(1892) Archives de neurologie [Tome 24, n° 70-72] : revue mensuelle des maladies nerveuses et mentales
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(1892) Archives de neurologie [Tome 24, n° 70-72] : revue mensuelle des maladies nerveuses et mentales

ARCHIVES

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NEUROLOGIE

EVIIEUX, IJII'11111EIlIE DI; G 11.\ Il LES Il III S S E Y

ARCHIVES

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NEUROLOGIE

REVUE

DES MALADIES NERVEUSES ET MENTALES

- PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE '

J.-1%1. CIIARCOT

AVEC LA COLLABORATION DE

, h11. ANTONELLI, BABINSICI, BALLET, BOIX, IIL.\NC11AIID,

BLIN (E.), BLOCQ, BONNAIRE (E.), BOUCHEREAU,

BRIAND (11.), BB1SSAUD (E.), BROUAIIDEL (P.), CAMUSET, CATSAI(AS,

' CHARPENTIER, CIIASLIN, CHRISTIAN, DAUIIIAC (J.), DEBOVE (M.),

UELASIAUVE, DENY, D(ITIL, DUVAL (31ÀTIIIAS), FERR1EU. FRANCOTTE,

GIIII,ABULCCI. GILLES DE LA. TOURETTE, GOMBAULT, GRASSET, l'. JA\ET,

JOI'PBOY (A.), KERAVAL (I'.), 1.A\UOLZY, LEROY, MAGNAN, MARIE, MAUNOURY

111 : SNHT, bI7EEZEJEfVSICY, JIUSGRAVE-f.LAY, I'AItINAUU, 1'1'1101(, l'ILLlET,

l'IEItIiB'f, PITRES, 1'01'01'1', BAOULT. It : IY\IOVU (P.), LÉGNARD (A.),

IIEGNAHU (P.), HIC11EK (P.), 110U/lINOVITGII, 1101'11 (W.),

ROUSSELET (A.), SÉGLAS, SEGUIN (E.-C), SOLL1ER, SOHEL, SOUQUES,

SOUIIY (J.), TEINTURIER (E.), TIIULIÉ (IL), T1\OISIEII (E.),

VIGOlIROUX (1t.), VOISIN (J.), P. YVON.

Rédacteur en chef : BQUIIN¡¡VILLK

Secrétaires de la rédaction : J.-13. CIIARCOT FILS et G. GUÉNO.N

Dessinateur : LBUBA

Tome XXIV. - 1892.

Avec une planche et 6 figures dans le texte.

PARIS

f3UItGAUX DU PROGRÈS MÉDICAL

1 1., rue des Carmes.

1892

Vol. XXIV. Juillet 1892. N" 70.

ARCHIVES DE NEUROLOGIE

PATHOLOGIE MENTALE

DE L'ONOMATOMANIE (suite)'; )

Par MM. CIIARCOT et MAGNAN.

II. L'OBSESSION DU mot QUI S'IMPOSE ET L'IMPULSION

IRRÉSISTIBLE A LE RÉPÉTER.

Dans un précédent article nous nous étions occupés

de cet appétit irrésistible du nom ou du mot qui

pousse à la recherche angoissante, ne laissant du

repos qu'au moment où le mot retrouvé donne satis-

faction au centre cortical qui le réclame.

Il s'agit aujourd'hui d'un autre groupe d'onomato-

manes chez lesquels le mécanisme est tout autre. Loin

d'être absent, au lieu de fuir, le mot, au contraire,

s'impose, se place au premier plan dans le centre per-

ceptif dépositaire des images tonales et provoque par-

fois, sans nul retard, la décharge du centre moteur

d'articulation. L'éréthisme de ce centre est tel qu'il

échappe sinon au contrôle, du moins à l'influence

. Charcot et Magnai). De Vonomatomanie. (La première partie a

paru clans les Arch. de Neural., n° 19, sept. 1885, p. 157.)

Archives, t. XXIV. 1

2 PATHOLOGIE MENTALE.

modératrice des centres supérieurs. Si bien que le

mot obsédant s'impose, dans quelques cas, comme une

production parasitaire, en dehors du cours ordinaire

des idées et que le malheureux patient surpris, en

quelque sorte, non seulement le subit, mais est

poussé malgré ses efforts, à le projeter brusquement

au dehors...

Parfois, en effet, le malade parvient à réprimer

l'impulsion, se lève et se retirant dans un coin,

expulse, à voix basse, cette image verbale obsédante;

d'autres fois, plus fortement talonné, il détourne

brusquement la tête et laisse échapper le mot habi-

tuellement offensant pour l'interlocuteur ; dans quel-

ques circonstances, il parvient à étouffer le mot et à

n'émettre que quelques sons gutturaux; mais, d'autres

fois, l'impulsion est tellement rapide et imprévue que

s'intercalant brusquement dans la conversation, le

mot s'échappe avec l'irrésistibilité du tic, à la confu-

sion du malheureux patient, impuissant à le retenir.

Dans ce cas, l'image tonale est apparue d'emblée, sans

autre préparation, dans le centre psycho-moteur qui

l'expulse incontinent.

M. Gilles de la Tourette et l'un de nous avons eu

l'occasion de citer plusieurs cas dans lesquels les

paroles grossières s'associaient aux tics '. Ces deux

phénomènes, tics et coprolalie, coexistent parfois,

mais ils peuvent également se montrer isolément et

quelquefois aussi, ils sont associés à l'un ou à plu-

z Gilles de la Tourette. Etude sur une affection nerveuse caracté-

risée par de l'incoordination motrice accompagnée d'écholalie et de

coprolalie. Arch. de Neurol., net 25 et 26, janvier et mars 1885, p. 19

et 158.

Charcot,. - Tics et liqueurs. (Trib. méd., 25 novembre 1888.)

DE l'onomatomanie. 3

sieurs des autres syndromes; ils font, en réalité, cor-

tège à la folie héréditaire et n'en sont que des syn-

dromes épisodiques.

L'obsession n'est pas toujours représentée par un

seul mot, survenu spontanément ou recueilli dans le

cours d'une lecture ou d'une conversation, elle com-

prend parfois plusieurs mots, une phrase traduisant

une idée déterminée; mais que l'obsession émane,

comme dans ce dernier cas, de la région antérieure

ou du centre cortical postérieur, elle amène l'impul-

sion. Dans tous les cas, le calme et le soulagement

suivent l'émission du mot ou de la phrase. Chez tous

ces sujets la conscience reste entière. Sur trois de nos

malades, avec l'obsession du mot apparu en dehors du

cours des idées et l'impulsion à le répéter, se mon-

trent également les rires et les pleurs involontaires,

sans nul rapport avec l'état cénesthésique du sujet.

Observation VIII. Dégénérescence mentale. Alternatives d'excita-

tion et de dépression. Hallucinations, troubles de la sensibilité

générale, prédominance d'idées de persécution. Craintes du toucher.

Lavages réitérés. Rires et pleurs involontaires; coprolalie.

P..., femme L..., âgée de cinquante ans entre à l'asile clinique

(Sainte-Anne), le 30 octobre 1891.

La mère était nerveuse et paraît avoir eu la crainte du toucher,

elle se livrait, en effet, à des lavages réitérés ; un frère est mort t

paralytique général, et une cousine maternelle est actuellement en

traitement dans un asile pour de la mélancolie.

Mariée à trente ans, elle a toujours été bizarre et extravagante ;

dans son intérieur, elle était excessivement méticuleuse, d'une

propreté exagérée, se fâchait si le moindre meublé venait à être

dérangé, se lavait quinze fois les mains dans la journée avec du

citron et était couverte d'engelures l'hiver. Dans ses relations

sexuelles elle apportait les mêmes soins minutieux, au grand

désappointement du mari, obligé d'attendre la fin d'apprêts inu-

tiles et en tout cas fort inopportuns.

Elle a toujours eu de longues périodes de tristesse, alternant

4 PATHOLOGIE MENTALE.

parfois avec des phases d'expansion et de ga ! té. A quarante et un

ans, à la suite de la mort de son père elle a été prise de délire mé-

lancolique avec hallucinations et idées de persécution : on la

regardait avec mépris; on lui envoyait des chaleurs dans le bas-

ventre, on la poussait à la débauche : « Tu me céderas ou tu crè-

veras, » lui disait un de ses insulteurs imaginaires ? Cet accès néces-

sita un séjour de cinq mois à l'asile (1882).

Rentrée chez elle, elle reprit ses habitudes premières, tenant

bien son ménage, mais exagérant toujours les soins de propreté.

Au bout de quelques mois, les idées de persécution ont reparu

avec la même intensité. Elle prétendait qu'on lui enlevait les droits

dénature, qu'on l'empêchait d'uriner, d'aller à la garde-robe, qu'on

mettait obstacle aux relations maritales. Elle avait, en effet, un

peu de vaginisme. Elle entendait dire : « Tu feras ça avec moi et

non pas avec lui. On agissait sur elle par le spiritisme, la phy-

sique, le magnétisme : quand elle souffle le feu, celui-ci s'éteint

au lieu de s'allumer; sa lampe s'éteint aussi quoiqu'elle soit bien

garnie d'essence ; quand elle prend un lavement, l'eau jaillit jus-

qu'à son visage et c'est de l'air qui pénètre dans l'intestin. C'est

probablement la vengeance d'un individu qui lui avait fait des

propositions qu'elle a repoussées.

Très attristée, elle a manifesté à diverses reprises des idées de

suicide; d'autres fois exaspérée, elle brise les chaises ou frappe

avec un balai contre les murs pour faire cesser ses tourments.

Parfois, au contraire, elle est contente et sourit, ce sont des

Invisibles qui lui font des compliments, lui adressent des paroles

aimables, lui présentent des personnages, le comte de Paris, des

généraux, etc.

On la fait rire ou pleurer malgré elle : plusieurs fois, sur le pas-

sage d'un enterrement, on la force à rire au moment où elle fait

le signe de la croix ; d'autres fois au contraire on la fait pleurer

dans des moments où elle est au contraire gaie.

A plusieurs reprises, des mots grossiers, orduriers lui viennent

à l'esprit et elle est obligée de les répéter : « vérole, saleté de

peuple, putain ». Parfois même, dit le mari, elle les prononce à

très haute voix comme le ferait un perroquet.

La crainte du toucher de cette malade semble

prendre ses racines dans des dispositions maladives

similaires de la mère, mais les signes de la dégéné-

rescence sont nombreux, chez elle l'onomatomanie,

ses rires et ses pleurs involontaires, le vaginisme,

le délire hallucinatoire d'emblée se présentent, en

DE L'ONOMATOMANIE. S

effet, tantôt ensemble, tantôt séparément sous l'in-

fluence des causes les plus légères ou même sans cause

déterminante appréciable.

Observation IX. Dégénérescence mentale. Hallucinations à sept

ans; plus tard, idées mélancoliques et de persécution. A vingt-huit

ans, rires irrésistibles. Onomatomanie : obsession de mots grossiers

et impulsion à les prononcer.

L... (Berthe), âgée de trente et un an, entre à l'asile clinique

(Ste-Anne) le 11 avril 1885. Son père est mort à la suite d'accidents

cérébraux. Elle a fait, dans son enfance, une chute grave surla tête ;

elle s'est toujours montrée nonchalante, apathique et parfois même

elle prétendait être incapable de sortir de son lit. A l'âge de sept ans,

elle aurait eu des visions et apercevait des personnages nus qui ne

touchaient pas à terre. Depuis trois ans elle est prise, par moments,

de rires involontaires qu'on ne peut expliquer. Par moments, aussi,

elle est poussée tout à coup à prononcer des mots grossiers. Elle

entend depuis dix-huit mois des voix qui l'interpellent et l'inju-

rient, et il y a quelques mois elle s'est mise en chemise à la fenêtre,

s'est excitée et a craché sur une de ses parentes.

Depuis sept mois, elle a l'idée de se tuer ; elle s'est piqué une

varice et s'est ouvert une veine à l'avant-bras droit. Elle a voulu se

noyer au bois de Vincennes, mais elle n'a pas fait de tentative

par crainte, dit-elle, d'être repêchée et de subir les manoeuvres du

sauvetage.

Elle ne sait pourquoi elle est prise de rires, ni pourquoi il faut

qu'elle répète des mots grossiers. Parfois ces mots lui viennent

brusquement à l'esprit et elle les prononce machinalement, d'autres

fois ce sont des souvenirs de choses sales qui l'obsèdent et qui la

pousseut à proférer des injures ou des obscénités.

De temps à autre elle manifeste des idées de persécution, elle

prétend qu'on mêle à ses aliments des flueurs blanches de femme

et que la nuit, pendant son sommeil, on se livre sur elle à des actes

obscènes.

Très déséquilibrée, cette malade, dès son enfance, a

été en proie à des hallucinations et à du délire et ce

n'est qu'après plusieurs bouffées délirantes qu'ont

apparu les syndromes épisodiques, les rires irrésis-

tibles et la coprolalie qui, depuis trois ans, se manifes-

tent tantôt dans le cours des accès délirants, tantôt au

6 PATHOLOGIE MENTALE.

contraire, pendant les périodes de repos. Dans

l'observation suivante, aux rires et aux pleurs irré-

sistibles et à la coprolalie, viennent s'ajouter des dis-

cours involontaires.

Observation X. Dégénérescence mentale. Déséquilibration de tout

l'axe cérébro-spinal : mouvements involontaires des bras et des

jambes; rires et pleurs involontaires. Onomatomanie : obsessions

de mots grossiers; récitations involontaires. Impulsions à frapper.

C... (Clotilde), âgée de trente ans, est une déséquilibrée chez

laquelle aucune région de l'axe cérébro-spinal ne fonctionne d'une

façon régulière. Tantôt elle avait, en pleine conscience, des mou-

vements d'une main, d'un pied que ne pouvait régler la volonté.

D'autres fois, se produisaient des phénomènes inhibitoires : debout,

la malade ne pouvait plus s'asseoir; assise, elle ne pouvait plus se

relever. La moelle n'obéissait plus à l'influence psycho-motrice.

Dans d'autres circonstances, c'est toute la mimique d'un état pas-

sionnel, rires ou pleurs, qui surgit en désaccord avec l'état cénes-

thésique du sujet. Elle riait aux éclats à l'enterrement de son

grand-père qu'elle avait cependant beaucoup aimé. Chez elle, la

protubérance qui, d'après les expériences de Vulpian, est l'organe

des expressions émotionnelles, échappait au contrôle de la région

frontale. Par moments, elle prononce des mots le plus souvent

grossiers qu'elle ne voudrait pas dire, si elle essaye de résister,

elle éprouve du malaise, elle est angoissée ; elle les prononce alors

à voix basse, ou elle remue la langue sans les prononcer. D'autres

fois, elle se retire dans un lieu écarté, les prononce à haute voix et

se sent soulagée. Le centre auditif de l'écorce (lro temporale) est

dans un tel état d'éréthisme que l'image vient solliciter le centre

moteur d'articulation qui l'expulse au dehors. Le centre auditif, le

centre moteur d'articulation agissent encore ici indépendamment

des centres supérieurs.

- Parfois, enfin, ce n'est plus un mot, mais une série de faits divers,

tout un discours qu'elle devait répéter témoignant ainsi de la désé-

quilibration des centres corticaux antérieurs. Ce n'est pas tout ;

elle est de temps à autre poussée à frapper un inconnu, un ami,

un parent; elle résiste, s'isole, demande à être enfermée dans une

chambre où elle reste quelquefois très longtemps sous le coup

d'une décharge de la région psycho-motrice 1. *.

1 Magnan. - Cas de folie héréditaire : syndromes épisodiques intéres-

sant successivement diverses régions de l'axe cérébro-spizaal. Coexis

tence de folie héréditaire, de délire alcoolique et de délire épileptique

(Ann. 7 ? ? co-Mye/M ? 7° série, t. II, 1885, p. 235.)

DE L'ONOMATOMANIE. 7

L'observation suivante présente également de nom-

breux syndromes, la crainte du toucher, le doute,

l'arithmomanie, l'onomatomanie souvent associées

ensemble et aussi l'agoraphobie qui se montre plus

rarement avec ces syndromes.

Observation XI. Dégénérescence mentale, scrupules maladifs dès

l'âge de quinze ans. Doute. Arithmo'l1wnie. Crainte du toucher.

Ot ! 0 ? H<t<oman ! 'g : mots obsédants; coprolalie. Agoraphobie.

Mme G..., arrivée aujourd'hui à sa soixante-dixième année s'est

montrée, dès l'âge de quinze ans, scrupuleuse, craintive, préoccupée

de commettre un péché. Après son mariage ses scrupules aug-

mentent et le moindre incident devient un motif de craintes et de

remords. Un monsieur lui ayant pressé la taille, elle se dit cou-

pable, se désole parce qu'elle ne l'a pas énergiquement repoussé et

qu'elle ne s'est pas suffisamment rebiffée; les paroles bienveillantes

de son mari ne parviennent pas à la rassurer, elle ne peut pas, dit-

elle, se pardonner ces familiarités.

Elle craint constamment de pécher, mais plus elle cherche à

repousser les mauvaises idées plus aussi elle se sent obsédée et

poussée à penser à tout ce qui se rattache aux relations sexuelles.

Dès qu'elle aperçoit un objet arrondi, un long bouchon par

exemple, elle ne peut s'empêcher de songer à la verge de l'homme.

Elle s'empare d'un mot, d'une syllabe ou d'une lettre d'un mot, pour

composer un des mots qui lui sont le plus pénible, ainsi le nombre

cinq lui est fort désagréable parce que la première lettre C la

pousse, dit-elle, à former le mot cul et la lettre Q, le mot queue.

Aussi lorsqu'elle voit devant elle cinq objets, cinq assiettes, cinq

bouteilles, etc., elle s'empresse d'en demander une sixième pour

' ne pas avoir à réfléchir au nombre cinq ou iL le prononcer. Elle

n'ose pas lire de crainte d'être entraînée à composer des mots

orduriers. Elle surveille tous ses actes et se voit obligée à de grands

efforts pour ne pas y trouver prétexte à des préoccupations

sexuelles. Ainsi l'introduction du lorgnon dans son étui l'émo-

tionne parce que, immédiatement elle se représente la copulation

et qu'elle est obligée de lutter vigoureusement pour repousser cette

idée ! '

Sauf son mari, elle craint le contact de tous les hommes, se lave

dès qu'elle a touché la main d'un parent, d'un ami, et plus lard,

elle en arrive à mettre des gants et à ne présenter qu'une main

gantée quand elle doit toucher la main d'un homme ou toucher

un objet qui vient d'être touché par un homme.

Cette crainte du contact d'un homme qui s'exagère, même après

8 PATHOLOGIE MENTALE.

la ménopause, lui est suggérée, dit-elle, par l'idée que celui-ci

ayant touché sa verge pourrait déposer sur ses mains du sperme

qu'à son tour, elle pourrait, par mégarde, porter sur ses organes

génitaur.

La nuit, elle s'assure de la fermeture hermétique de toutes les

portes et fenêtres, barricade sa cheminée, pour se défendre contre

l'approche d'un'homme. Elle pousse la crainte, jusqu'à s'inquiéter

de la fêlure d'une vitre de la fenêtre qui pourrait donner passage

à la semence de l'homme; elle reconnaît que c'est absurde, mais

elle n'en a pas moins peur.

Tous les soirs, avant de se coucher, elle sonne son domestique,

elle exige qu'il reste derrière la porte, parfois des heures entières

pour répondre à ses questions monotones : les portes sont-elles

bien fermées ? Avez-vous bien donné deux tours de clef ? avez-vous

vérifié telle ou telle porte, telle ou telle fenêtre ? N'en avez-vous

oublié aucune ? Souvent non satisfaite de ses interrogations ver-

bales elle fait passer sous la porte des bouts de papier sur lesquels,

elle renouvelle ses recommandations et pour être certaine que le

domestique n'a pas de distraction et répond, après réflexion, à ses

'demandes, elle l'oblige à ne répondre qu'après un silence de cinq,

dix ou quinze minutes, parfois même une pause plus longue. Elle

passe ensuite aux recommandations pour le feu, et permet alors

de se coucher mais parfois tous ces discours ne s'achèvent que

vers trois ou quatre heures du matin.

Tout son personnel bien dressé a pour mission de se prêter à ses

bizarreries, d'obéir sans réplique et d'éviter ainsi les angoisses qui

ne manquent pas de se produire lorsque, par hasard, elle ne reçoit

pas de réponse à une interrogation.

Le plus souvent, elle fut étaler un grand châle sur son lit et

s'y installe sans se déshabiller; elie consent rarement à laisser

faire son lit. Quand elle veut se coucher dans les draps ou changer

de linge, elle e déshabille lentement, prenant grand soin de ne

pas se découvrir, et demande avec inquiétude à sa femme de

chambre si elle n'a pas aperçu ses mollets ou ses genoux. Il faut

que celle-ci réponde négativement, et après de minutieuses pré-

cautions, elle se glisse dans le lit, enveloppée dans une longue

chemise. Elle conserve habituellement ses vieux vêtements et il

lui est arrivé plusieurs fois de laisser de côté ses robes neuves,

touchées par un homme ou déposées dans un endroit suspect.

Elle n'a jamais fait un traitement régulier, son mari et, à la

mort de celui-ci, ses enfants, se sont évertués à donner pleine satis-

faction à ses exigences maladives qui ont ainsi suivi une marche

progressive.

Depuis quinze ans, elle reste presque toujours confinée dans une

chambre qu'elle a choisie dans un lieu retiré de son vaste hôtel ;

on y arrive par un petit escalier, les fenêlres restent closes nuit et

DE L'ONOniAT011ANIE. 9

jour, on ouvre quelquefois les châssis, mais jamais les contrevents;

la chambre est éclairée habituellement par une veilleuse, de temps

à autre on allume une bougie. De tous côtés se trouvent amoncelés

des paquets renfermant des bouts de papier, des chiffons, des jour-

naux, toute sorte d'objets bien étiquetés, destinés à un examen

qu'ils ne subissent jamais et les paquets continuent à s'accumuler.

Elle se décide un jour à recevoir le médecin, etaprès une attente

de quelques minutes pendant laquelle elle s'informe auprès du

domestique, si le visage du médecin lui sera sympathique, et sur

une réponse affirmative, elle frappe six petits coups sur la serrure

un septième coup sur le bouton et elle ouvre. Elle s'empresse de

s'excuser du désordre de sa demeure, c'est, dit-elle, « un vrai

capharnaüm; est-ce étrange ? je ne puis pas faire autrement a.

Elle porte des gants doublés mais elle consent à se laisser tâter le

pouls et finit même par se soumettre à un examen assez complet.

En dehors du doute, de l'onomatomanie, de la crainte du toucher,

de l'arithmomanie, elle est agarophobe et parfois même dans sa

chambre, elle doit s'appuyer contre les meubles. Au dehors, elle

ne peut pas marcher sans s'appuyer sur le bras d'un domestique.

Dans les dernières années, elle devient coprolalique; elle profère

malgré elle, des blasphèmes ou des paroles injurieuses. Devant le

médecin elle dit tout à coup : « Je me fous de Dieu, » « le Christ

est un cocu, » « la vierge est cochonne, » puis un instant après elle

reprend : « G... (son mari) est cocu », et les larmes aux yeux elle

s'écrie : En voilà une torture ! Être obligée d'injurier Dieu et ce

que j'ai eu, dans ce monde, de plus cher, mon pauvre mari ! Parfois

aussi, il lui échappe en parlant de son mari : « Je te maudis ! je te

maudis ! » taudis qu'elle conserve pour sa mémoire le plus pieux

et le plus affectueux souvenir. De temps à autre encore, quand elle

parle à un de ses bons et vieux serviteurs, elle laisse échapper

brusquement au milieu de la conversation : « Tu es un cocu. »

Parfois elle prononce ces mots grossiers à voix basse ; elle essaie

quelquefois même de les retenir, mais elle n'y réussit point, elle

est prise d'angoisse et elle doit les prononcer.

Pendant la conversation, elle surveille tous les mots, fait atten-

tion aux paroles de l'interlocuteur pour repousser toute expression

qui pourrait donner prétexte à une idée obscène.

Plusieurs médecins avaient conseillé l'éloignement de la famille

et le placement dans un établissement spécial pour combattre suc-

cessivement ces différents syndromes, mais sur le refus de la famille

non seulement pour le déplacement mais même pour le change-

ment du personnel habitué à obéir sans réplique, tous les essais de

traitement n'ont amené que de faibles améliorations et toujours

passagères.

Avec beaucoup de peine, on obtenait quelques promenades au

dehors, des repas à heure plus régulière, le repos la nuit dans le

10 PATHOLOGIE MENTALE.

lit, parfois même l'administration d'un bain, mais le moindre inci-

dent faisait promptement abandonner ces pratiques d'hygiène et

les habitudes maladives reprenaient leur empire.

Ce cas fort instructif donne une idée de la marche

en quelque sorte naturelle des syndromes épisodiques

livrés à eux-mêmes. Dès l'âge de quinze ans, cette

déséquilibrée présente les premières manifestations de

la folie du doute. Très gâtée par ses parents, on lui

laisse passer ses petites manies. Elle se marie à dix-

huit ans, et son mari dès les premiers jours, se plie à

toutes ses fantaisies; au doute s'ajoutent bientôt

l'arithmomanie, la crainte du toucher, l'onomato-

manie, plus tard l'agoraphobie, les obsessions et les

impulsions deviennent de plus en plus impérieuses et

pressantes, et la malade de plus en plus craintive et

affolée finit par se confiner dans un coin retiré de son

habitation où elle ne veut plus recevoir personne. On

consulte beaucoup de médecins mais sans suivre leurs

conseils. Dès qu'on aperçoit la moindre angoisse, on

s'émeut, on s'inquiète et coûte que coûte, satisfac-

tion est donnée à toute obsession. Un jour, on envoie

de Paris dans un petit village de la Toscane, un do-

mestique avec mission d'examiner les fermetures de

la fenêtre d'une chambre que Aime G... avait occupée,

une nuit, dans un hôtel où l'on avait été obligé de

s'arrêter en voyage. Mme G... veut être certaine que

personne ne pouvait pénétrer dans la chambre, une

fois les volets et les persiennes fermés ; on devait

aussi s'assurer qu'aucune vitre des châssis ne présen-

tait de fêlure et que rien n'avait pu se glisser dans la

chambre et la souiller pendant son sommeil-

Une dégénérée de trente-trois ans, L... (Aglaé),

DE L'ONOMATOMANIE. 11

dont l'un de nous a déjà eu à rappeler les nombreux

syndromes (kleptomanie, kleptophobie, crainte du

toucher, folie du doute, aberrations sexuelles) avait

également l'obsession du mot et l'impulsion à le

répéter1. Les mots chameau, putain, salope, s'impo-

saient à son esprit, elle ne les entendait pas, mais ils

se présentaient brusquement dans sa pensée et se pla-

çaient au premier plan. Elle se sentait poussée à les

prononcer, et quand elle résistait, l'angoisse devenait si

grande qu'elle se voyait forcée de les projeter à haute

voix au dehors.

Observation XII. -Dégénérescence mentale. Hallucinations. Troubles

de la sensibilité générale. Idées ambitieuses et de persécution. Ono-

matomanie. Obsession du mot. Impulsion à le répéter.

C... (Yves), professeur dans un collège, âgé de trente et un ans,

est entré à l'asile clinique (Sainte-Anne), le 23 février 1891.

Sa mère, névropathe, a eu des attaques convulsives jusqu'à l'âge

de dix-huit ans; il a présenté lui-même des convulsions dans son

enfance jusqu'à dix ans. Laborieux, intelligent, il a fait de bonnes

études; toutefois on le trouvait trop sérieux pour son âge; il jouait

peu avec ses camarades, on avait remarqué également qu'il se

rongeait complètement les ongles.

A vingt-quatre ans, il devient plus sombre, plus renfermé, et

pendant les vacances il se confine dans sa famille ne recherchant

plus du tout la société de ses amis. '

A vingt-six ans, il prétend qu'on trouble son sommeil, qu'on

déplace ses bras pendant qu'il dort, qu'on agit sur lui par l'élec-

tricité à distance et par influence sans que l'on ait besoin de piles

,ni de fils électriques rapprochés de son corps. Il prétend qu'on lit

dans sa pensée, puisque ses collègues s'emparent des sujets d'étude

déjà choisis par lui. Dans la rue, on lui donne des picotements à

la peau, on tiraille ses vêtements, ce sont là, dit-il, des phénomènes

provoquées par l'électricité. Celle-ci est appliquée aussi à sa bouche,

à ses mâchoires, à ses lèvres, qui remuent malgré lui, pouvant

laisser deviner au dehors ce qu'il pense.

Il ressent au crâne des tiraillements qui diminuent par la coupe

' Magnan. Etude clinique sur les impulsions et les actes des aliénés.

(Revue scientifique, 26 février 1881.)

12 pathologie mentale.

des cheveux, favorable à l'écoulement du fluide électrique. On lui

comprime aussi les poumons, on lui refroidit l'oesophage, on lui

tasse et on lui rapetisse la colonne vertébrale, on lui lance des

coups dévide dans la poitrine. Il prétend que le tassement de sa

colonne vertébrale s'est produit au moment même d'un accident

de chemin defer signalé le lendemain dans les journaux, mais

qu'il avait pressenti par la douleur. Parfois les décharges élec-

triques, au lieu de le refroidir, le réchauffent et lui font du

bien. 1

Il raconte qu'on lui envoie, par des tubes à travers le mur, des

odeurs qui stimulent son cerveau et provoquent de l'excitalion

génitale.

Autour de sa maison, on a installé de nombreux miroirs qui

reproduisent, dit-il, tout ce qu'il fait, et des téléphones qui divul-

guent ses paroles et ses idées que les publicistes, les députés, tout

le monde lui vole. Il entend parfois des injures, d'autres fois des

paroles flatteuses telles que : ·C'estVictor Ouzo », il est sans doute

appelé, dit-il, à un grand avenir, il pourra être député et ministre.

Il est tourmenté par la résonnance de certains bruits extérieurs

venant se répercuter dans ses narines. Parfois un battement élec-

trique se produit, dit-il, dans l'oreille; un bruit, un rire, un mot

entendu indistinctement, .viennent par une association de l'oreille

et du nez, éclater dans la cavité nasale. Non seulement ces bruits

existent eux-mêmes, mais ils en éveillent d'autres en puissance

dans le nez. Ces bruits prennent parfois la forme de la voix arti-

culée, et ce sont tantôt des mots insignifiants tels que copie, d'autres

fois des mots injurieux, le mot pédéraste, par exemple, ces derniers

proviennent de gens à moeurs inavouables qu'il a stigmatisés. Quel-

quefois il se sent, malgré lui, poussé à répéter ces mots, et après

avoir vivement résisté, il finit par les prononcer en détournant la

tête. D'autres fois, ces mots s'intercalent brusquement dans sa

conversation et s'échappent sans lui laisser le temps de se dé-

tourner.

Non seulement il perçoit, dit-il, des résonnances nasales, mais

par une sorte de vibration du nez qui se transmet au nerf optique,

on lui met dans le nez des visions de femmes. Il en était parfois*

très ému, et on l'entendait crier : « Encore cette femme qui vient

dans mon nez 1 D

Pour diminuer ces résonnances, pour amortir ces bruits, pour

empêcher d'entendre les mots qu'il était forcé parfois de pro-

noncer, et aussi pour empêcher qu'on ne lise sa pensée sur ses

lèvres, il enveloppait son visage dans un grand cache-nez qu'il ne

quittait même pas pendant l'été, et qui finit par provoquer les

plaisanteries des élèves et rendre son enseignement impossible.

S'imaginant que la franc-maçonnerie était pour quelque chose

dans ses tourments, il a porté plainte au Grand-Orient, puis il a

DE l'onomatomanie. 13

adressé dos lettres au Préfet de police, au Procureur de la Répu-

blique, prétendant qu'on lui enlevait l'air respirable, et enfin, après

une dernière démarche qu'il a faite à la préfecture, il a été envoyé

à l'asile.

Chez ce dégénéré les délires ambitieux et de persé-

cution se sont développés simultanément, s'accompa-

gnant d'hallucinations et de troubles de la sensibilité

générale. L'onomatomanie s'est présentée surtout

sous forme d'obsessions et d'impulsions coprolali-

ques ; mais on ne peut s'empêcher de relever les

visions et les voix nasales. Tous les centres perceptifs

encéphaliques, on le sait, quoique indépendants les

uns des autres, communiquent néanmoins entre eux

par des faisceaux de fibres d'association qui établis-

sent une certaine solidarité grâce à laquelle nos per-

ceptions se complètent rapidement. Les hallucinations

olfactives s'étaient développées de très bonne heure et

certaines odeurs imaginaires provoquaient l'érection,

c'est là sans doute la cause des visions de femmes à la

suite d'une sensation olfactive favorable à l'excitation

sexuelle. Cette sorte d'olfaction visuelle semble, en

effet, s'expliquer chez C... par l'influence de certaines

odeurs sur l'appareil génital et le réveil simultané de

l'image de la femme; la représentation visuelle surgit

avec la représentation olfactive.

Observation XIII.- Dégénérescence mentale. Délire polymorphe très

actif à la suite d'abus de boissons. Onomatomanie. Obsessions des

mots grossiers et impulsions à les répéter. Doute.

R... (Jean), âgé de cinquante-deux ans, entre à l'asile clinique

(Sainte-Anne), pour la troisième fois, le 20 octobre 1888.

Son père s'adonnait à l'ivrognerie, son frère est bizarre original.

Quant à lui, il a été constamment déséquilibré, il a fait, de bonne

heure, des excès de boissons qui ont provoqué non le délire toxique

14 pathologie mentale.

habituel, mais de la dépression mélancolique avec idées de persé-

cution ou de l'excitation avec des idées ambitieuses.

A sa dernière entrée, il est triste, en proie à des préoccupations

hypochondriaques et à des idées de persécution; il prétend qu'on

le poursuivait, que les curés lui en veulent, qu'ils l'empêchaient de

travailler et détournaient les clients de son café. Au bout de quel-

ques jours, le délire perd de son activité, mais quelques idées de

persécution persistent.

Depuis cinq ans, il lui arrive fréquemment d'être poussé, tout

d'un coup, à dire une injure à une personne avec qui il cause,

ou même, dans la rue, à un passant. Plusieurs fois, le mot « pu-

tain » lui vient sur les lèvres quand il rencontre une femme et

particulièrement une personne respectable. Il fait de grands efforts

' pour ne pas le prononcer; quelquefois, il réussit à l'articuler dou-

cement, la bouche fermée; mais d'autres fois le mot s'échappe

brusquement.

Pendant qu'on l'interroge, il parait tout à coup inquiet, préoc-

cupé ; un petit bruit guttural se fait entendre, L... détourne immé-

diatement la tête, et son visage exprime un profond désappointe-

ment. Pressé de répondre, il dit que c'est une grossièreté qu'il a

. dû laisser échapper, et qu'il s'est détourné pour la chasser au loin,

qu'il ne se permettrait pas de l'adreser au médecin pour qui,

ajoute-t-il, il a un profond respect. Un instant, après la même mi-

mique recommence, et il finit par raconter que c'est le mot « co-

chon n qu'il est forcé de prononcer malgré lui, et que c'est avec

beaucoup d'efforts qn'il est parvenu à le dire à voix basse; il se

trouverait, afCraie-t-il, en face d'un canon de fusil qu'il ne pourrait

pas retenir le mot. Quand il l'a prononcé, il' se sent soulagé.

Ces mots lui arrivent parfois sans qu'il y pense, mais d'autres

fois ils sont présents dans son esprit, l'obsèdent, et il ne peut s'en

débarrasser, d'autres fois encore, il croit les entendre dans l'es-

ttomac, et enfin quelquefois il les entend par l'oreille comme s'ils

venaient du dehors, mais quel que soit le mode d'apparition du

mot il se sent poussé à le répéter.

Si quelqu'un chante près de lui, il lui semble que les chants se

répercutent comme une sorte d'écho dans son estomac, et s'il

s'agit de chansons grivoises, il est poussé irrésistiblement à les

répéter.

Il est parfois vivement impressionné par la lecture des faits

divers surtout quand il s'agit de vols ou de meurtres; le sujet lui

en revient fréquemment à l'esprit surtout pendant -la nuit; il ne

peut s'empêcher de se laisser aller à une série infinie d'interroga-

tions, se demandant s'il n'en est point la cause. Cette recherche le

trouble et l'angoisse, il reconnaît que c'est absurde, mais il ne

peut pas cesser de se poser des questions.

DE L'ONOMATOMANIE. 15

Ce cas est intéressant par son délire polymorphe

qu'éveillent les excès de boissons, et au point de vue

spécial qui nous occupe, il n'en est pas moins curieux,

car il nous montre l'embarras profond du malheureux

onomatomane qui lutte pour refouler les grossièretés

intempestives ; il exprime bien le caractère impulsif

de l'acte quand il dit : « même devant le canon d'un

fusil je ne pourrai pas retenir le mot. »

Observation XIV. Dégénérescence mentale. Hallucinations bilaté-

rales. Idées ambitieuses et de persécution. Onomatomanie . Mots

obsédants à caractère grossier.

P... (Constant), garçon de magasin, âgé de trente-six ans, entre

à l'asile clinique (Sainte-Anne), le 2 novembre 1891.

On ne sait rien de précis sur la famille du père, mais un oncle

maternel est affecté d'un pied bot et d'un bec-de-lièvre; un deuxième

oncle maternel est faible d'esprit et sourd; la mère est un peu ner-

veuse. Surprise par les douleurs de l'enfantement, en pleine cam-

pagne, elle est accouchée de Constant sur une route. P... (Constant)

a eu des convulsions dans son enfance et a uriné au lit jusqu'à dix

ans; toujours sombre, triste, il apprenait difficilement, vivait à

l'écart et ne jouait pas avec les camarades qui, du reste, se mo-

quaient de lui. Il a fait son service militaire, mais n'a pas été gradé.

Marié deux fois, il a été malheureux avec sa seconde femme et en

était séparé depuis deux ans. Il est devenu, il y a trois mois, plus

triste que de coutume, il dormait mal, entendait parler plusieurs

individus qui tenaient des propos tantôt gais, tantôt désobligeants;

ces voix le suivaient dans son travail et répétaient tout ce qu'il

faisait. C'est par l'oreille gauche habituellement qu'il entendait les

discours agréables, les injures, au contraire, lui venaient par

l'oreille droite'.

De temps à autre, il est poussé irrésistiblement à prononcer des

mots qu'il ne voudrait pas dire, tels que « cochon, crapule, ca-

naille, misérable ». Il fait tous ses efforts pour se retenir, mais il

éprouve alors des sueurs et des froideurs par tout le corps; il est

énervé, agacé, il se sent, dit-il, comme serré, comme pressé, et il

montre le creux épigastrique.

Parfois, il s'arrête dans un coin, ou se tourne vers un arbre ou

un mur, et là, dit-il, il se décharge, il prononce rapidement et plu-

' M. Magnan. Des hallucinations bilatérales à caractère différent

suivant le côté affecté. (Arch. de Neurol., no 18, novembre 1883.)

16 pathologie mentale. ' *

sieurs fois les mots grossiers, et il se sent soulagé. Quelquefois, il

n'ose pas s'arrêter dans la rue, et il s'empresse de rentrer chez lui

pour prononcer ces mots; enfin, dans quelques circonstances, il

parvient à obtenir du repos en les prononçant à voix très basse en

remuant à peine la langue et les lèvres.

Ici encore l'angoisse accompagne la résistance à

l'impulsion et le malade trouve une solution conve-

nable en se détournant vers un arbre ou un mur pour

expulser les paroles ordurières.

Un malade de M. Maudsley, qui, avec la folie du

doute présentait de l'arithmomanie et de la coprolalie

avait fini, pour ne pas prononcer des mots obscènes,

par se résoudre à immobiliser la langue avec les dents.

« Excepté lorsque mon esprit est tout entier occupé

à une affaire, je suis forcé, comme par une nécessité

physique, de proférer des blasphèmes ou des paroles

obscènes. Quand je passe dans les rues ou que quel-

qu'un entre dans l'appartement où je me trouve, une

de ces paroles se présente à mon esprit et demande,

pour ainsi dire à être exprimée; tout effort conscient

semble augmenter le mal, et évidemment bien que je

sois forcé de me surveiller constamment, mon excita-

tion augmente. Je ne sais parfois si j'ai parlé ou non,

car, quelque bizarre que cela semble, la pensée se pré-

sente avec tant de force à mon esprit, et le malaise

qu'elle produit absorbe tant mon attention que je ne

sais qui croire de mes oreilles ou de mes lèvres. La

seule assurance que je puisse me donner, c'est de

fixer littéralement ma langue, de la mordre avec les

dents et de la rendre ainsi physiquement incapable de

prononcer un mot distinct. » {Pathologie de l'esprit,

p. 235.)

DE L'ONOMATOMANIE. 17

La malade M... femme H... dont nous allons ré-

sumer l'obervation est une dégénérée avec folie mo-

rale et accès mélancoliques. Son intempérance a été

suivie de délire alcoolique; mais elle n'a présenté qu'un

seul syndrome à base d'obsession et d'impulsion, la

coprolalie.

Observation XV. Dégénérescence mentale. Perversions morales.

Accès mélancoliques alternant avec du délire alcoolique. Copro-

lalie.

M..., femme H..., âgée de cinquante-deux ans, entre à l'asile

clinique (Sainte-Anne), le 19 mars 1885.

Bizarre, extravagante, toute sa vie, elle s'adonnait à l'ivro-

- nerie. Elle a eu neuf enfants, dont six sont morts en bas âge, des

trois survivants, l'un est faible d'esprit et blèse. Dépourvue de tout

sens moral, elle envoyait ses enfants voler à l'étalage, et elle don-

nait, vendait ou se servait des objets volés. Elle a été prise, à di-

verses reprises, de délire alcoolique avec hallucinations effrayantes,

elle voyait des têtes de singe, des bêtes féroces, des serpents, quel-

quefois les cadavres de ses enfants.

Plusieurs fois elle a eu des accès de mélancolie, elle était décou-

ragée, sans force, se sentait incapable de travailler, et, dans ces

moments, elle se reprochait sa conduite et voulait se suicider. Plu-

sieurs fois aussi, elle se sentait poussée à tuer ses enfants, elle ne

sait comment ces idées lui venaient, mais elle en était vivement

affectée.

Depuis quelque temps, elle est tout à coup poussée à prononcer

des mots grossiers qu'il lui est impossible de retenir.

Dans la dernière observation de ce groupe, nous

trouvons réunis, le délire hypochondriaque, la folie

du doute et l'onomatomanie.

1

Observation XVI. Dégénérescence mentale. Scrupules. Préoccupa-

tions hypochondriaques. Folie du doute. Interrogations mentales

fréquentes. OnonM[<o)7 : tMHt : . Mots obsédants. Coprolalie.

Mmo R..., âgée de vingt-six ans, dont le père, beaucoup plus âgé

que la mère, est affecté d'un tic de la face, s'est montrée scrupu-

leuse et très méticuleuse dès l'âge de douze ans. Elle habitait la

Archives, t. XXIV. 2

18 pathologie mentale.

campagne, et, de très bonne heure, elle donnait des conseils aux

paysans pour leur santé, et les traitait par l'homéopathie. Quand

les malades ne guérissaient pas ? elle se reprochait de les avoir mal

soignés, s'imaginait être cause de l'aggravation de leur mal, et en

éprouvait une vive inquiétude.. j 1 ?

La mort subite d'un de ses parents provoqua, chez elle, une vio-

lente émotion, et fit naître dans son esprit la crainte de la mort.

Elle surveillait les battements de son coeur et redoutait les moindres

palpitations, même celles que pouvait provoquer un exercice un

peu actif. La nuit elle s'efforçait de ne pas dormir trop profondé-

ment, afin de pouvoir surveiller ce qu'elle* appelait l'artère du

sommeil une des carotides les battements pouvaient, disait-

elle, s'arrêter subitement et entrainer la mort. Elle redoutait aussi

un ténia imaginaire dont elle se croyait atteinte. if , , '

Depuis longtemps elle se sentait poussée à rechercher la solution

de questions qu'elle se posait, sans cesse, sur, l'origine du monde,

sur la Trinité, sur Dieu, etc ! Dans ses interrogations fatigantes, si

elle ne trouvait pas une solution satisfaisante, elle était prise d'an-

goisse, la sueur couvrait son front, le coeur battait avec force, elle

se sentait oppressée et sur le point de^e trouver mal., - , , 1 > ,

Fréquemment, elle était obsédée par l'apparition dans sa pensée

de mots grossiers, injurieux, qu'elle se sentait poussée à, répéter : .

c'était le plus souvent les mots « cochon, diable r, et parfois le mot

« Dieu » qui surgissait à côté des premiers; c'était, dit-elle, comme

un blasphème. De même, un jour le mot « cochon » .était sur ses

lèvres au moment où elle mangeait du pain bénit; elle en était

extrêmement émue, mais ne pouvait, pas' s'empêcher de le pro-

noncer ? . , , 1 , n t ? " ,1 ! c (A suivre.) . j ¡

LA PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE DIFFUSE SUBAIGUE DE

DUCHENNE. (DE BOULOGNE) REPRÉSENTE-T-ELLE UN TYPE

CLINIQUE DISTINCT DE MYÉLITE DIFFUSE ? J. o '1 1

, ,,»,ts , 1/1 ¡ \ljl i P

Par le D' LEROY,

Professeur à la Faculté de médecine de Lille.

. \ l - -

On sait que Duchenne (de Boulogne) a groupé sous

le nom de paralysie générale spinale subaiguë les deux

variétés de myélopathie suivantes : ,

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE DE DUCHENNE. 19

) 1 La paralysie, générale. spinale antérieure subai-

guë ; 1 j 1 "\ · . .J' i . J . .

2° La paralysie générale spinale diffuse subaiguë. >

- Vu)pian, dans son Traité des, maladies du système

nerveux, admet l'existence de la première de ces deux

formes de Duchenne, mais il se refuse à (reconnaître

la seconde comme une espèce à part. Il considère les

faits de Duchenne comme des cas de myélite- diffuse

subaiguë qui ne se distinguent d'autres cas -de cette

maladie que. parce, que les cornes antérieures de la

substance grise ont été plus altérées dans ces cas que

dans d'autres...1 - - 1 1 1)' 1 1 1

, Quant la première forme, elle est depuis quelque

temps déjà l'objet d'une attention toute particulière.

Depuis l'avènement des polynévrites généralisées, sa

constitution a quelque peu souffert, maistson démem-

brement n'est) pas complet. Au contraire, ce type.de

Duchenne nous reste comme une, entité morbide bien

définie, mais sa, distinction au lit du malade est devenue

très difficile, sinon impossible pour le moment, car on

sait maintenant que le syndrome paralysie générale

spinale de, Duchenne peut répondre à des altérations

portant tantôt sur le système nerveux périphérique,

tantôt sur le centre médullaire. Bien que Leyden, l'ait

niée et ait voulu la ranger, dans le cadre des névrites

multiples périphériques, ce type de paralysie spinale

amyotrophique n'en existe pas moins, les preuves ana-

tomiques sont, là qui le démontrent. Son histoire s'est

seulement un peu compliquée dans ces dernières an-

nées au point que, actuellement, la question du dia-

gnostic différentiel entre la paralysie générale spinale

antérieure subaiguë de Duchenne et la polynévrite, gé-

20 pathologie mentale.

néralisée à forme de paralysie générale spinale anté-

rieure subaiguë de Mme Déjérine devient une affaire

très épineuse.

Quant à la deuxième forme de Duchenne, la para-

lysie générale spinale diffuse subaiguë, Vulpian exa-

minant d'une façon très attentive la plupart des cas

qui ont été publiés comme tels depuis Duchenne, n'en

laisse aucun debout. Par une analyse critique, il mon-

tre que tous les cas dénommés ainsi sont des exemples

de myélite diffuse subaiguë. Il fait remarquer toute-

fois que ces myélopathies se distinguent de la myélite

subaiguë habituel le en ce que dans ces cas de Duchenne,

les cornes antérieures paraissent être plus altérées que

dans les autres.

Assurément Vulpian a eu raison de critiquer Du-

chenne, surtout quand ce dernier assigne à la forme

morbide qu'il veut dégager, une anatomie patholo-

gique qui est l'ensemble le plus complet des lésions

qui caractérisent la myélite diffuse. Il rapporte les dou-

leurs à une méningite spinale, la parésie, la paralysie

à un travail inflammatoire des cornes antérieures, les

contractures et les raideurs articulaires à une sclérose

des cordons latéraux, les altérations plus ou moins

grandes de la sensibilité à une lésion des cornes posté-

rieures, les troubles fonctionnels de la vessie et du

rectum à une grande diffusion de la lésion spinale.

Comme on le voit rien de plus typique comme diffusion

que ces altérations qui s'étendent à toutes les parties

constituantes de la moelle. En outre, Duchenne y ajoute

la méningite, ce qui fait qu'il eut mieux fait d'appeler

cette affection une méningo-myélite. Duchenne, sur ce

point anatomique, n'a pas été heureux. Mais s'ensuit-

DE la paralysie générale spinale DE DUCHENNE. 21

il.de là qu'on ne puisse rencontrer une myélopathië

qui réponde trait pour trait au tableau qu'il a donné

de sa paralysie générale spinale diffuse subaiguë qui

consiste dans la combinaison de certains phénomènes

médullaires avec les symptômes typiques de la para-

lysie générale spinale diffuse subaiguë ?

Le fait suivant présente une telle analogie sympto-

matologique avec la deuxième variété de Duchenn6,

qu'on peut se demander si la paralysie générale spi-

nale diffuse subaiguë ne représente pas un type à part

de myélopathie. On y rencontre en effet : -1° le syn-

drome, clinique de la paralysie générale spinale anté-

rieure subaiguë (paralysie avec amyotrophie des quatre

extrémités avec participation des nerfs crâniens) ;

2° des troubles paralytiques des sphincters, une eschare

sacrée et des troubles de la sensibilité.

Vulpian admet la poliomyélite subaiguë de Duchenne,

à la condition que ce type soit revêtu de son caractère

de pureté et que cette myélite systématique ait son

processus morbide uniquement cantonné dans les cor-

nes antérieures de la substance grise. Cela n'empêche

pas cet auteur d'admettre que, chez certains malades,

ce processus peut franchir ses limites habituelles et se

propager soit aux autres parties de la substance grise,

soit même aux faisceaux de la substance blanche. La

maladie perd alors, dit Vulpian, dans une certaine

mesure, sa physionomie caractéristique et il est presque

impossible, si les renseignements sont incertains, d'é-

tablir un diagnostic. Le cas ci-après nous paraît être

une de ces déviations de la poliomyélite subaiguë,

comme l'admettait Vulpian et justifierait assez bien

l'existence de la deuxième variété établie par Duchenne.

22 s » PATHOLOGIE mentale/' J «

Il consisterait dans l'extension du processus des cornes

antérieures à d'autres parties de la moelle.' Vulpian,

d'ailleurs; ne nie pas complètement l'existence clinique

de la paralysie générale spinale diffuse subaiguë et

voici comment il s'exprime à ce sujette Assurément,

il y a des cas de myélopathies dans lesquelles se pro-

duisent tous les symptômes indiqués par 'cet auteur

(Duchenne), comme caractérisant le type qu'il voulait

établir,mais ce sont des cas qui ne se distinguent pas

par des caractères bien/ nets des 'faits ordinaires' de

myélite diffuse chroniquecou de sclérose combinée. »

· l " j. " ,l' ; i f JI. .

Paralysie avec atrophie généralisée aux qitatî-e-ext2-émités. - Diplopie,

chute de la paupière supérieure à droite, déviation du globe oculaire

en dehors de ce côté. Affaiblissement de l'action des muscles des

lèvres, léger nasonnement dans la prononciation. -'Altération du

sphincter vésical, p (irésie- rectale. - Eschare sacrée.. - Mort par

complications inflammatoires des voies urinaires. "

1 ' ) , - ;f, 1 ( j . 1 1

Homme de trente-deux ans, employé aux tramways. Rien à noter

dans ses antécédents personnels ou héréditaires. '' '

Le début de sa maladie remonte au 2 décembre 1890 et a com-

mencé de la façon suivante : Jusqu'à cette époque, cet homme était

bien portant et avait un service qui l'occupait toute la journée jus-

qu'à une heure tardive; de la soirée. Il se couche comme d'habi-

tude entre onze heures et minuit, sans avoir remarqué rien de

particulier dans son état. Le lendemain, lorsqu'il essaie de se lever,

il éprouve un état de faiblesse tel dans les jambes que s'il veut

avancer de quelques pas sur le parquet de sa chambre il chancelle

et ne' peut se tenir debout. A partir' de ce moment, la marche et la

station sont impossibles, et la paralysie des membres inférieurs le

force à rester au lit. Dix jours après, le sphincter de la vessie se prend;

il survient de la rétention d'urine et on fut dès lors obligé de le

sonder. ' ' ' 1

Trois semaines après le début de la maladie, la paralysie gagna

les membres supérieurs et fut surtout marquée aux mains et aux

avant-bras. f f - . 1

Bientôt après ces derniers accidents, son oeil droit fut atteint et

la chute de la paupière supérieure survint en même temps qu'il

voyait double. ' '

Au cours de tous ces accidents, un travail escharotique avait

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE DE DUCHENNE. 23

lieu au niveau du sacrum et à l'époque où nous vîmes le malade

(22 janvier 1891), il y avait en ce point un eschare dans le creux de

laquelle on- pouvait loger une mandarine. ' 'i . , 1 )

i C'est dans cet état, réduit au décubitus dorsal, ne pouvant

remuer ni jambes, ni se servir de ses mains que le malade se déci-

dait à se faire porter à l'hôpital. Mais, vu' l'encombrement, il ne

fut pas reçu et fut reconduit chez lui. Le début de l'affection parait

avoir, été accompagné de phénomènes fébriles'assez intenses; il y

aurait eu à ce moment de l'engourdissement surtout marqué dans

la moitié gauche du corps. i. 'i - oj ,1 j J;, 1 ' .

f .. r r f 1 f,. . If .

. Etat actuel (22 janvier 1891). Membres inférieurs. Le

malade est dans le décubitus .dorsal le plus complet; il ne peut

remuer les jambes et c'est à peine si, quand il fait des efforts, on

perçoit un léger mouvement de latéralité du pied droit en dedans.

Dans ces phénomènes d'efforts, on remarque des mouvements fibril-

laires et fasciculaires dans les masses musculaires de la partie anté-

rieure de la cuisse gauche.' " , , l' ,

Etat de la motilité. La paralysie de la motilité est absolue

dans les membres inférieurs; quand on le lève sur une chaise, les

jambes pendent inertes. Les muscles du mollet et de la cuisse sont

flasques et ont considérablement maigri. 1 , 1 ' '

L'atrophie est très prononcée, bien que la forme des membres

soit encore un peu marquée, c'est-à-dire,qu'elle n'est pas squelet-

tique. Les pieds sont déformés, déviés, et étendus, mais la chute

n'est pas tout à fait prononcée. De plus il,li'y a point de déviation

du gros orteil en dedans, ils sont en attitude vicieuse moyenne.

'Etat de la sensibilité. - Sensibilité générale. · 1 f - 1 1 ,

' Le malade n'accuse aucune douleur pas plus dans les membres

inférieurs que dans les autres parties du corps. A aucune époque

de sa maladie, il n'a éprouvé de douleurs ni continue, ni spontanée,

et jamais aucun mouvement involontaire dans les parties malades.

Ni spasme, ni contractures, ni crampes. < "'1 . 1

L'exploration des différents modes de sensibilité donne les résul-

tats suivants. Si l'on presse, en masse les muscles de la cuisse ou

de la jambe, on détermine chez le patient une certaine impression ;

mais cette pression quoique forte ne produit qu'une sensation

obtuse et non pénible. ' 1 ' z '

La pression le long des trajets nerveux est pénible et assez dou-

loureuse sur le crural, le sciatique et au creux poplité.

La perception du contact du doigt est restée, nette, le malade

indique avec une précision satisfaisante l'endroit où on le touche

quel que soit le point de la peau des membres inférieurs.

La sensibilité à la piqûre est diminuée, mais non abolie. Si avec

une épingle on pique la peau du malade en divers endroits des

membres inférieures, le malade perçoit bien la piqûre, mais la

24 1 " PATHOLOGIE MENTALE.

sensation qu'il restent n'est pas douloureuse et il n'accuse que la

sensation de l'ongle qui tracerait une ligue sur la peau. En cer-

tains points cependant la piqûre se fait sentir un peu plus vivement;

mais alors la perception subit un certain retard. La douleur ne

s'est montrée que' d'une façon tout à fait passagère, à tel point

qu'elle aurait pu passer inaperçu e. Elle s'est fait sentir sous forme

de quelques accès en éclair dans les muscles de la cuisse.

La sensibilité profonde est intéressée. La torsion articulaire des

orteils n'est pas douloureuse ; il voit l'acte mais ne perçoit aucune

douleur. La sensibilité à la température est conservée; il apprécie

bien la sensation des corps chauds ou froids.

Le réflexe de la plante du pied est modifié en ce sens qu'il sent t

le chatouillement comme un contact simple. Quant aux autres

réflexes, on se trouve dans de trop mauvaises conditions pour en

constater des modifications importantes.

La notion de position est actuellement très nette, mais il a existé

de la perte de la notion de position. Depuis dix jours, il se rend

parfaitement compte de l'endroit où sont situés ses pieds. Avant,

il lui était impossible de savoir à quelle distance on écartait ses

membres inférieurs l'un de l'autre.

Membres supérieurs. La paralysie ne parait pas aussi absolue

que dans les membres inférieurs dans lesquels il n'y a plus aucun

mouvement.

Les membres supérieurs ne sont pas inertes et étendus le long

du corps. Le malade peut faire mouvoir les différents segments des

parties supérieures; mais ces mouvements sont maladroits, man-

quent de précision et très limités. Il peut, remuer les bras mais

l'élévation de ce segment est très borné et le plan d'élévation du

bras est loin d'arriver en ligne directe avec l'épaule. Les avant-

bras et les mains peuvent ballotter en l'air, mais la préhension du

moindre objet est impossible et le malade ne peut même pas se

servir d'un mouchoir pour essuyer l'écume qui lui vient à la

bouche. Les bras et les avant-bras sont flasques, amaigris. C'est

un amaigrissement squelettique. L'avant-bras n'est plus repré-

senté que comme une latte entourée d'un coussin de peau.

La paralysie des mains est très accusée ; il ne peut saisir aucun

objet solide et si on lui donne la main pour la serrer, il met bien

les doigts en contact avec elle, mais le mouvement de serrement

est tout à fait négatif. Il n'y a point de chute du métacarpe sur le

carpe, et en immobilisant ce dernier, il semble que le malade des-

sine encore quelques petits mouvements des doigts qui indiquent

que les interosseux ne sont pas totalement perdus.

Les mains présentent une très légère déformation en griffe et

les éminences thénar et hypothénar sont presque totalement

effacées. L'état de la sensibilité des membres supérieurs ne pré-

sente actuellement rien de particulier à signaler. Pas de douleurs,

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE DE DUCHENNE. 2o 5

'pas plus que pour les membres inférieurs. La sensibilité générale

est seulement un peu émoussée.

Face, nerfs crâniens. 'A droite, les paupières sont closes et

lorsque le malade regarde un objet qu'on lui présente on s'aper-

çoit que le globe oculaire droit à son centre pupillaire dévié en

dehors. En outre, il y a de la diplopie manifeste et lorsque le malade

regarde un cadre situé sur la muraille en face de lui, il le voit en

double et ces deux objets qu'il voit sont situés à un intervalle très

marqué.

Lorsqu'on invite le malade à siffler, il ne peut le faire, les lèvres

se contractent avec symétrie mais le mouvement de contraction

des lèvres est insuffisant et il n'en sort aucun bruit.

Lorsque le malade parle, on remarque qu'il existe une modifica-

tion de la prononciation et la voix est légèrement nasonnée.

Réservoirs. Vers le dixième jour de la maladie, le malade a

été pris de rétention d'urine et il a fallu le sonder pendant un cer-

tain temps. Depuis une douzaine de jours, des phénomènes contraires

sont survenus et maintenant il urine involontairement et dit que

l'émission de l'urine se fait par intervalle et par jet sans cependant

qu'il éprouve la sensation du besoin. C'est l'émission par regorge-

ment. Quant au sphincter anal, le malade questionné à ce sujet

dit qu'il y a au moins dix jours qu'il n'a pas été à la selle et attribue

cet état à ce qu'il ne mange pas. Mais l'absence de toute envie

d'aller à la garde-robe indique nettement qu'il y a tout au moins

un état de parésie rectale.

En pressant alternativement avec le doigt de chaque côté de la

trachée on détermine à droite une douleur assez cuisante.

Eschare du sacrum. Au sacrum, on trouve une eschare dans le

creux de laquelle on pourrait loger une mandarine.

' Etat général. La maladie parait avoir été marquée dès le début

par un mouvement fébrile. Au cours de son évolution la fièvre a

persisté puisqu'il y a des moments où il éprouve des frissons assez

violents. Mais on peut croire avec raison que ces accès de fièvre

sont symptomatiques d'une inflammation ascendante du rein d'ori-

gine vésicale. Il accuse une insomnie presque complète qui dure-

rait depuis le commencement de sa maladie. Depuis six jours, il dit

qu'il ne peut ingurgiter^ aucun liquide sans que les vomissements

le rejette aussitôt. A l'auscultation, il existe de l'engorgement dans

les deux bases.

Phénomènes singuliers. En cherchant à relever les incidents

qui se sont produits au commencement ou au cours de la maladie,

la femme du malade prononce le mot crises. D'après l'interro-

gatoire que nous lui fîmes subir pour interpréter ce terme, il nous

semble que le malade, à certains intervalles, était pris d'un agace-

ment général qui le forçait à se remuer, à s'étirer et ces phéno-

26 1, - o PATHOLOGIE MENTALE. ' --

mènes s'accompagnaient d'une certaine crispation des mnscles du

visage qui lui donnait une mimique particulière, 'une expression

de souffrance. , , i f ' . .

- Etat de la contractilité électrique. L'exploration électrique n'a

pu être faite; la situation du malade ne se prêtant pas à ce genre

de recherches. "<-' i f ' ' '

29 janvier. L'état du malade s'agârave. L'ataxo-adynamie et le

délire augmentent. 11 à pâli beaucoup. L'es urines' sont sanieuses.

Depuis deux jours, la chute de la paupière supérieure a disparu et

le malade a les deux yeux ouverts. Il succombe le 1er février à des

phénomènes broncho-pulmonaires d'origine rénale.' ' ? 1

. ! 1 ! l, ' , 1 ¡ r ? i . 1

' '1" . , , , , i ? . ' 1 ri , ' 1 .

Voilà un malade qui est. mort de complications qui

ne sont que trop fréquentes au cours'' des affections

médullaires, L'évolution 'des symptômes jusqu'à la

période de maladie confirmée, s'est faite assez rapide-

ment pour qu'on soit autorisé à,la caractériser de su-

baiguë, intermédiaire très vague qui indique qu'il ne

s'agit ni d'état aigu'ou chronique ? Le début a eu lieu

¡. . 1 J ? . J

soudainement sans aucun phénomène prémonitoire .

par une paraplégie des membres inférieurs : Dix jours

après, paralysie des réservoirs. Vers le vingt et unième

jour de la maladie, les membres supérieurs\sont enva-

his. Enfin, ces phénomènes 'paralytiques s'étendent ''à

la face, et à l'oeil.. Le malade se trouve de la sorte, au

moment' où nous l'examinons, réduit'au décubitus

dorsal le plus complet, ne, pouvant remuer ni jambes

ni bras, ne pouvant même pas se servir d'un mouchoir

pour enlever de( sa bouche, les mucosités qui s'y accu- '

mulent. De plus, cette paralysie s'accompagne d'une

atrophie très prononcée des quatre extrémités des

membres, répartie avec une remarquabble symétrie.

Les caractères de ces symptômes de paralysie amyotro-

phiques dénotent qu'on a affaire à des altérations can-.

tonnées dans l'aire des cornes antérieures de la subs-

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE DE DUCHENNE. 27 Î

tance grise de la moelle. Quant à la hauteur de ces

lésions; la participation de la face et des yeux indique

qu'elles sont assez élevées et quejes' parties les plus

supérieures de' la région cervicale, sont, intéressées.

Pris isolément, ces phénomènes de paralysie ! am'yotro-

phiqueise rapportent par leur généralisation et leur

mode de distribution au '1 syndrome'de"paralysie 'géné-

rale spinale antérieure subaiguë,) sinon'- rapide.1 Ils

répondent bien à' la première' phase' symptomatolo-

gique de; la deuxième variété 1 de' Duchenne; laquelle

est constituée en outre par des phénomènes que nous

retrouvons ! chez notre malade, ! bien marqués, (et qui

sont : la paralysie des sphincters, une eschare au

sacrum,- des troubles de. la sensibilité suffisamment

prononcés au point que la. torsion articulaire^ dès

orteils n'est pas douloureuse, l' l' 'Il < i <-' if ,*

A, quelle afTection'avons-nous affaire ? Autant les

phénomènes de paralysie atrophique indiquent') des lo- "-

. calisations médullaires de la substance, grise;1 autant

les secondes dénotent des altérations diffuses de cette

substance. En somme, il s'ait là d'une combinaison de

lésions systématiques et diffuses de (la. substance grise

de la moelle. On est en droit en : effet 'de circonscrire

la lésiollijusqu'à un certain point à -la substance grise

seule, en notant l'absence de douleurs, l'abolition du

réflexe plantaire et l'absence de tout phénomène con-

vulsif médullaire' : ' ' ' . < 1 ( 1 1 ' '

Dirons-nous avec Vulpian, qu'il s'agit d'une'myé-

lite centrale diffuse »sùbaiguë vraie, en indiquant par

ce dernier terme que les cornes antérieures de la moelle

et le reste de la substance grise sont largement inté-

ressés. C'est, nous croyons, un diagnostic des plus

58 PATHOLOGIE MENTALE.

rationnels ; mais il nous semble qu'au milieu de tous

ces symptômes, il se dégage un ensemble, une phy-

sionomie spéciale qui frappe par la régularité des phé-

nomènes et par l'ordre de leur développement. Il nous

semble que cela rappelle de trop près le tableau que

nous a donné Duchenne de la paralysie générale spi-

nale diffuse subaiguë, pour que nous n'en fassions pas

la remarque. Est-ce dire, comme Vulpian le soutenait,

qu'il s'agit, dans ce cas, d'une myélite diffuse centrale

avec prédominance d'altérations dans les cornes anté-

rieures, mais dont le processus serait plus général et

distribué sans règle. Mais cette manière de voir est-

elle la seule, quand on voit d'abord la paraplégie sur-

venir, suivie de près de phénomènes amyotrophiques

dans les masses musculaires paralysées ; puis à ces

symptômes de myélites systématiques s'ajoutent des

troubles des sphincters qui dénotent l'extension en pro-

fondeur de ces lésions. Enfin, après un temps d'arrêt,

la lésion des cornes antérieures reparaît et devient z

pour ainsi dire directrice en produisant uniquement

une paralysie amyolrophique des deux membres supé-

rieurs et en s'attaquant peu après à la partie la plus

supérieure de la région cervicale.

Donc, en nous appuyant sur tout ce que nous venons

de dire, d'une part, et sur l'absence de phénomènes

convulsifs et douloureux qui reflètent ordinairement

les altérations tangibles de la substance blanche,

d'autre part ; nous croyons que nous sommes en pré-

sence d'une myélite centrale diffuse subaiguë, mais

spéciale et, malgré l'autorité de Vulpian, non par pré-

dominance des lésions dans l'aire des cornes antérieures,

mais par extension, par propagation de ces mêmes'

4

L'AMNÉSIE HYSTÉRIQUE. 20

lésions qui ont leur origine dans les cellules ganglion-

naires de ces mêmes régions. Et nous ne pouvons nous

empêcher de faire remarquer en terminant que ce mé-

lange, que cette combinaison des lésions systéma-

tiques des cornes antérieures avec les altérations dif-

fuses de la substance grise, ainsi que l'ensemble, la

distribution et la symétrie des symptômes cliniques,

rappellent de trop près l'analogie qui existe entre

l'affection de notre malade et la description de Du-

chenne pour que nous ne donnions pas ce cas comme

un type de paralysie générale spinale diffuse subaiguë.

CLINIQUE NERVEUSE.

CLINIQUE DES Maladies DU système nerveux. M. CHARC01'.

L'AMNÉSIE HYSTÉRIQUE;

2e conférence faite A la SALPÈTRIÈRE LE VENDREDI 17 MARS lS92 f,

Par JI. Pierre JANET, .

Messieurs,

Je commence aujourd'hui en vous demandant toute votre

indulgence et quelque patience, non pas que je doute le moins

du monde de votre bienveillant accueil, mais parce que je

trouve le sujet de notre étude assez difficile et pour vous et

pour moi. Les souvenirs ne sont pas un phénomène aussi

simple que les sensations; leur théorie beaucoup plus com-

plexe est loin d'être aussi avancée. Les expériences, si tant est

' Voy. Archives de Neurologie, n° 69, p. 323.

30 CLINIQUE NERVEUSE.

que l'on en puisse faire de décisives, sont beaucoup. plus dif-

ficiles à reproduire sur une estrade; elles demandent toujours,

quand elles sont possibles; une observation morale attentive

longtemps prolongée dans le calme et l'isolement. Vous me

direz alors : * Si ce sujet des amnésies hystériques est si diffi-

cile à comprendre et à exposer, pourquoi en parlez-vous ?

Pourquoi ne pas étudier d'autres problèmes plus simples

que nous présente l'état mental des hystériques ? D Je vous

répondrai que c'est pour moi une sorte de question de prin-

cipes ; je crois de mon devoir de vous direce qui me semble vrai,

même si je me trompe, même si je dois m'exposer à toutes

sortes d'inconvénients. Eh bien, je suis convaincu, à tort ou à

raison, que l'amnésie est très importante dans l'hystérie, que

c'est même un des symptômes cardinaux de cette affection. Il

ne me semble pas qu'il soit possible de rien comprendre aux

divers symptômes que vous pouvez avoir à observer, aux para-

lysies de toutes sortes, à l'astasie-abasie, au mutisme, aux

crises, aux délires et surtout aux somnambulismes, si vous

n'avez pas d'abord étudié autant que possible le fait prin-

cipal qui intervient plus ou moins dans tous les autres, le

trouble de la mémoire. Je vous dois donc de vous indiquer

dans quel sens à mon avis cette étude doit être dirigée, de

vous exposer ce qui est à peu près connu, et les suppositions

qui me paraissent vraisemblables. i ' '

D'ailleurs, pour faciliter ce travail et ne pas nous égarer,

nous décrirons exclusivement les cas d'amnésie typiques,

comme dit M. Charcot, en laissant volontairement de côté les

amnésies légères ou incomplètes et surtout les cas complexes

et confus auxquels je vous déclare d'avance ne rien com-

prendre. Ensuite, nous aurons un guide dans cette étude :

pour passer du connu à l'inconnu, nous rapprocherons tou-

jours autant que possible l'amnésie hystérique' de l'anes-

thésie que nous avons déjà comprise; nous verrons d'abord

qu'il y des' ressemblances incontestables et nous signale-

rons pour finir l'influence que ces deux phénomènes exer-

cent l'un sur l'autre. ,

, , . , , 1 ·

I. Pour décrire les amnésies hystériques il faut, à mon

avis, mettre en première ligne un caractère qui vous sur-

prendra peut-être un peu : elles sont lrès fréquentes, presque

aussi fréquentes que les anesthésies. M. Charcot l'a remarqué

l'amnésie hystérique. 31

depuis longtemps; dans les Leçons du'Mardi, en 1887, il disait,

à propos d'un malade du service : Ce malade a été presque

toujours repoussé des hôpitaux comme simulateur ; il est vrai

qu'il se contredit souvent dans ses récits et qu'il ment peut-

être quelquefois. Mais il faut tenir compte d'un état mental

encore insuffisamment étudié, 1 fréquent' surtout dans l'hys-

térie virile et où l'amnésie temporaire tient une grande place.

Il y a du vrai et du faux dans ce qu'il raconte, mais c'est au

médecin,' ainsi que je vous le' disais l'autre jour, à savoir

démêler ce qui est véridique et à ne pas condamner du premier

coup, sans examen plus approfondi i. Ce, que- M. Charcot

avaitconstaté à cette époque, nous pouvons le constater encore

tous les jours. Vous savez par exemple qu'il est parfois diffi-

cile de prendre l'observation d'une hystérique parce que ses

récits sont sans cesse incomplets et contradictoires. Mon ami,

M. Souques, internel du- service, me racontait avoir souvent

éprouvé à ce sujet de singulières mésaventures. Il prenait un

jour par écrit l'histoire d'une hystérique, les maladies qu'elle

avait déjà eues,' les hôpitaux où elle avait été soignée, etc. ;

mais le lendemain 'quand il s'apprêtait à lire l'observation à

M. Charcot, la malade amenée devant le médecin racontait

' tout le contraire.' J'ai trouvé' d'ailleurs exactement les mêmes

remarques' dans l'ouvrage de M. Gilles de la, Tourette2.

' Mille détails que ,1'on, peut' relever,' quand on observe leur

manière d'être dans le service, nous amènent à la même con-

clusion. Bien des malades en entrant ici pleurent et gémissent,

à la pensée de quitter leurs parents, de vivre seules à l'hôpital;

le' lendemain, tout est passé, elles ont oublié leur regret et

elles croient, disent-elles, être dans la, maison depuis des

mois. Plusieurs d'entre elles, à'cause de leurs oublis et de

leurs distractions continuelles sont tout à fait incapables de

faire un travail', de rendre quelques services. Les envoie-t-on

faire une commission, elles reviennent au bout' de quelques

heures, sans avoir rien fait, ayant tout à fait oublié le but de

leur sortie. L'unes d'elle se fâche un jour contre moi et me fait

des reproches imaginaires plus ou moins polis; le lendemain,

je me crois obligé de lui témoigner quelque froideur. Elle en

est très surprise et vient tout inquiète me demander ce que

'Charcot. - Leçons du Mardi il la Salpêtrière, 1887, p. 297.

1 Gilles de la Tourette. Traité de l'hystérie, 1891, p. 552.

32 CLINIQUE NERVEUSE.

j'ai contre elle; elle avait absolument oublié la scène de la

veille. D'ailleurs, en un mot, interrogez-les vous-mêmes sur

leur vie à l'hôpital, sur ce qu'elles ont fait la veille, le matin,

sur ce qu'elles ont proposé de faire l'après-midi, vous en ren-

contrerez certainement plusieurs qui ne pourront pas vous

répondre. Elles vivent au jour le jour, à peine capables comme

nous l'avons vu de bien comprendre ce qui se passe dans le

moment présent et le plus souvent impuissantes, quand il

s'agit de disposer des souvenirs du passé et des images de

l'avenir.

Ces amnésies, aussi fréquentes, ne se présentent pas toujours

sous le même aspect, elles sont au contraire très variables

dans tous leurs caractères. Nous croyons pouvoir, pour la

commodité de l'étude, les ranger en trois classes principales

analogues à celles que nous avons adoptées pour les anesthé-

sies : les amnésies peuvent être systématisées, localisées, géné-

rales ou continues.

.Les premières sont peut-être les plus communes : les ma-

lades perdent une certaine catégorie de souvenirs, un certain

groupe d'idées du même genre formant ensemble un système.

Ainsi, elles oublient ce qui a rapport à leur famille, ou les

idées relatives à telle personne, ou les connaissances néces-

saires pour un certain métier, elles ne savent plus broder ou

coudre, elles perdent le langage ou tout simplement telle

langue particulière qu'elles savaient bien. Les exemples sont

très variés, chacun pourrait en citer un différent, je n'y insis-

terai pas. Mais j'ai eu l'occasion d'observer dans le service

un cas de ce genre si curieux qu'il pourra je crois résumer

cette description. Une jeune fille nommée Célestine, très

gravement atteinte d'hystérie, était entrée à l'hôpital vers le

mois de novembre dernier. J'étais déjà dans le service depuis

quelque temps et, comme cette malade m'intéressait, je me

suis occupé d'elle dès son entrée et à peu près tous les jours :

aussi devint-elle bientôt très familière avec moi. Mais tout

dernièrement, c'est-à-dire trois mois après son arrivée, quand

je lui dis bonjour en passant, elle me regarde avec un air

étonné, ne me répond pas, et s'en va parler tout bas à la sur-

veillante de la salle. Comme il était naturel, j'ai demandé

en sortant à Mlle la surveillante ce qu'avait aujourd'hui Céles-

tine et ce qu'elle disait ainsi en me désignant. « Ce n'est

rien, me répondit-elle, Célestine n'est pas malade, mais elle

l'amnésie HYSTÉRIQUE. 33

semble devenir stupide, la voici qui demande qui vous êtes et

elle s'étonne qu'un élève nouvellement arrivé dans le ser-

vice l'appelle par son petit nom et la connaisse. Je crus à

une mauvaise humeur ou à une plaisanterie, mais après avoir

examiné la malade, il fallut se rendre à- l'évidence : Célestine

avait eu la veille une crise assez forte qui avait bouleversé,

comme cela arrive souvent, son état mental, et elle m'avait

complètement oublié. Sa mémoire pour tous les événements

survenus pendant son séjour à l'hôpital était évidemment

très faible; mais elle se rappelait assez bien les autres per-

sonnes et me semblait avoir surtout perdu tout souvenir des

faits auxquels j'avais été mêlé. Peut-être cet état bizarre de

la mémoire aurait-il duré quelque temps, mais je fus curieux

de provoquer le sommeil hypnotique pour voir s'il avait

changé aussi. Dans le somnambulisme tous les souvenirs étaient

comme à l'ordinaire; au réveil tout était rétabli et cette singu-

lière amnésie systématisée, survenue après une attaque, avait

disparu. Permettez-moi de vous rappeler aussi à ce propos

cette intéressante malade que M. Charcot nous montrait der-

nièrement. G... à la suite d'une violente émotion a présenté

des somnambulismes spontanés la nuit, puis de grandes

attaques d'hystérie. Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est un

oubli très systématique qu'il est facile de constater. Elle a

passé trois ans en Angleterre et elle parlait et comprenait la

langue anglaise d'une façon très suffisante. Mais dans ces der-

niers mois, depuis que sa maladie s'est aggravée elle a complè-

tement oublié et son séjour en Angleterre, et les rues de

Londres, et la langue anglaise dont elle ne peut plus com-

prendre ni prononcer un mot.

Parmi les amnésies systématisées les plus curieuses de

beaucoup portent sur les souvenirs des images motrices et

provoquent de véritables altérations des mouvements ou même

des paralysies. Je ne veux pas dire que toutes les paralysies

d'origine psychique soient des amnésies, je crois, au contraire,

que certaines d'entre elles se rapprochent des idées fixes : un

certain nombre seulement dépendent de troubles de la mémoire.

L'astasie abasie, telle que l'a décrite M. Blocq, est « une perte

des synergies musculaires qui assurent l'équilibre dans la sta-

tion verticale et dans la marche' ». Le malade ne sait plus se

' Paul Blocq. Sur une affection caractérisée par de l'astasie et de

l'abasie. (Archives de Neurologie, 1888.)

Archives, t. XXIV. 3

34 CLINIQUE NERVEUSE.

servir de ses jambes, il ne sait plus marcher. Nous ne pou-

vons entrer dans le détail de ces altérations du mouvement,

nous rappelons seulement que certaines paralysies des mouve-

ments des bras ou même des mouvements de l'oeil paraissent

être dus à des troubles psychologiques analogues à l'amnésie

systématisée. '

Les amnésies localisées sont encore plus connues que les pré-

cédentes, elles frappent davantage l'observateur. Les événe-

ments dont le souvenir est perdu sont réunis par un caractère

commun : ils appartiennent tous à une même époque, à une

même période de la vie de la malade. Le plus souvent les

choses se passent ainsi : à la suite d'un accident ou d'une

émotion, l'hystérique, qui semblait jusque-là se porter assez

bien, a une violente attaque. Quand la crise est finie, la ma-

lade semble reprendre sa vie ordinaire ; mais les personnes de

son entourage remarquent quelques bizarreries dans sa con-

duite et dans ses paroles. En l'interrogeant, elles constatent

qu'elle ne se souvient pas de l'émotion qu'elle vient d'avoir, et

qu'elle a même oublié tous les faits précédents de son exis-

tence jusqu'à une date plus ou moins reculée. Ainsi, j'ai vu

amener à l'hôpital du Havre une femme qui avait eu un

accident de ce genre. A la suite d'une attaque survenue

au mois de novembre, quelques jours avant son entrée à

l'hôpital, elle était restée paraplégique et avait oublié tous

les faits survenus dans les trois mois précédents ; elle racon-

tait en détail sa vie au début du mois d'août, mais ne pou-

vait rien dire sur ce qui était arrivé en septembre ou en

octobre. (Je vous rappelle pour nous en servir tout à l'heure

que cette femme était à ce moment anesthésique totale et

avait une achromatopsie complète dos deux yeux'.) Ce sont

des cas de ce genre qui ont été désignés sous le nom d'amnésie

localisée et rétrograde.

Très souvent ces amnésies localisées peuvent être beaucoup

moins importantes, beaucoup plus courtes surtout. Elles por,

tent par exemple sur certaines actions qui ont semblé évi-

demment être accomplies d'une manière anormale. Certains

rêves de la nuit pendant lesquels la malade s'est agitée et a parlé

beaucoup, certains délires qui accompagnent la crise, certains

états anormaux qui suivent quelquefois l'attaque semblent ne

1 Voir dans \' Automatisme psychologique, 1889, p. 93, l'observation do

la malade décrite sous le nom de Rosé. ,

l'amnésie HYSTÉRIQUE. 35

laisser aucune trace dans la mémoire. Ces faits sont bien

connus, je préfère insister sur d'autres amnésies qui portent

sur des périodes en apparence normales. Permettez-moi de

vous citer à ce propos quelques lignes d'un livre déjà ancien,

mais très curieux, celui du Dr Despine (d'Aix). Il contient, à

mon avis, l'une des premières et l'une des plus remarquables

descriptions de l'état mental d'une hystérique : « Quelquefois,

dit-il en parlant de sa malade, il y avait un état moral tout'

particulier observé par la mère d'Estelle et dont elle n'avait

pu se rendre compte encore. Il lui arrivait souvent de faire ou

d'entendre une lecture qui semblait l'avoir vivement inté-

ressée et peu d'instants après, l'enfant ne paraissait pas en

conserver le moindre souvenir ! On la portait à la promenade

(elle était paraplégique), elle voyait tout ce qui se passait

autour d'elle, y prenait intérêt, en causait, etc., et au retour,

souvent elle semblait avoir tout oublié, ou bien s'il en restait

quelques traces, elles n'étaient que fugitives et comme un rêve

qui s'enfuyait '. » Que de fois nous avons vérifié cette obser-

vation de Despine, combien de malades qui paraissaient atta-

chées à une lecture ou à un travail et qui sont incapables, si

on les interroge quelques moments après, de nous dire ce

qu'elles viennent de faire ! Ce caractère me paraît très impor-

tant, il faut conserver la pensée que, d'une façon générale et

naturelle, l'hystérique est très prédisposée aux amnésies loca-

lisées, cela nous expliquera bien des phénomènes que nous

produisons artificiellement et qui ne sont qu'une application

particulière de cette prédisposition générale.

Enfin l'amnésie peut être générale : je crois qu'il est bien

rare de rencontrer une amnésie complète portant sur tous les

souvenirs. Certains cas cependant, celui de Mac Nish, celui de

Weir Mitchell (Mary Reynolds) semblent être à peu près de ce

genre. Mais il est plus fréquent, quoique encore exceptionnel,

de voir certaines amnésies qui méritent à mon avis le nom de

continues. ,A partir d'une certaine date la malade perd la

faculté d'acquérir aucun souvenir ; elle conserve la mémoire

des événements anciens antérieurs à une certaine époque,

mais elle ne garde plus que quelques instants la mémoire des

événements présents.

J'avais remarqué déjà des troubles de ce genre plus ou

' Despine (d'Aix). De l'emploi du magnétisme animal dans le trai-

tement des maladies nerveuses, 1810, p. 12.

36 . CLINIQUE NERVEUSE.

moins complets chez quelques malades, en particulier chez

une malade du service de M. Falret ', mais je n'avais jamais

eu l'occasion de voir cette maladie de l'esprit sous sa forme

typique. Vous savez qu'il y a ici dans le service de M. Charcot

un cas d'amnésie probablement unique dans son genre.

L'histoire de M-0 D... nous a été racontée ici même par

M. Charcot 2 il y a peu de temps, elle va être reprise et ana-

lysée complètement dans un mémoire de M. Souques. Je ne

dois donc vous la rappeler qu'en très peu de mots : à la suite

d'une émotion survenue vers la fin du mois d'août dernier,

Mme D... a eu une violente attaque que M. Charcot considère

et à juste titre comme une attaque d'hystérie. Elle sortit de

son attaque dans un état mental tout particulier : 1° elle

avait oublié tout ce qui venait de se passer pendant les deux

mois précédents, et 1° elle était devenue incapable d'acquérir

aucun souvenir nouveau, les événements les plus frappants,

la morsure par un chien enragé, le voyage de Cognac à Paris,

les vaccinations à l'Institut Pasteur n'ont pu se graver assez

dans son esprit pour y laisser un souvenir ; amnésie rétrograde

et antérograde, comme dit justement M. Charcot. Encore

aujourd'hui elle vous demande avec anxiété où elle est : Vous

lui répondez qu'elle est à Paris, à la Salpêtrière, et après

une minute ou deux, au plus, elle déclare qu'elle ne sait où

elle est et qu'elle se croit encore à Cognac. Ce cas d'amnésie

est extraordinaire et vous ne serez pas étonné si j'insiste un

peu tout à l'heure sur les caractères qu'il présente. Ce sera un

bon moyen d'analyser l'amnésie hystérique sous la forme la

plus parfaite.

Sans doute l'amnésie continue est rarement aussi complète',

mais, quand on a appris à la reconnaître d'après ces cas typi-

ques, on ne tarde pas à constater qu'elle existe en réalité très

fréquemment d'une manière plus ou moins atténuée. Elle vient

presque constamment se surajouter aux autres formes d'oublis

' Etude sur un cas d'aboulie et d'idées fixes. (Revue philosophique

1891, t. I, p. 258-384.) . , ! Charcot. Sur un cas d'amnésie rétro-antérograde, probablement

d'origine hystérique. (Revue de médecine, 10 février 1892, p. 81.)

3 Une observation très curieuse de DI\l. J. Séglas et P. Sollier nous

montre une variété d'amnésie continue très analogue au cas de M ? D...,

mais non absolument identique ; nous ne pouvons insister sur ces détails

(folie puerpérale, amnésie, astasie et abasie). (Archives de Neurologie,

n° 60.) . ,

l'amnésie hystérique. 37 Î

et contribue beaucoup à donner aux hystériques leur physio-

nomie particulière. L'indifférence apparente de ces malades,

leur variabilité, leurs caprices et même, comme je compte

vous le montrer, leur étonnante suggestibilité, dépendent de

tous ces troubles de leur mémoire. Je ne puis vous en décrire

les innombrables variétés, je dois me contenter de vous avoir

signalé les principales.

II. Pour résumer rapidement l'état d'une de ces malades

que je viens de vous décrire, nous disons qu'elle a perdu la

mémoire de tel ou tel événement. C'est une expression juste,

mais très vague : le mot « mémoire » en effet résume un ensem-

ble de phénomènes et même de fonctions psychologiques très

différentes les unes des autres. Une altération de la mémoire

considérée dans son ensemble peut être due à une lésion par-

ticulière de telle ou telle des opérations composantes. Il n'est

pas sans importance de savoir avec précision quel est le phé-

nomène altéré : cela transforme à mon avis complètement le

diagnostic médical. Suivant que nous attribuons le trouble de

la mémoire à l'une ou à l'autre des opérations élémentaires,

nous aurons affaire à des démences ou à des cas d'hystérie.

Il y a donc intérêt, quand cela est possible, à pouvoir préciser.

Pour y parvenir permettez-moi, messieurs, de vous résumer

brièvement les principales opérations qui, aux yeux des psy-

chologues, semblent constituer un souvenir complet. A propos

de chacune d'elles, nous nous demanderons, si elle est sup-

primée ou lésée gravement dans les cas d'amnésie que nous

avons décrits. Nous arriverons ainsi par une sorte d'élimina-

tion à reconnaître la lésion fondamentale qui caractérise ces

amnésies et les distingue de tous les autres. -

Il y a d'abord dans la mémoire telle que les philosophes la

décrivent des opérations intellectuelles assez compliquées qui

nous permettent de reconnaître les souvenirs, de les distinguer

soit des imaginations, soit des sensations présentes et de les

localiser à tel ou tel point du passé. Ces opérations délicates

doivent être très souvent altérées dans toutes les maladies de

l'esprit et dans l'hystérie comme dans les autres. Mais leur

trouble donne lieu à des illusions, à des délires plutôt qu'à de

véritables amnésies et nous n'avons pas à insister sur leur

étude.

Il nous faut considérer dans la mémoire des opérations plus

38 CLINIQUE NERVEUSE.

élémentaires : la première de toutes est appelée depuis. bien

longtemps la conservation des souvenirs. Ce mot n'est que la

description d'un fait et non son explication : les phénomènes

psychologiques qui se sont produits une fois, ne disparaissent

pas complètement, ils laissent des traces, comme on disait

autrefois, c'est-à-dire qu'ils laissent dans le cerveau une cer-

taine modification fort inconnue qui leur permet de se repro-

duire. En un mot, un phénomène psychologique est conservé

quand il peut de temps en temps être reproduit; il n'est plus

conservé, quand sa reproduction est devenue définitivement

impossible. Il peut y avoir, il y a même certainement, des

amnésies dues à une lésion de ce genre. Supposons une des-

truction définitive et matérielle des cellules cérébrales qui ont

emmagasiné les modifications inconnues laissées par les sen-

sations et les souvenirs de ces sensations seront matérielle-

ment détruits d'une façon irréparable. En est-il ainsi pour les

amnésies hystériques. Non, certainement, sur ce point je n'ai

pas d'hésitation. Une amnésie de nature hystérique, si pro-

fonde, si longue qu'elle semble être, n'est pas due à la des-

truction même des traces laissées par les sensations. En

d'autres termes, dans toute amnésie hystérique, la conservation

des souvenirs subsiste encore.

Je le prouve en montrant qu'il est toujours possible, plus ou

moins facilement, de reproduire au moins momentanément

ces souvenirs en apparence disparus. Voici d'abord un exemple

très simple : Cette jeune fille, Berthe, est hypnotisable ; je n'ai

pas la prétention d'expliquer en un mot ce que c'est que l'hyp-

notisme. C'est là encore probablement un même nom appliqué

confusément à des choses fort différentes les unes des autres.

Je vous rappelle seulement un fait bien connu de tous : l'hyp-

nose est un état qui ne laisse pas de souvenirs après le réveil

du malade. Cet oubli est plus ou moins net, plus ou moins

rapidement obtenu après les premières hypnotisations, mais il

est à mes yeux la caractéristique de l'état somnambulique plus

ou moins grave. Chez la jeune fille que je vous montre, chez

Berthe, il a existé, je vous l'affirme, dès la première fois que

je l'ai endormie. Ce fait n'a rien d'étonnant, c'est une jeune

fille prédisposée à ce phénomène, ayant naturellement et à

chaque instant des amnésies localisées analogues à celles qui

ont été décrites par Despine. Elle avait depuis de longues

années avant de venir à l'hôpital des somnambulismes natu-

l'amnésie hystérique. 39

rels, la nuit d'abord et, cela ne nous surprend pas, même le

jour. Quand on la secouait pour la réveiller de ses hypnoses

spontanées, elle restait tout ahurie, ayant totalement oublié ce

dont on l'avait chargée l'instant précédent. L'hypnose con-

siste simplement à reproduire artificiellement chez elle un de

ces nombreux états suivis d'amnésie dans lesquels elle entrait

d'elle-même à chaque instant. Eh bien, cet oubli n'est qu'une

apparence, une illusion; il suffit de la rendormir, de la

remettre par suggestion, ou mieux par une habitude automa-

tique dans un état moral analogue à celui dont elle vient de

sortir pour qu'elle retrouve tous les souvenirs. C'est là une loi

de somnambulisme qui est bien connue, mais qui ne se vérifie

pas en cinq minutes sur une estrade ; vous aurez en examinant

des malades bien des occasions de vous faire sur ce point une

conviction personnelle.

Voici un autre cas plus complexe, Marguerite a de grandes

attaques d'hystérie depuis deux ans et, à la suite de ces attaques,

elle entre dans une sorte de somnambulisme assez compliqué

que je ne vous décrirai point. Je vous rappelle seulement que

c'est un état spontané qui fait partie de la crise hystérique et

dont elle sort par des convulsions. Elle n'a jamais su au réveil

ce qui se passe pendant cette période, il semble qu'il y ait là

un oubli complet produit naturellement par l'attaque. Eh bien,

il n'en est rien, on peut reproduire artificiellement ce même

état qui semblait faire partie intégrante de l'attaque et elle

nous répétera minutieusement alors ce que vous lui aurez dit

pendant la crise. Ici encore il y a conservation des souvenirs.

Il en est encore de même pour les amnésies si curieuses de

cette jeune femme G... qui semble avoir totalement oublié la

langue anglaise. Quand elle est en état de somnambulisme

provoqué, elle parle de Londres, des parcs, des promenades,

de l'établissement où elle travaillait et soutient parfaitement

une conversation en anglais. L'oubli de la langue anglaise

n'existe que pendant la veille et non pendant le somnambu-

lisme '.

1 Voir Automatisme psychologique, p. 73, 76 et sq., quelques-unes des

précautions à prendre pour étudier les faits de mémoire alternante. On

n'arrive pas toujours immédiatement, en hypnotisant la malade d'une

manière quelconque, à lui faire retrouver tous les souvenirs qu'elle

semble avoir perdus; il est quelquefois nécessaire de varier, par une

sorte de tâtonnement, le somnambulisme que l'on provoque, pour mettre

l'esprit dans un certain état où il retrouve les souvenirs cherchés. Cette

40 CLINIQUE NERVEUSE.

. Mais, quand il s'agit de l'amnésie continue et si étrange que

présente Mme D..., conservons-nous encore malgré les appa-

rences la même certitude. Certainement et pour la même rai-

son : ces souvenirs peuvent se reproduire à de certains moments,

donc ils sont toujours bien conservés. Vous savez comment

M. Charcot s'est aperçu pour la première fois de cette conser-

vation : cette personne qui ne se souvenait de rien pendant la

veille et qui ne pouvait même pas retenir cinq minutes le nom

de la Salpêtrière où elle était, avait des rêves la nuit et disait

assez haut en dormant des paroles que ses voisines ont pu

entendre'. En rêve, elle parlait du chien enragé, de la Salpê-

. trière, des médecins en tablier blanc, enfin de tout ce qu'elle

paraissait avoir oublié. Il a suffi, d'ailleurs, de l'endormir arti-

ficiellement pour lui faire dire en détails tous les événements

de sa vie au mois d'août ou au mois d'octobre. Ce dernier cas

est le plus frappant, il vient confirmer les autres et nous

prouve la conservation des souvenirs dans l'amnésie hysté-

rique.

Les psychologues nous décrivent alors un autre phénomène

essentiel dans le souvenir, c'est la reproduction des images. Par

un mécanisme que nous n'avons pas à étudier et dans lequel

l'association des idées joue le plus grand rôle, les phénomènes

psychologiques primitifs qui se sont conservés à l'état latent

réapparaissent un peu. moins forts, moins complets, mais à

peu près avec les mêmes caractères que la première fois. On

les appelle alors des images et on comprend que la renaissance

des images au moment opportun soit une condition essentielle

du souvenir complet. Est-ce ici que nous allons trouver l'ex-

plication de l'amnésie hystérique ? Cela semble au premier

abord très vraisemblable : lI"'e D..., par exemple, semble ne

pouvoir reproduire les images qu'en rêve, pendant le sommeil

et ne pas pouvoir les reproduire quand il le faut suivant les

besoins de la veille. Et bien, sans rien affirmer d'absolu, je

vous dirai que je ne crois même pas à une lésion de ce genre

recherche peut être quelquefois très difficile; mais nous croyons cepen-

dant que, par toutes les ressources de l'hypnotisme et de la suggestion,

on peut toujours arriver à produire chez l'hystérique un état artificiel

assez analogue aux états naturels qui ont été oubliés pour restaurer le

souvenir. Cela suffit pour démontrer ce que nous avons avancé ici, la

conservation des souvenirs malgré l'amnésie hystérique.

'' Charcot.- Revue de médecine, 1892, p. 94.

l'amnésie hystérique. 41

dans l'amnésie hystérique. A mon avis, les souvenirs peuvent

se reproduire quand il le faut, même pendant la veille et

Mme D..., si je ne me trompe, a tout le temps dans l'esprit et

sur les lèvres la réponse à la question qu'on lui pose ou qu'elle

se pose à elle-même. Pourquoi est-ce que je me figure une

chose pareille, quand la pauvre femme se déclare si malheu-

reuse et prétend qu'il lui est absolument impossible de retrou-

ver le moindre souvenir. C'est que nous avons déjà vu bien des

choses semblables chez les hystériques. Nous avons vu qu'elles

semblaient ne pas sentir, ne pas voir et que cependant à ce

moment même elles avaient très bien dans l'esprit les sensa-

tions tactiles et visuelles. On peut se demander s'il n'en serait

pas de même pour les images qui diffèrent si peu des sensa-

tions.

, La conduite même de Mme D... dans le service nous montre

qu'elle possède en réalité, ces souvenirs qu'elle semble ne

pouvoir retrouver. Elle semble ne connaître personne et cepen-

dant elle va toujours s'asseoir près des mêmes malades et

cause toujours avec les mêmes personnes. Elle ne se souvient

aucunement d'avoir été mordue par un chien enragé et cepen-

dant elle se sauve en poussant des cris de terreur dès qu'un

de ces animaux s'approche d'elle. Mme D... me disait elle-

même, ce qui est assez curieux, qu'elle n'avait pas autrefois

cette peur des chiens, et qu'elle ne sait pourquoi elle les re-

doute ainsi maintenant : les souvenirs semblent donc se repro-

duire chez elle à propos, quoique à son insu.

Voici le procédé qui m'a réussi pour mettre en évidence

l'existence de ces images du souvenir. Je dis : « le procédé qui

m'a réussi x, car je ne prétends pas qu'il n'y en ait aucun

autre. Si par un dressage, par des suggestions quelconques

autrement faites, vous réussissez à mettre en évidence les sou-

venirs de M ? D... et surtout à les lui rendre, j'en serai très

heureux. Cela démontrera encore mieux que les souvenirs de

cette malade sont présents et qu'il ne lui manque que bien peu

de chose pour avoir une mémoire normale. Mais tout ce que

je sais, c'est que M. Souques, pendant deux mois et moi-même

depuis un mois, nous avons essayé par toutes les suggestions

possibles de forcer M"4 D... à retrouver ces souvenirs et que

nous n'avons pas réussi. C'est pourquoi je vous demande la

permission de vous montrer le procédé qui ne lui rend pas ses

souvenirs, mais qui montre leur existence.

42 CLINIQUE NERVEUSE

Sion l'interroge directement, si je lui demande, par exemple,

de prononcer ou même d'écrire volontairement le nom de l'in-

terne qui la soigne, vous voyez qu'elle semble faire effort, qu'elle

ne trouve pas et se déclare incapable d'écrire un nom qu'elle ne

sait pas. Procédons autrement, je m'écarte d'elle et je prie une

autre personne, mon ami M. Carpentier, de causer avec la '

malade ; elle répond à ses questions, parait faire attention à ce

qu'il lui dit et ne s'occupe plus de moi. Je lui glisse un crayon

dans la main droite et elle le prend sans se retourner ; c'est

bizarre, mais cela se passe ainsi chez la plupart des hystériques

qui sont, comme nous l'avons vu, des malades très faciles à dis-

traire. En général, un homme normal, dont la main n'est pas

insénsible, sentirait qu'on lui met un objet entre les doigts et

se retournerait. Il faudrait une conversation d'un intérêt bien

puissant pour le rendre ainsi indifférent. Chez les hystériques

il n'en est pas ainsi, la moindre des choses suffit souvent pour

les distraire si complètement, qu'elles ont à ce moment de véri-

tables anesthésies. Profitons de cette disposition, et pendant

que Mmo D... continue à causer avec M. Carpentier, faisons-lui

une suggestion comme si elle était capable de nous entendre.

« Ecrivez, lui dis-je, le nom de l'interne de votre salle. » Vous

voyez la main qui tient le crayon se mettre en mouvement et

écrire ce mot : « M.Lamy. » De la même manière je lui demande

ce qu'elle s'est fait à la main gauche et elle écrit sans hésiter :

« Je me suis coupée avec du verre. » En un mot, elle va répon-

dre de cette manière à toutes les questions possibles et dans

son écriture ainsi obtenue va nous montrer la reproduction de

tous les souvenirs qu'elle paraissait avoir complètement per-

dus. Je n'ai pas l'intention, messieurs, d'étudier complètement

avec vous cette écriture qui, d'ailleurs, ne se présente pas chez

Mme D... d'une façon bien remarquable. Je n'insiste pas pour

vous montrer qu'en réalité M ? D... déclare n'avoir pas entendu

mes questions, qu'elle affirme n'avoir rien écrit, qu'elle s'étonne

de ces écritures, quand on les lui montre et n'admet pas

qu'elle les ait écrites. Ce sont là des détails qui ne sont pas

aujourd'hui indispensables. Tout ce que je vous demande de

constater, c'est que cette écriture involontaire et, en apparence

au moins, inconsciente, manifeste des»souvenirs que l\lme D...

est incapable de posséder autrement quand elle est éveillée.

Ne vous figurez pas que j'attribue ici à l'écriture une puissance

merveilleuse pour ressusciter les souvenirs de M ? D... Non, je

l'amnésie hystérique. 43

vais peut-être réussir à manifester ces souvenirs d'une autre

manière, par la parole même. Mais cette malade n'arrive jamais

à les dire et aucune suggestion n'a réussi à les lui faire expri-

mer, quand elle est éveillée. Sans doute, mais nous allons

encore recourir à un procédé qui réussit quelquefois. Je m'en

vais encore la distraire, mais en évitant cette fois d'attirer son

attention sur la parole. Je lui donne un livre à lire, ou mieux

je lui donne une multiplication à faire. Pendant qu'elle est bien

absorbée dans son travail, nous remarquons les mêmes phé-

nomènes de distraction, nous pouvons la toucher, lui parler

aux oreilles sans qu'elle se retourne. Je lui demande ainsi :

« Comment s'appellent les deux malades qui sont vos voisines

dans la salle, »' Ses lèvres remuent et elle répond tout bas :

Mme C... et M-1 P... Je puis même lui commander de répondre

plus haut ; si elle est bien distraite par sa lecture ou sa multi-

plication, elle va le faire tout haut et très correctement. Nouveau

fait dont je ne tire toujours qu'une seule conclusion : la repro-

duction des souvenirs existe chez elle, elle semble se faire nor-

malement suivant les besoins; et ce n'est pas encore dans ce

phénomène de la reproduction que nous trouvons la lésion qui

constitue l'amnésie hystérique K

Mais où donc chercher cette altération de la mémoire qui

doit bien exister quelque part pour produire des résultats aussi

manifestes. Les psychologues dans leurs descriptions, n'admet-

.tent pas d'autres phénomènes élémentaires de la mémoire, en

dehors de la conservation et de la reproduction. Je crois qu'ils

ont tort et que la maladie décompose et analyse mieux la

mémoire que n'a pu faire la psychologie. Ainsi que nous

l'avons vu dernièrement, il ne suffit pas qu'une sensation

isolée, simple, soit produite dans l'esprit pour qu'elle soit par

cela même appréciée par le sujet. Il faut, pour la conscience

complète d'une sensation qui s'exprime par le «je sens»,

qu'une nouvelle opération s'ajoute à la première. Il faut

' Il est peine nécessaire de faire remarquer que ce caractère du sou-

venir inconscient n'existe pas seulement dans le cas de M™" D.... Je l'ai

'montré sur cette malade, parce qu'il était plus curieux de le constater

malgré une amnésie aussi considérable; mais on pourrait aussi bien le

mettre en évidence dans les cas d'amnésie localisée et moins grave. En

général, il est presque toujours facile de retrouver dans l'écriture auto-

matique des hystériques, obtenue par les procédés précédents, le souve-

nir des rêves, des délires, des somnambulismes, etc., dont elles semblent

n'avoii aucune mémoire.

. 44 clinique nerveuse.

qu'une sorte de synthèse réunisse les sensations produites et

les rattache à la masse des idées antérieures qui constitue la

personnalité. Eh bien, il doit en être de même pour les

images : il ne suffit pas, pour que nous ayons conscience d'un

souvenir, que telle ou telle image soit reproduite par le jeu

automatique de l'association des idées, il faut encore que la

perception personnelle saisisse cette image et la rattache aux

autres souvenirs, aux sensations nettes ou confuses, exté-

rieures ou intérieures dont l'ensemble constitue notre person-

nalité. Cette opération est si simple et si facile chez nous que

l'on ne soupçonne' même pas son existence. Mais elle peut

être altérée et supprimée, tandis que les autres phénomènes

du souvenir subsistent intégralement, et son absence suffira

pour produire chez les malades un trouble de la mémoire qui

sera, pour eux, une véritable amnésie. Voyez en effet ce

qui se produit chez M ? D..., le type le plus curieux de

l'amnésie que je puisse analyser. Le souvenir semble absent

chez elle dans plusieurs circonstances, quand on l'interroge,

quand elle s'interroge elle-même. Ces circonstances ont un

caractère commun : le souvenir semble disparaître toutes les

fois que sa personnalité est en jeu, toutes les fois où il fau-

drait dire : = Je me souviens. » Au contraire, le souvenir

semble présent dans plusieurs autres circonstances, le rêve,

le sommeil hypnotique, l'écriture et la parole, obtenues pen-

dant qu'elle est distraite par quelque autre opération cons-

ciente. Ici encore il y a un caractère commun : le souvenir

se présente quand la conscience claire et personnelle est

absente, quand le souvenir est isolé, sans rapport avec la vie

complète de la malade. Reprenons l'étude des deux expé-

riences que je viens de vous montrer; elles sont, comme vous

vous en êtes aperçus, difficiles à reproduire et elles échouent

souvent. Dès que M ? D... fait attention à son écriture,

dès qu'elle sent, ou entend sa propre parole, tout s'arrête

et il n'est plus possible de manifester le souvenir. Cela

est bien net, chez elle : l'attention consciente du sujet loin de

faciliter l'écriture, comme il arriverait chez un simulateur, la

supprime absolument. Le souvenir en un mot ne se mani-

feste qu'à l'insu de la personne; il disparaît quand la per-

sonne doit parler ou écrire en son propre nom, en sachant

elle-même ce qu'elle fait. Je ne cherche pas à expliquer ces

faits délicats, je cherche à les décrire, à les résumer. Et dans.

l'amnésie HYSTÉRIQUE. 45

ce sens, n'ai je pas le droit de dire que la plupart des opérations

élémentaires du souvenir, conservation, puis reproduction des

images existent comme ,chez l'homme normal ; mais que la

perception personnelle des souvenirs est en grande partie sup-

primée.

Je crains, en vous exprimant cette façon de concevoir

l'amnésie hystérique, que vous ne tombiez dans un excès

- fâcheux. Comment, direz-vous, l'oubli des hystériques, celui

qui suit les somnambulismes, celui qui suit les crises, celui

qui est continu chez la malade de M. Charcot, n'est que cela,

une sorte de distraction de la personnalité;' mais alors ce

n'est rien et l'on peut dire que cet oubli n'existe pas, qu'il

n'est qu'une complaisance du sujet. Non, certainement non,

cet oubli est très réel, très pénible pour le sujet; c'est une

petite lésion psychologique et ce n'en est pas moins une infir-

mité. Les oublis de Berthe qui survenaient à chaque instant

de la journée et que je reproduis à volonté et si facilement en

apparence, l'ont fait renvoyer du magasin où elle travaillait

et l'ont réduite à la misère. Les oublis de Mme D... ont

forcé à la transporter à Paris, à la placer pendant des mois à

la Salpêtrière, loin de son mari et de ses enfants qui pleurent

après elle. Une lésion, pour être morale n'en est pas moins

réelle et quelquefois très grave, et l'on peut être toute sa vie

enfermé dans un asile pour un simple trouble de la notion de

personnalité. Les amnésies hystériques, comme les anesthé-

sies, nous semblent être quelque chose de ce genre, une dimi-

nution ou une suppression localisée ou générale de la faculté

qui consiste à rattacher les images à la personnalité, de la per-

ception personnelle des souvenirs.

III. Messieurs, il serait peut-être prudent de nous

arrêter ici : les notions que je vous ai exposées sur l'amnésie

hystérique me paraissent résumer assez bien les connais-

sances actuelles. Peut-être est-il dangereux de chercher à

s'aventurer, plus loin. Cependant, il est toujours permis de

raconter certains faits et d'exprimer les idées qu'ils nous sug-

gèrent, quand on prend la précaution d'indiquer le caractère

problématique de ce que l'on avance. Nous avons compris

l'amnésie hystérique en général, mais je me suis demandé

souvent si l'on ne pouvait pas analyser avec plus de préci-

sion tel ou tel cas particulier. Pourquoi donc, par exemple,

46 . CLINIQUE NERVEUSE.

chez les malades qui n'ont pas des amnésies continues mais

des amnésies localisées, l'oubli porte-t-il sur ce fait plutôt

que sur un autre ? Pourquoi oublient-ils telle période de leur

existence plutôt que telle autre ? Je me hâte de dire que je n'ai

pas de réponse générale s'appliquant à tous les cas, mais, dans

certains cas' particuliers, il m'a semblé que l'on pouvait

observer certains faits déterminés en rapport avec l'amnésie

et variant assez régulièrement avec elle. Si isolés que soient

ces faits, nous devons vous les indiquer.

Ainsi que je vous l'ai dit en commençant, l'un des cas

d'amnésie qui m'avaient le plus frappé était celui d'une

malade de l'hôpital du Havre. Elle avait dans son souvenir

une lacune incontestable et assez étendue de trois mois de

durée, ce qui est déjà assez long et assez rare. A l'inverse des

malades dont nous venons. de parler, il ne suffisait pas de

l'hypnotiser d'une façon quelconque pour qu'elle retrouvât

les souvenirs et, malgré toutes mes tentatives prolongées pen-

dant plus de six semaines, je n'avais retrouvé aucune mé-

moire de cette longue période '. Cette femme présentait,

comme cela arrive fréquemment chez les hystériques très

malades, un somnambulisme très instable, changeant conti-

nuellement, entrecoupé de spasmes et de petits accidents con-

vulsifs. Un jour, dans un de ces états somnambuliques acci-

dentels, elle me dit spontanément : « Vous m'avez souvent

demandé ce qui s'est passé au mois d'août et au mois de sep-

tembre. Pourquoi donc n'ai-je pas pu vous répondre, c'était

si simple; je le sais bien maintenant, j'ai fait ceci et cela,

etc., etc.2... » Le souvenir des trois mois oubliés était totale-

ment revenu ainsi que je pus le vérifier. Mais dès que ce som-

nambulisme changea et que le sujet entra dans l'état de veille

ou dans un autre somnambulisme, ces souvenirs disparurent

de nouveau complètement. J'ai cherché ce que cet état pou-

vait avoir de particulier et j'ai été frappé par une constatation

que je continue à considérer comme intéressante : dans ce som-

nambulisme particulier, qui amenait le retour des souvenirs,

Rose recouvrait subitement la sensibilité tactile' et muscu-

Il Il est bon de dire qu'à ce moment je ne connaissais pas comme

aujourd'hui l'usage de l'écriture automatique pendant la veille et même

pendant diverses variétés du somnambulisme qui probablement m'aurait

donné d'autres résultats.

' Automatisme psychologique, 1889, p. 91.

l'amnésie hystérique. 47

laire de tout le côté droit, tandis que dans les autres états elle

était perpétuellement anesthésique totale. D'autre part, grâce

à des renseignements que j'ai eu le bonheur de pouvoir

recueillir, il m'a été démontré que Rose était sensible du côté

droit et se trouvait également hémi-anesthésique gauche pen-

dant la période des trois mois dont le souvenir avait été

perdu. La restauration accidentelle, j'en conviens, du même

état de sensibilité s'était accompagné de la restauration de

tous les souvenirs de cette période. Des faits de ce genre ont

été, je crois, assez souvent signalés. Je vous rappellerai sur-

tout l'observation extraordinaire de Louis V à laquelle de

nombreux auteurs ont collaboré'. Ce malade célèbre présente

cinq ou six personnalités' différentes, ou plutôt cinq ou six

états de mémoire différents, caractérisés chacun par des sou-

venirs et des amnésies déterminées. Je vous rappelle que dans

chacun de ces états de souvenir il avait un état particulier de

la sensibilité, et il suffisait, quand c'était possible, de rétablir

artificiellement tel ou tel état de la sensibilité, pour faire

naitre immédiatement l'état de mémoire correspondant. On

constate chez ce malade et chez beaucoup d'autres une rela-

tion étroite entre l'état de la sensibilité et l'état de la mémoire,

telle que nous l'avions rencontrée en observant les somnam-

bulismes de Rose.

Cette relation, nous avons cherché à la vérifier expérimen-

talement en produisant des anesthésies bien déterminées et en

cherchant leur influence sur des souvenirs également déter-

minés. Nous sommes arrivés ainsi, croyons-nous, à constater

certains faits qui ne nous semblent pas dépourvus d'intérêt.

Bien souvent, je rie dis pas toujours, quand une hystérique a

perdu complètement une'certaine sensibilité, elle a perdu en

même temps la faculté de percevoir les images qui dépendent

de cette sensibilité. Ainsi une malade dont j'ai rapporté autre-

fois l'observation, était atteinte d'une dyschromatopsie com-

plète et ne percevait ni d'un oeil ni de l'autre aucune couleur.

Il m'était alors impossible de lui faire éprouver aucune hallu-

cination colorée ; elle voyait, disait-elle, les fleurs et les objets

que je lui suggérais de voir, mais elle les voyait toujours gris

' H. Bourru et P. Burot. Variations de la personnalité, 1888, surtout

p. 123 et suiv. Voir dans le même ouvrage un certain nombre d'observa-

tions tout à fait analogues.

48 . CLINIQUE NERVEUSE.

et blancs Elle n'avait pas plus à la disposition de sa percep-

ception personnelle les images des couleurs que les sensations

des couleurs. Quelquefois aussi on peut faire une vérification

en quelque sorte inverse; si l'on suggère très fortement au

sujet qu'il éprouve une certaine sensation tactile, un chatouil-

lement, par exemple, sur un membre qui est anesthésique, il

arrive parfois que la suggestion réussit et que le sujet se plaint

d'éprouver le chatouillement. A ce moment vous pouvez cons-

tater en pinçant le bras, que la sensibilité tactile est revenue

tout entière à ce membre. L'image n'a pu être évoquée sans

ramener en même temps dans la conscience personnelle la sen-

sation elle-même. On peut varier indéfiniment ces expériences,

et dans la plupart des cas vous constaterez une sorte de loi

d'une application assez régulière; les sensations et les images

de la même espèce semblent associées ; elles sont à la fois pré-

sentes ou absentes dans la perception personnelle. Si nous

reprenons le schéma qui nous a servi dernièrement, nous

pouvons à chaque sensation élémentaire T T' T", M M', etc.,

associer les images correspondantes, images tactiles t t' t",

' 1f. Paul Richer signalé, le premier je crois, ce phénomène : Etudes

cliniques sur la grande hystérie, 1885, p. 707, mais il l'a constaté sur

une femme qui n'était acliromatopsique que d'un oeil, ce qui rend l'in-

terprétation psychologique plus difficile. Pour la discussion complète de

ces expériences, voir Automatisme psychologique, p. 96 et p. 152.

Fig. 1.

L'AMNÉSIE HYSTÉRIQUE. 49

musculaires m m' m", visuelles v v' v" et auditives a a' a".

Nous lirons alors l'expression graphique de ce fait : la percep-

tion personnelle P P quand elle saisit les sensations M' V V' A

est en même temps capable de saisir les images associées

m' v v' a, au contraire en négligeant les sensations TT' T" elle

perd en même temps les images t t' t". En un mot, des amné-

sies semblent dépendantes des anesthésies. Ce serait alors la

variation brusque de l'état de sensibilité qui déterminerait les

amnésies localisées'.

Ces remarques semblent justes et cependant, je dois vous

avouer, qu'à mon avis, elles sont loin de résoudre entièrement

le problème. En effet, il est facile de comprendre que les dis-

paritions et les retours des souvenirs ont lieu en pratique d'une

manière bien plus compliquée. La disparition d'une certaine

sensation et d'une certaine image peut bien ne pas donner

lieu à tous les oublis que la théorie précédente nous indique-

rait. Il peut se produire des suppléances : le même souvenir,

celui d'une personne qu'on a vue, par exemple, peut être

représenté dans l'esprit par des images de différente nature.

Les images auditives du son de la voix, le nom même de cette

personne peut suffire à la rappeler à notre pensée, quand nous

avons perdu l'image visuelle de son visage et bien souvent les

oublis que toute anesthésie devrait amener, sont compensés

et ne se manifestent guère. D'autre part, certaines images

jouent dans nos souvenirs un rôle trop important : elles ser-

vent en quelque sorte de centre de ralliement autour duquel

tous les autres souvenirs sont coordonnés et la perte de ces

' L'hystérique, incapable à cause du rétrécissement du champ de sa

conscience de réunir continuellement dans une même perception person-

nelle toutes les sensations et les images, semble choisir pour les perce-

voir, tantôt les unes, tantôt les autres. Elle a une perception personnelle

très instable. Les hommes ordinaires, dit M. Charcot, sont des auditifs,

des visuels ou des moteurs, quelques-uns appartiennent au type indiffé-

rent. Je crois qu'il serait peut-être nécessaire d'admettre pour les hysté-

riques le type alternatif; car elles passent naturellement ou artificielle-

ment d'un type à un autre; elles sont, par exemple, des visuelles à l'état

de veille et des motrices en somnambulisme. Naturellement, suivant

qu'elles prennent tel ou tel type de pensée, elles possèdent ou elles

perdent telle ou telle catégorie de souvenirs. Ces réflexions sont malheu-

reusement trop simples encore pour s'appliquer à toutes les amnésies

hystériques; elles ne sont exactement applicables qu'à des cas très par-

ticuliers, c'est pourquoi je les indique en note sans insister. Voir Auto-

matisme psychologique, p. 104, l'observation d'une hystérique absolument

conforme à cette description.

Archives, t. XXIV. 4

50 CLINIQUE NERVEUSE.

images, quand elle a lieu, amène des amnésies considérables,

peu en rapport, en apparence, avec l'anesthésie qui les produit.

Ajoutons enfin que cette association des images et des sensa-

tions, comme celle des sensations tactiles et des mouvements,

est une association habituelle, très générale, mais qu'elle n'est

pas nécessaire et que, dans certains cas, elle peut être rompue

et vous comprendrez pourquoi je vous ai présenté cette expli-

cation des amnésies comme particulière et limitée à certains

cas.

Ce n'est que dans un petit nombre de circonstances que les

notions précédentes peuvent avoir des applications vraiment

utiles et nous faire comprendre certains phénomènes de

mémoire; nous croyons les rencontrer dans certains cas de

somnambulisme. Je n'ai pas la prétention d'étudier devant

vous et incidemment tous ces phénomènes psychologiques qui

ont été confondus sous le nom de somnambulisme. Mon ami,

M. Guinon, vous a déjà fait connaître avec une grande préci-

sion les principaux d'entre eux; je désire seulement vous en

signaler quelques-uns. '

Les somnambulismes, pour ne les considérer qu'à un seul

point de vue, sont des modifications de la mémoire ; ce sont

des états dans lesquels les sujets ont des souvenirs particuliers

qu'ils ne retrouvent plus quand ils en sortent. Etant donnée la

prédisposition des hystériques aux amnésies localisées, de tels

états seront chez elles très nombreux, très variés et très faciles

à produire. Cela résulte non des procédés que l'on emploie,

mais du terrain sur lequel on opère. Parmi tous ces états som-

nambuliques, dont l'étude est interminable, il est tout naturel

que l'on choisisse pour les examiner de préférence, ceux qui

nous présentent quelques caractères intéressants. Or les carac-

tères qui nous intéressent varient selon le but que nous nous

proposons d'atteindre. Autrefois, il y a vingt ans à peine, le

grand.point n'était pas d'analyser en détail tel ou tel état som-

nambulique ; il fallait démontrer l'existence de ces états anor-

maux, écarter l'objection facile et banale de la simulation et

obtenir le droit d'étudier ces phénomènes. Celui qui s'aventu-

rait dans de semblables travaux risquait de compromettre sa

réputation et sa carrière et s'exposait à se voir confondre avec

des personnages de renommée assez douteuse, sans valeur

médicale ni scientifique. Il ne pouvait donc pas présenter un

somnambulisme quelconque, uniquement caractérisé par des

l'amnésie hystérique. 51

symptômes psychologiques. Il fallait choisir des états som-

nambuliques chez des hystériques qui fussent accompagnés de

modifications somatiques visibles et tangibles, de caractères

susceptibles de s'inscrire sur un cylindre enregistreur pour

convaincre les incrédules. C'est grâce à ces travaux, ne l'ou-

blions pas, que le droit à l'étude du somnambulisme a été

conquis. Mais, il y a d'autres formes du somnambulisme, s'est-

on écrié aussitôt dès que ce droit a été acquis. Qui donc vous a

jamais dit le contraire ? Si je vous présente ici des malades

n'ayant dans leur somnambulisme que des modifications pure-

ment morales, c'est que M. Charcot les a vus et m'a demandé

de vous les présenter. Il faut dans la science savoir être recon-

naissant, pour que nos faibles travaux, quand ils seront bien

vite dépassés, ne soient pas entièrement oubliés. Aussi, je le

dis, sans hésiter, si je puis aujourd'hui vous présenter les états

somnambuliques que nous étudions, c'est parce que depuis bien

des années, dans cet amphithéâtre, on vous en a présenté

d'autres.

Aujourd'hui, nous pouvons choisir parmi les états somnam-

buliques avec plus de liberté et je vous en signale quelques-uns

qui me paraissent intéressants. Ainsi je vous propose d'appeler

états ou somnambulismes à mémoire réciproque ou, pour abré-

ger, somnambulisme réciproques certains états tels que le sou-

venir du premier se retrouve dans le second et le souvenir du

second dans le premier. Par exemple, je vous ai dit que cette

jeune fille, Marguerite, avait des sortes de délires consécutifs

à ses attaques d'hystérie. Avec plus de précision, elle a, à la fin

de l'attaque, deux périodes de somnambulisme différentes. Dans

la première, elle reste immobile, les yeux fermés comme

endormie, elle ne répond pas et ne parait pas entendre. Dans

la seconde, elle ouvre les yeux, remue et parle d'une manière

naturelle, mais semble ne pas connaître les personnes qui

l'approchent et avoir oublié tous les événements survenus

depuis qu'elle est malade. Cette dernière période se termine

par quelques convulsions et la malade se réveille dans son état

normal avec l'oubli complet des deux états précédents. Eh bien,

on peut provoquer artificiellement chez elle divers états som-

nambuliques ; dans l'un de ces états provoqués, vous voyez

qu'elle reste étendue, les yeux fermés, mais qu'elle peut parler,

si on insiste. Elle nous raconte ce qui est arrivé pendant la

période de sommeil qui suit la crise, que telle personne est

52 CLINIQUE NERVEUSE.

venue près d'elle, que son père l'a embrassée, etc. Réciproque-

ment, si je lui dis maintenant quelque chose, elle pourra me

le répéter, dans sa prochaine crise, pendant cette même

période de sommeil. Ce sont donc là deux états à mémoire

réciproque. - -

Pendant qu'elle est endormie, forçons-la à ouvrir les yeux,

il arrive alors une chose qui est loin d'être ordinaire pendant

le somnambulisme, elle change totalement d'état et perd le

souvenir de ce qu'elle vient de me dire quand elle avait les

yeux fermés. Mais par contre, elle a acquis des souvenirs tout

nouveaux, elle me raconte ce qui s'est passé pendant le

deuxième somnambulisme de son attaque et réciproquement

dans cette période de l'attaque elle se souvient de ses som-

nambulismes artificiels les yeux ouverts. Voici encore deux

états réciproques.

Eh bien, dans les états de ce genre, vous remarquerez, je

crois, très souvent un fait important : c'est que l'état de la sen-

sibilité est le même dans les deux états réciproques. Vous

pourriez le vérifier ici avec précision, si nous avions le loisir

d'étudier en détail les divers états psychologiques que cette,,

malade traverse. Vous verriez que les états de mémoire ne

deviennent identiques qu'au moment seulement où les répar-

titions de la sensibilité sont devenues équivalentes.

Je n'insiste pas sur d'autres variétés de la mémoire pendant

le somnambulisme : je ne fais que vous signaler les états supé-

rieurs et les états inférieurs. Dans les premiers, le sujet a le

souvenir de tous les autres, mais la réciproque n'est pas vraie

et dans lés seconds il ne se rappelle pas les états supérieurs.

Il n'y a qu'un seul état de ce genre dont je crois aujourd'hui

la connaissance indispensable, c'est celui qui mérite d'être

appelé le somnambulisme complet. Cette expression a été em-

ployée pour la première fois et avec beaucoup de justesse par

M. Azam, pour désigner l'un des états psychologiques de

Félida X... 1. Nous avons eu l'occasion de constater cet état à

plusieurs reprises chez des hystériques et nous l'avons décrit

avec soin, car nous y attachons une assez grande impor-

tance 2.

' Azam. Hypnotisme, double conscience et altérations de la pension

nalité, 1887, p. 133.

* Automatisme psychologique, p. 87, 105, 178.

l'amnésie hystérique. 53

Par bonheur, nous pouvons vous présenter ici un cas remar-

quable de ce phénomène, qui est en réalité assez rare. Voici

une malade du service qui est bien connue de vous tous,

Witm. Elle est maintenant dans son état de veille, c'est-à-dire

dans son état normal, le plus habituel. Je vous rappelle l'état

de sa sensibilité à ce moment : anesthésie tactile et muscu-

laire totale, rétrécissement considérable du champ visuel,

achromatopsie de l'oeil gauche et surdité de l'oreille gauche.

Vous savez ce qu'il faut entendre par ces anesthésies. En réa-

lité, je ne vous dis pas que Witm, soit réellement insensible

ou sourde de l'oreille gauche. Non, son oreille gauche entend

parfaitement, en voici une preuve. Pendant qu'elle ferme son

oreille droite je lui commande tout bas de lever le bras au

moment où je le toucherai, et vous voyez que son bras exécute

très bien la suggestion, quoique Witm prétende n'avoir rien

entendu, rien senti... En réalité, il s'agit là d'une anesthésie,

analogue à celles que nous avons décrites dernièrement et

qui n'affecte que la perception personnelle. En outre, dans

cet état de veille, Witm souffre de nombreuses amnésies,

ses crises, ses somnambulismes nocturnes, toutes les périodes

du somnambulisme artificiel, de longues époques de sa vie,

des événements récents, tout cela est absolument oublié et

elle a autant de lacunes dans ses souvenirs que dans ses sen-

sations.

Je regrette de ne pouvoir endormir cette malade devant

vous, comme j'ai fait pour les autres : le somnambulisme que

je désire vous montrer est chez elle, un peu long et délicat à

produire. Cela dépend, comme vous savez des sujets et de

leurs dispositions. L'un de ces messieurs s'est chargé de l'en-

dormir au dehors et nous la ramène dans cet état que je

veux vous décrire '. Il est facile de voir par sa conversation

que toutes les amnésies précédentes ont absolument disparu ;

elle se souvient de tous les événements récents ou anciens et

n'a plus de lacunes dans ses souvenirs ; elle sait tous les som-

nambulismes artificiels par où elle a passé, elle se rappelle

même, détail curieux, les premières séances de somnambu-

lisme de sa jeunesse, et raconte la première hallucination

visuelle qu'on lui a suggérée, celle d'une souris blanche. La

' Pour l'étude de ce somnambulisme complet de Wit..., voir le travail

de Jules Janet, Hystérie et somnambulisme, d'après la théoriede la double

personnalité. (Revue scientifique, 1888, t. I, p. 616.)

54 CLINIQUE NERVEUSE. - L'AMNÉSIE HYSTÉRIQUE.

mémoire est rétablie chez elle d'une façon merveilleuse. Mais

en même temps, et j'attire votre attention sur ce point, elle a

perdu tous ses stigmates hystériques, et ne présente plus

aucune anesthésie. La sensibilité tactile est délicate, plus de

signe de Romberg, plus de rétrécissement du champ visuel,

aucune achromatopsie. C'est dans ce somnambulisme complet

que nous voyons le mieux l'association de la sensibilité et de

la mémoire dont je vous ai parlé. Certains sujets ont donc des

amnésies sous la dépendance de leurs anesthésies, ou mieux,

certains sujets ont des amnésies et des anesthésies insépa-

rables, dépendant toutes deux d'une même cause plus profonde,

la faiblesse de leur perception personnelle et quand l'un de ces

symptômes disparait, on peut prévoir que le second va dispa-

raître également.

Ce n'est pas là comme je vous l'ai dit, l'explication de toutes

les amnésies localisées, beaucoup d'entre elles se rattachent à

des phénomènes de suggestion dont nous n'avons pas parlé,

mais c'est du moins un commencement d'explication pour

quelques-unes et nous n'avions pas le droit de négliger ces

quelques indications ; elles précisent la comparaison des anes-

thésies et des amnésies que nous avions entreprise.

Permettez-moi, messieurs, pour conclure, de vous rappeler

en quelques mots les notions que nous avons acquises aujour-

d'hui. Le phénomène de l'amnésie occupe dans la pathologie

de l'esprit une place toute particulière et il est le point de

départ d'une grande quantité de symptômes très variés. C'est

pourquoi j'ai cru nécessaire de vous entraîner dans cette étude

un peu abstraite. Après avoir constaté l'existence très fréquente

des amnésies hystériques, nous avons examiné d'une façon

assez nette, l'analogie qui existe entre ce nouveau phénomène

et les anesthésies hystériques. D'un côté comme de l'autre, il

n'y a pas une véritable destruction des phénomènes psycholo-

giques élémentaire, des sensations ou des images ; il n'y a

toujours qu'une impuissance, une insuffisance du pouvoir

centralisateur. C'est toujours une perception personnelle, inca-

pable de rattacher tous les éléments à l'ensemble de la per-

sonnalité ; tantôt elle néglige des images comme au hasard,

elle laisse se produire des amnésies vagues et continuelles ;

tantôt elle semble prendre le parti de négliger certaines

images déterminées, ayant des caractères particuliers, et nous

voyons naître les plus curieuses amnésies localisées. Quanta à

ÉPILEPSIE ANCIENNE, D'ORIGINE TRAUMATIQUE. 55

la raison qui détermine ces localisations particulières de l'am-,

nésie, nous croyons que, dans certains cas, elle peut être

trouvée dans les anesthésies qui surviennent à ce moment, et

mieux dans les variations de la sensibilité consciente. Mais

nous savons que cette explication est très particulière et que

bien souvent des influences plus complexes encore doivent

intervenir. .

RECUEIL DE FAITS.

Asile PUBLIC d'aliénés DE BONNEVAL. '

ÉPILEPSIE ANCIENNE D'ORIGINE TRAUMATIQUE (FRACTURE

DU CRANE). - TRÉPANATION AU NIVEAU DE LA CICATRICE

OSSEUSE. PAS DE MODIFICATION DANS L'ÉTAT DU SUJET;

..1.' 1 , '- . '1

. Par les Dors MAUNOURY et CAMUSET.

Les succès obtenus par la trépanation dans la cure de l'épi-

lepsie limitée, ont engagé les chirurgiens à employer le même

moyen dans l'épilepsie totale. Malgré les améliorations et les

guérisons dont nous trouvons la relation dans les journaux

anglais et américains, on peut dire que, jusqu'à présent, les

résultats ont été médiocres, et cependant dans la plupart des

cas on avait été guidé, pour placer l'instrument, par un symp-

tôme local : aura motrice, douleur persistante, trouble de la

parole, etc. En lisant les observations favorables, les seules

qui sont en général publiées, un peu hâtivement peut-être, on

se laisserait volontiers aller à un optimisme exagéré qui pour-

rait causer des déceptions et jeter un certain discrédit sur une

opération destinée à rendre de grands services là où elle est

réellement indiquée. Ce sont donc les indications et les contre-

indications qu'il y a lieu de bien savoir établir. Ce nou-

veau chapitre de pathologie est d'ailleurs en partie ébauché

dans les ouvrages de chirurgie qui ont récemment paru en

56 I RECUEIL DE FAITS.

France'. L'observation que nous publions ici tend à confir-

mer ce fait généralement admis aujourd'hui, que l'ancienneté

des attaques épileptiques et l'apparition de la démen ce doivent

figurer sur la liste des contre-indications.

Observation. Le nommé Ser... (Alexandre), âgé de vingt-trois

ans, domestique de ferme, entré à l'asile d'aliénés de Bonneval le

14 septembre 1891.

Antécédents héréditaires. Le père et la mère de Ser... sont bien

portants et sans tare neurophathique d'aucun sorte. Ils ont eu

neuf enfants tous vivants aujourd'hui. Les grands parents pater-

nels et maternels ont été également exempts de toute tare neuro-

pathique. -On n'a jamais, en somme, noté de maladie nerveuse

ou mentale chez aucun membre de la famill-e. Il se pourrait

cependant, mais la chose n'est pas certaine, qu'u n grand-oncle

paternel ait eu quelques attaques convulsives. '

Antécédents personnels. La grossesse de la mère a été normale

et l'accouchement s'est effectue facilement.- A huit mois, Ser...

a eu, une fois, des convulsions. Cet accident est resté isolé et il a

eu une très bonne santé jusqu'à l'âge de quatorze ans. A ce mo-

ment, étant domestique de ferme, il reçut un violent coup de pied

de cheval à la tête. Il en résulta une plaie avec fracture du crâne

à la partie antérieure et latérale. Cette plaie guérit très rapide-

ment, mais trois mois après Ser... avait sa première attaque

d'épilepsie.

Voici son histoire à partir de ce moment ; les crises d'épilepsie

sont d'abord rares, puis elles se rapprochent, sans cependant l'em-

pêcher d'exercer sa profession de domestique de ferme. Il reste,

en effet, en place jusqu'à l'âge de vingt ans, mais à cet âge, il

tombe au moins une fois par semaine. Pris par le service militaire,

il est réformé après quelques semaines d'observation. Rentré dans

sa famille, il ne peut plus trouver à se placer, il tombe trop sou-

vent. Enfin les attaques deviennent de plus en plus fréquentes et

en même temps l'intelligence s'affaiblit. Quand il entre à l'asile,

en septembre 1891, c'est un dément épileptique.

A partir de cette date, nous pouvons l'observer directement et

nous ne sommes pas réduits aux seuls renseignements donnés par

son père. - Il est très robuste et d'un assez fort embonpoint. Il

marche lourdement, mais la motilité est intacte, aucune paralysie

ni parésie localisées. Rien à noter non plus au point de vue de la

1 Article de Gérard Marchand dans le Traité de chirurgie de Duplay et

Reclus, t. III, p. 552. Traité de thérapeutique chirurgicale de Forgue

et Reclus, t. II, p. 38 et 79.

ÉPILEPSIE ANCIENNE, D'ORIGINE TRAUMATIQUE. 57

sensibilité. La sensibilité générale semble normale, la sensibilité

spéciale également. - Facies sans expression. Les facultés intel-

lectuelles, particulièrement la mémoire, sont très affaiblies. Con-

ceptions lentes et diffuses. Parole lente mais bien articulée.

Les attaques d'épilepsie sont violentes et surviennent irrégu-

lièrement, mais avec tendance à la série. Au dire du père, depuis

dix-huit mois, il avait souvent, tous les douze ou quinze jours envi-

ron, une série de cinq, six et même sept attaques dans une journée.

Le reste du temps, il tombait irrégulièrement, quelquefois tous les

jours pendant trois ou quatre jours consécutifs, d'autrefois, une

seule fois dans tout le cours de la semaine, il lui arrivait même de

rester quinze jours consécutifs sans une seule attaque. En somme,

on pouvait estimer à une quinzaine environ le nombre des attaques

tous les mois. Sans être réellement ivrogne, Ser... buvait par-

fois avec excès de l'eau-de-vie, quand il en trouvait l'occasion. A

la suite de ces accès d'intempérance, les attaques devenaient plus

fréquentes. '

Le malade étant arrivé à l'asile le 14 septembre et ayant été

trépané le 16 octobre, nous avons pu compter les attaques qu'il a

eues pendant trente jours. Il en a eu dix-huit, avec un nombre

maximum de cinq dans une journée, et avec un intervalle de neuf

jours consécutifs exempts d'attaque. Ce résultat confirme assez

bien l'exactitude des renseignements fournis par la famille : pen-

dant le mois, une série de cinq attaques dans un jour, un inter-

valle de neuf jours sans aucune attaque, et un nombre total de

dix-huit attaques.

On n'a jamais observé que des grandes attaques convulsives,

jamais de vertige. 11 n'y a pas d'aura. Il parait qu'autrefois il en

existait une, mais peu prononcée. Au moment de tomber, le ma-

lade sentait que sa tête s'embarrassait, il était averti par une

sorte de vertige. La crise est classique : cri, chute, période

tonique, période clonique et coma avec ronflement. Il n'y a pas

prédominance des mouvements convulsifs à droite ou à gauche. Au

début de l'attaque, la tête s'incline légèrement à droite.

Nous avons dit que les facultés intellectuelles étaient affaiblies :

le malade en est, en effet, arrivé, par suite de l'épilepsie ancienne,

à un degré bien caractérisé de démence. Il faut aussi noter des

accès de folie épileptique, inconscients et passagers, qui sur-

viennent quelquefois, très rarement, à la suite des séries d'accès.

Le sujet alors n'est pas réellement agressif, mais il tracasse, il se

livre à des actes bizarres ou sans but, et rien ne peut l'empêcher

d'accomplir l'acte qu'il a entrepris, il lutte au besoin si l'on cherche

à le maintenir. C'est là, du reste, un phénomène psychique bien

connu de l'épilepsie.

Le traumatisme ancien a laissé une cicatrice très visible et très

58 RECUEIL DE FAITS. ,

sensible au toucher, sur le cuir chevelu, cicatrice linéaire de

dix centimètres de longueur qui commence à un point du cuir

chevelu situé un peu au-dessus du front, sur la ligne médiane, à la

partie antérieure et médiane du cuir chevelu, par conséquent. De

là, elle se porte en haut en arrière et un peu à droite, de façon à

se terminer sur le côté droit du crâne à quatre centimètres de la

ligne médiane. Elle recouve donc, d'abord'la partie supérieure et

médiane du frontal, puis une petite partie, partie antéro-supé-

rieure du pariétal.-Au-dessous, répondant à la cicatrice cutanée,

on sent une cicatrice osseuse, saillante et un peu rugueuse, ayant

la même direction et la même longueur que la cicatrice cutanée,

mais plus large qu'elle. En se guidant sur la région du crâne qui

répond à l'extrémité supérieure de la scissure de Rolando, région

trouvée d'après le procédé ordinaire avec l'équerre flexible, on

voit que l'extrémité de la cicatrice osseuse n'arrive pas tout à

fait jusqu'au niveau de la frontale ascendante. Pourtant cette

cicatrice étant assez large, nous l'avons déjà noté, il est possible

que la frontale ascendante soit un peu comprimée par elle dans

un espace très limité, situé à quatre centimètres de la scissure

interhémisphérique. Mais la compression porte particulièrement

sur les première et deuxième frontale.

On peut résumer ainsi tout ce qui précède : un jeune homme

exempt d'hérédité névropathique (car l'épilepsie du grand-oncle

est hypothétique), mais ayant cependant une certaine tendance

aux convulsions (la preuve en est dans l'unique convulsion de

l'enfance signalée), éprouve à l'âge de quatorze ans un violent

traumatisme qui produit une fracture du crâne au niveau de

la région antéro-supérieure droite. Trois mois après l'accident

il devient épileptique. L'épilepsie marche toujours en s'aggra-

vant et aujourd'hui, neuf ans après l'accident, le sujet est en

démence épileptique et il a une quinzaine de grandes attaques

convulsives tous les mois. 1

Il nous paraît certain que, dans ce cas, le traumatisme est

le facteur étiologique de l'épilepsie. La prédisposition native

aux convulsions, signalée, ne milite pas contre notre diagnos-

tic, il est reconnu que la prédisposition névropathique se

retrouve en général chez tous les sujets atteints d'affections

des centres nerveux, même quand ces affections sont détermi-

nées par le traumatisme. Enfin la' cicatrice osseuse que nous

avons décrite doit comprimer les deux premières circonvolu-

tions frontales droites ainsi qu'une partie de la frontale ascen-

dante. (L'intervention chirurgicale nous permit de voir que

ÉPILEPSIE ANCIENNE, D'ORIGINE TRAUMATIQUE. 59

cette compression était bien réelle et que la saillie osseuse

externe s'accompagnait d'une saillie interne.) Dans ces condi-

tions, la trépanation au niveau de la cicatrice nous parut par-

faitement indiquée.

L'opération fut faite le 16 octobre 1891. L'incision des parties

molles fut pratiquée sur la cicatrice et dans toute son étendue. On

constata alors que la surface osseuse était rugueuse et qu'elle pré-

sentait des saillies et des dépressions irrégulièrement disposées.

Trois couronnes de trépan furent enlevées et la fenêtre osseuse

fut agrandie et régularisée avec la pince de Lucas-Championnière.

Il n'y avait pas d'adhérence entre la dure-mère et le crâne. Il

existait des saillies osseuses internes très prononcées qui évidem-

ment devaient comprimer les portions sous-jacentes du cerveau.

Ainsi une rondelle enlevée avait, à un certain endroit, 7 milli-

mètres d'épaisseur, et à un autre 12 millimètres et les 5 milli-

mètres d'accroissement étaient dus à l'épaississement de la table

interne de l'os. A un moment donné, on dut opérer au-

dessus du sinus longitudinal supérieur, lequel ne fut pas ouvert,

mais un de ses affluents le fut sans doute, car il y eut alors une

hémorrhagie d'une certaine abondance qui fut arrêtée par la com-

pression au moyen de petits tampons de gaze iodoformée. Ce fut

le seul incident notable de l'opération. La plaie fut drainée au

moyen d'une petite bande de gaze iodoformée et ensuite sutu-

rée.

Voici ce qui se passa après cette opération faite, bien entendu, con-

formément aux prescriptions rigoureuses de l'antisepsie. La tempé-

rature normale, le premier jour, monta à 38°, le second à 38°,4,

le troisième à 38°,2, le quatrième à 38°,7. Ce jour-là, à la suite

d'une attaque, il y eut un accès d'agitation maniaque intense qui

persista jusqu'au lendemain, le malade se débattait, criait, voulait,

se lever et arracher son pansement. Le cinquième jour, la tempé-

rature monta à 39°,1 et le sixième à 39°,9. A ce moment, la situa-

tion était grave, le facies était très rouge, tendance au coma, on

craignait fort une meningo-encéphalite généralisée. Ces accidents

pouvant également être dus à un drainage défectueux, on enleva

toutes les sutures. Les symptômes menaçants disparurent progres-

sivement et la plaie finit par se cicatriser sans qu'il survint d'autre

accident.

De suite après ^opération et pendant les premiers jours qui la

suivirent, il y eut une série d'attaques d'épilepsie : neuf le jour

de l'opération, cinq le lendemain, trois le jour suivant. Les symp-

tômes graves sus-mentionnés avaient peut-être leur point de départ

dans les perturbations produites dans la circulation cérébrale par

cette série d'attaques.

60 RECUEIL DE FAITS.

. Il y a maintenant trois mois que la trépanation a été pratiquée,

voici la statistique des attaques pendant ce laps de temps :

AUTOMATISME AMBULATOIRE CHEZ UN DIPSOMANE. 61

nous espérions peut-être la diminuer, sinon directement, au

moins indirectement, en faisant cesser les accès convulsifs, ou

seulement en les rendant moins fréquents. Ce dernier objec-

tif, rendre les accès moins fréquents, nous avions le droit de

compter l'atteindre, en nous basant sur les nombreuses obser-

vations publiées.

Toutes nos espérances ont été déçues; notre malade est

aujourd'hui, 16 janvier 1892, exactement tel qu'il était avant

d'être trépané. ,

On nous reprochera peut-être de ne pas avoir poussé plus

loin l'intervention, et, après avoir ouvert le crâne, de ne pas

avoir incisé la méninge et réséqué au besoin la portion scIé :

rosée de la substance corticale sous-jacente. L'absence de

symptômes localisés nous en a empêché, car jusqu'à plus ample

informé, nous admettrons que l'action chirurgicale portant

directement sur le cerveau, pour être légitime, doit avoir au

moins son siège et son étendue rigoureusement tracés par les

symptômes. -

AUTOMATISME AMBULATOIRE CHEZ UN DIPSOMANE;

Par 11. le D' A. SOUQUES,

. Ancien interne (médaille d'or) des Hôpitaux

Eugène L.... trente-trois ans, employé, se présente avec sa

femme, le 14 janvier 1891, à la consultation externe de M. le pro-

fesseur Charcot, à la Salpêtrière.

Antécédents héréditaires. Son père qui est mort à cinquante-

cinq ans, d'un cancer de l'estomac était un homme sobre et nulle-

ment nerveux. Sa mère vit encore; c'est une femme d'humeur

changeante, bizarre, originale, « un .drôle de ,'caractère avec qui

on ne peut vivre ». Ses grands parents lui sont -inconnus; il ne

peut donner sur eux aucune espèce de renseignement. Du côté des

diverses. Lire dans American Journal of haanily, années 1886 et 1887,

de nombreuses observations publiées par les docteurs Flechter et Sel-

den, et se rapportant à des guérisons par la trépanation, de manies

intermittentes,de manies impulsives, suicides, impulsion, de mélancolie,

suicide, etc... Dans certains cas, l'affection était très ancienne, parfois on

dut recourir à deux trépanations successives pour parfaire, la guérison.

62 RECUEIL DE FAITS.

collatéraux, on trouve dans la branche maternelle, une hérédité

névropathique très nette. Un oncle de la mère est mort fou. Notre

malade ne peut préciser la variété d'aliénation car on cachait la

chose et on n'en parlait jamais dans la famille. En outre, un cousin

germain de sa mère, est également devenu fou, à la suite de con-

trariétés et d'ennuis de. famille et a été enfermé durant quatre

mois à Sainte-Anne. Il serait actuellement guéri et n'aurait jamais

été repris. Enfin notre malade a une soeur âgée de vingt et un ans

qui est bien portante et n'est pas nerveuse.

Antécédents personnels. - Eugène L..... est né d'une grossesse

gémellaire terminée par un accouchement prématuré (à 7 mois).

Son frère jumeau est mort aussitôt après la naissance.

Lui-même a eu une première enfance chétive et délicate. On le

changeait souvent de nourrice attribuant sa débilité à l'absence de

soins. Il a marché très tard, vers trois ou quatre ans et il se rap-

pelle qu'on le portait à cette époque sur des oreillers. Il a eu, en

bas âge, le carreau^) et des convulsions. Vers sept ans, on l'a misen

classe. Il apprenait, dit-il très difficilement et a toujours été très

en retard sur les autres enfants de son âge. Du reste, au point de

vue du caractère, il différait aussi de ses petits camarades : il n'était

ni joueur ni turbulent et se tenait à l'écart, toujours triste et taci-

turne. Pour faciliter son développement physique et moral, ses

parents l'ont mis à la campagne, à Villier-le-Bel, dans une institu-

tion où il a appris à lire, à écrire et à compter, mais il n'a pas

poussé ses études plus loin, parce que, dit-il, on a vu qu'il en était

incapable.

A quatorze ans, on le retire de cette institution et on le place

à Paris comme apprenti relieur. Il reste dans la reliure pen-

dant dix ans et, durant tout ce temps, ne fait que deux maisons.

11 n'a changé d'atelier que pour gagner davantage et se perfec-

tionner. C'était un bon ouvrier à qui ses patrons n'avaient rien à

reprocher.

Durant son adolescence et sa jeunesse, il a toujours vécu seul,

sans amis. Il allait assez souvent au théâtre, mais toujours seul. Il

fréquentait aussi volontiers les musées, les Arts et métiers, Cluny,

etc., et y prenait un certain intérêt, mais là encore, il allait tout

seul. Quand on lui demande la raison de cet isolement, il répond :

c Je n'aimais pas à être lié ».

A vingt et un ans, il tire au sort et est dispensé du service mili-

taire comme fils aîné de femme veuve. 1

A vingt-cinq ans, il quitte la reliure pour rentrer comme em-

ployé dans un atelier de fonderie mécanique. Son rôle consis-

tait à faire « les approvisionnements a, c'est-à-dire à délivrer les

marchandises aux ouvriers de la maison et à inscrire sur un livre

tout ce qu'il avait livré.

AUTOMATISME AMBULATOIRE CHEZ UN DIPSOMANE. 63

A vingt-huit ans, en 1885, il se marie. De ce mariage naît un

enfant âgé actuellement de dix mois et qui n'a jamais été malade

Début de la DIPSOMANIE. Ce début est difficile à préciser. Sa

femme déclare avoir remarqué, quinze jours après son mariage

que son mari buvait. A certains jours, il avait dit-elle, le regard

vague « l'air hébété et le caractère agaçant ». Cela se présentait

une fois par mois en moyenne, quelquefois moins- souvent. Elle

croyait alors qu'il avait bu et se faisait du mauvais sang en se disant :

j'ai épousé un garçon qui a la tête dérangée. On lui a dit, du reste

propos de marchands de vin que son mari buvait avant le

mariage. '

Et c'est très vraisemblable. En effet L.... pressé de questions,

avoue des envies irrésistibles de boire, depuis l'âge de vingt uns.

Ces envies revenaient à l'origine tous les deux mois environ et

duraient une journée : Au milieu de son travail, il était toutà coup

pris d'une impulsion ; il s'en rendait très bien compte et savait

qu'il faisait mal, mais l'impulsion était plus forte que sa volonté.

Il quittait subrepticement l'atelier, tâchant de ne pas être vu et

courait chez un marchand de vin. Là, tout seul, sans rien dire,

coup sur coup, il avalait deux ou trois verres de vin toujours du

vin ; puis, après avoir payé, regagnait son magasin, honteux de

sa conduite. La scène entière avait à peine duré cinq minutes.

A la longue, ces accès de dipsomanie sont devenus plus accusés

et plus longs ; il descendait plusieurs fois dans la journée chez le

marchand de vin et toujours dans les mêmes conditions poussé

par une force invincible; la boisson .' l'attire sans besoin». A

peine est-il revenu de chez le marchand de vin que, quelques ins-

tants après, sous la même impulsion il redescend. « Je sais, dit-il,

qu'il ne faut pas que j'y aille, que je fais mal, mais c'est plus fort

que moi. »

Deux fois son patron l'a surpris dans ces escapades; il lui a fait

des remontrances sévères, l'a menacé de le renvoyer, etc. Et il a

recommencé quand même. Et si on ne l'a pas renvoyé, c'est en

souvenir de son père qui a été longtemps un caissier modèle dans

cette maison.

Dans ces périodes de crises dipsomaniques, il est, dit sa femme,

tout changé. Le soir, quand il rentre, il est taciturne, indifférent,

ne regardant ni sa femme ni son enfant qu'il adore en temps nor-

mal. En plus, il est « énervé mais sans violence ni brutalité.

Le regard hébété et hagard, « il a l'air d'avoir la tête dérangée ».

il est assommant et trouve à redire à tout D, ajoute sa femme;

quand on lui demande ce qu'il a, il dit simplement : t je sens que

je suis malade, je ne sais pas ce que j'ai. »

L.... se rappelle très bien l'état spécial dans lequel il se trouve

dans ces périodes ; il s'en rend parfaitement compte. « Je voudrais

64 RECUEIL DE FAITS.

me corriger, dit-il, et je ne peux pas y arriver, je me fais la morale

en dedans. J'ai honte de moi, et je souffre. Tout me crispe et m'a-

gace. »

En dehors des accès de dipsomanie, il est très sobre. Chez lui,

chez des amis, il ne boit pas ou très modérément comme tout le

monde Il est doux, affectueux, intelligent, on ne peut plus raison-

nable, en un mot. - -

Depuis quelque temps, sa femme croyant supprimer ces excès

lui avait supprimé tout argent. Mais il a continué et a bu alors à

crédit. Sa femme a dû payer des notes chez tous les marchands de

vin des environs. Depuis le mois de mai 1890, elle a ainsi payé

pour frais de boisson, chez divers débitants, cent francs par tri-

mestre, c'est-à-dire trente à trente-cinq francs par mois.

Fugues. La première fugue a eu lieu dans les premiers jours

de mai 1890. Elle a été immédiatement précédée d'une période de

dipsomanie qui a duré une dizaine de jours. Durant ces dix jours,

il a bu plus que d'ordinaire, dit sa femme, car il était beaucoup

plus hébété que d'habitude. Et du reste, cet accès de dipsomanie

a duré aussi plus que les accès habituels.

Donc, dans les premiers jours du mois de mai, il s'est levé un

matin à 6 heures comme d'ordinaire pour aller à son travail. A

- peine est-il sorti de la porte-cochère qu'il est pris de l'impulsion

irrésistible de marcher. Et sans penser davantage à son travail,

envahi par cette obsession, il file droit devant lui, sans but aucun.

Il avait cependant conscience de ce qu'il faisait en partant ainsi et

il a gardé très précis le souvenir de tous ses actes. Mais l'impulsion

dominait tout; il fallait qu'il marchât. Donc, il part sans savoir

où, sans connaître le chemin; c là où les chemins me conduisaient,

j'allais dit-il. Il a ainsi passé, dans cet état d'impulsion cons-

ciente ou subconsciente, derrière le cimetière du Père-Lachaise

il reste rue du Chemin-Vert, 98. Puis il a traversé Bagnolet,

sans s'arrêter, a pris ensuite la route de Vincennes et est arrivé à

travers bois jusqu'à Joinville. Là, il s'est arrêté au pont, a regardé

quelle heure il était - il était midi et est rentré dans un res-

taurant pour déjeuner. Il sait que ce restaurant est situé dans la

rue de Joinville, mais il ignore ou ne se rappelle plus le nom du

restaurateur. Il sait parfaitement qu'il a mangé une soupe, du

boeuf, du fromage et bu une simple chopine de vin, le tout pour

la somme de vingt-cinq sous, croit-il. Ce déjeuner terminé, il est

encore reparti à travers champs, poussé encore par le même

besoin de marcher. Il se rappelle avoir passé par Champigny, La

Varenne, Saint-Maurice et s'être arrêté en revenant dans le bois de

Vincennes. 11 faisait nuit. Il a alors erré quelque temps dans le

bois, puis, se sentant fatigué, s'est endormi et a passé la nuit à la

belle étoile.

AUTOMATISME AMBULATOIRE CHEZ UN DIPSOMANE. 65

Le matin, au réveil, l'impulsion n'était pas encore satisfaite ; il il

est reparti, malgré lui el par le même chemin que la veille, pour

Joinville. Il a déjeuné chez un restaurateur différent, et après son

déjeuner s'est dirigé vers Paris. Il arrive à Paris vers cinq heures

du soir; l'accès impulsif semble s'être terminé à la suite d'une

violente crise de nerfs. Mais comme il était honteux de sa con-

duite n'osant rentrer, il a attendu que la nuit fût venue, et

c'est vers 10 heures du soir, c'est-à-dire quarante heures après son

départ, qu'il est rentré chez lui.

Il était, raconte sa femme, dans un état lamentable, les vête-

ments sales, non déchirés cependant, avec quelques égratignures

au cou. Il tremblait de tous ses membres et suffoquait, incapable

de proférer une parole. Sa femme a essayé de le calmer, et lui a

fait boire un peu d'éther. Une fois qu'il a été remis, il fait le

récit de sa fugue en pleurant. « J'aurais bien voulu me tuer, dit-il,

mais j'ai pensé à ma femme et à mon enfant. »

Il s'est couché ; le lendemain, il était tout à fait calme mais

fatigué, courbaturé. Il a été trouver son patron à qui il a raconté

son aventure, et qui lui a conseillé de se reposer vingt-quatre

heures avant de reprendre son trav ail.

A la suite de cette fugue, il a travaillé durant un mois, très rai-

sonnable, sans aucun accès de dipsomanie. Mais au bout de ce

temps, l'impulsion à boire a reparu invincible. Et vers Noël, après

un accès dipsomanique qui a duré une quinzaine de jours, il a fait

une nouvelle fugue.

Deuxième fugue. Le samedi à 6 heures (10 janvier 1891), il

part de chez lui pour aller à son bureau, comme d'habitude. A. «

peine est-il dans la rue qu'il est pris de la même impulsion ambu-

latoire, et il part encore, droit devant lui, sans but déterminé. Il

prend le même chemin que la première fois, déjeune encore à

Joinville chez un marchand de vins, boit une demi-bouteille de vin

en mangeant une côtelette et du pain qu'il avait emportés de

chez lui. Il emportait d'ordinaire quelque chose pour manger à

son bureau. Ce déjeuner terminé, il repaît toujours par les

mêmes chemins. Le soir il arrive à Vincennes, entre dans un hôtel

et demande une chambre pour passer la nuit. Le lendemain matin

il se lève de bonne heure, paye sun écot et se dirige vers son domi-

cile. L'impulsion n'existait plus, elle semble être terminée par une

crise d'étouffement et de larmes. Alors il prend la rue de Cha-

renton et rentre chez lui.

Il était propre et bien ciré (il avait passé la nuit dans un hôtel).

Il s'est encore mis à pleurer en disant : « Voilà, c'est comme la

première fois. » , ,

Cette fugue avait duré vingt-huit heures.

Depuis lors, depuis trois jours par conséquent, il est tout à fait

Archives, t. XXIV. 5

66 RECUEIL DE FAITS.

dans son état normal. Il nous fait le récit de ses aventures avec

tristesse.

Etat actuel (14 janvier 1891). - L... est de taille moyenne

et d'aspect vigoureux. Son visage d'un ovale très allongé est asy-

métrique, le lobule de l'oreille adhérent, la voûte palatine ogi-

vale.

Il n'a jamais eu de maladies vénériennes, jamais de crise convul-

sive d'aucune espèce, jamais d'absences ni de vertiges ; bref aucun

signe apparent de mal comitial.

Au point de vue hystérique, l'interrogatoire et l'examen ne révè-

lent aucun stigmate actuel ou passé. Du côté de la sensibilité géné-

rale et spéciale, on ne trouve rien de particulier. Le contact, la

piqûre, la température sont perçues sur toute la surface du corps

et pareillement de chaque côté. Le goût, l'odorat, la vite ne pré-

sentent rien de notable. L'ouïe est affaiblie du côté gauche, mais le

malade souffre de l'oreille correspondante depuis deux ans. Il a été

jadis examiné par M. Tillaux qui a diagnostiqué une affection catar-

rhale de la trompe. Aucune zone hystérogène ou douloureuse. C'est

un homme d'une émotivité excessive : « Pour un homme, dit sa

femme, il pleure facilement. » Ainsi la lecture seule d'un passage

triste dans une lettre ou dans un journal le fait pleurer, et cela

bien entendu en temps normal, en dehors de tout accès de dipso-

manie. Cette émotivité est encore plus manifeste à la fin d'une

crise ambulatoire : à la fin de la fugue, il est pris de sanglots et

d'étouffements et pleure comme un enfant. Après chaque fugue,

l'impulsion complètement assouvie, il a été pris d'une crise de

larmes. Du reste, à la suite d'un ennui, d'une répdmande légère,

il éprouve des suffocations avec sensation de constriction au

niveau de l'estomac et de la gorge. Il ne peut plus parler, mais il

ne perd nullement connaissance et n'a aucune secousse convul-

sive. Bientôt les larmes arrivent et terminent la scène.

L... n'est pas alcoolique. On ne trouve chez lui aucun signe

d'intoxication chronique. La santé générale, ses divers viscères sont

absolument normaux, ainsi du reste que ses facultés mentales et

affectives. > .

Le 14 janvier, on le soumet au traitement bromure, aux doses

progressives de quatre, cinq et six grammes par jour. Il revient

au bout d'un mois, sans avoir présenté aucun phénomène digne

d'être noté, h '

13 mars 1892. Le malade est revenu nous revoir sur notre

demande. Il a suivi le traitement bromuré jusqu'au mois de juin

1891 et l'a ensuite cessé. En décembre il a perdu son fils unique

et éprouvé un vif chagrin. A cette occasion, l'impulsion dipsoma-

niaque s'est encore manifestée mais semble avoir été conjurée par

la reprise du traitement bromuré. Depuis lors rien de particulier

REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 67

à signaler. L... est actuellement en parfaite santé; il travaille

toujours dans la même maison ; sa vie est sobre, régulière.

Cette observation n'a pas besoin de longs commentaires.

Nous l'avons rapportée ici uniquement pour la rareté du fait.

Il s'agit sans conteste d'un cas de véritable dipsomanie, c'est-

à-dire à accès intermittents, périodiques, reparaissant toujours

avec les mêmes caractères. L'impulsion est intense, irrésis-

tible, et entre les paroxysmes l'état' mental est tout à fait

normal. L... n'est pas un alcoolique vulgaire, c'est un dégé-

néré héréditaire, la dipsomanie n'étant, ainsi qu'on le sait,

qu'un syndrome épisodique de la folie des dégénérés.

Deux fois l'accès dipsomaniaque prolongé plus que de cou-

tume a été suivi de fugues impulsives. Sans doute ces fugues

sont ici conscientes, subconscientes tout au moins, et à ce

point de vue le terme d'automatisme que nous avons inscrit

en tête de l'observation est-il sujet à critiques, mais nous

l'avons fait pour assimiler ce cas à l'automatisme des comi-

tiaux et des hystériques auquel il ressemble étrangement à

d'autres égards. De toute manière, la fugue est liée intime-

ment aux paroxysmes dipsomaniaques; elle en relève direc-

tement ; elle en est la continuation au point qu'il semble

s'agir d'une impulsion dipsomaniaque prolongée sous forme

ambulatoire. '

REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE

1. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE l'anxiété neurasthénique ET DES

phénomènes QUI l'accompagnent; parle Dr Umberto S'fEFANI. (Riv.

sp. di fren., t. XVII, fasc. m.)

L'auteur rapporte une observation très circonstanciée et des plus

intéressantes. Le fait essentiel, qui domine le développement de la

maladie, est le désordre émotionnel, d'où dérivent directement par

la suite, des troubles dans la sphère des idées et des actes. Tous

ces phénomènes, comme les autres qui caractérisent le fonds neu-

rasthénique de la maladie (réaction vaso-motrice exagérée, insta-

bilité, bizarreries), ont pour base un état d'irritabilité et tout à la

fois de faiblesse du système nerveux : irritabilité en ce qui concerne

les fonctions nerveuses inférieures, rentrant dans la catégorie de

68 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.

réflexes, faiblesse pour ce qui a trait aux fonctions d.'ordre plus

élevé.

Puis, à côté de ces symptômes, on en voit se développer d'autres,

des hallucinations visuelles et auditives. Si on ne peut affirmer

qu'un rapport direct de causalité unisse ces hallucinations àl'anxiété,

on peut dire toutefois qu'elles reposent essentiellement sur une

irritabilité spéciale des centres sensoriels, et qu'elles appartiennent

ou tout au moins se rapprochent de la catégorie des réflexes, et

comme telles ne sont qu'une des manifestations du désordre géné-

ral du système nerveux. De même que sous la plus petite excitation,

émotionnelle ou autre, le système vaso-moteur réagit vivement,

que des paroles aigres, des actes violents se font jour à la plus

petite provocation, que le plus léger stimulus détermine l'anxiété;

de même une excitation minime qui se propage aux centres senso-

riels, visuel ou auditif, réveille les images correspondantes, et leur

donne même l'intensité des perceptions réelles. J. Séglas.

II. Observation DE FOLIE A deux ; par M. J. ? ¡OL.\.X. (The Journal

of mental Science, avril 1889.)

Ce cas est celui de deux frères qui présentaient entre eux une

ressemblance absolument parfaite tant au point de vue physique

qu'au point de vue psychique : le point le plus intéressant de l'ob-

servation est celui-ci : bien qu'ils eussent été envoyés dans des quar-

tiers de l'asile absolument différents, et qu'aucune communication

n'ait pu s'établir entre eux, ils ont continué, depuis leur entrée à

l'asile, non seulement à présenter des états mentaux parfaitement

identiques; en outre on a vu apparaître chez chacun d'eux indivi-

duellement une hallucination qui leur a été commune et qu'ils ont

racontée en des termes presque identiques. R. M. C.

III. UN cas d'hallucinations SENSORIELLES avec obsessions ;

par Klinke. (Jah1'lJlCch. f. Psych., IX, 3.)

Observation de la malade prise par elle-même. C'est une institu-

trice et une musicienne de quarante-cinq ans, qui a été surveillante

en chef d'asiles privés. A la suite de la mort de son fiancé, qu'elle

soigna elle-même (il s'agissait d'un paralytique général), elle est

atteinte de mélancolie ; puis, vient la mort de son père, elle est

alors affectée de mauie avec désordre dans les idées..... Guérison.

P. KERAVAL. '

IV. LE champ visuel DES épileptiques (en dehors de l'accès) ET des

criminels congénitaux (fous moraux); par S. OTTOLENGIII. (Cen-

' t·al6l. f. Nervenheill), N. F. L, octobre 1890.)

Etude de 12 épileptiques-types et de 25 criminels congénitaux.

