ARCHIVES
. DE
4
NEUROLOGIE
EVIIEUX, IJII'11111EIlIE DI; G 11.\ Il LES Il III S S E Y
ARCHIVES
D Ii
NEUROLOGIE
REVUE
DES MALADIES NERVEUSES ET MENTALES
- PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE '
J.-1%1. CIIARCOT
AVEC LA COLLABORATION DE
, h11. ANTONELLI, BABINSICI, BALLET, BOIX, IIL.\NC11AIID,
BLIN (E.), BLOCQ, BONNAIRE (E.), BOUCHEREAU,
BRIAND (11.), BB1SSAUD (E.), BROUAIIDEL (P.), CAMUSET, CATSAI(AS,
' CHARPENTIER, CIIASLIN, CHRISTIAN, DAUIIIAC (J.), DEBOVE (M.),
UELASIAUVE, DENY, D(ITIL, DUVAL (31ÀTIIIAS), FERR1EU. FRANCOTTE,
GIIII,ABULCCI. GILLES DE LA. TOURETTE, GOMBAULT, GRASSET, l'. JA\ET,
JOI'PBOY (A.), KERAVAL (I'.), 1.A\UOLZY, LEROY, MAGNAN, MARIE, MAUNOURY
111 : SNHT, bI7EEZEJEfVSICY, JIUSGRAVE-f.LAY, I'AItINAUU, 1'1'1101(, l'ILLlET,
l'IEItIiB'f, PITRES, 1'01'01'1', BAOULT. It : IY\IOVU (P.), LÉGNARD (A.),
IIEGNAHU (P.), HIC11EK (P.), 110U/lINOVITGII, 1101'11 (W.),
ROUSSELET (A.), SÉGLAS, SEGUIN (E.-C), SOLL1ER, SOHEL, SOUQUES,
SOUIIY (J.), TEINTURIER (E.), TIIULIÉ (IL), T1\OISIEII (E.),
VIGOlIROUX (1t.), VOISIN (J.), P. YVON.
Rédacteur en chef : BQUIIN¡¡VILLK
Secrétaires de la rédaction : J.-13. CIIARCOT FILS et G. GUÉNO.N
Dessinateur : LBUBA
Tome XXIV. - 1892.
Avec une planche et 6 figures dans le texte.
PARIS
f3UItGAUX DU PROGRÈS MÉDICAL
1 1., rue des Carmes.
1892
Vol. XXIV. Juillet 1892. N" 70.
ARCHIVES DE NEUROLOGIE
PATHOLOGIE MENTALE
DE L'ONOMATOMANIE (suite)'; )
Par MM. CIIARCOT et MAGNAN.
II. L'OBSESSION DU mot QUI S'IMPOSE ET L'IMPULSION
IRRÉSISTIBLE A LE RÉPÉTER.
Dans un précédent article nous nous étions occupés
de cet appétit irrésistible du nom ou du mot qui
pousse à la recherche angoissante, ne laissant du
repos qu'au moment où le mot retrouvé donne satis-
faction au centre cortical qui le réclame.
Il s'agit aujourd'hui d'un autre groupe d'onomato-
manes chez lesquels le mécanisme est tout autre. Loin
d'être absent, au lieu de fuir, le mot, au contraire,
s'impose, se place au premier plan dans le centre per-
ceptif dépositaire des images tonales et provoque par-
fois, sans nul retard, la décharge du centre moteur
d'articulation. L'éréthisme de ce centre est tel qu'il
échappe sinon au contrôle, du moins à l'influence
. Charcot et Magnai). De Vonomatomanie. (La première partie a
paru clans les Arch. de Neural., n° 19, sept. 1885, p. 157.)
Archives, t. XXIV. 1
2 PATHOLOGIE MENTALE.
modératrice des centres supérieurs. Si bien que le
mot obsédant s'impose, dans quelques cas, comme une
production parasitaire, en dehors du cours ordinaire
des idées et que le malheureux patient surpris, en
quelque sorte, non seulement le subit, mais est
poussé malgré ses efforts, à le projeter brusquement
au dehors...
Parfois, en effet, le malade parvient à réprimer
l'impulsion, se lève et se retirant dans un coin,
expulse, à voix basse, cette image verbale obsédante;
d'autres fois, plus fortement talonné, il détourne
brusquement la tête et laisse échapper le mot habi-
tuellement offensant pour l'interlocuteur ; dans quel-
ques circonstances, il parvient à étouffer le mot et à
n'émettre que quelques sons gutturaux; mais, d'autres
fois, l'impulsion est tellement rapide et imprévue que
s'intercalant brusquement dans la conversation, le
mot s'échappe avec l'irrésistibilité du tic, à la confu-
sion du malheureux patient, impuissant à le retenir.
Dans ce cas, l'image tonale est apparue d'emblée, sans
autre préparation, dans le centre psycho-moteur qui
l'expulse incontinent.
M. Gilles de la Tourette et l'un de nous avons eu
l'occasion de citer plusieurs cas dans lesquels les
paroles grossières s'associaient aux tics '. Ces deux
phénomènes, tics et coprolalie, coexistent parfois,
mais ils peuvent également se montrer isolément et
quelquefois aussi, ils sont associés à l'un ou à plu-
z Gilles de la Tourette. Etude sur une affection nerveuse caracté-
risée par de l'incoordination motrice accompagnée d'écholalie et de
coprolalie. Arch. de Neurol., net 25 et 26, janvier et mars 1885, p. 19
et 158.
Charcot,. - Tics et liqueurs. (Trib. méd., 25 novembre 1888.)
DE l'onomatomanie. 3
sieurs des autres syndromes; ils font, en réalité, cor-
tège à la folie héréditaire et n'en sont que des syn-
dromes épisodiques.
L'obsession n'est pas toujours représentée par un
seul mot, survenu spontanément ou recueilli dans le
cours d'une lecture ou d'une conversation, elle com-
prend parfois plusieurs mots, une phrase traduisant
une idée déterminée; mais que l'obsession émane,
comme dans ce dernier cas, de la région antérieure
ou du centre cortical postérieur, elle amène l'impul-
sion. Dans tous les cas, le calme et le soulagement
suivent l'émission du mot ou de la phrase. Chez tous
ces sujets la conscience reste entière. Sur trois de nos
malades, avec l'obsession du mot apparu en dehors du
cours des idées et l'impulsion à le répéter, se mon-
trent également les rires et les pleurs involontaires,
sans nul rapport avec l'état cénesthésique du sujet.
Observation VIII. Dégénérescence mentale. Alternatives d'excita-
tion et de dépression. Hallucinations, troubles de la sensibilité
générale, prédominance d'idées de persécution. Craintes du toucher.
Lavages réitérés. Rires et pleurs involontaires; coprolalie.
P..., femme L..., âgée de cinquante ans entre à l'asile clinique
(Sainte-Anne), le 30 octobre 1891.
La mère était nerveuse et paraît avoir eu la crainte du toucher,
elle se livrait, en effet, à des lavages réitérés ; un frère est mort t
paralytique général, et une cousine maternelle est actuellement en
traitement dans un asile pour de la mélancolie.
Mariée à trente ans, elle a toujours été bizarre et extravagante ;
dans son intérieur, elle était excessivement méticuleuse, d'une
propreté exagérée, se fâchait si le moindre meublé venait à être
dérangé, se lavait quinze fois les mains dans la journée avec du
citron et était couverte d'engelures l'hiver. Dans ses relations
sexuelles elle apportait les mêmes soins minutieux, au grand
désappointement du mari, obligé d'attendre la fin d'apprêts inu-
tiles et en tout cas fort inopportuns.
Elle a toujours eu de longues périodes de tristesse, alternant
4 PATHOLOGIE MENTALE.
parfois avec des phases d'expansion et de ga ! té. A quarante et un
ans, à la suite de la mort de son père elle a été prise de délire mé-
lancolique avec hallucinations et idées de persécution : on la
regardait avec mépris; on lui envoyait des chaleurs dans le bas-
ventre, on la poussait à la débauche : « Tu me céderas ou tu crè-
veras, » lui disait un de ses insulteurs imaginaires ? Cet accès néces-
sita un séjour de cinq mois à l'asile (1882).
Rentrée chez elle, elle reprit ses habitudes premières, tenant
bien son ménage, mais exagérant toujours les soins de propreté.
Au bout de quelques mois, les idées de persécution ont reparu
avec la même intensité. Elle prétendait qu'on lui enlevait les droits
dénature, qu'on l'empêchait d'uriner, d'aller à la garde-robe, qu'on
mettait obstacle aux relations maritales. Elle avait, en effet, un
peu de vaginisme. Elle entendait dire : « Tu feras ça avec moi et
non pas avec lui. On agissait sur elle par le spiritisme, la phy-
sique, le magnétisme : quand elle souffle le feu, celui-ci s'éteint
au lieu de s'allumer; sa lampe s'éteint aussi quoiqu'elle soit bien
garnie d'essence ; quand elle prend un lavement, l'eau jaillit jus-
qu'à son visage et c'est de l'air qui pénètre dans l'intestin. C'est
probablement la vengeance d'un individu qui lui avait fait des
propositions qu'elle a repoussées.
Très attristée, elle a manifesté à diverses reprises des idées de
suicide; d'autres fois exaspérée, elle brise les chaises ou frappe
avec un balai contre les murs pour faire cesser ses tourments.
Parfois, au contraire, elle est contente et sourit, ce sont des
Invisibles qui lui font des compliments, lui adressent des paroles
aimables, lui présentent des personnages, le comte de Paris, des
généraux, etc.
On la fait rire ou pleurer malgré elle : plusieurs fois, sur le pas-
sage d'un enterrement, on la force à rire au moment où elle fait
le signe de la croix ; d'autres fois au contraire on la fait pleurer
dans des moments où elle est au contraire gaie.
A plusieurs reprises, des mots grossiers, orduriers lui viennent
à l'esprit et elle est obligée de les répéter : « vérole, saleté de
peuple, putain ». Parfois même, dit le mari, elle les prononce à
très haute voix comme le ferait un perroquet.
La crainte du toucher de cette malade semble
prendre ses racines dans des dispositions maladives
similaires de la mère, mais les signes de la dégéné-
rescence sont nombreux, chez elle l'onomatomanie,
ses rires et ses pleurs involontaires, le vaginisme,
le délire hallucinatoire d'emblée se présentent, en
DE L'ONOMATOMANIE. S
effet, tantôt ensemble, tantôt séparément sous l'in-
fluence des causes les plus légères ou même sans cause
déterminante appréciable.
Observation IX. Dégénérescence mentale. Hallucinations à sept
ans; plus tard, idées mélancoliques et de persécution. A vingt-huit
ans, rires irrésistibles. Onomatomanie : obsession de mots grossiers
et impulsion à les prononcer.
L... (Berthe), âgée de trente et un an, entre à l'asile clinique
(Ste-Anne) le 11 avril 1885. Son père est mort à la suite d'accidents
cérébraux. Elle a fait, dans son enfance, une chute grave surla tête ;
elle s'est toujours montrée nonchalante, apathique et parfois même
elle prétendait être incapable de sortir de son lit. A l'âge de sept ans,
elle aurait eu des visions et apercevait des personnages nus qui ne
touchaient pas à terre. Depuis trois ans elle est prise, par moments,
de rires involontaires qu'on ne peut expliquer. Par moments, aussi,
elle est poussée tout à coup à prononcer des mots grossiers. Elle
entend depuis dix-huit mois des voix qui l'interpellent et l'inju-
rient, et il y a quelques mois elle s'est mise en chemise à la fenêtre,
s'est excitée et a craché sur une de ses parentes.
Depuis sept mois, elle a l'idée de se tuer ; elle s'est piqué une
varice et s'est ouvert une veine à l'avant-bras droit. Elle a voulu se
noyer au bois de Vincennes, mais elle n'a pas fait de tentative
par crainte, dit-elle, d'être repêchée et de subir les manoeuvres du
sauvetage.
Elle ne sait pourquoi elle est prise de rires, ni pourquoi il faut
qu'elle répète des mots grossiers. Parfois ces mots lui viennent
brusquement à l'esprit et elle les prononce machinalement, d'autres
fois ce sont des souvenirs de choses sales qui l'obsèdent et qui la
pousseut à proférer des injures ou des obscénités.
De temps à autre elle manifeste des idées de persécution, elle
prétend qu'on mêle à ses aliments des flueurs blanches de femme
et que la nuit, pendant son sommeil, on se livre sur elle à des actes
obscènes.
Très déséquilibrée, cette malade, dès son enfance, a
été en proie à des hallucinations et à du délire et ce
n'est qu'après plusieurs bouffées délirantes qu'ont
apparu les syndromes épisodiques, les rires irrésis-
tibles et la coprolalie qui, depuis trois ans, se manifes-
tent tantôt dans le cours des accès délirants, tantôt au
6 PATHOLOGIE MENTALE.
contraire, pendant les périodes de repos. Dans
l'observation suivante, aux rires et aux pleurs irré-
sistibles et à la coprolalie, viennent s'ajouter des dis-
cours involontaires.
Observation X. Dégénérescence mentale. Déséquilibration de tout
l'axe cérébro-spinal : mouvements involontaires des bras et des
jambes; rires et pleurs involontaires. Onomatomanie : obsessions
de mots grossiers; récitations involontaires. Impulsions à frapper.
C... (Clotilde), âgée de trente ans, est une déséquilibrée chez
laquelle aucune région de l'axe cérébro-spinal ne fonctionne d'une
façon régulière. Tantôt elle avait, en pleine conscience, des mou-
vements d'une main, d'un pied que ne pouvait régler la volonté.
D'autres fois, se produisaient des phénomènes inhibitoires : debout,
la malade ne pouvait plus s'asseoir; assise, elle ne pouvait plus se
relever. La moelle n'obéissait plus à l'influence psycho-motrice.
Dans d'autres circonstances, c'est toute la mimique d'un état pas-
sionnel, rires ou pleurs, qui surgit en désaccord avec l'état cénes-
thésique du sujet. Elle riait aux éclats à l'enterrement de son
grand-père qu'elle avait cependant beaucoup aimé. Chez elle, la
protubérance qui, d'après les expériences de Vulpian, est l'organe
des expressions émotionnelles, échappait au contrôle de la région
frontale. Par moments, elle prononce des mots le plus souvent
grossiers qu'elle ne voudrait pas dire, si elle essaye de résister,
elle éprouve du malaise, elle est angoissée ; elle les prononce alors
à voix basse, ou elle remue la langue sans les prononcer. D'autres
fois, elle se retire dans un lieu écarté, les prononce à haute voix et
se sent soulagée. Le centre auditif de l'écorce (lro temporale) est
dans un tel état d'éréthisme que l'image vient solliciter le centre
moteur d'articulation qui l'expulse au dehors. Le centre auditif, le
centre moteur d'articulation agissent encore ici indépendamment
des centres supérieurs.
- Parfois, enfin, ce n'est plus un mot, mais une série de faits divers,
tout un discours qu'elle devait répéter témoignant ainsi de la désé-
quilibration des centres corticaux antérieurs. Ce n'est pas tout ;
elle est de temps à autre poussée à frapper un inconnu, un ami,
un parent; elle résiste, s'isole, demande à être enfermée dans une
chambre où elle reste quelquefois très longtemps sous le coup
d'une décharge de la région psycho-motrice 1. *.
1 Magnan. - Cas de folie héréditaire : syndromes épisodiques intéres-
sant successivement diverses régions de l'axe cérébro-spizaal. Coexis
tence de folie héréditaire, de délire alcoolique et de délire épileptique
(Ann. 7 ? ? co-Mye/M ? 7° série, t. II, 1885, p. 235.)
DE L'ONOMATOMANIE. 7
L'observation suivante présente également de nom-
breux syndromes, la crainte du toucher, le doute,
l'arithmomanie, l'onomatomanie souvent associées
ensemble et aussi l'agoraphobie qui se montre plus
rarement avec ces syndromes.
Observation XI. Dégénérescence mentale, scrupules maladifs dès
l'âge de quinze ans. Doute. Arithmo'l1wnie. Crainte du toucher.
Ot ! 0 ? H<t<oman ! 'g : mots obsédants; coprolalie. Agoraphobie.
Mme G..., arrivée aujourd'hui à sa soixante-dixième année s'est
montrée, dès l'âge de quinze ans, scrupuleuse, craintive, préoccupée
de commettre un péché. Après son mariage ses scrupules aug-
mentent et le moindre incident devient un motif de craintes et de
remords. Un monsieur lui ayant pressé la taille, elle se dit cou-
pable, se désole parce qu'elle ne l'a pas énergiquement repoussé et
qu'elle ne s'est pas suffisamment rebiffée; les paroles bienveillantes
de son mari ne parviennent pas à la rassurer, elle ne peut pas, dit-
elle, se pardonner ces familiarités.
Elle craint constamment de pécher, mais plus elle cherche à
repousser les mauvaises idées plus aussi elle se sent obsédée et
poussée à penser à tout ce qui se rattache aux relations sexuelles.
Dès qu'elle aperçoit un objet arrondi, un long bouchon par
exemple, elle ne peut s'empêcher de songer à la verge de l'homme.
Elle s'empare d'un mot, d'une syllabe ou d'une lettre d'un mot, pour
composer un des mots qui lui sont le plus pénible, ainsi le nombre
cinq lui est fort désagréable parce que la première lettre C la
pousse, dit-elle, à former le mot cul et la lettre Q, le mot queue.
Aussi lorsqu'elle voit devant elle cinq objets, cinq assiettes, cinq
bouteilles, etc., elle s'empresse d'en demander une sixième pour
' ne pas avoir à réfléchir au nombre cinq ou iL le prononcer. Elle
n'ose pas lire de crainte d'être entraînée à composer des mots
orduriers. Elle surveille tous ses actes et se voit obligée à de grands
efforts pour ne pas y trouver prétexte à des préoccupations
sexuelles. Ainsi l'introduction du lorgnon dans son étui l'émo-
tionne parce que, immédiatement elle se représente la copulation
et qu'elle est obligée de lutter vigoureusement pour repousser cette
idée ! '
Sauf son mari, elle craint le contact de tous les hommes, se lave
dès qu'elle a touché la main d'un parent, d'un ami, et plus lard,
elle en arrive à mettre des gants et à ne présenter qu'une main
gantée quand elle doit toucher la main d'un homme ou toucher
un objet qui vient d'être touché par un homme.
Cette crainte du contact d'un homme qui s'exagère, même après
8 PATHOLOGIE MENTALE.
la ménopause, lui est suggérée, dit-elle, par l'idée que celui-ci
ayant touché sa verge pourrait déposer sur ses mains du sperme
qu'à son tour, elle pourrait, par mégarde, porter sur ses organes
génitaur.
La nuit, elle s'assure de la fermeture hermétique de toutes les
portes et fenêtres, barricade sa cheminée, pour se défendre contre
l'approche d'un'homme. Elle pousse la crainte, jusqu'à s'inquiéter
de la fêlure d'une vitre de la fenêtre qui pourrait donner passage
à la semence de l'homme; elle reconnaît que c'est absurde, mais
elle n'en a pas moins peur.
Tous les soirs, avant de se coucher, elle sonne son domestique,
elle exige qu'il reste derrière la porte, parfois des heures entières
pour répondre à ses questions monotones : les portes sont-elles
bien fermées ? Avez-vous bien donné deux tours de clef ? avez-vous
vérifié telle ou telle porte, telle ou telle fenêtre ? N'en avez-vous
oublié aucune ? Souvent non satisfaite de ses interrogations ver-
bales elle fait passer sous la porte des bouts de papier sur lesquels,
elle renouvelle ses recommandations et pour être certaine que le
domestique n'a pas de distraction et répond, après réflexion, à ses
'demandes, elle l'oblige à ne répondre qu'après un silence de cinq,
dix ou quinze minutes, parfois même une pause plus longue. Elle
passe ensuite aux recommandations pour le feu, et permet alors
de se coucher mais parfois tous ces discours ne s'achèvent que
vers trois ou quatre heures du matin.
Tout son personnel bien dressé a pour mission de se prêter à ses
bizarreries, d'obéir sans réplique et d'éviter ainsi les angoisses qui
ne manquent pas de se produire lorsque, par hasard, elle ne reçoit
pas de réponse à une interrogation.
Le plus souvent, elle fut étaler un grand châle sur son lit et
s'y installe sans se déshabiller; elie consent rarement à laisser
faire son lit. Quand elle veut se coucher dans les draps ou changer
de linge, elle e déshabille lentement, prenant grand soin de ne
pas se découvrir, et demande avec inquiétude à sa femme de
chambre si elle n'a pas aperçu ses mollets ou ses genoux. Il faut
que celle-ci réponde négativement, et après de minutieuses pré-
cautions, elle se glisse dans le lit, enveloppée dans une longue
chemise. Elle conserve habituellement ses vieux vêtements et il
lui est arrivé plusieurs fois de laisser de côté ses robes neuves,
touchées par un homme ou déposées dans un endroit suspect.
Elle n'a jamais fait un traitement régulier, son mari et, à la
mort de celui-ci, ses enfants, se sont évertués à donner pleine satis-
faction à ses exigences maladives qui ont ainsi suivi une marche
progressive.
Depuis quinze ans, elle reste presque toujours confinée dans une
chambre qu'elle a choisie dans un lieu retiré de son vaste hôtel ;
on y arrive par un petit escalier, les fenêlres restent closes nuit et
DE L'ONOniAT011ANIE. 9
jour, on ouvre quelquefois les châssis, mais jamais les contrevents;
la chambre est éclairée habituellement par une veilleuse, de temps
à autre on allume une bougie. De tous côtés se trouvent amoncelés
des paquets renfermant des bouts de papier, des chiffons, des jour-
naux, toute sorte d'objets bien étiquetés, destinés à un examen
qu'ils ne subissent jamais et les paquets continuent à s'accumuler.
Elle se décide un jour à recevoir le médecin, etaprès une attente
de quelques minutes pendant laquelle elle s'informe auprès du
domestique, si le visage du médecin lui sera sympathique, et sur
une réponse affirmative, elle frappe six petits coups sur la serrure
un septième coup sur le bouton et elle ouvre. Elle s'empresse de
s'excuser du désordre de sa demeure, c'est, dit-elle, « un vrai
capharnaüm; est-ce étrange ? je ne puis pas faire autrement a.
Elle porte des gants doublés mais elle consent à se laisser tâter le
pouls et finit même par se soumettre à un examen assez complet.
En dehors du doute, de l'onomatomanie, de la crainte du toucher,
de l'arithmomanie, elle est agarophobe et parfois même dans sa
chambre, elle doit s'appuyer contre les meubles. Au dehors, elle
ne peut pas marcher sans s'appuyer sur le bras d'un domestique.
Dans les dernières années, elle devient coprolalique; elle profère
malgré elle, des blasphèmes ou des paroles injurieuses. Devant le
médecin elle dit tout à coup : « Je me fous de Dieu, » « le Christ
est un cocu, » « la vierge est cochonne, » puis un instant après elle
reprend : « G... (son mari) est cocu », et les larmes aux yeux elle
s'écrie : En voilà une torture ! Être obligée d'injurier Dieu et ce
que j'ai eu, dans ce monde, de plus cher, mon pauvre mari ! Parfois
aussi, il lui échappe en parlant de son mari : « Je te maudis ! je te
maudis ! » taudis qu'elle conserve pour sa mémoire le plus pieux
et le plus affectueux souvenir. De temps à autre encore, quand elle
parle à un de ses bons et vieux serviteurs, elle laisse échapper
brusquement au milieu de la conversation : « Tu es un cocu. »
Parfois elle prononce ces mots grossiers à voix basse ; elle essaie
quelquefois même de les retenir, mais elle n'y réussit point, elle
est prise d'angoisse et elle doit les prononcer.
Pendant la conversation, elle surveille tous les mots, fait atten-
tion aux paroles de l'interlocuteur pour repousser toute expression
qui pourrait donner prétexte à une idée obscène.
Plusieurs médecins avaient conseillé l'éloignement de la famille
et le placement dans un établissement spécial pour combattre suc-
cessivement ces différents syndromes, mais sur le refus de la famille
non seulement pour le déplacement mais même pour le change-
ment du personnel habitué à obéir sans réplique, tous les essais de
traitement n'ont amené que de faibles améliorations et toujours
passagères.
Avec beaucoup de peine, on obtenait quelques promenades au
dehors, des repas à heure plus régulière, le repos la nuit dans le
10 PATHOLOGIE MENTALE.
lit, parfois même l'administration d'un bain, mais le moindre inci-
dent faisait promptement abandonner ces pratiques d'hygiène et
les habitudes maladives reprenaient leur empire.
Ce cas fort instructif donne une idée de la marche
en quelque sorte naturelle des syndromes épisodiques
livrés à eux-mêmes. Dès l'âge de quinze ans, cette
déséquilibrée présente les premières manifestations de
la folie du doute. Très gâtée par ses parents, on lui
laisse passer ses petites manies. Elle se marie à dix-
huit ans, et son mari dès les premiers jours, se plie à
toutes ses fantaisies; au doute s'ajoutent bientôt
l'arithmomanie, la crainte du toucher, l'onomato-
manie, plus tard l'agoraphobie, les obsessions et les
impulsions deviennent de plus en plus impérieuses et
pressantes, et la malade de plus en plus craintive et
affolée finit par se confiner dans un coin retiré de son
habitation où elle ne veut plus recevoir personne. On
consulte beaucoup de médecins mais sans suivre leurs
conseils. Dès qu'on aperçoit la moindre angoisse, on
s'émeut, on s'inquiète et coûte que coûte, satisfac-
tion est donnée à toute obsession. Un jour, on envoie
de Paris dans un petit village de la Toscane, un do-
mestique avec mission d'examiner les fermetures de
la fenêtre d'une chambre que Aime G... avait occupée,
une nuit, dans un hôtel où l'on avait été obligé de
s'arrêter en voyage. Mme G... veut être certaine que
personne ne pouvait pénétrer dans la chambre, une
fois les volets et les persiennes fermés ; on devait
aussi s'assurer qu'aucune vitre des châssis ne présen-
tait de fêlure et que rien n'avait pu se glisser dans la
chambre et la souiller pendant son sommeil-
Une dégénérée de trente-trois ans, L... (Aglaé),
DE L'ONOMATOMANIE. 11
dont l'un de nous a déjà eu à rappeler les nombreux
syndromes (kleptomanie, kleptophobie, crainte du
toucher, folie du doute, aberrations sexuelles) avait
également l'obsession du mot et l'impulsion à le
répéter1. Les mots chameau, putain, salope, s'impo-
saient à son esprit, elle ne les entendait pas, mais ils
se présentaient brusquement dans sa pensée et se pla-
çaient au premier plan. Elle se sentait poussée à les
prononcer, et quand elle résistait, l'angoisse devenait si
grande qu'elle se voyait forcée de les projeter à haute
voix au dehors.
Observation XII. -Dégénérescence mentale. Hallucinations. Troubles
de la sensibilité générale. Idées ambitieuses et de persécution. Ono-
matomanie. Obsession du mot. Impulsion à le répéter.
C... (Yves), professeur dans un collège, âgé de trente et un ans,
est entré à l'asile clinique (Sainte-Anne), le 23 février 1891.
Sa mère, névropathe, a eu des attaques convulsives jusqu'à l'âge
de dix-huit ans; il a présenté lui-même des convulsions dans son
enfance jusqu'à dix ans. Laborieux, intelligent, il a fait de bonnes
études; toutefois on le trouvait trop sérieux pour son âge; il jouait
peu avec ses camarades, on avait remarqué également qu'il se
rongeait complètement les ongles.
A vingt-quatre ans, il devient plus sombre, plus renfermé, et
pendant les vacances il se confine dans sa famille ne recherchant
plus du tout la société de ses amis. '
A vingt-six ans, il prétend qu'on trouble son sommeil, qu'on
déplace ses bras pendant qu'il dort, qu'on agit sur lui par l'élec-
tricité à distance et par influence sans que l'on ait besoin de piles
,ni de fils électriques rapprochés de son corps. Il prétend qu'on lit
dans sa pensée, puisque ses collègues s'emparent des sujets d'étude
déjà choisis par lui. Dans la rue, on lui donne des picotements à
la peau, on tiraille ses vêtements, ce sont là, dit-il, des phénomènes
provoquées par l'électricité. Celle-ci est appliquée aussi à sa bouche,
à ses mâchoires, à ses lèvres, qui remuent malgré lui, pouvant
laisser deviner au dehors ce qu'il pense.
Il ressent au crâne des tiraillements qui diminuent par la coupe
' Magnan. Etude clinique sur les impulsions et les actes des aliénés.
(Revue scientifique, 26 février 1881.)
12 pathologie mentale.
des cheveux, favorable à l'écoulement du fluide électrique. On lui
comprime aussi les poumons, on lui refroidit l'oesophage, on lui
tasse et on lui rapetisse la colonne vertébrale, on lui lance des
coups dévide dans la poitrine. Il prétend que le tassement de sa
colonne vertébrale s'est produit au moment même d'un accident
de chemin defer signalé le lendemain dans les journaux, mais
qu'il avait pressenti par la douleur. Parfois les décharges élec-
triques, au lieu de le refroidir, le réchauffent et lui font du
bien. 1
Il raconte qu'on lui envoie, par des tubes à travers le mur, des
odeurs qui stimulent son cerveau et provoquent de l'excitalion
génitale.
Autour de sa maison, on a installé de nombreux miroirs qui
reproduisent, dit-il, tout ce qu'il fait, et des téléphones qui divul-
guent ses paroles et ses idées que les publicistes, les députés, tout
le monde lui vole. Il entend parfois des injures, d'autres fois des
paroles flatteuses telles que : ·C'estVictor Ouzo », il est sans doute
appelé, dit-il, à un grand avenir, il pourra être député et ministre.
Il est tourmenté par la résonnance de certains bruits extérieurs
venant se répercuter dans ses narines. Parfois un battement élec-
trique se produit, dit-il, dans l'oreille; un bruit, un rire, un mot
entendu indistinctement, .viennent par une association de l'oreille
et du nez, éclater dans la cavité nasale. Non seulement ces bruits
existent eux-mêmes, mais ils en éveillent d'autres en puissance
dans le nez. Ces bruits prennent parfois la forme de la voix arti-
culée, et ce sont tantôt des mots insignifiants tels que copie, d'autres
fois des mots injurieux, le mot pédéraste, par exemple, ces derniers
proviennent de gens à moeurs inavouables qu'il a stigmatisés. Quel-
quefois il se sent, malgré lui, poussé à répéter ces mots, et après
avoir vivement résisté, il finit par les prononcer en détournant la
tête. D'autres fois, ces mots s'intercalent brusquement dans sa
conversation et s'échappent sans lui laisser le temps de se dé-
tourner.
Non seulement il perçoit, dit-il, des résonnances nasales, mais
par une sorte de vibration du nez qui se transmet au nerf optique,
on lui met dans le nez des visions de femmes. Il en était parfois*
très ému, et on l'entendait crier : « Encore cette femme qui vient
dans mon nez 1 D
Pour diminuer ces résonnances, pour amortir ces bruits, pour
empêcher d'entendre les mots qu'il était forcé parfois de pro-
noncer, et aussi pour empêcher qu'on ne lise sa pensée sur ses
lèvres, il enveloppait son visage dans un grand cache-nez qu'il ne
quittait même pas pendant l'été, et qui finit par provoquer les
plaisanteries des élèves et rendre son enseignement impossible.
S'imaginant que la franc-maçonnerie était pour quelque chose
dans ses tourments, il a porté plainte au Grand-Orient, puis il a
DE l'onomatomanie. 13
adressé dos lettres au Préfet de police, au Procureur de la Répu-
blique, prétendant qu'on lui enlevait l'air respirable, et enfin, après
une dernière démarche qu'il a faite à la préfecture, il a été envoyé
à l'asile.
Chez ce dégénéré les délires ambitieux et de persé-
cution se sont développés simultanément, s'accompa-
gnant d'hallucinations et de troubles de la sensibilité
générale. L'onomatomanie s'est présentée surtout
sous forme d'obsessions et d'impulsions coprolali-
ques ; mais on ne peut s'empêcher de relever les
visions et les voix nasales. Tous les centres perceptifs
encéphaliques, on le sait, quoique indépendants les
uns des autres, communiquent néanmoins entre eux
par des faisceaux de fibres d'association qui établis-
sent une certaine solidarité grâce à laquelle nos per-
ceptions se complètent rapidement. Les hallucinations
olfactives s'étaient développées de très bonne heure et
certaines odeurs imaginaires provoquaient l'érection,
c'est là sans doute la cause des visions de femmes à la
suite d'une sensation olfactive favorable à l'excitation
sexuelle. Cette sorte d'olfaction visuelle semble, en
effet, s'expliquer chez C... par l'influence de certaines
odeurs sur l'appareil génital et le réveil simultané de
l'image de la femme; la représentation visuelle surgit
avec la représentation olfactive.
Observation XIII.- Dégénérescence mentale. Délire polymorphe très
actif à la suite d'abus de boissons. Onomatomanie. Obsessions des
mots grossiers et impulsions à les répéter. Doute.
R... (Jean), âgé de cinquante-deux ans, entre à l'asile clinique
(Sainte-Anne), pour la troisième fois, le 20 octobre 1888.
Son père s'adonnait à l'ivrognerie, son frère est bizarre original.
Quant à lui, il a été constamment déséquilibré, il a fait, de bonne
heure, des excès de boissons qui ont provoqué non le délire toxique
14 pathologie mentale.
habituel, mais de la dépression mélancolique avec idées de persé-
cution ou de l'excitation avec des idées ambitieuses.
A sa dernière entrée, il est triste, en proie à des préoccupations
hypochondriaques et à des idées de persécution; il prétend qu'on
le poursuivait, que les curés lui en veulent, qu'ils l'empêchaient de
travailler et détournaient les clients de son café. Au bout de quel-
ques jours, le délire perd de son activité, mais quelques idées de
persécution persistent.
Depuis cinq ans, il lui arrive fréquemment d'être poussé, tout
d'un coup, à dire une injure à une personne avec qui il cause,
ou même, dans la rue, à un passant. Plusieurs fois, le mot « pu-
tain » lui vient sur les lèvres quand il rencontre une femme et
particulièrement une personne respectable. Il fait de grands efforts
' pour ne pas le prononcer; quelquefois, il réussit à l'articuler dou-
cement, la bouche fermée; mais d'autres fois le mot s'échappe
brusquement.
Pendant qu'on l'interroge, il parait tout à coup inquiet, préoc-
cupé ; un petit bruit guttural se fait entendre, L... détourne immé-
diatement la tête, et son visage exprime un profond désappointe-
ment. Pressé de répondre, il dit que c'est une grossièreté qu'il a
. dû laisser échapper, et qu'il s'est détourné pour la chasser au loin,
qu'il ne se permettrait pas de l'adreser au médecin pour qui,
ajoute-t-il, il a un profond respect. Un instant, après la même mi-
mique recommence, et il finit par raconter que c'est le mot « co-
chon n qu'il est forcé de prononcer malgré lui, et que c'est avec
beaucoup d'efforts qn'il est parvenu à le dire à voix basse; il se
trouverait, afCraie-t-il, en face d'un canon de fusil qu'il ne pourrait
pas retenir le mot. Quand il l'a prononcé, il' se sent soulagé.
Ces mots lui arrivent parfois sans qu'il y pense, mais d'autres
fois ils sont présents dans son esprit, l'obsèdent, et il ne peut s'en
débarrasser, d'autres fois encore, il croit les entendre dans l'es-
ttomac, et enfin quelquefois il les entend par l'oreille comme s'ils
venaient du dehors, mais quel que soit le mode d'apparition du
mot il se sent poussé à le répéter.
Si quelqu'un chante près de lui, il lui semble que les chants se
répercutent comme une sorte d'écho dans son estomac, et s'il
s'agit de chansons grivoises, il est poussé irrésistiblement à les
répéter.
Il est parfois vivement impressionné par la lecture des faits
divers surtout quand il s'agit de vols ou de meurtres; le sujet lui
en revient fréquemment à l'esprit surtout pendant -la nuit; il ne
peut s'empêcher de se laisser aller à une série infinie d'interroga-
tions, se demandant s'il n'en est point la cause. Cette recherche le
trouble et l'angoisse, il reconnaît que c'est absurde, mais il ne
peut pas cesser de se poser des questions.
DE L'ONOMATOMANIE. 15
Ce cas est intéressant par son délire polymorphe
qu'éveillent les excès de boissons, et au point de vue
spécial qui nous occupe, il n'en est pas moins curieux,
car il nous montre l'embarras profond du malheureux
onomatomane qui lutte pour refouler les grossièretés
intempestives ; il exprime bien le caractère impulsif
de l'acte quand il dit : « même devant le canon d'un
fusil je ne pourrai pas retenir le mot. »
Observation XIV. Dégénérescence mentale. Hallucinations bilaté-
rales. Idées ambitieuses et de persécution. Onomatomanie . Mots
obsédants à caractère grossier.
P... (Constant), garçon de magasin, âgé de trente-six ans, entre
à l'asile clinique (Sainte-Anne), le 2 novembre 1891.
On ne sait rien de précis sur la famille du père, mais un oncle
maternel est affecté d'un pied bot et d'un bec-de-lièvre; un deuxième
oncle maternel est faible d'esprit et sourd; la mère est un peu ner-
veuse. Surprise par les douleurs de l'enfantement, en pleine cam-
pagne, elle est accouchée de Constant sur une route. P... (Constant)
a eu des convulsions dans son enfance et a uriné au lit jusqu'à dix
ans; toujours sombre, triste, il apprenait difficilement, vivait à
l'écart et ne jouait pas avec les camarades qui, du reste, se mo-
quaient de lui. Il a fait son service militaire, mais n'a pas été gradé.
Marié deux fois, il a été malheureux avec sa seconde femme et en
était séparé depuis deux ans. Il est devenu, il y a trois mois, plus
triste que de coutume, il dormait mal, entendait parler plusieurs
individus qui tenaient des propos tantôt gais, tantôt désobligeants;
ces voix le suivaient dans son travail et répétaient tout ce qu'il
faisait. C'est par l'oreille gauche habituellement qu'il entendait les
discours agréables, les injures, au contraire, lui venaient par
l'oreille droite'.
De temps à autre, il est poussé irrésistiblement à prononcer des
mots qu'il ne voudrait pas dire, tels que « cochon, crapule, ca-
naille, misérable ». Il fait tous ses efforts pour se retenir, mais il
éprouve alors des sueurs et des froideurs par tout le corps; il est
énervé, agacé, il se sent, dit-il, comme serré, comme pressé, et il
montre le creux épigastrique.
Parfois, il s'arrête dans un coin, ou se tourne vers un arbre ou
un mur, et là, dit-il, il se décharge, il prononce rapidement et plu-
' M. Magnan. Des hallucinations bilatérales à caractère différent
suivant le côté affecté. (Arch. de Neurol., no 18, novembre 1883.)
16 pathologie mentale. ' *
sieurs fois les mots grossiers, et il se sent soulagé. Quelquefois, il
n'ose pas s'arrêter dans la rue, et il s'empresse de rentrer chez lui
pour prononcer ces mots; enfin, dans quelques circonstances, il
parvient à obtenir du repos en les prononçant à voix très basse en
remuant à peine la langue et les lèvres.
Ici encore l'angoisse accompagne la résistance à
l'impulsion et le malade trouve une solution conve-
nable en se détournant vers un arbre ou un mur pour
expulser les paroles ordurières.
Un malade de M. Maudsley, qui, avec la folie du
doute présentait de l'arithmomanie et de la coprolalie
avait fini, pour ne pas prononcer des mots obscènes,
par se résoudre à immobiliser la langue avec les dents.
« Excepté lorsque mon esprit est tout entier occupé
à une affaire, je suis forcé, comme par une nécessité
physique, de proférer des blasphèmes ou des paroles
obscènes. Quand je passe dans les rues ou que quel-
qu'un entre dans l'appartement où je me trouve, une
de ces paroles se présente à mon esprit et demande,
pour ainsi dire à être exprimée; tout effort conscient
semble augmenter le mal, et évidemment bien que je
sois forcé de me surveiller constamment, mon excita-
tion augmente. Je ne sais parfois si j'ai parlé ou non,
car, quelque bizarre que cela semble, la pensée se pré-
sente avec tant de force à mon esprit, et le malaise
qu'elle produit absorbe tant mon attention que je ne
sais qui croire de mes oreilles ou de mes lèvres. La
seule assurance que je puisse me donner, c'est de
fixer littéralement ma langue, de la mordre avec les
dents et de la rendre ainsi physiquement incapable de
prononcer un mot distinct. » {Pathologie de l'esprit,
p. 235.)
DE L'ONOMATOMANIE. 17
La malade M... femme H... dont nous allons ré-
sumer l'obervation est une dégénérée avec folie mo-
rale et accès mélancoliques. Son intempérance a été
suivie de délire alcoolique; mais elle n'a présenté qu'un
seul syndrome à base d'obsession et d'impulsion, la
coprolalie.
Observation XV. Dégénérescence mentale. Perversions morales.
Accès mélancoliques alternant avec du délire alcoolique. Copro-
lalie.
M..., femme H..., âgée de cinquante-deux ans, entre à l'asile
clinique (Sainte-Anne), le 19 mars 1885.
Bizarre, extravagante, toute sa vie, elle s'adonnait à l'ivro-
- nerie. Elle a eu neuf enfants, dont six sont morts en bas âge, des
trois survivants, l'un est faible d'esprit et blèse. Dépourvue de tout
sens moral, elle envoyait ses enfants voler à l'étalage, et elle don-
nait, vendait ou se servait des objets volés. Elle a été prise, à di-
verses reprises, de délire alcoolique avec hallucinations effrayantes,
elle voyait des têtes de singe, des bêtes féroces, des serpents, quel-
quefois les cadavres de ses enfants.
Plusieurs fois elle a eu des accès de mélancolie, elle était décou-
ragée, sans force, se sentait incapable de travailler, et, dans ces
moments, elle se reprochait sa conduite et voulait se suicider. Plu-
sieurs fois aussi, elle se sentait poussée à tuer ses enfants, elle ne
sait comment ces idées lui venaient, mais elle en était vivement
affectée.
Depuis quelque temps, elle est tout à coup poussée à prononcer
des mots grossiers qu'il lui est impossible de retenir.
Dans la dernière observation de ce groupe, nous
trouvons réunis, le délire hypochondriaque, la folie
du doute et l'onomatomanie.
1
Observation XVI. Dégénérescence mentale. Scrupules. Préoccupa-
tions hypochondriaques. Folie du doute. Interrogations mentales
fréquentes. OnonM[<o)7 : tMHt : . Mots obsédants. Coprolalie.
Mmo R..., âgée de vingt-six ans, dont le père, beaucoup plus âgé
que la mère, est affecté d'un tic de la face, s'est montrée scrupu-
leuse et très méticuleuse dès l'âge de douze ans. Elle habitait la
Archives, t. XXIV. 2
18 pathologie mentale.
campagne, et, de très bonne heure, elle donnait des conseils aux
paysans pour leur santé, et les traitait par l'homéopathie. Quand
les malades ne guérissaient pas ? elle se reprochait de les avoir mal
soignés, s'imaginait être cause de l'aggravation de leur mal, et en
éprouvait une vive inquiétude.. j 1 ?
La mort subite d'un de ses parents provoqua, chez elle, une vio-
lente émotion, et fit naître dans son esprit la crainte de la mort.
Elle surveillait les battements de son coeur et redoutait les moindres
palpitations, même celles que pouvait provoquer un exercice un
peu actif. La nuit elle s'efforçait de ne pas dormir trop profondé-
ment, afin de pouvoir surveiller ce qu'elle* appelait l'artère du
sommeil une des carotides les battements pouvaient, disait-
elle, s'arrêter subitement et entrainer la mort. Elle redoutait aussi
un ténia imaginaire dont elle se croyait atteinte. if , , '
Depuis longtemps elle se sentait poussée à rechercher la solution
de questions qu'elle se posait, sans cesse, sur, l'origine du monde,
sur la Trinité, sur Dieu, etc ! Dans ses interrogations fatigantes, si
elle ne trouvait pas une solution satisfaisante, elle était prise d'an-
goisse, la sueur couvrait son front, le coeur battait avec force, elle
se sentait oppressée et sur le point de^e trouver mal., - , , 1 > ,
Fréquemment, elle était obsédée par l'apparition dans sa pensée
de mots grossiers, injurieux, qu'elle se sentait poussée à, répéter : .
c'était le plus souvent les mots « cochon, diable r, et parfois le mot
« Dieu » qui surgissait à côté des premiers; c'était, dit-elle, comme
un blasphème. De même, un jour le mot « cochon » .était sur ses
lèvres au moment où elle mangeait du pain bénit; elle en était
extrêmement émue, mais ne pouvait, pas' s'empêcher de le pro-
noncer ? . , , 1 , n t ? " ,1 ! c (A suivre.) . j ¡
LA PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE DIFFUSE SUBAIGUE DE
DUCHENNE. (DE BOULOGNE) REPRÉSENTE-T-ELLE UN TYPE
CLINIQUE DISTINCT DE MYÉLITE DIFFUSE ? J. o '1 1
, ,,»,ts , 1/1 ¡ \ljl i P
Par le D' LEROY,
Professeur à la Faculté de médecine de Lille.
. \ l - -
On sait que Duchenne (de Boulogne) a groupé sous
le nom de paralysie générale spinale subaiguë les deux
variétés de myélopathie suivantes : ,
DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE DE DUCHENNE. 19
) 1 La paralysie, générale. spinale antérieure subai-
guë ; 1 j 1 "\ · . .J' i . J . .
2° La paralysie générale spinale diffuse subaiguë. >
- Vu)pian, dans son Traité des, maladies du système
nerveux, admet l'existence de la première de ces deux
formes de Duchenne, mais il se refuse à (reconnaître
la seconde comme une espèce à part. Il considère les
faits de Duchenne comme des cas de myélite- diffuse
subaiguë qui ne se distinguent d'autres cas -de cette
maladie que. parce, que les cornes antérieures de la
substance grise ont été plus altérées dans ces cas que
dans d'autres...1 - - 1 1 1)' 1 1 1
, Quant la première forme, elle est depuis quelque
temps déjà l'objet d'une attention toute particulière.
Depuis l'avènement des polynévrites généralisées, sa
constitution a quelque peu souffert, maistson démem-
brement n'est) pas complet. Au contraire, ce type.de
Duchenne nous reste comme une, entité morbide bien
définie, mais sa, distinction au lit du malade est devenue
très difficile, sinon impossible pour le moment, car on
sait maintenant que le syndrome paralysie générale
spinale de, Duchenne peut répondre à des altérations
portant tantôt sur le système nerveux périphérique,
tantôt sur le centre médullaire. Bien que Leyden, l'ait
niée et ait voulu la ranger, dans le cadre des névrites
multiples périphériques, ce type de paralysie spinale
amyotrophique n'en existe pas moins, les preuves ana-
tomiques sont, là qui le démontrent. Son histoire s'est
seulement un peu compliquée dans ces dernières an-
nées au point que, actuellement, la question du dia-
gnostic différentiel entre la paralysie générale spinale
antérieure subaiguë de Duchenne et la polynévrite, gé-
20 pathologie mentale.
néralisée à forme de paralysie générale spinale anté-
rieure subaiguë de Mme Déjérine devient une affaire
très épineuse.
Quant à la deuxième forme de Duchenne, la para-
lysie générale spinale diffuse subaiguë, Vulpian exa-
minant d'une façon très attentive la plupart des cas
qui ont été publiés comme tels depuis Duchenne, n'en
laisse aucun debout. Par une analyse critique, il mon-
tre que tous les cas dénommés ainsi sont des exemples
de myélite diffuse subaiguë. Il fait remarquer toute-
fois que ces myélopathies se distinguent de la myélite
subaiguë habituel le en ce que dans ces cas de Duchenne,
les cornes antérieures paraissent être plus altérées que
dans les autres.
Assurément Vulpian a eu raison de critiquer Du-
chenne, surtout quand ce dernier assigne à la forme
morbide qu'il veut dégager, une anatomie patholo-
gique qui est l'ensemble le plus complet des lésions
qui caractérisent la myélite diffuse. Il rapporte les dou-
leurs à une méningite spinale, la parésie, la paralysie
à un travail inflammatoire des cornes antérieures, les
contractures et les raideurs articulaires à une sclérose
des cordons latéraux, les altérations plus ou moins
grandes de la sensibilité à une lésion des cornes posté-
rieures, les troubles fonctionnels de la vessie et du
rectum à une grande diffusion de la lésion spinale.
Comme on le voit rien de plus typique comme diffusion
que ces altérations qui s'étendent à toutes les parties
constituantes de la moelle. En outre, Duchenne y ajoute
la méningite, ce qui fait qu'il eut mieux fait d'appeler
cette affection une méningo-myélite. Duchenne, sur ce
point anatomique, n'a pas été heureux. Mais s'ensuit-
DE la paralysie générale spinale DE DUCHENNE. 21
il.de là qu'on ne puisse rencontrer une myélopathië
qui réponde trait pour trait au tableau qu'il a donné
de sa paralysie générale spinale diffuse subaiguë qui
consiste dans la combinaison de certains phénomènes
médullaires avec les symptômes typiques de la para-
lysie générale spinale diffuse subaiguë ?
Le fait suivant présente une telle analogie sympto-
matologique avec la deuxième variété de Duchenn6,
qu'on peut se demander si la paralysie générale spi-
nale diffuse subaiguë ne représente pas un type à part
de myélopathie. On y rencontre en effet : -1° le syn-
drome, clinique de la paralysie générale spinale anté-
rieure subaiguë (paralysie avec amyotrophie des quatre
extrémités avec participation des nerfs crâniens) ;
2° des troubles paralytiques des sphincters, une eschare
sacrée et des troubles de la sensibilité.
Vulpian admet la poliomyélite subaiguë de Duchenne,
à la condition que ce type soit revêtu de son caractère
de pureté et que cette myélite systématique ait son
processus morbide uniquement cantonné dans les cor-
nes antérieures de la substance grise. Cela n'empêche
pas cet auteur d'admettre que, chez certains malades,
ce processus peut franchir ses limites habituelles et se
propager soit aux autres parties de la substance grise,
soit même aux faisceaux de la substance blanche. La
maladie perd alors, dit Vulpian, dans une certaine
mesure, sa physionomie caractéristique et il est presque
impossible, si les renseignements sont incertains, d'é-
tablir un diagnostic. Le cas ci-après nous paraît être
une de ces déviations de la poliomyélite subaiguë,
comme l'admettait Vulpian et justifierait assez bien
l'existence de la deuxième variété établie par Duchenne.
22 s » PATHOLOGIE mentale/' J «
Il consisterait dans l'extension du processus des cornes
antérieures à d'autres parties de la moelle.' Vulpian,
d'ailleurs; ne nie pas complètement l'existence clinique
de la paralysie générale spinale diffuse subaiguë et
voici comment il s'exprime à ce sujette Assurément,
il y a des cas de myélopathies dans lesquelles se pro-
duisent tous les symptômes indiqués par 'cet auteur
(Duchenne), comme caractérisant le type qu'il voulait
établir,mais ce sont des cas qui ne se distinguent pas
par des caractères bien/ nets des 'faits ordinaires' de
myélite diffuse chroniquecou de sclérose combinée. »
· l " j. " ,l' ; i f JI. .
Paralysie avec atrophie généralisée aux qitatî-e-ext2-émités. - Diplopie,
chute de la paupière supérieure à droite, déviation du globe oculaire
en dehors de ce côté. Affaiblissement de l'action des muscles des
lèvres, léger nasonnement dans la prononciation. -'Altération du
sphincter vésical, p (irésie- rectale. - Eschare sacrée.. - Mort par
complications inflammatoires des voies urinaires. "
1 ' ) , - ;f, 1 ( j . 1 1
Homme de trente-deux ans, employé aux tramways. Rien à noter
dans ses antécédents personnels ou héréditaires. '' '
Le début de sa maladie remonte au 2 décembre 1890 et a com-
mencé de la façon suivante : Jusqu'à cette époque, cet homme était
bien portant et avait un service qui l'occupait toute la journée jus-
qu'à une heure tardive; de la soirée. Il se couche comme d'habi-
tude entre onze heures et minuit, sans avoir remarqué rien de
particulier dans son état. Le lendemain, lorsqu'il essaie de se lever,
il éprouve un état de faiblesse tel dans les jambes que s'il veut
avancer de quelques pas sur le parquet de sa chambre il chancelle
et ne' peut se tenir debout. A partir' de ce moment, la marche et la
station sont impossibles, et la paralysie des membres inférieurs le
force à rester au lit. Dix jours après, le sphincter de la vessie se prend;
il survient de la rétention d'urine et on fut dès lors obligé de le
sonder. ' ' ' 1
Trois semaines après le début de la maladie, la paralysie gagna
les membres supérieurs et fut surtout marquée aux mains et aux
avant-bras. f f - . 1
Bientôt après ces derniers accidents, son oeil droit fut atteint et
la chute de la paupière supérieure survint en même temps qu'il
voyait double. ' '
Au cours de tous ces accidents, un travail escharotique avait
DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE DE DUCHENNE. 23
lieu au niveau du sacrum et à l'époque où nous vîmes le malade
(22 janvier 1891), il y avait en ce point un eschare dans le creux de
laquelle on- pouvait loger une mandarine. ' 'i . , 1 )
i C'est dans cet état, réduit au décubitus dorsal, ne pouvant
remuer ni jambes, ni se servir de ses mains que le malade se déci-
dait à se faire porter à l'hôpital. Mais, vu' l'encombrement, il ne
fut pas reçu et fut reconduit chez lui. Le début de l'affection parait
avoir, été accompagné de phénomènes fébriles'assez intenses; il y
aurait eu à ce moment de l'engourdissement surtout marqué dans
la moitié gauche du corps. i. 'i - oj ,1 j J;, 1 ' .
f .. r r f 1 f,. . If .
. Etat actuel (22 janvier 1891). Membres inférieurs. Le
malade est dans le décubitus .dorsal le plus complet; il ne peut
remuer les jambes et c'est à peine si, quand il fait des efforts, on
perçoit un léger mouvement de latéralité du pied droit en dedans.
Dans ces phénomènes d'efforts, on remarque des mouvements fibril-
laires et fasciculaires dans les masses musculaires de la partie anté-
rieure de la cuisse gauche.' " , , l' ,
Etat de la motilité. La paralysie de la motilité est absolue
dans les membres inférieurs; quand on le lève sur une chaise, les
jambes pendent inertes. Les muscles du mollet et de la cuisse sont
flasques et ont considérablement maigri. 1 , 1 ' '
L'atrophie est très prononcée, bien que la forme des membres
soit encore un peu marquée, c'est-à-dire,qu'elle n'est pas squelet-
tique. Les pieds sont déformés, déviés, et étendus, mais la chute
n'est pas tout à fait prononcée. De plus il,li'y a point de déviation
du gros orteil en dedans, ils sont en attitude vicieuse moyenne.
'Etat de la sensibilité. - Sensibilité générale. · 1 f - 1 1 ,
' Le malade n'accuse aucune douleur pas plus dans les membres
inférieurs que dans les autres parties du corps. A aucune époque
de sa maladie, il n'a éprouvé de douleurs ni continue, ni spontanée,
et jamais aucun mouvement involontaire dans les parties malades.
Ni spasme, ni contractures, ni crampes. < "'1 . 1
L'exploration des différents modes de sensibilité donne les résul-
tats suivants. Si l'on presse, en masse les muscles de la cuisse ou
de la jambe, on détermine chez le patient une certaine impression ;
mais cette pression quoique forte ne produit qu'une sensation
obtuse et non pénible. ' 1 ' z '
La pression le long des trajets nerveux est pénible et assez dou-
loureuse sur le crural, le sciatique et au creux poplité.
La perception du contact du doigt est restée, nette, le malade
indique avec une précision satisfaisante l'endroit où on le touche
quel que soit le point de la peau des membres inférieurs.
La sensibilité à la piqûre est diminuée, mais non abolie. Si avec
une épingle on pique la peau du malade en divers endroits des
membres inférieures, le malade perçoit bien la piqûre, mais la
24 1 " PATHOLOGIE MENTALE.
sensation qu'il restent n'est pas douloureuse et il n'accuse que la
sensation de l'ongle qui tracerait une ligue sur la peau. En cer-
tains points cependant la piqûre se fait sentir un peu plus vivement;
mais alors la perception subit un certain retard. La douleur ne
s'est montrée que' d'une façon tout à fait passagère, à tel point
qu'elle aurait pu passer inaperçu e. Elle s'est fait sentir sous forme
de quelques accès en éclair dans les muscles de la cuisse.
La sensibilité profonde est intéressée. La torsion articulaire des
orteils n'est pas douloureuse ; il voit l'acte mais ne perçoit aucune
douleur. La sensibilité à la température est conservée; il apprécie
bien la sensation des corps chauds ou froids.
Le réflexe de la plante du pied est modifié en ce sens qu'il sent t
le chatouillement comme un contact simple. Quant aux autres
réflexes, on se trouve dans de trop mauvaises conditions pour en
constater des modifications importantes.
La notion de position est actuellement très nette, mais il a existé
de la perte de la notion de position. Depuis dix jours, il se rend
parfaitement compte de l'endroit où sont situés ses pieds. Avant,
il lui était impossible de savoir à quelle distance on écartait ses
membres inférieurs l'un de l'autre.
Membres supérieurs. La paralysie ne parait pas aussi absolue
que dans les membres inférieurs dans lesquels il n'y a plus aucun
mouvement.
Les membres supérieurs ne sont pas inertes et étendus le long
du corps. Le malade peut faire mouvoir les différents segments des
parties supérieures; mais ces mouvements sont maladroits, man-
quent de précision et très limités. Il peut, remuer les bras mais
l'élévation de ce segment est très borné et le plan d'élévation du
bras est loin d'arriver en ligne directe avec l'épaule. Les avant-
bras et les mains peuvent ballotter en l'air, mais la préhension du
moindre objet est impossible et le malade ne peut même pas se
servir d'un mouchoir pour essuyer l'écume qui lui vient à la
bouche. Les bras et les avant-bras sont flasques, amaigris. C'est
un amaigrissement squelettique. L'avant-bras n'est plus repré-
senté que comme une latte entourée d'un coussin de peau.
La paralysie des mains est très accusée ; il ne peut saisir aucun
objet solide et si on lui donne la main pour la serrer, il met bien
les doigts en contact avec elle, mais le mouvement de serrement
est tout à fait négatif. Il n'y a point de chute du métacarpe sur le
carpe, et en immobilisant ce dernier, il semble que le malade des-
sine encore quelques petits mouvements des doigts qui indiquent
que les interosseux ne sont pas totalement perdus.
Les mains présentent une très légère déformation en griffe et
les éminences thénar et hypothénar sont presque totalement
effacées. L'état de la sensibilité des membres supérieurs ne pré-
sente actuellement rien de particulier à signaler. Pas de douleurs,
DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE DE DUCHENNE. 2o 5
'pas plus que pour les membres inférieurs. La sensibilité générale
est seulement un peu émoussée.
Face, nerfs crâniens. 'A droite, les paupières sont closes et
lorsque le malade regarde un objet qu'on lui présente on s'aper-
çoit que le globe oculaire droit à son centre pupillaire dévié en
dehors. En outre, il y a de la diplopie manifeste et lorsque le malade
regarde un cadre situé sur la muraille en face de lui, il le voit en
double et ces deux objets qu'il voit sont situés à un intervalle très
marqué.
Lorsqu'on invite le malade à siffler, il ne peut le faire, les lèvres
se contractent avec symétrie mais le mouvement de contraction
des lèvres est insuffisant et il n'en sort aucun bruit.
Lorsque le malade parle, on remarque qu'il existe une modifica-
tion de la prononciation et la voix est légèrement nasonnée.
Réservoirs. Vers le dixième jour de la maladie, le malade a
été pris de rétention d'urine et il a fallu le sonder pendant un cer-
tain temps. Depuis une douzaine de jours, des phénomènes contraires
sont survenus et maintenant il urine involontairement et dit que
l'émission de l'urine se fait par intervalle et par jet sans cependant
qu'il éprouve la sensation du besoin. C'est l'émission par regorge-
ment. Quant au sphincter anal, le malade questionné à ce sujet
dit qu'il y a au moins dix jours qu'il n'a pas été à la selle et attribue
cet état à ce qu'il ne mange pas. Mais l'absence de toute envie
d'aller à la garde-robe indique nettement qu'il y a tout au moins
un état de parésie rectale.
En pressant alternativement avec le doigt de chaque côté de la
trachée on détermine à droite une douleur assez cuisante.
Eschare du sacrum. Au sacrum, on trouve une eschare dans le
creux de laquelle on pourrait loger une mandarine.
' Etat général. La maladie parait avoir été marquée dès le début
par un mouvement fébrile. Au cours de son évolution la fièvre a
persisté puisqu'il y a des moments où il éprouve des frissons assez
violents. Mais on peut croire avec raison que ces accès de fièvre
sont symptomatiques d'une inflammation ascendante du rein d'ori-
gine vésicale. Il accuse une insomnie presque complète qui dure-
rait depuis le commencement de sa maladie. Depuis six jours, il dit
qu'il ne peut ingurgiter^ aucun liquide sans que les vomissements
le rejette aussitôt. A l'auscultation, il existe de l'engorgement dans
les deux bases.
Phénomènes singuliers. En cherchant à relever les incidents
qui se sont produits au commencement ou au cours de la maladie,
la femme du malade prononce le mot crises. D'après l'interro-
gatoire que nous lui fîmes subir pour interpréter ce terme, il nous
semble que le malade, à certains intervalles, était pris d'un agace-
ment général qui le forçait à se remuer, à s'étirer et ces phéno-
26 1, - o PATHOLOGIE MENTALE. ' --
mènes s'accompagnaient d'une certaine crispation des mnscles du
visage qui lui donnait une mimique particulière, 'une expression
de souffrance. , , i f ' . .
- Etat de la contractilité électrique. L'exploration électrique n'a
pu être faite; la situation du malade ne se prêtant pas à ce genre
de recherches. "<-' i f ' ' '
29 janvier. L'état du malade s'agârave. L'ataxo-adynamie et le
délire augmentent. 11 à pâli beaucoup. L'es urines' sont sanieuses.
Depuis deux jours, la chute de la paupière supérieure a disparu et
le malade a les deux yeux ouverts. Il succombe le 1er février à des
phénomènes broncho-pulmonaires d'origine rénale.' ' ? 1
. ! 1 ! l, ' , 1 ¡ r ? i . 1
' '1" . , , , , i ? . ' 1 ri , ' 1 .
Voilà un malade qui est. mort de complications qui
ne sont que trop fréquentes au cours'' des affections
médullaires, L'évolution 'des symptômes jusqu'à la
période de maladie confirmée, s'est faite assez rapide-
ment pour qu'on soit autorisé à,la caractériser de su-
baiguë, intermédiaire très vague qui indique qu'il ne
s'agit ni d'état aigu'ou chronique ? Le début a eu lieu
¡. . 1 J ? . J
soudainement sans aucun phénomène prémonitoire .
par une paraplégie des membres inférieurs : Dix jours
après, paralysie des réservoirs. Vers le vingt et unième
jour de la maladie, les membres supérieurs\sont enva-
his. Enfin, ces phénomènes 'paralytiques s'étendent ''à
la face, et à l'oeil.. Le malade se trouve de la sorte, au
moment' où nous l'examinons, réduit'au décubitus
dorsal le plus complet, ne, pouvant remuer ni jambes
ni bras, ne pouvant même pas se servir d'un mouchoir
pour enlever de( sa bouche, les mucosités qui s'y accu- '
mulent. De plus, cette paralysie s'accompagne d'une
atrophie très prononcée des quatre extrémités des
membres, répartie avec une remarquabble symétrie.
Les caractères de ces symptômes de paralysie amyotro-
phiques dénotent qu'on a affaire à des altérations can-.
tonnées dans l'aire des cornes antérieures de la subs-
DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE SPINALE DE DUCHENNE. 27 Î
tance grise de la moelle. Quant à la hauteur de ces
lésions; la participation de la face et des yeux indique
qu'elles sont assez élevées et quejes' parties les plus
supérieures de' la région cervicale, sont, intéressées.
Pris isolément, ces phénomènes de paralysie ! am'yotro-
phiqueise rapportent par leur généralisation et leur
mode de distribution au '1 syndrome'de"paralysie 'géné-
rale spinale antérieure subaiguë,) sinon'- rapide.1 Ils
répondent bien à' la première' phase' symptomatolo-
gique de; la deuxième variété 1 de' Duchenne; laquelle
est constituée en outre par des phénomènes que nous
retrouvons ! chez notre malade, ! bien marqués, (et qui
sont : la paralysie des sphincters, une eschare au
sacrum,- des troubles de. la sensibilité suffisamment
prononcés au point que la. torsion articulaire^ dès
orteils n'est pas douloureuse, l' l' 'Il < i <-' if ,*
A, quelle afTection'avons-nous affaire ? Autant les
phénomènes de paralysie atrophique indiquent') des lo- "-
. calisations médullaires de la substance, grise;1 autant
les secondes dénotent des altérations diffuses de cette
substance. En somme, il s'ait là d'une combinaison de
lésions systématiques et diffuses de (la. substance grise
de la moelle. On est en droit en : effet 'de circonscrire
la lésiollijusqu'à un certain point à -la substance grise
seule, en notant l'absence de douleurs, l'abolition du
réflexe plantaire et l'absence de tout phénomène con-
vulsif médullaire' : ' ' ' . < 1 ( 1 1 ' '
Dirons-nous avec Vulpian, qu'il s'agit d'une'myé-
lite centrale diffuse »sùbaiguë vraie, en indiquant par
ce dernier terme que les cornes antérieures de la moelle
et le reste de la substance grise sont largement inté-
ressés. C'est, nous croyons, un diagnostic des plus
58 PATHOLOGIE MENTALE.
rationnels ; mais il nous semble qu'au milieu de tous
ces symptômes, il se dégage un ensemble, une phy-
sionomie spéciale qui frappe par la régularité des phé-
nomènes et par l'ordre de leur développement. Il nous
semble que cela rappelle de trop près le tableau que
nous a donné Duchenne de la paralysie générale spi-
nale diffuse subaiguë, pour que nous n'en fassions pas
la remarque. Est-ce dire, comme Vulpian le soutenait,
qu'il s'agit, dans ce cas, d'une myélite diffuse centrale
avec prédominance d'altérations dans les cornes anté-
rieures, mais dont le processus serait plus général et
distribué sans règle. Mais cette manière de voir est-
elle la seule, quand on voit d'abord la paraplégie sur-
venir, suivie de près de phénomènes amyotrophiques
dans les masses musculaires paralysées ; puis à ces
symptômes de myélites systématiques s'ajoutent des
troubles des sphincters qui dénotent l'extension en pro-
fondeur de ces lésions. Enfin, après un temps d'arrêt,
la lésion des cornes antérieures reparaît et devient z
pour ainsi dire directrice en produisant uniquement
une paralysie amyolrophique des deux membres supé-
rieurs et en s'attaquant peu après à la partie la plus
supérieure de la région cervicale.
Donc, en nous appuyant sur tout ce que nous venons
de dire, d'une part, et sur l'absence de phénomènes
convulsifs et douloureux qui reflètent ordinairement
les altérations tangibles de la substance blanche,
d'autre part ; nous croyons que nous sommes en pré-
sence d'une myélite centrale diffuse subaiguë, mais
spéciale et, malgré l'autorité de Vulpian, non par pré-
dominance des lésions dans l'aire des cornes antérieures,
mais par extension, par propagation de ces mêmes'
4
L'AMNÉSIE HYSTÉRIQUE. 20
lésions qui ont leur origine dans les cellules ganglion-
naires de ces mêmes régions. Et nous ne pouvons nous
empêcher de faire remarquer en terminant que ce mé-
lange, que cette combinaison des lésions systéma-
tiques des cornes antérieures avec les altérations dif-
fuses de la substance grise, ainsi que l'ensemble, la
distribution et la symétrie des symptômes cliniques,
rappellent de trop près l'analogie qui existe entre
l'affection de notre malade et la description de Du-
chenne pour que nous ne donnions pas ce cas comme
un type de paralysie générale spinale diffuse subaiguë.
CLINIQUE NERVEUSE.
CLINIQUE DES Maladies DU système nerveux. M. CHARC01'.
L'AMNÉSIE HYSTÉRIQUE;
2e conférence faite A la SALPÈTRIÈRE LE VENDREDI 17 MARS lS92 f,
Par JI. Pierre JANET, .
Messieurs,
Je commence aujourd'hui en vous demandant toute votre
indulgence et quelque patience, non pas que je doute le moins
du monde de votre bienveillant accueil, mais parce que je
trouve le sujet de notre étude assez difficile et pour vous et
pour moi. Les souvenirs ne sont pas un phénomène aussi
simple que les sensations; leur théorie beaucoup plus com-
plexe est loin d'être aussi avancée. Les expériences, si tant est
' Voy. Archives de Neurologie, n° 69, p. 323.
30 CLINIQUE NERVEUSE.
que l'on en puisse faire de décisives, sont beaucoup. plus dif-
ficiles à reproduire sur une estrade; elles demandent toujours,
quand elles sont possibles; une observation morale attentive
longtemps prolongée dans le calme et l'isolement. Vous me
direz alors : * Si ce sujet des amnésies hystériques est si diffi-
cile à comprendre et à exposer, pourquoi en parlez-vous ?
Pourquoi ne pas étudier d'autres problèmes plus simples
que nous présente l'état mental des hystériques ? D Je vous
répondrai que c'est pour moi une sorte de question de prin-
cipes ; je crois de mon devoir de vous direce qui me semble vrai,
même si je me trompe, même si je dois m'exposer à toutes
sortes d'inconvénients. Eh bien, je suis convaincu, à tort ou à
raison, que l'amnésie est très importante dans l'hystérie, que
c'est même un des symptômes cardinaux de cette affection. Il
ne me semble pas qu'il soit possible de rien comprendre aux
divers symptômes que vous pouvez avoir à observer, aux para-
lysies de toutes sortes, à l'astasie-abasie, au mutisme, aux
crises, aux délires et surtout aux somnambulismes, si vous
n'avez pas d'abord étudié autant que possible le fait prin-
cipal qui intervient plus ou moins dans tous les autres, le
trouble de la mémoire. Je vous dois donc de vous indiquer
dans quel sens à mon avis cette étude doit être dirigée, de
vous exposer ce qui est à peu près connu, et les suppositions
qui me paraissent vraisemblables. i ' '
D'ailleurs, pour faciliter ce travail et ne pas nous égarer,
nous décrirons exclusivement les cas d'amnésie typiques,
comme dit M. Charcot, en laissant volontairement de côté les
amnésies légères ou incomplètes et surtout les cas complexes
et confus auxquels je vous déclare d'avance ne rien com-
prendre. Ensuite, nous aurons un guide dans cette étude :
pour passer du connu à l'inconnu, nous rapprocherons tou-
jours autant que possible l'amnésie hystérique' de l'anes-
thésie que nous avons déjà comprise; nous verrons d'abord
qu'il y des' ressemblances incontestables et nous signale-
rons pour finir l'influence que ces deux phénomènes exer-
cent l'un sur l'autre. ,
, , . , , 1 ·
I. Pour décrire les amnésies hystériques il faut, à mon
avis, mettre en première ligne un caractère qui vous sur-
prendra peut-être un peu : elles sont lrès fréquentes, presque
aussi fréquentes que les anesthésies. M. Charcot l'a remarqué
l'amnésie hystérique. 31
depuis longtemps; dans les Leçons du'Mardi, en 1887, il disait,
à propos d'un malade du service : Ce malade a été presque
toujours repoussé des hôpitaux comme simulateur ; il est vrai
qu'il se contredit souvent dans ses récits et qu'il ment peut-
être quelquefois. Mais il faut tenir compte d'un état mental
encore insuffisamment étudié, 1 fréquent' surtout dans l'hys-
térie virile et où l'amnésie temporaire tient une grande place.
Il y a du vrai et du faux dans ce qu'il raconte, mais c'est au
médecin,' ainsi que je vous le' disais l'autre jour, à savoir
démêler ce qui est véridique et à ne pas condamner du premier
coup, sans examen plus approfondi i. Ce, que- M. Charcot
avaitconstaté à cette époque, nous pouvons le constater encore
tous les jours. Vous savez par exemple qu'il est parfois diffi-
cile de prendre l'observation d'une hystérique parce que ses
récits sont sans cesse incomplets et contradictoires. Mon ami,
M. Souques, internel du- service, me racontait avoir souvent
éprouvé à ce sujet de singulières mésaventures. Il prenait un
jour par écrit l'histoire d'une hystérique, les maladies qu'elle
avait déjà eues,' les hôpitaux où elle avait été soignée, etc. ;
mais le lendemain 'quand il s'apprêtait à lire l'observation à
M. Charcot, la malade amenée devant le médecin racontait
' tout le contraire.' J'ai trouvé' d'ailleurs exactement les mêmes
remarques' dans l'ouvrage de M. Gilles de la, Tourette2.
' Mille détails que ,1'on, peut' relever,' quand on observe leur
manière d'être dans le service, nous amènent à la même con-
clusion. Bien des malades en entrant ici pleurent et gémissent,
à la pensée de quitter leurs parents, de vivre seules à l'hôpital;
le' lendemain, tout est passé, elles ont oublié leur regret et
elles croient, disent-elles, être dans la, maison depuis des
mois. Plusieurs d'entre elles, à'cause de leurs oublis et de
leurs distractions continuelles sont tout à fait incapables de
faire un travail', de rendre quelques services. Les envoie-t-on
faire une commission, elles reviennent au bout' de quelques
heures, sans avoir rien fait, ayant tout à fait oublié le but de
leur sortie. L'unes d'elle se fâche un jour contre moi et me fait
des reproches imaginaires plus ou moins polis; le lendemain,
je me crois obligé de lui témoigner quelque froideur. Elle en
est très surprise et vient tout inquiète me demander ce que
'Charcot. - Leçons du Mardi il la Salpêtrière, 1887, p. 297.
1 Gilles de la Tourette. Traité de l'hystérie, 1891, p. 552.
32 CLINIQUE NERVEUSE.
j'ai contre elle; elle avait absolument oublié la scène de la
veille. D'ailleurs, en un mot, interrogez-les vous-mêmes sur
leur vie à l'hôpital, sur ce qu'elles ont fait la veille, le matin,
sur ce qu'elles ont proposé de faire l'après-midi, vous en ren-
contrerez certainement plusieurs qui ne pourront pas vous
répondre. Elles vivent au jour le jour, à peine capables comme
nous l'avons vu de bien comprendre ce qui se passe dans le
moment présent et le plus souvent impuissantes, quand il
s'agit de disposer des souvenirs du passé et des images de
l'avenir.
Ces amnésies, aussi fréquentes, ne se présentent pas toujours
sous le même aspect, elles sont au contraire très variables
dans tous leurs caractères. Nous croyons pouvoir, pour la
commodité de l'étude, les ranger en trois classes principales
analogues à celles que nous avons adoptées pour les anesthé-
sies : les amnésies peuvent être systématisées, localisées, géné-
rales ou continues.
.Les premières sont peut-être les plus communes : les ma-
lades perdent une certaine catégorie de souvenirs, un certain
groupe d'idées du même genre formant ensemble un système.
Ainsi, elles oublient ce qui a rapport à leur famille, ou les
idées relatives à telle personne, ou les connaissances néces-
saires pour un certain métier, elles ne savent plus broder ou
coudre, elles perdent le langage ou tout simplement telle
langue particulière qu'elles savaient bien. Les exemples sont
très variés, chacun pourrait en citer un différent, je n'y insis-
terai pas. Mais j'ai eu l'occasion d'observer dans le service
un cas de ce genre si curieux qu'il pourra je crois résumer
cette description. Une jeune fille nommée Célestine, très
gravement atteinte d'hystérie, était entrée à l'hôpital vers le
mois de novembre dernier. J'étais déjà dans le service depuis
quelque temps et, comme cette malade m'intéressait, je me
suis occupé d'elle dès son entrée et à peu près tous les jours :
aussi devint-elle bientôt très familière avec moi. Mais tout
dernièrement, c'est-à-dire trois mois après son arrivée, quand
je lui dis bonjour en passant, elle me regarde avec un air
étonné, ne me répond pas, et s'en va parler tout bas à la sur-
veillante de la salle. Comme il était naturel, j'ai demandé
en sortant à Mlle la surveillante ce qu'avait aujourd'hui Céles-
tine et ce qu'elle disait ainsi en me désignant. « Ce n'est
rien, me répondit-elle, Célestine n'est pas malade, mais elle
l'amnésie HYSTÉRIQUE. 33
semble devenir stupide, la voici qui demande qui vous êtes et
elle s'étonne qu'un élève nouvellement arrivé dans le ser-
vice l'appelle par son petit nom et la connaisse. Je crus à
une mauvaise humeur ou à une plaisanterie, mais après avoir
examiné la malade, il fallut se rendre à- l'évidence : Célestine
avait eu la veille une crise assez forte qui avait bouleversé,
comme cela arrive souvent, son état mental, et elle m'avait
complètement oublié. Sa mémoire pour tous les événements
survenus pendant son séjour à l'hôpital était évidemment
très faible; mais elle se rappelait assez bien les autres per-
sonnes et me semblait avoir surtout perdu tout souvenir des
faits auxquels j'avais été mêlé. Peut-être cet état bizarre de
la mémoire aurait-il duré quelque temps, mais je fus curieux
de provoquer le sommeil hypnotique pour voir s'il avait
changé aussi. Dans le somnambulisme tous les souvenirs étaient
comme à l'ordinaire; au réveil tout était rétabli et cette singu-
lière amnésie systématisée, survenue après une attaque, avait
disparu. Permettez-moi de vous rappeler aussi à ce propos
cette intéressante malade que M. Charcot nous montrait der-
nièrement. G... à la suite d'une violente émotion a présenté
des somnambulismes spontanés la nuit, puis de grandes
attaques d'hystérie. Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est un
oubli très systématique qu'il est facile de constater. Elle a
passé trois ans en Angleterre et elle parlait et comprenait la
langue anglaise d'une façon très suffisante. Mais dans ces der-
niers mois, depuis que sa maladie s'est aggravée elle a complè-
tement oublié et son séjour en Angleterre, et les rues de
Londres, et la langue anglaise dont elle ne peut plus com-
prendre ni prononcer un mot.
Parmi les amnésies systématisées les plus curieuses de
beaucoup portent sur les souvenirs des images motrices et
provoquent de véritables altérations des mouvements ou même
des paralysies. Je ne veux pas dire que toutes les paralysies
d'origine psychique soient des amnésies, je crois, au contraire,
que certaines d'entre elles se rapprochent des idées fixes : un
certain nombre seulement dépendent de troubles de la mémoire.
L'astasie abasie, telle que l'a décrite M. Blocq, est « une perte
des synergies musculaires qui assurent l'équilibre dans la sta-
tion verticale et dans la marche' ». Le malade ne sait plus se
' Paul Blocq. Sur une affection caractérisée par de l'astasie et de
l'abasie. (Archives de Neurologie, 1888.)
Archives, t. XXIV. 3
34 CLINIQUE NERVEUSE.
servir de ses jambes, il ne sait plus marcher. Nous ne pou-
vons entrer dans le détail de ces altérations du mouvement,
nous rappelons seulement que certaines paralysies des mouve-
ments des bras ou même des mouvements de l'oeil paraissent
être dus à des troubles psychologiques analogues à l'amnésie
systématisée. '
Les amnésies localisées sont encore plus connues que les pré-
cédentes, elles frappent davantage l'observateur. Les événe-
ments dont le souvenir est perdu sont réunis par un caractère
commun : ils appartiennent tous à une même époque, à une
même période de la vie de la malade. Le plus souvent les
choses se passent ainsi : à la suite d'un accident ou d'une
émotion, l'hystérique, qui semblait jusque-là se porter assez
bien, a une violente attaque. Quand la crise est finie, la ma-
lade semble reprendre sa vie ordinaire ; mais les personnes de
son entourage remarquent quelques bizarreries dans sa con-
duite et dans ses paroles. En l'interrogeant, elles constatent
qu'elle ne se souvient pas de l'émotion qu'elle vient d'avoir, et
qu'elle a même oublié tous les faits précédents de son exis-
tence jusqu'à une date plus ou moins reculée. Ainsi, j'ai vu
amener à l'hôpital du Havre une femme qui avait eu un
accident de ce genre. A la suite d'une attaque survenue
au mois de novembre, quelques jours avant son entrée à
l'hôpital, elle était restée paraplégique et avait oublié tous
les faits survenus dans les trois mois précédents ; elle racon-
tait en détail sa vie au début du mois d'août, mais ne pou-
vait rien dire sur ce qui était arrivé en septembre ou en
octobre. (Je vous rappelle pour nous en servir tout à l'heure
que cette femme était à ce moment anesthésique totale et
avait une achromatopsie complète dos deux yeux'.) Ce sont
des cas de ce genre qui ont été désignés sous le nom d'amnésie
localisée et rétrograde.
Très souvent ces amnésies localisées peuvent être beaucoup
moins importantes, beaucoup plus courtes surtout. Elles por,
tent par exemple sur certaines actions qui ont semblé évi-
demment être accomplies d'une manière anormale. Certains
rêves de la nuit pendant lesquels la malade s'est agitée et a parlé
beaucoup, certains délires qui accompagnent la crise, certains
états anormaux qui suivent quelquefois l'attaque semblent ne
1 Voir dans \' Automatisme psychologique, 1889, p. 93, l'observation do
la malade décrite sous le nom de Rosé. ,
l'amnésie HYSTÉRIQUE. 35
laisser aucune trace dans la mémoire. Ces faits sont bien
connus, je préfère insister sur d'autres amnésies qui portent
sur des périodes en apparence normales. Permettez-moi de
vous citer à ce propos quelques lignes d'un livre déjà ancien,
mais très curieux, celui du Dr Despine (d'Aix). Il contient, à
mon avis, l'une des premières et l'une des plus remarquables
descriptions de l'état mental d'une hystérique : « Quelquefois,
dit-il en parlant de sa malade, il y avait un état moral tout'
particulier observé par la mère d'Estelle et dont elle n'avait
pu se rendre compte encore. Il lui arrivait souvent de faire ou
d'entendre une lecture qui semblait l'avoir vivement inté-
ressée et peu d'instants après, l'enfant ne paraissait pas en
conserver le moindre souvenir ! On la portait à la promenade
(elle était paraplégique), elle voyait tout ce qui se passait
autour d'elle, y prenait intérêt, en causait, etc., et au retour,
souvent elle semblait avoir tout oublié, ou bien s'il en restait
quelques traces, elles n'étaient que fugitives et comme un rêve
qui s'enfuyait '. » Que de fois nous avons vérifié cette obser-
vation de Despine, combien de malades qui paraissaient atta-
chées à une lecture ou à un travail et qui sont incapables, si
on les interroge quelques moments après, de nous dire ce
qu'elles viennent de faire ! Ce caractère me paraît très impor-
tant, il faut conserver la pensée que, d'une façon générale et
naturelle, l'hystérique est très prédisposée aux amnésies loca-
lisées, cela nous expliquera bien des phénomènes que nous
produisons artificiellement et qui ne sont qu'une application
particulière de cette prédisposition générale.
Enfin l'amnésie peut être générale : je crois qu'il est bien
rare de rencontrer une amnésie complète portant sur tous les
souvenirs. Certains cas cependant, celui de Mac Nish, celui de
Weir Mitchell (Mary Reynolds) semblent être à peu près de ce
genre. Mais il est plus fréquent, quoique encore exceptionnel,
de voir certaines amnésies qui méritent à mon avis le nom de
continues. ,A partir d'une certaine date la malade perd la
faculté d'acquérir aucun souvenir ; elle conserve la mémoire
des événements anciens antérieurs à une certaine époque,
mais elle ne garde plus que quelques instants la mémoire des
événements présents.
J'avais remarqué déjà des troubles de ce genre plus ou
' Despine (d'Aix). De l'emploi du magnétisme animal dans le trai-
tement des maladies nerveuses, 1810, p. 12.
36 . CLINIQUE NERVEUSE.
moins complets chez quelques malades, en particulier chez
une malade du service de M. Falret ', mais je n'avais jamais
eu l'occasion de voir cette maladie de l'esprit sous sa forme
typique. Vous savez qu'il y a ici dans le service de M. Charcot
un cas d'amnésie probablement unique dans son genre.
L'histoire de M-0 D... nous a été racontée ici même par
M. Charcot 2 il y a peu de temps, elle va être reprise et ana-
lysée complètement dans un mémoire de M. Souques. Je ne
dois donc vous la rappeler qu'en très peu de mots : à la suite
d'une émotion survenue vers la fin du mois d'août dernier,
Mme D... a eu une violente attaque que M. Charcot considère
et à juste titre comme une attaque d'hystérie. Elle sortit de
son attaque dans un état mental tout particulier : 1° elle
avait oublié tout ce qui venait de se passer pendant les deux
mois précédents, et 1° elle était devenue incapable d'acquérir
aucun souvenir nouveau, les événements les plus frappants,
la morsure par un chien enragé, le voyage de Cognac à Paris,
les vaccinations à l'Institut Pasteur n'ont pu se graver assez
dans son esprit pour y laisser un souvenir ; amnésie rétrograde
et antérograde, comme dit justement M. Charcot. Encore
aujourd'hui elle vous demande avec anxiété où elle est : Vous
lui répondez qu'elle est à Paris, à la Salpêtrière, et après
une minute ou deux, au plus, elle déclare qu'elle ne sait où
elle est et qu'elle se croit encore à Cognac. Ce cas d'amnésie
est extraordinaire et vous ne serez pas étonné si j'insiste un
peu tout à l'heure sur les caractères qu'il présente. Ce sera un
bon moyen d'analyser l'amnésie hystérique sous la forme la
plus parfaite.
Sans doute l'amnésie continue est rarement aussi complète',
mais, quand on a appris à la reconnaître d'après ces cas typi-
ques, on ne tarde pas à constater qu'elle existe en réalité très
fréquemment d'une manière plus ou moins atténuée. Elle vient
presque constamment se surajouter aux autres formes d'oublis
' Etude sur un cas d'aboulie et d'idées fixes. (Revue philosophique
1891, t. I, p. 258-384.) . , ! Charcot. Sur un cas d'amnésie rétro-antérograde, probablement
d'origine hystérique. (Revue de médecine, 10 février 1892, p. 81.)
3 Une observation très curieuse de DI\l. J. Séglas et P. Sollier nous
montre une variété d'amnésie continue très analogue au cas de M ? D...,
mais non absolument identique ; nous ne pouvons insister sur ces détails
(folie puerpérale, amnésie, astasie et abasie). (Archives de Neurologie,
n° 60.) . ,
l'amnésie hystérique. 37 Î
et contribue beaucoup à donner aux hystériques leur physio-
nomie particulière. L'indifférence apparente de ces malades,
leur variabilité, leurs caprices et même, comme je compte
vous le montrer, leur étonnante suggestibilité, dépendent de
tous ces troubles de leur mémoire. Je ne puis vous en décrire
les innombrables variétés, je dois me contenter de vous avoir
signalé les principales.
II. Pour résumer rapidement l'état d'une de ces malades
que je viens de vous décrire, nous disons qu'elle a perdu la
mémoire de tel ou tel événement. C'est une expression juste,
mais très vague : le mot « mémoire » en effet résume un ensem-
ble de phénomènes et même de fonctions psychologiques très
différentes les unes des autres. Une altération de la mémoire
considérée dans son ensemble peut être due à une lésion par-
ticulière de telle ou telle des opérations composantes. Il n'est
pas sans importance de savoir avec précision quel est le phé-
nomène altéré : cela transforme à mon avis complètement le
diagnostic médical. Suivant que nous attribuons le trouble de
la mémoire à l'une ou à l'autre des opérations élémentaires,
nous aurons affaire à des démences ou à des cas d'hystérie.
Il y a donc intérêt, quand cela est possible, à pouvoir préciser.
Pour y parvenir permettez-moi, messieurs, de vous résumer
brièvement les principales opérations qui, aux yeux des psy-
chologues, semblent constituer un souvenir complet. A propos
de chacune d'elles, nous nous demanderons, si elle est sup-
primée ou lésée gravement dans les cas d'amnésie que nous
avons décrits. Nous arriverons ainsi par une sorte d'élimina-
tion à reconnaître la lésion fondamentale qui caractérise ces
amnésies et les distingue de tous les autres. -
Il y a d'abord dans la mémoire telle que les philosophes la
décrivent des opérations intellectuelles assez compliquées qui
nous permettent de reconnaître les souvenirs, de les distinguer
soit des imaginations, soit des sensations présentes et de les
localiser à tel ou tel point du passé. Ces opérations délicates
doivent être très souvent altérées dans toutes les maladies de
l'esprit et dans l'hystérie comme dans les autres. Mais leur
trouble donne lieu à des illusions, à des délires plutôt qu'à de
véritables amnésies et nous n'avons pas à insister sur leur
étude.
Il nous faut considérer dans la mémoire des opérations plus
38 CLINIQUE NERVEUSE.
élémentaires : la première de toutes est appelée depuis. bien
longtemps la conservation des souvenirs. Ce mot n'est que la
description d'un fait et non son explication : les phénomènes
psychologiques qui se sont produits une fois, ne disparaissent
pas complètement, ils laissent des traces, comme on disait
autrefois, c'est-à-dire qu'ils laissent dans le cerveau une cer-
taine modification fort inconnue qui leur permet de se repro-
duire. En un mot, un phénomène psychologique est conservé
quand il peut de temps en temps être reproduit; il n'est plus
conservé, quand sa reproduction est devenue définitivement
impossible. Il peut y avoir, il y a même certainement, des
amnésies dues à une lésion de ce genre. Supposons une des-
truction définitive et matérielle des cellules cérébrales qui ont
emmagasiné les modifications inconnues laissées par les sen-
sations et les souvenirs de ces sensations seront matérielle-
ment détruits d'une façon irréparable. En est-il ainsi pour les
amnésies hystériques. Non, certainement, sur ce point je n'ai
pas d'hésitation. Une amnésie de nature hystérique, si pro-
fonde, si longue qu'elle semble être, n'est pas due à la des-
truction même des traces laissées par les sensations. En
d'autres termes, dans toute amnésie hystérique, la conservation
des souvenirs subsiste encore.
Je le prouve en montrant qu'il est toujours possible, plus ou
moins facilement, de reproduire au moins momentanément
ces souvenirs en apparence disparus. Voici d'abord un exemple
très simple : Cette jeune fille, Berthe, est hypnotisable ; je n'ai
pas la prétention d'expliquer en un mot ce que c'est que l'hyp-
notisme. C'est là encore probablement un même nom appliqué
confusément à des choses fort différentes les unes des autres.
Je vous rappelle seulement un fait bien connu de tous : l'hyp-
nose est un état qui ne laisse pas de souvenirs après le réveil
du malade. Cet oubli est plus ou moins net, plus ou moins
rapidement obtenu après les premières hypnotisations, mais il
est à mes yeux la caractéristique de l'état somnambulique plus
ou moins grave. Chez la jeune fille que je vous montre, chez
Berthe, il a existé, je vous l'affirme, dès la première fois que
je l'ai endormie. Ce fait n'a rien d'étonnant, c'est une jeune
fille prédisposée à ce phénomène, ayant naturellement et à
chaque instant des amnésies localisées analogues à celles qui
ont été décrites par Despine. Elle avait depuis de longues
années avant de venir à l'hôpital des somnambulismes natu-
l'amnésie hystérique. 39
rels, la nuit d'abord et, cela ne nous surprend pas, même le
jour. Quand on la secouait pour la réveiller de ses hypnoses
spontanées, elle restait tout ahurie, ayant totalement oublié ce
dont on l'avait chargée l'instant précédent. L'hypnose con-
siste simplement à reproduire artificiellement chez elle un de
ces nombreux états suivis d'amnésie dans lesquels elle entrait
d'elle-même à chaque instant. Eh bien, cet oubli n'est qu'une
apparence, une illusion; il suffit de la rendormir, de la
remettre par suggestion, ou mieux par une habitude automa-
tique dans un état moral analogue à celui dont elle vient de
sortir pour qu'elle retrouve tous les souvenirs. C'est là une loi
de somnambulisme qui est bien connue, mais qui ne se vérifie
pas en cinq minutes sur une estrade ; vous aurez en examinant
des malades bien des occasions de vous faire sur ce point une
conviction personnelle.
Voici un autre cas plus complexe, Marguerite a de grandes
attaques d'hystérie depuis deux ans et, à la suite de ces attaques,
elle entre dans une sorte de somnambulisme assez compliqué
que je ne vous décrirai point. Je vous rappelle seulement que
c'est un état spontané qui fait partie de la crise hystérique et
dont elle sort par des convulsions. Elle n'a jamais su au réveil
ce qui se passe pendant cette période, il semble qu'il y ait là
un oubli complet produit naturellement par l'attaque. Eh bien,
il n'en est rien, on peut reproduire artificiellement ce même
état qui semblait faire partie intégrante de l'attaque et elle
nous répétera minutieusement alors ce que vous lui aurez dit
pendant la crise. Ici encore il y a conservation des souvenirs.
Il en est encore de même pour les amnésies si curieuses de
cette jeune femme G... qui semble avoir totalement oublié la
langue anglaise. Quand elle est en état de somnambulisme
provoqué, elle parle de Londres, des parcs, des promenades,
de l'établissement où elle travaillait et soutient parfaitement
une conversation en anglais. L'oubli de la langue anglaise
n'existe que pendant la veille et non pendant le somnambu-
lisme '.
1 Voir Automatisme psychologique, p. 73, 76 et sq., quelques-unes des
précautions à prendre pour étudier les faits de mémoire alternante. On
n'arrive pas toujours immédiatement, en hypnotisant la malade d'une
manière quelconque, à lui faire retrouver tous les souvenirs qu'elle
semble avoir perdus; il est quelquefois nécessaire de varier, par une
sorte de tâtonnement, le somnambulisme que l'on provoque, pour mettre
l'esprit dans un certain état où il retrouve les souvenirs cherchés. Cette
40 CLINIQUE NERVEUSE.
. Mais, quand il s'agit de l'amnésie continue et si étrange que
présente Mme D..., conservons-nous encore malgré les appa-
rences la même certitude. Certainement et pour la même rai-
son : ces souvenirs peuvent se reproduire à de certains moments,
donc ils sont toujours bien conservés. Vous savez comment
M. Charcot s'est aperçu pour la première fois de cette conser-
vation : cette personne qui ne se souvenait de rien pendant la
veille et qui ne pouvait même pas retenir cinq minutes le nom
de la Salpêtrière où elle était, avait des rêves la nuit et disait
assez haut en dormant des paroles que ses voisines ont pu
entendre'. En rêve, elle parlait du chien enragé, de la Salpê-
. trière, des médecins en tablier blanc, enfin de tout ce qu'elle
paraissait avoir oublié. Il a suffi, d'ailleurs, de l'endormir arti-
ficiellement pour lui faire dire en détails tous les événements
de sa vie au mois d'août ou au mois d'octobre. Ce dernier cas
est le plus frappant, il vient confirmer les autres et nous
prouve la conservation des souvenirs dans l'amnésie hysté-
rique.
