et de suggestion. (Encéphale, mai et juin 1887.)

Viscardi: Guérison d'un cas de paralysie hystérique au moyen de l'hypnotisme. (Gazette médicale italienne de Lombardie, 23 avril 1887.)

Amadéi. : Mutisme hystérique guéri par suggestion hypnotique. (Broch. de 7 rases. Milan, 1887.)

Braun: Accouchement pendant le sommeil hypnotique. (The American Lancet, mars

1887.)

Janet (Pierre) : L'anesthésie systématisée et la dissociation des phénomènes psychologiques. [Revue philosophique, mai 1887.}

Biset: L'intensité des images mentales. (Revue philosophique, mai 1887.)

De Sarlo : Le reve. (Naples, 1887.)

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

De l'onanisme chez la femme, par le Dr Pouillet, 5me édition, 1887. — Delahaye et Lecrosnier. 3 fr, 50.

Essai de psychologie générale, par Charles Richet, avec figures dans le texte. .(Bibliothèque de philosophie contemporaine.) Alcan, 1887. 2 fr. 5o. La Migraine, par le Dr L. Thomas. Delahaye et Lecrosnier, 1887. 2 fr. Le Magnétisme animal étudié sous le nom de force neurique. par le

Dr Baréty. Un fort vol. in-8°; avec 82 fig. dans le texte. Oct. Doin et Le-chevallier, 1887. 14 fr-

Magnétisme animal, suggestion hypnotique et post-hypnotique, par

le Dr P. David (de Sigean) Pons, à Narbonne. 2 fr. 50.

Formulaire clinique et thérapeutique pour les maladies des enfants,

par le Dr A. Veillard Berthier, Paris 1887. 4 fr.

La Matière brute et la Matière vivante, par J. Delbœuf. (Bibliothèque de philosophie contemporaine.) Alcan, éditeur, 1887. 2 fr. 50.

Le gérant ; Emile BOURIOT.

paris. — imprimerie charles dlot, rue bleue, 7.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

UN ACCOUCHEMENT DANS LE SOMNAMBULISME PROVOQUÉ

DÉDUCTIONS MÉDICO-LÉGALES

Par M. le D' MESNET

MEMBRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE, MÉDECIN DE L'HOTEL-DIEU

La communication que j'ai l'honneur de vous faire, sur l'invitation de quelques-uns de mes collègues, est relative aux diverses phases d'un accouchement pratiqué dans l'état de somnambulisme provoqué, chez une primipare.

— Quelle est l'influence du sommeil hypnotique sur les douleurs de ta parturition ?

— Quels sont ses effets sur les contractions utérines ?

Telles sont les deux questions que je me suis propose d'étudier chez une jeune malade de mon service, qui. les années précédentes, m'avait, à l'hôpital Saint-Antoine, présenté les phénomènes les plus intéressants de l'hypnose, et qui, rentrée dans mes salles à l'Hôtel-Dieu, à l'occasion de vomissements incoercibles liés au début d'une grossesse, y accoucha le premier du mois d'avril dernier.

Nous avons été conduit à ces recherches par l'extrême facilité avec laquelle cette jeune malade acceptait les suggestions, par l'expérience tant de fois répétée sur elle, que nous pouvions, grâce â cette influence, éveiller ou éteindre les sensibilités sur telles ou telles parties de son corps, supprimer des douleurs musculaires, névralgiques, ovariennes, dont elle avait eu souvent à souffrir, avant et pendant sa grossesse.

Ces données antérieures bien établies, nous avions déjà la probabilité de l'allégement, sinon de la suppression complète des douleurs de l'accouchement ; probabilité d'autant plus fondée que les conditions dans lesquelles nous nous proposions d'opérer avaient la plus grande analogie avec celles qu'avait mises en pratique

J. Cloquet, en 1829, dans une amputation du sein qu'il fit à l'insu d'une de ses malades : et celles qu'employèrent Follin, Broca, Verneuil, il y a vingt-cinq ans. dans quelques opérations qu'ils pratiquèrent sur des hypnotiques, d'après les conseils de notre collègue, leur ami, le professeur Azam, de Bordeaux.

Nous avions encore, d'autre part, à nous préoccuper des contractions utérines ; à savoir : si l'action perturbatrice de l'hypnose n'entraverait point la contractilité de 1 organe, pendant le travail ?

Deux observations publiées dernièrement : L'une du Dr Pritzl, assistant de Karl Braun. à Vienne, chez une femme accouchée par lui dans l'état léthargique, le 7 novembre 1885 ;

L'autre de Dumontpallier. mon collègue à l'Hôtel-Dieu, communiquée à la Société de Biologie, en séance du 26 février 1887.

Ces deux observations complètes et rigoureuses nous enlevaient toute inquiétude à cet égard (1).

Telles étaient les conditions acquises, au moment où se présenta l'accouchement d'Alice D.., qui fut assistée, pendant toute la durée du travail, par M. Lion, mon interne.

Alice D..., domestique, àgée de vingt-deux ans, est née d'une famille dans laquelle on trouve, tant du côté du père que du côté de la mère, de nombreux cas de névropathie.

Elle a trois sœurs et un frère, tous nerveux, émotifs: deux des sœurs ont souvent des suffocations, des évanouissements, des accidents nerveux plus ou moins dans la voie de l'hystérie.

Elle-même, dès sa première jeunesse, a présenté des convulsions qui, a l'époque où les règles s'établirent, avaient tous les caractères des attaques hystériques. A onze ans, elle resta con-tracturée à la suite d'une de ses attaques et fut conduite à la Salpetrière, où on put l'hypnotiser et la guérir.

De onze à quatorze ans. les contractions se renouvelèrent fréquemment, à la suite de ses attaques, et l'obligèrent un assez grand nombre de fois à recourir aux soins des médecins de la Salpetrière.

A dix-huit ans. elle se gage comme domestique ; mais elle ne peut conserver sa place. Ses attaques la prennent à tous moments ; un jour, elle tombe dans la rue avec l'enfant qu'elle avait dans les bras.

En 1884, à l'âge de dix-neuf ans. elle entre à l'hôpital Saint-Antoine pour une douleur extrêmement vive du côté droit de

(1) Autre accouchement hypnotique du 17 avril 1887, par MM. Auvard et Varnier (Annales de gynécologie et d'obstérique, mai 1887).

l'abdomen, avec pertes abondantes. Admise en chirurgie, elle se refuse à tout examen direct, et, devant l'insistance du chirurgien, elle est prise d'une violente attaque d'hystérie.

C'est alors qu'elle passa dans mon service, où j'observai chez elle les phénomènes les plus variés du nervosisme sous toutes ses formes, et les manifestations les plus convaincantes du dédoublement de la mémoire dans la série des phénomènes hypnotiques... Tels que : l'examen le plus complet des organes génitaux fait par le toucher et par le spéculum dans l'état d'hypnose, sans que la malade en ait jamais eu connaissance à l'état de veille.

Sortie de mon service en avril 1885, Alice est restée dans des conditions de santé générale satisfaisantes, bien qu'elle ait toujours eu de fréquentes attaques de nerfs, mais sans complications.

— Devenue enceinte au mois d'août 1886, elle fut prise, dans les premiers mois de sa grossesse, de vomissements incoercibles qui la ramenèrent dans mon nouveau service à l'Hôtel-Dieu, où je la conservai jusqu'à son accouchement.

— Quels étaient les troubles nerveux que présentait Alice dans les derniers mois de sa grossesse ?

— Dans quelle mesure était-elle, au moment de son accouchement, accessible aux influences hypnotiques ?

Depuis trois ans que je connaissais cette malade, elle avait une hémianesthésie totale, complète, invariable de tout le cûté gauche du corps; anesthésie sensitivo-sensorielle limitée exactement à la ligne médiane. Les sensibilités à la douleur, au chaud, au froid, à la pression, abolies ; l'odorat, l'ouïe complètement perdus ; la vue trouble du côté gauche: mais le tact conservé, au point qu'elle reconnaissait, les yeux fermés, tous les objets qu'on lui mettait entre les doigts.

L'hémianesthésie gauche ne s'accompagnait chez elle d'aucun trouble de locomotion, ni d'affaiblissement musculaire de ce côté.

Un seul point hyperesthésique existe vers le flanc droit, exclusivement limité à la région ovarienne.

L'ensemble des conditions générales de la santé de cette jeune femme semblerait excellent, si, ne voyant que les apparences, on ne tenait compte des troubles fonctionnels du système nerveux que nous venons d'indiquer, et dont la permanence constitue la base pathologique des phénomènes cérébraux éventuels et mobiles dont j'ai maintenant à vous entretenir... Je veux parler du sommeil hypnotique.

Le sommeil s'obtient chez elle avec une extrême facilité et presque instantanément, par l'occlusion des paupières, par la fixation du regard sur un objet quelconque, par un bruit subit, par la

projection d'un rayon lumineux, par le simple commandement : Dormez ! en un mot, par tous les procédés mis en usage à cet effet, voire même par la seule pensée qu'on veut l'endormir, ou par l'idée qu'en faisant telle ou telle chose, elle s'endormira...

En quelques secondes, Alice est en état de somnambulisme : les paupières closes, les globes oculaires convulsés en bas, les membres inertes en repos sur son lit, ou relevés et fixes dans 1 état cataleptoïde si bien décrit par Lasègue : elle semble complètement détachée du monde extérieur, elle reste inerte et immobile tant qu'une interpellation directe ne vient point réveiller ses activités psycho-sensorielles engourdies.

Dès qu'on lui adresse la parole, ses traits s'animent, elle devient attentive, elle répond aux questions qu'on lui adresse, elle prend part à la conversation avec une telle liberté d'esprit, avec une si grande facilité de langage, qu'elle semblerait jouir de l'intégrité de ses facultés intellectuelles, à qui la jugerait sur cette première impression.

Mais poursuivez l'examen, mettez en jeu ses autres facultés, vous verrez combien son impressionnabilité, sa sensibilité morale est mobile et désemparée ; vous la ferez rire ou pleurer à volonté... vous lui créerez toute sorte d'hallucinations, d'illusions qu'elle prendra pour des réalités... elle vous exprimera résolument une volonté de résistance à tels ou tels ordres que vous lui donnerez; mais insistez avec énergie, elle cédera, tout en protestant contre votre autorité.

— Pourquoi avez-vous cédé, puisque vous ne le vouliez pas ?

— Parce que, monsieur, vous me l'aviez commandé, et que je n"at pas pu résister !

J'aurais à vous citer de nombreux exemples, et des plus variés, dans lesquels sa volonté débile a toujours été impuissante dans la lutte ; mais je passe à d'autres phénomènes de l'ordre physique, somatique. qui existent simultanément chez cette malade, et qui complètent le cadre pathologique que je tiens, par-dessus tout, à établir.

L'hypercxcitabilité névro-musculaire existe au degré le plus élevé :

— La pression exercée sur le facial, produit la contracture de la moitié de la face ;

— Il en est de même de la pression du sterno—mastoïdien, dont la contracture porte la face du côté opposé ;

— Le moindre souffle, le plus léger contact sur les extenseurs, puis sur les fléchisseurs des bras, comme des jambes, amène successivement l'extension, puis la flexion des doigts, des orteils ;

—La compression du cubital détermine la griffe.

J'ajouterai : que l'entraînement des bras ou des mains dans un

mouvement de rotation, ou de la tête dans ce même mouvement, persiste aussi longtemps qu'on veut !e faire durer :

Que la pression des lèvres supprime instantanément la parole et produit l'occlusion spasmodique des lèvres.

Tel était, tel est encore l'ensemble des faits pathologiques que présentait cette malade dans les derniers mois de sa grossesse, et qui ont persisté après son accouchement.

J'indique, sans y insister, les phases cataleptiques, léthargiques, convulsives, spasmodiques qui surviennent incidemment dans son sommeil somnambulique et qui suspendent momentanément toute communication de la malade avec le dehors ; l'état somnambulique étant le seul qu'il nous importe de bien déterminer, puisque nous l'avons choisi pour pratiquer l'accouchement.

Nous trouvions, en effet, dans la conservation des facultés intellectuelles, dans la facilité de fixer l'attention de la malade, dans l'autorité que notre parole avait sur elle, les conditions les meilleures pour l'élude que nous voulions faire du travail dans ses diverses périodes.

Depuis longtemps déjà nous la préparions à l'idée qu'elle ne souffrirait pas ; nous lui affirmions que nous pourrions abolir la douleur, en l'endormant quand l'heure serait venue, et nous gagnions ainsi chaque jour de plus en plus sa confiance, au point qu'elle arrivait à terme, sans plus avoir le moindre souci de l'opération qu'elle allait accomplir.

Voici, du reste, la narration fidèle de son accouchement, annoté chaque heure, par M. Lion, mon interne, assisté de plusieurs de ses collègues à l'Hôtel-Dieu :

Elle accoucha le 1er avril 1887, à cinq. heures du matin.

Les premières douleurs s'étaient déclarées dans la soirée du 3o mars ; elles se continuèrent toute la nuit assez légères, brèves, espacées, suffisantes toutefois pour troubler le sommeil.

Le 31 mars, à la visite du matin, elles étaient un peu plus vives, plus rapprochées, moins fugaces; la malade était levée néanmoins, elle s'occupait dans la salle.

Dans l'après-midi plus de douleurs, la malade était calme, et dormait paisiblement à neuf heures ; le toucher pratiqué dans la journée avait permis de constater que le col n'était point effacé, qu'il était entr'ouvert, laissait passer facilement l'extrémité du doigt, et que la tête était dans la position : O. I. G. A.

A minuit. l'infirmière vint chercher M. Lion en lui disant que la malade avait, depuis une heure, de très violentes douleurs, qu'elle demandait en grâce qu'on vînt la soulager.

Après avoir constaté que le col avait une dilatation égale au diamètre d'une pièce de 2 francs, que les contractions étaient énergiques, les douleurs violentes et mal supportées, M. Lion endor-

mit la malade en lui fermant les paupières. En quelques secondes elle était en somnambulisme : les paupières closes, les globes oculaires convulsés en bas, les membres dans l'état cataleptoïde conservant les positions qu'on leur donnait; l'hypcrexcitabilité névro-musculaire en plein exercice.

La malade avait néanmoins toute sa lucidité d'esprit, et continuait à sentir comme avant, car elle s'agitait dans son lit, et criait avec force à chaque nouvelle douleur.

M. Lion l'interpelle et lui dit :

— Vous souffret beaucoup! Je vais vous calmer.

Et, tout en exerçant de légères frictions sur son ventre, il ajoute :

— Vos douleurs sont moins vives;

— Elles diminuent de plus en plus ;

— Elles ont complètement disparu;

— Vous n'éprouverez plus jusqu'à la fin de votre accouchement qu'une sensation de pression, très supportable, nullement douloureuse, et vous aiderez aux contractions en poussant vous-même de toutes vos forces.

— Vous avez bien compris tout ce que je viens de vous dire... et il en sera ainsi!

Telle était la suggestion à laquelle nous avions préparé la malade depuis longtemps, et sur laquelle nous comptions pour conduire à bien son accouchement.

Aussitôt, elle cessa de crier en affirmant qu'elle ne souffrait plus, qu'elle n'éprouvait qu'un resserrement intérieur nullement douloureux. Son visage était calme, elle répondait fort tranquillement à chacune de nos questions, s'interrompant à peine quand survenait une douleur, et se plaignant amèrement de l'infirmière qui l'avait laissée souffrir si longtemps avant d'aller chercher l'interne.

Elle s'excitait dans la voie des reproches; M. Lion l'exhorta à se calmer, à ne pas s'énerver, à éviter les convulsions, en lui répétant qu'elle ne souffrira plus, qu'elle peut dormir... Elle reste étendue sur son lit, la tête reposant sur son oreiller, dans une immobilité complète qu'elle n'interrompt que pour pousser au moment des douleurs.

A une heure du matin, les contractions sont de plus en plus énergiques, prolongées, reviennent toutes les 2 ou 3 minutes. le col a le diamètre d'une pièce de 5 francs; une vive douleur éclate brusquement dans le côté droit du ventre en dehors du temps des contractions, et disparaît par une légère friction, avec affirmation donnée à la malade qu'elle ne souffre plus.

A deux heures, l'ouverture du col est de 7 à 8 centimètres; les membranes sont tendues, et bombent à travers l'orifice utérin.

La malade se dit fatiguée, veut changer de position : elle se lève,

met son jupon, scs pantoufles ; saisit la barre de son lit, comme point d'appui, à chaque douleur qui lui survient, et pousse avec force, en nous affirmant qu'elle ne souffre pas. qu'elle sent son ventre s'entrouvrir; qu'elle n'a qu'une inquiétude, c'est qu'on la réveille ; aussi répète-t-elle à chaque instant : Laissez-moi dormir ! ne me reveillez pas ! je suis bien ainsi !

De 2 à 3 heures, les douleurs sont régulières, efficaces; le travail marche régulièrement, la dilatation du col est complète, la poche des eaux se rompt à 3 heures.

A ce moment, le toucher devient douloureux.

A 3 heures 1/2. la tète s'engage; la douleur du côté reparaît, elle s'étend bientôt â la région lombaire, à l'abdomen tout entier; les frictions, les suggestions restent sans résultat.

A ce moment, l'expression de la malade se modifie, le calme qu'elle avait eu jusqu'alors disparaît: son attention ne peut plus être fixée : elle s'anime á chaque douleur nouvelle, en laissant échapper de longs gémissements, en se tordant sur elle-même, criant qu'elle n'en peut plus, qu'elle est à bout de forces, qu'elle souffre trop, qu'il faut l'accoucher avec les fers !

Elle nous a paru, à partir de ce moment, souffrir autant que toute autre parturiente à l'état de veille, si nous mesurons l'intensité de la douleur aux manifestations extérieures qui semblent l'exprimer.

Et cependant — fait important à noter— la malade n'est pas sortie un moment de l'état somnambulique dans lequel nous l'avions placée; les douleurs ont été impuissantes à la réveiller: les paupières n'ont pas cessé d'être closes, les yeux convulsés en bas, les catalepsies partielles, toujours faciles à réaliser, de même que les phénomènes d'excitabilité neuro-musculaire. Aucune convulsion ne s'est montrée, aucune menace de transformation de l'état somnambulique en l'état léthargique n'est apparue.

A 4 heures, la tète était à la vulve.

A 5 heures moins un quart, l'accouchement se terminait.

Immédiatement après l'accouchement, !a malade étant toujours dans l'état de somnambulisme, demande quel est le sexe de son enfant, et exprime un grand mécontentement en apprenant que ce n'était point une fille comme elle le désirait.

Quelques tranchées surviennent sur ces entrefaites, à peine senties par la malade qui de nouveau était devenue suggestion-nable; et la délivrance se fait d'elle-même un quart d'heure après.

Une fois le lit changé, la toilette de la mère et de l'enfant terminée, la malade est réveillée en lui soufflant sur les yeux.

Elle se frotte les paupières, les ouvre, s'étonne qu'il fasse déjà jour, paraît surprise qu'on soit près d'elle à une heure si matinale, cl demande si elle a dormi longtemps ?

Puis, portant la main sur son ventre, elle s'écrie : Tiens! qu'est

devenu mon ventre? — Ce n'est pas possible? Elle ne sait rien de ce qui s'est passé dans la nuit... elle ne se souvient de rien ! 1 Apprenant qu'elle est accouchée, elle demande si son enfant est une fille? Elle ignore absolument le sexe qu'elle savait une minute auparavant dans le sommeil hypnotique: et quand on lui dit qu'elle a mis au monde un garçon, elle éprouve le même désespoir qu'elle avait montré étant endormie.

Quel exemple plus convaincant peut-on trouver de la scission de la mémoire dans les deux états de veille et de sommeil ! !

La contre-épreuve faite à 9 heures du matin, au moment de la visite, nous apporte encore un nouveau témoignage ; nous trouvons la malade éveillée, dans l'ignorance la plus complète de ce qui s'est passé de minuit à 5 heures ; nous l'endormons et elle nous raconte, avec preuves à l'appui, tous les détails de son accouchement.

Il ne viendra à l'esprit de personne que l'influence analgésique de l'hypnose puisse jamais devenir un procédé utilisable dans la pratique de 1 accouchement en général ; tout au plus, pourra-t-elle être applicable à quelques cas isolés, individuels.

C'est qu'en effet l'hypnotique, tel que nous le comprenons, tel que je viens de vous le montrer, est un être sui generis. dont les fonctions nerveuses, profondément déséquilibrées, s'accompagnent de perversions plus ou moins étendues, dans l'ensemble des appareils de l'innervation cérébro-spinale.

L'hypnotique est un malade, au même titre que l'hystérique, que l'épileptique: c'est un malade chez lequel le médecin aura toujours à rechercher les troubles dynamiques, fonctionnels ou organiques qui caractérisent son état pathologique; tel est le but que je me suis proposé en vous présentant ma malade, avant de vous entretenir de son accouchement.

Permettez-moi, en terminant, d'appeler tout particulièrement votre attention sur les trois points essentiels de cette communication :

1° Une jeune femme de 22 ans, très hypnotisable depuis sa première jeunesse, accouche pour la première fois.

Abandonnée à elle-même pendant la première période de la dilatation du col. elle supporte très impatiemment ses premières douleurs, avec les exagérations propres à sa constitution nerveuse.

Mise en état de somnambulisme, et suggestionnée, elle cesse immédiatement de souffrir, et arrive, jusqu'à la dernière heure de

son accouchement, à la dilatation complète du col, sans un cri, sans un gémissement, sans cesser un instant d'être en rapport avec nous, nous disant : qu'elle sent venir les contractions, mais qu'elle ne souffre pas... qu'elle se trouve bien dans cet état.'

A partir de la dernière heure, pendant la période d'expulsion, nous n'avons plus eu d'action sur elle, et dès lors les souffrances ont paru, d'après son attitude, ses cris, ses gestes. ses impatiences, aussi violentes que chez une parturiente à l'état de veille, bien que le sommeil n'ait point été interrompu, et que les douleurs apparentes qu'elle manifestait ne l'aient point éveillée.

L'effet analgésique de l'hypnose complet et absolu, dans la longue période de dilatation du col, aurait-il donc été insuffisant, peut-être nul, pendant le travail de la dilatation périnéale ? Et cependant, la malade réveillée, en pleine possession d'elle-même, nous affirmait n'avoir souffert à aucun moment.

2° La contractilité de l'utérus n'a point été troublée ; le travail, commencé à onze heures du soir et terminé à cinq heures un quart du matin, chez une primipare, a marché régulièrement ; il a duré 6 heures, sans arrêt, avec des contractions régulières, efficaces, et progressivement croissantes jusqu'au moment de l'expulsion,

La délivrance a été facile.

Le retrait de l'utérus rapide, sans hémorrhagies.

3° Tout était terminé depuis une demi-heure quand nous réveillâmes la malade ; ce fut l'affaissement de son ventre qui lui donna le premier éveil de son accouchement.

Bien qu'elle eût paru ressentir vivement les dernières douleurs de la période d'expulsion, aucun souvenir de cette dernière phase n'existait à son réveil.

Nous avions donc sous les yeux une nouvelle et très remarquable preuve de la scission de la mémoire, tant de fois constatée chez elle, dans la comparaison de ses deux états de veille et de sommeil, de même que sa reviviscence, puisque, l'endormant de nouveau, elle nous racontait toutes les péripéties de son accouchement, nous disant qu'elle avait cessé de souffrir dès qu'on l'avait endormie: mais que, pendant la dernière heure, elle avait beaucoup souffert.

En dernière analyse, nous dirons que l'accouchement s'était fait complètement à son insu, puisque, réveillée, elle n'en avait aucune notion, aucune connaissance!

DÉDUCTIONS MÉDICO-LÉGALES

Ces considérations psychologiques nous donnent un témoignage nouveau et irrécusable de l'invariabilité des troubles de la

mémoire dans la série des phénomènes hypnotiques, et nous conduisent à cette déduction logique, fort importante en médecine légale, que ce dédoublement de la mémoire pourrait devenir, dans telles circonstances particulières, l'occasion facile de substitutions d'enfant au moment de l'accouchement, telles que substitution d'un enfant vivant à un mort, et vice versa..., substitution d'un garçon à une fille, et réciproquement, etc.

DÉROULEMENT SPONTANÉ OU PROVOQUÉ D'ÉTATS SUCCESSIFS DE PERSONNALITÉ CHEZ UN HYSTÉRO-ÉPILEPTIQUE

Par MM. les docteurs H. MABILLE, directeur-médecin en chef de l'Asile de Lafond (Charente-Inférieure), et J. RAMADIER, médecin adjoint (i).

Le malade qui fait le sujet de ce court travail est bien connu. Il a été l'objet de plusieurs études antérieures, parmi lesquelles nous citerons celles de M. Camuset (2), de M. J. Voisin i3 , et de MM. Bourru et Burot (4).

Nous avons eu a notre tour la bonne fortune de pouvoir l'étudier pendant prés d'une année à l'asile de Lafond et c'est sur ce malade que nous avons reproduit les expériences de MM. Bourru et Burot sur les hémor-rhagies cutanées provoquées par suggestion et constaté les hémorrhagies cutanées provoquées par auto-suggestion.

Nous ne reviendrons pas sur les antécédents de cet hystéro-épileptique dont la personnalité se dédouble (Camuset, Ribot, J. Voisin) et chez lequel MM. Bourru et Burot ont réussi, soit par des agents mécaniques, soit par suggestion, à produire des états de personnalité divers et à démontrer qu'il existe « des relations précises, constantes et nécessaires, entre l'état somatique et l'état psychique, ou plus simplement entre l'état physique et l'étal mental, telles qu'il est impossible de modifier l'un sans modifier l'autre parallèlement.

Nous ferons observer toutefois qu'il s'agit dans la relation de MM. Bour-ru et Burot de la production d'un seul état de personnalité qu'on peut] faire varier à volonté, suivant le procédé employé, le malade revenante

(1) H. Mabille. Progrès médical ; H. Mabille et J. Ramadier, Archives de neurologie. (2) Camuset, Annales médico-psychologiques et Maladies de la volonté, de Ribot.

(3) J. Voisin, Archives de neurologie.

(4) Bourru et Burot, Annales médico-psychologiques, Revue de l'Hypnotisme et Revue philosophique.

toujours de lui-même à sa personnalité vraie, sans passer par d'autres états intermédiaires.

Nous voudrions à notre tour décrire des phénomènes du même ordre bien différents.

Nous avons en effet assisté chez V... à de véritables déroulements de personnalités et, par déroulements de la personnalité, nous entendons qu'il s'est produit soit spontanément, soit artificiellement chez notre malade des états de personnalité successifs de durée et de nombre variables, avec retour spontané ou provoqué a la personnalité vraie.

1° Déroulements spontanés de plusieurs états de personnalité.

Ces déroulements ont toujours eu lieu, soit après une crise d'hystéro-épilepsie. soit pendant la crise elle-même.

C'est en effet dans cet état que nous observâmes pour la première fois chez V... les déroulements qui nous occupent, quelques jours après son admission a l'asile de Lafond.

Depuis cette époque, nous avons pu, lorsque V... était sous l'influence de ses grandes attaques, les constater un grand nombre de fois.

Nous ne donnerons pas la description des crises hystéro-épileptiques de V... ces attaques répondent la plupart du temps aux phases décrites par l'école de la Salpêtrière.

Toutefois, chez V..., l'attaque épileptique. précédée par l' aura hallucinatoire de la vipère, se produit souvent isolément, indépendamment des grandes attaques hystéro-épileptiques, et nous dirons, sans insister, que le cas de V... vient démontrer que les deux névroses, hystéro-épilepsie et épilepsie peuvent se manifester isolement chez un même malade, à tel point qu'étant donnée une seule crise, celle avec aura de la vipère, on peut croire que V... est épileptique, alors qu'en réalité il est épileptique et hystéro-épileptique dans le sens le plus large du mot.

Ces attaques de grande hystérie durent chez V... pendant un temps fort long, comme les médecins qui l'ont observé ont pu le constater.

Elles s'accompagnent de phénomènes très inquiétants bien décrits par M. J. Voisin et attribués par lui à la thoracalgie et que nous sommes tentés pour notre part d'attribuer a une sorte d'angine de poitrine hystérique, qui peut souvent faire craindre pour les jours du malade.

Or, c'est dans cette grande crise et en général pendant la période qui correspond, quoique d'une façon vague, à la période dite de délire, que se produisent les déroulements de personnalité qui nous occupent.

En sorte qu'en réalité, dans la majorité des cas, la crise de V... est constituée non seulement par les phénomènes ordinaires de la grande attaque, mais encore pardes changements successifs de personnalité avec état somatique correspondant à la personnalité.

Cest d'ailleurs en observant avec soin les états de paralysie ou de contracture des divers membres pendant la grande attaque et en n-tant les paroles du malade que nous avons pu découvrir, pendant cette même crise, les états de personnalité décrits par les auteurs précités et qu'il nous

a été donné d'en observer de nouveaux, reproduits par nous expérimentalement, dans la suite, par suggestion hypnotique.

Pour éviter les répétitions, nous décrirons seulement l'état de V... dans une de ses grandes attaques, et cela de la façon la plus sommaire.

Un soir, vers six heures. V... est pris de vomissements, avec stran-gurie, puis la série des convulsions toniques et cloniques commence. l-a grande attaque suit son cours ordinaire, mais vers neuf heures du soir, nous assistons à des phénomènes nouveaux pour nous et la nuit est employée par V... à des manifestations que nous résumons, la période du délire de l'attaque nous permettant de noter, en même temps que l'endroit où il se trouve, son âge à cette époque de sa vie et les changements somatiques correspondants.

Au moment où commence le déroulement, V... a les mouvements libres dans tous les membres, sa jambe droite est néanmoins parésiée. 11 est à Chartres ; sa parole est tout a fait enfantine (il est âgé de cinq ans), sa maman le bat souvent, ne veut pas lui donner de pain ; il pousse des cris comme un petit enfant : « Maman, maman, dit-il, du pain, à boire, maman, je veux boire, j'ai faim. » Quelques instants après, son bras droit se contracture, la jambe droite restant en extension ; il bégaie. Sa mère l'a placé depuis quelque temps â Luysan (il a sept ans).

La contracture du bras droit vient de se transférer a gauche. Il est à Chartres chez M. Salmon (il a huit ans). Il a sans doute commis quelques méfaits : « Je ne le ferai plus, dit-il en pleurant... Nous irons nous cacher dans un tas de feuilles : tu veux bien, dis. Edouard. Il y a beaucoup de bois, on va s'y cacher. »

Puis il se modifie tout à coup, les contractures ont disparu : « J'apprendrai a travailler la vigne chez M. Pasquier (il est a la colonie pénitentiaire de Saint-Urbain) ; je mangerai des raisins. » Il arrive à la vigne, marche courbé, range des sarments, puis jette un cri effroyable, tremble de tout le corps: « La vipère ! la vipère I crie-t-il, elle me mord ! » Un spasme s'empare de tout son être. Il a la crise épileptique amenée par la frayeur de la vipère.

Au bout de quelques minutes, la scène change, V... est pris de spasmes dans tout le corps avec convulsions portant surtout sur le côté droit.

Sa voix est toujours enfantine ; il a déchiré son pantalon en marchant, dit qu'il ne peut plus marcher ; il a mal aux deux jambes (il est a Saint-Urbain en 1877, il a neuf ans). Il voudrait sortir du lit, pleure parce qu'il ne peut jouer avec ses petits amis. Le médecin ne peut le guérir, « Il y a six mois qu'il a mal à la jambe, il a attrapé mal aux jambes en travaillant a la vigne. » Il est paraplégique, sans contracture».

V... reste cinq minutes dans une sorte d'état hallucinatoire, puis s'écrie qu'il ne veut pas aller à Saint-Dizier. La voiture vient le chercher pour l'y conduire. — Scène de désespoir. « Gardez-moi, madame Pasquier ! J'ai la tous mes petits amis! »

Il arrive sans doute à Saint-Dizier. « Que c'est grand, Saint-Dizier ! » Conversation ensuite avec M. Camuset. Il est à l' asile de Bonneval ; il

apprend le métier de tailleur ; il est paraplégique (1er état de Bonneval).

De nouveaux spasmes se succèdent qui durent plus d'un quart d'heure. V... n'a plus de paralysie des jambes. Il se croit a Saint-Urbain ; il est heureux d'être chez M. Pasquïer.

Il se retrouve ensuite à Bonneval. il a eu une paralysie de la jambe gauche; il parle de M. Camuset (2e état de Bonneval).

Sa paralysie disparaît tout i coup; il vient de s'évader; on le rattrape, il est très malheureux ,3e état de Bonneval.. Enfin, il va sortir de Bonneval. Il en part. Il est fier d'être en chemin de fer avec la grande jument noire (la locomotive, sans doute). II se rend à Chartres, veut voir sa mère, la voit.

Il est alors pris de crises nouvelles, revient a l'état de Luysan, décrit plus haut.

Puis, sorti de cet état, il se plaint de sa mère. Il ira à Mâcon: il monte en voiture, se place a Senvient chez un jardinier.

Après une série de spasmes, sa jambe gauche reste en extension, sa tête est fléchie sur l'épaule gauche. Il est à l'hospice de Mâcon. Puis il se la même, ne veut pas s'en aller avec les fous, gesticule, est dans une sorte de stupeur hallucinatoire.

Tout à coup il s'indigne contre une sœur: « Tu m'as f... des vésica-toires! », fait le geste de les arracher, s'indigne contre le médecin, M. Lacuire ; il a mal à la jambe droite, qui est à l'état de paralysie flasque (1er état de l'asile de Bourg).

Quelques minutes après, des convulsions nouvelles surviennent et V... devient hémiplégique du côté gauche, face non comprise. Il est toujours à Bourg, dans le service de M. Lacuire avec lequel il a de vives discussions (2e état de Bourg).

La paralysie gauche disparaît peu à peu. Il se trouve à Paris. Il est joyeux, ingambe, a le langage des gamins de Paris. II se rend a l'Opéra-Comique, va siffler Mlle Van Zandt. Il siffle, crie, trépigne, est pris de strangurie, cric qu'il ne veut pas aller à Bicêtre. devient hémiplégique à gauche, s'emporte contre M. Besançon, interne du service de M. Voisin (il est à Bicêtre, état de Bicêtre).

Un transfert s'effectue et V..., qui est toujours à Bicêtre, devient paralysé du côté droit (2e état de Bicêtre).

Cette paralysie s'évanouit, mais après une scène d'une grande violence pendant laquelle il veut tuer un sergent avec sa baïonnette, il redevient hémiplégique du côté droit. Son hémiplégie est incomplète. Il. est à Ro-chefort, prononce des gros mots, traîne la jambe, parle de M. Berjon, l'insulte, etc.

Enfin, son hémiplégie droite disparaît complètement ; il est à la Rochelle, à l'asile de Lafond, où il reprend conscience vers cinq heures du matin, demande à boire ; il est harassé et désire se reposer.

Nous pourrions reproduire les différentes crises pendant lesquelles V... a déroulé ses personnalités diverses. Cela présenterait peu d'intérêt.

Il nous suffira de dire que les scènes que nous avons décrites se re-

produisaient toujours avec les mêmes phénomènes psychiques et soma-tiques.

Tantôt le déroulement commençait à l'époque de son enfance et suivait alors un cours régulier comme précédemment, tantôt au contraire ce déroulement commençait à une phase plus avancée de sa vie, reproduisait à diverses reprises les mêmes périodes de son existence, mais en général on y retrouvait les phases principales. Saint-Urbain. Bonneval, Bicctre et Rochefort avec leur cortège symptomatique habituel.

Nous ajouterons, pour être complets, qu'à des dates différentes, pendant son séjour à l'asile de Lafond, V... s'est retrouvé durant un temps assez long comme fixé à des périodes anciennes de son existence.

Ainsi, le 10 octobre 1885, à l'asile de Lafond, après une grande crise, V... reste pendant un jour et demi en état d'hémiplégie droite. Il est à Rochefort. Une autre crise s'empare de lui et le ramène à la Rochelle.

Un autre jour, à la suite d'une grande attaque, il reste paralysé des deux jambes, se trouve à Bonneval pendant treize heures et ne reprend conscience à Lafond qu'après une nouvelle série de crises.

D'ailleurs, dans ces déroulements divers. V..., soit mécaniquement, soit par une sorte d'auto-suggestion, répète les actes qui lui ont été suggérés et nous avons publié à diverses reprises le récit de crises du malade pendant lesquelles il reproduisit avec succès les hémorrhagies cutanées que nous lui avions suggérées quelque temps auparavant.

2° Déroulements provoqués de personnalités.

Dans la communication de MM. Bourru et Burot à la Société médico-psvchologique (séance du 27 août 1885), nous lisons ce qui suit:

« Profitant de l'extrême hyperexcitabilité neuro-musculaire du sujet, M. Mabille. par l'excitation directe des muscles et des tendons, provoque telle contracture systématique correspondant à un état déterminé. Ainsi, pressant les tendons des jambes et des genoux, il met en contracture les membres inférieurs; aussitôt les zones sensibles et anesthesiques changent de distribution, la personnalité se transporte à l'époque de la vie où existe cette contracture; le mémoire est limitée au temps qu'elle a duré; en un mot, tout est semblable à ce qui a été décrit au 4° état : paraplégie, état de Bonneval.

» Par un procédé analogue, M. Mabille contracture la jambe droite seule, le transporte à Bourg, et ainsi des autres. »

C'est, en effet, en nous servant de ce procédé que le hasard nous a fait découvrir ;ce qui. soit dit en passant, élimine l'idée d'une suggestion de notre part, au moins pour la première fois), que nous avons constaté, le 12 août 1885, les phénomènes que nous allons décrire.

Après avoir, par la pression des tendons rotuliens. produit la contrac-ture des deux jambes et amené l'état dit de Bonneval. nous nous attendions, comme d'habitude, à voir V... revenir à son état de conscience; normal, quand nous observâmes ce qui suit.

La paralysie disparut, et V... se réveilla paralysé de la jambe. Il est à Bourg (2e état de Bourg). Il nous donne les renseignements correspondants à cet état de personnalité, état décrit trop souvent pour que nous en donnions une relation nouvelle. Puis, au bout de cinq minutes, il reprend conscience a la Rochelle.

Un astre jour, nous provoquons, par la pression des tendons. l'hémiplégie avec hémianesthésie droite. V... se trouve à Bicêtre, dans le service de M. Voisin (2e état de Bicêtre). Au lieu de revenir, à son réveil, a la Rochelle, V... se transfère. Son hémiplégie devient gauche. Il est à Bourg. Puis, quelques minutes après, il devient paraplégique; il est à Bonnevat. Il n'a plus bientôt ni paralysie ni anesthésie; il est à Saint-Urbain. Après avoir passé par l'état de Rochefort (hémiplégie et hémi-anesthesie droite), il finît par reprendre conscience a la Rochelle.

Des modifications analogues, véritables déroulements de personnalités, se produisirent a diverses reprises, soit sous l'influence d'une nouvelle personnalité suggérée, soit sous l'influence d'un agent physique (aimant, fer doux, etc.).

Nous ne nous attarderons pas à démontrer la réalité des faits que nous venons de décrire : le malade est trop connu pour que cela devienne nécessaire.

Cependant, nous croyons utile de signaler combien et comment la connaissance de ces mêmes faits a pu nous être utile, près du malade, au point de vue thérapeutique.

Comme nous l'avons dit plus haut, les crises spontanées d'hystéro-épilepsie de V... durent parfois cinquante a soixante heures, et nous rappellerons qu'elles mettent souvent sa vie en danger.

Or, il est possible d'y mettre assez rapidement un terme dans les conditions que nous allons déterminer.

V... porte une zone hystérogène à l'abdomen, à gauche. La compression de cette zone détermine l'attaque, avec aura prémonitoire de la vipère.

Mais cette zone n'existe que dans un certain nombre d'états de personnalité du malade, comme aussi il n'est possible d'hypnotiser V... que dans certaines périodes distinctes de sa vie.

Or, il est toujours facile, V... étant en ,l'état de grande crise, après avoir comprimé la zone hystérogène, de déterminer, lorsqu'elle est sensible, une ébauche d'attaque qu'on arrête aussitôt par la pression du testicule.

Immédiatement alors, on peut faire passer V... i l'état de somnambulisme par la pression des yeux, l'ouverture des paupières et la friction du vertex.

A ce degré, la suggestion permet de le ramener à sa personnalité normale, et de faire disparaître, comme par enchantement, la grande crise et la majeure partie des malaises.

Telle est la déduction pratique des faits que nous venons d'exposer.

Car il nous est arrivé bien des fois, depuis que nous les avons constatés, d'enrayer les grandes attaques de notre malade et de mettre fin à ses déroulements de personnalité.

Il nous suffisait de savoir que lorsque V... se déroute, telle paralysie motrice correspond à tel état de personnalité avec ou sans conservation de la zone hystérogene abdominale gauche.

D'où l'indication d'intervenir en temps utile pour ramener la personnalité normale.

Nous croyons aussi, par ce qui précède, avoir contribué à démontrer combien est intime le lien qui unit les crises nerveuses aux variations de la personnalité.

Car jamais nous n'avons vu chez V... la personnalité se transformer sans crise ou modification nerveuse préalables.

L'attaque est, chez notre sujet, comme la manifestation d'un état morbide pendant lequel, par suite d'une réviviscence des sensations antérieurement emmagasinées, le malade semble relire et dérouler sa vie passée en oubliant les autres périodes de son existence, et s'arrêter parfois comme pour s'y fixer, à défaut peut-être d'incitation nerveuse suffisante, à certaines époques de sa vie, pour en revêtir le caractère physique et mental.

DE LA DIPSOMANIE ET DES HABITUDES ALCOOLIQUES ET DE LEUR TRAITEMENT PAR LA SUGGESTION HYPNOTIQUE

Par M. le Docteur Auguste VOISIN

medecin de la SALPÊTRIÈRE

I! m'a paru intéressant d'appliquer la suggestion hypnotique au traitement de la dipsomanie, variété d'aliénation mentale qui emprunte fréquemment sa gravité à son origine héréditaire et à ses rapports avec les diverses maladies mentales et nerveuses.

Esquirol a pu dire à juste titre que la dipsomanie est une sorte de monomanie d'ivresse et qu'il est des cas où cet état est l'effet du trouble accidentel de la sensibilité physique et morale qui ne laisse plus à l'homme sa liberté d'action, où l'individu qui avait antérieurement des mœurs douces et des habitudes de sobriété, change tout à coup d'allure et se livre à des excès alcooliques, tandis que, l'accès fini, il rentre dans ses habitudes de tempérance.

L'observation apprend encore que ces accès durent plusieurs jours et que les récidives sont fréquentes ; tous les 15 jours, tous les mois et quelquefois plus.

Les accès sont annoncés par un malaise général, un besoin de remuer, d'aller et de venir; par de la tristesse, du mal de tète, de l'anxiété ; par de la chaleur épigastrique, des étouffements, des bâillements, des tiraillements d'estomac, de la soif qui rend impérieux et irrésistible le besoin de boire.

J'ai connu des individus qui buvaient pour pouvoir marcher, travailler manuellement et s'occuper de travaux intellectuels.

Sous l'influence de ces sensations, le dipsomane, quelle que soit sa position, élevée ou infime, quelle que soit son éducation ou son honorabilité, recherche le moyen de satisfaire sa passion et s'ingénie à découvrir des boissons, des liqueurs, des alcoolats de toilette, à se procurer de l'argent pour en acheter, soit en volant, soit en vendant ses effets, ses meubles.

Parmi ces malades, beaucoup dissimulent au moyen de mille ruses l'eau-de-vie, les alcools qu'ils se sont procurés, et ils se livrent à leur passion pendant des semaines sans manger et sans dormir. Pendant les périodes, leur caractère s'aigrit; ce sont des disputes et des scènes continuelles dans la famille.

L'intelligence du dipsomane perd de son énergie; les idées lui manquent; l'initiative diminue; il s'occupe de futilités et de niaiseries; il accepte avec une grande facilité et répète les idées qui lui sont communiquées; la volonté est défaillante; il existe une grande variabilité dans la manière de voir.

La santé physique du dipsomane est rapidement altérée; ses yeux sont vitreux, souvent hébétés ; les joues sont couperosées ; les lèvres, la langue sont rouges et sèches; l'haleine exhale, comme tout le corps, du reste, une odeur alcoolique désagréable.

Il se produit des vomissements muqueux et alimentaires.

Il est fréquent d'observer des dipsomanes qui, dans la première période de leurs accès, se livrent à toutes sortes d'excentricités, commettent toutes sortes de délits qui les font arrêter. C'est ainsi qu'un certain nombre de ces individus font des dépenses exagérées, qu'ils se font conduire en voiture à deux et môme à quatre chevaux, qu'ils se font servir de bons dîners qu'ils ne peuvent payer; et il est à noter que beaucoup parmi eux répètent les mômes actes ou à peu près à chaque accès, se faisant passer pour tel ou tel grand seigneur, pour tel personnage.

Un long sommeil termine le plus souvent l'accès, puis l'individu reprend ses occupations et il conserve plus ou moins longtemps ses facultés intellectuelles: mais cependant chaque accès amène de la dépression morale.

Le dipsomane arrive fatalement à un état de débilité mentale qui

frise la démence, à moins qu'il ne soit enlevé par des accidents d'alcoolisme aigu ou chronique.

Les moyens thérapeutiques de guérison de la dipsomanie sont jusqu'ici à trouver. C'est en vain que l'on s'est servi de l'ipéca-cuanha, de solaniés ou d'opiacés, comme le préconisait Magnus Luss.

On a conseillé de mêler à la boisson un amer, une substance nauséabonde telle que l'assa fœtida ou de la térébenthine.

On a essayé de mettre de l'eau-de-vie dans tous les aliments des buveurs d'eau-de-vie.

Les bains prolongés avec ou sans affusions froides sur la tête ont surtout paru utiles dans les cas où il y avait de l'insomnie et du délire. Malheureusement, tous ces moyens, en enrayant la maladie pour quelque temps, ne parvenaient pas à produire des effets durables.

Lorsque les accès sont fréquents et qu'ils s'accompagnent de violence, on est obligé, ainsi que le disait Esquirol, de placer le malade dans un établissement d'aliénés. En effet, la séquestration produit quelquefois des résultats immédiats ; quelques jours d'abstinence suffisent souvent pour rétablir la tranquillité chez ces malades. Mais, malheureusement, il arrive fréquemment que peu de temps après la sortie du malade, il se produit de nouveaux accès qui demandent une nouvelle séquestration: d'autres fois, l'agitation est plus durable.

Si les accidents dipsomaniaques sont rapprochés, durables ; si surtout les habitudes d'ivrognerie persistent à un degré notable en dehors des paroxysmes, l'isolement ne doit pas souffrir d'interruption ; c'est pourquoi en Amérique, et surtout dans l'Amérique du Nord, on a créé des maisons spéciales pour les dipsomanes, auxquelles on donne le nom de « Inebriate Asylum ».

Les premiers établissements contre l'ivrognerie qui aient été construits en Amérique datent de 1804. A cette époque déjà, on retrouve, dans un discours du Dr Bradford, les paroles suivantes :

« Un ivrogne confirmé doit être considéré comme un aliéné. Il peut avoir des intervalles lucides, mais il n'y a aucune raison pour qu'il ne soit pas considéré et traité comme eux. »

En 1857, on fonde un établissement à Boston : en 1867, un autre à New-York et à Chicago.

Ces maisons spéciales ont été construites, non pour combattre un vice, mais pour guérir une maladie.

On y obtient des cures presques certaines après un certain temps. Le placement dans ces établissements peut être volontaire ou bien fait par ordre de l'autorité.

En Europe, il n'y a qu'en Angleterre où on lutte depuis longtemps déjà contre les habitudes d'intempérance sans que l'on ait encore obtenu aucun succès durable.

Ce sont les docteurs Forbes Winslov. Peddie et Skoe, tous trois médecins aliénistes, qui ont pris en main cette grave question. Selon eux. il ne suffit pas de garder les dipsomanes en traitement pendant un temps suffisant pour faire cesser le délire ébrieux : la guérison ne peut être obtenue que par une sobriété forcée pendant une période assez longue pour faire disparaître la tendance maladive à boire, période qui, dans certains cas, doit être portée à deux ou même trois années.

La gravité de la dipsomanie a paru tellement grande aux médecins de l'Angleterre et de l'Amérique, où cette maladie est si répandue, qu'ils en sont arrivés à provoquer des mesures restric-toires de la liberté des individus qui en sont affectés.

C'est ainsi que, d'après le Dr Peddie, les malades retenus dans ces établissements spéciaux devraient pouvoir jouir de leurs droits de citoyens ; ils devraient pouvoir tester ou faire tous autres actes, pourvu que le directeur ou toute autre personne attachée à la maison certifiât que le malade, au moment de son acte, n'était pas en accès de dipsomanie et qu'il jouissait de toute sa raison.

Le docteur Darymple a soumis au Parlement anglais, il y a quelques années, un projet de loi dont l'adoption aurait pour but d'appliquer à toutes les personnes qui s'adonnent à l'ivrognerie des mesures de traitement très sévères.

Voici les principaux articles de ce projet :

« Article Ier. — Toute personne qui, par suite de l'usage fré-» quent ou constant de liqueurs enivrantes, est devenue incapable » de se diriger elle-même et de soigner d'une manière continue » ses affaires ou celles de sa famille, sera considérée comme » étant ivrogne d'habitude et comme n'ayant pas l'esprit sain.

» Tout ivrogne d'habitude peut être enfermé pendant tout le » temps du trouble de son esprit et, en outre, pour le temps né-» cessaire au rétablissement de sa santé.

» Art. II. — Jamais le séjour dans un établissement ne durera » moins de trois mois, ni plus d'un an, à moins d'ordres contraires » d'un magistrat ou d'un médecin inspecteur des asiles d'aliénés. »

La question que M. Darymple proposait était trop neuve et trop peu connue à cette époque pour pouvoir réussir; aussi s'en tint-il là pour l'instant, tout en se promettant bien de ramener la question un jour ou l'autre devant le Parlement.

De ce qui précède, on ne doit pas conclure qu'il soit indispensable de construire des établissements spécialement réservés aux ivrognes : car cette mesure, tout en étant bonne par certains côtés, pèche par d'autres.

En effet, il est en particulier impossible que, eu égard à la nature et à la forme de la dipsomanie qui procède par accès et qui ne dure ordinairement que peu de jours, les individus placés dans ces asiles soient, des leur entrée, soumis aux conditions visées par la

loi de 1838 et qu'ils soient régis par les mêmes règlements que les aliénés ordinaires dont la maladie subit une évolution de plus ou moins longue durée. Devant ces difficultés et après avoir cherché en vain des remèdes dans la thérapeutique, j'ai eu l'idée de me servir de la suggestion hypnotique, qui m'avait réussi comme agent moralisateur, et d'en user comme moyen de guérison de la dipsomanie.

Mes recherches ont abouti à bonne fin, et, depuis l'observation lue au Congrès de Grenoble de 1885. j'ai recueilli plusieurs nouvelles observations de dipsomanes guéries radicalement par cette méthode en peu de jours.

Le malade dont j'ai parlé à Grenoble était un homme âgé de trente-cinq ans qui m'avait été amené de Rouen. Depuis dix ans il était atteint de dipsomanie dont les accès se répétaient régulièrement deux fois par mois et duraient chaque fois dix jours consécutifs.

Il fut possible de l'hypnotiser dès la première séance, et en deux jours, par des suggestions faites dans le cours du sommeil hypnotique, j'obtins la cessation complète de la dipsomanie. Deux ans après, ce malade n'avait pas encore présenté la moindre tendance à la récidive.

(A suivre )

REVUE CRITIQUE

Les Forces non définies, recherches historiques et expérimentales, par M. A. de Rochas (i)

Le livre que vient de publier M. de Rochas renferme les documents les plus intéressants sur les questions qui passionnent aujourd'hui l'esprit public.

Le grand mérite de ce savant auteur est d'avoir cherché à mettre d'accord la science et la tradition. Érudit bibliophile, il a su trouver dans les auteurs anciens des faits étranges, considérés longtemps comme des mystifications, mais qui sont bien réels, et, qui plus est, sur le point d'être expliqués par la science moderne.

M. de Rochas commence par exposer les lois de la polarité humaine, d'après les travaux récents de M. Ch. Dècle et du docteur Chazarain. Après avoir exposé les faits sur lesquels est basée la polarité, il aborde l'histoire des pratiques qui en dépendent. L'imposition des mains, qui provoquait chez certains sujets un état où ils étaient susceptibles de re-

(1) Les Forces non définies, par A. de Rochas. Maison, 1887.

cevoir des suggestions tout en paraissant rester éveillés, n'est peut-être qu'un effet de la polarité. On sait que Valentin Greatrakes opérait des cures extraordinaires par des attouchements. Un chanoine de Ratisbonne, du nom de Gassner. guérissait les malades, et plus spécialement ceux qui étaient atteints de douleurs locales ou d'affections du système nerveux, par l'exorcisme et l'imposition des mains; il promenait celles-ci sur la tête, le cou, la nuque du patient et sur les parties affectées de douleurs, après les avoir vivement frottées à sa ceinture, à son étole ou à son mouchoir.

Les tentatives du baron de Reichenbach, pour trouver l'atmosphère odique autour des différentes parties du corps, sont rappelées succinctement. Il en est de même des essais de Charpignon, de Despine sur le magnétisme humain dans ses rapports avec le magnétisme terrestre. La conclusion, c'est que certaines personnes d'une sensibilité exceptionnelle peuvent être assimilées a des instruments qui décèlent l'existence d'un dynamide particulier tout à fait analogue, par la plupart de ses propriétés, au fluide électrique; mais, pour pouvoir affirmer la complète identité de ces deux agents, il reste à prouver qu'ils produisent des effets identiques sur les appareils ordinaires de nos laboratoires.

Ce sont précisément les expériences entreprises depuis longtemps au moyen des instruments de laboratoire pour constater les actions magnétiques qui font l'objet du second chapitre. Pendant longtemps on a cru que les propriétés magnétiques appartenaient seulement au fer ou à l'un de ses oxydes; on a reconnu que ces propriétés se manifestaient dans tous les corps à des degrés divers. Le magnétisme des végétaux n'est plus mis en doute et tous les ouvrages de botanique indiquent que l'électricité favorise la germination. C'est Nobili qui, en 1827, établit pour la première fois, d'une façon bien nette, l'existence d'un courant propre dans l'organisme animal. D'après Claude Bernard, l'électricité se produit chez tous les animaux et dans tous les muscles. On connaît plusieurs espèces de poissons qui ont un appareil électrique spécial. Or, Marey a constaté que le fonctionnement de l'appareil électrique présente avec celui de l'appareil musculaire la plus grande analogie. On sait qu'on peut aimanter une aiguille de fer doux en la plaçant prés d'un nerf de la torpille. Il parait que le phénomène de l'aimantation d'un objet en acier par le contact des névrosiaques est assez fréquent, comme tendent à le prouver des expériences de Despine, de Burdach, de Lafontaine. etc Le magnétisme de la terre est bien prouvé : on compare généralement la terre à un aimant gigantesque dont la ligne neutre est l'équatcur magnétique et dont les pôles sont situés dans les zones glaciales. Le magnétisme de l'atmosphère n'est pas douteux.

Dans les chapitres suivants, M. de Rochas s'occupe tout spécialement de l'attraction exercée sur le corps humain, de la variation du poids du corps, du déplacement des objets à distance, de l'ascension des corps humains. Ce sont des pages bien séduisantes et qui touchent les questions encore mystérieuses ; il nous est difficile de les analyser.

Les phases de l'hypnose sont décrites à un point de vue tout nouveau. Tout en parlant brièvement des phases classiques, M. de Rochas s'occupe spécialement des phases intermédiaires et surtout de cet état qu'on a peine à dénommer et que les auteurs appellent état intermédiaire, fascination, charme, mais qu'il appelle état de crédulité. Les procédés pour produire l'hypnose et des expériences sur le somnambulisme en sont les suites naturelles.

Le chapitre VIII est consacré à l'étude des actions psychiques des contacis et des émanations. Rien de plus intéressant que le récit des effets des émanations, onctions et ingestions de certaines plantes pour produire les inspirations prophétiques, le délire, les hallucinations, les métamorphoses. La question si ancienne des oracles reçoit une explication satisfaisante. C'est presque toujours le laurier que l'on voit intervenir pour déterminer l'extase. On lira avec intérêt les anecdotes tirées des auteurs anciens, prouvant bien l'influence des émanations de certaines plantes sur le cerveau.

Les derniers chapitres sont réservés à l'étude des courants internes et des effluves du corps humain et a la divination.

En résumé, cet important ouvrage contient de nombreux faits d'expérimentation ; l'auteur a cherché à établir, ù l'aide des phénomènes vérifiés par lui-même ou dressés par tout le monde, l'existence dans le corps humain d'une force analogue a l'électricité et pouvant rayonner au dehors; mais, de plus, des recherches historiques montrent que les phénomènes observés à des époques reculées sont bien près de recevoir leur explication.

C'est un ouvrage qui dénote de la part de l'auteur une grande sagacité d'expérimentation et une érudition peu commune. Il sera lu avec plaisir et intérêt.

Dr F. Burot.

Le grand hypnotisme et la suggestion hypnotique dans ses rapports avec le droit pénal et civil.

Tel est le titre d'un livre fort intéressant, publié a Turin par le docteur Campili et dans lequel, après une description rapide de l'hypnotisme et de la suggestion, il aborde les questions médico-légales qui s'y rattachent.

En droit pénal, il y a lieu de considérer les actes criminels qui peuvent être accomplis par l'intermédiaire des hypnotisés : crime contre les personnes, attestats à la pudeur, faux témoignages, etc., etc., et ceux que l'on peut commettre sur l'hypnotisé lui-même, offense à sa personne morale et physique : viol, paralysie psychique, amnésie provoquée, etc., etc.

En droit civil, la suggestion hypnotique interrient, avec son influence spéciale, dans les souscriptions de quittances, de billets à ordre, d'obligations contractées pendant l'hypnose.

Avant de résoudre ces questions de médecine légale, l'auteur expose les conditions psycho-physiologiques de l'hypnotisme et de la suggestion. Il y a dans l'hypnose, a côté de l'abolition de la volonté et de la conscience, une

action secondaire qui excite le système nerveux et grâce à laquelle certaines facultés intellectuelles, sensorielles et motrices, acquièrent une puissance extraordinaire : ce fait est démontré par un ensemble de phénomènes incontestables.

L'hypnotisé est un automate : l'acte qu'il accomplit n'est pas volontaire, mais bien d'ordre réflexe; chez lui, tout dément l'intervention do l'intelligence : plus l'organisme s'habitue a la suggestion, plus se manifeste l'obéissance passive. Toute initiative disparaît peu a peu : c'est la volonté d'autrui qui s'impose, a tel point que la cause efficiente des actes du sujet est, tout entière, dans la suggestion. Cependant, Je pouvoir de l'hypnotiseur a des limites : les idées, les sensations du patient pourront éprouver certaines modifications, certaines altérations, mais l'expérimentateur ne pourra, dans aucun cas. suggérer des idées inconnues au sujet : en dépit de tous les efforts, un illettré ne saurait écrire, pas plus que celui qui ignorerait l'alphabet ne saurait lire sous l'influence de la suggestion.

Il y a des hypnotisés réfractaires, parce que la suggestion doit être en harmonie avec leur nature mentale, avec leurs tendances personnelles. Toutefois, par suite d'une longue éducation hypnotique, le sujet peut recevoir un ordre contraire à ses convictions; cela résulte d'une transformation lente, d'une modification graduelle, dans les tendances morales et dans les principes primitifs.

Quel est le degré de responsabilité pénale ou civile de l'hypnotisé relativement aux délits commis, aux obligations contractées, sous l'influence de la suggestion? La conception de la responsabilité repose, tout entière, sur l'hypothèse que l'individu ait commis l'acte coupable en pleine possession de sa volonté libre, de son intelligence, que l'adhésion i l'acte soit personnelle, qu'elle n'ait pas été viciée par une fraude, par une violence, par une ruse quelconque.

Chez l'hypnotisé, la responsabilité sera d'autant moindre que, dans l'accomplissement de l'acte, le discernement et la conscience morale auront été moindres. Il ne prévoit pas les conséquences anti-juridiques de ses actes : l'autonomie cérébrale est supprimée pendant l'hypnose. L'hypnotisé agit, en quelque sorte, comme une machine : que lui importent les conséquences, l'illégalité de ses actes? 11 n'en conserve pas même le souvenir. Il est insensible au douloureux spectacle de la sujétion psychologique.

Mais, si, dans l'exécution d'un ordre, l'hypnotisé est irresponsable, jouira-t-il de la même immunité alors qu'il accomplit un acte criminel préconçu avant la suggestion, quand bien même cette dernière en serait la cause déterminante? Si la responsabilité implique le concours de l'intelligence et de la volonté libre, il est hors de doute que, dans un délit commis sous l'influence de la suggestion, les conditions obligatoires de La responsabilité font défaut. Si le sujet avait, au moment d'agir, possédé la plénitude de ses facultés intellectuelles, nese serait-il pas abstenu d'accomplirson dessein, bien qu'il l'ait prémédité ?

Peut-on établir la responsabilité de l'hypnotisé par ce seul fait qu'il a consenti à se trouver placé dans l'état d'inconscience Í

Graves questions dont l'ensemble constitue une thèse que l'auteur a soutenue au point de vue de l'anthropologie criminelle. On le sait. la vieille Ecole classique invoque, pour la répression de la culpabilité, la nécessite dans laquelle se trouve la société de sévir proportionnellement au besoin qu'elle a de se défendre et de se maintenir.

Si l'on proportionnait la responsabilité de l'hypnotisé à la faute purement objective, on admettrait à son égard la plus sévère répression. Mais il faut tenir compte d'un autre facteur de l'acte illégal, c'est l'élément subjectif ?p??e?µ???? d'Aristote) qui caractérise la personnalité. L'activité psychique de l'hypnotisé est sous la dépendance d'une crise cérébrale dont il n'a pas conscience; c'est l'hypnotiseur qui le mène, son individualité a disparu. La subjectivité de l'acte coupable n'existe pas: le sens intime ne perçoit ni l'idée de faute, ni l'idée de répression; aucun conflit entre les sensations et les sentiments: l'exercice du sens intime et de la volonté libre est aboli. Ainsi donc, ce qui constitue l'immoralité de l'acte ne saurait être établi pendant l'hypnose.

Si l'acte n'est pas en conformité parfaite avec l'état moral qui est habituel au sujet, sa sanction pénale ne pourrait lui être appliquée. Mais, au contraire, la loi doit toujours intervenir quand le délit est le reflet de la perversité, pour ainsi dire, idiosyncrasique de l'hypnotisé; quand, de propos délibéré, il a jugé opportun de recourir à l'hypnotisme pour l'exécution d'un délit préconçu, et cela, soit pour échapper à la répression, soit pour accomplir son dessein plus sûrement et sans faiblesse, grâce à la suggestion.

Campili examine rapidement les relations qui existent entre l'hypnotisme et le droit civil. Tout acte civil, tout contrat qui résulte de la suggestion ne peut avoir d'effets juridiques; les qualités nécessaires à la validité de ces actes ne l'accompagnent pas.

Quant à la responsabilité qui incombe à l'hypnotiseur, le savant italien répète avec Liégeois que le véritable violateur de la loi est celui qui a suggéré volontairement l'acte coupable, c'est lui qui en est rigoureusement responsable : il y a là un préjudice causé à l'hypnotisé.

La répression doit tenir compte du temps, du lieu, des circonstances, des moyens employés pour la suggestion.

Quels doivent être les moyens préventifs légaux pour limiter l'exercice de l'hypnotisme, pour n'en permettre l'usage discret qu'aux médecins dans le traitement des névropathies ? Tous les inconvénients de l'hypnotisme sont imputables à son abus, lequel constitue une atteinte au droit, à la société. Une loi très sévère devrait en interdire l'exercice à quiconque n'a pas qualité pour le pratiquer ; seuls, les hommes de l'art devraient être autorisés a en faire usage.

L'auteur réprouve énergiquement l'application de l'hypnotisme à la procédure criminelle. Il admet, cependant, qu'il puisse intervenir comme un moyen secondaire pour suppléer aux preuves alors que le justiciable lui-même fait appel à son concours. 11 faut, en pareil cas, s'assurer que le sujet ne simule pas; l'expérience ne saurait avoir la valeur d'une preuve légale qu'à la condition expresse que tous les moyens possibles auront été mis en œuvre pour reconnaître la réalité de l'état hypnotique, et les manifestations évidentes de la suggestion.

Telles sont, en résumé, les questions principales traitées par le docteur Campili. Son livre savant et curieux est digne, au plus haut point, d'être signale aux médecins, aux philosophes et à tous les esprits cultivés que préoccupe, â juste titre, la science de l'hypnotisme si féconde en révélations psycho-physiologiques. Terminons en formulant le vœu qu'une traduction française de l'œuvre de Campili vienne enrichir notre bibliothèque scientifique internationale.

A. Nicot.

SOCIÉTÉS SAVANTES

ACADEMIE DE MÉDECINE

Séance du 21 juin. - Présidence de M. Sappen

Du surmenage intellectuel et de la sédentarité dans les écoles

Par M. le Docteur Féréol, médecin à la Charité (i)

En ce qui concerne le surmenage intellectuel, je me range à côté de ceux qui pensent qu'on en exagère singulièrement le rôle et l'importance, au moins dans les lycées de garçons. Je pense que presque tous les méfaits dont on accuse le surmenage intellectuel doivent être mis sur le compte de la prédisposition, de l'hérédité, de la dégénérescence de la race, ou d'une hygiène défectueuse. Ou les choses sont bien changées, ou les élèves de nos lycées auront toujours le moyen de se soustraire facilement a tout danger provenant d'un excès de travail. Je crois donc que si le surmenage existe, c'est un fait individuel et volontaire.

Quant à la céphalée des adolescents, si l'on met a part les cas, assez nombreux déjà, que M. Perrin attribuée une fatigue de l'accommodation oculaire, il ne reste plus guère que des héréditaires, fils de migraineux, de diabétiques, etc. — Et, chose à noter, un grand nombre de ces jeunes gens sont plutôt des paresseux que la classe ennuie et rebute. Si on les retire du collège et si on les laisse flâner, ils guérissent comme par enchantement.

Pour les dégénérés et même pour ceux qui se portent bien, multipliez les précautions hygiéniques, agrandissez les dortoirs et les salles d'étude, supprimez le gaz, assainissez tes cabinets d'aisances, éloignez les lycées des villes, prescrivez la gymnastique, l'équitation, la natation, etc., — nous serons tous d'accord là-dessus.

Un mot seulement à propos du lever matinal : je ne partage pas sur ce point l'avis de M. Hardy; d'un autre côté, l'hygiène et la tradition sont d'accord sur l'avantage qu'il y a à faire coucher les enfants de bonne heure et à ne pas prolonger leur travail dans la soirée.

Cependant, il faut bien qu'ils travaillent, et il faut qu'ils sachent aussi que telle est la loi de ce monde, où l'on n'arrive à quelque chose qu'à la condition de se donner du mal.

N'est-ce donc pas suffisant de leur accorder huit heures de sommeil : Mettons huit heures et demie en hiver, si vous voulez. En été, ils y gagneront de ne pas travailler à la lampe.

Je crois, pour ma part, qu'il n'y a pas grand'chose à réformer de ce côté.

J'ai hâte d'arriver à la question des programmes.

La conclusion de M. Lagneau insiste sur la nécessité d'apporter de

(i) Nous appelons l'attention de nos lecteurs sur le discours que M. Féréol a prononce dans la dernière séance de l'Académie. Les applaudissements unanimes qui l'ont accueilli indiquent qu'il a su apporter la note vraie dans ce débat si instructif.

grandes réformes aux modes et aux programmes d'enseignement actuellement adoptés.

C'est contre ce que cette conclusion me parait avoir d'excessif que je demande a présenter quelques observations.

Un des arguments qui me paraît le plus favorable à cette prétendue nécessite de remanier complètement ces programmes, c'est le petit nombre de réceptions au baccalauréat: 46 o/o en moyenne depuis vingt ans.

Le chiffre est faible, mais qu'est-ce que cela prouve: A mon sens, cela prouve surtout que le nombre des candidats est trop grand. Tout le monde veut être bachelier.

En instituant l'enseignement secondaire spécial, l'Eut vient de remédier à cet état de choses.

Multipliez les écoles dans ce sens ; attirez vers Chaptal et Turgot les jeunes gens qui n'ont pas le goût des études littéraires, mais laissez aux études classiques toute leur valeur, toute leur supériorité. Ne décapitez pas notre instruction secondaire : ne faites pas de l'égalité au détriment des intelligences d'élite.

Songez, d'ailleurs, que, depuis vingt ans, on a déjà remanié plusieurs fois les programmes, qu'on a déjà facilité les épreuves du baccalauréat en les ré-partissant entre deux années.

Conservez le baccalauréat d'abord, que les Grecs, les Romains, les Turcs, les Persans même viennent nous demander, et conservez-lui aussi son caractère encyclopédique. Elaguez un peu les détails, mais laissez-le tel qu'il est dans son ensemble.

Je ne pense pas du tout que les programmes encyclopédiques aient fait leur temps, et qu'ils soient désormais condamnés. Voudriez-vous donc, dès le début des humanités, appeler les enfants à se spécialiser: Mais comment voulez-vous qu'ils le lassent autrement qu'au hasard, si vous ne leur avez pas donné une teinture générale de toutes choses?

Voudriez-vous nous donner encore un nouveau baccalauréat ? Nous en avons déjà trois. J'avoue que, pour moi, le besoin d'un quatrième ne se fait pas encore sentir. Je crois qu'il y a avantage à donner aux jeunes gens des connaissances encyclopédiques superficielles, sans doute. De tout un peu, telle doit être l'idée régulatrice de ce programme.

Je ne partage donc pas l'avis de M. Hardy sur la suppression des sciences naturelles des programmes de l'enseignement secondaire. D'autres demandent', la suppression de la chimie et des mathématiques, et il ne manque pas de réformateurs qui sont prêts a faire prononcer l'exclusion du grec et du latin.

Au milieu de tous ces feux convergents, que devient notre pauvre diplôme? Qu'en reste-t-il?

A mon avis, ne supprimons rien, allégeons si vous voulez, mais conservons les grandes lignes. Conservons surtout ces admirables langues mortes dont! nous sommes les fils.

En terminant, permettez-moi de faire remarquer que nous sommes tous ici les fils de l'Université, de cette Université que certains ne demanderaient qu'à enterrer, comptant bien sur un héritage qui, du reste aujourd'hui plus que jamais, pourrait bien leur échapper. Sachons donc bien, tous, ce que nous faisons, quand nous proposons de procéder à des réformes; et prenons garde, en voulant la réparer, de ne pas trop ébranler la maison. Quant a moi. s'il m'est permis de me mettre en cause, le peu que je sais, c'est a l'Université

que je le dois : je ne saurais jamais lui en témoigner tissez ma reconnaissance. Et j'espère que tous ici nous rendrons pleine justice à ceux qui continuent aujourd'hui la tradition de Victor Cousin, de Saint-Marc-Girardin et de J.-B. Dumas.

Si vous le voulez bien, je formulerai maintenant quelques propositions.

Je trouve qu'il y a dans la conclusion de M. Lagneau trois choses bien distinctes :1° le surmenage intellectuel; 2° l'hygiène scolaire; 3* les programmes universitaires.

Je crois qu'il serait bon que l'Académie fût consultée sur chacun de ces trois points en particulier. Cependant, je serais d'avis de supprimer le pre-mier,.qui n'existe pas en fait, ainsi que l'a fort bien dit M. Le Fort.

En ce qui concerne l'hygiène, nous sommes très près de nous entendre. Nous demandons tous, je crois, le progrès hygiénique du collège.

Pour ce qui est des programmes du baccalauréat, il me semble que nous ne sommes pas compétents, et qu'il vaudrait mieux s'en rapporter aux pouvoirs publics qui décideront d'après l'indication que nous leur aurons donnée d'avoir i alléger la tâche du collégien. (Applaudissements.)

COURS ET CONFÉRENCES

LES APPLICATIONS DE L'HYPNOTISME AU TRAITEMENT DES ENFANTS VICIEUX

Conférence faite par M. le Docteur Edgar Bérillon, à l'Exposition d'Hygiène de l'Enfance, le jeudi 28 juillet 1887.

C'est devant un nombreux auditoire, attire par la nouveauté du sujet et qui n'a cessé de prêter au conférencier l'attention la plus sympathique, que M. le docteur Bérillon a développé les points suivants :

Il a commencé par faire ressortir l'importance de l'hygiene morale, qui doit marcher constamment de pair avec l'hygiène physique. Mais de même qu'on a dû créer l'orthopédie, branche de la médecine qui a pour but le redressement des difformités physiques, un certain nombre d'observateurs ont pensé qu'il était temps de chercher à créer une véritable orthopédie morale pour arrivera la guérison des perversités morales contre lesquelles restent impuissantes les ressources habituelles de la science de l'éducation.

M. Bérillon, au dernier Congrès de Nancy, avait exprimé l'idée que c'était dans l'hypnotisme qu'il serait possible de trouver les bases de cette orthopédie intellectuelle et morale. Sa communication : De la suggestion envisagée au point de vue pédagogique, faite sous les auspices d'un pédagogue érudit, M. Félix Hément, a eu le bonheur de rallier les suffrages de tous ceux qui ont prouvé leur compétence en hypnotisme. Successivement depuis lors, MM. Liébeault, Liégeois, Ladame, Netter. Bernheim. Beaunis sont venus affirmer que la proposition n'avait rien en soi qui pût choquer la morale et qui fût contraire à des données scientifiquement établies.

D'ailleurs, M. Auguste Voisin ne parvient-il pas, à la Salpêtrière, à guérir des aliénés présentant les perversions morales les plus variées ?

Or, si l'influence de la suggestion est indiscutable chez l'adulte hypnotisé, quelle doit-elle être chez l'enfant, déjà très suggestible à l'état de veille ?

Le récit de nombreux exemples d'habitudes vicieuses, de tics nerveux, de tendances et d'instincts pervers, modifiés et guéris par quelques séances d'hypnotisme, a vivement impressionné les auditeurs.

Avant de terminer, M. Bérillon a tenu à réfuter toutes les objections que des personnes incompétentes ou animées d'idées préconçues pourraient soulever contre l'application de la méthode.

« Enaucun cas,a-t-ildit, nous ne voulons soumettre à l'hypnotisme un enfant normal ou simplement médiocre. Nous croyons que pour ceux-là les procédés ordinaires d'éducation doivent suffire. Mais, quand des parents éplorés amèneront au médecin hypnotiseur un enfant atteint de la monomanie du vol, par exemple, en proie aux habitudes vicieuses les plus repoussantes, affecté d'infirmités répugnantes telles que l'incontinence diurne et nocturne d'urine et des matières fécales, ou qui manifestera une inconscience qui peut lui faire commettre sans réflexion les actes les plus blâmables, nous croyons que son devoir lui commandera de tenter de le guérir par un procédé qui, entre des mains suffisamment expérimentées, n'a encore donné lieu à aucune déception. »

DE LA SUGGESTION MENTALE

Compte rendu du livre de 3. M. Ochorowicz fait a la Société d'Etudes philosophiques et sociales, par M Albert Colas.

Il est bon, je crois, de vous faire connaître l'auteur, le livre n'en sera que mieux apprécié.

M. Ochorowicz, ex-professeur de philosophie à l'Université de Lemberg, est un philosophe distingué qui a déjà publié bon nombre d'études très remarquées ; il est doublé d'un électricien bien connu du monde scientifique par les perfectionnements essentiels qu'il a apportés à la construction du microphone, et il est l'inventeur d'un hypnoscope. C'est à dessein que je vous présente l'électricien, car le livre nous prouve que, dans ses expériences, l'auteur a toujours présents à l'esprit les phénomènes électriques qui offrent quelque analogie avec les phénomènes hypnotiques et magnétiques.

Nous ne nous appesantirons pas sur la description des phénomènes hypnotiques, ils sont bien connus de tous ceux qui m'écoutent, et le docteur Bérillon vous a, dans notre dernière séance, suffisamment édifiés. Il suffira de nous rappeler que, dans l'état hypnotique, le sujet obéit à la suggestion verbale.

Donnez un ordre, l'exécution s'ensuivra. Mais si la suggestion verbale et l'auto-suggestion, sa congénère, sont bien connues et sont acceptées aujourd'hui par tous les expérimentateurs, la suggestion mentale l'est moins ; bon nombre d'expérimentateurs, et non des moins distingués, ne l'acceptent pas.

C'était aussi l'opinion de M. Ochorowicz : pour lui, la suggestion mentale n'existait pas et elle était en contradiction avec toutes les connaissances scientifiques. Mais un esprit aussi peu routinier et aussi avide de savoir ne s'arrête pas la. Il ne croit pas ; mais il sait que rien n'est brutal comme un fait, et, s'il y a des faits de suggestion mentale, il faut, bon gré mal gré, les admettre, sauf à leur trouver, plus tard, une explication scientifique.

Il s'est mis consciencieusement à la recherche des faits. I.» somme des matériaux mis en œuvre est considérable. les expériences personnelles, nombreuses, sont conduites avec une méthode rigoureuse.

Tout d'abord, les faits où la suggestion mentale n'est qu'apparente : les idées simultanées chez deux personnes en présence ou ayant l'habitude de vivre ensemble ; l'hyperesthésie qui caractérise certains états hypnotiques ; l'idéoplastie, qui est une action non d'ordre physique, mais d'ordre réflexe. Si l'on cède à un examen superficiel, on pourrait se croire obligé de faire rentrer ces faits dans la suggestion mentale; mais elle n'est là qu'apparente et on peut les expliquer : par une idéoplastie des mouvements ou suggestion mécanique. Ce qui importe, c'est qu'il a suffi à quelques auteurs et à quelques expérimentateurs de croire à la suggestion mentale pour que celle-ci ne soit plus négligée, pour qu'on poursuive son étude.

Mais, pour M. Ochorowicz, certains faits peuvent s'expliquer sans le secours de la suggestion mentale, et c'est le cas de ceux qu'il nous présente dans ses chapitres : 1° de la suggestion mentale apparente; 2° de la suggestion mentale probable; il en est d'autres qui ne peuvent s'expliquer que par elle. On voit qu'il a pris soin de nous amener à la suggestion mentale vraie par des nuances imperceptibles aux personnes peu familières avec ses expériences, et i! rend ainsi notre scepticisme moins farouche. Aussi est-ce avec le plus grand intérêt qu'on lit le chapitre de la suggestion mentale vraie et celui qui le suit: les expériences du Havre. Faut-il vous faire connaître les faits ? je serais tenté de le faire si j'en avais le temps ; mais je ne le ferai pas pour une autre raison. Le livre est bourré de faits, et un fait isolé ne dit rien qui vaille; il faut les classer et donner les principaux dans un ordre logique, et ce serait refaire le livre. Je vous engage à le lire, cela vaudra mieux ! Il est très suggestif, et je ne voudrais pas déflorer l'auteur en vous faisant moi-même une suggestion.

Là. il faut cous arrêter quelque peu et savoir que la suggestion mentale n'est pas possible dans les états divers du magnétisme et de l'hypnotisme. Au point de vue de l'activité psychique, ces divers états peuvent être divisés en trois grandes sections reliées entre elles par de nombreuses nuances intermédiaires ; ce sont : l'aldéie, la monoïdéie, la polyïdéie.

Le vrai moment de la suggestion mentale, c'est la limite entre l'état aïdéique et le monoïdéisme passif. Car, dans cet état, le sujet a le cerveau assez réveillé pour n'être pas sans idée, mais pas assez cependant pour en atoir une ; rien ne peut alors naître spontanément chez lui et la plus petite impression suffit pour qu'ici la suggestion mentale trouve sa place. M. Ochorouicz établit une différence fondamentale entre l'hypnotisme et le magnétisme. C'est dans le magnétisme seulement qu'il existe entre le sujet et l'expérimentateur un rapport complet, absolu, et c'est ce rapport qui donne toute sa force à la suggestion mentale. N'oublions pas que nous avons affaire à un psychologue-électricien. Voici de quoi résulte le rapport :

1° D'une concentration de l'attention du sujet, dirigée uniquement vers le magnétiseur (c'est le cas le plus fréquent et cette explication suffit très souvent) ;

2° D'un réglage particulier psychique, obtenu en partie par cette concentration même, mais principalement provoqué par les procédés du magnétiseur et soutenu par des indications involontaires de l'attitude, de la voix, etc., etc. ;

3° D'une action physique individuelle; 4° D'une suggestion mentale.

Remarquons surtout l'action physique individuelle : c'est la tout le magnétisme !

M. Ochorowicz va nous conduire parmi les analogies physiques de la suggestion mentale ; il nous montrera ce .qu'est le sympathisme organique : transmission des sensations, des états émotifs, transmission nerveuse physique des maladies, transmission des idées de la volonté. A cet effet, il nous fera passer en revue toute l'évolution du magnétisme, et nous l'en remercions fort, car ce n'est pas là un des moindres intérêts du livre.

Il faut revenir bien vite à la question du rapport, car c'est la clef do voûte de l'édifice. Pour M. Ochorowicz, la suggestion mentale est une action physique ; il ne faudra donc pas s'étonner si, au même titre que la suggestion verbale, elle peut s'exercer, à l'insu du sujet, à distance, à échéance. Il faut; expliquer cette action physique et dire :

1° Tout être vivant est un foyer dynamique ;

2° Un foyer dynamique cherche toujours à propager le mouvement qui lui; est propre ;

3° Un mouvement propage se transforme suivant le milieu qu'il traverse.

Apparaît alors comme une explication scientifique : la loi de reversibilité.

Etant donnée une pensée accompagnée de son mouvement dynamique, elle se transporte en dehors de son foyer en se transformant et va retrouver, dans un sujet réglé, sa forme primitive. C'est la suggestion mentale !

On sent chez M. Ochorowicz la préoccupation constante de chasser l'occultisme de son livre ; s'il accepte les faits, même les plus fantastiques, c'est parce qu'il est lui-mime de bonne foi et qu'il ne veut pas infirmer un fait sous prétexte qu'il n'en a pas l'explication toute prêle. Son livre fera réfléchir même les esprits les plus prévenus et ce n'est pas rendre à la science le moindre service que de forcer les esprits prévenus à l'attention.

Cependant, dois-je le dire, je ne me sens pas convaincu. Ah ! c'est sans. doute qu'il faut soi-même faire les expériences, comme le conseille M. Ochorowicz. Eh 1 oui, c'est vrai ! Son livre peut ébranler des convictions, mais, pour être convaincu, il faut expérimenter soi-même, quand il s'agit de résoudre un pareil problème.

Albert Colas.

CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE

Une lettre rectificative de M. le Dr Pozzi.

C'est avec surprise que nous avions lu dans le Figaro une note reproduite par un grand nombre de journaux et concernant une opération chirurgicale faite, sans provoquer la moindre douleur.sur un patient hypnotisé dans le ser-vice de M. Pozzi, a l'hôpital Lourcine.

Cette note appelait une rectification. Elle ne s'est pas fait attendre, et nous sommes heureux de l'insérer :

« Le Figaro du 27 juin contient un entrefilet relatif à une prétendue décou-

verte dont il m'attribue le mérite. Il s'agit tout simplement de l'emploi du sommeil hypnotique ou de la suggestion pour pratiquer certaines opérations chirurgicales, sans douleur et sans chloroforme, sur les sujets prédisposés.

» Une observation publiée le 16 avril dernier dans la Gazette médicale par mon interne, M. Guinon, a été le point de départ de cette singulière erreur que rien n'autorisait. II n'est pas de médecin, en effet, qui ne sache que ces faits, très intéressants d'ailleurs, n'ont rien de nouveau, et que s'ils méritent par leur rareté d'être consignés dans les recueils scientifiques, ils ne sont pas de nature à émouvoir l'opinion publique.

a On ne peut donc que déplorer l'intervention toujours inopportune et souvent puérile de la presse mondaine dans des questions qui lui sont étrangères. Elle est l'origine d'erreurs grossières pour le public, et je dois ajouter qu'elle est très désobligeante pour ceux qui (comme moi dans cette circonstance) s'y trouvent momentanément associés.

» Veuillez agréer, etc.

» Dr S. Pozzi,

» Agrégé à la Faculté de médecine, chirurgien de Lourciae. »

II est en effet fréquent de voir paraître dans la presse des nouvelles ayant trait à certains phénomènes d'hypnotisme et qui ne sont rien moins que con-formes à la vérité. Ce n'est pas que la presse ait le désir de propager des erreurs, mais il est à regretter qu elle ne recueille pas plus souvent ses renseignements auprès des savants autorisés et compétents, meilleurs juges que tous autres en pareille matière.

NOUVELLES

Distinctions honorifiques. — Dans sa séance annuelle, présidée par MM. Ferdinand de Lesseps et Rodolphe Burgues, la Société des Sauveteurs de la Seine, sur le rapport de M. le docteur de Beauvais, a décerné les récompenses suivantes aux médecins et pharmaciens ci-dessous désignés :

Médailles d'argent. — Prix Letellier, MM. les docteurs Edgar Berillon et Gillet de Grandmont; — Prix du Conseil, MM. les docteurs Garrigou-Desarenes et Reliquet; MM. A. Petit et F. Lemaîre, pharmaciens.

Médailles de bronze. — Prix du Conseil, M. le docteur Biscarrat; — Prix de la Société. M. le docteur Bénard.

— Légion d'honneur. — Par arrête en date du 14 juillet, sont nommés :

Au grade d'officier. — M. le professeur Lannelongue, M. le professeur Duplay, M. le docteur Leroy des Barres (de Saint-Denis).

Au grade de chevalier. — M. le docteur Tapret, médecin des hôpitaux de Paris. M. le docteur Terrillon. chirurgien des hôpitaux ; M. le docteur Dechaux (de Mont-luçon); M. le docteur Gouël. médecin de l'asile de Villepinte ; M. le docteur Espiau de Lamaestre (de Ville-Evrard); M. le docteur Giben, médecin du bureau de bienfaisance du XIIe arrondissement de Paris; ;M. le docteur Michel (de Paris);. M. le docteur_Ricoux (de Philippeville).

— Nous sommes particulièrement heureux d'annoncer que. par décret en date du 5 juillet, notre savant collaborateur et ami le docteur Brémaud (de Brest) a été nommé chevalier de la Légion d'honneur.

—Hommage a M. le Dr Espiau de Lamaestre — L'affection et le respect dont M. Es- : piau de Lamaestre. l'honorable directeur de Ville-Evrard, est l'objet, se sont traduits hier après-midi, dit le Gil Blas du 17 juillet, par une manifestation dont le caractère intime et spontané a remué tous les cœurs. Tout le personnel des in-ternes, gardes, infirmier, etc., a tenu à témoigner de son attachement à M. Espiau de Lamaestre et à lui donner un gage de sa reconnaissance pour les ser-vices qu'il a rendus en lui offrant, par souscription, une croix de chevalier de la Légion d'honneur, qu'un décret présidentiel vient de lui conférer.

— Académie; de médecine, — Nous enregistrons avec le plus grand plaisir l'élection, . dans la section de physiologie, a l'Académie de médecine, de notre confrère et ami M. le docteur Laborde, rédacteur en chef de la Tribune Médicale.

— Académie des sciences. — L'Académie de» sciences a procède, dans sa séance du lundi 18 juillet 1887. a l'élection d'un secrétaire perpétuel pour les sciences physi-ques, en remplacement de M. Vulpian, décédé.

M. Pasteur a été élu à l'unanimité de 39 votants.

Mérite agricole. — Par arrêté ministériel, en date du 14 juillet, la déco-ration de chevalier du Mérite agricole a été conférée à MM. les docteurs Dufour, médecin en chef de l'asile de Saint-Robert; Ribes, à Guchen ; Sauria, à Saint-Lothain; Gourdan-Fromentel, à Gray.

— A ces noms, nous devons ajouter celui de M. E. Bérillon (de Joigny), père de notre rédacteur en chef. Ce qui a valu à M. Bérillon cette distinction méritée, c'est la publication, entre autres ouvrages agricoles, d'un traité d'économie rurale. La Bonne Ménagère agricole, dont le cinquantième mille est épuisé. De plus, nous devons ajouter que c'est principalement à son ini-tiative, que n'a rebutée aucun obstacle, qu'est due la construction du magnifique marché couvert qui se trouve sur les bords de l'Yonne, à Joigny.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE Les forces non définies, par M. de Rochas. — In-8. Masson, 1887; 15 fr.

The physiological effects of artificial sleep (Les effets physiologiques du sommeil provoqué), par le Dr Mathias Roth. — Londres, Baillière, Tindall et Cox; in-8, 1887.

Les procès de sorcellerie et la suggestion hypnotique, par M. G. Thomas, substitut du procureur général. — Nancy, Woque; in-8, 1887.

L'Egypte ancienne et la franc-maçonnerie, par M. Paul Guiesse, professeur suppléant au Collège de France. — Brock. in-8, 1887.

Essai d'étude scientifique sur la physionomie, far M. Félix Hément. — Paris, Alp. Picard; broch. in-8, 1887.

Le gérant: Émile BOURIOT.

paris, — imprimerie charles dlot, rue bleue 7.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

DE LA DIPSOMANIE ET DES HABITUDES ALCOOLIQUES ET DE LEUR TRAITEMENT PAR LA SUGGESTION HYPNOTIQUE

Par M. Le Docteur Auguste VOISIN

de la salpétrière

(Suite et fin)

Le premier résultat obtenu était assez encourageant pour autoriser de nouvelles tentatives dans la même voie. Nous avons pu nous assurer que la suggestion hypnotique n'était jamais restée impuissante quand elle était appliquée avec méthode et avec patience.

Les observations présentent comme intérêt particulier qu'elles s'appliquent a des femmes. Il n'est même pas inutile de faire remarquer que deux d'entre elles étaient des femmes appartenant à des familles très aisées, ce qui rendait l'affection dont elles étaient affligées beaucoup plus pénible pour leur entourage.

Observation II- — J'ai été consulte le 27 mars 1887 pour Mme X.... âgée de 43 ans. Il y a 4 ou 5 ans, elle a commencé à manifester des besoins de boire aux périodes menstruelles et elle en est arrivée à prendre 5 à 6 litres de vin par jour et une certaine quantité d'eau-de-vîe. Elle allait même jusqu'à s'enivrer plusieurs fois par mois. On comprend que, dans ces conditions, Mme X... soit devenue un scandale dans sa famille et dans son entourage, qui appartiennent au meilleur monde. Lorsque je la vis pour la première fois, elle était maigre, pâle, la peau était sèche, le regard était alangui, sa démarche était lente et tout en elle exprimait la nonchalance et l'indifférence.

Le caractère de Mme X... était devenu excessivement irascible : elle se prend constamment de querelle avec les siens ; elle est toujours d'un avis contraire aux autres et provoque ainsi des scènes incessantes dans son intérieur.

Le sommeil est très agité ou bien il manque le plus souvent. 11 est inter-rompu chaque nuit par des cauchemars effrayants dont le souvenir l'inquiète jusque dans le jour. Maux de tête continuels.

Je constate que l'haleine est profondément alcoolique, que le corps exhale : une odeur très désagréable, que les lèvres sont desséchées, qu'il existe de ; l'anesthésie des sclérotiques et des points douloureux dans les régions sus et_ sous-mammaires droites. La malade éprouve continuellement une soif qu'elle 1 cherche à chaque instant à satisfaire.

L'urine ne renferme ni sucre ni albumine. La densité est égale à 1.009 Elle renferme 7 gr. 8o5 d'urée par litre.

Le 29 mars, je commence à essayer le traitement par l'hypnotisme. J'appli- ; quai ma main gauche sur la région bregmatique et je produisis de la somno-lence.

Il résulta de cette première séance une douleur vive dans la région breg-manque, qui dura jusqu'au lendemain.

Le 31 mars, j'obtins le sommeil par la présentation nu-dessus de la racine du nez d'un bouchon de carafe en cristal. Je lui suggérai de ne pas avoir de maux de tête, de bien dormir la nuit, de ne pas avoir de cauchemars et de se réveiller lorsque j'appliquerais mon doigt sur son oreille droite. Je !a réveille au bout d'une demi-heure par le procédé suggéré.

Le 3 avril, Mme X... me dit qu'elle a très bien dormi et qu'elle n'a plus eu de cauchemars.

Elle n'a plus ressenti de maux de tête, ni la douleur bregmatique.

Je l'hypnotise et lui suggère de ne plus avoir soif dans l'intervalle des repas et de ne prendre à chacun de ses repas qu'une demi-bouteille de vin. En outre, de ne jamais boire d'eau-de-vie ni de liqueurs. État de léthargie.

Son mari m'apprend quelques jours après que sa femme est plus calme qu'elle n'a plus de mouvements d'impatience et qu'il n'a rien observé qui ressemblât à de l'ivresse.

J'ai répété un certain nombre de fois le même traitement, afin de confirmer la guérison. La santé physique est redevenue progressivement bonne, l'ha-leine n'exhale plus l'alcool, le regard de la malade a repris de la vivacité. Le caractère de Mme X... est devenu égal, elle a pu reprendre la direction de sa maison et, dès le 1er mai, elle a été considérée comme guérie, sur l'assertion même de son mari.

1er septembre. La guérison s'est maintenue.

Observation III. — Mme F..., âgée de 31 ans, m'est amenée le 19 avril 1887 par son mari.

Sa physionomie est sombre et par moments comme farouche. Son mari nous dit que son caractère est devenu des plus désagréables depuis près de 6 ans et qu'elle manifeste depuis cette époque une répulsion de plus en plus grande pour les rapprochements sexuels; il ajoute que ces modifications dans le caractère et dans les habitudes de sa femme coïncident avec ses habitudes d'ivresse, qui se reproduisent tous les 8 à 10 jours au moins, sans qu'il ait pu jusqu'ici surprendre sa femme, mais que l'ivresse est évidente.

Nous observons, en effet, Mme F... pendant un de ces moments décrits par son mari, et nous constatons l'odeur alcoolique de l'haleine, le caractère vi-treux, hébété de l'œil, la coloration des joues, la bouche pourprée. la parole embarrassée, empâtée, de la titubation, le tremblement des mains.

Mme F... nie absolument toutes habitudes alcooliques.

Le sommeil est nul ou agité par des cauchemars.

Il existe une céphalée incessante et de la lourdeur de tête qui aggrave et entretient le trouble du caractère.

Les pupilles sont égales.

Nous constatons plusieurs stigmates d'hystérie, des points sous-mammaires et iliaque gauches. Il s'est produit il y a quelques mois une attaque hystérique convulsive. Son mari a essayé sans résultat plusieurs traitements.

Le 27 avril, j'arrive à l'hypnotiser par la fixation de ses veux sur les miens et par l'apposition de ma main sur son front. État de léthargie.

Je lui suggère de ne plus rien boire en dehors des repas.

Le 2 mai, elle revient avec son mari qui me dit, en dehors d'elle, qu'elle n'a pas fait d'excès de boissons, et que son sommeil a été calme.

Traitement hypnotique : suggestion de ne plus boire ni eau-de-vie, ni liqueurs, ni aucun liquide dans l'intervalle des repas, de ne pas avoir soif en dehors des repas.

9 mai. Mme F... n'a présenté aucun signe d'intoxication alcoolique. Le sommeil a été bon. Le caractère est calme. Le travail est maintenant régulier.

Les joues ne sont plus pourprées ; l'haleine n'est plus alcoolique.

Lorsque Mme F... vient maintenant me trouver, sa physionomie est souriante et aimable, et elle me remercie de l'avoir guérie.

1er septembre. Le mari de Mme F... me dit qu'elle est maintenant ce qu'elle était il y a 7 à 8 ans.

Observation IV. — Mme X..., âgée de 45 ans, mère de plusieurs enfants, a perdu son mari il y a près de douze ans, et elle a cherche sa consolation dans des habitudes alcooliques (vin, eau-de-vie) ; elle en est arrivée, depuis sept ans surtout, à s'enivrer plusieurs fois par mois. Son caractère est devenu détestable; elle se dispute avec les siens; ce sont des scènes incessantes avec ses enfants, dont elle s'occupe à peine; elle laisse gouverner son ménage par ses domestiques.

Il lui est survenu récemment des vomissements alimentaires. Elle est atteinte d'une soif inextinguible qu'elle satisfait sans relâche. Elle veut, dit-elle, boire jusqu'à la folie. Elle ne dort plus, elle a des illusions et des hallucinations nocturnes effrayantes ; elle s'agite tellement la nuit qu'il est nécessaire de la veiller ; elle brise, par moments, ce qui se trouve à sa portée : je la vois pendant un de ces accès de violence.

Elle a des idées de suicide ; elle refuse de se lever pendant plusieurs jours.

Elle a des pensées et des manières d'être absolument différentes de celles d'autrefois ; elle déteste ce qu'elle aimait, critique, prend du mauvais côté ce qu'elle prisait ; elle parle en athée de la religion et de Dieu, tandis qu'elle pratiquait auparavant.

Le 18 juillet 1887. — Sa famille eut assez de peine à me faire pénétrer jusqu'à elle, car elle n'a pas voulu voir de médecin depuis longtemps ; ce sont des vomissements et son manque d'alimentation qui l'ont décidée à me recevoir.

Mme X... est maigre; haleine alcoolique; la physionomie est inquiète, l'apparence est maladive ; elle s'agite ; elle me tourne le dos ; elle se cache sous ses couvertures en déclarant qu'elle ne veut pas de médecin ; à tout instant elle vomit du mucus et elle manifeste une douleur épigastrique vive : sa soif est extrême. Elle demande du vin : pas de fièvre; les membres supérieurs tremblent considérablement ; pas de trouble de la parole ni d'inégalité

des pupilles; illusions de la vue pendant le jour; hallucinations de la vue nocturnes. Insomnie absolue ; agitation la nuit.

Traitement. — J'instituai de suite un traitement destine à combattre les vomissements, la douleur épigastrique et l'insomnie.

Glace à l'intérieur; mouche de milan morphinée sur le creux épigastrique; 1 pilule de 8 centigrammes d'extrait thébaïque le soir; bouillon refroidi par la glace.

Le 22 juillet. — Les vomissements ont cessé à peu près complètement. Même insomnie, même agitation. Je cherche à l'hypnotiser, mais sans résultat.

Le 23 juillet. — Deuxième essai sans résultat, à cause de son agitation incessante.

Le 24 juillet. — Idem. La malade a dormi deux heures pendant la nuit. J'obtiens enfin le sommeil hypnotique. Les yeux sont convulsés en haut, les paupières clignent et tremblent. Diminution notable de la sensibilité aux piqûres. Demi-collapsus des membres supérieurs. Respiration forte a type supérieur.

La malade n'indique pas qu'elle entend ce qu'on lui dit; cependant, je commence le traitement suggestif:

« Ne plus avoir soif en dehors des repas. Ne plus rien boire dans l'inter-, » valle des repas. Ne boire aux repas que 3 verres d'eau rougie (1/3 vin,

» 2/3 eau). Détester le vin pur, l'eau-de-vie et toute espèce de liqueur alcoc-

» lique.

» Ce sera le moyen de recouvrer votre santé et votre bonheur. c'est pour » votre bien. »

Le 2 5 juillet. — Elle u'a plus eu soif en dehors des repas et cependant la: température extérieure est de 34°.

Elle est calme et elle n'a pas cherché à boire de vin ni de liqueurs. J'ob-tiens un sommeil hypnotique plus intense qu'hier.

Aux suggestions d'hier j'ajoute :

« Dormir six heures pendant cette nuit, de 11 heures du soir à 5 heures du » matin. »

Le sommeil nocturne a duré six heures et pendant le temps suggéré.

La malade est calme, elle ne vomit plus, elle n'a plus de douleur épigastrique, et elle mange suffisamment; céphalalgie fréquente depuis plusieurs années.

Le 26 juillet. — J'obtiens le sommeil léthargique complet avec insensibilité

et collapsus complets et rougeur des joues. Mêmes suggestions, auxquelles j'ajoute :

« Avoir le sommeil calme: ne plus avoir de cauchemars ; ne plus avoir de » céphalalgie. » Le 3 août, je reviens voir Mme X...

L'état est satisfaisant; elle n'a plus rien bu en dehors des repas ; elle est calme : elle a dormi la nuit : elle n'a plus eu de cauchemars. La céphalalgie diurne est restée la même.

De plus, son frère me prie de lui faire des recommandations relatives à son intérieur et à ses enfants, dont elle ne s'occupe pas depuis longtemps, à son caractère, à ses vivacités, et de m'occuper de la question religieuse.

J'obtiens rapidement le sommeil hypnotique ; la malade est en léthargie.

Aux suggestions précédentes j'ajoute :

» Vous vous occuperez de voire ménage, de vos enfants ; vous n'aurez plus » de mouvements brusques ; vous ne serez plus énervée ; votre caractère sera

»calme. C'est ainsi que votre bonheur et celui de votre famille revien-» dront. Vous entrerez demain dans l'église de la Varenne et vous y ferez » une prière de cinq minutes pour remercier Dieu de votre guérison.

» Vous direz à votre frère que vous lui savez grand gré d'avoir quitté sa

» famille pour vous soigner.

» Vous continuerez a ne plus avoir de soif, de douleur de tête, d'insomnie

» et de cauchemar. »

Le 4 août. — Dès que j'entre dans sa chambre, elle vient à moi. elle me serre la main et elle me dit avec effusion qu'elle me remercie et qu'elle a été prier dans l'église de la Varenne. Sa physionomie exprime le bonheur.

J'apprends par son frère qu'elle a commence à s'occuper de son ménage, qu'elle 3 commandé ses repas et qu'elle a été bien avec ses fils- Le sommeil est bon. Un peu de céphalalgie.

Son frère me dit qu'elle est très ennuyée de ne pouvoir écrire un certificat dont son fils a besoin pour le volontariat. Sa main tremble tellement, en effet, qu'elle ne peut tracer des lettres.

Le sommeil léthargique est obtenu en peu d'instants.

Je lui manifeste ma satisfaction qu'elle ait été prier, je lui dis « que sa vie » sera de nouveau heureuse; qu'elle a recouvré le bonheur de l'intérieur, de » la famille ; que tout le ma! venait de ce qu'elle buvait ; que c'est maintenant » fini ; qu'elle déteste le vin pur, l'eau-de-vie et toute espèce de liqueur alcoo-» lique ; qu'elle n'aura plus de mauvaise humeur avec ses fils : qu'elle ira » chaque dimanche écouter une basse messe et qu'après l'office de dimanche » prochain, elle m'écrira une lettre dans laquelle elle me remerciera des soins » que je lui ai donnés. »

8 août. — Mme X... a été a une basse messe hier.

Son frère me dit qu'elle va très bien et qu'il n'y a plus à dire sur sa conduite, ni sur ses façons d'être : qu'elle n'a plus de soif et qu'elle a cessé de boire dans l'intervalle des repas.

Du reste, son haleine n'est plus alcoolique.

Mme X... a écrit le lendemain de ma dernière visite le certificat dont les lettres et les mots sont parfaitement écrits et non tremblés. L'écriture est anglaise, comme avant ces derniers temps.

Mme X... l'a écrit rapidement.

Voici la lettre qu'elle m'a adressée dans la journée d'hier dimanche : lettre dont les caractères ne sont nullement tremblés.

La Varenne. 7 août 1887.

Cher Monsieur le docteur Voisin, Vous m'avez sauvé la vie. Grâce à vos bons soins, vous avez réussi à me supprimer cette soif qui me dévorait et qui faisait ma perte et mon malheur. Vous m'avez rendu un sommeil paisible que j'avais perdu depuis si longtemps; vous m'avez rendu une existence heureuse qui avait été brisée par le chagrin et les peines; vous m'avez rendu mes idées religieuses que j'avais primitivement, mon caractère est redevenu calme et doux; vous m'avez rendu le bonheur ; vous m'avez guérie; c'est-à-dire que vous m'avez remite dans l'état normal où j'aurais dû me trouver, si je n'avais eu le malheur de perdre mon mari et surtout de l'avoir eu si longtemps malade. Je vais aller à la messe prier sincèrement pour vous et votre chère famille ; merci mille fois.

En attendant le plaisir de vous remercier de vive voix, recevez, cher Monsieur le docteur, mon amitié sincère et ma profonde reconnaissance.

Mme X... va bien. Elle a repris toutes ses habitudes de famille. Elle s'occupe de son ménage, de ses enfants ; elle est douce avec eux ; elle ne manifeste plus de mouvements de brusquerie. Elle dort bien et sans cauchemars Aucune illusion, ni hallucination.

Elle me remercie de nouveau et elle me déclare avoir recouvré la tranquillité et le bonheur.

21 août. — Elle se rend en province avec ses enfants en vacances.

Ces quatre observations de dipsomanes chez lesquels la maladie était absolument enracinée m'ont vivement frappé et j'avoue que leur guérison a été pour moi une grande satisfaction et, je le dirai, un bien vif bonheur.

Mon excellent ami Foville m'avait un jour à peu près défié de guérir des dipsomanes par la suggestion hypnotique.

Je n'en estime ces succès qu'à un plus haut prix, puisque, aux yeux d'un expert de sa valeur, la difficulté était insurmontable.

Aussi, cette nouvelle ressource de ta méthode suggestive m'a ouvert de nouveaux horizons dans le traitement des maladies nervoso-mentales dont l'origine et la cause sont des habitudes mauvaises et des vices, dans la lutte contre l'usage de substances délétères et, partant, contre les dégénérescences qui en sont la conséquence fatale.

LA SUGGESTION DES MILIEUX SOCIAUX

Par M. Paul COPIN

Dans un remarquable ouvrage de Sociologie récemment paru (1). le docteur Bordier, étudiant les causes multiples qui agissent sur le milieu; social, consacrait un chapitre spécial à la suggestion, « On sait, écrit-il. que les cellules cérébrales. lorsqu'elles ont été très fortement excitées, ou lorsque, sans l'être aussi fortement, elles l'ont été très souvent et toujours de la même manière, gardent, à la suite de cette excitation très forte et unique, ou faible mais répétée, un état anatomi que particulier, quelque chose comme une mémoire matérielle, qui fait que toute excitation nouvelle les remet dans l'état même où elles se sont trouvées lors de la grande excitation ou lors de ces excitations toujours

(i) La Vie des Sociétés, par le Dr A. Bordier, professeur à l'Ecole d'anthro-pologie de Paris.

les mêmes et mille fois répétées qu'elles ont subies : il semble qu'elles ne sont plus aptes dès lors qu'à un seul genre d'ébranlement, qu'à une seule idée, l'ébranlement et l'idée qui correspondent aux excitations précédentes.

Tel est le point de départ physiologique de l'action exercée par le milieu social sur les unités qui le composent.

Cette action est-elle bien une suggestion ? Cette suggestion est-elle comparable à la suggestion hypnotique? Peut-on la considérer comme revêtant un caractère d'impérativité aussi manifeste ? Exerce-t-elle une puissance prépondérante sur notre volonté ? En un mot, notre liberté existe-t-elle réellement, ou bien ce que nous appelons ainsi n'est-il, la plupart du temps, qu'une manifestation de la suggestion des milieux ?.

Au premier examen, la question semble paradoxale. Mais, si, nous dépouillant de tout préjugé, nous examinons attentivement les choses et si nous nous abandonnons aux impressions résultant de l'étude des faits, nous sentirons forcément notre raison incliner de plus en plus vers cette conclusion, attristante à certains égards, que la volonté humaine, dans chaque individu, se trouve comme hypnotisée par les forces multiples qui constituent le milieu dans lequel elle est appelée à se mouvoir. Si bien que ce que nous prenons pour notre liberté n'est, le plus souvent, que l'effet des suggestions résultant des conditions de notre éducation, conditions qui ont créé en nous cet état anatomique dont parle le Dr Bordier, cette mémoire matérielle des cellules cérébrales qui, constamment excitées d'une même manière, en arrivent à n'être plus susceptibles d'un autre mode d'ébranlement.

Mais la dépendance ou nous sommes de notre milieu est-elle aussi complète que celle qui lie, dans le sommeil provoqué, le sujet à celui qui l'a endormi ?

Non! répondront sans hésiter les partisans de la liberté morale menacée. Car, entre les suggestions provenant de l'influence des milieux et celles données par un magnétiseur à son sujet, il y a au moins une différence. Les unes sont reçues pendant le sommeil, c'est-à-dire dans un moment où la volonté endormie, paralysée, comme absente ou morte, est incapable de résister à celle qui prend sa place. Les autres, au contraire, s'adressent à l'homme éveillé, disposant de toutes ses facultés, libre, en un mot, et en état de se défendre.

L'objection n'a qu'une valeur apparente. En effet, lorsque l'homme fait son apparition dans le monde, le sommeil dont il dort est mille fois plus profond que le sommeil provoqué par le plus habile des hypnotiseurs sur le plus docile des sujets. C'est l'engourdissement léthargique dans lequel sont ensevelies toutes ses facultés encore sans existence. A peine au lendemain de sa naissance, avant même l'apparition des premières lueurs intellectuelles, il est l'objet des suggestions de ceux qui l'entourent. Avant qu'il y ait en lui ni volonté, ni raison, ni sentiments, il subit l'envahissement journalier, continu, sans trêve de leur volonté.

de leur raison, de leurs sentiments. Incapable d'agir sur rien, il n'est rien au contraire, parmi les êtres ou parmi les faits au contact desquels il se trouve soumis, qui ne soit capable d'exercer une action sur lui. Aucun obstacle n'existe à la mainmise forcée, à la prise de possession incessante du milieu sur un être ainsi dépourvu. C'est la raison du plus fort exercée sans entrave, c'est le droit des premiers occupants appliqué sans correctif possible et l'on peut dire que la toute-puissance des suggestions n'a, dans de telles conditions, d'autre mesure que l'impuissance absolue de celui auquel elles s'imposent.

Et vraiment, n'est-il pas vrai que dans l'esprit de l'enfant où d'innombrables échos sommeillent, ceux-là seuls sont éveillés qu'une voix a frappés ! Ainsi, dans l'esprit de l'hypnotisé, toute pensée dort, sauf celle qu'il plaît à l'opérateur de provoquer. L'impassibilité du sujet le mieux préparé vis-à-vis du caprice de celui à qui il obéit est même moins complète que celle de l'enfant vis-à-vis des suggestions du milieu; car l'un n'ayant point de souvenir de l'au-delà de sa naissance ne saurait s'étonner de rien, ni manifester les révoltes qu'on rencontre parfois chez l'autre en raison de la violence qui est faite à ses habitudes.

La dépendance où nous sommes du milieu au point de vue physique est d'ailleurs l'image de celle que nous subissons au point de vue intellectuel et moral. Notre corps, parvenu à l'état adulte, se trouve composé, dans toutes ses parties, des éléments qu'il s'est appropriés en les puisant dans la matière environnante. Aussi offrira-t-il comme une synthèse des principes bons ou mauvais existant dans cette matière et subira-t-il toutes les modifications, avantageuses ou préjudiciables, consécutives à ces principes.

Ainsi en est-il de l'esprit qui, tandis que les poumons respiraient l'air ambiant, respirait, lui, les idées ambiantes et ne pouvait en respirer d'autres.

Telles sont les analogies entre les suggestions des milieux et les suggestions hypnotiques. L'homme roule les idées, ou plutôt il est roulé par les idées qui, circulant tout autour, ont forcément pénétré en lui de la même manière que l'hypnotisé est remué par celles que lui impose l'opérateur. Logiquement donc, il semblerait que les effets produits de part et d'autre doivent être presque identiques.

Ils le sont, en effet. Les hommes sont bien ce que les ont faits les milieux par eux traversés, avec les différences du plus ou moins résultant des énergies constitutives et des facultés d'assimilation particulières à chaque individu, différences qui correspondent d'ailleurs aux divers degrés de docilité rencontrés par les hypnotiseurs chez leurs sujets.

Ceux-ci, comme le prouvent des milliers d'expériences, peuvent être persuadés au gré du caprice de l'expérimentateur, qu'ils boivent, mangent marchent, dansent, entendent tel ou tel genre de musique, assistent à un mariage ou à un enterrement; ils se livrent, malgré eux, à une foule

d'actes qu'ils s'imaginent accomplir librement, convaincus d'ailleurs, soit de la nécessité, soit de la légitimité de ces actes.

Les sujets hypnotisés par les milieux sociaux en arrivent à peu près à ce point d'inconscience. Vaincus par la contagion de ces milieux, leur instinct, leur bon sens, tout ce qu'il y a de sentiment vraiment personnel en eux se trouve comme fasciné par les idées généralement admises. La vérité, le devoir, la vertu ne dépendent pour eux ni de la connaissance exacte des choses ni des enseignements de la raison naturelle, mais de la façon de penser, d'apprécier, de juger qui régne dans la sphère où ils vivent.

Aussi, quelle confusion, quelle discordance, quelle cacophonie au milieu des dogmatismes religieux, philosophiques ou sociaux qui se sont partagé et se partagent encore l'empire du monde! En rapprochant les législations morales et politiques de tous les temps et de tous les lieux, on est réduit à se demander si, parmi tous les penchants considérés actuellement comme des vices dans la partie du monde que nous habitons, il en est un qui, à une certaine époque et dans un certain milieu, ne soit proclamé vertu ; s'il est une erreur qui ne soit méprisée comme étant une honte, une vérité condamnée comme erreur, une erreur adorée comme vérité et défendue avec un fanatisme absolument hypnotique; si bien qu'au point de vue spécial qui nous occupe, l'histoire du monde pourrait être écrite sous ce titre : Histoire des erreurs servies par la bonne foi ! Erreurs multiples, contradictoires, simultanées; bonne foi uniforme, constante, infatigable !

C'est par la suggestion des milieux que les masses humaines adoptent sans examen les formules religieuses et politiques au milieu desquelles le hasard les a placées et qu'elles leur prodiguent tous les aplatissements de leur adoration alors même que celles-ci, usées par le temps, corrompues, impuissantes, méconnaissables, ont à jamais perdu leurs vertus moralisatrices. C'est par cette même suggestion que chacun de nous est ce qu'il est et pourrait être exactement le contraire, croyant aussi bien que libre penseur,protcstant aussi bien que catholique, mahométan aussi bien que bouddhiste, Allemand aussi bien que Français, si le sort nous avait placés dans des conditions différentes de celles qui ont constitué notre individualité, c'est-à-dire si la suggestion subie avait été autre.

En présence d'un pareil état de choses, il semblerait que, convaincus de l'irrémédiable assujettissement de notre volonté à un caprice supérieur et mystérieux, nous devions nous résoudre à subir sans résistance le bon plaisir de cette puissance occulte.

II n'en est pourtant pas ainsi, et après les rapports, humiliants pour la raison que je viens d'indiquer, entre les suggestions hypnotiques et celles exercées par les milieux, il en reste un dont la constatation reconfortante nous est offerte par l'histoire des progrès de l'esprit humain.

D'après les tableaux dressés, par les spécialistes qui se sont donnés à I étude des phénomènes hypnotiques, la grande majorité des individus

(80 sur 100 environ) seraient susceptibles d'être endormis. Les autres sont considérés comme pouvant subir également l'influence d'un opérateur, a condition toutefois d'une préparation plus patiente et plus longue. On constate, d'après les mêmes tableaux, que les sujets hypno-tisables peuvent être classés en différentes catégories, selon leur aptitude a dormir d'un sommeil plus ou moins profond et à se laisser dominer plus ou moins complètement.

Des classifications analogues seraient admissibles a l'égard des aptitudes plus ou moins prononcées de chaque individu à subir les suggestions des milieux.

Si la grande majorité leur obéit aveuglément, il existe heureusement des caractères plus fortement trempés qui, éclaires par un instinct supérieur, sont capables de lutter et de réagir.

L'histoire nous dirait le nom des grands hommes qui, après s'être soustraits eux-mêmes a la contagion, ont osé entreprendre la lutte pour le compte de leurs semblables et par des institutions religieuses ou politiques, par des découvertes scientifiques ou des créations artistiques, se sont efforcés d'atténuer les dangereux effets de la suggestion des milieux. Incapables de la détruire, ils s'en sont du moins servis pour modifier l'esprit général et pour rendre ainsi les suggestions a venir supérieures a celles du passé.

Préparer les modifications moralisatrices dans les milieux sociaux. telle nous apparaît donc la mission des grands esprits, tandis que, d'autre part, le rôle, le devoir des masses est de s'instruire des vérités incessamment découvertes et de s'inspirer de leurs fortifiantes suggestions pour se défendre contre les autres.

Ainsi, en hypnotisme, combat-on les suggestions par les suggestions.

En cette matière, comme en tant d'autres, le remède se trouve a côté du mal et dans la cause même du mal.

D'ailleurs, de même que les savants, en poursuivant la solution des problèmes dévoilés par les phénomènes hypnotiques, travaillent à nous défendre contre les dangers résultant de ces phénomènes, de même les philosophes qui cherchent dans l'étude raisonnée des faits historiques les ba*es de la sociologie travaillent a nous mettre en garde contre les sug-gestions inconscientes. La science, obstinée à la recherche de la raison d'être des choses, rendra l'humanité maîtresse de ce dont elle est aujourd'hui l'esclave et finira par nous soumettre la multitude des forces mys-té rieuse s, ennemies, qui, lorsque nous les connaîtrons, cesseront de nous être redoutables.

En dépit des défiances aveugles ou calculées des esprits retardataires qui se laissent traîner à la remorque de leur temps, la science doit, trouver remède a tout.

C'est en elle qu'il faut croire.

DE LA SOLLICITATION EXPÉRIMENTALE DES PHÉNOMÈNES ÉMOTIFS CHEZ LES SUJETS EN ÉTAT D'HYPNOTISME(1)

Par M. le Docteur J, LUYS

membre de l'académie de medecine, medecin de la charité

Messieurs,

Permettez-moi de solliciter pendant quelques minutes votre bienveillante attention pour vous exposer, aussi brièvement que possible, les résultats de recherches nouvelles que je poursuis, depuis quelque temps, sur un ordre de phénomènes jusqu'ici peu connus et qui confinent à la fois au domaine de la psychologie pure ainsi qu'à celui de la physiologie cérébrale proprement dite. — Elles ont pour objet la possibilité de solliciter expérimentalement, chez des sujets en état d'hypnotisme, des émotions variées, de joie, de tristesse, de terreur—sans que l'individu, au réveil, en conserve le moindre souvenir, et cela, rien que par l'action de certaines substances agissant à distance sur les mêmes sujets hypnotisés.

Pour bien limiter mon sujet et me tenir dans le champ d'études que je me suis imposé, permettez-moi d'établir comme prémisses les données suivantes :

Parmi les différentes manifestations de l'activité mentale, il est un groupe tout spécial de phénomènes nerveux, qui joue, à l'état de veille, comme à l'état de sommeil dans nos rêves, un rôle de premier ordre, et qui constitue par conséquent un des chapitres les plus nets et les plus intéressants de notre vie psychologique. Ce sont les phénomènes dits émotifs, dont l'ensemble constitue l'émotivite.

Ces phénomènes d'ordre psychique,essentiellement vivants, sont caractérisés par les réactions fatales et automatiques de notre senso-rium, en présence d'une impression extérieure qui met ses réseaux en état d'ébranlement.

Et je ne vous apprendrai rien en vous disant que, s'ils sont, parmi tous les complexus de l'activité psychique, parfaitement isolables et doués d'une véritable autonomie, c'est qu'ils trouvent dans la constitution même du substratum organique qui les met en jeu, des territoires spéciaux et une véritable localisation définie. J'ai publié en effet, il y a quelques années déjà, sous le nom d'hémi-

(i) Communication lue à l'Académie de médecine, le mardi 3o août 1887.

plégies, émotives un certain nombre de cas suivis de nécropsie, dans lesquels j'ai note que dans la presque totalité des cas. chez les hémiplégiques anxieux du côté gauche, qui pleurent à la moindre émotion aussitôt qu'on s'adresse à eux, on rencontrait dans les premiers cas des foyers hémorrhagiques, exclusivement dans le lobe droit, localisés au niveau de l'insula et de la première temporale ( i ).

Le rôle physiologique de ces régions émotives, mis tout d'abord en saillie par Guislain dans ses remarquables leçons sur les Phréno-. pathies, a jusqu'à présent, en dehors des médecins aliénistes. sollicité à peine l'attention des psychologistes et des médecins. Et, cependant ! pour peu qu'on y réfléchisse, que de choses inconnues cette étude nouvelle révèle, et combien de problèmes qui touchent tant à l'activité normale qu'à l'activité pathologique du cerveau se trouvent, grâce à elle, éclairés d'un rayon de lumière ! A l'état normal, en effet,ce sont ces mêmes régions émotives qui. motu pro-prio. en dehors de notre volonté, entrent en période d'éréthisme. Elles s'élèvent, elles s'abaissent dans leurs manifestations, en dehors de notre volonté, sans aucune participation de notre moi conscient , et elles constituent, dans tous les actes de notre vie courante, une véritable puissance indisciplinée, qui, en raison de ses connexions mystérieuses avec notre personnalité consciente, s'ébranle malgré nous, s'exalte soudainement et devient ainsi le complément nécessaire de toutes les phases de la vie que nous traversons. Nous ne pouvons pas, en effet, ne pas sentir les chocs incessants qui nous impressionnent et nous sommes tous soumis, plus ou moins, suivant notre nature, notre âge, notre puissance sur nous-mêmes, à cette aveugle domination des régions émotives de notre for intérieur, qui régnent en souveraines et s'imposent le jour et la nuit à tous les moments de notre existence.

Qui ne connaît ces exemples de terreurs nocturnes incoercibles qui se développent si soudainement chez les jeunes enfants, alors qu'on les voit se réveiller en sursaut, anxieux et palpitants et incapables de dominer les émotions qui les ébranlent !

- Ne savons-nous pas tous que si nous avons sur certaines questions une dose naturelle d'indifférence, qui, au point de vue de la physiologie cérébrale, n'est qu'une sorte d'anesthésie partielle, nous portons en nous-mêmes des régions excessivement excitables et que nous avons tous notre genre de sensibilité propre, notre corde sensible, qui est la note de notre originalité personnelle. C'est ainsi qu'au théâtre, par exemple, alors que nous savons que tout ce qui se déroule devant nos yeux n'est qu'une simple fiction, créée par les illusions de la scène, à certains moments pathêti-

(i) L'Eacéphale,1881, p. 378. — Recherches nouvelles sur les hémiplégies émotives,'

par J. Luys.

ques nous sommes entraînés malgré nous, et les régions émotives de notre être, vivement sollicitées, s'associent aux mouvements du drame et trahissent par des troubles respiratoires anxieux, par des larmes discrètes, les états d'ébranlement nerveux qui nous traversent.

A l'état pathologique, dans ce domaine spécial de la pathologie mentale qui touche aux lypémanies anxieuses, l'état d exaltation fonctionnelle de ces mêmes régions émotives est porté à un état d'hyperexcitabilité tel. qu'elles arrivent à dominer toute la scène et à dominer la vie mentale du sujet. — Qui de vous n'a présents à l'esprit ces cas si caractéristiques dans lesquels on voit les malheureux patients ainsi frappés se lamenter sans cesse, exhaler sous mille formes leurs incessantes anxiétés, alors que leur intelligence demeure intacte, qu'ils se sentent envahis et dominés par les émotions qui les obsèdent, et assistent en désespérés à cette dislocation de leur être, sans pouvoir rétablir leur équilibre interrompu !

Eh bien ï n'est-ce pas là un phénomène bien étrange que de voir, dans la série des expansions de l'émotivité que nous allons exposer, combien les forces automatiques des régions émotives de notre être sont susceptibles d'être isolées et observées à part, comme on étudie, par exemple, d'une façon isolée, les phénomènes physiologiques des nerfs moteurs et des nerfs sensitifs ?

Nous pouvons en un mot, à volonté, développer chez l'individu hvpnotise les régions diverses de son émotivité, faire vibrer alternativement les notes gaies et les notes tristes de son être et faire apparaître en lui à bref délai les émotions de la joie, du plaisir, de la colère, de l'appréhension vague et de la tristesse la plus profonde. Et toute cette gamme d'expressions mimiques se développe à froid, en silence, fatalement, comme un processus réflexe, sans la moindre participation consciente du sujet. A son réveil, il ne conserse aucune trace des émotions qui ont traversé son être et se trouve tout étonné de ce qu'on lui raconte.

Ce sont là. messieurs, des phénomènes très saisissants, dont le récit touche à l'invraisemblance, et je vais encore réclamer toute votre bienveillance pour continuer à vous exposer ces expériences nouvelles que j'ai entreprises sur ce domaine spécial de l'hypnotisme si fécond en surprises.

Ceux d'entre vous qui suivent avec un certain intérêt toutes les questions afférentes à ce sujet ne sont pas sans savoir que ces phénomènes nerveux si complexes sont régis par certaines lois fixes dont notre éminent collègue le professeur Charcot s'est évertué depuis plusieurs années, avec une persévérance continue et une sagacité profonde, à tracer magistralement l'enchaînement. Il a cherché tout particulièrement a attribuer à chaque phase des caractères

d'ordre somatique d'une valeur indiscutable. C'est ainsi que les phases successives de la léthargie, de la catalepsie, du somnambulisme lucide ont été caractérisées par lui à laide de signes séméio-logiques spéciaux qui permettent de les différencier les unes des autres et d'en faire un diagnostic certain.

Eh bien! lorsque après avoir plongé un sujet en période de léthargie tout d'abord et avoir mis en œuvre chez lui tous les signes somatiques qui carectérisent cet état, tels que rhyperexcitabilité neuro-musculaire, l'anesthésie, généralisé la flaccibilité des muscles, etc.. on arrive à le faire passer en période de catalepsie, on constate alors, au point de vue des phénomènes dont nous poursuivons en ce moment l'étude, un changement d'état bien notable dans la manière d'être de son système nerveux.