Conclusions. 1° Tant chez les épileptiques (12 sur 12) que chez les

REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 69

criminels congénitaux (25 sur 25) le champ visuel est notablement rétréci ;

2° chez tous les épileptiques et chez 23 des criminels congénitaux le

pourtour du champ visuel présente une irrégularité constante; la ligne

limitante, le long des divers secteurs, est sinueuse, interrompue, irrégu-

lière, et défigurée par des entailles plus ou moins prononcées qui, dans

quelques secteurs, forment de vrais scotomes périphériques, mais à

situation inconstante. L'inconstance dans la position de ces entailles en

constitue un signe invariable dans le type moyen; - 3° chez presque

tous les épileptiques (au nombre de dix) et chez presque tous les crimi-

nels congénitaux (au nombre de vingt) le champ visuel est à droite

surtout, limité dans l'hémisphère inférieur; à gauche, surtout rétréci dans

l'hémisphère supérieur, et par quadrant correspondant au côté exa-

miné, de sorte qu'on a une hémiopie partielle verticale; 4° un épilep-

tique et trois criminels présentaient une neuro-rétinite expliquant le

rétrécissement du champ visuel; 5° chez tous ces malades, le champ

visuel pour les couleurs était aussi limité, mais moins que pour le blanc;

6° La forme du champ visuel pour les couleurs suit constamment,

quoique plus ou moins régulièrement, celle du champ visuel pour le

blanc, tant au point de vue de l'irrégularité des limites périphériques que

de l'hémiopie partielle verticale ; 7° les champs visuels pour le bleu et

le rouge (celui-ci plus limité) se croisent en divers points périphériques;

8° la partie centrale du champ visuel se présente normale, chez les

criminels aussi bien que chez les épileptiques, pour le blanc aussi bien

que pour les couleurs; 9° examen ophthalmoscopique négatif dans la

plupart des cas; 10° l'acuité centrale est absolument indépendante de

la sensibilité visuelle périphérique; elle était normale chez tous les épi-

leptiques et les criminels, plus grande que normalement chez 8 épilep-

tiques et 18 criminels; 11° l'état des autres sens (tact- douleur ouïe

goût odorat) suit généralement' le rétrécissement de la sensibilité

visuelle périphérique; cela est plus constant chez les épileptiques que

chez les criminels; 12° l'examen comparatif du champ visuel d'indi-

vidus normaux, de criminels d'occasion, de femmes hystériques, de neu-

rasthéniques, de pellagreux donne les caractères déjà connus; ce n'est

que par exception qu'on y a retrouvé quelques-unes des particularités

propres au champ visuel des épileptiques et des criminels congénitaux.

Donc le rétrécissement du champ visuel, à limites irrégulières,

avec entailles ou scotomes périphériques, avec hémiopie partielle

verticale non homonyme, est le caractère de l'épilepsie en dehors

des attaques, et de la criminalité congéniale. Il faut le rattacher à

des troubles fonctionnels de l'écorce et des centres optiques.

KERAVAL.

V, DES relations DES obsessions avec la FOLIE systématique (para-

noïa) ; par A. IIZERCRLIN. (Allg. Zeitsch. f. Psychiat., XL VII, 5.)

La paranoïa ne comprend, d'après l'auteur, que les vésanies à

développement et évolution chroniques dont le symptôme essentiel

est une conception délirante ayant pour origine un trouble per-

manent du jugement et pour aliments des hallucinations.

70 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.

Comment dans les maladies nerveuses évoluent les obsessions

qui les hantent ? Que deviennent les malades atteints de psy-

choses dues à des conceptions irrésistibles ? - Les obsessions se

transforment-elles en conceptions délirantes ou en folie systéma-

tique ? Existe-t-il, dans la folie systématique, un stade prodro-

mique caractérisé par des conceptions irrésistibles et leur trans-

formation en conceptions délirantes ? Comment et sous quelle

forme surviennent les obsessions dans la paranoïa ? R

Les maladies à obsession comportent deux groupes distincts :

1° Celui dans lequel les obsessions forment un épisode de la

neurasthénie; il y a parfois transformation en neurasthénie, mais

la neurasthénie donne elle - même naissance à des psychoses

graves;

2° Celui dans lequel les obsessions constituent le symptôme fon-

damental (folie par obsession). On y rencontre une vésanie connue

sous le nom de systématique (Verrucktheit), mais la conception

délirante spontanée, primitive, tenant à un trouble du jugement,

finissant par se cristalliser, s'organiser, qui caractérise la paranoïa,

ne s'y voit pas.

En résumé, la paranoïa débute assez souvent par une anomalie

de la conception qui tient le milieu entre l'obsession (conception

irrésistible) et la conception délirante fixe, c'est-à-dire par des

conceptions délirantes autochtones encore susceptibles d'être ana-

lysées par l'entendement et corrigées par le jugement; on les

retrouve du reste à une période ultérieure, tardive de la paranoïa.

Appelons-les conceptions délirantes mobiles. Il existe aussi des con-

ceptions délirantes fugaces qui, après avoir duré quelque temps,

disparaissent d'elles-mêmes ; ce sont les conceptions délirantes

volantes, de Mayser, de la folie systématique (Wahnsinn) aiguë.

Quant aux obsessions vraies elles sont absolument rares au début

de la paranoïa et de la folie systématique hypocondriaque. Quand

on constate des obsessions (et des actes impulsifs) dans le cours de

la paranoïa c'est qu'il y a un élément combiné de neurasthénie.

Neuf observations à l'appui. P. KÉRAvAL.

VI. Du pronostic DE la manie; par W. WILLERDING.

(Allg. Zeitsch. Psychiat., XLVIII, 2.)

Soixante-dix pour cent environ des manies guérissent après

avoir en moyenne duré quelques mois. Plus les maniaques sont vite

placés dans un asile, plus l'évolution de la maladie est favorable.

Il ne faut pas considérer l'hérédité comme un élément de pronostic

défavorable. Bon pronostic dans la plupart des cas, et quant à la

durée, et quant à la guérison, de la manie consécutive à des

affections somatiques, de la manie alcoolique, de la manie puer-

pérale. Un traumatisme céphalique, comme cause occasionnelle

REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 71

de manie, n'implique pas un pronostic défavorable. La réappari-

tion des règles, au moment où l'amélioration psychique com-

mence, permet d'espérer une prompte guérison. Plus l'individu

est jeune, plus grand est l'espoir de le voir se rétablir. La manie

périodique implique la crainte d'une guérison incomplète et fra-

gile. La longueur de la manie assombrit l'espoir d'une com-

plète guérison. Une agitation brusque et violente est défavorable,

excepté dans la manie puerpérale ou post-traumatique. La ces-

sation brusque de l'agitation fait craindre la périodicité ou une

prompte récidive, il en est de même du rapide accroissement du

poids du corps avant l'installation du stade de calme. Plus grave

est l'affection, plus faible est l'espérance d'une parfaite guérison.

Phénomènes paralytiques et convulsions sont des complications

défavorables. Plusieurs attaques de manie mettent l'intelligence

en danger. P. KERAVAL.

VII. Contribution A la théorie DE LI FOLIE gémellaire; par N. Os-

TERMAYER. (Archiv. f. Psychiat., XXIII, 1.)

- , Etudiant les quatorze observations de folie chez les jumeaux qui

existent dans la science, l'auteur dit que la vraie folie gémellaire est

caractérisée par l'apparition, simultanée ou non, peu importe, chez

des jumeaux, d'une psychose identique ou semblable, qui évolue d'une

façon autonome. Sinon, il faut dire folie induite, folie à deux

chez des jumeaux. La genèse autochtone de la folie chez les

jumeaux s'explique par l'hérédité ; en effet, ces deux indi-

vidus ont un substratum originel et un développement cérébral

semblables, ce sont deux organes psychiques identiques qui, indé-

pendamment l'un de l'autre, agissent identiquement. Un excitant

psychique anormal dissemblable déterminera sur les deux organes

une réaction semblable et deux psychoses homogènes. Il n'y a

donc ici ni infection psychique, ni imitation. Peu importe encore

une fois la simultanéité. Suit une observation de folie induite chez

des jumeaux ayant revêtu la forme de délire systématique (para-

noï(t. P. K.

VIII. UN cas DE PSYCHOSE POLYNI3VRITIQUE avec autopsie; par Kart-

SAKOFF ET SERi3sKi. (Archiv. f. Psychiat., XXIII, 1.)

Femme jeune, indemne d'alcoolisme; grossesse extra-utérine, la-

parotomie, communication du sac embryonnaire avec la vessie et

le rectum. Une semaine plus tard, excitabilité, affaiblissement de

la mémoire des choses toutes récentes, obnubilation de la connais-

sance, faiblesse des membres, disparition des réflexes patellaires,

douleurs dans les muscles et les troncs nerveux, vomissements,

diminution de l'urine, albuminurie intermittente. Tout guérit, moins

72 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.

l'amnésie qui s'aggrave : incohérence dansles idées, hallucinations,

paralysie totale des jambes, des muscles du tronc et des bras, du

diaphragme, mort. Polynévrite toxique constatée à l'autopsie. Inté-

grité de l'encéphale. Dysmorphie congénitale du canal central de

la moelle, multiplication du tissu conjonctif dans les faisceaux de

Goll et les cordons latéraux, du côté droit. Dégénérescenc colloide

de la glande thyroïde; peut-être, si elle eût fonctionné, eût-elle,

comme on le prétend, neutralisé les substances nuisibles en cir-

culation dans le sang. P. K.

IX. DES psychoses CONSÉCUTIVES A l'influenza, avec remarque SUR

un cas DE paralysie progressive; par J. KRYPIAYIEWICZ. (Jahr-

buch. f. Psychiat., X, 1.)

Mémoire surtout remarquable par cette observation. H..., âgé

de trente-huit ans, indemne de tare héréditaire, de syphilis,

d'alcoolisme, brillamment doué. Influenza en décembre 1888,

sans autre symptôme cérébral qu'une vive céphalalgie. L'influenza

ne dure que quatre à cinq jours, mais le malade reste mélanco-

lique, incapable de travail ; il croit avoir perdu la mémoire, craint

de ne pas recouvrer la santé. Intégrité de la réaction pupillaire et

des réflexes. Le malade guérit et reprend son activité. Fin

juin 1890, il devient négligent, jette l'argent par les fenêtres,

forme le projet de grands voyages, de grandes entreprises. En

septembre euphorie marquée, humeur maniaque, présomption

exagérée, diminution de l'innervation du facial gauche, pupilles

inégales à réaction paresseuse, le phénomène du genou manque à

droite, est affaibli à gauche. La manie disparaît graduellement,

mais les paralysies subsistent, et bientôt l'activité mentale s'affai-

blit dans tous ses modes. P. K.

X. Observation DE KARL HERMANN. (Jahrbuch. f. Psychiat., X, 1.

Malade évadé de l'asile de Ybbs (Basse-Autriche).

Rapportadressé à la Société psychiatrique de Vienne. Dégénéres-

cence mentale, idées de grandeur, impulsivité. Psychose chro-

nique systématique.

La Société de psychiatrie et psychologie médico-légale de Vienne

conclut à la nécessité de séquestrer un tel individu, félicite vive-

ment les médecins qui le soignaient, et proteste énergiquement

contre les accusations et vilipendages de la presse et du public.

P. K.

XI. UN cas DE paralysie générale A FORME circulaire; par H. ROT-

TENDILLER. (Cent1'alblaU. f. Nervenheilk. NF.,II, 1891.)

Première étude : manie avec idées de grandeur bizarres et phé-

nomènes peu accentués appartenant au syndrome paralytique.

REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 73

Puis, stade dépressif avec angoisse, auto-accusations, ressemblant

plutôt à une mélancolie simple. Puis chacune de ces phases devient

irrégulière, la démence paraît progressive, chaque accès laissant

après lui des lacunes intellectuelles. Il y eût, bientôt après la

seconde phase, une rémission qui fut suivie du tableau morbide

de la paralysie générale. Ici aussi, comme d'ordinaire, dans les

cas de ce genre, élément héréditaire. P. K.

XII. DE la transmission DES psychoses; par II. ScHLOESS. (Centralbl.

(. NC1'1'enheilk., NE., II, 1891.) .

Après une revue, l'auteur donne l'observation de deux frères

indemnes d'hérédité, malade*, l'un à la suite d'un chagrin d'amour,

l'autreaprès une arrestation imméritée. Il conclut à une prédisposi-

tion par constitution anormale du cerveau des deux frères. Suivent

deux observations ne présentant rien de particulier. P. K.

XIII. DES psychoses décrites sous LE NOM E : 1T : 1TONIE; par W.

. SERBSKY. (Centralbl. f. Nervenheilk., NF., II, 1891.)

Revue analytique montrant que la catatonie n'est à aucun point

de vue un entité morbide, et que ce syndrome souvent incomplet

et imparfait n'est pas davantage le caractère d'une forme morbide

spéciale. La catatonie résulte d'une association accidentelle de

symptômes n'ayant point de parenté organique, ne procédant

point d'un substratum anatomique, n'ayant aucun lien physio-

logique. On rencontre les éléments de la soi-disant catatonie,

isolés ou groupés, dans des psychoses aiguës, tels que : la stupeur

aiguë la démence aiguë (celle le plus fréquemment prise pour

la catatonie) -la folie systématique ou paranoïa aiguë (ou plutôt

délire systématique dépressif) la mélancolie avec stupeur et

dans les psychoses chroniques telles que la folie systématique

(avec affaiblissement intellectuel) la paralysie générale

quelques folies périodiques quelques vésanies hystériques la

démence secondaire l'hébéphrénie (qui n'est le plus souvent

que de la dégénérescence mentale). P. K.

XIV. LES psychoses DE l'influenza; par KiRN. (Allg. Zeitsch. f.

Psychiat., XLVIII, f, 2.)

L'influenza, qui tend à nuire plus ou moins à l'ensemble de

notre appareil nerveux, peut, atteignant les centres psychiques,

devenir la cause de troubles mentaux. Les psychoses dues à l'in-

fluenza sont infiniment plus fréquentes que celles qui résultent

d'autres affections fébriles aiguës. Les troubles psychiques se

reproduisent soit pendant le stade pyrétique (délires fébriles), soit,

74 REVUE DE THÉRAPEUTIQUE.

mais bien plus rarement, sous la forme de psychoses aiguës,

fébriles, de longue durée, à issue généralement favorable. Enfin,

il y a des troubles psychiques, poslfébriles, revêtant la forme soit de

psychoses asthéniques, soit de psychopathies simples (prédominance

des mélancolies). Tous ces états morbides, dépourvus de cachet

spécifique, évoluent, en majorité, favorablement en peu de temps,

et guérissent; quelques-uns cependant présentent des symptômes

graves, une évolution prolongée, un pronostic douteux. Quant

aux quelques paralysies générales, hystéropathies, folies systéma-

tiques chroniques, attribuées à l'influenza, elles existaient déjà

avant l'attaque de grippe, bien qu'on ne les eût pas diagnostiquées

alors. Ce sont des psychoses pseudo-iufluenziques, au même titre

que le delirium tremens provoqué par l'influenza. Pathogénie. Une

toxine des plus dangereuses vient empoisonner les fibres nerveuses

soit sous l'influence concussente de la fièvre (psychoses fébriles),

soit sous l'influence d'une prédisposition sous-jacente acquise ou

cougénitale (psychoses postfébriles). P. K.

REVUE DE THÉRAPEUTIQUE

I. DE la polarisation DES électrodes EN électrothérapie ; par

N. MARCHANDO. (Centralbl. f. Nervenheilk., N. F. I, septembre 1890.)

Quand on applique des électrodes sur les tissus du corps humain

(électrolytiques), il se produit dans les électrodes un certain degré

de polarisation. De là des courants contraires de sens opposé à

celui du courant de la batterie. L'allure du courant est ainsi

modifiée, ce qui rend difficile les recherches sur la conductibilité

des tissus du corps. Avec des électrodes de charbon revêtues de peau

de chamois on voit (figures, expériences) que toute électrode,

dès qu'elle est traversée par le courant, subit une double polari-

sation ; chaque électrode devient un véritable accumulateur dans

lequel se développe un second courant opposé au premier (expé-

riences démonstratives au moyen du galvanomètre). Il faut donc

employer des électrodes impolarisables. P. K.

II. INFUSION sous-cutanée D'UNE SOLUTION DE CHLORURE DE SODIUM

DANS LE COLLAPSUS CONSÉCUTIF A L'ABSTINENCE DANS LE CAS D'UNE

psychose aiguë; par A. MERCKLIN. (Centralbl. f. N61'venheilk.,

N. r., lI, 4894.)

Voici comment procédé M. Mercklin. Il a introduit sous la

REVUE DÉ THÉRAPEUTIQUE. 7a

peau de la malade une aiguille creuse ayant un diamètre triple de

celui d'une canule de seringue de Pravaz ; il l'a mise en communi-

cation avec un long tuyau en caoutchouc dont les replis plon-

geaient dans un vase d'eau chaude mais dont l'autre extrémité

était reliée à un entonnoir en verre. En élevant ce dernier il infil-

trait lentement la solution chlorurée chaude. En massant la région

et en imprimant des mouvements au membre il a pu injecter

500 centimètres cubes d'une solution à 0,3 p. 100 sous la peau de

la cuisse droite. Presque aussitôt disparaissait le collapsus, le pouls

radial reparaissait, et les traits de la malade reprenaient de la vie.

Lavages fréquents du nez, de la bouche, des lèvres, à l'aide de la

même solution. Quatre heures plus tard, nouvelle opération dans

les mêmes conditions à gauche. Résultats favorables. Cette inter-

vention est donc indiquée quand le collapsus est imminent et que

l'estomac rejette le contenu de l'alimentation à la sonde oesopha-

gienne. Il serait bon, à l'avenir, d'utiliser l'appareil de SAHLI (Cor-

respondez-blatt f. Schweize¡' Aerzte. le, septembre 1890 Ueber Aus-

waschung des menschlieh, Organismes) et d'employer une solution

à 0,73 p. 100 stérilisée. ' P. K.

III. De la DUBOISINE COMME SÉDATIF ET HYPNOTIQUE CHEZ DES aliénés ;

par V. PBEININGER. (Allg. Zeitsch. f. Psychiat., XLVIII, 12.)

Ce médicament ne peut être recommandé, surtout quand il

existe de l'agitation. Il agit comme l'hyoscine, mais peut, comme

celle-ci, déterminer des effets accessoires nuisibles, à la dose de

plus de 0,002. La dose la plus forte qui, sans inconvénients, calme

ou fait dormir est de 0,002 ; il n'est pas prudent de la dépasser.

L'action sédative et hypnotique se fait sentir au bout de dix à

vingt minutes et dure de une à huit heures. Il n'est que peu de cas

dans lesquels le sommeil obtenu dépasse plusieurs heures ; le réveil

s'accompagne de somnolence et d'épuisement. Aux doses de 0,0025

et 0,003, on produit des accidents toxiques (agitation, convulsions

cloniques des extrémités, pouls et respiration fréquents, tempéra-

ture 39,2, céphalalgie, faiblesse, hallucinations de la vue, assuétude.

L'ingestion agit plus faiblement que l'injection hypodermique ;

des doses de 0,002 qui réussissent presque toujours en injections

sous-cutanées ne produisent sur l'estomac aucun résultat sédatif.

P. K.

IV. DE L'EMPLOI du sulfate DE DUBOISINE chez LES aliénés ; par

. M. LEwALD. (Neurolog. Centralbl., 1891.)

En injections sous-cutanées, c'est un sédatif et un hypnotique

recommandable, très rarement nul chez la femme aliénée. Mais ne

dépassez jamais la dose de 0,002. Il est, en tout cas, appelé à rem-

placer l'hyoscine ; s'il est actif à plus haute dose qu'elle, il est, en

tout cas, bien moins dangereux. P. K.

REVUE DE; PATHOLOGIE NERVEUSE

I. CONTRIBUTION A l'étude DES TROUBLES DE la LECTURE basée sur

une OBSERVATION DE dyslexie; par S. Weissenberg. (Arch.f.Psych.,

XXII, 2.)

Observation analogue à celles de Berlin, accompagnée d'autop-

sie et d'analyse histologique. Le malade lit trois à cinq mots et dit

qu'il ne peut continuer à lire. Pas de prodromes. Intégrité de la

vue. Autres accidents aphasiques : aphasie amnésique, surdité ver-

Fig. 2. - Schéma de \Veissenberg.

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 77

baie, paraphasie, paragraphie. Attaques apoplectiformes suivies

d'hémiplégie droite ou d'hémiparésie. Affection de courte durée.

Mort. Ce qui distingue ce fait de ceux de Berlin, c'est que le patient

ne ressent pas de sensations désagréables, se prête volontiers à ce

qu'on lui demande, mais ne peut réussir, ce qui le navre ou l'irrite.

Enfin, après avoir lu correctement quelques mots, il continue à

reconnaître les lettres composantes, mais sans pouvoir les associer

en un mot.

M. Weissenberg classe ainsi les troubles de la lecture et les

explique par un schéma se composant :

A. D'un premier centre de perception optique en rapport avec le

nerf optique, qui comprend : a, un centre de perception des lettres ;

b, un centre de perception des images des mots écrits.

B. D'un second centre d'association des lettres en rapport avec

Aa, Ab.

C. D'un centre total de perception de cet ensemble qui monte à

lui ; centre de perception intellectuelle des notions.

D. D'un centre acoustique en rapport avec Au, A6 et B, qui, lui

aussi, monte au centre des notions C et est en rapport avec le nerf

auditif.

E. D'un centre moteur centrifuge qui coordonne pour exécution

toutes les impressions des autres centres.

Il fait remarquer, au point de vue physiologique, que l'intégrité

des centres acoustiques et moteurs n'est pas nécessaire pour lire.

On peut être aphasique et comprendre les caractères écrits ou

imprimés, et inversement un homme intelligent, s'exprimant très

bien, comprenant la parole, peut avoir perdu la faculté de lire.

D'autre part la capacité de lire les mots avec impossibilité de recon-

naître les lettres implique l'existence d'un second centre Aa dans

le grand centre optique; c'est là que les images écrites des mots

sont emmagasinées. L'activité des deux centres Aa, A6, est auto-

nome, indépendante. De même, reconnaître les lettres et les associer

en un mot, sont deux fonctions qui impliquent un centre collec-

teur spécial; c'est B. Par suite, pour qu'un homme cultivé lise, il

lui faut seulement l'intégrité des voies de communication AC et ACB.

La clinique indique les espèces morbides suivantes :

1° Perte de la valeur des lettres non reconnues quoique vues

(sorte de cécité psychique). C'est l'alexie qui peut être partielle

(lecture lente, paralexie inconsciente) ou totale (lecture impossible).

Il y a alexie complète quand les deux centres Aa, Ab, ou les voies

d'association AC ne fonctionnent plus. Il y a alexie partielle quand

A6 est supprimé.

2° Impossibilité d'associer les lettres, d'ailleurs reconnues, en un

mot; c'est la dyslexie. Totale quand il y a impossibilité de lire.

Partielle quand la lecture est traînante. C'est qu'alors A6B (cen-

78 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

très ou voies d'association correspondant à ces centres) ne fonction-

nent plus. C'est le cas de notre malade qui en est un type.

3° Perte des images des mots écrits. Lecture possible, mais machi-

nale. Interruption ou suppression de AaC. L'interruption ou la

suppression de CB empêche l'arrivée des notions complètes de Aa,

Ab à C ; mais si BDE + DC sont conservées la lecture est possible.

4° Les lettres sont reconnues, le syllabage est possible, mais les

mots émis ne parviennent plus au centre de la notion complète C.

On lit comme si on lisait une langue inconnue avec un alphabet

connu (plus d'idées) plus d'association d'idées; sorte de surdité ver-

bale). Interruption de BC et DC. En effet la voie BC prend nais-

sance par le développement du centre B, c'est-à-dire par le long

exercice des gens éduqués. L'individu un peu cultivé utilise, pour

lire A6BDE + DC. Si DC est interrompu, nous avons le mode de

dyslexie qui, nous occupe ici. Si vous interrompez DC, tandis que

BC subsiste, vous affectez à la fois BC et DC qui transmettent les

impressions au grand centre intellectuel C.

L'autopsie nous montre qu'il y avait une tumeur, non, comme

nous l'avions pensé, dans le lobe temporal, mais dans le lobe

occipital ; intégrité du chiasma, déchéance de la troisième frontale

gauche et droite, de l'insula et de la première temporale.

Par suite il y a lieu de placer le centre A des images écrites des

mots et des lettres dans le lobe occipital, le centre B d'association

des lettres quelque part dans le centre de la parole ; la tumeur

interrompait donc la voie A6B (dyslexie). C'est d'autant' plus

admissible que la dyslexie fut le premier symptôme de la maladie;

les autres symptômes doivent être rapportés à la pression occipito-

temporale. L'hémiplégie droite survenue trois jours avant la mort

provient d'hémorrhagies récentes superficielles, entre la dure-mère

et la pie-mère, à la convexité du lobe gauche.

Il en résulte que les troubles de la lecture ne peuvent servir à la

localisation. On le comprend à priori quand on songe que la lec-

ture est le fruit d'une éducation raffinée et que, par conséquent, il

suffit d'une lésion extrêmement fine pour la supprimer. Revue con-

firmative des observations existant dans la science (dix) dont huit

avec autopsie. Tout ce que l'on peut dire, c'est que la dyslexie

idiopathique provient d'une lésion de l'hémisphère gauche et qu'elle

indique toujours la mort. P. Keraval.

II. Contribution A l'étude DES hémiplégies consécutives A L-INToXl

cation oxsGAEBOSyuE; par le professeur iV.-11. POPOFF. (iJledi-

zinsk. Obozr., n° 18, 1891.)

L'auteur décrit un cas d'hémiplégie survenue à la suite d'un

séjour trop prolongé dans un établissement de bains infecté par

des vapeurs d'oxyde de carbone. Le malade est un paysan, âgé de

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 79

vingt-cinq ans, provenant d'une famille prédisposée aux affections

nerveuses et mentales. En sortant du bain, le malade était atteint

d'une hémiparésie gauche. Cinq jours après cette hémiparésie

s'est transformée subitement en hémiplégie. L'auteur explique

cet accroissement subit de phénomènes morbides non pas par l'ap-

parition d'une réaction inflammatoire autour du foyer hémorrha-

gique, mais par une seconde hémorrhagie venue s'ajouter à la pre-

mière. J. ROUBINOVITCH.

III. UN cas d'aphasie sensorielle TRANSCORTICALE; par A. PicK.

(Neurol. Centralbl., 1890.)

Jurisconsulte de soixante-un ans; d'une parfaite santé jusqu'à il

y a dix ans (eczéma de la tête). Il y a cinq ans, paralysie transi-

toire des muscles des yeux. Les accidents du côté de la parole

datant d'un an ; plusieurs accès d'aphasie; au commencement de

cette année, idées délirantes de persécution; hallucinations de

l'ouïe. Depuis quatre semaines, l'aliénation mentale a disparu, le

trouble de la parole s'est rapidement accentué. C'est l'intelligence

des mots qui est atteinte ; le malade en a beaucoup à sa disposi-

tion, mais il les enfile les uns à la suite des autres sans s'émouvoir

autrement de son incohérence. On lui demande : « Comment s'ap-

pelle votre fille ? » Réponse 89 (il compte sur les doigts) Mathilde

(exact). Incapable de désigner les objets qu'on lui présente, il

reconnaît l'exactitude des noms qu'on lui cite et répète alors cor-

rectement la dénomination. 'Copie à peu près ce qu'on lui donne

à copier, sans en comprendre le sens.

Conclusion. Sixième forme clinique de Lichtheim ' : interrup-

tion des faisceaux nerveux qui unissent le centre des images pho-

nétiques au centre des notions représentatives. P. K.

IV. Du tremblement juvénile héréditaire; par A. 1V.1GY.

(Neurol. Ccntralbl , 1890.)

Tremblement essentiel (jusqu'à nouvel ordre) chez une femme

de vingt-six ans, que l'on retrouve dans la génération des ascendants;

sur quarante et un membres de cette famille, dix-neuf sujets sont

atteints. Il s'agit d'un tremblement précoce, qui apparaît dans

l'enfance, et ressemble à celui qui suit la fatigue ou les émotions,

il se complique, chez quelques-uns de ces malades, d'un tremble-

ment intentionnel qui affecte surtout les mains; la marche n'est

atteinte que chez trois. Pas d'autres anomalies nerveuses dans la

famille si ce n'est un peu d'émotivité avec excès de démonstra-

Voy. Archives de Neurologie.

. 80 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

tions. En les astreignant à une occupation du même genre, on fait

diminuer les tremblements. Ceux des membres de la famille qui

boivent volontiers des boissons alcooliques, notamment du vin,

tremblent moins. La malade actuelle présente les signes de la

sclérose en plaques. L'examen du frère de la malade décèle que le

tremblement est en voie d'amélioration, sans autre signe de sclé-

rose en plaques, son tremblement diminue quand il absorbe une

certaine quantité d'alcool. A l'autopsie de décider. P. K.

V. Ophtalmoplégie EXTERNE POLYNÉVR1TIQUE (Contribution à la patho-

thologie du labes) ; par G. ROSSOLIMO. (Neurol. Centralbl., 1890.)

Un malade de cinquante ans, syphilitique, s'expose à un refroi-

dissement. Il se développe une névrite multiloculaire caractérisée

par l'atteinte d'un grand nombre de branches spinales périphé-

riques, des deux branches ophthalmique et maxillaire supérieur

des deux trijumeaux, des oculomoteurs communs, des pathétiques

des deux côtés : de là l'ophthalmoplégie externe qui disparaît à la

fin du traitement. Les altérations des portions intra-médullaires

de l'appareil sensoriel sont produites par les transmissions du

processus pathologique des nerfs périphériques à la moelle. P. K.

VI. Contribution A la pathologie DE la paralysie DES tambours ;

par L. Bruns. (Neurol. centralbl., 1891.)

C'est une parésie due au surmenage du pouce de la main gauche.

Suivant les circonstances individuelles, tels ou tels muscles sont

pris ; le plus souvent ce sont les extenseurs, parfois, c'est le long

fléchisseur seul, assez souvent aussi, tous les muscles qui meuvent

le pouce. Trois cas ont été publiés dans les comptes rendus sani-

taires de 1881-1882; huit observations, dans ceux de 1884-1888.

Un seul malade a guéri. L'autéur a obtenu de l'amélioration du

massage et de l'électricité. P. K.

VII. Contribution A l'étude 'de la dyslexie; par A. PICS.

(Neurol. Centralbl., 1891.) ,)

Le complexus symptomatique de la dyslexie se rapproche de la

claudication intermittente du cheval. Quand le malade a lu quel-

ques mots correctement à tous égards, voici qu'il lui est difficile ou

impossible d'en lire d'autres; en même temps il éprouve des sen-

sations pénibles, il se repose et tout cesse. Les difficultés repa-

raissent quand il recommence à essayer de lire. Bruns a observé

un dysleclique qui présentait de la dysgraphie offrant une analogie

encore plus grande avec la claudication en question. Le malade

écrit spontanément avec correction, il peut copier, mais alors

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 81

l'écriture devient bientôt indistincte, comme s'il écrivait à l'aide

d'un manche à balai. le bras devient de plus en plus raide, finale-

ment, la plume s'échappe de ses mains. La dyslexie a pour subs-

tratum anatomique de graves lésions cérébrales (oblitération des

vaisseaux), la claudication procède à l'oblitération des artères des

autres extrémités. P. K.

VIII. DE la compression DE la QUEUE DE cheval; par L. Laquer.

L · (Neurol. Centralbl., 1891.)

Jeune homme de dix-neuf ans jusqu'alors tout à fait bien por-

tant. En septembre 1888, violentes douleurs sacrées, à caractère

sourd et térébrant, surtout la nuit, au lit, quand il est resté long-

temps assis ou debout, elles finissent par être insupportables. Elles

occupent le milieu et l'intérieur de l'os, et irradient souvent jusque

dans le genou. Au début de décembre 1889, pas d'autres accidents

qu'un maiaise subjectif avec endolorissement lorsqu'on percute for-

tement la région ; le malade peut marcher des heures durant, sous

l'influence des vésicatoires et de la galvanisation prolongée pendant

plusieurs semaines, l'amélioration persiste. Mais les douleurs 1

reviennent en mars, subissent une rémission, puis augmentent ;

constipation, douleur en allant à la selle, miction incomplète;,

atrophie musculaire des triceps fémoraux, sacrum extrêmement

douloureux à la percussion et à la pression, légère cyphose lom-

baire, démarche traînante et prudente, le tronc s'infléchissant for-

tement en avant et la marche ne pouvant dépasser cent à deux

cents pas. ' ' - P. K. ,

IX. Un cas DE POLIOENCÉPHALITE supérieure ET inférieure avec POLIO-

- myélite antérieure consécutif A l'influenza (issue mortelle), autre

observation semblable, DE cause inconnue, terminée par la GUÉ-

BISON ; par S. GOLDFLAU. (Neurol. Centralb., 1891.)

Obs. 1. H., de soixante ans, ayant eu un chancre mou dans la

jeunesse (sans accidents syphilitiques), puis attaques d'épilepsie

grave en 1889 (décembre) ; au début de janvier 1890, blépharop- ,

tose gauche avec diplopie ; quelques semaines plus tard, blépharop-

tose droite'. Eu même temps, parésie des jambes avec tremblement

pendantla station debout. Trois années après, blépharoptose bilaté- ,

raie très accusée, paralysie de tous les musses extrinsèques des

yeux (globe de l'oeil en équilibre). Conservation de la résection pu-

pillaire, sens de la vue normal, avec ii)té-riLédufi)nd d3 l'oeil. Gra-

duellement,, sensation d'engourdissement dans les doigts de la

main gauche, paralysie passagère des extrémités' où parésiesinter-

vallaires des doigts avec sensations désagréables; bientôt les flé-

chisseurs de la main et le triceps brachial sont pris (atrophie), ainsi

que les muscles du facial inférieur gauche. Sous l'influence.d'onc- .

Archives, t. XXIV. 6

82 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

tions mercurielles, une légère amélioration se produit. Mais les

symptômes bulbaires apparaissent, s'étendent et s'aggravent. Le

malade meurt le 24 juillet. Autopsie impossible, mais diagnostic

confirmé par Charcot et Nothnagel.

Obs. IL - Fruitière, de trente ans, ayant présenté sans cause

comme des symptômes d'ophtalmoplégie nucléaire, de paralysie

bulbaire, de polioencéphalite antérieure sous forme de lésion des-

cendante partie des noyaux oculomoteurs, du troisième ventri-

cule, de l'aqueduc de Sylvius et ayant gagné la moelle. La propa-

gation s'est opérée non par continuité ni par contiguïté, mais par

sauts, la moelle ayant été atteinte avant les planches du quatrième

ventricule. Marche rémittente et intermittente de bien de ces symp-

tômes. Cas unique de guérison.

L'auteur classe les cas connus d'après leur évolution et leur étio-

logie.

Il distingue :

1° Les faits à évolution suraiguë, mort en quelques jours; polioen-

céphalite suraiguë de Wernicke (observation deNernicke, Thomson,

Handel) par alcoolisme, intoxication sulfurique et diphthérie :

morts.

2° Les faits à évolution aiguë (observations de Guyet, Knapp,

Uhthoff) par traumatisme, intoxication carbonique, diphthérie,

influenza : une guérison.

3° Les faits à évolution subaiguë, avec tendance à la propagation .

des lésions sur les noyaux du quatrième ventricule et sur les cornes

grises antérieures de la moelle (observations de Goldtlam et

Eisenloh).

4° Les faits à évolution chronique ayant duré des années. A cette

catégorie appartiennent le plus grand nombre des cas publiés jus-

qu'ici.

Le complexus symptomatique est tantôt autonome (surtout

après la syphilis), tantôt greffé sur d'autres maladies du système

nerveux central, sur la poliomyélite antérieure (observation de

Sceligmulkes), sur le tabes, la sclérose en plaques, l'atrophie mus-

culaire progressive, la paralysie progressive, la paralysie bulbaire.

P. K.

X. CONTRIBUTION A la connaissance DES formes rares d'aphasie SEN-

SORIELLE ; par ADLER. (Neurol. Centralbl., 1891.)

Observation d'aphasie sensorielle subcorticale et transcorticale.

L'auteur insiste sur l'existence de la surdité verbale et l'impossibi-

lité pour le malade de répéter les mois; c'est, dit-il, une aphasie

subcorticale et non corticale, car il a conservé la faculté mécanique

de lire et qu'il n'existe que de faibles troubles de la parole sponta-

née. 11 y a eu aussi une attaque d'aphasie transcorticale caracté-

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 83

risée par : la perte de l'intelligence, de l'écriture avec paraphasie

et paralexie. Quant à la paragraphie accompagnée d'anesthésie

rétinienne, elle prouve une diminution de l'activité des champs

corticaux visuels. P. K.

XI. UN cas TYPE DE PARAMYOCLONUS MULTIPLE; par E.-A. HOMEN.

(Neurol. Centralbl., 1891.)

Observation sui generis offrant quelque parenté avec le tic con-

vulsif, et dépendant probablement d'une hyperexcitabilité des

centres réflexes spinaux, englobant aussi ceux du bulbe. Le chloral,

le K Br., la cocaïne, influencent favorablement le siège de l'irri-

tation ; il est donc probable que l'élément sensitif de l'appareil

réflexe est plus atteint que son élément moteur. P. K.

XII. DES TROUBLES visuels par TUMEUR cérébrale; par F. HIRSCxBERG.

(Neurol. Centralbl., 1891.)

Très fréquemment, ces troubles précèdent les symptômes locaux

et forment, de concert avec l'exagération de la pression intra-céré-

brale (papille étranglée bilatérale) un signe essentiel de la maladie

fondamentale. Il y en a trois espèces :

10 L'amaurose' par accès est rapidement passagère; l'amaurose

épileptoïde dure jusqu'à deux minutes, reparaît six à huit fois par

jour ou bien plus fréquemment et est parfois, par sa fréquence,

une réelle torture pour le malade; parfois l'accès dure plus d'une

demi-heure, voire plusieurs heures. 2° Troubles permanents par

lésions de la substance cérébrale. a. hémianopsie homonyme bilaté-

rale; destruction de l'un ou des deux centres optiques dans un

lobe occipital, ou de l'irradiation des fibres optiques ou des nerfs

crâniens eux-mêmes; il est rare que par déchéance d'une seule

partie du nerf optique correspondant, l'hémianopsie soit partielle.

6. Hémianopsie temporale croisée; elle entraîne la cécité com-

plète par tumeur de l'angle antérieur ou postérieur du chiasma.

3° Troubles permanents par lésion de fo;il. a. Agrandissement du

punctum coecum (par papille étranglée). 6. Rétrécissement du

champ visuel, occupant brusquement le méridien principal d'un oeil

(endartérite rétinienne) et finissant par envahir tous les méridiens

irrégulièrement. c. Diminution de l'acuité centrale par lésions

anatomiques des milieux (hémorrhagies, décollements) ou par inter-

ruption des fibres nerveuses centrales de la rétine; finalement

perte du sens de la forme et de la couleur avec conservation du

sens lumineux qui disparaità sou tour (cécité totale). ,

Deux observations intéressantes. La première comporte ces trois

espèces sans qu'il y ait eu des phénomènes de déficit du côté dit

système nerveux. P. K.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE.

Séance du 25 avril 1892. - Présidence DE M. Christian.

PI ix Belhomme. Le sujet de concours pour le prix Belhomme à

décerner en 1893 est le suivant : De la vision chez les idiots.-

Observation de tumeur cérébrale. M. CHRISTIAN communique à

à la Société l'observation d'un malade qu'il a suivi pendant cinq

ou six ans et qui n'a cessé d'avoir toutes les nuits des hallucina-

tions de la vue; jamais elles ne se sont montrées dans la journée.

Ces hallucinations s'accompagnaient de terreurs. Le malade se

voyait entouré d'hommes et de femmes qui venaient accomplir sur

son lit des actes obscènes, ils versaient dans ses draps des cornets

remplis d'insectes, etc. Jamais, à aucun moment, il n'eut d'hallu-

cination de l'ouïe.

Cet homme avait l'attitude d'un dément. M. Christian s'était

demandé à diverses reprises si ces hallucinations n'étaient pas la

conséquence du régime alimentaire suivi par l'aliéné. Comme il

ne mangeait que fort peu, il prenait en elfet, le matin, un peu de

vin de Bagnols et le soir un verre de punch. Mais la mort survenue

brusquement permit de trouver une autre explication :

On constata à l'autopsie la présence d'une tumeur cérébrale du

poids de 20 grammes, pédiculée sur la base du crâne et de la gros-

seur d'un oeuf de poule. La tumeur reposait sur la selle turcique

et venait comprimer les nerfs optiques. M. Christian pense pouvoir

attribuer à cette compression les phénomènes visuels qu'il ne sau-

rait expliquer autrement.

M. Briand demande à M. Christian si le régime du bagnols et du z

punch n'a pas été supprimé un jour ou l'autre et si, dans ce cas, les

hallucinations ont momentanément cessé. Ces hallucinations ont

pour lui toutes les allures d'hallucinations toxiques; elles sont vi-

suelles mobiles, terrifiantes, ne se montrent que la nuit. Ce sont

bien là les caractères de l'alcoolisme subaigu.

M. Christian. Le régime n'a pas été interrompu, néanmoins, je

persiste à croire, en raison de leur continuité, que les phénomènes

observés étaient liés à la compression. ' °

SOCIÉTÉS SAVANTES. 85

- M. JOFFAOY. La majorité des cas de tumeur cérébrale venus à ma

connaissance se sont terminés par la mort subite, comme le cas qui

nous est indiqué. Pour ce qui est des hallucinations, je n'ose pas

affirmer qu'elles soient d'origine périphérique. Peut-être faut-il

penser ta possibilité d'une lésion des régions psychiques. La dé-

mence, dont le malade de M. Christian était frappé, indiquait une

modification des centres nerveux qui permet cette interprétation.

M. Voisin. M. Briand parait admettre que les hallucinations de

la vue sont toujours liées à l'alcoolisme. M. Baillarger a indiqué

qu'en dehors de l'alcool on pouvait observer chez les fébricitants

des hallucinations pénibles de la vue, dans l'état intermédiaire

entre la veille et le sommeil.

M. BRIAND. Mais le malade de M. Christian n'était pas un fébrici-

tant ! '

M..CHRISTIAN se défend d'avoir voulu donner une interprétation

rigoureuse du fait qu'il a rapporté. Le cas lui a paru intéressant à

signaler. Il l'a rapporté sans tirer de conclusions formelles. Cepen-

dant, se trouvant en face d'un homme ayant eu pendant plusieurs

années des hallucinations de la vue, et porteur d'une tumeur céré-

brale comprimant les nerfs optiques, il était bien légitime de voir

là une relation de cause à effet.

Rapport médico-légal sur un pyromane devenu homicide. M. PAUL

GARNIER. Notre confrère M. Samuel Garnier m'a prié de demander

l'avis de la Société sur le cas suivant : 11 s'agit d'un ancien épilep-

tique qui a tué un homme d'un coup de revolver et lui a ensuite

dérobé une certaine somme d'argent. Cet individu .avait autrefois

allumé des incendies et à la suite d'une ordonnance de non-lieu,

basée sur son état mental, avait été renfermé à l'asile de Dijon d'où

il s'était évadé. M. S. Garnier conclut à la responsabilité complète

de l'accusé et termine ainsi son rapport : V... a dit la vérité en

s'attribuant la paternité du crime qui lui est reproché. Il doit ré-

pondre de son acte devant la justice. 1

M. l\IARANDON DE MoNTYEL. Pour moi, il est un fait acquis, c'est

que V... était pyromane après avoir été épileptique, mais j'ajoute

qu'il me paraît difficile de discuter sur un rapport médico-légal

sans avoir le dossier complet de ce malade.

M. fOFFIioY. V... est un fou, c'est entendu; il s'agit maintenant

de savoir s'il a accompli son crime pendaut une période de luci-

dité ou pendant qu'il était irresponsable. Comme il en conserve

le souvenir de l'acte, je suis autorisé à croire qu'il jouissait de la

plénitude de son intelligence.

M. BRIAND trouve que la Société s'engage dans une voie dange-

reuse en discutant sur un cas aussi délicat sans avoir sous les yeux

et l'inculpé et tous les éléments du procès. N'oubliez pas, ajoute-

86 SOCIÉTÉS SAVANTES.

t-il, qu'il y va de la tête d'un homme et que votre autorité ne man-

quera pas d'être invoquée, soit par l'accusation, soit parla défense

et peut-être ..... par l'une et l'autre ! Je propose de passer à

l'ordre du jour. Nous reviendrons sur cette communication après

le procès. Je crois que nous ne sommes pas suffisamment éclairés

pour voter des conclusions que tout à l'heure on va nous proposer.

M. P. GARNIER. Les procès-verbaux ne seront publiés qu'après le

jugement ; nous pouvons donc discuter, sans crainte de compro-

mettre lesintérêts de la justice, soit ceux du prévenu. D'ailleurs

j'ajoute pour calmer les légitimes scrupules de M. Briand que j'ai

été invité à vous lire le rapport de M. S. Garnier par son auteur

lui-même qui s'était préalablement assuré de l'autorisation au Par-

quet. Le Procureur de la République, dont j'ai une lettre serait

aussi très heureux d'avoir l'avis de la Société.

M. CHARPENTIER. M. Christian vient dé nous communiquer une

observation à laquelle manquaient les pièces anatomiques : cela

ne nous a pas empêchés de discuter le cas que l'on nous a soumis.

Nous pouvons tout aussi bien discuter le cas de V... J'ai hâte de

dire que je le considère comme un gredin et non comme un désé-

quilibré irresponsable. Il rentre dans la série des malades dont je

vous entretenais à une séance précédente et qui sont mieux à leur

place dans une prison que dans un asile.

M. Vallon. En prolongeant cette discussion nous allons mettre la

cour en présence de deux opinions opposées ne reposant que sur

des bases peu sérieuses. Nous embarrasserons beaucoup plus le

Parquet que nous ne l'éclairerons.

M. MARANDON DE MONTYEL. J'ai été chargé d'examiner V... au mo-

ment où il venait d'allumer sept incendies. J'affirme qu'alors il

était complètement fou.

M. P. GARNIER. Qu'il soit un déséquilihré et un instinctif, cela est

certain; mais je ne le crois pas, à proprement parler, fou comme

le considère M. Joffroy. J'admets aussi qu'il était irresponsable au

moment des incendies ; mais je ne vois aucun rapprochement à

faire entre son passé et son état actuel. Aujourd'hui, devant le rap-

port de M. S. Garnier, je suis tout prêt à l'abandonner à la justice.

M. BRIAND insiste pour que devant les divergences des opinions

émises, opinions ne reposant, il faut le reconnaître, que sur des

présomptions, aucune conclusion ne soit votée et que le rapport,

soit renvoyé avec les remerciements de la Société et sans apprécia-

tion à son auteur. Quel est celui d'entre nous, dit-il, dont la reli-

gion est, à l'heure actuelle, assez éclairée pour signer le rapport

de M. S. Garnier. Nous sommes ici une douzaine qui, à la fin d'une

séance, pressés par l'heure et sans renseignements complets, ris-

quons de faire monter sur l'échafaud un homme dont nous con-

naissons à peine l'histoire pathologique.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 87

M. GARNIER propose des conclusions tendant à adopter les termes

mêmes du rapport sans préjuger des données sur lesquelles il

repose.

M. LE Président ne se croit pas autorisé à mettre aux voix une

conclusion quelle qu'elle soit, en raison des conséquences qui pour-

- raient avec l'approbation ou l'improbation officielle d'un rapport

sur un cas d'une telle importance. La Société décide d'adresser

des remercîments à M. Samuel Garnier en lui expliquant les mo-

tifs de haute convenance qui s'opposent à ce qu'on vote aucune con-

clusion à son très intéressant et très étudié rapport.

MARCEL Briand.

CONGRÈS AUSTRO-HONGROIS DE LA SOCIÉTÉ DE PSYCHIA-

TRIE ET PSYCHOLOGIE MÉDICO-LÉGALE DE VIENNE.

TROISIÈME SESSION A GRAZ (STYRIE).

Séance du 5 octobre 1891.

M. le professeur lllexrrEaT, ouvre le Congrès. Puis MM. WAGNER

DE JAUREGG et SCHLANGENHAUSEN, conduisent les débats.

M. MEYNERT. Des expériences faites par la nature sur le cerveau

(publié in extenso t).

M. WAGNER. Des éléments somatiques des psychoses aiguès.

Mémoire également publié 2.

Discussion : M. L11EYNERT. Une maladie au plus haut point dissé-

minée, le tabes dorsal manifeste une grande tendance à se pro-

pager sous la même forme dans l'encéphale. C'est ainsi que le

tabes se complique de paralysie générale. Cette dissémination

provient de certaines altérations postsyphilitiques; le germe patho-

gène, répandu dans tout le corps, pénètre partout. Les altérations

ressemblent peut-être à la névrite, ce qui peut-être s'explique par

la tendance à la dissémination.

M. LAUFENADER. Dans ces dernières années, j'ai eu l'occasion

d'observer deux formes de psychoses toxiques vraies. L'une d'elles

est la rage humaine; le complexus clinique de cette maladie pré-

sente une évolution dont on ne saurait méconnaître le type ; c'est

1 Voyez Archives de Neurologie. Revues analytiques.

« Id. v

88 ' SOCIÉTÉS savantes.

la marche d'une psychose infectieuse aiguë avec les trois stades

connus. J'ajouterai que, conformément à la théorie infectieuse,

mes observations révèlent l'existence constante de la fièvre.. Si nous

nous rappelons que les recherches de Pasteur décèlent l'accumu-

lation principale du virus en question dans le bulbe et sa trans-

mission aux animaux par l'inoculation de moelles allongées em-

pruntées à l'homme, nous ne pouvons plus douter que la rage

humaine ne soit la plus parfaite image d'une psychose toxique et

infectieuse. Il nous faut simplement admettre que, chez l'homme,

le germe pathogène infectieux, ne se cantonne pas dans la région

protubérantielle, mais qu'il gagne l'écorce du cerveau et les gan-

glions sous-corticaux. La preuve en est dans les hallucinations en

masse du stade initial, et dans les accidents paralytiques de la

période terminale. Toutefois, les phénomènes bulbaires prédomi-

nent.

D'après les recherches de mes élèves, MM. Moravcsik et Schaffer,

l'analyse microscopique atteste aussi la nature infectieuse du pro-

cessus, car on constate dans le bulbe, comme dans la moelle, des

altérations inflammatoires et même destructives indéniables.

La seconde maladie à laquelle je fais allusion est la chorée

grave, ou la chorée accompagnée de troubles psychiques se termi-

nant par la mort. On sait en effet que tous les cas de chorée ne

sont pas bénins. Je possède cinq observations dans lesquelles, il se

produisit un complexus fébrile bruyant. L'incoordination des

mouvements se transformant [en propulsions violentes, le malade,

privé de connaissance, se roulait à terre avec une force telle que,

craignant pour son épiderme, nous dûmes le faire attacher. En

même temps, il était envahi par des hallucinations et des illusions

impétueuses. Si bien que la chorée minor ou major du début

entraînait la mort en trois à cinq jours. L'autopsie révélait l'hypé-

rémie généralisée déjà signalée des oentres nerveux et notamment

de l'encéphale. Au microscope, je trouvai dans le troisième article

du noyau lenticulaire la dégénérescence hyaline de Flechsig; le

long des vaisseaux existaient des chapelets de corpuscules ronds,

opaques, qui ont provoqué des interprétations d'ailleurs vagues. Du

reste, il y a plusieurs années, M. Meynert a appelé l'attention sur les

rapports du noyau lenticulaire avec la chorée. Il existerait donc

une forme bénigne simple de la chorée de nature infectieuse, mais

rhumatismale; tandis que la chorée grave, serait un type de psy-

chose infectieuse réellement toxique.

Séance du 6 octobre 1891.

M. GAUSTER. L'assistance communale et les infirmes de l'intelligence

indigents. Tout le monde se plaint dans notre patrie de l'en-

combrement de nos asiles d'aliénés. Dans beaucoup de ces établis

1 SOCIÉTÉS savantes. -89

sements cet encombrement est tellement exagéré qu'il est un

danger pour l'hygiène, le traitement et la sécurité des aliénés.

Les assemblées départementales (Landes) ont été obligées de

grever leur budgets de crédits nécessaires à l'assistance publique

des aliénés et de les augmenter continuellement sans aboutir

néanmoins aux réformes indispensables. Etudions à ce point de

vue les dix dernières années.

Voici la Haute et la Basse Autriche, la Styrie, la Bohême et le

Vorarlberg. Pour une population normale de 9.700.000 habitants,

nous hospitalisons 8.648 aliénés; qui nous coûtent annuellement

1.956.865 florins (4.892.162 fr. 50). Du moins tel est le bilan de

1889. Et cependant chaque malade ne nous dépense que 226 florins

par an (565 fr.). Mais le nombre des admissions augmente presque

partout. A l'asile de Vienne, par exemple, en 1855, on a eu un sur-

plus de 580 malades; en 1890, l'accroissement a été de 887; aujour-

d'hui il dépasse 1.000. Si la progression continue, les ressources-

publiques seront insuffisantes.

Pourquoi cet encombrement ascendant ?

Parce que l'on enferme des alcooliques chroniques et des

malades affectés de perversité morale qui constituent un danger

pour la société. Parce que l'on nous envoie des épileptiques dan-

gereux aussi par périodes. Enfin parce que nous gardons des aliénés

incurables qui pourraient, si l'on organisait leur assistance, de-

meurer dans des familles ou à la charge de l'assistance communale.

Il y aurait lieu de construire dans ce but des hospices à la charge

des communes ou, en cas d'insuffisance de ressources, des départe-

ments (Landes) semblables à ceux que le conseil général de la

Basse-Autriche (Landesatisschùss) a installés pour les infirmités

physiques. On y internerait des aliénés chroniques. On confierait

ces établissements à un médecin-directeur et non pas à un simple

administrateur (c'est le seul moyen d'éviter des conflits préjudi-

ciables 1). Ces hospices installés à la campagne, sans les frais qui

incombent aux asiles vrais, sans ce luxe de fonctionnaires et de

personnel qu'exigent ces derniers, coûtent bon marché; les malades

y seraient mieux à tous égards.

Je propose donc la formule suivante : ,

1° Le congrès austro-hongrois provoqué par la Société de psychiatrie

et de psychologie 'médico-téga]e de Vienne est d'avis : que l'assistance

communale ordinaire est impuissante à assister comme il conviendrait

les aliénés pauvres incurables et non dangereux; que, par suite, il con-

viendrait que les départements (Loender), venant en aide aux communes,

' M. Gauster en sait quelque chose, puisqu'il a été médecin en chef et

qu'actuellement il est directeur-administratif du grand asile de Vienne.

(P. K.) .

90 sociétés savantes.

créent pour les infirmes de l'intelligence des asiles dont on confierait la

direction à des médecins; .

2. La Société de psychiatrie et de psychologie médico-légale soumettra

cette résolution à l'appréciation et l'étude des départements et des

conseils départementaux (Landes ausschüssen).

Discussion : M. Scar.ancEVaausF·r. En Styrie, pour remédier à

l'encombrement, on a créé des succursales des asiles d'aliénés qui

ne sont peut-être pas en effet ce qu'elles devraient être. Mais déjà

' on s'est inquiété de la situation. L'an dernier, on a acheté à

Schwanberg un vieux bâtiment et l'on est en train d'y exécuter les

travaux d'appropriation nécessaires à sa transformation en hos-

pice pour aliénés incurables. L'an prochain, on y transférera les'

infirmes de l'intelligence.

M. Gauster. Ceci prouve le bien-fondé de ma proposition. Mais

il faut qu'on agisse de même en d'autres départements. Ainsi en

Gallicie ce mode d'assistance est urgent.

Le Congrès adopte à l'unanimité la première résolution.

M. ScHNOpFHAGEN. C'est aux directeurs d'asiles qu'il appartient

d'agir auprès des conseils généraux.

M. GAUSTEIt. Remarquez que notre seconde résolution, sera si

nous nous y prenons collectivement, transmise aux conseillers

sanitaires du département qui l'appuieront. L'intervention indivi-

duelle des directeurs peut, dans des états où ceux-ci n'ont point

l'influence qu'ils devraient avoir, rester sans effet. Tandis que l'ac-

tion collective de la société est une force. La seconde résolution

est adoptée à une forte majorité.

M. SVETLIN. L'assistance judiciaire des Aliénés en Autriche.-Deux

paragraphes seulement de nos lois, les § 270 et 273 du code civil

s'occupent des intérêts des aliénés et de leurs familles. Et encore

datent-ils de 1811. Le § 270 dispose : « Seront mis en tutelle... les

majeurs qui sont atteints de délire ou de démence. » Le § 273 :

« Peut seul être tenu pour délirant ou dément celui qui sera ainsi

judiciairement qualifié après enquête minutieuse de sa conduite et

interrogatoire des médecins commis à cet effet par le tribunal. »

Cela ne suffit pas. C'est en vain que les spécialistes et les sociétés

autorisés ont sollicité des pouvoirs publics et judiciaires une loi

complète sur les aliénés, qu'en 1869 la société psychiatrique a rédigé

un projet de loi nettement formulé, qu'en 1872 la même société a

adressé une nouvelle pétition sur le même objet au ministre de la

justice. Pas de réponse. Et cependant, depuis quatre-vingts ans, la

psychiatrie est devenue une science réelle qui a fait son chemin

dans le monde.

Il n'en faut pas moins persister, selon moi, à réclamer une

réforme de l'assistance judiciaire pour les aliénés. Gutta cavat

lapidem.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 91

Commençons par l'obligation de la déclaration. Cette obligation

n'existe aujourd'hui que pour la direction des asiles d'aliénés. Il faut

l'étendre à tous, quant aux personnes dont l'état d'aliénation est

notoire. En effet, tout aliéné privé de soins médicaux ou de sur-

veillance, tout aliéné dont la conduite n'a pas provoqué de conflit

entre lui et la police n'est jamais signalé à l'autorité. Le médecin

se gardera bien, puisqu'il n'y est pas tenu par la loi, de créer des

ennuis àla famille. Le mot d'aliénation mentale n'estpas prononcé;

au lieu de s'adresser à un asile d'aliénés, on envoie le malade, à

son détrimei.t, dans un établissement d'hydrothérapie ou dans un

sanatorium quelconque. La loi va donc à l'encontre de son but;

elle ne préserve pas; elle devient nuisible, puisqu'on la tourne.

Quand les autorités sont saisies d'un cas d'aliénation mentale,

quand elles sont invitées à examiner un état mental, ce n'est pas

pour un motif d'assistance, c'est plutôt pour éviter aux parents les

dommages que l'aliéné pourrait causer. La loi ici ne préserve pas

le malade, elle préserve du malade.

Ainsi, sans exception, seuls les malades internés dans les asiles

sont connus des autorités, et cependant il est évident que cette

déclaration les préserve par elle-même dans leur personne et dans

leurs biens.

Pourquoi alors le médecin et la famille se gardent-ils de signaler

les aliénés et de les mettre sous la protection de la loi ? Parce que

la famille craint de divulguer ce malheur et que les mesures

d'exécution légale entrainent inconsidérément cette divulgation.

En effet, dès que le directeur d'un asile a séquestré un malade,

il en donne connaissance au tribunal dont dépend l'aliéné; ce tri-

bunal ordonne l'examen de son état mental et la communication

du résultat de l'examen. Dans les grandes villes, ces formalités

n'ont pas d'importance; mais dans les petites localités, elles abou-

tissent à la publicité. Cette première déclaration n'est pas, d'ailleurs,

la seule action judiciaire; la procédure continue. Un second juge-

ment ordonne que la famille paiera les frais de l'examen médico-

légal. Il est signifié par huissier à la famille. Si par malheur le

débiteur est absent, l'huissier tempête et laisse la signification à un

domestique quelconque : on n'est pas plus humain 1

C'est de 1811 que date le paragraphe relatif à la tutelle des déli-

rants ou des déments. Sans doute, un décret du 25 janvier 1874

(n° 24,075) spécifie que ce ne sont là que des dénominations spé-

cifiques qui n'ont point pour objet de limiter la définition géné-

rale, et que tous ceux qui ne sont point en état de s'occuper eux-

mêmes de leurs affaires doivent être pourvus d'un tuteur. Mais ce

n'est pas dans un but scientifique que ce décret a été rendu, et du

reste il est tombé dans l'oubli. Une seule fois, on a interdit une

dame haut placée, affectée de folie morale, sous la rubrique « pour

cause de maladie » purement et simplement. Or, quand on songe'

92 SOCIÉTÉS SAVANTES.

au nombre des périodes initiales de psychopathies, à la quantité

de leurs stades intermédiaires, de leurs formes mixtes (en 1811, on

n'en avait pas idée), on s'étonne à bon droit que la justice conserve

' deux dénominatives uniques.

' La loi est encore plus dure. Elle ordonne l'affichage au tribunal

et dans les feuilles les plus lues du jugement rendu sur l'état

mental de l'aliéné. C'est complet. Au moins pourrait-elle se borner

à ce texte : une incapacité momentanée pour cause de maladie. -

Entre temps, se multiplient les nombreuses citations judiciaires

des membres de la famille pour constituer un curateur, les pénibles

interrogatoires pour établir l'état de la fortune.

Pour les aliénés aisés, un tuteur est bientôt trouvé. D'autant que

la charge n'est pas gratuite. Mais pour les aliénés indigents ! On en

nomme un d'office qui n'a cure, cela va de soi, du sort de son

pupille. Je me souviens d'une femme atteinte de folie systématique

qui, renvoyée de l'asile à titre d'essai, se maria plus tard avec le

consentement de son tuteur; celui-ci ne l'avait jamais vue. Autre

histoire. Deux débiles avaient lié connaissance à l'asile de Kloster-

neuburg, ils demandent à sortir, contre promesse de retour; ils

se marient. Or, tous deux étaient, l'homme et la femme, incapables,

interdits, irresponsables. Et cependant personne ne s'opposa à leur

mariage civil et religieux ; on leur délivra toutes les pièces néces-

saires, le tuteur de la femme ayant dit, sans plus de difficultés,

qu'il s'en désintéressait.

La loi devient une pure question de formes pour les aliénés

étrangers. Le consul et l'ambassadeur sont invités à la commission

d'examen, mais les choses en restent là. On désigne un tuteur au

lieu d'habitation de l'aliéné, on procède en un mot comme pour

les nationaux, avec cette différence que les dispositifs n'ont aucune

valeur légale pour le malade en question.

Si le malade étranger a quelque fortune, il faut qu'elle soit mise

. en sûreté; il est évident que souvent les capitaux ne peuvent, à

raison de cette mesure, plus rapporter. Souvent aussi, la sage pré-

voyance de la loi se transforme en une mesure de rigueur mons-

trueuse en vertu de ce texte : « La fortune de l'aliéné ne doit

jamais être entamée. » J'ai connu, par exemple, une Française qui,

depuis quarante-six ans, était au service de trois générations d'une

famille seigneuriale, elle avait économisé pas mal d'argent; mais

les rentes de ce capital n'eussent pu suffire au mode d'existence

auquel elle était habituée. Seule au monde, elle n'avait en France

que des parents très éloignés, qu'elle n'avait jamais vus et qui,

peut-être, ne soupçonnaient nullement son existence. C'était donc

à ces héritiers que la loi réservait sa fortune, la pauvre malade ne

devait jamais jouir du fruit de ses épargnes péniblement amassées

sou à sou.

Je terminerai par un incident comique dû à la procédure. J'ai

SOCIÉTÉS SAVANTES. 3

entre les mains un factum du tribunal du district de W... en Bohême

adressé à un paralytique général en démence mis en tutelle. On le

lui envoya à sa résidence d'été. Il commence ainsi : « ti M. A...

à W... Il est communiqué que M. A... à W... est, par le tribunal,

déclaré en démence. » Cette signification officielle de l'état de

démence a provoqué, chez ce malade, un accès de manie furieuse.

Il faut, en résumé, remplacer cette loi surannée et défectueuse

par une autre complète qui tienne compte des intérêts de l'huma-

nité et des acquisitions de la science. Il faut surtout substituer

à cette procédure inconsidérée une procédure simple et plus

humaine. "

Et je propose les deux motions suivantes :

1° La Société de psychiatrie de Vienne, réunie en congrès à Graz, sol-

licite du ministre de la justice de bien vouloir inviter les magistrats à

envoyer sous pli cacheté aux parties intéressées tous actes et assignations

relatifs aux affaires de tutelle afin d'assurer toute la discrétion pos-

sible ;

2° Le congrès de la Société psychologique de Vienne, réuni à Graz, prie

instamment 1111. les députés de vouloir bien étudier et discuter, dans

les plus brefs délais, une législation opportune relative aux aliénés.

Discussion : M. GAUSTER. La réforme est depuis longtemps en

train. C'est le temps qui manque le plus. Le projet de loi pénal n'a

pas encore été une seule fois délibéré. ·

' Sans doute, il faut remplacer les vieux mots de délire et démence

(Wahnsinn-Bloedsinn) par celui de maladie.

En ce qui concerne la tutelle des étrangers, il faut envoyer

l'acte à l'étranger. Chez nous, on ne peut leur nommer qu'un cura-

teur provisoire.

Quant à l'indélicatesse des procédés de la magistrature, elle

tient à la routine. '

Notre société a déjà traité à fond la réforme de la législation des

aliénés. J'ai écrit sur ce sujet un rapport qui a servi de base à.

uue pétition. Quelques-unes des vues de M. Svetlin y ont pris

place. - .

M. SvETt.tN. Les magistrats étrangers ne s'inquiètent pas du tout

de nos procédures de tutelle. La preuve, c'est que les ambassa-

deurs n'envoient personne à la commission. Donc, nos formalités

n'ont aucune raison d'être. 1

. M. MEYNERT, La question de publicité tient aux fonctions offi-

cielles des magistrats. Tout autre est la préoccupation de l'aliéniste.

Ce sont surtout les journalistes qui sont coupables, car les faits

divers sont pleins de divulgations de ce genre. C'est à leurs sociétés,

qu'il faut nous adresser et leur expliquer l'importance du secret

en ces matières. '...... 'i .

94 SOCIÉTÉS SAVANTES.

M. de KRAFFT-EBING. Sans doute, j'adhère aux opinions que je

viens d'entendre, est-il bien utile de provoquer l'invention d'une

loi spéciale pour les aliénés. Les autres pays en sont-ils plus avan-

cés ; on leur a servi un code qui ravale les pauvres aliénés à un

type spécial du genre homo, et n'est pour l'aliéniste (Amérique-

France) qu'une camisole de force. Le jurisconsulte, à l'exemple de

tous les profanes, ne voit dans l'asile d'aliénés qu'une bastille

moderne pour l'humanité. Quel tort ce préjugé officiel n'a-t-il pas

causé à nos établissements; il a encore diminué la proportion déjà

faible des guérisons. Dans tous les pays où existe une loi propre

aux aliénés, on s'est convaincu que l'humanité en a souffert et que

l'on a, dans des proportions colossales, multiplié les difficultés

dans l'admission des malades. Nous vivons, on l'a dit, sur d'anciens

errements; avant de quitter un sol ancien njais solide, il convient

de réfléchir mûrement et de déterminer av.ec précision ce que nous

devons demander et recommander t.

Supprimer les expressions de délire et démence, rien de plus

juste, rien de plus urgent. En Allemagne, on a, dans le projet du

code civil, adopté celle de « maladie mentale ». Faites de même.

C'est une question de code civil et non de législation spéciale aux

aliénés.

Quant aux articles relatifs à l'admission et à la sortie, ils m'épou-

vantent. Les jurisconsultes légiféreront et en légiférant ils mena-

ceront le but que nous poursuivons, le traitement de la folie, ils

aggraveront le préjugé qui ne voit dans les asiles que des établis-

sements de détention. C'est par des règlements intérieurs qu'il faut

résoudre ces questions. La procédure de l'interdiction et de la

tutelle ressortit à la procédure civile.

La loi des aliénés doit se borner à traiter de l'assistance des

malades qui ne sont pas internés. On vient de nous dire combien

leur situation est fausse.

Encore quelques mots, je vous prie, sur l'interdiction. La légis-

lation actuelle ne prévoit que les extrêmes. Permettez-moi une

comparaison. Il y a des malades qui ne peuvent marcher sans

béquilles ou sans bâton : on leur donne un bâton, qui leur permet

de se mouvoir. Nos aliénés, eux, ne peuvent aller, donnez-leur une

béquille. Ce sera, comme on dit en France, un conseil judiciaire;

il a pour mission de surveiller tous les pas du malade et de lui

1 Ces réflexions sont pleines de sagesse. Les pires ennemis des aliénés

sont sans s'en douter les lé.-islateuis. Qui trop embrasse mal étreint.

Nos asiles, il faut les convertir en maisons ouvertes, comme on l'a fait

en Ecosse. Surveillance ne signifie pas prison. Si l'asile devient un ins-

trument de séquestration (c'est ce qui arrive forcément avec la supré-

matie du pouvoir judiciaire), il cesse d'être un instrument de traitement.

L'administration du médecin est la seule admissible sous certaines

garanties. (P. K.)

SOCIÉTÉS SAVANTES 95

donner la capacité légale au moyen de sa signature. C'est ce qu'il

y a de mieux à faire. , , ' .

. La première motion do M. Svetlin est seule adoptée.

M. BOECE. Idées propres à opérer une réforme radicale de l'assis-

tance des aliénés. Les asiles d'aliénés actuellement hospitalisent

en commun les personnes qui présentent des troubles intellectuels

aigus, généralement passagers et curables, et les échantillons les

plus terrifiants du délabrement psychique sans espoir, les déments

de provenances diverses, à l'aspect le plus répugnant, les paraly-

tiques en complète déchéance, les épileptiques dont les accès sont

épouvantables, les délirants chroniques, qui par leurs idées fan-

tastiques ou provocatrices, jettent partout le trouble et l'effroi. Il

est impossible de ne pas être frappé de ces contrastes quand on

visite une clinique psychiatrique ou un asile d'aliénés pour la pre-

mière fois. Supposons qu'on y arrive comme malade; quelle

impression ces tableaux ne doivent-ils pas exercer sur l'imagina-

tion déjà détraquée des vésaniques aigus; ils doivent trembler pour

leur sécurité, alors qu'il leur faudrait un calme parfait. Il est

même certain que le souvenir qu'ils gardent de cette société avec

laquelle on les a obligés à vivre laisse en leur esprit une impres-

sion préjudiciable à leur entière guérison, les prédisposant à

la récidive, et en même temps gravant en eux une appréhen-

sion indélébile contre l'établissement où ils seront forcément

ramenés.

Il importe avant tout d'éliminer des asiles l'alcoolisme chronique

et la folie morale. La conduite et la perversité de ce genre d'alié-

nés exercent sur leurs commensaux une influence pernicieuse; de

plus, elles obligent le personnel de l'asile à recourir à des moyens

qui transforment l'établissement en un établissement pénitentiaire

sans grand avantage pour l'état mental de ces malheureux, car la

répression ne peut qu'y être imparfaite.

Par contraste, on ne reçoit ni dans un hôpital ordinaire, ni à

l'asile d'aliénés, l'hystérie grave, la neurasthénie, la dysthymie

par épuisement du système nerveux. Et cependant, ils présentent

des troubles intellectuels qui, pour être anodins au point de vue de

la sécurité générale et de l'ordre public, n'en sont pas moins

sérieux quand on envisage le malade en lui, car le plus grand

nombre des suicides doit être imputé aux deux dernières caté-

gories que nous venons de citer.

Voici, selon nous, le remède à cet état de choses.

Les psychoses aiguës se rattachent intimement aux maladies

internes; on y trouve des gradations insensibles qui nous ramènent

aux troubles fonctionnels du système nerveux. Ces maladies men-

tales sont de jour en jour plus accessibles aux méthodes générales

de la pathologie et deviennent justiciables de la physiologie ou de

la médecine. Nous l'avons vu d'après les deux lumineuses com-

96 SOCIÉTÉS SAVANTES.

munications d'hier. Il y aurait donc utilité, à tous points de vue,

à traiter ce genre d'aliénés dans les sections de neuropathologie.

Et, par suite, tous les hôpitaux devraient comprendre un bâtiment

propre à l'observation et au traitement des affections nerveuses,

qui servirait simultanément d'asile de convalescence. Ce complé-

ment indispensable de l'hôpital permettrait du même coup l'ensei-

gnement de la psychiatrie. Les familles seraient évidemment plus

portées à placer un malade à l'hôpital que dans un asile.

'Discussion : M. Frscma complète la communication de M. Boeck,

à laquelle il adhère; par l'examen de ce qui se passe en Hongrie.

En ce pays, le recensement de la population pour 1880, fournit le

chiffre de 28,221 aliénés.Ils sont internés dans trois asiles de l'Etat.

(deux à Budapeslli- un à Hermannstadt) -deux quartiers d'obser-

vation (un à Budapesth un à Presbourg) trois asiles privés.

Mais ces établissements ne peuvent en tout recevoir que 2,055 ma-

lades, ce qui veut dire qu'on ne soigne que 7,28 p. 100 des aliénés ;

que l'assistance des aliénés y est lamentable, que les établissements z

sont encombrés.

J'ai donc été amené par la force des choses à chercher un mode

de traitement plus moderne, plus en rapport avec les indications

de la psychiatrie et de l'humanité. Voici ce que je propose : Il

existe en Hongrie 63 comtés qui possèdent une autonomie plus ou

moins semblable à celle des Etats de la couronne d'Autriche. Un

grand nombre de ces comtés possèdent chacun son hôpital qui

dispose de 40 à 250 lits. Ceux qui n'en ont point devraient en cons-

truire un à bref délai. Il sufirait, par conséquent, dans chaque

comté, de compléter l'hôpital par un pavillon destiné à recevoir

150 malades, qu'on installerait dans le genre des quartiers d'obser-

vation. On y conduirait tous les aliénés du comté qui exigeraient les

soins d'un asile d'aliénés. Les aliénés incurables, hospitalisés dans

celte section depuis longtemps, par exemple depuis trois ans,

seraient transférés dans les hospices d'invalides correspondants.

Nous arriverions de cette manière à interner 9.450 malades et

nous destinerions les asiles d'aliénés actuels au rôle d'hospice»

d'infirmes pour aliénés incurables. Ce serait, suivant moi, l'idéal

de l'assistance psychiatrique. Kous ferions tomber du même coup

tous les préjugés du public, et nous augmenterions, sans nul doute,

la proposition des guérisons. En effet, les quartiers d'aliénés ainsi

disposés comprendraient une section ouverte destinée aux névro-

pathes et aux malades atteints de psychoses légères. Chaque sec-

tion psychiatrique du comté deviendrait un centre de surveillance

pour des aliénés laissés chez eux ou errant à l'aventure. ' * z

. i

M. GAUSTER. Quand on aura fait tomber les préjugés, quand les

médecins plus instruits auront éclairé le public, les établissements ,

d'aliénés deviendront des hôpitaux tout à fait semblables' aux

SOCIÉTÉS SAVANTES. 97

autres 1. Je propose de renvoyer la proposition de M. Boeck au

comité d'affaires de la Société sans qu'il soit nécessaire de nom-

mer une commission spéciale.

M. SCHLANGENHAUSE1V. M. Boeck dit que les établissements destinés

au traitement des malades ne conviennent pas aux aliénés atteints

de folie morale et d'alcoolisme chronique. Mon expérience me per-

met d'affirmer que nous les améliorons suffisamment pour qu'ils

puissent vivre au dehors.

M. MEYNERT. Les cliniques psychiatriques doivent jouir'd'une

certaine liberté, il ne me paraît donc pas bon de les river à un

asile. Il n'est pas d'hôpital qui puisse disposer d'un espace suffisant

pour recevoir et les cas curables et le matériel de l'enseignement.

Il n'est pas pas possible de soustraire à la clinique les cas chroni-

ques ; d'ailleurs le pronostic n'en est pas si précis que cela. Qui peut

actuellement dire a priori si les types connus dans la science sous le

nom de secondaires sont réellement incurables. Bacon de Veru-

lam ne disait-il pas : « ce qui importe le plus au médecin c'est de

spécifier les cas incurables qui ont guéri. » Tous les cas doivent

pouvoir figurer dans une clinique. Il faut aussi qu'elle soit ratta-

chée à une section de maladies nerveuses qui la complète en lui

procurant des troubles intellectuels que ne doit pas recevoir un

asile, par exemple les obsessions neurasthéniques.

M. de IRAFFT-1 : BI11G. Une clinique psychiatrique doit présenter à

l'auditeur tous les types voire les types curables. En revanche,' il

serait excellent de construire des établissements pour malades

atteints de neuropsychoses. Les neurasthéniques, par exemple,

qui, hantés par l'hypochondrie, redoutent perpétuellement le

ramollissement cérébral, ne sauraient être internés dans un asile

d'aliénés, car le spectacle des fous est encore une de leurs craintes.

Même embarras pour l'hystérie grave et la grande chorée. Leur

admission n'est permise que par un état de somniation posthys-

térique ou des tentatives de suicide; ces accidents sont en réalité

un bonheur pour ces aliénés. Mais, en attendant, il conviendrait

de les soigner avant de tels épisodes et de leur préparer des éta-

blissements spéciaux.

M. S\'ETLI1V. Il arrive aussi que des aliénés voudraient eux-mêmes

se faire interner sans que l'on puisse satisfaire à leurs désirs; ils

ne sont pas cotés sous la rubrique « dangereux pour la sécurité

publique ».

M. MEYNERT. La question me parait résolue si l'on décide de

compléter toute clinique psychiatrique par une clinique de mala-

dies nerveuses.

M. de KRAFFT-EBING. Toute à l'heure je me suis opposé à la créa-

' C'est la thèse que nous soutenons depuis longtemps. (B.)

Archives, t. XXIV. 7

98 SOCIETES SAVANTES.

tion d'une loi spéciale aux aliénés. Mais partout on ne parle que

de cette réforme; les aliénés la réclament; tous les corps consti-

tués qui touchent à la législation s'agitent. Il faut que les aliénistes

soient entendus.

Je propose donc :

- Que la question soit traitée par le prochain congrès, en ces

termes :

flans quelle mesure la législation des aliénés a-t-elle besoin d'une

réforme ? Deux rapporteurs seront nommés; ils soumettront au

congrès des propositions fermes. Adopté. MM. GAUSTER et de KRAFFFT-

EatNG sont nommés rapporteurs.

Sur la proposition de MM. L : 1UFENHAUEIi et FISCHEIt, modifiée par

.M. GAUSTER, le Comité d'action de la société psychiatrique est

chargé de déterminer le prochain congrès et de s'aboucher avec

les Hongrois pour qu'il se tienne à Budapesth. (Julcrbuecher f.

Psyclaiut., X, 2-3.) P. KERAVAL.

SOCIÉTÉ DE PSYCHIATRIE ET DE PSYCHOLOGIE MÉDICO-

LÉGALE DE VIENNE

Séance du 30 octobre 18901. - Présidence de M. Meynert.

M. Meynert rappelle à la Société qu'en 1878, elle a, pour la pre-

mière fois, adressé une pétition aux pouvoirs publics afin d'intro-

duire la psychiatrie comme matière obligatoire, dans les examens

de médecine. Actuellement, quelques pays voisins ont résolu favo-

rablementla question. La Société fera bien de récidiver.

M. ANTON lit son mémoire sur les troubles du sens musculaire et

présente deux malades. (Publié in extenso.) .

- Discussion : M. MEYNEM. Chez les deux malades qui viennent de

nous être présentés, on constate un trouble sensoriel et sensitif

hémilatéral que l'on peut considérer comme un symptôme de dé-

ficit émané d'un territoire cérébral irrigué par l'artère choroi-

dienne. Les troubles de l'odorat sont également à ranger dans la

même catégorie, car l'artère en question irrigue aussi les parois

du prolongement inférieur du ventricule latéral, ycompris la corne.

' Voyez Archives de Neurologie, t. XI, p. 116. Séance de mars 1885.

Depuis cette époque, les comptes rendus n'ont pas été publiés; d'ailleurs,

ils se résument en l'analyse des mémoires publiés dans le JahrGûcher f.

Psychiatrie, que l'on trouve régulièrement aux Revues analytiques.

(P. K.) z

SOCIÉTÉS SAVANTES. 99

d'Ammon. Le territoire de l'artère qui nous occupe commande

donc à la transmission de la capsule interne, à la vue, à l'olfac-

tion. Chez les deux malades, il existe une anosmie du côté anes-

thésique. Donc il y a trouble fonctionnel de ce territoire vascu-

laire.

M. ANTON propose de soumettre le malade Hermann qui a suscité

une polémique contre les aliénistes de l'Autriche, à un comité

choisi dans le sein de la Société qui fera un rapport. Mais la société,

qui adopte cette proposition en principe, attendra l'achèvement

de la publication du médecin commis par le tribunal, M. HINTERs-

TOISSER.

Séance du 27 novembre 1890. - Présidence de M. Meynert.

M. FRITSCH. Des impulsions pathologiques. (Publié in extenso.)

M. IIIEYNERT. L'article de M. Hinterstoisser sur le malade Her-

mann a paru dans la Wiener klin. Wochenschrift. On peut donc pro-

céder à la nomination du comité ; on n'y fera entrer que des méde-

cins qui ne connaissent pas le malade en question. Sont choisis :

zip. Meynert, Janchen, Anton. Le comité pourra consulter l'obser-

vation consignée sur les registres de l'asile de Vienne.

M. GAUSTER donne lecture d'un mémorandum relatif à la néces-

sité de faire entrer la psychiatrie dans les sujets d'examens. Les mo-

tifs développés par l'orateur, par MM. Meynert et Gauster sont

connus de tous. Ce memorandnm sera transmis au ministre des

cultes et de l'instruction publique par une députation composée de

MM. Meynert, de Krafft-Ebing et Gauster.

' ".

Séance du 8 janvier 1891. Présidence DE M. METNERT.

M. ANTON présente au nom du comité nommé pour l'examen du

malade Hermann un rapport dont les termes sont modifiés confor-

mément aux indications de MM. Meynert, Gauster, Janchen. Le co-

mité est autorisé à agir suivant ces instructions.

Séance du 19 février 1891. - Présidence de M. MEYNEIiT.

M. MAYER. Contribution à l'anatomie pathologique du labes dorsal.

(Publié in extenso.) '

Séance du 9 avril 1891. - PRÉSIDENCE DE M. MEYNERT.

M. MEYNERT. - La théorie des énergies spécifiques. (Publié in

extenso.) ..

100 sociétés savantes.

Séance du 14 mai 1891. - Présidence DE M. MEYNERT.

C'est la séance annuelle de la Société consacrée aux affaires et

notamment à la nomination du bureau. Sont nommés. ,

M. MEYNERT, président; M. GAUSSER, vice-président; MM. MAYER

et BOECE, secrétaires; M. BUBErtIH, bibliothécaire; MM. PFLEGER,

HOLLER, FRITSCH, Fries, membres du conseil d'administration.

M. GAUSSER propose, conformément à un article des statuts, de

provoquer un congrès pendant l'été de cette année et de le tenir

à Graz. Adopté. (Jahl'bucher f. Psychiat., X. 2-3.) P. KERAVAL.

SOCIÉTÉ PSYCHIATRIQUE DE BERLIN.

SOIXANTE-TREIZIEME RÉUNION'.

Séance du 1 juin 1891. Présidence DE M. LOEHR aîné.

M. LEPPMAIVN. Simulation d'aliénation mentale intercalée entre un

accès de vésanie et une rechute. - Il s'agit d'un campagnard de

trente-neuf ans, fortement entaché d'hérédité, présentant un arrêt

de développement des facultés, et ayant eu dans sa jeunesse une

maladie aiguë du cerveau, chez lequel on avait constaté des actes

procédant de la débilité mentale ; cet individu pousse son vieux ber-

ger à mettre le feu à plusieurs reprises, ces incendies lui étant pro z

fitables. Un voisin rusé se lie peu peu avecl'incendiaire, découvre

le pot aux roses et s'en sert pour faire chanter le coupable, qui,

pressuré, finit par tuer le vieux berger. Le crime est découvert.

Pendant l'instruction, notre campagnard, après avoir avoué, est

atteint de mélancolie stupide. La psychose dure un an et guérit à

l'asile. C'est alors que le malheureux simule la démence avec

amnésie des faits récents. La simulation découverte, on le con-

damne à quinze ans de travaux forcés. Nouvel accès de stupeur

anxieuse; au bout de plusieurs mois, on le confie à notre observa-

tion au quartier d'aliénés de Moabit et nous acquérons la convic-

tion qu'il n'y a en ce moment, ni simulation ni exagération.

M. KoemG. D'un trouble de la parole survenant par accès chez une

paralytique générale. Mémoire publié2.'

' Voyez Archives de Neurologie, t. XXII, p. 418.

1 7( ? revues analytiques.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 101

Discussion : M. Cramer. Les deux dernières observations signa-

lées par l'orateur sont distinctes de la première. La première peut

se résumer ainsi. Trouble de coordination entre l'intonation et les

mouvements qu'exige la parole restés parfaits. Dans les deux

autres cas, ce sont des accès d'aphasie passagère ainsi qu'il en sur- .

vient assez souvent chez les paralytiques généraux.

M. MOEM. L'observation de M. Koenig n'est sûrement point de

l'aphasie corticale motrice; c'est un trouble de l'articulation qui

est distinct de l'aphasie motrice sous-corticale.

M. JASTROWITZ. Un procédé pour enlever les corps étrangers du tube

digestif. - Vous bourrer le patient de purée de pommes de terre

et de choucroute mélangées {panaché). Deux heures après, vous lui

administrez de l'huile de ricin. La pâtée englobe les corps étran-

gers et souvent ceux qui séjournent depuis longtemps dans l'intes-

tin ; l'huile de ricin élimine le magma. L'orateur en présente des

spécimens.

M. LOERH propose que, désormais, dans les propositions formulées

par les congrès, à côté des sections intitulées : clinique interne,

clinique d'accouchements, clinique chirurgicale, figure une qua-

trième clinique indépendante, sous le nom de clinique psychia-

trique. Adopté.

M. le Président propose aussi de déléguer comme représentant

de la Société au Congrès médical de Weimar, M. PHILIPP déjà z

choisi, pour la même mission, par la Société médicale du district

de Potsdam ; M. Philipp voudra bien faire adopter cette réforme

dans l'enseignement de la médecine. Adopté. (Allg. Zeitschr. f. Psy-

chiat., XLVIII, 4.) P. KERAYAL.

CONGRÈS ANNUEL DES ALIÉNISTES ALLEMANDS..

SESSION D'E WEIMAR 1.

Séance du 18 septembre 1891. - Présidence de M. LOEHR ainé.

La séance s'ouvre par [la proclamation des noms des collègues

morts depuis la session d'Iéna. L'assemblée se lève pour honorer

leur mémoire. Le président communique en outre que les gouver-

nements de l'empire n'ont pas donné suite à la motion de M. Moeli

' Voir Archives de Neurologie, session d'Iéna, t. XIX, p. 405.

102 SOCIÉTÉS SAVANTES.

relative au recensement des aliénés dans le recensement général

de la population'. ,

Il rappelle la question agitée par M. Werner. De la nomenclature

psychiatrique (expressions : Verrücktheit et Wahasinn) 2. M. Kirn

avait fait voter par l'assemblée la mise à l'ordre du jour de ce su-

jet préalablement étudié par des rapporteurs nommés par le

bureau. Cela n'a pas été fait. On n'a pu trouver de rapporteurs, une

imposante minorité ayant, à Iéna même, considéré la question

comme prématurée. Il demande donc qu'on s'en remette à la dis-

crétion du bureau. Adopté.

M. KROEUER a envoyé une motion écrite relative à l'établissement

des permis de circulation des cadavres. Cette motion est appuyée

par M. Siemens. On la discutera à la fin de la session.

Responsabilité et criminalité. MM. PELnAN et MENDEL, rapporteurs

- M. PELMAN. C'est une question qui restera à l'ordre du jour

jusqu'à ce que l'entente se fasse et la multiplicité des écrits et des

controverses sur ce thème montre qu'on est encore loin d'avoir

atteint pareil but. Si Lombroso a dépassé la mesure, il n'en reste

pas moins acquis qu'il a étendu le champ de ses investigations à

l'anthropologie tout entière et qu'il a intéressé à cette question

toutes les professions. 11 nous a rappelé qu'il fallait punir l'homme

et non la faute impersonnelle. Et en réalité, il a fondé la biologie

criminelle, c'est-à-dire l'étude scientifique de la spécificité physique

et mentale du criminel et le déterminisme des conditions du crime

qui émanent de cette spécificité. Telle est la base d'une science

jeune. Jusqu'à présent, il parait établi que le criminel est entaché

d'une anomalie morale, car il lui manque un élément indispen-

sable pour l'existence en société.

Il est indiscutable qu'il ne saurait y avoir de prédisposition à

commettre des actes répréhensibles, car l'idée même de la culpa-

bilité dépend de conditions accessoires, et ce que nous appelons

inné n'est que le produit du temps et des circonstances avec les-

quels cet élément change. Le sens moral n'est nullement inné; il

est acquis et résulte de l'adaptation de la vie à des conventions

sociales existantes.

Nous voici donc en présence de maladies morales ; contre elles

les asiles d'aliénés ne sauraient être le moyen vrai; en revanche,

quand les idées raisonnables et la menace du code pénal demeu-

rent infructueuses, on leur applique l'emprisonnement, la déten-

tion, le bagne, l'échafaud. La notion de la responsabilité n'entre

en rien dans notre spécialité; elle est d'ordre juridique, elle appar-

tient à la jurisprudence criminelle, et, si nous nous en occupons,

1 Voir Archives de Neurologie, session d'Iéna, t. XIX, p. 416.

Id., p. 418 et 423.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 103

c'est parce que, dans la pratique, il est souvent impossible de tra-

cer des limites entre les deux sujets. Il est certain que c'est au spé-

cialiste qu'appartient la tâche de distinguer rigoureusement la ma-

ladie de la dégradation morale et physique, et le rôle du vice en

pareille occurrence; mais, à côté de cela, nombreux sont les cas

dans lesquels cette tâche est difficile, sinon tout à fait impossible.

Il est néanmoins indispensable que nous nous entendions avec

les magistrats sur la définition et la description de la responsabi-

lité. Actuellement ceux-ci nous concèdent d'accorder le bénéfice

de l'irresponsabilité et, par conséquent, l'impunité, aux aliénés

véritables. Il ne serait point sage à nous de refuser cette conces-

sion sans objection. Mais la difficulté commence dès que cesse la

maladie mentale proprement dite, sans que cependant nous ayons

à faire à un individu normal.

On croit, ou plutôt on a cru souvent, nous avons cru trop sou-

vent la lever (la difficulté), en admettant l'atténuation de la res-

ponsabilité ; mais comment y aurait-il une responsabilité atténuée ?

Il n'y en a pas, la nature même de la responsabilité empêche qu'il

n'yen ait une atténuation.

La responsabilité, en effet, repose sur la liberté de la détermina-

tion personnelle. Celle-ci disparue, l'homme est irresponsable, de

quelque côté qu'on l'examine; limiter la liberté volontaire est un

non-sens, c'est admettre la dépendance de l'indépendance.

Comment dissocier la responsablité ; elle existe ou elle n'existe

pas. Fixer le degré de l'esclavage psychique qui limite la responsa-

bilité, c'est de l'arbitraire. On s'est trompé de sujet. Ce n'est pas

à graduer la responsabilité qu'il convient de perdre son temps,

c'est la mesure de la culpabilité que l'on peut établir. Celle-ci peut,

en effet, être plus ou moins grande et, par suite, à l'individu res-

ponsable on appliquera une pénalité plus ou moins forte. Je sou-

haite que l'avenir porte la lumière dans cette affaire. '

Commençons, si nous pouvons, par faire table rase de l'antique

notion de la peine considérée comme expiation, par cesser de

regarder le châtiment comme un préservatif social, comme un

élément de défense contre des rebelles dangereux pour l'ordre éta-

bli ; puis, nous verrons dans les maladies mentales une explication

de la criminalité et non plus une exemption de cette dernière.

Dans ces conditions surannées, la société a incontestablement le

droit de se préserver contre le criminel aliéné et l'aliénation men-

tale ne peut affranchir l'auteur du délit ou du crime des consé-

quences de ses actes. Mais un malade n'en doit supporter tout le

poids, comme s'il était un criminel sain d'esprit ; la pitié et l'é-

quité militent en sa faveur. Seulement à l'un comme à l'autre est

applicable l'aphorisme suivant : quiconque ne veut s'accommoder

à la société dans laquelle il vit, doit la quitter. -

104 SOCIÉTÉS SAVANTES.

M. MENDEL. Oui, la notion de la responsabilité appartient à la jus-

tice pénale; c'est au magistrat qu'il convient de l'appliquer d'après

la volonté du législateur consignée dans les motifs de la loi. M. Pel-

man a nettement formulé les indications de l'avenir. Sur ce point,

je me permettrai de rédiger quelques propositions qui résumeront

les desiderata à remplir.

1° Il existe dans les établissements pénitentiaires une catégorie d'aliénés,

qui, à l'époque de leur condamnation ou même du délit ou du crime

commis par eux, étaient indubitablement affectés de maladie mentale.

C'est à des asiles d'aliénés qu'ils appartiennent; -2° Il existe une caté-

gorie de criminels qui, sans être aliénés, ne sauraient être tenus pour des

individus normaux; ce sont des dégénérés, des malheureux tarés. Pour

eux, le code pénal pèse trop lourd, il dépasse la mesure. Il y a à cet

égard des réformes à introduire dans la loi en préparation sur l'applica-

tion des peines. Dès maintenant, nous pouvons affirmer qu'il y a lieu

d'adjoindre aux directeurs d'établissements pénitentiaires un psychiatre

rompu à la pratique de la médecine mentale, qui établisse une indivi-

dualisation nécessaire des prisonniers. Nous taisons, par exemple, allu-

sion aux vagabonds, châtiés comme s'ils étaient dénués de tout sens

moral ; - 3° Toute une catégorie de criminels sont des aliénés. Il serait

difficile de dire quelle est l'anomalie qni a débuté, du crime ou de l'alié-

nation mentale. Il y a, pour ainsi parler, amalgame des deux éléments,

En Angleterre, on a créé pour eux des asiles spéciaux. En Allemagne.

on a rejeté ces créations. Il importe peu, en principe, qu'on les séquestre

dans des annexes près des asiles d'aliénés ou près des établissements

pénitentiaires. Ce dernier dispositif a bien réussi en Prusse (Moabit); il

y aurait donc lieu de s'y rallier; = 4° Quant aux ci iminels qui ne sont

pas aliénés, il convient de se souvenir de la formule de Quetelet : « L'alié-

nation mentale prépare le crime, le criminel l'exécute. » Le même auteur

avance que l'on ferait disparaître bien des criminels en améliorant les

existences malheureuses et en aplanissant les contrastes sociaux. Si

c'est exagéré, il n'en est pas moins vrai qu'une législation sociale est en

mesure de faire à cet égard beaucoup de bien.

Discussion : M. SCHmFER. 11 n'en est pas moins vrai, en ce qui

concerne la responsabilité, que M. Mendel a, dans la Realencyclo-

posdie d'Eulenbourg, écrit sur ce thème un article que je vous

engage à lire. Que le médecin ne traite pas devant les magistrats

l'habileté à posséder, l'aptitude à agir, la capacité civile, cela va

de soi. Mais, en matière de responsabilité, il est question de la

faculté psychique, ou, si l'on préfère, d'un état mental en rapport

avec la responsabilité. Quant à l'atténuation de la responsabilité,

n'est-elle pas implicitement admise par la distinction, la définition

même des héréditaires dégénérés ; si l'état mental est intermé-

diaire entre la santé psychique parfaite et l'aliénation mentale

caractérisée, il y a lieu de déterminer la part de la responsabilité

et de la doser suivant le caractère même de cet état mental. Quand

vous estimez qu'il ne faut pas considérer un malheureux comme

- SOCIÉTÉS SAVANTES. '108

aussi coupable qu'un sujet sain d'e'zprit qui aurait commis la même

action criminelle, vous admettez et expliquez (ce qui vaut mieux)

l'atténuation de la responsabilité. Quant à la criminalité, en placer

l'origine dans l'atavisme, à l'exemple de Lombroso, c'est commettre

une erreur. En revanche, il est certain que le crime représente la

résultante de lois appartenant à l'histoire naturelle de la société,

mais il n'est qu'une partie de cette résultante. Le crime, dirai-je

moi, n'est pas un phénomène pathologique, et encore moins un

accident atavique. Sans doute, un individu, qui est affecté de tares

du système nerveux central, succombera plus aisément à l'impul-

sion criminelle qui gît en chacun de nous qu'un individu normal;

il obéira plus sûrement aux facteurs criminigènes qui émanent de

l'éducation, des conditions sociales, des causes occasionnelles.

En cela, Lombroso a fait oeuvre d'initiateur.

M. TuczEK. Je ne crois pas qu'il soit, dans l'état actuel des choses,

opportun d'enlever au rapporteur, en matière de médecine légale,

le droit de s'occuper de la question de la responsabilité.

La dipsomanie dans ses rapports avec la responsabilité. MM. JOLLY Y

et A. Roller, rapporteurs. M. JOLLY. La principale question

dont nous ayons à nous occuper ici est non celle de l'ivrogne-

rie, mais celle de la dipsomanie. Nous nous demanderons pour

apporter de la clarté dès le début :

1° Les dipsomanes doivent-ils être ou non traités comme des

aliénés ?

2° Sont-ils irresponsables ou non ?

3° Les lois qu'on doit promulguer sur leur compte seront-elles

d'ordre purement civil et administratif ou d'ordre pénal ?

Conclusion. On ne saurait punir les dipsomanes. Leur inter-

diction exige l'intervention d'un spécialiste au même titre que

lorsqu'il s'agit de l'interdiction d'un aliéné. Les asiles pour

buveurs où sont internés d'office les buveurs doivent être dirigés

par un médecin et surveillés par l'Etat, de même que les asiles

d'aliénés.

M. ROLLER. La dipsomanie, qui, en réalité, est la manifestation d'une

psychose, et l'ivresse qui s'accompagne de troubles de la connaissance,

excluent la responsabilité ; - 2° L'habitude de boire (l'intempérance habi-

tuelle) n'exclut point le châtiment; 3° L'ivresse à un degré plus ou

moins prononcé ne constitue pas une circonstance atténuante dans un

délit, mais il y a lieu de tenir compte, dans l'espèce, des facteurs consti-

tutionnels ou des éléments prédisposants; - 4° Ce serait un bienfait

que d'inscrire dans la loi la possibilité d'interner dans un asile pour

buveurs un ivrogne par habitude, de le faire interdire et de. prévoir une

pénalité contre l'ivresse publique; b° L'internement dans un asile pour

buveurs ne doit pas être envisagé comme une pénalité, mais les consi-

dérants doivent consigner qu'il s'agit d'un buveur par habitude. Le reste

sera laissé à l'appréciation des autorités. Cette possibilité de l'interne-

106 SOCIÉTÉS SAVANTES.

ment dans un asile spécial doit être admise dans les condamnations pour

crimes et délits de buveurs par habitude; - 6° La loi doit disposer que

la pénalité atteindra jusqu'au délinquant qui argue d'une surprise en

matière d'ivresse; - 7° Il convient de remplacer la peine de l'emprison-

nement dont on menace les buveurs par habitude par des décisions à

l'égard des rechutes ; - 8° Les asiles pour buveurs seront installés

d'après des statuts soumis à l'agrément du gouvernement; ils seront

conduits par un médecin accepté par les pouvoirs publics et seront ins-

pectés tous les ans. L'inspecteur d'hygiène les surveillera périodique-

ment et y fera dresser des statistiques ; 9° La procédure de l'interdic-

tion exigera le concours obligatoire de médecins spécialistes.

Discussion : M. BAER. Appuie sur la dégénérescence physique et

mentale que provoque les excès habituels d'alcool. C'est à eux

qu'est dû l'accroissement de l'aliénation mentale. Par conséquent,

les moyens recommandés par M. Roller s'imposent à tous égards.

M. Zirttv ainé. Nous devons nous borner aux points du projet de

loi qui intéressent le médecin et ne point nous occuper des autres

dispositifs, tels, par exemple, que celui du § 18, alinéa 1, qui vise

le châtiment de l'ivrogne causant scandale. De même, à quoi bon

parler de l'hygiène publique dans ses rapports avec la surveillance

des asiles pour buveurs ? Bornons-nous à dire : « L'Etat fondera des

asiles pour buveurs; ils seront dirigés par un médecin et surveillés

par l'Etat. »

Le canton de Saint-Gall a proposé au grand Conseil un projet

de loi qui poursuit le même but que celui du gouvernement. Dans

ce projet, il n'est pas du tout question de punir le buveur ou le

dipsomane. c Les buveurs, par habitude, y est-il dit, qui, à la suite

d'excès de boissons spiritueuses, présenteront, comme le constate un

rapport médico-légal d'un médecin fonctionnaire, un affaiblisse-

ment considérable de la volonté, seront internés dans un asile pour

buveurs et placés en tutelle. » L'ivrogne n'est, pour le législateur,

ni un gredin, ni un criminel; c'est un malade incapable de se

diriger, mais que l'on peut sauver. Le rapporteur, M. SOIVDEREGGER,

dit plus loin ; « La pénalité correctionnelle, appliquée à l'ivresse,

prêterait à rire si elle n'était triste. Dans les cas exceptionnels,

elle n'est pas nécessaire; chez les buveurs par habitude, elle est

insensée, puisque ces malheureux ont perdu la force morale. Pour-

quoi, dans ces conditions, ne pas punir les épileptiques de leurs

accès. Notre devoir est donc, en nous plaçant à un point médical

pur, d'obtenir l'interdiction des buveurs par habitude et leur inter-

nement, contre leur volonté, dans un asile pour buveurs. »

Séance du 19 septembre 1891. - Présidence DE M. Lmari ainé.

Suite de la discussion sur la dipsomanie. M. MENDEL se rallie

pleinement aux conclusions de M. Jolly. Pour combattre les grands

SOCIÉTÉS SAVANTES. 107

désordres causés par l'alcool, il y a d'abord l'élévation du prix des

spiritueux. Mais serait-on en état instantanément d'empêcher la

consommation de l'alcool, les alcooliques subsisteraient encore

pendant longtemps, car l'alcoolisme chronique se développe lente-

ment et son développement exige le concours d'années. La sta-

tistique prouve que la cherté des alcools met obstacle à leur don-

sommation, mais elle montre aussi que, en dépit de la cherté des

boissons spiritueuses, l'alcoolisme n'a pas décru; bien plus, à l'ex-

ception de delirium tremens, les maladies nerveuses d'origine alcoo-

lique ont plutôt augmenté que diminué.

Faut-il punir le buveur par habitude ? l\I1. Kowalewski, Crothers,

et Lucy lloell nous montrent la prison plus pernicieuse à ces mal-

heureux qu'utile. Ce n'est pas dans les établissements pénitentiaires

qu'ils trouveront le traitement hygiénique et moral qui leur con-

vient. Ils en sortirontdipsomanes comme devant, et, en outre, ils y

seront devenus criminels; entrés malades, ils seront rendus à la

société incurables. La société, en agissant ainsi, provoque, de

propos délibéré, la perte irréparable d'un de ses membres.

L'interdiction est une mesure utile, à la condition qu'elle relève

d'un spécialiste. Celui-ci est, d'ailleurs, seul compétent dans toutes

les questions relatives à l'alcool, à commencer par celle de l'in-

conscience au moment du délit. Au surplus, voyez quelle inconsé-

quence. Vous voulez poursuivre correctionnellcment un individu

qu'en même temps vous vous proposez civilement d'interdire.

Le voici à la fois responsable et inhabile.

M. Wernicke constate que, dans l'année qui a suivi la loi sur la

cherté de l'eau-de-vie, le nombre des délirants a diminué de plus

de moitié à l'asile d'aliénés et à la clinique psychiatrique de

Breslau.

M. OEBEAE. En maints cas, il importe d'interner dans un asile

spécial les dipsomanes avant d'ordonner leur interdiction. Il est,

en revanche, exceptionnel qu'on arrive à guérir la dipsomanie

chronique. Le grand nombre de guérisons relatées par les asiles

spéciaux pour buveurs est le fait d'une illusion, car il est impos-

sible de savoir ce que sont devenus la plupart des buveurs mis en

liberté.

M. ZINN aîné. Contrairement à M. OEbecke, je pense qu'il faut

interdire le buveur par habitude avant de l'interner dans un asile

spécial. Seulement, il est indispensable qu'on le fasse examiner par

un médecin spécialiste.

La société adopte, à l'unanimité, les conclusions suivantes :

La Société des aliénistes allemands accueille avec la plus vive satis-

faction la préparation d'un projet de loi destiné à combattre l'excès des

boissons spiritueuses. S'abstenant de porter un jugement sur les dispos

108 SOCIÉTÉS SAVANTES.

sitifs du projet qui n'ont pas de rapport avec la médecine, elle émet les

voeux suivants :

1° Il n'y a pas lieu d'appliquer de pénalité à la dipsomanie. Ce n'est

pas par la voie correctionnelle qu'il faut interner les buveurs en des

asiles spéciaux ; - 2° L'interdiction des dipsomanes dans les circons-

tances indiquées au § 12 dudit projet est rationnelle. La procédure rela-

tive à l'interdiction de ces malheureux doit suivre les mêmes errements

que celle des aliénés; cette mesure ne saurait être prise avant qu'on ait

entendu un ou plusieurs médecins spécialistes; - 3° Les asiles pour

buveurs seront dirigés par un médecin spécialiste. Ils seront soumis aux

mêmes inspections des fonctionnaires de l'Etat que les asiles d'aliénés.

Prophylaxie de la tuberculose dans les asiles d'aliénés : MM. NOETEL

et Zinn, rapporteurs. - M. NOETEL, 1° Les tuberculeux doivent

être séparés des autres malades ; 2° Les chambres dans les-

quelles séjournent les tuberculeux doivent être désinfectées par les

mêmes procédés que lorsqu'il s'agit d'autres maladies contagieuses,

de la diphthérite par exemple, avant d'être affectées à un autre

usage. On nettoiera chaque jour avec le plus grand soin, à l'aide

de liquides désinfectants, tout ce qui entoure les lits des tubercu-

leux : plancher, parois de murailles, bois de lits; on séparera leur

linge et leurs vêtements des trousseaux des autres malades, et on

procédera à la désinfection de ces pièces ; 3° Les mêmes mesures

seront prises à l'égard de tous les autres locaux mis à leur disposi-

tion et du mobilier qu'ils contiennent. Les tapis, rideaux, objets

garnis ou capitonnés, ne seront pas battus dans des endroits fermés.

On s'abstiendra surtout de provoquer des tourbillons de poussières;

- 4° On prodiguera partout les crachoirs convenablement installés.

Chaque jour, ils seront remplis d'eau et vidés dans les lieux d'ai-

sance, puis on les passera à l'eau bouillante. Les moindres vestiges

de crachats sur les planchers, les murs, les meubles, etc., seront

immédiatement nettoyés par la voie humide; 5° Le personnel

sera dressé à ce genre d'assainissement, les malades seront soumis

à un contrôle médical des plus précis ; pleins pouvoirs seront

donnés à ce sujet au médecin de l'établissement.

M. ZINN n'a rien à ajouter à ce travail complet.

Discussion : M. DE KIt9PrT-EHING. C'est l'encombrement qui est

le facteur le plus puissant de la tuberculose. Il faut absolument,

dans l'intérêt de l'hygiène et de l'humanité, se refuser à recevoir

dans un asile plus de malades que ne le comporte son cube. L'en-

combrement nuit surtout aux aliénés dont la respiration est, de

par leur maladie, insuffisante, ainsi aux mélancoliques, aux mal-

heureux affectés de démence aiguë, etc. '

M. OEsEae. La cause de l'excès de mortalité par la tuberculose

constatée dans les asiles privés comparés aux asiles publics vient

de ce qu'un grand nombre des aliénés des asiles publics sont, à

SOCIÉTÉS SAVANTES. 109

raison de leur encombrement, transférés dans des asiles privés.

Or, parmi ces malades, un grand nombre sont déjà tuberculeux,

car l'asile public conserve de préférence les sujets récemment affec-

tés de vésanies. Par suite, tout naturellement, les asiles privés té-

moignent d'un chiffre élevé de décès par la tuberculose.

M. GRASHEY. Ce sont les prescriptions de Cornet que recommande

M. Noestel. Afin d'établir par des chiffres quels en seront les résul-

tats nous avons, à Munich, prié le ministre d'Etat de les appli-

quer systématiquement dans un établissement pénitentiaire; nous

aurons donc sous peu les effets de ce système. Il n'en est pas moins'

vrai que l'encombrement est l'agent de propagation de la tuber-

culose et que celle-ci serait diminuée par une bonne alimenta-

tion, l'exercice, l'occupation des malades à l'air libre. L'étude des

prisons est à ce sujet instructive. Les établissements pénitentiaires

chargés d'appliquer de longues séquestrations sont bien plus déci-

més par la tuberculose que ceux dans lesquels la détention est

relativement courte. La mortalité en question atteint 60 p. 100

dans quelques maisons de correction à longues incarcérations. A

l'asile de Munich, pendant les années d'encombrement, la morta-

lité par tuberculose est montée de 21 à 31 p. 100, quoique nous

ayons amélioré l'alimentation des malades dont l'excellence était

indéniable. Enfin, je vous prierai de remarquer que l'isolement des

tuberculeux est impraticable dans un asile encombré.

M. ZINN aîné. A côté de l'encombrement, la nourriture des

aliénés, la qualité et le nombre des infirmiers laissent encore à

désirer. Ce sont sans nul doute des éléments qui ont peut être plus

d'importance que les autres dans la prophylaxie de la tuberculose.

Si on ne commence pas par les imposer, c'est en vain qu'on luttera

par les moyens indiqués contre cette affection. Voilà pourquoi les

asiles d'aliénés, les hospices, les asiles d'infirmes, les établisse-

ments destinés aux idiots et tous les instituts d'assistance publique

doivent être dirigés par des médecins. Quant à la statistique com-

parée de la tuberculose dans les asiles d'aliénés et dans les popu-

lations du dehors, il faudrait pour l'établir autopsier tous les ma-

lades de nos asiles et tous les malades de la ville.

Contribution à l'assistance des épileptiques. MM. Wildermutu et

LOEHR, rapporteurs. M. Wildermuth résume d'abord les conclu-

sions du rapport de M. Pelman Cession de 1883) ' et la discussion

qui s'en est suivie à Eisenach 2; il parle notamment de la difficulté

constatée par Binswanger de distinguer suffisamment les épilep-

tiques aliénés des épileptiques sains d'esprit-les troubles intellec-

tuels aigus et les psychopathies chroniques des épileptiques aliénés.

` Voyez Archives de Neurologie.

' Id.

110 SOCIÉTÉS SAVANTES.

Or, l'étude de nos malades nous enseigne que nous avons toutes les

espèces, et que, par conséquent, la meilleure manière d'assister les

épileptiques est d'interner dans le domaine d'un grand établissement

. malades curables et malades incurables, épileptiques dont l'intelligence

est normale, épileptiques dont l'intelligence n'est pas normale, épilep-

tiques jeunes, épileptiques adultes. De cette manière, on formera des

groupes légitimes d'après l'âge et le genre des perturbations psychiques,

et l'on effectuera la sélection rationnelle par la construction intérieure

de différents quartiers. '

C'est ainsi que se sont développés les plus grands des asiles de

ce genre. C'est ainsi qu'on peut espérer améliorer ou guérir l'épi-

lepsie, qui n'est guère curable, entre parenthèses, que chez les

jeunes sujets. On avait, en pratique, essayé de guérir; ne guérissant

pas, on a, par la force des choses, constitué des hospices d'épilep-

tiques chargés de recevoir ceux des épileptiques qui n'avaient point

guéri, et qui, de jeunes, étaient devenus adultes.

Il serait donc tout indiqué de diviser ainsi l'asile spécial :

1° Quartier des jeunes malades susceptibles d'éducation (pédago-

gie) ; 2° quartier des épileptiques] travailleurs : ateliers, a. section

des adultes; b. section des adolescents; 3° bâtiments économi-

ques propres aux épileptiques occupés à \' agriculture ; 4° quar-

tier d'épileptiques atteints de psychopathies chroniques ou en

complète démence. On y ménagerait une section toujours en

mesure de recevoir des malades affectés de folie transitoire qui

nécessite la séquestration dans un asile fermé. On éviterait ainsi

aux épileptiques dont l'assistance comporte la plus grande partie

de l'année la vie à l'air libre, la séquestration continue, sous pré-

texte que de temps à autre ils deviennent dangereux; 5° section

affectée aux idiots épileptiques enfants; 6° infirmerie pour les

invalides et les infirmes avec divisions pour les maladies aiguës et

surtout pour les maladies infectieuses; 7° annexe destinée à l'hos-

pitalisation passagère d'épileptiques vivant au dehors, avec poli-

clinique. Des consultations verbales, ou par correspondance, la

délivrance ou l'envoi postal des médicaments de toute espèce com-

pléteraient fort heureusement le traitement hygiénique, intellec-

tuel, moral et médico-chirurgical constamment à l'étude de cette

épouvantable névrose.

On se proposerait avant tout d'assister ainsi les pauvres ou des

malades peu aisés. Quant aux épileptiques riches, contrairement à

la proposition de JOLLY, nous ne les renverrions pas aux asiles privés,

parce que seul, un grand établissement, peut opérer la sélection

sus-tracée qui s'identifie au traitement judicieux de l'épilepsie.

En effet, ne faut-il pas pouvoir disposer en même temps de

l'enseignement pédagogique, du travail manuel, de l'entraîne-

ment agricole. Les épileptiques aisés doivent, par suite, incomber

aux grands asiles de ce genre : seulement, on peut aménager pour

.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 111

eux dans ces établissements un local spécial ou des locaux spéciaux.

L'assistance commune des épileptiques et des idiots ressort éga-

lement de l'examen des faits; car 70 à 80 p. 100 des jeunes épi-

leptiques ne jouissent pas de la plénitude de leurs facultés, si on

les compare à des enfants normaux du même âge; ils ont, sans

hésitation, tout à gagner du système pédagogique appliqué aux

imbéciles. Sans doute, en beaucoup de cas, il est impossible de

décider si l'on a affaire à un enfant idiot, atteint d'épilepsie, ou à

un enfant que l'épilepsie a rendu idiot. Mais pratiquement, il

existe une pierre de touche qui indique que la thérapeutique doit

leur être commune. On les éduquera en commun ; on leur dispen-

sera le même enseignement professionnel, sauf à assigner des

locaux d'habitations distincts aux épileptiques et aux idiots. Il y

a longtemps que l'expérience a combattu victorieusement cette

objection que les enfants atteints de débilité mentale ou d'imbé-

cillité simple pourraient devenir épileptiques par imitation. Quant

à cette autre que la communauté entre épileptiques et idiots pour-

rait nuire à l'intelligence de l'épileptique, rappelons-nous que,

dans tout asile d'épileptiques, on observe toutes les formes de

l'arrêt de développement intellectuel. Il va de soi que l'aliéna-

tion mentale et la démence de l'épileptique peuvent sans incon-

vénient cohabiter avec la démence de l'idiot.

Comment disposerions-nous donc notre asile d'idiots et d'épilep-

tiques ? D'un côté le sexe masculin; de l'autre le sexe féminin.

Chaque division se composerait :

a. D'un quartier pour l'instruction des épileptiques;

b. D'un quartier pour l'instruction des idiots;

c. D'un quartier des ateliers pour enseignement manuel des

malades adolescents et adultes ;

d. De constructions économiques (travail agricole);

e. Hospice avec section spéciale pour enfants idiots; z

f. Asile proprement dit et infirmerie.

Nous ne conseillerions pas le système des petits pavillons séparés,

quelque alléchant qu'il soit, parce que ces petits pavillons sont

trop difficiles à surveiller. Or, on sait combien dans ces établisse-

ments il faut surveiller personnel et malades. De plus, vous êtes

obligé de soumettre à un même mode de traitement des catégo-

ries distinctes de malades; il faut donc qu'il y ait une combinai-

son, une association en temps utile de groupes déterminés, et que,

par conséquent, sous l'influence commune des mêmes médecins,

des mêmes administrateurs, des mêmes professeurs, on puisse

faire fusionner les sections et leurs pensionnaires, ou qu'on les ait

sous l'oeil. Il y a donc une adaptation architecturale à trouver.

D'autant plus qu'il faut savoir ménager les ressources dont on dis-

pose. On ne peut, au début d'un établissement, construire simul-

tanément les bâtiments que nous avons éuumérés plus haut; il

112 ) . SOCIÉTÉS SAVANTES.

faudra, par conséquent, dans les premières années, conserver sous

le même toit que celui de l'édifice scolaire, bien qu'en des divi-

sions distinctes, les épileptiques et les idiots adolescents.

Ce mode d'assistance aura, en outre, un avantage incontestable.

Les sociétés de bienfaisance s'y intéresseront, parce qu'il pourra

être utile à une classe imposante d'indigents. L'Etat et la province

y contribueront, parce que la combinaison proposée déchargera

tout de suite les asiles d'aliénés en leur enlevant des pensionnaires

dangereux et remuants. "

A qui appartient-il de construire ces asiles ?

Une expérience de plus de trente ans dans ces questions nous

montre que c'est à l'Etat ou à la province, qui ont su se montrer si

actifs en matière d'assistance des aliénés, qu'incombe l'assistance

des idiots et des épileptiques. Ce ne peut être la charité privée qui

dispose toujours, pour une si grosse affaire, de moyens insuffi-

sants, et comme argent et comme organisation. De plus, la direc-

tion doit y être médicale comme elle l'est pour les asiles d'aliénés,

sinon l'on se heurte à des questions religieuses, le plus souvent

étroites, et à des individualités incompétentes, sinon réfractaires,

malgré elles, à l'application de la science et de l'humanité bien

entendue.

On a émis l'idée qu'il valait mieux ne pas placer un médecin

à la tête de ce genre d'asiles, parce que les formes morbides à

traiter participaient d'une identité presque complète. C'est aussi

peu soutenable que pour les asiles d'aliénés. L'épilepsie masque

autant de variétés pathologiques d'ordre psychique et physique

que la pathologie mentale. Il suffit de l'observer quelque peu afin

de s'en convaincre. Et quelle est la catégorie de perturbations

thérapeutiques, médicamenteuses ou autres (hydroélectrothérapie,

etc)., qui exige plus d'interventions ? Et la pédagogie médicale ?

Et les modes d'enseignement professionnel, etc., etc. !

Puis, un établissement de ce genre reçoit bien d'autres névro,

pathes. En neuf années, à Stellen, parmi les malades qui sont

entrés dans la section d'épileptiques, il n'y a pas eu moins de

12 p. 100 d'individus non épileptiques. Combien d'hystériques ?

Combien de choréiques ? Combien de jeunes gens affectés de

manifestations psychiques ? Combien de maladies organiques du

système nerveux ?

Faut-il mentionner maintenant la tâche psychiatrique ? Tous ces

malheureux présentent des anomalies intellectuelles et morales

multiples, des accès de dépression ou de mauvaise humeur qu'il

faut connaître et savoir manier. Il n'y a pas d'autre traitement à

appliquer que le traitement médical, même quand, par euphé-

mieme, on lui oppose la direction morale. Quel est le moralisateur

non-médecin qui saura utiliser et développer les forces intellec-

tuelles et physiques des malades sans les forcer ? Le médecin doit

SOCIÉTÉS SAVANTES. 113

donc, comme pour les asiles d'aliénés, être le directeur de tous les

agents qui s'occupent des épileptiques, aussi bien du pasteur et de

l'instituteur que du personnel subalterne. La clinique et l'anatomie

pathologique sont, comme chacun sait, les bases de toute la méde-

cine, à quelque fonction ou à quelque faculté qu'elle s'applique.

M. LOEHR étudie ce qui s'est fait jusqu'à ce jour en Prusse et en

d'autres points de l'Allemagne. La charité privée, le pasteur de

Bodelschwingh à Bielefeld, les sociétés particulières pour l'assis-

tance des épileptiques.' II en tire qu'il est possible d'installer des

établissements autonomes qui remplissent admirablement le but

proposé.

On n'a malheureusement pas encore de statistiques permettant

de savoir combien d'épileptiques on aura à hospitaliser dans telle

ou telle région. Mais rien n'empêche d'adapter à 1.000 malades

une organisation qui convient à 100 malades. La statistique du

Brandebourg et celle de Teltow n'ont fourni que des résultats

défectueux; on y a tout au moins relevé des causes d'erreur qui

pourront être à l'avenir évitées.

En tout cas, il appert qu'il faut construire des asiles spéciaux

pour épileptiques. Mais il importe d'en exclure les épileptiques

atteints de psychoses chroniques : ceux-là on les transférera dans

les asiles d'aliénés ou dans les hospices, sinon, si le nombre en est

suffisamment grand, dans des asiles exprès. On les disposera,

comme les asiles d'aliénés, sauf à établir des divisions en rapport

avec chaque catégorie. Un des pavillons sera consacré à l'éduca-

tion des enfants épileptiques, on groupera autour de celui-là le*

pavillons de ceux qui réclament des soins purement médicaux. Il

vaudrait mieux que l'école fût autonome.

L'agencement, la disposition et l'aménagement de cet asile parti-

ciperont de tous les bienfaits de l'hygiène. Il faudra pour cela

considérer l'ensemble de l'établissement comme une sorte de

maison de santé ouverte. Aussi reléguera-t-on en des bâtiments

distincts et éloignés les idiots et les déments. L'école sera séparé-

- ment ouverte aux enfants épileptiques et aux enfants idiots. Mais,

grâce à la continuité des rapports de la section dite de traitement

et de celle dite de maladies chroniques, il sera toujours aisé de

classer, comme il convient, au temps et à l'heure, épileptiques

simples, idiots ou déments. ,

Il ne faut pas oublier que l'épilepsie est une terrible maladie, 11

- laquelle il faut constamment appliquer de nouveaux modificateurs

thérapeutiques; par conséquent, le directeur doit forcément en

.être un médecin, c'est tout au plus si dans les sections de l'hospice

on pourrait se contenter d'un administrateur. L'incurabilité est un

.mot que la science doit tenter de supprimer par tous les moyens

'possibles.

Archives, t. XXIV. 8

114 SOCIÉTÉS SAVANTES.

Conclusions :

Il Il convient, dans les régions où l'on veut préparer l'assistance des

épileptiques, avant tout de dresser une statistique, en recensant ces

malades d'après leur âge, leur sexe, leur état physique et mental, ainsi

que d'après leurs moyens d'existence;^- 2° Ceux qui doivent être assis-

tés par un établissement spécial, et parmi eux, il faut compter les

enfants astreints à l'enseignement scolaire, auront tout à gagner d'asiles

autonomes les recevant volontairement, dont la direction incombe à un

médecin; - 3° Les épileptiques affectés de vésanies chroniques seront

mieux placés assurément dans les asiles d'aliénés ou dans les hospices

d'incurables, mais on pourra aussi les interner dans les asiles autonomes

entourés de terrains spacieux; - 4° On séparera autant que possible les

idiots des enfants épileptiques, on n'en fera point l'enseignement ni

l'éducation en commun; il vaudrait mieux réserver aux premiers des

établissements séparés comme cela s'est lait jusqu'ici.

Discussion : M. PELMAN déclare qu'il adopte désormais la supré-

matie de l'Etat en pareille occurrence ainsi que la direction médi-

cale.

M. ZINN aîné. M. Wildermuth a donné la note exacte de l'assis-

tance des épileptiques. Il ne peut y avoir de désaccord que sur des

points d'une importance secondaire qui dépendent simplement de

conditions purement locales. Les asiles pour épileptiques doivent

être installés par l'Etat, de même que les asiles d'aliénés, ils doivent

être dirigés par des médecins et organisés comme ces derniers, car les

épileptiques sont des malades. L'an dernier, dans une conférence

sur l'assistance spirituelle des aliénés a été émise la proposition

suivante : Que peut faire la charité chrétienne indépendante pour

ceux des aliénés que les médecins abandonnent sans espoir ? » Eh

bien ! nous n'abandonnons jamais un malade sans espoir. L'in-

digent le moins curable abesoin du discernement médical ; ilfaut

savoir, suivant son état morbide, lui dispenser les soins, l'alimen-

tation, la vêture, et l'occuper. Le médecin seul est en mesure de

l'assister en parfaite connaissance de cause, car lui seul possède

les connaissances et l'expérience préalables. Seul il peut atténuer

les souffrances de l'incurable, il peut rendre supportable sa situa-

tion et préserver son entourage des dangers qu'il lui fait courir pré-

server le malade de lui-même. Nous ne repoussons point la charité

indépendante, nous en acceptons la collaboration et nous l'accep-

tons avec reconnaissance. Le pasteur de Bodeischwingh est plein

de dévouement, de zèle et de persévérance, mais nous ne pouvons

nous abstenir de diriger la charité chrétienne indépendante. C'est

un moyen qui doit être mis au service d'une assistance ration-

nelle, etqui doit servir à faire accepter des maladesle traitement et'

les soins matériels que la science et l'expérience nous indiquent.

La charité est impuissante à nous éclairer sur la nature de ces

maladies, elle ne peut donc les alléger ni les améliorer. Nous, au

contraire, nous pouvons espérer, par les méthodes techniques que

SOCIÉTÉS SAVANTES. 115

seuls nous connaissons ou étudions, jeter quelque jour la lumière

sur tels ou tels éléments morbides.

M. Siemens. Je partage complètement la manière de voir de

M. Zinn. J'ajoute que les directeurs spirituels des asiles d'épilep-

tiques affectent maintenant des allures agressives à notre égard.

Il est démontré aujourd'hui qu'ils voudraient éliminer complète-

ment les médecins des asiles en question. On les tolère, on les

laisse parfois contre son gré venir chaque semaine s'immiscer dans

la distribution intérieure des médicaments et des objets de pre-

mière nécessité. On permet aux diaconesses, d'administrer des médi- z

caments (K Br.parexemple), d'appliquer des moyens chirurgicaux;

ces dames soignent, et le médecin devient pour elles un être su-

perflu dans le traitement spécial des accidents psychopathologiques.

Il y a plus fort que cela; j'affirme avoir vu un directeur spirituel

d'un asile de ce genre, s'être fait commissionner par un tribunal

comme spécialiste. Il s'agissait d'interdire un épileptique. Il a ré-

digé un rapport. Il y expose, avant d'entrer en matière, qu'il est

en mesure d'éclairer les magistrats sur l'état mental de ces ma-

lades. Le rapport fait par lui arriva au collège des médecins à fin

de revision technique, et c'est moi qui fus chargé d'en référer ,t

M. le Ministre. Faisons donc bonne garde. Les prêtres visent aussi

les asiles d'aliénés. Veillons sur un terrain qui nous appartient

légitimement.

M. JOLLY. Ce qui me sépare de M. le rapporteur ce n'est qu'un

ensemble de détails qui dépendent de distinctions locales. Ainsi,

dans les petits Etats, quand il s'agit de sociétés ou de bureaux de

bienfaisance peu fortunés, on pourrait interner les épileptiques in-

digents avec d'autres incurables dans les asiles d'infirmes. Les

malades qui n'ont besoin que d'une hospitalisation passagère

peuvent être reçus dans des quartiers séparés, ainsi dans les quar-

tiers d'aliénés des hôpitaux des villes. Quoi qu'il en soit, l'épilep-

tique est un malade, c'est du médecin qu'il a besoin.

M. ScHOEFER. La Saxe a le mérite d'avoir frayé le chemin en ma-

tière d'assistance des épileptiques et des idiots. On a d'abord recensé

en haut lieu (Koenigliches 0&s)'p)'aM ! 'd;'M;n) le nombre des épilep-

tiques et des idiots qui avaient, dans la population de la province,

besoin d'assistance. La proportion trouvée a été de 0,462 p. 1,000.

Puis le Landes direclor a recommencé le recensement, il a trouvé

0,737 p. 1,000. Le nombre total des épileptiques et des idiots de

la province est monté dans les deux opérations à 1,118 p. 1,000-et

1,609 p. 1,000. MM. les pasteurs s'immiscent ainsi dans les affaires

médicales parce qu'ils prétendent que dans les asiles conduits par

des médecins leurs coudées ne sont pas franches; on entrave,

disent-ils, leur ministère. Ceci est tout à fait erroné. '

M. POETz. Le conseil provincial de la province de Saxe se propose,

116 . SOCIÉTÉS SAVANTES.

sauf décisions ultérieures, de construire un asile pour six cents épilep-

tiques et idiots, qui, en même temps, recevra, autant que possible,

les aliénés, atteints d'épilepsie chronique, des asiles provinciaux

existants. La Société adopte à l'unanimité la motion suivante :

, La Société des aliénistes allemands est d'avis que les asiles pour épi-

leptiques doivent, dans l'intérêt de l'humanité et de la science, être, de

- même que les asiles d'aliénés, dirigés par des médecins; ils seront orga-

nisés comme ces derniers. ,

. Etat actuel de la question de l'aphasie. MM. Mosu et Wernicke,

rapporteurs. - Il est avant tout entendu que le mémoire de

M. Sommer sera lu après ces rapports, avant qu'on n'entame la

discussion.

M. MOELI rappelle les recherches de Fristsch et Hitzig, les travaux

' de Wernicke, Kussmaul, Lichtheim, Grashey, enfin le schéma de

Wernicke qui a soulevé bien des objections au point de vue et de

la division et des termes proposés 1.

Pour M. Moeli le mécanisme de la parole ou la formation du

mot suppose une première dislinction fondamentale. Il ne faut pas

confondre la parole parlée avec la parole écrite. En second lieu, les

éléments qui sont en rapport avec le son des mots entrent égale-

1 ment en jeu dans les mouvements que ceux-ci nécessitent. De là des

dessins schématiques qui représentent, d'après l'orateur, des uni-

tés physiologiques cohérentes, sans qu'il faille en conclure que ces

fonctions se transmettent à certaines parties déterminées du cer-

veau. Aussi M. Moeli se contente-t-il d'étiqueter ces dessins sous des

dénominations qui n'ont rien d'anatomique. Il se borne à parler

de perturbations dans le son et dans le mouvement des mots. S'il y

a une interruption partielle ou complète dans les tractus qui

vont au champ du son du mot ou qui en viennent, peu importe ;

l'auteur s'exprimera invariablement ainsi : Il y a trouble dans la

notion du son du mot.

On apprend, d'après lui, à se servir d'un mot en exerçant un con-

trôle continuel à l'aide de l'oreille et en comparant l'image du

son du mot à l'idée qu'il représente. On apprend à lire en unis-

sant à des mots déjà connus, représentés par des lettres, des

lettres que l'on vient d'apprendre. La parole écrite (le langage

' des lettres) dépend de l'intégrité des trois éléments qui con-

courent à l'épellation (élément imagé, élément sonore, élément

moteur). Si la fonction ou le champ fonctionnel qui commande au

son du mot ou au monvement du mot, est entravée, il se produit

de l'alexie et de l'agraphie.

L'acte de la parole et de la répétition des mots, celui qui préside z

' à l'intelligence de la parole et de l'écriture, constituent des fonc-

1 .

' ' On trouvera ces travaux dans les Archives de Neurologie.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 117-

tions tout à fait différentes de l'organisme, et, par suite, ne sont

pas uniformément atteints. Celles qui nécessitent de la peine, par

exemple le travail de la composition des mots par des lettres, i

sont le plus tôt altérées. De là, par exemple, la dyslexie. Les con-'

nexions, ou transmissions les plus perméables entretiennent cer--4

tains rouages; ou, si l'on préfère, ceux-ci gardent leur constitu-

tion grâce à la sollicitation continue de la valeur de l'incitation.

Mais les sollicitations provoquées par les processus internes ou

externes n'ont pas une activité égale. Elles peuvent s'additionner

en une incitation totale, c'est ainsi que l'exercice détermine l'arri-

vée à la connaissance des dénominations par la simple vue de l'i-

mage écrite et qu'on arrive à lire des caractères écrits en appelant

à son aide l'image des mouvements que nécessite l'écriture de ces

caractères, en s'en représentant l'exécution graphique.

, A l'origine, l'enfantement d'un mot fait courir une incitation du

champ de l'idée ou de la notion que ce mot représente au champ

du son qui lui correspond; puis, par l'habitude, ces deux champs

sont intimement liés. La paraphasie est, à cet égard, particulière-

ment intéressante. On ne saurait méconnaître que, lorsque la fonc"

tion du son correspondant à un mot est troublée, il n'existe en

même temps un trouble très accentué des mouvements nécessaires -

à l'émission du même mot, de sorte que ce dernier contribue à la

,suppression presque complète de l'image du mot. Dans l'espèce

donc, le trouble du champ moteur, et par suite de l'expression,

dépend de l'altération de l'activité de l'élément sensoriel; si bien

qu'il est impossible de déterminer les limites qui séparent l'aphasie

motrice de l'aphasie sensorielle.

Il est impossible, pour la plupart des hommes, de saisir, dans le

domaine de la perception consciente, l'indépendance des images

représentatives qui correspondent aux mouvements en rapport ,

avec la formation du mot, d'établir que ces images sont indépen-

dantes des sons des mêmes mots. La cause en est probablement à

l'association qui s'est produite à l'origine entre l'image du son et

l'image du mouvement de l'émission. Mais il se peut que, sous des

influences pathologiques, les images motrices représentatives soient

exagérées du fait de certaines hallucinations. Quoi qu'il en soit,

l'activité de l'image sonore des mots est la plus importante; les

troubles en retentissent nettement non seulement sur l'intelligence

du mot et de l'écriture, mais sur l'expression, l'émission du mot

parlé et du mot syllabé. Le mécanisme de la vie conceptuelle doit

aussi être touché par la lacune sensorielle en question. Elle doit

apporter un grand trouble dans la précision de la pensée de l'indi-

vidu, pensée qui exige l'exercice de la parole intérieure et ne se

fixe que par son incarnation dans les mots. Il est donc légitime de

se représenter la fonction du son des mots comme le rouage cen-

tral, le foyer de l'appareil verbal.

118 SOCIÉTÉS SAVANTES.

M. Wernicke n'a rien à ajouter pour le moment.

M. Sommer. La théorie des localisations suffit-elle à expliquer les

troubles de la parole jusqu'alors observés ? - Tout récemment, cori-

fiant dans l'exactitude des schémas localisateurs, on a opéré des

aliénés. M. Baukhardi a, chez des hallucinés, enlevé des morceaux

de circonvolution dans les zones de Wernicke et de Broca; il a aussi

tenté de rompre le charme de conceptions associatives en creusant

des tranchées dans le cerveau.

Or, d'après M. Sommer, il est à peu près^impossible d'expliquer

certains cas de troubles de la parole par les divers schémas en

question. Prenant le fait qu'il a lui-même décrit dans le Zeitschrift

für Psychologie und Physiologie der Sinnesorgane, t. II, p.'44.i à 163.,

il fait remarquer que c'est le même que Grashey a essayé d'expli-

quer en 1885 (Ueber aphasie und ihre Beziehung sur lVuhrnehrnung).

au moyen de la théorie de la lecture et de l'écriture par l'épella-

tion. Aujourd'hui; cette théorie est insuffisante, au même titre que

la doctrine des centres de la parole, pour expliquer ce fait. On a

recherché, chez le malade en question, l'association, la combi-

naison des idées et des notions, et ces nouvelles recherches contre-

disent à l'existence d'un centre des idées. C'est un postulatum à

rayer, de même qu'il a fallu rayer l'hypothèse d'un organe

psychique d'association.

Conclusion : .' .

1° Les schémas qui ont actuellement cours sur les centres de la parole

ne suffisent plus à expliquer tous les faits décrits jusqu'ici de troubles

de la parole; -2° A mesure que s'enrichit le matériel d'observations, le

nombre des centres et des fibres conductrices que l'on forge augmente

également; -- 3° Dans les publications sur les troubles de la parole, il

faut s'attacher surtout à les décrire, non pas à les expliquer; - 4° Les

déductions psycho-anatomiques et les hypothèses à priori s'embrouillent

principalement quand on considère un centre d'idées, et les contradic-

tions sont telles qu'il faut se montrer d'une extrême prudence dans

l'analyse des troubles de la parole à la lumière de ces postulata; -5° Le

principal mérite des schémas dressés sur le mécanisme de la parole est

de former un point de repère pour l'examen des troubles de la parole;

- 6° Il est à souhaiter de trouver un schéma psychologique beaucoup

plus compréhensif que les schémas des centres de la parole comme con-

ducteur dans l'examen des symptômes en question; 7° Il convient de

s'efforcer d'introduire dans l'examen des troubles de la parole, surtout

quand il s'agit d'un ralentissement dans la formation des mots, les

méthodes de mensuration de la psychophysique qui concernent le temps

employé à l'exécution d'un travail mental; - 8° A l'exemple de Grasheyt

qui a observé par les nouveaux procédés les troubles de la parole, il faut

tenir compte de la succession des phénomènes que comporte la fonction

et leur décours dans le temps; - 9° Le diagnostic local des lésions

cérébrales est, en temps que science des faits, tout à fait indépendant

' Voyez Archives de Neurologie.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 119

des théories établies pour expliquer les faits en question; - 10* Les opé-

rations entreprises sur le cerveau des aliénés et en particulier chez des

hallucinés, sont dépourvues de base scientifique précise; il faut les aban-

donner, d'autant plus que les résultats jusqu'à ce jour obtenus sont néga-

tifs, totalement négatifs.

Discussion : M. GRASHEY. Le cas d'aphasie que j'ai décrit il y a

six ans, j'ai tenté de le rattacher à un trouble de la mémoire :

le même malade a été examiné, six ans plus tard, par M. Sommer,

et il trouve que les symptômes actuels ne sauraient être rattachés

à un trouble de la mémoire encore existant, sans cependant pour

cela qu'il veuille douter de mon explication de jadis. Il serait léger

de ma part de changer ce que j'ai dit il y a six ans après un nou-

vel examen du malade. Je n'oserais non plus tirer, de ce que j'ai

vu il y a six ans, une conclusion conforme aux vues de M. Sommer.

Je rappellerai seulement, pour ceux qui pourraient douter des

relations que j'ai établies entre le trouble de la parole et le trouble

de la mémoire, qu'à cette époque j'ai nettement mis en évidence

expérimentalement que le malade avait passagèrement recouvré la

mémoire et, qu'en même temps que cette amélioration, il avait

recouvré la parole. J'ajouterai que l'impotence totale du malade

qu'a produite M. Sommer n'est pas aussi pure qu'elle le parait.

Il force le patient à tenir la langue tirée hors de la bouche, mais

ne se peut-il pas que cet effort qu'on lui impose, influence les

troubles de la parole. Il est bien des malades chez lesquels on cons-

tate l'incapacité d'exécuter un mouvement simple quand ils en ont

simultanément un autre à effectuer.

M. Wernicke. M. Sommer prétend qu'il est nécessaire d'admettre

de nouveaux tractus et de nouveaux centres pour expliquer de

nouveaux cas d'aphasie. Evidemment, il en a imaginé de nouveaux

à l'appui de son observation, mais sont-ils exacts ?

En second lieu, ce serait là le second cas d'aphasie de Grashey

qui existe dans la science, s'il ne concernait le même malade sur

lequel Grashey a fait ses belles recherches. C'est donc un cas

unique, une merveille, et cette merveille est tellement extraordi-

naire que, six ans plus tard, les ingénieuses explications de

M. Grashey sont impuissantes à en rendre compte. Or, entre un

trouble de la mémoire si prodigieux et l'aphasie de Grashey, il n'y

a pas de rapport qu'explique une loi. Et cette exception unique,

c'est sur elle que se base M. Sommer pour battre en brèche la

théorie des localisations, en ce qu'elle touche à l'aphasie, alors

que des milliers de cas ont servi à l'établir. Autant vaut la nier

sous prétexte qu'on peut devenir aphasique à la suite d'une frayeur

ou sous l'influence d'un ver intestinal. Ce sont là des troubles fonc-

tionnels localisables, mais non localisés.

La conductibilité des tractus d'association présente bien évidem-

ment des variétés suivant leur mode d'utilisation dans telle ou telle

120 SOCIÉTÉS SAVANTES.

direction. Voici un objet qui frappe mes regards, je sais ce que

c'est, j'en ai l'idée, la notion précise, je puis le décrire exactement,

et cependant son nom m'échappe. On me le nomme et son image

se dessine nettement dans ma connaissance. Quand vous parlez

une langue étrangère qui ne vous est pas habituelle, ne la com-

prenez-vous pas souvent sans difficulté, alors qu'il vous arrive de

ne pouvoir trouver les sons, c'est-à-dire les images sonores, à l'aide

desquelles il vous faut vous exprimer. Ce sont indubitablement des

exemples de légers accrocs sur des tractus déterminés suivant les

directions de la conductibilité mise en jeu; il semble qu'il faille

raccorder tels ou tels postes par tels ou tels fils nerveux.

M. GRASHEY. M. Wernicke a trouvé la solution. Il est impossible

à tel individu momentanément de se servir d'un tractus conduc-

teur en deux directions opposées. Chez mon malade, celle incapa-

cité est plus accentuée. On vous dit le mot qui vous échappe et vous

éprouvez une difficulté momentanée à faire fonctionner vos fils de

raccord sur-le-champ suivant le sens qui vous est nécessaire. A mon

malade, on a beau répéter à satiété le mot qui lui manque, c'est

peine perdue, les tractus conducteurs dans le sens qui lui est néces-

saire ne marchent point. :

Utilisation thérapeutique de l'hypnotisme dans les asiles d'aliénés.

M. BINSWANGER, rapporteur. - C'est au psychiatre qu'il appartient

de dissiper les voiles mystiques qui entourent encore l'hypnotisme,

et de l'expérimenter au point de vue positif chez les aliénés. Mais >

il convient d'être extrêmement prudent et quant au choix des sujets'

à soumettre à ces expériences et quant à la manière de procéder,

afin d'éviter des épidémies dans l'établissement.

Nous connaissons tous les travaux de Heidenhain, Gruetzner,.

Charcot, Bernheim, Forel et Binswanger. Par suite, l'importance

de l'hypnotisme est indéniable au double point de vue de modifi-

cateur et d'analyseur des fonctions du système nerveux. Je ne

doute pas, pour ma part, que les vieux moyens hypnogènes d'ordre

physique ne puissent provoquer l'hypnotisme sans aucune sugges-

tion ; par conséquent, la théorie moderne de Bernheim, Forel et , f

autres, est, à mon avis, trop absolue. Toutefois, il faut préférer la

méthode suggestive pour l'étude psychologique de l'hypnotisme,

parce qu'elle donne à l'expérimentateur le moyen de rester maître ,

de l'action qu'il produit, de la graduer, de la diriger dans tel ou tel -,

sens à son gré. Dans ces conditions, après avoir nettement précisé

les éléments de l'expérience, on pourra tirer des résultats ob-

tenus des conclusions déterminées sur les phénomènes psychiques

que l'hypnotisme aura provoqués. Prenons un exemple, celui des ,

hallucinations négatives ou cet état si spécial des fous systéma-

tiques envahis par des conceptions délirantes de nature hypochon-

driaque. De même que le patient en question, obéissant, à son insu,

SOCIÉTÉS savantes. , 121

à son délire pathologique, croit que certaines parties de son corps

sont transformées, ou anéanties et assure que l'organe malade

modifie ou supprime toutes les sensations en rapport avec lui, de

même nous pouvons, chez la personne hypnotisée, supprimer arti-

ficiellement les phénomènes moteurs, sensibles ou autres. Il nous

est, d'autre part, possible, ainsi que l'a montré Charles Richet, de

suggérer une idée délirante à un sujet, de lui faire croire qu'il

change de personnalité, qu'il devient un animal. Néanmoins, n'ou-

blions point que la puissance de l'expérimentateur a des limites,

dans l'immense majorité des cas, parce que les conceptions suggé-

rées agissent sur l'association des idées en vertu de rouages auto-

nomes sur lesquelles vous ne pouvez rien. Il se produit ainsi des

conceptions inhibitrices qui paralysent l'influence de la suggestion,

ou bien des conceptions suggérées provoquent un travail d'assimi-

lation, de digestion psychique qui aboutit, malgré vous, à d'autres

complexus conceptuels, à des actes volontaires qui, tout se se rap-

prochant dans leur contexte des conceptions originellement suggé-

rées, modifient l'automatisme du sujet. Telle cette aliénée hysté-

rique à laquelle, pendant le sommeil hypnotique, on suggère de

dormir une heure, et, à son réveil, de demander à l'infirmière une

feuille de papier à lettre. Elle dort réellement une heure et,

quelque temps après son réveil, « ne pourrais-je pas écrire une

lettre », dit-elle. On lui demande pourquoi elle parle ainsi; elle

est incapable de trouver d'explication. Il y a donc une différence

entre l'exécution et la conception suggérée.

L'infection hypnotique, ou infection psychique de l'hypnotisme,

utilisée par Bernheim, ,WeUerstrand, Forel, a réussi chez nous au- ·

delà de toute espérance, si bien que les sujets s'hypnotisaient les

uns les autres par un regard, un geste même et que, parmi le

personnel, quelques individualités jouissant d'une prédisposition

spéciale, faisaient chorus avec les malades. Il en était résulté bien

des inconvénients. Les plus minimes occasions, un mot, un simple

geste engendraient une crise de sommeil prolongé; l'hypnotisme

spontané éclatait par voie d'auto-suggestion voulue ou acciden-

telle ; le personnel devenait ainsi incapable de faire un bon service..

Sans doute, depuis, M. Forel a eu l'ingéniosité d'appliquer cette

suggestibilité du personnel à stimuler son zèle : Mais je répugnerais

à ces procédés pour des motifs que l'on comprendra plus loin.

La thérapeutique suggestive, au sens de l'école de Nancy, n'a

jusqu'ici produit aucun résultat chez la pluralité des aliénés. Elle

offre également bien des dangers; en prolongeant notamment les

expériences hypnotiques chez certains malades on peut exagérer,

les phénomènes morbides existants. Forel ainsisté sur ce point. De

même van Eeden et van Reuterghem. A côté de cela, M. A. Voisin

s'en loue. Depuis 1880, il traite des aliénés de son service par

l'hypnotisme dans le sens le plus large du mot. Evidemment pen-

122 sociétés savantes.

dant dix ans il a traité plusieurs centaines d'aliénés, et, ainsi

qu'il l'expose lui-même, en se donnant un mal énorme pour les

endormir, en infligeant aux patients un tourment très grand. Or,

en 1889, il arrive au chiffre de vingt-six cas positifs. L'examen des

diagnostics formulés nous permet de penser qu'il s'agissait simple-

ment de vésanies aiguës dans quinze de ces observations. M. Forel

croit que ces malades étaient hystériques pour la plupart.

M. Burckhardt, en 1888, publia quatorze exemples favorables à

l'hypnotisme envisagé comme agent thérapeutique. Or les observa-

tions 5, 42, 13, 14 ont trait des alcooliques; en pareil cas, comme

l'indique l'auteur, le traitement de l'asile suffit. Les observations

8, 9, 10 concernent des hystériques adonnées à la morphine et

au chloral; une seule était aisément hypnotisable. M. Burckhard

se garde d'indications exactes sur la statistique et le rapport des

insuccès aux'succès. Au Congrès de l'hypnotisme de 1889, M. Briand

conclut qu'il n'a pu réussir à endormir d'aliénés indemnes d'hys-

térie et que, lorsqu'il a cru avoir réussi, il s'est assuré qu'il avait

eu affaire à des simulatrices.

Après avoir critiqué les mémoires de Bérillon et Velander, l'au-

teur examine l'influence de l'hypnotisme en tant que thérapeu-

tique suggestive sur la dipsomanie et l'inversion du sens génital. Il

admet que l'hypnotisme puisse exercer une influence heureuse

sur certaines tendances, certaines habitudes acquises n'ayant que

des rapports passagers et, en tout cas, peu intimes avec une cons-

titution psychique ou morale congénitale. Mais, dit-il, quand c'est

le terrain mental, l'organisation cérébrale du sujet qui produit ces

tendances vicieuses ou morbides, ou encore des anomalies du

caractère, je ne crois pas que l'hypnotisme puisse bouleverser pour

toujours un tel édifice.

Ces réflexions s'appliquent termes pour termes à la dégénéres-

cence morale des enfants tarés. Si les accidents psychopathiques se

montrent isolés et, pour ainsi parler, à l'état épisodique, indé-

pendants d'un trouble profond de la personnalité, sans doute il

est admissible de suggérer à ces malheureux un changement de

moeurs. Sinon non. C'est la même histoire physiologique que celle

des obsédés, des impulsifs. Mais encore faut-il que les individus

soient hypnotisables ou suggestibles. En ce qui me concerne, je n'ai

pas été favorisé.

Il n'est pas mauvais au surplus de répéter quant à l'aliénation

mentale, qu'abstraction faite de quelques observations isolées de

mélancolie simple, l'immense majorité des succès a porté sur des,

aliénés hystériques. C'est ce qu'il ne faut jamais perdre de vue en

tout état de cause et de maladie. Il convient en outre de se répéter

que les procédés thérapeutiques de l'hypnotisme sont loin d'être

inoffensifs; on ne les mettra donc en vigueur que dans des cas qui,

à raison de la gravité des accidents morbides et de l'insuccès des

sociétés savantes. 123

autres méthodes de traitement, justifient de pareilles tentatives.

En revanche, il est des malades qui, de par les phénomènes patho-

logiques eux-mêmes, constituent de véritables sujets à hypnotiser;

chez eux le terrain est tout préparé pour les expériences en ques-

tion et la suggestion thérapeutique dès lors tout à fait anodines.

C'est ce qui arrive pour un grand nombre d'hystériques. Toutes les

fois qu'on rencontre chez un aliéné ou un déséquilibré quelconque

un des éléments morbides qui confinent à ceux de l'hystérie ou qui

en représentent le stigmate, il y a lieu d'agir sur lui par l'hypno-

tisme et la thérapeutique suggestive..

M. de KRARFT-EBING. - Il est tout naturel que chez les psycho-

pathes on essaie la thérapeutique psychique. Elle peut agir de deux

manières su ries phénomènes matériels qui président aux anomalies

psychiques. 1° Indirectement : l'individu sur lequel on agit, modifié

dans son humeur, ses sentiments,ses manières de voir, ses aspirations,

voit, sous ces influences, sa circulation, sa digestion, son sommeil

se modifier. 2° Directement : les conceptions de l'individu lui-

même agissent sur sa vie matérielle ; c'est l'autosuggestivité du

système nerveux par l'idéation ; la thérapeutique suggestive a ici

pour devoir, de combattre ces facteurs nuisibles en agissant par la

suggestion étrangère. Mais, voilà qui est particulier, en vain vous

appellerez le raisonnement à votre aide, vous n'obtiendrez rien; il

vous faut mettre en oeuvre une série de procédés afin d'engendrer

des phénomènes psycho-physiologiques eux-mêmes étranges. Le

psychiatre est alors de rigueur.

Voici, par exemple, un individu qui est atteint de paralysie

psychique. Il ne peut se servir de son bras légèrement contusionné

dans un accident de chemin de fer. Il n'est en réalité pas le moins

du monde paralysé, il s'imagine qu'il est paralysé, car les désordres

chirurgicaux sont bien moins graves que le trouble fonctionnel.

C'est à coup sûr l'idée delà paralysie qui a provoqué la paralysie.

Pourquoi ? Parce que, à raison d'une prédisposition préexistante

ou de par le fait du choc traumatique, le système nerveux central

a subi une modification psyclio-pliysique d'ordre moléculaire. En

d'autres termes, la paralysie psychique n'est qu'un symptôme

d'une névrose générale (traumatique). Ce qui n'empêche qu'elle

est tangible, somatique. L'attention que le malade a, à la suite du

traumatisme, accordée à son membre blessé, l'émotion exagérée

avec les préoccupations bien naturelles que l'accident a provo-

quées, se sont imprimées dans la conscience du patient, et ont

produit cette idée fixe qu'il allait être paralysé, l'idée a arrêté les

fonctions du centre cortical du bras; la sensibilité cutanée, les mus-

cles et les articulations ont cessé de fonctionner. A cette torpeur

eflective des centres corticomoteurs, peut s'ajouter l'arrêt de l'idéa-

tion du mouvement, le cerveau ne se représentant plus le quantum

et le quomodo de la motilité ; la transmission centripète et cenlri-

124 SOCIÉTÉS savantes.

fuge des impulsions aux mouvements ne se fait plus. Bien plus, le

territoire paralysé peut devenir le siège de troubles de la circu-

lation (anémie), de la tonicité musculaire, d'exagération des

réflexes. 1

Eh bien ! cette paralysie peut guérir spontanément par l'expec-

tation. L'idée fixe s'affaiblit avec le temps, tandis que l'excitabilité,

l'excès d'impressionnabilité du système nerveux rétrocèdent. Cette

action favorable sera aidée par l'influence dérivative d'autres

idées qui impressionnent vivement l'affectivité et l'intelligence, ou

qui provoquent dans l'écorce la disparition de cet arrêt; ainsi, le

malade se croit-il exposé à un nouveau danger, vite, il oublie la

paralysie de son bras et celui-ci reprend ses fonctions. On peut

obtenir cet effet par suggestion médicale, suggestion- religieuse,

suggestion thérapeutique quelconque (massage, électrisation).

Mais la suggestion hypnotique est un agent précieux et des plus

actifs.

L'hypnotisme sert à, renforcer la suggestion. L'action de celle-

ci dépend, pour une bonne part, de la profondeur de l'état hypno-

tique, mais l'hypnotisabilité et la suggestibilité sont deux phéno-

mènes qui ne marchent pas parallèlement. Il faut faire entrer en

ligne de compte la personnalité du patient (les individus instables,

mobiles, superficiels, sont difficilement suggestibles), l'autorité du

médecin, la netteté dans la formule impérative. Aussi faut-il être

un praticien consommé en matière de psychiatrie et de neuropa-

thologie, faut-il connaître à fond les particularités du sujet à trai-

ter, pour faire de la thérapeutique suggestive. Il convient, au

point de vue technique, de prolonger la durée de la suggestion.

En général on peut dire que l'on peut guérir par la suggestion,

à supposer bien entendu que le sujet soit hypnotisable, toutes les

fois qu'on a affaire à une maladie purement fonctionnelle. La

suggestion hypnotique est, d'après mon expérience personnelle,

inoffensive, quand elle est pratiquée par un spécialiste compétent

et accommodée aux circonstances du cas individuel. Qu'on s'en

serve chez les psychopathes, cela est tout indiqué.

. Quel modificateur thérapeutique pourrait être comparé à celui-

là, s'il arrivait à débarrasser les aliénés de leurs sensations, senti-

ments, impulsions, conceptions anormaux. Mais mes doutes à cet

égard sont permis :

1° Parce que les aliénés sont exceptionnellement en possession

de l'attention, de l'égalité d'humeur, du calme moral, de la bien-

veillance, de la force de volonté qui sont les conditions primor-

diales à la réussite de l'hypnotisme ;

2° Parce que bien des affections psychiques tiennent à des alté-

rations organiques du cerveau et que le traitement par la sugges-

tion ne peut guérir que des troubles fonctionnels;

3° Parce que certains symptômes, telles les idées délirantes et

SOCIÉTÉS savantes. 12S

les hallucinations, tout en n'étant pas la conséquence sûre d'alté-

rations organiques, sont cependant des phénomènes si compli-

qués, si intimement soudés au mécanisme des rouages psychiques,

qu'ils ne paraissent guère attaquables par la suggestion, et qu'il

est du reste difficile de formuler les interpellations impératives à

adresser au malade suggéré pour faire cesser ces accidents.

' La théorie permet donc de ne fonder d'espérances, en ce qui a

trait à la thérapeutique suggestive de l'hypnotisme, que sur les psy-

choses fonctionnelles, et, à proprement parler, sur les malades qui

ont conscience de leur état morbide, qui témoignent d'un idiosyn-

crasie psychologique à l'égard de l'hypnotisme. Tels sont ceux

qui présentent des perturbations simples de la vie affective; des

troubles morphologiques de l'idéation, notamment des obsessions;

des idées délirantes d'origine autosuggestive et non point des

délires primordiaux ni des idées fausses, d'ordre mélancolique, '

appliquées à un raisonnement systématique : des impulsions mor-

bides acquises. En d'autres termes, c'est : la mélancolie sans

délire le groupe de neuropsychoses telles que' l'hystérie, l'hypo-

chondrie, la neurasthénie, la folie obsédante - l'alcoolisme - le

morphinisme le cocaïnisme la masturbation - l'inversion

acquise du sens génital. ,

Les faits qui ont été publiés jusqu'ici donnent en partie raison

à la théorie; ils lui seraient même, pour une part, plus favorables

que le raisonnement a priori.

Mon expérience personnelle est modeste, car j'ai, jusqu'à pré-

sent peu employé l'hypnotisme, je ne l'ai employé qu'en cas de

nécessité, sans avoir grande confiance en lui. En plusieurs cas de

mélancolie simple, de folie alcoolique et hystérique, de folie du

doute, de morphinisme; dans l'inversion du sens génital, qu'il

s'agisse d'anomalies congénitales ou acquises. J'ai obtenu tantôt

des guérisons, tantôt une amélioration considérable. Une critique

des cas publiés serait trop défectueuse et, en bien des points, pas-

sible d'objections. On a, somme toute, peine à se défendre de

l'impression que la thérapeutique hypnotique par suggestion n'est

- pas sans valeur pour maintes psychoses et qu'elle donne parfois

des résultats tout à fait inattendus, voire des résultats durables.

Généralement les résultats sont en conformité avec les prémisses

théoriques : seuls les psychopathes lucides, bienveillants, présen-

tant une tendance naturelle à subir l'influence de,l'hypnotisme, et

n'ayant qu'une vésanie récente et légère, sont susceptibles d'être

ainsi traités. Il est essentiel de formuler avec précision le texte de

la suggestion, or, c'est très difficile parce qu'on connaît mal la

pathogénie et l'enchaînement des phénomènes morbides.

Il parait possible, d'après mon expérience et celle des auteurs,

de changer par la suggestion la couleur de l'humeur, la façon de

sentir et l'affectivité, la sensibilité morale et intellectuelle, les

.126 sociétés savantes.

penchants, les idées et d'obtenir la disparition des hallucinations

sensorielles elles-mêmes , ou du moins d'exercer sur elles une

influence favorable, il parait également possible de faire cesser des

perturbations physiques, comme l'agrypnie, l'anorexie, la constipa-

tion, les névralgies. Voilà un nouveau champ d'études et d'expé-

riences bien vaste ouvert à la psychiatrie 1

On a traité : la mélancolie sans délire le délire général des

alcooliques et des hystériques - les psychopathies hystériques les

intoxications chroniques, surtout l'alcoolisme et le morphinisme.

Les résultats les plus remarquables ont été obtenus dans la dipso-

manie, et l'inversion du sens génital; ajoutons-y la folie du doute.

Il est indiqué d'agir par la suggestion contre toutes les anomalies

de l'humeur et de l'affectivité, les sensations d'angoisse, les impul-

sions pathologiques, sexuelles ou alcooliques; dans le sevrage de

la morphine et de la cocaïne. Elle ferait céder des habitudes

vicieuses telles que l'onanisme et viendrait à la rescousse dans les

troubles de l'idéation et de la volition.

Quant aux délires et aux hallucinations, on voudra bien nous

accorder qu'il ne s'agissait que des perturbations intellectuelles

des vésanies toxiques et hystériques. Les idées délirantes systéma-

tiques, organisées, cristallisées de la paranoïa et de la mélancolie

ne sauraient céder.

MM. KaOEMER et Siemens se plaignent de ce qu'on a appliqué

aux directeurs-médecins des asiles d'aliénés de la Prusse, le dé-

cret ministériel des 19 et 23 septembre 1888, enlevant aux médecins

ordinaires le droit de rédiger les certificats propres à l'obtention

des permis de circulation des cadavres. Ce droit a été rendu aux

médecins en chef des lazarets militaires et aux directeurs des cli-

niques universitaires (arrêtés des 11 octobre 1889 et 7 février 1890).

Pourquoi ne le rendrait-on pas aux directeurs-médecins ?

Les directeurs-médecins des asiles provinciaux d'aliénés de la

Prusse sont unanimes à le réclamer, moins M. Poetz (Alt-Scher-

bitz), car, après comme avant, il a pu établir ses pièces et les faire

accepter, sans le concours de Kreis hysikus.

Discussion : M. ZINN ainé. C'est de toute justice, car il se peut

que le Kreis hysikus n'habite pas l'endroit même de l'asile d'alié-

nés. Il faut aller chercher le lvundarzt, qui le remplace en un

troisième endroit, de là des dépenses, et une perte de temps sou-

vent énorme, surtout si, comme cela arrive, on ne trouve pas chez

lui le médecin-assermenté-fonctionnaire. Ce qui lèse les intérêts

des familles riches et le plus souvent pauvres, qui veulent faire

transporter près d'elles les dépouilles mortelles de leurs parents.

Cette considération est à inscrire dans la pétition au ministre.

Adopté. (Allg. Zeilsch. f.Psychiat., XLVIII, 4.) P. KERAVAL.

sociétés savantes. 127

t

SOCIÉTÉ DES MÉDECINS NEUROLOGISTES

ET ALIÉNISTES DE MOSCOU.

Séance du 20 Stptembre 1891.

1. M. le Dr DanacaEmTCU. Une observation de poliomyélite chro-

nique. - Le malade a quarante ans. Atrophie musculaire et fai-

blesse des membres supérieurs du cou, du dos et en partie des

membres inférieurs à évolution progressive. Réaction partielle de

dégénérescence. Aucun phénomène de rigidité. Réflexes tendineux

des membres supérieurs absents, réflexes rotuliens présents et

normaux. Rien à noter du côté des organes du bassin.

Aucun phénomène bulbaire. A la fin de la deuxième année de

maladie, mort par paralysie de diaphragme. Examen microsco-

pique : substance grise : diminution et atrophie des cellules gan-

glionnaires des cornes antérieures des parties cervicale et thora-

cique, augmentation en nombre des cellules araignées de Deiters,

hémorrhagies capillaires notables. Substance blanche : atrophie

très nette des fibres de la partie fondamentale des cordons antéro-

latéraux (zones radiculaires antérieures d'après M. Charcot) dans

le voisinage immédiat de la corne antérieure; une certaine raré-

fication des fibres des cordons latéraux et postérieurs ; les cordons

de Turck sont intacts. Les racines antérieures sont nettement

atrophiées, mais le nombre des fibres restées intactes est beaucoup

plus considérable relativement à celui des cellules restées intactes

dans les cornes antérieures.

Le rapporteur considère son observation comme une poliomyé-

lite chronique et insiste sur la nécessité de différencier nettement

la poliomyélite de la sclérose amyotrophique. L'atrophie partielle

des fibres des cordons latéraux ne suffit pas pour invalider le dia-

gnostic de poliomyélite, cette atrophie n'impliquant pas nécessai-

rement une atrophie des faisceaux pyramidaux. Or, une lésion de

ceux-ci est la conditio sine qua non de la sclérose amyotrophique.

Quant au défaut de parallélisme entre l'atrophie des fibres des

racines antérieures et celle des cellules des cornes antérieures,

il faut en conclure que les racines antérieures proviennent non

seulement de ces cellules, et il faut croire qu'en second lieu, ce

sont encore les cellules de la base de la corne postérieure qui leur

donnent naissance.

Discussion : M. le Dr Rorn trouve une certaine analogie entre

cette observation et les cas d'Oppenheim et de Nonne. Il est pos-

sible que les cas de ce genre formeront un groupe morbide à part

128 sociétés savantes.

quand les observations seront recueillies en plus grand nombre et

quand il sera possible de constater leur différence nette de la sclé-

rose latérale amyotrophique. En outre, il lui paraît douteux que

les fibres des racines antérieures ayant la même valeur fonction-

nelle puissent avoir une provenance différente.

M. le professeur Kojewnikoff, en considération des données de

l'examen microscopique, serait plutôt d'avis qu'il s'agit ici d'une

poliomyélite.

2. M. le Dr M1N : 1R. Contribution à la statistique des rapports

' entre la syphilis et le tabès. La nouvelle statistique de l'auteur

comprenant ses observations des dernières années vient à l'appui

des appréciations statistiques sur les rapports du tabès et de la

syphilis qu'il avait fait il y a quelques années. Parmi les malades

venus à la consultation de l'auteur en 1889, la syphilis chez les

hommes russes était quatre fois et chez les femmes russes neuf fois

plus fréquente que chez les hommes et femmes juifs. Pareillement,

le tabès et la paralysie générale étaient plus féquents dans la même

proportion chez les Russes comparativement aux juifs. Il serait très

curieux de faire une enquête si les chancres indurés et les accidents

secondaires se soient jamais observés chez un tabétique. Cette

enquête pourrait aider à élucider la question des rapports entre

la syphilis et le tabès, autant que la méthode de la comparaison

- sous ce rapport de diverses nationalités employée par l'auteur.

A la discussion ont pris part, le professeur KOJEWNIKOFF et le

'Dr BAJÉNOFF qui invoque pour la production de la paralysie géné-

rale la concomitlance de trois causes : syphilis, hérédité morbide

et certaines conditions de vie dans les villes (surmenage cérébral,

manque de travail manuel au grand air, etc.). Chez les paysans

russes, la vérole est très fréquente et la paralysie générale est très

rare.

Séance du 15 novembre 1891.

M. le professeur BoBRow. Epilepsie traumatique. Obturation ostéo-

plastique de défaut crânien. Démonstration de la malade. - Il y a

quatre ans, une fille de dix ans reçut en tombant une fracture du

crâne suivie de perte de connaissance, d'aphasie et d'hémiplégie

et hémianesthésie droites. On constata le lendemain une fracture

compliquée des os frontal et pariétal gauche ; deux esquilles

furent éloignées; la perte constitue un défaut de forme triangu-

laire, mesurant à sa base 3 centimètres sur une hauteur de 6 cent. 5.

La convalescence se fit rapidement, l'aphasie et l'hémiplégie dis-

parurent, mais le quatrième jour apparaissent des crampes clo-

niques affectant la partie droite du corps et de la face. Ces con-

vulsions existèrent pendant une année et revenaient tous les

quinze jours, trois semaines. Elles firent presque complètement

sociétés savantes. 129

défaut pendant l'année suivante, mais deux ans après l'accident,

elles firent leur réapparition, devinrent de plus en plus fréquentes

et étaient suivies de pertes de connaissance. De plus, les facultés

intellectuelles de la malade s'affaiblissaient et elle prononçait les

mots moins bien ; il s'établit aussi une scoliose vertébrale. Le rap-

porteur crut devoir tenter une opération ostéoplastique pour com-

bler le défaut du crâne. L'opération fut faite le 9 décembre 1890,

trois ans après l'accident. Au cours de l'opération, il brisa plusieurs

faisceaux fibreux entre les méninges. Au point de vue chirurgical

l'opération réussit pleinement et le défaut de la boîte osseuse ne

mesure aujourd'hui que 5 centimètres de diamètre. Maintenant

qu'il s'est passé un an après l'opération, les symptômes du côté du

système nerveux se présentent tels : les accès sont devenus moins

fréquents et moins prononcés, la main et le pied droits sont un peu

plus faibles que du côté gauche; l'hémianesthésie droite continue à

exister, la parole est plus nette, la scoliose est en voie d'évolution.

Le professeur KOJEWNIKOFF et les Drs RossoLIMo, CHATaLOw, DARx-'

caEmTCx ont pris la parole au cours de la discussion en analysant

certains des symptômes cliniques de cette observation et les indi-

cations thérapeutiques de l'opération qui fut pratiquée.

' Séance du 20 décembre 1891.