Les psychologues nous décrivent alors un autre phénomène
essentiel dans le souvenir, c'est la reproduction des images. Par
un mécanisme que nous n'avons pas à étudier et dans lequel
l'association des idées joue le plus grand rôle, les phénomènes
psychologiques primitifs qui se sont conservés à l'état latent
réapparaissent un peu. moins forts, moins complets, mais à
peu près avec les mêmes caractères que la première fois. On
les appelle alors des images et on comprend que la renaissance
des images au moment opportun soit une condition essentielle
du souvenir complet. Est-ce ici que nous allons trouver l'ex-
plication de l'amnésie hystérique ? Cela semble au premier
abord très vraisemblable : lI"'e D..., par exemple, semble ne
pouvoir reproduire les images qu'en rêve, pendant le sommeil
et ne pas pouvoir les reproduire quand il le faut suivant les
besoins de la veille. Et bien, sans rien affirmer d'absolu, je
vous dirai que je ne crois même pas à une lésion de ce genre
recherche peut être quelquefois très difficile; mais nous croyons cepen-
dant que, par toutes les ressources de l'hypnotisme et de la suggestion,
on peut toujours arriver à produire chez l'hystérique un état artificiel
assez analogue aux états naturels qui ont été oubliés pour restaurer le
souvenir. Cela suffit pour démontrer ce que nous avons avancé ici, la
conservation des souvenirs malgré l'amnésie hystérique.
'' Charcot.- Revue de médecine, 1892, p. 94.
l'amnésie hystérique. 41
dans l'amnésie hystérique. A mon avis, les souvenirs peuvent
se reproduire quand il le faut, même pendant la veille et
Mme D..., si je ne me trompe, a tout le temps dans l'esprit et
sur les lèvres la réponse à la question qu'on lui pose ou qu'elle
se pose à elle-même. Pourquoi est-ce que je me figure une
chose pareille, quand la pauvre femme se déclare si malheu-
reuse et prétend qu'il lui est absolument impossible de retrou-
ver le moindre souvenir. C'est que nous avons déjà vu bien des
choses semblables chez les hystériques. Nous avons vu qu'elles
semblaient ne pas sentir, ne pas voir et que cependant à ce
moment même elles avaient très bien dans l'esprit les sensa-
tions tactiles et visuelles. On peut se demander s'il n'en serait
pas de même pour les images qui diffèrent si peu des sensa-
tions.
, La conduite même de Mme D... dans le service nous montre
qu'elle possède en réalité, ces souvenirs qu'elle semble ne
pouvoir retrouver. Elle semble ne connaître personne et cepen-
dant elle va toujours s'asseoir près des mêmes malades et
cause toujours avec les mêmes personnes. Elle ne se souvient
aucunement d'avoir été mordue par un chien enragé et cepen-
dant elle se sauve en poussant des cris de terreur dès qu'un
de ces animaux s'approche d'elle. Mme D... me disait elle-
même, ce qui est assez curieux, qu'elle n'avait pas autrefois
cette peur des chiens, et qu'elle ne sait pourquoi elle les re-
doute ainsi maintenant : les souvenirs semblent donc se repro-
duire chez elle à propos, quoique à son insu.
Voici le procédé qui m'a réussi pour mettre en évidence
l'existence de ces images du souvenir. Je dis : « le procédé qui
m'a réussi x, car je ne prétends pas qu'il n'y en ait aucun
autre. Si par un dressage, par des suggestions quelconques
autrement faites, vous réussissez à mettre en évidence les sou-
venirs de M ? D... et surtout à les lui rendre, j'en serai très
heureux. Cela démontrera encore mieux que les souvenirs de
cette malade sont présents et qu'il ne lui manque que bien peu
de chose pour avoir une mémoire normale. Mais tout ce que
je sais, c'est que M. Souques, pendant deux mois et moi-même
depuis un mois, nous avons essayé par toutes les suggestions
possibles de forcer M"4 D... à retrouver ces souvenirs et que
nous n'avons pas réussi. C'est pourquoi je vous demande la
permission de vous montrer le procédé qui ne lui rend pas ses
souvenirs, mais qui montre leur existence.
42 CLINIQUE NERVEUSE
Sion l'interroge directement, si je lui demande, par exemple,
de prononcer ou même d'écrire volontairement le nom de l'in-
terne qui la soigne, vous voyez qu'elle semble faire effort, qu'elle
ne trouve pas et se déclare incapable d'écrire un nom qu'elle ne
sait pas. Procédons autrement, je m'écarte d'elle et je prie une
autre personne, mon ami M. Carpentier, de causer avec la '
malade ; elle répond à ses questions, parait faire attention à ce
qu'il lui dit et ne s'occupe plus de moi. Je lui glisse un crayon
dans la main droite et elle le prend sans se retourner ; c'est
bizarre, mais cela se passe ainsi chez la plupart des hystériques
qui sont, comme nous l'avons vu, des malades très faciles à dis-
traire. En général, un homme normal, dont la main n'est pas
insénsible, sentirait qu'on lui met un objet entre les doigts et
se retournerait. Il faudrait une conversation d'un intérêt bien
puissant pour le rendre ainsi indifférent. Chez les hystériques
il n'en est pas ainsi, la moindre des choses suffit souvent pour
les distraire si complètement, qu'elles ont à ce moment de véri-
tables anesthésies. Profitons de cette disposition, et pendant
que Mmo D... continue à causer avec M. Carpentier, faisons-lui
une suggestion comme si elle était capable de nous entendre.
« Ecrivez, lui dis-je, le nom de l'interne de votre salle. » Vous
voyez la main qui tient le crayon se mettre en mouvement et
écrire ce mot : « M.Lamy. » De la même manière je lui demande
ce qu'elle s'est fait à la main gauche et elle écrit sans hésiter :
« Je me suis coupée avec du verre. » En un mot, elle va répon-
dre de cette manière à toutes les questions possibles et dans
son écriture ainsi obtenue va nous montrer la reproduction de
tous les souvenirs qu'elle paraissait avoir complètement per-
dus. Je n'ai pas l'intention, messieurs, d'étudier complètement
avec vous cette écriture qui, d'ailleurs, ne se présente pas chez
Mme D... d'une façon bien remarquable. Je n'insiste pas pour
vous montrer qu'en réalité M ? D... déclare n'avoir pas entendu
mes questions, qu'elle affirme n'avoir rien écrit, qu'elle s'étonne
de ces écritures, quand on les lui montre et n'admet pas
qu'elle les ait écrites. Ce sont là des détails qui ne sont pas
aujourd'hui indispensables. Tout ce que je vous demande de
constater, c'est que cette écriture involontaire et, en apparence
au moins, inconsciente, manifeste des»souvenirs que l\lme D...
est incapable de posséder autrement quand elle est éveillée.
Ne vous figurez pas que j'attribue ici à l'écriture une puissance
merveilleuse pour ressusciter les souvenirs de M ? D... Non, je
l'amnésie hystérique. 43
vais peut-être réussir à manifester ces souvenirs d'une autre
manière, par la parole même. Mais cette malade n'arrive jamais
à les dire et aucune suggestion n'a réussi à les lui faire expri-
mer, quand elle est éveillée. Sans doute, mais nous allons
encore recourir à un procédé qui réussit quelquefois. Je m'en
vais encore la distraire, mais en évitant cette fois d'attirer son
attention sur la parole. Je lui donne un livre à lire, ou mieux
je lui donne une multiplication à faire. Pendant qu'elle est bien
absorbée dans son travail, nous remarquons les mêmes phé-
nomènes de distraction, nous pouvons la toucher, lui parler
aux oreilles sans qu'elle se retourne. Je lui demande ainsi :
« Comment s'appellent les deux malades qui sont vos voisines
dans la salle, »' Ses lèvres remuent et elle répond tout bas :
Mme C... et M-1 P... Je puis même lui commander de répondre
plus haut ; si elle est bien distraite par sa lecture ou sa multi-
plication, elle va le faire tout haut et très correctement. Nouveau
fait dont je ne tire toujours qu'une seule conclusion : la repro-
duction des souvenirs existe chez elle, elle semble se faire nor-
malement suivant les besoins; et ce n'est pas encore dans ce
phénomène de la reproduction que nous trouvons la lésion qui
constitue l'amnésie hystérique K
Mais où donc chercher cette altération de la mémoire qui
doit bien exister quelque part pour produire des résultats aussi
manifestes. Les psychologues dans leurs descriptions, n'admet-
.tent pas d'autres phénomènes élémentaires de la mémoire, en
dehors de la conservation et de la reproduction. Je crois qu'ils
ont tort et que la maladie décompose et analyse mieux la
mémoire que n'a pu faire la psychologie. Ainsi que nous
l'avons vu dernièrement, il ne suffit pas qu'une sensation
isolée, simple, soit produite dans l'esprit pour qu'elle soit par
cela même appréciée par le sujet. Il faut, pour la conscience
complète d'une sensation qui s'exprime par le «je sens»,
qu'une nouvelle opération s'ajoute à la première. Il faut
' Il est peine nécessaire de faire remarquer que ce caractère du sou-
venir inconscient n'existe pas seulement dans le cas de M™" D.... Je l'ai
'montré sur cette malade, parce qu'il était plus curieux de le constater
malgré une amnésie aussi considérable; mais on pourrait aussi bien le
mettre en évidence dans les cas d'amnésie localisée et moins grave. En
général, il est presque toujours facile de retrouver dans l'écriture auto-
matique des hystériques, obtenue par les procédés précédents, le souve-
nir des rêves, des délires, des somnambulismes, etc., dont elles semblent
n'avoii aucune mémoire.
. 44 clinique nerveuse.
qu'une sorte de synthèse réunisse les sensations produites et
les rattache à la masse des idées antérieures qui constitue la
personnalité. Eh bien, il doit en être de même pour les
images : il ne suffit pas, pour que nous ayons conscience d'un
souvenir, que telle ou telle image soit reproduite par le jeu
automatique de l'association des idées, il faut encore que la
perception personnelle saisisse cette image et la rattache aux
autres souvenirs, aux sensations nettes ou confuses, exté-
rieures ou intérieures dont l'ensemble constitue notre person-
nalité. Cette opération est si simple et si facile chez nous que
l'on ne soupçonne' même pas son existence. Mais elle peut
être altérée et supprimée, tandis que les autres phénomènes
du souvenir subsistent intégralement, et son absence suffira
pour produire chez les malades un trouble de la mémoire qui
sera, pour eux, une véritable amnésie. Voyez en effet ce
qui se produit chez M ? D..., le type le plus curieux de
l'amnésie que je puisse analyser. Le souvenir semble absent
chez elle dans plusieurs circonstances, quand on l'interroge,
quand elle s'interroge elle-même. Ces circonstances ont un
caractère commun : le souvenir semble disparaître toutes les
fois que sa personnalité est en jeu, toutes les fois où il fau-
drait dire : = Je me souviens. » Au contraire, le souvenir
semble présent dans plusieurs autres circonstances, le rêve,
le sommeil hypnotique, l'écriture et la parole, obtenues pen-
dant qu'elle est distraite par quelque autre opération cons-
ciente. Ici encore il y a un caractère commun : le souvenir
se présente quand la conscience claire et personnelle est
absente, quand le souvenir est isolé, sans rapport avec la vie
complète de la malade. Reprenons l'étude des deux expé-
riences que je viens de vous montrer; elles sont, comme vous
vous en êtes aperçus, difficiles à reproduire et elles échouent
souvent. Dès que M ? D... fait attention à son écriture,
dès qu'elle sent, ou entend sa propre parole, tout s'arrête
et il n'est plus possible de manifester le souvenir. Cela
est bien net, chez elle : l'attention consciente du sujet loin de
faciliter l'écriture, comme il arriverait chez un simulateur, la
supprime absolument. Le souvenir en un mot ne se mani-
feste qu'à l'insu de la personne; il disparaît quand la per-
sonne doit parler ou écrire en son propre nom, en sachant
elle-même ce qu'elle fait. Je ne cherche pas à expliquer ces
faits délicats, je cherche à les décrire, à les résumer. Et dans.
l'amnésie HYSTÉRIQUE. 45
ce sens, n'ai je pas le droit de dire que la plupart des opérations
élémentaires du souvenir, conservation, puis reproduction des
images existent comme ,chez l'homme normal ; mais que la
perception personnelle des souvenirs est en grande partie sup-
primée.
Je crains, en vous exprimant cette façon de concevoir
l'amnésie hystérique, que vous ne tombiez dans un excès
- fâcheux. Comment, direz-vous, l'oubli des hystériques, celui
qui suit les somnambulismes, celui qui suit les crises, celui
qui est continu chez la malade de M. Charcot, n'est que cela,
une sorte de distraction de la personnalité;' mais alors ce
n'est rien et l'on peut dire que cet oubli n'existe pas, qu'il
n'est qu'une complaisance du sujet. Non, certainement non,
cet oubli est très réel, très pénible pour le sujet; c'est une
petite lésion psychologique et ce n'en est pas moins une infir-
mité. Les oublis de Berthe qui survenaient à chaque instant
de la journée et que je reproduis à volonté et si facilement en
apparence, l'ont fait renvoyer du magasin où elle travaillait
et l'ont réduite à la misère. Les oublis de Mme D... ont
forcé à la transporter à Paris, à la placer pendant des mois à
la Salpêtrière, loin de son mari et de ses enfants qui pleurent
après elle. Une lésion, pour être morale n'en est pas moins
réelle et quelquefois très grave, et l'on peut être toute sa vie
enfermé dans un asile pour un simple trouble de la notion de
personnalité. Les amnésies hystériques, comme les anesthé-
sies, nous semblent être quelque chose de ce genre, une dimi-
nution ou une suppression localisée ou générale de la faculté
qui consiste à rattacher les images à la personnalité, de la per-
ception personnelle des souvenirs.
III. Messieurs, il serait peut-être prudent de nous
arrêter ici : les notions que je vous ai exposées sur l'amnésie
hystérique me paraissent résumer assez bien les connais-
sances actuelles. Peut-être est-il dangereux de chercher à
s'aventurer, plus loin. Cependant, il est toujours permis de
raconter certains faits et d'exprimer les idées qu'ils nous sug-
gèrent, quand on prend la précaution d'indiquer le caractère
problématique de ce que l'on avance. Nous avons compris
l'amnésie hystérique en général, mais je me suis demandé
souvent si l'on ne pouvait pas analyser avec plus de préci-
sion tel ou tel cas particulier. Pourquoi donc, par exemple,
46 . CLINIQUE NERVEUSE.
chez les malades qui n'ont pas des amnésies continues mais
des amnésies localisées, l'oubli porte-t-il sur ce fait plutôt
que sur un autre ? Pourquoi oublient-ils telle période de leur
existence plutôt que telle autre ? Je me hâte de dire que je n'ai
pas de réponse générale s'appliquant à tous les cas, mais, dans
certains cas' particuliers, il m'a semblé que l'on pouvait
observer certains faits déterminés en rapport avec l'amnésie
et variant assez régulièrement avec elle. Si isolés que soient
ces faits, nous devons vous les indiquer.
Ainsi que je vous l'ai dit en commençant, l'un des cas
d'amnésie qui m'avaient le plus frappé était celui d'une
malade de l'hôpital du Havre. Elle avait dans son souvenir
une lacune incontestable et assez étendue de trois mois de
durée, ce qui est déjà assez long et assez rare. A l'inverse des
malades dont nous venons. de parler, il ne suffisait pas de
l'hypnotiser d'une façon quelconque pour qu'elle retrouvât
les souvenirs et, malgré toutes mes tentatives prolongées pen-
dant plus de six semaines, je n'avais retrouvé aucune mé-
moire de cette longue période '. Cette femme présentait,
comme cela arrive fréquemment chez les hystériques très
malades, un somnambulisme très instable, changeant conti-
nuellement, entrecoupé de spasmes et de petits accidents con-
vulsifs. Un jour, dans un de ces états somnambuliques acci-
dentels, elle me dit spontanément : « Vous m'avez souvent
demandé ce qui s'est passé au mois d'août et au mois de sep-
tembre. Pourquoi donc n'ai-je pas pu vous répondre, c'était
si simple; je le sais bien maintenant, j'ai fait ceci et cela,
etc., etc.2... » Le souvenir des trois mois oubliés était totale-
ment revenu ainsi que je pus le vérifier. Mais dès que ce som-
nambulisme changea et que le sujet entra dans l'état de veille
ou dans un autre somnambulisme, ces souvenirs disparurent
de nouveau complètement. J'ai cherché ce que cet état pou-
vait avoir de particulier et j'ai été frappé par une constatation
que je continue à considérer comme intéressante : dans ce som-
nambulisme particulier, qui amenait le retour des souvenirs,
Rose recouvrait subitement la sensibilité tactile' et muscu-
Il Il est bon de dire qu'à ce moment je ne connaissais pas comme
aujourd'hui l'usage de l'écriture automatique pendant la veille et même
pendant diverses variétés du somnambulisme qui probablement m'aurait
donné d'autres résultats.
' Automatisme psychologique, 1889, p. 91.
l'amnésie hystérique. 47
laire de tout le côté droit, tandis que dans les autres états elle
était perpétuellement anesthésique totale. D'autre part, grâce
à des renseignements que j'ai eu le bonheur de pouvoir
recueillir, il m'a été démontré que Rose était sensible du côté
droit et se trouvait également hémi-anesthésique gauche pen-
dant la période des trois mois dont le souvenir avait été
perdu. La restauration accidentelle, j'en conviens, du même
état de sensibilité s'était accompagné de la restauration de
tous les souvenirs de cette période. Des faits de ce genre ont
été, je crois, assez souvent signalés. Je vous rappellerai sur-
tout l'observation extraordinaire de Louis V à laquelle de
nombreux auteurs ont collaboré'. Ce malade célèbre présente
cinq ou six personnalités' différentes, ou plutôt cinq ou six
états de mémoire différents, caractérisés chacun par des sou-
venirs et des amnésies déterminées. Je vous rappelle que dans
chacun de ces états de souvenir il avait un état particulier de
la sensibilité, et il suffisait, quand c'était possible, de rétablir
artificiellement tel ou tel état de la sensibilité, pour faire
naitre immédiatement l'état de mémoire correspondant. On
constate chez ce malade et chez beaucoup d'autres une rela-
tion étroite entre l'état de la sensibilité et l'état de la mémoire,
telle que nous l'avions rencontrée en observant les somnam-
bulismes de Rose.
Cette relation, nous avons cherché à la vérifier expérimen-
talement en produisant des anesthésies bien déterminées et en
cherchant leur influence sur des souvenirs également déter-
minés. Nous sommes arrivés ainsi, croyons-nous, à constater
certains faits qui ne nous semblent pas dépourvus d'intérêt.
Bien souvent, je rie dis pas toujours, quand une hystérique a
perdu complètement une'certaine sensibilité, elle a perdu en
même temps la faculté de percevoir les images qui dépendent
de cette sensibilité. Ainsi une malade dont j'ai rapporté autre-
fois l'observation, était atteinte d'une dyschromatopsie com-
plète et ne percevait ni d'un oeil ni de l'autre aucune couleur.
Il m'était alors impossible de lui faire éprouver aucune hallu-
cination colorée ; elle voyait, disait-elle, les fleurs et les objets
que je lui suggérais de voir, mais elle les voyait toujours gris
' H. Bourru et P. Burot. Variations de la personnalité, 1888, surtout
p. 123 et suiv. Voir dans le même ouvrage un certain nombre d'observa-
tions tout à fait analogues.
48 . CLINIQUE NERVEUSE.
et blancs Elle n'avait pas plus à la disposition de sa percep-
ception personnelle les images des couleurs que les sensations
des couleurs. Quelquefois aussi on peut faire une vérification
en quelque sorte inverse; si l'on suggère très fortement au
sujet qu'il éprouve une certaine sensation tactile, un chatouil-
lement, par exemple, sur un membre qui est anesthésique, il
arrive parfois que la suggestion réussit et que le sujet se plaint
d'éprouver le chatouillement. A ce moment vous pouvez cons-
tater en pinçant le bras, que la sensibilité tactile est revenue
tout entière à ce membre. L'image n'a pu être évoquée sans
ramener en même temps dans la conscience personnelle la sen-
sation elle-même. On peut varier indéfiniment ces expériences,
et dans la plupart des cas vous constaterez une sorte de loi
d'une application assez régulière; les sensations et les images
de la même espèce semblent associées ; elles sont à la fois pré-
sentes ou absentes dans la perception personnelle. Si nous
reprenons le schéma qui nous a servi dernièrement, nous
pouvons à chaque sensation élémentaire T T' T", M M', etc.,
associer les images correspondantes, images tactiles t t' t",
' 1f. Paul Richer signalé, le premier je crois, ce phénomène : Etudes
cliniques sur la grande hystérie, 1885, p. 707, mais il l'a constaté sur
une femme qui n'était acliromatopsique que d'un oeil, ce qui rend l'in-
terprétation psychologique plus difficile. Pour la discussion complète de
ces expériences, voir Automatisme psychologique, p. 96 et p. 152.
Fig. 1.
L'AMNÉSIE HYSTÉRIQUE. 49
musculaires m m' m", visuelles v v' v" et auditives a a' a".
Nous lirons alors l'expression graphique de ce fait : la percep-
tion personnelle P P quand elle saisit les sensations M' V V' A
est en même temps capable de saisir les images associées
m' v v' a, au contraire en négligeant les sensations TT' T" elle
perd en même temps les images t t' t". En un mot, des amné-
sies semblent dépendantes des anesthésies. Ce serait alors la
variation brusque de l'état de sensibilité qui déterminerait les
amnésies localisées'.
Ces remarques semblent justes et cependant, je dois vous
avouer, qu'à mon avis, elles sont loin de résoudre entièrement
le problème. En effet, il est facile de comprendre que les dis-
paritions et les retours des souvenirs ont lieu en pratique d'une
manière bien plus compliquée. La disparition d'une certaine
sensation et d'une certaine image peut bien ne pas donner
lieu à tous les oublis que la théorie précédente nous indique-
rait. Il peut se produire des suppléances : le même souvenir,
celui d'une personne qu'on a vue, par exemple, peut être
représenté dans l'esprit par des images de différente nature.
Les images auditives du son de la voix, le nom même de cette
personne peut suffire à la rappeler à notre pensée, quand nous
avons perdu l'image visuelle de son visage et bien souvent les
oublis que toute anesthésie devrait amener, sont compensés
et ne se manifestent guère. D'autre part, certaines images
jouent dans nos souvenirs un rôle trop important : elles ser-
vent en quelque sorte de centre de ralliement autour duquel
tous les autres souvenirs sont coordonnés et la perte de ces
' L'hystérique, incapable à cause du rétrécissement du champ de sa
conscience de réunir continuellement dans une même perception person-
nelle toutes les sensations et les images, semble choisir pour les perce-
voir, tantôt les unes, tantôt les autres. Elle a une perception personnelle
très instable. Les hommes ordinaires, dit M. Charcot, sont des auditifs,
des visuels ou des moteurs, quelques-uns appartiennent au type indiffé-
rent. Je crois qu'il serait peut-être nécessaire d'admettre pour les hysté-
riques le type alternatif; car elles passent naturellement ou artificielle-
ment d'un type à un autre; elles sont, par exemple, des visuelles à l'état
de veille et des motrices en somnambulisme. Naturellement, suivant
qu'elles prennent tel ou tel type de pensée, elles possèdent ou elles
perdent telle ou telle catégorie de souvenirs. Ces réflexions sont malheu-
reusement trop simples encore pour s'appliquer à toutes les amnésies
hystériques; elles ne sont exactement applicables qu'à des cas très par-
ticuliers, c'est pourquoi je les indique en note sans insister. Voir Auto-
matisme psychologique, p. 104, l'observation d'une hystérique absolument
conforme à cette description.
Archives, t. XXIV. 4
50 CLINIQUE NERVEUSE.
images, quand elle a lieu, amène des amnésies considérables,
peu en rapport, en apparence, avec l'anesthésie qui les produit.
Ajoutons enfin que cette association des images et des sensa-
tions, comme celle des sensations tactiles et des mouvements,
est une association habituelle, très générale, mais qu'elle n'est
pas nécessaire et que, dans certains cas, elle peut être rompue
et vous comprendrez pourquoi je vous ai présenté cette expli-
cation des amnésies comme particulière et limitée à certains
cas.
Ce n'est que dans un petit nombre de circonstances que les
notions précédentes peuvent avoir des applications vraiment
utiles et nous faire comprendre certains phénomènes de
mémoire; nous croyons les rencontrer dans certains cas de
somnambulisme. Je n'ai pas la prétention d'étudier devant
vous et incidemment tous ces phénomènes psychologiques qui
ont été confondus sous le nom de somnambulisme. Mon ami,
M. Guinon, vous a déjà fait connaître avec une grande préci-
sion les principaux d'entre eux; je désire seulement vous en
signaler quelques-uns. '
Les somnambulismes, pour ne les considérer qu'à un seul
point de vue, sont des modifications de la mémoire ; ce sont
des états dans lesquels les sujets ont des souvenirs particuliers
qu'ils ne retrouvent plus quand ils en sortent. Etant donnée la
prédisposition des hystériques aux amnésies localisées, de tels
états seront chez elles très nombreux, très variés et très faciles
à produire. Cela résulte non des procédés que l'on emploie,
mais du terrain sur lequel on opère. Parmi tous ces états som-
nambuliques, dont l'étude est interminable, il est tout naturel
que l'on choisisse pour les examiner de préférence, ceux qui
nous présentent quelques caractères intéressants. Or les carac-
tères qui nous intéressent varient selon le but que nous nous
proposons d'atteindre. Autrefois, il y a vingt ans à peine, le
grand.point n'était pas d'analyser en détail tel ou tel état som-
nambulique ; il fallait démontrer l'existence de ces états anor-
maux, écarter l'objection facile et banale de la simulation et
obtenir le droit d'étudier ces phénomènes. Celui qui s'aventu-
rait dans de semblables travaux risquait de compromettre sa
réputation et sa carrière et s'exposait à se voir confondre avec
des personnages de renommée assez douteuse, sans valeur
médicale ni scientifique. Il ne pouvait donc pas présenter un
somnambulisme quelconque, uniquement caractérisé par des
l'amnésie hystérique. 51
symptômes psychologiques. Il fallait choisir des états som-
nambuliques chez des hystériques qui fussent accompagnés de
modifications somatiques visibles et tangibles, de caractères
susceptibles de s'inscrire sur un cylindre enregistreur pour
convaincre les incrédules. C'est grâce à ces travaux, ne l'ou-
blions pas, que le droit à l'étude du somnambulisme a été
conquis. Mais, il y a d'autres formes du somnambulisme, s'est-
on écrié aussitôt dès que ce droit a été acquis. Qui donc vous a
jamais dit le contraire ? Si je vous présente ici des malades
n'ayant dans leur somnambulisme que des modifications pure-
ment morales, c'est que M. Charcot les a vus et m'a demandé
de vous les présenter. Il faut dans la science savoir être recon-
naissant, pour que nos faibles travaux, quand ils seront bien
vite dépassés, ne soient pas entièrement oubliés. Aussi, je le
dis, sans hésiter, si je puis aujourd'hui vous présenter les états
somnambuliques que nous étudions, c'est parce que depuis bien
des années, dans cet amphithéâtre, on vous en a présenté
d'autres.
Aujourd'hui, nous pouvons choisir parmi les états somnam-
buliques avec plus de liberté et je vous en signale quelques-uns
qui me paraissent intéressants. Ainsi je vous propose d'appeler
états ou somnambulismes à mémoire réciproque ou, pour abré-
ger, somnambulisme réciproques certains états tels que le sou-
venir du premier se retrouve dans le second et le souvenir du
second dans le premier. Par exemple, je vous ai dit que cette
jeune fille, Marguerite, avait des sortes de délires consécutifs
à ses attaques d'hystérie. Avec plus de précision, elle a, à la fin
de l'attaque, deux périodes de somnambulisme différentes. Dans
la première, elle reste immobile, les yeux fermés comme
endormie, elle ne répond pas et ne parait pas entendre. Dans
la seconde, elle ouvre les yeux, remue et parle d'une manière
naturelle, mais semble ne pas connaître les personnes qui
l'approchent et avoir oublié tous les événements survenus
depuis qu'elle est malade. Cette dernière période se termine
par quelques convulsions et la malade se réveille dans son état
normal avec l'oubli complet des deux états précédents. Eh bien,
on peut provoquer artificiellement chez elle divers états som-
nambuliques ; dans l'un de ces états provoqués, vous voyez
qu'elle reste étendue, les yeux fermés, mais qu'elle peut parler,
si on insiste. Elle nous raconte ce qui est arrivé pendant la
période de sommeil qui suit la crise, que telle personne est
52 CLINIQUE NERVEUSE.
venue près d'elle, que son père l'a embrassée, etc. Réciproque-
ment, si je lui dis maintenant quelque chose, elle pourra me
le répéter, dans sa prochaine crise, pendant cette même
période de sommeil. Ce sont donc là deux états à mémoire
réciproque. - -
Pendant qu'elle est endormie, forçons-la à ouvrir les yeux,
il arrive alors une chose qui est loin d'être ordinaire pendant
le somnambulisme, elle change totalement d'état et perd le
souvenir de ce qu'elle vient de me dire quand elle avait les
yeux fermés. Mais par contre, elle a acquis des souvenirs tout
nouveaux, elle me raconte ce qui s'est passé pendant le
deuxième somnambulisme de son attaque et réciproquement
dans cette période de l'attaque elle se souvient de ses som-
nambulismes artificiels les yeux ouverts. Voici encore deux
états réciproques.
Eh bien, dans les états de ce genre, vous remarquerez, je
crois, très souvent un fait important : c'est que l'état de la sen-
sibilité est le même dans les deux états réciproques. Vous
pourriez le vérifier ici avec précision, si nous avions le loisir
d'étudier en détail les divers états psychologiques que cette,,
malade traverse. Vous verriez que les états de mémoire ne
deviennent identiques qu'au moment seulement où les répar-
titions de la sensibilité sont devenues équivalentes.
Je n'insiste pas sur d'autres variétés de la mémoire pendant
le somnambulisme : je ne fais que vous signaler les états supé-
rieurs et les états inférieurs. Dans les premiers, le sujet a le
souvenir de tous les autres, mais la réciproque n'est pas vraie
et dans lés seconds il ne se rappelle pas les états supérieurs.
Il n'y a qu'un seul état de ce genre dont je crois aujourd'hui
la connaissance indispensable, c'est celui qui mérite d'être
appelé le somnambulisme complet. Cette expression a été em-
ployée pour la première fois et avec beaucoup de justesse par
M. Azam, pour désigner l'un des états psychologiques de
Félida X... 1. Nous avons eu l'occasion de constater cet état à
plusieurs reprises chez des hystériques et nous l'avons décrit
avec soin, car nous y attachons une assez grande impor-
tance 2.
' Azam. Hypnotisme, double conscience et altérations de la pension
nalité, 1887, p. 133.
* Automatisme psychologique, p. 87, 105, 178.
l'amnésie hystérique. 53
Par bonheur, nous pouvons vous présenter ici un cas remar-
quable de ce phénomène, qui est en réalité assez rare. Voici
une malade du service qui est bien connue de vous tous,
Witm. Elle est maintenant dans son état de veille, c'est-à-dire
dans son état normal, le plus habituel. Je vous rappelle l'état
de sa sensibilité à ce moment : anesthésie tactile et muscu-
laire totale, rétrécissement considérable du champ visuel,
achromatopsie de l'oeil gauche et surdité de l'oreille gauche.
Vous savez ce qu'il faut entendre par ces anesthésies. En réa-
lité, je ne vous dis pas que Witm, soit réellement insensible
ou sourde de l'oreille gauche. Non, son oreille gauche entend
parfaitement, en voici une preuve. Pendant qu'elle ferme son
oreille droite je lui commande tout bas de lever le bras au
moment où je le toucherai, et vous voyez que son bras exécute
très bien la suggestion, quoique Witm prétende n'avoir rien
entendu, rien senti... En réalité, il s'agit là d'une anesthésie,
analogue à celles que nous avons décrites dernièrement et
qui n'affecte que la perception personnelle. En outre, dans
cet état de veille, Witm souffre de nombreuses amnésies,
ses crises, ses somnambulismes nocturnes, toutes les périodes
du somnambulisme artificiel, de longues époques de sa vie,
des événements récents, tout cela est absolument oublié et
elle a autant de lacunes dans ses souvenirs que dans ses sen-
sations.
Je regrette de ne pouvoir endormir cette malade devant
vous, comme j'ai fait pour les autres : le somnambulisme que
je désire vous montrer est chez elle, un peu long et délicat à
produire. Cela dépend, comme vous savez des sujets et de
leurs dispositions. L'un de ces messieurs s'est chargé de l'en-
dormir au dehors et nous la ramène dans cet état que je
veux vous décrire '. Il est facile de voir par sa conversation
que toutes les amnésies précédentes ont absolument disparu ;
elle se souvient de tous les événements récents ou anciens et
n'a plus de lacunes dans ses souvenirs ; elle sait tous les som-
nambulismes artificiels par où elle a passé, elle se rappelle
même, détail curieux, les premières séances de somnambu-
lisme de sa jeunesse, et raconte la première hallucination
visuelle qu'on lui a suggérée, celle d'une souris blanche. La
' Pour l'étude de ce somnambulisme complet de Wit..., voir le travail
de Jules Janet, Hystérie et somnambulisme, d'après la théoriede la double
personnalité. (Revue scientifique, 1888, t. I, p. 616.)
54 CLINIQUE NERVEUSE. - L'AMNÉSIE HYSTÉRIQUE.
mémoire est rétablie chez elle d'une façon merveilleuse. Mais
en même temps, et j'attire votre attention sur ce point, elle a
perdu tous ses stigmates hystériques, et ne présente plus
aucune anesthésie. La sensibilité tactile est délicate, plus de
signe de Romberg, plus de rétrécissement du champ visuel,
aucune achromatopsie. C'est dans ce somnambulisme complet
que nous voyons le mieux l'association de la sensibilité et de
la mémoire dont je vous ai parlé. Certains sujets ont donc des
amnésies sous la dépendance de leurs anesthésies, ou mieux,
certains sujets ont des amnésies et des anesthésies insépa-
rables, dépendant toutes deux d'une même cause plus profonde,
la faiblesse de leur perception personnelle et quand l'un de ces
symptômes disparait, on peut prévoir que le second va dispa-
raître également.
Ce n'est pas là comme je vous l'ai dit, l'explication de toutes
les amnésies localisées, beaucoup d'entre elles se rattachent à
des phénomènes de suggestion dont nous n'avons pas parlé,
mais c'est du moins un commencement d'explication pour
quelques-unes et nous n'avions pas le droit de négliger ces
quelques indications ; elles précisent la comparaison des anes-
thésies et des amnésies que nous avions entreprise.
Permettez-moi, messieurs, pour conclure, de vous rappeler
en quelques mots les notions que nous avons acquises aujour-
d'hui. Le phénomène de l'amnésie occupe dans la pathologie
de l'esprit une place toute particulière et il est le point de
départ d'une grande quantité de symptômes très variés. C'est
pourquoi j'ai cru nécessaire de vous entraîner dans cette étude
un peu abstraite. Après avoir constaté l'existence très fréquente
des amnésies hystériques, nous avons examiné d'une façon
assez nette, l'analogie qui existe entre ce nouveau phénomène
et les anesthésies hystériques. D'un côté comme de l'autre, il
n'y a pas une véritable destruction des phénomènes psycholo-
giques élémentaire, des sensations ou des images ; il n'y a
toujours qu'une impuissance, une insuffisance du pouvoir
centralisateur. C'est toujours une perception personnelle, inca-
pable de rattacher tous les éléments à l'ensemble de la per-
sonnalité ; tantôt elle néglige des images comme au hasard,
elle laisse se produire des amnésies vagues et continuelles ;
tantôt elle semble prendre le parti de négliger certaines
images déterminées, ayant des caractères particuliers, et nous
voyons naître les plus curieuses amnésies localisées. Quanta à
ÉPILEPSIE ANCIENNE, D'ORIGINE TRAUMATIQUE. 55
la raison qui détermine ces localisations particulières de l'am-,
nésie, nous croyons que, dans certains cas, elle peut être
trouvée dans les anesthésies qui surviennent à ce moment, et
mieux dans les variations de la sensibilité consciente. Mais
nous savons que cette explication est très particulière et que
bien souvent des influences plus complexes encore doivent
intervenir. .
RECUEIL DE FAITS.
Asile PUBLIC d'aliénés DE BONNEVAL. '
ÉPILEPSIE ANCIENNE D'ORIGINE TRAUMATIQUE (FRACTURE
DU CRANE). - TRÉPANATION AU NIVEAU DE LA CICATRICE
OSSEUSE. PAS DE MODIFICATION DANS L'ÉTAT DU SUJET;
..1.' 1 , '- . '1
. Par les Dors MAUNOURY et CAMUSET.
Les succès obtenus par la trépanation dans la cure de l'épi-
lepsie limitée, ont engagé les chirurgiens à employer le même
moyen dans l'épilepsie totale. Malgré les améliorations et les
guérisons dont nous trouvons la relation dans les journaux
anglais et américains, on peut dire que, jusqu'à présent, les
résultats ont été médiocres, et cependant dans la plupart des
cas on avait été guidé, pour placer l'instrument, par un symp-
tôme local : aura motrice, douleur persistante, trouble de la
parole, etc. En lisant les observations favorables, les seules
qui sont en général publiées, un peu hâtivement peut-être, on
se laisserait volontiers aller à un optimisme exagéré qui pour-
rait causer des déceptions et jeter un certain discrédit sur une
opération destinée à rendre de grands services là où elle est
réellement indiquée. Ce sont donc les indications et les contre-
indications qu'il y a lieu de bien savoir établir. Ce nou-
veau chapitre de pathologie est d'ailleurs en partie ébauché
dans les ouvrages de chirurgie qui ont récemment paru en
56 I RECUEIL DE FAITS.
France'. L'observation que nous publions ici tend à confir-
mer ce fait généralement admis aujourd'hui, que l'ancienneté
des attaques épileptiques et l'apparition de la démen ce doivent
figurer sur la liste des contre-indications.
Observation. Le nommé Ser... (Alexandre), âgé de vingt-trois
ans, domestique de ferme, entré à l'asile d'aliénés de Bonneval le
14 septembre 1891.
Antécédents héréditaires. Le père et la mère de Ser... sont bien
portants et sans tare neurophathique d'aucun sorte. Ils ont eu
neuf enfants tous vivants aujourd'hui. Les grands parents pater-
nels et maternels ont été également exempts de toute tare neuro-
pathique. -On n'a jamais, en somme, noté de maladie nerveuse
ou mentale chez aucun membre de la famill-e. Il se pourrait
cependant, mais la chose n'est pas certaine, qu'u n grand-oncle
paternel ait eu quelques attaques convulsives. '
Antécédents personnels. La grossesse de la mère a été normale
et l'accouchement s'est effectue facilement.- A huit mois, Ser...
a eu, une fois, des convulsions. Cet accident est resté isolé et il a
eu une très bonne santé jusqu'à l'âge de quatorze ans. A ce mo-
ment, étant domestique de ferme, il reçut un violent coup de pied
de cheval à la tête. Il en résulta une plaie avec fracture du crâne
à la partie antérieure et latérale. Cette plaie guérit très rapide-
ment, mais trois mois après Ser... avait sa première attaque
d'épilepsie.
Voici son histoire à partir de ce moment ; les crises d'épilepsie
sont d'abord rares, puis elles se rapprochent, sans cependant l'em-
pêcher d'exercer sa profession de domestique de ferme. Il reste,
en effet, en place jusqu'à l'âge de vingt ans, mais à cet âge, il
tombe au moins une fois par semaine. Pris par le service militaire,
il est réformé après quelques semaines d'observation. Rentré dans
sa famille, il ne peut plus trouver à se placer, il tombe trop sou-
vent. Enfin les attaques deviennent de plus en plus fréquentes et
en même temps l'intelligence s'affaiblit. Quand il entre à l'asile,
en septembre 1891, c'est un dément épileptique.
A partir de cette date, nous pouvons l'observer directement et
nous ne sommes pas réduits aux seuls renseignements donnés par
son père. - Il est très robuste et d'un assez fort embonpoint. Il
marche lourdement, mais la motilité est intacte, aucune paralysie
ni parésie localisées. Rien à noter non plus au point de vue de la
1 Article de Gérard Marchand dans le Traité de chirurgie de Duplay et
Reclus, t. III, p. 552. Traité de thérapeutique chirurgicale de Forgue
et Reclus, t. II, p. 38 et 79.
ÉPILEPSIE ANCIENNE, D'ORIGINE TRAUMATIQUE. 57
sensibilité. La sensibilité générale semble normale, la sensibilité
spéciale également. - Facies sans expression. Les facultés intel-
lectuelles, particulièrement la mémoire, sont très affaiblies. Con-
ceptions lentes et diffuses. Parole lente mais bien articulée.
Les attaques d'épilepsie sont violentes et surviennent irrégu-
lièrement, mais avec tendance à la série. Au dire du père, depuis
dix-huit mois, il avait souvent, tous les douze ou quinze jours envi-
ron, une série de cinq, six et même sept attaques dans une journée.
Le reste du temps, il tombait irrégulièrement, quelquefois tous les
jours pendant trois ou quatre jours consécutifs, d'autrefois, une
seule fois dans tout le cours de la semaine, il lui arrivait même de
rester quinze jours consécutifs sans une seule attaque. En somme,
on pouvait estimer à une quinzaine environ le nombre des attaques
tous les mois. Sans être réellement ivrogne, Ser... buvait par-
fois avec excès de l'eau-de-vie, quand il en trouvait l'occasion. A
la suite de ces accès d'intempérance, les attaques devenaient plus
fréquentes. '
Le malade étant arrivé à l'asile le 14 septembre et ayant été
trépané le 16 octobre, nous avons pu compter les attaques qu'il a
eues pendant trente jours. Il en a eu dix-huit, avec un nombre
maximum de cinq dans une journée, et avec un intervalle de neuf
jours consécutifs exempts d'attaque. Ce résultat confirme assez
bien l'exactitude des renseignements fournis par la famille : pen-
dant le mois, une série de cinq attaques dans un jour, un inter-
valle de neuf jours sans aucune attaque, et un nombre total de
dix-huit attaques.
On n'a jamais observé que des grandes attaques convulsives,
jamais de vertige. 11 n'y a pas d'aura. Il parait qu'autrefois il en
existait une, mais peu prononcée. Au moment de tomber, le ma-
lade sentait que sa tête s'embarrassait, il était averti par une
sorte de vertige. La crise est classique : cri, chute, période
tonique, période clonique et coma avec ronflement. Il n'y a pas
prédominance des mouvements convulsifs à droite ou à gauche. Au
début de l'attaque, la tête s'incline légèrement à droite.
Nous avons dit que les facultés intellectuelles étaient affaiblies :
le malade en est, en effet, arrivé, par suite de l'épilepsie ancienne,
à un degré bien caractérisé de démence. Il faut aussi noter des
accès de folie épileptique, inconscients et passagers, qui sur-
viennent quelquefois, très rarement, à la suite des séries d'accès.
Le sujet alors n'est pas réellement agressif, mais il tracasse, il se
livre à des actes bizarres ou sans but, et rien ne peut l'empêcher
d'accomplir l'acte qu'il a entrepris, il lutte au besoin si l'on cherche
à le maintenir. C'est là, du reste, un phénomène psychique bien
connu de l'épilepsie.
Le traumatisme ancien a laissé une cicatrice très visible et très
58 RECUEIL DE FAITS. ,
sensible au toucher, sur le cuir chevelu, cicatrice linéaire de
dix centimètres de longueur qui commence à un point du cuir
chevelu situé un peu au-dessus du front, sur la ligne médiane, à la
partie antérieure et médiane du cuir chevelu, par conséquent. De
là, elle se porte en haut en arrière et un peu à droite, de façon à
se terminer sur le côté droit du crâne à quatre centimètres de la
ligne médiane. Elle recouve donc, d'abord'la partie supérieure et
médiane du frontal, puis une petite partie, partie antéro-supé-
rieure du pariétal.-Au-dessous, répondant à la cicatrice cutanée,
on sent une cicatrice osseuse, saillante et un peu rugueuse, ayant
la même direction et la même longueur que la cicatrice cutanée,
mais plus large qu'elle. En se guidant sur la région du crâne qui
répond à l'extrémité supérieure de la scissure de Rolando, région
trouvée d'après le procédé ordinaire avec l'équerre flexible, on
voit que l'extrémité de la cicatrice osseuse n'arrive pas tout à
fait jusqu'au niveau de la frontale ascendante. Pourtant cette
cicatrice étant assez large, nous l'avons déjà noté, il est possible
que la frontale ascendante soit un peu comprimée par elle dans
un espace très limité, situé à quatre centimètres de la scissure
interhémisphérique. Mais la compression porte particulièrement
sur les première et deuxième frontale.
On peut résumer ainsi tout ce qui précède : un jeune homme
exempt d'hérédité névropathique (car l'épilepsie du grand-oncle
est hypothétique), mais ayant cependant une certaine tendance
aux convulsions (la preuve en est dans l'unique convulsion de
l'enfance signalée), éprouve à l'âge de quatorze ans un violent
traumatisme qui produit une fracture du crâne au niveau de
la région antéro-supérieure droite. Trois mois après l'accident
il devient épileptique. L'épilepsie marche toujours en s'aggra-
vant et aujourd'hui, neuf ans après l'accident, le sujet est en
démence épileptique et il a une quinzaine de grandes attaques
convulsives tous les mois. 1
Il nous paraît certain que, dans ce cas, le traumatisme est
le facteur étiologique de l'épilepsie. La prédisposition native
aux convulsions, signalée, ne milite pas contre notre diagnos-
tic, il est reconnu que la prédisposition névropathique se
retrouve en général chez tous les sujets atteints d'affections
des centres nerveux, même quand ces affections sont détermi-
nées par le traumatisme. Enfin la' cicatrice osseuse que nous
avons décrite doit comprimer les deux premières circonvolu-
tions frontales droites ainsi qu'une partie de la frontale ascen-
dante. (L'intervention chirurgicale nous permit de voir que
ÉPILEPSIE ANCIENNE, D'ORIGINE TRAUMATIQUE. 59
cette compression était bien réelle et que la saillie osseuse
externe s'accompagnait d'une saillie interne.) Dans ces condi-
tions, la trépanation au niveau de la cicatrice nous parut par-
faitement indiquée.
L'opération fut faite le 16 octobre 1891. L'incision des parties
molles fut pratiquée sur la cicatrice et dans toute son étendue. On
constata alors que la surface osseuse était rugueuse et qu'elle pré-
sentait des saillies et des dépressions irrégulièrement disposées.
Trois couronnes de trépan furent enlevées et la fenêtre osseuse
fut agrandie et régularisée avec la pince de Lucas-Championnière.
Il n'y avait pas d'adhérence entre la dure-mère et le crâne. Il
existait des saillies osseuses internes très prononcées qui évidem-
ment devaient comprimer les portions sous-jacentes du cerveau.
Ainsi une rondelle enlevée avait, à un certain endroit, 7 milli-
mètres d'épaisseur, et à un autre 12 millimètres et les 5 milli-
mètres d'accroissement étaient dus à l'épaississement de la table
interne de l'os. A un moment donné, on dut opérer au-
dessus du sinus longitudinal supérieur, lequel ne fut pas ouvert,
mais un de ses affluents le fut sans doute, car il y eut alors une
hémorrhagie d'une certaine abondance qui fut arrêtée par la com-
pression au moyen de petits tampons de gaze iodoformée. Ce fut
le seul incident notable de l'opération. La plaie fut drainée au
moyen d'une petite bande de gaze iodoformée et ensuite sutu-
rée.
Voici ce qui se passa après cette opération faite, bien entendu, con-
formément aux prescriptions rigoureuses de l'antisepsie. La tempé-
rature normale, le premier jour, monta à 38°, le second à 38°,4,
le troisième à 38°,2, le quatrième à 38°,7. Ce jour-là, à la suite
d'une attaque, il y eut un accès d'agitation maniaque intense qui
persista jusqu'au lendemain, le malade se débattait, criait, voulait,
se lever et arracher son pansement. Le cinquième jour, la tempé-
rature monta à 39°,1 et le sixième à 39°,9. A ce moment, la situa-
tion était grave, le facies était très rouge, tendance au coma, on
craignait fort une meningo-encéphalite généralisée. Ces accidents
pouvant également être dus à un drainage défectueux, on enleva
toutes les sutures. Les symptômes menaçants disparurent progres-
sivement et la plaie finit par se cicatriser sans qu'il survint d'autre
accident.
De suite après ^opération et pendant les premiers jours qui la
suivirent, il y eut une série d'attaques d'épilepsie : neuf le jour
de l'opération, cinq le lendemain, trois le jour suivant. Les symp-
tômes graves sus-mentionnés avaient peut-être leur point de départ
dans les perturbations produites dans la circulation cérébrale par
cette série d'attaques.
60 RECUEIL DE FAITS.
. Il y a maintenant trois mois que la trépanation a été pratiquée,
voici la statistique des attaques pendant ce laps de temps :
AUTOMATISME AMBULATOIRE CHEZ UN DIPSOMANE. 61
nous espérions peut-être la diminuer, sinon directement, au
moins indirectement, en faisant cesser les accès convulsifs, ou
seulement en les rendant moins fréquents. Ce dernier objec-
tif, rendre les accès moins fréquents, nous avions le droit de
compter l'atteindre, en nous basant sur les nombreuses obser-
vations publiées.
Toutes nos espérances ont été déçues; notre malade est
aujourd'hui, 16 janvier 1892, exactement tel qu'il était avant
d'être trépané. ,
On nous reprochera peut-être de ne pas avoir poussé plus
loin l'intervention, et, après avoir ouvert le crâne, de ne pas
avoir incisé la méninge et réséqué au besoin la portion scIé :
rosée de la substance corticale sous-jacente. L'absence de
symptômes localisés nous en a empêché, car jusqu'à plus ample
informé, nous admettrons que l'action chirurgicale portant
directement sur le cerveau, pour être légitime, doit avoir au
moins son siège et son étendue rigoureusement tracés par les
symptômes. -
AUTOMATISME AMBULATOIRE CHEZ UN DIPSOMANE;
Par 11. le D' A. SOUQUES,
. Ancien interne (médaille d'or) des Hôpitaux
Eugène L.... trente-trois ans, employé, se présente avec sa
femme, le 14 janvier 1891, à la consultation externe de M. le pro-
fesseur Charcot, à la Salpêtrière.
Antécédents héréditaires. Son père qui est mort à cinquante-
cinq ans, d'un cancer de l'estomac était un homme sobre et nulle-
ment nerveux. Sa mère vit encore; c'est une femme d'humeur
changeante, bizarre, originale, « un .drôle de ,'caractère avec qui
on ne peut vivre ». Ses grands parents lui sont -inconnus; il ne
peut donner sur eux aucune espèce de renseignement. Du côté des
diverses. Lire dans American Journal of haanily, années 1886 et 1887,
de nombreuses observations publiées par les docteurs Flechter et Sel-
den, et se rapportant à des guérisons par la trépanation, de manies
intermittentes,de manies impulsives, suicides, impulsion, de mélancolie,
suicide, etc... Dans certains cas, l'affection était très ancienne, parfois on
dut recourir à deux trépanations successives pour parfaire, la guérison.
62 RECUEIL DE FAITS.
collatéraux, on trouve dans la branche maternelle, une hérédité
névropathique très nette. Un oncle de la mère est mort fou. Notre
malade ne peut préciser la variété d'aliénation car on cachait la
chose et on n'en parlait jamais dans la famille. En outre, un cousin
germain de sa mère, est également devenu fou, à la suite de con-
trariétés et d'ennuis de. famille et a été enfermé durant quatre
mois à Sainte-Anne. Il serait actuellement guéri et n'aurait jamais
été repris. Enfin notre malade a une soeur âgée de vingt et un ans
qui est bien portante et n'est pas nerveuse.
Antécédents personnels. - Eugène L..... est né d'une grossesse
gémellaire terminée par un accouchement prématuré (à 7 mois).
Son frère jumeau est mort aussitôt après la naissance.
Lui-même a eu une première enfance chétive et délicate. On le
changeait souvent de nourrice attribuant sa débilité à l'absence de
soins. Il a marché très tard, vers trois ou quatre ans et il se rap-
pelle qu'on le portait à cette époque sur des oreillers. Il a eu, en
bas âge, le carreau^) et des convulsions. Vers sept ans, on l'a misen
classe. Il apprenait, dit-il très difficilement et a toujours été très
en retard sur les autres enfants de son âge. Du reste, au point de
vue du caractère, il différait aussi de ses petits camarades : il n'était
ni joueur ni turbulent et se tenait à l'écart, toujours triste et taci-
turne. Pour faciliter son développement physique et moral, ses
parents l'ont mis à la campagne, à Villier-le-Bel, dans une institu-
tion où il a appris à lire, à écrire et à compter, mais il n'a pas
poussé ses études plus loin, parce que, dit-il, on a vu qu'il en était
incapable.
A quatorze ans, on le retire de cette institution et on le place
à Paris comme apprenti relieur. Il reste dans la reliure pen-
dant dix ans et, durant tout ce temps, ne fait que deux maisons.
11 n'a changé d'atelier que pour gagner davantage et se perfec-
tionner. C'était un bon ouvrier à qui ses patrons n'avaient rien à
reprocher.
Durant son adolescence et sa jeunesse, il a toujours vécu seul,
sans amis. Il allait assez souvent au théâtre, mais toujours seul. Il
fréquentait aussi volontiers les musées, les Arts et métiers, Cluny,
etc., et y prenait un certain intérêt, mais là encore, il allait tout
seul. Quand on lui demande la raison de cet isolement, il répond :
c Je n'aimais pas à être lié ».
A vingt et un ans, il tire au sort et est dispensé du service mili-
taire comme fils aîné de femme veuve. 1
A vingt-cinq ans, il quitte la reliure pour rentrer comme em-
ployé dans un atelier de fonderie mécanique. Son rôle consis-
tait à faire « les approvisionnements a, c'est-à-dire à délivrer les
marchandises aux ouvriers de la maison et à inscrire sur un livre
tout ce qu'il avait livré.
AUTOMATISME AMBULATOIRE CHEZ UN DIPSOMANE. 63
A vingt-huit ans, en 1885, il se marie. De ce mariage naît un
enfant âgé actuellement de dix mois et qui n'a jamais été malade
Début de la DIPSOMANIE. Ce début est difficile à préciser. Sa
femme déclare avoir remarqué, quinze jours après son mariage
que son mari buvait. A certains jours, il avait dit-elle, le regard
vague « l'air hébété et le caractère agaçant ». Cela se présentait
une fois par mois en moyenne, quelquefois moins- souvent. Elle
croyait alors qu'il avait bu et se faisait du mauvais sang en se disant :
j'ai épousé un garçon qui a la tête dérangée. On lui a dit, du reste
propos de marchands de vin que son mari buvait avant le
mariage. '
Et c'est très vraisemblable. En effet L.... pressé de questions,
avoue des envies irrésistibles de boire, depuis l'âge de vingt uns.
Ces envies revenaient à l'origine tous les deux mois environ et
duraient une journée : Au milieu de son travail, il était toutà coup
pris d'une impulsion ; il s'en rendait très bien compte et savait
qu'il faisait mal, mais l'impulsion était plus forte que sa volonté.
Il quittait subrepticement l'atelier, tâchant de ne pas être vu et
courait chez un marchand de vin. Là, tout seul, sans rien dire,
coup sur coup, il avalait deux ou trois verres de vin toujours du
vin ; puis, après avoir payé, regagnait son magasin, honteux de
sa conduite. La scène entière avait à peine duré cinq minutes.
A la longue, ces accès de dipsomanie sont devenus plus accusés
et plus longs ; il descendait plusieurs fois dans la journée chez le
marchand de vin et toujours dans les mêmes conditions poussé
par une force invincible; la boisson .' l'attire sans besoin». A
peine est-il revenu de chez le marchand de vin que, quelques ins-
tants après, sous la même impulsion il redescend. « Je sais, dit-il,
qu'il ne faut pas que j'y aille, que je fais mal, mais c'est plus fort
que moi. »
Deux fois son patron l'a surpris dans ces escapades; il lui a fait
des remontrances sévères, l'a menacé de le renvoyer, etc. Et il a
recommencé quand même. Et si on ne l'a pas renvoyé, c'est en
souvenir de son père qui a été longtemps un caissier modèle dans
cette maison.
Dans ces périodes de crises dipsomaniques, il est, dit sa femme,
tout changé. Le soir, quand il rentre, il est taciturne, indifférent,
ne regardant ni sa femme ni son enfant qu'il adore en temps nor-
mal. En plus, il est « énervé mais sans violence ni brutalité.
Le regard hébété et hagard, « il a l'air d'avoir la tête dérangée ».
il est assommant et trouve à redire à tout D, ajoute sa femme;
quand on lui demande ce qu'il a, il dit simplement : t je sens que
je suis malade, je ne sais pas ce que j'ai. »
L.... se rappelle très bien l'état spécial dans lequel il se trouve
dans ces périodes ; il s'en rend parfaitement compte. « Je voudrais
64 RECUEIL DE FAITS.
me corriger, dit-il, et je ne peux pas y arriver, je me fais la morale
en dedans. J'ai honte de moi, et je souffre. Tout me crispe et m'a-
gace. »
En dehors des accès de dipsomanie, il est très sobre. Chez lui,
chez des amis, il ne boit pas ou très modérément comme tout le
monde Il est doux, affectueux, intelligent, on ne peut plus raison-
nable, en un mot. - -
Depuis quelque temps, sa femme croyant supprimer ces excès
lui avait supprimé tout argent. Mais il a continué et a bu alors à
crédit. Sa femme a dû payer des notes chez tous les marchands de
vin des environs. Depuis le mois de mai 1890, elle a ainsi payé
pour frais de boisson, chez divers débitants, cent francs par tri-
mestre, c'est-à-dire trente à trente-cinq francs par mois.
Fugues. La première fugue a eu lieu dans les premiers jours
de mai 1890. Elle a été immédiatement précédée d'une période de
dipsomanie qui a duré une dizaine de jours. Durant ces dix jours,
il a bu plus que d'ordinaire, dit sa femme, car il était beaucoup
plus hébété que d'habitude. Et du reste, cet accès de dipsomanie
a duré aussi plus que les accès habituels.
Donc, dans les premiers jours du mois de mai, il s'est levé un
matin à 6 heures comme d'ordinaire pour aller à son travail. A
- peine est-il sorti de la porte-cochère qu'il est pris de l'impulsion
irrésistible de marcher. Et sans penser davantage à son travail,
envahi par cette obsession, il file droit devant lui, sans but aucun.
Il avait cependant conscience de ce qu'il faisait en partant ainsi et
il a gardé très précis le souvenir de tous ses actes. Mais l'impulsion
dominait tout; il fallait qu'il marchât. Donc, il part sans savoir
où, sans connaître le chemin; c là où les chemins me conduisaient,
j'allais dit-il. Il a ainsi passé, dans cet état d'impulsion cons-
ciente ou subconsciente, derrière le cimetière du Père-Lachaise
il reste rue du Chemin-Vert, 98. Puis il a traversé Bagnolet,
sans s'arrêter, a pris ensuite la route de Vincennes et est arrivé à
travers bois jusqu'à Joinville. Là, il s'est arrêté au pont, a regardé
quelle heure il était - il était midi et est rentré dans un res-
taurant pour déjeuner. Il sait que ce restaurant est situé dans la
rue de Joinville, mais il ignore ou ne se rappelle plus le nom du
restaurateur. Il sait parfaitement qu'il a mangé une soupe, du
boeuf, du fromage et bu une simple chopine de vin, le tout pour
la somme de vingt-cinq sous, croit-il. Ce déjeuner terminé, il est
encore reparti à travers champs, poussé encore par le même
besoin de marcher. Il se rappelle avoir passé par Champigny, La
Varenne, Saint-Maurice et s'être arrêté en revenant dans le bois de
Vincennes. 11 faisait nuit. Il a alors erré quelque temps dans le
bois, puis, se sentant fatigué, s'est endormi et a passé la nuit à la
belle étoile.
AUTOMATISME AMBULATOIRE CHEZ UN DIPSOMANE. 65
Le matin, au réveil, l'impulsion n'était pas encore satisfaite ; il il
est reparti, malgré lui el par le même chemin que la veille, pour
Joinville. Il a déjeuné chez un restaurateur différent, et après son
déjeuner s'est dirigé vers Paris. Il arrive à Paris vers cinq heures
du soir; l'accès impulsif semble s'être terminé à la suite d'une
violente crise de nerfs. Mais comme il était honteux de sa con-
duite n'osant rentrer, il a attendu que la nuit fût venue, et
c'est vers 10 heures du soir, c'est-à-dire quarante heures après son
départ, qu'il est rentré chez lui.
Il était, raconte sa femme, dans un état lamentable, les vête-
ments sales, non déchirés cependant, avec quelques égratignures
au cou. Il tremblait de tous ses membres et suffoquait, incapable
de proférer une parole. Sa femme a essayé de le calmer, et lui a
fait boire un peu d'éther. Une fois qu'il a été remis, il fait le
récit de sa fugue en pleurant. « J'aurais bien voulu me tuer, dit-il,
mais j'ai pensé à ma femme et à mon enfant. »
Il s'est couché ; le lendemain, il était tout à fait calme mais
fatigué, courbaturé. Il a été trouver son patron à qui il a raconté
son aventure, et qui lui a conseillé de se reposer vingt-quatre
heures avant de reprendre son trav ail.
A la suite de cette fugue, il a travaillé durant un mois, très rai-
sonnable, sans aucun accès de dipsomanie. Mais au bout de ce
temps, l'impulsion à boire a reparu invincible. Et vers Noël, après
un accès dipsomanique qui a duré une quinzaine de jours, il a fait
une nouvelle fugue.
Deuxième fugue. Le samedi à 6 heures (10 janvier 1891), il
part de chez lui pour aller à son bureau, comme d'habitude. A. «
peine est-il dans la rue qu'il est pris de la même impulsion ambu-
latoire, et il part encore, droit devant lui, sans but déterminé. Il
prend le même chemin que la première fois, déjeune encore à
Joinville chez un marchand de vins, boit une demi-bouteille de vin
en mangeant une côtelette et du pain qu'il avait emportés de
chez lui. Il emportait d'ordinaire quelque chose pour manger à
son bureau. Ce déjeuner terminé, il repaît toujours par les
mêmes chemins. Le soir il arrive à Vincennes, entre dans un hôtel
et demande une chambre pour passer la nuit. Le lendemain matin
il se lève de bonne heure, paye sun écot et se dirige vers son domi-
cile. L'impulsion n'existait plus, elle semble être terminée par une
crise d'étouffement et de larmes. Alors il prend la rue de Cha-
renton et rentre chez lui.
Il était propre et bien ciré (il avait passé la nuit dans un hôtel).
Il s'est encore mis à pleurer en disant : « Voilà, c'est comme la
première fois. » , ,
Cette fugue avait duré vingt-huit heures.
Depuis lors, depuis trois jours par conséquent, il est tout à fait
Archives, t. XXIV. 5
66 RECUEIL DE FAITS.
dans son état normal. Il nous fait le récit de ses aventures avec
tristesse.
Etat actuel (14 janvier 1891). - L... est de taille moyenne
et d'aspect vigoureux. Son visage d'un ovale très allongé est asy-
métrique, le lobule de l'oreille adhérent, la voûte palatine ogi-
vale.
Il n'a jamais eu de maladies vénériennes, jamais de crise convul-
sive d'aucune espèce, jamais d'absences ni de vertiges ; bref aucun
signe apparent de mal comitial.
Au point de vue hystérique, l'interrogatoire et l'examen ne révè-
lent aucun stigmate actuel ou passé. Du côté de la sensibilité géné-
rale et spéciale, on ne trouve rien de particulier. Le contact, la
piqûre, la température sont perçues sur toute la surface du corps
et pareillement de chaque côté. Le goût, l'odorat, la vite ne pré-
sentent rien de notable. L'ouïe est affaiblie du côté gauche, mais le
malade souffre de l'oreille correspondante depuis deux ans. Il a été
jadis examiné par M. Tillaux qui a diagnostiqué une affection catar-
rhale de la trompe. Aucune zone hystérogène ou douloureuse. C'est
un homme d'une émotivité excessive : « Pour un homme, dit sa
femme, il pleure facilement. » Ainsi la lecture seule d'un passage
triste dans une lettre ou dans un journal le fait pleurer, et cela
bien entendu en temps normal, en dehors de tout accès de dipso-
manie. Cette émotivité est encore plus manifeste à la fin d'une
crise ambulatoire : à la fin de la fugue, il est pris de sanglots et
d'étouffements et pleure comme un enfant. Après chaque fugue,
l'impulsion complètement assouvie, il a été pris d'une crise de
larmes. Du reste, à la suite d'un ennui, d'une répdmande légère,
il éprouve des suffocations avec sensation de constriction au
niveau de l'estomac et de la gorge. Il ne peut plus parler, mais il
ne perd nullement connaissance et n'a aucune secousse convul-
sive. Bientôt les larmes arrivent et terminent la scène.
L... n'est pas alcoolique. On ne trouve chez lui aucun signe
d'intoxication chronique. La santé générale, ses divers viscères sont
absolument normaux, ainsi du reste que ses facultés mentales et
affectives. > .
Le 14 janvier, on le soumet au traitement bromure, aux doses
progressives de quatre, cinq et six grammes par jour. Il revient
au bout d'un mois, sans avoir présenté aucun phénomène digne
d'être noté, h '
13 mars 1892. Le malade est revenu nous revoir sur notre
demande. Il a suivi le traitement bromuré jusqu'au mois de juin
1891 et l'a ensuite cessé. En décembre il a perdu son fils unique
et éprouvé un vif chagrin. A cette occasion, l'impulsion dipsoma-
niaque s'est encore manifestée mais semble avoir été conjurée par
la reprise du traitement bromuré. Depuis lors rien de particulier
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 67
à signaler. L... est actuellement en parfaite santé; il travaille
toujours dans la même maison ; sa vie est sobre, régulière.
Cette observation n'a pas besoin de longs commentaires.
Nous l'avons rapportée ici uniquement pour la rareté du fait.
Il s'agit sans conteste d'un cas de véritable dipsomanie, c'est-
à-dire à accès intermittents, périodiques, reparaissant toujours
avec les mêmes caractères. L'impulsion est intense, irrésis-
tible, et entre les paroxysmes l'état' mental est tout à fait
normal. L... n'est pas un alcoolique vulgaire, c'est un dégé-
néré héréditaire, la dipsomanie n'étant, ainsi qu'on le sait,
qu'un syndrome épisodique de la folie des dégénérés.
Deux fois l'accès dipsomaniaque prolongé plus que de cou-
tume a été suivi de fugues impulsives. Sans doute ces fugues
sont ici conscientes, subconscientes tout au moins, et à ce
point de vue le terme d'automatisme que nous avons inscrit
en tête de l'observation est-il sujet à critiques, mais nous
l'avons fait pour assimiler ce cas à l'automatisme des comi-
tiaux et des hystériques auquel il ressemble étrangement à
d'autres égards. De toute manière, la fugue est liée intime-
ment aux paroxysmes dipsomaniaques; elle en relève direc-
tement ; elle en est la continuation au point qu'il semble
s'agir d'une impulsion dipsomaniaque prolongée sous forme
ambulatoire. '
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE
1. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE l'anxiété neurasthénique ET DES
phénomènes QUI l'accompagnent; parle Dr Umberto S'fEFANI. (Riv.
sp. di fren., t. XVII, fasc. m.)
L'auteur rapporte une observation très circonstanciée et des plus
intéressantes. Le fait essentiel, qui domine le développement de la
maladie, est le désordre émotionnel, d'où dérivent directement par
la suite, des troubles dans la sphère des idées et des actes. Tous
ces phénomènes, comme les autres qui caractérisent le fonds neu-
rasthénique de la maladie (réaction vaso-motrice exagérée, insta-
bilité, bizarreries), ont pour base un état d'irritabilité et tout à la
fois de faiblesse du système nerveux : irritabilité en ce qui concerne
les fonctions nerveuses inférieures, rentrant dans la catégorie de
68 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
réflexes, faiblesse pour ce qui a trait aux fonctions d.'ordre plus
élevé.
Puis, à côté de ces symptômes, on en voit se développer d'autres,
des hallucinations visuelles et auditives. Si on ne peut affirmer
qu'un rapport direct de causalité unisse ces hallucinations àl'anxiété,
on peut dire toutefois qu'elles reposent essentiellement sur une
irritabilité spéciale des centres sensoriels, et qu'elles appartiennent
ou tout au moins se rapprochent de la catégorie des réflexes, et
comme telles ne sont qu'une des manifestations du désordre géné-
ral du système nerveux. De même que sous la plus petite excitation,
émotionnelle ou autre, le système vaso-moteur réagit vivement,
que des paroles aigres, des actes violents se font jour à la plus
petite provocation, que le plus léger stimulus détermine l'anxiété;
de même une excitation minime qui se propage aux centres senso-
riels, visuel ou auditif, réveille les images correspondantes, et leur
donne même l'intensité des perceptions réelles. J. Séglas.
II. Observation DE FOLIE A deux ; par M. J. ? ¡OL.\.X. (The Journal
of mental Science, avril 1889.)
Ce cas est celui de deux frères qui présentaient entre eux une
ressemblance absolument parfaite tant au point de vue physique
qu'au point de vue psychique : le point le plus intéressant de l'ob-
servation est celui-ci : bien qu'ils eussent été envoyés dans des quar-
tiers de l'asile absolument différents, et qu'aucune communication
n'ait pu s'établir entre eux, ils ont continué, depuis leur entrée à
l'asile, non seulement à présenter des états mentaux parfaitement
identiques; en outre on a vu apparaître chez chacun d'eux indivi-
duellement une hallucination qui leur a été commune et qu'ils ont
racontée en des termes presque identiques. R. M. C.
III. UN cas d'hallucinations SENSORIELLES avec obsessions ;
par Klinke. (Jah1'lJlCch. f. Psych., IX, 3.)
Observation de la malade prise par elle-même. C'est une institu-
trice et une musicienne de quarante-cinq ans, qui a été surveillante
en chef d'asiles privés. A la suite de la mort de son fiancé, qu'elle
soigna elle-même (il s'agissait d'un paralytique général), elle est
atteinte de mélancolie ; puis, vient la mort de son père, elle est
alors affectée de mauie avec désordre dans les idées..... Guérison.
P. KERAVAL. '
IV. LE champ visuel DES épileptiques (en dehors de l'accès) ET des
criminels congénitaux (fous moraux); par S. OTTOLENGIII. (Cen-
' t·al6l. f. Nervenheill), N. F. L, octobre 1890.)
Etude de 12 épileptiques-types et de 25 criminels congénitaux.
Conclusions. 1° Tant chez les épileptiques (12 sur 12) que chez les
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 69
criminels congénitaux (25 sur 25) le champ visuel est notablement rétréci ;
2° chez tous les épileptiques et chez 23 des criminels congénitaux le
pourtour du champ visuel présente une irrégularité constante; la ligne
limitante, le long des divers secteurs, est sinueuse, interrompue, irrégu-
lière, et défigurée par des entailles plus ou moins prononcées qui, dans
quelques secteurs, forment de vrais scotomes périphériques, mais à
situation inconstante. L'inconstance dans la position de ces entailles en
constitue un signe invariable dans le type moyen; - 3° chez presque
tous les épileptiques (au nombre de dix) et chez presque tous les crimi-
nels congénitaux (au nombre de vingt) le champ visuel est à droite
surtout, limité dans l'hémisphère inférieur; à gauche, surtout rétréci dans
l'hémisphère supérieur, et par quadrant correspondant au côté exa-
miné, de sorte qu'on a une hémiopie partielle verticale; 4° un épilep-
tique et trois criminels présentaient une neuro-rétinite expliquant le
rétrécissement du champ visuel; 5° chez tous ces malades, le champ
visuel pour les couleurs était aussi limité, mais moins que pour le blanc;
6° La forme du champ visuel pour les couleurs suit constamment,
quoique plus ou moins régulièrement, celle du champ visuel pour le
blanc, tant au point de vue de l'irrégularité des limites périphériques que
de l'hémiopie partielle verticale ; 7° les champs visuels pour le bleu et
le rouge (celui-ci plus limité) se croisent en divers points périphériques;
8° la partie centrale du champ visuel se présente normale, chez les
criminels aussi bien que chez les épileptiques, pour le blanc aussi bien
que pour les couleurs; 9° examen ophthalmoscopique négatif dans la
plupart des cas; 10° l'acuité centrale est absolument indépendante de
la sensibilité visuelle périphérique; elle était normale chez tous les épi-
leptiques et les criminels, plus grande que normalement chez 8 épilep-
tiques et 18 criminels; 11° l'état des autres sens (tact- douleur ouïe
goût odorat) suit généralement' le rétrécissement de la sensibilité
visuelle périphérique; cela est plus constant chez les épileptiques que
chez les criminels; 12° l'examen comparatif du champ visuel d'indi-
vidus normaux, de criminels d'occasion, de femmes hystériques, de neu-
rasthéniques, de pellagreux donne les caractères déjà connus; ce n'est
que par exception qu'on y a retrouvé quelques-unes des particularités
propres au champ visuel des épileptiques et des criminels congénitaux.
Donc le rétrécissement du champ visuel, à limites irrégulières,
avec entailles ou scotomes périphériques, avec hémiopie partielle
verticale non homonyme, est le caractère de l'épilepsie en dehors
des attaques, et de la criminalité congéniale. Il faut le rattacher à
des troubles fonctionnels de l'écorce et des centres optiques.
KERAVAL.
V, DES relations DES obsessions avec la FOLIE systématique (para-
noïa) ; par A. IIZERCRLIN. (Allg. Zeitsch. f. Psychiat., XL VII, 5.)
La paranoïa ne comprend, d'après l'auteur, que les vésanies à
développement et évolution chroniques dont le symptôme essentiel
est une conception délirante ayant pour origine un trouble per-
manent du jugement et pour aliments des hallucinations.
70 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
Comment dans les maladies nerveuses évoluent les obsessions
qui les hantent ? Que deviennent les malades atteints de psy-
choses dues à des conceptions irrésistibles ? - Les obsessions se
transforment-elles en conceptions délirantes ou en folie systéma-
tique ? Existe-t-il, dans la folie systématique, un stade prodro-
mique caractérisé par des conceptions irrésistibles et leur trans-
formation en conceptions délirantes ? Comment et sous quelle
forme surviennent les obsessions dans la paranoïa ? R
Les maladies à obsession comportent deux groupes distincts :
1° Celui dans lequel les obsessions forment un épisode de la
neurasthénie; il y a parfois transformation en neurasthénie, mais
la neurasthénie donne elle - même naissance à des psychoses
graves;
2° Celui dans lequel les obsessions constituent le symptôme fon-
damental (folie par obsession). On y rencontre une vésanie connue
sous le nom de systématique (Verrucktheit), mais la conception
délirante spontanée, primitive, tenant à un trouble du jugement,
finissant par se cristalliser, s'organiser, qui caractérise la paranoïa,
ne s'y voit pas.
En résumé, la paranoïa débute assez souvent par une anomalie
de la conception qui tient le milieu entre l'obsession (conception
irrésistible) et la conception délirante fixe, c'est-à-dire par des
conceptions délirantes autochtones encore susceptibles d'être ana-
lysées par l'entendement et corrigées par le jugement; on les
retrouve du reste à une période ultérieure, tardive de la paranoïa.
Appelons-les conceptions délirantes mobiles. Il existe aussi des con-
ceptions délirantes fugaces qui, après avoir duré quelque temps,
disparaissent d'elles-mêmes ; ce sont les conceptions délirantes
volantes, de Mayser, de la folie systématique (Wahnsinn) aiguë.
Quant aux obsessions vraies elles sont absolument rares au début
de la paranoïa et de la folie systématique hypocondriaque. Quand
on constate des obsessions (et des actes impulsifs) dans le cours de
la paranoïa c'est qu'il y a un élément combiné de neurasthénie.
Neuf observations à l'appui. P. KÉRAvAL.
VI. Du pronostic DE la manie; par W. WILLERDING.
(Allg. Zeitsch. Psychiat., XLVIII, 2.)
Soixante-dix pour cent environ des manies guérissent après
avoir en moyenne duré quelques mois. Plus les maniaques sont vite
placés dans un asile, plus l'évolution de la maladie est favorable.
Il ne faut pas considérer l'hérédité comme un élément de pronostic
défavorable. Bon pronostic dans la plupart des cas, et quant à la
durée, et quant à la guérison, de la manie consécutive à des
affections somatiques, de la manie alcoolique, de la manie puer-
pérale. Un traumatisme céphalique, comme cause occasionnelle
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 71
de manie, n'implique pas un pronostic défavorable. La réappari-
tion des règles, au moment où l'amélioration psychique com-
mence, permet d'espérer une prompte guérison. Plus l'individu
est jeune, plus grand est l'espoir de le voir se rétablir. La manie
périodique implique la crainte d'une guérison incomplète et fra-
gile. La longueur de la manie assombrit l'espoir d'une com-
plète guérison. Une agitation brusque et violente est défavorable,
excepté dans la manie puerpérale ou post-traumatique. La ces-
sation brusque de l'agitation fait craindre la périodicité ou une
prompte récidive, il en est de même du rapide accroissement du
poids du corps avant l'installation du stade de calme. Plus grave
est l'affection, plus faible est l'espérance d'une parfaite guérison.
Phénomènes paralytiques et convulsions sont des complications
défavorables. Plusieurs attaques de manie mettent l'intelligence
en danger. P. KERAVAL.
VII. Contribution A la théorie DE LI FOLIE gémellaire; par N. Os-
TERMAYER. (Archiv. f. Psychiat., XXIII, 1.)
- , Etudiant les quatorze observations de folie chez les jumeaux qui
existent dans la science, l'auteur dit que la vraie folie gémellaire est
caractérisée par l'apparition, simultanée ou non, peu importe, chez
des jumeaux, d'une psychose identique ou semblable, qui évolue d'une
façon autonome. Sinon, il faut dire folie induite, folie à deux
chez des jumeaux. La genèse autochtone de la folie chez les
jumeaux s'explique par l'hérédité ; en effet, ces deux indi-
vidus ont un substratum originel et un développement cérébral
semblables, ce sont deux organes psychiques identiques qui, indé-
pendamment l'un de l'autre, agissent identiquement. Un excitant
psychique anormal dissemblable déterminera sur les deux organes
une réaction semblable et deux psychoses homogènes. Il n'y a
donc ici ni infection psychique, ni imitation. Peu importe encore
une fois la simultanéité. Suit une observation de folie induite chez
des jumeaux ayant revêtu la forme de délire systématique (para-
noï(t. P. K.
VIII. UN cas DE PSYCHOSE POLYNI3VRITIQUE avec autopsie; par Kart-
SAKOFF ET SERi3sKi. (Archiv. f. Psychiat., XXIII, 1.)
Femme jeune, indemne d'alcoolisme; grossesse extra-utérine, la-
parotomie, communication du sac embryonnaire avec la vessie et
le rectum. Une semaine plus tard, excitabilité, affaiblissement de
la mémoire des choses toutes récentes, obnubilation de la connais-
sance, faiblesse des membres, disparition des réflexes patellaires,
douleurs dans les muscles et les troncs nerveux, vomissements,
diminution de l'urine, albuminurie intermittente. Tout guérit, moins
72 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
l'amnésie qui s'aggrave : incohérence dansles idées, hallucinations,
paralysie totale des jambes, des muscles du tronc et des bras, du
diaphragme, mort. Polynévrite toxique constatée à l'autopsie. Inté-
grité de l'encéphale. Dysmorphie congénitale du canal central de
la moelle, multiplication du tissu conjonctif dans les faisceaux de
Goll et les cordons latéraux, du côté droit. Dégénérescenc colloide
de la glande thyroïde; peut-être, si elle eût fonctionné, eût-elle,
comme on le prétend, neutralisé les substances nuisibles en cir-
culation dans le sang. P. K.
IX. DES psychoses CONSÉCUTIVES A l'influenza, avec remarque SUR
un cas DE paralysie progressive; par J. KRYPIAYIEWICZ. (Jahr-
buch. f. Psychiat., X, 1.)
Mémoire surtout remarquable par cette observation. H..., âgé
de trente-huit ans, indemne de tare héréditaire, de syphilis,
d'alcoolisme, brillamment doué. Influenza en décembre 1888,
sans autre symptôme cérébral qu'une vive céphalalgie. L'influenza
ne dure que quatre à cinq jours, mais le malade reste mélanco-
lique, incapable de travail ; il croit avoir perdu la mémoire, craint
de ne pas recouvrer la santé. Intégrité de la réaction pupillaire et
des réflexes. Le malade guérit et reprend son activité. Fin
juin 1890, il devient négligent, jette l'argent par les fenêtres,
forme le projet de grands voyages, de grandes entreprises. En
septembre euphorie marquée, humeur maniaque, présomption
exagérée, diminution de l'innervation du facial gauche, pupilles
inégales à réaction paresseuse, le phénomène du genou manque à
droite, est affaibli à gauche. La manie disparaît graduellement,
mais les paralysies subsistent, et bientôt l'activité mentale s'affai-
blit dans tous ses modes. P. K.
X. Observation DE KARL HERMANN. (Jahrbuch. f. Psychiat., X, 1.
Malade évadé de l'asile de Ybbs (Basse-Autriche).
Rapportadressé à la Société psychiatrique de Vienne. Dégénéres-
cence mentale, idées de grandeur, impulsivité. Psychose chro-
nique systématique.
La Société de psychiatrie et psychologie médico-légale de Vienne
conclut à la nécessité de séquestrer un tel individu, félicite vive-
ment les médecins qui le soignaient, et proteste énergiquement
contre les accusations et vilipendages de la presse et du public.
P. K.
XI. UN cas DE paralysie générale A FORME circulaire; par H. ROT-
TENDILLER. (Cent1'alblaU. f. Nervenheilk. NF.,II, 1891.)
Première étude : manie avec idées de grandeur bizarres et phé-
nomènes peu accentués appartenant au syndrome paralytique.
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 73
Puis, stade dépressif avec angoisse, auto-accusations, ressemblant
plutôt à une mélancolie simple. Puis chacune de ces phases devient
irrégulière, la démence paraît progressive, chaque accès laissant
après lui des lacunes intellectuelles. Il y eût, bientôt après la
seconde phase, une rémission qui fut suivie du tableau morbide
de la paralysie générale. Ici aussi, comme d'ordinaire, dans les
cas de ce genre, élément héréditaire. P. K.
XII. DE la transmission DES psychoses; par II. ScHLOESS. (Centralbl.
(. NC1'1'enheilk., NE., II, 1891.) .
Après une revue, l'auteur donne l'observation de deux frères
indemnes d'hérédité, malade*, l'un à la suite d'un chagrin d'amour,
l'autreaprès une arrestation imméritée. Il conclut à une prédisposi-
tion par constitution anormale du cerveau des deux frères. Suivent
deux observations ne présentant rien de particulier. P. K.
XIII. DES psychoses décrites sous LE NOM E : 1T : 1TONIE; par W.
. SERBSKY. (Centralbl. f. Nervenheilk., NF., II, 1891.)
Revue analytique montrant que la catatonie n'est à aucun point
de vue un entité morbide, et que ce syndrome souvent incomplet
et imparfait n'est pas davantage le caractère d'une forme morbide
spéciale. La catatonie résulte d'une association accidentelle de
symptômes n'ayant point de parenté organique, ne procédant
point d'un substratum anatomique, n'ayant aucun lien physio-
logique. On rencontre les éléments de la soi-disant catatonie,
isolés ou groupés, dans des psychoses aiguës, tels que : la stupeur
aiguë la démence aiguë (celle le plus fréquemment prise pour
la catatonie) -la folie systématique ou paranoïa aiguë (ou plutôt
délire systématique dépressif) la mélancolie avec stupeur et
dans les psychoses chroniques telles que la folie systématique
(avec affaiblissement intellectuel) la paralysie générale
quelques folies périodiques quelques vésanies hystériques la
démence secondaire l'hébéphrénie (qui n'est le plus souvent
que de la dégénérescence mentale). P. K.
XIV. LES psychoses DE l'influenza; par KiRN. (Allg. Zeitsch. f.
Psychiat., XLVIII, f, 2.)
L'influenza, qui tend à nuire plus ou moins à l'ensemble de
notre appareil nerveux, peut, atteignant les centres psychiques,
devenir la cause de troubles mentaux. Les psychoses dues à l'in-
fluenza sont infiniment plus fréquentes que celles qui résultent
d'autres affections fébriles aiguës. Les troubles psychiques se
reproduisent soit pendant le stade pyrétique (délires fébriles), soit,
74 REVUE DE THÉRAPEUTIQUE.
mais bien plus rarement, sous la forme de psychoses aiguës,
fébriles, de longue durée, à issue généralement favorable. Enfin,
il y a des troubles psychiques, poslfébriles, revêtant la forme soit de
psychoses asthéniques, soit de psychopathies simples (prédominance
des mélancolies). Tous ces états morbides, dépourvus de cachet
spécifique, évoluent, en majorité, favorablement en peu de temps,
et guérissent; quelques-uns cependant présentent des symptômes
graves, une évolution prolongée, un pronostic douteux. Quant
aux quelques paralysies générales, hystéropathies, folies systéma-
tiques chroniques, attribuées à l'influenza, elles existaient déjà
avant l'attaque de grippe, bien qu'on ne les eût pas diagnostiquées
alors. Ce sont des psychoses pseudo-iufluenziques, au même titre
que le delirium tremens provoqué par l'influenza. Pathogénie. Une
toxine des plus dangereuses vient empoisonner les fibres nerveuses
soit sous l'influence concussente de la fièvre (psychoses fébriles),
soit sous l'influence d'une prédisposition sous-jacente acquise ou
cougénitale (psychoses postfébriles). P. K.
REVUE DE THÉRAPEUTIQUE
I. DE la polarisation DES électrodes EN électrothérapie ; par
N. MARCHANDO. (Centralbl. f. Nervenheilk., N. F. I, septembre 1890.)
Quand on applique des électrodes sur les tissus du corps humain
(électrolytiques), il se produit dans les électrodes un certain degré
de polarisation. De là des courants contraires de sens opposé à
celui du courant de la batterie. L'allure du courant est ainsi
modifiée, ce qui rend difficile les recherches sur la conductibilité
des tissus du corps. Avec des électrodes de charbon revêtues de peau
de chamois on voit (figures, expériences) que toute électrode,
dès qu'elle est traversée par le courant, subit une double polari-
sation ; chaque électrode devient un véritable accumulateur dans
lequel se développe un second courant opposé au premier (expé-
riences démonstratives au moyen du galvanomètre). Il faut donc
employer des électrodes impolarisables. P. K.
II. INFUSION sous-cutanée D'UNE SOLUTION DE CHLORURE DE SODIUM
DANS LE COLLAPSUS CONSÉCUTIF A L'ABSTINENCE DANS LE CAS D'UNE
psychose aiguë; par A. MERCKLIN. (Centralbl. f. N61'venheilk.,
N. r., lI, 4894.)
Voici comment procédé M. Mercklin. Il a introduit sous la
REVUE DÉ THÉRAPEUTIQUE. 7a
peau de la malade une aiguille creuse ayant un diamètre triple de
celui d'une canule de seringue de Pravaz ; il l'a mise en communi-
cation avec un long tuyau en caoutchouc dont les replis plon-
geaient dans un vase d'eau chaude mais dont l'autre extrémité
était reliée à un entonnoir en verre. En élevant ce dernier il infil-
trait lentement la solution chlorurée chaude. En massant la région
et en imprimant des mouvements au membre il a pu injecter
500 centimètres cubes d'une solution à 0,3 p. 100 sous la peau de
la cuisse droite. Presque aussitôt disparaissait le collapsus, le pouls
radial reparaissait, et les traits de la malade reprenaient de la vie.
Lavages fréquents du nez, de la bouche, des lèvres, à l'aide de la
même solution. Quatre heures plus tard, nouvelle opération dans
les mêmes conditions à gauche. Résultats favorables. Cette inter-
vention est donc indiquée quand le collapsus est imminent et que
l'estomac rejette le contenu de l'alimentation à la sonde oesopha-
gienne. Il serait bon, à l'avenir, d'utiliser l'appareil de SAHLI (Cor-
respondez-blatt f. Schweize¡' Aerzte. le, septembre 1890 Ueber Aus-
waschung des menschlieh, Organismes) et d'employer une solution
à 0,73 p. 100 stérilisée. ' P. K.
III. De la DUBOISINE COMME SÉDATIF ET HYPNOTIQUE CHEZ DES aliénés ;
par V. PBEININGER. (Allg. Zeitsch. f. Psychiat., XLVIII, 12.)
Ce médicament ne peut être recommandé, surtout quand il
existe de l'agitation. Il agit comme l'hyoscine, mais peut, comme
celle-ci, déterminer des effets accessoires nuisibles, à la dose de
plus de 0,002. La dose la plus forte qui, sans inconvénients, calme
ou fait dormir est de 0,002 ; il n'est pas prudent de la dépasser.
L'action sédative et hypnotique se fait sentir au bout de dix à
vingt minutes et dure de une à huit heures. Il n'est que peu de cas
dans lesquels le sommeil obtenu dépasse plusieurs heures ; le réveil
s'accompagne de somnolence et d'épuisement. Aux doses de 0,0025
et 0,003, on produit des accidents toxiques (agitation, convulsions
cloniques des extrémités, pouls et respiration fréquents, tempéra-
ture 39,2, céphalalgie, faiblesse, hallucinations de la vue, assuétude.
L'ingestion agit plus faiblement que l'injection hypodermique ;
des doses de 0,002 qui réussissent presque toujours en injections
sous-cutanées ne produisent sur l'estomac aucun résultat sédatif.
P. K.
IV. DE L'EMPLOI du sulfate DE DUBOISINE chez LES aliénés ; par
. M. LEwALD. (Neurolog. Centralbl., 1891.)
En injections sous-cutanées, c'est un sédatif et un hypnotique
recommandable, très rarement nul chez la femme aliénée. Mais ne
dépassez jamais la dose de 0,002. Il est, en tout cas, appelé à rem-
placer l'hyoscine ; s'il est actif à plus haute dose qu'elle, il est, en
tout cas, bien moins dangereux. P. K.
REVUE DE; PATHOLOGIE NERVEUSE
I. CONTRIBUTION A l'étude DES TROUBLES DE la LECTURE basée sur
une OBSERVATION DE dyslexie; par S. Weissenberg. (Arch.f.Psych.,
XXII, 2.)
Observation analogue à celles de Berlin, accompagnée d'autop-
sie et d'analyse histologique. Le malade lit trois à cinq mots et dit
qu'il ne peut continuer à lire. Pas de prodromes. Intégrité de la
vue. Autres accidents aphasiques : aphasie amnésique, surdité ver-
Fig. 2. - Schéma de \Veissenberg.
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 77
baie, paraphasie, paragraphie. Attaques apoplectiformes suivies
d'hémiplégie droite ou d'hémiparésie. Affection de courte durée.
Mort. Ce qui distingue ce fait de ceux de Berlin, c'est que le patient
ne ressent pas de sensations désagréables, se prête volontiers à ce
qu'on lui demande, mais ne peut réussir, ce qui le navre ou l'irrite.
Enfin, après avoir lu correctement quelques mots, il continue à
reconnaître les lettres composantes, mais sans pouvoir les associer
en un mot.
M. Weissenberg classe ainsi les troubles de la lecture et les
explique par un schéma se composant :
A. D'un premier centre de perception optique en rapport avec le
nerf optique, qui comprend : a, un centre de perception des lettres ;
b, un centre de perception des images des mots écrits.
B. D'un second centre d'association des lettres en rapport avec
Aa, Ab.
C. D'un centre total de perception de cet ensemble qui monte à
lui ; centre de perception intellectuelle des notions.
D. D'un centre acoustique en rapport avec Au, A6 et B, qui, lui
aussi, monte au centre des notions C et est en rapport avec le nerf
auditif.
E. D'un centre moteur centrifuge qui coordonne pour exécution
toutes les impressions des autres centres.
Il fait remarquer, au point de vue physiologique, que l'intégrité
des centres acoustiques et moteurs n'est pas nécessaire pour lire.
On peut être aphasique et comprendre les caractères écrits ou
imprimés, et inversement un homme intelligent, s'exprimant très
bien, comprenant la parole, peut avoir perdu la faculté de lire.
D'autre part la capacité de lire les mots avec impossibilité de recon-
naître les lettres implique l'existence d'un second centre Aa dans
le grand centre optique; c'est là que les images écrites des mots
sont emmagasinées. L'activité des deux centres Aa, A6, est auto-
nome, indépendante. De même, reconnaître les lettres et les associer
en un mot, sont deux fonctions qui impliquent un centre collec-
teur spécial; c'est B. Par suite, pour qu'un homme cultivé lise, il
lui faut seulement l'intégrité des voies de communication AC et ACB.
La clinique indique les espèces morbides suivantes :
1° Perte de la valeur des lettres non reconnues quoique vues
(sorte de cécité psychique). C'est l'alexie qui peut être partielle
(lecture lente, paralexie inconsciente) ou totale (lecture impossible).
Il y a alexie complète quand les deux centres Aa, Ab, ou les voies
d'association AC ne fonctionnent plus. Il y a alexie partielle quand
A6 est supprimé.
2° Impossibilité d'associer les lettres, d'ailleurs reconnues, en un
mot; c'est la dyslexie. Totale quand il y a impossibilité de lire.
Partielle quand la lecture est traînante. C'est qu'alors A6B (cen-
78 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
très ou voies d'association correspondant à ces centres) ne fonction-
nent plus. C'est le cas de notre malade qui en est un type.
3° Perte des images des mots écrits. Lecture possible, mais machi-
nale. Interruption ou suppression de AaC. L'interruption ou la
suppression de CB empêche l'arrivée des notions complètes de Aa,
Ab à C ; mais si BDE + DC sont conservées la lecture est possible.
4° Les lettres sont reconnues, le syllabage est possible, mais les
mots émis ne parviennent plus au centre de la notion complète C.