Dans la phase de léthargie, en effet, ce sont les phénomènes de l'hypercxciiabilité neuro-musculaire qui prédominent; dans la phase de catalepsie, l'hyperexcitabilité s'est portée ailleurs; ce ne sont plus les muscles et les troncs nerveux qui en sont le siège, ce sont les régions émotisées dont je vous parlais tout à l'heure qui en sont devenues le siège d'élection et qui arrivent alors à un degré d'excitabilité extrême qui permet alors de donner naissance aux phénomènes étranges de la sollicitation expérimentale des émotions.

On sait, en effet, combien dans cet état spécial les sujets sont aptes à conserver les attitudes expressives qu'on leur imprime, combien ils traduisent, sans parler ni entendre, automatiquement par leurs gestes, les émotions de joie, de frayeur, de colère, etc., qu'on leur communique. Les facultés émotives sont devenues en quelque sorte malléables à la volonté de l'expérimentateur. Il en dispose à son gré et les sollicite dans le sens qu'il lui plaît.

Le sujet ayant par exemple les yeux ouverts, vient-on à lui présenter une image reproduisant des physionomies gaies ou tristes? Incontinent, dans le premier cas, son visage s'illumine d'une expression d'hilarité, son regard est satisfait et gai, sa bouche souriante. Dans le second cas, ses traits s'assombrissent, les yeux sont attristés, la face est rembrunie; il y a, en un mot, une oscillation émotive des plus nettes qui s'est opérée silencieusement en lui, suivant qu'on a mis devant ses yeux des figures gaies ou tristes.

Et, chose bien remarquable! ces expressions des sentiments provoqués ne sont pas des expressions factices et superficielles, qui n'ont pour théâtre que les muscles de la face. Elles fouillent l'individu a fond et se propagent dans tout son être. Quand on laisse, en effet, le sujet quelques minutes en présence de ces reproductions imagées, il contemple avec ardeur le dessin, il s'en imprègne, ne le quitte pas du regard, et on remarque qu'en même temps l'incitation creuse en quelque sorte son sillon dans son émo-tivite. S'il s'agit d'une excitation gaie, c'est le rire qui se dessine

avec un éclat de voix franc et sincère; si c'est au contraire l'image triste qui est présentée, il la fixe avec énergie, et, si l'on continue, on voit qu'en même temps la respiration devient entrecoupée, les battements du cœur sont accélérés, la respiration anxieuse devient sanglotante, et des larmes coulent des paupières ouvertes. Il croit que l'expression est réelle, comme si la chose était arrivée.

Ce sont là des phénomènes nets, précis, que j'ai maintes fois répétés, et qui. à I abri de toute supercherie, témoignent comment on peut expérimentalement, chez les sujets hypnotisés, provoquer rien que par l'action périphérique des nerfs de la vision, des émotions centripètes dans les régions de son for intérieur.

Vient-on maintenant à faire appel à d'autres plexus sensitifs, à la sensibilité cutanée, par exemple ? on note les effets suivants. Si on prend la main du sujet, lequel est impassible et inerte comme un clavier auquel on ne touche pas, et qu'on applique ses doigts sur ses lèvres, dans l'attitude d'une personne qui envoie un baiser, immédiatement, cette statue inerte et impassible s'anime, son regard devient brillant et expressif, et en même temps que sa main répète itérativement le geste du début, la physionomie s'anime de plus en plus. Inversement, si on lui ferme le poing avec énergie, si on porte le bras en avant dans l'attitude de la provocation, la physionomie se met à l'unisson et suit l'émotion sollicitée périphérique-ment dans les régions centrales. Le regard devient menaçant, la figure est courroucée, et on constate qu'il y a, en un mot, une sollicitation réelle d'émotions provoquées d'une façon centripète par les états divers de la sensibilité périphérique.

Il est curieux de constater à ce propos que lorsqu'on a affaire à un sujet hémianesthésique (ce qui est très fréquent chez les hystériques hypnotisables), les facultés émotives sont pareillement susceptibles d'être dédoublées. Le sujet, par exemple, une fois en catalepsie, si on excite la peau d'un côte, soit du bras, soit principalement de la face, par des attouchements légers, on détermine du côté correspondant une expression de gaieté avec rire; et si c'est de l'autre côté, on sollicite une expression inverse de tristesse. Il est bon de tenir compte de ces dispositions naturelles, qui expliquent certaines expressions bizarres de dédoublement obtenues par l'action médicamenteuse à distance, ainsi que nous en rapporterons plus loin des exemples.

Ces prémisses, messieurs, étant connues et vérifiées par tous ceux qui s'occupent de l'étude scientifique des phénomènes hypnotiques, je passe maintenant à la partie originale de mes recherches et vais vous exposer comment, à l'aide de procédés nouveaux, je suis arrivé à constater des résultats inattendus.

(A suivre)

LA FORCE NEURIQUE

Par M. le Dr A. BARÉTY

ancien interne des hôpitaux de PARIS, LAURÉAT DE LA» FACULTÉ DE MÉDECINE

Le nomme l..., âge de 32 ans, hémianesthésique gauche, sujet à des

attaques nerveuses hystériques, est plongé dans le sommeil magnétique (ou neurique) provoqué soit par suggestion verbale, soit par la préhension des mains.

Dans cet état, il n'entend, no voit et ne sent que moi et les rares personnes qui, comme moi, quoique à des degrés divers, peuvent l'endormir et le réveiller. De ce nombre sont Mme Z..., qui tient la maison de commerce où il est employé, et sa propre fille, âgée seulement de huit ans. En dehors de ces personnes, il en est plus de trente jusqu'à ce jour avec lesquelles L.., endormi, ne s'est pas trouvé en état de rapport, scion l'expression de M. le commandant de Rochas. Il en résulte que, d'habitude, dans le sommeil provoqué, il n'entend, ne voit et ne sent que moi, Mme Z... et sa propre petite fille.

Il est, de plus, incapable, toujours dans le sommeil provoqué, de voir et de sentir aucun des objets nombreux et variés qui sont autour de lui. Il se trouve, de même, dans l'impossibilité de voir, de sentir et d'entendre les deux chiens de la maison, lesquels, fréquemment, passent devant lui, sautent sur ses genoux pour le caresser, ou aboient.

L..., endormi, disons hypnotisé, est donc étranger au monde extérieur, d'une manière générale.

Il s'endort les yeux fermés; sur mon ordre, il les ouvre. Il peut causer avec moi, se rendre compte de tous mes mouvements. Il dit, exécute, pense et oublie même tout ce que je lui suggère de dire, de faire, de penser et d'oublier, soit immédiatement, soit à échéance, durant le sommeil ou plus ou moins longtemps après, dans l'état de veille qui va suivre.

Si je lui ordonne de se lever, il obéit, mais il reste immobile comme quelqu'un qui dormirait debout. les yeux ouverts, ou comme un aveugle. Si je lui ordonne de marcher. il se heurte a tous les obstacles, à moins que je ne marche devant lui, auquel cas je lui sers de guide.

(i) Les opinions émises dans cet article par M. le docteur Barêty sont en opposition complète avec les idées généralement admises aujourd'hui. La plupart de nos collaborateurs, auxquels revient l'honneur d'avoir réalisé dans ces études de si notables progrès, accordent, à juste titre, une part prépondérante à la suggestion, dans la production des phénomènes de l'hypnotisme. Nous laissons donc à notre dis-tingué confrère l'entière responsabilité de sa communication.

(N. D. L. R.)

Mais il suffit que je le mette en étal de rapport avec les personnes, les animaux et les objets qui l'entourent pour qu'il les voie. les entende et les sente comme s'il était réveillé.

Cet état de rapport peut être obtenu de diverse? manières: — I° par contact ; — 2- à distance, au moyen d'un objet intermédiaire; — 3° à distance et à travers l'air ambiant, nu moyen des yeux ou des doigts, tantôt directement, tantôt par réflexion sur un miroir.

I. — Etat de rapport obtenu par contact.

L... est endormi, ses yeux sont ouverts sur mon ordre; devant lui se trouve une personne qu'il ne voit pas, n'entend pas et ne sent pas. J'appellerai cette personne neutre, indifférente, ou simplement tierce.

Je commence par demander à L... s'il voit quelqu'un autour de lui. Il promène son regard de part et d'autre et me répond: « Mais je ne vois que vous! » Je suis placé derrière cette personne, de manière qu'elle ne puisse masquer que mon bras droit. Je touche, dans le dos, cette tierce personne, avec l'extrémité du doigt indicateur de ma main droite, de manière que le mouvement que j'opère, déjà très limité, se passe exclusivement dans le doigt. Presque aussitôt L..., qui n'a pas pu s'apercevoir de ce contact, s'écrie : «Ah ! je vois M. X... » et il désigne par son nom la personne indifférente en question. Je cesse le contact, et après quatre ou cinq secondes environ, L... s'écrie : « Ah ! ce monsieur est parti. » J'établis de nouveau le contact, de manière toujours que mon doigt seul se meuve : « Le voilà revenu ! » s'exclame L..., après un très coun instant. De nouveau je cesse le contact, et après quelques secondes : « Le voila encore parti ! » dit L...; et il ajoute parfois : « Mais ce sont des tours de passe-passe ; il vient, il s'en va, il se cache, il se montre de nouveau! » Je continue l'expérience, L... ne se trompe jamais.

J'ai varié cette expérience pour la rendre plus probante encore. La tierce personne et moi étions placés devant L... et masqués par une planche jusqu'à la hauteur du cou. Toutes les fois que j'établissais le contact, ne fût-ce qu'avec le pan de mon habit flottant, contact qui passait inaperçu à la tierce personne et ne l'exposait pas à quelque jeu de physionomie inconscient qui aurait pu impressionner la rétine et le cerveau de L..., celui-ci apercevait la tête de la tierce personne émergeant au-dessus de la barrière. De même, toutes les fois que je cessais le contact, cette tierce personne devenait invisible pour L...

2. — Etat de rapport obtenu a distance, au moyen d'un

objet INTERMEDIAIRE.

Une personne quelconque, mais indifférente, est appuyée debout contre l'une des extrémités d'une table longue de quatre mètres environ et servant de support ù des vitrines posées à plat. Je suis placé près de

l'autre extrémité, un peu en arrière de L..., tout à fuit en dehors de son champ visuel et sans contact soit avec lui, soit avec la table.

L... ne voit pas et n'entend pas la personne placée à l'autre extrémité, mais si je touche cette table seulement avec le bout de mon doigt, presque aussitôt L... voit la personne qu'il ne voyait pas tout d'abord, et l'entend si elle parle. 11 peut engager avec elle une conversation, comme il le ferait avec moi. Si je cesse le contact, cette personne cesse d'être vue et entendue par L... Je rétablis le contact avec la table, de nouveau L... voit cette tierce personne. Je romps le contact et de nouveau L... ne la voit plus, après quelques secondes, et ainsi de suite. Il n'y a jamais d'erreur, et j'ajoute que tout se passe sans bruit de ma part.

3. — Etat de rapport obtenu a distance, directement, a travers l'air ambiant, au moyen du regard.

Je me place derrière L... endormi et ayant les yeux ouverts. Devant lui et à quelques pas se trouve une personne indifférente. Je regarde fixement cette personne. L... la voit après deux ou trois secondes. Je ferme les yeux et. après cinq ou six secondes, L... ne la voit plus. Je rouvre les yeux, il la voit. Je les ferme, il ne la voit plus, et ainsi de suite.

Il sera bien difficile d'admettre que L..., qui d'ailleurs ne se trompe jamais, a eu connaissance directe ou indirecte du mouvement de mes paupières..., à moins d'admettre une transmission de pensée!

Une fois, une personne indifférente se trouvait à plus de vingt-cinq mètres devant L.... Placé derrière celui-ci endormi, les yeux ouverts, je rendais cette personne visible ou invisible pour L..., à volonté, en ouvrant ou en fermant les yeux dirigés vers elle.

4. — Etat de rapport obtenu, a distance, au moyen du regard et par réflexion sur un miroir.

Si. au lieu de regarder directement la personne indifférente, je la regarde dans une glace disposée de telle façon que L... ne puisse pas m'y voir plus qu'il ne peut me voir directement, les résultats sont les mêmes. Lors donc que mes yeux sont ouverts, la personne précédemment invi-sible pour L... devient visible, et, lorsque je les ferme, elle devient invi-sible.

5. — Etat de rapport obtenu, a distance, directement, au moyen de l'extrémité des doigts.

Si. dans la même position réciproque des trois personnes qui intervenaient dans les expériences relatées ci-dessus, je vise avec l'extrémité d'un ou de plusieurs doigts une personne indifférente. L... la voit presque aussitôt, lui répond si elle l'interroge, et la sent si elle le tou-che. Je ferme ensuite ma main et la retire doucement en arriére; L...,

après quelques secondes écoulées, ne voit plus cette personne, ne la sent plus, ne l'entend plus. Et ainsi de suite, si je continue tantôt à viser et tantôt à ne plus viser avec mes doigts la personne indifférente.

6. — Etat de rapport obtenu, a distance et indirectement, au moyen de l'extrémité des doigts dirigés sur un miroir.

Si. au lieu de viser directement avec l'extrémité des doigts ta personne indifférente, je vise son image réfléchie dans un miroir disposé toujours de manière que L... ne puisse pas m'y voir, les résultais sont les mêmes. Toutes les fois donc que je vise ainsi l'image de la personne désignée, L... la voit et peut l'entendre et la sentir, et, toutes les fois que je cesse de la viser ainsi, L... cesse d'être en état de rapport avec elle.

Si, dans ces diverses expériences, la tierce personne indifférente est remplacée par l'un ou l'autre des deux chiens de la maison, les résultats des expériences sont les mimes. L..., qui ne les voit pas, ne les entend pas et ne les sent pas dans l'état de sommeil, sera en état de rapport complet avec eux toutes les fois que j'aurai établi le rapport par les diverses manœuvres indiquées ci-dessus.

L... qui. dans le sommeil provoqué, ne voit pas non plus et ne sent pas les objets divers qui l'entourent, et ne perçoit pas les bruits ou les sons dont ils peuvent être le siège, peut être mis, par les mêmes procédés, en état de rapport avec eux.

Placé derrière L... endormi, il me suffit de regarder fixement ou de désigner du doigt, directement ou par réflexion dans une glace, un objet seul pincé plus ou moins loin au-devant de lui, pour qu'il le voie presque aussitôt, et qu'il indique spontanément qu'il le voit. El ¡1 me suffit de fermer les yeux ou de retirer mes doigts en les repliant pour qu'après quelques secondes il ne voie plus l'objet visé. De même lorsque, placé en dehors de son champ visuel, je touche la table qui supporte les vitrines, L... aperçoit les objets que ces vitrines contiennent.

Si quelqu'un d'indifférent tient un encrier à la main pendant, qu'endormi, il écrit, il ne sait pas où tremper la plume; il me suffit alors ou de toucher cette personne sur un point quelconque de son corps, ou a plus forte raison de saisir moi-même l'encrier pour que L... le voie et y trempe la plume de la façon la plus naturelle.

Si quelqu'un d'indifférent agite une clochette derrière L..., il ne l'entend pas, fût-elle placée très près de son oreille; mais si je touche cette personne, il entend aussitôt le son de la clochette. A plus forte raison, il entend cette clochette, si je l'agite de mes propres mains.

De même, si, pendant que je me riens derrière L..., une personne indifférente agite une clochette devant lui a quelques pas de distance, L... ne l'entend pas; mais si je viens à regarder fixement cette clochette, presque aussitôt il l'entend. Puis il ne l'entend plus, si je ferme les yeux, et de nouveau il l'entend si je les rouvre, et ainsi de suite.

Mêmes résultats si, au lieu des yeux, j'emploie les doigts.

Toute personne mise par moi. de la manière sus-indiquée, en rapport avec L... peut l'influencer comme je le ferais moi-même directement; mais seulement pendant le temps que cet état de rapport est maintenu par moi. Elle peut, dans ces conditions, l'endormir, le réveiller et le suggestionnera volonté, tandis que lorsqu'elle agit sans subir mon influence, elle n'a absolument aucune influence sur L...

La plupart de ces expériences ont été refaites en présence de mon confrère le docteur Planat, qui m'a déclaré spontanément être prêt à témoigner qu'elles présentaient toute la rigueur désirable et prouvaient manifestement, pour lut comme pour moi, qu'il existait réellement dans le corps humain une force particulière capable d'en franchir les limites par rayonnement.

Cette force, je l'ai étudiée sous le nom de force neurique dans mon récent ouvrage sur le Magnétisme animal (i), et je crois avoir prouvé surabondamment dans plus d'une observation qu'elle ne constituait pas une simple hypothèse, mais bien une réalité.

Les nouvelles expériences que je viens de rapporter peuvent être rapprochées de celtes que j'ai relatées aux pages 398 et 568 de mon ouvrage déjà cité. Nous y voyons cette force, à l'état de circulation (force neurique circulante), passer, par contact et par une sorte de transfusion, du corps du sujet ncurisateur ou magnétiseur, dans le corps du sujet qui sert d'intermédiaire, qu'il soit homme ou animal. Nous la voyons s.-propager le long de certains objets ou de certaines substances servant à . conducteurs. Nous la voyons encore passer par rayonnement direct ou réfléchi du corps du sujet neurisateur dans celui du sujet intermédiaire (homme ou animal) ou dans la substance d'un objet quelconque.

Ces corps intermédiaires indifférents ou neutres, préalablement influencés et en quelque sorte éclaires par l'action de cette force, deviennent visibles et sensibles pour le sujet endormi, et peuvent, pendant le temps que se m intient cette influence, agir sur le sujet neurisablc de la même manière qu'agirait sur lui le sujet neurisateur lui-même.

Cette force, qui réside et circule dans le corps humain, nous la voyons donc ici encore émaner par les yeux et par les extrémités des doigts, et constituer un rayonnement oculaire et digital, d'où le nom de rayons neuriques oculaires et digitaux. D'aucuns sujets très sensibles voient, dit-on. ces rayons: une de mes malades neurisables les voyait à l'extrémité de mes doigts, sous forme, disait-elle, de tuyaux de verre blanc brillants. Enfin, ces rayons ont été figurés sur certaines images religieuses.

(1) Le.Magnétisme animal étudié sous le nom de force neurique rayonnante et circulante, dans ses propriétés physiques, physiologiques et thérapeutiques, 1 vol grand in-8 de 662 pag. avec 82 fig. dans le texte. Paris, 1887, chez Oct. Doin.

La force neurique franchit encore les limites du corps humain en émanant par un autre point, je veux dire la bouche. Le souffle a des propriétés neuriques incontestables.

L... est très sensible a l'action du souffle buccal, comme l'étaient tout les sujets que j'ai étudiés et traités avant lui. Ainsi, quand il est endormi, le souffle le réveille complètement, s'il est dirigé sur les deux yeux à la fois, et seulement dans l'une ou l'autre moitié latérale du corps, lorsqu'on souffle isolément sur l'un ou l'autre œil.

Mais pour L... le souffle a en plus une propriété très remarquable, qu'il soit en état de sommeil ou qu'il soit en état de veille. Ainsi, toute personne ou tout objet, toute portion de personne ou d'objet sur lesquels je souffle disparaissent aux yeux de L... Je supprime de cette façon pour L... des mains, des doigts, des bras, des chapeaux, des têtes même, des objets quelconques, etc. Quelques secondes après que j'ai cessé de souffler sur ces divers corps et objets, L... les revoit comme auparavant. Il est sous-entendu que si, pendant le sommeil de L..., mon souffle est dirige sur un objet quelconque ou une personne indifférente, il faut que préalablement, par le contact, par exemple, je les aie rendus visibles à L...

Afin de me mettre à l'abri de tout phénomène de suggestion possible, j'ai, pendant l'état de veille, soufflé sur divers corps ou portions de corps animés ou inanimés, en dehors du champ visuel de L... Puis, les ayant montrés à L..., celui-ci ne les voyait plus ou ne voyait plus la partie sur laquelle j'avais soufflé. Si, par exemple, j'avais soufflé sur un seul doigt, il ne le voyait plus ensuite, et il ne se trompait jamais de doigt.

Les rayons neuriques oculaires et digitaux, ainsi que nous venons de l'établir de nouveau ici, peuvent agir et par voie directe et par voie indirecte, ou, en d'autres termes, soit en suivant une ligne droite, soit en suivant une ligne brisée par suite de leur réflexion sur une surface plane, telle qu'une glace.

De pareilles propriétés physiques sont assurément fort remarquables, mais ne sauraient étonner ceux qui sont familiarisés avec l'étude des forces connues de l'univers.

La présente communication n'est qu'un fragment d'une intéressante observation que je recueille en ce moment et qui, tôt ou tard, fera l'objet d'un travail plus complet. Elle est destinée a compléter les preuves que j'ai fournies ailleurs (i) de l'existence de la force neurique.

(i) Voyez mon livre sur le Magnétisme animal, déjà cité.

REVUE CRITIQUE

Essais de Psychologie générale (1)

Par M. le Dr Charles Richet

Le livre de M. Richel vient a son heure. Il est destiné à constituer un véritable trait d'union entre les philosophes de l'ancienne école, qui ne connaissent pas d'autres moyens d'étude que la méditation et l'observation intime, et ceux de la nouvelle, qui ne voient dans la psychologie qu'une des branches de la physiologie.

M. Richet, qui est avant tout un physiologiste, ne nie cependant pas la valeur du sens intime ou observation intérieure. Il proteste même contre toute idée d'exclure cette observation de nos éléments de connaissance. Il pense même que les faits acquis par l'étude du moi ont autant de valeur, s'ils ont été observés avec soin et méthode, que les phénomènes physiologiques enregistrés dans les laboratoires par les instruments les plus perfectionnés de la technique contemporaine.

Mais il croit que la psychologie peut être, comme la physiologie, classée en plusieurs divisions bien distinctes. Il y a une psychologie sans épithète qui traite de la psychologie tout entière et sous toutes ses faces; puis une psychologie humaine, c'est-à-dire limitée à l'intelligence de l'homme; puis une psychologie comparée, où sont analysés les phénomènes intellectuels observés chez les animaux et rapprochés de ceux que présente l'homme même: une psychologie pathologique, qui décrit et commente les modifications que la maladie apporte à l'intelligence humaine, et enfin une psychologie générale, qui, sans entrer dans le détail des faits, des analogies et des comparaisons, cherche a faire rentrer dans un cadre unique les faits de détail, qui sont considérables. En un mot, la psychologie générale, d'après M. Richet. doit s'efforcer de faire la synthèse, en mettant à profit les analyses faites par la psychologie humaine et la psychologie comparée. Procédant tantôt par l'observation intérieure, tantôt par l'examen des êtres vivants, tantôt par l'expérimentation, la psychologie générale s'étend de l'animal le plus infime jusqu'à l'homme. M. Richet ne craint pas d'affirmer que c'est là tout son domaine, car s'il existe dans la nature des intelligences ou forces conscientes analogues à celles de l'homme, jamais, jusqu'ici, elles n'ont pu se manifester à nous. Cette affirmation range évidemment M. Richet dans la classe des positivistes matérialistes, et nous craignons fort que cette constatation n'empêche certains esprits de juger de sang-froid le livre si utile et si intéressant qu'il vient de publier. Nous n'entrepren-

(i) Bibliothèque de philosophie contemporaine. Alean, édit. Paris, in-12; 2 fr. 50.

tirons pas d'en donner une analyse complète, et nous nous bornerons à faire ressortir les points dont l'originalité nous a le plus frappé.

Des diverses fonctions des cires vivants, celles de relation avec le monde extérieur intéressent seules la psychologie. Or, la vie de relation se ramené a ce terme unique : l'irritabilité, qui est la propriété que possède toute cellule vivante de répondre par un mouvement à une force extérieure. Selon M. Rîchet, le mot d'irritabilité bien compris donne, en quelque sorte, l'explication de toute la psychologie. L'irritabilité est régie par des lois formelles, dont il établit clairement les formules, et qui sont rendues extrêmement faciles a comprendre par des schémas et des explications graphiques. Il serait, en effet, difficile de rendre plus claire l'étude de ces réactions de la cellule aux irritations extérieures. Ces réactions et les mouvements qui les caractérisent constituent les mouvements réflexes, et c'est par leur analyse qu'il arrive à formuler cette proposition générale : « Sans mouvement, pas d'intelligence. »

Etudiant pas à pas les phénomènes que présente le fonctionnement normal ou pathologique du système nerveux, M. Richet consacre quelques pages instructives i l'étude du sommeil et de l'hypnotisme. Il donne en passant son avis sur le fluide magnétique, ou vital, ou nerveux, dont l'idée est à ses yeux une hypothèse simple, presque enfantine, et qui satisfait au premier abord par son extrême simplicité.

Le chapitre consacré aux mouvements réflexes constitue la partie la plus intéressante du livre. Après l'étude des réflexes médullaires, c'est-à-dire de ceux qui résultent de l'action de la moelle épinière seule, sans l'immixtion d'aucune force intellectuelle, M. Richet passe a une étude peu faite jusqu'à ce jour, celle des réflexes qui nécessitent une certaine connaissance consciente de la nature de l'excitation. Ce sont ces réflexes qu'il propose d'appeler psychiques.

Un grand nombre d'exemples permettent de se faire une idée juste de ce qu'est un réflexe psychique.

L'enfant qui pleure parce qu'il voit pleurer, ou qui bâille parce qu'on bâille à côté de lui. ne bâille ou ne pleure que parce que la vue des larmes ou du bâillement agit sur son intelligence; chez le chien qui tremble parce que son maître lève le fouet sur lui, le tremblement est un réflexe psychique. Est-ce que l'animal tremblerait, si le fouet n'éveillait en lui la notion du châtiment?

Le soldai qui. dans une bataille, baisse la tête quand il entend siffler une balle, ne baisserait jamais la tête s'il n'était pas intelligent, c'est-à-dire sachant que le sifflement est dû a un projectile dangereux.

Quand le récit d'une action dégoûtante provoque la nausée, c'est une nausée réflexe psychique, car elle suppose une certaine activité intellectuelle. De même, quand un récit érotique amène l'érection, cette érection est un réflexe psychique.

Le rire, les larmes, les mouvements provoqués par l'amour, la colère, le dégoût, la peur, la douleur, sont des réflexes psychiques. Les exemples de ces réflexes psychiques sont innombrables et ce qui les caracté-

rise c'est qu'ils exigent une élaboration intellectuelle et que l'irritation périphérique qui les met en jeu est tout à fait minime.

Ainsi, M. Richet appelle réflexes psychiques les mouvements involontaires résultant d'une irritation qui a provoque une certaine connaissance, vague ou précise, consciente ou inconsciente, de la nature même de cette irritation; autrement dit, l'acte réflexe psychique est un réflexe où l'irritation périphérique, insignifiante en elle-même, est transformée par l'intelligence de telle sorte qu'elle devient capable de mettre en jeu les centres réflexes de la moelle.

Nous n'insisterons pas sur l'importance des données que peut fournir l'étude des réflexes psychiques; en particulier, elle nous instruit sur le conflit perpétuel qui existe entre la vie psychique et la vie réflexe.

Ce qui précède suffit pour faire comprendre l'intérêt du livre de M. Charles Richet.

C'est avec un véritable plaisir que nous l'avons lu, car nous y trouvions, pour un grand nombre de phénomènes psychologiques, des explications théoriques capables de satisfaire l'esprit scientifique le plus rigoureux.

Cette publication est du meilleur augure pour l'enseignement du nouveau professeur de la Faculté de Paris.

En accordant à la psychologie la place qu'elle a le droit de revendiquer à l'École de médecine. M. Ch. Richet aura réalisé un des progrès les plus appréciables de notre temps et assuré, dans notre pays, l'avenir de la psychologie physiologique.

Dr Edg. Bérillon.

SOCIETES SAVANTES

ACADÉMIE DE MÉDECINE

Séance du 2 août 1887. — Présidence de M. Sappey

Le Cerveau et le Surmenage scolaire

Par M. le Docteur Luys, médecin de la Charité

I

Permettez-moi, messieurs, de vous exprimer succinctement comment je comprends ce qu'on appelle, d'une façon générale, surmenage intellectuel, en bornant mon appréciation à l'examen des adolescents.

Je me demande tout d'abord si ce surmenage intellectuel des jeunes sujets est aussi réel et aussi nocif, considéré en lui-même, qu'on veut bien le dire,

et si, au contraire, les désordres organiques considérés en bloc chez nos jeunes gens ne sont pas plutôt imputables à des conditions hygiéniques défavorables, dans lesquelles ils se trouvent plongés, et des règlements scolaires auxquels ils sont matériellement assujettis.

Les jeunes gens, je me le demande avec un certain nombre d'orateurs qui ont déjà abordé cette question, sont-ils bien réellement, dans le cours de l'année scolaire, surchargés d'un travail excessif ? Y a-t-il donc, dans tout ce qu'on leur demande, un abus, une fatigue, destinés à produire prématurément une usure de leur activité cérébrale ?

Voyons ce que disent les faits, et, en nous appuyant sur l'examen anato-mique de l'appareil cérébral, envisagé principalement à l'époque qui nous préoccupe, soit de dix à vingt ans, comment est constitué le cerveau.

Vous savez tous, messieurs, avec quelle intensité le travail organique se développe dans le système nerveux chez les jeunes enfants ; le volume de leur tète, par rapport à celui de l'adulte, est, en quelque sorte, disproportionné.

Suivant Sœmmering, cité par Parchappe, le poids du cerveau d'un enfant de six ans est de 1.087 grammes, et le poids moyen du cerveau d'un adulte est de 1,323 grammes; — différence : 236 grammes. Parchappe cite encore le cerveau d'un enfant de onze ans, qui pesait 1,191 grammes, et celui d'un autre enfant de quatorze ans dont le poids était de 1,046 grammes.

Chez une jeune tille de dix-huit ans, saine d'esprit, morte dans mon service, le cerveau pesait 1,o3o grammes ; chez une autre du même âge, j'ai trouvé 1,304 grammes... et si vous remarquez que le poids moyen du cerveau de la femme adulte, suivant Boyd, oseille entre 1,127 et «1,238, vous arrivez à cette conclusion qu'il y a certains sujets adolescents qui, avant l'âge de vingt ans. ont acquis presque complètement le développement cérébral qu'ils doivent avoir a la période d'apogée.

Voici encore une autre preuve à l'appui de mon dire: il s'agit de mensurations faites sur des individus vivants, à l'aide de mes appareils céphalométriques, dont j'ai eu l'honneur d'entretenir l'Académie l'an dernier.

Dans une famille composée du père et de deux fils, le diamètre antéro-postéricur de la tête du père, âgé de quarante-huit ans . mesurait 19 cent. 8. A cette époque, un des 61s, âgé de dix ans, mesurait déjà 18 cent. 2 ; — différence : 1 cent. 6.

Deux ans plus tard, ce diamètre a été trouvé le même ; l'enfant était resté stationnaire sous ce rapport.

Le second enfant, dont la tête a été mesurée à l'âge de six ans, présentait déjà 17 cent. 8, soit 2 centimètres seulement moins que le père. Un an après, il présentait 17 cent. 9, et à huit ans 18 cent. 1, c'est-à-dire 1 cent. 7 de moins que le père. Pour l'examen des autres diamètres, bi-auriculaires et horizontaux, les mêmes rapports se retrouvent.

Maintenant. messieurs. permettez-moi de faire passer encore sous vos yeux deux cerveaux de sujets masculins, d'âge différent, l'un de seize ans, l'autre de trente-six : ces cerveaux ont été conservés par les mêmes procédés de dessiccation, et soumis par conséquent aux mêmes influences. Voyez, en effet, combien ils se ressemblent: les plis sont, de part ci d'autre, nettement dessinés, les sillons indiquent nettement les différents départements de l'é» eorce.et, vraiment, si on ne savait pas par avance la différence d'âge qui sépare ces deux cerveaux, je doute fort qu'on puisse reconnaître, par l'examen direct, celui qui appartient à l'homme fuit et celui qui appartient à l'adolescent.

Vous voyez donc, messieurs, qu'à cette époque de la vie que nous considérons, l'instrument cérébral destiné à entrer en action est en plein développement régulier ; d'année en année, il augmente de volume et de masse, et l'on peut dire que, dès cette époque de la vie, il est bien et dûment constitué pour entrer en action et développer toutes les énergies latentes qu'il tient en réserve.

Le cerveau de l'adolescent, sauf quelques grammes en poids, est presque déjà équivalent au cerveau de l'adulte, et, en présence de ces données ana-tomiques, quelque incomplètes qu'elles soient, je ne vois pas en quoi, au point de vue du labeur purement intellectuel, il y aurait a réclamer une réduction des programmes d'études actuellement en vigueur.

Est-ce qu'au contraire les efforts de l'éducation ne devraient pas tendre nécessairement à mettre en œuvre un appareil organique qui se développe régulièrement et d'une façon si luxuriante à cette époque de la vie ? — Nous devons lui demander, sous peine de déchéance, la mise en valeur de toutes les aptitudes qu'il renferme, et quand on songe combien le cerveau d'un enfant de seize à dix-huit ans touche de près, en proportion, au cerveau d'un adulte, ce serait, à mon avis, manquer à tous les devoirs de notre époque que de ne pas concourir à la mise en œuvre de cet admirable instrument, et, sous prétexte de travaux forcés et de surmenage, arriver à encourager la paresse native, dans bien des organisations moyennes pour lesquelles l'inactivité cérébrale est toujours un souhait inavoué de bonheur.

Et, ù côté de ces questions si vivantes et si contemporaines, rappelons-nous encore que les éducateurs de la jeunesse actuelle, au nom des idées de progrès qui entraînent l'esprit de l'homme, ont un grand devoir à remplir vis-à-vis des jeunes intelligences qui leur sont confiées : c'est de ne pas les laisser déchoir dans leurs mains, faute de culture, et d'enrichir leur patrimoine héréditaire.

S'il faut, en effet, ajouter foi aux recherches si ingénieuses de notre re-gretté Broca, ne savons-nous pas que, suivant lui, le cerveau des Parisiens, en particulier, est en progression constante depuis des siècles, depuis l'époque de Philippe-Auguste, comme masse" et comme volume; et que le cubage des crânes contemporains des Parisiens de notre époque est supérieur au cubage des crânes des Parisiens du moyen âge. Preuve bien évidente de l'influence de la culture intellectuelle progressive, et des rapports intimes qui lient le développement du cerveau avec l'exercice régulier et avec les progrès de la civilisation.

II

Voyons maintenant, au point de vue de la physiologie cérébrale, s'il y a véritablement péril en la demeure, et si l'esprit de nos jeunes gens, je parle de la masse, et non pas des cas exceptionnels, dont j'aurai plus loin à vous entretenir, est réellement surmené par l'application des programmes scolaires auxquels ils ont à faire face. Sur ce point, je suis tout à fait de l'avis de ceux] qui pensent que le véritable surmenage n'existe pas dans le sens strict du mot. On applique, sans s'en apercevoir, à l'enfance le tableau du véritable . surmenage cérébral si fréquent dans les périodes inquiètes de la vie de l'âge adulte.

Il y a d'abord les jours de vacances, qui sont actuellement beaucoup plus répétés qu'autrefois et qui permettent à l'adolescent de faire une coupure salutaire dans la continuité de ses travaux ; et puis encore ne savons-nous pas tous que toute cette jeunesse qui assiste aux classes sur le banc des écoles

n'est la plupart du temps, que matériellement présente aux exercices qui y sont faits ; les jeunes gens ne s'imérc;scnt que très médiocrement aux explications des auteurs ; les beautés de la littérature classique sont pour eux chose obscure et conventionnelle; ils ne prennent pas tout cela au sérieux, et chez eux ce sont les régions purement intellectuelles de leur cerveau qui sont en activité, tandis que les régions émotives de leur être et de leur personnalité consciente sont complètement silencieuses et tranquilles.

Et, sur ce point, combien l'activité cérébrale de l'enfant diffère de celle de l'homme adulte, chez lequel les régions émotives sont toujours associées à la mise en action de l'esprit ! — L'homme qui travaille dans la lutte de la vie ne le fait pas sans une participation profonde émanant de sa sensibilité intime : il met en même temps en activité son esprit et son cœur; à chaque effort qu'il fait, la surexcitation intellectuelle est doublée de la suractivité émotive, et c'est ainsi que toutes les molécules de son cerveau sont universellement mises en vibration, et qu'il fait feu en quelque sorte de toute part. Voila le vrai surmenage, voilà le véritable état pathologique avec lequel il faut sérieusement compter, et que l'expérience journalière nous montre comme étant la première étape qui conduit aux hyperhémies cérébrales chroniques et, dans le lointain, à la paralysie générale.

Combien est différente, au point de vue de la mise en jeu du cerveau, la participation que nous demandons a l'esprit de nos enfants! Les programmes d'études scolaires, en effet, ne s'adressent qu'à des régions isolées de leur cerveau, et l'esprit du jeune homme, tout à fait indifférent au point de vue émotif, ne fait que des efforts partiels. C'est principalement à sa mémoire et à son imagination que, dans les classes de lettres, on fait appel ; et vous savez combien, dans certains concours de récitation, la culture intensive de la mémoire est mise en activité.

C'est là une manière de faire qui nous semble défectueuse, et, sans vouloir entrer sur le terrain de la pédagogie proprement dite, il nous parait indispensable, au nom de l'hygiène bien entendue du cerveau, de signaler aux hommes compétents ce que cette méthode offre d'inconvénients pour l'exercice de l'instruction en général.

Elle n'exerce, en effet, son activité que suivant une direction donnée, et l'esprit s'habitue passivement à recevoir par une sorte d'imbibition les ébranlements qu'il reçoit, et qu'il rerient, pour ensuite les exprimer au dehors comme par une action réflexe inconsciente. Il en résulte que la personnalité consciente n'est pas partie prenante, et que les opérations qui consistent à juger, à discerner, sont, la plupart du temps, laissées inactives.

Aussi n'est-ce pas sans surprise que l'on voit de bons écoliers, dont l'esprit renferme des trésors d'érudition, dont l'imagination est abondamment fournie de comparaisons brillantes, qui. mis au tableau, la craie à la main, sont incapables d'aligner quelques chiffres et de faire régulièrement une opération d'arithmétique (i).

(1) Permettez-moi. messieurs, à l'apptui de cette opinion que je viens d'émettre sur l'autonomie et l' indépendance de la mémoire proprement dite par rapport aux opérations du jugement, de vous présenter le fait très curieux d'une jeune dame à laquelle je donne actuellement des soins, et qui est douée d'une mémoire véritable-

met extraordinaire. Elle retient des pages entière de poésie après les avoir lues une ou deux fois :elle les recite comme une actrice, avec des intonations appropriées. Et, à côté de cela, elle est delirante, elle est incapable de raisonner juste sur sa situa-tion, de se rendre compte de ce qui se passe autour d'elle. et elle montre ainsi l'exemple d'une mémoire excessivement brillante et de la déraison concomitante.

III

D'après les faits que j'ai eu l'honneur de vous exposer, messieurs, il semble résulter que, dans l'état actuel des choses, il n'y a pas disproportion entre la somme de travail demandée à nos écoliers et la somme d'efforts destinée à l'accomplir, et que la question du surmenage, telle qu'on l'a entendue jusqu'ici, ne présente pas les dangers spéciaux sur lesquels un certain nombre d'orateurs ont appelé l'attention.

Il est néanmoins bon de noter que, parmi la masse des écoliers qui s'avancent en suivant la marche régulière des études, il existe un contingent spécial de sujets impropres au service, faibles de complexion cérébrale, et qui, sans être paresseux, malgré leur bonne volonté, voient leurs forces les trahir, et sont obligés d'interrompre le cours de leurs études. Ce sont ceux-là qui sont véritablement les surmenés du cerveau de nos écoles, et, il faut bien le reconnaître, dans la grande majorité des cas, ces sujets-là ce sont des héréditaires, ou bien ils ont un père paralytique ou bien une mère névropathique.

La nature spéciale de ma clientèle m'a mis en rapport, d'une façon particulière, avec un certain nombre de sujets de cette catégorie. Ayant donné des soins aux pères et aux mères de ces jeunes enfants, je me suis trouvé déjà plus d'une fois appelé par les familles à les suivre dans la vie. J'ai actuellement un relevé de vingt-quatre cas qui sont relatifs à des jeunes sujets de huit à vingt ans, la plupart fils de paralytiques; eh bien, — j'ai constaté que chez ces jeunes sujets, la plupart du sexe masculin. le goût du travail est bien développé; on les met au lycée, comme leurs condisciples, mais ils sont le plus souvent distraits, turbulents, facilement fatigués; ils se plaignent de céphalalgie, ils sont sujets à des insomnies, ils rêvent haut et deviennent somnambules. — Mais ils ont de l'ardeur et veulent faire leurs classes. En dehors de ces symptômes, qui annoncent un certain degré de suractivité cérébrale, il en est d'autres que je considère comme caractéristiques et indiquant un véritable épuisement de l'élément nerveux ; ce sont des phénomènes d'amnésie qui dominent ainsi; ils oublient leurs leçons, au milieu d'une récitation ils ne peuvent plus continuer, dans la conversation ils s'interrompent par une véritable absence mentale; ils vont et viennent dans les cours sans se rendre compte de ce qu'ils font. Cher d'autres, ce sont des symptômes vertigineux qui apparaissent, et j'ai vu encore, tout récemment, un jeune dégénéré microcéphale de vingt ans. qui, à la suite des efforts faits pour passer son baccalauréat, a été frappé d'une première attaque d'épilepsie, qui s'est répétée quinze jours après.

Au point de vue des signes physiques, ces sujets-là se distinguent encore par les caractères suivants : ils ont le crâne ou trop petit ou trop grand pour leur taille: la voûte du crâne est irrégulièrement constituée: en palpant la tète, on constate des épaisseurs irrégulières au niveau des sutures, et, quelquefois encore, une véritable gouttière transversale au niveau de la partie culminante du vértex.

Eh bien! ces sujets-là qui présentent des caractères somatiques et intellectuels si nets, placez-les au milieu de leurs condisciples : ils seront susceptibles, pendant un certain temps, de suivre la colonne en marche; ils ont un certain amour-propre, ils veulent faire comme les autres, ils n'ont pas la conscience de leur infériorité; et, néanmoins, ils se fatiguent vite, et ne peuvent

suivre jusqu'au bout leurs camarades. Ils restent alors en arrière, a des distances inégales, et deviennent ainsi un groupe de retardataires fatigués, véritablement surmenés et incapables de continuer leur carrière.

1° En résumé, messieurs, je pense qu'il est indispensable de faire des réserves au sujet des rapports pathogéniques que notre collègue, M. Peter, a cherché à établir entre le surmenage des écoliers et le développement de la tuberculose pulmonaire. D'après mes relevés personnels, la tuberculose me parait excessivement rare dans certaines catégories de sujets qui appartiennent au cadre de la pathologie mentale, puisque, sur un relevé de 1086 observations, je ne l'ai rencontrée que six fois;

2° Les programmes d'études ne doivent pas être diminués au point de vue de la somme de travail demandée, car l'examen anatomique prouve que le cerveau d'un adolescent de dix-huit a vingt ans est déjà très développé, et équivalent presque à un cerveau d'adulte. On peut donc leur imposer ce que comportent tes progrès de la science moderne.

Il serait peut-être avantageux de varier le mode de présentation des sujets d'étude, de les rendre plus agréables et plus assimilables pour l'esprit, en sollicitant plus énergiquement la personnalité consciente des jeunes enfants et en les intéressant a ce qu'ils ont a apprendre. — Mais je persiste a dire qu'il ne me parait pas convenable d'alléger les programmes, et qu'il faut penser à l'avenir et à l'intérêt des générations futures, et, en interprétant les résultats qui se dégagent des recherches de Broca, avoir toujours présent à l'esprit que si le cerveau humain est apte, de siècle en siècle, à se développer comme masse et comme volume, il est du devoir des éducateurs de la jeunesse de cultiver ses richesses naturelles, de le meubler de toutes les acquisitions nouvelles de la science et de ne pas laisser péricliter, faute d'une culture appropriée, les cléments de perfectionnement que porte en germe le cerveau de l'homme. (Très bien.!)

Finalement, après une intervention éloquente de M. le professeur Trélat, l'Académie a clos la discussion en votant à l'unanimité les conclusions suivantes :

L'Académie de médecine appelle l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité de modifier, conformément aux lois de l'hygiène et aux exigences du développement physique des enfants et des adolescents, le régime actuel de nos établissements scolaires.

Elle pense : que les collèges et lycées pour élèves internes doivent être installes à la campagne; que de larges espaces bien exposés doivent être réservés pour les récréations; que les salles de classes doivent être améliorées an point de vue de l'éclairage et de l'aération.

Sans s'occuper du programme d'études, dont elle désire, d'ailleurs, la simplification. l'Académie insiste particulièrement sur les points suivants :

Accroissement de la durée du sommeil pour les jeunes enfants;

Poar tous les élèves, diminution du temps consacré aux études et aux classes, c'est-à-dire à la vie sédentaire, et augmentation proportionnelle du temps des récréations et exercices;

Nécessité impérieuse de soumettre tous les élèves à des exercices quotidiens d'en-trainement physique proportionnés à leur âge. (Adopté.)

Marches, courses, sauts, formations, développements, mouvements réglés et prescrits, gymnastique avec appareils, escrime de tous genres, jeux de force, etc.

REVUE DE LA PRESSE

Journaux hollandais

La Hollande scientifique ne voulant pas rester en retard, commence à prendre une part active a l'agitation suscitée dans les esprits par la question de l'hypnotisme.

Une de ses meilleures revues scientifiques et littéraires, la Nieuve Gids, vient de publier, dans son numéro d'août, un article du docteur A. W. van Renterghem.

Cet auteur y expose en abrégé l'historique du magnétisme animal, définit la transmutation du mesmérisme en hypnotisme par James Braid, et s'étend plus longuement sur les grands mérites du docteur A,-A. Liébeault de Nancy, du créateur de l'école suggestionniste en France.

Il parait que le docteur hollandais s'est rendu, il y a quelque temps, à Nancy pour y étudier l'hypnotisme, tel que le pratiquent MM. Liébeault et Bernheim.

Il ne tarit pas dans ses louanges sur la réception qui lui a été faite et, parlant des différends qui existent entre l'école de Paris et celle de Nancy, il défend vivement la cause de la dernière et croit pouvoir assurer que la victoire est à elle.

Le docteur F. van Eeden, dans le même numéro de cette revue, applaudit de bon cœur au revirement notable dans l'opinion et dans l'appréciation de l'œuvre du docteur Liébeault. Il constate que la suggestion suffit pleinement à expliquer les cures merveilleuses obtenues quelquefois par les homœopa-thes, les magnétiseurs, les thaumaturges. Il ajoute spirituellement que les médecins qui prescrivent des pilules de mie de pain font de la suggestion à la manière d'un musicien qui jouerait du piano en jetant de loin des objets sur les touches, et il présente M. Liébeault — avec sa manière rationnelle et scientifique de suggérer — comme leur proposant de faire mieux, c'est-a-dire de s'approcher de l'instrument et d'y appuyer les mains.

CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE

Association française pour l'avancement des sciences. — Congrès

de Toulouse.

Le Congrès de Toulouse ouvrira ses travaux le septembre. Un assez grand nombre de communications concernant l'hypnotisme sont annoncées et plusieurs d'entre elles ne peuvent manquer de soulever des débats importants.

Beaucoup de nos collaborateurs doivent se rendre à Toulouse et la Revue de l'Hypnotisme sera cette année aussi dignement représentée qu'elle l'a été l'année dernière au Congrès de Nancy.

Nos lecteurs sont assurés d'avoir la primeur de toutes les communications laites, tant à la section de médecine qu à celles d'économie politique et de pédagogie, pouvant les intéresser.

L'action du surmenage intellectuel sur la développement des affections mentales et nerveuses.

La question si actuelle et si importante du surmenage intellectuel des élèves dans les écoles et surtout dans les collèges préoccupe aussi la section d'hygiène du Collège médical de Vienne.

Un certain nombre de médecins distingués ont déposé des conclusions qui se rapprochent de celles qui viennent d'être votées par l'Académie de médecine française. Il est cependant un rapport qui offre un intérêt tout particulier : c'est celui que M. Meynert a présente sur les affections mentales et nerveuses

déterminées par le surmenage scolaire. Voici les conclusions de ce rapport, basées sur une longue statistique :

1° Certaines maladies mentales sont — quoique rarement— produites par le surmenage dans les écoles secondaires;

2° Un grand nombre de cas pathologiques ne viennent pas dans les asiles d'aliénés, mais sont traites en ville comme neurasthéniques;

3° Les excitations sexuelles déterminées par les congestions dues à la vie sédentaire favorisent l'apparition de la neurasthénie et des troubles psychiques ;

4° Les influences nocives de surmenage ne se font pat sentir seulement dans la jeunesse, mais aussi dans l'âge mûr, par une disposition spéciale pour les maladies mentales ;

5° Les affections mentales propres à l'âge de la puberté (hébéphrémie. aliénation mentale juvénile) sont très pernicieuses par la tendance qu'elles ont de se combiner a l'idiotie;

6° Les causes d'épuisement font que la démence aiguë se combine, dans l'âge de la puberté, avec la stupeur;

7° L'hérédité des maladies nerveuses rend responsable le surmenage intellectuel de l'inaptitude progressive des générations suivantes :

8° Les suicides de plus en plus fréquents sont un symptôme fâcheux d'une neurasthénie progressive.

INOUVELLES

École vétérinaire d'Alfort. — M. Edmond Nocard. professeur de clinique chirurgicale, membre de l'Académie de médecine, est nomme directeur de l'Ecole d'Alfort, en remplacement de M. Goubaux. admis, sur sa demande, à la retraite. M. Goubaux est nommé directeur honoraire.

Mission. — M. Paul Gibier, aide naturaliste au Muséum d'histoire naturelle, est chargé d'une mission en vue d'étudier la fièvre jaune dans les pays où elle sévit ordinairement et de la combattre par des moyens prophylactiques.

Un aliéné dangereux. — Le British Médical Journal rapporte le fait suivant, bien fait pour inspirer quelques sentiments de prudence à ceux qui ne se défient pas as-sez des aliénés laissés en liberté :

« Un terrible drame a été accompli le 9 juillet, près de Rathfriland, par un homme qui était depuis un an dans un asile d'aliénés. Il entra dans on cottage, menaça une vieille femme, tua deux chèvres prés de la porte, puis se précipita au milieu de travailleurs dans un champ, frappant a droite et à gauche avec une faucille. Il tua raide deux Individus, en leur séparant presque la tête du tronc, puis en blessa trois autres usez grièvement pour que l'un ait déjà succombé et qu'on n'ait pas d'espoir pour les deux autres. La police trouva le fou se tenant dans un lac, plongé dans l'eau jusqu'au cou. Il fut pris avec beaucoup de difficultés »

Congrès des instituteurs- — Le Congrès des instituteurs, qui doit se réunir au Trocadéro, le dimanche 4 septembre, promet d'être des plus intéressants, tant par l'intêrêt des questions mises a l'ordre du jour, que par le nombre d'instituteurs qui ont repondu à l'appel des organisateurs.

Le Petit Médecin des familles, organe d'hygiène de l'enfance (24 rue Roche-çhouart), dirigé avec aurant de compétence que d'érudition, par notre confrère le Dr Degois, publie dans son numéro du 23 août le portrait et la biographie de notre rédacteur en chef.

NÉCROLOGIE

LE DOCTEUR. GIRAUD-TEULON.

Giraud-Teulon, ancien élève de l'École polytechnique, membre de la So-ciété de chirurgie, membre de l'Académie de médecine, vient de mourir à

Saint-Germain-en-Laye.

Avant de se livrer à l'etude de la médecine, Giraud-Teulon avait consacré

plusieurs années de sa vie à la politique proclamation de la République, en 1848, jusqu'en 1852.

Il s était spécialisé dans les questions de mécanique animale et d'oph-thalmologie. Parmi ses principales publications, nous citerons : Principes de mécanique animale, ou étude de la locomotion chez l'homme et les animaux vértèbres, Paris, 1858; — Physiologie et pathologie fonctionnelle de la vision binoculaire, 1861 ; — Leçons sur le urabisme et la diplopie, pathologie et thérapeutique, 1863;—Précis de la réfraction et de l'accommodation de l'œil, 1865; — L'œil, un excellent petit volume de vulgarisation des fonctions de la vue et de leurs anomalies, dont la seconde édition a paru en 1878;— enfin, un gros volume de près de mille paces sur la vision et ses anomalies, paru en

A un moment donné, il s'était beaucoup occupé d'hypnotisme et avait fait paraître, en collaboration avec Demarquoy, des pages intéressantes sous ce titre : Recherches sur l'hypnotisme, parues dans la Gazette médicale (décembre 1859 et janvier 1860).

Dans leur travail, les auteurs faisaient le plus grand cas des propriétés anesthésiques de l'hypnotisme au point de vue de la chirurgie. Reprenant à l'origine la question du sommeil nerveux, ils se livrèrent à une serie d expériences intéressantes. Plusieurs de leurs sujets, hypnotisés par la fixation d'une boule brillante maintenue par un procédé mécanique au-dessus de leur front, présentèrent des troubles incontestables de la sensibilité, de la con-tractilité musculaire et de la conscience.

Malheureusement, le temps n'était pas encore venu où on put utiliser toutes les déductions pratiques que comportaient leurs recherches et l'activité scientifique de Giraud-Teulon se tourna dans une autre direction.

Il faisait partie, depuis 1874, de l'Académie de médecine, section de physique et de chimie médicales.

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL

HYPNOTISME (depuis 1880) M. J.de Bonniot: De la suggestion mentale. (Cosmos, 3o avril 1887.) Battandier: Le spiritisme à Naples. (Cosmos, 4 juin 1887.)

Guermonprez : L'hypnotisme et les suggestions hypnotiques. [Science catholique, mai

et juin 1887.)

Frédéric W. H. Miers: Automatic Writing (Proceedings of the Society for psychical research. May 1887.)

Edmund Gurney: Peculiarities of certain post-hypnotic states. (Id. May 1887.J

Anton Schmoll : Expériences sur la transmission de la pensée. (Id. May 1887.)

Edmund Gurney: Les états de la mémoire dans l'hypnotisme. (Id. May 1887.)

Lombroso : L'hypnotisme applique à la science pénale. (Archivio di psychiatria, t. VIII, 1887.)

Tonnini: La suggestion et les songes. (Archivio di psychiatria, science penali e an-thropologia criminale, t. VIII, 1887.)

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

De l'anesthésie chirurgicale par hypnotisme et suggestion, par le

Dr Pierre Santelli, médecin de la marine. Thèse de Montpellier, in-8, 1887 Der tierische Magnetismus Hypnotismus) und seine Genese. par

Joh. G. Salus. Leipzig, Ernst Günthers Verlag. In-8, 1887. Les maladies vénériennes chez les Hébreux à l'époque biblique,

par le Dr Masson, in-8, 1887.

De l'origine des effets curatifs de l'hypnotisme (étude de psychologie

expérimentale , par J. Delbœuf, professeur à l'université de Liege. Paris, Alcan, in-8, 1887.

Nouveau dictionnaire classique illustré, par A. Gaziek; — 1er et 2e ascicules. —Librairie Armand Colin. Prix de l'ouvrage complet: 2 fr. 00.

Le gérant : Emile BOURIOT. paris . — imprimerie charles dlot, rue bleue, 7.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

BULLET»

La communication de M. Luys à l'Académie de médecine, coïncidant avec la publication du livre de MM. Bourru et Burot sur l'action à distance des substances toxiques et médicamenteuses, a appelé, sur cette question si délicate, l'attention du monde scientifique.

L'Académie de médecine, selon l'usage, a désigné immédiatement une commission chargée de contrôler les faits annoncés par M. Luys. Nous devons constater, en le regrettant, que cette commission, en dehors de M. le professeur Charcot, ne renferme aucun homme ayant prouvé qu'il ait acquis, sur les questions qui relèvent de l'hypnotisme, la moindre compétence. Nous n'avons pas été surpris d'apprendre que M. Charcot a décliné l'honneur de faire partie de cette commission, jugeant que le moment d'interpréter les phénomènes observés n'était pas encore venu.

Dans ces conditions, nous nous demandons quelle peut être l'utilité d'une commission ainsi démembrée avant d'avoir fonctionné. Si les commissaires se bornent i assister en spectateurs aux expériences que M. Luys se fera un véritable plaisir de remeure sous leurs yeux, leur curiosité sera seule satisfaite. Si, au contraire, ils veulent modifier son plan expérimental, il leur sera difficile de ne pas commettre des hérésies trop éclatantes pour que leur avis soit pris en considération. Nous estimons donc d'ores et déjà que la commission a vécu.

En ce moment, le Congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences est réuni à Toulouse. Les travaux de ses

sections sont en pleine activité. Déjà la section des sciences médicales et celle de pédagogie ont reçu d'importantes communications sur les applications de l'hypnotisme. Nous devons signaler la présence au Congrès de quelques-uns de nos collaborateurs les plus éminents et, en particulier, celle de MM. les professeurs Bernheim, Grasset, Burot, de M. le docteur Auguste Voisin, ainsi que de plusieurs expérimentateurs des plus distingués.

Nous avons été heureux d'apprendre que MM. Bernheim et Grasset avaient été élus vice-présidents de la section des sciences médicales, et que notre rédacteur en chef, M. le docteur Bérillon, avait été choisi comme secrétaire par la section d'hygiène et de médecine publique.

Dans cette dernière section, M. le professeur Layet (de Bordeaux) avait annoncé une communication sur les dangers que présente, pour la société, les divulgations des pratiques de l'hypnotisme. Au dernier moment, il s'est excusé de ne pouvoir assister au Congrès, étant retenu à Bordeaux par une indisposition.

Nous le regrettons d'autant plus vivement, que le débat soulevé par cette communication aurait pu donner jour à des documents fort intéressants. Nous espérons cependant que nos lecteurs ne seront pas privés du travail préparé par M. Layet. Ils peuvent, d'ailleurs, être assurés d'avoir in extenso, dans le prochain numéro, les mémoires lus au Congrès.

Nous sommes heureux de constater une fois de plus, à Toulouse, que les études d'hypnotisme deviennent de plus en plus l'objet des préoccupations du corps médical. L'intérêt avec lequel sont accueillies les communications scientifiquement exposées d'applications nouvelles de l'hypnotisme à la thérapeutique et à la pédagogie, les discussions animées qu'elles soulèvent prouvent clairement que le nombre des esprits qu'aveugle encore un scepti-, cisme inconsidéré va sans cesse en diminuant. Nous pouvons même prédire que, dans un temps prochain, toute prévention injuste aura disparu.

P. M.

DE LA SOLLICITATION EXPÉRIMENTALE DES PHÉNOMÈNES ÉMOTIFS CHEZ LES SUJETS EN ÉTAT D'HYPNOTISME(1)

Par M. le Docteur J. LUYS membre de l'Académie de médecine, médecin de la charité

(Suite et fin)

Les personnes qui suivent avec intérêt les progrès si subits et si imprévus de ces études neurologiques, ne sont pas sans connaître les très curieuses expériences dont M M. les docteurs Bourru et Burot ont entretenu le congrès pour l'avancement des sciences de Grenoble en 1885, et qui sont relatives à l'action rayonnante qu'exercent à distance certaines substances chez les sujets hypnotisés.

Nos deux éminents confrères, professeurs â l'Ecole de médecine de Rochefort, ont donc constaté que chez les sujets en état d'hypnotisme, il se développe un tel état d'hyperesthésic qu'ils deviennent impressionnables, en présence de certaines substances toxiques ou médicamenteuses tenues â distance, et que, suivant la nature des corps employés, ils présentent des réactions différentes. C'est à cette nouvelle méthode d'investigations que j'ai eu recours, et c'est grâce à elle que je suis à même de venir exposer devant vous les curieux résultats qu'elle m'a permis de constater.

Je n'ai pas à entrer dans l'exposé des détails techniques dont les expériences ont été conduites, ainsi qu'à vous signaler les précautions multiples employées pour déjouer toutes les tentatives de supercherie de la part des sujets en expérience. Ces détails feront l'objet d'une communication spéciale.

Je me contenterai seulement de dire, pour le présent, que j'ai opéré sur des sujets différents, pour vérifier les résultats les uns par les autres, qu en présence de substances similaires j'ai obtenu des résultats similaires, et que, pour fixer les différents phénomènes émotifs dont j'étais l'instigateur, j'ai eu recours à la photographie instantanée pour fixer ainsi d'une façon stable les résultats obtenus. Ce sont ces représentations pittoresques que j'ai l'honneur de faire passer sous vos yeux, et qui expriment avec une fidélité indiscutable les phases émotives par lesquelles passe inconsciemment un sujet hypnotisé, suivant qu'on le met en présence de telle ou telle substance dont il ignore absolument la nature et les effets.

(i) Communication lue a l'Académie de médecine, le mardi 3o août 1887.

Les réactions produites sur l'organisme hypnotisé par les actions à distance des substances stimulatrices se présentent sous deux modalités bien tranchées. Elles sont silencieuses ou loquaces.

Dans la première série, suivant la constitution du sujet, suivant son impressionnabilité intime, la nature de la substance employée, les phénomènes réactionnels évoluent en silence. Le sujet étant maintenu dans l'état léthargique, tous les phénomènes se développent en lui d'une façon silencieuse et calme, sans qu'il soit prononcé un seul mot. comme s'il s'agissait d'un automate dont les ressorts, montés dans une certaine direction, se mettraient d'eux-mêmes en action; les yeux seuls sont ouverts et vivants, et, par leur regard qui laisse transpercer les émotions intérieures, on reconnaît la graduation des activités psychiques sous-jacentes.

La morphine.la valériane, la strychnine, la spartèine, le bromure de potassium produisent des réactions de cette espèce.

Dans la seconde série de faits, alors que la susceptibilité du sujet est plus exaltée ou que l'action de la substance employée a un lieu d'élection différent, le sujet ne reste pas à la période de léthargie ; il s'élève d'un degré dans l'échelle des phénomènes hypnotiques. Il monte à la période de somnambulisme lucide, et alors il entend, il entre en communication orale avec le monde extérieur, et tout en étant inconscient et incapable d'enregistrer des impressions durables (c'est-à-dire de conserver la mémoire de ce qu'il a dit ou fait), il parle, il répond, et par ses réactions coordonnées il donne les illusions de la vie réelle et d'un état de conscience très nettement accusé.

C'est ainsi qu'agissent le café, le haschich, les spiritueux qui ont une action plus particulièrement localisée sur les régions intellectuelles.

I. — Dans la première série de faits, alors que les sujets en expérience restent cantonnés dans la phase de léthargie, après avoir disposé et numéroté les tubes de verre contenant les substances actives à l'insu du sujet, on les place tout d'abord au lieu d'élection, sur la peau de la nuque, et on attend le développement des phénomènes expressifs qui se montrent d'une façon plus ou moins rapide.

Tantôt ils arrivent immédiatement à leur maximum d'effet, tantôt l'action de la substance stimulatrice est lente à déterminer ses réactions. Elle semble s'accumuler pendant une ou deux minutes en silence, et l'on voit ses effets éclater tout d'un coup comme une explosion électrique sous forme de convulsions généralisées ou partielles très violentes ou sous forme de secousses toniques, et tout cela se passe d'une façon tout à fait silencieuse, sans qu'un seul mot ait été prononcé.

Ce sont ordinairement les expressions de crainte et d'effroi qui dominent.

Les émotions gaies sont plus rares à susciter. Chez les sujets dédoublés, elles sont souvent unilatérales, et la même substance qui. du côté droit, détermine un état de souffrance et de malaise, appliquée du côté gauche, détermine de la joie et un mouvement général d'expansion.

En même temps que les régions émotives sont mises en action dans les centres nerveux, l'action simulatrice s'exerce aussi d'une façon rayonnante sur l'innervation de la moelle et même sur l'innervation de la vie végétative, sur celle du cœur, des poumons, du corps thyroïde, etc.

On note aussi simultanément quelques contractions passagères dans les muscles de la face, des veux, ou dans ceux des membres : quelquefois tout- un côté est frappé de convulsions toniques : d'autres fois ce sont des phénomènes paralytiques unilatéraux, ou môme croisés, qui se révèlent. Dans d'autres circonstances, c'est un état de résolution générale des forces musculaires qui domine la scène, comme lorsqu'il s'agit du bromure de potassium.

Parallèlement à ces phénomènes, se déroulant du côté des nerfs et des muscles, on voit apparaître un élément nouveau: c'est la participation effective de l'innervation de la vie végétative qui devient partie prenante du processus en évolution et lui donne ainsi un caractère d'énergie et de véracité d'une grande intensité.

Ainsi, sous l'action à distance de certaines substances, on voit incontinent les régions thyroïdienne et sous-maxillaire se gonfler inopinément avec la symptomatologie du goitre exophtalmique. Ou bien encore, sous l'action de la spartéine. les muscles inspiratoires s'arrêtent soudain, comme frappés de paralysie. C'est le centre respiratoire qui semble avoir été tout d'abord influencé par l'incitation centripète. Le sujet devient rapidement anhèlant. Il accuse de l'anxiété dans les muscles inspirateurs supérieurs, puis il tombe dans un état d'abattement profond quasi-comateux, la bouche béante, les yeux hagards, complètement aphone, avec arrêt des mouvements inspiratoires de la cage thoracique et du diaphragme (i).

Le chlorhydrate de morphine à la dose de 2 centigrammes, comme toutes les substances employées, mises en présence de sujets dédoublés, détermine des effets différents, suivant que le tube est placé à gauche ou bien à droite, et suivant qu'on interroge des régions différentes des plexus nerveux périphériques.

Ainsi, placé à la nuque du côté gauche, il sollicite presque immédiatement l'expression d'une très vive terreur : le sujet est

(i) On comprend aisément qu'une expérience semblable ne puisse être longtemps prolongée. Elle n'a duré qu'une minute, et, néanmoins, j'ai pu prendre au vol en quelque sorte la photographie du sujet en expérience, qui est dans un état d'année complet.

fortement secoué dans tout son être, comme on peut s'en convaincre d'après la photographie qui se présente. La physionomie exprime un effroi profond, la face est tournée vers la gauche, les yeux sont saillants, la paupière supérieure très fortement relevée, et le regard est fixe, épouvanté. En même temps, les bras sont raidis et les mains, croisées l'une sur l'autre, sont contracturées et rigides. Tout l'individu est entraîné dans un sentiment de bouleversement profond.

Vient-on à prolonger le contact du tube, le processus émotif devient progressif ; l'émotion terrifiante s'élève d'un degré et le sujet subit une réaction qui dénote un sentiment de défense. Ce n'est plus la stupéfaction terrifiée qu'il exprime avec sa physionomie, c'est un véritable mouvement de colère, suscité par l'instinct de sa protection. Le bras droit, alors, comme on peut le voir sur la photographie, se replie comme pour donner un vigou-. reux coup de poing, et les yeux, tournés vers l'objet menaçant, sont chargés de colère ; le bras gauche reste contracture. Il ne faudrait pas insister davantage pour voir le sujet, toujours silencieux, se lever précipitamment, se mettre à courir, frapper à tort et à travers et commettre des actes de violence tout à fait inconscients.

Vient-on à porter le tube ailleurs et à changer le champ d'action périphérique de la substance stimulatrice ? c'est un tout autre tableau qui va se dérouler devant vos yeux. Le place—t-on. par exemple, à droite, derrière l'oreille, même sans contact direct, la scène violente précédente change du tout au tout et l'on assiste alors à une transformation complète de la physionomie du sujet.

Si les émotions précédemment suscitées étaient brusques, violentes, tumultueuses, actuellement elles expriment le calme et une douce langueur. C'est une période de détente qui se manifeste. La photographie exprime en effet un état d'abandon et de sérénité parfait. Le sujet repose mollement sur le fauteuil, ses bras sont libres, son regard est vague et langoureux, et sa physionomie reposée exprime cet état de béatitude spéciale éprouvé par toutes les personnes qui sont sous l'action sédative de la morphine.

Le récit pittoresque du processus de l'hypnotisme déterminé par l'action du chlorhydrate de morphine, ne suffit pas pour donner une idée de la variabilité des phénomènes émotifs que l'on est amené à constater chez les sujets hypnotisés. La description détaillée des effets produits par un grand nombre d'autres substances appartenant soit au règne végétal, soit au règne minéral, ne peut trouver sa place ici. Je me contente, pour le moment, de signaler à votre attention les réactions émotives produites sur l'organisme par quelques substances bien nettement déterminées, et qui ont une action presque constamment la même, non seulement sur le même sujet, mais encore sur des sujets différents.

Ainsi, le sulfate de strychnine à la dose de un centigramme, appliqué à la nuque, du coté gauche, a fait apparaître rapidement de fortes contractures bilatérales avec secousses convulsives et raideur du tronc. La physionomie du sujet avait l'expression mal caractérisée d'un violent étonnement.

Le tube présenté au côté droit, comme s'il s'agissait de la morphine, a mis en jeu des réactions contradictoires, une disparition des phénomènes de contracture d'abord, et, sur la face, une expression de gaieté allant jusqu'à un état de jubilation extrême.

Le sulfate d'atropine paraît avoir une action stupéfiante plus intense. Présenté alternativement soit du côté gauche ou du côté droit du sujet, il semble principalement frapper sur l'innervation des muscles.

Le sujet, ainsi qu'on peut le voir sur la figure photographique, reste affaissé sur le fauteuil, dans un état d'accablement extrême. 11 est anhélant, les traits de son visage sont tirés ; son regard vague, fixe, éteint, exprime un état d'épuisement et d'atonie générale qui plane sur toutes les forces vives de l'économie. Néanmoins, si on persiste à maintenir le tube, l'action stimulatrice s'accumule, et il arrive un moment où la raideur du tronc se révèle, et le sujet demeure en proie à un véritable opistothonos.

Les spiritueux, tels que le cognac, le rhum, le champagne. le vin ordinaire, la bière, sont susceptibles de déterminer des effets sur le système nerveux, analogues à ceux qu'ils déterminent chez l'homme sain, Ils amènent l'ivresse plus ou moins rapidement, en 8 ou 10 minutes, avec tout son cortège d'attitudes spéciales, depuis l'excitation légère jusqu'à la physionomie ébrieuse avec relâchement des traits, jusqu'à la résolution la plus complète et l'impossibilité de se tenir debout. Ainsi, en 8 ou 10 minutes, le sujet en expérience, sous l'action d'une dose modérée de cognac de 10 grammes, a passé de l'état normal représenté dans la figure ci-jointe, à l'état d'ébriété la plus complète avec agitation, physionomie transformée, embarras de la parole et délire approprié (i). Un autre sujet, dont j'ai reproduit également les phases ultimes de l'envahissement alcoolique, au bout de 10 minutes, avait subi toutes les phases de l'ivresse et était tombé dans la résolution la plus complète et l'abandon absolu de sa personnalité.

Ces phénomènes si curieux de l'ivresse expérimentale ne sont, comme les précédentes expériences avec d'autres substances, que

(t)Dans la plupart des expériences, le sujet E ne demeure pas cantonné dans la période de catalepsie. L'action stimulatrice de l'alcool le fait monter d'un cran, et il passe à la période de somnambulisme lucide. Alors il parle, devient loquace, et sa parole suit l'envahissement progressif de l'Intoxication alcoolique. Elle devient alors succesivement lourde, pâteuse, et finalement inintelligible, pour reprendre ses caractères normaux aussitôt qu'on éloigne le tube.

de véritables processus spécifiques, qui suivent d'eux-mêmes une période ascendante, une période de saturation et une période de décours, suivant que la substance alcoolique qui les a provoquées est présente ou absente. Vient-on, en effet, à éloigner le tube contenant le spiritueux, en 8 ou 10 minutes (l'espace de temps qui a suffi à l'alcooliser à fond), on voit incontinent le sujet reprendre peu à peu l'usage de ses sens, expurger l'excitation alcoolique, et sortir de lui-même de cet état quasi-comateux dans lequel il a été plongé, pour ne conserver au réveil aucune trace des ébranlements profonds qui ont bouleversé son système nerveux.

II. — Dans la seconde série des expériences, les manifestations expressives ont un tout autre caractère. — Dans ces cas. le sujet hypnotisé, au lieu d'évoluer sur place en période de catalepsie silencieuse et de manifester sans mot dire les émotions de toutes sortes qui le traversent. — monte d'un degré dans l'ensemble des phases de l'hypnose, et. soit par une disposition naturelle, soit par le fait de spécialité d'action de certaines substances qui agissent principalement sur les régions intellectuelles, il arrive motu pro— prio à la phase du somnambulisme lucide, et alors il entend ce qu'on lui dit, il répond aux questions et, quoique n'enregistrant dans son for intérieur aucune des paroles prononcées ou entendues, il entre en conflit avec les assistants et expose avec netteté l'état spécial d'émotivité dans lequel il se trouve incidemment placé : c'est ce qu'on peut appeler h phase loquace des phénomènes de l'hypnose.

C'est la vie avec ses modalités diverses qui se révèle alors ; mais, malgré les apparences, ce n'est pas encore la vie normale avec toutes ses manifestations. C'est une vie partielle, automatique et inconsciente encore ; car. malgré la lucidité des réponses données, malgré la docilité extrême du sujet, qui peut accomplir tout ce qu'on lui demande, il est parfaitement inconscient de ses actes, lesquels ne laissent pas de traces au réveil et ne comptent pas dans l'ensemble des opérations mentales gravées dans la mémoire.

Ces phénomènes sont principalement déterminés par l'action du café en infusion, du haschich, des spiritueux variés, du cognac, vin, bière, champagne, alcools divers, etc.

Le tableau des réactions personnelles du sujet est tout à fait différent des allures précédentes. C'est, comme je le disais, toujours un automate qui s'agite, mais un automate parlant. On voit alors le sujet obéissant soit à des aptitudes naturelles, s'il est plus ou moins actif et expansif, à son genre de vie antérieur, à la tournure de ses désirs, et surtout, suivant la nature de la substance stimulatrice. exprimer avec une allure et une franchise des plus naturelles, des scènes d'une vie imaginaire qu'il enfante immédiatement en lui, et dont il déroule inopinément les péripéties successives.

Tantôt ce sont des émotions tristes qui dominent, si on le met particulièrement en présence d'un tube chargé de poudre de valériane, par exemple. Les impressions alors sont tristes et lugubres.

Le sujet, par exemple, se croit dans un cimetière, il assiste à l'exhumation d'une personne aimée, il recueille pieusement ses ossements, en fait un monticule sur lequel il plante une croix, et il accompagne cette petite cérémonie de gémissements, de génuflexions, de signes de croix, et de baisers donnés à la terre (i). Cette expression d'une douleur profonde et intense s'est révélée chez le même sujet à plusieurs semaines et même après une année d'intervalle, et, sauf quelques lacunes de peu d'importance, elle s'est toujours représentée d'une manière fidèle dans ses lignes principales.

Inversement, sous l'influence d'autres substances stimulatrices, le haschich, entre autres, ce sont des expressions inverses qui se sont révélées et des scènes de véritable gaîté qui ont été reproduites.

Le sujet, par exemple, qui adore le théâtre, se croit au moment d'une représentation dans laquelle il joue un rôle. C'est une jeune fille qui a de la mémoire et qui sait chanter. Elle organise immédiatement une petite scène, en empruntant à l'assistance une personne pour lui donner la réplique, et une fois qu'elle a préparé ses effets, elle exécute une scène d'un opéra-bouffe à la mode, et elle chante des couplets avec une expression très naturelle et des inflexions de voix justes et agréables. La sentimentalité est très expressive dans son jeu.

Dans d'autres circonstances, suivant qu'on a mis en œuvre d'autres substances, c'est tout un nouvel ordre d'émotions qui sont suscitées. Ce sont des scènes de vol, de pillage, d'assassinat et d'évasion. Le même sujet, qui aime, en qualité d'hystérique, à se repaître d'émotions profondes, a l'habitude de fréquenter les séances des tribunaux et des cours d'assises. Il a pris dans ce milieu des expressions spéciales, il a retenu certains récits et on est tout surpris de le voir alors mettre au jour toutes ces réserves accumulées dans ce domaine spécial de son esprit. II exécute alors, avec un air des plus pathétiques, des scènes lugubres de-vol et d'assassinat pendant la nuit, le mode de disparition du cadavre, les difficultés survenues avec son complice au moment du partage du butin. Il exprime les émotions de l'évasion et la joie de se trouver libre en pays étranger. Et toutes ces scènes imaginaires se développent avec une conviction réelle, avec un entrain continu, avec des émotions successives d'épouvante et d'inquiétude telle—

(i) MM. Bourru et Burot ont constaté, de leur côté, que le sujet sur lequel ils ont expérimente la valériane avait de la tendance à gratter la terre, comme les chats.

ment intenses que je l'ai vu plusieurs fois, terrifié pour de vrai par son débit, tomber à la renverse foudroyé par son émotion autogène et repasser ipso facto en période léthargique.

J'ai obtenu des réactions semblables chez les mêmes sujets, en employant, comme je l'ai dit, des substances semblables. Mais il ne faudrait pas cependant en conclure Qu'une substance quelconque, qui a sollicité chez un sujet des scènes de vol et d'assassinat, soit apte à déterminer chez un autre, ayant d'autres habitudes d'esprit, vivant dans un autre milieu social, des réactions de même nature. Toutes ces réactions, toutes ces mises en scène varient avec le terrain sur lequel on opère, et on peut dire que si, dans les expériences en question, les phénomènes émotifs réac-tionnels de la phase silencieuse sont à peu près tous copiés sur un même type et très semblables entre eux, ceux au contraire appartenant à la phase loquace sont divers et polymorphe, et appropriés au genre de vie et aux aptitudes propres à chacun des sujets mis en expérience.

Voici maintenant une autre série de phénomènes non moins surprenants que les précédents et qui sont destinés à donner une idée de la délicatesse extrême des forces mises en jeu dans ces opérations et du degré de sensibilité réactionnelle auquel est arrivé l'organisme humain.

Tant que le sujet est en scène, tant qu'il faut qu'il parle, qu'il récite un rôle, qu'il chante, il continue son personnage avec le même entrain, sans la moindre interruption. C'est le tube stimulateur qui l'actionne et le soutient en situation, comme un véritable aimant qui soutient les particules de limaille de fer agglomérées dans sa sphère d'action.

La substance stimulatrice incluse dans le tube est le souffle qui lui donne la vie, qui le fait vivre passagèrement d'une vie factice et collatérale à la vie réelle et suscite à distance les réactions les plus surprenantes et les plus imprévues.

Vient-on maintenant à interrompre subitement les courants d'incitation qui vont du tube au sujet; vient-on à éloigner tout d'un coup le tube stimulateur: un changement subit et profond s'opère incontinent dans son état général.

Vous le voyez alors, s'il marche, s'arrêter sur place ; — s'il parle, devenir silencieux ; — s'il exprime une phrase musicale, interrompre son chant — et en même temps il devient hésitant, incertain, il ne sait plus s'il doit avancer ou reculer, il est titubant, il balbutie des mots sans suite, et, si vous n'y prenez pas garde, si vous n'avez pas la précaution de le soutenir et de l'entourer de vos bras, vous le voyez alors tomber soudain à terre, foudroyé en quelque sorte, comme un corps suspendu en l'air à l'aide d'un

fil, que l'on coupe subitement, — comme un impotent auquel on enlève tout d'un coup ses béquilles (i).

Ces oscillations du sujet qui suivent ainsi à distance les stimulations vivifiantes irradiées du tube, s'opèrent d'une façon régulière et fatale, comme s'il s'agissait d'une véritable force électro-magnétique actionnant un mécanisme. Et ce n'est pas un spectacle des moins curieux à noter, dans ces circonstances, que de voir avec quelle indifférence le sujet subit ces alternatives de hausse et de baisse dans sa vitalité intime, et combien, tantôt il s'arrête aisément, et tantôt se met en marche avec une passivité complète, sans la moindre trace de contrariété, d'émotion ou de souffrance.

Lorsque, suivant l'état des forces du sujet et suivant l'intensité des réactions auxquelles il s'est prêté, on juge que les expériences ont suffisamment duré, on s'achemine successivement et par étapes vers le réveil, en ayant bien soin, quand il s'agit de substances simulatrices employées comme agent d'excitation, de laisser les processus de retour s'opérer d'eux-mêmes, afin que l'action simulatrice propre à telle substance soit complètement éteinte. On s'assure de ce fait lorsque le sujet est revenu spontanément à la période de léthargie de retour et que l'hyperexcitabilité neuro-musculaire a repris son énergie dans les régions antibrachiales.

Le réveil, lorsque les sujets sont lourds, peu impressionnables, est souvent long à se développer d'une façon complète, mais la plupart du temps il est rapide, et on les voit, en se frottant les yeux, faire une longue inspiration, reprendre rapidement la conT naissance du monde ambiant. Ils sont tout surpris de voir des assistants autour d'eux, et ne conservent aucune notion de ce qu'ils ont dit et fait.

Et quand on les voit ainsi reprendre pied dans la vie réelle et ne conserver aucun souvenir de leurs actes et de leurs paroles, on ne peut s'empêcher de réfléchir aux conséquences graves que ces études nouvelles de psychologie expérimentale peuvent avoir dans les actes de la vie sociale.

Il ne s'agit pas seulement de la question de ces suggestions - imposées à certains sujets qui éclatent après quinze, vingt jours, après plusieurs mois même d'incubation, et qui, en

(i) An point de vue des processus hypnotiques, il s'agit là d'un phénomène naturel copié sur la marche régulière des étapes normales. Le sujet, par la privation de la substance stimulatrice, est retombé d'emblée en période léthargique, comme cela se voit dans certaines expériences, de la prise du regard, par exemple, alors qu'on présente à un sujet en catalepsie un objet-brillant. 11 fixe cet objet avec ténacité, il en est fasciné. Cet objet brillant le soutient et maintient aon activité pendant un certain temps. Mais vient-on a faire disparaître instantanément cet objet brillant: le sujet n'est plus soutenu par l'action inciiatrice de la lumière rayonnante, et on le voit tomber immédiatement à terre.Il est repassé en léthargie, ainsi qu'on peut le constater par le retour de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire.

raison des forces aveugles auxquelles ils obéissent, enlèvent aux patients toute part de responsabilité, mais bien d'un ordre tout nouveau de questions médico-légales qui, à propos de l'action des substances médicamenteuses et toxiques, vient tout d'un coup s'imposer à l'attention des médecins légistes.

Voici la question nouvelle qui se pose :

On peut donc, à l'aide de ces substances, qui agissent d'une façon purement physique, produire chez des hypnotisés des bouleversements profonds dans les grands rouages de la machine organique, suspendre les mouvements respiratoires, congestionner les centres nerveux, troubler l'innervation du cœur, provoquer dans les centres moteurs des réactions d'une foudroyante intensité ; on peut donc, en effet, côtoyer les frontières de la vie et, si on n'y prend pas garde, encourir la responsabilité d'un cas d homicide par imprudence. La chose est possible.

Eh bien ! ces expériences, dont je vous ai retracé les phases et les dangers, qui nous dit qu'à un moment donné elles ne seront pas dirigées par des mains coupables et qu'elles ne pourront pas ainsi ouvrir une nouvelle série de crimes silencieux qu'on ne pourra poursuivre, faute de preuves ? Où seront, en effet, dans ces cas, les preuves de l'action criminelle ? où sera la démonstration de l'empoisonnement, par exemple, en présence d'un agent toxique qui a agi physiquement en passant à travers l'organisme, qui a épuisé l'individu et qui n'a pas laissé des traces matérielles de son passage ?

Ce sont là des problèmes de médecine légale d'un intérêt très puissant et qui sont destinés tôt ou tard à captiver l'attention des criminalistes, des psychologistes et des médecins. Je ne fais que vous en signaler la portée.

Nous nous trouvons donc fatalement amenés en présence d'une de ces situations des plus délicates, qui résulte toujours de l'importation d'une idée nouvelle dans le domaine scientifique et qui développe autour d'elle les conséquences qu'elle renferme.

Mais que faire en présence de toutes ces questions multiples qui surgissent au sujet des pratiques de l'hypnotisme ? — Comment empêcher la diffusion incoercible de ces attractions nouvelles, qui captivent d'autant plus les esprits qu'elles présentent en elles une dose de choses inconnues ?

A mon avis, il n'y a rien à faire pour endiguer le courant. Il faut se souvenir que, dans la marche des choses humaines, si, à côté du bien qui se fait, il y a le mal qui le suit comme son ombre, d'un autre côté, à côté du mal qui se développe, il y a souvent des compensations heureuses qui le font plus aisément supporter. Et tout en tenant compte des inquiétudes nouvelles avec lesquelles nous devons dorénavant vivre et compter, peut-être pourrons-nous avoir la satisfaction de trouver dans l'appli-

cation pratique de ces expériences des méthodes thérapeutiques agissant à distance sur le système nerveux, et acquérir ainsi des agents d'un ordre spécial, aptes à modérer son action, à exciter certaines régions torpides et à rétablir ainsi cet équilibre si précieux des actions nerveuses ; et c'est là. évidemment, le but louable de tous les efforts tentés dans cette direction par les médecins qui cherchent à enrichir l'an de guérir de procédés nouveaux et à diminuer d'autant le domaine si vaste de la désespérance et de l'incurabilité dans ce champ lui-même si vaste des maladies du système nerveux.

L'ACTION A DISTANCE DES SUBSTANCES TOXIQUES ET MEDICAMENTEUSES

RESULTATS PRATIQUES ET INTERPRETATION

Par MM. les Docteurs BOURRU et BUROT

professeurs a l'école de médecine de rochefort

Les lois générales de la vie sont les mêmes chez tous les êtres, aussi ces expériences peuvent être appliquées aussi bien a l'intïnimcnt petit qu'à l'intiniment grand ; ce qui ouvre des horizons nouveaux et dégage des inconnues.

Sait-on ce qu'il faut pour arrêter la vie de certains organismes rudi-mentaires? Bien peu de chose. L'Aspergillus niger en fournit un exemple. Au moment où cette plaine est en plein développement dans un liquide de culture approprié, il suffit d'ajouter à ce liquide un seize-cent millième de nitrate d'argent pour que toute trace de végétation disparaisse à l'instant, et même cette végétation ne peut pas commencer dans un vase d'argent. La chimie est impuissante à démontrer qu'une portion de la matière du vase se dissout dans ce liquide, mais la plante l'accuse en mourant. Quelle est la dilution homéopathique qui correspond à la quantité de métal ainsi dissous ?

C'est d'après ce principe que des médecins ont ordonné, dans la dernière épidémie de choléra asiatique, de porter sur soi des plaques de

(1) D'importants travaux viennent d'appeler l'attention du monde savant sur la délicate question de l'action à distance des médicaments. Noua croyons devoir publier in extenso les conclusion auxquelles sont arrivés nos éminents collaborateurs, MM. les professeurs Bourru et Burot. dans le livre si intéressant qu'ils viennent de faire paraître (1 vol. in-12 de la Bibliothèque scientifique internationale, chez J.-B. Baillière).

cuivre bien adhérentes à la peau, sous le prétexte assez rationnel- que le cuivre empêche le développement et la vie du microbe cholérique. N'est-ce pas admettre l'efficacité d'une dose vraiment infinitésimale ?

A la première épidémie cholérique, en 1832. on espérait se préserver en se suspendant au cou des tubes contenant du mercure métallique.

Dans les eaux minérales, les doses pondérables de la substance médicamenteuse sont hors de toute proportion avec les effets quelles produisent.

Darwin, en étudiant l'action digestive du Drosera rotundifolia (rosée du soleil), constate qu'il suffirait d'un vingt-millionième de sulfate d'ammoniaque pour produire l'inflexion de la feuille.

Eu fait, continue Darwin, chaque fois que nous percevons une odeur, il est évident que des particules infiniment plus petites encore viennent impressionner nos nerfs. Lorsqu'un chien se trouve à quelques cent mètres sous le vent d'un daim ou de tout autre animal, il perçoit sa présence. Les particules odorantes produisent certains changements dans ses nerfs olfactifs ; or, ces particules odorantes doivent être infiniment plus petites que celles du phosphate d'ammoniaque, dont on ne perçoit qu'un millionième de grain ; les nerfs n'en transmettent pas moins au cerveau de l'animal une impression qui se traduit par des actes extérieurs.

Certains cas d'empoisonnement peuvent aussi s'expliquer. Le docteur Lorenz s'étant badigeonné le dos de la main et' l'avant-bras avec de la teinture d'iode sur une longueur de 1 décimètre tout au plus, lut surpris des symptômes d'une intoxication iodique grave: coryza, larmoiement, douleurs dans les yeux, toux, nausées, sialorrhée. respiration sifflante et gênée, tuméfaction des pieds, insensibilité du pouls, embarras de la parole, attaques syncopales, perte de connaissance, secousses convul-sives et exanthème prurigineux. Durant les trois jours qui suivirent, le malade était pris de vertige dans la station debout; les urines étaient albumineuses, puis les accidents se dissipèrent.

M. le docteur Miquel a rapporte dernièrement un cas d'hydrargyrisme aigu sur un jeune homme de dix-huit ans qui s'était saupoudré de quelques grammes de bi-iodure de mercure, afin de se débarrasser de certains parasites. Il fut pris d'étourdissement, de crampes à l'estomac, de coliques sèches et de gonflement du scrotum. Sous l'influence de cataplasmes laudanisés pour calmer les douleurs, il s'est narcotisé et a dormi dix-huit heures sur vingt-quatre.

M. Martin Fleming cite un cas d'empoisonnement par la belladone, à la suite de l'application d'un emplâtre. Il s'agit d'un homme de quarante ans, très robuste, qui fut pris de délire, de vertige et d'incertitude dans la marche. La pupille était dilatée, la vision troublée au point qu'il ne reconnaissait pas même les membres de sa famille. Quand il voulait s'asseoir sur une chaise ou sur un sopha, il calculait si mal sa distance qu'il tombait sur le parquet. Son délire était professionnel, et, sans la connaissance des habitudes du malade, on aurait pu croire à une attaque

d'alcoolisme aigu- Ses amis attribuaient tous ces symptômes a un refroidissement qu'il aurait pris en travaillant. Il avait sur le tronc une légère éruption, qu'on pouvait attribuer a faction de la flanelle constamment imbibée de sueur; trente inspirations par minute, cent huit pulsations. En présence de ces symptômes, l'idée d'un empoisonnement par In belladone vint à l'esprit, mais le malade n'ayant pris à l'intérieur aucun médicamem. il était di trie i le de trouver la source de cet empoisonnement, lorsqu'on apprit que, souffrant d'un côté, le malade, sur le conseil des voisins, s'était appliqué un emplâtre de belladone. Cet cm-

' pjâtre fut de suite enlevé, et on trouva au-dessous de légères excoriations de la peau. De petites doses d'opium furent données toutes les deux heures. Six heures après, les symptômes avaient considérablement diminué; le malade, tranquille, reconnaissait ses amis ; il n'avait plus qu'un peu de vertige, de la faiblesse de la voix et de la sécheresse du gosier ; tous les symptômes disparurent, a l'exception de la dilatation de la pupille. Ce cas est intéressant par la susceptibilité du malade à la belladone et aussi parce que le délire violent fut pris pour de la folie.

Nous connaissons un pharmacien qui observa, il y a quelques années, des phénomènes singuliers alors qu'il préparait de l'eau de laurier-

' cerise; les feuilles étaient pilées dans un grand mortier de marbre et mises ensuite dans la cucurbite de l'alambic ; on était obligé de plonger a plusieurs reprises la main dans la cucurbite pour mêler l'eau et les feuilles. Environ une heure après, les trois personnes qui avaient fait l'opération lurent dans l'impossibilité d'écrire correctement. Il était impossible de coordonner les mouvements des doigts, mais la sensibilité de la peau ne paraissait pas modifiée ; ces phénomènes disparurent peu i peu au bout de trois a quatre heures. Il convient de faire remarquer que les feuilles de laurier-cerise étaient particulièrement riches en principes actifs: i5 centigrammes pour 100 grammes d'acide cyanhydrique et aussi une quantité considérable d'huile essentielle de laurier-cerise. Tous les médecins connaissent bien l'engourdissement qui dure une partie de la journée, quand on a quelque temps trempé la main dans une solution d'acide phénique. M. le docteur Dubois, de Saujon, npus racontait dernièrement qu'il lui suffisait de tremper sa main dans un verre d'eau contenant dix gouttes de teinture d'arnica pour voir survenir une éruption avec démangeaison de la peau de cette main.

L'un de nous a publié, il y à déjà plusieurs années, quelques expériences faites avec la nitro-glycérine (i), « C'etait en 1877 ; j'étais alors médecin de la fonderie de Ruelle, où se fabriquent les canons de la marine. J'avais plusieurs fois entendu les officiers d'artillerie se plaindre de violentes migraines que leur causait le maniement de la dynamite. La dynamite n'est que de la nitro-glycérine absorbée et retenue par une poudre inerte. La proportion de la substance active varie en général de 5o à 75 pour 100. Celle que j'employai était à 75 pour 100. »

(1) Bulletin de thérapeutique, 1883.

Les expériences peuvent se résumer ainsi : Le maniement de la dynamite, le contact rapide sur la muqueuse buccale produisent des phénomènes instantanés d'engourdissement, de tension vasculaire de la têtcl avec battements des artères cervicales, nausées, lipothymies, céphalalgie prolongée. A cette époque, l'auteur conclut à la rapidité foudroyante de l'absorption, même à travers l'épiderme; aujourd'hui, nous sommes plus enclins à croire à une action toxique extérieure.

« Je fus frappé de la ressemblance d'action de cette substance avec le nitrite d'amyle, et je songeai à l'employer comme médicament. Je m'arrêtai à la difficulté de sa posologie et à la crainte d'accidents terribles. »

Aujourd'hui que la nitro-glycérine est entrée dans la thérapeutique, nous nous demandons s'il ne serait pas préférable de l'appliquer seulement à l'extérieur.

L'action locale des médicaments a été le sujet de nombreuses discus- ] sions entre les physiologistes, qui démontraient que la peau n'absorbait pas et que les médicaments ne pouvaient agir par cette voie, et les mé-decins, qui constataient des effets positifs. Peut-être comprendrons-nous désormais ces actions extérieures que l'observation reconnaissait ccr- . taines et que l'expérimentation déclarait impossibles.

Enfin, le moyen que nous signalons permettra du moins d'apprécier sans danger l'impressionnabilité de certains sujets aux substances médicamenteuses et toxiques. Quand on voit la graine de noix vomique produire des effets aussi puissants que ceux qu'elle détermine sur deux de nos sujets, on peut comprendre l'effet que produiraient à -l'intérieur quelques gouttes de la teinture et, dans ce cas, on agit avec la plus grande prudence et on surveille le résultat avec toute circonspection.

Résumé des applications. — Expliquer certains faits considérés comme invraisemblables ou même inadmissibles ; Faire l'analyse physiologique des médicaments et des poisons ;

Apprécier sans danger l'impressionnabilité individuelle aux mêmes substances ;

Codifier l'action, jusqu'ici empirique, de la médication externe ;

Ouvrir enfin une méthode toute nouvelle à la thérapeutique.

Tels sont les résultats pratiques que nous espérons de nos recherches.

Conclusions. — Nous ne sommes plus au temps, encore peu éloigné, où les faits extraordinaires semblaient indignes des savants qui les traitaient avec dédain, comme une illusion de l'ignorance, sinon comme une manœuvre de charlatanisme. La science s'est décidée a regarder tout autour d'elle ; elle a vu quantité de choses des plus vulgaires, inexpli-quées, et pourtant réelles à n'en pouvoir douter. Elle se met à les étudier, et de ces éludes jaillissent les surprises qu'elle nous procure depuis quelques années. Aujourd'hui, en présence d'un fait nouveau, si éloigné qu'il puisse être des idées acceptées, le savant regarde, critique, discute, expérimente. C'est ainsi que les faits qui font le sujet de ce travail, si étonnants qu'ils tussent, ont eu la bonne fortune de fixer l'atten-

lion des hommes les plus autorisés qui ont bien voulu nous faire l'honneur de les discuter et de les reproduire. Nous avons rappelé plus haut les expériences de MM. Luys, Ch. Richet. J Voisin. Féré. Mabille. Dufour. Chazarain, de Rochas. Decle. Nous pensons donc que tous ceux qui s'en sont occupés sont d'accord sur la réalité des faits.

II n'en saurait être de même de leur interprétation, et c'est sur ce point que, dans ce travail, devait porter l'effort de notre argumentation.

Quelques expérimentateurs ont pu croire a une éducation, un entraînement des sujets : nous avons fait justice de cette hypothèse par cette seule observation que c'est du premier coup que nos sujets atteignent leur maximum de sensibilité aux substances présentées à l'extérieur.

La plupart des critiques ont pensé trouver l'explication dans la suggestion, suggestion exprimée ou suggestion mentale, suggestion par la parole, la vue des objets, leur odeur, leur contact. C'était, il en faut convenir, l'interprétation la plus spécieuse; et quelques-uns, MM. Féré, J. Voisin, par exemple, pensent l'avoir justifiée par des expériences contradictoires. Nous pensons, à notre tour, avoir démontré que leurs expériences sont encore incomplètes ou entachées d'erreur. Dans les conditions expérimentales rigoureuses où M. Ch. Richet, M. Mabille et nous (i), nous nous sommes placés, il est impossible d'admettre qu'il y ait eu suggestion.

Impossible est la suggestion, quand une substance inodore, inconnue du sujet, de l'expérimentateur, des assistants, présentée en cachette par derrière, produit ses effets spécifiques.

Impossible la suggestion, quand l'expérimentateur attend, désire un effet, et en voit un autre se produire. Surpris, il cherche ; il a pris un flacon pour un autre.

Impossible encore, quand il approche une substance dont les effets physiologiques sont inconnus !

La suggestion écartée, force est donc d'admettre une action directe de la substance sur l'organisme, quelque chose comme une vibration transmise a distance, le rayonnement de la chaleur, l'attraction de l'aimant, l'induction d'un circuit électrique sur un circuit voisin. Ces sortes d'actions sont déjà connues, nous n'en voulons pour exemple que les effets des métaux sur les hystériques. (C'est la métal-loscopie qui a été notre point de départ. D'autres avaient obtenu des effets avec des bois, des résines, du verre; nous, nous avons cherché dans la série médicamenteuse et toxique. Or, un médicament, un poison, est une substance qui a une influence intime et spéciale sur l'organisme vivant, une substance qui. diluée dans la masse du sang, emportée par le torrent de la circulation, mise en contact avec l'ensemble des éléments anatomiques, en choisit un groupe sur lequel, par

(i) Si noua ne citons pai ici les autres expérimentateurs, c'est que nous n'avons pas eu de détails sur la manière dont ils ont conduit leurs recherches.

une affinité particulière, elle va porter son action bienfaisante ou meurtrière. Ce sont justement ces substances qui, dans nos expériences, se sont montrées actives ; elles ont produit leurs effets habituels ; seulement, elles étaient placées dans des conditions nouvelles, à l'extérieur du corps, au contact ou a petite distance. Oserions-nous dire que, dans son essence, leur action fût différente et qu'il y eût autre chose qu'un changement du lieu d'application et des organes de transmission? Est-il moins extraordinaire, du reste, de voir un morceau de fer, de zinc, posé sur le bras, bouleverser la sensibilité dans l'organisme, qu'un fragment de chloral produire le sommeil, ou la poudre d'ipéca, des vomissements ?

En présence de ces faits étranges et de bien d'autres inexplicables dans l'état de nos connaissances, un courant s'établit dans la science qui porte les observateurs les plus sérieux, physiologistes, physiciens, à admettre une propriété de l'organisme à peine soupçonnée, une foret encore inconnue à laquelle il faut bien recourir pour rendre compte de ce que rien, jusqu'ici, ne pouvait expliquer. C'est une action par influence, peut-être une induction électrique, un quid ignotum au moins comparable aux phénomènes électriques.

Entre l'électricité et cette modalité active de la matière vivante nous avons saisi de nombreuses analogies. Nous avons rappelé que les animaux, l'homme lui-même, étaient parfois l'instrument d'actions électriques évidentes ; nous avons montré un rapprochement frappant entre les appareils d'électricité et certains organes des animaux supérieurs : le muscle, véritable pile par sa construction et son fonctionnement; les nerfs, conducteurs des courants en dehors de la pile; les centres nerveux, accumulateurs, en échange incessant, d'une part, avec le muscle, générateur qui les charge, et, d'autre part, avec les organes périphériques de la sensibilité, où s'opèrent les décharges qui servent aux relations avec les objets extérieurs.

Si ces objets sont indifférents, tout se borne à une sensation de contact ou de douleur; la décharge se fait aux dépens de l'accumulateur, qui sollicite une nouvelle charge ; d'où la mise en action du muscle sollicité s'accusant aussitôt par une contraction dite réflexe.

S'il s'agit d'une substance ayant la propriété d'impressionner spécialement l'organisme vivant, la vibration, le mouvement intime partant de cette substance se transmet encore par le nerf sensible; mais ici, outre l'impression banale du contact, intervient l'impression spéciale d'un organe déterminé pour lequel la substance se trouve avoir de l'affinité, et le mouvement réflexe se passe dans l'estomac, s'il s'agit d'un vomitif, dans les glandes sudorales, si c'est un sudorifique, et ainsi des autres. Pour d'autres substances, l'impression se transmet aux organes de l'intelligence et de l'idéation. et provoque une hallucination, un délire. C'est, sur le système sensitif général, une action analogue à celle d'un corps odorant sur le système olfactif.

En résumé, dans cas actions de contact extérieur ou de voisinage, les substances qui ont, pour certaines parties de l'organisme vivant, une

affinité particulière, c'est-à-dire les poisons et les médicaments, agissent par l'intermédiaire du système nerveux périphérique exactement de la même manière que portées au contact immédiat des centres par la circulation du sang.

Il est donc nécessaire d'admettre dans les organismes supérieurs une énergie spéciale mise en action par toutes les influences extérieures. Telle est l'idée dominante de notre travail. Les applications pratiques, dont nous avons esquissé les principales, n'en sont que des conséquences et des cas particuliers.

Mais, de même que toutes les substances ne sont pas actives, tous les organismes ne sont pas impressionnables au même degré, et un même organisme n'a pas toujours une disposition identique à subir ces impressions. C'est là une deuxième condition plus difficile à déterminer que la première. D'une façon générale, la rupture d'équilibre du systéme nerveux, la surexcitation de la sensibilité, toutes conditions fréquentes dans l'hystérie, l'hypnotisme, le somnambulisme, paraissent les meilleures pour exalter et mettre en évidence cette forme spéciale de l'im-pressionnabilité. Ce point de la question nécessite des recherches qui sont à faire tout entières.

Quoi qu'il en soit, l'action extérieure des médicaments, des poisons n'est qu'un chapitre de la vaste étude qui s'ouvre pour la physiologie et qui, embrassant également la métalloscopie, la magnétothérapie, l'élec-trothérapie, le magnétisme animal, mettra au grand jour cette énergie nouvelle de la vie, en découvrira les organes, la nature et les lois.

Nous serons heureux si nous avons pu révéler une des formes de cette énergie et, par là, confirmer son existence et jeter quelque lumière dans sa recherche.

REVUE CRITIQUE

Les Maladies épidémiques de l'esprit (i).

Sous ce titre, le Dr Paul Regnard vient de publier une série d'études très intéressantes sur les aberrations de l'esprit humain à travers les âges. Une foule de faits historiques jusque-là assez mal connus et insuffisamment expliqués se trouvent pour la première fois commentés rationnellement et avec pleine connaissance de cause par un savant qui a été longtemps associé aux travaux du docteur Charcot, à la Salpêtrière.

Dans son livre, le Dr Regnard n'est pas remonté au delà du moyen âge. La période qui s'étend du quinzième siècle jusqu'à nos jours lui a

(1) Les Maladies épidémiques de l'esprit, par M. le Dr Paul Regnard. Un fort volume in-8° avec de nombreuses gravures dans le texte. Plon et Nourrit, à Paris.

amplement suffi. Il a choisi dans la masse les affections intellectuelles épidémiques qui donnent le mieux la formule de chaque époque : da quinzième au dix-septième siècle, les sorcières; au dix-huitième, les miracles de Saint-Médard, le magnétisme: au dix-neuvième, les deux poisons à la mode, la morphine et l'éther; enfin, le délire des grandeurs, qui est la forme actuelle de la folie humaine.

A quelle influence faut-il attribuer l'apparition de ces visantes sociales qui, à certaines époques, attaquent une nation et lui enlèvent pour ainsi dire son libre arbitre? Au mimétisme, c'est-à-dire à l'instinct d'imitation qui est merveilleusement développé chez l'homme. Il y a en effet des maladies épidémiques sur l'esprit comme sur le corps. Le fond en est toujours le même, les circonstances seules en font varier la forme. La sorcière du moyen âge existe encore aujourd'hui, mais sa folie est différente, car les circonstances ont changé.

Tout le monde connait le portrait que Michelet a tracé de la sorcière. L'étude du Dr Regnard est peut-être moins poétique, mais à coup sûr elle est plus scientifique, les faits y abondent. La sorcière est un produit du moyen âge, époque religieuse entre toutes, ou deux êtres presque égaux, Dieu et Satan, se disputent le pouvoir. Si Dieu a son innombrable armée d'anges, le Diable a sa non moins nombreuse troupe de démons, et, de même que chaque âme a son ange qui lui souille le bien, elle a son démon qui lui souffle le mal. Parfois, le malin esprit triomphe: alors. l'homme est possédé; quelquefois même il se donne volontairement à Satan. Il devient sorcier.

Selon Michelet, la sorcière fut une création du désespoir. Les mêmes causes qui, de nos jours, font naitre les délires mélancoliques ont produit au moyen âge la folie des sorcières.

Ce sont des hallucinées qui tout à coup voient apparaître Satan, de même que nos hallucinés d'aujourd'hui voient des princes qui leur promettent des décorations ou des sou s-préfectures.

Le Dr Regnard a étudié tout au long cette horrible folie du moyen âge qui fit un si grand nombre de victimes. Nous assistons successive-ment a l'incarnation du démon, aux crises, au sabbat: enfin, au dernier acte de cet horrible drame, au procès de la sorcière. Pour la déclarer coupable, on cherchait, à l'aide du stylet, le « stigma diaboli ». qu'on pouvait piquer sans provoquer l'issue du sang.

Ce fléau a désolé le moyen âge presque sans interruption. En 1500, on voit tout à coup les sorciers pulluler en Allemagne, puis le diable envahit un couvent de Cambrai; on condamne toutes les religieuses; puis c'est l'affaire du couvent des bénédictines â Madrid; enfin, en plein dix-septième siècle, le procès d'Urbain Grandier, qui eut un grand re-, tentissement.

En 1631 les ursulines de Loudun devinrent tout à coup possédées. On exorcisa la supérieure, qui prétendit, dans son délire, que le curé Grandier l'avait enchantée en lui offrant des roses. Grandier était un prêtre très intelligent qui vivait alors à Loudun. Il était alors en dis-

grâce auprès du gouvernement, parce qu'il s'était opposé .à la destruction des fortifications de Loudun. Sa perte était décidée : on prit pour prétextel'affaire des ursulines.

Laubardemont, ennemi personnel de Grandier, apporta de Paris plein pouvoir pour instruire contre lui. Le procès dura longtemps. A plusieurs reprises l'accusé fut mis à la question. Finalement, il fut condamné à être brûlé vif.

Sa mort fut loin d'apaiser la possession. Les ursulines continuèrent de mener leur existence d energumènes, jusqu'au jour où l'on se décida à les éloigner les unes des autres.

Et l'on n'en avait pas fini avec la sorcellerie : après les possédées de Loudun viennent celles de Louviers, et la triste série continue jusqu'en l'année 1682, où Louis XIV met fin aux procès de sorcellerie.

Mais qu'était-ce que ces sorciers? des hallucinés, des monomanes semblables à ceux que nous voyons aujourd'hui dans nos asiles. La possession est encore aujourd'hui dans toute sa force, mais nous lui donnons un autre nom : c'est l'hystéro-épilepsie.

Dans les deux cas, les phénomènes décrits tout au long par le Dr Re-gnard sont absolument les mêmes. Le point insensible que l'on trouvait chez les sorcières, on le trouve aussi chez les hystériques. Les phases sont absolument semblables : période tétanique, période classique, période de grands mouvements, puis les hallucinations et les poses plastiques. Mais aujourd'hui le bûcher est transformé en douche hydrothé-rapique et le tortionnaire est remplacé par un placide interne.

Au dix-huitième siècle, la sorcellerie disparaît, mais elle est remplacée par une autre épidémie: la manie des miracles. Au seizième siècle, l'hystérique était démoniaque; au dix-huitième, elle devient théomane. miraculée.

On connaît aujourd'hui la paralysie hystérique, dont la guérison peut être spontanée, produite surtout par des émotions vives. Tout le monde a entendu parler du zouave Jacob. Ces guérisons spontanées peuvent se produire dans toutes les anesthésies hystériques. On en voit chaque jour des exemples à la Salpètrière. Ces guérisons, qu'on s'explique parfaitement aujourd'hui, se sont produites en grand au siècle dernier, de 1728 à 1729, sur le tombeau du diacre Paris. Les faits sont trop connus pour qu'on les raconte. C'est ce .qu'on appelle les miracles de Saint-Médard.

Ces miracles, le Dr Regnard les explique tout au long dans son livre. Les mêmes faits, du reste, se produisent encore de nos jours à Lourdes et ailleurs.

Actuellement, cette maladie épidémique de l'humanité se présente sous une forme bien caractéristique : c'est la folie des grandeurs, l'amour immodéré du succès et de la puissance. Aujourd'hui, quand on entre dans un asile d'aliénés, on n'entend plus guère parler de Satan et de sa troupe ; en revanche, on tremble devant ces choses mystérieuses : l'électricité, la police et les jésuites.

Voilà la forme actuelle de la folie ; ajoutez à cela le régime social sous lequel nous vivons, régime qui autorise les prétentions de tous. le besoin de jouir qui domine aujourd'hui, l'amour du luxe, enfin l'alcoolisme.

Le Dr Regnard cite plusieurs cas très curieux de délire vaniteux, il serait trop long de les rapporter.

Après avoir fait en quelque sorte l'histoire de la folie humaine dans les temps modernes, l'auteur se demande quelle forme cette folie prendra demain. Selon lui, le délire épidémique du vingtième siècle ne sera pas religieux : les symptômes pathologiques sont ailleurs. La soif effrénée de l'égalité, les aberrations du socialisme, l'idée d'une réforme opérée par la destruction totale de la société actuelle, voilà les aberrations qui remplissent aujourd'hui quelques cerveaux malades. La maladie épidémique du vingtième siècle pourra être le délire du carnage, la folie du sang et de la destruction.

Cette conclusion du Dr Regnard est sans doute bien pessimiste. A tout prendre, les maladies de l'esprit humain sont aujourd'hui moins graves qu'aux siècles précédents. On ne voit plus d'exemple de délire subit envahissant soudainement toute une classe d'hommes, comme cela est arrivé si souvent aux seizième et dix-septième siècles. De plus, cette folie on l'a étudiée, on commence à la connaître. Par conséquent, la science peut la combattre, la refouler peu à peu. Certes, on ne peut encore prévoir le moment où la raison sera l'apanage de l'humanité entière, mais on peut espérer du moins que, sous l'influence du progrès, les vésa-nies sociales deviendront de moins en moins fréquentes.

F. H.

COURS ET CONFÉRENCES

DU MASSAGE

Clinique de M. le Docteur DUJARDIN-BEAUMETZ

médecin de l'hôpital cochin

Dans cette leçon, je désire m'entretenir avec vous du massage, de ses modes d'application, de ses effets physiologiques et de son application à la thérapeutique.

L'histoire du massage se confond avec celle de la gymnastique. Chez presque tous les peuples, dans les temps les plus reculés, on a pratiqué le massage. A Tahiti, dans la Nouvelle-Hollande et dans d'autres points de l'Océanie, les peuples primitifs l'emploient et se serrent des mêmes moyens que bous : la percussion douce et continue avec le poing, le pétrissage des muscles et la friction. Cest donc un remède de tous les peuples qui se modifie suivant le climat et les tempéraments. Ainsi, en Orient, où la circulation

de la peau est très active et où il faut la débarrasser d'une couche épaisse d'impuretés, on emploie des frictions douces, des grattages et des pétrissages. Ce sont les bains maures ou hammam. Dans le Nord, où il faut, au contraire, activer la circulation, on emploie la flagellation, le bain de vapeur et l'eau froide. Tel est le bain russe employé par tous les peuples septentrionaux.

L'a livre chinois, le Kong-fou, donne la description exacte du massage. Dans l'Inde, les trierions et les percussions sont aussi mises en usage. Ils emploient même le pétrissage avec le limon du Gange. Ils appellent cette dernière manœuvre Chamboong, que les Anglais ont traduit par Champoing, aujourd'hui spécialisé par les coiffeurs.

Les Grecs et les Romains employaient beaucoup le massage. Remarquons, en passant, cette observation d'Hippocrate, concernant la femme d'un jardinier guérie par le massage sur la région abdominale enduite d'une couche d'huile.

La Renaissance n'ajouta rien a ce que les anciens connaissaient sur cette pratique qui resta abandonnée aux médicastres de campagne, rebouteurs, etc. Ce n'est que dans ces dernières années qu'elle a repris droit de cité dans notre thérapeutique. En 1837, Martin signalait a la Société de médecine de Lyon les cures merveilleuses déterminées par le massage dans le traitement des lombagos, mais ce n'est qu'en 1868 que parut la thèse d'Estradère, magnifique travail d'ensemble sur les effets du massage. C'est la Hollande qui, sous l'influence de Mezger et de ses élèves, recueillit tous les avantages de ce travail, et aujourd'hui encore on vient de tous les points de l'Europe bénéficier de la pratique du célèbre masseur. En Russie, Berglind propagea la méthode de Mezger, Berglumann en Suède et Reasbach en Allemagne.

Le manuel opératoire du massage se divise en deux grands groupes :

Massage avec appareils. — Massage sans appareils.

Mezger ne pratiquait que ce dernier, qui comprend quatre manœuvres différentes : 1'effleurage, les frictions, le pétrissage et le tapotement.

L'effleurage consiste en passes légères que l'on exécute tantôt avec la paume de la main, tantôt avec les doigts. Les frictions s'exécutent avec la main, comme on le sait. Le pétrissage se fait, tantôt en soulevant seulement un muscle, ou en pétrissant avec les deux mains, ou bien encore en roulant des deux mains les muscles d'une région. Le tapotement se fait de deux manières : 1° par le claquement avec la paume de la main ; 2° par le hachement avec le bord cubital de la main.

Les appareils sont presque abandonnés, du moins en France, de même que par Mezger, en Hollande. Cependant ils sont très nombreux. J'en signalerai quelques-uns en passant : le percuteur de Sarlandières, les percuteurs électriques de Granville, enfin les battoirs, parmi lesquels celui de Klenn. Le proverbe : se battre les flancs, vient sans doute de la pratique qui consistait à se frapper les hypocondres avec ces battoirs.

Il reste a discuter deux points : l'utilité des corps gras pour pratiquer le massage, d'une part, et, d'autre part, si le massage doi têtre pratique sur la peau à nu ou recouverte.

Estradère n'attache pas une énorme importance au corps gras, il lui reconnaît pourtant une certaine utilité. Schreiber le réserve pour certains cas particuliers. Mezger veut qu'on l'emploie toujours, additionné d'une huile essentielle agréable. Pour nous, la vaseline, aromatisée ou non, sera le seul corps gras dont nous nous servirons.

Malgré Schreiber qui voulait, par pudeur, faire le massage à travers un vêtement de flanelle, je suis de l'avis de tous les autres auteurs pour le faire sur les parties dénudées.

Voyons maintenant les effets physiologiques du massage :

1° Il débarrasse la peau de débris d'épiderme et permet ainsi un fonction-nement plus régulier de la circulation et de la transpiration de la peau ;

2° Par le pétrissage, on réveille et on augmente la contraction musculaire;

3° Le massage agit, non seulement sur la circulation profonde, mais sur celle des muscles et celle de la peau ;

4° Les pressions profondes et les pétrissages produisent des tiraillements et des élongations des filets nerveux. Les passes que l'on emploie en magnétisme forment une partie du massage qui produit des effets nerveux très étranges. Ces articles sont décrits dans le récent ouvrage de M. Baréty, sous le nom de neurisation.

Mais l'action la plus importante du massage est celle qu'il exerce sur l'absorption des épanchements sanguins ou inflammatoires. Il a aussi une action non douteuse sur la nutrition. L'urée augmente dans les urines à la suite d'un massage général. Il active d'une façon notable la digestion stomacale. Nous arrivons aux applications du massage en thérapeutique, qui sont excessivement nombreuses et que je ne ferai que citer.

Pour les accouchements, on obtient quatre résultats : 1° on excite les contractions de l'utérus ; 2° on rectifie les positions vicieuses ; 3° on pratique la délivrance par expression ; 40 on arrête les hémorrhagies.

Aujourd'hui, toutes ces manœuvres sont connues et donnent d'excellents résultats. L'application de cette méthode aux accouchements remonte aux« temps les plus reculés. L'entorse est une des affections chirurgicales dans lesquelles le massage donne les meilleurs résultats. Tous les cas d'entorses simples ou compliquées, sauf celles où il existe une fracture, sont ses tribu-taires, et la guérison est d'autant plus prompte qu'il a été appliqué plus près du début des accidents ; mais, avant tour, il faut bien établir son diagnostic. Ceci nous explique les succès et les insuccès terribles des rebouteurs.

Par la glace et l'immobilisation, on obtient en vingt-cinq jours la guérison de l'entorse : par le massage, on l'obtient en neuf jours.

Schreiber nous donne, dans son Traité du massage, les règles précises du traitement de la sciattque par ce procédé, qui est aussi applicable a toutes les nutres névralgies, mais avec des manœuvres variables, suivant le siège de ces névralgies : dans la migraine, on a obtenu de très bons résultats en tapotant sur les différents points de la tête comme si l'on jouait du piano. On tirera toujours d'excellents avantages de cette pratique de massage dans toutes les affections articulaires.

Dans les maladies générales, !c massage rendra de grands services pour combattre les" œdèmes. Enfin, dans les affections abdominales, constipation, dilatation de l'estomac, on l'a vu donner d'excellents résultats.

Dans la prochaine leçon, nous étudierons un moyen puissant mis tn pratique concurremment avec la gymnastique et la massotherapie, je veux parler de l'hydrothérapie.

SOCIÉTÉS SAVANTES

Deuxième congrès International contre l'abus des boissons alcooliques,

tenu a Zurich, les 9, 10 et 11 septembre 1887.

La première séance est ouverte le vendredi o septembre, à huit heures du matin, sous la présidence de notre collaborateur M. le professeur Aug. Forel, directeur de la maison de santé cantonale de Zurich.

En ouvrant les travaux du congrès, le président. dans une vive et chaleureuse allocution, préconise l'abstinence complète pour tous de toute boisson contenant de l'alcool. L'habitude absurde et fatale d'user et d'abuser de semblables boissons n'est que trop répandue en Suisse; celle-ci occupe parmi les nations civilisées le deuxième rang pour la consommation du vin, le troisième pour celle de l'eau-de-vie et le quatrième pour celle de là bière. Nos mœurs sont infestées d'alcool ; aucune « affaire », aucune transaction ne se passe cher nous sans libations copieuses; aussi commence-t-on a réagir et plusieurs sociétés de tempérance exercent déjà, avec un succès toujours croissant, leur influence bienfaisante.

M. Forel fait un tableau saisissant des conséquences toxicologiques et pathologiques auxquelles s'exposent ceux qui abusent des boissons alcooliques; or, l'abus est presque inévitable chez nous, la boisson est pour ainsi dire obligatoire : celui qui voudrait s'abstenir est considéré pour le moins comme an original, il est ridiculisé, bafoué, persécuté et finit, dans la plupart des cas, par être entraîné. On prétend que l'alcool est nécessaire ; cette thèse n'a en sa faveur que les arguments qu'un désir hypocrite d'excuser une mauvaise habitude suggère après coup à ceux qui l'ont contractée. Rien n'est plus faux que ce préjugé ; rien n'est moins nécessaire que l'alcool, sous quelque forme qu'on l'ingère ; l'habitude d'en boire est aussi inutile, aussi factice, aussi nuisible que celle d'inhaler la fumée du tabac.

Unissons-nous donc tous, tant que nous sommes, pour combattre ce préjugé funeste, quelles que soient d'ailleurs notre nationalité, notre profession de foi religieuse, philosophique, scientifique, notre opinion politique.

Après le discours présidentiel et la lecture de plusieurs rapports, M. le Dr Drysdale, médecin en chef du Metropolitan Free Hospital de Londres, lit une communication sur la valeur-nutritive des boissons alcooliques.

Les conclusions sont que l'alcool n'est donc pas nécessaire à l'homme malade, et il ne l'est pas davantage à l'homme sain; n'y a-t-il pas des races entières, des millions d'hommes, qui n'en prennent jamais, sous aucune forme? Tout porte a croire, au contraire, qu'il est aussi nuisible i l'homme sain qu'à l'homme malade, et c'est cette conviction qui a poussé un très grand nombre de médecins de la Grande-Bretagne, et surtout des Etats-Unis d'Amérique et du Canada, à prêcher d'exemple, en s'abstenant eux-mêmes complètement de toute boisson contenant de l'alcool.

La séance du 10 septembre a été consacrée tout entiere à la question des asiles pour les ivrognes. Plusieurs orateurs se déclarent tous, à la suite de leurs observations, pour l'abstinence absolue imposée aux alcooliques, sans

aucune transition; ils n'ont jamais constaté que le brusque passage de l'alcool à l'eau ait produit des effets fâcheux ; au contraire, la lutte est moins pénible, et surtout beaucoup moins longue. L'internement des ivrognes avères doit cependant et en tous cas durer S a 10 mois au moins, mieux encore un an, si l'on tient à s'assurer d'une guérison complète et définitive ; le danger des récidives est en proportion inverse de la durée de l'internement. Malheureu sement il n'y a point de loi qui permette d'enfermer les ivrognes dans de tels asiles, comme on enferme les fous dans les maisons de santé : ils doivent y venir spontanément, ce qui fait que la plupart n'y viennent pas ; et puis, chose plus malheureuse encore. Us en sortent quand ils veulent, ce qui fait que la plupart n'y séjournent pas assez longtemps et retombent tôt ou tard dans leur triste état.

M. le docteur Ladame (de Genève) rapporte quelques cas de guérison qu'il a obtenus au moyen de l'hypnotisme, joint à la suggestion : il recommande l'emploi de ce moyen, aussi innocent qu'efficace, pour le traitement des dip-somanes réputés incurables.

M. le docteur Drysdale avoue n'avoir aucune expérience de ce remède, et

déclare qu'il préfère rester fidèle à celui qu'il a toujours trouvé être le meil-leur : l'eau.

M. le professeur Forel dit que si la suggestion hypnotique n'est pas une -panacée,— pas plus qu'aucun autre médicament, — elle lui a pourtant fourni quelques cas de guérison complète et définitive, de même, du reste, que l'eau, et cela, chez des dipsomanes qui offraient bien peu d'espoir(t).

CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE

La droiterie et la gaucherie sont-elles fonctions de l'éducation

ou de l'hérédité?

Dans un récent travail, le Dr V. Galippe, se basant sur un grand nombre d'observations recueillies dans sa pratique personnelle, est arrivé à se con-vaincre que c'est bien plus par hérédité que par éducation que nous devenons ou droitiers ou gauchers.

Cela est surtout frappant pour les gauchers. Si l'éducation était le seul facteur en vertu duquel nous sommes ou droitiers ou gauchers, écrit notre savant confrère, nous comprendrions que le développement d'un côté se fit aux dépens de l'autre. 11 y aurait ainsi un côté fort et un côte faible ; le côté faible pouvant être appelé par l'éducation a devenir le côté fort ou réciproquement, Cette déséquilibration, purement artificielle, ne devrait produire autre choses dans le côté non exclusivement exercé, qu'une diminution dans la force. Mais nous savons que cette infériorité se traduit non seulement par une diminution de l'énergie, mais encore par une différence dans la composition -chimique des organes. Si, d'autre part, nous observons les maxillaire supérieurs et inférieurs droits et gauches, nous voyons que les anomalies sont .plus fré-

(1) Nom avons reçu de M. le Dr Aug. Forel un travail sur le même sujet: que nous publierons dans notre prochain numéro.

quentes à gauche qu'à droite. Pour la théorie exclusive de l'éducation, il suffirait qu'il y eût prédominance d'un coté, au point de vue physique, chimique et mécanique, et que l'autre restât normal. Or, il n'en est pas ainsi, comme nous allons essayer de le démontrer : en bornant notre enquête aux maxillaires, nous verrons que ce sont surtout les maxillaires gauches qui, chez les droitiers, sont le siège de lésions, — lésions de développement, anomalies d'éruption, — de nutrition; le maxillaire lui-même est moins développé à gauche qu'à droite.

Chez les gauchers, c'est l'inverse; les observations sont moins fréquentes, parce que les gauchers sont relativement rares.

Tous ceux qui s'occupent de pathologie dentaire ont été frappés de ce fait que les accidents provoqués par l'éruption de la dent de sagesse sont plus fréquents à gauche qu'à droite. Toutefois, l'explication de ce fait était restée an peu obscure, bien qu'elle ressorte de l'observation même des faits. Si l'on prend un sujet ayant le crâne régulièrement constitué, on pourra voir, tandis que la dent de sagesse droite a fait régulièrement son évolution, ou que la dent de sagesse gauche est sortie péniblement en provoquant des accidents plus ou moins graves, ou qu'elle manque complètement. Or, comme j'ai démontré que du côté gauche les dents étaient moins volumineuses que du côté droit, si, en dépit de cette infériorité de volume, la dent de sagesse ne trouve point de place pour faire son éruption, c'est que le maxillaire inférieur gauche est moins développé que le droit. Le raisonnement inverse est applicable au maxillaire droit. Il doit en être de même du maxillaire supérieur; seulement, pour des raisons d'ordre purement anatomique, on n'observe que très rarement des accidents de dents de sagesse au maxillaire supérieur.