M. le Dr W. Roxa présente une fille de vingt-trois ans atteinte

d'atrophie musculaire progressive, type périphérique (péronéal type)

du rapporteur. Les membres inférieurs de la malade sont défor-

més : genua valga, pied équin, varus très creux, dégénérescence

complète des muscles à partir des genoux, divers degrés d'atrophie

des muscles des cuisses. L'atrophie des muscles des membres supé-

rieurs, atteints à un degré moindre, est graduellement prononcée

dans les parties plus ou moins périphériques du membre. Absence

de réflexes patellaires. Ni douleur, ni anesthésie. Altération quan-

titative de la contractilité électrique. Début de la maladie à l'âge

de deux ans. Ce sont les muscles périphériques du pied qui furent

atteints en premier lieu; à l'âge de sept ans, affection des muscles

de la main. Il parait que le frère de la malade fut aussi atteint de

celte maladie. A propos de celte malade, le rapporteur cite encore

une observation personnelle du même genre. Il s'agissait d'un

homme de vingt-trois ans. Chez celui-ci existait dès l'enfance une

atrophie de la région du nerf péronéen et à un degré moindre

des muscles de la main, pied creux avec orteils en griffe, en plus

un dédoublement des os de l'orteil gauche hypertrophié. Altéra-

tion qualitative et quantitative de la contractilité électrique. Mal-

gré l'absence de antécédents héréditaires, le rapporteur invoque

l'hérédité comme la vraie cause étiologique et croit pouvoir affir-

mer que c'est encore dans la cellule germinative que préexistent,

Archives, t. XXIV. 9

130 sociétés savantes.

ou apparaissent les conditions spéciales qui déterminent le déve -

loppement ultérieur de cette maladie. De l'avis du rapporteur.

cette forme d'atrophie musculaire doit être rangée avec la maladie

de Friedreich dans un même groupe d'affections héréditaires il

caractère dégénératif. '

Les deux maladies ne seraient alors que les extrêmes d'une

série de cas formant transition de l'une à l'autre. Les deux obser-

vations de Déjerine (bled. mod., 1891) ne sont que des exemples

de cette même atrophie musculaire progressive (type périphé-

rique), mais compliquées. Elles tiennent à la fois de la maladie

de Friedreich classique avec atrophie de la plante des pieds (pieds

creux et griffe des orteils) et des formes dans le genre de l'observa-

tion II de Dubreuil, c'est-à-dire des cas, caractérisés par une atro-

phie musculaire très prononcée, mais n'ayant presque pas d'alté-

rations spinales ; viennent ensuite les cas qui manquent absolument

d'altérations spinales, mais présentent à divers degrés des altéra-

tions des nerfs périphériques. Il serait permis de supposer l'exis-

tence des cas manquant totalement d'altérations du système ner-

veux. Si des cas de ce genre venaient un jour à être constatés où

si l'examen microscopique démontrait une « atrophie en longueur

des fibres musculaires D (Rora, Société de Biologie, 1887) caracté-

ristique pour les myopathies, il serait évident que l'atrophie mus-

culaire progressive à type périphérique viendrait en même temps

toucher de très près la myopathie primitive.

M. le Dr Iiorowrcn, en étudiant le courant d'une dynamo-ma-

chine à l'aide du téléphone, établit que ce courant ne peut être

considéré comme étant d'une constance absolue et que son inten-

sité subit des oscillations régulières. Au point de vue théorique, ce

fait pourrait être une indication contre l'emploi dans les procédés

thérapeutiques du courant dynamo au lieu du courant de batterie

quand il s'agit d'une galvanisation stabile. Il est évident que pour

la galvanisation labile, cette objection est nulle. Pourtant la réac-

tion des nerfs sciatiques de la grenouille au courant dynamo ne

diffère en rien de la réaction au courant constant et se conforme

à la loi Pfluger.

DU TRAITEMENT DE L'HYDROCÉPHALIE;

Les chirurgiens ont essayé dans ces dernières années, avec

plus d'enthousiasme que de succès, tout au moins pour les

malades, de traiter opératoirement les maladies du système ner-

veux, comme ils ont pris l'habitude de traiter les maladies ab-

dominales et en particulier celles des organes génitaux. Nous

commençons dans ce numéro l'analyse, nous ne dirons pas

de tous les travaux qui ont paru sur la chirurgie du cerveau,

mais de quelques-uns d'entre eux.

§ I. - DES PONCTIONS capillaires dans l'hydrocéphalie.

Notre maître Giraldès dans une leçon très intéressante qu'il a

consacrée à l'hydrocéphalie, rappelle que Conquest (1838) a beau-

coup conseillé les ponctions capillaires, que sur dix-neuf malades

neuf sont morts; que Batlersby a publié quelques exemples de gué-

rison ; que West, en 1842, a rassemblé les observations de cinquante

malades chez lesquels on avait pratiqué des ponctions capillaires

(quatre succès réels) ]. Pendant notre externat (1862) et notre

internat dans le service de chirurgie de l'hôpital des Enfants-Ma-

lades, puis durant le premier semestre de 1870, nous avons vu

pratiquer au moins une dizaine de fois des ponctions capillaires

chez des hydrocéphales : jamais nous n'avons vu d'amélioration

sérieuse. Presque toujours la maladie poursuivait sa marche ou les

malades succombaient.

Voici maintenant quelques détails sur des essais plus récents.

Les ponctions capillaires ont été pratiquées tantôt suivant la mé-

thode ancienne, c'est-à-dire au niveau des fontanelles, tantôt au

contraire on,a fait au préalable une trépanation, puis pratiqué la

ponction, enfin dans d'autres cas, après la ponction on a eu recours

au drainage. -

1 Giraldès. Leçons cliniques sur les maladies chirurgicales des en-

fants, rec. par Bourneville et E. Bourgeois; Paris, 1869.

132 thérapeutique CHIRURGICALE.

§ IL Paracentèse DES VENTRICULES; par le Dr SPENCER-

SzITH. (Tke British médical Journal du 28 mars 1891,

p. 699.) .

Au sujet de la paracentèse des ventricules du cerveau, je me

rappelle un cas qui s'est produit quelques années après que

j'exerçais, cas dans lequel on eut recours jusqu'à six fois à la

ponction. L'enfant avait six mois et était tombé des bras de sa

nourrice, en descendant un escalier de pierre. Il était tombé sur

la tête et le crâne avait été fracturé.

La première opération eut lieu quelques semaines après la chute

à cause des convulsions qui se déclarèrent; les fontanelles étaient

fortement distendues par les liquides. On introduisit un trocart fin

et une canule, il sortit quelques onces de liquide, et le malade se

trouva beaucoup mieux. Quelque temps après, on dut répéter

l'opération. On fit six ponctions les unes après les autres. L'en

fant finit par succomber d'épuisement.

§ III. Traitement DE l'hydrocéphalie CHRONIQUE par la

PONCTION; par UNVERRICHT. (The Lancet, 12 décembre 1891,

p. 1354.)

Le professeur Unverricht a rapporté, à une session récente de la

Faculté médicale de Dorpat, l'histoire de quatre cas d'hydrocéphalie

chronique qu'il avait traités par ponction, et dont il présentait un

cas à la Faculté. Le malade était un petit garçon de deux ans et

demi, qui, âgé de dix jours, avait été pris de convulsions, et à trois

mois et demi présentait un développement considérable du crâne.

Il fut ensuite atteint de strabisme, de nystagmus et de paralysie géné-

rale, et avançait si peu en intelligence qu'il ne put dire « Papa et

Maman qu'à un an et demi. Il fut admis à la clinique dans cet

état, on lui fit une fois une ponction pour son hydrocéphalie; on

obtint 75 centimètres cubes d'un liquide clair et transparent,

ayant un poids spécifique de 1006,5. Il ne se produisit aucune

réaction, et il s'ensuivit en même temps une amélioration consi-

dérable à la fois physique et intellectuelle.

Le professeur Unverricht lui-même est si satisfait du résultat de

ce traitement qu'il est encouragé à répéter l'opération et à recom-

mander son adoption générale.

IV. Trépanation ET drainage dans l'hydrocéphalie;

par A. BROCA. (Soc. de chirurgie, 1891, 18 février, et Mercredi

médical, 1891, p. 94.)

Il s'agit d'un enfant de quatre ans auquel, en septembre 1890,

traitement DE l'hydrocéphalie. 133

M. Broca « a drainé, pour hydrocéphalie, le ventricule latéral droit.

L'opération n'a pas cherché à être curative chez cet enfant dont

les fontanelles étaient soudées. Mais elle cherchait à faire dispa-

raître une contracture du membre supérieur gauche, survenue

depuis trois mois à la suite d'une crise convulsive, et elle y a plei-

nement réussi ».

§ V. - Traitement DE l'hydrocéphalie par la trépanation

ET LES PONCTIONS ou par la PONCTION lombaire ; par QUINCKE.

(Congrès allemand de médecine interne, 1891.)

Chez un garçon de douze ans, atteint d'une hydrocéphalie con-

sidérable, l'auteur pratiqua la trépanation, laissa la plaie se fermer.

puis pratiqua à son niveau six ponctions dans l'espace de quelques

mois. Les symptômes ne furent que médiocrement amendés, tou-

tefois durant la ponction, la contracture de la nuque et de la bouche

disparut. -

, Le second cas concerne un enfant de deux ans atteint d'hydro-

céphalie aiguë fébrile depuis quatre jours. Délire, strabisme, con-

tracture de la nuque, inégalité pupillaire. M. Quincke mit à nu

l'espace sous-arachnoidien de la colonne lombaire, fit trois ponc-

tions, retira de deux à dix centimètres de liquide. L'enfant guérit

et l'auteur est convaincu que la guérison est due à son traitement.

§ VI. La trépanation pratiquée dans LES cas D'HYDRO-

CÉPHALIE aiguë ET CHRONIQUE; par le D`' HAYES AGNEW.

{University Medical Magazine, octobre 1891, p. 24.)

La ponction des ventricules dans l'hydrocéphalie est une ancienne

opération. La particularité des procédés modernes consiste à

atteindre les ventricules, non par les fontanelles, mais en un point

plus commode et au moyen de l'emploi ultérieur du drainage.

Sur les cinq cas traités de cette manière, à Philadelphie, trois le

furent sur des garçons et deux sur des filles. L'âge respectif de ces

malades était : quatorze ans, quatre ans, dix ans ; trois ans six

mois et vingt-quatre mois. Tous les malades moururent ; un le qua-

trième jour, un le quarante-cinquième jour, un quatre heures

après, un le cinquième jour ; pour l'autre l'époque de la mort n'est

pas indiquée.

Comme l'hydrocéphalie'est habituellement due à une maladie tu-

berculeuse ou à la présence d'excroissances morbides, il est difficile

de comprendre sur quoi on se base pour faire de telles opérations,

puisqu'on n'a aucun espoir de succès, mais que plutôt elles ne font

qu'amener plus vite un résultat inévitable.

134 traitement DE l'hydrocéphalie.

Trépanation pour hydrocéphalie, avec drains.

traitement DE l'hydrocéphalie. 135

du crâne fut élargie d'un pouce un quart, au moyen d'un ciseau

et d'un maillet.

La dure-mère fut ouverte accidentellement et une quantité con-

sidérable de liquide cérébro-spinal s'échappa. Un drain de crin

fut introduit et la plaie du cuir chevelu suturée. Pendant l'écou- r

lement du liquide cérébro-spinal les pulsations du cerveau devin-

rent sensibles. '

L'opération fut suivie d'une élévation de la température pendant

environ vingt-quatre heures et les premiers pansements remplacés

le lendemain de l'opération étaient pleins de sang. La plaie se

cicatrisa par première intention, mais le liquide continuait à fil-'

trerpar le drain. On ne dit pas combien de temps celui-ci resta dans

la plaie. '

Au huitième jour, l'enfant pouvait se tenir assis dans son lit, il

n'y avait aucune rétraction de la tête et l'enfant ne fut plus dès

lors turbulent. Il était donc beaucoup mieux qu'avant l'opération.

Lorsque je le vis quatre mois après l'opération, l'enfant était

presque aveugle mais il pouvait marcher.

§ VIII. Hydrocéphalie CHRONIQUE apparue après la GUÉ-

RISON spontanée d'un SPINA BIFIDA; tentative INUTILE du

RÉINCISION DE CE DERNIER; trépanation; drainage DES VEN-

TRICULES ; MORT ; par Cn. AUDRY. (Progrès médical, 1892,.

27 fév., p. 154.) .

Garçon de sept mois. A la naissance, spina bifida de la partie

inférieure de la région lombaire; ulcération; écoulement d'un

liquide d'abord clair, [puis purulent pendant un mois; occlusion

de l'orifice. A partir de là, développement considérable de la tête.

A l'entrée à l'hôpital, la tête avait SI centimètres de circonférence;

asymétrie. Ni paralysie, ni contracture.

5 octobre. - Incision de 4 centimètres au niveau de la cicatrice

du spina bifida; ponctions exploratrices; aucune évacuation; pan-

sement iodoformé. Trépanation du pariétal droit, à deux travers

de doigt en arrière du méat auditif externe et à 4 centimètres au-

dessus. Orifice d'un centimètre et demi. Ponction à 3 ou 4 centi-

mètres ; aspiration d'un liquide aqueux. Incision cruciale de la

dure-mère. Introduction d'un faisceau de 8 à 10 crins de cheval

jusque dans la cavité ventriculaire; on fixe à la peau le fil de soie

qui les réunit. Le liquide s'écoule en filet pen abondant, suture,

des lambeaux cutanés. - A 6 heures du soir, abattement respira-

tion courte ; température 41°, mort une heure plus tard.

Par suite de l'existence antérieure d'un spina bifida à la

région lombaire, M. Audry été amené, pour remédier à l'hydro-

136 bibliographie.

céphalie, à pratiquer une incision à ce niveau, répétant en

quelque sorte, sans le savoir, le procédé préconisé par

M. Quincke. Le cas de M. 'Audry ne paraît pas encourager à

recourir à la ponction lombaire. - L'hydrocéphalie consécu-

tive à la guérison du spina bifida est un accident connu depuis'

longtemps. Nous en avons vu plusieurs exemples à l'hôpital

des Enfants malades'.

Nous continuerons cette revue; mais des faits qui précèdent t

il semble résulter que l'intervention chirurgicale dans le trai-

tement de l'hydrocéphalie, tel qu'il a été appliqué parles chi-

rurgiens contemporains, n'offre pas plus d'avantages aux ma-

ladies que l'ancien traitement chirurgical limité aux ponctions

capillaires et encore moins que le traitement médical qui, ainsi

que nous le verrons, peut, parfois, arrêter l'hydrocéphalie

dans son évolution. BOURNEVILLE.

BIBLIOGRAPHIE

I. OEuvres complètes de J.-M. CHARCOT. - T. IX. Hémorrhagie et

ramollissement du cerveau. blétallotlaérapie et hypnotisme. Electro-

thérapie, in-8° de 571 p., avec 34 fig. dans le texte et 13 planches.

Aux bureaux du Progrès Médical, 14, rue des Carmes.

Le tome IX des OEuvres complètes de M. Charcot, que M. Bourne-

ville a eu l'heureuse idée de réunir et de publier, serait l'un des

plus intéressants de la collection si tous ne l'étaient à un égal de-

gré. Il contient, en effet, des mémoires de premier ordre qui ont

consacré à jamais la grande réputation du chef de l'école de la

Salpêtrière. On y trouve dès le seuil, le travail dans lequel il dé-

montre en s'appuyant sur près de cent observations que c'est aux

anévrysmes miliaires qu'est due l'hémorrhagie cérébrale. L'in-

fluence trophique des lésions du cerveau est nettement prouvée :

eschare formée surle côté paralysé dans l'hémiplégie récente; ecchy-

moses viscérales chez les apoplectiques. Enfin, par l'étude de la tem-

pérature centrale, il est permis désormais de porter le pronostic de

1 Giraldès, loc. cit., p. 35. , -

bibliographie. 137

l'hémorrhagie aussitôt après l'ictus. Toutes ces notions de si haute

valeur sont aujourd'hui devenues classiques et il semble véritable-

ment oiseux d'en parler. Nous croyons cependant qu'on nous saura

gré d'avoir indiqué où se trouvent réunis tous ces mémoires épars

dans les recueils périodiques. De plus qu'on veuille donc bien relire

le travail de M. Charcot sur les néo-membranes de la dure-mère

on y apprendra beaucoup de choses aujourd'hui oubliées ou servies

à nouveau comme neuves : pour notre part, nous avouons en toute

sincérité que sa lecture nous a été singulièrement fructueuse. Nous

passons sous silence les arthropathies des ataxiques et des hémiplé-

giques : c'est maintenant monnaie courante; il serait peut-être

bon de se souvenir de la peine que M. Charcot eût à faire accepter

ces vérités qui nous paraissent aujourd'hui élémentaires.

La deuxième partie du volume est encore toute d'actualité : elle

a trait aux recherches de M. Charcot, sur la métalloscopie, la mé-

tallothérapie et l'hypnotisme. Il fallait en 1876-1878 un certain

courage pour s'aventurer sur un terrain aussi brûlant; pour oser

aborder la physiologie de phénomènes qui semblaient ne pas plus

appartenir à la science médicale que les magnétiseurs de tréteaux

n'appartiennent à notre profession. Et pourtant là encore M. Char-

cot a su constituer un corps de doctrines s'appuyant sur des phé-

nomènes réels somatiques, indéniables, impossibles, à simuler. Et il

s'est trouvé dix ans plus tard, qu'on est venu lui reprocher d'avoir

trop multiplié les preuves. Pourquoi s'est écriée toute une école tant

de barrières élevées contre la simulation : allons de l'avant et foin

de tels obstacles. M. Charcot après avoir été un novateur trop hardi

devenait un affreux réactionnaire.,Mais l'événement a prouvé qu'il

avait eu encore une fois raison. On estbien heureux aujourd'hui que

les audacieux n'ont réussi qu'à discréditer à nouveau cettebranche

de la science, de penser qu'il existe un faisceau de recherches

devant la réalité desquelles l'esprit le plus difficile est forcé de s'in-

cliner.

Dans l'oeuvre de M. Charcot, il y a ni raisonnements vagues, ni

théories creuses : des faits corrobés autant que possible parlacons-

tatation anatomique. Le chef de l'Ecole de la Salpêtrière a su s'an-

nexer tant de contrées inexplorées avant lui qu'on ne sait trop ce

que l'on doit le plus admirer : de son labeur acharné ou des décou-

vertes qu'il a faites comme en se jouant et dont une seule suffirait

à illustrer la vie d'un homme. Gilles de la TOURNETTE.

II. Epitome des maladies mentales ; par le Dr James SHAW. Bristol,

John Wright, édit. 1892.

C'est une sorte de manuel rédigé sous forme de dictionnaire :

on comprend dès lors qu'il est bien difficile d'en donner une

analyse. Le volume comprend neuf chapitres : le premier a trait

138 bibliographie.

aux définitions et classifications des maladies mentales. - Le cha-

pitre II est un index de tous les symptômes variés des différentes

formes vésaniques. Le chapitre III est un index des maladies

mentales avec leurs synonymes et leurs symptômes groupés par

maladies. Le chapitre IV traite de l'étiologie, le chapitre V du

diagnostic, le chapitre VI du pronostic, le chapitre VII de l'anato-

mie pathologique et de la pathogénie, le chapitre VIII de la théra-

peutique et de l'hygiène. Enfin, un neuvième chapitre a trait à

l'exposé de la législation et des questions médico-légales relatives

aux maladies mentales. 1 J. Séglas..

III. Leçons du mardi à la Salpétrière, par M. le professeur CHARCOT.

Policlinique de 1887-1888. Notes de cours de MM. Blin, J.-B. Char-

cot et II. Colin. Paris, in-4°, 1892. Seconde édition. Aux bureaux

du Progrès Médical.

Le livre est connu. Il présente, ainsi que chacun sait l'image de

la clinique (imaginem belli) avec toutes ses surprises et ses com-

plexités. Nous avons déjà insisté sur les analyses symptomatiques

du maître, ses procédés de diagnostic, ses méthodes de traite-

ment. A cette époque, il s'agissait de la première édition.

Ce sont cette fois les.vingt-six premières leçons qui paraissent

en seconde édition. Comment analyser une minutieuse étude ?

Comment surtout reproduire le mécanisme intellectuel du profes-

seur aux prises avec l'imprévu ? Les dix volumes des leçons ex

cathedra de M. Charcot, réunies jusqu'ici par M. Bourneville,

sont, pour tout dire en un mot, complétés par cette introduction

merveilleuse à la clinique neuro pathologique, par cette clinique

pratique enseignée par l'exemple. Desfigures, tableaux, etschémas

en grand nombre animent ce cadre vécu. C'est de la leçon de

choses parlée. Telle une peinture reflétant les coups de pinceau du

compositeur, en l'examinant on apprend soi-même à peindre.

Ajoutons que cette seconde édition est supérieure à la première

non pas seulement par le remaniement fait par le maître du con-

texte didactique, mais encore par la forme plus agréable-et plus

soignée de -l'impression. '

Nous croyons ne pas nous tromper en prédisant un succès pro-

gressif à ce volume. ' P. KERAVAL.

IV. Contribution à l'étude anatomique et clinique de l'acromégalie;

par le Dr G. Duchbsneau. Th. Lyon. J.-B. Baillière, Paris, 1892.

L'auteur nous expose l'histoire clinique et anatomique d'un cas

observé par lui, qui diffère un peu du type morbide exposé par

M. Marie, et à ce propos le compare aux observations parues

depuis la thèse de M. Souza-Leite, qui en 1890 résumait l'état de

la question. ,

bibliographie. 139

Ce qu'il y a de particulier dans le cas de M. Duchesneau, c'est

qu'on constatait une atrophie musculaire des membres supérieurs

et inférieurs. Pour ces derniers, elle était masquée par de la lipo-

matose, et de plus elle entraînait une attitude pseudo-paralytique

du pied en varus équin. L'atrophie musculaire était survenue

d'assez bonne heure. Elle amena rapidement une gêne des mouve-

ments de flexion et d'extension du rachis, et s'accompagna de vio-

lentes douleurs à la nuque. Elle se développa vite et à la fin de la

vie elle était généralisée. Deux autres cas de M. Guliac et de

M. Claus sont à rapprocher de cette observation. ,

L'examen anatomique de la malade a été fait avec le plus grand

soin et tous les tissus ont été étudiés, ainsi que tous les appareils.

L'auteur a été amené à conclure que les lésions du squelette dans

l'acromégalie sont toutes conditionnées. par la lésion du tissu

osseux, qui, dans ce cas, consiste dans l'envahissement de la pres-

que totalité des os à moelle rouge persistante par le tissu osseux

d'origine médullaire, ou tissu spongieux. Il considère l'amyotro-

phie comme caractérisant une forme particulière d'acromégalie,

dont la production est d'ailleurs toute occasionnelle. Sa raison

d'être serait dans la compression des nerfs rachidiens, 'dans des

trous de conjugaison, dans le cas de lésions osseuses rachidiennes

excessives, compression qui entralne les douleurs observées dans ce

cas. La dégénérescence des muscles joue de son côté un certain

rôle dans les déformations observées. '

Cette thèse, quoique ne renfermant qu'une observation, est fort

intéressante en raison d'abord des phénomènes particuliers et

exceptionnels qu'on y rencontre, et d'autre part à cause du soin

avec lequel l' étude anatomique en a été faite. Un fait bien observé

vaut mieux que cent étudiés superficiellement. P. S.

V. Clinique des maladies du système nerveux; par M. le professeur

CHARCOT. Publiée par G. Guinon. - Tome I. Paris, in-8°, 1892.

Aux bureaux du Progrès Médical.

La médecine vit de l'expérience. Mais l'expérience ne fait pas

toujours un bon médecin. Pour que l'expérience produise un bon

clinicien, il faut que la science de l'observation soit méthodique-

ment développée, et qu'au centre de l'observation (empirisme ra-

tionnel) le clinicien sache mettre l'ensemble des connaissances de

tous ordres qu'exigent les choses de l'humanité. A ces conditions,

mais à ces conditions seules, le médecin qui persiste à travailler

progresse, sinon, voir beaucoup n'est pas synonyme de voir bien.

L'adaptation judicieuse et rapide des connaissances acquises à un

cas particulier c'est le génie médical, dans son cadre clinique;

l'esprit de généralisation qui permet d'en extraire des méthodes,

.c'est le génie médical dans son essor scientifique. Ces qualités,

140 bibliographie.

M. Charcot les possède au plus haut degré. C'est ainsi qu'il sait

discerner d'entre les nouvelles doctrines la notion ou le fait fruc-

tueux pour le présenter pour l'avenir. Sans faiblesse il exerce un

jugement toujours sain; avec une vigueur réfléchie il développe

chez sesauditeurs l'esprit de progrès et marche lui-même de l'avant.

Telles sont les réflexions qui nous venaient à la lecture de cette

nouvelle série de leçons cliniques. Elles se présenteront sans nul

doute à l'esprit du lecteur qui voudra bien s'arrêter sur le dia-

gnostic de la maladie de Morvan, l'hystéro-traumatisme, les trem-

blements hystériques, la migraine ophtalmique, l'oedème bleu

des hystériques, l'analyse de la sciatique double avec atrophie

musculaire, l'ophtalmoplégie externe, la syringomyélie, la para-

lysie diabétique, l'hystérie mâle, le syndrome de Weber, la syphilis

cérébrale, les formes frustes de la sclérose en plaques. Ce volume,

publié par les soins de M. Georges Guinon, est donc précieux à

tons égards. P. KERA VAL.

VI. Les troubles du langage chez les aliénés ; par J. Séglas. Paris,

1892. (Bibliothèque médicale Charcot-Debove.) J. Rueff et Cie,

édit.

Le langage est, comme nous l'avons dit ailleurs, le seul moyen

dont l'homme dispose pour exprimer ses désirs et ses pensées,

aussi bien, est-ce presque exclusivement, par l'appréciation des

signes qui le constituent que nous jugeons chez les autres de l'état

de leur activité psychique. A ce point de vue l'étude des troubles

du langage, considérés en général, forme donc le chapitre le plus

important de la psychiatrie. Cependant, jusqu'à présent, nous ne

possédions pas de travail d'ensemble sur cette question; c'est pour-

quoi le livre de M. Séglas, en comblant heureusement cette lacune,

rendra un incontestable service, non seulement aux médecins alié-

nistes en particulier, mais encore à tous ceux, et ils sont nombreux

actuellement, qui s'intéressent aux choses de la psychologie.

L'auteur divise tout d'abord les troubles du langage chez les

aliénés en troubles du langage, parlé, écrit, et mimique. Ceux-ci

sont distingués successivement, selon qu'ils résultent : de troubles

de la fonction du langage, et de troubles de la parole. *

En ce qui concerne le langage parlé, qui, il est aisé de le com-

prendre, prête aux développements les plus longs, M. Séglas décrit

successivement les dyslogies par modifications de la rapidité, de la

forme, de la syntaxe et du contenu du langage; puis les dyspha-

sies organiques, sur lesquelles il insiste peu, le sujet intéressant

plutôt les neurologistes que les psychiatres, et les dysphasies fonc-

tionnelles : amnésies verbales transitoires, hallucinations verbales,

impulsions verbales. Dans les dyslalies, il reconnaît celles qui tien-

nent : à une éducation défectueuse de la parole, à des malformations

bibliographie. 141

congénitales ou accidentelles, à des maladies du système nerveux

central ou périphérique, enfin à ce qu'il appelle des laloneuroses

spasmodiques (aphthongies résultant de crampes dans le domaine

de l'hypoglosse).

, La même division sert de guide en ce qui a trait au langage

écrit, et l'auteur y passe en revue : les troubles résultant de désor-

dres intellectuels généraux, les dysgraphies proprement dites,

organiques et fonctionnelles, entrant à l'occasion de celles-ci en des

développements particulièrement intéressants sur l'écriture auto-

matique, enfin les troubles de la formation des signes graphiques,

par vice d'éducation, par malformation des membres, par mala-

dies nerveuses, et par grapllonévroses (crampe des écrivains).

Quelques pages très curieuses sont consacrées aux dessins des alié-

nés.

Les troubles du langage mimique forment la troisième partie de

l'ouvrage, et nous y trouvons des aperçus sur la mimique à l'état

statique, de repos, et dynamique d'expression.

Cette analyse succincte donne à peine l'idée des difficultés vrai-

ment considérables, que M., Séglas a dû surmonter pour mener

la tâche qu'il a entreprise à bien, car il est certain que nous pos-

sédons dans ce volume une monographie synthétique, et aussi

complète que le permettaient l'accord des limites imposées à l'au-

teur avec la clarté nécessaire à un ouvrage d'enseignement, mono-

graphie à laquelle on ne saurait adresser .que des critiques de dé-

tail. Plutôt que de les formuler, nous préférons indiquer les parties

les plus originales de l'ouvrage, comme le paragraphe consacré aux

troubles du langage chez les mélancoliques, avec hallucinations

verbales psycho-motrices, et aux dysgraphies fonctionnelles.

Ajoutons, en terminant, qu'un style aisé et clair, contribue pour

sa part à rendre attachante la lecture de ce livre. Paul BLOCQ.

VII. Syphilis du système nerveux; par le Dr W. GijKOEWicH,

Paris, 1892. J.-B. Baillière et fils, édit.

L'auteur a entrepris de grouper en une étude commune toutes

les données, dès longtemps accumulées sur les déterminations de

la syphilis sur'le système nerveux. Il expose dans des chapitres dis-

tincts d'une part ce qui a trait à l'anatomie pathologique, l'étiolo-

gie, au diagnostic et au traitement considérés en général, d'autre

part il trace les descriptions successives, celles-ci intercalées dans

ceux-là, la syphilis de l'encéphale, de la moelle et des nerfs péri-

phériques en particulier. Aussi l'auteur aurait-il fait une monogra-

phie complète, s'il nous avait parlé de l'influence provocatrice de

la syphilis sur certaines névroses, des types cliniques ainsi déter-

minés, et des difficultés de diagnostic parfois soulevées en ces cir-

constances. Peut-être serions-nous tentés de lui reprocher de

142 VARIA.

n'avoir pas osé prendre parti, dans les débats actuellement pen-

dants sur les rapports de la vérole avec le tabes et la paralysie gé-

nérale. Mais, ces réserves faites, nous sommes tout à fait à l'aise,

pour dire le grand bien que nous pensons de ce volume, ou M. Gaj-

kiewicz a su réunir le suc, pour ainsi dire, des travaux les plus

importants parus sur la matière, avec un sens critique dont on ne

le saurait trop louer. Paul BLOCQ.

VARIA

Statuts DE la SOCIÉTÉ DE patronage DES aliénés sortant DES

asiles PUBLICS DU département DE la SEINE

L'an dernier nous avons soumis à la Commission de sur-

veillance des asiles de la Seine un rapport sur la création

d'une Société de patronage pour les aliénés sortant guéris ou

améliorés des asiles publics du département. La discussion

s'est terminée dans la séance du 30 juin dernier par le vote

des statuts suivants, qui ne sont que la reproduction, avec

quelques modifications secondaires, du projet de statuts qui

terminait notre rapport sur la même question au Conseil su-

périeur de l'Assistance publique.

Titre premier. - l3ut de la Société.

ART. 1. - La Société de patronage fondée à Paris, en 1892, a pour

but : 1° de venir en aide aux aliénés et épileptiques indigents ou

nécessiteux, majeurs ou mineurs, pensionnairesdelaSeine sortis des

asiles publis ou des quartiers d'hospice ; 2° de combattre les pré-

jugés relatifs à l'hospitalisation des aliénés, à l'incurabilité et au

traitement de l'aliénation mentale. Le concours de la Société

s'étend aux enfants des aliénés et au besoin à leurs proches. »

Titre Il. - Composition de la Société.

ART. 2. La Société se compose de membres perpétuels (ou fon-

dateurs), de membres titulaires, de membres adhérents et de mem-

6res auxiliaires. Le titre de membre adhérent appartient aux per-

sonnes qui paieront une cotisation de 5 francs. Le titre de membre

- perpétuel ou fondateur s'acquiert par le don fait à la Société d'un

capital de 200 francs au minimum.

VARIA. 143

Le titre de membre titulaire est acquis à toute personne payant

une souscription de 20 francs au moins. Le titre de membre auxi-

liaire appartient aux personnes qui sans effectuer aucun versement

sont chargés de visiter un certain nombre d'anciens aliénés, de

leur porter des encouragements et au besoin des secours.

Titre III. Administration.

Aar. 3. -La direction de la Société est confiée à un Conseil d'ad-

ministration, composé de membres de droit et de membres élus.

Les membres de droit sont : 1° le préfet de la Seine, le président

du Conseil général de la Seine, le président du Conseil municipal

de Paris, présidents d'honneur de la Société ; 2° le directeur chargé

des affaires départementales de la Préfecture de la Seine ; 3° le

directeur, le médecin directeur et les médecins chefs de service de

chacun des asiles ou quartiers d'hospice de la Seine.

Les membres élus sont au nombre de trente : 1° trois élus par le

Conseil général de la Seine ; 2° trois élus par la commission de

surveillance des asiles publics d'aliénés de la Seine; 3° vingt-quatre

élus par l'assemblée générale annuelle.

Les membres élus du conseil d'administration sont renouvela-

bles par tiers tous les ans. Le tirage au sort désigne ,les membres

sortants pendant les deux premières années. Après la troisième

année, les membres élus sortiront par voie de roulement. Ils peu-

vent être réélus.

Anx. 4. Le Conseil d'administration choisit dans son sein; après

chaque renouvellement, un président, deux vice-présidents, deux

secrétaires, un trésorier et un Comité de direction, composé de dix

membres. Use réunit sur la convocation du président, chaque fois

que les besoins de la Société l'exigent. Il peut, après avis du con-

seil d'administration, accepter des dons et legs, acquérir, vendre ou

échanger des immeubles, faire des constructions nouvelles, em-

prunter et hypothéquer, ester en justice, plaider et transiger, sous

les conditions prévues par la loi.

Les délibérations relatives aux acceptations des dons et legs, aux

acquisitions, aliénations ou échanges, aux emprunts ou hypo-

thèques devront être soumises à l'approbation du gouvernement.

AnT. 5. - Le comité de direction se réunit tous les mois, et, en

outre, toutes les fois que les besoins de la Société l'exigent. Il est

chargé de la gestion matérielle et morale de la Société, de l'en-

semble et des détails de son administration. Il prépare les comptes

et les budgets de la Société et donne son avis sur toutes les ques-

tions qui lui sont soumises par le conseil d'administration. Le

comité de direction peut délibérer à la majorité des voix. La voix

du président est prépondérante. Le président du conseil d'admi-

nistration (ou en cas d'empêchement un des vice-présidents) est

144 VARIA.

président de droit du comité de direction. Le secrétaire et le tréso-

rier du conseil d'administration sont de droit secrétaire et tréso-

rier du comité de direction.

ART. 6. Le président, ou un membre du conseil d'adminis-

tration délégué par lui, remplit les fonctions d'ordonnateur, et, à

ce titre, signe et délivre tous mandats pour l'acquittement des

dépenses.

ART. 7. Les attributions du secrétaire du conseil d'adminis-

tration et du comité de direction, consistent principalement dans

la rédaction des procès-verbaux, des délibérations du conseil d'ad-

ministration, du comité de direction et des assemblées générales. Il

assiste à toutes les séances, et en cas d'empêchement, il adresse au

président, et avant la séance, le registre des délibérations. Il signe

avec le président du conseil d'administration et du comité de direc-

tion les procès-verbaux de ce conseil, du comité et des assemblées

générales, ainsi que tous extraits à délivrer des procès-verbaux. Il

a, en outre, la surveillance des archives qui sont déposées à l'asile

Clinique.

ART. 8. Les ressources de la Société se composent : 1° des coti-

sations des membres des différentes catégories ; 2° des revenus de

toute nature provenant des biens et valeurs lui appartenant ;

3° des subventions allouées par l'Etat, le département ou les com-

munes ; 4° du produit des loteries, bals, concerts, matinées, ker-

messes, vente de bienfaisance, conférences, etc. ; 5° d'une part des

bonis réalisés par les asiles; 6° des dons et legs dont l'acceptation a

été autorisée par le gouvernement ; 7° du produit des troncs placés

dans les asiles.

ART. 9. - Le trésorier est chargé de la perception des produits

et revenus de la Société et du payement des dépenses. Il pourra

être rétribué. Il représente la Société en toutes circonstances;

mais il ne peut agir qu'en vertu des délibérations spéciales du con-

seil d'administration.

Il rend compte de sa gestion à la fin de chaque année au con-

seil d'administration, lui soumet le budget de l'année et fait con-

naître tous les mois au comité de direction l'état de la caisse et la

situation financière de la Société. Il vise toutes les pièces de comp-

tabilité ; il signe, en vertu d'autorisations spéciales du conseil

d'administration, toutes les ventes, transferts de fonds publics, tous

achats, ventes ou échanges d'immeubles, tous baux et marchés.

Il représente la Société dans tout ce qui a rapport aux affaires

contentieuses et dans les affaires judiciaires; mais en ce cas il ne

peut agir qu'en vertu d'une délibération spéciale du conseil d'ad-

ministration. Il tient deux registres, l'un pour l'inscription des re-

cettes et dépenses de la Société, et l'autre pour celle des titres et

valeurs, dont il a le dépôt et la garde.

VARIA. 145

ART. 10. - La comptabilité de la Société est tenue conformé-

ment aux principes suivis pour les établissements publics de bien-

faisance.

ART. Il . L'action financière commence le 1er janvier et finit

le 31 décembre inclusivement.

ART. 12. Les fonds libres seront placés dans des caisses pu-

bliques, jusqu'à leur emploi définitif.

Les excédents de recettes qui ne sont pas nécessaires aux besoins

de la Société seront placés en valeurs ou en fonds publics françasi,

Titre VI. Des secours. - Maison de la rue de Charenton.

Asile ouvroir de la rue Fessard.

ART. 13. Des secours proportionnés aux ressources de la So-

ciété sont distribués soit à domicile, soit à la maison annexe des

Quinze-Vingts, rue Charenton ou du refuge-ouvroir municipal de

la rue Fessard, soit en nature ou en argent, par les soins du co-

mité de direction aux patronnés, tant hommes que femmes et

enfants.

ART. 14. Le garde-magasin est chargé de l'acquisition et du

dépôt des objets en nature destinés aux aliénés sortis. Il en fait la

distribution sur autorisations signées par l'un des membres du

comité de direction et par le membre de la Société qui a visité le

patronné, ou par le directeur et le médecin en chef intéressé de

l'asile. Il tient écriture sur un carnet spécial des entrées et des

sorties de ces objets.

ART. 15. Aucun secours ne peut être payé sans avoir été au-

torisé par le comité de direction à l'exception toutefois de celui

qu'il serait urgent de délivrer au moment de la sortie de l'asile de

traitement. Dans ce cas le maximum du secours est fixé à 20 francs.

A'RT. 16. - Les secours moraux sont donnés aux patronnés par

tous les membres de la Société. Ils s'informent de l'état moral des

patronnés et font connaître aux médecins ou au président du

comité de direction les irrégularités de caractère et les troubles de

l'intelligence qui leur ont été signalés et distribuent les secours en

nature et en argent, lorsqu'ils en sont chargés par le comité.

ART. 17. Les fonctions des médecins de la Société consistent

en des consultations qu'ils donneront ou des visites qu'ils feront à

ceux des patronnés et à leurs enfants appartenant à leur circons-

cription qu'ils ont visités eux-mêmes ou qui leur sont signalés. Ces

fonctions peuvent être rétribuées par décision spéciale du comité

de direction.

Archives, t. XXIV. 10

146 VARIA.

Titre V. Dispositions générales.

ART. 18. - Une assemblée générale de tous les membres de la

Société a lieu au moins une fois chaque année. Le comité de direc-

tion y expose la situation morale et financière de la Société et rend

compte des résultats obtenus. Les exemplaires du compte rendu

sont adressés à M. le ministre de l'intérieur, à M. le préfet, aux

conseillers généraux et aux membres de la commission de surveil-

lance.

ART. 19. L'assemblée générale annuelle est annoncée huit jours

au moins à l'avance. Les lettres de convocation, indiquant le jour,

l'heure et le lieu de la réunion, ainsi que l'ordre du jour, sont

adressées à tous les membres de la Société.

ART. 20. - L'assemblée procède, d'après les dispositions de l'ar-

ticle 3, au remplacement des membres du conseil d'administration

décédés ou ayant cessé de remplir leurs fonctions. z

Dans la même séance, l'assemblée délibère- d'ailleurs, quel que

soit le nombre des membres présents, sur toutes les questions qui

lui sont soumises par le comité de direction dans l'intérêt de la

Société.

ART. 21. Dans le cas où la Société cesserait d'exister, les im-

meubles, meubles, capitaux et autres valeurs lui appartenant

deviendraient la propriété du domaine départemental avec affec-

tation spéciale au bien-être des aliénés. '

ART. 22. - Nul changement aux présents statuts ne pourra être

proposé au gouvernement que d'après l'avis de l'assemblée géné-

rale émis à la majorité des deux tiers des membres présents.

Voilà un premier pas dans la voie de la réalisation de cette

réforme, si nécessaire pour les malades, si utile pour les

finances du département puisqu'on évitant des rechutes elle

contribuera à alléger les dépenses si lourdes du service des

aliénés. Il est vivement à souhaiter que l'exemple donné par

le département de la Seine soit promptement suivi. Il appar-

tient à M. Monod, directeur de l'assistance publique en France,

de donner des instructions pressantes aux préfets et aux direc-

teurs des asiles pour que chaque département soit pourvu

d'une société de patronage. C'est par des réformes de ce genre

qu'on démontrera à tous l'utilité, pour nous\ incontestable,

d'une direction de l'Hygiène et de l'Assistance publiques. B.

VARIA. 147

Congrès annuel DES médecins aliénistes DE France

ET DES pays DE langue française.

SESSION DE BLOIS 1892.

Programme.- Lundi 1eraotU 1892.A 2 heures du soir, séance

d'ouverture : Nomination du bureau, discussion de la première

question du programme (du délire des négations).

Mardi 2. - A. A 9 heures du matin, deuxième séance : Discus-

sion de la deuxième question du programme (le secret médical en

médecine mentale). - B. A 2 heures du soir, troisième séance :

Discussion de la troisième question du programme (les colonies

d'aliénés).

Mercredi 3.- A. A 9 heures du matin : Visite de l'asile départe-

mental des aliénés de Blois; déjeuner offert par l'administration

de l'asile. - B. A 1 heure du soir : Visite à la prison et au bureau

de bienfaisance de l'ancien hospice des aliénés et épileptiques.

C. A 2 heures du soir : Réception des membres du congrès par la

municipalité dans la salle des Etats et visite du château de Blois.

D. A 7 heures du soir : Banquet par souscription.

Jeudi 4. Excursion aux environs de Blois ; visite des châteaux

de Chambord, Cheverny et Beauregard. Traversée des deux forêts

domaniales de Boulogne et de Russy.

Vendredi b. - A. A 9 heures du matin, quatrième séance :

Communications et discussions sur des sujets en dehors du pro-

gramme. B. A deux heures du soir, cinquième et dernière

séance : Fixation du siège du prochain congrès ; communications

et discusisons diverses. Clôture du congrès.

Samedi 6. - Excursion finale à l'asile des aliénés d'Orléans ;

déjeuner offert par l'administration.

Les séances du congrès se tiendront à l'Hôtel de Ville dans la

salle des délibérations du Conseil municipal, au premier étage, où

sera le siège du congrès depuis la veille de son ouverture jusqu'à

sa clôture. Jusque-là les lettres et tous autres documents devront

être adressés à M. le Dr DOUTREBENTE, 34, avenue de Paris à

Blois. La qualité de membre du congrès est acquise à tout doc-

teur en médecine de France ou des pays de langue française qu

verse une cotisation de 20 francs.

SOCIÉTÉ DE patronage DES aliénés.

Il existe une association de bienfaisance qui a pour titre Patro-

nage des aliénés et apoltr but de secourir, d'aider les aliénées sur la

148 VARIA.

point de sortir guéries des asiles publics d'aliénées qui n'ont aucun

moyen d'existence, pas d'amis ou de parents pour les recueillir la

plupart du temps. Cette association excellente a déjà trouvé le

moyen de faire beaucoup de bien et a empêché bon nombre d'an-

ciennes malades de se perdre dans le monde. Dans une lettre à

un contemporain, M. Charles Ford appelle l'attention sur le cas

d'un individu sorti d'un asile comme n'étant plus fou. Il ne possé-

dait pas d'effets (à part ceux de l'asile qu'il portait), pas d'amis,

pas de parents, pas d'argent ; et M. Ford continue ainsi : « Une

telle association (comme celle pour les femmes) devrait également

exister pour les hommes, car le besoin s'en fait sentir, et je serai

heureux de trouver l'occasion de coopérer à la formation d'une

Association. » Nous recommandons chaudement cette inspiration,

et nous espérons qu'en donnant une plus grande publicité à cette

idée, nous aiderons à la réalisation d'un but si louable. (British

Med. journ., 7 mai 1892.) - La commission de surveillance des

asiles d'aliénés de la Seine vient de voter, sur le rapport de

M. Bourneville, la création d'une Société de patronage pour les

aliénés sortis guéris des asiles publics de la Seine. (Voir plus haut,

p. 142, et le dernier n° des Archives, p. 262.)

LES enfants arriérés.

Cette catégorie d'êtres faibles ne peut se calculer ni se définir

par une équation, et ni les médecins ni d'autres n'arriveront à

s'entendre quant à la définition générale du terme : faibles d'es-

prit. L'on croit cependant généralement que leur nombre doit

être sérieusement pris en compte ; la société les considère comme

des ennemis pour les êtres bien doués au point de vue moral et

social. Elle les accuse d'enfanter la maladie, le vice et la pauvreté,

et de multiplier leur espèce d'une façon alarmante. Ce qu'il y a

à faire avec les arriérés est un problème de la science sociale de

la plus grande importance. Il peut être vrai que les plus faibles

sont écrasés, que la nature se débarrasse de ses éléments avortés

ou mal développés, mais quoique cet avortement soit pris au sens

moral, intellectuel et physique, ces êtres ne le sont pas quant aux

fonctions de la reproduction.

C'est là une question qui est depuis des années soumise à l'es-

prit du public sous des formes variées. Elle revient continuelle-

ment devant les assemblées sociales et économiques de nos phi-

lanthropes, elle menace de devenir une question de politique pra-

tique, et elle a largement occupé l'attention des médecins voués à

l'étude de la neurologie et de la médecine psychologique. Elle n'a

pas encore épuisé l'attention, car c'est un sujet fertile de recher-

ches pour la psychologie criminelle, et nous voyons aujourd'hui la

varia. 149

Saint-James Gazette reprenant la question « en concentrant l'atten-

tion sur les croissances qui, comme de mauvaises herbes, inquiètent

notre conscience sociale ». En agissant ainsi, elle espère trouver le

moyen de détruire quelques-unes de ces racines aux premiers

temps du développement. C'est un objet louable et bien digne de

la croisade de la presse laïque qui voudrait qu'on fit une entre-

prise digne de son autorité et de sa responsabilité, si elle soulevait

cette question sur un terrain propice. Car il est indubitable que la

presse médicale, tout en stimulant et en soutenant les affirma-

tions solennelles des journaux et des revues, n'atteint pas le mou-

vement de la grande masse politique, qui peut concourir à une

réforme sociale d'une nécessité absolue pour le bien-être de la

nation. La Gazette de Saint-James discute brièvement le problème

de la loi des pauvres et son opération heureuse. Elle fait observer

à propos qu'il existe une classe sur une grande échelle, hérédi-

taire - chez laquelle les motifs qui déterminent ordinairement la

conduite humaine, manquent presque entièrement, et un grand

nombre de pensionnaires des Workhouses appartiennent à cette

catégorie.

Ils sont des spécimens inférieurs au point de vue intellectuel,

souvent si bas dans l'échelle intellectuelle, qu'ils sont incapables de

lutter pour leur existence, même dans les rues, et leur chute ou

insuccès est souvent dû à une faiblesse morale. Ils ne travaille-

ront que lorsqu'ils se trouveront commandés par une volonté plus

forte que la leur; mais laissés à eux-mêmes, ils ne sont que les

esclaves d'instincts d'animal. C'est là une peinture bien faite de la

catégorie des « faibles d'esprit > incapables qui emplissent nos

workhouses et autres institutions de charité, et il est évident,

comme le démontre la Saint-James Gazette, que la cure de cette

grande maladie sociale n'est possible que d'une manière ou d'une

autre, soit en rétablissant le niveau intellectuel et moral, ou en

arrêtant la reproduction et en éteignant d'une façon pratique ce

type dégénéré. L'obstacle sérieux repose dans ceci, qu'ils ne sont

pas idiots, et leur imbécillité est si mal définie à un certain point

de vue, qu'il n'est pas possible de faire des certificats établissant

leurs cas comme devant être soumis au traitement restreint dans

un asile. La plupart, comme le dit la Saint-James Gazette, sont

soumis à la discipline ordinaire d'une volonté plus ferme, et ne

chercheraient pas à quitter une institution qui exercerait la surveil-

lance de leur conduite et les actes de leur vie journalière, étant

légalement enfermés dans un asile possédant le pouvoir du

« restreint > physique. Tandis que ceci est vrai pour le plus grand

nombre d'entre eux, on trouvera encore un reste panaché, plus ou

moins, avec une teinte de paralysie ou d'épilepsie, qui n'est pas

toujours aussi soumise à la discipline ou au contrôle extérieur.

C'est là une question d'investigation pour les éducationnistes, les

150 varia.

réformateurs sociaux et les médecins réunis. C'est une question

très importante et nous espérons que le journal qui a pris l'affaire

en main ne sera pas sans revenir à la charge. (Médical Press,

16 mars 1892, p. 274.)

L'an dernier, à la Société pour l'étude des questions d'assis-

tance publique, nous avons fait une communication sur ce

sujet. Nous y sommes revenu il y a quelques semaines, lors

de la visite de la commission de surveillance à l'hospice de

Bicêtre. Nous avons montré, avec des faits à l'appui, la néces-

sité d'une organisation spéciale pour cette catégorie de ma-

lades, atteints d'instabilité mentale ou d'imbécillité morale,

incapables de travailler avec un peu d'esprit de suite lorsqu'ils

sont libres, mais pouvant être utilisés quand ils sont soumis à

une certaine discipline. Suivant nous, les administrations

hospitalières pourraient les maintenir sous leur tutelle en les

soumettant à un demi-internement, en leur accordant une

demi-liberté. Ils pourraient être occupés dans les ateliers des

hospices et des asiles ou comme hommes de peine chargés de

gros travaux. ' B.

SUICIDE D'UNE aliénée.

Une vieille femme pensionnaire de l'hospice, s'est donné la mort

dans des conditions absolument particulières. Jeudi, profitant de

la faculté qui est laissée aux vieillards de l'établissement, la dame

Beauchot Ernestine, âgée de 63 ans, était sortie dans l'après-midi

pour faire une promenade ; au lieu de rentrer à l'hospice, comme

elle le devait, elle est allée, le soir venu, demander au bureau de

police un billet de logement et un bon de pain.

En raison de son âge, on ne crut pas devoir lui refuser ce qu'elle

demandait, et, munie du bon, elle se rendit chez M. Gibard, res-

taurateur, rue Chocatelle, 22, où après un repas sommaire, elle

monta se coucher dans une chambre. Hier matin, l'hôtelier, fai-

sant la revue de ses garnis, fut tout étonné d'apprendre que la

vieille n'avait pas encore quitté son gite. Intrigué au plus haut

point, en raison de l'heure avancée, il n'hésita pas à entrer dans

la chambre. -

Grande fut sa stupéfaction en apercevant le corps de la vieille

femme, suspendu à un fort câble de deux centimètres de diamètre,

se balançant dans l'espace à une infime élévation au-dessus du

plancher. Le cadavre était raide, et une main serrait encore con-

vulsivement une extrémité de la corde. Après en avoir référé à qui

de droit, M. Gibard se vit débarrassé de sa lugubre locataire dont le

corps fut réintégré à l'hospice.

varia. 151

La dame Beauchot donnait, dit-on, depuis longtemps, des mar-

ques non équivoques de dérangement cérébral, et elle avait à plu-

sieurs reprises déjà manifesté l'intention de mettre fin à ses

jours. (Petit Troyen, 27 juin.)

LESDRAMES'DR la folie.

Les journaux politiques du 25 juin annoncent que rue Blomet,

un nommé Hervé, sorti hier de l'hospice d'aliénés de Ville-Evrard,

a tué, ce matin, sa femme à coups de couteau, dans un accès de

folie furieuse.

Il s'agit d'un alcoolique qui, guéri de ses troubles intellectuels,

a été rendu à la liberté. Le jour même de sa sortie il a fait de nou-

veaux excès de boisson sous l'empire desquels il a commis son

crime.

- Depuis quelque temps, un boucher, M. Montet, établi rue Mont-

martre, donnait des signes d'aliénation mentale des plus vifs. Le

malheureux se croyait poursuivi par des ennemis imaginaires et à

diverses reprises il avait manifesté sa folie par des violences dan-

gereuses.

Or, la nuit dernière le boucher se trouvait à la brasserie, située

21, rue Paul-Lelong ; au moment où on allait fermer l'établisse-

ment et le prier de rentrer chez lui, il entra dans une colère épou-

vantable, renversa tables et chaises, et brisa les glaces et les

vitres.

Au tapage, plusieurs agents du poste de la rue de la Banque,

accoururent, mais ils eurent toutes les peines du monde à s'em-

parer du forcené qui, doué d'une force peu commune, frappait à

tort et à travers sur tous ceux qui l'approchaient.

Il fallut cinq hommes pour le réduire à l'impuissance. Après

avoir passé la nuit au poste, l'infortuné a été conduit à l'infirmerie

spéciale du Dépôt. (Le Radical.)

/

LA FOLLE DE LA RUE ÉTIENNE-MARCEL.

Au moment où hier, vers quatre heures et demie, les enfants

sous la conduite d'un professeur, sortaient de l'école communale,

rue Etienne-Marcel, une femme se dressait devant ' eux, et, bran-

dissant un revolver, criait à pleins poumons :

Le voilà, ce misérable qui est cause que j'ai des sangsues dans

le corps. Disant ces mots, elle se dirigea'vers le professeur,' M. Le-

breton, et à deux reprises différentes fit feu sur lui. Une seule balle

152 VARIA.

l'atteignit au dos et ne lui fit, grâce à l'épaisseur des vêtements,

qu'une longue éraflure.

M. Lebreton a pu tout aussitôt regagner son domicile, 50, rue

de Bretagne. La femme qui avait tiré sur lui arrêtée aussitôt, fut

conduite chez M. Véron, commissaire de police. C'est une pauvre

veuve du nom de Rosa Moos, passementière, âgée de quarante-sept

ans, demeurant 35, rue Etienne-Marcel.

Atteinte d'aliénation mentale, elle se croit dévorée par des sang-

sues que des êtres imaginaires mêlent à ses aliments. Rencontrant

M. Lebreton qu'elle ne connaît pas, elle a cru voir en lui un de ses

persécuteurs ; c'est ce qui explique son attentat qui n'aura pas,

croit-on, de suites fâcheuses. Rosa Moos a été envoyée à l'infirme-

rie spéciale de la préfecture de police. (Le Radical, 18 mai 1892.)

Assistance DES IDIOTS ET IMBÉCILES.

Paul-Alfred Mauger, âgé de vingt-huit ans, ouvrier de fabrique à

Courcelles-les-Gisors, est accusé d'avoir, le 1er septembre dernier,

à Gisors, commis un attentat à la pudeur avec violence sur une

fille D..., idiote et presque infirme. L'accusé, dont les antécédents ne

sont pas mauvais, nie la violence, que rend d'ailleurs peu vraisem-

blable la moralité de la victime. C'est sur quoi insiste le défenseur,

Me Tyssandier, qui obtient l'acquittement de son client. (Cour

d'assises de l'Eure, Vallée de l'Eure, 22 octobre 1891.)

Voilà un exemple qui montre une fois de plus la nécessité

de l'assistance et de l'hospitalisation des idiots. On laisse tran-

quillement cette idiote se livrer à la prostitution, sans réfléchir

qu'un jour ou l'autre elle peut produire un enfant qui sera à

la charge de la société, et cependant, il y a un asile d'aliénés à

Evreux, qui dispose de places, puisqu'il prend des malades du

département de la Seine. Il est vrai que ceux-ci rapportent,

tandis que l'idiote coûterait.

Le Rappel de l'Eure publie dans un de ces derniers

numéros le fait suivant :

De même que des enfants semblent nés avec l'insurmontable

manie du vol, avec celle du crime, et il en est qui naissent avec

celle du feu. C'est ainsi que peut s'expliquer la passion du f ls hiau-

duit, âgé de six ans, qui, à huit jours d'intervalle, a mis le feu à la

paillasse du lit de son père et à un tas de paille contenu dans une

grange, située à Villers-sur-le-Roule.

Ce jeune enfant, très mal noté à l'hospice de Louviers où il a

varia. 153

été élevé, fait le désespoir de son père, un excellent ouvrier resté

seul avec trois bouches à nourrir. Le premier des incendies a été

éteint sans causer de dégâts, le dernier a détruit pour 40 fr. environ

de foin et cause au propriétaire du bâtiment une perte de 70 fr.

Au lieu d'hospitaliser à temps les enfants de cette catégorie

dans des asiles médico-pédagogiques, on préfère dépenser de

l'argent pour eux dans des maisons de corrections ou les pri-

sons, sans compter les préjudices qu'ils ont occasionnés.

Une dépêche du Puy, en date du 3 février, parue dans les

journaux politiques, annonce qu'un pauvre garçon d'une vingtaine

d'années a été trouvé enfermé dans une écurie appartenant aux

nommés Pompel, à Morand (Haute-Loire).

Cet enfant, né des relations incestueuses du frère et de la soeur,

presque idiot, avait été enfermé dans ce bouge, où, pendant plus

de dix ans, il a croupi sur un tas de fumier et sur ses propres

excréments. Il a été emmené à l'hospice de Bas. Les Pompel ont

été arrêtés. '

Ce fait, lui aussi, prouve combien les administrations dépar-

tementales sont coupables en négligeant d'hospitaliser les

idiots.

Le Républicain Orléanais du 9 août 1891, a publié un

extrait du rapport de M. le Dr Riu relatif au service des

aliénés empreint, dit-il, d'un touchant esprit d'humanité et

que nous croyons utile de reproduire.

Neuf femmes ont été réintégrées après sortie par guérison ou

amélioration ; deux sont venues par transfert. L'un de ces trans-

ferts suscite quelques réflexions, que je soumets à la bienveillante

attention de M. le préfet et à MM. les membres du conseil gé-

néral.

Le domicile de secours ne s'acquiert qu'après la majorité et par

une résidence d'une année au moins dans une localité ; mais pour

les mineurs les secours incombent toujours au département où la

naissance a eu lieu, et cela aboutit à des résultats véritablement

inhumains. En effet, soit que les parents se déplacent avec toute

leur famille, soit que la naissance ait eu lieu, par un de ces

hasards qui peuvent se rencontrer autre part qu'au domicile habi-

tuel de la mère, les enfants ont leur domicile de secours dans le

lieu où ils sont nés; et si, avant la majorité, pour n'importe

quelle raison, infirmité cérébrale, congénitale ou acquise, épilep-

tique, folie à la puberté, etc., il y a nécessité de les faire admettre

dans un asile d'aliénés, ils seront sans pitié séparés, de leurs

154 varia.

parents et transférés à l'asile du département où ils sont venus au

monde, département parfois bien éloigné.

Quelques enfants, d'après la nature de l'affection, n'en éprou-

veront jamais grande peine et grand souci, certains seront dans le

cas d'en ressentir un violent chagrin, d'autres enfin seront dans

l'impossibilité de profiter de la proximité et des visites des parents

pour être consolés dans leur affliction et encouragés dans leur

convalescence. Ils seront pour ainsi dire des enfants perdus dans

un milieu indifférent. Il manquera au médecin lui-même un réel

moyen d'action dans le traitement; il ne pourra pas juger du

travail intellectuel ou l'exciter encore en mettant en oeuvre ces

douces paroles du grand poète : Suscipe, parue puer, risu cognos-

cere matrem qui trouvent bien ici leur application. Mais si les en-

fants ne sont pas toujours les plus à plaindre, il n'en est pas de

même pour les parents. A l'occasion de ces dures séparations né-

cessitées par des règlements cruels, nous, comme beaucoup de nos

confrères, avons vu, à Orléans même, bien des larmes couler.

Certains départements ont été émus d'une telle situation. La

Seine en particulier où il y a beaucoup d'enfants dans cette caté-

gorie a passé des conventions avec les départements d'origine et

n'a pas hésité, vu le prix de la journée, très élevé dans ses asiles,

à s'imposer des sacrifices énormes pour atténuer cet état fâcheux

de la législation.

« Il est, disait M. le Dr Bourneville au Conseil général de la

Seine, en 1878, une catégorie particulière d'aliénés transférés, sur

lesquels votre commission croit convenable d'appeler les réflexions

de l'administration. Nous voulons parler des aliénés qui, nés dans

d'autres départements que le nôtre et ayant toute leur famille à

Paris, sont encore mineurs et, par conséquent, n'ont pas acquis

droit de domicile à Paris. Réclamés légalement par leur départe-

ment d'origine, ces malheureux sont transportés dans des asiles

plus ou moins éloignés, séparés entièrement de leurs parents.

Quelquefois ceux-ci, prévenus à temps, reprennent leur malade, si

sa situation, n'offrant aucun danger pour la sécurité publique,

permet de le leur rendre. Qu'arrive-t-il bientôt ? C'est que la ma-

ladie s'aggravant, les parents sollicitent une nouvelle admission

dans nos asiles et l'enfant y séjourne jusqu'à ce que surgisse une

nouvelle demande de transfert. L'enfant fait la navette entre sa

demeure et l'asile. N'y aurait-il pas moyen de faire disparaître

cet inconvénient, très préjudiciable aux malades et aux fa-

milles ?

* Le département de la Seine ne pourrait-il pas garder dans ses

asiles les malades mineurs dont les parents habitent Paris ou le

département depuis plusieurs années ? Le département de la Seine

réclamerait au département d'origine les frais de séjour au taux

VARIA. 155

de la journée dansle propre asile de celui-ci et supporterait la dif-

férence entre le prix de la journée dans ses asiles et celui de l'asile

du département d'origine. »

La question ne fut définitivement résolue qu'en 1881 : l'admi-

nistration préfectorale mit alors à exécution le voeu formulé par

le Conseil. Depuis cette époque les aliénés mineurs nés en dépar-

tements étrangers et dont les parents habitent Paris depuis deux

ans au moins, sont maintenus dans les asiles de la Seine, au

compte du département d'origine, qui rembourse l'entretien au

taux de la journée dans son asile, le surplus étant supporté par la

Seine.

Si j'ai tant insisté sur ce sujet avant de demander au Conseil

général la même mesure dans le Loiret, on pourrait croire qu'elle

peut entralner une dépense élevée pour le département. Les

termes mêmes du rapport de M. Bourneville indiquent qu'il n'en

est pas ainsi.

C'est une mesure qui sera applicable à peu d'enfants. Cette

mesure essentiellement humanitaire ne trouvera peut-être pas

d'application durant certaines années; mais, une fois adoptée,

l'administration sera en mesure, le cas échéant, d'empêcher des

familles malheureuses d'être plongées dans une grande déso-

lation.

Depuis dix-huit mois, nous avons la jeune G..., n° 2,384, et plus

récemment la jeune A..., n° 2,478, qui auraient pu bénéficier de

cette mesure en restant dans les asiles de la Seine, tandis que

leurs parents demeurent à Paris. La mère de l'une s'impose les

plus grands sacrifices pour venir la voir tous les six mois ; l'autre

ne sera probablement jamais visitée par ses parents, trop pauvres

pour faire la dépense du voyage.

A propos de cette demande de M. le docteur Riu, le rapport

préfectoral s'exprime ainsi : '

« Le prix très élevé demandé par les asiles de Paris ou de la

banlieue ne permet pas au Loiret qui supporte les frais de l'inter-

nement, de céder à cette considération humanitaire. La proposi-

tion de M. le Dr Riu ne pourrait donc être accueillie que dans le

cas où l'administration préfectorale de la Seine voudrait bien con-

tinuer l'application d'une mesure qu'elle avait prise en 1881, et

qui consisterait à maintenir dans ses asiles, au même prix que

celui exigé par l'asile du département où l'enfant aliéné a son

domicile de secours, tout jeune malade dont les parents réside-

raient depuis deux ans au moins à Paris ou dans les environs.

J'aurai soin, le cas échéant, de faire une démarche dans ce sens

auprès de mon collègue de la Seine. »

La proposition de M. le Dr Riu, reproduisant, ainsi qu'il le

156 VARIA.

rappelle, la proposition que nous avons fait adopter dans le

temps par le Conseil général de la Seine, mérite d'attirer

sérieusement l'attention des médecins-directeurs des asiles

publics de France. Mieux que les préfets en effet, ils sont en

mesure d'observer les graves inconvénients- qui résultent des

transferts des enfants de leur département d'origine, loin de

leurs familles. C'est aux médecins-directeurs de plaider la

cause de ces malheureux dans le compte moral qu'ils adres-

sent à l'administration préfectorale à propos du budget de

leurs établissements. C'est pour les aider dans cette tâche que

nous revenons sur cette question. M. Boegner, préfet du

Loiret, a répondu que la proposition de M. le Dr Riu ne

pouvait être accueillie que si le département de la Seine vou-

lait bien continuer l'application de la mesure prise en 1881,

et qui consiste à maintenir dans ses asiles, au même prix que

celui exigé par l'asile du département où l'enfant a son domi-

cile de secours, tout jeune malade dont les parents résident

depuis deux ans au moins à Paris ou dans les départe-

ments t.

Nous répondrons à M. le préfet du Loiret que le départe-

ment de la Seine a maintenu sa décision et qu'il ne réclame

au département d'origine que le prix de journée que son dé-

partement paie dans son asile, prenant à sa charge le surplus

de la dépense. Il lui est donc loisible, puisqu'il est si bien

disposé, de maintenir dans les asiles de la Seine les enfants

originaires du Loiret qui remplissent les conditions fixées par

le Conseil général de la Seine. L'occasion s'en présente dès

maintenant au sujet d'un enfant, Marie Beyn..., hospitalisée

à la Fondation Vallée, annexe de l'hospice de Bicêtre.

Si les préfets étaient exactement renseignés par la direction

de l'hygiène et de l'assistance publique de France, il y a long-

temps que la mesure humanitaire prise par le Conseil général

de la Seine serait appliquée. En le faisant, M. Monod accom-

plirait une oeuvre utile et rendrait service à de nombreuses

familles. B.

FAITS DIVERS

Asiles D'ALIÉNÉS. - Le Dr NicoULAN, médecin-adjoint à l'asile

public de Saint-Yon (Seine-Inférieure), est promu à la classe excep-

tionnelle, à partir du 1er mai. (Arrêté du 12 mai 1892.) - Le

Dr CAiLLAu, directeur-médecin de l'asile public de Saint-Lizier

(Ariège), nommé médecin en chef de l'asile public de Castillac

(Gironde), est compris dans la 2e classe. Le Dr Belle, directeur-

médecin, est nommé de l'asile public de Sainte-Catherine (Allier),

à l'asile public de Saint-Lizier et maintenu à la 2e classe. - Le

Dr NoLÉ, médecin-adjoint à l'asile public de Braqueville (Haute-

Garonne), est nommé directeur-médecin de l'asile public de

Sainte-Catherine (Allier) et compris dans la 3e classe. l'Arrêté du

22 juin.)

Asile d'aliénés DE la VILLE de LONDRES A STONE. Le rapport

fait pour l'année 1891 établit que la situation sanitaire des ma-

lades a été bonne. Les décès, comme pour les années précédentes,

furent au-dessous de la moyenne, c'est-à-dire : 4,34 p. 100 du

nombre de malades en traitement, contre 8,19 p. 100 dans les

autres asiles.

Pour ce qui a rapport à l'admission de malades privés (parti-

culiers), on a émis le voeu qu'on donnât toutes facilités aux per-

sonnes résidant à Londres ou à proximité pour permettre aux

familles de placer leurs parents dans n'importe quel asile, et on

vota cette résolution, que l'on recevrait des malades particuliers

au taux d'une guinée par semaine. Les dépenses, pour l'année,

s'élevèrent à 17.400 livres sterling. (The Lancet, 7 mai 1892.)

Asile d'état POUR les épileptiques. - Un millier d'épileptiques

sont attendus pour entrer dans l'asile pour les épileptiques qui

vient d'être érigé à Gallipolis, O. C'est la première institution de ce

genre érigée dans cette contrée. (Médical Record, 11 juin.)

Asile d'idiots A EARLSwooD , BEDHILL. Le rapport annuel

montre que, pendant l'année dernière, le travail a été en progrès

constant dans toutes les décisions de cet établissement. Il y a été

fait des admissions de toutes les classes de la société.

Des modes d'enseignement, à la fois physique et mental, ont été

couronnés d'un succès complet, et 2,810 malades ont été traités

depuis 45 années que cet établissement existe. La fête anniver-

158 FAITS DIVERS.

saire a eu lieu à l'hôtel de Savoie, sous la présidence de M. Alder-

man Faudell Phillips. Dans les différents toasts portés à « l'asile

d'Earlswood, au conseil de direction et au personnel », le président

a, dans des termes chaleureux, vivement remercié le public pour

son concours pécuniaire. Les souscriptions annoncées se sont

élevées au delà de 2,000 livres sterling. (The Lancet, 7 mai 1892).

Faculté DE médecine DE Paris. - M. Gilbert Ballet, agrégé près

la Faculté de médecine de Paris a été chargé d'un cours de cli-

nique de pathologie et des maladies de l'encéphale à ladite Faculté,

pour suppléer M. Bail, qui est en congé sur sa demande, pour

cause de maladie.

Hospice de la Salpêtrière. - M. le Dr Aug. Voisin a repris ses

conférences cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, le

dimanche 19 juin à dix heures du matin, et les continuera les

dimanches suivants à la même heure.

Clitoridectomie. - Cette opération, dit le Médical Standard (de

Chicago), de juin, a été pratiquée fréquemment dans le traite-

ment de la nymphomanie. Au point de vue de la psychiatrie cette

opération n'est pas bien fondée, excepté dans les cas où il y a une

irritation locale bien nette. Les femmes égyptiennes sont clitori-

dectomisés dans l'enfance, et cependant le Dr Peterson (Médical

Record) a trouvé que la nymphomanie était fréquente parmi

elles.

NÉCROLOGIE. '- « Tu. MEYNERT, professeur de psychiatrie à

l'Université de Vienne est décédé en celte ville le 31 mai dernier.

La science médicale perd en lui, dit le Bulletin de la Société de

médecine mentale de Belgique, le fondateur de l'anatomie moderne

du cerveau et la psychiatrie, un des plus grands génies qu'elle ait

jamais comptés. C'est par le concours de ses travaux anatomiques

que la physiologie cérébrale prit un essor nouveau. C'est par son

esprit génial que la clinique des maladies mentales prit une direc-

tion toute nouvelle.

« Pendant environ trente ans, Meynert occupa la chaire des

maladies mentales à l'Université de Vienne. Il est impossible de

décrire le succès que remporta son enseignement sans en avoir été

un témoin oculaire et nous nous rappelons avec bonheur la

période florissante où le célèbre professeur réunit autour de lui

non seulement la jeunesse médicale de son Université, mais encore

des médecins aliénistes, mûris par l'âge et venant de tous les pays

du monde entier pour se perfectionner par la parole du grand

maître. Le nombre des travaux qu'il a publiés est immense.

Meynert fut le fondateur du Jahr6uch fûr Psychiatrie qui jouit d'un

si légitime succès. » (Bull. Soc. Méd. Ment. de l3elilue.)

J.-B. CHARCOT et Georges GmNON.

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

BouRNEVILLE. - Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie

l'hystérie et l'idiotie, compte rendu du service des enfants idiots épilep-

tiques et arrivés de Bicêtre pendant l'année 1890, avec la collaboration

de MM. CAMESCASSE, ISCH-WALL, MORAUX, RAOULT, SÉGLAS et SOLDER,

1 fort volume de Lx-240 pages, avec 16 figures et 10 planches.- Prix :

6 fr.; pour nos abonnés, prix : 4 fr.

BOURNEVILLE. - Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'hysthérie

et l'idiotie. Compte rendu du service des enfants idiots, épileptiques et

arriérét de Bicêtre pendant l'année 1891, avec la collaboration de

MM. BANZET, IscH-WALL, RAOULT, R. SOREL et P. SOLLIER. Volume in-8°

de cvnr144 pages, avec 2 planches et 13 figures. - Prix : 5 fr. pour

nos abonnés.

CATTANI (G.). - Algometria e Nuovo Algometro. Brochure in-8° de

12 pages, avec une figure. Milano, 1892. Litografia dell' antica

casa Éditrici Dott'. if. Vallardi.

CHARCOT (J.-M.). - Leçons dumardi à la Salpêtrière. Notes de cours de

MM. BLIN, CHARIOT et Colin, Seconde édition, 1 vol. in-4° de 502 pages,

avec 101 figures. Prix : 20 fr. Paris, 1892. Aux bureaux du

Progrès médical. Pour les abonnés des Archives, 16 fr.

CHARCOT (J.-M.). - Clinique des maladies du système nerveux de la

Salpêtrière. Leçons du professeur, mémoires, notes et observations des

années scolaires 1889-90 et 1890-91, publiés sous la direction de Georges

GmNON, chef de clinique, avec la collaboration de MM. GILLES de la

TOURETTE, BLOCQ, HUET, PARMENTIER, Souques, HALLION, J.-B. CHARCOT et

MEME. Tome I". - Un beau volume de 468 pages avec 47 figures et

3 planches. - Prix : 12 fr. Aux bureaux du Progrès médical. Pour

les abonnés des Archives, 8 fr.

DONATH (J.). Hysterische Pupillen und Accommodations lahming,

geheit durch hypnotische Suggestion. Brochure in-8° de 13 pages. -

Budapest, 1892. Deutsche Zettschrift für Nervenheilk unde.

EDINGER (L.). - Zwolf vorlesunqen ûber den bander nervosen central-

organe für arzte und studirende. Volume in-8» de 196 pages, avec 139

figures. - Prix : 8 fr. 75. Leipzig, 1892. Verlag (F.-C.), W.

Wogel.

FREUND (C-S.). Schemata zur eintragung von sensibilitxtsbefunden.

Carnet de 40 schémas, in-8°, oblong. Berlin, 1892. Verlag A. Hirschwald.

FRIEND'S ASYLUM (Reports) for the Insane. Brochure in-8° de 28 pages,

avec 6 figures. Philadelphie, 1892. Printed by G.-H. Buchanan

and C°.

GRASSET. - Un cas de maladie de Morvan. Leçons recueillies par

GuiBERT (IL). Brochure in-8° de 26 pages, avec 3 planches hors texte. -

Paris, 1892. Librairie G. Chanon.

Grasset. Quelques cas d'hystérie mâle et de neurasthénie. Leçons

recueillies par JEANNEL (S.). - Brochure in-8° de 88 pages. Paris,

1892. - Librairie G. Chanon.

GUERMONP11EZ (Fn.). - Un mot sur Laènnec. Brochure in-8° de 28 pages,

avec 6 figures. Lille, 1892. L. Quarré.

160 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

Krrnr (P.-C.). - Astasia-abasia. With the report of a case of paro-

xysmal trépidant. Abasia associated with paralysie agitans. Brochure

in-8° de 31 pages, avec 3 figures. - New-York, 1891. - Journal of

Ne,'vous and Mental disease.

Marie (P.). Leçons sur les maladies de la moelle. Volume in-8°

de 504 pages, avec 244 figures. - Prix : 15 fr. Paris, 1892. Li-

brairie G. Masson.

Oppenheim (H.). - Die traumatischen Neurosen nach den in der Ner-

venklinik der Charité in der 8 jahren 1882-1891 gesammelten Beoloch-

timgen. Volume in-8° de 253 pages. Berlin, 1892. - Verlay. A. Hirs-

chevald.

PROrIER (E.). Etudes sur la contagion de la folie. Volume in-8° de

93 pages. - Genève, 1892. H. Stapelmohr.

RAYNAUD. - Troubles oculaires de la Malaria. Volume in-8" de 100 pages.

Paris, 1892. H. Jouve.

Rousselet (Albin). Les secours publics en cas d'accidents. Volume

in-8° de 150 pages. Prix : 3 fr. 50. Paris, 1892. - Policlinique de

Paris, 28, rue Mazarine, et Société d'éditions scientifiques, rue Antoine-

Dubois. 1

SCHULTZE (F.). Uber die heilwirkung der electricitdt bei Nerven-und

biuscul leiden. Brochure in-8° de 29 pages. - Prix : 1 fr. Wiesbaden,

1892. Bergmann.

SÉGLAS (J.). - Du mutisme mélancolique. Brochure in-8° de 13 pages.

Paris, 1892. - Annales médico-psychologiques.

SÉGLAs. - Les troubles du langage chez les aliénés. Volume in-12 car-

tonné, de 304 pages, avec 17 figures. Prix : 3 fr. 50. Paris, 1892. -

Librairie Rueff et C. Bibliothèque CHARCOT-DEBOVE.

SÉGLAS (J.). De l'obsession hallucinatoire et de l'hallucination obsé-

dante. Brochure in-8° de 12 pages. Paris, 1892. - Extrait des An-

nales médico-psychologiques.

Sollier (P.). - Les troubles de la mémoire. Volume in-12 relié, de

262 pages, avec 35 figures. - Prix, 3 fr. 50. Paris, 1892. Librairie

J. Rueff et C ? Ce volume fait partie de la Bibliothèque CHARCOT-DEBOVE.

Avis A NOS ABONNÉS. - L'échéance du 1° Juillet étant l'une des plus

importantes de l'année, nous prions instamment nos souscripteurs, dont

l'abonnement expire à cette date, de nous envoyer le plus tôt possible

le montant de leur renouvellement. Ils pourront nous adresser ce mon-

tant par l'intermédiaire du bureau de poste de leur localité, qui leur

remettra un reçu de la somme versée. Nous prenons à notre charge les

frais de 3 p. 100 prélevés par la poste et nos abonnés n'ont rien à payer

en sus du prix de leur renouvellement.

Nous leur rappelons que, à moins d'avis contraire; la quittance de

réabonnement leur sera présentée le 25 Juillet, augmentée de un franc

pour frais de recouvrement. Nous les engageons donc à nous envoyer de

suite leur renouvellement par un mandat-poste.

Le rédacteur-gérant, BOURNEVILLS.

lneu.. I : h. HUI88KY. Imp.- 792.

Vol. XXIV. Septembre lé92. N, 71.

ARCHIVES DE NEUROLOGIE

PATHOLOGIE MENTALE

' DE L'ONOMATOMANIE (suite)1; ? `

,

Par MM. CHARCOT et MAGNAN.

III. Signification particulièrement FUNESTE DE CER-

tains MOTS (PENSÉS , PRONONCÉS, LUS, ÉCRITS) MOTS

COMPROMETTANTS.

L'onomatomanie se traduit dans ce groupe de désé-

quilibrés par une terreur, une crainte folle de certains

mots auxquels ils attribuent une sorte de pouvoir

maléfique, tantôt sur eux-mêmes mais plus souvent

sur un parent, un ami et parfois aussi sur des per-

sonnes étrangères.. , - , -

Ces mots se rapportent habituellement aux cérémo-

nies funèbres, à la mort, d'autres fois à l'enfer, au

diable, aux crimes, etc.; et les préoccupations qu'ils

éveillent sont excessivement pénibles, même chez les

individus non superstitieux, très surpris eux-mêmes do

l'angoisse et de la profonde épouvante que ces craintes

chimériques leur inspirent. .

Une fois en butte à ces préoccupations maladives,

' Voy. Arcli. de Neurol., n° 29, sept. 1885, p. 157, et HO 70, 189, p. 1.

Archives, t. XXIV. 11 i

162 PATHOLOGIE MENTALE.

ils se tiennent constamment sur le qui-vive ! Ils s'ef-

forcent eux-mêmes de ne pas réfléchir, de ne pas

penser pour que ce mot malfaisant n'intervienne point

dans le cours des idées; ils n'osent pas sortir crai-

gnant de l'entendre prononcer; chez eux, ils s'iso-

lent, restent silencieux, redoutant de parler ou d'en-

tendre parler leur entourage, car le mot pourrait par

mégarde, malgré toutes les précautions et les recom-

mandations, se glisser dans la conversation. Dès que

le mot apparaît, dès que le centre cortical l'a recueilli,

que le mot vienne du dedans ou du dehors, instanta-

nément, sans réflexion, le malaise se produit et le pa-

tient s'angoisse, tout en reconnaissant l'absurdité de

son inquiétude.

Parfois il suffit d'un dessin, d'une image rappelant

un mot funeste, pour provoquer le malaise : c'est ainsi

qu'une dame était péniblement impressionnée à la vue

d'une affiche de théâtre, surmontée de l'image de

Méphistophélès pour une représentation de Faust. Un

autre malade ne pouvait pas voir une carte ou une

lettre bordées de noir; la vue d'un enterrement le

bouleversait et il courait s'enfermer chez lui.

- L'état d'angoisse est tel que rien ne leur coûte pour

éviter le mot malfaisant, non seulement, ils cessent

de lire, d'écrire, mais limitent parfois à quelques pa-

roles indispensables les relations avec leur entourage.

Une dame ne voulait jamais s'endormir avant minuit,

afin, disait-elle, de commencer la journée par de

bonnes pensées. Elle craignait, en s'endormant avant

minuit, de se laisser surprendre, au réveil, dans la

matinée, par un mauvais mot qui exercerait une

influence fâcheuse sur tous les événements de la jour-

DE L'ONOMATOMANIE. 163

née. Une autre onomatomane, de retour d'une visite

pendant laquelle elle se souvient avoir prononcé le

mot « mort », s'imagine qu'elle va porter malheur à

l'amie visitée qui tombera en léthargie et sera enterrée

vivante. Elle se couche très soucieuse, mais à peine

au lit, elle s'angoisse, se sent suffoquée, ne peut plus

y tenir, se relève brusquement, se rhabille et court

chez son amie, s'assure qu'elle est vivante et bien por-

tante, éprouve, dit-elle, un immense soulagement et

rentre heureuse chez elle.

D'autres fois ces malades s'imaginent que l'influence

funeste du mot non seulement peut s'exercer sur les

personnes, mais peut encore transmettre aux actes et

aux choses une vertu malfaisante, si bien qu'ils re-

commencent les actes accomplis pendant l'émission du

mot, que quelques-uns se dépouillent des vêtements

portés à ce moment et refusent obstinément de s'en

servir sous prétexte qu'ils pourraient opérer des malé-

fices. Une dame du monde avait successivement donné

toutes ses robes, ses jupes, ses chemises et le jour de

la consultation médicale elle ne portait qu'un peignoir

acheté le matin même, c'était, dit-elle en souriant,

toute sa garde-robe, elle avait dû successivement se

débarrasser de tous ses vêtements contaminés, par le

mot malfaisant; elle avait abandonné sa dernière

robe, d'ailleurs toute neuve parce qu'elle avait lu sur

une grande toile étalée devant une baraque de saltim-

banques une inscription engrosses lettres « les crimes

célèbres ». Elle sait bien, dit-elle, que tout cela est

insensé, mais elle ne peut pas agir différemment, et

malgré tous ses efforts elle ne peut pas s'empêcher de

se demander : « Mais, si c'était vrai ? »

164 pathologie mentale.

Observation Vil- Doutedèsquatorzealts; répétition des prières;

quelques années après, onomatomanie, mots compromettants; images

ou inscriptions malfaisantes, poussant ci la répétition des signes de

croix, à l'abandon des vêtements, à ,la suspension d'un repas ou,

au contraire, à la reprise d'un repas terminé. Angoisse avec la

résistance. Réveil, jusqu'à minuit pour commencer la journée sitar

un, mot ou une pensée, sans signification mauvaise. Vertu malé-

fique du nombre 13.

1-0 R.... â ? ée de cinquante-trois ans, nous a été adressée au mois

de septembre 1887, par notre confrère M. le Dr Cherchewsky de

Saint-Pétersbourg. Elle est née d'un père fort irritable, plus âgé

de trente ans que la mère sur la santé de laquelle on n'a pas pu

avoir des renseignements précis.

Mme IL, dès quatorze ans, est en proie au doute; elle se montre

scrupuleuse, hésitante, s'interroge sans cesse; craint de mal faire

ses prières, les répète fréquemment et parfois même l'aube la

surprend encore agenouillée dans sa chambre, n'ayant pas réussi

à réciter, en entier, une prière qui ait pu la satisfaire.

A dix-huit ans, à l'époque de ses fiançailles, ses craintes redou-

blent, parce qu'elle se figure qu'une prière mal faite porterait

malheur à son futur époux.

Peu à peu certains mots ou certains noms acquièrent il ses yeux

une influence néfaste soit pour elle-même, soit pour les autres,

quoiqu'elle ne soit pas superstitieuse, quoiqu'elle considère comme' ·

profondément ridicule l'idée d'accorder une puissance maléfique

à un mot quelconque, elle n'en est pas moins préoccupée lorsque

intervient un mot tel que : cercueil, mort, assassinat, diable, etc.

Tout d'abord, il s'agissait d'un mot entendu ou lu ou bien pro-

noncé ou écrit par mégarde, puis, c'est l'objet ou l'image de l'objet

représenté par le mot, par exemple le Méphisto, de Faust, peint

dans un tableau ou sur une affiche de théâtre; ou bien encore

une affiche portant les « crimes célèbres D. Enfin parfois c'est la

simple pensée d'un de ces mots ou d'un crime ou d'un événement

triste.

Tout acte commencé avec une pensée ou un mot compromet-

tant doit être recommencé. En effet, si pendant qu'elle brode, le

mot diable intervient, elle s'imagine que si elle continue sa bro-

derie et complète son point, elle scelle en quelque sorte l'acte et

expose à un malheur les siens ou elle-même. Si elle s'habille, si

elle met son chapeau ou tout autre objet et qu'un mot compro-

mettant surgisse, elle doit recommencer pour conjurer le mal-

heur. Il en est de même pour une acquisition faite dans un ma-

gasin, sous le coup d'un mauvais mot. Mm0 Il. laisse là son empiète,

n'y touche plus, et finit par donner l'objet acheté à un pauvre.

Cette fois, dit-elle en souriant, j'ai, au moins, dans ma manie, la

DE l'onomatomanie. 16

satisfaction de faire du bien à quelqu'un. Il en a été ainsi pour

une robe qu'elle n'a pas voulu mettre, parce qu'au moment où on

la coupait, elle avait eu une mauvaise pensée.

Si elle veut passer outre, elle éprouve un malaise extrême, de

la chaleur à la tête, de la rougeur à la face, des palpitations, un

serrement à l'estomac; une angoisse qui l'empêche de manger,

de songer, de réfléchir à quoi que ce soit, de s'occuper à quelque

chose et même de dormir. Aussi reste-t-elle éveillée jusqu'à minuit,

afin de. bien commencer la journée, de crainte que dormant à

minuit, au commencement du passage d'une journée à l'autre,

elle n'ait une mauvaise pensée au réveil (la première pensée du

jour) qui porterait malheur à toute la journée.

Si pendant qu'elle découpe la viande servie dans son assiette, se

produit une mauvaise pensée, elle ne mange plus et ne touche

plus à l'assiette, lors même qu'elle a faim; d'autres fois, elle

mange au delà de son appétit, pour ne pas finir son repas sur une

mauvaise pensée.

Pour contre-balancer l'influence fâcheuse de ces mots, images,

pensées et en conjurer les funestes conséquences, Mmo Il., en

dehors de la répétition des actes fait des prières mentales et des

signes de croix; elle se cache, croit les mal faire, et les répète jus-

qu'à cinq cents et mille fois. Elle obtient de temps à autre de son

mari, qui a pour elle une vive affection, qu'il répète lui-même le

signe de la croix pour être bien sûre qu'il est bien fait, et celui-ci

la voit par moments si malheureuse, qu'il se prête à ses exi-

gences maladives.

Elle est, en outre, obsédée quelquefois par le nombre treize, auquel

elle attribue également une influence malfaisante ou funeste. Par

périodes, cette obsession- du treize devient insupportable, parce

qu'elle intervient dans tous les actes de la vie.

A table, si les convives sont en nombre inférieur à treize ou

dépassent ce chiffre, elle est poussée malgré elle à tenir compte

des domestiques et son esprit inventif s'applique à de telles com-

binaisons qu'elle finit par arriver soit à treize, soit à un multiple

de treize; eli'rayée, elle cesse alors de manger, s'angoisse, se lève

et s'éloigne. Lorsque les recherches n'aboutissent pas au chitfre

treize pour le nombre des convives, le 13 intervient néanmoins à

propos du treizième morceau découpé, de la treizième bou-

chée, etc.

S'il s'agit d'écrire, le treizième mot ou la treizième ligne devien-

nent un objet de crainte et tantôt elle s'arrête au douzième mot,

tantôt, quand elle est parvenue à franchir cette première diffi-

culté, elle se trouve très perplexe à la treizième ligne.

Le montant d'une acquisition dans lequel figure le chiffre treize

suffit à faire immédiatement abandonner ce qui vient d'être acheté..

Les réceptions chez elle, les bals provoquent un extrême malaise-

166 pathologie mentale.

au moment où arrive le treizième invité, elle redoute un malheur

pour lui ou pour les siens et c'est en tremblant qu'elle l'accueille

et le salue.

Elle a refusé une consultation médicale le treize, elle n'aime

pas non plus à recevoir le médecin le vendredi. Elle a pleine cons-

cience de son état, regrette ces craintes puériles, ces préoccu-

pations et ces actes bizarres, s'en attriste mais il lui est impossible,

dit-elle, d'agir différemment.

La folie du doute nettement dessinée à quatorze ans

est suivie quelques années après d'onomatomanie et le

mot compromettant ne tarde pas à envahir la vie en-

tière de la malade; tous les actes quels qu'ils soient,

sont à l'avenir entravés par cette obsession maladive.

Mme R..., ne peut s'habiller, se déshabiller, parler,

sortir, faire une empiète, manger, se coucher, etc.,

sans être forcée de compter sur le mot compromettant

dont elle cherche à conjurer les effets par les prati-

ques les plus bizarres. Elle s'y abandonne d'autant

mieux que son entourage, son mari même au lieu de

l'exhorter à la résistance, a la faiblesse de lui prêter

son concours et en arrive à faire avec elle des signes

préservateurs de croix.

Obskrvation XVIII. Déséquilib ? ,atio2z mentale et doute dès le jeune

t ! {/e. Amélioration en 1870 sous les drapeaux. Anomatomunie; mots

compromettants; crainte du mot pl'ononcépesllnt S ! l1' les actes. Phrases

préservatrices. Crainte du toucher. En dernier lieu, idées de persé-

cution. \

M. S..., âgé de quarante-six ans, se montrait dès son enfance

scrupuleux et méticuleux dans ses actes. Il était lent à faire toutes

choses, les répétait quelquefois, ne croyait jamais avoir assez bien

fait.

A douze ans, au collège, le directeur eut l'idée de faire défiler

tous les élèves devant le corps d'un camarade qui venait de mourir.

Cette cérémonie l'impressionne beaucoup et à partir de ce moment,

il devient plus triste, plus pointilleux, répète quinze, vingt fois ses

prières, ne croyant jamais les avoir suffisamment bien faites; le soir,

il inspecte la maison avant de se coucher par crainte du feu, ouvre

DE L'ONOMATOMANIE. 167

plusieurs fois les portes pour s'assurer que le feu n'a pas pris au

grenier ou ailleurs. Il se préoccupe de sa santé, deux ou trois heures

après des repas très suffisants, il se sent faible, l'estomac vide,

craint de tomber en défaillance et s'empresse de manger.

En 1870, il reste sous les drapeanx pendant toute la durée de la

guerre, comme simple soldat et ce nouveau genre de vie lui est des

plus favorables; à la fin de la campagne il était presque affranchi

de ses doutes, de ses scrupules, de ses hésitations, de ses répéti-

tions ; mais rentré ,,Ilez lui, il reprend son existence désoeuvrée et

tous ces syndromes ne tardent pas à revenir et même à s'aggraver.

Il se montre très occupé et ainsi que nous le disait notre distin-

gué confrère le Dr Edouard Labbé qui lui donnait des soins, il

tombe dans une profonde tristesse à propos de tout ce qui rap-

pelle... ce qui succède à la vie.

Il s'angoisse, en effet, dès qu'un mot triste tel que cercueil, en-

terrement, noir et surtout mort se trouve dans ses lectures ou est

prononcé dans une conversation ou même qu'il se présente à son

esprit. Il redoute un malheur et si, à ce moment il pense à un pa-

rent, à un ami, il s'imagine, qu'il leur arrivera un accident, qu'il il

sera cause de leur mort. Il fait alors tous ses efforts pour chasser

le mot de son esprit, il marmotte une série de mots insignifiants :

histo, histoire, historien; nost, postal, nostalgie, etc., et ne se calme

qu'après la disparition du mot compromettant.

La crainte de ce mot pèse sur tous ses actes. 11 n'ose jamais

changer d'habits redoutant un mot compromettant pendant qu'il

endosse les vêtements neufs, et c'est ainsi qu'il conserve une par-

tie de l'hiver les vêtements d'été et en été les vêtements d'hiver.

Si après avoir mis un nouveau costume, il entend un mot compro-

mettant, ou s'il aperçoit un enterrement, ou une lettre, une carte

bordées de noir, il se débarrasse rapidement de ses habits que le

mot ou la chose triste ont rendus, pense-t-il, dangereux et ne les

remet jamais plus. ,

Le chant du coq, l'aboiement du chien, s'ils coïncident avec un

mot compromettant, causent une vive angoisse, ou bien, au con-

traire, amènent le calme s'ils surprennent le malade avec une pen-

sée agréable.

La moindre action devient impossible et insupportable pour le

patient, il est poussé à la répéter jusqu'à ce qu'il puisse la faire

sur une bonne pensée et il arrive à ne plus pouvoir l'accomplir

qu'après épuisement, après une lutte terrible. Il ne peut presque

plus se lever tout seul ; il est parfois des heures entières à mettre

sa chemise, ses souliers. Si au moment de passer une porte, un

mot compromettant survient, il revient un très grand nombre de

fois en arrière jusqu'à ce qu'une pensée indifférente ou plus gaie

lui permette de la franchir sans conséquences funestes. En par-

laut, il en est de même, il s'interrompt parfois dans le cours de la

168 PATHOLOGIE MENTALE.

conversation et souvent marmotte promptement quelques mots pour

effacer l'image tonale pénible et reprend la conversation inter-

rompue.

Depuis quelque temps il a la crainte du toucher et pour éviter le e

contact des pièces de monnaie, il charge son domestique de régler

toutes ses dépenses. Il reconnaît que tous ses actes sont ridicules

il les déplore mais ne continue pas moins à les accomplir.

. Depuis longtemps il a cessé d'écrire, de lire, il fuit la société, ne

trouve du plaisir qu'à la chasse qui lui permet d'errer seul dans la

.campagne ou au fond des bois et éviter ainsi, dit-il, les occasions

de se tourmenter. Du reste, à diverses reprises, il a cru que les

gens prononçaient intentionnellement des mots compromettants,

et il a parfois manifesté une vive colère et même des menaces..

La folie du doute se développe dès l'âge de douze

ans chez ce malade et c'est à vingt-six ans, que l'ono-

matomanie intervient avec la crainte obsédante du mot

compromettant. Il cherche d'abord le moyen de s'en

affranchir et pour débarrasser son esprit du mot

funeste, il répète des séries de syllabes et de mots.

Beaucoup de dégénérés syndromiques cherchent à

combattre les obsessions par des moyens analogues et

Legrand du Saulle, parmi les nombreuses observations

réunies dans son mémoire sur la folie du doute avec

délire du toucher, signale des malades qui s'affranchis-

sent de l'obsession tantôt en récitant des pages entières

d'un auteur favori, tantôt en chantant la Marseillaise

ou des chansons de Béranger. -

Observation XIX. - Dégénérescence mentale : dès l'âge de quinze ans,

délire du toucher; puis crainte du mot compromettant ; précautions

infinies pour conjurer l'influence néfaste de certains objets, de cer-

taines images, de certaines inscriptions. Doute.

Mme D..., âgée de trente-trois ans, est en proie depuis l'âge de

quinze ans, à la crainte obsédante du toucher. Elle ne touche les

boutons de porte qu'après s'être enveloppée la main avec un pan

de la robe; elle ne peut toucher les pièces de monnaie; elle essuie

un grand nombre de fois son. verre, son couvert, chaque assiette.

Plus tard, elle n'est pas seulement angoissée par le contact, mais

DE l'onomatomanie. 169

la simple vue de certains objets, de ceux, par exemple, qui ser-

vent aux pompes funèbres, le cercueil, les voitures de deuil, les

tentures noires et aussi les employés et surtout les croque-morts.

Dès qu'elle aperçoit un enterrement elle rentre chez elle et se livre

à de nombreux lavages de tout le corps.

. Plus tard, au délire du toucher s'ajoute une autre préoccupation,

c'est la crainte que la vue d'une image à caractère pénible, que le

récit ou la lecture d'un événement fatal, ou même un mot rappe-

lant des choses tristes, ne portent malheur aux autres ou à elle-

même, et pour se débarrasser de cette maléfique souillure, non

seulement elle se lave, mais encore elle abandonne les vêtements

et le linge portés à'ce moment.

Si elle remettait cette robe, dit-elle, elle éprouverait un malaise

extrême, comme un frisson des pieds à la tête, une barre à l'esto-

mac, des suffocations; et lorsque dans les cas analogues, elle veut

passer outre, ces malaises deviennent tellement pénibles qu'elle ne

peut s'empêcher de songer à la mort et qu'elle a même pensé pour

se délivrer à se précipiter par la fenêtre.

« Tenez, Monsieur, ajoute-t-elle, cette robe que vous me voyez a

été achetée ce matin et je porte, dessous, une chemise de laine

achetée également ce matin; j'ai dû me défaire de tout le reste.

En passant hier à la barrière du Tiône, en voilure, j'ai eu le

malheur de jeter les yeux sur une baraque surmontée de l'enseigne

« les crimes célèbres », j'ai été prise d'une vive inquiétude, et ren-

trée chez moi, je me suis dépouillée de tout ce que je portais et

me suis livrée à des tarages sans fin. Assurément, c'est insensé, ça

ne signifie rien, ma conduite est ridicule, mais je souffrirais trop

si je conservais ces vêtements. »

Mme D... a souvent du doute, recommence fréquemment les

mêmes actes; chez les marchands, elle craint toujours de ne pas

donner ce qui est dû; quand on lui rend la monnaie qu'elle touche

avec des gants seulement, elle compte plusieurs fois, pour s'assu-

rer qu'on ne lui a pas rendu plus qu'il ne fallait.

Des scrupules et des craintes s'éveillent à propos d'idées parfois

bizarres; après la visite d'un ami, pendant qu'il descend, elle se

dit, s'il se cassait la jambe dans l'escalier, peut-être m'arriverait-il

quelque chose d'heureux; et aussitôt elle se reproche cette pensée,

redoute de porter malheur, fait des prières, répète plusieurs fois

les mêmes actes pour conjurer l'accident.. , 1 1

A propos des objets à influence funeste, une sorte de contami-

nation s'étend parfois, non seulement aux choses en contact avec

l'objet, mais même à tout ce qui l'environne. On remet un jour à

141m D... des enveloppes pliées dans un journal illustré représentant

la chambre occupée par les victimes de l'assassin Pranzini; elle ne

peut plus toucher à ces enveloppes ni à aucun objet placé dans le

même secrétaire; ses papiers d'affaires sont là, mais depuis plu-

170 PATHOLOGIE MENTALE.

sieurs mois elle n'ose y loucher et perd ainsi des sommes impor-

tantes. Elle va passer l'été au Tréporl, mais au retour, non seule-

ment elle ne veut plus rentrer dans son appartement où se trouve

le numéro du journal illustré compromettant, mais encore, elle fait

vendre à des prix dérisoires tout son mobilier et toute sa garde-

robe. Elle refuse de voir sa soeur qui continue à occuper un appar-

tement sur le même palier que le sien.

Mme D... s'était mariée à dix-sept ans, à un proprié-

taire russe fort riche mais très original; celui-ci, en

effet, dès la fin de la première année cesse sans motif

apparent toute relation sexuelle; il continue montrer

à sa femme, la plus vive affection. Ils vivent dans un

grand luxe, ont de magnifiques équipages, mais ils se

promènent seuls, et vont seuls au bois de Boulogne et

ne reçoivent chez eux jamais personne. Au bout de

huit ans le mari meurt lui léguant sa fortune, c'est à

partir de ce moment surtout qu'elle devient l'esclave

de ses tyraniques obsessions et impulsions.

Cette malade livrée à elle-même pousse à l'extrême

limite la crainte du toucher; de même les images et

les mots compromettants deviennent chez elle de véri-

tables souillures dont elle cherche à tout prix à se

débarrasser pour conjurer leur influence maléfique.

Les angoisses sont parfois si pénibles qu'elles font

naître des idées de suicide.

Observation XX. - Mère dégénérée, syndromique. Mme D..., désé-

quilibrée dès l'enfance, scrupuleuse, méticuleuse. Crainte du mot

compromettant. Folie du doute, influence active des causes mo-

rales sur le retour des syndromes.

M ? D..., âgée de soixante ans, a toujours été méticuleuse et

émotive. Sa mère déséquilibrée avec du doute et de l'arithmo-

manie, avait .complètement troublé sa fille au moment de la pre-

mière communion; elle l'invitait à des examens réitérés de cons-

cience sur de minutieux questionnaires qu'elle avait rédigés elle-

même. Une de ses nièces est somnambule. ·

DE L'ONOrIAT011An.E. 'Ii1

Dès son enfance, elle a eu des scrupules religieux que les con-

seils inopportuns de la mère n'ont fait qu'exagérer; elle étaitcons-

tamment poursuivie par la crainte du mal et la peur de se com-

promettre. A treize ans, elle avait été vivement impressionnée par

des conversations tenues en sa présence sur des enterrements pré-

cipités, de longues léthargies, des voyageurs retrouvés sous les

glaces avec les apparences de la vie, etc., sur les phénomènes du

magnétisme et du somnambulisme. Ces impressions quoique vives

ont été très fugitives à ce moment, mais sont revenues à diverses

reprises, préoccupant fortement la malade qui n'osait pas en parler l'

à son mari, mais en entretenait avec beaucoup de détails sa soeur.

A trente-huit ans, à la suite de chagrins causés par des malheurs de

famille, l'idée obsédante d'enterrements précipités, d'enterrements

de gens vivants s'est emparée de son esprit. Elle s'est imaginée

qu'elle pouvait être cause elle-même de ces accidents par la seule

présence dans son discours, d'un mot triste tel que : mort, enter-

rement, cercueil. L'une de ses paroles pouvant avoir pour consé-

quence de faire' enterrer avec les apparences de la mort, une

personne vivante en léthargie. Aussi prèle-t-elle la plus grande

attention à chacune de ses phrases, à chacun de ses mots, dans la

conversation, mais malgré tous ses soins, et quoiqu'elle ait pris

l'habitude de parler très lentement, elle est amenée à prononcer

sans s'en apercevoir l'un ou l'autre de ces mots. '

. Un jour, elle était allé faire une visite à une de ses parentes

avec qui elle avait beaucoup causé; le soir, après s'être couchée,

elle revient sur la conversation de la journée et elle se souvient,

qu'elle a prononcé le mot mort; elle en est immédiatement émue,

toutefois, elle s'efforce de se rassurer, n'osant se lever à une heure

avancée de la nuit, pour constater que rien de fâcheux n'est sur-

venu. Elle cherche vainement à s'endormir, l'inquiétude augmente,

l'idée que sa parente est en léthargie, qu'elle peut être enterrée

vivante et qu'elle en est la cause la jette dans l'épouvante; effrayée,

angoissée, elle saute hors du lit, s'habille à la hâte et sans tenir

compte des sages remontrances et des paroles rassurantes de son

mari, elle court chez sa parente, réveille tout le monde, pénètre

dans la chambre, et éprouve un immense soulagement en l'aper-

cevant vivante et bien portante. Elle revient tranquillement chez

elle, se couche et s'endort d'un profond sommeil. -

Après cette scène étrange, le mari, sur le conseil des médecins,

l'a emmenée à la campagne où, évitant toute visite, ne voyant que

peu de monde, elle fait de longues promenades et ne trouve plus.

ainsi que de rares occasions de s'inquiéter. De temps à autre, elle

demande à son entourage, à ses domestiques : Ne vous ai-je pas

dit quelque chose de triste ? Mais chacun ayant la consigne s'em-

presse de répondre, sans hésiter, « non, madame ». Ces réponses,

nettement formulées, suffisent à la tranquilliser. '

- 172 PATHOLOGIE MENTALE.

Plus tard, elle a des manifestations singulières de folie du doute.

Elle se demande si, faisant sa toilette, un foetus, un enfant ne

pouvait pas être jeté dans le seau; elle examine avec le plus grand

soin l'eau dont elle s'est servie et exige de sa domestique de nou-

velles et attentives vérifications. Sans doute, dit-elle, tout ceci est

impossible, mais pourtant si cela était réel ! Sur ce si, sur cette

supposition, son imagination travaille et bientôt la peur la saisit et

l'inquiète.

Elle a eu de longues périodes de calme sans idées obsédantes;

mais celles-ci reviennent promptement sous l'influence de causes

morales pénibles telles que le suicide d'un employé de la maison,

la maladie grave d'une nièce, etc.

Ce cas est intéressant par l'hérédité similaire du

même syndrome la folie du doute chez la mère

et la fille; il est remarquable aussi par l'angoisse épou-

vantable que provoque la crainte du mot compromet-

tant.

L'apparition soudaine d'un mot est parfois le point

de départ de préoccupations et d'actes plus ou moins

bizarres pour le patient. Le malade suivant est forcé

de s'arrêter en chemin, parfois même de reculer ou de

remonter un escalier dès qu'un mot mauvais l'obsède.

Observation Y\I. Dégénérescence mentale. Soif dominicale des

tantes. Crainte du toucher; doute. Onomalomanie, mauvais-mots z

poussant ù la répétition des actes. '

M. M ? âgé de trente-cinq ans, dont le frère est mort d'une

affection des centres nerveux et la soeur a été prise d'éclampsie

pendant ses couches, ne présente du côté des ascendants que deux

faits à relever : le père était âgé de cinquante-cinq ans à la nais-

sance du malade, et deux de ses tantes maternelles, fort origi-

nales, avaient la singulière habitude de ne hoire aux repas qu'une

fois par semaine; tous les dimanches, en effet, on ornait la table

d'une carafe d'eau et passé ce jour, on ne buvait jamais.

M. M... a eu de bonne heure des rhumatismes et c'est à la suite

d'une crise rhumatismale subaiguë qu'il a présenté, pendant six

mois, à un degré assez accusé, la crainte du toucher; il se livrait

chaque jour à de nombreux lavages. Puis est survenu le doute avec

des hésitations incessantes et la répétition fréquente des mêmes

actes. ' 1 .

DE L'ONOMATOMANIE. 173

Le jour oit il est venu nous consulter, en descendant l'escalier,

il s'arrête et remonte brusquement deux marches, en descend cinq

ou six et en remonte encore deux ou trois; invité à s'expliquer, il

raconte que le mot orgie se présentant à son esprit. il avait été

obligé de le prononcer et que ne pouvant continuer à descendre

sur un mauvais mot il avait remonté deux marches. En pénétrant

dans le cabinet, il s'est également arrêté, a fait deux pas en

arrière, puis est rentré tout à coup, cet arrêt et ce recul étaient

encore dus à l'intervention d'un mot. Plus tard à la suite de mani-

festations graves de syphilis cérébrale, ces syndromes se sont nota-

blement amendés.

Nous devons noter dans ce fait, l'étrange bizarrerie

des tantes maternelles qui ne consentaient à boire aux

repas que le dimanche seulement.

Observation XXII. Dégénérescence mentale; folie du doute; im-

pulsions ; hurlements subits ; rires et pleurs involontaires ; arille-

- momanie; crainte du toucher ; onomalomanie ; mots pouvant porter

malheur; accès de délire mélancolique ; accidents hystériques.

P...(Adèle), femme V..., entre à Sainte-Anne le 31 octobre 1891.

Son grand-père paternel, faible d'esprit, croyait aux revenants et

aux sorciers ; son père et son oncle paternel sont alcooliques. La

mère, déséquilibrée, a toujours eu des idées bizarres. Un oncle

maternel, peureux et superstitieux, ne pouvait coucher seul dans

une chambre; il ne restait pas dans une maison où il y avait un

mort. Une soeur est morte à cinq ans de fièvre cérébrale.

P..., affectée à l'âge de cinq ans d'une fièvre typhoïde grave, ne

pouvait plus, à la convalescence, se tenir debout et a dû réapprendre

à marcher.

A dix ans, ont commencé à paraître des obsessions et des im-

pulsions ; brusquement elle jetait à terre ce qu'elle tenait à la

main, un litre, par exemple ; elle saisissait tout à coup un peigne

et le cassait ; elle se voyait forcée de toucher plusieurs fois de suite

le pied du lit ou le pied de la table; elle devait répéter plusieurs

fois le signe de la croix. Elle essuie plusieurs fois les verres et les

assiettes, elle est elle-même poussée à se laver les mains plusieurs

fois.

Très exaltée au moment de sa première communion ; elle s'ima-

ginait toujours s'être mal confessée ; elle faisait, contrairement à

son désir, le voeu de ne jamais se marier, de se faire religieuse.

Un peu plus tard apparaît la folie du doute ; elle défait et recom-

mence plusieurs fois le même ouvrage ; se lève plusieurs fois pour

s'assurer que la porte est bien close; fait vérifier par son entou-

174 -k PATHOLOGIE MENTALE.

rage l'exactitude de l'adresse qu'elle vient d'écrire sur une lettre,

dès qu'elle l'a jetée à la boite, elle se retourne plusieurs fois pour

bien s'assurer qu'elle n'est point tombée à terre, parfois même, au

moment de rentrer.chez elle, elle revient sur ses pas pour revoir

la boîte aux lettres.

A dix-huit ans, obsédée par le voeu de ne pas se marier, elle ne

sait comment accepter une demande de mariage qui lui agrée ;

elle finit par faire ses confidences à un prêtre qui la rassure; mais

pendant la cérémonie du mariage, tout en répondant oui, elle

prétend qu'elle pensait non. Elle a donc trompé, dit-elle, son mari

et elle n'est pas mariée ; cette idée la poursuit sans cesse, et mal-

gré des confessions réitérées et des absolutions, elle reste fort in-

quiète et pense parfois au suicide.

Après son mariage, elle conserve les mêmes ^interrogations et

les mêmes hésitations mentales ; elle se relève plusieurs fois la

nuit pour vérifier si les portes sont bien fermées, elle se demande

si elle est réellement mariée et elle revient sans cesse sur le voeu

qu'elle avait fait de ne pas se marier. Par moments, elle pousse

tout à coup un grand cri, un véritable hurlement qu'elle ne peut

pas réprimer. Parfois aussi elle est prise de rires ou de pleurs invo-

lontaires et sans motifs.

Elle est portée à compter les pavés dans les rues, ou les dalles

dans une maison, les carreaux des fenêtres, les fleurs du papier

d'une chambre, etc.

Pendant ses prières, surviennent brusquement des mots grossiers

qu'elle ne peut retenir. Elle attribue à certains mots une influence

mauvaise; elle recommence souvent ses lettres par crainte de por-

ter malheur, surtout si elle a été amenée dans quelques-unes de

ses phrases, à écrire les mots mort ou enterrement. *

A diverses reprises, elle a eu des périodes de dépression avec des

idées mystiques et de persécution ; la crainte d'avoir commis des

fautes, du dégoût de la vie et elle a fini par faire plusieurs tenta-

tives de suicide.

Un jour elle a été soumise chez elle à des pratiques d'hypno-

tisme, et, après un sommeil léthargique, elle a été prise d'une

attaque hystérique. Elle a de l'ovarie droite et la sensibilité est

diminuée du côté droit du corps.

Chez cette dégénérée se sont développés non seule-

ment des accès de délire mélancolique, mais aussi de

nombreux syndromes épisodiques parmi lesquels la

crainte du mot compromettant.

Chez une femme de soixante-trois ans, dont nous

DE L'oN0fA1'OSfANIE. 17S j

avons déjà rapporté l'histoire ' on constate trois modes

de manifestation du mot : la crainte dû mot compro-

mettant, la coprolalie et l'écholalie. Elle croit en effet

aux mots compromettants et s'imagine que certains

mots qu'elle a prononcés exercent une action malé-

fique sur des parents.

D'autre part, il lui arrive de prononcer sans pou-

voir se retenir des mots grossiers : » chameau, vache,

cul. » Ces mots arrivent tout à coup à sa pensée, et

presque aussitôt ils sont lâchés, sans que la malade

ait eu le temps de les arrêter. D'autres fois, ils expi-

rent sur ses lèvres et ils ne sont prononcés que men-

talement. Elle se seul soulagée pour peu qu'elle les

articule. D'autres fois encore, l'obsession seule existe;

la volonté conserve encore un peu de son action d'ar-

rêt. Au moment où la malade va prononcer le mot

qui l'obsède, on la voit sauter sur sa chaise et dire : : .

« Ah ! j'allais dire un mot, je me retiens, je me re-

tiens. »

Pendant quelque temps ces obsessions sont devenues

le point de départ d'idées délirantes, mais plus tard,

elles sont restées à l'état d'obsessions simples, la

malade eu ayant entière conscience, reconnaissant

leur caractère maladif. '

Depuis fort longtemps cette dégénérée était échola-

lique ; quand elle entendait prononcer certains mots,

elle était poussée à les répéter. Le mot « maquereau »

en particulier, qu'elle entendait crier dans la rue par

les marchands de poissons, avait le privilège d'être

sur le champ répété.

1 Magnan. Leçons cliniques sur les maladies mentales. Paris, 1891,

p. 171.

176 6 PATHOLOGIE MENTALE.

Observation XXIII. - Dégénérescence mentale. Onontatonzanie :

recherches angoissantes du mot; crainte du mot compromettant,

Arithmomancie. Folie du doute. Pyrophobie.

M. G..., rentier, âgé de soixante-cinq ans, dont les antécédents

héréditaires ne nous sont pas connus, a une nièce atteinte de

crainte du toucher, elle ne peut porter la main sur la peau velou-

tée d'une pêche. '

Il a présenté à diverses reprises des périodes de tristesse, quel-

quefois même des idées de suicide, mais c'est surtout depuis deux

ans que se sont montrés les syndromes épisodiques. Depuis cette

époque, il est obsédé par la crainte de certains mots qui pourraient

porter malheur soit à lui-même, soit à sa famille, soit à d'autres

personnes. Il fait tous ses efforts pour les éviter, mais tantôt dans

une lecture, il rencontre l'un de ces mots : mort, enterrement, etc.

D'autres fois, c'est dans une conversation que ces mots sont pro-

noncés. Très péniblement impressionné, il finit par ne plus vou-

loir lire et pour ne pas entendre prononcer un mot compromet-

tant, il réduit ses entretiens avec son entourage, aux choses

indispensables ; il redoute de sortir dans les rues de peur d'en-

tendre l'un de ces mots ou de voir des choses, un convoi funèbre, '

par exemple, lui rappelant le mot. Malgré toutes ses précautions,

il ne parvient pas à éloigner le mot de son esprit et quelquefois

celui-ci s'installe brusquement dans sa pensée et restant au premier

plan, efface tous les autres souvenirs et devient un sujet de conti-

nuels tourments. Il est le premier à reconnaître que ces craintes

sont ridicules et absurdes, mais il n'en continue pas moins à en

être vivement inquiété et à faire tous ses efforts pour s'en affran-

chir.

Parfois, c'est tout l'opposé, et comme chez les malades du pre-

mier groupe, c'est le mot qui fuit et que G... s'augoisse à recher-

cher ; c'est un nom de ville, le nom d'un ami, un nom propre dont

il n'a, du reste, nul besoin. Plus tard, c'est une phrase insignifiante

qu'il entend dans la rue et dont il cherche à se souvenir; pour

eviter cette recherche angoissante, il écrit souvent sur des bouts de

papier ces différents noms, ou ce qu'il vient d'entendre.

A diverses reprises il a eu la crainte du chiffre. Il s'émotionne

vivement quand le nombre 13 intervient dans un de ses actes; au

chemin de fer, il lui est arrivé fréquemment de prendre un second

ticket, parce que celui qu'on lui avait remis portait le numéro 13,

ou 23, ou 33, ou bien parce que l'addition des chiffres composant

le nombre, par exemple 274, donnait 13. Si le coq chantait, il

attendait qu'il eût chanté plus de trois fois pour commencer un

acte quelconque. Il ne pouvait sortir, se lever de table, se cou-

cher, etc., qu'après le quatrième chant du coq. Le 3 et le 13

auraient pu porter malheur.

DE l'onomatomanie. 177

Il a également du doute et ne peut affranchir son esprit d'une

série d'interrogations mentales. Pour toute sorte d'objels, il se

demande ce qu'ils deviennent, ce qu'ils sont devenus, et se met

anxieusement à leur recherche ; c'est ainsi qu'il a passé des jour-

nées à retrouver une pièce de monnaie sans valeur, un morceau

de bois, une feuille de papier. Parfois cette préoccupation s'étend

à tous les aliments qu'on lui sert et même aux déjections, dont il

conserve des fragments dans des morceaux de papier, datés et éti-

quetés. Comme toutes ces opérations ne sont pas toujours faciles à

exécuter, il en arrive à ne plus oser sortir de chez lui. Il est désolé

et honteux de raconter ses misères, mais il lui est impossible, dit-il,

d'agir autrement, il en éprouverait un trop grand malaise, quand

il essaie de résister, il se sent serré, comprimé à l'estomac, il suf-

foque.

La crainte du feu complète la série de ces syndromes et il défend

même pendant l'hiver, d'allumer du feu, ailleurs que dans la cui-

sine, pour la préparation des aliments. Toutes les autres pièces de

l'appartement restent sans feu.

Ce malade fort intelligent a pleine conscience de

son état maladif; il fait de grands efforts et réussit

parfois à dominer ses obsessions, mais confiné chez

lui, ne voulant pas quitter son milieu, l'amélioration

qui s'est produite quelquefois à la suite des conseils

donnés par les médecins, ne persiste pas, l'entourage,

n'ayant aucune influence sur le malade. Il est probable

que s'il se décidait à s'installer dans un établissement,

loin des siens, sous la direction immédiate du méde-

cin, il arriverait assez facilement à régulariser sa ma-

nière de vivre et à se trouver ainsi dans des conditions

plus favorables pour lutter et s'affranchir de tous ces

phénomènes pathologiques. (A suivre.

Archives, t. XXIV. ' 12

PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE

RECHERCHES SUR LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES

ÉPILEPTIQUES;

Par M. Jues VOISIN, médecin de la Salpêtrière,

et M. A. PERON, interne des hôpitaux.

1

Les recherches que nous avons publiées dernièrement sur

l'albuminurie des épileptiques' furent faites au cours d'études

sur la.toxicité urinaire chez ces malades. Nous nous deman-

dions alors si la constatation de l'albumine dans les urines ne

nous permettrait pas d'expliquer certaines données expérimen-

tales. Des retards apportés à la suite de circonstances indépen-

dantes de notre volonté à la terminaison de ces études sur la

toxicité urinaire, nous ont obligé à publier d'abord un travail

qui, pour nous, ne devait être qu'un corollaire de celui-ci.

Un très petit nombre de publications ont été faites sur la

question qui nous occupe en ce moment. La mesure de la toxi-

cité urinaire des épileptiques, rendue possible par les recherches

de M. Boucharde (1885), fut tentée pour la première fois par

MM. Deny et Chouppe (1889), puis par M. Féré (1890). Ces

auteurs communiquèrent le résultat de leurs expériences à la

Société de biologie.

Dans la séance du 30 novembre 1889, MM. Deny et Chouppe

apportent les conclusions suivantes qui résultent de l'injection

des urines de treize malades atteints d'épilepsie « idiopa-

thique ». Les urines sont toxiques de la même façon que celles

des sujets sains. Elles provoquent du myosis, de l'accélération

des mouvements respiratoires, l'exagération de la sécrétion

urinaire, l'abaissement de la température.

1 Jules Voisin et A. Péron. Archives de Neurologie, mai 1892.

. Bouchard. Auto-intoxication, 1885.

DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 179

La mort survient ordinairement dans la somnolence et le

coma. Quelquefois cependant, elle est précédée de secousses

tétaniformes avec opistothonos.

Dans dix cas sur treize, le coefficient urotoxique, calculé

sur la totalité de l'urine des vingt-quatre heures, était normal.

Chez les trois derniers malades, la toxicité urinaire était supé-

rieure à la normale. Mais dans ces cas il y avait de la fermen-

tation ammoniacale, dans les deux autres cas la diurèse était

diminuée. '

. Ces expériences ont été faites chez les épileptiques dans l'in-

tervalle des accès. MM. Deny et Chouppe ont bien cherché

le pouvoir urotoxique; mais, d'une part l'impossibilité de pré-

voir les accès, d'autre part le trouble mental consécutif aux

paroxysmes, rendant très difficile la récolte de l'urine des

vingt-quatre heures, les ont empêché de multiplier suffisam-

ment leurs expériences pour conclure.

Ils inclinent cependant à penser que leur toxicité est tou-

jours sensiblement égale.

Dans le courant de l'année 1890, M. Féré fit trois communi-

cations sur les injections intra-veineuses d'urines d'épilep-

tiques. Dans une première note (26 avril), il rapporte une série

d'expériences faites sur un seul malade, à la suite d'attaques

nocturnes sans mictions involontaires.

On conservait séparément l'urine de la miction du soir. Dans

la nuit, le malade avait un accès, mais il n'urinait pas au lit.

On recueillait alors le matin une deuxième urine, la pre-

mière était prae-paroxystique, la seconde post-paroxystique.

Dans ces conditions, la première urine amenait la mort

rapidement avec de fortes convulsions; la seconde plus lente-

ment et avec peu de convulsions.'

Aussi l'auteur concluait-il : « Sauf certaines exceptions,

dont les conditions physiologiques n'ont pu être déterminées,

les urines pra ? -paroxystiques sont plus toxiques et plus con-

vulsivantes que les urines post-paroxystiques. »

« Les coefficients urotoxiques furent calculés sur le rapport

de l'intervalle de deux mictions consécutives . à vingt-quatre

heures » et non pas sur la totalité de l'urine de vingt-quatre

heures.

Le malade de M. Féré avait des accès tous les deux à trois

jours. Il a présenté au cours des expériences deux ou trois

périodes de calme d'une dizaine de jours.

180 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE. '

Dans une seconde note (10 mai), M. Féré relève une cause

d'erreur dans ses propres expériences. « Une partie de la

deuxième urine, dit-il, est en réalité de l'urine proe-paroxys-

tique, puisqu'elle a été sécrétée avant l'accès. » Aussi, il n'in-

jecte plus l'urine de la première miction consécutive à l'accès,

mais celle de la deuxième miction. Dans ces conditions, il cons-

tate que l'urine prae-paroxystique est treize fois et demie plus

toxique et onze fois et demie plus convulsivante que l'urine

post-paroxystique. Ici, comme dans les expériences précé-

dentes, M. Féré calculait ses coefficients urotoxiques « sur le

rapport de l'intervalle de deux mictions consécutives à vingt-

quatre heures ».

Dans une dernière note enfin, après avoir constaté de nou-

veau que les urines post-paroxystiques sont peu toxiques, il

rapporte des expériences faites chez un épileptique présentant

de l'excitation maniaque. Il constate une augmentation de

toxicité pendant l'excitation maniaque, une diminution de

toxicité quand celle-ci est tombée, et enfin une sorte de

décharge toxique quand les phénomènes psychiques com-

mencent à baisser.

Il en conclut que l'augmentation de la toxicité serait l'effet

et non la cause de l'excitation maniaque, battant en brèche

l'opinion soutenue par M. Chevalier-Lavaure', qui trouve une

diminution dans la toxicité de l'urine des maniaques et est

tenté d'attribuer à cette hypo-toxicité les phénomènes psy-

chiques. Dans la même communication, M. Féré note égale-

ment que les épileptiques ont des crises de polyurie dans les

vingt-quatre heures, desorte qu'à certains moments de la

journée ils rendent proportionnellement sept à huit litres

d'urine, bien que la totalité de l'urine de vingt-quatre heures

ne soit pas, en fin de compte, augmentée.

Le mot proportionnellement s'explique par la façon dont

M. Féré calcule ses coefficients urotoxiques (voir première

note).

Depuis ces diverses communications, aucun fait nouveau n'a

été apporté; depuis l'année dernière cependant, une série de

travaux ont été publiés dans une voie parallèle. Sous l'inspi-

ration de M. Mairet, de Montpellier, on a étudié successive-

ment la toxicité des urines des aliénés et des hystériques.

1 Thèse de doctorat (Bordeaux, 1890).

DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 181

Ces faits ne se rattachent pas directement à la question qui

nous occupe. Nous nous bornons à constater les efforts tentés

dans ces derniers temps au point de vue de la pathogénie des

maladies du système nerveux par la recherche de l'uro-toxicité.

Nous avons tenu à rapporter en détail les expériences de

MM. Deny et Chouppe d'une part, de M. Féré d'autre part;

car nous sommes persuadés que c'est dans les détails que se

trouve l'explication des divergences constatées entre ces expé-

rimentateurs. MM. Deny et Chouppe, suivant les règles posées

par M. Bouchard, calculent leurs coefficients urotoxiques sur

une donnée constante, la totalité de l'urine des vingt-quatre

heures; leurs résultats sont par suite toujours comparables

entre eux. Ces résultats s'appliquent à la toxicité des urines

des épileptiques et en dehors des accès. Pour la question de la

toxicité avant ou après les paroxysmes, ces auteurs refusent

de conclure, justement parce qu'ils n'ont pu arriver à recueillir

pendant vingt-quatre heures de l'urine avant des accès impos-

sibles à prévoir, ou après des accès dont la plupart s'accom-

pagnent de trouble mental. Que fait au contraire M. Féré ? Il

calcule ses coefficients urotoxiques * sur le rapport de l'inter-

valle de deux mictions consécutives à vingt-quatre heures ».

Mais M. Feré reconnaît lui-même (3e note) que les épileptiques

présentent dans les vingt-quatre heures des crises de polyu-

rie pendant lesquelles ils rendent proportionnellement sept

à huit litres d'urine sans que la totalité de l'urination soit en

somme augmentée. Il suffit aussi de remarquer que l'ingestion

d'un verre d'eau en plus ou en moins pourra, dans ces cir-

constances, faire varier considérablement les appréciations.

Nous croyons que c'est là qu'il faut chercher la cause des

résultats si dissemblables obtenus entre les premiers expéri-

mentateurs et ceux que nous avons obtenus nous-même et que

nous allons exposer maintenant.

II

Toutes nos expériences ont été faites chez des femmes

adultes dans le service de l'un de nous à la Salpêtrière, et nous

nous sommes appliqués à suivre les préceptes de M. Bouchard,

c'est-à-dire à recueillir toutes les urines de vingt-quatre heures

et à les injecter très doucement.

182 . PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.

Au début de nos expériences sur les cobayes; nous avons

fait comme M. Féré ; nous avons pris les mictions d'urine avant

et après les accès convulsifs, avons injecté ces mictions et avons

calculé le coefficient d'urotoxicité par la quantité totale

approximative des urines en prenant quand nous le pouvions

toutes les urines de vingt-quatre heures pendant plusieurs

jours et en prenant la moyenne de toutes ces quantités réu-

nies.

Outre que ce moyen n'est pas exact, il est défecteux, il nous

expose à ne pas terminer une opération commencée avec une

seule miction (les urines recueillies ne sont pas en assez

grande quantité pour tuer l'animal, comme cela nous est

arrivé dans nos expériences sur les cobayes). Nous rapportons

tout de même ces premières expériences parce que dans plu-

sieurs de nos expériences la quantité totale de l'urine a pu être

assez exactement évaluée et la comparaison peut être faite avec

nos expériences sur les lapins. Elles ne dénotent pas une

grande différence d'appréciation dans les résultats, ét en tout

cas elles ne donnent pas les résultats qu'a obtenus M. Féré.

Mais nous conseillons d'abandonner les cobayes pour les injec-

tions d'urine : 1° parce que l'injection intra-veineusc chez les

cobayes est difficile et détermine un traumatisme opératoire

assez considérable et quelquefois une perte de sang notable;

2° parce que cette injection n'étant pas entrée dans le domaine

classique, on ne peut pas comparer directement les résultats

obtenus à ceux qu'on obtient chez les lapins qui sont aujour-

d'hui connus et admis de tous. Pour ces raisons, njus nous

appuierons pour tirer nos déductions sur nos expériences sur

les lapins. Là le contrôle est facile et le coefficient d'urotoxi-

cité ne peut être contesté.

Parmi nos malades, nous avons choisi celles pour lesquelles

lediagnostic épilepsie essentielle n'est pas contesté. Nous avons

laissé de côté tous les cas douteux et tous les cas d'épilepsie

symptomatique.

Ceci une fois fait, nous nous sommes proposés, comme pour

nos recherches sur l'albuminurie des épileptiques 1, de recher-

cher la toxicité des urines :

1 Jules Voisin et A. Pérou. (Archives de Neurologie, 1892, mai.)

DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 183

1° Avant, pendant et après les accès convulsifs isolés ;

2° Avant, pendant et après les accès convulsifs en série ;

3e Avant, pendant et après l'état de mal ;

4° Avant, pendant et après le petit mal ;

5° Avant, pendant et après le délire épileptique et la démence ;

6° Enfin nous nous sommes demandés quelle est la toxicité nor-

male des urines des épileptiques.

Nous n'avons pu remplir toutes ces conditions parce que

nous n'avons pu recueillir toutes les urines des vingt-quatre

heures dans ces cas déterminés. Cependant, nous n'avons rien

négligé pour arriver à ce résultat ; nous nous sommes entourés

d'un personnel dévoué et quand les malades avaient l'habitude

d'uriner sous elles dans chaque attaque, nous avions soin,

quand nous voulions expérimenter les urines de ces malades,

de les faire aller à la garde-robe toutes les deux heures et de

cette manière nous évitions une perte d'urine qui serait arrivée

brusquement au moment de l'attaque. -

Quand, d'autre part, les malades avaient un trouble mental

prolongé à la suite des attaques nous avions soin de faire

sonder nos malades toutes les deux, ou trois heures. De cette

manière encore nous évitions une perte d'urine involontaire.

Nous avons expérimenté aussi sur de l'urine de malades qui

n'étaient pas trop avancé dans la maladie. Peut-être même y

aurait-il avantage à ne prendre que des malades au débutde leur

maladie alors qu'ils ont des accès isolés très éloignés ? Mais ces

malades sont très rarement hospitalisés, et voilà pourquoi nous

n'avons pas d'expériences relatives à ces cas. Nous avons

recherché des malades qui avaient, des séries fréquentes et ils

nous ont permis ainsi de recommencer souvent nos expé-

riences.

Le mot série pour nous n'a pas la même valeur que celle

qu'on lui attribue généralement dans les livres. On dit dans

les livres qu'un épileptique a des accès en série quand dans

une même journée il a plusieurs accès séparés les uns des

autres par un intervalle lucide plus ou moins long. Les malades

au contraire qui ont un accès tous les jours pendant plu-

sieurs jours de suite sont considérés comme étant des ma-

lades ayant des accès isolés quotidiens. Pour nous, nous consi-

dérons plusieurs de ces malades comme étant des sériels.

Chez eux l'intervalle lucide est très long : un jour, mais le

malade n'en est pas moins en puissance d'accès.

184 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.

Pour le prouver, il suffit de jeter les yeux sur le relevé des

accès de ces épileptiques : vous voyez que pendant quatre ou

cinq jours ils sont malades tous les jours une fois ou deux,

puis ils restent huit à dix jours bien portants et recommencent

au bout de ce temps leur série dans les mêmes conditions.

Les expériences que nous avons faites sur la toxicité des

urines nous prouvent une fois de plus que nous avons raison

d'envisager la question sous cet aspect, car pendant tous ces

jours, leurs urines présentent la même toxicité pour se mo-

difier aussitôt que les accès sont finis. Quand, au contraire, la

toxicité d'urine augmente après un accès isolé, c'est que vrai-

ment le malade est atteint d'accès isolé et non de série. La

recherche de la toxicité urinaire est un moyen de diagnostic

important et la connaissance de ce fait peut empêcher les con-

troverses que des expériences consécutives pourraient nous

amener.

Les relevés d'accès que nous publions plus loin sont une

preuve de ce que nous avançons. Il n'y a qu'une exception,

c'est le cas où les malades sont pris de la démence. Les exem-

ples de Wilmb..., par comparaison, nous paraissent absolu-

ment démonstratifs.

Nous insistons sur la donnée de la série, car elle seule nous

permettra de comparer entre eux les résultats des expériences

sur des malades présentant des accès en apparence isolés avec

ou sans petit mal. La toxicité des urines des vingt-quatre

heures, avant la série, pendant la série, après elle, est donc la

question que nous nous sommes efforcés de résoudre dans le tra-

vail qui suit.

Ces quelques lignes de digression étant dites (leur utilité

étant incontestable), nous revenons aux précautions que nous

avons prises pour mener à bonne fin les expériences que nous

avons entreprises.

Une fois les mictions d'urine recueillies, nous les mélan-

geons toutes dans un bocal et nous notons avec soin la quan-

tité émise dans les vingt-quatres heures et ses qualités phy-

siques.

L'urine une fois recueillie nous l'injections immédiatement

après filtration très soigneuse. Nous n'avons pas neutralisé

l'acidité, les expériences de M. Bouchard ont démontré qu'il

n'y avait aucun inconvénient à injecter des urines acides. Si

on ne pouvait faire l'injection immédiatement au bout de

DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 185

vingt-quatre heures, on avait soin pour éviter toute fermenta-

tion de mettre une petite pincée de naphtol dans le bocal

renfermant cette urine. Ce naphtol est un très bon antisep-

tique et sa présence en si petite quantité a été reconnue n'occa-

sionnant aucun inconvénient.

Les injections ont été faites très lentement dans les veines

de l'oreille du lapin ou dans la veine humérale ou fémorale du

cobaye ; ces animaux étant préalablement attachés sur une

planchette.

I. - EXPÉRIENCES SUR LES COBAYES

Coefficient d'zirotoxicité calculé sur la moyenne des urines de vingt-

quatre heures.

Le 11 septembre, on recueille vers 8 heures du matin, à l'aide

de la sonde, avant la période clonique d'un accès, l'urine de Sep...,

dont voici le relevé des attaques dans les mois de septembre et

d'octobre :

186 - PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.

salive à la bouche. Mais l'aiguille sort de la veine et ne peut être

réintroduite. On dénude alors la ,veine humérale gauche et en

cinq minutes, de 2 h. 30 à 2 h. 35, on injecte 23 c. c. d'urines.

Je dois m'arrêter parce que je n'ai plus d'urines proe-paroxys-

tiques. On détache l'animal à 3 heures moins le quart après un

pansement au collodion. T. 32°,fi.

L'animal une fois libre est agité de frissons, le poil est hérissé,

l'oeil terne, il ne cherche pas à fuir. Pas de convulsions nettes.

L'animal meurt à 7 heures du soir, quatre heures et demie après

l'injection.

II). Une heure après l'accès dont on a injecté les urines proe-pa-

roxystiques. On recueille l'urine de Sep... Cette urine ne renferme

pas de traces d'albumine. Filtrée et alcalinisée, elle est injectée à

5 heures moins le quart à un cochon d'Inde de 340 grammes.

T. 36°,4. La dénudation de la veine humérale est assez facile, mais

l'aiguille traverse l'artère humérale qui doit être liée. Dénudation

à gauche facile : injection en dix minutes de 65 c. c. d'urines.

Arrêt des mouvements respiratoires à 65 c. c. sans la moindre

convulsion. T. 32°,6.

Les deux expériences précédentes semblent pouvoir per-

mettre la conclusion suivante :

Etant données les différences de poids des animaux, les diffé-

rences de poids des urines injectées et enfin le temps relativement

assez long qui a amené la mort du premier animal, la toxicité des

urines de Sep ? proe ou post-paroxystiques est sensiblement la

même :

700 grammes, 100 c. c., mort 4 heures et demie après l'injection.

340 - 65 - - pendant l'injection.

Malheureusement la totalité de l'urine des 24 heures n'a pas été

recueillie ce jour. Par contre le 25 septembre, Sep... a rendu

1650 c. c., le 26, 1200.

DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 187

III). Le 25 septembre on recueille à 11 heures du matin l'urine

de Sep..., on la filtre et elle est alcalinisée avec la solution de bi-

carbonate de soude. Cette urine ne contient pas d'urohiline ni

d'albumine.

Cochon de 740 grammes. Dénudation facile de la veine axillaire

droite, injection de 50 c. c. en vingt minutes environ. La quantité

d'urine des vingt-quatre heures a été ce jour-là de 1650 grammes.

IV). Le 2 octobre on injecte l'urine de Sep... sans attaques

depuis quatre jours.

Urines de une heure de l'après-midi alcalinisées et filtrées. Cobaye

de 630 grammes n'ayant pas été touché. Dénudation facile sans

perte de sang appréciable.

Injections en dix minutes de 75 c. c. d'urines. Mort à 75 c. c. avec

convulsions toniques répétées. Pas de réaction. Par une erreur faite

par la fille de service, l'urine de Sep... n'a pas été recueillie en

totalité ce jour-là. En admettant la même moyenne, 1175 c. c.

que pour l'injection II, on a : C = 0,21.

A l'autopsie cinq petits foetus (de huit à quinze jours environ),

congestion pulmonaire et rénale modérée.

V). 13 octobre. Sep... a eu un accès hier dans la journée

(après midi). Elle est aujourd'hui très troublée, absolument perdue,

a dû être camisolée. Elle mange cependant.

L'urine est très acide. On la neutralise, on la filtre. Elle n'est ni

urobilique ni albumineuse; elle contient des peptones.

Cochon de 435 grammes. - Dénudation facile à 2 heures de la

veine axillaire droite. Injection impossible. Perte de sang très mi-

nime. A gauche, dénudation facile. Injections en un quart d'heure

de 47 c. c. d'urines. A 42 c. c., l'animal se raidit en arrière, tout

le corps est raide sans convulsions cloniques, les mouvements res-

piratoires sont lents, profonds et irrëguliers.'Epistaxis abondante.

A 47 c. c., arrêt respiratoire. Mort.

z Autopsie. Légère congestion pulmonaire et rénale, rien dans

l'encéphale à l'oeil nu.

Voici dans quelles conditions l'urine a été recueillie :

- A 10 heures et demie on fait pisser la malade qui donne 30 c. c.

d'urine environ, à 5 heures un quart elle n'a pas encore uriné. On

la sonde et on trouve 30 autres centimètres cubes qui ont été mé-

langés aux précédents.

La totalité de l'urine des vingt-quatre heures recueillie avec beau-

coup de soin a été de 960 grammes. Coefficient : 0,189.

N. B. - Sep... n'a pas eu d'attaques nouvelles dans la journée.

VI). Le 14 octobre, Sep... est sans attaques depuis deux jours.

Hier, dans la journée, elle était très troublée, on a dû l'attacher.

188 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.

Aujourd'hui elle est revenue à son état normal, On a dû la sonder

.pour recueillir environ 60 ce. d'urines depuis 11 heures du matin.

Urine très acide, alcalinisée, filtrée, injectée, à 2 heures et

demie. -

Cobaye de 730 grammes. Dénudation très facile sans perte

de sang appréciable. En cinquante minutes, injection de 62 c. c.

Accélération rapide des mouvements respiratoires ; à 32 c. c.,

miction très claire. A 43 c. c., 2° miction très claire. A

62 c. c., 30 miction très claire.

On interrompt l'injection parce qu'il n'y a plus d'urines. On va

sonder le malade pour la deuxième fois (3 heures moins 20). Au

bout de huit minutes l'injection est refaite. Pendant ces huit mi-

nutes d'interruption, la respiration de l'animal, qui est très calme,

sans un mouvement, est profonde, lente et irrégulière.

A 72 ce, l'animal se raidit brusquement. On peut le soulever

d'une pièce sur la planchette, raideur très accentuée des muscles

abdominaux, le rectum fait une forte saillie. La respiration s'arrête :

salivation abondante, exorbitisme. Cela dure trente secondes en-

viron. Puis des secousses cloniques apparaissent dans la face à la

commissure des lèvres. On sent les masséters fortement agités.

Les membres supérieurs se fixèrent à leur tour. On voit les muscles

danser dans la profondeur de la plaie du bras. Les membres infé-

rieurs enfin sont agités de quelques secousses. Puis tout s'arrête.

La respiration ne repart pas. Je note : Pas une goutte de sang

perdu dans la dénudation de la veine qui a été extraordinairement

facile.

Autopsie. - Congestion pulmonaire et rénale très accentuée.

Infarctus dans le lobe supérieur du poumon droit du volume d'un

grain de mil. Le coeur continue à battre !

Toujours calculé sur la même moyenne de 1175 c. c., qui parait

faible dans le cas particulier. Le coefficient urotoxique est de

0,275 c. c.

Le 29 septembre 1891, on recueille à une heure de l'après-midi,

à l'aide de la sonde, avant la période clonique de l'accès, l'urine

de Mon...

Or, Mor..., le 11 septembre, a eu 2 attaques de jour; le 12 sep-

tembre, une attaque de nuit. Elle n'a rien présenté les 13, 14, 15,

16, 17.

Le 18, elle a eu un accès nocturne.

Du 19 au 23, rien. `

Le 2t, un accès de nuit.

Le 25, - -

Le 26, un accès de jour.

Le 27, 3 accès de jour, un de nuit.

Le 28, un accès de nuit..

DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 189

Le 29, 4 accès de jour, l'urine a été recueillie avant le premier

accès.

Le 30, un accès de jour.

Du 1er au 10 octobre, pas d'attaques ni de vertiges. L'urine prise

pour comparer l'état sériel avec l'état normal a été recueillie le

2 octobre. (Voir Mor..., 2e injection.)

Le 10 octobre, une attaque de jour.

Le 11 2 de nuit.

Première injection. L'urine recueillie le 29 est claire, elle est

alcalinisée, filtrée et injectée deux heures après qu'on l'a re-

cueillie.

La dénudation de la veine est facile.

Pas de perte de sang appréciable.

En vingt minutes environ, injection de 90 c. c. d'urine; à 30 c. c.,

miction d'urines troubles; à 52 c. c., agitation; à 75 c. c.; secouasses

toniques isolées se répétant par intervalles jusqu'à 90 c. c.; à 90,

arrêt des mouvements respiratoires.

Autopsie. - Congestion pulmonaire assez marquée. Petits

infarctus aux deux bases. Congestion du rein. Rien dans l'en-

céphale. Le coeur continue à battre.

Mor... pèse 61 k. 800. Le cochon d'Inde 490 grammes. La

quantité d'urine recueillie dans les vingt-quatre heures est de

1.700 grammes.

Mor... n'aurait pas perdu d'urine pendant ses quatre accès qui

se sont succédé dans l'espace de deux heures environ. Elle n'a pas

été à la selle dans les vingt-quatre heures.

Voici, d'autre part, la totalité des urines pendant dix jours, du

3 au 13 octobre inclus, recueillies indépendamment des garde-

robes. On notera l'abaissement à 400 c. c. la veille de la série du

10 et Il octobre :

190 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE..

Mort après quelques secousses toniques sans miction ni défé-

cation.

Autopsie. - Congestion pulmonaire et rénale sans infarctus. Le

coeur continue à battre. Pas d'injection d'urine dans le tissu cellu-

laire autour de la veine. L'urine n'était ni albumineuse ni urobi-

lique. La totalilé des urines recueillies dans les vingt-quatre heures

a été de 1.600 grammes. - Coefficient urotoxique du 2 octobre,

0.45.

URINES DE DEM...

Relevé des attaques en septembre et octobre.

3 septembre. Une attaque de nuit.

. 4 - Deux de jour, un vertige de jour.

6 Un vertige de jour.

14 Une attaque de jour.

15 - Une

16 Une attaque de nuit.

21 . Six accès de jour.

4 ? octobre. Une attaque de nuit.

2 Deux attaques de jour.

18 - Trois de nuit.

Voici d'autre part la totalité des urines du 3 au 13 octobre (pas

d'attaques). (Le 8 octobre manque, jour de sortie.)

DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 191

Cochon de 345 grammes. Dénudation facile de la veine axil-

laire. Injection sans discontinuer de 48 c. c.

Accélération des mouvements respiratoires à 6 c. c.

Mictions d'urines claires à 26 c. c.

- répétées très abondantes dans les dernières minutes de

l'injection (5 à 6). Mais l'aiguille se bouche. Dénudation facile de

la veine du côté opposé, mais l'injection est impossible. Ligature.

Pansement collodionné. '

L'animal détaché est assez vif. Il a guéri complètement.

Si on cherche le coefficient urotoxique, bien que l'animal ne

soit pas mort, on trouve 0,27. Mais il est certain que ce coefficient

urotoxique serait très abaissé si l'on avait pu aller jusqu'à la mort

du cobaye.

II). Le 2 octobre, on recueille avant la période clonique du

deuxième accès, à l'aide de la sonde, l'urine de Dem...

La série a commencé hier soir (se reporter au tableau).

Dem... n'a pas eu d'autre attaque dans la journée, la série

était terminée.

L'urine injectée, a été recueillie à une heure et demie de l'après-

midi. Elle n'est ni albumineuse, ni urobilique.

Le cobaye pèse 825 grammes. Il a déjà servi à une dénudation

antérieure, la plaie est à peu près complètement cicatrisée. Sa

température est de 36°,8.

Dénudation facile sans perte de sang.

Infection en 10 minutes environ de 34 c. c. d'urine filtrée et alca-

linisée ; à 30, secousses sans convulsions franches. Pas de miction

ni de défécation.

Autopsie. - Vessie pleine d'urines troubles ; congestion pulmo-

naire et rénale. Le coeur continue à battre. Ce qui semble indiquer

que la décharge est rapide.

La totalité des urines, dans vingt-quatre heures, recueillies avec

soin, a été de 1900 c. c. Coefficient urotoxique 1,02.

UI). 8 octobre 1891. - Urines de Dem... sans accès depuis le 2 oc-

tobre, recueillies à une heure de l'après-midi. Miction abondante

de 350 grammes environ ; ni urobiline, ni albumine à réaction

nettement acide, filtrées et neutralisées.

Cochon d'Inde n'ayant pas servi, de 755 grammes. Dénudation

très facile. Pas de perte de sang. Injection en un quart d'heure, de

90 c. c. d'urines ; à 25, tre miction d'urines troubles ; à 40, 20 mic-

tion d'urines troubles. Les mictions se répètent jusqu'à la mort,

claires. On peut recueillir 25 c. c. d'urines du cobaye, sur la plan-

chette. Elles ne sont pas albumineuses. A 80, convulsions toniques

généralisées à plusieurs reprises. Salivation très abondante. A 90,

mort. '

192 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE. '

La totalité des urines recueillies dans les vingt-quatre heures,

avec soin, a été de 2 litres 300. Coefficient urotoxique 0,42.

- URINES DE BART...

Le -lek octobre, on recueille à 11 heures du matin, l'urine de

Mme Bart..., pesant 63 lui. 3. Cette malade, grande épileptique,

a été souffrante hier toute l'après-midi. Cette nuit, la veilleuse n'a

rien remarqué d'anormal. Mais ce matin, vers 7 heures, elle a eu

une attaque convulsive. A la visite, nous la trouvons toute troublée,

elle vient tourner autour de nous, ce qu'elle ne fait jamais d'habi-

tude, se plaignant de souffrir de partout; la langue est légèrement

saburrale.

Elle n'a eu que cette attaque dans la journée du 14 octobre. Le

lendemain 15, elle était d'ailleurs revenue à son état normal.

L'urine est très trouble, en petite quantité, à réaction nettement

acide. Elle ne contient ni albumine, ni urobiline. On l'injecte à

2 heures de l'après-midi, après l'avoir filtrée et alcalinisée.

Le cochon d'Inde pèse 615 grammes.

Au bras droit, la dénudation de la veine est assez facile, mais la

poinfe de l'aiguille touche l'artère qui saigne notablement. Une

pince hémostatique est mise sur ce vaisseau. L'injection est faite

dans la veine axillaire au-dessus du tendon du grand pectoral.

Injection en trois minutes, de 18 c. c. A 5, accélération et superfi-

cialité des mouvements respiratoires. A 12, agitation, cris. A 18,

l'animal se rejette violemment en arrière. Il est raide ; on peut le

soulever d'une pièce sur la planchette. La respiration s'arrête. Cet

état dure environ dix secondes. Puis des secousses répétées appa-

raissent dans les muscles de la face, gagnent rapidement les

membres et le tronc, qui paraissent agités d'une sorte de tremble-

ment vibratoire. Exorbitisme très prononcé. Mort.

Autopsie. Congestion pulmonaire assez accentuée aux deux

bases avec petits infarctus disséminés. Peu de congestion rénale.

Vessie pleine d'urines troubles. L'animal n'a pas uriné, n'a pas dé-

féqué pendant la durée de l'injection.

La quantité d'urines recueillies dans les vingt-quatre heures,

s'élève à 1000 c. c. environ. (La malade a eu deux selles liquides,

une à 8 heures du soir, une à 2 heures du matin'.) Urines recueil-

lies, 700 grammes. Poids de la malade, 63 kil. 3. Coefficient uro-

toxique, 0,54.

1 La fille de service de nuit nous a dit qu'il y avait peu d'urine dans

la selle de 8 heures, mais que dans celle de 2 heures du matin il y en

avait beaucoup. Nous croyons, sans exagération, pouvoir fixer approxi-

mativement la quantité d'urines à 1 litre. La journée suivante l'urine fut

recueillie en totalité. Il y en eut 1650 grammes.

DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 193

II. EXPÉRIENCES SUR LES LAPINS.

Coefficient d'urotoxicité calculé avec les urines des 21 heures.

2 avril. Broc..., vingt et un ans, poids 62 kil., atteinte d'épi-

lepsie essentielle. Céphalalgie et léger trouble mental après les

accès de peu de durée. - Intelligence moyenne.

Broch... a eu dans la journée du 31 mars deux grands accès et

plusieurs accès incomplets. La dernière manifestation comitiale

vers dix heures du soir.

On recueille l'urine du le, avril, 11 heures du matin, au 2 avril

même heure : Q = 1,200 c. c. environ, à réaction acide, filtrés

avec soin.

Lapin de 2 kil. 410. Injection en trente-cinq minutes environ

de 105 c. c.; vers 20 c. c., myosis, accélération et superficialité

des mouvements respiratoires; - à 35, myosis très accentué;

à 72, les mouvements respiratoires deviennent lents et irréguliers.

Quelques secousses dans le train postérieur; -à 90, cris prolongés,

nouvelles secousses; à 105, convulsions toniques, très intenses

(type déjà décrit). Quelques secousses cloniques dans les muscles

de la face. Mort. Pas de miction, ni de défécation.

Autopsie. Le coeur continue à battre. Les organes thoraciques

et abdominaux sont peu congestionnés, encéphale sain. Coeffi-

cient urotonique : 0,443.

4 avril. L'urine a été recueillie du 2 avril, 4 heures du soir

au 3 avril même heure. Son odeur est légèrement ammoniacale,

mais sa réaction est nettement acide, elle est claire. Filtrée avec

soin. Q = 1.300 c. c.

Lapin de 2 kil. 280.- En trente-cinq minutes environ, injection

de 220 c. c.

Le myosis et une accélération respiratoire peu marquée appa-

raissent vers 40 c. c. seulement; vers 70, myosis intense; -

à 110, cris violents sans secousses, puis l'animal retombe dans la

somnolence; - vers 160, les respirations deviennent irrégulières

et plus profondes, sans cesser d'être rapides; - à 215, agitation

secousses sans caractères francs, exophtalmie qui s'accentue;

à 220, mort à la suite de secousses qui n'ont pas présenté les carac-

tères habituels (opistothonos, raideur de tout le corps, etc.), pas

de miction, défécations répétées très fétides.

Autopsie : Congestion de tous les organes, congestion de l'en-

céphale légère. Le coeur bat. Pas d'embolies pulmonaires. Coeffi-

cient urotoxique : 0,217.

Archives, t. XXIV. 13

194 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.

Le cahier ne fait pas mention d'attaques, mais en interrogeant

la surveillante on apprend que le 3, vers sept heures du soir, trois

heures par conséquent après la fin de la récolte de l'urine, Broch...

a eu un grand accès. -

8 avril. Broch... a eu une dernière attaque dans la nuit du

4 au- 5 avril, vers 10 heures du soir. L'urine injectée a été recueillie

trente-huit heures après, du 6 avril midi au 7 avril midi. Le

8 avril, vers 7 heures du matin, dix-neuf heures après la récolte

de l'urine, un grand accès. Q = 1.500 c. c. ; . ,

Lapin de 1 kil. 550. f " '

L'urine injectée a été naphtolée. Sa réaction est nettement acide,

elle est non ammoniacale. Elle a été filtrée avec soin. En huit

minutes environ, injection de 65 c. c. Dès 10 c. c., myosis franc;

à 15, accélération énorme des. respirations : - : à 32, respira-

tions très superficielles et très légères. Pupilles punctiformes; -

à 44, cris, agitation; à 55, nouveaux cris, irrégularités respira-

toires ; ',à 62, 'rejet brusque en arrière,^ convulsion tonique,

franche et intense. Exophtalmie brusque. Perte des réflexes cor-

riéens ; deux ou trois inspirations rares et profondes jusqu'à

65 c. c. à 65, arrêt définitif. Mort. - Pas de miction, ni de défé-

cation.

Autopsie. - Vessie vide. Le coeur bat. Pas de congestion hépa-

tique rénale ou pulmonaire. - Coefficient : 0,572. -

- - Relevé des accès de Broch...

27 mars. Un grand accès de jour.

31 - Deux grands accès de jour.

3 avril. Un grand accès de jour.

- -

8 - - -

- 9 - - -

12

` 13 de nuit.

14 - - de jour.

Gauth..., vingt-quatre ans, atteinte de débilité mentale avec

épilepsie. Père alcoolique, mère hystérique. Accès en série.

Urines post-paroxystiques. 4 ? avril. Gauth..., poids

46 kil. 500, a, le 30 mars, une attaque de jour, deux accès dans la

nuit du 30 au 31.

(On recueille l'urine le 31 mars, à 10 heures du matin, jusqu'au

1er avril même heure. U = 1.030 grammes.) . ,

DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. irez7

Le 31 mars, elle a trois accès dans la matinée, le dernier accès

à 11 heures du matin sans miction involontaire.

Le lcr avril, jour de l'injection, elle se trouve bien, répond nette-

ment. Pas de troubles gastriques.

. A 4 heures de l'après-midi, le 1C" avril, l'urine est injectée. Elle

est à réaction nettement acide; on la filtre avec le plus grand

soin. , ,

Lapin de 1 kil. 850.

A 12 c. c, le myosis est déjà très accentué, l'accélération des

mouvements respiratoires considérables; - vers 25, pupilles punc-

tiformes. Respiration précipitée et superficielle; à 50, première

attaque de secousses. Ce sont des convulsions toniques de tout'le

corps, plus marquées cependant dans le train postérieur qui se

projette violemment en arrière, la queue se trouve collée contre le

sacrum par un violent mouvement tonique, projection des bras en

avant,' légère projection de la' tête en arrière. Exorbitisme consi-

dérable et brusque, perte immédiate du réflexe cornéen. L'in-

jection continue, l'animal reprend son calme en apparence. La

respiration est lente et irrégulière, profonde, le réflexe cornéen est

paresseux. . " ,

A 72 c. c., l'animal se tend brusquement en arc. La nuque en

épistothonos touche le dos, le, corps est raide et peut être soulevé

d'un bloc sur la planchette.' '

Exorbitisme énorme : perte du réflexe cornéen. La pupille se

dilate. Les mouvements respiratoires s'arrêtent définitivement. -

Quelques secousses apparaissent encore dans les muscles de la face,

et agitent les poils du museau pendant une minute et demie

environ. 1- , ' , .

Une seule miction peu abondante au début de l'expérience.

Durée de l'injection : douze minutes environ.

(Cette description peut servir de type pour les convulsions

toniques analogues à celles que produit l'empoisonnement par la

strychnine.) ,

' Autopsie. - Le coeur continue à battre. Les reins, le foie et le

poumon sont peu congestionnés. Pas d'embolie pulmonaire. Dans

l'encéphale, légère congestion. z

Coefficient urotoxique. Urines post-paroxystiques : 0,578.

2 au21l. - Gault... n'a pas eu de nouvel accès depuis hier. Urines

recueillies du 1cr avril, 4 heures de l'après-midi au 2 avril même

heure : Q = 850 ce.

Lapin de 2,480 grammes. - Urines à réaction acide, filtrées avec

soin. ' ·

Vers 15 c.c., myosis. Respiration accélérée et superficielle;

vers 55, myosis énorme. Respiration moins fréquente, mais irrégu-

lière et plus profonde; - A 70, secousses isolées, agitation; A

196 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.

72, attaque de convulsions toniques. Exophtalmie intense etbrusque.

Perte immédiate du réflexe cornéen. Mort. Une miction d'urines

troubles dans les derniers temps de la vie. Durée de l'injection,

17 minutes.

Autopsie. - Le coeur continue à battre. Les reins sont légère-

ment congestionnés. Les poumons sont légèrement congestionnés

aux deux bases sans embolies. Encéphale et foie sains.- Coefficient

urotoxique : 0,630.

4 avril. - Gault... est toujours sans accès. Q = 1,200 c. c.

environ. Urines recueillies du 2 au 3 avril.

Lapin de 1,920 grammes. A 15 c. c., myosis intense. Respira-

tion superficielle et très accélérée déjà; - A 70, ébauche de con-

vulsion toxique généralisée; A 72, secousse toxique. très vio-

lente. Exophtalmie brusque, perte inmmédiate du réflexe cornéen.

Mort. Pas de miction ni de défécation pendant l'expérience. Durée,

15 minutes.

Autopsie. Congestion rénale peu accentuée. Pas de congestion

pulmonaire. Rien dans l'encéphale, au foie, ni au coeur. - Coeffi-

cient urotoxique : 0, 60r.

23 avril (samedi). On a cherché dans cette expérience, dont

on ne peut rien conclure à injecter l'urine de Gault... dans l'inter-

valle des accès. (Voir le relevé.)

L'urine a été recueillie le 20 (mercredi), 10 heures du matin, au

21 (jeudi) même heure. Q = 1,500 c. c.

Odeur ammoniacale ; les urines par erreur n'ont pas été

naphtolées. Elles ne bleuissent pas cependant le papier rouge de

tournesol. Elles sont très troubles. Gault... a d'ailleurs beaucoup

de pertes blanches. Malgré plusieurs filtrages successifs, la limpi-

dité parfaite ne peut être obtenue.

Lapin de 1,600 grammes. Myosis intense vers 25 c. c. seule-

ment. La respiration n'est nettement accélérée qu'à ce moment.

Mort à 77, dans une attaque de convulsions toxiques avec exor-

bitisme brusque. Une miction, une défécation. Durée de l'injection,

10 minutes environ.

Autopsie. - Congestion rénale. Quatre à cinq embolies du

volume d'un grain de chènevis dans le lobe inférieur du poumon

droit. Les deux poumons sont congestionnés aux bases. Rien au

coeur. Coefficient urotoxique calculé d'après ces données, 0,670.

Urines d'accès. - 2 mai. - Le 30 avril, Gault... a quatre accès

de jour; le 1er mai, deux grands accès de jour et un accès incom-

plet.

L'urine a été recueillie du 30 avril, 9 heures du matin, après la

première attaque au leur (même heure). La surveillante m'affirme

DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 197 Î

que Gault... n'a pas eu de miction involontaire pendant ses accès.

Elle n'a pas perdue d'urines la nuit. Q = 775 c. c. Naphtolées. -

On les injecte le 2 dans l'après-midi. Elles sont claires, sans odeur

ammoniacale, de réaction nettement acide, filtrées avec soin.

Lapin de 1,950 grammes. - En 35 minutes environ injection de

242 c. c. ; - Le myosis et l'accélération des mouvements respira-

toires commencent à apparaître vers 45. Le myosis devient

intense vers 80. L'accélération respiratoire est d'ailleurs peu accen-

tuée. L'animal est somnolent pendant la durée de l'expérience.

Vers 170, l'exophtalmie apparaît. Elle est lento et s'accentue de

plus en plus. La respiration devient lente et irrégulière. La pupille

jusqu'ici punctiforme se dilate légèrement. A 230, cris répétés,

.quelques secousses dans les membres. A 242, nouveaux cris,

l'e1ophlaJmie s'accentue brusquement. On abandonne l'animal

qui a une convulsion tonique nette mais peu intense et qui dure

peu. Mort. Pas de miction ; défécation répétées et abondantes.

Autopsie. L'encéphale et les reins sont très congestionnés.

Poumons : à droite cinq petits infarctus du volume d'une petite

tête d'épingle disséminés. OEdème congestif énorme des deux

poumons. - Sept foetus de trois semaines environ dans la matrice.

Les épiploons sont farcis de parasites dont la nature sera déter-

minée ultérieurement. Le foie, dans certains points est très nette-

ment cirrhose surtout au voisinage de son bord libre à droite, il

crie sous le scalpel.

Même en admettant que la bonne foi de la surveillante ait été

.mise en défaut, en admettant que Gault... ait perdu de l'urine, ce

qui d'ailleurs est nié très catégoriquement par les personnes du

service, on voit que sa toxicité urinaire est très différente de celle

qu'elle avait à la suite de ses accès, non seulement comme intensité

mais comme forme. Coefficient urotoxique calculé sur 775 c. c.

est de : 0,134.

Relevé les accès de Gault ? correspondant aux expériences relatées

plus haut.

30 mars. Un accès complet de jour.

. 31 Trois accès complets de jour.

1er avril. Un accès incomplet de jour. z

8 Quatre accès complets de jour.

Huit accès incomplets de jour.

Un accès de nuit.

(A remarquer la longue durée de la période de calme avec des urines

très toxiques.)

11 avril. Deux accès complets de jour.

- - Un accès de nuit.

198 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.

13 avril Trois accès complets de jour.

- Deux accès incomplets de jour.

14 .

15 Un accès complet de jour.

16

27. - r ï : 7 -

28 - - --

. 30 Quatre accès complets de jour.

1er mai. Deux ? Un accès incomplet de jour. -

Eud..., dix-neuf ans, atteint d'imbécillité avec mauvais instincts

et d'épilepsie. Hérédité convergente. Grand-père épileptique.

- Père et mère éthyliques. 1

Urines d'accès. 29 mars. Eud..., 51 kil. 500. Le 27 mars

Eud... a une attaque de jour le matin, on recueille.l'urine à partir

de 1 heure de l'après-midi jusqu'au 28, même heure.-

Eud... a eu un accès incomplet dans l'après-midi du 27, un grand

accès le 28 au matin. Elle n'aurait pas perdu d'urines pendant ces

diverses manifestations. ,

- Urines naphtolées, à réaction nettement acide, contenant un peu

de sang (commencement de la période menstruelle), filtrées.

Q 1070c.c.. . .

Lapin de 2 kil. 200. Injection en quarante minutes environ de

235 c. c. Myosis peu accentué dès le début de l'injection.

C'est seulement vers 80 ce. que la pupille ferme légèrement. Ac-

célération respiratoire. L'animal est somnolent. A 175 c. c.,

infiltration légère de l'oreille droite, on continue l'injection à

gauche. Les mouvements respiratoires sont lents et irréguliers;

A 210 c. c., cette lenteur et cette irrégularité s'accentuent. Les

pupilles se dilatent fortement. Cris. Quatre à cinq secousses dans

le train postérieur et les bras. Trismus. Exophtalmie. -A 220 c. c.,

perte des réflexes cornéens; A 235 c. c., mort sans nouvelles

convulsions. Une seule miction d'urines, troubles au début de l'ex-

périence. '

Autopsie. - Le coeur bat. Congestion rénale intense. Pas d'urine

dans la vessie. Foie et poumons congestionnés. Encéphale normal.

Coefficient urotoxique, 0,194.

Urines post-paroxystiques. 21 mai. Eud... a eu deux accès

de jour le 18 et trois le 19. -

Par suite d'une erreur commise par la surveillante qui ne croyait

pas la série terminée, on n'a recueilli l'urine que le 20 à partir de

6 heures du soir jusqu'au 21 même heure. Quantité = 1320 c. c.

Il y avait donc plus de vingt-quatre heures après le dernier accès.

Réaction acide, filtrée.

' DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉP1LEPTIQUES. 199

Lapin de 2 kil. 100. Injection en 25 minutes environ de

176 c. c. d'urines. Myosis 35 seulement. A partir de ce moment

les respirations s'accentuent rapidement et deviennent superfi-

cielles comme dans les urines post-paroxystiques; A 120, respi-

ration irrégulière, lente et profonde; Vers 140, exophtalmie

légère. A 176, mouvements convulsifs intenses. Convulsions

toniques de la face et des muscles des. yeux à la suite des convul-

sions toniques. Mort. Pas de miction.

. Autopsie. - Congestion rénale et hépatique. Pas de congestion

pulmonaire ni encéphalique. Le coeur bat. Coefficient uro-

toxique, 0,308. " ,

- Relevé des accès d'Eud...

21 mars. Un grand accès de jour.

26

- - Il o -

Un accès incomplet de jour.

28 Un grand accès de jour.

5 avril. Un accès incomplet de jour.

7 Deux accès incomplets de jour.

8 Deux grands accès de jour. '

9 Un -

13 - Deux '

21.. Un . - - -

22 Un accès incomplet de jour.

Un accès de nuit. ' .

24 Un grand accès de jour.

25 Trois grands accès de jour.

Un accès de nuit.

26 Deux accès incomplets de jour.

27 - - - -

2 mai. Un accès de nuit.

3 Deux grands accès de jour. ,

7 - -- ?

12 Un accès de nuit.

18 Deux grands accès de jour.

19 Trois

Un accès de nuit. p

Hug..., âgée de trente-cinq ans, est dans le service depuis plu-

sieurs années. Elle a des accès quotidiens en série, suivis de délire

avec agitation maniaque pendant plusieurs jours, puis d'une pé-

riode de calme avec abrutissement. Son intelligence baisse beau-

coup. Elle remplit maintenant ses fonctions d'ouvrière de magasin

avec difficulté. -

200 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.

Urines préparoxystiques. 4 avril. Hug.... Poids, 57 kil. 500.

Le 3 avril elle sent les « secousses qui, chez elle, précèdent la

série des accès.

Urines Q = 2000 c. c. du 3 avril 7 heures matin au 4. Acides

claires. Filtrées. Le premier accès de la série est survenue le 4 à

midi.

Lapin de 2020 grammes. En 1 h. 30, injection de 580 c. c.;

jusqu'à 70, rien à noter chez le lapin qni reste absolument tran-

quille. Vers 70, le myosis commence à apparaître et la respira-

tion s'accélère un peu. A 130, arrêt de l'injection pour changer

l'aiguille d'oreille. Reprise : l'animal est toujours somnolent. -

Nouvel arrêt à 235, pour la même raison. Reprise sans incident.