On lit comme si on lisait une langue inconnue avec un alphabet
connu (plus d'idées) plus d'association d'idées; sorte de surdité ver-
bale). Interruption de BC et DC. En effet la voie BC prend nais-
sance par le développement du centre B, c'est-à-dire par le long
exercice des gens éduqués. L'individu un peu cultivé utilise, pour
lire A6BDE + DC. Si DC est interrompu, nous avons le mode de
dyslexie qui, nous occupe ici. Si vous interrompez DC, tandis que
BC subsiste, vous affectez à la fois BC et DC qui transmettent les
impressions au grand centre intellectuel C.
L'autopsie nous montre qu'il y avait une tumeur, non, comme
nous l'avions pensé, dans le lobe temporal, mais dans le lobe
occipital ; intégrité du chiasma, déchéance de la troisième frontale
gauche et droite, de l'insula et de la première temporale.
Par suite il y a lieu de placer le centre A des images écrites des
mots et des lettres dans le lobe occipital, le centre B d'association
des lettres quelque part dans le centre de la parole ; la tumeur
interrompait donc la voie A6B (dyslexie). C'est d'autant' plus
admissible que la dyslexie fut le premier symptôme de la maladie;
les autres symptômes doivent être rapportés à la pression occipito-
temporale. L'hémiplégie droite survenue trois jours avant la mort
provient d'hémorrhagies récentes superficielles, entre la dure-mère
et la pie-mère, à la convexité du lobe gauche.
Il en résulte que les troubles de la lecture ne peuvent servir à la
localisation. On le comprend à priori quand on songe que la lec-
ture est le fruit d'une éducation raffinée et que, par conséquent, il
suffit d'une lésion extrêmement fine pour la supprimer. Revue con-
firmative des observations existant dans la science (dix) dont huit
avec autopsie. Tout ce que l'on peut dire, c'est que la dyslexie
idiopathique provient d'une lésion de l'hémisphère gauche et qu'elle
indique toujours la mort. P. Keraval.
II. Contribution A l'étude DES hémiplégies consécutives A L-INToXl
cation oxsGAEBOSyuE; par le professeur iV.-11. POPOFF. (iJledi-
zinsk. Obozr., n° 18, 1891.)
L'auteur décrit un cas d'hémiplégie survenue à la suite d'un
séjour trop prolongé dans un établissement de bains infecté par
des vapeurs d'oxyde de carbone. Le malade est un paysan, âgé de
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 79
vingt-cinq ans, provenant d'une famille prédisposée aux affections
nerveuses et mentales. En sortant du bain, le malade était atteint
d'une hémiparésie gauche. Cinq jours après cette hémiparésie
s'est transformée subitement en hémiplégie. L'auteur explique
cet accroissement subit de phénomènes morbides non pas par l'ap-
parition d'une réaction inflammatoire autour du foyer hémorrha-
gique, mais par une seconde hémorrhagie venue s'ajouter à la pre-
mière. J. ROUBINOVITCH.
III. UN cas d'aphasie sensorielle TRANSCORTICALE; par A. PicK.
(Neurol. Centralbl., 1890.)
Jurisconsulte de soixante-un ans; d'une parfaite santé jusqu'à il
y a dix ans (eczéma de la tête). Il y a cinq ans, paralysie transi-
toire des muscles des yeux. Les accidents du côté de la parole
datant d'un an ; plusieurs accès d'aphasie; au commencement de
cette année, idées délirantes de persécution; hallucinations de
l'ouïe. Depuis quatre semaines, l'aliénation mentale a disparu, le
trouble de la parole s'est rapidement accentué. C'est l'intelligence
des mots qui est atteinte ; le malade en a beaucoup à sa disposi-
tion, mais il les enfile les uns à la suite des autres sans s'émouvoir
autrement de son incohérence. On lui demande : « Comment s'ap-
pelle votre fille ? » Réponse 89 (il compte sur les doigts) Mathilde
(exact). Incapable de désigner les objets qu'on lui présente, il
reconnaît l'exactitude des noms qu'on lui cite et répète alors cor-
rectement la dénomination. 'Copie à peu près ce qu'on lui donne
à copier, sans en comprendre le sens.
Conclusion. Sixième forme clinique de Lichtheim ' : interrup-
tion des faisceaux nerveux qui unissent le centre des images pho-
nétiques au centre des notions représentatives. P. K.
IV. Du tremblement juvénile héréditaire; par A. 1V.1GY.
(Neurol. Ccntralbl , 1890.)
Tremblement essentiel (jusqu'à nouvel ordre) chez une femme
de vingt-six ans, que l'on retrouve dans la génération des ascendants;
sur quarante et un membres de cette famille, dix-neuf sujets sont
atteints. Il s'agit d'un tremblement précoce, qui apparaît dans
l'enfance, et ressemble à celui qui suit la fatigue ou les émotions,
il se complique, chez quelques-uns de ces malades, d'un tremble-
ment intentionnel qui affecte surtout les mains; la marche n'est
atteinte que chez trois. Pas d'autres anomalies nerveuses dans la
famille si ce n'est un peu d'émotivité avec excès de démonstra-
Voy. Archives de Neurologie.
. 80 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
tions. En les astreignant à une occupation du même genre, on fait
diminuer les tremblements. Ceux des membres de la famille qui
boivent volontiers des boissons alcooliques, notamment du vin,
tremblent moins. La malade actuelle présente les signes de la
sclérose en plaques. L'examen du frère de la malade décèle que le
tremblement est en voie d'amélioration, sans autre signe de sclé-
rose en plaques, son tremblement diminue quand il absorbe une
certaine quantité d'alcool. A l'autopsie de décider. P. K.
V. Ophtalmoplégie EXTERNE POLYNÉVR1TIQUE (Contribution à la patho-
thologie du labes) ; par G. ROSSOLIMO. (Neurol. Centralbl., 1890.)
Un malade de cinquante ans, syphilitique, s'expose à un refroi-
dissement. Il se développe une névrite multiloculaire caractérisée
par l'atteinte d'un grand nombre de branches spinales périphé-
riques, des deux branches ophthalmique et maxillaire supérieur
des deux trijumeaux, des oculomoteurs communs, des pathétiques
des deux côtés : de là l'ophthalmoplégie externe qui disparaît à la
fin du traitement. Les altérations des portions intra-médullaires
de l'appareil sensoriel sont produites par les transmissions du
processus pathologique des nerfs périphériques à la moelle. P. K.
VI. Contribution A la pathologie DE la paralysie DES tambours ;
par L. Bruns. (Neurol. centralbl., 1891.)
C'est une parésie due au surmenage du pouce de la main gauche.
Suivant les circonstances individuelles, tels ou tels muscles sont
pris ; le plus souvent ce sont les extenseurs, parfois, c'est le long
fléchisseur seul, assez souvent aussi, tous les muscles qui meuvent
le pouce. Trois cas ont été publiés dans les comptes rendus sani-
taires de 1881-1882; huit observations, dans ceux de 1884-1888.
Un seul malade a guéri. L'autéur a obtenu de l'amélioration du
massage et de l'électricité. P. K.
VII. Contribution A l'étude 'de la dyslexie; par A. PICS.
(Neurol. Centralbl., 1891.) ,)
Le complexus symptomatique de la dyslexie se rapproche de la
claudication intermittente du cheval. Quand le malade a lu quel-
ques mots correctement à tous égards, voici qu'il lui est difficile ou
impossible d'en lire d'autres; en même temps il éprouve des sen-
sations pénibles, il se repose et tout cesse. Les difficultés repa-
raissent quand il recommence à essayer de lire. Bruns a observé
un dysleclique qui présentait de la dysgraphie offrant une analogie
encore plus grande avec la claudication en question. Le malade
écrit spontanément avec correction, il peut copier, mais alors
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 81
l'écriture devient bientôt indistincte, comme s'il écrivait à l'aide
d'un manche à balai. le bras devient de plus en plus raide, finale-
ment, la plume s'échappe de ses mains. La dyslexie a pour subs-
tratum anatomique de graves lésions cérébrales (oblitération des
vaisseaux), la claudication procède à l'oblitération des artères des
autres extrémités. P. K.
VIII. DE la compression DE la QUEUE DE cheval; par L. Laquer.
L · (Neurol. Centralbl., 1891.)
Jeune homme de dix-neuf ans jusqu'alors tout à fait bien por-
tant. En septembre 1888, violentes douleurs sacrées, à caractère
sourd et térébrant, surtout la nuit, au lit, quand il est resté long-
temps assis ou debout, elles finissent par être insupportables. Elles
occupent le milieu et l'intérieur de l'os, et irradient souvent jusque
dans le genou. Au début de décembre 1889, pas d'autres accidents
qu'un maiaise subjectif avec endolorissement lorsqu'on percute for-
tement la région ; le malade peut marcher des heures durant, sous
l'influence des vésicatoires et de la galvanisation prolongée pendant
plusieurs semaines, l'amélioration persiste. Mais les douleurs 1
reviennent en mars, subissent une rémission, puis augmentent ;
constipation, douleur en allant à la selle, miction incomplète;,
atrophie musculaire des triceps fémoraux, sacrum extrêmement
douloureux à la percussion et à la pression, légère cyphose lom-
baire, démarche traînante et prudente, le tronc s'infléchissant for-
tement en avant et la marche ne pouvant dépasser cent à deux
cents pas. ' ' - P. K. ,
IX. Un cas DE POLIOENCÉPHALITE supérieure ET inférieure avec POLIO-
- myélite antérieure consécutif A l'influenza (issue mortelle), autre
observation semblable, DE cause inconnue, terminée par la GUÉ-
BISON ; par S. GOLDFLAU. (Neurol. Centralb., 1891.)
Obs. 1. H., de soixante ans, ayant eu un chancre mou dans la
jeunesse (sans accidents syphilitiques), puis attaques d'épilepsie
grave en 1889 (décembre) ; au début de janvier 1890, blépharop- ,
tose gauche avec diplopie ; quelques semaines plus tard, blépharop-
tose droite'. Eu même temps, parésie des jambes avec tremblement
pendantla station debout. Trois années après, blépharoptose bilaté- ,
raie très accusée, paralysie de tous les musses extrinsèques des
yeux (globe de l'oeil en équilibre). Conservation de la résection pu-
pillaire, sens de la vue normal, avec ii)té-riLédufi)nd d3 l'oeil. Gra-
duellement,, sensation d'engourdissement dans les doigts de la
main gauche, paralysie passagère des extrémités' où parésiesinter-
vallaires des doigts avec sensations désagréables; bientôt les flé-
chisseurs de la main et le triceps brachial sont pris (atrophie), ainsi
que les muscles du facial inférieur gauche. Sous l'influence.d'onc- .
Archives, t. XXIV. 6
82 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
tions mercurielles, une légère amélioration se produit. Mais les
symptômes bulbaires apparaissent, s'étendent et s'aggravent. Le
malade meurt le 24 juillet. Autopsie impossible, mais diagnostic
confirmé par Charcot et Nothnagel.
Obs. IL - Fruitière, de trente ans, ayant présenté sans cause
comme des symptômes d'ophtalmoplégie nucléaire, de paralysie
bulbaire, de polioencéphalite antérieure sous forme de lésion des-
cendante partie des noyaux oculomoteurs, du troisième ventri-
cule, de l'aqueduc de Sylvius et ayant gagné la moelle. La propa-
gation s'est opérée non par continuité ni par contiguïté, mais par
sauts, la moelle ayant été atteinte avant les planches du quatrième
ventricule. Marche rémittente et intermittente de bien de ces symp-
tômes. Cas unique de guérison.
L'auteur classe les cas connus d'après leur évolution et leur étio-
logie.
Il distingue :
1° Les faits à évolution suraiguë, mort en quelques jours; polioen-
céphalite suraiguë de Wernicke (observation deNernicke, Thomson,
Handel) par alcoolisme, intoxication sulfurique et diphthérie :
morts.
2° Les faits à évolution aiguë (observations de Guyet, Knapp,
Uhthoff) par traumatisme, intoxication carbonique, diphthérie,
influenza : une guérison.
3° Les faits à évolution subaiguë, avec tendance à la propagation .
des lésions sur les noyaux du quatrième ventricule et sur les cornes
grises antérieures de la moelle (observations de Goldtlam et
Eisenloh).
4° Les faits à évolution chronique ayant duré des années. A cette
catégorie appartiennent le plus grand nombre des cas publiés jus-
qu'ici.
Le complexus symptomatique est tantôt autonome (surtout
après la syphilis), tantôt greffé sur d'autres maladies du système
nerveux central, sur la poliomyélite antérieure (observation de
Sceligmulkes), sur le tabes, la sclérose en plaques, l'atrophie mus-
culaire progressive, la paralysie progressive, la paralysie bulbaire.
P. K.
X. CONTRIBUTION A la connaissance DES formes rares d'aphasie SEN-
SORIELLE ; par ADLER. (Neurol. Centralbl., 1891.)
Observation d'aphasie sensorielle subcorticale et transcorticale.
L'auteur insiste sur l'existence de la surdité verbale et l'impossibi-
lité pour le malade de répéter les mois; c'est, dit-il, une aphasie
subcorticale et non corticale, car il a conservé la faculté mécanique
de lire et qu'il n'existe que de faibles troubles de la parole sponta-
née. 11 y a eu aussi une attaque d'aphasie transcorticale caracté-
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 83
risée par : la perte de l'intelligence, de l'écriture avec paraphasie
et paralexie. Quant à la paragraphie accompagnée d'anesthésie
rétinienne, elle prouve une diminution de l'activité des champs
corticaux visuels. P. K.
XI. UN cas TYPE DE PARAMYOCLONUS MULTIPLE; par E.-A. HOMEN.
(Neurol. Centralbl., 1891.)
Observation sui generis offrant quelque parenté avec le tic con-
vulsif, et dépendant probablement d'une hyperexcitabilité des
centres réflexes spinaux, englobant aussi ceux du bulbe. Le chloral,
le K Br., la cocaïne, influencent favorablement le siège de l'irri-
tation ; il est donc probable que l'élément sensitif de l'appareil
réflexe est plus atteint que son élément moteur. P. K.
XII. DES TROUBLES visuels par TUMEUR cérébrale; par F. HIRSCxBERG.
(Neurol. Centralbl., 1891.)
Très fréquemment, ces troubles précèdent les symptômes locaux
et forment, de concert avec l'exagération de la pression intra-céré-
brale (papille étranglée bilatérale) un signe essentiel de la maladie
fondamentale. Il y en a trois espèces :
10 L'amaurose' par accès est rapidement passagère; l'amaurose
épileptoïde dure jusqu'à deux minutes, reparaît six à huit fois par
jour ou bien plus fréquemment et est parfois, par sa fréquence,
une réelle torture pour le malade; parfois l'accès dure plus d'une
demi-heure, voire plusieurs heures. 2° Troubles permanents par
lésions de la substance cérébrale. a. hémianopsie homonyme bilaté-
rale; destruction de l'un ou des deux centres optiques dans un
lobe occipital, ou de l'irradiation des fibres optiques ou des nerfs
crâniens eux-mêmes; il est rare que par déchéance d'une seule
partie du nerf optique correspondant, l'hémianopsie soit partielle.
6. Hémianopsie temporale croisée; elle entraîne la cécité com-
plète par tumeur de l'angle antérieur ou postérieur du chiasma.
3° Troubles permanents par lésion de fo;il. a. Agrandissement du
punctum coecum (par papille étranglée). 6. Rétrécissement du
champ visuel, occupant brusquement le méridien principal d'un oeil
(endartérite rétinienne) et finissant par envahir tous les méridiens
irrégulièrement. c. Diminution de l'acuité centrale par lésions
anatomiques des milieux (hémorrhagies, décollements) ou par inter-
ruption des fibres nerveuses centrales de la rétine; finalement
perte du sens de la forme et de la couleur avec conservation du
sens lumineux qui disparaità sou tour (cécité totale). ,
Deux observations intéressantes. La première comporte ces trois
espèces sans qu'il y ait eu des phénomènes de déficit du côté dit
système nerveux. P. K.
SOCIÉTÉS SAVANTES
SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE.
Séance du 25 avril 1892. - Présidence DE M. Christian.
PI ix Belhomme. Le sujet de concours pour le prix Belhomme à
décerner en 1893 est le suivant : De la vision chez les idiots.-
Observation de tumeur cérébrale. M. CHRISTIAN communique à
à la Société l'observation d'un malade qu'il a suivi pendant cinq
ou six ans et qui n'a cessé d'avoir toutes les nuits des hallucina-
tions de la vue; jamais elles ne se sont montrées dans la journée.
Ces hallucinations s'accompagnaient de terreurs. Le malade se
voyait entouré d'hommes et de femmes qui venaient accomplir sur
son lit des actes obscènes, ils versaient dans ses draps des cornets
remplis d'insectes, etc. Jamais, à aucun moment, il n'eut d'hallu-
cination de l'ouïe.
Cet homme avait l'attitude d'un dément. M. Christian s'était
demandé à diverses reprises si ces hallucinations n'étaient pas la
conséquence du régime alimentaire suivi par l'aliéné. Comme il
ne mangeait que fort peu, il prenait en elfet, le matin, un peu de
vin de Bagnols et le soir un verre de punch. Mais la mort survenue
brusquement permit de trouver une autre explication :
On constata à l'autopsie la présence d'une tumeur cérébrale du
poids de 20 grammes, pédiculée sur la base du crâne et de la gros-
seur d'un oeuf de poule. La tumeur reposait sur la selle turcique
et venait comprimer les nerfs optiques. M. Christian pense pouvoir
attribuer à cette compression les phénomènes visuels qu'il ne sau-
rait expliquer autrement.
M. Briand demande à M. Christian si le régime du bagnols et du z
punch n'a pas été supprimé un jour ou l'autre et si, dans ce cas, les
hallucinations ont momentanément cessé. Ces hallucinations ont
pour lui toutes les allures d'hallucinations toxiques; elles sont vi-
suelles mobiles, terrifiantes, ne se montrent que la nuit. Ce sont
bien là les caractères de l'alcoolisme subaigu.
M. Christian. Le régime n'a pas été interrompu, néanmoins, je
persiste à croire, en raison de leur continuité, que les phénomènes
observés étaient liés à la compression. ' °
SOCIÉTÉS SAVANTES. 85
- M. JOFFAOY. La majorité des cas de tumeur cérébrale venus à ma
connaissance se sont terminés par la mort subite, comme le cas qui
nous est indiqué. Pour ce qui est des hallucinations, je n'ose pas
affirmer qu'elles soient d'origine périphérique. Peut-être faut-il
penser ta possibilité d'une lésion des régions psychiques. La dé-
mence, dont le malade de M. Christian était frappé, indiquait une
modification des centres nerveux qui permet cette interprétation.
M. Voisin. M. Briand parait admettre que les hallucinations de
la vue sont toujours liées à l'alcoolisme. M. Baillarger a indiqué
qu'en dehors de l'alcool on pouvait observer chez les fébricitants
des hallucinations pénibles de la vue, dans l'état intermédiaire
entre la veille et le sommeil.
M. BRIAND. Mais le malade de M. Christian n'était pas un fébrici-
tant ! '
M..CHRISTIAN se défend d'avoir voulu donner une interprétation
rigoureuse du fait qu'il a rapporté. Le cas lui a paru intéressant à
signaler. Il l'a rapporté sans tirer de conclusions formelles. Cepen-
dant, se trouvant en face d'un homme ayant eu pendant plusieurs
années des hallucinations de la vue, et porteur d'une tumeur céré-
brale comprimant les nerfs optiques, il était bien légitime de voir
là une relation de cause à effet.
Rapport médico-légal sur un pyromane devenu homicide. M. PAUL
GARNIER. Notre confrère M. Samuel Garnier m'a prié de demander
l'avis de la Société sur le cas suivant : 11 s'agit d'un ancien épilep-
tique qui a tué un homme d'un coup de revolver et lui a ensuite
dérobé une certaine somme d'argent. Cet individu .avait autrefois
allumé des incendies et à la suite d'une ordonnance de non-lieu,
basée sur son état mental, avait été renfermé à l'asile de Dijon d'où
il s'était évadé. M. S. Garnier conclut à la responsabilité complète
de l'accusé et termine ainsi son rapport : V... a dit la vérité en
s'attribuant la paternité du crime qui lui est reproché. Il doit ré-
pondre de son acte devant la justice. 1
M. l\IARANDON DE MoNTYEL. Pour moi, il est un fait acquis, c'est
que V... était pyromane après avoir été épileptique, mais j'ajoute
qu'il me paraît difficile de discuter sur un rapport médico-légal
sans avoir le dossier complet de ce malade.
M. fOFFIioY. V... est un fou, c'est entendu; il s'agit maintenant
de savoir s'il a accompli son crime pendaut une période de luci-
dité ou pendant qu'il était irresponsable. Comme il en conserve
le souvenir de l'acte, je suis autorisé à croire qu'il jouissait de la
plénitude de son intelligence.
M. BRIAND trouve que la Société s'engage dans une voie dange-
reuse en discutant sur un cas aussi délicat sans avoir sous les yeux
et l'inculpé et tous les éléments du procès. N'oubliez pas, ajoute-
86 SOCIÉTÉS SAVANTES.
t-il, qu'il y va de la tête d'un homme et que votre autorité ne man-
quera pas d'être invoquée, soit par l'accusation, soit parla défense
et peut-être ..... par l'une et l'autre ! Je propose de passer à
l'ordre du jour. Nous reviendrons sur cette communication après
le procès. Je crois que nous ne sommes pas suffisamment éclairés
pour voter des conclusions que tout à l'heure on va nous proposer.
M. P. GARNIER. Les procès-verbaux ne seront publiés qu'après le
jugement ; nous pouvons donc discuter, sans crainte de compro-
mettre lesintérêts de la justice, soit ceux du prévenu. D'ailleurs
j'ajoute pour calmer les légitimes scrupules de M. Briand que j'ai
été invité à vous lire le rapport de M. S. Garnier par son auteur
lui-même qui s'était préalablement assuré de l'autorisation au Par-
quet. Le Procureur de la République, dont j'ai une lettre serait
aussi très heureux d'avoir l'avis de la Société.
M. CHARPENTIER. M. Christian vient dé nous communiquer une
observation à laquelle manquaient les pièces anatomiques : cela
ne nous a pas empêchés de discuter le cas que l'on nous a soumis.
Nous pouvons tout aussi bien discuter le cas de V... J'ai hâte de
dire que je le considère comme un gredin et non comme un désé-
quilibré irresponsable. Il rentre dans la série des malades dont je
vous entretenais à une séance précédente et qui sont mieux à leur
place dans une prison que dans un asile.
M. Vallon. En prolongeant cette discussion nous allons mettre la
cour en présence de deux opinions opposées ne reposant que sur
des bases peu sérieuses. Nous embarrasserons beaucoup plus le
Parquet que nous ne l'éclairerons.
M. MARANDON DE MONTYEL. J'ai été chargé d'examiner V... au mo-
ment où il venait d'allumer sept incendies. J'affirme qu'alors il
était complètement fou.
M. P. GARNIER. Qu'il soit un déséquilihré et un instinctif, cela est
certain; mais je ne le crois pas, à proprement parler, fou comme
le considère M. Joffroy. J'admets aussi qu'il était irresponsable au
moment des incendies ; mais je ne vois aucun rapprochement à
faire entre son passé et son état actuel. Aujourd'hui, devant le rap-
port de M. S. Garnier, je suis tout prêt à l'abandonner à la justice.
M. BRIAND insiste pour que devant les divergences des opinions
émises, opinions ne reposant, il faut le reconnaître, que sur des
présomptions, aucune conclusion ne soit votée et que le rapport,
soit renvoyé avec les remerciements de la Société et sans apprécia-
tion à son auteur. Quel est celui d'entre nous, dit-il, dont la reli-
gion est, à l'heure actuelle, assez éclairée pour signer le rapport
de M. S. Garnier. Nous sommes ici une douzaine qui, à la fin d'une
séance, pressés par l'heure et sans renseignements complets, ris-
quons de faire monter sur l'échafaud un homme dont nous con-
naissons à peine l'histoire pathologique.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 87
M. GARNIER propose des conclusions tendant à adopter les termes
mêmes du rapport sans préjuger des données sur lesquelles il
repose.
M. LE Président ne se croit pas autorisé à mettre aux voix une
conclusion quelle qu'elle soit, en raison des conséquences qui pour-
- raient avec l'approbation ou l'improbation officielle d'un rapport
sur un cas d'une telle importance. La Société décide d'adresser
des remercîments à M. Samuel Garnier en lui expliquant les mo-
tifs de haute convenance qui s'opposent à ce qu'on vote aucune con-
clusion à son très intéressant et très étudié rapport.
MARCEL Briand.
CONGRÈS AUSTRO-HONGROIS DE LA SOCIÉTÉ DE PSYCHIA-
TRIE ET PSYCHOLOGIE MÉDICO-LÉGALE DE VIENNE.
TROISIÈME SESSION A GRAZ (STYRIE).
Séance du 5 octobre 1891.
M. le professeur lllexrrEaT, ouvre le Congrès. Puis MM. WAGNER
DE JAUREGG et SCHLANGENHAUSEN, conduisent les débats.
M. MEYNERT. Des expériences faites par la nature sur le cerveau
(publié in extenso t).
M. WAGNER. Des éléments somatiques des psychoses aiguès.
Mémoire également publié 2.
Discussion : M. L11EYNERT. Une maladie au plus haut point dissé-
minée, le tabes dorsal manifeste une grande tendance à se pro-
pager sous la même forme dans l'encéphale. C'est ainsi que le
tabes se complique de paralysie générale. Cette dissémination
provient de certaines altérations postsyphilitiques; le germe patho-
gène, répandu dans tout le corps, pénètre partout. Les altérations
ressemblent peut-être à la névrite, ce qui peut-être s'explique par
la tendance à la dissémination.
M. LAUFENADER. Dans ces dernières années, j'ai eu l'occasion
d'observer deux formes de psychoses toxiques vraies. L'une d'elles
est la rage humaine; le complexus clinique de cette maladie pré-
sente une évolution dont on ne saurait méconnaître le type ; c'est
1 Voyez Archives de Neurologie. Revues analytiques.
« Id. v
88 ' SOCIÉTÉS savantes.
la marche d'une psychose infectieuse aiguë avec les trois stades
connus. J'ajouterai que, conformément à la théorie infectieuse,
mes observations révèlent l'existence constante de la fièvre.. Si nous
nous rappelons que les recherches de Pasteur décèlent l'accumu-
lation principale du virus en question dans le bulbe et sa trans-
mission aux animaux par l'inoculation de moelles allongées em-
pruntées à l'homme, nous ne pouvons plus douter que la rage
humaine ne soit la plus parfaite image d'une psychose toxique et
infectieuse. Il nous faut simplement admettre que, chez l'homme,
le germe pathogène infectieux, ne se cantonne pas dans la région
protubérantielle, mais qu'il gagne l'écorce du cerveau et les gan-
glions sous-corticaux. La preuve en est dans les hallucinations en
masse du stade initial, et dans les accidents paralytiques de la
période terminale. Toutefois, les phénomènes bulbaires prédomi-
nent.
D'après les recherches de mes élèves, MM. Moravcsik et Schaffer,
l'analyse microscopique atteste aussi la nature infectieuse du pro-
cessus, car on constate dans le bulbe, comme dans la moelle, des
altérations inflammatoires et même destructives indéniables.
La seconde maladie à laquelle je fais allusion est la chorée
grave, ou la chorée accompagnée de troubles psychiques se termi-
nant par la mort. On sait en effet que tous les cas de chorée ne
sont pas bénins. Je possède cinq observations dans lesquelles, il se
produisit un complexus fébrile bruyant. L'incoordination des
mouvements se transformant [en propulsions violentes, le malade,
privé de connaissance, se roulait à terre avec une force telle que,
craignant pour son épiderme, nous dûmes le faire attacher. En
même temps, il était envahi par des hallucinations et des illusions
impétueuses. Si bien que la chorée minor ou major du début
entraînait la mort en trois à cinq jours. L'autopsie révélait l'hypé-
rémie généralisée déjà signalée des oentres nerveux et notamment
de l'encéphale. Au microscope, je trouvai dans le troisième article
du noyau lenticulaire la dégénérescence hyaline de Flechsig; le
long des vaisseaux existaient des chapelets de corpuscules ronds,
opaques, qui ont provoqué des interprétations d'ailleurs vagues. Du
reste, il y a plusieurs années, M. Meynert a appelé l'attention sur les
rapports du noyau lenticulaire avec la chorée. Il existerait donc
une forme bénigne simple de la chorée de nature infectieuse, mais
rhumatismale; tandis que la chorée grave, serait un type de psy-
chose infectieuse réellement toxique.
Séance du 6 octobre 1891.
M. GAUSTER. L'assistance communale et les infirmes de l'intelligence
indigents. Tout le monde se plaint dans notre patrie de l'en-
combrement de nos asiles d'aliénés. Dans beaucoup de ces établis
1 SOCIÉTÉS savantes. -89
sements cet encombrement est tellement exagéré qu'il est un
danger pour l'hygiène, le traitement et la sécurité des aliénés.
Les assemblées départementales (Landes) ont été obligées de
grever leur budgets de crédits nécessaires à l'assistance publique
des aliénés et de les augmenter continuellement sans aboutir
néanmoins aux réformes indispensables. Etudions à ce point de
vue les dix dernières années.
Voici la Haute et la Basse Autriche, la Styrie, la Bohême et le
Vorarlberg. Pour une population normale de 9.700.000 habitants,
nous hospitalisons 8.648 aliénés; qui nous coûtent annuellement
1.956.865 florins (4.892.162 fr. 50). Du moins tel est le bilan de
1889. Et cependant chaque malade ne nous dépense que 226 florins
par an (565 fr.). Mais le nombre des admissions augmente presque
partout. A l'asile de Vienne, par exemple, en 1855, on a eu un sur-
plus de 580 malades; en 1890, l'accroissement a été de 887; aujour-
d'hui il dépasse 1.000. Si la progression continue, les ressources-
publiques seront insuffisantes.
Pourquoi cet encombrement ascendant ?
Parce que l'on enferme des alcooliques chroniques et des
malades affectés de perversité morale qui constituent un danger
pour la société. Parce que l'on nous envoie des épileptiques dan-
gereux aussi par périodes. Enfin parce que nous gardons des aliénés
incurables qui pourraient, si l'on organisait leur assistance, de-
meurer dans des familles ou à la charge de l'assistance communale.
Il y aurait lieu de construire dans ce but des hospices à la charge
des communes ou, en cas d'insuffisance de ressources, des départe-
ments (Landes) semblables à ceux que le conseil général de la
Basse-Autriche (Landesatisschùss) a installés pour les infirmités
physiques. On y internerait des aliénés chroniques. On confierait
ces établissements à un médecin-directeur et non pas à un simple
administrateur (c'est le seul moyen d'éviter des conflits préjudi-
ciables 1). Ces hospices installés à la campagne, sans les frais qui
incombent aux asiles vrais, sans ce luxe de fonctionnaires et de
personnel qu'exigent ces derniers, coûtent bon marché; les malades
y seraient mieux à tous égards.
Je propose donc la formule suivante : ,
1° Le congrès austro-hongrois provoqué par la Société de psychiatrie
et de psychologie 'médico-téga]e de Vienne est d'avis : que l'assistance
communale ordinaire est impuissante à assister comme il conviendrait
les aliénés pauvres incurables et non dangereux; que, par suite, il con-
viendrait que les départements (Loender), venant en aide aux communes,
' M. Gauster en sait quelque chose, puisqu'il a été médecin en chef et
qu'actuellement il est directeur-administratif du grand asile de Vienne.
(P. K.) .
90 sociétés savantes.
créent pour les infirmes de l'intelligence des asiles dont on confierait la
direction à des médecins; .
2. La Société de psychiatrie et de psychologie médico-légale soumettra
cette résolution à l'appréciation et l'étude des départements et des
conseils départementaux (Landes ausschüssen).
Discussion : M. Scar.ancEVaausF·r. En Styrie, pour remédier à
l'encombrement, on a créé des succursales des asiles d'aliénés qui
ne sont peut-être pas en effet ce qu'elles devraient être. Mais déjà
' on s'est inquiété de la situation. L'an dernier, on a acheté à
Schwanberg un vieux bâtiment et l'on est en train d'y exécuter les
travaux d'appropriation nécessaires à sa transformation en hos-
pice pour aliénés incurables. L'an prochain, on y transférera les'
infirmes de l'intelligence.
M. Gauster. Ceci prouve le bien-fondé de ma proposition. Mais
il faut qu'on agisse de même en d'autres départements. Ainsi en
Gallicie ce mode d'assistance est urgent.
Le Congrès adopte à l'unanimité la première résolution.
M. ScHNOpFHAGEN. C'est aux directeurs d'asiles qu'il appartient
d'agir auprès des conseils généraux.
M. GAUSTEIt. Remarquez que notre seconde résolution, sera si
nous nous y prenons collectivement, transmise aux conseillers
sanitaires du département qui l'appuieront. L'intervention indivi-
duelle des directeurs peut, dans des états où ceux-ci n'ont point
l'influence qu'ils devraient avoir, rester sans effet. Tandis que l'ac-
tion collective de la société est une force. La seconde résolution
est adoptée à une forte majorité.
M. SVETLIN. L'assistance judiciaire des Aliénés en Autriche.-Deux
paragraphes seulement de nos lois, les § 270 et 273 du code civil
s'occupent des intérêts des aliénés et de leurs familles. Et encore
datent-ils de 1811. Le § 270 dispose : « Seront mis en tutelle... les
majeurs qui sont atteints de délire ou de démence. » Le § 273 :
« Peut seul être tenu pour délirant ou dément celui qui sera ainsi
judiciairement qualifié après enquête minutieuse de sa conduite et
interrogatoire des médecins commis à cet effet par le tribunal. »
Cela ne suffit pas. C'est en vain que les spécialistes et les sociétés
autorisés ont sollicité des pouvoirs publics et judiciaires une loi
complète sur les aliénés, qu'en 1869 la société psychiatrique a rédigé
un projet de loi nettement formulé, qu'en 1872 la même société a
adressé une nouvelle pétition sur le même objet au ministre de la
justice. Pas de réponse. Et cependant, depuis quatre-vingts ans, la
psychiatrie est devenue une science réelle qui a fait son chemin
dans le monde.
Il n'en faut pas moins persister, selon moi, à réclamer une
réforme de l'assistance judiciaire pour les aliénés. Gutta cavat
lapidem.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 91
Commençons par l'obligation de la déclaration. Cette obligation
n'existe aujourd'hui que pour la direction des asiles d'aliénés. Il faut
l'étendre à tous, quant aux personnes dont l'état d'aliénation est
notoire. En effet, tout aliéné privé de soins médicaux ou de sur-
veillance, tout aliéné dont la conduite n'a pas provoqué de conflit
entre lui et la police n'est jamais signalé à l'autorité. Le médecin
se gardera bien, puisqu'il n'y est pas tenu par la loi, de créer des
ennuis àla famille. Le mot d'aliénation mentale n'estpas prononcé;
au lieu de s'adresser à un asile d'aliénés, on envoie le malade, à
son détrimei.t, dans un établissement d'hydrothérapie ou dans un
sanatorium quelconque. La loi va donc à l'encontre de son but;
elle ne préserve pas; elle devient nuisible, puisqu'on la tourne.
Quand les autorités sont saisies d'un cas d'aliénation mentale,
quand elles sont invitées à examiner un état mental, ce n'est pas
pour un motif d'assistance, c'est plutôt pour éviter aux parents les
dommages que l'aliéné pourrait causer. La loi ici ne préserve pas
le malade, elle préserve du malade.
Ainsi, sans exception, seuls les malades internés dans les asiles
sont connus des autorités, et cependant il est évident que cette
déclaration les préserve par elle-même dans leur personne et dans
leurs biens.
Pourquoi alors le médecin et la famille se gardent-ils de signaler
les aliénés et de les mettre sous la protection de la loi ? Parce que
la famille craint de divulguer ce malheur et que les mesures
d'exécution légale entrainent inconsidérément cette divulgation.
En effet, dès que le directeur d'un asile a séquestré un malade,
il en donne connaissance au tribunal dont dépend l'aliéné; ce tri-
bunal ordonne l'examen de son état mental et la communication
du résultat de l'examen. Dans les grandes villes, ces formalités
n'ont pas d'importance; mais dans les petites localités, elles abou-
tissent à la publicité. Cette première déclaration n'est pas, d'ailleurs,
la seule action judiciaire; la procédure continue. Un second juge-
ment ordonne que la famille paiera les frais de l'examen médico-
légal. Il est signifié par huissier à la famille. Si par malheur le
débiteur est absent, l'huissier tempête et laisse la signification à un
domestique quelconque : on n'est pas plus humain 1
C'est de 1811 que date le paragraphe relatif à la tutelle des déli-
rants ou des déments. Sans doute, un décret du 25 janvier 1874
(n° 24,075) spécifie que ce ne sont là que des dénominations spé-
cifiques qui n'ont point pour objet de limiter la définition géné-
rale, et que tous ceux qui ne sont point en état de s'occuper eux-
mêmes de leurs affaires doivent être pourvus d'un tuteur. Mais ce
n'est pas dans un but scientifique que ce décret a été rendu, et du
reste il est tombé dans l'oubli. Une seule fois, on a interdit une
dame haut placée, affectée de folie morale, sous la rubrique « pour
cause de maladie » purement et simplement. Or, quand on songe'
92 SOCIÉTÉS SAVANTES.
au nombre des périodes initiales de psychopathies, à la quantité
de leurs stades intermédiaires, de leurs formes mixtes (en 1811, on
n'en avait pas idée), on s'étonne à bon droit que la justice conserve
' deux dénominatives uniques.
' La loi est encore plus dure. Elle ordonne l'affichage au tribunal
et dans les feuilles les plus lues du jugement rendu sur l'état
mental de l'aliéné. C'est complet. Au moins pourrait-elle se borner
à ce texte : une incapacité momentanée pour cause de maladie. -
Entre temps, se multiplient les nombreuses citations judiciaires
des membres de la famille pour constituer un curateur, les pénibles
interrogatoires pour établir l'état de la fortune.
Pour les aliénés aisés, un tuteur est bientôt trouvé. D'autant que
la charge n'est pas gratuite. Mais pour les aliénés indigents ! On en
nomme un d'office qui n'a cure, cela va de soi, du sort de son
pupille. Je me souviens d'une femme atteinte de folie systématique
qui, renvoyée de l'asile à titre d'essai, se maria plus tard avec le
consentement de son tuteur; celui-ci ne l'avait jamais vue. Autre
histoire. Deux débiles avaient lié connaissance à l'asile de Kloster-
neuburg, ils demandent à sortir, contre promesse de retour; ils
se marient. Or, tous deux étaient, l'homme et la femme, incapables,
interdits, irresponsables. Et cependant personne ne s'opposa à leur
mariage civil et religieux ; on leur délivra toutes les pièces néces-
saires, le tuteur de la femme ayant dit, sans plus de difficultés,
qu'il s'en désintéressait.
La loi devient une pure question de formes pour les aliénés
étrangers. Le consul et l'ambassadeur sont invités à la commission
d'examen, mais les choses en restent là. On désigne un tuteur au
lieu d'habitation de l'aliéné, on procède en un mot comme pour
les nationaux, avec cette différence que les dispositifs n'ont aucune
valeur légale pour le malade en question.
Si le malade étranger a quelque fortune, il faut qu'elle soit mise
. en sûreté; il est évident que souvent les capitaux ne peuvent, à
raison de cette mesure, plus rapporter. Souvent aussi, la sage pré-
voyance de la loi se transforme en une mesure de rigueur mons-
trueuse en vertu de ce texte : « La fortune de l'aliéné ne doit
jamais être entamée. » J'ai connu, par exemple, une Française qui,
depuis quarante-six ans, était au service de trois générations d'une
famille seigneuriale, elle avait économisé pas mal d'argent; mais
les rentes de ce capital n'eussent pu suffire au mode d'existence
auquel elle était habituée. Seule au monde, elle n'avait en France
que des parents très éloignés, qu'elle n'avait jamais vus et qui,
peut-être, ne soupçonnaient nullement son existence. C'était donc
à ces héritiers que la loi réservait sa fortune, la pauvre malade ne
devait jamais jouir du fruit de ses épargnes péniblement amassées
sou à sou.
Je terminerai par un incident comique dû à la procédure. J'ai
SOCIÉTÉS SAVANTES. 3
entre les mains un factum du tribunal du district de W... en Bohême
adressé à un paralytique général en démence mis en tutelle. On le
lui envoya à sa résidence d'été. Il commence ainsi : « ti M. A...
à W... Il est communiqué que M. A... à W... est, par le tribunal,
déclaré en démence. » Cette signification officielle de l'état de
démence a provoqué, chez ce malade, un accès de manie furieuse.
Il faut, en résumé, remplacer cette loi surannée et défectueuse
par une autre complète qui tienne compte des intérêts de l'huma-
nité et des acquisitions de la science. Il faut surtout substituer
à cette procédure inconsidérée une procédure simple et plus
humaine. "
Et je propose les deux motions suivantes :
1° La Société de psychiatrie de Vienne, réunie en congrès à Graz, sol-
licite du ministre de la justice de bien vouloir inviter les magistrats à
envoyer sous pli cacheté aux parties intéressées tous actes et assignations
relatifs aux affaires de tutelle afin d'assurer toute la discrétion pos-
sible ;
2° Le congrès de la Société psychologique de Vienne, réuni à Graz, prie
instamment 1111. les députés de vouloir bien étudier et discuter, dans
les plus brefs délais, une législation opportune relative aux aliénés.
Discussion : M. GAUSTER. La réforme est depuis longtemps en
train. C'est le temps qui manque le plus. Le projet de loi pénal n'a
pas encore été une seule fois délibéré. ·
' Sans doute, il faut remplacer les vieux mots de délire et démence
(Wahnsinn-Bloedsinn) par celui de maladie.
En ce qui concerne la tutelle des étrangers, il faut envoyer
l'acte à l'étranger. Chez nous, on ne peut leur nommer qu'un cura-
teur provisoire.
Quant à l'indélicatesse des procédés de la magistrature, elle
tient à la routine. '
Notre société a déjà traité à fond la réforme de la législation des
aliénés. J'ai écrit sur ce sujet un rapport qui a servi de base à.
uue pétition. Quelques-unes des vues de M. Svetlin y ont pris
place. - .
M. SvETt.tN. Les magistrats étrangers ne s'inquiètent pas du tout
de nos procédures de tutelle. La preuve, c'est que les ambassa-
deurs n'envoient personne à la commission. Donc, nos formalités
n'ont aucune raison d'être. 1
. M. MEYNERT, La question de publicité tient aux fonctions offi-
cielles des magistrats. Tout autre est la préoccupation de l'aliéniste.
Ce sont surtout les journalistes qui sont coupables, car les faits
divers sont pleins de divulgations de ce genre. C'est à leurs sociétés,
qu'il faut nous adresser et leur expliquer l'importance du secret
en ces matières. '...... 'i .
94 SOCIÉTÉS SAVANTES.
M. de KRAFFT-EBING. Sans doute, j'adhère aux opinions que je
viens d'entendre, est-il bien utile de provoquer l'invention d'une
loi spéciale pour les aliénés. Les autres pays en sont-ils plus avan-
cés ; on leur a servi un code qui ravale les pauvres aliénés à un
type spécial du genre homo, et n'est pour l'aliéniste (Amérique-
France) qu'une camisole de force. Le jurisconsulte, à l'exemple de
tous les profanes, ne voit dans l'asile d'aliénés qu'une bastille
moderne pour l'humanité. Quel tort ce préjugé officiel n'a-t-il pas
causé à nos établissements; il a encore diminué la proportion déjà
faible des guérisons. Dans tous les pays où existe une loi propre
aux aliénés, on s'est convaincu que l'humanité en a souffert et que
l'on a, dans des proportions colossales, multiplié les difficultés
dans l'admission des malades. Nous vivons, on l'a dit, sur d'anciens
errements; avant de quitter un sol ancien njais solide, il convient
de réfléchir mûrement et de déterminer av.ec précision ce que nous
devons demander et recommander t.
Supprimer les expressions de délire et démence, rien de plus
juste, rien de plus urgent. En Allemagne, on a, dans le projet du
code civil, adopté celle de « maladie mentale ». Faites de même.
C'est une question de code civil et non de législation spéciale aux
aliénés.
Quant aux articles relatifs à l'admission et à la sortie, ils m'épou-
vantent. Les jurisconsultes légiféreront et en légiférant ils mena-
ceront le but que nous poursuivons, le traitement de la folie, ils
aggraveront le préjugé qui ne voit dans les asiles que des établis-
sements de détention. C'est par des règlements intérieurs qu'il faut
résoudre ces questions. La procédure de l'interdiction et de la
tutelle ressortit à la procédure civile.
La loi des aliénés doit se borner à traiter de l'assistance des
malades qui ne sont pas internés. On vient de nous dire combien
leur situation est fausse.
Encore quelques mots, je vous prie, sur l'interdiction. La légis-
lation actuelle ne prévoit que les extrêmes. Permettez-moi une
comparaison. Il y a des malades qui ne peuvent marcher sans
béquilles ou sans bâton : on leur donne un bâton, qui leur permet
de se mouvoir. Nos aliénés, eux, ne peuvent aller, donnez-leur une
béquille. Ce sera, comme on dit en France, un conseil judiciaire;
il a pour mission de surveiller tous les pas du malade et de lui
1 Ces réflexions sont pleines de sagesse. Les pires ennemis des aliénés
sont sans s'en douter les lé.-islateuis. Qui trop embrasse mal étreint.
Nos asiles, il faut les convertir en maisons ouvertes, comme on l'a fait
en Ecosse. Surveillance ne signifie pas prison. Si l'asile devient un ins-
trument de séquestration (c'est ce qui arrive forcément avec la supré-
matie du pouvoir judiciaire), il cesse d'être un instrument de traitement.
L'administration du médecin est la seule admissible sous certaines
garanties. (P. K.)
SOCIÉTÉS SAVANTES 95
donner la capacité légale au moyen de sa signature. C'est ce qu'il
y a de mieux à faire. , , ' .
. La première motion do M. Svetlin est seule adoptée.
M. BOECE. Idées propres à opérer une réforme radicale de l'assis-
tance des aliénés. Les asiles d'aliénés actuellement hospitalisent
en commun les personnes qui présentent des troubles intellectuels
aigus, généralement passagers et curables, et les échantillons les
plus terrifiants du délabrement psychique sans espoir, les déments
de provenances diverses, à l'aspect le plus répugnant, les paraly-
tiques en complète déchéance, les épileptiques dont les accès sont
épouvantables, les délirants chroniques, qui par leurs idées fan-
tastiques ou provocatrices, jettent partout le trouble et l'effroi. Il
est impossible de ne pas être frappé de ces contrastes quand on
visite une clinique psychiatrique ou un asile d'aliénés pour la pre-
mière fois. Supposons qu'on y arrive comme malade; quelle
impression ces tableaux ne doivent-ils pas exercer sur l'imagina-
tion déjà détraquée des vésaniques aigus; ils doivent trembler pour
leur sécurité, alors qu'il leur faudrait un calme parfait. Il est
même certain que le souvenir qu'ils gardent de cette société avec
laquelle on les a obligés à vivre laisse en leur esprit une impres-
sion préjudiciable à leur entière guérison, les prédisposant à
la récidive, et en même temps gravant en eux une appréhen-
sion indélébile contre l'établissement où ils seront forcément
ramenés.
Il importe avant tout d'éliminer des asiles l'alcoolisme chronique
et la folie morale. La conduite et la perversité de ce genre d'alié-
nés exercent sur leurs commensaux une influence pernicieuse; de
plus, elles obligent le personnel de l'asile à recourir à des moyens
qui transforment l'établissement en un établissement pénitentiaire
sans grand avantage pour l'état mental de ces malheureux, car la
répression ne peut qu'y être imparfaite.
Par contraste, on ne reçoit ni dans un hôpital ordinaire, ni à
l'asile d'aliénés, l'hystérie grave, la neurasthénie, la dysthymie
par épuisement du système nerveux. Et cependant, ils présentent
des troubles intellectuels qui, pour être anodins au point de vue de
la sécurité générale et de l'ordre public, n'en sont pas moins
sérieux quand on envisage le malade en lui, car le plus grand
nombre des suicides doit être imputé aux deux dernières caté-
gories que nous venons de citer.
Voici, selon nous, le remède à cet état de choses.
Les psychoses aiguës se rattachent intimement aux maladies
internes; on y trouve des gradations insensibles qui nous ramènent
aux troubles fonctionnels du système nerveux. Ces maladies men-
tales sont de jour en jour plus accessibles aux méthodes générales
de la pathologie et deviennent justiciables de la physiologie ou de
la médecine. Nous l'avons vu d'après les deux lumineuses com-
96 SOCIÉTÉS SAVANTES.
munications d'hier. Il y aurait donc utilité, à tous points de vue,
à traiter ce genre d'aliénés dans les sections de neuropathologie.
Et, par suite, tous les hôpitaux devraient comprendre un bâtiment
propre à l'observation et au traitement des affections nerveuses,
qui servirait simultanément d'asile de convalescence. Ce complé-
ment indispensable de l'hôpital permettrait du même coup l'ensei-
gnement de la psychiatrie. Les familles seraient évidemment plus
portées à placer un malade à l'hôpital que dans un asile.
'Discussion : M. Frscma complète la communication de M. Boeck,
à laquelle il adhère; par l'examen de ce qui se passe en Hongrie.
En ce pays, le recensement de la population pour 1880, fournit le
chiffre de 28,221 aliénés.Ils sont internés dans trois asiles de l'Etat.
(deux à Budapeslli- un à Hermannstadt) -deux quartiers d'obser-
vation (un à Budapesth un à Presbourg) trois asiles privés.
Mais ces établissements ne peuvent en tout recevoir que 2,055 ma-
lades, ce qui veut dire qu'on ne soigne que 7,28 p. 100 des aliénés ;
que l'assistance des aliénés y est lamentable, que les établissements z
sont encombrés.
J'ai donc été amené par la force des choses à chercher un mode
de traitement plus moderne, plus en rapport avec les indications
de la psychiatrie et de l'humanité. Voici ce que je propose : Il
existe en Hongrie 63 comtés qui possèdent une autonomie plus ou
moins semblable à celle des Etats de la couronne d'Autriche. Un
grand nombre de ces comtés possèdent chacun son hôpital qui
dispose de 40 à 250 lits. Ceux qui n'en ont point devraient en cons-
truire un à bref délai. Il sufirait, par conséquent, dans chaque
comté, de compléter l'hôpital par un pavillon destiné à recevoir
150 malades, qu'on installerait dans le genre des quartiers d'obser-
vation. On y conduirait tous les aliénés du comté qui exigeraient les
soins d'un asile d'aliénés. Les aliénés incurables, hospitalisés dans
celte section depuis longtemps, par exemple depuis trois ans,
seraient transférés dans les hospices d'invalides correspondants.
Nous arriverions de cette manière à interner 9.450 malades et
nous destinerions les asiles d'aliénés actuels au rôle d'hospice»
d'infirmes pour aliénés incurables. Ce serait, suivant moi, l'idéal
de l'assistance psychiatrique. Kous ferions tomber du même coup
tous les préjugés du public, et nous augmenterions, sans nul doute,
la proposition des guérisons. En effet, les quartiers d'aliénés ainsi
disposés comprendraient une section ouverte destinée aux névro-
pathes et aux malades atteints de psychoses légères. Chaque sec-
tion psychiatrique du comté deviendrait un centre de surveillance
pour des aliénés laissés chez eux ou errant à l'aventure. ' * z
. i
M. GAUSTER. Quand on aura fait tomber les préjugés, quand les
médecins plus instruits auront éclairé le public, les établissements ,
d'aliénés deviendront des hôpitaux tout à fait semblables' aux
SOCIÉTÉS SAVANTES. 97
autres 1. Je propose de renvoyer la proposition de M. Boeck au
comité d'affaires de la Société sans qu'il soit nécessaire de nom-
mer une commission spéciale.
M. SCHLANGENHAUSE1V. M. Boeck dit que les établissements destinés
au traitement des malades ne conviennent pas aux aliénés atteints
de folie morale et d'alcoolisme chronique. Mon expérience me per-
met d'affirmer que nous les améliorons suffisamment pour qu'ils
puissent vivre au dehors.
M. MEYNERT. Les cliniques psychiatriques doivent jouir'd'une
certaine liberté, il ne me paraît donc pas bon de les river à un
asile. Il n'est pas d'hôpital qui puisse disposer d'un espace suffisant
pour recevoir et les cas curables et le matériel de l'enseignement.
Il n'est pas pas possible de soustraire à la clinique les cas chroni-
ques ; d'ailleurs le pronostic n'en est pas si précis que cela. Qui peut
actuellement dire a priori si les types connus dans la science sous le
nom de secondaires sont réellement incurables. Bacon de Veru-
lam ne disait-il pas : « ce qui importe le plus au médecin c'est de
spécifier les cas incurables qui ont guéri. » Tous les cas doivent
pouvoir figurer dans une clinique. Il faut aussi qu'elle soit ratta-
chée à une section de maladies nerveuses qui la complète en lui
procurant des troubles intellectuels que ne doit pas recevoir un
asile, par exemple les obsessions neurasthéniques.
M. de IRAFFT-1 : BI11G. Une clinique psychiatrique doit présenter à
l'auditeur tous les types voire les types curables. En revanche,' il
serait excellent de construire des établissements pour malades
atteints de neuropsychoses. Les neurasthéniques, par exemple,
qui, hantés par l'hypochondrie, redoutent perpétuellement le
ramollissement cérébral, ne sauraient être internés dans un asile
d'aliénés, car le spectacle des fous est encore une de leurs craintes.
Même embarras pour l'hystérie grave et la grande chorée. Leur
admission n'est permise que par un état de somniation posthys-
térique ou des tentatives de suicide; ces accidents sont en réalité
un bonheur pour ces aliénés. Mais, en attendant, il conviendrait
de les soigner avant de tels épisodes et de leur préparer des éta-
blissements spéciaux.
M. S\'ETLI1V. Il arrive aussi que des aliénés voudraient eux-mêmes
se faire interner sans que l'on puisse satisfaire à leurs désirs; ils
ne sont pas cotés sous la rubrique « dangereux pour la sécurité
publique ».
M. MEYNERT. La question me parait résolue si l'on décide de
compléter toute clinique psychiatrique par une clinique de mala-
dies nerveuses.
M. de KRAFFT-EBING. Toute à l'heure je me suis opposé à la créa-
' C'est la thèse que nous soutenons depuis longtemps. (B.)
Archives, t. XXIV. 7
98 SOCIETES SAVANTES.
tion d'une loi spéciale aux aliénés. Mais partout on ne parle que
de cette réforme; les aliénés la réclament; tous les corps consti-
tués qui touchent à la législation s'agitent. Il faut que les aliénistes
soient entendus.
Je propose donc :
- Que la question soit traitée par le prochain congrès, en ces
termes :
flans quelle mesure la législation des aliénés a-t-elle besoin d'une
réforme ? Deux rapporteurs seront nommés; ils soumettront au
congrès des propositions fermes. Adopté. MM. GAUSTER et de KRAFFFT-
EatNG sont nommés rapporteurs.
Sur la proposition de MM. L : 1UFENHAUEIi et FISCHEIt, modifiée par
.M. GAUSTER, le Comité d'action de la société psychiatrique est
chargé de déterminer le prochain congrès et de s'aboucher avec
les Hongrois pour qu'il se tienne à Budapesth. (Julcrbuecher f.
Psyclaiut., X, 2-3.) P. KERAVAL.
SOCIÉTÉ DE PSYCHIATRIE ET DE PSYCHOLOGIE MÉDICO-
LÉGALE DE VIENNE
Séance du 30 octobre 18901. - Présidence de M. Meynert.
M. Meynert rappelle à la Société qu'en 1878, elle a, pour la pre-
mière fois, adressé une pétition aux pouvoirs publics afin d'intro-
duire la psychiatrie comme matière obligatoire, dans les examens
de médecine. Actuellement, quelques pays voisins ont résolu favo-
rablementla question. La Société fera bien de récidiver.
M. ANTON lit son mémoire sur les troubles du sens musculaire et
présente deux malades. (Publié in extenso.) .
- Discussion : M. MEYNEM. Chez les deux malades qui viennent de
nous être présentés, on constate un trouble sensoriel et sensitif
hémilatéral que l'on peut considérer comme un symptôme de dé-
ficit émané d'un territoire cérébral irrigué par l'artère choroi-
dienne. Les troubles de l'odorat sont également à ranger dans la
même catégorie, car l'artère en question irrigue aussi les parois
du prolongement inférieur du ventricule latéral, ycompris la corne.
' Voyez Archives de Neurologie, t. XI, p. 116. Séance de mars 1885.
Depuis cette époque, les comptes rendus n'ont pas été publiés; d'ailleurs,
ils se résument en l'analyse des mémoires publiés dans le JahrGûcher f.
Psychiatrie, que l'on trouve régulièrement aux Revues analytiques.
(P. K.) z
SOCIÉTÉS SAVANTES. 99
d'Ammon. Le territoire de l'artère qui nous occupe commande
donc à la transmission de la capsule interne, à la vue, à l'olfac-
tion. Chez les deux malades, il existe une anosmie du côté anes-
thésique. Donc il y a trouble fonctionnel de ce territoire vascu-
laire.
M. ANTON propose de soumettre le malade Hermann qui a suscité
une polémique contre les aliénistes de l'Autriche, à un comité
choisi dans le sein de la Société qui fera un rapport. Mais la société,
qui adopte cette proposition en principe, attendra l'achèvement
de la publication du médecin commis par le tribunal, M. HINTERs-
TOISSER.
Séance du 27 novembre 1890. - Présidence de M. Meynert.
M. FRITSCH. Des impulsions pathologiques. (Publié in extenso.)
M. IIIEYNERT. L'article de M. Hinterstoisser sur le malade Her-
mann a paru dans la Wiener klin. Wochenschrift. On peut donc pro-
céder à la nomination du comité ; on n'y fera entrer que des méde-
cins qui ne connaissent pas le malade en question. Sont choisis :
zip. Meynert, Janchen, Anton. Le comité pourra consulter l'obser-
vation consignée sur les registres de l'asile de Vienne.
M. GAUSTER donne lecture d'un mémorandum relatif à la néces-
sité de faire entrer la psychiatrie dans les sujets d'examens. Les mo-
tifs développés par l'orateur, par MM. Meynert et Gauster sont
connus de tous. Ce memorandnm sera transmis au ministre des
cultes et de l'instruction publique par une députation composée de
MM. Meynert, de Krafft-Ebing et Gauster.
' ".
Séance du 8 janvier 1891. Présidence DE M. METNERT.
M. ANTON présente au nom du comité nommé pour l'examen du
malade Hermann un rapport dont les termes sont modifiés confor-
mément aux indications de MM. Meynert, Gauster, Janchen. Le co-
mité est autorisé à agir suivant ces instructions.
Séance du 19 février 1891. - Présidence de M. MEYNEIiT.
M. MAYER. Contribution à l'anatomie pathologique du labes dorsal.
(Publié in extenso.) '
Séance du 9 avril 1891. - PRÉSIDENCE DE M. MEYNERT.
M. MEYNERT. - La théorie des énergies spécifiques. (Publié in
extenso.) ..
100 sociétés savantes.
Séance du 14 mai 1891. - Présidence DE M. MEYNERT.
C'est la séance annuelle de la Société consacrée aux affaires et
notamment à la nomination du bureau. Sont nommés. ,
M. MEYNERT, président; M. GAUSSER, vice-président; MM. MAYER
et BOECE, secrétaires; M. BUBErtIH, bibliothécaire; MM. PFLEGER,
HOLLER, FRITSCH, Fries, membres du conseil d'administration.
M. GAUSSER propose, conformément à un article des statuts, de
provoquer un congrès pendant l'été de cette année et de le tenir
à Graz. Adopté. (Jahl'bucher f. Psychiat., X. 2-3.) P. KERAVAL.
SOCIÉTÉ PSYCHIATRIQUE DE BERLIN.
SOIXANTE-TREIZIEME RÉUNION'.
Séance du 1 juin 1891. Présidence DE M. LOEHR aîné.
M. LEPPMAIVN. Simulation d'aliénation mentale intercalée entre un
accès de vésanie et une rechute. - Il s'agit d'un campagnard de
trente-neuf ans, fortement entaché d'hérédité, présentant un arrêt
de développement des facultés, et ayant eu dans sa jeunesse une
maladie aiguë du cerveau, chez lequel on avait constaté des actes
procédant de la débilité mentale ; cet individu pousse son vieux ber-
ger à mettre le feu à plusieurs reprises, ces incendies lui étant pro z
fitables. Un voisin rusé se lie peu peu avecl'incendiaire, découvre
le pot aux roses et s'en sert pour faire chanter le coupable, qui,
pressuré, finit par tuer le vieux berger. Le crime est découvert.
Pendant l'instruction, notre campagnard, après avoir avoué, est
atteint de mélancolie stupide. La psychose dure un an et guérit à
l'asile. C'est alors que le malheureux simule la démence avec
amnésie des faits récents. La simulation découverte, on le con-
damne à quinze ans de travaux forcés. Nouvel accès de stupeur
anxieuse; au bout de plusieurs mois, on le confie à notre observa-
tion au quartier d'aliénés de Moabit et nous acquérons la convic-
tion qu'il n'y a en ce moment, ni simulation ni exagération.
M. KoemG. D'un trouble de la parole survenant par accès chez une
paralytique générale. Mémoire publié2.'
' Voyez Archives de Neurologie, t. XXII, p. 418.
1 7( ? revues analytiques.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 101
Discussion : M. Cramer. Les deux dernières observations signa-
lées par l'orateur sont distinctes de la première. La première peut
se résumer ainsi. Trouble de coordination entre l'intonation et les
mouvements qu'exige la parole restés parfaits. Dans les deux
autres cas, ce sont des accès d'aphasie passagère ainsi qu'il en sur- .
vient assez souvent chez les paralytiques généraux.
M. MOEM. L'observation de M. Koenig n'est sûrement point de
l'aphasie corticale motrice; c'est un trouble de l'articulation qui
est distinct de l'aphasie motrice sous-corticale.
M. JASTROWITZ. Un procédé pour enlever les corps étrangers du tube
digestif. - Vous bourrer le patient de purée de pommes de terre
et de choucroute mélangées {panaché). Deux heures après, vous lui
administrez de l'huile de ricin. La pâtée englobe les corps étran-
gers et souvent ceux qui séjournent depuis longtemps dans l'intes-
tin ; l'huile de ricin élimine le magma. L'orateur en présente des
spécimens.
M. LOERH propose que, désormais, dans les propositions formulées
par les congrès, à côté des sections intitulées : clinique interne,
clinique d'accouchements, clinique chirurgicale, figure une qua-
trième clinique indépendante, sous le nom de clinique psychia-
trique. Adopté.
M. le Président propose aussi de déléguer comme représentant
de la Société au Congrès médical de Weimar, M. PHILIPP déjà z
choisi, pour la même mission, par la Société médicale du district
de Potsdam ; M. Philipp voudra bien faire adopter cette réforme
dans l'enseignement de la médecine. Adopté. (Allg. Zeitschr. f. Psy-
chiat., XLVIII, 4.) P. KERAYAL.
CONGRÈS ANNUEL DES ALIÉNISTES ALLEMANDS..
SESSION D'E WEIMAR 1.
Séance du 18 septembre 1891. - Présidence de M. LOEHR ainé.
La séance s'ouvre par [la proclamation des noms des collègues
morts depuis la session d'Iéna. L'assemblée se lève pour honorer
leur mémoire. Le président communique en outre que les gouver-
nements de l'empire n'ont pas donné suite à la motion de M. Moeli
' Voir Archives de Neurologie, session d'Iéna, t. XIX, p. 405.
102 SOCIÉTÉS SAVANTES.
relative au recensement des aliénés dans le recensement général
de la population'. ,
Il rappelle la question agitée par M. Werner. De la nomenclature
psychiatrique (expressions : Verrücktheit et Wahasinn) 2. M. Kirn
avait fait voter par l'assemblée la mise à l'ordre du jour de ce su-
jet préalablement étudié par des rapporteurs nommés par le
bureau. Cela n'a pas été fait. On n'a pu trouver de rapporteurs, une
imposante minorité ayant, à Iéna même, considéré la question
comme prématurée. Il demande donc qu'on s'en remette à la dis-
crétion du bureau. Adopté.
M. KROEUER a envoyé une motion écrite relative à l'établissement
des permis de circulation des cadavres. Cette motion est appuyée
par M. Siemens. On la discutera à la fin de la session.
Responsabilité et criminalité. MM. PELnAN et MENDEL, rapporteurs
- M. PELMAN. C'est une question qui restera à l'ordre du jour
jusqu'à ce que l'entente se fasse et la multiplicité des écrits et des
controverses sur ce thème montre qu'on est encore loin d'avoir
atteint pareil but. Si Lombroso a dépassé la mesure, il n'en reste
pas moins acquis qu'il a étendu le champ de ses investigations à
l'anthropologie tout entière et qu'il a intéressé à cette question
toutes les professions. 11 nous a rappelé qu'il fallait punir l'homme
et non la faute impersonnelle. Et en réalité, il a fondé la biologie
criminelle, c'est-à-dire l'étude scientifique de la spécificité physique
et mentale du criminel et le déterminisme des conditions du crime
qui émanent de cette spécificité. Telle est la base d'une science
jeune. Jusqu'à présent, il parait établi que le criminel est entaché
d'une anomalie morale, car il lui manque un élément indispen-
sable pour l'existence en société.
Il est indiscutable qu'il ne saurait y avoir de prédisposition à
commettre des actes répréhensibles, car l'idée même de la culpa-
bilité dépend de conditions accessoires, et ce que nous appelons
inné n'est que le produit du temps et des circonstances avec les-
quels cet élément change. Le sens moral n'est nullement inné; il
est acquis et résulte de l'adaptation de la vie à des conventions
sociales existantes.
Nous voici donc en présence de maladies morales ; contre elles
les asiles d'aliénés ne sauraient être le moyen vrai; en revanche,
quand les idées raisonnables et la menace du code pénal demeu-
rent infructueuses, on leur applique l'emprisonnement, la déten-
tion, le bagne, l'échafaud. La notion de la responsabilité n'entre
en rien dans notre spécialité; elle est d'ordre juridique, elle appar-
tient à la jurisprudence criminelle, et, si nous nous en occupons,
1 Voir Archives de Neurologie, session d'Iéna, t. XIX, p. 416.
Id., p. 418 et 423.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 103
c'est parce que, dans la pratique, il est souvent impossible de tra-
cer des limites entre les deux sujets. Il est certain que c'est au spé-
cialiste qu'appartient la tâche de distinguer rigoureusement la ma-
ladie de la dégradation morale et physique, et le rôle du vice en
pareille occurrence; mais, à côté de cela, nombreux sont les cas
dans lesquels cette tâche est difficile, sinon tout à fait impossible.
Il est néanmoins indispensable que nous nous entendions avec
les magistrats sur la définition et la description de la responsabi-
lité. Actuellement ceux-ci nous concèdent d'accorder le bénéfice
de l'irresponsabilité et, par conséquent, l'impunité, aux aliénés
véritables. Il ne serait point sage à nous de refuser cette conces-
sion sans objection. Mais la difficulté commence dès que cesse la
maladie mentale proprement dite, sans que cependant nous ayons
à faire à un individu normal.
On croit, ou plutôt on a cru souvent, nous avons cru trop sou-
vent la lever (la difficulté), en admettant l'atténuation de la res-
ponsabilité ; mais comment y aurait-il une responsabilité atténuée ?
Il n'y en a pas, la nature même de la responsabilité empêche qu'il
n'yen ait une atténuation.
La responsabilité, en effet, repose sur la liberté de la détermina-
tion personnelle. Celle-ci disparue, l'homme est irresponsable, de
quelque côté qu'on l'examine; limiter la liberté volontaire est un
non-sens, c'est admettre la dépendance de l'indépendance.
Comment dissocier la responsablité ; elle existe ou elle n'existe
pas. Fixer le degré de l'esclavage psychique qui limite la responsa-
bilité, c'est de l'arbitraire. On s'est trompé de sujet. Ce n'est pas
à graduer la responsabilité qu'il convient de perdre son temps,
c'est la mesure de la culpabilité que l'on peut établir. Celle-ci peut,
en effet, être plus ou moins grande et, par suite, à l'individu res-
ponsable on appliquera une pénalité plus ou moins forte. Je sou-
haite que l'avenir porte la lumière dans cette affaire. '
Commençons, si nous pouvons, par faire table rase de l'antique
notion de la peine considérée comme expiation, par cesser de
regarder le châtiment comme un préservatif social, comme un
élément de défense contre des rebelles dangereux pour l'ordre éta-
bli ; puis, nous verrons dans les maladies mentales une explication
de la criminalité et non plus une exemption de cette dernière.
Dans ces conditions surannées, la société a incontestablement le
droit de se préserver contre le criminel aliéné et l'aliénation men-
tale ne peut affranchir l'auteur du délit ou du crime des consé-
quences de ses actes. Mais un malade n'en doit supporter tout le
poids, comme s'il était un criminel sain d'esprit ; la pitié et l'é-
quité militent en sa faveur. Seulement à l'un comme à l'autre est
applicable l'aphorisme suivant : quiconque ne veut s'accommoder
à la société dans laquelle il vit, doit la quitter. -
104 SOCIÉTÉS SAVANTES.
M. MENDEL. Oui, la notion de la responsabilité appartient à la jus-
tice pénale; c'est au magistrat qu'il convient de l'appliquer d'après
la volonté du législateur consignée dans les motifs de la loi. M. Pel-
man a nettement formulé les indications de l'avenir. Sur ce point,
je me permettrai de rédiger quelques propositions qui résumeront
les desiderata à remplir.
1° Il existe dans les établissements pénitentiaires une catégorie d'aliénés,
qui, à l'époque de leur condamnation ou même du délit ou du crime
commis par eux, étaient indubitablement affectés de maladie mentale.
C'est à des asiles d'aliénés qu'ils appartiennent; -2° Il existe une caté-
gorie de criminels qui, sans être aliénés, ne sauraient être tenus pour des
individus normaux; ce sont des dégénérés, des malheureux tarés. Pour
eux, le code pénal pèse trop lourd, il dépasse la mesure. Il y a à cet
égard des réformes à introduire dans la loi en préparation sur l'applica-
tion des peines. Dès maintenant, nous pouvons affirmer qu'il y a lieu
d'adjoindre aux directeurs d'établissements pénitentiaires un psychiatre
rompu à la pratique de la médecine mentale, qui établisse une indivi-
dualisation nécessaire des prisonniers. Nous taisons, par exemple, allu-
sion aux vagabonds, châtiés comme s'ils étaient dénués de tout sens
moral ; - 3° Toute une catégorie de criminels sont des aliénés. Il serait
difficile de dire quelle est l'anomalie qni a débuté, du crime ou de l'alié-
nation mentale. Il y a, pour ainsi parler, amalgame des deux éléments,
En Angleterre, on a créé pour eux des asiles spéciaux. En Allemagne.
on a rejeté ces créations. Il importe peu, en principe, qu'on les séquestre
dans des annexes près des asiles d'aliénés ou près des établissements
pénitentiaires. Ce dernier dispositif a bien réussi en Prusse (Moabit); il
y aurait donc lieu de s'y rallier; = 4° Quant aux ci iminels qui ne sont
pas aliénés, il convient de se souvenir de la formule de Quetelet : « L'alié-
nation mentale prépare le crime, le criminel l'exécute. » Le même auteur
avance que l'on ferait disparaître bien des criminels en améliorant les
existences malheureuses et en aplanissant les contrastes sociaux. Si
c'est exagéré, il n'en est pas moins vrai qu'une législation sociale est en
mesure de faire à cet égard beaucoup de bien.
Discussion : M. SCHmFER. 11 n'en est pas moins vrai, en ce qui
concerne la responsabilité, que M. Mendel a, dans la Realencyclo-
posdie d'Eulenbourg, écrit sur ce thème un article que je vous
engage à lire. Que le médecin ne traite pas devant les magistrats
l'habileté à posséder, l'aptitude à agir, la capacité civile, cela va
de soi. Mais, en matière de responsabilité, il est question de la
faculté psychique, ou, si l'on préfère, d'un état mental en rapport
avec la responsabilité. Quant à l'atténuation de la responsabilité,
n'est-elle pas implicitement admise par la distinction, la définition
même des héréditaires dégénérés ; si l'état mental est intermé-
diaire entre la santé psychique parfaite et l'aliénation mentale
caractérisée, il y a lieu de déterminer la part de la responsabilité
et de la doser suivant le caractère même de cet état mental. Quand
vous estimez qu'il ne faut pas considérer un malheureux comme
- SOCIÉTÉS SAVANTES. '108
aussi coupable qu'un sujet sain d'e'zprit qui aurait commis la même
action criminelle, vous admettez et expliquez (ce qui vaut mieux)
l'atténuation de la responsabilité. Quant à la criminalité, en placer
l'origine dans l'atavisme, à l'exemple de Lombroso, c'est commettre
une erreur. En revanche, il est certain que le crime représente la
résultante de lois appartenant à l'histoire naturelle de la société,
mais il n'est qu'une partie de cette résultante. Le crime, dirai-je
moi, n'est pas un phénomène pathologique, et encore moins un
accident atavique. Sans doute, un individu, qui est affecté de tares
du système nerveux central, succombera plus aisément à l'impul-
sion criminelle qui gît en chacun de nous qu'un individu normal;
il obéira plus sûrement aux facteurs criminigènes qui émanent de
l'éducation, des conditions sociales, des causes occasionnelles.
En cela, Lombroso a fait oeuvre d'initiateur.
M. TuczEK. Je ne crois pas qu'il soit, dans l'état actuel des choses,
opportun d'enlever au rapporteur, en matière de médecine légale,
le droit de s'occuper de la question de la responsabilité.
La dipsomanie dans ses rapports avec la responsabilité. MM. JOLLY Y
et A. Roller, rapporteurs. M. JOLLY. La principale question
dont nous ayons à nous occuper ici est non celle de l'ivrogne-
rie, mais celle de la dipsomanie. Nous nous demanderons pour
apporter de la clarté dès le début :
1° Les dipsomanes doivent-ils être ou non traités comme des
aliénés ?
2° Sont-ils irresponsables ou non ?
3° Les lois qu'on doit promulguer sur leur compte seront-elles
d'ordre purement civil et administratif ou d'ordre pénal ?
Conclusion. On ne saurait punir les dipsomanes. Leur inter-
diction exige l'intervention d'un spécialiste au même titre que
lorsqu'il s'agit de l'interdiction d'un aliéné. Les asiles pour
buveurs où sont internés d'office les buveurs doivent être dirigés
par un médecin et surveillés par l'Etat, de même que les asiles
d'aliénés.
M. ROLLER. La dipsomanie, qui, en réalité, est la manifestation d'une
psychose, et l'ivresse qui s'accompagne de troubles de la connaissance,
excluent la responsabilité ; - 2° L'habitude de boire (l'intempérance habi-
tuelle) n'exclut point le châtiment; 3° L'ivresse à un degré plus ou
moins prononcé ne constitue pas une circonstance atténuante dans un
délit, mais il y a lieu de tenir compte, dans l'espèce, des facteurs consti-
tutionnels ou des éléments prédisposants; - 4° Ce serait un bienfait
que d'inscrire dans la loi la possibilité d'interner dans un asile pour
buveurs un ivrogne par habitude, de le faire interdire et de. prévoir une
pénalité contre l'ivresse publique; b° L'internement dans un asile pour
buveurs ne doit pas être envisagé comme une pénalité, mais les consi-
dérants doivent consigner qu'il s'agit d'un buveur par habitude. Le reste
sera laissé à l'appréciation des autorités. Cette possibilité de l'interne-
106 SOCIÉTÉS SAVANTES.
ment dans un asile spécial doit être admise dans les condamnations pour
crimes et délits de buveurs par habitude; - 6° La loi doit disposer que
la pénalité atteindra jusqu'au délinquant qui argue d'une surprise en
matière d'ivresse; - 7° Il convient de remplacer la peine de l'emprison-
nement dont on menace les buveurs par habitude par des décisions à
l'égard des rechutes ; - 8° Les asiles pour buveurs seront installés
d'après des statuts soumis à l'agrément du gouvernement; ils seront
conduits par un médecin accepté par les pouvoirs publics et seront ins-
pectés tous les ans. L'inspecteur d'hygiène les surveillera périodique-
ment et y fera dresser des statistiques ; 9° La procédure de l'interdic-
tion exigera le concours obligatoire de médecins spécialistes.
Discussion : M. BAER. Appuie sur la dégénérescence physique et
mentale que provoque les excès habituels d'alcool. C'est à eux
qu'est dû l'accroissement de l'aliénation mentale. Par conséquent,
les moyens recommandés par M. Roller s'imposent à tous égards.
M. Zirttv ainé. Nous devons nous borner aux points du projet de
loi qui intéressent le médecin et ne point nous occuper des autres
dispositifs, tels, par exemple, que celui du § 18, alinéa 1, qui vise
le châtiment de l'ivrogne causant scandale. De même, à quoi bon
parler de l'hygiène publique dans ses rapports avec la surveillance
des asiles pour buveurs ? Bornons-nous à dire : « L'Etat fondera des
asiles pour buveurs; ils seront dirigés par un médecin et surveillés
par l'Etat. »
Le canton de Saint-Gall a proposé au grand Conseil un projet
de loi qui poursuit le même but que celui du gouvernement. Dans
ce projet, il n'est pas du tout question de punir le buveur ou le
dipsomane. c Les buveurs, par habitude, y est-il dit, qui, à la suite
d'excès de boissons spiritueuses, présenteront, comme le constate un
rapport médico-légal d'un médecin fonctionnaire, un affaiblisse-
ment considérable de la volonté, seront internés dans un asile pour
buveurs et placés en tutelle. » L'ivrogne n'est, pour le législateur,
ni un gredin, ni un criminel; c'est un malade incapable de se
diriger, mais que l'on peut sauver. Le rapporteur, M. SOIVDEREGGER,
dit plus loin ; « La pénalité correctionnelle, appliquée à l'ivresse,
prêterait à rire si elle n'était triste. Dans les cas exceptionnels,
elle n'est pas nécessaire; chez les buveurs par habitude, elle est
insensée, puisque ces malheureux ont perdu la force morale. Pour-
quoi, dans ces conditions, ne pas punir les épileptiques de leurs
accès. Notre devoir est donc, en nous plaçant à un point médical
pur, d'obtenir l'interdiction des buveurs par habitude et leur inter-
nement, contre leur volonté, dans un asile pour buveurs. »
Séance du 19 septembre 1891. - Présidence DE M. Lmari ainé.
Suite de la discussion sur la dipsomanie. M. MENDEL se rallie
pleinement aux conclusions de M. Jolly. Pour combattre les grands
SOCIÉTÉS SAVANTES. 107
désordres causés par l'alcool, il y a d'abord l'élévation du prix des
spiritueux. Mais serait-on en état instantanément d'empêcher la
consommation de l'alcool, les alcooliques subsisteraient encore
pendant longtemps, car l'alcoolisme chronique se développe lente-
ment et son développement exige le concours d'années. La sta-
tistique prouve que la cherté des alcools met obstacle à leur don-
sommation, mais elle montre aussi que, en dépit de la cherté des
boissons spiritueuses, l'alcoolisme n'a pas décru; bien plus, à l'ex-
ception de delirium tremens, les maladies nerveuses d'origine alcoo-
lique ont plutôt augmenté que diminué.
Faut-il punir le buveur par habitude ? l\I1. Kowalewski, Crothers,
et Lucy lloell nous montrent la prison plus pernicieuse à ces mal-
heureux qu'utile. Ce n'est pas dans les établissements pénitentiaires
qu'ils trouveront le traitement hygiénique et moral qui leur con-
vient. Ils en sortirontdipsomanes comme devant, et, en outre, ils y
seront devenus criminels; entrés malades, ils seront rendus à la
société incurables. La société, en agissant ainsi, provoque, de
propos délibéré, la perte irréparable d'un de ses membres.
L'interdiction est une mesure utile, à la condition qu'elle relève
d'un spécialiste. Celui-ci est, d'ailleurs, seul compétent dans toutes
les questions relatives à l'alcool, à commencer par celle de l'in-
conscience au moment du délit. Au surplus, voyez quelle inconsé-
quence. Vous voulez poursuivre correctionnellcment un individu
qu'en même temps vous vous proposez civilement d'interdire.
Le voici à la fois responsable et inhabile.
M. Wernicke constate que, dans l'année qui a suivi la loi sur la
cherté de l'eau-de-vie, le nombre des délirants a diminué de plus
de moitié à l'asile d'aliénés et à la clinique psychiatrique de
Breslau.
M. OEBEAE. En maints cas, il importe d'interner dans un asile
spécial les dipsomanes avant d'ordonner leur interdiction. Il est,
en revanche, exceptionnel qu'on arrive à guérir la dipsomanie
chronique. Le grand nombre de guérisons relatées par les asiles
spéciaux pour buveurs est le fait d'une illusion, car il est impos-
sible de savoir ce que sont devenus la plupart des buveurs mis en
liberté.
M. ZINN aîné. Contrairement à M. OEbecke, je pense qu'il faut
interdire le buveur par habitude avant de l'interner dans un asile
spécial. Seulement, il est indispensable qu'on le fasse examiner par
un médecin spécialiste.
La société adopte, à l'unanimité, les conclusions suivantes :
La Société des aliénistes allemands accueille avec la plus vive satis-
faction la préparation d'un projet de loi destiné à combattre l'excès des
boissons spiritueuses. S'abstenant de porter un jugement sur les dispos
108 SOCIÉTÉS SAVANTES.
sitifs du projet qui n'ont pas de rapport avec la médecine, elle émet les
voeux suivants :
1° Il n'y a pas lieu d'appliquer de pénalité à la dipsomanie. Ce n'est
pas par la voie correctionnelle qu'il faut interner les buveurs en des
asiles spéciaux ; - 2° L'interdiction des dipsomanes dans les circons-
tances indiquées au § 12 dudit projet est rationnelle. La procédure rela-
tive à l'interdiction de ces malheureux doit suivre les mêmes errements
que celle des aliénés; cette mesure ne saurait être prise avant qu'on ait
entendu un ou plusieurs médecins spécialistes; - 3° Les asiles pour
buveurs seront dirigés par un médecin spécialiste. Ils seront soumis aux
mêmes inspections des fonctionnaires de l'Etat que les asiles d'aliénés.
Prophylaxie de la tuberculose dans les asiles d'aliénés : MM. NOETEL
et Zinn, rapporteurs. - M. NOETEL, 1° Les tuberculeux doivent
être séparés des autres malades ; 2° Les chambres dans les-
quelles séjournent les tuberculeux doivent être désinfectées par les
mêmes procédés que lorsqu'il s'agit d'autres maladies contagieuses,
de la diphthérite par exemple, avant d'être affectées à un autre
usage. On nettoiera chaque jour avec le plus grand soin, à l'aide
de liquides désinfectants, tout ce qui entoure les lits des tubercu-
leux : plancher, parois de murailles, bois de lits; on séparera leur
linge et leurs vêtements des trousseaux des autres malades, et on
procédera à la désinfection de ces pièces ; 3° Les mêmes mesures
seront prises à l'égard de tous les autres locaux mis à leur disposi-
tion et du mobilier qu'ils contiennent. Les tapis, rideaux, objets
garnis ou capitonnés, ne seront pas battus dans des endroits fermés.
On s'abstiendra surtout de provoquer des tourbillons de poussières;
- 4° On prodiguera partout les crachoirs convenablement installés.
Chaque jour, ils seront remplis d'eau et vidés dans les lieux d'ai-
sance, puis on les passera à l'eau bouillante. Les moindres vestiges
de crachats sur les planchers, les murs, les meubles, etc., seront
immédiatement nettoyés par la voie humide; 5° Le personnel
sera dressé à ce genre d'assainissement, les malades seront soumis
à un contrôle médical des plus précis ; pleins pouvoirs seront
donnés à ce sujet au médecin de l'établissement.
M. ZINN n'a rien à ajouter à ce travail complet.
Discussion : M. DE KIt9PrT-EHING. C'est l'encombrement qui est
le facteur le plus puissant de la tuberculose. Il faut absolument,
dans l'intérêt de l'hygiène et de l'humanité, se refuser à recevoir
dans un asile plus de malades que ne le comporte son cube. L'en-
combrement nuit surtout aux aliénés dont la respiration est, de
par leur maladie, insuffisante, ainsi aux mélancoliques, aux mal-
heureux affectés de démence aiguë, etc. '
M. OEsEae. La cause de l'excès de mortalité par la tuberculose
constatée dans les asiles privés comparés aux asiles publics vient
de ce qu'un grand nombre des aliénés des asiles publics sont, à
SOCIÉTÉS SAVANTES. 109
raison de leur encombrement, transférés dans des asiles privés.
Or, parmi ces malades, un grand nombre sont déjà tuberculeux,
car l'asile public conserve de préférence les sujets récemment affec-
tés de vésanies. Par suite, tout naturellement, les asiles privés té-
moignent d'un chiffre élevé de décès par la tuberculose.
M. GRASHEY. Ce sont les prescriptions de Cornet que recommande
M. Noestel. Afin d'établir par des chiffres quels en seront les résul-
tats nous avons, à Munich, prié le ministre d'Etat de les appli-
quer systématiquement dans un établissement pénitentiaire; nous
aurons donc sous peu les effets de ce système. Il n'en est pas moins'
vrai que l'encombrement est l'agent de propagation de la tuber-
culose et que celle-ci serait diminuée par une bonne alimenta-
tion, l'exercice, l'occupation des malades à l'air libre. L'étude des
prisons est à ce sujet instructive. Les établissements pénitentiaires
chargés d'appliquer de longues séquestrations sont bien plus déci-
més par la tuberculose que ceux dans lesquels la détention est
relativement courte. La mortalité en question atteint 60 p. 100
dans quelques maisons de correction à longues incarcérations. A
l'asile de Munich, pendant les années d'encombrement, la morta-
lité par tuberculose est montée de 21 à 31 p. 100, quoique nous
ayons amélioré l'alimentation des malades dont l'excellence était
indéniable. Enfin, je vous prierai de remarquer que l'isolement des
tuberculeux est impraticable dans un asile encombré.
M. ZINN aîné. A côté de l'encombrement, la nourriture des
aliénés, la qualité et le nombre des infirmiers laissent encore à
désirer. Ce sont sans nul doute des éléments qui ont peut être plus
d'importance que les autres dans la prophylaxie de la tuberculose.
Si on ne commence pas par les imposer, c'est en vain qu'on luttera
par les moyens indiqués contre cette affection. Voilà pourquoi les
asiles d'aliénés, les hospices, les asiles d'infirmes, les établisse-
ments destinés aux idiots et tous les instituts d'assistance publique
doivent être dirigés par des médecins. Quant à la statistique com-
parée de la tuberculose dans les asiles d'aliénés et dans les popu-
lations du dehors, il faudrait pour l'établir autopsier tous les ma-
lades de nos asiles et tous les malades de la ville.
Contribution à l'assistance des épileptiques. MM. Wildermutu et
LOEHR, rapporteurs. M. Wildermuth résume d'abord les conclu-
sions du rapport de M. Pelman Cession de 1883) ' et la discussion
qui s'en est suivie à Eisenach 2; il parle notamment de la difficulté
constatée par Binswanger de distinguer suffisamment les épilep-
tiques aliénés des épileptiques sains d'esprit-les troubles intellec-
tuels aigus et les psychopathies chroniques des épileptiques aliénés.
` Voyez Archives de Neurologie.
' Id.
110 SOCIÉTÉS SAVANTES.
Or, l'étude de nos malades nous enseigne que nous avons toutes les
espèces, et que, par conséquent, la meilleure manière d'assister les
épileptiques est d'interner dans le domaine d'un grand établissement
. malades curables et malades incurables, épileptiques dont l'intelligence
est normale, épileptiques dont l'intelligence n'est pas normale, épilep-
tiques jeunes, épileptiques adultes. De cette manière, on formera des
groupes légitimes d'après l'âge et le genre des perturbations psychiques,
et l'on effectuera la sélection rationnelle par la construction intérieure
de différents quartiers. '
C'est ainsi que se sont développés les plus grands des asiles de
ce genre. C'est ainsi qu'on peut espérer améliorer ou guérir l'épi-
lepsie, qui n'est guère curable, entre parenthèses, que chez les
jeunes sujets. On avait, en pratique, essayé de guérir; ne guérissant
pas, on a, par la force des choses, constitué des hospices d'épilep-
tiques chargés de recevoir ceux des épileptiques qui n'avaient point
guéri, et qui, de jeunes, étaient devenus adultes.
Il serait donc tout indiqué de diviser ainsi l'asile spécial :
1° Quartier des jeunes malades susceptibles d'éducation (pédago-
gie) ; 2° quartier des épileptiques] travailleurs : ateliers, a. section
des adultes; b. section des adolescents; 3° bâtiments économi-
ques propres aux épileptiques occupés à \' agriculture ; 4° quar-
tier d'épileptiques atteints de psychopathies chroniques ou en
complète démence. On y ménagerait une section toujours en
mesure de recevoir des malades affectés de folie transitoire qui
nécessite la séquestration dans un asile fermé. On éviterait ainsi
aux épileptiques dont l'assistance comporte la plus grande partie
de l'année la vie à l'air libre, la séquestration continue, sous pré-
texte que de temps à autre ils deviennent dangereux; 5° section
affectée aux idiots épileptiques enfants; 6° infirmerie pour les
invalides et les infirmes avec divisions pour les maladies aiguës et
surtout pour les maladies infectieuses; 7° annexe destinée à l'hos-
pitalisation passagère d'épileptiques vivant au dehors, avec poli-
clinique. Des consultations verbales, ou par correspondance, la
délivrance ou l'envoi postal des médicaments de toute espèce com-
pléteraient fort heureusement le traitement hygiénique, intellec-
tuel, moral et médico-chirurgical constamment à l'étude de cette
épouvantable névrose.
On se proposerait avant tout d'assister ainsi les pauvres ou des
malades peu aisés. Quant aux épileptiques riches, contrairement à
la proposition de JOLLY, nous ne les renverrions pas aux asiles privés,
parce que seul, un grand établissement, peut opérer la sélection
sus-tracée qui s'identifie au traitement judicieux de l'épilepsie.
En effet, ne faut-il pas pouvoir disposer en même temps de
l'enseignement pédagogique, du travail manuel, de l'entraîne-
ment agricole. Les épileptiques aisés doivent, par suite, incomber
aux grands asiles de ce genre : seulement, on peut aménager pour
.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 111
eux dans ces établissements un local spécial ou des locaux spéciaux.
L'assistance commune des épileptiques et des idiots ressort éga-
lement de l'examen des faits; car 70 à 80 p. 100 des jeunes épi-
leptiques ne jouissent pas de la plénitude de leurs facultés, si on
les compare à des enfants normaux du même âge; ils ont, sans
hésitation, tout à gagner du système pédagogique appliqué aux
imbéciles. Sans doute, en beaucoup de cas, il est impossible de
décider si l'on a affaire à un enfant idiot, atteint d'épilepsie, ou à
un enfant que l'épilepsie a rendu idiot. Mais pratiquement, il
existe une pierre de touche qui indique que la thérapeutique doit
leur être commune. On les éduquera en commun ; on leur dispen-
sera le même enseignement professionnel, sauf à assigner des
locaux d'habitations distincts aux épileptiques et aux idiots. Il y
a longtemps que l'expérience a combattu victorieusement cette
objection que les enfants atteints de débilité mentale ou d'imbé-
cillité simple pourraient devenir épileptiques par imitation. Quant
à cette autre que la communauté entre épileptiques et idiots pour-
rait nuire à l'intelligence de l'épileptique, rappelons-nous que,
dans tout asile d'épileptiques, on observe toutes les formes de
l'arrêt de développement intellectuel. Il va de soi que l'aliéna-
tion mentale et la démence de l'épileptique peuvent sans incon-
vénient cohabiter avec la démence de l'idiot.
Comment disposerions-nous donc notre asile d'idiots et d'épilep-
tiques ? D'un côté le sexe masculin; de l'autre le sexe féminin.
Chaque division se composerait :
a. D'un quartier pour l'instruction des épileptiques;
b. D'un quartier pour l'instruction des idiots;
c. D'un quartier des ateliers pour enseignement manuel des
malades adolescents et adultes ;
d. De constructions économiques (travail agricole);
e. Hospice avec section spéciale pour enfants idiots; z
f. Asile proprement dit et infirmerie.
Nous ne conseillerions pas le système des petits pavillons séparés,
quelque alléchant qu'il soit, parce que ces petits pavillons sont
trop difficiles à surveiller. Or, on sait combien dans ces établisse-
ments il faut surveiller personnel et malades. De plus, vous êtes
obligé de soumettre à un même mode de traitement des catégo-
ries distinctes de malades; il faut donc qu'il y ait une combinai-
son, une association en temps utile de groupes déterminés, et que,
par conséquent, sous l'influence commune des mêmes médecins,
des mêmes administrateurs, des mêmes professeurs, on puisse
faire fusionner les sections et leurs pensionnaires, ou qu'on les ait
sous l'oeil. Il y a donc une adaptation architecturale à trouver.
D'autant plus qu'il faut savoir ménager les ressources dont on dis-
pose. On ne peut, au début d'un établissement, construire simul-
tanément les bâtiments que nous avons éuumérés plus haut; il
112 ) . SOCIÉTÉS SAVANTES.
faudra, par conséquent, dans les premières années, conserver sous
le même toit que celui de l'édifice scolaire, bien qu'en des divi-
sions distinctes, les épileptiques et les idiots adolescents.
Ce mode d'assistance aura, en outre, un avantage incontestable.
Les sociétés de bienfaisance s'y intéresseront, parce qu'il pourra
être utile à une classe imposante d'indigents. L'Etat et la province
y contribueront, parce que la combinaison proposée déchargera
tout de suite les asiles d'aliénés en leur enlevant des pensionnaires
dangereux et remuants. "
A qui appartient-il de construire ces asiles ?
Une expérience de plus de trente ans dans ces questions nous
montre que c'est à l'Etat ou à la province, qui ont su se montrer si
actifs en matière d'assistance des aliénés, qu'incombe l'assistance
des idiots et des épileptiques. Ce ne peut être la charité privée qui
dispose toujours, pour une si grosse affaire, de moyens insuffi-
sants, et comme argent et comme organisation. De plus, la direc-
tion doit y être médicale comme elle l'est pour les asiles d'aliénés,
sinon l'on se heurte à des questions religieuses, le plus souvent
étroites, et à des individualités incompétentes, sinon réfractaires,
malgré elles, à l'application de la science et de l'humanité bien
entendue.