Les gauchers sont relativement rares. Delaunay compte un gaucher sur 40 individus. D'après Lombroso, sur 671 ouvriers, on trouve 17 gauchers et 4,0a p. 100 d'ambidextres; sur 100 bersaglieri, 5 p. 100 d'ambidextres; sur 238 ouvrières, on trouva 13 gauchères et 1 ambidextre, soit en tout 5,88 p. 100.

D'après Th. lreland, sur des enfants de pensionnats, on rencontre à peu près 12 p. 100 de gauchers et 88 p. 100 d'ambidextres.

Du reste, tous les gauchers ne sont pas connus, parce qu'on ne laisse pas aux enfants, généralement ambidextres, la liberté de se servir alternativement ou indifféremment de la main droite et de la main gauche. J'ai protesté ailleurs contre cette tyrannie absolument inintelligente. II résulte de cette influence de l'éducation, que l'on peut transformer un gaucher en ambidextre artificiel et incomplet, de même que par l'éducation on transforme les ambidextres en droitiers. Je viens de dire que par l'éducation on pouvait transformer un gaucher en ambidextre imparfait, je m'explique; j'ai sous les yeux un jeune garçon gaucher (mère névropathe), ses parents par l'éducation, et ils ont eu raison, en ont fait un ambidextre. Cet enfant dessine, écrit de la main droite; mais vient-il à se battre, se sent-il pressé par son adversaire, immédiatement c'est le bras gauche qui entre en jeu, parce que, en dépit de l'éducation, c'est le bras gauche qui est le plus vigoureux.

De même, s'il s'agit d'atteindre un but à l'aide d'une pierre, l'enfant dont je parle, bien que pouvant lancer un projectile alternativement du bras droit et du bras gauche, est plus adroit du bras gauche que du droit. Il en est de même à l'escrime.

Tandis que nous avons vu les droitiers avoir des dents plus volumineuses et plus denses à droite qu'à gauche, avoir plus de dents cariées à gauche qu'à

droite et présenter plus d'anomalies à gauche qu'à droite, on observe le contraire chez les gauchers, chez lesquels c'est le côté droit qui est inférieur.

À d'autres points de vue, les gauchers sont très particuliers et s'écartent plus ou moins de la généralité des hommes, pour entrer dans cette classe si intéressante à laquelle Morel et Magnan ont donné le nom de dégénérés.

Chaque fois qu'un homme se singularise par un stigmate physique quelconque (strabisme, tache pigmentaire. gaucherie, doigt supplémentaire, bec-de-lièvre. prognatisme, toute anomalie dans la conformation régulière du corps), il peut également présenter des particularités morales et intellectuelles qui le font rentrer dans la catégorie des dégénérés sans que, pour cela, il puisse cesser de jouir du privilège d'une aptitude ou d'une faculté prédominante, malgré la déséquilibrai ion mentale que l'on trouve chez la plupart de ces sujets.

Les gauchers ont fréquemment une hérédité nerveuse lourde à porter. On trouve souvent dans leurs ascendants des névropathies plus ou moins graves. Beaucoup d'épileptiques sont gauchers.

Raggi a trouvé 6 gauchers sur 103 aliénés et 5 gauchères sur 117 aliénées. Le Dr Amadeï a rencontré 9 gauchers sur 260 aliénés. On a comme résultats généraux :

Sur 363 aliénés. . . . 4,13 p. 100 de gauchers. — 117 aliénées . . . 4,27 p. 100 de gauchères.

Au point de vue de la sensibilité, les Drs Amadeï e: Tonini ont trouvé, sur 90 aliénés, 73 individus dont la sensibilité était meilleure à gauche qu'à droite.

De plus, la gaucherie serait très fréquente parmi les criminels. Le Dr Marre a trouvé chez les délinquants nés (hommes) 13,9 p. 100 ce gauchers, et. chez les femmes, 22,7 p. 100 de gauchères, c'est-à-dire que chez les criminels, on trouve trois fois plus de gauchers que chez ceux qui n'ont commis aucun crime ni délit. Cette proportion est quadruple pour les femmes. Il en serait de même pour la sensibilité.

La conclusion que l'on peut tirer de ces documents, c'est que l'on n'est pas impunément gaucher. Aussi ne saurai-je me rallier à la conclusion de M. L. Jo-bert. quand il dit que la gaucherie est surtout due à l'habitude et à l'éducation.

Je crois qu'il est plus sage de conclure, en se basant sur les faits et sur les documents qui précèdent, que nous sommes droitiers par atavisme et gauchers par hérédité morbide.

On ne connaît pas de race primitive qui soit exclusivement droitière ou gauchère.

L'homme doit se servir alternativement ou simultanément de ses deux mains. Il est regrettable qu'il se soit créé par atavisme un homme droit L'asymétrie, quoi qu'en dise Broca. n'est pas un caractère de supériorité, non plus qu'on ne doit considérer comme un fait favorable à l'homme la disparition des dents de sagesse. Nous sommes d'un avis diamétralement opposé. La civilisation a éloigné l'homme de sa destinée naturelle, et c'est en vertu d'une aberration regrettable que l'on a considéré exclusivement le développement cérébral de l'homme comme la mesure unique de sa supériorité.

Pourra-t-on jamais remonter le courant? Je ne le crois pas. l'humanité ne revient point sur ses pas. Mais s'il est vrai que l'enfant nouveau-né puisse être considéré comme se rapprochant de l'homme primitif, il faut en profiter pour en faire un ambidextre.

Diverses causes de la gaucherie.

Les conclusions de M. le Dr Galippe devaient soulever quelques objections. Le Dr Fletz, de Saint-Denis, adresse à la France médicale l'observation suivante qui lui semble assez probante pour mettre en évidence une des causes les plus fréquentes de la gaucherie :

Dans une famille composée de cinq personnes, le pire et la mère ne sont pas gauchers. L'aîné des enfants élevé par une nourrice n'est pas gaucher ; le deuxième enfant a été gaucher dès son plus jeune âge et l'est resté ; il ? quinze ans aujourd'hui. Le troisième enfant a été gaucher a l'âge d'un an; quand on lui présentait un objet, il le saisissait aussitôt de la main gauche. C'est la mère elle-même qui a nourri les deux derniers enfants. Elle était très ennuyée de voir gauchers les deux enfants qu'elle entourait des plus grands soins. Je m'aperçus alors qu'elle portait son petit enfant sur le bras gauche : à la remarque que je lui en fis, elle me répondit qu'elle avait toujours porté sur le bras gauche les deux enfants qu'elle avait nourris.

Je lui recommandai alors de porter le petit enfant sur le bras droit. Quelques mois après, cet enfant avait complètement perdu l'habitude de se servir de la main gauche, et est tout à fait droitier aujourd'hui qu'il a déjà 10 ans.

Quand la nourrice porte son nourrisson sur le bras gauche, c'est aussi le bras gauche de l'enfant qui est en avant, et c'est do celui-là qu'il se sert: il deviendra gaucher. Mais comme 99 nourrices sur 100 portent les enfants sur le bras droit, ces enfants se servent du bras droit qui est en avant pour saisir les objets et ils deviennent droitiers. Il est certain que le plus jeune des enfants de l'observation précédente serait resté gaucher comme le deuxième, si sa mère avait continué à le porter sur le bras gauche.

rajouterai, pour finir, qu'il n'y a pas de gauchers dans la famille du père ou de la mère, ni chez les grands-parents, et que l'enfant qui est resté gaucher n'a pas la moindre tare et se porte parfaitement bien sous tous les rapports.

Dans le Praticien, un de nos confrères fait remarquer en outre qu'il convient de distinguer les gauchers héréditaires et les gauchers par accidents; qu'un enfant, par exemple, ait une fracture du radius droit, qui passe très souvent inaperçue) et il se servira de préférence de la main gauche. Si on n'intervient pas à temps, cette habitude devient absolument invétérée.

Les dangers de l'hypnotisme extra-scientifique.

M. le docteur Andrieu vient de faire part à la Société médicale d'Amiens d'un fait qui vient à nouveau montrer les dangers de l'hypnotisme, quand il est mis en œuvre par des gens étrangers à la médecine.

M. Andrieu fut appelé, il y a quelque temps, près d'un de ses sujets habi-tuels, le jeune C…, âgé de 16 ans, qu'il a déjà présenté à la Société médicale: il le trouva atteint d'une violente crise épileptiforme. C. avait été endormi par un négociant de la ville, et, quand celui-ci avait voulu le réveiller, il fut pris de sa crise nerveuse, que l'endormeur ne réussissait pas à calmer, M. Andrieu réussit à saisir le regard du patient et à l'endormir. Pendant le sommeil hypnotique, C... raconta que dans les derniers jours de la foire il fut endormi par un saltimbanque, qui, le trouvant bon sujet pour ses

expériences, lui proposa de l'accompagner à la foire d'Abbeville. Sur le refus de C..., le saltimbanque l'endormit et lui suggéra qu'il serait malade, à son réveil, la première fois qu'il serait, dans la suite soumis au sommeil hypnotique. C'est ce qui arriva. M. Andrieu lui suggéra qu'il n'avait rien, qu'il n'était plus malade et le réveilla. Les crises nerveuses ne se reproduisirent plus. La nou-velle suggestion de M. Andrieu avait triomphé de celle du saltimbanque.

De la procréation des sexes à volonté.

Le docteur Cook, d'après le Médical Record cité par les Archives d'obstétrique, n'a pas la prétention de présenter une théorie nouvelle, ni d'en défendre une ancienne, mais de présenter tels quels des faits soigneusement recueillis pendant vingt-cinq années ; d'un grand nombre d'observations suivies par lui et dont il donne plusieurs avec détails, il est arrivé à conclure que les gar-çons sont conçus le soir avant minuit, et les filles le matin. Comme contre-épreuve à ces faits, il a conseillé, dans ce sens, plusieurs ménages désireux d'interrompre la série d'enfants mâles ou femelles qu'ils avaient eue jusque-là. Il semble donc que c'est le matin que la femme est le moins impressionnable et le soir le plus.

Tous les observateurs, peut-être, n'arriveront pas au même résultat ; cependant plusieurs confrères de l'auteur lui ont confirmé Le résultat de ses observations depuis douze ans, et il serait intéressant de continuer les recherches sur ce point.

Une singulière guerison.

Pendant que Henri IV s'occupait de réduire les ligueurs, le duc d'Angon-lême, qui suivait l'armée du roi, fut attaqué de la fièvre, et, sentant redoubler son mal, il resta à Meulan. On commençait à désespérer de sa vie. et le duc, averti de son état, demanda aussitôt à se confesser. Lorsqu'il eut accompli ce devoir religieux, les médecins déclarèrent à ses serviteurs eu ii n'y avait plus qu'un seul moyen de sauver leur maître, c'était de le faire rire.

Voici comment on s'y prit pour opérer cette cure :

Le secrétaire du duc d'Angoulême, et son intendant, qui étaient tous deux âgés de Go ans, et son capitaine des gardes, vieux militaire d'un extérieur très grave, se présentèrent ensemble devant le lit du prince, entièrement vêtus de blanc; le capitaine des gardes, étant au milieu, frappait alternante ment sur la joue de ses deux voisins qui avaient chacun sur la tête un bonnet rouge avec des plumes de coq, et qui, de leur côté, tâchaient. tour de rôle, de lui abattre à lui-même un chapeau de forme ridicule. A la vue de cette scène burlesque, le malade éclata de rire, saigna du nez abondamment, et une si grande révolution s'opéra en lui qu'au bout de deux heures il se sentit soulagé. La fièvre qui le tourmentait depuis vingt-deux jours, diminu sensiblement, et en moins d'une semaine il put se faire transporter en litière à la campagne, où il acheva de guérir.

(Journal d'hygiène.)

Sur une épidémie de fièvre typhoïde

M. Bézy (de Toulouse).

MM. Brouardel, Chantemelle; Marty ont montré la relation entre les épidémies et la présence du bacille dans les eaux.

M. Bézy a observé dans un village près de Toulouse une épidémie de fièvre typhoïde et le microbe en a été isolé par M. Fabre dans les détritus d'une usine s'écoulant dans un fossé qui traverse le village.

Le décret de 1810 et celui de 1886 ne s'occupent, pour les usines et les distilleries, que du danger d'incendie. Il y a lieu de modifier la loi, de placer les distilleries en première catégorie et d'obliger les propriétaires à désinfecter les vinasses dans l'intérieur même des usines. Il y a lieu aussi de désinfecter à fond les fosses mères qui ont servi jusqu'à ce jour, avant d'en pratiquer le curage.

NOUVELLES

Congrès. — Le Congrès de l'Association Française s'est réuni le jeudi 22 septembre, sous la présidence de M. le Dr Rochard, de l'Académie de médecine.

Le Congres a attire à Toulouse un grand nombre de savants français et étrangers, et les dix-sept sections ont toutes présenté une grande activité.

Hopital de la charité. — M. le Dr Luys. médecin de l'hôpital, a inauguré le jeudi 15 septembre, devant les autres chefs de service, les internes et les externes, tue série de démonstrations expérimentales sur l'action a distance des médicaments et des substances toxiques. Les expériences ont pleinement réussi. Les sujets étaient des hystériques très sensibles à l'hypnotisme.

Le jeudi sa septembre, M. Luys a repété ses démonstrations devant un nombreux public. Il se propose de les continuer le jeudi suivant, 1 dix heures, dans le peti amphithéâtre de M. le professeur Potain.

Congrès international de Washington. — Près de 3,ooo médecins et chirurgiens venus de tous les pays du monde se sont réunis a Washington, du 5 au 10 septembre, pour prendre part au neuvième Congrès International de médecine. Parmi les notabilités médicales qui représentaient la France au Congrès, le Médical Record. de New-York, cite les noms de MM. les professeurs Léon Lefort et Charpentier (de la Faculté de Paris), de MM. les Drs Abadie, Apostoli, Laudoit, Dubousquet-Labor-derie, Galezowski, Doleris (de Paris) ; Pouzet (de Cannes), Remy (de Paris), etc., etc.

Statistique universitaire. — Le nombre des étudiants ayant fréquente les

Universités italiennes pendant l'année 1887 s'est élevé à 15.161. Il faut ajouter 194 auéditeurs. C'est une augmentation de 722 étudiants sur l'année dernière. C'est l'Uni-versite de Naples qui est la plus fréquentée. Elle compte 4,o83 étudiants; Rome 1.254, Bologne 1,207, Palerme 1.089, Padoue 1,o65, Pavie 1.010, etc.; puis viennent Turin avec 212 étudiants, enfin Pérouse 108, Urbino 89, Ferrare 42.

HYPNOTISME (depuis 1880)

Forel. (Aug.) : Einige therapeutische Versuche mit dem Hypnotismus bei Geisteskran-ken. (Corr. bl. f. Schw. Aerzt., 15 août.) — Quelques recherches thérapeutiques sur l'hypnotisme dans les maladies cerebrales.

Laxgaillie de Lachèze: Emploi de la suggestion hypnotique dans un cas de tuber-culisition pulmonaire. (Journ. de la Société de Méd. de la Haute-Vienne, août.)

Keser : Un cas de sommeil prolongé. (Journal of Mental Science, juillet 1887.)

Robertson : Traitement de la catalepsie par les températures élevées et le galvanisme (Id.)

Petrazzani :. k : La suggestion a l'état de veille et d'hypnotisme. (Rivista sperimentale di fren. V. XII. Fasc. 3.)

Lucas Championnière : Contribution à l'étude de l'hystérie chez l'homme. Troubles de la sensibilité chez les Orientaux. Les Alssaouas. (Archives de Neurologie,

juillet 1887.)

PSYCHIATRIE - NEUROLOGIE Collineau- : L'état mental des épileptiques. (L'Homme, août 1887.)

Emminghaus : Die psychischen Storungen im Kindesalter. — Troubles psychiques chez l'enfant. (2e supplém. su Traité des maladies des enfants, de Gerhardt.) — In-8°, VIII-293 p., 12 pl. Tubingue.

Bouchaud : Aliénation mentale et mutisme hystérique. (Ann. Méd.-Psych.,

septembre.)

Bouchaud, Isch-Wall, Baumgarten, Pilliet, Courbarien et Bricon ; Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie, l'hystérie et l'idiotie, compte rendu du service des épileptiques et des enfants idiots et arriéres de Bicêtre pendant l'année 1886. Vol. 7. In-8°, XLVIII-262 pages avec 3 plans. 25 fig. et 5 planches

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

De la suggestion mentale et de l'action à distance des substances toxiques et médicamenteuses, par MM. les professeurs Bourru et Burot. — Bibliothèque scientifique internationale. — J.-B. Baillière. In-8°, 1887 3 fr.50.

Le nouvel hypnotisme, par M. L. Moutin. — Librairie académique Didier, Perrin, édit., 1887 ; 4 fr.

Les convulsionnaires de Namur. Un chapitre de l'histoire de la sorcellerie en Belgique - Namur. Brochure in-8°, 1887.

Amygdalites infectieuses, par le Dr Dubocsquet-Lasorderie. — Octave Doin, édit. Brochure in-8°, 1887.

Considérations sur la syphilis contractée pendant la grossesse, par

le Dr Grellety. — Brochure in-16,1887.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT.

paris. — imprimerie charles dlot, rue bleue, 7 .

REVUE DE L'HYPNOTISME

expérimental et thérapeutique

LE TRAITEMENT DES BUVEURS ET DES DIPSOMANES PAR L'HYPNOTISME(1)

Par M. le Dr LADAME

privat-docent a l'université de genève

On a généralement reconnu que tous les moyens mis en œuvre pour guérir l'ivrognerie étaient inutiles, aussi longtemps que les buveurs restaient dans leur milieu habituel. C'est pourquoi on a proposé de fonder des asiles spéciaux pour les recevoir. Plusieurs asiles pour interner les buveurs existent déjà en Amérique, en Angleterre, en Suisse et en Allemagne, et il est question d'en fonder de nouveaux, l'urgence de ces fondations se faisant partout de plus en plus sentir. Cependant, il manque encore les mesures législa-tives qui seraient nécessaires pour prolonger la séquestration assez longtemps.

Mais il ne suffit pas de séquestrer les buveurs dans les asiles, il faut encore chercher à les guérir de leur terrible maladie. A-t-on quelque espoir d'obtenir cette guérison ? Le pronostic de la « maladie de la boisson » est des plus graves, on le sait. Les dictons populaires en témoignent assez. J'ai vu beaucoup d'ivrognes qui ont signé l'abstinence pour un temps plus ou moins long, mais je dois avouer que j'en connais très peu qui n'aient pas eu tôt ou tard une rechute. Il est vrai que la Société de la Croix bleue, fondée à Genève en 1877, dont les membres s'engagent à l'abstinence totale, affirme que des centaines de buveurs (environ 1.500 en septembre 1887) ont été radicalement guéris par son influence bienfaisante. Je ne mets nullement en doute ces brillants résultats, dont les membres dévoués de cette Société peuvent à juste titre se réjouir, mais, comme praticiens, nous sommes placés à l'ambulance, et nous ne voyons souvent que les défaillants.

Esquirol, qui a parlé le premier de la monomanie d'ivresse, disait déjà : « Les motifs les plus puissants, les résolutions les

(1) Ce travail a fait l'objet d'une communication au Congrès international contre l'abus des boissons alcooliques tenu à Zurich, du 8 au 11 septembre 1887.

plus fortes, les promesses les plus solennelles, la honte et le danger auquel ils s'exposent, les douleurs physiques qui les atten-pent, les châtiments dont ils sont menacés s'ils ne se corrigent point, les prières, les supplications de l'amitié, la tendresse des pères, des mères, des enfants, rien ne peut détourner ces malheureux de ce déplorable penchant. »

Depuis Esquirol. tous les médecins ont insisté à l'envi sur l'in-curabiiité de l'ivrognerie. L'observation des transmissions héréditaires est venue assombrir encore, s'il est possible, ce pronostic, et voilà pourquoi beaucoup le considèrent comme absolument désespéré.

Le seul moyen reconnu efficace jusqu'à présent, est l'abstinence complète que l'on n'est sûr d'obtenir, d'après certains médecins, que par la séquestration indéfiniment prolongée dans un asile.

II serait oiseux d'énumérer tous les moyens qui ont été essayés inutilement pour cette cure. Il suffit de dire qu'il n'en est point qui aient réussi jusqu'à présent, à l'exception des Sociétés d'abstinence complète, qui agissent, à notre avis, d'une manière analogue à la suggestion hypnotique. Si on faisait l'histoire des guérïsons obtenues par les membres de la Croix bleue, on verrait que les buveurs arrachés à leurs mauvaises habitudes, l'ont été presque toujours sous l'influence d'idées religieuses proposées et reçues au moment psychologique, c'est-à-dire lorsque l'alcoolique était en proie à un violent désespoir, allait recourir au suicide ou venait peut-être de commettre un crime odieux. Le vœu solennel par lequel le malade s'engage alors à ne plus boire, est bien une auto-suggestion qu'il se donne, et si les circonstances ultérieures sont favorables, si le malheureux est soutenu par des personnes qui s'intéressent à lui en mettant tout en œuvre pour faciliter sa guérison et empêcher une rechute, on peut espérer qu'il sera sauvé. Les Sociétés d abstinence peuvent ainsi rendre de grands services ; elles ont déjà fait leurs preuves. Mais il se trouvera toujours une catégorie de buveurs réfractaires à cette influence salutaire et sur lesquels les moyens moraux et religieux n'auront jamais aucune prise. Ceux-ci seront peut-être alors justifiables du traitement par l'hypnotisme.

PendantqueM.leDr A.Voisin, à la Salpêtrière,et M. le professeur Forel. à Zurich, expérimentaient la suggestion hypnotique sur les buveurs, je faisais, de mon côté, à Genève, des essais de ce traitement nouveau que j'avais déjà employé avec plus ou moins de succès pour combattre d'autres affections nerveuses et mentales.

Je n'ai pas besoin de rappeler les conclusions de l'intéressant travail de M. Voisin, que nos lecteurs ont pu lire dans les numéros d'août et de septembre derniers de cette revue. M. Forel a publié

des cas dans un excellent article qui a paru le 15 août 1887 (1). Le savant professeur de Zurich a traité, par l'hypnotisme, 41 aliénés dans l'asile de Burghoezli, dont il est le directeur, et il a obtenu des résultats très remarquables.

Il hypnotisa entre autres quatre hommes de 30 à 40 ans, atteints d'alcoolisme chronique après des accès de delirium tremens. Trois d'entre eux étaient des individus très revêches et désagréables, maugréant sur tout, tourmentant les autres pensionnaires et se promettant bien de se dédommager largement de leur abstinence forcée une fois hors de l'établissement où ils étaient retenus. D'emblée, tous les quatre furent facilement hypnotisés. Dès la première suggestion, il y en eut trois qui changèrent complètement de manière d'être: ils devinrent calmes et sérieux; un seul, malgré l'état somnambulique favorable aux suggestions, résista pendant quelques jours. Il finit cependant par demander une carte d'abstinence et la signer. Mais le jour suivant il s'évadait de l'asile.

M. Forel fut très étonné de recevoir une semaine plus tard une lettre de sa femme, qui écrivait : « J'ai été bien effrayée au premier moment de l'arrivée inopinée de mon mari, mais il est actuellement tout à fait transformé, sérieux et zélé travailleur ; il repousse éner-giquement toute autre boisson que l'eau. »

Quant aux trois premiers, ils furent bientôt libérés et quittèrent l'asile complètement guéris. Dès lors, ils revinrent à plusieurs reprises rendre visite à leur directeur et le remercier de ses bons soins; tous trois entrèrent spontanément dans la Société de tempérance, qu'ils traitaient auparavant avec moquerie et dédain.

Voici maintenant le résumé de trois observations que j'ai faites récemment :

Observation I

Un premier malade, dipsomane, s'adressait à moi, le 10 mars 1887, pour tenter le traitement de son affection par l'hypnotisme. Les recherches que j'ai faites sur ses antécédents héréditaires m'ont appris qu'il n'y avait pas eu, dans sa famille, d'ivrognes, d'aliénés, de suicides, d épileptiques, de criminels, d individus atteints d'une affection cérébrale ou de vices graves. Son père est très modéré. Sa mère est abstinente et ne touche ni vin, ni liqueurs.

Mais un incident important est à noter pendant l'enfance de notre malade. 11 a été très précoce à l'école, très intelligent, et savait lire à 3 ans. Or. à l'âge de 6 ans, il fut enivré par un ami de la famille (!) qui l'avait conduit à une fête scolaire et ne trouva rien de mieux, pourle désaltérer, que de lui faire boire quelques verres

(1) Professeur A. Forel, à Zurich. Einige therapeutische Versuche mit dem Hyp-notismus bei Geisteskranken (Quelques essais thérapeutiques avec l'hypnotisme chez les aliénés), in Correspondent Blatt fûr Schweiger Aerzte, 15 août 1887.

de vin. On ne saurait attacher une importance trop grande aux événements qui se passent dans l'enfance. On devient alcoolique de bien des manières, sans doute. L'occasion, les mauvaises habitudes, la flânerie, la laiblesse. de caractère, une éducation négligée, un chagrin profond sont des facteurs importants dans la genèse de l'alcoolisme chez les individus prédisposés. Cependant une vive impression dans l'enfance, une seule ivresse précoce, joue parfois un rôle dont les conséquences sont incalculables dans les habitudes futures de l'homme adulte. Il en fut certainement ainsi chez notre malade, qui commença à s'enivrer dès l'âge de quinze ans, fréquentant des mauvaises compagnies. Les choses en arrivèrent bientôt au point qu'on l'embarqua comme matelot pour une longue traversée.

Je passe sous silence un grand nombre de tristes détails de son odyssée et j'en arrive aune circonstance capitale. A 22 ans, après un horrible excès, il prit pour la première fois la résolution de ne plus boire. Dès lors, les choses prennent une tournure différente ; les accès de dipsomanie s'espacent, mais durent plus longtemps. Auparavant, jamais il ne buvait plus d'un ou deux jours. Désormais, les crises vont durer cinq, six et huit jours, jusqu'à ce qu'on coupe brusquement l'accès par un internement dans un asile d'aliénés ou que le malade soit mis à plat de lit par l'intoxication alcoolique. Jamais d'hallucination. Jamais de delirium tremens. Pendant les intervalles entre les paroxysmes, le sentiment de la soif disparaît complètement. C'est toujours après une émotion morale, joie ou chagrin, qu'éclatent dorénavant les crises.

e Sous l'influence de la boisson, dit le malade, je perds complètement le respect de moi-même, je me montre en public dans l'état le plus abject, je vends mes vêtements pour boire, j'emprunte de petites sommes ici ou là pour continuer â m'enivrer: j'imagine tous les moyens possibles, les plus indignes, pour me faire offrir un verre, etc. »

Première séance d'hypnotisme, le 28 mars 1887. — Je fais fixer mon doigt par le malade, qui éprouve une légère somnolence au bout de quelques minutes. J'en profite pour faire une suggestion. « Il n'aura plus soif. » Le jour suivant, une scène violente après une contrariété. Des scènes analogues provoquaient parfois, auparavant, des crises de dipsomanie. Cette fois-ci, il n'y eut pas de crises, mais le malade se trouva comme au lendemain d'un jour d'ivresse. Mal de tête, énervement, fièvre, mais il n'éprouva pas le sentiment de la soif. Angoisse générale. Claustropholie, envie de sortir à tout prix. Je me demandais déjà, me disait-il, si je ne sauterais pas par-dessus le mur du jardin, au cas où l'on me retiendrait. Une fois hors de la maison, ce malaise a complètement disparu.

Deuxième séance, 31 mars. — Somnolence : ne peut ouvrir les yeux. Suggestion : fera des excuses à la personne contre laquelle il s'est emporté, ne boira plus. Sera de bonne humeur.

Le lendemain, les excuses étaient faites et le malade oubliait même de boire son verre d'eau à dîner.

Troisième séance, 3 avril. — Somnolence un peu plus prononcée. Suggestion : il dormira bien la nuit prochaine, sans rêves ni cauchemars. C'est le contraire qui arriva. « Moi qui dormais tout d'une traite, tous ces jours, écrit-il, jamais je n'ai si peu dormi. Je pensais à un tas d'expériences hypnotiques faites ou à faire... Le sommeil ne venait pas, je me suis tourné dans mon lit jusqu'à une heure du matin. » II croit qu'il a rêvé vers le matin, mais n'en est pas sûr. La suggestion avait donc opéré à rebours, ce qui est aussi l'indice de l'influence exercée, trop faible pour être complète, quoique assez forte pour provoquer un trouble du sommeil.

Les jours suivants, idées noires, nouvelles contrariétés qui, autrefois, auraient certainement provoqué une crise.

Quatrième séance, 11 avril. — La somnolence et l'engourdissement arrivent plus vite et sont plus complets, « A un certain moment, m'écrit le malade, j'ai senti une espèce de dédoublement se faire en moi; mon corps dormait et mon esprit était très éveillé. Aussi je me sentais les bras et les jambes si lourds qu'il m'eût été presque impossible de faire un mouvement, et cependant j'entendais le tic tac de la montre placée sûr une table éloignée, une personne sortir de la maison sur la pointe des pieds (bruits que je ne percevais pas à côté de lui)... Quand vous m'avez dit de me réveiller, il a fallu que je fasse un effort pour sortir de cet état. J'étais comme quelqu'un tiré d'un profond sommeil; je n'avais pas les idées très nettes, ce qui nravait pas été le cas lors des précédentes séances. »

Le lendemain, à la même heure, le malade est pris spontanément de somnolence comme pendant la séance d'hypnotisme du jour précédent.

Cinquième séance, 14 avril. — Premiers phénomènes de catalepsie suggestive des membres, encore peu marqués. Le malade perçoit toujours les bruits autour de lui et se souvient de tout ce qu'on lui a dit après son réveil. Il est dans un état léthargique complet, avec résolution musculaire, mais c'est la léthargie lucide.

Le 17 avril, il m'écrit :

« Depuis que vous me donnez vos soins, je m'aperçois d'un mieux réel dans mon état. Je ne suis plus constamment en fièvre comme par le passé ; je n'ai plus de mouvement d'humeur à propos de tout. Est-ce la suggestion d'être de bonne humeur qui opère ? Est-ce forfait ? Je ne sais. Mais il y a un fait certain, c'est

que vous m'avez dit jeudi : « Vous travaillerez beaucoup et facilement. » Or, ces trois derniers jours, j'ai travaillé de bon courage, tandis qu'auparavant je ne pouvais m'y résoudre. »

Sixième séance, 18 avril. — Somnolence plus profonde et rapide. Catalepsie suggestive prononcée. Les deux bras soulevés restent en l'air, le malade ne peut les abaisser, malgré tous ses efforts.

Septième séance, 21 avril. — Sans résultat. A peine l'assoupissement a-t-il commencé que le malade est pris de bâillements incoercibles ; ceci ne s'est jamais répété depuis, biea que le malade ait eu dès lors une grande appréhension de ces bâillements. Je l'avais assuré que cela ne reviendrait plus.

Huitième séance, 25 avril. — Toujours des moments de noire mélancolie. Pour la première fois, le malade n'a pas du tout conscience du temps pendant lequel il a dormi. Je le laisse dormir une demi-heure et il croit qu'il n'y a pas cinq minutes qu'il s'est endormi. Bien-être après la séance et toute la journée du lendemain. Bonne nuit. Travail facile. 11 n'a plus du tout le sentiment de la soif.

Neuvième séance, 28 avril. — S'endort très vite et profondément. Respiration un peu sonore et même ronflante par moments. Léthargie moins lucide. Le malade entend de moins en moins ce qui se passe autour de lui. Cependant il se rappelle encore, toujours en réveil, les suggestions données. Sentiment de dédoublement de corps et de l'esprit. Impossibilité de remuer un membre volontairement. Hyperexcitabilité neuro-musculaire ; on provoque facilement les contractures musculaires par -le massage des muscles.

On continue deux séances par semaine sans autre incident. L'hypnotisation devient de plus en plus facile. Le 9 mai, le malade souffrait de violentes douleurs d'estomac. Il avait eu une nuit très mauvaise. Suggestion de ne plus rien sentir. Il dormira très bien. Tout en lui parlant, je fais un massage des parties douloureuses, épigastre et hypocondre gauche. La nuit suivante fut excellente. Le lendemain il m'écrit : « Le mal d'estomac n'a pas reparu de toute la journée. Ce que j'éprouve à cet égard est même digne de remarque et je ne sais trop comment l'expliquer. La douleur doit être très violente, comme cela a toujours été quand ces crises m'ont pris, mais je ne la ressens qu'extraordinairement atténuée, comme on entend les cris d'une personne dans le lointain. La douleur existe, j'en suis sûr, mais le cerveau ne la perçoit pas, sans doute parce qu'il a reçu l'ordre de ne pas la ressentir. »

Un mois plus tard, au milieu de iuin, le malade n'a plus du tout d'accès de mélancolie; il a repris goût au travail et à la vie. Il n'a plus le sentiment morbide de la soif qui le tourmentait si fort auparavant. 11 prétend qu'il a eu pendant le traitement actuel, à

deux ou trois reprises, de véritables accès de dipsomanie avortés. Il en a ressenti tous les symptômes avant-coureurs : malaises, angoisses, etc., sans que la crise éclatât.

Aujourd'hui, le malade se considère comme tout à fait guéri. 11 est complètement abstinent, et, malgré de nombreuses occasions qui auraient pu le faire retomber, il a jusqu'à présent résisté victorieusement à toutes les tentations. Il continue à venir de temps à autre se faire hypnotiser, comme mesure préventive. 11 y a bientôt dix mois qu'il n'a plus eu de crises de dipsomanie. et tout fait espérer que. s'il continue à recevoir périodiquement les suggestions de s'abstenir, il sera tout à fait guéri. Je lui ai particulièrement demandé de venir sans délai demander une séance d'hypnotisme lorsqu'il sentirait quelques prodromes suspects annonçant l'approche d'un accès.

(A suivre.)

REVUE CRITIQUE

La thérapeutique suggestive en Italie-

C'est a juste titre que ; on a appelé l'Italie la terre classique des chants e; des fleurs ; on peut ajouter que les sciences y sont, comme les lettres et les arts, l'objet d'un culte assidu. Aussi bien, l'hypnotisme, qui se rattache aux sciences biologiques, devait-il trouver, chez nos Voisins d'au delà des Alpes, de savants expérimentateurs. Les lecteurs de la Revue se le rappellent: nous leur avons donné l'analyse des travaux du professeur Lombroso et d'autres encore. Empruntons au journal le Morgagni le compte rendu de nouvelles observations cliniques, publiées par le docteur Louis Purgotti.— (Il Morgagni, 1887. n° 2. — La Terapeutica ipnotica e suggestiva — dott. Luigi Purgotti.)

La thérapeutique suggestive est en pleine voie de progrès ; l'hypnotisme scientifique devient chaque jour, entre les mains des médecins, un précieux instrument dans le traitement de certaines affections nerveuses rebelles .1 toutes les médications; les résultats obtenus sont merveilleux et incontestables. Quoi qu'il en soit, en dépit de preuves abondantes, l'hypnotisme n"a pas encore triomphé, en Italie comme chez nous, de la méfiance, voire même de l'incrédulité totale que professent certains praticiens à l'égard d'expériences vraiment concluantes. Les adversaires de l'hypnotisme médical affectent, non sans une nuance de malice, de confondre cette science avec le charlatanisme des magnétiseurs et des somnambules. Apportons encore de nouveaux témoignages de l'efficacité du traitement par la suggestion hypnotique : les observa-

tions et les expériences que nous résumons ci-dessous nous en procurent l'occasion et nous en profitons.

Le docteur Purgotti reçoit dans son service hospitalier une jeune fille de seize ans, bien constituée ; elle est l'enfant d'un père alcoolique, elle a, depuis l'âge de six ans, de fréquentes crises épileptiformes. La menstruation ne modifie nullement son état pathologique. A l'hôpital, on constate que tout le côte gauche du corps est privé de sensibilité. Les contractions du diaphragme sont à peu près supprimées. Les mouvements respiratoires sont extrêmement fréquents, 60 à So par minute, ;ans qu'il y ait. pour cela, accélération dans les battements du pouls. On diagnostique une parésie du diaphragme avec hémianesthésie gauche de nature hystérique. Les bromures de potassium ou de camphre, l'opium, l'hydrate de chloral, la belladone. la valériane, etc., demeurent sans effet. Le traitement électrique échoue en présence de violents accès convulsifs.

On a recours a l'hypnose. La malade, dans l'état de décubitus dorsal, regarde fixement un objet brillant, condition excellente, comme on sait, pour déterminer le sommeil. On remarque que les yeux sont en strabisme convergent a fixation supérieure ; les pupilles sont dilatées.

Au bout de vingt jours d'expérience, aucun résultat positif n'était obtenu. Etait-ce là un motif suffisant pour suspendre le traitement ? Le médecin italien crut devoir poursuivre son expérimentation, et, ce qui témoigne que patience et longueur de temps servent en mainte occasion, le succès couronna ses efforts. Bientôt l'hémianesthésie gauche disparait, puis le mouvement rythmique du diaphragme reprend graduellement son cours normal. L'expérimentateur suggérait au sujet, pendant l'hypnose, la croyance certaine à sa guêrison.

Enfin, après un mois de ce traitement patient et luborieux, la jeune malade quitta l'hôpital avec toutes les apparences d'une bonne santé. Mais on dut renouveler la même cure, prés de trente jours après, car elle eut une rechute. La guérîson a paru, depuis lors, définitive: voila plus d'une année, les symptômes alarmants n'ont point reparu. A supposer qu'il y ait une nouvelle rechute, est-ce une raison pour méconnaître l'importance d'une pareille cure ? Maints autres remèdes, tels que les narcotiques, les antipyrétiques, ont une action passagère et ne laissent pas pour cela d'offrir un secours précieux a la thérapeutique.

Un autre sujet présentait les mêmes troubles morbides; son mal était, depuis dix ans, rebelle à tous les médicaments. Par le traitement de l'hypnotisme, il guérit immédiatement, et d'une manière pour ainsi dire inespérée. 11 fut très difficile, néanmoins, de l'hypnotiser: il était dans une agitation continuelle.

On parvint à l'endormir en usant du procédé indiqué par Charcot et étudié par Parcs, qui consiste dans la compression de cette région du cou désignée sous le nom de zone spasmo-phrénatrice. Ce procédé peut déterminer des convulsions ou les arrêter brusquement ; dans le premier de ces cas il y a spasmogénie, dans le second spasmo-phrénatrie.

Dans le cas qui nous occupe, cette compression calma suffisamment les spasmes du diaphragme pour permettre un certain degré d'hypnose.

Que ce sommeil soit profond ou léger, cela n'importe guère au point de vue des résultats cherchés.

L'action bienfaisante n'est pas bornée, comme on sait, aux affections d'origine hystérique ; elle s'étend à d'autres névroses, et, à la clinique Pavte, à l'hôpital des enfants, on a pu observer un cas de guérison de la chorée par ce traitement.

Un sujet de 13 ans présentait, lors de son admission, des mouvements choréiques tellement prononcés qu'on était obligé de le maintenir de force dans son lit. Son affection, qui datait de vingt jours, n'avait fait qu'augmenter, jusqu'au moment où son état alarmant avait nécessité son entrée a l'hôpital. En présence de la gravité du mal. le professeur prescrivit sur-le-champ une médication énergique: hydrate de chloral bromure de potassium. Ces remèdes ne furent suivis d'aucun effet, non plus que les bains chauds et les douches d'éther sur la colonne verté-brale. Le sujet ne goûtait pas un instant de calme ; ses nuits étaient sans sommeil, il allait maigrissant de jour en jour, perdant ses forces peu à peu.

On finit par recourir à l'hypnotisation. Dès le premier jour, on parvint a endormir le malade; le sommeil, bien que léger, permit de faire cesser tout à fait les convulsions choréiques. Au bout de douze jours, on constatait la guérison complète.

Une paysanne de 36 ans, mariée et sans enfants, entre a l'hôpital sous la mention de femme aliénée. Elle présentait quelques symptômes d'hystérie, mouvait les bras l'un autour de l'autre. Venait-on à empêcher ce mouvement convulsif, c'étaient les jambes qui s'agitaient a leur tour, et, quand on les tenait en repos, les dents claquaient. La malade était, d'ailleurs, de bonne constitution. On l'hypnotisa ; à la troisième opération, elle tombe en catalepsie, sans pourtant s'endormir d'un sommeil bien profond. On vil réapparaître le mouvement convulsif des bras, mais peu de temps, et, en les maintenant, on ne vit point se renouveler le mouvement des membres inférieurs. A chaque reprise de l'expérience, le sommeil devenait plus profond. Enfin, la malade recouvra son étal normal et il n'y eut plus de troubles nerveux.

Ce qui est important à signaler, c'est que ce résultat a été obtenu uniquement par l'hypnotisation. sans, recourir à la suggestion, à moins qu'on ne veuille appeler de ce dernier nom la confiance que témoignait la malade dans le traitement qu'on lui appliquait.

L'auteur de ces observations termine par des conseils empreints d'une grande sagesse. L'hypnotisme a ses avantages et ses inconvénients ; on ne saurait partager les craintes exagérées qu'expriment certaines personnes frappées de l'imperfection des procédés employés dans quelques cas ; mais on ne saurait non plus regarder, d'accord avec le docteur Béard, de New-York, l'hypnotisme comme tout a fait inoffensif. Les cardiaques, par exemple, ne doivent pas du tout être soumis à cette

épreuve, où ils courraient risque de contracter lu paralysie du cœur. De même, dans cet état, il peut s'éveiller des émotions vives susceptibles de déterminer quelques affections mentales chez des sujets prédisposés par hérédité ou par tempérament. Le docteur Grasset cite l'exemple d'un jeune homme devenu aliéné à la suite de nombreuses séances d'hypnotisme qui ont été instituées sur lui au moment où Verbeck passait à Montpellier. Un autre jeune homme de grande famille, soumis a de fréquentes hypnotisations par Donato. éprouva des troubles psychiques et autres dérangements nerveux qui étaient loin d'être insignifiants. On peut multiplier les exemples. Ce qui est de notoriété publique, c'est que de semblables exhibitions d'exercices magnétiques ont sur la foule une influence dangereuse et ont engendré parfois une véritable épidémie de maladies mentales. Aussi, en Italie, le conseil sanitaire a interdit à Donato. et avec raison, ses expériences malsaines.

Certes, ce sommeil artificiel peut être utile entre les mains d'un médecin expérimenté qui l'emploie comme moyen thérapeutique à l'égard d'autres états nerveux beaucoup plus graves; mais, d'autre part, ce procédé ne peut-il pas devenir nuisible et constituer un instrument de perversion morale, une cause de dangers matériels et psychiques, s'il est employé sans conscience, sans scrupule ni mesure?

Augustin Nicot.

SOCIÉTÉS SAVANTES

ASSOCIATION FRANÇAISE POUR L'AVANCEMENT DES SCIENCES

XVIe Session a Toulouse (22-29 Septembre 1887)

SECTION DES SCIENCES MÉDICALES (1)

Dans la première séance, le bureau à été ainsi composé: Président : M. Pamard (d'Avignon). .

Présidents d'honneur ; MM. Rochard (de Paris), Duplouy (de Roche fort), Thiriar (de Bruxelles), Gosse {de Genève).

Vice-Présidents : MM. Caubet (d« Toulouse). Labéda (de Toulouse), Bernheim (de Nancy), Gresset (de Montpellier). Poncet de Lyon).

Secrétaires : MM. Petit (L.-H.), (Ettinger, Tixier, Secheyron et Bézy.

Sur un cas de régularisation des règles par suggestion.

Par M. le Dr Bernheim, professeur à la Faculté de Nancy.

MM. Liébeault et Voisin ont relaté des cas de suppression menstruelle avec rétablissement des règles par la suggestion. J'ai aussi observé des cas de ce genre. Je veux communiquer une observation de menstruation trop

(1) Le cadre de notre revue ne nous permet de publier que les communications ayant trait à l'hypnotisme.

fréquente et trop abondante, dans laquelle la suggestion a produit la régularisation à quatre semaines au lieu de treize à quinze jours.

Mme H..., trente-cinq ans. mère de famille, vint me consulter le 3o septembre 1886 pour un rhume avec enrouement datant de neuf mois. Elle a eu autrefois de fréquentes crises d'hystérie qui ont diminué beaucoup depuis quatre à cinq ans. De plus, et c'est là-dessus seulement que je veux insister, elle a des règles trop copieuses et trop fréquentes. Avant son premier accouchement, elle était réglée tous les vingt et un jours ; jamais elle n'a dépassé cette limite. Depuis, c'est tous les quinze jours, et depuis deux ans tous les onze à treize jours. Ces règles sont abondantes, durent quatre et cinq jours, s'accompagnent de crampes vives, sont précédées pendant deux et trois jours d'un état d'énervement avec mauvaise humeur, antipathie pour ses enfants, symptômes qui disparaissent avec le flux. La dernière époque a eu lieu du 11au 15 septembre.

J'hypnotise Mme H... et, sous l'intluence des suggestions, l'oppression, l'enrouement, les points douloureux cèdent en quelques séances ; je n'insiste

Le 24 septembre, à la quatrième séance, je lui suggère qu'elle aura ses règles le 9 octobre (vingt-huitième jour), sans douleur ni malaise précurseur, et que ses règles dureront trois jours, peu abondantes.

Depuis le 22 (onze jours après l'époque précédente), Mme H... sent des symptômes précurseurs, tiraillements dans le dos, barre de fer à l'estomac, comme d'habitude à l'approche des époques. Je suggère la disparition de ces symptômes et je répète la suggestion à peu près tous les deux jours. Le 28 septembre au soir elle a quelques crampes, le 3o quelques pertes blanches, le 1er octobre de légères douleurs abdominales, mais les règles n'apparaissent pas. Les 2 et 3 octobre, elle a de la céphalalgie, des maux de cœur et des envies de vomir, quelques vertiges.

Enfin, les règles apparaissent dans la nuit du 7 au 8 octobre, au bout de vingt-six jours. Les règles durent trois jours, sont peu abondantes et donnent lieu à beaucoup moins d'énervement qu'à l'habitude.

Le 18 octobre, je suggère la prochaine époque pour la nuit du 4 et 5 novembre, sans malaise et pendant trois jours. Les règles viennent au bout de vingt-quatre jours, le 1er novembre, et durent trois jours, peu abondantes.

Depuis cette époque, Mme H... a continué à être réglée très exactement le vingt-huitième ou vingt-neuvième jour. Les règles sont peu abondantes, durent trois jours et ne s'accompagnent ni de douleur, ni de malaise précurseur.

En résumé, une dame de trente-cinq ans qui a des règles abondantes durant cinq à six jours tous les onze à quinze jours, qui n'était jamais restée plus de vingt et un jours entre deux périodes menstruelles, arrive par suggestion hypnotique à les avoir successivement tous les vingt-six, vingt-sept, vingt-huit et vingt-neuvième jours. Ces régies durent trois jours au lieu de cinq à six jours.

Dans les premières périodes après la suggestion, Mme H... n'arrivait pas jusqu'au jour désiré, mais avait de la tendance à y arriver. La première fois, des symptômes précurseurs habituels se montrèrent vers le onzième jour, à l'époque où les règles auraient dû venir sans la suggestion ; puis, vers le vingt -deuxième jour, des symptômes analogues à ceux de la grossesse accompagnent la prolongation de la période aménorrhéique. La suggestion lait acte d'inhibition jusqu'au vingt-sixième jour, puis peu à peu l'organe arrive sous

cette influence a régulariser le molimen menstruel au vingt-huitième ou vingt-neuvième jour.

DISCUSSION

M. Bérillon.— Le fait signalé par M. Bernheim n'a rien qui puisse surprendre ceux qui sc:.t familiers avec l'application de la suggestion comme moyen thérapeutique. J'ai eu, à plusieurs reprises, l'occasion d'expérimenter l'effet de ce traitement dans des cas de troubles de la menstruation, soit que les règles fussent trop abondantes, soit qu'elles fussent complètement supprimées.

Récemment il m'est encore arrivé de guérir aussi facilement et de la même manière une hémorrhagie utérine très considérable.

J'avais été mandé un soir expressément auprès d'une jeune femme qui avait été soignée longtemps dans le service du docteur Mesnet pour des troubles hystériques et que je trouvai presque exsangue après une hémorrhagie tellement abondante qu'on pouvait éprouver des craintes sérieuses pour sa vie. Cette jeune femme était fréquemment sujette à des pertes abondantes, mais celle-ci dépassait ses métrorrhagies habituelles. Je me contentai d'hypnotiser la malade et de lui ordonner par suggestion de cesser tout aussitôt de perdre, puis je me retirai. Le lendemain j'apprenais qu'effectivement l'hémorrhagie s'était arrêtée et que la malade, qui s'obstinait depuis plusieurs jours à ne pas manger, avait bien voulu, conformément à mes suggestions, prendre quelque nourriture. Elle était enfin en aussi bon état que possible et pouvait même — elle presque mourante la veille — commencer à se lever.

Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'une action psychique ou morale puisse arrêter un flux menstruel trop abondant, alors qu'un autre effet moral, dans certaines circonstances, suffît pour les arrêter presque instantanément.

M. Burot (de Rochefort). — J'ai vu des cas semblables en grand nombre. Il me suffisait de vouloir qu'une femme fût réglée à telle ou telle époque indiquée pour que l'effet suivît toujours mes volontés. J'ai réglé des aménor-rhéiques et je les ai réglées pour ainsi dire à heure fixe.

Chez l'une d'elles, atteinte de crises convulsives, très impressionnable, des frayeurs subites avaient déterminé la suppression complète des règles. J'ai pu ramener promptement le flux menstruel à des époques régulières en procédant par suggestion dans le sommeil hypnotique. En même temps il me fut possible, par le même procédé, de modifier l'état psychique et empêcher le retour de semblables accidents.

Dans un second cas, il s'agissait d'une jeune fille hystérique, âgée de vingt-deux ans. Le saisissement inspiré par la vue d'un chien enragé avait suffi pour amener la suppression des règles. Je l'hypnotisai légèrement et, par des suggestions répétées deux fois par semaine pendant un mois, je parvins à la remettre dans son état normal.

Ce qui frappe assurément le plus les personnes qui ne se rendent pas un compte exact des effets de la suggestion, c'est de voir l'influence obtenue sur de grandes fonctions qui semblent soustraites à l'action de la volonté. Cependant il n'est pas douteux qu'on puisse ramener les règles ou provoquer des règles abondantes par suggestion.

M. Dècle (de Paris). — J'ai pu aussi régler les femmes presque à heure fixe. Il m'est arrivé de fixer comme terme onze jours ; une autre fois, avant dit dans ma suggestion que les prochaines règles ne reviendraient qu'au bout

d'un mois, mon sujet a été régis non pas au bout de vingt-huit ou vingt-neuf jours, mais nu bout de trente et un jours.

M. Grasset (de Montpellier). — L'action qu'on possède sur des fonctions qui sembient soustraites à la puissance de la volonté est, en effet, bien curieuse. Je n'ai, quant a moi, jamais régularisé la conduite menstruelle d'aucune femme ; mais j'ai pu, ce qui est équivalent, absolument supprimer chez une hystérique des hémorrhagies buccales (que ces hémorrhagies provinssent du tube digestif ou des voies aériennes), et cela par simple suggestion.

On ne saurait trop insister sur les phénomènes d'inhibition qui peuvent être provoqués dans l'état d'hypnotisme.

M. Certes (de Paris). — Vous pouvez agir à votre guise sur les extravasa-tions, mais n'a-t-on jamais essayé d'agir sur les sécrétions ? Avez-vous pu par suggestion faire apparaître du sucre ou de l'albumine dans les urines d'un de vos patients ?

M. Bernheim. — Non , jamais que je sache. J'ai essayé d'agir chez des diabétiques, j'ai pu obtenir d'eux qu'ils urinent en moindre quantité, c'est de cette façon que la quantité de sucre a pu être diminuée. Mais, comme l'un de mes malades est mort sur ces entrefaites de coma diabétique, je me suis demandé si je n'avais pas, dans l'espèce, rendu a mon malade un mauvais service en entravant l'action d'un de ses émonctoires. et je n'ai plus renouvelé mon expérience.

On peut sans doute faire uriner plus ou moins, mais il est difficile d'influencer le mode qualitatif suivant lequel se fait la sécrétion.

M. Certes. — Cependant vous agissez par des médicaments placés a distance et vous créez des états pathologiques fictifs ; ne pouvez-vous, par exemple, en touchant, en influençant une région de l'écorce, de la moelle ou du bulbe, créer de même une lésion fictive de laquelle découlera soit la glycosurie, soit l'albuminurie ?

Vous agissez bien sur la sécrétion, ou mieux sur l'exsudation de la couche muqueuse de la peau, quand vous produisez la vésication par suggestion. C'est un phénomène qui, sans doute, n'est pas un phénomène analogue à un vrai phénomène sécrétoire, mais on peut du moins l'en rapprocher.

M. Berniikim. — On peut produire la vésication, comme on peut produire les érythèmes, les urticaires, etc. Mais il y a de la différence avec le véritable acte sécrétoire, trop compliqué, échappant à une action simplement inhibi-toire ou dynamogénique.

Un cas de la maladie des tics convulsifs, traité et amélioré

par la persuasion.

Par M. le Dr Burot, professeur à l'Ecole de médecine de Rochefort.

Depuis six mois, j'observe un cas véritablement typique d'une affection encore mal connue. On ne sait comment la dénommer; M. Charcot l'appelle la maladie des tics convulsifs, et M. Gilles de la Tourelle, une affection nerveuse caractérisée par l'incoordination motrice avec écholalie et coprolalie. Quelques cas paraissant se rapporter à cette singulière affection ont été décrits sous le nom de jumping en Amérique, de latah en Malaisie et de myriachit en Sibérie.

II s'agit d'une jeune fille de dix-neuf ans, déjà vue par M. Pitres et citée dans le mémoire de Gilles de la Tourette. Mlle X... est atteinte de secousses convulsives dans la face et dans les membres et ces secousses sont accompagnées de l'émission brusque de cris inarticulés et de mots obscènes et ordu-riers. Elle est pourtant très intelligente et appartient à une famille dans une position élevée.

C'est vers l'âge de six ans que la malade a commencé à présenter des mouvements dans les yeux et à loucher. Peu à peu les grimaces sont apparues, puis des mouvements dans la tête et dans le cou. C'était au début des mouvements d'avant en arriére et aussi des mouvements de latéralité avec projection de la langue au dehors, comme si elle se léchait l'épaule, puis sont survenus des mouvements dans les bras. Vers l'âge de douze ans, on a commencé à entendre des bruits gutturaux indistincts, ouh! ouah! A quatorze ans, elle s'est mise à preférer des mots obscènes qui, du reste, ont varié, mais le mot de Cambronne a toujours été dominant et le plus fréquent.

Le 11 mars 1887, sa famille me l'a amenée et depuis cette époque je ne cesse de I étudier, ce qui m'a permis de noter bien des points nouveaux. A son arrivée, elle a des mouvements incessants dans la tête, dans le cou et dans les bras. Elle pousse des cris qui s'entendent à une grande distance et son vocabulaire ordurier se compose de quatre mots principaux. On peut dire qu'il n'y a pas une seconde d'intervalle dans les mouvements et chacun d'eux est accompagné par l'explosion d'un bruit ou d'un mot plus ou moins nettement exprimé. Elle imite et répète la plupart des mots et des bruits qui la frappent; elle aboie quand elle entend aboyer ou même quand on parle d'un chien. Elle n'a pas besoin d'entendre les bruits pour les répéter, il suffit d'une certaine représentation mentale. Les gestes sont parfoi; imités. Elle a beaucoup de caprices et surtout de manies; tout se fait par habitude. Il est très difficile de la faire obéir la première fois, il fant la préparer longtemps à l'avance à ee que l'on veut, même pour les choses les plus simples. C'est une lutte des plus curieuses: elle veut bien faire ce qu'on lui demande, mais il semble qu'une force supérieure l'empêche d'obéir. Ainsi, non seulement elle dit et fait ce qu'elle ne veut pas, mais elle ne fait pas ce que raisonnablement elle devrait vouloir. Elle voit un chat qu'elle voudrait caresser, elle l'appelle, mais, dès qu'il s'approche, elle ne peut s'empêcher de le repousser.

Tous ces phénomènes se produisent sous forme d'impulsion irrésistible et en rapport avec une idée qui traverse le cerveau. Ce n'est pas de l'incoordination, car les mouvements voulus sont très précis; c'est plutôt une véritable impulsion.

L'hérédité et l'imitation paraissent être les deux principaux facteurs de cette névrose. On trouve en effet, chez ses ascendants, de nombreux cas de tics, surtout du côté paternel. L'esprit d'imitation est très développé et il n'est pas étonnant qu'elle ait cherché à imiter les tics qu'elle avait sous les yeux: il parait aussi qu'étant toute jeune, on s'amusait à lui faire faire des grimaces.

Si l'on cherche à se rendre compte de la nature de cette maladie, il est facile de remarquer une perte d'équilibre du système nerveux. Tout prouve que le système nerveux involontaire est excité outre mesure et très impressionnable ; il y a exagération de la vie réflexe cérébrale. D'autre part, le système nerveux volontaire est affaibli : il y a diminution de l'activité cérébrale volontaire. Le frein modérateur de la volonté n'existe plus, les réflexes sont augmentés et il peut se produire, à l'état ordinaire, comme une suggestion pathologique de tout

ce qui est vu ou entendu. Les impressions diverses se gravent profondément dans le cerveau, qui les rend telles quelles, en fidèle phonographe. C'est une impulsion imitative caractérisée par la répétition de bruits ou de mots, l'exécution d'actes de circonstance, avec conservation de l'intelligence, mais en dépit de ses, indications et contre la volonté même du sujet. C'est une manie impulsive,

On a porté sur cette maladie un jugement très sévère et certains auteurs l'ont même déclarée incurable. Il est vrai que les médicaments internes n'ont donné dans aucun cas un résultat quelconque. L'hydrothérapie et l'isolement ont semblé parfois produire une amélioration, mais, dans le cas présent, ces deux moyens n'ont nullement réussi. Cette malade est, en effet, restée plus d'une année a l'établissement de Longchamp, à Bordeaux, où elle a été soumise i toutes les pratiques de l'hydrothérapie seule ou combinée ù l'électricité; l'isolement existait, puisqu'elle était séparée de sa famille, et cependant l'état ne s'est pas amélioré.

Il m'a semblé que le traitement devait être dirigé d'après deux indications principales : amoindrir l'excitation réflexe et renforcer la volonté L'hypnotisme m'a paru le moyen le plus sûr pour arriver à ce résultat, mais il m'a été impossible de provoquer le sommeil hypnotique même le plus léger; malgré tous les moyens employés a diverses reprises, le sujet n'arrivait même pas à fermer les yeux. Je me suis adressé à des confrères expérimentés pour me venir en aide dans cette tentative d'hypnotisation; j'avais pris la précaution de prévenir que ces personnes avaient un très grand pouvoir et qu'avec elles il était impossible de ne pas dormir: en dépit de toutes ces précautions, le résultat a été nul.

Je me suis décidé a agir tout simplement par persuasion..Tous les jours je passais avec la malade le plus de temps possible, au moins une heure, en lui persuadant qu'elle serait calme et qu'elle aurait la volonté d'arrêter ses mouvements et ses paroles, qu'elle n'aurait plus ses impulsions et qu'elle ne serait plus obsédée par les mots orduriers ni par l'envie de répéter ce qu'elle entendait Pour mieux agir, je me plaçais a droite de la malade étendue sur une chaise longue, comme dans la position du sommeil; j'appliquais la paume de ma main gauche sur le front, le pouce et l'index venant comprimer légèrement et fermer les deux yeux, pendant que j'exécutais avec la main droite de douces frictions sur les membres. Soumise à cette influence, elle était beaucoup plus calme, les mouvements moins violents et les mots prononcés avec moins de force et de fréquence. Il me suffisait, par la suite, d'être en sa présence pour qu'elle ait l'idée de se retenir et de se dominer, sans effort, sans fatigue et sans la moindre anxiété respiratoire.

Grâce à cette persuasion continue, le plus souvent douce mais parfois violente, j'ai pris sur elle un grand ascendant qui m'a permis de combattre une à une toutes ses mauvaises habitudes. L'état s'est beaucoup amélioré; il existe bien encore une tendance à répéter et à dire des mots sales, mais ils sont dissimules, les mouvements dans les bras ont disparu et le caractère s'est considérablement modifié, elle obéit maintenant du premier coup et sait se dominer pour faire ce qu'elle veut. Mademoiselle X... vient de passer récemment quinze jours dans sa famille, où elle a été très calme, et toutes les personnes qui la connaissaient l'ont trouvée transformée.

C'est bien la méthode par persuasion qui a produit ce changement. Toutefois, pour calmer l'excitation nerveuse et rendre cette persuasion plus facile et plus

profitable, j'ai eu recours concurremment a divers moyens, tels que la pulvérisation d'éther sur la tête, les bains chauds prolongés et les laxatifs.

J'ai tout lieu d'espérer un résultat complet, parce que je vois la malade marcher vers la guérison d'une façon méthodique, régulière et progressive, et surtout parce que je sens que je domine complètement la malade, qui, du reste, veut guérir et a la confiance de guérir.

Plusieurs conclusions importantes peuvent être déduites de cette observation :

1° La maladie des tics convulsifs est le résultat d'un débordement cérébral particulier.

2° C'est une affection de nature psychique qui relève presque exclusivement du traitement moral.

3° C'est un véritable dressage du cerveau à opérer par une éducation spéciale et un entraînement cérébral.

4° La persuasion, qui n'est autre que la suggestion sans sommeil, est un agent thérapeutique important, si elle est méthodisée.

5° Elle agit en décuplant en quelque sorte la volonté du sujet, qui peut arriver peu a peu à modérer et à dominer ses impulsions.

Les courants de la polarité dans l'aimant et dans le corps humain,

Par m. le Dr chazarain et m. ch. Dècle.

Sous ce titre. M. le docteur Chazarain et M. Ch. Dècle (de Paris) ont fait une communication qui ne tend à rien moins, d'après ces auteurs, qu'à donner à l'électricité médicale une base absolument scientifique, seul moyen, disent-ils, d'en faire, avec la suggestion hypnotique, le plus puissant modificateur à employer dans les maladies nerveuses et mentales qui, sous les noms de névralgie, de migraine, d'épilepsie, d'hystérie, de chorée. de vésanies, etc., font le désespoir des familles et du médecin.

Les auteurs de la communication partent de ce fait qu'un même pôle d'ai-mant. un même pôle de la pile, un même métal appliqué perpendiculairement à l'axe du corps sur un même côté du buste ou des membres d'un sensitif hypnotisable. n'y produit pas les mêmes changements que du coté opposé là où il anesthésie ou contracture, l'autre pôle de l'aimant, l'autre pôle de la pile, un autre métal de polarité différente provoque le retour de la sensibilité ou la décontracture.

Ils ont ainsi reconnu que Je pôle positif de la pile, le pôle positif ou N de l'aimant, un métal positif (cuivre, argent, or, etc.), contracture le côté externe des membres et le côté gauche du buste, et esthésie ou décontracture le côté opposé: que le pôle négatif de la pile, le pôle négatif ou S de l'aimant, un métal négatif (zinc, étain, nickel, etc.), anesthésie ou contracture le côté droit du buste et le côté interne des membres, et esthésie ou décontracture le côté opposé.

Et, de même qu'on nomme pôle positif d'un aimant le pôle qui est repoussé par le pôle positif d'un autre aimant, et pôle négatif celui qui repousse on autre pôle négatif, ils ont appelé positifs le côté gauche du buste et le côté externe des membres contractures par le pôle positif soit de l'aimant, soit de

la pile, et négatifs le côté droit du buste et le côté interne des membres, contractures par le pôle négatif soit de la pile, soit de l'aimant.

Ils ont remarqué qu'une région positive était contracturée par une région positive, et decontracturée par une région négative et réciproquement.

Ils nomment application isonome l'application soit d'un pôle positif sur une région positive, soit celle d'un pôle négatif sur une région négative ; ils ont appelé application hétéronome l'application d'un pôle positif sur une région négative, ou celle d'un pôle négatif sur une région positive.

Tous les corps, disent les auteurs, peuvent produire sur les sensitifs, mais à des degrés variables, les mêmes changements d'état dynamique que déter-minent les pôles de la pile, de l'aimant, des membres humains ; les uns agissent . comme le pôle positif et ont un rayonnement positif; les autres, comme le pôle négatif, et ont un rayonnement négatif.

Les êtres vivants, l'homme, les animaux et les végétaux possèdent les deux modes du rayonnement électrique: ils sont positifs par certains points de leur surface (nous l'avons déjà dit pour l'homme) et négatifs par d'autres. Les animaux, comme 1 homme, sont positifs sur la moitié gauche du buste et sur le côté externe des membres; ils sont négatifs sur la moitié droite du buste et sur le côté interne des membres. Il n'y a d'exception que pour les gauchers, cher qui les pôles sont intervertis.

Les végétaux sont positifs par leur sommet et négatifs par le côté de leur racine. Les minéraux a l'état amorphe n'ont qu'une polarité, mais les métaux sous forme allongée (bracelet ouvert) deviennent bi-polaires. Les acides sont positifs et les oxydes négatifs. La lumière elle-même est polarisée : les rayons rouges sont positifs et les rayons bleus négatifs.

Les applications isonomes sont non seulement contracturantes. mais encore hypnogènes, quand elles sont faites sur la tête. C'est même parce qu'elles sont contracturantes qu'elles produisent le sommeil nerveux (car tout ce qui contracture endort) ; elles le font en provoquant la contraction tétanique des artères de la couche corticale du cerveau, d'où résulte l'anémie qui est la condition nécessaire du sommeil nerveux. Par opposition, les applications hétéronomes.. qui sont décontracturantes réveillent. Mais ce ne sont pas là les seules propriétés des actions polaires. Les applications isonomes produisent en outre l'anesthésie, l'anémie locale, le transfert des contractures et des anesthésies, la répulsion et la diminution de la force musculaire ; les applications hétéronomes ramènent la sensibilité, transfèrent les hyperesthésies, attirent, suggestionnent, augmentent la force musculaire, pourvu qu'elles ne soient pas trop longtemps continuées ; elles sont, dans ce cas, équilibrantes et reconstituantes.

L'augmentation de la force musculaire déterminée par les applications hétéronomes et la diminution de cette force par les applications isonomes se produisent chez les non-sensitifs comme chez les sensitifs, mais en un temps plus long pour les premiers. Le dynamomètre indique en effet presque toujours une pression plus grande après les premières et moins grande après les secondes.

Enfin, les unes et les autres créent une barrière infranchissable à la suggestion, chose importante, en présence de l'abus qu'on pourrait faire de ce puissant moyen thérapeutique. Toute suggestion d'anesthésie ou de contracture est en effet empêchée par une action hétéronome ; toute suggestion de contracture ou d'hyperesthésie est empêchée par une action isonome.

La suggestion à realisation post-hypnotique d'une hallucination, d'un acte quelconque, reste sans effet, si le sujet est soumis à une action hétéronome ou à toute autre action décontracturante au moment fixé pour ion développement, et cela, parce que le sujet suggestionné ne peut, dons ce moment, par le fait de l'application hétéronome, tomber en é:at de somnambulisme yeux ouverts, qui est la condition nécessaire à la production du phénomène.

Tels sont les principaux phénomènes que provoquent les actions polaires dans les applications perpendiculaires. Dans ces applications, la position des pôles est capitale, i ce point que les actions isonomes sont toujours contrac-turaates et les applications hétéronomes toujours décontracturantes.

Mais il n'en est plus de même lorsque l' application est longitudinale. Dans * ce cas, l'aimant en fer à cheval et la main de l'expérimentateur appliqués sur le buste ou sur un membre du sujet ne contractures en position isonome que lorsque les extrémités de l'aimant ou le bout des doigts regardent en haut (le sujet étant suppose dans la position verticale et les bias pendants) et décontracturent quand ils sont tournés en bas. D'où vient cette différence d'action ? C'est la question que les auteurs se sont posée et dont ils croient avoir trouvé la solution. Us avaient, en effet, remarqué que l'application longitudinale du courant de la pile traversant une tige de laiton recourbée en fer à cheval placée sur le sujet en position isonome des pôles (fig. 1 et 4) donnait les mêmes effets que l'application longitudinale d'un aimant de même forme, de même position des pôles (fig. 2 et 5), c'est-à-dire que le même courant, qui contracturait quand les extrémités de la tige recourbée regardaient en haut (fig. 1), décontracturait quand elles regardaient en bas (fig. 4); or, dans la seconde position (fig. 4). le courant avait une direction inverse de celle de la première (fig. 1) et ils en avaient conclu que l'aimant devait avoir un courant analogue à celui de la pile et que c'était la différence de direction de ce courant, dans les deux positions isonomes décrites plus haut, qui produisait la différence des phénomènes provoqués. Ét, comme le courant de la pile va du pôle positif au pôle négatif, le courant de l'aimant devait marcher du N ou + au pôle S ou -. C'est en effet ce qui a été reconnu par des milliers d'expériences, disent MM. Chazarain et Dècle. qui en ont répété un grand nombre sur un sujet devant les membres du Congrès.

Mais les membres et le buste de l'homme se comportent comme des aimants à l'égard des sensitifs. Donc ils sont, comme l'aimant, traversés par un courant se dirigeant de leur pôle positif vers leur pôle négatif, c'est-à-dire ascendant sur le côté gauche du buste et le côté externe des membres et descendant sur le côté droit du buste et sur le côté interne des membres (fig. 3 et 6).

Quand les courants employés sont de sens inverse de celui du buste ou da membre sur lequel ils sont appliqués, ils anesthésient ou contractures et. s'ils sont portés sur la tête (fig. 1, a, 3), ils endorment; s'ils sont de même sens que celui du sujet (fig. 4, 5, 6), ils décontracturent ou ils esthésient et. s'ils sont portés sur la tête. ils réveillent (1).

(i) Les phases du sommeil « produisent dans l'ordre suivant : cataleptie, som-nambulisme. léthargie, comme cela arrive quand la sommeil est provoqué par les actions polaires. Dans la position hétéronome des pôles, le courant de sens inverse (fig. 7, ft et 9) endort parfois, mais c'est exceptionnel ; le courant de même sens (fig. 10, 11, 12) réveille toujours.

Voilà l'explication des différences d'opinion manifestées par des observateurs d'égal mérite sur la valeur thérapeutique du courant continu, suivant que sa direction est ascendante ou descendante. Elle montre pourquoi le courant continu a été considéré tantôt comme excitant, tantôt comme résolutif, soit en direction descendante, soit en direction ascendante. 11 est en effet tantôt excitant, tantôt résolutif, mais on saura désormais : 1° qu'il provoque la contracture en direction descendante quand il est appliqué sur le côté externe des membres et sur le côté gauche du buste, et en direction ascendante sur le côté interne des membres et sur le côté droit du buste, parce qu'il est de sens inverse de celui du sujet : 2° qu'il est résolutif des contractures et des états de même nature en direction ascendante sur le côté externe des membres et sur le côté gauche du buste, en direction descendante sur le côté interne des membres et sur le côté droit du buste, parce qu'il est de même sens que celui du sujet.

Il résulte du travail de MM. Chazarain et Dècle que les applications d'actions polaires isonomes et celles de courant de sens inverse en isonome sont contractantes; que les applications d'actions hétéronomes et celles de courant de même sens sont résolutives des contractures. Or les actions contrac-turantes augmentent d'abord la contraction musculaire, puis déterminent l'état tétanique des fibres lisses des artères et ainsi anesihésient et anémient les tissus, en diminuant le calibre des vaisseaux sanguins et, par suite, l'afflux du sang, tandis que les actions décontracturantes rétablissent d'abord l'état physiologique quand elles sont appliquées a la suite de contractures ou d'anesthésie. puis, si elles sont trop longtemps continuées, font tomber la contractilité musculaire au-dessous de la normale, augmentent le calibre des vaisseaux artériels, rendant ainsi la circulation plus active, la pression intra-vasculaire plus grande, la température plus élevée, d'où résulte la congestion et rhyperesthésie. Par conséquent, les applications perpendiculaires d'actions polaires et les applications, en position isonome des pôles, de courant de sens inverse du courant organique seront employées dans toutes les maladies des systèmes nerveux et musculaire caractérisées par la congestion, l'hyperesthésie, l'excès d'extensibilité de la fibre musculaire; les applications polaires hétéronomes et celles de courant de même sens en position isonome ou en hétéro-nome des pôles seront employées dans les manifestations morbides caractérisées pnr l'état spasmodique à tous les degrés, la contracture, l'anesthésic et l'omyosthénie qui en est la conséquence.

On doit considérer comme appartenant à la classe des affections spasmodiques la plupart des névralgies, le somnambulisme et certaines folies liées a une ischémie ou a l'anémie cérébrale sans lésion organique. L'analogie qui existe entre l'état d'individus réalisant une suggestion et celui de certains fous permet de dire qu'il y a des folies qui ne sont qu'une forme de somnambulisme yeux ouverts. Ce qui le prouve, c'est que des personnes mises par des passes en état somnambulique et imparfaitement réveillées ensuite par l'ignorance, la maladresse ou l'intention coupable de l'opérateur, ont conservé après coup, et cela pendant un temps plus ou moins long, des troubles dans leurs facultés intellectuelles et affectives. Le docteur P. Despine en rapporte on cas célèbre (celui de Castellane) dont les tribunaux se sont occupés (1) et le docteur Chazarain en connait un autre de date récente dans lequel l'opérateur (un étudiant en médecine) n'a péché que par ignorance.

(1) P. Despine. Étude scientifique sur le somnambulisme, 1880, p. 201.

PLANCHE I

APPLICATIONS SEMBLABLES DU COURANT DE LA PILE, DE L'AIMANT ET DES MEMBRES. PRODUISANT DES EFFETS SEMBLABLES

EN POSITION ISONOME Sur la tête

(Fig.1) (Fig. 2) (Fig 3).

Le courant de direction inverse du courant du sujet. ENDORT

[Fig.4) (Fig. 5) (Fig. 6

Le courant de même sens

réveille

PLANCHE II

applications semblables du courant de la pile, de l'aimait et des

membres produisant des effets semblables EN POSITION HÉTÉRONOME

Sur la tête

(Fig.7) (Fig. 8) (Fig. 9)

Le courent de direction inverse du courant du sujet. endort parfois

(Fig- 10) (Fig. 11) (Fig. 12)

Le courant de même sens. réveille

Pour toutes ces raisons, MM. Chazarain et Dècle conseillent l'emploi du courant continu de même sens et les actions polaires hétéronomes dans le traitement des névralgies, de la migraine, de l'hystérie, de l'épilepsie, de la chorce, du somnambulisme, des vésanies, etc., à la fois comme moyen curatil des manifestations spasmodiques, c'est-a-dire les plus communes de ces affections, et comme modificateur de l'état général. Ils repoussent, pour ces cas, d'accord en cela avec le docteur Rokwell de New-York, les courants induits qui. par la vive excitation de la sensibilité qu'ils déterminent, augmentent le plus souvent les spasmes, quelle que soit la direction du courant, et peuvent provoquer des crises convulsives-

Vingt-sept observations cliniques, qui sont autant de guérisons (de névralgie sciatique, de névralgie faciale, de migraine, de contracture rhumatismale, de manifestations hystériques diverses, de folie, etc.), terminent cette importante communication de MM. Chazarain et Dècle et semblent confirmer les lois que ces auteurs ont déduites de leurs expériences.

L'exposé théorique de leur découverte a été donné en deux séances, suivies chacune d'une démonstration expérimentale faite sur un sujet hypnotisé, Mme F... Dans celle du matin, il n'a été question que des actions polaires proprement dites, fournies par la pile, l'aimant, les membres humains et les métaux; dans celle du soir, que des courants de Ja polarité. Toutes les expériences ont parfaitement réussi et semblé prouver que sur le sujet présent, le sommeil, de même que l'anesthésie et la contracture, était bien provoqué par les actions polaires isonomes et par les courants de sens inverse de celui du sujet; que le réveil, de même que l'esthésie, l'hyperesthésie, la décontracture, la résolution musculaire, était sous la dépendance des actions hétéronomes et des courants de même sens (courants de la pile, de l'aimant, des membres humains, courant engendré par l'application longitudinale de deux métaux de polarité différente).

Les auteurs ont provoqué des transferts d'anesthésie ou de contracture, en se servant soit des actions polaires, soit des courants. Avec les actions isonomes et les courants de sens inverse, appliqués sur la région symétrique de celle où Us avaient d'abord produit l'anesthésie ou la contracture, ils ont transféré ces troubles dynamiques, tandis que les actions polaires hétéronomes et les courants de même sens appliqués dans les mêmes conditions, c'est-à-dire sur la région symétrique, leur ont toujours servi â obtenir le transfert aussitôt suivi de résolution bilatérale.

La séance du soir s'est terminée par une série de suggestions post-hypno-tiques. Une suggestion d'achromatopsie a pu être détruite par une action de l'aimant appliqué, sans contact, en hétéronome et être rétablie par une application isonome.

Le sujet avait été averti qu'elle serait incapable de distinguer la couleur jaune. En conséquence, après son réveil, plusieurs feuilles de papier diversement colorées ayant été placées sous ses yeux, on l'a priée de nommer la couleur de chaque feuille. Elle indiquait très exactement les feuilles noires, blanches, rouges, bleues, etc., mais le jaune n'existait pas pour elle, elle passait la feuille de cette couleur sans la voir, sans la nommer. Or, pendant qu'elle se livrait à cet exercice, on a approché, à son insu, un aimant en fer à cheval à quelques centimètres de sa nuque, en position nétéronome (N à droite, S à gauche), pendant quelques secondes et aussitôt après elle voyait parfaitement le jaune. La position de l'aimant ayant été renversée (N à gauche, S à

droite, c'est-à-dire transformée en isonome, la cécité pour le jaune reparaissait. Cette cécité suggérée a été détruite également par la fixation d'un papier rouge (+) avec l'oeil droit (-) (action hétéronome) et ramenée par la fixation du même papier à l'aide de l'oeil gauche (+) (action isonome). Le papier bleu (-), au contraire, ramenait la vision normale par la fixation avec l'oeil gauche (+) et l'achromatopsie par la fixation avec l'œil droit (-).

Enfin, le sujet ayant été endormi de nouveau, a été réveillé après avoir reçu la suggestion de la vue d'une personne absente, Mme D..., qu'elle devait voir assise auprès d'elle au moment de son réveil. Elle l'a vue, en effet, et s'est entretenue avec elle. Mais l'approche de la main en hétéronome vers la nuque a supprimé la vision, arrêté la conversation et rendu le sujet à son état normal.

Observations d'onanisme guéries par la suggestion hypnotique,

Par M. le Dr Auguste Voisin, médecin de la Salpétrière.

Il n'est pas de vice plus désespérant que l'onanisme, et dont les conséquences soient aussi graves chez les enfants et chez les adolescents, on peut dire que le plus fréquemment il est incurable. Il résiste i toutes les médications, à tous les moyens conventifs et même coercitifs.

Il n'est pas de médecin que cette résistance n'ait navré. Je me suis demandé si la suggestion hypnotique ne me permettrait pas de combattre ce vice désastreux ; les résultats que j'avais obtenus par la thérapeutique suggestive, pour la moralisation des vicieux et pour la guérison de la morphino-manie et de la dipsomanie, m'ont engagé à le tenter; j'ai été assez heureux pour réussir.

Voici deux observations à l'appui :

I

Habitudes invétérées d'onanisme traitées et guéries par la suggestion

hypnotique.

Marie Chen..., âgée de neuf ans et demi, a été amenée à la consultation externe de M. Aug. Voisin, à la Salpêtriére, le 25 juillet 1887. pour être traitée d'habitudes d'onanisme. Il résulte des renseignements qui nous ont été fournis par les parents de cette enfant que dans ses antécédents héréditaires il n'y a aucune maladie nerveuse ou mentale. Marie est née à terme. Elle a été élevée au sein par une nourrice jusqu'à onze mois. Elle a marché à quatorze mois, a parlé vers l'âge de deux ans. La dentition a commencé à cinq mois et n'a jamais été accompagnée de convulsions. A trois ans, fluxion de poitrine et. an an après, gourme. Jusqu'à l'âge de sept ans, cette enfant est restée à la campagne chez sa tante, et c'est là, au milieu d'enfants de paysans, qu'elle aurait contracté, au dire de la mère, sa mauvaise habitude. A sept ans, elle arrive à Paris. On l'envoie à l'école, où elle n'apprend presque rien : elle passe pour être intelligente, bien qu'excessivement paresseuse. A huit ans et demi, elle tombe malade d'une fièvre typhoïde compliquée de fluxion de poitrine. Rentrée à l'école, on la surprend très souvent se livrant à l'onanisme; aussi la renvoie-t-on à ses parents.

A noire examen, nous avons constaté que l'enfant est pâle et maigre.

Son crâne est ovoïde, les bosses pariétales, frontales et occipitales sont symétriques et normalement développées. Le front est large et élevé: la face est arrondie et symétrique. Le nez est moyen, la bouche petite, les lèvres minces. La voûte palatine est symétrique, moyennement excavée. Les oreilles sont bien faites.

Pas de goitre ni de pléiades ganglionnaires. Le thorax est bien conformé, symétrique. Au dos, aux lombes, au rachis nous ne trouvons rien d'anormal. Les membres supérieurs et les membres inférieurs sont bien conformés.

La sensibilité générale est très bien conservée. Pas de douleur provoquée dans les régions bregmatiques, sous et sus-mammaires, spinale, iliaque, etc. De même, les différents sens, la vue, l'ouïe, l'olfaction et le goût, que nous avons successivement examinés, ne nous ont révélé aucune anomalie.

Les organes génitaux sont à l'état normal. Rien du côté des grands appareils splanchniques.

La mère nous dit qu'elle surprend l'enfant aussi bien dans la journée que dans la nuit à pratiquer l'onanisme : tantôt elle porte les mains sur ses parties génitales, tantôt elle se frotte contre le coin d'une chaise, tantôt, enfin, elle applique une cuisse contre l'autre... Ses yeux sont alors hagards et les traits de son visage se décomposent. De plus, l'entant est très irritable, méchante, ayant même quelques tendances au vol...

s5 juillet. En la faisant fixer notre doigt, nous l'endermons très facilement au bout de deux a trois minutes. Nous constatons ensuite qu'elle est sugges-tible. car elle ne se réveille que conformément à notre suggestion. Cette fois, aucune suggestion relative à l'onanisme ne lui a été donnée.

28 juillet. Nous l'hypnotisons avec la même facilité en la fixant avec notre regard. Nous lui donnons alors la suggestion suivante :

« Jamais tu ne toucheras tes « parties » avec les doigts, ni avec quoi que ce » soit : tu n'auras jamais l'envie de te frotter contre le coin d'une chaise et » jamais tu n'appliqueras tes cuisses l'une contre l'autre. »

Pendant son sommeil, nous lut demandons à plusieurs reprises si elle nous entend bien. Elle fait des signes affirmatifs avec la tête. Nous obtenons d'elle, de même, la promesse d'exécuter tout ce que nous lui recommandons.

1er août. La mère nous dit qu'elle n'a pas surpris, pendant le jour, son enfant se livrant à ses pratiques habituelles depuis la dernière visite. Elle ajoute qu'elle n'est pas bien sûre pour la nuit. Nous lui recommandons alors de la surveiller pendant les nuits qui suivent.

Nous l'endormons et nous répétons la même suggestion.

La mère nous amène son enfant pour être hypnotisée et suggestionnée par nous )e 4, le 8 et le 15 août.

A chaque visite, elle nous affirmé qu'a aucun moment de la journée ou de la nuit elle n'a vu Marie revenir à ses habitudes favorites.

II

Onanisme invétéré depuis l'âge de 2 ans. — Habitudes de mensonge. — Traite-ment par la suggestion hypnotique. — Guérison.

Mlle X... âgée de onze ans, m'est amenée par sa mère en décembre 1886 pour que je la traite d'un onanisme effréné, que j'arrive a ce qu'elle ne mente plus et que son caractère soit doux. Sa mère me dit qu'elle se livre a l'ona-

nisme depuis l'âge de deux ans, qu'on ne peut la laisser seule un instant, qu'il est indispensable de lui attacher les mains la nuit, et qu'elle a pris depuis deux ans à peu près l'habitude d'embrasser son pire sur la bouche en mettant la main sur ses parties.

Celte enfant est très forte pour son âge, elle paraît avoir quinze ans ; ses membres, son ventre présentent un grand embonpoint.

Le mensonge est entré dans ses habitudes d'esprit, elle ne dit pas un mot de vérité et à propos de tout.

Il lui est impossible, en outre, de rester seule dans une chambre, elle ne veut pas que sa mère la quitte.

Les moyens que l'on emploie ordinairement ne réussissant pas, je propose à la mère d'essayer le traitement par l'hypnotisme et par la suggestion hypnotique. Elle accepte.

Le 24 décembre 1886, j'essaye d'abord l'action de l'hynoscope: elle est nulle.

Je suis arrivé pourtant, dès la première séance, à produire l'hypnotisme au moyen de la lampe au magnésium et a obtenir après une demi-heure le réveil par suggestion (toucher de l'oreille gauche avec ma main).

15 janvier 1887.— L'enfant m'est ramenée.

Deuxième séance d'hypnotisme : le résultat obtenu a toujours été un état mixte léthargo-somnambulique avec souvenir au réveil de ce qui lui a été recommandé; il lui est impossible, pendant cet état, de soulever les paupières,dc remuer les membres ; ses joues deviennent pourpres, la respiration est oppressée, l'inspiration est forte; il se produit le plus fréquemment un peu d'urination involontaire (parfois j'ai observé des secousses fines des quatre membres). Il existe de l'analgésie et de la flaccidité des membres. Mes suggestions ont, dès cette séance, porté sur la cessation de l'onanisme et du mensonge et elles ont provoqué un grand nombre de fois des gestes, une mimique qui exprimaient le mécontentement et la volonté de ne pas obéir. L'enfant, en effet, a continué à se livrer au même vice.

Cependant, le 20 février, après quatre séances, sa mère m'annonce que sa fille ne s'est touchée que deux fois depuis une semaine.

Le traitement a été répété tous les quinze jours et. le 2 juin, la mère a pu me dire que l'onanisme a tout à fait cessé, ainsi que le mensonge.

L'enfant a encore peur de rester seule.

Le traitement continue tous les quinze jours suivant la même méthode.

5 août 1887.— La guérison est complète. La lenteur des résultats m'a paru tenir à ce que l'enfant n'était pas plongée dans le sommeil léthargique complet et qu'elle se souvenait au réveil de ce qui lui avait été suggéré pendant cet état mixte.

II faut, en effet, pour que la réussite ait lieu et surtout pour qu'elle se fasse rapidement, que le médecin obtienne la concentration absolue de la pensée du malade sur l'idée qu'il lui suggère.

En résume, il m'a paru intéressant de présenter à l'Association cette nouvelle preuve de l'influence de la suggestion hypnotique sur un état aussi désespérant que l'onanisme.

SECTION D'HYGIÈNE ET DE MEDECINE PUBLIQUE

Dans la première séance, M. le professeur Layet. président désigné de la section pour l'année l887, s'etant excuse par lettre de ne pouvoir assister au Congrès, la section procède a la nomination de son nouveau président et de son bureau.

M. Rochard, président de l'Association, est nommé président d'honneur de la section, â l'unanimité. L'élection donne les résultats suivants:

Président : M. Henrot (de Reims).

Vice-Présidents : MM. Drouineau (de la Rochelle) et Alix (de Toulouse). Secrétaire: M. Berillon (de Paris).

( De l'auto-suggestion en médecine légale.

Par M. le Dr Burot, professeur à l'Ecole de médecine de Rochefort.

Beaucoup d'esprits s'inquiètent du danger social de l'hypnotisme ; on va môme jusqu'à oublier que chaque médaille a son revers ; on ne veut voir que les inconvénients, sans considérer les avantages. 11 faut bien dire que le côté médico-légal n'est pas encore suffisamment exploré : malgré l'autorité des auteurs qui ont émis leur avis sur l'hypnotisme au point de vue médico-légal, la question n'est pas encore tranchée. Pour certains auteurs, toute personne mise en état de somnambulisme devient, entre les mains de l'expérimentateur, un véritable automate, tant sous rapport moral que sous le rapport physique. Pour d'autres, l'idée suggérée n'a rien de spécial ni de particulier; rien ne différencie cette pensée des autres pensées qui assaillent son esprit à chaque instant, rien ne vient l'avertir de l'origine étrangère de cette idée. M. le docteur Brulard, inspiré par le professeur Bernheim, ajoute quelques remarques de la plus haute portée : « Peut-être cette pensée suggérée est-elle plus forte que les autres ; mais enfin, en présence d'une idée, d'un acte à exécuter, le sujet se trouve dans les mêmes conditions morales qu'en présence des autres pensées journalières, et, si l'idée est en contradiction trop évidente avec ses principes, avec ses habitudes, il reste libre de l'exécuter ou de passer outre: seule l'idée est suggérée, mais la réalisation de cette idée dépend tout entière de la volonté du sujet. Si celui-ci est habituellement d'une volonté faible, ne résistant pas a ses propres impulsions, il est clair qu'il ne résistera pas davantage à l'impulsion d'autrui; mais si, au contraire, c'est un individu à volonté forte, habitué à se dominer et à n'agir qu'avec le contrôle sévère de sa raison, il examinera l'idée suggérée, il la jugera au même titre que les autres, et ne l'exécutera que s'il le juge convenable. »

On le voit, l'hypnotisé, en présence d'une idée suggérée, peut être encore en possession de tous ses moyens d'action, de contrôle du raisonnement.

Il est beaucoup de conditions qui empêchent la réalisation d'un acte suggéré. Le somnambule n'est pas toujours une machine, un automate- Si, pendant le sommeil hypnotique, la volonté est réduite au minimum, il peut arriver cependant que l'hypnotisé raisonne, qu'il refuse d'obéir, qu'il a encore une volonté, une initiative personnelle, une résistance que, malgré tous les moyens employés, on ne peut arriver à vaincre.

On peut supposer le cas où le somnambule n'a pu se soustraire â l'impulsion que lui a donnée l'hypnotiseur ; il a été poussé par lui comme par une force irrésistible, par la fatalité. Et alors, comme la défense aura été faite de se souvenir et des circonstances du crime et du nom même du complice, la

justice peut se trouver en face du problème le plus inextricable qu'on puisse imaginer. Si le médecin légiste suppose que l'accusé est un somnambule susceptible d'avoir subi une suggestion, il l'endort et lut demande les détails du fait, mais la défense faite de se souvenir empêche toute révélation. Le sujet endormi est assailli par la pensée qu'il ne doit pas se souvenir, et on échoue le plus souvent.

Il résulte d'expériences nombreuses que j'ai entreprises depuis plusieurs mois, qu'il existe un moyen de découvrir le secret. Si, au lieu d'endormir le sujet et de lui demander ce qui s'est passé, on lui apprend à s'endormir lui-même dans le but de retrouver tous ses souvenirs, il arrive que la mémoire s'ouvre et que le patient parle parce qu'il se rappelle.

Voici une expérience, entre plusieurs autres, qui va donner une notion de ce qui »e passe.

Le sieur Auch..., ouvrier à l'arsenal, a été endormi plusieurs fois dans le but de le guérir dune névralgie faciale qui avait résisté à toutes les médications. Pour provoquer le sommeil, j'appliquai la main droite sur le front et je fais In suggestion du dormir. La névralgie céda rapidement. Toutefois, de temps â autre, des douleurs survenaient et le sujet, habitué à être soulagé instantanément par le sommeil, était impatient de me voir arriver. Pour parer à cet inconvénient, j'eus l'idée, comme je l'avais déjà fait dans un autre cas, de lui apprendre a s'endormir lui-même ; je lui fis le commandement suivant : « Quand vous souffrirez, vous vous endormirez vous-même pour vous soulager. Vous appliquerez la main droite sur le front avec l'idée de dormir. Dès que vous serez endormi, votre main se détachera du front et tombera naturellement le long du corps. Vous dormirez le temps que vous aurez fixé a l'avance et vous serez soulagé. »

En effet, le sommeil fut facilement provoqué et le malade se soulageait lui-même.

Je pensai à utiliser l'auto-suggestion en médecine légale, et les résultats obtenus dépassèrent mes prévisions.

Le même sujet endormi, on lui suggéra la pensée de commettre un vol, ce qu'il fit ponctuellement. La défense ayant été faite de se rappeler quoi que ce soit, l'oubli au réveil tut complet et, même l'ayant endormi pour lui arracher un aveu, on ne put rien en obtenir.

Je fis alors l'expérience suivante; je lui dis : « Endormez-vous vous-même pour vous rappeler toutes les circonstances du vol qui vous est reproché. »

Auch... s'endort en appliquant sa main droite sur son front; au bout de quelques instants, sa main se détache et retombe naturellement. Le sujet don profondément; le sommeil dure deux minutes, comme il l'avait décidé lui-même avant de s'endormir; il se réveille spontanément et nous dit :

« Un monsieur qui m'a dit s'appeler Durand m'a ordonné de prendre cette montre sur le bureau, de la mettre dans ma poche ; il a ajouté que personne ne me verrait et m'a défendu de me rappeler ce que j'aurai fait. »

Le sujet donne le signalement exact de ce monsieur Durand qu'il ne connaissait pas : il rétablit la scène telle qu'elle s'était passée, sans rien omettre.

Il reconnaît celui qui lui avait donné l'ordre d'agir, parmi un certain nombre de personnes, et il affirme sans la moindre hésitation et avec une grande assurance que tout ce qu'il dit est bien la vérité. 11 sait qu'on lui a défendu de parler, mais il parle parce qu'il se rappelle.

Des expériences identiques ont été faites sur plusieurs sujets en présence

des témoins compétents, en prenant toutes les précautions pour éviter les causes d'erreur, et toujours les résultats ont été identiques.

La conclusion qui semble se dégager, c'est que l'auto-suggestion permet au sujet de se rappeler toutes les circonstances d'un crime, malgré la défense qui lui a été donnée de se rappeler. L'auto-suggestion réveille les souvenirs effacés et est un correctif au danger de l'hypnotisme.

DISCUSSION

M.Bérillon.— Il est regrettable que M. le professeur Layet, qui devait traiter dans cette section la question des dangers sociaux de l'hypnotisme, en ait été empêché par la maladie. Le débat eût pu, en présence des conclusions appor-tées par ce maitre éminent, prendre une ampleur plus considérable.

Les dangers de l'hypnotisme existent dans une certaine mesure. Il serait puéril de le nier. Mais ils ne sont pas plus considérables que ceux qui résultent de l'emploi des substances médicamenteuses toxiques. On peut faire de l'hypnotisme, comme de tout ce qui existe, un bon ou un mauvais usage.

Les médecins qui se servent de l'hypnotisme comme d'un moyen thérapeutique pour le traitement de certaines névroses et d'habitudes morbides invétérées, en font un usage qui ne saurait être blâmé, à moins qu'ils ne l'emploient sans avoir la compétence voulue. Au contraire, lorsqu'on se livre à des expériences d'hypnotisme dans le seul but de satisfaire la curiosité publique, on commet un acte répréhensible.

Les dangers de l'hypnotisme sont surtout exagérés par ceux qui n'ont pas une connaissance approfondie de cette science. Le viol, presque impossible à accomplir à l'état normal, comme l'a maintes fois démontré M. le professeur Brouardel, le devient tout à fait dans l'état d'hypnotisme. On sait. en effet, combien il est facile de réveiller un hypnotisé, puisque le plus souvent il suffit, pour cela, de lui souffler sur les yeux.

Un meurtre est aussi fort difficile à suggérer en raison des circonstances compliquées dont il s'accompagnera presque forcément. Par la suggestion hypnotique, on n'obtient guère que la réalisation d'actes assez simples. Toute complication jette le trouble dans l'exécution de l'acte suggéré.

Dans tous les cas, on aurait dans l'hypnotisable le plus mauvais des complices, car un individu suggestible accepte aussi facilement les suggestions d'un hypnotiseur que celles d'un autre et il sera toujours possible de reconstituer les circonstances dans lesquelles l'inculpé aura été amené a commettre un crime ou un délit.

Ce que l'on peut surtout redouter en laissant au premier venu le droit de se livrer i des pratiques d'hypnotisme, c'est que certains individus malhonnêtes ne soient tentés de se servir de la suggestion hypnotique pour réaliser quel-ques formes de l'escroquerie signature de billets, déclarations fausses, etc.). M. le professeur Bernhcim a récemment démontré d'une façon saisissante que l'on pouvait aussi très facilement suggérer, aussi bien dans l'état d'hypnotisme que dans l'état de veille, l'idée d'un taux témoignage.

Le jour où la pratique de l'hypnotisme ne sera plus permise qu'aux médecins ou aux personnes qui offrent des garanties morales suffisantes, tous ces dangers disparaîtront.

M. Drouineau (de la Rochelle). — Je ne crois pas que les questions d'hypnotisme doivent occuper longuement la section d'hygiène. Ce sont des questions qui passionnent trop l'opinion publique et qui ne sont pas sans

danger. Il ne faut pas permettre à des faiseurs de venir étaler sur les théâtres leurs représentations; il peut en résulter des inconvénients sérieux. Il serait facile de signaler un certain nombre d'accidents survenus dans plusieurs villes après les passages de magnétiseurs de profession. Ces individus, pour arriver à attirer le public à leurs séances, ne reculent devant aucun moyen. Ils exciuent fréquemment de titres auxquels ils n'ont aucun droit et en particulier de celui de médecin. Il est temps de sévir contre cette industrie immorale.

Récemment, un individu qui acceptait de se soumettre à des expériences d'hypnotisme a mystifié un certain nombre de médecins et de professeurs de Bordeaux. Ces faits sont regrettables, car ils inspirent des doutes à l'égard des expériences sérieuses.

M. Burot.—Je suis vraiment étonné que M. Drouineau déplace la question de responsabilité légale que je viens de poser, pour nous prendre à partie, M. Bourru et moi, à propos de nos recherches sur les médicaments à distance. Je me suis fait un scrupule de ne pas agiter cette question au Congrès, mais, puisque je suis attaqué, on me permettra de me défendre, et cela ne me sera pas difficile. L'allusion que vient de faire M. Drouineau lui a été inspirée par un article de journal qui a prétendu qu'on avait surpris dans un hôpital de Bordeaux un de nos principaux sujets en flagrant délit de simulation. Or il se trouve précisément que ce farceur non seulement n'a pas été un de nos principaux sujets, mais encore qu'il a été considéré par nous-mêmes comme un simulateur; deux ou trois expériences d'essai nous ont suffisamment renseignés sur cet individu dont nous ne nous sommes plus occupés et qui, du reste.ne figure nullement dans notre livre. Le même journal (i) a dû rectifier l'erreur qu'on lui avait fait commettre et il l'a fait en termes élogieux pour aous. Donc, la mystification n'est pas de notre côté. M. Drouineau est moins autorisé que personne a nous accuser d'avoir été trompés, puisque lui-même, après avoir vu les expériences de M. Mabille à l'asile de Lafond, a écrit que c'était une véritable trouvaille scientifique. Il ne faut donc pas se hâter d'accuser des hommes de bonne foi qui n'ont eu d'autre souci que la vérité. L'enquête académique aura à décider si les médicaments, comme les métaux, peuvent avoir une action réelle sur le corps. Les expériences ont été trop nombreuses et trop souvent répétées pour qu'il n'y ait pas un fond de vérité. La plus grande difficulté est de décider si tout se passe dans le cerveau inconscient du sujet, comme par suggestion, ou s'il y a une action physique réelle, ce qui nécessite une explication nouvelle de certains phénomènes de la vie et ouvre des horizons nouveaux. Ce qu'on doit surtout souhaiter, c'est que les médecins ne se désintéressent pas d'une question scientifique qui mérite d'être étudiée par eux tous, au point de vue des avantages qu'en peut retirer la pratique médicale.

• (i) Gazette hebdomadaire des sciences médicales de Bordeaux, 11 septembre 1887.

L'abondance des matières nous oblige a reporter au prochain numéro la commu-nication faite par M. le Dr Berillon au Congrès de Toulouse, dans la section de Pédagogie, sur les applications de la suggestion à la pédagogie, etc.

CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE

La dualité du cerveau et de la moelle èpinière,

M. le professeur (Brown-Séquard) a commencé devant l'Académie des sciences une série de lectures destinées à résoudre l'importante question de savoir si nous avons un double appareil cérébro-médullaire, c'est-à-dire un cerveau double. De ses expériences, il a déjà déduit les conclusions suivantes :

1° L'anesthésie. la paralysie et l'hyperthermie, causées par une lésion organique des centres nerveux, peuvent être transférées d'un côté à l'autre du corps sous l'influence d'une seconde lésion de ces centres, d'où il suit que ces ma-nifestations ne sont pas nécessairement des effets de la destruction de certains éléments nerveux possédant certaines fonctions et qu'elles peuvent être les résultats de pures actions dynamiques exercées à distance par l'irritation que cause la lésion ;

2° Une moitié de l'encéphale peut servir a la sensibilité, aux mouvements volontaires et aux actions vaso-motrices pour les deux moitiés du corps. Il en est de même pour une moitié latérale de la moelle épinière, au moins en ce qui concerne la sensibilité et les actions vaso-motrices.

L'intérêt que présente ces études de physiologie cérébrale est trop considérable pour que nous ne revenions pas longuement sur les expériences du. savant professeur au Collège de France.

Procédé pour distinguer, chez les sujets hypnotisables, les effets dus à l'auto-suggestion de ceux qui sont produits par des agents extérieurs.

La recherche des lois qui régissent les phénomènes nerveux observés chez les sujets hypnotisables présente de très grandes difficultés, parce que tous ces phénomènes peuvent se produire, dans un certain état, sous l'action du cerveau du sujet aussi bien que sous l'influence des agents extérieurs.

Dans mon livre sur les forces non définies, j'ai appelé (Etat de crédulité le premier degré observable de l'hypnose ; j'ai montré que, dans cet état, les nerfs moteurs et sensitifs peuvent vibrer indifféremment de l'intérieur à l'extérieur ou de l'extérieur à l'intérieur, et que tous vibrent automatiquement sous l'impulsion de la pensée, comme si le frein de la volonté était déclanché.

Ainsi, je mets un sujet en état de crédulité par une action quelconque qui. d'après mon hypothèse, ait pour effet de ralentir la circulation cérébrale): il a l'air parfaitement éveillé, il cause, il raisonne; mais, si j'attire plus particulièrement son attention sur une idée, cette idée se transforme, malgré lui, en sensation ou en acte suivant sa nature. Si je porte ma main à la joue en ayant l'air de souffrir, il souffre des dents; si je fais des gestes comme pour l'attirer ou le repousser, il se sent attiré ou repoussé. Faisons intervenir maintenant une action quelconque ayant pour effet supposé d'activer la cir-

culation cérébrale, comme une friction assez énergique sur le sommet de la tête, un souffle sur les yeux, une application polaire en hétéronomie sur le cerveau, le sujet reviendra à son état normal.

Il résulte de là que si une contracture, une nausée, une dilatation des pupilles, etc., proviennent d'une auto-suggestion, c'est-à-dire d'une action cérébrale, ces phénomènes doivent disparaître sous l'influence de la friction sur la tête, par exemple: si, au contraire, les phénomènes observés proviennent d'une action locale extérieure, ils persisteront pour la plupart. Je dis pour la plupart, car il est clair que les effets psychiques produits par des agents extérieurs, comme la transformation en chat sous l'influence de la valériane, pourront être annihilés en opérant sur le cerveau.

Chargé en ce moment d'un service considérable qui absorbe tout mon temps, j'ai dû interrompre mes expériences et }c n'ai pu vérifier d'une façon suffisante la loi que j'indique. Je me suis borné à constater sur deux ou trois sujets que les contractures des membres dues à des actions de polarité persistaient malgré l'emploi des moyens qui faisaient disparaître les contractures dues à des auto-suggestions. J'espère que d'autres expérimentateurs voudront bien achever d'élucider cette question.

L.-Ci de Rochas Chef du Génie à Grenoble.

NOUVELLES

Faculté de médecinede paris. — Clinique des maladies du système nerveux. — M. le professeur Charco: fera dans son à la Salpétrière les mardis et les vendredis, à neuf heures et demie, une leçon clinique sur les maladies du système nerveux.

— Clinique de pathologie mentale et des maladies de l'encéphale. — M. le professeur Ball fera, à l'asile Sainte-Anne. les jeudis et les dimanches, à dix heures du matin, une leçon clinique sur les maladies mentales.

HOpital de la Charité. — M. le docteur Luys a fait tous les jeudis, à dix heures. pendant le mois d'octobre, dans l'amphithéâtre de la Charité, une série de démons-trations sur l'action 4 distance des substances toxiques et médicamenteuses. Un grand nombre de médecins des hôpitaux, de professeurs de la Faculté et de notabilités scientifiques ont suivi régulièrement ces démonstrations, dans lesquelles notre savant collaborateur a fait ressortir les phénomènes d'émotivité spéciale que présentent au plus haut degré les sujets mis en état d'hypnotisme.

— Les leçons cliniques de M. le docteur Luys ont lieu à la Charité, les jeudis, à dix heures,

Commission pour l'enseignement de la gymnastique. — Par arrêté ministériel, en date du 18 octobre 1887, sont nommes membres de la Commission chargée de reviser les programmes relatifs à l'enseignement de la gymnastique : MM. les docteurs Marey (de l'Institut), Paul Chéron, Dally. Franck. A. Martin, Mangenot et Quenu. Nous regrettons de ne pas voir figurer parmi ces noms celui de notre colla-

borateur M. le docteur Collineau. Le travail qu'il a publié sur la gymnastique es certainement le plus complet qui ait paru sur cette matière. Mais il semble que dans le recrutement des commissions, il soit de règle de ne jamais tenir compte de la compétence des homme.; appelés a en faire partie.

Société médico-psychologique — Ordre du jour de la séance du 31 octobre: 1° Des idées morbides de persécution, M. Charpentier; 2° Suggestion. Auto-suggestion et vivacité du souvenir dans le somnambulisme. Action des médicaments à distance, M. Jules Voisin ; ?„ Communications diverses.

Commission d'études intituée pour l'examen et la revision des programmes de l'enseignement primaire. — La Commission d'études instituée par l'arrêté ministériel du 25 janvier 1887 pour l'examen de la revision des programmes de renseignement primaire est composée ainsi qu'il suit : MM. Jules Simon, sénateur, président ; Berthelot, sénateur, vice-président ; Gréard, vice-recteur de l'Académie de Paris, vice-président; 1e docteur Bouchard, professeur il la Faculté de médecine de Paris; le docteur Brouardel. doyen de la Faculté de médecine de Paris; Dujardin-Beaumetz, membre de l'Académie de médecine ; Lacazc-Duthiers, professeur à la Faculté des sciences de Paris ; le docteur Lagneau, membre de l'Académie de médecine ; le docteur Perrin, membre de l'Académie de médecine ; le docteur Proust, professeur d'hygiène à la Faculté de médecine ; le docteur Rochard. membre de l'Académie de médecine ; le docteur A. Martin, auditeur au Comité consultatif d'hygiène publique, secrétaire.

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE INTERNATIONAL

HYPNOTISME (depuis 1880)

Davezac: Leçons sur l'hystérie et l'hypnotisme. (Journal de médecine de Bordeaux, 1885, 1886. 1887.)

Luys : Les émotions chez les sujets en état d'hypnotisme. Etudes de psychologie expérimentale faites à l'aide de substances médicamenteuses ou toxiques. (Encéphale, sept., octobre 1887.;

Lafforgue (M.): Contribution à l'étude médico-légale de l'hypnotisme. (Thèse de Bordeaux. 1887.)

H. Obersteiner: Der Hypnotismus mit besonderer Berucksichtigung seiner klinischen und forensischen Bedeutung. — L'hypnotisme envisagé au point de vue clinique et médico-légal. Vienne, broch. in-8. 1887.

Marestano : Cas de tétanos chronique ou i forme lente. Bons effets de l'hypnotisme. Guérison. (Arch. de méd. nav., sept.)

Fontan (J.) : La suggestion hypnotique appliquée aux maladies des yeux. (Rev. d'opht., juillet, août.)

Roth (M.) : Physiological Effects of Artiticial Sleep, with Notes on Treatment by Suggestion and Cures by Imagination. In-8, Londres. — Effets physiologiques du sommeil artificiel, etc.

Roux-Freissineng (A.) : L'hypnotisme dans ses rapports avec le droit; discours prononce à la séance solennelle de rentrée de la conférence des avocats de Marseille, In-8, 61 p.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT.

Paris. — imprimerie charles dlot, rue bleue

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

DE L'ACTION MÉDICAMENTEUSE A DISTANCE

Par le Docteur BERNHEIM

professeur a la faculté de nancy

L'action médicamenteuse à distance, signalée par MM. Bourru et Burot d'abord, confirmée par M. Luys, existe-t-elle réellement ? La question est trop importante, trop grosse de conséquences pour qu'on ne s'evertue pas à la résoudre, et elle est facile à résoudre, si l'expérience est faite avec une rigueur qui exclue absolument la suggestion. Qu'on sache bien que chez certains sujets, il suffit d'une fissure bien étroite pour qu'elle s'insinue dans le cerveau.

J'avoue n'avoir jamais réussi avec mes meilleurs somnambules.

Dernièrement encore, j'ai expérimente sur deux grandes hystériques de mon service ; j'ai appliqué sur leur nuque, successivement, de l'émétiquc. de la scammonée, de l'alcool dans des flacons, j'ai même déposé l'émétique directement sur la nuque, j'ai laissé chaque substance pendant près d'une demi-heure. Rien ne s'est produit.

Il y a trois semaines cependant. M. Focachon, pharmacien à Vézelise, que nous connaissions comme un observateur sagace et très au courant de la question de l'hypnotisme, nous apprit, à M. Lièbeault et à moi, qu'il croyait avoir réussi chez une demoiselle. Lui ayant appliqué, pendant le sommeil hypnotique et à son Insu, sur la nuque, un flacon d'alcool, et l'ayant laissé pendant vingt à vingt-cinq minutes environ en place, grand fut son étonne-ment quand, avant réveillé le sujet, il constata chez elle tous les phénomènes de l'ivresse. — Appliquant ensuite successivement un flacon d'émétique, puis de scammonée, il obtient des nausées .avec vomissements dans le premier cas ; des coliques avec diarrhée qui persiste trois jours dans le second;

M. Focachon n'avait pas parlé pendant l'expérience, le sujet Ignorait le contenu du flacon. A son réveil seulement, il lui demanda ce qu'elle éprouvait. La suggestion paraissait devoir être exclue. M. Focachon conservait cependant quelques doutes et voulut, avant d'affirmer le fait, répéter l'expérience avec nous.

Le 6 novembre, nous nous sommes rendus à Vézelise, M. Lié-beault et moi, et nous avons procédé à l'expérience de la façon suivante :

J'avais fait préparer par M. Gault. pharmacien à Narcy, huit substances contenues dans des flacons fermés par un simple bouchon de liège; ces substances étaient: l'émetique. 0.10 en dissolution : l'eau de laurier-cerise : le sulfate de strychnine, en solution, o.o5 sur 1o grammes : le chlorhydrate de pilocarpine, en solution, de o.o5 sur 10 grammes: la vératrine. 5 centigrammes, avec 1 gramme de sucre de lait : le nitrite d'amyle ; l'alcool à 95V et la scammonèe, o.5o avec f gramme de sucre de lait. — Ces substances furent préparées par M. Gault ên mon absence : chaque flacon fut marqué d*un simple numéro, et. dans une enveloppe cachetée, M. Gault inscrivit sûr un billet le nom de la substance correspondant à chaque numéro. Les flacons, enfermés dans une-boîte, ne furent sortis qu'au moment de l'expérience.

Nous ignorions ainsi !a nature de la substance expérimentée, et ce n'est qu'après toutes les expériences terminées, après avoir consigné tous les effets observés ou ressentis par le sujet, quant» celui-ci serait parti, que nous devions ouvrir l'enveloppe et inscrire à côté de chaque expérience le nom do la substance expérimentée.

Ainsi fut fait. Mlle Joséphine D.... âgée de 35 ans, couturière, est anémique, impressionnable, mais non hystérique; d'un caractère doux, docile, honnête, elle est hypnotisable en sommeil pro-à fond avec une extrême facilité.

M. Focachon l'endormit pour la première fois â 2 heures 25 : je lui remis au hasard le flacon n° 4: il le plaça contre sa nuque, directement appliqué sur la peau. Mlle X... continua â dormir calme, sans rien manifester. A 2 heures 45. elle est réveillée : elle ne témoigne rien spontanément. M. Focachon lui demande ce qu'elle éprouve. Elle répond : « J'ai l'estomac embarrassé. » Puis: « Je suis comme un peu gaie ; je tourne. On dirait que j'ai bu. » Elle marche cependant sans tituber et les phénomènes ne s'accentuent pas. Or. plus tard, à 5 heures 10, quand l'enveloppe lut décachetée, nous constatâmes que le flacon n° 4 contenait du chlorhydrate de pilocarpine.

2° expérience. Le sujet est endormi à 2 heures 52; la disparition des symptômes ressentis est suggérée et à 2 heures 54. Mlle X... nous disant se trouver très bien, nous appliquons à sa nuque le flacon n°8; sommeil calme. A 3 heures 14, on la réveille. Je lui demande: « Comment allez-vous ? » Elle répond immédiatement: « J'ai des coliques. Il faut que je sorte. » Elle sort, en effet, et revient après deux minutes, disant avoir eu une selle et avoir encore un peu de coliques.

Le flacon n° 8 contenait de la scammonèe.

3° expérience. Mlle X... est endormie â-3 heures 20.

On perçoit encore des borborygmes chez elle. A 5 heures 28, interrogée, elle accuse encore des coliques. Je suggère leur disparition. A ; heures 30. elle dit être tout à fait bien et j'applique à sa nuque le flacon n° 1. A 3 heures 41, je l'interroge : elle dit qu'elle a la poitrine un peu embarrassée. A 3 heures 5o, je la réveille, je lui demande comment elle va. Elle accuse une sensation de faiblesse vers la tête, absence de force dans les bras et de l'oppression caractérisée par une sensation de. barre de fer, par moments, à la ceinture. Elle a plusieurs bâillements, la digestion est bonne ; plus de coliques ; le pouls est régulier, 82, comme avant la séance : la respiration n'est pas accélérée, malgré l'oppression accusée par le sujet.

Le flacon n° 1 contenait de l'émétique.

4° expérience. Sommeil provoqué à 3 heures 56 ; les troubles précédents se dissipent par la suggestion. Le sujet a plusieurs quintes de toux qui continuent pendant un quart d'heure.

A 4 heures 6 minutes, application du flacon n° 2.

A 4 heures 14, elle n'accuse encore rien. — A4 heures 19. interrogée, elle accuse une douleur à l'épaule, au poignet et au coude droits ; cette douleur, qu'elle qualifie piquante, est exagérée par la pression.

Elle peut remuer le membre, mais dit le mouvoir moins facilement que l'autre. A 4 heures 29, elle dit que la douleur est un peu moins intense. Je constate alors que tcut le membre est anesthésié et analgésique ; les articulations seules du poignet, de l'épaule et du coude manifestent de la douleur à la pression.

A 4 heures 28, je la réveille. Interrogée, elle accuse toujours une sensation d'aiguille au poignet, au coude et à l'épaule droits. Je constate de l'anesthésie, avec analgésie des membres et l'abolition du sens musculaire.

A 4 heures 31, la douleur est plus vive à la pression dans le poignet que dans les autres jointures; mais elle diminue dans les trois.

Le flacon n° 2 contenait de l'eau de laurier-cerise.

5°expérience. A 4 heures 34. sommeil provoqué ; les symptômes précédents sont enlevés par suggestion.

A 4 heures 56, application du flacon n° 3. Pendant toute la durée du sommeil, elle dit qu'elle va bien et on ne constate aucun trouble.

A4 heures ;8, elle est réveillée. Elle ne se plaint que d'une légère lourdeur de tète ; elle a quelques bâillements. Nous la renvoyons chez elle, après lui avoir suggéré de revenir au bout d'une demi-heure.

Le flacon 3 contenait du sulfate de strychnine. Nous résolûmes alors de répéter l'expérience- avec un flacon dont nous connaîtrions le contenu, à l'effet de voir si la suggestion

mentale ou transmission de pensée pouvait expliquer le phénomène, lorsqu'il se produit.

A 5 heures 30, Mlle X... revient, comme la suggestion lui en avait été faite.

A 5 heures 35, 6° expérience. Elle est remise en sommeil et un flacon rempli de poudre d'ipéca est placé contre sa nuque.

Interrogée pendant son sommeil, elle n'accuse qu'une certaine sensation de fatigue à la nuque (due sans doute à la pression du flacon).

A 5 heures réveillée, elle se trouve très bien et ne ressent que la même fatigue à la nuque : elle croit que cela est dû à l'action d'avoir eu la tête appuyée sur le fauteuil. — Aucun malaise.

A 5 heures 58, 7e expérience. Sommeil provoqué. Application d'un flacon d'alcool.

A 6 heures, je dis à haute voix, parlant aux personnes présentes : c Vous allez voir; l'action au médicament va se produire. »

A 6 heures 2, j'interroge Mlle X... sur ce qu'elle éprouve: elle accuse des crampes d'estomac. A 6 heures S, elle répond : « Cela va un peu mieux, mais les battements de cœur m'ont pris tout à l'heure. »

Réveil à 6 heures 15 ; elle accuse encore de légères crampes d'es-tomac; mais elle marche bien et sa physionomie n'exprime rien d'anormal.

En résumé, la pilocarpine a déterminé un semblant d'ivresse, l'émétique une sensation d'oppression, l'eau de laurier-cerise des douleurs articulaires avec anesthésie du membre supérieur droit; la strychnine ne détermine aucun trouble : l'ipéca ne produit qu'une légère fatigue à la nuque: l'alcool produit des crampes d'es-tomac; la scammonée seule tombe juste en produisant des coliques.

Sur 7 substances expérimentées, le sujet a accusé des troubles divers; une fois seulement, et nous pensons que c'est coïncidence fortuite, ce trouble correspondait à l'action réelle du médicament.

La question nous a paru jugée, pour ce qui concerne l'action médicamenteuse à distance chez ce sujet.

Comment expliquer les premiers résultats obtenus par M. Fo-cachon? Y a-t-il eu simple coïncidence entre l'auto-suggestion du sujet et l'action réelle de la substance ? Y a-t-il eu de la part de l'opérateur trahison de pensée ? On ne saurait croire avec quelle finesse certains hypnotisés flairent, si je puis dire ainsi, l'idée qu'ils doivent réaliser. Un mot, un geste, une intonation les mettent sur la voie. On connaît les expériences de Cumberland concernant la

divination des pensées. Un de ses émules a fait écrire à ma main, en la conduisant, un nombre de trois chiffres que je pensais : et je n'avais pas conscience du mouvement involontaire que ma pensée imprimait à ma main pour écrire ce chiffre à mon insu; je conduisais la main de l'opérateur, tout en croyant qu'il conduisait la mienne. On dit au sujet : «Que sentez-vous ? » Elle répond vaguement, par exemple: « J'ai la tête lourde; on dirait que je tourne. » On ne peut s'empêcher de lui dire : « Montrez comment vous marchez. » Elle devine qu'elle doit marcher de travers, elle saisit ce que l'opérateur attend d'elle ; la suggestion de l'ivresse se complète.

Je ne prétends pas que tous les faits observés sur d'autres sujets puissent s'interpréter par la suggestion. On me dira que je ne suis pas tombé sur un sujet favorable ; je ne dis pas le contraire.

Je demande seulement que les expériences soient faites comme nous les avons faites nous-mêmes.

1° Faire préparer, par une tierce personne qui n'assistera pas à l'expérience, une série de substances à actions nettement définies dans des flacons portant des numéros.

2° Mettre sous enveloppe cachetée les noms des substances correspondant à chaque numéro.

3° Chez les sujets déjà soumis à ces expériences, employer autant que possible des substances n'ayant pas été expérimentées chez eux pour éviter les coïncidences par rappel d'impressions.

4° Inscrire tous les phénomènes, à mesure qu'ils se manifestent, pendant les expériences.

5° N'ouvrir l'enveloppe que lorsque les expériences seront toutes terminées et que le sujet sera parti.

Si, dans ces conditions, les phénomènes observés concordent avec l'action des substances expérimentées, il faudra bien admettre qu'il y a autre chose que la suggestion.

LE TRAITEMENT DES BUVEURS ET DES DIPSOMANES PAR L'HYPNOTISME

Par M. le Dr LADAME

PRIVAT-DOCENT A L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE (Suite et fin)

Observation II

Madame N…, âgée de 37 ans, mère de cinq enfants bien portants. Une sœur morte après plusieurs années d'ivrognerie, Une autre enfermée dans un asile pour la même maladie. Son mari,

qui est négociant en gros, s'est aperçu qu'elle avait la « maladie de boire » depuis 1881. Dès lors, elle est arrivée rapidement à faire des consommations énormes d'absinthe, de liqueurs, rhum, etc., de vin blanc, de vin rouge et de bière. Elle buvait continuellement et se trouvait ivre tous les soirs depuis plusieurs années. Elle a bu jusqu'à un demi-litre d'absinthe dans une matinée et des bouteilles de vin blanc, jamais beaucoup à la fois, mais sans cesse. Alors se déclaraient des crises aiguës d'alcoolisme; jamais de delirium tremens. Vomissements répétés. Hallucinations nocturnes enrayantes. Animaux nombreux qui l'épouvantent. Gendarmes qui viennent la saisir, etc. Jamais d'hallucinations pendant le jour. Jamais de tremblements des mains. La malade, même après ses plus fortes crises, n'a jamais manifesté de regret, ni le moindre repentir de se livrer ainsi à la boisson. Elle néglige complètement son ménage et ses enfants ; emprunte des petites sommes a ses voisins et à ses fournisseurs, ne pave pas les factures pour lesquelles son mari lui donne de l'argent. En quelques mois, le mari a dû payer plus de 2.000 francs pour des notes arriérées qu'il croyait soldées depuis longtemps. Tout cet argent passe ea boissons. Le mari a dû prendre des mesures énergiques pour que ces abus ne puissent pas se renouveler. Les scandales dans le voisinage ont été très nombreux, et il a déjà été plus d'une lois question de taire enfermer Mme N... dans un asile d'aliénés.

Première séance d'hypnotisme, le 20 juin. — La malade manifeste une grande appréhension. Elle est à peine influencée. Pendant la nuit, cauchemars épouvantables. Elle a toujours un ardent désir de boire, mais elle est surveillée de près et ne peut se livrer à ses penchants. Tout est sous clef à la maison, elle n'a plus d'argent et ne trouve personne qui lui en prête.

On continue trois fois par semaine les séances d'hypnotisme avec suggestion de ne plus boire. Pendant les premiers jours, sombre mélancolie. Elle ne se trouve bien nulle part. Au bout de quelque temps se manifeste cependant une certaine amélioration.

« Depuis les séances d'hypnotisme, écrit son mari à la fin de juin, il y a un grand changement en bien de toute manière; elle ne s'énerve plus autant, et ne fait plus de scènes violentes aux enfants. Si cela continue, j'ai bon espoir. »

Peu à peu. le sommeil devient plus profond. On obtient facilement la catalepsie suggestive. La malade n'entend bientôt plus les bruits de la rue. Amélioration progressive.

Deux à trois séances hebdomadaires d'hypnotisme avec suggestions inhibitoires pendant les mois de juillet, d'août et de septembre. La malade, qui m'accueillait très mal au début et ne se laissait hypnotiser que par la volonté expresse de son mari, commença peu à peu à venir aux séances avec moins de répugnance. Elle est moins cachée, moins sombre, et se présente convenable-

ment, ce qu'elle ne faisait pas auparavant. Cependant elle résiste toujours et n'a nullement le désir de ne plus boire. Elle n'aspire qu'à une chose : à satisfaire sa passion. Si elle était libre, elle recommencerait à boire enaque jour jusqu'à l'ivresse .complète.

Elle a repris ses occupations dans son ménage et traite bien ses enfants. Plus d'emportements ni de brusqueries. Elle dort tranquillement et n'a plus de cauchemars. On ne pourrait cependant pas la laisser sans surveillance, mais on peut espérer qu'en continuant le traitement suggestif, on finira par obtenir sa guérison, si l'on en juge par les progrès qui ont déjà été obtenus (i).

Observation III

Mme X.... 47 ans, mère de famille. Jamais il n'y a eu de cas d'ivrognerie dans sa famille. Mère morte d'une attaque d'apoplexie. Frères et sœurs en bonne santé, une sœur hystérique convulsive. Elle a quatre enfants bien portants ; l'aîné, âgé de vingt-quatre ans, n'a aucune disposition à la boisson. Il y a quinze ans que cette femme a commencé à boire, son mari tenait alors un débit de vin. Elle prit l'habitude de boire avec excès et en arriva bientôt à s'enivrer chaque jour. Mais c'est surtout depuis quelques années que cette passion de boire est devenue terrible. La malheureuse boit tout ce qui lui tombe sous la main, en particulier l'esprit-de-vin. Plusieurs fois elle fut ramassée par la police ivre-morte dans les rues de la ville. Son mari a déjà fait des démarches pour la placer dans une maison de correction. Très souvent elle est agitée la nuit, tourmentée par d'affreux cauchemars. Jamais de tremblements ni d'hallucinations pendant le jour. Négligeant son ménage, abandonnant son mari et ses enfants, elle est tombée de plus en plus dans la plus abjecte dégradation.

Son teint est blafard, ses cheveux presque blancs, son regard terne, son abord maussade, son expression sombre et affaissée. Elle a l'air dix-huit ans plus âgée qu'elle ne l'est en réalité. Elle est actuellement dans la ménopause et offre quelques troubles utérins.