Vers 300, la pupille se dilate légèrement. L'exophtalmie apparaît

nettement à partir de 360. Quelques secousses dans l'arrière-

train sans caractère précis à 430. A 580, on arrête l'injection.

L'animal dont les réflexes cornéens sont lents et paresseux depuis

quelques instants reste couché sans bouger. Il meurt cinq minutes

après la fin de l'injection sans convulsions. 4 mictions abondantes

d'urines claires pendant l'injection des trois cents premiers centi-

mètres cubes.

Autopsie. Congestion rénale, pulmonaire, cérébrale intense.

Epanchement de liquide dans le péritoine. Coefficient urotoxique,

0,121. '

Urines pendant l'accès. 5 avril. Hug... a eu, le 4 avril, un

grand accès à midi, un accès de nuit du 4 au 5; le 5 avril à

7 heures du matin, à midi, à 4 heures et demie du soir, un grand

accès. -

L'urine a été recueillie du 4 de 2 heures après midi au 5, même

heure. Q = 1600 c. c. La surveillante affirme que rien n'a été

perdu. A réaction acide, claires, non naphtolées, filtrées. -

Lapin de 1820 grammes. En 30 minutes environ injection de

220 c. c.. - Myosis franc vers 45. Accélération des mouvements

respiratoires.

On monte progressivement; l'animal sans secousses est somno-

lent, la respiration devient lente et profonde vers 160 c. c., l'exoph-

talmie commence, les pupilles se dilatent un peu. A 210,

quelques secousses sans caractère bien net. L'exophtalmie qui a été

en s'accentuant depuis 160, est énorme. Mort à 220, sans accès

convulsif. Plusieurs mictions d'urines claires pendant l'injection.

Autopsie. Congestion pulmonaire aux bases, sans infarctus,

congestion des reins. Coefficient, 0,229.

. 12 avril. IIug... a eu son dernier accès le 5 avril dans la nuit.

Après une journée d'obnubilation, elle est entrée dans son trouble

mental habituel. Pendant plusieurs jours, elle a été très agitée,

DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 201

elle criait ses visions. Le 8 avril, on cherche à recueillir l'urine,

mais la malade est tellement indocile qu'on ne peut recueillir la

totalité des vingt-quatre heures.

Urines pendant le délire. Le 11 avril, l'excitation des premiers

jours commence à tomber. Hug... a son délire habituel sans

grande agitation :

« Dans le bois de Beuvray, je serai délivrée et vous aussi. Sainte

Catherine n'est pas venue. Il n'était pas là. » La langue est un

peu blanche, cependant la malade mange avec assez d'appétit.

On recueille l'urine du 11 avril, 2 heures après midi, au 12,

même heure. Totalité : 1.240 c. c. Urines non albumineuses, acides,

filtrées, non naphtolées.

' Lapin de 1.950 grammes. Injection en quarante minutes de

272 c. c. Pendant les 100 premiers c. c., pas de myosis, au con-

traire, dès le début, mydriase légère; vers 40, on obtient de

l'accélération respiratoire; à 120, arrêt de trois minutes dans

l'injection, .parce que l'aiguille est obstruée; vers 135, la respi-

ration devient bruyante, irrégulière, très profonde, toujours sans

myosis; vers 160, commence l'exophtalmie qui progresse jusqu'à

la mort; à 190, nouvel arrêt dans l'injection pour changer l'ai-

guille d'oreille; à 230, secousses irrégulières dans le tracis pos-

térieur. Exophtalmie énorme, paresse du réflexe cornéen ;

à partir de 230, quatre à cinq secousses sans caractères toniques

francs se répètent jusqu'à la mort. Exophtalmie énorme, le réflexe

cornéen, de plus en plus faible, disparait. La mort n'est pas sur-

venue à l'occasion d'une convulsion. L'animal a eu une miction

abondante d'urines claires dans les derniers moments de l'injec-

tion et plusieurs défécations.

Autopsie. Congestion rénale. OEdème pulmonaire, intense aux

deux bases. Congestion du cou et de l'encéphale. Coefficient

urotoxique : 0,155.

Urines pendant et à la fin du délire. 19 avril. Hug... ne

délire plus depuis hier soir; on a pu l'envoyer à l'atelier ce matin.

Urines recueillies le 18 à partir de 6 heures du matin, jus-

qu'au 19 même heure. Naphtolées à réaction acide, filtrées. Tota-

lité : 1.480 c. c. environ.

Lapin de 1 kil. 575. En trente-cinq minutes, injection de

233 c. c.; myosis net vers 40 c. c., peu d'accélération des mou-

vements respiratoires pendant toute la durée de l'injection : som-

nolence ; vers 170, respiration irrégulière, exophtalmie com-

mençante; mort à 233, après plusieurs secousses cloniques. Une

miction abondante, plusieurs défécations. -

Autopsie. Congestion rénale et pulmonaire sans embolies.

Coefficient : 0,173.

202 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE. -DE LA TOXICITÉ URINAIRE.

Urines pendant la période de calme. 28 avril. Hug... peut

être considerée comme étant'dans sa période calme. Elle n'a pas

de délire depuis la dernière injection... " . -

- Urines recueillies du 26 au 27 avril. Naphtolées à réaction acide,

filtrées. Q = 1.500 c. c. ... "

Lapin de 3 kil. 300. -En quarante-cinq minutes environ, injec-

tion de 405. c. c.; myosis léger vers 60 c. c., mais il ne va pas

en s'accentuant progressivement. La respiration est bruyante, mais

peu accélérée. L'exophtalmie commence vers 300 c. c. La mort sur-

vient après de nombreuses secousses cloniques. L'animal ne se

détend pas brusquement en opistothonos, mais le tracis postérieur,

le tronc, les membres antérieurs se contractent. en quelque sorte

d'une façon rhytmique dans les derniers moments de l'infection.

La mort survient dans l'une de ces convulsions. Plusieurs mictions

et plusieurs défécations pendant l'injection. , , '

Autopsie. - Congestion rénale et pulmonaire intense. - Coeffi-

cient urotoxique : 0,212. ,

4 mai 1892. On profite de la période d'obnubilation qui suit

immédiatement la série de Hug... pour recueillir l'urine des vingt-

quatre heures. Hug... est sans accès depuis hier (3 mai), 2 heures

de l'après-midi; le soir du 4 mai, commencement de la période

délirante. 1

Urines recueillies du 3 mai, 4 heures du soir,' au 4 mai, même

heure. - Totalité, affirmée par la surveillante : 780 c. c. seule-

ment.

Lapin de 3 kilogrammes. Myosis tardif vers 40 c. c. seulement.

L'accélération respiratoire est un peu marquée au début par suite

d'injection d'une ou deux bulles d'air dans la veine; l'exophtal-

mie commence vers 110 c. c.; la mort survient à 140, après des

convulsions toniques répétées et très intenses. Coefficient uro-

toxique : 0,294. , :

Relevé des accès de Hug... ·

4 avril. Une attaque complète de jour. ' '

4 de nuit.

5 Trois attaques complètes de jour. -

5 Une attaque complète de nuit.

Du 6 avril au 28. Délire.

30 avril. Une attaque complète de jour.

le' mai. Deux attaques complètes de jour.

2 - Une attaque complète de jour.

3 Deux attaques complètes de jour. (A suivre.)

CLINIQUE NERVEUSE

L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DES TROUBLES VISUELS DANS LES MALADIES

NERVEUSES ;

par le D' ALBCRT ANTONLLI.

Au point de vue des maladies du système nerveux, les am-

blyopies et amauroses (troubles de la vision sans lésion du fond

de l'oeil) peuvent se diviser en persistantes et transitoires ; et il

faut appeler transitoires, celles, où le trouble de la vision (quelle

que soit la forme et l'intensité qu'il présente) dure un temps très

court, sous forme de crises, souvent accompagnées par d'autres

troubles nerveux. Ces troubles passagers de la vision ont reçu

les noms de migraine ophtalmique, de scotôme scintillant,

à'amaurose partielle fugace, de teïchopsie, etc. Mais, chacune

de ces dénominations, proposées par les différents auteurs, a

le défaut d'indiquer simplement une des formes cliniques, assez

variables, selon lesquelles l'amblyopie transitoire se manifeste.

Au sur et à mesure que les travaux des neurologistes (sur-

tout de Charcot et de son école) ont rattaché cet ordre de trou-

bles visuels, accompagnés ou non du syndrome migraineux et

d'autres, à l'épilepsie sensitive sensorielle, à l'hystérie, au début

de la démence paralytique, etc., l'idée d'envisager l'amblyopie

transitoire plus largement, d'en subordonner les différentes

formes cliniques aux connaissances de la- physiopathologie

des centres nerveux devait s'imposer..Voilà, justement, le plan-

de ce travail.

Nous nous proposons, donc, d'examiner les différentes

formes de l'amblyopie transitoire, surtout les moins étudiées

jusqu'à présent, de les mettre en évidence comme troubles

visuels accompagnant différentes maladies nerveuses, et d'en

esquisser la physiopathologie, d'après nos connaissances

204 CLINIQUE NERVEUSE.

actuelles sur les centres de la vision et les données de la neuro-

pathologie.

Puisque c'estl'amblyopie transitoire qui se présente sous des

formesdiverses, tandis que le syndrôme nerveux (migraine, trou-

bles de la parole, etc.) peut en accompagner n'importe quelle

forme, nous croyons préférable d'énumérer d'abord les types

cliniques de l'amblyopie transitoire, à l'aide de quelques obser-

vations recueillies par nous-même, pour indiquer ensuite les

troubles nerveux concomitants, étudier enfin la physiopatho-

logie de l'affection et ses rapports avec les différentes maladies

nerveuses.

1er. FORMES CLINIQUES DE l'amblyopie transitoire.

A la vérité, la classification qui va suivre pourrait sembler

assez artificielle, puisque plusieurs cas d'amblyopie transi-

toire nous présentent des formes mixtes (par exemple hémiopie

ou véritable migraine ophtalmique accompagnées de scintil-

lement), et puisque chez le même malade les accès d'amblyopie

peuvent se succéder avec des formes différentes. Néanmoins,

il nous a paru utile de la conserver, soit pour rendre plus claire

la description symptomatologique, soit pour nous servir de

cette analyse dans les conclusions sur la physiopathologie de

l'affection.

a). Forme du scotôme scintillant. Les premiers cas

d'amaurose partielle temporaire sont dus à Vater ('l723) et

Demours (97ô`), selon Pravaz (1828). Mais le travail de Piorry

(4)(1831) est le premier dans lequel le scotôme scintillant se

trouve exactement décrit, et où le trouble visuel est considéré

comme un symptôme prodromique de la migraine.

Cette forme d'amblyopie transitoire peut se présenter, ainsi

que les autres, accompagnée ou non du syndrôme migraineux.

La cause qui provoque quelquefois les accès, chez les individus

qui y sont déjà prédisposés, sont les troubles de la digestion

gastrique ou la fatigue intellectuelle (lecture prolongée, tra-

vail après les repas) ou n'importe quel excès.

L'attaque est essentiellement constituée par un scotôme, le

plus souvent périphérique, et par des phénomènes de photes-

tésie scintillante'. 1.

1 Les notions qui suivent sont résumées pour la plupart d'après l'ex-

cellente thèse de M. Baralt.

l'amblyopie transitoire. 205

Le malade dit que, pendant une sensation de malaise, il voit

apparaître devant l'un de ses yeux, et quelquefois devant les

deux, un brouillard qui enveloppe le contour des objets, de

telle sorte que ceux-ci semblent s'y perdre et acquérir, lors-

qu'ils sont fixés, des dimensions parfois plus grandes, parfois

plus petites, qu'ils n'ont pas en réalité.

Bientôt ce brouillard qui commence dans un endroit limité,

non loin du point de fixation, s'élargit graduellement et s'ac-

compagne à la vision d'une sorte d'atmosphère en mouvement,

semblable à l'air chauffé qui entoure un poêle. Ce sont parfois

des lignes brisées que le malade voit, des arcs diversement

colorés, des flammèches, des points brillants, ou encore un

globe de feu ou une espèce de roue dentelée, qui est rouge,

blanche ou phosphorescente, animée de vibrations.

Plus souvent encore il y a le scintillement caractéristique.

Les sujets qui savent bien observer leurs accès (par exemple

M. Baralt, dans sa thèse (20), oubien le malade dont M. Javal a

montré un dessin ') nous disent le plus souvent que le scotôme

commence sur un endroit limité de la périphérie du champ

visuel et gagne graduellement presque toute l'étendue du

champ visuel, de façon à rendre un oeil, ou les deux à la fois,

presque aveugles. Alors, les limites de ce scotôme leur appa-

raissent faits par des lignes en zigzag, ou par des angles comme

les pointes d'une roue dentelée . ou par un dessin sinueux

semblable aux créneaux d'une forteresse.

Le plus souvent cesphénomènes, de même que les étincelles,

flammèches; cercles colorés, etc., n'occupent que la moitié du

champ visuel (monoculaire ou binoculaire), le champ de la

fixation demeurant respecté. Lorsque l'accès commence à se

calmer, le champ visuel s'éclaircit de nouveau, à partir de

l'endroit même où le scotôme eut son commencement.

Le trouble visuel, qu'il soit monoculaire ou binoculaire, est

souvent précédé ou suivi de maux de tête, dont l'hémicraine

est la forme habituelle, parfois encore de nausées et de vomis-

sements.

Il y a des cas, où les troubles oculaires en forme de scotôme

scintillant ont succédé à des accès de migraine commune, et

l'ont en quelque sorte remplacée ; c'est-à-dire, qu'un individu

qui souffre de la migraine ordinaire, sans aucun trouble du

' Compte rendu de la Société d'ophtalm, de Paris, séance du 1" juil-

let 1890. -

206 clinique nerveuse.

côté de la vision, peut voir, par suite de l'âge, les grands accès

douloureux remplacés par les troubles visuels du scotôme scin-

tillant (exemple le cas de M. du Bois-Raymond, relaté dans la

thèse de M. Baralt, et le cas de Tissot).

Lorsque les accès sont accompagnés de migraine; le scotôme

apparaît, dans le champ visuel, du côté où siège la migraine.

Quelquefois pendant l'accès le malade a la sensation que son

oeil est poussé au dehors, ou au contraire violemment enfoncé

dans l'orbite. 1

Le scotôme est presque toujours relatif, c'est-à-dire à demi

transparent. Il peut se présenter sur un seul oeil, mais presque

toujours il' saisit les deux à la fois, sous forme de scotômes

symétriques, autrement dit hémianopsie partielle, i .

Quelquefois on remarque des alternatives de flamboiement

vif et de simple obscurcissement dans le champ visuel ; quel-

quefois encore le sujet croit déjà l'attaque passée, lorsqu'elle

n'est simplement qu'atténuée, et le scotôme presque transpa-

rent se met tout à coup à flamboyer de nouveau (crises subin-

12,antes)-

Barry dit, à propos de son observation personnelle, qu'en

couvrant les yeux de ses mains, le scintillement lui était

encore perceptible à la même place, et ce qui avait été un

nuage semi-opaque apparaissait plus clair dans le champ noir

de l'obscurité. Après vingt minutes ou 'une demi-heure le

nuage faiblissait, tandis que le scintillement continuait encore

un peu. Les accès n'étaient pas suivis de migraine, mais sem-

blaient tout de même en rapport avec l'état de l'estomac,

puisqu'ils disparaissaient généralement avec du gargouillement

stomacal suivi d'éructations. -

Dans le cas de Dianoux (13), le scotôme revêtait quelquefois la

forme hémiopique (amblyopie dans la moitié droite du champ

visuel monoculaire et binoculaire) et son' bord tourné vers le

point de fixation avait une forme concave.

Après cinq minutes' le scintillement apparaissait, d'abord

sous forme de flammes, ensuite d'arcs lumineux et vibrants ;

une fois (dans la première attaque), ces phénomènes dépassè-

rent la ligne médiane pour envahir tout le champ visuel, ren-

dant les yeux tout à fait aveugles. Une autre fois Dianoux eut

le scotôme limité presque entièrement à l'oeil droit, z, peine

accompagné d'un léger obscurcissement de la vision à gauche,

sans scintillement.

l'amblyopie transitoire. 207 J

Les rudiments du scotôme scintillant (tel que les a observés

sur lui-même Dianoux, après avoir éprouvé des attaques com-

plètes) consistent dans la sensation d'étincelles brillantes et ins-

tantanées"accompagnées parfois de quelques douleurs névral-

giques passagères, à la suite de veille ou de troubles gastriques.

La durée des accès est en 'général de quinze minutes à une

heure, à une heure et demie et plus. D'ordinaire le scintille-

ment survient peu après le trouble de l'acuité visuelle, se pro-

longe seulement pendant quinze minutes à une demi-heure,

et après, pendant une durée de quelques minutes à une demi-

heure, un simple scotôme persiste encore :

L'ophtalmoscope a démontré quelquefois l'ischémie de la

rétine pendant les accès, mais le plus souvent il donne des

résultats tout à fait négatifs. i ?

Dans l'immense majorité des cas, l'acuité visuelle reste in-

tacte malgré de longues années de souffrance (pendant trente

ans chez un cas de Testelin (14).' Néanmoins le scotôme peut

persister bien longtemps, dans quelques cas exceptionnels '.

On ne pourrait pas assigner de règles fixes, quant à la

marche du scotôme scintillant et; en général, il en est de

même pour les autres formes d'amblyopie transitoire. '

- Chez les sujets déjà migraineux les accès peuvent présenter

une périodicité remarquable ; chez ceux où la migraine fait

défaut, ou elle a été remplacée par les attaques d'amblyopie

transitoire, ces dernières présentent une marche très irrégu-

lière, l'amblyopie peut ne se présenter qu'une ou deux fois

dans la vie, ou survenir avec une fréquence relative et après

des causes occasionnelles, telles que nous les avons rappelées.

b). Forme de migraine ophtalmique, proprement dite.

Dans cette forme de névrose, le syndrome migraineux est ce

qui frappe le plus l'attention du malade et du. médecin..

Quant l'amblyopie,' elle peut se présenter sous différentes

formes (hémiopie, scotôme périphérique, etc.) et elle peut être

suivie ou non des phénomènes du scintillement. ' .

Pour nous épargner toute redite, et sans insister sur le syn-

drôme migraineux qui se trouve si bien étudié dans tous les

traités récents de médecine interne et de neuropathologie,

nous nous bornerons à mettre ici en évidence les rapports

généraux entre l'accès d'amblyopie et le syndrome migraineux.

, ' A ce propos, l'observation rapportée par M. Galézowski dans son

ouvrage de 1877 (16), nous semble très importante.

208 CLINIQUE nerveuse.'

Plusieurs cas d'amblyopie transitoire, même -caractérisés

par des accès bien complets, longs et fréquents, peuvent rester

pendant une longue suite d'années non accompagnés du syn-

drôme migraineux. Ce sont les formes de migraine ophtal-

mique que l'on a appelées frustes (Féré, Charcot).

D'autrepart, un grand nombre de sujets atteints de migraines

périodiques n'ont jamais d'attaques d'amblyopie temporaire.

Enfin, chez un même sujet, les accès de migraine et d'amblyo-

pie temporaire peuvent alterner (formes dissociées de la

migraine ophtalmique) ou se présenter ensemble, seulement

pendant un certain temps, ou encore les uns peuvent se subs-

tituer aux autres.

Ainsi, par exemple, dans un cas relaté par Baralt (`0), un j eune

homme de vingt ans souffrant de migraines (hérédité mater-

nelle) depuis son enfance, eut les troubles visuels seulement

pendant une année (de quatorze à quinze ans). Les accès se

produisaient deux ou trois fois par mois, pendant le travail du

matin, entre 6 et 7 heures, et prenaient parfois la forme du

scotôme central bilatéral, parfois encore la forme hémiopique.

De quinze à vingt ans les attaques de migraine vulgaire avaient

continué sans aucun trouble visuel.

Il peut encore arriver, chez quelques femmes qui souffrent

de migraine à l'époque des règles, que quelques-unes seulement,

de ces attaques périodiques soient accompagnées d'amblyopie

temporaire, et plus rarement encore d'autres troubles nerveux,

tels que l'embarras de la parole ou l'engourdissement d'un

membre (cas de Baralt).

La douleur céphalique suit les troubles visuels dans un

espace de temps qui varie de quelques minutes à une demi-

heure, à une heure, rarement plus. Elle commence ordinaire-

ment dans la région de la tempe ou dans le pourtour de

l'orbite, pour gagner ensuite la moitié du crâne et, quelquefois

encore, mais avec moins d'intensité, l'autre côté. Plus tard,

surviennent une sensation de vertige, des nausées et des

vomissements, qui, en plusieurs cas, marquent la fin de l'accès.

Parfois encore on observe de l'aphasie, ou plus rarement des

troubles de la sensibilité ou de la motilité.

- La marche de la migraine ophtalmique est très variable.

Elle est parfois périodique (de même que la migraine simple)

et revient tous les mois, toutes les semaines ou tous les jours,

comme chez certaines femmes pendant leurs règles.

l'amblyopie transitoire. 209

Dans d'autres cas on a une seule, ou deux, ou trois attaques

irrégulièrement espacées. La durée des accès est aussi très varia-

ble, mais, d'ordinaire, les troubles visuels durent d'un quart

d'heureà une demi-heure, rarement plus, tandis que la migraine

continue plusieurs heures encore, ou toute une journée.

c). Forme hémiopique et rétrécissement concentrique du

champ visuel. Nous examinerons ensemble ces deux formes

de l'amblyopie transitoire, qui, liées l'une à l'autre, se prêtent-

le mieux, comme nous le verrons, à l'étude physiopathologique

du trouble visuel dont nous nous occupons.

L'hémiopie transitoire, à part les cas qui tirent leur origine

de lésions organiques de l'encéphale ', peut être la forme de

scotôme sous laquelle, comme nous venons de le dire, se pré-

sente soit la véritable migraine ophtalmique, soit le scotôme

scintillant. Dans ce dernier cas (scotome scintillant hémiopique

de Mauthner) il s'agit le plus souvent d'hémiopie partielle,

tandis que dans la migraine ophtalmique commune l'laémia-'

nopsie totale est plus fréquente.

Les premières observations d'hémiopie fugace sont trois cas

rapportés par Vater (1 i 33) dans une dissertation latine à Wit-

temberg. Plus tard nous trouvons les deux observations de

Wollaston et d'Arago (1824).

Il y a des cas (par exemple celui de M. Verneuil, relaté par

Baralt) d'hémiopie passagère survenue en parfait état de santé,

sans autre cause appréciable que le brusque passage d'un'

endroit chauffé à un autre excessivement froid, suivis de vio-

lente névralgie de toute la tête, mais sans nausées, ni vomis-

sements, ni autres symptômes généraux. ,

L'hémiopie qui succède au scotôme scintillant atteint, en

général les deux yeux, est homolatérale et n'empiète pas sur

le point de fixation. Le scintillement, néanmoins, dépasse très'

souvent la ligne médiane.

Une observation intéressante d'amblyopie transitoire à

forme d'hémiopie homonyme (à droite), est encore celle de '

M. Mazza (45). Le trouble visuel était sans doute bilatéral, et

la ligne de démarcation passait par le point de fixation. La ·

première attaque dura 10 à 12 minutes, et la seconde, surve-'

' Rappelons le cas de Wollaston, qui fit époque pour les études sur la

localisation de l'hémiopie typique permanente, mais qui n'aurait pas de,

valeur pour ce qui concerne la véritable hémiopie transitoire.

Archives, t. XXIV. 14

210 CLINIQUE NERVEUSE.

nue de même après des excès, se prolongea un peu plus. Pas

de scintillement, mais de la photophobie ; pas de migraine,

seulement des vertiges qui précédaient le trouble visuel.

L'hémiopie transitoire latérale monoculaire semble bien

rare, d'après les observations publiées. Encore plus rares sont

les cas enregistrés, où l'hémiopie intéressait la moitié inférieure

ou supérieure du champ visuel. Une seule observation (de

Charcot, relaté par Féré) démontrerait la possibilité d'hémiopie

transitoire binoculaire nasale l,

L'hémiopie transitoire survient graduellement ou subite-

ment, et dans la plupart des cas elle est suivie par les photes-

' tésies du scotôme scintillant. Les troubles visuels, tout en

occupant la moitié du champ de la vision binoculaire, semblent

assez souvent prédominer dans un oeil; et parfois, dans ce

même oeil, le malade accuse une sensation de tension (Finck)

ou de battement de pouls (Galézowski).

La diminution du champ visuel atteint plus souvent la forme

d'un rétrécissement latéral du champ visuel, que celle d'une

véritable hémiopie *. Très rarement l'obscurcissement avance

jusqu'à l'amaurose complète (partielle et passagère, bien

entendu).

Voici, maintenant, un cas d'amblyopie transitoire accompa-

gnée de migraine et d'autres troubles nerveux, sous forme

de rétrécissement concentrique soudain du champ visuel. Je dois

l'observation à M. Parinaud, et je m'empresse de le remercier

de l'extrême obligeance qu'il a mis à m'aider dans ce travail. ! \lme Françoise Hus... (39 ans).

Antécédents héréditaires. Père nerveux, d'un caractère très vio-

lent, mère morte tuberculeuse. Oncle maternel mort fou à cinquante

ans. Une tante maternelle alcoolique et sujette à des crises ner-

veuses. Des neuf frères et soeurs, que la malade avait, un est mort t

1 « Le malade commençait par éprouver une sensation d'anxiété à la

région précordiale, puis survenait l'hémiopie, tantôt latérale, tantôt na-

sale. Dans ce dernier cas, le malade disait qu'il éprouvait la sensation

d'un grand rond noir, qui l'empêchait de voir en face, en lui permettant

de bien voir à droite et à gauche du champ visuel. Jamais de scintille-

ment. Engourdissement de la main droite, et quelquefois aussi de la

gauche. Troubles de la parole seulement à la fin des accès. Migraine vio-

lente.

' Cette particularité se rattache à la question de la fausse hémiopie

chez les hystériques, dont nous parlerons plus bas.

l'amblyopie transitoire. 211

de maladie d'Addison à l'âge de vingt-cinq ans, un second de-

tuberculose pulmonaire et deux de péritonite tuberculeuse.

Depuis l'âge de neuf ans, la malade est sujette à des engourdis-

sements d'une moitié du corps, qualifiés par M. Charcot d'épilepsie

partielle (sensitivo-sensorielle) avec embarras de la parole. L'en-

gourdissement débutait toujours parle petit doigt de la main et du

pied (sensations de froid), puis se généralisait à toute la moitié

du corps, il était bientôt suivi d'embarras de la parole et de

troubles dans les idées. Non seulement la malade ne pouvait pas

articuler les mots qu'elle voulait, mais elle ne se rendait pas bien

compte de ce qu'elle faisait et elle prononçait des paroles inco-

hérentes, dont elle ne gardait aucun souvenir après la crise.

La crise de paralysie, comme l'appelle la malade, durait tantôt

un quart d'heure, tantôt une demi-heure et était suivie de violent

mal de tête.

Les crises se développaient tantôt dans le côté droit, tantôt dans

le gauche. Elles revenaient deux fois par mois environ, et n'ont

jamais été accompagnées de troubles visuels.

Depuis cinq ans, c'est-à-dire vers l'àge de trente-quatre ans, ces

crises d'épilepsie sensitivo-sensorielle ont été remplacées par de l'am-

blyopie transitoire, revêtant des formes diverses. Les attaques sont

caractérisées par de l'obscurcissement de la vision et du scintille-

ment, allant parfois jusqu'à la cécité absolue dans les deux yeux-

pendant dix à quinze minutes.

L'amblyopie n'a jamais la forme typique de l'hémiopie latérale.

L'obscurcissement débute tantôt de haut en bas, tantôt de bas en

haut, affectant dans les deux yeux, la forme d'une hémiopie supé-

rieure ou inférieure.

Dans d'autres cas l'obscurcissement commence dans le côté tem-

poral, simultanément dans les deux yeux, pour aboutir à l'obscur-

cissement complet du champ visuel.

Quand la cécité n'est pas absolue, il arrive que la malade ne conserve

que la partie centrale du champ visuel intacte. « Il lui semble, dit-elle,

qu'elle regarde à travers un tube. »

Les crises d'amblyopie, comme autrefois celles d'épilepsie sen-

sitivo-sensorielle, sontsuivies de troubles dans les idées, de sorte que

la malade fait une chose pour une autre; mais, il n'y a pas d'em-

barras de la parole ni aucun symptôme d'engourdissement dans

aucune partie du corps.

Les crises d'amblyopie sont plus fréquentes que l'étaient jadis les

crises épileptiques. Depuis bientôt un an ces crises surviennent

tous les jours, presque trois à quatre fois par jour. Elles sont plus

fréquentes lorsque la malade travaille. Si elle était sérieusement

occupée, dit-elle, cela la prendrait presque continuellement.

Chaque crise dure de quinze à vingt minutes à peu près, mais

elle est toute la journée souffrante. Pesanteur dans la tête et les

212 CLINIQUE nerveuse.

yeux, surtout lorsqu'une crise l'a prise dans la matinée. Somnolence

presque continue, mais surtout pendant et après les crises.

Etat des yeux. Un peu de rétrécissement du champ visuel (à

70° du côté temporal, 45° du côté nasal égal dans les deux

yeux).Emmétropie dans les deux yeux, V = iô. La diminution de

- l'acuité visuelle ne s'explique ni par astigmatisme (régulier ou irré-

gulier), ni par l'aspect du fond de l'a;il qui est normal. Un peu de

diminution de l'amplitude de l'accommodation. Pupilles réagissent

normalement. Pas de troubles des muscles oculaires.

Une autre observation, que je n'ai pas pu recueillir directe-

ment et qui m'a été communiquée par M. Parinaud, concer-

nait un homme très intelligent, qui se plaignait de simples

crises d'amblyopie transitoire, accompagnées parfois du syn-

drôme migraineux. Il décrivait si bien le scotôme, avançant de

la périphérie du champ visuel vers le point de fixation, que

lorsqu'on le fit regarder à travers le trou sténopéique, il

affirma que sa vue pendant l'accès était tout à fait réduite

dans les mêmes conditions.

d). Amblyopie transitoire centrale. Cette forme paraît

moins fréquente que la forme hémiopique. Non rarement,

néanmoins, l'amblyopie transitoire peut gagner le point de

fixation et atteindre, comme dans notre observation ci-dessus,

tout entier le champ visuel. Les cas où le malade dit de

n'éprouver autre sensation que d'un simple obscurcissement de z

la vue (exemple les cas de Raullet 31) sont évidemment des cas

de scotôme central, monoculaire ou binoculaire, transitoire.

Parmi les observations de ce genre, il nous semble utile de

résumer celles de Parry (2) et de Hilbert (S'1).

Parry dit : « Qu'après une violente fatigue, surtout lors-

qu'elle était accompagnée d'un jeûne de huit à dix heures, il

était souvent atteint d'unepe ? -Ie soudaine de la vision. « Quand

je fixais un .objet quelconque, il me semblait voir une ombre

plus ou moins opaque interposée entre mes yeux et l'objet, de

telle façon que je le voyais indistinctement, et quelquefois pas

du tout; l'ombre me semblait plus généralement être placée

exactement au milieu de l'objet, pendant que ma vue pouvant

embrasser les contours était claire et distincte comme d'habi-

tude. En conséquence, si je désirais voir un objet j'étais

obligé de le regarder de côté. » ¡ .

Nous pouvons rattacher cette observation à la forme de,

l'amblyopie transitoire. '213

'scotôme scintillant, puisque Parry ajoute que dans d'autres

circonstances, quoique beaucoup plus rarement, le nuage était

placé en dehors du point.de fixation, et que peu d'instants

après le bord supérieur du scotôme lui apparaissait limité par

une bordure de lumière en forme de zigzags et scintillant

presque à angles droits dans le sens de la longueur.

Ce qui est encore intéressant, dans l'observation de Parry,

c'est que le scintillement paraissait toujours avoir lieu dans un

seul oeil, tandis que le scotôme central persistait également

dans les deux côtés, en regardant un objet avec un seul oeil

ou avec les deux ensemble.

. L'autre observation, de Hilbert se rattache aussi au scotôme

scintillant, puisque l'amblyopie transitoire centrale était

accompagnée de photesthésie périphérique. Elle présente

encore un intérêt spécial dans l'existence d'un pouls artériel

de la rétine pendant les accès.

Il s'agissait d'un homme de trente-sept ans, vigoureux,

mais atteint d'hémicraine, qu'Hilbert déclare sympathico-

tonique, du côté gauche. Les accès survenaient deux à trois

fois par an, sans aucun symptôme précurseur, et duraient

pendant plusieurs heures, des fois même unejournée, souvent

accompagnés de nausées et vomissements. Le malade se pré-

sente un jour pendant son accès : à 7 heures du matin il avait

été atteint d'hémicraine, à 8 heures survint le scotôme cen-

tral de 1'oeil gauche, accompagné bientôt de scintillement

caractéristique. La pupille gauche était dilatée, les muqueuses

pâles, l'artère temporale gauche rigide, le pouls dur (68 pul-

sations par minute), le malade éprouvait des frissons.

A l'ophtalmoscope, on constatait la pulsation des branches

principales de l'artère centrale, visible jusqu'au delà du disque

optique.

Pas de troubles gastriques, le coeur normal, les urines

aussi.

Immédiatement après une inhalation de nitrite d'amyle, la

peau du visage et les muqueuses reprirent leur couleur, et

l'acuité visuelle se rétablit; bientôt le pouls devint moins dur

et plus fréquent (80 pulsations) et le pouls artériel de la

rétine disparut.

§ II. Rapports DE l'amblyopie transitoire avec DIFFÉ-

RENTES maladies NERVEUSES. - Les principales névropa-

214 . clinique NERVEUSE.

thies auxquelles peut se rattacher l'amblyopie temporaire

sont : la neurasthénie, l'hystérie, l'épilepsie sensitivo-senso-

rielle, le tabès et la paralysie générale.

Qu'il nous soit permis, avant de parler de ces rapports, de

dire quelques mots des autres troubles nerveux qui peuvent en

général accompagner les accès d'amblyopie transitoire.

1. Ces troubles sont (en dehors du syndrome migraineux, que

'nous avons déjà assez mis en relief) : l'aphasie, ou mieux dys-

phasie, les troubles de la sensibilité, les troubles moteurs, les

syndromes épileptiformes.

a). Les troubles de la parole pendant les accès d'amblyopie.

transitoire, de n'importe quelle forme, se rencontrent assez

fréquemment. Ils tiennent le plus souvent à un trouble de

l'intelligence, qui rend au sujet les paroles correspondantes

aux idées qu'il voudrait exprimer, difficiles à trouver (véritable

dysphasie ou paraphasie motrice). Beaucoup plus rare (cas

d'amblyopie transitoire associée à l'épilepsie partielle) est le

trouble dans l'articulation des mots, comme si la langue était

plus grosse, et tous les mouvements phoniques étaient aussi

plus difficiles à exécuter (dysa2,lhi,ie).

Souvent il n'y a qu'un simple embarras de la parole, mais

quel que soit le degré de l'aphasie, la soudaineté de son appa-

rition, coïncidant avec des troubles oculaires, jette un trouble

profond dans l'esprit du malade.

A côté de ces troubles du langage, nous mettons l'espèce

d'apraxie qu'éprouvait la malade dont nous venons de donner

l'observation (p. 210) : elle ne se rendait pas tout de suite

compte des objets qui l'entouraient, de telle sorte que pendant

une de ses attaques les plus fortes, elle nous racontait avoir

salé de la viande avec du tabac à priser.

Dans d'autres cas on pourrait rencontrer les troubles analo-

gues de la surdité verbale, de l'alexie ou d'agraphie ; comme

dans une observation de Charcot, rapportée par Féré (24), et dans

quelques observations de Raullet (30 et 31). Les cas dans lesquels

les attaques d'amblyopie transitoire sont accompagnés de ces

troubles du langage, sont pour la plupart ceux qui démontrent

le rapport de l'affection avec l'épilepsie.

Tout le monde sait, en effet, que l'épilepsie à elle seule peut

déjà présenter d'une façon transitoire, pendant les attaques

convulsives, les troubles de la dysphasie et de la dysartrie

verbale.

l'amblyopie transitoire. 215

Enfin, il est intéressant de faire remarquer que l'aphasie

transitoire s'observe le plus souvent, lorsque dans les formes

associées d'amblyopie transitoire, les troubles de motilité et de

sensibilité de la face et des membres siègent du côté droit.

Ce dernier est du reste, cumme nous le dirons tout à l'heure,

le cas le plus fréquent.

b). Les troubles de la sensibilité, qui peuvent accompagner

les accès d'amblyopie transitoire, sont des troubles dynami-

ques, ceux de l'hystérie en particulier, ou des troubles de

signification plus grave, tels que les accès d'épilepsie partielle

avant-coureurs de la paralysie générale.

Ces troubles se manifestent généralement en même temps

que l'amblyopie, ou la suivent de près. Nous en parlerons jus-

tement en esquissant les rapports de l'amblyopie transitoire

avec l'hystérie et avec l'épilepsie sensitivo-sensorielle et la

démence paralytique. Ce sont, en général, des troubles loca-

lisés de la sensibilité générale (sensations d'engourdissement,

de fourmillement, etc...) ou bien des sens spéciaux, surtout de

l'ouïe (bourdonnements, hallucinations acoustiques). Quel-

quefois ces troubles de la sensibilité, au lieu de rester limités

à un seul côté, peuvent s'étendre à l'autre, comme le montre

une intéressante observation de Charcot, relatée par Féré ;

mais ils prédominent toujours du côté primitivement atteint

(le plus souvent du côté droit). Quelquefois encore ils chan-

gent de côté dans les accès consécutifs sur le même sujet.

c). Les troubles moteurs seront indiqués de même à propos

de l'épilepsie partielle et de l'hystérie accompagnées d'am-

blyopie transitoire. Ils sont plus rares que les troubles sensi-

tifs, puisque dans les deux maladies mentionnées les troubles

moteurs sont en général moins fréquents et moins persistants

que les troubles de la sensibilité. 11 s'agit d'ordinaire de paré-

sies ou de paralysies complètes, s'étendant le plus souvent au

bras seulement. parfois au bras et à la face, quelquefois enfin

à tout le côté du corps sous forme d'hémiplégie complète

(Féré).

2. Rapports de l'amblyopie transitoire avec la neurasthénie '.

Déjà Béard, dans la dernière édition de son ouvrage clas-

1 Pour décrire ces rapports, nous nous en tenons surtout aux mono-

graphies les plus récentes qui ont paru en France sur la neurasthénie,

c'est-à-dire au livre de M. Bouveret, et surtout à celui de) ! . Levillain.

' y6 CLINIQUE NERVEUSE.

sique sur la neurasthénie, indique comme étant un des symp-

tômes de cette maladie le mal de tête et ses différentes formes.

Parmi ces formes il y a.la migraine ophtalmique, et il est

facile de comprendre que, dans un certain nombre de cas, le

syndrome migraineux passe en second lieu, ou même fait

défaut, par rapport aux troubles visuels de l'amblyopie transi-

toire.

. Les maux de tête présentent, il est vrai, chez les neuras-

théniques, un caractère tout à fait spécial (le casque et les

plaques de la céphalée neurasthénique), bien différent de la

migraine qui accompagne si souvent l'amblyopie transitoire.

Néanmoins, dans certains cas le mal de tête se traduit parune

véritable douleur et se complique d'autres accidents, qui

apparaissent et disparaissent en même temps et semblent être

liés au même processus pathologique : parmi ces symptômes,

il est surtout intéressant de remarquer les troubles de la vue,

tels que les éblouissements passagers, la sensation de brouil-

lard ou de véritables petits scotômes.

La présence de l'amblyopie transitoire, quelle qu'en soit la

forme, dans le syndrôme de la neurasthénie, ne nous étonnera

pas si nous songeons que même les gens nerveux ou simple-

ment névropathes (selon la classification proposée par Levil-

lain) [50J peuvent être atteints de migraines et de troubles vi-

suels passagers.

En outre, comme nous le verrons tout à l'heure, l'amblyopie

transitoire tire sa pathogénie de troubles vaso-moteurs de

l'écorce cérébrale; et justement les troubles vaso-moteurs du

. cerveau et de la moëlle jouent, d'après quelques auteurs,

entre autres Rosenthal et Béard, un rôle considérable sinon

exclusif, dans l'évolution et la marche irrégulière des phéno-

. mènes neurasthéniques.

3. Rapports de l'amblyopie transitoire avec l'hystérie.

Pour esquisser ces rapports, je ne saurais mieux faire que de

m'en tenir à l'excellent Traité de M. Gilles de la Tourette (48).

La connaissance exacte des rapports qui unissent la mi-

graine ophtalmique à l'hystérie date de 1888. A cette époque,

M. Charcot présenta à ses Leçons du Mardi un malade, qui

avec d'autres observations a fait plus tard le sujet de l'inté-

ressant mémoire de M. Babinski (43).

Il est vrai, qu'avant ces publications d'autres auteurs, surtout

L'ABLYOPLE transitoire. 217

Galézowski, Féré, Raullet et Robiolis (34), avaient signalé la

coïncidence de la migraine ophtalmique et de l'hystérie ; mais,

toute interprétation faisait défaut et le lien étroit qui existe

entre le syndrome de l'amblyopie transitoire et la névrose

hystérique n'était pas démontré. Dans une thèse récente de

M. Fink (S3) on trouve réunies les observations non interprétées,

antérieures aux cas rapportés par MM. Charcot et Babinski, et

deux nouvelles observations qui confirment , davantage les

rapports dont nous parlons.

L'amblyopie transitoire survient (le plus souvent sous

forme de migraine ophtalmique) chez les hystériques, à la

façon d'un paroxysme aigu agissant pour son propre compte,

ou à la façon de l'aura d'une attaque convulsive (Babinski).

Outre les prodrômes ordinaires de tous les paroxysmes (batte-

ments dans les tempes, sensation de boule, etc...), on note

presque toujours l'existence d'une zone hystérogène, dont la

mise en action va directement faire naître le paroxysme mi-

graineux et l'amblyopie transitoire. Cette zone peut siéger

dans l'oeil lui-même; alors, la douleur débutera, par exemple,

-directement au niveau du globe oculaire. Ou encore, la zone

.peut se trouver ailleurs, au vertex, par exemple; de là la

douleur se propage jusqu'au pourtour de l'orbite et devient

très vive. En même temps le malade éprouve une sensation de

tremblement de l'aile du nez ou d'autres troubles nerveux,

puis survient l'amblyopie et non rarement les phénomènes du

scintillement. '

Dans un des cas relatés par Babinski, il existait au niveau

de la sixième vertèbre dorsale une zone hystérogène, dont la

pression faisait apparaître immédiatement le scotôme. "Dans

un autre cas, la pression d'une zone ovarienne gauche produi-

sait le scotôme, comme en d'autres circonstances elle eut pu

déterminer une attaque convulsive. Il est rare que, chez le

même malade les attaques convulsives de l'hystérie et les

attaques d'amblyopie transitoire soient séparées, alternées et

marchant par périodes distinctes. 1

Comment reconnaître si le syndrôme migraineux et l'am-

blyopie transitoire sont vraiment de nature hystérique ?

- Lorsque ces phénomènes constituent l'aura d'une attaque

convulsive, le diagnostic s'impose. Lorsque l'au2,a de la mi-

graine ophtalmique, sous forme de paroxysme spécialisé, part

d'une zone hystérogène dûment constatée, et dont la pression

218 clinique NERVEUSE.

suffit pour déterminer l'accès, la difficulté n'est pas grande

encore. Mais, si la migraine ophtalmique survient chez un

sujet porteur de stigmates douteux, comment arrivera-t-on au

diagnostic ?

La question serait très importante pour le traitement et le

pronostic, mais elle est encore bien difficile, à résoudre.

M. Gilles de la Tourette croit, que pour ces cas l'examen

des urines pourrait trancher le doute : en effet, la migraine

ophtalmique appartiendrait, comme la pseudo-méningitehysté-

rique, aux paroxysmes douloureux; et dans ceux-ci l'analyse,

en déterminant la formule clinique qui parait être pathogno-

monique', permettrait de porter un diagnostic sur l'hystérie.

Mais, il est certain que, même chez les hystériques, l'accès

d'amblyopie transitoire pourrait être exempt de migraine;

d'autre part, les données de la chimie clinique sur l'hystérie

ne sont pas encore si complètes et si sûres, pour nous per-

mettre un diagnostic certain.

La forme hémiopique de l'amblyopie transitoire peut se ren-

contrer chez les hystériques, sans que cela nous autorise à

parler d'une hémianopsie des hystériques. Les caractères essen-

tiels de l'amblyopie hystérique (hystérie normale) restent tou-

jours le rétrécissement concentrique du champ visuel pour la

lumière blanche et pour les couleurs, accompagné souvent de

certains troubles secondaires de l'accommodation. Il y a des ob-

servations de migraine ophtalmique due à l'hystérie, où l'hé-

miopie semblait exister (subjectivement, sinon à l'examen

objectif) ; mais toujours à l'état transitoire, non permanent,

comme la limitation concentrique du champ visuel. Parmi les

treize observations relatées (Babinski et Finck), de migraine

ophtalmique due sûrement à l'hystérie, dans quatre d'entre

elles la forme hémiopique de l'amblyopie transitoire est notée :

mais dans trois de ces quatre observations, l'oeil, examiné

après l'attaque ne présentait plus- qu'un rétrécissement con-

centrique du champ visuel, et dans un quatrième cas (Babinski-

Parinaud), l'oeil étant examiné au moment même où le malade

ne voyait que la moitié des objets, on ne constata pas les

caractères objectifs de l'hémiopie permanente, mais la simple

augmentation d'un rétrécissement concentrique existant nor-

malement.

' Gilles de la Tourette et Ctuitelmeau. La nutrition dans l'hystérie*

Paris, 1890.

l'amblyopie transitoire. 219

.

Cette dernière observation démontrerait et il serait très

intéressant de le confirmer que l'hémiopz'e transitoire de la

migraine ophtalmique due à l'hystérie, résulte de l'exagéra-

tion temporaire du rétrécissement visuel concentrique, si fré-

quent chez les hystériques. On aurait, de la sorte, la preuve

encore plus sûre que l'amblyopie transitoire est due au même

ordre de troubles dynamiques de l'écorce cérébrale, dont

l'hystérie tire sa pathogénie'. Nous ne saurions rattacher

beaucoup de cas d'amblyopie transitoire (accompagnée ou non

de migraine) à l'hystérie, puisque le sujet ne présente pas de

stigmates hystériques et que le syndrôme dont nous nous oc-

cupons, ne présente pas les attributs de l'hystérie, tels que la

possibilité d'être modifié par des causes psychiques, de pa-

raître ou de disparaître par la pression sur des zones hystéro-

gènes, etc.

Dans ce cas, et lorsque le sujet ne présente pas d'autres

signes de névropathies, l'amblyopie transitoire constitue à

elle seule, ou le plus souvent avec les accès migraineux, la

névrose rudimentaire qui affirme le tempérament nerveux du

sujet. ,

4. Rapports entre l'amblyopie transitoire et l'épilepsie.

L'amblyopie transitoire, dans le sens le plus large de la dé-

nomination, est très fréquente chez les épileptiques. Très

souvent, en effet, l'attaque épileptique laisse après elle un

certain degré d'amblyopie qui s'efface assez rapidement. D'au-

tres épileptiques' immédiatement après l'accès voient trouble,

voient les objets grossir ou se rapprocher, des scintillements,

des feux d'artifices, des cercles colorés, et ils perdent connais-

sance lorsqu'ils ont la sensation que ces corps brillants vont

arriver sur eux. Les mêmes hallucinations peuvent se rencon-

trer chez les hystériques. Enfin, l'obscurcissement plus ou

moins prononcé de la vue accompagne habituellement le ver-

tige épileptique, et, dans certains cas, c'est l'amblyopie qui

1 Néanmoins, les crises d'amblyopie transitoire et l'hystérie pourraient

coexister, sans avoir de liens étroits entre elles. C'est ce qui me sem-

blait démontré, par exemple, par un cas observé à la Salpêtrière

(111"° Lise L..., vingt-neuf ans, consultation du 6 mars 1892), où les crises

hystériques s'étaient alternées avec des crises d'amaurose monoculaire

transitoire, et quelquefois de scotome scintillant, tandis qu'il n'y vait il

pas de rétrécissement concentrique permanent du champ visuel.

220 . CLINIQUE NERVEUSE.

devient prédominante, même sans que la sensation vertigi-

neuse proprement dite existe. -

. Il est vrai, pourtant,' que l'amblyopie transitoire à crises

bien caractérisées se montre plus souvent en rapport avec

l'épilepsie partielle ou petit mal, qu'avec la véritable épilepsie

ou grand mal. Une observation de Jackson démontra que

l'amaurose passagère, sans perte de connaissance, sans vertige,

sans phénomènes lumineux, peut constituer une des formes du

petit mal, c'est-à-dire en remplacer les attaques. Mais, ces

rapports ont été mis en évidence, plus tard, surtout par les

observations de Charcot et Féré.

Ces observations nous permettent d'affirmer, que le plus

- souvent les accès d'amblyopie transitoire et de migraine res-

- tent pendant un temps assez long les seuls troubles nerveux

du malade, et c'est plus tard seulement que les attaques épi-

leptiques se substituent ou alternent avec la migraine ophtal-

mique : on rencontre rarement la succession immédiate ou la

coexistence de l'accès d'amblyopie transitoire avec les atta-

ques convulsives.

Une de ces observations, dans laquelle une simple migraine

périodique avait ouvert la série des troubles nerveux, est re-

marquable. Plus tard, il survint l'épilepsie partielle, ensuite

l'épilepsie généralisée, et après l'amélioration de cette der-

nière (par suite du traitement et de l'âge) le scotôme scintil-

lant se déclara.

Parmi les observations de Féré et de Raullet, il y en a de

très intéressantes, qui démontrent soit la substitution des

attaques de migraine ophtalmique et d'épilepsie partielle à

l'épilepsie complète, soit le développement parallèle de ces

troubles à un point tel, qu'il serait presque impossible de

séparer le syndrôme de l'amblyopie transitoire, de la migraine

et des attaques épileptiques.

Enfin, la nature épileptique du trouble visuel nous parait

évidente dans l'observation qui suit. Nous la devons encore à

M. Parinaud, et elle démontre aussi une forme rare de l'am-

blyopie transitoire. ,

M. Haz... (Eug.), vingt-neuf ans.- Souffre de crises d'amblyopie

transitoire depuis l'âge de dix-sept ans.-Le trouble visuel se déclare

subitement, comme un rideau, dit le malade, qui tombe devant ses

yeux et les rend complètement et immédiatement aveugles. Jamais

de pholesthésie ou de scintillement. La durée de l'amaurose est très

L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 221

variable, de quelques minutes à plusieurs heures. Parfois il a eu des

crises subentrantes. Il lui est arrivé de se réveiller le matin pendant

une crise, étant aveugle. L'amaurose disparait comme elle est

venue, tout d'un coup, mais la vue reste un peu confuse pendant

une demi-heure environ. Pendant la crise les paupières clignotent

constamment, il y a des contractions cloniques des muscles de la

face, qui est pâle. Le malade ne perd pas connaissance et n'éprouve

pas de vertige : une seule fois, à l'âge de onze ans, il lui arriva de

perdre conscience et de se mordre la langue. Pas d'incontinence

d'urine la nuit. '

Les crises sont très irrégulières. Il reste parfois six mois sans en

avoir, parfois il en a plusieurs par semaine et même par jour.

Le retour des crises peut affecter une grande régularité périodique.

Un camarade qui l'accompagne, nous confirme que pendant les

crises ilpàlit, mais il conserve toute sa lucidité d'esprit.

Un jour on le conduit à la clinique pendant sa crise, qui s'était

déclarée vers une heure de l'après-midi. Vers deux heures il

entre étant parfaitement aveugle, mais quelques minutes après il

se frotte les yeux et la vue revient. A ce moment l'ophtalmoscope

ne montre rien d'anormal au fond des yeux, si ce n'est une légère

teinte rose des papilles.

Le champ visuel est un peu rétréci (70° du côté externe). Le ma-

lade distingue confusément les couleurs, mais. sa dischromatopsie

n'a pas de caractères tranchés : c'est le bleu, le violet et le rouge

qui sont le plus mal distingués, tandis que le vert est mieux reconnu;

le jaune est également mal distingué. Souvent le malade désigne

les couleurs par leurs complémentaires. Il y a un peu d'hypermé-

tropie, avec une acuité sensiblement normale (0 D z 1 ; 0 G +

1,5 et V. - 7 des deux côtés).. ,

Le lendemain le malade a encore une crise. Il s'est réveillé étant z

aveugle, et seulement au bout de quelques minutes la vue revient.

Une autre crise encore au bout de quatre jours, le matin ; et la

cécité complète (le malade ne distingue pas. le jour de la nuit),,

dure cette fois pendant neuf heures. Lorsque la vue revient, elle est

trouble, les objets environnants ontl'airde se mouvoir, les couleurs

ne sont pas distinguées. Seulement au bout d'une demi-heure la

vue et la perception des couleurs se rétablissent tout à fait.

Pas d'antécédents ou d'autres stigmates nerveux, si ce n'est le

caractère assez emporté du sujet.

5. Les rapports entre (amblyopie transitoire et le tabès se- ,

raient démontrés par une observation de Féré, où les phéno-

mènes tabétiques se déclarèrent à l'âge de trente-six ans après

de longues attaques de migraine ophtalmique et d'épilepsie

222. CLINIQUE NERVEUSE.

partielle ou complète. En outre, Raullet rapporte deux obser-

vations recueillies dans le service de M. Charcot, dans les-

quelles les attaques d'amblyopie transitoire figurent parmi les

accidents prodromiques de l'ataxie locomotrice, et d'autres

cas analogues ont été signalés par Duchenne

6. Rapports entre l'amblyopie transitoire, l'épilepsie partielle

et la paralysie générale progressive. a). Ces rapports sont

signalés pour la première fois dans une observation de

M. Parinaud (33). Pour les mettre bien en lumière, nous

nous servirons surtout de quelques observations cliniques, la

plupart inédites, recueillies à la Salpêtrière (épilepsie partielle

accompagnée d'amblyopie transitoire) et d'une note de M. Ma-

galhaës Lemos (47) sur l'épilepsie sensitive comme début de la

paralysie générale.

Sous le nom d'épilepsie partielle (sensitivo-sensorielle, ou

motrice, ou mixte) M. le professeur Charcot a indiqué le pre-

mier un trouble nerveux que nous devons rappeler ici en

quelques lignes. Dans sa manifestation la plus simple, le

trouble se présente par accès, qui surviennent à intervalles

plus ou moins longs, et consistent en une sensation parti-

culière de fourmillement et d'engourdissement limités à une

partie du corps. Sous l'influence d'une impression psychique

(émotion morale) ou physique (comme le froid, par exemple),

ou habituellement sans cause appréciable, une des mains du

sujet est prise d'un engourdissement qui monte dans le bras,

envahit partiellement la face jusqu'à la commissure labiale,

ainsi que la moitié correspondante de la langue, et enfin se

propage à la jambe du même côté.

Cette forme est la forme brachiale, mais si le trouble débute

dans la face pour envahir ensuite le bras et la jambe, nous

aurons la forme faciale, et s'il commence par le pied et

monte dans le membre inférieur, puis dans le bras et dans la

face, ce sera la forme crurale.

Ces trois formes d'épilepsie partielle sensitive répètent les

trois formes classiques de l'épilepsie partielle motrice (épi-

lepsie corticale, jacksonienne).

En outre, le trouble sensitif peut être limité à un membre

seulement, sans envahir la moitié du corps tout entière, et il

peut souvent s'associer à des troubles moteurs (formes mixtes

sensitivo-motrices) ou à des troubles sensoriels et psychiques

(épilepsie partielle sensitivo-sensorielle).

L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 221J

Nous n'avons pas à nous occuper des complications motrices

de l'épilepsie partielle et des formes de transition avec l'épi-

lepsie complète (petit mal et grand mal). Quant aux troubles

psychiques, ce sont les mêmes que ceux qui accompagnent

souvent les attaques mieux caractérisées d'amblyopie transi-

toire, c'est-à-dire la fatigue de l'intelligence, l'aphasie, etc...

L'inconscience n'est pas un symptôme constant, et il semble

même qu'elle soit moins fréquente, dans l'épilepsie partielle,

sensitive ou sensitivo-sensorielle. Dans cette dernière forme,

les symptômes sensoriels sont justement les troubles de la

vue qui nous occupent, et que les observations suivantes vont

démontrer'.

Observation 1. - Migraine ophtalmique, accès d'épilepsie partielle

consécutive (forme mixte).

M. llfouch... (cinquante ans), consultation externe de la Salpê-

trière, février 1880. Accès de migraine ophtalmique depuis sa jeu-

nesse jusqu'en 187 époque à laquelle l'épilepsie partielle apparut :

les accès de migraine revenaient assez fréquemment (à peu près

tous les mois), étaient facilement,provoqués par des excès de dif-

férente nature ou par les changements d'habitude, et duraient de

douze à vingt-quatre heures. Ils étaient caractérisés par la douleur

au niveau de la région pariétale gauche, avec sensation de poids et

de chaleur, par la pâleur du visage, par une hémiopie transitoire

gauche, par le scintillement caractéristique à l'oeil gauche, suivi de

nausées sans vomissements. A la fin de l'accès, le malade raconte

avec une grande précision qu'il éprouvait dans le côté droit du

corps (la face et le bras), des fourmillements et comme une sensa-

tion de froid.

Quand je voyais arriver ces fourmillements, qui ne se produisaient

que dans des crises un peu forles, nous dit le malade, je savais

que c'était le prélude de la fin de l'attaque.

En 1871, première attaque d'épilepsie complète (chute avec

perte de connaissance) : depuis ce temps, les accès ont persisté. Au

début, ils revenaient tous les huit jours; puis, à la suite d'un trai-

tement, le malade est resté (il y a à peu près quatre ans de cela)

pendant une année sans avoir d'attaques; puis, les attaques sont t

revenues, et elles apparaissent maintenant tous les huit ou quinze

jours. Il sent un frémissement au bout des doigts de la main

gauche, et, comme il sait que c'est le signe précurseur de l'accès,

1 Je dois ces observations de la Salpêtrière à la grande obligeance de

M. le D' Charcot fils, et je m'empresse de lui en adresser ici tous mes

remerciements.

224 CLINIQUE NERVEUSE.

il se lève pour mieux y résister et en a toujours le temps. Presque

aussitôt après, les doigts de la main se contractent en flexion.

Tout peut se borner à cela (épilepsie partielle motrice), le malade

remue volontairement son membre comme pour en faire dispa-

raître complètement les crampes, et les choses en restent là. Mais,

d'autres fois elles vont plus loin; le membre supérieur tout entier

est pris de tremblement, puis la tête s'incline spasmodiquement

vers l'épaule droite, la bouche est tirée à droite, il s'ensuit parfois

la perte de connaissance, la convulsion des yeux, la généralisation

des mouvements convulsifs, la morsure de la langue. '

Les attaques avec perte de connaissance sont plus fréquentes que

les autres. Après les attaques, mélancolie, plears, idées de suicide.

Le malade ne saurait pas préciser, en ce qui concerne le scotôme

dans le début des attaques d'épilepsie partielle; il se rappelle bien

des crises d'amblyopie transitoire dans l'intervalle de ses attaques,

et il ajoute que parfois le scotôme a été pour lui l'annonce d'une

attaque.

Le malade nous dit, le 6 mai 1880, que depuis lé mois de février,

à la suite du traitement subi, il n'a eu qu'une seule attaque épilep-

tique avec perte de connaissance et pas de migraine. Du reste il

remarque, que les migraines ont beaucoup diminué et presque dis-

paru depuis l'apparition de ces accès d'épilepsie partielle.

Le 4 juin, il nous confirme que les véritables crises de migraine

ophtalmique ne sont pas revenues, il lui semble seulement avoir

un léger brouillard, presque en auréole, devant son oeil gauche.

Pendant plus d'un an, le malade revint de temps en temps à la

consultation. En résumé, on peut dire que les attaques épileptiques

complètes ont été très rares, les accès d'épilepsie partielle un peu

plus fréquents, et, dans les intervalles, les crises de migraine ophtal-.

mique se sont présentées avec leur ancien caractère (maux de tête,

scotômes, scintillement monolatéral) ou quelquefois un peu moins

fortes. Accuse toujours faiblesse et trouble de la vue dans l'oeil

gauche. ' '

i

Observation Il. Scotôme scintillant rudimentaire et migraines :

attaques d'épilepsie partielle et d'épilepsie sensorielle.

M. Ger..., vingt-trois ans (consultation externe de la Salpê-

trière, 6 avril 1886). '

En 1878, premières attaques d'épilepsie partielle, qui se renouve-

laient trois ou quatre fois par jour. Entré à l'hôpital Tenon, après

un traitement de cinq mois et demi amélioration jusqu'à la gué-'

rison presque complète. " 1

Il y a peu de temps la maladie a reparu subitement. Deux .

sortes d'attaques : dans les plus légères il n'y a pas de perte de

connaissance; dans les plus fortes, survenantpour la plupart pen-'

L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 225

dant la nuit, il perd connaissance ; les attaques ne sont pas précé-

dées de céphalée et commencent toujours par la jambe droite qui

se fléchit sur la cuisse, peu d'instants après le bras droit s'étend

et les doigts se raidissent, restant immobiles et écartés les uns des'

autres. On a dit au malade que pendant quelques-unes des crises,

avec perte de connaissance, il tordait la bouche à droite.

Parfois il est tombé se blessant à la figure, d'autres fois encore il

a uriné involontairement et s'est mordu la langue. .

La durée de ces crises est d'une minute environ; une minute

après le regard reste fixe, et le malade dit qu'à ce moment il com-

prend parfaitement ce qu'on lui dit, mais qu'il ne pourrait pas ré-

pondre. ,

Pendant cet espace de temps la jambe droite est comme paralysée,

puisqu'il ne peut la remuer, tandis que le bras droit recouvre immé-

diatement sa motilité normale. ,

- A la suite des attaques il ressent pendant plusieurs heures

encore une céphalée violente. Il dit aussi, qu'il a des visions de

lumières très vives, ou de points etde lignes très brillants ; quelque-

fois pendant cette migraine, d'autres fois sans aucun rapport avec

la crise épileptique. '.

OBSERVATION. 111. Epdepsie partielle anormale et migraine

' ophtalmique. - -

M. Len..., trente ans. (Consultation externe de la Salpêtrière,

16'août 1881.) , -- ' '

A fait pendant son enfance une chute sur la tête; il y a vingt

ans a reçu un coup de pierre sur le crâne, dont la cicatrice est

visible à gauche. Pendant dix-sept ans, aucun symptôme. Il y, à

environ trois ans, névralgie périodique frontale très intense (tous

les jours à neuf heures du matin). Peu de temps après (vers le

mois de juillet 1878), première attaque d'épilepsie partielle au bras,

droit, qui fut subitement atteint de petites secousses (épilepsie par-

tielle motrice).. ,

A présent il a en outre des accès convulsifs complets, débutant

toujours par le bras droit et se généralisant ensuite à tout le corps.

Pas d'aura à ses accès : la compression de la main au début des

convulsions du membre peut seulement suspendre pendant quel-

ques minutes lesaccès,mais non les arrêter. Le malade tombe sur

le côté gauche, la crise dure une dizaine de minutes. Les petits

accès d'épilepsie partielle, c'est-à-dire les simples secousses convuç ;,

sives au bras droit, le prennent tous les jours. ' ', ..

* Après un an (consultation du 11 août 1882), l'on constate, 'avec

l'amélioration de l'épilepsie (accès plus légers et de plus en plus

espacés), des accès de scotôme scintillant. , : . :

, Le malade dit que ces crises d'amblyopie transitoire non accoru

ARCHIVES, t. XXIV. 15

226 CLINIQUE NERVEUSE.

pagnées de migraines, mais suivies de phosphènes scintillants, sont

' un peu plus fréquentes que les accès convulsifs, ne les accom-

pagnent jamais, et ne les précèdent pas immédiatement non plus.

Observation IV. Epilepsie partielle typique, suivie d'épilepsie

essentielle, migraine, et scotôme scintillant rudimentaire.

Mlle Br..., dix-huit ans. (Consultation externe de la Salpêtrière;

4 janvier 1881.)

Rien durant son enfance. Première attaque d'épilepsie partielle

à la seconde époque de ses règles. La malade levait son bras tout

droit, la tête était tournée à droite, pas de cris, pas de perte de

connaissance, pas de chute. - Dans ces derniers temps, les attaques

sont devenues plus fréquentes (parfois tous les deux ou trois jours)

et plus complètes; aura motrice, c'est-à-dire quelques mouvements

automatiques, comme pour rajuster ses vêtements, etc., puis, con-

vulsions, chute sur le côté droit, perte de connaissance, morsure

de la langue, quelquefois miction involontaire, sensations parti-

culières au creux épigastrique, comme chez les gens à petit mal.

Après les attaques, lorsqu'elle se levait, embarras de la parole.

Les accès épileptiques sont souvent accompagnés de céphalalgie

bilatérale. Quelquefois la migraine est suivie de la vision de

flammes fugitives ou de cercles de feu devant les deux yeux.

Observation V. Migraine ophtalmique et épilepsie partielle.

Mroe Berm..., vingt ans. (Consultation externe de la Salpêtrière

11 janvier 1886.)

Grand-père et grand'mère maternels, mère et un oncle maternel

migraineux; une tante paternelle hystérique.

Il y a deux ans commencèrent de fortes migraines, dont la malade

diminua beaucoup l'intensité grâce aux bromures. Ayant

cessé ce traitement pendant quelque temps, les accès sont revenus

depuis deux mois avec leur intensité première. Les attaques sur-

viennent à peu près deux fois par semaine et semblent être plus

fortes lorsqu'elles précèdent de quelques jours les règles.

La malade dit, que devant son oeil gauche se place comme

l'ombre d'une tête (scotôme presque circulaire) qui peu de temps

après devient lumineuse, irisée en vert, jaune et bleu, ensuite

cette ombre grandit un peu, semble tourner et, tout en tournant,

s'évanouit. En même temps la malade a remarqué que quelquefois

elle ne pouvait distinguer les objets que d'un seul côté (hémiopie),

à droite. Le scotôme ayant duré à peu près deux minutes, est suivi

d'une douleur que la malade place à la partie frontale sus-orbitaire

gauche. Jamais de véritable migraine, ni douleur du côté droit

La névralgie sus-orbitaire dure quelquefois à peine cinq minutes,

l'amblyopie transitoire. 227

d'autres fois une heure, et oblige alors la malade de se mettre au

lit pour prendre un court sommeil qui lui rend le bien-être.

Parfois des fourmillements dans le pied gauche succèdent à l'at-

taque (épilepsie partielle sensitive),mais pas pendant toute sa durée.

Rien ne l'avertit de l'accès qui va la saisir; ni malaise général,

ni inappétence, ni nausées.

Quand les accès sont très forts, c'est-à-dire lorsque le scotôme

dure plus longtemps et que la névralgie est plus intense, elle perd

quelquefois connaissance.

Pendant cette perte de connaissance, qui ne dure pas plus d'une

ou deux minutes, la mère de la malade dit que cette dernière se

raidit un peu sans avoir de véritables convulsions dansles membres,

ni déviation de la bouche, ni écume aux lèvres; une seule fois, il

y a deux mois, elle aurait uriné involontairement pendant la crise.

Avant la perte de connaissance, elle a le temps de se mettre à l'a-

bri d'une chute; quelquefois la tête se serait tournée lentement à

gauche, elle se serait mordu la langue. Quand elle revient à elle, il

subsiste encore quelques troubles dans la vue, mais tout disparaît

bientôt et elle est tout à fait bien, comme d'ordinaire.

Observation VI. Amblyopie temporaire simple, Epilepsie

partielle.

M. Gros..., trente-huit ans. (Consultation particulière de M. Javal,

Il février 1892.)

Aucun antécédent héréditaire ni personnel. Conditions de santé

parfaites, léger abus de boissons. Emmétropie et acuité visuelle

normale aux deux yeux. Depuis environ trois ans, accès d'engour-

dissement et sensation de froid et d'impuissance motrice au pied

et à la jambe du côté droit.

Dans ces derniers temps, il dit que ces accès d'épilepsie partielle

sont revenus tous les huit ou quinze jours à peu près, et ont eu une

durée de deux à trois minutes, rarement plus. Les attaques d'am-

blyopie temporaire, au début très rudimentaires, ont commencé

avant l'épilepsie sensitive, c'est-à-dire il y a cinq ans. Il les avait

seulement du côté droit, sous forme d'un petit scotôme, placé un

peu en bas et à droite de l'objet qu'il fixait avec son oeil droit.

Jamais de véritables migraines, mais très souvent une sensation

de pesanteur à la tête, fatigue de l'intelligence, surtout dans les

journées d'biver les plus froides et quelquefois pendant plusieurs

jours de suite, et à des périodes très rapprochées.

Il y a à peu près un mois, en sortant un matin dans la campagne

«ouverte de neige, l'attaque d'amblyopie le saisit en même temps

que l'engourdissement du membre inférieur droit; il dit que la

partie inférieure et droite du champ visuel des deux yeux (même

228 clinique NERVEUSE

en les fermant l'un ou l'autre) lui semblait envahie par une espèce

de brouillard ou de fumée. Au bout de quelques minules tout

trouble disparut, et jusqu'à présent aucune attaque ne s'est repré-

sentée. Examen ophtalmoscopique tout à fait négatif. '

En résumé, on peut dire que souvent les accès d'épilepsie

partielle sont accompagnés d'amblyopie transitoire; soit à

forme de scotome scintillant, soit de véritable migraine ophtal-

mique ou de simple obscurcissement partiel (hémiopie, ou

autre, du champ visuel. Il est plus facile aujourd'hui, à cause

de ces rapports, de rechercher l'épilepsie sensitive, pour en

compléter l'étude, comme espèce pathologique distincte, chez

les malades de migraine ophtalmique; cette dernière consti-

tuant un syndrome bien évident, et pour lequel les sujets

viennent bien plus souvent à la consultation.

Les accès d'amblyopie transitoire précèdent dans la plupart

des cas, et même de plusieurs années, les accès d'épilepsie par-

tielle.

Cependant, quelques observations démontrent que l'amblyo-

pie transitoire peut commencer en même temps que l'épilepsie

partielle, et que les deux sortes de crises peuvent s'alterner.

Dans l'Observation V ci-dessus, la. malade, qui héritait du

tempérament nerveux de sa mère, et dont presque toute la

famille était migraineuse, aurait pour ainsi dire condensé les

troubles corticaux, de façon à avoir amblyopie transitoire et

l'épilepsie partielle en même temps. Déplus, puisque l'épilepsie

partielle s'ajoutait aux accès d'amblyopie transitoire (d'ordi-

naire accompagnés seulement par la migraine), quand ces

crises étaient plus violentes, on était porté de croire que les

troubles corticaux se répandaient, pour ainsi dire, de l'éco2,ce

visuelle vers l'écorce motrice.

b). 11 résulte des observations de M. Charcot que l'épilepsie

sensitive (accompagnée très souvent par l'amblyopie transi-

toire) peut se présenter comme une maladie distincte, évoluant

pour son propre compte; mais qu'on peut aussi la regarder

comme une manifestation symptomatique de la paralysie

générale, peut-être même d'autres maladies.

Les rapports entre l'épilepsie partielle et la paralysie géné-

rale ont été mis en lumière par un certain nombre de cas

publiés jusqu'à présent, et entre autres par deux observations

cliniques très démonstratives deM.Lemos(47).Dans la seconde

l'amblyopie transitoire. 229

de ces deux observations, le sujet avait été migraineux dans sa

jeunesse, les attaques d'épilepsie partielle étaient accompa-

gnées d'amblyopie transitoire, et, au bout d'environ trois ans,

la paralysie générale était nettement déclarée.

J'ai pu observer, grâce à l'obligeance de M. Charcot fils, un

cas tout à fait analogue dans le service de M. Brissaud à Saint-

Antoine.

Il s'agissait d'un homme âgé de quarante ans, très robuste. Rien

d'important dans les antécédents héréditaires et personnels.

Vers la fin de novembre 1891 (trois mois avant qu'il ne vint à la

consultation), il eut sa première attaque d'épilepsie partielle. Il se

trouvait un jour de gelée sur un échafaudage, sans souliers, et

ressentit tout à coup un engourdissement de la main gauche ;

cette sensation pénible gagna bientôt le bras, l'épaule, puis le

membre inférieur, du même côté.

Le malade ne perdit pas connaissance, il put descendre pour

aller se chauffer, et après huit à dix minutes l'engourdissement

avait complètement disparu. '

Depuis cette époque, et toujours au milieu de son travail, les

mêmes phénomènes ont reparu quatre ou cinq fois, toujours pro-

voqués par le froid et l'obligeant chaque fois d'abandonner ses

outils pendant cinq à six minutes. Actuellement le syndrome de

- la paralysie progressive commence à se déclarer. La gêne de la pa-

- rôle est caractéristique, après une conversation prolongée elle

. augmente, et les lèvres paraissent animées de légers mouvements

fibrillaires. La langue, même renfermée dans la bouche, est agitée

de trémulations, qui augmentent lorsqu'il la tire au dehors. Il n'y

a pas de réflexe pharyugien, les réflexes sont légèrement augmen-

tés, surtout à gauche, et la sensibilité parait amoindrie du côté

droit. Les pupilles sont inégales; la gauche, bien plus petite, réagit

encore plus leniement que la droite à l'impression lumineuse. Lé-

gères modifications du caractère moral (impatience, contentement).

Enfin, M. Marie a fait ressortir dans sa thèse (44) les troubles

oculaires chez les paralytiques généraux (trois cents cas). Il a

trouvé que ces troubles sont d'autant plus importants, qu'ils

peuvent précéder de plusieurs années l'éclosion complète de la

maladie. Ces phénomènes précoces ont justement pour carac-

tères d'être le plus souvent fugaces et incomplets.

Dans ce cas, il a noté amaurose transitoire; dans un autre

cas le scotôme central transitoire, sous forme de véritables accès

de migraine ophtalmique, datait dej'enfance. Deux fois de vé-

ritables crises d'épilepsie sensitivo-sensorielle avaient précédé.

Ce fait, que l'épilepsie sensitive puisse ouvrir le syndrome

230 . CLINIQUE NERVEUSE.

de la paralysie générale, et, non comme une simple coïnci-

dence morbide, mais par suite de corrélation intime établie

par le substratum- anatomique de cette maladie, nous fait

ressortir davantage l'intérêt pratique qui peut s'attacher au

syndrome de l'amblyopie transitoire, surtout lorsqu'elle s'ac-

compagne de troubles sensitifs, moteurs ou psychiques.

Il s'agit de dépister à son début l'existence d'une maladie

grave, dans les cas où, ni la syphilis (qui peut produire l'épi-

lepsie partielle), ni l'âge du malade (l'épilepsie essentielle ne

commence habituellement pas chez les adultes), ni les attaques

d'une épilepsie bien complète (avec laquelle l'épilepsie par-

tielle peut se combiner), ne nous rendraient compte des

attaques d'épilepsie sensitivo-sensorielle accompagnée de légers

troubles moteurs et plus souvent encore d'amblyopie transi-

toire. Dans ces cas donc, l'amblyopie transitoire ou migraine

ophtalmique aurait une signification bien différente de celle

d'une simple et pure névrose, et le pronostic devrait être au

moins bien plus réservé qu'à l'ordinaire.

Enfin, ces rapports nous permettent de reconnaître à coup

sur la base physiopathologique sur laquelle repose l'amblyopie

transitoire. Nous savons, en effet, que le substratum anato-

mique de la paralysie générale est une encéphalite intersti-

tielle diffuse, siégeant de préférence dans l'écorce cérébrale.

Or, les localisations différentes de cette lésion, au début de la

maladie, peuvent nous rendre compte des différents syn-

drômes (épilepsie partielle sensitive ou motrice, amblyopie

transitoire, aphasie, etc...), avec lesquels la paralysie générale

peut se combiner.

- Etant donnée la loi, que les différentes régions de l'écorce

réagissent toujours, dans le domaine pathologique, par des

symptômes qui émanent de leurs aptitudes physiologiques spé-

ciales, la connexion de ces troubles nous démontre que la

cause de l'amblyopie transitoire siège dans les centres visuels

du cortex cérébral, non pas le long des. voies qui rattachent

ces centres aux organes périphériques de la vision, et encore

moins à la périphérie (rétine). Nos connaissances sur la topo-

graphie du cortex sont bien loin d'être complètes; nous savons

bien que les circonvolutions sensitives siègent dans la partie

postérieufe du cerveau, et puisque un précieux point de repère

dans cette région de l'écorce est constitué par les centres

visuels, peut-être l'étude approfondie de la connexion des phé-

APHASIE MOTRICE PURE AVEC LÉSION CIRCONSCRITE. 31

nomènes morbides dans l'épilepsie partielle, accompagnée

d'amblyopie transitoire, nous aiderait-elle à déterminer la topo-

graphie des différents centres cortico-sensitifs. (A suivre )

RECUEIL DE FAITS

APHASIE MOTRICE PURE AVEC LESION CIRCONSCRITE;

Par 111AI. GicneaT BALLET, professeur agrégé à la Faculté de médecine,

médecin de l'hôpital Saint-Antoine, et EMILE BOIX, interne des hôpi-

taux. -

Il n'y a pas encore assez longtemps qu'est clos le débat sur

la légitimité des localisations cérébrales pour qu'une observa-

tion bien nette, bien précise, offrant toutes les apparences de

rigueur désirable, puisse être passée sous silence. Pour ce qui

est en particulier de l'aphasie dans le sens le plus strict du

mot, l'aphém : é de Broca, l'aphasie motrice de M. Charcot, il est

.bon de rappeler que sa localisation exclusive dans le pied de

la troisième circonvolution frontale a rencontré d'acharnés

adversaires non seulement il y a trente ans, alors que Broca

réunissait ses vingt observations célèbres, mais encore de nos

jours où certains auteurs tentaient naguère d'introniser une

localisation rivale, le lobule de l'insula.

Certes une observation semblable à celle qu'on va lire eût

été mieux à sa place en 1865 ' qu'en 1892, car Broca n'en eut

à son service qu'une seule de ce genre; mais depuis cette

époque les cas d'aphasie motrice pure et isolée, sans partici-

pation à la paralysie des membres ni de la face, ont été fort

rares. Bernard ne cite comme telles dans sa thèse 2, avec la

seconde observation de Broca, que celles de MM. Jaccoud et

Dieulafoy-1, de M. Perrier4, de M. Ange Dilvall, dans les-

1 Discussion à l'Académie de médecine. ! Bernard. De l'aphasie et de ses diverses formes . Th. de Paris, 1885;

.2° édition, 1889.

3 Jaccouds et Dienlafoy. Gazette hebd., 1867, p. 229. ,

Perrier. -7 But. soc. antll1'op., t. -V, p. 363.

° A. Duval. Bail. société de chirurgie, 1861, 2° édition, t. V, p 53.

232 RECUEIL DE FAITS.

quelles l'autopsie a été pratiquée. M. Féré, dans la deuxième

'édition de cette thèse, n'en rapporte aucun cas nouveau, et

nous n'en avons rencontré aucun autre depuis 1885 dans la

littérature médicale. Tous les cas d'aphasie motrice pure, re-

latés ces dernières années, étaient accompagnés de paralysie

des membres et de la face avec lésions correspondantes de

l'hémisphère gauche 1.

Cependant il faut rappeler que M. le professeur Charcot dit

avoir vu plusieurs fois l'oblitération de la seule artère frontale

extérieure et antérieure produire un ramollissement limité au

seul territoire de la troisième frontale, et plus explicitement

à sa partie postérieure. Il donne à l'appui un fait concluant.

«Il concerne, dit-il, une femme nommée Farnier, observée à la

Salpétrière dans mon service. Elle avait été frappée d'aphasie.

Il n'avait existé aucune trace de paralysie soit du mouvement,

soit de la sensibilité. L'aphasie, dans ce cas, était le symptôme

unique et l'atrophie de la troisième circonvolution a été aussi

la seule lésion correspondante révélée par l'autopsie. » Une

figure très démonstrative accompagne ce récit. Ce cas est

pourtant moins pur que le nôtre, car M. Bourneville qui publie

en détail l'observation dans le Progrès médical3 signale un

autre foyer de ramollissement également ancien, sur le même

hémisphère gauche (au niveau de la circonvolution sphé-

noïdale située immédiatement au-dessous de l'angle de

réflexion de la circonvolution d'enceinte de la scissure de

Sylvius) foyer de 2 centimètres de longueur.

Observation. Cardiopathie rhumatismale. Embolie cérébrale.

Aphasie motrice pure et isolée. Foyer très circonscrit de ra-

mollissement sur le pied de la circonvolution de Broca.

merl... (Yves-Pierre), originaire des Côtes-du-Nord, est âgé de

quarante-trois ans. Son père est mort à soixante-dix-neuf ans.

Sa mère est encore vivante. Il a un frère sourd-muet, un autre

' bien portant, une soeur morte de la poitrine.

. Depuis l'âge de dix ans, il a eu quatre attaques de rhumatisme

aigu : la première à dix ans, dura deux mois-; la deuxième à seize

1 Nous n'avons pu nous procurer l'article suivant : Thomas. Tow

cases of traumatie aphæmia p7*oviiig the importance ol Broca's convolution

as the of speech. Indian med. Rec., Calcutta, 1892, III, p. 80, : Charcot. -Leçons sur les localisations 1876-80, p. 69.

3 Bourneville. Progrès médical, 1874, n" 20 et 21.

APHASIE MOTRICE PURE AVEC LÉSION CIRCONSCRITE. 233

ans, fut plus courte; la troisième à vingt et un ans, à Valparaiso,

pendant qu'il était marin ; cette attaque très intense, dura deux

mois; les accidents cardiaques commencèrent; sans doute, il y

eut endopéricardite (le médecin parlait de cuir neuf). Depuis cette

époque le malade avait des palpitations à l'occasion des grands

efforts et des fatigues. La quatrième attaque, à trente-quatre ans, en

1884, pendant la convalescence d'une bronchite, eut deux mois de

durée.

- Depuis cette époque, nombre de petites attaques moins fortes

que les précédentes, mais entraînant cependant la cessation du

travail pendant quelques jours et nécessitant l'emploi du salicylate

de soude. A plusieurs reprises, également, poussées d'endopé-

ricardite améliorées par la digitale et les révulsifs locaux. Cepen-

dant à part quelques palpitations, le malade travaillait facilement

et portait des ballots de 50 à 60 kilogrammes aux deuxième et

troisième étages. Quelquefois le soir, il constatait un léger gon-

flement des malléoles. Pas d'accidents syphilitiques avoués ni

constatés.

Le 8 août 1891, Kerl..., couché dans son lit, lisait le journal,

quand brusquement il s'aperçut qu'il ne comprenait plus ce qui

était imprimé : « pas plus, dit-il, que si c'eût été du russe ». En

même temps céphalalgie intense. Il essaya alors de s'endormir,

mais il ne put y arriver et même il eut du délire, voulant se lever,

criant fort, etc. Le lendemain le malade comprenait tout ce qu'on

lui disait, voulait répondre, mais ne trouvait pas le mot. Quelque-

fois il disait un mot pour un autre et s'apercevait de suite de son

erreur, mais il ne pouvait la rectifier; il demandait une table pour

un verre et se désespérait quand on ne le comprenait pas.

Pas de paralysie, pas de convulsions, pas de perte de connais-

sance. Mémoire très affaiblie. Affaiblissement cérébral et

général très accentué. Insomnie; il ne dormait qu'une ou deux

heures sans cauchemar. Anorexie et dégoût des aliments. Le ma-

lade passe quinze jours au lit; il est traité d'abord par des bains de

pied sinapisés, des compresses glacées sur la tête, des purgatifs, un

peu plus tard par l'iodure de potassium.

La cécité verbale disparait après peu de temps, mais l'aphasie

motrice ne commence à s'amender qu'au bout de cette quinzaine.

La céphalalgie, quoique moins intense, est capricieuse, augmen-

tant, diminuant ou disparaissant brusquement.

Nous voyons le malade pour la première fais le 29 septembre 1891, J

un mois et demi après le début des accidents.

Pas de surdité verbale appréciable; pas de cécité verbale.

Aphasie motrice modérée, mais cependant très nette. Le malade

hésite pour trouver les noms d'objets vulgaires comme clef, crayon;

il y arrive cependant, mais ne peut trouver le nom d'un encrier.

Les images auditives n'actionnentpas le centre moteur; exemple,

234 RECUEIL DE FAITS.

le malade ne dit pas spontanément encrier et il ne répéte guère

plus aisément le mot lorsqu'on le lui dit..

Le centre visuel actionne au contraire nettement le centre mo-

teur ; quand on lui fait lire le mot encrier, le malade le dit parfai-

tement.

Quant à l'agraplie, il est difficile d'en juger car le malade sait

à peine écrire. Cependant il signe son nom sans plus de difficulté

que d'habitude,

Il semblerait qu'il y ait un peu de paralysie faciale à droite ; le

sillon naso-labial gauche est beaucoup plus relevé. Mais la femme

du malade prétend avoir toujours vu ainsi la face de son mari ;

celui-ci approuve le dire de sa femme et déclare que c'est de nais-

sance.

Le diagnostic s'impose d'aphasie motrice incomplète par lésion

du pied de la troisième frontale. Nous dessinons un schéma topo-

graphique qui est consigné dans le dossier. En l'absence de

syphilis avérée nousincriminons une embolie rhumatismale, mais

par mesure de précaution nous prescrivons le traitement spécifique

mixte, frictions mercurielles et iodure de potassium.

Le 7 novembre 1891, le malade revient nous voir : son état est

stationnaire.

Le 17 février 1892, Kerl..., entre à l'hôpital Saint-Antoine, salle

Broussais, pour des accidents cardio-pulmonaires qui ont débuté

il y a six semaines. Il a encore un degré d'aphasie assez marquée;

quand on le fait parler, on le voit quelquefois s'arrêter brusque-

ment pour chercher un mot qu'il trouve très difficilement et que

souvent il ne peut arriver à trouver.. Pas de paraphasie.

Depuis longtemps il peut lire aussi bien qu'avant son accident.

Pas de troubles visuels. Pas de troubles de la sensibilité.

Pas de troubles moteurs. Réflexes normaux. L'aspect de la

face est le même qu'à la première visite. Il y a six semaines, il a été

pris brusquement d'un point décote, dyspnée intense; le lendemain

crachats sanglants d'abord rouges puis noirâtres.

- Depuis, la dyspnée a persisté s'accompagnant de palpitations et

de douleurs précordiales. On constate aux deux bases, surtout à

gauche, des râles crépitants nombreux, et quelques râles sibilants

dans le reste du poumon. Toux sèche fatigante.

La pointe du coeur bat dans le huitième espace et soulève éner-

giquement la paroi; les pulsations sont très fortement senties à la

main. Thrill dans la région de la pointe. Pas d'arythmie. A

l'auscultation souffle très fort en jet de vapeur, occupant toute la

systole et se prolongeant pendant le petit silence. Son maximum

est la pointe; il se prolonge vers l'aisselle et on l'entend nette-

ment systolique dans le dos. A la base le claquement des sygmoïdes

est très sourd.

Malgré cette auscultation nettement mitrale, le malade a le

APHASIE MOTRICE PURE AVEC LÉSION CIRCONSCRITE. 235

. faciès d'un aortique, teint décoloré, cireux, teinte anémique des

muqueuses; pas d'oedème, pas de cyanose des lèvres ni des extré-

mités. Le pouls est normal, régulier, plutôt un peu fort. Pas

de pouls veineux. Urines rares 350 à 500 grammes densité

moyenne 1018 Coloration rouge foncé. Pas d'albumine.

Le malade dit avoir beaucoup maigri depuis six mois. La force

musculaire est cependant conservée et égale des deux côtés (dynam.

56 à gauche, 61 à droite). Pas d'oedème. - Le sommeil est court,

trois à quatre heures par nuit, interrompu par le besoin de respirer.

- Jusqu'au 19 mars, amélioration progressive ; la dyspnée diminue.

la congestion pulmonaire est moins intense, le coeur est régulier,

le claquement des sygmoïdes devient plus net. L'appétit est revenu.

19 mars. Douleur pongitive dans le côté gauche, dyspnée

suffocante, insomnie, - l'urine diminue, albumine en abondance,

céphalée, oedème des jambes.

27. Les phénomènes se sont aggravés. Congestion des

deux poumons, subiclère des conjonctives.

29. L'oedème monte jusqu'aux aines, la dyspnée augmente, le

mal de tête est violent.

30. Kerl..., meurt subitement la nuit en se plaçant sur le

bassin. -

Autopsie. Cerveau. Artère basilaire non athéromateuse,

artère sylvienne gauche normale. ' ' .

Hémisphère gauche. Lorqu'on écarte le pied de la troisième

frontale de celui de la frontale ascendante, on constate au fond

du sillon un foyer jaune ocreux déprimé, ne dépassant pas comme

dimension un pièce de 0 fr. 20 centimes en argent. Aucune alté-

ration non seulement des autres circonvolutions, mais encore du

reste de la troisième frontale. (Voy. Pl. I, fig. 1.)

Hémisphère droite. Les circonvolutions de la zone motrice sont

intactes, mais en écartant les lèvres de la scissure de Sylvius, on

tombe sur un large foyer de ramollissement de 7 centimètres

environ de longueur. Il intéresse en bas toute la première circon-

volution temporale et la partie moyenne de la deuxième. En haut

il rase le pied des circonvolutions de ]'Insula. En arrière, il va jus-

que sur le pli de passage qui coiffe le fond de la scissure de Sylvius,

mais sans atteindre le lobule de l'Insula. La pie-mère est adhé-

rente à la substance cérébrale ramollie qui se laisse arracher avec

elle. (Voy. Pl. I, fig. 2.)

En profondeur, le ramollissement de l'hémisphère gauche est

tout à fait superficiel et n'intéresse exactement que la substance

grise. A une petite distance, dans la substance blanche, il n'y a pas

de corps granuleux. Le foyer de l'hémisphère droit entame

notablement la substance blanche sous-jacente. Aucune lésion

daus les noyaux gris de la base ni dans les ventricules.

236 ' RECUEIL DE FAITS.

Coeur. Adhérence péricardique totale coeur hypertrophié,,

ventricule gauche très volumineux. (Poids = 780 grammes.)-

Sur la valvule mitrale, végétations polypeuses, longues et très fra-

giles sur le bord libre de la grande valve. Sur la face auriculaire

de la petite valve, petite ulcération légèrement bourgeonnante.

Végétations sur le pilier postérieur. Une des valvules aortiques

présente au fond du nid de pigeon une plaque très dure qui n'ar-

rive pas jusqu'au bord libre de la valvule. Le grand sinus de

. l'aorte est très développé pas trace d'aortite. L'orifice de la

coronaire antérieure est très dilaté, mais ne présente aucune alté-

ration de souplesse; il est simplement très béant. Sur la valvule

tl'iw,pide, la valve de la cloison est un peu épaissie sur le bord

libre, mais ne présente aucune végétation. Le myocarde a une

coloration rose, très saine. L'épaisseur des parois du ventricule

gauche n'est pas excessive; elle mesure la millimètres à la partie

supérieure, et 7 millimètres seulement vers la pointe; mais le

ventricule dans son ensemble est très dilaté. La paroi ventri-

culaire droite est très amincie ; son épaisseur varie entre 3 et

5 millimètres.

La plèvre est adhérente dans sa presque totalité. Les poumons

sont simplement congestionnés. -Le foie, pesant 1,600 grammes

est un type de foie muscade. La rate est volumineuse. Poids

400 grammes. Les reins présentent des cicatrices d'infarctus

anciens. Le droit pèse 190 grammes, le gauche 220 grammes.

En résumé voici un cerveau dont les deux hémisphères

sont lésés, mais d'une façon bien inégale. A droite, vaste

foyer de ramollissement n'ayant amené pendant la vie d'autre

symptôme qu'un affaiblissement cérébral vague. A gauche, une

lésion d'étendue minime, strictement localisée au centre de

l'aphasie motrice de Broca et produisant une aphasie motrice

vraie, et rien que cela. Deux remarques sont intéressantes..

. La première est relative à la petite dimension de ce foyer de

ramollissement qui détermine une aphasie incomplète assez

durable. Assurément l'aphasie a été complète les premiers

jours, et on se l'explique fort bien par le trouble circulatoire

momentané qu'a produit l'embolus dans le territoire voisin de

ceux de l'artériole où il s'est arrêté; mais au bout d'une

quinzaine, tout ce qui était réparable a été réparé, et pendant

plusieurs mois le malade a été privé d'un très grand nombre

de vocables jusqu'à ce que la rééducation, imparfaite d'ail-

leurs, ait été obtenue; en somme pendant plusieurs mois aphasie

incomplète. -

Donc, le foyer que nous avons constaté ne mesure pas

APHASIE MOTRICE PURE AVEC LÉSION CIRCONSCRITE. 237.

l'étendue réelle du centre de l'aphasie motrice ; il serait

d'ailleurs téméraire de prétendre assigner à un centre cor-

tical des limites précises. Bien des neurologistes, sont portés

à considérer ces centres corticaux comme empiétant un peu

l'un sur l'autre, et comme représentant plutôt des centres

de plus grande intensité fonctionnelle. De sorte que pour

l'aphasie motrice par exemple, on ne se fait qu'une idée

très approximative de l'étendue que devrait avoir une lésion

sur le pied de la troisième frontale pour déterminer une

aphasie motrice complète et définitive. Ce qu'il faut retenir

ici, c'est qu'une lésion très circonscrite sur une partie du

pied de la circonvolution de Broca a donné lieu à une aphasie

incomplète, sans qu'il ait été possible de définir si cette part

d'aphasie portait plus particulièrement sur telle ou telle classe

de mots; il a semblé cependant que, l'ensemble de la phrase

étant conservée chez notre malade, c'étaient surtout les subs-

tantifs qui faisaient défaut.

La deuxième remarque a trait à la coïncidence de la cécité

verbale notée dans l'observation. Notre malade, en effet, au-'

rait d'abord été frappé de cécité verbale, en même temps que

d'aphasie motrice.

La réalité de ce symptôme surajouté ne saurait infirmer notre

titre d'aphasie motrice pure, car la cécité verbale a été passa-

gère ; elle n'existait plus après peu de temps, et nous en avons

constaté l'absence, quand nous avons vu pour la première fois

le malade, un mois et demi après l'accident. On sait que tout

ictus, c'est-à-dire tout processus brusque aboutissant à une

lésion cérébrale, si circonscrite qu'elle soit, détermine la sus-

pension momentanée d'une ou plusieurs des fonctions céré-

brales, dont les centres sont voisins du principal centre inté-

ressé. Peut-être aussi l'embolus, un instant arrêté dans le

tronc de la sylvienne, ne s'est-il définitivement localisé qu'un

peu plus tard dans une artériole dépendant de la frontale

externe et antérieure. Un autre mécanisme pourrait encore

être invoqué : c'est celui que, d'après Ferrier, l'un de nous a

rapporté dans sa thèse d'agrégation Ferrier' montre, en effet,

que l'aphasie de Broca peut entraîner à sa suite une difficulté

de la lecture. « Chez la plupart des individus, dit-il, on peut

' G. Ballet. Thèse d'agrégation, 1886.

' D. Ferrier. -'Les Fonctions du cerveau, p. 436. J

238 ' THÉRAPEUTIQUE.

observer une tendance, durant la lecture, à traduire les signes

écrits dans leurs articulations équivalentes. Moins l'individu a

reçu d'éducation, moins il lit, et plus cette tendance est ma-

nifeste ; et quelques personnes ne peuvent lire en comprenant

ce qu'elles lisent, sans refaire réellement toutes les opérations

articulatoires que représentent les caractères écrits. » Peut-être

est-ce le cas de notre malade, peu lettré, qui s'aperçoit tout à

coup qu'il ne peut plus lire le journal qu'il tient à la main.

Mais point n'est besoin dans le cas particulier, d'avoir recours

à cette explication. La première est plus rationnelle, puisque

celte prétendue cécité verbale a été passagère, et qu'il n'y a

aucune trace de lésion aux lieu et place où on localise la mé-

moire des images visuelles des mots, soit sur l'écorce, soit sur

le trajet des fibres du centre ovale qui en émanent.

Planche I.

Fig. 1. Foyer de ramollissement jaune, occupant le pied de la

troisième circonvolution frontale gauche.

Fig. 2. Foyer de ramollissement plus récent, de l'hémisphère droit.

THÉRAPEUTIQUE.

LES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES ET LEURS RELATIONS

AVEC LA THÉRAPEUTIQUE

Communication faite par David FERMER, le 26 février 1892.

Traduit de l'anglais par Jules DAuRiAc, interne des hôpitaux de Paris

(hospice de Bicêtre).

En m'adressant à vous, Messieurs, en cette circonstance, je désire

vous exprimer ma reconnaissance pour la distinction honorifique

qui m'a été conférée, en août dernier, par l'assemblée universi-

taire. Je dois, en second lieu, m'elforcer ici même de justifier votre

choix, par l'exposé de quelques considérations spéciales, tout en

remplissant une obligation que m'impose le prix Cameron.

Ce prix est, en effet, décerné aux travaux purement thérapeu-

tiques parus dans le cours de l'année et dont l'importance aura

été jugée suffisante.

DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. 239

' Tout récemment, les conditions du concours se sont élargies, et'

l'Université peut aujourd'hui récompenser d'autres travaux que'

ceux parus dans l'année, sans se limiter aux recherches pharma-

cologiques appliquées au traitement des maladies. Elle peut aussi

couronner les tentatives dont le but est de faire progresser l'art de

guérir en étendant le domaine de nos connaissances sur les fonc-

tions du corps humain, toutes choses qui permettront d'apporter

une précision plus grande dans le diagnostic des localisations et

la nature des maladies aussi bien médicales que chirurgicales que

nous avons à traiter.

Cette façon plus large et plus générale de comprendre le sens

de la fondation d'un prix de thérapeutique a permis d'inscrire sur

la liste des lauréats du prix Cameron, les noms de deux hommes

dont l'humanité s'honore : je veux parler de Pasteur et de Lister.

On peut dire que les recherches de ces deux hommes, belles en

elles-mêmes, ont eu sur la thérapeutique une influence bienfai-

sante beaucoup plus grande que n'en a jamais eu aucune décou-

verte faite en médecine à n'importe quelle époque.

Non seulement ils ont sauvé d'innombrables vies humaines ou

animales, et ajouté au bien-être de l'espèce humaine par des

moyens inconnus ou irréalisés jusqu'alors, mais ils ont encore

ouvert une voie féconde à la nouvelle pathologie et à la prophy-

laxie des maladies septiques et infectieuses.

De pareils résultats ont permis de dire à Burdon-Sanderson :

« Il n'est pas besoin d'un pouvoir prophétique pour prévoir que

nous sommes sur le seuil même de découvertes médicales telles,

qu'elles éclipseront par leur splendeur toutes celles qui les auront

précédées.» D (Croonian Lectures, 1891.)

Il n'est pas souvent donné d'assister à de pareilles révolutions

dans l'art de guérir. Les progrès en thérapeutique ont été jusqu'ici

plutôt le résultat d'une évolution amenée par la coopération de

facteurs divers.

Qui pourrait nous dire, en effet, à quelles observations ou expé-

rimentations particulières nous sommes redevables des méthodes

perfectionnées employées dans la médecine curative ou préventive,

et dont nous avons tiré gloire jusqu'à l'heure actuelle, malgré

leurs imperfections, en les comparant à celles des générations

précédentes Un progrès dans n'importe quel département de la

science, conduit fatalement à d'autres.

Toute vérité, quelque isolée et sans importance qu'elle puisse

paraître, trouve sa place dans la longue théorie triomphale des

connaissances scientifiques et prépare le terrain pour quelque

.grande généralisation destinée à rendre lumineuse et démons-

trative l'application de faits que n'avaient pas su prévoir eux-

mêmes, les auteurs de la découverte.

Rares sont les faits, dans l'histoire de la médecine, des progrès

240. THÉRAPEUTIQUE. ' -

des sciences et des arts, qui donnent la mesure immédiate de leur

valeur en fournissant d'emblée un moyen de rétablir la santé ou

de contribuer au bien-être du corps humain.

D'ailleurs, l'application utile de quelque nouvelle conquête dans

le domaine des connaissances humaines n'est pas une chose dont

le véritable savant doive se préoccuper tout d'abord. Son but est

de poursuivre la vérité pour sa propre satisfaction.

Il éprouvera un suprême plaisir à voir fructifier les secrets pré-

cieux que la nature a bien voulu dévoiler à ses louables sollicita-

tions. Il sait que la plaie la plus profonde dont. souffre l'humanité,

lui vient de son ignorance. Nous sommes écrasés par les forces de

la nature, décimés par les épidémies, et c'est en vain que nous

essayons de combattre, d'écarter ou de prévenir ces maux par les

moyens imparfaits dont nous disposons. :

De nouvelles acquisitions scientifiques nous confèrent de nou-

velles armes, et chacune d'elles en s'additionnant aux autres, peut,

au bout d'un certain temps, nous mettre à même de tenir tête plus

avantageusement aux calamités et aux dangers qui nous envi-

ronnent.

Et cependant, de divers côtés, on essaie à l'heure actuelle de

tentatives de dépréciation. Voyez combien sont timides les éloges

qu'on accorde aux nouvelles investigations bactériologiques dont

ont fait l'objet l'influenza et autres maladies épidémiques, parce

qu'elles n'ont pas encore donné de résultats thérapeutiques, résul-

tats qui seront encore bien longs à venir..

N'est-il pas de toute évidence, qu'une connaissance exacte de

la nature et de l'histoire biologique des microorganismes doit

d'abord être exigée pour qu'on puisse ensuite s'attaquer avec succès

à leurs personnes et à leurs virus noscibles.

La chose arrivera d'autant plus vite, que nos compatriotes appor-

teront de plus grands encouragements à ces recherches, ou à

d'autres d'importance plus considérable, au lieu d'attendre dans

l'inaction de moissonner ce qu'ils n'auront pas semé, ou d'essayer

venimeusement de déraciner la forte semence.

le plus agréable, d'acquérir des notions utilitaires et pratiques, ou

de se livrer à ces recherches auxquelles nombre de savants depuis

Leeuwenhoeck jusqu'à Erhemberg ont consacré leur vie : je veux

parler des vibrions les plus minuscules des êtres vivants. » .

Des hommes fiers de leurs connaissances pratiques demanderont :

« Que peut-il résulter de bon de pareilles minuties ? * Le temps

et la science seront là pour leur répondre : « que ces investigations

ont donné- une forme plus vraie à une des plus importantes dock

trines de la chimie organique ; qu'elles ont introduit des transfor-

mations bienfaisantes dans la pratique de la chirurgie ; qu'elles ont

pour objet les plus hauts intérêts de l'agriculture; qu'en ce qui

DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. 241

concerne leur puissance, on ne saurait encore la définir. » (Trans.

Internat. Med. Cong., 1881.) Le principe qui domine la médecine

moderne, a dit Virchow, c'est la localisation.

Nous ne considérerions pas plus longtemps la maladie comme

une entité, un ennemi qui a envahi le corps sans provenir de lui;

nous ne nous demanderons pas davantage si le médecin doit s'at-

tacher à détruire cet ennemi ou à l'exorciser. Point n'est utile non

plus de s'engager dans de creuses et acrimonieuses controverses

sur les mérites respectifs des conceptions humorales ou solides des

processus morbides et de leurs traitements. Ce que nous nous

efforcerons de préciser, c'est l'état des tissus et des organes qui ont

à souffrir des processus morbides, et aussi des modifications de

structure ou de nutrition qu'ont à subir ces tissus. ,

Alors seulement nous pourrons dire que nous connaissons la

pathologie, et alors seulement nous arriverons à une thérapeutique

rationnelle quand nous saurons localiser avec précision l'action

des moyens employés pour stimuler ou arrêter le développement

et l'activité, des éléments primordiaux, tissus et organes du corps.

Si malgré nos connaissances plus complètes il peut nous sembler

impossible de lutter contre beaucoup d'altérations fonctionnelles

et de dégénérescences structurales, ce sera pourtant un sérieux

progrès fait en thérapeutique que de connaître l'étendue de notre

puissance ; de savoir ce que nous pouvons faire, aussi bien que

de ne point ignorer les circonstances ou nous devons intervenir ;

de cesser de nous laisser guider par un aveugle empirisme qui

consiste, comme quelqu'un l'a dit ironiquement, à introduire des

drogues que nous connaissons très peu, dans un corps que nous

connaissons encore moins ; de diriger enfin nos efforts en vue de

l'établissement et de la propagation de conceptions plus lumineuses

sur les causes des maladies et des moyens de les prévenir.

La localisation des fonctions cérébrales marque une nouvelle

étape dans le cours des progrès généraux faits dans chaque branche

des sciences médicales, au cours des dernières années.

Sa valeur thérapeutique doit être surtout appréciée au point de

vue de la lumière qu'elle a jetée sur le diagnostic des maladies

cérébrales et les moyens de les traiter dans le présent et dans

l'avenir. Très peu de gens, s'il s'en trouve, nous contesteront le

droit de nous vanter avec le fils de Tydée, d'être en ce point bien

supérieurs à nos pères.

Je me souviens que lorsque jevins ici comme étudiant,il y avingt-

cinq ans, tout fraîchement imbu des lectures physiologiques de Bain

et Wundt, et vivement intéressé par la physiologie du cerveau et

du système nerveux, je pus constater combien peu satisfaisant était

l'état de la physiologie cérébrale, si éloquemment exposée pour-

tant, par notre vénéré maître, le professeur Hughes Bennett.

Nous pensions à cette époque qu'en des points mystérieux de

Archives, t. XXIV. 16

242 THÉRAPEUTIQUE.

l'écorce grise, points inaccessibles à notre pouvoir d'analyse, se

trouvait l'organe de la pensée. C'était là, croyions-nous, que par

des moyens encore inconnus s'élaboraient les impulsions volon-

taires. Elles étaient ensuite lancées à travers le corps strié jusque

dans les muscles du côté opposé du corps.

- Ce fut sans le secours de toute base clinique ou expérimentale,

que s'établit la doctrine des localisations phrénologiques des théo-

ries métaphysiques. Le cerveau était dans sa totalité et dans cha-

cune de ses parties, le théâtre de toutes les opérations mentales.

Indivisible comme l'esprit lui-même, on pouvait le couper, lemor-

celer de diverses manières sans diminuer ou détruire les facultés

mentales, pourvu que la destruction ne fût pas poussée trop

loin.

J'ai aussi un souvenir très précis, d'une séance de la Société

royale de médecine. On y présenta un cerveau qui excita beaucoup

d'intérêt et fit naître une vive discussion.

C'était un très beau type de cerveau aphasique et il confirmait

de la façon la plus évidente la relation qui existe entre le symp-

tôme aphasie et la lésion de la circonvolution frontale de l'hémis-

phère gauche. Cette relation venait d'être mise en évidence par

Broca, mais les travaux de ce maître n'étaient pas encore suffi-

samment connus ou admis à cette époque.

Cette nouvelle conception ne cadrait pas avec les doctrines cou-

ramment enseignées en physiologie, et on ne pouvait donner une

explication suffisante de la localisation de la faculté du langage

dans un hémisphère à l'exclusion de l'autre qui lui est symétrique.

Au cours de la même réunion, sir William Turner donne pour

la première fois connaissance de son très important et très estimé

mémoire sur la Topographie des circonvolutions cérébrales. Il met-

tait en évidence l'ordre, la forme et la régularité qui président à

l'agencement des parties qui, au premier abord, ne présentent que

contusion. Ces choses firent sur moi la plus vive impression.

Au début de ma carrière médicale à Londres, j'eus la bonne

fortune de me lier intimement avec Hughlings Jackson, dont les

vues sur la pathologie et la physiologie cérébrales étaient fort en

avance sur son temps, et différaient profondément de celles de la

Faculté. Pour lui, le substratum de l'intelligence provenait et ne

pouvait sensément dériver que du sensorium et des divers proces-

sus moteurs.

Il enseignait aussi que les phénomènes d'une attaque épilepti-

forme partielle et unilatérale, se montraient concurremment avec

des lésions corticales d'aspect divers, dénotant une irritation ou

une altération fonctionnelle des circonvolutions en rapport avec ces

mouvements.

Ces doctrines trouvèrent le meilleur accueil en mon esprit et

servirent de fondement à mes propres recherches. C'est à Hugh-

DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. 243

lings Jackson que je suis redevable de la part que j'ai prise dans

l'établissement du principe des localisations cérébrales.

Je n'abuserai pas de votre patience en vous faisant l'exposé de ce

que j'ai fait depuis, de mes procédés de recherches, des contro-

verses qui s'élevèrent à l'occasion de l'interprétation des résultats.

Je ne vous rappellerai pas les résultats contradictoires en appa-

rence de l'expérimentation comparée, pas plus que la part respec-

tive qui revient à la clinique ou à la physiologie dans ces décou-

vertes. C'est de cet ensemble que j'ai retiré les notions que nous

possédons sur le cerveau, les relations de ses diverses parties, les

unes par rapport aux autres, et aussi par rapport aux organes

qu'elles commandent, de même que sur l'influence qu'a sur lui le

monde extérieur.

Comme résultats généraux, nous pouvons constater que les doc-

trines sur l'équivalence fonctionnelle, ont cédé la place à celle des

différenciations fonctionnelles en médecine et en physiologie.

Ces notions sont fondées sur des données qui prouvent après

examen critique, qu'elles sont parfaitement d'accord arec les prin-

cipes qu'elles avancent. Nous avons enseigné que l'écorce cérébrale

n'est pas dans toutes ses parties fonctionnellement équivalente,

mais se trouve divisée en territoires respectivement destinés

anatomiquement et fonctionnellement aux organes des sens et

de la locomotion. Ces territoires sont eux-mêmes subdivisés en

territoires correspondant à nos facultés diverses de sentir et de

pouvoir exécuter des mouvements volontaires.

Il existe une zone visuelle, base de la perception visuelle et des

idées qu'elle fait naître; il y a une zone auditive, une zone olfac-

tive, et probablement aussi, divers centres gustatifs. Il y a, de

même, un centre affecté à la sensibilité générale. ,

Il a été permis de localiser des centres spéciaux pour les mouve-

ments du tronc, de la tête et des yeux, des membres'supérieurs et

inférieurs, de chacun de leurs segments et même de chacun des

doigts. Les mouvements de la face, de la bouche, de la langue, et

aussi de l'organe de la voix possèdent leur centre.

Nous n'avons pu encore réussir à localiser les régions directe-

ment ou indirectement en relation avec les fonctions organiques,

les formes de la sensibilité, qui entrent si largement dans la cons-

titution de notre personnalité et de la vie émotive. Il y a encore

bien d'autres points sur lesquels nos connaissances sont impar-

faites ; mais nous avons établi que le substratum de l'esprit repose

entièrement sur des processus moteurs et sensoriels avec leurs rela-

tions, cohésions, et associations respectives. Voilà pourquoi il est

inutile et anti-philosophique de rechercher une localisation spé-

ciale de la volonté ou de l'intelligence, ou de chercher à localiser

ce que l'on appelle les facultés ou de pures abstractions métaphysi-

ques. La santé de l'esprit repose sur la stimulation saine et coor-

244 THÉRAPEUTIQUE.

donnée des centres moteurs et sensoriels. Ils ont leurs équivalents

mécaniques, chimiques et caloriques. L'état maladif de l'esprit est

constitué d'une façon non moins certaine, quoique moins compré-

hensible, par les manifestations qui traduisent des désordres de

structure ou de nutrition des mêmes tissus, comme les paralysies,

les convulsions, les anomalies de la sensation.

Nous sommes maintenant en état de comprendre pourquoi dans

certains cas, le cerveau peut être traversé et subir une vaste perte

en substance grise sans qu'aucun trouble s'en suive dans les sensa-

tions et la locomotion; et pourquoi une autre lésion parfaitement

similaire, portant sur un autre territoire, entraînera une perte hé-

miopique de la vision. Pourquoi aussi, une lésion de l'écorce, sui-

vant ses caractères et sa position, peut entraîner de la paralysie ou

des convulsions limitées à la face, aux mains, aux pieds. Toutes les

autres fonctions restant intactes.

Nous pouvons encore nous rendre compte des contradictions

apparentes des résultats de la médecine clinique et des faits expé-

rimentaux obtenus sur des animaux d'ordre inférieur, résultats qui

embarrassèrent à un si haut point les premiers cliniciens. « Il est

certain, dit Bouillaud, qu'après l'ablation des hémisphères céré-

braux, un animal peut marcher, courir, etc., et il est non moins

certain que l'ablation d'un hémisphère chez l'homme donne lieu à

de la paralysie plus ou moins complète des mouvements volontaires

dans le côté opposé du corps. Pouvons-nous réfuter la première

catégorie de faits par l'autre ? Non certainement. Des faits égale-

ment bien établis, ne sont pas susceptibles de réfutation. Un temps

viendra où de nouvelles notions feront disparaître les contradic-

tions apparentes qui existent entre eux. »

L'étude de la physiologie comparée nous enseigne qu'à mesure

que les animaux s'élèvent dans l'échelle évolutive, leurs actions

sont d'autant mieux réglées par des déterminations conscien-

cieuses, et des volitions réfléchies, et qu'aussi chez les plus perfec-

tionnés on peut observer des désordres plus ou moins marqués à

la suite de lésions affectant les centres corticaux qui commandent

et enregistrent leurs facultés motrices et leurs sensations.

. Bien que nous soyons peu renseignés sur la cause première delà

prédominance du côté droit et de l'habitude de se servir du cer-

veau gauche dans beaucoup d'autres actes que ceux des mouve-

ments de la main, nous pouvons donner une explication rationnelle

de la parenté empiriquement établie entre l'aphasie et la lésion de

la région que nous savons maintenant être le centre de l'articula-

tion et de la phonation.

Nous pouvons, en nous basant sur des principes similaires,

expliquer ces curieuses défectuosités mentales qui se traduisent

chez un malade par une. inaptitude complète à saisir le sens de

l'écriture ou des symboles représentés, ou même à lire la lettre

DES LOCALISATIONS CEREBRALES. 245

dans laquelle il a exprimé sa pensée en un langage précis et clair,

tandis qu'il comprendra très bien la portée de cette même lettre

dont il entendra la lecture. Chez d'autres malades, il y a une

impossibilité complète de répéter ce qu'on leur dit, et ces mêmes

malades savourent parfaitement le sens des mêmes choses lors-

qu'elles sont écrites ou représentées sous leurs yeux.

Ces symptômes et bien d'autres phénomènes similaires, d'obser-

vation courante dans les maladies cérébrales, ouvrent la porte à

de très intéressants problèmes sur le cerveau et l'intelligence.

Peut-être fournissent-ils, au point de vue pratique, des résultats

plus importants en nous donnant des indications diagnostiques,

sur la position de telle ou telle lésion, et en nous guidant d'une

façon certaine dans nos efforts pour la découvrir et l'enlever.

Pratiquée fortuitement, ou dans un but spécial de recherches,

l'exploration électrique du cerveau est encore venue apporter la

lumière sur la pathogénie de l'épilepsie et sur les principes de son

traitement. t.

A une époque encore récente, les phénomènes convulsifs de

l'épilepsie étaient expliqués par l'hypothèse d'un processus irritatif

au sein d'un prétendu centre convulsif, tandis que la perte du sen-

timent, et autres perturbations mentales, auxquelles s'associaient

des convulsions, étaient considérées comme le résultat indirect

d'un spasme des artérioles du cerveau.

Des recherches expérimentales ont non seulement démontré

l'exactitude des vues d'Hughling Jackson sur l'origine corticale des

monospasmes, et, par généralisation, des convulsions unilatérales

épileptiformes, mais elles ont encore fourni une explication simple

de l'ordre et de la succession des événements dans l'accès épilep-

tique, et ont rendu fort probable cette opinion, que toutes les

formes de l'épilepsie ont leur point de départ dans une condition

d'instabilité et d'irritation particulières de la substance grise de

l'écorce cérébrale.

Chez beaucoup d'animaux, et chez certains, beaucoup plus faci-

lement que chez d'autres, il est aisé par l'excitation électrique, de

reproduire les phases cliniques de l'accès d'épilepsie, telles que

convulsions toniques et cloniques, dilatation des pupilles, salivation

et écume de la bouche, morsure de la langue, perte de connais-

sance suivie d'obnubilation de l'intelligence, d'hallucinations et

d'actes impulsifs.

Si l'irritation est diffuse et prolongée, et si on la fait primitive-

ment partir des centres sensoriels, les phénomènes qui apparais-

sent sont plutôt ceux qui appartiennent au type appelé épilepsie

idiopathique,'et dans lequel tous les centres moteurs de l'écorce

sont excités plus ou moins simultanément, de sorte qu'il est

impossible d'analyser la succession des événements.

Si l'excitation est circonscrite à un centre moteur particulier,

246 THÉRAPEUTIQUE.

l'épilepsie peut consister en une série de spasmes confinés au

groupe musculaire correspondant, ou elle peut diffuser dans les

centres voisins. Dans ce cas, elle suit l'ordre dans lequel ces cen-

tres sont anatomiquement disposés dans l'aire motrice et envahit

les muscles d'après un mode correspondant à cette marche succes-

sive.

Si la première irritation porte sur les centres de la face, elle

gagne les centres de la jambe à travers ceux des bras. Si le point

de départ s'effectue dans la zone qui commande la jambe, l'exci-

tation s'étend à la face à travers les centres du bras. Lorsque, ce

qui arrive assez fréquemment, les convulsions s'étendent à l'autre

côté, l'ordre suivi va invariablement des centres de la jambe à ceux

de la face, chose qui se traduit par des convulsions ascendantes de

la jambe à la face.

En même temps, les centres moteurs de la moelle allongée et

rachidienne, sur lesquelles agissent les centres corticaux moteurs,

jouent indubitablement un rôle dans les décharges épileptiques,

et il a été, je crois, établi d'une façon certaine, que les convulsions

du véritable type touico-clouique de l'épilepsie, peuvent seulement

être produites par des excitations provenant des centres moteurs

de l'écorce d'un côté ou de l'autre.

Les caractères de l'aura ou prodrome de l'accès, tels que les

sensations de rêves ou états intellectuels similaires, les illusions ou

hallucinations de l'odorat, du goût, de l'ouïe, de la vision, dénotent

bien aussi l'origine corticale de l'attaque, et donnent de bonnes

indications diagnostiques sur la position du foyer épileptogène.

Tout en considérant l'instabilité de la substance grise de l'écorce

comme la cause immédiate de l'accès épileptique, nous ne voulons

point dire que ce soit toujours la cause première de l'affection.

Les recherches cliniques ont en effet démontré que l'épilepsie peut

encore êlre due à une irritation interne ou périphérique amenée

par diverses causes résidant dans les nerfs, les viscères et les enve-

loppes du cerveau.

1 Mais, c'est là un point d'une importance capitale, il est reconnu

que ces facteurs n'agissent qu'en tant qu'ils amènent une excita-

tion des centres moteurs. Tous nos efforts doivent donc tendre à

nous rendre compte des changements de structure ou de nutrition

de l'écorce qui produisent de tels phénomènes. Nous devons déter-

miner leur nature et diriger contre eux un traitement approprié.

- Nous avons appris aussi, au cours de nos recherches, que les

lésions du cerveau peuvent à la longue devenir la cause de produc-

tion de foyers d'excitation épileptiques, chez l'animal lui-même,

mais encore transmetlre aux descendants la maladie* ou une pré-

disposition à l'acquérir.

De pareils faits ont une grande importance au point de vue de

l'hérédité épileptique chez l'homme.

DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. ' 247

Dans les méthodes expérimentales qui se proposent d'enregistrer

et de mesurer l'excitabilité des centres corticaux, nous avons aussi

des moyens certains d'apprécier l'action des agents thérapeuti-

ques empiriquement ou théoriquement employés dans le traitement

de l'épilepsie.

Il a été déjà montré que l'excitabilité des centres corticaux est dimi-

nuée, de même que la prédisposition aux accès épileptiques, par le

chloroforme, le choral, le bromure de potassium, alors qu'elle est

surexcitée par l'absinthe, la strychnine, l'atropine, qui fut long-

temps regardée comme un agent efficace dans le traitement de

cette affection. L'influence d'autres agents a été aussi étudiée

jusqu'à un certain point. t.

Mais en somme, bien peu de choses ont été faites dans cette voie,

et il n'est pourtant pas douteux qu'il n'y ait là une large voie

ouverte aux recherches de pharmacologie appliquée. Ce vaste

champ d'expériences, intelligemment cultivé est appelé à donner

la plus belle moisson de découvertes pratiques, au point de vue du

traitement d'une des plus cruelles affections qui affectent l'espèce

humaine.

Les recherches physiologiques n'ont pas seulement fourni le fil

qui permettra de se guider à travers l'inextricable labyrinthe des

maladies cérébrales, au milieu duquel l'observation clinique, aban-

donnée à ses propres forces, était incapable de trouver sa voie ; elles

n'ont pas seulement établi les principes diagnostiques capables de

nous faire mettre le doigt sur le siège du mal, mais elles ont

prouvé que sous le règne des pratiques listériennes, on pouvait,

non seulement, ouvrir le crâne mais pénétrer à travers le rideau

dure-mérien pour toucher ou exciser des portions du cerveau lui-

même, avec peu ou point de risques pour la vie, et sans crainte de la

hernie cérébrale de mauvaise augure, ou de l'universelle méningite,

dont la fréquence après de telles opérations avait amené jadis le

rejet de la trépanation par bon nombre de chirurgiens, alors que

d'autres ne l'employaient que comme ressource suprême.

La pratique de la trépanation a eu à subir de longues vicissi-

tudes. Longtemps avant Ilippocrate, qui décrivit avec de grands

détails les méthodes et les indications du traitement des trauma-

tismes crâniens, et bien longtemps avant le période historique

elle-même, la trépanation du crâne a été de pratique courante à

l'âge de pierre, ainsi que l'ont établi les recherches de Broca.

Dans les gisements néolithiques de France, on a découvert de nom-

breux crânes ou fragments de crâne, où des ouvertures complètes

ou bien des portions de leur circonférence sont visibles. Les bords

en sont unis, taillés en biseau et bien cicatrisés. Ils ont été évidem-

ment faits pendant la vie et apparemment à un âge précoce, car les

conditions des sutures, le développement modifié des os du crâne,

montrent que l'individu a longtemps vécu après l'opération. La

248 " THÉRAPEUTIQUE.

forme et le caractère de ces orifices prouvent qu'ils furent faits

par un procédé de raclage, ou un vigoureux grattage avec un silex

aiguisé. Cela devait être une opération bien terrible, et cependant

beaucoup avaient le courage de s'y soumettre. L'origine de celte

pratique a fait naître bien des conjectures ; mais il est probable,

comme le suppose Broca, qu'elle était dirigée contre l'épilepsie

essentielle, le morbus divinus, ou maladie sacrée des anciens.

Les indications étaient-elles fournies par la cessation des convul-

sions épileptiformes d'origine traumatique à la suite de l'ablation

des fragments d'os enfoncés ? Ou bien était-ce dans le hut de don-

ner issue au malin esprit, au démon, qui avait choisi comme rési-

dence cette partie du corps de la pauvre victime, ainsi que le vou-

lait la croyance ancienne ? Voilà ce qu'il nous est impossible de

dire ; mais il n'y a pas de doute sur ce point, que ceux qui avaient

été trépanés et avaient survécu, étaient regardés comme sacrés. A

leur mort, c'était une coutume pour leurs parents et les membres

de la tribu, de se confectionner des amulettes avec les bords de

l'orifice de leur trépanation. Ces amulettes, ils les suspendaient

sur leur poitrine dans le but de se préserver des mauvais esprits

et autres influences néfastes, dont ils se croyaient constamment

entourés.

De semblables amulettes provenant d'autres crânes, furent quel-

quefois introduites après la mort dans l'intérieur du crâne de

sujets précédemment trépanés, pour leur servir de viatique ou de

talisman dans le voyage à travers un monde inconnu qu'ils allaient

entreprendre.

Des pratiques similaires sont encore signalées à l'heure actuelle,

dans certaines tribus sauvages.

Dans les premiers temps de l'histoire de la chirurgie, les dangers

de la trépanation n'apparurent pas aussi gros aux yeux des chirur-

giens qu'à l'époque moderne, surtout à la période d'hospitalisa-

tion.

C'est ainsi que Cornelius von Solingen raconte que Philippe de

Nassau, étant tombé de cheval, et s'étant fracturé le crâne en

plusieurs endroits, par suite de la projection de sa tête contre un

tronc d'arbre, fut trépané dix-sept fois par un chirurgien de Moma-

gen. A la suite de cette opération, il guérit complètement, et

prouva la solidité de sa tête en buvant au point d'entraîner la mort

de trois de ses compagnons qu'il avait défiés.

Un autre chirurgien trépana un malade vingt-six fois sans pou-

voir arriver à découvrir un épanchement du cerveau. Il le trouva à

la vingt-septième trépanation; il guérit sou malade.

Il éxiste une relation encore plus remarquable du cas d'un

malade qui survécut après avoir été trépané cinquante-deux fois

dans l'espace de deux mois.

Sir Astley Cooper, regardait la trépanation comme une des plus

DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. 249

dangereuses opérations de la chirurgie. C'était, disait-il, une opé-

ration où il n'y avait qu'une simple membrane entre le patient et

l'éternité.

Desault constate que chaque trépanation emporte son homme à

l'Hbtel-Dieu.. -

Percival Pott conseille énergiquement la trépanation comme

mesure curative et encore plus comme moyen préventif, dans cer-

tains cas où les autres chirurgiens avaient l'habitude de s'en remet-

tre à la nature, ou de traiter suivant les préceptes héroïques de la

méthode antiphlogistique.

Sous l'influence de Pott et de quelques-unsde ses élèves, ou peut-

être, comme le dit Lucas-Championnière, par un phénomène de

survivance des pratiques préhistoriques, la trépanation prévalut

longtemps dans certains districts miniers de la Cornouaille. (Voir

Hudson, British Médical Journal, july z

« La confiance populaire, dit (ludson, est si grande dans l'effica-

cité de la trépanation ou « boring » (forage) suivant l'expression

courante, que le chirurgien qui hésiterait à la pratiquer, sous le

prétexte d'attendre des indications symptomatiques, souffrirait

beaucoup dans sa réputation. Qui sait même, si en cas de mort,

on ne mettrait pas sur son compte un homicide par imprudence. »

Il n'est pas besoin de se livrer à une compilation statistique,

pour arriver à pouvoir affirmer qu'à part la gravité des conditions

pour lesquelles on opérera, et qui resteront les mêmes pour n'im-

porte quel mode de traitement, la principale cause de gravité de

la trépanation, cause qui la fit proscrire par bien des chirurgiens,

réside, non pas dans l'opération elle-même, mais bien dans lapré-

sence de ces invisibles et mortels ennemis, dont Lister a su nous

débarrasser avec un si plein succès.

Les statistiques de la chirurgie moderne démontrent qu'avec les

précautions antiseptiques la trépanation du crâne n'est rien. Elles

prouvent en second lieu, que la mortalité des opérations pourtrau-

matismes du crâne ou blessures de toutes sortes s'est abaissé de

50 p. 100 à 15 p. 100 et même moins.

Mais les améliorations dans le traitement approprié des lésions

chirurgicales, c'est-à-dire de celles où le diagnostic des localisa-

tions aide plus ou moins les indications opératoires, ne doivent pas

être en totalité attribuées aux antiseptiques, car ce n'est pas tou-

jours que le dommage causé à l'organisme est correctement indiqué

par la situation et l'étendue d'une plaie superficielle. Bien souvent

le chirurgien est largement guidé, et son opération est commandée

par les principes établis par la physiologie expérimentale.

Dans un rapport à l'Académie des sciences, d'avril 1877, sur les

explications chirurgicales qui découlaient de la doctrine des locali-

sations cérébrales, M. Gosselin a exprimé cette opinion absolue,

que le seul guide dans .la trépanation était la blessure apparente,

2DO THÉRAPEUTIQUE.

et que cette condition mise de côté, la trépanation devait plutôt

être regardée comme une mauvaise opération.

La fausseté de cette idée préconçue a depuis été amplement

démontrée par les états de service de la chirurgie cérébrale durant

les dix dernières années. Je puis citer de nombreux exemples à

l'appui, mais un seul rapporté par Macewen me suffira. (Case II,

Surgeryof the Brait, British Med. Assoc. Meeting. Glascow, August,

1888.)

C'est le cas d'un garçon qui avait fait une chute six jours aupa-

ravant. Il avait plusieurs meurtrissures de la tête et de la face et

une légère hébétude d'esprit. Au bout de quarante-huit heures, il

était assez bien en apparence ; mais le sixième jour il eut une série

de convulsions commençant dans le côté gauche de la face, enva-

hissant graduellement le bras et finalement la jambe, bientôt sui-

vies d'une légère parésie et de la faiblesse de ces membres. Ces

attaques commençaient et se terminaient par des convulsions géné-

rales. Macewen conclut avec raison, que cessymptômosindiquaient L

une lésion irritative du centre brachio-facial à la partie la plus infé-

rieure des circonvolutions ascendantes de l'hémisphère droit. Il

mit à nu le crâne dans cette région et découvrit une fissure qui la

traversait. Après trépanation, on ne trouva pas de sang entre le

crâne et la dure-mère, mais en incisant cette membrane, on évacua

deux onces de sang à demi coagulé.

. L'opération fut faite antiseptiquement et le patient guérit sans

fièvre. Les accès ne se reproduisaient plus, la paralysie du bras

gauche disparut bientôt et l'enfant aujourd'hui vivant, est en par-

faite santé.

- On ne saurait trouver un plus bel argument en faveur de la chi-

rurgie cérébrale. Si l'on s'en était tenu aux traces de traumatisme

extérieur, on aurait sacrifié la vie du patient ou bien il en serait

résulté pour lui une infirmité incurable. La nécessité et la valeur

de la chirurgie cérébrale prophylactique ont été aussi bien mises

en évidence.

Quoique bien des cas de fractures par enfoncement et autres

formes de lésions traumatiques puissent sembler guérir spontané-

ment ou sous l'influence du traitement dit antiphlogistique sans

intervention opératoire, il subsiste toujours le risque de l'épilepsie

ou de la folie survenant à une époque plus ou moins éloignée et

qui ont pu être écartées par des interventions opportunes.

De ces cas, je puis en citer beaucoup. Un des plus beaux a élé

rapporté par Macewen. (Case XI, Op. Cit.). Un homme avait reçu

un traumatisme du crâne ef au bout d'un an était devenu mélan-

colique et sujet à des impulsions homicides. Avant son accident;

il vivait heureux dans sa famille. Il n'y avait point de lésion appa-

rente qui puisse donner l'explication dè ces phénomènes, mais à

l'interrogatoire on pouvait se convaincre qu'immédiatement après

DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. 251

l'accident, une quinzaine environ, s'étaient montrés des symp-

tômes de cécité psychique ou d'affaiblissement des représentations

visuelles. Il pouvait voir, mais ne pouvait reconnaître ce qu'il

voyait, ou comprendre le sens d'une chose écrile.

Ces symptômes indiquaient l'existence probable d'une lésion du

pli courbe gauche.

La trépanation de cette région permet de constater qu'une

partie de la table interne avait été détachée et comprimait la partie

postérieure de la circonvolution supra-marginale (pariétale infé-

rieure) et qu'une partie de cette table interne avait été amenée

jusque dans la branche antérieure du pli courbe (angular gyrus).

L'os fut enlevé et replacé en position normale. Le résultat fut l'en-

tière disposition des symptômes alarmants ; l'homme se trouva

bientôt capable de reprendre ses occupations quoiqu'il persistât

cependant un certain degré d'excitabilité.

Jusqu'à une époque récente, cependant, si nous faisons excep-

tion pour les pratiques préhistoriques de trépanation dans l'épi-

lepsie idiopathique, et leurs applications jusqu'au xvr3 siècle au

moyen des mêmes méthodes barbares la trépanation fut seule-

ment employée en vue de remédier aux résultats primaires ou

secondaires des traumatismes crânio-cérébraux. Depuis, elle a été

pratiquée pour apporter remède à l'épilepsie traumatique, c'est-

à-dire à l'épilepsie dans laquelle il est évident qu'il existe une

relation de cause à effet entre le traumatisme crânien bien spécifié

et le début des accès.

Il n'est pas douteux que l'épilepsie puisse être aussi causée, soit

par une lésion directe du cerveau directe lui-même, ou indirec-

tement par irritation des nerfs du cuir chevelu ou des membranes

eérébrales.

Il résulte de l'examen des statistiques des cas actuellement

opérés les cures étant différemment estimées à 65 p. 100 par

Echeverria -- à 58 p. 100 par Waisham à 59 p. 100 par Koning

à 69 p. 100 par Seydel que l'intervention est pleinement justi-

fiée par les résultats bienfaisants, source de l'irritation, tel que par

exemple un nevrome douloureux.

, Mais, le réel effet d'une simple trépanation du crâne, la destruc-

tion d'une cicatrice douloureuse ou l'enlèvement d'une esquille

osseuse, ont été estimés à trop haut prix selon toule probabilité.

On a rapporté en effet comme guéris beaucoup de cas qui depuis

n'ont pas été soumis à une observation chirurgicale ultérieure :

Les cas dans lesquels l'entière cessation des accès a été établie,

sont relativement peu nombreux. Or, nos connaissances sur l'épi-

lepsie nous permettent de dire que la cessation des accès pendant

plusieurs mois, peut être suivie de nouveaux accès tout aussi sérieux

à une distance plus éloignée. Dans quatre-vingt-deux cas rapportés

par Walsham, il y avait une cicatrice déprimée ou bien une simple

252 THÉRAPEUTIQUE.

tache sans dépression ou autres marques de traumatisme. Dans les

deux tiers des cas, on trouva une portion d'os enfoncée, altérée ou

malade. La dure-mère paraissait saine dans un grand nombre de

cas, mais dans quelques-uns elle était épaissie, adhérente ou alté-

rée d'une autre façon. Mais quoique Walsham évalue à 58 p. 100 le

nombre des succès, je peux seulement trouver douze cas où la ces-

sation des accès ont duré un an après l'opération. *

Ainsi donc, les cures probantes d'épilepsie traumatique, par

simple trépanation du crâne sans ouverture de la dure-mère de-

vront être évaluées, non pas à 58 p. 100, mais à 15 p. 100.

Les statistiques modernes ne viennent pas à l'encontre de ce ré-

sultat, et il y a des raisons de craindre que la guérison de l'épilep-

sie traumatique par simple trépanation du crâne ne soit problé-

matique.

Dans tous les cas, la trépanation n'est pas indiquée, à moins

qu'il n'y ait une preuve évidente d'un traumatisme bien défini, ou

qu'en outre, on constate des signes d'irritation locale de la région

de l'écorce ou d'un territoire plus éloigné. Les chirurgiens qui ont t

trépané pour épilepsie traumatique ont simplement ouvert le

crâne et se sont refusé à inciser la dure-mère ou à s'attaquer au

cerveau lui-même.

Nos nouvelle ? connaissances en physiologie cérébrale ont ouvert

une voie nouvelle à la chirurgie du cerveau. J'ai vigoureusement

conseillé pour ma part une conduite nouvelle, et j'y ai été conduit

par nos recherches faites en collaboration avec le prof. G. F. Yeo.

(British médical Assoc., 1830) (Marschall Hall oration. Med. Chir.

Soc., 1883.) Mais l'honneur d'avoir tracé la voie en chirurgie céré-

brale humaine revient à notre compatriote Macewen de Glasgow.

Dans sa brillante communication au Meeting de la British med.

Ass. en 1888, il a donné les détails de nombreux cas où il eut à

pratiquer des opérations sur le cerveau, guidé qu'il était par les

principes des localisations cérébrales. Sur vingt-deux cas, il en a

opéré dix-huit avec succès et pour ceux qui ont entraîné la mort,

l'opéràtion avait été faite in extremis.

L'exemple de Macewen a été suivi par les chirurgiens de toutes

les parties du monde et on trouve continuellement dans les jour ?

naux, des cas d'applications plus ou moins heureuses des principes

qu'il avait pris pour guides.

Dans l'épilepsie traumatique provenant d'une lésion existante de

la substance cérébrale, le tissu cicatriciel épileptogène a été excisé

et séparé du reste de l'encéphale avec les plus beaux succès.

Un des meilleurs exemples de cette sorte nous est fourni par

mon collègue, M. Harsley, qui s'est distingué à un si haut point en

chirurgie cérébrale. C'était là, je crois sa première opération et le

fait est d'un assez haut intérêt pour mériter d'être relaté au cours

de cette séance à Edimbourg même.

DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. 253 3

Il s'agit d'un jeune garçon d'Edimbourg qui, à'rage de sept ans,

fut renversé par un cab dans Princes Slreel. Il fut atteint d'une

fracture de la partie supérieure du pariétal gauche et fut traité

par le professseur Amandale à l'infirmerie royale. Au bout de trois

semaines, il était renvoyé guéri de sa blessure, avec un certain

degré de faiblesse dans le côté droit et la jambe.

A l'âge de quinze ans, c'est-à-dire huit ans après l'accident, il eut

des accès épileptiformes surtout dans le côté droit. Comme ces

accès reparaissaient plus graves et plus fréquents, j'arrivais à con-

clure qne la seule chance de guérison était dans l'excision de la

cicatrice, la chose fut faite.

Pour vous donner une idée de l'état pitoyable dans lequel se

trouvait le patient avant l'opération, je vous dirai que dans la

quinzaine précédente il avait eu environ trois cents accès, de telle

sorte qu'on désespérait de sa vie. Il guérit rapidement après l'in-

tervention et conserva un léger degré de faiblesse à droite. L'opé-

ration fut faite en mai 1886 et depuis cette époque il n'a jamais eu

un seul accès. Il jouit d'une excellente santé et est capable de

gagner sa vie. -

Le Dr Jackson fut le premier à suggérer, et son idée a été

maintes fois mise en pratique que l'épilepsie dans tous les cas où

elle se traduit par un monospasme ou un protospasme bien définis,

procède d'un foyer épileptogène qui peut être excisé et cela, sans

qu'il existe une lésion organique évidente, d'après le principe que

l'excision du foyer d'excitation peut amener m,e disparition de

l'excitation dans les centres corticaux, et consécutivement la dis-

parition des accès.

Dans un cas qu'il rapporte et où le spasme se montra dans le

pouce gauche, la mise à découvert du centre, dans l'hémisphère

droit, révéla la présence d'un module tuberculeux dont l'excision

amena l'entière cessation des attaques.

Dans bien d'autres circonstances, des résultats aussi bons ont été

obtenus dans d'autres les accès n'ont pas entièrement disparu

malgré l'ablation de la cause irritative.

Certains cas fournissent un fort appoint à la trépanation préven-

tive dans les traumatismes, certains autres montrent que l'inter-

vention chirurgicale est possible à une date assez reculée, alors que

l'habitude épileptique n'a pas eu le temps de s'installer.

L'excision actuellement pratiquée du foyer épileptogène par des

moyens chirurgicaux ne répond pas à tous nos désidérata, et on

doit fermement souhaiter qu'on puisse découvrir des'méthodes pour

neutraliser l'irritabilité du territoire sans amener sa destruction.

Que nous réussissions par une médication locale, la circumvalla-

tion, ou telle autre méthode il n'en reste pas moins démontré

qu'il y a de ce côté une véritable terre promise ouverte aux

recherches. '

254 THÉRAPEUTIQUE.

L'épilepsie et les convulsions épileptiformes ne sont pas seule-

ment les affections cérébrales importantes avec lesquels nous ayons

à lutter. 11 y en a d'autres qui, non traitées, conduisent fatalement

à la mort et souvent, au milieu d'atroces souffrances. Parmi elles

se range l'abcès du cerveau.

Je ferai ici surtout allusion aux abcès du cerveau d'origine non

traumatique, c'est-à-dire aux abcès survenant indépendamment

d'une blessure du cerveau ou de ses enveloppes.

Les autres abcès ont toujours été considérés comme réclamant

une intervention opératoire et quoiqu'on soit alors amplement

guidé par la blessure extérieure, il n'en est pas moins vrai que dans

certains cas de suffusion hémorrhagique, ces opérations ont eu

besoin d'être rendues plus précises, et ont été suivies de plus beaux

succès, depuis que l'indication de leur siège et de l'étendue des

lésions qu'elles entraînent a été donnée par la connaissance des

localisations cérébrales.

A part ceux qui relèvent du traumatisme, les abcès cérébraux

sont surtout en connexion avec les maladies aiguës ou chroniques

de l'oreille interne.

Ces abcès sont surtout situés dans le lobe temporal ou le cervelet,

mais qu'ils soient situés dans un point ou dans l'autre, on ne

pourra arriver à eux avec précision, que par des symptômes d'une

signification diagnostique bien déterminée. Quoique la mortalité

par abcès cérébraux soit toujours très grande, nous pouvons citer

bon nombre de cas où ces abcès ont été diagnostiqués et opérés

avec succès.

Dans un cas que j'ai rapporté moi-même, la situation de l'abcès

dans l'hémisphère gauche fut déterminée par un ensemble de

symptômes plus particulièrement du désordre de la parole, de

la surdité verbale qui répondaient à une lésion de la circonvolu-

tion temporale supérieure. Un orifice de trépanation ayant été

pratiqué en cette région et la dure-mère incisée, l'introduction

d'un trocart donna issu à une quantité de pus dont l'évacuation fit

cesser les troubles. Le malade jouit aujourd'hui après plusieurs

années d'une bonne santé et remplit ses fonctions de mécanicien.

Le groupe suivant est un de ceux que le médecin et le chirurgien

se trouvèrent impuissants à soulager. Je veux parler des tumeurs

cérébrales. ' m

Malheureusement, une forte proportion de tumeurs cérébrales,

peut-être 40 p. 100 et plus, sont de par leur nature et leur situa-

tion impossiblesà atteindre et à traiter, aussi le champ chirurgical

est-il relativement restreint à leur égard.

Nous pouvons faire le redoutable diagnostic d'une façon trop

certaine, et nous pouvons indiquer la position d'une tumeur que

nous ne pouvons souvent pas opérer.

Mais, d'un autre côté, il y a beaucoup de cas de tumeurs situées

DES LOCALISATIONS CEREBRALES. 2H8

dans des régions abordables, et qui, si l'on ne veut y toucher, con-

duisent à la mort aussi sûrement que les autres. Celles-là peuvent

être souvent localisées avec précision, et sont souvent d'une nature

qui permet leur excision et leur énucléation complète.

C'est dans le traitement de ces affections qu'un nouvel horizon a

été ouvert au chirurgien, et malgré que les succès n'aient pas été

constants, il y en a un certain nombre qui peuvent être regardés

comme ayant arraché le malade aux étreintes de la mort.

Le premier cas d'opération pour tumeur cérébrale fut diagnos-

tiqué par Hughues Bennett et opéré avec succès par M. Godlee.

Malheureusement, alors que tout semblait aller parfaitement, le

malade mourut d'inflammation septique. C'est là un accident

dont on peut se mettre à l'abri.

Quelques malades sont morts de shock : la tumeur étant très

grande, et les malades fort affaiblis par de longues souffrances

antérieures.

Dans d'autres cas, les tumeurs enlevées avec succès se sont

reproduites au bout de quelque temps.

Chez d'autres, la tumeur localisée avec précision n'a pas été

jugée opérable en toute sécurité. La vie du patient a été prolongée

et ses souffrances soulagées par une opération incomplète.

Malgré toutes ces difficultés, on peut trouver dans la littérature

médicale plus de trente-deux cas, dans lesquels la tumeur a pu

être enlevée avec succès et le malade soulagé.

Il résulte de nos analyses et des cas parvenus à ma connaissance,

que la guérison est survenue dans plus de la moitié des cas. On

peut comparer avantageusement ces résultats avec la mortalité de

bon nombre de grandes opérations de la chirurgie, et leur signi-

fication est que la guérison survient dans la moitié des cas. C'est

là une raison pour penser que les plus grands succès peuvent être

attendus à l'avenir, quand les conditions de l'opération et ses suites

seront mieux connues.

Si dans cette brève revue des progrès de la thérapeutique céré-

brale dont j'ai systématiquement écarté les détails techniques,

j'ai pu réussir à vous montrer que beaucoup de progrès ont été

accomplis, ce n'est pas certainement dans le but de faire paraître

sous vos yeux un tableau d'un optimisme tranquilisant.

Bien au contraire, plus nous apprenons, et plus grande nous

apparaît notre ignorance, et plus nous irons, plus complexes et plus

nombreux seront les problèmes soumis à notre compétence.

Après tout, de tels progrès indiquent seulement que nous pou-

vons apporter un remède à de grosses maladies ou lésions du cer-

veau, presque exclusivement, et je crains qu'on ne puisse encore

dire que nous connaissons trap mal encore les localisations céré-

brales pour pouvoir citer un progrès digne de remarque en psy-

chiatrie. Et pourtant, de tous les départements de la médecine,

S6 THÉRAPEUTIQUE. DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES.

c'est le seul qui puisse retirer un profit spécial de connaissances

perfectionnées du mécanisme de l'organe de l'intelligence.

Mais comme nous nous laissons guider seulement par la lente

expérimentation dans l'étude des aspects objectifs et subjectifs de

la fonction cérébrale à l'état de santé, il n'est point surprenant

que nous soyons encore profondément ignorants de la nature et

des causes si subtiles et si variées des déviations des règles ordi-

naires. ,

C'est dans les maladies de l'esprit que les idées localisatrices de

Virchow ont été le moins bien appliquées. Cependant, la nouvelle

physiologie cérébrale n'a pas été sans effet sur la médecine psychia-

trique.

Les spécialistes ont abandonné des termes empruntés à la méta-

physique spéculative, pour ceux d'une psychologie plus concrète,

et ils font de sérieux efforts pour établir des corrélations entre les

états morbides de l'esprit et les altérations nutritives et structu-

rales des centres corticaux qui ont à souffiir. Ils recherchent, de

concert avec les symptômes psychiques, les divers états et degrés

de la destruction ou de la perversion des fonctions organiques

motrices ou sensorielles qui relèvent de la même cause et cons-

tituent le côté purement objectif du même processus patholo-

gique.

Il est impossible que des recherches faites dans cette voie ne

portent pas avant longtemps des fruits abondants et je pense que

c'est de ce côté, c'est-à-dire par l'étude de i'étiologie et de la

pathologie de la folie, que nous arriverons à la connaissance des

corrélations du cerveau et de l'esprit en général, et des facteurs

individuels de notre vie intellectuelle et émotive.

Jusqu'au moment où ces recherches auront été poussées plus

loin, et où on aura déterminé les différentes formes de l'aberration

mentale avec plus de certitude et de précision, nous ne pouvons

pas penser à une application pratique plus étendue des doctrines

de la localisation cérébrale. Mais les remarquables succès de la

chirurgie en ce qui concerne les autres formes de maladie céré-

brale, ont fait naître l'application de méthodes chirurgicales pour

le traitement de certains cas où l'aberration et la faiblesse men-

tales prédominenl.

Tel est le cas de Lannelongue pour l'idiotie microcéphalique,

les excisions qu'a fait Burckardt d'un foyer supposé d'hallucina-

tions sensorielles, l'opération de Clay Shaw et de Batty Tuke pour

la paralysie générale des aliénés.

Il est trop tôt pour se prononcer définitivement sur la valeur de

ces opérations, et les opinions peuvent différer suivant que l'inler-

vention a été calculée dans le but d'obvier ou d'arrêter les condi-

tions primaires ou secondaires dont dépendent ces symptômes.

Je suis moi-même d'avis que ceux d'entre nous, et ils constituent

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 257

la majorité du corps médical, qui reconnaissent noire impuissance

à améliorer ces malades par d'autres méthodes, ne pourront s'em-

pêcher de regarder avec faveur, quoique en tempérant trop de zèle

avec discrétion, et encourageant tous les essais mûrement rai-

sonnés qui seraient destinés à soulager les malades qui appellent

en ce moment en vain à leur aide.

J'exprime le souhait que beaucoup des jeunes et enthousiastes

pupilles de notre grande et glorieuse Université, tournent leurs

efforts vers ces problèmes de la thérapeutique et de la pathologie

cérébrale qui sont encore insolubles.

Je suis profondément certain que dans aucune autre branche de

la médecine, il n'y a moisson plus grande d'honneurs à glaner, et

aussi plus grande satisfaction à soulager ses malades.

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE

PATHOLOGIQUES.

I. Encore la question DE la GENÈSE DES circonvolutions CCRÉ-

Brayez par G. JELGERSMA. (Cenlralbl. f. Nervenheilk, N. F., t. II,

1891.) ,

La théorie de l'auteur a été exposée dans les Archives de Neuro-

logie, t. XXI, p. 287. M. Ziehen, dans le n° 21 du Neurolog. Cen-

trolbl., 1890, en rendant compte du travail de Cunningham (Lan-

cet, 1890), qui adopte la théorie de Jelgersma, formule des

objections que combat actuellement l'auteur. Il renforce sa théorie

par les deux arguments nouveaux que voici :

A. Chez un enfant mort à six semaines de spina .bifida, on

trouva : 1° un cervelet trop petit de moitié, avec arrêt de déve-

loppement de la protubérance et des olives ; 2° une notable multi-

plication des circonvolutions cérébrales; il était impossible de

découvrir les circonvolutions fondamentales, tandis que l'on cons-

tatait un nombre infini de circonvolutions et de sillons, inconnus

et irréguliers. L'examen microscopique de l'écorce ne révélait pas

d'autres altérations pathologiques, qu'une congestion des vaisseaux

corticaux ; l'écorce était amincie de moitié. Cela s'interprète ainsi,

d'après M. Jelgersma. La substance grise n'avait pas diminué, mais

elle s'étendait sur un plan plus mince; la surface augmentant, il

lui fallait un plus grand nombre de volutes pour que le contenu

restât normal. '

Archives, t. XXIV. 17

258 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.

B. En biologie, il existe une relation entre les manchons myéli-

niques des cylindres-axes du cerveau et la formation des circonvo-

lutions. Cela est si vrai qu'il ne se forme plus de circonvolutions à

l'époque où commence, à l'intérieur du cerveau, la formation de

toutes paris des gaines myéliniques (Huschke, Tuczek). Avant l'ap-

parilion des manchons de myéline, la couche superficielle des cir-

convolutions s'accroît rapidement, il s'y forme des cellules nerveuses,

tandis que le système des faisceaux conducteurs centraux cioit

moins vite. Puis le développement myélinique se généralise, ce

développement augmente le volume du contenu, grossit la surface;

la masse cérébrale augmente, les circonvolutions s'épaississent et se

plissent, mais il ne s'en forme pas de nouvelles. P. KERAVAL.

II. ELECTROPHTHALME ; nouvel appareil POUR la PERCEPTION DES PHÉ-

NOMÈNES lumineux au MOYEN DES sensations thermiques ET DU sens

DU lieu; parK. Noiszewski. (Centralbl. f. Neruenheilk., N. F., t. II,

1891.) 1

Faire voir les aveugles en leur faisant savoir qu'ils ont devant

eux, ou qu'ils vont avoir devant eux un corps éclairant, éclairé, ou

obscur. Leur donner la possibilité de se rendre compte du lieu de

ce corps à l'état de repos ou de mouvement, de façon qu'en tout

temps ils soient en état d'indiquer la direction du mouvement du

corps et d'en distinguer les approches ou la distance. Tel est le

problème résolu.

Voici une chambre obscure dont la paroi postérieure se compose

de trois parties. La première est un disque métallique percé de

trous comme un tamis, et pourvu d'un châssis de métal qui conduit

un courant électrique sur le crible où il se répartit uniformément.

La partie postérieure du tamis est doublée d'une mince lame de

sélénium appliquée contre elle, et enchâssée dans le même anneau

que le tamis; on sait que la lumière provoque, par action sur le

sélénium, un courant électrique. Derrière cette lame, existent des

bâtonnets disposés en brosse d'une notable épaisseur, dont chaque

soie communique avec la face postérieure de la lame de sélénium,

chacune de ces soies se compose d'un petit fil d'or recouvert d'une

couche isoiatrice qui met en communication le sélénium avec la

peau du front du sujet. On assure la communication parfaite de

cet appareil conducteur avec la peau, en ayant soin de prendre au

préalable le moulage du front du sujet auquel l'appareil est des-

tiné ; on fabrique la petite brosse sur ce modèle ; le contact est

ainsi parfait. L'appareil étant placé entre les deux yeux et muni

d'une lentille, les objets éclairants ou éclairés actionnent la lame

de sélénium sur laquelle leurs rayons sont concentrés. Le courant

électrique engendré agit sur la partie correspondante des bâton-

nets ; l'élévation de chaleur produite se transmet à telle ou telle sec-

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 259

lion de la glabelle et l'aveugle est averti. Le mouvement du calo-

rique, sa direction, son intensité, sa localisation, permettent au

malheureux de préciser la nature de l'objet, son état, son siège.

P. il

III. Etat SOMNIFORME CHEZ LES animaux auxquels ON A enlevé LE

CERVELET; par A. 130RGEIERIN¡. (Neurol. Centmlb, 1891.)

Quand le chien est guéri du traumatisme, il récupère la moti-

lité. Mais, si on lui bande les yeux, il demeure immobile, étend les

jambes et s'allonge lentement sur le sol, s'y couche en appuyant le

tronc, le cou, la tête. En vain- l'appelle-t-on de n'importe quelle

façon. Rien n'y fait. Pour qu'il change de position, il faut lui tour-

ner les membres à lui faire mal. Si vous le suspendez par la peau

de la nuque, il abandonne tête, oreilles, pattes, comme s'il était

mort. Diminution des réflexes tendineux; ralentissement de la res-

piration. On lui rend la vue, il reprend son activité motrice. L'au-

teur croit que, le cervelet ayant été enlevé, la privation de la vue

empêche l'animal de corriger son ataxie ; ayant conscience de son

impotence, il refuse de se mouvoir ; c'est une sorte de collapsus.

P. K.

IV. QUELQUES expériences sur, LES CENTRES cortico-moteuus ARRÈS

ligature DES URETÈRES; par A. SPANBOCK. (Neurol. Centralb.,

1891.)

La région du sillon crucial est, au début de l'urémie, parfois

hyperexcitable (courants induits; électrodes de platine); puis son

activité décroît avec les progrès de l'urémie. C'est ainsi que le

montre l'étude comparée de l'excitabilité des régions en ques-

tion, privées ou non de leur écorce, avant et après la ligature

des urelères, à des altérations des centres corticaux mêmes que

ces phénomènes sont imputables. Un discernement expérimental

bien conduit des effets de la narcose chloroformique, du trauma-

tisme, de l'inanition, du refroidissement, montre que cette mo-

dification de l'excitabilité de l'écorce résulte du trouble des

échanges nutritifs produit par l'urémie. Il est à remarquer que

lorsque l'excitabilité de l'écorce a baissé, on obtient des convulsions

motrices (surtout toniques) des plus vives ; il est à croire que les

convulsions ont pour point de départ les centres sous-corticaux pri-

vés de l'influence régulatrice de l'appareil cortical. P. KERAVAL.

V. Contribution A la topographie DES LÉSIONS BULBAIRES dans la

sclérose latérale A3LTOTROPIIIQUE ; par il. IIIUR : 1TOFP. (Neurol.

Centralb., 1891.)

Trois nécropsies montrent, au point de vue qui nous occupe.

A. Dans la substance grise. - 1° Atrophie du noyau principal de

260 REVUE d'anatomie ET DE PHYSIOLOGIE pathologiques.

l'hypoglose avec atrophie, soit complète (2 observations), soit par-

tielle (1 observation) de la racine du nerf en question; - 2° atro-

phie légère du noyau postérieur du pneumo-gastrique; 3° atro-

phie, soit évidente (1 observation), soit faible (2 observations) du

noyau du facial (indemne, dans la troisième observation). Le ra-

meau d'émergence présentait une atrophie partielle, le genou du

facial, et les fibres qui environnent le noyau de l'oculomoteur

externe étaient atteints d'atrophie complète ; - 40 atrophie faible

du noyau moteur du trijumeau (1 observation), intégrité dans les

trois observations du noyau du glosso-pharygien, de l'oculomoteur

externe, de loculomoteur commun.

B. Dans la substance blanche. 1° Sclérose du faisceau pyra-

midal dans toute son étendue; 2° atrophie, peu nette, du fais-

ceau longitudinal postérieur du bulbe, mais extrêmement nette

dans le cas où il y avait atrophie complète du noyau de l'hypo-

glosse, ce qui prouve un consensus parfait avec les altérations des

noyaux ; 3° dégénérescence du faisceau fondamental du cordon

antérieur ; 4° dégénérescence des fibres du raphé, mais exclusi-

vement dans la portion inférieure (ventrale), à la hauteur de

l'hypoglosse; - 5° zones d'atrophie disséminées dans la région ven-

trale (inférieure) du ruban de Reil, à la hauteur de l'hypoglosse,

de l'oculomoteur externe, du facial. P. KERAVAL.

VI. LES altérations DÉGÉNEHATIVES DES CELLULES NERVEUSES dans la

myélite aiguë; par M. Friedmann. (Neurol. Centmlbl" 1891.)

D'après ces recherches, la dégénérescence commence par une

partie limitée de la cellule, celle qui est accessible aux agents colo-

rants, du moins à ceux dont l'auteur s'est servi. (Bleu de méthyle

syst. Kronthal, méthode de Nissl.) Ce n'est qu'après que le noyau

et les prolongements meurent et se résolvent; enfin, la cellule en-

tière se ratatine ou disparaît. P. IC.

VII. Observation SUR la subordination DES dégénérescences des nerfs

PÉRIPHÉRIQUES A la destruction DES noyaux D'ORIGINE, pour faire

SUITE A UN cas de paralysie bulbaire avec sclérose latérale AMYO-

trophique; par P. KnoNTDAL. (Neurol. Centralbl., 1891.)

Le malade (une femme) avait vécu plusieurs années en proie à

cette affection. L'autopsie révéla : dans la moelle une atrophie

complète des cellules des cornes antérieures avec dégénérescence

très prononcée du système pyramidal, légère des cordons alltéro-

latéraux presque totale des racines antérieures. Dans le cerveau,

atrophie des noyaux de l'hypoglosse, du pneumogastrique, du

glossopharyngien, du facial; intégrité de ceux de l'acoustique, du

trijumeau, du moteur oculaire externe, du pathétique, de l'ocu-

lo-moteur commun, dégénérescence des faisceaux pyramidaux

REVUE d'anatomie ET DE PHYSIOLOGIE pathologiques. 261

jusque dans le pédoncule cérébral. Ainsi donc : lésions des nerfs

crâniens périphériques dont les noyaux sont Usés; mais intégrité des

nerfs spinaux périphériques, alors que les cellules des cornes anté-

rieures sont totalement dégénérées. Ce qui prouve que, si la dégéné-

rescence des cornes antérieures peut s'accompagner de dégénéres-

cence des nerfs périphériques, ce n'est pas une conséquence forcée,

et que, par suite, la dégénérescence des nerfs périphériques de la

moelle consécutive à la lésion des cornes antérieures, tient à

d'autres conditions que la dégénérescence des nerfs crâniens

périphériques, consécutive à la lésion de leurs noyaux d'origine.

Peut-être, en ce qui concerne les nerfs spinaux, faut-il penser à

l'influence des cellules nerveuses incluses dans le nerf lui-même ?

P. K.

VIII. UN cas DE RKDUPUCATION ET D'nÉTEMTOPlE partielles DE la

moelle; par L. JacoBSON. (NeuroL. Centralbl., 1891.)

Il s'agit d'un cas de myélite transverse ascendante avec tubercu-

lose de la prostate et des reins ; gommes du crâne. On trouve : 1° la,

réduplication et l'hétérotopie (congénitales de la substance grise.

Voir description et figures) ; 2° les lésions myélitiques, de cause in»

connue. Ce qui est intéressant, c'est que ce malade ait pu, malgré

ses anomalies congénitales, atteindre l'âge de cinquante-cinq ans,

sans avoir aucunement présenté de symptômes témoignant d'un

affaiblissement spinal. Il a alors eu sa myélite (probablement

syphilitique) tout comme si sa moelle eût été normale. Au point de

vue technique, on éprouve de grandes difficultés à travailler, à

colorer ces sortes de moelles, car la coloration des coupes, dans

toutes leurs parties, par les méthodes de Weigert et Pal ne réussit

jamais bien, même pas à peu près, en dépit d'efforts répétés

(Kronthal, Jacobson). P. KÉRAVAL.

IX. NOUVELLE méthode DE coloration du système NERVEUX central ;

par Th. Ziehen. (Neural. Centralbl., 1891.) .

Faites durcir dans un mélange, à parties égales, d'une solution

à 1 p. 100 de chlorure d'or et d'une solution à 1 p. 100 de sublimé.

Durée de trois semaines à cinq mois sans renouveler souvent le

liquide. Pratiquer les coupes, telles quelles, sans l'es inclure. On

les porte dans l'alcool ; elles sont noir bleuâtre par transparence,

rouge brun métallique à l'oeil nu. On les immerge un temps va-

riable, suivant les fragments dans une solution de Lugol (au quart)

ou de teinture d'iode (au quart). Laver à l'alcool absolu. Monter

dans l'huile d'oeillet et le baume du Canada. 11 se produit une colo-

ration gris bleuté des fibres myéliniques, des cellules nerveuses, des

cellules de la névroglie, avec leurs prolongements, les détails et

notamment les contours sont parfaitement distincts. l'. K. i

265 REVUE d'anatomie ET DE physiologie pathologiques.

X. DE la DISTRIBUTION DES CELLULES NERVEUSES dans LE SEGMENT

LE PLUS INFÉRIEUR DU CANAL VERTÉBRAL CHEZ L'HOMME ; par

A. Hoche. (Neu1'ol.- Cent¡'albl., 1891.)

Jusqu'à ce jour, on a prétendu que, sur une coupe transverse de

moelle épinière, l'existence de cellules nerveuses est limitée à la

substance grise et que, les quelques cellules nerveuses isolées, qui

occupent la substance blanche, avoisinent la substance grise et,

morphologiquement, sont identiques aux autres. On sait aussi que,

dans toutes les racines postérieures de la moelle, il y a quelques

cellules nerveuses, exceptionnellement même de petits groupes

cellulaires dont les éléments ont les mêmes caractères que les

cellules des ganglions spinaux des quelles ils tiennent au point de

vue émbryogénique; jusqu'ici, on n'a pas trouvé de cellules ner-

veuses dans les racines antérieures. En outre, dans le canal verté-

bral, en dedans de la dure-mère, existent d'ordinaire le ganglion

du nerf coccygien (Schlemm), ainsi que les cellules nerveuses des fins

trousseaux nerveux du filum terminal (Rauber) qui sont considérées

comme les ganglions spinaux d'une 32" et 33° paire nerveuse rudi-

mentaire. M. Hoche a aussi observé (5 cas sur 6 examens) des

cellules nerveuses au-dessous du renflement lombaire qui vont

jusqu'au cône terminal, en nombre et en étendue variés, selon les

individus. Elles existent entre les fibres émergents des racines

antérieures, à l'endroit où ces racines traversent la pie-mère dans

les prolongements de laquelle elles se drapent, immédiatement

au-dessous de cette méninge, entre ses lamelles, et çà et là, jusque

dans les faisceaux radiculaires descendants. Elles n'ont pas les

caractères des cellules de la substance grise; grosses, ovales, par-

fois plus grosses que les plus grosses des cornes antérieures, à

noyau excentrique, pourvu d'un nucléole, elles sont fréquemment

fortement pigmentées... Pour ces motifs, ce sont des cellules auto-

nomes, indépendantes, d'autant plus qu'en ces régions, on ne trouve

pas de cellules nerveuses dans la substance blanche (il ne s'agit

donc point d'une migration). Dans la queue de cheval, il n'est pas

rare de trouver des cellules nerveuses (embryon humain de huit

mois). P. KERAVAL.

XK Annexe au travail intitulé : Des différentes situations et dimen-

sions du faisceau pyramidal; par W. Bechterew. (Neurol. Cen-

tralbl., 1891 1.)

Le travail de Lenhoessek sur le même sujet (Anat. Anzeig., 1880,

n° 7) arrive à des résultats analogues. Toutefois, la priorité lui

appartient quant à la situation du faisceau pyramidal chez les ron-

geurs, dans les segments antérieurs des cordons postérieurs, par la

méthode embryogénique. P. K.

' Voy. Archives de Neurologie, Revues analytiques.

REVUE d'anatomie ET DE physiologie pathologiques. 263

XII. Remarque relative A la racine médiane DU nerf OPTIQUE

chez LES oiseaux; par PERLIA. (Nezcool. Centralbl., 1801.)

M. Perlia prétend avoir décrit le premier un trousseau de fibres

qui, se détachant de la bandelette optique, s'en va, à travers le

cerveau moyen, jusqu'à l'arrière du cerveau où il gagne un noyau

relativement volumineux situé sur les côtés du noyau du pathé-

tique. P. K.

XIII. DES systèmes DE fibres QUE L'ON TROUVE SUR LE plancher

DU troisième ventricule; par L. D.1R65CHE\V1TSCH et G. RIBYTKOW.

(Neurol. Centralbl., 1891.)

Abstraction faite des fibres qui appartiennent au nerf optique,

quels sont chez l'adulte les systèmes de fibres que l'on peut distin-

guer de la substance grise du troisième ventricule. Ce sont : immé-

diatement en arrière du chiasma, deux systèmes superposés, mar-

chant parallèlement au chiasma. La commissure de Meynert et le

faisceau ou entre-croisement de Forel. Un troisième occupe le chiasma,

c'est le faisceau indépendant ou commissure de De Gudden. L'indé-

pendance de la commissure de Meynert et du faisceau de Forel est

démontrée par l'étude des cerveaux des nouveau-nés. Le faisceau

de Forel se garnit de myéline plus tard que la commissure de

Meynert. Ses fibres se composent d'une partie des fibres anté-

rieures (côté cérébral) du noyau rouge de la calotte, se dirigent en

bas, s'entre-croisent au-dessous du troisième ventricule, puis, tout

le long du plan inférieur du pédoncule cérébral, s'insinuent entre

ce pédoncule et la bandelette optique pour atteindre la partie

basale du noyau lenticulaire. La commissure de Meynert com-

prend deux systèmes : l'un se compose des fibres qui unissent le

noyau lenticulaire au corps de Luys du côté opposé; l'autre, des

fibres du ruban de Reil médian qui, après entre-croisement sur le

plancher du troisième ventricule, vont, du côté opposé, au corps de

Luys et au noyau lenticulaire. Cetle commissure n'a aucun rapport

avec les deux corps genouillés. La commissure de De Gudden

est formée de fibres qui unissent, par entre-croisement, les corps

genouillés internes aux noyaux lenticulaires. P. KERAVAL.