On a émis l'idée qu'il valait mieux ne pas placer un médecin
à la tête de ce genre d'asiles, parce que les formes morbides à
traiter participaient d'une identité presque complète. C'est aussi
peu soutenable que pour les asiles d'aliénés. L'épilepsie masque
autant de variétés pathologiques d'ordre psychique et physique
que la pathologie mentale. Il suffit de l'observer quelque peu afin
de s'en convaincre. Et quelle est la catégorie de perturbations
thérapeutiques, médicamenteuses ou autres (hydroélectrothérapie,
etc)., qui exige plus d'interventions ? Et la pédagogie médicale ?
Et les modes d'enseignement professionnel, etc., etc. !
Puis, un établissement de ce genre reçoit bien d'autres névro,
pathes. En neuf années, à Stellen, parmi les malades qui sont
entrés dans la section d'épileptiques, il n'y a pas eu moins de
12 p. 100 d'individus non épileptiques. Combien d'hystériques ?
Combien de choréiques ? Combien de jeunes gens affectés de
manifestations psychiques ? Combien de maladies organiques du
système nerveux ?
Faut-il mentionner maintenant la tâche psychiatrique ? Tous ces
malheureux présentent des anomalies intellectuelles et morales
multiples, des accès de dépression ou de mauvaise humeur qu'il
faut connaître et savoir manier. Il n'y a pas d'autre traitement à
appliquer que le traitement médical, même quand, par euphé-
mieme, on lui oppose la direction morale. Quel est le moralisateur
non-médecin qui saura utiliser et développer les forces intellec-
tuelles et physiques des malades sans les forcer ? Le médecin doit
SOCIÉTÉS SAVANTES. 113
donc, comme pour les asiles d'aliénés, être le directeur de tous les
agents qui s'occupent des épileptiques, aussi bien du pasteur et de
l'instituteur que du personnel subalterne. La clinique et l'anatomie
pathologique sont, comme chacun sait, les bases de toute la méde-
cine, à quelque fonction ou à quelque faculté qu'elle s'applique.
M. LOEHR étudie ce qui s'est fait jusqu'à ce jour en Prusse et en
d'autres points de l'Allemagne. La charité privée, le pasteur de
Bodelschwingh à Bielefeld, les sociétés particulières pour l'assis-
tance des épileptiques.' II en tire qu'il est possible d'installer des
établissements autonomes qui remplissent admirablement le but
proposé.
On n'a malheureusement pas encore de statistiques permettant
de savoir combien d'épileptiques on aura à hospitaliser dans telle
ou telle région. Mais rien n'empêche d'adapter à 1.000 malades
une organisation qui convient à 100 malades. La statistique du
Brandebourg et celle de Teltow n'ont fourni que des résultats
défectueux; on y a tout au moins relevé des causes d'erreur qui
pourront être à l'avenir évitées.
En tout cas, il appert qu'il faut construire des asiles spéciaux
pour épileptiques. Mais il importe d'en exclure les épileptiques
atteints de psychoses chroniques : ceux-là on les transférera dans
les asiles d'aliénés ou dans les hospices, sinon, si le nombre en est
suffisamment grand, dans des asiles exprès. On les disposera,
comme les asiles d'aliénés, sauf à établir des divisions en rapport
avec chaque catégorie. Un des pavillons sera consacré à l'éduca-
tion des enfants épileptiques, on groupera autour de celui-là le*
pavillons de ceux qui réclament des soins purement médicaux. Il
vaudrait mieux que l'école fût autonome.
L'agencement, la disposition et l'aménagement de cet asile parti-
ciperont de tous les bienfaits de l'hygiène. Il faudra pour cela
considérer l'ensemble de l'établissement comme une sorte de
maison de santé ouverte. Aussi reléguera-t-on en des bâtiments
distincts et éloignés les idiots et les déments. L'école sera séparé-
- ment ouverte aux enfants épileptiques et aux enfants idiots. Mais,
grâce à la continuité des rapports de la section dite de traitement
et de celle dite de maladies chroniques, il sera toujours aisé de
classer, comme il convient, au temps et à l'heure, épileptiques
simples, idiots ou déments. ,
Il ne faut pas oublier que l'épilepsie est une terrible maladie, 11
- laquelle il faut constamment appliquer de nouveaux modificateurs
thérapeutiques; par conséquent, le directeur doit forcément en
.être un médecin, c'est tout au plus si dans les sections de l'hospice
on pourrait se contenter d'un administrateur. L'incurabilité est un
.mot que la science doit tenter de supprimer par tous les moyens
'possibles.
Archives, t. XXIV. 8
114 SOCIÉTÉS SAVANTES.
Conclusions :
Il Il convient, dans les régions où l'on veut préparer l'assistance des
épileptiques, avant tout de dresser une statistique, en recensant ces
malades d'après leur âge, leur sexe, leur état physique et mental, ainsi
que d'après leurs moyens d'existence;^- 2° Ceux qui doivent être assis-
tés par un établissement spécial, et parmi eux, il faut compter les
enfants astreints à l'enseignement scolaire, auront tout à gagner d'asiles
autonomes les recevant volontairement, dont la direction incombe à un
médecin; - 3° Les épileptiques affectés de vésanies chroniques seront
mieux placés assurément dans les asiles d'aliénés ou dans les hospices
d'incurables, mais on pourra aussi les interner dans les asiles autonomes
entourés de terrains spacieux; - 4° On séparera autant que possible les
idiots des enfants épileptiques, on n'en fera point l'enseignement ni
l'éducation en commun; il vaudrait mieux réserver aux premiers des
établissements séparés comme cela s'est lait jusqu'ici.
Discussion : M. PELMAN déclare qu'il adopte désormais la supré-
matie de l'Etat en pareille occurrence ainsi que la direction médi-
cale.
M. ZINN aîné. M. Wildermuth a donné la note exacte de l'assis-
tance des épileptiques. Il ne peut y avoir de désaccord que sur des
points d'une importance secondaire qui dépendent simplement de
conditions purement locales. Les asiles pour épileptiques doivent
être installés par l'Etat, de même que les asiles d'aliénés, ils doivent
être dirigés par des médecins et organisés comme ces derniers, car les
épileptiques sont des malades. L'an dernier, dans une conférence
sur l'assistance spirituelle des aliénés a été émise la proposition
suivante : Que peut faire la charité chrétienne indépendante pour
ceux des aliénés que les médecins abandonnent sans espoir ? » Eh
bien ! nous n'abandonnons jamais un malade sans espoir. L'in-
digent le moins curable abesoin du discernement médical ; ilfaut
savoir, suivant son état morbide, lui dispenser les soins, l'alimen-
tation, la vêture, et l'occuper. Le médecin seul est en mesure de
l'assister en parfaite connaissance de cause, car lui seul possède
les connaissances et l'expérience préalables. Seul il peut atténuer
les souffrances de l'incurable, il peut rendre supportable sa situa-
tion et préserver son entourage des dangers qu'il lui fait courir pré-
server le malade de lui-même. Nous ne repoussons point la charité
indépendante, nous en acceptons la collaboration et nous l'accep-
tons avec reconnaissance. Le pasteur de Bodeischwingh est plein
de dévouement, de zèle et de persévérance, mais nous ne pouvons
nous abstenir de diriger la charité chrétienne indépendante. C'est
un moyen qui doit être mis au service d'une assistance ration-
nelle, etqui doit servir à faire accepter des maladesle traitement et'
les soins matériels que la science et l'expérience nous indiquent.
La charité est impuissante à nous éclairer sur la nature de ces
maladies, elle ne peut donc les alléger ni les améliorer. Nous, au
contraire, nous pouvons espérer, par les méthodes techniques que
SOCIÉTÉS SAVANTES. 115
seuls nous connaissons ou étudions, jeter quelque jour la lumière
sur tels ou tels éléments morbides.
M. Siemens. Je partage complètement la manière de voir de
M. Zinn. J'ajoute que les directeurs spirituels des asiles d'épilep-
tiques affectent maintenant des allures agressives à notre égard.
Il est démontré aujourd'hui qu'ils voudraient éliminer complète-
ment les médecins des asiles en question. On les tolère, on les
laisse parfois contre son gré venir chaque semaine s'immiscer dans
la distribution intérieure des médicaments et des objets de pre-
mière nécessité. On permet aux diaconesses, d'administrer des médi- z
caments (K Br.parexemple), d'appliquer des moyens chirurgicaux;
ces dames soignent, et le médecin devient pour elles un être su-
perflu dans le traitement spécial des accidents psychopathologiques.
Il y a plus fort que cela; j'affirme avoir vu un directeur spirituel
d'un asile de ce genre, s'être fait commissionner par un tribunal
comme spécialiste. Il s'agissait d'interdire un épileptique. Il a ré-
digé un rapport. Il y expose, avant d'entrer en matière, qu'il est
en mesure d'éclairer les magistrats sur l'état mental de ces ma-
lades. Le rapport fait par lui arriva au collège des médecins à fin
de revision technique, et c'est moi qui fus chargé d'en référer ,t
M. le Ministre. Faisons donc bonne garde. Les prêtres visent aussi
les asiles d'aliénés. Veillons sur un terrain qui nous appartient
légitimement.
M. JOLLY. Ce qui me sépare de M. le rapporteur ce n'est qu'un
ensemble de détails qui dépendent de distinctions locales. Ainsi,
dans les petits Etats, quand il s'agit de sociétés ou de bureaux de
bienfaisance peu fortunés, on pourrait interner les épileptiques in-
digents avec d'autres incurables dans les asiles d'infirmes. Les
malades qui n'ont besoin que d'une hospitalisation passagère
peuvent être reçus dans des quartiers séparés, ainsi dans les quar-
tiers d'aliénés des hôpitaux des villes. Quoi qu'il en soit, l'épilep-
tique est un malade, c'est du médecin qu'il a besoin.
M. ScHOEFER. La Saxe a le mérite d'avoir frayé le chemin en ma-
tière d'assistance des épileptiques et des idiots. On a d'abord recensé
en haut lieu (Koenigliches 0&s)'p)'aM ! 'd;'M;n) le nombre des épilep-
tiques et des idiots qui avaient, dans la population de la province,
besoin d'assistance. La proportion trouvée a été de 0,462 p. 1,000.
Puis le Landes direclor a recommencé le recensement, il a trouvé
0,737 p. 1,000. Le nombre total des épileptiques et des idiots de
la province est monté dans les deux opérations à 1,118 p. 1,000-et
1,609 p. 1,000. MM. les pasteurs s'immiscent ainsi dans les affaires
médicales parce qu'ils prétendent que dans les asiles conduits par
des médecins leurs coudées ne sont pas franches; on entrave,
disent-ils, leur ministère. Ceci est tout à fait erroné. '
M. POETz. Le conseil provincial de la province de Saxe se propose,
116 . SOCIÉTÉS SAVANTES.
sauf décisions ultérieures, de construire un asile pour six cents épilep-
tiques et idiots, qui, en même temps, recevra, autant que possible,
les aliénés, atteints d'épilepsie chronique, des asiles provinciaux
existants. La Société adopte à l'unanimité la motion suivante :
, La Société des aliénistes allemands est d'avis que les asiles pour épi-
leptiques doivent, dans l'intérêt de l'humanité et de la science, être, de
- même que les asiles d'aliénés, dirigés par des médecins; ils seront orga-
nisés comme ces derniers. ,
. Etat actuel de la question de l'aphasie. MM. Mosu et Wernicke,
rapporteurs. - Il est avant tout entendu que le mémoire de
M. Sommer sera lu après ces rapports, avant qu'on n'entame la
discussion.
M. MOELI rappelle les recherches de Fristsch et Hitzig, les travaux
' de Wernicke, Kussmaul, Lichtheim, Grashey, enfin le schéma de
Wernicke qui a soulevé bien des objections au point de vue et de
la division et des termes proposés 1.
Pour M. Moeli le mécanisme de la parole ou la formation du
mot suppose une première dislinction fondamentale. Il ne faut pas
confondre la parole parlée avec la parole écrite. En second lieu, les
éléments qui sont en rapport avec le son des mots entrent égale-
1 ment en jeu dans les mouvements que ceux-ci nécessitent. De là des
dessins schématiques qui représentent, d'après l'orateur, des uni-
tés physiologiques cohérentes, sans qu'il faille en conclure que ces
fonctions se transmettent à certaines parties déterminées du cer-
veau. Aussi M. Moeli se contente-t-il d'étiqueter ces dessins sous des
dénominations qui n'ont rien d'anatomique. Il se borne à parler
de perturbations dans le son et dans le mouvement des mots. S'il y
a une interruption partielle ou complète dans les tractus qui
vont au champ du son du mot ou qui en viennent, peu importe ;
l'auteur s'exprimera invariablement ainsi : Il y a trouble dans la
notion du son du mot.
On apprend, d'après lui, à se servir d'un mot en exerçant un con-
trôle continuel à l'aide de l'oreille et en comparant l'image du
son du mot à l'idée qu'il représente. On apprend à lire en unis-
sant à des mots déjà connus, représentés par des lettres, des
lettres que l'on vient d'apprendre. La parole écrite (le langage
' des lettres) dépend de l'intégrité des trois éléments qui con-
courent à l'épellation (élément imagé, élément sonore, élément
moteur). Si la fonction ou le champ fonctionnel qui commande au
son du mot ou au monvement du mot, est entravée, il se produit
de l'alexie et de l'agraphie.
L'acte de la parole et de la répétition des mots, celui qui préside z
' à l'intelligence de la parole et de l'écriture, constituent des fonc-
1 .
' ' On trouvera ces travaux dans les Archives de Neurologie.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 117-
tions tout à fait différentes de l'organisme, et, par suite, ne sont
pas uniformément atteints. Celles qui nécessitent de la peine, par
exemple le travail de la composition des mots par des lettres, i
sont le plus tôt altérées. De là, par exemple, la dyslexie. Les con-'
nexions, ou transmissions les plus perméables entretiennent cer--4
tains rouages; ou, si l'on préfère, ceux-ci gardent leur constitu-
tion grâce à la sollicitation continue de la valeur de l'incitation.
Mais les sollicitations provoquées par les processus internes ou
externes n'ont pas une activité égale. Elles peuvent s'additionner
en une incitation totale, c'est ainsi que l'exercice détermine l'arri-
vée à la connaissance des dénominations par la simple vue de l'i-
mage écrite et qu'on arrive à lire des caractères écrits en appelant
à son aide l'image des mouvements que nécessite l'écriture de ces
caractères, en s'en représentant l'exécution graphique.
, A l'origine, l'enfantement d'un mot fait courir une incitation du
champ de l'idée ou de la notion que ce mot représente au champ
du son qui lui correspond; puis, par l'habitude, ces deux champs
sont intimement liés. La paraphasie est, à cet égard, particulière-
ment intéressante. On ne saurait méconnaître que, lorsque la fonc"
tion du son correspondant à un mot est troublée, il n'existe en
même temps un trouble très accentué des mouvements nécessaires -
à l'émission du même mot, de sorte que ce dernier contribue à la
,suppression presque complète de l'image du mot. Dans l'espèce
donc, le trouble du champ moteur, et par suite de l'expression,
dépend de l'altération de l'activité de l'élément sensoriel; si bien
qu'il est impossible de déterminer les limites qui séparent l'aphasie
motrice de l'aphasie sensorielle.
Il est impossible, pour la plupart des hommes, de saisir, dans le
domaine de la perception consciente, l'indépendance des images
représentatives qui correspondent aux mouvements en rapport ,
avec la formation du mot, d'établir que ces images sont indépen-
dantes des sons des mêmes mots. La cause en est probablement à
l'association qui s'est produite à l'origine entre l'image du son et
l'image du mouvement de l'émission. Mais il se peut que, sous des
influences pathologiques, les images motrices représentatives soient
exagérées du fait de certaines hallucinations. Quoi qu'il en soit,
l'activité de l'image sonore des mots est la plus importante; les
troubles en retentissent nettement non seulement sur l'intelligence
du mot et de l'écriture, mais sur l'expression, l'émission du mot
parlé et du mot syllabé. Le mécanisme de la vie conceptuelle doit
aussi être touché par la lacune sensorielle en question. Elle doit
apporter un grand trouble dans la précision de la pensée de l'indi-
vidu, pensée qui exige l'exercice de la parole intérieure et ne se
fixe que par son incarnation dans les mots. Il est donc légitime de
se représenter la fonction du son des mots comme le rouage cen-
tral, le foyer de l'appareil verbal.
118 SOCIÉTÉS SAVANTES.
M. Wernicke n'a rien à ajouter pour le moment.
M. Sommer. La théorie des localisations suffit-elle à expliquer les
troubles de la parole jusqu'alors observés ? - Tout récemment, cori-
fiant dans l'exactitude des schémas localisateurs, on a opéré des
aliénés. M. Baukhardi a, chez des hallucinés, enlevé des morceaux
de circonvolution dans les zones de Wernicke et de Broca; il a aussi
tenté de rompre le charme de conceptions associatives en creusant
des tranchées dans le cerveau.
Or, d'après M. Sommer, il est à peu près^impossible d'expliquer
certains cas de troubles de la parole par les divers schémas en
question. Prenant le fait qu'il a lui-même décrit dans le Zeitschrift
für Psychologie und Physiologie der Sinnesorgane, t. II, p.'44.i à 163.,
il fait remarquer que c'est le même que Grashey a essayé d'expli-
quer en 1885 (Ueber aphasie und ihre Beziehung sur lVuhrnehrnung).
au moyen de la théorie de la lecture et de l'écriture par l'épella-
tion. Aujourd'hui; cette théorie est insuffisante, au même titre que
la doctrine des centres de la parole, pour expliquer ce fait. On a
recherché, chez le malade en question, l'association, la combi-
naison des idées et des notions, et ces nouvelles recherches contre-
disent à l'existence d'un centre des idées. C'est un postulatum à
rayer, de même qu'il a fallu rayer l'hypothèse d'un organe
psychique d'association.
Conclusion : .' .
1° Les schémas qui ont actuellement cours sur les centres de la parole
ne suffisent plus à expliquer tous les faits décrits jusqu'ici de troubles
de la parole; -2° A mesure que s'enrichit le matériel d'observations, le
nombre des centres et des fibres conductrices que l'on forge augmente
également; -- 3° Dans les publications sur les troubles de la parole, il
faut s'attacher surtout à les décrire, non pas à les expliquer; - 4° Les
déductions psycho-anatomiques et les hypothèses à priori s'embrouillent
principalement quand on considère un centre d'idées, et les contradic-
tions sont telles qu'il faut se montrer d'une extrême prudence dans
l'analyse des troubles de la parole à la lumière de ces postulata; -5° Le
principal mérite des schémas dressés sur le mécanisme de la parole est
de former un point de repère pour l'examen des troubles de la parole;
- 6° Il est à souhaiter de trouver un schéma psychologique beaucoup
plus compréhensif que les schémas des centres de la parole comme con-
ducteur dans l'examen des symptômes en question; 7° Il convient de
s'efforcer d'introduire dans l'examen des troubles de la parole, surtout
quand il s'agit d'un ralentissement dans la formation des mots, les
méthodes de mensuration de la psychophysique qui concernent le temps
employé à l'exécution d'un travail mental; - 8° A l'exemple de Grasheyt
qui a observé par les nouveaux procédés les troubles de la parole, il faut
tenir compte de la succession des phénomènes que comporte la fonction
et leur décours dans le temps; - 9° Le diagnostic local des lésions
cérébrales est, en temps que science des faits, tout à fait indépendant
' Voyez Archives de Neurologie.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 119
des théories établies pour expliquer les faits en question; - 10* Les opé-
rations entreprises sur le cerveau des aliénés et en particulier chez des
hallucinés, sont dépourvues de base scientifique précise; il faut les aban-
donner, d'autant plus que les résultats jusqu'à ce jour obtenus sont néga-
tifs, totalement négatifs.
Discussion : M. GRASHEY. Le cas d'aphasie que j'ai décrit il y a
six ans, j'ai tenté de le rattacher à un trouble de la mémoire :
le même malade a été examiné, six ans plus tard, par M. Sommer,
et il trouve que les symptômes actuels ne sauraient être rattachés
à un trouble de la mémoire encore existant, sans cependant pour
cela qu'il veuille douter de mon explication de jadis. Il serait léger
de ma part de changer ce que j'ai dit il y a six ans après un nou-
vel examen du malade. Je n'oserais non plus tirer, de ce que j'ai
vu il y a six ans, une conclusion conforme aux vues de M. Sommer.
Je rappellerai seulement, pour ceux qui pourraient douter des
relations que j'ai établies entre le trouble de la parole et le trouble
de la mémoire, qu'à cette époque j'ai nettement mis en évidence
expérimentalement que le malade avait passagèrement recouvré la
mémoire et, qu'en même temps que cette amélioration, il avait
recouvré la parole. J'ajouterai que l'impotence totale du malade
qu'a produite M. Sommer n'est pas aussi pure qu'elle le parait.
Il force le patient à tenir la langue tirée hors de la bouche, mais
ne se peut-il pas que cet effort qu'on lui impose, influence les
troubles de la parole. Il est bien des malades chez lesquels on cons-
tate l'incapacité d'exécuter un mouvement simple quand ils en ont
simultanément un autre à effectuer.
M. Wernicke. M. Sommer prétend qu'il est nécessaire d'admettre
de nouveaux tractus et de nouveaux centres pour expliquer de
nouveaux cas d'aphasie. Evidemment, il en a imaginé de nouveaux
à l'appui de son observation, mais sont-ils exacts ?
En second lieu, ce serait là le second cas d'aphasie de Grashey
qui existe dans la science, s'il ne concernait le même malade sur
lequel Grashey a fait ses belles recherches. C'est donc un cas
unique, une merveille, et cette merveille est tellement extraordi-
naire que, six ans plus tard, les ingénieuses explications de
M. Grashey sont impuissantes à en rendre compte. Or, entre un
trouble de la mémoire si prodigieux et l'aphasie de Grashey, il n'y
a pas de rapport qu'explique une loi. Et cette exception unique,
c'est sur elle que se base M. Sommer pour battre en brèche la
théorie des localisations, en ce qu'elle touche à l'aphasie, alors
que des milliers de cas ont servi à l'établir. Autant vaut la nier
sous prétexte qu'on peut devenir aphasique à la suite d'une frayeur
ou sous l'influence d'un ver intestinal. Ce sont là des troubles fonc-
tionnels localisables, mais non localisés.
La conductibilité des tractus d'association présente bien évidem-
ment des variétés suivant leur mode d'utilisation dans telle ou telle
120 SOCIÉTÉS SAVANTES.
direction. Voici un objet qui frappe mes regards, je sais ce que
c'est, j'en ai l'idée, la notion précise, je puis le décrire exactement,
et cependant son nom m'échappe. On me le nomme et son image
se dessine nettement dans ma connaissance. Quand vous parlez
une langue étrangère qui ne vous est pas habituelle, ne la com-
prenez-vous pas souvent sans difficulté, alors qu'il vous arrive de
ne pouvoir trouver les sons, c'est-à-dire les images sonores, à l'aide
desquelles il vous faut vous exprimer. Ce sont indubitablement des
exemples de légers accrocs sur des tractus déterminés suivant les
directions de la conductibilité mise en jeu; il semble qu'il faille
raccorder tels ou tels postes par tels ou tels fils nerveux.
M. GRASHEY. M. Wernicke a trouvé la solution. Il est impossible
à tel individu momentanément de se servir d'un tractus conduc-
teur en deux directions opposées. Chez mon malade, celle incapa-
cité est plus accentuée. On vous dit le mot qui vous échappe et vous
éprouvez une difficulté momentanée à faire fonctionner vos fils de
raccord sur-le-champ suivant le sens qui vous est nécessaire. A mon
malade, on a beau répéter à satiété le mot qui lui manque, c'est
peine perdue, les tractus conducteurs dans le sens qui lui est néces-
saire ne marchent point. :
Utilisation thérapeutique de l'hypnotisme dans les asiles d'aliénés.
M. BINSWANGER, rapporteur. - C'est au psychiatre qu'il appartient
de dissiper les voiles mystiques qui entourent encore l'hypnotisme,
et de l'expérimenter au point de vue positif chez les aliénés. Mais >
il convient d'être extrêmement prudent et quant au choix des sujets'
à soumettre à ces expériences et quant à la manière de procéder,
afin d'éviter des épidémies dans l'établissement.
Nous connaissons tous les travaux de Heidenhain, Gruetzner,.
Charcot, Bernheim, Forel et Binswanger. Par suite, l'importance
de l'hypnotisme est indéniable au double point de vue de modifi-
cateur et d'analyseur des fonctions du système nerveux. Je ne
doute pas, pour ma part, que les vieux moyens hypnogènes d'ordre
physique ne puissent provoquer l'hypnotisme sans aucune sugges-
tion ; par conséquent, la théorie moderne de Bernheim, Forel et , f
autres, est, à mon avis, trop absolue. Toutefois, il faut préférer la
méthode suggestive pour l'étude psychologique de l'hypnotisme,
parce qu'elle donne à l'expérimentateur le moyen de rester maître ,
de l'action qu'il produit, de la graduer, de la diriger dans tel ou tel -,
sens à son gré. Dans ces conditions, après avoir nettement précisé
les éléments de l'expérience, on pourra tirer des résultats ob-
tenus des conclusions déterminées sur les phénomènes psychiques
que l'hypnotisme aura provoqués. Prenons un exemple, celui des ,
hallucinations négatives ou cet état si spécial des fous systéma-
tiques envahis par des conceptions délirantes de nature hypochon-
driaque. De même que le patient en question, obéissant, à son insu,
SOCIÉTÉS savantes. , 121
à son délire pathologique, croit que certaines parties de son corps
sont transformées, ou anéanties et assure que l'organe malade
modifie ou supprime toutes les sensations en rapport avec lui, de
même nous pouvons, chez la personne hypnotisée, supprimer arti-
ficiellement les phénomènes moteurs, sensibles ou autres. Il nous
est, d'autre part, possible, ainsi que l'a montré Charles Richet, de
suggérer une idée délirante à un sujet, de lui faire croire qu'il
change de personnalité, qu'il devient un animal. Néanmoins, n'ou-
blions point que la puissance de l'expérimentateur a des limites,
dans l'immense majorité des cas, parce que les conceptions suggé-
rées agissent sur l'association des idées en vertu de rouages auto-
nomes sur lesquelles vous ne pouvez rien. Il se produit ainsi des
conceptions inhibitrices qui paralysent l'influence de la suggestion,
ou bien des conceptions suggérées provoquent un travail d'assimi-
lation, de digestion psychique qui aboutit, malgré vous, à d'autres
complexus conceptuels, à des actes volontaires qui, tout se se rap-
prochant dans leur contexte des conceptions originellement suggé-
rées, modifient l'automatisme du sujet. Telle cette aliénée hysté-
rique à laquelle, pendant le sommeil hypnotique, on suggère de
dormir une heure, et, à son réveil, de demander à l'infirmière une
feuille de papier à lettre. Elle dort réellement une heure et,
quelque temps après son réveil, « ne pourrais-je pas écrire une
lettre », dit-elle. On lui demande pourquoi elle parle ainsi; elle
est incapable de trouver d'explication. Il y a donc une différence
entre l'exécution et la conception suggérée.
L'infection hypnotique, ou infection psychique de l'hypnotisme,
utilisée par Bernheim, ,WeUerstrand, Forel, a réussi chez nous au- ·
delà de toute espérance, si bien que les sujets s'hypnotisaient les
uns les autres par un regard, un geste même et que, parmi le
personnel, quelques individualités jouissant d'une prédisposition
spéciale, faisaient chorus avec les malades. Il en était résulté bien
des inconvénients. Les plus minimes occasions, un mot, un simple
geste engendraient une crise de sommeil prolongé; l'hypnotisme
spontané éclatait par voie d'auto-suggestion voulue ou acciden-
telle ; le personnel devenait ainsi incapable de faire un bon service..
Sans doute, depuis, M. Forel a eu l'ingéniosité d'appliquer cette
suggestibilité du personnel à stimuler son zèle : Mais je répugnerais
à ces procédés pour des motifs que l'on comprendra plus loin.
La thérapeutique suggestive, au sens de l'école de Nancy, n'a
jusqu'ici produit aucun résultat chez la pluralité des aliénés. Elle
offre également bien des dangers; en prolongeant notamment les
expériences hypnotiques chez certains malades on peut exagérer,
les phénomènes morbides existants. Forel ainsisté sur ce point. De
même van Eeden et van Reuterghem. A côté de cela, M. A. Voisin
s'en loue. Depuis 1880, il traite des aliénés de son service par
l'hypnotisme dans le sens le plus large du mot. Evidemment pen-
122 sociétés savantes.
dant dix ans il a traité plusieurs centaines d'aliénés, et, ainsi
qu'il l'expose lui-même, en se donnant un mal énorme pour les
endormir, en infligeant aux patients un tourment très grand. Or,
en 1889, il arrive au chiffre de vingt-six cas positifs. L'examen des
diagnostics formulés nous permet de penser qu'il s'agissait simple-
ment de vésanies aiguës dans quinze de ces observations. M. Forel
croit que ces malades étaient hystériques pour la plupart.
M. Burckhardt, en 1888, publia quatorze exemples favorables à
l'hypnotisme envisagé comme agent thérapeutique. Or les observa-
tions 5, 42, 13, 14 ont trait des alcooliques; en pareil cas, comme
l'indique l'auteur, le traitement de l'asile suffit. Les observations
8, 9, 10 concernent des hystériques adonnées à la morphine et
au chloral; une seule était aisément hypnotisable. M. Burckhard
se garde d'indications exactes sur la statistique et le rapport des
insuccès aux'succès. Au Congrès de l'hypnotisme de 1889, M. Briand
conclut qu'il n'a pu réussir à endormir d'aliénés indemnes d'hys-
térie et que, lorsqu'il a cru avoir réussi, il s'est assuré qu'il avait
eu affaire à des simulatrices.
Après avoir critiqué les mémoires de Bérillon et Velander, l'au-
teur examine l'influence de l'hypnotisme en tant que thérapeu-
tique suggestive sur la dipsomanie et l'inversion du sens génital. Il
admet que l'hypnotisme puisse exercer une influence heureuse
sur certaines tendances, certaines habitudes acquises n'ayant que
des rapports passagers et, en tout cas, peu intimes avec une cons-
titution psychique ou morale congénitale. Mais, dit-il, quand c'est
le terrain mental, l'organisation cérébrale du sujet qui produit ces
tendances vicieuses ou morbides, ou encore des anomalies du
caractère, je ne crois pas que l'hypnotisme puisse bouleverser pour
toujours un tel édifice.
Ces réflexions s'appliquent termes pour termes à la dégénéres-
cence morale des enfants tarés. Si les accidents psychopathiques se
montrent isolés et, pour ainsi parler, à l'état épisodique, indé-
pendants d'un trouble profond de la personnalité, sans doute il
est admissible de suggérer à ces malheureux un changement de
moeurs. Sinon non. C'est la même histoire physiologique que celle
des obsédés, des impulsifs. Mais encore faut-il que les individus
soient hypnotisables ou suggestibles. En ce qui me concerne, je n'ai
pas été favorisé.
Il n'est pas mauvais au surplus de répéter quant à l'aliénation
mentale, qu'abstraction faite de quelques observations isolées de
mélancolie simple, l'immense majorité des succès a porté sur des,
aliénés hystériques. C'est ce qu'il ne faut jamais perdre de vue en
tout état de cause et de maladie. Il convient en outre de se répéter
que les procédés thérapeutiques de l'hypnotisme sont loin d'être
inoffensifs; on ne les mettra donc en vigueur que dans des cas qui,
à raison de la gravité des accidents morbides et de l'insuccès des
sociétés savantes. 123
autres méthodes de traitement, justifient de pareilles tentatives.
En revanche, il est des malades qui, de par les phénomènes patho-
logiques eux-mêmes, constituent de véritables sujets à hypnotiser;
chez eux le terrain est tout préparé pour les expériences en ques-
tion et la suggestion thérapeutique dès lors tout à fait anodines.
C'est ce qui arrive pour un grand nombre d'hystériques. Toutes les
fois qu'on rencontre chez un aliéné ou un déséquilibré quelconque
un des éléments morbides qui confinent à ceux de l'hystérie ou qui
en représentent le stigmate, il y a lieu d'agir sur lui par l'hypno-
tisme et la thérapeutique suggestive..
M. de KRARFT-EBING. - Il est tout naturel que chez les psycho-
pathes on essaie la thérapeutique psychique. Elle peut agir de deux
manières su ries phénomènes matériels qui président aux anomalies
psychiques. 1° Indirectement : l'individu sur lequel on agit, modifié
dans son humeur, ses sentiments,ses manières de voir, ses aspirations,
voit, sous ces influences, sa circulation, sa digestion, son sommeil
se modifier. 2° Directement : les conceptions de l'individu lui-
même agissent sur sa vie matérielle ; c'est l'autosuggestivité du
système nerveux par l'idéation ; la thérapeutique suggestive a ici
pour devoir, de combattre ces facteurs nuisibles en agissant par la
suggestion étrangère. Mais, voilà qui est particulier, en vain vous
appellerez le raisonnement à votre aide, vous n'obtiendrez rien; il
vous faut mettre en oeuvre une série de procédés afin d'engendrer
des phénomènes psycho-physiologiques eux-mêmes étranges. Le
psychiatre est alors de rigueur.
Voici, par exemple, un individu qui est atteint de paralysie
psychique. Il ne peut se servir de son bras légèrement contusionné
dans un accident de chemin de fer. Il n'est en réalité pas le moins
du monde paralysé, il s'imagine qu'il est paralysé, car les désordres
chirurgicaux sont bien moins graves que le trouble fonctionnel.
C'est à coup sûr l'idée delà paralysie qui a provoqué la paralysie.
Pourquoi ? Parce que, à raison d'une prédisposition préexistante
ou de par le fait du choc traumatique, le système nerveux central
a subi une modification psyclio-pliysique d'ordre moléculaire. En
d'autres termes, la paralysie psychique n'est qu'un symptôme
d'une névrose générale (traumatique). Ce qui n'empêche qu'elle
est tangible, somatique. L'attention que le malade a, à la suite du
traumatisme, accordée à son membre blessé, l'émotion exagérée
avec les préoccupations bien naturelles que l'accident a provo-
quées, se sont imprimées dans la conscience du patient, et ont
produit cette idée fixe qu'il allait être paralysé, l'idée a arrêté les
fonctions du centre cortical du bras; la sensibilité cutanée, les mus-
cles et les articulations ont cessé de fonctionner. A cette torpeur
eflective des centres corticomoteurs, peut s'ajouter l'arrêt de l'idéa-
tion du mouvement, le cerveau ne se représentant plus le quantum
et le quomodo de la motilité ; la transmission centripète et cenlri-
124 SOCIÉTÉS savantes.
fuge des impulsions aux mouvements ne se fait plus. Bien plus, le
territoire paralysé peut devenir le siège de troubles de la circu-
lation (anémie), de la tonicité musculaire, d'exagération des
réflexes. 1
Eh bien ! cette paralysie peut guérir spontanément par l'expec-
tation. L'idée fixe s'affaiblit avec le temps, tandis que l'excitabilité,
l'excès d'impressionnabilité du système nerveux rétrocèdent. Cette
action favorable sera aidée par l'influence dérivative d'autres
idées qui impressionnent vivement l'affectivité et l'intelligence, ou
qui provoquent dans l'écorce la disparition de cet arrêt; ainsi, le
malade se croit-il exposé à un nouveau danger, vite, il oublie la
paralysie de son bras et celui-ci reprend ses fonctions. On peut
obtenir cet effet par suggestion médicale, suggestion- religieuse,
suggestion thérapeutique quelconque (massage, électrisation).
Mais la suggestion hypnotique est un agent précieux et des plus
actifs.
L'hypnotisme sert à, renforcer la suggestion. L'action de celle-
ci dépend, pour une bonne part, de la profondeur de l'état hypno-
tique, mais l'hypnotisabilité et la suggestibilité sont deux phéno-
mènes qui ne marchent pas parallèlement. Il faut faire entrer en
ligne de compte la personnalité du patient (les individus instables,
mobiles, superficiels, sont difficilement suggestibles), l'autorité du
médecin, la netteté dans la formule impérative. Aussi faut-il être
un praticien consommé en matière de psychiatrie et de neuropa-
thologie, faut-il connaître à fond les particularités du sujet à trai-
ter, pour faire de la thérapeutique suggestive. Il convient, au
point de vue technique, de prolonger la durée de la suggestion.
En général on peut dire que l'on peut guérir par la suggestion,
à supposer bien entendu que le sujet soit hypnotisable, toutes les
fois qu'on a affaire à une maladie purement fonctionnelle. La
suggestion hypnotique est, d'après mon expérience personnelle,
inoffensive, quand elle est pratiquée par un spécialiste compétent
et accommodée aux circonstances du cas individuel. Qu'on s'en
serve chez les psychopathes, cela est tout indiqué.
. Quel modificateur thérapeutique pourrait être comparé à celui-
là, s'il arrivait à débarrasser les aliénés de leurs sensations, senti-
ments, impulsions, conceptions anormaux. Mais mes doutes à cet
égard sont permis :
1° Parce que les aliénés sont exceptionnellement en possession
de l'attention, de l'égalité d'humeur, du calme moral, de la bien-
veillance, de la force de volonté qui sont les conditions primor-
diales à la réussite de l'hypnotisme ;
2° Parce que bien des affections psychiques tiennent à des alté-
rations organiques du cerveau et que le traitement par la sugges-
tion ne peut guérir que des troubles fonctionnels;
3° Parce que certains symptômes, telles les idées délirantes et
SOCIÉTÉS savantes. 12S
les hallucinations, tout en n'étant pas la conséquence sûre d'alté-
rations organiques, sont cependant des phénomènes si compli-
qués, si intimement soudés au mécanisme des rouages psychiques,
qu'ils ne paraissent guère attaquables par la suggestion, et qu'il
est du reste difficile de formuler les interpellations impératives à
adresser au malade suggéré pour faire cesser ces accidents.
' La théorie permet donc de ne fonder d'espérances, en ce qui a
trait à la thérapeutique suggestive de l'hypnotisme, que sur les psy-
choses fonctionnelles, et, à proprement parler, sur les malades qui
ont conscience de leur état morbide, qui témoignent d'un idiosyn-
crasie psychologique à l'égard de l'hypnotisme. Tels sont ceux
qui présentent des perturbations simples de la vie affective; des
troubles morphologiques de l'idéation, notamment des obsessions;
des idées délirantes d'origine autosuggestive et non point des
délires primordiaux ni des idées fausses, d'ordre mélancolique, '
appliquées à un raisonnement systématique : des impulsions mor-
bides acquises. En d'autres termes, c'est : la mélancolie sans
délire le groupe de neuropsychoses telles que' l'hystérie, l'hypo-
chondrie, la neurasthénie, la folie obsédante - l'alcoolisme - le
morphinisme le cocaïnisme la masturbation - l'inversion
acquise du sens génital. ,
Les faits qui ont été publiés jusqu'ici donnent en partie raison
à la théorie; ils lui seraient même, pour une part, plus favorables
que le raisonnement a priori.
Mon expérience personnelle est modeste, car j'ai, jusqu'à pré-
sent peu employé l'hypnotisme, je ne l'ai employé qu'en cas de
nécessité, sans avoir grande confiance en lui. En plusieurs cas de
mélancolie simple, de folie alcoolique et hystérique, de folie du
doute, de morphinisme; dans l'inversion du sens génital, qu'il
s'agisse d'anomalies congénitales ou acquises. J'ai obtenu tantôt
des guérisons, tantôt une amélioration considérable. Une critique
des cas publiés serait trop défectueuse et, en bien des points, pas-
sible d'objections. On a, somme toute, peine à se défendre de
l'impression que la thérapeutique hypnotique par suggestion n'est
- pas sans valeur pour maintes psychoses et qu'elle donne parfois
des résultats tout à fait inattendus, voire des résultats durables.
Généralement les résultats sont en conformité avec les prémisses
théoriques : seuls les psychopathes lucides, bienveillants, présen-
tant une tendance naturelle à subir l'influence de,l'hypnotisme, et
n'ayant qu'une vésanie récente et légère, sont susceptibles d'être
ainsi traités. Il est essentiel de formuler avec précision le texte de
la suggestion, or, c'est très difficile parce qu'on connaît mal la
pathogénie et l'enchaînement des phénomènes morbides.
Il parait possible, d'après mon expérience et celle des auteurs,
de changer par la suggestion la couleur de l'humeur, la façon de
sentir et l'affectivité, la sensibilité morale et intellectuelle, les
.126 sociétés savantes.
penchants, les idées et d'obtenir la disparition des hallucinations
sensorielles elles-mêmes , ou du moins d'exercer sur elles une
influence favorable, il parait également possible de faire cesser des
perturbations physiques, comme l'agrypnie, l'anorexie, la constipa-
tion, les névralgies. Voilà un nouveau champ d'études et d'expé-
riences bien vaste ouvert à la psychiatrie 1
On a traité : la mélancolie sans délire le délire général des
alcooliques et des hystériques - les psychopathies hystériques les
intoxications chroniques, surtout l'alcoolisme et le morphinisme.
Les résultats les plus remarquables ont été obtenus dans la dipso-
manie, et l'inversion du sens génital; ajoutons-y la folie du doute.
Il est indiqué d'agir par la suggestion contre toutes les anomalies
de l'humeur et de l'affectivité, les sensations d'angoisse, les impul-
sions pathologiques, sexuelles ou alcooliques; dans le sevrage de
la morphine et de la cocaïne. Elle ferait céder des habitudes
vicieuses telles que l'onanisme et viendrait à la rescousse dans les
troubles de l'idéation et de la volition.
Quant aux délires et aux hallucinations, on voudra bien nous
accorder qu'il ne s'agissait que des perturbations intellectuelles
des vésanies toxiques et hystériques. Les idées délirantes systéma-
tiques, organisées, cristallisées de la paranoïa et de la mélancolie
ne sauraient céder.
MM. KaOEMER et Siemens se plaignent de ce qu'on a appliqué
aux directeurs-médecins des asiles d'aliénés de la Prusse, le dé-
cret ministériel des 19 et 23 septembre 1888, enlevant aux médecins
ordinaires le droit de rédiger les certificats propres à l'obtention
des permis de circulation des cadavres. Ce droit a été rendu aux
médecins en chef des lazarets militaires et aux directeurs des cli-
niques universitaires (arrêtés des 11 octobre 1889 et 7 février 1890).
Pourquoi ne le rendrait-on pas aux directeurs-médecins ?
Les directeurs-médecins des asiles provinciaux d'aliénés de la
Prusse sont unanimes à le réclamer, moins M. Poetz (Alt-Scher-
bitz), car, après comme avant, il a pu établir ses pièces et les faire
accepter, sans le concours de Kreis hysikus.
Discussion : M. ZINN ainé. C'est de toute justice, car il se peut
que le Kreis hysikus n'habite pas l'endroit même de l'asile d'alié-
nés. Il faut aller chercher le lvundarzt, qui le remplace en un
troisième endroit, de là des dépenses, et une perte de temps sou-
vent énorme, surtout si, comme cela arrive, on ne trouve pas chez
lui le médecin-assermenté-fonctionnaire. Ce qui lèse les intérêts
des familles riches et le plus souvent pauvres, qui veulent faire
transporter près d'elles les dépouilles mortelles de leurs parents.
Cette considération est à inscrire dans la pétition au ministre.
Adopté. (Allg. Zeilsch. f.Psychiat., XLVIII, 4.) P. KERAVAL.
sociétés savantes. 127
t
SOCIÉTÉ DES MÉDECINS NEUROLOGISTES
ET ALIÉNISTES DE MOSCOU.
Séance du 20 Stptembre 1891.
1. M. le Dr DanacaEmTCU. Une observation de poliomyélite chro-
nique. - Le malade a quarante ans. Atrophie musculaire et fai-
blesse des membres supérieurs du cou, du dos et en partie des
membres inférieurs à évolution progressive. Réaction partielle de
dégénérescence. Aucun phénomène de rigidité. Réflexes tendineux
des membres supérieurs absents, réflexes rotuliens présents et
normaux. Rien à noter du côté des organes du bassin.
Aucun phénomène bulbaire. A la fin de la deuxième année de
maladie, mort par paralysie de diaphragme. Examen microsco-
pique : substance grise : diminution et atrophie des cellules gan-
glionnaires des cornes antérieures des parties cervicale et thora-
cique, augmentation en nombre des cellules araignées de Deiters,
hémorrhagies capillaires notables. Substance blanche : atrophie
très nette des fibres de la partie fondamentale des cordons antéro-
latéraux (zones radiculaires antérieures d'après M. Charcot) dans
le voisinage immédiat de la corne antérieure; une certaine raré-
fication des fibres des cordons latéraux et postérieurs ; les cordons
de Turck sont intacts. Les racines antérieures sont nettement
atrophiées, mais le nombre des fibres restées intactes est beaucoup
plus considérable relativement à celui des cellules restées intactes
dans les cornes antérieures.
Le rapporteur considère son observation comme une poliomyé-
lite chronique et insiste sur la nécessité de différencier nettement
la poliomyélite de la sclérose amyotrophique. L'atrophie partielle
des fibres des cordons latéraux ne suffit pas pour invalider le dia-
gnostic de poliomyélite, cette atrophie n'impliquant pas nécessai-
rement une atrophie des faisceaux pyramidaux. Or, une lésion de
ceux-ci est la conditio sine qua non de la sclérose amyotrophique.
Quant au défaut de parallélisme entre l'atrophie des fibres des
racines antérieures et celle des cellules des cornes antérieures,
il faut en conclure que les racines antérieures proviennent non
seulement de ces cellules, et il faut croire qu'en second lieu, ce
sont encore les cellules de la base de la corne postérieure qui leur
donnent naissance.
Discussion : M. le Dr Rorn trouve une certaine analogie entre
cette observation et les cas d'Oppenheim et de Nonne. Il est pos-
sible que les cas de ce genre formeront un groupe morbide à part
128 sociétés savantes.
quand les observations seront recueillies en plus grand nombre et
quand il sera possible de constater leur différence nette de la sclé-
rose latérale amyotrophique. En outre, il lui paraît douteux que
les fibres des racines antérieures ayant la même valeur fonction-
nelle puissent avoir une provenance différente.
M. le professeur Kojewnikoff, en considération des données de
l'examen microscopique, serait plutôt d'avis qu'il s'agit ici d'une
poliomyélite.
2. M. le Dr M1N : 1R. Contribution à la statistique des rapports
' entre la syphilis et le tabès. La nouvelle statistique de l'auteur
comprenant ses observations des dernières années vient à l'appui
des appréciations statistiques sur les rapports du tabès et de la
syphilis qu'il avait fait il y a quelques années. Parmi les malades
venus à la consultation de l'auteur en 1889, la syphilis chez les
hommes russes était quatre fois et chez les femmes russes neuf fois
plus fréquente que chez les hommes et femmes juifs. Pareillement,
le tabès et la paralysie générale étaient plus féquents dans la même
proportion chez les Russes comparativement aux juifs. Il serait très
curieux de faire une enquête si les chancres indurés et les accidents
secondaires se soient jamais observés chez un tabétique. Cette
enquête pourrait aider à élucider la question des rapports entre
la syphilis et le tabès, autant que la méthode de la comparaison
- sous ce rapport de diverses nationalités employée par l'auteur.
A la discussion ont pris part, le professeur KOJEWNIKOFF et le
'Dr BAJÉNOFF qui invoque pour la production de la paralysie géné-
rale la concomitlance de trois causes : syphilis, hérédité morbide
et certaines conditions de vie dans les villes (surmenage cérébral,
manque de travail manuel au grand air, etc.). Chez les paysans
russes, la vérole est très fréquente et la paralysie générale est très
rare.
Séance du 15 novembre 1891.
M. le professeur BoBRow. Epilepsie traumatique. Obturation ostéo-
plastique de défaut crânien. Démonstration de la malade. - Il y a
quatre ans, une fille de dix ans reçut en tombant une fracture du
crâne suivie de perte de connaissance, d'aphasie et d'hémiplégie
et hémianesthésie droites. On constata le lendemain une fracture
compliquée des os frontal et pariétal gauche ; deux esquilles
furent éloignées; la perte constitue un défaut de forme triangu-
laire, mesurant à sa base 3 centimètres sur une hauteur de 6 cent. 5.
La convalescence se fit rapidement, l'aphasie et l'hémiplégie dis-
parurent, mais le quatrième jour apparaissent des crampes clo-
niques affectant la partie droite du corps et de la face. Ces con-
vulsions existèrent pendant une année et revenaient tous les
quinze jours, trois semaines. Elles firent presque complètement
sociétés savantes. 129
défaut pendant l'année suivante, mais deux ans après l'accident,
elles firent leur réapparition, devinrent de plus en plus fréquentes
et étaient suivies de pertes de connaissance. De plus, les facultés
intellectuelles de la malade s'affaiblissaient et elle prononçait les
mots moins bien ; il s'établit aussi une scoliose vertébrale. Le rap-
porteur crut devoir tenter une opération ostéoplastique pour com-
bler le défaut du crâne. L'opération fut faite le 9 décembre 1890,
trois ans après l'accident. Au cours de l'opération, il brisa plusieurs
faisceaux fibreux entre les méninges. Au point de vue chirurgical
l'opération réussit pleinement et le défaut de la boîte osseuse ne
mesure aujourd'hui que 5 centimètres de diamètre. Maintenant
qu'il s'est passé un an après l'opération, les symptômes du côté du
système nerveux se présentent tels : les accès sont devenus moins
fréquents et moins prononcés, la main et le pied droits sont un peu
plus faibles que du côté gauche; l'hémianesthésie droite continue à
exister, la parole est plus nette, la scoliose est en voie d'évolution.
Le professeur KOJEWNIKOFF et les Drs RossoLIMo, CHATaLOw, DARx-'
caEmTCx ont pris la parole au cours de la discussion en analysant
certains des symptômes cliniques de cette observation et les indi-
cations thérapeutiques de l'opération qui fut pratiquée.
' Séance du 20 décembre 1891.
M. le Dr W. Roxa présente une fille de vingt-trois ans atteinte
d'atrophie musculaire progressive, type périphérique (péronéal type)
du rapporteur. Les membres inférieurs de la malade sont défor-
més : genua valga, pied équin, varus très creux, dégénérescence
complète des muscles à partir des genoux, divers degrés d'atrophie
des muscles des cuisses. L'atrophie des muscles des membres supé-
rieurs, atteints à un degré moindre, est graduellement prononcée
dans les parties plus ou moins périphériques du membre. Absence
de réflexes patellaires. Ni douleur, ni anesthésie. Altération quan-
titative de la contractilité électrique. Début de la maladie à l'âge
de deux ans. Ce sont les muscles périphériques du pied qui furent
atteints en premier lieu; à l'âge de sept ans, affection des muscles
de la main. Il parait que le frère de la malade fut aussi atteint de
celte maladie. A propos de celte malade, le rapporteur cite encore
une observation personnelle du même genre. Il s'agissait d'un
homme de vingt-trois ans. Chez celui-ci existait dès l'enfance une
atrophie de la région du nerf péronéen et à un degré moindre
des muscles de la main, pied creux avec orteils en griffe, en plus
un dédoublement des os de l'orteil gauche hypertrophié. Altéra-
tion qualitative et quantitative de la contractilité électrique. Mal-
gré l'absence de antécédents héréditaires, le rapporteur invoque
l'hérédité comme la vraie cause étiologique et croit pouvoir affir-
mer que c'est encore dans la cellule germinative que préexistent,
Archives, t. XXIV. 9
130 sociétés savantes.
ou apparaissent les conditions spéciales qui déterminent le déve -
loppement ultérieur de cette maladie. De l'avis du rapporteur.
cette forme d'atrophie musculaire doit être rangée avec la maladie
de Friedreich dans un même groupe d'affections héréditaires il
caractère dégénératif. '
Les deux maladies ne seraient alors que les extrêmes d'une
série de cas formant transition de l'une à l'autre. Les deux obser-
vations de Déjerine (bled. mod., 1891) ne sont que des exemples
de cette même atrophie musculaire progressive (type périphé-
rique), mais compliquées. Elles tiennent à la fois de la maladie
de Friedreich classique avec atrophie de la plante des pieds (pieds
creux et griffe des orteils) et des formes dans le genre de l'observa-
tion II de Dubreuil, c'est-à-dire des cas, caractérisés par une atro-
phie musculaire très prononcée, mais n'ayant presque pas d'alté-
rations spinales ; viennent ensuite les cas qui manquent absolument
d'altérations spinales, mais présentent à divers degrés des altéra-
tions des nerfs périphériques. Il serait permis de supposer l'exis-
tence des cas manquant totalement d'altérations du système ner-
veux. Si des cas de ce genre venaient un jour à être constatés où
si l'examen microscopique démontrait une « atrophie en longueur
des fibres musculaires D (Rora, Société de Biologie, 1887) caracté-
ristique pour les myopathies, il serait évident que l'atrophie mus-
culaire progressive à type périphérique viendrait en même temps
toucher de très près la myopathie primitive.
M. le Dr Iiorowrcn, en étudiant le courant d'une dynamo-ma-
chine à l'aide du téléphone, établit que ce courant ne peut être
considéré comme étant d'une constance absolue et que son inten-
sité subit des oscillations régulières. Au point de vue théorique, ce
fait pourrait être une indication contre l'emploi dans les procédés
thérapeutiques du courant dynamo au lieu du courant de batterie
quand il s'agit d'une galvanisation stabile. Il est évident que pour
la galvanisation labile, cette objection est nulle. Pourtant la réac-
tion des nerfs sciatiques de la grenouille au courant dynamo ne
diffère en rien de la réaction au courant constant et se conforme
à la loi Pfluger.
DU TRAITEMENT DE L'HYDROCÉPHALIE;
Les chirurgiens ont essayé dans ces dernières années, avec
plus d'enthousiasme que de succès, tout au moins pour les
malades, de traiter opératoirement les maladies du système ner-
veux, comme ils ont pris l'habitude de traiter les maladies ab-
dominales et en particulier celles des organes génitaux. Nous
commençons dans ce numéro l'analyse, nous ne dirons pas
de tous les travaux qui ont paru sur la chirurgie du cerveau,
mais de quelques-uns d'entre eux.
§ I. - DES PONCTIONS capillaires dans l'hydrocéphalie.
Notre maître Giraldès dans une leçon très intéressante qu'il a
consacrée à l'hydrocéphalie, rappelle que Conquest (1838) a beau-
coup conseillé les ponctions capillaires, que sur dix-neuf malades
neuf sont morts; que Batlersby a publié quelques exemples de gué-
rison ; que West, en 1842, a rassemblé les observations de cinquante
malades chez lesquels on avait pratiqué des ponctions capillaires
(quatre succès réels) ]. Pendant notre externat (1862) et notre
internat dans le service de chirurgie de l'hôpital des Enfants-Ma-
lades, puis durant le premier semestre de 1870, nous avons vu
pratiquer au moins une dizaine de fois des ponctions capillaires
chez des hydrocéphales : jamais nous n'avons vu d'amélioration
sérieuse. Presque toujours la maladie poursuivait sa marche ou les
malades succombaient.
Voici maintenant quelques détails sur des essais plus récents.
Les ponctions capillaires ont été pratiquées tantôt suivant la mé-
thode ancienne, c'est-à-dire au niveau des fontanelles, tantôt au
contraire on,a fait au préalable une trépanation, puis pratiqué la
ponction, enfin dans d'autres cas, après la ponction on a eu recours
au drainage. -
1 Giraldès. Leçons cliniques sur les maladies chirurgicales des en-
fants, rec. par Bourneville et E. Bourgeois; Paris, 1869.
132 thérapeutique CHIRURGICALE.
§ IL Paracentèse DES VENTRICULES; par le Dr SPENCER-
SzITH. (Tke British médical Journal du 28 mars 1891,
p. 699.) .
Au sujet de la paracentèse des ventricules du cerveau, je me
rappelle un cas qui s'est produit quelques années après que
j'exerçais, cas dans lequel on eut recours jusqu'à six fois à la
ponction. L'enfant avait six mois et était tombé des bras de sa
nourrice, en descendant un escalier de pierre. Il était tombé sur
la tête et le crâne avait été fracturé.
La première opération eut lieu quelques semaines après la chute
à cause des convulsions qui se déclarèrent; les fontanelles étaient
fortement distendues par les liquides. On introduisit un trocart fin
et une canule, il sortit quelques onces de liquide, et le malade se
trouva beaucoup mieux. Quelque temps après, on dut répéter
l'opération. On fit six ponctions les unes après les autres. L'en
fant finit par succomber d'épuisement.
§ III. Traitement DE l'hydrocéphalie CHRONIQUE par la
PONCTION; par UNVERRICHT. (The Lancet, 12 décembre 1891,
p. 1354.)
Le professeur Unverricht a rapporté, à une session récente de la
Faculté médicale de Dorpat, l'histoire de quatre cas d'hydrocéphalie
chronique qu'il avait traités par ponction, et dont il présentait un
cas à la Faculté. Le malade était un petit garçon de deux ans et
demi, qui, âgé de dix jours, avait été pris de convulsions, et à trois
mois et demi présentait un développement considérable du crâne.
Il fut ensuite atteint de strabisme, de nystagmus et de paralysie géné-
rale, et avançait si peu en intelligence qu'il ne put dire « Papa et
Maman qu'à un an et demi. Il fut admis à la clinique dans cet
état, on lui fit une fois une ponction pour son hydrocéphalie; on
obtint 75 centimètres cubes d'un liquide clair et transparent,
ayant un poids spécifique de 1006,5. Il ne se produisit aucune
réaction, et il s'ensuivit en même temps une amélioration consi-
dérable à la fois physique et intellectuelle.
Le professeur Unverricht lui-même est si satisfait du résultat de
ce traitement qu'il est encouragé à répéter l'opération et à recom-
mander son adoption générale.
IV. Trépanation ET drainage dans l'hydrocéphalie;
par A. BROCA. (Soc. de chirurgie, 1891, 18 février, et Mercredi
médical, 1891, p. 94.)
Il s'agit d'un enfant de quatre ans auquel, en septembre 1890,
traitement DE l'hydrocéphalie. 133
M. Broca « a drainé, pour hydrocéphalie, le ventricule latéral droit.
L'opération n'a pas cherché à être curative chez cet enfant dont
les fontanelles étaient soudées. Mais elle cherchait à faire dispa-
raître une contracture du membre supérieur gauche, survenue
depuis trois mois à la suite d'une crise convulsive, et elle y a plei-
nement réussi ».
§ V. - Traitement DE l'hydrocéphalie par la trépanation
ET LES PONCTIONS ou par la PONCTION lombaire ; par QUINCKE.
(Congrès allemand de médecine interne, 1891.)
Chez un garçon de douze ans, atteint d'une hydrocéphalie con-
sidérable, l'auteur pratiqua la trépanation, laissa la plaie se fermer.
puis pratiqua à son niveau six ponctions dans l'espace de quelques
mois. Les symptômes ne furent que médiocrement amendés, tou-
tefois durant la ponction, la contracture de la nuque et de la bouche
disparut. -
, Le second cas concerne un enfant de deux ans atteint d'hydro-
céphalie aiguë fébrile depuis quatre jours. Délire, strabisme, con-
tracture de la nuque, inégalité pupillaire. M. Quincke mit à nu
l'espace sous-arachnoidien de la colonne lombaire, fit trois ponc-
tions, retira de deux à dix centimètres de liquide. L'enfant guérit
et l'auteur est convaincu que la guérison est due à son traitement.
§ VI. La trépanation pratiquée dans LES cas D'HYDRO-
CÉPHALIE aiguë ET CHRONIQUE; par le D`' HAYES AGNEW.
{University Medical Magazine, octobre 1891, p. 24.)
La ponction des ventricules dans l'hydrocéphalie est une ancienne
opération. La particularité des procédés modernes consiste à
atteindre les ventricules, non par les fontanelles, mais en un point
plus commode et au moyen de l'emploi ultérieur du drainage.
Sur les cinq cas traités de cette manière, à Philadelphie, trois le
furent sur des garçons et deux sur des filles. L'âge respectif de ces
malades était : quatorze ans, quatre ans, dix ans ; trois ans six
mois et vingt-quatre mois. Tous les malades moururent ; un le qua-
trième jour, un le quarante-cinquième jour, un quatre heures
après, un le cinquième jour ; pour l'autre l'époque de la mort n'est
pas indiquée.
Comme l'hydrocéphalie'est habituellement due à une maladie tu-
berculeuse ou à la présence d'excroissances morbides, il est difficile
de comprendre sur quoi on se base pour faire de telles opérations,
puisqu'on n'a aucun espoir de succès, mais que plutôt elles ne font
qu'amener plus vite un résultat inévitable.
134 traitement DE l'hydrocéphalie.
Trépanation pour hydrocéphalie, avec drains.
traitement DE l'hydrocéphalie. 135
du crâne fut élargie d'un pouce un quart, au moyen d'un ciseau
et d'un maillet.
La dure-mère fut ouverte accidentellement et une quantité con-
sidérable de liquide cérébro-spinal s'échappa. Un drain de crin
fut introduit et la plaie du cuir chevelu suturée. Pendant l'écou- r
lement du liquide cérébro-spinal les pulsations du cerveau devin-
rent sensibles. '
L'opération fut suivie d'une élévation de la température pendant
environ vingt-quatre heures et les premiers pansements remplacés
le lendemain de l'opération étaient pleins de sang. La plaie se
cicatrisa par première intention, mais le liquide continuait à fil-'
trerpar le drain. On ne dit pas combien de temps celui-ci resta dans
la plaie. '
Au huitième jour, l'enfant pouvait se tenir assis dans son lit, il
n'y avait aucune rétraction de la tête et l'enfant ne fut plus dès
lors turbulent. Il était donc beaucoup mieux qu'avant l'opération.
Lorsque je le vis quatre mois après l'opération, l'enfant était
presque aveugle mais il pouvait marcher.
§ VIII. Hydrocéphalie CHRONIQUE apparue après la GUÉ-
RISON spontanée d'un SPINA BIFIDA; tentative INUTILE du
RÉINCISION DE CE DERNIER; trépanation; drainage DES VEN-
TRICULES ; MORT ; par Cn. AUDRY. (Progrès médical, 1892,.
27 fév., p. 154.) .
Garçon de sept mois. A la naissance, spina bifida de la partie
inférieure de la région lombaire; ulcération; écoulement d'un
liquide d'abord clair, [puis purulent pendant un mois; occlusion
de l'orifice. A partir de là, développement considérable de la tête.
A l'entrée à l'hôpital, la tête avait SI centimètres de circonférence;
asymétrie. Ni paralysie, ni contracture.
5 octobre. - Incision de 4 centimètres au niveau de la cicatrice
du spina bifida; ponctions exploratrices; aucune évacuation; pan-
sement iodoformé. Trépanation du pariétal droit, à deux travers
de doigt en arrière du méat auditif externe et à 4 centimètres au-
dessus. Orifice d'un centimètre et demi. Ponction à 3 ou 4 centi-
mètres ; aspiration d'un liquide aqueux. Incision cruciale de la
dure-mère. Introduction d'un faisceau de 8 à 10 crins de cheval
jusque dans la cavité ventriculaire; on fixe à la peau le fil de soie
qui les réunit. Le liquide s'écoule en filet pen abondant, suture,
des lambeaux cutanés. - A 6 heures du soir, abattement respira-
tion courte ; température 41°, mort une heure plus tard.
Par suite de l'existence antérieure d'un spina bifida à la
région lombaire, M. Audry été amené, pour remédier à l'hydro-
136 bibliographie.
céphalie, à pratiquer une incision à ce niveau, répétant en
quelque sorte, sans le savoir, le procédé préconisé par
M. Quincke. Le cas de M. 'Audry ne paraît pas encourager à
recourir à la ponction lombaire. - L'hydrocéphalie consécu-
tive à la guérison du spina bifida est un accident connu depuis'
longtemps. Nous en avons vu plusieurs exemples à l'hôpital
des Enfants malades'.
Nous continuerons cette revue; mais des faits qui précèdent t
il semble résulter que l'intervention chirurgicale dans le trai-
tement de l'hydrocéphalie, tel qu'il a été appliqué parles chi-
rurgiens contemporains, n'offre pas plus d'avantages aux ma-
ladies que l'ancien traitement chirurgical limité aux ponctions
capillaires et encore moins que le traitement médical qui, ainsi
que nous le verrons, peut, parfois, arrêter l'hydrocéphalie
dans son évolution. BOURNEVILLE.
BIBLIOGRAPHIE
I. OEuvres complètes de J.-M. CHARCOT. - T. IX. Hémorrhagie et
ramollissement du cerveau. blétallotlaérapie et hypnotisme. Electro-
thérapie, in-8° de 571 p., avec 34 fig. dans le texte et 13 planches.
Aux bureaux du Progrès Médical, 14, rue des Carmes.
Le tome IX des OEuvres complètes de M. Charcot, que M. Bourne-
ville a eu l'heureuse idée de réunir et de publier, serait l'un des
plus intéressants de la collection si tous ne l'étaient à un égal de-
gré. Il contient, en effet, des mémoires de premier ordre qui ont
consacré à jamais la grande réputation du chef de l'école de la
Salpêtrière. On y trouve dès le seuil, le travail dans lequel il dé-
montre en s'appuyant sur près de cent observations que c'est aux
anévrysmes miliaires qu'est due l'hémorrhagie cérébrale. L'in-
fluence trophique des lésions du cerveau est nettement prouvée :
eschare formée surle côté paralysé dans l'hémiplégie récente; ecchy-
moses viscérales chez les apoplectiques. Enfin, par l'étude de la tem-
pérature centrale, il est permis désormais de porter le pronostic de
1 Giraldès, loc. cit., p. 35. , -
bibliographie. 137
l'hémorrhagie aussitôt après l'ictus. Toutes ces notions de si haute
valeur sont aujourd'hui devenues classiques et il semble véritable-
ment oiseux d'en parler. Nous croyons cependant qu'on nous saura
gré d'avoir indiqué où se trouvent réunis tous ces mémoires épars
dans les recueils périodiques. De plus qu'on veuille donc bien relire
le travail de M. Charcot sur les néo-membranes de la dure-mère
on y apprendra beaucoup de choses aujourd'hui oubliées ou servies
à nouveau comme neuves : pour notre part, nous avouons en toute
sincérité que sa lecture nous a été singulièrement fructueuse. Nous
passons sous silence les arthropathies des ataxiques et des hémiplé-
giques : c'est maintenant monnaie courante; il serait peut-être
bon de se souvenir de la peine que M. Charcot eût à faire accepter
ces vérités qui nous paraissent aujourd'hui élémentaires.
La deuxième partie du volume est encore toute d'actualité : elle
a trait aux recherches de M. Charcot, sur la métalloscopie, la mé-
tallothérapie et l'hypnotisme. Il fallait en 1876-1878 un certain
courage pour s'aventurer sur un terrain aussi brûlant; pour oser
aborder la physiologie de phénomènes qui semblaient ne pas plus
appartenir à la science médicale que les magnétiseurs de tréteaux
n'appartiennent à notre profession. Et pourtant là encore M. Char-
cot a su constituer un corps de doctrines s'appuyant sur des phé-
nomènes réels somatiques, indéniables, impossibles, à simuler. Et il
s'est trouvé dix ans plus tard, qu'on est venu lui reprocher d'avoir
trop multiplié les preuves. Pourquoi s'est écriée toute une école tant
de barrières élevées contre la simulation : allons de l'avant et foin
de tels obstacles. M. Charcot après avoir été un novateur trop hardi
devenait un affreux réactionnaire.,Mais l'événement a prouvé qu'il
avait eu encore une fois raison. On estbien heureux aujourd'hui que
les audacieux n'ont réussi qu'à discréditer à nouveau cettebranche
de la science, de penser qu'il existe un faisceau de recherches
devant la réalité desquelles l'esprit le plus difficile est forcé de s'in-
cliner.
Dans l'oeuvre de M. Charcot, il y a ni raisonnements vagues, ni
théories creuses : des faits corrobés autant que possible parlacons-
tatation anatomique. Le chef de l'Ecole de la Salpêtrière a su s'an-
nexer tant de contrées inexplorées avant lui qu'on ne sait trop ce
que l'on doit le plus admirer : de son labeur acharné ou des décou-
vertes qu'il a faites comme en se jouant et dont une seule suffirait
à illustrer la vie d'un homme. Gilles de la TOURNETTE.
II. Epitome des maladies mentales ; par le Dr James SHAW. Bristol,
John Wright, édit. 1892.
C'est une sorte de manuel rédigé sous forme de dictionnaire :
on comprend dès lors qu'il est bien difficile d'en donner une
analyse. Le volume comprend neuf chapitres : le premier a trait
138 bibliographie.
aux définitions et classifications des maladies mentales. - Le cha-
pitre II est un index de tous les symptômes variés des différentes
formes vésaniques. Le chapitre III est un index des maladies
mentales avec leurs synonymes et leurs symptômes groupés par
maladies. Le chapitre IV traite de l'étiologie, le chapitre V du
diagnostic, le chapitre VI du pronostic, le chapitre VII de l'anato-
mie pathologique et de la pathogénie, le chapitre VIII de la théra-
peutique et de l'hygiène. Enfin, un neuvième chapitre a trait à
l'exposé de la législation et des questions médico-légales relatives
aux maladies mentales. 1 J. Séglas..
III. Leçons du mardi à la Salpétrière, par M. le professeur CHARCOT.
Policlinique de 1887-1888. Notes de cours de MM. Blin, J.-B. Char-
cot et II. Colin. Paris, in-4°, 1892. Seconde édition. Aux bureaux
du Progrès Médical.
Le livre est connu. Il présente, ainsi que chacun sait l'image de
la clinique (imaginem belli) avec toutes ses surprises et ses com-
plexités. Nous avons déjà insisté sur les analyses symptomatiques
du maître, ses procédés de diagnostic, ses méthodes de traite-
ment. A cette époque, il s'agissait de la première édition.
Ce sont cette fois les.vingt-six premières leçons qui paraissent
en seconde édition. Comment analyser une minutieuse étude ?
Comment surtout reproduire le mécanisme intellectuel du profes-
seur aux prises avec l'imprévu ? Les dix volumes des leçons ex
cathedra de M. Charcot, réunies jusqu'ici par M. Bourneville,
sont, pour tout dire en un mot, complétés par cette introduction
merveilleuse à la clinique neuro pathologique, par cette clinique
pratique enseignée par l'exemple. Desfigures, tableaux, etschémas
en grand nombre animent ce cadre vécu. C'est de la leçon de
choses parlée. Telle une peinture reflétant les coups de pinceau du
compositeur, en l'examinant on apprend soi-même à peindre.
Ajoutons que cette seconde édition est supérieure à la première
non pas seulement par le remaniement fait par le maître du con-
texte didactique, mais encore par la forme plus agréable-et plus
soignée de -l'impression. '
Nous croyons ne pas nous tromper en prédisant un succès pro-
gressif à ce volume. ' P. KERAVAL.
IV. Contribution à l'étude anatomique et clinique de l'acromégalie;
par le Dr G. Duchbsneau. Th. Lyon. J.-B. Baillière, Paris, 1892.
L'auteur nous expose l'histoire clinique et anatomique d'un cas
observé par lui, qui diffère un peu du type morbide exposé par
M. Marie, et à ce propos le compare aux observations parues
depuis la thèse de M. Souza-Leite, qui en 1890 résumait l'état de
la question. ,
bibliographie. 139
Ce qu'il y a de particulier dans le cas de M. Duchesneau, c'est
qu'on constatait une atrophie musculaire des membres supérieurs
et inférieurs. Pour ces derniers, elle était masquée par de la lipo-
matose, et de plus elle entraînait une attitude pseudo-paralytique
du pied en varus équin. L'atrophie musculaire était survenue
d'assez bonne heure. Elle amena rapidement une gêne des mouve-
ments de flexion et d'extension du rachis, et s'accompagna de vio-
lentes douleurs à la nuque. Elle se développa vite et à la fin de la
vie elle était généralisée. Deux autres cas de M. Guliac et de
M. Claus sont à rapprocher de cette observation. ,
L'examen anatomique de la malade a été fait avec le plus grand
soin et tous les tissus ont été étudiés, ainsi que tous les appareils.
L'auteur a été amené à conclure que les lésions du squelette dans
l'acromégalie sont toutes conditionnées. par la lésion du tissu
osseux, qui, dans ce cas, consiste dans l'envahissement de la pres-
que totalité des os à moelle rouge persistante par le tissu osseux
d'origine médullaire, ou tissu spongieux. Il considère l'amyotro-
phie comme caractérisant une forme particulière d'acromégalie,
dont la production est d'ailleurs toute occasionnelle. Sa raison
d'être serait dans la compression des nerfs rachidiens, 'dans des
trous de conjugaison, dans le cas de lésions osseuses rachidiennes
excessives, compression qui entralne les douleurs observées dans ce
cas. La dégénérescence des muscles joue de son côté un certain
rôle dans les déformations observées. '
Cette thèse, quoique ne renfermant qu'une observation, est fort
intéressante en raison d'abord des phénomènes particuliers et
exceptionnels qu'on y rencontre, et d'autre part à cause du soin
avec lequel l' étude anatomique en a été faite. Un fait bien observé
vaut mieux que cent étudiés superficiellement. P. S.
V. Clinique des maladies du système nerveux; par M. le professeur
CHARCOT. Publiée par G. Guinon. - Tome I. Paris, in-8°, 1892.
Aux bureaux du Progrès Médical.
La médecine vit de l'expérience. Mais l'expérience ne fait pas
toujours un bon médecin. Pour que l'expérience produise un bon
clinicien, il faut que la science de l'observation soit méthodique-
ment développée, et qu'au centre de l'observation (empirisme ra-
tionnel) le clinicien sache mettre l'ensemble des connaissances de
tous ordres qu'exigent les choses de l'humanité. A ces conditions,
mais à ces conditions seules, le médecin qui persiste à travailler
progresse, sinon, voir beaucoup n'est pas synonyme de voir bien.
L'adaptation judicieuse et rapide des connaissances acquises à un
cas particulier c'est le génie médical, dans son cadre clinique;
l'esprit de généralisation qui permet d'en extraire des méthodes,
.c'est le génie médical dans son essor scientifique. Ces qualités,
140 bibliographie.
M. Charcot les possède au plus haut degré. C'est ainsi qu'il sait
discerner d'entre les nouvelles doctrines la notion ou le fait fruc-
tueux pour le présenter pour l'avenir. Sans faiblesse il exerce un
jugement toujours sain; avec une vigueur réfléchie il développe
chez sesauditeurs l'esprit de progrès et marche lui-même de l'avant.
Telles sont les réflexions qui nous venaient à la lecture de cette
nouvelle série de leçons cliniques. Elles se présenteront sans nul
doute à l'esprit du lecteur qui voudra bien s'arrêter sur le dia-
gnostic de la maladie de Morvan, l'hystéro-traumatisme, les trem-
blements hystériques, la migraine ophtalmique, l'oedème bleu
des hystériques, l'analyse de la sciatique double avec atrophie
musculaire, l'ophtalmoplégie externe, la syringomyélie, la para-
lysie diabétique, l'hystérie mâle, le syndrome de Weber, la syphilis
cérébrale, les formes frustes de la sclérose en plaques. Ce volume,
publié par les soins de M. Georges Guinon, est donc précieux à
tons égards. P. KERA VAL.
VI. Les troubles du langage chez les aliénés ; par J. Séglas. Paris,
1892. (Bibliothèque médicale Charcot-Debove.) J. Rueff et Cie,
édit.
Le langage est, comme nous l'avons dit ailleurs, le seul moyen
dont l'homme dispose pour exprimer ses désirs et ses pensées,
aussi bien, est-ce presque exclusivement, par l'appréciation des
signes qui le constituent que nous jugeons chez les autres de l'état
de leur activité psychique. A ce point de vue l'étude des troubles
du langage, considérés en général, forme donc le chapitre le plus
important de la psychiatrie. Cependant, jusqu'à présent, nous ne
possédions pas de travail d'ensemble sur cette question; c'est pour-
quoi le livre de M. Séglas, en comblant heureusement cette lacune,
rendra un incontestable service, non seulement aux médecins alié-
nistes en particulier, mais encore à tous ceux, et ils sont nombreux
actuellement, qui s'intéressent aux choses de la psychologie.
L'auteur divise tout d'abord les troubles du langage chez les
aliénés en troubles du langage, parlé, écrit, et mimique. Ceux-ci
sont distingués successivement, selon qu'ils résultent : de troubles
de la fonction du langage, et de troubles de la parole. *
En ce qui concerne le langage parlé, qui, il est aisé de le com-
prendre, prête aux développements les plus longs, M. Séglas décrit
successivement les dyslogies par modifications de la rapidité, de la
forme, de la syntaxe et du contenu du langage; puis les dyspha-
sies organiques, sur lesquelles il insiste peu, le sujet intéressant
plutôt les neurologistes que les psychiatres, et les dysphasies fonc-
tionnelles : amnésies verbales transitoires, hallucinations verbales,
impulsions verbales. Dans les dyslalies, il reconnaît celles qui tien-
nent : à une éducation défectueuse de la parole, à des malformations
bibliographie. 141
congénitales ou accidentelles, à des maladies du système nerveux
central ou périphérique, enfin à ce qu'il appelle des laloneuroses
spasmodiques (aphthongies résultant de crampes dans le domaine
de l'hypoglosse).
, La même division sert de guide en ce qui a trait au langage
écrit, et l'auteur y passe en revue : les troubles résultant de désor-
dres intellectuels généraux, les dysgraphies proprement dites,
organiques et fonctionnelles, entrant à l'occasion de celles-ci en des
développements particulièrement intéressants sur l'écriture auto-
matique, enfin les troubles de la formation des signes graphiques,
par vice d'éducation, par malformation des membres, par mala-
dies nerveuses, et par grapllonévroses (crampe des écrivains).
Quelques pages très curieuses sont consacrées aux dessins des alié-
nés.
Les troubles du langage mimique forment la troisième partie de
l'ouvrage, et nous y trouvons des aperçus sur la mimique à l'état
statique, de repos, et dynamique d'expression.
Cette analyse succincte donne à peine l'idée des difficultés vrai-
ment considérables, que M., Séglas a dû surmonter pour mener
la tâche qu'il a entreprise à bien, car il est certain que nous pos-
sédons dans ce volume une monographie synthétique, et aussi
complète que le permettaient l'accord des limites imposées à l'au-
teur avec la clarté nécessaire à un ouvrage d'enseignement, mono-
graphie à laquelle on ne saurait adresser .que des critiques de dé-
tail. Plutôt que de les formuler, nous préférons indiquer les parties
les plus originales de l'ouvrage, comme le paragraphe consacré aux
troubles du langage chez les mélancoliques, avec hallucinations
verbales psycho-motrices, et aux dysgraphies fonctionnelles.
Ajoutons, en terminant, qu'un style aisé et clair, contribue pour
sa part à rendre attachante la lecture de ce livre. Paul BLOCQ.
VII. Syphilis du système nerveux; par le Dr W. GijKOEWicH,
Paris, 1892. J.-B. Baillière et fils, édit.
L'auteur a entrepris de grouper en une étude commune toutes
les données, dès longtemps accumulées sur les déterminations de
la syphilis sur'le système nerveux. Il expose dans des chapitres dis-
tincts d'une part ce qui a trait à l'anatomie pathologique, l'étiolo-
gie, au diagnostic et au traitement considérés en général, d'autre
part il trace les descriptions successives, celles-ci intercalées dans
ceux-là, la syphilis de l'encéphale, de la moelle et des nerfs péri-
phériques en particulier. Aussi l'auteur aurait-il fait une monogra-
phie complète, s'il nous avait parlé de l'influence provocatrice de
la syphilis sur certaines névroses, des types cliniques ainsi déter-
minés, et des difficultés de diagnostic parfois soulevées en ces cir-
constances. Peut-être serions-nous tentés de lui reprocher de
142 VARIA.
n'avoir pas osé prendre parti, dans les débats actuellement pen-
dants sur les rapports de la vérole avec le tabes et la paralysie gé-
nérale. Mais, ces réserves faites, nous sommes tout à fait à l'aise,
pour dire le grand bien que nous pensons de ce volume, ou M. Gaj-
kiewicz a su réunir le suc, pour ainsi dire, des travaux les plus
importants parus sur la matière, avec un sens critique dont on ne
le saurait trop louer. Paul BLOCQ.
VARIA
Statuts DE la SOCIÉTÉ DE patronage DES aliénés sortant DES
asiles PUBLICS DU département DE la SEINE
L'an dernier nous avons soumis à la Commission de sur-
veillance des asiles de la Seine un rapport sur la création
d'une Société de patronage pour les aliénés sortant guéris ou
améliorés des asiles publics du département. La discussion
s'est terminée dans la séance du 30 juin dernier par le vote
des statuts suivants, qui ne sont que la reproduction, avec
quelques modifications secondaires, du projet de statuts qui
terminait notre rapport sur la même question au Conseil su-
périeur de l'Assistance publique.
Titre premier. - l3ut de la Société.
ART. 1. - La Société de patronage fondée à Paris, en 1892, a pour
but : 1° de venir en aide aux aliénés et épileptiques indigents ou
nécessiteux, majeurs ou mineurs, pensionnairesdelaSeine sortis des
asiles publis ou des quartiers d'hospice ; 2° de combattre les pré-
jugés relatifs à l'hospitalisation des aliénés, à l'incurabilité et au
traitement de l'aliénation mentale. Le concours de la Société
s'étend aux enfants des aliénés et au besoin à leurs proches. »
Titre Il. - Composition de la Société.
ART. 2. La Société se compose de membres perpétuels (ou fon-
dateurs), de membres titulaires, de membres adhérents et de mem-
6res auxiliaires. Le titre de membre adhérent appartient aux per-
sonnes qui paieront une cotisation de 5 francs. Le titre de membre
- perpétuel ou fondateur s'acquiert par le don fait à la Société d'un
capital de 200 francs au minimum.
VARIA. 143
Le titre de membre titulaire est acquis à toute personne payant
une souscription de 20 francs au moins. Le titre de membre auxi-
liaire appartient aux personnes qui sans effectuer aucun versement
sont chargés de visiter un certain nombre d'anciens aliénés, de
leur porter des encouragements et au besoin des secours.
Titre III. Administration.
Aar. 3. -La direction de la Société est confiée à un Conseil d'ad-
ministration, composé de membres de droit et de membres élus.
Les membres de droit sont : 1° le préfet de la Seine, le président
du Conseil général de la Seine, le président du Conseil municipal
de Paris, présidents d'honneur de la Société ; 2° le directeur chargé
des affaires départementales de la Préfecture de la Seine ; 3° le
directeur, le médecin directeur et les médecins chefs de service de
chacun des asiles ou quartiers d'hospice de la Seine.
Les membres élus sont au nombre de trente : 1° trois élus par le
Conseil général de la Seine ; 2° trois élus par la commission de
surveillance des asiles publics d'aliénés de la Seine; 3° vingt-quatre
élus par l'assemblée générale annuelle.
Les membres élus du conseil d'administration sont renouvela-
bles par tiers tous les ans. Le tirage au sort désigne ,les membres
sortants pendant les deux premières années. Après la troisième
année, les membres élus sortiront par voie de roulement. Ils peu-
vent être réélus.
Anx. 4. Le Conseil d'administration choisit dans son sein; après
chaque renouvellement, un président, deux vice-présidents, deux
secrétaires, un trésorier et un Comité de direction, composé de dix
membres. Use réunit sur la convocation du président, chaque fois
que les besoins de la Société l'exigent. Il peut, après avis du con-
seil d'administration, accepter des dons et legs, acquérir, vendre ou
échanger des immeubles, faire des constructions nouvelles, em-
prunter et hypothéquer, ester en justice, plaider et transiger, sous
les conditions prévues par la loi.
Les délibérations relatives aux acceptations des dons et legs, aux
acquisitions, aliénations ou échanges, aux emprunts ou hypo-
thèques devront être soumises à l'approbation du gouvernement.
AnT. 5. - Le comité de direction se réunit tous les mois, et, en
outre, toutes les fois que les besoins de la Société l'exigent. Il est
chargé de la gestion matérielle et morale de la Société, de l'en-
semble et des détails de son administration. Il prépare les comptes
et les budgets de la Société et donne son avis sur toutes les ques-
tions qui lui sont soumises par le conseil d'administration. Le
comité de direction peut délibérer à la majorité des voix. La voix
du président est prépondérante. Le président du conseil d'admi-
nistration (ou en cas d'empêchement un des vice-présidents) est
144 VARIA.
président de droit du comité de direction. Le secrétaire et le tréso-
rier du conseil d'administration sont de droit secrétaire et tréso-
rier du comité de direction.
ART. 6. Le président, ou un membre du conseil d'adminis-
tration délégué par lui, remplit les fonctions d'ordonnateur, et, à
ce titre, signe et délivre tous mandats pour l'acquittement des
dépenses.
ART. 7. Les attributions du secrétaire du conseil d'adminis-
tration et du comité de direction, consistent principalement dans
la rédaction des procès-verbaux, des délibérations du conseil d'ad-
ministration, du comité de direction et des assemblées générales. Il
assiste à toutes les séances, et en cas d'empêchement, il adresse au
président, et avant la séance, le registre des délibérations. Il signe
avec le président du conseil d'administration et du comité de direc-
tion les procès-verbaux de ce conseil, du comité et des assemblées
générales, ainsi que tous extraits à délivrer des procès-verbaux. Il
a, en outre, la surveillance des archives qui sont déposées à l'asile
Clinique.
ART. 8. Les ressources de la Société se composent : 1° des coti-
sations des membres des différentes catégories ; 2° des revenus de
toute nature provenant des biens et valeurs lui appartenant ;
3° des subventions allouées par l'Etat, le département ou les com-
munes ; 4° du produit des loteries, bals, concerts, matinées, ker-
messes, vente de bienfaisance, conférences, etc. ; 5° d'une part des
bonis réalisés par les asiles; 6° des dons et legs dont l'acceptation a
été autorisée par le gouvernement ; 7° du produit des troncs placés
dans les asiles.
ART. 9. - Le trésorier est chargé de la perception des produits
et revenus de la Société et du payement des dépenses. Il pourra
être rétribué. Il représente la Société en toutes circonstances;
mais il ne peut agir qu'en vertu des délibérations spéciales du con-
seil d'administration.
Il rend compte de sa gestion à la fin de chaque année au con-
seil d'administration, lui soumet le budget de l'année et fait con-
naître tous les mois au comité de direction l'état de la caisse et la
situation financière de la Société. Il vise toutes les pièces de comp-
tabilité ; il signe, en vertu d'autorisations spéciales du conseil
d'administration, toutes les ventes, transferts de fonds publics, tous
achats, ventes ou échanges d'immeubles, tous baux et marchés.
Il représente la Société dans tout ce qui a rapport aux affaires
contentieuses et dans les affaires judiciaires; mais en ce cas il ne
peut agir qu'en vertu d'une délibération spéciale du conseil d'ad-
ministration. Il tient deux registres, l'un pour l'inscription des re-
cettes et dépenses de la Société, et l'autre pour celle des titres et
valeurs, dont il a le dépôt et la garde.
VARIA. 145
ART. 10. - La comptabilité de la Société est tenue conformé-
ment aux principes suivis pour les établissements publics de bien-
faisance.
ART. Il . L'action financière commence le 1er janvier et finit
le 31 décembre inclusivement.
ART. 12. Les fonds libres seront placés dans des caisses pu-
bliques, jusqu'à leur emploi définitif.
Les excédents de recettes qui ne sont pas nécessaires aux besoins
de la Société seront placés en valeurs ou en fonds publics françasi,
Titre VI. Des secours. - Maison de la rue de Charenton.
Asile ouvroir de la rue Fessard.
ART. 13. Des secours proportionnés aux ressources de la So-
ciété sont distribués soit à domicile, soit à la maison annexe des
Quinze-Vingts, rue Charenton ou du refuge-ouvroir municipal de
la rue Fessard, soit en nature ou en argent, par les soins du co-
mité de direction aux patronnés, tant hommes que femmes et
enfants.
ART. 14. Le garde-magasin est chargé de l'acquisition et du
dépôt des objets en nature destinés aux aliénés sortis. Il en fait la
distribution sur autorisations signées par l'un des membres du
comité de direction et par le membre de la Société qui a visité le
patronné, ou par le directeur et le médecin en chef intéressé de
l'asile. Il tient écriture sur un carnet spécial des entrées et des
sorties de ces objets.
ART. 15. Aucun secours ne peut être payé sans avoir été au-
torisé par le comité de direction à l'exception toutefois de celui
qu'il serait urgent de délivrer au moment de la sortie de l'asile de
traitement. Dans ce cas le maximum du secours est fixé à 20 francs.
A'RT. 16. - Les secours moraux sont donnés aux patronnés par
tous les membres de la Société. Ils s'informent de l'état moral des
patronnés et font connaître aux médecins ou au président du
comité de direction les irrégularités de caractère et les troubles de
l'intelligence qui leur ont été signalés et distribuent les secours en
nature et en argent, lorsqu'ils en sont chargés par le comité.
ART. 17. Les fonctions des médecins de la Société consistent
en des consultations qu'ils donneront ou des visites qu'ils feront à
ceux des patronnés et à leurs enfants appartenant à leur circons-
cription qu'ils ont visités eux-mêmes ou qui leur sont signalés. Ces
fonctions peuvent être rétribuées par décision spéciale du comité
de direction.
Archives, t. XXIV. 10
146 VARIA.
Titre V. Dispositions générales.
ART. 18. - Une assemblée générale de tous les membres de la
Société a lieu au moins une fois chaque année. Le comité de direc-
tion y expose la situation morale et financière de la Société et rend
compte des résultats obtenus. Les exemplaires du compte rendu
sont adressés à M. le ministre de l'intérieur, à M. le préfet, aux
conseillers généraux et aux membres de la commission de surveil-
lance.
ART. 19. L'assemblée générale annuelle est annoncée huit jours
au moins à l'avance. Les lettres de convocation, indiquant le jour,
l'heure et le lieu de la réunion, ainsi que l'ordre du jour, sont
adressées à tous les membres de la Société.
ART. 20. - L'assemblée procède, d'après les dispositions de l'ar-
ticle 3, au remplacement des membres du conseil d'administration
décédés ou ayant cessé de remplir leurs fonctions. z
Dans la même séance, l'assemblée délibère- d'ailleurs, quel que
soit le nombre des membres présents, sur toutes les questions qui
lui sont soumises par le comité de direction dans l'intérêt de la
Société.
ART. 21. Dans le cas où la Société cesserait d'exister, les im-
meubles, meubles, capitaux et autres valeurs lui appartenant
deviendraient la propriété du domaine départemental avec affec-
tation spéciale au bien-être des aliénés. '
ART. 22. - Nul changement aux présents statuts ne pourra être
proposé au gouvernement que d'après l'avis de l'assemblée géné-
rale émis à la majorité des deux tiers des membres présents.
Voilà un premier pas dans la voie de la réalisation de cette
réforme, si nécessaire pour les malades, si utile pour les
finances du département puisqu'on évitant des rechutes elle
contribuera à alléger les dépenses si lourdes du service des
aliénés. Il est vivement à souhaiter que l'exemple donné par
le département de la Seine soit promptement suivi. Il appar-
tient à M. Monod, directeur de l'assistance publique en France,
de donner des instructions pressantes aux préfets et aux direc-
teurs des asiles pour que chaque département soit pourvu
d'une société de patronage. C'est par des réformes de ce genre
qu'on démontrera à tous l'utilité, pour nous\ incontestable,
d'une direction de l'Hygiène et de l'Assistance publiques. B.
VARIA. 147
Congrès annuel DES médecins aliénistes DE France
ET DES pays DE langue française.
SESSION DE BLOIS 1892.
Programme.- Lundi 1eraotU 1892.A 2 heures du soir, séance
d'ouverture : Nomination du bureau, discussion de la première
question du programme (du délire des négations).
Mardi 2. - A. A 9 heures du matin, deuxième séance : Discus-
sion de la deuxième question du programme (le secret médical en
médecine mentale). - B. A 2 heures du soir, troisième séance :
Discussion de la troisième question du programme (les colonies
d'aliénés).
Mercredi 3.- A. A 9 heures du matin : Visite de l'asile départe-
mental des aliénés de Blois; déjeuner offert par l'administration
de l'asile. - B. A 1 heure du soir : Visite à la prison et au bureau
de bienfaisance de l'ancien hospice des aliénés et épileptiques.
C. A 2 heures du soir : Réception des membres du congrès par la
municipalité dans la salle des Etats et visite du château de Blois.
D. A 7 heures du soir : Banquet par souscription.
Jeudi 4. Excursion aux environs de Blois ; visite des châteaux
de Chambord, Cheverny et Beauregard. Traversée des deux forêts
domaniales de Boulogne et de Russy.
Vendredi b. - A. A 9 heures du matin, quatrième séance :
Communications et discussions sur des sujets en dehors du pro-
gramme. B. A deux heures du soir, cinquième et dernière
séance : Fixation du siège du prochain congrès ; communications
et discusisons diverses. Clôture du congrès.
Samedi 6. - Excursion finale à l'asile des aliénés d'Orléans ;
déjeuner offert par l'administration.
Les séances du congrès se tiendront à l'Hôtel de Ville dans la
salle des délibérations du Conseil municipal, au premier étage, où
sera le siège du congrès depuis la veille de son ouverture jusqu'à
sa clôture. Jusque-là les lettres et tous autres documents devront
être adressés à M. le Dr DOUTREBENTE, 34, avenue de Paris à
Blois. La qualité de membre du congrès est acquise à tout doc-
teur en médecine de France ou des pays de langue française qu
verse une cotisation de 20 francs.
SOCIÉTÉ DE patronage DES aliénés.
Il existe une association de bienfaisance qui a pour titre Patro-
nage des aliénés et apoltr but de secourir, d'aider les aliénées sur la
148 VARIA.
point de sortir guéries des asiles publics d'aliénées qui n'ont aucun
moyen d'existence, pas d'amis ou de parents pour les recueillir la
plupart du temps. Cette association excellente a déjà trouvé le
moyen de faire beaucoup de bien et a empêché bon nombre d'an-
ciennes malades de se perdre dans le monde. Dans une lettre à
un contemporain, M. Charles Ford appelle l'attention sur le cas
d'un individu sorti d'un asile comme n'étant plus fou. Il ne possé-
dait pas d'effets (à part ceux de l'asile qu'il portait), pas d'amis,
pas de parents, pas d'argent ; et M. Ford continue ainsi : « Une
telle association (comme celle pour les femmes) devrait également
exister pour les hommes, car le besoin s'en fait sentir, et je serai
heureux de trouver l'occasion de coopérer à la formation d'une
Association. » Nous recommandons chaudement cette inspiration,
et nous espérons qu'en donnant une plus grande publicité à cette
idée, nous aiderons à la réalisation d'un but si louable. (British
Med. journ., 7 mai 1892.) - La commission de surveillance des
asiles d'aliénés de la Seine vient de voter, sur le rapport de
M. Bourneville, la création d'une Société de patronage pour les
aliénés sortis guéris des asiles publics de la Seine. (Voir plus haut,
p. 142, et le dernier n° des Archives, p. 262.)