Première séance d'hypnotisme, le 20 juillet. — Nul effet.

Dés la seconde séance, elle fut légèrement influencée. Bientôt on obtient des phénomènes hypnotiques plus prononcés. Insensibilité de la peau à la piqûre. Catalepsie suggestive. La suggestion eut d'abord peu de prise sur la malade, qui commuait à boire et à s'enivrer tous les jours. On réussit cependant à produire une trêve d'un ou deux jours; enfin, le plus long intervalle d'abstinence,

(1) J'hypnotise encore cette malade une fois par semaine. Elle est actuellement tout à fait bien, abstinent; de boissons alcooliques depuis longtemps. On peut la considérer comme guérie. (Note du 20 novembre 1887.)

pendant le mois de septembre, a été de douze jours. Jamais encore on n'avait obtenu un semblable résultat.

J'ai peu d'espoir de voir aboutir, dans ce cas le traitement suggestif, bien que le sommeil hypnotique devienne toujours plus profond, car fa malade n'accepte pas les suggestions de ne plus boire. Elle ne répond jamais pendant l'hypnose, lorsqu'on cherche à lui (aire promettre qu'elle ne boira plus ; en outre, elle est placée au milieu de circonstances qui favorisent son penchant. Elle est laissée le plus souvent à elle-même et trouve à chaque instant l'occasion de satisfaire sa passion fatale. La séquestration dans un-asile me paraît ici absolument nécessaire. La suggestion ne pourra avoir tous ses effets que dans un établissement et sous une discipline sévère. Il faut d'abord sortir la malade de son milieu pour rendre possible un traitement efficace par l'hypnotisme.

Comme on le voit par les observations qui précèdent, les résultats que j'ai obtenus jusqu'à présent ne sont pas, il est vrai, aussi heureux que. ceux de mes honorables confrères Voisin et Forel, mais ils sont aussi encourageants et confirment pleinement les leurs. La suggestion hypnotique me paraît donc un moyen éprouvé pour lutter contre le vice de l'ivrognerie. Ce moyen ne diffère pas, en réalité, des vœux d'abstinence que l'on fait faire au buveur. En l'hypnotisant, on place seulement celui-ci dans un état cérébral qui favorise l'efficacité de ses vœux.

Le serment que fait le malade de ne plus boire est aussi une suggestion qu'il se donne, mais cette suggestion est souvent trop faible pour triompher d'un penchant irrésistible L'hypnotisme reste donc comme une ressource précieuse, dans le cas où toutes les autres tentatives ont échoué. L'avenir nous apprendra ce qu'on peut en attendre. J'ajouterai seulement qu'on ne s'improvise pas plus médecin hypnotiseur que médecin oculiste ou chirurgien accoucheur. Il faut un apprentissage sérieux et de longues études. La pratique de la suggestion hypnotique comme moyen de traitement est une opération très délicate, capable de faire beaucoup de mal entre des mains inhabiles ou malhonnêtes ; il faut donc la laisser exclusivement aux médecins. Toutes les fois que l'on aura un individu à hypnotiser dans un but thérapeutique, il sera nécessaire de faire une étude spéciale de sa santé et de ses antécédents, une analyse minutieuse de ses dispositions psychiques : il faudra acquérir, en un mot, une connaissance approfondie de la genèse et de la marche des troubles mentaux qui constituent sa maladie.

Je conclus en recommandant l'emploi de l'hypnotisme pour le traitement des ivrognes et des dipsomanes réputés incurables, et surtout l'introduction de ce nouveau moyen thérapeutique dans les asiles où sont internés les buveurs.

SOCIÉTÉS SAVANTES

ASSOCIATION FRANÇAISE POUR L'AVANCEMENT DES SCIENCES

XVIe Session a Toulouse. (22-29 Septembre 1887)

section de pédagogie

Dans la première séance, le bureau de la section a été ainsi constitué: Président: M. Perroud. recteur de l'Académie de Toulouse. Vice-président : M. Félix Hément, inspecteur général de l'Université. Secrétaires .- MM. le D- Delvaillee (de Bayonne) et Lafourcade. directeur de l'Ecole primaire supérieure.

DE LA SUGGESTION

et

DE SES APPLICATIONS A LA PÉDAGOGIE

Par M. le docteur Edgar Bérillon.

Considérations générales.

En 1886, au Congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences à Nancy, nous avons présenté une étude générale sur la Suggestion envisagée au point de vue pédagogique. Dès ce moment, nous basant sur de nombreuses expériences qui nous avaient montré la valeur indiscutable de la suggestion hypnotique comme agent moralisateur, nous avions pu formuler quelques conclusions générales, dont voici les principales :

« Lorsqu'on aura, disions-nous, à se préoccuper de l'avenir d'enfants vicieux, impulsifs, récalcitrants, incapables de la moindre attention et de la moindre application, manifestant un penchant irrésistible vers les mauvais instinctst nous pensons qu'il n'y aura aucun inconvénient à provoquer l'hypnotisme chez ces créatures déshéritées.

« Pendant le sommeil hypnotique, les suggestions ont plus de prise. Elles ont un effet durable et profond. Il sera possible, dans bien des cas, en les répétant autant que cela sera nécessaire, de développer la faculté d'attention chez ces êtres jusqu'alors incomplets, de corriger leurs mauvais instincts et de ramener au bien des esprits qui s'en seraient écartés infailliblement. » En terminant, nous déclarions que, autant il y aurait d'inconvénients à

pratiquer l'hypnotisme chez des sujets excellents, bien portants, autant il y aurait d'avantages à l'appliquer comme moyen pédagogique chez des sujets mauvais, vicieux ou malades. Nous nous empressions d'ajouter que l'emploi de ce procédé devrait être surtout réservé pour les cas où tous les autres moyens rationnels d'éducation auraient échoué, et qu'il ne devrait être appliqué que sous la direction de médecins compétents et exercés.

Plusieurs pédagogues éminents avaient exprimé la crainte que la hardiesse de ces conclusions ne rencontrât au sein de la section de pédagogie une vive opposiùon. 11 n'en fut rien, et nous eûmes la satisfaction de voir des hommes d'un esprit élevé, comme MM. Liégeois, Liébeault, Ladame et Félix Hément, appuyer notre proposition.

Après la discussion, la section de pédagogie, sur la proposition de M. le professeur Liégeois, déclara par un vote unanime que les conclusions que nous avions formulées étaient acceptables et que des expériences de suggestion hypnotique devaient être tentées dans un but de moralisation et d'éducation sur quelques-uns des enfants les plus notoirement vicieux et incorrigibles des écoles primaires, à l'égard desquels les pédagogues avouent .leur complète impuissance.

Peu de temps après, M. le professeur Bernheim publiait une étude remarquable dans laquelle toutes les critiques formulées contre l'emploi de la suggestion comme moyen pédagogique étaient éloquemment réfutées (i). S'élevant avec raison contre cette terreur mystérieuse que l'hypnotisme inspire aux hommes les plus éclairés, il y démontrait notamment que le sommeil dit hypnotique ne diffère en rien du sommeil normal et que tous les phénomènes provoqués dans l'un peuvent l'être dans l'autre.

Dans l'un comme dans l'autre, en effet, toute idée qui arrive au cerveau tend à devenir acte, sensation, mouvement ou image.

Plus récemment encore, M. te Dr Ladame (de Genève) réfutait avec vigueur toutes les objections soulevées par quelques philosophes routiniers contre l'application de la suggestion hypnotique à la pédagogie (al. - Remarquons-le bien, écrivait-il, les raisons plus ou moins spirituelles qui sont données, comme des arguments, contre l'emploi de l'hypnotisme en pédagogie, n'ont rien qui participent à la vie pratique. Elles ne reposent sur rien. C'est de l'abstraction. C'est de la métaphysique.

Et plus loin, répondant à ceux qui cherchaient à décourager les expérimentateur en invoquant certain respect théorique de la liberté morale de reniant, il exprimait une pensée éminemment juste en disant :

« Certes, le problème de la responsabilité n'est pas là. La société est responsable de tous ces enfants qu'elle laisse se perdre faute de vouloir les sauver. Ceux qui sont responsables, ce sont les égoïstes, les sceptiques, les blasés et. les pessimistes qui laissent tout faire, tout détruire, tout périr, et qui, non contents de jouer ce rôle passif si funeste dans la vie sociale, cherchent encore à paralyser les efforts de tous ceux qui travaillent et qui agissent ; de tous ceux qui ont foi au progrès et au bien. Voila de quel côté se trouve la responsabilité. »

M. le professeur Beaunis, frappe des résultats parvenus à sa connaissance, s'est aussi rallié à notre idée. Dans la deuxième édition de son livre sur le

(1) Revue de l'Hypnotisme (novembre 1886, p. 129). (2) Revue de l'Hypnotisme (juin et juillet 1887).

Somnambulisme provoque, parue depuis notre première communication, il déclare que, pour sa part, il est convaincu que l'hypnotisme deviendra un jour un puissant moyen de moralisation et d'éducation.

Fort de ces encouragements, nous n'avons plus hésité à appliquer l'hypnotisme, dans un certain nombre de cas, au traitement d'enfants malades ou vicieux. Les observations nombreuses que nous avons recueillies dans l'année qui vient de s'écouler, démontrent la grande efficacité de la suggestion hypnotique en même temps que sa complète innocuité, lorsqu'elle est appliquée arec le tact et la prudence particulièrement indispensables dans des matières aussi délicates.

La méthode à laquelle nous avons constamment recours pour mettre les sujets dans l'état d'hypnotisme est celle que les leçons de MM. les docteurs Liébeault et Bernheim nous ont enseignée : la méthode suggestive.

Est-il utile d'ajouter que nous n'avons jamais consenti à appliquer la suggestion hypnotique comme moyen curatifou comme moyer; moralisateur chez les enfants qu'après qu'un examen attentif et minutieux nous eut démontré l'indication formelle de cette méthode. Nous avons aussi cru devoir constamment mettre à profit le conseil qui nous avait été donné par un éminent pédagogue; M. Félix Hément, de ne jamais hypnotiser un enfant sans la demande formelle et parfois même écrite des parents.

Dans ces conditions, nous n'avons eu que des succès à enregistrer, et c'est en général en peu de temps et à la suite de quelques séances d'hypnotisme seulement que nous avons pu heureusement modifier et guérir les enfants confies à nos soins.

Bien que les procédés par lesquels on arrive à déterminer l'état d'hypnotisme chez les jeunes sujets soient d'une assez grande simplicité apparente, nous avons le devoir de rappeler qu'on ne s'improvise pas plus médecin hypnotiseur qu'on ne saurait s'improviser, par exemple, médecin oculiste.

De même qu'il est admis que la pratique courante donne seule au chirurgien la dextérité de la main indispensable pour réussir les opérations les plus délicates, de même il est juste de reconnaître que l'expérience journalière peut seule contribuer à conférer une réelle sûreté dans l'application de la suggestion hynotique comme moyen thérapeutique.

En dehors de la compétence technique, beaucoup de tact et d'attention sont nécessaires pour discerner le degré de suggestibilité du sujet. Si, dans la majorité des cas, les enfants obéissent à des suggestions faites avec" douceur, sans mise en scène, quelques sujets y sont rebelles. Il faut donc un certain esprit d'à-propos pour varier la nature et l'autorité des suggestions selon la résistance que l'on rencontre.

La qualité dominante du médecin hypnotiseur doit être la prudence. A notre avis, il ne devra jamais oublier que le but qu'il poursuit est un but moral et curati:. Il ne devra, en aucune circonstance, faire la moindre concession à l'esprit de curiosité. C'est dire qu'il ne poussera jamais le sommeil provoqué a un degré plus profond que cela n'est nécessaire ; qu'il ne provoquera ni contractures, [ni hallucinations. En un mot. toutes les suggestions devront viser un but utile et essentiellement profitable au sujet-

Nous avons cru devoir exprimer ces réserves, en présence du travers dans lequel tombeot journellement quelques personnes qui veulent tenter des expériences d'hypnotisme sans avoir acquis les connaissances physiologiques et médicales nécessaires pour justifier leurs prétentions.

C'est sur elles seules qu'il faut faire retomber la responsabilité des dangers qu'on impute assez fréquemment à l'hypnotisme.

Nous avons pu nous assurer que ceux, médecins ou autres, qui se plaignent de n'avoir eu à enregistrer que des insuccès ou des accidents, le doivent uniquement à leur défaut de méthode, à leur inexpérience et à leur incompétence.

Procédé d'hypnotisation.

Après avoir éloigné les personnes dont la présence peut déplaire à l'enfant et invité celles qui doivent assister à l'opération à observer le silence le plus absolu, il est facile, en interrogeant l'enfant avec douceur, avec sympathie, de lui inspirer une entière confiance.

Dès qu'on constate qu'il n'a plus la moindre appréhension, on le lait asseoir commodément dans un fauteuil. Le plus souvent, pour l'influencer rapidement et l'hypnotiser par suggestion, il suffit de se placer devant lui, en lui disant simplement, d'une voix douce, persuasive :

— » Regardez fixement mes yeux... Vos paupières vont se fatiguer... Elles deviennent très lourdes... Vous éprouvez le besoin de les fermer.

— « Vous vous engourdissez... L'engourdissement se propage à vos bras et à vos jambes.

— » Vous éprouvez une sensation de calme, de repos, de bien-être... Vous allez avoir sommeil... Le besoin de dormir arrive... Vous allez dormir... Dormez...

Or. répète plusieurs fois ces injonctions d'une voix peu élevée, un peu monotone.

Le plus fréquemment, l'enfant ferme naturellement les yeux et il se laisse aller à la sensation d'engourdissement suggérée. Quelquefois, la résistance est plus grande. II reste les yeux ouverts. Alors, en répétant les mêmes injonctions, on fait avec les deux pouces, au devant de ses paupières, de légers mouvements de haut en bas. Les paupières, fatiguées par la fixation précédente de vos yeux, clignotent et se ferment.

On peut maintenir pendant un instant les paupières du sujet fermées avec les doigts, en annonçant qu'elles sont clouées, qu'il ne peut plus les ouvrir.

L'enfant, à ce moment, est déjà assez influencé pour qu'on puisse lut ordonner formellement de continuer à dormir et a dormir d'un sommeil déplus en plus profond.

Si on lui soulève les bras, souvent on les voit rester en l'air, en état de catalepsie suggestive. Parfois, pour obtenir cet effet, il faut affirmer qu'il ne peut plus les abaisser.

On peut aussi imprimer aux bras un mouvement de rotation l'un autour de l'autre, en affirmant que l'enfant va continuer à exécuter le mouvement maigre lui. Le plus souvent, en effet, il le continue automatiquement. Ces manœuvres, en même temps qu'elles indiquent le degré du sommeil dans lequel il se trouve, ont aussi pour effet de le rendre plus profond.

On pourrait dès lors faire toutes les suggesuons nécessaires a la guérison ou au perfectionnement moral.

Les cellules cérébrales qui président aux manifestations de la volonté sont

endormies. La résistance psychique et la discussion mentale sont abolies à tel point que, si vous suggérez a l'enfant d'exécuter immédiatement après son réveil tel ou tel acte réalisable, l'accomplissement de la suggestion se fera déjà d'une façon irrésistible.

Cependant, pour nous mettre à l'abri d'une simulation rare, mais possible, et pour plonger l'enfant dans un état d'hypnotisme dont la constatation ne laisse aucun doute dans notre esprit, nous complétons les premières manœuvres par le procédé suivant. Nous disons à l'enfant :

« Continuez à bien dormir jusqu'à ce que je vous réveille. Tout a l'heure, lorsque je vous aurai réveillé en vous soufflant légèrement sur les yeux, vous vous lèverez et vous ferez le tour de la salle. Mais dès que vous entendrez ce bruit (le son d'un diapason, d'une montre à sonnerie, ou tout autre), vous reviendrez vous asseoir dans ce fauteuil et vous vous endormirez profondément. »

On assiste alors à ce spectacle très saisissant : Pendant que l'enfant, éveillé marche ou parle avec quelqu'un, si le bruit annoncé vient frapper son oreille, immédiatement on le voit s'arrêter, revenir vers le fauteuil, s'y asseoir, se frotter les yeux. Quelquefois il résiste à l'envie de dormir, mais il finit toujours par tomber dans un sommeil profond. Auparavant, il semble passer par toutes les sensations qui précèdent l'établissement du sommeil normal. On peut même dire que son sommeil ainsi provoqué a toute la régularité et toutes les apparences du sommeil naturel.

C'est l'état que nous jugeons le plus favorable pour faire les suggestions curatives.

Si la plupart des sujets sont endormis dès la première séance, comme nous Tenons de le dire, il arrive parfois qu'un enfant résiste et n'est pas influencé. Ce n'est pas une raison pour se décourager. Ordinairement, à la seconde ou à la troisième séance, n'ayant plus les mêmes appréhensions ou les mêmes distractions, il sera hypnotisé, surtout si l'on a soin de préparer l'esprit de l'enfant à cette idée. Quand les enfants ont l'intelligence assez développée pour comprendre les idées simples que vous leur exprimez, il est toujours possible de les influencer.

Dans ces conditions, nous n'en avons jamais trouvé qui fussent complètement insensible» à la suggestion. Ce qui revient à dire qu'ils sont tous plus ou moins hypnotisables, si l'on admet, comme nous, que l'ètat d'hypnotisme commence dès qu'apparaît la suggestibilité.

Les suggestions.

Avant d'endormir l'enfant, il est utile de s'entendre avec les parents sur la nature des suggestion» qui doivent être faites. Autant que possible, il ne faudrait, dans chaque séance, viser qu'un ordre de symptômes ou qu'une seule habitude morbide.

Les suggestions devront toujours être formulées avec précision et répétées plusieurs fois avec la même netteté. Nous nous sommes assuré que lorsqu'elles étaient faites d'une voix douce, persuasive, mais non dépourvue d'autorité, elles n'en avaient que plus de prise. Il ne faut donc pas croire qu'il soit nécessaire d'enfler la voix pour que l'idée exprimée se fixe dans l'esprit de l'hypnotisé.

II est des cas où nous pensons qu'il y a utilité à commenter la suggestion, à la baser sur un raisonnement, pour en faciliter la réalisation.

Il y a des personnes qui sont incapables de formuler nettement une suggestion. Ils ne peuvent arriver à condenser l'expression de leur volonté sous une forme précise et claire, et ils s'étonnent qu'une suggestion faire par eux se réalise mal.

Il ne faut pas oublier que tout ce qui se dit et se fait autour du sujet fait naître dans son cerveau des idées correspondants. L'expérimentateur doit donc s'observer constamment et se garder de donner, par ses gestes ou par des paroles prononcées à la légère, des suggestions contraires à celles qu'il

Suggestions, hallucinations provoquées chez un jeune sujet (1).

veut réaliser. Les personnes présentes s'abstiendront aussi avec soin de toute manifestation extérieure de leur pensée.

Souvent aussi, l'intervention de personnes malveillantes qui se moquent de l'enfant et s'appliquent à le décourager, peut contribuer à neutraliser l'effet des suggestions et à développer chez lui un certain esprit de résistance qui se manifestera lors des hypnotisations consécutives. L'hypnotiseur trouvera toujours le moyen de tourner ces difficultés. Mais il est plus prudent de les éviter.

Le fait suivant, rapporté par M. le professeur Beaunis, montre aussi qae. certains obstacles peuvent venir de l'enfant lui-même :

« On amène un jour au docteur Liébeault un enfant indolent et paresseux

(1) Dessin extrait du livre de M. le Dr Cullerre : Magnétisme et Hypnotisme. (J.-B. Baillière, éditeur).

dont on ne pouvait rien faire. M. Liébeault l'endormit et lui suggéra de bien s'appliquer et de travailler ; tout alla bien pendant quelque temps et l'enfant faisait merveille. Mais, au bout de quelques mois, les habitudes de paresse reprirent le dessus ; les parents voulurent essayer du même moyen, mais on se heurta a un obstacle inattendu : l'enfant ne voulut absolument pas se laisser endormir : il avait travaillé parce qu'il y avait été forcé par la suggestion qui lui avait été faits, mais il avait travaillé a contrecœur et ne voulait plus s'exposer a recommencer. Il était, comme Figaro, paresseux avec délices, et toutes les exhortations de ses parents restèrent sans effet sur lui. * Lorsque l'on constate chez un enfant une résistance inaccoutumée, au lieu de l'attribuer à une mauvaise volonté personnelle, à une sorte d'auto-suggestion, basée sur un raisonnement, il serait plus juste de rechercher s'il ne subit pas l'influence d'une personne intéressée à la non réussite de l'expérience. Dans plusieurs cas, nous avons pu remonter jusqu'à la cause de cette résistance. Dans l'un, en particulier, l'enfant subissait l'influence d'un camarade, qui , par jalousie, le détournait de l'idée de se laisser hypnotiser. Dans un autre, le sujet avait été frappé par l'opinion maintes fois exprimée par le médecin de la famille, que l'hypnotisme ne parviendrait pas à le guérir. L'événement prouva pourtant n ce médecin qu'il s'était trompé. Il eut la bonne foi d'en convenir.

Nous devons ajouter que la docilité avec laquelle le sujet accepte la suggestion n'est pas toujours en rapport avec la profondeur du sommeil. Et il faut savoir que certains sujets, chez lesquels on n'obtient jamais qu'un sommeil très superficiel, exécutent toutes les suggestions avec un automatisme complet.

Procédé de réveil.

Dans les premières séances, les enfants ont une tendance à se réveiller rapidement. Pour prolonger le sommeil, il est nécessaire de leur répéter de temps en temps : « Continuez a dormir. »

Mais ils ne tardent pas à acquérir l'habitude de l'hypnotisme. Dans ce cas. ils dorment jusqu'à ce qu'on les réveille. Pour les réveiller complètement, il suffit de leur dire: « Allons, réveillez-vous ! » en leur soufflant légèrement sur les yeux.

Une recommandation que nous jugeons indispensable est la suivante : Avant d'éveiller le sujet, il faut toujours lui affirmer qu'à son réveil, il se trouvera très bien et n'éprouvera pas la moindre fatigue. Si l'on a pris cette précaution, l'enfant se réveille toujours en souriant et disposé à se laisser endormir de nouveau.

Parfois, il ne se souvient plus de ce qui lui a été dit pendant qu'il dormait et il n'a pas gardé la notion de ce qui se passait autour de lui. En général, à moins qu'on ne lui ait fait la suggestion de ne pas garder le souvenir des paroles qu'il a entendues, il se souvient très bien à son réveil. Mais, qu'il y ait souvenir, ou non, de ce qui s'est passé pendant l'hypnose, les suggestions ne s'en réalisent pas moins avec la même régularité et d'une façon aussi irrésistible.

Applications pratiques.

Nous indiquons ici d'une façon sommaire un certain nombre des résultats définitifs auxquels nous sommes arrivé par l'application de la méthode suggestive, telle que nous venons de la décrire. C'est a la suite de quelques séances d'hypnotisme seulement que nous avons pu guérir :

1° Une perversion grave du caractère chez une petite fille de douze ans.

(Cette observation a été prise en collaboration avec notre distingué confrère M. le Dr Armand Paulier. Malgré des conditions de milieu très défavorables, la guérison a été complète. La directrice de l'école fréquentée par l'enfant a pu, à la suite du traitement; la classer parmi les bonnes élèves de la classe. Cependant l'état moral de cette enfant était tellement perverti qu'on avait dû à deux reprises l'isoler à Sainte-Anne et à la Salpêtrière.)

2° Des tics, nerveux chez des petits garçons de douze ans. (L'un d'eux avait contracté, depuis l'âge de deux ans, l'habitude de sucer constamment, le jour et la nuit, deux de ses doigts, l'index et le médius de la main gauche. On avait en vain essayé tous les moyens possibles pour le guérir(i). — Un second faisait constamment clapoter sa langue contre ses dents et cette habitude empêchait de le placer en apprentissage. Tous deux ont été guéris en trois ou quatre séances. — Un troisième laissait tomber sa paupière supérieure droite et se déclarait impuissant à la relèver à son gré. Deux séances suffirent pour le guérir. — D'autres avaient, à un degré variable, l'habitude de se ronger les ongles. Leur habitude céda très facilement en général à une ou deux suggestions.)

3° De l'incontinence nocturne et diurne de l'urine e; des matières fécales chez deux petites filles de six et de neuf ans. (Chez l'une d'elles, l'effet du traitement par la suggestion a été rapide. La seconde n'a été guérie complètement qu'après deux mois de traitement. Chez toutes deux, l'état général, très défectueux avant le traitement, s'est rapidement amélioré.)

4° De l'incontinence nocturne d'urine chez huit garçons dont l'Age variait de cinq ans à quinze ans. (Nous avons pu vérifier, à ce sujet, une constatation de M. le Dr Liébeault, c'est que les sujets les plus affectés, c'est-à-dire ceux qui urinent toutes les nuits, sont en général débarrassés plus rapidement de leur habitude morbide.)

5° Une tendance irrésistible au vol. au mensonge et à la débauche chez une jeune fille de seize ans. (Cette jeune fille, qui, malgré son inconscience, avait l'intelligence assez développée, se rendait très bien compte de la transformation morale opérée en elle par la suggestion. Elle manifestait une certaine fierté d'avoir la force de résister i ses mauvais instincts. Le traitement dura un mois, a raison d'une séance par semaine. La guérison s'est maintenue et les parents, qui avaient été obligés d'éloigner cette jeune fille à cause du mauvais exemple qu'elle donnait à d'autres enfants, ont pu la reprendre avec eux.)

6° Des terreurs nocturnes chez deux enfants de six et de huit ans. (Le second, qui ne pouvait rester seul pendant la nuit, dans une chambre obscure,

(i) Cette observation à été publiée dans la Revue de l'Hypnotisme (1er- janvier 1887, page 218).

sans pousser des cris d'effroi, a été très vite habitué à l'idée de ne plus avoir peur dans l'obscurité la plus complète.)

7° Des habitudes invétérées d'onanisme chez plusieurs enfants. (Nous avons constaté qu'en général les enfants font preuve de beaucoup de bonne volonté lorsqu'on leur propose de les guérir de cette habitude vicieuse. Plusieurs jeunes gens de seize à vingt ans sont venus nous demander spontanément de les aider à se délivrer d'un vice dont ils sentaient tous les inconvénients pour leur santé.)

8° Des chorées chez plusieurs jeunes gens. (Dans ce cas, si l'on a soin de faire exécuter au malade des mouvements gymnastiques réguliers pendant l'état d'hypnolisme, les accidents choréiques peuvent disparaître complètement au réveil. Nous avons pu guérir, par cet artifice, en une seule séance, une jeune fille de seize ans atteinte d'une chorée rythmique très intense. — Un jeune homme de quinze ans, dont les secousses étaient tellement fortes qu'il ne pouvait tracer un signe sur le papier, immédiatement après son réveil, put, sur notre injonction, écrire d'une façon très lisible. Il fallut quelques séances pour le rétablir complètement, mais en même temps que son état physique s'améliorait, ses aptitudes intellectuelles, un instant éteintes, reprenaient toute leur vivacité.)

9° En outre, dans plusieurs cas, nous nous sommes borné, avec un succès complet, à réveiller et à développer la (acuité d'attention et d'aptitude au travail chez plusieurs collégiens et lycéens, menacés d'être renvoyés des établissements où ils étaient placés.

Les résultats obtenus ont été durables, car l'enfant se conforme aux bonnes habitudes qu'on lui a fait contracter, avec autant de facilité qu'il cédait aux mauvaises.

Pour être complet et signaler le plus grand nombre des indications dont est susceptible le traitement par la suggestion hypnotique, nous devons ajouter, quelque paradoxale que puisse paraître notre opinion, que ce traitement trouve aussi son application contre certains troubles menstruels qu'éprouvent les jeunes filles et contre les troubles du caractère qu'ils déterminent.

Déjà, des observations concluantes de MM. Bernheim, A. Voisin et de nous-même ont démontré qu'il était possible de régulariser chez les femmes la fonction menstruelle et de combattre l'aménorrhée. Il est aussi certain qu'on peut obtenir le même résultat chez les jeunes filles qui, soit par suite d'un arrêt de développement, soit sous l'influence d'une vive émotion, présentent des anomalies dans l'établissement de cette importante fonction.

En résumé, d'après les observations qui précèdent, la suggestion, dans l'état d'hypnotisme, trouve son application surtout lorsqu'il s'agit de guérir des habitudes vicieuses, des défauts graves de caractère, des tics nerveux, des incontinences nocturnes et diurnes de l'urine et des matières fécales, des terreurs nocturnes, la danse de Saint-Guy, des chorées, des névroses, de la paresse intellectuelle, en un mot un grand nombre des troubles mentaux et des instincts pervers qui pourraient placer dans l'avenir celui qui en est atteint dans les conditions sociales les plus défavorables.

En terminant, nous affirmons que nous n'avons jamais vu survenir, chez aucun des enfants que nous avons soumis au traitement par l'hypnotisme, le moindre accident consécutif.

Au contraire, l'enfant, qui constate l'amélioration survenue dans son état, n est pas le dernier k l'apprécier. Il est très rare qu'il ne témoigne pas à hypnotiseur, qui l'endort uniquement dans un but curatif. la plus vive reconnaissance.

DISCUSSION

M. Bernheim (de Nancy). — M. le docteur Bérillon a montré, dans son intéressante communication, les applications de la suggestion à la pédagogie. Je m'associe à ses conclusions: la suggestion peut réaliser des guérisons morales, comme elle réalise des guérisons physiques.

Voici un fait que j'ai eu l'occasion d'observer: Un enfant de dix ans m'est amené par sa mère, il est indiscipliné, colère, paresseux ; il refuse de manger de la viande presque depuis qu'il est au monde; quand ses parents lui font une observation, il leur jette â la tète avec emportement tout ce qui est a sa portee; il est le dernier de sa classe et ne compte pas moins de trente absences par mois. Je l'endors facilement et. après deux ou trois séances, cet enfant est transformé, il mange de la viande, devient laborieux. Il y a huit mois de cela: le résultat s'est maintenu, sa mère me dit que l'enfant est absolument changé.

Autre fait: Un jeune homme de dix-huit ans, u la suite d'une fièvre typhoïde, était resté, depuis trois ans, incapable d'application cérébrale ; des vertiges, de l'obnubilation, un malaise indéfinissable l'obsédaient et entravaient sa carrière. La suggestion l'a débarrassé en quelques séances de ces phénomènes ; et il a retrouvé ses facultés.

La choree s'accompagne souvent d'agitation cérébrale, de colère, de méchanceté ; la suggestion, qui souvent n'est possible que quand la maladie commence a décliner, m'a souvent réussi à redresser ces caractères altérés par la maladie. La suggestion a donc une efficacité incontestable, comme agent d'orthopédie morale.

J'affirme de plus que, bien maniée, elle n'a pas d'inconvénients. Le sommeil hypnotique ne difiere en rien du sommeil naturel : les mêmes phénomènes, catalepsie, illusions, hallucinations, peuvent être réalisés dans l'un et dans l'autre. La mère, qui berce son enfant pour l'endormir et qui ainsi lui suggère le sommeil, est en réalité le premier des hypnotiseurs.

La suggestion dans le sommeil provoqué ne difiere pas en réalité de la suggestion a l'état de veille : seulement elle est plus efficace, parce que les facultés de raison étant engourdies, le contrôle cérébral faisant défaut, l'esprit de contradiction n'existe plus; les idées sont acceptées plus facilement; elles s'imposent ; elles entrent comme par effraction. Si les- admonestations qu'on fait à l'enfant pendant qu'il est a l'état de veille ne sont pas acceptées, qu'on les fasse pendant son sommeil provoqué ou même naturel. Beaucoup de mères parlent k leur enfant endormi. Elles savent que l'enfant les entend et répond, bien qu'il no se souvienne de rien au réveil. Choisir ce moment psychologique dans lequel le cerveau demeure plus suggestible, accepte et se laisse imprégner, pour y déposer la suggestion moralisatrice, voilà ce que nous demandons. Il n'y a ni fluides magnétiques, ni état contre nature. C'est un état psychologique, un état de conscience particulier qui se produit spontanément ou qu'on peut produire artificiellement ; et, à la faveur de cet état de conscience, des guérisons physiques et morales peuvent être déterminées.

Sur des milliers de sujets hypnotisés nous n'avons jamais, a Nancy, obtenu le moindre accident en procédant par notre méthode de suggestion douce et calmante.

M Bérillon. — Les seu'es objections qui ont été faites à l'emploi de la suggestion pour guérir des enfants vicieux ou rebelles, étaient d'ordre purement philosophique. On nous a surtout reproché de méconnaître les principes de la morale de Kant et de soutenir tue proposition qui suppose détruites les bases fondamentales de l'éthique. On nous a dit qu'il n'était pas moral d'imposer à l'enfant des idées qui n'existent pas en germe chez lui.

Je voudrais savoir quelle valeur les psychologues qui participent aux tra-raut de la section de pédagogie attachent à cette objection.

II. Compayré, député. — Au point de vue philosophique, rien ne s'oppose à ce qu'on cherche à imposer a l'enfant, même par suggestion, des idées qui sont reconnues bonnes. Mais nous croyons qu'au point de vue pratique, la proposition de M. Bérillon soulèvera bien des objections. Beaucoup d'esprits se refuseront a croire que la suggestion faite à l'état de veille, ou même pendant le sommeil hypnotique, ait cette puissance sur le cerveau et que ses effets puissent être durables. Pour ma part, je crois que les sujets faciles à hypnotiser sont des malades ou des êtres d'un tempérament nerveux particulier.

M. Bérillon. — Je retrouve dans les paroles de M. Compayré une idée généralement admise par tous ceux qui n'ont pas étudié complètement la science de l'hypnotisme. Tous les hypnotisés ne sont pas des gens nerveux. Au contraire, la plupart de ceux qui présentent une susceptibilité spéciale à la suggestion et a l'hypnotisme, présentent toutes les apparences d'une excellente santé. M. le docteur Bremaud a démontré qu'un grand nombre d'hommes robustes, des marins et des soldats, par exemple, étalent hypnotisables. M. le docteur Liébeault a endormi un grand nombre de personnes qui se livrent aux travaux des champs. Mais la question n'est pas la.

Il n'est jamais venu à notre pensée d'hypnotiser tous les enfants, d'introduire la pratique de la suggestion dans les programmes et d'en faire un procédé général d'éducation.

Au contraire, nous désirons que cette méthode soit réservée comme un traitement à appliquer à des intelligences paresseuses ou a des natures vicieuses

Nous pensons que dans beaucoup de cas, si l'on avait recours à la suggestion hypnotique comme moyen curatif. on pourrait .se dispenser d'enfermer dans des maisons de correction des enfants sur lesquels tous les moyens habituels dont dispose la pédagogie ont échoué. A l'appui de cette opinion des faits Indiscutables ont été apportés et il est à souhaiter que l'esprit de routine ne vienne pas empêcher l'application d'une méthode pédagogique dont l'efficacité ne peut plus être discutée.

M. Félix Hément, inspecteur général de l'Université. — L'année dernière, M. Bérillon avait développé devant nous des vues générales ; cette année il fait mieux, il nous apporte des faits. La réalité de ces faits est confirmée par les témoignages les plus autorisés. Nous n'avons qu'à nous incliner et notre devoir est de chercher à en tirer tout le parti possible. Puisque la suggestion faite dans l'état de sommeil peut modifier la direction imprimée au caractère d'un individu et transformer ses habitudes vicieuses en bonnes, pourquoi ne

l'utiliserions-nous pas dans l'intérêt des enfants que nous sommes obligés de renvoyer de nos écoles ?

Autrefois, les esprits étaient attirés vers l'hypnotisme par l'amour du merveilleux. Nous, au contraire, nous nous y intéressons parce que nous y voyons un côté utile. Nous ne pouvons nier qu'il y ait des enfants qui rendent le rôle du pédagogue difficile. Faisons tous nos efforts pour les amender par la persuasion et surtout par notre patience. Mais si un jour nous reconnaissons qu'il n'y a pas d'autre moyen de les diriger dans la bonne voie, pourquoi ne les soumettrions-nous pas à quelques tentatives d'hypnotisme ? Selon moi, dans cette œuvre, le concours de deux personnes sera nécessaire. 11 y aura d'abord le médecin qui mettra l'enfant dans les conditions voulues pour qu'il devienne suggestible, puis le pédagogue interviendra et, à cet enfant hypnotisé, il donnera les conseils qu'il lui dicterait étant éveillé. L'expérience a appris que dans ce cas, nos recommandations auront plus de prise, que nous pourrons développer l'attention de l'enfant, accroître son énergie morale, et même le mettre dans l'impossibilité matérielle de céder a ses mauvais instincts.

Nous en profiterons pour lui faire les suggestions les meilleures. Il n'y a rien là qui puisse choquer des esprits généreux. Lorsqu'on se trouve en présence d'esprits malades on en voie de le devenir, il est indique de faire appel au concours de la médecine.

Le pédagogue et le médecin se compléteront l'un l'autre'dans la création d'une science nouvelle dont le vrai nom est l'orthopédie morale.

SOCIÉTÉ DE MÉDECINE DE BERLIN

Séance du 26 octobre 1887. — Présidence de M. Virchow.

De l'hypnotisme.

M. Moll. — Je me suis décidé a traiter ce sujet de l'hypnotisme en raison des nombreuses préventions que cette pratique a rencontrées dans le monde médical, qui y voit trop volontiers du charlatanisme et de la supercherie. Il y a deux ans, en commençant mes recherches, j'étais moi-même fort sceptique. Aujourd'hui, après plus de mille expériences, force m'est de reconnaître la vérité de la plupart des faits affirmés.

Il est encore fort difficile de donner une définition satisfaisante de l'hypnotisme. Je crois que, aujourd'hui encore, je ne puis mieux faire que de répéter ce que disait ici même, il y a sept ans, Senator : « On peut donner le nom d'hvpnotisme aux cas dans lesquels un sujet devient un instrument passif visa-vis de celui qui fait une expérience sur lui. »

On pourrait trouver des traces des pratiques de l'hypnotisme dans l'antiquité; mais l'historique ne doit pas remonter au delà de Braid.

Braid, médecin de Manchester, découvrit, en 1840, le fait suivant :

Si l'on fixe longuement un corps animé ou inanimé, il survient assez rapidement un état analogue au sommeil. A cet état il donna le nom d'hypno-

tisme. Cet état présente sans aucun doute une grande analogie, sinon une identité complète, avec celui que Mesmer produisait et auquel il donnait le nom de magnétisme animal. Braid appliqua l'hypnotisme à la thérapeutique et dit en avoir obtenu des résultats merveilleux. Il connut les suggestions. On donne le nom de suggestion aux actes que l'on peut commander au sujet en état d'hypnotisme.

Ainsi, l'on peut suggérer a un sujet en train de parler qu'il est devenu muet. Au moment même, le sujet s'arrête et est incapable de continuer.

Beaucoup plus tard, le professeur Charcot et ses élèves se préoccupèrent à leur tour de la question. Voici ce qu'enseigne M. Charcot :

Il y a deux formes de l'hypnotisme, la grande et la petite. La grande forme, t hypnotisme parfait », ne se voit que dans l'hystérie. On y observe trois phases :

1° La phase léthargique dans laquelle tous les muscles sont relâchés, comme paralysés; au cours de cette phase, il y a une hyperexcitabilité des nerfs et des muscles. Les paupières sont closes. Le sujet a l'apparence d'une personne qui dort. Pour obtenir l'état léthargique, on peut employer divers procédés; il suffit souvent de comprimer légèrement les paupières closes.

2° La phase cataleptique est caractérisée par l'état indiqué par ce nom. Les muscles ont perdu leur hyperexcitabilité. On fait passer le léthargique en catalepsie en ouvrant brusquement les yeux.

3* La phase de somnambulisme est celle pendant laquelle s'obtiennent les suggestions. Les paupières sont à demi closes. Il suffit de souffler légèrement sur la peau pour obtenir la contraction des muscles sous-jacents.

Peu après la publication des premières recherches de Charcot, la question de l'hypnotisme fut vulgarisée en Allemagne à la suite des séances publiques de Hansen.

Cependant, un certain nombre de professeurs de Nancy, et en particulier MM. Bernheim et Beaunis, déclarèrent que leurs expériences ne leur permettaient pas d'adopter complètement les idées de M. Charcot. Ils nièrent que la succession des trois phases tût habituelle. Ils voient dans cette succession un effet de la suggestion et de l'imitation. L'école de Nancy considère l'hypnotisme comme tout à fait indépendant de l'hystérie.

Pour ma part, je me rangerais plus volontiers à l'avis des professeurs de Nancy. Pendant mon séjour à Paris, qui a duré quatre mois, j'ai trois ou quatre fois assisté aux expériences de M. Charcot et de son chef de clinique M. Babinski. J ai vu la succession des trois phases chez les sujets hystériques se faire de la façon la plus classique. Mais il m'est impossible d'affirmer qu'il n'y ait pas lieu de soupçonner l'influence d'une suggestion. Je n'ai jamais pu personnellement déterminer chez les sujets en expérience la succession des trois stades. Je ne puis pas davantage aujourd'hui accepter une relation intime et nécessaire entre l'hystérie et l'hypnotisme. Plusieurs hystériques avérées se sont montrées absolument réfractaires, tandis que j'ai obtenu des résultats très complets chez d'autres sujets qui ne présentaient aucune trace d'hystérie.

A Nancy, l'on se préoccupa bientôt, et avant tout, des applications thérapeutiques de l'hypnotisme. M. Bernheim essaya a son tour cette méthode qu'il avait étudiée chez M. Liébeault. Il obtint des résultats excellents qui sont pu-

bliés dans son grand traité. Charcot n"a recours, autant que je sache, à ce traitement que dans les cas d'hystérie.

Voici comment on procède à Nancy, et comme j'ai appris à faire là-bas.

On ne recommande pas à la personne de fixer un objet brillant. Une fois que l'on a obtenu le consentement du malade, on lui dit :

« Vous allez dormir tout naturellement. Fixez mon œil droit. Songez à dormir. Ne pensez à rien d'autre. Voici déjà que vos yeux sont humides. Vous êtes très las. Vos paupières sont fatiguées. Elles se ferment. Vous dormez. »

Par ces paroles et d'autres de ce genre, on fait naître l'idée du sommeil, on amène par suggestion le sommeil. Le fait de fixer un objet est tout à fait accessoire; à Nancy, on n'y a pas recours.

Dès que le sujet a les paupières closes, on commence les suggestions thérapeutiques. S'il a des douleurs, on lui dit que la douleur est supportable, qu'elle diminue, qu'elle a disparu et ne reparaîtra plus. Des suggestions analogues sont employées dans les cas où l'on traite une anesthésie, une paralysie. Il convient d'ajouter au malade que la douleur, la paralysie auront diminué ou disparu au réveil. Pour réveiller, on dit à haute voix : « Réveillez-vous. »

Par cette méthode, j'ai obtenu un certain nombre d'améliorations et de guérisons. J'ai traité surtout des névralgies qui avaient résisté aux médications les plus diverses. J'ai amélioré la condition de plusieurs neurasthéniques. J'ai pu rendre le sommeil dans certains cas d'insomnie. J'ai surtout fait disparaître des migraines rebelles après des séances d'un quart d'heure ou d'une demi-heure.

Malheureusement, l'hypnotisme présente un certain nombre d'inconvénients. En premier lieu, il arrive souvent de ne pas réussir à endormir le sujet au moins dans la première séance. Un insuccès de ce genre est pénible pour le médecin. A Nancy cependant, on réussit 92 fois sur 100, sans qu'il y ait grande différence entre les deux sexes. Cette supériorité de l'école de Nancy tient sans doute à la longue pratique et à la grande confiance dans la mé-_ thode. Si un insuccès est plus pénible après cette méthode, il ne doit pas plus surprendre que dans un autre cas, et la possibilité d'insuccès ne doit pas faire abandonner cette médication.

Un autre inconvénient de l'hypnotisme, ce sont les préjugés de la clientèle, qui y voit une sorte de sorcellerie. L'n médecin qui avait obtenu d'excellents résultats en Angleterre a dû, par ces raisons, abandonner complètement son emploi. Hake Tuke, le célèbre médecin aliéniste anglais, de qui je tiens ce détail, qualifie cette détermination de faiblesse. On ne saurait triompher toujours des préjugés de la clientèle. Néanmoins, on pourra fréquemment obtenir par la persuasion le consentement du malade.

On a enfin déclaré que la médication par l'hypnotisme pouvait avoir des conséquences fâcheuses. Je ne crois pas que cela puisse arriver entre les mains d'un médecin consciencieux. S'il a été signalé de pareilles conséquences, c'est à la suite d'expériences prolongées, comme celles que l'on fait dans les séances publiques. Il n'en est nullement ainsi lorsque l'on évite toute émotion et procède tranquillement.

Pour ce qui est des indications de l'hypnotisme, on les trouve non seulement dans les névralgies, les états émotifs, les diverses céphalées, l'insomnie. On a employé cette méthode avec succès dans le traitement de la morphio-

manie, l'alcoolisme, de l'incontinence d'urine, de la crampe des écrivains, de la chorée. etc.

Pour ma part, je n'ai guère traité que des affections dites fonctionnelles, mais on a appliqué la méthode dans les affections organiques. On peut arriver ainsi à faire disparaître certains symptômes. Comme exemple à cet appui, je ne puis signaler qu'un cas de ma pratique. Il s'agissait d'un rhumatisme articulaire aigu avec douleurs très vives. Je ne donnai aucun médicament: je déterminai un léger degré d''hypnotisme; les douleurs diminuèrent immédiatement et il y eut une légère somnolence.

D'autres expérimentateurs ont signalé des cas d'amélioration dans diverses maladies organiques. On ne saurait décider encore si la suggestion n'agit que sur les symptômes, ou au contraire sur toute la maladie et la lésion. Je veux vous rappeler quelques observations fort curieuses qui tendent à démontrer que, par suggestion, on peut obtenir des modifications organiques.

M. Mabille, directeur d'un asile d'aliénés, a fait apparaître, par suggestion, une hémorrhagie à un bras ; ultérieurement, il a publié, avec M. Ramadier, un autre cas identique.

M. Bourru, professeur à Rochefort, a fait, par suggestion, apparaître, aux deux bras, des ecchymoses qui persistaient encore après trois mois.

Chez le même sujet, MM. Bourru et Burot ont fait apparaître des épistaxis.

Divers observateurs ont répété l'expérience suivante : chez une femme hypnotisée, ils appliquent dans le dos des timbres-poste et suggèrent l'idée qu'ils ont appliqué un vésicatoire. Dumontpallier a vu dans ce cas apparaître sous les timbres une congestion localisée très vive : Tocasson, Bernheim et Beaunis ont même observé des phlyctènes. On a fait l'expérience inverse, appliqué des mouches de Milan en faisant croire qu'il s'agissait de diachylon, et dans ce cas on n'a pas vu paraître de phlyetènes.

M. Voisin a obtenu un résultat plus-extraordinaire encore: il a fait réapparaître, à jour fixe, une menstruation supprimée.

M. Beaunis a vu que l'on peut, par suggestion, faire paraître une hyperémie limitée en un point. J'ai pu vérifier la chose moi-même plusieurs fois à Paris, chez une malade que je touchais à divers points du corps pendant le sommeil hypnotique.

M. Beaunis a pu encore, par suggestion, faire varier la fréquence du pouls de douze pulsations. Chez le malade dont je parle, un médecin russe a obtenu la même modification.

Si l'on suggère l'idée que l'on approche une bouteille d'ammoniaque, le sujet éternue ou produit un bruit analogue à l'éternuement ; un état analogue à l'ivresse apparaît quand on fait naître l'idée que l'on a bu du Champagne. Je suis obligé de m'arrêter dans cette exposition.

Je rappellerai que M. Hake Tuke. dans son « Traité de l'influence de l'âme sur le corps », soutient que les influences psychiques peuvent amener des modifications anatomiques. Il m'a souvent répété qu'en fixant notre attention sur une partie déterminée du corps, nous pouvons modifier complètement les conditions de sa nutrition.

Il n'est plus possible, aujourd'hui, d'opposer à ces assertions de simples dénégations. Il faut recueillir de nouvelles observations.

Je n'entrerai pas dans la critique des diverses interprétations proposées. Elles me paraissent insuffisantes. Je veux seulement répéter que l'hypnotisme simple, même sans suggestions

ultérieures, peut amener de bons résultats. Ce n'est certes pas une panacée ; mais il faut en essayer l'action. Ce n'est qu'en répétant les expériences qui nous paraissent difficiles à admettre que nous jugerons de leur complète exactitude ou de leur exagération. On arrivera ainsi à mieux préciser les indications et les contre-indications.

SOCIÉTÉ DE THÉRAPEUTIQUE

Séance du 9 novembre 1887. — Présidence de M. Créquy.

De l'hypnotisme et de l'action médicamenteuse à distance.

M. Constantin Paul. — On a fait tant de bruit, depuis quelque temps, au sujet des phénomènes de suggestion et surtout de la thérapeutique à distance, que j'ai prié M. Bourru, de Rochefort, de répéter ses expériences dans mon service, afin d'être édifié sur les résultats annoncés.

Il est bon de préciser, dans l'intérêt de la vérité, dans quelles conditions ont été faites les applications : j'ai fourni à M. Bourru un sujet très sensible, sur lequel il a pu agir en toute liberté, dans un petit comité, sans être influencé par personne, en dehors de toute pression. S'il n'a pas réussi a reproduire ce qu'il avait obtenu ailleurs, il ne doit s'en prendre qu'à lui-même. Il s'est d'abord servi d'alcool, le flacon étant débouché, — ce qui m'a paru incorrect, les émanations pouvant prévenir la personne en observation, attendu que l'hyperesthésie sensorielle est très accrue et que la perception des odeurs est certainement plus facile. Au réveil, M. Bourru nous a fait remarquer la titubation du malade ; mais, comme cette hésitation dans la marche se produit généralement lorsque le sujet cesse d'être hypnotisé, cela ne m'a pas paru concluant. Il ne saurait être question d'ivresse d'une façon positive.

Dans une autre tentative, le flacon a été appliqué derrière l'occiput, du côté droit ; le sujet a accusé un sentiment de satisfaction, de bien-être, qui devait être dû au laurier-cerise; or il s'est trouvé que, par inadvertance et à mon insu, le pharmacien n'avait donné que de l'eau claire.

Cinq à six autres expériences n'ont pas été plus décisives et ne prouvent absolument rien. J'en conclus que la rumeur publique a grossi considérablement certains faits sans grande portée. C'est une répétition de la fable :

... le nombre dœufs, grâce à la renommée, De bouche en bouche allait croissant ; Avant la fin de la journée, Ils se montaient à plus d'un cent.

M. Bucquoy. — Tout ce qui se rattache à l'hypnotisme a le don de passionner les esprits, et il est important de pouvoir être fixé.

Mais je crains que la commission même qui a été choisie dans le sein de l'Académie de médecine, pour contrôler les expériences de M. Luys, ne nous apporte guère de lumière. M. Charcot a son siège lait d'avance, et les autres

membres s'en désintéressent dans une certaine mesure, ou s'en rapportent à sa grande compétence. Ce que je puis affirmer, c'est que ceux de mes collègues et les internes qui ont assisté à la réunion de la Charité en sont sortis avec la conviction intime que M. Luys était trompé.

J'estime, pour mon compte, que nous devons rester sur la réserve, tant que la preuve bien nette de l'action spécifique, des médicdaments n'aura pas été fournie. Qu'on nous fasse voir, par exemple, les effets de salivation et de sudation du jaborandi, ou de tout autre corps dont les propriétés sont bien définies, au lieu de prendre des corps aussi peu connus que le sulfate de spartéine, et alors seulement nous pourrons croire à l'authenticité des faits énoncés.

L'émotion du public extra-médical ne me paraît guère justifiée jusqu'à nouvel ordre; il y a d'ailleurs des faits beaucoup plus intéressants à étudier, comme le traitement des maladies nerveuses par l'hypnotisme.

M. Constantin Paul. — 11 nous reste fort a apprendre sur toutes ces questions. On est arrivé à expliquer par les lois de la polarité l'action des aimants ; mais auparavant on s'en servait a l'aveuglette, sans savoir ce qu'on faisait. C'est ainsi que la direction du courant est très importante. On obtient des effets différents, sans changer la position des pôles, rien qu'en renversant l'aimant. C'est ce que je vous démontrerai, dans la prochaine séance, chez une des malades de mon service.

CONGRÈS D'AMSTERDAM

De l'hypnotisme dans la pratique médicale

Par le Dr Van Renterghem

Le premier Congrès néerlandais de naturalistes et de médecins a eu lieu à Amsterdam le 3o septembre et le 1er octobre 1887.

Dans la section de médecine présidé: par l'éminent ophtalmologue d'Utrecht. M. le professeur Donders. le docteur A.-W. Renterghem, d'Amsterdam, a lu un mémoire intitulé : De l'hypnotisme et de la suggestion appliqués à la pratique médicale.

Nos lecteurs se rappelleront que l'auteur, après avoir étudié la littérature si étendue sur le magnétisme animal, s'est rendu à Nancy pour profiter des leçons cliniques de MM. Bemheim et Liébeault. De retour en Hollande, il a ouvert des séances quasi-publiques à l'instar de celles de M. le docteur Lié-beault.

Dans son mémoire, dont la lecture a été suivie avec tout l'intérêt que mérite un sujet si important, il expose les résultats brillants obtenus par l'application de la suggestion hypnotique dans un grand nombre de cas de maladie les plus divers.

Dans le cours d'environ trois mois (du 3 mai au 9 août), il a hypnotisé 178 personnes.

Les résultats produits quant au degré de sommeil obtenu peuvent se ranger dans le tableau suivant :

Somnolence

Sommeil léger

profond

» très profond..... . . 29

Somnambulisme

Réfractaires

Total

Voici l'enumération des cas soumis à cette medication' et des résultats obtenus par le confrère hollandais :

DIAGNOSTIC Nombre des cas traités Amélioré Guéri Rien obtenu

Rhumatisme articulaire chronique 3 3 3

Douleurs rhumatismales a i3

Sciatique IO 3 7 » »

Goutte »

Symptômes hystériques "4 3

Aphonie hystérique 1 1

Toux convulsive 1 s

Vertiges 1 2

Asthme nerveux 1 1

Strangurie 2 •

Céphalalgie 4 5

Agrypnie 4 •

Odontalgie t 1 »

Tic douloureux 1

Névralgies diverses 6 I i

Lésions fonctionnelles (suite d'apoplexie) ... 2 1 »

Neurasthénie ¦

Mélancolie 2

Epilipsie . 3 3 » »

Petit-mal 1 1

Amaurose I ¦

Surdité m 1 1 A

Taie de la cornée i

Paralysie infantile » d

Crampes d'estomac 2 »

Troubles de la mentruation 1 3

Symptômes hectiques.....» .". ... 3

Dyspepsie 10 »

Affections chroniques de l'estomac 1 »

Maladie de Bright »

Colique rénale 1

Périmétrite »

Catarrhe intestinal........... 4 »

Ulcére chronique de la jambe » I »

Abcès de la gencive » »

Contusions » 1 6 »

Totaux ... 162 46 91 25.

S'appuyant sur ces faits et sur ceux produits par ses devanciers, le docteur Van Renterghem réclame pour l'hypnotisme une place prépondérante dans la série des médications fonctionnelles adoptées par la médecine officielle; il finit sa lecture en rappelant à son auditoire ces mots de Preyer :

« Le praticien scientifique ne se sert pas de l'hypnotisme parce qu'on ne lui en a rien appris pendant ses études universitaires et parcequ'il craint de se voir traiter de charlatan s'il osait imiter les manèges du thaumaturge, ne fut-ce que dans un seul cas. Voilà pourquoi l'œuvre de Braid a pu tomber dan» l'oubli et voilà encore pourquoi le médecin d'aujourd'hui préfère endormir ses mal ad.'i par la morphine ou le chloral pour soulager ses douleurs, au lieu de recourir à l'hypnotisme.

La lecture de cet intéressant mémoire a été suivie de quelques débats qui ont conduit à ce résultat qie 1 docteur Van Renterghem se met à la disposition de tout collègue qui désirerait s'initier à la méthode d'hypnotisme inaugurée par M. Liébeault.

Le professeur Donders prie M. le docteur Van Rcnterghcm de vouloir accepter les remerciements chaleureux de l'assemblée pour l'exposition scientifique du sujet qu'il vient de traiter. Il est assuré que l'hypnotisme possède des titres sérieux réclamant l'attention du physiologue et du clinicien ; il croit cependant, jusqu'à nouvel ordre, devoir se réserver une opinion définitive sur la valeur pratique de l'hypnotisme comme agent thérapeutique.

CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE

L'hypnotisme officiel à Berlin.

Un médecin distingué de Berlin, M. le docteur Moll, après avoir étudié, à Paris, dans le service de M. le professeur Charcot, et à Nancy, dans le service de M. le professeur Bernheim, les phénomènes de l'hypnotisme, s'en est retourné chez lui émerveillé et convaincu. Désireux de faire passer ses convictions, basées sur des études réfléchies, dans l'esprit de ses compatriotes, il a fait, à la Société de médecine de Berlin, une longue communication sur les faits qui l'avaient frappé. Naturellement, une discussion ne pouvait manquer de s'engager sur ce sujet entièrement nouveau pour les médecins d'outre-Rhin.

Mais il est écrit que nos confrères allemands ne sauraient se départir d'une certaine défiance à l'égard de tout ce qui est exporté de France, et quelques-uns, bien qu'absolument incompétents, ont cru devoir mettre en doute les résultats obtenus par les maîtres français. On ne pouvait manquer de rééditer cet argument spécieux qui ne manque jamais son effet : « J'ai essayé d'hypnotiser des malades, je n'ai pas réussi ; donc, l'hypnotisme n'existe pas! »

Un des honorables académiciens a cru diminuer la valeur de la suggestion en déclarant qu'elle était aussi ancienne que te monde : « N'est-ce pas une suggestion, a-t-il dit, qui a sauvé les jouis de Frédéric II à la bataille de Kunersdorf, lorsqu'il arrêta le sabre qu'un Croate levait sur lui, en criant: « Toi !... Toi !... »

Evidemment, dans tous les temps, l'action intellectuelle des hommes les uns sur tes autres a existe. Mais ce que n'a pas compris notre confrère berlinois, c'est que l'idée nouvelle était celle qui consiste a appliquer méthodiquement la suggestion comme moyen thérapeutique au traitement de certains troubles psychiques. Le mérite de cette application en revient même uniquement à un Français, M. le docteur Liébeault, et aux médecins également français qui se sont faits ses disciples.

Les études d'hypnotisme, qui ont fait de si rapides progrès en France, en Italie et en Suisse, ne semblent pas devoir être acceptées aussi facilement en Allemagne. Cela n'a rien : puisse nous étonner.

Des éludes qui nécessitent une certaine finesse d'esprit et surtout un tact assez développé ne sauraient convenir u la lourdeur germanique.

Les énormités débitées a la Société de médecine de Berlin, à la suite de la communication de M. Moll. prouvent que les médecins allemands ne se tiennent pas, autant qu'on pourrait le croire, au courant du mouvement scientifique. Elles prouvent aussi que l'érudition allemande s'acquiert a peu de frais.

Si les Allemands, que nous savions déjà dépourvus de l'esprit d'initiative, n'ont même plus à leur actif cette érudition dont ils font un étalage si pompeux, que restera-t-il ? Peu de chose, assurément.

Nous croyons aussi que l'enthousiasme de M. Moll aura grand'peine à résister aux assauts dont son travail a été et dont il ne peut manquer d'être encore l'objet.

L'hypnotisme et la presse.

11 arrive assez fréquemment que des reporters, assistant à des cours faits par des médecins sur l'hypnotisme, émaillent leurs comptes rendus d'appréciations inexactes. Faisant allusion a des récits fantaisistes qui ont, plus que de raison, ému l'opinion publique, M. le professeur Charles Richet exprime ainsi, dans la Revue scientifique, qu'il dirige avec tant d'autorité, son opinion sur l'intervention des journalistes dans les débats scientifiques :

a Ils ont jugé, apprécié, examiné, décidé. Et pourtant, la médecine, la physiologie et la psychologie ne s'apprennent pas dans l'entresol d'un bureau de rédaction : ce sont des choses scientifiques, ardues, qui exigent, pour être comprises, de longues et patientes études et un labeur de plusieurs années.

» Le malheur est qu'en fait d'hypnotisme et de magnétisme, tout le monde se croit en état d'avoir une opinion. Etrange mirage! S'il s'agissait d'une dia-gnose de microbes ou d'une analyse spectroscopique, ces jeunes gens se reconnaîtraient tout à fait incapables de donner un avis sensé ; mais il parait que, quand ;l est question des phénomènes les plus délicats et les plus obscurs de la psychologie physiologique, il* ont droit à la compétence. Pour notre part, nous croyons qu'ils s'abusent ; mais vraiment, ce n'est pas de leur faute et personne ne saurait blâmer leur présomption. On les convie a assister i des expériences, c'est donc apparemment qu'on leur attribue droit d'examen et de contrôle.

»..... Le reportage n'a rien a faire avec la science. J'en dirais peut-être autant des commissions académiques qui prétendent décider, à la majorité des

voix, si un fait est vrai ou faux. Tel fait serait donc vrai uniquement parce qu'il a pu réunir la majorité des voix.

» A Dieu ne- plaise que nous voulions faire de la science un temple mystérieux et inaccessible, ouvert à quelques initiés. Non, assurément ; mais un savant est toujours cru sur parole, dés que les détails qu'il donne et qu'il doit donner sont suffisants pour entraîner la conviction. Tant pis pour lui si l'on n'est pas convaincu. Dans ces conditions, les démonstrations publiques ne prouvent rien, elle* compromettent tout. »

Un cas de somnambulisme naturel.

M. le Dr Souloumiac a adressé a M. le Dr Bourru la note suivante que notre collaborateur nous a transmise et que nous nous faisons un grand plaisir d'insérer :

« Selon votre désir, je m'empresse de vous adresser, avec ses traits les plus saillants, l'observation que vous m'avez fait l'honneur de me demander. Je la crois iniéressante à plus d'un titre : voyez si elle mérite d'être publiée. Je m'en rapporte à votre sagacité.

» Le jeune domestique que je vous amenai il y a quelques semaines s'appelle Anatole Garlopeau. Il est figé de quinze ans et demi; le tempérament lymphatico-nerveux ù système nerveux très développé. Comme vous avez pu vous en rendre compte, le jeune homme est très intelligent, actif, susceptible d'un attachement sincère, d'une délicatesse de sentiments rare chez les personnes de sa condition; mais aussi d'une grande susceptibilité, très impressionnable. Il s'endort facilement pendant nos courses en voiture. Le pouls ordinaire est de 80 p.

»Il y a deux mois, j'ai soigné Anatole pour une rougeole grave pendant laquelle j'ai eu i combattre des accidents nerveux et un subdelirium qui a duré plusieurs jours. Pas de maladie organique. Pas de maladies raves, sauf une varioloïde, traitée a l'hôpital de Rochefort pendant un mois, il y a 4 ans.

» Du côté du père, rien de particulier i signaler. La mère, depuis son mariage, est adonnée aux liqueurs alcooliques. « Quand elle était jeune fille, » me dit une de ses cousines, il n'y paraissait pas trop, mais elle était » drôle (sic). » Ce qu'il y a de certain, c'est que la mère s'enivre presque tous les jours, est alcoolique, et a parfois des crises de delirium tremens.

» Avant d'avoir la rougeole, Anatole était placé chez M. Gallery, percepteur à Pont-l'Abbé. Là, on s'est aperçu plusieurs fois qu'Anatole se levait pendant la nuit; on l'a trouvé lisant pendant ses accès de somnambulisme.

» Lorsque je vous l'amenai, vous avez constaté que la sensibilité était parfaite, les pupilles également normales; pas de plaque anesthésique. Vous l'auriez probablement sûrement endormi, si vous aviez prolongé l'épreuve. Ce jour-là, Anatole était rebelle à l'influence hypnotique, inquiet, méfiant et bien décidé a lutter avec toute la volonté dont il était capable.

» Ceci expliqué, racontons les scènes de somnambulisme auxquelles j'ai assisté.

» Anatole se.couche vers les 8 heures, 8 heures 1/2. Tous les soirs, vers les 10 heures, je l'entendais parler et s'agiter dans son lit. Cette agitation durait 20, 25 minutes. Puis, silence et sommeil calme jusqu'à 3 heures du matin. A

3 heures, il s'habillait, descendait sans lumière d'un pas assuré, prenait les chaussures, allait s'asseoir dans la cuisine et se mettait à cirer consciencieusement. La besogne achevée, il se levait, mettait tout en place et allait se coucher. Le lendemain, il ne se souvenait de rien. Je le touchais, pas de réaction: j'approchais une lumière de ses yeux, les pupilles largement dilatées ne se contractaient pas; je passais le doigt sur le globe oculaire, insensibilité complète. Une fois, j'eus l'idée de lui donner deux ordres contradictoires : tenir les bras écartés et cirer sans rapprocher les mains. Une angoisse inexprimable se peignit sur son visage et je constatai du strabisme. Effrayé, je cessai l'expérience. J'ordonnai a Anatole d'aller au lit. Il obéit. Le lendemain, il ne se souvenait de rien ; mais il était fatigué, et deux fois il tomba dans les escaliers.

» C'est alors que je me décidai à prendre l'avis de mon savant confrère M. Bourru, n'osant accepter la responsabilité de l'hypnotisme et de la suggestion, par lesquels je me proposais d'essayer la guérison du malade.

» Le soir même, 21 septembre, je commençai le traitement. Fixant Anatole, dans le plus grand silence, mes deux mains appuyées légèrement sur les côtés du front, je réussis â l'endormir en quelques minutes. Je le faisais s'asseoir, se lever, se déshabiller, s'habiiler. Sa volonté était annihilée. Je lui demandai s'il me voyait ; il fit signe que non. Je lui ordonnai de parler, de dire bonsoir. Il essaya, mais ne put articuler un mot. « Voulez-vous répondre ? s — Our, par signe. « Refusez-vous de parler ? » — Non, par signe. Les paupières étaient fermées, la face un peu congestionnée, les pupilles fortement contractées et également. Je le pince, il se recule. Le pouls donne 110. Température. 38°2.

» Après avoir répété plusieurs fois ces expériences, j'ordonne à Anatole d'aller au lit. Il obéit aussitôt : mais sa démarche est mal assurée, comme celle d'une personne endormie ; je suis obligé de le conduire et de l'aider, en le soutenant légèrement, pour monter les escaliers. Je lui ordonne de dire bonsoir à la gouvernante. Il essaye, mais ne peut parler. Enfin, il se déshabille seul, se met au lit et je le quitte en lui suggérant de ne pas parler et de ne pas se lever. Ainsi fut fait. Le lendemain il se rappelait que je le fixais, qu'il s'était endormi tout d'un coup (sic); pour le reste, il y a une lacune dans son existence. Il se demandait comment il était allé se coucher et se trouvait très étonné d'être dans son lit, au lieu d'être dans mon cabinet.

• Le lendemain, Anatole met en jeu toute sa volonté, toute sa force de résistance, avec l'intention bien arrêtée de ne pas s'endormir. La séance fut en effet un peu plus longue. Après avoir employé le procédé de la veille, le domestique ne s'était pas endormi et riait en disant : « Vous ne m'endormirez pas. » Je comprime légèrement les globes oculaires pendant 2 ou 3 minutes. Je le fixe en caressant doucement le visage. Anatole bâille et s'endort tout à coup. Mêmes succès que la veille. J'oublie de lui suggérer de ne pas parler à 10 heures du soir, il parle en rêvant, mais il ne se lève pas.

» J'ai hypnotisé le sujet 6 fois, toujours avec la même facilité et le même succès. Puis je me suis contenté pendant quelques jours de la suggestion. Aujourd'hui, Anatole peut être considéré comme guéri. Il ne se lève plus. Cependant je l'entends quelquefois parler.

• Cette observation me parait intéressante au point de vue médico-légal. On peut faire accomplir par le somnambule telle action qu'on lui suggère; mais l'hypnotisé n'est qu'un endormi, incapable d'un effort un peu puissant. Il

tiendra la plume, mais n'écrira pas. Je regrette de n'avoir pas pensé à faire écrire Anatole pendant son accès de somnambulisme.

- » Au point de vue du traitement du somnambulisme, l'observation prouve que par l'hypnotisme et la suggestion on peut guérir cette maladie, en faisant contracter au fonctionnement du cerveau des habitudes nouvelles.

Il faut ajouter cependant que dans le cas présent, les circonstances ont été particulièrement favorables; l'expérience s'est faite chez un enfant très impressionnable, très reconnaissant de quelques services rendus et ayant en moi une confiance absolue. »

Les expériences de M. le Dr Luys à la Charité.

Le courant qui entraîne les esprits vers l'étude de l'hypnotisme est tellement puissant que, sans qu'elles eussent été annoncées publiquement, les démonstrations expérimentales que M. le Dr Luys fait, le jeudi, dans son service à la Charité, avaient attiré une affluence considérable.

A la troisième démonstration, l'amphithéâtre était tellement rempli que l'on courait grand risque d'y être étouffé. Tout eût été pour le mieux si, dans la masse des étudiants et des médecins attirés par l'aurait scientifique de ces -phénomènes, ne s'étaient glissées un certain nombre de personnes guidées par la simple curiosité et venant la comme à un spectacle. Le lendemain, la presse politique était remplie d'exposés plus ou moins véridiques et les expériences de M. Luys étaient présentées sous un jour absolument faux par des personnes qui n'en avaient pas compris toute la portée scientifique.

Aussi M. Luys, comprenant tout ce que cette situation avait de nuisible pour la propagation des idées scientifiques qu'il enseigne, a décidé de n'admettre les élèves en médecine et les médecins, aux démonstrations, que par-groupe ; d'une dizaine.

Dans ces conditions, les expériences pourront être poursuivies avec un contrôle rigoureux, qu'empêche nécessairement le mouvement d'une affluence considérable. M. Luys se propose d'étudier ainsi les rapports que présentent les phénomènes d'hypnotisme avec la psychologie morbide et avec la médecine légale. Nous publierons dans notre prochain numéro une de ces intéressantes leçons, recueillie pour la Revue par M. le Dr Aronssohn, un des élevés de M. Luys.

BIBLIOGRAPHIE

L'éditeur Félix Alcan, qui a publié récemment une traduction du grand traité de Psychologie physiologique de Wundt, nous donne aujourd'hui un résumé des mêmes questions, dû au professeur Sergi (de Rome). Dans un volume de 450 pages, le savant italien met à la portee de ceux qui veulent aborder l'étude des nouvelles méthodes d'investigation psychologique, un exposé simple et clair de ces méthodes.

L'ouvrage est divisé en cinq parties, traitant de la sensibilité, des fonctions du cerveau (pensée, raison, perception de l'espace et du temps), de la volition, du déterminisme et de la responsabilité.

Il a été traduit de l'italien par un professeur de notre Université, M. Mouton, qui a su rendre facile et même attrayante cette étude scientifique des phénomènes de la conscience (1).

(1) Un volume in-8° de la Bibliothèque de philosophie contemporaine, avec 40 figures dans le texte ; 7 fr. 5o.

NOUVELLES

Bourse du Muséum. — Sont nommés boursiers, pour jouir. pendant l'annés scolaire 1887-1888, des bourses et-après désignées, les jeunes gens dont les noms suivent: Bourses d'agrégation (1re année): MM. Carpentier, licenciées science» phy-siques, mathématique» et naturelles; Chudeau, licencié ès sciences physiques et naturelles: Constantin Lefebvre. — Bourses de doctorat (1re année : MM. Chan-veau et Rahon, licencies es sciences naturelles. Une prolongation de bourse est accordée, pendant l'année scolaire 1887-1888. aux boursier» dont les noms suivent : — Doctorat (1re année): M. Veillard. licencié es sciences naturelles. — Doctorat (2e année. : MM. Biétrix, licencie es sciences naturelles; Boule, licencié es science» physiques et naturelles, agrégé des sciences naturelles ; Goguel, licencié es sciences naturelles ; Ménigaux, licencié es sciences physiques et es sciences naturelles, agrégé des sciences naturelles; Perrin, licencié es sciences physiques et naturelles; MM. Meunier et Wertheimer, licencies es sciences naturelles.

Médecin-docteur ès letrres. — M. Ernest Faligan, docteur en médecine de la Faculté de Paris, a soutenu les deux thèses suivantes pour le doctorat devant la. Faculté des-lettres de Paris, en Sorbonne. le mercredi 3o novembre, a midi. —

Thèse latine : De Marlovianis fabulis. Thèse française : Histoire de la lègende de Faust.

Collège de France. — M. Marcy, professeur d'histoire naturelle des cours organisés au Collège de France, est autorisé a se faire remplacer, pendant le premier semestre de l'année scolaire 1887-1888, par M. François Franck.— M. Brown-Séquard, professeur de médecine audit Collège, est autorisé à se faire suppléer, pendant l'année scolaire 1887-1888, par M. d'Arsonval.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

La psychologie physiologique, par M. G. Sergi, professeur à l'Université de

Rome, traduit de l'italien par M. Mouton, professeur de philosophie. (Bibliothèque de philosophie contemporaine, avec 40 figures dans le texte. — F. Alcan, édit.; 7 fr.50.

Le miracle et ses contrefaçons, par le P. J. de Bonniot. — Retaux-Bray,

édit.. in-8°, 1887.

De l'électricité comme agent thérapeutique en gynécologie, par Paul Mundé, traduit de l'anglais par le Dr P. .Menière, rédacteur en chef de la Gazette de gynécologie. — Doin, édit., in-8°, 1887; 2 fr, 5o.

L'hypnotisme et la médecine légale, par le Dr Ladame, privat-docênt à

l'Université de Genève. — Storck, édit. à Lyon, in-8°, 1887.

Exposé pratique du traitement de la rage par la méthode Pasteur,

par le Dr J. R. Suzor. — Maloine, édit., in-8°, 1888; 5 fr.

Cours théorique et pratique de pédagogie, par Michel Charbonneau. nouvelle édition revue par M. J. Rapet. — Delagrave, édit., in-12, ¡885. Pédagogie à l'usage de l'enseignement primaire, par M. P. Rousselot.

Histoire universelle de la pédagogie, par M. Jules Paroz. — Dela-grave, edit., in-12, 1883.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT.

paris . — imprimerie charles dlot, rue bleue 7.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

BULLETIN.

LA SOCIETE MUTUELLE D'AUTOPSIE

Tous les ans. la Société d'anthropologie de Paris, pour perpétuer le souvenir de l'illustre Broca, organise une conférence dans laquelle est traitée, à un point de vue général, une des questions dont la solution préoccupe le plus les savants qui s'adonnent à l'étude de l'anthropologie.

Cene année, le conférencier, M. le professeur Mathias Duval, avait choisi pour texte de son étude : l'Aphasie depuis Broca. Apres avoir expose' les résultats fournis par les rares autopsies faites sur des hommes devenus célebres par la facilité de leur parole et par leur mémoire des mots, il a exprimé le regret que la pratique des autopsies ne se fût pas davantage généralisée.

C'est dans les termes suivants que l'éminent professeur a exposé les services que se propose de rendre la Société d'autopsie mutuelle, qui, malgré le silence fait autour d'elle depuis quelque temps, n'a pas cessé de fonctionner.

« Je ne parle pas, a-t-il dit, d'autopsies medicóles proprement dites, c'est-à-dire faites pour fixer le médecin sur la nature de la maladie à laquelle a succombé le malade. Je parle d'autopsies faites dans un but purement scientifique de physiologie cérebrale. Une personne a été connue pendant sa vie comme douée au plus haut degré de telle ou telle faculté cérébrale, représentation auditive, ou visuelle, motricité graphique ou autre: elle succombe à une affection du coeur, du poumon; enfin, elle succombe sans aucun trouble cérébral, il n'y a pas de lésion cérébrale à chercher, le médecin n'a pas à examiner l'encéphale. S'il y a autopsie, l'encéphale sera laissé de côté, mais le plus souvent il n'y a pas même autopsie; c'est contre cet oubli qu'il faudrait réagir. Je ne parle pas des hôpitaux, où les autopsies sont toujours faites, où tous les organes sont scientifiquement examinés, mais où les sujets sont des individus inconnus, qui sont venus pour une maladie spéciale et sont, en fin de compte, autopsiés pour cette maladie spéciale. Je parle des autopsies à domicile, sur des personnes dont l'entourage, famille

ci amis, peut préciser les particularités de caractère, de mode cérébral, pour ainsi dire. Il faudrait que chacun de nous prît des dispositions testamentaires, imitées de celles formulées par notre regretté maître et ami Bertillon : « Je veux, a-t-il dit, que mon ce'r-» veau soit recueilli par le laboratoire d'anthropologie, afin que l'é-» tude des circonvolutions en soit faite au point de vue de la concor-» dance que peut présemer la morphologie des circonvolutions avec ce » que connaissent mes amis sur les particularités de mes fonctions cé-» rébrales. Etre utile m'a toujours paru le but le plus beau de la vie; je » désire être utile a la science encore après ma mon. »

» C'est dans ce but qu'à été fondée a Paris, en juillet 1880, la Société mutuelle d'autopsie dont je ne puis mieux caractériser le but scientifique qu'en reproduisant ici les paroles que Letourneau a prononcées à ce sujet sur la tombe même de Bertillon :

« II y a quelques années, disait-il, un petit groupe d'hommes, tous » dévoués de longue date au progrès scientifique et social, s'unirent » dans une généreuse pensée. Depuis longtemps leur esprit était affran-

» chi de tout servage religieux et métaphysique. Tous ils savaient que, » dans ses qualités et dans ses défauts, dans toute sa vie mentale, chacun » de nous obéit à son organisation. Aucun d'eux n'ignorait quel im-» mense intérêt il y aurait à pouvoir scientifiquement déterminer la cor-» relation existant nécessairement entre lés caractères dits psychiques

» et les traits physiques, dont les premiers sont l'expression. Mais pour » cela il est indispensable de scruter, d'étudier minutieusement les cen-» très nerveux d'hommes dont on a bien connu l'activité mentale. Or

» l'autopsie, qui jadis, sous le règne de Louis XIV. par exemple, était * une distinction réservée aux grands, est devenue pour la plupart de » nos contemporains un épouvantail. Pour la remettre en honneur, il

» fallait aller à l'encontre de nos mœurs et. dans une certaine mesure, » de nos lois. Nos chercheurs n'hésitèrent pas, et il va sans dire » que Bertillon était parmi eux. Pour lui, comme pour eux, braver » les préjugés en vue d'un intérêt supérieur était une habitude, se dé-» vouer à la science et au progrès social était un besoin. Payant d'exemple » et s'engageant mutuellement à léguer leur corps a la science, ils fon-» dèrent une Société mutuelle d'autopsie, dont le titre a quelque temps

» égayé certains de nos faiseurs d'esprit, mais à laquelle les natures t d'élite se rallient et se rallieront toujours de plus en plus (i). »

» Od peut dire que ces paroles de Letourneau ont été le premier manifeste de cette Société. Je ne pouvais me dispenser de rappeler une manifestation si parfaitement en accord avec toutes les tendances de la Société d'anthropologie et avec l'ordre d'études que nous venons de résumer sous le titre de l' Aphasie depuis Broca. On dira peut-être que je fais une

(i) La Société d'autopsie a été autorisée, le 8 janvier 1881. par un arrêté du Prêfet de police (signé Andrieux); cet arrêté approuve les statuts de la Société et

détermine les- conditions dans lesquelles fonctionne actuellement la Société. -— Actuellement, pour toute demande de renseignements, l'adresser à M. Gillet-Vital,

15, rue de l'Ecole-de-Médecine.

réclame pour la Société d'autopsie; j'accepte l'expression; elle est pour moi. à mes yeux, non un blâme, mais un éloge.»

Qui pourrait blâmer M. Methias Du val d'avoir rappelé aux hommes exempts de préjugés qu'ils ont. môme après leur mort, un moyen de ser-vir la science qu'ils avaient entourée pendant leur vie du culte le plus ardent et le plus désintéressé..

Nous ne prévoyons pas quelles objections, autres que celles tirées d'un sentimentalisme étroit, pourraient être opposées au développement de la Société mutuelle d'autopsie.

Les objections tirées de l'idée religieuse ne nous sembleraient pas plus dignes d'être prises en considération. Aucune religion, même la plus sévère dans ses dogmes, n'interdit de disposer des restes d'un homme dans l'intérêt d'une cause juste. Les reliques des saints, dispersées et conservées avec un soin pieux dans tous les coins du monde, en sont la preuve la plus manifeste.

Pour aucun de ceux qui se rendent compte de l'intérêt que présente une autopsie scientifiquement faite, cene opération ne saurait revêtir le caractère d'une profanation.

Nous exprimons donc le souhait que la Société mutuelle d'autopsie soit bientôt pourvue d'une organisation telle qu'il lui soit possible d'exécuter d'une façon rapide et pratique l'examen anatomique des corps de ceux qui en auront exprimé la volonté dans leurs dispositions testamentaires. Il importe qu'elle ait à sa disposition un outillage complet ainsi que quelques opérateurs exercés et qu'elle puisse, dans la plupart des cas, enlever le cerveau et les pièces utiles à l'étude, sans laisser sur le corps aucune trace de mutilation apparente.

Nous serons heureux d'enregistrer les résultats pratiques auxquels ne peut manquer d'arriver promptement la Société d'autopsie, car rien de ce qui touche à la science de l'homme, qu'il soit éveillé, endormi ou mort, ne saurait nous être étranger.

Dr EDGAR BÉRILLON.

UN ALIÉNÉ EN COUR D'ASSISES

Par M. le Dr A. LACASSAGNE

professeur a la faculté de médecin» de lyon

Le docteur Lamotte a été condamné, il .y a quelques jours, par la cour d'assises de l'Ardèche, à deux ans de prison, cent francs d amende et aux frais. Ce jugement, qui a frappé un épileptique dément, ne peut passer inaperçu. L'inculpé avait été arrêté au mois de mai 1886. surl'inculpation de faits véritablement odieux: depuis longtemps, sur des enfants ou des jeunes gens, le docteur Lamotte se livrait à la pratique du coït buccal.

L'instruction fut longue et elle aboutit, au bout de six mois, à un arrêt de renvoi devant la cour d'assises de l'Ardèche. La famille avait aussi fait une enquête et réuni un ensemble de faits qui semblaient prouver que le docteur Lamotte n'avait pas toujours la plénitude de ses facultés mentales. Elle demanda aux pouvoirs judiciaires un examen par des experts. Le juge d'instruction, le parquet de Privas, le procureur général de Nîmes, la chambre des mises en accusation ne crurent pas devoir se rendre à ce désir : l'instruction avait suffisamment établi, disait-on, que rien ne prouvait l'état d'insanité d'esprit de l'accusé.

Quelques semaines avant l'ouverture des débats, un des plus distingués avocats du barreau de Lyon, auquel avait été confiée la défense, Me Arcis, vint me trouver et me pria d'examiner, au point de vue mental, le dossier de cette affaire, les renseignements réunis par la famille et un mémoire auto-biographique rédigé par le docteur Lamotte dans sa prison. A la lecture de ces documents, j'eus quelques doutes, mais je ne crus pas devoir assumer seul la responsabilité de venir en rendre compte devant la justice, et je priai la défense de m'adjoindre un spécialiste. M. le docteur Max-Simon fut désigné et les pièces du procès lui furent soumises. Quand je vis que mon confrère et ami partageait mes hésitations et comme moi inclinait à croire que quelques-uns des laits ou certaines des circonstances pouvaient laisser planer des doutes sur la responsabilité de cet homme, je promis à Me Arcis de venir expliquer devant le jury les motifs de notre appréciation.

C'était en novembre 1886. M. Max-Simon, dans sa déposition, fit voir qu'un état mental profondément perturbé pouvait être soupçonné et conclut À la nécessité d'un examen. Je montrai, de mon côté, en les analysant successivement, que l'intelligence, les actes et les sentiments de l'accusé étaient, sinon anormaux, au moins étranges; qu'il était impossible, dans les conditions où nous nous trouvions placés, de d:re si on avait affaire à un malade, ou quelle était la maladie dont était atteint M. Lamotte, mais qu'il y avait de fortes présomptions en faveur d'une maladie cérébrale, et qu'il était indispensable de confier son examen à des experts, qui, après observation prolongée, pourraient se prononcer.

Ces propositions furent acceptées par le ministère public et un arrêt de la cour d'assises renvoya 1 affaire à une autre session. Trois experts furent désignés par la cour : MM. Jaumes. professeur de médecine légale à la faculté de Montpellier; le docteur Cauvy, médecin des prisons de Nîmes; le docteur Marandon de Montyel, médecin en chef de l'asile des aliénés de Marseille. C'est dans ce dernier établissement que le docteur Lamotte fut transféré et soumis à l'observation jusqu au mois de juillet de cette année.

Les trois experts déposèrent un long rapport, parfaitement étudié et motivé. En voici les conclusions :

1° Lamotte est atteint d'épilepsie traumatise se manifestant par des vertiges avec démence ou affaiblissement intellectuel au premier degré et perversion des instincts.

2° C'est sous l'empire de cet état mental morbide que l'accusé a commis les actes qui lui sont reprochés. Il est irresponsable.

3° Lamotte est un aliéné dangereux qui ne doit pas être laissé en liberté.

En septembre dernier, à cause de l'état de maladie d'un des experts, l'affaire fut renvoyée à la session de décembre. La défense sollicita encore mon concours. Je n'acceptai qu'à la condition de voir quelques jours avant les débats le docteur Lamotte et de me rendre compte par moi-même des symptômes relevés par les experts. Celte permission fut accordée par M. le président des assises.

Je constatai en arrière du vertex une cicatrice adhérente, avec enfoncement des parois osseuses. La démence est manifeste et plus caractérisée qu'au mois de juillet; les troubles de la mémoire sont très marqués ; il ne se rappelle plus le nombre et le nom de ses enfants. 11 lui est impossible de faire une addition ou une soustraction; il a oublié, ou à peu près, la table de multiplication. La station debout est très pénible, il a une hémianesthésie ou une hémi-parésie de tout le côté gauche.

C'est ce dément, cet homme si profondément atteint, qui a été jugé les 6 et 7 décembre derniers. M. le président des assises, M. le procureur de la République ont plusieurs fois admis et déclaré que le docteur Lamotte était aujourd'hui un aliéné, un malade, et cependant toutes les questions lui ont été posées comme à un aliéné ordinaire, et. après les plaidoiries, M. le président lui a demandé s'il n'avait rien à ajouter à sa défense.

Nous demandons, à notre tour, si, dans une situation mentale semblable, si, avec un état de maladie cérébrale reconnu par tous, un aliéné est en état de se défendre.

Les débats, nous n'avons pas besoin de le dire, eurent lieu sur un tout autre terrain. Il ne s'agissait pas de savoir l'état mental du docteur Lamotte, mais quel était cet état au moment où certains actes incriminés avaient eu lieu, de 187 5 à 1880, par exemple. A ce moment, dit l'accusation, on ne constatait pas d'épilepsie, pas d'impulsion; il donnait des rendez-vous à des jeunes gens deux ou trois jours d'avance, faisant faire le guet, choisissant telles ou telles conditions d'heure, de lieu, etc. Donc, il décidait en toute liberté d'esprit, il distinguait le bien du mal, il était par conséquent responsable.

Tous les efforts des experts, unanimes dans leurs appréciations et dans leurs conclusions, n'ont pu parvenir à convaincre le jury. Nous nous sommes efforcés, pour notre part, de montrer que, dans la plupart des cas. les aliénés comprennent qu'ils font mal, jugent leur conduite blâmable, mais ne peuvent agir autrement qu'ils ne font.

Le traumatisme crânien remonte à l'âge de douze ans : il fut suivi de diminution de l'ouïe et d'affaiblissement intellectuel. Depuis ce moment, cet homme est un cérébral, les vertiges èpilep-tiques sont difficiles â constater et ce n'est que lorsque la maladie a lait de grands progrès que son entourage commence à s'en apercevoir.

Ce raisonnement a troublé peut-être les connaissances psychologiques admises au Palais, mais n'a convaincu personne. L'accusation n'a pas tenu compte des constatations scientifiques et a fait adopter cette façon de voir par le jury. Certainement, le médecin légal n'a pas la prétention d'être infaillible, mais dans une affaire de cet ordre, l'avis unanime de cinq médecins a bien cependant quelque importance. Il ne faudrait pas beaucoup de procès semblables, à Privas, pour discréditer complètement les experts et montrer l'inutilité de leurs examens. Mais, si on arrivait à ce résultat, nous pouvons assurer, et personne ne nous contredira, que la justice n'y aurait rien gagné.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LA SUGGESTION

Par M. le Dr BERNHEIM

pbofesseur la faculté de nancy

Ce qui frappe toujours d'étonnement les confrères qui nous font l'honneur de venir à notre clinique constater les faits relates dans ce livre (i) c'est la singulière facilité avec laquelle on peut hypnotiser l'immense majorité des sujets de tout âge, de tout sexe, de tout tempérament. Ils s'imaginaient que l'état hypnotique est l'apanage exclusif de quelques rares névropathes, et ils voient maintenant tomber successivement sous l'empire de la suggestion tous ou presque tous les malades d'une salle. « Comment, disent-ils, a-t-on pu passer pendant des siècles à côté de cette vérité si aisée à démontrer, sans la découvrir? »

Parmi les sujets qu'on hypnotise, les uns tombent en sommeil profond, sans souvenir au réveil; nous les appelons des somnambules. Un cinquième ou un sixième des sujets, d'après M. Liébeault, entre en som-

(i) Notre éminent collaborateur M. le Dr Bernheim nous avait adressé les bonnes feuilles de la préface de la seconde édition de son livre sur la suggestion et ses appli-cations à la thérapeutique. Nous sommes heureux de donner à nos lecteurs la primeur de ce travail qui marque un pas si puissant dans l'étude de l'hypnotisme. (Doin, éditeur.)

nambulisme. Dans noire service d'hôpital, où le médecin à une plus grande autorité sur les malades, où l'imitation et l'entraînement de l'exemple constituent peut-être une véritable atmosphère suggestive, la proportion des somnambules est bien plus considérable, et nous arrivons quelquefois à mettre dans cet état la moitié, si ce n'est plus encore, de nos clients.

Les autres, bien qu'ayant conservé le souvenir de tout au réveil, bien qu'ils s'imaginent parfois n'avoir pas dormi, ont été influencés à des degrés divers : la catalepsie suggestive, la contracture provoquée, les mouvements automatiques, la suppression de douleurs, etc.. démontrent d'une façon irréfragable que l'influence existe.

Ceux qui sont dans le sommeil profond, sans souvenir au réveil, si on les abandonne a eux-mêmes, dorment calmes et inertes, comme les dormeurs naturels. Rien ne différencie ce sommeil provoqué du sommeil spontané. Les phénomènes de sensibilité, de motilité, d'idéation, d'imagination illusions et hallucinations ne s'y manifestent pas spontanément, mais sont provoqués par la suggestion. Les mêmes phénomènes peuvent être déterminés chez ces mêmes sujets lorsqu'on réussit à se mettre en relation avec eux dans leur sommeil naturel : même attitude passive des membres, dite catalepsie, mêmes mouvements automatiques, mêmes illusions, mêmes hallucinations actives ou passives. Les hallucinations ne sont que des rêves suggérés ; les rêves ne sont que des hallucinations spontanées. Ces hallucinations, soit spontanées, soit suggérées, restent passives, c'est-à-dire que le sujet demeure inerte comme dans le réve normal; elles ne deviennent actives, c'est-à-dire que le sujet se remue, marche, joue un rôle animé dans l'acte hallucinatoire évoqué, que si, par la suggestion, on le tire de sa torpeur. De même, les rêves du sommeil spontané deviennent chez quelques-uns actifs, et constituent le somnambulisme naturel. Toutes les manifestations réalisées dans rétat hypnotique peuvent, je le répète, chez le même sujet, être réalisées les mêmes dans son sommeil naturel.

Non! le sommeil hypnotique n'est pas un sommeil pathologique ! Non! l'état hypnotique n'est pas une névrose analogue à l'hystérie ! Sans doute, on peut créer chez les hypnotisés les manifestations de l'hystérie, on peut développer chez eux une vraie névrose hypnotique qui se répétera à chaque sommeil provoqué. Mais ces manifestations ne sont pas ducs à l'hypnose, elles sont dues à la suggestion de l'opérateur ou quelquefois à l'auto-suggestion d'un sujet particulièrement impressionnable dont l'imagination, frappée par l'idée du magnétisme, crée ces désordres fonctionnels, qu'une suggestion calmante pourra toujours réprimer. Les prétendus phénomènes physiques de l'hypnose ne sont que des phénomènes psychiques; la catalepsie, le transfert, la contracture, etc., sont des effets de suggestion. Constater que la très grande majorité des sujets est suggestible, c'est éliminer l'idée de névrose ! A moins d'admettre que la névrose est universelle, que le mot hystérie est synonyme d'impres-sionnabilité nerveuse quelconque ! Et comme nous avons tous des nerfs

et que c'est une propriété des nerfs d'être impressionnables, nous serions tous des hystériques !

Le sommeil lui-même est l'effet d'une suggestion. J'ai dit : Nul ne peut être endormi contre sa volonté. M. Ochorowitz a vivement combattu cette proposition. Il n'a peut-être pas suffisamment saisi ma pensée. II est certain que tout sujet qui ne veut pas être hypnotisé et qui sait qu'il ne peut pas l'être, s'il ne le veut pas. résiste avec succès a toutes les tentatives. Il est vrai aussi que certains sujets ne peuvent pas résister, parce que leur volonté est affaiblie par la peur ou par l'idée d'une force supérieure qui les influence malgré eux. Nul ne peut être hypnotisé, s'il n'a ridée qu'il va l'être. Ainsi conçue, ma proposition est inattaquable. C'est l'idée qui fait l'hypnose; c'est une influence psychique et non une influence physique ou fluidique qui détermine cet état. Chose singulière, ce sont des psychologues comme M. Janet et M. Binet qui ont méconnu la nature purement psychique de ces manifestations! M. Delbœuf ne s'y est pas trompé.

On a invoqué contre la doctrine suggestive les expériences faites dans ces derniers temps par MM. Bourru et Burot, de Rochefort; je veux parler de l'action médicamenteuse à distance. Certains sujets hypnotisés ou même à l'état de veille auraient une aptitude singulière à être influencés par une substance contenue dans un flacon placé à côté d'eux et dont ils ignorent le contenu, comme s'ils avaient ingéré cette substance.

J'avoue n'avoir jamais réussi cette expérience chez mes meilleurs somnambules, et je dirai franchement quel était, peut-être à tort, mon sentiment à cet égard. J'ai assisté à une expérience de ce genre, et, dans cette expérience, au moins, je me suis assuré que la suggestion faisait tous les frais du phénomène. Qu'on sache bien d'abord que l'hypnotisé, a tous les degrés de l'hypnose, même alors qu'il parait inerte et impassible, entend tout, se rend compte de tout. Quelques-uns, dans cet état de concentration d'esprit spécial, ont une acuité excessive des sens, comme» toute leur activité nerveuse était accumulée sur l'organe dont l'attention est provoquée. Ils croient devoir s'ingénier à réaliser la pensée de l'opérateur, ils appliquent toute cette hyperacuité sensorielle, toute cette attention concentrée à deviner ce qu'on veut obtenir d'eux. Sachant qu'ils doivent ressentir l'effet d'une substance contenue dans un flacon, ils commencent par se suggérer des phénomènes vagues, tels que malaise, anxiété, agitation, nausées, qui répondent à la plupart des poisons : alcool, opium, émétique, valériane, etc. Si parmi les assistants, connaissant la substance en question, il en est qui, frappés par ces premières manifestations, trahissent leurs sentiments par la parole, le sujet entend chaque mot prononcé à voix basse et saisit la perche suggestive qui lui est tendue. Si l'assistance est muette, il cherche à surprendre dans les physionomies, dans les gestes, dans le moindre indice d'approbation on d'improbation, dans les odeurs, un point de repère qui le mette sur la voie; il tâtonne, il fait du cumberlandisme; parfois, il devine juste. Si

aucun indice ne se manifeste, si nul de l'assistance, pas même l'expérimentateur, ne connaît le contenu du flacon, le sujet, après quelques manifestations peu précises, retombe dans son inertie; l'expérience échoué.

Je m'empresse d'ajouter que de bons observateurs dignes de foi affirment avoir réussi dans des conditions telles que la suggestionne pouvait être en jeu. Je suspends donc mon jugement. Les faits que je n'ai pu produire sur mes sujets peuvent être réalisés sur d'autres. Les nier sans plus ample informé serait contraire à l'esprit scientifique.

On invoque aussi les faits de transmission de pensée ou suggestion mentale. Des hommes très éclairés et très honorables ont observé des faits qui paraissent concluants.

Le docteur Giben, du Havre, M. Pierre Janet, MM. Myers. de Londres. M. Ochorowitz, M. Perronnet, de Lyon, ont publié un grand nombre d'observations. J'ai cherché inutilement sur des centaines de sujets à produire la transmission de pensée; je n'ai rien trouvé de précis et je reste dans le doute. Si l'action médicamenteuse à distance, si la transmission de pensée existent, ce sont là des phénomènes d'un autre ordre qui reste à étudier; ils n'ont rien de commun avec ceux de la suggestion. Dans ce livre je n'étudie que la suggestion verbale et son application à la thérapeutique.

La suggestibilité existe à l'état de veille, mais elle est alors neutralisée ou refrénée par les facultés de raison, par l'attention, le jugement. Dans le sommeil spontané ou provoqué, ces facultés sont engourdies, affai-blies; l'imagination règne en maîtresse; les impressions qui arrivent au sensorium sont acceptées sans contrôle et transformées par le cerveau en actes, sensations, mouvements, images. La modalité psychique ainsi modifiée, l'état de conscience nouveau qui se constitue rend le cerveau plus docile, plus malléable, plus suggestible, d'une part, plus apte, d'autre part, à réagir sur les fonctions et les organes par voie d'inhibition ou de dynamogénie ; c'est cette aptitude exaltée par la suggestion que nous utilisons de la façon la plus efficace dans un but thérapeur tique

Telles sont les idées principales que le lecteur trouvera développées dans ce livre.

Cette édition n'est pas une simple reproduction de l'ancienne ; elle contient une nouvelle classification des divers états en degrés de l'hypnose, classification qui est en même temps, ce me semble, une conception nouvelle et je pourrais presque dire une démonstration lumineuse de la nature psychique des phénomènes.

Elle contient de plus une étude plus complète sur un phénomène de la plus haute importance au point de vue social et juridique, celui des hallucinations rétroactives que j'ai le premier signalé et que M. Liégeois a observe en même temps que moi.

Elle contient enfin un très grand nombre d'observations nouvelles de thérapeutique suggestive.

C'est l'école de Nancy qui. plaçant l'étude de l'hypnotisme sur sa véritable base, la suggestion, a créé cette application, la plus utile, la plus féconde, celle qui est la raison d'être de ce livre. C'est M. Liébeault qui en est le premier initiateur; personne ne saurait lui enlever ce titre d'honneur. Nous l'avons le premier suivi dans cette voie; la précédente édition de ce livre a été une vraie révélation. je n'hésite pas à le dire, pour beaucoup de médecins qui ont bien voulu expérimenter à leur tour.

L'évidence des faits finira par s'imposer aux plus récalcitrants et la thérapeutique suggestive, acceptée et pratiquée par tous, sera une des plus belles conquêtes de la médecine contemporaine.

REVUE CRITIQUE

UN ROMAN DE M. ADOLPHE BELOT: « ALPH0NSINE »

Alphonsine! Tel est le titre. —d'apparence très innocente pour qui néglige de remarquer qu'Alphonsine est le féminin d'Alphonse, — sous lequel M. Adolphe Belot vient de publier un roman qui cache une étude d'hypnotisme, ou, si l'on veut, une étude d'hypnotisme qui sert de prétexte à un roman.

Charles de Givray. marié depuis deux ans à la fille d'un industriel mon dix fois millionnaire, est trouvé, un matin, assassiné chez Mlle Berthe Mauclair, dite Alphonsine.

Lorsque le commissaire de police pénètre dans le salon où le crime a été commis, il se trouve en présence du cadavre de M. de Givray étendu sur un fauteuil, tandi ; que de l'autre côté de la cheminée, dans un autre fauteuil, Berthe immobile regarde droit devant elle, insensible et l'œil fixe.

Il faut toucher l'épaule de la jeune fille pour la tirer de son immobilité. Une fois revenue à elle, Berthe répond aux premières questions du commissaire en déclarant qu'elle ne connaît pas l'homme dont le cadavre est devant elle, qu'elle l'a reçu la veille à neuf heures du soir, croyant avoir affaire à un agent de théâtre. Elle l'a fait entrer. A peine était-il assis qu'elle a saisi un poignard placé sous sa main et qu'elle l'en a frappé, sans savoir pourquoi, forcée d'obéir a une inspiration plus forte qu'elle.

Le commissaire commence par se demander s'il n'a pas une folle devant lui ; mais il trouve dans la poche de l'homme assassiné une lettre par laquelle Berthe lavait attiré chez elle, sous prétexte d'une grande infortune à soulager.

La jeune fille avoue que la lettre est bien de son écriture, sur son papier, marqué de son chiffre, mais elle déclare en même temps qu'elle ne se rappelle pas l'avoir écrite.

Un instant après. un des agents du commissaire remet à celui-ci un portefeuille au nom de la victime et contenant dix mille francs qu'il vient de trouver enfonce dans un des oreillers du lit de la chambre à coucher

Berthe nie connaître et avoir caché ce portefeuille, comme elle nie avoir écrit la lettre. Mais les apparences parlent plus haut que ses dénégations. Aucun doute ne subsiste dans la pensée du magistrat. A ses yeux, Berthe Mauclair est bien l'assassin de M. Givray. Elle avoue le crime parce que, s'étant laissé surprendre, elle ne peut faire autrement ; mais elle nie la lettre et le vol qui établissent la préméditation et le guet-apens.

Le procès a lieu. Les jurés concluent comme le commissaire de police, et Berthe est condamnée aux travaux forcés à perpétuité.

Tandis que la jeune fille subit sa peine dans une maison de réclusion. Mme de Givray subit son veuvage et l'assaut que livrent à ses dix millions de dot quantité de cavaliers qui ne demanderaient pas mieux que d'être appelés à les administrer, a titre d'époux de leur propriétaire.

Mme de Givray manifeste d'abord le plus profond dédain pour cette bande de trappeurs. Mais, un jour, un nouvel affamé se présente, comme par hasard, qui parvient à vaincre toutes les défiances de la jeune veuve.

Louis Chassin avait d'ailleurs en avantage sérieux sur ses concurrents; il était sur la piste du gibier depuis plus longtemps qu'aucun d'eux. Ancien secrétaire de M. Laurenty, père de la future Mme de Givray, il était parvenu à se faire aimer de la fille de son patron. Néanmoins les dix millions lui avaient alors échappé. M. Laurenty s'étant trouvé, par suite de certains faits, mis en défiance contre la cupi-dite de son employé et ayant vécu juste assez de temps pour marier sa fille a M. de Givray.

Quelques mois après sa rencontre avec l'ancien secrétaire, Mme de Givray était devenue Mme Chassin.

Après une lune de miel qui dut être bien courte, puisque l'auteur dédaigne d'en parler, Louis Chassin se met en devoir de dissiper les millions qu'il a conquis, et il s'acquitte de cette besogne avec tant d'intelligence et d'activité qu'en deux ans i! est parvenu à en jeter trois par les fenêtres.

L'abandon qu'il fait de sa femme n'est d'ailleurs ignoré de personne ; ses débauches sont un scandale public. Mais ce qu'on ignore, c'est !e terrorisme dont il use vis-a-vis de Mme Chassin pour qu'elle ne mette pas d'obstacle à ses dilapidations.

Heureusement pour celle-ci, il lui reste un protecteur, le baron Robert, ancien ami de M. Laurenty. savant connu, voyageur infatigable, qui. au premier appel, accourt du fond du Pérou. Grâce à son appui, Mme Chassin parvient à dominer l'effroi que lui inspire son mari; elle lui intente un procès en adultère et, en attendant le jugement, elle obtient du président du tribunal l'autorisation d'avoir une résidence autre que le domicile conjugal.

A celle attaque le mari répond en produisant, quelque jours après, un paquet de lettres écrites par sa femme, de billets de rendez-vous, de déclarations d'amour adressées par elle, dans un style délirant, a toute une collection damants. Bien plus, il fait surprendre Mme Chassin, tandis qu'elle est enfermée chez un comédien i qui elle avait écrit le jour même pour lui dire ses ardeurs, en lui annonçant sa visite pour le soir. Un constat d'adultère a été dressé.

A cette nouvelle, le baron Robert est d'abord atterré ; mais l'excès même d'ignominie sous lequel on essaye de submerger son amie l'empêche de croire à l'évidence apparente des faits. 11 court chez Mme Chassin. Il la presse de questions sur l'emploi de la soirée pendant laquelle a été dressé le constat.

Toutes ses sollicitations, toutes ses feintes sont inutiles ; Mme Chassin parait ignorer ce dont elle est accusée.

Le baron est confondu. Il regarde fixement son amie, pour pénétrer dans sa pensée, fouiller dans son cœur et voici que sous son regard la jeune femme tressaille, elle tremble, elle le supplie de ne pas la regarder de cette façon.

— Pourquoi ? demande le baron.

— Parce que mon mari me regardait ainsi et j'avais peur qu'il ne m'endormit.

Alors le baron, pris d'une inspiration subite, lui ordonne de dormir et il la voit, terrifié, essayant en vain de résister, et finissant par obéir à son ordre.

Quoique savant, le baron Robert n'était pas au courant des pratiques de l'hypnotisme ; aussi, devant cette femme endormie par son pouvoir, c'est son tour d'avoir peur. II a entendu parler d'accidents produits, de crises survenues, et, ne sachant comment réveiller cette morte qui, malgré ses appels, se raidit de plus en plus, ¡1 demande en toute hâte un médecin.

Il s'en présente un ; et le génie qui préside aux heureuses rencontres, si fréquentes dans les romans, veut que ce soit justement le docteur Barillot, directeur du Journal de l'Hypnotisme.

A première vue, le docteur déclare qu'il n'y a rien de grave dans l'état de Mme Chassinet qu'elle dort tout simplement d'un sommeil provoqué. Bientôt il reconnaît en elle un sujet d'une sensibilité exquise aux pra-tiques de l'hypnotisme. 11 parle au baron Robert, qu'il connaît de réputation, des effets extraordinaires obtenus par la suggestion et il lui propose de profiter de l'occasion pour s'en donner la démonstration immédiate.

Le baron n'hésite pas. Depuis qu'il a vu son amie céder si facilement sous son regard, il est possédé de l'idée que Louis Chassin a dû endormir sa femme.

Mais jusqu'à quel point celle-ci etait-elle docile aux [suggestions ? Il veut tenter une épreuve décisive à ce sujet. Sachant combien Mme Chas-

sîn avait aimé son père, combien elle était aimée de lui, il lui ordonne d'écrire :

« Mon père a toujours été avec moi violent, brutal, mauvais. Il me haïssait et je le lui rendais bien ! »

Si Laure Chassin écrit cette phrase sur mon ordre, pensait-il. elle a pu tout écrire sur l'ordre de son mari.

Or elle écrit sans résistance et signe sans hésitation.

Le baron est convaincu. C'est Louis Chassin qui a dicté à sa femme, pendant le sommeil hypnotique provoqué par lui, les lettres grâce auxquelles il prétend faire prononcer le divorce contre elle, afin de garder l'administration de la fortune.

Reste le flagrant délit. Est-il possible que Mme Chassin ait reçu de son mari la suggestion d'aller chez le comédien avec qui elle a été surprise, et qu'une fois éveillée, elle ait exécuté cette suggestion a l'heure prescrite ?

— Si c'est possible ? répond le docteur Barillot. Demandez aux professeurs et aux docteurs Bernheim, Liebeault, Beaunis, Liégeois, Luys, Richet. Ils vous dirontqu'ils en sont arrives a suggérer des actes que le sujet doit accomplir seulement un mois, trois mois et même une année plus tard.

Mais le baron Robert a l'esprit scientifique. Il veut la démonstration expérimentale de ce qui vient de lui être affirmé. Pour l'obtenir, il suggère à Mme Chassin qu'elle est atteinte d'une paralysie du bras et il lui ordonne de se rendre deux heures après son réveil chez le docteur Barillot, pour se faire soigner de cette paralysie.

Deux heures plus tard, Mme Chassin exécutait la suggestion donnée.

La démonstration était d'autant plus convaincante pour le baron qu'il venait d'être informé que Louis Chassin avait, pendant les nuits précédentes, pénétré dans l'hôtel où sa femme demeurait. La visite chez le comédien, comme les lettres infâmes, tout était dû aux suggestions hypnotiques.

En face d'une pareille situation, le baron se demandait à quel parti il devait s'arrêter. lorsqu'au cours d'une conversation avec le docteur Barillot il apprend que Louis Chassin s'est trouvé autrefois en rapport avec Berthe Mauclair. l'assassin de M. de Givray, et qu'il l'a hypnotisée plusieurs fois a l'époque du meurtre dont la jeune fille s'était rendue coupable. Un trait de lumière frappe son esprit. Il se rappelle les circonstances invraisemblables du procès, les contradictions jusqu'alors incompréhensibles, mais qui maintenant lui semblent s'expliquer d'elles-mêmes; car il n'en doute plus, c'est Louis Chassin qui a assassiné M. de Givray afin de pouvoir mettre un jour la main sur la fortune de sa femme; c'est lui, du moins, qui a suggéré le meurtre à Berthe Mauclair, qui lui a dicté, tandis qu'elle dormait, la lettre par laquelle elle avait attiré la victime. Comment douter ! Vis-à-vis de Berthe Mauclair, comme vis-à-vis de Mme Chassin. la méthode n'est-elle pas la même, les procédés ne sont-ils pas identique ?

Mais, si Louis Chassin a tué. il mérite la mort. Or la justice ne le condamnera pas, les preuves matérielles faisant défaut. Qu'à cela ne tienne; le baron Robert appliquera la justice lui-même, comme il l'a plus d'une fois appliquée dans les contrées sauvages de l'Afrique centrale.

Et, pour être certain de ne tuer Louis Chassin que si celui-ci s'est réellement rendu coupable du meurtre de M. de Givray, le baron imagine un truc absolument génial. Il se servira du même instrument dont Louis Chassin s'est servi, de Berthe Mauclair.

Si Chassin a pu hypnotiser la jeune fille, s'il a pu lui faire commettre un meurtre par suggestion, lui, baron Robert, doit pouvoir arriver sur elle au même résultat. II suffit pour cela qu'il obtienne sa sortie de la maison de réclusion où elle est enfermée, qu'il la fasse conduire à Sainte-Anne, par exemple, ou dans tout autre asile où on la soignerait comme maniaque et où il aurait le loisir de la voir. Une fois ce premier résultat acquis, et ce devait être facile, grâce aux nombreuses et puissantes influences dont disposait le baron, rien de plus simple que d'entretenir des relations suivies avec la jeune fille, sous un prétexie quelconque : de l'endormir comme il a endormi Mme Chassin ; de lui dicter une lettre de rendez-vous à laquelle Louis Chassin se laisse prendre ; de lui donner une seconde fois lu suggestion du meurtre et de favoriser son évasion pendant les quelques heures nécessaires à l'accomplissement de l'œuvre de justice dont il l'aura chargée...

Quelques semaines après, le rêve que le baron Robert avait conçu se trouvait de point en point exécuté.

Telle est, succinctement résumée, l'étude d'hypnotisme contenue dans Alphonsine. Nous avons négligé bien des détails du roman, et des plus intéressants, car ce n'est pas le côté littéraire qui nous occupe spécialement ici. L'esprit abonde dans le nouvel ouvrage de M. Adolphe Belot, cet agréable esprit qui se fait d'autant mieux goûter qu'il a plus l'air de s'ignorer. Dans bien des pages on rencontre des détails charmants. Mais U est à remarquer que le récit, conduit d'ailleurs avec la dextérité qu'on peut attendre d'un homme qui ne compte plus ses succès, a l'allure pressée, rapide d'un récit de fait divers.

C'est par le merveilleux hypnotique que M. Adolphe Belot entend tenir son lecteur. A ce point de vue. son roman est certainement mieux traité que Jean Mornas, de J. Claretie, dont nous avons eu occasion de parler ici. Dans ce dernier ouvrage, l'intrigue est toute simple, en effet. Jean Mornas fait commettre par une jeune fille un vol dont lui seul a le bénéfice. Tout l'intérêt repose dans la réponse à cette question : Le sujet exécutera-t-il, ou non, la suggestion ?

Dans Alphonsine. l'hypnotisme lait des siennes dès le début. Il hante tout de suite l'imagination du lecteur. Une série d'interrogations se posent d'elles-mêmes devant l'esprit: Qui est coupable de l'assassinat de M. de Givray? Ce n'est pas Berthe Mauclair, qui, on le sent bien, n'est qu'un instrument. Elle tient le poignard, mais un autre la tient. Qui?

c'est le secret de l'hypnotisme. Le livrera-t-il ? Réparera-t-il l'acte odieux qu'il a commis ? Ou bien n'est-il bon qu'à faire du mal ?

Mais pourquoi ce titre d'Alphonsine que l'intrigue explique d'ailleurs fort peu, qu'elle ne justifie pas du tout? Berthe Mauclair est une fille honnête et travailleuse, et je ne vois pas quelle nécessite il y avait à la faire suspecter d'alphonsisme. Ne s'agit-il ici que d'exciter fort illégitimement les curiosités malsaines ?

Qu'importe? dira l'auteur, si je réponds à ces excitations par une étude vraie.

Autre question : l'étude est-elle vraie ?

En la lisant, je me suis rappelé la toile représentant Charcot a la Sal-pêtriere, qui fit si grande sensation au dernier Salon. Ce qui frappait dans cette œuvre, c'était l'observation consciencieuse, le rendu exact. Le peintre s'y était montré infiniment moins préoccupé de la couleur que de la sincérité.

L'auteur d'Alphonsine semble avoir été dominé par le même souci. Ses caractères ne sont qu'ébauchés, ses personnages paraissent à peine jetés; mais ils font partie du monde réel. Il n'est personne qui ne lise, sous le pseudonyme, le vrai nom du docteur qui intervient dans les derniers chapitres. S'il est quelque chose de plus transparent que le masque dont M. Belot l'a couvert, c'est la maigreur connue de son visage.

Quant aux faits d'hypnotisme qui sont racontés, s'ils ne sont pas vrais, ce que j'ignore, ils sont certainement possibles et conformes aux données actuelles du problème de la suggestion.

Mais, dira-t-on, c'est un danger qu'un pareil livre. A quoi bon effrayer le public en lui montrant la puissance de l'hypnotisme ? Pourquoi exciter certaines imaginations par des récits qui, à eux seuls, constituent un danger? Pourquoi enseigner à des débauchés, à des criminels peut-être en quête d'expédients, l'usage des armes redoutables qui, à un moment donné, peuvent se trouver à leur disposition?

Bien que ces objections aient une certaine apparence de force, elles ne nous en semblent pas moins tomber à faux.

En effet, on doit d'abord reconnaître qu'il est des successions de faits, des enchaînements de circonstances dont la nécessité est au-dessus de nous. Ainsi, l'hypnotisme existe; rien ne peut faire qu'il en soit autrement, et rien ne peut faire non plus que ses effets ne se manifestent pas. Dès lors, il reste à savoir si ces effets sont bons ou mauvais. Dans le premier cas, leur propagation s'impose évidemment. Dans le second, nous devons exami-, n?? s'ils ne sont pas susceptibles de corrections, d'améliorations. Les discussions, les études sur de tels sujets sont donc nécessaires. Que ces -études, que ces discussions se produisent d'ailleurs sous la forme du roman ou sous toute autre, il n'importe guère. Et si, parmi les quelques œuvres artistiques s'inspirant des phénomènes de suggestion, la plupart. — ne visant d'ailleurs qu'à exciter la curiosité, qu'à se faire de cette excitation un élément de succès,— ne peuvent avoir d'autre effet que de porter à la connaissance du public les résultats constatés, en ce

cas même, où est le mal ? Les lecteurs sont du moins informés et, partant, peu fondés a se formaliser qu'on leur ait ainsi fourni les moyens de se mettre en garde.

En résumé, le roman de M. Adolphe Belot n'apporte évidemment aucun élément nouveau pouvant aider à la solution du problème dont il s'occupe. Il n'y jette non plus point d'ombre. M. Belot a montré une des faces du problême tel qu'il se présente aujourd'hui, et cela sans se laisser aller au penchant qui porte en général les artistes à voir les faits, non pas tels qu'ils sont, mais tels que les leur montrent les verres grossissants qu'ils ont dans l'imagination. On ne peut nier que M. Belot se soit servi de la question scientifique; il faut aussi reconnaître qu'en même temps il l'a servie, puisque, sans la dénaturer, il lui a donné la publicité de son talent. Transaction honnête et heureuse à la fois, dont on ne peut que le féliciter.

Paul Copin.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ DE PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE

Séance du 18 novembre 1887. — Présidence de M. Sully-Prudhomme, de l'Académie française

Hypnotisme à grande distance

Par M. Ch. RICHET, professeur à la Faculté de Paris

J'ai observé pendant longtemps la malade Léonie sur laquelle M. Pierre Janet (du Havre) a expérimenté le premier le sommeil à distance, et j'ai pu renouveler ses expériences.

La première expérience fut faite avec M. Janet, au Havre. Sans que Léonie le sût, nous convînmes de l'endormir à 3 heures 1/2, étant chez nous. Nous nous rendîmes près d'elle à 4 heures et la trouvâmes endormie. Elle s'était endormie à 3 heures 5o. Comme c'était a peu près l'heure où on l'endormait d'habitude, nous essayâmes le lendemain de l'endormir plus tôt, soit à 2 heures 45. Je me rendis seul chez la malade a 4 heures. Elle dormait depuis 3 heures 5.

Léonie vint a Paris le 26 décembre 1886. Jusqu'au 12 janvier 1887, je ne fis aucune expérience sur elle, me bornant à étudier les diverses phases de son sommeil.

C'est le 12 janvier que j'ai essayé de l'endormir à distance. Après une première tentative infructueuse, j'en fis une seconde.

Pour éviter toute supercherie, tout pressentiment, je tirai au sort l'heure a laquelle je l'endormirais. 3 heures 10 étant l'heure désignée par le

sort, f essaye de l'endormir, puis je me rends chez elle ; elle était sortie, mais rentra subitement, disant qu'elle serait tout à coup sentie prise de trouble, de faiblesse dans les jambes et d'envie de dormir vers 3 heures 3o.

Dans une troisième expérience, ce fut à u heures qu'on essaya de l'endormir (de 11 heures 1 à 1 heure 8). Arrivé à 11 heures a8 chez elle, je la trouve éveillée, mais ayant cependant subi une action ; car on ne pouvait se faire entendre d'elle, et elle n'avait aucun souvenir de ce qui s'était passé depuis 11 heures jusqu'à ce moment.

Les quatrième et cinquième expériences furent sans résultats.

La sixième expérience est des plus eurieuses. Je tire au sort d'endormir la malade le lendemain matin à 9 heures, et j'essaye de le faire (de 9 neures 11 à 9 heures 26), puis je reste chez moi. A 1 heure 3o, un ami étant venu me voir, je lui raconte ce que j'ai fait, puis je vais voir la malade à 5 heures 10. Elle dormait. Or, le matin, elle avait été prise à 9 heures 45 de douleurs de tête et était restée dans un état de somnolence et de torpeur jusqu'à 1 heure 3o, heure à laquelle elle passa au somnambulisme complet.

Dans une septième expérience, c'est tout à fait à l'improviste que je l'en-dormis peu après lui avoir affirmé — et y étant bien décidé à ce moment — que je ne l'endormirais pas avant quelque temps.

La huitième expérience fut sans résultat ; mais la neuvième fut couronnée de succès.

Dans tous ces cas, les échecs ne prouvent évidemment rien. Mais si l'on prend les seules expériences bonnes, deux hypothèses seules se présentent: il y a ou simple hasard, ou action véritable à distance. Il est bien difficile d'admettre la première hypothèse : celle d'un hasard pur et simple. D'autre part, je me suis entouré des précautions les plus minutieuses pour éviter la supercherie, le soupçon, l'éveil de la perspicacité qui est si grande chez ces malades.

Reste donc l'action à distance. Or ma réussite dans des conditions aussi sévères que possible d'expérimentation me force à reconnaître son existence.

SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE

Séance du 31 octobre 1887. — Présidence de M. Magnan

Suggestion, auto-suggestion et vivacité du souvenir dans le sommeil hypnotique. — Action des médicaments à distance.

Par M. Jules VOISIN, médecin de 1a Salpêtrière

M. Jules Voisin, frappé de l'émotion considérable causée dans le public scientifique par les recherches faites sur l'action que des médicaments pourraient exercer, même à une certaine distance, sur certains sujets, a voulu rechercher quel serait le mode d'action de ces médicaments.

Ayant à sa disposition des sujets très sensibles, il a institué une série d'expériences qui l'ont amené à se convaincre que c'est la suggestion, l'auto-sug-

gestion cl la vivacité du souvenir dans le sommeil hypnotique qui rendent compte de tous les phénomènes. Voici quelques faits à l'appui de cette manière de voir.

La malade étant endormie, on fait un silence complet autour d'elle. Elle ne sait rien de ces expériences. On approche d'elle une série de médicaments renfermés dans des flacons bouchés et cachetés. On n'obtient aucun phénomène.

Prenant ensuite un flacon vide, M. Voisin l'approche et dit qu'il va essayer sur cette malade l'effet des médicaments à distance : qu'il approchera successivement plusieurs de ces flacons à différents médicaments, et que la malade montrera les effets physiologiques du médicament renferme dans le flacon. « Voici d'abord l'alcool qui va déterminer rapidement l'ivresse, laquelle disparaîtra ù mesure qu'on éloignera le flacon. » Cela dit. M. Voisin approche le flacon vide, et immédiatement apparaissent les symptômes de l'ivresse, qui disparait dés que le flacon est retiré.

Faisant ensuite semblant de prendre d'autres flacons, mais conservant toujours le flacon vide pour l'approcher de la malade, il annonce les différents effets de la strychnine, de l'eau de laurier-cerise, de la valériane, de la pile— carpine et du sulfate de soude. Les phénomènes annoncés se produisent.

Deux mois après cette première expérience, M. Voisin endort de nouveau sa malade. Il approche alors un flacon vide en disant : « J'approche un flacon et vous verrez qu'elle saura distinguer le médicament qu'il contient, par les symptômes qu'elle nous donnera. » II fait semblant de changer de flacon, et. à toutes les fois, présente un flacon vide. Or. à chaque changement supposé de flacon, on voit se dérouler les symptômes de la première expérience, et cela dans le même ordre. N'est-ce pas là un phènomène de mémoire ? et ne peut-on pas expliquer par cette vivacité du souvenir les causes d'erreur de certains auteurs?

« MM. Bourru et Burot, pour expliquer l'action des médicaments à distance, invoquent une énergie dans les organismes supérieurs, mise en action par les influences extérieures. Ils ne veulent pas admettre la suggestion ni l'autosuggestion, et. pour réfuter mon opinion, ils disent que nous n'avons pas opéré dans les mêmes conditions, prétendant que lorsqu'ils faisaient agir les médicaments à distance, leur sujet était à l'état de veille, tandis que le mien était en léthargie ou en somnambulisme.

» Or, cet état de veille, quel est-il ? Ils font remarquer que leur sujet se trouve dans un état où toute suggestion est impossible. Parfois on se borne, « pour éviter la période d'agacement prodromique (ce sont les expressions mêmes dont se sont servis MM. Bourru et Burot), a toucher du bout du doigt un des points du corps que nous avons appelés points d'inhibition. Dans ces conditions, le sujet ne voit plus, n'entend plus, ne sent plus. Il ne peut, par conséquent, se douter de ce qu'on lui fait ; c'est donc une excellente condition pour éviter la supercherie et pour écarter toute idée de suggestion.

On voit que le sujet n'est plus en état de veille, au contraire, quand on fait les expériences. Il y était tout à fait au début, mais il s'est endormi immédiatement après, et ce sujet qu'on croit dans d'excellentes conditions pour éviter la supercherie et écarter toute idée de suggestion, est justement dans les conditions les plus favorables pour la suggestion.

Quoi qu'il en soit de ces explications, cette nouvelle observation prouve, une fois de plus, que les médicaments enfermés hermétiquement dans un

vase agissent par suggestion et auto-suggestion et que la mémoire est très vive dans le sommeil hypnotique. Grâce à cette mémoire, on pourra expliquer des toits qui sont restés jusque-là inexplicables.

« Ajoutons, dans un autre ordre d'idées, a dit en terminant M. Jules Voisin, que cette observation nous a confirmé dans l'idée que par la suggestion hypno-tique on parvient ù supprimer les attaques hystéro-épileptiques et les vomissements. Notre jeune malade; qui avait des attaques et des vomissements quotidiens, est restée six mois sans présenter ces symptômes et a pu quitter l'hôpital, »

ACADÉMIE DE MÉDECINE

Séance du 6 décembre 1887. — Présidence de M. Sappey.

La pelade et l'école.

M. Ollivier. — Pour la seconde fois, je tiens à entretenir l'Académie de la question, pour moi si capitale, de la non-contagiosité de la pelade, et de la libre pratique à accorder aux malades atteints de cette affection, qui jusque-là étaient écartés, comme dangereux, des lycées et des écoles.

Le rapport de Delpech, présenté en 1873 au Conseil d'hygiène et de salubrité du département de la Seine, concluait en ce sens défavorable et, plus récemment, M. Lailler, sans être aussi absolu, conseillait de même, pour l'enfant atteint de la pelade, l'exclusion prudente de l'école.