XIV. DE l'innervation ET DES centres cérébraux DE la sécrétion

lacrymale; par W. 13ECHTEREN et V. nlISLAR'SIiI. (Neurol. Ces-

Des expériences méthodiques de vivisection des auteurs, il

résulte que le centre réflexe principal de la sécrétion lacrymale

occupe les couches optiques et que c'est là même que se trouvent

les voies conductrices centrales du grand sympathique cervical qui

monte ensuite jusqu'à l'écorce des hémisphères. P. K.

264 REVUE d'anatomie ET DE PHYSIOLOGIE pathologiques.

XV. UN cas d'anomalie dans LE trajet DES FIBRES ET DE redouble-

ment partiel DE la MOELLE chez UN paralytique général ; par

B. FEIST. (Neurol. Centrnbl., 1891.)

A lire en entier. Car la description tout entière fait, avec les

figures, l'intérêt de l'observation. P. K.

XVI. Contribution A l'étude DE la névrite multiloculaire ;

par M. 13Rnsca. (Neurol. Centralbl., 1891.)

Fait se rapprochant des observations de Korsakow. Hyperexcré-

tion anormale d'urobiline dans l'urine comme dans les faits de

Harley (British med. Journal, nov. 1890) et Korsakow. D'où la patho-

génie. Intoxication par une substance d'origine externe ou interne

luto-intoxication),bactérienne ou autre. Peut-être l'urine était-elle

ans l'espèce l'émonctoire protecteur. P. K,

XVII. CONTRIBUTION A la casuistique DES affections EN FOYER DE la

protubérance ET, EN particulier, DES -troubles DE la parole

ANARTHRIQUES; par ST. MARKOWSKI. (Archiv f. Psychiat.,XXlII, 2.)

De notre observation personnelle, dit l'auteur, il résulte que :

1° Les foyers de ramollissement unilatéraux de la moitié gauche de la

protubérance n'entraînent pas nécessairement des troubles de la parole,

alors même que ces foyers ont détruit toute la masse des pyramides cor-

respondante. 2° Quand la masse gauche des pyramides est détruite

dans lé bulbe, un foyer de ramollissement dans le côté droit de la pro-

tubérance suffit, s'il détruit la partie médio-dorsale de la masse pyramidale

opposée (droite), pour produire de l'anarthrie. 3° Par conséquent, il y

a lieu d'admettre que les voies motrices qui commandent a la parole

passent par les deux moitiés de la protubérance, et par suite qu'il y en a

des deux côtés. 4° Il y a lieu aussi d'admettre que, dans la protubé-

rance, les voies motrices de la parole occupent les parties médianes et

postérieures (dorsales) de la masse des pyramides.-Il Il en estde même.'pour

' les troubles de la déglutition ; tant qu'il n'y a de foyer protubérantiel que

dans la moitié gauche du pont de Varole pas de dysphagie, elle n'apparaît

que s'il y a en outre un foyer à droite. De même que pour les actes

coordonnés volontaires de la parole le mouvement coordonné qui

préside à la mise en train de la déglutition est sous la dépendance

de tractus spéciaux qui passent par le bulbe et unissent le centre de la

déglutition bulbaire avec le cerveau. Nous expliquerons donc le trouble

de la déglutition comme nous expliquerons le trouble de la parole, par

l'interruption, dans le bulbe, de ces tractus d'association. Ces faisceaux de

]a pal ole et de la déglutition sont voisins dans le bulbe, puisque les mêmes

foyers, à localisation identique, produisent simultanément des troubles

de la parole et de la déglutition.

De l'étude analytique des cas de la bibliographie, un point se

dégage. Les foyers unilatéraux avec anarthrie sont plus rares que les

foyers unilatéraux sans troubles de la parole du tout. L'anarthrie

REVUE d'anatomie ET de PHYSIOLOGIE pathologiques. 265

en tout cas peut se produire (dans les cas de foyers protubérantiels)

non seulement par des foyers gauches mais aussi par des foyers

droits. Quand le foyer de ramollissement est bilatéral, presque tou-

jours, il y a anarthrie. P. IL

XVIII. LE POIDS DU cerveau dépend DU poids DU CORPS ET DES aptitudes

mentales; par 0. Snell. (Archiv. f. Psychiat., XXIII, 2.)

Etant donné deux animaux ayant une valeur intellectuelle à peu

près égale, le plus petit a un encéphale plus léger au point de vue

absolu mais, relativement plus lourd. Cela tient à ce que le travail

des échanges nutritifs, qui est sous la domination de l'encéphale,

est proportionnel à la grandeur de la surface du corps et que la sur-

face du corps est chez les petits animaux relativement plus grande.

Formule h = Iiy p.

Dans cette formule,

h est le poids de l'encéphale,

K - - du corps.

s, exposant somatique, correspond au nombre ajouté comme

exposant au poids du corps; il exprime le rapport du

poids encéphalique avec celui d'un autre animal, en tant

que ce poids cérébral dépend des fonctions physiques;

p est le facteur psychique; il exprime le degré des aptitudes

mentales de l'animal correspondant.

Snell a déterminé s et p pour une série d'animaux.

266 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.

hallucinatoire chronique. Autopsie. Un kyste dans le putamen,

n'ayant provoqué aucun symptôme pendant la vie qui puisse faire

penser à une affection en foyer.

Par conséquent, il est douteux que, dans les deux premières observa-

tions, le trouble de la motilité doive être rattaché à une lésion du noyau

lenticulaire.

XX. UN cas d'atrophie musculaire spinale PROGRESSIVE COMPLIQUÉE

DE LÉSION DES NOYAUX BULBAIRES ET DE L'ÉCORCE; par A. ÂLZHEIMER.

(Archiv. f. Psychiat., XXIII, 2.)

Homme de trente-trois ans, sans tares. En 1879, atrophie de

t'éminence thénar gauche. En 1881, syphilis. A la fin de 1889,

douleurs gastriques et vomissements. En février 1890, psychose

aiguë (délire). Actuellement atrophie des muscles des deux bras et

des épaules; convulsions fibrillaires. Rien du côté de la sensibilité;

pas de spasme; exagération des réflexes tendineux. Délire intense;

désordre excessif dans les idées. Mort. - Autopsie. Epaississement

de la pie-mère et des vaisseaux cérébraux; épendymite. Atrophie

des cornes antérieures de la moelle, du plexus brachial, des

muscles des extrémités supérieures, des épaules et du diaphragme.

Carcinome hépatique; tuméfaction de la rate et des ganglions

lymphatiques. Au microscope, atrophie simple des cornes grises

antérieures de la moelle; légère sclérose des faisceaux radiculaires

antérieurs ; hypertrophie de quelques fibres dans les muscles

atrophiés, grave altération des vaisseaux sur le plancher du qua-

trième ventricule, dégénérescence des cellules nerveuses dans les

noyaux des cordons postérieurs, du pneumogastrique, de l'acous-

tique, dans le corps optostrie; lésions diffuses des cellules nerveuses

de l'écorce. - P. IL

XXI. LE topotiiermoesthésiomètre ; par NoiszEwsKi. (Centralbl. f.

Nervenheilk., N.F., II, 1891.)

C'est une mince lamelle d'ivoire traversée par de très minimes

petits crayons de platine dont on a poli et émoussé les extrémités

au ras de chacune des faces de la lamelle. Ces crayons sont éloi-

gnés l'un de l'autre de 1, 2, 3, 4, 6, 6, 7, 8, 9, 10 millimètres et plus,

distances toujours nettement mesurées. On fait communiquer deux

crayons au moyen de petites plates-formes en zinc de 2 millimètres

sur un demi-millimèlre, montées à l'extrémité d'un compas spé-

cial. On chauffe ces plates-formes et, en les mettant en communi-

cation avec deux crayons écartés, suivant les cas, de 1, 3, 10 milli-

mètres, on en transmet la chaleur exactement déterminée à l'avance.

Voici comment on apprécie le sens thermique. Sur un point qui

est en dehors de la lame d'ivoire on applique un bâtonnet chauffé

à une température déterminée. On applique en même temps, par

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 267

comparaison, sur les crayons les plates-formes de zinc chauffées à la

lampe à alcool, jusqu'à ce que la personne en expérience déclare

égale la température des sensations thermiques auxquelles elle est

simultanément soumise. Alors on lui demande si elle ressent une

ou deux impressions thermiques; généralement elle ne commet

pas d'erreur de plus de deux dixièmes de degré.

Sur 20 personnes, M. Noiszewski a trouvé :

1° Les endroits de la surface cutanée doués d'une sensibilité tactile

exquise, sont aussi doués à un haut degré de la propriété de localiser

les sensations thermiques. Ces endroits sont : le bout des doigts, la gla-

belle. - 2° Quant à la distance, deux de nos individus pouvaient perce-

voir deux sensations thermiques écartées de 1 millimètre (extrémités

digitales), pour onze d'entre eux l'écart était de 1 à 2 millimètres (gla-

belle); un vieillard, atteint de paralysie faciale et un neurasthénique

en possession d'une sensibilité différentielle normale pour le tact et la

température, percevaient deux sensations 'écartées de 10 millimètres

(extrémités des doigts) ou de 5 millimètres (glabelle), mais non plus rap-

prochées. P. K.

XXII. Etude SUR LES poisons DE L'INTELLIGENCE;

par le Dr Legrain.

Dans ce travail, à l'aide d'une analyse minutieuse d'un nombre

considérable de substances appartenant à tous les règnes et dont

une des propriétés est d'altére les fonctions cérébrales, l'auteur

s'est efforcé de faire une sorte de synthèse, une sorte de pathologie

générale des intoxications psychiques. Il est impossible de le

suivre dans tous les détails qu'il donne dans la seconde partie de

son travail (partie analytique); c'est une accumulation de faits

empruntés à l'histoire de chaque poison en particulier. L'auteur a

tout naturellement éliminé de son travail analytique les poisons

très connus, ceux qui sont d'un usage journalier dans notre

société moderne et qui sont l'objet de monographies nombreuses

(morphine, opium, tabac, cocaïne, etc.). Il a réservé son attention

pour les substances moins connues, et dont l'histoire est éparse de

tous côtés dans les dictionnaires et autres manuels de thérapeu-

tique ou de matière médicale.

Un des points les plus originaux du mémoire est celui qui traite

de l'étiologie des intoxications psychiques. M. Legrain montre que

de tout temps l'homme, à quelque société qu'il appartienne, a

recherché, pour en faire usage, et souvent abus, les substances

excitantes pour son système nerveux. Chaque peuple a son poison

cérébral. Cet empoisonnement volontaire s'étend de quelques indi-

vidus à la collectivité; il devient national, puis ethnique avec

toutes les conséquences désastreuses pour la race (alcoolisme, thé-

baisme, kawaïsme, etc.). Il montre que ce- sont les peuples les

plus civilisés, les plus intellectuels qui, comparativement, fournis-

\

2fi8 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.

sent le plus de victimes aux poisons de l'intelligence. Bien des

considérations intéressantes sont ensuite exposées sur les origines

vraies des empoisonnements collectifs, sur les causes qui poussent

l'homme à rechercher cette satisfaction intellectuelle que lui pro-

curent les excitants artificiels, au détriment même de sa santé

générale, sur la transformation du simple usage en abus. 11 montre

que l'homme a une tendance toute naturelle, toute animale si l'on

peut dire, à rechercher partout son bien-être immédiat, souvent

même aveuglément, sans souci du lendemain.

L'extension du mal réside dans le besoin d'imitation qui mène

les masses; il existe d'autres causes accessoires : les mauvais con-

seils, l'entraînement, les préjugés sociaux, etc.

En face des intoxications dites volontaires, c'est-à-dire consen-

ties, et recherchées par l'homme, M. Legrain place les empoison-

nements accidentels : empoisonnements industriels et profession-

nels (plomb, sulfure de carbone, etc.); thérapeutiques (opium,

iodoforme, etc.) ; empoisonnements engendrés par la pratique de

la vie courante (appareils de chauffage ; aliments de mauvaise

qualité, piqûres d'animaux, etc.); enfin, empoisonnements d'ori-

gine humaine (vicieuse élaboration de la matière ; poisons d'o-

rigine intestinale, ptomaïsme, etc.). Ces derniers faits très impor-

tants ont été bien mis en lumière.

Après une digression sur le mode d'action des poisons sur l'in-

telligence, l'auteur aborde la symptomatologie générale. Tous

produisent un premier degré caractérisé par l'ivresse (ivresse

quinique, chloralique, ergotique, iodique, thébaique, etc.) A

l'ivresse se joignent d'autres troubles intellectuels élémentaires :

état de stimulation, état de dépression, troubles du caractère, de

l'idéation, insomnie ou hypnose, désordres de la mémoire etc.,

enfin des états délirants qui sont ramenés à plusieurs types : le

type maniaque (délire fébrile), le type alcoolique (alcool, datura,

atropine); le type maniaque expansif (benzine, gaz hilarant); le

type mélancolique (kawa, licheguana) ; les formes mixtes et les

états vésaniques (toujours symptomatiques d'une tare cérébrale.)

Les autres phénomènes pathologiques contemporains de l'in-

toxication compléteront cette esquisse; phénomènes généraux (dé-

faillances, syncope, stupeur, coma, céphalalgie, vertiges, etc.) ;

troubles de la motilité (contractures, crampes, convulsions,

spasmes, paralysies de divers ordres); troubles de la sensibilité

pseudesthésies, hypéresthésies, anesthésies, troubles localises dans

les divers sens, etc.).

Ce chapitre, bourré de faits, échappe à l'analyse. L'auteur les

classe méthodiquement et joint toujours l'exemple à renonciation

des phénomènes morbides. C'est la partie du mémoire la plus

utile aux chercheurs.

Un autre chapitre est consacré à la marche, à la durée et à la

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 269

terminaison des empoisonnements psychiques. Enfin l'auteur énu-

mère sous forme d'axiomes très nets les caractères généraux de

ces intoxications.

. Nous n'avons donné qu'une bien faible idée de cet important

travail qui ne comporte pas moins de quatre-vingts pages. La mul-

tiplicité des documents entassés, la méthode employée par l'au-

teur pour apporter la lumière sur son sujet très compliqué, dont on

n'avait pas encore abordé l'étude générale, enfin des considéra-

tions originales intéressant l'hygiéniste, l'anthropologiste et le

philosophe en font un mémoire très instructif et utile il consulter.

C'est un véritable travail d'encyclopédie. Nous espérons que notre

trop courte analyse engagera néanmoins les curieux à lire l'ori-

ginal dont ils tireront le plus sérieux profit. (Annales mtidico-psycho-

logiques, 1891-92). E. BL1N.

XXIII. Combinaison DE l'image photographique DU cerveau ET DE CELLE

du crâne; par R. Sommer. (Centmlblatt f. ifeimenheilk., N. F., II,

- 1891.) -

Pour se rendre compte des rapports exacts des sutures crâniennes

entre elles et des sutures avec les différentes régions du crâne

(étude de l'atrophie cérébrale des paralytiques généraux) l'auteur

photographie le crâne en en précisant la position à l'aide d'appa-

reils spéciaux (appui-tête, fixateur, planimètre réticulaire du cru-

niographe de Rieger) ; il détermine aussi exactement la position de

l'appareil photographique, l'éloignement de l'objectif de l'objet et

du fond de la chambre noire. Pour être sûr du grossissement

obtenu, il photographie un réseau quadrillé de fils gradués par

centimètres carrés. Voici donc le crâne obtenu avec précision par

ce système de coordonnées réelles et de coordonnées optiques.

On l'ouvre à la scie sans le changer de position et on détache les

membranes; on photographie le cerveau in sita avec le même

appareil, dans les mêmes conditions topographiques. Vous avez

donc deux images identiques du cerveau et du contenant. Super-

posant ensuite vos positifs, vous dessinez les sutures craniennes et

les divers accidents normaux et anormaux du crâne sur l'image

cérébrale sous-jacente. Vous obtenez ainsi la projection exacte et

les rapports que vous cherchez'. J. P. E;ERAVAL.

XXIV. UN cas d'atrophie musculaire précoce CHEZ UN hémiplégique ;

par L. DARKSCIIEWITSCII. (Neurol. Centralbl., 1891.)

Hémiplégie droite totale, y compris facial et hypoglosse ; aphasie

motrice complète; cécité verbale, diminution de la sensibilité à

' A comparer avec le cI'(1niomètl'e optique de Bénédikt, voyez Anthro-

pométrie cranioccphalique. Paris, in-8°, 1889.

270 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

droite ; exagération des réflexes tendineux du même côté ; gâtisme.

Quatre semaines plus tard, l'hémiplégie a presque disparu, mais

le deltoïde, le sus et le sous-épineux présentent une atrophie évi-

dente, arthrite de l'épaule; l'atrophie gagne l'avant-bras, la main.

Nouvel ictus. Mort. Autopsie. Dans le corps strié gauche, ancien

foyer de ramollissement occupant la substance blanche de l'insula,

la capsule externe, la branche antérieure de la capsule interne, la

partie antérieure de la branche postérieure de la capsule interne,

le noyau leuticulaire, la tête du noyau caudé, une grande partie

de la substance blanche de la troisième frontale. Foyer récent

dans le corps strié droit. Dégénérescence descendante du pédon-

cule cérébral, occupant le tiers interne de ce dernier, on la suit Il

travers toute la protubérance, dans le bulbe où elle gagne tout le

faisceau pyramidal antérieur et s'étend au faisceau pyramidal laté-

ral sur toute son étendue. Intégrité complète des cornes antérieures

et des racines de la moelle. Intégrité des cornes antérieures et des

nerfs périphériques. Dans les muscles atrophiés, on trouve une

diminution de volume des faisceaux primitifs; la substance inter-

médiaire a proliféré, les noyaux se sont multipliés. Conclusion.

Amyotrophie et arthropathie cérébrales par foyer de ramollis-

sement dans l'hémisphère gauche. P. K.

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE

XIII. Température élevée CHEZ UNE HYSTÉRIQUE.

Je fus appelé pour visiter Mll0E..., le 13 juillet 1891. Elle avait

environ vingt-deux ans; elle était affectée de dysménorrhée, et les

apparences décelaient chez elle des convulsions hystériques. Avec

l'aide des remèdes ordinaires elle fut rétablie et cela au bout de

cinq ou six jours.

Je la revis au mois d'octobre et elle était encore atteinte du

même mal. Après cela, elle se rendit à la campagne, à 8 milles

de là, et commença à faire l'école. Au mois de lévrier, le Dr L...

la vit, et à cette époque elle était dans le même état, quoiqu'il

n'existât chez elle aucun désordre sérieux, selon toutes apparences.

On lui prit sa température et l'on trouva 110° F. (43°3), tempéra-

ture qui se maintint égale pendant trois ou quatre jours, chaque

après-midi. Je fus mandé en consultation vers le cinquième jour.

Je trouvai comme température 108° F. (42°2) et en une heure le

mercure atteignit le sommet de la colonne qui marquait 112° F.

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 271

(44°4). J'avais un bon thermomètre Hicks, certifié par Yale, et le

plaçai sous le bras de la malade, au bout de trois minutes il éclata.

Le D1' L... en avait un semblable qui se cassa en moins de temps.

Nous trouvâmes un thermomètre de Hicks vérifié et marquant

116" F., mais celui-ci également se brisa au bout de quelques mi-

nutes après avoir été placé sous l'aisselle. L'aspect de la malade

était bon et quiconque l'aurait vue aurait dit qu'elle n'avait que

peu de chose. Les selles étaient toujours régulières et normales.

Elle ne se plaignait jamais de rien si ce n'est d'un peu d'engour-

dissement qui la prenait vers une heure de l'après-midi, pendant

iiois ou quatre jours. Elle finit'par souffrir de névralgie faciale. Je

lui fis prendre du salycilate de quinine en tablettes, 5 grains toutes

les trois heures, avec 10. grains, une fois par jour, d'antikammia.

Elle est actuellement rétablie, va partout et se porte aussi bien

que le premier venu. La température est normale.

Six ou huit médecins ont vu le cas, tous ont vérifié cette haute

température, quoiqu'ils fussent au début très sceptiques. Je ne

pourrais dire jusqu'à quel point la température aurait pu monter

puisque 116° F. était le maximum que je pus constater avec mon

thermomètre, le mercure arrivait à ce point et alors l'instrument

éclatait. (The med. Record. 9 avril 1892.)

Il s'agit là d'un cas si exceptionnel que, malgré les dires

de l'auteur et les vérifications faites, on est en droit de se

montrer sceptique.

XIV. UN CAS DE TABES DORSAL TRAUMATIQUE AVEC ULCÉRATIONS PLAN-

TAIRES (mal perforant) simultanées ; par V. HiNzE. (Centralbl. f.

Nervenheilk, N. F. II, 1891.)

A la suite d'une fracture de la jambe gauche, on constate : dis-

parition des réflexes tendineux, analgésie, ralentissement des sen-

sations douloureuses, diminution de l'appréciation du sens de

l'espace, ataxie. Pas de douleurs lancinantes. Ulcérations plantaires

symétriques aux deux pieds avec troubles [de la nutrition. P. K.

XV. UN cas DE POLIOMYI'sLENCFPH.1LITE CHRONIQUE ; par K. SCHAFFER

(Centralbl. f. Nervenheilk, N. F. II, 1891.)

Cas caractérisé par l'atteinte isolée des fonctions motrices du

système nerveux ; paralysie bilatérale de l'oculo-moteur commun,

du pathétique, de l'oculo-moteur externe, du facial, du pneumo-

gastrique, de l'hypoglosse et des noyaux moteurs de l'axe spinal.

Intégrité complète des organes sensoriels. En un mot, lésion de la

substance grise du cerveau et de la moelle (cellules des cornes an-

térieures, noyaux du bulbe et du cerveau moyen); combinaison,

par conséquent, de : a, polioencéphalite supérieure (ophthalmoplé-

272 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

gie nucléaire) ; b, polioencéphalite inférieure (paralysie bulbaire);

c, poliomyélite chronique. Ce qui est très rare, c'est la symétrie et

la bilatéralité des lésions des noyaux nerveux homologues, avec

une telle précision. ~La syphilis étant écartée, la variation dans

l'intensité des phénomènes (blépharophose, force musculaire, ar-

ticulations des labiales), indique une inflammation chronique à

intensité variable. P. K.

XVI. Trépanation POUR LES TUMEURS DU cerveau; par HAYES

AGNEW. (University med. Magaz., oct. 1891.)

Il n'a été fait que cinq opérations pour ces tumeurs par les chi-

rurgiens de Philadelphie.

Dans un cas, c'était un fibroma pesant quatre onces et partant de

la dure-mère, qui n'était pas proprement un'néoplasme cérébral.

Cette opération fut faite par le DrKeen, le 15 décembre 1887,

époque depuis laquelle le malade n'a eu que six attaques d'épilep-

sie. Dans le second cas, opéré également par Keen, la tumeur

était localisée dans le lobe occipital et ne fut pas enlevée, car le

malade mourut le jour suivant à la suite d'une chute et d'une

hémorrhagie. Dans le troisième cas, on ne trouva pas de tumeur,

et dans le quatrième, celui du professeur Wood el le mien, on

découvrit un kyste occupant le cuneus, on en fit l'extirpation. Le

cas dont l'issue fut fatale au bout de trente-six heures fut autopsié,

et l'on trouva un sarcome occupant le lobe temporo-sphénoïdal.

Avant l'opération, on n'avait pas constaté la présence de symptômes

locaux.

Naturellement, ces cas ne sont pas assez nombreux pour me

permettre d'en tirer des conclusions convenables, mais considérés

au point de vue de la littérature du sujet, les résultats des opéra-

tions pour l'extirpation des tumeurs cérébrales, ne peuvent pas

passer pour bien brillants.

11 existe toujours, dans l'état actuel de nos connaissances, un

certain degré d'incertitude sur la nature, l'étendue et l'emplace-

ment exact des néoplasmes intracraniens.

S'ils sont de caractère tuberculeux (et presque la moitié sont de

cette nature, spécialement chez les jeunes sujets), ils tendent à être

multiples, et offrent en conséquence peu d'espoir de succès pour

une opération, comme le prouve l'histoire de divers cas semblables.

Si l'excroissance était un sarcome ou un carcinome, leur étendue,

avec la tendance qu'ils ont à s'infiltrer et à désorganiser le tissu

.environnant le cerveau, rend tous les essais d'extirpation incer-

tains, souvent improbables, et rarement couronnés de succès. Dans

la collection des tumeurs cérébrales de Starr, s'élevant au nombre

de trois cents, dix-neuf seulement auraient pu justifier un essai

d'extirpation.

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 273

Les cas dans lesquels les opérations peuvent courir des chances,

sont des fibromes adhérents à la dure-mère, des kystes et des

gliomes. Je ne veux cependant pas qu'on croit que je cherche à

mettre obstacle aux praticiens qui cultivent cette branche de la

chirurgie. Les succès déjà obtenus à la suite des différentes

opérations faites par des neurologistes et des chirurgiens, peuvent

servir d'encouragement pour des succès futurs encore plus grands.

Tableau n° 8. Opérations pour des tumeurs du cerveau. '

274 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

XVII. DE l'asymétrie du crâne dans LE torticolis ; par H, KURELLA

(Centralbl f. Nervenheilk, N. F. II, 1891.)

Observation montrant qu'une contracture du sterno-cléïdo-mas-

toidien, du trapèze et du splénius du côté gauche, originaire des

premiers mois de la vie, a abaissé le rocher, tiré sur la partie

écailleuse de l'occipital et déplacé en bas et à gauche la moitié

correspondante du crâne. La base du crâne a été entraînée dans

ce mouvement, comme l'indiquent le prognathisme et l'asymétrie

palatine. La compression permanente des vaisseaux englobés dans

la région, a déterminé en même temps une atrophie de la moitié

gauche du crâne. P. K.

XVIII. SUR UNE affection cérébrale PRODUITE FAR la syphilis CONGÉ-

NITALE ; par A. ERLENMEYER. (Centralbl. f. Nenenheilk, N. F., II,

1891.)

Cette affection se produit chez des enfants de douze à seize ans

(cinq observations). Elle ressemble à la paralysie infantile d'ori-

gine cérébrale, moins la paralysie et la contracture qui font tota-

lement défaut. Mais il n'y aurait là qu'une question de degré, ou

plutôt d'étendue de la lésion cérébrale. Dans les deux espèces

morbides, il y a inflammation, la paralysie infantile ordinaire

constituant la forme grave (hémiplégie, convulsions, arrêt de déve-

loppement, contractures), tandis que la forme signalée dans cet

article serait la forme atténuée (ni paralysie, ni contractures). La

première aurait pour facteur la propagation des lésions corticales à

la substance blanche (l'hémiplégie émanant de l'atteinte des fais-

ceaux conducteurs), tandis que dans la seconde, les lésions reste-

raient localisées à l'écorce. x

Quant à l'étiologie syphilitique, c'est une hypothèse permise à

raison de l'obscurité de l'étiologie de cette maladie. Le trauma-

tisme est jusqu'ici la seule cause connue. On a, il est vrai, aussi

attribué la paralysie infantile cérébrale à un germe infectieux,

parce que, parfois, elle est consécutive à la scarlatine. Mais pour-

quoi ne pas admettre que la syphilis congénitale, restée latente

jusqu'à l'époque de la scarlatine, se serait manifestée à l'occasion

d'une maladie fébrile ? 2 P. K.

XIX. UN cas DE. paralysie de BROWN-SÉQUARD ; par A.-E. KJOEH.

(Neurol. Centoalb., 1891.)

Mais il lui manque l'hypéresthésie qui, d'ordinaire, s'installe,

-aussitôt après la lésion, du côté parésié, l'absence du sens muscu-

laire du côté où la moelle est lésée. Le malade n'a que peu de

chose à la vessie et au rectum. D'ailleurs, la maladie remontant à

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 21S

douze années, il n'est pas étonnant que quelques symptômes se

soient effacés. D'ordinaire c'est la paralysie motrice qui disparaît

tandis que l'anesthésie croisée subsiste. L'affection provient d'un

traumatisme ; le patient reçut un coup de poignard à peu près au

milieu du dos, à gauche de laligne médiane. P. K.

XX. DEUX cas DE paralysie générale AIGUE ; par ZACHER.

(Neurol. Ce)t<6., 1891.)

Paralysie générale aiguë (trois et quatre semaines de durée),

sans encéphalite interstitielle. Forme du délire aigu. Inflammation

diffuse de la pie-mère, adhérences circonscrites, granulations épen-

dymaires, hypérémie excessive du cerveau, surtout au niveau de

l'écorce. Atrophie considérable et étendue des fibres, dans le gyrus

rectus et les circonvolutions frontales antérieures. La névroglie est

déjà épaissie; on voit de belles cellules-araignées par groupes ; les

vaisseaux commencent à être touchés. Mais en réalité, c'est l'encé-

phalite parenchymateuse qui domine. P. KERAVAL.

XXI. DE la chorée héréditaire; par E. RE ! ! AK.

(Neurol. Centralbl., 1891.)

06s. I. Chorée héréditaire typique, consécutive à l'épilepsie.

06s.JJ.Athétose progressive bilatérale, constituant une chorée héré-

ditaire atypique. P. K.

XXII. UN cas d'atrophie musculaire par lésion articulaire (ATRO-

PHIE MUSCULAIRE AR11 ! ROl'ATHIQUE); par L. DAIIKSCHEWITSCH. (Nell-

rol. Centralbl., 1891.)

Mort par lésion organique du coeur (artérios-cléroses, rétrécisse-

ment aortique. Nécropsie. Hypertrophie cardiaque excentrique,

dégénérescence graisseuse du myocarde ; endaortite chronique

déformante), oedème pulmonaire, cyanose rénale, foie muscade;

gastro-entérite catarrliale chronique, hypérémie cérébrale, syno-

vite panneuse de l'articulation de l'épaule gauche. Pas d'altération

du système nerveux. Atrophie musculaire simple (étude micros-

copique). P. K.

XXIII. Contribution A L'ÉTIOLOGIE de la paralysie faciale PÉRIPHÉ-

RiQuF; par S. GOLDPLAf. (Neurol. Centralbl., 1891.)

Paralysie faciale périphérique tout au début de la syphilis, à la

période du premier exanthème, alors qu'il ne saurait être question

de gommes, exostoses, etc... Quatre petites observations. Nec

plura. P. K.

276 REVUE DE pathologie NERVEUSE.

- XXIV. DE l'hémianopsie bilatérale D'ORIGINE centrale ; par

A. Groenouw^ (Archiv f. Psychiat., XXIII, 2.)

Une observation personnelle. Etude critique des observations des

auteurs. Analyse extrêmement bien faite.

Conclusion. Quand, dans l'hémianopsie bilatérale, d'origine

centrale, une partie du champ visuel reste conservée, cette partie

contient généralement, sinon toujours, le point de fixation. Les

troubles du sens du lieu, qui se montrent dans les lésions du lobe

occipital, tiennent à la perte d'un grand nombre d'images commé-

moratives des impressions optiques. P. K.

XXV. SUR UN cas DE paralysie PROGRESSIVE CHRONIQUE DES MUSCLES DES

YEUX, associé A UNE amblyopie toxique ; par BOEDEKER. (Archiv f.

Psychiat., XXIII, 2.)

D'abord les accidents sus-désignés du côté de l'oeil, puis accidents

du tabes et de la paralysie générale. On observa ce malade huit

ans. Autopsie : étude microscopique. L'auteur insiste sur l'évo-

tion des symptômes intraoculaires : décoloration des segments

temporaux des papilles; dix-huit mois après, l'ensemble des deux

papilles est altéré ; six mois avant la mort décoloration atrophique

des deux papilles, plus accusée sur les moitiés temporales tandis

que les moitiés internes présentent une réflexion rougeâtre de la

lumière surtout à gauche. Ce n'est donc pas une atrophie tabético-

paralytique ; c'est une amblyopie alcoolicotabétique. La marche

confirme ce diagnostic ; début graduel, amélioration par intervalles

atteinte presque simultanée, symétrique des deux yeux, scotôme

pour le rouge et le vert dans le champ visuel périphériquement

libre, avec diminution d'acuité. Le microscope révèle une névrite

interstitielle ; le tissu conjonctif prolifaré, les noyaux se sont

multipliés, cette hypergenèse affecte la forme d'un coin qui, péné-

trant en arrière de la papille, s'étend plus loin en demi-lune ou en

un ovoïde arrondi. P. K.

XXVI. UN cas DE SCLÉROSE EN plaques cérébrospinale chez l'enfant,

avec remarques SUR LES rapports DE cette affection avec LES

maladies INFECTIEUSES; par A. NOLDA. (Archiv f. Psychiat., XXIII, 2.)

Fillette de neuf ans, sans tares, bien portante jusqu'à sept ans ;

puis démarche parético-spasmodique. A ce moment légère cyphose,

tremblements dans les bras et les jambes, surtout à l'occasion des

mouvements intentionnels, douleur dans les yeux, céphalalgies,

vertiges, ralentissement de la parole, par moments incontinence

d'urine passagère. Intégrité de la sensibilité, de l'intelligence, de

la vue; pas de nystagmus. Depuis le travail d'Unger, il y en a sept

REVUE DE pathologie NERVEUSE. 277 Î

observations dont six par infection. Chez l'enfant, la diphtérite,

la scarlatine, la pneumonie sont en cause. P. K.

XXVII. Contribution A la syphilis DU système nerveux central ET

des psychopathes ; par OEBEKE. (Allg. Zeitsch. f. Psychiat.,

XLVIII, 1-2.)

Sur 320 aliénés, l'auteur en a compté 72, c'est-à-dire 22,5 p. 100

atteints de syphilis certaine, 40 (soit 12,5 p. 100) atteints à la fois

de paralysie générale et de syphilis. La proportion de la syphilis

chez les aliénés ou céréhropathes quelconque est de 22 p. 100; chez

les paralytiques généraux, elle est de 57 p. 100.

Voici maintenant deux observations prises avec le plus grand

soin, analysées individuellement, puis comparativement. La pre-

mière se rattache cliniquement à une syphilis cérébrale certaine,

mais à l'autopsie on ne trouve pas de lésions circonscrites, pas de

foyers limités du cerveau, quoique le malade ait eu deux apo-

plexies terminées par une parésie permanente des extrémités droites

et des troubles de la parole. En revanche, on trouve dans la moelle

de l'inflammation méningée, des exsudats le long* des vaisseaux et

de leurs gaines, de l'hyperplasie de la névroglie qui remonte jus-

qu'à l'encéphale. Le second fait de syphilis cérébrale certaine a été

confirmé par l'autopsie; pachyméningite, altérations de la pie-mère

et des vaisseaux, notamment de la sylvienne, dilatation du ventri-

cule latéral gauche, état granuleux et épaississementdel'épendyme,

atrophie des couches optiques, ramollissement du corps strié

gauche qui a presque disparu, dégénérescence descendante clas-

sique jusqu'au bulbe, voilà le bilan anatomo-pathologique.

Si nous laissons de côté la paralysie générale, nous rencontrons

sur 32 observations personnelles 14 cas de perturbation intellectuelle

en rapport certain avec la syphilis antécédente. Sans doute,

d'autres facteurs entraient également en ligne de compte et sou-

vent de compagnie; tels : l'hérédité, la débilité mentale congé-

nitale, les excès alcooliques, la shok traumatique, des lésions du

crâne, le surmenage physique.

Quant aux formes morbides, si nous établissons deux groupes :

1° le groupe des aliénés qui doivent évidemment la psychopathie à

la syphilis; 2° celui de ceux qui, quoique syphilitiques, ne doivent

pas sûrement leur psychose à la syphilis, voici les proportions que

nous trouvons : .

278 ' REVUE DE pathologie NERVEUSE.

L'évolution, examinée dans les deux groupes, donne :

REVUE DE pathologie NERVEUSE. zig

XXIX. Hémianopsie bilatérale INFÉRIEURE ET autres troubles SEN-

SITIVO-SENSORIELS dans une psychose fonctionnelle; par Hoche.

(Archiv f. Psychiat , XXIII, 1.)

F..., de vingt-sept ans, forte tare héréditaire. Longue dépression

et multiples accidents puerpéraux (fièvre, hémorrhagie intense),

puis troubles de la connaissance et hallucinations sensorielles en

masse ; puis, pendant des mois, dépression mélancolique grave et

soudaine; disparition complète des deux côtés, de toute la moitié

inférieure du champ visuel, limitée par une ligne correspondant,

sur le cadran de Javal, à neuf heures treize minutes; elle voit, dans

ces conditions, les chiffres 10, 11, 12, f, 2 et c'est tout. Devant un

fond clair, elle voit flotter des organites ayant la forme de fleurs

bleues et jaunes, mais dont les parties supérieures seraient coupées

par une ligne; conservation des phosphènes dans le champ visuel

disparu; les espèces d'hallucinations sus-désignées sont vues doubles

quand on place un prisme devant l'oeil, Fond de l'oeil tout à fait

normal. Réaction parfaite des pupilles à l'accommodation et à la

lumière, que l'on fasse tomber les rayons lumineux sur la moitié

supérieure ou inférieure du champ visuel. Pendant plusieurs jours,

la malade voit une demi-tête dont la moitié inférieure invisible

occupe le domaine des apparitions colorées. Diminution de la sen-

sibilité sur toute la surface du corps. Démangeaisons dans les mains

et les pieds. Dysphagie tenant à l'insensibilité des muqueuses.

Intégrité de la molilité et des réflexes. Titube, mais marche les

yeux fermés. Dysaconsie à droite seulement depuis l'âge de quinze

ans; hallucinations auditives unilatérales du côté droit. Disparition

de l'odorat des deux côtés, mais hallucinations désagréables de

l'odorat. Disparition du goût pour les substances sucrées, salées,

acides. Tel est l'ensemble symptomatique qui dure cinq semaines.

Au bout de ce temps, les idées mélancoliques s'évanouissent totale-

ment, mais lacunes de la mémoire pour tout le temps passé à

l'asile jusqu'au début des troubles visuels. Tous' les autres symp-

tômes s'améliorent assez promptement, les hallucinations cessent,

l'appareil visuel reprend son parfait fonctionnement, et, soudain,

la mémoire revient, le poids du corps remonte, la guérison est

effectuée. P. KERAVAL.

XXX. DES états DE sommeil hystérique ET DE LEURS rapports avec

l'hypnotisme ET la ghande hystérie ; par L. LOE\YEi' : FELD. 19'CIt, f.

Psychiat., XXII, 3, et XXIII, 1.)

1° Synonymie : léthargie hystérique, - coma hystérique, - syn-

cope hystérique, apoplexie hystérique, mort apparente hysté-

rique ; 2° historique; 3° caractères d'après cinq observations person-

nelles.

280 . SOCIÉTÉS SAVANTES.

- De cette analyse, l'auteur conclut que la léthargie pure avec

avec flaccidité des membres, et les attaques de sommeil qui com-

prennent tous les éléments de la grande hystérie représentent les

points ultimes d'une série continue de variantes dans lesquelles on

trouve les symptômes de la grande attaque à tous les degrés pos-

sibles, depuis l'esquisse la plus légère de la phase épileptoide jus-

qu'au parfait et complet développement des quatre périodes de

Charcot. Chez une seule et même malade on a rencontré toutes ces

oscillations. Donc, les états de léthargie pure sont les manifestations

du même substratum pathologique que les attaques de sommeil

complexes, exactement comme les formes diverses du petit-mal et

de l'équivalent psycho-épileptique sont les modes de manifestation

de la même névrose qui préside aux attaques d'épilepsie-type.

P. K.

XXXI. Des paralysies OSTÉOM.1LACIQUES; par M. KOEPPEN.

(Archiv f. Psychiat., XXII, 3.)

Chez quatre femmes grosses, l'auteur a observé des manifesta-

lions spinales analogues à celles des véritables osléomalaciques

(accidents parétiques, démarche de la cane, signe de Romberg,

exagération du phénomène du genou, intégrité de la sensibilité

et des fonctions vésicales, douleurs des membres, douleurs en cein-

ture). Dans ces quatre cas, la santé revenait entre les grossesses; à

chaque grossesse, les accidents reparaissaient. Il croit que des

lésions de la substance musculaire président à la paralysie, car

l'impotence due aux douleurs est incapable à elle seule d'expliquer

la paralysie. A côté des symptômes ostéalgiques, il y a quelques

symptômes de nature névritique, ou dérivant de la compression des

troncs nerveux. P. K.

SOCIÉTÉS SAVANTES

CONGRÈS DES MÉDECINS ALIÉNISTES DE FRANCE

ET DES PAYS DE LANGUE FRANÇAISE

troisième SESSION (Blois). - 1 er.6 août 18\)2.

Le troisième Congrès français de médecine mentale s'est ou-

vert le '1 ? août à 3 heures dans la nouvelle salle des séances

de l'hôtel de ville de Blois, sous la présidence provisoire de

. SOCIÉTÉS savantes. 281

M. Théophile Roussel, sénateur, assisté de M. le Dr Dufay,

sénateur de Loir-et-Cher, et de M. Bouchereau, médecin en

chef de l'Asile clinique. M. Sainserre, préfet de Loir-et Cher, a

souhaité d'abord la bienvenue aux membres du Congrès. Puis

M. Bouchereau, président du Comité d'organisation,' remercié

M. le préfet. Les congressistes de France étaient au nombre de

quatre-vingt-trois.

M. Albert Carrier (de Lyon) a lu ensuite un rapport sur le

compte rendu financier du Congrès de Lyon. Puis M. Théophile.

Roussel a été désigné, par acclamation, pour diriger les travaux

du Congrès. Il a remercié, ses collègues de ce grand honneur

et rappelé les progrès considérables de la médecine mentale.

Ont été enfin élus aussi par acclamation : vice-présidents :

MM. Parant (Toulouse), Carrier (Lyon), Giraud (Rouen),

Samuel Garnier (Dijon) ; secrétaire général, M. Doutrebente

(Blois) ; secrétaires des séances, MM. Thivet (Blois), Marie

(Evreux); présidents d'honneur : le préfet de Loir-et-Cher,

le maire de Blois, Calmeil, Delasiauve, llonod, Brouardel,Ball,

Falret, Bouchereau et Dufay, sénateur.

Séance du lundi lor août. - Présidence de M. Tu. ROUSSEL,

Première question : Du délire des négations ; sa valeur

diagnostique et pronostique.

M. Camuset (de Bonneval), rapporteur. L'historique du délire

des négations est des plus restreints et, depuis douze ans; époque à

laquelle parut le premier mémoire de Cotard sur le sujet, on ne peut

réunir sur la matière qu'un petit nombre de travaux dus à Cotardi,

à M. Séglas, des observations isolées (thèse de M. Journiac), si

bien que la question ne semble pas avoir progressé beaucoup.

Pour Cotard, le délire de ? négations est une psychopathie compa-

rable au délire des persécutions de Lasègue. Dans un premier tra-

vail,.il ne considère ce délire hypochondriaque spécial que comme

un symptôme de certains cas graves de mélancolie anxieuse,

devant passer à l'état chronique ; dans son second mémoire plus

complet, il croit devoir isoler décidément cette espèce de lypéma-

nie, qu'il décrit comparativement au délire des persécutions. Le

rapporteur rappelle les principaux symptômes et l'évolution du

délire des négations, d'après Cotard. Au début, on observe sur.

tout de l'hypochondrie morale, tandis que, chez les persécutés, ce

sont des préoccupations hypochondriaques d'ordre physique. Puis,

t

1 Voir Archives de Neurologie.

282 sociétés savantes.

surviennent de l'anxiété, des gémissements, ou bien de la stupeur,

ou des alternatives d'anxiété et de stupeur. Les malades ont un

délire franchement mélancolique avec idées d'indignité, d'incapa-

cité, de culpabilité, de damnation, de possession; les persécutés,

au contraire, rapportent toutes leurs souffrances à des influences

extérieures. Les négateurs se suicident souvent, se mulilent ; à

l'inverse des persécutés, ils deviennent rarement homicides. Ils

sont fréquemment analgésiques : les hallucinations de l'ouïe

manquent souvent ou sont simplement confirmatives des idées

délirantes, en sorte qu'il n'y a pas de dialogue entre eux et leurs

interlocuteurs invisibles; les hallucinations visuelles sont, au con-

traire, fréquentes. A ce moment, l'hypochondrie physique se mani-

feste par des idées de destruction, de non-existence des organes;

certains malades se croients morts, d'autres immortels; et, fait

important à noter, ces derniers gémissent de leur immortalité au

lieu de la considérer comme un privilège; même alors, ils restent

mélancoliques. Les persécutés, à l'inverse des négateurs, présen-

tent d'abord de l'hypochondrie physique, puis de l'hypochondrie

morale. La négation peut porter aussi sur le monde extérieur,

devenir même universelle. Les négateurs présentent encore fré-

quemment de la folie d'opposition, manifestation extérieure de

leur délire. Ils refusent fréquemment les aliments; et ce refus est

alors total, tandis qu'il est partiel chez le persécuté à idées d'empoi-

sonnement. La marche de ce délire est d'abord franchement inter-

mittente, puis continue, pour aboutir à la démence. Il évolue conti-

nuellement sur un tonds d'anxiété qui disparaît avec l'arrivée de la

démence. Dans les périodes avancées, on rencontre un délire pseu-

do-mégalomaniaque qui n'est, en réalité, qu'un délire mélancolique

à rapprocher des idées d'immortalité et que Cotard a désigné du

nom de délire d'énormité. Il faut noter cependant qu'il existe

des cas très rares; il est vrai, où le délire d'énormité se transforme

lui-même en véritable délire des grandeurs.

Dès le début, les négateurs sont d'un caractère timide, taciturne,

scrupuleux ; chez ces prédisposés, le délire des négations peut se

déclarer de plusieurs manières; quelquefois brusquement à l'âge

moyen de la vie, il peut alors évoluer et guérir rapidement, mais

les rechutes sont probables, car ce délire se rattache aux vésanies

d'accès ou intermittentes; par la suite, il s'établit définitivement

sous une forme plus ou moins rémittente. Le plus souvent il n'ap-

paraît qu'au deuxième ou troisième accès de mélancolie. Le pro-

nostic de l'accès est surtout fâcheux quand on voit diminuer l'in-

tensité du trouble mélancolique général avec persistance desidées

délirantes qui se systématisent alors. Les négateurs sont des héré-

ditaires à développement exagéré de ces mêmes qualités morales

dont l'avortement, chez d'autres, explique la vie désordonnée.

Le délire des négations, d'après Cotard, se présente à l'état de

SOCIÉTÉS SAVANTES. 283

simplicité, se rattachant alors aux vésanies intermittentes. Il

peut être symptomatique de paralysie générale; il peut aussi s'as-

socier au délire de persécution. Enfin, il évolue parfois sur un

fonds hystérique. -

Les idées de négation sont l'expression de troubles subjectifs

divers, mais de nature identique : aussi bien que le fonds délirant

soit le même, elles se manifestent sous des formules différentes.

On peut ainsi distinguer : 1° des idées hypocondriaques de néga-

tion, comme celles que 13aillarâer a signalées dans la paralysie

générale. Elles peuvent intéresser la constitution physique ou la

sphère intellectuelle et affective (négation des organes, des facul-

tés, des sentiments); 2° puis il y a des idées de négation extério-

risées, s'adressant au monde extérieur ; 3° et enfin des idées de

négation d'ordre psychique et d'ordre métaphysique. Les malades

nient leur personnalité physique et psychique, ils nient l'âme,

Dieu, le diable, etc.. A côté de ces idées de négation, on doit en

placer d'autres qui ont avec elles une analogie véritable comme les

idées d'énormilé, d'immortalité, de possession, de damnation. C'est

précisément celle combinaison fréquente d'idées hypocondriaques,

de négation, de damnation, d'immortalité qui fut le point de

départ des recherches de Cotard.

Quel est le processus physiologique aboutissant au délire des

négations ? M. Séglas regarde ces idées comme des idées délirantes

secondaires, dépendant de l'altération de la personnalité surve-

nue par le fait de modifications de sa base organique et de la

sphère affective et motrice de la vie psychique. A propos de la

paralysie générale, M. Luys a donné une théorie à peu près

semblable.

Les exemples que Cotard a donnés à l'appui de ses idées sont

parfaits d'analyse psychologique : mais les conclusions sont, dit

M. Camuset, trop absolues. 11 a trop généralisé, le délire des néga-

tions n'est pas une entité. Les idées de négation ne sont pas rares,

mais le type délirant de Cotard avec ses symptômes complets et

l'ordre de succession de ces derniers s'observe rarement. A l'appui

de cette manière de voir, M. Camuset rapporte très succinctement

28 observations de malades ayant présenté des idées de négation :

si quelques-uns se rapprochent ou se confondent avec ceux de

Cotard, d'autres en diffèrent par différents points. Le rapport se

résume dans les conclusions suivantes : . .

1° D'une façon générale, et quelle que soit la forme ou l'inten-

sité de leur affection, les mélancoliques sont négateurs. 11 n'en est

pas de même des persécutés; 2° les idées délirantes de négation,

isolées ou plus ou moins systématisées, se manifestent souvent

dans le cours de la mélancolie avec anxiété et gémissements;

3° dans certains cas de mélancolie avec grande anxiété, on observe

parfois cette association d'idées de négation, de damnation ou de

284 SOCIÉTÉS SAVANTES.

possession et d'immortalité, si bien étudiée par Cotard, mais il

ne semble pas que ces cas aient des caractères assez spécifiques tou-

jours, pour qu'il soit légitime de les réunir en une espèce noso-

logique nouvelle; 4° dans les états mélancoliques, les idées de

négation indiquent un trouble plus profond que celui accusé par

les idées de ruine, d'impuissance et de culpabilité ordinaires ;

mais quand ces idées de négation se manifestent, il ne semble pas

que le pronostic de l'affection en soit beaucoup aggravé. Le pro-

nostic dépend avant tout de l'espèce nosologique sur laquelle se

sont entées les idées délirantes spéciales. C'est ainsi que les vésa-

nies de forme intermittente, avec idées de négation, ne guérissent

pas, alors que certains accès de mélancolie avec angoisse, culpabi-

lité imaginaire, idées de damnation, de possession, de négation,

d'immortalité et de suicide, survenus à l'époque de la ménopause,

parfois à l'époque moyenne de la vie et sous l'influence d'une

cause vulgaire, sont assez souvent curables; 5° il est à remarquer

que la grande majorité des observations recueillies jusqu'à présent

ont trait à des femmes, la mélancolie est du reste plus fréquente

chez la femme que chez l'homme; il est aussi à remarquer que

dans presque toutes les observations que nous avons pu réunir,

quand les antécédents de famille des malades sont connus, la tare

héréditaire de ceux-ci est lourde; 7° dans les folies séniles, de

forme dépressive, on note assez souvent des idées de négation

isolées ou systématiques ; 8° les sujets destinés à devenir négateurs

sont naturellement timides, sombres, taciturnes, quelquefois ils

présentent des syndromes épisodiques de la dégénérescence intel-

lectuelle. Cette proposition ajoutée aux deux propositions qui pré-

cèdent semble indiquer que le délire des négations est l'apanage

des cerveaux invalides; 9° on- observe les idées de négation dans

les états mélancoliques anxieux. ils se combinent alors à des idées

de damnation, de possession ou d'immortalité, et il en résulte un

tabeau clinique particulier : mais bien souvent cette combinaison

délirante est incomplète ou manque complètement, les malades ne

se croient ni possédés ni immortels. On les observe aussi dans la

paralysie générale; nous ne les avons jamais \us dans cette affec-

tion s'accompagner d'idées d'immortalité ni de possession. On les

rencontre enfin dans certains délires hypochondriaques sans anxiété

ni angoisse des débiles intellectuels. Nous avons déjà signalé leur

manifestation dans la folie sénile et démentielle; 10° le délire

hypochondriaque de la paralysie générale, quand il se prolonge,

imprime une rapidité plus grande à la marche de cette affec-

tion.

M. Régis (de Bordeaux). L'histoire du délire des négations

tient tout entière dans quatre travaux de Cotard, corroborés par

M. Séglas. De l'ensemble de ces travaux se dégagent très nette-

ment certaines données qui peuvent être résumées ainsi qu'il suit :

SOCIÉTÉS SAVANTES. 28S

' 1° Il existe un état psychopathique essentiellement caractérisé

par de l'anxiété mélancolique; de l'analgésie; de la propension

au suicide et aux mutilations volontaires; des idées hypochondria-

ques de non-existence et de destruction d'organes, du corps tout

entier, de l'âme, de Dieu; des idées de damnation et de possession ;

des idées de ne pouvoir jamais mourir; état de chronicité spécial

à certaines formes graves de mélancolie anxieuse, intermittente ou

par accès. Cet état psychopathique, appelé par Cotard délire des

négations, du nom d'un de ses éléments principaux, n'a pas été

considéré par lui comme une entité morbide, mais, suivant son

expression, « comme un état psychique propre aux anxieux chroni-

ques ».

2° En dehors de ces variétés de mélancolie anxieuse grave où il

se présente sous une forme simple, concrète et pour ainsi dire

typique, le délire des négations peut, comme l'a fait remarquer

Cotard, s'observer encore dans d'autres maladies mentales, notam-

ment dans la paralysie générale, l'hystérie et certaines aliénations

complexes, tenant à la fois du délire de persécution et de la mélan-

colie. Mais, ici, il se limite le plus souvent à quelques-uns de ses

phénomènes constitutifs, particulièrement aux idées hypochondria-

ques de non-existence ou de destruction générale ou partielle de

l'individu.

C'est en ces termes que peut être résumée l'oeuvre de Cotard. 11

ne semble pas, dans ces conditions, que cette oeuvre ait subi une

atteinte sérieuse de la remarquable étude critique de M. Camuset,

et tout ce qu'on pourrait dire, en se basant sur l'ensemble des

documents rassemblés dans son rapport, c'est que l'idée hypochon-

driaque de négation, comme toutes les idées délirantes, quelles

qu'elles soient, se rencontre plus ou moins fréquemment à titre de

symptôme dans un grand nombre de maladies mentales diverses,

tandis que sous sa forme typique, c'est-à-dire jointe aux autres

éléments du syndrome et compliquant la mélancolie anxieuse

chronique, elle parait beaucoup plus rare.

Rare ou non, et elle l'est peut-être moins qu'il ne nous parait, la

mélancolie anxieuse chronique avec délire des négations n'en

existe pas moins d'une façon certaine. Les observations de Cotard

et celles de AI. Séglas ne peuvent laisser aucun doute à cet égard et

d'autres viendront certainement les confirmer. En voici une absolu-

ment typique.

M. Régis communique ici une observation de mélancolie anxieuse

intermittente, avec délire des négations, qui réalise de la façon la

plus complète la description donnée par Cotard. On y retrouve, en

effet, tous les symptômes indiqués par lui comme appartenant à cet

état psychopathique :

. 1° Anxiété mélancolique; 2° idées de damnation et de posses-

sion (la malade croit qu'elle est le diable ou quelque chose du

286 SOCIÉTÉS SAVANTES.

diable); 3° propension au suicide et aux mutilations volontaires;

4° analgésie; 5° idées hypochondriaques de non-existence ou de

destruction de divers organes, du corps tout entier, de l'âme, de

Dieu (la malade dit qu'elle n'a ni yeux, ni têle, ni cheveux, ni

langue, ni coeur, ni aucun organe; elle est en pierre, en matière

inerte, une statue, espèce de chose ou de saleté); fin idée fixe de ne

pouvoir jamais mourir (la malade croit qu'étant en pierre, en ma-

tière inerte, elle ne mourra jamais, ce qui la désole et fait son

malheur).

M. J. Séglas (de Paris). On ne peut qu'applaudir à la réserve

prudente qu'a observée M. Camuset dans son rapport, car la

question du délire des négations est toujours à l'étude et ne peut

être résolue dans un sens ou dans l'autre d'une façon péremp-

toire.

Le principal reproche fait à Cotard est de s'être montré trop

généralisateur ; le délire des négations n'est pas une entité et, à

côté de cas représentant l'évolution typique de Cotard, M. Camuset

montre qu'il en est d'autres dont le tableau clinique est différent.

Sans aucun doute; mais est-ce une raison suffisante pour y voir

une contradiction aux idées de Cotard. Ces cas différents ne se-

raient-ils pas seulement de simples variations du type décrit par

lui. Le délire des négations représente aujourd'hui ce qu'était

le délire des persécutions du temps de Lasègue, et des recher-

ches ultérieures nous ont permis de distinguer des variétés parm

les délires de persécution qu'il avait décrits en bloc; et la distinc-

tion de ces variétés a fait disparaître les contradictions et les

lacunes de son premier travail. Il importe donc d'établir un

groupement parmi les négateurs, une fois qu'on a reconnu qu'il

existe bien des cas correspondant à la description de Cafard. Tout

d'abord, il peut s'agir de simples idées de négation ou d'un délire

négatif plus ou moins systématisé.

1° Idées de négation. -Elles se rencontrent surtout sous le délire

hypochondriaque de la 'paralysie générale, signalé par Baillarger.

Elles ne sont pas pathognomoniques comme il le croyait; mais

dans ce cas elles revêtent toujours les caractères diagnostics d'ab-

surdité, de mobilité, de diffusion, de contradiction propres aux

délires paralytiques. De plus, ce délire spécial débute alors soudaine-

ment et l'indifférence des malades contraste avec leurs idées hypo-

chondriaques.

Ces mêmes caractères peuvent aussi s'appliquer aux idées de

négations que l'on rencontre dans les délires polymorphes des

faibles d'esprit, ainsi que le prouve une observation que lit M. Sé-

glas. Aussi, pour trancher le diagnostic, les signes pathognomoni-

ques habituels de la paralysie générale peuvent-ils être nécessaires.

Les idées de négation se rencontrent aussi chez les séniles et

SOCIÉTÉS SAVANTES. 87

dans plusieurs circonstances; tantôt en rapport avec la démence

sénile simple, résultat d'amnésies portant le malade à nier ce

dont il ne se souvient plus ; tantôt en rapport avec des phénomènes

démentiels résultant de lésions localisées; tantôt faisant partie de

la symptomatologie d'un accès vésanique à début tardif; elles peu-

vent en ce derniur cas se systématiser et l'on rentre alors dans les

formes habituelles aux individus plus jeunes. Enfin, les idées de

négation ont été signalées aussi dans l'alcoolisme.

2° Délires des négations systématisés. Il ne s'agit plus ici d'épi-

sodes, mais de systèmes délirants : la plupart du temps on a affaire

à des psychoses, et le plus fréquemment à la mélancolie.

A. - Les idées de négation ne sont pas rares chez les mélanco-

liques, mais ces mélancoliques négateurs doivent-ils former une

classe à part ? M. Camuset pense que non, car tous ne présentent

pas la symptomatologie et l'évolution typique des malades de

Colard. Mais vraiment s'ensuit-il qu'ils doivent forcément infirmer

les premiers et dans toutes les maladies n'existe-t-il pas des cas

frustes à côté des typiques ? D'ailleurs les différences de symptoma-

tologie se réduisant surtout à l'absence, tantôt des idées de damna-

tion, ou de possession ou d'immortalité ont-elles l'importance que

semble leur attribuer notre rapporteur. Cotard ne parait pas les

avoir regardées l'une ou l'autre comme nécessaires : certains de ses

malades ne les présentaient pas. Dans son principal travail sur le

délire des négations, il s'attache avant tout à montrer la gradation

qui mène de l'hypochondrie morale au délire des négations en pas-

saut par tous les délires mélancoliques; il insiste sur le grand

caractère d'auto-accusation de ces délires, mais ne met nullement

en relief les idées de damnation. En fait cette idée, simple inter-

prétation donnée par le malade de troubles psychopathiques plus

profonds, n'a pas plus d'importance que l'idée de culpabilité; ce

n'est qu'une étiquette différente due au milieu, à l'éducation. De

même l'idée de possession n'est pas indispensable et l'on peut

même le plus souvent trouver son équivalent. Elle n'est que l'ex-

pression d'un dédoublement de la personnalité, de règle chez le

mélancolique, mais dont les symptômes plus ou moins accentués

peuvent ne pas être interprétés par le malade comme un fait de

possession; mais le fonds est le même. Il n'y a qu'une différence

de degré entre l'idée de possession formulée et la contradiction

intérieure, les « impressions contraires » de certains malades : et

de même entre certains symptômes du délire de possession tels

que l'impulsion verbale et d'autre part l'hallucination verbale

psycho-motrice, très fréquente chez le mélancolique et même la

conversation mentale. L'idée d'immortalité de son côté n'est pas

plus nécessaire au diagnostic de délire des négations que l'idée de

grandeur à celle de délire des persécutions. Elle semble n'être

qu'une idée surajoutée, ne fait pas taire les autres idées délirantes,

288 SOCIÉTÉS SAVANTES.

et comme le délire d'énormité, elle représentait pour Cotard une

période très avancée du délire typique.

D'un autre côté, M. Camuset semble considérer comme contra-

dictoires des cas présentant certaines différences d'évolution, telles

que l'apparition précoce du délire de négation, sa guérison pos-

sible, la venue pêle-mêle des idées délirantes. Ne doit-on pas plutôt

chercher à reconnaître là des variétés dont la cause resterait à dé-

terminer, siégeant peut-être dans une intensité plus ou moins

grande de la tare héréditaire, ainsi qu'il en arrive chez les persé-

cutés pour lesquelles nous distinguons aujourd'hui certaines variétés

différant par l'apparition successive ou simultanée des idées déli-

rantes, par la marche plus ou moins rapide et régulière de l'affec-

tion, etc...

B. Les idées de négation systématisée ne se rencontrent pas

que dans la mélancolie. Cotard les avait déjà trouvées à côté d'idées

de persécution. En Allemagne, Witkowski a décrit une modalité in-

termédiaire à la mélancolie vraie et à la Ven'ttcMett, comprenant

les gens déprimés en permanence, certains négateurs, sceptiques,

damnés, pourris, immortels. Kroepelin décrit une forme qu'il ap-

pelle Wahnsinn depressiver, où l'on rencontre des idées hypochon-

driaques, des idées d'auto-accusation, de culpabilité, de négation,

d'énormilé, de grandeur. Cette forme, produit d'un cerveau peu

valide, est distinguée par l'auteur de la mélancolie vraie, à cause

de l'absence, au début, de phénomènes émotionnels.

Il existe des cas qui, sans rentrer dans ce cadre, nous montrent le

délire des négations systématisé se développant en dehors de la mé-

lancolie avec des caractères tout différents. A l'appui, je citerai le fait

d'une malade de la Salpêtrière. Les premiers symptômes consis-

tèrent dans des troubles de la sensibilité générale et viscérale, des

hallucinations kinesthétiques ou motrices, mais aucun état mélanco-

lique. Puis sont apparues des idées de possession et de négation; la

malade nie tout, elle n'a plus d'organes, plus de pensée, etc.. Tout

cela est le résultat de la magie faite par des prêtres qui la possè-

dent, parlant par sa bouche, voyant par ses yeux. Elle ne cesse de

se plaindre, de réclamer vivement à haute voix et par écrit, de pro-

tester contre sa séquestration, de faire constater l'absence de ses

organes, etc.

Les caractères cliniques de ce délire sont tout à fait différents de

ceux du délire des négations mélancolique. Il n'est plus secondaire

à des troubles émotionnels; au lieu d'être monotone, il est pro-

gressif, sans aucun caractère d'humilité ; la malade ne s'accuse pas,

mais accuse d'autres personnes; elle n'est ni passive, ni résignée,

mais proteste et résiste; son délire, de plus, n'envisage jamais,

l'avenir, mais le passé.

Son délire se rapproche plutôt des délires des persécutés; elle

n'a pas cependant des idées véritables de persécution, mais des

SOCIÉTÉS SAVANTES. 89

idées de possession qui ne sont pas primitives comme les précé-

dentes, mais sont l'interprétation secondaire de désordres halluci-

natoires, tout à faits différents de ceux des persécutés, car elle n'a

que peu d'hallucinations sensorielles, mais surtout des motrices.

Et cela dès le début, alors que chez les persécutés elles ne sur-

viennent en général qu'assez tard. Il en est de même du dédouble-

ment de la personnalité. '

Les idées de négation sont rares chez les persécutés ; s'ils' se

plaignent parfois qu'on détruit leurs organes, qu'on enlève leur

pensée, ils ne tardent pas à rentrer en possession de ce qu'on leur

a pris. Lorsqu'on rencontre chez eux de véritables idées de néga-

tion, on trouve en mème temps des phénomènes assez analogues, à

ceux de l'observation précédente, telles que les hallucinations kines-

thétiques. des impulsions de toute espèce, signes d'un dédouble-

ment de la personnalité et très voisins de l'idée de possession. La

présence de ces symptômes montre qu'ici, comme chez le mélan-

colique, le délire des négations est, comme l'avait dit Cotard, d'ori-

gine psycho-motrice.

3° Le pronostic ne peut être aujourd'hui fixé d'une manière abso-

lue. Les idées de négation hypochondriaque semblent indiquer un

désordre plus profond, car elles sont en rapport avec des modi-

fications de la base organique, première, de la personnalité.

Le délire des négations, dans son ensemble, paraît entrainer un

pronostic grave, mais cependant il est des cas de guérison. Le pour-

quoi de celte différence nous échappe encore et le pronostic doit

s'inspirer surtout de la détermination de l'espèce nosologique et de

la recherche minutieuse de tous les symptômes de l'affection. Il est

à remarquer cependant que l'idée de négation semble être l'apa-

nage de cerveaux invalides, soit congénitalement, soit à la suite de

désordres psychiques antérieurs. On la rencontre dans les mêmes

circonstances que les idées de grandeurs auxquelles elles peuvent

être assimilées au point de vue du pronostic. Nous pouvons, de ce

qui précède, tirer les conclusions suivantes ;

1° En dehors des idées de négation qu'on rencontre par exemple

chez les paralytiques généraux, les faibles d'esprit, les séniles, il y

a des délires de négation systématisés. 2° Il existe dans la science

un nombre suffisant d'exemples de mélancoliques avec délire de

négation systématisé, correspondant au type décrit par Cotard"

et qui dès lors doit être conservé. 3° La présence des idées de

damnation, de possession, d'immortalité même, n'est pas indis-

pensable pour le diagnostic de ce délire de négation, lorsque l'on

peut constater, soit des idées délirantes de même nature mélanco-

lique, soit l'existence de troubles psychiques de même ordre, bien

que moins accentués que ceux dont elles sont l'interprétation.

40 Il existe certainement des cas de mélancolie avec délire des

négations dont l'aspect clinique et l'évolution diffèrent plus ou

Archives, t. XXIV. 19 9

290 SOCIÉTÉS SAVANTES.

moins du délire typique de Colard. Mais ces cas n'infirment pas les

premiers; ils doivent être considérés comme des cas moins com-

plets, frustes, des variations que des recherches ultérieures précise-

ront dans leurs symptômes, leur marche, leur étiologie, ainsi

qu'il a été fait pour-les délires de persécution. 5° Le délire des

négations systématisé peut se rencontrer en dehors de la mélan-

colie, avec des caractères cliniques tout différents. Certains cas

sembleraient constituer des formes de passage entre les états mélan-

coliques et les délires de persécution. 6° Le pronostic du délire de'

négations ne peut être fixé d'une manière absolue, tant qu'on ne

connaîtra pas mieux ses différentes variétés. Tandis que certains

négateurs guérissent, d'autres restent incurables. On ne peut que

s'inspirer, pour le pronostic, de la détermination de l'espèce noso-

logique et aussi de tous les détails particuliers relatifs au malade

et à la maladie. Toutefois, d'une façon générale, on peut dire que

l'idée de négation est toujours le fruit d'un cerveau invalide, soit

congénitalement, soit par le fait de désordres psychiques anté-

rieurs.

M. FALRET (de Paris). J'approuve pour ma part les conclusions

de M. Séglas. Je crois que Cotard, en signalant le délire des néga-

tions, a fait faire un très grand progrès dans l'étude des mélan-

colies, comme Lasègue en décrivant le délire de persécution. Le

délire des négations existe avec une évolution progressive comme

le délire de persécution. Il commence par l'hypocondrie morale

simple; puis apparaissent les phénomènes d'anxiété avec idées de

ruine, culpabilité, indignité, damnation, toutes idées possibles et

acceptables. Plus tard apparaissent des idées de négation absurdes,

et enfin un délire d'énormité, sorte de délire des grandeurs mélan-

colique. Bien que peu commun, ce délire des négations devient

d'autant plus fréquent qu'on examine mieux les malades à ce

point de vue. Il a une évolution naturelle. On doit lui appliquer,

les mêmes distinctions que pour le délire des persécutions ; car, il

côté du délire des négations essentiel, il existe des idées délirantes

de négationqu'on rencontre dans diverses formes mentales. Cotard

lui-même a posé cette distinction et n'a nullement voulu faire une

entité de tous les délires de négation.

Pour le pronostic, le délire de négation est un signe de chronicité,

mais non d'incurabilité absolue. Ce sont les formes intermittentes

qui semblent pouvoir guérir plutôt que les autres.

M. PICHEN01' (d'Auxerre) rapporte une observation d'un cas de

mélancolie anxieuse avec délire des négations et altérations de la

personnalité, et accepte les idées de Cotard.

M. Carrier (de Lyon). Depuis longtemps mon attention est

attirée sur les faits signalés par Cotard et M. Séglas, et je considère

leur appréciation comme absolument légitime et conforme à la

SOCIÉTÉS SAVANTES. 291

vérité clinique. Parmi les mélancolies il est des formes anxieuses,

communes, curables, et d'aulres présentant le tableau clinique de

Cotard, raves, incurables en général, se terminant souvent par

un état de marasme dans lequel meurt le malade. J'ai observé en

1883 quatre cas dece genre. Un fait que j'ai aussi remarqué, c'est

que tandis que les mélancoliques anxieux ordinaires sont le plus

souvent guéris par le traitement opiacé à doses progressives, les

mélancoliques hypochondriaques négateurs ne sont nullement

impressionnés par ce mode de traitement. Ces deux genres de

maladies se distinguent donc par bien des côtés, par l'expression

symptomatique, par l'évolution et par la différence d'action d'un

même traitement. Est-ce assez pour confirmer qu'il s'agit là de

deux maladies distinctes ? Je crois plutôt que le délire des néga-

tions constitue une phase plus avancée de la mélancolie. Dans

tous les cas, cliniquement, on ne saurait les confondre et prati-

quement on doit se comporter différemment dans l'un et l'autre

cas.

M. Charpentier (de Bicêtre). Depuis dix ans j'ai vu un assez

grand nombre de malades qui avaient des idées de négation, mais

je n'eu ai pas rencontré un seul qui répondit au type créé par

Cotard. Je crois que cet auteur a surtout été séduit par le mot et

qu'il a voulu opposer le délire des négations au délire des persé-

cutions.

Pour moi, les faits décrits par Cotard relèvent de l'hypochon-

drie, de la mélancolie anxieuse et du délire des persécutions,

c'est-à-dire de maladies depuis longtemps connues, de telle sorte

que dans la conception de Cotard, il n'y aurait de nouveau que le

mot qu'il lui a consacré.

M. Vallon (de Paris). Comme M. Régis, et contrairement à

M. Camuset, je ne crois pas que Cotard ait eu l'intention d'ériger

le délire de-5 négations en entité morbide distincte, le regardant

seulement comme une phase de l'évolution des mélancolies chro-

niques. D'après ce que j'ai pu observer, celte phase est précédée

d'une autre période qui n'a pas été assez mise en lumière, période

de doute ou de délire d'interrogation, pendant laquelle, avant de

nier l'existence de quelqu'un, de quelque chose, le malade se pose

de= interrogations à ce propos, pour aboutir ensuite à la négation

confirmée. Entre ces deux périodes il y a une phase ou interroga-

tion et négation se confondent. Chez une malade que j'ai observée

la négation portait sur sa propre existence et celle des personnes

présentes, et elle n'émettait de doutes que sur l'existence des per-

sonnes absentes.

M. 111r'TI (de Paris). Cette phase d'interrogation ressemble

assez à ce que Lasègue appelait la mélancolie perplexe.

M. P. Garnier (de Paris) n'a par trouvé dans sa pratique de cas

292 SOCIÉTÉS SAVANTES.

confirmant les vues de Cotard, l'existence d'une forme évolutive

analogue à ce qu'on voit chez certains persécutés. Il y a des idées

de négation et très fréquentes chez les mélancoliques, affirmation

de leur état d'angoisse morale, mais elles ne constituent qu'un

syndrome et non un état nosologique spécial. Je ne peux voir dans

leur apparition une période nouvelle s'étageant sur d'autres anté-

rieures et marquant la chronicité, car souvent on la signale de

très'bonne heure.

M. GiLBeRT-BALLET (de Paris). La question actuelle ne peut

se résoudre théoriquement, mais par des faits. Peu importe de

savoir si Cotard a voulu établir, oui ou non, une entité irréductible.

Les faits qu'il a cités sont-ils assez caractéristiques pour justifier sa

description ? Sans aucun doute, et je suis aussi surpris de le voir

contester aujourd'hui par Garnier, que je l'ai été de voir con-

tester jadis l'existence de cette forme systématique et progressive

du délire des persécutions dont M. Garnier se montrait le défen-

seur convaincu. D'un autre côté, je suis d'accord avec M. Garnier

pour reconnaitre que l'apparition des idées peut être précoce.

C'est ainsi que l'une de mes malades fut prise, en décembre 1891,

de délire mélancolique vulgaire avec idées de ruine, craintes de

supplices, en février survint une période de calme qui ne dura

guère que quinze jours, au bout desquels réapparurent les mêmes

idées mélancoliques du début, mais de plus des idées de négation

typiques qui survinrent au bout de deux mois au plus de maladie.

Si donc il y a des faits où le délire des négations succède à une

longue période de mélancolie anxieuse, il en est d'autres où il sur-

vient plus rapidement. Mais ces cas, quoique de marche différente,

ne sont nullement contradictoires des précédents.

M. ROUUY (de Dôle). Mes observations personnelles me portent

à considérer le délire des négations comme le résultat de troubles

hallucinatoires qui doivent être rattachés à une altération du grand

sympathique.

M. Régis. Cotard lui-même, ainsi que M. Séglas et moi l'avons

fait remarquer tout à l'heure, avait signalé la précocité pos-

sible des ;idées de négation chez les anxieux. Si le type qu'il

décrit est nié, ce n'est guère que par ceux qui n'en ont pas vu

d'exemples.

M. Vallon. Les variations d'évolution qu'on observe chez les

négateurs ne sont peut-être, ainsi que le disait tout à l'heure

M. Séglas, qu'une question de terrain, une plus grande prédisposi-

tion amenant une apparition plus rapide des idées de négation

ainsi qu'il en est pour les idées de grandeur chez les persécutés.

La séance est levée.

SOCIÉTÉS savantes. 293

Séance du 2 août (matin). Présidence DE M. TIr. Roussel.

Deuxième QUESTION : Du secret médical en médecine mentale.

M. L. Thivet (de Blois), rapporteur. En médecine mentale

comme en médecine générale, ou le secret médical est absolu et

général dans tous les cas, ou il est relatif et livré à l'appréciation

de celui qui en est le dépositaire. C'est là que réside tout le débat,

car le principe en lui-même n'est pas.discutable. Le plus simple

pour aborder cette étude est de choisir un certain nombre de cas.

C'est ainsi qu'une question qui se présente le plus fréquemment

et sous des formes les plus diverses au médecin aliéniste est celle

du mariage des aliénés ou de leur descendance. L'aliéné mis en

cause peut être franchement guéri ou dans une intermittence, ou

simplement en rémission mais incurable. Le secret doit-il être

absolu ou relatif ? Pour M. Brouardel, le secret est toujours invio-

lable, la famille même vous eût-elle donné par écrit la liberté de

parler, car une vérité relative ne peut que tromper la personne

qui nous interroge et la vérité absolue va souvent au delà de ce

. que la famille a cru autoriser à dire. Pour d'autres auteurs, le

secret ne peut être absolu, l'intérêt de la race humaine devant

primer celui de l'individu. Dans quelles limites alors sera-t-il

relatif ?

D'autres fois, les deux conjoints étant parfaitement sains, ce sera

sur les ascendants, soupçonnés de folie, que des questions seront

potées. C'est la même question sous une autre forme. Le médecin

qui a eu à traiter les ascendants internés doit-il se taire toujours,

alors que son silence peut susciter l'idée d'un état plus grave que

la réalité, ou celle d'une séquestration arbitraire. Pour Casimir

Pinel, le médecin ne doit pas être le servile observateur d'une dis-

crétion systématique, mais il doit même aller au-devant du

péril dans l'espoir, peut-être chimérique, que la folie deviendra

plus rare et la détérioration de l'espèce moins rapide. Les conseils

bien que dictés par des sentiments supérieurs d'humanité, sont-ils

réellement applicables et en tout cas ne sortirions-nous pas de

notre rôle en nous constituant ainsi et d'emblée gardiens vigilants

de la santé intellectuelle au sein des familles qui ne nous ont rien

demandé.

Une question que nous devons prévoir est celle du secret absolu u

ou relatif vis-à-vis d'un des conjoints, alors que nos déclarations

peuvent permettre à celui qui administre les biens de l'aliéné de

surveiller d'autres intérêts que ceux qui lui sont confiée, de prendre

des déterminations que serait loin de ratifier le malade s'il revenait

à la santé.

. Récemment un médecin de maison de santé encourut une cor.

294 sociétés savantes. .l

damnation pour avoir publié une observation en taisant le nom de

la malade, reconnaissable cependant aux détails donnés sur son

histoire pathologique. Or la plupart des observations cliniques,

pour être complète», utiles, comportent la relation de tous ces

détails. Renoncer la recherche de tous ces éléments d'étude et à

leur publication, ce serait à coup sûr arrêter ou tout au moins

entraver singulièrement les progrès de la psychiatrie. La doctrine

de Pmel établissant une différence entre le secret dû aux malades

internés dans une maison de santé privée ou dans un asile, n'est

évidemment pas soutenable. Quelle sera donc la méthode à suivre

dans la rédaction des observations médicales pour sauvegarder à

la fois les intérêts moraux du malade et l'intérêt scientifique qui

s'attache à la recherche des documents les plus complets ?

Enfin, il serait urgent aussi de fixer les limites dans lesquelles,

tout en respectant la doctrine du secret médical, nous pouvons

donner satisfaction à la curiosité des représentants de la presse,

renseignés d'ailleurs souvent par des intermédiaires leur commu-

niquant nos rapports circonstanciés adressés à l'administration,

ou transportant dans le public des journaux des observations, des

faits de leçons cliniques destinées au seul public médical.

M. Ronux. - 11 n'est pas question ici d'attaquer l'arLicle 378

relatif au secret médical; nous ne nous en plaignons pas et nous

ne demandons pas qu'il soit effacé du Code. En ce qui concerne

son application en médecine mentale, je voudrais seulement

demander s'il a raison d'être appliqué et dans quelles mesures

dans deux circonstances : 1° lorsque vous êtes accusé publique-

ment par le malade de séquestration arbitraire et que vous parlez

pour vous défendre; 2° lorsque les faits que vous relevez ont une

telle notoriété que le secret n'existe plus et que vos paroles ou vos

écrits n'appiennent plus rien à personne. Dans le premier cas,

l'article de loi relatif au secret professionnel n'est pas applicable

ou plutôt ne devait pas être appliqué, car nous sommes en fait en

droit de légitime défense : des faits nombreux, tels que celui du

baron Seillièré, le démontrent pleinement. En l'absence d'un

article 321 qui excuse les blessures et les coups s'ils ont été provo-

qués, il semble que les tribunaux devraient excuser dans une large

mesure des faits analogues dans l'ordre moral. Dans le second cas,

il devrait y avoir des gradations dans l'application de la loi, sui-

vant que le fait est connu de tous, de quelques-uns ou du médecin

seul. '

M. V. Parant (de 'l'oulouse) pense que, pour le médecin aliéniste,

par suite des mesures légales exigeant la production et la consi-

gnation sur divers registres des certificats médicaux, le secret

médical n'existe plus. Ce sera pis encore avec la loi nouvelle qui,

au lieu d'un simple certificat, exige un rapport détaillé. Cepen-

. SOCIÉTÉS SAVANTES. 295

dant, bien que le secret médical n'existe pas pour l'aliéniste, il est

tenu cependant à se conduire comme s'il existait.

M. Gtn : un (de Rouen) présente quelques observations au rapport

présenté au Congrès, qu'il résume dans les conclusions suivantes :

le médecin n'a pas de secret à observer vis-à-vis des personnes dési-

gnées par l'article 4 de la loi de 1838. Il peut toujours et doit

souvent dire toute la vérité aux personnes qui ont placé le malade.

En dehors de ces cas, le secret médical doit être absolu. Le certi-

ficat des causes de décès doit être refusé aux Compagnies d'assu-

rances qui le réclament. Le parquet de Rouen a été d'avis que le

directeur-médecin ne peut pas se dispenser de donner à l'état-civil

le nom de la mère, en cas d'accouchement d'une aliénée, même

s'il s'agit d'une fille mère.

M. VALLON. - Un côté intéressant du secret professionnel est

celui qui a trait à la correspondance des aliénés. Faut-il faire par-

venir indistinctement à leur adresse toutes les lettres écrites par

les malades ? Cela peut avoir des inconvénients pour le malade et

le médecin, car le malade divulgue, sans s'en rendre compte, son

état d'aliénation par ses écrits et peut, une fois guéri, s'en prendre

au médecin qui n'a pas exercé suffisamment la tutelle dont il était

chargé.

M. DouTREBENTE. Pour les observations, on ne doit noter que

les détails absolument nécessaires au point de vue scientifique. Les

certificats ne doivent être communiqués qu'aux personnes prévues

par l'article IV de la loi.

M. Charpentier. Il ne faut pas grossir outre mesure cette

question du secret professionnel. Le secret médical n'est, du reste,

qu'une variété du secret en général qui, lui, n'est qu'une forme du

devoir. Il n'y a vraiment que deux cas dans lesquels la violation du

secret professionnel puisse avoir des conséquences graves : c'est

quand elle est déterminée par un intérêt personnel ou faite dans

l'intention de nuire. En dehors de ces deux circonstances, la vio-

lation du secret ne saurait guère être incriminée; elle est du reste

monnaie courante, et loin de restreindre les cas où il est permis

de violer le secret professionnel, je serais plutôt désireux de les

étendre. Je crois, en effet, que le médecin aliéniste devrait être

autorisé à signaler aux autorités les cas de folie dangereuse dont il

peut avoir connaissance dans l'exercice de sa profession, tout

comme le médecin ordinaire à l'égard des cas de maladie conta-

gieuse.

M. Régis. ' ' En matière de secret médical, on ne peut pas codi-

fier, mais poser seulement des indications générales. J'ai consacré

à ce point un chapitre de la seconde édition de mon Manuel des

maladies mentales. J'ai examiné là la conduite à tenir lorsqu'on

296 SOCIÉTÉS savantes.

est consulté sur les chances d'hérédité de la famille, à propos de

mariage d'aliénés. Lorsqu'on est consulté par les intéressés, la

famille, il n'y a pas de secret médical; si c'est par des étrangers,

il faut se munir d'une autorisation écrite de la famille avant de

parler. Il en est de même lorsqu'on vous demande des renseigne-

ments sur des malades internés dans votre établissement. En ce

qui concerne la correspondance des malades, on doit envoyer les

lettres, à moins qu'elles ne soient insignifiantes, aux personnes

prévues par la loi, et à elles seules. Pour le reste de la correspon-

dance, on doit préalablement s'entendre avec les parents du

malade sur le nom des destinataires qu'elle autorise.

M. P. GARNIER. Il est mauvais que le médecin se fasse lui-même

appréciateur des conditions où il doit parler; et le secret médical

doit être absolu dans toutes les circonstances où la loi l'y oblige.

A propos des observations, on peut ainsi résumer les obligations

du médecin. Scientifiquement, le fait doit être individualisé, mais,

socialement, il faut tout faire pour lui donner un caractère imper-

sonnel. Quant aux* divulgations de la presse, il y a une différence

sensible entre elles et les affirmations d'un homme de l'art.

M. TaIVCT demande à M. Régis ce qu'il entend par la famille du

malade.

M. HÉGOE. - Les seuls parents immédiats.

M. Auguste Voisin (de Paris) se déclare partisan du secret médical

absolu. S'il s'agit d'un mariage, il faut cependant s'arranger pour

en faire comprendre les dangers, s'il y a de l'hérédité. Dans ces

cas, je cherche à provoquer une consultation, deux s'il le faut,

avec le médecin ordinaire de la famille, dans l'esprit de qui cette

démarche sème le doute et sauve la situation. Dans les observations,

on doit dénaturer les noms, les prénoms... pour respecter le secret

médical. Ce ne sont jamais les médecins, mais des membres de

famille en désaccord avec les autres qui divulgent l'état du malade.

Il serait nécessaire que les pouvoirs publics provoquassent des

enquêtes dans ces cas pour établir les responsabilités et poursuivre,

au besoin, les journalistes indiscrets.

M. Riu (d'Orléans), lorsqu'il arrive qu'une malade accouche dans

l'asile et qu'il se trouve obligé de déclarer la naissance, déclare les

père et mère inconnus.

Mardi 2 août (soir). Présidence de M. TH. Roussel.

Troisième QUESTION : Les colonies d'aliénés.

M. Riu, rapporteur, après avoir rappelé le voeu exprimé par le : Congrès de 1889 sur la création de colonies agricoles à proximité

'et non distinctes des asiles, voeu émis à la suite des communications

SOCIÉTÉS SAVANTES. 297

de MM. Baume et Taguet, présente quelques brèves considérations

sur les avantages de ces créations au point de vue du bien-être-

même de l'aliéné soumis à une vie active et régulière, et de l'ex-

tension de l'assistance à un plus grand nombre d'individus par

suite des bénéfices produits par le travail des malades venant

alléger le poids des charges départementales. Il conclut en propo-

sant de voter les deux conclusions suivantes : 1° établissement des

colonies agricoles annexes aux asiles toutes les fois que ce sera

possible; 2° adoption du système d'asiles médico-agricoles com-

posés d'un asile au centre et de fermes agricoles à la périphérie,

partout où les circonstances le permettront, lorsqu'il y aura lieu

de créer un nouvel asile.

M. Féré (de Paris). La tradition enseigne qu'en France le

patronage familial des aliénés et la colonisation ne peuvent pas

être pratiqués dans les mêmes conditions que dans les pays voisins.

J'ai déjà relevé cette erreur. Un des reproches qui ont été faits à

l'assistance dans les familles repose sur la mortalité relative. Dans

la statistique relative à Liernieux, et figurant dans les compte

rendus du Congrès de 1889, il s'est glissé des erreurs rendant la

statistique plus défavorable qu'elle ne l'est en réalité.

M. Pichenot (d'Auxerre) estime que, si l'asile est situé à la cam-

pagne, la colonie doit être annexée; s'il touche à une ville, la

colonie doit être éloignée.

M. CHRISTIAN (de Paris). Nous sommes tous d'accord pour

reconnaître l'utilité du travail agricole pour la santé des malades,

la discipline, l'économie. Mais il existe dans les asiles; ce qui pro-

voque la demande de création de colonies agricoles, c'est l'encom-

brement. Mais cet encombrement n'existe guère qu'à Paris, dont

la population ne fait que s'accroître. Dans les départements, le.

chiffre est forcément limité et le serait encore plus si chaque dépar-

tement avait son asile. Si, dans les asiles, l'encombrement résulte

de la présence d'aliénés chroniques, déments, imbéciles, idiots, ce

sont aussi eux qui sont les travailleurs. Si on les retire de l'asile

pour les placer dans les colonies distinctes, que reslera-t-il dans

les asiles ? les terrains resteront incultes et l'on aura à dépenser

pour établir les colonies. Aussi, je demanderais qu'on votât qu'à

côté des asiles on ne vienne pas créer des colonies annexes, mais

que le travail agricole soit seulement développé dans le plus grand

nombre d'asiles possible. Je voudrais aussi avec M. Bourneville

que nos asiles ressemblent de plus en plus à un hôpital; mais ce

n'est guère là, je le sais, qu'une utopie, car il faudrait supprimer la

législation qui fait de l'aliéné un être à part.

M. Bourneville. La question qui préoccupe à un haut degré

les médecins aliénistes, les conseillers généraux et les administra-

teurs, c'est assurément celle de l'encombrement des asiles. Parmi

298 SOCIÉTÉS SAVANTES.

les moyens qui peuvent y remédier, nous signalons les suivants

sur lesquels nous avons insisté tant de fois :

1° L'admission précoce des malades, c'est-à-dire le plus près pos-

sible du début, ce qui donnerait plus de guérisons et moins d'in-

curables. Les préfets nuisent aux finances départementales et aux

malades en ne secondant pas les médecins, unanimes sur ce point;

2° L'organisation de Sociétés de patronage dans tous les départe-

ments, ce qui éviterait assurément un certain nombre de rechutes

et permettrait de maintenir dans les familles un nombre plus ou

moins grand de malades;

3° Le patronage familial direct, c'est-à-dire l'assistance des aliénés

dans leurs propres familles avec un secours mensuel de 95, 20, 25

ou 30 francs, suivant les ressources de la famille et l'état mental

du malade ;

4° Les colonies agricoles ou mieux le travail horticole et agricole,

donnant aux malades la vie au grand air, avec toute la liberté

compatible avec la sécurité publique ;

5° Le patronage familial indirect, c'est-à-dire l'assistance dans

des familles étrangères aux malades, à l'imitation de ce qui se fait

à Gheel et à Lierneux, en Belgique. C'est ce que le conseil général

de la Seine a décidé de faire à Dun-sur-Auron (Cher), sur la pro-

position de M. Deschamps.

L'annexion de fermes ou, si l'on veut, de terrains donnant aux

malades du travail horticole et agricole parait avoir été réalisée

pour la première fois par Ferrus. En effet, il avait fait annexer à

Bicêtre la ferme de Sainte-Anne ou s'élève aujourd'hui l'Asile

Clinique. Des malades y habitaient; d'autres y étaient envoyés

chaque jour de Bicêtre.

A Bicêtre même, il y avait une vacherie qui donnait de l'occu-

pation aux malades. Elle a été supprimée à peu près complètement,

bien à tort, par M. Brelet, secrétaire général de l'Assistance pu-

blique.

Auzouy, parlant de l'application des aliénés aux travaux agricoles,

l'appelle la « réforme de lerrus a. Renaudiu ' a nettement résumé

notre opinion commune surce point : La création d'une ferme dans

un asile, dit-il, est aujourd'hui un principe passé à l'état d'axiome.

C'est une conquête définitivement acquise... Tout asile bien orga-

nisé doit donc tendre à arrondir son territoire, de manière à

utiliser toutes les forces disponibles. C'est là qu'Esquirol plaçait la

véritable économie, consistant plutôt dans l'emploi judicieux de

toutes les ressources que dans le retranchement arbitraire de quel-

ques centimes dans le prix de journée. »

Des essais d'annexion de fermes aux asiles ont été tentés à

Vaucluse et à Ville Evrard. Ils ont été mal conduits et ont échoué.

' Commentaires medico-adna, sur les asiles d'aliénés, p. 301.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 299

On est en train d'y revenir. Nous avons réclamé l'achat d'un nou-

veau terrain à l'asile de Villejuif. A Bicêtre, on a diminué le do-

maine ; cependant, en dehors des murs de l'hospice (18 hectares), il

y a encore 7 hectares de terrain qui pourraient être utilisés et

affectés au travail des malades, au lieu d'être ensemencés de

céréales et de plantes fourragères. ,

Pour toutes ces raisons, nous voterons le principe des conclu-

sions du rapport de M. le Dr Hiu, parce que ces colonies ou ces

fermes annexées aux asiles, placées sous la direction des médecins

en chef, procurent aux malades des occupations salutaires et

qu'elles leur donnent bien-être et liberté.

La communication de M. Féré nous amène à parler de l'essai qui

va être tenté par le département de la Seine et le conseil général à

Dun-sur-Auron (Cher). En principe, nous sommes partisan de toutes

les réformes, on le sait du reste; cependant, nous avons quelques

remarques à présenter au sujet de la future colonie dont M. Des-

champs a été le promoteur. :

M. Deschamps s'appuie sur ce qui se fait à Gheel en Belgique et

en Ecosse. Relativement à ce dernier pays, il emprunte certains

renseignements au rapport du médecin inspecteur Fraser. Voici

quelques-uns de ces passages :

« Les avantages qui résultent du transfèrement dans des ménages

privés des aliénés tout d'abord traités à l'asile sont :

« 1° La restitution d'un domicile et d'un entourage habituels;

« 2° Une augmentation proportionnelle de contentement (en

même temps qu'une diminution de prix coûtant) ;

« 3° Un bien-être matériel inhérent à la maison privée;

a 4° Une modification heureuse de l'état mental

« Une amélioration de l'état menlal se produit pour la plupart

des cas envoyés de l'asile en famille. Ce changement peut être

attribué à l'influence inhibitoire du milieu ambiant, une fois que le

malade est soumis à des soins particuliers. La société de personnes

saines, l'exemple des nourricier-, la présence des enfants et diffé-

rentes autres choses, tout, de près ou de loin, influe sur son carac-

stère. » , .

Il semble résulter de ces passages que les placements se font au

moins en pallie pour des aliénés qui sont curables. M. Deschamps

nous semble donc s'être trompé en écrivant qu' : « En 1 Ecosse, au

contraire, le placement familial n'est appliqué qu'à des incurables

soigneusement chosis parmi les aliénés trailés dans les asiles;

l'existence d'un centre médical devient alors superflue, les malades

peuvent être disséminés sans inconvénients et, en fait, ils sont ré-

partis dans toute la province, sous la garantie d'inspections

périodiques. »

Voici comment M. Deschamps expose le but poursuivi par le

Conseil général : « Les asiles de la Seine renferment, en et ! et, à

300 SOCIÉTÉS SAVANTES. ·

côté des aliénés dangereux pour eux-mêmes, pour les autres ou

pour l'ordre public, des malades tels que les séniles qui y sont

gardés uniquement parce qu'il n'est pas possible de les laisser

dans la rue, livrés à eux-mêmes, sans famille, sans ressources d'au-

- eune sorte, matérielles ou morales.

« Sur le désir de la 3e commission, l'administration a fait dresser

l'an dernier, à celte époque, un état numérique des aliénés à qui

il suffirait d'un patronage pour pouvoir vivre en liberté.

« De ce travail il résulte que 653 déments, séniles, imbéciles ou

idiots, seraient avantageusement hospitalisés, soit dans des asiles

de vieillards, soit chez des particuliers. Depuis le nombre s'en est

encore accru, ainsi que nous avons pu le constater au cours de notre

dernière visite annuelle. On aura une idée de l'importance du

nombre de ces malades par ce court extrait du dernier rapport

du docteur Magnan, médecin en chef du service de l'Admission :

. « Les déments de cause organique et les séniles sont au nombre

de 766 : 385 hommes et 381 femmes, le cinquième environ des en-

trées. La plupart de ces malades qui, dans les petites localités, à la

campagne, pourraient, sans danger, vivre en liberté, sont dange-

reux à Paris et dans les grandes villes, pour eux-mêmes et pour les

autres, par les actes inconscients qu'ils commettent journellement. Ces

infirmes de l'intelligence ne sont point des aliénés, etc. ».

D'où il suit que les catégories de malades qu'on veut placer à

Dun sont des séniles, des déments, des idiots et des imbéciles.

Sauf les séniles, dont il faudrait faire le portrait clinique et qui ne

devraient pas être admis un instant dans les asiles s'ils ne sont pas

aliénés, les autres sont des aliénés. Ils sont réputés incurables.

Parmi les raisons à l'appui de sa proposition, M. Deschamps

invoque les suivantes : c L'insuffisance des hôpitaux et hospices

actuels, la désinvolture avec laquelle les médecins des établisse-

ments existants se débarrassent sur les asiles des malades gênants,

les résistances de la préfecture de police à recevoir des séniles à la

maison de Nanterre, dès qu'ils sont impotents ou maspropres, sont

les causes de cette augmentation progressive que nous sommes

décidés à enrayer par une interdiction formelle au chef de l'Admis-

sion de ne recevoir désormais aucune personne non aliénée, au sens

légal du mot. Mais cela, c'est l'avenir. »

L'accusation portée contre les médecins des hôpitaux ne nous

paraît pas justifiée. En effet, en 1890, les hôpitaux n'ont envoyé

dans les asiles que 262 aliénés appartenant à toutes les formes de

l'aliénation mentale et, par conséquent, le nombre des séniles est

de minime importance par rapport au chiffre total des admissions,

qui a été durant la même année de 4.461. Ces chiffres ont leur

éloquence. En ce qui concerne Nanterre, on conçoit les résistances

de la Préfecture de police à augmenter l'encombrement dangereux

qui existe dans cette maison où contrairement à tous les principes

SOCIÉTÉS SAVANTES. 301

de l'assistance et de l'hygiène, on accumule, à côté de prisonniers et

de mendiants, des vieillards, des infirmes, des déments, des para-

lytiques des deux sexes, sans compter les enfants. Nanterre nous

reporte à un siècle en arrière. Revenons à la colonie de Dun.

La plupart des malades qu'on veut y envoyer sont des aliénés,

les séniles même sont considérés comme aliénés; c'est le service

des aliénés qui dirige la colonie; c'est à un médecin aliéniste qu'on

veut la confier. Les dépenses sont payées par le budget des aliénés.

Le prix de journée proposé d'abord, 1 fr. 10 pour les hommes et

1 franc pour les femmes, a été trouvé trop faible, on l'a élevé à

1 fr. 25 et 1 fr. 10.

Le prix de journée réel, fixé par l'administration à 1 fr. 71,

sera, dit-on, de 1 fr. 66, en y comprenant les frais de médecin,

de surveillance, de bureau et de transport. Ce chiffre est de beau-

coup supérieur à celui que le département paie dans les asiles des

départements avec lesquels il a des traités et qui a été en moyenne

de 1 fr. 23 en 1890. La colonie de Dun n'offre donc pas un avan-

tage financier sur le placement des aliénés dans les asiles des

départements.

Ce prix de journée n'est pas très éloigné de celui des asiles de

la Seine, 2 fr. 31 et encore moins du prix de journée payé à la

Salpêtrière, 2 fr. 10. Or, nous doutons fort que les familles de Dun

en voyant qu'ils ne peuvent tirer aucun travail des déments, des

séniles, des idiots et des imbéciles qu'on leur enverra, ne cherchent

bientôt à élever le prix de pension. ,

De ce fait et parce que le chiffre annuel fixé pour la vêture sera

dépassé quand les malades déchireront leurs vêtements ou devien-

dront gàteux, nous verrons le prix de journée se rapprocher du

chiffre primitivement fixé à 1 fr. 71.

Les partisans de la colonie de Dun ont invoqué la difficulté

qu'éprouve l'administration à trouver des places nouvelles dans les

asiles de province. S'il en est réellement ainsi, on ne peut qu'en

féliciter les administrations départementales, car cela semblerait

indiquer qu'elles admettent plus facilement qu'autrefois les aliénés

dans leurs asiles*.

Nous avons insisté à diverses reprises sur une ancienne proposi-

tion qui consistait à envoyer ces incurables tranquilles dans leurs

familles en leur accordant un secours mensuel. Ce secours pourrait

être de 25 ou de 30 francs, selon que le malade serait propre ou

gâteux. Ce mode d'assistance est plus économique que celui de la

colonie de Dun; il est plus familial, puisque le malade serait soi-

' En causant avec nos collègues, nous avons appris que M. le D' Brunet

avait offert 50 places aux aliénés du département dans son asile à Évreux-

et que M. Galoppain en avait offert 75 dans son asile de Fains. On ne leur

a envoyé aucun malade. Pourquoi ? Y (B.).

302 SOCIÉTÉS SAVANTES.

gné dans sa propre famille; il est plus républicain puisque le malade

ne serait pas éloigné de son pays, de sa famille, de ses amis et

que nos principes veulent que le malheureux soit assisté à domicile

s'il y a lieu, et dans le cas contraire le plus près possible de son

domicile. -

Nous avions en second lieu proposé, sans grand enthousiasme,

d'essayer le placement - non pas d'aliénés incurables et déments

mais d'aliénés travailleurs chez les cultivateurs des environs de

l'asile de Villejuif et cela sous la surveillance immédiate des méde-

cins et du directeur de cet asile.

Ni l'un ni l'autre de ces éssais, qui ne donnaient pas lieu à des

transferts, mesure barbare, n'a paru attirer l'attention de l'admi-

nistration ; c'était sans doute trop modeste.

Donc, ni au point de vue financier, ni au point de vue adminis-

lralif - car l'administration aura des difficultés de tous genres et

une grande responsabilité; ni au point de vue social, nous ne

trouvons une réelle supériorité dans l'organisation de la colonie

de Dun sur l'organisation actuelle et surtout sur l'organisation

tant de fois préconisée, souvent appliquée, par des médecins alié-

nistes et qui consiste à annexer aux asiles des colonies agricoles

sous la direction du médecin directeur des asiles.

M. Dcscu4urs (de Paris). Il résulte de cette discussion que

nous sommes tous d'accord pour déplorer l'encombrement des

asiles par des sujets incurables. J'ai consulté tous les médecins des

asiles de la Seine à ce sujet : tous ont été unanimes à reconnaître

qu'ils étaient obligés de garder dans leur service, pour ne pas les

mettre sur le pavé, une quantité considérable de séniles, de déments

et d'idiots, dont beaucoup sont inoffensifs et pourraient être placés

sans inconvénients dans des familles de paysans qui, pour une

somme modique, voudraient bien se charger de les nourrir et de

veiller sureux. J'ai saisi de cette question le Conseil général de la

Seine, et il a été décidé après avis favorable du préfet, qu'un pre-

mier placement de cent déments séniles aurait lieu dans une com-

mune du département du Cher.

Nous basant sur ce qui se passe en Belgique, non seulement à

Gheel mais à Lierneux, nous avons le ferme espoir qne cette tenta-

tive réussira, et que peu à peu nous pourrons fonder sur d'autres

points du territoire. des colonies analogues à celles de Dun, et

donner ainsi satisfaction aux nombreux médecins qui désirent voir

remplacés par des curables tous leurs malades incurables'.

M. DENY (de Paris). Au moment où va être tenté en France

' Des renseignements qui ont été donnés publiquement, hors séance,

par un de mes collègues du Congrès, qui connaît très bien les qualités

et les défauts des habitants de Dun, nous font craindre qu'ils ne

répondent pas aux espérances qu'on s'est failes. (B.)

SOCIÉTÉS SAVANTES. ; : \0 : 1 "i

un premier essai de colonie familiale pour les aliénés, j'ai pensé

qu'il y aurait un certain intérêt à jeter un coup d'oeil sur le fonc-

tionnement des asiles actuels et sur les améliorations que la créa-

tion de colonies libres permettra de leur apporter.

J'ai traité dans mon service, depuis cinq ans, 725 malades, sur

lesquels 306 ont été mis en liberté, 141 sont morts et 69 ont été

transférés dans d'autres établissements.

Sur les 306 malades mis en liberté, 227 seulement doivent être

considérés comme étant des cas de guérison, les 79 autres ayant

été réintégrés à l'asile au bout d'un temps plus ou moins long. Le

pourcentage de ces différents chiffres nous donne les résultats sui-

vants : mortalité, 19,43 p. 100; guérison, 31,3 p. 100.

Cette proportion des guérisons n'est pas très élevée, puisqu'elle

équivaut à peine au tiers des malades traités; elle est cependant

supérieure- à la moyenne de celle des asiles français et elle ne

pourra être plus élevée que lorsque ces asiles seront débarrassés du

grand nombre d'incurables qui les encombrent. Il faut remarquer,

en outre, que les services de Bicêtre ne reçoivent guère de malades

aigus, les. aliénés n'y étant pas admis directement, mais seulement t

après avoir fait un séjour plus ou moins prolongé à Sainte-Anne.

Quant aux mesures les plus propres à remédier à l'encombre-

ment des asiles par les sujets incurables, elles ont été assez sou-

vent discutées parles précédents Congrès pour qu'il soit inutile d'y

revenir à nouveau. Je me borne donc à les transcrire ici sous forme

de conclusions :

1° Création de services spéciaux pour les épilepliques, les idiots,

les imbéciles et les déments';

z Création de colonies libres pour ceux de ces différentes caté-

gories d'incurables qui sont inoffensifs.

M. Marie (d'Évreux) lit une note sur le mode de placement et la

répartition en catégories différentes des malades dans les colonies

familiales d'Angleterre, d'Ecosse et de Belgique. Tandis qu'à Gheel

on reçoit directement et indifféremment des aliénés chroniques ou

aigus, en Ecosse le placement n'est, en principe, appliqué qu'à des

chroniques incurables soigneusement choisis parmi les aliénés préa-

lablement traités dans les asiles; le système belge est donc l'ab-

sence de sélection initiale et d'internement proprement dit, alors

que le système écossais n'est que le dernier terme d'une sélection

préalablement faite dans des asiles fermés où le placement initial

précoce est préconisé. '

M. Charpentier. 11 faut désencombrer les asiles : voilà la ques-

tion première qui s'impose. Que cet encombrement résulte de la

' C'est ce que nous avons demandé bien des fois de notre côté. Il s'agit

naturellement des adultes. (B.) «

304. SOCIÉTÉS SAVANTES.

présence dans les asiles de gens qui ne devraient pas y être placés,

que ce soient des vicieux, des ivrognes, des séniles, des idiots, des

épileptiques, peu importe; ce que je retiens, c'est qu'ils gênent par

. leur graud nombre. Peut-on les placer ailleurs dans de meilleures

conditions ? Si oni; acceptons et encourageons de telles propositions,

quelles qu'elles soient et d'où qu'elles viennent. Trois modes de

placement sont à l'étude.

1° Les colonies annexées aux asiles d'aliénés, partout où cela sera

possible sans nécessiter des acquisitions trop onéreuses de vastes

terrains; c'est laproposition de M. Riu;

2° Les placements des aliénés dans leurs familles; c'est le mode

d'assistance auquel M. Bourneville semble donner la préférence; il

est déjà pratiqué dans le département des Ardennes;

3° Les colonies familiales, telles que celle de Dun-sur-Auron, dans

le Cher, qui n'existe encore que sur le papier. Je ne suis pas

opposé à ce mode de placement : je crois seulement qu'on devra

apporter beaucoup de prudence dans la sélection des malades, afin

d'éviter les accidents, et dans la sélection des familles pour ern-

pêcher le surmenage ou l'exploitation possible des aliénés qui leur

seront confiés.

L'expérience seule pourra décider, quand elle aura été suffisam-

ment prolongée, lequel de ces trois modes d'assistance d'aliénés

inoffensifs et incurables donne les meilleurs résultats. Pour le

moment, rien ne s'oppose à. ce qu'ils soient mis tous les trois raz

l'étude.

M. Charpentier ajoute que : « Après la création de l'asile cli-

nique, il restait les vastes terrains à l'ouest de Bicêtre; malheureu-

sement ils ont été pris par les constructions que M. Bourneville a

fait élever pour le service des idiots, en sorte qu'à l'heure actuelle

les ateliers, d'ailleurs insuffisamment organisés, ne peuvent em-

ployer tous les aliénés qui en seraient susceptibles et qu'au dehors

les quelques terrains restant, insuffisants eux aussi pour motiver

l'organisation d'une ferme, sont affermés ou cultivés en dehors de

la participation des malades qui en retireraient un gland béné-

fice.

M. BOUItNEVILLE demande la parole pour rectifier certains points

de la communication précédente. Il rappelle que la section des

enfants a été créée : 1° sur un terrain qui leur appartenait déjà;-

2° sur le jardin du directeur; 3° sur un vaste champ de luzerne

qui n'avait jamais été affecté au travail horticole fait par les alié-

nés. Pour ce qui est de la non-utilisation des aliénés dans les ate-

liers de l'hospice cela tient à ce que les chefs d'atelier et même les

surveillants des services généraux, comme la buanderie, n'ayant

pour la plupart jamais vécu au milieu des aliénés, les renvoient à

la moindre incartade. C'est pour cela que-nous avons demandé

bien des fois que l'on fasse faire à ce personnel un stage dans les

SOCIÉTÉS SAVANTES. 305

services d'aliénés comme infirmiers et infirmières afin de leur

apprendre à mieux connaître les malades et à leur faire supporter

les écarts dus à leur maladie. Il en résulterait un grand bienfait

par les malades qui ne seraient pas désoeuvrés et un bénéfice pour

l'établissement.

Nous signalons enfin de nouveau à nos collègues de Bicêtre la

possibilité d'utiliser pour leurs malades les terrains voisins de l'hos-

pice. Nous avions pensé à demander l'un d'eux pour les enfants de

notre section en mettant un maître jardinier à leur tête, mais jus-

qu'ici, le projet n'a pas eu de suite.

M. le D1' Samuel G,%RNIE11 (de Dijon). Je n'étais pas préparé à

ce débat, mais les opinions qui viennent de se faire jour m'obligent

à sortir de ma réserve. Et d'abord, on confond, ou plutôt on mêle

la question des colonies d'aliénés avec le système d'assistance qu'on

veut inaugurer à Dun-sur-Auron. En ce qui concerne les colonies

agricoles d'aliénés c'est une utopie si vous voulez qu'à cinq ou six

kilomètres de l'asile existant ou à créer, on établisse une ferme

complète dans laquelle vous déverserez vos déments, vos imbéciles,

vos idiots, parce qu'alors il ne vous restera plus rien pour cultiver

votre potager dont les produits dans la plupart des asiles sont

assez considérables, 30,000 francs environ à l'asile de Dijon.

Annexez donc simplement à votre établissement d'aliénés assez de

terrains pour une culture maraîchère intensive, en réunissant tous

vos travailleurs dans un seul pavillon, et cela suffira amplement

pour remplir l'indication du travail en plein air. Quant à la grande

culture proprement dite, je la rejette pour bien des motifs. Elle

exige en premier lieu un travail excessif et aboutit fatalement à

l'exploitation de l'aliéné peu m'importe au profit de qui et

pour moi c'est capital. Faire espérer qu'avec cette grande culture

et ses rendements il en résultera sinon l'exonération complète, du

moins une atténuation notable des charges départementales de

l'assistance, c'est un leurre.

Pour ce qui regarde la conception de M. Deschamps, qui veut

se faire l'importateur du système belge de Gheel, je la crois in-

applicable. Sans doute il veut diminuer l'encombrement fâcheux

des asiles de la Seine, mais, qu'il me permette de le lui dire : vos

nourriciers de Dun qui pour 1 fr. 60 se chargeront de prendre vos

aliénés et doivent leur donner des soins comparables à ceux qu'ils

reçoivent dans les asiles, me semblent tout à fait extraordinaires,

alors qu'en général on sait que les parents font tous leurs efforts pour l'

se débarrasser de leurs aliénés. Donnez donc plutôt à ces parents,

comme le veut M. Bourneville, une subvention journalière qui les

engagera à reprendre leurs malades qui encombrent vos maisons.

Ce sera beaucoup plus moral, d'abord, etplus légal, ensuite, puisque

tout aliéné non guéri, s'il est inoffensif ou paraît tel, peut être

confié à sa famille, si elle le désire. Cette famille devient respon-

Archives, t. XXIV. 20

306 SOCIÉTÉS SAVANTES.

sable des agissements de ce dément incurable, de cet idiot, de cet

imbécile, qui est ainsi replacé dans les conditions de la vie ordi-

naire, tandis qu'à Dun je me figure difficilement ce que seront, au

point de vue de leur situation légale, ces déments que vous ferez

sortir des asiles. Seront-ils des aliénés placés sous la loi de 1838 ?

Non, puisque leur exeat sera signé et qu'alors ils auront reconquis,

pour la plupart leurs droits civils. De quel droit les placerez-vous à

Dun ? Je me demande enfin pourquoi vous les assisterez au nom du

département, puisque, sortis légalement de l'asile, la charge de

leur assistance devient, endroit, exclusivement communale. Toutes

ces questions ne sont pas résolues au préalable toutefois; faites

l'essai qui vous sourit, puisque votre conviction reste entière. Je

souhaiterais même qu'il soit moins négatif qu'à votre école de

réforme d'Yzeure à laquelle vous avez dû renoucer.

M. BOUCHEREAU (de Paris), rappelant l'exemple des institutions

étrangères, considère qu'on ne doit pas accepter tel système à

l'exclusion de tel autre. Les colonisations agricoles n'excluent pas

la colonisation familiale sous toutes ses formes; les différentesmé-

thodes correspondent seulement à des catégories différentes de

malades pour lesquels elles peuvent être appropriées. On ne peut

donc, a priori, condamner une tentative quand celle-ci a réussi

ailleurs, et a pour but d'ajouter un mode d'assistance aux moyens

actuels insuffisants. La seule question discutable est celle des détails

d'application pratique qu'on pourra juger plus ou moins logi-

quement conçus ; la discussion de ces points rentre dans le

domaine administratif; sur ce terrain, M. Deschamps pourrait mieux

répondre.

M. DOUTREBENTE clôt le débat en faisant observer qu'on s'est

quelque peu écarté delà question et qu'on s'est plus préoccupé du

patronage familial d'incurables que des colonies agricoles d'aliénés;

il expose les résultats qu'il a obtenus à l'asile de Blois sur une cul-

ture de 32 hectares; et il signale les domaines considérables qui

entourent certains asiles de la Seine et qu'après des essais trop

vite abandonnés on a loué à des fermiers dont on s'est ensuite

rendu tributaire pour la fourniture de divers produits d'alimenta-

tion. Quant à l'argument qui consiste à dire que la population

parisienne ne produit pas de travailleurs agricoles, il ne faut pas

lui accorder trop d'importance ; le département de la Seine à défaut

de la ville de Paris peut en fournir quelques uns ; et, du reste, il

en a plusieurs exemples à l'asile de Blois, les meilleurs travailleurs

agricoles ne sont pas nés aux champs et n'ont parfois jamais touché

un instrument de culture avant leur entrée à l'asile. Il conclut

donc à la ferme annexée à l'asile. J. Séglas.

La journée du 3 août a été consacrée à la visite de l'asile

d'aliénés et du pensionnat, puis le Congrès a visité une partie

SOCIÉTÉS SAVANTES. 307

de la prison qui a servi autrefois aux aliénés. Enfin il s'est rendu

au château de Blois où a eu lieu la réception du Congrès par la

municipalité à la tête de laquelle étaitM. Guérite, maire de Blois.

La journée du 4 août a été consacrée à la visite des châ-

teaux de Chambord, Cheverny et Beauregard. Cette excursion,

conduite par M. Doutrebente avec une rondeur et une bon-

homie charmantes, a été à la fois très intéressante et très

agréable. Les congressistes ont déjeuné à Chambord.

« MM. Th. Roussel, Doutrebente, le professeur Pierret, Gilbert-

Ballet, Joffroy, dit ['Indépendant de Loir-et-Cher, ont porté divers

toasts pleins descience, d'humour ou de poésie, le dernier à 11m° Sin-

cère qui avait embelli la promenade de sa présence ».

Le soir, un banquet a eu lieu à l'hôtel de Blois où assistaient

outre la plupart des membres du Congrès, M. Sincère, préfet

de Loir-et-Cher, M. Guéritte, maire de Blois, plusieurs méde-

cins de Blois et du département. Au dessert, divers toasts ont

été portés. Nous en empruntons le résumé à l'Imdépendant de

Loir-et-Cher qui a publié un compte-rendu détaillé et très

exact des travaux du Congrès.

« M. Rousse, dit ce journal, a remercié la ville de Blois de son

accueil dont il emportait un souvenir inoubliable. M. le Préfet a

exprimé le regret de voir le Congrès se séparer; mais la satisfac-

tion d'avoir appris à connaître tant de savants; et, répondant à

toutes les légendes de croque-mitaines que fait courir une certaine

presse, il s'est écrié avec une amusante allusion du sous-préfet de

Daudet : « Mais ça n'est pas méchant du tout les aliénistes ! »

M. RITTI, médecin de Charenton, a pris ensuite la parole, et doué,

comme il l'a dit lui-même, de la bosse de la vénération, il a bu aux

absents, à ceux qui ont tracé la voie, et notamment à Calmeil, ce

vieillard de quatre-vingt-quatorze ans, qui s'intéresse encore passion-

nément à la science dans laquelle il a marqué un sillon lumineux.

« Le Dr Riu a ensuite donné rendez-vous aux assistants, à l'asile

d'Orléans et sur les bords du Loiret, cet enfant sans état civil, a-t-il

dit par allusion à un incident de séance, et qui voudrait bien con-

naître son père.

« Le Dr Régis, comme secrétaire général de la Ligue des dames

présentes, a adressé les plus vifs remerciements et porté une santé,

fort applaudie à Mm0 Doutrebente.

« Enfin le Dr Doutrebente a fait l'éloge des asiles de la Seine.

C'était une façon de forcer le Dr BOURNEVILLE, médecin de Bicêtre,

membre de la Commission de surveillance des asiles de la Seine,

308 SOCIÉTÉS SAVANTES.

à prendre la parole. Il s'est exécuté aussitôt et, avec sa grande

compétence, a fait l'éloge des deux établissements qu'il avait visi-

tés, l'asile des aliénés et l'hôpital général, et profilant de l'occasion

cet apôtre delà laïcisation a rendu justice au personnel laïque de

ce dernier établissement, très heureux de pouvoir s'appuyer sur le

témoignage du Dr Ansaloni, qui l'avait accompagné dans sa visite

et assistait au banquet. Et rappelant les progrès accomplis dans le

domaine de l'assistance publique, le Dr Bourneville a bu à la Répu-

blique »

Séance du 5 août (matin). Présidence DE M. GIRAUD (de Rouen).

M. Samuel GARNIER lit une note sur les Retraites des médecins

d'asile. Les conclusions de son mémoire sont votées par le Congrès '.

M. Gilbert Ballet ? Sur les caractères de certaines idées de per-

sécution observés chez les dégénérés à préoccupations hypochondriaques

ou mélancoliques. Depuis le mémoire de Lasègue, les caractères

qui différencient les unes des autres les idées longtemps confondues

ensemble de persécution et de mélancolie ont été précisés avec

netteté. Il est aujourd'hui de notion courante qu'entre le persécuté

et le lypémaniaque, il y a toute la distance qui sépare le coupable

de la victime; tandis que le premier s'en prend au monde extérieur

des tourments dont il souffre, le second s'accuse lui-même; aussi

celui-ci est-il humble et résigné pendant que le persécuté est plus

ordinairement agressif et révolté. Les distinctions fondamentales

ne sauraient être trop mises en lumière; cependant elles ne sont

pas absolument vraies dans tous les cas : il est telle circonstance où

l'idée de persécution nettement caractérisée pourtant s'associe au

sentiment d'humble résignation, de mésestime du moi qui cons-

titue le fond ordinaire des états lypémaniaques. Les persécutés

dont il s'agit, accusent les autres, se plaignent de leurs agissements

et de leurs manoeuvres, comme il convient à des persécutés; mais

ils s'accusent avant tout eux-mêmes; ils ne se dissimulent pas qu'ils

ont fourni le prétexte de la persécution et qu'à eux reviennent les

premiers torts; ce sont des victimes, mais coupables, et non,

comme les persécutés ordinaires, des victimes innocentes. M. Ballet

rapporte cinq faits. Dans le premier, il s'agit d'un individu à tares

dégénératives, chez lequel on avait dû faire l'ablation de l'un des

testicules, au cours d'une opération de cure radicale de hernie.

Or, depuis cette opération, le malade présente des idées de persé-

cution. Il est convaincu que ses camarades, dans son bureau, ses

collègues, sur les différents points du réseau de la compagnie de

' Voir le compte rendu du Congrès de Rouen (Archives de Nei42-o-

logie, 1890).

SOCIÉTÉS SAVANTES. 309

chemin de fer à laquelle il est attaché, sont au courant de son

infirmité. On chuchote autour de lui, on le regarde d'une façon

très significative. Il a entendu un jour un de ses camarades dire,

en passant près de lui : « Oh ! tu es un eunuque. » Maintes fois on

l'a appelé vieux testicule. Il y a eu, au régiment caserné dans la

ville qu'il habite, une affaire de pédérastie. En diverses circons-

tances, on a fait devant lui allusion à cette affaire, on a murmuré

en passant près de lui : « Tiens, tu es comme ça. » Ce sont bien

là des idées de persécution avec les interprétations délirantes, les

hallucinations auditives, qui accompagnent ces idées d'ordinaire.

Eh bien, ce persécuté, qui ressemble par la physionomie générale

de son délire à tous les persécutés, s'en distingue cependant par

un caractère de premier ordre. C'est à peine s'il en veut à ses per-

sécuteurs. Il ne serait pas impossible qu'il les menaçât ou les

frappât, mais, s'il le faisait, ce serait plutôt sous l'influence d'un

mouvement passager d'impatience ou d'emportement que pour

satisfaire un sentiment de vengeance. Les persécuteurs ne sont pas

ses ennemis, « ils n'ont aucune inimitié contre lui ». Alors pour-

quoi le poursuivent-ils de leurs obsessions ? C'est à cause de l'infir-

mité dont il est atteint, infirmité réelle qui, chez un dégénéré

comme il l'est, a été le point de départ d'un échafaudage d'idées

morbides. Cet homme est désireux de se faire mettre un testicule

artificiel; cette idée l'obsède. « Quand j'aurai mon faux testicule,

dit-il, il suffira que je dise à un de mes amis : ce qu'on dit n'est

pas vrai, pour que mon ami le répéte. Et alors mes ennemis actuels,

qui n'ont aucune inimitié contre moi, seront enchantés de la chose. »

Cette dernière phrase peint très bien les idées de persécution

observées chez ce malade; elle montre ces idées à cheval, d'une

part sur l'idée de persécution telle qu'on l'objet ve couramment,

d'autre part, sur l'idée mélancolique ou plutôt hypochondriaque.

L'individu dont il s'agit se plaint des autres, sans doute, mais il se

plaint surtout de son infirmité. On le persécute, c'est vrai, mais

cette persécution a un motif que le malade reconnaît et dont il exa-

gère considérablement l'importance.

Il s'agit là, on le voit, d'un délire de persécution ayant pour point

de départ une idée hypochondriaque et ajoutant à ce point de

départ certains caractères spéciaux. M. Gilbert Ballet rapporte

quatre autres faits du même ordre. Il est ainsi amené à formuler

les conclusions suivantes : Je n'ai pas eu pour but de faire ressortir

la relation qui relie souvent aux idées hypochondriaques les idées

de persécution. J'ai voulu montrer dit-il, qu'à côté des hypochon-

driaques qui deviennent des persécutés vulgaires, il en est chez

lesquels les idées de persécution offrent des caractères un peu

spéciaux. J'ai cherché d'ailleurs à établir que les idées de persé-

cution à physionomie anormale se rencontrent aussi dans certains

états de dépression mélancolique. Je pense même que s'il était

310 SOCIÉTÉS SAVANTES.

possible plus souvent d'analyser avec précision les caractères que

l'idée de persécution a, quand elle surgit an cours de la mélan-

colie, on constaterait probablement que d'ordinaire elle affecte la

physionomie de celle dont j'ai parlé.

Cette physionomie s'explique par la nature du trouble fonda-

mental d'où l'idée de persécution dérive et qu'elle accompagne.

Les individus que poursuit l'obsession d'une infirmité dégradante

ou d'une culpabilité imaginaire, ne peuvent être que ce qu'ils sont,

des honteux ou des humbles. Sans doute ils n'ont pas toujours la

résignation passive du mélancolique vulgaire, mais ils n'ont pas

non plus les colères et les haines des persécutés ordinaires. Ils

n'acceptent pas de gaieté de coeur et sans protestation les taqui-

neries qu'on leur fait subir, mais tout en protestant ils semblent

reconnaitre que les taquineries sont méritées et dans une certaine

mesure légitimes.

Ces idées de persécution survenant chez des dégénérés ont de la

tendance à affecter la marche rémittente qu'ont d'ordinaire les

troubles mentaux chez ces malades. Leur évolution parait intime-

ment liée d'ailleurs à celle du trouble fondamental (hypochon-

driaque ou mélancolique) qui leur a donné naissance : transitoires

et rémittentes quand l'idée hypochondriaque est susceptible de

rémissions, plus tenaces quand la conviction maladive première

est elle-même plus durable.

M. RITTI (de Paris) rappelle que plusieurs auteurs ont déjà établi

que les malformations diverses des organes génitaux sont très sou-

vent l'origine de préoccupations hypochondriaques se transfor-

mant plus tard en idées de persécution. A partir de ce moment, les

cas évoluent comme un délire de persécution vulgaire.

' M. Ballet répond qu'il n'ignore pas cela et que le but principal

de son travail a été de mettre en relief le caractère particulier des

idées de persécution de quelques-uns de ces malades. '

M. Régis demande si, chez les persécutés qui tiennent à la fois et

des mélancoliques et des persécutés, on noie des tentatives de sui-

cide, contrairement il ce qui se passe chez les persécutés vrais, le

plus souvent portés à l'homicide.

M. Ballet. Un de mes malades a fait une tentative de sui-

cide.

M. SÉGLAS. Le point le plus intéressant de la communication

de M. Ballet est la nature particulière des idées de persécution de

ses malades. On ne les rencontre guère sous cette forme que dans

les délires liés à la mélancolie et c'est là un point signalé déjà par

quelques auteurs, entre autres Schuele, et sur lequel j'ai insisté

pour ma part dans différentes publications. Les idées de persécu-

tion qu'on trouve chez les mélancoliques délirants ne sont pas des'

dées de persécution vraies. Au lieu de reposer sur un fonds d'or-

SOCIÉTÉS SAVANTES. 311

gueil, elles reposent sur le fonds d'humilité particulière aux idées

mélancoliques, elles sont empreintes aussi de ce caractère particu-

lier de résignation qui leur est propre, car le malade trouve ces

persécutions justifiées par son indignité, et cette étiquette de per-

sécution que revêt le délire ne l'empêche pas d'être toujours et

avant tout un auto-accusateur. Or, les malades de M. Ballet ont

des idées de persécution absolument semblables et cependant ils

ne présentent aucun symptôme de mélancolie; les troubles émo-

tionnels et abouliques du début, qui sont la base du délire, ont ici

complètement fait défaut. Au contraire, l'évolution des cas qu'il

rapporte se rapproche de celle qu'on observe chez les persécutés

par l'apparition primitive du délire, sans troubles émotionnels ou

volontaires préalables. Nous ne dirons pas que ces malades sont à

la fois mélancoliques et persécutés : ce sont de simples faits de

transition. Si les caractères des idées de persécution sont ceux des

idées de même nature chez le mélancolique, l'ensemble de la

maladie, l'évolution fait ces cas beaucoup plus voisins des délires

ordinaires de persécution.

J'ai observé un cas, sinon tout à fait semblable, au moins com-

parable, celui d'une femme qui, après une période d'accidents

neurasthéniques et dyspeptiques très marqués, fut prise subitement

d'idées délirantes de persécution, reposant sur un fonds d'humilité

qui lui faisait dire que si on la poursuivait, si on la regardait de

travers, c'est qu'elle avait tout mal fait, qu'elle avait tous les

défauts, qu'elle n'avait pas rempli ses devoirs.

Cette idée de persécution était, en somme, celle des mélanco-

liques, bien que la malade n'eût jamais présenté aucun symptôme

de mélancolie; sauf cela, l'aspect général, la marche de la maladie,

l'eussent fait considérer comme atteinte d'une des variétés de

délires de persécution que nous rencontrons habituellement.

Il était chez elle encore quelques particularités importantes à

signaler, parce qu'elles dénotaient la présence de ce même terrain

psychopathique, signalé par M. Ballet dans ses observations.

D'abord la malade était une émotive au plus haut point : ses idées

délirantes étaient très rémittentes, se présentant par bouffées d'une

durée plus ou moins longue. Les idées étaient presque toujours

conscientes chez elle, mais cependant tout en les jugeant déraison-

nables, elle ne pouvait les dominer; enfin, elles s'accompagnaient

toujours et surtout dans les paroxysmes d'un état d'angoisse très

prononcé. J'ajouterai que les crises délirantes étaient toujours chez

elle en rapport avec une aggravation des désordres neurasthé-

niques et dyspeptiques, ces derniers étant toujours les plus mar-

qués, et que nous vîmes les troubles intellectuels s'atténuer d'une

façon considérable, des rémissions se prolonger sous l'influence

d'une thérapeutique et d'une hygiène appropriées, s'adressant sur-

tout aux troubles des fonctions digestives.

312 ruz) SOCIÉTÉS SAVANTES.

M. F. RAYMOND (de Paris) lit un travail sur les troubles délirants

du goitre exophtalmique dans leurs rapports avec la dégénérescence,

et se résume de la façon suivante : les troubles psychiques de la

maladie de Basedow ne font point partie intégrante de l'affection.

Ils n'ont rien de spécifique et peuvent revêtir toutes les formes.

Ils relèvent en réalité de l'association au goitre de psychoses dis-

tinctes et autonomes. Il y a lieu, croyons-nous, d'opérer le dénom-

brement de ces symptômes psychiques au profit des espèces mor-

bides auxquelles ils doivent être restitués. Une certaine partie a pu

être rattachée à la neurasthénie, à l'hystérie, à l'épilepsie, à la

manie, à la mélancolie, au délire hallucinatoire, au délire alcoo-

lique, etc... Un groupe important est étroitement lié à la dégéné-

rescence mentale que démontrent les antécédents héréditaires

psychopathiques des malades, leur état mental antérieur (déséqui-

libration), leurs stigmates physiques ou psychiques (obsessions et

impulsions), enfin la forme de leurs accès délirants. L'association

de la maladie de Basedow avec la dégénérescence mentale n'est

pas une coïncidence; elle s'explique par les tares héréditaires dont

relèvent les deux ordres de faits. C'est un exemple de la loi de

coexistence simultanée des névroses et des psychoses, et de leur

évolution parallèle et indépendante. La diathèse psychopathique

peut se révéler par l'éclosion d'un délire, soit au cours du goitre

exophtalmique, soit bien antérieurement à son début, ou encore

bien postérieurement à sa guérison, soit enfin successivement dans

les différentes conditions. Le choc moral qui provoque la maladie

de Basedow peut réveiller simultanément les aptitudes délirantes

du sujet. Dans certains cas, le goitre exophtalmique lui-même agit,

chez un prédisposé, pour faire éclore les troubles psychiques au

même titre qu'une cause occasionnelle banale quelconque. Le

goitre exophtalmique est une névrose buibo-protubérantieile, cons-

tituée par l'exagération et la permanence des phénomènes physio-

logiques de l'émotion. C'est une anomalie psychique, l'émotivité

qui est à la base de la maladie. Celle-ci n'est souvent qu'un cas

particulier des troubles fonctionnels qui, chez les dégénérés,

frappent tel ou tel groupe des centres corticaux (psychiques,

psycho-moteurs, sensoriels, sensitifs), bulbaires ou spinaux. Il s'agit,

dans l'espèce, d'une véritable déséquilibration des centres vaso-

moteurs qui coexiste souvent avec des troubles analogues du côté

des autres centres de l'axe cérébro-spinal.

Discussion : M. Joffroy (de Paris) ne nie pas la prédisposition

héréditaire dont l'existence se manifeste sous l'influence de la

maladie de Basedow. Ce fait est commun à bien d'autres cas; mais

ici il y a quelque chose de particulier. La maladie de Basedow

dépend d'altérations du corps thyroïde. Or, toutes les fois que cet

organe est atteint, il y a des troubles mentaux, témoins les crétins,

les myxoedémateux. La maladie de Basedow joue donc, même

SOCIÉTÉS SAVANTES. 313

chez les prédisposés, une influence considérable sur l'éclosion des

troubles délirants par suite de l'intoxication qui résulte de l'altéra-

tion des fonctions du corps thyroïde.

M. RAYMOND ne nie pas que, comme cause occasionnelle, la ma-

ladie de Basedow ne puisse avoir une grande influence ; mais son

rôle se borne là, elle ne crée pas les formes du délire qui sont celles

habituelles aux aliénés, dégénérés héréditaires.

M. JOI'FROY (de Paris) rapporte l'observation d'une malade syphi-

litique atteinte de paralysie générale, ayant présenté de l'atrophie

musculaire, et venant à ce point de vue s'ajouter à une série d'au-

tres (Gullière, Westphal, Magnan, Voisin, Hanot, Liouville, Bail). Ce

casse présente dans des conditions de netteté qui ne laissent aucun

doute sur le mécanisme de l'atrophie musculaire. Elle se développe

suivant le procédé des myopathies spinales avec altération primi-

tive des grandes cellules motrices de la substance grise des cornes

antérieures comme dans la paralysie infantile, ou plus justement

comme la sclérose latérale amyotrophique, avec absence presque

complète de sclérose des faisceaux blancs.

Au point de vue des lésions cérébrales, les vaisseaux sont peu

enflammés, les gaines vasculaires très dilatées et il semble que l'on

ait sous les yeux le résultat de réplétions fréquentes prolougées

des vaisseaux, de congestions répétées, n'ayant que peu retenti sur

la structure des parois, non plus que sur celle,de la névroglie où

l'encéphalite interstitielle est réellement fort peu accusée. Dans un

cas semblable, la théorie de l'étouffement de M. Luys n'est pas

acceptable, pas plus que le résultat du trouble de la nutrition pro-

duit par la lésion vasculaire et l'on doit en venir à la théorie de

l'encéphalite parenchymateuse, de la lésion primitive des cellules

nerveuses. Il est à remarquer que, dans ce cas, on rencontre la

lésion dans l'encéphale dans les grandes comme dans les petites

cellules et que dans la moelle, si la lésion atrophique était prédo-

minante à la région cervicale dans la corne antérieure gauche de la

substance grise, on la rencontrait aussi, quoiqu'à un moindre

degré, dans la corne antérieure droite ainsi que dans les cornes

postérieures. De sorte que dans la moelle ainsi que dans le cerveau

toutes les cellules nerveuses, grandes et petites, psychiques, mo-

trices, sensitives ou autres, sont atteintes primitivement par une

altération qui tond à les atrophier. Nous nous trouvons donc en

présence d'une maladie cérébro-spinale, qui dans la moelle

comme dans le cerveau, dans toute la longueur de l'axe cérébro-

spinal, est essentiellement caractérisée par une altération primi-

tive des cellules nerveuses. Cette conclusion s'impose d'autant plus

que dans l'observation annexée les cordons latéraux sont restés

absolument sains et qu'on ne peut alors subordonner les altérations

de la moelle épinière à celles du cerveau. Cette façon de com-

314 SOCIÉTÉS SAVANTES.

prendre la paralysie générale tend à en faire une variété des atro-

phies chroniques des cellules nerveuses comme la sclérose latérale

amyotrophique.

Discussion : M. Raymond se déclare prêt à se ranger à la théorie

parenchymateuse de la paralysie générale et demande à M. Joffroy

quelques explications complémentaires sur les détails de l'examen

microscopique.

M. MORDREZ (du Mans) a observé récemment un cas de paralysie

générale sans lésions macroscopiques.

M. DoUTRrBENTF,. Le cas que AI. Joffroy vient de rapporter est-il

un cas de paralysie générale type ou de syphilis cérébrale ?

M. JOFF&oY. La syphilis n'est pas en cause dans les lésions ana-

tomiques que je viens de décrire. Que les malades aient ou non

des antécédents syphilitiques, cela n'influe pas sur la forme de la

paralysie générale. Il n'y a pas de paralysie générale de nature,

mais d'origine syphilitique; la syphilis est une simple cause prédis-

posante. La vraie paralysie générale est celle qui répond au type

anatomique que je viens de décrire.

M. PIERRIET (de Lyon). Rapports de la paralysie générale et des

tabès. Je cherche, depuis de longues années, à établir que les

maladies du cerveau et les maladies de la moelle sont toujours

séparées à tort et à prouver que les phénomènes réputés psychi-

ques obéissent aux mêmes lois que les phénomènes sensitifs ou

moteurs.

Au point de vue pathologique et en faisant la synthèse si néces-

saire des fonctions du cerveau, sans en excepter la pensée, on

peut ne considérer que deux grandes maladies. celle du système

centripète de réception, celle du système centrifuge, d'expression.

Il est une maladie que j'ai montré intéresser tous les éléments

du système sensitif : C'est le tabes. Ces malades, disaient les

neurologistes, ne sont jamais fous. Cette erreur fut réfutée surtout

par \1'estphal et Baillarger. Ce dernier a démontré que les tabéti-

ques ont des troubles psychiques semblables à ceux qui caracté-

risent encore la paralysie générale; il avait signalé que les paraly-

tiques généraux pouvaient avoir des délires qui pussentabsolument

disparaitre. D'autre part, j'ai signalé autrefois des points d'atrophie

(encéphalite scléreuse) sur le cortex de tabétiques«qui n'ont pas de

délire, lésion qui a été retrouvée depuis Jendrassik.

La forme délirante vraiment caractéristique du tabès est un délire

de persécution avec agitation maniaque fondée sur des interpréta-

tions délirantes des douleurs dues au labes, c'est-à-dire non sur des

hallucinations, mais sur des phénomènes sensitifs et sensoriels indis-

cutables. De plus, de temps en temps, les malades prennent des

poussées de délire mégalomoniaque accompagné de phénomènes

SOCIÉTÉS SAVANTES. 315

moteurs, tremblement*, trouble de la station ; ces malades devien-

nent déments et l'on retrouve encore alors chez eux des traces de

l'ancien délire.

D'autre part, la forme de trouble mental qui accompagne la

forme de sclérose systématique intéressant tout le système psycho-

moteur, c'est la démence paralytique pure, la paralysie générale

sans délire. Les malades qui en sont atteints ne sont, à vrai dire,

ni mégalomaniaques, ni mélancoliques, ce sont des déments mo-

teurs chez lesquels la pensée ne peut pour ainsi dire plus se mani-

fester par l'une quelconque de ses expressions motrices.

Les deux formes cliniques que je viens de décrire ont été jusqu'à

présent confondues dans le cadre de la paralysie générale due à des

lésions diffuses d'emblée, mais il me parait nécessaire de les décrire

à part désormais.

M. le Dr Ch. Vallon présente une note sur un cas de paralysie

générale vraie consécutive à une encéphalopathie saturnine. Il 11

s'acit d'un homme de trente-deux ans, ouvrier plombier, sans

antécédents héréditaires, qui, il la suite d'une encéphalopathie

saturnine, a présenté les symptômes d'une paralysie générale à la

dernière période. Au bout de quelques mois, les signes du satur-

nisme avaient disparu, il s'était produit également une rémission

complète de la paralysie générale. A s'en tenir à cette première

partie de l'histoire du malade on se trouverait en face'd'un de ces

faits qui ont été décrits sous le nom de pseudo-paralysie générale

saturnine. En effet, on a donné comme caractérisant cette affection

la marche parallèle vers la guérison de l'intoxication et de la

pseudo-paralysie générale elle-même. Si donc mon' malade avait

été repris par sa famille à ce moment, on aurait pu le croire guéri

et de ce fait le considérer comme ayant été atteint d'une pseudo-

paralysie saturnine. Presque toutes les observations publiées sous

le nom de pseudo-paralysie saturnine ne sont que des observations

incomplètes, une page de l'histoire d'un malade et non pas l'his-

toire tout entière.

Après cette rémission de deux mois, tous les symptômes de la

paralysie générale se sont montrés de nouveau. La maladie a suivi

la marche ordinaire de la paralysie générale pour aboutir au ma-

rasme paralytique et à la mort. L'autopsie a montré dans le cer-

veau les lésions très nettes et très accusées qui sont considérées

comme caractéristiques dans la paralysie générale. A mon avis, la

pseudo-paralysie saturnine ne saurait être considérée comme une

entité morbide distincte, mais comme une simple période de l'évo-

lution du saturnisme vers la paralysie générale. On ne peut ad-

mettre le terme de pseudo-paralysie qu'à la condition de le consi-

dérer comme l'expression d'un diagnostic p;-ovisoi-e.

M. Mégis. L'observation de M. Vallon n'est pas une observa-

316 SOCIÉTÉS SAVANTES.

tion de pseudo-paralysie générale saturnine. La vraie paralysie

générale est progressive et ne présente que des rémissions simples,

tandis que dans la pseudo-paralysie générale saturnine on a affaire

aune véritable régression. M. Vallon a dit que ces pseudo-paraly-

tiques ne sont que rémittents et que les malades ne sont pas suivis

assez longtemps; or un de mes malades a été observé pendant

huit ans.

M. Vallon. Aucun des cas de pseudo-paralysie générale pu-

bliés jusqu'ici n'est assez complet pour permettre da décrire à part

une pseudo-paralysie générale saturnine.

M. BOURNEVILLE fait une communication sur le traitement chirur-

gical et le traitement médico-pédagogique de l'idiotie. Le traitement

chirurgical ou la craniectomie a été préconisé par M. le professeur

Lannelongue. Sa première opération a été faite le 9 mai 1890,

chez une petite âgée de quatre ans. Si l'on en croit M. leur Lane

(Voir plus loin), l'opération n'était pas nouvelle. M. Lannelongue a

communiqué le 30 juin 1890 à l'Académie des sciences une note

résumant ses premiers résultats 1, Suivant lui, il y a trois théories

sur la microcéphalie (mot générique sous. lequel il désigne les

formes multiples de l'idiotie) : 1° ossification prématurée des

sutures (Virchow); 2° cerveau normal mais réduit (Vogt);

3° altération foetale, lésions pathologiques (Bourneville, Hill,

Hutchinson). Le but poursuivi par M. Lannelongue, c'est de « donner

un nouvel essor au cerveau en affaiblissant la résistance du crâne. »

Tout d'abord l'opération consistait en une incision à deux travers de

doigt de la ligne médiane, sur le côté gauche -9 9 centimètres sur

6 millimètres. Puis, M. Lannelongue a modifié le siège et la forme

des incisions.

A propos de cette note, M. Verneuil s'est exprimé ainsi : a J'ap-

pelle l'attention de l'Académie sur une opération absolument nou-

' velle qui fait le plus grand honneur au chirurgien distingué qui l'a

imaginée, exécutée et menée à bonne fin.

« Il ne s'agit point ici en effet d'une tentative empirique faite au

hasard, ni d'une sorte de vivisection humaine comme on en exécute

trop souvent de nos jours. La résection partielle des os de la voûte

du crâne, opposée à la microcéphalie est une conception tout à fait

rationnelle, inspirée par l'anatomie etla physiologie pathologiques,

et qui a donné déjà, conformément à l'ti priori théorique, un

résultat fort remarquable. »

Vous verrez tout à l'heure, Messieurs, si les crânes que nous allons

faire passer sous vos'yeux corroborent l'opinion de M. Verneuil.

Plus tard, M. Lannelongue a publié une note plus étendue. Il

1 De la cranieclomie dans la microcéphalie, par M. le professeur

Lannelongue. (Acad. des sciences, 3U juin 1890, p. 1382.)

SOCIÉTÉS SAVANTES. 317

maintient son opinion première sur « l'ossification anticipée des

sutures » chez les « microcéphales. » Les lésions décrites, hydrocé-

phalie, sclérose, etc., « coïncident, dit-il, avec la synostose préma-

turée. » Au point de vue opératoire, il distingue la crctniectomie

linéaire et la crdniectomie à lambeaux. Dans les deux cas, il faut une

brèche plus ou moins longue et large de 8 à 10 millimètres'.

Enfin M. Lannelongue a fait sous le même titre que la note précé-

dente, une communication au Congrès français de chirurgie. (31 mars

1891, p. 73.) Cette communication se termine parle résumé suivant :

c Les résultats opératoires ont été les suivants : vingt-cinq opé-

rations, vingt-quatre guérisons; la moyenne des guérisons opéra-

toires a été de dix jours. Une seule mort au bout de quarante-huit

heures.... Sur les 24 guérisons, il y a trois suppurations minimes

qui ont guéri, deux en quelques jours, la troisième a suppuré trois

semaines; dans aucun cas, il n'y a eu de nécrose.

« Le plus jeune de mes opérés a été un garçon de huit mois et

le plus âgé avait douze ans et demi.J'ai opéré 13 garçons et 12filles.

« Parlerais-je maintenant desrésultats définitifs ? Cela devrait être,

car s'il est encourageant de n'avoir à enregistrer pour ainsi dire

que des succès opératoires, on ne doit pas oublier qu'on vise un tout

autre but. Ce but, on peut le déterminer dans cette formule : Faire

rentrer dans la vie commune des sujets voués à l'existence la plus

misérable, tantau point de vue intellectuel et moral qu'au point de

vue physique. Mais à qui pourrait venir la pensée que ces déshérités

de toutes les manières seront régénérés et transformés subitement ?

» Mes opérés sont suivis avec toute la sollicitude que je puis y

mettre et je possède déjà des documents qui me permettent de

dire que le plus grand nombre d'entre eux sont manifestement

améliorés. Mais comme beaucoup de ces opérations sont encore

récentes, je me borne aujourd'hui à en informer mes confrères en

attendant que je puisse livrer intégralement à lapublicité les résul-

tats obtenus. »

Près de dix-huit mois se sont écoulés depuis les premières opéra-

tions, et il serait très intéressant de connaître exactement la situa-

tion actuelle des opérés. Un tableau détaillé des âges, des particula-

rités, du cas, de la date des opérations, du traitement consécutif, etc.,

ne manquerait pas non plus d'intérêt.

M. Bourneville énumère ensuite un grand nombre de travaux qui

ont été publiés sur la craniectomie, depuis la communication de

M. Lannelongue.

Bien des fois, continue t-il, nous avons eu l'occasion de publier

dans nos Comptes rendus annuels, de 1880 à ce jour, des descrip-

' De la craniectomie chez les microcéphales, chez les enfants arriérés

et chez les jeunes sujets présentant, avec ou sans crises épileplifornaes,

des troubles moteurs ou psychiques. (Nouv. Iconographie de la Salpétrière,

1891, p. 89.)

318 SOCIÉTÉS SAVANTES.

lions des crânes de nos malades décédés, ainsi que dans nos com-

munications au Congrès international de médecine mentale de 1889,

à l'Association française pour l'avancement des sciences de la même

année et au Congrès des aliénistes de Rouen. Nous avons insisté

plus particulièrement encore sur ce point dans les comptes rendus

du service pour 1890 et 1891. Enfin il y a quelques jours, l'un de

nos élèves, M. Tacquet, a pris pour sujet de thèse : De l'oblitération

des satures du crâne chez les idiots. Elle contient la description de

vingt-neuf crânes d'idiots appartenant à presque toutes les formes

de l'idiotie * et d'où il ressort que les sutures ne sont pas ossifiées

prématurément.

M. Bourneville montre alors douze crânes d'idiots en donnant des

détails sur chacun d'eux.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 319 V

Après avoir insisté sur l'écartement pathologique des sutures

chez Berl ? Dufou... et Water, signalé les particularités relatives

à la réossitkation de la brèche osseuse chez l'enfant Slif... (véritable

suture dentelée comme les sutures naturelles), M. Bourneville montre

les photographies des malades dont il présente les crânes, aiiibi que

les photographies de leur cerveau.

Par opposition à cette première série de cas, M. Bourneville fait

voir les photographies prises d'année en année de dix malades

atteints de diverses formes d'idiotie et sur lesquelles il est facile de

se rendre un compte exact des progrès réalisés. A l'appui encore,

il montre les cahiers scolaires de quelques-uns d'entre eux. Il insiste

particulièrement sur le cas de l'enfant Henri Maz..., qu'il a montré

au Congrès international de médecine mentale de 1889. Il rappelle

qu'à l'entrée dans son service en 1887 il avait alors quatre ans

et demi il ne marchait ni ne parlait et était gâteux; qu'à

l'époque du Congrès il commençait à se tenir sur les jambes, ne

gâtait plus que par moments et prononçait quelques mots et qu'il

terminait à son 'sujet en disant qu'en s'appuyant sur les résultats

acquis il espérait que, dans un temps plus ou moins long, Maz...,

serait tout à fait propre, marcherait et parlerait'.

Nos prévisions, dit M. Bourneville, se sont pleinement réalisées :

Henri Maz... marche, court et saute, il est tout à fait propre, aide

à s'habiller, mange seul ; parle de façon à dire le nom de tous les

objets et des personnes qui l'environnent; fait de petites phrases,

connaît le nom de toutes les parties de sou corps, distingue les

couleurs, etc., etc.

Cette seconde série de faits conclut M. Bourneville, nous parait

tout à fait démonstrative et en faveur du traitement médico-pédu-

gogique. '

M. Gilbert-Ballet demande à M. Bourneville s'il a vu un seul cas

où le développement du crâne ait été entravé par des synostoses

prématurées, complètes, des sutures.

M. BOURNEVILLE répond que personnellement il n'a vu aucun cas

d'ossification prématurée de toutes les sutures chez des idiots, des

imbéciles ou des arriérés, mais qu'il y en a dans la science et avec

autopsie.

M. Régis pense que la communication de M. Bourneville est

d'autant plus importante qu'aujourd'hui la craniectomie est de

mode, même en province. Pour sa part, il a eu l'occasion de voir

un de ses malades, atteint d'idiotie méningitique, subir la craniec-

tomie sans aucun résultat.

M. Bouchereau. Je suis absolument convaincu, comme M. Bour-

' Voir le Compte rendu de Bicêtre de 1890, p. 163 et le volume du

Congrès international.

320 SOCIÉTÉS savantes.

neville, de l'inutilité du traitement chirurgical de l'idiolie. Je crois

que le traitement hygiénique et pédagogique, tel que l'a institué

M. Bourneville à Bicêtre, est celui qui mérite toutes nos préfé-

rences. -M. ROUDY (de Dôle) cite le cas d'un de sesjnalades, idiot,

et qui fut également trépané sans aucun résultat.

M. BOURNEVILLE. Dans les cas où la craniectomie semble avoir

produit des résultats favorables, on a parlé trop vite; il faut

attendre un an ou deux, car l'amélioration consécutive à l'opération

est tout simplement due à ce qu'on s'occupe plus à ce moment de

l'enfant qui vient d'être opéré. Si l'on s'en était occupé autant,

avant l'opération, il est probable que, le plus souvent,.on aurait

obtenu les mêmes résultats. Beaucoup d'observations d'idiots cra-

niectomisés sont insuffisantes; il faudrait qu'elles continssent une

description complète, très détaillée, de l'enfant, avant l'opération

et après l'opération, an bout d'un an, de deux ans, une nouvelle

description détaillée comparée à la précédente.

M. PROUST (de Blois) rapporte trois observations, la première est

celle d'un homme de cinquante-neuf ans, jusque-là absolument

sain, qui présenta coup sur coup deux accès d'épilepsie suivis de

vomissements d'aliments non digérés. Un autre malade, d'une

trentaine d'années a eu trois fois des accès d'épilepsie à intervalles

différents et suivis chaque fois du rejet des aliments. La troisième

observation est celle d'une femme atteinte de cancer du pylore

avec dilatation secondaire de l'estomac, habituée à pratiquer des

lavages tièdes et qui, à la suite d'un lavage fait un jour avec de

l'eau froide, fut atteinte de contractures généralisées.

M. TmvFT (de Blois) regrette qu'on n'ait pu connaître l'hérédité

chez ces malades.

M. GILBERT-IALLIST. Kussmaul a signalé des phénomènes de

ce genre dans les dilatations énormes de l'estomac : la pathogénie

de ces cas est sans doute multiple ; l'auto-intoxication y joue cerf

tainement un grand rôle. Pour l'épilepsie gastrique, je ne la crois

pas fréquente. Quand un individu a un accès épileptiforme de cette

nature, ce n'est pas un accident, mais on peut le considérer

comme un épileptique larvé, car il est des cas intermédiaires qui

le prouvent.

M. RAYMOND (de Paris) rappelle aussi le travail de Kussmaul.

Dans le premier cas, il regrette que l'examen de l'urine n'ait pu

être pratiqué, et rappelle, à propos de l'âge de ce malade, qu'il

existe des épilepsies tardives, encore mal connues aujourd'hui et

dont l'observation de M. Proust serait peut-être un exemple.

J. SLGLAS.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 321

Séance du 5 août (soir). - Présidence de M. 13oUCIIEREAU.

M. J. SÉGLAS (de Paris) lit une observation sur un cas d'hystérie avec

automatisme dans la période d'aura des attaques; variations spon-

tanées de la sensibilité et surtout du champ visuel, correspondant aux

phénomènes d'automatisme. Il s'agit d'un jeune homme de dix-neuf

ans, hystérique avec attaques. Ces attaques présentent cette parti -

cularité assez intéressante qu'elles sont toujours précédées par des

phénomènes d'automatisme durant parfois plusieurs jours, allant

en s'augmentant jusqu'à la production de l'attaque dont elles cons-

tituent en quelque sorte la période d'aura, pour disparaître avec

elles, c Il me semble, écrit le malade, qu'il y a alors en moi deux

personnes, l'une qui agit, marche, parle, mais comme si c'était une

autre ; l'autre personne qui regarde agir et faire; mais je ne sais

trop laquelle des deux est celle qui souffre. Elles se mêlent de temps

en temps et, pendant que j'écris, je suis obligé de m'arrêter sou-

vent sous l'intluence de cette fusion qui brouille mes idées; je crois

qu'il y a lutte entre elles.

« Ma tête se vide peu à peu et les idées galopent, galopent

sans que j'en puisse retenir une, si je veux la fixer. Je fais un

grand efiort et j'appelle à l'aide ma seconde personne, l'autre,

celle qui regarde agir pour maintenir la première : elle n'est pas

toujours victorieuse, hélas ! ... Je vois mes mains, mes bras, mes

pieds se mouvoir comme ceux d'un autre. Tout à l'heure j'ai changé

la chaise de place. J'ai vu une main qui tenait un barreau ; j'ai eu

peur. C'était la mienne et je l'ai regardée fixement sans pouvoir

détourner les yeux. J'ai voulu la lâcher, il a fallu que je détour-

nasse avec peine ma vue de dessus pour que mes doigts se déta-

chassent... Le repos me parait insupportable; je voudrais marcher,

aller toujours de l'avant. Je n'ai presque plus conscience de ma

personnalité. Le pis est que j'analyse très bien mes sensations,

mes émotions et que je m'en effraie et m'en réjouis tour à tour.

Enfin il y a en moi un terrible amalgame d'idées, de sensations,

de faits, de gestes : je n'explique plus rien...

« ... J'agis toujours et de plus en plus presque inconsciemment... »

En même temps existent des hallucinations sensorielles multiples,

visuelles, auditives, tactiles, kinesthétiques, génitales, se présen-

tant surtout la nuit, de l'insomnie, de l'inappétence, des vomisse-

ments. Pendant cette période, le fonds émotionnel change, le

malade devient triste, craint de devenir fou, de mourir, a des idées

de suicide. L'attaque survient presque classique, phase épilep-

toïde très accentuée, arc de cercle, grands mouvements, parfois

délire. Elle s'accompagne toujours d'une perte totale de connais-

Archives, t. XXIV. 21

322 ' SOCIÉTÉS SAVANTES.

sauce. A sa suite, tous les phénomènes d'automatisme qui ont

signalé la période d'aura ont complètement disparu.

Il existe chez le malade des troubles de la sensibilité : zones

hyperesthésiques testiculaires, iliaques, sous-mammaire à gauche

rachidienne, céphalique. Diminution de la sensibilité cutanée,

musculaire, articulaire à droite, rétrécissement du champ visuel.

Il est un fait particulier à noter, c'est que les troubles de la sen-

sibilité présentent des variations spontanées en rapport avec les

phénomènes d'automatisme et dans un sens absolument parallèle.

C'est ainsi que, au moment des périodes d'automatisme, on voit le

champ visuel se rétrécir de 30 ou 40 pour revenir ensuite à la nor-

male après l'attaque. M. Séglas présente, à ce propos, quelques con-

sidérations psychologiques et montre que ce parallélisme des

symptômes d'automatisme et des troubles anesthésiques n'a rien

d'étonnant si l'on considère que les anesthésies hystériques ne sont

que des anesthésies par rétrécissement du champ de conscience

personnelle, les sensations pouvant toutefois donner lieu à des

réactions étrangères à la conscience du sujet, dépendant d'une

conscience secondaire automatique. Dès lors il est naturel que les

anesthésies, symptôme d'un rétrécissement du champ de conscience,

s'augmentent chez un hystérique dans les périodes d'automa-

tisme où la désagrégation psychique, ordinaire chez lui, tient à

s'accentuer, car ce sont des phénomènes de même nature.

M. Séglas lit, au nom de M. CHASLIN (de Paris), une note sur une

forme distincte de maladie mentale aiguë, la confusion mentale primitive.

M. Chaslin rapporte dans ce travail, l'observation d'un malade du ser-

vice de M. Deny, à Bicêtre. Les cas de ce genre ne sont pas classés

actuellement en France comme forme distincte. Ils devraient l'être

pourtant, car cette forme est connue en Allemagne sous le titre de

Werwirrtheit ou d'Amentia; et d'ailleurs elle avait déjà été décrite

en France, surtout par M. Delasiauve, sous le nom de confusion

mentale. La conclusion de la note de M. Chaslin est la suivante :

11 existe une forme de maladie mentale, aiguë ordinairement,

qui n'est ni de la manie, ni de la mélancolie, qui doit être attri-

buée à l'épuisement rapide et brusque du système nerveux central

(très souvent consécutif pour les auteurs les plus récents à l'infec-

tion ou à l'auto-intoxication) et qui doit être séparée de ce que

l'on appelle « dégénérescence ». C'est une forme intermédiaire

entre les psychoses et les folies à lésions accentuées et profondes;

elle revêt souvent le caractère d'une véritable maladie, parles phé-

nomènes somatiques, dénutrition, fièvre, qui l'accompagnent.

Au point de vue psychique, elle est essentiellement caractérisée par

la confusion des idées, par suite de l'affaiblissement et de l'incoor-

dination des processus de l'association des idées, de la perception

et de la perception personnelle; elle peut être ou non accompagnée

d'hallucinations; d'agitation motrice, ou de dépression, de stupeur;

SOCIÉTÉS SAVANTES. 323

le ton émotionnel est souvent indifférent ou, au contraire, présente

des variations brusques. Elle a la plus grande analogie avec les

délires par intoxication chronique. Elle parait bien mériter le nom

de confusion mentale sous laquelle elle a été décrite par M. Dela-

siauve, en ajoutant primitive, afin de la distinguer des formes où

il y a aussi confusion, mais secondaire et sur la nature de laquelle

on n'est pas fixé.

M. GILBERT-BALLET n'approuve pas le terme de confusion men-

tale : sans doute, la confusion mentale existe dans bien des cas,

tels par exemple que certaines folies puerpérales; mais pour ceux

qu'a en vue M. Chaslin, il croit qu'il est inutile de créer un vocable

nouveau et de faire une distinction à part, car ils rentrent dans le

groupe de faits que Delasiauve a décrits sous le nom de stupidité.

M. Charpentier (de Paris) considère que la confusion mentale est

un syndrome très fréquent consistant surtout dans un manque

d'association des processus intellectuels, avec participation de la

conscience, angoisse et état vertigineux. On rencontre la confusion

mentale au début ou au cours des différentes vésanies et sa dispa-

rition annonce en général la convalescence; le vertige épileptique

serait en quelque sorte le type de cet état. Les malades qui se

plaignent qu'on leur vole leur pensée en sont aussi des exemples.

M. Régis. Le cas de M. Chaslin pourrait peut-être rentrer

dans le cadre de ce que M. Fournier a décrit sous le nom de

syphilis pseudo-démente ou torpide : ce diagnostic eût mérité

d'être détaillé; je ne vois pas la nécessité de créer une forme à

part pour les faits de confusion qui ne sont souvent que des

troubles délirants justiciables d'un état de neurasthénie.

M. SÉGLAS. -Je ferai observer à M.Régis qu'il faut tenir compte

pour le diagnostic de l'élévation de la température notée chez le

malade, qui ne cadre pas avec l'idée d'une syphilis torpide ou

pseudo-démente. En ce qui regarde les rapports des troubles déli-

rants avec un état neurasthénique, M. Chaslin les a signalés : il dit

même que la confusion mentale est justiciable d'un état d'épuise-

ment rapide et brusque du système nerveux.

Je répondrai à M. Ballet que M. Chaslin ne me semble nullement

avoir eu la prétention de donner, ni un mot nouveau, ni une forme

nouvelle, car il fait tout l'historique de la question, rappelé que

les travaux allemands sur la confusion mentale n'ont fait que

retrouver ce qui avait déjà été décrit en France, surtout par

M. Delasiauve, sous le nom de confusion mentale, stupidité, chaos.

« Je reprendrai, dit M. Chaslin, cette dénomination (confusion

mentale) et il me semble opportun de rappeler l'attenlion sur ces

faits connus autrefois, oubliés maintenant en France. »

Les objections de M. Charpentier me semblent prouver qu'il

applique le terme de confusion mentale à toute une catégorie de

324 SOCIÉTÉS SAVANTES.

faits absolument différents de ceux que M. Chaslin a en vue et que

les différents auteurs ont signalés, ainsi qu'on le voit, dans l'histo-

rique qui accompagne la communication^de M. Chaslin. La compa-

raison n'est, dès lors, pas possible.

M. DOURNEVILLE (de Paris) fait une communication sur le Tout à

l'égout et l'utilisation des matières de vidanges dans les asiles d'alié-

nés. 11 insiste sur l'utilité de cette étude au point de vue de l'assai-

nissement, de la prompte évacuation des matières usées, dange-

reuses pour la santé, au point de vue des avantages financiers des

asiles. Il rappelle ce qui a été fait dans un grand nombre d'asiles

étrangers, décrit l'application faite à Ville-Evrard, à Villers-Caute-

rets, à la Maison de Nanterre, tentée à Vaucluse, projetée à Villejuif.

M. BOUR1VEVILLE fait passer sous les yeux des membres du Con-

grès les plans de ces divers projets, dressés avec le plus grand soin

par M. l'ingénieur en chef Bechmann, et par M. Masson, inspec-

teur de l'assainissement. Il ajoute que sa communication sur une

question qui ne ressortit pas de la pathologie et de la clinique

mentale, a pour but d'encouiager les médecins directeurs des asiles

à venir apporter aux futurs congrès des communications sur l'hy-

giène, l'économie et l'administration des asiles d'aliénés.

Une discussion s'engage à ce sujet entre MM. Samuel Garnier,

Doutrebente, Mordret, Mabille et Marie.

M. GIRAUD (de Rouen), en son nom et au nom de M. Malfilâtre,

fait une communication sur ['étiologie de l'aliénation mentale dans la

Seine-Inférieure. Il insiste sur le fait que les points où naissaient le

plus d'aliénés correspondaient à la ligne de partage des eaux sur

le sommet du plateau.

M. PIERRE (de Lyon) lit une observation de méningo-encéphalite

infectieuse avec hypothermie survenue à la suite de l'influenza chez

une femme indemne de tout antécédent héréditaire.

M. DENY (de Paris) fait part au Congrès de ses recherches sur le

traitement de l'épilepsie par le bromure de strontium. Ces recherches

ont porté sur 7 malades qui ont été soumis successivement pen-

dant un temps égal (7 mois) au traitement par le bromure de

potassium, puis par celui de strontium; 5 de ces malades ont béné-

ficié du traitement, 2 ont eu plus d'attaques. Les doses ont été

de 4 à 10 grammes. La tolérance du bromure de strontium est plus

grande que celle du bromure de potassium. Avec ce médicament,

M. Deny n'a jamais observé d'accidents de bromisme.

M. Vallon (de Paris) a également essayé ce médicament; tous ses

malades ont eu plus d'accès qu'avant; il est vrai de dire qu'il

s'adressait à un mauvais terrain, car ses malades étaient des épi-

leptiques déments ou imbéciles.

M. MABILLE (de la Rochelle) lit en son nom et au nom de M. Lalle-

- SOCIÉTÉS SAVANTES. * 325

mant un travail sur le Sulfate neutre de Duboisine dans le traitement

de l'aliénation mentale. Les auteurs ont, depuis deux ans, essayé le

sulfate neutre de Duboisine dans le traitement de l'aliénation men-

tale. Ils l'emploient surtout dans les formes maniaques, la méthode

d'action étant la méthode hypodermique et les injections ayant

lieu quatre heures avant ou après les repas. Les auteurs com-

mencent d'abord par un demi milligramme; le sulfate neutre

Duboisine employé provenait de la pharmacie Petit-Mialhe. Us ne

dépassent jamais 3 milligrammes dans les vingt-quatre heures et

conseillent de suspendre le traitement au bout de six à sept jours,

pour le reprendre au besoin une semaine plus tard. Généralement

le calme survient au bout de quelques piqûres et le succès a été

obtenu dans 75 p. 100 des cas, principalement chez les femmes

excitées. Il est même possible, lorsque l'injection est faite au début

de l'excitation, d'arrêter parfois l'accès chez les maniaques inter-

mittents. La dose d'un demi à 1 milligramme produit la sédation,

les doses les plus élevées (2 milligrammes), le sommeil. Pour

MM. Mabille et Lallemant, le sulfate neutre de Duboisine est un

hypnotique excellent et un sédatif puissant. Les résultats sont

d'ailleurs conformes à ceux obtenus par Osbermeyer et Lewald.

M. DOUTREBENTE (de Blois) souhaite que le sulfate neutre de Duboi-

sine n'ait pas le sort des autres hypnotiques et sédatifs, vantés chacun

à leur tour pour le traitement des maniaques et que l'expérience a

montrés bien peu efficaces. Il ne croit pas que ce médicament puisse

avoir de l'action sur les périodes maniaques de la folie circulaire.

M. MABILLE ne l'a expérimenté que chez des maniaques inter-

mittents simples ayant de temps en temps un état passager de

dépression.

M. Marie (d'Évreux) lit une observation d'une femme aliénée hys-

térique, anorexique, qu'on alimentait à la sonde et chez laquelle

le passage de cet instrument provoquait des attaques convulsives.

Le prochain Congrès annuel des Médecins Aliénistes de France

et des pays de langue française aura lieu à la Rochelle.

La dernière journée des congressistes a été employée en

une visite à Orléans, le samedi 6 août. Nous en empruntons le

compte rendu au Républicain Orléanais des 7 et 8 août.

A 11 heures, les membres du Congrès arrivaient à l'hôpital

d'Orléans où ils ont été reçus par le préfet et la Commission

des hospices. Après la visite des divers quartiers des aliénés,

les membres du Congrès se sont réunis en un banquet offert

par le département et les hospices et qui a eu lieu à l'Institut,

sous la présidence de M. le préfet Boegner.

326 . SOCIÉTÉS SAVANTES. - -

Ce banquet comprenait une soixantaine de convives parmi

lesquels un certain nombre de dames. Citons MM. Bourne-

ville et Charpentier, médecins en chef de l'hospice de Bicêtre,

Dr Giraud, directeur de l'asile public de Saint-Yon, Dr Dou-

trebente, médecin-direeteur de l'asile de Blois, M. Galoppain,

médecin-directeur de l'asile de Fains, M. Adam, médecin-

directeur de l'asile de Montdevergues, M. Mordret, médecin

en chef de l'asile du Mans, M. S. Garnier, médecin-directeur

de l'asile de Dijon, Dr Thivet, médecin-adjoint de l'asile de

Blois, Dr Riu, médecin-directeur de l'asile d'Orléans, Dr Hal-

magrand, conseiller général, Dl'8 Boullé, Dufour, Luizy, Veil-

lard, Verdureau, M. Transon, conseiller général, MM. Boullé,

Lepage, Portalis, Biscara, Coudière, conseillers municipaux,

MM. Heurteau, secrétaire général des hospices, Thory, éco-

nome, etc., etc.