LES enfants arriérés.
Cette catégorie d'êtres faibles ne peut se calculer ni se définir
par une équation, et ni les médecins ni d'autres n'arriveront à
s'entendre quant à la définition générale du terme : faibles d'es-
prit. L'on croit cependant généralement que leur nombre doit
être sérieusement pris en compte ; la société les considère comme
des ennemis pour les êtres bien doués au point de vue moral et
social. Elle les accuse d'enfanter la maladie, le vice et la pauvreté,
et de multiplier leur espèce d'une façon alarmante. Ce qu'il y a
à faire avec les arriérés est un problème de la science sociale de
la plus grande importance. Il peut être vrai que les plus faibles
sont écrasés, que la nature se débarrasse de ses éléments avortés
ou mal développés, mais quoique cet avortement soit pris au sens
moral, intellectuel et physique, ces êtres ne le sont pas quant aux
fonctions de la reproduction.
C'est là une question qui est depuis des années soumise à l'es-
prit du public sous des formes variées. Elle revient continuelle-
ment devant les assemblées sociales et économiques de nos phi-
lanthropes, elle menace de devenir une question de politique pra-
tique, et elle a largement occupé l'attention des médecins voués à
l'étude de la neurologie et de la médecine psychologique. Elle n'a
pas encore épuisé l'attention, car c'est un sujet fertile de recher-
ches pour la psychologie criminelle, et nous voyons aujourd'hui la
varia. 149
Saint-James Gazette reprenant la question « en concentrant l'atten-
tion sur les croissances qui, comme de mauvaises herbes, inquiètent
notre conscience sociale ». En agissant ainsi, elle espère trouver le
moyen de détruire quelques-unes de ces racines aux premiers
temps du développement. C'est un objet louable et bien digne de
la croisade de la presse laïque qui voudrait qu'on fit une entre-
prise digne de son autorité et de sa responsabilité, si elle soulevait
cette question sur un terrain propice. Car il est indubitable que la
presse médicale, tout en stimulant et en soutenant les affirma-
tions solennelles des journaux et des revues, n'atteint pas le mou-
vement de la grande masse politique, qui peut concourir à une
réforme sociale d'une nécessité absolue pour le bien-être de la
nation. La Gazette de Saint-James discute brièvement le problème
de la loi des pauvres et son opération heureuse. Elle fait observer
à propos qu'il existe une classe sur une grande échelle, hérédi-
taire - chez laquelle les motifs qui déterminent ordinairement la
conduite humaine, manquent presque entièrement, et un grand
nombre de pensionnaires des Workhouses appartiennent à cette
catégorie.
Ils sont des spécimens inférieurs au point de vue intellectuel,
souvent si bas dans l'échelle intellectuelle, qu'ils sont incapables de
lutter pour leur existence, même dans les rues, et leur chute ou
insuccès est souvent dû à une faiblesse morale. Ils ne travaille-
ront que lorsqu'ils se trouveront commandés par une volonté plus
forte que la leur; mais laissés à eux-mêmes, ils ne sont que les
esclaves d'instincts d'animal. C'est là une peinture bien faite de la
catégorie des « faibles d'esprit > incapables qui emplissent nos
workhouses et autres institutions de charité, et il est évident,
comme le démontre la Saint-James Gazette, que la cure de cette
grande maladie sociale n'est possible que d'une manière ou d'une
autre, soit en rétablissant le niveau intellectuel et moral, ou en
arrêtant la reproduction et en éteignant d'une façon pratique ce
type dégénéré. L'obstacle sérieux repose dans ceci, qu'ils ne sont
pas idiots, et leur imbécillité est si mal définie à un certain point
de vue, qu'il n'est pas possible de faire des certificats établissant
leurs cas comme devant être soumis au traitement restreint dans
un asile. La plupart, comme le dit la Saint-James Gazette, sont
soumis à la discipline ordinaire d'une volonté plus ferme, et ne
chercheraient pas à quitter une institution qui exercerait la surveil-
lance de leur conduite et les actes de leur vie journalière, étant
légalement enfermés dans un asile possédant le pouvoir du
« restreint > physique. Tandis que ceci est vrai pour le plus grand
nombre d'entre eux, on trouvera encore un reste panaché, plus ou
moins, avec une teinte de paralysie ou d'épilepsie, qui n'est pas
toujours aussi soumise à la discipline ou au contrôle extérieur.
C'est là une question d'investigation pour les éducationnistes, les
150 varia.
réformateurs sociaux et les médecins réunis. C'est une question
très importante et nous espérons que le journal qui a pris l'affaire
en main ne sera pas sans revenir à la charge. (Médical Press,
16 mars 1892, p. 274.)
L'an dernier, à la Société pour l'étude des questions d'assis-
tance publique, nous avons fait une communication sur ce
sujet. Nous y sommes revenu il y a quelques semaines, lors
de la visite de la commission de surveillance à l'hospice de
Bicêtre. Nous avons montré, avec des faits à l'appui, la néces-
sité d'une organisation spéciale pour cette catégorie de ma-
lades, atteints d'instabilité mentale ou d'imbécillité morale,
incapables de travailler avec un peu d'esprit de suite lorsqu'ils
sont libres, mais pouvant être utilisés quand ils sont soumis à
une certaine discipline. Suivant nous, les administrations
hospitalières pourraient les maintenir sous leur tutelle en les
soumettant à un demi-internement, en leur accordant une
demi-liberté. Ils pourraient être occupés dans les ateliers des
hospices et des asiles ou comme hommes de peine chargés de
gros travaux. ' B.
SUICIDE D'UNE aliénée.
Une vieille femme pensionnaire de l'hospice, s'est donné la mort
dans des conditions absolument particulières. Jeudi, profitant de
la faculté qui est laissée aux vieillards de l'établissement, la dame
Beauchot Ernestine, âgée de 63 ans, était sortie dans l'après-midi
pour faire une promenade ; au lieu de rentrer à l'hospice, comme
elle le devait, elle est allée, le soir venu, demander au bureau de
police un billet de logement et un bon de pain.
En raison de son âge, on ne crut pas devoir lui refuser ce qu'elle
demandait, et, munie du bon, elle se rendit chez M. Gibard, res-
taurateur, rue Chocatelle, 22, où après un repas sommaire, elle
monta se coucher dans une chambre. Hier matin, l'hôtelier, fai-
sant la revue de ses garnis, fut tout étonné d'apprendre que la
vieille n'avait pas encore quitté son gite. Intrigué au plus haut
point, en raison de l'heure avancée, il n'hésita pas à entrer dans
la chambre. -
Grande fut sa stupéfaction en apercevant le corps de la vieille
femme, suspendu à un fort câble de deux centimètres de diamètre,
se balançant dans l'espace à une infime élévation au-dessus du
plancher. Le cadavre était raide, et une main serrait encore con-
vulsivement une extrémité de la corde. Après en avoir référé à qui
de droit, M. Gibard se vit débarrassé de sa lugubre locataire dont le
corps fut réintégré à l'hospice.
varia. 151
La dame Beauchot donnait, dit-on, depuis longtemps, des mar-
ques non équivoques de dérangement cérébral, et elle avait à plu-
sieurs reprises déjà manifesté l'intention de mettre fin à ses
jours. (Petit Troyen, 27 juin.)
LESDRAMES'DR la folie.
Les journaux politiques du 25 juin annoncent que rue Blomet,
un nommé Hervé, sorti hier de l'hospice d'aliénés de Ville-Evrard,
a tué, ce matin, sa femme à coups de couteau, dans un accès de
folie furieuse.
Il s'agit d'un alcoolique qui, guéri de ses troubles intellectuels,
a été rendu à la liberté. Le jour même de sa sortie il a fait de nou-
veaux excès de boisson sous l'empire desquels il a commis son
crime.
- Depuis quelque temps, un boucher, M. Montet, établi rue Mont-
martre, donnait des signes d'aliénation mentale des plus vifs. Le
malheureux se croyait poursuivi par des ennemis imaginaires et à
diverses reprises il avait manifesté sa folie par des violences dan-
gereuses.
Or, la nuit dernière le boucher se trouvait à la brasserie, située
21, rue Paul-Lelong ; au moment où on allait fermer l'établisse-
ment et le prier de rentrer chez lui, il entra dans une colère épou-
vantable, renversa tables et chaises, et brisa les glaces et les
vitres.
Au tapage, plusieurs agents du poste de la rue de la Banque,
accoururent, mais ils eurent toutes les peines du monde à s'em-
parer du forcené qui, doué d'une force peu commune, frappait à
tort et à travers sur tous ceux qui l'approchaient.
Il fallut cinq hommes pour le réduire à l'impuissance. Après
avoir passé la nuit au poste, l'infortuné a été conduit à l'infirmerie
spéciale du Dépôt. (Le Radical.)
/
LA FOLLE DE LA RUE ÉTIENNE-MARCEL.
Au moment où hier, vers quatre heures et demie, les enfants
sous la conduite d'un professeur, sortaient de l'école communale,
rue Etienne-Marcel, une femme se dressait devant ' eux, et, bran-
dissant un revolver, criait à pleins poumons :
Le voilà, ce misérable qui est cause que j'ai des sangsues dans
le corps. Disant ces mots, elle se dirigea'vers le professeur,' M. Le-
breton, et à deux reprises différentes fit feu sur lui. Une seule balle
152 VARIA.
l'atteignit au dos et ne lui fit, grâce à l'épaisseur des vêtements,
qu'une longue éraflure.
M. Lebreton a pu tout aussitôt regagner son domicile, 50, rue
de Bretagne. La femme qui avait tiré sur lui arrêtée aussitôt, fut
conduite chez M. Véron, commissaire de police. C'est une pauvre
veuve du nom de Rosa Moos, passementière, âgée de quarante-sept
ans, demeurant 35, rue Etienne-Marcel.
Atteinte d'aliénation mentale, elle se croit dévorée par des sang-
sues que des êtres imaginaires mêlent à ses aliments. Rencontrant
M. Lebreton qu'elle ne connaît pas, elle a cru voir en lui un de ses
persécuteurs ; c'est ce qui explique son attentat qui n'aura pas,
croit-on, de suites fâcheuses. Rosa Moos a été envoyée à l'infirme-
rie spéciale de la préfecture de police. (Le Radical, 18 mai 1892.)
Assistance DES IDIOTS ET IMBÉCILES.
Paul-Alfred Mauger, âgé de vingt-huit ans, ouvrier de fabrique à
Courcelles-les-Gisors, est accusé d'avoir, le 1er septembre dernier,
à Gisors, commis un attentat à la pudeur avec violence sur une
fille D..., idiote et presque infirme. L'accusé, dont les antécédents ne
sont pas mauvais, nie la violence, que rend d'ailleurs peu vraisem-
blable la moralité de la victime. C'est sur quoi insiste le défenseur,
Me Tyssandier, qui obtient l'acquittement de son client. (Cour
d'assises de l'Eure, Vallée de l'Eure, 22 octobre 1891.)
Voilà un exemple qui montre une fois de plus la nécessité
de l'assistance et de l'hospitalisation des idiots. On laisse tran-
quillement cette idiote se livrer à la prostitution, sans réfléchir
qu'un jour ou l'autre elle peut produire un enfant qui sera à
la charge de la société, et cependant, il y a un asile d'aliénés à
Evreux, qui dispose de places, puisqu'il prend des malades du
département de la Seine. Il est vrai que ceux-ci rapportent,
tandis que l'idiote coûterait.
Le Rappel de l'Eure publie dans un de ces derniers
numéros le fait suivant :
De même que des enfants semblent nés avec l'insurmontable
manie du vol, avec celle du crime, et il en est qui naissent avec
celle du feu. C'est ainsi que peut s'expliquer la passion du f ls hiau-
duit, âgé de six ans, qui, à huit jours d'intervalle, a mis le feu à la
paillasse du lit de son père et à un tas de paille contenu dans une
grange, située à Villers-sur-le-Roule.
Ce jeune enfant, très mal noté à l'hospice de Louviers où il a
varia. 153
été élevé, fait le désespoir de son père, un excellent ouvrier resté
seul avec trois bouches à nourrir. Le premier des incendies a été
éteint sans causer de dégâts, le dernier a détruit pour 40 fr. environ
de foin et cause au propriétaire du bâtiment une perte de 70 fr.
Au lieu d'hospitaliser à temps les enfants de cette catégorie
dans des asiles médico-pédagogiques, on préfère dépenser de
l'argent pour eux dans des maisons de corrections ou les pri-
sons, sans compter les préjudices qu'ils ont occasionnés.
Une dépêche du Puy, en date du 3 février, parue dans les
journaux politiques, annonce qu'un pauvre garçon d'une vingtaine
d'années a été trouvé enfermé dans une écurie appartenant aux
nommés Pompel, à Morand (Haute-Loire).
Cet enfant, né des relations incestueuses du frère et de la soeur,
presque idiot, avait été enfermé dans ce bouge, où, pendant plus
de dix ans, il a croupi sur un tas de fumier et sur ses propres
excréments. Il a été emmené à l'hospice de Bas. Les Pompel ont
été arrêtés. '
Ce fait, lui aussi, prouve combien les administrations dépar-
tementales sont coupables en négligeant d'hospitaliser les
idiots.
Le Républicain Orléanais du 9 août 1891, a publié un
extrait du rapport de M. le Dr Riu relatif au service des
aliénés empreint, dit-il, d'un touchant esprit d'humanité et
que nous croyons utile de reproduire.
Neuf femmes ont été réintégrées après sortie par guérison ou
amélioration ; deux sont venues par transfert. L'un de ces trans-
ferts suscite quelques réflexions, que je soumets à la bienveillante
attention de M. le préfet et à MM. les membres du conseil gé-
néral.
Le domicile de secours ne s'acquiert qu'après la majorité et par
une résidence d'une année au moins dans une localité ; mais pour
les mineurs les secours incombent toujours au département où la
naissance a eu lieu, et cela aboutit à des résultats véritablement
inhumains. En effet, soit que les parents se déplacent avec toute
leur famille, soit que la naissance ait eu lieu, par un de ces
hasards qui peuvent se rencontrer autre part qu'au domicile habi-
tuel de la mère, les enfants ont leur domicile de secours dans le
lieu où ils sont nés; et si, avant la majorité, pour n'importe
quelle raison, infirmité cérébrale, congénitale ou acquise, épilep-
tique, folie à la puberté, etc., il y a nécessité de les faire admettre
dans un asile d'aliénés, ils seront sans pitié séparés, de leurs
154 varia.
parents et transférés à l'asile du département où ils sont venus au
monde, département parfois bien éloigné.
Quelques enfants, d'après la nature de l'affection, n'en éprou-
veront jamais grande peine et grand souci, certains seront dans le
cas d'en ressentir un violent chagrin, d'autres enfin seront dans
l'impossibilité de profiter de la proximité et des visites des parents
pour être consolés dans leur affliction et encouragés dans leur
convalescence. Ils seront pour ainsi dire des enfants perdus dans
un milieu indifférent. Il manquera au médecin lui-même un réel
moyen d'action dans le traitement; il ne pourra pas juger du
travail intellectuel ou l'exciter encore en mettant en oeuvre ces
douces paroles du grand poète : Suscipe, parue puer, risu cognos-
cere matrem qui trouvent bien ici leur application. Mais si les en-
fants ne sont pas toujours les plus à plaindre, il n'en est pas de
même pour les parents. A l'occasion de ces dures séparations né-
cessitées par des règlements cruels, nous, comme beaucoup de nos
confrères, avons vu, à Orléans même, bien des larmes couler.
Certains départements ont été émus d'une telle situation. La
Seine en particulier où il y a beaucoup d'enfants dans cette caté-
gorie a passé des conventions avec les départements d'origine et
n'a pas hésité, vu le prix de la journée, très élevé dans ses asiles,
à s'imposer des sacrifices énormes pour atténuer cet état fâcheux
de la législation.
« Il est, disait M. le Dr Bourneville au Conseil général de la
Seine, en 1878, une catégorie particulière d'aliénés transférés, sur
lesquels votre commission croit convenable d'appeler les réflexions
de l'administration. Nous voulons parler des aliénés qui, nés dans
d'autres départements que le nôtre et ayant toute leur famille à
Paris, sont encore mineurs et, par conséquent, n'ont pas acquis
droit de domicile à Paris. Réclamés légalement par leur départe-
ment d'origine, ces malheureux sont transportés dans des asiles
plus ou moins éloignés, séparés entièrement de leurs parents.
Quelquefois ceux-ci, prévenus à temps, reprennent leur malade, si
sa situation, n'offrant aucun danger pour la sécurité publique,
permet de le leur rendre. Qu'arrive-t-il bientôt ? C'est que la ma-
ladie s'aggravant, les parents sollicitent une nouvelle admission
dans nos asiles et l'enfant y séjourne jusqu'à ce que surgisse une
nouvelle demande de transfert. L'enfant fait la navette entre sa
demeure et l'asile. N'y aurait-il pas moyen de faire disparaître
cet inconvénient, très préjudiciable aux malades et aux fa-
milles ?
* Le département de la Seine ne pourrait-il pas garder dans ses
asiles les malades mineurs dont les parents habitent Paris ou le
département depuis plusieurs années ? Le département de la Seine
réclamerait au département d'origine les frais de séjour au taux
VARIA. 155
de la journée dansle propre asile de celui-ci et supporterait la dif-
férence entre le prix de la journée dans ses asiles et celui de l'asile
du département d'origine. »
La question ne fut définitivement résolue qu'en 1881 : l'admi-
nistration préfectorale mit alors à exécution le voeu formulé par
le Conseil. Depuis cette époque les aliénés mineurs nés en dépar-
tements étrangers et dont les parents habitent Paris depuis deux
ans au moins, sont maintenus dans les asiles de la Seine, au
compte du département d'origine, qui rembourse l'entretien au
taux de la journée dans son asile, le surplus étant supporté par la
Seine.
Si j'ai tant insisté sur ce sujet avant de demander au Conseil
général la même mesure dans le Loiret, on pourrait croire qu'elle
peut entralner une dépense élevée pour le département. Les
termes mêmes du rapport de M. Bourneville indiquent qu'il n'en
est pas ainsi.
C'est une mesure qui sera applicable à peu d'enfants. Cette
mesure essentiellement humanitaire ne trouvera peut-être pas
d'application durant certaines années; mais, une fois adoptée,
l'administration sera en mesure, le cas échéant, d'empêcher des
familles malheureuses d'être plongées dans une grande déso-
lation.
Depuis dix-huit mois, nous avons la jeune G..., n° 2,384, et plus
récemment la jeune A..., n° 2,478, qui auraient pu bénéficier de
cette mesure en restant dans les asiles de la Seine, tandis que
leurs parents demeurent à Paris. La mère de l'une s'impose les
plus grands sacrifices pour venir la voir tous les six mois ; l'autre
ne sera probablement jamais visitée par ses parents, trop pauvres
pour faire la dépense du voyage.
A propos de cette demande de M. le docteur Riu, le rapport
préfectoral s'exprime ainsi : '
« Le prix très élevé demandé par les asiles de Paris ou de la
banlieue ne permet pas au Loiret qui supporte les frais de l'inter-
nement, de céder à cette considération humanitaire. La proposi-
tion de M. le Dr Riu ne pourrait donc être accueillie que dans le
cas où l'administration préfectorale de la Seine voudrait bien con-
tinuer l'application d'une mesure qu'elle avait prise en 1881, et
qui consisterait à maintenir dans ses asiles, au même prix que
celui exigé par l'asile du département où l'enfant aliéné a son
domicile de secours, tout jeune malade dont les parents réside-
raient depuis deux ans au moins à Paris ou dans les environs.
J'aurai soin, le cas échéant, de faire une démarche dans ce sens
auprès de mon collègue de la Seine. »
La proposition de M. le Dr Riu, reproduisant, ainsi qu'il le
156 VARIA.
rappelle, la proposition que nous avons fait adopter dans le
temps par le Conseil général de la Seine, mérite d'attirer
sérieusement l'attention des médecins-directeurs des asiles
publics de France. Mieux que les préfets en effet, ils sont en
mesure d'observer les graves inconvénients- qui résultent des
transferts des enfants de leur département d'origine, loin de
leurs familles. C'est aux médecins-directeurs de plaider la
cause de ces malheureux dans le compte moral qu'ils adres-
sent à l'administration préfectorale à propos du budget de
leurs établissements. C'est pour les aider dans cette tâche que
nous revenons sur cette question. M. Boegner, préfet du
Loiret, a répondu que la proposition de M. le Dr Riu ne
pouvait être accueillie que si le département de la Seine vou-
lait bien continuer l'application de la mesure prise en 1881,
et qui consiste à maintenir dans ses asiles, au même prix que
celui exigé par l'asile du département où l'enfant a son domi-
cile de secours, tout jeune malade dont les parents résident
depuis deux ans au moins à Paris ou dans les départe-
ments t.
Nous répondrons à M. le préfet du Loiret que le départe-
ment de la Seine a maintenu sa décision et qu'il ne réclame
au département d'origine que le prix de journée que son dé-
partement paie dans son asile, prenant à sa charge le surplus
de la dépense. Il lui est donc loisible, puisqu'il est si bien
disposé, de maintenir dans les asiles de la Seine les enfants
originaires du Loiret qui remplissent les conditions fixées par
le Conseil général de la Seine. L'occasion s'en présente dès
maintenant au sujet d'un enfant, Marie Beyn..., hospitalisée
à la Fondation Vallée, annexe de l'hospice de Bicêtre.
Si les préfets étaient exactement renseignés par la direction
de l'hygiène et de l'assistance publique de France, il y a long-
temps que la mesure humanitaire prise par le Conseil général
de la Seine serait appliquée. En le faisant, M. Monod accom-
plirait une oeuvre utile et rendrait service à de nombreuses
familles. B.
FAITS DIVERS
Asiles D'ALIÉNÉS. - Le Dr NicoULAN, médecin-adjoint à l'asile
public de Saint-Yon (Seine-Inférieure), est promu à la classe excep-
tionnelle, à partir du 1er mai. (Arrêté du 12 mai 1892.) - Le
Dr CAiLLAu, directeur-médecin de l'asile public de Saint-Lizier
(Ariège), nommé médecin en chef de l'asile public de Castillac
(Gironde), est compris dans la 2e classe. Le Dr Belle, directeur-
médecin, est nommé de l'asile public de Sainte-Catherine (Allier),
à l'asile public de Saint-Lizier et maintenu à la 2e classe. - Le
Dr NoLÉ, médecin-adjoint à l'asile public de Braqueville (Haute-
Garonne), est nommé directeur-médecin de l'asile public de
Sainte-Catherine (Allier) et compris dans la 3e classe. l'Arrêté du
22 juin.)
Asile d'aliénés DE la VILLE de LONDRES A STONE. Le rapport
fait pour l'année 1891 établit que la situation sanitaire des ma-
lades a été bonne. Les décès, comme pour les années précédentes,
furent au-dessous de la moyenne, c'est-à-dire : 4,34 p. 100 du
nombre de malades en traitement, contre 8,19 p. 100 dans les
autres asiles.
Pour ce qui a rapport à l'admission de malades privés (parti-
culiers), on a émis le voeu qu'on donnât toutes facilités aux per-
sonnes résidant à Londres ou à proximité pour permettre aux
familles de placer leurs parents dans n'importe quel asile, et on
vota cette résolution, que l'on recevrait des malades particuliers
au taux d'une guinée par semaine. Les dépenses, pour l'année,
s'élevèrent à 17.400 livres sterling. (The Lancet, 7 mai 1892.)
Asile d'état POUR les épileptiques. - Un millier d'épileptiques
sont attendus pour entrer dans l'asile pour les épileptiques qui
vient d'être érigé à Gallipolis, O. C'est la première institution de ce
genre érigée dans cette contrée. (Médical Record, 11 juin.)
Asile d'idiots A EARLSwooD , BEDHILL. Le rapport annuel
montre que, pendant l'année dernière, le travail a été en progrès
constant dans toutes les décisions de cet établissement. Il y a été
fait des admissions de toutes les classes de la société.
Des modes d'enseignement, à la fois physique et mental, ont été
couronnés d'un succès complet, et 2,810 malades ont été traités
depuis 45 années que cet établissement existe. La fête anniver-
158 FAITS DIVERS.
saire a eu lieu à l'hôtel de Savoie, sous la présidence de M. Alder-
man Faudell Phillips. Dans les différents toasts portés à « l'asile
d'Earlswood, au conseil de direction et au personnel », le président
a, dans des termes chaleureux, vivement remercié le public pour
son concours pécuniaire. Les souscriptions annoncées se sont
élevées au delà de 2,000 livres sterling. (The Lancet, 7 mai 1892).
Faculté DE médecine DE Paris. - M. Gilbert Ballet, agrégé près
la Faculté de médecine de Paris a été chargé d'un cours de cli-
nique de pathologie et des maladies de l'encéphale à ladite Faculté,
pour suppléer M. Bail, qui est en congé sur sa demande, pour
cause de maladie.
Hospice de la Salpêtrière. - M. le Dr Aug. Voisin a repris ses
conférences cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, le
dimanche 19 juin à dix heures du matin, et les continuera les
dimanches suivants à la même heure.
Clitoridectomie. - Cette opération, dit le Médical Standard (de
Chicago), de juin, a été pratiquée fréquemment dans le traite-
ment de la nymphomanie. Au point de vue de la psychiatrie cette
opération n'est pas bien fondée, excepté dans les cas où il y a une
irritation locale bien nette. Les femmes égyptiennes sont clitori-
dectomisés dans l'enfance, et cependant le Dr Peterson (Médical
Record) a trouvé que la nymphomanie était fréquente parmi
elles.
NÉCROLOGIE. '- « Tu. MEYNERT, professeur de psychiatrie à
l'Université de Vienne est décédé en celte ville le 31 mai dernier.
La science médicale perd en lui, dit le Bulletin de la Société de
médecine mentale de Belgique, le fondateur de l'anatomie moderne
du cerveau et la psychiatrie, un des plus grands génies qu'elle ait
jamais comptés. C'est par le concours de ses travaux anatomiques
que la physiologie cérébrale prit un essor nouveau. C'est par son
esprit génial que la clinique des maladies mentales prit une direc-
tion toute nouvelle.
« Pendant environ trente ans, Meynert occupa la chaire des
maladies mentales à l'Université de Vienne. Il est impossible de
décrire le succès que remporta son enseignement sans en avoir été
un témoin oculaire et nous nous rappelons avec bonheur la
période florissante où le célèbre professeur réunit autour de lui
non seulement la jeunesse médicale de son Université, mais encore
des médecins aliénistes, mûris par l'âge et venant de tous les pays
du monde entier pour se perfectionner par la parole du grand
maître. Le nombre des travaux qu'il a publiés est immense.
Meynert fut le fondateur du Jahr6uch fûr Psychiatrie qui jouit d'un
si légitime succès. » (Bull. Soc. Méd. Ment. de l3elilue.)
J.-B. CHARCOT et Georges GmNON.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
BouRNEVILLE. - Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie
l'hystérie et l'idiotie, compte rendu du service des enfants idiots épilep-
tiques et arrivés de Bicêtre pendant l'année 1890, avec la collaboration
de MM. CAMESCASSE, ISCH-WALL, MORAUX, RAOULT, SÉGLAS et SOLDER,
1 fort volume de Lx-240 pages, avec 16 figures et 10 planches.- Prix :
6 fr.; pour nos abonnés, prix : 4 fr.
BOURNEVILLE. - Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'hysthérie
et l'idiotie. Compte rendu du service des enfants idiots, épileptiques et
arriérét de Bicêtre pendant l'année 1891, avec la collaboration de
MM. BANZET, IscH-WALL, RAOULT, R. SOREL et P. SOLLIER. Volume in-8°
de cvnr144 pages, avec 2 planches et 13 figures. - Prix : 5 fr. pour
nos abonnés.
CATTANI (G.). - Algometria e Nuovo Algometro. Brochure in-8° de
12 pages, avec une figure. Milano, 1892. Litografia dell' antica
casa Éditrici Dott'. if. Vallardi.
CHARCOT (J.-M.). - Leçons dumardi à la Salpêtrière. Notes de cours de
MM. BLIN, CHARIOT et Colin, Seconde édition, 1 vol. in-4° de 502 pages,
avec 101 figures. Prix : 20 fr. Paris, 1892. Aux bureaux du
Progrès médical. Pour les abonnés des Archives, 16 fr.
CHARCOT (J.-M.). - Clinique des maladies du système nerveux de la
Salpêtrière. Leçons du professeur, mémoires, notes et observations des
années scolaires 1889-90 et 1890-91, publiés sous la direction de Georges
GmNON, chef de clinique, avec la collaboration de MM. GILLES de la
TOURETTE, BLOCQ, HUET, PARMENTIER, Souques, HALLION, J.-B. CHARCOT et
MEME. Tome I". - Un beau volume de 468 pages avec 47 figures et
3 planches. - Prix : 12 fr. Aux bureaux du Progrès médical. Pour
les abonnés des Archives, 8 fr.
DONATH (J.). Hysterische Pupillen und Accommodations lahming,
geheit durch hypnotische Suggestion. Brochure in-8° de 13 pages. -
Budapest, 1892. Deutsche Zettschrift für Nervenheilk unde.
EDINGER (L.). - Zwolf vorlesunqen ûber den bander nervosen central-
organe für arzte und studirende. Volume in-8» de 196 pages, avec 139
figures. - Prix : 8 fr. 75. Leipzig, 1892. Verlag (F.-C.), W.
Wogel.
FREUND (C-S.). Schemata zur eintragung von sensibilitxtsbefunden.
Carnet de 40 schémas, in-8°, oblong. Berlin, 1892. Verlag A. Hirschwald.
FRIEND'S ASYLUM (Reports) for the Insane. Brochure in-8° de 28 pages,
avec 6 figures. Philadelphie, 1892. Printed by G.-H. Buchanan
and C°.
GRASSET. - Un cas de maladie de Morvan. Leçons recueillies par
GuiBERT (IL). Brochure in-8° de 26 pages, avec 3 planches hors texte. -
Paris, 1892. Librairie G. Chanon.
Grasset. Quelques cas d'hystérie mâle et de neurasthénie. Leçons
recueillies par JEANNEL (S.). - Brochure in-8° de 88 pages. Paris,
1892. - Librairie G. Chanon.
GUERMONP11EZ (Fn.). - Un mot sur Laènnec. Brochure in-8° de 28 pages,
avec 6 figures. Lille, 1892. L. Quarré.
160 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
Krrnr (P.-C.). - Astasia-abasia. With the report of a case of paro-
xysmal trépidant. Abasia associated with paralysie agitans. Brochure
in-8° de 31 pages, avec 3 figures. - New-York, 1891. - Journal of
Ne,'vous and Mental disease.
Marie (P.). Leçons sur les maladies de la moelle. Volume in-8°
de 504 pages, avec 244 figures. - Prix : 15 fr. Paris, 1892. Li-
brairie G. Masson.
Oppenheim (H.). - Die traumatischen Neurosen nach den in der Ner-
venklinik der Charité in der 8 jahren 1882-1891 gesammelten Beoloch-
timgen. Volume in-8° de 253 pages. Berlin, 1892. - Verlay. A. Hirs-
chevald.
PROrIER (E.). Etudes sur la contagion de la folie. Volume in-8° de
93 pages. - Genève, 1892. H. Stapelmohr.
RAYNAUD. - Troubles oculaires de la Malaria. Volume in-8" de 100 pages.
Paris, 1892. H. Jouve.
Rousselet (Albin). Les secours publics en cas d'accidents. Volume
in-8° de 150 pages. Prix : 3 fr. 50. Paris, 1892. - Policlinique de
Paris, 28, rue Mazarine, et Société d'éditions scientifiques, rue Antoine-
Dubois. 1
SCHULTZE (F.). Uber die heilwirkung der electricitdt bei Nerven-und
biuscul leiden. Brochure in-8° de 29 pages. - Prix : 1 fr. Wiesbaden,
1892. Bergmann.
SÉGLAS (J.). - Du mutisme mélancolique. Brochure in-8° de 13 pages.
Paris, 1892. - Annales médico-psychologiques.
SÉGLAs. - Les troubles du langage chez les aliénés. Volume in-12 car-
tonné, de 304 pages, avec 17 figures. Prix : 3 fr. 50. Paris, 1892. -
Librairie Rueff et C. Bibliothèque CHARCOT-DEBOVE.
SÉGLAS (J.). De l'obsession hallucinatoire et de l'hallucination obsé-
dante. Brochure in-8° de 12 pages. Paris, 1892. - Extrait des An-
nales médico-psychologiques.
Sollier (P.). - Les troubles de la mémoire. Volume in-12 relié, de
262 pages, avec 35 figures. - Prix, 3 fr. 50. Paris, 1892. Librairie
J. Rueff et C ? Ce volume fait partie de la Bibliothèque CHARCOT-DEBOVE.
Avis A NOS ABONNÉS. - L'échéance du 1° Juillet étant l'une des plus
importantes de l'année, nous prions instamment nos souscripteurs, dont
l'abonnement expire à cette date, de nous envoyer le plus tôt possible
le montant de leur renouvellement. Ils pourront nous adresser ce mon-
tant par l'intermédiaire du bureau de poste de leur localité, qui leur
remettra un reçu de la somme versée. Nous prenons à notre charge les
frais de 3 p. 100 prélevés par la poste et nos abonnés n'ont rien à payer
en sus du prix de leur renouvellement.
Nous leur rappelons que, à moins d'avis contraire; la quittance de
réabonnement leur sera présentée le 25 Juillet, augmentée de un franc
pour frais de recouvrement. Nous les engageons donc à nous envoyer de
suite leur renouvellement par un mandat-poste.
Le rédacteur-gérant, BOURNEVILLS.
lneu.. I : h. HUI88KY. Imp.- 792.
Vol. XXIV. Septembre lé92. N, 71.
ARCHIVES DE NEUROLOGIE
PATHOLOGIE MENTALE
' DE L'ONOMATOMANIE (suite)1; ? `
,
Par MM. CHARCOT et MAGNAN.
III. Signification particulièrement FUNESTE DE CER-
tains MOTS (PENSÉS , PRONONCÉS, LUS, ÉCRITS) MOTS
COMPROMETTANTS.
L'onomatomanie se traduit dans ce groupe de désé-
quilibrés par une terreur, une crainte folle de certains
mots auxquels ils attribuent une sorte de pouvoir
maléfique, tantôt sur eux-mêmes mais plus souvent
sur un parent, un ami et parfois aussi sur des per-
sonnes étrangères.. , - , -
Ces mots se rapportent habituellement aux cérémo-
nies funèbres, à la mort, d'autres fois à l'enfer, au
diable, aux crimes, etc.; et les préoccupations qu'ils
éveillent sont excessivement pénibles, même chez les
individus non superstitieux, très surpris eux-mêmes do
l'angoisse et de la profonde épouvante que ces craintes
chimériques leur inspirent. .
Une fois en butte à ces préoccupations maladives,
' Voy. Arcli. de Neurol., n° 29, sept. 1885, p. 157, et HO 70, 189, p. 1.
Archives, t. XXIV. 11 i
162 PATHOLOGIE MENTALE.
ils se tiennent constamment sur le qui-vive ! Ils s'ef-
forcent eux-mêmes de ne pas réfléchir, de ne pas
penser pour que ce mot malfaisant n'intervienne point
dans le cours des idées; ils n'osent pas sortir crai-
gnant de l'entendre prononcer; chez eux, ils s'iso-
lent, restent silencieux, redoutant de parler ou d'en-
tendre parler leur entourage, car le mot pourrait par
mégarde, malgré toutes les précautions et les recom-
mandations, se glisser dans la conversation. Dès que
le mot apparaît, dès que le centre cortical l'a recueilli,
que le mot vienne du dedans ou du dehors, instanta-
nément, sans réflexion, le malaise se produit et le pa-
tient s'angoisse, tout en reconnaissant l'absurdité de
son inquiétude.
Parfois il suffit d'un dessin, d'une image rappelant
un mot funeste, pour provoquer le malaise : c'est ainsi
qu'une dame était péniblement impressionnée à la vue
d'une affiche de théâtre, surmontée de l'image de
Méphistophélès pour une représentation de Faust. Un
autre malade ne pouvait pas voir une carte ou une
lettre bordées de noir; la vue d'un enterrement le
bouleversait et il courait s'enfermer chez lui.
- L'état d'angoisse est tel que rien ne leur coûte pour
éviter le mot malfaisant, non seulement, ils cessent
de lire, d'écrire, mais limitent parfois à quelques pa-
roles indispensables les relations avec leur entourage.
Une dame ne voulait jamais s'endormir avant minuit,
afin, disait-elle, de commencer la journée par de
bonnes pensées. Elle craignait, en s'endormant avant
minuit, de se laisser surprendre, au réveil, dans la
matinée, par un mauvais mot qui exercerait une
influence fâcheuse sur tous les événements de la jour-
DE L'ONOMATOMANIE. 163
née. Une autre onomatomane, de retour d'une visite
pendant laquelle elle se souvient avoir prononcé le
mot « mort », s'imagine qu'elle va porter malheur à
l'amie visitée qui tombera en léthargie et sera enterrée
vivante. Elle se couche très soucieuse, mais à peine
au lit, elle s'angoisse, se sent suffoquée, ne peut plus
y tenir, se relève brusquement, se rhabille et court
chez son amie, s'assure qu'elle est vivante et bien por-
tante, éprouve, dit-elle, un immense soulagement et
rentre heureuse chez elle.
D'autres fois ces malades s'imaginent que l'influence
funeste du mot non seulement peut s'exercer sur les
personnes, mais peut encore transmettre aux actes et
aux choses une vertu malfaisante, si bien qu'ils re-
commencent les actes accomplis pendant l'émission du
mot, que quelques-uns se dépouillent des vêtements
portés à ce moment et refusent obstinément de s'en
servir sous prétexte qu'ils pourraient opérer des malé-
fices. Une dame du monde avait successivement donné
toutes ses robes, ses jupes, ses chemises et le jour de
la consultation médicale elle ne portait qu'un peignoir
acheté le matin même, c'était, dit-elle en souriant,
toute sa garde-robe, elle avait dû successivement se
débarrasser de tous ses vêtements contaminés, par le
mot malfaisant; elle avait abandonné sa dernière
robe, d'ailleurs toute neuve parce qu'elle avait lu sur
une grande toile étalée devant une baraque de saltim-
banques une inscription engrosses lettres « les crimes
célèbres ». Elle sait bien, dit-elle, que tout cela est
insensé, mais elle ne peut pas agir différemment, et
malgré tous ses efforts elle ne peut pas s'empêcher de
se demander : « Mais, si c'était vrai ? »
164 pathologie mentale.
Observation Vil- Doutedèsquatorzealts; répétition des prières;
quelques années après, onomatomanie, mots compromettants; images
ou inscriptions malfaisantes, poussant ci la répétition des signes de
croix, à l'abandon des vêtements, à ,la suspension d'un repas ou,
au contraire, à la reprise d'un repas terminé. Angoisse avec la
résistance. Réveil, jusqu'à minuit pour commencer la journée sitar
un, mot ou une pensée, sans signification mauvaise. Vertu malé-
fique du nombre 13.
1-0 R.... â ? ée de cinquante-trois ans, nous a été adressée au mois
de septembre 1887, par notre confrère M. le Dr Cherchewsky de
Saint-Pétersbourg. Elle est née d'un père fort irritable, plus âgé
de trente ans que la mère sur la santé de laquelle on n'a pas pu
avoir des renseignements précis.
Mme IL, dès quatorze ans, est en proie au doute; elle se montre
scrupuleuse, hésitante, s'interroge sans cesse; craint de mal faire
ses prières, les répète fréquemment et parfois même l'aube la
surprend encore agenouillée dans sa chambre, n'ayant pas réussi
à réciter, en entier, une prière qui ait pu la satisfaire.
A dix-huit ans, à l'époque de ses fiançailles, ses craintes redou-
blent, parce qu'elle se figure qu'une prière mal faite porterait
malheur à son futur époux.
Peu à peu certains mots ou certains noms acquièrent il ses yeux
une influence néfaste soit pour elle-même, soit pour les autres,
quoiqu'elle ne soit pas superstitieuse, quoiqu'elle considère comme' ·
profondément ridicule l'idée d'accorder une puissance maléfique
à un mot quelconque, elle n'en est pas moins préoccupée lorsque
intervient un mot tel que : cercueil, mort, assassinat, diable, etc.
Tout d'abord, il s'agissait d'un mot entendu ou lu ou bien pro-
noncé ou écrit par mégarde, puis, c'est l'objet ou l'image de l'objet
représenté par le mot, par exemple le Méphisto, de Faust, peint
dans un tableau ou sur une affiche de théâtre; ou bien encore
une affiche portant les « crimes célèbres D. Enfin parfois c'est la
simple pensée d'un de ces mots ou d'un crime ou d'un événement
triste.
Tout acte commencé avec une pensée ou un mot compromet-
tant doit être recommencé. En effet, si pendant qu'elle brode, le
mot diable intervient, elle s'imagine que si elle continue sa bro-
derie et complète son point, elle scelle en quelque sorte l'acte et
expose à un malheur les siens ou elle-même. Si elle s'habille, si
elle met son chapeau ou tout autre objet et qu'un mot compro-
mettant surgisse, elle doit recommencer pour conjurer le mal-
heur. Il en est de même pour une acquisition faite dans un ma-
gasin, sous le coup d'un mauvais mot. Mm0 Il. laisse là son empiète,
n'y touche plus, et finit par donner l'objet acheté à un pauvre.
Cette fois, dit-elle en souriant, j'ai, au moins, dans ma manie, la
DE l'onomatomanie. 16
satisfaction de faire du bien à quelqu'un. Il en a été ainsi pour
une robe qu'elle n'a pas voulu mettre, parce qu'au moment où on
la coupait, elle avait eu une mauvaise pensée.
Si elle veut passer outre, elle éprouve un malaise extrême, de
la chaleur à la tête, de la rougeur à la face, des palpitations, un
serrement à l'estomac; une angoisse qui l'empêche de manger,
de songer, de réfléchir à quoi que ce soit, de s'occuper à quelque
chose et même de dormir. Aussi reste-t-elle éveillée jusqu'à minuit,
afin de. bien commencer la journée, de crainte que dormant à
minuit, au commencement du passage d'une journée à l'autre,
elle n'ait une mauvaise pensée au réveil (la première pensée du
jour) qui porterait malheur à toute la journée.
Si pendant qu'elle découpe la viande servie dans son assiette, se
produit une mauvaise pensée, elle ne mange plus et ne touche
plus à l'assiette, lors même qu'elle a faim; d'autres fois, elle
mange au delà de son appétit, pour ne pas finir son repas sur une
mauvaise pensée.
Pour contre-balancer l'influence fâcheuse de ces mots, images,
pensées et en conjurer les funestes conséquences, Mmo Il., en
dehors de la répétition des actes fait des prières mentales et des
signes de croix; elle se cache, croit les mal faire, et les répète jus-
qu'à cinq cents et mille fois. Elle obtient de temps à autre de son
mari, qui a pour elle une vive affection, qu'il répète lui-même le
signe de la croix pour être bien sûre qu'il est bien fait, et celui-ci
la voit par moments si malheureuse, qu'il se prête à ses exi-
gences maladives.
Elle est, en outre, obsédée quelquefois par le nombre treize, auquel
elle attribue également une influence malfaisante ou funeste. Par
périodes, cette obsession- du treize devient insupportable, parce
qu'elle intervient dans tous les actes de la vie.
A table, si les convives sont en nombre inférieur à treize ou
dépassent ce chiffre, elle est poussée malgré elle à tenir compte
des domestiques et son esprit inventif s'applique à de telles com-
binaisons qu'elle finit par arriver soit à treize, soit à un multiple
de treize; eli'rayée, elle cesse alors de manger, s'angoisse, se lève
et s'éloigne. Lorsque les recherches n'aboutissent pas au chitfre
treize pour le nombre des convives, le 13 intervient néanmoins à
propos du treizième morceau découpé, de la treizième bou-
chée, etc.
S'il s'agit d'écrire, le treizième mot ou la treizième ligne devien-
nent un objet de crainte et tantôt elle s'arrête au douzième mot,
tantôt, quand elle est parvenue à franchir cette première diffi-
culté, elle se trouve très perplexe à la treizième ligne.
Le montant d'une acquisition dans lequel figure le chiffre treize
suffit à faire immédiatement abandonner ce qui vient d'être acheté..
Les réceptions chez elle, les bals provoquent un extrême malaise-
166 pathologie mentale.
au moment où arrive le treizième invité, elle redoute un malheur
pour lui ou pour les siens et c'est en tremblant qu'elle l'accueille
et le salue.
Elle a refusé une consultation médicale le treize, elle n'aime
pas non plus à recevoir le médecin le vendredi. Elle a pleine cons-
cience de son état, regrette ces craintes puériles, ces préoccu-
pations et ces actes bizarres, s'en attriste mais il lui est impossible,
dit-elle, d'agir différemment.
La folie du doute nettement dessinée à quatorze ans
est suivie quelques années après d'onomatomanie et le
mot compromettant ne tarde pas à envahir la vie en-
tière de la malade; tous les actes quels qu'ils soient,
sont à l'avenir entravés par cette obsession maladive.
Mme R..., ne peut s'habiller, se déshabiller, parler,
sortir, faire une empiète, manger, se coucher, etc.,
sans être forcée de compter sur le mot compromettant
dont elle cherche à conjurer les effets par les prati-
ques les plus bizarres. Elle s'y abandonne d'autant
mieux que son entourage, son mari même au lieu de
l'exhorter à la résistance, a la faiblesse de lui prêter
son concours et en arrive à faire avec elle des signes
préservateurs de croix.
Obskrvation XVIII. Déséquilib ? ,atio2z mentale et doute dès le jeune
t ! {/e. Amélioration en 1870 sous les drapeaux. Anomatomunie; mots
compromettants; crainte du mot pl'ononcépesllnt S ! l1' les actes. Phrases
préservatrices. Crainte du toucher. En dernier lieu, idées de persé-
cution. \
M. S..., âgé de quarante-six ans, se montrait dès son enfance
scrupuleux et méticuleux dans ses actes. Il était lent à faire toutes
choses, les répétait quelquefois, ne croyait jamais avoir assez bien
fait.
A douze ans, au collège, le directeur eut l'idée de faire défiler
tous les élèves devant le corps d'un camarade qui venait de mourir.
Cette cérémonie l'impressionne beaucoup et à partir de ce moment,
il devient plus triste, plus pointilleux, répète quinze, vingt fois ses
prières, ne croyant jamais les avoir suffisamment bien faites; le soir,
il inspecte la maison avant de se coucher par crainte du feu, ouvre
DE L'ONOMATOMANIE. 167
plusieurs fois les portes pour s'assurer que le feu n'a pas pris au
grenier ou ailleurs. Il se préoccupe de sa santé, deux ou trois heures
après des repas très suffisants, il se sent faible, l'estomac vide,
craint de tomber en défaillance et s'empresse de manger.
En 1870, il reste sous les drapeanx pendant toute la durée de la
guerre, comme simple soldat et ce nouveau genre de vie lui est des
plus favorables; à la fin de la campagne il était presque affranchi
de ses doutes, de ses scrupules, de ses hésitations, de ses répéti-
tions ; mais rentré ,,Ilez lui, il reprend son existence désoeuvrée et
tous ces syndromes ne tardent pas à revenir et même à s'aggraver.
Il se montre très occupé et ainsi que nous le disait notre distin-
gué confrère le Dr Edouard Labbé qui lui donnait des soins, il
tombe dans une profonde tristesse à propos de tout ce qui rap-
pelle... ce qui succède à la vie.
Il s'angoisse, en effet, dès qu'un mot triste tel que cercueil, en-
terrement, noir et surtout mort se trouve dans ses lectures ou est
prononcé dans une conversation ou même qu'il se présente à son
esprit. Il redoute un malheur et si, à ce moment il pense à un pa-
rent, à un ami, il s'imagine, qu'il leur arrivera un accident, qu'il il
sera cause de leur mort. Il fait alors tous ses efforts pour chasser
le mot de son esprit, il marmotte une série de mots insignifiants :
histo, histoire, historien; nost, postal, nostalgie, etc., et ne se calme
qu'après la disparition du mot compromettant.
La crainte de ce mot pèse sur tous ses actes. 11 n'ose jamais
changer d'habits redoutant un mot compromettant pendant qu'il
endosse les vêtements neufs, et c'est ainsi qu'il conserve une par-
tie de l'hiver les vêtements d'été et en été les vêtements d'hiver.
Si après avoir mis un nouveau costume, il entend un mot compro-
mettant, ou s'il aperçoit un enterrement, ou une lettre, une carte
bordées de noir, il se débarrasse rapidement de ses habits que le
mot ou la chose triste ont rendus, pense-t-il, dangereux et ne les
remet jamais plus. ,
Le chant du coq, l'aboiement du chien, s'ils coïncident avec un
mot compromettant, causent une vive angoisse, ou bien, au con-
traire, amènent le calme s'ils surprennent le malade avec une pen-
sée agréable.
La moindre action devient impossible et insupportable pour le
patient, il est poussé à la répéter jusqu'à ce qu'il puisse la faire
sur une bonne pensée et il arrive à ne plus pouvoir l'accomplir
qu'après épuisement, après une lutte terrible. Il ne peut presque
plus se lever tout seul ; il est parfois des heures entières à mettre
sa chemise, ses souliers. Si au moment de passer une porte, un
mot compromettant survient, il revient un très grand nombre de
fois en arrière jusqu'à ce qu'une pensée indifférente ou plus gaie
lui permette de la franchir sans conséquences funestes. En par-
laut, il en est de même, il s'interrompt parfois dans le cours de la
168 PATHOLOGIE MENTALE.
conversation et souvent marmotte promptement quelques mots pour
effacer l'image tonale pénible et reprend la conversation inter-
rompue.
Depuis quelque temps il a la crainte du toucher et pour éviter le e
contact des pièces de monnaie, il charge son domestique de régler
toutes ses dépenses. Il reconnaît que tous ses actes sont ridicules
il les déplore mais ne continue pas moins à les accomplir.
. Depuis longtemps il a cessé d'écrire, de lire, il fuit la société, ne
trouve du plaisir qu'à la chasse qui lui permet d'errer seul dans la
.campagne ou au fond des bois et éviter ainsi, dit-il, les occasions
de se tourmenter. Du reste, à diverses reprises, il a cru que les
gens prononçaient intentionnellement des mots compromettants,
et il a parfois manifesté une vive colère et même des menaces..
La folie du doute se développe dès l'âge de douze
ans chez ce malade et c'est à vingt-six ans, que l'ono-
matomanie intervient avec la crainte obsédante du mot
compromettant. Il cherche d'abord le moyen de s'en
affranchir et pour débarrasser son esprit du mot
funeste, il répète des séries de syllabes et de mots.
Beaucoup de dégénérés syndromiques cherchent à
combattre les obsessions par des moyens analogues et
Legrand du Saulle, parmi les nombreuses observations
réunies dans son mémoire sur la folie du doute avec
délire du toucher, signale des malades qui s'affranchis-
sent de l'obsession tantôt en récitant des pages entières
d'un auteur favori, tantôt en chantant la Marseillaise
ou des chansons de Béranger. -
Observation XIX. - Dégénérescence mentale : dès l'âge de quinze ans,
délire du toucher; puis crainte du mot compromettant ; précautions
infinies pour conjurer l'influence néfaste de certains objets, de cer-
taines images, de certaines inscriptions. Doute.
Mme D..., âgée de trente-trois ans, est en proie depuis l'âge de
quinze ans, à la crainte obsédante du toucher. Elle ne touche les
boutons de porte qu'après s'être enveloppée la main avec un pan
de la robe; elle ne peut toucher les pièces de monnaie; elle essuie
un grand nombre de fois son. verre, son couvert, chaque assiette.
Plus tard, elle n'est pas seulement angoissée par le contact, mais
DE l'onomatomanie. 169
la simple vue de certains objets, de ceux, par exemple, qui ser-
vent aux pompes funèbres, le cercueil, les voitures de deuil, les
tentures noires et aussi les employés et surtout les croque-morts.
Dès qu'elle aperçoit un enterrement elle rentre chez elle et se livre
à de nombreux lavages de tout le corps.
. Plus tard, au délire du toucher s'ajoute une autre préoccupation,
c'est la crainte que la vue d'une image à caractère pénible, que le
récit ou la lecture d'un événement fatal, ou même un mot rappe-
lant des choses tristes, ne portent malheur aux autres ou à elle-
même, et pour se débarrasser de cette maléfique souillure, non
seulement elle se lave, mais encore elle abandonne les vêtements
et le linge portés à'ce moment.
Si elle remettait cette robe, dit-elle, elle éprouverait un malaise
extrême, comme un frisson des pieds à la tête, une barre à l'esto-
mac, des suffocations; et lorsque dans les cas analogues, elle veut
passer outre, ces malaises deviennent tellement pénibles qu'elle ne
peut s'empêcher de songer à la mort et qu'elle a même pensé pour
se délivrer à se précipiter par la fenêtre.
« Tenez, Monsieur, ajoute-t-elle, cette robe que vous me voyez a
été achetée ce matin et je porte, dessous, une chemise de laine
achetée également ce matin; j'ai dû me défaire de tout le reste.
En passant hier à la barrière du Tiône, en voilure, j'ai eu le
malheur de jeter les yeux sur une baraque surmontée de l'enseigne
« les crimes célèbres », j'ai été prise d'une vive inquiétude, et ren-
trée chez moi, je me suis dépouillée de tout ce que je portais et
me suis livrée à des tarages sans fin. Assurément, c'est insensé, ça
ne signifie rien, ma conduite est ridicule, mais je souffrirais trop
si je conservais ces vêtements. »
Mme D... a souvent du doute, recommence fréquemment les
mêmes actes; chez les marchands, elle craint toujours de ne pas
donner ce qui est dû; quand on lui rend la monnaie qu'elle touche
avec des gants seulement, elle compte plusieurs fois, pour s'assu-
rer qu'on ne lui a pas rendu plus qu'il ne fallait.
Des scrupules et des craintes s'éveillent à propos d'idées parfois
bizarres; après la visite d'un ami, pendant qu'il descend, elle se
dit, s'il se cassait la jambe dans l'escalier, peut-être m'arriverait-il
quelque chose d'heureux; et aussitôt elle se reproche cette pensée,
redoute de porter malheur, fait des prières, répète plusieurs fois
les mêmes actes pour conjurer l'accident.. , 1 1
A propos des objets à influence funeste, une sorte de contami-
nation s'étend parfois, non seulement aux choses en contact avec
l'objet, mais même à tout ce qui l'environne. On remet un jour à
141m D... des enveloppes pliées dans un journal illustré représentant
la chambre occupée par les victimes de l'assassin Pranzini; elle ne
peut plus toucher à ces enveloppes ni à aucun objet placé dans le
même secrétaire; ses papiers d'affaires sont là, mais depuis plu-
170 PATHOLOGIE MENTALE.
sieurs mois elle n'ose y loucher et perd ainsi des sommes impor-
tantes. Elle va passer l'été au Tréporl, mais au retour, non seule-
ment elle ne veut plus rentrer dans son appartement où se trouve
le numéro du journal illustré compromettant, mais encore, elle fait
vendre à des prix dérisoires tout son mobilier et toute sa garde-
robe. Elle refuse de voir sa soeur qui continue à occuper un appar-
tement sur le même palier que le sien.
Mme D... s'était mariée à dix-sept ans, à un proprié-
taire russe fort riche mais très original; celui-ci, en
effet, dès la fin de la première année cesse sans motif
apparent toute relation sexuelle; il continue montrer
à sa femme, la plus vive affection. Ils vivent dans un
grand luxe, ont de magnifiques équipages, mais ils se
promènent seuls, et vont seuls au bois de Boulogne et
ne reçoivent chez eux jamais personne. Au bout de
huit ans le mari meurt lui léguant sa fortune, c'est à
partir de ce moment surtout qu'elle devient l'esclave
de ses tyraniques obsessions et impulsions.
Cette malade livrée à elle-même pousse à l'extrême
limite la crainte du toucher; de même les images et
les mots compromettants deviennent chez elle de véri-
tables souillures dont elle cherche à tout prix à se
débarrasser pour conjurer leur influence maléfique.
Les angoisses sont parfois si pénibles qu'elles font
naître des idées de suicide.
Observation XX. - Mère dégénérée, syndromique. Mme D..., désé-
quilibrée dès l'enfance, scrupuleuse, méticuleuse. Crainte du mot
compromettant. Folie du doute, influence active des causes mo-
rales sur le retour des syndromes.
M ? D..., âgée de soixante ans, a toujours été méticuleuse et
émotive. Sa mère déséquilibrée avec du doute et de l'arithmo-
manie, avait .complètement troublé sa fille au moment de la pre-
mière communion; elle l'invitait à des examens réitérés de cons-
cience sur de minutieux questionnaires qu'elle avait rédigés elle-
même. Une de ses nièces est somnambule. ·
DE L'ONOrIAT011An.E. 'Ii1
Dès son enfance, elle a eu des scrupules religieux que les con-
seils inopportuns de la mère n'ont fait qu'exagérer; elle étaitcons-
tamment poursuivie par la crainte du mal et la peur de se com-
promettre. A treize ans, elle avait été vivement impressionnée par
des conversations tenues en sa présence sur des enterrements pré-
cipités, de longues léthargies, des voyageurs retrouvés sous les
glaces avec les apparences de la vie, etc., sur les phénomènes du
magnétisme et du somnambulisme. Ces impressions quoique vives
ont été très fugitives à ce moment, mais sont revenues à diverses
reprises, préoccupant fortement la malade qui n'osait pas en parler l'
à son mari, mais en entretenait avec beaucoup de détails sa soeur.
A trente-huit ans, à la suite de chagrins causés par des malheurs de
famille, l'idée obsédante d'enterrements précipités, d'enterrements
de gens vivants s'est emparée de son esprit. Elle s'est imaginée
qu'elle pouvait être cause elle-même de ces accidents par la seule
présence dans son discours, d'un mot triste tel que : mort, enter-
rement, cercueil. L'une de ses paroles pouvant avoir pour consé-
quence de faire' enterrer avec les apparences de la mort, une
personne vivante en léthargie. Aussi prèle-t-elle la plus grande
attention à chacune de ses phrases, à chacun de ses mots, dans la
conversation, mais malgré tous ses soins, et quoiqu'elle ait pris
l'habitude de parler très lentement, elle est amenée à prononcer
sans s'en apercevoir l'un ou l'autre de ces mots. '
. Un jour, elle était allé faire une visite à une de ses parentes
avec qui elle avait beaucoup causé; le soir, après s'être couchée,
elle revient sur la conversation de la journée et elle se souvient,
qu'elle a prononcé le mot mort; elle en est immédiatement émue,
toutefois, elle s'efforce de se rassurer, n'osant se lever à une heure
avancée de la nuit, pour constater que rien de fâcheux n'est sur-
venu. Elle cherche vainement à s'endormir, l'inquiétude augmente,
l'idée que sa parente est en léthargie, qu'elle peut être enterrée
vivante et qu'elle en est la cause la jette dans l'épouvante; effrayée,
angoissée, elle saute hors du lit, s'habille à la hâte et sans tenir
compte des sages remontrances et des paroles rassurantes de son
mari, elle court chez sa parente, réveille tout le monde, pénètre
dans la chambre, et éprouve un immense soulagement en l'aper-
cevant vivante et bien portante. Elle revient tranquillement chez
elle, se couche et s'endort d'un profond sommeil. -
Après cette scène étrange, le mari, sur le conseil des médecins,
l'a emmenée à la campagne où, évitant toute visite, ne voyant que
peu de monde, elle fait de longues promenades et ne trouve plus.
ainsi que de rares occasions de s'inquiéter. De temps à autre, elle
demande à son entourage, à ses domestiques : Ne vous ai-je pas
dit quelque chose de triste ? Mais chacun ayant la consigne s'em-
presse de répondre, sans hésiter, « non, madame ». Ces réponses,
nettement formulées, suffisent à la tranquilliser. '
- 172 PATHOLOGIE MENTALE.
Plus tard, elle a des manifestations singulières de folie du doute.
Elle se demande si, faisant sa toilette, un foetus, un enfant ne
pouvait pas être jeté dans le seau; elle examine avec le plus grand
soin l'eau dont elle s'est servie et exige de sa domestique de nou-
velles et attentives vérifications. Sans doute, dit-elle, tout ceci est
impossible, mais pourtant si cela était réel ! Sur ce si, sur cette
supposition, son imagination travaille et bientôt la peur la saisit et
l'inquiète.
Elle a eu de longues périodes de calme sans idées obsédantes;
mais celles-ci reviennent promptement sous l'influence de causes
morales pénibles telles que le suicide d'un employé de la maison,
la maladie grave d'une nièce, etc.
Ce cas est intéressant par l'hérédité similaire du
même syndrome la folie du doute chez la mère
et la fille; il est remarquable aussi par l'angoisse épou-
vantable que provoque la crainte du mot compromet-
tant.
L'apparition soudaine d'un mot est parfois le point
de départ de préoccupations et d'actes plus ou moins
bizarres pour le patient. Le malade suivant est forcé
de s'arrêter en chemin, parfois même de reculer ou de
remonter un escalier dès qu'un mot mauvais l'obsède.
Observation Y\I. Dégénérescence mentale. Soif dominicale des
tantes. Crainte du toucher; doute. Onomalomanie, mauvais-mots z
poussant ù la répétition des actes. '
M. M ? âgé de trente-cinq ans, dont le frère est mort d'une
affection des centres nerveux et la soeur a été prise d'éclampsie
pendant ses couches, ne présente du côté des ascendants que deux
faits à relever : le père était âgé de cinquante-cinq ans à la nais-
sance du malade, et deux de ses tantes maternelles, fort origi-
nales, avaient la singulière habitude de ne hoire aux repas qu'une
fois par semaine; tous les dimanches, en effet, on ornait la table
d'une carafe d'eau et passé ce jour, on ne buvait jamais.
M. M... a eu de bonne heure des rhumatismes et c'est à la suite
d'une crise rhumatismale subaiguë qu'il a présenté, pendant six
mois, à un degré assez accusé, la crainte du toucher; il se livrait
chaque jour à de nombreux lavages. Puis est survenu le doute avec
des hésitations incessantes et la répétition fréquente des mêmes
actes. ' 1 .
DE L'ONOMATOMANIE. 173
Le jour oit il est venu nous consulter, en descendant l'escalier,
il s'arrête et remonte brusquement deux marches, en descend cinq
ou six et en remonte encore deux ou trois; invité à s'expliquer, il
raconte que le mot orgie se présentant à son esprit. il avait été
obligé de le prononcer et que ne pouvant continuer à descendre
sur un mauvais mot il avait remonté deux marches. En pénétrant
dans le cabinet, il s'est également arrêté, a fait deux pas en
arrière, puis est rentré tout à coup, cet arrêt et ce recul étaient
encore dus à l'intervention d'un mot. Plus tard à la suite de mani-
festations graves de syphilis cérébrale, ces syndromes se sont nota-
blement amendés.
Nous devons noter dans ce fait, l'étrange bizarrerie
des tantes maternelles qui ne consentaient à boire aux
repas que le dimanche seulement.
Observation XXII. Dégénérescence mentale; folie du doute; im-
pulsions ; hurlements subits ; rires et pleurs involontaires ; arille-
- momanie; crainte du toucher ; onomalomanie ; mots pouvant porter
malheur; accès de délire mélancolique ; accidents hystériques.
P...(Adèle), femme V..., entre à Sainte-Anne le 31 octobre 1891.
Son grand-père paternel, faible d'esprit, croyait aux revenants et
aux sorciers ; son père et son oncle paternel sont alcooliques. La
mère, déséquilibrée, a toujours eu des idées bizarres. Un oncle
maternel, peureux et superstitieux, ne pouvait coucher seul dans
une chambre; il ne restait pas dans une maison où il y avait un
mort. Une soeur est morte à cinq ans de fièvre cérébrale.
P..., affectée à l'âge de cinq ans d'une fièvre typhoïde grave, ne
pouvait plus, à la convalescence, se tenir debout et a dû réapprendre
à marcher.
A dix ans, ont commencé à paraître des obsessions et des im-
pulsions ; brusquement elle jetait à terre ce qu'elle tenait à la
main, un litre, par exemple ; elle saisissait tout à coup un peigne
et le cassait ; elle se voyait forcée de toucher plusieurs fois de suite
le pied du lit ou le pied de la table; elle devait répéter plusieurs
fois le signe de la croix. Elle essuie plusieurs fois les verres et les
assiettes, elle est elle-même poussée à se laver les mains plusieurs
fois.
Très exaltée au moment de sa première communion ; elle s'ima-
ginait toujours s'être mal confessée ; elle faisait, contrairement à
son désir, le voeu de ne jamais se marier, de se faire religieuse.
Un peu plus tard apparaît la folie du doute ; elle défait et recom-
mence plusieurs fois le même ouvrage ; se lève plusieurs fois pour
s'assurer que la porte est bien close; fait vérifier par son entou-
174 -k PATHOLOGIE MENTALE.
rage l'exactitude de l'adresse qu'elle vient d'écrire sur une lettre,
dès qu'elle l'a jetée à la boite, elle se retourne plusieurs fois pour
bien s'assurer qu'elle n'est point tombée à terre, parfois même, au
moment de rentrer.chez elle, elle revient sur ses pas pour revoir
la boîte aux lettres.
A dix-huit ans, obsédée par le voeu de ne pas se marier, elle ne
sait comment accepter une demande de mariage qui lui agrée ;
elle finit par faire ses confidences à un prêtre qui la rassure; mais
pendant la cérémonie du mariage, tout en répondant oui, elle
prétend qu'elle pensait non. Elle a donc trompé, dit-elle, son mari
et elle n'est pas mariée ; cette idée la poursuit sans cesse, et mal-
gré des confessions réitérées et des absolutions, elle reste fort in-
quiète et pense parfois au suicide.
Après son mariage, elle conserve les mêmes ^interrogations et
les mêmes hésitations mentales ; elle se relève plusieurs fois la
nuit pour vérifier si les portes sont bien fermées, elle se demande
si elle est réellement mariée et elle revient sans cesse sur le voeu
qu'elle avait fait de ne pas se marier. Par moments, elle pousse
tout à coup un grand cri, un véritable hurlement qu'elle ne peut
pas réprimer. Parfois aussi elle est prise de rires ou de pleurs invo-
lontaires et sans motifs.
Elle est portée à compter les pavés dans les rues, ou les dalles
dans une maison, les carreaux des fenêtres, les fleurs du papier
d'une chambre, etc.
Pendant ses prières, surviennent brusquement des mots grossiers
qu'elle ne peut retenir. Elle attribue à certains mots une influence
mauvaise; elle recommence souvent ses lettres par crainte de por-
ter malheur, surtout si elle a été amenée dans quelques-unes de
ses phrases, à écrire les mots mort ou enterrement. *
A diverses reprises, elle a eu des périodes de dépression avec des
idées mystiques et de persécution ; la crainte d'avoir commis des
fautes, du dégoût de la vie et elle a fini par faire plusieurs tenta-
tives de suicide.
Un jour elle a été soumise chez elle à des pratiques d'hypno-
tisme, et, après un sommeil léthargique, elle a été prise d'une
attaque hystérique. Elle a de l'ovarie droite et la sensibilité est
diminuée du côté droit du corps.
Chez cette dégénérée se sont développés non seule-
ment des accès de délire mélancolique, mais aussi de
nombreux syndromes épisodiques parmi lesquels la
crainte du mot compromettant.
Chez une femme de soixante-trois ans, dont nous
DE L'oN0fA1'OSfANIE. 17S j
avons déjà rapporté l'histoire ' on constate trois modes
de manifestation du mot : la crainte dû mot compro-
mettant, la coprolalie et l'écholalie. Elle croit en effet
aux mots compromettants et s'imagine que certains
mots qu'elle a prononcés exercent une action malé-
fique sur des parents.
D'autre part, il lui arrive de prononcer sans pou-
voir se retenir des mots grossiers : » chameau, vache,
cul. » Ces mots arrivent tout à coup à sa pensée, et
presque aussitôt ils sont lâchés, sans que la malade
ait eu le temps de les arrêter. D'autres fois, ils expi-
rent sur ses lèvres et ils ne sont prononcés que men-
talement. Elle se seul soulagée pour peu qu'elle les
articule. D'autres fois encore, l'obsession seule existe;
la volonté conserve encore un peu de son action d'ar-
rêt. Au moment où la malade va prononcer le mot
qui l'obsède, on la voit sauter sur sa chaise et dire : : .
« Ah ! j'allais dire un mot, je me retiens, je me re-
tiens. »
Pendant quelque temps ces obsessions sont devenues
le point de départ d'idées délirantes, mais plus tard,
elles sont restées à l'état d'obsessions simples, la
malade eu ayant entière conscience, reconnaissant
leur caractère maladif. '
Depuis fort longtemps cette dégénérée était échola-
lique ; quand elle entendait prononcer certains mots,
elle était poussée à les répéter. Le mot « maquereau »
en particulier, qu'elle entendait crier dans la rue par
les marchands de poissons, avait le privilège d'être
sur le champ répété.
1 Magnan. Leçons cliniques sur les maladies mentales. Paris, 1891,
p. 171.
176 6 PATHOLOGIE MENTALE.
Observation XXIII. - Dégénérescence mentale. Onontatonzanie :
recherches angoissantes du mot; crainte du mot compromettant,
Arithmomancie. Folie du doute. Pyrophobie.
M. G..., rentier, âgé de soixante-cinq ans, dont les antécédents
héréditaires ne nous sont pas connus, a une nièce atteinte de
crainte du toucher, elle ne peut porter la main sur la peau velou-
tée d'une pêche. '
Il a présenté à diverses reprises des périodes de tristesse, quel-
quefois même des idées de suicide, mais c'est surtout depuis deux
ans que se sont montrés les syndromes épisodiques. Depuis cette
époque, il est obsédé par la crainte de certains mots qui pourraient
porter malheur soit à lui-même, soit à sa famille, soit à d'autres
personnes. Il fait tous ses efforts pour les éviter, mais tantôt dans
une lecture, il rencontre l'un de ces mots : mort, enterrement, etc.
D'autres fois, c'est dans une conversation que ces mots sont pro-
noncés. Très péniblement impressionné, il finit par ne plus vou-
loir lire et pour ne pas entendre prononcer un mot compromet-
tant, il réduit ses entretiens avec son entourage, aux choses
indispensables ; il redoute de sortir dans les rues de peur d'en-
tendre l'un de ces mots ou de voir des choses, un convoi funèbre, '
par exemple, lui rappelant le mot. Malgré toutes ses précautions,
il ne parvient pas à éloigner le mot de son esprit et quelquefois
celui-ci s'installe brusquement dans sa pensée et restant au premier
plan, efface tous les autres souvenirs et devient un sujet de conti-
nuels tourments. Il est le premier à reconnaître que ces craintes
sont ridicules et absurdes, mais il n'en continue pas moins à en
être vivement inquiété et à faire tous ses efforts pour s'en affran-
chir.
Parfois, c'est tout l'opposé, et comme chez les malades du pre-
mier groupe, c'est le mot qui fuit et que G... s'augoisse à recher-
cher ; c'est un nom de ville, le nom d'un ami, un nom propre dont
il n'a, du reste, nul besoin. Plus tard, c'est une phrase insignifiante
qu'il entend dans la rue et dont il cherche à se souvenir; pour
eviter cette recherche angoissante, il écrit souvent sur des bouts de
papier ces différents noms, ou ce qu'il vient d'entendre.
A diverses reprises il a eu la crainte du chiffre. Il s'émotionne
vivement quand le nombre 13 intervient dans un de ses actes; au
chemin de fer, il lui est arrivé fréquemment de prendre un second
ticket, parce que celui qu'on lui avait remis portait le numéro 13,
ou 23, ou 33, ou bien parce que l'addition des chiffres composant
le nombre, par exemple 274, donnait 13. Si le coq chantait, il
attendait qu'il eût chanté plus de trois fois pour commencer un
acte quelconque. Il ne pouvait sortir, se lever de table, se cou-
cher, etc., qu'après le quatrième chant du coq. Le 3 et le 13
auraient pu porter malheur.
DE l'onomatomanie. 177
Il a également du doute et ne peut affranchir son esprit d'une
série d'interrogations mentales. Pour toute sorte d'objels, il se
demande ce qu'ils deviennent, ce qu'ils sont devenus, et se met
anxieusement à leur recherche ; c'est ainsi qu'il a passé des jour-
nées à retrouver une pièce de monnaie sans valeur, un morceau
de bois, une feuille de papier. Parfois cette préoccupation s'étend
à tous les aliments qu'on lui sert et même aux déjections, dont il
conserve des fragments dans des morceaux de papier, datés et éti-
quetés. Comme toutes ces opérations ne sont pas toujours faciles à
exécuter, il en arrive à ne plus oser sortir de chez lui. Il est désolé
et honteux de raconter ses misères, mais il lui est impossible, dit-il,
d'agir autrement, il en éprouverait un trop grand malaise, quand
il essaie de résister, il se sent serré, comprimé à l'estomac, il suf-
foque.
La crainte du feu complète la série de ces syndromes et il défend
même pendant l'hiver, d'allumer du feu, ailleurs que dans la cui-
sine, pour la préparation des aliments. Toutes les autres pièces de
l'appartement restent sans feu.
Ce malade fort intelligent a pleine conscience de
son état maladif; il fait de grands efforts et réussit
parfois à dominer ses obsessions, mais confiné chez
lui, ne voulant pas quitter son milieu, l'amélioration
qui s'est produite quelquefois à la suite des conseils
donnés par les médecins, ne persiste pas, l'entourage,
n'ayant aucune influence sur le malade. Il est probable
que s'il se décidait à s'installer dans un établissement,
loin des siens, sous la direction immédiate du méde-
cin, il arriverait assez facilement à régulariser sa ma-
nière de vivre et à se trouver ainsi dans des conditions
plus favorables pour lutter et s'affranchir de tous ces
phénomènes pathologiques. (A suivre.
Archives, t. XXIV. ' 12
PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE
RECHERCHES SUR LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES
ÉPILEPTIQUES;
Par M. Jues VOISIN, médecin de la Salpêtrière,
et M. A. PERON, interne des hôpitaux.
1
Les recherches que nous avons publiées dernièrement sur
l'albuminurie des épileptiques' furent faites au cours d'études
sur la.toxicité urinaire chez ces malades. Nous nous deman-
dions alors si la constatation de l'albumine dans les urines ne
nous permettrait pas d'expliquer certaines données expérimen-
tales. Des retards apportés à la suite de circonstances indépen-
dantes de notre volonté à la terminaison de ces études sur la
toxicité urinaire, nous ont obligé à publier d'abord un travail
qui, pour nous, ne devait être qu'un corollaire de celui-ci.
Un très petit nombre de publications ont été faites sur la
question qui nous occupe en ce moment. La mesure de la toxi-
cité urinaire des épileptiques, rendue possible par les recherches
de M. Boucharde (1885), fut tentée pour la première fois par
MM. Deny et Chouppe (1889), puis par M. Féré (1890). Ces
auteurs communiquèrent le résultat de leurs expériences à la
Société de biologie.
Dans la séance du 30 novembre 1889, MM. Deny et Chouppe
apportent les conclusions suivantes qui résultent de l'injection
des urines de treize malades atteints d'épilepsie « idiopa-
thique ». Les urines sont toxiques de la même façon que celles
des sujets sains. Elles provoquent du myosis, de l'accélération
des mouvements respiratoires, l'exagération de la sécrétion
urinaire, l'abaissement de la température.
1 Jules Voisin et A. Péron. Archives de Neurologie, mai 1892.
. Bouchard. Auto-intoxication, 1885.
DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 179
La mort survient ordinairement dans la somnolence et le
coma. Quelquefois cependant, elle est précédée de secousses
tétaniformes avec opistothonos.
Dans dix cas sur treize, le coefficient urotoxique, calculé
sur la totalité de l'urine des vingt-quatre heures, était normal.
Chez les trois derniers malades, la toxicité urinaire était supé-
rieure à la normale. Mais dans ces cas il y avait de la fermen-
tation ammoniacale, dans les deux autres cas la diurèse était
diminuée. '
. Ces expériences ont été faites chez les épileptiques dans l'in-
tervalle des accès. MM. Deny et Chouppe ont bien cherché
le pouvoir urotoxique; mais, d'une part l'impossibilité de pré-
voir les accès, d'autre part le trouble mental consécutif aux
paroxysmes, rendant très difficile la récolte de l'urine des
vingt-quatre heures, les ont empêché de multiplier suffisam-
ment leurs expériences pour conclure.
Ils inclinent cependant à penser que leur toxicité est tou-
jours sensiblement égale.
Dans le courant de l'année 1890, M. Féré fit trois communi-
cations sur les injections intra-veineuses d'urines d'épilep-
tiques. Dans une première note (26 avril), il rapporte une série
d'expériences faites sur un seul malade, à la suite d'attaques
nocturnes sans mictions involontaires.
On conservait séparément l'urine de la miction du soir. Dans
la nuit, le malade avait un accès, mais il n'urinait pas au lit.
On recueillait alors le matin une deuxième urine, la pre-
mière était prae-paroxystique, la seconde post-paroxystique.
Dans ces conditions, la première urine amenait la mort
rapidement avec de fortes convulsions; la seconde plus lente-
ment et avec peu de convulsions.'
Aussi l'auteur concluait-il : « Sauf certaines exceptions,
dont les conditions physiologiques n'ont pu être déterminées,
les urines pra ? -paroxystiques sont plus toxiques et plus con-
vulsivantes que les urines post-paroxystiques. »
« Les coefficients urotoxiques furent calculés sur le rapport
de l'intervalle de deux mictions consécutives . à vingt-quatre
heures » et non pas sur la totalité de l'urine de vingt-quatre
heures.
Le malade de M. Féré avait des accès tous les deux à trois
jours. Il a présenté au cours des expériences deux ou trois
périodes de calme d'une dizaine de jours.
180 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE. '
Dans une seconde note (10 mai), M. Féré relève une cause
d'erreur dans ses propres expériences. « Une partie de la
deuxième urine, dit-il, est en réalité de l'urine proe-paroxys-
tique, puisqu'elle a été sécrétée avant l'accès. » Aussi, il n'in-
jecte plus l'urine de la première miction consécutive à l'accès,
mais celle de la deuxième miction. Dans ces conditions, il cons-
tate que l'urine prae-paroxystique est treize fois et demie plus
toxique et onze fois et demie plus convulsivante que l'urine
post-paroxystique. Ici, comme dans les expériences précé-
dentes, M. Féré calculait ses coefficients urotoxiques « sur le
rapport de l'intervalle de deux mictions consécutives à vingt-
quatre heures ».
Dans une dernière note enfin, après avoir constaté de nou-
veau que les urines post-paroxystiques sont peu toxiques, il
rapporte des expériences faites chez un épileptique présentant
de l'excitation maniaque. Il constate une augmentation de
toxicité pendant l'excitation maniaque, une diminution de
toxicité quand celle-ci est tombée, et enfin une sorte de
décharge toxique quand les phénomènes psychiques com-
mencent à baisser.
Il en conclut que l'augmentation de la toxicité serait l'effet
et non la cause de l'excitation maniaque, battant en brèche
l'opinion soutenue par M. Chevalier-Lavaure', qui trouve une
diminution dans la toxicité de l'urine des maniaques et est
tenté d'attribuer à cette hypo-toxicité les phénomènes psy-
chiques. Dans la même communication, M. Féré note égale-
ment que les épileptiques ont des crises de polyurie dans les
vingt-quatre heures, desorte qu'à certains moments de la
journée ils rendent proportionnellement sept à huit litres
d'urine, bien que la totalité de l'urine de vingt-quatre heures
ne soit pas, en fin de compte, augmentée.
Le mot proportionnellement s'explique par la façon dont
M. Féré calcule ses coefficients urotoxiques (voir première
note).
Depuis ces diverses communications, aucun fait nouveau n'a
été apporté; depuis l'année dernière cependant, une série de
travaux ont été publiés dans une voie parallèle. Sous l'inspi-
ration de M. Mairet, de Montpellier, on a étudié successive-
ment la toxicité des urines des aliénés et des hystériques.
1 Thèse de doctorat (Bordeaux, 1890).
DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 181
Ces faits ne se rattachent pas directement à la question qui
nous occupe. Nous nous bornons à constater les efforts tentés
dans ces derniers temps au point de vue de la pathogénie des
maladies du système nerveux par la recherche de l'uro-toxicité.
Nous avons tenu à rapporter en détail les expériences de
MM. Deny et Chouppe d'une part, de M. Féré d'autre part;
car nous sommes persuadés que c'est dans les détails que se
trouve l'explication des divergences constatées entre ces expé-
rimentateurs. MM. Deny et Chouppe, suivant les règles posées
par M. Bouchard, calculent leurs coefficients urotoxiques sur
une donnée constante, la totalité de l'urine des vingt-quatre
heures; leurs résultats sont par suite toujours comparables
entre eux. Ces résultats s'appliquent à la toxicité des urines
des épileptiques et en dehors des accès. Pour la question de la
toxicité avant ou après les paroxysmes, ces auteurs refusent
de conclure, justement parce qu'ils n'ont pu arriver à recueillir
pendant vingt-quatre heures de l'urine avant des accès impos-
sibles à prévoir, ou après des accès dont la plupart s'accom-
pagnent de trouble mental. Que fait au contraire M. Féré ? Il
calcule ses coefficients urotoxiques * sur le rapport de l'inter-
valle de deux mictions consécutives à vingt-quatre heures ».
Mais M. Feré reconnaît lui-même (3e note) que les épileptiques
présentent dans les vingt-quatre heures des crises de polyu-
rie pendant lesquelles ils rendent proportionnellement sept
à huit litres d'urine sans que la totalité de l'urination soit en
somme augmentée. Il suffit aussi de remarquer que l'ingestion
d'un verre d'eau en plus ou en moins pourra, dans ces cir-
constances, faire varier considérablement les appréciations.
Nous croyons que c'est là qu'il faut chercher la cause des
résultats si dissemblables obtenus entre les premiers expéri-
mentateurs et ceux que nous avons obtenus nous-même et que
nous allons exposer maintenant.
II
Toutes nos expériences ont été faites chez des femmes
adultes dans le service de l'un de nous à la Salpêtrière, et nous
nous sommes appliqués à suivre les préceptes de M. Bouchard,
c'est-à-dire à recueillir toutes les urines de vingt-quatre heures
et à les injecter très doucement.
182 . PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
Au début de nos expériences sur les cobayes; nous avons
fait comme M. Féré ; nous avons pris les mictions d'urine avant
et après les accès convulsifs, avons injecté ces mictions et avons
calculé le coefficient d'urotoxicité par la quantité totale
approximative des urines en prenant quand nous le pouvions
toutes les urines de vingt-quatre heures pendant plusieurs
jours et en prenant la moyenne de toutes ces quantités réu-
nies.
Outre que ce moyen n'est pas exact, il est défecteux, il nous
expose à ne pas terminer une opération commencée avec une
seule miction (les urines recueillies ne sont pas en assez
grande quantité pour tuer l'animal, comme cela nous est
arrivé dans nos expériences sur les cobayes). Nous rapportons
tout de même ces premières expériences parce que dans plu-
sieurs de nos expériences la quantité totale de l'urine a pu être
assez exactement évaluée et la comparaison peut être faite avec
nos expériences sur les lapins. Elles ne dénotent pas une
grande différence d'appréciation dans les résultats, ét en tout
cas elles ne donnent pas les résultats qu'a obtenus M. Féré.
Mais nous conseillons d'abandonner les cobayes pour les injec-
tions d'urine : 1° parce que l'injection intra-veineusc chez les
cobayes est difficile et détermine un traumatisme opératoire
assez considérable et quelquefois une perte de sang notable;
2° parce que cette injection n'étant pas entrée dans le domaine
classique, on ne peut pas comparer directement les résultats
obtenus à ceux qu'on obtient chez les lapins qui sont aujour-
d'hui connus et admis de tous. Pour ces raisons, njus nous
appuierons pour tirer nos déductions sur nos expériences sur
les lapins. Là le contrôle est facile et le coefficient d'urotoxi-
cité ne peut être contesté.
Parmi nos malades, nous avons choisi celles pour lesquelles
lediagnostic épilepsie essentielle n'est pas contesté. Nous avons
laissé de côté tous les cas douteux et tous les cas d'épilepsie
symptomatique.
Ceci une fois fait, nous nous sommes proposés, comme pour
nos recherches sur l'albuminurie des épileptiques 1, de recher-
cher la toxicité des urines :
1 Jules Voisin et A. Pérou. (Archives de Neurologie, 1892, mai.)
DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 183
1° Avant, pendant et après les accès convulsifs isolés ;
2° Avant, pendant et après les accès convulsifs en série ;
3e Avant, pendant et après l'état de mal ;
4° Avant, pendant et après le petit mal ;
5° Avant, pendant et après le délire épileptique et la démence ;
6° Enfin nous nous sommes demandés quelle est la toxicité nor-
male des urines des épileptiques.
Nous n'avons pu remplir toutes ces conditions parce que
nous n'avons pu recueillir toutes les urines des vingt-quatre
heures dans ces cas déterminés. Cependant, nous n'avons rien
négligé pour arriver à ce résultat ; nous nous sommes entourés
d'un personnel dévoué et quand les malades avaient l'habitude
d'uriner sous elles dans chaque attaque, nous avions soin,
quand nous voulions expérimenter les urines de ces malades,
de les faire aller à la garde-robe toutes les deux heures et de
cette manière nous évitions une perte d'urine qui serait arrivée
brusquement au moment de l'attaque. -
Quand, d'autre part, les malades avaient un trouble mental
prolongé à la suite des attaques nous avions soin de faire
sonder nos malades toutes les deux, ou trois heures. De cette
manière encore nous évitions une perte d'urine involontaire.
Nous avons expérimenté aussi sur de l'urine de malades qui
n'étaient pas trop avancé dans la maladie. Peut-être même y
aurait-il avantage à ne prendre que des malades au débutde leur
maladie alors qu'ils ont des accès isolés très éloignés ? Mais ces
malades sont très rarement hospitalisés, et voilà pourquoi nous
n'avons pas d'expériences relatives à ces cas. Nous avons
recherché des malades qui avaient, des séries fréquentes et ils
nous ont permis ainsi de recommencer souvent nos expé-
riences.
Le mot série pour nous n'a pas la même valeur que celle
qu'on lui attribue généralement dans les livres. On dit dans
les livres qu'un épileptique a des accès en série quand dans
une même journée il a plusieurs accès séparés les uns des
autres par un intervalle lucide plus ou moins long. Les malades
au contraire qui ont un accès tous les jours pendant plu-
sieurs jours de suite sont considérés comme étant des ma-
lades ayant des accès isolés quotidiens. Pour nous, nous consi-
dérons plusieurs de ces malades comme étant des sériels.
Chez eux l'intervalle lucide est très long : un jour, mais le
malade n'en est pas moins en puissance d'accès.
184 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
Pour le prouver, il suffit de jeter les yeux sur le relevé des
accès de ces épileptiques : vous voyez que pendant quatre ou
cinq jours ils sont malades tous les jours une fois ou deux,
puis ils restent huit à dix jours bien portants et recommencent
au bout de ce temps leur série dans les mêmes conditions.
Les expériences que nous avons faites sur la toxicité des
urines nous prouvent une fois de plus que nous avons raison
d'envisager la question sous cet aspect, car pendant tous ces
jours, leurs urines présentent la même toxicité pour se mo-
difier aussitôt que les accès sont finis. Quand, au contraire, la
toxicité d'urine augmente après un accès isolé, c'est que vrai-
ment le malade est atteint d'accès isolé et non de série. La
recherche de la toxicité urinaire est un moyen de diagnostic
important et la connaissance de ce fait peut empêcher les con-
troverses que des expériences consécutives pourraient nous
amener.
Les relevés d'accès que nous publions plus loin sont une
preuve de ce que nous avançons. Il n'y a qu'une exception,
c'est le cas où les malades sont pris de la démence. Les exem-
ples de Wilmb..., par comparaison, nous paraissent absolu-
ment démonstratifs.
Nous insistons sur la donnée de la série, car elle seule nous
permettra de comparer entre eux les résultats des expériences
sur des malades présentant des accès en apparence isolés avec
ou sans petit mal. La toxicité des urines des vingt-quatre
heures, avant la série, pendant la série, après elle, est donc la
question que nous nous sommes efforcés de résoudre dans le tra-
vail qui suit.
Ces quelques lignes de digression étant dites (leur utilité
étant incontestable), nous revenons aux précautions que nous
avons prises pour mener à bonne fin les expériences que nous
avons entreprises.
Une fois les mictions d'urine recueillies, nous les mélan-
geons toutes dans un bocal et nous notons avec soin la quan-
tité émise dans les vingt-quatres heures et ses qualités phy-
siques.
L'urine une fois recueillie nous l'injections immédiatement
après filtration très soigneuse. Nous n'avons pas neutralisé
l'acidité, les expériences de M. Bouchard ont démontré qu'il
n'y avait aucun inconvénient à injecter des urines acides. Si
on ne pouvait faire l'injection immédiatement au bout de
DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 185
vingt-quatre heures, on avait soin pour éviter toute fermenta-
tion de mettre une petite pincée de naphtol dans le bocal
renfermant cette urine. Ce naphtol est un très bon antisep-
tique et sa présence en si petite quantité a été reconnue n'occa-
sionnant aucun inconvénient.
Les injections ont été faites très lentement dans les veines
de l'oreille du lapin ou dans la veine humérale ou fémorale du
cobaye ; ces animaux étant préalablement attachés sur une
planchette.
I. - EXPÉRIENCES SUR LES COBAYES
Coefficient d'zirotoxicité calculé sur la moyenne des urines de vingt-
quatre heures.
Le 11 septembre, on recueille vers 8 heures du matin, à l'aide
de la sonde, avant la période clonique d'un accès, l'urine de Sep...,
dont voici le relevé des attaques dans les mois de septembre et
d'octobre :
186 - PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
salive à la bouche. Mais l'aiguille sort de la veine et ne peut être
réintroduite. On dénude alors la ,veine humérale gauche et en
cinq minutes, de 2 h. 30 à 2 h. 35, on injecte 23 c. c. d'urines.
Je dois m'arrêter parce que je n'ai plus d'urines proe-paroxys-
tiques. On détache l'animal à 3 heures moins le quart après un
pansement au collodion. T. 32°,fi.
L'animal une fois libre est agité de frissons, le poil est hérissé,
l'oeil terne, il ne cherche pas à fuir. Pas de convulsions nettes.
L'animal meurt à 7 heures du soir, quatre heures et demie après
l'injection.
II). Une heure après l'accès dont on a injecté les urines proe-pa-
roxystiques. On recueille l'urine de Sep... Cette urine ne renferme
pas de traces d'albumine. Filtrée et alcalinisée, elle est injectée à
5 heures moins le quart à un cochon d'Inde de 340 grammes.
T. 36°,4. La dénudation de la veine humérale est assez facile, mais
l'aiguille traverse l'artère humérale qui doit être liée. Dénudation
à gauche facile : injection en dix minutes de 65 c. c. d'urines.
Arrêt des mouvements respiratoires à 65 c. c. sans la moindre
convulsion. T. 32°,6.
Les deux expériences précédentes semblent pouvoir per-
mettre la conclusion suivante :
Etant données les différences de poids des animaux, les diffé-
rences de poids des urines injectées et enfin le temps relativement
assez long qui a amené la mort du premier animal, la toxicité des
urines de Sep ? proe ou post-paroxystiques est sensiblement la
même :
700 grammes, 100 c. c., mort 4 heures et demie après l'injection.
340 - 65 - - pendant l'injection.
Malheureusement la totalité de l'urine des 24 heures n'a pas été
recueillie ce jour. Par contre le 25 septembre, Sep... a rendu
1650 c. c., le 26, 1200.
DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 187
III). Le 25 septembre on recueille à 11 heures du matin l'urine
de Sep..., on la filtre et elle est alcalinisée avec la solution de bi-
carbonate de soude. Cette urine ne contient pas d'urohiline ni
d'albumine.
Cochon de 740 grammes. Dénudation facile de la veine axillaire
droite, injection de 50 c. c. en vingt minutes environ. La quantité
d'urine des vingt-quatre heures a été ce jour-là de 1650 grammes.
IV). Le 2 octobre on injecte l'urine de Sep... sans attaques
depuis quatre jours.
Urines de une heure de l'après-midi alcalinisées et filtrées. Cobaye
de 630 grammes n'ayant pas été touché. Dénudation facile sans
perte de sang appréciable.
Injections en dix minutes de 75 c. c. d'urines. Mort à 75 c. c. avec
convulsions toniques répétées. Pas de réaction. Par une erreur faite
par la fille de service, l'urine de Sep... n'a pas été recueillie en
totalité ce jour-là. En admettant la même moyenne, 1175 c. c.
que pour l'injection II, on a : C = 0,21.
A l'autopsie cinq petits foetus (de huit à quinze jours environ),
congestion pulmonaire et rénale modérée.
V). 13 octobre. Sep... a eu un accès hier dans la journée
(après midi). Elle est aujourd'hui très troublée, absolument perdue,
a dû être camisolée. Elle mange cependant.
L'urine est très acide. On la neutralise, on la filtre. Elle n'est ni
urobilique ni albumineuse; elle contient des peptones.
Cochon de 435 grammes. - Dénudation facile à 2 heures de la
veine axillaire droite. Injection impossible. Perte de sang très mi-
nime. A gauche, dénudation facile. Injections en un quart d'heure
de 47 c. c. d'urines. A 42 c. c., l'animal se raidit en arrière, tout
le corps est raide sans convulsions cloniques, les mouvements res-
piratoires sont lents, profonds et irrëguliers.'Epistaxis abondante.
A 47 c. c., arrêt respiratoire. Mort.
z Autopsie. Légère congestion pulmonaire et rénale, rien dans
l'encéphale à l'oeil nu.
Voici dans quelles conditions l'urine a été recueillie :
- A 10 heures et demie on fait pisser la malade qui donne 30 c. c.
d'urine environ, à 5 heures un quart elle n'a pas encore uriné. On
la sonde et on trouve 30 autres centimètres cubes qui ont été mé-
langés aux précédents.
La totalité de l'urine des vingt-quatre heures recueillie avec beau-
coup de soin a été de 960 grammes. Coefficient : 0,189.
N. B. - Sep... n'a pas eu d'attaques nouvelles dans la journée.
VI). Le 14 octobre, Sep... est sans attaques depuis deux jours.
Hier, dans la journée, elle était très troublée, on a dû l'attacher.
188 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
Aujourd'hui elle est revenue à son état normal, On a dû la sonder
.pour recueillir environ 60 ce. d'urines depuis 11 heures du matin.