Si cette exclusion n'avait pas d'inconvénients, nous pourrions à la rigueur l'accepter comme une satisfaction donnée aux esprits inquiets ; mais, du moment où elle a pour effet de supprimer ou d'enrayer l'instruction, nous ne pouvons plus la considérer que comme une mesure sanitaire, barbare et caduque, analogue à ce qui se pratiquait au moyen âge, à l'époque des léproseries. Dans ce sentiment, nous avons donc le droit et le devoir de demander jusqu'à quel point la terreur de la contagion à l'égard de la pelade se trouve justifiée.

L'opinion que je professe est là-dessus formelle : la pelade n'est pas contagieuse. J'ai recueilli jusqu'à ce jour i3i cas de pelade : 100 avant mon premier mémoire et 31 depuis. L'investigation faite par tous les moyens ne m'a pas donné une seule fois un résultat positif.

Je ne serais pas revenu sur les conclusions de mon premier travail, si je n'avais pas constaté encore tout dernièrement chez des confrères une répugnance très arrêtée à admettre la non-contagiosité de la pelade. Il me faut donc appeler à nouveau l'attention sur cette maladie, et demander à l'Académie de fixer la religion médicale sur le point important de sa non-contagiosité.

Depuis ma dernière communication (8 février 1887), j'ai recueilli 3o observations de pelade incontestable et qui tendent toutes à démontrer la réalité de la thèse que je soutiens ; l'une d'entre elles est bien typique : il s'agit d'un caporal de pompiers qui fut atteint de pelade sans s'être trouvé jamais en rapport avec quelqu'un atteint de la même maladie. Il attribuait son mal à une émotion extrêmement vive éprouvée au cours d'un incendie où il avait été tout près de périr; en effet, ses cheveux sont tombés huit jours après cet accident.

A côté de ces taits, j'en possède d'autres non moins démonstratifs; je veux parler d'enfants de lycées atteints de pelade et maintenus au pensionnat sur notre conseil formel. Nous n'avons pas eu à nous repentir de notre audace. Ces enfants n'avaient pris la maladie de personne et ne la donnèrent pas davantage.

Au point de vue de la pathologie de la pelade, nous pouvons donc dire ceci : D'une part, les recherches micrographiques n'ont rien appris ; on n'a pu trouver ni champignons, ni microbes spécifiques; des micro-organismes un instant regardés comme la cause de la maladie ont été cultivés avec succès ; on les a inoculés et on n'a rien obtenu ; d'autre part, l'expérimentation entreprise à un point de vue différent a réussi ; Max Joseph a produit des pelades par des sections nerveuses ; Mibelli a obtenu le même résultat.

On voit la maladie apparaître à la suite de perturbations nerveuses brusques, d'émotions inattendues et de chagrins violants, comme chez un pompier exposé à tomber dans un brasier ; on l'a vue succéder à des maladies intéressant l'équilibre général du système nerveux, la fièvre typhoïde, la scarlatine, la chorée, la paralysie générale ; on l'a observée également après quelques traumatismes.

Les faits cliniques que j'ai observés sont absolument contradictoires relativement à la contagion. Le changement réciproque de coiffure, l'emploi du même peigne, la cohabitation complète, rien n'a réussi à occasionner la dissémination de la maladie. A propos de tous les faits relatés anciennement ou de ceux rapportés par les dermatologistes actuels, on pourra toujours arguer que l'enquête clinique n'a pas été portée, à ce point de vue de la non-contagion possible, avec toute la minutie nécessaire, pour qu'il fût permis de donner cette contagion comme cause unique. J'ai cité des cas dans lesquels on aurait pu croire à une transmission morbide, alors que les trois malades dont il s'agissait avaient été pris simultanément et isolément. Je conclurai donc en disant que, selon moi, la pelade non contagieuse est la règle et la peladoïde transmissible une rare, très rare exception.

Il me semble donc indispensable de répudier cette quarantaine funeste qu'on fait subir aux enfants des écoles atteints de pelade ; il y a lieu, selon moi, d'accorder à ces individus la libre pratique nécessaire à la poursuite de la carrière qui doit assurer leur existence.

M. Hardy. — Il y a actuellement entre les médecins des lycées une divergence complète d'opinions sur la nature, contagieuse ou non. de la pelade. Il est exact que je suis intervenu dans un des faits rapportés par M. Ollivier, pour faire exclure d'un lycée un jeune garçon qui était atteint de pelade. Cette mesure a été généralement suivie par tous les médecins; aussi la pelade est-elle devenue relativement rare dans les lycées.

En revanche, j'ai vu souvent des parents qui venaient me demander un certificat constatant que leur enfant pouvait rentrer au lycée, quoique atteint de pelade, cette maladie ayant été déclarée non contagieuse par le médecin de la famille. J'ai refusé ce certificat, pensant qu'il y avait là une question d'hygiène publique.

M. Corsil. — Je demande la permission, avant que la discussion soit ouverte, d'émettre l'opinion que je professe au sujet de la pelade.

Je suis de l'avis de M. Ollivier ; pour moi, la pelade n'est pas contagieuse, au moins dans la plus grande partie des cas. J'ai été bien des fois appelé, au lycée Henri IV, à examiner des enfants atteints de pelade et qu'on ne voulait

même pas garder comme externes. C'étaient, en général, des jeunes gens se préparant aux grandes écoles du gouvernement et dont la carrière aurai: été brisée, s'ils avaient été exclus du lycée pendant deux ou trois ans.

Sur l'avis de plusieurs de mes collègues, et en particulier de M. Besnier j'ai insisté pour faire maintenir ces élèves au lycée en qualité d'externes, en leur recommandant d'éviter de changer de coiffures avec leurs camarades et de se tenir dans un isolement aussi complet que possible, bien qu'au fond je sois persuadé que cette maladie n'est pas contagieuse.

Aujourd'hui, en effet, on ne connaît aucun champignon, aucun microorganisme produisant la pelade.

Quelques médecins ont bien cru pouvoir accuser le trichophyton qu'on trouve souvent dans les cas de pelade ; c'est M. Matasses qui a surtout insisté sur ce point, mais il a reconnu lui-même plus tard que ce champignon était identique à celui qu'on rencontre chex tous les gens atteints de pityriasis du cuir chevelu.

Plus tard, quelques auteurs ont cru reconnaître dans le bulbe pileux des peladeux des micro-organismes tellement petits, qu'on ne les aperçoit qu'avec le grossissement qu'on emploie pour voir les microbes de la tuberculose. Mais ces micro-organismes n'ont pas été retrouvés par tous les auteurs qui se sont occupés de cette question et il y a un doute absolu à ce sujet.

On ne sait donc pas exactement si cette maladie est. contagieuse ou non. Mes observations semblent démontrer qu'elle ne l'est pas. Il serait donc inhumain, sous prétexte d'une contagion qui n'est pas démontrée, de briser la carrière des jeunes gens, surtout lorsqu'ils se préparent aux écoles du gouvernement, pour lesquelles il est nécessaire de faire rapidement ses humanités.

Séance du 19 décembre 1887. — Présidence de M. Sappey.

Discussion sur la pelade.

L'ordre du jour appelle la discussion sur la pelade. La parole est à M. Hardy.

M. Hardy. — M. Ollivier a plaidé en faveur des peladeux exclus des écoles et des lycées, qui seraient de malheureux innocents qui ne méritent pas le sort auquel on les condamne, n'étant nullement dangereux. M. Ollivier demande qu'on abroge les règlements actuels qui exigent leur exclusion des écoles.

C'est en 1875, une épidémie de pelade s'étant déclarée au petit collège de Vanves, que le ministre de l'instruction publique demanda i MM. Hardy et Hillairet de se rendre au collège pour constater la nature de la maladie et lui proposer les mesures propres à prévenir les épidémies semblables. MM. Hardy et Hillairet demandèrent que dorénavant, dès leur arrivée au lycée, les élèves eussent les cheveux coupés ras, qu'à leur entrée leur tète lût visitée par le médecin de l'établissement, et que cet examen fût renouvelé tous les quinze jours, et que dès qu'un enfant serait convaincu d'être atteint d'un herpès ton surant ou d'une pelade, il' fût rendu à sa famille, et qu'il ne pût être réintégré en classe qu'après la guérison bien constatée.

Un règlement fut établi dans ce sens. Depuis qu'il est en vigueur. le nombre des cas de maladies parasitaires a beaucoup diminué dans les lycées.

C'est ce règlement dont M. Ollivier demande l'abrogation.

Sur quoi notre collègue se fonde-t-il pour proposer cette abrogation ? C'est ici que se présente la question a résoudre : la pelade est-elle ou non contagieuse ? M. Olliver nie la contagion et par conséquent il n'admet pas qu'il y ait un inconvénient a laisser les jeunes peladeux au milieu de leurs camarades. Je ne partage pas son avis. Sans doute, il peut se faire, assez souvent même peut-être, que le voisinage d'un peladeux soit inoffensif, mais pas toujours; la contagion de la pelade n'est pas fatale, un peladeux peut vivre longtemps au milieu d'autres personnes, sans leur communiquer sa maladie. Je me hâte de le reconnaître. Il faut, pour la contracter, se trouver dans des conditions particulières, favorables à son eclosión. Il en est, a cet égard, de la pelade comme de la fièvre typhoïde, de la tuberculose, de la lèpre, qui se transmettent quelquefois par voie de contagion, mais pas toujours.

A coté des faits négatifs cités par M. Ollivier à l'appui de sa proposition, combien ne peut-on pas en rappeler d'autres dans lesquels la maladie s'est propagée d'une manière évidente ! Comment expliquer sans la contogion ces épidémies si fréquentes dans les écoles, dans les lycées, dans les casernes :

En voici un exemple qui s'est passé récemment a Montpellier, dans la caserne du 122* de ligne. Le fait nous a été rapporté par M. le docteur Coutant, médecin-major de ce régiment, auquel l'Académie vient de décerner une médaille. Vers le printemps dernier, deux nouvelles recrues arrivent au régiment avec la pelade; avant la fin de l'année, cent vingt soldats en avaient été atteints. M. Coutant, ayant attribué cette rapide propagation à l'usage de la tondeuse mécanique qui passait successivement sur toutes les têtes, la fit mettre de côté : peu à peu les progrès de la propagation commencèrent i diminuer, pour cesser tout u fait. La reprise de l'usage de la tondeuse ayant provoqué de nouveau quelques cas de pelade, on en cessa de nouveau l'usage, et cette nouvelle propagation s'arrêta.

Une épidémie du même genre s'est produite au lycée d'Amiens ; nous en tenons la relation de M. le docteur Crémieux, médecin du lycée.

A côté de ces épidémies auxquelles j'en pourrais ajouter beaucoup d'autres et qui plaident toutes en faveur de la contagion, chacun de nous r. pas été à même d'observer quelques faits de ce genre ï Dans une maison d'un de mes parents, le concierge, qui était peladeux, a communiqué sa pelade au valet de chambre, qui l'a transmise à son tour au fils de la famille. Voici un autre fait venu à ma connaissance : Un enfant d'une famille de Paris est envoyé à la campagne. Les deux enfants du fermier étaient peladeux, l'enfant de Paris ne tarda pas à le devenir comme eux.

Mais je ne puis passer sous silence un fait topique que je trouve dans le mémoire de M. Coutant. Il s'agit d'un soldat atteint de pelade et venant d'obtenir son congé définitif. Le 7 juin, il verse son képi dans le magasin d'habillement. Le y, ce képi est donné par erreur a un arrivant, et quinze jours plus tard ce soldat vient montrer une plaque de pelade placée au même endroit que celle qui existait sur la tête du libéré. M. Coutant ajoute que le capitaine d'habillement qui maniait les habits et képis en magasin eut le chagrin de se voir atteint de ia même affection et de perdre ainsi sa belle barbe.

Ne sait-on pas qu'il est fréquent de voir des élèves de l'hôpital Saint-Louis

atteints Je pelade bien plus souvent que cela n'arrive dans les autres services hospitaliers ?

M. Ollivier s'appuie encore, pour nier la contagion, sur ce que l'on ne trouve pas dans la pelade de parasite spécial qui puisse donner raison de la transmission de la maladie. Mais ne pas combien ces parasites sont

changeants ? Il s'étaye encore d'une autre opinion. On s'est demandé s'il n'y avait pas plusieurs espèces de pelades, une par exemple qui dépendrait du système nerveux ? Bazin était de cet avis. Mais il est impossible de les distinguer symptomatiquement.

M. Hardy, en terminant, rend justice au sentiment qui a guidé M. Ollivier; c'est un sentiment de commisération pour les élèves qui se trouvent ainsi contraints d'interrompre leurs études et qui peuvent, par suite de ces interruptions, voir leur avenir compromis. Mais il y a quelque chose de mieux que cette commisération pour ces quelques individus, c'est la commisération générale.

CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE

Une lettre de M. le professeur Bourru au président de la Société de thérapeutique.

Dans notre dernier numéro, nous avons public une communication de M. le docteur Constantin Paul à la Société de thérapeutique, dans laquelle il relatait différentes expériences relatives a l'action des médicaments à distance. 11 paraît que M. Constantin Paul s'était trop hâté d'interpréter ces expériences, qui n'étaient pas destinées à la publicité et qui n'avaient été faites dans son service, par M. le docteur Bourru, que pour déférer à un désir exprime à titre purement amical.

M. le professeur Bourru, justement froisse du râle qu'on lui faisait jouer sans son consentement, s'est empressé d'adresser au président de la Société de thérapeutique une lettre dans laquelle il rectifie les faits inexactement présentés. Nous nous faisons un devoir et un plaisir de la publier :

Rochefort. le 6 décembre 1887.

Monsieur le Président.

Je ne m'attendais guère a ce que M. Constantin Paul portât devant la Société de thérapeutique, ni devant le public, en aucune façon, le récit d'une expérience faite au pied levé. Je n'aurais jamais supposé que son accueil, si courtois qu'il fût, me ménageait pareille surprise. S'il eût bien voulu me prévenir de ses intentions, son procédé eût été d'une correction parfaite, et, d'autre part, nous aurions pu, d'accord ensemble, rectifier quelque défaut de sa mémoire, ce qui aurait évité a la Société une explication qu'il me faut maintenant la prier d'écouter.

M. C Paul ht venir dans son cabinet une femme qu'il me parut alors connaître ton peu, sortie je ne sais d'où, mais non point, pour sûr, de son service d'hôpital.

Ce sujet était-il sensible à l'action à distance des médicaments? M. C. Paul affirme qu'il devait l'être, si cette action eût été réelle. Pour moi, c était justement l'objet de ma recherche, car personne que je sache ne connaît encore de signe auquel se reconnaît, à priori, cette sensibilité spéciale.

J'essayai de faire quelques tentatives en disant ouvertement: « Essayons toujours. Réussirons-nous ? Je l'ignore. »

Le sujet mis en léthargie, je présentai, par derrière, un flacon enveloppé, dont j'ignorais le contenu. Bientôt le sujet se plaint de coliques et il se produit des contractions intestinales bruyantes. Sans préciser davantage, je pensai que ce devait être un purgatif. C'étaient des cantharides entières. L'irritation intestinale, les coliques appartiennent à l'action physiologique des cantharides. Quant à l'ardeur génitale et urinaire, on m'accordera facilement que cette femme ne s'en soit pas spontanément expliquée devant l'assistance. Et si je le lui avais demandé, on m'aurait objecté que je lui en faisais la suggestion.

Après l'application d'un flacon contenant, m'a-t-on dit, de l'alcool, il y eut de l'embarras de la téte, de la titubation. J'ai su, par les comptes rendus de la Société, que cette titubation se produit toujours, lorsque le sujet son du sommeil hypnotique. M. C. Paul n'en dit rien séance tenante.

Troisième flacon présenté! Je ne saurais dire au juste ce qu'éprouva le sujet, mais ce dont je suis certain, c'est que je déclarai ne point reconnaître d'action spécifique, mais seulement des réactions banales qui se présentent à tout propos, dans ces sortes d'expériences. « C'est, me dit M. C. Paul, de l'eau de laurier-cerise. - — A quoi je réponds: « L'eau de laurier-cerise n'a donc rien produit! » Alors intervient le pharmacien du service qui nous dit: c J'ai mal compris ce qui m'avait été demande; ce flacon contient de l'eau distillée pure. » L'absence d'action, que je venais de constater hautement, était donc u,n succès pour moi. C'est justement le contraire que les comptes rendus mettent dans la bouche de M. C. Paul.

A la fin de la séance, je déclarai que si. pour moi, il y avait eu quelques effets certains, je convenais franchement qu'ils n'étaient pas assez saisissants pour entraîner la conviction de l'assistance.

Voilà de quel fait on mène grand tapage! Pour tout critique sérieux et impartial, il paraîtra dénué de toute signification.

Je regrette. Monsieur le Président, d'avoir été obligé d'occuper la Société de thérapeutique d'une affaire qui, à mes yeux, ne méritait point cet honneur. Mais pourquoi ne m'avoir pas prévenu de cette publicité, et ne s'être pas prémuni contre une mémoire peu fidèle ?

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de mes sentiments de confraternité.

BOURRU.

J'espère, Monsieur le Président (et j'ai l'honneur de le demander), que la Société voudra bien insérer ma réponse dans son Bulletin.

Une femme peut-elle être accouchée sang le savoir?

Telle est la question qui a été plusieurs fois posée en cour d'assises, et dont M. le professeur Brouardel s'occupait dans une de ses dernières leçons.

Déjà Hippocrate avait répondu affirmativement, dans le cas d'une crise de coma. Mais il est bien rare qu'une femme se trouve seule dans cet état. Or la question médico-légale se pose ordinairement ainsi : Une femme raconte qu'elle a accouché étant endormie, et elle ajoute que l'enfant a été étouffé sous les couvertures. Jusqu'à une certaine époque,on répondait: « C'est impossible. » Mais il s'est produit un fait, à la clinique de Paul Dubois, qui ne nous permet plus d'être aussi absolu. Une fille entre le soir très fatiguée. Elle se couche, s'endort, et à minuit elle se réveille en disant : « Tiens ! je suis mouillée; » elle veut se lever et, alors seulement, elle s'aperçoit qu'elle a un enfant entre les jambes. Ce fait, observé dans des conditions scientifiques chez une fille primipare, ne laisse pas de doute dans l'esprit.

On trouve bien dans Montgomery deux exemples semblables, mais ils ont le défaut d'avoir un peu la tournure des faits divers qu'on lit dans les journaux. Une fois c'est un lord anglais qui était couché à côté de milady et qui, tout d'un coup, pendant que sa femme dormait profondément, sent un troisième petit personnage se remuer dans le lit. Une autre fois, la même chose se passe pour une femme qui couchait avec sa petite fille. C'est celle-ci qui est la première à constater la naissance.

Dans le sommeil artificiel, il n'est pas douteux qu'une femme puisse accoucher sans s'en apercevoir. Il y a deux siècles s'est jugé un procès qui a fait très grand bruit et qui n'a duré que vingt-deux ans. Au moment où la femme du seigneur de La Palisse allait accoucher, elle s'était endormie et on avait fait sortir tout le monde de la chambre, sous prétexte qu'elle avait besoin de repos ; car on sait que, dans ce temps-là, toute la famille assistait aux accouchements. Puis, quand on était revenu, l'enfant était né pendant le sommeil de la mère. Or on l'avait fait disparaître et on lui avait substitué aussitôt un remplaçant, qu'on voulait faire hériter du seigneur de La Palisse. La sage-femme a avoué plus tard avoir donné à la mère un breuvage narcotique.

Dans ces derniers temps, d'intéressantes observations d'accouchements ayant eu lieu pendant l'état d'hypnotisme ont été recueillies par MM. Mes-net, Dumontpallier, Pritzl et plusieurs autres. Dans tous ces cas, l'accouchée n'avait aucun souvenir de ce qui s'était passé pendant son sommeil, et rien n'était plus frappant que l'étonnement manifesté par la malade de M. Mesnet en particulier, en voyant son ventre aplati et en entendant vagir son enfant à côté d'elle. Comment la mère aurait-elle pu se douter d'une substitution d'enfant, si elle avait eu lieu ?

La question rappelée par M. Brouardel n'a donc pas perdu de son intérêt, et il est possible que plus d'une fois encore la justice criminelle ait à décider si une femme a pu être accouchée sans le savoir.

Singulier cas d'hypnotisme à Granges.

La République de l'Est publie sous ce titre le fait suivant, au sujet duquel plusieurs de nos lecteurs nous demandent notre avis.

Un événement des plus extraordinaires, dont l'exactitude peut être confirmée par des centaines de témoins, intrigue toute la population de Granges.

Une fillette d'une douzaine d'années. Eugénie B. ... demeurant au village avec sa mère, se couche dans son lit. Presque aussitôt se font entendre une série de bruits très distincts, imitant soit les coups que l'on produirait en frappant de 1a main une porte ou une cloison en bois, soit le grattage des ongles contre une paroi en bois ; on dirait un tambourinage des doigts sur une table sonore.

Ces bruits, souvent entrecoupés par des coups plus forts, comme des coups de poing lancés brusquement sur un panneau de meuble, ne sont certainement pas produits par le corps ou les membres de l'enfant, qui ne bouge nullement.

Pour que ce phénomène singulier et inexplicable puisse avoir lieu dans sa plénitude, il faut que les bras de l'enfant soient placés sous la couverture du lit et que les personnes présentes en soient distantes au moins d'un mètre. Si ces dernières s'approchent trop près, les bruits deviennent plus faibles ou même imperceptibles. Mais si. après s'être approchées, elles reculent d'un ou plusieurs pas, les bruits se reproduisent avec une intensité progressive.

Toutefois la mère affirme qu'elle a essayé de se coucher près de son enfant, et que les bruits étranges ont persisté.

Jai tenu à constater moi-même ce fait bizarre : La fillette s'est mise au lit toute habillée, munie encore de bas et de chaussons (ella ne pouvait donc ni gratter ni frapper avec ses pieds le bois de lit). Immédiatement le phénomène s'est produit. Des coups légers d'abord, puis plus violents, ainsi que les grattages, paraissaient être produits contre le panneau de bois du lit qui fait face aux pieds. Si je m'approchais trop prés, ils cessaient aussitôt. Reculé d'un pas, ils recommençaient de plus belle. Ce qu'il y a de plus mystérieux, c'est que le moteur insaisissable (l'esprit, disent d'aucuns) de ce phénomène répète comme un fidèle écho les bruits analogues à ceux qu'il plaît aux visiteurs d'émettre. C'est ainsi que j'ai essayé, a maintes reprises, de frapper, soit avec une canne, soit avec le poing ou les doigts, sur le plancher, contre la porte de la chambre, ou de gratter avec les ongles contre la même porte ou sur la boiserie de la chambre, et chaque fois les mêmes coups, les mêmes bruits se sont repercutés dans le lit, observant exactement la même intensité, la même cadence, la même intermittence et en même nombre.

Une boite à cigares, à musique, a été remontée, et pendant tout le temps qu'elle a joué, un roulement, semblable au tambo urine ment des doigts sur une table, s'est fait entendre dans le lit, suivant bien les notes de l'instrument. Durant cette expérience la fillette n'a pas fait le moindre mouvement, si ce n'est un roulement de ses gros yeux, grands ouverts et effarés , lorsque des coups forts retentissaient.

On a essayé de coucher Eugénie B... dans un autre lit chez d'autres personnes, et même sur le plancher, et !e même phénomène a constamment eu lieu. Mais, aussitôt endormie le bruit cesse. Voilà plus d'un an que cela dure. La jeune Eugénie et ses parents, jusqu'à ces jours-ci, n'en avaient dit un mot à personne, de peur, disaient-ils, du ridicule que certaines personnes pourraient faire retomber sur eux à ce sujet, bien à tort cependant.

On me dira sans douta : « Vous vous êtes laissé abuser ainsi que ceux qui ont constaté ce fait ; il doit y avoir là-dessous un truc quelconque pour amuser ou effrayer les gens. » Eh bien! non, il n'y a là ni truc, ni compère, ni aucune supercherie pour faire croire aux esprits et aux revenants. Les plus minutieuses précautions qui ont été prises, l'examen le plus rigoureux qui a

été fait et répété, permettent d'affirmer que bien qu'extraordinaire, très extraordinaire, ce phénomène se passe absolument de la façon mystérieuse que je viens d'indiquer.

Maintenant, quelle explication donner à ce phénomène? A mon sens il s'agît simplement d'un eut pathologique, état très compliqué, très obscur, il est vrai, et qui mérite en tout cas d'être étudié par des spécialistes. L'enfant qui en est l'objet a toujours été maladive. C'est un tempérament où la nervosité domine a un degré qui ne s'est pas encore sans doute rencontré, mais qui probablement, a de l'analogie avec le magnétisme, l'hypnotisme, la suggestion, choses très réelles et qu'on ne peut cependant définir, de même que le phénomène qui nous occupe, que par les effets qu'ils produisent, pour cette raison que la science n'est pas encore parvenue à en connaître l'essence elle-même. Un médecin vient d'être appelé et doit venir demain visiter la fillette Eugénie B... Je tiendrai les lecteurs du Républicain de l'Est au courant de ce singulier et très curieux événement.

D'après les seules indications trouvées dans l'article qui précède, il n'est pas douteux, que la jeune fille en question ne présente les symptômes ou plutôt les stigmates de la névrose connue sous le nom d'hystérie. Bien que beaucoup plus fréquente chez les adultes, des manifestations de la névrose se rencontrent assez fréquemment chez les jeunes filles et un assez grand nombre de cas d'hystérie précoce ont été publiés.

Dans ces conditions, pour tous ceux qui sont familiers avec l'étude de l'hysterie, pour tous ceux qui ont en l'occasion d'approfondir l'état mental des hystériques, l'événement de Granges se réduit a fort peu de chose. On saiten effet que les jeunes aussi bien que les grandes hystériques sont douées d'une imagination des plus fertiles; qu'elles possèdent un talent naturel d'imitation qu'on ne saurait exprimer ; qu'elles pratiquent volontiers le mensonge et jouent d'instinct la comédie.

Elles éprouvent surtout le besoin de se rendre intéressantes et il n'est pas des supercherie qu'elles n'imaginent pour appeler l'attention sur elles. On peut leur appliquer dans toute sa rigueur le fameux adage: omnis homo mendax. Elles mentent et simulent sans raison, pour le plaisir, pour l'an.

Ne les a-t-on pas vues, en maintes occasions, présenter les symptômes les plus merveilleux et les plus faits pour déconcerter la raison?

Si les accidents paraissent exciter !a curiosité, ils s'accentuent et l'on assiste aux phénomènes les plus invraisemblables.

En un mot, elles sont atteintes d'un état mental particulier et le livre de Legrand du Saulle : Les hystériques est rempli de faits anormaux, surprenants, incompréhensibles accomplis par les malades.

Faire parler d'elles, tel étant leur but principal, elles y réussissent habituellement par des mystifications, des supercheries variées. Elles simuleront des maladies étonnantes, des grossesses, des tentatives de viol exercées par des inconnus. Elles se mutileront, absorberont les matières les plus répugnantes, etc.. Elles mystifient tout leur entourage, mais le médecin est surtout celui dont elles aiment le mieux à sur prendre la bonne

foi. Malheureusement pour elles, c'est toujours par là qu'elles se per-dent. Charcot, Dumontpallier et leurs élèves ont bien mis en lumière le caractère de ces malades. Grâce à leurs travaux, les médecins ont tous les moyens de déjouer les simulations, et les hystériques en sont habituelle-, ment pour leurs frais d'imagination. Le jour où on voudra surprendre la petite hystérique de Granges en flagrant délit de mystification, consciente ou inconsciente, cela ne sera pas difficile. En un instant s'écroulera l'échafaudage d'interprétations fantastiques accumulées par tous les esprits de bonne foi, qui ne savent pas encore qu'il existe une maladie dont le principal symptôme est une tendance irrésistible au mensonge et a la duplicité.

L'hypnotisme et la Société contre l'abus du tabac

A la dernière séance de la Société contre l'abus du tabac, l'honorable président. M. E. Decroix, a fait une très intéressante conférence sur la possibilité de guérir, par suggestion, des personnes incapables de se débarrasser de l'habitude de fumer avec excès.

S'appuyant sur de récentes études publiées par MM. les docteurs Bérillon, Auguste Voisin. Forci (de Zurich), Ladame (de Genève), il a fait ressortir les avantages que pourrait présenter la méthode suggestive a l'égard de certains nicotinés incorrigibles. En effet, du jour où il a été démontré qu'il était possible de guérir par la suggestion hypnotique des habitudes aussi graves que l'alcoolisme ou la morphinomanie, on devait songer à appliquer la méthode à toutes les habitudes vicieuses qui dégradent l'homme et le poussent rapidement à la dégénérescence.

Aussi M. Decroix a-t-il été bien inspiré eu choisissant ce sujet d'actualité pour texte de la conférence de cette année.

Un des faits qui ont le plus intéressé les auditeurs est le suivant, qui a été recueilli par M. le docteur Aug. Voisin :

Un individu âgé de 45 ans, à la suite d'excès de tabac (il fumait jusqu'à 60 cigarettes par jour), était tombé dans un tel état de cachexie, que l'on pouvait éprouver des craintes sérieuses pour sa santé.

M. Voisin le soumit à des tentatives d'hypnotisme au moyen du procédé de la fixation des yeux sur un ou deux doigts. — L'hypnose ne fut obtenue qu'au bout de deux séances. Le malade ne put pas être plongé dans un état qui dépassât la demi-léthargie, il ne pouvait ouvrir les yeux ; il ne pouvait non plus se redresser sur son fauteuil, quoiqu'il affirmât n'avoir pas dormi entièrement.

Dès cette séance, on suggéra au malade de ne plus aimer te tabac et de ne fumer que trois cigarettes par vingt-quatre heures. Au bout de deux autres séances, c'est-à-dire le sixième jour après le commencement du traitement, on suggéra au malade de ne plus fumer du tout, et, qui plus est, de détester absolument le tabac.

M. X... cessa de fumer ; depuis la dernière séance, il se sentit un peu mal a l'aise, il eut aussi de fréquents bâillements. Il lui a été fait trois autres séances d'hypnotisme pour assurer la guerison, qui ne s'était pas encore démentie six mois après.

M. le docteur Bérillon a aussi obtenu des résultats aussi complets chez plusieurs fumeurs de cigarettes chez lesquels cette habitude était poussée jusqu'à l'excès.

En terminant sa conférence, très applaudie, M. Decroix a donné une nouvelle preuve du désintéressement avec lequel il poursuit son oeuvre en mettant à la disposition de la Société contre l'abus du tabac un prix de trois cents francs à décerner au docteur en médecine, français ou étranger, qui relatera le plus de cas de guérison d'affections nicotiniques — mais au moins quatre — par le renoncement au tabac obtenu à l'aide de l'hypnotisme et de la suggestion.

Chaque observation devra faire connaître l'âge du sujet, depuis combien de temps il fumait, la quantité approximative de tabac — pipes, cigarettes, cigares — consommé par jour, les symptômes constatés, les procédés employés pour l'hypnotisme et la suggestion, le nombre de séances de suggestion pour obtenir la guérison, avec les dates à l'appui.

En outre du prix de 3oo francs, la Société décernera, s'il y a lieu, des récompenses honorifiques aux auteurs des mémoires qui, sans avoir obtenu ce prix, auront néanmoins fourni des observations ayant une valeur scientifique digne de fixer l'attention.

Les mémoires, écrits en français, en anglais, en allemand ou en italien, devront être parvenus au siège de la Société le 31 décembre 1888 au plus tard.

Les concurrents ne doivent pas se faire connaître. Leurs nom et adresse doivent être renfermés dans une enveloppe cachetée, portant une épigraphe qui est répétée en tête du mémoire. Cette enveloppe n'est ouverte que si le travail mérite une récompense.

VARIÉTÉS

L'HYSTERIQUE

Par le Dr Collineau

Comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase, un incident, en soi sans conséquence, peut fort bien donner libre cours aux manifestations désordonnées de l'hystérie.

En tête des circonstances propres à déterminer le passage du mal de l'état latent à l'état ostensible, il faut inscrire la peur, l'imitation, un traumatisme.

« Bien des malades saisis de frayeur, fait observer Mosso. s'aperçoivent d'une maladie qu'ils n'avaient pas soupçonnée auparavant ».

L'hystérie est une de celles dont l'existence larvée se révèle fréquemment à l'occasion d'une frayeur.

L'impression pénible causée par le spectacl einopiné d'une attaque suffit à en provoquer les spasmes chez les sujets prédisposés.

Il en est de même des traumatismes. Qu'il s'agisse d'une violence ou d'un irrésistible besoin d'imitation, ici et là, le rôle que joue la prédisposition est prépondérant. Et aujourd'hui que des travaux réitérés ont signalé à l'attention les retentissements possibles d'un choc extérieur sur la fonctionnalité nerveuse, on est, avec Charcot. d'accord sur ce point; c'est que « pour un choc d'une intensité donnée, les résultats varieront singulièrement selon les sujets. C'est ainsi que chez un homme vigoureux, bien équilibré, un coup de poing d'une intensité modérée asséné sur l'épaule — et ce qui est dit de l'épaule, on peut le répéter de la cuisse, — produira à peine un léger sentiment d'engourdissement passager et limité à la région contuse ; tandis que, suivant toute probabilité, chez une femme hystérique, l'engourdissement serait remplacé par des troubles de sensibilité (parésie, anesthésie) beaucoup plus accentués, étendus et durables. »

Certains principes toxiques, le plomb notamment, exercent, on le sait, sur les centres nerveux, une influence perturbatrice assez profonde pour déterminer l'épilepsie avec toutes ses conséquences lamentables. Eh bien ! une curieuse observation de Potain fait de l'hystérie saturnine une non moins indiscutable réalité. Toutefois, si subtil que soit le poison, en cette circonstance encore, l'éclosion de la névrose est subordonnée aux prédispositions de la personne.

Quant à ces prédispositions intrinsèques, c'est-à-dire dépendant de la constitution physiologique de l'individu, ou bien extrinsèques et ressortissant â la profession, au milieu social, au climat, etc., leur influence sur la genèse du mal, dont elles recèlent les origines véritables, est bien autrement profonde.

Des siècles durant, on a regardé l'hystérie comme l'apanage de la femme. Les doctrines régnantes relatives au siège utérin de l'affection avaient engendré et entretenu cet exclusivisme. Par la suite, les faits vinrent en démontrer l'exagération. Sans parler de Galien, qui déjà avait timidement mis en doute l'opinion universellement adoptée de son temps, ni de Lcpois qui s'éleva contre avec une énergie rare, Sandras, Forget, Landouzy, Briquet, Grisolle, Bernutz, tour à tour dotèrent la science d'observations rendant indéniable, désormais, l'authenticité chez l'homme de la névrose. Sans qu'il soit possible encore de recourir à la précision des chiffres pour fixer le rapport de fréquence de sa constatation dans l'un et l'autre sexe, les exemples, à l'instigation de Klein, de Raymond, de Dreyfus et tant d'autres, s'en sont suffisamment renouvelés pour montrer à quel point — à notre époque tout au moins — l'homme est exposé à ses atteintes.

Pour n'en citer que quelques-uns, mais frappants: En mars 1885, Charcot consacrait deux leçons de sa clinique à l'étude de six cas d'hys-

térie observés chez l'homme dans l'adolescence et l'âge mûr. c'est-à-dire de 20 à 40 ans, et d'autant plus significatifs que l'accentuation, l'intensité de la forme revêtue par les désordres les rapprochait plus intimement de la grande hystérie si familière à la femme. « J'ai voulu surtout vous convaincre, disait à ses élèves le maître en terminant, que l'hystérie mâle, même l'hystérie grave, n'est pas. du moins chez nous en France, une maladie rare ; qu'elle peut par conséquent se présenter çà et là. dans la clinique vulgaire où, seuls, les préjugés d'un autre âge pourraient la faire méconnaître. »

Le 11 mai de la même année. Boucher fils mettait sous les yeux des membres de la Société de médecine de Rouen un jeune homme de 20 ans, sujet à des crises caractérisées par la sensation d'une boule remontant du ventre à la gorge (boule hystérique), des contractions con-vulsives et tétaniques des muscles, des hallucinations, des troubles de l'ouïe, de la vision et de la sensibilité, puis à des accès de léthargie, de catalepsie et de somnambulisme.

(A suivre.)

BIBLIOGRAPHIE

De l'électricité comme agent thérapeutique en gynécologie

Par le docteur Mundé (1).

La traduction du livre de Mundé est certainement une œuvre utile, car l'électrothérapie a besoin d'être connue et vulgarisée en France. Vantée par les uns comme l'unique panacée capable de tout guérir, dédaignée par les autres, l'électricité ne mérite ni cet excès d'honneur ni cette indignité.

Appliquer l'électricité à tous les cas indistinctement, c'est faire œuvre mauvaise. Le point essentiel, mais difficile, c'est de savoir reconnaître le cas où -le traitement par l'électrothérapie est indiqué, et le cas où cette méthode doit être rejetée; la question des indications primant toutes les autres. Car il ne faudrait pas s'illusionner, et prétendre connaître le mode d'action de l'électricité : de l'avis de Mundé, c'est encore un traitement empirique. Aussi la lecture de ce livre ne doit se" recommander qu'au gynécoiogiste consommé sûr de son diagnostic, capable de discerner le vrai du faux, et d'apprécier en toute connaissance de cause les effets de la thérapeutique qu'il a employée. L'historique de la question, la lente vulgarisation de l'électricité, la description minutieuse des appareils, l'action variable des différents courants, la durée du traitement habituel, tels sont les points traités dans la première partie.

La seconde partie est tout entière réservée aux indications thérapeutiques, qui sont nombreuses.

Ajoutons que le traducteur, M. le D'Menière, le distingué rédacteur en chef de la Galette de Gynécologie, a su annoter 1 c livre de Mundé avec de judicieuses remarques d'une grande utilité pratique.

(1) Grand in-8°. Prix : a fr. 5o. — Paris, O. Doin.

NOUVELLES

Société médico-psychologique. — La Société médico-psychologique vient de constituer son bureau pour 1883 de la façon suivante: Président: M. le docteur Cotard; Vice-président; M. le docteur Falret ; Secrétaire général: M. le docteur Ritti ; Secrétaires des séances : MM. les docteurs Paul Garnier et Charpentier.

La Société a décidé de laisser jusqu'à nouvel ordre en discussion la question du Délire chronique.

Société de psychologie physiologique. — Cette Société, dans sa séance du lundi a6 décembre, réunie sous la présidence de M. Beaussire, a statué sur la proposition de M. le docteur Letourneau. qui demandait d'en faire une Société ouverte. Cet avis n'a pas prévalu, et il a été décidé que le nombre des membres resterait limité à trente.

Dans la même séance. M. le docteur Manouvrier a fait une intéressante communication sur la comparaison des cerveaux de Gambetta et de Bertillon.

L'hypnotisme en suisse. — Le conseil d'Etat du gouvernement de Berne, suivant en cela l'exemple donné par les conseils de Genève et de Neufchâtel, a décidé que les représentations publiques d'hypnotisme et de magnétisme continueraient à être Interdites A l'avenir.

— Le Conseil municipal de Paris, dans sa séance du 24 décembre 1887. malgré l'opposition do MM. Sauton et Georges Berry, a ouvert un crédit de 1,300 francs pour la création, à la Sorbonne, d'un cours de philosophie biologique. Il a été stipulé que le professeur chargé de ce cours ne pourrait être choisi qu'avec l'assentiment du Conseil.

index bibliographique international

HYPNOTISME (depuis 1880) Brouardel : Le viol dans le sommeil hypnotique. Gaz. des Hôp.. 1er nov.)

Sollier : Hystéro-epilepsie supprimée par la suggestion hypnotique. (Progr. Méd., 15oct.)

Luys (J.): Les émotions chez les sujets en état d'hypnotisme. In-8°. 98 p. avec fig. Baillière et fils.

Grasset (J.) et Brousse (A) : Histoire d'une hystérique hypnotisable. (Arch, de Neurol., novembre.)

Tanzi Eugénio : Etudes sur l'hypnotisme. — Les causes de la polarité cérébrale et les lois qui en dérivent. (Rivista di filosofia sc., septembre 1887.)

Scavarelli : Spasme de l'œssophage chez une jeune fille hystérique guéri par la suggestion hypnotique. (Rivista sperimentale, fasc. II, 1887.)

Lombroso: La dispolarisation chez les hypnotiques. (Archivio di Psychiatria, t- VIII-,

n° 4, 1887.)

Reymond : Halluc inations dans l'état de crédulité. (Id.)

G. Marinescu : Action médicamenteuse à distance. (Spitalut, Bucharest, oct. 1887.)

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT.

paris . — imprimerie charles dlot, rue bleue.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

EXPÉRIENCES SUR LE SOMMEIL A DISTANCE

Par M. le Dr Charles RICHET

PROFESSEUR A LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS

I

La remarquable série d'expériences faites par M. Janet, au Havre, et exposée ici il y a déjà plus d'un an, a été, comme on sait, contrôlée par plusieurs de nos confrères de la Société de psychologie (1)-. On a pu ainsi établir par des preuves très fortes le fait de l'action du sommeil à distance.

Quoique ce phénomène ait été antérieurement entrevu par divers observateurs, il n'avait cependant pas pour ainsi dire pénétré dans la science. Ce sont les expériences du Havre qui ont, pour la première fois, pu conquérir, non pas seulement, l'assentiment universel, — ce qui est impossible, puisqu'il y a encore, je crois, des personnes mettant en doute des faits bien plus simples et plus évidents, tels que le somnambulisme et l'hypnotisme, — mais au moins l'assentiment de quelques-uns. Toutefois, en un pareil sujet. l'incrédulité est si légitime et si naturelle qu'on ne peut trop accumuler les preuves. J'ai donc saisi avec empressement l'occasion qui s'est offerte à moi, grâce au bon vouloir de MM. Gibert et Janet, de renouveler sur le même sujet, Mme B..., ces expériences si importantes de sommeil à distance.

Je donnerai la relation succincte des résultats obtenus, Ils confirment tout a fait les expériences de M. Gibert et de M. Janet. Mais, quoique succincte, cette relation de mes expériences personnelles doit cependant indiquer nombre de détails qui sont absolument indispensables pour qu'on puisse juger de la valeur de la conclusion. C'est par l'accumulation de quantité de petits

(1) Bulletin de la Société de Psychologie physiologique, 30 nov. 1885, p. 24 et t- II, ,1886, p. 76.

détails que la conviction d'une bonne expérimentation peut être obtenue.

Mme B... est arrivée à Paris, chez M. X,.., le 28 décembre 1886 ; je l'ai endormie très facilement le lendemain 29 décembre, puis le 31 décembre et tous les jours suivants, sans interruption, du 1er janvier au 12 janvier inclusivement, c'est-à-dire treize fois avant de tenter une expérience de sommeil à distance.

Je n'insisterai suraucun des phénomènes psychiques ou somatiques qu'elle a présentés, car mon but était surtout de vérifier le fait du sommeil à distance ; j'aurai peut-être l'occasion de parler quelque jour de diverses particularités, mais actuellement je me contenterai d'indiquer ce qui se rapporte à cette question unique (1).

Dans ces treize premières expériences, j'avais seulement cherché à donner à Mme B... l'habitude d'être endormie par moi ; et cela a exigé beaucoup de temps, comme on voit. M. Janet avait dû faire de même et il n'a essayé de l'endormir à distance qu'après quatorze séances de somnambulisme.

Voici quelles ont été les habitudes de Mme B... depuis le 26 décembre jusqu'au 12 janvier (date de ma première expérience). Elle demeurait dans une soupente et, le matin, à 9 heures, descendait dans l'appartement de M. X... pour prendre son premier déjeuner. De 9h. 15 à midi 15 environ, dans une petite pièce attenant à la salle à manger, elle travaillait à l'aiguille, soit seule, soit avec les enfants qu'elle gardait (deux petites filles de quatre et deux ans). De midi 15 à 1 heure, déjeuner. Souvent, après le déjeuner, elle sortait pour se promener une heure ou deux. Elle rentrait vers 5 h. et demie et travaillait de nouveau à l'aiguille jusqu'à mon arrivée, qui était toujours entre 3 h. et demie, 4 h., 5 h., 6 h. et demie. Je la tenais endormie depuis l'heure de mon arrivée jusqu'à 7 h., 7 h. e: demie, 8 heures. 9 heures, selon que je restais ou non à dîner chez M. X... Puis elle dînait et, quelque temps après son dîner, remontait se coucher.

Première expérience. — Je sors de chez moi le mercredi 12 janvier 1 9 h. 10 du matin (avec l'intention d'endormir Mme B... a distance) (2), et. en marchant lentement de 9 h. 10 à 9 h. 5o (dont cinq minutes dans l'escalier de M. X...), je tâche d'exercer cette action. Personne n'est prévenu de mon intention. Je monte chez M . X... Je trouve Mme B... éveillée ; je lui dis que je voulais parler a M. X... M. X..., en effet, était là. Il fut surpris de me voir et je sortis avec lui. Le soir, à 4 heures, quand j'eus endormi Mme B..., elle me dit qu'elle avait été très fatiguée toute la journée ; et spontanément elle ajouta : « J'ai commencé à avoir envie de dormir vingt minutes avant que vous veniez ; et cela a duré tout le temps que vous marchiez, car vous y

(1) Voyez sur le même sujet le chapitre IV, p. 118 à 144. de la Suggestion mentale de M. Ochorowicz.

(a) La distance de chez moi à la maison de M. X... est d'environ 700 mètres.

pensiez en venant. J'allais dormir à 9 heures environ, quand les enfants ont fait du bruit et m'ont réveillée. C... (la cuisinière) alors m'a parle et je ne sais pas ce que je lui ai répondu. »

Cette première expérience était donc un insuccès, puisque l'état somnam-bulique n'avait pas été obtenu ; mais c'était un insuccès encourageant, puisqu'il y a eu vraisemblablement quelque action ressentie, correspondant très exactement avec l'heure 1 laquelle j'agissais. A vrai dire, cela ne prouve pas grand chose; car la perspicacité de Mme B... a pu être mise en éveil par le fait de ma présence non habituelle a cette heure matinale.

Deuxième expérience. — Je crois nécessaire, suivant en ecla l'excellent conseil de M. Ochorowicz. de tirer au sort le jour et l'heure à laquelle je dois endormir Mme B... Il s'agissait de savoir si ce serait le vendredi 14 ou le samedi 15, d'une part, et, d'autre part, si l'heure du sommeil a distance serait 8 heures. 9 heures, 10 heures, 11 .heures, midi, 1 heure, 2 heures, 3 heures, 4 heures, 5 heures, 6 heures, 7 heures du soir. Je tire au sort avec un jeu de cartes le jeudi soir et le sort désigne vendredi, 3 heures.

Je commence à essayer d'endormir Mme B... en sortant du laboratoire de la rue Vauquelin (1), le vendredi, à 3 h. 10. J'arrive chez M. X... à 3 h. 38. Je reste sept minutes dans l'escalier et j'entre à 3 h. 45, ayant ainsi concentre ma pensée autant que possible pendant trente-cinq minutes, de 3 h. 10 a 3 h. 45. Mme B... était sortie depuis près d'une heure pour aller faire quelques emplettes. Elle arrive à 3 h. 51 et son premier mot à C..., qui lui ouvre, avant qu'elle sache que je l'attends, est de dire : « Je ne puis pas avancer ; mes jambes tremblent... » On lui dît alors que j'étais là : ma présence n'avait rien qui pût la surprendre ; car c'était l'heure à laquelle j'arrive en général. Quand elle est endormie, elle me dit spontanément qu'elle était à une distance d'environ vingt minutes de la rue qu'elle habite, par conséquent vers 3 h. 31, quand elle s'est sentie tout d'un coup extrêmement incommodée : probablement la chaleur de la boutique qui lui a monté à la tête. Elle achetait des tabliers ; mais elle s'est pour ainsi dire sauvée si précipitamment qu'elle ne sait pas même la couleur des tabliers qu'elle a achetés. Elle a donc brusquement quitté la boutique ; en chemin, elle avait peur de tomber et de rouler sous les voitures, car ses jambes tremblaient et refusaient d'avancer.

Il est à noter que jamais pareille chose ne lui arrive. Toutefois, quand revient l'heure à laquelle j'avais pris l'habitude de l'endormir, elle est très fatiguée et agacée; mais c'est une espèce d'agitation nerveuse différente de la somnolence et de l'égarement qui, ce jour-là, sans autre cause appréciable que l'action à distance, l'a prise à 3 h. 31, pendant qu'elle était en train d'acheter des tabliers.

Cette deuxième expérience doit donc être considérée comme un demi-insuccès.

Troisième expérience. — J'avais à peu près annoncé à Mme B... que je ne rendormirais pas le samedi 15. De fait, en rentrant chez moi, le soir, je change d'avis et décide que je l'endormirai le samedi. L'heure que je choisis est 11 heures. J'essaye l'action pendant un intervalle de temps très limité, de 11 h. 1 à 11 h. 8 minutes. J'arrive chez M. X... à midi a8 minutes. Mme B... était éveillée ; mais elle avait cependant ressenti très nettement l'action à distance, comme l'indique l'enquête suivante.

(1) La distance de la rue Vauquelin à la maison de M.X... est d'environ 1,5oo mètres.

D'après Mme ?..., elle s'est sentie endormie par moi a 11 heures qu... (est-ce 11 h. 4 ou 11 h. 15 ? ) « Il était 11 heures, dit-elle : et un peu plus de 11 heures, puisque 11 heures venaient de sonner. Ce qui m'a réveillée, c'es quand M. X... est venu à u heures et demie me dire qu'il fallait déjeuner. »

Or il y a là, de la part de Mme B... une confusion d'heures qui ne laisse pas que d'être fort importante. M. X..., qui ne se doutait pas de l'heure à laquelle je voulais agir sur Mme ?.... est entré dans sa chambre à 11 h. 35 et à midi 10. A 11 heures ?4, il l'? trouvée endormie : elle ne l'a pas entendu ouvrir la porte et a tressailli quand il s'est approché d'elle. Elle lui a répondu comme à l'état normal, mais elle paraissait tout à fait hébétée et ne pouvait coudre. Cependant, une des petites filles était sur une chaise à côté de Mme B... Après avoir dit quelques mors à Mme ?.... M. X... s'est éloigné et il n'est revenu qu'à midi 10 pour lui dire de déjeuner. Alors Mme B... était tout à fait éveillée.

Ainsi, de 11 h. 5 minutes à midi environ, Mme B... a été plongée dans une sorte de somnolence, avec amnésie partielle. Ce n'est pas tout à fait un succès, mais c'est un insuccès qui se rapproche beaucoup du succès, puisqu'il semble bien prouver l'hypothèse d'une action à distance.

Quatrième expérience. — Le lundi 17. j'essaye, de chez moi, d'agir sur Mme B... de midi moins 9 minutes à midi 4 Résultat absolument nul. Quand je vais voir, à 6 heures, Mme ?.... elle n'a rien ressenti d'anormal. Insuccès complet. (Il est possible que cet insuccès tienne à une vive contrariété qu'elle a eue le dimanche 10, qui lui a fait passer une très mauvaise nuit du 15 au 16 et qui l'? beaucoup agitée.)

Cinquième expérience.— Le mardi 18, j'essaye, de chez moi, de l'endormir de 11 h. 5 à 11 h. 25. (Mais j'ai été très distrait ci très fréquemment dérange pendant tout ce temps.) Echec complet. Mme B... s'est très bien portée toute la journée et n'a rien ressenti d'anormal.

Sixième expérience. — Le mardi soir, rentrant chez moi, je tire au sort l'heure à laquelle je dois endormir Mme B... ; le sort désigne 11 heures. — J'essaye d'agir sur elle le mercredi 19, de 9 h. 11 à 9 h. 26. Puis je ne m'occupe plus d'elle. Dans la journée, de 1 h. 15 à 1 h. 40, j'ai occasion de parler d'elle à un de mes amis et je lui montre comment je m'y prends, par des procédés assurément ridicules et empiriques, pour essayer d'endormir à distance. Puis je vais à mon laboratoire de la rue Vauquelin, et je ne vais chez M. X... qu'à 5 h. 10. Je trouve Mme B... endormie, en état de somnambulisme, et voici ce qu'elle me raconte :

Le matin, en s'habillent, elle s'est sentie prise tout d'un coup d'un grand mal de tête. Elle pensait que ce mal de tète se dissiperait et alors elle a continué à s'habiller et est descendue. L'heure à laquelle elle est descendue était cinq à dix minutes après qu'elle a ressenti le commencement de son mal de tête. Puis, le mal de tète continuant à augmenter, elle s'est sentie tout à fait incapable de se tenir debout et elle est remontée dans sa chambre, où elle s'est couchée tout habillée, n'ayant pas la force de se déshabiller. Jamais pareille chose ne lui était arrivée depuis qu'elle était venue à Paris; elle avait passé une très bonne nuit et elle était très bien portante en se levant.

L'heure exacte à laquelle elle est descendue est très importante à connaître.

J'interroge séparément chacune des différentes personnes de la maison. Mme B... dit qu elle est descendue à 9 h. 18 ; Mme X... dit 9 h. 5 ; C... dit 9 h. 3o. La moyenne de ces différentes heures est donc 9 h. 20. Si l'on admet que son mal de tête a commencé 7 minutes auparavant, cela fait 9 h. 13 pour le commencement de l'action, heure qui coïncide tout à fait avec l'heure à laquelle j'ai essayé d'agir à distance. Il va sans dire qu'en dirigean: cette sorte d'enquête sur les heures, je ne donne, autant que cela dépend de moi, aucune indication sur l'heure à laquelle j'ai agi.

Vers midi, on monte dans la chambre de Mme B... On la trouve couchée tout habillée sur son lit ; elle dit qu'elle ne peut pas se tenir debout et ne peut pas descendre pbur déjeuner, — c'est la seule fois que cela lui est arrivé pendant son séjour a Paris, du 26 décembre au 25 janvier. —On est tout étonné quand, vers 1 h. 35, on la voit descendre dans le salon en état som-nambulique. Elle prétend que c'est moi qui l'ai endormie à 1 h. 3o et que je l'ai forcée à descendre dans le salon.

De : h. 3o à 5 h. 10, elle reste endormie sur un fauteuil, dans le salon, disant qu'elle m'attend là, parce que je lui ai donné l'ordre de m'attendre.

Cette expérience peut être considérée comme un succès incomplet. Elle aurait été irréprochable si l'état somnambulique avait été obtenu d'emblée à 9 h. 20, au lieu de ne survenir qu'à 1 h. 35. Elle n'en reste pas moins intéressante, par suite de cette coïncidence remarquable des heures: 9 h. 11, essai d'action ; 9 h. 13. commencement de lourdeur et de fatigue: puis, à 1 h. 35, coïncidence entre le moment où je fais la démonstration du sommeil a distance et la production chez Mme B... de l'état somnambulique.

Ce qui donne, en outre, une réelle valeur à cette expérience, c'est que Mme B... n'a jamais été malade pendant tout son séjour à Paris. C'est la seule fois qu'elle n'est pas descendue pour le déjeuner. De plus. le lendemain jeudi 20, elle s'est sentie encore toute souffrante de l'expérience de la veille, si bien que j'ai eu beaucoup de peine à calmer son agitation nerveuse et que je n'ai pas réussi à dissiper une céphalalgie intense qui l'a prise dans la nuit du mercredi au jeudi, et qui ne l'a pas quittée un instant jusqu'au vendredi matin. A moins d'admettre l'hypothèse, assez peu vraisemblable d'après ce qui précède et ce qui suit, d'une série de coïncidences, on ne peut s'empêcher de supposer qu'il y a quelque relation entre cette indisposition et une action à distance trop longtemps continuée.

Septième expérience. — Cette expérience étant, à mon sens, la meilleure, la plus démonstrative, je dois la rapporter aussi avec détail.

Pour Mme B..., la journée du vendredi, moins mauvaise que celle du jeudi, avait été assez pénible encore. D'un autre côté, j'avais eu beaucoup à faire ce jour-là, si bien que je ne pus arriver chez M. X... qu'à 6 h. 10. Je trouve Mme B... très fatiguée. Comme j'étais pressé, devant aller ce même soir au théâtre, je dis à Mme B..., avec la conviction qu'on met à dire ce qu'on pense sincèrement : * Je ne vous endormirai pas aujourd'hui. Il est tard, vous êtes fatiguée, et je n'ai que trop peu de temps à moi. » Alors Mme B..., à demi contente, rentre dans la cuisine en disant à C...: « Puisque M. Richet n'a pas besoin de moi, je m'en irai dimanche matin, »

Tout d'un coup, alors que je prenais congé de Mme X..., l'idée me vient d'essayer d'endormir Mme B... Je tiens à remarquer que cette idée m'est venue alors seulement que Mme B... était sortie, et que, par conséquent, rien dans

mes paroles ou mes gestes n'a pu indiquer une intention que je n'avais absolument pas. Je fais semblant do sortir, je ferme la porte d'entrée avec bruit, et je me glisse sans bruit dans le salon. lequel est séparé de la cuisine par l'antichambre et la salle a manger. J'avais prévenu Mme X..., mais je lui avais expressément recommandé, non seulement de ne prévenir personne «c'est-à-dire C. et Mme B...), mais encore de ne pas les voir ni de leur parler, même pour leur dire des choses insignifiantes, de sorte que depuis le moment où j'avais dit adieu à Mme elle n'a pu voir ni Mme X... ni moi, mais seulement C..., qui était, elle, absolument persuadée que j'étais sorti.

Alors, i partir de 6 h. 20, j'essaye d'agir sur Mme B... et de l'endormir à distance. J'entends Mme B... qui traverse l'antichambre et remonte dans sa chambre, 1 6 h. 25. A 6 h. 34. Mme X... entre dans le salon où je sais; je l'ai priée de faire descendre Mme B... par l'intermédiaire de C... Souvent on la prie ainsi de descendre, car la chambre où couche Mme H... est froide; d'ailleurs, C..., qui monte dans la chambre et voit Mme B..., ne se doute pas un instant que je suis resté dans la maison. A 6h h. 38. Mme B... redescend. Je l'entends qui entre dans la cuisine; et, de 6 h. 42 à 6 h. 56, je fais de nouveaux efforts pour l'endormir. Vers 6 h. 45, Mme B.... en causant avec C…, dit qu'elle a très envie de dormir et qu'elle est toute tremblante. Pour éviter ce sommeil, elle se trempe les mains dans l'eau froide ; mais cela ne lui suffit pas, dit-elle. Alors C... lui conseille de se mouiller la tète et le front avec de l'eau froide (heureusement. Mme B... ne suit pas ce consoil, car il parait que cela lui donne une crise hystéro-épileptique). Vers C h. 49, elle s'assoit, s'accoude sur la table de la cuisine, avec sa tête reposant dans la main gauche. A 6h. 5a Mme X... étant entrée pour la première fois dans la cuisine, vient m'avertir qu'elle est endormie, et, en effet, à 6 h. 55, j'arrive près de Mme B... et je la trouve en état de somnambulisme. Elle me dit : « Pourquoi n'avez-vous pas attendu encore quelque temps? J'allais venir dans le salon, puisque vous m'appeliez. »

Cette expérience est celle qui me paraît avoir le plus de valeur. Elle m'a donné cette impression personnelle subjective, dont parle quelque part M. Ochorowicx, et qui entraîne la conviction. En effet, rien n'était plus invraisemblable que le fait de supposer ma présence. Je suis certain que Mme B... ne s'est pas doutée un instant que j'étais resté dans la maison. Je laisse de côté la question de sa bonne foi. Sa bonne foi consciente n'est pas douteuse ; mais l'inconsciente, comme on sait, est toujours constamment d'une mauvaise foi absolue. — Puis, j'avais dit avec tant de sincérité que je panais, que je ne voulais pas faire d'expériences, que Mme B... n'a pas pu supposer chez moi l'intention de l'endormir à distance. Enfin. Mme X..., la seule personne qui connût ma présence et mon intention, n'a pas vu Mme B... de 6 h. 20 a 6 h. 52, et, quand elle l'a vue à 6 h. 52, Mme B... était déjà en état de somnambulisme. Elle n parlé une fois à C..., mais C... ne se doutait de rien, si bien que les actes et les gestes de C... (qui ignorait ma présence) ont été absolument incapables d'apprendre quoi que ce soit à Mme B...

Cependant, si excellente qu'elle soit, cette expérience a un côté défectueux: c'est que j'avais l'habitude d'endormir Mme B... tous les jours de 4 h. à 6 h. 1/2 et que, précisément, ce iour est le seul où je ne l'aie pas endormie, comme d'ordinaire. C'est une objection à la valeur absolue de l'expérience, je le sais, mais l'objection n'est pas très forte, car Mme B... s'est endormie vers 6 h. 5o, c'est-à-dire à l'heure où ordinairement je la réveille ; de sorte

que, si elle avait pris l'habitude de s'endormir tous les soirs, ce jour-là il faut admettre qu'elle se serait endormie précisément à l'heure à laquelle elle se réveille.

Une objection plus sérieuse se présente. Quoique je n'aie fait aucun bruit, il est possible que Mme B..., inconsciente, se soit doutée de ma présence. Je ne puis pas donner de preuves du contraire, de sorte que si cette expérience est un succès presque complet, il reste encore un point douteux, c'est de savoir si Mme B... n'aurait pas soupçonné, par un moyen que j'ignore, que j'étais resté dans la maison.

Huitième expérience. — Je ne cherche à l'endormir ni le samedi ni le dimanche, et chaque fois que j'arrive, je la trouve tout ù fait éveillée. Sans rien lui dire, je me décide à l'endormir le lundi matin ; le tirage au sort pour l'heure est fait le lundi matin, — et désigne 2 heures. Je ferai remarquer que cette heure de 2 heures est extrêmement incommode pour moi et que j'ai été sur le point d'y renoncer; mais, toute réflexion faite, je persiste à faire l'expérience à 2 heures. Car, précisément, le tirage au sort a cet avantage d'éliminer les heures appropriées à mes convenances et, par conséquent, probables.

Le lundi, chez moi, sans que personne sache rien de mes intentions, de 1 h. 38 à 1 h. 50, je fais effort pour endormir Mme B... J'arrive chez M. X... à 2 h. Comme il m'avait donné la clef de son appartement, j'entre sans faire de bruit et je vais trouver Mme X... dans sa chambre. Mme X... va alors dans la petite pièce attenant à la salle ù manger, où Mme B... est en état de somnambulisme. Elle peut cependant répondre, mais répond les yeux fermés et ne travaille plus à un bas qu'elle reprisait. Mme X... revient me trouver dans le salon. De 2 h. 5 à 2 h. 15. je fais effort pour endormir plus profondément Mme B... et la faire venir dans le salon où je suis. Mais je ne réussis pas à cela. A 2 h. 15, Mme X... va chercher Mme B... et l'amène dans le salon. Mme B... est toujours en eut de somnambulisme; elle a les yeux fermés, se heurte en marchant contre les murs et les meubles, se laisse conduire docilement, sans réagir, se laisse mettre un manteau sur l'épaule (afin de ne pas avoir froid). Mme X... la fait asseoir sur un fauteuil : je m'étais caché dans une petite pièce obscure, attenant au salon, et je pouvais observer Mme B... sans être vu, et sans que ma présence pût être soupçonnée. De 2 h. 15 à 2, je fais effort pour la décider à se lever et à venir me trouver

dans la petite pièce où j'étais. Mais ç'a été sans aucun succès. Cependant je pouvais observer Mme B.,. par une fente de la porte : elle était endormie, immobile, les yeux fermés, tenant son ouvrage à la main, mais ne travaillant pas. Quand Mme X... l'avait amenée dans le salon, elle avait dit : « Mais je suis éveillée. » C'a été la seule parole qu'elle ait prononcée ; mais elle l'a dite les yeux fermés et étant en état de somnambulisme.

A 2 h. 20, je sors du cabinet où j'étais caché, je lui parle et je la trouve en état de somnambulisme. Elle me dit que c'est moi qui l'ai endormie, à 1 h. 20 environ. C... me dît qu'à 1 heure, aussitôt après son déjeuner, Mme B... s'est retirée toute seule dans la petite pièce. L'heure de 1 h. 20 ne concorde pas du tout avec l'heure à laquelle j'ai fait effort pour l'endormir. Cependant, par suite d'une circonstance tout à fait spéciale, j'ai pu déterminer avec une grande précision l'heure à laquelle Mme B... s'est endormie. En effet, on peut admettre qu'elle a cessé de travailler à l'aiguille au moment où elle a été endormie. Elle a commencé à repriser un bas entre 1 heure et 1 h. 5. Par conséquent, la mesure du travail exécuté par elle donne une indication assez

exacte du temps pendant lequel elle est restée éveillée. Or le travail de reprise exécute par Mme B... ne pourrait être fait par Mme X... (qui travaille, parait-il, plus lentement) qu'en trois heures, et par C... (qui travaille plus lentement aussi) en une heure et demie. Mme B..., étant réveillée, me dit qu'il lui faut à peu près quarante-cinq minutes pour faire ce travail. On peut donc considérer qu'une durée d'environ quarante-cinq minutes s'est écoulée entre le moment (1 heure) où Mme B... est entrée, après son déjeuner, dans la petite pièce, et le moment où, étant endormie, elle a cessé de travailler, ce qui fait que l'heure de son sommeil serait i h. 45 environ, heure qui concorde très bien avec celle de mon action à distance.

J'ajoute que Mme B... ne savait pas qac j'avais la clef de l'appartement et que je ne venais jamais ou presque jamais à 2 heures ; de plus, que Mme X..., en allant voir quel était l'état de Mme B.... la trouvée endormie.

Cette expérience est donc un succès, mais elle a quelques côtés défectueux : d'abord, mon impuissance complète k déterminer Mme B... à venir dans la pièce où j'étais ; ensuite, l'appréciation — quelque peu artificielle — du moment où l'action a commencé. Enfin, quoique l'état de somnambulisme ait été bien caractérisé par l'attitude, l'allure, la clôture des yeux, la docilité (sans résistance) aux paroles de Mme X..., ce n'était pas le somnambulisme complet, tel qu'il peut être obtenu quand on endort Mme B... en lui tenant les pouces. Nous pouvons donc compter cette expérience comme un succès incomplet.

Neuvième expérience. — Entre la huitième et la neuvième expérience se place un fait qu'il est nécessaire de rapporter.

Le mardi 2$, n'ayant fait aucune tentative pour endormir Mme B.... j'arrive chez Mme X... a 3 heures. Je trouve Mme B... en état de somnambulisme. Mais cet état était tout à fait spécial. Elle ne me répondait pas; elle ne répondait pas non plus à Mme X... Elle avait les yeux à demi fermés, obstinément dirigés sur une montre en or qu'on lui avait donnée l'avant-veille. Toutefois, ce n'était pas le cadran qu'elle regardait, mais bien la boîte en or. Après que je lui ni eu touché le front et abaissé les yeux, elle m'a répondu : « C'est la montre qui m'a endormie » et, comme j'insistais, elle a persisté dans son affirmation. Elle m'a même prié de lui recommander, quand elle serait éveillée, de ne pas regarder ainsi le couvercle de sa montre, ce qui pourrait ainsi l'endormir d'une manière lâcheuse, notamment pendant le voyage qu'elle doit prochainement effectuer de Paris au Havre.

A 6 h. 50, je réveille Mme B... et je prends congé d'elle ; puis je fais semblant de sortir ; mais, au lieu de sortir, je cherche à l'endormir de 6 h. 55 à 7 h. 10. Nul effet : appréciable.

Il eût certes été très intéressant de réussir dans ces conditions qui me paraissaient excellentes; car assurément nulle expectant attention ou auto-suggestion n'eussent pu être invoquées. Mme B... ne pouvait soupçonner mon intention, et cette intention était invraisemblable. De fait, l'expérience a absolument échoué ; mais un fait négatif ne prouve rien, d'autant plus que l'état de réveil récent est peut-être une condition défavorable. Nous ignorons tellement la nature de ces actions à distance que toute supposition est admissible, quant k ce qui touche la difficulté du succès.

Enfin, pour cette observation de sommeil provoqué par la montre en or. je ne puis conclure qu'elle entache d'erreur mes expériences antérieures. C'est de l'hypnotisme. dans le sens que Braid attachait à ce mot. et il n'est pas

douteux que Mme B... ne puisse, comme tous les sujets somnambuliques semblent le faire, ressentir les effets de la fixation d'un objet brillant.

Il

Avant de conclure, je voudrais mentionner deux expériences inédites, faites par M. Janet, en ma présence, sur Mme B..., au Havre, pendant le mois de septembre 1886.

Dans une première expérience, me trouvant le samedi, à midi, à déjeuner avec M. Janet, nous décidons ensemble que M. Janet, vers 5 heures et demie, essayerait d'endormir Mme B... à distance. Chez lui. à un kilomètre environ de la maison où demeure Mme B... et sans qu'il ait pu voir Mme B... depuis le moment où nous avons pris cette résolution, il fait effort pour l'endormir de 3 h. 33 à 3 h. 45. Puis nous allons chez Mme B...,et nous arrivons chez elle à 4 heures précises. A ce moment, elle est endormie en état de somnambulisme et elle dit à M. Janet : « Vous m'avez endormie à 3 heures et demie. » Il était 3 heures et demie passées, mais c'était très près de 3 heures et demie.

Le lendemain, à 2 heures et demie, je vais chez M. Janet, et je lui conseille d'endormir Mme B... plus tôt que la veille, sans pour cela arriver plus tôt chez elle. Il y consent et fait effort pour l'endormir de 5 heures â 3 h. 12. Nous restons encore une demi-heure sans aller à la ferme où demeure Mme B... Il est 4 heures quand j'y arrive, et j'avais prié M. Janet de me laisser arriver seul. Mme B... était endormie et, d'après ce que me dit Mlle Giben, elle était réveillée à 5 heures, mais à 3 h. 15 elle était probablement endormie, autant qu'on peut en juger par le changement qui s'est fait subitement dans ses allures. Il va sans dire que Mlle Gibert m'a donné ces indications sans que je lui aie, en quoi que ce soit, indiqué l'heure à laquelle M. Janet a commencé à agir. Quant à Mme B..., interrogée sur l'heure à laquelle elle avait ressenti le début du sommeil, elle dit qu'il était 3 h. 20. On peut donc admettre 3 h. 15 à j h. 18 comme étant vraisemblablement l'heure à laquelle elle s'est endormie. Cette heure concorde bien avec 3 h. 12, heure à laquelle M. Janet avait agi en effet. Il y a un retard notable, mais, dans toutes les expériences antérieures, ce même retard avait été observé.

III

Jene crois pas. dans l'état actuel, si limité, de nos connaissances, qu'il nous soit permis de discuter la théorie de ce phénomène. Mais la critique expérimentale doit s'exercer sévèrement sur la réalité du fait. A vrai dire, il n'y a que le fait d'intéressant : toute théorie serait oiseuse et ridicule.

Tout d'abord il faut laisser de côté l'hypothèse de la simulation voulue, machinée avec art et poursuivie avec ténacité. Mme B....

que M. Janet et M. Giben ont observée pendant de longs mois, que M. X... et moi, nous avons,en un mot, interrogée,examinée, observée, scrutée, pendant des journées entières, ne simule pas et ne trompe pas volontairement. Cela est aussi, certain que la bonne foi de M. Janet, de M. Gibert ou de moi.

Mais, sans tromper volontairement, on peut désirer réussir, et l'autre suggestion — ou la simulation inconsciente — doit toujours être soupçonnée. Par exemple, que Mme B... vienne à savoir, par un moyen quelconque, que le lendemain à 3 heures j'essayerai de l'endormir, on peut être assuré que le lendemain, à 3 heures, quoi que je fasse, elle s'endormira. Je n'ai pas fait l'expérience ; mais je suis convaincu qu'elle réussirait. A vrai dire, elle ne prouverait rien contre la réalité du sommeil à distance. Elle établirait seulement ce qui a à peine besoin de l'être, que Mme B... est sensible à l'autosuggestion, à l'expectant attention, etc., de quelque mot qu'on nomme cette influence que l'imagination exerce sur une fonction psychique.

Donc, il est absolument nécessaire que Mme B... ignore et l'heure, et le jour où on veut l'endormir; et il faut contre sa simulation inconsciente prendre autant de précautions que contre sa simulation consciente. Or c'est ainsi que j'ai procédé, et, dans toutes ces expériences que j'ai rapportées, il lui était, je pense, tout à fait impossible, quelle que fût sa perspicacité, de deviner l'heure à laquelle j'avais agi (sauf pour l'expérience 1, qui d'ailleurs a échoué).

Si l'on prend la corrélation des heures, on trouve les chiffres suivants :

Effort d'action Effet ressenti Retard

1re Expérience 9h à 9h1o 9h20 20'

2e — 3h1o à 3h45 3h3o 20'

3e — 11h1 à 11h8 11h4 3'

4e — 11h56 à 12h4 Rien

5e — 11h5 à 11h25 Rien

6e 9h11 à 9h26 9h18 7'

— 1h155 à 1h40 1h33 20'

7e 6h20 à 6h52 6h45 25'

8e _ 1h38 à 1h5o 1h45 7't

9e — 6h55 à -h Rien

Donc, dans les six expériences qui ont réussi, il y a eu constamment un retard, qui, autant qu'on peut l'apprécier d'après ces données approximatives, me donne une moyenne de douze minutes environ. On peut donc admettre que, en général, chez Mme B... l'effet se manifeste dix minutes à peu près après que l'action a commencé.

II est intéressant de comparer à ces chiffres ceux que M. Janet a obtenus sur Mme B... :

1re Expérience (voy..p.) 3h33 à 3h45 3h33 (?) 0

2e — 3h à 3h12 3h18 18'

3e — (p. 73 du Bull.) 8h 8h3 3'

4' — (P- 79) 9h 9h7 7'

5e — (P- 74) 4h 4h10 (?) 10'

6e' — (p. 121 du livre de

M. Ochorowicz. 5h5o 6h 10'

7e — (P-123) 11h5o 12h5 15'

8e — (p. 13o) 8h55 à 9h10 8h57 2'

9e — (p. 138) 4h29 4h33 4'

10e (P. 142) 2h55 3h5 2o'

Ces dix expériences nous donnent ainsi constamment un retard de neuf minutes en moyenne, retard qui coïncide assez bien avec la moyenne de mes expériences.

La précision de pareilles mesures n'est qu'apparente assurément, et quand on a pris l'habitude des mesures exactes telles qu'on les pratique aujourd'hui dans les sciences physico—chimiques, on est quelque peu dérouté par ces appréciations arbitraires. Mais cependant, dans l'ensemble, on peut dire que les résultats sont satisfaisants, et que ce n'est pas une série de coïncidences fortuites qui fait que constamment il y a eu une action retardée, avec un retard variant de deux à vingt minutes.

Pour expliquer ces faits, je ne vois que quatre alternatives possibles : 1° le hasard...: 2° la simulation volontaire, machinée avec tout un appareil de tromperie...; 3° la simulation involontaire ou auto-suggestion... ; 4° une action réelle s'exerçant à distance .

Le hasard est une hypothèse très simple : mais elle ne me paraît pas acceptable, car il faudrait admettre une série, tout à fait peu probable, de coïncidences heureuses, agissant dans le même sens.

Sur les seize expériences que M. Janet a vues réussir, il y a eu seize fois retard et non avance. Sur les six expériences que j'ai faites avec succès, il y a eu six fois retard et non avance ; au total, sur vingt-deux expériences, vingt-deux fois retard, et pas une seule fois avance. C'est, au point de vue du calcul des probabilités, comme si on jouait à pile ou face, et que si vingt-deux fois de suite on tournait toujours pile. Dans l'espèce, la probabilité est de deux millionièmes, c'est-à-dire assurément presque nulle. Cela équivaut a la certitude.

Mais ce calcul est fait pour tromper, car il suppose que l'expérience a été faite d'une manière irréprochable. Si l'expérience était irréprochable, rien de plus juste que notre calcul des probabilités; mais nous ne sommes pas sûrs que nous n'avons pas triché quelque

peu malgré nous sur les heures, en donnant malgré nous des indications quelconques à Mme B..., de sorte que le calcul des probabilités appliquées à des données aussi arbitraires et inexactes est un leurre.

Un autre calcul donnera encore une probabilité très faible. Le choix de l'heure à laquelle le sommeil devait avoir lieu portait sur les heures suivantes, de 8 heures du matin à 5 heures du soir, ce qui fait, par fraction de vingt-cinq minutes, environ vingt et une fractions par jour. La vraisemblance que le sommeil de Mme B... coïncidera précisément avec la fraction de vingt-cinq minutes pendant laquelle j'aurai essayé de l'endormir est une probabilité de 121. Or, sur neuf expériences, j'ai réussi six fois. D'après la formule connue, la probabilité d'obtenir ce succès est de deux millionièmes. C'est donc une probabilité extrêmement faible et le succès entraînerait la certitude, s'il n'y avait pas toujours cette sorte d'arrière-pensée que les expériences ne sont pas irréprochables et que, par conséquent, le calcul des probabilités ne peut y être appliqué.

Quand on dit que ces succès peuvent être dus au hasard, on n'est pas sincère avec soi-même. Ce n'est pas cela qu'on veut dire. On suppose que l'expérience a été, d'une manière ou d'une autre, mal faite, et on attribue au hasard des coïncidences heureuses qu'il ne peut donner. Une probabilité d'un millionième n'est pas nulle théoriquement : mais en fait elle est nulle, aussi bien dans les sciences les plus solides, comme la physique, la chimie et la zoologie, que dans les sciences les plus hypothétiques. La probabilité que je vais mourir d'ici à cinq minutes est précisément d'un millionième à peu près. Je considère cette minime chance comme tout à fait négligeable. Les jurés, quand ils déclarent la culpabilité de tel ou tel criminel, savent bien qu'il y a beaucoup plus d'un millionième de chance pour que l'accusé ne soit pas coupable. Cependant ils n'hésitent pas: car cette minime chance d'innocence équivaut en fait à la certitude de la culpabilité.

Ainsi, l'hypothèse ou l'objection du hasard est absolument négligeable, si les expériences ont été bien faites. Le hasard ne donne pas de semblables coïncidences.

La question n'est donc pas de savoir si le hasard peut donner ces coïncidences, mais seulement si les expériences ont été bien faites.

En effet, il faut laisser de côté l'hypothèse d'une simulation machinée de longue main et avec art, par une série de trucs et de supercheries adroitement combinés. Mme B...a été observée avec assez de soin par M. Gibert, par M. Janet et par moi, pour qu'il me paraisse au plus haut degré absurde de supposer qu'elle a essayé de nous tromper. Elle est de bonne foi tout autant que

M. Gibert, que M. Janet ou que moi. Cela n'est pas douteux un seul instant.

Reste donc l'hypothèse d'une simulation involontaire ou plutôt d'une auto-suggestion qui lui fait réussir, parce qu'elle a surpris quelques indices, et qu'elle veut réussir.

Je suppose, par exemple, qu'elle m'ait entendu dire que je l'endormirai demain à 10 heures. Demain, à 10 heures, elle s'endormira réellement, sans que j'aie agi le moins du monde, sans qu'elle ait cherché à me tromper, par cette seule raison qu'elle s'attend à être endormie et que cette attente suffit à provoquer chez elle le sommeil. C'est une sorte de simulation inconsciente, à laquelle il faut toujours penser.

J'ai fait tous mes efforts pour éviter cette influence, étant absolument convaincu que l'attention de l'inconscient est toujours en éveil, et que l'attente d'un phénomène suffit souvent à la production de ce phénomène. Mais je n'ose espérer avoir toujours réussi. Dans le récit détaillé que j'ai donné plus haut, on voit quelles précautions j'ai prises; mais vraiment ce n'est pas encore assez. Pour éliminer i'auto-suggestion, j'ai pris des précautions minutieuses, mais je ne suis pas sûr de les avoir prises toutes. Quelque chose m'a échappé peut-être: je ne le pense pas, mais il m'est impossible de l'affirmer.

Pour que ces expériences fussent irréprochables, il eût fallu que les demandes fussent faites par un autre que moi, qui savais l'heure à laquelle l'action avait été essayée. Je tâchais bien de ne pas donner d'indications sur cette heure par mes demandes; mais je ne suis pas sûr de moi. Quand on désire qu'une expérience réussisse, on tend à la faire réussir. Heureux ceux qui affirment être sûrs de leurs paroles ! Pour ma part, je conserve des doutes sur ma prudence. Assurément je ne donnais pas d'indications grossières ; mais pour la perspicacité inconsciente, attentive à me tromper et toujours en éveil, peut-être ai-je indiqué le résultat à obtenir.

Toutefois il est bon de le faire remarquer. Tous mes efforts étant tournés vers ce désir de ne pas me tromper moi-même, il est possible que je n'aie donné que peu d'indications. Si j'étais sûr de n'avoir donné aucune indication d'aucune espèce, la question pour moi serait jugée ; car, faisant une expérience qui a un millionième de chance de réussir, je n'admets pas que par le fait du hasard je tombe précisément sur ce millionième.

De là cette conclusion que, si mes expériences sont mauvaises, et elles ne me paraissent ni irréprochables ni tout à (ait mauvaises, c'est parce que je ne me suis pas mis suffisamment en garde contre la perspicacité inconsciente du sujet et contre ma tendance à l'aider et à la faire réussir.

Mais, pour qu'il en soit ainsi, il faudrait peut-être me supposer

un peu plus naïf ou un peu plus aveugle que je ne le suis. Je laisse la question en suspens et je formulerai ainsi ma conclusion finale :

Ou bien il y a eu de ma part observation très incomplète et très infidèle, ou bien il y a eu réellement action à distance.

D'ailleurs je ne pourrai trouver mauvais qu'on ne soit pas convaincu par les expériences dont je donne ici le récit. Je sais trop bien que la conviction ne se manie pas à la manière d'une démonstration mathématique. Malgré moi. malgré mes raisonnements et mes expériences, je n 'ai pas encore pu acquérir sur la réalité du sommeil à distance une de ces fortes et absolues convictions qui renversent tous les obstacles, je suis forcé d'y croire par les faits eux-mêmes. Mais ces faits sont trop nouveaux pour mes habitudes de chaque jour, pour que je puisse les admettre d'après une démonstration quelconque, et y croire avec la môme certitude que je crois à des faits habituels.

Si je voulais traiter la question théoriquement, ce qu'à Dieu ne plaise ! je ferais remarquer que cette action à distance se retrouve à chaque instant dans la nature. Qu'est-ce que l'attraction universelle, sinon une action á distance ? Est-ce que nous comprenons pourquoi une pierre jetée en l'air retombe? Où est le fil qui la force à retomber sur le sol ? Nous voyons le fait chaque jour, et alors nous y sommes habitués. Aussi ne nous étonne-t-il pas, quoiqu'il soit assurément tout aussi impossible à comprendre d'une manière adéquate que l'action mentale è distance. L'aimant attire le fer à distance. Si nous n'étions habitués à ce phénomène, nous le déclarerions impossible : car nous ne le comprenons aucunement.

Enfin, je ferai une dernière observation. Supposons que l'action à distance de la volonté soit démontrée. Les choses n'auraient pas pu se passer autrement qu'elles ne se sont passées. Une autre démonstration, dans les conditions où je me trouvais, n'eût pas pu être donnée. Au contraire, si l'action à distance n'existait pas, il eût été impossible, je crois, d'obtenir ce que j'ai obtenu. Il y aurait eu tel ou tel point de détail qui eût manqué malgré la perspicacité inconsciente du sujet, sa prévoyance eût été mise en défaut à tel ou tel moment.

II n'y avait donc, à supposer que l'action à distance soit vraie, aucune meilleure démonstration possible, tandis que. si cette action à distance n'existait pas, j'aurais eu sans doute de tout autres résultats.

Il y a donc lieu, non pas de regarder la question comme jugée, mais d'expérimenter encore, pour se faire, s'il est possible, une conviction plus assurée, et pour supprimer les quelques doutes que peuvent encore laisser les défectuosités de nos tentatives, à M. Janet ci à moi, en une question si difficile.

APPENDICE

Je dois à l'obligeance de M. Janet le compte rendu de toutes les expériences de sommeil à distance qu'il a faites sur Mme B..., depuis la publication de son mémoire à ce sujet. Ce sont des expériences inédites à ajouter à celles qu'il a précédemment données.

8 septembre, 3 heures. Succès : trouvée endormie à 4 heures. M. Janet était entré sans sonner, de sorte que Léonie n'avait pu le voir.

9 septembre, 3 heures. Echec.

11 septembre, 9 heures. Echec]; mais elle est très troublée à

l'arrivée de M. Janet.

14 septembre, 4 heures. Echec ; mais, étant endormie, elle prétend que le coup de sonnette l'a réveillée.

18 septembre. 3 h. 28. Succès; c'est l'expérience mentionnée par moi plus haut. J'étais entré avec M. Janet.

19 septembre. 3 heures. Succès. C'est la seconde expérience que j'ai rapportée. J'étais entré sans M. Janet, et je l'avais trouvée endormie, probablement à 3 h. 10.

¿3 septembre, 2 heures. Echec. Elle était en promenade.

24 septembre, 3 h. 15. Succès. Elle est trouvée endormie à

4 heures: on l'a vue éveillée à 3 h. 15.

26 septembre, 3 heures. Echec. Elle se promenait dans le jardin pour ne pas dormir, dit-elle.

27 septembre, 8 h. 3o, soir. Succès. C'est M. Gibert qui t'a endormie et lui a commandé de venir chez lui. Elle est sortie endormie du pavillon où elle demeure, à 9 h. 15.

29 septembre, 3 h. 50. Succès. Elle a été trouvée endormie à

5 h, 5... on l'a vue éveillée à 3 h. 3o.

30 septembre, 3 h. 3o. Echec. Prétend avoir été réveillée par la bonne au moment où elle s'endormait.

1er octobre, 2 h. 34. Echec. Elle était en promenade.

5 octobre, 4 heures. Succès. Expérience très importante... elle causait avec la bonne dans le jardin et elle s'est endormie exactement à 4 h. 5. L'heure a été notée.

6 octobre, 3 heures. Echec.

9 octobre, 3 h. 1 5. Echec. Elle était sortie.

10 octobre, 3 h. 20. Succès. Elle est trouvée endormie au salon

à 4 h. 5.

12 octobre, 3 heures. Echec.

13 octobre, ; heures. Succès. Elle exécute à l'arrivée de M. Janet une suggestion mentale que M. Janet avait faite. Elle se lève quand M. Janet entre et va à sa rencontre.

14 octobre. 2 h. 3o. Trouvée endormie à 3 h. 20. 16 octobre, 3 heures. Succès. Trouvée endormie à 3 h. 3o. 24 novembre, 3 décembre, 5 décembre et 6 décembre. 4 échecs.

7 décembre. 2 h. 3o. Succès. Trouvée endormie à 3 h. 5-

10 décembre, 4 h. 20. Echec

11 décembre, 3 h. 15. Succès. Trouvée endormie à 4 heures. On Ta vue éveillée à 3 h. 15.

13 novembre, 4 h. Succès. Trouvée endormie à 4 h- 25. La bonne l'avait vue éveillée encore à 4 heures et quelques minutes après.

14. 18. 21 et 22 décembre. 4 échecs.

23 décembre, 3 heures. Succès. Trouvée endormie à 3 h. 40.

25 décembre. 3 h. 15. L'expérience est très intéressante; c'était le jour de Noël, et personne, ni elle ni M. Janet. ne songeait à l'expérience. Pendant qu'elle se promenait avec une amie sur la jetée, elle est prise subitement â 3 h. 20 d'une forte migraine, et aussitôt elle rentre presque en courant chez elle pour s'endormir. M. Janet avait fait l'expérience à l'improviste à 3 h. 15.

Ainsi, sur 35 essais, il y a eu 19 échecs et 16 succès. Sur ces 16 succès, pas une seule fois il n'y a eu avance et toujours retard. II faut ajouter que pendant cette époque elle n'a eu que 4 fois des sommeils spontanés qui se sont produits dans la journée.

RECUEIL DE FAITS

ALL0CHIRIE VISUELLE CHEZ UNE HYSTÉRIQUE HYPNOTISEE

Par M. le Dr Paul. Magnin (i)

Dans la dernière séance de la Société de biologie, M. Gellé a fait une tres intéressants communication sur un cas d'allochirie auditive et. à ce propos. M. Féré a fait remarquer que, pour ce qui est de la sensibilité générale et de la motilité, des phénomènes du même genre pouvaient s'observer chez les hystériques.

Nous avons souvent constaté, mon maître M. Dumontpallier et moi. des faits de cet ordre, et j'en ai moi-même parlé, sommairement d'ailleurs, dans un travail présenté comme thèse inaugurale . la Faculté de médecine, en 1884.

Excitait-on , par exemple, sur un membre, les téguments répondant a un muscle ou a un groupe de muscles, la contracture se montrait dans

(1) Communication faite a la Société de biologie, séance du 31 janvier 1888.

le muscle ou les muscles homologues du membre correspondant de l'autre côté.

Toutefois, ces effets ne se sont produits que sur des malades hemi-anesthésiques et dans le cas seulement où l'action portait sur le côté insensible. Un exemple: Mme N..., hémianesthésique gauche, sensible à droite. Somnambulisme par pression du vertex. Attouchement très léger de la face dorsale de l'avant-bras droit sensible. Contracture intense des extenseurs de ce côté; rien à gauche. Même excitation de la face dorsale de l'avant-bras gauche anesthésique, contracture des extenseurs de lavant-bras droit sensible: rien à gauche. La malade, interrogée, extériore la sensation du toucher à droite, dans la région homologue de celle réellement excitée du côté opposé.

Dans le même ordre d'idées, j'ai retrouvé dans mes notes un fait absolument confirmatif de celui de M. Gellé, bien que portant sur un autre appareil sensoriel.

Voulant un jour endormir une hystéro-épileptique pour réaliser sur elle des expériences d'un tout autre genre, j'avais, au préalable, examiné l'état de sa sensibilité. La malade était, à l'état de veille, hémianesthésique gauche. La sensibilité générale était, de ce côté, abolie dans tous ses modes. Pour ce qui est de la sensibilité spéciale : l'odorat était nul -à gauche, en même temps que le réflexe nasal avait disparu. L'ouïe était également abolie de ce côté. Le chatouillement du conduit auditif n'était point senti. Même résultat pour le goût et pour la sensibilité de la langue et du pharynx. Du côte de l'œil: retard de la sensibilité de la cornée, abolition totale de la sensibilité de la conjonctive, achroma-topsie absolue; impossibilité de reconnaître les objets. Lorsque, par exemple, on plaçait la main devant l'œil gauche de la malade, elle ne pouvait la distinguer. « Je vois comme un nuage qui remue; je crois bien que ce sont vos doigts, maïs je ne puis dire combien il y en a. » Du côté droit, sensibilité (générale et spéciale) intacte.

La malade est alors mise en somnambulisme, par pression du vertex. Ayant, au cours de l'expérience, présenté devant l'œil gauche du sujet un papier rouge, je fus très étonné de l'entendre me dire sans hésitation : « Ces: rouge. » De même, pour un papier bleu : « C'est bleu. » Je me demandai si, sous l'influence de l'hypnotisation, il n'y avait pas eu transfert de la sensibilité de droite à gauche. Je plaçai alors, dans le plan vertical de la figure du sujet, un écran disposé de telle façon, que chacun de ses yeux ne pût voir que les objets situés du côté correspondant de cet écran. Puis, recommençant l'expérience, je constatai que la malade voyait, du moins en apparence, les couleurs des deux yeux. L'examen de la sensibilité de l'œil gauche devait me fournir l'explication du fait. Le contact de la tête d'une épingle sur la conjonctive du côté gauche déterminait un réflexe énergique, mais à droite, et la malade extériorait la sensation dans l'œil droit non touché. L'expérience de l'écran répétée me permit alors de constater qu'un phénomène analogue avait lieu pour les couleurs. La malade, interrogée, accusait la sensation

colorée de l*œi! droit alors qu'on lui présentait les couleurs a gauche. II y avait donc là un fait très net d'allochirie visuelle, fait que je rapporte sans en tenter d'ailleurs aucune interprétation.

GUÉRISON PAR LA SUGGESTION HYPNOTIQUE D'IDÉES DELIRANTES ET DE MÉLANCOLIE AVEC CONSCIENCE

Par M. le Dr Jules VOISIN, médecin de la Salpitrière.

Mlle E. N..., âgée de 24 ans, vient à la consultation externe de la Sal-petrière réclamer un adoucissement à sa situation. Depuis plus de 18 mois, dit-elle, elle ne peut plus travailler, elle ne fait que pleurer et a des idées absurdes qui la paralysent et la rendent très malheureuse. Elle est obsédée par l'idée qu'elle deviendra folle ou qu'elle doit mourir pour ne pas être un déshonneur pour sa famille. Interrogée sur ses idées absurdes, elle m'avoue qu'elle a des sensations génitales, des idées erotiques qui la torturent; elle se sent poussée à l'onanisme et elle a peur d'être une fille de mauvaise vie et d'être le déshonneur de sa famille.

Voici quels sont ses antécédents héréditaires : Père mort tuberculeux à 39 ans; était très nerveux, très impressionnable.

Sa mère vit. a 45 ans, est très bien portante, maïs est très emportée.

Son grand-père maternel était un ivrogne.

Pas de consanguinité.

Pendant sa grossesse, la mère eut une vive contrariété, et pleurait tout le temps. L'accouchement s'est bien effectue et à terme.

Antécédents personnels. — Parle à un an, marche à 15 mois. Première dent à 10 mois. A 2 ans, elle commence à avoir des colères pendant lesquelles elle trépigne et même se pâme. A S ans. dans une de ces colères, elle perd connaissance. A13 ans, menstruation. Depuis cette époque: incontinence nocturne d'urine tres fréquente jusqu'à 18 ans, mais pas de morsures de la langue. De 18 à 22 ans, elle n'a uriné au lit que trois ou quatre fois.

Est très impressionnable; se trouble très facilement quand on l'interroge. Pendant quelques minutes, elle oublie tout, comme si elle avait de la paralysie du cerveau, dit-elle.

Lorsqu'elle est seule, elle est toujours très effrayée; elle se met à chanter et à ouvrir les fenêtrei. Lorsqu'elle descend à la cave ou dans un endroit retiré, elle cherche â en sortir le plus vite possible sans regarder derrière elle.

Très souvent elle a des doutes: elle se demande pourquoi elle existe, pourquoi les choses sont faites de telle façon; mais ses doutes ne portent pas sur les sujets religieux.

Jamais elle n'a compte les objets placés dans un appartement.

État actuel. — Jeune fille intelligente, pâle, anémique, présentant une légère asymétrie faciale et par moments un léger strabisme de l'œil droit. Oreilles petites, bien ourlées: pas de lobule. Voûte palatine ogivale. Sensibilité cutanée égale des deux côtés. Pas de points hystérogênes. Pas d'achromatopsie ; pas de rétrécissement du champ visuel. Iris droit plus foncé que l'iris du côté gauche.

Goût, ouïe et odorat normaux. Pas de céphalalgie. Pas de migraines. Pas de vertiges. Pas d'absences. Menstruations régulières etun peu douloureuses.

Depuis 18 mois elle a des idées erotiques avec sensations particulières du côté des organes génitaux et elle en est très émotionnée. très troublée et très triste. Plus elle veut les chasser, plus elles sont intenses. Les sensations n'accompagnent pas toujours ces idées. Elles sont moins vives pendant la marche. Jamais ces idées et ces sensations ne sont venues pendant la nuit. Pendant que la malade a ces idées ou ces sensations, il n'y a pas d'émission de liquide par les organes génitaux. Pas d'hallucinations obscènes.

Pendant ces instants, tantôt la malade pleure et a l'idée de se jeter à l'eau afin de ne pas déshonorer sa mère: ou bien elle a plus d'énergie et ne pleure pas, mais alors elle a l'idée fixe qu'elle deviendra folle. Ces idées absurdes, dit-elle, l'obsèdent toute la journée et l'empêchent de travailler. Quand elle a l'esprit bien tendu et fixé à un devoir, ces idées, au bout de quelque temps, arrivent et l'empêchent de terminer ce qu'elle avait commencé. C'est intolérable, dit-elle. Elle est on ne peut plus malheureuse et elle voit qu'elle rend sa mère malheureuse par sa tristesse. Il faut en finir.

Les accès de colère quelle avait dans son enfance ont complètement disparu. A besoin de beaucoup de sommeil.

1er mars. Ce matin, la malade est mise dans le 1er degré de l'hypnose par la fixation d'un corps brillant, et pendant ce temps je lui dis et lui fais répéter : qu'elle n'aura plus d'idées absurdes, qu'elle n'aura plus de sensations génitales, qu'elle se guérira très bien. Je lui recommande en outre de se réveiller au bout d'une demi-heure.

En même temps, je prescris un traitement tonique et des douches.

2 mars. La malade s'est éveillée hier juste au bout de la demi-heure. La journée a été bonne. Elle n'a pas eu d'idées absurdes, pas de sensations génitales et elle n'a pas pleuré.

Cette nuit, elle s'est éveillée deux fois avec la préoccupation de venir ce matin à l'hôpital pour dormir.

Je l'endors pour la deuxième fois, et je lui fais les mêmes suggestions.

3 mars. Bonne journée. A dormi chez elle pendant une heure de 3 à 4 heures. A eu quelques idées très faibles.

Troisième séance d'hypnotisme.

4 mars. A deux reprises différentes, hier, elle eut quelques idées et quelques sensations; mais cela a été très fugace. Elle est contente: elle

sent que si elle avait la volonté suffisante, elle chasserait ses idées. — Quatrième séance d'hypnotisme. Mêmes suggestions. 5 mars. lionne journée. — Cinquième séance.

7 mars. Sixième séance. — Est très contente. Pense à mes paroles et entend même ma voix très distinctement et en est très heureuse. Quand elle entend ma voix, elle se dit : « Je ne les aurai pas » (mes idées absurdes;.

31 mars. La malade a pu reprendre ses travaux (elle remplace une institutrice) et bien les remplir. Elle ne vient que tous les 8 jours pour se faire endormir. Il lui semble que si elle ne revenait pas, elle retomberait. Elle entend toujours ma voix. C'est comme un refrain, dit-elle.

26 mai. N'est pas venue depuis 3 semaines. L'amélioration persiste, et elle continue à faire sa classe. Elle entend toujours ma voix et me remercie beaucoup de l'avoir guérie.

Je l'endors encore aujourd'hui et je lui fais les mêmes suggestions.

3o juin. Se trouve très bien. Travaille avec plaisir. N'est pas venue, me voir depuis le 26 mai. Elle vient me voir pour que je lui donne du courage pour passer son examen. Elle entend toujours ma voix.

Mêmes suggestions. De plus, je lui dis: Je n'aurai pas peur, je passerai très bien mon examen.

3o juillet. La guérison persiste. La malade a très bien passé son examen, sans émotion.

Mêmes suggestions.

20 septembre. N'est pas venue depuis le 3o juillet. Très bien guérie. Elle n'a pas entendu ma voix depuis le mois de juin, et cependant ses idées ne sont pas revenues. Est très contente.

Mêmes suggestions.

15 décembre. La guérison persiste. N'a pas eu ses idées et ses sensations depuis le mois d'avril.

L'état général est bien meilleur aussi. La malade a engraissé de S livres. Elle prend toujours sa teinture de mars, son vin de gentiane et ses douches.

25 janvier 1888. Est toujours très bien portante.

Réflexions.— Cette observation nous montre une jeune fille présentant des stigmates de dégénérescence, ayant de la mélancolie depuis 18 mois et guérie au bout d'un mois ù peu prés par la suggestion hypnotique.

La malade fut mise seulement dans le premier degré de l'hypnose, tel que le décrit Bernheim, et dès la première séance d'hypnotisme, nous vîmes une amélioration très notable. Les idées suggérées se sont imposées à la malade, et, au bout de quelques jours, ces idées suggérées s'extériorisèrent et revêtirent la forme hallucinatoire. Ces hallucinations de l'ouïe furent pour la malade une nouvelle assurance de guérison. Quand elle entendait ma voix, elle se disait: Je n'aurai pas mes idées absurdes, — et elle ne les avait pas. Ces hallucinations persistèrent plusieurs semaines, puis disparurent petit à petit sans amener d'entraves à la guérison, qui persiste encore aujourd'hui.

IMPOSSIBILITE DE MARCHER DATANT DE TROIS ANNEES HYPNOTISME ET SUGGESTION. — GUERISON

Par M. le Dr A. Gros (d'Apt)

Mlle C- Marguerite, 3o ans. Bien portante dans son enfonce, mais faisait des scènes violentes pour des motifs futiles. Règles apparues à 13 ans. ont continué depuis régulièrement.

Err 1873. à l'occasion de la mort de son grand-père, une première crise hystérique isolée.

En 1875, quelques crises dont la cause occasionnelle n'est pas connue.

En 1880, après avoir travaillé beaucoup à des écritures, crises hystériques très violentes, accompagnées de faim extraordinaire. La malade mange trois, quatre côtelettes dans le courant de la nuit, boit du jus de viande et, malgré ce régime, éprouve des défaillances continuelles. Cet état dure un mois, pendant lequel le poids du corps s'accroît de cinq kilogrammes.

En même temps que la boulimie, il existe une douleur a la nuque très violente qui, tout en s'atténuant, persiste encore pendant trois ans-

En juillet 1884 au milieu d'une santé parfaite en apparence, nouvelles crises qui éclatent après chaque repas. Cet état dure trois jours.

La boulimie reparait alors et, si la faim n'est pas immédiatement satisfaite, une crise arrive. D'ailleurs celles-ci se renouvellent à tout propos : l'air froid, le bruit des pas, etc., provoquent des tiraillements. d'estomac, qui sont immédiatement suivis de crises. La situation reste ainsi la même jusqu'au mois d'octobre de la même année ; cependant les crises diminuent de nombre et d'intensité, quoique l'impressionnabi-lité nerveuse reste exagérée.

Pendant le cours de ce mois d'octobre, au milieu d'une petite promenade à pied, Mlle C. est prise de faiblesse dans les cuisses et dans les jambes, la marche lui devient absolument impossible, et. quoique son domicile ne soit éloigné que de quelques centaines de mètres, elle est obligée de s'y faire transporter en voiture. Le soir, grande crise. Quelques pas seulement dans la chambre les jours suivants.

Un traitement par l'électricité statique est alors entrepris sous l'habile direction du médecin de la famille. Ce traitement produit, au début, une assez grande amélioration ; il donne a la malade beaucoup de calme, lui rend la possibilité de faire une vingtaine de pas, mais il est irrégulièrement continué, puis définitivement abandonné.

En mars t885, la malade fait quelques promenades en voiture ; va habiter la campagne en mai, arrive à ne plus marcher du tout, puis fait de nouveau quelques pas après avoir pris des douches en pluie; enfin l'hiver arrive et ramène de nouveau l'immobilité.

Alors commence la longue série de médicaments prescrits par des conseillers ou conseillères de hasard. Tour à tour l'on essaye la Pelle-tiérine contre un tœenia imaginaire ; les fumigations diverses; la cendre de genêt : les frictions avec alcool camphré, eau sédative; les emplâtres, les cataplasmes les plus divers; les préparations martiales. Et, fait utile à noter au point de vue de l'indication thérapeutique, beaucoup de ces médicaments produisent au début une amélioration. Une seule cuillerée à café de « Gouttes Martiales » donne a la malade assez de force pour qu'elle descende au jardin pendant cinq ou six jours et y fasse quelques pas.

A ma première visite, fin septembre 1887, je trouve une personne polysarcique on le serait à moins, qui passe ses journées sur un fauteuil, les jambes entourées de châles et de couvertures, au coin du feu. quoique sa chambre soit exposée au midi et ne soit nullement froide. Elle peut à peine faire quatre pas, qu'elle fait d'ailleurs librement et normalement, sans soutien; ces quatre pas faits, Mlle C. déclare qu'il lui est impossible de marcher davantage, et elle se rassied. Elle en est toujours au jus de viande et aux côtelettes, même pendant la nuit.

Je propose l'hypnotisation. Cette méthode de traitement est acceptée sans enthousiasme par la famille et par la malade.

Je procède par simple occlusion des paupières et suggestion du sommeil. Le degré d'hypnose ainsi obtenu est très léger : à peine un peu de trémulation des paupières, qui restent fermées, mais que le sujet arrive à ouvrir en faisant un effort. Pas de catalepsie, même par sugges-tion verbale; souvenir complet au réveil. Je suggère a la malade que ses membres sont libres maintenant, qu'elle peut les mouvoir à son gré. Je la fais lever et marcher et je lui affirme que. lorsqu'elle sera éveillée, elle pourra descendre à la salle à manger, se promener dans le jardin et, enfin, qu'elle est guérie.

Au réveil (si l'on peut appeler ainsi la sortie d'un état aussi léger d'hypnose), au réveil, je dis à la malade de se lever, de marcher, et elle marche très bien. Je lui dis de descendre l'escalier ; elle hésite d'abord, puis descend avec aisance, « comme avant sa maladie », dit-elle. Arrivée dans la salle ù manger, elle va s'asseoir devant la cheminée ; l'on s'empresse d'allumer du feu et de la couvrir; j'annonce que c'est inutile et que Mlle C. ne craint plus le froid. « En effet, me dit-elle, le froid ne me fait plus rien. » J'ouvre la porte, et la malade sort dans le jardin.

Je m'en vais, assurant à nouveau la guérison; j'ordonne la promenade et le travail. Je recommande aux parents de ne plus demander à la malade si elle a froid, chaud, faim, etc., de lui affirmer, au contraire, qu'elle est guérie.

Le lendemain, Mlle C. me dit qu'elle est restée levée tout le jour, qu'elle a marché dans la maison; elle a pris ses repas avec les autres membres de la famille; elle n'a plus eu ses défaillances, n'a pas eu be-

soin de jus de viande la nuit; ne craint plus le froid. Je l'hypnotise à nouveau afin de la persuader davantage de sa guérison.

Je continue, afin d'éviter toute récidive, le traitement pendant une vingtaine de jours, pendant lesquels il est fait en tout sept à huit hyp-

Un jour, ma malade me déclare qu'elle marche toute la journée dans la maison, qu'elle s'occupe dans le jardin, mais qu elle ne peut faire plus de cent dix à cent vingt pas sans être obligée de s'asseoir. Je suggère aussitôt qu'elle peut marcher autant qu'elle le voudra, et la suggestion s'exécute.

Un autre jour, Mlle C. me dit : « Je vais tout a fait bien de mes jambes, mais je ne sors pas parce que, depuis trois jours, je n'ai pas d'appétit et je vomis tout, même l'eau. » Je demande : « Allez-vous à la selle? — Non. » La langue est très suburrale. J'hypnotise la malade et la persuade que la constipation est la cause de tous ses troubles digestifs. Je lui ordonne de prendre un verre d'eau qui la fera venir à la selle dans un quart d'heure, et je lui affirme qu'après cela l'appetit reviendra, elle ne vomira plus. Je fais boire ce verre d'eau, je réveille et tout se passe ainsi que je l'avais suggéré.

Aujourd'hui, 17 janvier 1888. il y a trois mois que Mlle C. n'a plus été hypnotisée, et la guérison s'est maintenue, sans rechute aucune.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ DE BIOLOGIE

Séance du 14 janvier. — Présidence de M. Brown-séquard

Un cas d allochirie auditive.

M. Gellé. — L'allochirie consiste dans la perception d'une sensation dans le coté opposé au point où l'excitation a lieu. La sensation est localisée dans le point symétrique de l'autre moitié du corps. Ainsi, on touche une cheville de la jambe droite et le patient, les yeux fermés, sent le contact dans la place correspondante de la jambe gauche : c'est Obeermeister (1) qui, le premier, a signalé ce phénomène curieux. Depuis, des faits nouveaux ont été cités et analysés par David Ferrier, Fischer, Leyden et par W. Hammond; Hutchin-son. Brown-Séquard en ont publié des cas récemment. C'est Hammond surtout qui a essayé d'expliquer cette perception croisée.

La plupart des malades sur lesquels l'allochirie a été observée étaient atteints de tabes, ou d'affections de la moelle, traumatiques ou autres;

(1) On Allochirie...A peculiar sensory disorder, par H. Obeermeister. (The Brain, 1882).

Leyden a montré la fréquence des troubles de la faculté de localisation sen-sitive chez les tabétiques. Voici, résumée, la théorie émise par W. Hammond :

Dans le cas de lésion médullaire unilatérale, la confusion s'explique ainsi: l'impression sensitive gauche, par exemple, suit le cordon médullaire et s'arrête à l'obstacle à droite ; de là elle se porte, à gauche, sur les fibres grises commissurales et continue son chemin, sur le côte gauche du myélaxe, jusqu'à l'hémisphère gauche.

Ainsi, l'excitation est gauche et la sensation est droite et symétrique : la perception par l'encéphale est telle que c'est sur le côte opposé que la sensation est rapportée.

Dans le cas de lésions bilatérales, qu'Hammond suppose situées à des hauteurs différentes, on voit que l'impression peut subir deux arrêts et fairc deux retours successifs sur les cordons médullaires ; d'où l'affaiblissement de la perception et son retard: dans cette hypothèse, le schéma d'Hammond montre bien que l'impression sensitive qui a subi un seul arrêt conserve toute sa vivacité, mais se réfléchit vers le côté homologue de la moelle et de l'encéphale, ce qui cause le phénomène de l'allochirie. Ce mécanisme explique donc qu'on peut rencontrer une anesthésie absolue d'un côté du corps, avec conservation plus ou moins parfaite de la sensation subjective des deux côtés et pourquoi l' anesthésie n'est pas un accompagnement nécessaire de l'allochirie.

Rappelons ici que les sections médullaires à la région dorsale déterminent de l'anesthésic du côté opposé à la section et de l'hyperesthésie du côté sectionné ; d'aprés Brown-Séquard, la suractivité nerveuse s'expliquerait par la dilatation des vaisseaux de la moitié coupée de la moelle.

Avec Hammond, j'insiste sur l'existence de cette hyperesthésie médullaire dans l'allochirie; cependant, M. Longuet objecte qu'elle n'est pas corrélative du phénomène.

On remarquera que, dans la généralité des faits rapportés jusqu'à ce jour, il s'agit toujours de la perception croisée des sensations cutanées.

Le fait que je rapporte ici est un cas d'allochirie auditive :

Mlle X... est atteinte depuis longtemps de vertige de Ménière, elle en a éprouvé les grands accès et conservé des troubles remarquables de l'équilibration, l'instabilité constante, les impressions caractéristiques, elle peut à peine marcher seule et se tient difficilement sur la chaise, elle oscille constamment dans un état d'équilibre instable. Elle n'est ni paralytique, ni tabé-tique. ni hystérique ; elle a des lésions évidentes des oreilles moyennes, surtout accusées à gauche (otite chronique à la période d'hyperplasie et de ramollissement). Les sons impressionnent douloureusement l'oreille gauche : elle est très sensible aux explorations avec le diapason ; de plus, les pressions centripètes provoquent la sensation de vertige, la constriction pénible des tempes, la déséquilibration et ses pressions sont aussi douloureuses, bien qu'extrêmement légères.

Il y a donc de ce côté gauche une très évidente hyperesthésie et une hyper-cxcitabilité très manifeste, le vertige est à la fois spontané et provoqué; le diagnostic de vertige par lésions auriculaires est ainsi établi sûrement. La malade a été examinée et soignée dans le service de M. Charcot pendant plus d'une année ; elle a guéri de peur.

Voici maintenant l'allochirie : *

Cette jeune femme offre à l'auscultation de la carotide droite un bruit de

piaulement intense qui s'accroît sous l'influence de la moindre émotion ou du plus petit effort. Le bruit musical vasculaire mobile, intermittent, est parfaitement perceptible avec l'otoscope adapté à l'oreille droite. Or, la malade ne perçoit pas ce bruit anormal par l'oreille droite (sa meilleure oreille cependant), mais bien par l'oreille gauche, c'est-à-dire qu'elle n'éprouve la sensation du piaulement que dans l'oreille gauche hyperesthésiée. Cette hyper-esthésie a été établie plus haut.

Du côté gauche, aucun bruit n'est perçu à l'otoscope. En résumé, le sujet rapporte à gauche et sent à gauche un bruit manifestement né à droite.

Voilà le fait ; quelle en est l'explication ? Ici. point de lésion médullaire: on ne trouve qu'un seul élément saillant, c'est l'état d'hyperesthésie et d'hyper-excitabilité de l'organe de l'ouïe à gauche. Sans doute, le bruit vasculaire se transmet dans toute l'étendue du crâne, et l'ébranlement maximum a lieu dans l'appareil auditif gauche dont la sensibilité est anormalement accrue. On sait, en effet, que si l'on place un diapason vibrant sur le vertex. on peut, en bouchant alternativement les méats auditifs de la pulpe du doigt, rendre la sensation droite ou gauche à volonté ; or, par cette occlusion, on a accru temporairement la sensibilité normale de l'oreille touchée en même temps qu'on arrête le courant sonore.

Je risquerai aussi un complément d'explication de l'allochirie dans ce cas spécial.

Nous savons que l'appareil d'accommodation binauriculaire est mis en jeu synergiquement des deux côtés, dans l'audition, sous l'influence d'un acte réflexe inconscient ; mais, si cette adaptation est provoquée ainsi, les mouvements et déplacements qui la constituent sont des phénomènes perçus par la conscience, par le sensorium : et c'est en réalité sur les perceptions conscientes de l'effort des recherches et d'adaptation fonctionnelle que se guide l'orientation ou bruit; je pense que, cher notre malade, la sensation produite à gauche doit être tellement supérieure qu'elle détermine la perception en ce sens, et la déplace sous l'influence de l'hyperesthésie signalée.

REVUE DE LA PRESSE

La syntaxe du sourd-muet.

Nous extrayons d'un article publié sur ce sujet par la Revue internationale de l'enseignement des sourds-muets les passages suivants, intéressants au point de vue de la psychologie physiologique. Le sourd-muet en cours d'instruction fait des inversions en écrivant et en parlant. Ainsi, le sourd-muet instruit, par la méthode orale, dés qu'il pourra prononcer ces mots, c'est-à-dire au bout de sept ou huit mois, dira et écrira :

Moi, méchant, non, pour: Je ne suis pas méchant.

Bertrand, girafe, grand comme, pour : Bertrand est grand comme une girafe.

Le professeur n'aura pas beaucoup de peine à corriger ces fautes, et, quand l'enfant ne retombera plus dans ces inversions, il lui arrivera d'en faire comme celles-ci : J'ai frotte le torchon avec le tableau ; j'ai mis ma tête sur ton chapeau, pour : J'ai frotté le tableau avec mon torchon; j'ai mis ton chapeau sur ma tête.

Et encore : Le lièvre le chien chasse, pour : Le chien chasse le lièvre.

Plus tard, à mesure que l'usage de la langue lui est moins étranger et qu'il ne commet plus de fautes aussi grossières, voici comment il lui arrive de s exprimer, — je copie textuellement, dans un cahier d'élèves : J'ai ouvert le robinet qui coule l'eau pour me laver les mains.

Un écolier entendant aurait dit tout simplement : « Je me suis lavé les mains. »

Un autre, ayant à raconter les faits saillants de la semaine, écrit dans son cahier-journal : M. Grèvy, président plus, parti, autre remplace, s'appelle Carnot.

Le même racontait, quelques lignes plus haut: Jai acheté un journal et j'ai lu que M. Clemenceau avait querellé M. Rouvier.

Un de ses camarades plus avancés s'exprime ainsi : M.Grévy n'est plus président de la République : un nouveau président le remplace qui s'appelle Sadi Garnot.

Ces exemples correspondent, à peu près, à ce que peut faire un de nos élèves en première, troisième, cinquième et septième années. Le dernier exemple nous le montre arrivé à une correction parfaite. Néanmoins, ce n'est pas indifféremment que la phrase suit l'ordre ci-dessus. On peut affirmer qu'il n'aurait pas écrit, comme un entendant pourrait le faire : M. Carnot remplace M. Grévy à la Présidence de la République. Et maintenant la raison de tout ceci ? La voici, à mon sens : Le sourd-muet a une tendance naturelle à exprimer les faits dans l' ordre où il les voit se produire et à exprimer successivement toutes les phrases d'un même fait, sans les grouper, comme nous le ferions, sous une appellation générique.

Ce que nous allons dire va paraître un peu paradoxal, mais nous semble assez juste : on pourrait démontrer que c'est notre langage actuel qui est plein d'inversions et non le langage des anciens, le latin, par exemple. On a coutume de parler d'« inversions latines ». On a peut-être raison en ce qui concerne les poètes, que les nécessites prosodiques ont pu obliger à faire des inversions. Mais d'une façon générale on a, à mon avis, tort de traiter d'« inversions » l'ordre de la phrase latine chez les prosateurs. Ouvrons-en un. Tacite, par exemple.

Dès la première phrase de ses Annales, je trouve qu'il a adopté l'ordre familier au sourd-muet :

Urbem Roman a principio reges habuere.

Nous la traduisons en français : Des rois eurent (ou gouvernèrent) d'abord la ville de Rome.

Les sourds-muets diraient exactement comme Tacite, j'en appelle à mes confrères : Ville Rome autrefois rois avait. Ne dirait-on pas du vieux français ?

Et, 'de fait, je retrouve une phrase de sourd-muet dans la légende de Berthe au grand pié: « Contre le vent elle fait un rempart d'arbrisseaux, à grand travail. »

Et cette expression, que l'on peut lire dans le serment de Louis le Germanique, de ce jour en avant, ne répond-elle pas exactement au signe que les sourds-muets emploient pour dire « demain »?

(Revue internationale de l'enseignement des sourds-muets.)

VARIÉTÉS

L'HYSTÉRIQUE

Par le Dr Collineau (Suite)

Dans la séance du 27 novembre 1885, Feréol présentait à la Société médicale des hôpitaux deux malades, dont l'un, âgé de 33 ans, était « manifestement hystérique » (attaques convulsives, mouvements désordonnés, perversion de la vision, affaiblissement de l'ouïe, abolition du goût, hémianesthésie cutanée, hémiplégie), et l'autre, âgé de 25 ans, sujet a vies attaques d'épilepsie, était atteint, en outre, au dire de l'observateur, « d'une paralysie hystérique manifeste ». Dans la même séance. Debove appelait l'attention sur un homme de 36 ans, robuste, père de famille, et dont l'excès de sensibilité nerveuse se traduisait par des troubles hystériques aptitudes à l'hypnotisme, à la suggestion, au transfert, abolition de la sensibilité cutanée du côté droit) nettement tranchés.

Dans le cours de la même année 1885. la Société médico-psychologique, de son côté, recevait, par l'organe de Jules Voisin, communication d'un cas particulièrement intéressant d'hystérie convulsive, chez un jeune homme de 21 ans, avec complication de catalepsie, de dédoublement de la personnalité, de désordres intellectuels profonds , manie hystérique .

L'année suivante, à propos d'un homme de 33 ans, Charcot appelait l'attention de ses élèves sur une forme, sinon très rare, du moins extrêmement singulière — le mutisme hystérique. — dont la névrose est susceptible : forme que caractérise essentiellement l'impossibilité, en dépit de la conservation de la mobilité de la langue et des lèvres, d'articuler un mot, même à voix basse, ou d'imiter les mouvements d'articulation exécutés par un tiers.

Une violence extérieure, un traumatisme peuvent être, avons-nous dit, l'occasion de manifestations hystériformes pour peu que, quel que soit le sexe, le sujet y soit prédisposé. Une observation émanant du service de Ball, à l'hôpital Necker, en fait foi. Un fait rapporte par Moricourt et relatif à un homme de 3o ans affecté, à la suite d'une frac-turc des deux os de l'avant-bras, de contracture musculaire du membre thoracique, d'hémianesthésie, d'abolition presque complète du goût. de l'ouïe et de l'odorat, de petites attaques convulsives accompagnées d'une sensation d'étouffement, en est la confirmation. Les deux nouveaux cas de paralysie hystéro-traumatique chez l'homme qui, au commencement de l'année 1887, ont été pour Charcot l'objet d'une leçon pleine d'intérêt, viennent à l'appur.

Dans le premier, par suite d'un accident de voiture, un jeune homme de 29 ans, ayant été violemment projeté sur le trottoir et ayant éprouvé une commotion cérébrale intense, il s'en était suivi une paraplégie accompagnée de stigmates hystériques : anesthésie du pharynx, abolition du goût. obnubilation de l'ouïe, rétrécissement du champ visuel, des plus nettement caractérisés, ainsi que d'attaques représentées par une sensation douloureuse dans l'un des flancs, de boule remontant jusqu'au cou, de suffocation, de battements dans les tempes, etc.

Dans le second cas, par suite d'un tamponnement dont avait été victime un jeune homme de 25 ans, de constitution vigoureuse et d'une santé parfaite jusque-là, il s'était produit des troubles de la sensibilité générale, ainsi que des troubles trophiques et sensoriels tellement nets que nulle hésitation n'était permise sur la nature de l'affection.

La vigueur de la constitution n'est même pas, pour certains, une sauvegarde, du moment que la prédisposition névropathique est là. Les faits relates, sous les plus sérieuses garanties d'authenticité, par les médecins militaires, en sont la meilleure preuve.

Dès 1884. Lanoaille de Lachèze avait signalé au corps de santé militaire l'éventualité de sa constatation chez le soldat, et lui avait, dans le but de la distinguer de l'hystérie de la femme, appliqué la désignation de Tarassis. En 18S6, un autre médecin de l'armée, Em. Du-ponchel, pensant qu'il y avait lieu de s'accoutumer à l'idée de rencontrer des soldats hystériques, s'appliqua ù répandre les doctrines de l'Ecole de la Salpêtrière sur l'hystérie mâle. Les cas que l'on est appelé à rencontrer — et il en fournit des spécimens probants — se peuvent classer en trois catégories : ils sont graves, d'intensité moyenne, ou frustes. L'importance pratique de ces considérations, ainsi qu'il le fait observer, est, au point de vue du recrutement, considérable. La question de l'épilcpsic se pose à chaque instant devant les conseils de révision; parfois les renseignements sont contradictoires, les enquêtes insuffisantes; les certificats médicaux eux-mêmes incomplets. « Or, personne ne pense à l'hystérie, qu'il faut savoir rechercher, que l'on trouvera souvent dans les cas présentés comme épilepsie douteuse et qui peut être reconnue sans constatation directe des attaques convulsives. »

De date récente, ces constatations positives offrent un vif intérêt d'actualité. Dans une étude qui ne se pique nullement d'être didactique, elles devaient, ce nous semble, avoir le pas sur des notions d'ordre plus général, mais qui ne sont plus à vulgariser.

Tout le monde le sait, la femme est incomparablement plus que l'homme sujette à l'hystérie.

A l'âge de la nubilité, c'est-à-dire à la période de la vie durant .laquelle le flux cataménial se renouvelle périodiquement et régulièrement, en correspondent d'ordinaire les atteintes.

(A suivre.)

CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE

Homœopathie et suggestion.

Le Prager med. Woschensc. du 21 décembre dernier emprunte l'histoire suivante à un journal de Berlin. Quelques médecins homœopathes étant arrivés à la conviction que la plupart des pharmaciens exécutaient leurs ordonnances avec une solution de sucre de lait dans de l'eau alcoolisée, résolurent de tenter une expérience décisive. Ils cherchèrent des noms latins ayant une certaine ressemblance avec des noms de médicaments et s'arrêtèrent aux suivants :

Tuber cinereum, Urticaria rubra, Pemphigus foliaceus, Madoroma frau-dulentum (calvitie simulée).

Ils firent alors des prescriptions avec ces noms et, pour plus de vraisemblance, ordonnèrent en même temps quelques préparations homceopathiques comme Aconit, Silicea, Pulsatilla, etc. Ces ordonnances Turent envoyées aux 89 pharmacies que compte la ville de Berlin et dont 12 seulement refusèrent de les exécuter; sur ces 12, la plupart ne tenaient point de remèdes homceopathiques ; dans un grand nombre des 77 autres, les préparations revinrent avec les noms soigneusement inscrits sur tes étiquettes.

58 pharmacies fournirent ainsi Tuber cinereum 5e dilution; 16 pharmacies, Urticaria rubra 3e dilution; 3 pharmacies, Pemphigus foliaceus 3e dilution, et 7 pharmacies, Madoroma fraudulentum 3° trituration. Quelques pharmacies fournirent sans difficulté deux ou trois fois ces remèdes, aussi souvent qu'on leur rapporta l'ordonnance.

Notre confrère de Prague ajoute que les homœopathes de Berlin auraient bien dû expérimenter si le Madoroma fraudulentum 3e trituration n'agissait pas aussi bien que tous les remèdes de la pharmacopée homecopathique. Tout cela lui rappelle l'histoire de ce pharmacien qui avait livré de l'eau distillée à la place d'une dilution quelconque et auquel son médecin homœo-pathe vint dire qu'il avait dû se tromper, « car le médicament était trop fort. »

On savait déjà que la médecine homœopathique est avant tout une médecine suggestive et que les granules que prescrivent les médecins homœopathes agissent surtout sur l'imagination des malades. Jamais, assurément, on n'en avait donné une démonstration aussi évidente. Mais que penser aussi de la bonne foi des pharmaciens berlinois qui n'ont pas hésité à commettre, avec un tel ensemble, un abus de confiance fort repréhensible !

Les dangers de l'hypnotisme.

Notre distingué confrère, le docteur Monin, dont les chroniques scientifiques sont si justement appréciées, vient de publier dans le Gil Blas un article qui mérite d'être reproduit.

Après avoir reconnu les avantages que peuvent présenter, dans certains cas, les applications thérapeutiques et pédagogiques de la suggestion hypno-

rique, le docteur Monin fait judicieusement ressortir les dangers que présentent ces pratiques entre les mains de charlatans.