Au dessert, après l'excellent déjeuner et les bons vins servis

parle maître Rigault, - fête gastronomique dont MM. Halma-

grand, Portalis et Riu avaient été les aimables organisateurs

- M. le préfet a pris la parole et souhaité la bienvenne aux

membres du Congrès. Après M. le préfet, M. Boullé, membre

de la commission des hospices, a pris la parole en ces termes :

Messieurs,

Je viens à mon tour, au nom de l'administration des hospices,

dont je suis le membre le plus ancien, vous remercier de l'intérêt

que vous nous avez témoigné et du grand honneur que vous nous

avez fait en visitant notre établissement. Nous espérons que

cette visite ne sera pas sans porter ses fruits : croyez d'avance à

notre reconnaissance. En vous dévouant ainsi, au prix de bien

des fatigues, au service de l'infortune et de la souffrance, vous

faites, Messieurs, une belle et noble chose.

On peut médire de notre siècle, en regretter les entraînements et

les erreurs, mais on ne peut méconnaitre ce qu'il y a de grand, de

généreux dans ses tendances humanitaires. Il est loin de nous le

temps où les aliénés étaient laissés dans l'opprobre et l'abandon,

vrais parias dont le sentiment public s'écartait avec dégoût. Pour

nous, nous estimons qu'ils n'ont pas perdu leur titre d'homme, que

s'ils sont déshérités, ils n'en ont que plus de droits à l'intérêt des

gens de coeur et à la protection des lois de la solidarité universelle.

Si le sens de l'humanité s'est ainsi développé et épuré, la science

de son côté, dans ses manifestations multiples, a fait et ne cesse

de faire tous Jes jours des progrès considérables. Celle dont vous

êtes, Messieurs,. les représentants les plus éminonts, l'étude et le

SOCIÉTÉS SAVANTES. 327

traitement des affections mentales, n'est pas restée en arrière de

ce grand mouvement.

Certes, il ne nous appartient pas à nous, hommes d'administra-

tion, de définir ces progrès ni de les apprécier dans leur partie

technique et médicale. Mais nous pouvons en juger les effets, cons-

tater des résultats que nous voyons, ne fut-ce que l'augmentation

des guérisons parmi les malades. Il est d'ailleurs tout un côté qui

ne peut nous échapper, qui nous est d'autant moins étranger qu'il

dépend pour partie de notre administration, je veux parler du côté

matériel, de cet ensemble de soins extérieurs intimement lié aux

données scientifiques dans ces graves et délicates questions.

Ici, Messieurs, dans un cadre restreint, nous avons fait ce que

nous avons pu faire, et je ne crains pas d'affirmer que depuis quel-

ques années la situation de nos aliénés s'est sensiblement améliorée.

J'ajoute, et ce n'est que justice, que cette situation satisfaisante ne

fait que s'accentuer sous la direction intelligente du docteur chef

actuel de l'établissemenl. Nous savons apprécier son zèle et les

heureuses innovations qu'il a introduites dans les services.

Messieurs, nous formons tous, vous n'en doutez pas, les voeux les

plus sincères pour la réussite de la grande oeuvre à laquelle vous con-

sacrez vos efforts. Nous nous associons de coeur à la pensée élevée qui

vous inspire. Puissent vos conseils être entendus, puissiez-vous abou-

tir à un résultat conforme à votre sollicitude. Puissions-nous enfin,

par vos soins, voir s'adoucir progressivement encore le sort de tant

d'infortunés dont le nombre augmente sans cesse, en raison des dif-

ficultés et des excitations de la vie moderne, et auxquels la société

se trouve forcée de retirer le premier des biens, après la vie, la liberté.

Puis, M. COUDIÈRE, au nom de la Municipalité orléanaise, a

prononcé le discours suivant :

Messieurs,

Je suis heureux de saluer, au nom de la ville d'Orléans, les mem-

bres du Congrès des médecins aliénistes de France et des pays de

langue française, de véritables amis de la patrie, en même temps

que des bienfaiteurs de l'humanité.

Nous sommes fiers, messieurs, de notre dix-neuvième siècle, parce

qu'il est le siècle des grandes découvertes; mais nous l'aimons parce

qu'il est le siècle de la rénovation sociale, de l'amélioration du sort

des petits - le siècle qui, en faisant la grande réforme du traitement

des aliénés, a rendu à la société des malheureux jusque-là perdus

pour elle !

Il fut un temps (qui n'est pas loin de nous), où même dans

notre France si intelligente pourtant et si généreuse les infor-

tunés privés de raison étaient plus maltraités que des criminels,

voués à la risée ou aux injures, rédmts en des cachots infectes à

328 SOCIÉTÉS SAVANTES.

une condition pire que celle des animaux, quand ils n'étaient pas

brûlés comme sorciers !

Grâce à vous, Messieurs, grâce à vos travaux, grâce aux persévé-

rantes recherches, au dévouement infatiguable de ceux qui vous

ont précédés depuis moins de cent ans dans la carrière médicale,

les aliénés sont aujourd'hui pour nous des frères malades que nous

entourons de soins assidus, que nous plaignons plus que les autres !

Leur sort présent est adouci et l'espérance leur est rendue !

Vous avez fait beaucoup, Messieurs, l'humanité vous doit un

large tribut de reconnaissance ; mais vous ne voulez pas vous

arrêter en si bon chemin ! Vous travaillez toujours ! Honneur à

vous ! Au nom de la ville d'Orléans, au nom de la municipalité, je

bois à vos succès ! Je bois aux bienfaiteurs des pauvres aliénés !

M. le Dr GIRAUD, vice-président du Congrès, exprime les

remerciements du Congrès vis-à-vis de l'hospitalité orléanaise.

Il expose la nécessité du déplacement de l'asile d'Orléans

aujourd'hui insuffisant, et qu'il serait nécessaire de remplacer

par une colonie médico-agricole qui donnerait aux malades de

l'air et de la lumière les meilleurs agents de guérison.

M. DOUTREBENTE, tout en s'associant au voeu de son collègue

M. Giraud, tient à constater néanmoins les améliorations

faites à l'asile d'Orléans depuis quelques années grâce à

M. le Dr Riu et à l'administration des hospices.

M. le Dr Riu, très flatté de ces compliments, y associe tous

les administrateurs des hospices et remercie particulièrement

M. Boullé et M. Portalis, ce dernier surtout qui l'a amené, il y

a cinq ans, à Orléans, et grâce auquel, à vingt-neuf ans, alors

qu'il attendait un poste d'adjoint, il a été installé chef de ser-

vice. Il croit, lui aussi, à la nécessité du déplacement de l'asile.

L'idée fera son chemin, grâce aux efforts de tout le monde :

des médecins, des administrateurs, de la presse, et ce progrès,

qui semble lointain aujourd'hui, se réalisera peut-être dans un

temps assez court.

M. le Dr BOURNEVILLE, invité par M. le Préfet à prendre la

parole, dit que les choses utiles ont été dites par M. le D'' Giraud.

Oui, la reconstruction de l'asile d'aliénés d'Orléans s'impose.

Vieilli, trop étroit, insuffisant à tous les points de vue, il ne

répond pas aux besoins ni à l'idéal que la science se fait

aujourd'hui des asiles d'aliénés. Il insiste énergiquement

auprès de M. le préfet et de M. le président de la Commission

des hospices pour mener bien cette entreprise nécessaire.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 329

L'assistance publique et l'enseignement public sont, dit-il, les

deux signes auxquels se reconnaît une civilisation véritable,

une civilisation républicaine.

« Les malheureux aliénés s'entassent et s'étouffent dans

l'asile d'Orléans, alors qu'il leur faut de l'espace, de l'air, le

travail agricole, aux champs, dans une liberté aussi grande

que le comporte la sécurité publique.

« Ce sont les meilleures conditions pour amener des guéri-

sons de plus en plus nombreuses et pour diminuer d'autant les

charges financières des départements.

« M. le Dr Bourneville montre ensuite l'utilité des congrès qui

établissent des relations personnelles entre leurs membres, où

l'on constate des faits et on échange des idées et où les mé-

decins se mettent en contact avec les administrateurs des

départements et avec les corps élus auxquels ils disent ce qu'ils

pensent et ce qu'ils désirent dans l'intérêt supérieur des mal-

heureux. Grâce à ce triple avantage des congrès, il en résulte

toujours quelque chose d'utile.

« M. le Dr Bourneville insiste sur la nécessité de réformer la

loi relative au domicile de secours qui sépare trop souvent les

enfants des parents. Pour remédier à ses inconvénients le

Conseil général de la Seine a décidé de garder les enfants nés

hors le département de la Seine dans ses asiles, moyennant le

payement des frais de séjour égaux à ceux que paierait le dépar-

tement à qui incomberait légalement la charge des enfants.

« M. le Dr Bourneville termine en portant la santé de M. le

préfet, à un double titre : parce qu'il est un ferme républicain

et parce qu'il est né sur la terre d'Alsace que nous considé-

rons toujours comme terre française.

« Il boit également à MM. Boullé et Coudière dont les allo-

cutions ont été celles d'hommes dévoués aux idées de progrès

et d'humanité.

M. le Dr GASSOT, de Chevilly, a terminé la série des toasts en

buvant à l'union constante du corps médical avec les adminis-

trations républicaines. '

La journée s'est terminée par une visite à Olivet aux sources

du Loiret. B.

Les Archives de Neurologie inséreront, à l'occasion, toutes les rectifi-

cations que les membres du Congrès jugeront utiles de leur adresser.

330 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.

SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE

Séance du 30 mai 1892. - Présidence DE MM. CH. RoussEr.

ET CHIiISTIAN.

Eloge de Baillarger. M. RITTI, secrétaire général prononce

l'éloge de Baillarger.

Prix : Prix Esquirol. AI. SE1JLLAIGNE donne lecture de son rap-

port dont les conclusions sont adoptées. Le prix Esquirol est dé-

cerné à M. Boissier, interne à Villejuif. Une mention honorable est

accordée au mémoire de M. Guérin, ancien interne du même asile.

Prix Moreau (de Tours). Suivant les conclusions du rapport

de M. CHASLIN, le prix Moreau (de Tours) est décerné à M. Marie,

médecin-adjoint de l'asile d'Evreux. Une mention honorable est

décernée à MM. Colin, médecin-adjoint à Saintes-Gemmes etRoubi-

nowitch.

Prix Aubanel. - M. SOLLIER, rapporteur, propose de ne pas

décerner le prix Aubanel. Une récompense de 800 francs est votée

à M. S. Garnier, médecin-directeur de l'asile de Uijon. Pareille

somme sera partagée entre 1\1111. Malfilâtre et Nicoulau, co-auteurs

d'un même mémoire.

. Prias Aubanel à distribuer en 1893. Des rapports de la para-

lysie générale avec l'ataxie locomotrice. . 1\1. B.

DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE'.

Nous avons donné quelques renseignements sur le traite-

ment chirurgical de l'idiotie hydrocéphalique dans le dernier

numéro des Archives; nous continuons aujourd'hui la publi-

cation des documents auxquels il est fait allusion dans le

résumé de notre communication au Congrès de Blois (p. 316)1

. ' Voir n' 70, p. 131.

' ' Notre travail débute par un historique de la question où sont consi-

gnées les observations françaises et en tête celles de notre ami le pro-

fesseur Lannelongue.

DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 331

§ I. CRANIECTOMIE pratiquée POUR soulager LES malades

ATTEINTS D'IMBÉCILLITÉ MENTALE DUE A LA RÉUNION PRÉMA-

TURÉE DES SUTURES ET la MICROCÉPHALIE; par le Dr L.-

C. LANE. (The med. Journ., 9 janv. 1892, p. 49.)

Au commencement du mois d'août 1888, je reçus une lettre

d'une dame demeurant dans la Californie, me disant qu'elle désirait

me consulter à propos de son enfant, âgé de près de neuf mois,

qui présentait les signes de l'imbécillité mentale. Au jour indiqué,

elle me présenta son enfant. Il était en bonne santé et bien nourri,

mais décidément microcéphale.

Le crâne était symétrique et dévié seulement du type normal

par la-petitesse de son volume. La mère me dit qu'à la naissance

les fontanelles antérieures étaient entièrement fermées, et que l'une

des postérieures était également-presque fermée. La mère voulait

spécialement apprendre si le cerveau de l'enfant était sain; et sur

l'assurance qu'il n'y avait aucune évidence du contraire, elle de-

manda si une opération était possible, opération par laquelle le

cerveau pourrait se développer; ou, suivant ces propres termes, elle

disait : « Ne pouvez-vous pas ouvrir le cerveau de l'enfant pour le

laisser s'accroître. » Je répondis qu'une telle opération n'avait

jamais été faite, et que si on la pratiquait, ce serait purement une

expérience. Je dis en outre qu'elle serait périlleuse et qu'elle pour-

rait avoir un terme fatal, et que, de plus, l'opération était aven-

tureuse et qu'elle ferait mieux de retourner chez elle et de réfléchir,

Elle fit ainsi et au bout de trois semaines revint en disant qu'elle

désirait que l'opération fut faite.

L'enfant fut opéré le 28 août 1888, en la présence et avecl'assis-

tance du Dr R.-H. Plummer, professeur d'anatomie au collège

médical Cooper et du Dr Chas. E. Farnum, professeur d'anatomie.

L'anesthésie fut employée. Une incision fut faite sur le cuir

chevelu dans le plan sagittal, du front à l'occiput, et le cuir chevelu

étant infléchi latéralement, une ouverture fut faite avee un petit

trépan sur le sommet de l'os frontal, de chaque côté du sillon lon-

gitudinal supérieur. A travers ces ouvertures, .de forts ciseaux

émoussés furent introduits et chaque os pariétal divisé antéro-pos-

lérieurement. La bande d'os médiane, qui avait un pouce de large

et s'étendait de la fontanelle antérieure à la postérieure fut aisé-

ment enlevée.

Il y avait de chaque côté du morceau enlevé les sections des os

pariétaux restant; de sorte que l'espace enlevé ressemblait entière-

ment à une croix dont les bras étaient de longueur et de largeur

égale. Dans cette ostéotomie pariétale, la dure-mère fut séparée de

l'os. Il n'y eut qu'une légère hémorrhagie et la blessure fut fermée

au moyen de sutures métalliques.

332 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.

L'enfant ne vécut que quatorze heures après l'opération, et la

mort est due dans une grande mesure à l'effet prolongé de l'anes-

thésique, qui produisit une cyanose, dont l'enfant ne put jamais

revenir.

Ainsi donc, comme on l'a vu, la craniectomie que l'on a essayée

comme un moyen de guérir la démence infantile provenant de

l'ossification prématurée des sutures et de la microcéphalie qui y

concourt, était due à l'inspiration de l'affection maternelle; à la

pensée d'une mère s'étendant dans la région de l'inconnu et des

choses non encore essayées, à la recherche du soulagement pou-

vant être apporté à ces petits infortunés.

Un second cas de craniectomie opéré par l'auteur il y a quelques

mois sur un enfant microcéphale imbécile, chez lequel la partie

enlevée ressemblait à la lettre H, a eu de meilleurs résultats. L'en-

fant vit, et donne des signes non équivoques d'amélioration intel-

lectuelle.

Comme on vient de le dire la craniectomie est à l'essai et quoique

l'instrument du chirurgien puisse découvrir le cerveau, il reste

pour l'avenir à déterminer jusqu'où son oeuvre enlèvera le voile

que la microcéphalie étend sur les facultés mentales de l'enfant.

Cette note de M. Lane est curieuse : 1° parce que sa pre-

mière craniectomie aurait été pratiquée en août 1888, c'est-à-

dire près de deux ans avant la première opération de M. Lanne-

longue ; 2° parce qu'elle en rapporte l'idée à « l'affection d'une

mère s'étendant dans la région de l'inconnu et des choses non

encore essayées ». (Voir p. 346.) .

§. II. La CRANIECTOMIE POUR LA MICROCÉPHALIE;

par KEEN. (Médical News, 29 novembre 1891, p. 557.)

L'opération que je me propose de faire prochainement, est la

première de son espèce qui, autant que je sache, ait été accom-

plie dans ce pays. Elle n'a été faite que deux fois en Europe, par

le Dr Lannelongue (de Paris). (M. Keen donne un résumé de ces

cas.) L'histoire du cas queje suis sur le point d'opérer est la sui-

vante :

M... (E.), âgée de quatre ans et sept mois, fut d'abord examinée

par moi le 3 novembre 1890. Trois grands-parents vivent et sont

bien portants. La grand'mère paternelle a des glandes scrofuleuses.

au cou. La mère est âgée de trente-trois ans, le père trente-cinq

ans, tous deux se portent bien. Elle a une soeur âgée de neuf ans,

bien portante au physique et au moral. L'enfant malade vint au

monde normalement et fut nourrie au sein. A quatre ou cinq mois

DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 333

elle pesait 25 livres, à quinze mois 40 livres; à trois ans 31 livres et

actuellement elle n'en pèse que 30. Elle n'a jamais marché, mais

elle a commencé à se tenir sur ses jambes vers l'âge de deux ans.

Quand elle eut vingt et un mois elle disait : « bébé gentil» « dodo »

et d'autres mots encore, mais depuis'lors elle a perdu complète-

ment l'usage de la parole. Il y a deux ans, elle eut vingt-quatre

convulsions durant la même journée, probablement à la suite delà

dentition, qui était tardive; mais ce sont là les. seules convulsions

qu'elle a eues. Rougeole et coqueluche vers un an, se succédant

d'une façon assez rapide.

Etat actuel. Elle est évidemment bien portante, mais c'est une

enfant chétive et peu développée. Ses os sont petits et sa tête est

très petite et légèrement prognathe, mal développée, surtout dans

la région frontale et occipitale. Deux photographies, l'une prise à

vingt et un mois, l'autre il y a une semaine, montrent la plus

grande différence d'expression, lapremière étant celle d'un enfant

brillant et intelligent, la seconde montrant une face d'idiote. Pas

de contractures ni de paralysie. Elle remue constamment et se

tord les mains, mais ce n'est certainement pas la douleur qui lui

fait faire ces mouvements.

Sa force de raisonnement est difficile à déterminer car elle

est toujours en mouvement et l'intelligence fait défaut. Sa mère

croit qu'elle la reconnaît ainsi que son père et sa soeur. Elle

fait quelque peu attention aux étrangers, mais remarque peu les

autres choses. Elle parait contente d'avoir son chapeau sur la tête,

car elle sait que c'est pour elle le signe qu'elle va sortir. Toutes

les sutures sont fermées. La fontanelle antérieure, qui existait à la

naissance, est entièrement fermée. La percussion donne un bruit

uniforme sur toute la surface du crâne, et n'est pas douloureuse.

De temps en temps l'enfant a des envies de dormir ; plusieurs fois

par jour sa tête tombe et elle s'endort presque, mais se réveille

aussitôt, aussi bien qu'auparavant. Ces crises, chutes de sommeil,

durent deux ou trois secondes. Son intelligence varie considérable-

ment ; parfois elle est plus éveillée que dans d'autres moments.

Mensurations. Taille : 92em,S (36 p. 3/8). Périmètre thora-

cique : 50 cm. (19 p. S/8).

334 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.

Le résultat de l'examen des yeux, qui fut fait par mon ami, le

Dr Hensell, est le suivant : « L'examen fut difficile et se prolongea

à cause du mouvement constant des mains et des bras, et le dé-

faut d'intelligence était loin d'aider dans ce cas. Les pupilles

répondaient à la lumière et'étaient en rapport, celle d'un oeil ré-

pondant en contraction et en dilatation à l'exposition alternative à

la lumière et à l'obscurité. Le fond de l'oeil, les nerfs optiques sont

de bonne couleur. Le louchement interne, qui, dit-on, arrivait

quelquefois, avait disparu. La malade semble avoir une bonne vue. »

La cause inhérente de la microcéphalie nous échappe. Autre-

fois ou supposait qu'elle devait être due à l'ossification prématurée

des sutures du crâne, mais l'examen de plusieurs crânes semblables

a démontré que, si quelquefois cette ossification peut être la cause

déterminante, il y avait cependant, dans les cas observés, rien d'a-

normal dans le développement des os du crâne. D'un autre côté,

nous savons que le développement du crâne augmente avec celui

du cerveau et si la force d'accroissement du cerveau est faible,

une légère résistance de la part de son enveloppe osseuse peut suf-

fire à l'arrêt de son développement. Avec ces raisonnements, Lan-

nelongue conclut que c'était un procédé rationnel d'essayer d'enle-

ver au moins une partie de la force qui empêchait ce cerveau affai-

bli d'atteindre un développement plus grand et plus naturel et

c'est dans ce but qu'il entreprit de faire son opération.

Il est encore trop tôt pour porter un jugement sur l'opération

au point de vue de l'amélioration qu'elle peut amener, car jusqu'ici

nous n'avons que le rapport des deux cas de Lannelongue C'est

là une expérience qui me parait digne d'être tentée.

L'opération elle-même. si elle ne donne pas le résultat espéré,

est peu de chose et n'est pas plus dangereuse que la trépanation.

Elle n'est naturellement applicable qu'aux enfants.

Je propose de faire l'opération avec de légères modifications.

L'incision de Lannelongue fut faite dans le cuir chevelu parallèle-

ment à la ligne de la suture sagittale, commençant en avant de la

lambdoïde et s'étendant devant la suture coronale, puis descendant

par un angle obtus sur le front, avec un pont d'os à la suture coro-

nale. Au lieu de continuer mon incision en avant du front comme

Lannelongue le fit, je ferai une incision courbe dont la con-

vexité sera en arrière et toute entière dans le cuir chevelu. Je sou-

lèverai alors cette languette de peau et couperai l'os au-dessous,

évitant ainsi toute cicatrice du front. L'incision faite dans la peau ne

sera pas sur la même, ligne que celle faite dans l'os, de telle façon

que la plaie du crâne se trouvera recouverte par le cuir chevelu. Je

ne laisserai pas de pont d'os à la suture coronale.

' M. Keen ignorait par conséquent le cas du D' Lane, résumé plus

haut. (B.) '

DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE I : IDIOTIE, : i35- ~

Le but de l'opération est de permettre au cerveau d'avoir si l'on

peut dire ses coudées franches pour se développer. J'irai jusque

dans les frontales et occipitales de façon que ces lobes, principa-

lement le frontal qui est, peut-être, le siège des facultés intellec-

tuelles, puissent se développer. Comme le crâne devient plus fort

et plus dur, il aura encore assez de force pour préserver du danger

qui pourrait résulter pour la vie, des coups ordinaires ou d'autres

traumatismes. Il est indifférent de s'occuper de quel côté sera

faite l'incision, puisque le développement du cerveau est symé-

trique.

La tête a été moulée et, à différentes époques delà croissance de

l'enfant, il sera fait d'autres moulages, afin de déterminer ainsi

l'étendue du développement de la tête. Comme le mode ordinaire

d'opération du moulage par le plâtre liquide est pour ainsi dire

impossible dans le cas présent j'ai proposé la manière suivante : La

tête a été rasée et frottée d'huile d'amandes douces. On appliqua

sur la tête une mince couche de plâtre de Paris, pour obtenir une

surface unie. Par-dessus celle-ci trois ou quatre couches de bandes

imbibées de plâtre commun de Paris, comme un bandage « récur-

rent », suivi d'une mince épaisseur de plâtre fin de Paris et ainsi

de suite jusqu'à ce que le moulage soit complet. Dans le cas où

l'occiput ou le frontal seraient trop proéminents pour empêcher le

déplacement du moule, on peut le couper sur ces endroits mêmes

avant que le plâtre soit complètement sec, en ayant soin de bien

réparer les endroits incisés aussitôt après l'enlèvement du moule.

Mais dans le cas présent ceci a été inutile.

Dans les opérations que je fais sur le cerveau, j'emploie de la

gaze au lieu d'éponges. Cette gaze est soumise à la vapeur dans

l'appareil de Sattegast pendant trois quarts d'heure, sans agents

chimiques, préférant ne pas employer de sublimé corrosif dans

ces cas-là. Tous les instruments sont bouillis dans l'appareil stéri-

lisateur Scliimlnelbusch; on conserve l'eau bouillante dans l'appa-

reil pendant l'opération afin qu'un instrument puisse être purifié

promptement si cela était nécessaire. On ajoute à l'eau 1 p. 100 de

carbonate de soude pour empêcher la rouille des instruments.

J'ai expliqué l'opération aux parents de l'enfant, en leur disant

que c'était seulement là un essai, mais que je le considérais comme

peu dangereux et capable d'amener une grande amélioration. Sur

ces explications ils consentirent à ce que je fisse l'opération.

En pratiquant l'incision du cuir chevelu, parfois il se produit un

écoulement de sang inaccoutumé. Les premières fois que j'opérai

sur le cuir chevelu, je comprimai la tête au moyen d'une bande

étroite d'Esmarch afin d'empêcher l'écoulement du sang, mais c'est

inutile. Ceci ajoute à la longueur de l'opération, et je pense qu'on

peut facilement arrêter l'hémorrhagie au moyen de la pince

hémostatique. Je relève ensuite la peau d'un côté, et j'enlève avec

336 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.

soin avec un trépan d'un demi-pouce une couronne d'os à la dis-

tance à peu près d'un doigt du côté droit de la suture sagittale, de

telle façon qu'il n'y a aucun danger de pénétrer dans le sinus lon-

gitudinal supérieur. La-dure-mère est séparée avec beaucoup de

soin de l'os, et mon avis est que, dans ce cas, elle est plus adhé-

rente que d'habitude. L'instrument dont je me sers pour enlever

l'os est une paire de « rugine forceps » beaucoup plus courbe que

d'ordinaire, et large d'un quart de pouce seulement. En cas d'hé-

morrhagie de la méningée moyenne, je fais de suite la ligature du

vaisseau au moyen d'une aiguille courbe. C'est toujours de cette

manière qu'il faut faire la ligature de la partie moyenne de la mé-

ninge. Ce vaiseau, qui parcourt une membrane étroite et peu éten-

due, ne se rétracte pas ni ne se contracte pas comme les autres

artères et le sang cesse de couler facilement et spontanément. La

malade ayant toutes les chances de guérir, j'opérerai seulement

aujourd'hui un côté, réduisant ainsi le danger de la commotion.

Je ne cesserai de l'observer; si son état mental ne s'améliore pas,

selon mes désirs, j'opérerai ensuite sur l'autre côté. La ligne de

l'incision de l'os est maintenant complète et s'étend de trois quarts

de pouce en deçà du sommet supra-orbitaire et presque en arrière

de l'occipital, mesurant 6 pouces 1/4 de longueur, et un quart de

pouce de largeur.

On voit une branche assez grande de l'artère moyenne de la mé-

ningée qui traverse l'ouverture. On enlève les pinces et on examine

soigneusement la plaie qui ne contient pas de vaisseaux qui cou-

lent. On arrête ordinairement l'hémorrhagie avec des pinces, mais

au cas où je vois quelques points d'écoulement de sang j'y ferai un

point, désirant arrêter toute hémorrhagie avant la fermeture de

la plaie. Le périoste est ensuite enlevé des bords du sillon, de

façon qu'il ne le recouvre pas et n'amène la réunion de l'os. On

place quelques mèches de crins de cheval dans la plaie, et on les

coupe à une longueur suffisante pour prévenir le danger qu'ils ne

glissent sous le cuir chevelu. Au bout de deux ou trois jours,

on enlèvera ces crins, à l'exception de 2 ou 3. En recousantla plaie

je fais attention d'obtenir une absolue coaptation. La plaie est soi-

gneusement pansée avec de la gaze stérilisée et la malade restera cou-

chée sur le côté droit pour favoriser le drainage. Maintenant, mes-

sieurs, l'opération est complètement terminée, et nous n'avons

plus qu'à attendre les événements. Son état mental a été examiné

de près, de façon à pouvoir reconnaître immédiatement s'il s'est

produit quelque changement dans son intelligence.

L'opération dura une heure, et me convainquit qu'on pouvait la

faire en une demi-heure probablement. L'enfant allait tout à fait

bien et les sutures étaient tombées au bout de cinq jours.

DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 337

§. III. La CRANIECTOMIE dans la MACROCéPHALIE; par le

Dr A. WIETH, professeur de chirurgie à la policlinique' de

New-York, chirurgien à l'hôpital du Mont-Sinaï. (Médical

Record, 21 février 1891, p. 233.)

Garçon né à terme, le 2 février 1890, travail normal, sans diffor-

mité, pesant environ 6 livres. Premier enfant de parents âgés d'à

peu près vingt-cinq ans, tous deux bien portants et développés

normalement. La mère remarqua que lorsque son fils avait quatre

semaines le battement de la fontanelle antérieure cessa. A part

ceci, on n'observa rien d'extraordinaire jusqu'au troisième mois;

il eut'alors la coqueluche, devint très nerveux, poussant des cris

comme s'il souffrait et ne dormant pas. Le médecin qui le soignait,

fit remarquer à la mère que l'endroit tendre (fontanelle) situé au

sommet de la tête s'était fermé par ossification et que ce dérange-

ment physique était dû à la compression du cerveau. Au mois de

juillet on lui administra de la morphine et du chloral pour le faire

dormir et cela dura pendant plusieurs mois.

Le 27 septembre à 11 heures 30 du matin, il fut pris d'une atta-

que de catalepsie ( ? ) et resta sans mouvement comme s'il était mort,

jusqu'à 1 heure de l'après-midi.

A la suite de cette attaque, les pieds se rentrèrent en dedans

(lalipes equino varus), le pied gauche était plus affecté ; la main

gauche était aussi plus légèrement repliée. Vers le 21 novembre il

s'était amélioré au point que l'on put cesser l'emploi des soporifi-

ques et l'enfant prit immédiatement de l'embonpoint et grandit.

Cependant le crâne restait toujours le même.

Le 1 ? janvier 1891, il fut confié à mes soins grâce à la recom-

mandation du Dr T.-S. Galbraith. A cette époque, il avait l'appa-

rence d'un enfant bien portant de onze mois. La face était grasse

et rose, les joues pleines et la physionomie bien ouverte. Le crâne

était de : petite dimension, de la grandeur de celui d'un enfant ordi-

naire de deux mois, et terminé en pointe. Par moment les yeux

étaient animés de mouvements convulsifs, les pupilles dilatées;

ils ne semblaient pas se rendre compte des objets. Le regard était

hébété et comme indifférent à tout ce qui se passait autour de lui.

Les mouvements des bras et des mains n'étaient pas réguliers lors-

qu'il s'agissait de saisir les objets qu'on lui présentait, c'était par

saccades qu'il les portait à sa bouche. Chaque fois que le pouce,

à la suite d'une de ces manoeuvres, pénétrait dans la bouche il y

restait et l'enfant le suçait pendant un certain temps jusqu'à ce

qu'un mouvement spasmodique vint le déplacer; il cherchait alors

à le réintroduire dans la bouche. La poitrine et le ventre, les par-

ties génitales et les cuisses étaient tout à fait normales en appa-

rence, et bien développées. Les jambes, un peu petites, et les deux

pieds rentrés en dedans, mais d'une façon moins marquée adroite.

Archives, t. XXIV. 22

338 thérapeutique CHIRURGICALE.

Encouragé par le rapport d'un cas de Lannelongue, travail que

je n'avais vu que dans un article du Médical Record, j'ai conseillé

l'opération et le 7 janvier 1891, je procédai de la façon suivante :

Chloroforme; tête rasée; précautions antiseptiques. Incision sur

la ligne médiane de la base du nez jusqu'au-delà de la protubérance

occipitale. La peau du crâne est écartée d'un pouce environ de

chaque côté de la ligne médiane ; l'ossification des os du crâne

était complète. Pas de cartilage interosseux.

On se servit du petit trépan et deux longues tranchées faites avec

la rugine, larges d'un quart de pouce, s'étendant juste au-dessus

des yeux jusqu'à la protubérance occipitale, laissant un pont de

trois quarts de pouce de large pour protéger le sinus supérieur lon-

gitudinal dans toute sa longueur.

Ensuite, à chaque extrémité de ces deux tranchées, j'enlevai sur

les côtés un pouce de surface et avec les ciseaux de résection je

divisai les pariétaux sur une étendue d'un pouce et demi, à la partie

médiane du sommet de la tète, coupant perpendiculairement dans

la direction de chaque oreille. J'introduisis ensuite mes quatre

doigts en dessous de chaque moitié du crâne mis à découvert et je

détachai ces parties de la dure-mère, les soulevant librement et

élargissant ainsi d'un pouce chaque tranchée. La dure-mère ne fut

pas ouverte. Ligatures au catgut.

Introduction de mèches douces de catgut en guise de drainage

de chaque côté, d'avant en arrière, entre le crâne et la dure-mère.

Injection au 1/50000 de bichlorure de mercure. Suture de l'enve-

loppe du crâne sur la ligne médiane avec le catgut. Pansement

aseptique. Le malade subit promptement l'action du chloroforme

et on cessa de lui en'administrer ; on n'eut pas besoin de recourir

aux narcotiques. Durée de l'opération : une heure trente minutes.

Il revint bien à lui.

Vers le 10 janvier, on remarqua une certaine amélioration intel-

lectuelle. Le huitième jour cela était très marqué. L'enfant remar-

quait ce qui l'entourait, et ses yeux suivaient le déplacement des

objets. Il saisissait ce qu'on lui présentait et dormait sans narco-

tique. 11 mangeait avec appétit. Le dixième jour, on renouvela le

pansement, et la plaie se referma par première intention sans

aucune suppuration.

Le malade quitta la ville pour retourner chez ses parents le

seizième jour après l'opération. Le renversement des pieds est

beaucoup moins visible et les mouvements saccadés des mains ne

sont plus si bien marqués.

Dans une lettre reçue récemment la mère écrit : « L'enfant s'est

beaucoup amélioré. Il s'occupe de tout ce qu'il voit comme tousles

autres enfants. C'est là un réel changement à noter chez lui. »

Je l'ai revu un mois après l'opération et ce qui s'était opéré en

lui était vraiment surprenant et en tout satisfaisant. Les difformités

DU traitement CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 339

des extrémités avaient entièrement disparu, et son intelligence

avait augmenté d'une façon notable. Il faisait attention à tout ce

qui se passait autour de lui, tenait à la main ce qu'on lui présentait,

riait et se comportait comme les enfants d'un développement ordi-

naire à six ou huit mois. Les pupilles n'étaient plus largement

dilatées et semblaient normales. 11 mange et dort bien et l'opéra-

tion a produit chez lui une grande amélioration.

L'opération ne diffère pas de celles déjà faites. Lannelongue,

Keen, et d'autres praticiens coupent une tranche d'environ un quart

de pouce de largeur, et d'un côté dans une seule opération. Il me

semblait que si le cerveau était enfermé par l'ossification préma-

turée des os du crâne, ceux-ci se détacheraient, se soulèveraient et

permettraient ainsi l'entier développement du cerveau.

Si l'opération offrait un avantage même momentané, elle pour-

rait être répétée. L'expérience seule peut démontrer si l'extension

du cerveau permettra aux os du crâne de se développer d'une

façon normale.

L'état de ces malades est si malheureux et si déplorable que, à mon

avis, l'on peut bien risquer de faire intervenir la chirurgie dans

une opération qui peut offrir une certaine espérance d'amélioration.

§ IV. CRANIOTOMIE linéaire (faussement dénommée : craniec-

tomie) dans LES cas DE MICROCÉPHALIE; par le Dr W.-W.

KEEN, professeur de chirurgie, à l'Académie de médecine

Jefferson, à Philadelphie. (American journal of med.

Sciences, juin 1891.)

J'ai intitulé ce travail craniotomie linéaire au lieu de craniectomie,

terme proposé par Lannelongue et employé dernièrement par moi-

même. L'opération consiste en une longue incision faite sur le

crâne, l'ablation d'une partie de la boite osseuse, car ce n'est

simplement qu'accidentellement que le tissu offre une matière

dure au lieu d'être douce. La terminaison : « ectomie » signifie

habituellement et de droit l'action d'enlever entièrement la partie

qui précède cette terminaison : exempta geazeris : Oophorectomie,

omphalectomie, néphrectomie, etc. L'ablation du crâne (comme

le signifie le mot craniectomie) se pratiquant rarement, notre

nomenclature s'applique bien aux faits. Le Dr Bauer emploie le

mot craniotomie à propos de son cas (voir plus loin), mais le mot

trépanation est, je crois, le terme propre qui s'applique à son opéra-

tion.

Dans le AedicalNews, du29 novembre 1890, j'ai publié un cas de

craniotomie linéaire pour la microcéphalie. L'objet de la présente

note est de compléter l'histoire de ce cas, d'en relater deux autres

que j'ai eus, d'ajouter quelques remarques sur un cas semblable

340 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.

qui m'a été fourni parles Drus B. Sachs et A.-B. Gerster (de New-

York) et d'un autre, identique, communiqué par le Dr J.-C. Mac

Clintock, professeur de chirurgie à l'Académie de médecine de

Kansas, faisant, avec les deux cas de Lannelongue et celui de'

Wyeth, huit en tout qui ont été opérés. Je signalerai également

deux autres cas pratiqués avant le mien, pour la même maladie et

dans la même intention, mais par des méthodes que je ne crois

pas devoir être classées comme opérations de craniotomies.

4er Cas. Pour les débuts de l'histoire voir les Médical News,

du 29 novembre 1890. Depuis l'opération, cette enfant a éprouvé

certainement une amélioration progressive et considérable, mais

pas autant que dans le cas de Lannelongue. L'enfant ne crie

presque plus, dort mieux, reconnaît une montre quand on la lui

présente, observe ce qui se passe autour d'elle se sert de quelques

mots par instants, mais pas d'une façon constante. Elle a presque

perdu l'habitude de tordre ses mains, si marquée avant l'opération.

1891. 17 février. Une opération absolument semblable à la

première fut faite sur cette malade à l'hôpital Jefferson. Un perfec-

tionnement opératoire me permit de la faire en trente-cinq minutes

au lieu d'une heure et quart. Au bout de cinqjours, elle allait tout

à fait bien. On n'employa pas le drainage.

24 mars. L'enfant va légèrement mieux. Je n'ai pas vu qu'elle

ait fait plus de progrès depuis la seconde opération qu'après la

première. (Il s'agit de l'enfant dont il est parlé plus haut, IL)

2" Cas. K.-K. fille, malade du Dr F.-X. Dercum. Etat, le

23 mai 1890. Elle avait un an la première fois qu'on la fit voir au

Dr S. Weir-Mitchell à l'hôpital orthopédique et à l'infirmerie des

maladies nerveuse. Très petite, ne fait aucun effort pour marcher

ou s'asseoir; les pieds et les mains sont froids, les muscles sont

flasques.

DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 341

ans, il est fort. Il a été élevé au sein, est hydrocéphale ; circonfé-

rence de la tête : 53e,3.

La malade est née à terme. Le travail dura vingt-quatre heures

et fut très pénible. Pas de forceps. L'enfant était très petit. Pas de

paralysie, mais très faible. On ne trouva pas de fontanelles à la

naissance et sa tête n'a pas- grossi depuis, son corps cependant a

grandi. Elle prit le sein pendant trois mois, et depuis ce temps

elle a pris le biberon. Elle eut un coryza qui dura six mois.

Etat le {or décembre (dix-neuf mois). Ne peut s'asseoir seule,

constamment en mouvement, douze dents.

342 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.

tale, la dure-mère adhérait fortement au crâne, mais sur tous les

autres points elle'se détachait facilement. Lorsque l'on introduisait

la pointe d'une paire de ciseaux, le morceau d'os se détachait et

alors le manche des ciseaux s'abaissait doucement : son simple

poids soulevait l'os d'une façon perceptible. Le périoste correspon-

dant à l'os enlevé fut lui-même coupé. La dure-mère n'avait pas

été incisée et avait une apparence normale. On plaça dans le

sillon quelques mèches de crin de cheval et on pansa la plaie.

L'opération dura une demi-heure. Température à la fin de l'opé-

ration 36°,6.

13 décembre (10e jour après l'opération). La plaie était bien

cicatrisée, on enleva au bout de cinq jours les points de suture.

Pendant les progrès de la cicatrisation, l'enfant montra des varia-

tions anormales de température, la plus haute n'atteignit cepen-

dant que 38°,3 : on ne put en découvrir la cause apparente. Après

avoir- gardé l'enfant quelques jours de plus pour s'assurer de sa

guérison, on la renvoya chez elle. Les médecins de l'hôpital sont

entièrement d'avis qu'elle est plus tranquille; elle se griffe beau-

coup moins la tête qu'elle ne le faisait avant l'opération quoique

pour moi il y ait peu de différence.

1891. 2 mars. Les facultés mentales de l'enfant se sont en

général beaucoup améliorées, mais pas aussi rapidement que je

l'aurais espéré. En conséquence aujourd'hui j'ai pratiqué une crd-

nionomie linéaire de l'autre côté de la tête absolument de la même

manière que la première fois. L'opération fut terminée en vingt

minutes avec les nouveaux instruments.

24 mars. - Le soir de l'opération sa température s'éleva subite-

ment à 40°,3', tombant en quatre jours à une température nor-

male. L'élévation subite de température fut trop grande pour être

attribuée à l'opération. La vraie cause fut bientôt découverte; elle

provenait d'un désordre intestinal prononcé qui avait commencé

la veille de l'opération'; ce fait ne m'avait pas été communiqué par

la mère. On ne se servit pas de drains, la plaie se comporta bien

et on put enlever les points de suture le cinquième jour. La

marche de la guérison est identique à celle du premier cas.

3° CAS : - J.-L. H., garçon âgé de seize mois, vu le 10 janvier \ 891.

Pendant le cinquième mois de la grossesse, la mère fut très

vivement impressionnée par la vue d'un enfant mort d'un de ses

amis; le septième mois elle faillit être écrasée'et eut une grande

frayeur. Le travail fut normal et dura trois heures; pas de

forceps. L'enfant pesait de 7 à 8 livres. La fontanelle antérieure était

très petite à la naissance et se ferma vers le septième mois.

L'enfant fut nourri au sein pendant trois semaines, et ensuite au

biberon. Vers trois semaines, six semaines, trois mois, il eut plu-

sieurs attaques de convulsions. A l'âge de douze mois, il était très

DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 343

maussade et devint irritable; depuis quelque temps, il l'était

devenu beaucoup moins jusqu'à son accident récent qu'on attribue

à sa dentition. Les parents disent qu'il eut le teint violacé pen-

dant un an, mais le Dr S. Slrker, son médecin, m'a dit que cette

couleur particulière n'était pas due à un foramen ovale persistant,

mais à une pigmentation constante et très marquée de la peau pro-

venant de la mauvaise circulation du sang. L'enfant a eu des

attaques provenant de ce mauvais état de circulation, mais elles ont

considérablement diminué dans ces derniers temps. Il était égale-

ment sujet à des accès de mélancolie apparente et d'agitation

continuelle quidurait un ou deux jours.

Etat actuel. 10 janvier 1891. L'enfant vient bien et se porte

bien en apparence ; aucune contracture ni autre difformité autre

que celle de la tête. Vu de face, le crâne est visiblement conique,

la face large, le sommet de la tête est étroit et arqué.

344 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.

fis l'opération en trente minutes. L'os saigna bien, mais non

d'une façon alarmante et l'hémorrhagie s'arrêta spontanément..

Aucun autre incident ne se produisit dans le cours de l'opéra-

tion, si ce n'est que la respiration de l'enfant fut assez précipitée

pendant un moment et qu'il eut en même temps une légère attaque

visible de convulsions. On constata un tremblement des extrémités

pendant l'opération. Il ne fut jamais complètement anesthésié.

Peu après l'opération je laissai l'enfant dans son lit à la garde

d'une infirmière et de sa mère. Il était légèrement pâle mais

moins qu'on aurait pu s'y attendre après une opération et rien

d'inquiétant ne se manifestait du côté de la respiration et du

pouls. Le Dr Taylor ne quitta la maison qu'une heure après l'opé-

ration, lorsque le pouls et la respiration de l'enfant ne lui inspi-

rèrent plus de crainte. Une heure et quart après l'enfant poussa

quelques soupirs convulsifs et mourut instantanément, probable-

ment d'une affection cardiaque. Il n'avait pas repris connaissance

depuis l'opération. Aucune autopsie ne put être faite en dépit des

plus grands efforts.

Cas IV. (Gerster et Sachs.) A. F..., fille âgée de quatre ans et

demi ; accouchement normal; premier enfant ; commença à mar-

cher à deux ans et à trois ans à dire quelques mots; mais elle

savait les employer à propos. A treize mois, rougeole. A quinze

mois, deux attaques distinctes de convulsions, sans paralysie.

D'autres attaques se déclarèrent à vingt-deux et vingt-neuf mois;

aucune depuis. Après ces attaques elle devint plus idiote ; elle

oublia son petit vocabulaire, devint instable, maussade et facile-

ment irritable ; dormait peu. Les fontanelles avaient disparu. Les

mensurations prises sur la tête rasée étaient :

DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 345

Cas VI ET VII. Deux cas rapportés par Lannelongue dans

l'Union médicale du 8 juillet 1890.

Cas VIII. Cas du Dr Mac Clintock. (V. p. 350.)

Si l'on considère ces différents cas, on est frappé par ce fait que

deux, parmi ces derniers, furent suivis de mort rapide. A mon

avis, les enfants atteints d'un développement cérébral aussi faible,

accompagné comme dans mon troisième cas d'une circulation

défectueuse, sont les moins préparés à subir le choc d'une telle

opération. Selon moi, la cause qui a déterminé la mort dans mon

cas, était due à une affection cardiaque, et dans les cas de Sachs

et de Gerster, elle fut attribuée à une anémie aiguë. Cette morta-

lité, qui est tout à fait anormale dans les opérations cérébrales

ordinaires, nous conduit naturellement à dire aux parents qu'il y

a plus de risques certainement que dans un cas ordinaire de trépa-

nation. Quant à moi, je suis d'avis que c'est là une chose plutôt

heureuse, car s'il n'est pas possible de secourir de tels enfants, il

vaut mieux pour eux la mort qu'une existence aussi misérable.

Nous devons cependant apporter tous nos soins surtout à l'admi-

nistration des anesthésiques, et abréger autant que possible des

opérations de ce genre. Les instruments que j'ai inventés pour ces

opérations, répondent certainement beaucoup mieux au but que

ceux dont je me suis servi tout d'abord; la preuve est que la der-

nière opération n'a duré qu'une demi-heure au lieu d'une heure

et quart dans la première. Avec mes instruments, il est préférable

de couper alternativement un peu à droite et à gauche (dans le

sens des orteils pendant la marche), afin d'empêcher le rappro-

chement des chairs. On remarquera que la branche supérieure de

l'instrument est trouée. Cette perforation s'élargit du bord du

tranchant vers le haut, de façon que chaque morceau d'os enlevé

chasse en dehors celui qui vient d'être détaché. Dans un cas récent

de laminectomie spinale, je me servis du même instrument pour

enlever les lames vertébrales, et je le trouvai de beaucoup supérieur

à tous les autres que j'avais sous la main et que j'avais d'abord

. essayés. Je n'ai pas encore opéré des deux côtés du crâne et je ne

conseillerais pas cette façon d'agir dans un cas de craniotomie.

Il est probable que ce mode d'opération serait très peu sage et

augmenterait de beaucoup la mortalité. Reste à savoir si deux

opérations latérales seraient plus efficaces qu'une seule pour l'amé-

lioration de tels enfants.

On peut résumer ainsi qu'il suit les résultats heureux apportés

à la condition mentale dans ces six cas : le deuxième cas de Lanne-

longue a été rapporté presque aussitôt, mais trop vite pour qu'on

puisse juger de ses résultats. De même pour le cas de Mac Clintock.

Chez les quatre autres enfants, il ne peut être question d'amélio-

ration, très rapide dans le cas de Lannelongue, plus lente mais

sûre dans man cas et dans celui de Wyeth. Nous avons en consé-

346 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.

quence, je pense, des raisons suffisantes qui nous encouragent à

opérer dans d'autres cas et c'est pour cela, et à cause du résultat

fatal obtenu dans deux cas, que j'ai été amené à faire connaître si

vite les miens, avant que les résultats définitifs aient été connus.

Cela demandera plusieurs années, et en attendant, nous devons faire

connaître les résultats immédiats pour servir de guide dans les autres

cas.

Dans la clinique des médecins et chirurgiens de Saint-Louis, d'avril

et mai 1890, le Dr Louis Bauër rapporte le cas d'une jeune femme

sur laquelle il a pratiqué la craniotomie pour un cas de microcé-

phalie. On ne donne pas son âge, ni les mensurations de la tête

et la date de l'opération. On enleva deux boutons de l'os pariétal

droit, et la partie du milieu qui les séparait fut enlevée au ciseau.

Le 9 mai, probablement 1890, une seconde opération fut pratiquée

du côté opposé. Avant l'opération, on constata une parésie spas-

modique des muscles accompagnée d'un fort tremblement qui,

apiès l'opération, avait diminué au point de permettre à la malade

d'enfiler une aiguille. On n'a pas de renseignement au sujet de la

condition mentale. Elle guérit de sa seconde opération, mais celle-ci

est encore trop récente pour qu'on puisse juger des résultats.

Dans The Médical News du 3 janvier 1891, le Dr Trimble (de

Baltimore) rapporte le cas d'un enfant âgé de trois ans, auquel il

fit l'opération du trépan le 8 novembre 1890. Il enleva sur le côté

droit de la'ligne médiane, deux boutons d'os, d'un pouce de dia-

mètre et un troisième d'un demi-pouce, de. telle sorte que l'ouverture

mesurait 2 pouces et demi de longueur sur 1 pouce de largeur. Le

6 décembre 1890 on nota quelque amélioration.

Je n'ai pas compris ce cas sous le titre de craniotomie linéaire,

car il me semble que ce sont là de simples cas de trépanation pra-

tiquée pour la microcéphalie et l'idiotie, comme l'ont fait déjà

Fuller et d'autres praticiens. La différence essentielle entre la tré-

panation et la craniotomie linéaire, est celle-ci : dans la cranio-

tomie linéaire on se propose d'enlever du crâne la largeur d'un

sillon entier, pour ainsi dire, tandis que dans la trépanation, pour

les cas cités plus haut, on a simplement enlevé deux boutons d'os

et le pont qui les reliait ; on a ainsi produit une différence dans la

pression du crâne sur le cerveau et simplement au point de trépa-

nation ; on a ainsi permis au cerveau lui-même une plus grande

extension. Quant aux résultats obtenus, quoique dans bien des cas

le temps écoulé soit trop court pour nous permettre d'avoir un

jugement, il me semble que ces résultats sont les mêmes après la

trépanation comme après la craniotomie linéaire elle-même; c'est

sans doute pour c la qu'on se montre indifférent sur cette matière.

Mais actuellement cependant, il me semble plus logique de prati-

quer la craniotomie que la trépanation.

L'opération de Wyetli ne me parait pas sage el par cela même

DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 347

entraîner plus de décès que la simple méthode employée ordinai-

rement. Deux cas ont été déjà suivis de mort; et si l'on fait une

double opération, et que les deux côtés du crâne soient forcément

séparés, le danger me semblerait beaucoup moins grand, la dure-

mère pourrait être facilement déchirée, surtout lorsqu'elle est

adhérente comme chez les enfants. De plus, le cerveau ne peut

suivre immédiatement l'écartement des os, mais il est certain d'ar-

river à occuper un espace plus grand, puisqu'on a ainsi favorisé

son développement graduel. On arrive plus facilement à ce résultat

par mon procédé que par la méthode de Wyeth. Les mêmes remar-

ques s'appliquent au cas de Mac Clintock.

§ V. CRANIOTOMIE linéaire POUR la microcéphalie ; par

le Dr Joseph RANSOHOFF, professeur d'anatomie et de chi-

rurgie clinique à l'académie médicale d'Ohio. (The Médical

News, samedi 13 juin 18 : 11, p. 653, vol. LVIII.)

Il n'y a pas encore un an, Lannelongue rapportait deux cas

dans lesquels, par l'ablation de deux longs morceaux du crâne, il

espérait donner au cerveau des enfants microcéphales plus de

place pour se développer. Soit que la croissance défectueuse du cer-

veau soit le résultat d'une synostose précoce dos sutures crâniennes

ou le contraire, les données à considérer sont celles d'un cerveau

petit avec capsule bien close résistant au peu d'impulsion de déve-

loppement que le premier cerveau pourrait posséder. Réduire

cette résistance par des procédés chirurgicaux parait assez logique.

L'opération ingénieuse de Lannelongue a pour but de rétablir la

tête d'un microcéphale solidement fermée aux conditions infantiles

existant avant que la réunion des fontanelles et l'oblitération des

sutures se produise. D'après un récent article du Dr Keen (American

Journal of the medical Sciences, june 1891), il paraîtrait que six cas

ont déjà été opérés. Au meeting dernier du Congrès français de

chirurgie, M. Lannelongue a rapporté sur 25 cas. Les cas sont

encore relativement peu nombreux, et je vais en citer un qui offre

un intérèt peu ordinaire :

Emma S.... âgée de trois ans sept mois; elle me fut adressée

par le Dr Jenkins (de Newport, Kentucky). Les parents étaient

vivants et bien portants, ayant six enfans ; l'un d'eux, âgé de seize

ans, est imbécile. La mère déclare quela tête de l'enfant se referma

peu après sa naissance. C'est à ce fait qu'elle attribue son arriéra-

tion mentale. Actuellement l'enfant est bien formée, en bonne santé,

d'un développemment corporel normal, et le teint vermeil. On voit

de suite à première vue la dimension relativement petite de la

tête et le tiraillement presque continuel des muscles oculaires. La

malade est incapable de marcher ou de se tenir sur son séant, même

348 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.

si on la soutient. Si on l'appuie contre un oreiller, le corps roule

d'un côté ou de l'autre. L'enfant ne parait pas connaître sa mère

ni avoir conscience de. cequi se passe autour d'elle. Les plus bril-

lants objets placés devant elle n'attirent pas son attention. Le seul

son qu'elle connaît c'est le bruit que fait la cuiller contre le bol de

soupe quand on la lui apporte au lit. Quand elle l'entend, elle sort

le bout de sa langue et fait des efforts pour sucer. La déglutition

se fait avec quelque difficulté et elle vomit une partie de la nourri-

ture. Dans les mouvements incohérents que fait l'enfant de temps

en temps, il est visible qu'elle se sert rarement de son bras gauche,

et que lorsqu'elle veut saisir ou tirer les rideaux du lit, les mouve-

ments du bras gauche sont bien plus limités que ceux du bras droit.

Toutes les heures ou toutes les deux heures, et cela pendant vingt-

quatre heures, la salle où l'enfant est placée résonne d'un cri court

et aigu que pousse la malade et semblable au cri encéphalique qui

précède une attaque d'épilepsie.

La tête est petite et en forme de pain de sucre type de l'oxy-

céphale. La suture sagittale se présente elle-même comme une

crête solide, distincte, avec un sillon bien défini du côté droit.

Durant les progrès de l'ossification le sillon gauche avait recouvert

le pariétal droit. Les mensurations prises sont les suivantes : bi-

frontal (diamètre) 3 pouces; bi-pariétal : 4 pouces 6/8; occipito-

frontal : 6 pouces ; entre les oreilles : 9 pouces 1/4; de la racine du

nez à l'occiput : 10 pouces.

L'opération fut faite le 9 février, au chloroforme. Pansements

antiseptiques sur la tête. Application de la bande d'Esmarch autour

de la tête pour prévenir l'hémorragie du cuir chevelu. L'incision

fut faite parallèlement à la suture sagittale et à un demi-pouce du

côté droit de celle-ci, partant de la suture lambdoïde jusqu'à un

pouce du niveau orbitaire. Les extrémités antérieures et posté-

rieure étaient courbées extérieurement. Il ne se produisit pas d'hé-

morrhagie du cuir chevelu. On enleva un morceau d'os suffisant y

compris le périoste, et au moyen d'un trépan d'un demi-pouee ou

enleva un bouton d'os. On coupa également une bande d'os de

3/8° de large sur 5 pouces 1/2 de long. Il fallut les plus grands

soins pour ne pas attaquer la dure-mère aux endroits d'adhérence.

L'incision de l'os se fit au-dessous de la peau jusqu'à un demi-pouce

de l'orbite. Quoiqu'il y eut une fillration considérable l'hémor-

rhagie céda bien vite à la compression. On enleva ensuite une

bande de périoste correspondant au sillon. On fit les sutures au

catgut après y avoir placé des drains de catgut. L'opération depuis

le commencement de l'anesthésie jusqu'à la fin dura quarante mi-

nutes. La perte de sang éprouvée causa une secousse considérable

à la malade. Dans les vingt-quatre heures elle était mieux.

L'opération ne fut pas suivie d'un rétablissement absolument

« normal ». 11 y eut un peu de suppuration à l'extrémité posté-

DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 349

rieure de la plaie; cela provenait probablement d'une mèche de

catgut imparfaitement stérilisée. La température le troisième et le

quatrième jour s'éleva à 403° dans la soirée (39°,4). A l'extrémité

postérieure de la plaie se déclara une fistule qui dura plusieurs

mois; cependant, la plaie si longue qu'elle fût, se cicatrisa par pre-

mière intention.

Résultats constatés trois mois et demi après l'opération, avant la

sortie du malade de l'hôpital : Les mensurations antéro-posté-

rieures ne montrent aucun changement avec celles prises avant

l'opération ; les mensurations transversales ont augmenté, bi-pa-

riétal : 1/4 de pouce; bi-frontal : près de 3/8 de pouce; le bi-

auriculaire à 9 pouces 3/4.

Quant à l'intellect, l'enfant présente l'intelligence d'une enfant

de six mois. Elle suit des yeux les personnes et les choses qui s'agi-

tent devant elle. Elle prend une montre avec une main ou avec

l'autre, la gauche possédant une force égale de coordination à celle

de la droite. Si on place une montre au-delà du champ visuel,

comme, par exemple, sur le côté de l'oreiller, elle cherche avec ses

deux mains à s'en saisir. La malade s'amuse seule avec un livre

d'images, et quand elle est fatiguée d'en regarder une, elle tourne

la page suivante avec difficulté. Elle reconnaît sa garde et attire

parfois son attention en tirant son tablier, quand elle a le dos

tourné. Elle a évidemment sa raison, quoique à l'état naissant.

La difficulté de la déglutition a complètement disparu. Ce cri quasi-

épileptique qu'elle poussait a cessé de troubler les autres malades

de la salle.

Si on la soutient assise sur un oreiller, elle restera ainsi une

heure à regarder à droite et à gauche avec un semblant d'intérêt.

Les efforts volontaires qu'elle fait pour se lever et pour s'asseoir

ne sont pas encore couronnés de succès quoiqu'elle ne réclame

qu'un peu d'aide pour cela.

REMARQUES, - L'amélioration déjà obtenue dans ce cas jus-

tifie la valeur de l'opération. Si d'ici six mois on constate un

arrêt de développement, il sera nécessaire de répéter du côté

gauche la même opération. On a commencé à opérer du côté

droit à cause de l'usage apparemment limité du bras gauche.

Si l'on est arrivé de cette façon à des résultats brillants, on le

constate par la facilité avec laquelle l'enfant se sert aujour-

d'hui librement de ce membre.

La condition des microcéphales est si déplorable, que l'in-

tervention de la science, ne promettant même que l'ombre

du succès, me semble justifiée. Que leur vie soit grandement

compromise, je ne le crois pas. Sur 26 cas opérés par Lanne-

longue, un seul mourut de septicémie, directement dû à l'o-

350 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.

pération, et deux du croup, un mois ou deux après l'opéra-

tion. Il est possible, quoique peu probable, que les spasmes

laryngiens étaient d'origine méningitique. Les cas de mort,

tout compris, ne sont que de 12 p. 100.

Dans l'article cité de Keen, ce praticien rapporte 6 opérations

faites en Amérique, en excluant deux qui n'étaient pas réelle-

ment des opérations de craniotomie. Sur ce nombre, deux furent

fatales 1 provenant d'affection cardiaque et 1 d'anémie

aiguë. Je suis d'avis que la bande d'Esmarch servira grande-

ment à limiter la fatalité de l'une de ces sources, puisque la

plupart des hémorrhagies proviennent des vaisseaux divisés du

cuir chevelu. Les inspirations de Wyeth conseillant d'opérer

des deux côtés de la tête d'un seul coup, et de séparer de ce

fait forcément la voûte cranienne de la dure-mère située au-

dessous, ne se recommandent pas. Le choc et l'hémorrhagie

que ces deux opérations produisent, ne feraient sans doute

qu'augmenter le danger immédiat et l'agglomération intra-

crânienne du sang ajouterait au danger de l'infection.

§ VI. COMPTE RENDU D'UN cas DE CRANIOTOMIE linéaire

pour MICROCÉPHALIE; par le Dr J.-C. Mac CLINTOCK (de To-

peka). (Journal of nervous and mental diseases, octobre

1891, p. 645.)

Le Dr J.-C. Mac Clintock de Topeka, dans le Kansas Médical

Journal pour le mois d'août 1891, rapporte le cas suivant :

Hélène C..., âgée de trois ans et huit mois, ayant l'apparence

d'un enfant d'un an, est née avant terme (huit mois). La mère dit

que le travail fut rapide, naturel et facile, et qu'on n'eut recours

à l'emploi d'aucun instrument. Pendant les premières semaines,

elle paraissait comme les autres enfants, mais la fontanelle anté-

rieure se ferma de bonne heure, époque à partir de laquelle la

portion frontale du crâne ne se développa pas, et l'enfant parais-

sait idiote. L'effet général de la nutrition ne se produisait pas et la

force musculaire ne se développait pas. Elle pouvait à peine lever

les mains et les pieds, elle n'avait jamais pu se tenir assise, et sa

mère devait s'en occuper constamment et cela depuis sa naissance

jusqu'à l'époque actuelle.

La tête était très étroite, le front bas et la face portait une

absence complète d'intelligence. La profusion de la paupière droite

était sans doute due à l'effort que faisait le cerveau pour s'échap-

per de son enveloppe crânienne étroite, refoulant vers le bas le

plafond orbitaire.

L'enfant prit très bien le chloroforme, et l'opération, d'une façon

DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIÉ. ma

aseptique, fut accomplie le 28 mars 1891. On fit une incision par-

tant de c glabelle jusqu'à l'obélion », sur le cuir chevelu. Puis,

deux trous de trépan furent faits près de l'angle postéro-supérieur

de chaque os pariétal, un de chaque côté du sinus longitudinal;

partant de là, on fit une incision rejoignant le point situé immédia-

tement au-dessus des sourcils, avec l'instrument de Keen, d'un

quart de pouce, puis le sillon fut dirigé directement en dehors. On

pratiqua ensuite un autré sillon en dehors et en bas, et partant

des trous du trépan ; ce qui faisait ainsi deux languettes d'os que

l'on enleva du bout des doigts, introduits daus le trou du trépan, en

baissant et en soulevant, de sorte que le sillon d'un quart de pouce

eut la largeur d'un pouce entier de chaque côté, laissant un point

d'os de la moitié ou trois quarts de pouce de largeur sur le sinus

longitudinal. L'os était très épais; à un endroit du côté gauche, il

avait un quart ou un tiers de pouce d'épaisseur.

Il n'y eut pas d'hémorrhagie pendant l'opération, si ce n'est un

écoulement facile à arrêter par la compression. La dure-mère ne

fut pas ouverte. On fit des injections, on plaça des drains de catgut

de chaque côté, dépassant aux angles antérieur et postérieur de la

plaie, et l'on rapprocha les bords avec des sutures de catgut. On

n'employa pas d'antiseptiques. On fit coucher le malade et le len-

demain matin la température marquait 103 (39°,4). Le pouls était

très rapide. On changea le pansement et on enleva les drains de

catgut. Pendant quelques heures, la température resta normale, et

au bout d'une semaine, on enleva les pansements, qui avaient été

salis par la nourriture renversée sur eux. A cette époque, on

remarque une union parfaite sur toute la longueur de l'incision, et

deux jours après l'enfant sortait de l'hôpital.

La mère dit que, depuis qu'on a fait l'opération, l'enfant

repose mieux qu'avant, elle crie beaucoup moins et nécessite beau-

coup moins d'attention et de soins. Elle prend plaisir à étendre

ses membres, à exercer ses muscles, à soulever son corps, et lorsque

d'autres enfants l'approchent, elle se met à rire et essaie de les

attrapper pour jouer avec eux. La paralysie, si apparente avant

l'opération, a aujourd'hui presque complètement disparu, de sorte

que sa main gauche est presque aussi agile que là droite.

(Ce travail est accompagné de deux figures. Sur la figure 2, prise

deux mois après l'opération, on remarque un changement notable

chez l'enfant.)

§ VII. Trépanation pour microcéphalie ; par HAYEs

AGNEW. (University med. Magazine, oct. 1891.)

Rien ne démontre peut-être davantage l'enthousiasme de la chi-

rurgie moderne que les essais faits pour développer dans les cer-

veaux des idiots les fonctions intellectuelles.

352 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.

- Le tableau ci-dessous présente sept cas, quatre de garçons et trois

de filles, leur âge est de quatre ans sept mois, seize mois, cinq ans,

six ans et demi, dix-neuf mois, quatre ans et demi, et deux ans et

cinq mois; quatre sont morts et guérirent. Un des décès ne peut

être attribué à juste titre à l'opération, mais bien à une fièvre

scarlatine consécutive à celle-ci. Sur les trois cas qui ont guéri, le

résultat est le suivant : un est assez satisfaisant au point de vue de

l'amélioration ; un autre dans le temps est trop rapproché pour se.

prononcer, l'autre enfin est amélioré. S'il était vrai que dans ces

cas, il y avait un développement défectueux du cerveau et du crâne,

et que, en conséquence, le développement de l'encéphale était

comprimé par la résistance de son enveloppe osseuse, il y aurait

là, en théorie au moins, un motif plausible pour faire disparaître

cette résistance afin de permettre la croissance du cerveau.

Tel n.est cependant pas le cas. La réunion prématurée des su-

tures est tout à fait visible, et dans un des cas notés dans le tableau,

le cerveau ne remplissait pas complètement la cavité crânienne.

Trépanation pour microcéphalie.

DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE 1.'IDIOTIE. 353

Lannelongue rapporte vingt cas de trépanation pour des cas de

microcéphalie. La mortalité suivaut l'opération fut, il est vrai,

très basse, mais les termes dans lesquels on donne les résultats, à

savoir : amélioration générale, sont vraiment trop vagues pour la

logique même du fait.

Je ne crois donc pas que l'excision linéaire, ou craniectomie, pra-

tiquée sur le crâne, pour le développement du cerveau, doive deve-

nir un procédé établi de chirurgie. Quand nous considérons les

résultats merveilleux obtenus à l'HospicE de 131CÉTRE pour l'éduca-

tion des idiots et des enfants arriérés, et aussi dans des établisse-

ments similaires de notre pays, je crois qu'il serait beaucoup plus

sage de reléguer ces types infortunés de l'espèce humaine dans des

Ecoles spéciales d'éducation plutôt que de les livrer au trépan es

aux bistouris. Les seuls cas discutables seraient ceux d'athétose

dans lesquels on pourrait espérer quelque amélioration.

Les travaux qui précèdent nous paraissent prêter à quelques

considérations critiques.

I. Les chirurgiens qui ont pratiqué la craniectomie ne se

sont pas préoccupés sérieusement, avant d'intervenir, de savoir,

par un examen anatomique des crânes, si les sutures étaient

en réalité soudées chez les idiots plus tôt que chez les enfants

sains de même âge. Les uns se sont appuyés sur une opinion

émise autrefois par Virchow, non pas à propos de la généralité

des idiots, mais seulement au sujet d'un groupe, les microcé-

phales,,opinion qu'il a, croyons-nous, abandonnée depuis

longtemps. Les autres, quoique sachant cette opinion mal

fondée n'ont pas hésité à intervenir chirurgicalement. Enfin

presque tous, au lieu d'attendre un temps suffisant pour

apprécier exactement les résultats thérapeutiques obtenus par

M. Lannelongue, et tout en critiquant le chirurgien français

de sa publication hâtive (Keen), se sont empressés d'opérer et

de publier.

II. Quelques-uns de nos auteurs donnent sur l'état des

fontanelles des renseignements qui nous semblent sujets à

caution. Les parents n'apportent en général, aucune atten-

tion à l'occlusion des fontanelles, à l'époque où elle est com-

plète ; c'est là, soit dit en passant, une observation que les

médecins devraient leur conseiller. Interrogés, ils répondent

sans se douter de l'importance de ce qu'ils disent. Quelquefois

les parents, qui n'ont aucune notion anatomique, disent que

Archives, t. XXIV. 23

35'f THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.

la fontanelle antérieure était petite; qu'elle s'est fermée de

bonne heure. Mieux vaudrait une bonne description, d'après

un examen très minutieux, faite par le chirurgien. Et si nous

disons très minutieux, c'est que nous savons par expérience,

qu'il n'est pas toujours aisé, à travers le cuir chevelu, souvent

épais, de ne pas se tromper. Nous avons commis cette erreur

à l'occasion d'un idiot bien connu, le Pacha. Dans une pre-

mière publication nous avons indiqué que la fontanelle était

ossifiée. Or, à l'autopsie, elle persistait, au contraire, large et

longue. Nous devons dire, pour atténuer notre erreur, que

le cuir chevelu était dur, épais, et que la membrane qui fermait

la fontanelle était très résistante. Donc, il faut examiner les

fontanelles très minutieusement et à diverses reprises avant de

se prononcer.

Quant aux détails donnés sur les sutures, il est difficile qu'ils

soient exacts. Ce n'est pas avec le toucher, même le plus

délicat, que l'on peut constater l'ossification ou la non ossifi-

cation des sutures. Dans son cas, le Dr Ransohoff assure que

la suture sagittale se présentait comme une crête solide, dis-

tincte, avec un sillon bien net à droite. C'est là une disposi-

tion assez rare, mais qui ne correspond pas toujours à une

synostose complète. Wieth écrit : « L'ossification des os du

crâne était complète; il n'y avait pas de cartilage interosseux. »

L'incision limitée du cuir chevelu ou même les incisions

multiples n'autorisent pas des affirmations aussi nettes et,

pour décrire avec exactitude les sutures, il est indispensable

d'enlever le périoste.

En pratiquant au crâne une ouverture de tire-lire, leschi-

rurgiens se sont imaginés que les os a se détacheraient, se sou-

lèveraient » (Wieth) et que cette ouverture permettrait l'entier

développement du cerveau. Or il ne se produit aucun écarte-

ment ; dès le lendemain de l'opération, il se fait un travail de

réparation, tendant à combler la brèche. Même lès brèches

osseuses les plus longues ne peuvent être d'aucune utilité, en

supposant vraie l'hypothèse chirurgicale et les crânes des

idiots enseignent ce qu'il faut en penser, car le crâne reste

fermé, n'est pas rendu plus extensible; le cerveau ne parait

même pas avoir une tendance à faire hernie par la brèche,

retenu qu'il est par la dure-mère. Pour réaliser leur but, les

chirurgiens ne devraient pas se borner à une brèche longeant

la faux de la dure-mère, ils devraient réunir les extrémités de

DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 355

cette brèche par une brèche horizontale, passant au-dessus

des oreilles ; alors les os de la voûte tout à fait séparés par une

fontanelle artificielle circulaire ne gêneraient plus l'expansion

du cerveau. Il n'y aurait plus qu'à vaincre la résistance de la

dure-mère. Et c'est là un obstacle de minime importance pour

la chirurgie moderne !

III. La plupart des observations dont nous avons donné

la traduction laissent beaucoup à désirer. La description des

opérés avant l'intervention chirurgicale est toujours, en général,

trop sommaire. Plus sommaire encore est la description des ma-

lades après l'opération et toujours les renseignements sont pu-

bliés à nne époque si rapprochée qu'aucun jugement sérieux ne

peut être porté. Il est du devoir des chirurgiens de nous fournir

maintenant la suite, non plus opératoire mais thérapeutique,

de leurs observations, en nous indiquant également la nature

des soins médicaux et pédagogiques dont leurs craniectomisés

ont été l'objet. Ce qu'il importe d'avoir, ce n'est pas des opi-

nions maternelles, mais des opinions réellement scientifiques.

Il conviendrait aussi de nous donner les mensuralions de la

tête que l'on pourrait mettre en regard des mensurations prises

avant l'opération et comparer avec les mensurations d'enfants

sains et leurs différences durant le même temps. Le jour où

les chirurgiens nous fourniront ces documents nous pourrons

voir si leurs idiots craniectomisés présentent un développement

de la tête plus rapide que celui des idiots soumis à un traite-

ment médico-pédagogique convenable et méthodique. Cet exa-

men sera d'autant plus facile pour nous que depuis plus d'une

douzaine d'années nous'avons noté tous les ans ou tous les

six mois les changements de volume de la tête de nos malades.

IV. D'une façon générale, aussi bien à l'étranger qu'en

France, les chirurgiens nous paraissent peu au courant des

connaissances médicales sur les différentes formes d'idiotie et

sur leur traitement. « L'état de ces malades est si déplorable,

écrit M. Wieth, que l'on peut bien risquer de faire intervenir

le chirurgien dans une opération qui peut offrir une certaine

espérance d'amélioration. » Et M. Keen, voulant atténuer

l'importance de ses décès ne craint pas d'écrire ceci : « Quant

à moi, je suis d'avis que c'est là une chose plutôt heureuse,

car s'il n'est pas possible de secourir de tels enfants, il vaut

mieux pour eux la mort qu'une existence aussi misérable. >

356 BIBLIOGRAPHIE.

C'est là sans doute une pensée chirurgicale « fin de siècle ».

Nous la répudions. Les médecins, nous a-t-on enseigné, ont

pour mission de guérir, d'améliorer ou de soulager les malades

qui leur sont confiés,~et non de remplir les fonctions d'exécu-

teur des hautes-oeuvres. Qu'au point de vue social, une loi

ordonne la mort des idiots, cela n'est pas notre affaire; nous,

médecins, nous céderons la place à M. de Paris.

Mais, cette loi n'existe pas ; les médecins conformément aux

principes qui leur ont été enseignés, ont cherché à améliorer

la situation physique, intellectuelle et morale des arriérés, des

imbéciles et des idiots. Et ils y sont parvenus. Que MM. les chi-

rurgiens visitent les asiles consacrés aux Etats-Unis, en Angle-

terre, etc., au traitement et à l'éducation de ces malheureux;

qu'ils lisent les travaux publiés sur cette partie de la pathologie

et ils se convaincront que leur intervention n'est pas justifiée

dans l'immense majorité des cas.

(A suivre.) BOURNEVILLE.

BIBLIOGRAPHIE

VIII. De l'oblitération des sutures du crâne chez les idiots; par le

Dr Ernest Tnct2osr. Th. Paris, 1892, aux bureaux du Progrès

médical.

Ce travail, entrepris sous la direction du or Bourneville, et basé

sur l'examen des nombreux crânes d'idiots du musée de Bicêtre,

arrive à son heure pour rappeler un peu aux partisans de la crâniec-

tomie les notions exactes sur cette question, notions qu'ils parais-

sent, on le croirait du moins, ignorer. Pour pratiquer cette opéra-

tion ils se basent en elfet sur une théorie de Virchow, qui n'était

d'ailleurs applicable qu'à certains cas, et à laquelle l'auteur lui-

même a renoncé. Des photographies de crânes, dont l'un est

cràniectomisé, montrent bien ce qu'il faut penser de cette oblité-

ration prématurée des sutures comme cause d'idiotie. L'auteur

aurait pu y joindre les cerveaux contenus dans ces crânes pour

nous faire constater les anomalies de développement congénitales

et les lésions qu'ils présentent, et que, malgré tous ses mérites, la

crâniectomie sera toujours impuissante à corriger.

Des examens pratiqués par l'auteur et dont il nous donne un

tableau synoptique très détaillé, on arrive à ces conclusions, que

. bibliographie. 357

l'oblitération des sutures du crâne ne se fait pas plus prématuré-

ment chez les idiots que chez les sujets sains; que l'arrêt de déve-

loppement du cerveau n'est, en aucun des cas observés, la consé-

quence d'un arrêt de développement de la boile osseuse; que la

synostose ne se montre pas plus tôt sur la sagittale que sur la

coronale et que le plus souvent la synostose commence par le

quart inférieur de la coronale alors que l'obélion est libre.

Le fait même que des idiots craniectomisés sont venus se faire

traiter à Bicêtre démontre mieux que toutes les théories l'inanité

de la crâniectomie. La seule chance d'amélioration réside dans un

traitement médico-pédagogique raisonné. P. S.

IX. Un mot' sur Laënnec ; par Fr. Gueumonprez, Lille, Le Quarré,

1892.

Cette brochure est une apologie justifiée de Laënnec comme

professeur de clinique. L'auteur y publie deux lettres du savant

médecin où il prouve combien il appréciait les lourdes responsa-

bilités incombrant au professoral. « Laënnec, dit Henri Roger, est,

avec Dupoytren, son émule, un des fondateurs de l'anatomie palho-

' logique en France. » M. Guermollprez plésente ensuite les dilférentes

façons dont a été jugé Laënnec, notamment par MM. Cornil,

Bouillaud, Charcot qui, souvent, dans ses Leçons, a cité Laënnec

comme un grand observateur, et Chauffard. L'auleur termine enfin

cetle brochure par une série d'intéressantes citations toutes en

l'honneur de ce Breton qui restera une des gloires médicales de la

France. Ajoutons que cette notice est accompagnée de gravures

représentant la statue de Laënnec par Lequesne, des portraits de

Dupuytren, Bouillaud, Charcot et Chauffard et la production du

buste de Laënnec de M. Maillard exposé au salon de Paris de cette

année. ALBIN. Rousselet.

X. Les troubles de la mémoire; par le Dr Paul SOLLIER. (Bibliothèque

médicale Ciiarcot-Dedove. Paris, 1892, J. Rueff et Cie, édit.)

L'auteur s'est efforcé de faire une étude médico-psychologique,

d'indiquer ce qu'on sait ou croil savoir des amnésies, et plus

encore peut-être tout ce qui reste à en connaître, de donner enfin

un guide aussi pratique que possible aux observateurs dans l'exa-

men des amnésiques.

Le livre est divisé en deux parties, dont l'une, la première, est

consacrée à l'amnésie en général, sa définition, son mécanisme,

ses variétés ; et dont l'autre, la seconde, traite des diverses amné-

sies, progressives, à débuts brusques, et du rôle enfin que peut

jouer l'amnésie au cours de plusieurs entités morbides.

M. Sollier a eu pour objectif de donner aux philosophes les indi-

cations nécessaires pour étudier les maladies de la mémoire au

358 bibliographie.

point de vue médical, et de donner aux médecins les notions psy-

chologiquesindispensables pour les examiner cemplèlement. Aussi,

dans l'état actuel de cette question si complexe, devons-nous le

féliciter hautement, et de la manière dont il a posé le problème,

et surtout de la façon brillante dont il l'a résolu, en dépit des diffi-

cultés de tout ordre.

L'exposé psychologique des données que nous possédons sur la

mémoire normale, par laquelle il débute, va servirdebase aux divi-

sions et aux considérations uttétieures, aussi l'auteur ne craint-il

pas d'insister, et de compléter les démonstratious des hypothèses

qu'il propose à l'aide de schémas explicatifs, qui permettent de

suivre les descriptions, quelle qu'en soit la complexité appa-

rente.

En ce qui concerne le mécanisme des amnésies, M. Sollier expose.

successivement quelle est, à son avis, celui de l'amnésie simple, de

l'amnésie rétrograde, et de l'amnésie antérograde, en ayant soin,

chaque fois qu'il s'aventure dans le domaine de l'hypothèse de pré-

venir le lecteur des réserves qui conviennent. '

Il s'autorise des conceptions qui lui semblent les plus acceptables,

pour, après avoir soumis à une analyse critique les diverses classi-

fications qui ont déjà été proposées, notamment par MM. Ribot,

Legrand du Saule, Kussmaul, Rouillard, justifier l'ordre nouveau

dans lequel il les exposera à son tour. Ce seront d'abord les amné-

sies générales, puis les amnésies partielles; et, dans chacun de ces

grands groupes, il distingue, selon que les amnésies sont systéma-

tisées, ou non. Dans les amnésies générales systématisées, il recon-

naît l'amnésie simple, rétrograde, antérograde, la paramnésie de

localisation, de certitude et la dysmnésie organico-fonctionnelle.

Mais avant que d'entrer dans l'étude de chacun des groupes en

particulier, il indique la technique en quelque sorte, à laquelle il

sera bon de se soumettre pour l'examen des amnésiques.

Dans cette seconde partie du livre règne une distinction capitale,

entre les amnésies organiques de la paralysie générale, du satur-

nisme, de l'alcoolisme, etc., et les amnésies fonctionnelles de l'épi-

lepsie, de l'hystérie, etc. Chaque cas particulier est étudié aux di-

vers points de vue de sa production, de son rôle symptomatique, de

son diagnostic, de sa valeur séméiologique tant au point de vue

clinique pur, qu'au point de vue médico-légal.

Certes un livre aussi touffu, et aussi riche d'idées originales,

prêterait à de nombreuses discussions, et c'est là, à notre avis,

encore un de ses mérites que d'inciter à la controverse ; nous pré-

. ferons, toutefois, nous borner dire tout le bien que nous pensons

de cet excellent ouvrage, qui nous semble appelé à rendre les plus

signalés services, tant aux philosophes qu'aux médecins. ,

Paul BLOC(j.

bibliographie. 359

XI. Leçons sur les maladies de la moelle ; par le Dl' Pierre Marie.

Paris, 1892, G. Masson, éditeur.

Les lecteurs des Archives de Neurologie connaissent de longue

date la personnalité scientifique de M. Pierre Marie, et en des

termes tels, qu'il serait presque superflu d'insister auprès d'eux sur

la valeur de l'excellent ouvrage que nous lui devons. Aussi bien,

nous suffirait-il d'indiquer ici l'esprit général dans lequel il a été

conçu, et les principales matières qui y sont traitées. L'auteur étu-

die avec un soin particulier l'étiologie et fait une place prépondé-

rante à l'influence qu'acquerraient à cet égard, les maladies infec-

tieuses dans la pathogénie d'un grand nombre de myélopathies qui

jusqu'alors paraissaient reconnaître pour origine l'hérédité névro-

pathique.

Aussi, sent-on, en toute occasion, cette préoccupation de M. Marie

de faire aux microbes la part qui doit leur revenir, à son avis,

dans la genèse de diverses affections, où leur rôle ne semblait pas

évident jusqu'à présent et de prévoir même que ce rôle ne peut

manquer d'acquérir dans le domaine neuropathologique une im-

portance proportionnée à celui qu'ils jouent en pathologie géné-

rale. Pour opposée que soit cette manière de voir avec la doctrine

de l'influence héréditaire qu'a tant contribué à établir M. le pro-

fesseur Charcot, qu'il n'est excessif de prétendre qu'on la lui doit

' toute, elle n'en est pas moins séduisante, au premier abord, par

son originalité, et, après la lecture des leçons de M. Marie, par l'in-

génieuse logique des arguments dont il se prévaut.

Nous ne saurions nous aventurer sur le terrain de cette grande

discussion doctrinale, et, aussi bien, nous aurons assez à faire que

d'exposer le contenu seul de ce volume. La plus grande partie en

est consacrée d'une part à l'étude des dégénérations secondaires de

la moelle, d'autre part à celle du tabès dorsal. Les autres leçons

traitent du tabes dorsal spasmodique, de la paralysie infantile, de

la sclérose en plaques, de la maladie de F1'Íed1'eich, des scléroses

combinées, et de la sclérose latérale amyotrophique, en somme de

presque toute la pathologie spinale. Parmi les dégénérations descen-

dantes, l'auteur distingue celles qui sont consécutives aux lésions

du cerveau et celles qui sont entraînées par des altérations de la

moelle elle-même. En deux cas, les lésions des faisceaux pyrami-

daux dominent, mais, lors de lésions de la moelle, il existe, en

outre, des dégénérations moins bien connues, portant sur les par-

ties intra-pyramidales des faisceaux médullaires : dégénération du

faisceau en virgule de Schültze, dans les cordons postérieurs, dégé-

nération du faisceau intermédiaire du cordon latéral, et d'un fas-

cicule auquel M. Marie propose le nom de faisceau sulco-murginal

descendant, dans les cordons antéro-latéraux. Les dégénérations

ascendantes sont étudiées avec le même soin, et la même clarté,

360 BIBLIOGRAPHIE.

dans les deux circonstances où elle se présentent : soit à la suite

d'altérations du neuraxe, soit après des lésions des racines posté-

rieures. M. Marie justifie pleinement les longs développements où

il entre à cet égard, par l'intérêt qui s'attache à la constitution de

ces racines, des lésions desquelles dépend une grosse partie de la

pathologie médullaire.

Encore qu'il soit original d'un bout à l'autre, nous devons nous

borner à signaler le chapitre qui a trait aux dégénérations des

nerfs et de la moelle consécutives à une amputation des membres.

M. Marie ne considère comme tabes spasmodique vrai que celle

des variétés de ce groupe morbide, qui survient dans l'enfance, en

raison d'un vice de développement des cordons pyramidaux, et il

en donne une description complète. Il étudie ensuite la sclérose en

plaques dont l'origne infectieuse ne lui parait pas pouvoir être

mise en doute et à l'anatomie-pathologique et à la symptomatolo-

gie de laquelle il fait néanmoins une large place.

Puis vient l'étude du tabes dorsal, véritable monographie de

l'alaxie locomotrice progressive, qui n'occupe pas moins de seize

leçons sur trente-huit dont se compose le livre. C'est dire avec

quel luxe, luxe qui n'exclut pas la recherche, est exposée cette im-

portante myélopathie; clinique et anatomie-pathologique ont

également bénéficié de l'attention compétente et critique qu'a con-

sacrée M. Marie à tracer de la maladie de Duchenne un tableau

aussi complet que bien ordonné. Les diverses théories qui préten-

dent expliquer la nature de l'affection sont soumises à une discus-

sion approfondie, en même temps que M. Marie s'applique à dé-

montrer que le tabes résulte d'une altération primitive des cellules

ganglionnaires périphériques et des ganglions spinaux dont le

primum movens est la toxine d'origine syphilitique soupçonnée par

Strumpell.

L'auteur ne manque pas à l'occasion de la maladie de Friedriech

qui prend les deux chapitres suivants, de donner son avis motivé

sur « l'opinion erronée mise récemment en circulation » par cer-

tains auteurs sur la nature purement neurologique de la sclérose

spinale dans l'ataxie héréditaire.

Il propose une classification nouvelle des scléroses combinées, et,

dans d'intéressantes remarques sur la circulation de la moelle, il

trouve la démonstration de l'opinion qu'il professe sur l'origine

vasculaire de ces scléroses. L'étude de la paralysie infantile permet

ensuite à M. Marie de revenir en l'étayant sur de nouveaux argu-

ments, sur une conception qu'il a déjà formulée et tendant à iden-

tifier cette maladie avec l'hémiplégie cérébrale infantile. L'histoire

de la sclérose latérale amyotrophique termine le volume : nous y

noterons la part que l'auteur accorde aux troubles psychiques dans

cette maladie, ainsi que le rôle prodromique que pourrait parfois

y jouer la neurasthénie.

VARIA. 361

La lecture de ce magnifique ouvrage, que facilite encore la pré-

sence de nombreuses figures, est rendue agréable par un style

aisé en même temps que précis aussi, tant à ce point de vue,

qu'à celui de la méthode anatomo-clinique employée, les leçons de

M. Pierre Marie, offrent-elles un air de parenté qui ne manque pas

de frapper. Il y a là un témoignage que nous aimons à relever,

en faveur d'une hérédité scientifique, qui fait également honneur à

l'élève et au maitre. Paul BLOCQ.

VARIA.

LES Femmes médecins ET LES Asiles d'aliénés DE l'État.

On annonce que la commission civile de l'Etat de New-York fera

passer un examen aux dames canditates, pour l'emploi de méde-

oins dans les asiles d'aliénés de l'Etat, au Capitole, à Albany, le

H juin. Les canditates doivent résider daus l'Etat, et avoir fait un

stage d'une année dans un hôpital ou avoir exercé pendant trois

ans (The New-York Med. Journ., 30 mai 1891). Bien qu'il s'agisse là

d'un fait un peu ancien, nous le reproduisons par ce qu'il fournit

un renseignement intéressant.

La situation DES médecins d'asiles A la NOUVELLE-ZÉLANDE.

Il y a dix ans, la législature de la Nouvelle-Zélande décida que

les asiles de cette colonie seraient dirigés par des médecins direc-

teurs qui auraient, avant leur nomination à cette fonction, acquis

l'expérience et les connaissances nécessaires dans les asiles.

Je propose de discuter celte motion, en vous recommandant de

confirmer cette décision, et de protester à l'avenir contre la nomi-

nation de tout médecin qui, désigné pour occuper la place de

directeur d'un des asiles de la Nouvelle-Zélande, n'aurait pas au

préalable acquis les connaissances voulues pendant son stage de

médecin dans quelque grand asile. En outre, comme il est impossible

qu'un directeur fasse la besogne, sans l'aide de médecins adjoints,

je demande de mettre dans le rapport que chacun des trois grands

asilesde cette colonie (Dunedin, plus de 500 malades; Anckland, près

de 400 ; Christehurch, près de 400), soit pourvu d'un médecin adjoint t

au moins, afin que les malades ne restent jamais sans médecin, et

afin de stimuler en même temps le zèle des médecins,

362 FAITS DIVERS.

Dans l'intérêt des malades ces places seraient permanentes. Vous

imaginez-vous les commissaires anglais ordonnant au médecin

directeur de Colney-Hatch de se rendre à l'asile de West-Riding ! ! !

Les médecins directeurs ont droit à la courtoisie et ne doivent

pas courir la colonie comme un constable de police.

Je vous demande également d'insister auprès du Gouvernement

pour qu'il accorde l'autorisation de pratiquer les autopsies, à moins

d'une opposition de la famille. Le secrétaire colonial sera chargé

de demander au Parlement la levée de cet interdit.

Le Dr Morton Manning (Rapport sur les asiles d'aliénés) dit que

les règlements arrêtés par le gouvernement prescrivent aux direc-

teurs une conduite libérale. Dans la Nouvelle-Zélande, quelles

règles existe-t-il au delà de celles d'un agent civil ordinaire ? Les

appointements seraient égaux aux revenus obtenus par les médecins

qui occupent un bon rang dont le district, et les vacances accordées

seraient au moins de six semaines chaque année.

Au sujet d'un médecin adjoint supplémentaire, le D'' Kirkbude

dit : « Quand le nombre des malades s'élèvera à 250, surtout s'il y

a dans une forte proportion des cas récents, on demandera deux

médecins-adjoints. »

Le Dr Arlidge dit à propos du même sujet : « On demande un

médecin adjoint pour 300 ou 350 maladies chroniques, mais pour

des cas récents et chronique tout à la fois (comme dans la Nouvelle-

Zélande, on demande pour chaque catégorie un adjoint pour un

nombre atteignant de 150 à 200 malades. » The Satellite of thc

Annual of the Universal med. Sciences, du Dr Ch.-E. Sajous, 1890,

nov., p. 42.) .

FAITS DIVERS.

Asiles d'aliénés. Nominations et mutations. M. le Dr Bno-

QUÈIRE, médecin-adjoint à l'asile de Bassens, a été nommé au même

emploi à l'asile de Bracqueville (arrêté du 19 juillet). M. le Dr

Colin, médecin-ajoint à l'asile Sainte-Gemmes, est nommé au même

emploi à l'asile de Lafond (Charente-Inférieure), (arrêté du

13 août 1892). -M. le Dr TOULOUSE est nommé médecin-adjoint à

l'asile Sainte-Gemmes (arrêté du 17 juillet). M. le Dr Pnnnr est

nommé médecin-adjoint à l'asile de Bassens.

BELGIQUE. La Chambre des représentants vient d'adopter il

l'unanimité le projet de loi sur l'hypnotisme, modifié par le Sénat

au mois de décembre dernier (Semaine médicale).

FAITS DIVERS. 363

Distinctions honorifiques. M. le professeur J. M. CaencoT a

été récemment nommé grand' croix de l'ordre de la Couronne de

Roumanie. Notre collaborateur et ami, M. Gilles DE la Tour-

nETTE, ancien chef de clinique de M. le professeur Charcot, vient

d'être nommé officier d'Académie.

Faculté DE médecine DE PARIS, - Clinique de pathologie mentale

et des maladies de l'encéphale. M. Gilbert Ballet, agrégé, a été

chargé du cours, de clinique de pathologie mentale et des mala-

dies de l'encéphale, pendant le semestre d'été.

Faculté DE médecine DE TOULOUSE. M. le Dr RhMOND, agrégé,

est chargé, pendant l'année scolaire 1892-93, d'un cours des

maladies mentales.

Faculté DE médecine DE Berne. il. le Dr W. VON SPEYR, docent

de psychiatrie, est nommé professeur extraordinaire.

Faculté DE médecine DE BERLIN. M. le Dr SIEMERLING, privât

docent de psychiatrie, est nommé professeur extraordinaire.

Faculté DE MÉDECINE de Halle. M. le Dr WOLLENBERG est

nommé privat docent de psychiatrie et de neurologie.

Faculté DE médecine DE \VURZ(iOUEG. - M. le Dr Sommer est

nommé privat docent de psycliiatrie.

JEFFERSON MEDICAL COLLÈGE DE PHILADELPHIE. M. le Dr F. X.

DERCUM est nommé professeur de pathologie nerveuse.

NEw-Yon6 POLICLINIC. M. le Dr HERTER est nommé lecteur

d'anatomie et de pathologie du système nerveux.

LES aliénés de la Seine. Le Conseil général de la Seine a dis-

cuté récemment le rapport présenté par M. Deschamps, au nom

de la 3° commission, sur un projet de placement familial de cer-

taines catégories de malades internés dans les asiles de la Seine.

M. le rapporteur a exposé l'économie du projet et fait ressortir les

expériences concluantes, à son avis, faites à l'étranger, notamment

en Belgique, dans la colonie familiale de Gheel, ville de 12,000 âmes,

où les aliénés, au nombre de 1,800, sont disséminés dans les familles

du pays. Après une discussion à laquelle ont pris part MM. Ileppen-

heimer, Rousselle, le directeur des affaires départementales,

Levraud, Piperaud, G. Berry, Cattiaux, le préfet de la Seine et

Deville, les conclusions du rapport de M. Deschamps invitant l'ad-

ministration à établir à Dun-sur-Auron (Cher) une première

colonie familiale de cent déments séniles exclusivement choisis

parmi les inoffensifs ont été adoptées. Un crédit de 75,625 francs

est mis à cet effet à la disposition de, l'administration (Prog. méd.)

Nos lecteurs ont vu au compte rendu du Congrès de Blois la

discussion de cette affaire.

364 FAITS DIVERS.

Hospitalisation DES enfants IDIOTS ET ÉPILEPTIQUES. Sur la

proposition de M. Régis, la Société de médecine et de chirurgie de

Bordeaux a adopté, à l'unanimité le voeu suivant, qui a été adressé

au préfet de la Gironde. Il est ainsi conçu :

« La Société de médecine et de chirurgie de Bordeaux, sur la pro-

position de M. Régis, émet le voeu :

c il Que l'hospitalisation des enfants idiots, arriérés et épilepti-

ques, destinée à être imposée aux départements par la future loi

sur les aliénés, soit organisée dès maintenant dans la Gironde, en

raison de son urgente nécessité;

sexes, comprenant tous les éléments hygiéniques et pédagogiques

usités dans le traitement et l'éducation de ces malades, soit annexé

à bref délai à l'un des établissements hospitaliers de Bordeaux : -.

hôpital Saint-André, hôpital des Enfants ou asile des aliénés de

Picon. » (Bull. méd.). Comme on le voit, la réforme défendue

depuis longtemps avec tant de persistance par noire rédacteur en

chef fait chaque jour des progrès. Nos félicitations à M. Régis et à

la Société de médecine de Bordeaux.

Prix (3AILLARGER. Par décret en date du 11 août 1892, le secré-

taire perpétuel de l'Académie de médecine est autorisé à accepter,

au nom de cet établissement, aux clauses et conditions imposées,

le legs fait par le Dr Baillarger, consistant dans la somme néces-

saire pour acheter une inscription de rente de 1.000 fr. en 3 p. 100.

Cetle rente servira à fonder un prix bisannuel de 2.000 francs

qui sera décerné à l'auteur du meilleur travail sur la thérapeu-

tique des maladies mentales et sur l'organisation des asilespublics

et privés consacrés aux aliénés.

Société D'HYPNOLOGIE. -Dans la prochaine séance de la Société

'd'hypnolonie et de psychologie, qui aura lieu aujourd'hui il juillet,

'sous la présidence de M. Dumontpallier, à 4 heures et demie. Salon

des Sociétés savantes, on pourra s'occuper d'un curieux cas de folie.

Le 10 mai dernier, un sieur L..., qui avait été chargé par son

patron d'aller encaisser, boulevard Henri IV, une somme de

7,000 francs, disparaissait et, malgré les recherches les plus actives,

on n'avait pu retrouver ses traces. On avait cru qu'il avait été vic-

time d'un guet-apens, il n'en était rien. Voici ce qui était arrivé.

Après avoir encaissé les 7,000 francs, L... avait pris le train à la

gare Saint-Lazare et s'était rendu au Havre. Arrivé dans cette ville,

il était devenu subitement fou, et comme on n'avait trouvé sur lui

aucun papier établissant son identité, il avait été interné dans une

maison sous la mention : « Inconnu. »

Les soins qui lui furent prodigués lui ayant rendu la raison, il

obtint bientôt son « exeat » et il revint à Paris.

Hier soir, il s'est présenté chez M. Evrard, commissaire de police,

FAITS DIVERS. 365

pour se constituer prisonnier. Son patron a été prévenu, mais

ayant retrouvé sur L... les 7,000 francs, moins les frais du voyage,

il s'est désisté de sa plainte contre son employé. Que pense le

Dr Bérillon de ce malade singulier ? (Matin, il juillet 1892.)

Monument A DucHENNE (DE BOULOGNE). - Le conseil général de la

Seine a volé une somme de 200 francs pour contribuer à l'érec-

tion d'un monument à Duchenne (de Boulogne), à la Salpêtrière,

Le syndicat de la presse médicale, sur la proposition de M. le

Dr Joffroy a également contribué à cette oeuvre. Nous transmet-

trons à M. le Dr Joffroy les souscriptions que l'on voudra bien nous

envoyer.

La température ACTUELLE.-Nous venons de traverser une période

de chaleurs exceptionnelles. Les cas d'insolation, tant à Paris qu'en

province, ont été nombreux. Dans la journée du 19 août, une des

plus chaudes, on a relevé à Paris un certain nombre de cas graves.

C'est ainsi que : M. X..., terrassier à la compagnie de l'Ouest, pris

subitement de folie sur la voie, par suite d'insolation, s'est enfui

chez lui où on l'a trouvé dévorant ses souliers; le malheureux a été

transporté à l'infirmerie spéciale de la compagnie.

Mme W..., se promenant à Clichy, a été prise tout à coup d'une

fièvre chaude occasionnée par le soleil et s'est jetée à l'eau.

M. C..., qui péchait à la ligne sur le quai Michelet, à Levallois,

a été également pris de folie furieuse et s'est jeté dans la Seine.

Enfin, M. T..., employé au Jardin d'Acclimation, a succombé vers

dix heures, à une congestion déterminée par un coup d'insola-

tion.

Exercice illégal DE la médecine ; LE magnétisme. La Cour

d'appel de Lyon vient de décider que la loi de ventôse, relative à

l'exercice de la médecine, s'applique à tous ceux qui attirent à eux

des malades, en leur faisant concevoir l'espérance d'une guérison ;

elle ne subordonne, d'ailleurs, l'existence de la contravention

qu'elle entend réprimer, ni au mode de traitement employé, ni à

l'administration d'aucun médicament; ces dispositions s'étendent

manifestement à la pratique de tous les procédés prétendus cura-

tifs (magnétisme, hypnotisme, etc...), alors même qu'ils n'auraient

eu d'autre effet que d'agir sur l'imagination des malades.

Cette décision a été prise à propos d'un M. P... qui attirait chez

lui des malades, qu'il soumettait, sous prétexte de traitement

magnétique, à des pratiques étranges, mais sans administration de

médicaments, ce qui lui permettait de prétendre qu'il n'exerçait

pas la médecine. L'une de ses clientes, la femme N..., est devenue

folle à la suite des passes qu'il lui a fait subir et des propos qu'il

lui a tenus.

La Cour n'a pas admis le bizarre système de défense du

366 FAITS DIVERS.

sieur P..., et l'a condamné, bien qu'il ait eu la précaution de se cou-

vrir de la collaboration d'un docteur en médecine pour légitimer ses

pratiques « magnétiques ».

Nous manquons de place pour donner ici les considérants de cet

intéressant jugement. Quoi qu'il en soit d'après lui, il résulte que

le traitement magnétique (on peut ajouter : l'hypnotisme) cons-

titue, de la part d'une personne non diplômée, une infraction à la

loi sur l'exercice de la médecine. C'est, d'ailleurs, la troisième fois

que P... est condamné pour le même fait; il l'avait été déjà

en 1887 et 1890.

Un singulier médecin. Le tribunal de Cassel vient de condam-

ner M. le Dr Wiederhold, directeur d'une maison de santé pour

maladies nerveuses à Wilhelmshôhe, à trois mois de prison, pour

avoir maltraité violemment et à plusieurs reprises une de ses pen-

sionnaires, sous prétexte que la correction physique était un bon

moyen de traitement contre l'hystérie. Ce médecin a sans doute

voulu rivaliser avec certains chirurgiens américains heureuse-

ment rares qui excusent leurs décès dans les cas de craniecto-

mie, en laissant entendre qu'ils débarrassent la Société (p. 345,

349). (B.)

Le SPECTRE du choléra. De Constantinople au Petit Parisien :

« Une frayeur terrible s'empare du Sultan toutes les fois que

le choléra éclate dans quelque pays limitrophe de ses Etats.

« C'est grâce à cette terreur et aux mesures extraordinaires

qu'il prend dansson empire, dès l'apparition de cette épidémie que

Constantinople a été préservé jusqu'ici de ce terrible mal.

c 11 est donc bien facile de comprendre l'émotion qui s'est empa-

rée de tout le monde au palais du Yildiz, résidence du sultan,

lorsque hier matin, Abdul-Hamid a fait appelerau palaisle Scheikh

Ul-Islam, chef du culte musulman, pour lui ordonner de faire des

prières dans les mosquées, afin' que le prophète préservât l'empire

et le Sultan de ce redoutable fléau.

« En faisant cette prière au Scheikh-Ul-Islam, le sultan tout

ému et pâle, lui dit qu'il avait « vu » pendant la nuit le choléra.

z Je l'ai vu, ajoutait-il, de mes propres yeux vu ! »

« Voici ce qu'on raconte à ce sujet. Le Sultan, qui travaille assez

tard dans. son cabinet, s'élant rendu à une heure après minuit à

son harem, a vu un être enveloppé de blanc, couvert d'un suaire

errer dans le couloir. Il s'arrêta et croyant que c'était quelque

servante du harem, lui donna l'ordre de s'approcher. Mais le fan-

tôme, à l'ébahissement du Sultan, continua sa marche errante et

disparut au détour d'un couloir.

« Les eunuques coururent alors pour retrouver le fantôme, mais

ils ne trouvèrent personne. L'apparition, comme tout vrai fantôme,

s'était évanouie subitement.

FAITS DIVERS. 367 Î

« Or, le revenant n'était autre qu'une odalisque somnambule qui

se promenait, comme elle a l'habitude de le faire, dans le couloir

au bout duquel se trouve sa chambre, où elle était rentrée sans

bruit pour regagner son lit.

« Comme personne n'a osé donner le mot de l'énigme au Sultan,

afin de ne pas provoquer un ordre désastreux pour la malheu-

reuse odalisque, le Sultan croit toujours avoir vu le sceptre du

choléra, et cela lui fait une peur atroce.

« L'odalisque somnambule a été renvoyée immédiatement de

Yildiz dans un autre palais, pour que ses excursions nocturnes

n'aient plus à l'avenir des résultats aussi fâcheux. a (Eclair, 41 juil-

let 1892.)

Le soleil ET la lune. Un pauvre diable de marchand des

quatre saisons, pris de folie, tirait son pantalon hier, au beau

milieu du parc Saint-Cloud, se le roulait autour du cou en guise de

cravate et se promenait au travers des groupes en criant à tue-

tête : « Qui veut voir la lune ? Qui veut voir le soleil ? »

Il fut malmené assez rudement par deux ou trois pères de

famille, puis en fin de compte conduit au commissariat, d'où il a

été dirigé sur l'infirmerie de Versailles. (Eclair, 28 juin 1892.)

Suicide d'un adolescent. Un jeune homme de quatorze à

quinze ans, nommé Delahaye, entré comme apprenti au service

de M. Hartmann, boulanger à Gaillon, s'est donné la mort dans

la soirée du 27 janvier. Il avait, dit-on, reçu des reproches de son

patron et s'en montra affecté et courroucé. Il monta à sa chambre,

emprunta un fusil de chasse à un camarade, s'assit sur son lit, se

mit le canon du fusil dans la bouche et fit partir la détente avec

son pied; c'est du moins ainsi que le drame a pu être reconstitué

d'après la situation du cadavre et la direction du projectile, dont

la trace avec les débris de cervelle se voyait au plafond. (la Vallée

de l'Eure, 4 févr.)

Folie alcoolique. Un homme grièvement blessé se présentait

au poste de l'Opéra : Arrêtez-moi, dit-il, je viens de tuer ma

femme..., son cadavre est chez moi, rue Houdon, à Montmartre...

Après l'avoir assassinée, j'ai voulu me suicider, je me suis frappé à

la gorge d'un coup de couteau, je viens me constituer prisonnier.

On arrêta immédiatement le pseudo-assassin, qui prétendit se

nommer Jules H..., pendant que des gardiens de la paix se ren-

daient dare-dare à la maison du crime >.

Grand fut leur étonnement en trouvant la victime en excellent

état de santé. Elle raconta aux agents que, dans un moment d'accès

alcoolique, son mari avait voulu se tuer et s'était enfui aussitôt.

H... a été envoyé à l'hôpital Beaujon dans un piteux état. (Lan-

terne, 2 juillet 1892.) Georges Guiron et J.-B. CHARCOT.

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

BOURNEVILLE. - Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie,

l'hystérie et l'idiotie. Compte rendu du service des enfants idiots épilep-

tiques et arriérés de Bicêtre pendant l'année 1890, avec la collaboration

de MM. C.4MESCASSE, ISCH-WALL, 111ORAX, RAOULT, SÉGLAS et SOLLIER,

1 fort volume de Lx-240 pages, avec 16 figures et 10 planches.- Prix :

6 fr.; pour nos abonnés, prix : 4 fr.

BounNEViLLE. Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'hystérie

et l'idiotie. Compte rendu du service des enfants idiots, épileptiques et

arriérés de Bicêtre pendant l'année 1891, avec la collaboration de

MM. BANZET, ISCH-WALL, RAOULT, Il. SOREL et P. SOLL1ER. Volume in-8°

de cvtn-144 pages, avec 2 planches et 13 figures. Prix : 5 fr. pour

nos abonnés, 3 fr. 50.

CHARCOT (J.-M.). Leçons du mardi à la Salpétrière. Notes de cours de

MM. BLIN, CHARCOT et Colin, Seconde édition, 1 vol. in-4° de 502 pages,

avec 101 figures. Prix : 20 fr. Paris, 1892. - Aux bureaux du

Progrès médical. Pour les abonnés des Archives, 16 fr.

CHARCOT (J.-M.). Clinique des maladies du système nerveux de la

Salpêtrière. Leçons du professeur, mémoires, notes et observations des

années scolaires 1889-90 et 1890-91, publiés sous la direction de Georges

GUINON, chef de clinique, avec la collaboration de MM. Gilles DE la

TOURETTE, BLOCQ, HUET, PAR31ENTIER, Souques, HALLION, J.-B. CUARCOT et

MEIGE. Tome I". Un beau volume de 468 pages, avec 47 ligures et

3 planches. Prix : 12 fr. Aux bureaux du Progrès médical. Pour

les abonnés des Archives, 8 fr.

SHAW (J.). Epitome of mental diseases, with the présents méthodes

of certification of the Insane, and the Existizzq Régulations as to « Single

Patients », for PraclÍlÍ01lel'S and students. Volume in-12 de 345 pages.

London, 1892. Simpkin, blarshall, Hamillon.

SouRy (J.). Des fonctions du cerveau (doctrines de l'école italienne

et de l'école de Strasbourg). 2° édition, revue et corrigée. 1 volume

in-8° de 464 pages, aveu figures dans le texte. Prix : 8 fr.; pour nos

abonnés : 6 Ir.

' STEMBofL.). Akromegalie und akromikrie. Brochure in-8°de 33 pages,

avec 2 planches hors texte. Saint-Pétersbourg, 1891. Buchdrucke-

rei von Wienccki.

SUDNICK (R.). lIIodificaciones cualitatiuas del Reflejo de la Rodilla.

Brochure in-8° de 14 pages. Buenos-Ayres, 1892. Etablecimiente

Grafico de Gunche, Wiebeck y Turtl.

Le rédacteur-gerant, Bourneviue.

tyreux, C. H&I\ISSEV, Imp.- 90 ?

j rchives de Neurologie. ? ... T. XXIV. PU .'

Flg 1

Il Fig 2

il1ha,ad l1al de] et lith.

lmp Ed Bry, Pans

Vol. XXIV.. Novembre 1892. N, 72.

ARCHIVES DE NEUROLOGIE 7;

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PATHOLOGIE MENTALE

" ' DE L'ONOMATOMANIE (suite)1;

Par Mil. CHARCOT et MAGNAN.

IV. - MOTS préservateurs.

Nous venons de voir que sous l'influence du mot

compromettant, les onomatomanes finissent pars'effor :

cer de ne plus penser, évitant de parler, d'écrire, de

lire, de regarder, s'éloignent dès qu'ils entendent

causer, se coufiuent chez eux ou, s'ils sortent, ils

s'empressent, quand ils le peuvent, de se retirer dans

des lieux écartés, loin de toute habitation. Malgré ces

nombreuses précautions, le mot compromettant inter-

vient encore et ils recourent pour le conjurer à des

moyens variés et fatigants; signes de croix, abandon

des vêtements, changement de domicile, etc.

Avec le mot préservateur, ces malheureux déséqui-

librés ont momentanément un répit, mais souvent, ils

trouvent encore moyen de s'inquiéter et de s'angoisser

par l'obligation de répéter un grand nombre de fois

' Voy. AI'ch. de New'ol., n° 29, sept. 1885, p. 157, et n° 70, juillet 189,

p. 1 et 11, 71, septembre 1892, p. 161.

Archives, t. XXIV.. 2't

370 PATHOLOGIE MENTALE.

soit le mot, soit le mot accompagné d'un mouvement

plus ou moins fatigant, qui paraît lui donner plus de

force. Ils finissent~par être tellement obsédés par l'idée

de se protéger ou de protéger les autres que la vie se

passe à répéter puérilement les formules ou les mots

préservateurs. Les uns emploient un mot insignifiant

auquel ils attribuent une influence préservatrice ;

d'autres mettent à contribution des expressions à

caractère favorable; d'autres recourent à une sorte

d'oraison jaculatoire (Bonne sainte, protégez-moi.

Jésus souffrant, agonisant, mourant, expirant ! ) ou de

formule cabalistique : (Etoile 13 bière, linceul,

tombeau); d'autres, enfin, a un mot pénible ou funeste,

opposent un mot agréable ou préservateur : au mot

malheur, par exemple, 'ils s'empressent de substituer

bonheur; à erreur, vérité. Nous verrons encore une

malade se hâter anxieusement de substituer le signe

graphique mouton ou boeuf à celui de chien qui l'épou-

vante ou bien l'image réelle du boeuf à celle du chien ;

l'angoisse ne cesse qu'après cette superposition d'images

dans le centre cortical correspondant, la seconde efface

l'influence pénible de la première.

Une autre malade est dans l'obligation en termi-

nant un ouvrage de le sceller, en quelque sorte, par

un mot (ours, serpent) sans relation aucune avec le

travail accompli, c'est une sorte de moyen mnémo-

technique, une affirmation qui rassure; sans le mot,

tout repos est impossible et le malaise devient si grand

qu'il faut finir par prononcer ce mot.

Toutes ces bizarreries, même les plus étranges, sont

appréciées à leur juste valeur par le malade, tout à

fait conscient de l'absurdité de ses actes; mais'ou

DE L'ONOMATOMANIE. 371

session est là, pressante, impérieuse, tyrannique, et

le patient, honteux, désolé, mais angoissé, est forcé

d'obéir.

Observation XXIV. Dégénérescence mentale. Accès mélancolique.

Onomatomanie, formule préservatrice. Crainte du loucher; doute;

Arilhmomanie.

L... (Berthe), âgée de quarante-un ans, entre à Sainte-Anne

le 16 décembre 1891. La mère très nerveuse avait sans motifs sé-

rieux des accès de désespoir dans lesquels elle se roulait à terre en

pleurant; le père est mort hémiplégique. L... a eu une fièvre ty-

phoïde à dix ans et depuis cette époque, elle a présenté à diverses

reprises de courtes périodes de tristesse, jusqu'à vingt-deux ans. A

cette époque, elle a été prise d'un véritable accès mélancolique

avec préoccupations hypochondriaques et tendances au suicide.

Puis se sont montrés plusieurs syndromes épisodiques, l'onoma-

tomanie avec l'idée obsédante de répéter certains mots pour éviter

un malheur. En se lavant les mains, elle était forcée de dire « mains '

divines » en souvenir des mains du divin crucifié, dit-elle; quand

elle mettait ses bas elle devait répéter « pieds divins » en souvenir

également du Christ, et en se. coiffant, elle devait dire : « divine

tête couronnée d'épines » ; ces souvenirs pieux ainsi exprimés,

devaient la préserver, elle et les siens, d'un malheur prochain ;

parfois encore elle adoptait une sorte de formule préservatrice :

« Jésus souffrant, agonisant, mourant, expirant. » Elle se sent,

malgré elle, poussée à dire ces mots; il le faut, dit-elle; si elle

résiste, elle est énervée, anxieuse, elle a l'estomac contracté, la

gorge serrée, elle voudrait parfois ne plus les dire, mais elle est

forcée de le faire. Tantôt elle prononce ces mots à haute voix,

d'autres fois, elle remue simplement la langue, mais sans émettre

de sons, enfin parfois elle voudrait se contenter d'avoir ces phrases

présentes à son esprit, mais cela ne suffit pas, il faut qu'elle les

prononce, alors seulement elle se sent rassurée et soulagée.

D'autres syndromes épisodiques, la folie du doute, l'arithmoma-

nie, les craintes du toucher, tourmentent la malade tantôt simul-

tanément, d'autres fois à des intervalles éloignés.

Cette malade avait adopté ces formules jaculatoires

en rapport avec ses sentiments religieux; toutefois,

elle affirme nettement que ces phrases se sont pré-

sentées spontanément à son esprit sans qu'elle ait eu

à les chercher. Elle ne comprend rien à ces préoccu-

372 PATHOLOGIE MENTALE.

pations étranges et elle a parfaitement conscience du

caractère maladif de ces obsessions et de ces impul-

sions. '

Observation XXV. Dégénérescence mentale. Folie du doute. Ono-

matomanie : mots préservateurs. Influence funeste des croix.

H... (Marie), âgée de vingt-un ans, entre à l'asile Sainte-Anne le

23 octobre 1888. Son père s'adonne à l'ivrognerie et une de ses

soeurs, émotive, a présenté au huitième mois d'une grossesse, une

attaque d'éclampsie. Dans son enfance, Marie est intelligente, a

une excellente mémoire, fait des progrès à l'école, mais elle ne

comprend rien au calcul et tandis qu'elle est une des premières

pour l'orthographe, l'histoire, la géographie, etc., elle est la plus

faible en arithmétique. A quinze ans, à l'apparition des règles,

elle devient irritable, pleure ou rit sans motifs, a des cauchemars

la nuit, se réveille parfois en poussant des cris.

A dix-sept ans, elle est prise de doute, le soir, avant de se cou-

cher, elle inspecte les portes, pour s'assurer qu'elles sont bien fer-

mées, fait tourner les clefs dix, quinze fois et se rassure seulement

lorsque sa mère consent à venir elle-même visiter la porte et tou-

cher la serrure.

Plus tard, elle est obsédée par l'idée qu'elle doit accomplir plu-

sieurs fois certains actes, ou répéter certains mots préservateurs

pour éviter qu'une maladie grave ne vienne frapper l'un de ses

parents. Elle se croit obligée de répéter plusieurs fois « M. Nicolas »

pour éviter la maladie. Pourquoi ? Elle n'en saitrien, mais elle doit

le répéter et lorsqu'elle résiste, elle est prise de palpitations, son

visage s'empourpre, son estomac se serre, elle éprouve un très

grand malaise, elle s'angoisse, se hâte alors de dire plusieurs fois

le mot et elle se sent soulagée. De même, elle a parfois la crainte

des voleurs et c'est en répétant plusieurs fois « M. Gaquet » qu'elle

se sent protégée, elle et les siens. .

Dès qu'elle aperçoit des couteaux ou des fourchettes en croix.

elle est vivement émue et s'empresse de les déplacer par crainte

de la maladie. Dans la rue, elle fait grande attention sur les trot-

toirs à ne pas poser le pied perpendiculairement en croix sur la

ligne de juxtaposition de deux dalles. Si elle aperçoit des brins de

paille ou des morceaux de bois entre-croisés, elle prend mille pré-

textes pour s'approcher de ces objets et les déplacer, si parfois,

elle a le courage de passer outre, elle est forcée, au bout d'un ins-

tant, de rebrousser chemin pour retrouver les pailles croisées et

les déplacer; elle met à ces recherches une telle attention, qu'elle

ne prend garde à rien et qu'elle a failli plusieurs fois être renver-

sée par des voitures. .

DE L'ONOMATOMANIE. 373

. La déséquilibration mentale de cette dégénérée s'est

révélée dès l'enfance par l'inégalité de ses aptitudes :

très bonne élève pour les études littéraires, elle ne

comprenait absolument rien en arithmétique. Plus tard,

interviennent le doute et l'onomatomanie. Ici, c'est

un nom propre, indifférent par lui-même, qui s'impose

tyranniquement comme. agent préservateur : , ,

. t

Observation XXVI. Dégénérescence mentale. Onomatomanie ; .,

formules préservatrices.

S... (Albertine), âgée de seize ans, entre à l'asile Sainte-Anne le

12 juillet 1886. Sa grand'mère paternelle s'est suicidée par sub-

mersion et sa tante, la fille de cette dernière, s'est également

noyée. Le père est un débile. La mère est aussi d'une faible intel-

ligence.

S... est allée à l'école, mais elle apprenait difficilement et elle

sait à peine lire et écrire.

Depuis un an, on s'aperçoit qu'elle touche plusieurs fois le même

objet en prononçant quelques paroles à voix basse; parfois même,

on la voit s'éloigner ou se retirer dans un coin et prononcer rapi-

dement plusieurs mots. Elle raconte que le plus souvent, elle est

forcée de dire « Non, je n'obéirai pas au diable », ou bien « Bonne

sainte, protégez-moi ». Ces mots, qu'elle accompagne habituelle-

ment d'un mouvement en cercle de la main, ont pour vertu,

pense-t-clle, d'éviter des malheurs et de chasser le démon. Quand

elle les a prononcés, sa physionomie exprime le contentement, elle

se sent soulagée. Lorsqu'elle résiste, qu'elle lutte, qu'elle n'ose pas

prononcer ces mots devant des personnes étrangères, elle éprouve

un très grand malaise et elle finit par être forcée de le dire à voix

basse.

Elle est aussi parfois poussée à toucher les objets, et elle accom-

pagne ce contact d'une de ses phrases habituelles, c'est également

pour conjurer le mal. Elle ne te rend pas bien compte de ce que

peuvent faire ces contacts, mais elle ne peut pas, dit-elle, agir au-

trement. t.

L'éloignement de la famille, l'influence d'un entou-

rage expérimenté et l'hydrothérapie ont, au bout de

trois mois, fait disparaître ces obsessions.

Nous avons trouvé des formules analogues chez un

374 4 pathologie mentale.

malade que nous venons de voir récemment. C...,

Honoré, âgé de trente ans, issu de parents très ner-

veux, est fort ému par l'anniversaire d'événements dra-

matiquesle 27 juillet, depuis la catastrophe du che-

min de fer de Saint-Mandé et l'exécution des assassins

Berland et Doré, est devenu une date funeste qui lui

fait craindre soit un accident, soit un assassinat, soit

un suicide, et il s'empresse de conjurer ce futur mal-

heur par une oraison jaculatoire : « Sainte Marie,

accordez-moi la grâce d'une bonne mort. » « Saints

anges, protégez-nous. » Il en est de même lorsqu'il

passe devant une maison où s'est accompli un crime.

Obsédé par ces idées tristes, il est obligé de répéter

plusieurs fois ces phrases préservatrices.

Le chiffre 13 l'impressionne, de même que les com-

binaisons qui rappellent le nombre 13. Ainsi, il paye

27 sous un objet qu'il achète dans un magasin, aus-

sitôt il lui vient à l'esprit qu'avec le chiffre 13 il arri-

verait à 40, ou bien encore que 2 et 7 font 9 multiple

de 3, également nombre compromettant. « Tout cela est

fort extravagant, dit-il, mais n'en procure pas moins

du souci. »

Chez la malade suivante, le mot pénible est tellement

désagréable, qu'aussitôt entendu, elle lance le mot pré-

servateur pour conjurer l'influence funeste du premier.

Observation XXVII. Dégénérescence mentale. Onomatomanie : .'

mots compromettants et mots préservateurs. Arithmomanie. Crainte

du toucher. Doute.

111me Y... (Adèle), âgée de soixante ans, fille d'un père fort intel-

ligent, mais déséquilibré, est en proie, depuis un grand nombre

d'années, à des syndromes épisodiques multiples. Elle a actuelle-

ment, surtout la crainte du mot exprimant une idée de tristesse

qui pourrait, pense-t-elle, porter mallieur. Aussitôt qu'elle entend

DE L'ON011L1TOJIANIE. 375

le mot compromettant, elle prononce comme correctif le mot à

sens contraire, parfois elle se borne simplement à protester contre

l'emploi du mot. C'est ainsi que si on lui propose d'aller à l'Opéra

entendre Robe2,t le Diable, elle répond : oui, Robert ! Si elle entend

prononcer le mot nuisible, elle réplique immédiatement utile ; noir,

elle dit bleu; malheur, elle dit bonheur et comme elle attribue une

influence néfaste à vendredi, elle répond immédiatement samedi

ou dimanche. Le mois d'avril ayant commencé un vendredi, elle

n'a pas voulu, malgré quelques journées de fortes chaleurs, chan-

ger les vêtements d'hiver contre des vêtements plus légers, le mois

ayant mal commencé, un changement de toilette aurait pu être

nuisible. Elle redoute les nombres 3 et 13 ; le 13 de chaque mois,

elle reste silencieuse, se tient à l'écart, ne rit pas, ne commence

aucun travail.

Dès qu'elle aperçoit 3 bougies allumées, elle en éteint une; si,

elle entend énoncer le chiffre 13, elle s'empresse de dire 14. Elle a

également la crainte du toucher : elle ne porte la main aux bou-

tons de la porte, qu'en la protégeant avec le pan de la robe ; elle a

peur des débris de verre, des verre ? ou des carafes ébréchés.

Elle a du doute, elle ferme elle-même ses armoires, s'assure plu-

sieurs fois de leur fermeture et donne de petits coups sur la ser-

rure. Elle craint de perdre ou qu'on ne lui vole des papiers insigni-

fiants qu'elle collectionne, elle les met sous clef, ou bien elle les

prend sur elle, dans ses poches, dans ses bas, suspendus en paquets

sous sa robe ; elle se retourne fréquemment pour s'assurer qu'elle

n'a rien laissé tomber.

Elle s'arrête quelquefois, ou recule de deux ou trois pas avant

de franchir une porte ; elle hésite avant de s'asseoir, de prendre

un objet; quelquefois ses lèvres remuent et elle prononce quelques

paroles à voix très basse, mais elle ne veut donner aucun rensei-

gnement ; ce n'est rien, dit-elle.

Cette malade a été fort longtemps abandonnée à

elle-même, donnant pleine satisfaction à toutes ses

idées obsédantes; dans sa famille, on fermait les yeux

sur ce qu'on appelait ses petites manies, et elle était

libre d'agir comme elle l'entendait. Elle suivait une

très mauvaise hygiène, elle mangeait mal et ne dormait

presque.plus. Il a été fort difficile de régulariser' un

peu son existence et d'obtenir quelques efforts de sa

part pour se débarrasser des dispositions maladives les

plus pénibles. -

376 pathologie mentale.

Observation XXVIII. Dégénérescence mentale. Crainte de la foudre.

Folie du doute. Arithmoman'e Onomatomanie.

M. M..., dont la mère est nerveuse et très impressionnable et le

père méticuleux et émotif, a deux frères plus âgés que lui; l'aîné

est affecté d'un tic de la face, le second vient d'être frappé d'un

accès mélancolique avec hallucinations, préoccupations hspochon-

driaques et idées de persécution. M. M... s'est adonné à l'onanisme

dans son enfance, et à quatorze ans, il a commencé à subir l'in-

fluence de quelques phénomènes obsédants et impulsifs.

« Une nuit, dit-il, dans une note qu'il a rédigée, je me vis dans

un rêve frappé par la foudre; je me réveille en sursaut très émo-

tionné et à partir de ce moment, je suis très effrayé quand éclate

un orage; c'est dans cet état d'esprit que j'ai fait le premier acte

insensé. Me souvenant, sans doute, des miracles du Christ qui par

l'apposition des mains ressuscite les morts, multiplie les pains, etc.,

j'ai pensé qu'avant de me coucher, l'apposition de mes mainssur les

pantoufles et plus lard sur d'autres objets pouvait me préserver de

la foudre. Je me contentai d'abord de quelques attouchements, mais

je me vis bientôt obligé de répéter l'acte un très grand nombre de

fois et j'en vins à employer des nuits entières à ce manège. Plus je

m'y adonnais, plus il m'était impossible de ne pas m'y livrer. Je

n'en disais rien cependant, j'aurais en honle d'avouer de telles

idées, et je ne me plaignais que d'insommie.

«Puis, mon esprit a été envahi par l'idée de la fatalité du nombre

treize; j'évitais de mettre 13 mots dans une phrase écrite et sou-

vent, il m'arrivait de compter les mots de phrases parlées. Vous

pensez quel travail tout cela me donnait et combien cela devait

me détourner des choses sérieuses et utiles. Enfin, fatigué et voyant

que la raison était impuissante contre mes obsessions, je me pris

à lutter contre ces idées folles par des idées aussi absurdes. J'avi-

sais de me servir du nombre 13 lui-même comme engin de

combat. Et parlant en moi-même comme si le monde m'était

soumis : si je fais d'ici demain un seul acte superstitieux, me dis-je

en moi-même, un soir que je me promenais, que toutes ces étoiles

que je vois soient 13. Et eu même temps je m'imaginais au-dessus

de ma tête tous les astres changés en nombre 13, composés d'une

infinité de molécules ayant pour essence le nombre 13. Je ne com-

prenais pas bien ce que pouvait vouloir dire une étoile treize, mais

j'avais une telle horreur du nombre 13 que je ne fis pas d'actes

absurdes jusqu'au lendemain. Le procédé ayant réussi, j'en usai

tellement qu'il ne réussit plus à la longue. J'en inventais un autre

semblable et je dis en moi-même que « Dieu soit treize », si je fais

un seul acte superstitieux d'ici demain.

« Imaginer Dieu treize n'était pas plus absurde que d'imaginer

DE L'ONOMATOMANIE, 377

les étoiles du ciel ayant pour essence le nombre 13. Et puis absurde

ou non, je ne raisonnais plus. Cette idée de Dieu Treize m'effrayait

et cela suffit pour m'empêcher quelque temps de me livrer à des

actes ridicules. » . '

Parfois le mot erreur s'installe dans son esprit sans qu'il puisse

s'en débarrasser, il s'imagine que toutes ses idées vont devenir des

erreurs, qu'il va être obligé de douter de tout, de la réalité même

des personnes ou des choses qui l'entourent; il éprouve dans ces

conditions un malaise qui va grandissant et contre lequel il invoque

un autre mot, vérité qui combat l'influence du premier. Souvent il

ajoute treize' au mot dont la signification devient ainsi plus éner-

gique ; mais peu à peu, ce mot protecteur ou préservateur, par sa

répétition trop fréquente, devient à son tour une cause de soucis

et de fatigue.

Parfois encore, M. M... adopte une sorte de formule cabalistique

composée du mot bière, linceul, tombeau, expressions auxquelles,

nous l'avons vu, les autres malades attribuent habituellement une

influence maléfique, mais qui, pour lui, au contraire, devient un

moyen de défense, de protection ou de préservation pour conjurer

les divers malheurs. Il prononce ces mots tout bas, au fond du

gosier, il contracte en même temps le frontal et l'occipital et tend

fortement le cuir chevelu. Cette contraction énergique fréquem-

ment répétée n'est pas, à son tour, sans douleur. Toutefois quand

l'angoisse est trop violente, cette formule même avec les contrac-

tions devient une délivrance.

Ce malade dont l'un de nous a déjà eu l'occasion de

s'occuper à propos de l'influence inhibitoire de la for-

mule Dieu treize sur les fonctions sexuelles, est fort

intelligent et se rend entièrement compte des phéno-

mènes étranges qu'il éprouve.

Il a pu obtenir une longue rémission à la suite de

l'éloignement de la famille et d'un traitement hydro-

thérapique ; il a pu reprendre ses études de peinture

pour lesquelles il a beaucoup de dispositions.

Observation XXIX. Dégénérescence mentale. Accès mélancolique;

Ono11 ! atomanie : obsession du mot grossier; nécessité de superposer

à une image et à un mot inquiétants, une image et un mot protec-

teurs.

Une dégénérée de vingt-neuf ans, Marie D..., entrée à l'asile

Sainte-Anne le 16 juillet 1889, à la suite d'un accès mélancolique

378 pathologie mentale.

avec tendances au suicide, présentait depuis plusieurs années,

l'obsession du mot grossier et l'impulsion à le répéter. Pendant

ses prières, des injures adressées à Dieu survenaient brusquement

= dans son esprit et s'échappaient, malgré elle, de ses lèvres. Plus

tard, la préoccupation du mot prend un autre caractère.

Un jour, voyant passer un chien, le désir de copulation avec cet

animal s'empare de son esprit; honteuse, très émue, elle se

reproche vivement de pareilles pensées, mais l'idée venue persiste

et ne disparait que lorsqu'elle a pu voir un autre animal, un cheval,

dont l'image superposée à la première semble l'effacer. A partir de

ce moment, si dans ses lectures se trouve le mot chien, elle est

prise d'angoisse jusqu'à ce qu'elle ait pu lire le nom d'un autre

animal, boeuf, cheval, mouton, etc.; elle a, du reste, la précaution

de tenir près d'elle un dictionnaire qui lui permet de trouver

promptement le mot qui la préserve de son idée extravagante.

Quand elle a pu superposer cette seconde image graphique (cheval

ou mouton) à la première (chien), elle se sent soulagée et se calme

immédiatement. -

Observation XXX. Dégénérescence mentale. Accès mélancolique.

Onomatomanie : mots employés comme moycn mnémotechnique, Doute.

Chez une dégénérée syndromique de trente-deux ans, W...,

femme M..., entrée le 27 mars 1890 à l'asile Sainte-Anne, avec de

la dépression mélancolique, l'onomatomanie s'était traduite

d'abord par la recherche angoissante du mot, puis nous avons vu

le mot intervenir comme constatation concluante d'un acte

accompli. Cette femme, ménagère laborieuse, éprouvait le besoin

d'être rassurée sur l'accomplissement de sa tâche. Dès qu'elle avait

achevé de faire le lit, elle prononçait un mot, le mot serpent par

exemple; cette formalité remplie, elle se sentait tranquille, parce

qu'elle était sûre que l'ouvrage était fait. La vaisselle lavée, elle

disait ours et ainsi de suite pour chaque espèce de travail. Elle

exigeait que sa fille fût présente au moment où elle prononçait le

mot, pour témoigner d'abord que tout était fait et aussi pour

pouvoir lui rappeler le mot dans le cas où celui-ci viendrait pen-

dant la journée à s'effacer de sa mémoire. Lorsqu'elle essaye de ne

pas sceller ainsi chacun de ses actes par un mot, ce qu'elle trouve

elle-même fort ridicule, elle devient inquiète, s'imagine que le

travail est mal fait, elle éprouve des palpitations, ne peut pas so

mettre à table pour prendre son repas, et si c'est le soir, il lui est

impossible de se coucher, sans être assurée par un mot de la bonne

exécution de chaque détail du ménage; le mot prononcé, le calme

revient, et elle se met au lit répétant avec la plus vive satisfaction

le mot qui la rassure.

DE l'onomatomanie. 379

V. Mots DEVENUS POUR LE patient UN véritable

CORPS SOLIDE , INDUMENT AVALÉ , PESANT SUR L'ES-

TOMAC ET POUVANT ÊTRE REJETÉ PAR DES EFFORTS

D'EXPUITION ET LE CRACHEMENT.

Nous avons vu plusieurs onomatomanes chez lesquels

le mot s'accompagnait d'un mouvement, tantôt d'un

véritable tic impossible à réprimer, d'autres fois, d'un

mouvement volontaire (contraction de la tête; mou-

vement de la main; recul, etc.) que le patient était

poussé à faire, mais dont il réglait l'intensité et que,

parfois, il parvenait à supprimer. Lorsque le mot

venait à être prononcé, au mouvement d'articulation

s'ajoutait le mouvement d'une autre région des centres

psycho-moteurs.

Dans le cas dont nous nous occupons, ce n'est plus

seulement un mouvement niais bien un élément sen-

sitivo-moteur qui intervient avec le mot; les mots et

même les bruits se transforment en véritables corps

étrangers qui s'introduisent dans la bouche, che-

minent .dans le pharynx et l'oesophage pour arriver à

l'estomac, provoquant pendant tout le trajet, un ma-

laise qui va croissant.

Dans l'estomac, la sensation devient très doulou-

reuse, les bruits et les mots comme les aliments solides

s'accumulent et donnent le sentiment pénible qui suit

un repas trop copieux. Aussi, le malade s'efforce-t-il,

par des efforts d'expuition et de crachement, de

rejeter ces prétendus corps étrangers comme des subs-

tances indigestes.

De sorte qu'à l'angoisse morale, que provoque habi - z

380 pathologie mentale.

tuellement le mot obsédant, vient s'ajouter dans ce

cas, la douleur physique due aux nouvelles qualités

- attribuées aux mots et aux différents bruits perçus et

déglutis.

Observation XXXI. - Dégénérescence mentale. Mélancolie suicide du

grand-père maternel ; agoraphobie de la mère; onomatomanie du

père. Doute. Crainte du toucher. Onoznatomanie; agoraphobie chez

la malade. Doute chez la fille.

Mme L..., âgée de quarante-cinq ans, a une hérédité nerveuse et

vésanique très chargée. Son grand-père maternel s'est suicidé à

cinquante ans dans un accès mélancolique ; sa tante maternelle

est déséquilibrée ; sa mère, méticuleuse, bizarre, est agoraphobe,

Son père, égoïste, très avare, est onomatomane ; il a eu longtemps

la recherche angoissante du mot, et ainsi que nous l'avons déjà

dit (Obs. VII), quand il ne le trouvait pas, la famille l'aidait, on

lisait le dictionnaire et l'on ne se couchait qu'après le découverte

du mot. La fille aînée de la malade, très émolive, ne peut lire un

fait divers dans un journal sans en être vivement impressionnée et

envahie par des interrogations multiples et les craintes les plus

pénibles. ! lIme L..., dès l'âge de onze ans, s'est montrée méticuleuse, scru-

puleuse, n'était jamais satisfaite de ses confessions et s'imaginait

malgré les assurances de son directeur, qu'elle allait mal commu-

nier.

A dix-huit ans, fiancée à un jeune homme qu'elle aimait, elle

craint de ne pas pouvoir le rendre heureux, de ne pas être capable

de bien remplir ses devoirs de mère de famille, de ne pas être assez

active, assez intelligente ; elle fait part à son futur de toutes ses

appréhensions, elle l'engage à bien réfléchir avant de l'épouser

Quelques années après son mariage, elle est mordue par un chat

et elle est prise de la crainte du toucher, de la craintedu chien en-

ragé et de tout animal. Elle ne veut pas loucher la main de son

médecin, parce qu'il pourrait lui communiquer la maladie des

malades qu'il a touchés, mais elle consent a donner la main au

médecin aliéniste, parce que la folie, dit-elle, n'est pas contagieuse;

elle n'ose toucher aux objets de cuivre et s'enveloppe la main pour

ouvrir les portes. Elle ne veut ni de tapis, ni de tentures, ni de ta-

pisseries de couleur verte, à cause des poisons introduits dans les

teintures de cette couleur. Un jour elle part, se privant de la satis-

faction d'embrasser ses filles, parce qu'elles venaient d'être embras-

sées par une autre personne. Enfin, sa frayeur du chien enragé

prend de telles proportions, qu'elle n'ose pas toucher son porte-

DE L'ONOàfATOMANIE. 381

monnaie touché par sa bonne qui avait touché un canapé sur lequel '

s'était assise une demoiselle mordue par un chien. Elle ne peut plus

voir ni un chien, ni un chat, ni aucun animal à quatre pattes, sauf

le cheval, qui ne lui inspire aucune crainte.

Elle est vivement impressionnée par certains mots « cercueil,

béquille, mort, vendredi, etc. », qu'elle fait tous ses efforts pour

ne jamais prononcer ou écrire. Lorsqu'elle les entend, il lui semble

qu'à l'instar d'un corps étranger, ils entrent dans sa bouche et

pénètrent jusqu'à l'estomac. Un peu plus tard, toutes les paroles,

tous lesbruits, tous les sifflets de chemin de fer lui donnent les mêmes

sensations pénibles et lui chargent l'estomac. Les mots, dit-elle, lui

viennent dans la bouche, il lui semble qu'elle les avale comme des

aliments solides et si elle ne s'empresse de les repousser en les re-

crachant soit à terre, soit dans son mouchoir, elle en est vivement

affectée, elle ressent un poids sur l'estomac qui l'étouffé, elle a une

véritable indigestion, ajoute-t-elle, et elle vomit même quelque-

fois.

Lorsqu'elle se dispose à aller prendre la douche, elle recouvre

sa bouche avec un mouchoir, pour avoir son estomac libre, puis-

qu'on ne doit pas prendre de douche, dit-elle, après avoir mangé.

Dans une note, où elle décrit les divers phénomènes qu'elle

éprouve, elle s'explique ainsi à ce sujet : « La douche m'impres-

sionne encore beaucoup, je n'y vais que parce qu'il le faut, ayant

toujours dans l'imagination, que j'y vais, l'estomac rempli des

bruits, des paroles, des sifflets de chemin de fer que j'entends; je

me crois obligée de mettre mon mouchoir à mes lèvres pour em-

pêcher tous ces bruits de pénétrer dans ma bouche, tout cela est

d'autant plus pénible que je comprends que c'est parfaitement ab-

surde. »

Mmo L... est également agoraphobe, elle est prise de crainte et

de vertiges dans les grands espaces. Un jour même, au Bois de

Boulogne, en voiture, elle s'est sentie étourdie, resserrée, oppres-

sée et a été obligée de fermer les yeux et de se blottir dans un

coin. ' ' '

Cette observation est une des plus instructives au

point de vue de l'hérédité; les ascendants, père et

mère, transmettent à la malade non seulement leur

déséquilibration mentale, mais des stigmates psychiques

similaires, l'un son ollomatomanie, l'autre son agora-

phobie, et la fille de la malade, âgée de seize ans,

éprouve déjà les premières atteintes de la folie du

doute que lui transmet sa mère. La malade, d'ailleurs,

382 1- pathologie mentale.

sous le coup d'une hérédité convergente, accumule de

. nombreux syndromes épisodiques; elle est dans un

-, état d'émotivité perpétuelle, la plupart de ses centres

perceptifs sont dans un tel éréthisme qu'elle ne peut

goûter un instant de repos. Le délire du toucher

acquiert chez elle tout ce que l'on peut imaginer de

plus quintessencié puisqu'elle en arrive à ne pas oser

toucher son porte-monnaie, touché par sa bonne qui

avait touché un canapé sur lequel s'était assise une demoi-

selle mordue par un chien.

. Comme les autres onomatomanes, la malade a pleine

conscience de son état, s'en attriste et, par moments,

sur les conseils du médecin, fait de sérieux efforts

pour lutter et s'affranchir de toutes ces préoccupations

bizarres.

Nous ne regrettons pas ces longs développements

sur l'onomatomanie; il nous est permis d'insister sur un

syndrome fort intéressant au point de vue clinique,

l'obsession et l'impulsion n'ayant pour objet que le

mot et le plus souvent un mot insignifiant. Si bien que

l'obsession et l'impulsion dégagées de toute question

d'intérêt, de tout mobile passionnel apparaissent avec

leur véritable caractère maladif, leur invincible irré-

sistibilité, malgré le complet état de conscience.

Au point de vue médico-légal, cette étude n'est pas

sans importance; l'onomatomanie permet de mieux

comprendre les autres syndromes épisodiques dans

lesquels l'impulsion se traduit par un crime ou un

délit.

Le magistrat en présence de faits aussi simples, en

quelquesorte élémentaires, mais néanmoins fort démons-

tratifs, ne sera plus surpris d'entendre parler de l'idée

DE L'ONOMATOMANIE. 383

obsédante du vol et de l'impulsion à voler, d'entendre

parler de l'impulsion homicide et de tous les phéno-

mènes étranges auxquels donnent lieu les obsessions

et les impulsions basées sur les perversions sexuelles.

Il est probable qu'on ne verra plus un président de

cour d'assises dire aux jurés : « Si le médecin vous parle

de la manie du vol de l'inculpé, ayez, vous, la manie

de le condamner. »

Lorsqu'on est témoin de l'angoisse extrêmement

pénible, à laquelle est en proie le malheureux onoma-

tomane qui cherche un mot dont il n'a nul besoin,

lorsqu'on le voit faire des efforts surhumains pour ne

pas projeter au dehors le mot qui l'obsède, et que l'on

assiste à la détente, à l'immense soulagement dont sont

suivies soit la découverte, soit la décharge du mot, soit

la substitution du mot préservateur au mot funeste,

on n'est plus étonné par le langage du kleptomane,

du pyromane, de l'impulsif homicide ou sexuel, du

coupeur de nattes, de l'exhibitionniste, ou du mal-

heureux qu'obsède l'idée de mordre la peau de jeune

fille, quand ils déclarent que malgré tous leurs efforts,

leur ardent désir' de résister, ils ont fini par suc-

comber.

Laissés dans leurs familles, les onomatomanes, de

même que les autres dégénérés syndromiques s'éter-

nisent dans leurs obsessions et leurs impulsions. Ils

contractent, en effet, des habitudes nouvelles, adoptent

des attitudes, des gestes, des mots, des phrases, etc.,

dont ils ne peuvent se départir, malgré les sollici-

tations de l'entourage. Celui-ci d'abord plein de zèle

et d'activité se heurte aux résistances passives des

384 'PATHOLOGIE mentale.

malades, se décourage devant la répétition monotone

de tous ces phénomènes, et à la longue, las de lutter,

finit par fermer les-yeux, laissant ainsi s'installer les

'petites manies chaque jour plus tenaces et qui, d'abord

produites par les obsessions et les impulsions, finissent

elles-mêmes, une fois bien établies, par les solliciter

à leur tour. -

L'intervention du médecin est seule capable de

mettre un frein à ces manifestations de plus en plus

étendues; mais pour qu'elle soit efficace, il faut que

le patient entre dans un établissement spécial où chacun

prendra à tâche de l'encourager dans la lutte qu'il

est obligé d'entreprendre contre ses multiples acqui-

sitions maladives dont il doit successivement se dé-

pouiller. C'est ainsi, par exemple, que les obsédés à la

poursuite du mot ou du nom, commencent par laisser

de côté le carnet, la feuille de papier sur lesquels ils

ont inscrit le nom ou le mot. Lorsque le mot manque,

en l'absence 'du carnet, ou du papier, si l'inquiétude

semble vouloir se montrer, ils s'empressent de venir

auprès du médecin qui, au début surtout, leur doit

son assistance la plus absolue. Il leur rappelle et insiste

sur le caractère entièrement maladif de ce besoin du

mot et il parvient habituellement à les rassurer et à

leur faire négliger, sans trop de réaction émotive, cette

recherche regardée, jusque-là, comme invincible.

Le soir c'est encore le médecin qui doit intervenir

pour assurer le repos de la nuit; c'est lui qui décide

les malades à se dégager de la préoccupation du mot,

à se mettre au lit et à y rester, toute lumière éteinte.

La tâche n'est pas d'abord facile et c'est par une

patiente insistance que le résultat est obtenu, mais au

DE L'ONOMATOMANIE. 385

bout de quelques jours la présence d'un domestique

suffit et un peu plus tard les malades se couchent tran-

quillement sans le secours de personne.

Peu à peu les malades prennent part à la conver-

sation de l'entourage, se décident à lire des journaux,

des livres, et au bout de quelque temps, ils peuvent

entendre répéter, sans trop d'inquiétude, des séries

de noms propres qu'ils laissent passer sans chercher

à les retenir. Ils arrivent progressivement à recon-

quérir toute leur indépendance et à reprendre sans

appréhension leur place dans la société.

Pour ces pensionnaires volontaires , on peut sans

nul inconvénient; faire fléchir la discipline de la mai-

son spéciale, et il est bon que ces malades jouissent

d'une liberté suffisante pour trouver dans des sorties

assez fréquentes des distractions qui leur permettent,

sans ennui, de subir cette tutelle indispensable et de

suivre le traitement.

Dans quelques cas, les onomatomanes, exaspérés

par la ténacité si pénible des obsessions et des impul-

sions qui rendent leur vie insupportable, conçoivent

des idées de suicide et réclament une surveillance par-

ticulière ; toutefois, les tentatives sont assez rares, ces

malades lucides savent qu'ils peuvent s'améliorer et

se raidissent ainsi plus facilement contre le découra-

gement.

' En dehors de l'action morale si puissante du mé-

decin, le traitement dans la majorité des cas se réduit

à l'emploi des bromures qui modèrent, diminuent la

pénible exaltation, la douloureuse émotivité dont

s'accompagne l'angoisse.

Archives, t. XXIV. 25

386 pathologie mentale.

Chez les sujets dont le sommeil laisse à désirer, aux

bromures on peut ajouter le chloral ou le sulfonal que

le malade prendra une heure après le coucher, mais

dont il n'usera pas, toutes les fois qu'il aura pu s'en-

dormir sans le secours de l'hypnotique. Il est rare

qu'au bout de huit à dix jours, les malades n'aient

pas conquis un sommeil naturel qui les repose et leur

donne les forces suffisantes pour lutter pendant le ,

jour contre le retour offensif des obsessions.

L'hydrothérapie complète le traitement : on aura re-

cours à des douches froides de quatre à huit secondes seu-

lement, sur tout le corps, à l'exception de la tête, en ayant

le soin d'insister à la fin de la douche sur les jambes et

sur les pieds que l'on fouettera avec le jet en lance.

Les douches tièdes que des malades craintifs demandent

à la place des douches froides, ne sont d'aucune utilité,

et il est préférable de recourir soit aux affusions

froides, rapidement pratiquées à l'aide d'une grosse

éponge, le malade étant debout dans un tub, soit au

drap mouillé. Après la douche ou l'affusion, on se

trouvera bien d'une friction générale un peu forte, ou

du massage.

En dehors de cette médication générale, on recher-

chera chez chaque malade, les indications spéciales

tirées de sa santé physique habituelle, de son tempé-

rament, de sa constitution, de l'état de ses forces.

Le plus souvent, ces dernières indications pourront

être remplies sans modifications notables aux pres-

criptions générales que nous avons indiquées.

PATHOLOGIE NERVEUSE.

HOSPICE DE la SALPÊTRIÈRE. - M. CHARCOT

CONTRIBUTION AU DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL ENTRE L'HYS-

TÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU;

Notes cliniques recueillies par le D' F. GHILARDUCCI,

, de Fivizzano (ltalie).

Le diagnostic différentiel entre l'hystérie et les maladies

organiques du cerveau constitue un des problèmes les plus

intéressants et parfois les plus difficiles que nous offre la cli-

nique. Mon intention n'a pas été d'exposer dans ce travail

d'une manière méthodique et complète, tout ce qui se rapporte

à ce sujet. Un travail de ce genre ne pourrait être que la repro-

duction de ce que M. Charcot a consigné dans ses leçons clas-

siques ou la compilation des différents écrits de ses élèves sur

l'hystérie. On sait bien aujourd'hui que l'hystérie est suscep-

tible de réaliser la plupart des syndromes par lesquels s'accusent

les maladies organiques du cerveau : l'hémiplégie, les convul-

sions, les contractures, les troubles de la sensibilité générale

et spéciale, ceux du langage et de l'intelligence, etc.

Dans cet ordre de faits, le diagnostic différentiel se réduit

donc essentiellement à la connaissance des différences qui

existent entre les symptômes de la série organique et ceux de

la série hystérique. D'une manière générale, dans chacun de

ces deux groupes les symptômes similaires ont une physio-

nomie clinique spéciale; ils ont même un développement, une

évolution et une façon de s'associer entre eux qui est diffé-

rente. A l'aide de ces caractères, que l'Ecole de la Salpêtrière

a eu le grand mérite de mettre en relief, il sera facile dans la

plus grande partie des cas d'établir le diagnostic.

4 Travail de la clinique de M. le professeur CHARCOT.

388 pathologie nerveuse.

Mais parfois il manque au syndrome hystérique observé ce

cachet spécial que la névrose imprime habituellement à ses

manifestations. Parfois les symptômes se sont associés de façon

Ji former des syndromes tout à fait analogues à ceux de telle

~ ou telle maladie organique de la moelle ou du cerveau. Et

cette ressemblance peut être telle que le diagnostic devient

incertain, sinon impossible.

Ces difficultés de diagnostic, M. le D''Souques les a montrées

dans son excellente monographie sur les syndromes hysté-

riques simulateurs des maladies spinales '.

Dans le présent travail, nous n'avons pas eu l'idée d'entre-

prendre une tâche semblable pour les maladies organiques du

cerveau. Elle serait trop au-dessus de nos forces. Nous avons

voulu simplement apporter à ce sujet si intéressant une mo-

deste contribution, en exposant quelques observations que

nous avons eu l'occasion d'étudier en fréquentant le service de

11. le professur Charcot a. Elles nous ont paru intéressantes

par la gravité des symptômes et par les très grandes difficultés

que présentait, croyons-nous, le diagnostic. Ces observations

concernent : a). Quatre cas d'hystérie à forme d'épilepsie par-

tielle ; b). Un cas d'apoplexie hystérique; c). Un cas

d'hémiplégie hystérique ayant des caractères qui n'appar-

tiennent pas généralement à l'hémiplégie hystérique.

Observation I. Hystérie il forme d'épilepsie partielle sensitive.

Mme Gi... enlre à la Salpêtrière en janvier 1891 (service de M. le

professeur Ciurcot).

Antécédents de famille. Père nerveux, il avait des tics, il

mourut d'une maladie de foie. La mère souffre de coxalgie depuis

trente-six ans. De ses trois frères l'un est mort de maladie chro-

nique de la poitrine à l'âge de quarante-cinq ans, l'autre d'une

broncliorrliagie à l'âge de quarante-deux ans, le troisième est«malade

de néphrite depuis deux ans. Sa soeur aînée succomba à l'âge de

1 V. Souques. Des syndromes hystériques simulateurs des maladies

de la moelle, Paris, 1891.

* Qu'il nous soit permis d'exprimer ici toute notre gratitude à notre

opinent maître, AI. le professeur Charcot ; le souvenir de la généreuse

hospitalité qu'il nous a accordée dans sa clinique ne finira qu'avec notre

vie.-Je saisis avec empressement cette occasion pour remercier vivement

M. Dutil, chef de clinique, dont l'expérience consommée m'a été très

utile dans plusieurs circonstances.

L'HYSTÉRIE ET LES maladies organiques DU cerveau. 389

vingt-sept ans à une phtisie galopante; sa soeur plus jeune souffre

de crises nerveuses.

Antécédents personnels. - J'lotre malade, qui à présent est âgée

de quarante-trois ans, a toujours été dès son enfance très nerveuse

et impressionnable; elle a toujours souffert de douleurs à la

tête, tantôt diffuses, tantôt à forme de migraines : en outre de

cela elle ressentait très fréquemment des fourmillements dans les

membres, particulièrement au bout des doigts, qui survenaient

principalement « lorsqu'elle se trouvait mal placée, » de façon à

ce que ses membres fussent sujets à une pression même peu pro-

longée. A l'âge de huit ans, elle eut un abcès à la légion cervicale

gauche dont on voit encore la cicatrice. Elle fut menstruée à l'âge

de dix-huit ans ; la menstruation s'est maintenue jusqu'à présent,

sans présenter jamais aucune anomalie. A l'âge de ungl-deux ans,

elle s'unit librement à un homme, avec lequel elle vécut jusqu'en

1875; elle n'eut pas d'enfants de cette union. Dans ce laps de

temps, il n'y eut rien à remarquer dans son état de santé, sinon

une espèce de défaillance qui lui survint dans l'année 1872 à la

suite de contrariétés.

A la fin de 1878, elle fut abandonnée par son amant et obligée

de gagner sa vie, en s'employant dans un établissement Duval. En

1882, elle abandonne cet établisement pour entrer connue domes-

tique dans une maison de commerce des environs de Paris. Là

elle se fatigue énormément, elle commence à ressentir des douleurs,

le long de l'épine dorsale, plus fortes à la région lombaire, presque

continues, mais qui s'exacerbaient de temps à autre sous forme de

crises; MmeGi... affirme explicitement que ces crises douloureuses

ne se calmaient pas avec le repos. Les céphalées, dont elle avait

toujours souffert, devinrent plus intenses et plus fréquentes.

En 1887, elle reprend son emploi dans un restaurant Duval et l'oc-

cupe jusqu'au 28 février 1890. Dans cette période son état de santé

empira continuellement; les rachialgies devinrent plus fréquentes,

elle avait des douleurs dans les membres surtout en correspondance

des articulations, les sensations de fourmillements, dont elle souf-

frait depuis sa jeunesse, et qui étaient devenues plus fréquentes

et plus intenses. Dans l'été de 1889, lors de l'Expositon uni-

verselle, à ces phénomènes s'en ajouta un autre : parfois elle

ressentait brusquement ses genoux se fléchir, ses jambes se déro-

baient sous elle, il lui arriva souvent de tomber et elle avait de la

peine à se remettre debout. A cette époque, son travail à cause de

l'Exposition était énorme, elle se sentait très fatiguée : pendant le

jour elle s'endormait pour de courts instants en appuyant sa tête

sur son bras gauche. En septembre de la même année, se mani-

festa la première attaque épileptiforme constituée comme il suit :

lme Gi... annonce une sensation de fourmillements au bout des

doigts de la main gauche, qui après avoir envahi tout le membre,

390 pathologie NERVEUSE.

s'irradia à la moitié correspondante du cou, de la face et de la

langue, et envahit tout le restant de la tête, du tronc et du membre

inférieur du même coté.- La bouche devint sèche, « elle croyait y

avoir le feu », la langue lui paraissait s'enfler, elle ne pouvait pas

parler; la jambe et le bras se raidirent; le bras pendait inerte le

long du corps, impuissant à n'importe quel mouvement; les doigts

de la main étaient contractés en extension. L'attaque ne s'accom-

pagna pas de la perte de la sensibilité; elle dura une dizaine de

minutes; après l'attaque Ai ? Gi... se sentit un peu faible, mais

elle retrouva immédiatement l'usage de ses membres. Au contraire

la langue resta paralysée longuement; M'° Gi... resta huit jours

sans pouvoir parler parce que, dit-elle, sa langue était enflée.

D'autres attaques semblables à celle-ci se répétèrent deux ou trois

fois par semaine, plus fréquemment la nuit et pendantla période de

menstruation avec les mêmes caractères. Dans cette période l'état

mental de Mme Gi... était notablement troublé. Elle avait fréquem-

ment des cauchemars parfois elle croyait être transportée dans

l'air à de grandes hauteurs et puis qu'on la laissait tomber tout

d'un coup dans des abîmes épouvantables : parfois elle croyait être

enfermée dans des fournaises ardentes,... etc. Souvent elle éprou-

vait une sensation de serrement au sommet du sternum; d'au-

tres fois elle avait à la gorge une boule qui la suffoquait. La mé-

moire commença à s'altérer profondément. ! lime Gi... oubliait

presque immédiatement les commandes des clients si bien que

son service lui devenait excessivement difficile. Parfois il lui était

impossible de prononcer quelques mots « parce qu'elle ne les trou-

vait pas » : elle aurait pu les écrire parce qu'elle avait l'idée de ce

qu'elle voulait dire, mais elle ne pouvait pas les prononcer; ces

attaques d'aphasie motrice se répétèrent jusqu'en 1891. Elles ne

suivaient pas immédiatement les accès d'épilepsie sensitive, mais

se manifestaient après un ou deux jours et elles étaient plus fortes,

si l'accès d'épilepsie avait été intense.

La faiblesse des extrémités inférieures s'aggrava encore plus, les

chutes étaient très fréquentes. Bref, en février 1890, )I-e Gi ...

tout à fait impuissante pour un travail quelconque, fut obligée

d'entrer à la Salpêtrière. Ici les attaques qui ont été décrites se

continuèrent. Après quelques jours s'y ajoutèrent d'autres attaques

à type h3·stéro-épileptiqire. Celles-ci survenaient le matin vers

sept heures. Elles étaient précédées d'une sensation de suffocation,

11m° Gi...perdait complètement la conscience et tombait en arrière en

se raidissantavec le tronc de manière à former l'arc de cercle carac-

téristique, elle se débattait violemment, elle émettait des cris

désordonnés et après quelques minutes de respiration ronflante

elle retrouvait parfaitement la conscience en oubliant tout ce qui

s'était passé.

En mai 1890, les grandes attaques disparurent, la santé de

l'hystérie ET LES maladies organiques DU cerveau. 391

Mme Gi... s'améliora considérablement; elle put sortir de la

Salpêtrière et rentrer de nouveau chez Duval pour y reprendre

son travail. Mais bientôt son état empira de nouveau. En jan-

vier 1891, elle fut de nouveau obligée de rentrer à la Salpêtrière

dans le service de M. le professeur Charcot. Son état de santé à

cette époque était très mauvais, elle avait considérablement mai-

gri, elle souffrait d'insomnie, d'anorexie, des éblouissements, une

surdité presque complète, une obnubilation des facultés mentales,

laquelle se manifestait avec une apathie très marquée; aux deman-

des qu'on lui adressait elle donnait des réponses lentes et contra-

dictoires. Elle fut soumise à un traitement hydrothérapique, sa

santé générale commença de nouveau à s'améliorer. L'ouïe. la

vue, les facultés mentales, les forces reprirent; à présent, il n'y a

de tous ces phénomènes alarmants que les deux séries de crises,

lesquelles se manifestent deux ou trois fois par semaine séparé-

ment.

Examen objectif (pratiqué le 1°r avril 1892). -Mme Gi... est une

femme de taille moyenne, bien conformée. Elle a des muscles et de

la graisse suffisamment développés, mais les muscles sont flasques .

L'expression de son visage est triste, son regard un peu vague.

Sensibilité géné1'ale, - Un examen très soigné, qui a été répété

plusieurs fois dans la suite, ne nous a révélé aucune trace d'anes-

thésie. Les impressions tactiles, douloureuses et thermiques sont très

bien appréciées partout. Il y a des zones hypéresthésiques : 1° au

niveau de la septième vertèbre cervicale et de la dernière

lombaire; - ° au-dessous, un peu en dehors des deux marne--

Ions ; 3° sur le crâne et au vertex. Cette douleur est très super-

ficielle, on la réveille avec un très léger frottement de la peau;

tandis que la percussion pratiquée soit avec le doigt, soit avec le

marteau ni ici, ni dans aucun autre endroit du crâne, ne donne

de sensation douloureuse.

Motilité. - Mm° Gi... accuse de la faiblesse aux lombes et

aux jambes. Elle ne peut pas marcher sans l'aide d'un bâton. Pen-

dant la marche elle traine ses jambes à la manière des paraly-

tiques flasques. Si on la fait mettre à genoux, elle ne peut pas se

relever sans l'aide de ses bras. Cependant la force musculaire

explorée dans la position assise, tant dans les extrémités infé-

rieures comme dans les supérieures, se manifeste parfaitement

normale. Il n'y a pas de différence de force entre les deux côtés.

De temps à autre, 1\lm° G... présente un tremblement très léger de

lalèvre supérieure, surtout lorsqu'elle parle; un tremblement ana-

logue se rencontre dans les membres supérieurs. Il est très léger,

très rapide, mais son caractère essentiel est d'être éminemment

intermittent. La langue aussi est parfois animée d'un léger trem-

blement dans le sens transversal : elle ne présente pas cette ondu-

lation dans le sens du diamètre longitudinal, comme on l'observe

392 pathologie nerveuse.

chez les paralytiques généraux. Du reste il n'y a pas de trouble

de la parole.

- Réflexes. Ils sont égaux des deux côtés et parfaitement nor-

maux. Le clonus du pied est absent. Le réflexe pharyngé est très

affaibli. En chatouillant la luette et l'épiglotte on provoque de la

toux, pas de vomissements.

Appareil de la vision. Les globes oculaires sont mobiles nor-

malement dans toutes les directions. Les réactions pupillaires sont

normales. Pas de nistagmus. -

OEil droits Légère discromatopsie. La malade distingue très

bien toutes les couleurs, mais elle appelle claires toutes les cou-

leurs sombres. Léger rétrécissement à 65 degrés. Absence de

micropsie, macropsie et polyopie nonoculaire. Pas de diplopie.

Acuité visuelle normale.

OEil gauche. - Complètement normal. -111me Gi... éprouve de

temps à autre des éblouissements; sa vue se fatigue très facilement.

Elle n'a jamais présenté de diplopie.

Goût. Complètement aboli des deux côtés.

Odorat. Idem.

Ottie. Très affaiblie du côté gauche.

Examen viscéral. - li y a des râles sibilants très rares dissémi-

nés sur les poumons des deux côtés. Les bruits cardiaques sont

un peu faibles mais très nets. L'ictus du coeur est perçu dans le

cinquième espace au-dessous du mamelon. - Il n'y a rien à

noter du côté des viscères abdominaux. ! \lme Gi... se plaint surtout de douleurs vaguantes le long du

corps, qui sont plus fortes au niveau des articulations. Deux ou

trois fois par semaine elle a des accès à forme d'épilepsie sensitive.

Ils ont le caractère du premier accès qui lui prit en 1889. Cepen-

dant il est à remarquer que depuis la première année de maladie

les accès n'ont jamais été accompagnés ni suivis d'aphasie motrice.

Outre ces attaques elle en présente d'autres à type hystéro-

épileptique avec les modalités décrites ci-dessus.

Jamais il ne lui est arrivé que les deux espèces de crises se con-

fondent, s'entremêlent ou qu'elles se suivent l'une l'autre. L'in-

telligence de Mme Gi... ne laisse à présent pas grand'chose à

désirer. Elle répond avec rapidité aux demandes qu'on lui fait,

elle décrit ses sensations avec beaucoup de précision, elle a une

mémoire suffisante de tous les événement : , qui lui sont arrivés.

1

MAItCHE DE la maladie. Les accès à forme d'épilepsie sensitive

continuèrent à se manifester avec les mêmes caractères pendant

tout le mois d'avril. Dans celte époque, Mme Gi... observa qu'ils

se manifestaient plus fréquemment lorsqu'elle se couchait sur le

flanc gauche. En lui ayant conseillé de se coucher sur l'autre llanc,

les accès se présentèrent du côté droit, ne touchant pas à la face

L'HYSTÉRIE ET LES maladies organiques DU cerveau. 393

et à la langue. Au commencement du mois de mai, la sensation

d'engourdissement continua à perdre la tendance à la systématisa-

tion. Parfois elle commençait par une cuisse, elle restait limitée à

la région glutée; d'autres fois après avoir commencé comme d'or-

dinaire par le bout du doigt elle n'allait au delà du poing ou du

bras. En outre, elle se montrait avec une égale fréquence du côté

droit dans des régions très différentes, en restant toujours plus

limitée. Dès le milieu de mai, 111m Gi... n'a plus eu d'accès, mais

seulement de légères paresthésies, qui meurent sur les lieux où

elles naissent. De l'accès supposé d'épilepsie sensitive, il ne reste

plus à ^présent (13 août) que les vagues sensations de fourmille-

ment qu'elle éprouvait depuis son enfance, et qui ont pour carac-

tère d'être très variables de siège et de se réveiller pur la comptes-

sion. '

Pour ce qui est des grandes attaques, elles sont devenues très

rares (une fois tous les dix jours). La paraplégie s'est légère-

ment améliorée. - 11 est à remarquer que, dès le commencement

de mai, 1-0 Gi... a été soumise à l'électricité statique.

Diagnostic. L'observation de ce cas nous paraît extrême-

ment intéressante; on y trouve à une certaine période de son

évolution un type clinique parfait d'épilepsie sensilive : engour-

dissement envahissant toute une moitié du corps, la langue

comprise; paralysie des membres, aphasie motrice, troubles

de l'intelligence, rien ne manquait au tableau : les antécédents

héréditaires et personnels de la malade, sa très mauvaise

condition de santé, paraissaient imprimer à ce tableau le sombre

cachet de la tuberculose. La preuve que nous ne chargeons pas

artificiellement les teintes de ce tableau, c'est que le diagnostic

d'épilepsie sensitive, par lésions de l'écorche, fut posé et main-

tenu pendant longtemps; l'on parla même de la trépanation

du crâne; le pronostic, en conséquence, était des plus sombres,

La présence de la névrose hystérique, démontrée chez Gill....

par ses stigmates et par ses grandes attaques, ne s'opposait pas

à cette manière de voir, car les grandes attaques hystériques

et les crises épileptiformes se manifestaient d'une façon tout à

fait distincte et indépendante.

Or, l'on sait que l'hystérie peut s'associer à toutes les ma-

ladies organiques. C'est là un point de clinique bien illustré

par mon éminent maître et sur lequel il n'y a pas de doute

possible : la maladie organique et l'hystérie évoluent alors

chacune pour son compte en gardant leur individualité clinique.