Urine très acide, alcalinisée, filtrée, injectée, à 2 heures et
demie. -
Cobaye de 730 grammes. Dénudation très facile sans perte
de sang appréciable. En cinquante minutes, injection de 62 c. c.
Accélération rapide des mouvements respiratoires ; à 32 c. c.,
miction très claire. A 43 c. c., 2° miction très claire. A
62 c. c., 30 miction très claire.
On interrompt l'injection parce qu'il n'y a plus d'urines. On va
sonder le malade pour la deuxième fois (3 heures moins 20). Au
bout de huit minutes l'injection est refaite. Pendant ces huit mi-
nutes d'interruption, la respiration de l'animal, qui est très calme,
sans un mouvement, est profonde, lente et irrégulière.
A 72 ce, l'animal se raidit brusquement. On peut le soulever
d'une pièce sur la planchette, raideur très accentuée des muscles
abdominaux, le rectum fait une forte saillie. La respiration s'arrête :
salivation abondante, exorbitisme. Cela dure trente secondes en-
viron. Puis des secousses cloniques apparaissent dans la face à la
commissure des lèvres. On sent les masséters fortement agités.
Les membres supérieurs se fixèrent à leur tour. On voit les muscles
danser dans la profondeur de la plaie du bras. Les membres infé-
rieurs enfin sont agités de quelques secousses. Puis tout s'arrête.
La respiration ne repart pas. Je note : Pas une goutte de sang
perdu dans la dénudation de la veine qui a été extraordinairement
facile.
Autopsie. - Congestion pulmonaire et rénale très accentuée.
Infarctus dans le lobe supérieur du poumon droit du volume d'un
grain de mil. Le coeur continue à battre !
Toujours calculé sur la même moyenne de 1175 c. c., qui parait
faible dans le cas particulier. Le coefficient urotoxique est de
0,275 c. c.
Le 29 septembre 1891, on recueille à une heure de l'après-midi,
à l'aide de la sonde, avant la période clonique de l'accès, l'urine
de Mon...
Or, Mor..., le 11 septembre, a eu 2 attaques de jour; le 12 sep-
tembre, une attaque de nuit. Elle n'a rien présenté les 13, 14, 15,
16, 17.
Le 18, elle a eu un accès nocturne.
Du 19 au 23, rien. `
Le 2t, un accès de nuit.
Le 25, - -
Le 26, un accès de jour.
Le 27, 3 accès de jour, un de nuit.
Le 28, un accès de nuit..
DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 189
Le 29, 4 accès de jour, l'urine a été recueillie avant le premier
accès.
Le 30, un accès de jour.
Du 1er au 10 octobre, pas d'attaques ni de vertiges. L'urine prise
pour comparer l'état sériel avec l'état normal a été recueillie le
2 octobre. (Voir Mor..., 2e injection.)
Le 10 octobre, une attaque de jour.
Le 11 2 de nuit.
Première injection. L'urine recueillie le 29 est claire, elle est
alcalinisée, filtrée et injectée deux heures après qu'on l'a re-
cueillie.
La dénudation de la veine est facile.
Pas de perte de sang appréciable.
En vingt minutes environ, injection de 90 c. c. d'urine; à 30 c. c.,
miction d'urines troubles; à 52 c. c., agitation; à 75 c. c.; secouasses
toniques isolées se répétant par intervalles jusqu'à 90 c. c.; à 90,
arrêt des mouvements respiratoires.
Autopsie. - Congestion pulmonaire assez marquée. Petits
infarctus aux deux bases. Congestion du rein. Rien dans l'en-
céphale. Le coeur continue à battre.
Mor... pèse 61 k. 800. Le cochon d'Inde 490 grammes. La
quantité d'urine recueillie dans les vingt-quatre heures est de
1.700 grammes.
Mor... n'aurait pas perdu d'urine pendant ses quatre accès qui
se sont succédé dans l'espace de deux heures environ. Elle n'a pas
été à la selle dans les vingt-quatre heures.
Voici, d'autre part, la totalité des urines pendant dix jours, du
3 au 13 octobre inclus, recueillies indépendamment des garde-
robes. On notera l'abaissement à 400 c. c. la veille de la série du
10 et Il octobre :
190 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE..
Mort après quelques secousses toniques sans miction ni défé-
cation.
Autopsie. - Congestion pulmonaire et rénale sans infarctus. Le
coeur continue à battre. Pas d'injection d'urine dans le tissu cellu-
laire autour de la veine. L'urine n'était ni albumineuse ni urobi-
lique. La totalilé des urines recueillies dans les vingt-quatre heures
a été de 1.600 grammes. - Coefficient urotoxique du 2 octobre,
0.45.
URINES DE DEM...
Relevé des attaques en septembre et octobre.
3 septembre. Une attaque de nuit.
. 4 - Deux de jour, un vertige de jour.
6 Un vertige de jour.
14 Une attaque de jour.
15 - Une
16 Une attaque de nuit.
21 . Six accès de jour.
4 ? octobre. Une attaque de nuit.
2 Deux attaques de jour.
18 - Trois de nuit.
Voici d'autre part la totalité des urines du 3 au 13 octobre (pas
d'attaques). (Le 8 octobre manque, jour de sortie.)
DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 191
Cochon de 345 grammes. Dénudation facile de la veine axil-
laire. Injection sans discontinuer de 48 c. c.
Accélération des mouvements respiratoires à 6 c. c.
Mictions d'urines claires à 26 c. c.
- répétées très abondantes dans les dernières minutes de
l'injection (5 à 6). Mais l'aiguille se bouche. Dénudation facile de
la veine du côté opposé, mais l'injection est impossible. Ligature.
Pansement collodionné. '
L'animal détaché est assez vif. Il a guéri complètement.
Si on cherche le coefficient urotoxique, bien que l'animal ne
soit pas mort, on trouve 0,27. Mais il est certain que ce coefficient
urotoxique serait très abaissé si l'on avait pu aller jusqu'à la mort
du cobaye.
II). Le 2 octobre, on recueille avant la période clonique du
deuxième accès, à l'aide de la sonde, l'urine de Dem...
La série a commencé hier soir (se reporter au tableau).
Dem... n'a pas eu d'autre attaque dans la journée, la série
était terminée.
L'urine injectée, a été recueillie à une heure et demie de l'après-
midi. Elle n'est ni albumineuse, ni urobilique.
Le cobaye pèse 825 grammes. Il a déjà servi à une dénudation
antérieure, la plaie est à peu près complètement cicatrisée. Sa
température est de 36°,8.
Dénudation facile sans perte de sang.
Infection en 10 minutes environ de 34 c. c. d'urine filtrée et alca-
linisée ; à 30, secousses sans convulsions franches. Pas de miction
ni de défécation.
Autopsie. - Vessie pleine d'urines troubles ; congestion pulmo-
naire et rénale. Le coeur continue à battre. Ce qui semble indiquer
que la décharge est rapide.
La totalité des urines, dans vingt-quatre heures, recueillies avec
soin, a été de 1900 c. c. Coefficient urotoxique 1,02.
UI). 8 octobre 1891. - Urines de Dem... sans accès depuis le 2 oc-
tobre, recueillies à une heure de l'après-midi. Miction abondante
de 350 grammes environ ; ni urobiline, ni albumine à réaction
nettement acide, filtrées et neutralisées.
Cochon d'Inde n'ayant pas servi, de 755 grammes. Dénudation
très facile. Pas de perte de sang. Injection en un quart d'heure, de
90 c. c. d'urines ; à 25, tre miction d'urines troubles ; à 40, 20 mic-
tion d'urines troubles. Les mictions se répètent jusqu'à la mort,
claires. On peut recueillir 25 c. c. d'urines du cobaye, sur la plan-
chette. Elles ne sont pas albumineuses. A 80, convulsions toniques
généralisées à plusieurs reprises. Salivation très abondante. A 90,
mort. '
192 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE. '
La totalité des urines recueillies dans les vingt-quatre heures,
avec soin, a été de 2 litres 300. Coefficient urotoxique 0,42.
- URINES DE BART...
Le -lek octobre, on recueille à 11 heures du matin, l'urine de
Mme Bart..., pesant 63 lui. 3. Cette malade, grande épileptique,
a été souffrante hier toute l'après-midi. Cette nuit, la veilleuse n'a
rien remarqué d'anormal. Mais ce matin, vers 7 heures, elle a eu
une attaque convulsive. A la visite, nous la trouvons toute troublée,
elle vient tourner autour de nous, ce qu'elle ne fait jamais d'habi-
tude, se plaignant de souffrir de partout; la langue est légèrement
saburrale.
Elle n'a eu que cette attaque dans la journée du 14 octobre. Le
lendemain 15, elle était d'ailleurs revenue à son état normal.
L'urine est très trouble, en petite quantité, à réaction nettement
acide. Elle ne contient ni albumine, ni urobiline. On l'injecte à
2 heures de l'après-midi, après l'avoir filtrée et alcalinisée.
Le cochon d'Inde pèse 615 grammes.
Au bras droit, la dénudation de la veine est assez facile, mais la
poinfe de l'aiguille touche l'artère qui saigne notablement. Une
pince hémostatique est mise sur ce vaisseau. L'injection est faite
dans la veine axillaire au-dessus du tendon du grand pectoral.
Injection en trois minutes, de 18 c. c. A 5, accélération et superfi-
cialité des mouvements respiratoires. A 12, agitation, cris. A 18,
l'animal se rejette violemment en arrière. Il est raide ; on peut le
soulever d'une pièce sur la planchette. La respiration s'arrête. Cet
état dure environ dix secondes. Puis des secousses répétées appa-
raissent dans les muscles de la face, gagnent rapidement les
membres et le tronc, qui paraissent agités d'une sorte de tremble-
ment vibratoire. Exorbitisme très prononcé. Mort.
Autopsie. Congestion pulmonaire assez accentuée aux deux
bases avec petits infarctus disséminés. Peu de congestion rénale.
Vessie pleine d'urines troubles. L'animal n'a pas uriné, n'a pas dé-
féqué pendant la durée de l'injection.
La quantité d'urines recueillies dans les vingt-quatre heures,
s'élève à 1000 c. c. environ. (La malade a eu deux selles liquides,
une à 8 heures du soir, une à 2 heures du matin'.) Urines recueil-
lies, 700 grammes. Poids de la malade, 63 kil. 3. Coefficient uro-
toxique, 0,54.
1 La fille de service de nuit nous a dit qu'il y avait peu d'urine dans
la selle de 8 heures, mais que dans celle de 2 heures du matin il y en
avait beaucoup. Nous croyons, sans exagération, pouvoir fixer approxi-
mativement la quantité d'urines à 1 litre. La journée suivante l'urine fut
recueillie en totalité. Il y en eut 1650 grammes.
DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 193
II. EXPÉRIENCES SUR LES LAPINS.
Coefficient d'urotoxicité calculé avec les urines des 21 heures.
2 avril. Broc..., vingt et un ans, poids 62 kil., atteinte d'épi-
lepsie essentielle. Céphalalgie et léger trouble mental après les
accès de peu de durée. - Intelligence moyenne.
Broch... a eu dans la journée du 31 mars deux grands accès et
plusieurs accès incomplets. La dernière manifestation comitiale
vers dix heures du soir.
On recueille l'urine du le, avril, 11 heures du matin, au 2 avril
même heure : Q = 1,200 c. c. environ, à réaction acide, filtrés
avec soin.
Lapin de 2 kil. 410. Injection en trente-cinq minutes environ
de 105 c. c.; vers 20 c. c., myosis, accélération et superficialité
des mouvements respiratoires; - à 35, myosis très accentué;
à 72, les mouvements respiratoires deviennent lents et irréguliers.
Quelques secousses dans le train postérieur; -à 90, cris prolongés,
nouvelles secousses; à 105, convulsions toniques, très intenses
(type déjà décrit). Quelques secousses cloniques dans les muscles
de la face. Mort. Pas de miction, ni de défécation.
Autopsie. Le coeur continue à battre. Les organes thoraciques
et abdominaux sont peu congestionnés, encéphale sain. Coeffi-
cient urotonique : 0,443.
4 avril. L'urine a été recueillie du 2 avril, 4 heures du soir
au 3 avril même heure. Son odeur est légèrement ammoniacale,
mais sa réaction est nettement acide, elle est claire. Filtrée avec
soin. Q = 1.300 c. c.
Lapin de 2 kil. 280.- En trente-cinq minutes environ, injection
de 220 c. c.
Le myosis et une accélération respiratoire peu marquée appa-
raissent vers 40 c. c. seulement; vers 70, myosis intense; -
à 110, cris violents sans secousses, puis l'animal retombe dans la
somnolence; - vers 160, les respirations deviennent irrégulières
et plus profondes, sans cesser d'être rapides; - à 215, agitation
secousses sans caractères francs, exophtalmie qui s'accentue;
à 220, mort à la suite de secousses qui n'ont pas présenté les carac-
tères habituels (opistothonos, raideur de tout le corps, etc.), pas
de miction, défécations répétées très fétides.
Autopsie : Congestion de tous les organes, congestion de l'en-
céphale légère. Le coeur bat. Pas d'embolies pulmonaires. Coeffi-
cient urotoxique : 0,217.
Archives, t. XXIV. 13
194 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
Le cahier ne fait pas mention d'attaques, mais en interrogeant
la surveillante on apprend que le 3, vers sept heures du soir, trois
heures par conséquent après la fin de la récolte de l'urine, Broch...
a eu un grand accès. -
8 avril. Broch... a eu une dernière attaque dans la nuit du
4 au- 5 avril, vers 10 heures du soir. L'urine injectée a été recueillie
trente-huit heures après, du 6 avril midi au 7 avril midi. Le
8 avril, vers 7 heures du matin, dix-neuf heures après la récolte
de l'urine, un grand accès. Q = 1.500 c. c. ; . ,
Lapin de 1 kil. 550. f " '
L'urine injectée a été naphtolée. Sa réaction est nettement acide,
elle est non ammoniacale. Elle a été filtrée avec soin. En huit
minutes environ, injection de 65 c. c. Dès 10 c. c., myosis franc;
à 15, accélération énorme des. respirations : - : à 32, respira-
tions très superficielles et très légères. Pupilles punctiformes; -
à 44, cris, agitation; à 55, nouveaux cris, irrégularités respira-
toires ; ',à 62, 'rejet brusque en arrière,^ convulsion tonique,
franche et intense. Exophtalmie brusque. Perte des réflexes cor-
riéens ; deux ou trois inspirations rares et profondes jusqu'à
65 c. c. à 65, arrêt définitif. Mort. - Pas de miction, ni de défé-
cation.
Autopsie. - Vessie vide. Le coeur bat. Pas de congestion hépa-
tique rénale ou pulmonaire. - Coefficient : 0,572. -
- - Relevé des accès de Broch...
27 mars. Un grand accès de jour.
31 - Deux grands accès de jour.
3 avril. Un grand accès de jour.
- -
8 - - -
- 9 - - -
12
` 13 de nuit.
14 - - de jour.
Gauth..., vingt-quatre ans, atteinte de débilité mentale avec
épilepsie. Père alcoolique, mère hystérique. Accès en série.
Urines post-paroxystiques. 4 ? avril. Gauth..., poids
46 kil. 500, a, le 30 mars, une attaque de jour, deux accès dans la
nuit du 30 au 31.
(On recueille l'urine le 31 mars, à 10 heures du matin, jusqu'au
1er avril même heure. U = 1.030 grammes.) . ,
DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. irez7
Le 31 mars, elle a trois accès dans la matinée, le dernier accès
à 11 heures du matin sans miction involontaire.
Le lcr avril, jour de l'injection, elle se trouve bien, répond nette-
ment. Pas de troubles gastriques.
. A 4 heures de l'après-midi, le 1C" avril, l'urine est injectée. Elle
est à réaction nettement acide; on la filtre avec le plus grand
soin. , ,
Lapin de 1 kil. 850.
A 12 c. c, le myosis est déjà très accentué, l'accélération des
mouvements respiratoires considérables; - vers 25, pupilles punc-
tiformes. Respiration précipitée et superficielle; à 50, première
attaque de secousses. Ce sont des convulsions toniques de tout'le
corps, plus marquées cependant dans le train postérieur qui se
projette violemment en arrière, la queue se trouve collée contre le
sacrum par un violent mouvement tonique, projection des bras en
avant,' légère projection de la' tête en arrière. Exorbitisme consi-
dérable et brusque, perte immédiate du réflexe cornéen. L'in-
jection continue, l'animal reprend son calme en apparence. La
respiration est lente et irrégulière, profonde, le réflexe cornéen est
paresseux. . " ,
A 72 c. c., l'animal se tend brusquement en arc. La nuque en
épistothonos touche le dos, le, corps est raide et peut être soulevé
d'un bloc sur la planchette.' '
Exorbitisme énorme : perte du réflexe cornéen. La pupille se
dilate. Les mouvements respiratoires s'arrêtent définitivement. -
Quelques secousses apparaissent encore dans les muscles de la face,
et agitent les poils du museau pendant une minute et demie
environ. 1- , ' , .
Une seule miction peu abondante au début de l'expérience.
Durée de l'injection : douze minutes environ.
(Cette description peut servir de type pour les convulsions
toniques analogues à celles que produit l'empoisonnement par la
strychnine.) ,
' Autopsie. - Le coeur continue à battre. Les reins, le foie et le
poumon sont peu congestionnés. Pas d'embolie pulmonaire. Dans
l'encéphale, légère congestion. z
Coefficient urotoxique. Urines post-paroxystiques : 0,578.
2 au21l. - Gault... n'a pas eu de nouvel accès depuis hier. Urines
recueillies du 1cr avril, 4 heures de l'après-midi au 2 avril même
heure : Q = 850 ce.
Lapin de 2,480 grammes. - Urines à réaction acide, filtrées avec
soin. ' ·
Vers 15 c.c., myosis. Respiration accélérée et superficielle;
vers 55, myosis énorme. Respiration moins fréquente, mais irrégu-
lière et plus profonde; - A 70, secousses isolées, agitation; A
196 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
72, attaque de convulsions toniques. Exophtalmie intense etbrusque.
Perte immédiate du réflexe cornéen. Mort. Une miction d'urines
troubles dans les derniers temps de la vie. Durée de l'injection,
17 minutes.
Autopsie. - Le coeur continue à battre. Les reins sont légère-
ment congestionnés. Les poumons sont légèrement congestionnés
aux deux bases sans embolies. Encéphale et foie sains.- Coefficient
urotoxique : 0,630.
4 avril. - Gault... est toujours sans accès. Q = 1,200 c. c.
environ. Urines recueillies du 2 au 3 avril.
Lapin de 1,920 grammes. A 15 c. c., myosis intense. Respira-
tion superficielle et très accélérée déjà; - A 70, ébauche de con-
vulsion toxique généralisée; A 72, secousse toxique. très vio-
lente. Exophtalmie brusque, perte inmmédiate du réflexe cornéen.
Mort. Pas de miction ni de défécation pendant l'expérience. Durée,
15 minutes.
Autopsie. Congestion rénale peu accentuée. Pas de congestion
pulmonaire. Rien dans l'encéphale, au foie, ni au coeur. - Coeffi-
cient urotoxique : 0, 60r.
23 avril (samedi). On a cherché dans cette expérience, dont
on ne peut rien conclure à injecter l'urine de Gault... dans l'inter-
valle des accès. (Voir le relevé.)
L'urine a été recueillie le 20 (mercredi), 10 heures du matin, au
21 (jeudi) même heure. Q = 1,500 c. c.
Odeur ammoniacale ; les urines par erreur n'ont pas été
naphtolées. Elles ne bleuissent pas cependant le papier rouge de
tournesol. Elles sont très troubles. Gault... a d'ailleurs beaucoup
de pertes blanches. Malgré plusieurs filtrages successifs, la limpi-
dité parfaite ne peut être obtenue.
Lapin de 1,600 grammes. Myosis intense vers 25 c. c. seule-
ment. La respiration n'est nettement accélérée qu'à ce moment.
Mort à 77, dans une attaque de convulsions toxiques avec exor-
bitisme brusque. Une miction, une défécation. Durée de l'injection,
10 minutes environ.
Autopsie. - Congestion rénale. Quatre à cinq embolies du
volume d'un grain de chènevis dans le lobe inférieur du poumon
droit. Les deux poumons sont congestionnés aux bases. Rien au
coeur. Coefficient urotoxique calculé d'après ces données, 0,670.
Urines d'accès. - 2 mai. - Le 30 avril, Gault... a quatre accès
de jour; le 1er mai, deux grands accès de jour et un accès incom-
plet.
L'urine a été recueillie du 30 avril, 9 heures du matin, après la
première attaque au leur (même heure). La surveillante m'affirme
DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 197 Î
que Gault... n'a pas eu de miction involontaire pendant ses accès.
Elle n'a pas perdue d'urines la nuit. Q = 775 c. c. Naphtolées. -
On les injecte le 2 dans l'après-midi. Elles sont claires, sans odeur
ammoniacale, de réaction nettement acide, filtrées avec soin.
Lapin de 1,950 grammes. - En 35 minutes environ injection de
242 c. c. ; - Le myosis et l'accélération des mouvements respira-
toires commencent à apparaître vers 45. Le myosis devient
intense vers 80. L'accélération respiratoire est d'ailleurs peu accen-
tuée. L'animal est somnolent pendant la durée de l'expérience.
Vers 170, l'exophtalmie apparaît. Elle est lento et s'accentue de
plus en plus. La respiration devient lente et irrégulière. La pupille
jusqu'ici punctiforme se dilate légèrement. A 230, cris répétés,
.quelques secousses dans les membres. A 242, nouveaux cris,
l'e1ophlaJmie s'accentue brusquement. On abandonne l'animal
qui a une convulsion tonique nette mais peu intense et qui dure
peu. Mort. Pas de miction ; défécation répétées et abondantes.
Autopsie. L'encéphale et les reins sont très congestionnés.
Poumons : à droite cinq petits infarctus du volume d'une petite
tête d'épingle disséminés. OEdème congestif énorme des deux
poumons. - Sept foetus de trois semaines environ dans la matrice.
Les épiploons sont farcis de parasites dont la nature sera déter-
minée ultérieurement. Le foie, dans certains points est très nette-
ment cirrhose surtout au voisinage de son bord libre à droite, il
crie sous le scalpel.
Même en admettant que la bonne foi de la surveillante ait été
.mise en défaut, en admettant que Gault... ait perdu de l'urine, ce
qui d'ailleurs est nié très catégoriquement par les personnes du
service, on voit que sa toxicité urinaire est très différente de celle
qu'elle avait à la suite de ses accès, non seulement comme intensité
mais comme forme. Coefficient urotoxique calculé sur 775 c. c.
est de : 0,134.
Relevé les accès de Gault ? correspondant aux expériences relatées
plus haut.
30 mars. Un accès complet de jour.
. 31 Trois accès complets de jour.
1er avril. Un accès incomplet de jour. z
8 Quatre accès complets de jour.
Huit accès incomplets de jour.
Un accès de nuit.
(A remarquer la longue durée de la période de calme avec des urines
très toxiques.)
11 avril. Deux accès complets de jour.
- - Un accès de nuit.
198 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
13 avril Trois accès complets de jour.
- Deux accès incomplets de jour.
14 .
15 Un accès complet de jour.
16
27. - r ï : 7 -
28 - - --
. 30 Quatre accès complets de jour.
1er mai. Deux ? Un accès incomplet de jour. -
Eud..., dix-neuf ans, atteint d'imbécillité avec mauvais instincts
et d'épilepsie. Hérédité convergente. Grand-père épileptique.
- Père et mère éthyliques. 1
Urines d'accès. 29 mars. Eud..., 51 kil. 500. Le 27 mars
Eud... a une attaque de jour le matin, on recueille.l'urine à partir
de 1 heure de l'après-midi jusqu'au 28, même heure.-
Eud... a eu un accès incomplet dans l'après-midi du 27, un grand
accès le 28 au matin. Elle n'aurait pas perdu d'urines pendant ces
diverses manifestations. ,
- Urines naphtolées, à réaction nettement acide, contenant un peu
de sang (commencement de la période menstruelle), filtrées.
Q 1070c.c.. . .
Lapin de 2 kil. 200. Injection en quarante minutes environ de
235 c. c. Myosis peu accentué dès le début de l'injection.
C'est seulement vers 80 ce. que la pupille ferme légèrement. Ac-
célération respiratoire. L'animal est somnolent. A 175 c. c.,
infiltration légère de l'oreille droite, on continue l'injection à
gauche. Les mouvements respiratoires sont lents et irréguliers;
A 210 c. c., cette lenteur et cette irrégularité s'accentuent. Les
pupilles se dilatent fortement. Cris. Quatre à cinq secousses dans
le train postérieur et les bras. Trismus. Exophtalmie. -A 220 c. c.,
perte des réflexes cornéens; A 235 c. c., mort sans nouvelles
convulsions. Une seule miction d'urines, troubles au début de l'ex-
périence. '
Autopsie. - Le coeur bat. Congestion rénale intense. Pas d'urine
dans la vessie. Foie et poumons congestionnés. Encéphale normal.
Coefficient urotoxique, 0,194.
Urines post-paroxystiques. 21 mai. Eud... a eu deux accès
de jour le 18 et trois le 19. -
Par suite d'une erreur commise par la surveillante qui ne croyait
pas la série terminée, on n'a recueilli l'urine que le 20 à partir de
6 heures du soir jusqu'au 21 même heure. Quantité = 1320 c. c.
Il y avait donc plus de vingt-quatre heures après le dernier accès.
Réaction acide, filtrée.
' DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉP1LEPTIQUES. 199
Lapin de 2 kil. 100. Injection en 25 minutes environ de
176 c. c. d'urines. Myosis 35 seulement. A partir de ce moment
les respirations s'accentuent rapidement et deviennent superfi-
cielles comme dans les urines post-paroxystiques; A 120, respi-
ration irrégulière, lente et profonde; Vers 140, exophtalmie
légère. A 176, mouvements convulsifs intenses. Convulsions
toniques de la face et des muscles des. yeux à la suite des convul-
sions toniques. Mort. Pas de miction.
. Autopsie. - Congestion rénale et hépatique. Pas de congestion
pulmonaire ni encéphalique. Le coeur bat. Coefficient uro-
toxique, 0,308. " ,
- Relevé des accès d'Eud...
21 mars. Un grand accès de jour.
26
- - Il o -
Un accès incomplet de jour.
28 Un grand accès de jour.
5 avril. Un accès incomplet de jour.
7 Deux accès incomplets de jour.
8 Deux grands accès de jour. '
9 Un -
13 - Deux '
21.. Un . - - -
22 Un accès incomplet de jour.
Un accès de nuit. ' .
24 Un grand accès de jour.
25 Trois grands accès de jour.
Un accès de nuit.
26 Deux accès incomplets de jour.
27 - - - -
2 mai. Un accès de nuit.
3 Deux grands accès de jour. ,
7 - -- ?
12 Un accès de nuit.
18 Deux grands accès de jour.
19 Trois
Un accès de nuit. p
Hug..., âgée de trente-cinq ans, est dans le service depuis plu-
sieurs années. Elle a des accès quotidiens en série, suivis de délire
avec agitation maniaque pendant plusieurs jours, puis d'une pé-
riode de calme avec abrutissement. Son intelligence baisse beau-
coup. Elle remplit maintenant ses fonctions d'ouvrière de magasin
avec difficulté. -
200 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
Urines préparoxystiques. 4 avril. Hug.... Poids, 57 kil. 500.
Le 3 avril elle sent les « secousses qui, chez elle, précèdent la
série des accès.
Urines Q = 2000 c. c. du 3 avril 7 heures matin au 4. Acides
claires. Filtrées. Le premier accès de la série est survenue le 4 à
midi.
Lapin de 2020 grammes. En 1 h. 30, injection de 580 c. c.;
jusqu'à 70, rien à noter chez le lapin qni reste absolument tran-
quille. Vers 70, le myosis commence à apparaître et la respira-
tion s'accélère un peu. A 130, arrêt de l'injection pour changer
l'aiguille d'oreille. Reprise : l'animal est toujours somnolent. -
Nouvel arrêt à 235, pour la même raison. Reprise sans incident.
Vers 300, la pupille se dilate légèrement. L'exophtalmie apparaît
nettement à partir de 360. Quelques secousses dans l'arrière-
train sans caractère précis à 430. A 580, on arrête l'injection.
L'animal dont les réflexes cornéens sont lents et paresseux depuis
quelques instants reste couché sans bouger. Il meurt cinq minutes
après la fin de l'injection sans convulsions. 4 mictions abondantes
d'urines claires pendant l'injection des trois cents premiers centi-
mètres cubes.
Autopsie. Congestion rénale, pulmonaire, cérébrale intense.
Epanchement de liquide dans le péritoine. Coefficient urotoxique,
0,121. '
Urines pendant l'accès. 5 avril. Hug... a eu, le 4 avril, un
grand accès à midi, un accès de nuit du 4 au 5; le 5 avril à
7 heures du matin, à midi, à 4 heures et demie du soir, un grand
accès. -
L'urine a été recueillie du 4 de 2 heures après midi au 5, même
heure. Q = 1600 c. c. La surveillante affirme que rien n'a été
perdu. A réaction acide, claires, non naphtolées, filtrées. -
Lapin de 1820 grammes. En 30 minutes environ injection de
220 c. c.. - Myosis franc vers 45. Accélération des mouvements
respiratoires.
On monte progressivement; l'animal sans secousses est somno-
lent, la respiration devient lente et profonde vers 160 c. c., l'exoph-
talmie commence, les pupilles se dilatent un peu. A 210,
quelques secousses sans caractère bien net. L'exophtalmie qui a été
en s'accentuant depuis 160, est énorme. Mort à 220, sans accès
convulsif. Plusieurs mictions d'urines claires pendant l'injection.
Autopsie. Congestion pulmonaire aux bases, sans infarctus,
congestion des reins. Coefficient, 0,229.
. 12 avril. IIug... a eu son dernier accès le 5 avril dans la nuit.
Après une journée d'obnubilation, elle est entrée dans son trouble
mental habituel. Pendant plusieurs jours, elle a été très agitée,
DE LA TOXICITÉ URINAIRE CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 201
elle criait ses visions. Le 8 avril, on cherche à recueillir l'urine,
mais la malade est tellement indocile qu'on ne peut recueillir la
totalité des vingt-quatre heures.
Urines pendant le délire. Le 11 avril, l'excitation des premiers
jours commence à tomber. Hug... a son délire habituel sans
grande agitation :
« Dans le bois de Beuvray, je serai délivrée et vous aussi. Sainte
Catherine n'est pas venue. Il n'était pas là. » La langue est un
peu blanche, cependant la malade mange avec assez d'appétit.
On recueille l'urine du 11 avril, 2 heures après midi, au 12,
même heure. Totalité : 1.240 c. c. Urines non albumineuses, acides,
filtrées, non naphtolées.
' Lapin de 1.950 grammes. Injection en quarante minutes de
272 c. c. Pendant les 100 premiers c. c., pas de myosis, au con-
traire, dès le début, mydriase légère; vers 40, on obtient de
l'accélération respiratoire; à 120, arrêt de trois minutes dans
l'injection, .parce que l'aiguille est obstruée; vers 135, la respi-
ration devient bruyante, irrégulière, très profonde, toujours sans
myosis; vers 160, commence l'exophtalmie qui progresse jusqu'à
la mort; à 190, nouvel arrêt dans l'injection pour changer l'ai-
guille d'oreille; à 230, secousses irrégulières dans le tracis pos-
térieur. Exophtalmie énorme, paresse du réflexe cornéen ;
à partir de 230, quatre à cinq secousses sans caractères toniques
francs se répètent jusqu'à la mort. Exophtalmie énorme, le réflexe
cornéen, de plus en plus faible, disparait. La mort n'est pas sur-
venue à l'occasion d'une convulsion. L'animal a eu une miction
abondante d'urines claires dans les derniers moments de l'injec-
tion et plusieurs défécations.
Autopsie. Congestion rénale. OEdème pulmonaire, intense aux
deux bases. Congestion du cou et de l'encéphale. Coefficient
urotoxique : 0,155.
Urines pendant et à la fin du délire. 19 avril. Hug... ne
délire plus depuis hier soir; on a pu l'envoyer à l'atelier ce matin.
Urines recueillies le 18 à partir de 6 heures du matin, jus-
qu'au 19 même heure. Naphtolées à réaction acide, filtrées. Tota-
lité : 1.480 c. c. environ.
Lapin de 1 kil. 575. En trente-cinq minutes, injection de
233 c. c.; myosis net vers 40 c. c., peu d'accélération des mou-
vements respiratoires pendant toute la durée de l'injection : som-
nolence ; vers 170, respiration irrégulière, exophtalmie com-
mençante; mort à 233, après plusieurs secousses cloniques. Une
miction abondante, plusieurs défécations. -
Autopsie. Congestion rénale et pulmonaire sans embolies.
Coefficient : 0,173.
202 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE. -DE LA TOXICITÉ URINAIRE.
Urines pendant la période de calme. 28 avril. Hug... peut
être considerée comme étant'dans sa période calme. Elle n'a pas
de délire depuis la dernière injection... " . -
- Urines recueillies du 26 au 27 avril. Naphtolées à réaction acide,
filtrées. Q = 1.500 c. c. ... "
Lapin de 3 kil. 300. -En quarante-cinq minutes environ, injec-
tion de 405. c. c.; myosis léger vers 60 c. c., mais il ne va pas
en s'accentuant progressivement. La respiration est bruyante, mais
peu accélérée. L'exophtalmie commence vers 300 c. c. La mort sur-
vient après de nombreuses secousses cloniques. L'animal ne se
détend pas brusquement en opistothonos, mais le tracis postérieur,
le tronc, les membres antérieurs se contractent. en quelque sorte
d'une façon rhytmique dans les derniers moments de l'infection.
La mort survient dans l'une de ces convulsions. Plusieurs mictions
et plusieurs défécations pendant l'injection. , , '
Autopsie. - Congestion rénale et pulmonaire intense. - Coeffi-
cient urotoxique : 0,212. ,
4 mai 1892. On profite de la période d'obnubilation qui suit
immédiatement la série de Hug... pour recueillir l'urine des vingt-
quatre heures. Hug... est sans accès depuis hier (3 mai), 2 heures
de l'après-midi; le soir du 4 mai, commencement de la période
délirante. 1
Urines recueillies du 3 mai, 4 heures du soir,' au 4 mai, même
heure. - Totalité, affirmée par la surveillante : 780 c. c. seule-
ment.
Lapin de 3 kilogrammes. Myosis tardif vers 40 c. c. seulement.
L'accélération respiratoire est un peu marquée au début par suite
d'injection d'une ou deux bulles d'air dans la veine; l'exophtal-
mie commence vers 110 c. c.; la mort survient à 140, après des
convulsions toniques répétées et très intenses. Coefficient uro-
toxique : 0,294. , :
Relevé des accès de Hug... ·
4 avril. Une attaque complète de jour. ' '
4 de nuit.
5 Trois attaques complètes de jour. -
5 Une attaque complète de nuit.
Du 6 avril au 28. Délire.
30 avril. Une attaque complète de jour.
le' mai. Deux attaques complètes de jour.
2 - Une attaque complète de jour.
3 Deux attaques complètes de jour. (A suivre.)
CLINIQUE NERVEUSE
L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DES TROUBLES VISUELS DANS LES MALADIES
NERVEUSES ;
par le D' ALBCRT ANTONLLI.
Au point de vue des maladies du système nerveux, les am-
blyopies et amauroses (troubles de la vision sans lésion du fond
de l'oeil) peuvent se diviser en persistantes et transitoires ; et il
faut appeler transitoires, celles, où le trouble de la vision (quelle
que soit la forme et l'intensité qu'il présente) dure un temps très
court, sous forme de crises, souvent accompagnées par d'autres
troubles nerveux. Ces troubles passagers de la vision ont reçu
les noms de migraine ophtalmique, de scotôme scintillant,
à'amaurose partielle fugace, de teïchopsie, etc. Mais, chacune
de ces dénominations, proposées par les différents auteurs, a
le défaut d'indiquer simplement une des formes cliniques, assez
variables, selon lesquelles l'amblyopie transitoire se manifeste.
Au sur et à mesure que les travaux des neurologistes (sur-
tout de Charcot et de son école) ont rattaché cet ordre de trou-
bles visuels, accompagnés ou non du syndrome migraineux et
d'autres, à l'épilepsie sensitive sensorielle, à l'hystérie, au début
de la démence paralytique, etc., l'idée d'envisager l'amblyopie
transitoire plus largement, d'en subordonner les différentes
formes cliniques aux connaissances de la- physiopathologie
des centres nerveux devait s'imposer..Voilà, justement, le plan-
de ce travail.
Nous nous proposons, donc, d'examiner les différentes
formes de l'amblyopie transitoire, surtout les moins étudiées
jusqu'à présent, de les mettre en évidence comme troubles
visuels accompagnant différentes maladies nerveuses, et d'en
esquisser la physiopathologie, d'après nos connaissances
204 CLINIQUE NERVEUSE.
actuelles sur les centres de la vision et les données de la neuro-
pathologie.
Puisque c'estl'amblyopie transitoire qui se présente sous des
formesdiverses, tandis que le syndrôme nerveux (migraine, trou-
bles de la parole, etc.) peut en accompagner n'importe quelle
forme, nous croyons préférable d'énumérer d'abord les types
cliniques de l'amblyopie transitoire, à l'aide de quelques obser-
vations recueillies par nous-même, pour indiquer ensuite les
troubles nerveux concomitants, étudier enfin la physiopatho-
logie de l'affection et ses rapports avec les différentes maladies
nerveuses.
1er. FORMES CLINIQUES DE l'amblyopie transitoire.
A la vérité, la classification qui va suivre pourrait sembler
assez artificielle, puisque plusieurs cas d'amblyopie transi-
toire nous présentent des formes mixtes (par exemple hémiopie
ou véritable migraine ophtalmique accompagnées de scintil-
lement), et puisque chez le même malade les accès d'amblyopie
peuvent se succéder avec des formes différentes. Néanmoins,
il nous a paru utile de la conserver, soit pour rendre plus claire
la description symptomatologique, soit pour nous servir de
cette analyse dans les conclusions sur la physiopathologie de
l'affection.
a). Forme du scotôme scintillant. Les premiers cas
d'amaurose partielle temporaire sont dus à Vater ('l723) et
Demours (97ô`), selon Pravaz (1828). Mais le travail de Piorry
(4)(1831) est le premier dans lequel le scotôme scintillant se
trouve exactement décrit, et où le trouble visuel est considéré
comme un symptôme prodromique de la migraine.
Cette forme d'amblyopie transitoire peut se présenter, ainsi
que les autres, accompagnée ou non du syndrôme migraineux.
La cause qui provoque quelquefois les accès, chez les individus
qui y sont déjà prédisposés, sont les troubles de la digestion
gastrique ou la fatigue intellectuelle (lecture prolongée, tra-
vail après les repas) ou n'importe quel excès.
L'attaque est essentiellement constituée par un scotôme, le
plus souvent périphérique, et par des phénomènes de photes-
tésie scintillante'. 1.
1 Les notions qui suivent sont résumées pour la plupart d'après l'ex-
cellente thèse de M. Baralt.
l'amblyopie transitoire. 205
Le malade dit que, pendant une sensation de malaise, il voit
apparaître devant l'un de ses yeux, et quelquefois devant les
deux, un brouillard qui enveloppe le contour des objets, de
telle sorte que ceux-ci semblent s'y perdre et acquérir, lors-
qu'ils sont fixés, des dimensions parfois plus grandes, parfois
plus petites, qu'ils n'ont pas en réalité.
Bientôt ce brouillard qui commence dans un endroit limité,
non loin du point de fixation, s'élargit graduellement et s'ac-
compagne à la vision d'une sorte d'atmosphère en mouvement,
semblable à l'air chauffé qui entoure un poêle. Ce sont parfois
des lignes brisées que le malade voit, des arcs diversement
colorés, des flammèches, des points brillants, ou encore un
globe de feu ou une espèce de roue dentelée, qui est rouge,
blanche ou phosphorescente, animée de vibrations.
Plus souvent encore il y a le scintillement caractéristique.
Les sujets qui savent bien observer leurs accès (par exemple
M. Baralt, dans sa thèse (20), oubien le malade dont M. Javal a
montré un dessin ') nous disent le plus souvent que le scotôme
commence sur un endroit limité de la périphérie du champ
visuel et gagne graduellement presque toute l'étendue du
champ visuel, de façon à rendre un oeil, ou les deux à la fois,
presque aveugles. Alors, les limites de ce scotôme leur appa-
raissent faits par des lignes en zigzag, ou par des angles comme
les pointes d'une roue dentelée . ou par un dessin sinueux
semblable aux créneaux d'une forteresse.
Le plus souvent cesphénomènes, de même que les étincelles,
flammèches; cercles colorés, etc., n'occupent que la moitié du
champ visuel (monoculaire ou binoculaire), le champ de la
fixation demeurant respecté. Lorsque l'accès commence à se
calmer, le champ visuel s'éclaircit de nouveau, à partir de
l'endroit même où le scotôme eut son commencement.
Le trouble visuel, qu'il soit monoculaire ou binoculaire, est
souvent précédé ou suivi de maux de tête, dont l'hémicraine
est la forme habituelle, parfois encore de nausées et de vomis-
sements.
Il y a des cas, où les troubles oculaires en forme de scotôme
scintillant ont succédé à des accès de migraine commune, et
l'ont en quelque sorte remplacée ; c'est-à-dire, qu'un individu
qui souffre de la migraine ordinaire, sans aucun trouble du
' Compte rendu de la Société d'ophtalm, de Paris, séance du 1" juil-
let 1890. -
206 clinique nerveuse.
côté de la vision, peut voir, par suite de l'âge, les grands accès
douloureux remplacés par les troubles visuels du scotôme scin-
tillant (exemple le cas de M. du Bois-Raymond, relaté dans la
thèse de M. Baralt, et le cas de Tissot).
Lorsque les accès sont accompagnés de migraine; le scotôme
apparaît, dans le champ visuel, du côté où siège la migraine.
Quelquefois pendant l'accès le malade a la sensation que son
oeil est poussé au dehors, ou au contraire violemment enfoncé
dans l'orbite. 1
Le scotôme est presque toujours relatif, c'est-à-dire à demi
transparent. Il peut se présenter sur un seul oeil, mais presque
toujours il' saisit les deux à la fois, sous forme de scotômes
symétriques, autrement dit hémianopsie partielle, i .
Quelquefois on remarque des alternatives de flamboiement
vif et de simple obscurcissement dans le champ visuel ; quel-
quefois encore le sujet croit déjà l'attaque passée, lorsqu'elle
n'est simplement qu'atténuée, et le scotôme presque transpa-
rent se met tout à coup à flamboyer de nouveau (crises subin-
12,antes)-
Barry dit, à propos de son observation personnelle, qu'en
couvrant les yeux de ses mains, le scintillement lui était
encore perceptible à la même place, et ce qui avait été un
nuage semi-opaque apparaissait plus clair dans le champ noir
de l'obscurité. Après vingt minutes ou 'une demi-heure le
nuage faiblissait, tandis que le scintillement continuait encore
un peu. Les accès n'étaient pas suivis de migraine, mais sem-
blaient tout de même en rapport avec l'état de l'estomac,
puisqu'ils disparaissaient généralement avec du gargouillement
stomacal suivi d'éructations. -
Dans le cas de Dianoux (13), le scotôme revêtait quelquefois la
forme hémiopique (amblyopie dans la moitié droite du champ
visuel monoculaire et binoculaire) et son' bord tourné vers le
point de fixation avait une forme concave.
Après cinq minutes' le scintillement apparaissait, d'abord
sous forme de flammes, ensuite d'arcs lumineux et vibrants ;
une fois (dans la première attaque), ces phénomènes dépassè-
rent la ligne médiane pour envahir tout le champ visuel, ren-
dant les yeux tout à fait aveugles. Une autre fois Dianoux eut
le scotôme limité presque entièrement à l'oeil droit, z, peine
accompagné d'un léger obscurcissement de la vision à gauche,
sans scintillement.
l'amblyopie transitoire. 207 J
Les rudiments du scotôme scintillant (tel que les a observés
sur lui-même Dianoux, après avoir éprouvé des attaques com-
plètes) consistent dans la sensation d'étincelles brillantes et ins-
tantanées"accompagnées parfois de quelques douleurs névral-
giques passagères, à la suite de veille ou de troubles gastriques.
La durée des accès est en 'général de quinze minutes à une
heure, à une heure et demie et plus. D'ordinaire le scintille-
ment survient peu après le trouble de l'acuité visuelle, se pro-
longe seulement pendant quinze minutes à une demi-heure,
et après, pendant une durée de quelques minutes à une demi-
heure, un simple scotôme persiste encore :
L'ophtalmoscope a démontré quelquefois l'ischémie de la
rétine pendant les accès, mais le plus souvent il donne des
résultats tout à fait négatifs. i ?
Dans l'immense majorité des cas, l'acuité visuelle reste in-
tacte malgré de longues années de souffrance (pendant trente
ans chez un cas de Testelin (14).' Néanmoins le scotôme peut
persister bien longtemps, dans quelques cas exceptionnels '.
On ne pourrait pas assigner de règles fixes, quant à la
marche du scotôme scintillant et; en général, il en est de
même pour les autres formes d'amblyopie transitoire. '
- Chez les sujets déjà migraineux les accès peuvent présenter
une périodicité remarquable ; chez ceux où la migraine fait
défaut, ou elle a été remplacée par les attaques d'amblyopie
transitoire, ces dernières présentent une marche très irrégu-
lière, l'amblyopie peut ne se présenter qu'une ou deux fois
dans la vie, ou survenir avec une fréquence relative et après
des causes occasionnelles, telles que nous les avons rappelées.
b). Forme de migraine ophtalmique, proprement dite.
Dans cette forme de névrose, le syndrome migraineux est ce
qui frappe le plus l'attention du malade et du. médecin..
Quant l'amblyopie,' elle peut se présenter sous différentes
formes (hémiopie, scotôme périphérique, etc.) et elle peut être
suivie ou non des phénomènes du scintillement. ' .
Pour nous épargner toute redite, et sans insister sur le syn-
drôme migraineux qui se trouve si bien étudié dans tous les
traités récents de médecine interne et de neuropathologie,
nous nous bornerons à mettre ici en évidence les rapports
généraux entre l'accès d'amblyopie et le syndrome migraineux.
, ' A ce propos, l'observation rapportée par M. Galézowski dans son
ouvrage de 1877 (16), nous semble très importante.
208 CLINIQUE nerveuse.'
Plusieurs cas d'amblyopie transitoire, même -caractérisés
par des accès bien complets, longs et fréquents, peuvent rester
pendant une longue suite d'années non accompagnés du syn-
drôme migraineux. Ce sont les formes de migraine ophtal-
mique que l'on a appelées frustes (Féré, Charcot).
D'autrepart, un grand nombre de sujets atteints de migraines
périodiques n'ont jamais d'attaques d'amblyopie temporaire.
Enfin, chez un même sujet, les accès de migraine et d'amblyo-
pie temporaire peuvent alterner (formes dissociées de la
migraine ophtalmique) ou se présenter ensemble, seulement
pendant un certain temps, ou encore les uns peuvent se subs-
tituer aux autres.
Ainsi, par exemple, dans un cas relaté par Baralt (`0), un j eune
homme de vingt ans souffrant de migraines (hérédité mater-
nelle) depuis son enfance, eut les troubles visuels seulement
pendant une année (de quatorze à quinze ans). Les accès se
produisaient deux ou trois fois par mois, pendant le travail du
matin, entre 6 et 7 heures, et prenaient parfois la forme du
scotôme central bilatéral, parfois encore la forme hémiopique.
De quinze à vingt ans les attaques de migraine vulgaire avaient
continué sans aucun trouble visuel.
Il peut encore arriver, chez quelques femmes qui souffrent
de migraine à l'époque des règles, que quelques-unes seulement,
de ces attaques périodiques soient accompagnées d'amblyopie
temporaire, et plus rarement encore d'autres troubles nerveux,
tels que l'embarras de la parole ou l'engourdissement d'un
membre (cas de Baralt).
La douleur céphalique suit les troubles visuels dans un
espace de temps qui varie de quelques minutes à une demi-
heure, à une heure, rarement plus. Elle commence ordinaire-
ment dans la région de la tempe ou dans le pourtour de
l'orbite, pour gagner ensuite la moitié du crâne et, quelquefois
encore, mais avec moins d'intensité, l'autre côté. Plus tard,
surviennent une sensation de vertige, des nausées et des
vomissements, qui, en plusieurs cas, marquent la fin de l'accès.
Parfois encore on observe de l'aphasie, ou plus rarement des
troubles de la sensibilité ou de la motilité.
- La marche de la migraine ophtalmique est très variable.
Elle est parfois périodique (de même que la migraine simple)
et revient tous les mois, toutes les semaines ou tous les jours,
comme chez certaines femmes pendant leurs règles.
l'amblyopie transitoire. 209
Dans d'autres cas on a une seule, ou deux, ou trois attaques
irrégulièrement espacées. La durée des accès est aussi très varia-
ble, mais, d'ordinaire, les troubles visuels durent d'un quart
d'heureà une demi-heure, rarement plus, tandis que la migraine
continue plusieurs heures encore, ou toute une journée.
c). Forme hémiopique et rétrécissement concentrique du
champ visuel. Nous examinerons ensemble ces deux formes
de l'amblyopie transitoire, qui, liées l'une à l'autre, se prêtent-
le mieux, comme nous le verrons, à l'étude physiopathologique
du trouble visuel dont nous nous occupons.
L'hémiopie transitoire, à part les cas qui tirent leur origine
de lésions organiques de l'encéphale ', peut être la forme de
scotôme sous laquelle, comme nous venons de le dire, se pré-
sente soit la véritable migraine ophtalmique, soit le scotôme
scintillant. Dans ce dernier cas (scotome scintillant hémiopique
de Mauthner) il s'agit le plus souvent d'hémiopie partielle,
tandis que dans la migraine ophtalmique commune l'laémia-'
nopsie totale est plus fréquente.
Les premières observations d'hémiopie fugace sont trois cas
rapportés par Vater (1 i 33) dans une dissertation latine à Wit-
temberg. Plus tard nous trouvons les deux observations de
Wollaston et d'Arago (1824).
Il y a des cas (par exemple celui de M. Verneuil, relaté par
Baralt) d'hémiopie passagère survenue en parfait état de santé,
sans autre cause appréciable que le brusque passage d'un'
endroit chauffé à un autre excessivement froid, suivis de vio-
lente névralgie de toute la tête, mais sans nausées, ni vomis-
sements, ni autres symptômes généraux. ,
L'hémiopie qui succède au scotôme scintillant atteint, en
général les deux yeux, est homolatérale et n'empiète pas sur
le point de fixation. Le scintillement, néanmoins, dépasse très'
souvent la ligne médiane.
Une observation intéressante d'amblyopie transitoire à
forme d'hémiopie homonyme (à droite), est encore celle de '
M. Mazza (45). Le trouble visuel était sans doute bilatéral, et
la ligne de démarcation passait par le point de fixation. La ·
première attaque dura 10 à 12 minutes, et la seconde, surve-'
' Rappelons le cas de Wollaston, qui fit époque pour les études sur la
localisation de l'hémiopie typique permanente, mais qui n'aurait pas de,
valeur pour ce qui concerne la véritable hémiopie transitoire.
Archives, t. XXIV. 14
210 CLINIQUE NERVEUSE.
nue de même après des excès, se prolongea un peu plus. Pas
de scintillement, mais de la photophobie ; pas de migraine,
seulement des vertiges qui précédaient le trouble visuel.
L'hémiopie transitoire latérale monoculaire semble bien
rare, d'après les observations publiées. Encore plus rares sont
les cas enregistrés, où l'hémiopie intéressait la moitié inférieure
ou supérieure du champ visuel. Une seule observation (de
Charcot, relaté par Féré) démontrerait la possibilité d'hémiopie
transitoire binoculaire nasale l,
L'hémiopie transitoire survient graduellement ou subite-
ment, et dans la plupart des cas elle est suivie par les photes-
' tésies du scotôme scintillant. Les troubles visuels, tout en
occupant la moitié du champ de la vision binoculaire, semblent
assez souvent prédominer dans un oeil; et parfois, dans ce
même oeil, le malade accuse une sensation de tension (Finck)
ou de battement de pouls (Galézowski).
La diminution du champ visuel atteint plus souvent la forme
d'un rétrécissement latéral du champ visuel, que celle d'une
véritable hémiopie *. Très rarement l'obscurcissement avance
jusqu'à l'amaurose complète (partielle et passagère, bien
entendu).
Voici, maintenant, un cas d'amblyopie transitoire accompa-
gnée de migraine et d'autres troubles nerveux, sous forme
de rétrécissement concentrique soudain du champ visuel. Je dois
l'observation à M. Parinaud, et je m'empresse de le remercier
de l'extrême obligeance qu'il a mis à m'aider dans ce travail. ! \lme Françoise Hus... (39 ans).
Antécédents héréditaires. Père nerveux, d'un caractère très vio-
lent, mère morte tuberculeuse. Oncle maternel mort fou à cinquante
ans. Une tante maternelle alcoolique et sujette à des crises ner-
veuses. Des neuf frères et soeurs, que la malade avait, un est mort t
1 « Le malade commençait par éprouver une sensation d'anxiété à la
région précordiale, puis survenait l'hémiopie, tantôt latérale, tantôt na-
sale. Dans ce dernier cas, le malade disait qu'il éprouvait la sensation
d'un grand rond noir, qui l'empêchait de voir en face, en lui permettant
de bien voir à droite et à gauche du champ visuel. Jamais de scintille-
ment. Engourdissement de la main droite, et quelquefois aussi de la
gauche. Troubles de la parole seulement à la fin des accès. Migraine vio-
lente.
' Cette particularité se rattache à la question de la fausse hémiopie
chez les hystériques, dont nous parlerons plus bas.
l'amblyopie transitoire. 211
de maladie d'Addison à l'âge de vingt-cinq ans, un second de-
tuberculose pulmonaire et deux de péritonite tuberculeuse.
Depuis l'âge de neuf ans, la malade est sujette à des engourdis-
sements d'une moitié du corps, qualifiés par M. Charcot d'épilepsie
partielle (sensitivo-sensorielle) avec embarras de la parole. L'en-
gourdissement débutait toujours parle petit doigt de la main et du
pied (sensations de froid), puis se généralisait à toute la moitié
du corps, il était bientôt suivi d'embarras de la parole et de
troubles dans les idées. Non seulement la malade ne pouvait pas
articuler les mots qu'elle voulait, mais elle ne se rendait pas bien
compte de ce qu'elle faisait et elle prononçait des paroles inco-
hérentes, dont elle ne gardait aucun souvenir après la crise.
La crise de paralysie, comme l'appelle la malade, durait tantôt
un quart d'heure, tantôt une demi-heure et était suivie de violent
mal de tête.
Les crises se développaient tantôt dans le côté droit, tantôt dans
le gauche. Elles revenaient deux fois par mois environ, et n'ont
jamais été accompagnées de troubles visuels.
Depuis cinq ans, c'est-à-dire vers l'àge de trente-quatre ans, ces
crises d'épilepsie sensitivo-sensorielle ont été remplacées par de l'am-
blyopie transitoire, revêtant des formes diverses. Les attaques sont
caractérisées par de l'obscurcissement de la vision et du scintille-
ment, allant parfois jusqu'à la cécité absolue dans les deux yeux-
pendant dix à quinze minutes.
L'amblyopie n'a jamais la forme typique de l'hémiopie latérale.
L'obscurcissement débute tantôt de haut en bas, tantôt de bas en
haut, affectant dans les deux yeux, la forme d'une hémiopie supé-
rieure ou inférieure.
Dans d'autres cas l'obscurcissement commence dans le côté tem-
poral, simultanément dans les deux yeux, pour aboutir à l'obscur-
cissement complet du champ visuel.
Quand la cécité n'est pas absolue, il arrive que la malade ne conserve
que la partie centrale du champ visuel intacte. « Il lui semble, dit-elle,
qu'elle regarde à travers un tube. »
Les crises d'amblyopie, comme autrefois celles d'épilepsie sen-
sitivo-sensorielle, sontsuivies de troubles dans les idées, de sorte que
la malade fait une chose pour une autre; mais, il n'y a pas d'em-
barras de la parole ni aucun symptôme d'engourdissement dans
aucune partie du corps.
Les crises d'amblyopie sont plus fréquentes que l'étaient jadis les
crises épileptiques. Depuis bientôt un an ces crises surviennent
tous les jours, presque trois à quatre fois par jour. Elles sont plus
fréquentes lorsque la malade travaille. Si elle était sérieusement
occupée, dit-elle, cela la prendrait presque continuellement.
Chaque crise dure de quinze à vingt minutes à peu près, mais
elle est toute la journée souffrante. Pesanteur dans la tête et les
212 CLINIQUE nerveuse.
yeux, surtout lorsqu'une crise l'a prise dans la matinée. Somnolence
presque continue, mais surtout pendant et après les crises.
Etat des yeux. Un peu de rétrécissement du champ visuel (à
70° du côté temporal, 45° du côté nasal égal dans les deux
yeux).Emmétropie dans les deux yeux, V = iô. La diminution de
- l'acuité visuelle ne s'explique ni par astigmatisme (régulier ou irré-
gulier), ni par l'aspect du fond de l'a;il qui est normal. Un peu de
diminution de l'amplitude de l'accommodation. Pupilles réagissent
normalement. Pas de troubles des muscles oculaires.
Une autre observation, que je n'ai pas pu recueillir directe-
ment et qui m'a été communiquée par M. Parinaud, concer-
nait un homme très intelligent, qui se plaignait de simples
crises d'amblyopie transitoire, accompagnées parfois du syn-
drôme migraineux. Il décrivait si bien le scotôme, avançant de
la périphérie du champ visuel vers le point de fixation, que
lorsqu'on le fit regarder à travers le trou sténopéique, il
affirma que sa vue pendant l'accès était tout à fait réduite
dans les mêmes conditions.
d). Amblyopie transitoire centrale. Cette forme paraît
moins fréquente que la forme hémiopique. Non rarement,
néanmoins, l'amblyopie transitoire peut gagner le point de
fixation et atteindre, comme dans notre observation ci-dessus,
tout entier le champ visuel. Les cas où le malade dit de
n'éprouver autre sensation que d'un simple obscurcissement de z
la vue (exemple les cas de Raullet 31) sont évidemment des cas
de scotôme central, monoculaire ou binoculaire, transitoire.
Parmi les observations de ce genre, il nous semble utile de
résumer celles de Parry (2) et de Hilbert (S'1).
Parry dit : « Qu'après une violente fatigue, surtout lors-
qu'elle était accompagnée d'un jeûne de huit à dix heures, il
était souvent atteint d'unepe ? -Ie soudaine de la vision. « Quand
je fixais un .objet quelconque, il me semblait voir une ombre
plus ou moins opaque interposée entre mes yeux et l'objet, de
telle façon que je le voyais indistinctement, et quelquefois pas
du tout; l'ombre me semblait plus généralement être placée
exactement au milieu de l'objet, pendant que ma vue pouvant
embrasser les contours était claire et distincte comme d'habi-
tude. En conséquence, si je désirais voir un objet j'étais
obligé de le regarder de côté. » ¡ .
Nous pouvons rattacher cette observation à la forme de,
l'amblyopie transitoire. '213
'scotôme scintillant, puisque Parry ajoute que dans d'autres
circonstances, quoique beaucoup plus rarement, le nuage était
placé en dehors du point.de fixation, et que peu d'instants
après le bord supérieur du scotôme lui apparaissait limité par
une bordure de lumière en forme de zigzags et scintillant
presque à angles droits dans le sens de la longueur.
Ce qui est encore intéressant, dans l'observation de Parry,
c'est que le scintillement paraissait toujours avoir lieu dans un
seul oeil, tandis que le scotôme central persistait également
dans les deux côtés, en regardant un objet avec un seul oeil
ou avec les deux ensemble.
. L'autre observation, de Hilbert se rattache aussi au scotôme
scintillant, puisque l'amblyopie transitoire centrale était
accompagnée de photesthésie périphérique. Elle présente
encore un intérêt spécial dans l'existence d'un pouls artériel
de la rétine pendant les accès.
Il s'agissait d'un homme de trente-sept ans, vigoureux,
mais atteint d'hémicraine, qu'Hilbert déclare sympathico-
tonique, du côté gauche. Les accès survenaient deux à trois
fois par an, sans aucun symptôme précurseur, et duraient
pendant plusieurs heures, des fois même unejournée, souvent
accompagnés de nausées et vomissements. Le malade se pré-
sente un jour pendant son accès : à 7 heures du matin il avait
été atteint d'hémicraine, à 8 heures survint le scotôme cen-
tral de 1'oeil gauche, accompagné bientôt de scintillement
caractéristique. La pupille gauche était dilatée, les muqueuses
pâles, l'artère temporale gauche rigide, le pouls dur (68 pul-
sations par minute), le malade éprouvait des frissons.
A l'ophtalmoscope, on constatait la pulsation des branches
principales de l'artère centrale, visible jusqu'au delà du disque
optique.
Pas de troubles gastriques, le coeur normal, les urines
aussi.
Immédiatement après une inhalation de nitrite d'amyle, la
peau du visage et les muqueuses reprirent leur couleur, et
l'acuité visuelle se rétablit; bientôt le pouls devint moins dur
et plus fréquent (80 pulsations) et le pouls artériel de la
rétine disparut.
§ II. Rapports DE l'amblyopie transitoire avec DIFFÉ-
RENTES maladies NERVEUSES. - Les principales névropa-
214 . clinique NERVEUSE.
thies auxquelles peut se rattacher l'amblyopie temporaire
sont : la neurasthénie, l'hystérie, l'épilepsie sensitivo-senso-
rielle, le tabès et la paralysie générale.
Qu'il nous soit permis, avant de parler de ces rapports, de
dire quelques mots des autres troubles nerveux qui peuvent en
général accompagner les accès d'amblyopie transitoire.
1. Ces troubles sont (en dehors du syndrome migraineux, que
'nous avons déjà assez mis en relief) : l'aphasie, ou mieux dys-
phasie, les troubles de la sensibilité, les troubles moteurs, les
syndromes épileptiformes.
a). Les troubles de la parole pendant les accès d'amblyopie.
transitoire, de n'importe quelle forme, se rencontrent assez
fréquemment. Ils tiennent le plus souvent à un trouble de
l'intelligence, qui rend au sujet les paroles correspondantes
aux idées qu'il voudrait exprimer, difficiles à trouver (véritable
dysphasie ou paraphasie motrice). Beaucoup plus rare (cas
d'amblyopie transitoire associée à l'épilepsie partielle) est le
trouble dans l'articulation des mots, comme si la langue était
plus grosse, et tous les mouvements phoniques étaient aussi
plus difficiles à exécuter (dysa2,lhi,ie).
Souvent il n'y a qu'un simple embarras de la parole, mais
quel que soit le degré de l'aphasie, la soudaineté de son appa-
rition, coïncidant avec des troubles oculaires, jette un trouble
profond dans l'esprit du malade.
A côté de ces troubles du langage, nous mettons l'espèce
d'apraxie qu'éprouvait la malade dont nous venons de donner
l'observation (p. 210) : elle ne se rendait pas tout de suite
compte des objets qui l'entouraient, de telle sorte que pendant
une de ses attaques les plus fortes, elle nous racontait avoir
salé de la viande avec du tabac à priser.
Dans d'autres cas on pourrait rencontrer les troubles analo-
gues de la surdité verbale, de l'alexie ou d'agraphie ; comme
dans une observation de Charcot, rapportée par Féré (24), et dans
quelques observations de Raullet (30 et 31). Les cas dans lesquels
les attaques d'amblyopie transitoire sont accompagnés de ces
troubles du langage, sont pour la plupart ceux qui démontrent
le rapport de l'affection avec l'épilepsie.
Tout le monde sait, en effet, que l'épilepsie à elle seule peut
déjà présenter d'une façon transitoire, pendant les attaques
convulsives, les troubles de la dysphasie et de la dysartrie
verbale.
l'amblyopie transitoire. 215
Enfin, il est intéressant de faire remarquer que l'aphasie
transitoire s'observe le plus souvent, lorsque dans les formes
associées d'amblyopie transitoire, les troubles de motilité et de
sensibilité de la face et des membres siègent du côté droit.
Ce dernier est du reste, cumme nous le dirons tout à l'heure,
le cas le plus fréquent.
b). Les troubles de la sensibilité, qui peuvent accompagner
les accès d'amblyopie transitoire, sont des troubles dynami-
ques, ceux de l'hystérie en particulier, ou des troubles de
signification plus grave, tels que les accès d'épilepsie partielle
avant-coureurs de la paralysie générale.
Ces troubles se manifestent généralement en même temps
que l'amblyopie, ou la suivent de près. Nous en parlerons jus-
tement en esquissant les rapports de l'amblyopie transitoire
avec l'hystérie et avec l'épilepsie sensitivo-sensorielle et la
démence paralytique. Ce sont, en général, des troubles loca-
lisés de la sensibilité générale (sensations d'engourdissement,
de fourmillement, etc...) ou bien des sens spéciaux, surtout de
l'ouïe (bourdonnements, hallucinations acoustiques). Quel-
quefois ces troubles de la sensibilité, au lieu de rester limités
à un seul côté, peuvent s'étendre à l'autre, comme le montre
une intéressante observation de Charcot, relatée par Féré ;
mais ils prédominent toujours du côté primitivement atteint
(le plus souvent du côté droit). Quelquefois encore ils chan-
gent de côté dans les accès consécutifs sur le même sujet.
c). Les troubles moteurs seront indiqués de même à propos
de l'épilepsie partielle et de l'hystérie accompagnées d'am-
blyopie transitoire. Ils sont plus rares que les troubles sensi-
tifs, puisque dans les deux maladies mentionnées les troubles
moteurs sont en général moins fréquents et moins persistants
que les troubles de la sensibilité. 11 s'agit d'ordinaire de paré-
sies ou de paralysies complètes, s'étendant le plus souvent au
bras seulement. parfois au bras et à la face, quelquefois enfin
à tout le côté du corps sous forme d'hémiplégie complète
(Féré).
2. Rapports de l'amblyopie transitoire avec la neurasthénie '.
Déjà Béard, dans la dernière édition de son ouvrage clas-
1 Pour décrire ces rapports, nous nous en tenons surtout aux mono-
graphies les plus récentes qui ont paru en France sur la neurasthénie,
c'est-à-dire au livre de M. Bouveret, et surtout à celui de) ! . Levillain.
' y6 CLINIQUE NERVEUSE.
sique sur la neurasthénie, indique comme étant un des symp-
tômes de cette maladie le mal de tête et ses différentes formes.
Parmi ces formes il y a.la migraine ophtalmique, et il est
facile de comprendre que, dans un certain nombre de cas, le
syndrome migraineux passe en second lieu, ou même fait
défaut, par rapport aux troubles visuels de l'amblyopie transi-
toire.
. Les maux de tête présentent, il est vrai, chez les neuras-
théniques, un caractère tout à fait spécial (le casque et les
plaques de la céphalée neurasthénique), bien différent de la
migraine qui accompagne si souvent l'amblyopie transitoire.
Néanmoins, dans certains cas le mal de tête se traduit parune
véritable douleur et se complique d'autres accidents, qui
apparaissent et disparaissent en même temps et semblent être
liés au même processus pathologique : parmi ces symptômes,
il est surtout intéressant de remarquer les troubles de la vue,
tels que les éblouissements passagers, la sensation de brouil-
lard ou de véritables petits scotômes.
La présence de l'amblyopie transitoire, quelle qu'en soit la
forme, dans le syndrôme de la neurasthénie, ne nous étonnera
pas si nous songeons que même les gens nerveux ou simple-
ment névropathes (selon la classification proposée par Levil-
lain) [50J peuvent être atteints de migraines et de troubles vi-
suels passagers.
En outre, comme nous le verrons tout à l'heure, l'amblyopie
transitoire tire sa pathogénie de troubles vaso-moteurs de
l'écorce cérébrale; et justement les troubles vaso-moteurs du
. cerveau et de la moëlle jouent, d'après quelques auteurs,
entre autres Rosenthal et Béard, un rôle considérable sinon
exclusif, dans l'évolution et la marche irrégulière des phéno-
. mènes neurasthéniques.
3. Rapports de l'amblyopie transitoire avec l'hystérie.
Pour esquisser ces rapports, je ne saurais mieux faire que de
m'en tenir à l'excellent Traité de M. Gilles de la Tourette (48).
La connaissance exacte des rapports qui unissent la mi-
graine ophtalmique à l'hystérie date de 1888. A cette époque,
M. Charcot présenta à ses Leçons du Mardi un malade, qui
avec d'autres observations a fait plus tard le sujet de l'inté-
ressant mémoire de M. Babinski (43).
Il est vrai, qu'avant ces publications d'autres auteurs, surtout
L'ABLYOPLE transitoire. 217
Galézowski, Féré, Raullet et Robiolis (34), avaient signalé la
coïncidence de la migraine ophtalmique et de l'hystérie ; mais,
toute interprétation faisait défaut et le lien étroit qui existe
entre le syndrome de l'amblyopie transitoire et la névrose
hystérique n'était pas démontré. Dans une thèse récente de
M. Fink (S3) on trouve réunies les observations non interprétées,
antérieures aux cas rapportés par MM. Charcot et Babinski, et
deux nouvelles observations qui confirment , davantage les
rapports dont nous parlons.
L'amblyopie transitoire survient (le plus souvent sous
forme de migraine ophtalmique) chez les hystériques, à la
façon d'un paroxysme aigu agissant pour son propre compte,
ou à la façon de l'aura d'une attaque convulsive (Babinski).
Outre les prodrômes ordinaires de tous les paroxysmes (batte-
ments dans les tempes, sensation de boule, etc...), on note
presque toujours l'existence d'une zone hystérogène, dont la
mise en action va directement faire naître le paroxysme mi-
graineux et l'amblyopie transitoire. Cette zone peut siéger
dans l'oeil lui-même; alors, la douleur débutera, par exemple,
-directement au niveau du globe oculaire. Ou encore, la zone
.peut se trouver ailleurs, au vertex, par exemple; de là la
douleur se propage jusqu'au pourtour de l'orbite et devient
très vive. En même temps le malade éprouve une sensation de
tremblement de l'aile du nez ou d'autres troubles nerveux,
puis survient l'amblyopie et non rarement les phénomènes du
scintillement. '
Dans un des cas relatés par Babinski, il existait au niveau
de la sixième vertèbre dorsale une zone hystérogène, dont la
pression faisait apparaître immédiatement le scotôme. "Dans
un autre cas, la pression d'une zone ovarienne gauche produi-
sait le scotôme, comme en d'autres circonstances elle eut pu
déterminer une attaque convulsive. Il est rare que, chez le
même malade les attaques convulsives de l'hystérie et les
attaques d'amblyopie transitoire soient séparées, alternées et
marchant par périodes distinctes. 1
Comment reconnaître si le syndrôme migraineux et l'am-
blyopie transitoire sont vraiment de nature hystérique ?
- Lorsque ces phénomènes constituent l'aura d'une attaque
convulsive, le diagnostic s'impose. Lorsque l'au2,a de la mi-
graine ophtalmique, sous forme de paroxysme spécialisé, part
d'une zone hystérogène dûment constatée, et dont la pression
218 clinique NERVEUSE.
suffit pour déterminer l'accès, la difficulté n'est pas grande
encore. Mais, si la migraine ophtalmique survient chez un
sujet porteur de stigmates douteux, comment arrivera-t-on au
diagnostic ?
La question serait très importante pour le traitement et le
pronostic, mais elle est encore bien difficile, à résoudre.
M. Gilles de la Tourette croit, que pour ces cas l'examen
des urines pourrait trancher le doute : en effet, la migraine
ophtalmique appartiendrait, comme la pseudo-méningitehysté-
rique, aux paroxysmes douloureux; et dans ceux-ci l'analyse,
en déterminant la formule clinique qui parait être pathogno-
monique', permettrait de porter un diagnostic sur l'hystérie.
Mais, il est certain que, même chez les hystériques, l'accès
d'amblyopie transitoire pourrait être exempt de migraine;
d'autre part, les données de la chimie clinique sur l'hystérie
ne sont pas encore si complètes et si sûres, pour nous per-
mettre un diagnostic certain.
La forme hémiopique de l'amblyopie transitoire peut se ren-
contrer chez les hystériques, sans que cela nous autorise à
parler d'une hémianopsie des hystériques. Les caractères essen-
tiels de l'amblyopie hystérique (hystérie normale) restent tou-
jours le rétrécissement concentrique du champ visuel pour la
lumière blanche et pour les couleurs, accompagné souvent de
certains troubles secondaires de l'accommodation. Il y a des ob-
servations de migraine ophtalmique due à l'hystérie, où l'hé-
miopie semblait exister (subjectivement, sinon à l'examen
objectif) ; mais toujours à l'état transitoire, non permanent,
comme la limitation concentrique du champ visuel. Parmi les
treize observations relatées (Babinski et Finck), de migraine
ophtalmique due sûrement à l'hystérie, dans quatre d'entre
elles la forme hémiopique de l'amblyopie transitoire est notée :
mais dans trois de ces quatre observations, l'oeil, examiné
après l'attaque ne présentait plus- qu'un rétrécissement con-
centrique du champ visuel, et dans un quatrième cas (Babinski-
Parinaud), l'oeil étant examiné au moment même où le malade
ne voyait que la moitié des objets, on ne constata pas les
caractères objectifs de l'hémiopie permanente, mais la simple
augmentation d'un rétrécissement concentrique existant nor-
malement.
' Gilles de la Tourette et Ctuitelmeau. La nutrition dans l'hystérie*
Paris, 1890.
l'amblyopie transitoire. 219
.
Cette dernière observation démontrerait et il serait très
intéressant de le confirmer que l'hémiopz'e transitoire de la
migraine ophtalmique due à l'hystérie, résulte de l'exagéra-
tion temporaire du rétrécissement visuel concentrique, si fré-
quent chez les hystériques. On aurait, de la sorte, la preuve
encore plus sûre que l'amblyopie transitoire est due au même
ordre de troubles dynamiques de l'écorce cérébrale, dont
l'hystérie tire sa pathogénie'. Nous ne saurions rattacher
beaucoup de cas d'amblyopie transitoire (accompagnée ou non
de migraine) à l'hystérie, puisque le sujet ne présente pas de
stigmates hystériques et que le syndrôme dont nous nous oc-
cupons, ne présente pas les attributs de l'hystérie, tels que la
possibilité d'être modifié par des causes psychiques, de pa-
raître ou de disparaître par la pression sur des zones hystéro-
gènes, etc.
Dans ce cas, et lorsque le sujet ne présente pas d'autres
signes de névropathies, l'amblyopie transitoire constitue à
elle seule, ou le plus souvent avec les accès migraineux, la
névrose rudimentaire qui affirme le tempérament nerveux du
sujet. ,
4. Rapports entre l'amblyopie transitoire et l'épilepsie.
L'amblyopie transitoire, dans le sens le plus large de la dé-
nomination, est très fréquente chez les épileptiques. Très
souvent, en effet, l'attaque épileptique laisse après elle un
certain degré d'amblyopie qui s'efface assez rapidement. D'au-
tres épileptiques' immédiatement après l'accès voient trouble,
voient les objets grossir ou se rapprocher, des scintillements,
des feux d'artifices, des cercles colorés, et ils perdent connais-
sance lorsqu'ils ont la sensation que ces corps brillants vont
arriver sur eux. Les mêmes hallucinations peuvent se rencon-
trer chez les hystériques. Enfin, l'obscurcissement plus ou
moins prononcé de la vue accompagne habituellement le ver-
tige épileptique, et, dans certains cas, c'est l'amblyopie qui
1 Néanmoins, les crises d'amblyopie transitoire et l'hystérie pourraient
coexister, sans avoir de liens étroits entre elles. C'est ce qui me sem-
blait démontré, par exemple, par un cas observé à la Salpêtrière
(111"° Lise L..., vingt-neuf ans, consultation du 6 mars 1892), où les crises
hystériques s'étaient alternées avec des crises d'amaurose monoculaire
transitoire, et quelquefois de scotome scintillant, tandis qu'il n'y vait il
pas de rétrécissement concentrique permanent du champ visuel.
220 . CLINIQUE NERVEUSE.
devient prédominante, même sans que la sensation vertigi-
neuse proprement dite existe. -
. Il est vrai, pourtant,' que l'amblyopie transitoire à crises
bien caractérisées se montre plus souvent en rapport avec
l'épilepsie partielle ou petit mal, qu'avec la véritable épilepsie
ou grand mal. Une observation de Jackson démontra que
l'amaurose passagère, sans perte de connaissance, sans vertige,
sans phénomènes lumineux, peut constituer une des formes du
petit mal, c'est-à-dire en remplacer les attaques. Mais, ces
rapports ont été mis en évidence, plus tard, surtout par les
observations de Charcot et Féré.
Ces observations nous permettent d'affirmer, que le plus
- souvent les accès d'amblyopie transitoire et de migraine res-
- tent pendant un temps assez long les seuls troubles nerveux
du malade, et c'est plus tard seulement que les attaques épi-
leptiques se substituent ou alternent avec la migraine ophtal-
mique : on rencontre rarement la succession immédiate ou la
coexistence de l'accès d'amblyopie transitoire avec les atta-
ques convulsives.
Une de ces observations, dans laquelle une simple migraine
périodique avait ouvert la série des troubles nerveux, est re-
marquable. Plus tard, il survint l'épilepsie partielle, ensuite
l'épilepsie généralisée, et après l'amélioration de cette der-
nière (par suite du traitement et de l'âge) le scotôme scintil-
lant se déclara.
Parmi les observations de Féré et de Raullet, il y en a de
très intéressantes, qui démontrent soit la substitution des
attaques de migraine ophtalmique et d'épilepsie partielle à
l'épilepsie complète, soit le développement parallèle de ces
troubles à un point tel, qu'il serait presque impossible de
séparer le syndrôme de l'amblyopie transitoire, de la migraine
et des attaques épileptiques.
Enfin, la nature épileptique du trouble visuel nous parait
évidente dans l'observation qui suit. Nous la devons encore à
M. Parinaud, et elle démontre aussi une forme rare de l'am-
blyopie transitoire. ,
M. Haz... (Eug.), vingt-neuf ans.- Souffre de crises d'amblyopie
transitoire depuis l'âge de dix-sept ans.-Le trouble visuel se déclare
subitement, comme un rideau, dit le malade, qui tombe devant ses
yeux et les rend complètement et immédiatement aveugles. Jamais
de pholesthésie ou de scintillement. La durée de l'amaurose est très
L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 221
variable, de quelques minutes à plusieurs heures. Parfois il a eu des
crises subentrantes. Il lui est arrivé de se réveiller le matin pendant
une crise, étant aveugle. L'amaurose disparait comme elle est
venue, tout d'un coup, mais la vue reste un peu confuse pendant
une demi-heure environ. Pendant la crise les paupières clignotent
constamment, il y a des contractions cloniques des muscles de la
face, qui est pâle. Le malade ne perd pas connaissance et n'éprouve
pas de vertige : une seule fois, à l'âge de onze ans, il lui arriva de
perdre conscience et de se mordre la langue. Pas d'incontinence
d'urine la nuit. '
Les crises sont très irrégulières. Il reste parfois six mois sans en
avoir, parfois il en a plusieurs par semaine et même par jour.
Le retour des crises peut affecter une grande régularité périodique.
Un camarade qui l'accompagne, nous confirme que pendant les
crises ilpàlit, mais il conserve toute sa lucidité d'esprit.
Un jour on le conduit à la clinique pendant sa crise, qui s'était
déclarée vers une heure de l'après-midi. Vers deux heures il
entre étant parfaitement aveugle, mais quelques minutes après il
se frotte les yeux et la vue revient. A ce moment l'ophtalmoscope
ne montre rien d'anormal au fond des yeux, si ce n'est une légère
teinte rose des papilles.
Le champ visuel est un peu rétréci (70° du côté externe). Le ma-
lade distingue confusément les couleurs, mais. sa dischromatopsie
n'a pas de caractères tranchés : c'est le bleu, le violet et le rouge
qui sont le plus mal distingués, tandis que le vert est mieux reconnu;
le jaune est également mal distingué. Souvent le malade désigne
les couleurs par leurs complémentaires. Il y a un peu d'hypermé-
tropie, avec une acuité sensiblement normale (0 D z 1 ; 0 G +
1,5 et V. - 7 des deux côtés).. ,
Le lendemain le malade a encore une crise. Il s'est réveillé étant z
aveugle, et seulement au bout de quelques minutes la vue revient.
Une autre crise encore au bout de quatre jours, le matin ; et la
cécité complète (le malade ne distingue pas. le jour de la nuit),,
dure cette fois pendant neuf heures. Lorsque la vue revient, elle est
trouble, les objets environnants ontl'airde se mouvoir, les couleurs
ne sont pas distinguées. Seulement au bout d'une demi-heure la
vue et la perception des couleurs se rétablissent tout à fait.
Pas d'antécédents ou d'autres stigmates nerveux, si ce n'est le
caractère assez emporté du sujet.
5. Les rapports entre (amblyopie transitoire et le tabès se- ,
raient démontrés par une observation de Féré, où les phéno-
mènes tabétiques se déclarèrent à l'âge de trente-six ans après
de longues attaques de migraine ophtalmique et d'épilepsie
222. CLINIQUE NERVEUSE.
partielle ou complète. En outre, Raullet rapporte deux obser-
vations recueillies dans le service de M. Charcot, dans les-
quelles les attaques d'amblyopie transitoire figurent parmi les
accidents prodromiques de l'ataxie locomotrice, et d'autres
cas analogues ont été signalés par Duchenne
6. Rapports entre l'amblyopie transitoire, l'épilepsie partielle
et la paralysie générale progressive. a). Ces rapports sont
signalés pour la première fois dans une observation de
M. Parinaud (33). Pour les mettre bien en lumière, nous
nous servirons surtout de quelques observations cliniques, la
plupart inédites, recueillies à la Salpêtrière (épilepsie partielle
accompagnée d'amblyopie transitoire) et d'une note de M. Ma-
galhaës Lemos (47) sur l'épilepsie sensitive comme début de la
paralysie générale.
Sous le nom d'épilepsie partielle (sensitivo-sensorielle, ou
motrice, ou mixte) M. le professeur Charcot a indiqué le pre-
mier un trouble nerveux que nous devons rappeler ici en
quelques lignes. Dans sa manifestation la plus simple, le
trouble se présente par accès, qui surviennent à intervalles
plus ou moins longs, et consistent en une sensation parti-
culière de fourmillement et d'engourdissement limités à une
partie du corps. Sous l'influence d'une impression psychique
(émotion morale) ou physique (comme le froid, par exemple),
ou habituellement sans cause appréciable, une des mains du
sujet est prise d'un engourdissement qui monte dans le bras,
envahit partiellement la face jusqu'à la commissure labiale,
ainsi que la moitié correspondante de la langue, et enfin se
propage à la jambe du même côté.
Cette forme est la forme brachiale, mais si le trouble débute
dans la face pour envahir ensuite le bras et la jambe, nous
aurons la forme faciale, et s'il commence par le pied et
monte dans le membre inférieur, puis dans le bras et dans la
face, ce sera la forme crurale.
Ces trois formes d'épilepsie partielle sensitive répètent les
trois formes classiques de l'épilepsie partielle motrice (épi-
lepsie corticale, jacksonienne).
En outre, le trouble sensitif peut être limité à un membre
seulement, sans envahir la moitié du corps tout entière, et il
peut souvent s'associer à des troubles moteurs (formes mixtes
sensitivo-motrices) ou à des troubles sensoriels et psychiques
(épilepsie partielle sensitivo-sensorielle).
L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 221J
Nous n'avons pas à nous occuper des complications motrices
de l'épilepsie partielle et des formes de transition avec l'épi-
lepsie complète (petit mal et grand mal). Quant aux troubles
psychiques, ce sont les mêmes que ceux qui accompagnent
souvent les attaques mieux caractérisées d'amblyopie transi-
toire, c'est-à-dire la fatigue de l'intelligence, l'aphasie, etc...
L'inconscience n'est pas un symptôme constant, et il semble
même qu'elle soit moins fréquente, dans l'épilepsie partielle,
sensitive ou sensitivo-sensorielle. Dans cette dernière forme,
les symptômes sensoriels sont justement les troubles de la
vue qui nous occupent, et que les observations suivantes vont
démontrer'.
Observation 1. - Migraine ophtalmique, accès d'épilepsie partielle
consécutive (forme mixte).
M. llfouch... (cinquante ans), consultation externe de la Salpê-
trière, février 1880. Accès de migraine ophtalmique depuis sa jeu-
nesse jusqu'en 187 époque à laquelle l'épilepsie partielle apparut :
les accès de migraine revenaient assez fréquemment (à peu près
tous les mois), étaient facilement,provoqués par des excès de dif-
férente nature ou par les changements d'habitude, et duraient de
douze à vingt-quatre heures. Ils étaient caractérisés par la douleur
au niveau de la région pariétale gauche, avec sensation de poids et
de chaleur, par la pâleur du visage, par une hémiopie transitoire
gauche, par le scintillement caractéristique à l'oeil gauche, suivi de
nausées sans vomissements. A la fin de l'accès, le malade raconte
avec une grande précision qu'il éprouvait dans le côté droit du
corps (la face et le bras), des fourmillements et comme une sensa-
tion de froid.
Quand je voyais arriver ces fourmillements, qui ne se produisaient
que dans des crises un peu forles, nous dit le malade, je savais
que c'était le prélude de la fin de l'attaque.
En 1871, première attaque d'épilepsie complète (chute avec
perte de connaissance) : depuis ce temps, les accès ont persisté. Au
début, ils revenaient tous les huit jours; puis, à la suite d'un trai-
tement, le malade est resté (il y a à peu près quatre ans de cela)
pendant une année sans avoir d'attaques; puis, les attaques sont t
revenues, et elles apparaissent maintenant tous les huit ou quinze
jours. Il sent un frémissement au bout des doigts de la main
gauche, et, comme il sait que c'est le signe précurseur de l'accès,
1 Je dois ces observations de la Salpêtrière à la grande obligeance de
M. le D' Charcot fils, et je m'empresse de lui en adresser ici tous mes
remerciements.
224 CLINIQUE NERVEUSE.
il se lève pour mieux y résister et en a toujours le temps. Presque
aussitôt après, les doigts de la main se contractent en flexion.
Tout peut se borner à cela (épilepsie partielle motrice), le malade
remue volontairement son membre comme pour en faire dispa-
raître complètement les crampes, et les choses en restent là. Mais,
d'autres fois elles vont plus loin; le membre supérieur tout entier
est pris de tremblement, puis la tête s'incline spasmodiquement
vers l'épaule droite, la bouche est tirée à droite, il s'ensuit parfois
la perte de connaissance, la convulsion des yeux, la généralisation
des mouvements convulsifs, la morsure de la langue. '
Les attaques avec perte de connaissance sont plus fréquentes que
les autres. Après les attaques, mélancolie, plears, idées de suicide.
Le malade ne saurait pas préciser, en ce qui concerne le scotôme
dans le début des attaques d'épilepsie partielle; il se rappelle bien
des crises d'amblyopie transitoire dans l'intervalle de ses attaques,
et il ajoute que parfois le scotôme a été pour lui l'annonce d'une
attaque.
Le malade nous dit, le 6 mai 1880, que depuis lé mois de février,
à la suite du traitement subi, il n'a eu qu'une seule attaque épilep-
tique avec perte de connaissance et pas de migraine. Du reste il
remarque, que les migraines ont beaucoup diminué et presque dis-
paru depuis l'apparition de ces accès d'épilepsie partielle.
Le 4 juin, il nous confirme que les véritables crises de migraine
ophtalmique ne sont pas revenues, il lui semble seulement avoir
un léger brouillard, presque en auréole, devant son oeil gauche.
Pendant plus d'un an, le malade revint de temps en temps à la
consultation. En résumé, on peut dire que les attaques épileptiques
complètes ont été très rares, les accès d'épilepsie partielle un peu
plus fréquents, et, dans les intervalles, les crises de migraine ophtal-.
mique se sont présentées avec leur ancien caractère (maux de tête,
scotômes, scintillement monolatéral) ou quelquefois un peu moins
fortes. Accuse toujours faiblesse et trouble de la vue dans l'oeil
gauche. ' '
i
Observation Il. Scotôme scintillant rudimentaire et migraines :
attaques d'épilepsie partielle et d'épilepsie sensorielle.
M. Ger..., vingt-trois ans (consultation externe de la Salpê-
trière, 6 avril 1886). '
En 1878, premières attaques d'épilepsie partielle, qui se renouve-
laient trois ou quatre fois par jour. Entré à l'hôpital Tenon, après
un traitement de cinq mois et demi amélioration jusqu'à la gué-'
rison presque complète. " 1
Il y a peu de temps la maladie a reparu subitement. Deux .
sortes d'attaques : dans les plus légères il n'y a pas de perte de
connaissance; dans les plus fortes, survenantpour la plupart pen-'
L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 225
dant la nuit, il perd connaissance ; les attaques ne sont pas précé-
dées de céphalée et commencent toujours par la jambe droite qui
se fléchit sur la cuisse, peu d'instants après le bras droit s'étend
et les doigts se raidissent, restant immobiles et écartés les uns des'
autres. On a dit au malade que pendant quelques-unes des crises,
avec perte de connaissance, il tordait la bouche à droite.
Parfois il est tombé se blessant à la figure, d'autres fois encore il
a uriné involontairement et s'est mordu la langue. .
La durée de ces crises est d'une minute environ; une minute
après le regard reste fixe, et le malade dit qu'à ce moment il com-
prend parfaitement ce qu'on lui dit, mais qu'il ne pourrait pas ré-
pondre. ,
Pendant cet espace de temps la jambe droite est comme paralysée,
puisqu'il ne peut la remuer, tandis que le bras droit recouvre immé-
diatement sa motilité normale. ,
- A la suite des attaques il ressent pendant plusieurs heures
encore une céphalée violente. Il dit aussi, qu'il a des visions de
lumières très vives, ou de points etde lignes très brillants ; quelque-
fois pendant cette migraine, d'autres fois sans aucun rapport avec
la crise épileptique. '.
OBSERVATION. 111. Epdepsie partielle anormale et migraine
' ophtalmique. - -
M. Len..., trente ans. (Consultation externe de la Salpêtrière,
16'août 1881.) , -- ' '
A fait pendant son enfance une chute sur la tête; il y a vingt
ans a reçu un coup de pierre sur le crâne, dont la cicatrice est
visible à gauche. Pendant dix-sept ans, aucun symptôme. Il y, à
environ trois ans, névralgie périodique frontale très intense (tous
les jours à neuf heures du matin). Peu de temps après (vers le
mois de juillet 1878), première attaque d'épilepsie partielle au bras,
droit, qui fut subitement atteint de petites secousses (épilepsie par-
tielle motrice).. ,
A présent il a en outre des accès convulsifs complets, débutant
toujours par le bras droit et se généralisant ensuite à tout le corps.
Pas d'aura à ses accès : la compression de la main au début des
convulsions du membre peut seulement suspendre pendant quel-
ques minutes lesaccès,mais non les arrêter. Le malade tombe sur
le côté gauche, la crise dure une dizaine de minutes. Les petits
accès d'épilepsie partielle, c'est-à-dire les simples secousses convuç ;,
sives au bras droit, le prennent tous les jours. ' ', ..
* Après un an (consultation du 11 août 1882), l'on constate, 'avec
l'amélioration de l'épilepsie (accès plus légers et de plus en plus
espacés), des accès de scotôme scintillant. , : . :
, Le malade dit que ces crises d'amblyopie transitoire non accoru
ARCHIVES, t. XXIV. 15
226 CLINIQUE NERVEUSE.
pagnées de migraines, mais suivies de phosphènes scintillants, sont
' un peu plus fréquentes que les accès convulsifs, ne les accom-
pagnent jamais, et ne les précèdent pas immédiatement non plus.
Observation IV. Epilepsie partielle typique, suivie d'épilepsie
essentielle, migraine, et scotôme scintillant rudimentaire.
Mlle Br..., dix-huit ans. (Consultation externe de la Salpêtrière;
4 janvier 1881.)
Rien durant son enfance. Première attaque d'épilepsie partielle
à la seconde époque de ses règles. La malade levait son bras tout
droit, la tête était tournée à droite, pas de cris, pas de perte de
connaissance, pas de chute. - Dans ces derniers temps, les attaques
sont devenues plus fréquentes (parfois tous les deux ou trois jours)
et plus complètes; aura motrice, c'est-à-dire quelques mouvements
automatiques, comme pour rajuster ses vêtements, etc., puis, con-
vulsions, chute sur le côté droit, perte de connaissance, morsure
de la langue, quelquefois miction involontaire, sensations parti-
culières au creux épigastrique, comme chez les gens à petit mal.
Après les attaques, lorsqu'elle se levait, embarras de la parole.
Les accès épileptiques sont souvent accompagnés de céphalalgie
bilatérale. Quelquefois la migraine est suivie de la vision de
flammes fugitives ou de cercles de feu devant les deux yeux.
Observation V. Migraine ophtalmique et épilepsie partielle.
Mroe Berm..., vingt ans. (Consultation externe de la Salpêtrière
11 janvier 1886.)
Grand-père et grand'mère maternels, mère et un oncle maternel
migraineux; une tante paternelle hystérique.
Il y a deux ans commencèrent de fortes migraines, dont la malade
diminua beaucoup l'intensité grâce aux bromures. Ayant
cessé ce traitement pendant quelque temps, les accès sont revenus
depuis deux mois avec leur intensité première. Les attaques sur-
viennent à peu près deux fois par semaine et semblent être plus
fortes lorsqu'elles précèdent de quelques jours les règles.
La malade dit, que devant son oeil gauche se place comme
l'ombre d'une tête (scotôme presque circulaire) qui peu de temps
après devient lumineuse, irisée en vert, jaune et bleu, ensuite
cette ombre grandit un peu, semble tourner et, tout en tournant,
s'évanouit. En même temps la malade a remarqué que quelquefois
elle ne pouvait distinguer les objets que d'un seul côté (hémiopie),
à droite. Le scotôme ayant duré à peu près deux minutes, est suivi
d'une douleur que la malade place à la partie frontale sus-orbitaire
gauche. Jamais de véritable migraine, ni douleur du côté droit
La névralgie sus-orbitaire dure quelquefois à peine cinq minutes,
l'amblyopie transitoire. 227
d'autres fois une heure, et oblige alors la malade de se mettre au
lit pour prendre un court sommeil qui lui rend le bien-être.
Parfois des fourmillements dans le pied gauche succèdent à l'at-
taque (épilepsie partielle sensitive),mais pas pendant toute sa durée.