« A la suite d'évocations spirites, écrit-il, il n'est, en effet, point rare de voir certaines personnes à cerveau faible soudain frappées d'aliénation mentale, de délire ambitieux, de folie des persécutions... Nous croyons savoir que nos asiles d'aliénés en offrent plus d'un échantillon. Il est vrai qu'on peut soutenir que nous prenons ici la cause pour l'effet, et que ces sujets étaient fous déjà en grande partie, lorsqu'ils se livraient aux hallucinations du spiritisme. 11 n'en est pas moins certain que l'action des émotions vives sur des sujets cérébraux, héréditaires, dont l'imagination s'exalte aisément, achève d'ébranler le système nerveux de ces impressionnables candidats à la folie, et consomme vivement la perte complète de leur santé mentale. Celui qui a assisté une fois à l'un de ces naufrages de la raison humaine ne saurait tolérer cette exploitation morbide, si facile, de la superstition.

» Ne l'oublions point, d'ailleurs, c'est à la contagion nerveuse ou par imitation que furent dues ces graves épidémies de sorcellerie et de possession qui désolèrent le moyen âge. Eh bien! voulez-vous voir reparaître encore les extatiques et les démonomaniaques, les Ursulines de Loudun et les miracles de Saint-Medard, et toutes ces vésanies religioso-social es des temps passés ? Continuez à tolérer les exhibitions malsaines, et à bourrer le naïf public de toutes les débauches médico-imaginatives de l'occultisme !

» II est grand temps, croyons-nous, de revenir à une plus saine hygiène morale, si nous voulons enrayer, chez nous, les incessants progrès de la né-vropathie et des troubles psychiques. Nous savons qu'il est, parmi les spirites et les hypnotiseurs, quelques hallucinés sincères et de bonne foi. S'ils développent toujours l'amour du merveilleux (par la sympathie polie qu'ils s'efforcent d'inspirer), ils servent inconsciemment (chose bien plus grave) de tremplin aux gens malhonnêtes qui exploitent la bêtise humaine et se font des rentes avec le nervosisme de leurs contemporains. Les médecins eux-mêmes ne sauraient qu'exceptionnellement être autorisés à pratiquer l'hypnotisme, dont les pratiques gagnent peu, d'ailleurs, à être généralisées. Quant aux expériences publiques, il ne faut pas les tolérer, mais imiter les arrêtés d'interdiction du Danemark, de la Suisse et de l'Italie, basés sur des nécessités d'hygiène publique. »

Un nouveau procédé d'étude du cerveau.

M. le docteur Armand B. Paulier vient de présenter à l'Académie des cerveaux humains préparés par un procédé qui permet de durcir la masse cérébrale également dans toutes on épaisseur, sans changement de volume et en lui conservant presque sa coloration normale.

Le cerveau ainsi préparé peut être à volonté ramolli dans toute son épaisseur, puis durci, puis ramolli de nouveau, et ainsi de suite, autant de fois que l'exige l'étude d'une région. C'est ainsi que. sur la région bulbo-protubérantielle, il a pu faire 17 dissections successives et prendre les moulages de ces 17 couches superposées.

A l'état de ramollissement, la substance cérébrale est en effet devenue tellement maniable, tout en conservant sa forme et sa consistance, qu'on peut à volonté écarter ou rapprocher les parois des cavités, redresser ou rabattre telle ou

telle partie de l'encéphale, disposer, en un mot, la préparation de manière à pouvoir étudier dans fous ses deuils telle ou telle région difficile à examiner ou même à voir à l'état normal. En durcissant, la région ainsi préparée conserve la forme qu'on lui a donnée et peut être facilement reproduite par le moulage.

Quoique au point de vue de la dissection fine, les résultats ne soient pas encore aussi satisfaisants que le désirerait M. Paulier, ce procédé peut servir à l'étude détaillée du cerveau. C'est ainsi qu'il a permis de disséquer et d'isoler sur le point de varol deux faisceaux nettement distincts du reste de la masse de la protubérance. Ces deux faisceaux, situés superficiellement au-dessous d'une couche très mince de fibres transversales, se continuent d'un côté avec la couche superficielle des pédoncules cérébraux, où il est possible de les suivre: du côté du bulbe, leur terminaison est moins nette et paraît varier suivant les sujets: sur les uns, ces faisceaux se continuent en partie avec les pyramides antérieures, tandis que le reste va se perdre dans le cervelet. Sur d'autres, la continuation avec les pyramides est moins nette, les libres les contournant pour se diriger vers le corps restiforme et le cervelet.

Ce procédé est surtout applicable a la préparation des pièces d'ensemble et des grandes régions, comme le prouvent les 25 moulages présentés à l'Académie, moulages reproduisant une douzaine de régions différentes de l'encé-phale.

M. Paulier pense que son procédé est appelé a rendre de grandi services au point de vue de l'étude intime du cerveau et surtout de l'enseignement de l'anatomie cérébrale. On pourrait ainsi mouler toutes les régions du cerveau, disséquées couches par couches : ces reproductions en relief seraient beaucoup plus démonstratives que des planches ou des photographies, si parfaites qu'elles puissent être.

Il appelle également l'attention sur l'application de sa méthode au point de vue de l'anatomie pathologique du cerveau; elle permettrait en effet de durcir, de ramollir, de disséquer, puis de mouler des cerveaux altérés par de grandes lésions, telles que des hémorragies, destumeurs, des épanchements, etc. On pourrait constituer ainsi une collection de pièces fort intéressantes au point de vue de la pathologie cérébrale.

NOUVELLES

Asiles d'aliénés. — Par arrêté ministériel, en date du 7 janvier 1888. les fonctions de directeur et de médecin en chef de l'asile de Ville-Evrard seront dorénavant séparées. — La direction administrative et médicale de rétablissement se composera ainsi qu'il suit: un directeur et deux médecins en chef. — Un des deux emplois de médecin adjoint existants est supprimé. — Le docteur Paté est nommé au poste de directeur de l'Asile d'aliénés de Ville-Evrard créé par le présent arrête. Le docteur Paté est compris dans la troisième classe du grade. Il recevra, en conséquence, à partir du jour de son installation, outre le logement, le chauffage et l'éclairage dans l'etablissement.Ie traitement de cinq mille francs, détermine par les décrets des 6 juin 1863 et 4 février 1875.

— Le 14 janvier 1889, la Société médico-pratique- décernera un prix de 600 francs à l'auteur du meilleur travail de médecine, chirurgie ou obstétrique, qui lui aura été adressé.

Pour être admis au concours, les mémoires doivent être écrits en français, inédits, accompagnés d'un pli cacheté portant le nom de l'auteur et reproduisant l'épigraphe placée en tête du mémoire, et être adresses franco, avant le 1er novembre 1888, au secrétaire général, M. le docteur Cyr, 21, rue Cambacérès. Paris.

— Ecole départementale d'infirmiers et d'infirmières de l'Asile clinique (Sainte-Anne). (Sixième année). — Les cours de sixième année scolaire ont commence le lundi 23 janvier 1888. a deux heures du soir, dans l'amphithéâtre d'admission, et se continueront les lundis, mercredis et vendredis suivants, i la même heure. — Programme pour l'année scolaire 1887-1888: Hygiène: Professeur, M. le docteur Du-buisson. — Pansements et appareils: Professeur. M. le docteur Picqué. — Physiologie : Professeur. M. le docteur Vallon. — Anatomie: Professeur. M. le docteur Pichon. — Petite pharmacie: Professeur, M. Thabuis, pharmacien en chef de l'Asile de Vaucluse. — Administration: Professeur, M. le docteur Taule. — Les personnes étrangères à l'établissement qui désireront suivre ces cours gratuits devront se faire inscrire tous les jours, de 10 heures à 4 heures, à la Direction de l'Asile.

— M. le docteur Chautemps, conseiller municipal de Paris, est nommé membre du Conseil de surveillance de l'administration générale de l'Assistance publique à Paris, en remplacement de M. le docteur Robinet, décédé.

— MM. les docteurs Rey et Marandon de Monthyel sont nommés médecins en chef de l'asile de Ville-Evrard. — M. le docteur Donnet est nommé médecin-direc-teur de l'asile de Vaucluse.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique, par le

docteur Bernheim. professeur à la Faculté de Nancy. — 2e édition, revue et augmentée. — Doin, édit. In-12, 1888 (3 fr. 5o).

Des anesthésies hystériques, par le docteur Pitret, professeur à la Fatuité de Bordeaux. — In-8°. Bordeaux, 1887.

L'hypnotisme et la médecine légale, par le docteur Ladane, privat-iocent à l'Université de Genève. — In-8°. Lyon, 1888.

Le monde des rêves, le rêve, l'hallucination, le somnambulisme et l'hypnotisme, l'illusion, les paradis artificiels, etc., par le docteur Max Simon, médecin en chef de l'Asile de Brou. — 2e édition. In-12° 1888. I.-B. Baillière (3 fr. 5o).

Le tabac devant l'hypnotisme et la suggestion, par M. E. Decroix. — Broch. in-8°. Paris, 1888.

L'Administrateur-Gérant : Émile BOURIOT.

paris. — imprimerie charles dlot, rue bleue.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

OBSERVATION DE SOMNAMBULISME HYSTÉRIQUE AVEC DÉDOUBLEMENT DE LA PERSONNALITÉ GUÉRI PAR LA SUGGESTION HYPNOTIQUE

Par m. le dr ladame

privat-docent a l'université de genève

C'est la première fois. Messieurs, que j'ai le privilège d'assister à l'une de ces réunions depuis que vous m'avez honoré du titre de membre associé étranger de la Société médico—psychologique. J'attache le plus grand prix à cette marque de distinction et de sympathie que vous avez bien voulu me donner, et je suis heureux de saisir cette occasion pour vous en témoigner ma gratitude.

L'observation de somnambulisme hystérique sur laquelle je désire attirer quelques instants votre attention est relative à une femme, âgée de 27 ans, Mlle X...

Au point de vue héréditaire, nous remarquons que la mère, qui mourut à l'âge de 38 ans, de phtisie du larynx, était atteinte déjà de somnambulisme et d'attaques de sommeil analogues à celles qu'a présentées notre malade. Le père de Mile X... est mort en 187;. à la suite d'une perforation intestinale, au douzième jour d'une fièvre typhoïde. Je ne possède aucun renseignement sur son caractère et son tempérament. Suivant les dires de sa fille, il jouissait d'une très bonne santé et n'aurait jamais été alité avant la fièvre à laquelle il a succombe. La sœur de notre malade, âgée de 21 ans, a souffert pendant quelques mois de boiterie, probablement de coxalgie d'origine nerveuse ; mais elle est actuellement tout à fait guérie, comme j'ai pu m'en assurer récemment.

Quant aux antécédents personnels de Mlle X.... elle m'a raconté elle-même ce qui suit; la plupart de ses affirmations ont du reste été confirmées, soit par sa jeune sœur, soit par son fiancé, car Mlle X... est fiancée depuis le mois de mars 1887.

(1) Communication faite, à la Société médico-psychologique, le lundi 3o janvier 1888.

Dans sa première enfance, elle éprouva une grande frayeur à la vue d'un incendie. C'est à la suite de cette peur, paraît-il, qu'elle devint somnambule. Elle se souvient très bien que son père et sa mère racontaient souvent qu'ilsavaient dû la chercher, le matin, à la cuisine ou dans les corridors de la maison, et la rapporter dans son lit, d'où elle s'échappait parfois à plusieurs reprises pendant la même nuit. Elle ne se souvient pas d'avoir fait des maladies graves pendant son enfance et son adolescence ; mais les accès de somnambulisme n'ont jamais cessé ; ils se renouvelaient même assez fréquemment. Elle apprit l'état de couturière et se plaça à Vienne, en Autriche, en 1886.

Au mois de janvier 1887, étant à Vienne, elle faillit mettre le feu à la maison dans laquelle elle habitait. Elle avait renversé une lampe à pétrole allumée. On put se rendre maître de suite du commencement d'incendie que cet accident avait provoqué, mais Mlle X... fut bouleversée par l'émotion qu'elle éprouva. Elle tomba dans un sommeil profond et resta deux jours et deux nuits sans qu'on parvînt à l'éveiller. Ce fut sa première attaque de sommeil

Elle rentra à Genève et, dès lors, les attaques se répétèrent. Bientôt on s'aperçut que la malade se réveillait parfois dans un état bien différent de son état normal et avec un caractère qu'on ne lui connaissait pas. C'était une sorte d'état second, pour nous servir de l'expression du docteur Azam.

De janvier à octobre 1887, le plus long intervalle pendant lequel Mlle X... resta sans avoir d'attaque fut de quinze jours. En général, les attaques de sommeil et le réveil dans « l'état second » se répétaient coup sur coup pendant quelques jours, puis, après un certain intervalle, de plus en plus court, se renouvelaient comme nous venons de le dire.

On comprend qu'un état pathologique semblable était intolérable pour la malade et son entourage, d'autant plus que les accès de noctambulisme continuaient, comme par le passé, presque toutes les nuits.

Au mois d'octobre 1887, pendant ses époques, la malade traversa une période particulièrement agitée. Son fiancé vint me trouver et me donna les renseignements suivants : « II y a un mois, me dit-il, en septembre 1887, je me promenais avec elle, le matin, à neuf heures. Mlle X... était dans sa crise, mais réveillée (c'est-à-dire dans l'état second). Au bout de quelques instants, elle se réveilla tout à lait. Je la regardai fixement, et soudain elle se rendormit. Mais je la réveillai très facilement par quelques frictions sur le front. Depuis ce moment, je l'endors et je l'éveille à volonté, bien que je n'aie pratiqué ce moyen que deux ou trois lois, lorsqu'elle ne voulait pas médire ce que je lui demandais. ».

Le jeune homme découvrit ainsi par hasard le pouvoir qu'il avait d'endormir et de réveiller à volonté sa fiancée. Il s'improvisa

magnétiseur. Mlle X... m'a affirmé à plusieurs reprises, du reste, qu'elle n'a jamais été magnétisée par personne, ni à Vienne, ni à Genève.

Cependant, les attaques de sommeil étaient toujours plus fréquentes. Elles apparaissaient à la moindre émotion, à la plus petite contrariété. Quand les accès sont imminents, elle a des battements de cœur ; elle veut parler, mais ne peut pas dire un mot. et c'est alors que le sommeil la surprend. Lorsque Mlle X... s'endort d'elle-même et qu'elle se réveille dans son état second, son fiancé n'a aucun pouvoir sur elle ; c'est en vain qu'il multiplie les passes ; il ne parvient pas à réveiller. — Au moment où elle tombe endormie, elle a toujours un frisson. On remarque, pendant un certain temps, vingt à vingt-cinq minutes environ, un léger tremblement de tout son corps. et un claquement de dents peu prononcé.

A la fin d'octobre, étant encore indisposée, elle eut une assez forte crise, à la suite d'une discussion avec son fiancé, et resta une journée entière dans l'état second. Je la vis alors pour la première fois dans cet état. Ce fut seulement le matin après la deuxième nuit qu'elle se réveilla dans son état normal.

Pendant l'état second, Mlle X... change complètement de caractère.) Douce, aimable et un peu molle à l'état normal, elle devient impatiente, méchante, impétueuse, mais active et travailleuse. Elle mange avec un meilleur appétit et digère beaucoup mieux qu'à l'état normal. Elle n'a plus de maux d'estomac. Elle chante, elle joue du piano ; elle prend part à la conversation, riposte hardiment et a des mots qu'elle ne trouverait pas habituellement. Elle ne dit jamais de paroles grossières, mais elle a la main leste. Elle ne supporte pas la contradiction : elle distribue généreusement des taloches et, un jour, elle disait à son fiancé : et Allons, mon ami, il faut nous marier de suite, pour que je puisse te faire marcher. » Revenue à l'état normal, elle ne se rappelle absolument rien de ce Qu'elle a dit ou fait pendant l'état second, et elle n'a jamais voulu croire qu'elle s est exprimée comme nous venons de le rapporter. Elle a même une fois mordu son fiancé à la main, parce qu'il voulait l'empêcher de sortir. En effet, dans l'état second, elle résiste vigoureusement lorsqu'on essaye de la forcer à faire ce qui ne lui convient pas, et elle déploie alors une grande force musculaire. Elle se raidit et s'impatiente. II est évident qu'il y a dans cette conduite un certain degré d'automatisme impulsif, comme on l'observe dans tous les cas de somnambulisme.

Au point de vue médico-légal, est-elle responsable? Si elle venait à commettre un délit ou un crime pendant qu'elle est dans l'état second, devrait-on lui en faire porter la responsabilité ? Je ne discuterai pas cette question en ce moment. Je me bornerai à

vous dire que le fiancé de Mlle X... ne la considère pas comme absolument imputable dans l'état second, bien qu'il la trouve fort désagréable. En tous cas, il ne lui a pas gardé rancune de la morsure qu'elle lui a faite.

Le soir du 28 octobre, la malade sortit de son lit, au moment où elle venait de s'endormir, en ne voulant plus y rester de toute la nuit. Elle prenait la lueur du gaz pour un incendie. Le jour précédent, il y avait eu réellement du feu à Plain palais (faubourg de Genève) et, comme d'habitude, cela lui avait causé une vive émotion. Elle avait eu de violentes palpitations en apprenant qu'il y avait un incendie, et elle ne retrouva un peu de tranquillité qu'après avoir été sur le lieu du sinistre.

Peu de jours après, le 2 novembre, pendant la nuit, un nouvel incendie plus considérable éclate à Genève, dans les fabriques de Saint-Jean, au bord du Rhône. Mlle X... fut réveillée en sursaut par les cris « au feu !» ; elle eut une très grande frayeur. Elle se leva et se rendit à Saint-Jean, accompagnée d'une amie avec laquelle elle partage le logement. Le reste de la nuit, elle fut très agitée et circula sans cesse des chambres à la cuisine et dans les corridors.

Je la traitais depuis quelques jours par des séances d'électricité statique; car elle n'avait pas voulu entendre parler d'hypnotisme.

Elle vint donc chez moi le matin du 3 novembre. Elle était dans son état normal, mais pâle et défaite, le regard éteint, signes manifestes de sa mauvaise nuit et de ses émotions. Elle n'offrait du reste aucun autre symptôme morbide, ni les stigmates connus de l'hystérie. Notamment, la sensibilité était normale partout. Elle sentait très bien les piqûres d'épingle aux bras, aux mains et aux jambes. Pendant que je la soumettais aux étincelles électriques, je lui affirmai qu'elle les sentait beaucoup moins à gauche qu'à droite, et je lui fis remarquer qu'elle était môme tout à fait insensible aux étincelles sur le bras et la jambe gauches. Elle se récria au premier abord, mais j'insistai, en répétant de plus en plus catégoriquement mes affirmations. Sa conviction fut bientôt ébranlée, elle finit par ajouter foi à ce que je lui dis et me répondit :

« Mais oui, c'est curieux, je ne sens plus rien à gauche. » Au moment où la suggestion fut acceptée, Mlle X... eut des frissonnements nerveux dans tout le corps, à trois ou quatre reprises, puis sa tète se pencha, ses yeux se fermèrent, et elle s'endormit en poussant un long soupir. Elle était en résolution musculaire. Je la fis descendre du tabouret; je la conduisis sur un fauteuil, où elle continua à dormir. A ce moment, elle était totalement anesthésique. Nulle part elle ne percevait les piqûres d'épingle.

Je la réveillai par suggestion, mais non sans difficulté. Elle paraissait égarée à l'instant du réveil, elle avait peur et demanda anxieusement où elle se trouvait.

Je lui proposai alors derechef le traitement par la suggestion hypnotique. Elle ne voulut point y consentir. Mais je persuadai son fiancé qu'il fallait tenter ce traitement pour la guérir. II insista auprès d'elle et à ce propos ils eurent une légère altercation, au milieu de laquelle elle s'endormit subitement et resta en somnambulisme jusqu'au 5 novembre. Le 7, elle arrive chez moi avec son fiancé. Elle est de nouveau dans l'état second depuis une attaque de sommeil qui l'avait surprise la veille, au moment où elle jouait aux dames. Toute la nuit elle a été en l'air. Son fiancé n'a pu la réveiller. Elle ne me reconnaît pas et demande « qui est ce monsieur ». Je fais des tentatives inutiles pour la réveiller. Elle prétend qu'elle ne dort pas et veut s'en aller.

La journée du 7 tout entière se passe dans l'état second. Elle joue aux dames, touche du piano, chante, puis se dispute avec son amie, sa sœur ou son fiancé. Elle mange avec grand appétit et travaille activement. Quand elle est dans son état normal, elle perd toujours au jeu de dames, mais lorsqu'elle est dans l'état second, elle gagne au contraire toujours, me disait son fiancé.

Le lendemain, je lui rends visite. Elle est encore dans l'état second. Elle ne me reconnaît pas, et me demande ce que je veux. Je lui dis qu'elle dort et que je viens la réveiller. Elle prétend qu'elle ne dort pas et dit : « Il ne faut pas que ce monsieur revienne. » Son pouls est tranquille, son allure n'offre rien de particulier, et, si je ne savais pas qu'elle est dans son état second, je ne pourrais pas deviner qu'elle n'est pas dans son état normal. Sa mémoire est entière pour tout ce qui lui est arrivé auparavant, dans les états seconds antérieurs comme dans l'état normal. Maïs il lui arrive souvent, dans l'état second, de ne pas reconnaître les personnes de sa connaissance dans l'état prime. Elle me parle du Dr Ladame comme si elle s'adressait à quelqu'un qui lui est étranger et me dit : a Je dirai à M. Ladame que vous avez voulu me réveiller quand je ne dormais pas, » et lorsque je lui dis : a Mais c'est moi, le D' Ladame, » elle proteste vivement.

Le 9 novembre, elle se réveille au matin dans son état normal! après une .nuit plus calme. Elle ne peut comprendre que ce ne soit pas le 7, car elle n'a aucun souvenir de ce qui s'est passé depuis le 6 au soir.

Le 10, séance d'électricité statique. A peine est-elle sur le tabouret qu'elle se met à trembler, elle pâlit, ses yeux se ferment et elle s'endort avant que je lui aie tiré ces étincelles. Je suspens l'électrisation et je la réveille avec quelque difficulté. Elle sort démon cabinet en disant qu'elle se sent « drôle ». Elle retombe en effet, peu après, dans l'état second. Dès lors, jusqu'au 18, elle a plusieurs crises. Elle revient chez moi, avec son fiancé, le 18 au

matin. Elle est dans l'état second depuis quelques heures. Je la fais asseoir sur un fauteuil et je lui répète avec insistance qu'elle dort. Elle finit par en être persuadée et s'endort, en effet. Il m'est alors facile de la réveiller et de la ramener ainsi à l'état normal. Elle consent enfin à tenter l'hypnotisme, et nous prenons rendez-vous pour le 21.

Elle arrive le 21, à l'heure convenue, avec son fiancé. Son état est toujours le même ; ses nuits très mauvaises. Je l'hypnotise facilement du premier coup en lui fermant les yeux avec deux doigts et en lui disant : « Dormez. » Je lui donne alors ta suggestion de dormir tranquillement pendant toute la nuit, sans rêves ni cauchemars. Je lui défends de sortir de son lit; je lui affirme qu'elle aura un très bon réveil et sera reposée. Je lui défends, en outre, de s'endormir pendant le jour. Elle est en résolution musculaire, anesthésique totale. Pas de contractures des membres par les frictions ou la malaxation des muscles. Je lui commande de se réveiller, mais elle ne bouge pas. Je ne parviens à l'éveiller qu'en écartant ses paupières et en soufflant dans ses yeux. Malgré la suggestion contraire, elle est maussade à son réveil, hébétée, comme sortant d'un profond sommeil et ne sachant où elle est. Elle ne me salue pas en sortant de mon cabinet de consultation.

Elle revient le 23 avec sa sœur, et me dit que ça va beaucoup mieux. Elle dort toute la nuit ; elle rêve encore beaucoup, mais elle ne se lève plus. Aussi est-elle reposée. Elle a retrouvé son humeur des bons jours. Nouvelle hypnotisation. Mêmes suggestions que ci-dessus. Mêmes difficultés pour réveiller la malade. Le réveil est meilleur, cependant. Elle reprend bien ses sens et me quitte poliment.

Le 2 décembre, elle reparaît avec son fiancé, qui me dit qu'elle va très bien. Elle dort actuellement pendant toute la nuit, ne se lève plus, mais parle encore souvent en dormant. Je l'hypnotise et lui défends de parler pendant le sommeil. Je lui affirme qu'elle n'aura plus de rêves et qu'elle dormira tranquillement toute la nuit, toutes les nuits. Je la réveille plus facilement. Elle dit qu'elle se sent beaucoup mieux.

Dès ce moment, Mlle X... n'eut plus aucune attaque de sommeil, et aujourd'hui elle se porte tout à fait bien. Je l'ai revue il y a huit jours, le 23 janvier. Elle m'a dit qu'elle était entièrement guérie et qu'elle ne s'est jamais si bien portée. Elle travaille actuellement comme couturière dans un grand magasin de Genève, de 8 heures du matin à 8 heures du soir, tous les jours, sans se fatiguer el sans aucune envie de dormir.

LES FROIDS POLAIRES LEURS EFFETS SUR L'ORGANISME

Par M. le Dr COLLINEAU

Avant tout, par région polaire, que doit-on entendre?

Au point de vue purement géographique, les régions polaires sont les parties de la terre situées au delà du 65e degré de latitude. Au nord, comme au sud, elles comprennent une calotte sphérique strictement limitée par le cercle polaire (66° 3o)

Beaucoup moins nette, au point de vue climatérique, cette limite est décrite par les lignes isothermiques de — 5° et de — 15° lesquelles sont sujettes à de fortes ondulations.

Boréale ou australe, la région polaire se divise en zone glaciale, encore inexplorée, et en zone subpolaire, où règne chaque année un été de quelques semaines et où la fonte des neiges permet à la végétation de poindre (i).

Au point de vue physique, dans l'hémisphère boréal, les contrées polaires comprennent, au nord de l'Amérique, des groupes d'îles de toutes dimensions entourées d'une mer presque constamment glacée. Le Groenland est la mieux connue de ces îles. Au nord de l'Asie, des archipels, tels que le Spitzberg, la Nouvelle-Zemble, la Nouvelle-Sibérie, ont pu être partiellement explorés. L'hémisphère austral, où la zone des glaces s'étend beaucoup plus loin que dans l'hémisphère boréal, est presque inconnu. Graham, Enderly, Wilkes, Sabrina, Adélie, Victoria sont presque les seuls points du pôle antarctique où l'homme ait atterri jusqu'ici. Le premier qui osa s'aventurer dans ces contrées inconnues, c'est un Français. C'est Dumont d'Urville qui, de 1838 à 1840, avec l'Astrolabe et la Zélie, atteignit ces terres de granit et de glaces auxquelles fut donné nom Adélie, Victoria, Louis-Philippe. Le second c'est un Anglais, James Ross, qui, en 1841, pénétra plus avant dans ces déserts et y découvrit deux volcans, dont l'un, d'une hauteur de 5.750 mètres, et qu'il appela l'Erèbe, était en pleine éruption.

En ce moment, ajoutons-le, sous les auspices et aux frais des colonies britanniques de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, il se prépare une nouvelle expédition au pôle Sud. C'est à un navigateur anglais, d'une expérience consommée et, sous le rapport scientifique, d'une distinction rare, ù Allen jeune, qu'en doit être confiée la conduite.

Les régions subpolaires comprennent, dans l'hémisphère boréal, toutes les côtes américaines, du détroit de Behring à la baie d'Hudson et au Groenland, au nord de l'Europe, la partie septentrionale de l'Islande

(1) Catat, enseigne de vaisseau de réserve, docteur en médecine. (Th. inaug., 1837. Paris.)

et de la péninsule scandinave et, en Asie, une large bande sibérienne s'étendant de la mer de Kara aux îles Aloutiennes Dans l'hémisphère méridional se trouvant quelques Iles sans importance, telles que les Shetland du Sud et les îles Powell.

La température moyenne de ces parages oscille entre — 5° et — 15°; mais, en raison des saisons, des altitudes, des courants atmosphériques ou marins, elle peut, comme a Vakoutsk, en Sibérie, comme au Fort Reliance, en Amérique, subir en montant à + 20° en été, de —40° qu'elle atteignait en hiver, l'écart considérable de 60°.

Des mousses, des lichens, l'algue niviale (Protocecccus nivalis), quelques plantes herbacées, quelques arbrisseaux rabougris, le saule nain Rhododendron Laponicum), le bouleau, la rose des Alpes sont les spécimens actuels les plus répandus de la flore de ces contrées.

Quant à la faune, poissons, mollusques, phoques, morses, baleines y abondent. Et pour preuve, de 1669 à 1778, les baleiniers hollandais n'ont pas capturé moins de 57.000 baleines sur les côtes du Spitzberg. A vrai dire, l'âpreté de cette poursuite fait que, de nos jours, leur nombre tend singulièrement à baisser.

Les oiseaux sont le pingouin, le goéland, le pétrel, la mouette, l'oie, le cygne, la perdrix blanche, le ptarmigan.

En première ligne des quadrupèdes qui foulent ces terres désolées, s'inscrivent l'ours blanc, le renne, le renard blanc et bleu, l'hermine, la zibeline, le logomis. Quant au chien, il n'a cessé d'être l'inséparable compagnon de l'homme dans ses pérégrinations les plus lointaines et les plus hardies vers le Nord.

En certaines régions se rencontrent le bœuf musqué et le loup arctique. Au pôle austral, le morse fait place à l'éléphant de mer.

A l'instar de Catat, n'omettons pas, enfin, de mentionner les moustiques qui, pendant les rares journées d'été, ne laissent au voyageur ni trêve ni repos et ne disparaissent qu'aux approches de l'hiver ou à des latitudes particulièrement élevées. « Dans un voyage, dit-il (1), que je lis à Terre-Neuve et au détroit de Belle-Ile, à bord de la Clorinde, j'eus maintes fois l'occasion d'éprouver les souffrances causées par ces innombrables insectes. L'année précédente, au milieu de l'été, deux mid-shipmen d'un navire de guerre anglais mouillé dans la baie du Croc (côte N.-O. de Terre-Neuve), qui avaient quitté le bord pour faire une partie de chasse a l'intérieur, s'égarèrent et passèrent la nuit à terre. Ils furent trouvés morts le lendemain, et, de l'avis unanime, cette mon était due aux piqûres des moustiques. »

A moins d'être poussé par un but commercial ou scientifique, l'homme, sauf exception, s'arrête au 70e degré de latitude Nord et au 5oe de latitude Sud. Les points extrêmes atteints l'ont été par le commandeur Markham et le lieutenant Parr, de l'expédition anglaise Nares, d'une

(1) Caut, Les froids polaires et leurs effets sur l'organisme, p. 12, 1887. Paris.

part, et de l'autre par le lieutenant Lockwood. de l'expédition commandée par Greely.

Markham et Parr sont allés jusqu'à 83° 20' 26" latitude N. (1875-1876); Lockwood est allé jusqu'à 82°23' latitude N. (1881-1883).

Lapons, Esquimaux, en Europe; Samoyèdes ou Siroydis (mangeurs de viande crue), Toukagires, Tschouwanzes. Takoutes. Tschouktches. Koriakes. Kamtchadales. Aïnos, Ostiakes, Aléoutes, en Asie; Innuits ou Esquimaux et Groenlandais, en Amérique, sont les populations autochtones des contrées hyperboréennes.

Bien que d'origine distincte, ces peuplades présentent des traits de ressemblance, issus, selon toute apparence, de l'adaptation de l'individu, puis de la lignée au milieu, et dont, au dire de Kaltbrunner, le type le plus pur se rencontrerait au Groenland. Cheveux noirs, longs, durs, peu abondants, barbe peu fournie, peau variant du gris clair ou foncé au gris rougeâtre, crâne dolichocéphale (71,3 à 71,8), prognathisme de 71°,4, face aplatie dans son ensemble, joues pleines, pommettes saillantes, yeux noirs et enfoncés, paupières à peine fendues, nez large et petit, bouche petite et ronde, lèvre inférieure forte, dents régulières de bonne heure usées, corps gros, trapu, épaules larges, membres épais contrastant avec la finesse des extrémités, taille courte : telle en est, on le sait, la caractéristique.

Permanente, durable, quelle est, maintenant, l'influence exercée par les basses températures (par une température moyenne, par exemple, de — o°) sur le développement et sur l'équilibre de l'organisme?

Première remarque : l'évolution de l'animal, — de même que celle du végétal, d'ailleurs, — suit son cours avec plus de lenteur que dans des conditions climatériques moins inclémentes. Pour les déperditions de substance, la réparation, également, est moins rapide.

Seconde remarque : le froid est, à proprement parler, un toxique pour le globule sanguin. Son effet initial consiste en une constriction insolite des parois des vaisseaux capillaires; son effet consécutif, en une altération plus ou moins profonde des globules sanguins, lesquels (G. Pou-chet) prennent une coloration foncée et deviennent crénelés sur les bords.

La constriction du système capillaire de la périphérie détermine une pléthore viscérale incompatible avec l'exercice régulier des fonctions. L'activité de la nutrition languit, et cette langueur se traduit par l'engourdissement.

La modalité des perversions est en rapport, cela va de soi, avec la nature des attributions fonctionnelles propres à l'organe.

Ainsi, la peau, dont les sécrétions sont presque en totalité supprimées, se décolore, perd son élasticité, s'épaissit, se tasse, prend une coloration brunâtre et ne conserve qu'une obtuse sensibilité.

La secrétion urinaire, par compensation, acquiert une suractivité

excessive.

La nécessité de faire incessamment face à une dépense considérable de calorique rend impérieux le besoin d'aliments copieux et répara-

leurs. Toujours pressante, la faim dégénère en boulimie avec une extrême facilité. 11 en résulte pour les organes de la digestion un surmenage qui, en maintes circonstances, outrepasse leurs forces et est le point de départ de troubles gastro-entériques profonds.

La soif n'est pas moins ardente que la faim canine; et tous les voyageurs sont d'accord sur ce point, c'est que l'ingestion de neige et de glace qui, au premier abord, sembleraient là comme à point pour l'assouvir, ne font que l'exaspérer.

Sous l'influence d'un froid intense, l'état de contraction du système vasculaire périphérique, en refoulant vers les parties centrales la masse du sang, détermine, au début, une accélération du pouls et un certain degré d'excitation ; mais cette excitation ne tarde pas à tomber pour faire place à la torpeur, et le ralentissement des battements du cœur en est la manifestation non équivoque. Le pouls du Groenlandais, selon Blumen-bach, ne bat guère que 3o à 40 fois par minute.

L'alanguissement de la contractilité musculaire, qui jette le système locomoteur tout entier dans une sorte de semi-paralysie, est en particulier un obstacle à la libre exécution, des mouvements d'expansion et de retrait du thorax. Cette parésie des muscles respiratoires, et aussi, dans la profondeur des lobules pulmonaires, le contact brutal entre le sang et une colonne d'air à une basse température: là réside la double cause des irrégularités qu.'il est si commun de constater dans l'hématose, par les latitudes élevées; irrégularités qui elles-mêmes engendrent un état congestif passif des plus dangereux.

Tous ces désordres fonctionnels concourent, en dernière analyse, à l'ébranlement de La fonctionnalité nerveuse dans son équilibre, Et c'est, au demeurant, sur le fonctionnement du système nerveux que l'influence perturbatrice du froid polaire agit en revêtant son caractère le plus tranché.

Excitation et dépression : simultanément ou alternativement, les phénomènes propres à ces deux modes se produisent ; ce n'est pas seulement l'atténuation de la sensibilité cutanée, c'est son abolition complète qui s'observe. Sans insister sur les exemples bien connus, et relatés notamment par Gmelin, de congélation, de sphacèle et chute des orteils à l'exclusion de toute sensation douloureuse, l'impression prolongée du froid humide fait passer à l'état chronique la phlogose des extrémités et avec l'épaississement, avec l'induration du derme coïncide l'insensibilité. Insensibilité d'autant plus fallacieuse qu'à sa faveur, on néglige de réagir contre les symptômes initiaux de congélation par l'emploi du remède vulgaire mais souverain : les frictions raides avec de la neige. Dans sa lamentable traversée de l'île Henriette (77° 8' lat. N.) à la côte Nord de la Sibérie, en butte à toutes les misères, l'équipage de la Jeannette eut à parcourir, mourant de faim, des marais glacés. Les hommes marchaient sans avoir conscience de la résistance du sol sous leurs pas. L'un, d'eux, le matelot Ericksen, subit successivement l'amputation de quatre orteils d'un côté et d'un orteil de l'autre. Loin de se limiter.

la gangrène envahit la jambe. L'état général ne tarda pas à s'aggraver, et le malade à mourir d'épuisement.

Pour prendre une idée du dénûment auquel ces infortunés étaient réduits, un coup d'œil sur les notes que voici, extraites du journal du capitaine de Long, qui dirigeait la colonne, suffira.

« 1881, 3 octobre. —Nous sommes exténués, souffrant du froid et de la faim. — Le io, notre chasseur l'Esquimau Alexey n'a rien trouvé; j'ai mange mes souliers-guêtres. — Le 11, bu une cuillerée de glycérine dans de l'eau chaude. — Le 12, nous avons deux poignées de saule arctique en infusion dans la marmite. Chacun est de plus en plus faible

— Le 13, thé de saule. — Le 14, déjeuner: thé de saule; dîner: idem, plus une cuillerée à café d'huile d'amandes douces. — Le 15, déjeuner: thé de saule et deux vieilles bottes. Alexey est tout à fait a bout. — Le 17, Alexey meurt de faim. — Le 22, nous sommes incapables de porter sur la glace les corps de Lee et de Kaack. — Le 23, nous n'avons plus de chaussures, nos pieds sont très douloureux. — Le 28, Wersen est mort.

— Le 29, Dresler est mort. — Le 3o, Boyd et Gortz meurent dans la nuit. Collins est mourant. »

Ici, à la vérité, comme dans les expéditions analogues tentées en vue de se frayer un passage à travers le pôle, on se trouve en présence d'explorateurs affrontant de propos délibéré le danger; mais quiconque séjourne, à quelque titre que ce soit, dans ces régions inhospitalières, est. par suite de l'état congestif permanent des centres nerveux et de la torpeur de la circulation, exposé aux vertiges, enclin à l'apathie, obsédé par une invincible somnolence, terrassé, s'il n'y a garde, par un sommeil qu'interrompent d'abord des mouvements convulsifs, que domine plus tard le coma et qui se termine dans la stupeur, l'asphyxie lente et la mort.

Pour nombre d'autres, les premières agressions du refroidissement se trahissent par de vives douleurs élisant pour siège les membres. Puis se manifeste un sentiment d'anxiété irraisonnée, de terreur chimérique, de défiance réciproque inexplicable. Puis le délire éclate avec les hallucinations, surtout quand la privation d'aliments se joint à la rigueur du froid. Bref, de l'avis de tous les observateurs, le trait caractéristique des troubles de l'intelligence, dans les régions polaires, consiste en un état de nervosisme aigu, d'irritabilité excessive.

Particularité curieuse a noter: sous l'influence des froids extrêmes, l'ouïe acquiert une acuité inattendue. « Pendant notre hivernage à l'île Melville, dit à ce propos le capitaine Parry, nous entendions des personnes causer du ton ordinaire de la conversation, à la distance d'un mille, et j'entendis un homme chanter sur le rivage, quoique fen fusse encore beaucoup plus éloigné. » Ce phénomène s'explique, comme le fait remarquer avec justesse Catat, par l'excès de densité des couches atmosphériques.

Outre le scorbut, la diarrhée, la dysenterie, produits par l'union d'une hygiène défectueuse et du froid, outre les blépharites et les ophtalmies

chroniques ou aiguës suscitées par la réverbération des neiges, outre les attaques d'aploplexie que favorise la congestion habituelle des centres nerveux, outre les gastrites et l'alcoolisme consécutifs aux alternatives d'abstinence et d'écarts de régime presque inévitables, avec le même auteur (i), signalons, chez les peuplades qui habitent les contrées hyper-Boréennes, une lèpre particulière analogue à la spedalskead ou radesyge de la Norège et de l'Islande, et qui semble devoir être attribuée à l'abus de la chair de poisson, de poisson avarié spécialement.

Signalons surtout, comme une des causes prédisposantes les plus actives des désordres qu'il est si fréquent d'observer dans la fonctionnalité nerveuse chez les habitants des pays froids, une anémie d'une gravité tout exceptionnelle décrite par Biermer en 1871,et dont Sorenzen en Danemark, Warlinge a Stockholm, Wasastjerna à Helsingfors, ont constaté tour à tour les ravages.

Disons, pour finir, que certaines expéditions, celles, en particulier, de là Véga sous la conduite de Nordenskiold (1878-1880) et celle du Pro-teus sous la conduite de Greely (1881-1883), prouvent que, sous le triple bénéfice 1° d'une alimentation saine et abondante, 2° d'un abri et de vêtements judicieusement appropriés, 3° d'une hygiène physique et intellectuelle scrupuleuse, l'homme peut parcourir les régions polaires et même y séjourner sans trop de risques.

Le froid et la faim seront les deux grands ennemis qu'il aura à combattre : c'est à lui, comme Nordenskiold dans la baie de Koljutschin, à quelques milles au nord du détroit de Behring, et Greely au fort Congu, dans la baie de Discovery, de se fortifier avec clairvoyance contre la faim et le froid.

REVUE CRITIQUE

Un livre italien.

Le Magnétisme animal la fascination et les états hypnotiques, tel est le titre d'un livre publié par le professeur Henri Morselli.

Dans cet ouvrage, écrit sous l'impression du passage de Donato à Turin, l'auteur passe en revue toutes les questions qui touchent à l'hypnotisme. Il nous apprend dans sa préface les motifs qui l'ont engagé à traiter ce sujet au point de vue de l'instruction populaire. C'est donc une œuvre de vulgarisation. On n'y rencontrera pas les anecdotes, les scènes tragico-comiques, auxquelles le magnétisme a trop souvent donné prétexte. II y a là une sorte de synthèse de toutes les données relatives au magnétisme animal; c'est l'explication pure et simple des phéno-

(1) Catat, loco citato, p. 26.

mènes de l'hypnose, et cela dans un style dépouille de tome prétention scientifique. Le secret des expériences du Belge Donato, qui paraissent si merveilleuses aux yeux d'une portion du public, ne doit-il pas être dévoilé à tous les amis de la science? Rien de mystérieux, rien d'inaccessible aux investigations de tout esprit initié à la connaissance des phénomènes psycho-physiologiques manifestés dans le sommeil hypnotique.

L'histoire des développements de l'hypnotisme comprend trois phases : la période primitive ou mystique; la période empirique, au dix-septième et dix-huitième siècle; enfin, la période scientifique qui s'ouvre avec les expériences de Braid.

Signalons un chapitre intéressant intitulé « Les sujets magnétiques ».

Il s'en faut que tous les individus soient sensibles, dans une mesure égale, à l'action hypnotique. A cet égard, le professeur Morselli nous communique des statistiques fournies par les magnétiseurs de profession, ou par les médecins.

Dans l'étude physiologique de l'hypnotisme, après diverses considérations un peu oiseuses, l'auteur aborde l'analyse des effets du magnétisme sur les fonctions organiques et nerveuses. Aucun fait nouveau n'est signalé par lui dans cet ordre d'idées. Le professeur italien fait l'inventaire de toutes les expériences de Braid, de Charcot. de Tamburini, de Seppilli, de Richet, de Rieger, de Kaan, etc., etc. Ce que nous devons noter de particulier. c'est que, dans l'interprétation des faits, il se range du côté des sensualistes : les sens sont l'unique origine de toutes nos idées; aussi répète-t-il avec Condillac : Nihil est in intellectu quod prius non fuerit in sensu! Mais comment peut-on confondre la sensation passive et grossière avec les purs concepts, l'attention essentiellement active et toutes les opérations intellectuelles qui. loin de dériver uniquement de l'expérience externe, expliquent cette dernière et la dominent?

Les phénomènes matériels, dont le caractère est d'être finis, contingents et variables, ne sauraient donner par eux-mêmes les idées de cause, de substance, ni aucun des principes fondamentaux de la science. La réalité fournit des matériaux, mais c'est l'esprit qui, réagissant par une application libre et volontaire, fonde et construit l'édifice des connaissances, détermine les types et les genres, fixe les lois et met partout l'ordre et l'unité qu'il trouve précisément en lui-même. Ces lois et ces principes étant revêtus d'un caractère universel et invariable, il faut que ces éléments supérieurs soient puisés à une source qui n'est pas dans les sens qui perçoivent le monde matériel: cette source, c'est l'intelligence considérée en dehors de la perception externe dans le double rôle de la conscience psychologique et de la raison. A la formule énoncée plus haut il convient d'ajouter, comme Leibniz, le correctif suivant: Nisi intellec-tus ipse.

Les chapitres VII et VIII sont consacrés à l'étude des phénomènes psychologiques relatifs au magnétisme. Tels sont îes sensations et les mouvements, les actions réflexes automatiques et volontaires, la conscience psychologique, etc.

A propos de l'automatisme des hypnotisés, l'auteur étudie l'inertie psychique et motrice. Qu'est-ce que la suggestion? Comment suggère-t-on des sensations, des idées et des actes aux hypnotisés? Quels sont les procédés à suivre? Tous ces points sont examinés avec la plus haute compétence.

Le chapitre IX concerne le processus, la série des phases du magnétisme chez les sujets en expérience. Ce phénomène a été observé par les magnétiseurs,de profession et par les savants; mais Liébeault a. le premier, en 1865, donné une classification conforme à la réalité scientifique. Sa division théorique correspond aux faits observés chez les personnes hypnotisées pour la première fois : s'agit-il d'individus qui ont déjà été hypnotisés, l'hypnose ne suit plus cette marche graduelle.

L'état magnétique pendant la veille, état dont la limite est si difficile à établir, soulève la question philosophique du libre arbitre. Les lecteurs connaissent les faits curieux rapportés par Richet, Bernheim, Liégeois. Janet. Beaunis, ces suggestions à longue échéance; on se rappelle ce malade de l'Hotel-Dieu auquel le docteur Mesnet ordonnait de voler la montre d'un de ses élevés, etc.. etc. Ces faits, si nombreux qu'ils soient, sont-ils de nature a infirmer, comme le pense l'auteur, la théorie du libre arbitre ? N'y a-t-il que suggestion dans les actes que nous accomplissons ? En adoptant cette [ manière de voir, ne tomberait-on pas dans le fatalisme ? Est-il logique de transporter à l'esprit et à la volonté de l'homme sain des aberrations exceptionnelles obtenues sur des sujets hypnotisés, c'est-à-dire soustraits à l'état normal ? Tous les sophismes ne pourront jamais rien contre l'autorité irréfragable du sens intime, qui nous révèle et nous affirme notre libre arbitre : nous nous sentons libres de même que nous nous sentons vivre. Si nous n'étions que des machines dociles au moindre contact, que deviendraient la science, le mérite et le démérite, et la vertu, enfin, qui supposent, chez l'homme, la possession de lui-même?

Nous ne nous arrêterons pas sur le donatisme, bien que notre auteur nous en entretienne longuement. Donato. dit-il, à des admirateurs enthousiastes et des détracteurs passionnés. Nous partageons l'opinion de l'écrivain italien : loin de nous la pensée de confondre le fascinateur dont il s'agit avec une personnalité vulgaire. Il y a, toutefois, des réserves à faire: nous ne comprenons pas l'utilité de l'hypnotisme pour satisfaire la curiosité indiscrète d'un public incompétent. Nous préférons le Donato conférencier, journaliste, ou Donato magnétiseur. L'hypnotisme thérapeutique et curatif est, à notre humble avis, le seul digne d'être pratiqué.

Enfin, dans le livre qui nous occupe, sont notés les phénomènes pathologiques relatifs à l'hypnotisme: l'extase, l'hystérisme l'épilepsie. la catalepsie, la maladie de Thompsen, cette névrose singulière jusque-là peu connue. Puis on considère les applications de l'hypnotisme à la médecine, à la chirurgie.

Terminons par quelques citations sur ses dangers. Chez certains su-

jets, les manœuvres hypnotiques provoquent de la pesanteur de l'encéphale, une sensation de fatigue, du vertige, des nausées; les os paraissent se briser; le cœur bat en dehors du rythme normal. Les hallucinations provoquées, les émotions suggérées pendant l'hypnose peuvent persister et troubler ainsi les fonctions organiques. Mais, ajoute l'auteur, n'en est-il pas de même après certains rêves maladifs qui ont fatigué l'esprit ? Nous regrettons qu'il ne se soit pas demandé si les accidents observés dans sa pratique pouvaient l'être par tous les hypnotiseurs. Nous en connaissons qui sans doute plus expérimentés dans l'art de manier la suggestion, savent les éviter à leurs sujets.

Le litre de M. Morselli est intéressant a plus d'un titre. Il nous apprend, en particulier, qu'en Italie, de même qu'en France, on écrit volontiers sur l'hypnotisme avant d'avoir acquis une compétence indiscutable. Et M. le professeur Morselli sera assurément de notre avis lorsque nous dirons qu'il ne suffit pas d'avoir reçu quelques leçons du fascinateur Donato pour prétendre avoir acquis, en matière d'hypnotisme, l'autorité des savants qui, comme Charcot, Dumontpallier, Bernheim et tant d'autres, ont basé leurs études sur des expériences vraiment personnelles.

Auguste Nicot.

REVUE DE LA PRESSE

L'attaque de sommeil hystérique. Leçon de M. le professeur Charcot - (recueillie par P. Mariel. — Bulletin médical du 12 février 1888.

En présentant à ses élèves une dormeuse, M. le professeur Charcot est entré dans quelques considérations spéciales qui méritent d'être reproduites :

Ce genre de sommeil est connu depuis longtemps, mais le sujet n'avait jamais été traité qu'un peu sommairement. La première description sérieuse qui en ait été faite est celle de l'Iconographie photographique de la Salpétrière, publiée sous ma direction en 1878 par MM. Bourne-ville et Regnard. Je vous engage à la lire, vous y trouverez des renseignements très intéressants, et notamment des recherches sur la température, des observations sur les malades très soigneusement faites; en un mot. c'est un travail très e moderne ». Je regrette que ce travail n'ait pas appelé l'attention des auteurs qui se sont récemment occupés de l'apoplexie hystérique, car c'est le principe de l'Ecole qu'il ne faut pas multiplier les espèces sans nécessité. Or l'apoplexie hystérique n'est, a mon avis, rien autre chose que l'attaque de sommeil.

Vous savez que les journaux anglais ont été remplis de l'histoire du nommé Ch..., un ancien militaire qui, au sortir de mon service, est allé en Angleterre, je ne sais pour quelles affaires. Un jour, il est tombé dans Soho Square, il s'est mis a dormir et son sommeil a duré huit jours, ce qui lui était arrivé souvent dans mon service. Les médecins qui ont été appelés à le voir n'ont pas pensé que ce fût un apoplectique, bien qu'il se soit réveillé complètement aphasique et paralysé d'un côté du corps. On n'a pas parlé de l'apoplectique de Londres, mais du dormeur de Londres. Quelques médecins anglais qui prétendent qu'on ne voit pas beaucoup d'hystériques chez eux, bien qu'il y en ait un bon nombre, — et la preuve, c'est que moi, j'en vois assez souvent, — ces médecins, dis-je. ont surtout cherché si ce n'était pas un simulateur; ils se sont donné beaucoup de mal pour rien. Le cas du dormeur de Londres aurait beaucoup moins ému nos confrères, s'ils avaient lu le travail de MM. Bourneville et Regnard. Il ne s'agissait, en somme, que d'une variante de l'attaque de sommeil.

Ce n'est pas d'ailleurs seulement de l'autre côté du détroit que ces attaques de sommeil attirent l'attention du public; et, ma foi, il me prend envie de dire que le public est bien naïf, après tant de renseignements sur la matière. Il n'y a presque pas de jour où on ne publie une histoire de dormeur ou de dormeuse, comme si cela était un phénomène extraordinaire. Pour mon compte, je suis un peu blasé là-dessus. Il est vrai que c'est un phénomène que les profanes ne voient pas très souvent, mais enfin, je ne comprends pas cette espèce d'admiration enfantine devant les personnes qui, comme celle-ci, dorment cinquante-cinq heures, ou qui. comme d'autres, dorment deux mois ou quatre mois. Il semble que cela soit quelque chose en dehors des lois de la nature. Le fait est que c'est devenu légendaire.

Le jeune seigneur qui s'est mis à la recherche de la belle au bois dormant du conte de fées n'était certainement pas fort instruit en médecine, sans quoi il n'aurait pas couru avec autant d'ardeur i la recherche de la princesse, qui était évidemment une hystérique. Car, c'est une grosse affaire qu'une hystérique en ménage! Les hystériques, messieurs, ne dorment pas toujours.

Puis, après avoir montré a ses élèves la différence qui existe entre telle malade et une seconde mise dans les diverses périodes léthargique, cataleptique ou somnambulique du grand hypnotisme, l'éminent professeur a terminé sa leçon par les conclusions suivantes :

Supposons, par exemple, que. n'étant pas éclairés sur ce phénomène du sommeil hystérique, vous rencontriez par hasard dans votre clientèle une jeune tille endormie comme celle-ci et qu'on vous dise : « Elle a éprouvé un étourdissement, elle est tombée parterre, raide (c'est ainsi que l'on dit d'ordinaire, mais en réalité molle, en pleine résolution), et depuis que cela est arrivé, depuis vingt-quatre heures, elle dort. » Notez qu'il pourrait se faire que ce sommeil durât quarante-huit heures, un mois, trois mois, un an.

Qu'est-ce que cela veut dire? Connaissez-vous cela? Vous le connaissez peut-être pour en avoir entendu parler. On a, en effet, beaucoup parle de dormeuses dans ces derniers temps. Mais je suis bien sûr que vous ne vous rendez pas bien compte du phénomène, du moins si j'en juge par moi-même, car, certes, je ne le connais pas aussi bien que je le voudrais. Et toutes les fois que je rencontre une dormeuse, je me fais un devoir de l'examiner et de dire aux autres ce que je sais, parce que je comprends les difficultés qui peuvent résulter pour le médecin d'une situation semblable.

Il ne faut pas vous figurer, en effet, que cette jeune fille dorme d'un sommeil ordinaire. Nous pouvons frapper le tam-tam à ses oreilles, la pincer, la piquer, lui appliquer de la glace sur la poitrine, sur le dos, la faradiser violemment, sans qu'elle s'en aperçoive, sans qu'elle bronche.

Son sommeil est en apparence plus calme que celui du dormeur ordinaire. Les individus plongés dans un sommeil profond ronflent parfois bruyamment. Notre dormeuse ne ronfle pas du tout et je vais, dans un instant, vous démontrer, mieux encore, que nous ne sommes pas en présence d'un sommeil naturel, mais bien d'un sommeil pathologique.

Pour en finir avec cette exposition sommaire du sujet, je vous dirai que le phénomène auquel vous assistez est une attaque de sommeil.— C'est le nom qu'il faut lui donner, — C'est une attaque hystéro-épilep-tique qui appartient a la catégorie de la grande hystérie ; seulement, elle ne présente pas les trois phases que je vous ai décrites si souvent et que j'aurai encore l'occasion de vous décrire. Voilà que cette malade est tombée, et au lieu d'avoir des attaques spasmodiques, de faire des salutations, de se renverser en arc de cercle, elle s'est endormie et elle est pour ainsi dire condamnée à rester dans l'état où vous la voyez jusqu'au moment où elle se réveillera spontanément ou artificellement. Le sommeil hystérique, donc, c'est en quelque sorte l'équivalent de l'attaque convulsive.

En général, voici comment les choses se passent : tantôt la malade a une petite attaque convulsive avant le sommeil ou dans les premiers instants de celui-ci; vous la voyez se dresser un peu sur son séant, faire une ou deux salutations et souvent esquisser, pendant la durée du phénomène, qui n'est qu'une attaque avortée, quelques-uns des mouvements spasmodiques de l'attaque véritable, complète. Enfin, dans d'autres circonstances, au lieu de se réveiller tout simplement, la dormeuse présentera les signes de l'une des phases quelconques de l'hystérie. Et d'ailleurs — je peux bien vous en parler, puisqu'elle ne m'entendra pas, — quelques-unes de ses voisines, alors qu'elle était dans son état de sommeil, l'ont vue se lever, tendre les mains vers le ciel, et. dans une hallucination érotique, s'écrier: « Emile, je t'aime ! » Ce sont là, vous le savez, des choses dont nous avons souvent éic témoins dans la troisième phase de l'attaque hystéro-épileptique chez les femmes.

C'est donc une attaque qui, au lieu de se répéter pendant quelques heures, sous forme convulsive, se prolonge sous la forme d'un sommeil

particulier, indéfini, dont nous allons, si vous voulez, étudier les caractères, car il y a sommeil et sommeil, et tous les gens qui dorment ne dorment pas de la même façon.

Vous avez vu cette dormeus(1) vous comprenez maintenant que l'attaque de sommeil est une forme de l'attaque d'hystérie, quoique assez rare. Comment vous comporter en pareille circonstance? Si vous vous trouvez en présence d'une malade qui ne soit pas ovarienne, qu'on ne puisse réveiller, il faut attendre. Il n'y a pas de danger à cela, même si la nourriture que vous lui donnez est en apparence insuffisante, car, nous l'avons dit, les hystériques qui dorment sont jusqu'à un certain point semblables aux animaux hibernants.

C'est contraire aux lois de la nature, me direz-vous : mais les lois de la nature comportent des exceptions qui confirment la règle: ainsi. les marmottes dorment pendant trois mois de l'année: pendant ces trois mois, elles ne mangent pas et leur température descend jusqu'à 10 degrés. Ces sortes de phénomènes ont été étudiés avec beaucoup de soin par Valentin dans un livre dont je conseille la lecture a toutes les personnes qui étudient les maladies nerveuses, ces maladies dans lesquelles on est si porté à voir merveilleuses des choses qui. en réalité, ne le sont pas.

Ainsi, lorsque, il y a quelques années, j'ai annoncé que j'avais dans mon service une femme qui ne mangeait pas ou presque pas et qui n'urinait pas pendant des semaines, bien des gens s'écrièrent : Ah! cela sort des données de la physiologie! Oui, de la physiologie classique, peut-être: mais cette physiologie, après tout, n'est qu'un enfant à la mamelle: elle a été allaitée, je le sais bien, par des nourrices puissantes, telles que Ch. Bell. Magendie, Claude Bernard, etc.. mais enfin, ce qu'on sait, en physiologie, est bien peu de chose encore, a côté de ce qu'il faudrait savoir, et la clinique s'enrichit chaque jour depuis Galien.

Cliniciens, nous marchons vers la physiologie, mais ce n'est pas la physiologie qui. seule, nous pousse et je vous déclare qu'a accepter des solutions physiologiques prématurées, dans les problèmes de la clinique, on risque fort de se tromper grossièrement.

Je lisais l'autre jour dans une lettre de Darwin que ce qui. dans son opinion, faisait sa force, c'est qu'il ne laissait jamais passer une chose sans l'avoir envisagée sous toutes ses faces, en ne laissant pas un seul de ses côtés sans l'examiner; c'est qu'il ne se hâtait pas de la classer sans autre forme de procès dans le cadre de la science officielle et toute faite.

(1); Cette femme a dormi pendant cinquante-six heures sans s'arrêter. Elle s'est éveillée an disant : « J'ai mal à la tête, laissez-moi tranquille; » puis elle s'est remise et est rentrée dans les conditions ordinaires de la vie.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ DE PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE

Séance du 3o janvier. — Présidence de M. Charcot

Les Paralysies psychiques

Par M. le professeur Charcot -

Depuis que M. Charcot a mis en lumière l'aptitude spéciale que présentent les hystériques a rester contracturées sous l'influence d'un choc, de nombreuses observations de cet ordre ont été recueillies. L'action du traumatisme dans la production des contractures hystériques est un fait dès à présent hors de doute. M. Charcot a pensé avec raison que l'étude du mécanisme de cette production au point de vue psychique rentrait dans le cadre d'études que se propose la Société de psychologie physiologique.

A l'appui de sa théorie, il a rapporté l'observation d'une femme chez laquelle les mouvements du poignet étaient très difficiles et presque impossibles, avec une anesthésie en manchette, limitée à quelque distance au-dessus du poignet par une ligne circulaire perpendiculaire à l'axe du membre. Cette disposition ne se rencontre jamais dans les paralysies d'origine périphérique, car la distribution des nerfs ne correspond nullement à cette ligne. En même temps, le sens musculaire était perdu. Quand on constate ces différents caractères , on se trouve certainement en présence d'une paralysie hystérique et le plus souvent d'origine traumatique. Les lésions corticales ne peuvent reproduire cet aspect que très imparfaitement, car elles ne sont ni assez étroitement localisées, ni assez bien combinées pour déterminer ce tableau clinique. Les paralysies hystériques ont ceci de très particulier qu'elles prennent systématiquement tout ce qui concerne la fonction, comme on peut, du reste, s'en assurer en les reproduisant expérimentalement. Chez cette femme, voici ce qui était arrivé : un an avant, elle avait donné a son enfant un soufflet du revers de la main, étant très en colère. C'est à la suite de ce léger traumatisme que sa paralysie s'était développée. Cette femme est, du reste, une hystérique avérée : elle a eu des attaques et elle présente du rétrécissement du champ visuel.

M. Charcot a voulu rendre le phénomène encore plus évident en recourant à la méthode expérimentale qui lui a donné dé|à tant de résultat; si intéressants. Il a pu, en effet, reproduire expérimentalement un fait absolument semblable sur une hystérique présentant les phénomènes du grand hypnotisme.

Cette hystérique étant mise en somnambulisme, il lui suggéra que son poing, à lui, était une figure grimaçante qui s'approchait d'elle pour la narguer et qu'elle devait lui donner une gifle du revers de la main. Elle le fit, en effet, et se trouva paralysée du poignet absolument de la même façon que la malade de la clinique. Lui ayant ensuite suggéré de donner un soufflet avec la paume de la main, on constata que la paralysie portait dans ce cas non plus seulement sur le poignet, mais sur tout le membre supérieur. C'est qu'en

effet, dans le premier cas, le poignet et l'avant-bras seuls participent au mouvement , tandis que dans le second c'est le bras tout entier qui agit. [Il est probable que, dans l'écorce, les localisations ne sont pas disposées suivant le même ordre anatomique que les nerfs périphériques, mais que ce sont les centres présidant aux mouvements de l'épaule, du coude, etc., qui se trouvent groupés ensemble.

Dans ces paralysies psychiques, le mouvement et le sentiment sont intéressés en même temps. Ce qui est surtout en jeu ici. c'est l'imagination.

Le traumatisme n'agit que comme auto-suggestion, et l'idée d'absence de mouvement entraine la suppression du mouvement, absolument comme l'idée du mouvement est déjà le commencement du mouvement. On peut, du reste, se faire une idée de ce qui se passe d'après ce que les chirurgiens appellent le choc local. Si, en courant, on se heurte fortement contre un obstacle imprévu, on ressent de la douleur, de l'engourdissement, la sensibilité est diminuée et la force dynamométrique amoindrie. Si l'on est vigoureux, tout se passe rapidement. Si l'on est, au contraire, délicat, nerveux, les phénomènes mettent plus de temps à disparaître. C'est dans ce choc local qu'est le point de départ de l'auto-suggestion qui, chez le sujet hypnotisé, prend une proportion considérable à cause du défaut de jugement et de critérium. Le choc nerveux qui se produit dans les cataclysmes, et surtout dans ceux qui frappent le plus l'imagination, est très analogue a l'état hypnotique. C'est, si l'on veut, un état sub-hypnotique, et la plupart des paralysies produites par les accidents de chemins de fer ne sont très probablement que des paralysies psychiques.

ÉPHÉMÉRIDES DE L'HYPNOTISME(1)

13 Novembre 1841. — James Braid, médecin de Manchester, a pour la première fois l'occasion d'assister à une séance donnée par un magnétiseur suisse, M. Lafontaine (de Genève). A ce moment, il était franchement sceptique et considérait les phénomènes provoqués comme le résultat d'une [connivence secrète ou comme une illusion. Son but, en suivant les expériences, était de découvrir lasupercherie par laquelle l'opérateur devait, à son avis, en imposer au public. A son grand étonnement, il constate que certains phénomènes, en apparence invraisemblables, existent réellement, et il prend la résolution de les étudier scientifiquement.

***

23 Novembre 1841. — Braid, en présence du capitaine Brown et de plusieurs amis, entreprend des expériences dans le but de démontrer que la fixation d'un objet brillant suffit pour déterminer la production [des phénomènes habituels du magnétisme animal.

Pour leur prouver la réalité de sa théorie, il prie un des assistants, M. Walker, de fixer son regard surle col d'une bouteille de vin, maintenue assez élevée au-dessus de lut pour provoquer une fatigue considérable des yeux et des pau-

(1) Sous ce titre, nous avons pour but de rappeler à nos lecteurs un certain nom-bre des faits les plus intéressants qui marquent un pas dans l'histoire de l'hypnotisme.

pières. II constate qu'au bout de trois minutes, les paupières du sujet se ferment, et qu'il tombe dans un profond sommeil.

Il propose ensuite à Mme Braid de se soumettre à la même expérience. Elle y consent très volontiers, assurant a ceux qui l'entouraient qu'elle ne serait pas aussi facile i influencer que le sujet précédent. Braid la prie de tenir son regard fixé sur l'ornement d'un sucrier en porcelaine. En deux minutes, les traits de Mme Braid avaient changé d'expression, ses paupières se fermaient convulsivement et elle tombait à la renverse.

La même expérience, tentée sur un domestique qui ne connaissait rien du mesmérisme et qui ne savait rien à ce qu'on attendait de lui, donne le même résultat. Deux minutes après, il était plongé dans un sommeil profond.

Braid en conclut justement qu'il n'y a aucune raison pour admettre que les phénomènes du magnétisme soient la conséquence d'une action personnelle de l'opérateur sur l'opéré, et que l'état dans lequel se trouvaient les prétendus magnétisés n'est qu'un état subjectif, indépendant de tout fluide magnétique ou de toute force mystérieuse émanant de l'expérimentateur.

19 Juin 1842. — A la suite du refus qui lui est fait par le bureau de la section médicale de l'Association britannique, à Manchester, d'entendre la lecture de son Essai pratique sur l'action curative de l'hypnotisme, Braid organise une conférence gratuite à laquelle il convie tous les membres de l'Association.

La nouveauté du sujet attire un public d'élite, i tel point que, faisant allusion à la composition de l'auditoire, le président prie les « reporters » de vouloir bien noter qu'on n'avait jamais vu à Manchester « une assemblée mieux choisie ni plus respectable ». A la fin de la séance, on remercie Braid, par un vote, d'avoir donne aux membres de l'Association britannique le spectacle d'expériences qui, selon un témoignage unanime, avaient « éminemment réussi ».

1843. — Braid publie son livre, sous le titre suivant: Neurrypnologie. ou Traité du sommeil nerveux, considéré dans ses rapports avec le magnétisme animal et relatant de nombreux succès dans ses applications au traitement des maladies. Dans ce volume, il définit l'hypnotisme: « un état nerveux déterminé par des manœuvres artificielles », et condamne dans les termes les plus énergiques l'usage de ce moyen dans les mains de personnes étrangères à la médecine.

*

Janvier 1860. — Le Dr Azam publie, dans les Archives générales de médecine, sur le sommeil nerveux ou hypnotisme, dont il donne la définition suivante : « L'hypnotisme est un moyen particulier de provoquer un sommeil nerveux, un somnambulisme artificiel, accompagné d'anesthésie, d'hyperes-thésit, de catalepsie et de quelques autres phénomènes portant sur le sens musculaire et l'intelligence.

En terminant son article, il exprime l'opinion .qu'on finira par trouver un jour un moyen commode et facile d'agir sur tous les hommes, et, à volonté, sur l'intelligence comme sur les sens. « 11 me semble, ajoute-t-il, que l'étude de l'hypnotisme y conduira. »

25 Mars 1860. — Braid, après s'être efforce de propager en Angleterre, avec une ardeur infatigable, dans un grand nombre de séances expérimentales, ses déc ouvertes sur l'hypnotisme, succombe subitement à l'âge de 65 ans, frappé d'apoplexie. Trois jours auparavant, désireux d'exprimer à M. le Dr Azam. professeur à l'Ecole de médecine de Bordeaux, toute sa reconnaissance pour l'empressement avec lequel cet éminent observateur avait préconisé les résultats obtenus par sa méthode, il lui envoyait une copie de son dernier manuscrit» avec la dédicace suivante: « Offert à M. Azam. comme une marque d'estime et de respect, par James Braid, chirurgien; Manchester, le 23 mars 1860. »

Novembre 1878. — M. le professeur Chareot, dans de remarquantes leçons cliniques auxquelles se pressent les médecins et les personnalités les plus eminentes, expose les résultats des expériences d'hypnotisme entreprises à la Salpétrière, dans le courant de 1878, sur des sujets atteints de grande hystérie.

Les recherches de la Salpêtrière, conduites avec une méthode rigoureuse et abordant la question par le côté clinique et nosographique, déterminent vers les études d'hypnotisme un mouvement d'opinion considérable.

VARIÉTÉS

L'HYSTERIQUE

Par le Dr Collineau (Suite)

Des statistiques de Landouzy, Georget, Beau et Briquet, bien que dressées dans un esprit et dans un sens différents, il ressort que, sur 830 cas, la névrose s'est manifestée 259 fois de 15 à 20 ans, et 147 fois de 10A 15 ans. Aussi, en additionnant ces deux chiffres, trouve-t-on que dans plus de la moitié des cas, elle a éclaté un peu avant ou un peu après l'établissement de la menstruation.

Apres 20 ans. on voit diminuer le nombre des cas d'apparition du nul. De 20 à 25. il équivaut à la moitié de ce qu'il était de 15 à 20. et au quart de 25 à 3o.

En réunissant tous les cas d'hystérie développés depuis la naissance jusqu'à cet âge, on arrive au chiffre de 613 sur le total de 820.

Plus de deux fois sur trois, l'apparition de la maladie a donc précédé la trentaine. Apres 3o ans, le nombre des cas va graduellement diminuant jusqu'à 40, pour tomber a un chiffre très faible de 40 à 45 et se relever à peine de 45 à 5o en montant de 9 à 12.

Comme l'a fort bien dit Louyer-Villermay, sans tomber dans les exagérations de Gardane, la ménopause, chez nombre de femmes, avive les déterminations nerveuses qui ont occupé la scène a l'âge où s'établit la menstruation.

Depuis quelque trente ans, la gynécologie a fait des progrès considérables. Bernutz, dont la compétence toute spéciale en la matière est indiscutable, passe en revue les affections nombreuses auxquelles les attributs mêmes de la sexualité exposent la femme et entame sur leur corrélation avec la genèse des désordres hystériques une discussion approfondie. De cette savante et judicieuse critique, il résulte que toutes les recherches anatomo-pathologiques, tentées jusqu'ici en vue de rattacher l'hystérie à quelque lésion, soit de l'utérus ou des ovaires, soit de l'appareil digestif, soit de l'encéphale. sont restées vaines ; que l'existence d'une lésion des organes génitaux de la femme n est nullement indispensable au développement de la névrose, laquelle peut fort bien se produire indépendamment de toute affection génitale; mais qu'entre ces deux éléments pathologiques — une affection génitale organique et l'hystérie, — la coïncidence est plus fréquente qu'entre l'hystérie et quelque autre maladie que ce soit. Selon Briquet, ce rapport de coïncidence est établi par le chiffre proportionnel de 128 sur 392 observations. L'élévation du rapport tient à ce qu'extrêmement fréquente, l'hystérie ne met d'ailleurs les femmes à l'abri d'aucune autre maladie, quelle qu'en soit la nature, de l'appareil génital.

Sans affinité avec l'hystérie, cancers, squirrhes, fibrômes, tubercules, kystes, hématocèles, phlegmons, pelvi-peritonites, métrites, etc.. aucune de ces affections ne saurait, si ce n'est fort exceptionnellement, être taxée d'en avoir ou préparé avec lenteur, ou déterminé en peu de temps l'é-closion. Aucune n'exerce sur l'apparition des désordres une influence comparable à celle d'une perturbation menstruelle, d'une suppression brusque des menstrues notamment. Et ceci se comprend. Le flux cata-ménial est-il autre chose que la conséquence d'une sécrétion compensatrice destinée à maintenir l'équilibre de l'hématose; et toute perturbation (diminution, suppression, surabondance) dans ses retours peut-elle manquer d'avoir pour contre-coup une perturbation des fonctions nutritives dans leur ensemble et du système nerveux — leur régulateur — en particulier? Onze fois sur vingt, la suppression brusque des règles engendre l'hystérie, au dire de Briquet.

La chlorose, si commune aux jeunes filles, est un des plus puissants facteurs de la névrose. Trois circonstances concourent à rendre décisive son action : l'anémie spéciale qui l'accompagne, et deux de ses symptômes primordiaux : les troubles gastriques et les perturbations menstruelles.

[A suivre.)

BIBLIOGRAPHIE

De Psychische geneeawyse, door Dr F. van Eeden. — Amsterdam, W. Versluys, 1888; in-8° de 5o pages. Prix: fl. o.5o.

La brochure que vient de faire publier en hollandais le confrère IV van Eeden résume ses convictions en matière de thérapeutique suggestive. Il

en a donné la primeur aux membres de la Société « Oefening in weten-schappen » de Harlem, en leur lisant, le 19 janvier 1888, sa causerie qui n'aspire qu'au rôle modeste de justifier dans l'appréciation du public l'applica-cation de l'hypnotisme dans la thérapeutique.

Dans son introduction, l'auteur expose la nécessité de répandre des notions claires et exactes sur le topic of the day — l'hypnotisme, et sur la psycho-thérapeutique à laquelle l'art d'endormir prête un si large appui. 11 afàrme l'existence de cette méthode de guérir et établit ses droits à coté des traitements par les médicaments et par les moyens physiques. L'expérience personnelle de l'auteur et le livre de Hack-Tuke (The influence of the mind upon the body) lui ont permis d'illustrer d'exemples bien choisis l'action 1° des émotions, 2° de la volonté et 3° de l'imagination sur le corps.

La psycho-thérapeutique trouve son point d'appui et sa force dans l'action du moral sur le physique; elle se sert principalement du troisième des facteurs déjà nommés : notamment de l'imagination.

Pour ce qui regarde la question de l'imagination et des soi-disant malades imaginaires, l'auteur insiste à être bien compris.

L'acte d'imaginer a pour corollaire naturel un changement matériel dans notre corps ; la maladie imaginaire implique nécessairement une altération matérielle: aussi la notion vulgaire que le malade imaginaire ne serait pas un malade dans le sens propre du mot est fausse. Le trouble fonctionnel peut exister sans lésion anatomique correspondante appréciable. La maladie, pour ne pas être tangible, pour être psychique, n'en existe pas moins très réellement et réclame des soins aussi sérieux qu'une maladie organique proprement dite. Si la psycho-thérapeutique n'en appelle pas souvent aux émotions ni à la volonté comme moyens de guérir, c'est que, d'une part, l'éveil de celles-ci n'est pas exempt de dangers et présente souvent des difficultés sérieuses, tandis que, d'autre part, une volonté suffisamment ferme se rencontre trop rarement pour qu'on puisse compter sur ce facteur dans un traitement quelconque.

L'auteur rappelle au souvenir les guérisons soi-disant miraculeuses de tous les temps, les heureux résultats de cures homœopathiques et autres dans lesquelles le rôle de l'imagination n'est pas à méconnaître.

A partir de 1841, la psycho-thérapeutique, grâce à James Braid, entre dans le domaine de la science; elle n'y entre toutefois que furtivement; la guerre du silence que lui oppose l'école sait retarder son avènement définitif pendant environ trente ans. Il fallait le nom et la science de Charcot pour imposer au monde savant l'idée que l'hypnotisme existe.

Le docteur van Eeden décrit ensuite l'hypnose telle que l'entend l'école de la Saipêtrière; il définit les différends existant entre celle-ci et l'école de Liébeault et expose les causes qui forcément ont dû conduire à ces différends et dont la principale se trouve être le fait que Charcot n'a opéré que sur des grandes hystériques, tandis que l'école de Nancy a expérimenté sur tous les sujets qui se présentaient.

Bien que le magnétisme animal doive sa sanction scientifique a Charcot, la psycho-thérapeutique n'a guère à se louer de son concours. Selon l'éminent médecin de la Salpêtrière, une faible fraction seulement du nombre des malades est hypnotisable et l'hypnose constituerait une névrose artificielle. Sous peine de voir se développer une foule d'accidents, il serait médicalement interdit d'hypnotiser des sujets,ne présentant pas les symptômes d'hystérie confirmée.

L'œuvre de James Braid trouva plutôt son continuateur dans un modeste médecin de campagne : le docteur A.-A. Liébeault.

C'est à cet éminent praticien, — qui a su simplifier la méthode d'hypno— tiser, et qui a reconnu la valeur immense de la suggestion verbale,— que la psycho-thérapeutique doit une fière chandelle.

Liébeault a démontré que l'influence hypnotique s'obtient chez la presque totalité des sujets (92 à 95 0/0), et que l'hypnose maniée avec tact et prudence ne peut jamais nuire. L'autorité de Charcot fut cependant si puissante, que les idées de Liébeault eurent de la peine à se répandre. Le livre de Bernheim, concis, sobre, clair et convaincant, a su rallier beaucoup de médecins aux vues de l'école de Nancy. Dans ces derniers temps, depuis les publications de la Revue de l'Hypnotisme, des travaux de MM. Voisin. Fontan et Ségard et autres, l'opinion décidément commence a se faire de plus en plus favorable aux suggestionnistes. A cet effet, M. van Eeden cite fort heureusement ces paroles de Charcot prononcées dans une des dernières séances de l'Académie: « Or, je dois déclarer qu'en général, les résultats que j'ai obtenus dans cette dernière catégorie (le côté thérapeutique), soit chez l'homme, soit chez la femme, ont été moins heureux que ceux auxquels sont parvenus nos confrères de Toulon (Fontan et Ségard). Mais je suis le premier a reconnaître que cela tient peut-être à ce que je n'ai pas su trouver encore la méthode appropriée à la cure de ce genre. » Un tel aveu prouve une fois de plus que Charcot est un grand homme.

A ce moment où la thérapeutique suggestive fait son chemin dans tous les pays, maintenant que des médecins de l'Italie, de la Suisse, de la Russie, de l'Autriche, de la Norvège, de l'Angleterre, de la Belgique et de la Hollande sont venus faire un pèlerinage à Nancy, et qu'ils ont importé dans leur patrie les progrés de la science réalisés dans les cliniques de MM. Beraheim et Liébeault, n'est-il pas triste de devoir constater que les médecins d'un seul pays de l'Europe continuent à faire une opposition dérisoire à l'introduction de la psycho-thérapeutique suggestive!

On comprend que l'auteur a nommé l'Allemagne. On se rappelle, en effet, la réception malveillante faite à un jeune médecin allemand qui, — après avoir étudié l'hypnotisme à Nancy, — a eu le courage de défendre sa cause à Berlin. Deux professeurs de renom ont tancé d'importance et avec majesté ce médecin de malheur. L'histoire leur en tiendra compte. Le professeur Ewald a eu la maladresse de dire : « La suggestion hypnotique n'est pas un traitement médical, puisque, pour traiter un malade, il faut posséder l'art et la science d'un médecin ; or le premier paysan venu peut faire la suggestion.

Que penser de cette argumentation altiére ? Ne traduirait-on pas parfaitement la pensée de ce prince de la science par ces mots : Il se peut que votre traitement soit efficace, mais du moment que son application est tellement facile qu'un autre saurait traiter aussi aisément que moi, je n'en veux plus. »

M. van Eeden démontre, du reste, que l'art de suggestionner n'est pas si exempt de difficultés que veut le prétendre le docteur Ewald.

Avec notre confrère, nous nous rangeons à l'avis du docteur Edgar Bérillon :

« On ne s'improvise pas plus médecin hypnotiseur qu'on ne s'improvise oculiste. Nous avons pu nous assurer que la plupart de ceux qui n'ont eu à enregistrer que des accidents ou des insuccès, le doivent uniquement à leur défaut de méthode, à leur inexpérience et a leur incompétence. Entre les mains d'un maladroit, d'un brutal ou d'un ignorant, il est naturel que l'hyp-

notisme devienne aussi dangereux que peuvent l'être la digitate et l'opium entre les mains d'un empirique. »

Avant de finir, l'auteur combat quelques objections qu'on fait généralement à la méthode suggestive : ainsi, que les guérisons ne seraient pas durables; il insiste sur le fait que beaucoup de guérisons ne peuvent être obtenues que par un traitement 'longtemps continué et grâce à la persévérance et a la patience de la part du malade comme de son médecin. Il finit sa lecture en assurant le public que si, pour expliquer les phénomènes hypnotiques, il n'a pas eu besoin de recourir à l'hypothèse des forces inconnues, il ne pense pas qu'il soit permis de nier l'existence de telles forces ; il est persuadé, au contraire, qu'il nous reste beaucoup de mystères a éclaircir, et que le temps parait mûr pour soumettre ceux-ci à un examen scientifique grave et exempt de préjugés.

Amsterdam, 3 février 1888. Df A. W. Van Renterghem.

Eléments de médecine suggestive (Hypnotisme et suggestion. — Faits cliniques) : par les docteurs J. Fontan et Ch. Ségard. — Paris, O. Doin, éditeur, 1887 (1).

C'est au pavé de l'ours de la fable qu'on peut comparer la pierre que MM. Fontan et Ségard apportent aux fondations de l'édifice (c'est de la médecine suggestive qu'il s'agit), sous la forme d'un livre qui n'a de scientifique que les prétentions qu'il amené. Il suffira, du reste, pour l'édification de nos lecteurs, de leur citer quelques-unes des observations choisies qui ont servi de substratum aux conceptions théoriques de ces auteurs. L'exposé de ces documents, qui forment la moitié du volume, nous dispensera d'un long examen des préceptes qui en découlent et auquel est consacrée l'autre moitié.

Voici l'une de ces observations : « Mal de Pott. — Accident de compression médullaire. — Douleurs sciatiques. — Méningite tuberculeuse. — Vomisse-ments. — Convulsions. — Atténuation remarquable par la suggestion. — Mort. » Un épisode y est particulièrement bien noté: « 17.—... Il n'y a plus eu ni céphalalgie ni nausées. La famille est rassurée, mais la persistance de la somnolence et de l'anorexie, avec quelques cris de nature encéphalique, continuent à m'inquiéter. *

Que dire aussi de l'observation V, dans laquelle le diagnostic porté est: sclérose en plaques. Il s'agit d'un homme Sgé de 5o ans qui, en l'espace de huit ans, souffrit suecessivement, avec des alternatives d'amélioration lui permettant de reprendre son service de gardien de bureau : 1° de névralgie faciale; 2° de paraplégie avec anesthésie complète des membres inférieurs sans trouble des sphincters ; 3° de parésie des membres supérieurs : 4° d'hémiplégie avec hémianesthésie gauche; 5° (cette fois le malade est observé par MM. Fontan et Ségard) de paraplégie avec anesthésie occupant inégalement les membres inférieurs, la jambe droite étant prise à partir du genou, la gauche à partir de la hanche, d'hyperesthésie de la région lombaire (douleurs

(1) Plusieurs de nos lecteurs nous ont. à diverses reprises, demande notre appréciation sur le travail de MM. Fontan et Ségard ; mais l'éditeur ayant omis de nous faire parvenir ce volume à son apparition, nous n'avions pu les satisfaire. En empruntant au Progrès médical l'article critique ci-dessous, nous voulons, à défaut de notre critique personnelle, donner celle d'un de nos confrères les plus autorises de la presse médicale. (N. D. L. R.)

dès qu'on pèse légèrement sur cette région), et de diminution de l'acuité et du champ visuel. Les observateurs pensent qu'il n'y a pas à douter de l'existence, dans ce cas, d'une myélite diffuse matérielle, et la guérison qu'ils ont obtenue par suggestion leur est un bel exemple de l'action de cette médication sur les lesions matérielles de l'axe cérébro-spinal.

Je détache ces deux termes extrêmes de l'observation XXIV intitulée : Diabète sucré : Polyurie améliorée par suggestion. « 14 décembre: émission de 5 lit. Soo d'urine. 7 janvier : émission de 5 lit. 5oo d'urine (?). » Voici encore deux observations à diagnostic suspect: « Obs. XLVII : Troubles dyspeptiques ;guérison eu une séance. Mlle Z..., (pas de signes d'hystérie), dont la sœur est hystérique, a eu au moment des règles des vomissements incoercibles sans cause appréciable, qui résistent à tous les moyens mis en usage. — Obs. XXXVII : Pelvimétrite chronique avec douleurs intolérables. Depuis trois mois. Mme passe ses journées sur le canapé. Le moindre attouchement du ventre fait crier et pleurer la malade (ni fièvre ni vomissements). L'utérus, durci, tuméfié, est englobé dans les tissus voisins (?). On rencontre çà et la des noyaux d'induration(?). La malade n'a rien d'une hystérique. Après la première suggestion, on peut presser sur le ventre sans causer de douleurs. Citons encore l'observation L, dans laquelle un tænia resta sourd aux injonctions des expérimentateurs. Il est vrai, d'autre part, que de plus petits parasites, les organismes de la diarrhée de Cochinchine, de la dysenterie, de la fièvre paludéenne, les streptococcus de la suppuration et même les gonoccoque:. furent plus dociles...

Certes, nous ne .suspectons nullement la bonne foi des auteurs, et par les extraits que nous mentionnons, il est facile de constater que soit des erreurs de diagnostic, soit des traitements concomitants ont fait les frais de ces guérisons pseudo-miraculeuses. La plupart du temps, des phénomènes hystériques, hémiplégie, vomissements, ovaralgie, contractures, ont été confondus avec des myélites, dyspepsies, rétractions: d'autres fois, le régime lacté, la médication ont en même temps eu raison de diarrhées et de dysenteries; enfin, la pulvérisation phéniquée a pu hâter tout autant que la suggestion la cicatrisation d'un ulcère phagédénique.

Ainsi que nous l'avions fait prévoir, il semblerait au moins inutile, après cela, de mentionner la première partie du livre. La physiologie de l'hypnotisme, dans laquelle, entre autres, les actes réflexes sont confondus avec les phénomènes de la suggestion, la philosophie de la médecine suggestive, où se trouve notamment proclamée la réalité scientifique du libre arbitre, valent la pratique que nous connaissons. Toutefois, nous ne saurions passer sous silence les quelques pages consacrées a l'application de la méthode. On y apprend la préparation du malade. « Dites bien que les insuccès sont très rares, que précisément votre client présente les meilleures dispositions.» i, ainsi que la posologie de l'hypnose a laquelle est consacré le paragraphe intitulé : Doses et Formules.

En somme. les patientes et longues études de MM. Fontan et Ségard sur ce sujet (leurs recherches datent de l'an dernier) permettaient à ces chirurgiens de légiférer avec autorité en cette matière neuro-pathologique, d'autant qu'ils v étaient bien préparés par leurs notions de pathologie générale, de l'étendue desquelles on ne doutera pas après avoir lu « qu'il sera possible d'économiser les coups de bistouri à l'aide de ta suggestion détournant à propos un flux sanguin qui eût abouti à une inflammation suppurative (p. 1 io). »

Paul Bioco.

CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE

Fascinateurs et jettatores.

Nous trouvons dans Mélusine, revue consacrée à l'étude des traditions populaires, un article fort intéressant de M. Tuchmann, sur la fascination et sur l'idée que les esprits crédules des diverses époques se sont faite des fascinateurs.

Dès le quinzième et le seizième siècle, des écrivains donnaient des fascinateurs le portrait suivant :

« Nous advertissons que songneusement on se garde de toutes personnes qui ont de faulte de membre naturel en eulx comme de pié de main d'œl ou d'autre membre quel quil soit de boiteux : et especialement de homme esbarbe cest qui na point de barbe : car tels sont enclins a plusieurs vices et mau-vaistiez et sen doit on garder comme de son ennemy mortel.

» Ceux qui sont bossus, moyennant que ce soit par nature et non de quel-qu'inconvenient casuel, sont volontiers mauvais et malicieux, parce que le cceur, qui est la fontaine et la source de toute la vie, communique à telle depravation. De ceux-ci approchent les louches et bigles, les borgnes, ceux qui ont la veué fort courte, qui ont les yeux cillans et fretillans et qui regardent de travers... Les vices extérieurs changent les facultez intérieures et les incitent à diverses operations. A ceste cause de ceux qui sont ainsi marquez de quelque notable marque est venu le proverbe : Garde-toy de tout homme marqué.

» Finablement (ainsi que dit Didymus) ceux-là charment facilement qui sont maigres et melancholiques, qui ont deux prunelles en chaque ceil, ou bien l'effigie d'un cheval en l'un d'eux, qui ont les yeux enfoncez et comme avaliez en une fosse, qui ont la peau du visage toute couverte de crasse et ordures; les louches aussi qui ont les yeux verds, azurez, bluetans et espouventables ensorcelent tout ce qu'ils regardent d'un œil fixe et courroucé. »

Parmi les modernes, seuls les Italiens méridionaux, pour lesquels la jetta-tura est un dogme, nous ont donné du fascinateur inconscient une description à peu près complète : il est maigre, il a le visage creux, le teint pâle, de gros yeux qui ont quelque chose de ceux du crapaud et qu'il masque ordinairement avec des lunettes; le nez est gros et le regard perçant. Dans la province de Naples, le fascinateur est plus dangereux s'il porte des lunettes vertes. En Sicile, le portrait subit quelques modifications : le teint est olivâtre, les yeux petits, le nez long et crochu et le cou long.

Vers la fin du siècle dernier, un auteur napolitain des plus croyants parmi les plus croyants, annonça, dans son ouvrage sur la fascination, qu'il avait formé le projet suivant :

« Je me réserve de faire une addition à ce travail : je rechercherai l'explication de beaucoup de choses relatives à ce sujet... principalement des points suivants sur lesquels je demande des lumières et des renseignements à tout le monde :

I. L'homme fascine-t-il plus que la femme?

II. Celui qui porte perruque fascine-t-il davantage?

III. Celui qui porte des lunettes fascine-t-il davantage?

IV. La femme enceinte fascine-t-elle davantage?

V. Les moines fascinent-ils davantage? A quel ordre appartiennent ceux qui fascinent le plus?

I. Celui qui s'approche de nous après qu'il nous est arrivé un malheur peut-il nous fasciner ?

VII. Jusqu'à quelle distance s'étend le pouvoir de fascination?

VIII. Les objets inanimés peuvent-ils nous fasciner?

IX. Est-ce par devant, par derrière ou de coté que la fascination opère avec le plus de force ?

X. Quels sont les gestes, son de voix, œil, caractères du visage qui font reconnaître le jettatore?

XI. Quelles petites oraisons doit-on réciter pour se préserver de la jettature

des moines?

XII. Quels mots doit-on prononcer, en général, pour éviter la jettature?

XIII. Quel pouvoir ont, à cet effet, les cornes et autres objets?

Dans nos régions, on considère comme très dangereux les gens aux yeux caves ombragés de sourcils proéminents, ceux qui exhalent des aisselles une odeur désagréable ou qui se font remarquer par leur malpropreté et leur mine basse, ceux qui louchent, ceux qui ont des yeux vert de mer, d'un éclat sombre et d'une expression sinistre. En Allemagne, les gens aux yeux sombres, perçants, caves et rouges, ont le mauvais œil. Gaule, dans Select cases of conscience, combat l'opinion de ceux qui prennent pour signe, en Angleterre, ie vieux signe païen, cest-a-dire les grands yeux. En Espagne, les fasci-nateurs sont les gens aux yeux vairons, de couleur incertaine ou variée et ceux dont les prunelles sont de couleurs différentes ou d'inégales grandeurs. Les peuples slaves se défient des yeux profonds, très convexes et au regard sombre. En Russie, c'est l'œil noir qui est particulièrement malfaisant. Les Turcs et les Syriens redoutent les gens dont le cristallin est bleu clair ou gris. Dans la Haute-Égypte et sur les rives de la mer Rouge, les yeux des fascinateurs sont les mêmes que ceux des autres individus, seulement ils sont creux et paraissent vides. Les Circassiens considèrent aussi une certaine forme et une couleur des yeux comme l'indice du pouvoir de fascination. En Masovie, si l'on est regardé par une personne qui a les yeux malades, on devient ensorcelé. Aux îles Hawaï, des malheurs sont a craindre si l'on rencontre une personne dont les yeux sont malades ou enflammés.

Dans le Berry, on peut reconnaître les individus auxquels est départie cette funeste faculté a leurs mœurs sombres et bizarres. Ils cherchent constamment la solitude; autant ils parlent et gesticulent lorsqu'ils sont seuls, autant ils se montrent tranquilles et silencieux lorsqu'ils se trouvent en compagnie. Ils ont l'œil perçant et subtil; mais, comme si la nature eût voulu atténuer ce que leur regard a de pernicieux, ce n'est que par éclair, disent les paysans, qu'ils envisagent les gens, car d'habitude ils regardent en dedans.

En Italie et en Styrie, les individus qui louchent sont fascinateurs. Chex les gypsies anglais, ils portent malheur. « Ne fixe point ton regard sur le louche, il te donnerait le mauvais œil, « disent les Turcs.

En Transylvanie, en Styrie, en Carinthie et en Hongrie, le pouvoir de fascination est spécialement attribué aux gens dont les sourcils se joignent au-dessus, du nez en Irlande, à ceux qui ont des sourcils noirs proéminents.

Enfin, on peut reconnaître un fascinateur à la couleur rouge de ses cheveux ou de sa barbe. Les rousseaux, comme on les appelait autrefois, ont toujours eu mauvaise réputation. Dans l'Egypte ancienne, où, à l'exception des étrangers, on en rencontrait peu, ils étaient injuriés et outragés; pendant les jours caniculaires. ils étaient sacrifiés sur le tombeau d'Osiris. On avait également de l'aversion pour eux en Chine, dans les îles de 1s Miditerranée et en

Ecosse; ils sont encore très suspects aux Turcs. Les chrétien, représentent volontiers Judas Iscariote avec une barbe rouge. « Ne te place jamais entre le roc et l'homme rouge », « Ne laisse pas l'œil d'un homme rouge s'arrêter sur toi » sont, en Irlande, un proverbe et une locution familière. « Barbe rouge, espèce de diable », « Barbe rouge, va au diable », dit-on en Allemagne et dans le canton d'Argau.

Barbe rouge et noirs cheveux,

Guette-t'en si tu peux,

est un adage du département du Calvados. Chez les Banques; il faul également éviter les gens à barbe rousse, suivant le dicton :

Bizar gorri, Bide horri I (Barbe rouge, — Hors du chemin !)

Il résulte de tous ces faits que ceux-là seuls pouvaient avoir quelques chances d'éviter d'être pris pour des fascinateurs, qui ressemblaient à tout le monde et n'étaient remarquables par aucun caractère physique spécial.

Un vol de billets de banque pendant l'état d'hypnotisme.

Nous trouvons dans un des derniers numéros du New- York Herald édition de Paris) le récit suivant, qui montre avec quelle facilite on tend à mettre sur le compte de cet « excellent » hypnotisme, comme le qualifie ironiquement notre confrère américain, des méfaits dont il n'est nullement responsable :

On nous rapporte aujourd'hui, écrit-il, un cas très extraordinaire, fleurant la suggestion hypnotique ou magnétique et ouvrant de nouveaux horizons aux criminels, tant soit peu versés dans l'application des forces nerveuses. Il parait que le constable 265. s. était récemment appelé à la station de Barnett, sur la ligne du « Great Northern Railway », où il trouva dans la salle d'attente un gentleman plongé dans un état complet d'inconscience. Le docteur Hamett fut appelé, et il fit transporter le gentleman. toujours évanoui, dans un fiacre, au poste de police.

Deux heures plus tard, le malade reprit ses sens et raconta une histoire des plus extraordinaires.

LES SENSATIONS ÉTONNANTES DE LA VICTIME.

Il déclara se nommer Richard Loader, âgé de 32 ans. et habitant Hope Cottage, Muswell Hill

Dans l'après-midi du jeudi, il quitta la gare de Wood Green avec sa femmes dans l'intention de voir à Londres un ami avec lequel il cétait en affaires et dont il devait recevoir une forte somme. Sa femme quitta le train à Holloway et il continua sur Londres, où il rencontra l'ami, dont il a refusé de donner le nom à la police, et duquel il reçut 12 billets de cent Livres sur la Banque d'Angleterre.

Il alla à Morgate Street prendre son billet pour Holloway. où il devait retrouver sa femme.

Dans le compartiment, il se trouva avec deux personnes seulement, un monsieur et une dame.

Peu d'instants après le départ de la station, il ressentit des sensations

très extraordinaires et se trouva dans l'impuissance d'abaisser la vitre, malgré ses efforts pour y parvenir.

LE VOL.

Il n'a gardé aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant sa perte de connaissance. Seulement, revenu à lui, il s'aperçut do la disparition des billets de banque, placés dans la poche de revolver de son pantalon, ainsi que de la monnaie qu'il avait dans un gousset de son habit.

Ses amis furent appelés, et. sur leurs conseils, il pria la police de surseoir à l' enquête, voulant d'abord consulter son avoué, M. Poncione.

Vers 10 h. 1/2, Richard Loader était assez bien portant pour retourner chez lui.

Le docteur Hamett, après examen, fut d'avis qu'il se trouvait en présence d'un cas d'ivresse. Mais les agents présents ne purent en fournir la preuve et la manière dont Loader reprit ses sens est loin de confirmer l'opinion du médecin.

LE VOLÉ CROIT AVOIR ÉTÉ HYPNOTISÉ.

Un reporter du Herald est allé ce matin voir M. Loader a Hope Cottage, Muswell, près du palais d'Alexandre. M. Loader est un grand, bel homme, puissamment bâti et bien élevé.

Le reporter lui demanda : Pensez-vous que l'on vous a administré quelque drogue ?

M. Loader répondit : Non, je ne crois pas que ce fût possible.

— Vous souvenez-vous de ce qui s'est passé après être monté dans le compartiment ?

— Je me sonviens que l'homme me fixa d'un regard persistant : son œil avait un reflet métallique qui me mit mal à mon aise.

— Vous toucha-t-il?

— Maintenant que j'y pense, dit M. Loader, il me toucha. Je fumais et il me demanda du feu.

En prenant mon cigare, il plaça sa main en contact avec la mienne et me regarda intensivement. Dès ce moment, je ne me rappelle plus rien. J'ai souvenance seulement d'être revenu d'une sorte de catalepsie.

— Alors, monsieur Loader, vous avez dû être hypnotisé.

— Aussi étrange que cela puisse paraître, c'est la seule explication de ce vol étonnant, répondit le monsieur volé.

A notre avis, l'hypnotisme n'a joué, en aucune façon, le rôle que lui . prête complaisamment le reporter du New-York Herald. Nous croyons plutôt, si nous en jugeons d'après les symptômes accusés par le volé, qu'il a dû tomber dans une attaque d'épilepsie.

Sesdeux compagnons de voyage étaient d'audacieux pick-pockets qui ont profité de sa syncope pour le dévaliser.

Les sensations éprouvées par le malade avant l'attaque se rattachent très facilement 1 l'aura épileptique. Assez fréquemment, en effet, l'impression initiale peut être sensorielle, et le malade ressent des éblouisse-ments et même des hallucinations de la vue. Plus fréquemment, le point de départ de l'attaque est dans le membre supérieur. Beaucoup éprouvent une sensation de pression, de constriction autour du poignet. Après ces prodromes, l'attaque elle-même survient, caractérisée par une perte de connaissance avec insensibilité complète. Le malade s'affaisse comme une masse inerte sur le dos et tout son corps est agité de convulsions et

de secousses : d'intensité variable. Quand la période convulsive est terminée, le malade reste encore pendant quelque temps dans un coma profond, puis il se réveille comme d un lourd sommeil, sans aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant l'attaque. Ce qui est le plus fait pour étonner, c'est le cynisme des voleurs qui, sans s'émouvoir autrement du spectacle repoussant que présente un individu en proie à une attaque d'épilepsie, ont eu assez de sang-froid pour lui retourner ses poches.

NOUVELLES

College De France. — Par un décret récent, la chaire de droit comparé du Collège de France avait été transformée en une chaire de psychologie expérimentale et comparée. Nous sommes heureux d'apprendre que le ministre a choisi comme titulaire de la nouvelle chaire M. T. Ribot, notre eminent confrère qui dirige avec tant d'autorité la Revue philosophique de France et de l'etranger.

— Hospice de la Salpêtrière. — Clinique des maladies nerveuses: M. Charlot reprendra ses leçons mardi prochain, 28 février, et les continuera les vendredis et mardis suivants.

— Service de M. Aug. Voisin. — Depuis le 12 février. M. le docteur Aug. Voisin fait tous les dimanches, à 9 heures 1/2, en cours sur les maladies mentales et ner-veuses.

— Nouveau journal. — Nous avons reçu les premiers numéros d'un nouveau journal médical et littéraire qui paraît à Madrid sous le titre: La Hipnoterapia. Le directeur du journal est le docteur don Alberto de Diaz.

Tout en souhaitant à notre confrère une cordiale bienvenue, nous ne pouvons nous empêcher de lui faire remarquer qu'il accorde trop à plusieurs de ses corres-rondants une autorité scientifique qui leur fait complètement défaut. En France, les titres de docteur et de professeur ne se donnent qu'à ceux qui les ont réellement acquis. Ceux qui s'en parent sans aucun droit n'y donnent pas longtemps le change à l'opinion. Mais notre confrère nous permettra bien de lui dire que la première condition, pour qu'on prenne au sérieux des collaborateurs qui se donnent dans ton journal des allures scientifiques plus apparentes que réelles,c'est qu'on ne puisse dire d'eux : « docteur au delà des Pyrénées ; magnétiseur-masseur en deçà. »

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Procès criminel de la dernière sorcière brûlée a Genève, le 6 avril 1652, par le docteur Ladame, de Genève. (Bibliothèque diabolique. Collection Bourneville J Bureaux du Progrès médical, ta, rue des Carmes. — In-8° 52 pages, 1888.

L'Ame de l'entant, par W. Prêter, traduction de VArigny. (Bibliothèque de philosophie contemporaine.) — Un fort volume in-8°: F. Alcan, éditeur, 1887.— 10 fr.

La folie érotique, par M. le professeur B. Boll. (Petite Bibliothèque médicale.) J.-B. Bailliére, 1888. — 2 fr.

Du traitement des ulcères variqueux par le sulfate de cuivre, par

le docteur Romain Blanc — Thèse de Paris, in-8°; 1888

Le caractère dans la santé et dans la maladie, par M. le professeur Azam. de Bordeaux, avec une préface de M. Th. Ribot. — Un vol. in-8°; F. Alcan, 1887.

_L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT.

paris. — imprimerie charles dlot, rue bleue.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

DE L'ANALOGIE ENTRE L'ÉTAT HYPNOTIQUE ET L'ÉTAT NORMAL

Par M. J. DELBŒUF

PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE LIEGE

Dans un article publié par la Revue philosophique, en août 1886. j'avais cherché à établir l'influence de l' éducation et de l'imitation sur les phénomènes présentés par les hypnotisés. En somme, l'exemple agit à la façon d'une suggestion. C'est de cette manière que s'expliquent les allures hypnotiques des hystériques de la Salpêtrière : la première aura fait, pour ainsi dire, l'éducation des autres. Aussi — et bien qu'il soit fort difficile d'y résister,

— chaque praticien devra-t-il se garder de la tendance à généraliser ses observations et à regarder comme essentiels les caractères que ses sujets présentent.

Je lis, par exemple, dans le livre de MM. Fontan et Ségard, (Eléments de médecine suggestive, p. 7 et suiv.) que le phénomène physique essentiel de l'hypnose réside dans le spasme oculo-palpébral, — que la circulation est souvent troublée, — que le réveil est accompagné d'un sentiment de lourdeur dans la tête,

— que le sommeil hypnotique fatigue le sujet, etc., etc.

Or, dans le cours d'une pratique déjà longue, je n'ai pas une seule fois observé ces phénomènes. Au contraire, mes sujets sont tout particulièrement tranquilles ; leur visage et toute leur attitude expriment le repos et le calme absolus ; leur respiration est régulière; la coloration de la figure, fût-elle anormale pendant la veille, redevient ce qu'elle doit être ; et, à leur réveil, ils n'accusent ni mal de tête, ni fatigue, mais le plus souvent le regret d'être enlevés à la béatitude dans laquelle ils étaient plongés.

En revanche, les plus petites particularités individuelles du modèle sont souvent copiées servilement par l'imitateur. Avec la collaboration de mon collègue M. Nuel, professeur d'ophtalmo-

logie à l'Université de Liège, je fais des expériences sur deux sujets affectés de cécité partielle. Le premier, un jeune homme de trente ans. qui avait été hypnotisé par Léon au moyen de l'imposition de la main sur la nuque, a contracté le tic de pousser un profond soupir au moment du réveil. Le second, une jeune fille de treize ans, qui lavait vu avant d'être hypnotisée, pousse le même soupir. Ceci est un exemple entre cent.

Aussi M. Bernheim a raison de dire que. dans un service d'hôpital, l'imitation et l'entraînement de l'exemple constituent peut-être (je supprimerais ce peut-être) une véritable atmosphère suggestive (voir le numéro de janvier 1888, p. 199).

Mais il y a mieux. Ceux de mes lecteurs qui lisent la Revue philosophique savent que j'ai, ie premier, fait connaître une méthode infaillible (elle l'a été entre mes mains, du moins jusqu'à présent), pour réveiller le souvenir des somnambules (voir Revue philosophique, mai 1886). Or, i! est aujourd'hui chez moi si bien établi que les somnambules conservent au réveil le souvenir intégral de leurs paroles, faits et gestes, que tous, tous sans exception, présentent le phénomène du souvenir. Je ne forme donc plus de somnambules tels que les défiait M. Bernheim dans le passage rappelé. Mes seuls somnambules, avec perte régulière de la mémoire, sont les premiers sujets que j'ai créés, lorsque j'étais persuadé que tout somnambule oubliait régulièrement ses rêves, à moins qu'ils ne fussent ravivés par ma méthode.

De là le singulier spectacle que présentent mes sujets, quand ils ne sont pas au repos. Il est impossible de ne pas les prendre pour des personnes dans leur état normal. Ils resteront des heures entières hypnotisés, allant, venant, travaillant, causant, riant, lisant, raisonnant, plaisantant, prenant part à la conversation, ayant toute leur spontanéité, toute leur raison, toute leur liberté, — et cela à ce point qu'il m'arrive à moi-même de devoir leur, demander s'ils sont encore hypnotisés ou non, et s'ils ne se sont pas réveillés à mon insu.

Quelquefois, après être restés plusieurs heures dans cet etat, ils me demanderont d'eux-mêmes de les réveiller, ou me diront sur un ton-plaisant: « M'avez-vous oublié ? » Du reste, ils ne peuvent définir cet état, si ce n'est par des termes vagues, par exemple, qu'il n'est pas naturel.

Cest bien là. me paraît-il, cette condition seconde si curieuse, décrite par M. Azam. et que j'étais si désireux de reproduire artificiellement.

Je dirai à une autre occasion les avantages que l'on peut retirer, au point de vue thérapeutique, de cette manière d'être des sujets.

Ainsi, pour conclure, s'il y a encore des somnambules dans le service de M M. Liébeault et Bernheim, c'est parce qu'ils le veulent bien. Il suffirait qu'ils disent au sujet, au moment de l'endormir

pour la première fois, qu'il se souviendra de tout ce qu'il entendra, de tout ce qu'il verra, de tout ce qu'il sentira, pour que ses souvenirs soient intacts. Inutile d'ajouter que je conserve le pouvoir d'abolir le souvenir, et j'en use parfois.

En résumé, entre l'état de veille hypnotique et l'état de veille naturelle, il va tous les degrés imaginables ; on peut restreindre l'état hypnotique à une trace imperceptible, par exemple, que le sujet, quand on ne lui adressera pas la parole, pensera à quelque chose de déterminé ou se gardera de faire tel geste qui lui est familier. Il est clair que, dans ces conditions, personne ne pourra apercevoir en lui rien d'anormal.

J'étends donc à l'état de veille et, dans la même mesure, l'identification que l'Ecole de Nancy établit, pour l'état de sommeil, entre l'hypnotisme et la condition normale. Quant à cette dernière identification, elle me paraît aujourd'hui indiscutable.

Il y aurait peut-être de l'outrecuidance de ma part à aire que j'ai observé chez mes sujets les mêmes phénomènes que MM. Lié-beault et Bernheim, et que je suis arrivé aux mêmes conclusions que ces savants (voir toujours à cette même page 199). Mais, comme j'ai travaillé dans l'indépendance absolue de ma pensée, on ne refusera pas d'accorder aux résultats de ma pratique, quoiqu'elle soit infiniment restreinte comparativement à la leur, une certaine signification.

Or, voici un fait intéressant qui vient à l'appui de cette identification. J'avais accompagné ma fille à une soirée dansante. Peu tenté de rester sur pied jusqu'à des quatre ou cinq heures du malin, je priai une voisine de vouloir bien la ramener, et je rentrai chez moi. Au moment de me mettre au lit, je m'aperçus — un peu tard — que j'avais oublié de remettre à ma fille la clef de la maison. Il me vint une idée. Une de nos servantes a été hypnotisée autrefois et est restée éminemment hypnotisable. Elle dormait à poings fermés. Je m'approchai de son oreille et. touchant ses yeux, lui dis tout bas, de manière à ne réveiller ni elle, ni sa compagne : « Mademoiselle rentrera dans deux ou trois heures, vous irez ouvrir au premier coup de sonnette. » Sans bouger, elle murmura un indistinct * oui, monsieur. » Par précaution, je laissai la porte de ma chambre ouverte.

Je n'entendis ni la voiture, ni le coup de sonnette, ni la rentrée de ma fille.

Le matin, je demande à la servante à quelle heure "ma fille est rentrée : « C'est singulier, n'est-ce pas, me dit-elle spontanément : moi qui dors d'habitude si fort, j'ai entendu le premier coup de sonnette, et j'étais à la porte que le cocher n'avait pas encore ouvert la portière. » Elle n'avait d'ailleurs aucune idée de la suggestion qui lui avait été faite.

Certes, je craindrais de tomber dans le défaut que je signalais

on commençant, c'est-à-dire de généraliser trop vite. Mais j'ai d'autres preuves. Pour des motifs dont je rendrai compte un jour, il est des sujets que j'endors plusieurs nuits consécutives du sommeil hypnotique et qui, instruits à analyser et raisonner leurs sensations, ne parviennent pas à saisir une différence entre ce sommeil et l'autre, si ce n'est que les commandements s'y exécutent, par exemple, celui de ne pas avoir de rêve.

La proposition de l'Ecole de Nancy touchant le sommeil hypnotique doit donc, me semble-t-il. être tenue pour vraie. Et si MM. Fontan et Ségard imposent à leurs sujets un sommeil qui les fatigue, c'est bien leur faute. Leur premier sujet les aura entraînés dans cette mauvaise voie, et, disciples sans le savoir, ils auront joué inconsciemment près de leurs autres malades le rôle de répétiteurs.

ACCÈS DE DÉLIRE MELANCOLIQUE AVEC EXCITATION CONSÉCUTIF A DES PRATIQUES D'HYPNOTISME TENTÉES PAR UN MAGNÉTISEUR

Observation recueillie dans le service de M. le Dr Marcel Briand. médecin en chef

de l'Asile de Villejuif

Par M. S. LWOFF

interne des asiles de la seine

Mlle Jeanne N... appartient à une famille de petite bourgeoisie de province. Son père est mort laissant une veuve avec sept enfants, et la famille est obligée de travailler pour vivre.

La mère, femme d'une intelligence moyenne, un peu crédule, est très pieuse, sans aller cependant jusqu'à la bigoterie. Elle croit sincèrement, et le curé est son conseiller intime dans toutes les affaires un peu délicates. C'est, en effet, sur le conseil de celui-ci qu'elle a, un jour, jugé à propos d'éloigner sa fille Jeanne de la maison, en dépit de l'affection qu'elle lui portait; nous verrons plus loin dans quelles circonstances.

Mlle Jeanne N... a 27 ans. C'est une personne d'un caractère doux et affable; elle est bien élevée, assez intelligente, sensible et très impressionnable, mais sans force de résistance dans le caractère; elle s'attache et s'abandonne facilement. Grâce a ces qualités, elle attirait l'attention, et l'occasion de se laisser séduire ne devait pas tarder à se présenter. Un

officier en garnison dans la ville qu'elle habitait l'ayant remarquée, lui fit la cour, obtint ses faveurs et la rendit mère. C'est alors que Mme X.... sa mère, désolée, s'en alla trouver son conseiller intime, te curé, pour lui conter le cas de Jeanne. Le pasteur persuade à la mère que la fille a commis un péché mortel, qu'on ne peut plus la garder dans la famille, et finit par décréter l'éloignement de « la brebis galeuse ». La fille chassée se réfugia à Paris, laissant l'enfant à la garde de la grand'mère. A Paris, elle trouve une place de couturière.

Un jour, en se rendant à l'ouvrage, clic trouve sur son chemin un jeune homme dont elle fait la connaissance et qui la choisit comme confidente de ses peines. « Je suis fiché avec mon cousin, lui raconte-t-il, le seul parent que j'aie ici; je me trouve dans une situation précaire, venez-moi en aide par votre affection.» Après une cour de quelques jours, elle se laisse encore séduire. Victime de son bon cœur, et sur la promesse du mariage, elle emploie ses petites économies à s'installer avec son nouvel amant. Au bout de quelques mois d'une vie assez tranquille, l'amant trouve le moyen de se réconcilier avec son cousin et s'associe avec lui pour exploiter un commerce de chevaux de luxe. Alors commence une vie nouvelle. Jeanne tombe dans 1; monde interlope des marchands de chevaux, des bookmakers, des jockeys. etc.. etc. Quand on n'est pas dans la misère, on vit largement dans ce monde-la : promenades au Bois, dîners fins, théâtre, rien n'y manque. Cette vie, dont elle a entendu vaguement parler, l'attire par son inconnu, et elle s'y lance; les yeux fermés.

Ce genre d'existence a duré plusieurs mois, jusqu'au jour où, se trouvant enceinte, tout devait changer pour elle. Le cousin et l'amant, d'après les renseignements que nous avons pu obtenir, étaient deux pédérastes; le cousin, qui avait une aversion profonde pour Mlle Jeanne, dont il était jaloux, profita de la grossesse pour brouiller le ménage; il y réussit d'autant plus facilement que notre malade ayant mangé tout son argent, ne pouvait plus entretenir .son amant. Les scènes violentes et les menaces succédèrent aux querelles, pour aboutir parfois aux coups. Enfin, les premiers jours d'octobre. Jeanne accouche d'une petite fille qu'elle garde chez elle sans la nourrir au sein) jusqu'aux derniers jours de novembre. Croyant bien faire, elle avait laissé reconnaître l'enfant par son père, en se proposant toutefois de l'élever elle-même. Mais, vers la fin du mois de novembre, la sage-femme qui l'a accouchée se présente avec une nourrice, emporte l'enfant, en disant que le père doit se présenter dans la journée pour lui donner toutes les explications nécessaires. Cependant, ni ce jour-là, ni les suivants, l'amant n'a paru, et voilà la femme complètement abandonnée. Jeanne se met à la recherche de l'infidèle qui détient son enfant; mais M. D... a déménagé, et il est impossible de retrouver sa trace. La malade se rend au bureau des nourrices, où on lui répond qu'on ignore le sort de l'enfant; même réponse chez la sage-femme. Désolée, elle court chez des amis, mais on la reçoit brutalement, et on la met à la ponte. Quand tout espoir fut

perdu, elle devint taciturne, triste, préoccupée, n'ayant de pensée que pour sa petite fille. On peut dire qu'à partir de ce moment-là, elle côtoie la folie; qu'une cause occasionnelle intervienne et elle y versera fatalement.

Sur ces entrefaites, une de ses amies, Mme A.... voulant lui procurer une distraction, lui proposa un jour d'assister à une séance d'hypnotisme donnée par un sieur L.... soi-disant médecin, (nous avons en vain cherché ses nom et adresse dans les agendas médicaux*. Mlle Jeanne accepte et le i3 décembre, à une heure de l'après-midi, elle se trouve, en compagnie de deux de ses amies, au rendez-vous fixé dans le salon de M. L..., qui se met à l'ouvrage sans tarder. Il endort notre malade en la tenant par les poignets, et en la fixant du regard. A partir de ce moment, la malade ne se rappelle plus ce qui s'est passé. Ses amies lui ont raconté que le magnétiseur lui faisait prendre toutes sortes de positions bizarres, l'obligeant à le suivre à reculons, lui faisant tourner la tète au commandement, etc.; enfin, lui faisant exécuter ces mille tours qu'on voit accomplir tous les soirs aux séances de sociétés dites scientifiques.

La séance dura trois heures et demie et ce n'est que vers cinq heures que Mlle J... quitta l'hypnotiseur, en lui promettant de revenir le plus tôt possible. A peine dehors elle se sentit, raconte-t-elle, tout étourdie, la tête lourde, avec une confusion complète dans les idées. Elle suivait machinalement les rues pour regagner son domicile, sans se rendre compte du chemin parcouru. Elle se coucha sans manger et toute habillée et croyait avoir dormi depuis quelques heures déjà d'un sommeil lourd, entrecoupé de rêves pénibles, quand elle fut réveillée par une hallucination : — « Je crus reconnaître, dit-elle, la voix de ma petite fille et je « me suis levée pour aller vers elle; je n'étais nullement effrayée, et « cependant rien que l'idée de cette chambre vide et des cris plaintifs « que j'y entendais me fait frissonner maintenant. »

Après avoir cherché partout inutilement l'enfant, elle se déshabille et se remet au lit. Au bout de quelque temps, elle entend une voix qui lui dît : " Demain, àneuf heures du matin, tu descendras au bas de l'escalier, « tu verras ta petite fille, portée par son père, passer devant la loge du « concierge, et tu la prendras avec toi. » Elle obéit ponctuellement, et la voilà, le lendemain, à peine vêtue, les cheveux épars, assise à neuf heures sur la dernière marche de l'escalier et regardant fixement la porte de la loge.

Elle était la depuis une demi-heure environ quand la concierge, frappée par son immobilité et par son attitude bizarre, lui adressa quelques mots. — « J'attends ma fille, répondit la malade ; il devait passer. « à neuf heures, la portant dans ses bras. »

La concierge, surprise, lui affirme qu'elle n'a vu personne et lui fait observer qu'il est bientôt dix heures. Mlle Jeanne jette un regard sur la pendule, monte précipitamment chez elle, puis redescend aussitôt et repart en appelant l'enfant. Elle court de nouveau chez son amant, chez

la sage-femme, et tombe finalement chez son ancienne patronne, Mme J..., qu'elle n'a pas vue depuis plus d'un mois.

Cette dame nous a raconté que Jeanne est arrivée dans un état de surexcitation extrême, en poussant des cris, se jetant sur elle et réclamant partout sa fille. Comme il lui fut répondu qu'on ne l'avait jamais vue, elle semit à parcourir le logement de Mme J..., renversant les meubles et fouillant dans les coins. Dans la chambre a coucher était placé un berceau où dormait l'enfant de Mme J... Notre malade était tellement affolée qu'elle ne le vit même pas —les rideaux du berceau étaient tirés. Mme J.., effrayée, envoie chercher un agent de police qui s'empare de la malade pour la conduire au poste. Mais, à peine dehors, Mlle Jeanne voit passer un omnibus, s'échappe des mains de l'agentetse précipite sous les roues. On n'eut que le temps de la retirer.

Elle passa la nuit a l'infirmerie du dépôt et le lendemain, 15 décembre, elle fut envoyée à Sainte-Anne et de là. le 16 à Villejuif dans le service de M. Briand, où elle arriva très calme, avec conscience parfaite de sa situation, mais sans aucun souvenir de ce .qui s'est passé l'avant-veille. — « Je veux bien croire que j'ai fait une tentative de suicide, puisque vous me l'affirmez, nous dit-elle, mais je ne m'en souviens pas du tout. »

Elle raconte l'histoire de sa vie, se plaint de ce qu'on lui a enlevé son enfant, et parait très attristée. Au bout de deux jours, elle se met au travail, rend des services dans son quartier, et écrit à sa mère pour se faire réclamer. — Son caractère, tout en ponant une empreinte de tristesse, se modifie peu à peu, il redevient doux et égal; son jugement est correct: rien de faux dans le raisonnement: pas de lamentations ni de récriminations exagérées. Cet état persistant, M. Briand juge possible de la rendre à sa mère, qui vient la chercher le 10 janvier et la ramène dans son pays.

Le grand intérêt de cette observation est d'établir l'étiologie de l'accès d'agitation et de la tentative de suicide. L'hérédité morbide de Mlle Jeanne n'est pas bien chargée : son grand-père maternel est mort à 76 ans d'une hémorrhagic cérébrale ; son père a été emporté par une maladie de foie, a l'âge de 57 ans; la mère est d'une bonne santé, mais elle a un caractère très faible, sans consistance et d'une crédulité un peu exagérée.

La malade elle-même est d'une nature nerveuse très impressionnable. A l'âge de 15 ans, à la suite d'un violent orage, elle eut une attaque d'hystérie. Depuis i5 ans jusqu'à 22, les attaques se renouvelèrent huit eu dix fois, et toujours à la suite d'une vive contrariété. Depuis l'âge de 22 ans, les attaques ont complètement disparu.

L'état puerpéral pourrait expliquer à lui seul les accidents qui ont amené la malade à l'asile. Mais la courte durée de l'accès (à peine quelques heures et l'oubli complet de ce qui s'est passé ne concordent pas avec cette interprétation : l'accès maniaque lié à la puerpéralité dure plus longtemps et ne s'accompagne pas d'une perte aussi complète du souve-

nir. Ces signes ne sont pas, il est vrai, d'une certitude absolue, et si nous croyons possible d'éliminer l'accès de folie puerpérale, c'est parce que nous trouvons ici une relation très étroite de cause à effet entre la séance d"hypnotisme et le délire consécutif.

L'état puerpéral, joint au chagrin causé par l'enlèvement de son enfant, a joué très vraisemblablement le rôle d'une cause prédisposante. mais il fallait quelque chose de plus pour faire éclater le délire : n'est-on pas en droit d'invoquer comme cause occasionnelle une séance d'hypnotisme aussi intempestive que mal combinée ?

Mlle Jeanne se trouvait dans cet état d'esprit où, toutes les facultés étant tendues vers un seul point, la volonté suffit a peine pour faire équilibre à la tension produite par une idée dominante qui, elle-même, a la plus grande tendance a se transformer en mouvement paroles, actes et impulsions). — Ne semble-t-il pas que, dans ces conditions, une séance d'hypnotisme mal dirigée, qui amoindrit la volonté, et surtout une première séance chez une prédisposée, est plus que suffisante pour rompre cet équilibre et faire éclater le délire? — M arrive souvent, en effet, dans ce genre de séances, que les sujets mal réveillés ou réveilles sous une impression pénible restent dans un état de demi-conscience qui dure plus ou moins longtemps et pendant lequel ils agissent sous la direction d'une idée qui est devenue pour eut une véritable obsession.

Rien d'étonnant, par conséquent, si chez notre malade la préoccupation de son enfant (dont magnétiseur lui a peut-étre maladroitement parlé) a provoqué, apres la séance, des hallucinations, des actes extravagants et une véritable impulsion au suicide, alors qu'au contraire des suggestions appropriées auraient pu lui faire oublier la perte de son enfant.

Nous serons heureux si cette observation contribue à prouver une fois de plus combien sont regrettables ces séances d'hypnotisme mal dirigées, comme les pratiquent, par milliers, à Paris, des personnes inhabiles et n'ayant aucune des connaissances nécessaires au maniement ce cette arme à deux tranchants qu'on appelle la suggestion. Il en est, en effet, de l'hypnotisme comme de tous les agents thérapeutiques. Bien appliqué, il constitue un puissant moyen curatif, ainsi que nous l'avons maintes fois constaté dans notre service, où M. Briand en obtient les meilleurs effets; mais il peut devenir dangereux, quand on l'emploicmal a propos. Et si, entre les mains de MM. Charcot, Bernheim, Liébeault e: d'autres encore, qui ont hypnotisé des milliers de malades, on n'a pu constater aucun accident, il n'en faudrait pas conclure que le premier venu soit apte à provoquer sans danger le sommeil hypnotique.

ÉTUDE SUR L'HYPNOTISME ET LA SUGGESTION

Présentée a la Séance de la Société de Médecine de Salonique Par M. le Dr RIFAT

La communication de M. Lébovich sur les applications de la suggestion à la thérapeutique me fournit l'occasion de vous entretenir sur ce sujet, que j'ai depuis quelque temps étudié avec persévérance et sur lequel je crois pouvoir émettre quelques idées nouvelles.