C'était bien de cette façon que l'on avait interprété le cas de

Gill... : cependant, en étudiant avec soin ses antécédents mor-

394 pathologie NERVEUSE.

bides, nous pûmes démontrer que les accès épileptiformes

étaient, eux aussi, sous la dépendance de la névrose. L'évolution

de la maladie nous a- donné pleinement raison; à l'heure

présente il est évident que tous les phénomènes étaient

imputables à l'hystérie. Il nous paraît intéressant de montrer

par quelle voie nous étions parvenus à cette conclusion :

I. Les accès épileptiformes sont constitués par deux phé-

nomènes : a), une sensation de fourmillement et d'engour-

dissement ; - b), une paralysie de toute la moitié gauche du

corps. Les accès, dans leur expression symptomatique, repré-

sentent donc un équivalent sensitifet paralytique de l'épilepsie

partielle '. Comment les interpréter ?

a). Il est très facile de se persuader que le premier de ces

phénomènes est de nature identique aux paresthésies dont : 41 ? Gill... a souffert dans son enfance. En effet, celles-ci se

manifestaient tantôt spontanément, mais avec plus de fré-

quence, dans ses membres « lorsqu'ils étaient mal placés », de

façon à être sujets à une compression même peu prolongée;

d'autre part, nous avons fait remarquer que l'accès épilepti-

forme se manifestait constamment du côté du corps sur lequel

G... était resté couchée pendant la nuit. Ces sensations, après

être restées pour un certain temps systématisées à une moitié

du corps, ont perdu graduellement leur caractère accessionnel

et systématique, en assumant un type pour ainsi dire erratique,

en changeant avec une fréquence toujours croissante leur siège et

en devenant toujours plus limitées; ainsi à l'heure présente elles

ne sauraient se distinguer en rien des paresthésies, qui ont été

ressenties par G... dès son enfance. Nous nous croyons donc

autorisés à considérer ces troubles de la sensibilité comme de

nature identique : leur durée très longue, leur diffusion, leur

variabilité de siège en démontrent la nature fonctionnelle et

comme il n'y a dans G... d'autre maladie fonctionnelle que

l'hystérie nous devrions logiquement les rattacher à cette

névrose. A présent nous devons nous demander pourquoi cette

sensation anormale s'est systématisée pendant si longtemps

dans une moitié du corps. La raison en est facile. Les accès se

manifestèrent en 1889. A cette époque, à cause de l'Exposition,

1 Pitres. Etudes sur quelques équivalents cliniques de l'épilepsie

partielle. (Revue de Médecine, p. 609.)

l'hystérie ET LES maladies organiques DU cerveau. 395

ilyavaituneaffluenceénorme de consommateurs dans les restau-

rants où ! lime G... servait. Du matin au soir, elle devait servir ses

tables, obligée de porter sur son avant-bras gauche fléchi les vais-

selles contenant les portions qu'on lui demandait, tandis qu'avec

la main elle tenait tout ce qu'elle pouvait des autres objets néces-

saires au service. Parfois, dans le cours de la journée, épuisée

par la fatigue, elle s'abandonnait sur une chaise en appuyant

sa tête sur son bras gauche; elle s'endormait comme cela pour

de courts instants. Ainsi et par son genre de travail et par la

façon dont elle se reposait, Mme G... exposait journellement son

bras gauche et la moitié gauche de la face à une pression pro-

longée. Comme nous avons fait remarquer l'influence que la

pression a toujours manifestée dans la reproduction des troubles

de la sensibilité, je pense que c'est dans les circonstances,

ci-dessus énumérées, qu'il faut chercher la cause de la systé-

matisation de ces troubles à un côté du corps.

b). Pour ce qui est de la paralysie des membres, il est connu

qu'un certain degré de paralysie s'ajoute toujours aux sensa-

tions d'engourdissement. Après, nous ferons remarquer qu'à

l'époque à laquelle les premiers accès se manifestèrent, l'hys-

térie de M"'e G... était en pleine évolution. Outre la céphalée et la

rachialgie, elle éprouvait depuis quelque temps de la faiblesse

aux extrémités inférieures; très fréquemment, elle sentait ses

genoux se dérober sous elle brusquement ; ces phénomènes

étaient le prélude de la paraplégie qui se développa plus tard,

et il n'y a pas à se tromper sur leur nature : les névroses, les

affections dela moelle et des nerfs, qui peuvent les produire ces

phénomènes doivent ici être exclus d'une façon absolue. Ils

ne peuvent être imputés qu'à l'hystérie et plus particulièrement

à cette manifestation spéciale de la névrose, que le Maitre

a décrit sous le nom de « diathèse d'amiosthénie D. Or, l'on

sait que celle-ci peut être généralisée. Y a-t jl à s'étonner que

dans notre cas elle frappât le bras gauche, lequel comme les

jambes était sujet à un travail journalier très rude ?

La raison de ce que les troubles sensitifs et moteurs s'asso-

cièrent pour former un accès, qui avait tant de ressemblance

avec un accès épileptique, est peut-être à rechercher dans les

conditions mentales propres à l'hystérie; nous ne voulons pas

ici faire de la psychologie. Cependant, il n'estpasrare d'observer

des phénomènes, s'étant manifestés pendant un certain temps

séparément, s'associer tout d'un coup pour prendre une forme

396 pathologie NERVEUSE.

d'accès. Dansl'observation suivante, nous trouverons un exemple

remarquable de ce fait.

Maintenant nous devons analyser très brièvement les troubles

de l'intelligence et de la parole. Parmi les troubles de l'intel-

ligence, le phénomène qui tient la première place c'est la perte

de la mémoire. Celle-ci commença à se manifester chez G...

pendant l'exercice de son métier, «elle oubliait immédiatement

les ordres que les clients lui donnaient , et ce fut une des

raisons pour lesquelles elle dut abandonner le service. Or, il

faut réfléchir à nouveau combien cela était fatigant à cette

époque. Ce travail demandait une vigueur physique peu ordi-

naire, et une mémoire prompte et résistant au tapage; et à la

confusion inévitables dans ces circonstances-là. Y a-t-il lieu de

s'étonner que cette tension de l'esprit qui continua pendant

longtemps ait épuisé les facultés mentales de G.. ? Pas du

tout; nous le rappelons encore une fois; la névrose de G...

était encore dans sa pleine évolution : elle frappa les organes

les plus fatigués; c'est dans la règle, ainsi les troubles de la

motilité, de la sensibilité et de l'intelligence se développèrent

presque contemporainement, comme contemporaines avaient

été les causes qui leur avaient donné origine.

Du reste, l'amnésie est loin d'être rare dans l'hystérie. Au

contraire, l'on peut dire qu'elle constitue l'un des attributs de

l'état mental des hystériques; elle nous explique bien des phé

nomènes, principalement leurs fréquentes et bizarres contra-

dictions, sur lesquelles trop souvent l'on s'appuie pour les accu-

ser de simulation : nous ne voulons pas faire ici la psychologie

de l'amnésie hystérique. Nous rappellerons seulement qu'il y

a lieu de distinguer des formes généralisées, localisées et sys-

tématisées '.

C'est parmi celles-ci que nous croyons pouvoir classer des

accès d'aphasie motrice, que G... présenta dans sa première

' L'amnésie hystérique est à présent l'objet dans la clinique de

M. Charcot d'une étude très approfondie. Parmi les cas que j'ai pu y obser-

ver j'ai été frappé par le suivant, qui forma l'objet d'une intéressante

conférence de M. le professeur Charcot. Il s'agit d'une jeune femme,

laquelle après une violente émotion morale, présenta une hystérie con-

vulsive paifaitement caractérisée et un oubli complet de certaines cir-

constances de sa vie antérieure; entre autres elle avait complètement

oublié la langue anglaise qu'elle parlait couramment avant ce moment pour

être demeurée trois ans en Angleterre : dans le somnambulisme hypno-

tique elle réacquérait une partie des conditions perdues et de la façon

la plus parfaite la notion de la langue anglaise, qu'elle parlait sans diffi-

l'hystérie ET LES maladies organiques DU cerveau. 397 Î

année de maladie : « elle oubliait de temps à autre les mou-

vements nécessaires à l'articulation des mots ». Cette hypothèse

nous parait bien être en harmonie avec l'état mental de la

malade, dans lequel la perte de la mémoire comme nous l'avons

remarqué plus haut, tenait la première place. Du reste, l'aphasie

motrice a été observée d'autres fois dans l'hystérie ; Souza-

Leithe en a décrit un cas classique chez une jeune fille de

onze ans 1.

L'on peut dire la même chose pour la surdité ; elle peut être

provoquée par l'hystérie, comme le prouvent les observations

de Fulton, de Zaufall et de Rizu 2.

La guérison survenue est une démonstration qu'il s'agissait

hien d'aphasie et de surdité hystériques.

Pour ce qui est de l'amaigrissement, qui avait été une des

sources d'erreur, il était, lui aussi, sous la dépendance de la

névrose; et il n'y a dans cette interprétation rien d'étonnant.

En effet, l'on sait que la cachexie et le marasme peuvent, dans

l'hystérie, atteindre leurs dernières limites jusqu'à la mort 3.

En résumé, nous avons mis en relief dans G... la présence

de la névrose hystérique : nous avons cherché à montrer que

ses accès d'épilepsie sensitive, ses troubles du langage et de

l'intelligence étaient sous la dépendance de la névrose. Nous

devons maintenant rechercher si cette symptomatologie pour-

rait bien s'adapter avec l'hypothèse d'une lésion organique

culte pendant l'hypnose, tandis qu'au réveil l'oubli le plus complet se

rétablissait. Cela est un exemple classique d'amnésie systématisée.

Voir : Sopra un caso di amnesia retro-antero,gradu. Lezione del Prof

Charcot, in Riforma medica 1891, et les très intéressantes conférences

de M. le D' Janet sur l'anesthésie et l'amnésie hystérique, dans les

Archives de Neurologie, 1892.

1 Souza-Leithe. - Eludes de pathologie nerveuse, Steinheil, Paris,

1889.

V : Strassmann. Ein Fall von hysterischer Aphasie bei einem Knabe,

combinirl mit facialis Paralysie. D. medicinische IV, 1890.

1 Fulton. Ein Fall von hysterischer Thaubheit Zeitschrift sur

Ohrenheilkunde, B. XV, 1886, p. 307-310.

Zaufall. Casuistische 1111tiheilungen aus der K7t ! t ? sur Ohrenkranken

Prager medicinische Wochenschrift, ? ' 22, 23, 21 juin 1880.

Rizu. Surdimutité hystérique chez l'homme succédant à des attaques

de périodicité annuelle. {Bulletin de la Société des médecins de Jussyr

1887.) '

3 Voir dans les Leçons sur les maladies du système nerveux, t. III,

p. 213, la relation d'un cas extrêmement intéressant a ce propos. 1

398 pathologie NERVEUSE.

corticale; dans le cas négatif, nous aurions ainsi une démons-

tration en plus pour appuyer notre diagnostic.

Avant tout, nous ferons remarquer, en général, que l'absence

d'exagération des réflexes, des parésies ou paralysies persis-

tantes, de rigidité pupillaire, de lésions endoculaires, parlent

contre l'hypothèse d'une lésion organique, en considérant par-

ticulièrement que la maladie a duré presque trois ans.

En deuxième lieu, en passant en revue les différentes ma-

ladies qui pourraient avoir donné origine aux accès épilepti-

formes nous allons voir qu'aucune d'elles ne pourrait être

admise sinon à titre d'exception très rare.

En supposant une lésion organique du cerveau, nous devrions

admettre deux foyers, dont l'un dans l'hémisphère droit en

correspondance du centre moteur du bras, l'autre dans l'hémis-

phère gauche en correspondance de la circonvolution de Broca.

Cette multiplicité des foyers, s'étant établie presque contem-

porainement, nous porte tout de suite à discuter en première

ligne l'hypothèse d'une :

a. - Syphilis cérébrale : 1° Ses phénomènes les plus carac-

téristiques sont absents. 11 n'y a pas la céphalée nocturne,

intense, profonde, qui est caractéristique de la syphilis cérébrale.

La céphalée ici est très superficielle; on la provoque avec un

très léger frottement de la peau, tandis que la percussion sur

le crâne reste sans effet. Il manque l'exagération des réflexes

qui est un phénomène presque constant, selon Fournier'. 1.

Enfin l'évolution de la maladie est bien différente dans la

syphilis cérébrale. Ici, les phénomènes ont été plus graves

dans les premières années de la maladie : ils ont eu pour ainsi

dire une explosion tumultueuse, puis, graduellement, ils ont

diminué d'intensité; les accès d'aphasie motrice ne se sont pas

représentés. C'est le contraire que l'on observe dans la syphilis

cérébrale. Si l'on ajoute à cela l'absence de tout signe de l'in-

fection syphilitique, nous aurons un ensemble d'arguments très

solides pour exclure une telle hypothèse.

b. - S'agirait-il de tuberculose ? Les antécédents hérédi-

taires et personnels de la malade, son amaigrissement auraient

bien pu le faire supposer; mais cette hypothèse ne nous parait

pas admissible. En effet, si le foyer cortical eût été unique l'on

1 Fournier. La syphilis du cerveau, Paris, 1889.

L'HYSTÉRIE ET LES maladies organiques DU cerveau. 399

aurait pu supposer un tubercule solitaire, lequel après avoir donné

lieu à des phénomènes irritatifs dans le moment de son déve-

loppement eût subi après la transformation fibreuse ; son atro-

phie et une espèce d'assuéfaction de l'écorce subjacente auraient t

bien pu expliquer la diminution et l'arrêt des symptômes.

Mais cette hypothèse, qui aurait été admissible avec grand

peine si le foyer eût été unique, devient presque absurde dans

notre cas dans lequel les lésions seraient multiples. De plus,

ella n'est pas conciliable avec les très mauvaises conditions

générales dans lesquelles Mme G... s'est trouvée pendant presque

deux ans. Nous ferons, en outre, remarquer que le siège de

prédilection de la tuberculose de l'écorce cérébrale, c'est le

lobule paracentral, à savoir les centres excito-moteurs de la

jambe, tandis que dans notre cas les accès commencent par le

bras '.

c. Les accès épileptiformes seraient-ils la première

manifestation de la sclérose disséminée ? Il n'y a aucun symp-

tôme de cette maladie dans G... c'est vrai que Loewen-

feld 2 rapporte le cas d'une femme de trente-quatre ans chez

laquelle- pendant six ans des convulsions limitées au bras

gauche furent l'unique symptôme de la sclérose en plaques dont

le tableau complet se développa plus tard. Mais ce fait d'une

sclérose en plaques, maladie éminemment diffuse qui se mani-

feste pendant six ans avec un seul symptôme, nous parait tel-

lement exceptionnel, que nous ne croyons pouvoir le prendre

comme base d'un diagnostic.

d. - Aurait-on à faire avec la méningite chronique de

l'adulte à type hystéro-épileptique, décrite par le docteur

J. Lombroso 3 ? - Il manque de cette forme les phénomènes

les plus caractéristiques, la rigidité pupillaire, les altérations

du fond de l'oeil, les vertiges, la céphalée matutinée, etc.

e. - La paralysie générale et les tumeurs malignes ne

pourraient entrer en discussion ici pour des raisons évidentes.

f. Serait-ce l'épilepsie sensitive, dans notre cas l'équi-

1 Loewenfeld. Contribution à l'étude de l'épilepsie Jaclisonienne.

(Arch. sur Psichialrie, XXI. Observation première.)

' V. Charcot. Epilepsie partielle crurale et tuberculose de la région

paracentrale. (Gazette hebdomadaire de Paris, 1891.)

' Della méningite cronica dell' adulto e di una sua forma a lipo

isteroepilettrco. (Lo Sperimentale, 1891.)

400 PATHOLOGIE NERVEUSE.

valent du mal comitial ? Tous les autres phénomènes de

cette maladie sont absents; en outre, l'on sait que son début

au delà de trente ans est très rare.

Comme conclusion, nous voyons que l'épilepsie, soit essen-

tielle, soit de cause organique, ne pourrait être admise, dans

notre cas, qu'en nous basant sur des données exceptionnelles;

tandis que l'hypothèse d'hystérie est en parfaite harmonie avec

tous les phénomènes, avec l'évolution de la maladie et avec

son issue. Nous nous croyons donc autorisé à maintenir dans ce

cas le diagnostic d'hystérie.

Cette observation nous démontre combien M. Charcot est

dans le vrai lorsqu'il affirme que les symptômes sont comme

les lettres de l'alphabet; en les considérant isolément elles

n'ont pas de signification, tandis que, associées, elles acquièrent t

la valeur d'une idée.

Observation II. Hystérie à forme d'épilepsie partielle motrice.

Cha..., âgé de trente-six ans, lithographe, entre le 15 juin 1892

à 1a Jalpélrière (service de 11. le professeur Charcot).

Antécédents DE famille. Ses aïeuls maternel et paternel sont

morts à un âge très avancé, il ne sait si c'est par maladie ou par

vieillesse. Son père est un homme, très vigoureux et très sobre, tout

à fait exempt de nervosisme. Il mourut à l'âge de soixante-cinq

ans, huit jours après avoir subi l'extraction d'un calcul de la vessie

et, paraît il, à la suite de cette opération. Cha... a deux frères, l'un

âgé de quarante-deux ans, l'autre de trente-huit, ils sont couvreurs

de leur étal. Tous les deux jouissent d'une très bonne santé ; l'aîné

aime les boissons alcooliques, le plus jeune est sobre; tous les deux

sont un peu emportés. Une soeur ainée de Cha... de l'âge de cin-

quante-trois ans est obèse, mais elle ne présente pas de troubles

nerveux. La mère au contraire, est très emportée et, parait, un peu

bizarre; à lace de soixante-quatre ans, malgré les désirs de toute

sa famille, elle voulut se remarier; mais cette union ne fut pas

heureuse, les disputes conjugales étaient très fréquentes; dans une

de celles-ci, elle reçut sur l'oeil droit un très fort coup de poing; il

s'en suivit tuméfaction et suppuration qui dans peu de mois, ainsi

affirme Cha..., entraîna la mort. Pour compléter ce croquis sur l'état

de famille de Cha..., je dois ajouter qu'une soeur de sa mère est

très emportée et impressionnable, que deux de ses nièces, filles de

la soeur obèse, soutirent d'attaques hystériques

Antécédents PERSONNELS.- Cha..., dans son enfance n'eut aucune

maladie : il urina au lit jusqu'à l'âge de douze ans, mais dans

cette époque il ne présenta jamais d'accès convulsifs. A l'àge de

L'HYSTHRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 401

quatorze ans, il entre comme apprenti dans une lithographie;

ici pour son caractère très impressionnable et emporté il devient

bientôt l'objet des railleries de ses camarades qui se moquent

de lui et le font l'objet de plaisanteries quelquefois brutales. Son

caractère change, il devient triste, taciturne; des céphalées très

violentes se manifestent ; de temps à autre des crampes aux

doigts de la main droite qui l'obligent à interrompre le travail.

Ceci lui devient de plus en plus pénible ; à la fin de 1877, il aban-

donne la lithographie et il entre dans une fabrique de céramique

comme imprimeur. Dans son nouveau métier il est obligé de

manier des couleurs à base de plomb en poudre. Les effets de

l'intoxication saturnine ne tardent pas à se manifester; des co-

liques violentes, de l'anémie et un amaigrissement notable l'obli-

gent bientôt à abandonner celte fabrique à la fin de l'année 1880.

Il travaille successivement dans deux établissements lithographiques

en maniant le noir d'Allemagne, couleur à base de plomb, mais

qu'il croit moins nuisible parce qu'il est dissous. Dans celle pé-

riode, sa condition de santé s'améliore légèrement, mais l'espoir

de se conquérir une position plus aisée et plus sûre le conduit à

abandonner son métier et il entre en 1883 à l'arsenal de Puteaux

comme cartouchier, en attendant l'emploi plus commode et plus

lucratif d'imprimeur, qui lui avait été promis à brève échéance. '

Là, il eut à subir de violentes émotions morales. Parmi les car-

touches qui lui avaient été confiées, une cartouche Lebel fut sous-

traite ; la peur d'en être accusé le préoccupa énormément jusqu'à

ce que le vrai coupable fut découvert. Après cet incident, les maux

de tête, qui avaient continué à le tourmenter, devinrent plus intenses

et plus fréquents, s'accompagnant très souvent de diplopie et d'étour-

dissements. Cette diplopie lui arrivait soit pendant qu'il était à son

travail, soit dans les autres conditions de la vie. En 1884, il fut

mordu par un chien à un doigt de la main droite; il perdit beau-

coup de sang et la peur que le chien fut enragé le préoccupa pen-

dant plusieurs mois : en outre de cela il soutirait de violentes dou-

leurs à l'endroit de la morsure qui s'irradiaient à la face externe

du bras et à l'épaule. La douleur était plus forte le matin lors-

qu'il se réveillait, la main devenait froide, le bras lourd et faible,

presque complètement paralysé et trois heures environ devaient

s'écouler avant que Cha... pût reprendre son travail. Après quatre

mois Cha... pût se convaincre que le chien n'était pas enragé; les

douleurs et la paralysie transitoires, disparurent; seulement, de

temps à autre, Cha... éprouvait des]faiblesses dans la main et par-

fois les objets, qu'il tenait, lui échappaient. En outre de cela, le

bras droit devint le siège d'un tremblement dont les caractères

seront étudiés plus loin.

Dans le mois de septembre de la même année, Cha ? eut une

très grave hémoptysie, à la suite de laquelle il dut garder le repos

Archives, t. XXIV. 26

402 PATHOLOGIE NERVEUSE.

le plus absolu pendant un mois ; à cette période il commença à tous-

ser, particulièrement le matin, expectorant très abondamment des

matières muco-purulentes. Les accès de diplopie avec étourdisse-

ments s'accompagnèrent de faiblesses qui lui survenaient subite-

ment, il avait la sensation de la défaillance, il était obligé de

s'asseoir; après quelques instants tout rentrait dans l'ordre et

Cha... pouvait reprendre son travail. Il continua comme cela jus-

qu'en 1886. Ce fut en mai de cette année que les attaques consti-

tuées jusqu'à ce moment par la diplopie et les étourdissements se

complétèrent en présentant le tableau suivant :

Très souvent à la suite de contrariétés, mais quelquefois sans

aucune cause apparente, Cha... est pris d'une céphalée très intense,

il ressent comme une boule qui de l'estomac lui remonte à la

gorge, il se sent suffoqué, sa langue lui parait enflée, paralysée, il

ne peut pas parler, il voit les objets ;doubles, ses tempes battent

avec violence et ses oreilles sifflent, son intelligence se trouble, les

idées deviennent confuses; ces phénomènes durent deux ou trois

minutes, après, Cha... émet un cri rauque et il tombe à la renverse

perdant complètement connaissance. La tête est alors dans une

extension exagérée, sa face congestionnée, la bouche est tirée vers

la droite, les membres raidis, les poings fermés; la respiration est

ronflante, de l'écume sanguinolente s'accumule aux angles des

lèvres. Après quinze ou vingt minutes, Cha... reprend parfaitement

la conscience en se sentant beaucoup fatigué. Des attaques sem-

blables à celles-ci se sont reproduites jusqu'à l'époque présente à

des intervalles irréguliers (en moyenne tous les deux ou trois mois),

avec les mêmes caractères. Cependant il est intéressant de noter

que de temps à autre l'attaque est précédée soit d'un léger trem-

blement du bras droit, soit d'une légère parésie du même membre,

soit de tous les deux à la fois. Quelquefois ces légers tremblements.

se continue quelques secondes même après la perte de connais-

sance.

En 1891, Cha... n'espérant plus 'pouvoir obtenir dans l'arsenal

l'emploi d'imprimeur, qu'il attendait depuis si longtemps, en sort

pour aller travailler dans une lithographie. Mais la paye, très mi-

nime, la peur de devenir impuissant au travail, la préoccupation

de ne pouvoir pas satisfaire à ses engagements lui inspire un déses-

poir très grand et l'idée du suicide se présente à son imagination

avec une insistance toujours croissante; il parait qu'une telle idée

occupe son esprit même pendant l'attaque, en effet depuis quelque

temps (et c'est là le phénomène auquel nous faisions allusion

plus haut), pendant l'attaque il sort brusquement du lit en se diri-

geantvers la fenêtre; cet acte, qu'il accomplit, dans la plus profonde

inconscience, a éveillé dans l'esprit des personnes présentes l'idée

qu'il voulait se précipiter dans la rue pour se tuer; du reste, il n'op-

pose pas de résistance lorsque l'on veut le recoucher, il dort pen-

L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 403

dant plus d'une heure et, puis après il retrouve sa conscience en

oubliant complètement tout ce qu'il lui est arrivé.

Cha... depuis douze ans fait vie commune avec une femme pour

laquelle il a beaucoup d'affection. Voici les renseignements que

cette dame nous donne sur le caractere de Cha... : il est très affec-

tueux, triste, surtout avant la crise, il s'émotionne avec une faci-

lité extraordinaire, il est continuellement préoccupé par là crainte

de la misère, il est de caractère faible, il change très souvent de

résolution, toujours anxieux de trouver une situation qui le mette

à l'abri définitivement du besoin.

Examen OBJECT1F.-Ca... est de très haute taille, bien conformé;

la couleur de sa peau est pâle, légèrement terreuse, il est assez

maigre et il donne en somme l'impression d'un individu qui ne

jouit pas d'une bonne santé. Il se plaint de fréquentes faiblesses

avec sensation de défaillance ; il a tous les matins des accès de toux

avec expectoration rare.

Sensibilité. Dans le côté gauche du corps, on observe une

perte absolue de la sensibilité tactile, douloureuse et thermique ;

seulement le sens musculaire est conservé, mais très affaibli.

Le goût et l'odorat sont abolis complètement des deux côtés.

Cha... ne distingue pas l'odeur du sulfate de carbone ni le goût d'une

forte solution saline étalée sur la langue. L'ouïe a diminué à

gauche.

Appareil DE la vision (Examen fait par le Dr PARINAUD). - Les

globes oculaires sont mobiles normalement dans toutes les direc-

tions. Pas de nistagmus. Les pupilles réagissent bien à la lumière

et à l'accommodation. Pas de diplopie à l'examen avec les verres

Fig. 3 et 4. Char... 15 juin 1892.

404 PATHOLOGIE NERVEUSE.

de couleurs. Il y a anesthésie complète des conjonctives des deux

côtés. (Fig. 3 et 4.)

OEIL gauche. Il y a poliopie, macropsie et micropsie ; discroma-

topsie complète pour toutes les couleurs ; rétrécissement du champ

visuel à 60°. Pas de lésion du fond de l'oeil.

OEIL Droit. - Rétrécissement du champ visuel à 65°. Légère dis-

cromatopsie. Pas de lésion du fond de l'oeil.

Motilité. Cha... résiste très bien aux mouvements passifs,

imprimés aux différents groupes musculaires de ses membres. La

station debout, la démarche ne présentent pas d'anomalie. Pas de

signe de Romberg.

Le membre supérieur droit est le siège d'un tremblement qui

change de caractère d'un moment à l'autre ; il est en général à oscil-

lations très brèves et rapides, lesquelles parfois deviennent plus

amples et plus lentes, il se manifeste à l'état de repos, ne s'exa-

gère pas pendant le mouvement, il apparaît et disparait avec

une très grande facilité à la moindre occasion. Par exemple, tan-

dis que Cha... présentait son tremblement au maximum, je l'in-

vite à écrire son nom, ce qu'il exécute avec une calligraphie très

belle et très sûre ; une autre fois, tandis que j'étais en train de

lui prendre le tracé de son tremblement avec l'appareil de Marey,

je n'ai paspu le faire parce que le tremblement s'arrêta tout desuite.

Réflexes. Les réflexes conjonctivaux et pharyngiens sont ab-

sents. Les réflexes tendineux sont tout à fait normaux. Pas de dif-

férence d'un côté à l'autre. Le clonus du pied est absent.

Examen viscéral. ' '- Il nous révèle l'existence d'un emphisème

pulmonaire, d'une bacillose au sommet droit et d'une sténose mi-

trale. En effet, la sonorité est exagérée antérieurement sur toute

la surface de la poitrine. La matité absolue de'la région précar-

diaque a disparu. L'obtusité hépatique commence sur la ligne axil-

laire à la septième côte. Dans la région sous-claviculaire droite

très légère hypophonèse. A l'auscultation l'on observe une respi-

ration exagérée antérieurement et postérieurement dans les 2/3

inférieurs du poumon. Dans le 1/3 supérieur l'inspiration est

faible et rude, l'expiration prolongée avec des ronchus très nom-

breux particulièrement au sommet droit.

Le choc du coeur est apprécié dans le cinquième espace intercostal

un peu en dehors du mamelon. Le ton systolique à la pointe est

dur, frappant. Dans le. deuxième espace intercostal le bruit diasto-

lique est très manifestement dédoublé. Ce dédoublement est très

exactement limité à là base du coeur, et il ne se modifie pas pour les

' mouvements respiratoires. L'examen des viscères abdominaux

donne des résultats négatifs.

Diagnostic - 1° L'interprétation des crises convulsives,

L'HYSTÉHOE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 405

dont Cha... est victime, parait au premier abord presque

banale; en effet, la parésie, le tremblement du bras, l'aphasie

motrice, tous phénomènes qui accompagnent ou précèdent la,

crise,' trouveraient une explication tout à fait naturelle dans

une lésion organique située au niveau de la circonvolution

de Broca ou vers la . moitié de la circonvolution frontale

ascendante : de là partirait l'excitation épileptogène, laquelle

en se répandant à travers de l'écorce cérébrale donnerait lieu

à des phénomènes diffus (perte de la connaissance, contracture

généralisée avec morsure de la langue). Cette succession de

phénomènes n'est pas rare dans l'histoire des lésions corticales

etce n'est pas ici le lieu d'insister. Ce que nous voulons mettre

en relief, c'est que la supposition que nous venons d'exposer

n'avait rien d'invraisemblable; en effet, Cha... avait été envoyé,

à l'institut Pasteur pour y être soumis aux inoculations antiépi-

leptiques ; de là, il fut adressé à la Salpêtrière, comme suspect

d'une lésion organique du cerveau. ,

Ce qui contribuait à rendre le diagnostic très difficile c'était

la morsure de la langue, qui arrivait constamment dans toutes

les attaques. Or, on sait que c'est là un phénomène presque

caractéristique de l'épilepsie, mais il peut arriver aussi dans

l'attaque hystérique ; M. Charcot l'a observé quelquefois.

Du reste, il en est de ce cas comme du précédent : si l'on s'en

tient à l'examen de la crise en elle-même, le diagnostic d'une

grave lésion organique s'impose. Si l'on cherche à interpréter

les phénomènes convulsifs en les mettant en rapport avec les

antécédents morbides du malade, on arrive à une conclusion

diamétralement opposée. C'est ce que nous allons démontrer,

en analysant rapidement l'histoire pathologique de Cha....

2° Avant tout, Cha... est prédisposé par hérédité aux maladies

nerveuses. Cette prédisposition héréditaire se manifeste dès

son enfance par un caractère triste, impressionnable, taciturne

et par des céphalées très fréquentes et persistantes. Cha... a

manié le plomb pendant longtemps, il a même présenté des

phénomènes d'intoxication saturnine, il a eu à une certaine

époque de son existence une forte hémorrhagie, il est atteint

d'une affection cardiaque. Or, on connaît la relation qui existe

entre ces ordres de causes etle développement de l'hystérie grave'.

' V. G. Guinon. Les agents provocateurs de l'hystérie, Paris, 1889.

- Giraudeau. Rél1'écissemellt mitral et hystérie chez l'homme. (Arch.

géu. de méd., nov. 1890.) ,

406 PATHOLOGIE NERVEUSE.

' Nous avons'donc là des causes très puissantes d'hystérie qui

ne pouvaient pas manquer de produire leur effet sur un ter-

rain ainsi'prédisposé par hérédité.

a). A vingt-quatre ans, Cha... est victime d'une violente

émotion morale. Les céphalées, auxquelles il était sujet dès

sa jeunesse, s'aggravent; de temps à autre elles s'accom-

pagnent de diplopie et des étourdissements qui se présentent

sous une forme accessionnelle. Qu'étaient ces accès ?

Etaient-ce des équivalents d'accès comitial ? Manifestations

céphaliques d'une sclérose en plaques au commencement ?

Ebauchess d'attaque hystérique ? La dernière hypothèse nous

paraît la plus vraisemblable; en effet, l'accès comitial n'est

jamais précédé, que je sache, par la diplopie : pour ce qui est

de la sclérose à plaques, tous ses phénomènes sont absents ici,

tandis que les stigmates oculaires de l'hystérie sont au grand

complet. Or, la diplopie n'est pas un phénomène rare dans

l'hystérie et la parfaite fonctionnalité des muscles de l'oeil,

l'absence de phénomènes d'une autre maladie qui pourrait

nous expliquer la diplopie, nous autorisent à la considérer

dans notre cas comme une manifestation hystérique.

b). En or, Cha... est mordu par un chien au pouce de la

main droite; émotion très forte entretenue par la peur que le

chien fût enragé; pendant quatre mois, il a des accès'quoti-

diens intermittents de paralysie au bras droit qui cessent de

se présenter depuis que Cha... est convaincu que le chien

n'était pas enragé, seulement de temps à autre se présentaient

des faiblesses transitoires à la main droite, de laquelle quel-

quefois Cha... laisse échapper les objets.

L'interprétation de ces phénomènes n'est pas douteuse. Le

caractère éminemment transitoire et intermittent, l'absence

absolue d'altération trophique de la main et du bras, l'inté-

grité des réflexes et surtout les circonstances qui leur ont

donné origine démontrent bien qu'il s'agit de simples troubles

fonctionnels.

L'on peut dire la même chose pour le tremblement. Son

caractère intermittent, son rythme changeant d'un moment à

l'autre, sa non-modificabilité par le repos et par le mouve-

ment, son apparition et disparition pour des causes insigni-

fiantes, ne laissent pas de doutes sur sa nature ; évidemment

il s'agit d'un tremblement fonctionnel et comme Cha... est

hystérique, comme nous le démontrons par l'examen objectif,

L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 407

c'est à l'hystérie qu'il faut attribuer tous ces troubles mo-

teurs.

c). Dans la même année, Cha... présente une hémoptysie

très grave. L'examen objectif nous en donne les raisons; en

effet, nous avons trouvé au sommet droit des phénomènes de

bacillose '.

Dès cette époque, Cha... est sujet très fréquemment à des

sensations de défaillance qui l'obligent à s'asseoir et à inter-

rompre son travail; cette sensation se présente sous une forme

d'accès et s'accompagne de céphalée, de diplopie et d'étour-

dissements. Ces sensations sont-elles dues à l'anémie céré-

brale consécutive à l'hémorrhagie ? Il est possible que celle-ci

fut l'interprétation plus juste au commencement; mais com-

ment expliquer leur persistance depuis que Cha... eut réparé

les fâcheuses conséquences de sa bronchorrhagie, de façon à

pouvoir reprendre son travail ? Comment s'expliquer leur

forme d'accès en union aux autres phénomènes qui exis-

taient auparavant ? Il nous paraît plus logique de les inter-

préter comme une forme pas encore complète d'attaques hys-

tériques.

d). En 1886, enfin, des attaques convulsives éclatent et

persistent jusqu'à présent avec le même caractère, sinon que

depuis quelques mois il s'y est ajouté une ébauche de délire.

En résumé, dans la première jeunesse, caractère triste,

impressionnable, céphalées fréquentes, intoxication satur-

nine ; émotion morale grave et aggravation de la céphalée,

diplopie, étourdissements sous forme d'accès ; léger trauma-

tisme : paralysie et tremblement du bras droit ; hémop-

tysie grave et accès de céphalées, diplopie, étourdissements

avec sensation de défaillance; enfin, crises convulsives avec

perte de la conscience. Telle est l'histoire pathologique de

Cha.... Il est très facile de voir qu'elle se compose de tant

d'épisodes pathologiques, chacun desquels par ses caractères

intrinsèques, et par la nature de sa cause occasionnelle et par

son manque de proportion avec l'intensité de cette cause, porte

imprimé le cachet de la névrose hystérique. 11 est intéressant

1 La raison de ce que la tuberculose est restée limitée depuis si long-

temps à l'apex pulmonaire est peut-être à rechercher dans l'emphysème

pulmonaire diffus, dont nous avons trouvé les signes dans Cha.... Du

reste Ziemssen observe que l'évolution de la tuberculose est plus bénigne

dans les cas qui commencent comme celui-ci par une bronchorragie très

grave ?

408 PATHOLOGIE NERVEUSE. ,

de remarquer comment chacun de ces phénomènes s'est

superposé au sur et à mesure aux phénomènes antécédents de

façon à dessiner graduellement une attaque toujours plus

complète.

3° Les attaques actuelles sont donc pour ainsi dire le

résumé de tous les épisodes morbides antécédents. Nous y

retrouvons la céphalée, la diplopie, l'étourdissement, la paré-

sie, le tremblement du bras droit; en plus, s'y sont ajoutés

tous les phénomènes de l'aura hystérique au grand complet,

à savoir la boule qui remonte à la gorge, la sensation de

suffocation, le sitflement dans les oreilles, le battement dans

les tempes. La sensation de défaillance a été poussée jusqu'à

la perte de la conscience, et voilà l'attaque constituée.

Or, pourrions-nous logiquement renier la relation qui

existe entre celui-ci et les antécédents morbides de Cha... ? Et

si nous avions pu démontrer que ceux-ci sont de nature hysté-

rique, comment pourrions-nous admettre pour la crise actuelle

une origine différente ?

En présence de l'évolution de la maladie ainsi nette dans sa

signification étiologique et symptomatique, nous ne pouvons

nous en laisser imposer par un seul symptôme tel que la mor-

sure de la langue. Ceci du reste peut se rencontrer dans les

attaques hystériques ; notre éminent maître en a observé des

exemples. Pour ce qui est de l'aphasie motrice nous savons ce

qu'il faut en penser. Elle peut s'observer dans l'hystérie aussi

bien que dans les lésions organiques.

- Pour confirmer la nature hystérique de la crise, nous avons

encore un autre épisode qui s'y est interposé depuis quelque

temps : Cha..., quelques minutes après avoir perdu la cons-

cience, se lève brusquement en se dirigeant vers la fenêtre ;

cet acte pourrait bien être interprété comme un délire d'ac-

tion, et sa manifestation pendant l'attaque et dans l'état d'in-

conscience parfaite tient plus de la grande attaque hystérique

que de l'épileptique. Il faut noter encore que jamais le malade

pendant l'attaque n'a uriné sous lui, comme il arrive d'ordi-

naire dans l'accès épileptique.

4° Nous avons enfin dans Cha... des stigmates hystériques

b ien caractérisés : : 1° une hémianesthésie sensitivo-sensorielle à

gauche, et un rétrécissement concentrique du champ visuel.

Tous ces phénomènes peuvent être observés dans l'épilepsie,

mais seulement d'une façon transitoire. Le professeur Charcot

L'UYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU . 409

et le Dr Parinaud (Leçons du Mardi, 1889, p. 422) ont dé-

montré, en se basant sur 74 observations d'épileptiques, que

le rétrécissement suit immédiatement les accès, exceptionnelle-

ment il peut les précéder comme une aura; jamais il n'est

permanent, à moins que l'hystérie ne complique l'épilepsie

comme il arrive sur 11 des i cas étudiés par ces obser-

vateurs, ou à moins que les accès ne se succèdent avec une

grande fréquence (chaque cinq ou six jours). Aux mêmes

conclusions est arrivé d'Abundo, lequel, en outre, a observé

que le champ visuel dans l'épilepsie a des contours très

irréguliers.

Dans notre cas, le rétrécissement a persisté pendant tout le

temps passé par Cha... dans la clinique (douze jours), et pen-

dant cette période le malade n'a pas présenté d'attaques. En

outre, la forme du rétrécissement est très régulière comme

on peut s'en convaincre en observant le schéma. Il présente

donc l'évolution et le caractère du rétrécissement que l'on

observe dans l'hystérie.

Pour ce qui est de l'hémianesthésie, les considérations sont

les mêmes, elle peut survenir après l'accès épileptique, mais

d'une façon transitoire. De plus, elle n'est pas aussi complète

et profonde que dans l'hystérie : c'est ce qu'enseigne M. le

professeur Charcot. Contre cette manière de voir se sont élevés

récemment MM. Féré et Déjérine. Dans une récente commu-

nication à la Société de biologie (séance du 2 août 1892,

Semaine médicale, p. 311), Féré rapporte que dans les deux

tiers des épileptiques il a trouvé des altérations de la sensibi-

lité spécifique particulièrement du goût et de l'odorat, en

outre des altérations de la sensibilité générale. Il en conclut,

avec M. Déjérine, qu'il y aunehémianesthésiesensitivo-senso-

rielle épileptique impossible à distinguer de celle qui accom-

pagne l'hystérie. Mais nous ferons observer que pour cons-

tater la modification de la sensibilité spécifique, M. Féré s'est

servi d'un procédé qui consiste à chercher le minimum percep-

tible étudié au moyen de solutions titrées décimales de subs-

tances cristallisables. Or, la délicatesse du procédé employé

par Féré nous parait dénoter que les altérations qu'il cherche

doivent être bien légères, tandis que dans l'hystérie il n'y a

pas besoin de procédés délicats ; les plus fortes stimulations

ne sont pas perçues. Dans notre cas le sulfure de carbone et

une solution saline très forte n'ont produit aucune sensation.

410 PATHOLOGIE NERVEUSE.

L'anesthésie était profonde et le sens musculaire avait presque

disparu. De plus elle a persisté longtemps comme le rétrécis-

sement du champ visuel : nous pouvons donc les considérer

tous les deux comme la caractéristique de la névrose hysté-

risque et pas de l'épilepsie.

En outre de ces stigmates nous en avons d'autres non moins

importants, nous voulons parler des troubles oculaires carac-

térisés par la polyopie, par la micropsie, par la macropsie mo-

noculaire ; ces troubles de l'accommodation, selon le Dr Pari-

naud, dont la compétence dans cette matière est bien connue,

sont presque spécifiques de la névrose hystérique.

Comme conclusion, l'examen objectif en nous révélant des

stigmates très nets de la névrose hystérique confirme notre

diagnostic d'hystérie qui était basé sur l'étiologie et sur l'évo-

lution de la maladie.

OBSERVATION III. - Hystérie à forme d'épilepsie partielle crurale.

Bar..., âgé de dix-sept ans, de Limoges, entre le 3 juin 1892

à la Salpêtrière (service de M. le professeur CHARCOT).

Antécédents de famille. Son père mourut à l'âge de quarante-

cinq ans, après une maladie de deux mois, sur laquelle on ne peut

pas avoir de renseignements précis. Sa mère vit, et jouit d'une

très bonne santé. Ses aïeux sont morts à un âge très avancé; il a

un frère de dix-neuf ans un peu irritable. Sa soeur, âgée de douze

ans, est très bien portante. De ses parents aucun ne soutire de

maladies nerveuses.

Antécédents personnels. - Dès sa première enfance B..., a

exercé le métier de saltimbanque avec sa famille. A cause de son

métier il est tombé très fréquemment de hauteurs parfois consi-

dérables en frappant de la tête : à dix ans il tomba sur son bras

droit en se luxant l'épaule, laquelle fut remise à sa place immé-

diatement ; ni de cette chute ni des autres il ne s'ensuivit pas

d'autres conséquences.

Malgré la dureté de son métier vagabond, B... a toujours joui

d'une bonne santé jusqu'à l'âge de treize ans. A cette époque il se

trouvait un jour sur la place publique pendant qu'un orage très

fort éclatait; la foudre tomba près de lui, B... fut tellement

effrayé qu'il perdit connaissance et tomba à terre. Dans cet état

d'inconscience qui dura quelques minutes, il ne se mordit pas la

langue et n'urina pas sous lui. Lorsqu'il revint à lui, il était simple-

ment un peu étourdi; son étourdissement se dissipa bientôt et pour

un an il n'eut à souffrir aucun trouble digne d'être remarqué. Un

L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 411

an après son premier accident sa maladie actuelle se manifesta de

la façon suivante. Une nuit, tandis qu'il dormait très profondé-

ment, la scène de la foudre se représenta à son esprit; très effrayé

il se réveilla en sursaut avec une très violente angoisse précor-

diale. Il ressentit au mollet de la jambe gauche une crampe très

douloureuse, une sensation de froid qui envahit très rapidement la

partie gauche de son corps; la jambe se raidit en extension et fut

soulevée au-dessus du lit, le bras en extension et en forte adduc-

tion se leva au-dessus du niveau de 'l'horizontale, l'angle labié

gauche s'étira en dehors, après les deux membres successivement

furent pris de convulsions cloniques très rapides, ayant commencé

par la jambe et qui respectèrent les muscles de la face et des yeux.

Après quelques minutes la crise prit fin, enlaissant B... très fatigué.

Des attaques semblables à celle-ci se répétèrent pendant trois

mois tous les huit ou dix jours, en se présentant le matin ordinaire-

ment vers les 5 heures; après, ils survinrent même pendant le

jour; trois fois C... tomba devant le public. Effrayé par ces atta-

ques qui augmentaient de fréquence, son état physique et moral

se troubla; six mois après au commencement de la maladie il fut

obligé d'interrompre son métier. Soumis' à un traitement hydro-

thérapique, il s'en trouva bien; les crises nerveuses s'arrêtèrent et

B... parut guéri. Au commencement de 1890 il reprit son travail;

mais les affaires allaient mal pour la petite troupe; B... s'ali-

mente mal et dort peu; ainsi après quatre mois d'accalmie les

convulsions reprennent avec une intensité plus grande; dans une

journée il présente vingt-huit attaques convulsives; il entre alors

à la Salpêtrière, il y reste trois mois, soigné avec des douches et

du bromure, il en sort guéri. Il reprend son métier; après huit

mois de bonne santé, une nouvelle série d'attaques se représente;

il rentre alors pour la deuxième fois à la Salpêtrière en janvier

1891, il en sort en bonne santé le 11 février. Au commencement

d'avril, nouvelle série d'attaques, il rentre à la Charité où on le

traite par l'hypnose. Sorti de la Charité il se trouve bien jus-

qu'au 29 mai ; ce jour-là, à 5 heures du matin, une de ses attaques

ordinaires le prit. A la fin de l'attaque le bras et la jambe gauche

étaient complètement paralysés, le mouvement le plus léger

même avec le doigt est impossible, le bras pend flasque le long

du corps, la jambe git dans le lit comme une masse inerte. Les

plus fortes excitations, comme les brûlures, les sinapismes ap-

pliqués sur la peau, ne sont pas ressentis; le sens musculaire est

aboli, B... ne sent pas ses membres. A ces attaques s'en ajoutèrent

seize à de brefs intervalles, dans la même journée. Après la der-

nière attaque, qui survint le soir à huit heures, il ressentit dans la

jambe et dans le bras une sensation de chaleur, en peu de minutes

le mouvement revint complètement dans les deux membres et

C... fut en mesure de pouvoir sortir de son lit.

412 PATHOLOGIE NERVEUSE.

Le jour suivant, il eut deux attaques, une le matin à 8 heures et

l'autre le soir. Elles ne furent pas suivies de paralysie.

Le troisième jour il eut une attaque le matin à 5 heures, qui

fut suivie de perte de la connaissance, qui dura vingt minutes.

Cette attaque ne fut pas suivie non plus de paralysie des membres.

Le fait d'avoir perdu connaissance, ce qui lui arrivait pour la

première fois depuis l'accident de la foudre, effraya beaucoup B....

Le jour suivant il entra à la Salpêtrière.

Examen objectif. (Pratiqué le 4 juin 1892.) - B... est un garçon

pâle et maigre, il a l'apparence d'un enfant de douze ans, tandis

qu'il en a dix-sept. Il a le crâne très développé, le cou long et

maigre, les yeux vifs et intelligents. Dans l'ensemble, il ne donne

pas l'impression d'une santé très bonne. ,

SE\$IB1LITÉ ? La sensibilité a la douleur, tactile et thermique est

abolie complètement dans toute la moitié gauche du corps. On

n'obtient pas de sensation de chaleur avec le. thermo-esthésio-

mètre chauffé à 60 degrés. L'anesthésie est profonde : on peut

tordre les articulations sans que B... montre de la souffrance. Le

sens musculaire est absent. B... ignore absolument les diverses

positions imprimées à ses membres gauches. Les conjonctives et

le pharynx sont insensibles des deux côtés. Le goùt.et l'odorat sont

abolis complètement. Leur abolition est bi-latérale.

Appareil de la vision. 11 y a à gauche un rétrécissement con-

centrique du champ visuel à 40 degrés. La perception chromatique

est affaiblie. La perception du violet est abolie complètement. Le

contraste qui existe entre les deux côtés est frappant : tandis

qn'avec l'oeil droit il reconnaît rapidement les plus légères grada-

Fig. 5 et 6. -Bar... 20 juin 1892.

L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 413

tions de toutes les couleurs, le violet compris, du côté gauche il

donne un jugement exact seulement sur les gradations d'intensité

moyenne et encore avec beaucoup de peine. Il appelle le violet

noir ou bleu. (Fig. 5 et 6.)

L'acuité visuelle est normale. Pas de micropsie, de macropsie,

de poliopie monoculaire. Les pupilles réagissent très bien à la lu-

mière et à l'accommodation. Les mouvements des globes oculaires

sont normaux dans toutes les directions.

Motililé. La démarche, la station debout, ne présentent aucune

anomalie. Le signe de Romberg est absent. La force musculaire est

presque égale des deux côtés : l'index dynamométrique marque 23

à la main droite, 23 à la main gauche. ,

Réflexes. - Sont absents les réflexes du poignet, le clonus du

pied, le réflexe conjonctival et le réflexe pharyngien des deux côtés.

Le réflexe olécranien est absent à gauche, très faible à droite; le

réflexe abdominal crémastérique, le glutée et les patellaires bien

développés des deux côtés.

B... est resté à la Salpêtrière jusqu'aux premiers jours de juillet.

Dans cette période il a présenté des attaques en tout semblables

aux dernières. Il est à remarquer que ces attaques lui survinrent

dans deux nuits successives à des journées passées par B... dans sa

famille'.

Dans ces attaques, pendant la phase comateuse, ses voisins de

lit ont entendu qu'il criait : maman ! maman ! La sensibilité ne

s'est pas modifiée notablement. Les conditions générales au con-

traire se sont améliorées considérablement.

Diagnostic Le tableau d'une épilepsie motrice crurale

est ici d'une netteté remarquable. Crampes au mollet gauche,

sensation de froid qui gagne rapidement toute une moitié du

corps, ensuite convulsions toniques et chroniques des deux

membres, débutant par l'extrémité inférieure; c'est bien là le

syndrome qui correspond à une lésion du lobule parencentral.

Et tel en effet fut le diagnostic porté du premier coup, main-

tenu pendant longtemps. Cependant, même pour ce cas, le

diagnostic d'hystérie peut être affirmé en se basant sur les argu-

ments suivants :

1° Depuis trois ans que la maladie dure, on n'observe pas

des lésions de motilité ni de l'exagération des réflexes. La

force musculaire pour, vrai dire est un peu affaiblie, mais elle

1 Cette circonstance me rappelle un fait fort intéressant relaté par

M. Charcot (Leçons sur les maladies du système nerveux, t. III, p. 80),

qui démontre combien le milieu de famille est, favorable à l'entretien

des accidents hystériques. ' ' * J

414 4 PATHOLOGIE NERVEUSE.

l'est des deux côtés; cette faiblesse est en harmonie avec les

conditions générales et avec le développement de Bar... qui

est au-dessous de la proportion désirable pour son âge. Pour

ce qui est des réflexes, non seulement ils ne sont pas exagérés,

mais le réflexe olécranien est absent à gauche.

2° L'attaque est toujours précédée par un aura psychique;

le malade rêve toujours à l'éclat de foudre, à la suite duquel

il eut la première attaque. Or, cette modalité de l'aura nous

paraît bien plus en harmonie avec l'hystérie qu'avec l'épilepsie.

En outre de cela, pendant la période comateuse de l'attaque,

Bar... crie : « Maman ! maman ! » comme s'il appelait au

secours; or, il nous paraît que cette ébauche de délire, en

union avec l'aura indiquée ci-dessus, nous révèle des conditions

mentales plus propres à l'hystérie qu'à l'épilepsie : du reste,

nous reviendrons sur ce point.

3° La paralysie survenue après la première attaque, dans la

série qui s'est présentée à la fin de mai, disparut complète-

ment après la seizième attaque survenue le même jour. Or il

est caractéristique des paralysies hystériques de se manifester

et de disparaître après les attaques; tandis qu'après les accès

épileptiques, peuvent survenir desparalysies, mais je ne crois pas

qu'après l'un de ces accès, se manifeste la disparition brusque

d'une paralysie préexistante, comme il est arrivé dans notre cas.

4° Dans la dernière série d'attaques, il est encore à remar-

quer la particularité suivante : Le premier jour, il ne se mani-

feste pas de perte de la connaissance, et après la première

attaque une paralysie suivit; le deuxième jour, après la phase

convulsive de l'accès, Bar... perdait complètement la connais-

sance (ce qui, dans l'hypothèse d'une lésion organique, aurait

dû constituer un signe non douteux de son aggravation), tandis

que ni après ceci, ni après les autres accès consécutifs, jamais

ne se manifestèrent les troubles moteurs. Or cette incohé-

rence parmi les phénomènes, nous parait déposer en faveur de

l'hystérie.

fin Il est à remarquer que les attaques ont toujours disparu

après l'entrée de Bar... dans les hôpitaux, à la suite du traite-

ment hydrothérapique ou hypnotique.

6° Nous devons enfin considérer l'absence de tous les phé-

nomènes de lésions organiques du cerveau, et d'un autre côté

la présence des stigmates hystériques, à savoir l'anesthésie

complète tactile, à la douleur et thermique à gauche, la perte

L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 413

du sens musculaire du même côté, l'anesthésie des conjonc-

tives, du pharynx, l'abolition de l'odorat et du goût, la dischro-

matopsie, le rétrécissement du champ visuel, tous phénomènes

persistant, même plusieurs jours après la crise, comme nous

l'avons pu constater lors du séjour de Bar... à l'hôpital. Pour

toutes ces considérations, nous nous croyons autorisé à émet-

tre, même pour ce cas, le diagnostic d'hystérie.

Pour ce qui est de l'étiologie de ce cas, elle nous parait très

intéressante. Les causes prédisposantes ont été créées par la

chétive constitution physique de Bar..., non proportionnée

aux dures exigences de son métier fatigant et vagabond.

L'éclosion de la névrose a été déterminée par la frayeur, de

laquelle Bar... fut victime lors de l'éclat de la foudre; nous

avons au moins de bonnes raisons pour l'affirmer.

Il existe, en effet, des cas d'hystérie bien avérée, provoqués

par l'éclat de la foudre. Le professeur Charcot, dans ses Leçons

du mardi1, en rapporte un cas très beau, en l'illustrant avec

d'autres cas tirés de la littérature. L'on peut m'objecter que

dans notre cas furent absents les signes les plus caractéris-

tiques de la fulguration, à savoir le délire et les troubles de la

sensibilité, de la motilité, consécutives au choc électrique;

mais dans l'espèce, cette absence ne nous paraît pas très impor-

tante. 'En effet ce qui ne manquait pas. ici fut une très forte

frayeur et un ébranlement psychique qui se traduisit par une

perte de connaissance de quelques minutes. Maintenant, qui

ignore que les émotions violentes figurent parmi les agents

provocateurs, pour ainsi dire banals de l'hystérie ?

Une deuxième objection pourrait être fournie, parce que les

crises convulsives se développèrent chez Bar... un an après

l'accident dont il fut victime. Je répondrai par les exemples

cités par le professeur Charcot dans la leçon dont il s'agit.

Le premier appartient au professeur Nothnagel2. Il concerne

un forgeron âgé de trente-six ans qui fut observé pour la pre-

mière fois le 24 octobre 1879. Six ans auparavant, il fut frappé

par la foudre et resta sans connaissance. Lorsqu'il revint à lui,

sa main droite était insensible et complètement paralysée.

Après six semaines, la sensibilité et les mouvements réappa-

rurent brusquement. Six ans après, pendant qu'il était occupé

1 Policlinique du Mardi, 1888-1890, p. 435.

' Virchow's.- Archiv., 1880, t. LXXX, p. 345.

416 PATHOLOGIE NERVEUSE.

à son travail, le marteau lui parut lourd et la paralysie du

mouvement et de la sensibilité dans la main se produisit rapi-

dement comme la première fois. La guérison survint quatre

mois après, à la suite de l'application de l'aimant.

Un autre exemple nous est fourni par l'observation de Gibier

de Savigny '. Un homme de vingt-huit ans, infirmier de son

état, fut frappé par la foudre; il perdit connaissance; lorsqu'il

revint à lui, son membre supérieur droit était paralysé, insen-

sible et flasque. La guérison survint après six mois. Cependant,

après cette époque, à l'approche des orages, la paralysie de

la sensibilité et de la motilité réapparaissait dans le bras pen-

dant quelques heures. D'autres fois, le malade était sujet à des

crises convulsives débutant par la main droite et suivies de

perte de la connaissance (attaques hystériques à forme d'épi-

lepsie partielle). Dans les intervalles, santé parfaite, pas de

troubles de la motilité, ni de la sensibilité.

L'hystérie, dans ces cas, saute aux yeux, comme dit M. Char-

cot. Ils démontrent non seulement que la fulguration peut

provoquer l'hystérie, mais que ses effets immédiats ont eu de

l'influence sur les modalités cliniques ultérieures de la névrose.

Même sous ce rapport, notre cas est analogue aux précédents.

A ce propos, il suffit de se rappeler que le rêve de la foudre

précède constamment les attaques et qu'il s'accompagne tou-

jours d'une profonde sensation de frayeur. Bal'... se réveille

en sursaut, terrifié. En considérant cet aura psychique et cer-

tains phénomènes du syndrome qui la suivent, l'on serait

même tenté d'interpréter ceci comme une attaque émotion-

nelle ; en effet l'angoisse précordiale, le refroidissement et le

tremblement des membres figurent bien parmi les manifesta-

tions communes des états émotifs; mais nous ne voulons pas

pousser l'interprétation au delà des limites qui nous sont assi-

gnées par l'observation rigoureuse des faits. Il nous suffit

d'avoir fait remarquer le rapport qu'il y a entre les attaques

de Bar... et l'accident de la foudre. Ce rapport montre que cet

accident a été la cause provocatrice de la névrose, et il nous

révèle en même temps dans Bar... un état mental hystérique

des plus caractéristiques.

1 Revue médicale française et étrangère, 19 mars 1891.

L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 417

Observation IV. Hystérie à forme d'épilepsie partielle motrice

simulant l'évolution de la syphilis cérébrale.

Fiq... âgé de trente-cinq ans, graveur sur cuivre, se présente à

la consultation externe de la Salpêtrière, le 21 juin 1892.

Antécédents DE famille. Son père est mort à quatre-vingt-

trois ans, d'un cancer à la face; sa mère à un âge très avancé et,

parait-il, d'apoplexie. Un oncle maternel est hémiplégique, dès

l'âge da huit ans.

Antécédents personnels. - F... n'a jamais eu de maladies graves.

Pas de syphilis ni d'alcoolisme. Il est marié depuis onze ans; ce

mariage qu'il a contracté contre la volonté de sa famille lui a causé

beaucoup de chagrin et de discussions avec ses parents. Il a deux

fils, l'un âgé de six ans, l'autre de onze ans. Tous les deux sont

maladifs, ils présentent des engorgements glandulaires. Sa femme

est sujette au moins une fois par mois à des crises nerveuses ayant

le caractère hystérique.. ' *

F... a toujours été d'un bon caractère jusqu'à il y a cinq ans.

Depuis cette époque, à la suite de discussions plus vives avec ses

parents, son caractère changea complètement. Il devint triste,

taciturne, brutal jusqu'à frapper sa femme.

Il y a deux ans, il eut une première attaque d'influenza qui se

passa sans laisser de conséquences. En juin 1891, il eut une

deuxièmealleinte d'influenza à la suite de laquelle il resta très faible.

Depuis celte époque sa santé n'a plus été bonne. La faiblesse que

lui avait laissé la maladie infectieuse réagit sur son esprit et la peur

de ne pas récupérer les forces nécessaires à l'entretien de sa famille

commença à le préoccuper. Il souffrait, en outre, depuis l'iu-

fluenza, de céphalées continuelles, qui s'exacerbaient pendant la

nuit, devenant presque intolérables. Dans la nuit du 12 septembre,

il eut une céphalée tellement atroce qu'elle lui arracha des cris.

Tandis qu'il était descendu de son lit pour chercher de l'eau froide,

il fut pris subitement d'une faiblesse, il se sentit s'affaisser et

tomba la face sur le lit, en restant avec les jambes appuyées sur

le sol, en perdant complètement connaissance. Après quelques

minutes il revint à lui, la céphalée continua pendant quarante-

huit heures en l'obligeant à garder le lit. Le troisième jour il

s'aperçut qu'il bégayait et bredouillait. Ces troubles du langage

persistent même à présent.

Le 24 septembre, il eut une deuxième crise nerveuse. Cette

fois, après avoir perdu connaissance, il eut une contracture succes-

sive des deux extrémités supérieures; les bras se contractèrent

dans une forte adduction, l'avant-bras et les poings dans la

flexion maxima, les doigts à demi fléchis. La perte de connaissance

dura quelques minutes, comme la première fois, et lorsqu'il

Archives, t. XXIV. 27

418. PATHOLOGIE NERVEUSE.

revint à lui, aucun phénomène digne de remarque ne suivit son

accès. Après cette crise, F... entre à l'hôpital Tenon, où il est

soigné pendant quatre mois avec des frictions mercurielles et des

iodures.

Au commencementde janvier il eut une troisième crise : celle-ci

eut le même caractère que la deuxième, elle fut suivie par une fai-

- blesse de la jambe droite qui persista jusqu'à présent. Enfin vers*

le milieu de mai, F... fut victime d'une dernière crise après

laquelle il ressentit de la faiblesse au bras droit tandis que

celle de la jambe devint plus forte. Après celte crise il resta

vers la moitié du pli de l'aine droite une zone hypérectbésique, dont

la. pression provoque des douleurs qui s'irradient dans le ventre.

Dans cette période de temps, il avait de temps à autre des accès

d'aphasie motrice; il cherchait les mots et il ne pouvait les trouver,

il restait quelques minutes impuissant à exprimer sa pensée avec

le langage parlé. Parfois il lui était possible de se faire comprendre

en écrivant, mais d'autres fois la faculté d'écrire paraissait elle-

même supprimée pour quelques minutes.

. Les céphalées continuèrent toujours avec le même caractère; la

faiblesse de ses membres droits s'accrut tellement que son travail

, lui devint impossible, ainsi il se présenta à la Salpêtrière pour

entrer à l'hôpital. Malheureusement, il n'y avait pas alors de lits

. disponibles et je n'ai pu suivre le malade minutieusement comme

je l'aurais désiré. Cependant je pus l'examiner deux fois et voici ce

que j'ai trouvé : .

. Examen objectif. (Pratiqué le 21 juin 1892.) Il est de petite

taille, avec de rares cheveux rougeâtres sur le crâne, des yeux

grisâtres et une physionomie un peu hébétée. Il présente une

gibbosité à la partie supérieure de la colonne vertébrale, gibbosité

qui apparut dans son enfance.

Sensibilité. La sensibilité à la douleur est complètement abolie

sur toute la moitié droite du corps. On peut soulever la peau en

plis et y passer des épingles sans y provoquer la moindre sensa-

. lion douloureuse. La sensibilité thermique est atteinte à un très

fort degré. Une pièce de glace promenée sur la surface de la

peau à droite ne provoque aucune sensation de froid. L'applica-

tion du thermo-esthésiomètre chauffé à 55 degrés ne donne pas de

sensation de chaleur; à 85 degrés il réveille par-ci par-là une très

légère sensation de chaud, qui n'est même pas douloureuse. Il y a

,un mois, F... reçut une brûlure à la main droite sans s'en aperce-

voir.

Au contraire, la sensibilité tactile est très bien conservée. Le

contact d'un morceau de papier frotté tiès légèrement sur la sur-

face du corps est perçu avec toute la rapidité et la netteté dési-

rables. '

L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 419

Sensibilité spécifique. L'odorat est très altéré, le sulfure de

carbone lui produit une impression agréable, il le prend pour

de l'éther. Le goût est aboli complètement à droite, l'ouïe très

affaiblie.

Appareil de la vision.- Rétrécissement concentrique du champ

visuel à droite à 70 degrés. La notion du violet est perdue des deux

côtés, absence des autres stigmates oculaires. Pas d'altération dans

les muscles externes et internes de l'oeil. Pas d'altération au fond

de lui).

Motilité. - La force musculaire dans les membres est au-dessous

de la normale, particulièrement à droite. L'index du dynamo-

mètre donne 25° pour les deux mains. Cependant la faiblesse des

deux membres de droite devient bien plus forte après un exercice

musculaire même peu prolongé. Par exemple, F... pendant deux

ou trois minutes peut écrire avec une calligraphie très belle et

très sûre, mais après ce laps de temps, sa main se fatigue et la

plume s'échappe de ses doigts. La même chose arrive pour les

membres inférieurs droits. Si F... marche peu d'instants, on

ne remarque rien d'anormal, mais après une marche un peu

prolongée, il traîne sa jambe droite d'une façon tout à fait

caractéristique, il présente à ne pas s'y tromper la démarche

de Tood.

Réflexes. - Le réflexe du poignet, l'olécrânien et le patellairebieu

conservés, un peu plus vifs à droite, sans être exagérés ; le réflexe

conjonctival est aboli à droite, très faible à gauche; les crémasté-

riques sont très faibles des deux côtés.

Troubles de la parole. - F... présente un bredouillement et

un bégaiemennt qui datent de sa première crise. Ils sont parfois

tellement intenses que F... ne réussit pas à se faire comprendre.

D'autres fois ces troubles disparaissent presque complètement et F...

parle comme un individu qui a la langue sèche par la soif. Du reste

pas de trace d'aphasie sensorielle ou motrice.

Diagnostic. - Ce cas nous offre un tableau extrêmement

ressemblant à celui de la syphilis cérébrale : céphalée atroce

s'exacerbant la nuit, persistant pendant des mois, ictus apo-

plectiforme suivi de troubles du langage écrit et parlé, attaques

convulsives avec paralysie consécutive de la jambe et du

bras : c'est bien là le tableau classique qui a été si bien décrit

par M. Fournier dans son livre sur la syphilis cérébrale; et

en effet, les médecins de l'hôpital Tenon eurent certainement

le soupçon de cette affection, puisqu'ils soumirent Fiq... au

traitement spécifique. Et cependant, même dans ce cas, le dia-

420 ' PATHOLOGIE NERVEUSE.

gnostic d'hystérie nous parait le plus rationnel. Il s'appuie

principalement :

1° Sur les troubles du langage; 2° sur le caractère de la

paralysie consécutive à l'un des accès convulsifs; 3° sur la

présence des stigmates : "-

1° Pour ce qui est des troubles du langage, l'aphasie mo-

trice et l'agraphie pourraient nous laisser incertains sur la

nature de l'affection qui leur a donné origine. Tous les deux

peuvent se rencontrer aussi bien dans l'hystérie ', que dans les

affections organiques,.sans que dans un cas ou dans l'autre il

y ait des caractères différentiels précis; mais en outre de ces trou-

bles, nous en avons rencontré un autre chez Fiq... et ceci est

absolument de nature hystérique; nous faisons allusion au

bégaiement et au bredouillement; en effet, pendant que nous

examinions Fiq... nous pûmes constater que ces phénomènes

changeaient d'un moment à l'autre d'intensité, parfois ils dispa-

raissaient tout à fait, parfois ils devenaient tellement intenses

quele langage de Fiq... était presque impossible à être compris.

Or, on ne retrouve pas cette allure-là dans le bredouillement

symptomatique des lésions organiques. En outre, dans notre cas,

il n'y avait pas de trace de paralysie de la langue, ni des lèvres.

Nous nous croyons donc autorisé à considérer ces troubles du

langage comme purement fonctionnels et comme Fiq... est un

malade à stigmates hystériques et qu'il n'a pas de phénomènes

se rapportant à d'autres névroses, nous pouvons les considérer

comme des phénomènes hystériques. Maintenant, ilfaut noter

qu'ils se mani- festèrent après une céphalée très forte qui se

continua pendant trois jours, Or, n'est-il pasiogique de considérer

celle-ci comme de même nature hystérique ? M. Charcota montré

comment la céphalée' hystérique peut simuler de toute pièce la

céphalée syphilitique 2. En outre, la perte de la connaissance

que Fiq... présenta dans la même occasion nous parait avoir

plutôt le caractère d'une attaque hystérique à forme syncopale

que d'un ictus apoplectiforme ou d'un accès comitial; «fit ?

descendit dulitpourchercherdel'eau, il fut prisparunesensation

de détail- lance, il sentit ses jambes se dérober sous luiet il tomba

la face sur le lit, les jambes restant appuyées à terre ». Or, il

1 V. Lepine.J)/M<Mn ! oa)'a/M[ ed,Emiplegia istel'ica-allolise in Riforma

medica, 1891, n° 177.

* Charcot. - Leçons cliniques sur les maladies du système nerveux,

recueillies par le D' G. Guinon. Paris, 1892. . -

L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 421

nous paraît y avoir de la différence entre cette perte de con-

naissance venue graduellement et l'instantanéité de l'ictus

apoplectiforme ou comitial. ,

2° Comme l'examen du bredouillement, en nous en démon-

trant la nature hystérique, nous a porté à considérer comme

de même nature la crise de céphalalgie après laquelle il s'é-

tait manifesté, de même la paralysie, survenue après la

crise convulsive suivante, nous porte à, considérer celle-ci

comme de nature hystérique. En effet, cette paralysie de la

jambe a bien tout le caractère de la paralysie hystérique,

qui se manifeste avec une démarche de Todd aussi typique

que possible. Or, n'est-il pas logique de considérer comme de

même nature la crise convulsive qui lui donna origine ?

3° Nous avons enfin des stigmates hystériques on ne peut

plus nets. Parmi ceux-ci nous rappellerons l'hémianesthésie.

Elle est complète pour toutes les sortes de sensibilité. Seule,'

la sensibilité tactile est conservée; or, cette dissociation de la

sensibilité on ne l'a observée, quant à présent, que dans la

syringomyélie, dans les névrites, dans la lèpre et dans l'hys-

rérie. Serait-il nécessaire de démontrer que les trois premières

de ces affections doivent être éliminées ici ? Nous ne le

croyons pas, tous les phénomènes de ces maladies sont

absents, il n'y a que l'hystérie qui nous puisse expliquer ces

phénomènes.

En analysant à présent ce cas au point de vue de son étio-

logie, nous rappellerons que la prédisposition à la névrose

existait dans notre malade par le fait de l'hérédité nerveuse.

De plus, le terrain était préparé par des phénomènes névras-

théniques, dus. à des chagrins prolongés, qui précédèrent,

comme cela arrive souvent, les manifestations de l'hystérie.

La cause occasionnelle doit être recherchée dans l'infection

grippale, de laquelle Fiq... fut affligé deux fois. Or, il faut se

rappeler que l'influenza a une élection toute particulière sur

le système nerveux; les cas d'hystérie, d'aliénation mentale.

de myélite, de polynévrite consécutives à cette maladie infec-

tieuse sont désormais très nombreux ; ce n'est pas ici le lieu

d'y insister; plus la grippe doit avoir agi dans ce cas à la

manière de toutes les autres infections, à savoir en débilitant -

toutes les fonctions organiques '.

' V. Georges Guinon. - Les agents provocateurs de l'hystérie, Paris,

1889.

422 PATHOLOGIE NERVEUSE.

En plus de cette manière d'action pour ainsi dire générale,

l'influenza dans notre cas a donné leur forme à certaines

manifestations de l'hystérie. Nous rappelons, en effet, qu'en

outre de la faiblesse générale, qui le rendait inhabile au tra-

vail, Fiq... souffrit pendant l'infection grippale d'une céphalée

persistante qui ne l'a plus abandonné jusqu'à ce moment.

Cette céphalée a,, à l'heure présente, le caractère de la cépha-

lée hystérique; elle a donc remplacé graduellement la céphalée

qui est si commune dans la grippe ; ce fait de phénomènes

hystériques, se greffant sur des phénomènes organiques et

s'y substituant, est encore une chose fréquente dans l'histoire

de l'hystérie et nous n'y insisterons pas. Ce qu'il importe de

mettre en relief, c'est la persistance et l'intensité de la cépha-

lée ; elle était parfois tellement atroce qu'elle arrachait des

cris au patient; l'on peut dire que la céphalée domina long-

temps la scène; ce fut par elle que les attaques commencèrent.

Maintenant, y a-t-il dans la crise convulsive quelque chose

qui nous montre ses relations avec la céphalée ? C'est possible;

nous rappelons, en effet, l'attitude des membres supérieurs

pendant l'attaque; le bras en forte adduction, l'avant-bras, les

poings et les mains au maximum de la flexion; or, cela repré-

sente une attitude prise communément par des individus qui

souffrent d'une céphalée très forte ; en effet, l'on voit fréquem-

ment ces individus avec. les coudes appuyés sur une table se

serrer fortement les tempes avec les poings pour chercher du

soulagement à la douleur. Or, Fiq..., nous le répétons, ce

qui domine la scène, c'est le mal de tête. Il persistait depuis

plusieurs mois. C'était lui qui donnait origine à l'attaque, son

image devait occuper l'état psychique de Fiq..., même durant

la perte de la connaissance ; et il n'est pas illogique de suppo-

ser que pendant celle-ci Fiq... prenait une attitude qui lui

devait être commune, comme elle l'est à tous ceux qui souf-

frent de' céphalées très intenses et prolongées.

Nous savons bien que cette supposition n'est qu'une hypo-

thèse, mais elle nous paraît très vraisemblable et conforme à

la nature de la névrose hystérique, En effet, si celle-ci est,

en grande partie, comme l'enseigne M. Charcot, une maladie

delà personnalité, il nous semble très probable que ses mani-

festations doivent être produites plus par des images psychiques,

parfois inconscientes, que par des altérations localisées dans

tel ou tel centre nerveux. (A suivre.)

CLINIQUE NERVEUSE.

L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE ? 1

contribution A l'étude DES TROUBLES VISUELS dans LES maladies '

nerveuses; .

par le D' ALBERT ANTONELLI.

§ III. - PHYSIO-PATHOLOGIE DE L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE

a). Si nous avons insisté dans les paragraphes précédents sur

les formes de l'amblyopie transitoire et sur les autres syndromes

nerveux qui peuvent s'y rattacher, nous pouvons maintenant

déduire par la vaste symptomatologie, la physiologie patholo-

gique de l'affection.

Toutes les publications dont j'ai pu prendre connaissance

m'ont semblé insuffisantes sur ce sujet.

Les opinions des différents auteurs sont mieux d'accord sur

la nature du trouble visuel dont nous parlons, que sur son siège.

En effet, il est facile de reconnaître dans l'amblyopie transi-

toire un trouble passager fonctionnel, maintes fois de nature

réflexe, provoqué par un trouble de la circulation. Mais, tandis

que les uns affirmaient que le siège de ce trouble résidait dans

l'appareil optique même (rétine, nerf optique, tractus), les

autres, l'attribuaient aux centres cérébraux de la vision.

C'est ainsi, que Parry et Fothergill considéraient le scotôme

scintillant comme un trouble réflexe lié aux troubles de la

digestion, et Baralt dans sa thèse (1880) soutient la même opi-

nion, affirmant que les troubles gastriques ou la migraine sont

le point de départ du réflexe qui provoque le trouble vaso-

moteur dans l'appareil optique. '

« L'Ù'1'itation périphérique du pneurno-gast1'ique et du grand

sympathique se transmettrait aux centres médullaires, pour être

' goy. Arch. de Nei41,ol., n° 72, sept. 1892, p. 203.

424 4 CLINIQUE NERVEUSE.

réfléchie sous forme d'incitation vaso-motrice jusqu'aux vais-

seaux optiques.

« Dans le cas des accès migraineux, l'irritation partirait

du cordon cervical du grand sympathique ou du centre cilio-

spinal, pour déterminer, en même temps que le scotôme scintil-

lant, les divers troubles vaso-moteurs qui caractérisent l'accès

de migraine. »

Il suffit de réfléchir un instant à ces paroles de Baralt, pour

voir comme la théorie des réflexes s'y trouve mal déterminée,

ce qui ressort encore davantage lorsqu'il se demande : « Cette

irritation qui détermine tant de troubles vaso-moteurs pendant

l'accès de migraine, est-elle primitive ou secondaire ? c'est-à-

dire, nait-elle dans le cordon sympathique lui-même, ou dans

le centre cilio-spinal ? Ou bien est-elle produite secondaire-

ment par une névralgie du trijumeau ? »

Evidemment, d'après les lois physiologiques des réflexes,

tout ce que l'on pourrait avancer serait que : l'irritation péri-

phérique sensitive (sur le pneumogastrique en cas de troubles

digestifs, 'sur le trijumeau en cas de migraine) puisse provo-

quer le réflexe moteur sur les vaisseaux des organes de la vision.

Cette explication pourrait encore subsister, telle que Galezowski

l'affirmait pour la véritable migraine ophtalmique, lorsque les

troubles de la digestion ou de la migraine précèdent l'amblyo-

pie transitoire; mais, quand la migraine succède (et c'est le

cas le plus fréquent) aux troubles de la vue, comment croire

que la névralgie est le point de départ de l'arc réflexe ? Et

quand les nausées et le vomissement marquent la fin de l'ac-

cès, ce qui arrive presque toujours, comment méconnaître dans

ces troubles moteurs de l'appareil digestif, la décharge du

réflexe provoqué par les troubles sensitifs de l'appareil optique

et du trijumeau ? .

M. Baralt confirme encore, avec les données ophtalmosco-

piques et avec l'analyse du phénomène scintillement, que le

siège des troubles circulatoires (contraction ou dilatation des

vaisseaux) se trouve dans la rétine ou le nerf optique.

Discutons brièvement ces arguments : -

En effet,Brewster (6) et Quaglino (9) auraient vu (et plus tard

Galezowski l'aurait confirmé), le spasme des vaisseaux du fond

de l'oeil pendant l'accès de scotôme scintillant. A part la diffi-

culté de cet examen, c'est-à-dire d'un jugement sûr quant à

une diminution de calibre anormale et- temporaire des vais-

l'amblyopie transitoire. 425 5

seaux rétiniens, nous trouvons d'autres observateurs, comme

Mollendorf, qui aurait constaté la dilatation de ces vaisseaux

pendant les crises; d'autres encore, plus nombreux (Forster,

Dianoux, Parinaud, etc...), n'ont rien remarqué d'anormal

dans le fond'de l'oeil pendant l'amblyopie transitoire,.

Donc, même en admettant que l'affection puisse quelque-

fois être accompagnée de spasme des vaisseaux rétiniens, ce

spasme n'est pas forcément la cotise du scotôme ou du scintil-

lement.

Il resterait, pour s'expliquer ces contradictions de l'examen

ophtalmoscopique, l'hypothèse que le trouble vaso-moteur

puisse porter sur le chiasma, les bandelettes ou les centres

, visuels de la base du cerveau; mais nous verrons tout à l'heure

combien d'arguments plaident pour le siège cortical de l'am-

blyopie transitoire.

Quant à la physiopathologie du scintillement, Baralt s'ef-

force de démontrer, comme déjà Brewster l'avait affirmé,

qu'il s'agit là d'un phénomène rétinien.

Il la regarde comme dû l'hypéoesthésie de la rétine, ou

pour mieux dire, à l'excitation de cette membrane, comme

dans la provocation des phosphènes. Il considère le scotôme

scintillant comme un phosphène de nature particulière, en le

comparant au scintillement chloroformique, signalé par Dia-

noux. Mais, justement l'examen de ces photesthésies dans la

période initiale (d'excitation) de la narcose par chloroforme,

nous confirme de considérer, comme nous le verrons, le scin-

tillement comme un épiphénomène de l'amblyopie transitoire,

d'origine corticale comme celle-ci et de l'ordre des hallucina-

tions.

Ce sont les troubles associés de l'amblyopie transitoire qui

ont permis d'abord d'en envisager plus justement la physiopa-

thologie. '

Bientôt on écarta l'irisalgie de Piorry, l'anesthésie de la

rétine par la conslriclion des vaisseaux dans une partie du fond

de l'oeil (Brewster et Quaglino), la névrose partielle (vaso-

motrice) du trijumeau (Galezowski) ou la névrose du nerf

optique ou des tractus de Dianoux; on admit le trouble vaso-

' 111. Parinaud a eu l'occasion (1882) d'examiner à l'ophtalmoscope,

pendant une de ses crises monoculaires, un confrère atteint de migraine

ophtalmique, et il n'a pu constater aucune différence appréciable entre le

fond de l'oeil des deux côtés. " .

426 . CLINIQUE NERVEUSE.

moteur dans le cerveau, par excitation du sympatique (du

Bois-Reymond), amenant la contraction spasmodique des vais-

seaux et une anémie momentanée et limitée de la substance

- cérébrale, qui peut être suivie dans certains cas d'une période

de congestion (Latham). Cette hypothèse fut reprise par Ball,

à propos de certains faits d'aphasie transitoire; il envisagea le

phénomène comme étant analogue à l'asphyxie locale décrite

par M. Raynaud, analogie qui nous permettrait de comprendre

en même temps la pathugénie des troubles transitoires et des

troubles qui deviennent quelquefois permanents. Latham,

pour démontrer que les troubles visuels, en particulier,

dépendent bien d'une excitation du sympathique, rapprocha le

scotôme scintillant de la migraine, accompagnée de sensations

visuelles, que Purkinje et Brunton ont décrite dans l'intoxica-

tion par la digitale.

Même les phénomènes qui précèdent, accompagnent et

suivent les cas les plus simples de scotôme scintillant (ceux

dans lesquels l'accès n'est pas migraineux et tient le plus sou-

vent à des troubles de la digestion) devaient conduire bientôt

à l'idée de troubles circulatoires dans le cerveau. Ce sont les

troubles du langage et de l'intelligence, la sensation de vague

et de vide, parfois le vertige, c'est-à-dire en général les mêmes

signes que pour l'anémie cérébrale, et ils s'effacent aussi vite

que les troubles visuels, tandis que la migraine (dont la patho-

génie est probablement autre que le spasme vaso-moteur) peut

se prolonger bien plus longtemps.

Mais, si l'on était arrivé de la sorte, comme le montrent le

travail de Féré (1881) et la thèse de Raullet (1883), à déduire

des caractères et phénomènes associés de la migraine ophtal-

mique, le siège cérébral de l'affection, il restait encore à préci-

ser davantage la localisation du trouble circulatoire.

Raullet dit : « L'anémie transitoire siège-t-elle à la surface

des circonvolutions, ou dans les masses centrales, vers le car-

refour des fibres sensitives ? »

« La dernière hypothèse a pu paraître tout d'abord plus vrai-

semblable, en raison de l'association fréquente des troubles

de la sensibilité générale et, spéciale, qui ne pourraient, dans

le cas de trouble de la circulation corticale, coïncider avec

l'aphasie, sans être suivis en même temps de troubles moteurs,

à moins d'admettre des troubles circulatoires localisés, mais

occupant plusieurs zones à la fois. »

L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 427

Du reste, la forme del'hémiopie, on plutôt de certains cas de

rétrécissement latéral du champ visuel, que l'on observe dans la

migraine ophtalmique, se rapproche des troubles de la vision

que l'on rencontre chez plusieurs hémiplégiques, à lésion céré-

brale permanente et localisée. » i

b). Pour discuter le siège cortical de l'amblyopie transitoire,

commençons par examiner brièvement la nature du phénomène

« scintillement ». , -

La description soigneuse de plusieurs cas de scotôme seintil-

lant démontre que l'amblyopie etles photesthésies commencent

dans des points symétriques du champ visuel des deux yeux : .'

donc, cette forme d'amblyopie transitoire peut être rangée

parmi les hémiopies latérales partielles. Cette variété d'hémio-

pie (hémiopie incomplète, parfaitement ou même imparfaitement

symétrique) ne pourrait nullement s'expliquer par une lésion

des bandelettes ou des nerfs optiques, et il faut absolument la

rapporter aux lésions hémisphériques corticales ou sous-corti-

cales. Nous savons que plus la lésion est proche de l'écorce

(dans la partie postérieure du pli courbe et la partie adjacente

du lobe occipital), plus les scotômes hémianopiques sont symé-

triques : et, puisque plusieurs observations (par exemple, celle

rapportée par M. Javal, ou encore le cas personnel de Baralt)

nous montrent parfaitement symétrique le scotôme hémio-

pique scintillant, nous sommes conduits à admettre dans ces

cas une lésion corticale, dans un foyer où vont aboutir les

points identiques de chaque rétine.

Le scintillement peut accompagner n'importe quelle forme

d'amblyopie transitoire, monoculaire ou binoculaire, centrale

ou hémiopique ; il peut, dans les différentes crises d'amblyopie

transitoire chez un même individu, se présenter complet ou à

l'état rudimentaire (simples étincelles), ou même manquer,

tandis que le scotôme reste toujours bien constitué; presque

toujours le scotôme dure encore quelque temps après que le

scintillement a disparu; bien souvent, chez les épileptiques et

les hystériques, les attaques sont précédées par des visions

colorées, des scintillements,. des véritables hallucinations

visuelles, sans que l'amblyopie transitoire présente une formo

et une durée appréciable. Or, ces faits nous autorisent à con-

sidérer le scintillement comme un phénomène accessoire de

l'amblyopie transitoire, épiphénomène qui pourrait rentrer, il

nous semble, dans l'ordre des hallucinations.

428 . CLINIQUE NERVEUSE.

En effet, rien ne s'oppose à cette manière de voir. Les pho-

testhésies du scotôme scintillant ne sont pas toujours iden-

tiques, mais quand même elles nous présenteraient une cer-

taine constance (le mouvement de l'air chauffé, les étincelles,

les lignes brisées lumineuses, etc...), ce caractère ne peut pas

nous faire nier la nature de l'hallucination; car, maintes hal-

lucinations de l'ouïe ou de la vue peuvent présenter une cer-

taine constance de forme (toujours la même voix, la même

vision), et proprement dans les crises de ces maladies ner-'

veuses (hystérie, épilepsie) auxquelles l'amblyopie transitoire

peut se rattacher.

En considérant le scintillement comme une hallucination,

nous trouvons encore un argument bien sûr en faveur du siège

cortical de l'amblyopie transitoire. z

En effet, le siège des hallucinations est placé par nombre

d'auteurs (Tamburrini le premier) dans les centres sensoriels

corticaux, s'expliquant par un état irritatif des écorces céré-

brales, de la même manière que l'irritation morbide des

centres psycho-moteurs provoque les convulsions jackso-

niennes.

Westphal, à l'autopsie d'un individu qui souffrait de sensa-

tions subjectives de couleurs, trouva un foyer de ramollissement

dans le lobe occipital droit; analogues sont les observations de

Jowen, Monakow, Tamburini et Ruva. Enfin, puisque le sco-

tôme scintillant apparaît le plus souvent dans les deux yeux et

du même côté du champ visuel (hallucination visuelle à forme

hémiopique), le phénomène se rapporte aux cas pathologiques

de Wetter, de Pick et autres, en nous prouvant la lésion uni-

latérale des centres visuelles de l'écorce occipitale.

c). Considérons maintenant en quoi les formes hémiopiques

de l'amblyopie transitoire peuvent encore en faire mieux

reconnaître la pathogénie. Il faut avant tout remarquer que,

puisqu'il ne s'agit pas, dans la plupart des cas typiques, d'une

véritable amaurose dans la moitié du champ visuel, mais bien

d'une simple amblyopie, la perception lumineuse étant con-

servée dans la moitié atteinte du champ visuel, nul doute que

l'amblyopie transitoire à forme hémiopique ne se rapporte pas

' Parmi les observations intéressantes de scolôme central transitoire,

accompagné de scintillement, citons les observations XVI et XXIII de la

thèse de Raullet (31).

l'amblyopie transitoire. 429

à une lésion des bandelettes ou des centres visuels bruts, pla-

cés dans les ganglions de la base du cerveau. Quant à la

couche optique, quelques auteurs (Nothnagel) nient que ses

altérations puissent provoquer des troubles visuels. Même en

admettant possible ce cas, l'hémianopsie devrait s'accompagner

d'hémiplégie et de convulsions hémichoréiques, par lésion

concomittante de la couche zonulaire. Quant aux tubercules

quadrijumeaux, leur extension, leur contiguité sur la ligne

médiane, pourraient bien difficillement donner lieu à des

troubles visuels monoculaires ou hémiopiques, et ces troubles

devraient s'accompagner d'une mydriase maxima, avec aboli-

tion du réflexe pupillaire et de troubles de la motilité des yeux.

Il doit donc s'agir, dans l'amblyopie transitoire, de simples

lésions dans les centres visuels de l'écorce, d'accord en cela

avec les observations de Samelsohn, de Brandenburg et de

Gowers'; et c'est surtout dans l'amblyopie transitoire à forme

hémianopique qu'il sera intéressant d'examiner toujours si, pen-

dant les accès, il y a cécité verbale ou surdité verbale ou

d'autres troubles analogues.

Une observation de Charcot (rapportée par Féré) et quelques

autres de Raullet, démontrent l'existence de ces troubles, dont

on pouvait déjà se douter d'après les troubles de la parole, de

la mémoire et de l'intelligence, maintes fois observés pendant

les crises d'amblyopie transitoire. Or, tous ces troubles sont

encore un signe du siège superficiel (centres et fibres corticaux)

de la lésion. La cécité verbale est très souvent accompagnée

de l'aphasie, même lorsque la lésion principale siège, comme

dans le cas de l'amblyopie transitoire, dans le lobe occipital

(Samelsohn) 2..

Et, même les troubles de la parole, si souvent observés pen-

dant les crises d'amblyopie transitoire, doivent s'attribuer non

pas au trouble de l'activité psychique pour l'articulation des

1 Les cas publiés par cet auteur (hémianopsies passagères à la suite

d'apoplexies dont les foyers n'intéressaient aucunement les fibres op-

tiques) démontrent que les phénomènes d'hémiopie peuvent aussi sur-

venir par retentissement à distance, des centres visuels corticaux. Seule-

ment lorsque la lésion d'une hémisphère est profonde, et atteint les

fibres envoyées par le lobe occipital aux ganglions visuels de la base,

l'hémianopsie totale survient, par arrêt des fonctions des ganglions inter-

calaires de la vision.

1 Ce serait la cécité verbale à forme sensorielle, selon Angelucci (42),

c'est-à-dire liée à la perte de la mémoire (graphique) des mots.

430 . CLINIQUE NERVEUSE.

mots (pied de la circonvolution de Broca), mais bien aux trou-

bles de la mémoire optique, dont les centres occupent le lobe

occipital. '

En effet, il semble, d'après les nombreuses observations,

que les troubles de la parole accompagnant l'amblyopie tran-

sitoire ne vont pas jusqu'à l'aphasie complète, telle qu'on la

rencontre par lésion de la circonvolution de Broca, ou des voies

qui unissent cette circonvolution au centre de la mémoire

optique.

La plupart des cas d'hémiopie transitoire (complète ou par-

tielle, avec ou sans scintillement) intéressent, d'après les nom-

breuses observations enregistrées, le côté droit du champ

visuel.

Cela prouverait, d'accord avec les troubles de la parole et

avec les observations d'épilepsie sensitivo-sensorielle accom-

pagnés par l'amblyopie transitoire (Charcot, Féré, Raullet),

que le plus souvent la lésion siège dans l'hémisphère gauche '.

Ajoutons, que puisque la migraine (lorsqu'il y en a dans

les crises) part d'ordinaire du pourtour de l'orbite du côté où

le champ visuel fut atteint de scotôme (ou de scintillement),

elle siège le plus souvent du même côté où les troubles moteurs

et sensitifs vont se déclarer, dans le cas d'épilepsie partielle.

Cette hémicranie semblerait donc en rapport croisé avec

l'hémisphère atteinte. Le renseignement serait précieux pour

la pathogénie de la migraine (corticale ? ), encore si peu

connue.

On rapporte des cas d'amblyopie transitoire, où le trouble

de la vue occupait la moitié supérieure du champ visuel des

deux veux.

- L'explication de cette hémiamblyopie verticale serait plus

Il Il en était de même dans un cas de Spiérer, très démonstratif (On.

llonalsbl. f. Augenh., juin 1891). Un individu, après une frayeur causée

par un tremblement de terre (choc psychique), tomba en syncope et fut

atteint de violente migraine et de vomissements. Au bout de quatre

heures il s'aperçut que dans la moitié droite du champ visuel des deux

yeux il voyait un nuage épais, qui l'empêchait de voir les objets et les

couleurs. Il guérit, bien vite, entièrement. Il est juste de penser aussi,

que cette hémiamblyopie homonyme droite, survenue à la suite d'un choc

psychique était d'origine corticale. L'examen d'autres observations

encore (par exemple les particularités de celle de Galézowski, relatée par

Baralt : amblyopie centrale monoculaire à droite, accompagnée de mi-

graine) nous a prouvé que le plus souvent le trouble siège dans l'hémis-

phère gauche. .

l'amblyopie transitoire. 431

difficile, étant admis le siège cortical de l'affection, si l'on ne

pensait que nombre de ces cas appartiennent à l'hémiupie par-

tielle, c'est-à-dire qu'il s'agissait de scotôme symétrique, plus

ou moins étendu, dans la partie supérieure ou inférieure du

champ visuel. L'examen attentif de l'observation de Baralt,

par exemple, qui pourrait tout d'abord sembler un cas typique

d'hémiamblyopie verticale, confirme notre idée.

Pour quelques autres observations, où l'hémianopsie ver-

ticale semblait complète et bien constituée, nous pourrions

admettre la même explication donnée par Boé pour l'hémi-

anopsie verticale permanente, c'est-à-dire penser que l'affection

intéresse tout de même un seul lobe occipital du cerveau, mais

qu'il y a anomalie de distribution des fibres optiques. Toujours

est-il, que les crises d'hémiamblyopie verticale, complète ou

incomplète, ont les mêmes caractères essentiels et concomit-

tants que les autres formes de l'amblyopie transitoire, de sorte

que rien ne pourrait nous autoriser à admettre d'autre locali-

sation que dans l'écorce cérébrale.

Quant aux formes plus rares de l'hémiopie transitoire, l'hé-

miopie latérale monoculaire ne nous étonnera pas si, au lieu

de penser à une lésion partielle de la bandelette, du chiasma

ou du nerf optique, nous admettons que les deux faisceaux

appartenant à chaque oeil, dont se compose la bandelette, se

séparent en un endroit quelconque du cerveau 1. Dans le cas

de Charcot-Féré (hémiopie nasale), les phénomènes de l'épi-

lepsie partielle démontraient que le trouble cortical intéressait

les deux hémisphères.

d). Nous ne saurions mieux placer qu'ici quelques considé-

rations générales sur les rapports entre l'amblyopie transitoire

et la migraine, qui nous semblent très intéressantes.

Avouons, tout d'abord, que les cas dans lesquelsl'amblyopie

transitoire est accompagnée de migraine sont sans doute plus

nombreux que ceux dans lesquels le scotôme scintillant, ou

n'importe quelle forme d'amblyopie, constituent à eux seuls

toute l'attaque.

Ce fait nous indique la raison du nom de migraine ophtal-

Ce serait l'explication des cas relatés par Parinaud et par Coursserant

(hémiopie latérale typique monoculaire, probablement congénitale), très

bien représentée par le schéma de Charcot. ,

432 - CLINIQUE NERVEUSE.

mique donné à la presque unanimité, pour indiquer les trou-

bles nerveux de cette espèce.

Mais, d'autre part, le nombre de cas de migraine vulgaire

non accompagnée de troubles visuels est beaucoup plus con-

sidérable que le cas d'amblyopie transitoire, accompagnée ou

non de migraine : de telle sorte, que si nous envisageons le

syndrome migraineux et l'amblyopie transitoire comme des

formes rudimentaires de troubles nerveux, le plus souvent

stigmates élémentaires de névrose , ces rapports de fréquence ne

nous étonneront pas.

En d'autres termes, étant donné ces deuxformes de 2zév2,oses

rudimentaires, la migraine et l'amblyopie transitoire, dont la

première est beaucoup plus fréquente et pour ainsi dire plus

rudimentaire que la seconde, il n'y a rien d'étrange à recon-

naître que l'amblyopie transitoire survient le plus souvent

chez des sujets déjà migraineux, et puisse se combiner ou s'al-

terner avec la migraine. Et, encore, les cas d'amblyopie tran-

sitoire simple seraient bien plus nombreux parmi les observa-

tions enregistrées, si le syndrôme migraineux n'était le trouble

pour lequel le malade plus facilement est amené à consulter.

Mais, même chez les sujets qui sont à la fois migraineux et

atteints d'amblyopie transitoire, la dissociation entre ces deux

syndrômes, ou leur substitution réciproque dans les différentes

crises, et d'autres arguments encore, nous démontrent que

leur concomillance n'a pas pour signification de liens étroits de

cause à effet. - .

Rappelons, à ce sujet, que le syndrôme migraineux peut

s'attarder d'une heure et même plus sur le trouble visuel ; et

que, chez les individus où ce trouble précède de quelque temps

la migraine, dans les crises, l'amblyopie transitoire reste sou-

vent seule à constituer la crise entière, par suite de l'âge et de

l'amélioration de la santé. (Exemple, les cas de Du Bois-Ray-

mond et de Tissot, relatés par Baralt.)

Quelquefois, au contraire, c'est l'amblyopie transitoire qui

disparait avec l'âge, dans les accès de migraine ophtalmique,

en laissant la migraine vulgaire suivre sa marche ordinaire.

La pathogénie de la migraine reste encore très obscure,

peut-être n'est- elle pas la même dans tous les cas; notre

intention n'est pas de discuter ce point-là. Le syndrôme

migraineux ne parait pas constituer une entité, une unité mor-

bide, et parmi ses différentes formes tellement différentes,

l'amblyopie transitoire. 433

qu'on les a séparées comme des espèces distinctes, nous trou-

vons la sick head-ache et la blind head-ache des auteurs clas-

siques anglais. Dans cette dernière (migraine à amblyopie), la

physiopathologie semble se rapprocher du trouble de circula-

lion cérébrale que nous avons admis pour expliquer l'amblyopie

transitoire. En effet, pendant la période des prodromes et le

premier temps de la douleur, on remarque tous les signes du

spasme artériel (Pembester Peake), suivi plus tard par la

dilatation des mêmes vaisseaux (artère temporale, carotide

et artères rétiniennes).

e). En considérant à un point de vue général, les rapports

entre l'r.mblyopie transitoire et les différentes maladies ner-

veuses, tels que nous les avons fait ressortir dans la seconde

partie de ce travail, nous devons dire avant tout que ces rap-

ports peuvent représenter, maintes fois, plutôt une simple

concomittance ou succession morbide, qu'une éclosion de syn-

drôme prodromique ou accessoire lié à la maladie principale.

En effet, abstraction faite des cas où l'amblyopie transitoire

'est sûrement de nature hystérique ou intimement liée aux

troubles superficiels du cerveau qui provoquent l'épilepsie et

marquent le début de la démence paralytique, nous pouvons

penser que la simple prédisposition (héréditaire ou acquise)

d'un individu aux névropathies, commence par lui infliger les

stigmates rudimentaires, les névroses plus simples (migraine,

amblyopie transitoire ou autre), auxquelles peuvent s'ajouter

plus tard, soit des névroses plus complexes, telles que l'hys-

térie ' et l'épilepsie, soit des maladies organiques du système

nerveux.

En admettant la distinction que M. Levillain esquisse, entre

gensnerveux, névropathes et véritables malades d'un type noso-

logique bien défini, nous trouvons que l'amblyopie transitoire,

avec ou sans migraine, peut se présenter dans chacune des

trois classes d'individus.

Chez les gens nerveux, c'est-à-dire surexcitables, sensitifs,

1 Insistons sur l'intérêt qu'il y aurait à étudier encore mieux les rap-

ports entre les amblyopies hystériques, dans le sens général du mot, et

l'amblyopie transitoire. Il est vrai que la forme hémiopique, si fréquente

.dans l'amblyopie transitoire, ne se rencontre presque jamais dans l'anes-

thesie rétinienne des hystériques ; mais, combien de fois encore avons-

nous dans l'amblyopie transitoire, plutôt un rétrécissement concentrique

temporaire du champ visuel qu'une véritable hémiopie !

Archives, t. XXIV. ' 28

434 CLINIQUE NERVEUSE.

simplement prédisposés au trouble du système nerveux, il

n'est pas très rare de voir que la migraine ophtalmique peut

être le seul symptôme vraiment morbide.

Chez les névropathes, c'est-à-dire chez les individus qui sont

' atteints de troubles nerveux plus ou moins graves et fugaces,

très variés et ne constituant pas une affection nerveuse à type

défini et persistant, l'amblyopie transitoire se rencontre déjà

plus souvent : elle constitue, dans ses différentes formes liées

avec la migraine, ou avec d'autres névralgies, ou bien encore

avec les troubles passagers de la sensibilité, de la palpitation

nerveuses, de l'insomnie, etc., les petites souffrances de ces

sujets, que l'on ne pourrait pourtant encore classer dans

aucune catégorie nosologique.

Enfin, chez les malades proprement dits, le syndrome de

l'amblyopie transitoire est assez fréquent, et les rapports que

nous venons d'indiquer, qui existent entre la neurasthénie,

l'hystérie, le tabès, l'épilepsie sensitivo-sensorielle et la para-

lysie générale, nous le démontrent.

Pour éviter toute répétition, nous n'insisterons pas davan-

tage pour démontrer de quelle manière ces rapports patholo-

giques plaident tous, et vaillamment, pour le siège cortical du

trouble fonctionnel qui provoque l'amblyopie transitoire.

Le trouble, très probablement circulatoire (anémie tempo-

raire, suite de spasme des vaisseaux sylviens), doit intéresser

l'une ou l'autre, ou encore plusieurs à la fois, des régions pos-

térieures de l'écorce lobe occipital, pariétal et temporal -

où se trouvent surtout les centres optiques et les diverses

localisations du langage. L'observation de Babinski, dans

laquelle chez une hystérique des crises de mutisme alternaient

avec des crises d'amblyopie transitoire, plaide aussi dans ce

sens, d'une façon très éloquente. Lorsque l'épilepsie sensitivo-

sensorielle s'unit à l'amblyopie transitoire, il est clair que les

troubles gagnent d'autres centres psycho-sensitifs et psycho-

moteurs, comme dans le début de la démence paralytique.

Lorsque l'amblyopie transitoire remplace les crises d'épi-

lepsie partielle, comme dans mon observation à la page 10,

c'est que le trouble cortical a changé de territoire, se trans-

portant sur l'écorce visuelle. Même dans le territoire visuel, le

trouble peut changer d'endroit. Chez cette malade, les crises

d'épilepsie partielle étaient alternantes, bilatérales, et plus tard,

l'amblyopie transitoire était binoculaire (hémiopie verticale ou

l'amblyopie transitoire. 435

amaurose complète, pendant dix à quinze mois, dans les deux

yeux). Dans d'autres crises, l'obscurcissement commençait du

côté temporal, simultanément dans les deux yeux. Souvent, les

deux points de fixations étaient respectés, c'est-à-dire que

dans chaque hémisphère les troubles gagnaient de préférence

l'écorce visuelle destinée à la vision périphérique.

Voilà, ci-dessous résumés, les arguments qui plaident en

faveur du trouble circulatoire, plus probablement anémie tem-

poraire :

1° L'apparition et la disparition soudaine des troubles

visuels ;

2° Le fait, que même dans le début d'un évanouissement

(anémie cérébrale) apparaissent des phénomènes assez sembla-

bles au scotôme scintillant, c'est-à-dire que les personnes

voient du vert ou du bleu devant leurs yeux, et même du scin-

tillement et de l'obscurcissement (Fuchs) ;

3° Le fait, que la position déclive de la tête ou l'impression

du frais sur la figure (Dianoux), c'est-à-dire que les mêmes

moyens qui peuvent interrompre un évanouissement, peuvent

aussi faire avorter ou interrompre l'accès d'amblyopie transi-

toire.

4° Les phénomènes de spasme observés dans d'autres vais-

seaux de la tète, tels que l'artère temporale, la carotide, les

vaisseaux du fond de l'oeil. L'observation de Hilbert est pour

cela bien démonstrative ;

5° Les rapports de l'amblyopie transitoire avec des mala-

dies nerveuses (neurasthénie, hystérie) où les troubles vaso-

moteurs (phénomènes vaso-constricteurs et vaso-dilatateurs)

jouent un grand rôle ;

6° Le fait que l'anémie générale est certainement capable

de produire des troubles visuels passagers, de même que lacon-

gestion comme cela s'observe chez les personnes pléthoriques

sous l'influence de l'effort et de toutes les causes qui entravent

brusquement la circulation céphalique. Dans les anémies pro-

noncées, dans les affections cardiaques (insuffisance aortique

en particulier), l'obscurcissement de la vue a évidemment pour

cause l'anémie cérébrale. Cet obscurcissement peut être

encore le symptôme d'une congestion de la tète et précéder

l'hémorrhagie de l'encéphale.

La fugacité des accès (par exemple, du scotôme scintillant)

confirme qu'il s'agit de spasme vaso-moteur.

436 . CLINIQUE NERVEUSE.

Nous savons, en effet, que le spasme des vaisseaux ne

pourrait pas se prolonger, puisque à l'irritation vaso-cons-

trictrice doit suivre la paralysie du sympathique, l'état de

. congestion neuroparalytique. Or, voilà les faits qui confirment

cette notion dans le cas spécial des accès de migraine ophtal-

mique : la face, l'oreille et la conjonctive du côté de l'hémi-

cràne deviennent bientôt (peu de temps après le début de la

douleur sourde), rouges, tandis qu'ils étaient auparavant plus

pâle que d'ordinaire ; la muqueuse de la fosse nasale et du

conduit auditif, du même côté est sèche ; la pupille est sensi-

blement rétrécie, surtout du côté, affecté de migraine, et plus

paresseuse à la réaction provoquée par la lumière; la fente

palpébrale est un peu rétrécie (paralysie du muscle de iI1üJler).

Telle est la description que M. Baralt nous donne, relative-

ment à ces accès, tels sont les faits mis en évidence par Hil-

bert Chalmers (51), De ! Costa (41) et d'autres.

f). Insistons encore brièvement sur ce point, que : a Il n'est

pas un des phénomènes habituellement transitoire du syn-

drôme migraine ophtalmique, qui ne puisse s'établir à l'état

permanent. Ainsi l'aphasie, l'hémiopie, la parésie d'un mem-

bre, après s'être manifesté d'une manière transitoire, persistent

nombre de fois définitivement, à la suite d'un nouvel accès. »

Il nous semble que cette affirmation de Charcot se trouve

surtout confirmée chez les hystériques. Il en existe en outre

un exemple frappant chez les épileptiques, où l'amblyopie qui

succède aux attaques et s'efface d'ordinaire assez rapidement,

peut passer à l'amaurose complète, dans l'intervalle qui sépare

les accès, si ceux-ci sont courts et rapprochés (Fano-Com-

pérat).

Nous pouvons bien supposer que les lésions purement dyna-

miques, circulatoire et par suite fonctionnelles, de l'amblyopie

transitoire (surtout lorsqu'elle est accompagnée par le syn-

drôme migraineux ou par l'épilepsie partitlle) peuvent par

leur répétition fréquente devenir l'occasion de lésions organi-

ques permanentes.

C'est ainsi, que les artérioles mises en cause peuvent, à la

suite de spasmes prolongés et fréquents qu'elles subissent

pendant les accès, devenir le siège d'un trouble de nutrition

Leçons sur les maladies du système nerveux, tome III.

l'amblyopie transitoire. 437

de leurs parois, d'une-endartérite et d'un vice de canalisation

plus où-moins grave et prolongé.

En conséquence, la vitalité de ces éléments nerveux que ces

artérioles nourrissent pourra se montrer plus ou moins sérieu-

sement, et parfois définitivement, compromise.

C'est comme cela que l'on pourrait justifier l'observation

de M. Galézowski, montrant une thrombose de l'artère cen-

trale de la rétine survenue à la suite d'accès répétés de migraine

ophtalmique.

Une observation qui m'a été verbalement communiquée par

M. Charcot, plaide dans le même sens. Un enfant migraineux,

et quelquefois atteint de scotôme scintillant, dont la mère a

souffert d'amblyopie transitoire à forme hémiopique et parfois

scintillante, se présente avec une hémianopsie permanente,

survenue soudainement, c'est-à-dire avec un vaste scotôme

empiétant sur toute la moitié gauche (point de fixation res-

pecté et Y = I) du champ visuel de chaque oeil.

D'autres exemples encore fournissent les observations de

Trousseau, G. Sée, Swanzy ' et Fitzgérald 2, concernant des "

troubles visuels persistants chez des choréiques, et enfin les

cas de Naftel ' et de Fûrstner , cités par Robin 5.

g). Enfin, étant admise la localisation corticale de l'am-

blyopie transitoire, considérons rapidement les différentes

formes de ce trouble, pour les mettre d'accord avec leurpatho-

génie commune. '

Plusieurs cas, entre autres celui de Dianoux et de Javal,

démontrent à l'évidence la nature hémiopique du scotôme

scintillant.

Le cas de Dianoux et autres semblables, où le scotôme

' gagnait encore, après l'hémiopie droite, le point de fixation,

rendant le malade parfaitement aveugle, démontrent que le

trouble fonctionnel dans la même hémisphère (plus souvent la

gauche) peut s'étendre des centres visuels périphériques

(moitiés homolatérales des deux rétines) au centre de la vision

maculaire.

1 Ophtalmie hospital Reports, 1875.

. Annales d'oculistique, t. L1VI; p. 224.

arcs. f. Psychial., t. VII, 1877, p. 121.

. Arch. f. Psclaiat., 1876, p. 142.

5 Robin. - Troubles oculaires dans les maladies de l'encéphale. Paris,

1880, p. 357-358.

438 CLINIQUE NERVEUSE.

Et tout cela, même sans migraine et autres troubles acces-

soires ! 1

Si, dans le scotôme scintillant, le point de fixation reste le

.plus souvent respecté, c'est justement parce que le trouble

visuel a, dans ce cas, la forme hémiopique, et nous savons que,

dans l'hémiopie, la ligne de démarcation empiète le plus sou-

vent sur la moitié amblyope du champ visuel (double inner-

vation de la macula).

Mais le cas de Parry (scotôme central binoculaire et scin-

tillement périphérique monoculaire) démontre la complexité

des centres binoculaires et monoculaires dans la même hémis-

phère, et les cas d'amblyopie transitoire monoculaire (cas

rares, en comparaison des binoculaires) prouvent que chaque

rétine est encore en rapport avec un foyer cortical distinct'.

Le fait, que lors de l'amblyopie binoculaire centrale et péri-

phérique, les sensations de nuage, de scintillement, etc.,

sont plus fortes du côté où l'hémiopie va se déclarer, ou bien

dans l'oeil du même côté où les phénomènes d'épilepsie par-

tielle peuvent éclore, démontrerait que les rapports croisés de

chaque hémisphère (soit pour la vision centrale, soit pour les

points symétriques du champ visuel), sont plus nombreux et

plus importants que les rapports homolatéraux; ce qui serait

encore d'accord avec l'amblyopie croisée d'origine corticale et

avec ce que nous savons sur l'anesthésie rétinienne (ou pour

mieux dire anesthésie cortico-visuelle) des hystériques.

Le plus souvent le trouble de l'amblyopie transitoire atteint

une seule hémisphère ; mais, il y a des cas où nous pouvons

déduire sûrement, de la forme de l'amblyopie, une affection

des deux hémisphères à la fois.

Ce sont les cas d'amaurose temporaire complète bilatérale.

1

1 Cette même observation de Parry démontre bien la nature accessoire

(épiphénomène) presque accidentelle du scintillement. En effet, l'amblyo-

pie transitoire, centraient binoculaire, devait tenir à un trouble dans l'écorce

visuelle centrale des deux hémisphères, tandis que le scintillement le

long du bord supérieur du scotôme dans un seul oeil devait tenir à l'irri-

tation de l'écorce visuelle périphérique d'une seule hémisphère. Si c'est

vrai (Parinaud et d'autres) que la région maculaire de la rétine (cônes)

sert surtout à la vision des formes et les parties périphériques (bâton-

nets) à la vision des couleurs, on se rendrait bien compte pourquoi le

scintillement est toujours périphérique. L'irritation de l'écorce visuelle

périphérique, c'est-à-dire en rapport avec les parties périphériques de la

rétine, serait seule capable, d'après la loi de l'extérioration des sensa-

tions, de donner les phénomènes de photesthésie colorée. -

L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 439

(voir notre observation, p. 26 bis), ou les cas rares de restric-

tion concentrique brusque du champ visuel, comme dans nos

observations, pages ,10 et 12.

En effet, il nous semble juste de considérer ces derniers cas

comme une hémiopie double, et de les rattacher l'observation

très intéressante de Forster '. Même l'explication donnée par

cet auteur serait bien d'accord avec les caractères de l'am-

blyopie transitoire ; puisque, s'il est vrai que le centre cortical

de la vision maculaire est mieux vascularisé que le reste de

l'écorce occipitale visuelle, nous pouvons comprendre pour-

quoi l'amblyopie transitoire centrale est bien plus rare que le

scotôme périphérique ou l'hémianopsie, et pourquoi, dans

l'amblyopie transitoire avec abolition complète du champ

visuel (hémianopsie double), la vision eentrale est respectée.

S'il est vrai que l'hémianopsie typique, complète et perma-

nente, doit se rapporter à une lésion directe ou indirecte d'une

bandelette (Charcot), il est vrai aussi que l'hémianopsie tem-

poraire, totale ou partielle, est en accord avec quelques autres

observations cliniques mises de côté comme non expliquées

par Charcot même 9, avec les observations de Gowers (hémi-

anopsie fugace du côté hémiplégie dans presque toutes les

attaques d'apoplexie) et avec les expériences de Hitzig, Munk,

Ferrier, Goltz, Locb, Tamburini, Luciani et Seppilli, Ange-

bricci et d'autres, pour démontrer l'hémiopie d'origine céré-

brale, et les rapports complexes 'que chaque hémisphère a

avec l'oeil du même côté, l'autre oeil et les deux à la fois.

RÉSUMÉ

10 Puisque dans la plupart des cas qualifiés de migraine

ophtalmique ce sont les troubles visuels qui ouvrent la marche,

' Forster. Ueber Rindblindheit (et v. Gme(e's Arcli., t. XXXVI, 1,

p. 24). Il s'agissait d'un individu de trente-neuf ans, atteint d'liémiopie

complète à droite. La ligne de démarcation empiétait, dans la région

centrale, comme d'ordinaire, du côté hémianopsique. Au bout de cinq

ans, l'hémianopsie gauche complète vint s'y ajouter. L'individu se pré-

sentait comme étant aveugle, mais l'examen démontra la persistance

d'un champ visuel central, très limité (3 à 5 degrés de diamètre), où la

vue était de un tiers. La mémoire topographique et le sens chromatique

étaient abolis. Réaction pupillaire bien faible à la lumière. Rien au fond

de l'oeil. '

'Observations de Hosch, Wernicke, Forster, etc..

440 . CLINIQUE NERVEUSE.

puisque les cas de migraine vulgaire sont sûrement plus nom-

breux que les cas de migraine ophtalmique, puisque les trou-

bles visuels peuvent se présenter en l'absence de syndrome

- migraineux. il nous semblerait plus juste de substituer défini-

tivement le nom d'amblyopie transitoire, aux autres dénomi-

nations (migraine ophtalmique, scotôme scintillant, théicopsie,

etc.) adoptées jusqu'à présent. De telle sorte, qu'au lieu de

devoir distinguer, comme M. Féré le proposa, des migraines

ophtalmiques simples, frustes, dissociées ou accompagnées, on

aurait simplement à noter dans les cas d'ambliopie transitoire,

quelle forme ce trouble visuel présente (scotôme périphérique

scintillant, scotôme central, hémiopie, etc.) et s'il est accom-

pagné ou non par d'autres troubles nerveux (migraine, aphasie,

épilepsie partielle, etc.).

En effet, bien souvent c'est le symptôme amblyopie transi-

toire qui a la valeur la plus grande, quelle qu'en soit la forme :

seulement, lorsque le syndrome migraineux, ou celui de l'épi-

lepsie partielle, précède les troubles oculaires et s'impose

davantage par sa gravité, l'on pourra ajouter au diagnostic de

migraine ou d'épilepsie partielle, l'amblyopie transitoire consi-

dérée comme épiphénomène. Les formes dissociées de migraine

ophtalmique, sur lesquelles Charcot a insisté, sont des cas où

l'amblyopie transitoire (soit simple, soit accompagnée) s'alterne

ou se confond avec les attaques migraineuses ou autres trou-

bles nerveux.

- L'amblyopie transitoire serait compliquée (plus qu'accom-

pagnée) lorsque dans les accès il y a encore des troubles de

la parole, de l'intelligence, ou de l'épilepsie partielle ou com-

plète.

110 L'amblyopie transitoire doit être rangée, dans la plupart

des cas, comme la migraine, parmi les troubles nerveux pure-

ment dynamiques.

Même dans les cas où les accès d'amblyopie accompa-

gnent ou précèdent une maladie nerveuse organique, telle que

le tabès ou la démence paralytique, ces accès sont dus à un

trouble fonctionnel passager du cerveau. L'analogie entre la

migraine et les accès d'amblyopie transitoire, considérés

comme des névroses rudimentaires, pouvant rester les seuls

stigmates nerveux du sujet, ou pouvant encore précéder ou

accompagner d'autres névropathies fonctionnelles (neuras-

thénie, hystérie, .épilepsie) ou organiques (tabès, paralysie

L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 441

générale), est démontrée soit par la fréquence avec laquelle

les deux troubles se présentent ensemble (migraine ophtal-

mique), soit par les cas où les deux troubles s'alternent et se

substituent l'un à l'autre.

III. L'amblyopie transitoire est essentiellement caractérisée

par des troubles oculaires différents, tels que l'hémiopie, les

- scotômes périphériques symétriques (hémiopie partielle), le

scotôme central monoculaire ou binoculaire, l'amblyopie ou

même l'amaurose totale, l'hémianopsie double, etc. La vision

périphérique est plus souvent intéressée que la centrale, et lés

deux yeux à la fois plus souvent qu'un seul oeil; de sorte que

la forme la plus fréquente de l'amblyopie transitoire est l'hé-

miopie, soit complète (hémiopie horizontale homonyme), soit

incomplète, comme dans les cas typiques de scotôme scin-

tillant. t..

Le trouble visuel se déclare et disparait plus ou moins sou-

dainement. Le scintillement doit êlre considéré comme un

épiphénomène dans l'ordre des hallucinations, dû à l'irrita-

tion des centres corticaux visuels où le trouble circulatoire a

lieu. Puisque le plus souvent le scintillement entoure le sco-

tôme symétrique d'une hémianopsie incomplète, nous pour-

rons le considérer comme dû à l'irritation périphérique

(anémie incomplète ? ... hypérémie collatérale ? ...) de la région

de l'écorce visuelle où le trouble circulatoire provoque le sco-

tôme (centre des fibres destinées aux deux moitiés rétiniennes

du même côté). ·

Parfois d'autres troubles oculaires accompagnent l'amblyopie

transitoire. Ainsi, les pupilles peuvent se montrer contractées

(quelquefois inégalement, celle du côté affecté étant la plus

petite) ou dilatées, tandis que le disque optique se présente

anémique pendant l'accès. Quelquefois encore apparaissent

des névralgies oculaires, ou une sensation de tension dans l'oeil,

qui pourraient faire songer à une attaque de glaucome (Dia-

noux).

Les troubles visuels sont souvent accompagnés par le syn-

drome migraineux (véritable migraine ophtalmique), qui peut

éclore après un intervalle de quelques minutes à une heure et

même plus. Les douleurs de tête, compliquées parfois d'une

sensation de vertige, surviennent généralement sur un point

limité de la tempe, du côté des troubles visuels, et s'irradient

plus ou moins intenses et étendues dans la moitié du crâne.

442 CLINIQUE NERVEUSE.

L'accès de migraine est souvent suivi de nausées et vomisse-

ments. La durée de l'attaque varie le plus souvent entre un

quart d'heure et une demi-heure, exceptionnellement plus.

-Les crises les plus courtes, presque avortées, se voient de

préférence lorsque l'affection dure depuis longtemps.

Au lieu de la migraine, ou en même temps qu'elle, des trou-

bles vaso-moteurs du côté de la face, des phénomènes divers

du côté des membres, des troubles plus ou moins localisés de

la sensibilité ou de la motilité, des altérations des fonctions

cérébrales, notamment de la parole et des activités psychi-

ques analogues, peuvent accompagner l'amblyopie transitoire.

IV. L'amblyopie transitoire est une affection assez fréquente.

Si elle ne se montre pas encore plus souvent dans les clini-

ques, c'est que les malades n'y attachent pas grande impor-

tance, puisque, dans la grande majorité des cas, les accès sont

assez espacés, ont une durée très courte et ne laissent aucun

trouble persistant, même lorsque les accès reviennent pen-

dant de longues années. -

Seulement si les accès sont fréquents (se produisant jusqu'à

plusieurs fois dans la journée) ou accompagnés de violentes

migraines ou d'autres troubles nerveux, le malade se présente

à la consultation. Il peut aussi être amené à consulter, à cause

de la persistance du trouble visuel ou de quelque trouble ner-

veux qui en complique les accès. Ce passage des troubles ner-

veux occasionnels à l'état permanent, est à craindre surtout

chez les hystériques, ou lorsqu'une névropathie organique va

se déclarer.

En envisageant l'amblyopie transitoire comme nous l'avons

fait, c'est-à-dire à un point de vue général, et en y considérant

toutes les différentes formes symptomatologiques, il est très

facile de reconnaître l'affection et de la rapporter à l'état ner-

veux plus ou moins manifeste du sujet. Les accès d'amblyopie

transitoire qui se rencontrent chez les goutteux, les hémor-

roïdaires, les femmes enceintes, les anémiques, et même chez

des personnes qui ne révèlent aucun autre état morbide, tien-

nent toujours à des troubles passagers dans lesquels les trou-

bles vaso-moteurs cérébraux jouent un grand rôle. Les condi-

tions physiopathologiques qui diminuent d'une façon si ra-

pide la circulation des parties du cerveau en rapport avec

l'organe visuel (territoire de l'artère sylvienne) sont encore

très peu connues.

L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 443

L'influence du sympathique (du Bois-Reymond) serait bien

démontrée par quelques observations, comme celle d'Hilbert,

résumée ici, et par l'analogie existant entre le scotôme scintil-

lant et les phénomènes de certaines intoxications (comme la

digitale), qui paraissent intéresser surtout le sympathique

(Latham) .

A côté de la prédisposition constitutionnelle pour les atta-

ques, il faut en considérer les causes occasionnelles (un travail

intellectuel prolongé, un excès quelconque, des troubles de la

digestion) et dans plusieurs de ces cas le trouble vaso-moteur

cérébral peut être envisagé comme un phénomène réflexe.

Dans d'autres cas, par exemple lorsque l'accès survient après

un jeûne prolongé et pendant la sensation de faim, ou même

sans cause appréciable, le trouble circulatoire des centres cor-

ticaux est idiopathique, pour ainsi dire, en constituant à lui

seul la maladie, qui pourra tout au plus se rapporter à un état

neurasthénique latent ou fruste. ,

En raison de l'étiologie et de la nature de l'amblyopie tran-

sitoire, nous la rencontrons presque toujours chez les adultes

(de trente à soixante ans); néanmoins, il y en a plusieurs ob-

servations chez de jeunes individus de dix à vingt ans et quel-

ques-unes chez des vieillards, où le plus souvent le trouble

visuel a remplacé les attaques migraineuses.

L'affection est ainsi plus fréquente (ainsi que la migraine)

chez le sexe féminin, et l'hérédité nerveuse (goutte ou diabète)

y joue un grand rôle.

V. Le trouble fonctionnel qui cause l'amblyopie transitoire

siège sans doute dans l'écorce cérébrale. L'anesthésie ou l'irri-

tation de ces centres visuels corticaux (surtout le cuneus et la

circonvolution occipitale superieure), à la suite de troubles

circulatoires, donnerait au malade, d'après la loi de la projec-

tion extérieure de nos sensations, le phénomène du scotôme

et parfois du scintillement dans le champ visuel.

Les deux formes, monoculaire et hémiopique, de l'amblyopie

transitoire, constituent (Parinaud) un argument sérieux en

faveur de la double connexion des nerfs optiques avec les

hémisphères. Selon le foyer (d'une même hémisphère) inté-

ressé, nous aurions ou l'amblyopie monoculaire croisée ou

l'hémiopie. L'amblyopie passagère présente encore, en compa-

raison des amblyopies et hémiopies persistantes (par suite de

lésions organiques) plusieurs particularités qui établissent

444 CLINIQUE NERVEUSE.

entre elle et les faits expérimentaux (Munk, Ferrier, etc..)

une analogie plus grande, favorable sans aucun doute à la

localisation de l'affection dans la substance grise de l'écorce

cérébrale.

Le plus souvent, le centre cortical de la vision périphérique

de l'hémisphère gauche (scotôme scintillant ou hémianopsie à

droite) est atteint; mais, les autres formes de l'amblyopie tran-

sitoire nous démontrent que le trouble peut commencer ou

s'étendre dans n'importe quel endroit de l'écorce visuelle, pour

la vision centrale ou pour la périphérique, pour la vision d'un

seul oeil ou pour la vision binoculaire. D'autres cas (hémia-

nopsie double, amaurose transitoire bilatérale) et l'examen

attentif des observations d'amblyopie transitoire liée à l'épi-

lepsie sensitivo-sensorielle (surtout les cas relatés par Féré)

démontrent la possibilité que le trouble atteigne les deux

hémisphères, alternativement dans le même accès ou dans les

différents accès, ou bien encore à la fois.

En ce qui concerne les syndrômes souvent concomittants de

l'amblyopie transitoire, c'est-à-dire la migraine et l'épilepsie

partielle, la pathogénie de cette dernière semble être la même

que pour l'amblyopie transitoire (asthénie ou irritation de

différentes régions corticales psycho-motrices et psycho-sensi-

tives), tandis que la pathogénie de la migraine reste obscure.

Dans la plupart des cas, l'amblyopie transitoire représente,

de même que la migraine avec laquelle elle est si souvent

unie (migraine ophtalmique), une simple névrose, stigmate rudi-

mentaire d'un sujet qui pourra plus tard entrer dans la caté-

gorie des véritables névropathes. Mais, lorsque les crises d'am-

blyopie transitoire sont certainement de nature hystérique, ou

liées à l'épilepsie partielle dans la période prodromique de la

démence paralytique, le syndrome a une signification plus

grave, surtout dans ce dernier cas, où les troubles corticaux

tiennent à des lésions qui vont devenir organiques.

VI. Au point de vue du diagnostic des maladies nerveuses,

l'amblyopie transitoire est rangée parmi les troubles subjectifs

de la vision, puisqu'ils sont perçus par le malade, tandis que

l'observateur n'en peut rien apprécier. Seulement, dans quel-

ques cas (comme celui d'hémiopie ou de rétrécissement con-

centrique du champ visuel), si l'accès se prolonge assez long-

temps et si l'on a l'occasion d'examiner le sujet pendant sa

durée, on peut en contrôler au périmètre la forme et l'étendue.

L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 445

Le diagnostic différentiel entre l'amblyopie transitoire et

d'autres affections, telles que les maladies des membranes de z

l'oeil, glaucome, etc., est trop grossier pour qu'il soit néces-

saire d'insister sur ce sujet.

Plus difficile, sans doute, est le pronostic, quant à la marche,

la durée et la signification de l'affection. Rien de caractéris-

tique dans la marche et la durée, puisque la fréquence et l'in-

tensité des accès peut varier extrêmement, selon les différents

individus et aussi chez le même sujet aux différentes époques

de sa vie. Tantôt les attaques reviennent périodiquement

toutes les semaines, tous les mois, tous les jours, même plu-

sieurs fois par jour (notre observation plus haut), tantôt il n'y

en a qu'une seule pendant toute la vie. Il peut arriver que, par

suite de l'âge, il survienne une amélioration, mais il peut

arriver aussi qu'une simple amblyopie transitoire se complète

plus tard, même au bout de plusieurs années, avec le syn-

drôme migraineux, pour constituer une migraine ophtalmique

plus ou moins grave et fréquente. Si nous considérons la pos-

sibilité que le syndrôme de l'épilepsie partielle survienne

encore, que quelque symptôme des attaques reste permanent,

que ces attaques peuvent marquer le début de la paralysie

générale ou être associées à nombre d'autres maladies ner-

veuses ou même être suivis de mort (un cas de Féré), nous

comprendrons la difficulté et l'importance d'un pronostic.

VIL,Le traitement de l'amblyopie transitoire doit viser :

1° Aux conditions générales du malade, pour prévenir le

retour des accès et en diminuer la fréquence; .

2° A faire avorter ou à couper les accès mêmes, lorsqu'ils

sont intenses et de longue durée.

Pour empêcher le retour des accès, les bromures, l'hydro-

thérapie, les purgations fréquentes et légères, le sulfate de

quinine et la digitale, etc., rendront service, étant employés

selon la cause constitutionnelle (hystérie, neurasthénie, épi-

lepsie, dyspepsie, anémie etc...) dont ces attaques tirent leur

origine.

Il faudra, en outre, en interrogeant le malade, rechercher

toutes les causes occasionnelles des accès, afin de les éviter.

Pour mitiger l'accès même, ou l'interrompre, le moyen le

plus simple et le plus sûr est de faire garder au malade le

repos en décubitus horizontal avec occlusion des yeux.

446 CLINIQUE NERVEUSE.

Souvent le bromure de potassium ou de camphre, à la dose

de 2 à 6 grammes (pris en une ou deux fois) pourra éviter

l'attaque de migraine ophtalmique, lorsque le malade en pré-

sente les signes avant-coureurs (Baralt), qui lui permettent,

- d'avoir recours à temps au médicament. Un verre de vin ou de

spiritueux, rapidement pris au commencement de l'accès, peut

souvent le faire avorter, surtout s'il survient après un jeûne

prolongé ou après un trouble de la digestion à peine com-

mencée. Il en est de même pour le café bien fort (ou l'injection

de caféine, qui pourra encore être très utile contre la migraine),

ou pour une sensation instantanée de froid sur le visage.

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CLINIQUE DES maladies DU système NERVEUX. - M. CHARCOT.

LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES;

3° CONFÉRENCE FAITE A LA SALPTlt1) : EE LE 1°r AVRIL 1892.

Par M. Pierre JANET,

Professeur agrégé de philosophie, docteur ès lcltres, élève du service.

MESSIEURS,

En apprenant que j'allais vous parler aujourd'hui de la sug-

gestion, beaucoup d'entre vous ont dû se sentir très effrayés,

et s'attendent sans doute à une étude aussi vague qu'inter-

minable. Pour beaucoup, en effet, le mot suggestion a perdu

tout sens précis et s'applique à une quantité de choses diffé-

LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 449

rentes; suggestion toute la thérapeutique, suggestion toute la

pathologie nerveuse, suggestion surtout toute la psychologie.

Rassurez-vous cependant, le mot suggestion n'a pas pour moi

un sens aussi vaste et aussi indéfini. Il désigne à mes yeux un

phénomène très réel, très important, mais un phénomène

tout particulier, qu'il faut éviter de confondre avec tous les

autres. D'ailleurs, l'objet de ces études est restreint et suffit

amplement à mon ambition : je me contente d'étudier devant

vous les hystériques et rien de plus. J'ai l'intention de vous

exposer un phénomène psychologique particulier qui se pré-

sente chez ces malades et que je vous propose d'appeler la

suggestion. Libre à vous de penser que chez l'homme normal

la suggestion est plus importante et qu'elle revêt d'autres

caractères. Je cherche uniquement à préciser le sens de ce

mot quand on l'applique à des hystériques et à vous montrer

les conditions dont ce phénomène parait dépendre.

I. Contentons-nous, pour le début, d'une définition très élé-

mentaire et très vague qui se précisera peu à peu. L'obser;

vation la plus superficielle des hystériques a permis à tous les

médecins de faire une remarque banale : c'est que, chez elles,

et plus particulièrement chez quelques-unes d'entre elles, cer-

taines idées prennent très facilement une importance exagérée.

Cette importance exagérée se manifeste de plusieurs façons,,

par la fréquence avec laquelle ces idées se présentent à leur

esprit, par la durée pendant laquelle ces idées persistent, par

les actes extérieurs qui les accompagnent, par l'apparence de

réalité, d'objectivité enfin qu'elles prennent aux yeux du sujet.

On constate très souvent des phénomènes de ce genre pen-

dant les attaques d'hystérie. C'est là un fait d'observation dans

lequel l'expérimentation n'entre pour rien, certaines crises-

répètent tous les huit jours et quelquefois même tous les jours

avec une précision extraordinaire, un fait, un accident, une-

idée quelconque qui ont vivement impressionné l'esprit du.

malade.

Un petit jeune homme de seize ans voit un incendie,

et quel incendie, la flamme de quelques copeaux dans la cui-

sine, et voici que depuis trois ans, il passe une heure tous les.

jours à voir du feu, à crier au secours, à entendre la corne des.

pompiers, à se débattre en les appelant; c'est un peu abusif

vous l'avouerez. Une femme, dont je vous parlais dernière-

Archives, t. XXIV. 29

450 CLINIQUE NERVEUSE.

ment, a vu, une fois dans sa vie, un homme caché derrière les

rideaux pour faire une plaisanterie, et, depuis deux ans, elle

a, tous les soirs, une crise d'hystérie formidable et passe une

heure tes yeux fixés sur les rideaux, en posture de terreur.

Tous les exemples se ressemblent, car, presque toujours, toutes

les péripéties des attaques de ce genre reproduisent ainsi

un incident de la vie dont l'importance est exagérée. Vous

connaissez dans le service cette malade bizarre que nous appe-

lons quelquefois la femme-chameau, parce qu'elle a été impres-

sionnée, en Algérie, par cet animal, et qu'elle parait repro-

duire son cri pendant l'attaque; elle ne fait pas un geste qui

n'ait une raison de ce genre. Ainsi, elle s'arrête au milieu de

ses cris et lève le bras droit en l'air, c'est qu'elle prend la pos-

ture du tableau qu'elle a regardé autrefois dans sa chambre,

la Vérité, de Jules Lefèvre; puis elle se couche et crie miaou,

miaou, c'est parce qu'un petit chat, bien innocemment, lui a, un

jour, léché le bout des doigts; elle contrefait la voix des

enfants et répète zou, zou, ma nounou, patapan, ta, tata, zo, zo...,

etc : , c'est qu'elle imite la voix d'un petit pâtissier idiot qu'elle

a vu dans les rues d'Alger, et ainsi pour tout ce qu'elle fait.

Nous retrouvons la même importance exagérée de certaines

idées dans les rêves : Une jeune fille de vingt-trois ans rêve

toutes les nuits qu'elle tombe dans l'eau; parce que, à l'âge de

dix ans, elle a failli se mouiller les pieds dans un ruisseau.

D'autres accidents, en dehors des crises et des rêves, mani-

festent le même phénomène. Soeur Jeanne des Anges, dont

M. Gilles de la Tourette nous a fait connaitre les intéres-

santes confessions, rêve qu'elle a cohabité avec le diable et à

la suite présente tous les symptômes de la grossesse, même la

sécrétion lactée des mamelles'. J'ai eu l'occasion, d'ailleurs,

de voir deux cas analogues, quoique moins complets. Un indi-

vidu, qui travaille dans le plomb, imite la paralysie des exten-

seurs de son camarade. Un homme assiste à l'enterrement de

son neveu qui a eu le bras droit coupé après un accident de

machine, il rentre avec une paralysie hystérique du bras. Une

femme, nous raconte M. Gilles de la Tourette, donne une gifle

à son enfant et la main reste paralysée avec une anesthésie

en manchette Une autre, que j'ai décrite autrefois, lève le

, G. Légué et Gilles de la Tourette. Soeur Jeatne des Anges (biblio-

thèque diabolique, 1886,' p. 81). ? -Gilles de la Tourette. - Traité de l'hystérie, 1891,522.

LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 451

poing contre son mari et, par une punition céleste, son bras

reste contracturé dans la position du coup de poing'. Faut-il

ajouter que j'ai vu une hystérique se trouver fortement purgée

parce qu'elle avait apporté une purge à un malade.

En dehors de ces accidents extérieurement visibles, ces

malades ont sans cesse dans la tête des idées d'une impor-

tance exagérée. Je trouve un jour la petite Berthe, immobile,

absorbée dans une contemplation imaginaire : « Que c'est

beau, dit-elle tout bas, que c'est beau, » et je ne peux pas en

tirer autre chose. On me dit que depuis la veille elle est ainsi

en extase, qu'elle n'a pas pu se coucher et qu'elle a passé la

nuit assise sur son lit, en admiration. « C'est bien beau, dit-elle

enfin, cette statue, ce grand paysan. Tout s'explique, elle a

été aider une infirmière à épousseter un laboratoire où M. Richer

mêle les belles oeuvres d'art aux études scientifiques, et elle a

été saisie d'admiration pour une statue. Elle n'a pas tort et cela

prouve qu'elle a bon goût, mais deux jours d'extase continue,

c'est exagéré. Un autre jour, elle ne peut plus arriver à parler,

parce que sa bouche chante tout le temps malgré elle, on a

voulu lui apprendre une chanson et on a trop bien réussi, puis-

qu'elle ne peut plus s'en débarrasser. Célestine, une autre

malade, se fâche un jour contre un fonctionnaire de la Salpê-

trière et ne pense plus qu'à le rosser d'importance. Elle pleure

et trépigne et me dit : « C'est ridicule, c'est désolant, on va

me mettre encore aux folles, mais cela ne fait rien, il faut

que je le rosse. » Vous comprenez que j'aie dû prendre quel-

ques précautions, d'ailleurs faciles. ,

En effet, on peut changer leurs idées ou reproduire soi-même

artificiellement ces idées d'une importance exagérée qui nais-

saient spontanément. On peut les faire agir, leur faire croire,

même leur faire voir tout ce que l'on veut, et j'ai recueilli autre-

fois de nombreux exemples de cette crédulité qu'il serait trop

long de vous raconter2. Rappelez-vous seulement, qu'en général,

il ne faut pas hypnotiser les hystériques pour leur suggérer quel-

que chose, c'est là une grosse erreur qui a eu de l'influence sur

la conception que l'on s'est faite du somnambulisme. Affirmez-

leur pendant la veille, c'est tout aussi commode et beaucoup

plus sûr et vous remarquerez que les suggestions dont je vais

' Pierre Janet. Les actes inconscients et la mémoire pendant le

somnambulisme. (Revue philosophique, 1888, I, 224.) , ! Automatisme psychologique, 203.

452 CLINIQUE NERVEUSE.

vous montrer quelques exemples sont faites à l'état de veille.

De semblables suggestions sont fort graves et peuvent per-

sister fort longtemps. Il y a deux ans, quand j'étais élève chez

. mon éminent maître, M. Landouzy, je déclarai à une hysté-

rique pendant la veille que je lui faisais cadeau d'une belle

rose. Elle la vit fort bien, par hallucination, et la plaça déli-

catement dans un verre d'eau. Je partis sans enlever la sug-

gestion, pour voir ce que la rose deviendrait. La malade

changea l'eau de son verre et soigna sa belle rose qui ne se

fanait jamais, malgré les railleries des infirmières et des

malades, et douze jours après je me décidai à enlever la rose

parce que je commençais à être inquiet de cette sorte de folie

persistante. On peut faire aux hystériques bien d'autres sug-

gestions beaucoup plus graves encore; toujours on verra ces idées

prendre une importance énorme, se répéter, durer, se mani-

fester par des actes réels, par des images objectivées de véri-

tables hallucinations.

En quoi donc consiste l'importance que prennent ces idées ?

Une première explication a été fournie souvent depuis des

siècles, par tous les philosophes 1. Chez tous les hommes,

dit-on, les idées ont une tendance à se transformer en acte,

une musique nous fait danser, les enfants suivent le tam-

bour en marchant au pas, la vue d'un bâillement nous fait

bâiller, etc. Les idées semblent aussi se transformer en sen-

sation, la pensée de la démangeaison nous fait sentir un

prurit véritable; nous croyons voir au microscope ce que l'on

nous décrit, etc. Tout cela est juste, quoique exprimé d'une

manière trop vague. Voici une façon un peu plus précise de

répéter cette même explication. Toute idée bien comprise,

bien claire, est en réalité dans notre esprit un ensemble, un

système d'images différentes, ayant chacune des propriétés

spéciales et diversement coordonnées. Prenons, par exemple,

cette pensée très simple qui s'exprime par ces mots : * faire le

tour de la chambre » . Cette pensée renferme des images

visuelles ou musculaires suivant les cas du mouvement des

jambes, des images visuelles de l'aspect de la chambre au

moment où l'on part, puis d'autres images motrices et d'autres

images visuelles d'un nouvel aspect de la salle et ainsi une

longue suite de représentations variées jusqu'à une dernière

1 Relire, par exemple, les chapitres si curieux de \falebrauche et d'au-

tres cartésiens sur l'influence de l'imagination.

LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 453

qui reproduira le premier aspect de la salle. La pensée d'un

bouquet de roses ou la pensée d'un chat renferme de même

de nombreux éléments groupés les uns autour des autres dans

une dépendance très étroite. Nous n'avons qu'à signaler dans

ces idées, la notion de la couleur des fleurs, la couleur et la

forme du chat, puis de nombreuses images d'odorat, de tact,

d'ouïe, etc., en un mot, comme je le disais, ces idées sont de

véritables systèmes d'images. Le plus souvent, ces systèmes

se reproduisent dans notre esprit d'une façon tout à fait par-

tielle et abrégée : par exemple, l'image sonore ou kinesthé-

sique du mot « fleur » ou du mot « chat » se reproduira

seule, ou à peu près seule et suffira pour représenter tout

le système complexe dont elle n'est qu'un petit élément.

Dans les cas de suggestion que nous cherchons à analyser,

nous voyons, au contraire, que des systèmes de ce genre, s'ils

commencent une fois à se développer dans l'esprit, ne restent

pas incomplets. Tous ces détails constituants, images visuelles,

images tactiles, images kinesthésiques, réapparaissent à leur

place de manière à reconstituer le système dans son ensemble.

Or, chacune de ces images a un rôle dans l'esprit, l'une pro-

voque des émotions et des sentiments, l'autre est accompagnée

de mouvements réels des membres. Le système reproduit dans

son ensemble provoque donc certains grands phénomènes

psychologiques comme l'exécution d'un acte réel ou la croyance

à l'existence réelle et extérieure des objets auxquels on pense.

Les actes réels et l'objectivité apparente des objets ne tiennent,

comme on sait, qu'à la précision et à la complexité des images

qui ressuscitent dans l'esprit'.

Je n'ai pas l'intention de vous montrer de nombreux exemples

de la suggestion que vous connaissez trop bien; mais je vais

vous faire remarquer, en vous montrant quelques faits, ce

caractère important du développement des images contenues

dans une idée. J'emploie la parole pour faire aux malades,

que vous connaissez, des suggestions rapides, d'autres moyens

pourraient également faire pénétrer dans leur esprit l'idée qui

va se développer. Je dis à Isabelle, sur le ton le plus simple :

« Tiens, regarde donc sur cette chaise le beau bouquet de

roses. » J'éveille dans son esprit par ces mots le système

d'images qui constitue l'idée d'un bouquet de roses. Ordinai-

1 Voir une étude sur la puissance de semblables phénomènes dans

l'Automatisme psychologique, 1889, p. 200.

454 . CLINIQUE NERVEUSE.

rement, chez une personne normale, ce système resterait

extrêmement incomplet, réduit à un ou deux termes et il

n'amènerait aucun mouvement extérieur et aucune croyance

à l'existence réelle du bouquet. Mais, voyez Isabelle, elle se

lève, prend le bouquet, tient les mains écartées comme si elle

sentait entre elles une résistance, abaisse la tête et respire

l'odeur; elle a dans l'esprit une énorme quantité d'images

tactiles, visuelles, olfactives, etc. Elle décrit les roses, leur

couleur, leur nombre, etc. En un mot, chez elle le système

d'images, qui constitue ce que nous appelons un bouquet de

roses, s'est reconstitué dans son intégrité.

Permettez-moi de vous montrer un second exemple que je

trouve plus curieux et plus décisif encore. Je vais vous mon-

trer chez Marguerite un phénomène de suggestion très singu-

lier que j'ai constaté chez elle tout à fait par hasard en cherchant

autre chose, mais que je vais essayer de reproduire devant

vous. Vous avez déjà vu cette jeune fille, vous savez qu'elle

a vingt-trois ans, qu'elle est à la Salpêtrière depuis plus d'un

an et que, par conséquent, elle nous connaît tous très bien.

Vous n'avez pas oublié les divers accidents hystériques, con-

tracture, oedème bleu, attaques qui l'ont amenée à l'hôpital et

vous pouvez vérifier encore une fois ses stigmates permanents,

anesthésie tactile tout à fait complète de tout le côté droit,

anesthésie musculaire telle qu'elle est incapable de remuer son

bras droitsans le voir et qu'elle le laisse dans des postures cata-

leptiques quand on le déplace à son insu, rétrécissement du

champ visuel à 35°, etc. Eh bien, je lui dis simplement, en

insistant un peu, ce simple mot : « bonjour Margot t. Elle a,

comme vous voyez une petite secousse et elle change de visage.

Comme elle me regarde d'un air étonné, je lui demande ce

qu'elle a et ce qui l'inquiète : « Mais, je ne vous connais pas,

monsieur. - Comment, tu viens de me voir ce matin. -

Mais non, ce matin, j'étais en classe et j'ai fait mes devoirs. »

Si vous êtes surpris de ces réponses et si vous examinez la

malade, vous allez voir qu'elle a complètement oublié la Sal-

pêtrière, sa propre maladie, tout ce qu'elle a fait dans ces

dernières années et que, au contraire, elle se souvient de son

enfance avec une précision étonnante. Si nous allons plus loin,

nous voyons qu'elle n'a plus aucun stigmate hystérique : elle

crie dès que je pince son bras droit, elle le remue sans le voir

et ne garde plus les poses cataleptiques, elle a un champ

LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 455

visuel qui est devenu absolument normal. Que s'est-il passé ?

Il suffit de lui demander son âge. « J'ai huit ans, » nous dit-

elle. Voici probablement ce qui est arrivé, par hasard la pre-

mière fois et ce qui se répète aujourd'hui : le mot a llargot »

est le nom qu'on lui donnait à la pension, quand elle avait

l'âge de huit ans, et ce mot prononcé par nous a réveillé dans

son esprit tout le système énorme de souvenirs, d'images et

même de sensations auquel il était lié. Même la sensibilité tac-

tile et musculaire du côté droit, qui semble disparue de la

conscience, mais qui existait latente, comme nous le savons,

s'estréveillée, s'est rattachée à la conscience personnelle pour

reconstituer le système complet de Margot à huit ans, à la

pension. Voici, je crois, un bel exemple, quoique assez rare,

de ce développement automatique de tous les éléments qui

entrent dans une idée. Ces faits nous expliquent déjà une partie

de la suggestion, ce que nous avons appelé l'importance prise

par certaines idées.

Nous avons encore à insister sur une autre expression, ce

qui caractérise la suggestion, c'est, disons-nous, l'exagération

de ce développement, c'est son caractère anormal. Un homme

bien portant présente certainement des phénomènes psycho-

logiques où le développement automatique des idées se mani-

feste jusqu'à un certain point; la mémoire, l'association des

idées, l'habitude, sont des faits de ce genre bien décrits, depuis

longtemps. Mais, quand deux faits présentent quelques points

communs, ce n'est pas une raison pour les confondre. Pré-

tendre que la leçon d'un maître est identique à la suggestion

faite aux malades, que le rêve d'un homme qui dort est iden-

tique à l'hallucination de l'aliéné et conclure que la suggestion

n'est rien, que l'hallucination ou le délire n'existent pas, c'est

vouloir, sous prétexte de psychologie, nous plonger, dans la plus

complète confusion.

Dans un esprit bien équilibré, le développement automatique

des idées présente toujours deux caractères, il est soumis à

l'action de la volonté et il est réglé par les faits réels, par les

circonstances au milieu desquelles nous nous trouvons. Je ne

cherche pas à vous faire comprendre ce que l'on entend par le

mot c volonté *, je me contente du sens banal. Un acte est

volontaire quand nous avons conscience de l'accomplir, quand

nous le rattachons à notre personnalité. c C'est moi qui fais

cet acte, disons-nous, et je pense que cette action est en rap-

456 CLINIQUE NERVEUSE.

port avec mon caractère, mes sentiments, mes idées ; je garde

le souvenir de l'avoir faite et je la considère désormais comme

faisant partie de ma personne. » nous idées sont aussi déter-

~ minées par les circonstances extérieures, par les sensations

que nous éprouvons, par tout ce que nous pouvons savoir du

lieu et du temps où nous nous trouvons. Si, 'actuellement,

vous pensez à un ballet de l'Opéra, cette idée ne se déve-

loppera pas en vous parce que vous avez devant les yeux, en

regardant cette estrade, un spectacle tout différent et que

l'idée d'un ballet de l'Opéra ne s'accorde pas avec les sensations

visuelles que vous éprouvez. Le développement de vos idées est

donc raisonnable, harmonieux, en accord avec les faits pré-

sents, et vous n'avez alors que des souvenirs et non des sug-

gestions. Quand ces deux caractères existent, il ne faut pas

parler de suggestion. Quand vous dites à un malade souffrant,

pauvre, humble devant vous : « Allons, mon ami, pensez à

guérir, pensez que vous êtes guéri, tenez les yeux fermés,

faites semblant de dormir, etc. » Le malade fera tout ce que

vous voudrez, et il aura raison ; mais c'est de la complaisance

volontaire, tout à fait raisonnable, tout à fait en accord avec

les désirs, la personnalité et la situation présente du malade.

Je ne parle pas, bien entendu, de la question thérapeutique;

de bons conseils et des consolations sont toujours des choses

excellentes même pour la santé des malades, mais, je dis

qu'au point de vue psychologique, ce n'est pas le même phé-

nomène que ce que je viens de vous montrer chez ces jeunes

filles.

Chez elles, en effet, ces idées, dont je vous ai parlé, ces

attaques, ces rêves, ces mouvements sont involontaires et en

complet désaccord avec la personnalité de la malade et les cir-

constances extérieures. Prenons un exemple et choisissons

pour l'étude le cas le plus complet. J'affirme à Berthe qu'elle

a sur ses genoux son petit chien Finaud. Vous voyez, comme

précédemment, le développement automatique de l'idée, elle

voit son chien, le caresse, sent ses poils, lui parle, etc. Mais

remarquez donc que cette jeune fille est maintenant dans un

état tout à fait anormal. D'abord, elle n'a plus aucune sensi-

bilité tactile, elle ne s'aperçoit pas que je la pince du côté

droit, qui d'ordinaire est sensible; si vous essayez de lui parler

vous verrez qu'elle ne vous entend pas et ne vous voit pas.

J'arrive un peu, moi-même, à attirer son attention sur moi et

LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 457

à obtenir quelques réponses, car je fais pour ainsi dire partie

de son rêve. D'après ses réponses, vous voyez qu'elle ne sait

plus rien, ne se souvient plus du lieu où elle est, de sa vie

passée, du chagrin qu'elle a eu à la mort de Finaud, de sa

situation actuelle. Il semble qu'il n'y ait plus de personnalité,

dans son esprit il n'y a qu'une idée envahissante, celle de

son petit chien. Et quand elle sort de cette espèce de délire,

vous remarquez qu'elle n'en a aucun souvenir. Tout ce déve-

loppement automatique s'est fait totalement en dehors de la

personnalité actuelle. Sans doute, c'est un cas énorme de sugges-

tibilité que je vous montre, c'est une jeune fille qui, sponta-

nément, se fixe de cette manière pendant vingt-quatre heures

sur une même idée et qui, pendant ce temps, perd toute cons-

cience et du monde extérieur et de sa propre personnalité.

Mais les cas les plus nets sont les plus instructifs, et nous

voyons chez elle les caractères fondamentaux de la suggestion

qui subsistent plus ou moins altérés dans les autres cas.

Je vous disais, en commençant, que les suggestions sont

chez nos malades des idées d'une importance exagérée. Nous

avons analysé cette définition vague et nous pouvons la pré-

ciser maintenant. Le phénomène de la suggestion est, pour

moi, le développement automatique de tous les éléments con-

tenus dans une idée, développement qui se produit sans par-

ticipation de la volonté ni de la personnalité, sans rapport

avec les circonstances présentes.

II. - Un phénomène de ce genre existe-t-il chez tous les

hommes d'une manière constante ou bien demande-t-il pour se

produire certaines dispositions mentales toutes particulières. Je

n'hésite pas à dire qu'il faut pour la suggestion ainsi entendue

un état d'esprit tout particulier soit momentané et acci-

dentel, soit permanent. C'est à votre bon sens que je fais

appel. Est-ce que nous subissons tous la suggestion comme

ces jeunes filles que vous venez de voir. Est-ce qu'il suffit de

vous dire, sans modification préalable, que vous avez dix ans

pour vous ramener à l'enfance. Voyons, messieurs, faisons

l'expérience; je vous affirme qu'il y a un petit chien sur cette

table, est-ce que vous le voyez, est-ce que vous jouez avec lui,

est-ce que vous le prenez ? Non, eh bien, alors, il y a donc

chez Berthe quelque chose de spécial qui doit expliquer la

suggestion. Je répète cela, car c'est capital, nous avons tous

mis CLINIQUE NERVEUSE.

des habitudes, des souvenirs, des associations d'idées, mais si

je vous parle d'un bouquet, vous ne le voyez pas, vous ne le

sentez pas, donc j'ai raison de dire que les habitudes, les sou-

- venirs, les associations d'idées normales ne suffisent pas à

nous faire voir un bouquet dès qu'on nous en parle. Puisque

Berthe le voit, dès que je le lui dis, c'est qu'il y a en elle

quelque chose de plus, et c'est ce fait nouveau qui lui est spé-

cial et que nous devons chercher en elle.

C'est dans l'état de leur volonté que nous devons chercher

ce phénomène maladif. Les hystériques se présentent, au

premier abord, sous deux aspects différents, les unes sont

remuantes, agitées, gaies, comme Marguerite, les autres sont

calmes, rêveuses, mélancoliques, comme Berthe. Celle-ci se

rapproche, en effet, du type qui a été appelé l'hystérie mas-

culine, mais qui existe aussi chez la femme. Au fond, ces deux

types reviennent à peu près au même. Elles ne sont plus

bonnes à rien, ni l'une ni l'autre, elles ont perdu toute acti-

vité sérieuse et utile. Si vous interrogez les parents sur le

début de l'hystérie, le récit est toujours le même : on a com-

mencé à s'apercevoir qu'elles ne pouvait plus faire leur

ouvrage, qu'elles ne travaillaient plus, qu'elles n'avaient plus

de courage, plus de résolution, plus de volonté. Un médecin

anglais, William Page, a exprimé ce caractère d'une manière

saisissante : « L'état hystérique, dit-il, est constitué essentiel-

lement par la perte du contrôle et l'affaiblissement du pouvoir

de la volonté... le défaut se trouve plutôt dans une faiblesse

de la volonté que dans une obstination de ne pas vouloir. Le

malade dit souvent : « Je ne peux pas, » c'est comme s'il

disait : « Je ne veux pas », mais cela signifie : « Je ne peux

pas vouloir '. ' Ce que le médecin anglais exprime ainsi, les

malades le disent à chaque instant à leur manière. « Je vais,

je viens, je crie, me dit Marguerite, mais sans rien faire, sans

arriver à rien, sans rien vouloir, je suis comme une machine

qui n'a plus de ressort. « « Il me semble que je marche, que

je parle, disait Berthe, mais je ne sais pas ce qui marche, ce

qui parle en moi, car moi, je ne fais plus rien, je ne suis là

que pour représenter... je laisse perdre ma robe sans avoir le

1 The patient says, as all such patients do : I I can not, it looks.

like : « 1 will not, » but it is : « I can not will.. Pige. Injuries of

the spine and spinal cord without apparent mechanical lésion and ner-

vous shock ni their surgical and medico-legal aspects. 1883.

LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 459

courage de faire un mouvement pour la soigner, je ne m'oc-

cupe plus de rien, tout m'est égal... je suis comme un polichi-

nelle dont vous tenez la ficelle ». -

Ce caractère se retrouve dans toutes les opérations de leur

esprit, elles ont également perdu toute décision, toute certi-

tude dans leurs croyances et leurs perceptions, comme toute

résolution dans leurs actes. « Est-ce que c'est vraiment demain

la Mi-Carême ? Est-ce que je vais à ce bal ? J'y vais sans en

être sûre. Tout cela est comme un rêve. » Berthe rencontre

son frère qui vient la voir et le regarde avec étonnement :

Est-ce que c'est vraiment toi, lui dit-elle, je ne suis pas sûre

de te reconnaître. » J'ai toujours, me disait-elle, comme un

brouillard devant les yeux, je ne reconnais pas bien les choses...

Je ne comprends pas bien ce qu'on me dit, ma tête est devenue

trop dure et les paroles ne peuvent pas pénétrer... je me perds

dans mes idées comme dans un filet, comme dans une toile

d'araignée une pauvre mouche. » Cette faiblesse se manifeste

encore mieux si on examine ce qu'est devenue chez ces

malades la principale manifestation intellectuelle de la vo-

lonté, la faculté d'attention. L'attention est très profondé-

ment modifiée chez toutes les hystériques et d'une manière si

curieuse que nous ne pouvons en faire maintenant l'étude

détaillée. Je vous rappellerai seulement que l'effort d'attention

devient chez elles pénible, rare, de courte durée et qu'il s'ac-

compagne de toutes sortes de symptômes, de fatigue psy-

chique, augmentation des anesthésies, rétrécissement plus

grand du champ visuel, etc ? Quelquefois l'attention est

absolument perdue et les malades sont incapables de fixer leur

esprit sur aucune idée nouvelle. Par exemple, comme je l'ai

montré souvent, elles ne peuvent pas comprendre ce qu'elles

1 J'ai déjà signalé autrefois, au Congrès de psychologie de 1889, ce

phénomène intéressant du rétrécissement du champ visuel provoqué par

l'attention. Dans le compte rendu du Congrès (1890, p. 55) le résumé

très incomplet de cette petite observation a été publié sous le nom de

M. Ballet. M. Ballet sera sans doute heureux que je le décharge de la

responsabilité de cette observation qui pèse indûment sur lui. Sans étu-

dier ici ce phénomène, je me contente de rappeler que je l'ai encore

constaté chez deux malades du service de M. Charcot. Je crois savoir

que M. Séglas l'a constaté aussi de son côté, spontanément sans

connaître ma première communication, chez une malade du service de

M. Falret. C'est un signe de plus de la faiblesse de l'attention chez les

hystériques. '

460 CLINIQUE NERVEUSE.

lisent, elles n'ont jamais l'esprit à ce qu'elles font, comme si

toute attention volontaire était impossible.

Cette faiblesse de la volonté et de l'attention, qui est tout à

fait extraordinaire se manifeste par un second caractère en

apparence inverse du précédent et cependant très logique. De

même qu'elles sont incapables de commencer une action, une

croyance ou une perception, de même elles sont incapables de

les arrêter quand elles ont commencé. Je vous surprendrai

peut-être en vous disant une chose qui est cependant juste : la

plupart des accidents hystériques sont, au début, presque

volontaires. On commence à rêver, c'est qu'on le veut bien,

on pourrait s'arrêter, mais c'est si agréable. On commence à

manger peu, c'est pour maigrir, pour avoir la taille fine. On com-

mence une petite colère, une émotion est bien permise. Tout

cela, et les malades vous l'avouent, on aurait pu le faire cesser au

début. Mais l'action continue et la malade ne peut plus s'arrêter.

C'est un délire, c'est une anorexie, c'est une attaque. « Quand

j'ai commencé quelque chose, disaitunemalade, ilfautqueje e

continue malgré tout, je casserai les carreaux pour sortir,

me tuerai plutôt que de m'arrêter. » « Je tombe dans une idée

comme dans un précipice, me disait Berthe, et la pente est

bien dure pour remonter. » c Mon idée me poussent me chasse

sans que je puisse résister, me dit une autre. »

Cette impuissance à s'arrêter, vous la constatez tous les jours.

Vous connaissez ces malades qui viennent tous les matins,

quand vous entrez dans la salle, vous montrer un bras ou une

jambe contracturés et vous dire : « Défaites-moi cela. » Il n'y

a presque rien à faire, mais ce rien elles ne sauront jamais le

faire toutes seules. Elles viennent souvent, quand elles ont

confiance en vous, demander un secours moral du même

genre. Marguerite vient un matin me trouver et me dit : « Oh !

je suis en colère depuis ce matin, je voudrais battre et casser,

je voudrais bien m'arrêter, mais je ne peux pas. Défaites-moi

cela. Une autre petite me dit : Je me suis fâchée contre

mon amie, je boude depuis hier, c'est bien ennuyeux de

bouder; je voudrais bien cesser, mais je ne peux pas; défaites-

moi cela. » Alors il faut défaire la colère de l'une, la bouderie

de l'autre et le rêve de la troisième. C'est-à-dire qu'il faut aider

leur volonté absolument défaillante pour s'arrêter comme pour

commencer.

Tous les caractères précédents ont été souvent constatés,

LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 461

mais on les rattache d'ordinaire à une autre maladie mentale.

Beaucoup d'entre vous voudraient me dire : « Vous décrivez

là les symptômes de l'aboulie, une des formes de la folie du

doute, et les sujets dont vous rapportez les paroles sont des

malades complexes chez qui se sont développées simultané-

ment et indépendamment l'une de l'autre deux maladies; d'un

côté l'hystérie avec ses anesthésies, ses amnésies, ses attaques

et sa suggestibilité; de l'autre le délire des dégénérés avec sa

distraction, ses doutes, ses idées fixes et son aboulie. » Mes-

sieurs, je n'ai pas l'intention d'entreprendre ici incidemment

la discussion de cette grosse question, en général si mal com-

prise, celle des rapports entre l'hystérie et la folie du doute.

Je me contente de vous livrer mon opinion, afin de pouvoir

continuer notre étude sur la suggestibilité des hystériques. Je

n'admets pas qu'un sujet comme Berthe, qui présente de la

distraction et de l'anesthésie, du doute et de l'amnésie, des

attaques, des idées fixes et de l'aboulie soit en proie à deux

maladies mentales différentes. Il n'y a là qu'une seule et

même maladie mentale dont les manifestations diffèrent légè-

rement suivant les circonstances. D'abord, tous ces symptômes

s'accompagnent beaucoup plus souvent qu'on ne le croit. La

plupart des hystériques qui sont ici, présentent de l'aboulie et

du doute; en outre, nous avons compris par nos études précé-

dentes que ces divers symptômes dépendent l'un de l'autre,

que la distraction est la raison d'être de l'anesthésie, comme

l'aboulie est la raison d'être de la suggestibilité. La seule chose

importante à reconnaître, c'est que les symptômes prédomi-

nants ne sont pas les mêmes chez tous les malades. Quoiqu'il

y ait partout une certaine faiblesse dans la volonté, dans la

perception des sensations et des souvenirs, il y en a chez qui

l'amnésie prédomine, d'autres chez lesquelles l'aboulie est

capitale. Et il est important de constater que c'est chez les

abouliques que la suggestion prend son plus grand développe-

ment. .

J'ai étudié, il y a quelques années, chez mon éminent maître,

M. J. Falret, une malade de cette dernière catégorie qui était

presque exclusivement une aboulique', de même que la malade

précédemment étudiée, Mmo D..., est presque exclusivement

une amnésique. Je suis resté fort embarrassé, non sur l'inter-

t Pierre Janet. Etude sur un cas d'aboulie et d'idées fixes. (Revue

philosophique, 1891, t. I, p. 258 et 384.)

462 CLINIQUE NERVEUSE.

prétation des symptômes, mais sur le diagnostic médical de

cette malade. Mais aujourd'hui, après avoir étudié les nom-

breuses formes d'hystérie qui se rencontrent dans ce service,

après avoir suivi les leçons de M. Charcot, je n'hésite plus.

' Marcelle était une hystérique, comme M"10 D... en est une. Il

faut admettre qu'il y a des hystéries monosymptomatiques au

moral comme au physique, et qu'une certaine forme d'aboulie

ou d'amnésie est caractéristique de cette maladie mentale aussi

bien que l'anesthésie ou l'attaque. Retenons donc cette notion

importante : le symptôme de la suggestibilité ne se présente

pas seul, il s'accompagne d'une altération considérable de

l'attention et de la volonté, d'une aboulie en un mot. Il nous

reste à étudier cette aboulie dont nous avons constaté l'exis-

tence, à montrer qu'elle présente les mêmes caractères déjà

étudiés dans l'anesthésie et l'amnésie et qu'elle peut expliquer

la suggestibilité.

III. Quand vous étudierez un cas d'aboulie, vous serez, je

crois, frappé comme moi d'une contradiction entre les paroles et

les actes de la malade. Elle déclare qu'elle est incapable de bou-

ger, de faire aucun mouvement, de se lever de sa chaise, de

prendre un objet, et elle fait devant vous les efforts les plus

infructueux pour lever un doigt. Cependant, si vous faites mine

de quitter la malade, si vous la regardez à son insu et surtout

sans qu'elle puisse penser qu'on l'observe, vous constaterez

qu'elle remue en réalité beaucoup et qu'elle accomplit la

plupart des mouvements qu'elle se déclarait incapable de faire.

Ici encore, un peu d'attention; ne concluez pas trop vite que

la malade vous a trompés et qu'elle vient pour son plaisir se

faire enfermer dans une salle de folles. Songez que les mêmes

mouvements peuvent être accomplis de bien des manières, et

qu'une de ces façons de se mouvoir peut être perdue, taudis que

les autres sont conservées. - .

J'ai pu, dans l'étude du cas typique dont je vous parlais,'

établir une distinction entre les mouvements qui étaient con-

servés et les mouvements qui étaient perdus, et nous retrou-

verons cette distinction chez les malades que je puis vous

montrer. Les mouvements physiologiques : respiration, diges-

tion, n'ont jamais été changés. Les réflexes restent tout à fait

normaux aux genoux, aux yeux, à la bouche; elle tousse, cligne

des yeux, etc. Les mouvements qui, par l'exercice, sont devenus

LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 463

instinctifs, sont également intacts; elle remue sur sa chaise,

change de position, chasse une mouche du visage, se gratte, se

mouche sans l'ombre d'une hésitation. Les mouvements habi-

tuels se font de même; elle fait quelques travaux à l'aiguille

et exécute au crochet d'interminables bandes d'une dentelle

qui est, il est bon de le remarquer, toujours la même. A ces

diverses catégories de mouvements conservés, il faut en ajou-

ter d'autres plus étranges. De temps en temps, elle déchire

des objets, elle griffonne indéfiniment sur un papier, elle se

ronge les ongles ou bien elle se précipite pour exécuter certains

actes déraisonnables. Mais alors elle n'hésite plus : elle qui

s'arrête devant une porte pendant une demi-heure sans pou-

voir l'ouvrir, l'ouvre rapidement, comme avec fureur, quand

il s'agit d'un de ces actes impulsifs.