Rien ne l'avertit de l'accès qui va la saisir; ni malaise général,
ni inappétence, ni nausées.
Quand les accès sont très forts, c'est-à-dire lorsque le scotôme
dure plus longtemps et que la névralgie est plus intense, elle perd
quelquefois connaissance.
Pendant cette perte de connaissance, qui ne dure pas plus d'une
ou deux minutes, la mère de la malade dit que cette dernière se
raidit un peu sans avoir de véritables convulsions dansles membres,
ni déviation de la bouche, ni écume aux lèvres; une seule fois, il
y a deux mois, elle aurait uriné involontairement pendant la crise.
Avant la perte de connaissance, elle a le temps de se mettre à l'a-
bri d'une chute; quelquefois la tête se serait tournée lentement à
gauche, elle se serait mordu la langue. Quand elle revient à elle, il
subsiste encore quelques troubles dans la vue, mais tout disparaît
bientôt et elle est tout à fait bien, comme d'ordinaire.
Observation VI. Amblyopie temporaire simple, Epilepsie
partielle.
M. Gros..., trente-huit ans. (Consultation particulière de M. Javal,
Il février 1892.)
Aucun antécédent héréditaire ni personnel. Conditions de santé
parfaites, léger abus de boissons. Emmétropie et acuité visuelle
normale aux deux yeux. Depuis environ trois ans, accès d'engour-
dissement et sensation de froid et d'impuissance motrice au pied
et à la jambe du côté droit.
Dans ces derniers temps, il dit que ces accès d'épilepsie partielle
sont revenus tous les huit ou quinze jours à peu près, et ont eu une
durée de deux à trois minutes, rarement plus. Les attaques d'am-
blyopie temporaire, au début très rudimentaires, ont commencé
avant l'épilepsie sensitive, c'est-à-dire il y a cinq ans. Il les avait
seulement du côté droit, sous forme d'un petit scotôme, placé un
peu en bas et à droite de l'objet qu'il fixait avec son oeil droit.
Jamais de véritables migraines, mais très souvent une sensation
de pesanteur à la tête, fatigue de l'intelligence, surtout dans les
journées d'biver les plus froides et quelquefois pendant plusieurs
jours de suite, et à des périodes très rapprochées.
Il y a à peu près un mois, en sortant un matin dans la campagne
«ouverte de neige, l'attaque d'amblyopie le saisit en même temps
que l'engourdissement du membre inférieur droit; il dit que la
partie inférieure et droite du champ visuel des deux yeux (même
228 clinique NERVEUSE
en les fermant l'un ou l'autre) lui semblait envahie par une espèce
de brouillard ou de fumée. Au bout de quelques minules tout
trouble disparut, et jusqu'à présent aucune attaque ne s'est repré-
sentée. Examen ophtalmoscopique tout à fait négatif. '
En résumé, on peut dire que souvent les accès d'épilepsie
partielle sont accompagnés d'amblyopie transitoire; soit à
forme de scotome scintillant, soit de véritable migraine ophtal-
mique ou de simple obscurcissement partiel (hémiopie, ou
autre, du champ visuel. Il est plus facile aujourd'hui, à cause
de ces rapports, de rechercher l'épilepsie sensitive, pour en
compléter l'étude, comme espèce pathologique distincte, chez
les malades de migraine ophtalmique; cette dernière consti-
tuant un syndrome bien évident, et pour lequel les sujets
viennent bien plus souvent à la consultation.
Les accès d'amblyopie transitoire précèdent dans la plupart
des cas, et même de plusieurs années, les accès d'épilepsie par-
tielle.
Cependant, quelques observations démontrent que l'amblyo-
pie transitoire peut commencer en même temps que l'épilepsie
partielle, et que les deux sortes de crises peuvent s'alterner.
Dans l'Observation V ci-dessus, la. malade, qui héritait du
tempérament nerveux de sa mère, et dont presque toute la
famille était migraineuse, aurait pour ainsi dire condensé les
troubles corticaux, de façon à avoir amblyopie transitoire et
l'épilepsie partielle en même temps. Déplus, puisque l'épilepsie
partielle s'ajoutait aux accès d'amblyopie transitoire (d'ordi-
naire accompagnés seulement par la migraine), quand ces
crises étaient plus violentes, on était porté de croire que les
troubles corticaux se répandaient, pour ainsi dire, de l'éco2,ce
visuelle vers l'écorce motrice.
b). 11 résulte des observations de M. Charcot que l'épilepsie
sensitive (accompagnée très souvent par l'amblyopie transi-
toire) peut se présenter comme une maladie distincte, évoluant
pour son propre compte; mais qu'on peut aussi la regarder
comme une manifestation symptomatique de la paralysie
générale, peut-être même d'autres maladies.
Les rapports entre l'épilepsie partielle et la paralysie géné-
rale ont été mis en lumière par un certain nombre de cas
publiés jusqu'à présent, et entre autres par deux observations
cliniques très démonstratives deM.Lemos(47).Dans la seconde
l'amblyopie transitoire. 229
de ces deux observations, le sujet avait été migraineux dans sa
jeunesse, les attaques d'épilepsie partielle étaient accompa-
gnées d'amblyopie transitoire, et, au bout d'environ trois ans,
la paralysie générale était nettement déclarée.
J'ai pu observer, grâce à l'obligeance de M. Charcot fils, un
cas tout à fait analogue dans le service de M. Brissaud à Saint-
Antoine.
Il s'agissait d'un homme âgé de quarante ans, très robuste. Rien
d'important dans les antécédents héréditaires et personnels.
Vers la fin de novembre 1891 (trois mois avant qu'il ne vint à la
consultation), il eut sa première attaque d'épilepsie partielle. Il se
trouvait un jour de gelée sur un échafaudage, sans souliers, et
ressentit tout à coup un engourdissement de la main gauche ;
cette sensation pénible gagna bientôt le bras, l'épaule, puis le
membre inférieur, du même côté.
Le malade ne perdit pas connaissance, il put descendre pour
aller se chauffer, et après huit à dix minutes l'engourdissement
avait complètement disparu. '
Depuis cette époque, et toujours au milieu de son travail, les
mêmes phénomènes ont reparu quatre ou cinq fois, toujours pro-
voqués par le froid et l'obligeant chaque fois d'abandonner ses
outils pendant cinq à six minutes. Actuellement le syndrome de
- la paralysie progressive commence à se déclarer. La gêne de la pa-
- rôle est caractéristique, après une conversation prolongée elle
. augmente, et les lèvres paraissent animées de légers mouvements
fibrillaires. La langue, même renfermée dans la bouche, est agitée
de trémulations, qui augmentent lorsqu'il la tire au dehors. Il n'y
a pas de réflexe pharyugien, les réflexes sont légèrement augmen-
tés, surtout à gauche, et la sensibilité parait amoindrie du côté
droit. Les pupilles sont inégales; la gauche, bien plus petite, réagit
encore plus leniement que la droite à l'impression lumineuse. Lé-
gères modifications du caractère moral (impatience, contentement).
Enfin, M. Marie a fait ressortir dans sa thèse (44) les troubles
oculaires chez les paralytiques généraux (trois cents cas). Il a
trouvé que ces troubles sont d'autant plus importants, qu'ils
peuvent précéder de plusieurs années l'éclosion complète de la
maladie. Ces phénomènes précoces ont justement pour carac-
tères d'être le plus souvent fugaces et incomplets.
Dans ce cas, il a noté amaurose transitoire; dans un autre
cas le scotôme central transitoire, sous forme de véritables accès
de migraine ophtalmique, datait dej'enfance. Deux fois de vé-
ritables crises d'épilepsie sensitivo-sensorielle avaient précédé.
Ce fait, que l'épilepsie sensitive puisse ouvrir le syndrome
230 . CLINIQUE NERVEUSE.
de la paralysie générale, et, non comme une simple coïnci-
dence morbide, mais par suite de corrélation intime établie
par le substratum- anatomique de cette maladie, nous fait
ressortir davantage l'intérêt pratique qui peut s'attacher au
syndrome de l'amblyopie transitoire, surtout lorsqu'elle s'ac-
compagne de troubles sensitifs, moteurs ou psychiques.
Il s'agit de dépister à son début l'existence d'une maladie
grave, dans les cas où, ni la syphilis (qui peut produire l'épi-
lepsie partielle), ni l'âge du malade (l'épilepsie essentielle ne
commence habituellement pas chez les adultes), ni les attaques
d'une épilepsie bien complète (avec laquelle l'épilepsie par-
tielle peut se combiner), ne nous rendraient compte des
attaques d'épilepsie sensitivo-sensorielle accompagnée de légers
troubles moteurs et plus souvent encore d'amblyopie transi-
toire. Dans ces cas donc, l'amblyopie transitoire ou migraine
ophtalmique aurait une signification bien différente de celle
d'une simple et pure névrose, et le pronostic devrait être au
moins bien plus réservé qu'à l'ordinaire.
Enfin, ces rapports nous permettent de reconnaître à coup
sur la base physiopathologique sur laquelle repose l'amblyopie
transitoire. Nous savons, en effet, que le substratum anato-
mique de la paralysie générale est une encéphalite intersti-
tielle diffuse, siégeant de préférence dans l'écorce cérébrale.
Or, les localisations différentes de cette lésion, au début de la
maladie, peuvent nous rendre compte des différents syn-
drômes (épilepsie partielle sensitive ou motrice, amblyopie
transitoire, aphasie, etc...), avec lesquels la paralysie générale
peut se combiner.
- Etant donnée la loi, que les différentes régions de l'écorce
réagissent toujours, dans le domaine pathologique, par des
symptômes qui émanent de leurs aptitudes physiologiques spé-
ciales, la connexion de ces troubles nous démontre que la
cause de l'amblyopie transitoire siège dans les centres visuels
du cortex cérébral, non pas le long des. voies qui rattachent
ces centres aux organes périphériques de la vision, et encore
moins à la périphérie (rétine). Nos connaissances sur la topo-
graphie du cortex sont bien loin d'être complètes; nous savons
bien que les circonvolutions sensitives siègent dans la partie
postérieufe du cerveau, et puisque un précieux point de repère
dans cette région de l'écorce est constitué par les centres
visuels, peut-être l'étude approfondie de la connexion des phé-
APHASIE MOTRICE PURE AVEC LÉSION CIRCONSCRITE. 31
nomènes morbides dans l'épilepsie partielle, accompagnée
d'amblyopie transitoire, nous aiderait-elle à déterminer la topo-
graphie des différents centres cortico-sensitifs. (A suivre )
RECUEIL DE FAITS
APHASIE MOTRICE PURE AVEC LESION CIRCONSCRITE;
Par 111AI. GicneaT BALLET, professeur agrégé à la Faculté de médecine,
médecin de l'hôpital Saint-Antoine, et EMILE BOIX, interne des hôpi-
taux. -
Il n'y a pas encore assez longtemps qu'est clos le débat sur
la légitimité des localisations cérébrales pour qu'une observa-
tion bien nette, bien précise, offrant toutes les apparences de
rigueur désirable, puisse être passée sous silence. Pour ce qui
est en particulier de l'aphasie dans le sens le plus strict du
mot, l'aphém : é de Broca, l'aphasie motrice de M. Charcot, il est
.bon de rappeler que sa localisation exclusive dans le pied de
la troisième circonvolution frontale a rencontré d'acharnés
adversaires non seulement il y a trente ans, alors que Broca
réunissait ses vingt observations célèbres, mais encore de nos
jours où certains auteurs tentaient naguère d'introniser une
localisation rivale, le lobule de l'insula.
Certes une observation semblable à celle qu'on va lire eût
été mieux à sa place en 1865 ' qu'en 1892, car Broca n'en eut
à son service qu'une seule de ce genre; mais depuis cette
époque les cas d'aphasie motrice pure et isolée, sans partici-
pation à la paralysie des membres ni de la face, ont été fort
rares. Bernard ne cite comme telles dans sa thèse 2, avec la
seconde observation de Broca, que celles de MM. Jaccoud et
Dieulafoy-1, de M. Perrier4, de M. Ange Dilvall, dans les-
1 Discussion à l'Académie de médecine. ! Bernard. De l'aphasie et de ses diverses formes . Th. de Paris, 1885;
.2° édition, 1889.
3 Jaccouds et Dienlafoy. Gazette hebd., 1867, p. 229. ,
Perrier. -7 But. soc. antll1'op., t. -V, p. 363.
° A. Duval. Bail. société de chirurgie, 1861, 2° édition, t. V, p 53.
232 RECUEIL DE FAITS.
quelles l'autopsie a été pratiquée. M. Féré, dans la deuxième
'édition de cette thèse, n'en rapporte aucun cas nouveau, et
nous n'en avons rencontré aucun autre depuis 1885 dans la
littérature médicale. Tous les cas d'aphasie motrice pure, re-
latés ces dernières années, étaient accompagnés de paralysie
des membres et de la face avec lésions correspondantes de
l'hémisphère gauche 1.
Cependant il faut rappeler que M. le professeur Charcot dit
avoir vu plusieurs fois l'oblitération de la seule artère frontale
extérieure et antérieure produire un ramollissement limité au
seul territoire de la troisième frontale, et plus explicitement
à sa partie postérieure. Il donne à l'appui un fait concluant.
«Il concerne, dit-il, une femme nommée Farnier, observée à la
Salpétrière dans mon service. Elle avait été frappée d'aphasie.
Il n'avait existé aucune trace de paralysie soit du mouvement,
soit de la sensibilité. L'aphasie, dans ce cas, était le symptôme
unique et l'atrophie de la troisième circonvolution a été aussi
la seule lésion correspondante révélée par l'autopsie. » Une
figure très démonstrative accompagne ce récit. Ce cas est
pourtant moins pur que le nôtre, car M. Bourneville qui publie
en détail l'observation dans le Progrès médical3 signale un
autre foyer de ramollissement également ancien, sur le même
hémisphère gauche (au niveau de la circonvolution sphé-
noïdale située immédiatement au-dessous de l'angle de
réflexion de la circonvolution d'enceinte de la scissure de
Sylvius) foyer de 2 centimètres de longueur.
Observation. Cardiopathie rhumatismale. Embolie cérébrale.
Aphasie motrice pure et isolée. Foyer très circonscrit de ra-
mollissement sur le pied de la circonvolution de Broca.
merl... (Yves-Pierre), originaire des Côtes-du-Nord, est âgé de
quarante-trois ans. Son père est mort à soixante-dix-neuf ans.
Sa mère est encore vivante. Il a un frère sourd-muet, un autre
' bien portant, une soeur morte de la poitrine.
. Depuis l'âge de dix ans, il a eu quatre attaques de rhumatisme
aigu : la première à dix ans, dura deux mois-; la deuxième à seize
1 Nous n'avons pu nous procurer l'article suivant : Thomas. Tow
cases of traumatie aphæmia p7*oviiig the importance ol Broca's convolution
as the of speech. Indian med. Rec., Calcutta, 1892, III, p. 80, : Charcot. -Leçons sur les localisations 1876-80, p. 69.
3 Bourneville. Progrès médical, 1874, n" 20 et 21.
APHASIE MOTRICE PURE AVEC LÉSION CIRCONSCRITE. 233
ans, fut plus courte; la troisième à vingt et un ans, à Valparaiso,
pendant qu'il était marin ; cette attaque très intense, dura deux
mois; les accidents cardiaques commencèrent; sans doute, il y
eut endopéricardite (le médecin parlait de cuir neuf). Depuis cette
époque le malade avait des palpitations à l'occasion des grands
efforts et des fatigues. La quatrième attaque, à trente-quatre ans, en
1884, pendant la convalescence d'une bronchite, eut deux mois de
durée.
- Depuis cette époque, nombre de petites attaques moins fortes
que les précédentes, mais entraînant cependant la cessation du
travail pendant quelques jours et nécessitant l'emploi du salicylate
de soude. A plusieurs reprises, également, poussées d'endopé-
ricardite améliorées par la digitale et les révulsifs locaux. Cepen-
dant à part quelques palpitations, le malade travaillait facilement
et portait des ballots de 50 à 60 kilogrammes aux deuxième et
troisième étages. Quelquefois le soir, il constatait un léger gon-
flement des malléoles. Pas d'accidents syphilitiques avoués ni
constatés.
Le 8 août 1891, Kerl..., couché dans son lit, lisait le journal,
quand brusquement il s'aperçut qu'il ne comprenait plus ce qui
était imprimé : « pas plus, dit-il, que si c'eût été du russe ». En
même temps céphalalgie intense. Il essaya alors de s'endormir,
mais il ne put y arriver et même il eut du délire, voulant se lever,
criant fort, etc. Le lendemain le malade comprenait tout ce qu'on
lui disait, voulait répondre, mais ne trouvait pas le mot. Quelque-
fois il disait un mot pour un autre et s'apercevait de suite de son
erreur, mais il ne pouvait la rectifier; il demandait une table pour
un verre et se désespérait quand on ne le comprenait pas.
Pas de paralysie, pas de convulsions, pas de perte de connais-
sance. Mémoire très affaiblie. Affaiblissement cérébral et
général très accentué. Insomnie; il ne dormait qu'une ou deux
heures sans cauchemar. Anorexie et dégoût des aliments. Le ma-
lade passe quinze jours au lit; il est traité d'abord par des bains de
pied sinapisés, des compresses glacées sur la tête, des purgatifs, un
peu plus tard par l'iodure de potassium.
La cécité verbale disparait après peu de temps, mais l'aphasie
motrice ne commence à s'amender qu'au bout de cette quinzaine.
La céphalalgie, quoique moins intense, est capricieuse, augmen-
tant, diminuant ou disparaissant brusquement.
Nous voyons le malade pour la première fais le 29 septembre 1891, J
un mois et demi après le début des accidents.
Pas de surdité verbale appréciable; pas de cécité verbale.
Aphasie motrice modérée, mais cependant très nette. Le malade
hésite pour trouver les noms d'objets vulgaires comme clef, crayon;
il y arrive cependant, mais ne peut trouver le nom d'un encrier.
Les images auditives n'actionnentpas le centre moteur; exemple,
234 RECUEIL DE FAITS.
le malade ne dit pas spontanément encrier et il ne répéte guère
plus aisément le mot lorsqu'on le lui dit..
Le centre visuel actionne au contraire nettement le centre mo-
teur ; quand on lui fait lire le mot encrier, le malade le dit parfai-
tement.
Quant à l'agraplie, il est difficile d'en juger car le malade sait
à peine écrire. Cependant il signe son nom sans plus de difficulté
que d'habitude,
Il semblerait qu'il y ait un peu de paralysie faciale à droite ; le
sillon naso-labial gauche est beaucoup plus relevé. Mais la femme
du malade prétend avoir toujours vu ainsi la face de son mari ;
celui-ci approuve le dire de sa femme et déclare que c'est de nais-
sance.
Le diagnostic s'impose d'aphasie motrice incomplète par lésion
du pied de la troisième frontale. Nous dessinons un schéma topo-
graphique qui est consigné dans le dossier. En l'absence de
syphilis avérée nousincriminons une embolie rhumatismale, mais
par mesure de précaution nous prescrivons le traitement spécifique
mixte, frictions mercurielles et iodure de potassium.
Le 7 novembre 1891, le malade revient nous voir : son état est
stationnaire.
Le 17 février 1892, Kerl..., entre à l'hôpital Saint-Antoine, salle
Broussais, pour des accidents cardio-pulmonaires qui ont débuté
il y a six semaines. Il a encore un degré d'aphasie assez marquée;
quand on le fait parler, on le voit quelquefois s'arrêter brusque-
ment pour chercher un mot qu'il trouve très difficilement et que
souvent il ne peut arriver à trouver.. Pas de paraphasie.
Depuis longtemps il peut lire aussi bien qu'avant son accident.
Pas de troubles visuels. Pas de troubles de la sensibilité.
Pas de troubles moteurs. Réflexes normaux. L'aspect de la
face est le même qu'à la première visite. Il y a six semaines, il a été
pris brusquement d'un point décote, dyspnée intense; le lendemain
crachats sanglants d'abord rouges puis noirâtres.
- Depuis, la dyspnée a persisté s'accompagnant de palpitations et
de douleurs précordiales. On constate aux deux bases, surtout à
gauche, des râles crépitants nombreux, et quelques râles sibilants
dans le reste du poumon. Toux sèche fatigante.
La pointe du coeur bat dans le huitième espace et soulève éner-
giquement la paroi; les pulsations sont très fortement senties à la
main. Thrill dans la région de la pointe. Pas d'arythmie. A
l'auscultation souffle très fort en jet de vapeur, occupant toute la
systole et se prolongeant pendant le petit silence. Son maximum
est la pointe; il se prolonge vers l'aisselle et on l'entend nette-
ment systolique dans le dos. A la base le claquement des sygmoïdes
est très sourd.
Malgré cette auscultation nettement mitrale, le malade a le
APHASIE MOTRICE PURE AVEC LÉSION CIRCONSCRITE. 235
. faciès d'un aortique, teint décoloré, cireux, teinte anémique des
muqueuses; pas d'oedème, pas de cyanose des lèvres ni des extré-
mités. Le pouls est normal, régulier, plutôt un peu fort. Pas
de pouls veineux. Urines rares 350 à 500 grammes densité
moyenne 1018 Coloration rouge foncé. Pas d'albumine.
Le malade dit avoir beaucoup maigri depuis six mois. La force
musculaire est cependant conservée et égale des deux côtés (dynam.
56 à gauche, 61 à droite). Pas d'oedème. - Le sommeil est court,
trois à quatre heures par nuit, interrompu par le besoin de respirer.
- Jusqu'au 19 mars, amélioration progressive ; la dyspnée diminue.
la congestion pulmonaire est moins intense, le coeur est régulier,
le claquement des sygmoïdes devient plus net. L'appétit est revenu.
19 mars. Douleur pongitive dans le côté gauche, dyspnée
suffocante, insomnie, - l'urine diminue, albumine en abondance,
céphalée, oedème des jambes.
27. Les phénomènes se sont aggravés. Congestion des
deux poumons, subiclère des conjonctives.
29. L'oedème monte jusqu'aux aines, la dyspnée augmente, le
mal de tête est violent.
30. Kerl..., meurt subitement la nuit en se plaçant sur le
bassin. -
Autopsie. Cerveau. Artère basilaire non athéromateuse,
artère sylvienne gauche normale. ' ' .
Hémisphère gauche. Lorqu'on écarte le pied de la troisième
frontale de celui de la frontale ascendante, on constate au fond
du sillon un foyer jaune ocreux déprimé, ne dépassant pas comme
dimension un pièce de 0 fr. 20 centimes en argent. Aucune alté-
ration non seulement des autres circonvolutions, mais encore du
reste de la troisième frontale. (Voy. Pl. I, fig. 1.)
Hémisphère droite. Les circonvolutions de la zone motrice sont
intactes, mais en écartant les lèvres de la scissure de Sylvius, on
tombe sur un large foyer de ramollissement de 7 centimètres
environ de longueur. Il intéresse en bas toute la première circon-
volution temporale et la partie moyenne de la deuxième. En haut
il rase le pied des circonvolutions de ]'Insula. En arrière, il va jus-
que sur le pli de passage qui coiffe le fond de la scissure de Sylvius,
mais sans atteindre le lobule de l'Insula. La pie-mère est adhé-
rente à la substance cérébrale ramollie qui se laisse arracher avec
elle. (Voy. Pl. I, fig. 2.)
En profondeur, le ramollissement de l'hémisphère gauche est
tout à fait superficiel et n'intéresse exactement que la substance
grise. A une petite distance, dans la substance blanche, il n'y a pas
de corps granuleux. Le foyer de l'hémisphère droit entame
notablement la substance blanche sous-jacente. Aucune lésion
daus les noyaux gris de la base ni dans les ventricules.
236 ' RECUEIL DE FAITS.
Coeur. Adhérence péricardique totale coeur hypertrophié,,
ventricule gauche très volumineux. (Poids = 780 grammes.)-
Sur la valvule mitrale, végétations polypeuses, longues et très fra-
giles sur le bord libre de la grande valve. Sur la face auriculaire
de la petite valve, petite ulcération légèrement bourgeonnante.
Végétations sur le pilier postérieur. Une des valvules aortiques
présente au fond du nid de pigeon une plaque très dure qui n'ar-
rive pas jusqu'au bord libre de la valvule. Le grand sinus de
. l'aorte est très développé pas trace d'aortite. L'orifice de la
coronaire antérieure est très dilaté, mais ne présente aucune alté-
ration de souplesse; il est simplement très béant. Sur la valvule
tl'iw,pide, la valve de la cloison est un peu épaissie sur le bord
libre, mais ne présente aucune végétation. Le myocarde a une
coloration rose, très saine. L'épaisseur des parois du ventricule
gauche n'est pas excessive; elle mesure la millimètres à la partie
supérieure, et 7 millimètres seulement vers la pointe; mais le
ventricule dans son ensemble est très dilaté. La paroi ventri-
culaire droite est très amincie ; son épaisseur varie entre 3 et
5 millimètres.
La plèvre est adhérente dans sa presque totalité. Les poumons
sont simplement congestionnés. -Le foie, pesant 1,600 grammes
est un type de foie muscade. La rate est volumineuse. Poids
400 grammes. Les reins présentent des cicatrices d'infarctus
anciens. Le droit pèse 190 grammes, le gauche 220 grammes.
En résumé voici un cerveau dont les deux hémisphères
sont lésés, mais d'une façon bien inégale. A droite, vaste
foyer de ramollissement n'ayant amené pendant la vie d'autre
symptôme qu'un affaiblissement cérébral vague. A gauche, une
lésion d'étendue minime, strictement localisée au centre de
l'aphasie motrice de Broca et produisant une aphasie motrice
vraie, et rien que cela. Deux remarques sont intéressantes..
. La première est relative à la petite dimension de ce foyer de
ramollissement qui détermine une aphasie incomplète assez
durable. Assurément l'aphasie a été complète les premiers
jours, et on se l'explique fort bien par le trouble circulatoire
momentané qu'a produit l'embolus dans le territoire voisin de
ceux de l'artériole où il s'est arrêté; mais au bout d'une
quinzaine, tout ce qui était réparable a été réparé, et pendant
plusieurs mois le malade a été privé d'un très grand nombre
de vocables jusqu'à ce que la rééducation, imparfaite d'ail-
leurs, ait été obtenue; en somme pendant plusieurs mois aphasie
incomplète. -
Donc, le foyer que nous avons constaté ne mesure pas
APHASIE MOTRICE PURE AVEC LÉSION CIRCONSCRITE. 237.
l'étendue réelle du centre de l'aphasie motrice ; il serait
d'ailleurs téméraire de prétendre assigner à un centre cor-
tical des limites précises. Bien des neurologistes, sont portés
à considérer ces centres corticaux comme empiétant un peu
l'un sur l'autre, et comme représentant plutôt des centres
de plus grande intensité fonctionnelle. De sorte que pour
l'aphasie motrice par exemple, on ne se fait qu'une idée
très approximative de l'étendue que devrait avoir une lésion
sur le pied de la troisième frontale pour déterminer une
aphasie motrice complète et définitive. Ce qu'il faut retenir
ici, c'est qu'une lésion très circonscrite sur une partie du
pied de la circonvolution de Broca a donné lieu à une aphasie
incomplète, sans qu'il ait été possible de définir si cette part
d'aphasie portait plus particulièrement sur telle ou telle classe
de mots; il a semblé cependant que, l'ensemble de la phrase
étant conservée chez notre malade, c'étaient surtout les subs-
tantifs qui faisaient défaut.
La deuxième remarque a trait à la coïncidence de la cécité
verbale notée dans l'observation. Notre malade, en effet, au-'
rait d'abord été frappé de cécité verbale, en même temps que
d'aphasie motrice.
La réalité de ce symptôme surajouté ne saurait infirmer notre
titre d'aphasie motrice pure, car la cécité verbale a été passa-
gère ; elle n'existait plus après peu de temps, et nous en avons
constaté l'absence, quand nous avons vu pour la première fois
le malade, un mois et demi après l'accident. On sait que tout
ictus, c'est-à-dire tout processus brusque aboutissant à une
lésion cérébrale, si circonscrite qu'elle soit, détermine la sus-
pension momentanée d'une ou plusieurs des fonctions céré-
brales, dont les centres sont voisins du principal centre inté-
ressé. Peut-être aussi l'embolus, un instant arrêté dans le
tronc de la sylvienne, ne s'est-il définitivement localisé qu'un
peu plus tard dans une artériole dépendant de la frontale
externe et antérieure. Un autre mécanisme pourrait encore
être invoqué : c'est celui que, d'après Ferrier, l'un de nous a
rapporté dans sa thèse d'agrégation Ferrier' montre, en effet,
que l'aphasie de Broca peut entraîner à sa suite une difficulté
de la lecture. « Chez la plupart des individus, dit-il, on peut
' G. Ballet. Thèse d'agrégation, 1886.
' D. Ferrier. -'Les Fonctions du cerveau, p. 436. J
238 ' THÉRAPEUTIQUE.
observer une tendance, durant la lecture, à traduire les signes
écrits dans leurs articulations équivalentes. Moins l'individu a
reçu d'éducation, moins il lit, et plus cette tendance est ma-
nifeste ; et quelques personnes ne peuvent lire en comprenant
ce qu'elles lisent, sans refaire réellement toutes les opérations
articulatoires que représentent les caractères écrits. » Peut-être
est-ce le cas de notre malade, peu lettré, qui s'aperçoit tout à
coup qu'il ne peut plus lire le journal qu'il tient à la main.
Mais point n'est besoin dans le cas particulier, d'avoir recours
à cette explication. La première est plus rationnelle, puisque
celte prétendue cécité verbale a été passagère, et qu'il n'y a
aucune trace de lésion aux lieu et place où on localise la mé-
moire des images visuelles des mots, soit sur l'écorce, soit sur
le trajet des fibres du centre ovale qui en émanent.
Planche I.
Fig. 1. Foyer de ramollissement jaune, occupant le pied de la
troisième circonvolution frontale gauche.
Fig. 2. Foyer de ramollissement plus récent, de l'hémisphère droit.
THÉRAPEUTIQUE.
LES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES ET LEURS RELATIONS
AVEC LA THÉRAPEUTIQUE
Communication faite par David FERMER, le 26 février 1892.
Traduit de l'anglais par Jules DAuRiAc, interne des hôpitaux de Paris
(hospice de Bicêtre).
En m'adressant à vous, Messieurs, en cette circonstance, je désire
vous exprimer ma reconnaissance pour la distinction honorifique
qui m'a été conférée, en août dernier, par l'assemblée universi-
taire. Je dois, en second lieu, m'elforcer ici même de justifier votre
choix, par l'exposé de quelques considérations spéciales, tout en
remplissant une obligation que m'impose le prix Cameron.
Ce prix est, en effet, décerné aux travaux purement thérapeu-
tiques parus dans le cours de l'année et dont l'importance aura
été jugée suffisante.
DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. 239
' Tout récemment, les conditions du concours se sont élargies, et'
l'Université peut aujourd'hui récompenser d'autres travaux que'
ceux parus dans l'année, sans se limiter aux recherches pharma-
cologiques appliquées au traitement des maladies. Elle peut aussi
couronner les tentatives dont le but est de faire progresser l'art de
guérir en étendant le domaine de nos connaissances sur les fonc-
tions du corps humain, toutes choses qui permettront d'apporter
une précision plus grande dans le diagnostic des localisations et
la nature des maladies aussi bien médicales que chirurgicales que
nous avons à traiter.
Cette façon plus large et plus générale de comprendre le sens
de la fondation d'un prix de thérapeutique a permis d'inscrire sur
la liste des lauréats du prix Cameron, les noms de deux hommes
dont l'humanité s'honore : je veux parler de Pasteur et de Lister.
On peut dire que les recherches de ces deux hommes, belles en
elles-mêmes, ont eu sur la thérapeutique une influence bienfai-
sante beaucoup plus grande que n'en a jamais eu aucune décou-
verte faite en médecine à n'importe quelle époque.
Non seulement ils ont sauvé d'innombrables vies humaines ou
animales, et ajouté au bien-être de l'espèce humaine par des
moyens inconnus ou irréalisés jusqu'alors, mais ils ont encore
ouvert une voie féconde à la nouvelle pathologie et à la prophy-
laxie des maladies septiques et infectieuses.
De pareils résultats ont permis de dire à Burdon-Sanderson :
« Il n'est pas besoin d'un pouvoir prophétique pour prévoir que
nous sommes sur le seuil même de découvertes médicales telles,
qu'elles éclipseront par leur splendeur toutes celles qui les auront
précédées.» D (Croonian Lectures, 1891.)
Il n'est pas souvent donné d'assister à de pareilles révolutions
dans l'art de guérir. Les progrès en thérapeutique ont été jusqu'ici
plutôt le résultat d'une évolution amenée par la coopération de
facteurs divers.
Qui pourrait nous dire, en effet, à quelles observations ou expé-
rimentations particulières nous sommes redevables des méthodes
perfectionnées employées dans la médecine curative ou préventive,
et dont nous avons tiré gloire jusqu'à l'heure actuelle, malgré
leurs imperfections, en les comparant à celles des générations
précédentes Un progrès dans n'importe quel département de la
science, conduit fatalement à d'autres.
Toute vérité, quelque isolée et sans importance qu'elle puisse
paraître, trouve sa place dans la longue théorie triomphale des
connaissances scientifiques et prépare le terrain pour quelque
.grande généralisation destinée à rendre lumineuse et démons-
trative l'application de faits que n'avaient pas su prévoir eux-
mêmes, les auteurs de la découverte.
Rares sont les faits, dans l'histoire de la médecine, des progrès
240. THÉRAPEUTIQUE. ' -
des sciences et des arts, qui donnent la mesure immédiate de leur
valeur en fournissant d'emblée un moyen de rétablir la santé ou
de contribuer au bien-être du corps humain.
D'ailleurs, l'application utile de quelque nouvelle conquête dans
le domaine des connaissances humaines n'est pas une chose dont
le véritable savant doive se préoccuper tout d'abord. Son but est
de poursuivre la vérité pour sa propre satisfaction.
Il éprouvera un suprême plaisir à voir fructifier les secrets pré-
cieux que la nature a bien voulu dévoiler à ses louables sollicita-
tions. Il sait que la plaie la plus profonde dont. souffre l'humanité,
lui vient de son ignorance. Nous sommes écrasés par les forces de
la nature, décimés par les épidémies, et c'est en vain que nous
essayons de combattre, d'écarter ou de prévenir ces maux par les
moyens imparfaits dont nous disposons. :
De nouvelles acquisitions scientifiques nous confèrent de nou-
velles armes, et chacune d'elles en s'additionnant aux autres, peut,
au bout d'un certain temps, nous mettre à même de tenir tête plus
avantageusement aux calamités et aux dangers qui nous envi-
ronnent.
Et cependant, de divers côtés, on essaie à l'heure actuelle de
tentatives de dépréciation. Voyez combien sont timides les éloges
qu'on accorde aux nouvelles investigations bactériologiques dont
ont fait l'objet l'influenza et autres maladies épidémiques, parce
qu'elles n'ont pas encore donné de résultats thérapeutiques, résul-
tats qui seront encore bien longs à venir..
N'est-il pas de toute évidence, qu'une connaissance exacte de
la nature et de l'histoire biologique des microorganismes doit
d'abord être exigée pour qu'on puisse ensuite s'attaquer avec succès
à leurs personnes et à leurs virus noscibles.
La chose arrivera d'autant plus vite, que nos compatriotes appor-
teront de plus grands encouragements à ces recherches, ou à
d'autres d'importance plus considérable, au lieu d'attendre dans
l'inaction de moissonner ce qu'ils n'auront pas semé, ou d'essayer
venimeusement de déraciner la forte semence.
le plus agréable, d'acquérir des notions utilitaires et pratiques, ou
de se livrer à ces recherches auxquelles nombre de savants depuis
Leeuwenhoeck jusqu'à Erhemberg ont consacré leur vie : je veux
parler des vibrions les plus minuscules des êtres vivants. » .
Des hommes fiers de leurs connaissances pratiques demanderont :
« Que peut-il résulter de bon de pareilles minuties ? * Le temps
et la science seront là pour leur répondre : « que ces investigations
ont donné- une forme plus vraie à une des plus importantes dock
trines de la chimie organique ; qu'elles ont introduit des transfor-
mations bienfaisantes dans la pratique de la chirurgie ; qu'elles ont
pour objet les plus hauts intérêts de l'agriculture; qu'en ce qui
DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. 241
concerne leur puissance, on ne saurait encore la définir. » (Trans.
Internat. Med. Cong., 1881.) Le principe qui domine la médecine
moderne, a dit Virchow, c'est la localisation.
Nous ne considérerions pas plus longtemps la maladie comme
une entité, un ennemi qui a envahi le corps sans provenir de lui;
nous ne nous demanderons pas davantage si le médecin doit s'at-
tacher à détruire cet ennemi ou à l'exorciser. Point n'est utile non
plus de s'engager dans de creuses et acrimonieuses controverses
sur les mérites respectifs des conceptions humorales ou solides des
processus morbides et de leurs traitements. Ce que nous nous
efforcerons de préciser, c'est l'état des tissus et des organes qui ont
à souffrir des processus morbides, et aussi des modifications de
structure ou de nutrition qu'ont à subir ces tissus. ,
Alors seulement nous pourrons dire que nous connaissons la
pathologie, et alors seulement nous arriverons à une thérapeutique
rationnelle quand nous saurons localiser avec précision l'action
des moyens employés pour stimuler ou arrêter le développement
et l'activité, des éléments primordiaux, tissus et organes du corps.
Si malgré nos connaissances plus complètes il peut nous sembler
impossible de lutter contre beaucoup d'altérations fonctionnelles
et de dégénérescences structurales, ce sera pourtant un sérieux
progrès fait en thérapeutique que de connaître l'étendue de notre
puissance ; de savoir ce que nous pouvons faire, aussi bien que
de ne point ignorer les circonstances ou nous devons intervenir ;
de cesser de nous laisser guider par un aveugle empirisme qui
consiste, comme quelqu'un l'a dit ironiquement, à introduire des
drogues que nous connaissons très peu, dans un corps que nous
connaissons encore moins ; de diriger enfin nos efforts en vue de
l'établissement et de la propagation de conceptions plus lumineuses
sur les causes des maladies et des moyens de les prévenir.
La localisation des fonctions cérébrales marque une nouvelle
étape dans le cours des progrès généraux faits dans chaque branche
des sciences médicales, au cours des dernières années.
Sa valeur thérapeutique doit être surtout appréciée au point de
vue de la lumière qu'elle a jetée sur le diagnostic des maladies
cérébrales et les moyens de les traiter dans le présent et dans
l'avenir. Très peu de gens, s'il s'en trouve, nous contesteront le
droit de nous vanter avec le fils de Tydée, d'être en ce point bien
supérieurs à nos pères.
Je me souviens que lorsque jevins ici comme étudiant,il y avingt-
cinq ans, tout fraîchement imbu des lectures physiologiques de Bain
et Wundt, et vivement intéressé par la physiologie du cerveau et
du système nerveux, je pus constater combien peu satisfaisant était
l'état de la physiologie cérébrale, si éloquemment exposée pour-
tant, par notre vénéré maître, le professeur Hughes Bennett.
Nous pensions à cette époque qu'en des points mystérieux de
Archives, t. XXIV. 16
242 THÉRAPEUTIQUE.
l'écorce grise, points inaccessibles à notre pouvoir d'analyse, se
trouvait l'organe de la pensée. C'était là, croyions-nous, que par
des moyens encore inconnus s'élaboraient les impulsions volon-
taires. Elles étaient ensuite lancées à travers le corps strié jusque
dans les muscles du côté opposé du corps.
- Ce fut sans le secours de toute base clinique ou expérimentale,
que s'établit la doctrine des localisations phrénologiques des théo-
ries métaphysiques. Le cerveau était dans sa totalité et dans cha-
cune de ses parties, le théâtre de toutes les opérations mentales.
Indivisible comme l'esprit lui-même, on pouvait le couper, lemor-
celer de diverses manières sans diminuer ou détruire les facultés
mentales, pourvu que la destruction ne fût pas poussée trop
loin.
J'ai aussi un souvenir très précis, d'une séance de la Société
royale de médecine. On y présenta un cerveau qui excita beaucoup
d'intérêt et fit naître une vive discussion.
C'était un très beau type de cerveau aphasique et il confirmait
de la façon la plus évidente la relation qui existe entre le symp-
tôme aphasie et la lésion de la circonvolution frontale de l'hémis-
phère gauche. Cette relation venait d'être mise en évidence par
Broca, mais les travaux de ce maître n'étaient pas encore suffi-
samment connus ou admis à cette époque.
Cette nouvelle conception ne cadrait pas avec les doctrines cou-
ramment enseignées en physiologie, et on ne pouvait donner une
explication suffisante de la localisation de la faculté du langage
dans un hémisphère à l'exclusion de l'autre qui lui est symétrique.
Au cours de la même réunion, sir William Turner donne pour
la première fois connaissance de son très important et très estimé
mémoire sur la Topographie des circonvolutions cérébrales. Il met-
tait en évidence l'ordre, la forme et la régularité qui président à
l'agencement des parties qui, au premier abord, ne présentent que
contusion. Ces choses firent sur moi la plus vive impression.
Au début de ma carrière médicale à Londres, j'eus la bonne
fortune de me lier intimement avec Hughlings Jackson, dont les
vues sur la pathologie et la physiologie cérébrales étaient fort en
avance sur son temps, et différaient profondément de celles de la
Faculté. Pour lui, le substratum de l'intelligence provenait et ne
pouvait sensément dériver que du sensorium et des divers proces-
sus moteurs.
Il enseignait aussi que les phénomènes d'une attaque épilepti-
forme partielle et unilatérale, se montraient concurremment avec
des lésions corticales d'aspect divers, dénotant une irritation ou
une altération fonctionnelle des circonvolutions en rapport avec ces
mouvements.
Ces doctrines trouvèrent le meilleur accueil en mon esprit et
servirent de fondement à mes propres recherches. C'est à Hugh-
DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. 243
lings Jackson que je suis redevable de la part que j'ai prise dans
l'établissement du principe des localisations cérébrales.
Je n'abuserai pas de votre patience en vous faisant l'exposé de ce
que j'ai fait depuis, de mes procédés de recherches, des contro-
verses qui s'élevèrent à l'occasion de l'interprétation des résultats.
Je ne vous rappellerai pas les résultats contradictoires en appa-
rence de l'expérimentation comparée, pas plus que la part respec-
tive qui revient à la clinique ou à la physiologie dans ces décou-
vertes. C'est de cet ensemble que j'ai retiré les notions que nous
possédons sur le cerveau, les relations de ses diverses parties, les
unes par rapport aux autres, et aussi par rapport aux organes
qu'elles commandent, de même que sur l'influence qu'a sur lui le
monde extérieur.
Comme résultats généraux, nous pouvons constater que les doc-
trines sur l'équivalence fonctionnelle, ont cédé la place à celle des
différenciations fonctionnelles en médecine et en physiologie.
Ces notions sont fondées sur des données qui prouvent après
examen critique, qu'elles sont parfaitement d'accord arec les prin-
cipes qu'elles avancent. Nous avons enseigné que l'écorce cérébrale
n'est pas dans toutes ses parties fonctionnellement équivalente,
mais se trouve divisée en territoires respectivement destinés
anatomiquement et fonctionnellement aux organes des sens et
de la locomotion. Ces territoires sont eux-mêmes subdivisés en
territoires correspondant à nos facultés diverses de sentir et de
pouvoir exécuter des mouvements volontaires.
Il existe une zone visuelle, base de la perception visuelle et des
idées qu'elle fait naître; il y a une zone auditive, une zone olfac-
tive, et probablement aussi, divers centres gustatifs. Il y a, de
même, un centre affecté à la sensibilité générale. ,
Il a été permis de localiser des centres spéciaux pour les mouve-
ments du tronc, de la tête et des yeux, des membres'supérieurs et
inférieurs, de chacun de leurs segments et même de chacun des
doigts. Les mouvements de la face, de la bouche, de la langue, et
aussi de l'organe de la voix possèdent leur centre.
Nous n'avons pu encore réussir à localiser les régions directe-
ment ou indirectement en relation avec les fonctions organiques,
les formes de la sensibilité, qui entrent si largement dans la cons-
titution de notre personnalité et de la vie émotive. Il y a encore
bien d'autres points sur lesquels nos connaissances sont impar-
faites ; mais nous avons établi que le substratum de l'esprit repose
entièrement sur des processus moteurs et sensoriels avec leurs rela-
tions, cohésions, et associations respectives. Voilà pourquoi il est
inutile et anti-philosophique de rechercher une localisation spé-
ciale de la volonté ou de l'intelligence, ou de chercher à localiser
ce que l'on appelle les facultés ou de pures abstractions métaphysi-
ques. La santé de l'esprit repose sur la stimulation saine et coor-
244 THÉRAPEUTIQUE.
donnée des centres moteurs et sensoriels. Ils ont leurs équivalents
mécaniques, chimiques et caloriques. L'état maladif de l'esprit est
constitué d'une façon non moins certaine, quoique moins compré-
hensible, par les manifestations qui traduisent des désordres de
structure ou de nutrition des mêmes tissus, comme les paralysies,
les convulsions, les anomalies de la sensation.
Nous sommes maintenant en état de comprendre pourquoi dans
certains cas, le cerveau peut être traversé et subir une vaste perte
en substance grise sans qu'aucun trouble s'en suive dans les sensa-
tions et la locomotion; et pourquoi une autre lésion parfaitement
similaire, portant sur un autre territoire, entraînera une perte hé-
miopique de la vision. Pourquoi aussi, une lésion de l'écorce, sui-
vant ses caractères et sa position, peut entraîner de la paralysie ou
des convulsions limitées à la face, aux mains, aux pieds. Toutes les
autres fonctions restant intactes.
Nous pouvons encore nous rendre compte des contradictions
apparentes des résultats de la médecine clinique et des faits expé-
rimentaux obtenus sur des animaux d'ordre inférieur, résultats qui
embarrassèrent à un si haut point les premiers cliniciens. « Il est
certain, dit Bouillaud, qu'après l'ablation des hémisphères céré-
braux, un animal peut marcher, courir, etc., et il est non moins
certain que l'ablation d'un hémisphère chez l'homme donne lieu à
de la paralysie plus ou moins complète des mouvements volontaires
dans le côté opposé du corps. Pouvons-nous réfuter la première
catégorie de faits par l'autre ? Non certainement. Des faits égale-
ment bien établis, ne sont pas susceptibles de réfutation. Un temps
viendra où de nouvelles notions feront disparaître les contradic-
tions apparentes qui existent entre eux. »
L'étude de la physiologie comparée nous enseigne qu'à mesure
que les animaux s'élèvent dans l'échelle évolutive, leurs actions
sont d'autant mieux réglées par des déterminations conscien-
cieuses, et des volitions réfléchies, et qu'aussi chez les plus perfec-
tionnés on peut observer des désordres plus ou moins marqués à
la suite de lésions affectant les centres corticaux qui commandent
et enregistrent leurs facultés motrices et leurs sensations.
. Bien que nous soyons peu renseignés sur la cause première delà
prédominance du côté droit et de l'habitude de se servir du cer-
veau gauche dans beaucoup d'autres actes que ceux des mouve-
ments de la main, nous pouvons donner une explication rationnelle
de la parenté empiriquement établie entre l'aphasie et la lésion de
la région que nous savons maintenant être le centre de l'articula-
tion et de la phonation.
Nous pouvons, en nous basant sur des principes similaires,
expliquer ces curieuses défectuosités mentales qui se traduisent
chez un malade par une. inaptitude complète à saisir le sens de
l'écriture ou des symboles représentés, ou même à lire la lettre
DES LOCALISATIONS CEREBRALES. 245
dans laquelle il a exprimé sa pensée en un langage précis et clair,
tandis qu'il comprendra très bien la portée de cette même lettre
dont il entendra la lecture. Chez d'autres malades, il y a une
impossibilité complète de répéter ce qu'on leur dit, et ces mêmes
malades savourent parfaitement le sens des mêmes choses lors-
qu'elles sont écrites ou représentées sous leurs yeux.
Ces symptômes et bien d'autres phénomènes similaires, d'obser-
vation courante dans les maladies cérébrales, ouvrent la porte à
de très intéressants problèmes sur le cerveau et l'intelligence.
Peut-être fournissent-ils, au point de vue pratique, des résultats
plus importants en nous donnant des indications diagnostiques,
sur la position de telle ou telle lésion, et en nous guidant d'une
façon certaine dans nos efforts pour la découvrir et l'enlever.
Pratiquée fortuitement, ou dans un but spécial de recherches,
l'exploration électrique du cerveau est encore venue apporter la
lumière sur la pathogénie de l'épilepsie et sur les principes de son
traitement. t.
A une époque encore récente, les phénomènes convulsifs de
l'épilepsie étaient expliqués par l'hypothèse d'un processus irritatif
au sein d'un prétendu centre convulsif, tandis que la perte du sen-
timent, et autres perturbations mentales, auxquelles s'associaient
des convulsions, étaient considérées comme le résultat indirect
d'un spasme des artérioles du cerveau.
Des recherches expérimentales ont non seulement démontré
l'exactitude des vues d'Hughling Jackson sur l'origine corticale des
monospasmes, et, par généralisation, des convulsions unilatérales
épileptiformes, mais elles ont encore fourni une explication simple
de l'ordre et de la succession des événements dans l'accès épilep-
tique, et ont rendu fort probable cette opinion, que toutes les
formes de l'épilepsie ont leur point de départ dans une condition
d'instabilité et d'irritation particulières de la substance grise de
l'écorce cérébrale.
Chez beaucoup d'animaux, et chez certains, beaucoup plus faci-
lement que chez d'autres, il est aisé par l'excitation électrique, de
reproduire les phases cliniques de l'accès d'épilepsie, telles que
convulsions toniques et cloniques, dilatation des pupilles, salivation
et écume de la bouche, morsure de la langue, perte de connais-
sance suivie d'obnubilation de l'intelligence, d'hallucinations et
d'actes impulsifs.
Si l'irritation est diffuse et prolongée, et si on la fait primitive-
ment partir des centres sensoriels, les phénomènes qui apparais-
sent sont plutôt ceux qui appartiennent au type appelé épilepsie
idiopathique,'et dans lequel tous les centres moteurs de l'écorce
sont excités plus ou moins simultanément, de sorte qu'il est
impossible d'analyser la succession des événements.
Si l'excitation est circonscrite à un centre moteur particulier,
246 THÉRAPEUTIQUE.
l'épilepsie peut consister en une série de spasmes confinés au
groupe musculaire correspondant, ou elle peut diffuser dans les
centres voisins. Dans ce cas, elle suit l'ordre dans lequel ces cen-
tres sont anatomiquement disposés dans l'aire motrice et envahit
les muscles d'après un mode correspondant à cette marche succes-
sive.
Si la première irritation porte sur les centres de la face, elle
gagne les centres de la jambe à travers ceux des bras. Si le point
de départ s'effectue dans la zone qui commande la jambe, l'exci-
tation s'étend à la face à travers les centres du bras. Lorsque, ce
qui arrive assez fréquemment, les convulsions s'étendent à l'autre
côté, l'ordre suivi va invariablement des centres de la jambe à ceux
de la face, chose qui se traduit par des convulsions ascendantes de
la jambe à la face.
En même temps, les centres moteurs de la moelle allongée et
rachidienne, sur lesquelles agissent les centres corticaux moteurs,
jouent indubitablement un rôle dans les décharges épileptiques,
et il a été, je crois, établi d'une façon certaine, que les convulsions
du véritable type touico-clouique de l'épilepsie, peuvent seulement
être produites par des excitations provenant des centres moteurs
de l'écorce d'un côté ou de l'autre.
Les caractères de l'aura ou prodrome de l'accès, tels que les
sensations de rêves ou états intellectuels similaires, les illusions ou
hallucinations de l'odorat, du goût, de l'ouïe, de la vision, dénotent
bien aussi l'origine corticale de l'attaque, et donnent de bonnes
indications diagnostiques sur la position du foyer épileptogène.
Tout en considérant l'instabilité de la substance grise de l'écorce
comme la cause immédiate de l'accès épileptique, nous ne voulons
point dire que ce soit toujours la cause première de l'affection.
Les recherches cliniques ont en effet démontré que l'épilepsie peut
encore êlre due à une irritation interne ou périphérique amenée
par diverses causes résidant dans les nerfs, les viscères et les enve-
loppes du cerveau.
1 Mais, c'est là un point d'une importance capitale, il est reconnu
que ces facteurs n'agissent qu'en tant qu'ils amènent une excita-
tion des centres moteurs. Tous nos efforts doivent donc tendre à
nous rendre compte des changements de structure ou de nutrition
de l'écorce qui produisent de tels phénomènes. Nous devons déter-
miner leur nature et diriger contre eux un traitement approprié.
- Nous avons appris aussi, au cours de nos recherches, que les
lésions du cerveau peuvent à la longue devenir la cause de produc-
tion de foyers d'excitation épileptiques, chez l'animal lui-même,
mais encore transmetlre aux descendants la maladie* ou une pré-
disposition à l'acquérir.
De pareils faits ont une grande importance au point de vue de
l'hérédité épileptique chez l'homme.
DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. ' 247
Dans les méthodes expérimentales qui se proposent d'enregistrer
et de mesurer l'excitabilité des centres corticaux, nous avons aussi
des moyens certains d'apprécier l'action des agents thérapeuti-
ques empiriquement ou théoriquement employés dans le traitement
de l'épilepsie.
Il a été déjà montré que l'excitabilité des centres corticaux est dimi-
nuée, de même que la prédisposition aux accès épileptiques, par le
chloroforme, le choral, le bromure de potassium, alors qu'elle est
surexcitée par l'absinthe, la strychnine, l'atropine, qui fut long-
temps regardée comme un agent efficace dans le traitement de
cette affection. L'influence d'autres agents a été aussi étudiée
jusqu'à un certain point. t.
Mais en somme, bien peu de choses ont été faites dans cette voie,
et il n'est pourtant pas douteux qu'il n'y ait là une large voie
ouverte aux recherches de pharmacologie appliquée. Ce vaste
champ d'expériences, intelligemment cultivé est appelé à donner
la plus belle moisson de découvertes pratiques, au point de vue du
traitement d'une des plus cruelles affections qui affectent l'espèce
humaine.
Les recherches physiologiques n'ont pas seulement fourni le fil
qui permettra de se guider à travers l'inextricable labyrinthe des
maladies cérébrales, au milieu duquel l'observation clinique, aban-
donnée à ses propres forces, était incapable de trouver sa voie ; elles
n'ont pas seulement établi les principes diagnostiques capables de
nous faire mettre le doigt sur le siège du mal, mais elles ont
prouvé que sous le règne des pratiques listériennes, on pouvait,
non seulement, ouvrir le crâne mais pénétrer à travers le rideau
dure-mérien pour toucher ou exciser des portions du cerveau lui-
même, avec peu ou point de risques pour la vie, et sans crainte de la
hernie cérébrale de mauvaise augure, ou de l'universelle méningite,
dont la fréquence après de telles opérations avait amené jadis le
rejet de la trépanation par bon nombre de chirurgiens, alors que
d'autres ne l'employaient que comme ressource suprême.
La pratique de la trépanation a eu à subir de longues vicissi-
tudes. Longtemps avant Ilippocrate, qui décrivit avec de grands
détails les méthodes et les indications du traitement des trauma-
tismes crâniens, et bien longtemps avant le période historique
elle-même, la trépanation du crâne a été de pratique courante à
l'âge de pierre, ainsi que l'ont établi les recherches de Broca.
Dans les gisements néolithiques de France, on a découvert de nom-
breux crânes ou fragments de crâne, où des ouvertures complètes
ou bien des portions de leur circonférence sont visibles. Les bords
en sont unis, taillés en biseau et bien cicatrisés. Ils ont été évidem-
ment faits pendant la vie et apparemment à un âge précoce, car les
conditions des sutures, le développement modifié des os du crâne,
montrent que l'individu a longtemps vécu après l'opération. La
248 " THÉRAPEUTIQUE.
forme et le caractère de ces orifices prouvent qu'ils furent faits
par un procédé de raclage, ou un vigoureux grattage avec un silex
aiguisé. Cela devait être une opération bien terrible, et cependant
beaucoup avaient le courage de s'y soumettre. L'origine de celte
pratique a fait naître bien des conjectures ; mais il est probable,
comme le suppose Broca, qu'elle était dirigée contre l'épilepsie
essentielle, le morbus divinus, ou maladie sacrée des anciens.
Les indications étaient-elles fournies par la cessation des convul-
sions épileptiformes d'origine traumatique à la suite de l'ablation
des fragments d'os enfoncés ? Ou bien était-ce dans le hut de don-
ner issue au malin esprit, au démon, qui avait choisi comme rési-
dence cette partie du corps de la pauvre victime, ainsi que le vou-
lait la croyance ancienne ? Voilà ce qu'il nous est impossible de
dire ; mais il n'y a pas de doute sur ce point, que ceux qui avaient
été trépanés et avaient survécu, étaient regardés comme sacrés. A
leur mort, c'était une coutume pour leurs parents et les membres
de la tribu, de se confectionner des amulettes avec les bords de
l'orifice de leur trépanation. Ces amulettes, ils les suspendaient
sur leur poitrine dans le but de se préserver des mauvais esprits
et autres influences néfastes, dont ils se croyaient constamment
entourés.
De semblables amulettes provenant d'autres crânes, furent quel-
quefois introduites après la mort dans l'intérieur du crâne de
sujets précédemment trépanés, pour leur servir de viatique ou de
talisman dans le voyage à travers un monde inconnu qu'ils allaient
entreprendre.
Des pratiques similaires sont encore signalées à l'heure actuelle,
dans certaines tribus sauvages.
Dans les premiers temps de l'histoire de la chirurgie, les dangers
de la trépanation n'apparurent pas aussi gros aux yeux des chirur-
giens qu'à l'époque moderne, surtout à la période d'hospitalisa-
tion.
C'est ainsi que Cornelius von Solingen raconte que Philippe de
Nassau, étant tombé de cheval, et s'étant fracturé le crâne en
plusieurs endroits, par suite de la projection de sa tête contre un
tronc d'arbre, fut trépané dix-sept fois par un chirurgien de Moma-
gen. A la suite de cette opération, il guérit complètement, et
prouva la solidité de sa tête en buvant au point d'entraîner la mort
de trois de ses compagnons qu'il avait défiés.
Un autre chirurgien trépana un malade vingt-six fois sans pou-
voir arriver à découvrir un épanchement du cerveau. Il le trouva à
la vingt-septième trépanation; il guérit sou malade.
Il éxiste une relation encore plus remarquable du cas d'un
malade qui survécut après avoir été trépané cinquante-deux fois
dans l'espace de deux mois.
Sir Astley Cooper, regardait la trépanation comme une des plus
DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. 249
dangereuses opérations de la chirurgie. C'était, disait-il, une opé-
ration où il n'y avait qu'une simple membrane entre le patient et
l'éternité.
Desault constate que chaque trépanation emporte son homme à
l'Hbtel-Dieu.. -
Percival Pott conseille énergiquement la trépanation comme
mesure curative et encore plus comme moyen préventif, dans cer-
tains cas où les autres chirurgiens avaient l'habitude de s'en remet-
tre à la nature, ou de traiter suivant les préceptes héroïques de la
méthode antiphlogistique.
Sous l'influence de Pott et de quelques-unsde ses élèves, ou peut-
être, comme le dit Lucas-Championnière, par un phénomène de
survivance des pratiques préhistoriques, la trépanation prévalut
longtemps dans certains districts miniers de la Cornouaille. (Voir
Hudson, British Médical Journal, july z
« La confiance populaire, dit (ludson, est si grande dans l'effica-
cité de la trépanation ou « boring » (forage) suivant l'expression
courante, que le chirurgien qui hésiterait à la pratiquer, sous le
prétexte d'attendre des indications symptomatiques, souffrirait
beaucoup dans sa réputation. Qui sait même, si en cas de mort,
on ne mettrait pas sur son compte un homicide par imprudence. »
Il n'est pas besoin de se livrer à une compilation statistique,
pour arriver à pouvoir affirmer qu'à part la gravité des conditions
pour lesquelles on opérera, et qui resteront les mêmes pour n'im-
porte quel mode de traitement, la principale cause de gravité de
la trépanation, cause qui la fit proscrire par bien des chirurgiens,
réside, non pas dans l'opération elle-même, mais bien dans lapré-
sence de ces invisibles et mortels ennemis, dont Lister a su nous
débarrasser avec un si plein succès.
Les statistiques de la chirurgie moderne démontrent qu'avec les
précautions antiseptiques la trépanation du crâne n'est rien. Elles
prouvent en second lieu, que la mortalité des opérations pourtrau-
matismes du crâne ou blessures de toutes sortes s'est abaissé de
50 p. 100 à 15 p. 100 et même moins.
Mais les améliorations dans le traitement approprié des lésions
chirurgicales, c'est-à-dire de celles où le diagnostic des localisa-
tions aide plus ou moins les indications opératoires, ne doivent pas
être en totalité attribuées aux antiseptiques, car ce n'est pas tou-
jours que le dommage causé à l'organisme est correctement indiqué
par la situation et l'étendue d'une plaie superficielle. Bien souvent
le chirurgien est largement guidé, et son opération est commandée
par les principes établis par la physiologie expérimentale.
Dans un rapport à l'Académie des sciences, d'avril 1877, sur les
explications chirurgicales qui découlaient de la doctrine des locali-
sations cérébrales, M. Gosselin a exprimé cette opinion absolue,
que le seul guide dans .la trépanation était la blessure apparente,
2DO THÉRAPEUTIQUE.
et que cette condition mise de côté, la trépanation devait plutôt
être regardée comme une mauvaise opération.
La fausseté de cette idée préconçue a depuis été amplement
démontrée par les états de service de la chirurgie cérébrale durant
les dix dernières années. Je puis citer de nombreux exemples à
l'appui, mais un seul rapporté par Macewen me suffira. (Case II,
Surgeryof the Brait, British Med. Assoc. Meeting. Glascow, August,
1888.)
C'est le cas d'un garçon qui avait fait une chute six jours aupa-
ravant. Il avait plusieurs meurtrissures de la tête et de la face et
une légère hébétude d'esprit. Au bout de quarante-huit heures, il
était assez bien en apparence ; mais le sixième jour il eut une série
de convulsions commençant dans le côté gauche de la face, enva-
hissant graduellement le bras et finalement la jambe, bientôt sui-
vies d'une légère parésie et de la faiblesse de ces membres. Ces
attaques commençaient et se terminaient par des convulsions géné-
rales. Macewen conclut avec raison, que cessymptômosindiquaient L
une lésion irritative du centre brachio-facial à la partie la plus infé-
rieure des circonvolutions ascendantes de l'hémisphère droit. Il
mit à nu le crâne dans cette région et découvrit une fissure qui la
traversait. Après trépanation, on ne trouva pas de sang entre le
crâne et la dure-mère, mais en incisant cette membrane, on évacua
deux onces de sang à demi coagulé.
. L'opération fut faite antiseptiquement et le patient guérit sans
fièvre. Les accès ne se reproduisaient plus, la paralysie du bras
gauche disparut bientôt et l'enfant aujourd'hui vivant, est en par-
faite santé.
- On ne saurait trouver un plus bel argument en faveur de la chi-
rurgie cérébrale. Si l'on s'en était tenu aux traces de traumatisme
extérieur, on aurait sacrifié la vie du patient ou bien il en serait
résulté pour lui une infirmité incurable. La nécessité et la valeur
de la chirurgie cérébrale prophylactique ont été aussi bien mises
en évidence.
Quoique bien des cas de fractures par enfoncement et autres
formes de lésions traumatiques puissent sembler guérir spontané-
ment ou sous l'influence du traitement dit antiphlogistique sans
intervention opératoire, il subsiste toujours le risque de l'épilepsie
ou de la folie survenant à une époque plus ou moins éloignée et
qui ont pu être écartées par des interventions opportunes.
De ces cas, je puis en citer beaucoup. Un des plus beaux a élé
rapporté par Macewen. (Case XI, Op. Cit.). Un homme avait reçu
un traumatisme du crâne ef au bout d'un an était devenu mélan-
colique et sujet à des impulsions homicides. Avant son accident;
il vivait heureux dans sa famille. Il n'y avait point de lésion appa-
rente qui puisse donner l'explication dè ces phénomènes, mais à
l'interrogatoire on pouvait se convaincre qu'immédiatement après
DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. 251
l'accident, une quinzaine environ, s'étaient montrés des symp-
tômes de cécité psychique ou d'affaiblissement des représentations
visuelles. Il pouvait voir, mais ne pouvait reconnaître ce qu'il
voyait, ou comprendre le sens d'une chose écrile.
Ces symptômes indiquaient l'existence probable d'une lésion du
pli courbe gauche.
La trépanation de cette région permet de constater qu'une
partie de la table interne avait été détachée et comprimait la partie
postérieure de la circonvolution supra-marginale (pariétale infé-
rieure) et qu'une partie de cette table interne avait été amenée
jusque dans la branche antérieure du pli courbe (angular gyrus).
L'os fut enlevé et replacé en position normale. Le résultat fut l'en-
tière disposition des symptômes alarmants ; l'homme se trouva
bientôt capable de reprendre ses occupations quoiqu'il persistât
cependant un certain degré d'excitabilité.
Jusqu'à une époque récente, cependant, si nous faisons excep-
tion pour les pratiques préhistoriques de trépanation dans l'épi-
lepsie idiopathique, et leurs applications jusqu'au xvr3 siècle au
moyen des mêmes méthodes barbares la trépanation fut seule-
ment employée en vue de remédier aux résultats primaires ou
secondaires des traumatismes crânio-cérébraux. Depuis, elle a été
pratiquée pour apporter remède à l'épilepsie traumatique, c'est-
à-dire à l'épilepsie dans laquelle il est évident qu'il existe une
relation de cause à effet entre le traumatisme crânien bien spécifié
et le début des accès.
Il n'est pas douteux que l'épilepsie puisse être aussi causée, soit
par une lésion directe du cerveau directe lui-même, ou indirec-
tement par irritation des nerfs du cuir chevelu ou des membranes
eérébrales.
Il résulte de l'examen des statistiques des cas actuellement
opérés les cures étant différemment estimées à 65 p. 100 par
Echeverria -- à 58 p. 100 par Waisham à 59 p. 100 par Koning
à 69 p. 100 par Seydel que l'intervention est pleinement justi-
fiée par les résultats bienfaisants, source de l'irritation, tel que par
exemple un nevrome douloureux.
, Mais, le réel effet d'une simple trépanation du crâne, la destruc-
tion d'une cicatrice douloureuse ou l'enlèvement d'une esquille
osseuse, ont été estimés à trop haut prix selon toule probabilité.
On a rapporté en effet comme guéris beaucoup de cas qui depuis
n'ont pas été soumis à une observation chirurgicale ultérieure :
Les cas dans lesquels l'entière cessation des accès a été établie,
sont relativement peu nombreux. Or, nos connaissances sur l'épi-
lepsie nous permettent de dire que la cessation des accès pendant
plusieurs mois, peut être suivie de nouveaux accès tout aussi sérieux
à une distance plus éloignée. Dans quatre-vingt-deux cas rapportés
par Walsham, il y avait une cicatrice déprimée ou bien une simple
252 THÉRAPEUTIQUE.
tache sans dépression ou autres marques de traumatisme. Dans les
deux tiers des cas, on trouva une portion d'os enfoncée, altérée ou
malade. La dure-mère paraissait saine dans un grand nombre de
cas, mais dans quelques-uns elle était épaissie, adhérente ou alté-
rée d'une autre façon. Mais quoique Walsham évalue à 58 p. 100 le
nombre des succès, je peux seulement trouver douze cas où la ces-
sation des accès ont duré un an après l'opération. *
Ainsi donc, les cures probantes d'épilepsie traumatique, par
simple trépanation du crâne sans ouverture de la dure-mère de-
vront être évaluées, non pas à 58 p. 100, mais à 15 p. 100.
Les statistiques modernes ne viennent pas à l'encontre de ce ré-
sultat, et il y a des raisons de craindre que la guérison de l'épilep-
sie traumatique par simple trépanation du crâne ne soit problé-
matique.
Dans tous les cas, la trépanation n'est pas indiquée, à moins
qu'il n'y ait une preuve évidente d'un traumatisme bien défini, ou
qu'en outre, on constate des signes d'irritation locale de la région
de l'écorce ou d'un territoire plus éloigné. Les chirurgiens qui ont t
trépané pour épilepsie traumatique ont simplement ouvert le
crâne et se sont refusé à inciser la dure-mère ou à s'attaquer au
cerveau lui-même.
Nos nouvelle ? connaissances en physiologie cérébrale ont ouvert
une voie nouvelle à la chirurgie du cerveau. J'ai vigoureusement
conseillé pour ma part une conduite nouvelle, et j'y ai été conduit
par nos recherches faites en collaboration avec le prof. G. F. Yeo.
(British médical Assoc., 1830) (Marschall Hall oration. Med. Chir.
Soc., 1883.) Mais l'honneur d'avoir tracé la voie en chirurgie céré-
brale humaine revient à notre compatriote Macewen de Glasgow.
Dans sa brillante communication au Meeting de la British med.
Ass. en 1888, il a donné les détails de nombreux cas où il eut à
pratiquer des opérations sur le cerveau, guidé qu'il était par les
principes des localisations cérébrales. Sur vingt-deux cas, il en a
opéré dix-huit avec succès et pour ceux qui ont entraîné la mort,
l'opéràtion avait été faite in extremis.
L'exemple de Macewen a été suivi par les chirurgiens de toutes
les parties du monde et on trouve continuellement dans les jour ?
naux, des cas d'applications plus ou moins heureuses des principes
qu'il avait pris pour guides.
Dans l'épilepsie traumatique provenant d'une lésion existante de
la substance cérébrale, le tissu cicatriciel épileptogène a été excisé
et séparé du reste de l'encéphale avec les plus beaux succès.
Un des meilleurs exemples de cette sorte nous est fourni par
mon collègue, M. Harsley, qui s'est distingué à un si haut point en
chirurgie cérébrale. C'était là, je crois sa première opération et le
fait est d'un assez haut intérêt pour mériter d'être relaté au cours
de cette séance à Edimbourg même.
DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES. 253 3
Il s'agit d'un jeune garçon d'Edimbourg qui, à'rage de sept ans,
fut renversé par un cab dans Princes Slreel. Il fut atteint d'une
fracture de la partie supérieure du pariétal gauche et fut traité
par le professseur Amandale à l'infirmerie royale. Au bout de trois
semaines, il était renvoyé guéri de sa blessure, avec un certain
degré de faiblesse dans le côté droit et la jambe.
A l'âge de quinze ans, c'est-à-dire huit ans après l'accident, il eut
des accès épileptiformes surtout dans le côté droit. Comme ces
accès reparaissaient plus graves et plus fréquents, j'arrivais à con-
clure qne la seule chance de guérison était dans l'excision de la
cicatrice, la chose fut faite.
Pour vous donner une idée de l'état pitoyable dans lequel se
trouvait le patient avant l'opération, je vous dirai que dans la
quinzaine précédente il avait eu environ trois cents accès, de telle
sorte qu'on désespérait de sa vie. Il guérit rapidement après l'in-
tervention et conserva un léger degré de faiblesse à droite. L'opé-
ration fut faite en mai 1886 et depuis cette époque il n'a jamais eu
un seul accès. Il jouit d'une excellente santé et est capable de
gagner sa vie. -
Le Dr Jackson fut le premier à suggérer, et son idée a été
maintes fois mise en pratique que l'épilepsie dans tous les cas où
elle se traduit par un monospasme ou un protospasme bien définis,
procède d'un foyer épileptogène qui peut être excisé et cela, sans
qu'il existe une lésion organique évidente, d'après le principe que
l'excision du foyer d'excitation peut amener m,e disparition de
l'excitation dans les centres corticaux, et consécutivement la dis-
parition des accès.
Dans un cas qu'il rapporte et où le spasme se montra dans le
pouce gauche, la mise à découvert du centre, dans l'hémisphère
droit, révéla la présence d'un module tuberculeux dont l'excision
amena l'entière cessation des attaques.
Dans bien d'autres circonstances, des résultats aussi bons ont été
obtenus dans d'autres les accès n'ont pas entièrement disparu
malgré l'ablation de la cause irritative.
Certains cas fournissent un fort appoint à la trépanation préven-
tive dans les traumatismes, certains autres montrent que l'inter-
vention chirurgicale est possible à une date assez reculée, alors que
l'habitude épileptique n'a pas eu le temps de s'installer.
L'excision actuellement pratiquée du foyer épileptogène par des
moyens chirurgicaux ne répond pas à tous nos désidérata, et on
doit fermement souhaiter qu'on puisse découvrir des'méthodes pour
neutraliser l'irritabilité du territoire sans amener sa destruction.
Que nous réussissions par une médication locale, la circumvalla-
tion, ou telle autre méthode il n'en reste pas moins démontré
qu'il y a de ce côté une véritable terre promise ouverte aux
recherches. '
254 THÉRAPEUTIQUE.
L'épilepsie et les convulsions épileptiformes ne sont pas seule-
ment les affections cérébrales importantes avec lesquels nous ayons
à lutter. 11 y en a d'autres qui, non traitées, conduisent fatalement
à la mort et souvent, au milieu d'atroces souffrances. Parmi elles
se range l'abcès du cerveau.
Je ferai ici surtout allusion aux abcès du cerveau d'origine non
traumatique, c'est-à-dire aux abcès survenant indépendamment
d'une blessure du cerveau ou de ses enveloppes.
Les autres abcès ont toujours été considérés comme réclamant
une intervention opératoire et quoiqu'on soit alors amplement
guidé par la blessure extérieure, il n'en est pas moins vrai que dans
certains cas de suffusion hémorrhagique, ces opérations ont eu
besoin d'être rendues plus précises, et ont été suivies de plus beaux
succès, depuis que l'indication de leur siège et de l'étendue des
lésions qu'elles entraînent a été donnée par la connaissance des
localisations cérébrales.
A part ceux qui relèvent du traumatisme, les abcès cérébraux
sont surtout en connexion avec les maladies aiguës ou chroniques
de l'oreille interne.
Ces abcès sont surtout situés dans le lobe temporal ou le cervelet,
mais qu'ils soient situés dans un point ou dans l'autre, on ne
pourra arriver à eux avec précision, que par des symptômes d'une
signification diagnostique bien déterminée. Quoique la mortalité
par abcès cérébraux soit toujours très grande, nous pouvons citer
bon nombre de cas où ces abcès ont été diagnostiqués et opérés
avec succès.
Dans un cas que j'ai rapporté moi-même, la situation de l'abcès
dans l'hémisphère gauche fut déterminée par un ensemble de
symptômes plus particulièrement du désordre de la parole, de
la surdité verbale qui répondaient à une lésion de la circonvolu-
tion temporale supérieure. Un orifice de trépanation ayant été
pratiqué en cette région et la dure-mère incisée, l'introduction
d'un trocart donna issu à une quantité de pus dont l'évacuation fit
cesser les troubles. Le malade jouit aujourd'hui après plusieurs
années d'une bonne santé et remplit ses fonctions de mécanicien.
Le groupe suivant est un de ceux que le médecin et le chirurgien
se trouvèrent impuissants à soulager. Je veux parler des tumeurs
cérébrales. ' m
Malheureusement, une forte proportion de tumeurs cérébrales,
peut-être 40 p. 100 et plus, sont de par leur nature et leur situa-
tion impossiblesà atteindre et à traiter, aussi le champ chirurgical
est-il relativement restreint à leur égard.
Nous pouvons faire le redoutable diagnostic d'une façon trop
certaine, et nous pouvons indiquer la position d'une tumeur que
nous ne pouvons souvent pas opérer.
Mais, d'un autre côté, il y a beaucoup de cas de tumeurs situées
DES LOCALISATIONS CEREBRALES. 2H8
dans des régions abordables, et qui, si l'on ne veut y toucher, con-
duisent à la mort aussi sûrement que les autres. Celles-là peuvent
être souvent localisées avec précision, et sont souvent d'une nature
qui permet leur excision et leur énucléation complète.
C'est dans le traitement de ces affections qu'un nouvel horizon a
été ouvert au chirurgien, et malgré que les succès n'aient pas été
constants, il y en a un certain nombre qui peuvent être regardés
comme ayant arraché le malade aux étreintes de la mort.
Le premier cas d'opération pour tumeur cérébrale fut diagnos-
tiqué par Hughues Bennett et opéré avec succès par M. Godlee.
Malheureusement, alors que tout semblait aller parfaitement, le
malade mourut d'inflammation septique. C'est là un accident
dont on peut se mettre à l'abri.
Quelques malades sont morts de shock : la tumeur étant très
grande, et les malades fort affaiblis par de longues souffrances
antérieures.
Dans d'autres cas, les tumeurs enlevées avec succès se sont
reproduites au bout de quelque temps.
Chez d'autres, la tumeur localisée avec précision n'a pas été
jugée opérable en toute sécurité. La vie du patient a été prolongée
et ses souffrances soulagées par une opération incomplète.
Malgré toutes ces difficultés, on peut trouver dans la littérature
médicale plus de trente-deux cas, dans lesquels la tumeur a pu
être enlevée avec succès et le malade soulagé.
Il résulte de nos analyses et des cas parvenus à ma connaissance,
que la guérison est survenue dans plus de la moitié des cas. On
peut comparer avantageusement ces résultats avec la mortalité de
bon nombre de grandes opérations de la chirurgie, et leur signi-
fication est que la guérison survient dans la moitié des cas. C'est
là une raison pour penser que les plus grands succès peuvent être
attendus à l'avenir, quand les conditions de l'opération et ses suites
seront mieux connues.
Si dans cette brève revue des progrès de la thérapeutique céré-
brale dont j'ai systématiquement écarté les détails techniques,
j'ai pu réussir à vous montrer que beaucoup de progrès ont été
accomplis, ce n'est pas certainement dans le but de faire paraître
sous vos yeux un tableau d'un optimisme tranquilisant.
Bien au contraire, plus nous apprenons, et plus grande nous
apparaît notre ignorance, et plus nous irons, plus complexes et plus
nombreux seront les problèmes soumis à notre compétence.
Après tout, de tels progrès indiquent seulement que nous pou-
vons apporter un remède à de grosses maladies ou lésions du cer-
veau, presque exclusivement, et je crains qu'on ne puisse encore
dire que nous connaissons trap mal encore les localisations céré-
brales pour pouvoir citer un progrès digne de remarque en psy-
chiatrie. Et pourtant, de tous les départements de la médecine,
S6 THÉRAPEUTIQUE. DES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES.
c'est le seul qui puisse retirer un profit spécial de connaissances
perfectionnées du mécanisme de l'organe de l'intelligence.
Mais comme nous nous laissons guider seulement par la lente
expérimentation dans l'étude des aspects objectifs et subjectifs de
la fonction cérébrale à l'état de santé, il n'est point surprenant
que nous soyons encore profondément ignorants de la nature et
des causes si subtiles et si variées des déviations des règles ordi-
naires. ,
C'est dans les maladies de l'esprit que les idées localisatrices de
Virchow ont été le moins bien appliquées. Cependant, la nouvelle
physiologie cérébrale n'a pas été sans effet sur la médecine psychia-
trique.
Les spécialistes ont abandonné des termes empruntés à la méta-
physique spéculative, pour ceux d'une psychologie plus concrète,
et ils font de sérieux efforts pour établir des corrélations entre les
états morbides de l'esprit et les altérations nutritives et structu-
rales des centres corticaux qui ont à souffiir. Ils recherchent, de
concert avec les symptômes psychiques, les divers états et degrés
de la destruction ou de la perversion des fonctions organiques
motrices ou sensorielles qui relèvent de la même cause et cons-
tituent le côté purement objectif du même processus patholo-
gique.
Il est impossible que des recherches faites dans cette voie ne
portent pas avant longtemps des fruits abondants et je pense que
c'est de ce côté, c'est-à-dire par l'étude de i'étiologie et de la
pathologie de la folie, que nous arriverons à la connaissance des
corrélations du cerveau et de l'esprit en général, et des facteurs
individuels de notre vie intellectuelle et émotive.
Jusqu'au moment où ces recherches auront été poussées plus
loin, et où on aura déterminé les différentes formes de l'aberration
mentale avec plus de certitude et de précision, nous ne pouvons
pas penser à une application pratique plus étendue des doctrines
de la localisation cérébrale. Mais les remarquables succès de la
chirurgie en ce qui concerne les autres formes de maladie céré-
brale, ont fait naître l'application de méthodes chirurgicales pour
le traitement de certains cas où l'aberration et la faiblesse men-
tales prédominenl.
Tel est le cas de Lannelongue pour l'idiotie microcéphalique,
les excisions qu'a fait Burckardt d'un foyer supposé d'hallucina-
tions sensorielles, l'opération de Clay Shaw et de Batty Tuke pour
la paralysie générale des aliénés.
Il est trop tôt pour se prononcer définitivement sur la valeur de
ces opérations, et les opinions peuvent différer suivant que l'inler-
vention a été calculée dans le but d'obvier ou d'arrêter les condi-
tions primaires ou secondaires dont dépendent ces symptômes.
Je suis moi-même d'avis que ceux d'entre nous, et ils constituent
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 257
la majorité du corps médical, qui reconnaissent noire impuissance
à améliorer ces malades par d'autres méthodes, ne pourront s'em-
pêcher de regarder avec faveur, quoique en tempérant trop de zèle
avec discrétion, et encourageant tous les essais mûrement rai-
sonnés qui seraient destinés à soulager les malades qui appellent
en ce moment en vain à leur aide.
J'exprime le souhait que beaucoup des jeunes et enthousiastes
pupilles de notre grande et glorieuse Université, tournent leurs
efforts vers ces problèmes de la thérapeutique et de la pathologie
cérébrale qui sont encore insolubles.
Je suis profondément certain que dans aucune autre branche de
la médecine, il n'y a moisson plus grande d'honneurs à glaner, et
aussi plus grande satisfaction à soulager ses malades.
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE
PATHOLOGIQUES.
I. Encore la question DE la GENÈSE DES circonvolutions CCRÉ-
Brayez par G. JELGERSMA. (Cenlralbl. f. Nervenheilk, N. F., t. II,
1891.) ,
La théorie de l'auteur a été exposée dans les Archives de Neuro-
logie, t. XXI, p. 287. M. Ziehen, dans le n° 21 du Neurolog. Cen-
trolbl., 1890, en rendant compte du travail de Cunningham (Lan-
cet, 1890), qui adopte la théorie de Jelgersma, formule des
objections que combat actuellement l'auteur. Il renforce sa théorie
par les deux arguments nouveaux que voici :
A. Chez un enfant mort à six semaines de spina .bifida, on
trouva : 1° un cervelet trop petit de moitié, avec arrêt de déve-
loppement de la protubérance et des olives ; 2° une notable multi-
plication des circonvolutions cérébrales; il était impossible de
découvrir les circonvolutions fondamentales, tandis que l'on cons-
tatait un nombre infini de circonvolutions et de sillons, inconnus
et irréguliers. L'examen microscopique de l'écorce ne révélait pas
d'autres altérations pathologiques, qu'une congestion des vaisseaux
corticaux ; l'écorce était amincie de moitié. Cela s'interprète ainsi,
d'après M. Jelgersma. La substance grise n'avait pas diminué, mais
elle s'étendait sur un plan plus mince; la surface augmentant, il
lui fallait un plus grand nombre de volutes pour que le contenu
restât normal. '
Archives, t. XXIV. 17
258 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.
B. En biologie, il existe une relation entre les manchons myéli-
niques des cylindres-axes du cerveau et la formation des circonvo-
lutions. Cela est si vrai qu'il ne se forme plus de circonvolutions à
l'époque où commence, à l'intérieur du cerveau, la formation de
toutes paris des gaines myéliniques (Huschke, Tuczek). Avant l'ap-
parilion des manchons de myéline, la couche superficielle des cir-
convolutions s'accroît rapidement, il s'y forme des cellules nerveuses,
tandis que le système des faisceaux conducteurs centraux cioit
moins vite. Puis le développement myélinique se généralise, ce
développement augmente le volume du contenu, grossit la surface;
la masse cérébrale augmente, les circonvolutions s'épaississent et se
plissent, mais il ne s'en forme pas de nouvelles. P. KERAVAL.
II. ELECTROPHTHALME ; nouvel appareil POUR la PERCEPTION DES PHÉ-
NOMÈNES lumineux au MOYEN DES sensations thermiques ET DU sens
DU lieu; parK. Noiszewski. (Centralbl. f. Neruenheilk., N. F., t. II,
1891.) 1
Faire voir les aveugles en leur faisant savoir qu'ils ont devant
eux, ou qu'ils vont avoir devant eux un corps éclairant, éclairé, ou
obscur. Leur donner la possibilité de se rendre compte du lieu de
ce corps à l'état de repos ou de mouvement, de façon qu'en tout
temps ils soient en état d'indiquer la direction du mouvement du
corps et d'en distinguer les approches ou la distance. Tel est le
problème résolu.
Voici une chambre obscure dont la paroi postérieure se compose
de trois parties. La première est un disque métallique percé de
trous comme un tamis, et pourvu d'un châssis de métal qui conduit
un courant électrique sur le crible où il se répartit uniformément.
La partie postérieure du tamis est doublée d'une mince lame de
sélénium appliquée contre elle, et enchâssée dans le même anneau
que le tamis; on sait que la lumière provoque, par action sur le
sélénium, un courant électrique. Derrière cette lame, existent des
bâtonnets disposés en brosse d'une notable épaisseur, dont chaque
soie communique avec la face postérieure de la lame de sélénium,
chacune de ces soies se compose d'un petit fil d'or recouvert d'une
couche isoiatrice qui met en communication le sélénium avec la
peau du front du sujet. On assure la communication parfaite de
cet appareil conducteur avec la peau, en ayant soin de prendre au
préalable le moulage du front du sujet auquel l'appareil est des-
tiné ; on fabrique la petite brosse sur ce modèle ; le contact est
ainsi parfait. L'appareil étant placé entre les deux yeux et muni
d'une lentille, les objets éclairants ou éclairés actionnent la lame
de sélénium sur laquelle leurs rayons sont concentrés. Le courant
électrique engendré agit sur la partie correspondante des bâton-
nets ; l'élévation de chaleur produite se transmet à telle ou telle sec-
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 259
lion de la glabelle et l'aveugle est averti. Le mouvement du calo-
rique, sa direction, son intensité, sa localisation, permettent au
malheureux de préciser la nature de l'objet, son état, son siège.
P. il
III. Etat SOMNIFORME CHEZ LES animaux auxquels ON A enlevé LE
CERVELET; par A. 130RGEIERIN¡. (Neurol. Centmlb, 1891.)
Quand le chien est guéri du traumatisme, il récupère la moti-
lité. Mais, si on lui bande les yeux, il demeure immobile, étend les
jambes et s'allonge lentement sur le sol, s'y couche en appuyant le
tronc, le cou, la tête. En vain- l'appelle-t-on de n'importe quelle
façon. Rien n'y fait. Pour qu'il change de position, il faut lui tour-
ner les membres à lui faire mal. Si vous le suspendez par la peau
de la nuque, il abandonne tête, oreilles, pattes, comme s'il était
mort. Diminution des réflexes tendineux; ralentissement de la res-
piration. On lui rend la vue, il reprend son activité motrice. L'au-
teur croit que, le cervelet ayant été enlevé, la privation de la vue
empêche l'animal de corriger son ataxie ; ayant conscience de son
impotence, il refuse de se mouvoir ; c'est une sorte de collapsus.
P. K.
IV. QUELQUES expériences sur, LES CENTRES cortico-moteuus ARRÈS
ligature DES URETÈRES; par A. SPANBOCK. (Neurol. Centralb.,
1891.)
La région du sillon crucial est, au début de l'urémie, parfois
hyperexcitable (courants induits; électrodes de platine); puis son
activité décroît avec les progrès de l'urémie. C'est ainsi que le
montre l'étude comparée de l'excitabilité des régions en ques-
tion, privées ou non de leur écorce, avant et après la ligature
des urelères, à des altérations des centres corticaux mêmes que
ces phénomènes sont imputables. Un discernement expérimental
bien conduit des effets de la narcose chloroformique, du trauma-
tisme, de l'inanition, du refroidissement, montre que cette mo-
dification de l'excitabilité de l'écorce résulte du trouble des
échanges nutritifs produit par l'urémie. Il est à remarquer que
lorsque l'excitabilité de l'écorce a baissé, on obtient des convulsions
motrices (surtout toniques) des plus vives ; il est à croire que les
convulsions ont pour point de départ les centres sous-corticaux pri-
vés de l'influence régulatrice de l'appareil cortical. P. KERAVAL.
V. Contribution A la topographie DES LÉSIONS BULBAIRES dans la
sclérose latérale A3LTOTROPIIIQUE ; par il. IIIUR : 1TOFP. (Neurol.
Centralb., 1891.)
Trois nécropsies montrent, au point de vue qui nous occupe.
A. Dans la substance grise. - 1° Atrophie du noyau principal de
260 REVUE d'anatomie ET DE PHYSIOLOGIE pathologiques.
l'hypoglose avec atrophie, soit complète (2 observations), soit par-
tielle (1 observation) de la racine du nerf en question; - 2° atro-
phie légère du noyau postérieur du pneumo-gastrique; 3° atro-
phie, soit évidente (1 observation), soit faible (2 observations) du
noyau du facial (indemne, dans la troisième observation). Le ra-
meau d'émergence présentait une atrophie partielle, le genou du
facial, et les fibres qui environnent le noyau de l'oculomoteur
externe étaient atteints d'atrophie complète ; - 40 atrophie faible
du noyau moteur du trijumeau (1 observation), intégrité dans les
trois observations du noyau du glosso-pharygien, de l'oculomoteur
externe, de loculomoteur commun.
B. Dans la substance blanche. 1° Sclérose du faisceau pyra-
midal dans toute son étendue; 2° atrophie, peu nette, du fais-
ceau longitudinal postérieur du bulbe, mais extrêmement nette
dans le cas où il y avait atrophie complète du noyau de l'hypo-
glosse, ce qui prouve un consensus parfait avec les altérations des
noyaux ; 3° dégénérescence du faisceau fondamental du cordon
antérieur ; 4° dégénérescence des fibres du raphé, mais exclusi-
vement dans la portion inférieure (ventrale), à la hauteur de
l'hypoglosse; - 5° zones d'atrophie disséminées dans la région ven-
trale (inférieure) du ruban de Reil, à la hauteur de l'hypoglosse,
de l'oculomoteur externe, du facial. P. KERAVAL.
VI. LES altérations DÉGÉNEHATIVES DES CELLULES NERVEUSES dans la
myélite aiguë; par M. Friedmann. (Neurol. Centmlbl" 1891.)
D'après ces recherches, la dégénérescence commence par une
partie limitée de la cellule, celle qui est accessible aux agents colo-
rants, du moins à ceux dont l'auteur s'est servi. (Bleu de méthyle
syst. Kronthal, méthode de Nissl.) Ce n'est qu'après que le noyau
et les prolongements meurent et se résolvent; enfin, la cellule en-
tière se ratatine ou disparaît. P. IC.
VII. Observation SUR la subordination DES dégénérescences des nerfs
PÉRIPHÉRIQUES A la destruction DES noyaux D'ORIGINE, pour faire
SUITE A UN cas de paralysie bulbaire avec sclérose latérale AMYO-
trophique; par P. KnoNTDAL. (Neurol. Centralbl., 1891.)
Le malade (une femme) avait vécu plusieurs années en proie à
cette affection. L'autopsie révéla : dans la moelle une atrophie
complète des cellules des cornes antérieures avec dégénérescence
très prononcée du système pyramidal, légère des cordons alltéro-
latéraux presque totale des racines antérieures. Dans le cerveau,
atrophie des noyaux de l'hypoglosse, du pneumogastrique, du
glossopharyngien, du facial; intégrité de ceux de l'acoustique, du
trijumeau, du moteur oculaire externe, du pathétique, de l'ocu-
lo-moteur commun, dégénérescence des faisceaux pyramidaux
REVUE d'anatomie ET DE PHYSIOLOGIE pathologiques. 261
jusque dans le pédoncule cérébral. Ainsi donc : lésions des nerfs
crâniens périphériques dont les noyaux sont Usés; mais intégrité des
nerfs spinaux périphériques, alors que les cellules des cornes anté-
rieures sont totalement dégénérées. Ce qui prouve que, si la dégéné-
rescence des cornes antérieures peut s'accompagner de dégénéres-
cence des nerfs périphériques, ce n'est pas une conséquence forcée,
et que, par suite, la dégénérescence des nerfs périphériques de la
moelle consécutive à la lésion des cornes antérieures, tient à
d'autres conditions que la dégénérescence des nerfs crâniens
périphériques, consécutive à la lésion de leurs noyaux d'origine.
Peut-être, en ce qui concerne les nerfs spinaux, faut-il penser à
l'influence des cellules nerveuses incluses dans le nerf lui-même ?
P. K.
VIII. UN cas DE RKDUPUCATION ET D'nÉTEMTOPlE partielles DE la
moelle; par L. JacoBSON. (NeuroL. Centralbl., 1891.)
Il s'agit d'un cas de myélite transverse ascendante avec tubercu-
lose de la prostate et des reins ; gommes du crâne. On trouve : 1° la,
réduplication et l'hétérotopie (congénitales de la substance grise.
Voir description et figures) ; 2° les lésions myélitiques, de cause in»
connue. Ce qui est intéressant, c'est que ce malade ait pu, malgré
ses anomalies congénitales, atteindre l'âge de cinquante-cinq ans,
sans avoir aucunement présenté de symptômes témoignant d'un
affaiblissement spinal. Il a alors eu sa myélite (probablement
syphilitique) tout comme si sa moelle eût été normale. Au point de
vue technique, on éprouve de grandes difficultés à travailler, à
colorer ces sortes de moelles, car la coloration des coupes, dans
toutes leurs parties, par les méthodes de Weigert et Pal ne réussit
jamais bien, même pas à peu près, en dépit d'efforts répétés
(Kronthal, Jacobson). P. KÉRAVAL.
IX. NOUVELLE méthode DE coloration du système NERVEUX central ;
par Th. Ziehen. (Neural. Centralbl., 1891.) .
Faites durcir dans un mélange, à parties égales, d'une solution
à 1 p. 100 de chlorure d'or et d'une solution à 1 p. 100 de sublimé.