C'est à Bernheim (de Nancy) que revient l'honneur d'avoir donné à la suggestion et à l'hypnotisme une assise vraiment scientifique. Presque en même temps que lui, l'école de Charcot, à Paris, étudiait l'hypnotisme au point de vue thérapeutique, et c'est à elle qu'on doit la description classique de l'état hypnotique divisé en trois périodes bien connues : catalepsie, somnambulisme et léthargie ; selon cette école, tout hypnotique doit passer par ces phases différentes qui peuvent être plus ou moins accentuées, selon les cas, mais qui doivent toujours exister. Bernheim n'admet pas cette loi, qu'il considère comme artificielle, et il l'explique par la circonstance que les malades de la Salpêtrière de Paris, étant toutes des hystériques, ont reçu une espèce d'éducation expérimentale qui leur fait reproduire toujours les différentes phases de l'hypnotisme, selon un type convenu; il n'en serait pas de même si l'on opère dans d'autres milieux. D'après mes observations personnelles, les objections de Bernheim ne sont pas fondées et les trois phases de Charcot existent réellement ; mais, pour moi. elles ne sont pas des caractéristiques de l'hypnotisme et se retrouvent dans toute espèce de sommeil, qu'elle qu'en soit la cause. Les différentes phases de l'hypnotisme ne constituent, selon moi, que les manifestations d'un sommeil plus ou moins profond. Considérons en effet ce qui arrive pendant l'administration du chloroforme : l'individu commence par avoir de la rigidité dans les muscles du cou et des membres, sa respiration est entrecoupée, etc. ; nous avons là, en un mot, de la catalepsie. Continuons à administrer le remède et nous verrons le malade s'agiter, sa face devient vul-tueuse, il vous parle des choses les plus extraordinaires ; bref, il a du délire, il est en plein somnambulisme. Administrons encore quelques doses, et nous aurons la résolution musculaire, en d'autres mots, la léthargie. Les trois phases de l'hypnotisme, telles que les a décrites l'école de Paris, ne sont donc pas exclusives ni caractéristiques de cet état particulier, mais on les voit dans toute autre espèce de sommeil provoqué artificiellement, et j'ajouterai que certainement on pourrait les constater même dans le sommeil naturel. Catalepsie, somnambulisme, léthargie ne corres-

pondent donc, selon moi, qu'à un degré de sommeil plus ou moins profond. Chloroformisons une femme en travail par le procédé à la Reine, et nous la maintiendrons constamment à la période de somnambulisme, sans arriver à celle de léthargie ; de même, dans le sommeil hypnotique, nous pouvons nous arrêter à telle ou telle phase, ou passer rapidement de l'une à l'autre, en endormant plus ou moins profondement le malade selon des procédés particuliers.

Cette façon d'expliquer les différentes phases de l'hypnotisme par le degré plus ou moins profond du sommeil, est tellement vraie, que j'ai pu en acquérir la preuve dans le fait suivant : on admet en général que pendant l'hypnotisme, la conscience est abolie ; oui, la conscience est effectivement abolie si le sommeil est profond, mais si le sujet ne dort pas profondément, comme cela arrive dans la période de catalepsie, alors la conscience n'est pas abolie et le malade, en se réveillant, se rappelle tout ce qui lui est arrivé. Enfin, on peut avoir une autre preuve du lait que j'avance dans l'expérience suivante: Preyert a observé qu'on peut parfaitement hypnotiser les grenouilles par un procédé particulier : si on presse une grenouille entre le pouce appliqué sur le ventre et les quatre doigts appliqués sur le dos, elle s'endort. J'ai remarqué que, en examinant une grenouille ainsi endormie, elle a les membres légèrement contracturés, elle est, en un mot, en catalepsie; or, si l'on parvient par un procédé quelconque à l'endormir plus profondément, on transforme cet état en léthargie, et voilà com-ment : on presse avec l'autre main sur la mâchoire inférieure de l'animal, de façon à faire sortir les yeux hors de l'orbite, et immédiatement tous les muscles contractures se relâchent.

Une autre divergence de vues entre l'école de Paris et celle de Nancy est relative à !a vertu thérapeutique de l'hypnotisme ; pour Charcot, l'hypnotisme est à lui seul un puissant moyen curatif : pour Bernheim, l'hypnotisme n'est rien sans la suggestion, il constitue un moyen de faciliter la suggestion, de la rendre plus aisément acceptable par les malades, mais l'hypnotisme, en tant qu'hypnotisme non accompagné de suggestion, ne produit absolument aucun effet curatif.

On a opposé à cette manière de voir une foule d'observations, dont les plus remarquables sont celles de Voisin, qui, n'ayant obtenu aucun effet chez certains malades par la suggestion hypnotique, eut l'idée de s'adresser à l'hypnotisme pur et simple ; il faisait endormir ses malades par la fixation du regard et les laissait dormir pendant un temps plus ou moins long, au bout duquel il les réveillait complètement guéris. Chez des malades endormis par cette méthode, on a pu. par la mêtallothérapie, obtenir le phénomène du transfert, ce qui n'est pas imputable à une suggestion.

A ces faits. M. Bernheim réplique qu'il se fait chez ces malades

une auto-suggestion ; convaincus en quelque sorte que les manœuvres du médecin ont pour but leur guérison, ils finissent par guérir sans que l'idée de la guérison leur soit suggérée par un tiers. Il est impossible de démontrer d'une façon directe que M. Bern-heim a tort; cependant, j'ai vu guérir radicalement par l'hypnotisme continue pendant dix jours, sans le secours d'aucune suggestion, des vomissements incoercibles qui avaient résisté à tous les autres moyens.

Mais ce n'est pas tout. Je crois pouvoir être en mesure de démontrer, et c'est là le but principal de ma communication, qu'on peut obtenir les mêmes effets par le sommeil prolongé, provoqué par un narcotique quelconque. Je possède trois observations de phénomènes [hystériques variés, gastralgie, contractures, etc., guéris par le sommeil prolongé obtenu à l'aide du chloral.

Il résulte de ces observations, d'une façon évidente, que le sommeil, de par lui seul, est capable d'amener la guérison de certaines affections nerveuses et de plus, qu'à ce point de vue du moins, il n'y a aucune différence entre le sommeil provoqué par l'hypnotisme et le sommeil provoqué par le chloral ; je démontrerai plus tard que c'est la même chose pour l'opium, le chloroforme et pour tout autre narcotique; mais en attendant, je m'empresse de tirer une conclusion. Les applications thérapeutiques de l'hypnotisme sont, on le sait, très restreintes, parce que tout le monde n'est pas hypnotisable. On s'est même évertué à trouver un moyen sûr pour tâter la sensibilité hypnotique d'un individu quelconque. D'après Ochorovicz, il y aurait une relation entre la sensibilité hypnotique et la faculté d'être influencé par l'aimant (hypnoscope) ; d'après Burg, ce serait le cuivre qui indique la sensibilité à l'hypnose et l'aimant l'incompatibilité. Quoi qu'il en soit, ils se trouvent d'accord pour déclarer que sur 100 personnes, il y en a 50 hyp-notisables. 15 somnambules, 4 ou 5 suggestibles à l'état de veille. Cette proportion doit être, d'après les faits que je vous ai cités, beaucoup plus considérable ; le sujet de l'une de mes observations,

que je n'ai pas pu hypnotiser par les procédés usuels, est tombé dans un état tout à (ait semblable à l'hypnotisme, à la suite de l'administration prolongée du chloral, et elle est sortie de son sommeil complètement guérie; or, comme il y a très peu de personnes capables de résister à l'action du chloral ou ae tout autre narcotique, j'en conclus que la proportion des personnes hypno-tisables doit être au moins de 90 0/0.

Je vais plus loin encore et je crois que tous les phénomènes attribués à l'hypnotisme se retrouvent identiquemeat dans le sommeil naturel. Si nous nous approchons doucement d'un individu qui dort profondément et lui disons : « Ecoute, ne te réveille pas, réponds-moi », il répondra parfaitement bien à toutes les demandes que nous lui ferons, sans se ressouvenir de rien à son

réveil. Naturellement, cette expérience est très difficile à réussir, parce que la grande majorité des personnes se réveillent au moment où nous commençons à parler, mais si on a la chance de tomber sur un de ces individus à sommeil excessivement lourd, les choses se passent comme je l'ai dit et. dans ces conditions, on peut môme arriver à faire de la suggestion; Je démontrerai cela un peu plus tard ; je poursuis maintenant par d'autres arguments la démonstration de la similitude complète entre le sommeil nerveux ou hypnotisme, le sommeil narcotique ou toxique et le sommeil naturel.

Il y a déjà 15 ans que Lasègue a dogmatiquement établi les différences qui se passent entre le sommeil nerveux et le sommeil naturel, et ses conclusions sont encore aujourd'hui admises par tout le monde. Examinons-les de près :

D'après Lasègue :

1. Le sommeil naturel repose : le sommeil nerveux ne repose pas.

Dans une cinquantaine d'observations, je trouve une dizaine d'individus qui ont dormi soit par les procédés hypnotiques, soit par les narcotiques 10 jours de suite, et qui se sont réveillés calmes et dispos comme s'ils avaient dormi le plus naturellement du monde; quelques uns avaient même engraissé.

2. Dans le sommeil nerveux, il y a toujours un certain degré de rigidité musculaire.

Cela dépend, comme je l'ai dit, du degré du sommeil, parce que si le sujet s'endort plus profondément, il y a au contraire relâchement (période de léthargie). D'autre part, si nous parvenons à nous approcher d'un individu qui dort naturellement et a lui tirer doucement la jambe sans le réveiller, nous nous apercevons que ses muscles sont en état de contraction.

3. Dans le.sommeil nerveux, rien ne réveille, excepté le souffle.

Ceci est question d'éducation : comme on peut endormir par plusieurs procédés, on peut de même réveiller de différentes manières les sujets endormis. J'ai un malade, nommé Sélim. qui, à la suite d'une vive émotion, est devenu paraplégique ; il est en même temps affecté de bégayement qui disparaît pendant le sommeil hyp-notique, avec cette particularité que le bégayement persiste amoindri lorsque le sommeil est encore peu profond (somnambulisme). Cet individu, qui était au commencement très rebelle a l'hypnotisation, s'endort maintenant très facilement au simple ordre : Dormez ! et il se réveille de même, lorsque je lui dis : Réveillez-vous !

4. Dans le sommeil nerveux, on peut fixer la durée du sommeil ; on ne le peut pas dans le sommeil naturel.

J'affirme qu'on le peut certainement dans le sommeil narcotique, et voilà un fait à l'appui de cette assertion : Chefika Hanoum est

en proie à des vomissements incoercibles; je l'endors par le chloral, en lui disant qu'elle dormira 10 heures; elle dort en effet pendant 10 heures précises et, pendant la narcose, ne vomit pas.

J. On croit que durant le sommeil nerveux on ne peut pas se réveiller spontanément, et que l'intervention de l'hypnotiseur soit indispensable.

J'ai constaté qu'un excès de douleur peut interrompre le sommeil hypnotique. En outre, la femme de l'observation précédente, gui à la première expérience n'avait pas cesse de vomir, se réveillait au moment du vomissement, elle en avait conscience et se le rappelait le matin à son réveil.

6. 11 y aurait une autre différence entre le sommeil nerveux et le sommeil naturel : on peut suggestionner dans le premier, on ne le peut pas dans le second. J'ai dans mes notes plusieurs observations qui prouvent qu'on peut faire de la suggestion, et avec succès, soit dans le sommeil narcotique, soit dans le somnambulisme naturel. Les sujets hystériques narcotisés par le chloral, la morphine ou le chloroforme ont parfaitement obéi aux suggestions qui leur ont été faites pendant leur sommeil, et dans deux cas de somnambulisme naturel la suggestion a eu un plein succès.

Je suis convaincu qu'on pourrait obtenir la même chose dans le sommeil vulgaire si l'on pouvait parler au sujet sans le réveiller, et le faire répondre, et j'insiste sur ces derniers mots, car pour que la suggestion réussisse même dans l'hypnotisme, il faut que le sujet accepte la suggestion, et qu'il le déclare nettement: autrement, la suggestion n'a aucun effet.

Voilà les faits ; voyons maintenant comment on peut les accorder avec la théorie. Physiologiquement, qu'est-ce que l'hypnotisme? Avant de répondre, je veux faire une comparaison qui rendra-la définition plus claire. Si dans un cas de névralgie sciatique nous faisons une injection profonde de chloroforme, ou de nitrate d'argent ou de teinture d'iode et nous obtenons la cessation de la douleur, croyons-nous avoir produit une action calmante sur le nerf lui-même? Non. certainement. Dans ce cas, on a une double action : l'une locale, sur le nerf, qui est une hyperexcitation, puisqu'on peut constater qu'il y a augmentation de la sensibilité neuro-musculaire, et l'autre centrale, sur le cerveau, qui consiste en ce que Brown-Séquard a appelé un acte d'inhibition; c'est à ce dernier qu'on doit la cessation de la douleur. De même dans l'hypnotisme on a une excitation réflexe sur le système spinal, et un acte d'inhibition sur le cerveau, inhibition qui consiste en une inertie de la coordination volontaire. La suggestibilité n'est donc pas due. comme quelques-uns l'ont cru, à une exagération de la réceptivité cérébrale; la suggestion est possible seulement lorsque, par le mécanisme de l'inhibition tel que nous l'avons décrit tout à l'heure, il y a inertie de la coordination volontaire.

Or il est évident que la cause qui amène cet état particulier du cerveau est complètement indifférente, que ce soit l'hypnotisme provoqué par la fixation du regard ou par tout autre procédé que j'appellerai moral, que ce soit l'hypnotisme provoqué par les narcotiques, que ce soit l'hypnotisme amené par la fatigue musculaire; il suffit qu'il y ait acte d'inhibition supprimant ou engourdissant la volonté, et la suggestion sera possible. à telle preuve que dans certaines conditions particulières on peut faire de la suggestion môme à l'état de veille.

Je suis même convaincu que l'accès de la grande hystérie n'est lui-même qu'une variété d'hypnotisme; je n'en ai d'autre preuve qu'un seul cas, celui d'une hystérique qui, pendant la période som-nambulique de son attaque, m'ayant entendu dire à son entourage que cet état pouvait durer jusqu'à 40 jours, s'est laissé suggestionner par mes paroles, et est restée pendant 40 jours en état de somnambulisme; mais un seul fait ne suffit pas pour résoudre une question si importante, et que je laisse pour le moment de côté pour revenir à celle de l'hypnotisme.

Bernheim dit que tous les entants sont hypnotisables : eh bien ! ce sont précisément les enfants qui ressentent plus facilement l'action du chloroforme et des narcotiques en général.

J'ai cité les expériences de Preyert sur les grenouilles, et j'ai dit comment on peut les endormir plus ou moins profondément et les mettre tantôt en catalepsie, tantôt en léthargie : on peut obtenir les mêmes effets par la morphine. Si on en injecte 1/2 centigramme à une grerouille, elle s'endort en catalepsie; si on lui injecte un centigramme, elle tombe en léthargie.

Vous savez qu'il y a des gens qui font métier d'être charmeurs de serpents; le procédé qu'ils emploient est bien simple : ils pressent fortement avec deux doigts, près de la tête de l'animal, et il s'endort immédiatement: j'en ai fait l'expérience moi-même et j'ai parfaitement réussi. De tous les faits exposés, je crois pouvoir tirer les conclusions suivantes :

CONCLUSIONS

I. L'hypnotisme ne consiste qu'en un acte d'inhibition qui amène la suporession ou l'inertie de la coordination volontaire.

2. Quelle que soit la cause qui amène cet état particulier du cerveau, on peut voir se dérouler les mêmes phénomènes exclusivement attribués jusqu'ici au sommeil nerveux: en conséquence :

Sommeil nerveux, sommeil narcotique, sommeil naturel, sont identiquement la même chose.

REVUE DE LA PRESSE

Un ces curieux d'hystérie; sensibilité des téguments au contact de l'or, — leçon de M. le professeur Peter (Gazette des Hôpitaux du 6 mars :886).

Le jour même où l'Académie de médecine entendait la lecture du rapport de M. Dujardin-Beaumetz dont les conclusions condamnent les expériences de M. Luys, la Galette des Hôpitaux publiait un cours de M. le professeur Peter où se trouvent relatés des faits qui justifient, dans une certaine mesure. la croyance à la possibilité de l'action des médicaments a distance:

Je vais vous parler aujourd'hui d'un malade intéressant sous plus d'un point de vue, a dit M. Peter. Il s'agît d'un hystérique, d'un hystérique homme et d'un hystérique historique, car il a servi de point de départ à la théorie de la suggestion médicamenteuse, ayant servi aux expériences entreprises par deux médecins de Rochefort, sur l'action des médicaments à distance. Non seulement cet homme est un sujet historique, mais aussi un misérable.

Voici, d'ailleurs, pour vous donner un échantillon de ce qu'il est. voici, dis-je, ce qu'il a fait dans mon service ces jours derniers : il a écrit au directeur général de l'Assistance publique pour lui dénoncer la première infirmière de mon service, comme empoisonneuse, comme avant déterminé volontairement la mort d'un malade de ma salle d'hommes, un hystérique également, auquel elle aurait donné vingt-deux gouttes d'acide nitrique dans sa tisane, ainsi qu'une dose énorme de laudanum, et qui aurait succombé.

Ce qui est vrai, c'est que cet homme est mort en effet, mais, ainsi que l'autopsie l'a démontré, il a succombé à la fièvre typhoïde; et l'accusation d'empoisonnement n'a été qu'une infâme calomnie.

Ce fait vous prouve donc encore une fois, cela soit dit en passant, que chez tout hystérique il ne faut accepter les dires que sous bénéfice d'inventaire; qu'il faut toujours songer à la possibilité d'un mensonge, souvent aussi à des actes de malfaisance; par suite, il faut toujours se tenir en garde contre leurs assertions, ou leur tendance constante a mentir et à simuler.

Donc, chez mon malade, ce qui est encore vrai, c'est qu'il est un sujet historique.

Cet homme est entre à l'hôpital, il y a quatre mois environ, et il est entré avec de la contracture dans tout le côté droit. Si, pendant son séjour ici, celle-ci s'est améliorée, cependant, à l'heure actuelle, elle n'a pas complètement disparu, et notre malade marche en boitant, et par faiblesse, et par une légère contracture qui persiste encore dans tout le côté droit et principalement dans le membre inférieur.

De plus, fait curieux encore, sa peau est d'une extrême sensibilité.'au contact de certains métaux, et malgré l'extrême réserve avec laquelle j'accueille en général des faits de cette narre, cependant je dois ici me rendre a l'évidence. Voulant un jour étudier l'action du contact de l'or sur sa peau, je lui ai, avec ma main gauche dont l'un des doigts porte une bague en or, touché la main sans qu'il y prit garde. La sensation dudit anneau fut douloureuse, d'après ce qu'il prétendit; en tous cas, le lendemain matin, je constatais sur le dos de sa main une ampoule de brûlure au deuxième degré, présentant la forme et les dimensions de la partie de l'anneau qui avait été en contact avec la région dorsale de la main. La cicatrisation de la petite plaie qui en fut la suite ne s'est faite qu'au bout d'un très long temps.

L'expérience terminée, je lui demandai si des métaux avaient réellement une action sur ses téguments et il me répondit qu'il ne pouvait toucher la moindre pièce d'or ou le moindre objet en or sans qu'ils le brûlassent vivement. Dernièrement cet homme tombe sur le sol. la surveillante cherche a le relever, mais, dans les efforts qu'elle fait dans ce but. sa chaîne en or vient à toucher un des doigts de ce malade et celui-ci se plaint immédiatement d'une sensation douloureuse, d'une sensation de brûlure.

Ces diverses brûlures existent réellement, elles ne sont nullement douteuses, mais sont-elles bien produites par le contact au métal?

Cet homme, simulateur forcené, ne se les serait-il pas faites avec une allumette?

Désireux de résoudre le problème, nous avons fait l'expérience suivante : M. le docteur Caron, chef de mon laboratoire, a percuté le dos de cet homme, principalement dans les points qu'avec la main, restée libre, il ne pouvait parvenir a toucher, même avec une allumette enflammée. Nous avons tous constaté l'existence de brûlures au second degré, partout où l'anneau de M. Caron avait été en contact avec la peau.

La contre-expérience a été faite par M. Martinet, mon chef de clinique, avec un porte-mine en simili-or, c'est-à-dire avec un objet en métal ne contenant pas d'or : le contact n'a rien produit, ni douleur, ni brûlure.

Voilà donc, cher cet homme, un fait absolument acquis, absolument incontestable : la sensibilité de ses téguments au contact de l'or.

Poursuivant nos recherches, nous avons voulu étudier sur lui l'influence des médicaments 3 distance, et nous avons constaté un fait également curieux, quoiqu'il soit moins accentué. Ainsi, à l'insu du malade, dont l'attention était attirée d'un tout autre côte, nous avons tenu à dix centimètres environ de la nuque un tube enveloppé de papier et dont nous ignorions le contenu. Et dix minutes à peine s'étaient écoulées que la figure de cet homme se couvrait de sueurs profuses en même temps qu'il éprouvait quelques nausées, suivies bientôt du rejet d'une gorgée de liquide. Or, quelle était la substance médicamenteuse renier-

mec dans ledit tube, à l'insu du malade et a notre propre insu aussi? — De l'ipécacuarha ! C'est la seule expérience de l'action des médicaments à distance qui ait réussi chez cet homme, car l'alcool, non plus que l'opium, n'ont rien produit.

Cet homme est un hystérique, et, comme tous les hystériques, il a. de par son hystérie même, la tendance à exagérer toutes choses, a être un menteur, un malfaiteur.

De là. la nécessité de s'en méfier; il ne faut pas être crédule, mais examiner les faits avec la réserve de l'incrédulité, tout en sachant se rendre de bonne foi à l'évidence. C'est ce que j'ai fait ici, vous exposant les faits que j'ai constatés, et leur existence absolument incontestable.

L'hypnotisme, et la suggestion en obstétrique, par les Drs Auvard, accoucheur des hôpitaux, et Secheyron, ancien interne des hôpitaux. Archives de Tocologie, janvier, février, mars 1888.)

MM. Auvard et Secheyron ont basé leur important mémoire sur huit observations détaillées, dans lesquelles un degré quelconque d'hypnotisme a pu coïncider avec l'accouchement. Nos distingues confrères ont pu dégager de leur consciencieuse étude les conclusions suivantes, qu'il importe d'enregistrer:

« 1° L'hypnotisme est susceptible d'être provoqué pendant l'accouchement, mais d'habitude avec plus de difficulté qu'à l'état normal.

» 2° Pendant le travail, l'hypnotisme peut vraisemblablement exister sous toutes ses formes: catalepsie, léthargie, somnambulisme; toutefois, nous n'avons pas trouvé d'observation de catalepsie qui ait été nettement signalée.

» 3° L'avantage de l'hypnotisation pendant l'accouchement est d'amener l'anesthésie. La suppression de la douleur pourra être obtenue soit par simple léthargie, soit par le somnambulisme avec ou sans suggestion.

» 4° L'insensibilité est loin d'être le résultat constant de l'hypnose provoquée pendant la parturition. A côté des cas où le succès a été complet ou a peu près, il y en a d'autres où on a totalement échoué et d'autres enfin où le succès a été partiel.

» 5° Les insuccès sont dus, soit à ce que la suggestion est mal ou incomplètement acceptée, ou à ce que la douleur utérine fait passer soit de l'état léthargique ou de l'état somnambulique â l'état de veille. En d'autres termes, la contraction utérine douloureuse est une cause continuelle de réveil, contre laquelle ne peuvent efficacement lutter les moyens qu'on emploie d'habitude pour provoquer l'hypnotisme. Dans cette lutte entre l'utérus et l'hypnotiseur, la victoire reste souvent à l'utérus, surtout pendant la période d'expulsion.

» 6° Certaines femmes accouchant en souffrant dans l'état second ne se rappellent plus leurs douleurs dans l'état premier : on peut conclure à tort de cette absence de mémoire au succès de l'hypnotisme comme anesthésique.

» 7° L'hypnotisme ne paraît pas avoir d'influence nette sur la marche du travail, si ce n'est peut-être un certain ralentissement dans les contractions utérines.

» 8° L'hypnotisme n'étant qu'un anesthésique inconstant, incomplet d'habitude et dont nous avons montré les inconvénients dans notre étude médico-légale, comme d'autre part on possède dans le chloroforme, le chloral. des moyens bien plus sûrs, on ne peut conseiller son emploi dans la pratique obstétricale qu'à titre tout à fait exceptionnel.

» 9° Cependant, sans entraînement préalable (cas relativement très rares chez les sujets très facilement hypnotisables), il nous semble qu'on pourra, sans grand inconvénient, provoquer le somnambulisme ou même la léthargie pendant la dilatation du col ; mais, pendant la période d'expulsion, on laissera l'hypnotisme de côté et la parturiente, ramenée a son état normal, sera soumise, s'il y a lieu, aux anesthésiques ordinaires, au chloroforme par exemple, donné a dose obstétricale.

» 10° A côté de l'hypnotisme véritable, il y a la suggestion à l'état de veille, l'emploi du pseudo-chloroforme ou autres moyens semblables qui. chez les esprits facilement impressionnables, pourront atténuer les douleurs. L'emploi de cette méthode est à conseiller, car ses inconvénients sont nuls et ses avantages souvent réels. »

SOCIÉTÉS SAVANTES

ACADÉMIE DE MÉDECINE

Séance du 6 mars. — Présidence de M. Hérard.

De la sollicitation expérimentale des phénomènes émotifs chez les sujets en état d'hypnotisme.

M. Dujardin-Beaumetz donne lecture du rapport de la commission nommée à reflet de suivre les expériences communiquées à l'Académie par le docteur Luys, dans la séance du 3o août 1887.

Le premier soin de la commission, dit M. Dujardin-Beaumetz, fut de fixer les limites de ses recherches et de ses travaux. Elle décida qu'elle ne s'occuperait exclusivement que des expériences faites par notre collègue et voici le programme qu'elle institua :

Dans une première séance, M. Luys reproduirait ses expériences telles qu'il

avait l'habitude de les faire, puis, dans des séances ultérieures, notre collègue renouvellerait ces mêmes expériences, mais alors avec un dispositif spécial dont la commission fixa exactement les bases. Il fut en outre décidé que la préparation des substances médicamenteuses employées serait confiée à une personne étrangère à la commission. Cette personne remit donc à la commission seize tubes; dix de ces tubes renfermaient chacun 10 gr. d'une solution médicamenteuse. Ces tubes, semblables à ceux dont se sert M. Luys, étaient absolument identiques entre eux et cela à ce point que l'œil même le plus exercé n'y pouvait trouver de différence.

Six autres tubes renfermaient des substances à l'état de poudre; ils étaient enveloppés de papier blanc adhérant aux parois du verre.

Des numéros d'ordre étaient appliqués sur chacun de ces tubes et des plis cachetés, reproduisant ces numéros, permettaient de connaître à un moment donné leur contenu.

Un tube vide identique, quant a l'extérieur, aux précédents, fut joint aux seize tubes dont je viens de parler.

Il me reste maintenant à dire comment la commission entendait diriger se recherches.

M. Luys choisirait le sujet qu'il croirait le plus apte à reproduire devant la commission les effets qu'il avait observés et il placerait ce sujet dans les conditions les plus favorables pour mener à bien de pareilles expériences: puis notre collègue utiliserait, en les choisissant au hasard, les tubes dont je viens de parier. On noterait avec grand soin, dans des procès-verbaux acceptés par M. Luys et les membres de la commission, les différents symptômes qui se produiraient sous 1'influence de chacun de ces tubes.

Comme dans sa communication M. Luys affirmait qu'il avait obtenu avec les mêmes substances médicamenteuses des résultats sensiblement similaires, la commission décida en outre que l'on changerait quelques-uns des numéros des tubes contenant des solutions médicamenteuses, et que l'on expérimenterait à nouveau ces tubes ainsi modifiés. Un pli cacheté devait contenir la transposition des numéros ainsi opérée. Puis, lorsque la commission se reconnaîtrait suffisamment édifiée, elle procéderait à l'ouverture des plis cachetés, et comparerait entre elles les observations contenues dans les procès-verbaux. Ce programme expérimental fut scrupuleusement suivi, et il me reste maintenant à en faire connaître le résultat à l'Académie.

C'est dans la période léthargique de l'hypnotisme que, suivant M. Luys. se produirait l'action des médicaments placés à distance.

Dans une première séance, M. Luys se servit de tubes dont il a fait usage dans ses recherches antérieures; la plupart portent une étiquette sur laquelle est inscrit le nom du médicament.

Une fois le malade dans la période léthargique, M. Luys prend Un de ces tubes ce le place d'abord sur le côté gauche du cou, puis sur le côté droit; il le présente ensuite, à distance cette fois, devant les différents organes des . sens et il termine en plaçant le tube, toujours à distance, en avant du cou.

Les phénomènes émotifs ou autres se produisent presque immédiatement après l'application des tubes.

Dans cette première séance, la commission vit se reproduire sous ses yeux les principaux phénomènes que M. Luys a décrits dans sa communication.

Trois autres séances furent consacrées à l'examen des différents tubes pré-

parés spécialement pour la commission; la marche adoptée dans chacune d'elles fut identique a celle que M. Luys avait suivie dans la première séance, et le sujet en expérience fut toujours le même.

Ce qui frappa surtout la commission dans cette nouvelle série de recherches et avant l'ouverture des plis cachetés, ce furent les points suivants : d'abord la similitude des phénomènes observés, quel que fût le tube dont on se servir, ce qui paraît résulter de la symptomatologie très limitée provoquée par les tube» mis en expérience.

Un autre point tout aussi important avait frappé la commission : c'est l'action du tube vide. Cette action est des plus marquées et des plus énergiques, et même plus intense qu'avec la plupart des tubes contenant des solutions médicamenteuses.

En effet, si l'on se reporte à la relation des phénomènes provoqués par ce tube vide, on voit que placé à gauche il produisit de la contracture de tout le côté gauche, puis une contracture généralisée à tout le corps, que mis devant les yeux, il provoqua une terreur invincible et telle que la malade se recula très vivement en repoussant vivement le fauteuil sur lequel elle était assise.

Ces mêmes phénomènes se reproduisirent avec plus d'intensité, lorsque le tube fut placé sur la partie latérale droite du cou. Enfin, ce même tube vide, présente au devant du cou, provoqua le gonflement du corps thyroïde, la congestion de la face, de l'apnée et du cornage.

M. Luys est porté i attribuer ces phénomènes si accusés à l'éclat du verre mis en expérience.

La commission croit devoir faire remarquer toutefois que les tubes contenant des solutions médicamenteuses avaient un éclat au moins égal, sinon supérieur, a celui du tube vide.

Quand la commission eut ainsi suivi les expériences faites par M. Luys avec ces différents tubes, elle procéda à l'ouverture des plis cachetés.

Elle constata alors qu'aucune relation ne paraissait exister entre les symptômes manifestés et le tube mis en expérience.

Les effets produits par les tubes renfermant des poudres sont tout aussi incertains et tout aussi incoordonnés, et les manifestations ne sont nullement en rapport avec la substance mise en expérience.

Mais ce qui montre encore mieux l'étrange mobilité et l'extrême incertitude des phénomènes produits par les substances médicamenteuses placées à distance, c'est que la même substance amène chez le même sujet des phénomènes absolument différents.

Dans les dix tubes renfermant des solutions, il s'en trouvait trois qui renfermaient de l'eau distillée, et si l'on se reporte aux procès-verbaux des séances, on voit que ces trois tubes ont produit des effets dissemblables.

Enfin, pour donner plus de poids a cette démonstration, la commission a pu constater que le même médicament expérimenté à huit ou quinze jours d'intervalle a produit des effets dissemblables.

C'est ainsi que les tubes n° 3 et n° 6 renfermant, le premier de l'eau distillée de laurier-cerise, le deuxième du sulfate d'atropine, ont été expérimentés deux fois sous des numéros différents.

Je ne pousserai pas plus loin cette démonstration, persuadé que l'Académie est suffisamment éclairée par l'exposition que je viens de faire des différents faits qui se sont passés sous les yeux de la commission.

Fidèle à la tâche qui lui avait été confiée, la commission a pensé que sa mission était ici terminée et que. tout en reconnaissant l'extrême bonne foi de M. Luys, il lui suffisait d'avoir montré que les effets produits par des médicaments placés a distance chez des sujets hypnotisables, paraissaient dépendre plus des caprices de la fantaisie et du souvenir du sujet mis en expérience que des substances médicamenteuses renfermées dans les tubes employés dans ce cas.

Aussi a-t-elle adopté, 1 l'unanimité, la conclusion suivante : « La commission, nommée par l'Académie de médecine pour examiner les faits avancés par M. Luys, dans la séance du 30 août 1887, au sujet de l'action des médicaments à distance sur les sujets hypnotisables. émet l'avis qu'aucun des effets constatés par la commission n'est en rapport avec la nature des substances mises en expérience et que, par conséquent, ni la thérapeutique ni la médecine légale n'ont à tenir compte de pareils effets. »

Séance du 17 mars.

A propos du procès-verbal, M. Luys présente les observations qui suivent :

« Il y a dans le rapport de M. Dujardin-Beaumetz, lu i la dernière séance, une omission que je serais bien aise de voir réparer : il s'agit de l'action du tube vide sur les sujets hypnotisés.

» Lorsque la commission s'est réunie, elle avait la suspicion qu'un tube de verre vide pouvait produire aussi des convulsions, mais j'avais déjà signalé ce fait qu'elle n'a fait que vérifier; j'avais aussi écrit que c'était à l'action de la lumière qu'étaient dues ces manifestations, les sujets étant très sensibles aux agents extérieurs : lumière, électricité, magnétisme, etc.

» Le tube de verre vide agit comme corps brillant, réfléchissant et réfractant la lumière et il devient ainsi un foyer d'irradiations lumineuses pour la peau du sujet. De là des réactions, de là des convulsions locales et généralisées qui se révèlent à la suite.

Pour démontrer ce fait, j'ai donné à la commission une démonstration peremptoire de ce que j'avance, en présentant au sujet en expérience un tube de verre noirci, Le tube, demeuré en place pendant deux minutes, n'a donné lieu à aucune réaction.»

ACADÉMIE DE MÉDECINE DE BELGIQUE

Séance du 38 janvier 1888. — Présidence de M. Depaire

La réglementation de l'hypnotisme.

M. Rommelaere dépose la proposition suivante, sous forme de motion d'ordre :

« L'Académie royale de médecine de Belgique, considérant que la pratique vulgarisée de l'hypnotisme entraine souvent des accidents graves à sa suite chez les sujets et chez les assistants,

» Considérant que les représentations de cet ordre sont la provocation publique d'un étal morbide grave,

» Appelle l'attention du gouvernement sur la nécessite de mettre un terme aux abus qui résultent de cette pratique. »

M. le Secrétaire expose comment il a été amené à faire sa proposition. Dans la séance de la Chambre des représentants du a 5 janvier courant, le lendemain du jour où M. le Dr Thiriar, membre de cette assemblée, a signalé certains faits relatifs a l'hypnotisme, M. Le Jeune, ministre de la justice, a répondu en ces termes :

« Je savais que-l'Académie de médecine de Belgique était saisie de la question et qu elle aurait à se prononcer dans un délai rapproché.

» J'ai cru utile d'attendre qu'elle ait fait connaître son opinion relativement à ces phénomènes, pour que nous ne restions pas en présence des doutes que l'on doit concevoir, quand on regarde en arriére et que l'on constate que les phénomènes dont l'honorable membre a parlé hier sont décrits dans les ouvrages de certains médecins qui datent de soixante ans et qu'on en trouve les traces dans les arrêts de l'époque.

M. Rommeiaere constate que l'Académie n'a pas été saisie de la question, aucune communication à ce sujet ne lui ayant été faite, ni par le gouvernement, ni par une personne quelconque.

Il fait ensuite remarquer qu'il résulte des paroles de M. le Ministre qu'il entre dans les intentions du gouvernement de voir l'Académie s'occuper de la question, puisqu'il croit qu'elle en est saisie.

Dans ces conditions, M. le Secrétaire propose de nommer une commission chargée d'examiner cette question et de faire un rapport dans la prochaine séance.

La proposition de M. Rommelaere, appuyée par M. Masoin, est prise en considération, puis adoptée.

Elle est renvoyée à une commission de cinq membres à désigner par le bureau.

Sont désignés pour en faire partie : MM. Boddaert, Crocq, Masoin, membres titulaires; MM. Heger et Semai, correspondants. Ces membres sont

invités à déposer leur rapport dans la prochaine séance.

VARIÉTÉS

L'HYSTÉRIQUE

Par le Collineau (Suite)

De ce que, chez l'un comme chez l'autre sexe, les désordres que l'hystérie fomente ont coutume d'éclater à l'âge de la puberté, il ne s'ensuit pas que l'enfance soît complètement a l'abri de leurs atteintes. Briquet en relate 87 cas. Plusieurs auteurs, en ces derniers temps, ont à nouveau insisté sur le fait. Du résumé qu'il donne de leurs travaux et de son enquête personnelle, Peugniez conclut à la fréquence relative de la névrose dans le jeune âge et note qu'alors les caractères qui la distinguent sont la perversion inopinée des facultés affectives et une propension marquée à l'epidémicité.

Le rôle que joue l'hérédité sur la propagation des dégénérescences et maladies nerveuses de toute sorte esi prépondérant.

Sans élargir outre mesure le cadre, comme on pourrait le reprocher à Georget, il est permis d'affirmer que l'influence héréditaire se manifeste en toute évidence dans les circonstances que voici : l'hystérie engendre l'hystérie, et ce. dans la proportion formidable de 5o pour too. L'épi-lepsie. celle du père notamment, y prédispose singulièrement les filles. L'aliénation mentale de l'un des ascendants est pour la lignée un précédent des plus fâcheux. Toutefois, s'il est indiscutable que l'épilepsie soit un facteur d'hystérie moins puissant que l'hystérie même, l'aliénation, sous ce rapport, occupe encore un échelon moins élevé. Les statistiques démontrant la transformation de la folie des parents en hystérie chez les enfants sont en somme assez pauvres et le nombre des faits significatifs restreint.

Dans un autre ordre d'idées et sans exhumer le souvenir des misères dont une maladie nerveuse qualifiée alcoolisme, folie, épilepsie, hystérie) ait pu accabler les générations dans le passe, les observateurs, depuis Willis, sont unanimes sur ce point: sur un terrain préparé, nulle influence ne suscite plus activement les désordres de la névrose que les chagrins et les tourments. Brutalités, déchirements de famille, rêves déçus, unions malheureuses, déceptions amères, revers de fortune, envie, jalousie, terreur, voilà, lorsqu'on interroge les malades, ce que l'on découvre au fond de la plupart des récits. Sur les chagrins d'amour, que beaucoup ont jugé à propos de mettre en première ligne,, le sceptique Bernuts fait ses réserves. « Je dois avouer, dit-il, que je n'ai observe aucun fait qui établisse d'une manière péremptoire cette filiation. » Et il ajoute, non sans justesse : « Il me parait infiniment probable que, dans les cas de ce genre, le développement de l'hystérie a été favorisé par l'impressionnabilité très vive dont sont douées les femmes qui ont eu des peines de cœur, et que c'est cette prédisposition qui permet à la névrose d'éclater sous l'influence des contrariétés d'amour, comme elle aurait puse manifester après toute autre peine morale chez ces sujets. »

Originelle ou acquise, l'impressionnabilité du sujet est en effet la condition expresse d'activité de ces influences dépressives. Quant à cette impressionnabilité excessive elle-même. Cerise la considère comme due a l'exaltation de l'élément affectif. Et, avec beaucoup d'art, il rattache l'exaltation de l'élément affectif à l'appareil nerveux ganglionnaire viscéral (système nerveux grand sympathique) auquel, dans le mode d'existence qui s'impose à la femme, incombe un labeur vraiment écrasant.

II

Le climat, le milieu, la disposition sociale, le régime alimentaire, le mode d'enseignement, la profession, les passions, voilà autant de circonstances qui, encore qu'extrinsèques, c'est-à-dire étrangères à la personne, exercent sur la genèse de l'hystérie une action digne d'examen

Et d'abord, que doit-on entendre par le mot : Climat ? — L'ensemble des circonstances atmosphériques, selon de Humboldt, qui influencent nos organes d'une manière sensible ; la modalité spéciale des propriétés physiques de l'atmosphère pour un point donné du globe, selon Arnould.

Large et plus élastique avec Hippocrate, Montesquieu, Boudin. Vïrey, Foissac, de Humboldt, ou bien restreinte et plus précise avec Fonssa-grives et Arnould, quelle que soit la conception que l'on adopte de l'idée de climat, le climat se distingue de lui-même par un élément unique de classification : la température. Il est chaud, tempéré ou froid. Or, s'il est de toute évidence que le retentissement du froid circumpolaire, ou de la chaleur équatoriale sur les mœurs, l'intellect, le caractère, les passions, est violent; si, comme le veut Cabanis, les habitudes morales en reçoivent le contre-coup ; si, n'en déplaise à l'Ecole spiri-tualiste, les « phénomènes de pure conscience » en subissent des modifications sensibles, le poids d'un tel facteur : l'excès de chaleur ou de froid, pèse plus lourdement encore sur les phénomènes d'ordre biologique et sur les éventualités morbides. Il y a plus; « des impressions particulières, mais constantes et toujours les mêmes, sont, ainsi que le démontre surabondamment Cabanis, capables de modifier les dispositions organiques et de rendre leurs modifications fixes dans les races, »

Eh bien ! il est un fait avéré, celui-ci : les maladies nerveuses, en général, sont plus communes dans les pays chauds que sous les ciels tempérés ou froids. Partant de là, les auteurs ont subjectivement été induits à conclure que l'hystérie, en particulier, devait être plus fréquente que partout ailleurs, sous les zones torrides.

L'observation attentive des faits suffit à battre en brèche cet à priori.

C'est, au contraire, dans les régions polaires, dans les rangs des peuplades étiolées et rabougries par la souffrance et le froid, c'est chez les Jakutes, les Koriaques, les Jukagres, les Samoyèdes, les Lapons qu'il faut aller, pour rencontrer, notamment chez la femme, les plus fortes prédispositions aux déterminations convulsives. Canstatt signale l'excessive impressionnabilité des Esquimaux et des Groënlandais. Ils dépensent, Spencer le fait remarquer, le plus clair de leurs forces à se défendre contre le froid. Par — 36°6, dit Payer, la volonté est comme paralysée. « Les hommes, par leur démarche incertaine, leur bégaiement et la lenteur de leurs opérations mentales, ressemblent à des gens ivres. Au moindre cri, au moindre attouchement, le Groënlandais tombe en pâmoison, et ce n'est, selon Pennant, qu'en lui faisant respirer des vapeurs empyreumatiques que l'on parvient à rétablir le calme de ses nerfs, toujours sur le point de s'ébranler. Au rapport de Schleisner, « l'hystérie est une des trois maladies régnantes de l'Islande ; elle atteint les sept centièmes de la population. Les dames russes lui paient un assez large tribut, un tribut beaucoup plus large que les femmes du peuple, dont le mode d'existence contraste par son insouciance avec l'artificielle suractivité de celui des premières. » « Je tiens d'un médecin

de Wilna, écrit pour sa part Briquet, que dans la Pologne septentrionale, l'hystérie est assez commune et qu'elle sévit principalement sur la population juive. Chez les Juifs, les femmes sont d'une constitution chétive ; on est dans l'usage de les marier très jeunes, quand a peine elles sont nubiles, et ce sont toujours les maris les plus riches que Ton choisit, quel que soit leur âge. De là, des mariages mal assortis et des unions malheureuses. M. Magnus, professeur à l'Université de Stockholm, d'après une lettre, ajoute Briquet, qu'il m'a écrite, dit que l'hystérie est très commune en Suède, chez les gens de la campagne, et que la gastralgie y est très fréquente. »

Si, des régions voisines du pôle nord, on tourne les yeux sur celles qui le sont du pôle sud. on voit les hordes qui errent, faméliques, en ces parages, — le misérable Fuégicn en est le type, — lutter pour l'existence dans des conditions encore plus désastreuses. A plus forte raison, des souffrances sans nom qu'ils endurent, des chocs réitérés que, sous l'aiguillon de l'âpre froidure, leur système nerveux subit, est-on en droit d'inférer que les habitants de ces arides contrées sont marqués pour toutes les névroses, pour l'hystérie et l'épilepsie en particulier.

Sans l'être autant que dans l'extrême nord, dans les pays chauds, la fréquence de l'hystérie est grande. Médecin en chef de l'hôpital militaire de Constantinople. pendant la guerre de Crimée, Cambay rapporte en avoir observé en Turquie des exemples très nombreux. De son côté, Moty fait suivre une curieuse observation d'hystérie chez l'homme, qu'il a recueillie à l'hôpital militaire de Constantine, des réflexions que voici: « On sait, dit-il, que le nervosisme des Arabes mâles est beaucoup plus accentué que celui-ci des Européens. Les Aïssaouas, qui se mettent en état de somnambulisme en secouant la tête d'avant en arriére, en sont la preuve. D'autre part, les fous, qui sont assez nombreux chez les Arabes, présentent plutôt les caractères des formes nerveuses pures, hystériques, de la folie que ceux, des formes paralytiques, toxiques, monomaniaques, etc. » Chez la femme arabe, au contraire, l'hystérie a semblé à Moty moins fréquente et moins évidente que chez la femme européenne: « Son intelligence est ordinairement très peu cultivée, son instruction est nulle et son imagination, elle-même, se trouve bornée par l'ignorance. » Sur la côte septentrionale d'Afrique, l'hystérie, à ses yeux, correspond à la torpeur intellectuelle et à la suprématie de l'imagination. Briquet, enfin, dit tenir d'un médecin de Florence qu'en Italie, les femmes sont assez fréquemment prises d'hystérie et » qu'en raison des habitudes de galanterie qui régnent dans les classes aisées et des émotions de diverses espèces qui en sont la suite inévitable, l'hystérie y est fréquente, tandis qu'elle est moins commune chez les femmes du peuple, qui vivent plus régulièrement. »

Dans son Aperçu sur le climat et la pathologie de la Guyane, For-toul ne parait pas s'être préoccupé de la nature des désordres de l'innervation chez les habitants de ce pays.

Les populations qui se pressent dans les zones tempérées du globe

sont loin, comme chacun sait, d'échapper aux atteintes de l'universelle

névrose.

Sydenham affirme que la santé de la plupart des Anglaises présente des désordres qui en portent le cachet. Des recherches de Lebert (de Zurich), il résulte que les femmes du Valais, des environs du mont Blanc et de l'Obcrland bernois, lesquelles restent enfermées six mois de l'année sous les neiges, en sont les ordinaires victimes. Sur la question de savoir dans quelles parties de la France l'hystérie se; fait rare ou prédomine. Bordier. dans son chapitre sur la pathologie comparée de la population française, reste muet. Il dit seulement que l'aliénation mentale se rencontre surtout dans les départements du Pas-de-Calais, de la Somme, des Ardennes, de Loir-et-Cher. d'Indre-et-Loire, de Maine-et-Loire, de la Creuse, du Puy-de-Dôme, et l'epilepsie dans ceux de la Lozère, de la Haute-Garonne et des Landes. Tout récemment. Gouzien a nublié sur la topographie médicale de l'île de Sein (Finistère) une étude du plus haut intérêt et sur laquelle nous reviendrons. A l'endroit des déterminations névropathiques et autres auxquelles les habitants de ce petit territoire sont enclins, il fournit plus d'un instructif document. En ce qui concerne l'hystérie, il en a observé deux cas chez des jeunes filles de 20 à 25 ans. Chez l'une d'elles, l'intensité de la manifestation convulsive, beaucoup moins que celle du trouble intellectuel consécuti: A l'attaque, conférait à celle-ci son cachet. De notre côté, à l'île d'Yeu (Vendée), il y a quelque vingt ans, nous avons été frappé du grand nombre de jeunes filles ou de jeunes femmes hystériques auxquelles, par occurrence, nous avons été appelé à donner nos soins.

(A suivre.)

CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE

Procès de la dernière sorcière brûlée à Genève (i)

Au seizième siècle, sur deux cents accusations de sorcellerie, dont les procédures sont aux archives de Genève, il y en a plus des trois quarts qui concernent des femmes, et parmi celles-ci, près de la moitié sont des veuves, tandis que les femmes mariées et les filles se partagent à peu près également l'autre moitié du nombre total des sorcières. Beaucoup de ces filles sont de vieilles femmes de soixante à quatre-vingts ans ; l'une d'entre elles, dont l'âge n'est pas noté, peut être rangée aussi parmi les vieilles, d'après le surnom qui

(i) Les considérations si élevées qui terminent cette chronique mentent toute l'attention de nos lecteurs. Elles sont extraites de l'introduction d'une fort jolie brochure que notre collaborateur Ladame vient de publier sous le titre: Procès criminel de la dernière sorcière brûlée À Genève le 6 avril 1652. (Bibliothèque diabolique. Collection Bourneville.)

lui est donne ; on l'appelait « la grise ». Ce simple fait du grand nombre de veuves ou de misérables vieilles femmes qui formaient, non seulement a Genève, mais presque partout, la grande majorité des personnes accusées de sorcellerie, suffirait déjà à lui seul pour nous faire soupçonner que les sorciers se recrutaient surtout parmi les malheureux, frappés et vaincus par les grandes tribulations de la vie. En réalité, si on examine de près les procédures, il n'est pas difficile de se convaincre que le plus grand nombre des individus condamnés comme sorciers étaient hystériques ou aliénés. Les détails des procès do sorcellerie ne laissent aucun doute sur ce point, et c'est pour cette raison qu'ils offrent un si grand intérêt aux médecins qui s'occupent de l'étude des maladies nerveuses et mentales.

Pour comprendre les procès de sorcellerie, il faut connaître le « milieu psychologique » dans lequel ils prirent naissance. Or, fait caractéristique, nous trouvons côte à côte avec les sorciers, devant les tribunaux, les individus suspects de s'occuper de magie, d'enchantements et autres superstitions du vieux temps. On poursuivait alors impitoyablement tout ce qui ne rentrait pas dans le cadre orthodoxe étroit, .tracé par les canons de L'Eglise, protestante ou catholique. Toutes les pratiques et toutes les croyances en opposition avec la morale et la religion officielles tombaient sous le coup de lu justice. L'hérésie et la sorcellerie n'étaient point séparées. Les bulles du pape excommuniaient toujours de compagnie les sorciers et les hérétiques. A Genève, les citoyens étaient à chaque instant cités en justice pour avoir joué aux cartes ou aux dés, pour avoir ri pendant le catéchisme, pour avoir été à la chasse et tiré des canards pendant le sermon, pour avoir battu leurs femmes et surtout pour avoir mai parlé du gouvernement de nos magnifiques seigneurs, ou pour avoir prononcé des blasphèmes contre les choses saintes. Je citerai, entre autres, comme exemple, le fait d'un libraire de la ville qui fut condamné, le 6 juillet 1568, à être fouetté à l'évêché, parce qu'il était accuse de rendre un culte au soleil et d'avoir tenu quelques propos contraires à la parole de Dieu. C'était le temps enfin où le bûcher de l'infortuné Michel Servet s'allumait sur les coteaux de Champel.

Quant à l'opinion publique, elle était plus implacable encore que les juge.' contre les sorcières. Dans tous les pays, il y eut des exécutions sommaireparla populace de pauvres vieilles folles, regardées comme suppôts de Satan, et lynchées sur place ; malheureusement, nous en trouvons aussi un exemple à Genève. Pendant les premières années du dix-septième siècle, Perrette, fille de Pierre Pacout, avait été bannie, comme tant d'autres, sur le soupçon de-sorcellerie. Pressée par la faim, elle revint en ville. Elle fut alors saisie et condamnée, le 18 juin 1611, à être fouettée jusqu'au sang à la porte de Cor-navin, et bannie de nouveau sous peine de mort. A peine s'éloignait-elle des portes, après avoir subi sa condamnation, qu'une bande de femmes et d'enfants, excités par un soldat de la garnison, se précipitent sur ses pas, Va-breuveot d'outrages, d'injures, de coups, et la poursuivent en lui jetant des pierres. Elle fut lapidée. Les autorités s'en émurent et le soldat coupable, convaincu d'avoir frappé la malheureuse et excité les femmes et les enfants à lui jeter des pierres pour l'assommer, fut mandé devant le conseil, cassé et banni de la ville.

Le procès criminel de Michée Chauderon montre avec quel soin minutieux les autorités faisaient procéder à la recherche du sigillum diaboli sur le corps des sorcières. La conscience des juges n'était satisfaite que

lorsque les médecins Avaient découvert la marque du diable, la région insensible a la douleur. C'étaient, hélas! nos confrères, les docteurs et maîtres chirurgiens as l'époque, qui étaient chargés de cette exploration. Ils enfonçaient de longues épingles, ou] plus souvent des tiges de fer effilées dans les endroits suspects qui se montraient sur le corps, et si l'accusé ne criait pas de douleur pendant cette opération, ils en concluaient que le signe était diabolique. Les théologiens, les jurisconsultes et les médecins étaient donc d'accord pour condamner les sorciers. Rien ne saurait mieux faire comprendre l'importance ces hautes études universitaires que ce fait brutal, lequel nous prouve que l'ignorance des savants est infiniment plus préjudiciable à l'humanité que celle du peuple. Quand ceux gui portent le flambeau des lumières ne sont pas éclairés, c'est un malheur public.

Les superstitions des hommes instruits sont plus fatales que celles des ignorants. Le progrès général dépend ainsi avant tout, plus qu'il ne le semble, du libre développement des hautes études, et l'instruction du peuple s'élève ou s'abaisse avec le niveau de la science de l'université.

Les médecins ont protesté les premiers. L'admirable plaidoyer de Jean Wier, que M. Bourneville vient de rééditer, est le premier effort de la médecine mentale, a la Renaissance, pour débarrasser la science psychiatrique des diables et de leurs miracles. Nous pouvons juger, par les rapports des experts que nous publions ci-après, combien les principes de la médecine scientifique étaient encore ignorés de nos confrères, un siècle après Wier, tant les superstitions sont tenaces et tant l'observation sérieuse est entourée de difficultés. Cependant les médecins de Genève ont fait preuve de bon sens et de courage, aussi bien dans l'examen de la fille possédée des démons que dans celui de la malheureuse sorcière, qui aurait certainement été sauvée si le Conseil avait adopté leurs conclusions. Nous pensons qu'il faut attribuer pour beaucoup à cette vaillante attitude des médecins le fait que Michëe Chauderon fut la dernière sorcière brûlée â Genève. Dès qu'il fut manifeste qu'on ne trouverait plus de médecins dans cette ville pour condamner les sorcières, on réforma les jugements et bientôt on n'accepta même plus les accusations de sorcellerie.

Dr Ladame (de Genève).

Cours à l'Ecole pratique.

M. le docteur Bérillon, directeur de la Revue de l'Hypnotisme, commencera, le lundi 16 avril, à cinq heures du soir, dans l'amphithéâtre n° 3 de l'Ecole pratique de la Faculté de médecine, un cours libre sur les application de l'hypnotisme a la thérapeutique et le continuera les vendredis et lundis suivants, a la même heure.

Dans ce cours, le docteur Bérillon passera en revue les acquisitions récentes faites dans le domaine de l'hypnotisme par les diverses écoles de la Salpêtrière, de la Pitié et de Nancy. Il étudiera spécialement les indications et les contre-indications de l'hypnotisme dans le traitement des maladies nerveuses et dans les applications à la pédiatrie.

Ce cours comprendra douze leçons.

Les effets du surmenage professionnel chez un pianiste.

L'attention du public médical mérite d'être attirée sur ce fait assez nouveau, qu'un pianiste célèbre, Joseph Hofmann, vient d'être obligé de cesser ses concerts par suite de surmenage professionnel. Au commencement du mois de février dernier, il avait déjà dû, à la suite d'une consultation médicale, diminuer le temps consacré à l'exercice de son art; aujourd'hui, il est dans la nécessité de s'arrêter complètement, au moins pour un certain temps.

La somme de travail fournie par le jeune pianiste depuis le 17 mai 1887 avait été véritablement prodigieuse. Depuis cette époque, excepté pendant un mois, il avait paru chaque jour et chaque soir, devant un public nombreux, pendant de longues heures, et il avait été soumis à une tension nerveuse considérable.

A force d'exécuter les compositions les plus difficiles des grands maîtres, de composer lui-même, et de conduire des orchestres importants, il était, à la suite de cette exagération d'activité mentale et d'excitation émotive exceptionnelle, tombé dans un état de prostration nerveuse qui faisait craindre l'annihilation complète d'un talent voisin du génie.

L'examen physique du petit musicien a démontré qu'il n'était atteint d'aucune lésion organique, mais les symptômes présentés étaient assez graves pour autoriser le Dr Simon Baruch, qui le soignait, à appeler en consultation des confrères éminents.

Il résulte de leur examen que Joseph Hofmann présente au plus haut degré le type du névropathe. Comme toujours, ses prodigieux débuts ont tellement enthousiasmé qu'on n'a pas pensé à s'occuper de sa santé, jusqu'à ce que des symptômes graves de nervosisme aient appelé l'attention.

Ce n'est que récemment que ses parents ont observe des taches d'urine sur son linge et ses pantalons. L'enfant ne se décide qu'avec peine à avouer qu'il souffrait d'une incontinence d'urine avant et après chaque représentation.

On pensa de suite à une affection des reins, mais l'examen chimique et microscopique des urines n'ayant rien révélé d'anormal, il fallut -penser à autre chose.

La température se maintenait constamment à un degré plus élevé que celui de la température normale. Il présentait 99 4/5 à 100 Fahrenheit dans la bouche, tandis que le pouls maintenait de 96 à 100 pulsations par minute, toujours irrégulier comme moyenne, rythme et tension.

Tenant compte de ces indications, il a semblé rationnel aux médecins consultants de diminuer d'abord le travail de l'enfant, puis de le soumettre à un repos complet.

S'il s'agissait d'un enfant dans une situation ordinaire, présentant des symptômes de surmenage intellectuel, ce conseil n'eût donné lieu à aucun commentaire. Mais comme il fallait s'y attendre, en présence d'un jeune artiste dont l'exhibition est la source de si gros bénéfices, l'affaire a pris des proportions inaccoutumées, et il est à craindre, si nous en croyons notre confrère du Médical Record (de New-York), que la santé et la vie de l'enfant ne soient sacrifiées sinon à l'art, tout au moins à la cupidité de ceux qui l'exploitent.

Une nouvelle espèce d'insomnie.

Tranquille repos de nuit et absence de douleurs : voilà deux signes presque infaillibles d'une parfaite santé. Mais, hélas! la chose n'est malheureusement que trop vraie, le nombre des malades qui souffrent d'agrypnie et d'affections douloureuses est relativement très grand. M. le Dr Fr. Eclund signale une certaine espèce d'insomnie, fréquente et très facilement curable en Suède, celle qui est sous la dépendance de la malaria. En se fondant sur une expérience de bien des années, il résume ainsi, en peu de mots, les variétés de ce symptôme, parfois très grave, surtout s'il est mal interprété, si sa couse réelle demeure inconnue, chose fréquente lorsque la plupart des autres signes classiques d'une infection paludéenne font défaut.

Il est d'abord certains malades qui se trouvent dans l'état de veille jour et .nuit; il leur est parfaitement impossible de fermer les yeux. La nuit entière. Us entendent sonner toutes les heures. Quelques-uns éprouvent la sensation désagréable de frissons légers, ou d'autres symptômes peu caractéristiques de l'impaludisnie. Plus fatigués au lever qu'au coucher, il leur semble que leur cerveau est parfaitement creux, et ils sont incapables de travail intellectuel et corporel. Pendant la journée ils ressentent quelquefois le besoin et l'envie de dormir, mais ils s'évertuent à n'y point céder, pour ne point compromettre leur sommeil de nuit. Inutile précaution : la nuit suivante l'état de ehoses est précisément le même, et ces malades n'ont pas un moment de sommeil.

Certains sujets déclarent impossible à eux de s'endormir avant minuit. Ils se réveillent, disent-ils, après avoir dormi une heure et demie ou deux heures tout au plus. Néanmoins ils se sentent assez fortifiés par ce court sommeil, ils peuvent vaquer à leurs affaires; pourtant, assez souvent, ils éprouvent des faiblesses et les jambes leur manquent.

Un troisième groupe de malades s'endort régulièrement chaque soir, pour se réveiller après trois, quatre ou cinq heures au maximum, les uns toujours sur le même coup d'horloge, d'autres régulièrement une heure plus marin, par exemple de cinq à quatre ou trois heures le matin ; ils se disent, d'ailleurs, assez frais et dispos, mais dans la journée la plupart éprouvent des frissons légers, une fièvre éphémère avec sueurs, migraine, courbature, épuisement.

Symptôme commun à tous ces malades : si vous vous informez de leur état de santé antérieur, tous ont été affectés sans exception de fièvres intermittentes, la plupart dès leur enfance; ou bien ils sont soumis à l'influence continue de la malaria ; l'exploration décèle du reste chez eux une intumescence plus ou moins considérable de la rate.

Comme il fallait s'y attendre, c'est en administrant aux malades le traitement classique de l'impaludisme que notre confrère a fait disparaître ces insomnies si désagréables. En combinant le traitement par la quinine avec l'hypothérapie, il assure qu'il a toujours obtenu d'excellents résultats.

La santé des femmes et l'éducation.

Voici une statistique curieuse qui est due à Mme Lucie Hall, médecin du Vassar College, qui semblerait donner tort aux déclarations pessimistes

portées à la tribune de l'Académie de médecine de Paris, lors de la discussion sur le surmenage intellectuel. Notre confrère féminin, se livrant à une étude sur l'influence des fortes études chez les femmes, à l'occasion de la remarquable diminution des nombreuses familles en Amérique, est arrivée au résultat suivant, qui mérite d'être contrôlé : cent soixante-quinze familles étudiées ont donné une moyenne de 3,2 enfants. Or, celles de ces familles qui dépassaient le plus cette moyenne, présentaient presque toutes des mères qui avaient eu une éducation très soignée et même parfois une éducation exceptionnellement élevée. L'expérience de la doctoresse Hall lui a démontré que, dans les collèges, la santé des jeunes personnes est particulièrement bonne et même va grandissant avec le cours des études. A ce sujet, elle cite les paroles suivantes de M. Bascom, directeur de l'Université de Wisconsin : « La santé des jeunes personnes ne s'altère point chez nous ; c'est tout le contraire... Je remarque depuis longtemps qu'une jeune personne qui se sépare delà société et qui se livre judicieusement aux travaux du Collège, est dans des conditions bien meilleures pour sa santé que la grande majorité de son sexe. »

NÉCROLOGIE

M. le Dr Belleti (C.-J.), médecin en chef de l'asile d'aliénés de Pontorson Manche], reçu en tS5o.

M. Ch. Dècle, ingénieur et physicien des plus distingués, vient de mourir subitement. Depuis quelques années, il s'occupait avec ardeur, en collaboration avec le Dr Chazarain, de l'élude des agents physiques sur les sujets mis en état d'hypnotisme. 11 avait publié plusieurs mémoires intéressants, dans esquels il prétend être arrivé à la démonstration des courants de la polarité dans l'aimant et dans le corps humain. M. Ch. Dècle était un homme des plus aimables, et sa mort laissera des regrets à plusieurs de nos collaborateurs qui avaient su apprécier la loyauté de ses intentions et de son caractère.

NOUVELLES

Faculté de médecine de Pairis. Année scolaire 1887-88 (2e semestre. — Cours de médecine légale. - M. le professeur Brouardel a commencé le cours de médecine légale, le lundi 10 mars 1888, à a heures de laprès-midi (Grand Amphithéâtre), et le continuera les Vendredis et lundis suivants, à la même heure.

— Cours libres. — Le conseil général des Facultés de Paris a autorité A professer des cours libres pendant le second semestre de l'année scolaire 1887-1888, à la Faculté de médecine: MM. les docteurs Bouloumié. sur la thérapeutique hydro--uBcraie ; Despagnet sur les maladies des yeux ; Fournel, sur l'obstétrique, et Bérillon. sur I Hypnotisme (applications thérapeutiques). Ce dernier cours commencera le lundi 16 avril, à cinq heures. Amphithéâtre n° 3 (Ecole pratique).

— Nouveaux journaux. — Nous venons de recevoir le premier numéro de la Nouvelle iconographe de la Salpétriére, publiée par MM. P. Richer, G. de la Tou-BKTTictA. Londe, sous la direction de notre maître, M. le professeur Charcot. Nous souhaitons longue vie a cette intéressante publication, qui s'annonce comme le complément des Archives de Neurologie que publie, depuis 1880, M. le professeur Charcot.

— Ecole d'anthologie. — M. Mathias-Duval a commencé, à l'Ecole d'anthropologie, 15, rue de l'Ecole-de-Médecine, le cours d'anthropogènie et embryologie comparée, le lundi 12 mars, a 5 heures, et le continuera les lundis suivante, à la même heure. Programme: Le troisième- œil des vertébrés; la segmentation vertébrale ; les organes segmentaires uro-génitaux.

— Conférence transformiste. — La sixième conférence transformiste sera faite le jeudi 12 avril 1888, à quatre heures de l'après-midi, à la Société d'anthropologie, 15, rue de l'Ecole-de-Médecine.

Le conférencier, M. le docteur A. Bordier, traitera des Microbes et du Transformisme.

On se procure des billets au siège de la Société.

— Congrés de l'Association française pour l'avancement des sciences (session d'Oran, du 29 mars au 8 avril).Au moment où paraîtront ces lignes, le Congrès d'Oran sera en pleine activité. Un grand nombre de nos collaborateurs s'y sont donné rendez-vous. Comme les années précédentes, nos lecteurs auront la primeur des communications faites sur l'hypnotisme et les sciences qui s'y rattachent.

— Congrès des Sociétés savantes. — L? Congres de MM. les délégués des Sociétés savantes de Paris et des départements s'ouvrira au ministère de l'instruction publique, 110, rue de Grenelle, le mardi 22 mai 1888, à midi et demi. Les journées des mardi 22, mercredi 23, jeudi 24 et vendredi 25 mai seront consacrées aux travaux du Congres. La séance générale aura lieu dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, le samedi 26 mai, a 2 heures précises.

— Congrès de gynécologie. — Le deuxième Congrès de la Société allemande de gynécologie aura lieu a Halle, du 24 au 26 mai 1888.

— Un Congrès gynécologique sera également convoqué à Madrid, en avril et mai prochains, pour y traiter les questions théoriques et cliniques relatives à l'obstétrique, aux maladies des femmes et à la pathologie infantile. Tous les médecins peuvent en faire partie en adressant leur adhésion à la commission d'organisation et en envoyant d'avance leur cotisation (de 15 pesetas).

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Les variations de la personnalité, par les docteurs Bourru et Burot, professeurs à l'École de médecine de Rochefort. — Bibliothèque scientifique contemporaine ; J.-B. Baillière. In-12, 1888 (3 fr. 5o.)

Les frontières de la folie, par le docteur A. Cullerre. membre correspondant de la Société médico-psychologique.—Paris, 1888; 1 vol. in-16 de 36o pages. J.-B. Baillière et fils (3 fr.3o).

Les courants de la polarité dans l'aimant et dans le corps humain,

par les docteurs Chazarain et Ch. Dècle.— Broch. in-8°. 118 fig., 1887.

L'hypnotisme et les religions ou la fin du merveilleux, par Skepto.

— O. Doin, édit. In-12, 1888 (2 fr. 5o). —-

La raison dans la folle, étude pratique et médico-légale sur la

persistance partielle de la raison chez les aliénés, par le docteur Victor Parent, médecin de la maison de santé de Toulouse. — O.Doin, édit. In- 8°, 1888 (7 fr.).

Nouvelle iconographie photographique de la Salpêtrière, clinique des maladies du système nerveux, publiée, sous la direction de M le professeur Charcot, par M.M. Paul Richer, chef du laboratoire, Gilles de la Tourette, chef de clinique, et A. Londe, directeur du service photographique. — Janvier et Février, N°1.—Delahaye et Lecrosnier. Paris, 20 fr. par an.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT.

paris. — imprimerie charles dlot, rue bleue.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

LE CONGRÈS D'ORAN

Le Congrès de l'Association française, qui vient d'être tenu à Oran, a été à la hauteur de ses devanciers, au point de vue de l'importance des questions scientifiques qui y ont été abordées et traitées. Nous devons toutefois reconnaître que les attraits multiples offerts par notre belle colonie algérienne ont pu nuire, dans une certaine mesure, à l'activité des sections.

Comme dans les précédents Congrès, l'hypnotisme a été plusieurs lois à l'ordre du jour. A la section des sciences médicales, présidée avec la plus grande courtoisie par notre éminent collaborateur, M. le professeur Grasset, deux communications intéressantes, sur diverses applications de l'hypnotisme, ont été laites par MM. les docteurs Burot et Auguste Voisin. A la section de pédagogie, présidée par M. Compayré, député, la question de la suggestion appliquée á la pédagogie a été traitée, à plusieurs points de vue différents, par trois orateurs autorisés, devant un public nombreux de médecins et de membres du corps enseignant.

Enfin, la section d'hygiène a émis, à l'unanimité, un vœu tendant à demander aux pouvoirs publics l'interdiction des séances publiques d'hypnotisme et la réglementation de cette nouvelle méthode thérapeutique.

Un certain nombre de membres du Congrès ont eu l'occasion d'assister à des séances d'Aïssaoua. organisées à leur intention. Ces séances offraient peu d'intérêt et nos confrères ont pu difficilement se rendre compte du degré d'excitation nerveuse que peuvent déterminer chez ces individus les pratiques bizarres auxquelles ils se livrent. Nous avons été, pour notre part, plus favorisé.

Un de nos confrères d'Alger, grâce à ses relations amicales avec le marabout qui dirige une de ces fêtes d'Aïssaoua. a pu nous permettre d'assister à une séance d'un caractère plus intime. Là, nous avons constaté qu'à la suite de leurs manœuvres, les Aïssaoua présentaient des phénomènes d'anesthésie hystérique très nettement caractérisés.

A ce sujet, nous devons remercier un érudit Oranais, M. Del-phin. de l'excellente idée qu'il a eue de grouper, à l'usage des membres du Congrès, tous les renseignements historiques concernant les Aïssaoua, et nous nous sommes empressé de les publier.

Nous manquerions à notre devoir si nous n'adressions pas à nos amis et à nos confrères de la presse algérienne nos remerciements les plus sincères pour leur accueil si cordial et si sympathique.

E. B.

L'HYPNOTISME ET L'ÉCOLE DE NANCY

Par M. le Dr BERNHEIM

professeur a la faculté de médecine de nancy

La doctrine de l'Ecole de Nancy, sur les phénomènes de l'hypnotisme, est souvent mal appréciée. Aussi je crois devoir exposer succinctement en quoi les faits que nous observons diffèrent de ceux qu'obtient l'Ecole de la Salpêtrière.

I° Nous n'observons jamais les trois phases, léthargie, catalepsie, somnambulisme. Tous nos sujets sont susceptibles des phénomènes dits cataleptiques et somnambuliques par simple suggestion. Ni l'action d'ouvrir les yeux de l'hypnotisé, m la friction du vertex ne modifient, en quoi que ce soit, les phénomènes, quand la suggestion (consciente ou inconsciente) n'est pas en jeu. Nous n'observons ni transfert par les aimants, ni hyperexcitabilité musculaire notable, ni symptômes de localisation fonctionnelle par attouchement des diverses régions du crâne, ni aucun autre phénomène physiologique, en dehors de la suggestion. Nous obtenons ces phénomènes quand le sujet croit (par ce qu'il a entendu dire ou vu faire chez d'autres sujets) qu'ils doivent se prodduire. II ne se cataleptisera pas tant qu'on n'aura pas ouvert ses yeux, s'il est pénétré de l'idée à priori que l'ouverture des yeux est nécessaire pour que la catalepsie se produise. Il n'obéira pas aux suggestions d'actes ou d'hallucinations, tant qu'on n'aura pas fric-

tionné son vertex, s'il a l'idée préconçue que la friction du vertex peut seule le sortir de sa torpeur. La léthargie n'est qu'apparente; le sujet entend et a conscience pendant toute la durée de l'état hypnotique. Les trois prétendues phases de l'état hypnotique sont suggérées.

2° Chez les grandes hystériques. l'hypnose est ce qu'elle est chez les autres sujets. Les trois phases n existent pas chez elles, en dehors de la suggestion, pas plus que les autres caractères dits somatiques.

3° L'hystérie n'est pas un bon terrain pour l'étude de l'hypnotisme. Beaucoup de symptômes nerveux hystériformes. d'origine émotive ou résultant d'auto-suggestions, se mêlent aux phénomènes hypnotiques et en imposent à un observateur inexpérimenté. Souvent, il faut une éducation suggestive, en général assez courte, du sujet, pour dégager, dans ces cas, l'hypnose du cortège des symptômes accessoires surajoutés, variables avec chaque sujet, suivant les caprices de son individualité suggestive, qui l'obscurcissent.

4° L'état hypnotique n'est pas une névrose : les phénomènes qui le constituent sont naturels et psychologiques : ils peuvent être obtenus chez beaucoup de sujets dans leur sommeil naturel.

5 L'état hypnotique n'est pas particulier aux névropathes, ni même plus facile à obtenir chez les névropathes. Dans mes salles d'hôpital, j'endors à peu près tous mes malades et convalescents, de tout âge (depuis celui de la raison), de tout sexe, de tout tempérament.; j'endors les rhumatisants, les tuberculeux, les emphysémateux, les cardiaques, les dyspeptiques, etc. J'affirme, par exemple, n'avoir jamais échoué chez un tuberculeux, et presque tous tombent en sommeil profond, avec catalepsie suggestive, donnant hallucinabilité : presque toujours amnésie au réveil. Ce n'est pas un assoupissement douteux, ce n'est pas un état hypnotique fruste que j'obtiens chez eux, mais une hypnose profonde qui ne laisse aucun souvenir au réveil.

6° Nous ne prétendons pas que tous les somnambules sont de purs automates mus par la volonté de l'opérateur. Quand M. le professeur Brouardel nous fait dire que toujours la somnambule appartient au magnétiseur comme le bâton du voyageur appartient au voyageur, il exprime une idée qui n'appartient pas à l'Ecole de Nancy. Que M. Brouardel veuille bien lire, dans mon livre sur la suggestion (i), les pages 52, 53, 296, 3oo à 3o3, et, dans le livre de M. Beaunis, le chapitre intitulé : « De la spontanéité dans le somnambulisme », page 182. il y verra développée et démontrée l'idée contraire. J'ai dit : « L'effêt de la suggestion d'actes posthypnotiques n'est pas absolument fatal ; certains sujets y résistent.

(1) De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique, 2e édition, Paris.

L'envie de commettre l'acte ordonné est plus ou moins impérieuse ; ils y résistent dans une certaine mesure. Voici quelques exemples de résistance plus ou moins complète, etc. » Et. plus loin : t Dans l'état de sommeil comme dans l'état de veille, l'individualité morale de chaque sujet persiste, avec son caractère, ses penchants, son impressionnabililé spéciale. L'hypnotisation ne coule pas tous les sujets dans un moule uniforme pour en faire des automates purement et simplement mus par l'unique volonté du magnétiseur. elle augmente la docilité cérébrale ; elle rend prépondérante l'activité automatique sur l'activité volontaire. Mais celle-ci persiste dans une certaine mesure : le sujet pense, raisonne, discute, accepte plus aisément qu'à l'état de veille, mais n'accepte pas toujours, etc. »

Ce que nous affirmons, c'est que, parmi les somnambules (avec hallucinabilité et amnésie au réveil), il en est (dans la proportion de 1 sur 6, d'après M. Liébeault) dont le pouvoir de résistance est assez diminué pour qu'ils soient à la merci du magnétiseur. Le viol, par exemple, contrairement à ce que dit M. Brouardel. peut être commis sur certaines somnambules, non hystériques et non léthargiques, sans résistance de leur part. Le médecin légiste qui, dans un cas d'accusation de viol en somnambulisme, déclarerait le fait impossible, par cela seul qu'il ne constate pas chez la victime les caractères de l'hystérie, risquerait d'égarer la justice.

7° Tous les procédés d'hypnotisation se réduisent à la suggestion. La vue d'un objet brillant ne réussit que chez un petit nombre de personnes, et quand elle réussit chez des sujets qui ne savent pas qu'on veut les endormir, c'est parce que la fatigue des paupières qui en résulte produit l'occlusion des yeux et que celle-ci -suggère l'idée du sommeil. Les prétendues zones hypnogènes n'existent pas, en dehors de la suggestion. J'endors tous mes sujets, souvent instantanément, en touchant un point arbitraire du crâne, en affirmant qu'ils vont dormir, ou sans rien dire, pour peu qu'ils aient vu d'autres sujets hypnotisés par ce pro L'idéecédé. seule fait le sommeil.

8° La suggestion est la clef de tous les phénomènes hypnotiques. Pour avoir une conception bien nette de l'état hypnotique, il ne suffit pas d'avoir assisté à quelques expériences, d'avoir vu hypnotiser ou même hypnotisé soi-même quelques sujets très hypnotisables, d'avoir fait de la catalepsie et des hallucinations. II faut avoir expérimenté sur des centaines de sujets neufs : il faut avoir manié la suggestion, l'adaptant à chaque individualité spéciale ; il faut avoir scruté longtemps et pénétré à travers de nombreux tâtonnements le mécanisme psychologique, purement psychologique des phénomènes. Aucune méthode d'investigation clinique n'exige un apprentissage aussi long. Tout médecin d'hôpital qui. dans son service clinique, n'arrive pas à hypnotiser

80 % de ses malades, doit se dire qu'il n'a pas encore l'expérience suffisante en la matière et s'abstenir de jugement précipité sur la question.

Si nous réussissons, à Nancy, a influencer presque tous nos sujets, c'est parce que nous savons manier la suggestion et reconnaître les états hypnotiques par leurs caractères psychiques, alors que d'autres, non expérimentés, les méconnaissent, cherchant de prétendus caractères somatiques qui n'existent pas. Tous nos confrères qui voudront passer quelques jours à Nancy seront pleinement édifiés à cet égard, comme l'ont été nombre de collègues étrangers qui m'ont tait l'honneur de suivre ma clinique et dont je pourrais apporter les témoignages à l'appui de mon affirmation catégorique. Je citerai seulement quelques passages d'un article que M. le professeur Forel (de Zurich), qui m'a fait l'honneur d'étudier l'hypnotisme à ma clinique, a publié dans la Gazette hebdomadaire médicale de Munich, en réponse aux assertions incompétentes émises à la Société de médecine de Berlin :

« Le protesseur Ewald pense que la suggestion est plus difficile à réaliser à Berlin qu'en France, parce que les Français sont particulièrement épuisés et névropathes. Pourquoi donc est-ce que je réussis, maintenant que j'ai peu à peu acquis l'expérience et l'assurance nécessaires à hypnotiser les Zurichois et les Allemands du Sud, aussi bien que MM. Bernheim et Liébeault à Nancv ? (M. Forel arrive à réussir chez 80 0/0 de ses sujets.)

» Ewald prétend que le succès facile de l'hypnose à Nancy tient à une contagion psychique de la population. L'exemple prédispose. Je n'ai absolument rien trouvé de spécial sous ce rapport dans la population de Nancy, et, à mon retour de Nancy, j ai pu hypnotiser facilement les Zurichois, bien qu'ils ne fussent pas préparés par l'exemple à la suggestion. Je trouve, en général, que l'hystérie, de même que les maladies mentales, est peu favorable à la suggestion. L'instrument avec lequel on travaille dans l'hypnose, c'est le cerveau, et il travaille d'autant mieux, avec d'autant plus de précision qu'il est plus sain. Je puis, avec la plus entière conviction et par expérience personnelle, confirmer 1 Ecole de Nancy quand elle dit : Les sujets sains d'esprit et qui ont un sommeil normal, les gens simples du peuple sont sans conteste les plus faciles à hypnotiser et à influencer car la suggestion, et cela, les hommes aussi bien que les femmes. »

Quant aux trois célèbres phases; de ce qu'on appelle « la grande hypnose de la Salpètrière ». je n'en ai jamais rien vu. pas môme chez les hystéro-épileptiques.

Telle est ma profession de foi sommaire sur la matière. Aucune discussion ne tranchera la question ni pour, ni contre nous. Ce sont des faits que nous démontrons et vérifions journellement ; nul argument ne prévaut contre les faits bien observés.

TRAITEMENT

DE L'ALIÉNATION MENTALE PAR LA SUGGESTION HYPNOTIQUE

Par M. le Dr Auguste VOISIN

Médecin en chef de la salpêtrière

J'ai continué, depuis l'année dernière, mes études sur le traitement des maladies mentales et nerveuses par la suggestion hypnotique. Je me suis toujours attaché à rester sur le terrain solide de la clinique et de l'observation, et j'ai eu la satisfaction de (aire encore servir cette méthode à la curabilité de ces maladies, si résistantes aux médications connues.

En voici quelques exemples :

I

Lypémanie avec idées do suicide. — Amélioration.

La nommée Bi..., âgée de 31 ans. est entrée dans mon service le 25 décembre 1887. Pas d'hérédité morbide. Elle a toujours eu une santé délicate, depuis une fièvre typhoïde qu'elle a eue à l'âge de 7 ans. Elle est mariée et elle a eu beaucoup de chagrin dans son ménage parce que son mari est joueur, buveur et débauché. Malgré toutes les représentations qu'elle lui a faîtes, il continue à mener cette conduite. Il se livre à des violences sur elle quand il est ivre. Ces scènes ont provoqué chez elle, depuis six ans, des attaques de nerfs. La dernière a eu lieu dans le milieu de décembre et elle a été suivie d'hallucinations et de délire qui n'ont pas cessé depuis. Elle croit voir, de puis ce temps, des gens qui la regardent méchamment et qui veulent l'empoisonner.

II y a deux nuits, elle criait à l'assassin par la fenêtre. Le lendemain, elle a été désordonnée, elle pleurait, demandait pardon, elle montrait le portrait de son mari à tous les habitants de la maison.

A son entrée, sa physionomie était profondément triste ; il était impossible d'obtenir d'elle une réponse et on ne pouvait l'approcher sans provoquer sa frayeur. Les pupilles sont égales, les oreilles bien faites, mais le front est asymétrique (la région frontale gauche est déprimée). Les médius, annulaires et petits doigts sont aplatis et leur extrémité est aussi large que le reste du doigt.

Aux deux pieds, le quatrième orteil est aussi long que le gros. Il existe une douleur sus-mammaire et iliaque gauche très nette a une pression modérée.

Diminution de la sensibilité aux piqûres du membre supérieur gauche et des deux sclérotiques. Insomnie complète-Traitement: bromure de potassium, 2 grammes, et bains de Barèges. Le 11 mars, l'état antérieur restait le même, mais il s'est compliqué de l'idée de suicide. Son mari est venu plusieurs fois la voir et ses visites paraissent lui être très pénibles, d'autant que deux fois il est arrivé ivre.

J'essaie, le 11 mars, le traitement par l'hypnotisme. Le sommeil n'est pas obtenu complet.

J'essaie de nouveau, le 15, et je réussis. Je lui suggère de ne plus avoir d'idée de suieide, de ne plus pleurer, d'avoir avec moi la physionomie souriante, de bien dormir chaque nuit et de se laisser endormir facilement par moi.

Le 16, sa physionomie est souriante à mon approche, elle n'a pas pleuré depuis la veille et a bien dormi. Le iS, je réitère le même traitement et les mêmes suggestions.

II

Lypémanie avec hallucinations. — Guérison.

La nommée Du.., 55 ans, est entrée dans mon service, le 15 janvier 1888. dans un état de lypémanie avec hallucinations et agitation par intervalles.

La physionomie est maussade, sombre; elle ne répond a aueune question; elle ne veut pas se laisser examiner; elle résiste à l'auscultation, à l'étude de la sensibilité de la vision.

Elle se livre à des violences sur les employées et les autres malades.

Elle va et vient par moments, elle cherche a s'évader, et il est impossible d'obtenir d'elle le moindre travail.

Traitement. — Bains, injections de morphine.

28 février 1888. — L'état étant resté le même, j'essaie de l'hypnotiser par l'application d'une main sur le front et la pression sur les yeux. J'obtiens le sommeil au bout d'un quart d'heure.

Suggestion : Se déshabiller, se coucher et dormir dans son lit jusqu'au lendemain matin.

29 février. — La suggestion a réussi.

Je l'endors de nouveau, et je lui suggère de ne plus aller et venir, d'aller travailler a l'atelier et de gagner 1 franc, pendant les trois derniers jours de la semaine.

3 mars. — La suggestion a réussi.

La malade est calme: elle répond à mes questions: elle me dit qu'elle a des rages qui la portent à frapper, qu'elle n'est pas sûre d'elle-même, qu'elle ne peut rester en place.

Je l'endors. Suggestion : Ne plus avoir de rages: rester calme: travailler à l'atelier, et être tranquille.

5 mars. — Elle travaille: elle se refuse à revêtir un costume pour le bal de la .Mi-Carême qui est donné à nos malades, et elle ne veut pas y participer.

Je l'endors. Suggestion : Continuer a être calme: revêtir le costume qui lui est destiné et prendre sa part du bal.

to mars. — Elle a mis le costume, a été au bal sans résistance et y a dansé jusqu'à la fin.

i3 mars. — Elle me dit qu'elle est plus lucide, qu'elle n'a plus le regard terne, qu'elle n'a plus peur de faire mal. qu'elle est sûre d'elle: qu'elle n'a plus de rages, qu'elle a encore des moments de surexcitation, mais qu'elle reste calme.

Je l'endors. Suggestion : Elle n'a plus de surexcitation: elle est sûre d'elle-même; elle n'a plus à craindre de faire du mal à personne; elle est guérie. Elle gagnera plus de 2 francs dans la semaine.

25 mars. — Elle va absolument bien; elle a pagné 3 fr. 85; sa physionomie est enjouée. On n'a plus rien observe de morbide.

III

Dipsomanie datant de douze ans- — Guérison par la suggestion

hypnotique.

La nommée Fa..., âgée de 31 ans, est entrée le 3 janvier 1888 dans mon service pour un état de dipsomanie remontant a plusieurs années.

Pas d'hérédité nervoso-mentale, mais il existe de l'hérédité tuberculeuse du côté paternel.

Cette femme n'a jamais été menstruée naturellement : elle a des règles déviées par l'anus, toutes les trois semaines a tous les mois. Son appétit est depuis longtemps irrégulier ; elle reste plusieurs jours sans manger, mais elle est toujours altérée et elle boit beaucoup d'eau rougie ; elle est arrivée à boire, depuis plusieurs années, du vin, de l'eau-de-vie et de l'eau de mélisse, et à s'enivrer. Son caractère est devenu très changeant, maussade, sombre : elle a eu par moment du délire, parlant de tuer et d'incendier.

A son entrée, sa physionomie est sombre, elle ne répond presque pas aux questions: elle accuse des douleurs dans la région précordiale, dans le ventre, dans le dos: des étouffements.

Je constate des points douloureux à la pression au-dessus et au-dessous du sein gauche, dans la région iliaque gauche.

Pas d'anesthésie, pas de rétrécissement du champ visuel, ni de dyschroma-topsie.

La venue mensuelle du sang par l'anus a été constatée plusieurs fois par moi-même ; elle est précédée par des coliques et de la diarrhée pendant la heures. Elle dure 2 a 3 heures. La quantité de sang rendue dans les premières heures est d'un verre a bordeaux au moins. Il est bien rouge.

Pas d'hémorrhoîdes.

L'utérus est bien conformé. Une sonde utérine pénètre jusqu'à la profondeur de 3o millimètres dans la cavité utérine. Urination normale.

Début du traitement par la suggestion hypnotique le 31 janvier 1880. Elle est endormie rapidement et en léthargie.

Première suggestion: Me dire le lendemain le nom de la boisson avec laquelle elle s'enivrait.

Le lendemain, elle vient à moi et me dit qu'elle s'enivrait avec de l'eau-de-vie.

Deuxième séance. — Suggestion: Ne plus avoir soif entre les repas et détester l'eau-de-vie. Ne plus avoir la physionomie sombre. M'aborder chaque matin la face souriante.

Dès le lendemain et les jours suivants, sa physionomie est souriante ; les employées m'apprennent qu'elle ne demande plus à boire comme avant, et elle déclare qu'elle n'est plus tourmentée par la soif.

Cette transformation persiste le 27 mars.

Ce n'est plus la même physionomie ; cette femme travaille et s'occupe dans le service.

J'ai eu récemment la pensée de prolonger le sommeil hypnotique

chez des aliénées pendant toute la durée de l'époque menstruelle, en raison de l'agitation maniaque, des violences et de l'état exotique qu'elles présentaient à ce moment. Le succès a répondu à mes efforts.

Voici deux observations à l'appui de ce mode de traitement que j'emploie depuis quatre mois :

IV

La nommée X..., âgée de 20 ans, est entrée dans mon service il y a un an, dans un état d'agitation indescriptible. Elle était d'une violence extreme, elle se roulait à terre, déchirait ses vêtements, se refusait a tout travail. Cette agitation augmentait encore pendant ses règles et il était nécessaire alors de lui mettre la camisole. Elle avait sans cesse, pendant cette période, l'injure à la bouche; elle se servait d'expressions grossières et même ordurières- Je la soumis au traitement de l'hypnotisme. Je l'endormis au commencement de ses règles et lui ordonnai de dormir pendant 6 à 7 jours, de rester couchée et de ne se lever que pour satisfaire ses besoins ; de manger ce qu'on lui présenterait, d'aller le matin faire sa toilette.

Les suggesrions ont réussi ; c'est ainsi que cette malade se lève, comme je le lui ai suggéré, pour aller aux cabinets ; le matin, pour aller au lavabo faire sa toilette. Elle tient les yeux presque absolument clos et ne parle à personne pendant ses allées et venues, puis elle se recouche, et depuis 4 mois que je la fais dormir pendant tout le temps des périodes menstruelles, je suis arrivé a remplacer l'agitation cataméniale par une habitude de calme qui me parait influencer son état pendant le reste du mois, si j'en juge par la différence de sa conduite, de ses façons d'être pendant les 3 semaines qui s'écoulent entre les dernières époques cataméniales.

V

La nommée X..., âgée de 19 ans, est entrée dans mon service il y a un an. Cette malade était agitée, remuante, turbulente même en tout temps, mais aux époques menstruelles l'agitation s'accompagnait d'actes désordonnés tels qu'il était nécessaire de lui mettre la camisole pendant cette période. Sous l'influence des règles, elle se roulait à terre: elle relevait ses jopes et proférait des paroles grossières, ordurières même. Il y a quatre mois, j'essayai de l'hypnotisme pour calmer cette jeune fille; je l'endormis au commencement de l'écoulement menstruel, lui suggérai de dormir pendant cinq ou six jours, d'être calme quand elle se réveillerait.

Le résultat a été le même que chez la précédente.

Un m'a dit. à propos de mes observations de guérison de femmes aliénées par la suggestion hypnotique, que toutes ces malades étalent hystériques.

Mais en supposant que cela lût exact, et il n'en est pas ainsi, la guérison de cette forme de folie ne serait-elle pas un grand progrès dans le traitement de cette maladie? Les asiles ne renferment-ils pas une grande quantité d'aliénées hystériques qui, faute

d'un traitement approprié, sont "devenues incurables, et ces hystériques ne sont-elles pas souvent tombées dans l'incohérence, la démence; n'en voit-or pas fréquemment qui inspirent le dégoût et la pitié par leurs tendances à boire et à voler, par leurs calomnies, leurs mensonges, leurs roueries, par leur méchanceté, par leur saleté, par leur sensualité, par leurs actes obscènes et contre nature, par leur gloutonnerie animale qui les porte à se satisfaire par les moyens les plus sales et les plus dégoûtants, et ne sont-elles pas ordinairement dangereuses par leurs impulsions violentes r

J'affirme que la guérison des aliénées hystériques par suggestion hypnotique suffit largement à établir l'utilité et les bienfaits d'un traitement qui peut empêcher l'évolution de cette maladie redoutable.

SUR UN CAS DE TICS CONVULSIFS AVEC ÈCHOLALIE ET COPROLALIE

Par M. le Dr BUROT professeur a l'école de médecine de rochefort

Il y a six mois, au Congrès de Toulouse, j'ai eu l'occasion de parler (i) d'un cas absolument typique d'une maladie singulière, encore peu étudiée et que, faute de mieux, on désigne sous le nom de maladie des lies convulsifs. Je croîs utile de signaler le résultat du traitement depuis cette époque et présenter quelques considérations qui me paraissent nouvelles. C'est la première fois que cette maladie est étudiée de si près, puisque voilà plus d'une année que je ne cesse d'observer et de traiter cette jeune malade. C'est aussi la première fois qu'une amélioration très notable, pour ne pas dire la guérison, semble devoir être attribuée au traitement employé. Grâce a des efforts persévérants et d'ordre purement moral, j'ai eu, en effet, la satisfaction de voir une affection réputée incurable diminuer progressivement et tendre peu à peu vers la guérison.

On se rappelle qu'il s'agit d'une jeune tille de dix-neuf à vingt ans, appartenant a une famille de la société, ayant reçu une excellente éducation ci très intelligente. Elle est atteinte depuis plus de quinze années de secousses convulsives dans la face et dans les membres, et ces secousses sont accompagnées de l'émission brusque de cris inarticulés et de mots obscènes et orduriers; il existe aussi une tendance très marquée à l'imitation et à la reproduction de tout ce qui est vu ou entendu.

A l'époque où cette jeune fille m'a été confiée, la maladie avait acquis

(1) Rente de l'hypnotisme, octobre 1887.

une intensité extraordinaire. Les mouvements étaient incessants et d'une grande étendue, les cris assourdissants, les mots projetés avec violence. La physionomie était toujours grimaçante, les yeux en strabisme convergent. C'était un spectacle des plus effrayants.

Aujourd'hui, à un an d'intervalle, le tableau a changé. Mlle X... est une jeune personne distinguée, d'excellentes manières, d'une conversation agréable et que l'on peut présenter partout. On la conduit dans le monde, sur les places publiques, au théâtre et dans les soirées, et c'est â peine si on la voit exécuter de temps à autre de légers mouvements. Ce changement s'est produit sous les yeux de la population de Rochefon, surprise au début de remarquer des mouvements si extraordinaires et d'entendre des mots si grossiers.

On a vu les mouvements disparaître à peu près complètement. Il n'existe plus de gesticulations des bras ni de mouvements d'épaule et de tête: très neu de grimaces. A vrai dire, il existe bien encore quelques mouvements de lèvres et une tendance a répéter certains mots de la conversation, mais les cris et les mots obscènes ont tout a fait disparu. Les mouvements des yeux sont également moins fréquents et le strabisme est moins accusé, ce qui donne à la physionomie un nouveau cachet. Le caractère s'est modifié; elle obéît du premier coup et ne fait plus de résistance opiniâtre. La santé est excellente. Cette jeune tille a conscience du changement radical qui s'est opéré en elle et dit naïvement qu'elle irait au bout du monde pour ne pas retomber dans son ancien état. Depuis que le mieux s'est bien dessiné, elle est allée seule, sans moi, dans sa famille; elle s'est bien maintenue, car elle a appris a vouloir et à dominer ses mauvaises tendances.

En somme, c'est une jeune tille méconnaissable pour tout le monde et pour elle-même.

Ce résultat a été obtenu exclusivement par un traitement moral, par la persuasion. — Déjà j'ai fait connaître le moyen employé pour mieux persuader ma malade. On sait que je la plaçais sur une chaise longue, comme si elle devait dormir pendant plusieurs heures par jour, la main gauche appliquée sur son front, les doigts fermant les paupières, pendant que la main droite faisait de douces frictions sur les membres. Je lui faisais la suggestion d'être calme, de ne plus faire de mouvements, de ne plus répéter et de ne plus dire de mots. Sous cette influence, elle était beaucoup plus calme, et. chose curieuse, il me suffisait, par la suite, d'être en sa présence pour qu'elle puisse se retenir et se dominer, sans le moindre effort.

Toutefois, pour exercer sa volonté, j'ai eu recours a d'autres procédés. En nous promenant, je comptais ses grimaces, et elle était effrayée du chiffre auquel on arrivait : plus de 100 par minute. Parfois je lui disais de compter les mouvements qu'elle surprendrait; elle n'arrivait pas au même chiffre que moi, mais il était respectable, bien qu'elle en laissât échapper beaucoup. D'autres fois, je me plaçais devant elle pendant une heure, surveillant ses mouvements et les comptant, en lui faisant remar-

quer de temps à autre sur un ton un peu brusque le chiffre que l'on obtenait, en cinq minutes. Peu à peu, les mouvements ont diminué de fréquence, et, de 100 à la minute, on est arrivé à 5o, 20. 10 et même zéro. J'inventais des raisons pour l'engager à ne pas faire un seul mouvement en cinq minutes. Je suis parvenu à la longue à la faire se maintenir pendant une heure sans faire un mouvement et sans dire un mot. Je la plaçais souvent dans une position fixe, assise, les mains étendues sur les genoux, et la forçant à ne pas faire un seul mouvement. J'avais aussi imaginé, pour l'engager à se suggestionner elle-même, de lui faire réciter diverses formules : « J'aurai ta volonté de me dominer toute seule;—je n'aurai plus envie de faire de mouvements; — je ne serai plus poussée à dire de vilains mots; — je n'aurai plus la manie de répéter. » — Au début, il lui était impossible de dire une de ces phrases sans intercaler plusieurs fois ses mots favoris, mais peu à peu. surtout quand elle se sentait surveillée, elle pouvait les répéter pendant un temps très long sans dire un vilain mot et sans faire un seul mouvement.

Cette gymnastique morale a produit des modifications profondes dans cet organisme. Il a fallu bien des mois pour obtenir l'absence de tout mouvement pendant une heure. A mesure que la maladie diminuait, les mouvements se spécialisaient, pour ainsi dire; ainsi, quand elle se retenait de dire des mots, les mouvements dans les bras étaient plus violents: il se produisait une sorte de balancement. On semait un besoin de mouvement qui devait se manifester d'une façon ou d'une autre. Toutefois on notait aussi que l'impulsion au mouvement diminuait dans son ensemble. Et quand elle avait une raison sérieuse pour se maintenir, elle le faisait sans beaucoup d'efforts; je n'ai jamais remarqué d'anxiété respiratoire, à peine une légère accélération de la respiration. 11 faut dire que sa volonté, assez faible, n'a jamais été capable de grands efforts. Si elle se dominait, c'est que l'impulsion était elle-même diminuée; cependant, dans certains cas où. pour une raison quelconque, elle faisait des efforts réels pour se maintenir, il survenait des selles diarrhéiques abondantes, bilieuses, fétides, ou des vomissements et parfois de la fièvre. Pendant près de trois mois, alors qu'elle était fortement entraînée a se mainteair. elle a éprouvé de véritables accès de fièvre qui débutaient par des frissons dans le dos accompagnés de tremblements dans les membres, suivis de chaleur, de sueurs et surtout d'une forte émission d'urine. C'est alors que l'amélioration a été sensible, car ce système nerveux était, pour ainsi dire, plus maniable. Ces accès se sont dissipés sans quinine, par le repos. Aujourd'hui elle n'a plus de fièvre, se maintient sans efforts, sa santé est très bonne et le résultat acquis persiste.

La guérison n'est pas encore complète, car je considère que tout doit disparaître ; c'est une mauvaise herbe qui doit être coupée dans sa racine, car elle serait susceptible de repousser. Mais l'amélioration est si considérable qu'il est certain que j'arriverai à tout détruire. Quand on domine une maladie de cette nature, on la guérit.

On m'a souvent objecté que cette malade se maintenait surtout avec

moi et qu'il était à craindre de voir reparaître la maladie quand je ne serai plus la. Je répondais que du moment où elle avait pu prendre l'habitude de se maintenir avec moi, elle pouvait bien s'habituer à se dominer toute seule ; du reste, elle ne restait pas toujours avec moi et ce que je lui faisais gagner se retrouvait avec les autres personnes. On m'a dit aussi que dans sa famille, elle reviendrait a son ancien état et que les vieilles habitudes reparaîtraient. Or, je l'ai envoyée plusieurs fois toute seule dans sa famille, et elle s'est bien maintenue parce qu'elle domine ses impulsions et qu'elle peut faire assez d'efforts pour les empêcher de se manifester. Je compte bien ne la faire rentrer définitivement dans son ancien milieu que dans un temps éloigné et après des séjours alternatifs et de plus en plus prolongés, quand je serai sûr enfin qu'il n'y a aucune chance de récidive: avec ces précautions, je ne doute pas d'arriver à un résultat complet.

Il est bien permis maintenant de se demander quelle est la nature de cette singulière maladie qui n'avait pu être modifiée jusqu'à ce jour, et que le traitement moral a si profondément changée. Les auteurs ne s'expliquent pas beaucoup à cet égard. A mon avis, il faut tenir compte de deux grands facteurs : affaiblissement de l'activité cérébrale consciente et exagération de l'automatisme cérébral.

Si le frein modérateur de la volonté et de l'attention fait défaut, les impressions ne sont plus retenues et ainsi se trouvent réalisées les conditions nécessaires pour constituer l'impulsion imitative caractérisée par la répétition de bruits ou de mots ou l'exécution d'actes de circonstance.

A l'état normal le cerveau travaille tout entier : c'est une activité disséminée. II se produit des décharges d'un groupe cellulaire a un autre groupe. A l'état morbide, quelques éléments nerveux sont seuls actifs ; toute l'énergie disponible est accumulée en eux et ils ne la communiquent pas a d'autres groupes, d'où leur monopole et leur activité exagérée. II y a défaut d'équilibre physiologique. C'est le triomphe «le l'automatisme cérébral, livré à lui-même et libre de tout frein (Ribot) (i).

L'étude attentive des phénomènes montre que Cette jeune fille a pour ainsi dire deux vies qui s'enchevêtrent l'une dans l'autre : l'une normale, consciente, dans laquelle elle dit ce qu'elle pense avec intelligence et en toute liberté; l'autre inconsciente, toute réflexe, qui la pousse à exprimer malgré elle une série d'impressions mauvaises avec une intonation de voix différente et des gestes plus ou moins bizarres.

On peut dire avec M. Luys (2). qu'il existe un défaut de synergie fonctionnelle entre la sphère psycho- intellectuel le et la sphère automatique, l'une étant réduite au silence pendant que sa partenaire continue a fonctionner. Les régions automatiques prennent toutes seules la parole

(1) Etats morbides de l'attention. (Revue philosophique, février 1888). (a) Etudes de physiologie et de pathologie cérébrales, 1874.

pour articuler des mots déplacés, inconvenants, et tout à fair en dehors de l'éducation des malades, alors même que la personne intéressée assiste spectatrice involontaire aux propos insolites qu'elle articule à son insu. Ces phénomènes bizarres sont en dehors de la participation de la volonté et de la conscience.

Il me semble qu'il faut aussi tenir compte d'un autre élément important, c'est la tendance contractée par habitude que présentent certaines parties de la substance grise à fonctionner de la même façon lorsqu'elles reçoivent une excitation quelconque. Il se crée des associations cellulaires et l'on sait que lorsque des groupes de cellules sont habitués à agir de concert depuis longtemps, les mouvements qu'ils servent à exécuter se font avec une grande facilité. Une émotion, une impression met en jeu les régions automatiques qui, abandonnéesà elle-mêmes, obéissent à leur liberté d'allure naturelle; tel mouvement est toujours reproduit de la même manière. Ainsi se trouvent réalisées les conditions nécessaires pour constituer ce qu'on peut appeler des habitudes organisées. La gymnastique morale a pour but de détruire ces associations vicieuses, ces habitudes organisées, de modérer l'activité de la sphère automatique et de déplacer l'équilibre au profit de la sphère psycho-intellec-tuelle qui doit avoir le rôle prépondérant.

NOTES HISTORIQUES SUR LES AISSAOUA

Par M. G. DELPHIN

PROFESSEUR A LA CHAIRE PUBLIQUE D'ARABE D'ORAN

La confrérie des Aïssaoua n'est pas très ancienne, puisque son fondateur, Sidi Mahmed ben Aïssa, vivait à la tin du quinzième siècle de notre ère, et que la date presque certaine de sa mort est l'année 930 de l'hégire, correspondant aux années grégoriennes i523-i524. Né à Méquinez Maroc), il ne se distinguait encore que par son ascétisme et sa ferveur religieuse, quand il entreprit le voyage des lieux saints. En Egypte, il rencontra des derviches affiliés à des ordres mystiques qui firent son instruction et l'initièrent à leurs pratiques. Ce fut auprès d'eux, vraisemblablement, qu'il forma le projet de doter ses concitoyens d'une association semblable aux ordres mystiques orientaux.

De retour à Méquinez. il s'efforça d'attirer auprès de lui des disciples qu'il entretenait de la nécessité d'adopter une nouvelle règle, et de donner des exemples de foi religieuse destines â réchauffer le zèle des musulmans indifférents. D'autre part, quelques guérisons obtenues dans la ville à l'aide de recettes apportées d'Orient, et qui ne tardèrent pas à passer pour miraculeuses, firent assez de bruit pour que le prince méri-

nide Mouley Smail, qui régnait à Méquinez, en fût informé et en prit ombrage. Ce fut la cause des malheurs, mais en même temps de la fortune de notre saint. Le prince ne pouvait songer à s'en débarrasser sans autre forme de procès; la vertu de Sidi Mahmed ben Aissa le mettait à l'abri d'un coup de force : une telle maladresse eût soulevé toute la ville. 11 dissimula donc, guettant une occasion favorable, quand peu après un scandale éclata en ville et lui fournit des armes contre Ben Aïssa.

Voici ce qui était arrivé. En présence des vocations de plus en plus nombreuses et des demandes incessantes d'affiliation à son ordre, Sidi Mahmcd ben Aissa, voulant se constituer une élite de disciples qui seraient ses fidèles par excellence, et sur lesquels il pourrait compter en toute occasion, résolut de mettre leur force d'âme à une épreuve décisive. Le jour de la fête du mouton, à l'Aïd et Kebir, il les convoqua devant sa demeure. Quand il les vit tous réunis, il leur demanda s'ils étaient décidés à le suivre n'importe où et à lui obéir jusqu'à la mort. — « Jusqu'à la mort! » s'écrièrent-ils. — « Eh bien, reprit le Cheikh, je désire que vous mouriez; aujourd'hui ce ne sont point des moutons qui seront égorgés, mais vous-mêmes qui serez offerts en sacrifice. » On comprend la stupéfaction des assistants ; aussi, quand le Cheikh réclama sa première victime, quelques hésitations se produisirent-elles. Mais bientôt un jeune homme fendit la foule et s'écria : « Il n'y a de divinité que Dieu, et Mohammed est son prophète. Me voici. » Le Cheikh l'introduisit dans sa maison, un cri se fit entendre, un filet de sang coula sous la porte, et Sidi Mahmed ben Aïssa ressortit, les mains ensanglantées, demandant une seconde victime. Une autre personne s'offrit et le suivit; un cri retentit et le sang afflua plus fort au dehors. Mais quand le Cheikh apparut pour la troisième fois, la foule n'était plus aussi compacte; beaucoup s'étaient retirés. Cependant un homme vint encore offrir sa tête et alla rejoindre ses camarades. La même scène se renouvela quarante fois, et quarante fois un cri d'angoisse se fit entendre. Mais après celui-ci, la place était vide; tous les autres s'étaient enfuis.

La rumeur de cet épouvantable attentat arriva jusqu'au prince Moulcy Smail, qui donna l'ordre de pénétrer de vive force chez le Cheikh et de l'amener en sa présence. On y courut. Mahmed ben Aïssa attendait déjà les soldats sur le seuil de sa demeure et les reçut avec affabilité, en les engageant à lui faire l'honneur de prendre part au festin qui se préparait. En même temps, les soldats de Mouley Smail aperçurent dans la cour quarante personnes occupées à dépouiller autant de moutons, et ils reconnurent les frères de Mahmed ben Aîssa que l'on supposait égorgés. Le saint, pour donner le change à ses compatriotes, avait imaginé un stratagème: quand l'un d'eux se présentait et après que la porte s'était refermée sur lui, il lui recommandait de pousser un cri en coupant la gorge à un mouton et de chasser le sang sous la porte.

L'innocence du saint brillait à tous les yeux. Cependant, ne voulant pas désobéir à leur maître, les soldats l'emmenèrent au palais. Ils racontèrent la scène qu'ils avaient eue sous les yeux : les quarante disciples de

Sidi Mahmed bcn Aissa que l'on croyait assassinés étaient occupés à préparer un magnifique festin auquel avaient été conviés tous les pauvres de la ville. Exaspéré par ce mécompte. Mouley Smaïl ne put se contenir, et il enjoignit au saint de quitter la ville sans retard. Sidi Mahmed ben Aissa, suivi de ses quarante disciples, s'éloigna alors de Méquinez et alla demeurer en dehors de la ville. Il ne resta pas longtemps dans l'exil, car le Sultan, en présence d'un miracle éclatant, dut se soumettre et lut laisser toute liberté de faire des prosélytes dans sa capitale.

Mais, jusqu'à ce jour, les Aïssaoua, car telle était l'appellation qu'ils avaient prise du nom de leur chef, ne se distinguaient de la foule des-musulmans que par une plus grande austérité et par des exercices de dévotion excessifs dont je parlerai plus loin ; ils n'avaient pas encore le privilège miraculeux qui fut, dans la suite, le caractère distinctif de leur ordre et leur a été conservé jusqu'à nos jours, celui de jouer avec le feu et les serpents venimeux, de dévorer le fer. le verre et les poisons les plus violents, sans en éprouver le moindre mal. La puissance que Dieu avait destinée aux adeptes de son Ouali Sidi Mahmed ben Aïssa leur fut révélée dans les circonstances suivantes.

Le saint était dans le Sous, province du sud de l'empire marocain, et cheminait dans le désert avec ses quarante fidèles qui ne t'abandonnaient jamais. Depuis longtemps on s'était éloignés des douars, et plusieurs d'entre eux, ressentant les atteintes de la faim, s'adressèrent à leur maitre, qui De répondit pas. Ayant fait entendre de nouvelles plaintes, le Cheikh exaspéré s'écria: mangez du poison ! » Les disciples crurent a un ordre et se jetèrent sur tout ce qu'ils trouvèrent, plantes, pierres, scorpions, serpents, dévorant tout à belles dents, si bien que, de retour à leur zaouïa, ils ne purent toucher au repas du soir.

Les exercices de divers genres auxquels ils se livrent aujourd'hui seraient la représentation de leur aventure dans le Sous; cette coutume peut aussi rappeler le miracle suivant que je choisis entre cent, car l'hagiographie de Sidi Mahmed ben Aissa remplirait un volume. A la mon du Cheikh, le sultan Mouley Smaïl, croyant que la protection de leur patron ne saurait plus couvrir les Al .saoua, pensa les perdre a tout jamais par les moyens mêmes qui jusqu'à ce jour avaient causé leur célébrité. Il fit creuser une vaste fosse où l'on précipita pêle-mêle serpents, scorpions et tous les monstres que le sol du Maroc renferme dans son sein-, puis il invita les Aîssaoua à y descendre et à s'en repaitre. Vrai jugement de Dieu où la gloire des adeptes de la nouvelle secte pouvait sombrer pour toujours! Doutant encore de leur puissance, ceux-ci restent immobiles ; la peur les envahit peu a peu ; ils vont reculer, quand une femme. Lalla Khamsia. l'épouse de l'un d'eux, transportée d'une sainte ardeur, se jette dans la fosse et brise avec les mains et avec les dents tout ce qu'elle trouve. Cet exemple sublime les enflamme, ils s'y jettent a leur tour et ci un clin d'œil tout est englouti.

Depuis cette époque, les Aïssaoua se sont fait une spécialité des exercices les plus atroces et les plus repoussants, et tels que mes lecteurs le

verront à Oran au Village Nègre, ou dans n'importe quelle autre localité de l'intérieur, à Tlemcen, par exemple.

Tel n'est pas cependant le but unique de la confrérie, et ces tours ne constituent pas à proprement parler la règle ettharîqa de Sidi Mahmed ben Aïssa; elle est fort compliquée, et, pour ne parler que de leur dikr qui est une sorte d'oraison ou litanies, comme la récitation de la formule islamique et d'autres plus longues, ils sont tenus de répéter ce dikr cent fois le matin et au doubha (8 h. 1/2), mille fois au dohor (après-midi'. mille fois à l'acer (vers 3 h. 1/2), mille fois au mar'reb coucher du soleil) et mille fois au premier a'cha (8 h. 1/2).

A la hadhra. séance, ce ne sont point ces prières qu'ils prononcent, c'est une sorte de mélopée qui a pour sujet les mérites de leur fondateur, et dont le rythme suit la mesure des guellal, tambours de basque. L'Aïssaoui est accroupi, il écoute, accompagnant la mesure d'un léger balancement du corps. Ces paroles il les entend, et le bruit cadencé du guellal est une voix qui l'appelle et lui ordonne d'abandonner son corps à l'esprit de Sidi Mahmed ben Aîssa qui le pénètre:

Aya, ya, ya Sidi Mahmed ben Aïssa.

« Allons, ô notre maître Mahmed ben Aïssa, »

entonne le chœur en frappant des coups bien marqués sur le guellai.

L'Aïssaoui se dresse, d'un bond il est sur les musiciens et exécute une sorte de danse pyrrhique, en jetant la tête en avant et en arrière, les cheveux défaits. Il aspire avec force les parfums dont la fumée l'enivre. 11 s'échauffe, le mouvement s'accélère:

A'ari a'lik ya ben Aïssa, k'olbi meridh la touensa.

« Mon appui est en toi, ô Ben Aïssa.

« Mon cceur attristé ne saurait t'oublier, »

continue le chœur sur le rythme Ouafir (pied mafaïloun répété ici quatre fois).

Il suffoque bientôt, ses tempes se gonflent, son état fait mal. Enfin il roule à terre en catalepsie, et tandis qu'un frère monte sur son corps et le foule aux pieds, sans doute pour comprimer les battements effroyables des artères,

Aredjâl Alla ya siâdi, El-hâdi ben Aïssa.

« Ah! Messieurs, voici les héros de Dieu, « C'est Ben Aïssa qui les guide, »

termine le chœur, en revenant à la première mesure piquée et saccadée.

Les tours qu'exécutent les Aïssaoua arrivés a cet état névropathique aigu ont été trop souvent décrits pour que je m'y arrête ici ; cependant je dois dire que, dans les hadhra, chacun a son rôle: ainsi l'Aïssaoui

que nous venons de voir rouler à terre aura cette spécialité et pas une autre, et celui qui donne son bras à mordre à la vipère cornue ne tentera pas de dévorer des feuilles de cactus ou des moutons vivants. En prenant la rose de Sidi Mahmed ben Aïssa, le néophyte fait choix du genre d'exercices auxquels il se destine durant toute sa carrière: il reçoit a cet effet l'affiliation d'un frère passé maître dans ce tour de force, et adopte un nom de guerre par lequel il sera désigné, sans que le vulgaire l'apprenne jamais. Il s'appellera, par exemple : el-assed, le lion, ou ed-dsîb. le chacal, etc.

Tous les Aïssaoua d'une même ville relèvent d'un Mokaddem ou d'un Cheikh, envers lequel ils témoignent une grande déférence, et qui obtient d'eux une certaine retenue, surprenante de la part de pareils possédés. Ainsi on ne les verra pas fumer, ni boire, ni rire, ni parler pendant leur séance : le Cheikh leur adresserait une réprimande, ou même les frapperait d'une peine prévue par le règlement; et croyez qu'ils s'y soumettront sans protester, et s'en amenderont, car ils ont la conviction d'accomplir un acte de dévotion dont le Vite, je l'accorde, est un peu extraordinaire.

SOCIÉTÉS SAVANTES

ASSOCIATION FRANÇAISE POUR L'AVANCEMENT DES SCIENCES

SESSION D'ORAN

SECTION DES SCIENCES MÉDICALES Le bureau est ainsi constitué :

Présidents d'honneur. . . MM. les Drs Verneuil (de Paris). Mondot (d'Oran)

President........ Grasset (de Montpellier).

Vice-Présidents ..... Gros. Fonteneau (d'Oran), Gross (de Nancy).

Secrétaires........ Tissier, Baudouin (de Paris), Lévy (d'Oran).

Séance du 2 avril. — Présidence de M. Cros [d'Oran).

Tics convulsifs guéris par suggestion (i).

M. Burot (de Rochefort). — Au Congrès de Toulouse (2), j'ai appelé l'attention sur un cas véritablement curieux d'une maladie encore peu étudiée

(1) La communication de M. Burot est publiée plus haut in-extenso. (2) Voir Revue de l'hypnotisme, novembre 1887, p. 141.

et désignée par M. Charcot sous le nom de maladie des tics convulsifs. L'année dernière, au moment où j'ai parlé de la jeune malade qui en était atteinte, son état était déjà beaucoup amélioré, mais elle n'était pas complètement guérie. J'avais surtout insisté sur ce fait que, ne pouvant parvenir a hypnotiser la malade, je m'étais borné i lui faire très fréquemment des suggestions à l'état de veille. Ce traitement avait surtout consisté dans la méthode par persuasion. Depuis lors, j'ai continué l'application de la même méthode avec persévérance, et actuellement la guérison est complète.

Séance du 3 avril. — Présidence de M. Grasset

Traitement des maladies mentales et nerveuses par la suggestion hypnotique (i).

M. A. Voisin (de Paris). — J'ai continué mes études sur le traitement par la suggestion hypnotique des maladies mentales et nerveuses, si résistantes aux moyens thérapeutiques connus.

J'ai traité : 1° Une folie lypémaniaque avec hallucinations et idées de suicide, datant de deux mois, et au bout de quinze jours j'avais un succès ;

2° Une folie lypémaniaque avec agitation, impulsions violentes, qui a guéri en deux séances d'hypnotisme ;

3* Une hypochondriaque, atteinte de nervosisme chronique datant de huit ans et de paraplégie commençante, qui a guéri en trois séances ;

4° Une dipsomanie datant de plus de dix ans, avec état mélancolique, guérie par la même méthode.

M. Grasset. — Ce sont là des faits fort intéressants qui devraient être connus de tous les médecins.

En admettant qu'il ne s'agisse que d'hystériques, ce serait déjà fort beau de les débarrasser immédiatement des accidents urgents, sauf à faire ensuite un traitement de fond.

J'ai trouvé, comme M. Voisin, qu'il était nécessaire au début avant d'agir par la suggestion contre les accidents, d'agir d'abord pour faciliter les séances hynotiques suivantes. Dans les premières séances, il faut concentrer tout le pouvoir suggestif sur la détermination du sommeil: Souvent, du reste, on peut agir par la suggestion à l'état de veille; M. Burot nous en a fourni un exemple hier: j'en puis donner un autre, c'est l'observation d'une jeune fille paralysée qui ne voulait pas se laisser hypnotiser, et chez qui nous pûmes agir assez énergiquement pour la débarrasser en quarante-huit heures d'une paralysie hystérique datant de six mois.

Dans une série de cours que je viens de faire à ta Faculté de Montpellier, je me suis appliqué à faire ressortir l'avantage qu'il était possible de retirer de l'hypnotisme employé .seul, sans suggestion, chez certains malades agités et irritables. Il n'y a aucun inconvénient à les laisser plongés dans l'état d'hypnotisme pendant plusieurs heures consécutives. A leur réveil, les symptômes les plus ennuyeux ont disparu comme par enchantement.

(i) Le mémoire de M. Voisin est publié plus haut in-extenso.

SECTION D'HYGIÈNE ET DE MEDECINE PUBLIQUE

President d'honneur. . . MM. les Drs Th. Roussel [membre de l'Academie de mode-

cine dc Paris).

President........ Puy-le-Blanc (de Royat).

Secretaire........ Bérillon (de Paris).

Seance du 3 avril. — Présidence de M. Puy-le-Blanc.

La réglementation de l'hypnotisme.

M. Bérillon. — En présence du nombre toujours croissant des individus qui parcourent toutes les parties de la France et vont jusque dans les moindres villages donner des séances publiques d'hypnotisme on peut se demander s'il ne serait pas temps de réprimer les abus auxquels donnent lieu ces exhibitions. A mesure que ces séances se sont multipliées, des dangers de plus en plus graves nous sont signalés. Le plus souvent ce sont certains malades qui, eux-mêmes, font remonter le début des accidents mentaux et nerveux dont ils souffrent a des manœuvres d'hypnotisme auxquelles ils se sont prêtés inconsciemment. D'autres fois, ce sont des familles qui se plaignent qu'on ait fait accomplir à des personnes mineures, des actes ridicules ou même reprehensibles sous l'influence des suggestions hypnotiques. Récemment un magnétiseur avait suggéré a un étudiant de la Faculté des sciences de Dijon d'abandonner ses études et de le suivre à l'étranger. Dans d'autres cas. des magnétiseurs ont pu commettre impunément de véritables attentats à la morale publique. Après le passage de certains magnétiseurs, on a signalé dans plusieurs villes des épidémies de manie hypnotique. Les Drs Ladame et Gilles de la Tourette ont groupé, dans des ouvrages fort intéressants à consulter, un grand nombre de faits du même ordre. Les dangers des séances publiques d'hypnotisme qui ne sont jamais faites par des médecins, car ces exhibitions théâtrales sont absolu-ment incompatibles avec la dignité médicale, sont assez fondés pour que la plupart des gouvernements aient cru devoir intervenir. L'Autriche, l'Italie, le Danemark, l'Allemagne, et la plupart des cantons suisses (Bâle, Neuchâtel, Vaud. etc.), ont complètement interdit les représentations publiques des magnétiseurs. En ce moment, l'Académie dc médecine de Belgique est saisie par plusieurs de ses membres d'une proposition tendant à l'interdiction des séance publiques d'hypnotisme. Déjà la commission nommée a, par l'organe de son rapporteur M. Masoin, formulé la conclusion suivante :

« La commission, considérant que les séances publiques d'hypnotisme offrent des dangers pour la moralité et la santé publiques, estime que ces séances doivent être interdites par le législateur. »

Toutes les décisions prises par les divers gouvernements ne l'ont été qu'après des enquêtes sérieuses mettant nettement en lumière les inconvénients des séances publiques. Jusqu'à ce jour, le gouvernement français est resté indifférent. Cependant la France est peut-être celui de tous les pays où l'on a le plus abusé de ces exhibitions, toujours nuisibles pour la santé dc

ceux qui s'y prêtent. Nous pensons qu'il serait temps d'intervenir et de prononcer non seulement l'interdiction des séances publiques d'hypnotisme, mais aussi, l'exploitation du magnétisme, dans un but thérapeutique et curatif. Dès l'instant que les magnétiseurs prétendent l'appliquer au traitement des maladies, s'ils ne sont pas pourvus des diplômes exigés par la loi, ils commettent le délit d'exercice illégal de la médecine.

Je demande donc que la section d'hygiène appelle par un vote l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité de réglementer promptement la pratique de l'hypnotisme et de l'assimiler à toute autre application d'un procédé quelconque de l'art de guérir.

M. Georges Simon.— Je crains que la proposition de M, le docteur Bé-rillon ne rencontre quelques difficultés d'application. Tout le monde a assurément le droit de se livrer, sur une personne qui y consent, à des expériences d'hypnotisme. Vouloir laisser aux médecins seuls le droit de pratiquer ces expériences pourrait nuire aux études psychologiques qui peuvent être entreprises au moyen de la suggestion et de l'hypnotisme.

M. Bérillos. — Cela est certain, et il ne m'est jamais venu à l'idée de discuter ce droit. Je demande seulement que les séances publiques d'hypnotisme soient interdites, parce qu'elles sont fréquemment le point de départ d'une contagion nerveuse dont les effets sont nuisibles à un certain nombre de personnes et aussi parce que je considère que c'est porter atteinte à la dignité humaine que de montrer en spectacle des individus privés momentanément de leur libre arbitre. Je m'élève contre ces expériences publiques d'hypnotisation, comme je m'élèverais contre des séances publiques de chlo-roformisation, d'opérations chirurgicales ou même simplement de vivisection.

L'exercice illégal de la médecine ne résulte pas du fait de donner ses soins à un malade, mais de faire profession d'exercer l'art de guérir et de percevoir pour ce fait des honoraires.

Quant aux recherches psychologiques faites à l'aide de l'hypnotisme, qui constitue une méthode expérimentale de la plus grande valeur, elles pourront être poursuivies sous la responsabilité des expérimentateurs. Je leur donnerai simplement le conseil de s'assurer, dans certains cas, le concours d'un médecin expérimenté.

Etant données les modifications physiologiques qui surviennent chez l'hypnotisé, le médecin et le physiologiste ont seuls la compétence voulue pour juger de la dose d'hypnotisme qui peut être appliquée sans inconvénient. Seuls, ils peuvent décider de la durée qu'il convient de donner aux expériences. Car il ne faut pas oublier que si entre des mains d'hommes prudents et possédant les connaissances médicales nécessaires, les expériences d'hypnotisme non seulement ne présentent pas d'inconvénients, mais peuvent être utilement employées comme agent thérapeutique, au contraire, elles n'offrent aucune sécurité entre celles des empiriques et des individus qui s'en servent pour exploiter la curiosité.

M. Puy-le-Blanc. — En présence des agissements des magnétiseurs de profession et des abus que nous avons tous pu constater, je crois que nous devons nous rallier à la proposition de M. Bérillon et demander que la pratique de l'hypnotisme ne soit plus laissée entre les mains du premier venu.

La section d'hygiène et de médecine publique, consultée, émet, à l'unanimité, le vœu que les séances publiques de magnétisme et d'hypnotisme soient

interdites sur toute l'étendue du territoire français et que les applications de l'hypnotisme et du magnétisme comme moyen curatif soient soumises aux lois qui régissent l'exercice de la médecine.

section de pedagogie

Ont été élus: Président. .... MM. Compayré. député.

Vice-President . Félix Hément, inspecteur général d'instruction publique.

Dans notre prochain numéro, nous publierons les communications faites dans cette section

par M. Félix Hément, sur l'hygiene et l'orthopédie morale:

par M. le Dr Edgar Bérillon sur la pédagogie expérimentale et les applications de la suggestion à la pédagogie;

par M. le Dr Auguste Voisin, sur le traitement des habitudes vicieuses par la suggestion.

ACADÉMIE DE MÉDECINE DE BELGIQUE

De l'opportunité d'Interdire les séances publiques de magnétisme

animal.

Rapport de la Commission à laquelle a été renvoyée la proposition de M. Rommelaere, relative à l'hypnotisme. — M. Masoin, rapporteur (1).