Voilà beaucoup d'actes conservés ; quel est leur caractère

commun ? Ce sont tous des actes automatiques, et les actes

qui sont perdus sont, comme il est facile de le comprendre

maintenant, tous des actes volontaires. Mais en quoi consiste

cette différence des actes automatiques et des actes volon-

taires ? Un premier caractère s'offre d'abord à notre analyse;

les actes automatiques sont des actes anciens, exécutés déjà

autrefois, organisés dans le passé, mais qui ne sont pas créés,

combinés pour des besoins présents. Les actes volontaires sont

des actes présents, combinés aujourd'hui même en vue des

circonstances actuelles. Un second caractère vient s'ajouter à

celui-ci et le compléter : les actes automatiques et anciens sont

impersonnels, ils ne se rattachent pas à la personne présente.

Nous ne disons pas à leur propos : « je, moi, M. un tel, je fais le

mouvement de marcher, de manger, d'écrire, ils ne provoquent

que des phénomènes de conscience isolés, et ne rentrent pas

dans cette perception d'ensemble qu'on appelle une personna-

lité présente ». -

Ces différences en amènent beaucoup d'autres avec elles :

les actes automatiques sont faciles, rapides, incohérents, car

ils ne sont pas en accord les uns avec les autres ; ils sont

absurdes, car ils ne sont pas en rapport avec la situation nou-

velle du personnage, avec les circonstances nouvelles; les

actes volontaires sont plus lents, plus difficiles, cohérents entre

eux, puisqu'ils font partie d'un système clos, raisonnables,

puisqu'ils dépendent de la personnalité entière telle que les

circonstances dernières l'ont faite. Ces deux catégories d'actes

464 CLINIQUE NERVEUSE.

existent toujours en nous, et notre santé morale dépend de

leur équilibre; quand la puissance volontaire diminue, l'auto-

matisme l'emporte, le passé écrase le présent. L'homme très

âgé, le vieillard, n'est plus capable de s'adapter aux situations

et aux choses nouvelles, il ne peut plus que répéter ses idées

anciennes, sans rapport avec des temps nouveaux. Tant qu'un

homme, quel que soit son âge, est capable d'inventer, de com-

prendre, de combiner les idées anciennes avec des idées nou-

velles, il n'a pas l'esprit d'un vieillard.

Eh bien ! nos abouliques ont sur ce point comme sur beau-

coup d'autres, l'esprit d'un vieillard. Elles ne sont plus capables

de se développer ; tout semble fini pour elles dès le début de

leur maladie, elles n'apprennent plus rien, ne comprennent plus

rien de nouveau. Elles ne s'adaptent plus aux circonstances

nouvelles, ou plutôt, puisque la plupart ne sont pas absolument

inertes, elles ne comprennent, et ne font rentrer dans leur

personnalité que très peu de choses à la fois. Il en est de leurs

actes comme de leurs sensations et de leurs souvenirs. Ainsi que

nous l'avons vu, elles ne sentent que peu de choses à la fois et

sont énormément distraites pour la plupart des impressions

périphériques, de même elles ne peuvent faire avec volonté

que très peu de choses, des actes très simples avec peu de

combinaisons de mouvements et d'images. Une petite hysté-

rique, au bal de la Salpêtrière, me disait : « Je ne puis pas

voir les costumes, je n'en ai pas encore vu un seul. - Eh !

pourquoi donc ? Parce qu'on me fait danser; dès que je

veux regarder, je cesse de danser et dès que je veux danser, je

ne peux plus regarder. Quand je veux danser, je ne vois plus

rien du tout, je n'ai plus qu'une seule idée en tête, danser. »

D'ailleurs j'avais déjà vu chez elle le même caractère, j'ai été

obligé de lui interdire de causer en déjeunant, parce qu'elle ne

pouvait plus manger. Quand elle veut manger, il faut qu'elle

ne pense absolument qu'à cela et à rien d'autre. Sa puissance

pour les actes présents, volontaires et personnels est extrê-

mement réduite; chez une aboulique complète comme était

Marcelle, cette même puissance était absolument supprimée.

Quelquefois, de semblables personnes arrivent cependant à

effectuer des actes assez nouveaux et assez difficiles, mais elles

les font alors d'une manière toute particulière. Elles ne réflé-

chissent pas, elles ne cherchent pas à se rendre compte de ce

qu'elles font; au contraire elles agissent d'une façon incons-

LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 465

ciente. « Vous voulez que je pense à ce que je fais, disait

Berthe, mais c'est impossible. Je n'y comprends rien, je le veux

pendant un instant, puis mon idée est partie; si je cherche ce

que je voulais, je n'arrive à rien. Non, il faut que je laisse mes

mains et mes jambes marcher toutes seules; quandje marche, je

suis comme un ballon qui rebondit tout seul, ce n'est pas moi

qui marche... Quand je veux chanter moi-même c'est impos-

sible ; d'autres fois j'écoute ma bouche qui chante très bien cette

chanson... Quand je veux écrire, je ne trouve rien du tout à

dire, il faut que je laisse ma main faire ce qu'elle veut et alors

elle écrit quatre pages. » Ce qu'il y a de plus curieux, c'est

qu'elle fait ainsi de fort jolies choses; qu'elle fasse un costume

ou qu'elle écrive une lettre, elle déploie un réel talent, mais

tout cela est effectué dans un état bizarre. Elle se fixe sur son

travail, n'est plus en relation avec le monde extérieur, n'a plus

de notion de sa personnalité, ne possède en un mot dans l'es-

prit que les images essentiellement nécessaires à son travail

et ne garde aucun souvenir quand elle a fini.

N'insistons pas sur ce travail curieux de Berthe qui provo-

querait bien des réflexions. Contentons-nous de constater que

nous retrouvons chez les abouliques trois lois psychologiques

que nous avons déjà constatées à propos des anesthésies et des

amnésies hystériques. 1° Le sujet a perdu le pouvoir d'exécuter

consciemment les actes nouveaux, de même que les amnésiques

ont perdu le pouvoir d'évoquer consciemment le souvenir des

événements récents. 2° Le malade a conservé le pouvoir d'exé-

cuter consciemment les actes anciens déjà organisés, l'amné-

sique aussi avait conservé le souvenir conscient des faits

anciens. 3° Le sujet a conservé le pouvoir d'exécuter tous les

actes, même nouveaux, inconsciemment, sans les rattacher à

sa personnalité. A1 ? D..., de même, avait conservé inconsciem-

ment tous les souvenirs. Vous voyez bien, d'après ces trois lois,

que ce nouveau symptôme est identique aux précédents, qu'il

est bien de nature hystérique. Car il dépend lui aussi du rétré-

cissement du champ de la conscience, de la faiblesse de la per-

ception personnelle.

Je crois que nous pouvons maintenant comprendre facile-

ment le pouvoir énorme que la suggestion exerce sur de pareils

esprits. Nous cozstaterons d'ahord qu'une aboulique, incapable

de rien faire volontairement remue, très bien et fait tous les

actes facilement à la suite d'une suggestion. Une expérience

Archives, t. XXIV. 30

466 ' CLINIQUE NERVEUSE.

curieuse, faite autrefois sur la malade de M. Falret, peut

servir à mettre ce point en lumière. Je lui avais suggéré qu'à

un signal donné, un coup sur la table, elle prendrait mon cha-

peau et le mettrait sur une patère. Cette suggestion faite, et

en apparence oubliée, je lui demandai poliment : a Il4ademoi-

selle, vous devriez bien enlever ce chapeau qui me gêne pour

écrire et le mettre sur une patère. Je ne demande pas

mieux, dit-elle. » Et la voici qui essaye de se lever, se secoue,

étend les bras, a des mouvements incoordonnés, s'arrête,

recommence. Je l'ai laissée travailler ainsi vingt minutes sans

qu'elle ait pu accomplir cet acte si simple. Puis j'ai frappé un

coup sur la table : aussitôt, elle se lève brusquement, prend le

chapeau, l'accroche et revient s'asseoir. L'acte avait été fait

par suggestion en un instant, il n'avait pu être fait par volonté

en vingt minutes.

Comment s'expliquer cette différence ? C'est que les deux

actes, malgré l'apparence, ne sont pas les mêmes. L'acte

volontaire de prendre mon chapeau demande, dans l'esprit de

la malade, la notion de sa personnalité : Il faut savoir que c'est

elle, à tel âge, dans telle situation qui fait l'action, qu'elle la

fait en face de moi, par politesse, pour me rendre service, etc.,

toutes synthèses compliquées qu'elle est incapable de faire. Au

contraire, l'acte exécuté par suggestion est simple, il est accom-

pli sans notion de sa personnalité (quand elle a fini et que je

la remercie, elle dit d'un air boudeur : c Ce n'est pas moi, »

sans notion de but, sans intelligence de la situation. C'est un

acte abstrait en quelque sorte et surtout impersonnel. Tous

les actes suggérés sont de ce genre, ce sont des actions anciennes

habituelles qui sont répétées sans rapport avec la situation

présente, sans notion de personnalité.

Non seulement l'action suggérée est simple et facile pour

un aboulique, mais elle est chez lui irrésistible. En effet, sa

personnalité présente se réduit au minimum, sa volonté affai-

blie n'est pas capable de résister au développement automatique

des anciennes perceptions. Au moindre choc, à la suite de

l'émotion légère produite par le ton de ma voix, la perception

personnelle d'aujourd'hui s'anéantit, leur personnalité fragile

disparait et l'acte automatique trouve le champ libre et se

développe suivant les lois précédemment indiquées. Regardez

en effet comment s'exécute une suggestion : quand vous

affirmez à une de ces malades une idée bizarre, en contra-

LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 467

diction avec la réalité, elle reste surprise, elle semble rece-

voir un choc et pendant quelque temps, elle résiste, c'est-à-dire

que pendant quelque temps, elle conserve dans sa conscience

la notion de sa personnalité, la connaissance des objets exté-

rieurs réels, et ces idées justes s'opposent à la pensée contra-

dictoire que notre parole éveille dans l'esprit. Ensuite, comme

le disait Marguerite quand je l'interrogeais sur ses impressions,

leur attention se fatigue extrêmement vite et elles ne peuvent

conserver tant de choses à la fois dans l'esprit. c Que mon

attention se détourne un moment, une seconde, et je suis

perdue, je ne sais plus rien, je suis absorbée dans ce que vous

me dites. » Traduisons ce langage, et disons : sa conscience

trop étroite ne renferme plus les souvenirs et les sensations

antagonistes, elle oublie qu'elle est l'hôpital, qu'elle a vingt-;

trois ans, etc., et tous les éléments contenus dans l'idée sug-

gérée se développent en liberté '.

Les mêmes conceptions relatives à la suggestibilité peuvent

se vérifier d'une manière en quelque sorte inverse. Au lieu

d'étudier ce qui se passe, et les altérations de la pensée qui

existent au moment où les suggestions réussissent, examinons

les modifications qui surviennent quand une malade cesse

d'être -suggestible. Je sais bien que certains auteurs préten-,

dent que tous les hommes sans exception sont perpétuellement

suggestibles et n'admettent pas que l'on puisse étudier l'ab-

sence de suggestibilité. Pour moi, je n'ai pas une influence,

aussi formidable, et j'ai cru remarquer que les hystériques

elles-mêmes n'étaient pas toujours suggestibles. Je vous com-

munique avec naïveté le résultat de mes observations.

Souvent, je le sais bien, elles ne sont pas suggestibles parce

qu'elles ont une autre idée en tête; rien n'est difficile comme

de suggestionner une personne qui a déjà reçu une suggestion

ou qui a une idée fixe. Mais je ne parle pas de cela. Certaines

hystériques que personne n'a touchées, qui n'ont certaine-

ment pas d'idées fixes, deviennent peu à peu de moins en

moins suggestibles. A quel propos ? Tout simplement quand

elles guérissent. Je l'ai observé deux fois, et dans des circons-

tances si particulières, que je désire vous le raconter en quel-

ques mots. Une hystérique avait des crises tous les jours, ne

mangeait pas et ne dormait pas, elle était suggestible au plus

1 Sur le rôle de l'amnésie dans la suggestion et sur le rétl écissement

du champ de conscience. Voir Automatisme psychologique, 1880, p. 185.

468 CLINIQUE NERVEUSE.

haut point, Un peu grâce àmoije le dis toutbas, elle se calme,

n'a plus d'attaques, mange et dort, elle se renforcit, reprend

ses souvenirs, puis sa sensibilité. Eh bien ! je ne pouvais plus

rien lui commander. Entendons-nous, elle m'obéissait très doci-

lement par consentement volontaire, mais n'avait plus ce déve-

loppement automatique des idées, sans conscience personnelle

et sans souvenir. Tout avait disparu. Huit mois après, elle

revient me trouver, se plaignant de migraines, d'insomnies,

de cauchemars, elle était de nouveau distraite, anesthésique et

amnésique. Il suffit d'un mot pour la suggestionner comme je

voulais. Une autre hystérique à peu près complètement guérie

ne pouvait plus être suggestionnée que pendant trois jours

chaque mois, vous devinez lesquels, et pendant ces trois jours

elle reprenait les stigmates de la désagrégation psychologique.

Mieux que cela encore. Vous avez tous remarqué que, au

cours même de la maladie, sous toutes sortes d'influences, les

hystériques changent beaucoup d'état psychologique. Après

une crise, après un sommeil prolongé naturel ou artificiel,

après une émotion quelconque, ou bien pendant certains états

anormaux que l'on provoque ou qui surviennent spontané-

ment, les malades se trouvent momentanément transformées.

Le voile épais qui les empêchait de comprendre les choses se

déchire, elles ont des instants clairs comme me disait autrefois

Marcelle. Eh bien ! pendant ces instants clairs, vous remar-

querez deux choses simultanées : 1° la suggestibilité a diminué

considérablement ou même a disparu, plus d'actes automa-

tiques et impersonnels, plus d'hallucinations en contradiction

avec les sensations réelles ' ; 2° en même temps, vous voyez que

l'anesthésie a disparu, que le sujet n'est plus ni distrait, ni

amnésique, ni aboulique 2.

Vous vous souvenez du somnambulisme complet que je vous

ai fait constaté dernièrement chez Wiltm. Vous savez que l'on

peut la maintenir pendant quelque temps dans un état qui,

pour elle, est extraordinaire et dans lequel elle ne conserve

aucun des stigmates hystériques qui la caractérisent pendant

la veille. Eh bien ! cet état présente un caractère de plus

auquel je n'ai pas pu faire allusion en parlant des amnésies.

1 M. Pitres a remarqué aussi que tous les sujets ne sont pas également

suggestibles dans les différents sommeils hypnotiques. (Leçons sur l'hys-

térie, 1891, II, 166.)

* Voir une observation complète de ce phénomène. Aut. psych., 178.

LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 469

Cette personne si suggestible pendant toute sa vie, si malléa-

ble, reprend toute sa liberté, elle cède quand on lui commande

quelque chose, mais par cette complaisance dont j'ai déjà parlé,

elle ne présente plus le phénomène de la suggestion propre-

ment dite.

Les faits précédents me semblent constituer un véritable

i experimentum crucis » comme le demandait Bacon, et nous

montrer la relation étroite qui unit la suggestion aux tares hys-

tériques. Ce développement automatique des éléments ren-

fermés dans une idée ancienne ne peut se produire sans volonté

personnelle et sans rapport avec les perceptions présentes,

qu'au moment seulement où la volonté personnelle et la

perception des choses présentes est extrêmement diminuée.

Messieurs, vous savez qu'il est impossible de faire ici, en

une séance, une étude complète de la suggestion; j'ai été

obligé de laisser bien des points de côté. Les formes variées

que la suggestion peut prendre, ses effets singuliers, les limites

de son pouvoir, ses dangers, ses conséquences en pathologie

mentale, toutes ces questions et bien d'autres sont forcément

omises. Je n'ai voulu étudier devant vous qu'un seul point

précis, celui qui intéresse des médecins. J'ai tenu à séparer le

phénomène de la suggestion proprement dite de certains faits

de la psychologie normale plus ou moins analogues ; j'ai

étudié la suggestion pathologique, la suggestion qui est un

symptôme d'une maladie mentale. J'ai essayé de remonter aux

causes plus profondes de ce symptôme et je vous ai montré

qu'il dépendait, non pas seulement des lois générales de l'asso-

ciation des idées telles qu'elles s'appliquent chez tous les

hommes, mais d'un trouble particulier de la volonté. Ce trou-

ble, cette aboulie existe dans plusieurs maladies mentales, et

en particulier dans l'hystérie dont il forme un symptôme

essentiel. Cette aboulie n'est pas la disparition de tous les

actes en eux-mêmes, elle est de la même nature que l'anes-

thésie et l'amnésie hystériques que nous connaissons déjà. En

considérant la suggestion de cette manière, en évitant de la

confondre avec toutes sortes d'autres faits, en l'analysant

comme un symptôme clinique, nous croyons être fidèle à la

méthode qui a fait la gloire de l'école de la Salpêtrière. Si la

psychologie doit pénétrer dans la médecine, ce n'est pas pour

y apporter la confusion. M. Charcot nous a appris à étudier

470 0 RECUEIL DE FAITS.

l'hystérie en savant, il a toujours voulu mettre de l'ordre dans

ce chaos, choisir des types, établir des classes, soumettre à des

lois des faits considérés comme protéiformes. En un mot, il a

soutenu toute sa vie qu'il y a un déterminisme rigoureux, même

dans l'hystérie. Si on considère aujourd'hui ces malades à un

point de vue un peu différent, si on examine leurs caractères

psychologiques, il faut cependant le faire avec la même mé-

thode. Il ne suffit pas de prendre au[hasard une notion psycho-

logique pour expliquer tout, il faut analyser, classer et chercher

le déterminisme des phénomènes. Notre leçon eut été plus

facile et plus claire, si nous avions dit que la suggestion est

tout et qu'elle explique tout; il nous a semblé plus vrai de

dire que la suggestion est un fait pathologique qui ne s'explique

pas lui-même et qui suppose bien des conditions antérieures'. j.

RECUEIL DE FAITS

SYNDROME HYSTÉRIQUE SIMULATEUR DE LA SCLÉROSE EN-

. PLAQUES,

par le Dr A. Cochez,

Ancien interne des hôpitaux de P,tris, médecin-adjoint de l'hôpital de Mustapha.

Bien que les observations d'hystérie simulant la sclérose en

plaques ne soient pas rares, (Charcot, Rendu, Souques, Michel

et Tiercelin, Cantacuzène... etc.,) le cas que nous avons pu

suivre nous a paru intéressant à plus d'un point de vue et

digne d'être rapporté en détail.

Trois attaques d'apoplexie hystérique chez un homme de quarante-

quatre ans ; mutisme, amaurose, hémiplégie, tremblement intentionnel

(observation recueillie dans le service de AI. le professeur Gros,

1 Les autres études qui complètent ces premières conférences seront

publiés dans un ouvrage qui paraîtra prochainement dans la collection

Charcot-Debove, l'état mental des hystériques.

SYNDROME HYSTÉRIQUE DE LA SCLÉROSE EN PLAQUES. 47-1

d'Alger). G... (John), quarante-quatre ans, jockey, né à l'tieMau-

rice, en Algérie depuis cinq mois.

Entré à l'hôpital de Mustapha, salle Trousseau, n° 18, le 7 mars

1892.

Antécédents héréditaires. Grand-père et père morts tous deux

d'apoplexie. Grand'mère maternelle morte à soixante-dix-neuf ans

d'une attaque de paralysie; mère morte à soixante-six ans de la

même maladie. Cette dernière était sujette aux névralgies, < vive

comme la poudre », se mettait facilement en colère. Un grand

oncle maternel vit encore, mais il est paralysé. Un frère, mort de

la pierre, était très nerveux et « très rageur ». Une soeur bien por-

tante mais très nerveuse.

Antécédents personnels. - John a toujours été très vigoureux e

ne se rappelle aucune maladie. C'est un jockey très connu et très

apprécié, car il a gagné plusieurs grands prix. Il a mené une vie

assez aventureuse, a voyagé un peu partout. Il connaît toutes

les capitales de l'Europe, a parcouru les Amériques et séjourné à

Madras, Bombay, Calcutta, Chandernagor, etc. Il a été au Mexique,

en Australie, mais c'est en France, en Angleterre et en Russie

qu'il a fait ses plus longs séjours.

Il a été au service de Napoléon III, du roi Alphonse XII d'Espagne,

de la princesse Amélie, de la baronne de Rothschild comme piqueur

ou courrier. A quitté la plupart de ces emplois à la suite de discus-

sions à cause de son caractère emporté. Est devenu alors entraîneur

public à Lisbonne, ce qui lui a fait manger son petit pécule qu'il il

avait amassé. De retour en France, il monte à forfait tous les che-

vaux que les propriétaires lui confient.

C'est un homme fort intelligent, à l'esprit vif et délié. Il avoue

son faible pour les boissons alcooliques en affirmant d'ailleurs que

les libations sont nécessaires au jockey «pour lui donner du coeurs.

11 supporte fort bien l'alcool et s'enivre rarement; pourtant, il

absorbe chaque jour quatre ou cinq verres de cognac le matin

(verres d'une contenance de soixante grammes environ ! ), rarement

de l'absinthe, une bouteille de vin à cbaque repas, et quinze à vingt

bocks dans l'intervalle ! 11 a toujours fait un usage immodéré des

femmes et attribue même à des excès génésiques la maladie qui

l'amène à l'hôpital. Pas de syphilis.

L'accident actuel est le troisième du même genre.

La première attaque a eu lieu à Mustapha le 2 février 1890. Jus-

que-là, notre jockey n'avait éprouvé aucun malaise pendant ses

courses ni dans leur intervalle. Pas de maux de tête, pas de ver-

tiges, jamais d'attaque de nerfs. A cette date, comme il entraînait

un cheval sur le champ de courses de Mustapha, il se trouva tout à

coup en face de zouaves qui manoeuvraient. Pour éviter un acci-

dent, John veut arrêter son cheval qui se dérobe : la tête du cava-

472 RECUEIL DE FAITS.

lier est projetée contre un arbre. Chute de cheval et perte de con-

naissance. On transporte le jockey à l'hôpital de Mustapha dans un

service de chirurgie. Le malade revient à lui au bout de trois jours;

il n'a pas de paralysie, mais il éprouve de violentes douleurs dans

la région occipitale, et présente un tremblement généralisé, surtout

accusé dans la marche qui est impossible sans bâton.

A partir de cette époque, vertiges fréquents caractérisés par des

bourdonnements d'oreilles, des battements dans la tête et dans les

tempes. Ces vertiges se produisent surtout à l'occasion du roulement

des voitures. John ne peut s'engager seul sur la rue, car il irait se

jeter sous les pieds des chevaux. Les nuits sont devenues mauvaises,

insomnies, rêves fantastiques, tels que chutes de chevaux, graves

accidents..., etc. Troubles gastriques, constipation, douleur de

ventre, douleur à la nuque et dans les reins. Il séjourne environ

deux mois à l'hôpital et se trouvant très amélioré, il fait les courses

de Marseille et de Lyon. Tout se passe bien, mais les vertiges appa-

raissent fréquemment.

Deuxième attaque. - Le 11 mai, à Tonnerre, occupé à entraîner

un cheval, il est pris subitement et sans raison d'un vertige. Chute

de cheval; perte de connaissance. On le transporte à l'hôpital de

Tonnerre où il aurait présenté du délire des persécutions pendant

quarante jours. Il s'est fait, en tombant, une plaie au niveau du

sourcil gauche, plaie dont on voit encore la cicatrice. Il sort de

l'hôpital en octobre avec une paralysie du côté gauche (la langue

n'aurait pas été prise ? ).

II se rend en Angleterre pour se faire soigner et entre à l'hôpital

Saint-Georges de Londres. Là on le traite par l'électricité et on a

même recours à l'hypnotisme. L'amélioration est rapide/si bien que

le malade ne tarde pas à revenir à Paris. Mais on a su qu'il avait

été paralysé et l'on hésite à lui confier des chevaux ; d'ailleurs, John

étant resté faible du bras gauche ne peut courir les steeple-chase.

Il se décide donc à prendre un engagement pour les courses d'Al-

gérie qui sont des courses plates et de petit parcours.

Troisième attaque. Il arrive à Blidah pour faires les courses de

Pâques, et c'est là que dans un café, à la suite de libations, il

tombe subitement sans connaissance. Un médecin, appelé en

toute hâte, pratique la saignée. Quelques jours plus tard, le malade

est dirigé sur l'hôpital de Mustapha, où il entre le 7 mars 1892.

Etat à son entrée à l'hôpital. John est absolument muet. Il lui

est complètement impossible, malgré ses efforts visibles et le mou-

vement de ses lèvres, de prononcer une parole, pas même d'émettre

un son (aphasie motrice et aphonie). A peine peut il produire un

bruit très faible lorsqu'il tente de siffler. Il peut pourtant mouvoir

la langue et les lèvres. L'intelligence est intacte, elle est même res-

tée très vive, car le malade saisit très rapidement le sens des paroles

(pas de surdité verbale) et des phrases écrites (pas de cécité ver-

SYNDROME HYSTÉRIQUE DE LA SCLÉROSE EN PLAQUES. 473

baie) et répond d'abondance par écrit à toutes les questions qu'on

lui pose (pas d'agraphie). Il abuse même de l'écriture et crayonne

sans cesse phrases sur phrases à propos de la question la plus

simple. Il écrit assez couramment, mais tremble légèrement. Ce-

pendant, par intervalles, il semble que la mémoire fasse défaut

pendant quelques instants; John se frappe alors le front d'un air

désappointé comme pour rassembler ses idées, puis il reprend le

crayon et se remet à écrire avec une nouvelle ardeur.

Hémiplégie gauche. - Les deux membres de ce côté, incapables

d'exécuter le moindre mouvement, sont complètement flasques. Le

bras gauche présente un centimètre de tour en moins que le droit.

A l'avant-bras, différence de 1/3 de centimètre en faveur du côté

droit. - Réflexes rotuliens normaux.

Troubles de la sensibilité. Hémianesthé51e gauche très accusée.

portant sur les trois modes de sensibilité (tact, douleur, tempéra-

ture). Le malade est dans l'impossibilité de reconnaître les objets

qu'on place dans sa main gauche. Les pincements et les piqûres

doivent être très accusés pour être perçus et encore y a-t-il retard

dans la perception.

Sensibilité des fosses nasales très obtuses à gauche. Conjonctive

gauche légèrement insensible par rapport à la droite. De même

pour le côté gauche de la langue : Hypoacousie des deux côtés. Sens

du goût très diminuée à gauche. De même pour l'odorat.

Cécité complète de l'oeil gauche qui ne peut distinguer la lumière

du jour des ténèbres de la nuit. Pas de nystagmus. Aucun trouble

apparent des membranes de l'oeil. Rétrécissement du champ visuel

droit :

474 RECUEIL DE FAITS.

constamment passer devant lui des chevaux de course, il rêve chutes,

accidents, etc.

Les jours suivants, il arrive à prononcer quelques syllabes avec la

plus grande difficulté; mais le 11 mars, il dit assez distinctement

les "mots « John « « France ». Peu à peu, le mutisme est remplacé

par un véritable bégaierneut, le malade ne pouvant prononcer que

quelques mots très courts, et encore reste-t-il le plus souvent à la

première syllabe qu'il répète plusieurs fois.

Le il avril, on a recours à l'hypnotisme. Le malade est assez faci-

ment endormi par la fixation d'un objet brillant. On lui fait pro-

noncer d'abord une syllabe à la fois, puis deux, puis trois sans se .

reprend re. On lui commande alors de ne plus bégayer à son réveil

et on lui suggère de percevoir les sensations à gauche. Dès qu'il

est réveillé, il prononce très distinctement : «cela va très bien ; j'ai

sommeil ».

12 avril. John a été très fatigué durant toute l'après-midi d'hier.

Ce matin, il parle parfaitement sans la moindre difficulté.

La sensibilité est en partie revenue dans la moitié gauche du

corps. La paralysie s'est sensiblement amendée et permet quelques

mouvements limités.

' 13 aviil. Nouvelle séance d'hypnotisme. On lui suggère de voir

de l'oeil gauche complètement amaurotique et on tente de [ramener

la sensibilité et les mouvements. C'est alors qu'apparaît un nou-

veau symptôme, le tremblement. y

Tremblement. Dans le décubitus dorsal, aucun tremblement

perceptible. Les mouvements du membre supérieur droit s'accom-

pagnent de quelques oscillations peu marquées, mais il n'en est

pas de même du membre supérieur gauche, qui, à l'occasion du

moindre mouvement, est animé d'un tremblement rythmique si

intense qu'il se propage aux autres membre. L'action de porter un

verre plein d'eau à la bouche accroît très manifestement l'ampli-

tude des oscillations; le malade amène la bouche au-devant du

verre afin d'atteindre le but cherché. Même tremblement et même

généralisation, si on prescrit au malade de lever le membre infé-

rieur gauche au dessus du plan du lit.

Dans la position assise, il ne se produit rien,à moins que les deux

genoux soient rapprochés avec effort : letremblementreparait alors.

John est dans l'impossibilité de sortir seul du lit et de se tenir

debout sans aide. Dans la position verticale, le tremblement est

extrêmement marqué et propagé du tronc à la tête qui oscille dans

le sens antéro-postérieur. (Il semble y avoir quatre à cinq oscilla-

tions à la seconde.) Les secousses s'accroissent encore par la marche

qui est d'ailleurs très difficile : John fortement penché en avant,

avance avec peine le membre inférieur droit et embrasse la cuisse

gauche de ses deux mains pour porter en avant le membre gauche

qui reste inerte et balaie le sol (démarche de Todd).

SYNDROME HYSTÉRIQUE DE LA SCLÉROSE EN PLAQUES. 475

L'occlusion des yeux ne parait pas augmenter sensiblement les

secousses, mais le malade perd immédiatement l'équilibre.'

Le lendemain, l'oeil gauche a retrouvé entièrement ses fonc-

tions, mais l'amélioration de l'anesthésie et de la paralysie est à

peine marquée.

On essaie encore, mais en vain, les jours suivants d'obtenir le

retour des mouvements ainsi que la disparition du tremblement

par la suggestion hypnotique. On n'obtient rien de plus que la gué-

rison du bégaiement et de l'amaurose.

On soumet lemalade à une séance journalière d'électricité fara-

dique. Il y a une amélioration progressive et le 8 juin, on constate

que le volume des deux membres supérieurs est sensiblement le

même alors que, à l'entrée de John à l'hôpital (7 mars), il y avait

une prédominance de un centimètre pour le bras droit et de 1/3

de centimètre pour l'avant-bras du même côté. Le mouvement est

revenu dans les membres gauches et le malade peut marcher

avec l'aide d'une canne, bien que le tremblement persiste aussi

accusé 1.

Le 16 juin 1892, on mesure de nouveau les deux champs visuels :

476 RECUEIL DE faits.

et nous aurons au complet tous les signes qui, pour M. Char-

cot, caractérisent le mutisme hystérique. Les caractères seuls

de l'aphasie faisaient donc éléminer d'emblée l'idée de ramol-

lissement cérébral droit chez un gaucher du cerveau (hémi-

plégie gauche et aphasie.) Il y avait, d'ailleurs, un spasme

glosso-labié, caractéristique de la grande névrose, spasme qui

intéressait surtout les deux orbiculaires (celui des paupières et

celui des lèvres).

Mais quand le bégaiement eût remplacé le mutisme, les

symptômes divers présentés par le malade pouvaient faire

songer à la sclérose en plaques : vertiges, attaques apoplecti-

formes, troubles oculaires, troubles de la parole, tremblement

intentionnel. Cependant, par l'analyse détaillée de ces symp-

tômes, il était aisé d'éliminer cette maladie organique. Les

vertiges présentaient, en effet, les caractères du vertige hys-

térique : battements dans les tempes, bourdonnements d'oreilles;

les attaques apoplectiformes rentraient dans la descriptton de

Debove et Achard, les troubles oculaires étaient caractérisés

par une amorausose monoculaire restée latente et guérie rapi-

dement par la suggestion hypnotique. Quant au bégaiement

hystérique sur lequel Ballet et Tessier ont appelé l'attention,

il ne rappelle que de très loin la parole scandée des malades

affectés de sclérose multiloculaire. Enfin, à propos du trem-

blement intentionnel, est-il besoin de rappeler son existence

fréquente dans l'hystérie (Charcot, Rendu, Pitres, Dutil, Sou-

ques). Ainsi donc le diagnostic d'hystérie ne nous semble pas

douteux, mais rappelons-nous que les combinaisons de la

grande névrose avec les maladies organiques du système ner-

veux, et en particulier avec la sclérose en plaques, ne sont pas

rares, et recherchons si tous les symptômes que présente notre

malade sont exclusivement imputables à l'hystérie. Il est facile

de mettre la sclérose en plaques hors de cause, car nous ne

trouvons ici aucun symptôme lui appartenant en propre :

vertige spécial, nystagmus, exagération des réflexes, etc. De

plus, il n'y a dans les antécédents personnels de notre malade

aucune maladie infectieuse (Charcot et Marie) ; au contraire,

on trouve une tare névropathique puissamment aidées par des

habitudes alcooliques pour justifier l'existence de l'hystérie.

Au point de vue étiologique, faisons remarquer que la pre-

mière attaque est survenue à l'occasion d'un traumatisme.

Elle a fait éclore non seulement l'hystérie mais encore, comme

- REVUE DE MÉDECINE LÉGALE. 477

c'est l'ordinaire, des phénomènes neurasthéniques : agora-

phobie, douleur de la nuque et des reins, troubles digestifs.

Les deux autres attaques apoplectiques ne reconnaissent pas

un traumatisme pour cause provocatrice et pourtant les acci-

dents qui ont suivi n'ont guère dffféré des- premiers, ce qui

prouverait une fois de plus, s'il en était besoin, que la névrose

traumatique ne diffère guère de l'hystérie banale.

Relevons dans notre observation la coexistence du mutisme

et du délire des persécutions, coexistence signalée par M. Troi-

sier dans un cas de mutisme hystérique, rapporté récemment

à la Société médicale des hôpitaux (séance du 8 avril). S'agis-

sait-il de délire hystérique ou de délire alcoolique ? La ques-

tion nous paraît difficile à résoudre.

Chez le malade que nous avons observé, la suggestion hyp-

notique a eu raison du mutisme et de l'amaurose. Faut-il en

conclure que, dans les cas analogues, on doive toujours compter

sur un résultat aussi rapide et aussi frappant ? Evidemment

non, car on sait combien l'hystérie mâle est d'ordinaire tenace

et résiste aux traitements les plus variés et les mieux dirigés.

REVUE DE MÉDECINE LÉGALE

I. L'hypnotisme ET LE droit; par le D1' A. CULLEnE.

Dans un article intéressant et humoristique, l'auteur retrace

rapidement l'histoire du péril hypnotique, dénoncé, au point de

vue légal, par M. Liégeois à l'Académie des sciences morales ej.

politiques en 1884. Après avoir montré à nouveau combien ce péril

signalé est exagéré en pratique et que, à part les viols dont

peuvent être réellement victimes les personnes hypnotisées, la

réunion des circonstances propices à l'accomplissement d'un crime

hypnotique est à peu près impossible, il en arrive à rappeler l'in-

tervention malencontreuse de M. Liégeois dans le procès Eyraud-

Bompard.

« En attendant sa revanche, dit-il, le péril hypnotique continue

à vivre tant bien que mal et il se trouve de temps à autre quelque

fidèle pour le galvaniser. Ce pieux devoir vient d'être rempli par

M. A. Bonjean ». '

478 REVUE DE MÉDECINE LÉGALE.

M. Bonjean, avocat, considère comme un devoir de raconter ce

qu'il a vu et de venir au secours du « magnétisme judiciaire, com-

promis par les préjugés de la science officielle. »

C'est un mystique, un croyant plein d'enthousiasme. Quelques

phrases donneront une idée*le l'esprit dansllequel a été conçu son

livre : « la suggestion, nous dit-il, est une bonne foi qui fait des

miracles. Dans le domaine religieux, les protestations de la raison

se courbent tous les jours humblement devant l'autorité domina-

trice de la foi. La suggestion ne possède pas une puissance moindre

et rien ne peut échapper, vraisemblablement à son influence. »

(Annales médico-psychologiques, 1892.) E. B.

II. RÉFLEXIONS SUR LES THÉORIES DE LA CRIMINALITÉ ; par le Rév.

W.-D. Morrison. (The Journal of mental Science, avril 1889.)

Partant de ce principe que dans l'étiologie d'un acte criminel on

trouve, soit isolées, soit associées, des causes anthropologiques,

des causes sociales et des causes cosmiques, l'auteur a appliqué à

un crime récent la méthode d'investigation qui résulte de ces don-

nées ; il a successivement examiné l'acte criminel en lui-même, les

antécédents personnels et les antécédents de famille du criminel,

ses caractères anthropologiques, et, au point de vue psychologique,

l'état de ses sens, de son intelligence, de ses émotions et de sa

volonté; cela fait, et prenant pour point de départ les notions ainsi

obtenues, il a examiné les facteurs actifs et les facteurs potentiels

de l'action criminelle, et il est parvenu à mettre en lumière la

logique, si l'on peut ainsi parler d'un crime qui semblait inexpli-

cable. Il pense que si l'on soumettait tous les crimes et tous les cri-

minels à une rigoureuse investigation de ce genre, on arriverait à

la fois, dans chaque cas particulier, à une appréciation plus équi-

table de la culpabilité, et, au point de vue général, à une théorie

plus juste de la criminalité. R. M. C.

III. Observations DE FOLIE incendiaire, avec commentaires; par

- b John Baker. (The JOlli'1lal of mental Science, avril 188 ! J,)

L'auteur a rassemblé dans ce mémoire plusieurs cas intéressants

de folie incendiaire, et l'étude de ces cas le conduit à repousser

l'existence de la folie spéciale jadis décrite sous le nom de pyro-

manie ; les aliénés incendiaires peuvent en effet appartenir aux

diverses catégories de l'aliénation mentale. Il cite en outre dans son

travail quelques chiffres intéressants fournis par l'asile des aliénés

criminels de Broadmoor : en vingt-deux ans (1861886),. cet asile a

reçu 107 incendiaires, dont 99 hommes et 8 femmes, soit 7,5 p. 100

pour les homme», et 2 p. 100 pour les femmes du nombre total des

aliénés criminels internés à cet asile. Rapportés aux diverses formes

REVUE DE MÉDECINE LÉGALE. 479

d'aliénation mentale auxquelles ils se ropportent, les chiffres

ci-dessus énoncés se décomposent de la façon suivante : imbécillité

congénitale : 36 (dont 35 hommes et 1 femme); épilepsie con-

génitale : 4 (tous du sexe masculin) ; paralysie générale : 6 (tous

du sexe masculin); manie aiguë (généralement d'origine alcoo-

lique) : 6 (dont 5 hommes et 1 femme) ; - manie récurrente : 4

(tous du sexe masculin); manie chronique : 7 (dont 6 hommes

et 1 femme); mélancolie : 21 (dont 17 hommes et 4 femmes);

monomanie : 9 (dont 8 hommes et 1 femme); démence : 10 (tous

du sexe masculin). R. M. C.

IV. La responsabilité légale ET DE H séquestration des

aliénés persécuteurs ; par le Dr Henry COUTAGNE.

Le persécuteur devra être déclaré irresponsable sans restriction,

lorsqu'il le sera devenu dans le cours du délire de persécution

classique.

Mais pour les autres variétés d'aliénés persécute urs, la question

n'est plus aussi simple. Le fond pathologique du persécuteur rai-

sonnant est d'une contexture moins solide que celui du persécuteur

persécuté les dégénérés héréditaires supérieurs, les fous moraux,

les névropathes hystériques sont remarquables par l'inégalité de

leurs manifestations psychiques.

A côté de lacunes parfois énormes, la conservation et même le

développement anormal de certaines facultés cérébrales sont alors

propres à dérouter l'observateur, la facilité et la lucidité de la

conversation, les caractères souvent séduisants de l'habitus général, T

l'absence presque indéfinie de tout symptôme démentiel sont des

éléments diagnostiques peu favorables. C'est dans ces cas que

l'expert sera heureux de pouvoir abriter ses incertitudes cliniques

derrière une conclusion mitigée d'irresponsabilité. Lorsque le

caractère pathologique de l'inculpé sera affirmé par la coïncidence

d'antécédents héréditaires, de stigmates physiques de dégénéres-

cence et d'actes cérébraux anormaux, nous devrons aller plus loin

et déclarer ces persécuteurs aussi irresponsables que ceux de la

variété précédente. Mais à partir des états mitoyens qui témoignent

d'une organisation pathologique incomplète, le médecin fera une

oeuvre à la fois scientifique et utile en énonçant l'atténuation de la

responsabilité.

En ce qui concerne la séquestration des aliénés persécuteurs, elle

se présente comme la mesure la plus conforme aux intérêts de

l'aliéné et à ceux de la société. Considérée au premier point de vue,

elle soustrait le malade à des chances de suicide et le fait bénéficier

de tous les autres avantages thérapeutiques de l'asile. Au point de

\ue du danger pour autrui, il est difficile de méconnaître les

avantages uniques de la séquestration car le persécuteur est tou-

480 REVUE DE MÉDECINE LÉGALE.

jours dangereux, soit qu'il commette un crime logique et préparé

de longue date, soit que, brusquement, il rencontre sur sa route une

circonstance d'apparence insignifiante qu'il fera entrer dans le

cycle de ses conceptions délirantes et qui le transformera en un

persécuteur des plus redoutables.

Parmi les dangers presque spéciaux au persécuteur, qui créent

encore une indication plus décisive pour son internement, il faut

signaler les chances de contagion mentale dans son entourage,

dont les observations de folie communiquée offrent de beaux

exemples.

Au point de vue de la durée delà séquestration, si l'on reprend

les deux grandes variétés d'aliénés persécuteurs, on voit que le

persécuteur persécuté étant, avant tout, un chronique, son délire

stéréotypé peut se prolonger pendant de longues années, sans

diminution de sa virtualité daugereuse, à peine atténué par le

régime de l'asile. Les persécuteurs raisonnants, au contraire, une

fois soustraits aux excitations de la vie commune et soumis à un

régime disciplinaire régulier s'améliorent, parfois très rapidement,

et manifestent un équilibre cérébral qui fait illusion, et même ne

permet pas légalement au médecin de maintenir leur séquestra-

tion. Il va sans dire que leur mise en liberté sera le signal de la

reprise soit des mêmes actes et des mêmes idées délirantes, soit

d'autres syndromes épisodiques, d'où renouvellement de la néces-

sité de l'internement, avec ou sans l'intermédiaire de la prison.

L'aliéné persécuteur est destiné, en somme, à être soustrait à la

vie commune et placé dans un asile pendant la période la plus

longue de l'évolution de sa maladie. Mais les conditions matérielles

danslesquelles se fait en France l'hospitalisation de ces sujets laissent

un peu à désirer : il est certain que la séquestration des persécu-

teurs gagnerait en efficacité s'ils étaient soustraits au voisinage de

certains malades incommodes ou agressifs et soumis, au moins par

intermittence, à un régime pénal que celui de nos grands asiles.

Dans les réformes de l'avenir, il y aurait à tenir compte de l'in-

fluence que pourraient exercer sur leur état mental d'autres formes

d'assistance, telles que la colonie agricole. Enfin pour les persécu-

teurs signalés par un caractère dangereux, intense et incurable, il y

aurait avantage à les transporter très loin des lieux où s'est orga-

nisé leur délire. (Annales médico-psychologiques, 1891.) E. BLIN,

V. L'aliénation mentale CHEZ LES dégénérés Psychiques;

par le Dr H. DAGONET.

A un point de vue général, on peut admettre pour l'aliénation

mentale chez les dégénérés psychiques deux catégories principales,

l'une dans laquelle prédominent des troubles intellectuels et des

manifestations délirantes nettement accusées, l'autre dans laquelle

REVUE DE MÉDECINE LÉGALE. 481

on observe plus particulièrement les anomalies et les désordres de

la sensibilité morale; dans cette catégorie rentrent naturellement

les folies morales que caractérisent la perversion des sentiments

affectifs, les aberrations du sens génital, etc.

Enfin, on trouve des formes mixtes dans lesquelles on rencontre

à la fois les troubles de l'intelligence combinés avec ceux de la sensi-

bilité morale.

Troubles intellectuels chez les dégénérés psychiques. - En tête des

manifestations délirantes que présentent les individus atteints de

dégénérescence psychique, se trouve la folie du doute, affection

qui se- rencontre spécialement chez les malades soignés dans leur

famille : une fois l'obsession créée, le repos moral est perdu ; tout

est, pour le malade, un motif de questions et d'anxiété pénible. Il

a des remords, se fait des reproches sur sa coupable indifférence :

rien ne peut le soustraire à son angoisse.

De même pour la maladie du toucher, l'idée d'une souillure pos-

sible torture son esprit : parfois il se rend compte du ridicule de

ses actes, mais il ne peut éviter de les accomplir.

Les extravagants constituent l'une des formes les plus souvent

observées de dégénérés : ces deux aliénés sont pour leur famille et

la société un véritable fléau.

L'état nerveux crée nécessairement chez les dégénérés les dis-

positions morales les plus diverses; les formes d'aliénation mentale

qui en résultent présentent, elles aussi, les variétés les plus nom-

breuses. On retrouve chez les uns la dépression mélancolique, chez

d'autres, l'exaltation mégalomaniaque; mais chez le plus grand

nombre, de véritables accès maniaque; dans tous les cas, on cons-

tate une empreinte de la dégénérescence psychique qui a préexisté.

La brusquerie des accès et leur guérison rapide caractérisent, en

général, chez les dégénérés nerveux, les formes d'aliénation men-

tale qu'ils présentent.

L'accès maniaque chez les dégénérés à conduite extravagante

peut d'ailleurs prendre les formes les plus diverses; on observe

quelquefois un véritable délire hallucinatoire, avec conservation de

la conscience; les hallucinations se reproduisent dans qnelques

cas par le seul fait de la volonté de l'individu.

Dans cette catégorie de maniaques à type anormal que présen-

tent les dégénérés névrosés, on peut ranger les malades décrits par

Trélat, qui délirent dans leurs actes mais ne délirent pas dans

leurs paroles, malades parmi lesquels se trouvent un grand nombre

d'individus tantôt considérés comme aliénés, tantôt comme malfai-

teurs.

Troubles moraux chez les dégénérés psychiques. - La perversion,

l'affaiblissement du sens moral caractérisent toute une catégorie de

dégénérés psychiques; on retrouve dans ce cas, chez ces individus,

lorsqu'ils deviennent aliénés, les diverses manifestations de la folie

Archives, t. XXIV. 31

482 REVUE DE MÉDECINE LÉGALE.

morale. Dans cette forme de délire rentrent les obsessions et les

impulsions dangereuses.

La folie impulsive est certainement le type le plus remarquable

de la folie morale : les déterminations les plus imprévues, réalisées

dans des conditions absurdes et sans aucune des précaution s prises

par les criminels ordinaires, causent notre profond étonnement par

l'absence de motifs et sont même en désaccord avec l'éducation,

les sentiments, la conduite antérieure. Rien, à l'extérieur, ne trahit

la compromission intellectuelle. Le malade regrette le fait acco mpli,

mais il ne manifeste aucun remords. C'était une chose fatale, il

était poussé par une force irrésistible.

Les conceptions multiples, le mélange de folie morale et intel-

lectuelle forment également un signe caractéristique de dégénéres-

cence chez une certaine catégorie d'aliénés.

Les dégénérés sont souvent, par accès, absolument incapables de

résister à des obsessions pathologiques : aussi longtemps que l'accès

dure, l'obsédé subit, sans résistance possible, l'entraînement mor -

bide dans les moments d'exaltation, l'individu perd sa présence

d'esprit, il n'est plus maître de diriger ses facultés. Cet état d'exal -

tation que le dégénéré est incapable de réprimer est, dans quel-

ques cas, provoqué à l'état normal par le simp 1 e fait de la volonté

chez des individus nerveux et sous l'influence de circonstances

particulières.

Dans la classe des dégénérés avec folie morale peuvent encore se

placer ces jeunes gens, ces jeunes filles qui répandent sur les per-

sonnes les plus honorables les accusations les plus perfides. Il en est

de même de ces malheureux ènfants dont les accusations graves

- rendent quelquefois nécessaires des expertises mé dico-légales.

En résumé, on peut observer chez les dégénérés les formes d'alié-

nation mentale les plus diverses lesquelles revêtent, en général,

une physionomie particulière rappelant par quelques-uns de ses

traits l'espèce de dégénérescence psychique do nt l'individu a été

atteint.

L'aliénation mentale revêt elle-même une forme insolite dans

ses phases comme les manifestations délirantes qui la caractérisent;

on peut observer par exemple la conservation de la conscience

avec le trouble psychique le plus accentué. La solidarité qui relie

entre elles les facultés morales et intellectuelles fait le plus souvent

défaut : les troubles sont prédominants tantôt du côté moral,

tantôt du côté de l'intelligence.

Le délire présente une manière d'être anormale : ainsi on observe

la folie du doute, le dédoublement de la personnalité, l'agorapho-

phie, la claustrophobie, les impulsions instinctives, etc... à l'exclu-

sion de manifestations délirantes nettement accusées. (Annales

médico-psyciaologiqzies, 1891.) E. B.

REVUE DE MÉDECINE LÉGALE. 483

VI. Cas IÉDICO-LÉGL; par le D' ÂNDREWS. (American journal

of insanit, octobre 1890.) ,

Il s'agit du meurtre d'un policeman de Rochester par un

nommé W. M..., le 29 décembre 1888. L'histoire de W. M...

montre clairement qu'on avait affaire à un délirant chronique qui,

sous l'influence de ses idées délirantes, tira un coup de revolver

sur le policeman chargé de l'arrêter.

Cette observation, des plus intéressantes au point de vue médico-

légal, ne l'est pas moins en ce qui concerne la pathologie mentale

proprement dite. ,

On y voit M... entrer sur le terrain de la folie onze ans avant son

arrestation, par une période d'inquiétude des plus manifestes avec

jalousie morbide. Peu à peu, les idées de persécution ont fait

leur apparition avec un cortège imposant d'hallucinations multiples

de l'ouie, de l'odorat, du goût, etc... et ce n'est que dix ans après le

début de la maladie que se montrent les premiers signes d'idées -

ambitieuses.

En somme, un cas type de délire chronique. E. B. ,

VII. Crime ET responsabilité; par le Dr Clark (American journal.

' ofinsanity, avril 1891.) '

Les conclusions de ce mémoire sont les suivantes :

1° L'histoire naturelle du crime montre que les cerveaux des

criminels chroniques sont déviés du type normal et se rappro-

chent de ceux des êtres inférieurs. '

2° La plupart de ces individus sont aussi impuissants que les

aliénés à se détourner du crime.

3° L'absence de sens moral peut être cachée par la ruse, même

chez les brutes, jusqu'à ce qu'elle soit évoquée en quelque sorte

par les circonstances.

4° Aucun homme ne peut s'affranchir des conditions physiques

qui l'entourent.

5° Le crime est un sujet d'études morales en dehors de ses

rapports avec la pénalité. '

6° Folie et responsabilité peuvent coexister. ¡

7° Un insensé peut exprimer des volontés raisonnables, parce

qu'elles sont rationnelles.

8° Le monomaniaque peut être responsable lorsqu'il commet des

actes en dehors de la voie de ses idées délirantes. "

9° Beaucoup d'aliénés sont influencés dans leur conduite par

l'espoir d'une récompense ou la crainte d'un châtiment, tout comme

le sain d'esprit : ils conservent donc des rudiments de libre

arbitre. ' "

484 REVUE DE MÉDECINE LÉGALE.

10° Beaucoup d'aliénés ont des idées correctes sur le bien et

le mal, dans l'abstrait comme dans le concret.

il° Beaucoup d'aliénés peuvent résister 3 l'influence de leurs

- idées délirantes : par conséquent l'irresponsabilité et la folie ne se

rencontrent pas toujours sur le même terrain. E. B.

VII. La responsabilité morale ET pénale devant L'EXPERTISE MÉDI-

cale ; par le Dr SEV AL (Bldl, de la Soc. de Méd. ment. de Bel-

gique, 1891.)

Il résutte des considérations développées dans ce travail : 1° que

le médecin aliéniste n'est pas, en tant que médecin, pourvu d'une

compétence spéciale pour se prononcer sur la responsabilité

morale ou pénale d'un délinquant;

2° Toutefois, le rapport médico-légal doit non seulement établir

l'existence ou la non-existence d'une maladie mentale ou d'un

trouble psychique, il peut et doit préciser les rapports que ces con-

ditions pathologiques peuvent avoir avec les faits incriminés;

3° En aucun cas l'expert aliéniste n'est fondé à pousser à des

atténuations ou aggravations de peine, dont l'action est exclusive-

ment l'apanage du juge. Il convient même que les conclusions du

rapport s'exonèrent de toute préoccupation relative aux consé-

quences du jugement à intervenir;

4° Toutefois conformant ses recherches à l'orientation moderne

des sciences pénales qui poursuivent l'amendement du délinquant

en l'unissant au souci de la sécurité publique, le médecin aliéniste

pourra fréquemment fournir des indications sur le mode de trai-

tement à instituer. z

Il convient qu'il saissise toute occasion de démontrer l'inellec-

table nécessité de recourir à un procédé mixte de traitement pénal

où la discipline pénitentiaire et l'orthopédie psychique et morale

s'unissent et s'influencent réciproquement (prison, asile, asiles

spéciaux.

Cette conclusion parait surtout s'imposer dans les cas où sous

prétexte de responsabilité partielle, on recourt à une mesure aussi

impuissante à redresser l'anomalie morbide du délinquant que

compromettante pour la sécurité publique, et qui consiste à dimi-

nuer le quantième de la peine en proportion de l'indigence psy-

chique du délinquant; 1

5° Comme corollaire des conclusions précédentes, il est désirable

que dans la question posée à l'expert on s'écarte aussi peu que

possible du texte légal qui justifie l'intervention médicale; le juge

pourrait par exemple requérir en ces termes :

Procéder à l'examen de l'état mental du prévenu ou accusé.

aux fins de déterminer si, au moment du fait, il était en état de

folie, ou s'il a été contraint par une force morbide à laquelle il n'a

REVUE DE MÉDECINE LÉGALE. 485

pu résister. Préciser le cas échéant, l'influence que ces conditions

pathologiques ont pu exercer sur l'accomplissement des faits incri-

mines et déterminerles mesures qu'il conviendrait de prendre dans

l'iniérét de la sécurité publique et du délinquant. G. D.

IX. Nouvelles contributions A l'anthropologie criminelle; par

J. MopEL et Kurella. (Centrnlbl. f. Nervenheilh., N. F. Il (1891.)

Revue analytique, notamment des ouvrages de :

E. Laurent : Les habitués des prisons de Paris. Lyon, 1891.

Francotti : L'anthropologie criminelle. Paris, 1891.

Dorsel : L'ulzthropol. crimilz. et la responsabil. médico-lég. Paris,

1891.

Tardes : Philosophie pénale. Lyon, 1891.

Corre : Crime et suicide. Paris, 1891.

S. Sighele : La folla delinquente. Turin, 1891.

Sollier : Psychol. de l'idiot et de l'imbécile. Paris, 1891.

Lombroso : Le criminel politique et la révolution (trad. d'17,rlen-

meyer). Hambourg, 1892. P. K.

X. LE ROLE DE LA SUGGESTION A L'ÉTAT DE VEILLE AU POINT DE VUE

3fÉDICO-LG;G.4L; par J. vAN DEVENTER. (Centl'albl., f. Nervenheilk.,

N. F. II, 1891.)

Deux cas de suggeslion étrange. L'une est particulièrement

typique. Une femme qui, depuis quatorze ans, vivait en parfaite

intelligence avec son mari était, depuis deux ans, atteinte d'hystéro-

épilepsie avec délire extatique. Un beau jour, elle se croit ensor-

celée par sa voisine. Elle enjoint à son mari et à sa fillette âgée

de douze ans, de la frapper elle-même à coups de pieds et de

poings, de toutes leurs forces, pour rompre le charme. La répé-

tition de cet acte finit par faire croire au mari qu'il frappe sur la

voisine; la voisine lui apparaît, et, bien qu'elle parle exactement

comme sa femme, il frappe à tour de bras. Quand sa femme est

calmée, elle lui semble reprendre sa forme ordinaire. Tant et si

bien qu'à force de frapper la sorcière, le bonhomme et sa fille

tuent la malade. - Autre histoire d'un homme qui (c'est un chel

de bureau de poste) s'avoue, bien que convaincu de son innocence,

coupable d'une violation de correspondance. A partir de cet aveu,

sommation complète. Très suggestible et très hypnotisable. On

parvient à convaincre les magistrats de cette anomalie et on leur

montre qu'il avait subi l'impression de l'accusateur, du bourg-

mestre. P. K.

REVUE DE THÉRAPEUTIQUE.

I. MÉTlIYLAL CHEZ LES ALIÉNÉS ET DE SON ACTION COMPARATIVE

avec LE chloral; par le Dl IAR1\DON DE MONTYEL.

Depuis quelque temps, les hypnotiques se multiplient. Parmi ces

hypnotiques nouveaux, un des derniers nés est le méthylal dont

M. Marandon de Mont} el a expérimenté l'action thérapeutique dans

les diverses espèces d'aliénation mentale : folie simple, folie para-

lytique, démence sénile et athéromateuse, folie épileptique et

folie alcoolique, le méthylal ayant tonjours été administré de la

même manière, en une seule fois le soir, au moment du coucher.

L'auteur a eu le soin d'administrer aux mêmes malades le chlo-

ral, de telle sorte qu'il a obtenu des résultats comparatifs permet-

tant d'apprécier chez le même individu et dans les mêmes'condi-

tions l'efficacité des deux hypnotiques. Folie simple : dans 1G cas,

la moitié est franchement défavorable; le chloral expérimenté

comparativement sur les mêmes individus a donné onze succès

pour treize cas.

Paralysie générale : sur quinze cas, quatre à peine sont favo-

rables ; ici encore, tandis que le méthylal échouait, le chloral réus-

sissait ; en effet sur quatorze cas traités par le chloral, il y eut dix

succès.

Démence sénile et démence arthéromateuse : d'après les pre-

mières expériences sur le méthylal, c'est surtout dans ces formes

vésaniques que cet hypnotique aurait réussi. M. Marandon de

Monlyel n'a pu l'expérimenter que dans trois cas, et a eu un succès

pour deux insuccès. Folie épileptique : pas de résultat précis.

Folie alcoolique : dans deux cas d'insommie persistante, les résul-

tats du méthylal n'ont pas été trop mauvais.

En résumé le méthylal est sans conteste un hypnotique, mais un

hypnotique faible : il procure plutôt un supplément de repos qu'il

n'impose celui-ci de toutes pièces à un organisme rebelle. Ce qui

le condamne irrémédiablement, c'est, même dans les cas les plus

favorables, la rapidité de l'accoutumance.

On doit lui préférer le chloral dont on peut masquer le goût avec

du sirop de menthe, dont on peut écarter l'action perturbatrice sur

le tube digestif en l'administrant trois ou quatre heures après le

repas : le chloral ne devra cependant pas être donné aux individus

porteurs d'une maladie de coeur à cause de son action déprimante

sur le coeur.

' REVUE DE THÉRAPEUTIQUE. 487

Chez trente malades qui n'avaient retiré aucun bénéfice du

méthylal, le chloral a fourni vingt-trois succès. Enfin le sommeil

chloralique est continu et par conséquent très réparateur. Le mé-

tliylal trouvera peut-être sa seule indication dans certaines mala-

dies physiques où il faut, pendant un laps de temps assez court,

régulariser ou augmenter le sommeil plutôt que le créer. (Annales

médico-psychologiques, octobre 91.) E. B.

II. L'iIYOSCINE COMME SÉDATIF CHEZ LES FEMMES AFFECTÉES DE

psychopathies chroniques, parNOECKE. (Allg. Zeitsch. f. Psychiat.,

XLVIII, 4.)

Vingt-neuf malades. Doses,' par la voie gastrique, de 1 à 6, et

même de 8 milligrammes. Six fois résultat parfait, quatorze fois, de-

mi résultat. Deux cas seulement de succès durable. Six fois, aucun

résultat. Très mauvais calmant, et, en revanche, il est toxique,

peut produire le collapsus. En tout cas son action n'est pas persis-

tante. P. K.

III. Du CHLORURE D'OR ET DE SODIUM DANS LA PARALYSIE GÉNÉRALE

progressive; par le Dr BouBILA et MM. Hadjès et Cossa.

Les discussions sur les rapports de la syphilis et de la paralysie

générale sont loin d'être terminées. Dans le Nord de l'Europe,

l'accord paraît exister sur la nature spécifique de la paralysie

générale : il n'en est pas de même en France.

Laissant dans l'ombre les arguments de la statistique, certains

auteurs sont venus demander des arguments à la thérapeutique.

Dans cet ordre d'idées, les auteurs, après avoir soumis métho-

diquement les paralytiques au traitement classique de la vérole,

n'ont pas obtenu de résultat répondant à leurs espérances. Cet

insuccès les a incités à expérimenter un médicament, l'or, dont

les vertus antisyphilitiques, aujourd'hui oubliées, ont joui autre-

fois d'une certaine vogue. La dose de chlorure d'or et de sodium

a été de 2 milligrammes au début, augmentée tous les quinze

jours d'une dose égale jusqu'à la dose maxima de 1 centigramme;

repos pendant un mois, puis reprise du traitement. Si les auteurs

n'ont pas trouvé dans le chlorure d'or et de sodium une panacée

contre la vérole, pas plus que dans les résultats un argument

bien net en faveur ou contre la spécificité de la paralysie générale,

ils sont loin cependant d'avoir fait oeuvre inutile. N'ayant aucun

inconvénient, le traitement par le chlorure d'or et de sodium

présente des avantages réels.

Le poids des malades augmente et, chose intéressante, l'aug-

mentation des globules du sang marche parallèlement à l'aug-

mentation du poids.

488 REVUE DE THÉRAPEUTIQUE.

De l'ensemble des observations, il résulte que le chlorure d'or

et de sodium pourrait agir avec plus d'efficacité dans la première

période du mal, en permettant des rémissions; dans les dernières

en retardant la fin. Il est utile quand même dans la deuxième,

en augmentant les chances de résistance. (Annales médico-psycho-

logiques, 1892.) E. B.

IV. DE L'EXCISION DE l'écorce; contribution A L1 thérapeutique

CHIRURGICALE des PSYCHOSES; par G. BURC6H.1RDT. (Allg. Zeitsch¡'.

f.Psychiat., t. XLVII, p. 5.)

Six observations de manie chronique, démence, folie systéma-

tique, montrant qu'en enlevant à l'un des hémisphères des seg-

ments de l'écorce des diverses régions du cerveau en rapport avec

les localisations sensorielles, on peut couper court (c'est le mot

propre) aux hallucinations de la vue et de l'ouïe, ou les atténuer.

Résumons-les.

Obs. I. Manie chronique (ou dèmence avec agitation), durant

depuis seize ans. Malade très impulsive sous l'influence de l'émotivité.

Le problème est ainsi posé : la transformer en démence simple tranquille,

en soustrayant aux rouages du cerveau, l'élément provocateur (halluci-

nations de la vue et de l'ouïe). Première opération, 29 décembre 1888.

A la curette tranchante, on résèque sur uné largeur de 2 centimètres,

5 grammes d'écorce, appartenant au lobule pariétal supérieur et à la

partie médiane du lobule pariétal inférieur (supramarginal) de l'hémis-

phère droit, tout près de la pariétale ascendante. Une légère attaque

d'hémiplégie, consécutive à l'opération, disparaît en un mois,. la malade

devient calme, mais les hallucinations reviennent bientôt, et avec elles

l'agitation. Deuxième opération le 8 mars. Résection de l'écorce de la

partie postérieure des première et deuxième temporales, soit 2 gr. 50

de cerveau. Troisième opération le 29 mai. On résèque une bande-

lette corticale qui part du lobule pariétal supérieur gauche, ou

plutôt du sillon interpariétal, et vient à travers le lobule pariétal

inférieur, et le pli courbe gagner l'extrémité occipitale de la scissure

de Sylvius. Quatrième opération le 12 février. Résection de la portion

triangulaire de la circonvolution de Broca, dose 1 gr. 50. Cette fois, le

résultat est acquis.

Obs. II. Aspect delà démence, probablement consécutive à un délire

de grandeurs et de persécutions se manifestant par des actes de défense.

Hallucinations de l'ouïe. Excision de l'écorce des première et deuxième

frontales gauches; on trouve en cet endroit un foyer de lepto-méningite.

Calme consécutif, mais bientôt attaques syncopales et cortico-convul-

sives. Administration de 3 grammes de KBr., guérison. L'auteur fait

remarquer que l'agraphie, contrairement à l'opinion de certains savants,

ne siège pas en cet endroit, puisque le malade guéri, a continué à

écrire.

Obs. IV (erreur de numérotation). Folie systématique chronique

REVUE DE THÉRAPEUTIQUE. 489

datant de longues années. Hallucinations de l'ouïe. Tendance à l'agita-

tion permanente. Excision de la circonvolution temporale de Wernicke.

Amélioration radicale.

Obs. III (erreur de numérotage). Folie systématique, aiguë, pri-

mitive. Hallucinations de l'ouïe. Délire passif des persécutions. Actes de

défense. Démence avec agitation; peisistance des hallucinations. Excision

de la partie postérieure de la premiere temporale, et de la moitié mé-

diane de la deuxième, c'est-à-dire d'une partie de la région affectée à la

mémoire sensorielle des mots. Amélioration.

Obs. V. - Folie systématique chronique. Hallucinations de l'ouïe, de

la vue, du toucher. Démence. Première opération : excision de l'écorce

du champ verbal de l'acoustique. Deuxième opération : excision de

l'écorce du champ moteur des mots. Calme notable et atténuation des

hallucinations.

Obs. VI. - Tare héréditaire très chargée. Folie systématique, hallu-

cinations de l'ouie. Malade dangereux, Excision de l'écorce du champ

verbal de l'acoustique. Consécutivement, surdité verbale, disparition

totale des hallucinatious. Quatre jours après, convulsions, mort.

Ainsi que le fait remarquer l'auteur, pour aller disséquer des cer-

veaux vivants, il faut être un mécanicien, un localisateur convaincu

et non un partisan de la théorie des psychoses par trouble

fonctionne] généralisé,'de l'unité du psuké. Du reste,lfeynert a fait

faire un grand pas à la question en distinguant les psychoses d'as-

sociation et les psychoses de projection. Dans ces conditions on a

le droit ( ? ) de réséquer de vivo les cases de l'écorce que l'on peut

considérer comme les génératrices ou les foyers de troubles psy-

chiques, ou bien, si l'on préfère, comme les carrefours par lesquels

passent les voies de communication qui forment le noeud de pro-

cessus pathologiques. Mais il faut être un opérateur de premier

ordre, un strict observateur de l'anatomie topographique et de

l'asepsie. Enfin, il convient de créer une chirurgie cérébrale phy-

siologique propre à l'homme ( ? ). Le mémoire, d'ailleurs, très

détaillé, contient de précieux détails au point de vue de l'inter-

vention opératoire. M. Burckhardt conclut.

Voilà évidemment des malades perdus ; vous les améliorez trans-

formant des agités en des aliénés calmes (OGs. I, III, IV, V), au

besoin vous complétez votre cure par l'administration d'un médica-

ment (Obs. II), donc vous avez le droit de les exposer aux risques

d'une intervention sanglante ( ? ). P. KERAVAL.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE

Séance du 27 juin 1892. Présidence de M. Tu. ROUSSEL.

Les aliénés à séquestrations multiples. M. 1\hRANDON de Mon-

TYEL. L'idée mère de la communication de M. Charpentier, que les

asiles de la Seine sont remplis d'une foule d'individus plus vicieux

que malades est rigoureusement exacte. Notre collègue croit que

c'est par la simulation qu'ils arrivent à se faire isoler un nombre

incalculable de fois. Je ne nie pas que de temps à autre il en soit

ainsi, mais je crois que c'est l'exception. Néanmoins, M. Charpen-

tier a encore raison quand il dit que les aliénés à séquestrations

multiples constituent dans nos asiles une classe à part. Ce sont tous

des vicieux. Les arguments qu'il invoque à l'appui de la simulation

se résument à deux : leur vice et leur cynisme, croissant à mesure

que les isolements se multiplient. L'évolution de leurs troubles

intellectuels qui n'est point conforme aux enseignements de

la clinique. Le premier ne peut rien prouver ou plutôt militerait

de préférence en faveur de la folie puisque le vice est souvent fac-

teur étiologique des maladies mentales. Le second aurait plus de

valeur mais, recevant les malades en troisième main, il nous est

bien difficile d'apprécier en toute connaissance l'évolution du mal.

Mieux vaut donc s'en rapporter à l'observation directe, aux rensei-

gnements fournis par la famille. Or de l'observation ditecte, il appert

que c'est par l'alcool, à l'aide de l'ivresse délirante, que ces sujets

vicieux entrent dans les asiles. Le tableau dressé par M. Charpentier

de leur manière d'être dans le service est bien exact. Ils n'entra-

vent pas seulement le traitementdes vrais aliénés par les désordres

qu'ils fomentent; par l'encombrement qu'ils occasionnent, ils

oblirentà transférer en province de véritables aliénés. Or, leur pré-

sence dans des asiles n'est nullement justifiée; l'ivresse délirante,

en effet, ne constitue pas une espèce à part; elle est comparable à

toutes les autres, la gaie, la triste ou la violente, qui ne diffèrent

que par la prédisposition de chacun. Un seul buveur est à sa place

chez nous, le dipsomane, mais les autres quels qu'ils soient doivent

supporter les conséquences de leur inconduite. D'ailleurs les argu-

ments invoqués par Lasègue, en faveur de l'ivresse délirante considé-

SOCIÉTÉS SAVANTES. 4U1

rée comme une maladie, ne résistent pas à l'examen : faiblesse de

volonté;-ces sujets savent être très sobres quand c'est leur intérêt

égarement intellectuel durant la crise; il se rencontre le

même dans toutes les ivresses; durée de la crise; quand ces

individus nous arrivent, ils sont déjà sains d'esprit; -faible résis-

tance aux alcools;- elle est si bien connue d'eux qu'elle est la pre-

mière excuse qu'ils invoquenl à leur décharge. Pourquoi alors ont

ils bu ? Même en admettant avec Lasègue que l'ivresse délirante né-

cessite la prédisposition neuropathique, rien ne permet de voir en

elle une maladie mentale. Il est donc à désirer que ces individus

ne soient pas considérés comme des aliénés et, dans tous les cas,

qu'ils ne soient jamais envoyés dans les asiles de la banlieue, car

ils n'apportent avec eux que leurs vices et le désordre.

M. GARDER j'accepte très volontiers qu'on enferme l'ivrogne à

Mazas, mais l'ivrogne seul qui ne doit pas être confondu avec l'al-

coolique délirant. M. Marandon de Montyel appelle peut-être ivresse

délirante ce que nous appelons délire alcoolique. L'homme qui dé-

lire à besoin de soins spéciaux qu'on ne peut lui donner dans un

poste de police. J'entends parler du délirant alcoolique dont l'affec-

tion se tradait par des symptômes spéciaux, et non de l'ivresse

simple. Supposez-le placé dans un service hospitalier ordinaire,

Commen L lui donnera-t-on les soins qui lui sont nécessaires puisqu'on

n'a même pas les moyens de l'empêcher de se tuer ou de chercher

à tuer ses voisins ? On ne pourrait pas l'y conserver. Comment

voulez-vous alors qu'on le conserve à Mazas. Il doit donc être

envoyé à Sainte-Atine-pour la raison qu'on ne peut le placer ail-

leurs. '

M. Marandon DE Montyel. Ma communication ne saurait s'appli-

quer qu'à l'ivresse délirante que je distingue du délire alcoollique.

M. GaisNtea se défend d'avoir jamais envoyé dans les asiles un seul

cas d'ivresse délirante, dans le sens qui lui est donné par M. Ma-

randon. Il ne sequestre que des délirants alcooliques.

M. 1 : 1R.1NDON DE Montyel' fait observer qu'à leur arrivée dans son

service ces malades n'ont pas un seul des symptômes du délire alcoo-

lique classique et semblent plutôt sortir de l'ivresse délirante qui

n'est pas une maladie mentale.

M. Garnies. Peut-être le délire a-t-il cessé quand ces malades

arrivenl;a'yille-Evrard, après leur séjour plus ou moins prolongé à

Sainte-Anne, mais ils avaient un délire actif au moment de leur

passage à l'infirmerie du Dépôt.

M. Briand demande ce que M. Marandon de Montyel entend z

exactement par ivresse délirante.

M. MARANDON de Montyel. J'appelle ivresse délirante celle qui

492 SOCIÉTÉS SAVANTES.

est caractérisée par la rapidité et la fugacité du délire. Les hallu-

cinations se dissipent avec les fumées de l'alcool.

M. S1URY. Vous avouez que -votre ivrogne a du délire et des

hallucinations; donc il est momentanément aliéné. Que voulez-vous

qu'on en fasse si on ne le place pas à l'asile.

M.Bouchereau. L'ivresse actuelle n'est plus ce qu'elle était il y a

trente ans. L'ivrogne d'autrefois avait le vin gai et jamais d'hallu-

cinations, d'impulsions violentes, ni de délire. Il mourait par le

rein ou par le foie. Que les temps sont changés ! Depuis qu'on a

pris l'habitude de remonter le vin avec des alcools de mauvaise

nature, nous avons vu délirer .l'ivrogne; il est devenu un alcoo-

lique. Ses enfants sont aussi des alcooliques. Ainsi s'explique, selon

moi, l'encombrement de nos asiles.

M. G. BALLET.- La discussion actuelle repose sur une question de

mots ; elle peut être envisagée à deux points de vue : Cliniquement,

il est incontestable que l'alcoolique est un malade et que des soins

spéciaux lui sont nécessaires; administrativement, il doit être isolé,

quelque part où une surveillance active l'empêchera de nuire à

autrui.

M. GARNIER partage la même opinion.

M. Charpentier rejette la responsabilité de l'encombrement des

services par les alcooliques, sur le Bureau d'Admission qui devrait

les garder au moins quinze jours en observation et ne transférer

que ceux dont le délire persisterait apiès ce temps écoulé. Les

autres seraient rendus à la liberté ou à la prison.

M. VOISIN.- Autrefois les alcooliques avaient cuvé leur vin après

trente-six ou quarante-huit heures, mais pendant ce temps un trai-

tement spécial leur était nécessaire pour calmer les accès de fureur

auxquels ils étaienl sujets.

M. LE Président. Il résulte de cette discucsion que le Bureau d'Ad-

mission devrait être agrandi pour qu'on puisse y conserver plus

longtemps certains alcooliques en observation. M. B.

Séance du 25 juillet. Présidence DE M. ÇnnISTIA1V.

Observation d'un cas de maladie de tics convulsifs avec mouvements

par obsession. M. Roubinovitch. Il s'agit d'une femme entachée

de dégénérescence héréditaire grave : frère liqueur et épileptique,

oncle maternel somnambule, cousin maternel suicidé. La malade

elle-même présente deux espèces de mouvements convulsifs : les

uns conscients, les autres inconscients. Les premiers, résultant

d'une véritable obsession sont représentés par de la tendance à se

frapper et à frapper les objets environnants. Les autres, incons-

cients, sont remarquables par leur forme systématique et coor-

SOCIÉTÉS savantes. 493

donnée, par des phénomènes d'écholalie et de caprolalie qui les

accompagnent. Les mouvements conscients sont précédés d'un sen-

timent d'anxiété précardiale ou épigastrique, de rougeurs de la

face et d'une lutte plus ou moins prolongée. Ils sont irrésistibles et

le sentiment de la satisfaction finale indique bien la participation

d'un facteur psychique. Jusqu'à ce jour on n'avait pas décrit l'état

psychique particulier qui motivait ces mouvements impulsifs.

M. Roubinovitch connaît cependant l'observation de Railton citée

dans la thèse de Catron où- le malade se frappait sur le nez et le e

front, mais ces mouvements n'étaient pas précédés d'une lutte

interne. Ils étaient involontaires. Le mot gronomanie pour lequel

l'auteur réclame toute l'indulgence, conviendrait assez bien pour

désigner ce groupe particulier des mouvements résultant de l'ob-

session de cogner. Il s'agit là d'une nouvelle forme de dégénéres-

cence intéressante à signaler. La suggestion sur laquelle on comp-

tait beaucoup pour améliorer la situation est restée sans effet, la

malade n'ayant pu être endormie [malgré de nombreuses tenta-

tives.

M. Charpentier reproche à M. Roubinovitch d'avoir fait une péti-

tion de principes : Il a énuméré des,syndromes épisodiques chez

une dégénérée dont il n'a pas démontré la dégénérescence et

ensuite il a conclu à la dégénérescence parce que sa malade pré-

sentait ces symptômes.

M. ROUDINOVITCH. - J'ai dit que l'hérédité de ma malade était très*

chargée. C'est ce qui explique sa dégénérescence mentale.

M. G. Ballet insiste sur ce fait à une époque où l'on croit tout

guérir par la suggestion, malheureux pour que la malade n'a put

être endormie. Cet insuccès est bien regrettable pour la doctrine

pan-suggestive parce que le cas paraissait bien choisi parmi ceux

susceptibles d'être améliorés par l'hypnose. Marcel Briand.

CONGRÈS DE LA SOCIÉTÉ PSYCHIATRIQUE

DE LA PROVINCE DU RHIN.

quarante-huitième SESSION A BONN;

Séance du 14 novembre 1891. - Présidence de M. Pelman.

Il y aura le 6 juillet 1892, vingt-cinq ans qu'existe la Sociélé.

C'est le 6 juillet 1867 qu'elle a tenu sa première séance. La séance

1 Voy. Archives de Neurologie, 47» séance, t. 000, p. 000.

494 SOCIÉTÉS savantes.

actuelle est donc la quarante-neuvième, parce que pendant l'au-

tomne de 1880, il n'y a pas eu de séance à cause de la guerre.

M. NISSL. Des altérations expérimentales des cornes antérieures de

la moelle chez le lapin avec présentation de pièces microscopiques. -

Méthode de coloration au bleu de méthyle et à l'hématoxyline

alunée pour étudier le corps et le noyau de la cellule. Intoxication

des lapins par le plomb, le phosphore, l'arsenic, la strychnine et

l'alcool ; infection de la moelle par des cultures pures de staphylo-

coccus p3ogenes aureus; dissociation du la substance du même

organe par l'huile; ligature de l'aorte abdominale.

L'auteur fait remarquer qu'il existe toute une variété de formes

de cellules dans le cerveau et dans la moelle. Il en est une carac-

térisée par l'existence : dans le protoplasma du corps cellulaire, de

granulations oblongues et irrégulières; dans les prolongements de

nodosités fusiformes et bacilliformes. Entre ces éléments existe une

substance inaccessible aux agents colorants ou peu colorable

(achromatique) ; le noyau lui-même est peu coloré arroadi. La cel-

lule dans son ensemble prend l'aspect .tigré. Ce sont ces cellules

granulées qui chez les vertébrés et, en particulier, le lapin, le chien,

le chat, sont, dans les cornes antérieures de la moelle, préposées

à leurs fonctions motrices. Ce sont elles qui font le sujet de celte

communication.

Dans l'intoxication arsenicale, la première altération qui se pro-

duit est l'augmentation de volume des granulations en question ;

en même temps elles s'arrondissent et la substance achromatique

du corps de la cellule s'imprègne deagents colorants. Puis, chacune

d'elles pâlit, s'émiette, tandis que la substance achromatique se

constellent de granules d'une finesse extrême, et d'une pâleur

caractéristique. Le corps de la cellule s'effrite de cette façon; les

granules disparaissent comme si le protoplasma s'était liquéfié et

des lacunes se montrent. Tout à la noyau se recoquille et apparaît

comme mangé dans ses contours.

Quoi qu'il en soit, l'arsenic agit d'abord sur le'corps de la cellule.

Lapremière altération nucléaire apparaisous laforme d'unezone

périphérique étroite, peu coloriée, également distincte du corps

même des noyaux qui paraît bien plusépaisetcomme groupé autour

nucléole plus pâle ; cette zone que l'on peut considérer comme la

membrane nucléaire finit par disparaître. Le corps du noyau qui à

l'état sain se compose d'une charpente renforcée par place par des

granulations et contenant un suc spécial incolore présente,alors les

modifications suivantes : le suc disparait, et la charpente se résout

en une substance finement grenue, compacte, bien colorée, au

milieu de laquelle se voit le nucléole de plus en plus pâle. Cette

substance granue n'est pas d'une égale épaisseur partout ; à côté

de parties plus denses il y a des zones plus claires qui pourraient

bien représenter le suc nucléaire. Puis le corps du noyau se résorbe,

sociétés savantes. 495

devient discoïde et sinueux ; finalement, il est réduit, à l'état d'un

petit grumeau coloré contenant, en son milieu, un nucléole simple-

ment indiqué.

Dans l'intoxication phosphorée on assiste aux mêmes altérations

dans les cellules et dans les noyaux, mais elles sont moins accusées

dans les noyaux.

Dans l'intoxication, saturnine les altérations se comportent diffé-

remment. Les granulations du corps de la cellule se rapetissent et

semblent plus homogènes ; on y voit fjéquemment apparallre des

espèces d'étoiles dont les angles émettent de petits prolongements.

Les fuseaux et les bâtonnets des prolongements cellulaires se héris-

sent de sortes de nodosités. Dans la substance achromatique qui reste

incolore dans son ensemble, on assiste à la genèse de granules

arrondis, très nets, très colorés qui lui donnent un aspect de semis

des plus fins. Puis les granulations s'amoindrissent de plus en plus,

comme s'il s'effectuait une coagulation moléculaire, de sorte que le

corps de la cellule est parsemé à un moment donné de grains

plus nets, plus volumineux, plus colorés que dans l'intoxication

arsenicale et phosphorée. Le noyau s'altère très rapidement parle

même procédé que celui que nous avons décrit; mais sa'totalité

se transforme en une matière cohérente qui d'un bloc se rétracte,

échappe aux agents colorants de même que son nucléole central.

Çà et là dans cette masse se produisent des lacunes. La rétraction

progressant, on n'a plus finalement qu'un grumeau faiblement

coloré prenant les formes les plus différentes. En regardant bien,

on aperçoit encore dans ces débris un organite qui n'est autre que

le nucléole rapetissé.

M. BRIE. Des symptômes de lésions en foyer dans la paralysie géné-

rale. Les attaques congestives tiennent souvent à des lésions en

foyer, d'ailleurs cliniquement caractérisées par des symptômes

qui indiquent leur localisation. Voici un paralytique général qui

pendant près d'un an a eu toutes les semaines ou tous les mois des

convulsions toniques et cloniques de la main droite. L'autopsie

montre, outre les lésions de la paralysie générale, une atrophie

extrême du segment supérieur de la pariétale ascendante gauche.

M. HuBEMY.ComH ! Ut ! : Mt<M ? M relatives à quelques asiles d'aliénés

français et à l'assistance des aliénés en France (Mémoire publié à

part).

Discussion : M. PELMAN prétend que les asiles français sont remar-

quables par leur malpropreté et l'abus des moyens de contrainte

et, qu'ainsi que le dit Tukker, les asiles anglais .sont, à ce point de

vue, supérieurs. M. Huberty signale il est vrai que les moyens de

contrainte sont en France trop employés, même dans les asiles

neufs, mais qu'ils sont remarquablement bien tenus.

M. STEINER, à l'exemple de M. Huberty, se loue de l'urbanité des

496 SOCIÉTÉS savantes.

collègues français, à quelques exceptions près, exceptions d'ailleurs

rares.

M. PELMAN rend compte de la décision de la Société des aliénistes

allemands relative au projet de loi de l'Etat contre l'ivresse (séance

de septembre 1891). ' *

Discussion : M. ScHROETER. Il faut absolument interdire les buveurs

avant de les faire admettre dans un asile spécial.

M. OEBEKE. Fonder des asiles pour buveurs dans lesquels on

traitera ceux-ci comme malades et où ils seront guéris quand la

chose sera possible, et en même temps les décréter d'incurabilité

en les interdisant, c'est une contradiction etinhabJe. En tout cas ce

serait un singulier moyen d'achalander ces établissements. Quand

l'individu atteint d'alcoolisme est incapable et imbécile, c'est dans

un asile d'aliénés qu'il faut le mettre. Au surplus, n'attendez pas

des classes aisées une clientèle productive surtout si vous commen-

cez par prononcer l'interdiction. et par rendre publique la mesure

de séquestration. De buveurs pauvres et incapables de travailler

vous n'en manquerez pas, mais alors vos asiles pour buveurs consti-

tueront des établissements de décharge qui serviront à désencombrer

les asiles pour chroniques et les sections d'infirmes des hôpitaux.

M. ScHMrrz. Ce qu'il faut, c'est amener les buveurs malgré eux

(ils n'y viendraient jamais de leur plein gré) dans un asile pour

buveurs et cela rapidement. L'interdiction préalable va tout à fait

à l'encontre du but qu'on se propose, mais il convient d'armer la

loi du pouvoir de les séquestrer et de les rendre irresponsables des

actes délictueux qu'ils ont pu commettre.

M. TIGGES. En Suisse, dans le canton de Saint-Gall et dans l'Etat

de New York, on séquestre les buveurs dans un asile spécial sans les

avoir préalablement interdits.

L'assemblé vote les propositions de la Société des aliénistes alle-

mands (session de Weimar), mais elle ne vote pas sur la question

d'admission sans interdiction préalable. (Allg. Zeitschr. f. Psy-

{Jhiat., YLVIII, 6.) P. KERAVAL.

SOCIÉTÉ PSYCHIATRIQUE DE BERLIN

Soixante-treizième réunion;

Séance du 15 décembre 1891 1. - Présidence DE M. LoeHR aîné.

M. HEBOLD. DP l'entrecroisement des nerfs optiques chez l'homme.

- L'orateur montre des préparations empruntées à deux cas d'a-

z Voir séance du 15 juin 1891, Archives de Neurologie.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 491

trophie de l'oeil qui mettent en évidence lasemi-décussation incon-

testable des nerfs optiques de la chiasma. Il exalte les avantages de

la méthode Nissl au rouge magenta pour les coupes de la moelle.

Les cellules se voient d'une merveilleuse façon ; leurs prolonge-

ments nerveux sont des plus nets. Le mémoire sera publié in

extenso.

M. ASCIIER. De l'aphasie dans la paralysie progressive. - Il s'agit t

d'un paralytique général qui présenta l'ensemble symptomatique

suivant. Il ne lui restait plus qu'un catalogue restreint dont il ne

se servait que rarement d'ailleurs. Il comprenait peu ce qu'il disait

estropiait les mots assez fréquents, et comprenait mal ce qu'on

lui disait. Il désignait un objet qu'on lui nommait mieux qu'il ne

le nommait. Mais il répétait correctement les phrases. Ecrivant

mal spontanément, mal sous la dictée, il copiait relativement bien.

Encore capable de lire, il comprenait peu ce qu'il lisait. D'après le

schéma Lichtheim et Wernicke, il s'agissait d'une aphasie motrice

transcorticale avec lésion des faisceaux sensoriels transcorticaux.

On trouva à l'autopsie : de la pachyméningite hél11orrhagique, une

leptoméningite chronique, une atrophie modérée du cerveau, une

dilatation des ventricules latéraux, avec granulations épeudy-

maires. Atrophie remarquable de la première temporale gauche.

Le microscope révèle une atrophie considérable des fibresnerveuses

avec multiplication très accusée des cellules araignées, dans les

première et troisième frontales, gyrus rectus, frontales ascen-

dantes, première et deuxième temporales, du côté droit comme

du côté gauche. Dans la première temporale gauche, on était

frappé de la disparition des cellules nerveuses au sein des première

et deuxième couches de Meynert,.

Le président propose à la Société, qui l'accepte, de fêter avec la

Société de psychiatrie et maladies nerveuses de Berlin, l'anniver-

saire de la vingt-cinquième année de l'existence de ces deux

sociétés qui poursuivent le même but par des voie différentes, d'au-

tant plus qu'une grande partie des membres de la Société psychia-

trique appartiennent aussi à la société de psychiatrie et de mala-

dies nerveuses. (Allg. Zeitsclt. f. Psychint., XLVIII, fui.)

P. KRRAVAL.

Archives t. XXIV. " 32

498 SOCIÉTÉS SAVANTES.

SOCIÉTÉ DE PSYCHIATRIE ET MALADIES NERVEUSES

- DE BERLIN.

Séance du 12 janvier 18911.

Présidence DE M. SANDER, puis de M. Jolly.

M. Krontiial. De la subordination des dégénérescences des nerfs

périphériques cL l'altération dégénérative de leurs noyaux d'origine,

avec démonstration. (Mémoire publié dans la Neurolog. Central-

blatf.)

M. Oppenheim. Communications relatives aux névroses traumatiques.

(Publié à part.)

Discussion Il. MeNDEL. - Sur les soixante-huit observations en

question, j'en ai, en commun avec Oppenheim, examiné dix-sept;

bien d'autres malades ont été vus par nous deux, bien que l'un de

nous ait seul signé le'rapport.

M. OppKN)iEiu maintient l'exactitude des indications données par

lui dans son mémoire.

Séance du 9 mars 1891. Présidence de M. JoLLY.

M. JOLLY présente une malade chez laquelle le tabès existe combiné

à l'atrophie musculaire. - Il s'agit d'une femme de cinquante-deux

ans, atteinte il y a sept ans de diplopie et d'accès vertigineux.

Depuis quatre ans, elle éprouve de la faiblesse dans les jambes; il

lui semble qu'elle marche sur du feutre.

A ces accidents se sont successivement ajoutés de l'affaiblissement

et de l'engourdissement des mains, une ataxie caractérisée des

membres inférieurs, de la dysurie. Actuellement, on constate de

l'ataxie statique et locomotrice, le signe de Westphal, de l'atrophie

de certains muscles dans les jambes et dans les bras. Le long

péronier latéral gauche ne réagit plus à l'électricité, le jambier

antérieur du même côté est affecté de réaction dégénérative : il

en est de même pour l'opposant du pouce des deux côtés et, à un

degré moyen, pour les extenseurs de la main et des doigts. Immo-

bihté absolue des pupilles. Les muscles des yeux ne sont pas para-

' Voy. Archives de Neurologie, séance de décembre 1890, t. XXII,

p. 425.

* Voy. Archives de Neurologie, revues analytiques.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 499

lysés. M. Jolly pense que les cornes antérieures ne sontpas en cause;

l'atrophie dépend d'une névrite périphérique en rapport avec le

tabès.

M. POEDEKER décrit un cas de pamlysie p1'ogl'essive des muscles des

yeux chez un paralytique tabétique avec autopsie. L'affection a duré

plus de huit ans. Au début n'existait qu'une parésie bilatérale de

l'oculo-moteurexterne.'l'eu après, on constatait l'immobilité, la fixité

des pupilles. Plusieurs années plus tard apparurent simultanément

les accidents du tabès et de la paralysie générale : diminution du

réflexe patellaire douleurs lancinantes signe de Romberg z

vertiges - troubles de la parole affaiblissement de l'intelli-

gence.

A l'ophtalmoscope, on trouva- successivement : une décoloration

des segments temporaux des papilles, bientôt étendue à l'ensemble

des disques papillaires quoique plus accusées sur les secteurs

externes. Scotome central pour le rouge et le vert. Peu de temps

avant la mort, les autres muscles de l'oeil furent aussi atteints de

parésie (l'élévateur des paupières demeura cependant épargné) ;

finalement, paralysie des mouvements de convergence.

Les altérations macroscopiques sont celles de la paralysie géné-

rale. Au microscope, on rencontra la dégénérescence du faisceau de

Krause, celle des fibres qui en sortent pour s'adjoindre au pneu-

mogastrique, celle d'une partie de la racine ascendante du triju-

meau, celle du noyau et des fibres émergentes du pathétique et de

l'oculo-moteur externe. Dans la région du noyau de l'oculo-moteur

commun, l'atrophie portait sur les groupes de cellules supérieurs,

inférieurs, centraux et anUéro-latérax. Les altérations dégénéra-

tives étaient également indéniables dans les troncs périphériques

des nerfs oculaires, notamment celui de l'oculo-moteur externe,

et dans les muscles des mêmes organes.

Une névrite intertistielle avait en partie détruit les nerfs optiques,

elle occupait surtout la région située derrière la papille etla moitié

externe du diamètre transverse, tout en empiétant sur le segment

interne; plus loin vers le cerveau le foyer dégénératif gagnait

l'axe du nerf. Cette localisation rapprochée de l'étude clinique

permet de conclure à une amblyopie nicotinique ou alcoolique.

Dans la moelle, l'altération portait sur les cordons postérieurs

surtout dans les régions dorsale et lombaire.

Discussion : M. Siemetiling. Le groupe de cellules que Westphal

qualifia d'abord de noyau postérieur du pathétique n'a rien à voir

avec ce nerf. D'après les recherches de Schuetz, il faut le rattacher

aux noyaux de la substance grise centrale. En ce qui concerne le

noyau de l'oculo-moteur commun, le mieux est de le séparer en

deux régions : une région antérieure, une région postérieure. La

région antérieure serait la limite antérieure du noyau au niveau

500 SOCIÉTÉS SAVANTES.

du troisième ventricule. Le]groupe antéro-latéral de D91tKSCItEIVITSCA

existe certainement, mais il n'est pas certain qu'il soit en rapport

avec le noyau de l'oculo-moteur commun. ·

. Quant aux rapports du noyau du pathétique et du noyau de l'o-

culo-moteur ccmmun, ce dernier n'est point du tout la continuation

du premier. Le noyau de l'oculo-moteur commun commence, au

niveau de la constitution, du noyau du pathétique par un groupe

nucléaire placé dans le faisceau longitudinal postérieur lui-même.

Ce groupe de cellules paraît commander à l'élévateur de la pau-

pière supérieure, moins il y a de hlépliaroptose, mieux ces cellules

là sont conservées.

Séance du 11 mai 1891. Présidence DE M. JOLLY.,

M. JOLLY. Chorée héréditaire, présentation d'une malade. Publié ' 1

dans le Neurol. Centralb.

M. Remak présente plusieurs choréiques. Voici d'abord l'oncle de

la malade que vient de présenter M. Jolly. Affecté de vingt-trois à

trente-un ans d'une épilepsie primitivement sérieuse (états de mal)

qui guérit, il était à l'âge de quarante ans atteint de chorée.

Puis, c'est le tour d'un jeune garçon de onze ans et demi. Il s'agit

ici d'une athéthose bilatérale primitive des membres inférieurs;

l'affection a débuté d'une façon insidieuse par la jambe droite (il

avait à cette époque huit ans) sans qu'il y ait eu de phénomènes

paralytiques. C'est, d'après l'orateur, une chorée atypique héréditaire,

car il a trouvé chez la mère du jeune homme, qui est de nationalité

russe, une chorée progressive du bras droit et des spasmes choréi-

ques des muscles de la nuque. Publié dans le Neurol. Centralbl.

M. MENDEL présente un homme de quarante-sept ans, porteur

d'une chorée d'lluntington. Le cas est publié dans la thèse d'Esser

(avril 1891).

M. SE1VATOIi. Le second malade de M. Remak est particulièrement

intéressant. Le cas ressemble très peu à la chorée d'Huntington, il

ne ressemble que de très loin à la chorée Minor. J'en ai en 1876

présenté un fait tout à fait semblable (Société de médecine de

Berlin, 18 octobre), dont Westplial a publié l'observation détaillée

(Charité Annalen, t. IV, 1879). Depuis lors, j'en ai vu plusieurs cas à

quelques détails près. Il est impossible de les ranger dans les caté-

gories connues (chorée d'Huntington chorée commune - ataxie

de Friedreich myoclonie- chorée électrique etc.); mieux vaut,

à l'exemple de Westphal les désigner provisoirement, d'après leurs

caractères, sous le nom de paralysie spasmodique ChOI'éiforme.

Il est évident qu'ailleurs on les a dénommés autrement, surtout

' Voy. Archives de Neurologie, revues analytiques.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 501

en tenant compte de l'élément héréditaire. On en rencontre dans

le mémoire de Ruprecht sur la rigidité spasmodique congénitale des

membres, ainsi que dans celui de J. Ross (paralysie spasmodique de

l'enfance) qui fait notamment. remarquer leur ressemblance avec

l'athétose.

M. OPPENHEim. Quand je vis le malade pour la première fois, il

y avait une simple contracture des muscles du mollet droit qui

déterminait l'abaissement caractéristique de la pointe du pied.

Comme il ne s'agissait point d'une contracture paralytique, il y

avait lieu de penser à l'hystérie. J'appliquai l'aimant; le petit

patient se mit tout aussitôt à marcher en appuyant à terre la plante

du pied entière. Mais je ne le tins pas pour cela pour guéri. En

effet, quelques jours plus tard, la contracture s'était reproduite; les

orteils étaient atteints d'athétose à un léger degré. Nos collègues

en chirurgie essayèrent de la ténotomie du tendon d'Achille avec

application d'un appareil; résultat nul. Je formulai le diagnostic

d'athétose avec unpoint d'interrogation ( ? ). Aujourd'hui, l'obscurité

n'est pas dissipée. Mais, M. Sénator appelle, à juste titre, notre

attention sur certaines formes de rigidité spasmodique des membres

congénitales ou précoces. Parmi ces faits, il y en a un petit nombre

témoignant de la simultanéité d'accidents parético-spasmodiques,

et choréico-athétosiques, J'en ai vu quelques-uns caractérisés par ce

fait qu'il y avait parésie spasmodique des jambes en même temps

que les extrémités supérieures étaient affectées d'athétose.

M. REMAK qui, lui aussi, a vu l'athétose compliquer la paralysie

infantile spasmodique, croit que dans les cas de ce genre, il s'agit

de lésions cérébrales organiques congénitales ou se produisant

dès la plus tendre enfance, et présentant une marche aiguë, le

plus souvent accompagnées de convulsions, mais dont' les symp-

tômes rétrocèdent, au moins en partie, le plus ordinairement. Le

cas présenté dans l'espèce n'a qu'une vague ressemblance avec ces

paralysies spasmodico-choréïques, il s'en distingue notamment par

ce point que la contracture et l'athétose se sont d'emblée déve-

loppées sans aucune paralysie, et cela seulement à l'âge de huit

ans.

Séance du 8 juin 1891. Présidence DE M. JOLLY.

Discussion sur la chorée héréditaire. M. Bernhardt. Sur 92 cho-

réiques observés par lui (thèse de Gallinck, 1889), dix malades pré-

sentaient une tare nerveuse des plus accentuées = 10,8 p. 100;

7,6 p. 100 comptaient dans'leurs ascendants des névropathies (épi-

lepsie- nervosisme -maladie de Basedow). Il n'a jamais observé

la transmission directe de la chorée des parents aux enfants.

Quant à la chorée chronique des adultes, l'orateur donné ses

soins à une dame de quarante ans, célibataire, affectée de cette

502 SOCIÉTÉS SAVANTES.

maladie depuis l'âge de vingt-sept ans. La malade, très nerveuse,

pâle, présentait des mouvements désordonnés, involontaires, de la

tête, des extrémités, du tronc. Bien que déprimée, elle avait l'in-

telligence indemne, la parole saine. Pupilles très larges, égales,

réagissant promptemont à la lumière, fond de l'oeil normal. Dévia-

tion en dedans des deux yeux, surtout de l'oeil gauche; difficulté à

les amener en dehors. Persistance du phénomène du genou ; pas

de clonus podalique; le pouls, même au repos, dépassait cent pul-

sations par minute.

Antécédents. Mère anémique, morte de pneumonie à cinquante-

neuf ans. Père, encore vivant, épileptique, original accentué.

Grand-père paternel épileptique. Cousin paternel (fils de la soeur

de son père) épileptique. La malade a eu deux frères et doux soeurs

qui ont été atteints de tremblements convulsifs.

M. MEYER.- Il est indispensable de séparer la chorée de l'enfance

de la chorée des adultes.

M. JOLLY. -Il Il suffit pour cela d'employer les termes : aigu ou

chronique, en effet il y a des cas de chorée chronique qui ont dé-

buté à l'âge de six, sept, huit, dix ans.

M. SENATOR. Qu'il y ait chorée infantile ou chorée d'Huntington,

c'est l'élément spasmodique qui nous intéresse. Chez un garçon de

sept ans affecté de mouvements athétoïdes et spasmodiques dans

toutes les extrémités, on constatait une sclérose des cordons laté-

raux, des pyramides jusqu'à la moelle dorsale, et des faisceaux de

Goll dans la partie moyenne de la moelle dorsale. Les ascendantes

étaient atrophiées. Mais il faut s'attacher à distinguer la chorée,

infantile et la chorée d'lluntington des syndromes spasmodico-

choréiques.

M. LEwN. Un cas médico-légal d'inversion du sens génital.

(Publié dans le Neurolog. Ccntralblalt.)

Discussion : M. MENDEL. Etablir l'existence d'une psychopathie

sexuelle, c'est rétrograder, c'est revenir aux monomanies. Ce qu'il

faut examiner, c'est si l'individu atteint d'une perversion de l'ins-

tinct sexuel est aliéné ou non. Que d'hommes sont tourmentés par

des anomalies du sens génital sans dévoyer, sans commettre

d'actes délictueux. Réciproquement, que d'êtres dégradés par

leurs passions et leurs habitudes vicieuses devraient, à raison

de l'intégrité de leurs facultés, porter la peine de leurs actes

immoraux !

M. Sander. L'homme de M. Lewin présente de la perversion et

non de l'inversion du sens génital, puisqu'il éprouve encore du pen-

chant pour la femme.

M. Senator". La loi défend-elle l'accouplement des femmes entre

elles ?

SOCIÉTÉS SAVANTES. 503

M. LEwiN. -Elle défend la sodomie et la pédérastie, mais point

l'amour lesbien.

M. MOELI. - La perversion génitale tient souvent à des désagré-

ments ; on a, par exemple, contracté la gonorrhée et l'on préfère,

par mesure d'hygiène, s'abstenir d'aller avec des femmes. Ceci ne

s'observe jamais dans l'inversion génitale; en outre on constate

chez ces sujets-là des troubles nerveux, de la neurasthénie, du

moins chez la plupart d'entre eux, sinon chez tous.

111..IOLLY. De même que MM. Mendel et Moeli, je ferai remarquer

que la perversion sexuelle n'est pas une maladie mentale quand il

n'existe pas de troubles du système nerveux d'un autre ordre ou

d'accidents psychiques. Il n'y a pas lieu d'admettre l'existence

d'une entité morbide sous le nom de psychopathie sexuelle.

Séance du 13 juillet 1891. - Présidence DE M. JOLLY.

M. HIRSCEIBERG. 'Des troubles de la vue par tumeur cérébrale avec

présentation de malades. (Publié dans le Neurolog. Cenircilblatt '.)

M. BRASCII. Des lésions artérielles dans la syphilis cérébrale avec

présentation de malades et préparation. (Publié dans le Neurolog.

Centralblatt 2.)

M. Bernuardt complète l'histoire de la malade affectée de tabès

qu'il a présentée à la Sociélé le 10 novembre 1890 et dont il a

publié l'observai ion dans le Neurolog. Centralbl. de 1890 Cette

malade, devenue grosse pour la seconde fois, est heureusement

accouchée d'un vigoureux garçon le 11 juin 1891; l'ataxie locomo-

trice n'a exercé aucune influence désavantageuse sur aucune des

phases de la grossesse, du travail, des suites de couches. La patiente

est encore ataxique, elle ne peut toujours point marcher dans les

ténèbres, il lui est encore très difficile de monter les escaliers. La

pupille gauche, très dilatée, plus large que la pupille droite, reste

insensible à l'action de la lumière et de l'accommodation, ce qui

n'a pas lieu pour la pupille droite. Les douleurs lancinantes ont

disparu.

M. QpPErOECnI. Contribution au chapitre de la myélite. (Publié dans

la Berlin, Klin. IYochensclwift., 1891, no 31.)

Séance du 1G novembre 1891. PPÉ31DENCE DE M. JOLLY.

M, SPERLING présente un malade atteint de paralysie bilatérale du

grand dentelé. (Publié dans ]eNeui,olog. Centrulblnlt3.)

1 Voir aux Revues analytiques.

2 Voir aux Revues analytiques.

1 Voir aux Revues analytiques.

504 SOCIÉTÉS SAVANTES.

Discussion : \I. JOLLY.- Je pense que le malade en question a plu-

tôt une déviation à droite de la colonne cervicale qu'une subluw-

tion. ' - .

M. SPERLING présente des photographies d'une jeune fille qui, à la

suite d'une piqûre dans la région del'aisselle droite fut atteinte d'une

paralysie franche du grand dentelé. L'omoplate ne s'écarte pas

forcément du tronc, parce que le muscle trapèze peut, par son seg-

ment inférieur maintenir cet os, tandis que par sa partie supérieure,

il contribue à l'élévation du bras.

M. 13ERiOEARDT communique les résultats des recherches par lui

entreprises à la machine statique et signale l'action des courants élec-

triques de cette nature sur l'excitabilité des nerfs et des muscles chez

l'individu sain ou malade.

Les sujets en expérience étant isolés ou non (en ce dernier cas, les

réactions étaient atténuées), on les soumet aux étincelles ou à l'ac-

tion des effluves (décharges obscures) en interposant entre le corps

du patient et l'électrode sphénque de 2 centimètres de diamètre

les tables de Franklin. L'excitation est toujours monopolaire. Dans

l'opération des effluves (décharges obscures), le pôle positif est plus

actif que le pôle négatif.

Etudions les cas reconnus antérieurement à l'examen galvanique

et faradique comme présentant tous les signes de la réaction démé-

néralive complète ou moyenne. Et notamment les types de para-

lysies périphériques graves, par exemple de paralysies saturnines,

paralysies des nerfs'des extrémités supérieures, des nerfs des extré-

mités inférieures, du facial. Nous constatons que, quand le courant

faradique demeure impuissant alors que le courant galvanique

direct agit encore mais d'une manière plus lente ou exagérée, on

n'obtient aucun résultat ni du faisceau d'étincelles ni des effluves

obscures. Un seul cas a fait exception à cette règle ; il s'agissait

d'une paralysie traumatique du médian et du cubital; sous l'in-

fluence des étincelles électriques, les muscles se contractèrent len

tement en un faisceau des plus nets (réaction dégénérative de Fran-

klin). Quelques autres exemples du même genre pourraient être

invoqués, soit à propos d'une grave paralysie radiale traumatique,

soit eu ce qui concerne une paralysie saturnine des extenseurs,

mais c'était plutôt une tendance à la contraction qu'une contrac-

tion certaine.

Passons maintenant aux formes moyennes de la réaction dégé-

néralive dont nous rappellerons les caractères. Conservation de

l'excitabilité galvanique et faradique indirecte, mais diminuée.

Conservation de l'excitabilité faradique directe avec contraction

musculaire rapide. Réaction dégénérative (lenteur de la contrac-

tion, inversion de la formule), a l'excitation galvanique directe.

- Ce genre de malades soumis aux courants de tension (dé-

SOCIÉTÉS SAVANTES. 505

charges obscures ou flots d'étincelles) fournissent des contractions

toujours rapides. Par conséquent la lenteur de la contractilité

musculaire des muscles dégénérés dans la franklinisation ou, en

d'autres termes, la réaction dégénérative de Franklin est très rare,

même quand la paralysie grave est de date encore récente, quand

elle date de trois à quatre semaines.

Chez un malade affecté de maladie de Thomsen, chaque étincelle

provoquait de rapides contractions musculaires, mais elles ne

duraient pas, elles passaient comme l'éclair, à l'égal des contrac-

tions provoquées par le courant d'induction quand on ouvre le

courant. Le même résultat avait lieu à l'excitation directe ou indi-

recte, à la décharge obscure ou à la pluie d'étincelles. En vain

accélérait-on la rotation du disque de la machine; on obtenaitbien

une succession pressée de contractions, mais les muscles se con-

tractaient isolément par points séparés sans entraîner d'ondes con-

tractiles.

Enfin l'auteur rappelle les cas de névrite multiloculaire qu'il a a

décrits dans la Zeitsch. f. KliazJleclic. (t. XVII, Supplément band). Les

nerfs, même le facial, n'ont jamais été paralysés, et cependant

maintenant encore les plus forts courants électriques, faradiques

et galvaniques, restent muets, notamment aux extrémités infé-

rieures. Or les effluves obscures provoquent une contraction

rapide des muscles tandis que la décharge d'étincelles ne produit

rien.

M. SJCJCnJ.wc présente des préparations de lésions anatomiques

dans la paralysie infantile spinale. Mémoire publié dans les -lr-

chiv. f. Paychiat.

Séance du 14 décembre 1891. - Présidence DE M. JuLZ.o.

Discussion sur les courcarzts frarz7clinirlues ou de tension.

M. Neisseu. L'éleclrici lé statique ne peut avoir de valeur électro-

diagnostique. En quelques cas de réaction dégénérative à évolution

graduelle, il a vu disparaître d'abord l'excitabilité faradique, puis

l'excitabilité statique. Généralement, l'électricité statique fournit les

mêmes caractères que l'électricité faradique.

M. Jolly rappelle ses rapports de 1883 sur ce sujet ('t; ! H'o<. Ccn-

tralbl.). Il ne saurait reconnaître de valeur électro-diagnostique à la

franklinisation dans l'examen des nerfs et des muscles dégénérés;

mais la valeur thérapeutique en est inappréciable dans l'hystérie,

surtout comme agent suggestif. En certains cas de névrite grave,

où les autres courants ne sont pas supportés, la franklinisation

(vapeur électrique) agit comme palliatif, calme la douleur; mais ne

guérit pas. ·

M. l3Lnsn.J;ui. Schwanda et, après lui, Eulenburg ont indiqué

506 SOCIÉTÉS SAVANTES.

l'identité d'action des courants faradiques et frankliniques sur les

nerfs et les muscles.

M. JoLLY rapporte ses essais au moyen de la thymacéline. Nouvel

agent chimique de M. L. IIofmann (de Leipzig), étudié par Boehm.

C'est un dérivé du thymol analogue à la phénacétine. Poudre cris-

talline, difficilement soluble dans l'eau, elle n'a à la dose de

2 grammes pas d'action toxique chez le chien. Dans la migraine,

elle n'a réussi qu'une fois sur sept cas. Dans les névralgies cépha-

liques continuelles ou survenant par accès, elle agit à peu près

comme la phénacétine, tantôt promptement et sûrement, tantôt

d'une façon passagère ou pas du tout. Dans la céphalée d'oiigine

organique (lésions cérébrales), elle exerce une atténuation parfois

remarquable. Chez un tabétique qui présentait des crises gastriques

graves et qui, entre parenthèse, prenait encore de'la morphine, il y

eut action calmante passagère mais on ne put abandonner la mor-

phine. La thymacétine n'a pas agi chez les mophinomanes atteints,

à la phase de sevrage, de douleurs dans les extrémités. On dut,

dans tous ces cas, administrer de 20 centigrammes à 1 gramme.

Accidents physiologiques^ : congestions céphaliques; accélération

du pouls; élancements et pesanteur uréthraux ; somnolence.

La thymacétine administrée comme narcotique à la dose de

50 centigrammes à 1 gramme chez 26 aliénés, paralytiques géné-

raux ou délirants, produisit chez 16 d'entre eux un sommeil satis-

faisant à part quelques interruptions, mais moins profond que

celui qui succède à l'administration de 2 grammes de chloral. z

En résumé, la thymacétine agit comme la phénacétine et autres

préparations semblables ; si elle est un peu plus narcotique que la

phénacétine, il conviendrait de faire d'autres recherches avant de

décider de son degré d'action.

M. PLACZEK. De l'association de la paralysie agitante [et du tabès

dorsal. Il s'agit d'un négociant de cinquante-deux ans, atteint de

syphilis. Le tabès se manifesta par l'immobilité réflexe des pupilles,

la chute des dents, l'impuissance, des douleurs lancinantes, le signe

de Romberg, l'incontinence d'urine, le signe de Westphal. Ni

ataxie, ni trouble de la sensibilité. La paralysie agitante se révéla

par l'immobilité du masque, l'attitude caractéristique de la tête et

des mains, les oscillations prononcées des extrémités, un mouve-

ment de propulsion peu marqué du corps, mais un mouvement de

rétropulsion très accentué. C'est le tabès qui ouvrit la marche ; la

paralysie agitante suivit.

M. MENDEL. Contribution ci l'anatomie pathologique de la maladie de

Basedow. - En 1887, un professeur de quarante-huit ans présen-

tait du goitre, de l'exophtalmie, des palpitations de coeur. Plus tard

surviennent des tremblements, de la polydipsie, de la tendance

aux sudations. Le octobre 1890, il mourait d'une pleurésie. L'au-

SOCIÉTÉS SAVANTES. 507

topsie ne révéla qu'une atrophie du corps restiforme et du faisceau

solitaire droit. Or les expériences de Filehne, Durdufi et Bienfait

ont montré qu'en lésant le corps restiforme chez les lapins et les

chiens on peut provoquer les symptômes de la maladie de Base-

dow. (Al'chiv f,1>sychiat" XXIV, 1.) P. KEIIAV.\L.

Séance du 11 janvier 1892. Présidence DE M. JOLLY..

Discussion sur les lésions anatomiques dans la paralysie infantile :

M. HISSLEII a examiné les pièces de malades atteints de poliomyélite

chez lesquels les noyaux des nerfs oculo-moteur externe, pneumo-

gastrique, hypoglosse, étaient lésés. La mort était survenue dans la

première semaine au moment où la maladie avait atteint sa phase

d'acnée, mais il ne s'agissait pas de poliomyélite purement spi-

nable. *

Discussion sur l'anatomie pathologique de la maladie de l3asedow :

M. Siemerling a fait l'autopsie du malade présenté en décembre 1887

par M. Oppenheim (maladie de Basedow compliquée de maladie

d'Addison). Les corps resliformes étaient intacts, il y avait des

hémorrhagies dans les noyaux du pneumogastrique et de l'hypo-

glosse ; le grand sympathique présentait une dégénérescence mani-

feste. -

M. KOEPPEN dans un cas de maladie de Basedow a trouvé une

légère rougeur dans la substance grise, rien de plus.

M. GOLDSCIIEIDER a trouvé simplement en pareil cas une différence

de coloration des deux sympathiques ; il n'y avait pas de lésion

des pneumogastriques ni des corps restiformes. Dans un autre

cas il n'y avait aucune anomalie.

M. Oppenheim. Mes remarques ne contrecarrent pas les résultats

obtenus par M. Mendel. Je me fonde sur la même méthode de

démonstration (au moyen de l'appareil de projection) pour pré-

senter quelques observations. Ainsi je ne crois pas que les anoma-

lies mentionnées soient réelles. Peut-être sont-ce des altérations

trop minimes pour apparaître sans conteste. Peut-être la méthode

de démonstration est-elle vicieuse. Peut-être n'ai-je pas assez l'ha-

bitude de cet appareil dont je ne me sers pas d'habitude. Quoi qu'il

en soit dans l'espèce, j'ai quelquefois rencontré dans le tabès

une atrophie du faisceau solitaire, quelquefois aussi l'atrophie du

corps restiforme. Mais il n'y avait pas en ce cas de phénomènes

ressortissant à la maladie de Basedow, ou bien il se présentait isolé-

ment de la tachycardie, des crises laryngées, de la dyspnée.

M. MENDEL. L'appareil de projection pour démonstration ne con-

vient pas aux fins détails d'histologie.

508 SOCIÉTÉS SAVANTES.

M. Oppenheim. La petitesse du faisceau solitaire d'un côté ne

prouve pas qu'il y ait atrophie. En effet, ce faisceau se compose de

substance blanche et de substance grise dont les rapports entre

elles sont quantitativement très variables; si, d'un côté, la substance

grise concomitante est plus développée, la méthode de coloration

de Weigert (à l'hématoxyline) fait paraître le faisceau (la partie

colorée en noir) plus petit que celui de l'autre côté. J'ai dans ma

collection une série de préparations normales dans lesquelles cette

différence ressort vivement.

M. MENDEL,. Il faut pratiquer les coupes de façon que les deux

côtés soient à la même hauteur.

M. Oppenheim. Evidemment, il ne s'agit point de coupes obliques,

il s'agit de coupes absolument symétriques pratiquées à travers le

bulbe.

M. JOLLY. L'appareil de projection convient quand on veut mon-

trer à un grand nombre d'auditeurs et de spectateurs à la fois des

altérations nettes.

M. LEYDEN. De la myélite chronique et des lésions systématiques

de la moelle. Entre la sclérose, la dégénérescence grise et le tissu

granulo-graisseux secondaire, il n'y a aucune différence au fond.

Ces trois formes sont de la sclérose. C'est l'atrophie des fibres ner-

veuses à myéhne qui est le phénomène principal, la multiplication

consécutive du tissu interstitiel, celle des cellules de Deiters, la

genèse de corps amylacés et de cellules granulo-graisseuses, la

dégénérescence des vaisseaux sont constants et d'importance

subordonnée.

Ce qui est spécial à la pathologie de la moelle, c'est la dégéné-

rescence en cordons, en bandes. Le processus anatomique du tabes

se propage suivant la fonction des fibres nerveuses, il n'a rien à

voir avec un processus d'inflammation interstitiel. M. Vulpian avait

distingué deux espèces de processus dans la moelle ceux qui s'éten-

dent en suivant les tissus et ceux qui s'orientent d'après la fonction

physiologique ; ces derniers, Vulpian les appelait lésions systémati.

ques. Telle est la naissance des lésionssyslématiques de la moelle.

Tout autre processus scléreux appartient à la myélite chronique. Ou

constate d'ailleurs;que toute espèce d'altération myélitique, même

quand elle revêt le masque de myélite aiguë, laisse après elle au

delà de plusieurs années, un processus scléreux. Chez le chien, la

myélite artificielle aiguë prend, après une durée de dix mois, un

aspect scléreux.

La clinique vient à l'appui de cette opinion. La myélite chro-

nique est une maladie suffisamment caractérisée au lit du malade ;

il n'y a pas à s'y tromper. Eh bien ! en pareil cas, l'autopsie révèle

l'existence de lésions scléreuses. D'autre part, la sclérose dans la

moelle se propage exactement comme la myélite aiguë; à l'état

, SOCIÉTÉS SAVANTES. 509

de foyer scléreux - sous la forme multiloculaire et disséminée

sous la forme diffuse, à son tour en rapport avec les lésions systé-

matiques.

En ce qui regarde les lésions systématiques, elles reposent sur un

édifice dogmatique qui va plus loin que la constatation scientifique

des faits ; on en a tiré un schéma artificiel des maladies de la

moelle, on a sacrifié la clinique à l'analyse anatomique des états

cadavériques et l'on a rejeté presque complètement la myélite

chronique.

L'étude des observations des malades montre qu'il n'y a que

deux maladies qui doivent être désignées sous le nom d'affections

systématiques de la moelle. -

Ce sont : a le tabès; .6 l'atrophie musculaire spinale progressive

et la paralysie bulbaire, qui correspondent à la notion de la fonc-

tion physiologique.

Les observations communiquées sous^le nom d'affections systéma-

tiques combinées appartiennent soit au tabes dorsal, soit à la myé-

lite chronique diffuse, qui correspondent au tableau morbide de la

paralysie spinale spasmodique.

Mais la maladie de Friedreich est une espèce à part de maladie

de la moelle.

Enfin la maladie de Morvan (syringomyélie) est une cinquième

forme des affections chroniques de la moelle.

Séance du 8 février 1892.

Consacrée à la fête anniversaire de la fondation de la Société

qui date aujourd'hui de vingt-cinq ans, cette séance s'ouvre par

l'historique de cette création due à l'initiative de Griesinger et de

Croner, Ehrenhaus, Jastrowitz, Loehr. Mendel, W. Sander survi-

vants et présents à la réunion. A Griesinger succéda C. Westphal,

qui pendant vingt-un ans, jusqu'à sa mort, conduisit les débats.

Sander, successeur de Westphal mourait, à son tour. Jolly président

actuel, exalte les mérites des maîtres et du corps savant qui au

début portait le nom de société médico-psychologique de Berlin.

(A1'ch.f. Psychiat., XXIV, 1.) .) P. KERAVAL.

CORRESPONDANCE.

LE CONGRÈS INTERNATIONAL DE PSYCHOLOGIE

EXPÉRIMENTALE.

Monsieur LE rédacteur en chef,

Vous m'avez demandé de résumer pour les Archives les princi-

pales communications qui ont été faites au congrès de Londres.

Je l'aurais fait très volontiers, mais je viens de publier dans un

autre recueil un compte rendu assez complet de ce congrès ' et il

m'est impossible de le reproduire. Je désire seulement signaler aux

lecteurs des Archives quelques communications qui ont un réel inté-

rêt pour leurs études. Ils les trouveront dans un ouvrage qui

paraîtra prochainement et qui réunira les travaux du congrès.

Au moment de l'Exposition de 1889, la Société de psychologie phy-

siologique de Paris a organisé le premier congrès de ce genre,

lequel s'est réuni au mois d'août, iL l'Ecole de médecine. L'expé-

rience acquise n'a pas été perdue et le deuxième congrès de psycho-

logie, qui s'est réuni à Londres, le 4lv août 1892, sous la pré-

sidence de M. le professeur Sidgwick, a prouvé, par un succès

éclatant, la vitalité de notre nouvelle science.

Le président, M. Sigwick, professeur de philosophie, à Cam-

brigde, les deux secrétaires, M. F. W.-H. Myers et M. James Sully,

les membres de la Society for psychical researche ont consacré un

travail considérable à préparer le congrès dans ses moindres détails.

Us ont rendu faciles et intéressantes les discussions, et en même

temps, ils n'ont rien oublié de ce qui pouvait rendre agréables à

leurs hôtes leur séjour en Angleterre.

Le congrès s'est réuni, le lundi 1er août et les trois jours suivants,

dans les salles de l'University Collège, obligeamment prêtées par

le directeur, et nous avons été agréablement surpris en voyant le

nombre considérable de personnes, appartenant à tous les pays,

qui étaient réunies, le premier jour, pour écouter le discours de

bienvenue du président. Le nombre total des membres du congrès

a été a peu près de 300. La plupart des médecins neurologistes et

psychologues anglais, beaucoup de médecins et de professeurs

1 Le Congrès international de psychologie expérimentale. (Revue géné-

rale des sciences pures et appliquées, dirigée par M. L. Olivier, 15 sep-

tembre 1892, p. 009.)

CORRESPONDANCE. 511

étrangers, appartenant à tous les pays, sont venus assister à ces

réunions. L'abondance des communications rendit nécessaire une

division en sections, l'une consacrée plus spécialement à la neuro-

logie et à la psycho-physique, l'autre à l'étude de l'hypnotisme, et

des notions connexes. Mais, le plus souvent, l'après-midi était oc-

cupée par une réunion générale où l'on discutait des questions

moins spéciales.

Comme nous ne pouvons suivre dans leurs travaux ces différentes

sections, il nous paraît utile de grouper les communications suivant

la nature des problèmes afin d'indiquer les diverses directions

suivies dans les recherches de psychologie expérimentale. Pour des

raisons que nous avons indiquées dans notre travail précédent, on

peut distinguer les quatre classes suivantes : 1° psychologie des-

criptive ; 2° psychologie physiologique; 3° psychologie mathéma-

tique ; 4° psychologie pathologique ou psychiatrie.

1° Psychologie descriptive. Nous donnons ce nom faute d'un

meilleur à l'étude des esprits normaux, soit que le psychologue

essaie de la faire sur lui-même au moyen de la conscience, soit

qu'il observe les autres hommes, sans user d'instruments ou de pro-

cédés spéciaux. M. le professeur Alexandre Dain a précisément exposé

au congrès la différence de ses deux méthodes, leur rôle et leurs

limites. M. Charles Richet nous a fait entrevoir l'avenir des études

psychologiques fondées désormais sur les méthodes scientifiques.

M. Beaunis a envoyé une note sur les questionnaires individuels. Il

propose un plan d'études pour décrire complètement un individu,

analogue aux questionnaires de M. Bourneville, en usage à Bicêlre

pour l'examen des idiots. Le professeur M. Lange, d'Odessa, insiste

sur une loi de la perception. Ce phénomène passerait par divers mo-

ments successifs avantd'êtrecomplet. M. leprofesseur Ribota envoyé

une note résumant ses travaux récents sur les idées générales; le

Dr Newbold expose les caractères et les conditions les plus simples de

la croyance; leprofesseurBadwin,de l'université de Toronto cherche à

déterminer les rapports entre la suggestion et la volonté, il décrit la

suggestion comme un fait primitif dont la volonté ne serait que le

développement; M. le Dr Wallescheck lit une communication fort

curieuse sur une petite question d'esthétique qui se rattache de près à

la psychologie : l'effet de la sélection naturelle sur le développement

de la musique. Le Dv Gruber a communiqué au congrès ses nouvelles

recherches sur l'audition colorée. Enfin, le professeur Lloyd Morgan

montre les limites de l'intelligence animale, bornée aux opérations

mécaniques et inférieures.

2° Psychologie physiologique. - La recherche des localisations

cérébrales a été l'objet de communications très importantes qu'il il

sera nécessaire de connaître pour connaître pour discuter cette

question. Le professeur Ho rsley a montré les incertitudes qui existent

encore quand on cherche ci localiser avec précision les mouve-

51 CORRESPONDANCE.

ments et les sensations corrélatives. Le D'' W. B. Ransom a rapporté

une observation d'épilepsie jacksonienne et certaines expériences

dans lesquelles l'électrisation de l'écorce fut faite après la trépa-

nation. Les résultats de ces expériences, qui ont rarement pu être

faites sur l'homme ont été des plus nets pour la théorie des locali-

sations. Le Dr A.-D. Waller a lu un grand travail sur les fonctions

attribuées à l'écorce cérébrale : il insiste surtout sur le mélange et la

dépendance mutuelle des fonctions sensorielles et motrices, il veut

que le rôle de chaque point de l'écorce soit sensorio-moteur. Il est

curieux de remarquer que les études de psychologie expérimentale

sont souvent arrivées par une autre voie à une conclusion iden-

tique, c'est que les phénomènes de sensation et les phénomènes de

mouvement sont inséparables.

Le professeur A. Schefer rapporte ses recherches expérimentales

sur les fonctions des lobes préf ? ,o7îtaux. Si sans enlever les parties du

cerveau, on se contente de sectionner complètement les connexions

de ces lobes avec le reste de l'encéphale, on ne constate par la suite

aucun trouble appréciable dans l'attitude de l'animal.

Le D'' II. Doneldson présente la description du cerveau d'une

personne célèbre dans l'histoire de la psychologie, Laura Bridgmen,

aveugle, sourde et muette. Certains points de l'écorce étaient nota-

blement frappés d'atrophie, ils correspondent aux centres admis

pour les sens qui manquaient à la malade.

Le D'' S. E. Hanschen, d'Upsals, a étudié les voies suivies par les

impressions visuelles et le centre visuel, il localise ce centre avec

une grande précision dans l'écorce de la scissure calcarinc.

Le D'' H. Hebbinghaus, de Berlin, résume et discute les der-

nières études sur la théorie de la vision des couleurs; une dame,

Mra Ladd Francklin, présente une autre étude sur le même sujet.

Le D'' E.-B. Titcbener, de Leipsig, montre les effets binoculaires

d'excitations monoculaires. M. Binet a envoyé une courte note sur

les nerfs des ailes chez quelques insectes. Le Dr Verriest, de Louvain,

explique le rythme de certaines pensées et de certaines paroles et

le rattachent au fonctionnement rythmé de certains organes.

Je n'insisterai pas sur la psychologie mathématique, qui cherche à

imposer aux phénomènes de pensée l'ordre et la mesure numéri-

ques. Leprofesseur Hymens explique la loi de Wéber au phénomène

de l'inhibition des 7,ep ? -ésentatioizs, le Drlendelssohli, de Saint-Péters-

bourg applique une loi de Fechner, dite la loi parallèle, aux modi-

fications pathologiques de la sensibilité. Le professeur W. Tschisch,

de Dorpat, étudie le rapport entre l'étendue de la perception et le

temps de la réaction. Le Dr A. Lehmann fait connaitre les résultats

de ses recherches expérimentales sur le rapport entre la respiration

et l'attention. Le professeur H. Umensterberg expose quelques expé-

riences sur les modifications des mouvements dans les émotions. Citons

également le travail du professeur M. Preyer (d'Iéna), sur l'ori-

CORRESPONDANCE. 513

gine des notions de nombre et l'étude du Dr Lightner sur La valeur

esthétique des proportions mathématiques des figures simples.

4° Psychologie pathologique, psychiatrie. M. Lombroso a en-

voyé au congrès une étude sur la sensibilité des femmes, normales,

aliénées et criminelles, le D'' Goldscheider, des recherches sur le

sens musculaire des aveugles; le Dr Bernheim a lu une étude sur

l'amaurose unilatérale des hystériques. M. F. W. Myers, l'un des

membres lesplus actifs de la Société des recherches psychiques et l'un

des organisateurs du congrès, a décrit un phénomène assez curieux,

que je considère comme un trouble de l'attention. Certaines per-

sonnes ne peuvent fixer longtemps une surface éclairée et brillante

sans voir une véritable hallucination visuelle se dessiner sur la sur-

face vide qu'elles regardent. C'est là un phénomène analogue à

l'écriture automatique, des médiums et il peut servir de la même

manière à pénétrer plus profondément dans l'analyse de certains phé-

nomènes subconscients dont le sujet lui-même ne se rend pas compte.

Les hallucinations naturelles ont été l'objet, en Angleterre, d'un

grand travail. La' Société des recherches psychiques a entrepris

depuis qùelques années de dresser une statistique des hallucinations,

en notant le nombre des hallucinés que l'on pouvait rencontrer

parmi les personnes saines ou prétendues telles. Plus de 17.000 ré-

ponses ont été dépouillées et les résultats de ce long travail ont été

présentés au congrès par M. Sidgwick et par M. Marinier. 9,9 sur

100 personnes seulement ont donné une réponse affirmative. En un

mot, cette enquête a fourni une riche collectien de matériaux qu'il

sera nécessaire d'utiliser pour l'étude des hallucinations mais qu'il

faudra savoir interpréter. .

- M. Liégeois a présenté une étude médico-légale sur M ? Weiss,

l'empoisonneuse d'Aïn-Fezza.- M. Hihig a montré comment dans

bien des cas les attaques naturelles de sommeil peuvent être modi-

fiées puis supprimées par la suggestion hypnotique. MM. Liébault

et Liégeois ont raconté l'histoire d'une monomanie du suicide gué-

rie par suggestion pendant le sommeil provoqué. M. Bérillon a

exposé les applications de la suggestion hypnotique à l'éducation et

M. Van Eeden a parlé de la théorie de la psycho-thérapeutique d'une

manière plus générale. Enfin, j'ai présenté moi-même au Congrès

une étude sur quelques cas d'annésie antérograde dans la maladie

de la désagrégation psychologique.

La psychologie transcendantale, comme disait justement M, Ch.

Richet, a tenu peu de place dans les discussions du Congrès; il

serait injuste cependant d'oublier ces spéculations un peu aven-

tureuses peut-être qui cherchent à ouvrir des voies nouvelles pour

les recherches futures. M. Delbeuf nous parle d'une faculté inconnue

d'apprécier le temps qui existerait chez les somnambules et MM. H.

Sedgwick nous a rapporté les résultats des dernières recherches

sur la suggestion mentale.

Archives, t. XXIV. 33

514 BIBLIOGRAPHIE.

Ces indications, si incomplètes, indiquent seulement le nombre

et la variété des travaux qui ont été présentés au Congrès et peu-

vent encourager quelques chercheurs à lire les travaux eux-mêmes

dont beaucoup sont indispensables à connaître pour suivre les

progrès de la psychologie expérimentale. Pierre JANET.

BIBLIOGRAPHIE

XII. Du mal perforant; par le Dr H. BERNARD, (Extrait du Bulletin

de la Société scientifique et médicale de l'Ouest, Rennes, 1892.)

L'auteur trace successivement, guidé par une heureuse sélection

qui le fait ne tenir compte que des données les mieux établies par

ses devanciers, l'historique, l'anatomie pathologique, la sympto-

matologie et l'étiologie du mal perforant. Il lui reconnaît deux

grandes causes au point de vue pathogénique : les dégénérations

nerveuses et la compression mécanique. Ce sont là, à son avis, les

processus qui, combinés à doses variables, méritent d'être rendus

responsables de l'apparition du mal. Un nombre respectable d'oh-

servations personnelles et originales, donnent aux opinions très

judicieuses qu'il est conduit à émettre une importance incontes-

table. Il s'agit en somme là d'une excellente monographie du mal

perforant, très digne du prix Portal que lui a décerné l'Acadé-

mie de médecine, et qui sera consultée avec fruit par les observa-

teurs qui s'intéressent à celte question. Paul BLOCQ.

XIII. Thérapeutique psychique ou Traitement par l'hypnotisme et la

suggestion; par C. LLYOD TUCKEY, traduit de l'anglais par

J.-P. DAVID. (Paris, 1893. Société d'éditions scientifiques.)

Ce petit livre est gracieusement dédié au DrLiébeault (de Nancy), en

admiration de son génie. Dans l'esprit de son auteur il est destiné à

vulgariser la thérapeutique suggestive dans la pratique de nos con-

frères anglais, en en donnant la technique et les indications. A

cet égard il nous parait parfaitement remplir le but auquel il est

destiné ; mais en France nous possédons semble-t-il des livres ana-

logues en nombre suffisant, pour qu'il nous paraisse que cette

traduction soit au moins superflue. Ce n'est pas que nous ne lui

reconnaissions certaines qualités, l'enthousiasme et la foi, bien

que celles-ci soient plutôt celles d'oeuvres de propagande, que d'ou-

vrages scientifiques, mais nous n'y trouvons rien que nous aient

répété maintes fois les hypnotiseurs de Nancy. Paul Btocg.

FAITS DIVERS

Asiles d'aliénés. - Nominations et mutations. - JI. le D1' Calés,

directeur médecin de l'asile d'aliénés de Bordeaux, est promu à la

classe exceptionnelle. - M. le D'' llfonnnEx, médecin en chef de

l'asile du Mans, est promu à la classe exceptionnelle (arrêté du

1 CI' septembre). - M. le D1' Germa, médecin adjoint à l'asile Saint-

Yon, est nommé directeur médecin à l'asile Saint-Luc en rem-

placement de M. le Dr Reverchon, retraité. - M. le Dr PICIIENAUD,

médecin adjoint de l'asile d'Auxerre, est nommé médecin en chef

de l'asile de Montdevergues, en remplacement de M. le Dr CAM-

pagne, retraité (arrêté du 16 septembre). M. le Dr GILBERT-

hI9RTIN, médecin adjoint de l'asile d'Alençon, est nommé en la

même qualité à Saint-Gemmes, en remplacement de M. le DrTou-

LOUSE, non acceptant (arrêté du 27 septembre). M. le Dr Tou-

Lause, médecin adjoint à l'asile Saint-Yon est maintenu dans la

deuxième classe (arrêté du 30 septembre). - M. le De ViGoUROUX,

est nommé médecin adjoint à l'asile d'Evreux, en remplacement

de M. le Dr Marie, nommé à Odin-sur-Orou.-111. le Dr LEvoFF est

nommé médecin adjoint à l'asile d'Auxerre en remplacement de

M. le D1' PICUEnaun, nommé à MontdeVergues (arrêté du 31 oc-

tobre).-111. le Dr ANGUDE, interne à l'asile de Bordeaux, est nom-

mé médecin adjoint à Bazas, en remplacement de M. le D'' pAREL,

décédé, (arrêté du il novembre).

Asiles d'aliénés DE la SEINE. - Par arrêté ministériel, en date

du 30 août 1892, rendu sur la proposition du directeur de l'Assis-

tance et de l'Hygiène publique : M. le Dr MARANDON DE hfOhTYEL,

médecin en chef à l'asile d'aliénés de Ville-Evrard, est promu à la

classe exceptionnelle du cadre. Cette décision recevra son effet à

partir du 1cr juillet 1892, M. MARANDON DE MONTYEL recevra, en

conséquence, à partir de la date ci-dessus, outre les avantages en

nature dans l'établissement qui lui ont été précédemment accor-

dés, le traitement de 8,000 francs déterminé par le décret du

4 février 1875.

Par arrêté ministériel, en date du 30 août 1892, rendu sur la pro-

position du directeur de l'Assistance et de l'Hygiène publiques :

M. le Dr DAGONET, médecin-adjoint à l'asile d'aliénés de Sainte-

Anne, est promu à la classe exceptionnelle du cadre. Cette décision

recevra son effet à partir du 1er juillet 1892. M. le Dr Dagonet

516 FAITS DIVERS.

recevra, en conséquence, à partir de la date ci-dessus, outre les

avantages en nature dans l'établissement qui lui ont été précé-

demment accordés, le traitement de 4,000 francs déterminé par

le décret du 4 février 1875.

Par arrêté ministériel, en date du 30 août 1892, rendu sur le

rapport du directeur de l'Assistance et de l'Hygiène publiques,

M. BALET, directeur de l'asile public d'aliénés de Ville-Evrard, est

promu à la deuxième classe du cadre. Cette décision recevra son

effet du i juillet 1892. M. BALET recevra en conséquence, à par-

tir de la date ci-dessus, outre les avantages en nature dans l'éta-

blissement, qui lui ont été précédemment accordés, le traitement

de 6000 francs déterminé par les décrets de 5 juin 1803 et 4 février

1875. .

Maison nationale DE CUARENTON.- Un concours pour l'internat

en médecine aura lieu le 5 décembre prochain.

Asile SAINT-YON (Seine-Inférieure), - Une place d'interne en

médecine est vacante à l'asile d'aliénés de Saint-Yon, près Rouen.

Les candidats doivent produire un certificat de scolarité. Aux

termes du règlement, on exige dix inscriptions et vingt et un ans

d'âge. Les internes sont nommés pour trois ans et leur traitement

est de 700 francs la première année, 800 la deuxième et 900 la

troisième. Ils sont logés et nourris à l'asile. Il y a trois in-

ternes à l'asile Saint-Yon (femmes), et deux à l'asile Quatre-

Mares (hommes). Etablissement limitrophe.

NÉCROLOGIE.- M. le D' DAHNARDT, privat-docent de neurologie à

- la faculté de médecine de Kiel. M. le Dr PARET (Louis), médecin

adjoint de l'asile de Bassens. M. le Dr ONANOFF, vient de suc-

comber, à Varsovie, d'une attaque de choléra. M. Onanoff, qui a

longtemps travaillé à la Salpêtrière, était bien connu des neuro-

pathologistes tant français qu'étrangers. On lui doit un certain

nombre de travaux importants parmi lesquels nous trouverons à

' citer des recherches sur la déformation du crâne chez les myopa-

thiques (en collabaration avec M. Pierre Marie), sur le rapport qui

existe entre le développement des muscles et leur envahissement par

l'atrophie myopathique (en collaboration avec M. BABINSKI; le réflexe

bulbo-caverneux; etc., etc. Cette perte est vivement ressentie en

particulier à la Salpêtrière, où M. Onanoff ne s'était fait que des

amis. Georges GonvoN et J.-B. CHARCOT.

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

BLOCQ (P.). Les troubles de la marche dans les maladies nerveuses.

Volume m-12, cartonné de 176 pages, avec 21 figures. Bibliothèque

CHARCOT DEBOVE. Rueff, éditeur. - Prix : 3 fr. 50.

BOURNEVILLE. - Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie,

l'hystérie et l'idiotie. Compte rendu du service des enfants idiots épilep-

tiques et arriérés de Bicêtre pendant l'année 1890, avec la collaboration

de MM. CAMESCASSE, ISCH-WALL, MORAX, RAOULT, SÉGLAS et SOLLIER,

1 fort volume de Lx-240 pages, avec 16 figures et 10 planches. Tome XI

de la série.- Prix : 6 fr.; pour nos abonnés, prix : 4 fr. Aux bureaux

du Progrès médical.

BoURNEvILLE. Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'hystérie

et l'idiotie. Compte rendu du service des enfants idiots, épileptiques et

arriérés de Bicêtre pendant l'année 1891, avec la collaboration de

MM. BANZET, ISCH-WALL, RAOULT, R. SonEL et P. SGLLIER. Volume in-8°

de cvm-144 pages, avec 2 planches et 13 figures. Tome XII de la sé-

rie. - Prix : 5 fr. pour nos abonnés, 3 fr. 50. Aux bureaux du Progrès

médical.

CnAPMAN (J.). Résumé d'une communication sur l'origine nerveuse

des maladies et de leur traitement efficace par l'action directe sur le sys-

tème nerveux, faite à l'Académie de médecme de Paris, le 14 juin 1892.

Brochure in-8° de 16 pages. Paris, 1892. - Asselin et Houzeau.

1 CHAroAV (J.). - Le traitement efficace de la diarrhée et du choléra.

Brochure in-8" de 4 pages. Paris, 1892. - Chez l'auteur, 31, avenue

de l'Opéra.

CHAPMAN (J.). L'origine nerveuse des maladies et leur traitement effi-

cace par l'action directe sur le système nerveux. Brochure in-8° de

16 pages. - Paris, 1892. Asselin et Houzeau.

CHARCOT (J.-M.). Leçons du mardi à la Salpêtrière. Notes de cours de

MM. BLIN, CHARCOT et Colin, Seconde édition, 1 vol. in-4° de 502 pages,

avec 101 figures. - Prix : 20 fr. Paris, 1892. Aux bureaux du

Progrès médical. Pour les abonnés des Archives, 16 fr.

CHARCOT (J.-M.). - Clinique des maladies du système nerveux de la

Salpêtrière. Leçons du professeur, mémoires, notes et observations des

années scolaires 1889-90 et 1890-91, publiés sous la direction de Georges

Guignon, chef de clinique, avec la collaboration de MM. GILLES DE la

TOURETTE, BLOCQ, HUET, PAREfENTIER, SOUQUES, HALLION, J.-B. CHARCOT et

MEIGE. Tome Il'. Un beau volume de 468 pages, avec 47 figures et

3 planches. - Prix : 12 fr. Aux bureaux du Progrès médical. Pour

les abonnés des Archives, 8 fr.

COLELLA (R.) ? La atterazioni dei nervi periferici nella paralisi gene-

rale progressiva in rapporto con i loro nuclei centrait di origine. Vo-

lume il-41 de 88 pages, avec une planche hors texte. Napoli, 1891.

Tipografica A. Tocco e C°.

GOLELLA (R.). - La paralisi spinale atro fzca infantile in rapporta con i

centri cortzcali motori del cervello e con i movimenti associait. Brochure

de 78 pages, avec 4 planches hors texte. Napoli, 1889 ? Tipografico

lVicola Joven e G°.

518 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

COLELLA (R.). Contributa alla filosofia'dei lobri pre-fronlali del cer-

vello e alla chirurgia cérébrale. Volume in-8° de 118 pages, avec

2 planches hors texte. - Napoli, 1890. - Tipografico dell' Unione.

COLELLA (R.). Sulla degenerazione e sulla reginerazione dei ganglii

del sislenza nervoso simpatico. (Nota I)reve ? ztiva). Brochure in-8° de 22 pages,

avec une planche hors texte. Napoli, 1891. - Detken editore.

COLELLA (R.) e STANZIALE (R.). Ricerche islologiche e batlerioscopiche

sul sislema nervoso centrale periferico nella lepra. Brochure in-8° de

43 pages, avec une planche hors-texte. - Napoli, 1890. Tipografico

A. Tocco.

CULLEIiRE (A.). De la transfusion nerveuse chez les aliénés. Brochure

n-8° de 15 pages. - Paris, 1892. Typographie A. Davy.

DERVILLE et GuEHMONpREz. Sarcome à petites cellules de l'avant-bras

droit. Brochure in-8° de 4 pages. Lille, 1892. Librairie Quarré.

DEItVILLE et GOERMOKPREZ. Papillome des raflinettrs de pétrole. Deux

brochures in-8° de 38 pages. Lille, 1892. Librairie Quarré.

GEASSET et Castor. - Un cas de pseudo-tabès post-iiifectieux. - Para-

lysie symétrique post-êrisypèlateuse du tibial antérieur. Brochure in-8° de

27 pages.- Montpellier, 1892. -Typographie et lithographie Ch. Bochm.

Grasset et GUIBEAT (H.). - Un cas de maladie de Morvan. Brochure

in-8° de 26 pages. Paris, 1892. G. Masson.

Grasset et C1STAN. - Des associations hystéro-orgauiques. Un cas de

sclérose en plaques et hystérie associées avec autopsie. Brochure in-8° de

28 pages, avec deux planches hors texte. ilontpellier, 1892. - Typo-

graphie Ch. Bochm.

GUEn110NPItEZ. - Autoplastie de la main par desossement d'un doigt.

Brochure in-8° de 10 planches. - Lille, 1892. Librairie Quarré.

Gh'ERvoxpREZ. Un cas de suture du poumon. Brochure in-8° de 7 pages,

avec 2 figures. - Lille. 1892. - Librairie Quarré.

GuERMoxpREz. Gangrène du pouce. (Amputation partielle, résultats.)

Brochure in-8° de 4 pages. Lille, 1892. -- Quarré.

Guermonprez. -Note complémentaire sur l'usage chirurgical du crin

de Florence. Brochure in-8° de G pages. Lille, 1892. Quarré.

GuERMOKpREZ. Luxation mélacarpo-phalan,gienne du pouce droit en

arrière, réduction très laborieuse. Brochure in-8° de 15 pages, avec 12 fi-

gures. - Lille, 1892. - L. Quarré.

GUER.10 ? PREZ. - Résection partielle des deux os de l'avant-bras droit

après les traumatismes graves limités aux parties molles. Brochure in-8'

de 36 pages, avec 31 figures. - Lille, 1891, L. Quarré.

GL'EtntOKpREz. Une erreur de sexe avec ses conséquences. Brochure

in-8° de 32 pages, avec 7 figures. Lille, 1892. - L. Quarré.

. GUERMONPREZ et AZiGIEn. - L'actinonycose en Flandre. Brochure in-8°

de 26 pages, avec 4 figures et une planche. Lille, 1892. - L. Quarré.

GUERMOXPREZ et CoCHERIL. Deux opérations d'épithélioma au pavil-

lon de l'oreille suivies d'autoplastie. Brochure in-8° de 11 pages, avec

7 figures. Lille. 1892. L. Quarré.

GIJERAIOPnEZ et DUVAII. Hystérectomie abdominale totale. Brochure

in-8° de 36 pages. Lille, 1892. L. Quarré

GuERMoNpnrz. - De l'abus de l'opération de Battey ou de Tait. liro-

chure in-8° de 6 pages. Lille, 1892. L. Quarré.

. Le rédacteur-gérant, Bournevilie.

TABLE DES MATIÈRES

Aliénés, Société de patronage des

- , 142, 145; - suicide d'une -,

150; - Il - de la rue Etienne

martel, 151.

Amblyopie, transitoire, par Anto-

nelli, 201, 423; - toxique avec

paralysie progressive chronique

des muscles des yeux, par Boe-

deker, 276..

Amnésie hystérique, par P. Janet,

29.

Anthropologie criminelle, par Morel

et Kurella, 485.

Anxiété neurasthénique, par Sté-

fani, 67.

Aphasie, sensorielle transcorticalé,

par Pick, 79; - sensorielle, par

Adler, 82; - état actuel de la

question de l' -, par Moeli et

Wernicke, 116; - dans la para-

lysie progressive, par Ascher,

497.

Arriérés, enfants, par Bourneville,

148.

Asiles, mutations dans les - d'a-

liénés, 157, 362; - pour les épi-

leptiques et les idiots, 157 ; -

d'aliénés de la Seine, 363.

Assistance, des infirmes de l'intel-

ligence, par Gauster, 88; - judi-

ciaire des aliénés en Autriche,

par Svetlin, 90, Boeck, 95; des

épileptiques, par Wiidermuth et

Lcehr, 109; des idiots et im-

béciles, 152; - des idiots et des

épileptiques, 364; des aliénés

en france, par Iluberty, 495.

Atrophie musculaire, progressive,

par Both, 129;- spinale progres-

sive, par Alzheimer, 266; - pré-

coce chez un héII11plégiqne, par

Darkschevitch, 269; - arthropa-

thique, par Darkschevitch, 275;

- combinée au tabes, par Jolly,

498.

Automatisme ambulatoire, chez un

dipsomane, par Souques, 61 ; -

dans l'hystérie, par Séglas, 321.

Bibliographie : Mémorrhagie, ramol-

lissement du cerveau, hypno-

tisme, par Charcot, 136; - Epi-

tome des maladies mentales, par

J. Shaw, 137 ; Leçons du mardi,

par Charcot, 138; -Clinique des

maladies du système nerveux,

par Charcot, 139; - Troubles du

langage chez les aliénés, par

Séglas, 140; Syphilis du sys-

tème nerveux, par Gajkiewicz,

141 ; Oblitération des sutures

du crâne chez les idiots, par

Tacquet, 356; - Un mot sur

Laënnec, par Guermonprez, 357;

- 'Troubles de la mémoire, par

Sollier, 357; - Leçons sur les

maladies de la moelle, par P. Ma-

rie, 359.

Bulletin bibliographique, 159.

CELLULES nerveuses, dans le seg-

ment le plus inférieur du canal

vertébral, par Hoche, 262.

CENTRES COIITICO-h[01'EURS, expé-

riences sur les - après ligature

des uretères, par Spanbock, 259.

Cerveau, rapport du poids du à

celui du corps, par Snell, 265;-

photographie combinée du crâne

et du -, par Sommer, 269.

Cervelet, Etat somniforme après

l'ablation du -, par IJorgl.erim,

259.

Champ visuel, des épileptiques et

des criminels congénitaux, par

Ottolenghi, 68.

Chorée héréditaire, par Remak,

275, Jolly, Remak, Senator, op-

penheim, 500.

Circonvolutions CIinÉBH9LES, genèse

des , par Jelgersma, 257.

520 TABLE DES MATIÈRES.

Clitoridectomie , pour nympho-

manie, 158.

Collapsus, injection de chlorure

de sodium dans le -, par Merc-

klin, 74.

COLONIES d'aliénés, par Riu, Chris-

tian, Bourneville, 297.

Confusion mentale primitive, par

Chaslin, 322.

Congrès, austro-hongrois de la

Société de psychiatrie et de psy-

chologie médico-légale de Vienne,

87; - annuel des aliénistes alle-

mands, 101 ; des aliénistes

français,147, 280;- de la société

psychiatrique de la province du

Rhin, 493.

CORPS étrangers, moyen pour en- 1

lever les - du tube digestif, par 1

Jastrowitz, 101.

CRANiECTOMiE dans la microcéphalie,

par Bourneville, 330, L. Lane,

331, Keen, 332, 339, Wieth, 337,

Bansohoff,347, Mac Clintock,350,

IIager Agnew, 351.

Criminalité, et responsabilité, par

Pelman, Mendel, 102, Clark, 483 ;

théorie de la-,par Morroson,

r78.

DÉGÉNÉRÉS, aliénation mentale chez

les -, par Dagonet, 480.

Dipsomane, automatisme ambula-

toire chez un -, par Souques,

61.

Dipsomanie, et responsabilité, par

Roller et Jolly,105; - par Mendel,

106.

DUBOISINE, chez les aliénés, par

Keiminger, Lewald,75, Lallemant,

325.

DYSLEXIE, par Pick, 80.

Écorce cérébrale, excision de Il-,

par Burckhardt, 488.

ELECTRICITÉ statique, effet de l'-

sur les nerfs et les muscles chez

le malade et le sujet sain, par

Bernhardt, 504.

ELECTROPHTHALMIE, par Noiszenski,

258.

Energies spécifiques, par Meynert,

99.

EPILEPSIE, ancienne traumatique

avec trépanation, par Maunoury

et Camuset, 55; traumatique,

par Bobrow, 128; - d'origine

gastrique, par Proust, 320 ; -

traitement de l ? par le bro-

mure de strontium, par Deny,

324.

Epileptiques, champ visuel des ,

par Ottolenghi, 68; - assistance

des -, par Wildermuth et Loehr,

109; toxicité urinaire chez les

- , par J. Voisin et Péron, 178.

Folie, drames dé la -, 151.

FOLIE, à deux, par Nolau, 68.

Folie gémellaire, par Ostermayer,

75.

Folie systématique et obsession,

par Mercklin, 69.

GOITRE EXOPHTHAL311QT7E, troubles

délirants dans le , par Ray-

mond, 312; anatomie patholo-

gique du -, par Mendel, 506.

Hallucinations sensorielles, par No-

lau, Klincke, 68.

HÉMiANOPSiE, bilatérale d'origine

centrale, par Graenouw; - bila-

térale inférieure, par Hoche, 279.

Hémiplégie consécutive à l'intoxi-

cation oxycarbonique, par PopoIT,

78.

Hydrocéphalie , ponctions capil-

laires dans l ? par Giraldès,

131 ; paracentèse des ventri-

cules, par Spencer Smith, 132;

- ponction par Unverricht, 132;

- trépanation et drainage, par

Broca, 132; trépanation et

ponction lombaire, par Quincke,

133; - trépanation, par Ilayès,

Agnew, 133; - craniectomie,

ponction et drainage, par Phocas,

134; - trépanation, drainage,

par Audry, 135.

Hydromyélie et syringomyélie, par

Schaffer et Preisz, 278.

IIYOSCI ! OE, chez les aliénés chro-

niques, par lVeecke, 487.

Hypnotisme, utilisation de l'- dans

les asiles d'aliénés, par Bins-

wanger, 120; et droit, par

Cullerre, 477.

HYSTÉRIE, diagnostic différentiel

entre l'- et les affections orga-

niques du cerveau, par Ghilar-

ducci, 387.

Hystérique, amnésie-, par J. Janet,

29 ; température élevée chez

une -, 271; - états de sommeil

- , par Loewenfeld, 279; auto-

TABLE DES MATIÈRES. 521

matisme , par Séglas, 321;

suggestion chez les -, par P. Ja-

net, 448; - syndrome -, simu-

lateur de sclérose en plaques,

par Cochez, 470.

IDIOTIE, traitement chirurgical et

médico-pédagogique, par Bour-

neville, 316.

Impulsion pathologique, parFritsch,

99.

Incendiaire (folie), par Baker, 478.

Influenza, psychoses consécutives

à Il -, par Krypiakiowicz. 72 ; -

psychoses de Il -, par Kéru, 73.

KATATOMIE, par Serbsky, 73.

Lacrymale (sécrétion), centres cé-

rébraux de la -, par Bechterew

et Mislanski, 263.

LECTURE, troubles de la -, par

Weissenberg, 76.

Localisations cérébrales, par Fer-

rier, 238.

Magnétisme, 365.

Médecins, femmes américaines, 361 ;

- d'asiles à la Nouvelle-Zélande,

361.

Médico-légal (cas), par Andrews,

483.

lIIÉTHYLAL chez les aliénés, par Ma-

randon de Montyel, 486.

1\IICROCÉPHALIE (voir Craniectomie,

Trépanation).

Moelle, réduplication et hétéro-

topie partielles de la -, par Ja-

cobson, 261 ; altérations expé-

rimentales des cornes antérieures

de la chez le lapin, par Nissl,

494.

Myélite, altération des cellules

dans la-aiguë, par Friedmann,

260; Oppenheim, 503 ; - chro-

nique, par Leyden, 508.

NÉCROLOGIE, Meynert, 158.

Négations (délire des), par Camuset,

280; Régis, 284; Séglas, 286;

Falret,290.

NERFS, dégénérescence des nerfs

périphériques, par Kronthal, 498.

Neurasthénique, anxiété par Sté-

fani, 67.

NÉVRITE multiloculaire, par Brasch,

264.

NÉVROSES traumatiques, par Oppen-

hein, 498.

Noyau lenticulaire, lésions en foyer

du , par Kébold, 285,

Nymphomanie ET Clitoridectomie,

158.

Obsessions et folie systématique,

par Mercklin, 67.

ON0lfA'rOivIANIE, par Charcot et Ma-

gnan, 1, 161, 369.

Oputhalmoplégie externe polyné-

vritique, par Rossolino, 80.

OPTIQUE, racine médiane du nerf

chez les oiseaux, par Perlia,

363; -entrecroisement des nerfs

chez l'homme, par Hebold,

496.

OXYCARBONIQUE, hémiplégie consé-

cutive à l'intoxication -, par

Popoff, 78. -

Paralysie générale, à forme circu-

laire, par Rottenbiller, 72; -

troubles de la parole par accès

dans la par Koenig, 100; -

aiguë, par Zacher, 275; JolTroy,

313;-et tabes, par Pierret, 314;

- vraie consécutive à une encé-

phalopathie saturnine, par Val-

Ion, 315; - chlorure d'or et de

sodium dans la , par Boubila,

IIadjès et Lossa, 487; lésions

en foyer dans la-, par Brie, 495;

- aphasie dans la-,par Ascher,

497.

Paralysie générale spinale diffuse

subaiguë de Duchenne, est elle

un type distinct, par Leroy, 18.

Paralysie BULBAIRE avec sclérose

latérale amyotrophique, par Kron-

thal. 260.

Paralysie de Brown-Séquard, par

Kiver, 274; - des tambours, par

Bruns, 80; - infantile spinale,

par Siemerling, 505; - agitante

et tabes, par Placzek, 506; -

faciale périphérique, par Gold-

flam, 275 ; -bilatérale du grand

dentelé, par Sperling, 503; -

ostéomalanique, par Koeppen,

280.

PARA3fYCLONUS MULTIPLES, par IIomen,

83.

Parole (troubles de la) insuffi-

sance des localisations pour ex-

pliquer les , par Sommer, 118.

PERSÉCUTEURS (aliénés), responsa-

biiité légale et séquestration des

, par Coutagne, 479.

Persécutions, idées de - chez les

522 TABLE. DES MATIÈRES.

hypochondriaques ou mélanco-

liques, par G. Ballet, 308.

Poison de l'intelligence, par Le-

grain, 267.

Polarisation des electrodes en élec-

trothérapie, par Marchando, 74.

POLIOENCÉPHALITE avec poliomyélite,

par Godflam, 8; par Schaffer,

271.

Prix Belhomme, 84; Esquirol,

Moreau de Tours, Aubanel, 330;

Baillarger, 364.

Protubérance, lésions en foyer de

la, par Markowski, 264.

PSYCHOSES POLYNÉVRITIQUES, par Kor-

sakoff et Serbski, 71; - Consé-

tives à l'influenza, par Krypia-

kewicz, 72; - transmission des

, par Schlmss, 73 ; éléments

somatiques des aiguës, par

Wagner, 87.

PTROMAl'OE, rapport médico-légal sur

un devenu homicide, par Gar-

nier, 85. '

QUEUE de cheval, compression de

la -, par Laquer, 8

Responsabilité et criminalité, par

Pelman, 102; Mendel, 104; et

dipsomanie, par Roller et Jolly,

105; morale et pénale devant

l'expertise médico-légale, par

Semai, 484.

SCLÉROSE latérale AIIYOTROPIIlQUEpar

Muratoff, 259; - paralysie bul-

baire avec -, par Kronthal, 260.

SCLÉROSE EN plaques, cérébro spi-

nalechez l'enfant, par Nolda, 276;

Syndrome hystérique simula-

teur de -, par Cochez, 470.

Secret médical, par Thivet, 293.

Sens musculaire (troubles du), par

Auton, 98.

SENS génital (inversion du), par

Lew in, 502.

Séquestration multiples, aliénés à

, par Marandon de Montyel,

490.

Simulation d'aliénation mentale,

par Leppmann, 100.

SOCIÉTÉS : médico-psychologique,

84, 330, 490; - psychiatrique de

Berlin, 100, 496 ; - de psychiâ-

trie et de psychologie médico-

légale de Vienne, 98;- des mé-

decins neurologistes et aliénistes

de Moscou, 127; - de psychia-

trie et des maladies nerveuses de

Berlin, 498,-d'hypmologie, 364.

SOCIÉTÉ DE patronage des aliénes,

- 142, 147.

Sommeil HYSTÉRIQUE, par Loewenfeld,

279.

Sominforme (état), chez les animaux

après l'ablation du cervelet, par

Borgherini, 259.

Suggestion chez les hystériques,

par Janet, 448; au point de

vue médico-légal, par Deventer,

485.

Syphilis, et tabes, par Minar, 128 ;

affections cérébrales produites

par la congénitale, par Erlen-

meyer, 274; lésions artérielles

dans la , par Brasch, 503; -

du système nerveux central, par

(Ebeke, 277.

Système NERVEUX central, coloration

du, - par Ziehen, 261.

Tabès dorsal, anatomie patholo-

gique du - par Mayer, 99; -

combiné à l'atrophie musculaire,

par Jolly, 498; Bernhardt,-503;-

et paralysie agitante, par Plac-

zeck, 506; - et syphilis, par Mi-

nar, 128 ; traumatique, par

Ilinz, 271.

TIIYNAIÉTINE, par Jolly, 500.

Tics convulsifs, maladies des -

avec mouvements par obsession,

par lioubinovitch, 492.

Topothermoesthlsie, par Mois-

zewski, 266.

Torticolis, asymétrie du crâne

dans le -, par Kurella, 264.

Toxicité urinaire chez les épilep-

tiques, par Voisin et Péron, 178.

Tremblement juvénile héréditaire,

par Nagy, 79.

Trépanation, pour épilepsie an-

cienne traumatique, par Mau-

noury et Camuset, 55; - pour

microcéphalie, par liages Agnew,

351 ; pour tumeur cérébrale,

par liages Agnew, 272.

Tumeur cérébrale, troubles vi-

suels par -, par Hichsberg, 83,

par Christian, 84.

Uretères, expériences sur les cen-

tres cortico-moteurs après la li-

gature des-, par Spaulock, 259.

VENTRICULE, fibres du plancher du

TABLE DES AUTEURS ET DES (COLLABORATEURS.

3° par Darkschevitch et Ri-

bytkow, 263.

Yeux, paralysie progressive des

muscles des-chez un tabétique,

par Boedeker, 499.

TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS.

Adler, 82.

Algheimer, 266.

Andrews, 483.

Anton, 98.

Antonelli, 201, 423.

Ascher, 497.

Audry, 135.

Baker, 478.

Ballet, 308.

Bechterew, 263.

Bernhardt, 503, 504.

Binswanger, 120.

Blin, 267, 478, 480, 482,

483, 484, 487.

Blocq, 140, 142, 358,

360.

Bobrow, 128.

Boedeker, 278, 499.

Borgherini, 259.

Boubila, 487.

Bourneville, 136, 148,

150,152,297,31G,330.

Brasch, 264, 503.

Briand, 87, 330, 493.

Brie, 495.

Broca, 132.

Bruns, 80.

Burckhardt, 488.

Camuset, 55, 281.

Charcot, 1, 136, 138,

139, 161.

Charcot (J : B.),158, 367,

516.

Chaslin, 322.

Christian, 84, 297.

Clark, 483.

Clintoch (Mac), 350.

Cochez, 470.

Cossa, 487.

Coutagne, 479.

Cullerre, 477.

Dagonet, 480.

Darkschevitch, 127,

263, 269, 275.

Deny, 324, 485.

Deventer, 487.

Erlenmeyer, 274.

Falret, 290.

Ferrier, 238.

Friedmann, 260.

Fritsch, 99.

Garnier, 85.

Gauster, 88.

Ghilarducci, 387.

Gilles de la Tourette,

137.

Giraldès, 131.

Goldflam, 81, 275.

Groenouw, 276.

Guermonprez, 357.

Gumon (J.), 158, 367,

516.

Hadjès, 487.

Ilayès-Agnew, 133, 272,

351.

Hébold, 265, 496.

Hinze, 271.

llirschberg, 83. 503.

Hoche, 262, 279.

liomen, 83.

Huberty, 495.

Jacobson, 261.

Janet, 29, 448.

Jastrowitz, 101.

Jelgersma, 257.

Joirroy, 313.

Jolly, 105, 498, 500, 506.

Keen, 332.

Keininger, 75.

Kéraval, 68 à 84, 87 à

130, 138, 140, 258 à

267, 270 à 280, 485,

487, 489 à 509.

Kioev, 274.

dru, 73.

Klinke, 68.

Koenig, 100.

Koeppen, 280.

Korsakoff, 71.

Kronthal, 260, 498.

Krypiakewicz, 72.

Kurella, 271, 485.

Latlemant, 325.

Lane, 331.

Legrain, 267.

Leppmann, 100.

Leroy, 18.

Lewald, 75.

Lewin, 502.

Leyden, 508.

Loehr, 109.

Loewenfeld, 279.

Magnan, 1, 161.

Marandon de Montyel,

486, 490.

Marchando ,74.

Marie, 359.

Markowski, 264.

Maunoury, 55.

Mayer, 99.

Mendel, 104, 106, 506.

Mercklin, 69, 74.

Meynert, 99.

Minor, 128.

MisIawsld, 263.

Moeli, 116.

Morel, 485.

Morrison, 478.

luratoff, 229.

Musgrave Clay, 68, 478,

479.

Nagy, 79.

Nissl, 494.

S24 TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS.

Noecke, 487.

Noetel, 108.

Noiszenski, 258, 266.

N61au, 68.

Nolda, 276,

Oebeker, 277.

Oppenheim, 498, 501,

503.

Ostermayer, 71.

Ottolenghi, 68.

Pelman, 105.

Perlia, 263.

Péron, 178.

Pick, 79, 80.

Pierret, 314.

Phocas, 134.

Placzek, 506.

Popoff, 78.

Preisz, 278. ,

l'roust, 320. '

Quincke, 133.

Ransoholï, 347.

Raymond, 312.

Régis, 284.

Remak, 275, 500.

Ribytkow, 263.

Riu, 297.

Roller, 105.

Rossolimo, 80.

Roth, 129.

Rottenbiller, 72.

Roubinovitch, 492.

Rousselet, 357.

Schaffer, 271, 278.

Schloess, 73.

Séglas, 68, 138, 286, 320.

321.

Semai, 484.

Senator, 500.

Serbski, 71, 73.

Siemerling, 505.

Snell, 265.

Sollier, 139, 357.

Sommer, 118, 269.

Souques, 61.

Spanbock, 259.

Spencer Smith, 132.

Sperling, 503.

Stéfani, 67. '

Svethn, 90.

Taequet, 356.

'l'bivet, 293.

Unvterriebt, 132.

Vallon, 315.

Voisin, 178.

Wagner, 87.

\Veissenberg, 7G.

Wernicke, 116.

\\'ietb, 337.

Wildermuth, 109.

Zacher, 275.

Zichen, 261.

Zinn, 108.

EXPLICATION DE LA PLANCHE.

Fig. 1. Foyer de ramollissement jaune, occupant le pied de la

troisième circonvolution frontale gauche.

Fig.'2. Foyer de ramollissement plus récent, de l'hémisphère droit.

&vroux,Cti. IIÉRISSEY, Imp - B02