Après avoir fait un long exposé des faits déjà connus de nos lecteurs, qui justifient l'emploi thérapeutique de l'hypnotisme, ainsi que des dangers qu'il présente entre des mains inexpérimentées, M. Masoin a lu les conclusion* suivantes acceptées à l'unanimité par la Commission :

« La Commission, considérant que les séances publiques d'hypnotisme offrent des dangers pour la morale et la santé publiques, estime qu'elles doivent être interdites par le législateur. »

Ce n'est pas à dire que les séances privées ne puissent offrir aussi des dangers analogues. Mais l'Académie elle-même n'a pas cru devoir entendre la question au delà des limites dans lesquelles le gouvernement l'avait traitée aux Chambres avec l'intention de légiférer. D'ailleurs, les séances privées semblent devoir échapper à l'action des lois; absolument comme l'ivresse qui se cache a domicile; car c'est une chose bien délicate et bien grave que d'ouvrir la maison du citoyen aux visites de la police pour y faire prévaloir en cette matière des dispositions légales. Enfin, l'interdiction des séances publiques sera peut-être un remède suffisant aux abus que nous avons dénoncés, et l'on peut se contenter de l'appliquer tout d'abord. Elle offrira cet

(1) La Commission était composée de MM. Crocq, Boddaert et Masoin, membres titulaires; Héger et Semal, correspondants.

avantage, en dehors de son application même, qu'elle formera un solennel avertissement adresse' à la prudence publique, un sérieux appel à l'honnêteté de tous.

Puisque nous proposons de condamner les séances publiques d'hypno-tisme, faisons bien ressortir ici les conditions véritables dans lesquelles on les trouve aujourd'hui.

Quelle que soit l'opinion qu'on se forme sur leur convenance, il faut reconnaître qu'elles offrent un puissant attrait, du moins aussi longtemps qu'elles sont neuves; car bientôt elles deviennent monotones, à tel point qu'elles tomberaient peut-être d'elles-mêmes devant l'indifférence des foules, sauf à reparaître avec un nouveau succès quelques années plus tard. Mais enfin, c'est incontestable, elles passionnent souvent l'opinion, elles attirent puissamment le public. On se précipite vers les salles de concert pour entendre quelque artiste qui fait vibrer et chanter entre ses doigts un instrument de bois ou de cuivre; il s'agit de bien autre chose ici : on peut y voir un homme qui se joue, nous dirions presque qui joue de la personnalité humaine, accomplissant ces métamorphoses dont la mythologie a bercé notre enfance et qui, triste réalité, sont opérées chaque jour encore par la folie; on y verra donc des changements de personnalité, des transformations en bête, en plante, en objet quelconque, soit en lampe à pétrole qui s'allume elle-même, soit en un poêle qui se remplit de charbon, soit en un canapé sur lequel on s'assied, soit en brouette vivante que l'on pousse devant soi (expériences de M. Del-bœuf). Sous les yeux de la foule attentive, les exhibitions les plus curieuses se succèdent, tantôt celles du sentiment le plus dramatique, tantôt celles du plus haut comique, ce qui serait moins grave pour les spectateurs, car le rire est un excellent remède à beaucoup de maux. Qui ne se rappelle les attitudes bizarres et les grimaces désopilantes, la scène du dentiste improvisé et de sa victime inconsciente, la transformation d'un amateur en nourrice, les suggestions s'accomplissant avec un automatisme saisissant, et le spectacle de la léthargie, et la raideur en arche de pont, et tant d'autres choses qui donnent un intérêt si puissant aux séances de cette espècer Et tandis que ces divers tableaux se déroulent, tandis que le magnétiseur est là comme le magicien antique, fascinant ses sujets et les faisant manœuvrer, ainsi qu'un dompteur fait travailler ses fauves, il y a une musique adaptée aux diverses situations pour rendre l'émotion plus profonde et plus durable.

Mais aussi il y a dans la salle des personnes impressionnables, des hommes nerveux, des femmes hystériques ou sur le point de l'être, des adolescents et même des enfants, spectateurs nombreux dont l'organisme se trouvera dangereusement surexcité par la simple vue de ces phénomènes extraordinaires, au point que surviendront les accidents que nous 'avons signalés tantôt en nous basant sur l'observation des faits.

Et que dire des sujets hypnotisés— Des anémiques, des chétifs, des névropathes, des jeunes gens, parfois même des individus mineurs, et c'est là une chose absolument condamnable qui, dans tous les cas, devrait être interdite; href, des individus qui. en raison de leur âge, de leur santé ou de leurs prédispositions, ne devraient pas être exposés aux opérations de cette espèce. Car ce n'est plus comme autrefois, au temps où le magnétiseur conduisait avec lui sa « somnambule » et n'opérait point sur la foule. Dans les séances modernes, il est fait appel au public ; le premier venu, avide d'émotions ou confiant dans sa force, monte sur la scène, et, sans aucune enquête, sans

aucune sélection, il devient un sujet, d'hypnotisme; son cerveau, qui tient peut-être à peine en équilibre, est soumis à des influences profondément perturbatrices; bientôt, par des moyens employés sans aucun mystère, l'effet est produit, et ce malheureux devient comme une machine entre les mains du magnétiseur et sous les yeux de ses concitoyens.

Nous estimons qu'il n'est pas prudent de montrer aux foules par quels moyens simples on arrive a produire des phénomènes si graves. Il n'est pas convenable de donner ainsi l'homme en spectacle, le découronnant vis-à-vis de tous et le transformant en voleur, en faussaire, en assassin, en guinquet ou en brouette. Il n'est pas prudent d'exhiber cette « névrose expérimentale » (suivant l'expression de M. Charcot; devant le peuple déjà trop impressionnable de notre époque; car vous savez, messieurs, si les névroses sont contagieuses et si elles sont fréquentes aujourd'hui. Il n'est pas bon surtout de s'y soumettre sans discernement, au risque d'en subir les conséquences que nous avons relevées.

Mais les dangers et l'inconvenance ne sont pas seulement dans la salle des représentations magnétiques; ils reparaissent, peut-être même plus redoutables, au dehors. Frappé par le spectacle étrange que l'on a vu et se souvenant des procédés mis en œuvre, on entreprend de toutes parts des séances privées qui sont comme l'épilogue de la séance publique. Assurément, ces tentatives a domicile sont moins périlleuses sous certains rapports, parce qu'elles échouent souvent. Mais elles offrent ce danger particulier qu'elles roulent dans un cercle restreint de personnes qui se connaissent déjà plus ou moins intimement, qui, se revoyant davantage, peuvent s'influencer plus vivement ù la longue, en sorte que l'on arrivera peut-être à glisser jusqu'aux abus les plus graves, se perpétuant au foyer des familles sous le prétexte de soirées amusantes, en guise d'inoffensifs jeux de salon.

Mais ici se place une objection que nous avons entendu plus d'une fois formuler : si l'on interdit les représentations publiques, il en résultera, comme compensation, une recrudescence de séances privées, et ainsi l'on n'aura rien gagné.

(A suivre.)

COURS ET CONFÉRENCES

LA PSYCHOLOGIE CONTEMPORAINE

Leçon d'ouverture du cours de Psychologie expérimentale et comparée du Collège de France

Par M. le professeur Th. RIBOT

Certes, de nos jours, la psychologie ne peut pas se plaindre d'être délaissée. Jamais elle n'a été cultivée avec autant d'ardeur et, comme il arrive en pareil cas, chacun se réclame d'elle. Je sais des autours qui, dans des livres où il n'y a pas de psychologie du tout, glissent adroitement ce mot dans le titre, espérant que le pavillon couvrira la marchandise. Cette faveur est-elle une mode? car la mode règne partout, dans les sciences comme ailleurs. Je ne le crois pas. Je pense plutôt que le nombre et le zéle des travailleurs sont dus

à la position nouvelle qui a été prise. Un historien philosophe. Buckle. a dit avec une nuance de dédain : Pour une personne qui pense, il y en a au moins cent qui peuveut observer : il est certain qu'un observateur exact est rare, mais un penseur exact est plus rare encore. » Je n'y contredis pas; mais c'est là même ce qui fait la force de la psychologie expérimentale. Chacun en prend dans la mesure de ses moyens, j'ajouterai dans la mesure des circonstances où il se trouve. Tout est matière à une bonne observation : l'enfant pour ses parents, pour ses maîtres, le malade pour le médecin, le criminel pour les juges, un animal pour le zoologiste. Mais tout le monde ne sait pas voir. Ceux qui ont ce don, naturel ou acquis, ne sont pas en peine pour trouver leur voie, et quand ils se sont assigné une tâche, si limitée qu'elle soit, pourvu qu'ils la mènent à bonne fin. cela suffit. Ils ne sont point tenus de soulever le poids de la science tout entière, s'ils ne peuvent pas ou s'ils n'osent pas.

Ceci me conduit à la première partie de mon tableau : la psychologie française contemporaine, que je caractériserai d'un seul mot : l'ère des monographies. Je ne citerai aucun nom. parce que dans cette revue rapide de ceux qui travaillent à l'œuvre commune, j'aurais plus de regrets d'en oublier un seul que je n'aurais de plaisir à nommer tous les autres. Au reste, la plupart d'entre vous sauront bien les trouver d'eux-mêmes.

D'abord suis-je justifié à dire que nous sommes, en France, dans la période des monographies ? Il est certain qu'il n'existe chez nous aucun traité complet de psychologie conçu d'après la méthode physiologique et embrassant la totalité des questions.

f L'Allemagne a le grand livre de Wundt. encore remanié il y a quelques mois à peine. En Angleterre. J. Sully, en Italie. Sergi, ont public des esquisses d'une moindre étendue. Enfin, en Amérique, le professeur Ladd vient de faire paraître un volumineux traité qui, malgré des tendances métaphysiques, contient une telle abondance de faits et de descriptions anatomiques et physiologiques qu'on ne peut se plaindre que de l'excès: Nous n'avons rien de pareil à mettre en ligne. Faut-il s'en affliger? Sans doute, il est commode de trouver sous sa main, groupés dans un ordre systématique, les résultats les plus récents: mais ces œuvres de longue haleine exigent une tâche ingrate. Elles exigent des années et. avant d'être finies, elles sont à recommencer. Elles ressemblent à ces immenses cathédrales qu'il faut toujours réparer en quelque endroit. Pour les monographies, cet inconvénient est moindre, parce que le champ est très limité et les réparations plus faciles.

Je vais maintenant, quoique cela soit malaisé, essayer de résumer avec un peu d'ordre nos monographies françaises.

Commençons par les physiologistes. Bien que la psychologie ne soit pour eux qu'un prolongement de leurs recherches et un terrain sur lequel ils ne s'aventurent qu'avec réserve, il est clair pourtant qu'elle exerce sur plusieurs une séduction dont nous n'avons pas à nous plaindre : car, avec d'autres habitudes d'esprit, d'autres méthodes, l'éducation d'un autre milieu, ils donnent souvent à des questions rebattues un regain de fraîcheur et d'originalité. J'inscris à leur compte, pour ces dernières années, de nouvelles expériences sur les localisations césébrales, sensitives et motrices, des recherches sur l'activité des nerfs et l'obscur problème des actions d'arrêt : sur les réflexes considérés dans leurs manifestations les plus hautes; sur les paralysies psychiques qui mettent en plein jour la force de l'idée, qui nous montrent des

gens réduits a l'impuissance d'agir uniquement parce qu'ils se croient paralysés. Plusieurs thèses de doctorat et même d'agrégation en médecine ont été consacrées a des études psychologiques : les amnésies, l'hérédité intellectuelle, le sommeil et les rêves, etc.

Si nous passons à la psychologie proprement dite, je constate que la psycho-physique des sensations n'est pas en faveur comme en Allemagne: mais le rôle des opérations logiques, du raisonnement, comme nerf et principe d'unité des perceptions, a été bien étudie. Il en est de même du côté pathologique , c'est-à-dire des hallucinations. Ceci me conduit aux résultats les plus importants peut-être qui aient été acquis dans ces derniers temps : la nature et les conditions physiques de l'image. L'image, quel terme vague quand on l'oppose à perception ! Celle-ci nette, bien délimitée et localisée ; celle-là flottante et virant on ne sait où. Mais ici la maladie nous sert d'auxiliaire: par une analyse brutale, elle peut abolir un groupe entier d'images (tantôt visuelles, tantôt auditives, tantôt motrices] en respectant les autres et démontrer leur indépendance relative. Ainsi se trouvent déterminés certains types individuels très différents et, à quelques égards, irréductibles. L'un pense avec des images visuelles, un autre avec des images sonores, un autre avec des images de mouvement. Cette analyse, que je ne puis qu'indiquer très grossièrement, me paraît bien l'oeuvre propre de notre pays. Je ne vois du moins que des recherches statistiques de Galton sur ce sujet qui l'aient précédée. Ce n'est pas tout: je crois que cette théorie des images peut conduire eneore plus loin, — et maintenant je ne constate plus des résultats, je formule une espérance, — elle peut servir de base et de point de départ pour une théorie des idées générales qui sont des extraits ou des condensations d'images. 11 faut bien l'avouer, l'idéologie est l'un des points faibles de la psychologie nouvelle. Bien peu se sont aventurés dans cette région, où les métaphysiciens tiennent bon. comme dans une dernière citadelle. 11 serait temps de reprendre l'œuvre de nos anciens idéologues, mais d'une autre ma, niére, mieux préparée et mieux armée, ayant des observations, des faits pathologiques et surtout des documents linguistiques qu'ils n'avaient pas.

Comme j'ai promis de ne parler aujourd'hui que de ce qui est fait, je n'insisterai pas sur ce qui reste à faire. Ce serait encore le cas à propos des sentiments et des émotions. Pourtant, on a travaillé aussi dans cette direction, en essayant de déterminer la loi générale des phénomènes affectifs et les conditions de leur genèse. en étudiant les variétés du caractère dans les individus et les races. Je n'oublierai pas les aliénistes. La théorie de la dégénérescence, reprise après Morel et élargie, a permis de ramener à une cause unique les manifestations morbides les plus bizarres et les plus dissemblables (tendance à l'homicide, au suicide, au vol, dépravations sexuelles et beaucoup d'autres); et comme ces désordres multiples ont leur source dernière dans les mauvaises conditions de la vie organique, comme celle-ci est aussi la source des affections et des passions, la pathologie mentale peut éclairer bien des problèmes. A mon avis, on n'y a pas assez puisé.

La psychologie des mouvements a donné une riche moisson. Des expériences ingénieuses ont montré que la quantité de mouvement produit dépend de la nature des sensations et des sentiments. S'ils sont dépressifs, la quantité de force disponible dans l'organisme diminue et avec elle la puissance motrice. Sont-ils excitants, il s'ensuit une augmentation de force, une dynamogénie dont la puissance croissante du mouvement est l'indice. Mais, entre tous les

mouvements, ceux-là surtout ont une valeur intellectuelle qui servent à l'expression de la pensée. La parole intérieure et, sous une forme plus générale, le langage intérieur ont donné lieu à des monographies bien connues : les troubles du langage, les diverses formes de l'aphasie ont été étudiés dans notre pays avec autant de suite et de succès que dans tout autre.

Voilà un inventaire bien long pour une période bien courte ; et pourtant je n'ai parlé ni des publications sur la psychologie de l'enfant, ni des études sur les manifestations inconscientes de l'esprit, ni de deux livres considérables pour la psychologie comparée qui se font suite et se complètent : l'un sur les colonies animales, l'autre sur les sociétés animales.

Avant de quitter la France, il me reste à parler du procédé à peu près unique d'expérimentation qui ait été employé : c'est l'hypnotisme. Dans une précédente leçon d'ouverture, j'ai montré son importance et les résistances qu'il a dû vaincre. 11 est entré dans la période triomphante. J'ai peur qu'il n'ait triomphé trop tôt près du grand public : dans les sciences, la popularité est un péril. Les livres, mémoires, articles, recueils d'observations et d'expériences se suivent sur ce sujet avec tant de rapidité et d'abondance que les plus attentifs en laissent échapper. Tous les expérimentateurs ne s'accordent pas, il s'en faut, parce que chacun agit et interprète suivant son tempérament. 11 y a les timides, les prudents, les hardis, les téméraires, les enfants perdus. Je ne dis de mal de personne, car tout travailleur sincère a droit au respect : et d'ailleurs que savons-nous du fond des choses .' Il est probable qu'après cette période de production à outrance, la critique fera son œuvre et décidera ce qui reste acquis. Mais ces recherches expérimentales par l'hypnotisme, sur lesquelles je suis forcé d'être trop bref, sont à elles seules une preuve de la vitalité de nos études et même de leur exubérance.

J'en donnerai une dernière preuve. C'est la fondation à Paris, en 1885, d'une Société de psychologie physiologique, due à la seule initiative privée, sans intervention officielle. Il y a vingt ans, une pareille société était impossible : les éléments nécessaires pour la constituer faisaient totalement défaut. Groupant des hommes de professions diverses, mais tous animés d'un zèle commun, cette société a, par ses communications, ses discussions, ses enquêtes lancées dans le public, pris déjà une place dans le mouvement contemporain.

Et maintenant si vous voulez bien remarquer que, dans cette revue rapide, je n'ai dit que l'essentiel, et que je n'ai embrassé que quatre ou cinq années au plus, j'affirme sans crainte que nous ne pouvons pas être accusés de tiédeur ou de stérilité.

VARIÉTÉS

L'HYSTERIQUE

Par le Dr Collineau (Suite)

En somme, à un degré variable, l'hystérie est de tous les climats. Dans les pays froids, le dénûment, la souffrance, la misère, l'insuffisance de la nutrition, l'appauvrissement général de l'économie : consé-

quences de la rigueur même de la température; dons les pays chauds, une irritabilité spéciale, l'énervement. la langueur, la tendance à l'oisiveté : conséquences de la torridité même de l'atmosphère ; voilà autant de facteurs puissants qui s'ajoutent, sous les climats extrêmes, aux facteurs divers dont, par toutes les latitudes, l'hystérie est le produit.

L'histoire de cette maladie fourmille d'erreurs. Entre toutes. il en est une qui s'est accréditée dans la science avec un bonheur insolent. On l'a proclamée le mal des riches. La pauvreté en serait à l'abri. Et les raisons, toutes plus spécieuses, de se produire. L'oisiveté avive la sensibilité nerveuse. Le travail manuel la réfrène. Les privations émoussent la susceptibilité. Les mille petites misères, contrariétés, taquineries qui font cortège à l'opulence affinent, jusqu'à l'émotivité, l'im-pressionnabilité native. En temps de révolution, on ne connaît plus de névroses.

Toute celte belle dialectique fléchit devant l'observation rigoureuse des faits. Sans parler des recherches de Forget, frappé de la proportion considérable d'hystériques parmi les paysannes de l'Alsace ; m de celles de Magnus Huss, signalant, chez les domestiques, en Suède, une circonstance analogue: ni de celles de Lebert, notant, dans le Valais et le Faucigny, la coïncidence de l'hystérie avec l'indigence, et un appauvrissement de l'économie porté jusqu'à la dégradation, les recherches statistiques de Briquet à l'hôpital de la Charité, à Paris, n'ont pas pour peu contribué à extirper cette idée fausse.

De cette investigation patiente et approfondie, il résulte que dans les classes laborieuses on rencontre une femme atteinte d'hystérie avec attaques sur cinq; une femme atteinte d'hystérie sans attaques sur sept; une femme très impressionnable sur quatre: une femme sur deux, tout au plus, qui ne soit ni fort impressionnable ni hystérique. « 11 n'est pas possible, ajoute Briquet, d'obtenir, à l'égard des femmes des classes aisées, des notions aussi précises. Cependant on peut arriver à une évaluation plus ou moins approximative : ainsi, d'après les renseignements pris auprès de médecins très occupés, j'ai trouvé qu'on rencontre au plus une femme ayant des attaques hystériques sur sept, au lieu d'une sur cinq. Il est très probable que le nombre des femmes atteintes d'hystérie sans attaques est proportionnel à celui-là ; de sorte que. bien évidemment, l'hystérie est moins commune dans les classes aisées que dans les classes pauvres... D'après les données que j'ai pu recueillir, dît-il enfin, il y a lieu de supposer que le degré de fréquence de la névrose est plus considérable dans les classes les plus élevées que dans les classes moyennes. »

On a avancé que l'hystérie était très rare dans les campagnes. Non; c'est la résistance aux atteintes de la névrose qui est plus grande chez les femmes élevées à la campagne, et, par conséquent, son apparition, en général, plus tardive.

Quant aux grands centres de population, on est unanime a les regarder comme le réceptacle de toutes les conditions propres à en favo-

riser l'éclosion. Ne s'y heurte-t-on pas. a tout instant, aux pires éléments de débilitation de l'organisme et d'excitation du système nerveux ?

Pour les classes riches, l'oisiveté avec ses besoins factices et ses exagérations de susceptibilité; pour les classes laborieuses, l'impérieux appel de besoins — légitimes ceux-là — insatisfaits, avec ses tristesses, ses froissements, ses violences: telles sont, à la ville comme aux champs, les générateurs de l'hystérie dépendant de la position sociale et du milieu.

Il en est un autre encore, lié à la position sociale et au milieu par des liens étroits; c'est le régime. Les doctrines erronées des anciens sur la nature de l'hystérie les ont entraînés, sur la question du régime alimentaire qui convient aux hystériques, a des théories non moins fausses. Ils ne voyaient dans l'affection que le résultat de la plénitude. Ils ne pouvaient, en vue d'enrayer cette prétendue pléthore, que recourir à un régime débilitant et proscrire, sans merci, les analeptiques.

Suivre de tels errements serait pernicieux.

Entre les sujets atteints d'hystérie, une distinction s'impose. Les uns, à la vérité, d'un caractère violent, emporté, intraitable, sont doues d'une vigueur peu commune. A ceux-là, une alimentation substantielle et stimulante est funeste. Les autres, et ce sont de beaucoup les plus nombreux, sont débiles et anémiques. Or, lorsque le principe actif du sang artériel est en défaut, les opérations du système nerveux sont en souffrance et deviennent désordonnées. Si, maintenant, il est avéré que toute opération du système nerveux est au prix d'une dépense d'éléments nerveux et artériel, l'élément artériel nécessaire à la stimulation nerveuse ne saurait, lorsque la constitution est chétive et la nutrition appauvrie, cire fourni par la même quantité de sang que dans le cas contraire. Il s'ensuit que l'opération réclame une quantité de sang plus considérable. Mais ce concours n'étant plus en proportion avec les conditions normales de la fonctionnalité nerveuse, la surexcitation se produit. Aussi peut-on affirmer que dans une foule de cas, la surexcitabilité est en raison directe de l'appauvrissement artériel. Toutes les fois donc, et la plupart du temps il en est ainsi, qu'il y a indigence de globules, un régime alimentaire débilitant ne -fait qu'aggraver les désordres. C'est le cas des hystériques observés par Lebert dans les cantons les plus nécessiteux de la Suisse. C'est celui des jeunes tilles turques citées par Cambay et dont l'alimentation a pour base des sucreries, des fécules et des pâtes. C'est celui des femmes de Suède, dont Magnus Huss fait mention, et dont la coutume est de boire, du matin au soir, du thé. C'est aussi, selon toute probabilité, celui des jeunes femmes de l'île d'Yeu que nous avons eu sous les yeux et qui ne faisaient usage de viande qu'avec une extrême parcimonie, en raison de la difficulté des communications avec le continent. C'est, en un mot, l'opinion soutenue par Baglivi, Zimmermann, Tissot, Buchan, Briquet, Bernutz et très généralement adoptée aujourd'hui.

(A suivre.)

CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE

Effets de l'imagination.

Noire confrère le Praticien exhume d'excellentes anecdotes. Parmi elles nous lui empruntons la suivante qui montre jusqu'à quel degré certains esprits subissent l'influence d'une imagination déréglée.

Le comte de Guiche 'devenu depuis le maréchal de Grammont} était un des hôtes assidus de l'hôtel de Rambouillet; il fut victime à Rambouillet d'une farce qui agit fortement sur son imagination. Un soir qu'il avait mangé force champignons, on gagna son valet de chambre qui donna tous les pourpoints des habits que son maître avait apportés. On les rétrécit promptement. Le malin Chaudebonne (ami intime de Mme de Rambouillet et du comte de Guiche) le va voir comme il s'habillait, mais quand il voulut mettre son pourpoint, il le trouva trop étroit de quatre grands doigts.

« Ce pourpoint-là, est bien étroit, dit-il à son valet de chambre, donnez-moi celui de l'habit que je mis hier. » Il ne le trouva pas plus large que l'autre, c Essayons-les tous, » dit-il, mais tous lui étaient également étroits. « Qu'est ceci ? ajouta-t-il, suis-je enflé, serait-ce d'avoir trop mangé de champignons ? — Cela pourrait bien être, dit Chaudebonne, vous en mangeâtes hier à crever, »

Tous ses amis lui en dirent autant; l'imagination du comte travaillant alors, il en vint à trouver que son teint était livide. Sur ces entrefaites, la messe sonna; il dut s'y rendre en robe de chambre. La messe dite, il commença à s'inquiéter de cette prétendue enflure et il disait en riant du bout des dents: « Ce serait pourtant une belle fin que do mourir à vingt et un ans, pour avoir mangé des champignons. »

Comme on vit que cela allait trop avant, Chaudebonne dit qu'en attendant qu'on pût avoir du contre-poison, il était d'avis qu'on fit une recette dont il se souvenait. Il se mit aussitôt à l'écrire et la donna au comte : « Récipe de bons ciseaux et décous ton pourpoint. » (Tallemant des Réaux.)

Suggestion sans hypnotisme.

Nous lisons dans l'intéressante revue le Sphynx, publiée par notre excellent confrère le Dr Hubbe Schleiden (de Munich), le récit suivant qui prouve que les applications de la suggestion ne sont pas encore très familières en Allemagne, puisqu'elles ont le don de stupéfier les esprits :

« Se guérir sur commandement, voilà assurément un cas très imponant.

Il n'a cependant pas été réalisé à l'hôpital militaire, sur un de nos soldats habitués à l'obéissance, mais bien sur un malade en traitement à la clinique du professeur Leyden (Berlin).

Il s'agissait d'un jeune musicien qui souffrait depuis des années d'un affaiblissement du système nerveux et qui avait été subitement paralysé des bras et des jambes, à la suite d'un effroi subit.

Il fut amené à la clinique royale, et quand le professeur Leyden le vit, il reconnut immédiatement, quoique le malade ne fût pas en état de faire le moindre mouvement avec ses membres, que l'on se trouvait en présence d'une paralysie hystérique, supposition confirmée par l'attitude gaie et confiante du malade.

Il résulta de ce diagnostic qu'il était impossible de guérir la maladie à l'aide de remèdes médicaux et l'on se décida à un procédé thérapeutique spécial. On . donna au malade une potion absolument innocente, en lui disant qu'elle exercerait un effet infaillible sur la paralysie. L'imagination du malade fut habituée systématiquement à la pensée, que tel jour, à telle heure fixe, il éprouverait un sentiment de soulagement tout à fait particulier dans les bras, que la paralysie cesserait pour ainsi dire immédiatement, et que le remède exercerait ensuite la même influence sur les membres inférieurs.

En effet, la confiance du malade en ses médecins et son imagination surexcitée étaient si grandes, que l'effet de la potion se produisit exactement comme on l'avait annoncé, et que le professeur Leyden put, trois jours plus tard, présenter son malade se mouvant normalement devant les médecins et les étudiants étonnés. »

BIBLIOGRAPHIE

La Folie érotique, par B. Ball, professeur a la Faculté de médecine de Paris. — 1888. J.-B. Baillière et fils, éditeurs.

Si M. le professeur Ball a entrepris, dans ses cliniques, de parler de la folie érotique, ce n'est point assurément pour complaire a une vaine curiosité; son but est plus élevé. L'auteur veut, par cette étude, montrer combien il est difficile de fixer nettement la ligne de démarcation entre la raison et la folie.

« Parmi les instincts réguliers et normaux dont la nature nous a pourvus» il n'en est certainement aucun, dit M. Ball, qui exerce une aussi puissante influence sur nos sentiments et notre caractère que l'instinct génital; et par cela même il n'en est aucun qui se prête â des perversions plus étranges, même cher les sujets qui paraissent sous tous les autres points de vue avoir conservé l'équilibre de leurs facultés.

» Par ses rapports avec l'un des sentiments les plus puissants et les plus légitimes de la nature humaine, cette étude présente autant d'intérêt pour le philosophe que pour le médecin.

» Par ses connexions intimes avec la médecine légale, elle offre, au point de vue pratique, une importance hors ligne.

» Tous les jours, les tribunaux ont à s'occuper d'affaires scandaleuses, dans lesquelles la part du crime et de la folie est presque impossible a déterminer. Et c'est ici que les habitudes d'esprit de chacun jouent un rôle de premier ordre dans la décision qui intervient. I.a sévérité est la règle chez les uns. l'indulgence prédomine chez les autres.

» Il est donc absolument indispensable de s'appuyer sur des connaissances solides et pratiques pour arriver à une saine appréciation des fiits de ce genre. »

Au point de vue didactique, M. Ball adopte la classification suivante de la folie erotique :

1° Erotomanie ou folie de l'amour chaste;

2° Excitation sexuelle comprenant la forme hallucinatoire, aphrodisiaque, obscène, la nymphomanie, le satyriasis;

3° Perversion sexuelle, comprenant les sanguinaires, les nécrophiles, les pédérastes et les intervertis.

C'est dans cet ordre que sont étudiées successivement les différentes questions qui se rattachent à la folie erotique. Ce livre est écrit avec la verve et la finesse que nous retrouvons dans toutes les œuvres de M. le professeur Ball.

Hospice de la Salpètrière. — clinique des maladies nerveuses : M. Charcot a

reprit ses leçons et les continuera les vendredis et mardis.

Asile Sainte-Anne. — Clinique des maladies mentales : M. le professeur Ball a reprit son cours de clinique des maladies mentales, le dimanche 15 avril 1888. à 10 heures du matin, et le continuera les jeudis et dimanches suivant à la même heure.

Hospice de Bicêtre.— Maladies mentales : M. Charpentier, mercredi, à 8 heures 1/2.

Ecole pratique. — M. le Dr Bérillon a commence, le lundi 16 avril, un cours libre sur les applications thérapeutiques Je l'hypnotisme, dans l'amphithêatre n° 3 de l'Ecole pratique de la Faculté de médecine. Il le continuera les lundis et vendre-dis a 5 heures.

Association générale des médecine de France. — L'Association, dans sa réunion annuelle du 6. avril, a procédé au renouvellement de son bureau.

Sont élus : Secrétaire général. M. Riant ; vice-secrétaire, M. Richelot ; membres du conseil général, MM. Bucquov. Jaccoud. Motet, Worms (de Paris), Duménil (de Rouen), Laennec (de Nantes) et Marquez (du Haut-Rhin).

MM. Passant, Richelot (de Paris) et Thomas (de Tours) sont élus membres de la commission des pensions, en remplacement de trois membres sortants.

index bibliographique international

HYPNOTISME (depuis 1880)

Janet (Pierre) : Les actes inconscients et la mémoire dans le somnambulisme. (Revue philosophique, mars 1888.)

Algeri : Hypnotisme chez les criminels fous. (Archivio di psichiatria, déc. 1887.) Blanc (E.) : De quelques opinions récentes sur l'hypnotisme. (Controverse et Contem. porain, février 1888.)

Ribaut : Considérations sur l'hypnotisme et observation d'un cas d'hémiplégie hystérique guérie par l'hypnotisme. (Rev. Méd. de la Suisse rom., 10 mars.)

Huckel : Die Rolle der Suggestion bei gewissen Frischeinungen der Hystérie und) des Hypnotismus- In-8°, 73 p. Iena. — Le rôle de la suggestion dans certains phénomènes de l'hystérie et de l'hypnotisme.

Sallis (de Bade) : L'hypnotisme dans l'accouchement. (Der Frauenartz, janv. et fév. 1888.)

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Dégénérescence et criminalité, essai physiologique par Ch. Fére,

médecin de Bicêtre. Bibliothèque de philosophie contemporaine. — In-12, Félix Alcan. 1888 (a fr. 5o .

Traité clinique des maladies mentales, par le docteur H. Schule. troisième édition, traduite par les docteurs Dagonet et Duhamel. — Delahaye et Lecrosnier. In-8°, 1er fascicule, 1888 (4 fr).

Manuel de métallothérapie et de métalloscopie. par le docteur

Movicourt. — Delahaye et Lecrosnier. In-12, 1888 (3 fr 5o).

Mélusine. recueil de mythologie, littérature populaire, traditions, usages, publié par H. Gaidoz et E.. Rolland. — Grand in-4°. Tome III, 1887. Emile Lechevallier, 39, quai des Grands-Augustin s (25 fr).

Weak-minded Children (les enfants imbéciles), par le docteur W. Ireland. — Petite brochure in-8°.

L'Administrateur-Gérant: Emile BOURIOT, 170, Rue St-Antoinc.

paris — imprimerie charles dlot, rue bleue, 7.

REVUE DE L'HYPNOTISME

EXPÉRIMENTAL ET THÉRAPEUTIQUE

BULLETIN

LES REPRÉSENTATIONS PUBLIQUES D'HYPNOTISME

Dans sa séance du 28 janvier dernier, l'Académie de médecine de Belgique, ayant été saisie par son honorable secrétaire général. M. Rommelaere, d'une proposition tendant à conseiller au gouvernement belge l'interdiction des séances publiques d'hypnotisme, une importante discussion s'est ouverte à ce sujet dans le sein de cette assemblée.

Avant de se prononcer, nos confrères de Belgique ont pensé, avec raison, qu'il convenait de reprendre complètement l'élude de l'hypnotisme scientifique.

Plusieurs membres de l'Académie ont fait, avec un remarquable talent d'exposition et avec une compétence indiscutable, l'analyse des travaux accomplis dans ces dernières années par les écoles de Paris et de Nancy. En général, ils ont exprimé, dans leurs conclusions, l'avis que la pratique de l'hypnotisme ne devait pas être laissée entre les mains du premier venu.

Un ou deux orateurs ont tenté de défendre la cause des représentations publiques d'hypnotisme : il faut reconnaître qu'ils n'ont pas fourni d'arguments dignes d'être pris en considération.

Au contraire, en dehors de l'Académie, les magnétiseurs ambulants ont trouvé, dans M. Delbœuf, professeur à l'Université de Liège, un ardent défenseur. Nous avons lu avec le plus grand intérêt le plaidoyer dans lequel il reproche à M. le professeur Thiriar d'avoir pris, à la Chambre des députés de Bel-

gique. l'initiative de la demande d'interdiction des séances publiques d'hypnotisme.

Malgré l'estime que nous inspire le talent de notre èminent collaborateur, nous avons le devoir de protester contre deux des principales allégations contenues dans sa brochure.

Nous ne pouvons être de son avis lorsqu'il affirme que les pratiques des magnétiseurs n'ont jamais déterminé d'accidents sérieux.

Depuis deux ans que nous avons l'honneur de diriger la Revue, de l'Hypnotisme, nous avons enregistré un assez grand nombre de faits qui prouvent l'action néfaste exercée dans maintes localités par le passage de certains magnétiseurs.

Le premier, M. Ladame a fait, dans son livre sur la Névrose hypnotique, un exposé frappant du sans-gène avec lequel les magnétiseurs se jouent de la santé de leurs sujets. Depuis, M. le professeur Charcot a signalé l'apparition, dans un chef-lieu de département français, d'une sorte de manie hypnotique active qui pénétra jusque dans le collège de la ville. En particulier, un-jeune élève, hypnotisé par ses camarades, fut atteint dune série de troubles nerveux qui l'amenèrent à la Salpêtrière. M. Pitres-(de Bordeaux) et M. Andrieu (d'Amiens) ont observé des jeunes gens chez lesquels les pratiques de magnétiseurs ambulants et de saltimbanques avaient déterminé l'éclosion de graves accidents.

Enfin, récemment, nous recevions de M. Briant, médecin en chef de l'asile de Viilejuif, l'observation d'un cas de délire mélancolique consécutif à des pratiques d'hypnotisme tentées par un magnétiseur.

Nous avons eu nous-mème l'occasion d'enregistrer un certain-nombre d'accidents analogues dus à des tentatives d'hypnotisme-faites par des empiriques dans un but d'amusement ou de curiosité.

Nous ne saurions souscrire davantage à l'opinion émise par M. Delbœuf lorsqu'il prétend que c'est aux magnétiseurs que les médecins doivent ce qu'ils savent en matière d'hypnotisme.

Nous avons assisté aux séances données par les « plus célèbres » magnétiseurs de ce temps. Chez presque tous, nous avons constaté une ignorance complète des laits physiologiques les plus élémentaires. Uniquement préoccupés du désir d'amuser et de distraire le public, ils ne s'appliquaient qu'à produire des phénomènes ayant une apparence de merveilleux, sans se soucier des conséquences que leurs manœuvres pouvaient avoir sur l'état mental de leurs sujets. Quelques-uns faisaient preuve d'une brutalité inouïe. Tous, pour rehausser leur prestige, s'efforçaient de

propager la croyance qu'ils étaient détenteurs d'un fluide spécial et magique ou dune force fascinatrice surnaturelle, dont les autres mortels seraient à peu près dépourvus.

En résume, l'opinion des personnes instruites qui sortaient de ces représentations était qu'elles venaient d'assister à des scènes de compérage ou à un spectacle malsain.

Aussi nous pensons que, loin d'avoir fait acte de vulgarisation utile, les magnétiseurs ont retardé le mouvement scientifique. Ils ont inspiré aux hommes sérieux le désir de n'avoir rien de commun avec ceux qui. sous prétexte de science, se livrent à des exhibitions théâtrales. Ils ont suscité dans les esprits plus de scepticisme que de confiance à l'égard des phénomènes qu'ils provoquaient.

Qu'on ne vienne pas nous dire que ces commis-voyageurs ignorants et déclassés ont inspiré à M. Liébeault ses remarquables éludes psychologiques sur le sommeil naturel ou provoqué.

C'est se moquer agréablement du monde que de prétendre que ces entrepreneurs de spectacles ont guidé MM. Charcot, Du-montpallier, Mesnet, Bernheim et tant d'autres médecins émi-nents dans leurs études cliniques sur l'hystérie, l'hypnotisme et le somnambulisme.

Ce qui est vrai, c'est qu'une seule des leçons de M. Charcot a plus fait pour intéresser le monde scientifique à la cause de l'hypnotisme que cent mille séances données par les magnétiseurs.

En nous joignant à ceux qui demandent l'interdiction des séances publiques d'hypnotisme, nous n'avons pas l'intention de limiter le droit des penseurs qui veulent poursuivre des expériences de psychologie.

Les philosophes et les médecins psychologues pourront à leur aise, sous leur responsabilité, continuer leurs études dans leur cabinet de travail. Il ne leur viendrait d'ailleurs jamais à l'esprit l'idée d'aller expérimenter sur les tréteaux d'une salle de théâtre.

Quant à ce qui est de l'hypnotisme envisagé au point de vue thérapeutique, nous nous rallions à la formule de M. Ladame, d'ores et déjà acceptée, en France, par tous les esprits sérieux :

« La pratique de l'hypnotisme appartient complètement à l'art de la médecine et doit être soumise aux lois et règlements qui s'appliquent à l'exercice de cet art. »

Dr Edgar Bérillon.

DE LA SUGGESTION ET DU SOMNAMBULISME

DANS LEURS RAPPORTS AVEC LA JURISPRUDENCE ET LA MÉDECINE LÉGALE

Par M. Jules LIÉGEOIS

PROFESSEUR a la FACULTÉ DE DROIT DE NANCY

Monsieur le Rédacteur en chef (1).

Vous avez appris que je prépare un livre, qui paraîtra le mois prochain, chez M. Octave Doin, éditeur à Paris, sous ce titre: De la suggestion et du somnambulisme, dans leurs rapports avec la jurisprudence et la médecine légale. Vous voulez bien me demander de donner aux lecteurs de la Revue quelques indications sur le but que je me propose et sur le plan que j'ai adopté. Je me rends volontiers à votre désir.

J'avais songé d'abord à donner seulement une seconde édition, revue et augmentée, du Mémoire que j'ai lu, il y a quatre ans. sur le même sujet, à l' Académie des sciences morales et politiques ; mais je n'ai pas tardé à reconnaître que ce projet serait peu praticable. Depuis 1884, en effet, les choses ont bien change de face; une nouvelle et grande impulsion a été donnée aux études hypnotiques, et votre excellente Revue a rendu, à cet égard, de signalés services : les expériences se sont multipliées de tout côté, et je crois pouvoir dire qu'elles ont, pour la plupart, confirmé les vues de l'Ecole de Nancy, qui avaient d'abord paru si aventurées et si hardies.

En présence du nombre et de la richesse des documents et des informations dont je pouvais disposer, je me suis déterminé à écrire un livre nouveau, dans lequel je reprends d'ailleurs et je précise mes idées de 1884, en y ajoutant, d'une part, le résultat de quatre années d'études et de réflexions, de l'autre, une moisson déjà très riche d'observations dues à des savants français et étrangers.

La modeste brochure que formait mon Mémoire devient ainsi un livre qui. par ses proportions tout au moins, aura presque l'importance du bel ouvrage de mon excellent collègue et ami Bernheim sur la Suggestion dans ses applications à la thérapeutique (2,. Ces deux publications se compléteront ainsi, je l'espère du moins. l'une considérant la suggestion dans ses rapports avec les sciences médicales, l'autre avec la jurisprudence et la médecine légale.

(1) Cet article nous a été adresse par M. le professeur Liégeois auquel nous a'ions demandé de vouloir bien nous faire part des considérations générales qui l'ont guidé dans l'important travail qu'il va publier.

(2) Paris. O. Doin, éditeur, t vol. in-18, deuxième édition, 1888.

On m'avait reproché, il y a quatre ans. d'avoir jeté l'Académie in médias res. d'avoir placé sous ses yeux, sans aucune précaution oratoire, des faits singuliers, étranges, qui n avaient pas encore droit de cité dans le domaine scientifique. Cette lacune existait réellement : elle avait pour cause le peu de temps dont on dispose dans une lecture académique: elle eût été sans excuse dans un livre où 1 auteurest libre de ses mouvements. Je consacre deux chapitres fort étendus à l'historique, et je montre comment Braid a dégagé l'hypnotisme des nuages et des obscurités du magnétisme, et comment la théorie de la suggestion est venue s'y ajouter, grâce surtout, comme l'a dit M. le professeur Beaunis, aux travaux des docteurs Durand (de Gros), Liébeault, Bernheim — et j'ajouterai, de M. Beaunis lui-môme.

Dans les chapitres suivants, je passe en revue successivement les procédés d'hypnotisation, les degrés de sommeil ; la discussion à l'Académie des sciences morales et politiques, les expériences confirmatives des vues de l'Ecole de Nancy: les elïets physiologiques des suggestions : anesthésie, vésication, stigmates; les effets psychologiques : hallucinations, amnésie: la condition seconde, etc., etc. : viendront ensuite les chapitres consacrés à la justice criminelle et aux expertises médico-légales.

Le temps me manque en ce moment pour vous envoyer quelques vues d'ensemble sur les graves questions que soulève la suggestion ; peut-être pourrai-je le faire le mois prochain, alors que la rédaction de mon manuscrit sera achevée, si toutefois vous pensez que cela intéresse vos lecteurs.

Pour aujourd'hui, je ne puis que vous envoyer, à la hâte, un court extrait du chapitre que je consacre aux suggestions à l'état de veille; encore n'en serez-vous sans doute guère satisfait, parce que, afin d'éviter des redites, je m'y réfère à ce que j'ai déjà expliqué dans mon chapitre sur la Condition seconde; or. pour cette partie de mon livre, le manuscrit est entre les mains des compositeurs et je n'en ai point encore d'épreuves. Si cela est par trop incomplet, vous reconnaîtrez que c'est un peu votre faute, et que vous vous êtes montré trop pressé. Cela dit, voici le passage en question :

Quand j'ai commencé, vers le mois d'octobre 188;. à étudier, à la clinique de M. le Dr Liébeault, les faits hypnotiques, sans avoir, à l'origine, l'idée d'en faire une publication quelconque, j'ai été amené peu à peu à m'occuper des suggestions d'actes faites à l'état de veille. Je n'avais jamais vu faire ces sortes de suggestions, ni à M. Liébeault. ni à M. Bernheim; or. il arriva ceci : je crus remarquer, alors que Mme T.... dont il aétéparlé dans l'observation II (1), se refusait à accomplir les suggestions faites pen-

(1) Voy. De la suggestion hypnotique, etc.. 1884. p- 25

dant le sommeil somnambulique, je trouvais en elle moins de résistance quand je réitérais la suggestion à l'état de veille. Même, plusieurs suggestions faites exclusivement dans ce dernier état furent exactement réalisées, tandis que Mme T... avait —avec la fermeté de caractère qui la distingue — annoncé l'intention formelle et manifesté te certitude absolue de ne pas faire l'acte suggéré. Ainsi, je lui avais dit. une fois, sans l'endormir : c Ce soir, » au moment où vous vous mettrez à table, avec votre mari, vous » éteindrez la lampe, pour fa rallumer aussitôt; puis, le lendemain » matin, vous irez au jardin: vous ferez un bouquet et vous me » l'apporterez chez le Dr Liébeault. » Mme T... m'assura, le lendemain, qu'elle avait fait tout ce qu'elle avait pu pour résister, mais qu'une force invincible l'avait poussée a réaliser ma suggestion.

Même résultat, pour l'idée qui lui fut suggérée de se rendre chez Mme Sed... et d'aller dans l'armoire de la salle à manger prendre une bouteille de liqueur, s'en verser un verre et en offrir un autre à la personne chez qui elle se trouverait.

Mon attention une fois éveillée sur ce point, je fis de nombreuses suggestions d'actes à l'état de veille et il me semble de plus en plus que. comme je viens de le dire, je trouvais souvent moins de résistance chez le sujet mis en expérience, quand je le laissais en cet état, que quand je l'avais mis préalablement en somnambulisme.

C'est de cette manière que je réalisai la suggestion en vertu de laquelle Mlle P... tira un coup de pistolet sur sa mère. C'est encore au même procédé que j'eus recours pour faire souscrire à Mme D.... jeune femme très intelligente et de caractère très arrêté, des reconnaissances de dette, des billets à ordre, un cautionnement, etc.

De même encore, un jour qu'elle parlait des honoraires plus que modestes qu'elle avait remis à M. le docteur Liébeault. je lui affirmai qu'elle était dupe d'une illusion ; qu'elle n'avait pas fait le paiement qu'elle croyait effectué ; elle se récria d'abord, puis, sur mon affirmation, appuyée par la fixité du regard, elle se disposait à payer sa dette une seconde fois, croyant ne l'avoir pas fait encore, quand je lui enlevai la suggestion à laquelle elle avait cru si rapidement.

Un jour, à M. Th..., je dis de tirer sa montre de la poche de son gilet et de me la remettre ; il s'exécute aussitôt ; alors, le regardant fixement, je lui persuade que j'ai, non pas cette montre, mais deux montres exactement pareilles dans mes deux mains. Il les voit, en effet, et, invité à reprendre l'une des deux, il s'empare de la montre imaginaire, comme si l'image suggérée était plus nette et plus vive encore que l'objet qu'elle représente, et 1a remet gravement dans sa poche. Tout cela, sans que j'aie endormi M. Th.... sans qu'il ait fermé les yeux, sans qu'il ait cessé d'être

en communication avec tous les assistants, sans que rien révèle en lui un état psychique particulier.

C'est encore à l'état de veille que. à la fin de 1883, (et, ce me semble, avant d'avoir lu le livre de M. Ch. Richet, mais, sur ce point, mes souvenirs ne sont pas absolument certains), je produisis chez Mme D... des changements de personnalité en vertu desquels elle se crut et devint successivement prêtre, général, marin, prima donna du théâtre de Nancy, etc.. etc.

C'est dans le même état encore que je persuadai, un jour, à M. Th..., jeune homme de 25 ans, qu'il était devenu une nourrice. 11 entra pleinement dans ce rôle imprévu et le vécut, plutôt qu'il ne le joua. Je le vois encore, chez M. et Mme D..., en présence du père et de la mère de cette dernière ; on lui remit entre les bras un poupon formé de quelques morceaux d'étoffe ; il le prit avec précaution, ouvrit délicatement un corsage fictif, donna au bébé un sein imaginaire et me dit pudiquement c Je me tourne parce qu'il y a du monde ! »

Mme D... riait à se tordre. Puis, l'allaitement terminé, elle désira endormir elle-même M. Th... : celui-ci prétendit que c'était plutôt lui qui endormirait la jeune femme ; je les mis en présence l'un de l'autre, et tandis qu'ils se regardaient longuement, je leur fis des passes qui les endormirent tous deux.

J'ajouterai ici une observation qui me paraît avoir une certaine importance.

Il m'a semblé déjà, à la fin de 1883, que pour faire réussir une suggestion à l'état dit de veille, il y avait un certain changement d'étal psychologique à produire chez les sujets d'ailleurs très sensibles et antérieurement hypnotisés qui, seuls, peuvent réaliser ce curieux phénomène. Ce changement me semble dû à la concentration de la pensée sur l'idée suggérée et je l'aï toujours, pour ma part, obtenu assez rapidement, en appuyant mes paroles d'une fixation du regard très énergique.

Chez Mme D..., le changement d'état eût pu, si je l'avais voulu et si elle y eût consenti, échapper â tout le monde; j'aurais pu le produire — je l'ai dit, et cela a semblé bien étrange — au théâtre, dans un salon, en chemin de fer, sans que personne y prît garde. C'était l'affaire de quelques secondes, mais — et c'est ce que je tiens à constater — Mme D... sentait le moment précis où l'ob-jetivation du type proposé allait se réaliser. Ainsi, plus d'une fois, ma suggestion était faite préalablement, elle me dit : « Non, ce n'est pas encore cela ! » puis, j'insistais, et quelques secondes après, elle ajoutait : « Maintenant, c'est bien ! » Et tout le programme se déroulait alors, dans l'ordre commencé.....

Agréez, etc.

Jules Liégeois.

DE LA SUGGESTION A PROPOS DES PUNITIONS A L'ÉCOLE

Par M. Félix HÉMENT

inspecteur général de l'univesitték

Jeu de main, jeu de vilain, dix le proverbe. Ce sont, en effet, les gens grossiers qui jouent a s'entre-frapper. Lorsque le coup est un peu rude, lu secousse un peu forte, on ne manque pas de dire à la victime, en manière de blâme : Jeu de main, jeu de vilain.

Ce sont aussi des gens grossiers qui frappent leur cheval. leur chien, leur enfant pour les châtier et les corriger. Dans les pays où l'esclavage existe encore, l'esclave est conduit à coups de bâton, et dans certains pars, soi-disant civilises, le fouet est encore employé à l'école et à la caserne.

Partout où le châtiment corporel est appliqué, il révèle un reste de barbarie. Des hommes célèbres ont déclaré que sans le fouet on n'aurait rien pu faire d'eux. En regard de ces quelques personnalités qui, croyons-nous, se calomnient, nous pourrions opposer la foule des hommes célèbres qui sont d'un avis contraire. Ceux mêmes qui ont recours aux châtiments corporels ne le font qu'à la dernière extrémité, et non sans répugnance. Ils les regardent comme un mal nécessaire, et, en cela, ils sont dans l'erreur.

Le maître qui frappe un élève court le double risque de voir sa dignité compromise et son autorité méconnue : s'il est irrité, il donne à l'enfant le déplorable spectacle de l'homme en colère: s'il est calme. il remplit un rôle odieux en brutalisant un être faible et sans.

défense.

Signalons en passant cette singulière anomalie de l'usage du fouet comme moyen de correction à une époque où l'on a promulgué une loi protectrice des animaux ! L'écolier n'aurait-il pas droit à la protection qu'on accorde à l'animal?

Ajoutons que le châtiment corporel est tout à la fois dangereux et inefficace. Dangereux, parce qu'un maître irrité ne mesure pas ses coups; qu'il lui arrivera à un moment donné de dépasser une limite prudente et de blesser l'enfant sans le vouloir. Un mouvement instinctif de celui-ci pour échapper au coup qui le menace peut déterminer un accident grave. Inefficace, car l'enfant terrifié se soucie plus d'éviter la douleur que de se corriger. C'est le contraire du but qu'on se propose: c'est un procédé anti-éducatif, si l'on peut parler ainsi. Peut-être parviendra-t-on à lui faire remplir sa tâche, mais on n'aura pas éveillé en lui les sentiments élevés qui l'éloigneraient du mal par l'horreur du mal même. En un mot, le sens moral n'aura pas été développe. Semblable au criminel qui ne redoute que le gendarme, que le remord ne trouble guère et qui n'a souci que de n'être pas découvert.

il cherchera à se soustraire à la punition par la dissimulation et le mensonge.

Les coups ne sont pas les seuls châtiments corporels: certaines privations ne sont pas moins brutales et dangereuses, par exemple celle d'une nourriture substantielle. Mettre un jeune enfant au pain et a l'eau, c'est souvent compromettre sa santé. Tout au plus peut-on le priver du superflu du repas, c'est-à-dire du dessert.

La privation de récréation ou de promenade est aussi un châtiment corporel. Ajoutons que la mesure, loin d'être efficace, va contre le but, car la turbulence ou l'indiscipline est le plus généralement chez l'enfant le signe d'un besoin de mouvement:, Donnez satisfaction a ce besoin et vous le rendrez docile. Si, au contraire, voue le condamnez à l'immobilité, ou à des exercices qui n'épuisent pas son activité, soyez certain qu'il dépensera dans la classe l'activité qu'il n'a pu dépenser au dehors. Vous pourrez le châtier, non le corriger..

Les travaux supplémentaires, les pensums, en condamnant l'enfant à la sédentarité. pour employer l'expression consacrée, et en l'assujettissant en même temps a une besogne fastidieuse et stérile, ne peuvent être considérés comme des moyens de correction. C'est bien plutôt le contraire, car ils contribuent à donner le dégoût de l'instruction, à inspirer de l'éloignement pour l'école et pour le maître, sans compter le préjudice porté à la santé physique et morale.

Que va-t-il rester au maître comme moyen d'action: il semble que nous le désarmons complètement en face de l'élève indocile.

Comme punition, il nous reste les reproches. Des reproches? dira-ton, mais les mauvais élèves s'en moquent! Je réponds qu'ils ne se moquent pas moins des autres punitions et que vous parvenez à les dompter sans les améliorer. J'ajoute que le plus souvent les maîtres ne savent pas faire les reproches, qu'ils s'y prennent maladroitement, qu'ils les font avec emportement, sans proportion et sans mesure. Il y a tout un art dans l'emploi des reproches, qu'on pourrait nommer fart de punir. Ce n'est ni la multiplicité ni la sévérité des châtiments qui importent en éducation. Les mauvais maîtres ont bientôt épuise la série, si longue qu'elle soit, de même qu'ils atteignent bientôt les excès de la sévérité.

Nous avons affaire à un être doué de raison et qui nous entend et nous comprend : pourquoi agir avec lui comme avec l'animal qui ne nous comprend que très imparfaitement et que nous forçons â accomplir des travaux dont il ne voit pas le but, souvent contre son gré, parfois contre ses aptitudes.

Il s'agit de former un caractère, de développer une intelligence, d'affiner

des sentiments : nous allons donc faire appel à la raison, â l'intelligence, a volonté, à la sensibilité, .Que sert d'avoir affaire à un animal raison-nable, si l'on n en utilise pas la raison ? Traiter l'homme en animal, c'est « priver du précieux concours de ses facultés supérieures dans l'éducation, c'est-â-dire là ou elles sont le plus nécessaires.

Toutefois, avant de réprimer, cherchons à prévenir. C'est ici l'affaire du maître. Si les enfants sont inattentifs. cela peut tenir à bien des causes, et d'abord à la manière d'enseigner. On peut trouver des maîtres qui possèdent des connaissances: on en trouve un moins grand nombre qui sachent enseigner, c'est-à-dire dispenser l'enseignement avec ordre, clarté et méthode; encore moins qui rendent la classe intéressante, animée, vivante. On obtient l'attention, non par ordre, mais par le charme et l'intérêt des leçons; voilà ce dont il faut bien se persuader. Par la force, on n'obtient que le silence, et une classe silencieuse n'est pas une classe attentive.

Il ne faut pas non plus exiger de l'enfant une somme d'attention dont il est incapable, ni lui imposer un travail de longue haleine, ni le condamner a l'immobilité pendant trop longtemps. Mesurons l'effort à ses jeunes organes comme la nourriture à un estomac délicat.

Rendez la classe attrayante, faites alterner habilement les exercices du corps avec ceux de l'esprit, proportionnez la durée des leçons à l'âge des enfants, et vous aurez diminué de beaucoup les occasions de punir.

Et maintenant, étant admis que nous réduisons tous les châtiments à un seul, le reproche, voyons comment nous procéderons dans l'application.

Etablissons d'abord un certain nombre de principes dont on peut démontrer l'exactitude, mais que nous nous bornons A énoncer:

« La punition doit suivre immédiatement la faute.

« Elle doit être proportionnée à l'âge de l'enfant, à son tempérament et, plus exactement, à sa sensibilité.

« Elle doit être certaine, c'est-à-dire exécutée du moment qu'elle est résoulue. »

L'enfant commet-il une étourderie légère, on feindra de ne pas l'avoir vu; à la seconde fois, on l'avertira; a la troisième, il faudra sévir, c'est-à-dire lui adresser une observation. C'est le premier degré de la punition. Cela suffira en général pour le faire rentrer dans le devoir, surtout s'il aime son maître et s'il en est aimé. Nous voulons qu'il éprouve une véritable douleur d'avoir offensé son maître et non la crainte de la réprimande elle-même. La punition a ainsi un effet moral. Au lien de recourir à des punitions de plus en plus rigoureuses qui émoussent la sensi-

bilité de l'enfant, nous devons nous attacher à faire le contraire, c'est-à-dire à aviver sa sensibilité, car ce n'est pas, comme on est tenté de le croire, la rigueur du châtiment qui en fait l'efficacité.

L'enfant a-t-il mérité des reproches graves, gardons-nous de tout emportement. Point de colère, tout au plus de la froideur, et, mieux encore, l'air affligé d'une personne résignée à remplir une mission pénible. Il est conduit dans une pièce réservée, un cabinet de travail qui lui est peu familier et qui est éclairé par un demi-jour. Nous exerçons sur lui une première influence par le milieu.

Nous le faisons asseoir en face de nous, nous lançons sur lui un regard pénétrant et lui prenons les mains. Nous le tenons captif sous l'action de notre regard, nous lui parlons avec une gravité qui n'est pas exempte d'abandon, lentement, même sur un ton monotone qui l'engourdit peu à peu et le plonge dans le sommeil léger qui est, au sommeil profond, ce que le crépuscule est au jour. Sa volonté est alors moins ferme et comme vacillante, il est sans force pour résister à notre action. Quand nous l'avons ainsi subjugué, nous lui parlons de sa faute, nous lui en faisons comprendre les inconvénients ou les dangers, s'il y a Heu ; nous lui inspirons la crainte qu'elle ne diminue la tendresse des siens, l'affection de ses amis; qu'elle ne porte atteinte à la confiance et à l'estime qu'on avait en lui, à la sympathie qu'il a jusqu'à présent méritée. Nous arrivons progressivement à la lui faire détester et à lui inspirer le désir de se la faire pardonner et la résolution de combattre ses mauvais instincts. Nous insistons, nous martelons, pour ainsi parler, dans son esprit les résolutions que nous lui dictons et qu'il fait siennes.

Nous avons affaibli un instant sa volonté pour la maîtriser ; lentement et progressivement, avec une insistance soutenue, pénétrante, incisive, nous avons redressé ce qu'il y avait de tortueux dans son jugement, ainsi que fait le jardinier des branches de l'arbre qu'il étale en espalier; ainsi que fait le vannier de l'osier qu'il assouplit sous la pression continue de ses doigts agiles. Loin de nous la pensée de vouloir substituer notre volonté à celle de l'enfant, de diminuer chez lui le sentiment de la responsabilité, en un mot» d'anéantir la personne. Nous désarmons l'adversaire, non pour le terrasser, mais pour lui rendre la résistance impossible: encore est-ce pour un temps très court, le temps de gagner sa confiance et de l'amener, par persuasion, à suivre nos conseils.

Lorsque son esprit a reçu de nous une certaine impression, les entraves sont enlevées, l'enfant redevient libre et meilleur.

Mais c'est de la suggestion! va-t-on nous dire. Nous n'en disconvenons pas. C'est la suggestion au premier degré, celle que tout boa

maître emploie, comme M. Jourdain fair de la prose.

SOCIÉTÉS SAVANTES

ASSOCIATION FRANÇAISE POUR L'AVANCEMENT DES SCIENCES

SESSION 'D'ORAN

(Suite)

section de pédagogie

Séance du 2 avril. — Présidence de M. Compayré:

Des punitions et de la suggestion en pédagogie (1)

M. Félix Hémemt. — Tous les châtiments corporels, c'est-à-dire non seulement les coups, mais les privations qui sont de nature à porter atteinte à la santé de l'enfant, les retenues, les privations de récréations et de promenades, doivent être exclues de l'école.

La punition morale sera seule appliquée méthodiquement. Cette punition n'est pas efficace en raison de la rigueur, mais seulement si elle satisfait aux conditions suivantes :

1° Elle doit suivre immédiatement la faute ;

2° Etre proportionnée à l'âge, au tempérament de l'enfant :

3° Etre appliquée lorsqu'elle a été résolue ;

4° Etre appliquée par un maître calme.

Pour assurer le succès des admonestations et des suggestions, il faudra s'entourer de précautions très simples sans lesquelles on courrait risque d'échouer.

Séance du 3 avril. — Présidence de M. Félix Hément

Le Traitement des habitudes vicieuses par la suggestion.

M. Aug. Voisin (de Paris). — Vous connaissez les travaux de MM. Bérillon et Félix Hément sur l'influence heureuse de la suggestion hypnotique appliquée au redressement des penchants vicieux et du caractère.

Mon expérience justifie leurs conclusions. J'ai pu guérir, par le. même procédé, des enfants qui présentaient une tendance constante au mensonge, à la colère, à la jalousie et à d'autres mauvais instincts.

(1) La communication de M. Félix Hément est publiée plus haut, in extenso, p.360.

Cette méthode, appliquée avec mesure, ne présente aucun inconvénient, ni aucun danger. Mais elle ne doit être employée que par des médecins, et l'on ne saurait trop condamner ces exhibitions d'individus sains que l'on hypnotise dans le seul but de les montrer au public comme des animaux.

11 m'a paru intéressant d'appliquer la suggestion hypnotique au1 traitement de l'onanisme. Vous n'ignorez pas la presque impossibilité de guérir l'onanisme en particulier, dans le plus grand nombre des cas. Tous les moyens tentés échouent.

Voici une observation prise dans mon service par un de mes élèves, M. Roubinovitch. et qui justifie nettement l'application de la suggestion hypnotique:

Onanisme chez un garçon de 9 ans. — Guérison par la suggestion hypnotique

Le 15 novembre 1887 se présentait à la consultation externe de la Salpê-trière un garçon nommé Georges M..., âgé de 9 ans. amené par sa mère à cause des habitudes d'onanisme auxquelles il s'adonnait depuis 3 ans 1/2.

Dans les antécédents héréditaires, nous relevons que la grand'mère paternelle a des crises épileptiformes, que le père et la mère sont des personnes très nerveuses ; la mère a même eu une attaque d'hystérie franche à la suite d'une contrariété. Enfin, une cousine germaine paternelle, âgée actuellement de 12 ans, se livre aussi au crime d'onanisme.

Notre malade a eu, a 15 mois, la cholérine, à 3 ans 1/2 la rougeole, à 5 ans la variole ; à 7 ans, il a rendu 5 ou 6 ascarides. Depuis, les différents vermifuges n'ont produit aucun effet. Son développement s'est fait normalement: il marchait à 13 mois et parlait à 18. A 7 ans 1/2, il savait lire et écrire. A l'école, il passait pour être très intelligent, mais paresseux et menteur.

Il se présente à nous avec une physionomie intelligente ; ses traits sont réguliers, mais le faciès est très pâle, alangui et les paupières inférieures sont bordées de noir. Il est maigre, mais son système osseux et musculaire ne présentent aucune anomalie. Nous ne constatons sur lui aucune malconformation ni congénitale, ni acquise. Notons la dilatation des pupilles qui, jointe à la pâleur excessive et à la maigreur de la face, donne un cachet de consomption à cette physionomie enfantine.

L'examen de la sensibilité générale, de même que celui des différents sens spéciaux, ne nous a fourni aucune particularité à noter.

Les fonctions digestives sont normales.

Au cœur, nous avons trouvé un souffle doux au premier temps avec maximum à la base. Quelquefois, l'enfant dit avoir des palpitations. Les poumons sont sains.

Ses habitudes d'onanisme datent, comme nous l'avons dit plus haut, de 3 ans 1/2. Or, à cette époque, l'enfant était envoyé a une école où il se trouvait au milieu de camarades plus âgés que lui qui s'adonnaient en sa présence à cette dangereuse distraction.

L'imitation nous parait avoir joué, dans ce cas, comme du reste cela s'observe le plus souvent en ce genre, le rôle étiologique principal. Les parents, désolés de surprendre souvent leur enfant a toucher son « histoire » (c'est

ainsi que notre peut client appelle son organe génital externe)-, cherchèrent a le corriger, mais, malgré les reproche» et les coups, il continuait.

Nous avons examiné les organes génitaux de l'enfant ; le volume et la longueur de la verge ne sont nullement au-dessus de la normale ; seulement, le gland et le* prépuce sont rouges, hyperémiés. comme s'ils étaient soumis longtemps au frottement.

Son sommeil est tranquille; cependant quelquefois tl se réveille avec une physionomie complètement décomposée, hébétée.

Nous avons alors chargé notre élève, M. Roubinovitch, externe du service, de traiier cet enfant par l'hypnotisme et la suggestion hypnotique.

Le traitement a commencé le 26 novembre, dont voici le compte rendu :

26 novembre. — L'enfant, couché sur un lit, est endormi par la fixation du regard dans l'espace de deux minutes. Pendant le sommeil, l'anesthésie est complète ; ni les piqûres, ni les pincements ne provoquent de mouvements. On obtient facilement des phénomènes cataleptoïdes. C'est ainsi que l'enfant conserve la position fatigante qu'on donne aux bras ou aux jambes. Aux questions qu'on lui pose, il ne répond pas. Pendant le sommeil, on lui fait exécuter une série d'actes : descendre du lit, marcher dans la salle, écrire, remonter dans le lit, etc.. ; il exécute tout ponctuellement. Lorsque nous étions ainsi convaincu que notre sujet était en état de suggestibilité hypnotique, nous lui avons suggéré de ne jamais toucher a son « histoire ». de ne se jamais coucher sur le ventre et de rester dans l'état où nous l'avons mis jusqu'à ce qu'on lui touchât l'oreille gauche.

Au réveil, nous constatons une amnésie absolue relativement à tout ce qui s'est passé pendant le sommeil.

Nous avons recommandé à la mère une surveillance active et nous l'avons priée de nous ramener son enfant dans trois jours.

29 novembre. — L'enfant n'a pas été surpris i nouveau.

Nous l'hypnotisons et le sommeil est obtenu encore plus vite que la fois précédente.

Nous répétons nos suggestions relatives à l'onanisme.

Depuis ce jour, la mère nous amena l'enfant toutes les semaines. La surveillance établie d'après nos recommandations expresses était très active dans la journée et dans la nuit, et à aucun moment l'enfant n'a plus été surpris.

Examinant ensuite, le aa décembre, son membre, nous avons pu constater la disparition complète de la rougeur du gland et du prépuce.

Nous avons vu l'enfant le 15 et le 19 du mois de mars, et la mère nous a affirmé qu'il a complètement abandonné ses habitudes vicieuses.

Séance du 4 avril. — Présidence de M. Compayré.

Essai de pédagogie expérimentale

M. Bérillon.— Au Congrès de Nancy, en 1886, nous avons développe dans une communication des vues générales sur les applications de la suggestion hypnotique à la pédagogie ( 1). L'année suivante, au Congrès de Toulouse, nous avons fait l'exposé de la méthode qui permettait d'assurer la pratique de ces applications (2). Nous y avons joint un certain nombre d'observations

(1) Revue de l''hypnotisme, 1re année, 1886, p.84.

(2) Revue de l'hypnotisme, 2e année, 1887, p.69. — De la suggestion et de ses appli-cations a la pédagogie, broch. in-8°, 1888. Lechevallier, édit., Paris.

d'enfants guéris, par l'emploi de la suggestion, de perversions graves du caractère, de tics nerveux, d'incontinence nocturne d'urine, d'impulsion au vol, au mensonge et à la débauche, d'habitudes vicieuses diverses, de terreurs nocturnes, de chorées et mime de défaut Supplication au travail, etc., etc. La réalité de ces faits ayant été confirmée par les témoignages d'hommes dont la compétence est indéniable, tels que MM. Bernheim, Liébcault, Liégeois, Ladame, Auguste Voisin, etc., nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons déjà dit i ce sujet. Uniquement préoccupé de la nécessité de réunir un grand nombre de faits précis et probants, nous avions cru devoir jusqu'alors négliger le côté psychologique de la question.

Mais aujourd'hui que les applications de la suggestion à la pédagogie sont établies sur des bases inébranlables, nous pouvons entrer dans le domaine de l'interprétation et rechercher si la méthode suggestive peut apporter quelques contributions à l'étude psychologique de l'enfant.

Les auteurs qui se sont occupés de cette partie de la psychologie se sont bornés a étudier, par une observation continue, le développement psychique des premières années de l'enfant. Mais la méthode d'observation ne pouvait fournir que des données vagues et souvent contradictoires.

Comme dans les autres sciences, la méthode expérimentale peut seule conduire à des résultats certains. Nous avons pu nous convaincre que l'hypnotisme et la suggestion peuvent être considérés comme les bases naturelles de cette investigation psychologique.

Déjà nos expériences nous ont appris qu'on pouvait, dans l'état d'hypnotisme, modifier les idées de l'enfant ; transformer on caractère; modifier ses habitudes anciennes; en créer de nouvelles; accroître l'énergie de sa mé-moire et de son attention : développer a leur maximum certaines de ses facultés intellectuelles, faire varier l'intensité et la modalité de ses perceptions; créer divers états d'inconscience, etc...

Il est certain qu'il ne sera pas permis d'expérimenter sur des enfants sains et normalement doués. Malheureusement, il existe an trop grand nombre d'êtres incomplets, anormaux, chez lesquels il faut intervenir si l'on ne veut pas qu'ils soient perdus pour la société. C'est en les soignant, en les améliorant, en les guérissant, qu'on trouvera les règles de la pédagogie expérimentale.

L'étude des anomalies psychiques chez l'enfant est pleine d'enseignements précieux, car, comme le dit un éminent physicien anglais, M. Crookes : « Les anomalies peuvent être regardées comme les poteaux indicateurs sur la route des recherches, elles nous montrent les chemins qui mènent à des dé-couvertes nouvelles. »

Déjà nous avons pu étudier le mécanisme par lequel on arrive à créer chez enfant des habitudes nouvelles. C'est par une véritable gymnastique psychique qu'il devient possible, dans l'état d'hypnotisme, d'imprimer en peu de temps à l'esprit une direction qu'il suivra désormais d'une façon automatique et irrésistible.

Nous ne pouvons entrer aujourd'hui dans le détail de ces recherches, qui présentent on intérêt psychologique considérable; nous nous réservons d'en faire l'objet d'une publication prochaine.

ACADÉMIE DE MÉDECINE DE BELGIQUE

De l'opportunité d'interdire les séances publiques de magnétisme animal. — Rapport de M. Masoin (Suite et fin).

A notre sens, c'est là une profonde erreur; car les séances publiques appellent et provoquent les autres. Des magnétiseurs habiles et puissants comme Hansen et Donato excitent le sentiment des foules; ils mettent l'hypnotisme sur le pavois, à la vue et à la portée de tous; ils laissent derrière eux non seulement une traînée d'émotions et de névroses, mais toute une série d'adeptes qui peuvent faire indéfiniment des recrues; la révélation est faite et possède des apôtres souvent moins réservés et moins honnêtes que les maîtres eux-mêmes.

Ainsi donc, il ne faut pas craindre que l'interdiction des séances publiques d'hypnotisme crée, par compensation, une reprise des séances privées. Au contraire, l'apaisement et l'oubli se feront dans l'esprit du public quand le magnétisme demeurera confiné dans certaines limites, et, de même que nos législateurs ont cru faire chose utile et morale en fermant les maisons de jeu, en punissant l'ivresse publique, en réglementant la vente des substances médicamenteuses et toxiques, de même leurs convictions et la logique les porteront, pensons-nous, à intervenir aussi dans la matière qui nous occupe.

Et ici qu'on nous permette une comparaison.

Supposez qu'un explorateur revienne de l'Afrique centrale avec une substance mystérieuse et puissante qui priverait l'homme de sentiment et de mouvement, qui lui enlèverait le libre arbitre et la notion de sa personnalité, qui lui donnerait les apparences de la folie, le jetterait dans le délire, l'extase ou l'extravagance. Notre voyageur ne garderait point secrète sa trouvaille extraordinaire; mais il en ferait l'objet de démonstrations publiques; il ferait même des distributions de cette substance étrange, si bien qu'en sortant des représentations, chacun pourrait essayer de reproduire les mêmes effets, et beaucoup réussiraient. Ne croyez-vous pas, messieurs, que l'autorité interviendrait bientôt, car cette substance serait à certains égards plus dangereuse que plusieurs autres dont la vente est soumise dans les officines à des conditions précises?

Supposez ensuite qu'il s'agisse d'une substance parfaitement connue et déterminée, soit le chloroforme ou l'éther, l'opium ou la belladone, ou encore la stramoine (herbe du diable, des magiciens ou des sorciers), ou la fameuse mandragore, ou le chanvre indien, le hachisch, auteur d'une ivresse si séduisante et si redoutable, bien connue des Orientaux et décrite en termes brillants par un des grands écrivains de notre langue. Bref, supposez qu'il y ait en cause ici une de ces matières actives qui engendrent des symptômes curieux, capables aussi d'intéresser les foules, produisant, comme l'hypnotisme, de la somnolence ou de l'excitation, des paralysies ou des contractures, des hallucinations et du délire. Où sont les autorités qui supporteraient des exhibitions publiques dans lesquelles un individu quelconque développerait ces phénomènes étranges d'une intoxication passagère, alors que des observateurs compétents signaleraient le danger de s'y soumettre ? Mais on ne

tolérerait, personne faisant de telles expériences, pas même des médecins régulièrement diplômés, et il n'y aurait sans doute qu'un cri dans l'opinion, dans la presse, partout, pour condamner des séances de cette espèce. Retenons encore bien ceci qui est capital.

En le supposant empêché de paraître devant le public, l'hypnotisme ne cessera pas de rendre les services que l'on peut en attendre : réglementé dans son usage comme l'opium et l'éther, il pourra servir utilement; ses dangers seront restreints: ses bénéfices seront conservés. Il produira, sans doute, encore des abus, comme nous en avons enregistré dans ce rapport même ; mais est-il possible d'empêcher les abus, même les abus des meilleures choses- Aussi longtemps qu'il y a des hommes, on verra des abus. Ce qui n'empêche qu'on doit en tarir la source, surtout la source publique, autant qu'il est possible de le faire. Non, messieurs, par l'interdiction des séances publiques, on ne perdra rien des avantages du magnétisme; en quittant les tréteaux, il trouvera un refuge honorable et naturel dans les laboratoires, dans les hôpitaux, dans le cabinet du savant et du médecin; tout fait croire même que s'il opère cette retraite, ce n'est pas pour y mourir; car il semble appeler à occuper longtemps encore, sinon toujours, une large place dans les recherches et les méditations des hommes de science.

Mais même dans les conditions les plus légitimes où on voudrait l'employer, il faudra se soumettre encore à certaines règles fort sagement tracées par l'Ecole de Nancy, qui n'est pas suspecte de défiance envers le magnétisme. Qu'il nous soit permis de rappeler ici, en passant, les trois principales de ces règles dont l'existence même fait comprendre qu'il s'agit d'aborder une matière délicate et dangereuse :

« Ne jamais hypnotiser un sujet qu'après avoir obtenu son assentiment formel ou l'assentiment de ceux qui ont autorité sur lui.

« Ne jamais provoquer les phénomènes qu'en présence d'une tierce personne honorable et sûre, qui garantisse à la fois l'hypnotiseur et l'hypnotisé.

« S'enquérir au préalable si le sujet n'est pas atteint d'accidents nerveux ou de troubles circulatoires, et quelle est leur nature; si l'on en découvre, agir prudemment et, si l'on n'est pas médecin soi-même, prendre l'avis d'un homme compétent »

En nous ralliant à ces derniers mots et rappelant ce que nous avons dit plus haut, nous attestons bien clairement que nous n'entendons pas réclamer pour la médecine le monopole des manœuvres hypnotiques, encore bien qu'elle en ait « pris possession », comme l'a dit M. Charcot. Quand on voit comment les progrès réels du magnétisme, son appréciation saine et juste ont été surtout l'œuvre des médecins, quand les travaux les plus sérieux ou les découvertes les plus intéressantes se rattachent a des médecins tels que Braid. ou a des foyers de science médicale tels que la Faculté de Breslau. l'Ecole de Nancy et l'Ecole de la Salpêtrière, on aurait vraiment mauvaise grâce de ne pas nous reconnaître des titres historiques a cette prise de pos-session. Mais il y a mieux que ces titres; il y a la nature même du fonds qu'il s'agit de creuser. La médecine s'en est donc saisie comme d'une question de physiologie, de pathologie, de thérapeutique, et il semble impossible qu'on l'en dépossède jamais. Toutefois elle ne réclame pas l'exploitation exclusive de ce vaste domaine. Nous admettons volontiers qu'un homme de science, qu'un naturaliste, qu'un philosophe institue des expériences prudentes et convenables. Mais ce qui nous parait inadmissible, c'est que le premier venu

rassemble la foule autour de lui, s'empare d'un amateur quelconque, d'un jeune homme, même d'un enfant, parfois d'un névropathe qui voudra bien se tenir sur les tréteaux, et qu'il le soumette sans le connaître à une « névrose expérimentale », suscitant parmi les spectateurs des émotions dangereuses et leur apprenant par quels moyens simples on peut paralyser un corps, supprimer une volonté, éteindre la mémoire, transformer un homme en automate pour en faire le jouet de toutes les passions et l'instrument de tous les crimes. Voilà ce que nous n'admettons pas et ce que nous signalons à l'attention de nos législateurs. Rappelons ici que déjà en plusieurs pays de l'Europe des mesures ont été prises pour empêcher les représentations de ce genre. Ainsi, en Danemark, à la suite du rapport composé par le Conseil de santé de Copenhague le 3o décembre 1886, le ministre de la justice adressa une circulaire aux commissaires de police du royaume, interdisant toutes les séances publiques d'hypnotisme; en Prusse, même interdiction tout récemment ordonnée; en Autriche, diverses municipalités, entre autres celle de Vienne, ont empêché ce genre de spectacle; il en fut de même en Italie; de même aussi en France, où des magistrats haut placés réclament l'intervention des lois pour établir des mesures répressives ; en Suisse, dans plusieurs cantons au moins, l'interdiction existe et vient d'être formellement renouvelée: en Belgique même, dans quelques villes, à Bruges entre autres, les séances publiques d'hypnotisme n'ont pas été tolérées; car ainsi que l'a fait remarquer à la Chambre des représentants l'honorable M. Le Jeune, ministre de la justice, dans la séance du a5 janvier dernier, nous avons une loi communale disant que les spectacles contraires à l'ordre public doivent être interdits par l'autorité locale. La société est-elle assez défendue par cette disposition de la loi communale ? — Nous ne le pensons pas. Mais c'est là une question qui sort de notre compétence et qu'il ne nous appartient pas d'approfondir. Bornons-nous à constater qu'aujourd'hui les autorités locales peuvent agir ou ne rien faire, interdire ou tolérer les exhibitions magnétiques.

En résumé, les dangers de l'hypnotisme ou de ses représentations publiques sont signalés par les personnalités les plus marquantes et les moins suspectes de la science, même par des hommes éminents qui ont usé, pour ne pas dire abusé du magnétisme. Depuis plus d'un siècle ils sont dénoncés par des corps savants d'une incontestable autorité. Déjà, dans plusieurs pays de l'Europe, des mesures, tantôt générales, tantôt locales, ont été prises pour interdire les spectacles en question. Les autorités communales ne paraissent pas aujourd'hui suffisamment armées pour réprimer un abus qui s'est produit déjà et qui peut reparaître encore, ou bien elle ?, demeurent indifférentes, sans même songer à intervenir. Enfin, des mesures prohibitives rentrent, scmble-t-il, dans l'esprit de notre législation qui a fermé les maisons de jeu, qui punit l'ivresse publique, qui réglemente l'usage et le débit des substances toxiques et médicamenteuses, qui détermine les conditions des établissement-dangereux et insalubres, etc.

Nous pensons avoir dressé avec une impartialité complète le bilan de l'hypnotisme. Sans doute, certains nous trouveront trop indulgent, d'autres trop sévère pour ces pratiques qui excitent encore chez les premiers une défiance trop longtemps justifiée, chez les seconds l'enthousiasme que provoquent les faits extraordinaires. Mais nous n'éprouvons aucune illusion: il est difficile, il est impossible de plaire à tout le monde en prenant position dans une matière qui a soulevé et qui soulève encore tant de passion, même

chez quelques hommes de science, au point qu'ils semblent en faire une question personnelle. Mais on nous rendra du moins cette justice, que nous avons traite la question au point de vue scientifique en nous appuyant sur des faits positifs et sur des autorites imposantes ; nous avons évité toute amertume comme toute exagération; bref, nous avons écrit ces pages hâtives sine irâ et studio, n'ayant d'autre guide que la vérité, n'ayant d'autre souci que l'intérêt de la santé, de la moralité et de la sécurité publiques.

Aussi nous espérons, messieurs, que vous ratifierez la conclusion prise à l'unanimité par votre Commission dans les termes suivants: t La Commission, considérant que les séances publiques d'hypnotisme offrent des dangers pour la morale et la santé publiques, estime qu'elles doivent être interdites par le législateur. »

Séance du 31 mars 1888. — Présidence de M. Défaire.

Discussion sur l'hypnotisme Suite).

M. Kuborn. — J'ai l'honneur de déposer la proposition suivante :

« L'Académie de médecine de Belgique, considérant que tout appel lait à une réglementation de la pratique de l'hypnotisme n'entre pas dans ses attributions scientifiques, passe à l'ordre du jour. »

Je ne sache pas qu'en Belgique la pratique de l'hypnotisme, vulgarisée ou non, ait entraîné souvent des accidents graves à sa suite, ni chez les sujets, ni chez les assistants.

D'ailleurs, en mettant à l'ordre du jour une question qui n'a pas été soulevée par une demande du gouvernement, l'Académie sort de ses attributions.

M. Heger. — M. Kuborn déclare ne pas savoir s'il y a eu en Belgique d'accidents produits par les pratiques hypnotiques des magnétiseurs. C'est le seul point sur lequel je veux lui répondre, car la question de savoir si l'Académie a le droit de s'occuper de la discussion actuelle est résolue, par le fait que l'Académie a chargé une commission de faire un rapport sur cette question.

Je connais, pour ma part, cinq ou six cas, mais je n'en citerai qu'un, car ils sont pour ainsi dire tous calqués sur le même modèle.

11 s'agit d'une jeune fille de 20 ans qui n'avait jamais été malade et qui n'était pas atteinte de troubles hystériques. Elle a assisté à une séance publique d'hypnotisme dans une ville où l'hypnotisme est devenu à la mode. Cette jeune fille est devenue tellement sensible à ces pratiques, qu'elle tombe en catalepsie sous la seule action du regard et qu'elle reste des heures entières sans reprendre connaissance. Dans la même ville, bon nombre de personnes sont atteintes de troubles nerveux, par suite de la vulgarisation des pratique» hypnotiques.

Qu'on ne vienne pas lancer dans ce débat le grand mot de liberté. Nous sommes les défenseurs de la liberté, lorsque nous demandons qu'on interdise les séances publiques d'hypnotisme qui portent atteinte à la liberté même des individus soumis aux expériences.

IL Crocq. — On a qualifié d'exagération les méfaits qu'on a reprochés au magnétisme. Le premier fait dont j'ai été témoin, et qui m'a vivement frappé, remonte à 1849. J'assistais à une séance donnée par le fameux baron du Potet. A cette représentation assistait une jeune fille bien portante, qui n'avait jamais eu d'attaques de nerfs. Sous la seule influence du spectacle auquel elle assistait, cette personne a été prise de la plus forte attaque d'hystérie que j'aie jamais vue. Si elle n'avait jamais assisté à cette séance, elle n'aurait probablement jamais eu d'attaque hystérique, car, jusque-là, elle n'en avait jamais présenté.

Après le passage d'Hansen à Bruxelles, un jeune homme qui n'avait cependant pas pu être hypnotisé par lui. malgré ses tentatives, présenta, pendant plusieurs semaines qui suivirent cette séance, des phénomènes de nervosisme et de surexcitation qui inquiétèrent vivement sa famille.

L'hypnotisme est une science qui ne doit pas être mise sur les tréteaux, car de là elle passera dans les mains d'individus malintentionnés qui s'en serviront pour pratiquer dans l'intimité des actes immoraux.

M. Lefebvre. — J'appuie les observations présentées par mes honorables collègues et suis prêt à voter l'interdiction des séances publiques d'hypnotisme, tout en réservant les droits de la science, car l'hypnotisme est un précieux instrument de progrès pour la physiologie, pour la thérapeutique et pour la psychologie.

Mais avant de déclarer que les spectacles publics d'hypnotisme sont dangereux et de demander que le gouvernement traduise cette résolution en loi, il est nécessaire qu'elle soit basée sur une étude complète et sérieuse de l'hypnotisme.

L'Académie, consultée, décide qu'une discussion complète aura lieu.

Séance du 28 avril 1888. — Présidence de M. Depaire.

Discussion sur l'hypnotisme (Suite).

M. Lefebvbe. — Dans tous les temps, la législation s'est intéressée au sort des mineurs ou des individus qui, dans la société, peuvent être considérés comme tels. Elle a fait des lois pour protéger les enfants mineurs, les aliénés. Elle doit en faire pour protéger cette nouvelle catégorie de mineurs qui vient de surgir, et qui sont les hypnotisés. Comme l'action du gouvernement sera fort restreinte, il faudra en plus que notre enseignement s'étende au delà et qu'il serve à éclairer les particuliers.

(M. Lefebvre fait ensuite un exposé très complet de toutes les connaissances scientifiques acquises dans le domaine de l'hypnotisme par M. Charcot et l'Ecole de la Salpêtrière, par MM. Liébeault, Bernheim et l'Ecole de Nancy et par les savants français et étrangers qui se sont occupés de la question; et il résume, dans les deux propositions suivantes, les conclusions qui lui semblent sortir de son travail) :

1. Il est désirable que l'hypnotisme continue à être l'objet d'une étude assidue. C'est un précieux instrument d'investigations scientifiques: c'est un agent puissant de thérapeutique; mais, à ce double titre, l'hypnotisme ne

rendra tous les services qu'on peut en attendre qu'alors qu'il sera élucidé sous toutes les faces.

II. La pratique de l'hypnotisme doit être réservée a des mains habiles et prudentes. Semblable à ces médicaments héroïques, mais toxiques a certaine» . doses, que le pharmacien doit conserver dans une armoire fermée, l'hypnotisme doit aussi être tenu sous clef, s'il est permis d'employer cette image. Les représentations publiques doivent être interdites.

M. Nuel. — Le rapport condamne les représentations publiques d'hypnotisme au point de vue de la morale et de l'hygiène publiques. On me permettra bien de dire que le point de vue moral est secondaire dans le débat et que nous, médecins, nous devons rester sur le terrain de l'hygiène.

Il faut donc que les accidents survenus à la suite des représentations publiques soient patents, indiscutables, puisqu'on propose de les interdire. J'ai lu le rapport, mais on ne parle que d'accidents survenus à la suite de pratiques privées.

Je crois qu'il faudrait se borner à donner au public des conseils hygiéniques sur ce sujet. Car, au point de vue de la morale publique, rien ne justifie la mesure de rigueur préconisée contre les représentations publiques d'hypnotisme.

En matière répressive, les lois inutiles sont mauvaises, et la loi que la Chambre pourrait faire serait inutile, car elle n'empêchera jamais de se livrer à l'hypnotisme qui voudra!

Je suis loin de me faire illusion sur l'effet de mon plaidover. L'unanimité avec laquelle la commission a condamné les représentations publiques fait prévoir le sort final.

(La suite de la discussion est remise à la prochaine séance.)

VARIÉTÉS

L'HYSTÉRIQUE

Par le Dr Collineau (Suite et fin)

Certes, par leurs propriétés excitantes, certains aliments, tels que les truffes, les morilles, les poissons de mer. peuvent contribuer à provo-quer la crise convulsive chez les sujets prédisposés. Le café lui-même n'a trouvé grâce ni devant Beaumes, ni devant Pomme, ni devant Tissot. C'est l'abus, en pareille circonstance, qui peut être pernicieux, et non l'usage. Et c'est, comme pour les femmes affectées de gastralgie dont parle Magnus Huss, sur les voies digestives et sur la nutrition que l'action nocive s'exerce le plus directement. Mais, ce qu il ne faut pas perdre de vue, c'est que, chez la grande majorité des hystériques, l'hématose est incomplète ; et c'est par son insuffisance que l'alimentation prépare ou élargit, pour la névrose, le terrain.

« Confiez-moi la direction de l'enseignement de la jeunesse, a dit Leibniz, et je changerai la face du monde. »

L'éducabilité est en effet le trait caractéristique des aptitudes du genre homo. Sur l'homme, l'enseignement peut beaucoup ; beaucoup de mal, comme beaucoup de bien. Ceci dépend, par-dessus tout, de la direction. Entre les mains des Jésuites, il est devenu une arme perfide merveilleusement façonnée pour la perpétration de leurs ténébreux desseins. Actuellement, trop doux et mièvre ; ici, trop dur, intensif à l'excès; là, systématique, irrationnel, antiphysiologique; presque partout, le mode d'enseignement que reçoit la jeunesse l'expose, par ses exagérations en sens inverse, à des perturbations plus ou moins profondes de la fonctionnalité nerveuse. Et la gravité des désordres engendrés, purement et simplement par une fausse direction de l'enseignement, peut aller jusqu'à marquer du sceau indélébile de l'épilepsie ou de l'hystéri-cisme et l'individu et la lignée.

Trop de confortable, trop de menus soins, trop de calme ne vaut rien. Tout cela rend à l'excès impressionnable. « Quand la susceptibilité des femmes aura été trop ménagée, dit Louyer Villermay, quand elles auront été entourées de soins trop recherchés, ou quand elles auront été prévenues dans leurs moindres désirs, elles éprouveront souvent une forte commotion à la suite de la contrariété la plus légère. »

Presque dans les mêmes termes, et par suite d'une intime communauté de vues, dans tous les cas. Cerise signale les graves inconvénients d une éducation trop molle, « lorsque, loin de préparer les jeunes gens par de prudents essais aux émotions plus ou moins vives auxquelles l'homme le plus heureux, d'ailleurs, est nécessairement exposé dans le cours de sa vie, lorsqu'on les laisse dans l'ignorance complète des événements qui, tôt ou tard, viendront un jour les surprendre.. Il est des enfants dont on satisfait tous les caprices, toutes les fantaisies. Les plus légères contrariétés deviennent alors pour eux l'occasion de troubles affectifs plus ou moins sérieux. »

Trop de rigueur dans l'enseignement n'est pas moins à redouter pour le maintien de l'équilibre des fonctions nerveuses. Les mauvais traitements sont funestes. Sur 74 cas d'hystérie observés chez les enfants par Briquet, et sur lesquels il a pu être fourni des renseignements, 29 fois, les enfants avaient été convenablement élevés ; g fois, ils ne l'avaient été ni bien ni mal, et 26 fois, ils avaient été maltraités habituellement, ou bien tenus en crainte et dirigés avec rudesse.

Si la brutalité des parents est toujours regrettable, elle peut trouver une circonstance atténuante, toutefois, dans leur manque absolu d'éducation et dans le souvenir de rebuffades d'antan. Mais, où la cruauté des mauvais traitements envers l'enfance est sans excuse, c'est lorsqu'elle est voulue, systématique, préméditée, et qu'on y a recours froidement, de propos délibéré. A cet égard, la discipline, selon l'Eglise, est un incomparable modèle. Pueri flagellantur consuetudinaliter, disent les Coutumes de Cluny. Lisez la vie de sainte Adélaïde, et, avec édification, vous apprendrez que les soufflets qu'elle administrait... avec largesse « avaient pour effet de rendre toujours claire, juste et agréable (delec-

tabilis) la voix des nonnes les moins favorisées par la nature, sous ce rapport, » Dans tous les monastères, la Règle autorise le maître de chapelle à tirer les cheveux, à donner des soufflets, a faire usage du fouet. Il serait difficile de porter sur la valeur de ces errements pédagogiques un verdict plus juste que celui-ci et prononcé par un juge mieux avisé : « Nos élèves, disait à saint Anselme un certain abbé, deviennent de jour en jour plus mauvais et plus difficiles, et cependant nous ne cessons de les battre nuit et jour. — Et une fois grands ? demanda le saint. — Une fois grands, ce sont des imbéciles et des brutes, répliqua l'abbé. »

Eh bien ! ce ne sont pas seulement des imbéciles et des brutes que font les mauvais traitements infligés à la jeunesse, ce sont, bel et bien, des hystériques. Chez un certain nombre des enfants observés par Briquet et auxquels il vient d'être fait allusion, « l'influence de la cause prédisposante les brutalités) avait sufti. Il n'y avait pas eu besoin de l'intervention d'une cause déterminante pour faire éclater la maladie. Ces enfants ont, en quelque sorte, succombé à la peine: quelques-uns avaient eu leur première attaque au moment où ils venaient d'être maltraités plus que de coutume. »

Non moins redoutable pour l'équilibre du système nerveux et non moins répandu est le travers— d'ailleurs d'une irréprochable orthodoxie — de maintenir l'esprit de l'enfant sous l'oppression d'une constante terreur. A peine est-il sorti des lisières: à peine est-il en état de balbutier quelques mots, d'aligner quelques phrases, d'appliquer quelques idées rudimentaîres, qu'on s'évertue à lui présenter les choses sous le jour le plus fantastique ; qu'on se donne un mal inouï pour lui en cacher la nature et les véritables rapports. Du matin au soir, on s'ingénie à le tromper! Avec quelle précipitation ne lui parle-t-on pas du Paradis et de ses voluptés ineffables ? Si on ne l'entretenait encore que du Paradis... mais c'est de l'enfer et de ses tortures sans fin qu'on le menace. On l'initie au dogme de la rédemption. Ne le poursuit-on pas ainsi d'une accusation inique, insoutenable d'indignité ? La digue une fois rompue, la houle des superstitions passe. Le diable, les démons, la possession, les miracles. les saints, la divination. les présages, les lutins, les revenants, les farfadets, les esprits, les vampires, les âmes en peine, les sorciers, les fées, les magiciens, les enchantements, les philtres, le mauvais œil, les talismans, l'ogre. Caliban. Croquemitaine... tout cela danse une sarabande échevelée dans les cerveaux enfantins. Tout cela y prend corps. Tout cela y grimace. Tout cela y usurpe la place de la salutaire et vivifiante intuition du vrai.

La superstition encombre les dogmes. Alph. Esquiros se refuse à ce qu'ils soient enseignés aux jeunes enfants. Bain n'est pas moins explicite. Selon lui, « de tous les moyens d'éducation, le plus mauvais est l'emploi des terreurs spirituelles. » En effet, qu'on ne s'y trompe pas. les terreurs dites spirituelles mènent tout droit à cet état spasmodique propre à la seconde enfance, et qu'on désigne en médecine sous le nom de terreurs nocturnes. Or, les enfants sujets aux terreurs nocturnes à l'âge de six à

huit ans sont, par excellence, les candidats au mal caduc et à l'hystérie, à celui de la puberté.

Dans 1 appréciation de lu part d'influence qui appartient à la profession sur l'équilibration ou la déséquilibration du système nerveux, une considération domine.

L'anémie aiguise à l'excès l'excitabilité nerveuse. La pléthore sanguine en atténue les réactions. Sédentaire, ingrate, la profession est-elle de nature à favoriser l'anémie : mouvementée, lucrative, féconde, la profession est-elle de nature à favoriser la pléthore? — La question est là. Et c'est là qu'est la pierre de touche pour le classement, en tant que condition prédisposante ou préservatrice de l'hystérie, de toute profession manuelle, de tout métier. Mais, dans la foule des professions plus ou moins laborieuses, plus ou moins lucratives, plus ou moins fécondes, émergent celles qui, sans exiger un déploiement de puissance musculaire considérable, sont au prix d'une dépense de force nerveuse de tous les instants. Les professions dites libérales sont au premier rang, parmi celles-là. « La suractivité mentale se traduit alors, dit Cullerre, par une susceptibilité anormale, une grande irritabilité de caractère, une insomnie complète. » Livrés à toutes les conséquences d'un travail excessif auxquelles il faut ajouter l'effet des préoccupations morales résultant de graves responsabilités, les hauts fonctionnaires, les jurisconsultes, les orateurs, les gens de lettres, sont particulièrement exposés à des troubles spasmodiques ou autres, par lesquels l'épuisement cérébral se trahit. Il ne faut, toutefois, rien exagérer, car. selon la judicieuse remarque de Briquet, « toute cause prédisposant à l'hystérie doit, si elle a quelque puissance, amener la maladie par la seule prolongation de son action. Or, c'est ce que ne font jamais les travaux de la littérature et des beaux-arts. Mais ce qui peut la provoquer, ce sont les déceptions, les rivalités et les écarts qui se voient si fréquemment dans la vie des littérateurs et des artistes qui appartiennent à la classe des femmes. On ne doit donc pas attribuer à la culture des lettres et des arts les effets des passions accessoires à ces nobles travaux. » De son côté, Aug. Voisin insiste sur la possibilité de se livrer à un travail intellectuel, même considérable, sans courir les dangers de la fatigue et à fortiori de l'exténuation. « Pour beaucoup acquérir sans danger, il faut, dit-il, beaucoup varier ses travaux ; de même, pour beaucoup produire, il est essentiel d'avoir des connaissances variées. Le principe de la division du travail et des spécialités, qui s'applique si bien à tout ce qui concerne la production industrielle, est absolument contraire à l'hygiène de l'esprit. » Se donner le temps et la peine d'acquérir des notions variées avant de se lancer dans le champ de la production et d'affronter les périls et les hasards de la lutte, voilà en effet ce qu'il faudrait et ce que beaucoup ne font point, courant ainsi, de gaité de coeur, aux déceptions amères et à leurs navrantes conséquences.

CORRESPONDANCE ET CHRONIQUE

Condamnation de l'hypnotisme par un evêque.

Lu question de l'hypnotisme n'avait pas encore été traitée jusqu'ici dans une lettre pastorale. C'est Mgr Sancha Hervas, évêque de Madrid-Alcala. qui aura, pour l'Espagne, l'honneur de cette initiative. Dans ce document, Mgr l'évêque de Madrid examine en détail toutes les explications, plus ou moin-, scientifiques, au moyen desquelles les partisans de l'hypnotisme essayent d'en nier le caractère surnaturel; il en fait l'histoire depuis ses origines jusqu'à ces derniers temps et, après en avoir énuméré les phénomènes, il les caractérise et en condamne la pratique, dans les termes suivants :

« Par tout ce que nous avons dit sur l'hypnotisme, vous pouvez comprendre, nos très chers fils, que, quelle que puisse être son importance et sa plus ou moins grande utilité comme élément thérapeutique, il n'est pas permis d'en user dans les conditions périlleuses où il s'est manifesté, parce que, dans L'emploi des moyens physiques pour produire des phénomènes qui ne sont pas naturels, on ne trouve pas la proportion rationnelle qui doit toujours exister entre la cause et ses effets ; parce que ces effets recevant leur forme de la cause qui les produit, et les phénomènes de l'hypnose étant les mêmes que ceux du magnétisme, on peut en conclure, sans forcer aucunement le critérium logique, que la cause de la première doit être égale, au moins spécifiquement, à la cause de la seconde.

» Et comme les pratiques magnétiques sont condamnées par notre mère l'Eglise, en raison des circonstances superstitieuses et hérétiques qui les accompagnent, à plus forte raison doit-on tenir pour réprouvées les pratiques hypnotiques, toutes les fois que la personne qui y aura été soumise ne pourra s'en tirer, étant donnés les maux physiques et moraux qu'elles produisent, au témoignage même des hypnographes, sans un grave dommage pour sa dignité, sans l'affaissement de sa conscience, sans de répugnants désordres dans les affections de son cœur, sans un amoindrissement de sa liberté et sans de grands désordres en tout son être. »

En France, les évêques se sont montrés beaucoup plus libéraux. Ils ont pensé, avec raison, que l'hypnotisme appliqué dans un but médical et utile n'avait rien qui pût le faire mettre à l'index plutôt que tout autre procédé thérapeutique.

En 1846, Lacordaire fil, dans la chaire de Notre-Dame, une adhésion solennelle au magnétisme qu'il considère comme le dernier rayon de la puissance adamique. destiné à confondre la raison humaine et à l'humilier devant Dieu; c'est un phénomène de l'ordre prophétique. Depuis, la cour de Rome elle-même, après avoir combattu dans diverses lettres encycliques les abus du magnétisme, a déclaré, dans ces derniers temps, que la réalité des phénomènes de l'hypnotisme est tout ce qu'il y a au monde de plus incontestable et de mieux prouvé et que son usage est permis, intéressant et la science et la foi, quand il consiste dans le simple emploi de moyens physiques, licites en eux-mêmes et dans leur opération. Nous ne pouvons oublier que plusieurs professeurs de la faculté libre de Lille. MM. Guermonprez et Desplats, en parti-

culier, ont apporté d'importantes contributions à l'étude de l'hypnotisme et de la suggestion. L'évêque de Madrid a le droit de l'ignorer. L'Espagne, jusqu'à ce jour, s'est trop désintéressée du mouvement scientifique général pour qu'il nous semble nécessaire, par des lettres pastorales, de l'encourager à persister dans sa torpeur intellectuelle et morale.

Sommeil léthargique chez une hirondelle.

Dans sa dernière séance, la Société des naturalistes a entendu une fort curieuse communication de M. Leroux sur un fait affirmé et discuté à plusieurs reprises : la possibilité pour les hirondelles et les martinets de passer l'hiver entier dans nos climats, plongés dans un sommeil léthargique comparable à celui des animaux hibernants.

A l'appui de sa communication, M. Leroux a montré à la Société une hirondelle vivante dont il a raconté l'histoire.

Ce:te hirondelle, abattue par le fouet d'un cocher au mois d'octobre dernier, était tombée dans la boue et ne pouvait reprendre son vol ; elle fut recueillie par un enfant, lavée et enveloppée dans un rouleau d'ouate qui. déposé dans un tiroir, y fut oublié.

Or, il y a quelques jours, le rouleau fut retiré par hasard et l'hirondelle fut trouvée vivante, bien qu'endormie dans un sommeil léthargique.

Devant les membres de la Société, l'oiseau a été réveillé et rendu à la liberté.

Plusieurs zoologistes du siècle dernier ont affirmé avoir rencontré pendant l'hiver, dans des trous de murs, dans des grottes ou des cavités analogues, des hirondelles et des martinets plongés dans un sommeil hibernal.

Quelques-uns d'entre eux en avaient même déduit que les hirondelles n'émigraient pas et que toutes se réfugiaient dans des cavernes pour passer l'hiver.

C'est une erreur, mais actuellement on admet que les hirondelles perdues, ou ayant manqué le départ général à l'automne, restent dans nos climats pendant tout l'hiver, et se réfugient dans quelque abri, où, sous l'influence du froid qui les engourdit, elles s'endorment pour plusieurs mois et ne se réveillent qu'au printemps, à l'apparition des premiers chauds rayons du soleil.

M. le professeur Charcot à Milan.

La presse italienne, à l'occasion du récent voyage que M. le professeur Charcot vient de faire à Milan, a publié, à l'égard de notre éminent compa-triote, les appréciations les plus flatteuses. C'est dans les termes suivants que la Lombardia raconte un des incidents de ce voyage :

« Le célèbre professeur français qui se trouve actuellement à Milan, pour donner ses soins à l'empereur dom Pedro, a voulu honorer hier de sa visite l'établissement polyclinique inauguré, il y a quelques jours, sous les auspices du docteur Miliotti, qui a été élève de M. Charcot, à la Salpêtriére de Paris.

- Cette visite a revêtu une signification particulièrement importante pour les expériences d'hypnotisme qui ont été pratiquées sur différents sujets, en presence de M. Charcot.

» On sait que sous le rapport de l'hypnotisme, M. Charcot a une réputation universelle. La plupart des médecins le considèrent comme le prophète ae l'hypnotisme, suivent ses théories et jurent volontiers in verbo magistri...

» M. Charcot a assisté aux expériences, en faisant de nombreuse* observations et en s'étendant sur des explications théoriques d'un haut intérêt.

» En partant, M. Charcot a exprimé au docteur Miliotti, stari qu'aux autres assistants, parmi lesquels les docteurs Ripamonti. Secchi, Caneva, Bennati, etc., son admiration pour le fonctionnement de l'Institut polyclinique. »

BIBLIOGRAPHIE

Le Moyen âge médical, par le Dr Edmond Dupouy. Un fort volume in-12, de près de 400 pages. Prix : 5 francs (1).

Cet ouvrage comprend quatre parties distinctes :

1° Les Médecins au moyen âge: Maîtres es arts. Mires. Physiciens, Doc-teurs. Chirurgiens, Apothicaires, Barbiers, Etuvistes, Ventrières et Sages-femmes.

2° Les Grandes Épidémies : Pestes. Mal des ardents. Fièvres éruptives, Suette, Scorbut, Lèpre et Syphilis.

3° La Démonomanie au moyen âge : Origines de la Magic et de la Sorcellerie, Théologiens et Juges Démonologues, Médecins Démonologues, Possédés, Sorciers et Démonomanes, Hystéro-démonomanie des cloîtres. Magie, Force psychique et Spiritisme.

4° La Médecine dans la littérature du moyen Sge : Farces, Moralités et Soties, Etude médicale sur les poètes, romanciers, chroniqueurs et auteurs dramatiques.

L'auteur a rassemblé dans ce volume un grand nombre de faits anecdotiques et historiques fort intéressants. Le chapitre consacré à l'étude de la démono-manie au moyen âge l'a amené à penser avec assez de raison que les sorciers devaient avoir quelques notions de cette force que nous appelons aujourd'hui la suggestion. Il n'y a en effet rien d'étonnant à ce qu'ils soient arrivés à produire chez certains sujets ces changements de personnalité, ces hallucinations et ces illusions que l'on obtient si facilement chez les hypnotisés. On peut donc supposer que la suggestion a dû être un des principaux mystères de la sorcellerie.

Mais où notre confrère est moins bien inspiré, c'est lorsqu'il croit pouvoir tirer de l'étude des symptômes présentés par les démonomanes, des preuve-en faveur du spiritisme.

Dans le dernier chapitre de son livre, le Dr Dupouy expose le rôle important joué par la médecine dans la littérature du moyen âge. Les anecdotes piquantes dont il a émaillé son étude, en rendent la lecture fort attrayante.

L. T.

(1) Meurillon, éditeur. 16, rue Serpente.

NOUVELLES

Hospice de la Salpêtrière. — Clinique des maladies du système nerveux : M. le profeseeur Charcot. Leçons le mardi et le vendredi, à 9 heures.

Asile Sainte-Anne. — Clinique des maladies mentales ; M. la professeur Ball, leçons le dimanche, à 9 heures 1/2.

Hôpital de la Charité. — M. Luys fait tous les jeudis, à 10 heures, des leçons sur les affections du système nerveux.

Hoipice de Bicétre.— Maladies mentales : M. Charpentier, mercredi, à 8 heures 1/2.

Asile clinique(Sainte-Anne). — M. Poubelle, préfet de la Seine, a pris, à la date du 17 mai, les deux arrêtes qui suivent :

M. Dagonet (Henri), médecin en chef de la division des homme» à l'asile public d'aliénés de Sainte-Anne, est admis, sur sa demande, a faire valoir ses droits à la retraite pour cause d'ancienneté de services, à partir du 1er juin 1888.

M. le docteur Dubuisson (Paul), médecin-adjoint à l'asile public d'aliénés de Sainte-Anne, est nommê médecin en chef de la division des hommes dudit asile, en remplacement do docteur Henri Dagonet.

Faculté des scieces de Paris. — Mlle Leblois a soutenu, le jeudi 24 mai, a la Sorbonne, pour obtenir le titre de docteur es sciences naturelles, une these ayant pour titre : « Recherches sur l'origine et le developpement des canaux sécréteurs et des poches sécrétrices. » — Un certain nombre de femmes ont déjà pris, en France, leurs grades en histoire naturelle. Elles manifestent d'ailleurs pour les sciences naturelles des aptitudes tres marquées. La plupart préfèrent la botanique à la zoologie. dont les préparations sont souvent répugnantes.

La société d'anthropologie, dés sa fondation, a reçu l'adhésion d'un assez grand nombre de femmes, et leur dévouement n'a jamais fait défaut à l'œuvre.

OUVRAGES REÇUS A LA REVUE

Le Moyen âge médical, par le docteur Edmond Dupouy. — Meurillon, 16, rue Serpente, In-12, ?72 pages. Paris, 1888. 15 fr.)

L'Hypnotisme et la Suggestion, par le docteur Tokarsky. m;'decin à !a clinique des aliénés de l'Université de Moscou. — Moscou, 1888.

Le Monde comme volonté et comme représentation, par Arthur Schaupenhauer, traduit en français par A. Burdeau. — Grand in-8°. 440 p. Bibliothèque de philosophie contemporaine. Félix Alcan, 1888. (7 fr. 50)

L'Hypnotisme et la liberté des représentations publiques. Lettres à M. le professeur Thiriar, suivies de l'examen du rapport présenté par M. Masoin à l'Académie de médecine, par J. Delbœuf.— Brochure in-8°-, 110 pages. Liège, 1888.

Ueber hypnotische Suggestionen, deren Wesen, par Joh. G. Salles, vorstand des ambulatoriums for mechano und Electrotherapie Baden-Baden. — Berlin, broch. in-8°, 1888. Heuser Verlag.

Der Hypnotismus in der Gebursthilfe, par Joh. G. Salles. — Berlin, broch. in-80, 1888. (Id.)

Hypnotisme et psychologie. L'hypnotisme et les facultés de percep-tion, par l'abbé Léon Guillemet. — Librairie Pille-Vuillaume. 9, rue Soufflot.

L'Administrateur-Gérant : Emile BOURIOT. 170. Rue St-Antoine-

TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES

Abus des boissons alcooliques (Congrès

de Zurich contre l', 121. Académie de médecine, 26, 27, 88, 3o6. Académie de médecine de Belgique, 3o9,

342. 368.

Accès de délire mélancolique consécutif

à des pratiques d'hypnotisme, par

Briand et Lwolf, 492. Accouchement dans le somnambulisme

provoque, par Mesnet, 33. Action h distance des substances toxiques

et medicamenteuses, par Bourru et

Burot, 109.

Action des médicaments à distance, par

Jules Voisin, 209. Action médicamenteuse à distance, (de l').

par Constantin Paul, 184. Action médicameteuse à distance (de l').

par Bernheim, 161. Affections mentales et nerveuses (action

du surmenage intellectuel sur le développement des), 95. Alssaoua (notes historiques sur les), par

Delphin, 334. Aliénation mentale (traitement de l')

par la suggestion, par Aug. Voisin, 326. Aliéné en cour d'assises (un), par Lacas—

sagne. 195. Allemands hypnotisation des), 325. Allochirie auditive (un cas d'), par Gellé.

247.

Allochirie visuelle chez une hystérique hypnotisée, par Paul Magnin. 240.

Analogie de la suggestion dans le sommeil provoqué et à l'etat de veille. 178.

Analogie entre l'eut hypnotique et l'eut normal, par Delbœuf, 289.

Applications de l'hypnotisme au traitement des enfants vicieux, par Bérillon, 59.

Applications pratiques de la suggestion à la pédagogie, par Bérillon, 176.

Aptitude au travail, réveillée par (suggestion, 177.

Arrêt du besoin de morphine par la

nitro-glycérine, par O. Jennings, 29. Art de punir. 361.

Association française pour l'avancement des sciences (session de Toulouse), 138, 191. — (session d'Oran )., 338, 364.

Attaque de sommeil hystérique (l'), par Charcot, 27.

Autopsie (la Société mutuelle d'), 193.

Auto-suggestion en médecine légale, par Burot, 154.

Auto-suggestion (procédé pour distinguer les effets dus à l'), par de Rochas, 159.

Buveurs (traitement par l'hypnotisme des), par Ladame, 129. 165.

Cerveau un nouveau procède d'étude du), 354.

Cerveau et le surmenage scolaire (le), par Luys, 88.

Charcot (. le professeur) à Milan, .378.

Châtiments corporels (dangers des), 36o.

Chorée (troubles mentaux succédant à la) traitée par la suggestion. 178.

Chorée traitée par la suggestion. 177.

Condamnation de l'hypnotisme par un éveque, 377.

Congres d Amsterdam, 187.

Congres d'Oran (le), 321.

Considérations générales sur la sugges-tion. par Bernheim. 198.

Cours a l'Ecole pratique sur les applications de l'hypnotisme,

Dangers de l'hypnotisme. 156.

Dangers de l'hypnotisme extra-scientifique, par Andrieu, 125.

Dangers de l'hypnotisme extra-scientifique, par Pitres, 28.

Dangers de l'hypnotisme (les). 253.

Débauche (tendance à la), traitée par la suggestion, 176

Dècle (Charles , nécrologie, 319.

Dédoublement de la personnalité, par Ladame. 257.

Délire alcoolique (guérison par l'hypnotisme d'un), par Brémaud, 19.

Déroulement d'états successifs de personnalité, par Mabille et Ramadier, 42.

Dipsomanes (traitement par l'hypnotisme des), par Ladame, 129. 165.

Dipsomanie (traitement par la suggestion hypnotique de la), par Aug. Voisin. 48.

Dipsomanie datant de douze ans guérie par la suggestion hypnotique. 328.

Droit pénal et civil (hypnotisme dans ses rapports avec le), par Campili, 54.

Droiterie et gaucherie: sont-elles fonctions de l'éducation ou de l'hérédité ?.par Galippe, 122.

Dualité du cerveau et de la moelle épi-nière (la), par Brown-Séquard. 159.

Echolalie traitée par la suggestion, 33o. Ecole de Nancy (l'hypnotisme et l'), par

Bernheim, 322. Electricité comme agent thérapeutique

en gynécologie, 223. Emotifs (phénomènes) chex les sujets en

état d'hypnotisme par Luys. 75, 99. Enfants vicieux (traitement des), par

Bérillon, 59, 169. 176.

Ephémérides de l'hypnotisme, 276. Etude sur l'hypnotisme et la suggestion.

par Rifat, 297. Expériences sur le sommeil à distance.

par Ch. Richet. 225.

Fascinateurs et jettatores. 285.

Faux témoignages, par Bernheim, 4.

Femme accouchée sans le savoir, 217.

Folie érotique (la), 351.

Force neurique (la), par Baréty, 80.

Force neurique, rayonnante et circulante (propriétés physiques d'une), par Baréty. 22.

Forces non définies, par de Rochas, 52.

Froids polaires (les) et leurs effets sur l'organisme, par Collineau, 16?.

Gaucherie (diverses causes de la), par

Fletz. 125. Giraud-Teulon (nécrologie), 95. Grand hypnotisme dans ses rapports avec

le droit pénal et civil, par Campili, 54 Gymnastique morale, ??2.

Habitudes alcooliques (traitement par la suggestion hypnotique), par Aug.

Voisin, 48, 65. Habitudes invétérées d'onanisme, traitées

par la suggestion, 177. Habitudes vicieuses par la suggestion

(traitement des), par Aug. Voisin. 365. Hallucinations rétroactives provoquées

sans hypnotisme, par Bernheim, 4. Hirondelle (sommeil léthargique chez

une), ?78. Homœopathie et suggestion, 252. Hypnotisme â grande distance, par Ch.

Richet, 208. Hypnotisme (de l'), par Moll. 180. Hypnotisme et la presse (l'). 188. Hypnotisme extra-scientifique (dangers

de l'), 28.

Hypnotisme extra-scientifique (dangers

de l'). 125. Hypnotisme officiel à Berlin (l'), 187. Hystérie (cas curieux d'. par Peter. 3o3. Hystérique (l'), par Col lineau, 221. 259,

278, 347, 373.

Idées délirantes guéries par la suggestion hypnotique, par Jules Voisin, 243.

Imagination (effets de l'). 35o.

Impossibilité de marcher, datant de trois années, guérie par l'hypnotisme, par A. Gros, 245.

Incontinence nocturne d'urine, traitée par suggestion, 176.

Insomnie (une nouvelle espèce d'), ?18.

Interdiction des séances publiques d'hypnotisme: a Bordeaux. 3o; à Berne.224.

Interdiction des séances publiques d'hypnotisme (vœu émis au Congrès d'Oran), ?41.

Italie (la thérapeutique suggestive en),

par A. Nicot. 135. Italien (un livret), par A. Nicot. 268.

Jettatores et fascinateurs. 285. Jurisprudence la suggestion dans ses rapports avec la), par Liégeois, 356.

Lettre de M. Bourru au président de la Société de thérapeutique, 215.

Lypémanie avec idées de suicide, améliorée par la suggestion, 326.

Lypémanie avec hallucinations, guérie par la suggestion. 327.

Magnétisme animal (le), étudié sous le

nom de force neurique. par Baréty, 22. Magnétisme animal (le), la fascination et

les états hypnotiques, par Morselli.268. Maladies épidémiques de l'esprit (les),

par Paul Regnard. 115. Manie des nouvelles accouchées (guérison

par l'hypnotisme d'une), par Brémaud. 16

Massage (du), par Dujardin-Beaumetz,

118.

Médecine légale (de l'auto-suggestion en).

par Burot. 154. Médecine suggestive (éléments de), 282. Mensonge (habitudes de) traitées par la

suggestion, par Aug. Voisin. 152. Mensonge (tendance au), traitée par la

suggestion. 176. Menstruation (hypnose prolongée pendant

la), 329.

Menstruels (applications de la suggestion contre les troubles), 177.

Méthode (de la) dans l'etude de l'hypnotisme, par Bérillon, 1.

Milieux sociaux (la suggestion des), par Paul Copin, 70.

Morales (guerisons); par la suggestion, par Bernheim. 178.

Morphinomanie (de la), par O. Jennings. 29.

Moyen âge (le) médical, par Dupouy,

379.

Obstétrique (l'hypnotisme et la suggestion en), par Auvard et Secheyron, 3o5.

Onanisme (observations d') guéries par la suggestion hypnotique, par Aug. Voisin,

151.

Onanisme chez un garçon de neuf ans,

365.

Opportunité (de l') d'interdire les séances publiques de magnétisme animal, par Masoin. 342. 368.

Orthopédie morale, 180.

Paralysies psychiques (les). par Charcot.

Pédagogie expérimentale (essai de), par Bérillon, 36o.

Pédagogie (de la suggestion et de ses

applications à la). par Bérillon, 169. Pelade (la) et l'école, par Ollivier, 211. Pelade (la) et l'école, par Hardy, 213. Personnalité (états successifs de), par

Mabille et Ramadier. 42. Persuasion (méthode de traitement par

la), par Burot, 143. 331. Perversion grave du caractère traitée par

la suggestion, 176. Phases de l'hypnotisme obtenues par

suggestion. 322. Pianiste (effets du surmenage professionnel

chez un), 317. Polarité dans l'aimant et dans le corps

humain, par Chazarain et Ch. Decle.

Pratique médicale (l'hypnotisme dans

la), par Van Renterghem. 185. Procédé d'hypnotisation, 172. Procédé de réveil. 175. Procès de la dernière sorcière brûlée à

Genève, 314. Procréation des sexes à volonté (de la),

par Cook, 126. Psychologie contemporaine (la). 344. Psychologie générale (essais de), par Ch.

Richet. 86. Punitions (les) à l'école. 36o.

Regles (cas de régularisation des) par suggestion, par Bernheim, 138.

Réglementation de l'hypnotisme (la), 309.

Réglementation de l'hypnotisme (la), par Bérillon a, 340.

Représentations (les) publiques d'hypnotisme, par Bérillon, 353.

Roman de M. Adolphe Belot (un), par Paul Copin, 203.

Santé (la) et l'éducation, 318.

Séances publiques de magnétisme animal (de l'opportunité d'interdire les), 342.

Sédentarité dans les écoles (de la), par Brouardel, 26.

Sédentarité dans les écoles (de la), par

Férécl, 57.

Sensibilité des téguments à l'or chez un

hystérique, 3o3. Singulier cas d'hypnotisme à Granges.

217.

Société de biologie, 247. Société de médecine de Berlin, 180. Société médico-psychologique, 209. Société de psychologie physiologique, 208, 275.

Société de thérapeutique, 184.

Sollicitation expérimentale des phénomènes émotifs chez les sujets en état d'hypnotisme, par Luys. 75, 99, ?06.

Sommeil à distance (expériences sur le), par Ch. Richet, 225.

Somnambulisme hystérique guért par la suggestion, par Ladame. 257.

Somnambulisme naturel (un cas de), 189.

Sourd-muet la syntaxe du). 248

Souvenir dans le sommeil hypnotique, par Jules Voisin, 209.

Suggestion (considérations générales sur la), par Bernheim. 198.

Suggestion des milieux sociaux (la), par Paul Copin. 70.

Suggestion (la) est la clef des phénomènes hypnotiques. ?24.

Sugsestion (de la) A propos des punitions à l'ecóle, par Félix Hément, ?6?,

Suggestion (de la) et du somnambulisme dans leurs rapports avec la jurisprudence et la médecine légale, par Liégeois, 356.

Suggestion mentale (de la), par Ochoro-wicz, 60.

Suggestion sans hypnotisme, 35o.

Surmenage intellectuel (du), par Brouar-del, 26.

Surmenage intellectuel (du), par Féréol. 57.

Surmenage intellectuel (action du), par ??ynert. 95.

Surmenage scolaire (le), par Luys, 88.

Tabac (suggestions contre l'abus du) 220.

Tentative de meurtre par un aliéné, 30.

Terreurs nocturnes traitées par suggestion. 176.

Thérapeutique psychique (la), 279.

Thérapeutique suggestive en Italie. 135.

Tics convulsifs (un cas de la maladie des), par Burot, 141.

Tics convulsifs avec écholalie et copro-lalie, par Burot, 33o.

Tics nerveux traités par suggestion, 176..

Vertu curative de l'hypnotisme (expérience devant servir à l'explication de la), par Delbœuf, 13.

Vie des sociétés (la), par Bordier, 70.

Vœu émis par la section d'hygiène au Congrès d'Oran, ?41.

Vol (tendance irrésistible au), traitée par suggestion. 176.

Vol de billets de banque pendant l'hyp-notisme, 286.

FIGURES CONTENUES DANS LE VOLUME

Marche des courants de la polarité dans l'aimant et dans le corps humain. Pl. 1, 148; pl. 2, 149.

Suggestions, hallucinations provoquées chez un jeune sujet, 174.

TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS

Andrieu, 125. Auvard, 3o5.

Ball. 351. Baréty. 22. 80. Belot (Adolphe), 202. Berillon, 1, 59, 86, 160, 197, 321, 340, 353, 366.

Bernheim, 4, 138. 161, 178, 198. 322.

Block (Paul), 283.

Bordier, 70.

Bourru. 109. 215.

Brémaud, 16, 19.

Briand. 292.

Brouardel, 26, 217.

Brown-Séquard, 158.

Bucquoy, 184.

Barot. 52. 109, 141, 154. 33o. 338.

Campili. 54.

Charcot, 271, 275, 378.

Chazarain, 144.

Colas (Albert), 60.

Collineau, 221, 251. 263, 278, 310, 347.

373. Compayré. 179 Cook. 125.

Copin (Paul), 70, 202. Crocq, 372.

Decle (Ch.). 144. Delbœuf. 289.

Delphin. 334. Drysdale. 121.

Dujardin-Beaumetz, 118, 306 Dupouy. 379.

Eclund. 318. Eeden (Van), 279 Féréol, 57. Fletz. 125. Fontan, 282. Forel. 121. 325.

Galippe. 122. Gelle. 247. Gros. 245.

Hardy, 213. Héger. 371.

Hément (Félix), 179. 360. Jennings (Oscar) 29.

Kuborn, 371.

Lacassagne, 195.

Ladame. 129. 165, 257. 314.

Lefebvre, 372.

Letourneau, 193.

Leyden. 35o.

Liégeois, 356.

Luys, 75. 88. 99. 3o6.

Lwolf, 292.

Mabille. 42. Magnin, 97, 240 Masoin, 342, 368. Menière, 223. Mesnet, 33. Meynert, 95. Moll. 180. Monin, 253. Morselli, 268. Mundé, 223.

Nicot, 54, 135, 268. Nuel, 373.

Ochorowicz. 60. Ollivier, 201.

Paul (Constantin) 184. Paulier (A.-B.), 254. Peter, 3o3. Pitres, 82. Pozzi, 62. Purgotti, 135.

Ramadier. 42.

Regnard (Paul), ii5.

Renterghem (Van), 94, 185, 282.

Ribot (T). 344.

Richer (Charles), 86, 208, 225.

Rifat. 297.

Rochas (de), 26, 52, 158. Rommelacre. 3o9. Roubinovitch, 365.

Secheyron, 3o5. Segard. 282. Souloumiac, 189.

Tuchmann, 284.

Voisin(Auguste), 48, 65, 151, 326, 338, 364.

Voisin (Jules), 209, 242.

paris. — imprimerie charles dlot, rue bleue, 7.