Durée de trois semaines à cinq mois sans renouveler souvent le
liquide. Pratiquer les coupes, telles quelles, sans l'es inclure. On
les porte dans l'alcool ; elles sont noir bleuâtre par transparence,
rouge brun métallique à l'oeil nu. On les immerge un temps va-
riable, suivant les fragments dans une solution de Lugol (au quart)
ou de teinture d'iode (au quart). Laver à l'alcool absolu. Monter
dans l'huile d'oeillet et le baume du Canada. 11 se produit une colo-
ration gris bleuté des fibres myéliniques, des cellules nerveuses, des
cellules de la névroglie, avec leurs prolongements, les détails et
notamment les contours sont parfaitement distincts. l'. K. i
265 REVUE d'anatomie ET DE physiologie pathologiques.
X. DE la DISTRIBUTION DES CELLULES NERVEUSES dans LE SEGMENT
LE PLUS INFÉRIEUR DU CANAL VERTÉBRAL CHEZ L'HOMME ; par
A. Hoche. (Neu1'ol.- Cent¡'albl., 1891.)
Jusqu'à ce jour, on a prétendu que, sur une coupe transverse de
moelle épinière, l'existence de cellules nerveuses est limitée à la
substance grise et que, les quelques cellules nerveuses isolées, qui
occupent la substance blanche, avoisinent la substance grise et,
morphologiquement, sont identiques aux autres. On sait aussi que,
dans toutes les racines postérieures de la moelle, il y a quelques
cellules nerveuses, exceptionnellement même de petits groupes
cellulaires dont les éléments ont les mêmes caractères que les
cellules des ganglions spinaux des quelles ils tiennent au point de
vue émbryogénique; jusqu'ici, on n'a pas trouvé de cellules ner-
veuses dans les racines antérieures. En outre, dans le canal verté-
bral, en dedans de la dure-mère, existent d'ordinaire le ganglion
du nerf coccygien (Schlemm), ainsi que les cellules nerveuses des fins
trousseaux nerveux du filum terminal (Rauber) qui sont considérées
comme les ganglions spinaux d'une 32" et 33° paire nerveuse rudi-
mentaire. M. Hoche a aussi observé (5 cas sur 6 examens) des
cellules nerveuses au-dessous du renflement lombaire qui vont
jusqu'au cône terminal, en nombre et en étendue variés, selon les
individus. Elles existent entre les fibres émergents des racines
antérieures, à l'endroit où ces racines traversent la pie-mère dans
les prolongements de laquelle elles se drapent, immédiatement
au-dessous de cette méninge, entre ses lamelles, et çà et là, jusque
dans les faisceaux radiculaires descendants. Elles n'ont pas les
caractères des cellules de la substance grise; grosses, ovales, par-
fois plus grosses que les plus grosses des cornes antérieures, à
noyau excentrique, pourvu d'un nucléole, elles sont fréquemment
fortement pigmentées... Pour ces motifs, ce sont des cellules auto-
nomes, indépendantes, d'autant plus qu'en ces régions, on ne trouve
pas de cellules nerveuses dans la substance blanche (il ne s'agit
donc point d'une migration). Dans la queue de cheval, il n'est pas
rare de trouver des cellules nerveuses (embryon humain de huit
mois). P. KERAVAL.
XK Annexe au travail intitulé : Des différentes situations et dimen-
sions du faisceau pyramidal; par W. Bechterew. (Neurol. Cen-
tralbl., 1891 1.)
Le travail de Lenhoessek sur le même sujet (Anat. Anzeig., 1880,
n° 7) arrive à des résultats analogues. Toutefois, la priorité lui
appartient quant à la situation du faisceau pyramidal chez les ron-
geurs, dans les segments antérieurs des cordons postérieurs, par la
méthode embryogénique. P. K.
' Voy. Archives de Neurologie, Revues analytiques.
REVUE d'anatomie ET DE physiologie pathologiques. 263
XII. Remarque relative A la racine médiane DU nerf OPTIQUE
chez LES oiseaux; par PERLIA. (Nezcool. Centralbl., 1801.)
M. Perlia prétend avoir décrit le premier un trousseau de fibres
qui, se détachant de la bandelette optique, s'en va, à travers le
cerveau moyen, jusqu'à l'arrière du cerveau où il gagne un noyau
relativement volumineux situé sur les côtés du noyau du pathé-
tique. P. K.
XIII. DES systèmes DE fibres QUE L'ON TROUVE SUR LE plancher
DU troisième ventricule; par L. D.1R65CHE\V1TSCH et G. RIBYTKOW.
(Neurol. Centralbl., 1891.)
Abstraction faite des fibres qui appartiennent au nerf optique,
quels sont chez l'adulte les systèmes de fibres que l'on peut distin-
guer de la substance grise du troisième ventricule. Ce sont : immé-
diatement en arrière du chiasma, deux systèmes superposés, mar-
chant parallèlement au chiasma. La commissure de Meynert et le
faisceau ou entre-croisement de Forel. Un troisième occupe le chiasma,
c'est le faisceau indépendant ou commissure de De Gudden. L'indé-
pendance de la commissure de Meynert et du faisceau de Forel est
démontrée par l'étude des cerveaux des nouveau-nés. Le faisceau
de Forel se garnit de myéline plus tard que la commissure de
Meynert. Ses fibres se composent d'une partie des fibres anté-
rieures (côté cérébral) du noyau rouge de la calotte, se dirigent en
bas, s'entre-croisent au-dessous du troisième ventricule, puis, tout
le long du plan inférieur du pédoncule cérébral, s'insinuent entre
ce pédoncule et la bandelette optique pour atteindre la partie
basale du noyau lenticulaire. La commissure de Meynert com-
prend deux systèmes : l'un se compose des fibres qui unissent le
noyau lenticulaire au corps de Luys du côté opposé; l'autre, des
fibres du ruban de Reil médian qui, après entre-croisement sur le
plancher du troisième ventricule, vont, du côté opposé, au corps de
Luys et au noyau lenticulaire. Cetle commissure n'a aucun rapport
avec les deux corps genouillés. La commissure de De Gudden
est formée de fibres qui unissent, par entre-croisement, les corps
genouillés internes aux noyaux lenticulaires. P. KERAVAL.
XIV. DE l'innervation ET DES centres cérébraux DE la sécrétion
lacrymale; par W. 13ECHTEREN et V. nlISLAR'SIiI. (Neurol. Ces-
Des expériences méthodiques de vivisection des auteurs, il
résulte que le centre réflexe principal de la sécrétion lacrymale
occupe les couches optiques et que c'est là même que se trouvent
les voies conductrices centrales du grand sympathique cervical qui
monte ensuite jusqu'à l'écorce des hémisphères. P. K.
264 REVUE d'anatomie ET DE PHYSIOLOGIE pathologiques.
XV. UN cas d'anomalie dans LE trajet DES FIBRES ET DE redouble-
ment partiel DE la MOELLE chez UN paralytique général ; par
B. FEIST. (Neurol. Centrnbl., 1891.)
A lire en entier. Car la description tout entière fait, avec les
figures, l'intérêt de l'observation. P. K.
XVI. Contribution A l'étude DE la névrite multiloculaire ;
par M. 13Rnsca. (Neurol. Centralbl., 1891.)
Fait se rapprochant des observations de Korsakow. Hyperexcré-
tion anormale d'urobiline dans l'urine comme dans les faits de
Harley (British med. Journal, nov. 1890) et Korsakow. D'où la patho-
génie. Intoxication par une substance d'origine externe ou interne
luto-intoxication),bactérienne ou autre. Peut-être l'urine était-elle
ans l'espèce l'émonctoire protecteur. P. K,
XVII. CONTRIBUTION A la casuistique DES affections EN FOYER DE la
protubérance ET, EN particulier, DES -troubles DE la parole
ANARTHRIQUES; par ST. MARKOWSKI. (Archiv f. Psychiat.,XXlII, 2.)
De notre observation personnelle, dit l'auteur, il résulte que :
1° Les foyers de ramollissement unilatéraux de la moitié gauche de la
protubérance n'entraînent pas nécessairement des troubles de la parole,
alors même que ces foyers ont détruit toute la masse des pyramides cor-
respondante. 2° Quand la masse gauche des pyramides est détruite
dans lé bulbe, un foyer de ramollissement dans le côté droit de la pro-
tubérance suffit, s'il détruit la partie médio-dorsale de la masse pyramidale
opposée (droite), pour produire de l'anarthrie. 3° Par conséquent, il y
a lieu d'admettre que les voies motrices qui commandent a la parole
passent par les deux moitiés de la protubérance, et par suite qu'il y en a
des deux côtés. 4° Il y a lieu aussi d'admettre que, dans la protubé-
rance, les voies motrices de la parole occupent les parties médianes et
postérieures (dorsales) de la masse des pyramides.-Il Il en estde même.'pour
' les troubles de la déglutition ; tant qu'il n'y a de foyer protubérantiel que
dans la moitié gauche du pont de Varole pas de dysphagie, elle n'apparaît
que s'il y a en outre un foyer à droite. De même que pour les actes
coordonnés volontaires de la parole le mouvement coordonné qui
préside à la mise en train de la déglutition est sous la dépendance
de tractus spéciaux qui passent par le bulbe et unissent le centre de la
déglutition bulbaire avec le cerveau. Nous expliquerons donc le trouble
de la déglutition comme nous expliquerons le trouble de la parole, par
l'interruption, dans le bulbe, de ces tractus d'association. Ces faisceaux de
]a pal ole et de la déglutition sont voisins dans le bulbe, puisque les mêmes
foyers, à localisation identique, produisent simultanément des troubles
de la parole et de la déglutition.
De l'étude analytique des cas de la bibliographie, un point se
dégage. Les foyers unilatéraux avec anarthrie sont plus rares que les
foyers unilatéraux sans troubles de la parole du tout. L'anarthrie
REVUE d'anatomie ET de PHYSIOLOGIE pathologiques. 265
en tout cas peut se produire (dans les cas de foyers protubérantiels)
non seulement par des foyers gauches mais aussi par des foyers
droits. Quand le foyer de ramollissement est bilatéral, presque tou-
jours, il y a anarthrie. P. IL
XVIII. LE POIDS DU cerveau dépend DU poids DU CORPS ET DES aptitudes
mentales; par 0. Snell. (Archiv. f. Psychiat., XXIII, 2.)
Etant donné deux animaux ayant une valeur intellectuelle à peu
près égale, le plus petit a un encéphale plus léger au point de vue
absolu mais, relativement plus lourd. Cela tient à ce que le travail
des échanges nutritifs, qui est sous la domination de l'encéphale,
est proportionnel à la grandeur de la surface du corps et que la sur-
face du corps est chez les petits animaux relativement plus grande.
Formule h = Iiy p.
Dans cette formule,
h est le poids de l'encéphale,
K - - du corps.
s, exposant somatique, correspond au nombre ajouté comme
exposant au poids du corps; il exprime le rapport du
poids encéphalique avec celui d'un autre animal, en tant
que ce poids cérébral dépend des fonctions physiques;
p est le facteur psychique; il exprime le degré des aptitudes
mentales de l'animal correspondant.
Snell a déterminé s et p pour une série d'animaux.
266 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.
hallucinatoire chronique. Autopsie. Un kyste dans le putamen,
n'ayant provoqué aucun symptôme pendant la vie qui puisse faire
penser à une affection en foyer.
Par conséquent, il est douteux que, dans les deux premières observa-
tions, le trouble de la motilité doive être rattaché à une lésion du noyau
lenticulaire.
XX. UN cas d'atrophie musculaire spinale PROGRESSIVE COMPLIQUÉE
DE LÉSION DES NOYAUX BULBAIRES ET DE L'ÉCORCE; par A. ÂLZHEIMER.
(Archiv. f. Psychiat., XXIII, 2.)
Homme de trente-trois ans, sans tares. En 1879, atrophie de
t'éminence thénar gauche. En 1881, syphilis. A la fin de 1889,
douleurs gastriques et vomissements. En février 1890, psychose
aiguë (délire). Actuellement atrophie des muscles des deux bras et
des épaules; convulsions fibrillaires. Rien du côté de la sensibilité;
pas de spasme; exagération des réflexes tendineux. Délire intense;
désordre excessif dans les idées. Mort. - Autopsie. Epaississement
de la pie-mère et des vaisseaux cérébraux; épendymite. Atrophie
des cornes antérieures de la moelle, du plexus brachial, des
muscles des extrémités supérieures, des épaules et du diaphragme.
Carcinome hépatique; tuméfaction de la rate et des ganglions
lymphatiques. Au microscope, atrophie simple des cornes grises
antérieures de la moelle; légère sclérose des faisceaux radiculaires
antérieurs ; hypertrophie de quelques fibres dans les muscles
atrophiés, grave altération des vaisseaux sur le plancher du qua-
trième ventricule, dégénérescence des cellules nerveuses dans les
noyaux des cordons postérieurs, du pneumogastrique, de l'acous-
tique, dans le corps optostrie; lésions diffuses des cellules nerveuses
de l'écorce. - P. IL
XXI. LE topotiiermoesthésiomètre ; par NoiszEwsKi. (Centralbl. f.
Nervenheilk., N.F., II, 1891.)
C'est une mince lamelle d'ivoire traversée par de très minimes
petits crayons de platine dont on a poli et émoussé les extrémités
au ras de chacune des faces de la lamelle. Ces crayons sont éloi-
gnés l'un de l'autre de 1, 2, 3, 4, 6, 6, 7, 8, 9, 10 millimètres et plus,
distances toujours nettement mesurées. On fait communiquer deux
crayons au moyen de petites plates-formes en zinc de 2 millimètres
sur un demi-millimèlre, montées à l'extrémité d'un compas spé-
cial. On chauffe ces plates-formes et, en les mettant en communi-
cation avec deux crayons écartés, suivant les cas, de 1, 3, 10 milli-
mètres, on en transmet la chaleur exactement déterminée à l'avance.
Voici comment on apprécie le sens thermique. Sur un point qui
est en dehors de la lame d'ivoire on applique un bâtonnet chauffé
à une température déterminée. On applique en même temps, par
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 267
comparaison, sur les crayons les plates-formes de zinc chauffées à la
lampe à alcool, jusqu'à ce que la personne en expérience déclare
égale la température des sensations thermiques auxquelles elle est
simultanément soumise. Alors on lui demande si elle ressent une
ou deux impressions thermiques; généralement elle ne commet
pas d'erreur de plus de deux dixièmes de degré.
Sur 20 personnes, M. Noiszewski a trouvé :
1° Les endroits de la surface cutanée doués d'une sensibilité tactile
exquise, sont aussi doués à un haut degré de la propriété de localiser
les sensations thermiques. Ces endroits sont : le bout des doigts, la gla-
belle. - 2° Quant à la distance, deux de nos individus pouvaient perce-
voir deux sensations thermiques écartées de 1 millimètre (extrémités
digitales), pour onze d'entre eux l'écart était de 1 à 2 millimètres (gla-
belle); un vieillard, atteint de paralysie faciale et un neurasthénique
en possession d'une sensibilité différentielle normale pour le tact et la
température, percevaient deux sensations 'écartées de 10 millimètres
(extrémités des doigts) ou de 5 millimètres (glabelle), mais non plus rap-
prochées. P. K.
XXII. Etude SUR LES poisons DE L'INTELLIGENCE;
par le Dr Legrain.
Dans ce travail, à l'aide d'une analyse minutieuse d'un nombre
considérable de substances appartenant à tous les règnes et dont
une des propriétés est d'altére les fonctions cérébrales, l'auteur
s'est efforcé de faire une sorte de synthèse, une sorte de pathologie
générale des intoxications psychiques. Il est impossible de le
suivre dans tous les détails qu'il donne dans la seconde partie de
son travail (partie analytique); c'est une accumulation de faits
empruntés à l'histoire de chaque poison en particulier. L'auteur a
tout naturellement éliminé de son travail analytique les poisons
très connus, ceux qui sont d'un usage journalier dans notre
société moderne et qui sont l'objet de monographies nombreuses
(morphine, opium, tabac, cocaïne, etc.). Il a réservé son attention
pour les substances moins connues, et dont l'histoire est éparse de
tous côtés dans les dictionnaires et autres manuels de thérapeu-
tique ou de matière médicale.
Un des points les plus originaux du mémoire est celui qui traite
de l'étiologie des intoxications psychiques. M. Legrain montre que
de tout temps l'homme, à quelque société qu'il appartienne, a
recherché, pour en faire usage, et souvent abus, les substances
excitantes pour son système nerveux. Chaque peuple a son poison
cérébral. Cet empoisonnement volontaire s'étend de quelques indi-
vidus à la collectivité; il devient national, puis ethnique avec
toutes les conséquences désastreuses pour la race (alcoolisme, thé-
baisme, kawaïsme, etc.). Il montre que ce- sont les peuples les
plus civilisés, les plus intellectuels qui, comparativement, fournis-
\
2fi8 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.
sent le plus de victimes aux poisons de l'intelligence. Bien des
considérations intéressantes sont ensuite exposées sur les origines
vraies des empoisonnements collectifs, sur les causes qui poussent
l'homme à rechercher cette satisfaction intellectuelle que lui pro-
curent les excitants artificiels, au détriment même de sa santé
générale, sur la transformation du simple usage en abus. 11 montre
que l'homme a une tendance toute naturelle, toute animale si l'on
peut dire, à rechercher partout son bien-être immédiat, souvent
même aveuglément, sans souci du lendemain.
L'extension du mal réside dans le besoin d'imitation qui mène
les masses; il existe d'autres causes accessoires : les mauvais con-
seils, l'entraînement, les préjugés sociaux, etc.
En face des intoxications dites volontaires, c'est-à-dire consen-
ties, et recherchées par l'homme, M. Legrain place les empoison-
nements accidentels : empoisonnements industriels et profession-
nels (plomb, sulfure de carbone, etc.); thérapeutiques (opium,
iodoforme, etc.) ; empoisonnements engendrés par la pratique de
la vie courante (appareils de chauffage ; aliments de mauvaise
qualité, piqûres d'animaux, etc.); enfin, empoisonnements d'ori-
gine humaine (vicieuse élaboration de la matière ; poisons d'o-
rigine intestinale, ptomaïsme, etc.). Ces derniers faits très impor-
tants ont été bien mis en lumière.
Après une digression sur le mode d'action des poisons sur l'in-
telligence, l'auteur aborde la symptomatologie générale. Tous
produisent un premier degré caractérisé par l'ivresse (ivresse
quinique, chloralique, ergotique, iodique, thébaique, etc.) A
l'ivresse se joignent d'autres troubles intellectuels élémentaires :
état de stimulation, état de dépression, troubles du caractère, de
l'idéation, insomnie ou hypnose, désordres de la mémoire etc.,
enfin des états délirants qui sont ramenés à plusieurs types : le
type maniaque (délire fébrile), le type alcoolique (alcool, datura,
atropine); le type maniaque expansif (benzine, gaz hilarant); le
type mélancolique (kawa, licheguana) ; les formes mixtes et les
états vésaniques (toujours symptomatiques d'une tare cérébrale.)
Les autres phénomènes pathologiques contemporains de l'in-
toxication compléteront cette esquisse; phénomènes généraux (dé-
faillances, syncope, stupeur, coma, céphalalgie, vertiges, etc.) ;
troubles de la motilité (contractures, crampes, convulsions,
spasmes, paralysies de divers ordres); troubles de la sensibilité
pseudesthésies, hypéresthésies, anesthésies, troubles localises dans
les divers sens, etc.).
Ce chapitre, bourré de faits, échappe à l'analyse. L'auteur les
classe méthodiquement et joint toujours l'exemple à renonciation
des phénomènes morbides. C'est la partie du mémoire la plus
utile aux chercheurs.
Un autre chapitre est consacré à la marche, à la durée et à la
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 269
terminaison des empoisonnements psychiques. Enfin l'auteur énu-
mère sous forme d'axiomes très nets les caractères généraux de
ces intoxications.
. Nous n'avons donné qu'une bien faible idée de cet important
travail qui ne comporte pas moins de quatre-vingts pages. La mul-
tiplicité des documents entassés, la méthode employée par l'au-
teur pour apporter la lumière sur son sujet très compliqué, dont on
n'avait pas encore abordé l'étude générale, enfin des considéra-
tions originales intéressant l'hygiéniste, l'anthropologiste et le
philosophe en font un mémoire très instructif et utile il consulter.
C'est un véritable travail d'encyclopédie. Nous espérons que notre
trop courte analyse engagera néanmoins les curieux à lire l'ori-
ginal dont ils tireront le plus sérieux profit. (Annales mtidico-psycho-
logiques, 1891-92). E. BL1N.
XXIII. Combinaison DE l'image photographique DU cerveau ET DE CELLE
du crâne; par R. Sommer. (Centmlblatt f. ifeimenheilk., N. F., II,
- 1891.) -
Pour se rendre compte des rapports exacts des sutures crâniennes
entre elles et des sutures avec les différentes régions du crâne
(étude de l'atrophie cérébrale des paralytiques généraux) l'auteur
photographie le crâne en en précisant la position à l'aide d'appa-
reils spéciaux (appui-tête, fixateur, planimètre réticulaire du cru-
niographe de Rieger) ; il détermine aussi exactement la position de
l'appareil photographique, l'éloignement de l'objectif de l'objet et
du fond de la chambre noire. Pour être sûr du grossissement
obtenu, il photographie un réseau quadrillé de fils gradués par
centimètres carrés. Voici donc le crâne obtenu avec précision par
ce système de coordonnées réelles et de coordonnées optiques.
On l'ouvre à la scie sans le changer de position et on détache les
membranes; on photographie le cerveau in sita avec le même
appareil, dans les mêmes conditions topographiques. Vous avez
donc deux images identiques du cerveau et du contenant. Super-
posant ensuite vos positifs, vous dessinez les sutures craniennes et
les divers accidents normaux et anormaux du crâne sur l'image
cérébrale sous-jacente. Vous obtenez ainsi la projection exacte et
les rapports que vous cherchez'. J. P. E;ERAVAL.
XXIV. UN cas d'atrophie musculaire précoce CHEZ UN hémiplégique ;
par L. DARKSCIIEWITSCII. (Neurol. Centralbl., 1891.)
Hémiplégie droite totale, y compris facial et hypoglosse ; aphasie
motrice complète; cécité verbale, diminution de la sensibilité à
' A comparer avec le cI'(1niomètl'e optique de Bénédikt, voyez Anthro-
pométrie cranioccphalique. Paris, in-8°, 1889.
270 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
droite ; exagération des réflexes tendineux du même côté ; gâtisme.
Quatre semaines plus tard, l'hémiplégie a presque disparu, mais
le deltoïde, le sus et le sous-épineux présentent une atrophie évi-
dente, arthrite de l'épaule; l'atrophie gagne l'avant-bras, la main.
Nouvel ictus. Mort. Autopsie. Dans le corps strié gauche, ancien
foyer de ramollissement occupant la substance blanche de l'insula,
la capsule externe, la branche antérieure de la capsule interne, la
partie antérieure de la branche postérieure de la capsule interne,
le noyau leuticulaire, la tête du noyau caudé, une grande partie
de la substance blanche de la troisième frontale. Foyer récent
dans le corps strié droit. Dégénérescence descendante du pédon-
cule cérébral, occupant le tiers interne de ce dernier, on la suit Il
travers toute la protubérance, dans le bulbe où elle gagne tout le
faisceau pyramidal antérieur et s'étend au faisceau pyramidal laté-
ral sur toute son étendue. Intégrité complète des cornes antérieures
et des racines de la moelle. Intégrité des cornes antérieures et des
nerfs périphériques. Dans les muscles atrophiés, on trouve une
diminution de volume des faisceaux primitifs; la substance inter-
médiaire a proliféré, les noyaux se sont multipliés. Conclusion.
Amyotrophie et arthropathie cérébrales par foyer de ramollis-
sement dans l'hémisphère gauche. P. K.
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE
XIII. Température élevée CHEZ UNE HYSTÉRIQUE.
Je fus appelé pour visiter Mll0E..., le 13 juillet 1891. Elle avait
environ vingt-deux ans; elle était affectée de dysménorrhée, et les
apparences décelaient chez elle des convulsions hystériques. Avec
l'aide des remèdes ordinaires elle fut rétablie et cela au bout de
cinq ou six jours.
Je la revis au mois d'octobre et elle était encore atteinte du
même mal. Après cela, elle se rendit à la campagne, à 8 milles
de là, et commença à faire l'école. Au mois de lévrier, le Dr L...
la vit, et à cette époque elle était dans le même état, quoiqu'il
n'existât chez elle aucun désordre sérieux, selon toutes apparences.
On lui prit sa température et l'on trouva 110° F. (43°3), tempéra-
ture qui se maintint égale pendant trois ou quatre jours, chaque
après-midi. Je fus mandé en consultation vers le cinquième jour.
Je trouvai comme température 108° F. (42°2) et en une heure le
mercure atteignit le sommet de la colonne qui marquait 112° F.
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 271
(44°4). J'avais un bon thermomètre Hicks, certifié par Yale, et le
plaçai sous le bras de la malade, au bout de trois minutes il éclata.
Le D1' L... en avait un semblable qui se cassa en moins de temps.
Nous trouvâmes un thermomètre de Hicks vérifié et marquant
116" F., mais celui-ci également se brisa au bout de quelques mi-
nutes après avoir été placé sous l'aisselle. L'aspect de la malade
était bon et quiconque l'aurait vue aurait dit qu'elle n'avait que
peu de chose. Les selles étaient toujours régulières et normales.
Elle ne se plaignait jamais de rien si ce n'est d'un peu d'engour-
dissement qui la prenait vers une heure de l'après-midi, pendant
iiois ou quatre jours. Elle finit'par souffrir de névralgie faciale. Je
lui fis prendre du salycilate de quinine en tablettes, 5 grains toutes
les trois heures, avec 10. grains, une fois par jour, d'antikammia.
Elle est actuellement rétablie, va partout et se porte aussi bien
que le premier venu. La température est normale.
Six ou huit médecins ont vu le cas, tous ont vérifié cette haute
température, quoiqu'ils fussent au début très sceptiques. Je ne
pourrais dire jusqu'à quel point la température aurait pu monter
puisque 116° F. était le maximum que je pus constater avec mon
thermomètre, le mercure arrivait à ce point et alors l'instrument
éclatait. (The med. Record. 9 avril 1892.)
Il s'agit là d'un cas si exceptionnel que, malgré les dires
de l'auteur et les vérifications faites, on est en droit de se
montrer sceptique.
XIV. UN CAS DE TABES DORSAL TRAUMATIQUE AVEC ULCÉRATIONS PLAN-
TAIRES (mal perforant) simultanées ; par V. HiNzE. (Centralbl. f.
Nervenheilk, N. F. II, 1891.)
A la suite d'une fracture de la jambe gauche, on constate : dis-
parition des réflexes tendineux, analgésie, ralentissement des sen-
sations douloureuses, diminution de l'appréciation du sens de
l'espace, ataxie. Pas de douleurs lancinantes. Ulcérations plantaires
symétriques aux deux pieds avec troubles [de la nutrition. P. K.
XV. UN cas DE POLIOMYI'sLENCFPH.1LITE CHRONIQUE ; par K. SCHAFFER
(Centralbl. f. Nervenheilk, N. F. II, 1891.)
Cas caractérisé par l'atteinte isolée des fonctions motrices du
système nerveux ; paralysie bilatérale de l'oculo-moteur commun,
du pathétique, de l'oculo-moteur externe, du facial, du pneumo-
gastrique, de l'hypoglosse et des noyaux moteurs de l'axe spinal.
Intégrité complète des organes sensoriels. En un mot, lésion de la
substance grise du cerveau et de la moelle (cellules des cornes an-
térieures, noyaux du bulbe et du cerveau moyen); combinaison,
par conséquent, de : a, polioencéphalite supérieure (ophthalmoplé-
272 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
gie nucléaire) ; b, polioencéphalite inférieure (paralysie bulbaire);
c, poliomyélite chronique. Ce qui est très rare, c'est la symétrie et
la bilatéralité des lésions des noyaux nerveux homologues, avec
une telle précision. ~La syphilis étant écartée, la variation dans
l'intensité des phénomènes (blépharophose, force musculaire, ar-
ticulations des labiales), indique une inflammation chronique à
intensité variable. P. K.
XVI. Trépanation POUR LES TUMEURS DU cerveau; par HAYES
AGNEW. (University med. Magaz., oct. 1891.)
Il n'a été fait que cinq opérations pour ces tumeurs par les chi-
rurgiens de Philadelphie.
Dans un cas, c'était un fibroma pesant quatre onces et partant de
la dure-mère, qui n'était pas proprement un'néoplasme cérébral.
Cette opération fut faite par le DrKeen, le 15 décembre 1887,
époque depuis laquelle le malade n'a eu que six attaques d'épilep-
sie. Dans le second cas, opéré également par Keen, la tumeur
était localisée dans le lobe occipital et ne fut pas enlevée, car le
malade mourut le jour suivant à la suite d'une chute et d'une
hémorrhagie. Dans le troisième cas, on ne trouva pas de tumeur,
et dans le quatrième, celui du professeur Wood el le mien, on
découvrit un kyste occupant le cuneus, on en fit l'extirpation. Le
cas dont l'issue fut fatale au bout de trente-six heures fut autopsié,
et l'on trouva un sarcome occupant le lobe temporo-sphénoïdal.
Avant l'opération, on n'avait pas constaté la présence de symptômes
locaux.
Naturellement, ces cas ne sont pas assez nombreux pour me
permettre d'en tirer des conclusions convenables, mais considérés
au point de vue de la littérature du sujet, les résultats des opéra-
tions pour l'extirpation des tumeurs cérébrales, ne peuvent pas
passer pour bien brillants.
11 existe toujours, dans l'état actuel de nos connaissances, un
certain degré d'incertitude sur la nature, l'étendue et l'emplace-
ment exact des néoplasmes intracraniens.
S'ils sont de caractère tuberculeux (et presque la moitié sont de
cette nature, spécialement chez les jeunes sujets), ils tendent à être
multiples, et offrent en conséquence peu d'espoir de succès pour
une opération, comme le prouve l'histoire de divers cas semblables.
Si l'excroissance était un sarcome ou un carcinome, leur étendue,
avec la tendance qu'ils ont à s'infiltrer et à désorganiser le tissu
.environnant le cerveau, rend tous les essais d'extirpation incer-
tains, souvent improbables, et rarement couronnés de succès. Dans
la collection des tumeurs cérébrales de Starr, s'élevant au nombre
de trois cents, dix-neuf seulement auraient pu justifier un essai
d'extirpation.
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 273
Les cas dans lesquels les opérations peuvent courir des chances,
sont des fibromes adhérents à la dure-mère, des kystes et des
gliomes. Je ne veux cependant pas qu'on croit que je cherche à
mettre obstacle aux praticiens qui cultivent cette branche de la
chirurgie. Les succès déjà obtenus à la suite des différentes
opérations faites par des neurologistes et des chirurgiens, peuvent
servir d'encouragement pour des succès futurs encore plus grands.
Tableau n° 8. Opérations pour des tumeurs du cerveau. '
274 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
XVII. DE l'asymétrie du crâne dans LE torticolis ; par H, KURELLA
(Centralbl f. Nervenheilk, N. F. II, 1891.)
Observation montrant qu'une contracture du sterno-cléïdo-mas-
toidien, du trapèze et du splénius du côté gauche, originaire des
premiers mois de la vie, a abaissé le rocher, tiré sur la partie
écailleuse de l'occipital et déplacé en bas et à gauche la moitié
correspondante du crâne. La base du crâne a été entraînée dans
ce mouvement, comme l'indiquent le prognathisme et l'asymétrie
palatine. La compression permanente des vaisseaux englobés dans
la région, a déterminé en même temps une atrophie de la moitié
gauche du crâne. P. K.
XVIII. SUR UNE affection cérébrale PRODUITE FAR la syphilis CONGÉ-
NITALE ; par A. ERLENMEYER. (Centralbl. f. Nenenheilk, N. F., II,
1891.)
Cette affection se produit chez des enfants de douze à seize ans
(cinq observations). Elle ressemble à la paralysie infantile d'ori-
gine cérébrale, moins la paralysie et la contracture qui font tota-
lement défaut. Mais il n'y aurait là qu'une question de degré, ou
plutôt d'étendue de la lésion cérébrale. Dans les deux espèces
morbides, il y a inflammation, la paralysie infantile ordinaire
constituant la forme grave (hémiplégie, convulsions, arrêt de déve-
loppement, contractures), tandis que la forme signalée dans cet
article serait la forme atténuée (ni paralysie, ni contractures). La
première aurait pour facteur la propagation des lésions corticales à
la substance blanche (l'hémiplégie émanant de l'atteinte des fais-
ceaux conducteurs), tandis que dans la seconde, les lésions reste-
raient localisées à l'écorce. x
Quant à l'étiologie syphilitique, c'est une hypothèse permise à
raison de l'obscurité de l'étiologie de cette maladie. Le trauma-
tisme est jusqu'ici la seule cause connue. On a, il est vrai, aussi
attribué la paralysie infantile cérébrale à un germe infectieux,
parce que, parfois, elle est consécutive à la scarlatine. Mais pour-
quoi ne pas admettre que la syphilis congénitale, restée latente
jusqu'à l'époque de la scarlatine, se serait manifestée à l'occasion
d'une maladie fébrile ? 2 P. K.
XIX. UN cas DE. paralysie de BROWN-SÉQUARD ; par A.-E. KJOEH.
(Neurol. Centoalb., 1891.)
Mais il lui manque l'hypéresthésie qui, d'ordinaire, s'installe,
-aussitôt après la lésion, du côté parésié, l'absence du sens muscu-
laire du côté où la moelle est lésée. Le malade n'a que peu de
chose à la vessie et au rectum. D'ailleurs, la maladie remontant à
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 21S
douze années, il n'est pas étonnant que quelques symptômes se
soient effacés. D'ordinaire c'est la paralysie motrice qui disparaît
tandis que l'anesthésie croisée subsiste. L'affection provient d'un
traumatisme ; le patient reçut un coup de poignard à peu près au
milieu du dos, à gauche de laligne médiane. P. K.
XX. DEUX cas DE paralysie générale AIGUE ; par ZACHER.
(Neurol. Ce)t<6., 1891.)
Paralysie générale aiguë (trois et quatre semaines de durée),
sans encéphalite interstitielle. Forme du délire aigu. Inflammation
diffuse de la pie-mère, adhérences circonscrites, granulations épen-
dymaires, hypérémie excessive du cerveau, surtout au niveau de
l'écorce. Atrophie considérable et étendue des fibres, dans le gyrus
rectus et les circonvolutions frontales antérieures. La névroglie est
déjà épaissie; on voit de belles cellules-araignées par groupes ; les
vaisseaux commencent à être touchés. Mais en réalité, c'est l'encé-
phalite parenchymateuse qui domine. P. KERAVAL.
XXI. DE la chorée héréditaire; par E. RE ! ! AK.
(Neurol. Centralbl., 1891.)
06s. I. Chorée héréditaire typique, consécutive à l'épilepsie.
06s.JJ.Athétose progressive bilatérale, constituant une chorée héré-
ditaire atypique. P. K.
XXII. UN cas d'atrophie musculaire par lésion articulaire (ATRO-
PHIE MUSCULAIRE AR11 ! ROl'ATHIQUE); par L. DAIIKSCHEWITSCH. (Nell-
rol. Centralbl., 1891.)
Mort par lésion organique du coeur (artérios-cléroses, rétrécisse-
ment aortique. Nécropsie. Hypertrophie cardiaque excentrique,
dégénérescence graisseuse du myocarde ; endaortite chronique
déformante), oedème pulmonaire, cyanose rénale, foie muscade;
gastro-entérite catarrliale chronique, hypérémie cérébrale, syno-
vite panneuse de l'articulation de l'épaule gauche. Pas d'altération
du système nerveux. Atrophie musculaire simple (étude micros-
copique). P. K.
XXIII. Contribution A L'ÉTIOLOGIE de la paralysie faciale PÉRIPHÉ-
RiQuF; par S. GOLDPLAf. (Neurol. Centralbl., 1891.)
Paralysie faciale périphérique tout au début de la syphilis, à la
période du premier exanthème, alors qu'il ne saurait être question
de gommes, exostoses, etc... Quatre petites observations. Nec
plura. P. K.
276 REVUE DE pathologie NERVEUSE.
- XXIV. DE l'hémianopsie bilatérale D'ORIGINE centrale ; par
A. Groenouw^ (Archiv f. Psychiat., XXIII, 2.)
Une observation personnelle. Etude critique des observations des
auteurs. Analyse extrêmement bien faite.
Conclusion. Quand, dans l'hémianopsie bilatérale, d'origine
centrale, une partie du champ visuel reste conservée, cette partie
contient généralement, sinon toujours, le point de fixation. Les
troubles du sens du lieu, qui se montrent dans les lésions du lobe
occipital, tiennent à la perte d'un grand nombre d'images commé-
moratives des impressions optiques. P. K.
XXV. SUR UN cas DE paralysie PROGRESSIVE CHRONIQUE DES MUSCLES DES
YEUX, associé A UNE amblyopie toxique ; par BOEDEKER. (Archiv f.
Psychiat., XXIII, 2.)
D'abord les accidents sus-désignés du côté de l'oeil, puis accidents
du tabes et de la paralysie générale. On observa ce malade huit
ans. Autopsie : étude microscopique. L'auteur insiste sur l'évo-
tion des symptômes intraoculaires : décoloration des segments
temporaux des papilles; dix-huit mois après, l'ensemble des deux
papilles est altéré ; six mois avant la mort décoloration atrophique
des deux papilles, plus accusée sur les moitiés temporales tandis
que les moitiés internes présentent une réflexion rougeâtre de la
lumière surtout à gauche. Ce n'est donc pas une atrophie tabético-
paralytique ; c'est une amblyopie alcoolicotabétique. La marche
confirme ce diagnostic ; début graduel, amélioration par intervalles
atteinte presque simultanée, symétrique des deux yeux, scotôme
pour le rouge et le vert dans le champ visuel périphériquement
libre, avec diminution d'acuité. Le microscope révèle une névrite
interstitielle ; le tissu conjonctif prolifaré, les noyaux se sont
multipliés, cette hypergenèse affecte la forme d'un coin qui, péné-
trant en arrière de la papille, s'étend plus loin en demi-lune ou en
un ovoïde arrondi. P. K.
XXVI. UN cas DE SCLÉROSE EN plaques cérébrospinale chez l'enfant,
avec remarques SUR LES rapports DE cette affection avec LES
maladies INFECTIEUSES; par A. NOLDA. (Archiv f. Psychiat., XXIII, 2.)
Fillette de neuf ans, sans tares, bien portante jusqu'à sept ans ;
puis démarche parético-spasmodique. A ce moment légère cyphose,
tremblements dans les bras et les jambes, surtout à l'occasion des
mouvements intentionnels, douleur dans les yeux, céphalalgies,
vertiges, ralentissement de la parole, par moments incontinence
d'urine passagère. Intégrité de la sensibilité, de l'intelligence, de
la vue; pas de nystagmus. Depuis le travail d'Unger, il y en a sept
REVUE DE pathologie NERVEUSE. 277 Î
observations dont six par infection. Chez l'enfant, la diphtérite,
la scarlatine, la pneumonie sont en cause. P. K.
XXVII. Contribution A la syphilis DU système nerveux central ET
des psychopathes ; par OEBEKE. (Allg. Zeitsch. f. Psychiat.,
XLVIII, 1-2.)
Sur 320 aliénés, l'auteur en a compté 72, c'est-à-dire 22,5 p. 100
atteints de syphilis certaine, 40 (soit 12,5 p. 100) atteints à la fois
de paralysie générale et de syphilis. La proportion de la syphilis
chez les aliénés ou céréhropathes quelconque est de 22 p. 100; chez
les paralytiques généraux, elle est de 57 p. 100.
Voici maintenant deux observations prises avec le plus grand
soin, analysées individuellement, puis comparativement. La pre-
mière se rattache cliniquement à une syphilis cérébrale certaine,
mais à l'autopsie on ne trouve pas de lésions circonscrites, pas de
foyers limités du cerveau, quoique le malade ait eu deux apo-
plexies terminées par une parésie permanente des extrémités droites
et des troubles de la parole. En revanche, on trouve dans la moelle
de l'inflammation méningée, des exsudats le long* des vaisseaux et
de leurs gaines, de l'hyperplasie de la névroglie qui remonte jus-
qu'à l'encéphale. Le second fait de syphilis cérébrale certaine a été
confirmé par l'autopsie; pachyméningite, altérations de la pie-mère
et des vaisseaux, notamment de la sylvienne, dilatation du ventri-
cule latéral gauche, état granuleux et épaississementdel'épendyme,
atrophie des couches optiques, ramollissement du corps strié
gauche qui a presque disparu, dégénérescence descendante clas-
sique jusqu'au bulbe, voilà le bilan anatomo-pathologique.
Si nous laissons de côté la paralysie générale, nous rencontrons
sur 32 observations personnelles 14 cas de perturbation intellectuelle
en rapport certain avec la syphilis antécédente. Sans doute,
d'autres facteurs entraient également en ligne de compte et sou-
vent de compagnie; tels : l'hérédité, la débilité mentale congé-
nitale, les excès alcooliques, la shok traumatique, des lésions du
crâne, le surmenage physique.
Quant aux formes morbides, si nous établissons deux groupes :
1° le groupe des aliénés qui doivent évidemment la psychopathie à
la syphilis; 2° celui de ceux qui, quoique syphilitiques, ne doivent
pas sûrement leur psychose à la syphilis, voici les proportions que
nous trouvons : .
278 ' REVUE DE pathologie NERVEUSE.
L'évolution, examinée dans les deux groupes, donne :
REVUE DE pathologie NERVEUSE. zig
XXIX. Hémianopsie bilatérale INFÉRIEURE ET autres troubles SEN-
SITIVO-SENSORIELS dans une psychose fonctionnelle; par Hoche.
(Archiv f. Psychiat , XXIII, 1.)
F..., de vingt-sept ans, forte tare héréditaire. Longue dépression
et multiples accidents puerpéraux (fièvre, hémorrhagie intense),
puis troubles de la connaissance et hallucinations sensorielles en
masse ; puis, pendant des mois, dépression mélancolique grave et
soudaine; disparition complète des deux côtés, de toute la moitié
inférieure du champ visuel, limitée par une ligne correspondant,
sur le cadran de Javal, à neuf heures treize minutes; elle voit, dans
ces conditions, les chiffres 10, 11, 12, f, 2 et c'est tout. Devant un
fond clair, elle voit flotter des organites ayant la forme de fleurs
bleues et jaunes, mais dont les parties supérieures seraient coupées
par une ligne; conservation des phosphènes dans le champ visuel
disparu; les espèces d'hallucinations sus-désignées sont vues doubles
quand on place un prisme devant l'oeil, Fond de l'oeil tout à fait
normal. Réaction parfaite des pupilles à l'accommodation et à la
lumière, que l'on fasse tomber les rayons lumineux sur la moitié
supérieure ou inférieure du champ visuel. Pendant plusieurs jours,
la malade voit une demi-tête dont la moitié inférieure invisible
occupe le domaine des apparitions colorées. Diminution de la sen-
sibilité sur toute la surface du corps. Démangeaisons dans les mains
et les pieds. Dysphagie tenant à l'insensibilité des muqueuses.
Intégrité de la molilité et des réflexes. Titube, mais marche les
yeux fermés. Dysaconsie à droite seulement depuis l'âge de quinze
ans; hallucinations auditives unilatérales du côté droit. Disparition
de l'odorat des deux côtés, mais hallucinations désagréables de
l'odorat. Disparition du goût pour les substances sucrées, salées,
acides. Tel est l'ensemble symptomatique qui dure cinq semaines.
Au bout de ce temps, les idées mélancoliques s'évanouissent totale-
ment, mais lacunes de la mémoire pour tout le temps passé à
l'asile jusqu'au début des troubles visuels. Tous' les autres symp-
tômes s'améliorent assez promptement, les hallucinations cessent,
l'appareil visuel reprend son parfait fonctionnement, et, soudain,
la mémoire revient, le poids du corps remonte, la guérison est
effectuée. P. KERAVAL.
XXX. DES états DE sommeil hystérique ET DE LEURS rapports avec
l'hypnotisme ET la ghande hystérie ; par L. LOE\YEi' : FELD. 19'CIt, f.
Psychiat., XXII, 3, et XXIII, 1.)
1° Synonymie : léthargie hystérique, - coma hystérique, - syn-
cope hystérique, apoplexie hystérique, mort apparente hysté-
rique ; 2° historique; 3° caractères d'après cinq observations person-
nelles.
280 . SOCIÉTÉS SAVANTES.
- De cette analyse, l'auteur conclut que la léthargie pure avec
avec flaccidité des membres, et les attaques de sommeil qui com-
prennent tous les éléments de la grande hystérie représentent les
points ultimes d'une série continue de variantes dans lesquelles on
trouve les symptômes de la grande attaque à tous les degrés pos-
sibles, depuis l'esquisse la plus légère de la phase épileptoide jus-
qu'au parfait et complet développement des quatre périodes de
Charcot. Chez une seule et même malade on a rencontré toutes ces
oscillations. Donc, les états de léthargie pure sont les manifestations
du même substratum pathologique que les attaques de sommeil
complexes, exactement comme les formes diverses du petit-mal et
de l'équivalent psycho-épileptique sont les modes de manifestation
de la même névrose qui préside aux attaques d'épilepsie-type.
P. K.
XXXI. Des paralysies OSTÉOM.1LACIQUES; par M. KOEPPEN.
(Archiv f. Psychiat., XXII, 3.)
Chez quatre femmes grosses, l'auteur a observé des manifesta-
lions spinales analogues à celles des véritables osléomalaciques
(accidents parétiques, démarche de la cane, signe de Romberg,
exagération du phénomène du genou, intégrité de la sensibilité
et des fonctions vésicales, douleurs des membres, douleurs en cein-
ture). Dans ces quatre cas, la santé revenait entre les grossesses; à
chaque grossesse, les accidents reparaissaient. Il croit que des
lésions de la substance musculaire président à la paralysie, car
l'impotence due aux douleurs est incapable à elle seule d'expliquer
la paralysie. A côté des symptômes ostéalgiques, il y a quelques
symptômes de nature névritique, ou dérivant de la compression des
troncs nerveux. P. K.
SOCIÉTÉS SAVANTES
CONGRÈS DES MÉDECINS ALIÉNISTES DE FRANCE
ET DES PAYS DE LANGUE FRANÇAISE
troisième SESSION (Blois). - 1 er.6 août 18\)2.
Le troisième Congrès français de médecine mentale s'est ou-
vert le '1 ? août à 3 heures dans la nouvelle salle des séances
de l'hôtel de ville de Blois, sous la présidence provisoire de
. SOCIÉTÉS savantes. 281
M. Théophile Roussel, sénateur, assisté de M. le Dr Dufay,
sénateur de Loir-et-Cher, et de M. Bouchereau, médecin en
chef de l'Asile clinique. M. Sainserre, préfet de Loir-et Cher, a
souhaité d'abord la bienvenue aux membres du Congrès. Puis
M. Bouchereau, président du Comité d'organisation,' remercié
M. le préfet. Les congressistes de France étaient au nombre de
quatre-vingt-trois.
M. Albert Carrier (de Lyon) a lu ensuite un rapport sur le
compte rendu financier du Congrès de Lyon. Puis M. Théophile.
Roussel a été désigné, par acclamation, pour diriger les travaux
du Congrès. Il a remercié, ses collègues de ce grand honneur
et rappelé les progrès considérables de la médecine mentale.
Ont été enfin élus aussi par acclamation : vice-présidents :
MM. Parant (Toulouse), Carrier (Lyon), Giraud (Rouen),
Samuel Garnier (Dijon) ; secrétaire général, M. Doutrebente
(Blois) ; secrétaires des séances, MM. Thivet (Blois), Marie
(Evreux); présidents d'honneur : le préfet de Loir-et-Cher,
le maire de Blois, Calmeil, Delasiauve, llonod, Brouardel,Ball,
Falret, Bouchereau et Dufay, sénateur.
Séance du lundi lor août. - Présidence de M. Tu. ROUSSEL,
Première question : Du délire des négations ; sa valeur
diagnostique et pronostique.
M. Camuset (de Bonneval), rapporteur. L'historique du délire
des négations est des plus restreints et, depuis douze ans; époque à
laquelle parut le premier mémoire de Cotard sur le sujet, on ne peut
réunir sur la matière qu'un petit nombre de travaux dus à Cotardi,
à M. Séglas, des observations isolées (thèse de M. Journiac), si
bien que la question ne semble pas avoir progressé beaucoup.
Pour Cotard, le délire de ? négations est une psychopathie compa-
rable au délire des persécutions de Lasègue. Dans un premier tra-
vail,.il ne considère ce délire hypochondriaque spécial que comme
un symptôme de certains cas graves de mélancolie anxieuse,
devant passer à l'état chronique ; dans son second mémoire plus
complet, il croit devoir isoler décidément cette espèce de lypéma-
nie, qu'il décrit comparativement au délire des persécutions. Le
rapporteur rappelle les principaux symptômes et l'évolution du
délire des négations, d'après Cotard. Au début, on observe sur.
tout de l'hypochondrie morale, tandis que, chez les persécutés, ce
sont des préoccupations hypochondriaques d'ordre physique. Puis,
t
1 Voir Archives de Neurologie.
282 sociétés savantes.
surviennent de l'anxiété, des gémissements, ou bien de la stupeur,
ou des alternatives d'anxiété et de stupeur. Les malades ont un
délire franchement mélancolique avec idées d'indignité, d'incapa-
cité, de culpabilité, de damnation, de possession; les persécutés,
au contraire, rapportent toutes leurs souffrances à des influences
extérieures. Les négateurs se suicident souvent, se mulilent ; à
l'inverse des persécutés, ils deviennent rarement homicides. Ils
sont fréquemment analgésiques : les hallucinations de l'ouïe
manquent souvent ou sont simplement confirmatives des idées
délirantes, en sorte qu'il n'y a pas de dialogue entre eux et leurs
interlocuteurs invisibles; les hallucinations visuelles sont, au con-
traire, fréquentes. A ce moment, l'hypochondrie physique se mani-
feste par des idées de destruction, de non-existence des organes;
certains malades se croients morts, d'autres immortels; et, fait
important à noter, ces derniers gémissent de leur immortalité au
lieu de la considérer comme un privilège; même alors, ils restent
mélancoliques. Les persécutés, à l'inverse des négateurs, présen-
tent d'abord de l'hypochondrie physique, puis de l'hypochondrie
morale. La négation peut porter aussi sur le monde extérieur,
devenir même universelle. Les négateurs présentent encore fré-
quemment de la folie d'opposition, manifestation extérieure de
leur délire. Ils refusent fréquemment les aliments; et ce refus est
alors total, tandis qu'il est partiel chez le persécuté à idées d'empoi-
sonnement. La marche de ce délire est d'abord franchement inter-
mittente, puis continue, pour aboutir à la démence. Il évolue conti-
nuellement sur un tonds d'anxiété qui disparaît avec l'arrivée de la
démence. Dans les périodes avancées, on rencontre un délire pseu-
do-mégalomaniaque qui n'est, en réalité, qu'un délire mélancolique
à rapprocher des idées d'immortalité et que Cotard a désigné du
nom de délire d'énormité. Il faut noter cependant qu'il existe
des cas très rares; il est vrai, où le délire d'énormité se transforme
lui-même en véritable délire des grandeurs.
Dès le début, les négateurs sont d'un caractère timide, taciturne,
scrupuleux ; chez ces prédisposés, le délire des négations peut se
déclarer de plusieurs manières; quelquefois brusquement à l'âge
moyen de la vie, il peut alors évoluer et guérir rapidement, mais
les rechutes sont probables, car ce délire se rattache aux vésanies
d'accès ou intermittentes; par la suite, il s'établit définitivement
sous une forme plus ou moins rémittente. Le plus souvent il n'ap-
paraît qu'au deuxième ou troisième accès de mélancolie. Le pro-
nostic de l'accès est surtout fâcheux quand on voit diminuer l'in-
tensité du trouble mélancolique général avec persistance desidées
délirantes qui se systématisent alors. Les négateurs sont des héré-
ditaires à développement exagéré de ces mêmes qualités morales
dont l'avortement, chez d'autres, explique la vie désordonnée.
Le délire des négations, d'après Cotard, se présente à l'état de
SOCIÉTÉS SAVANTES. 283
simplicité, se rattachant alors aux vésanies intermittentes. Il
peut être symptomatique de paralysie générale; il peut aussi s'as-
socier au délire de persécution. Enfin, il évolue parfois sur un
fonds hystérique. -
Les idées de négation sont l'expression de troubles subjectifs
divers, mais de nature identique : aussi bien que le fonds délirant
soit le même, elles se manifestent sous des formules différentes.
On peut ainsi distinguer : 1° des idées hypocondriaques de néga-
tion, comme celles que 13aillarâer a signalées dans la paralysie
générale. Elles peuvent intéresser la constitution physique ou la
sphère intellectuelle et affective (négation des organes, des facul-
tés, des sentiments); 2° puis il y a des idées de négation extério-
risées, s'adressant au monde extérieur ; 3° et enfin des idées de
négation d'ordre psychique et d'ordre métaphysique. Les malades
nient leur personnalité physique et psychique, ils nient l'âme,
Dieu, le diable, etc.. A côté de ces idées de négation, on doit en
placer d'autres qui ont avec elles une analogie véritable comme les
idées d'énormilé, d'immortalité, de possession, de damnation. C'est
précisément celle combinaison fréquente d'idées hypocondriaques,
de négation, de damnation, d'immortalité qui fut le point de
départ des recherches de Cotard.
Quel est le processus physiologique aboutissant au délire des
négations ? M. Séglas regarde ces idées comme des idées délirantes
secondaires, dépendant de l'altération de la personnalité surve-
nue par le fait de modifications de sa base organique et de la
sphère affective et motrice de la vie psychique. A propos de la
paralysie générale, M. Luys a donné une théorie à peu près
semblable.
Les exemples que Cotard a donnés à l'appui de ses idées sont
parfaits d'analyse psychologique : mais les conclusions sont, dit
M. Camuset, trop absolues. 11 a trop généralisé, le délire des néga-
tions n'est pas une entité. Les idées de négation ne sont pas rares,
mais le type délirant de Cotard avec ses symptômes complets et
l'ordre de succession de ces derniers s'observe rarement. A l'appui
de cette manière de voir, M. Camuset rapporte très succinctement
28 observations de malades ayant présenté des idées de négation :
si quelques-uns se rapprochent ou se confondent avec ceux de
Cotard, d'autres en diffèrent par différents points. Le rapport se
résume dans les conclusions suivantes : . .
1° D'une façon générale, et quelle que soit la forme ou l'inten-
sité de leur affection, les mélancoliques sont négateurs. 11 n'en est
pas de même des persécutés; 2° les idées délirantes de négation,
isolées ou plus ou moins systématisées, se manifestent souvent
dans le cours de la mélancolie avec anxiété et gémissements;
3° dans certains cas de mélancolie avec grande anxiété, on observe
parfois cette association d'idées de négation, de damnation ou de
284 SOCIÉTÉS SAVANTES.
possession et d'immortalité, si bien étudiée par Cotard, mais il
ne semble pas que ces cas aient des caractères assez spécifiques tou-
jours, pour qu'il soit légitime de les réunir en une espèce noso-
logique nouvelle; 4° dans les états mélancoliques, les idées de
négation indiquent un trouble plus profond que celui accusé par
les idées de ruine, d'impuissance et de culpabilité ordinaires ;
mais quand ces idées de négation se manifestent, il ne semble pas
que le pronostic de l'affection en soit beaucoup aggravé. Le pro-
nostic dépend avant tout de l'espèce nosologique sur laquelle se
sont entées les idées délirantes spéciales. C'est ainsi que les vésa-
nies de forme intermittente, avec idées de négation, ne guérissent
pas, alors que certains accès de mélancolie avec angoisse, culpabi-
lité imaginaire, idées de damnation, de possession, de négation,
d'immortalité et de suicide, survenus à l'époque de la ménopause,
parfois à l'époque moyenne de la vie et sous l'influence d'une
cause vulgaire, sont assez souvent curables; 5° il est à remarquer
que la grande majorité des observations recueillies jusqu'à présent
ont trait à des femmes, la mélancolie est du reste plus fréquente
chez la femme que chez l'homme; il est aussi à remarquer que
dans presque toutes les observations que nous avons pu réunir,
quand les antécédents de famille des malades sont connus, la tare
héréditaire de ceux-ci est lourde; 7° dans les folies séniles, de
forme dépressive, on note assez souvent des idées de négation
isolées ou systématiques ; 8° les sujets destinés à devenir négateurs
sont naturellement timides, sombres, taciturnes, quelquefois ils
présentent des syndromes épisodiques de la dégénérescence intel-
lectuelle. Cette proposition ajoutée aux deux propositions qui pré-
cèdent semble indiquer que le délire des négations est l'apanage
des cerveaux invalides; 9° on- observe les idées de négation dans
les états mélancoliques anxieux. ils se combinent alors à des idées
de damnation, de possession ou d'immortalité, et il en résulte un
tabeau clinique particulier : mais bien souvent cette combinaison
délirante est incomplète ou manque complètement, les malades ne
se croient ni possédés ni immortels. On les observe aussi dans la
paralysie générale; nous ne les avons jamais \us dans cette affec-
tion s'accompagner d'idées d'immortalité ni de possession. On les
rencontre enfin dans certains délires hypochondriaques sans anxiété
ni angoisse des débiles intellectuels. Nous avons déjà signalé leur
manifestation dans la folie sénile et démentielle; 10° le délire
hypochondriaque de la paralysie générale, quand il se prolonge,
imprime une rapidité plus grande à la marche de cette affec-
tion.
M. Régis (de Bordeaux). L'histoire du délire des négations
tient tout entière dans quatre travaux de Cotard, corroborés par
M. Séglas. De l'ensemble de ces travaux se dégagent très nette-
ment certaines données qui peuvent être résumées ainsi qu'il suit :
SOCIÉTÉS SAVANTES. 28S
' 1° Il existe un état psychopathique essentiellement caractérisé
par de l'anxiété mélancolique; de l'analgésie; de la propension
au suicide et aux mutilations volontaires; des idées hypochondria-
ques de non-existence et de destruction d'organes, du corps tout
entier, de l'âme, de Dieu; des idées de damnation et de possession ;
des idées de ne pouvoir jamais mourir; état de chronicité spécial
à certaines formes graves de mélancolie anxieuse, intermittente ou
par accès. Cet état psychopathique, appelé par Cotard délire des
négations, du nom d'un de ses éléments principaux, n'a pas été
considéré par lui comme une entité morbide, mais, suivant son
expression, « comme un état psychique propre aux anxieux chroni-
ques ».
2° En dehors de ces variétés de mélancolie anxieuse grave où il
se présente sous une forme simple, concrète et pour ainsi dire
typique, le délire des négations peut, comme l'a fait remarquer
Cotard, s'observer encore dans d'autres maladies mentales, notam-
ment dans la paralysie générale, l'hystérie et certaines aliénations
complexes, tenant à la fois du délire de persécution et de la mélan-
colie. Mais, ici, il se limite le plus souvent à quelques-uns de ses
phénomènes constitutifs, particulièrement aux idées hypochondria-
ques de non-existence ou de destruction générale ou partielle de
l'individu.
C'est en ces termes que peut être résumée l'oeuvre de Cotard. 11
ne semble pas, dans ces conditions, que cette oeuvre ait subi une
atteinte sérieuse de la remarquable étude critique de M. Camuset,
et tout ce qu'on pourrait dire, en se basant sur l'ensemble des
documents rassemblés dans son rapport, c'est que l'idée hypochon-
driaque de négation, comme toutes les idées délirantes, quelles
qu'elles soient, se rencontre plus ou moins fréquemment à titre de
symptôme dans un grand nombre de maladies mentales diverses,
tandis que sous sa forme typique, c'est-à-dire jointe aux autres
éléments du syndrome et compliquant la mélancolie anxieuse
chronique, elle parait beaucoup plus rare.
Rare ou non, et elle l'est peut-être moins qu'il ne nous parait, la
mélancolie anxieuse chronique avec délire des négations n'en
existe pas moins d'une façon certaine. Les observations de Cotard
et celles de AI. Séglas ne peuvent laisser aucun doute à cet égard et
d'autres viendront certainement les confirmer. En voici une absolu-
ment typique.
M. Régis communique ici une observation de mélancolie anxieuse
intermittente, avec délire des négations, qui réalise de la façon la
plus complète la description donnée par Cotard. On y retrouve, en
effet, tous les symptômes indiqués par lui comme appartenant à cet
état psychopathique :
. 1° Anxiété mélancolique; 2° idées de damnation et de posses-
sion (la malade croit qu'elle est le diable ou quelque chose du
286 SOCIÉTÉS SAVANTES.
diable); 3° propension au suicide et aux mutilations volontaires;
4° analgésie; 5° idées hypochondriaques de non-existence ou de
destruction de divers organes, du corps tout entier, de l'âme, de
Dieu (la malade dit qu'elle n'a ni yeux, ni têle, ni cheveux, ni
langue, ni coeur, ni aucun organe; elle est en pierre, en matière
inerte, une statue, espèce de chose ou de saleté); fin idée fixe de ne
pouvoir jamais mourir (la malade croit qu'étant en pierre, en ma-
tière inerte, elle ne mourra jamais, ce qui la désole et fait son
malheur).
M. J. Séglas (de Paris). On ne peut qu'applaudir à la réserve
prudente qu'a observée M. Camuset dans son rapport, car la
question du délire des négations est toujours à l'étude et ne peut
être résolue dans un sens ou dans l'autre d'une façon péremp-
toire.
Le principal reproche fait à Cotard est de s'être montré trop
généralisateur ; le délire des négations n'est pas une entité et, à
côté de cas représentant l'évolution typique de Cotard, M. Camuset
montre qu'il en est d'autres dont le tableau clinique est différent.
Sans aucun doute; mais est-ce une raison suffisante pour y voir
une contradiction aux idées de Cotard. Ces cas différents ne se-
raient-ils pas seulement de simples variations du type décrit par
lui. Le délire des négations représente aujourd'hui ce qu'était
le délire des persécutions du temps de Lasègue, et des recher-
ches ultérieures nous ont permis de distinguer des variétés parm
les délires de persécution qu'il avait décrits en bloc; et la distinc-
tion de ces variétés a fait disparaître les contradictions et les
lacunes de son premier travail. Il importe donc d'établir un
groupement parmi les négateurs, une fois qu'on a reconnu qu'il
existe bien des cas correspondant à la description de Cafard. Tout
d'abord, il peut s'agir de simples idées de négation ou d'un délire
négatif plus ou moins systématisé.
1° Idées de négation. -Elles se rencontrent surtout sous le délire
hypochondriaque de la 'paralysie générale, signalé par Baillarger.
Elles ne sont pas pathognomoniques comme il le croyait; mais
dans ce cas elles revêtent toujours les caractères diagnostics d'ab-
surdité, de mobilité, de diffusion, de contradiction propres aux
délires paralytiques. De plus, ce délire spécial débute alors soudaine-
ment et l'indifférence des malades contraste avec leurs idées hypo-
chondriaques.
Ces mêmes caractères peuvent aussi s'appliquer aux idées de
négations que l'on rencontre dans les délires polymorphes des
faibles d'esprit, ainsi que le prouve une observation que lit M. Sé-
glas. Aussi, pour trancher le diagnostic, les signes pathognomoni-
ques habituels de la paralysie générale peuvent-ils être nécessaires.
Les idées de négation se rencontrent aussi chez les séniles et
SOCIÉTÉS SAVANTES. 87
dans plusieurs circonstances; tantôt en rapport avec la démence
sénile simple, résultat d'amnésies portant le malade à nier ce
dont il ne se souvient plus ; tantôt en rapport avec des phénomènes
démentiels résultant de lésions localisées; tantôt faisant partie de
la symptomatologie d'un accès vésanique à début tardif; elles peu-
vent en ce derniur cas se systématiser et l'on rentre alors dans les
formes habituelles aux individus plus jeunes. Enfin, les idées de
négation ont été signalées aussi dans l'alcoolisme.
2° Délires des négations systématisés. Il ne s'agit plus ici d'épi-
sodes, mais de systèmes délirants : la plupart du temps on a affaire
à des psychoses, et le plus fréquemment à la mélancolie.
A. - Les idées de négation ne sont pas rares chez les mélanco-
liques, mais ces mélancoliques négateurs doivent-ils former une
classe à part ? M. Camuset pense que non, car tous ne présentent
pas la symptomatologie et l'évolution typique des malades de
Colard. Mais vraiment s'ensuit-il qu'ils doivent forcément infirmer
les premiers et dans toutes les maladies n'existe-t-il pas des cas
frustes à côté des typiques ? D'ailleurs les différences de symptoma-
tologie se réduisant surtout à l'absence, tantôt des idées de damna-
tion, ou de possession ou d'immortalité ont-elles l'importance que
semble leur attribuer notre rapporteur. Cotard ne parait pas les
avoir regardées l'une ou l'autre comme nécessaires : certains de ses
malades ne les présentaient pas. Dans son principal travail sur le
délire des négations, il s'attache avant tout à montrer la gradation
qui mène de l'hypochondrie morale au délire des négations en pas-
saut par tous les délires mélancoliques; il insiste sur le grand
caractère d'auto-accusation de ces délires, mais ne met nullement
en relief les idées de damnation. En fait cette idée, simple inter-
prétation donnée par le malade de troubles psychopathiques plus
profonds, n'a pas plus d'importance que l'idée de culpabilité; ce
n'est qu'une étiquette différente due au milieu, à l'éducation. De
même l'idée de possession n'est pas indispensable et l'on peut
même le plus souvent trouver son équivalent. Elle n'est que l'ex-
pression d'un dédoublement de la personnalité, de règle chez le
mélancolique, mais dont les symptômes plus ou moins accentués
peuvent ne pas être interprétés par le malade comme un fait de
possession; mais le fonds est le même. Il n'y a qu'une différence
de degré entre l'idée de possession formulée et la contradiction
intérieure, les « impressions contraires » de certains malades : et
de même entre certains symptômes du délire de possession tels
que l'impulsion verbale et d'autre part l'hallucination verbale
psycho-motrice, très fréquente chez le mélancolique et même la
conversation mentale. L'idée d'immortalité de son côté n'est pas
plus nécessaire au diagnostic de délire des négations que l'idée de
grandeur à celle de délire des persécutions. Elle semble n'être
qu'une idée surajoutée, ne fait pas taire les autres idées délirantes,
288 SOCIÉTÉS SAVANTES.
et comme le délire d'énormité, elle représentait pour Cotard une
période très avancée du délire typique.
D'un autre côté, M. Camuset semble considérer comme contra-
dictoires des cas présentant certaines différences d'évolution, telles
que l'apparition précoce du délire de négation, sa guérison pos-
sible, la venue pêle-mêle des idées délirantes. Ne doit-on pas plutôt
chercher à reconnaître là des variétés dont la cause resterait à dé-
terminer, siégeant peut-être dans une intensité plus ou moins
grande de la tare héréditaire, ainsi qu'il en arrive chez les persé-
cutés pour lesquelles nous distinguons aujourd'hui certaines variétés
différant par l'apparition successive ou simultanée des idées déli-
rantes, par la marche plus ou moins rapide et régulière de l'affec-
tion, etc...
B. Les idées de négation systématisée ne se rencontrent pas
que dans la mélancolie. Cotard les avait déjà trouvées à côté d'idées
de persécution. En Allemagne, Witkowski a décrit une modalité in-
termédiaire à la mélancolie vraie et à la Ven'ttcMett, comprenant
les gens déprimés en permanence, certains négateurs, sceptiques,
damnés, pourris, immortels. Kroepelin décrit une forme qu'il ap-
pelle Wahnsinn depressiver, où l'on rencontre des idées hypochon-
driaques, des idées d'auto-accusation, de culpabilité, de négation,
d'énormilé, de grandeur. Cette forme, produit d'un cerveau peu
valide, est distinguée par l'auteur de la mélancolie vraie, à cause
de l'absence, au début, de phénomènes émotionnels.
Il existe des cas qui, sans rentrer dans ce cadre, nous montrent le
délire des négations systématisé se développant en dehors de la mé-
lancolie avec des caractères tout différents. A l'appui, je citerai le fait
d'une malade de la Salpêtrière. Les premiers symptômes consis-
tèrent dans des troubles de la sensibilité générale et viscérale, des
hallucinations kinesthétiques ou motrices, mais aucun état mélanco-
lique. Puis sont apparues des idées de possession et de négation; la
malade nie tout, elle n'a plus d'organes, plus de pensée, etc.. Tout
cela est le résultat de la magie faite par des prêtres qui la possè-
dent, parlant par sa bouche, voyant par ses yeux. Elle ne cesse de
se plaindre, de réclamer vivement à haute voix et par écrit, de pro-
tester contre sa séquestration, de faire constater l'absence de ses
organes, etc.
Les caractères cliniques de ce délire sont tout à fait différents de
ceux du délire des négations mélancolique. Il n'est plus secondaire
à des troubles émotionnels; au lieu d'être monotone, il est pro-
gressif, sans aucun caractère d'humilité ; la malade ne s'accuse pas,
mais accuse d'autres personnes; elle n'est ni passive, ni résignée,
mais proteste et résiste; son délire, de plus, n'envisage jamais,
l'avenir, mais le passé.
Son délire se rapproche plutôt des délires des persécutés; elle
n'a pas cependant des idées véritables de persécution, mais des
SOCIÉTÉS SAVANTES. 89
idées de possession qui ne sont pas primitives comme les précé-
dentes, mais sont l'interprétation secondaire de désordres halluci-
natoires, tout à faits différents de ceux des persécutés, car elle n'a
que peu d'hallucinations sensorielles, mais surtout des motrices.
Et cela dès le début, alors que chez les persécutés elles ne sur-
viennent en général qu'assez tard. Il en est de même du dédouble-
ment de la personnalité. '
Les idées de négation sont rares chez les persécutés ; s'ils' se
plaignent parfois qu'on détruit leurs organes, qu'on enlève leur
pensée, ils ne tardent pas à rentrer en possession de ce qu'on leur
a pris. Lorsqu'on rencontre chez eux de véritables idées de néga-
tion, on trouve en mème temps des phénomènes assez analogues, à
ceux de l'observation précédente, telles que les hallucinations kines-
thétiques. des impulsions de toute espèce, signes d'un dédouble-
ment de la personnalité et très voisins de l'idée de possession. La
présence de ces symptômes montre qu'ici, comme chez le mélan-
colique, le délire des négations est, comme l'avait dit Cotard, d'ori-
gine psycho-motrice.
3° Le pronostic ne peut être aujourd'hui fixé d'une manière abso-
lue. Les idées de négation hypochondriaque semblent indiquer un
désordre plus profond, car elles sont en rapport avec des modi-
fications de la base organique, première, de la personnalité.
Le délire des négations, dans son ensemble, paraît entrainer un
pronostic grave, mais cependant il est des cas de guérison. Le pour-
quoi de celte différence nous échappe encore et le pronostic doit
s'inspirer surtout de la détermination de l'espèce nosologique et de
la recherche minutieuse de tous les symptômes de l'affection. Il est
à remarquer cependant que l'idée de négation semble être l'apa-
nage de cerveaux invalides, soit congénitalement, soit à la suite de
désordres psychiques antérieurs. On la rencontre dans les mêmes
circonstances que les idées de grandeurs auxquelles elles peuvent
être assimilées au point de vue du pronostic. Nous pouvons, de ce
qui précède, tirer les conclusions suivantes ;
1° En dehors des idées de négation qu'on rencontre par exemple
chez les paralytiques généraux, les faibles d'esprit, les séniles, il y
a des délires de négation systématisés. 2° Il existe dans la science
un nombre suffisant d'exemples de mélancoliques avec délire de
négation systématisé, correspondant au type décrit par Cotard"
et qui dès lors doit être conservé. 3° La présence des idées de
damnation, de possession, d'immortalité même, n'est pas indis-
pensable pour le diagnostic de ce délire de négation, lorsque l'on
peut constater, soit des idées délirantes de même nature mélanco-
lique, soit l'existence de troubles psychiques de même ordre, bien
que moins accentués que ceux dont elles sont l'interprétation.
40 Il existe certainement des cas de mélancolie avec délire des
négations dont l'aspect clinique et l'évolution diffèrent plus ou
Archives, t. XXIV. 19 9
290 SOCIÉTÉS SAVANTES.
moins du délire typique de Colard. Mais ces cas n'infirment pas les
premiers; ils doivent être considérés comme des cas moins com-
plets, frustes, des variations que des recherches ultérieures précise-
ront dans leurs symptômes, leur marche, leur étiologie, ainsi
qu'il a été fait pour-les délires de persécution. 5° Le délire des
négations systématisé peut se rencontrer en dehors de la mélan-
colie, avec des caractères cliniques tout différents. Certains cas
sembleraient constituer des formes de passage entre les états mélan-
coliques et les délires de persécution. 6° Le pronostic du délire de'
négations ne peut être fixé d'une manière absolue, tant qu'on ne
connaîtra pas mieux ses différentes variétés. Tandis que certains
négateurs guérissent, d'autres restent incurables. On ne peut que
s'inspirer, pour le pronostic, de la détermination de l'espèce noso-
logique et aussi de tous les détails particuliers relatifs au malade
et à la maladie. Toutefois, d'une façon générale, on peut dire que
l'idée de négation est toujours le fruit d'un cerveau invalide, soit
congénitalement, soit par le fait de désordres psychiques anté-
rieurs.
M. FALRET (de Paris). J'approuve pour ma part les conclusions
de M. Séglas. Je crois que Cotard, en signalant le délire des néga-
tions, a fait faire un très grand progrès dans l'étude des mélan-
colies, comme Lasègue en décrivant le délire de persécution. Le
délire des négations existe avec une évolution progressive comme
le délire de persécution. Il commence par l'hypocondrie morale
simple; puis apparaissent les phénomènes d'anxiété avec idées de
ruine, culpabilité, indignité, damnation, toutes idées possibles et
acceptables. Plus tard apparaissent des idées de négation absurdes,
et enfin un délire d'énormité, sorte de délire des grandeurs mélan-
colique. Bien que peu commun, ce délire des négations devient
d'autant plus fréquent qu'on examine mieux les malades à ce
point de vue. Il a une évolution naturelle. On doit lui appliquer,
les mêmes distinctions que pour le délire des persécutions ; car, il
côté du délire des négations essentiel, il existe des idées délirantes
de négationqu'on rencontre dans diverses formes mentales. Cotard
lui-même a posé cette distinction et n'a nullement voulu faire une
entité de tous les délires de négation.
Pour le pronostic, le délire de négation est un signe de chronicité,
mais non d'incurabilité absolue. Ce sont les formes intermittentes
qui semblent pouvoir guérir plutôt que les autres.
M. PICHEN01' (d'Auxerre) rapporte une observation d'un cas de
mélancolie anxieuse avec délire des négations et altérations de la
personnalité, et accepte les idées de Cotard.
M. Carrier (de Lyon). Depuis longtemps mon attention est
attirée sur les faits signalés par Cotard et M. Séglas, et je considère
leur appréciation comme absolument légitime et conforme à la
SOCIÉTÉS SAVANTES. 291
vérité clinique. Parmi les mélancolies il est des formes anxieuses,
communes, curables, et d'aulres présentant le tableau clinique de
Cotard, raves, incurables en général, se terminant souvent par
un état de marasme dans lequel meurt le malade. J'ai observé en
1883 quatre cas dece genre. Un fait que j'ai aussi remarqué, c'est
que tandis que les mélancoliques anxieux ordinaires sont le plus
souvent guéris par le traitement opiacé à doses progressives, les
mélancoliques hypochondriaques négateurs ne sont nullement
impressionnés par ce mode de traitement. Ces deux genres de
maladies se distinguent donc par bien des côtés, par l'expression
symptomatique, par l'évolution et par la différence d'action d'un
même traitement. Est-ce assez pour confirmer qu'il s'agit là de
deux maladies distinctes ? Je crois plutôt que le délire des néga-
tions constitue une phase plus avancée de la mélancolie. Dans
tous les cas, cliniquement, on ne saurait les confondre et prati-
quement on doit se comporter différemment dans l'un et l'autre
cas.
M. Charpentier (de Bicêtre). Depuis dix ans j'ai vu un assez
grand nombre de malades qui avaient des idées de négation, mais
je n'eu ai pas rencontré un seul qui répondit au type créé par
Cotard. Je crois que cet auteur a surtout été séduit par le mot et
qu'il a voulu opposer le délire des négations au délire des persé-
cutions.
Pour moi, les faits décrits par Cotard relèvent de l'hypochon-
drie, de la mélancolie anxieuse et du délire des persécutions,
c'est-à-dire de maladies depuis longtemps connues, de telle sorte
que dans la conception de Cotard, il n'y aurait de nouveau que le
mot qu'il lui a consacré.
M. Vallon (de Paris). Comme M. Régis, et contrairement à
M. Camuset, je ne crois pas que Cotard ait eu l'intention d'ériger
le délire de-5 négations en entité morbide distincte, le regardant
seulement comme une phase de l'évolution des mélancolies chro-
niques. D'après ce que j'ai pu observer, celte phase est précédée
d'une autre période qui n'a pas été assez mise en lumière, période
de doute ou de délire d'interrogation, pendant laquelle, avant de
nier l'existence de quelqu'un, de quelque chose, le malade se pose
de= interrogations à ce propos, pour aboutir ensuite à la négation
confirmée. Entre ces deux périodes il y a une phase ou interroga-
tion et négation se confondent. Chez une malade que j'ai observée
la négation portait sur sa propre existence et celle des personnes
présentes, et elle n'émettait de doutes que sur l'existence des per-
sonnes absentes.
M. 111r'TI (de Paris). Cette phase d'interrogation ressemble
assez à ce que Lasègue appelait la mélancolie perplexe.
M. P. Garnier (de Paris) n'a par trouvé dans sa pratique de cas
292 SOCIÉTÉS SAVANTES.
confirmant les vues de Cotard, l'existence d'une forme évolutive
analogue à ce qu'on voit chez certains persécutés. Il y a des idées
de négation et très fréquentes chez les mélancoliques, affirmation
de leur état d'angoisse morale, mais elles ne constituent qu'un
syndrome et non un état nosologique spécial. Je ne peux voir dans
leur apparition une période nouvelle s'étageant sur d'autres anté-
rieures et marquant la chronicité, car souvent on la signale de
très'bonne heure.
M. GiLBeRT-BALLET (de Paris). La question actuelle ne peut
se résoudre théoriquement, mais par des faits. Peu importe de
savoir si Cotard a voulu établir, oui ou non, une entité irréductible.
Les faits qu'il a cités sont-ils assez caractéristiques pour justifier sa
description ? Sans aucun doute, et je suis aussi surpris de le voir
contester aujourd'hui par Garnier, que je l'ai été de voir con-
tester jadis l'existence de cette forme systématique et progressive
du délire des persécutions dont M. Garnier se montrait le défen-
seur convaincu. D'un autre côté, je suis d'accord avec M. Garnier
pour reconnaitre que l'apparition des idées peut être précoce.
C'est ainsi que l'une de mes malades fut prise, en décembre 1891,
de délire mélancolique vulgaire avec idées de ruine, craintes de
supplices, en février survint une période de calme qui ne dura
guère que quinze jours, au bout desquels réapparurent les mêmes
idées mélancoliques du début, mais de plus des idées de négation
typiques qui survinrent au bout de deux mois au plus de maladie.
Si donc il y a des faits où le délire des négations succède à une
longue période de mélancolie anxieuse, il en est d'autres où il sur-
vient plus rapidement. Mais ces cas, quoique de marche différente,
ne sont nullement contradictoires des précédents.
M. ROUUY (de Dôle). Mes observations personnelles me portent
à considérer le délire des négations comme le résultat de troubles
hallucinatoires qui doivent être rattachés à une altération du grand
sympathique.
M. Régis. Cotard lui-même, ainsi que M. Séglas et moi l'avons
fait remarquer tout à l'heure, avait signalé la précocité pos-
sible des ;idées de négation chez les anxieux. Si le type qu'il
décrit est nié, ce n'est guère que par ceux qui n'en ont pas vu
d'exemples.
M. Vallon. Les variations d'évolution qu'on observe chez les
négateurs ne sont peut-être, ainsi que le disait tout à l'heure
M. Séglas, qu'une question de terrain, une plus grande prédisposi-
tion amenant une apparition plus rapide des idées de négation
ainsi qu'il en est pour les idées de grandeur chez les persécutés.
La séance est levée.
SOCIÉTÉS savantes. 293
Séance du 2 août (matin). Présidence DE M. TIr. Roussel.
Deuxième QUESTION : Du secret médical en médecine mentale.
M. L. Thivet (de Blois), rapporteur. En médecine mentale
comme en médecine générale, ou le secret médical est absolu et
général dans tous les cas, ou il est relatif et livré à l'appréciation
de celui qui en est le dépositaire. C'est là que réside tout le débat,
car le principe en lui-même n'est pas.discutable. Le plus simple
pour aborder cette étude est de choisir un certain nombre de cas.
C'est ainsi qu'une question qui se présente le plus fréquemment
et sous des formes les plus diverses au médecin aliéniste est celle
du mariage des aliénés ou de leur descendance. L'aliéné mis en
cause peut être franchement guéri ou dans une intermittence, ou
simplement en rémission mais incurable. Le secret doit-il être
absolu ou relatif ? Pour M. Brouardel, le secret est toujours invio-
lable, la famille même vous eût-elle donné par écrit la liberté de
parler, car une vérité relative ne peut que tromper la personne
qui nous interroge et la vérité absolue va souvent au delà de ce
. que la famille a cru autoriser à dire. Pour d'autres auteurs, le
secret ne peut être absolu, l'intérêt de la race humaine devant
primer celui de l'individu. Dans quelles limites alors sera-t-il
relatif ?
D'autres fois, les deux conjoints étant parfaitement sains, ce sera
sur les ascendants, soupçonnés de folie, que des questions seront
potées. C'est la même question sous une autre forme. Le médecin
qui a eu à traiter les ascendants internés doit-il se taire toujours,
alors que son silence peut susciter l'idée d'un état plus grave que
la réalité, ou celle d'une séquestration arbitraire. Pour Casimir
Pinel, le médecin ne doit pas être le servile observateur d'une dis-
crétion systématique, mais il doit même aller au-devant du
péril dans l'espoir, peut-être chimérique, que la folie deviendra
plus rare et la détérioration de l'espèce moins rapide. Les conseils
bien que dictés par des sentiments supérieurs d'humanité, sont-ils
réellement applicables et en tout cas ne sortirions-nous pas de
notre rôle en nous constituant ainsi et d'emblée gardiens vigilants
de la santé intellectuelle au sein des familles qui ne nous ont rien
demandé.
Une question que nous devons prévoir est celle du secret absolu u
ou relatif vis-à-vis d'un des conjoints, alors que nos déclarations
peuvent permettre à celui qui administre les biens de l'aliéné de
surveiller d'autres intérêts que ceux qui lui sont confiée, de prendre
des déterminations que serait loin de ratifier le malade s'il revenait
à la santé.
. Récemment un médecin de maison de santé encourut une cor.
294 sociétés savantes. .l
damnation pour avoir publié une observation en taisant le nom de
la malade, reconnaissable cependant aux détails donnés sur son
histoire pathologique. Or la plupart des observations cliniques,
pour être complète», utiles, comportent la relation de tous ces
détails. Renoncer la recherche de tous ces éléments d'étude et à
leur publication, ce serait à coup sûr arrêter ou tout au moins
entraver singulièrement les progrès de la psychiatrie. La doctrine
de Pmel établissant une différence entre le secret dû aux malades
internés dans une maison de santé privée ou dans un asile, n'est
évidemment pas soutenable. Quelle sera donc la méthode à suivre
dans la rédaction des observations médicales pour sauvegarder à
la fois les intérêts moraux du malade et l'intérêt scientifique qui
s'attache à la recherche des documents les plus complets ?
Enfin, il serait urgent aussi de fixer les limites dans lesquelles,
tout en respectant la doctrine du secret médical, nous pouvons
donner satisfaction à la curiosité des représentants de la presse,
renseignés d'ailleurs souvent par des intermédiaires leur commu-
niquant nos rapports circonstanciés adressés à l'administration,
ou transportant dans le public des journaux des observations, des
faits de leçons cliniques destinées au seul public médical.
M. Ronux. - 11 n'est pas question ici d'attaquer l'arLicle 378
relatif au secret médical; nous ne nous en plaignons pas et nous
ne demandons pas qu'il soit effacé du Code. En ce qui concerne
son application en médecine mentale, je voudrais seulement
demander s'il a raison d'être appliqué et dans quelles mesures
dans deux circonstances : 1° lorsque vous êtes accusé publique-
ment par le malade de séquestration arbitraire et que vous parlez
pour vous défendre; 2° lorsque les faits que vous relevez ont une
telle notoriété que le secret n'existe plus et que vos paroles ou vos
écrits n'appiennent plus rien à personne. Dans le premier cas,
l'article de loi relatif au secret professionnel n'est pas applicable
ou plutôt ne devait pas être appliqué, car nous sommes en fait en
droit de légitime défense : des faits nombreux, tels que celui du
baron Seillièré, le démontrent pleinement. En l'absence d'un
article 321 qui excuse les blessures et les coups s'ils ont été provo-
qués, il semble que les tribunaux devraient excuser dans une large
mesure des faits analogues dans l'ordre moral. Dans le second cas,
il devrait y avoir des gradations dans l'application de la loi, sui-
vant que le fait est connu de tous, de quelques-uns ou du médecin
seul. '
M. V. Parant (de 'l'oulouse) pense que, pour le médecin aliéniste,
par suite des mesures légales exigeant la production et la consi-
gnation sur divers registres des certificats médicaux, le secret
médical n'existe plus. Ce sera pis encore avec la loi nouvelle qui,
au lieu d'un simple certificat, exige un rapport détaillé. Cepen-
. SOCIÉTÉS SAVANTES. 295
dant, bien que le secret médical n'existe pas pour l'aliéniste, il est
tenu cependant à se conduire comme s'il existait.
M. Gtn : un (de Rouen) présente quelques observations au rapport
présenté au Congrès, qu'il résume dans les conclusions suivantes :
le médecin n'a pas de secret à observer vis-à-vis des personnes dési-
gnées par l'article 4 de la loi de 1838. Il peut toujours et doit
souvent dire toute la vérité aux personnes qui ont placé le malade.
En dehors de ces cas, le secret médical doit être absolu. Le certi-
ficat des causes de décès doit être refusé aux Compagnies d'assu-
rances qui le réclament. Le parquet de Rouen a été d'avis que le
directeur-médecin ne peut pas se dispenser de donner à l'état-civil
le nom de la mère, en cas d'accouchement d'une aliénée, même
s'il s'agit d'une fille mère.
M. VALLON. - Un côté intéressant du secret professionnel est
celui qui a trait à la correspondance des aliénés. Faut-il faire par-
venir indistinctement à leur adresse toutes les lettres écrites par
les malades ? Cela peut avoir des inconvénients pour le malade et
le médecin, car le malade divulgue, sans s'en rendre compte, son
état d'aliénation par ses écrits et peut, une fois guéri, s'en prendre
au médecin qui n'a pas exercé suffisamment la tutelle dont il était
chargé.
M. DouTREBENTE. Pour les observations, on ne doit noter que
les détails absolument nécessaires au point de vue scientifique. Les
certificats ne doivent être communiqués qu'aux personnes prévues
par l'article IV de la loi.
M. Charpentier. Il ne faut pas grossir outre mesure cette
question du secret professionnel. Le secret médical n'est, du reste,
qu'une variété du secret en général qui, lui, n'est qu'une forme du
devoir. Il n'y a vraiment que deux cas dans lesquels la violation du
secret professionnel puisse avoir des conséquences graves : c'est
quand elle est déterminée par un intérêt personnel ou faite dans
l'intention de nuire. En dehors de ces deux circonstances, la vio-
lation du secret ne saurait guère être incriminée; elle est du reste
monnaie courante, et loin de restreindre les cas où il est permis
de violer le secret professionnel, je serais plutôt désireux de les
étendre. Je crois, en effet, que le médecin aliéniste devrait être
autorisé à signaler aux autorités les cas de folie dangereuse dont il
peut avoir connaissance dans l'exercice de sa profession, tout
comme le médecin ordinaire à l'égard des cas de maladie conta-
gieuse.
M. Régis. ' ' En matière de secret médical, on ne peut pas codi-
fier, mais poser seulement des indications générales. J'ai consacré
à ce point un chapitre de la seconde édition de mon Manuel des
maladies mentales. J'ai examiné là la conduite à tenir lorsqu'on
296 SOCIÉTÉS savantes.
est consulté sur les chances d'hérédité de la famille, à propos de
mariage d'aliénés. Lorsqu'on est consulté par les intéressés, la
famille, il n'y a pas de secret médical; si c'est par des étrangers,
il faut se munir d'une autorisation écrite de la famille avant de
parler. Il en est de même lorsqu'on vous demande des renseigne-
ments sur des malades internés dans votre établissement. En ce
qui concerne la correspondance des malades, on doit envoyer les
lettres, à moins qu'elles ne soient insignifiantes, aux personnes
prévues par la loi, et à elles seules. Pour le reste de la correspon-
dance, on doit préalablement s'entendre avec les parents du
malade sur le nom des destinataires qu'elle autorise.
M. P. GARNIER. Il est mauvais que le médecin se fasse lui-même
appréciateur des conditions où il doit parler; et le secret médical
doit être absolu dans toutes les circonstances où la loi l'y oblige.
A propos des observations, on peut ainsi résumer les obligations
du médecin. Scientifiquement, le fait doit être individualisé, mais,
socialement, il faut tout faire pour lui donner un caractère imper-
sonnel. Quant aux* divulgations de la presse, il y a une différence
sensible entre elles et les affirmations d'un homme de l'art.
M. TaIVCT demande à M. Régis ce qu'il entend par la famille du
malade.
M. HÉGOE. - Les seuls parents immédiats.
M. Auguste Voisin (de Paris) se déclare partisan du secret médical
absolu. S'il s'agit d'un mariage, il faut cependant s'arranger pour
en faire comprendre les dangers, s'il y a de l'hérédité. Dans ces
cas, je cherche à provoquer une consultation, deux s'il le faut,
avec le médecin ordinaire de la famille, dans l'esprit de qui cette
démarche sème le doute et sauve la situation. Dans les observations,
on doit dénaturer les noms, les prénoms... pour respecter le secret
médical. Ce ne sont jamais les médecins, mais des membres de
famille en désaccord avec les autres qui divulgent l'état du malade.
Il serait nécessaire que les pouvoirs publics provoquassent des
enquêtes dans ces cas pour établir les responsabilités et poursuivre,
au besoin, les journalistes indiscrets.
M. Riu (d'Orléans), lorsqu'il arrive qu'une malade accouche dans
l'asile et qu'il se trouve obligé de déclarer la naissance, déclare les
père et mère inconnus.
Mardi 2 août (soir). Présidence de M. TH. Roussel.
Troisième QUESTION : Les colonies d'aliénés.
M. Riu, rapporteur, après avoir rappelé le voeu exprimé par le : Congrès de 1889 sur la création de colonies agricoles à proximité
'et non distinctes des asiles, voeu émis à la suite des communications
SOCIÉTÉS SAVANTES. 297
de MM. Baume et Taguet, présente quelques brèves considérations
sur les avantages de ces créations au point de vue du bien-être-
même de l'aliéné soumis à une vie active et régulière, et de l'ex-
tension de l'assistance à un plus grand nombre d'individus par
suite des bénéfices produits par le travail des malades venant
alléger le poids des charges départementales. Il conclut en propo-
sant de voter les deux conclusions suivantes : 1° établissement des
colonies agricoles annexes aux asiles toutes les fois que ce sera
possible; 2° adoption du système d'asiles médico-agricoles com-
posés d'un asile au centre et de fermes agricoles à la périphérie,
partout où les circonstances le permettront, lorsqu'il y aura lieu
de créer un nouvel asile.
M. Féré (de Paris). La tradition enseigne qu'en France le
patronage familial des aliénés et la colonisation ne peuvent pas
être pratiqués dans les mêmes conditions que dans les pays voisins.
J'ai déjà relevé cette erreur. Un des reproches qui ont été faits à
l'assistance dans les familles repose sur la mortalité relative. Dans
la statistique relative à Liernieux, et figurant dans les compte
rendus du Congrès de 1889, il s'est glissé des erreurs rendant la
statistique plus défavorable qu'elle ne l'est en réalité.
M. Pichenot (d'Auxerre) estime que, si l'asile est situé à la cam-
pagne, la colonie doit être annexée; s'il touche à une ville, la
colonie doit être éloignée.
M. CHRISTIAN (de Paris). Nous sommes tous d'accord pour
reconnaître l'utilité du travail agricole pour la santé des malades,
la discipline, l'économie. Mais il existe dans les asiles; ce qui pro-
voque la demande de création de colonies agricoles, c'est l'encom-
brement. Mais cet encombrement n'existe guère qu'à Paris, dont
la population ne fait que s'accroître. Dans les départements, le.
chiffre est forcément limité et le serait encore plus si chaque dépar-
tement avait son asile. Si, dans les asiles, l'encombrement résulte
de la présence d'aliénés chroniques, déments, imbéciles, idiots, ce
sont aussi eux qui sont les travailleurs. Si on les retire de l'asile
pour les placer dans les colonies distinctes, que reslera-t-il dans
les asiles ? les terrains resteront incultes et l'on aura à dépenser
pour établir les colonies. Aussi, je demanderais qu'on votât qu'à
côté des asiles on ne vienne pas créer des colonies annexes, mais
que le travail agricole soit seulement développé dans le plus grand
nombre d'asiles possible. Je voudrais aussi avec M. Bourneville
que nos asiles ressemblent de plus en plus à un hôpital; mais ce
n'est guère là, je le sais, qu'une utopie, car il faudrait supprimer la
législation qui fait de l'aliéné un être à part.
M. Bourneville. La question qui préoccupe à un haut degré
les médecins aliénistes, les conseillers généraux et les administra-
teurs, c'est assurément celle de l'encombrement des asiles. Parmi
298 SOCIÉTÉS SAVANTES.
les moyens qui peuvent y remédier, nous signalons les suivants
sur lesquels nous avons insisté tant de fois :
1° L'admission précoce des malades, c'est-à-dire le plus près pos-
sible du début, ce qui donnerait plus de guérisons et moins d'in-
curables. Les préfets nuisent aux finances départementales et aux
malades en ne secondant pas les médecins, unanimes sur ce point;
2° L'organisation de Sociétés de patronage dans tous les départe-
ments, ce qui éviterait assurément un certain nombre de rechutes
et permettrait de maintenir dans les familles un nombre plus ou
moins grand de malades;
3° Le patronage familial direct, c'est-à-dire l'assistance des aliénés
dans leurs propres familles avec un secours mensuel de 95, 20, 25
ou 30 francs, suivant les ressources de la famille et l'état mental
du malade ;
4° Les colonies agricoles ou mieux le travail horticole et agricole,
donnant aux malades la vie au grand air, avec toute la liberté
compatible avec la sécurité publique ;
5° Le patronage familial indirect, c'est-à-dire l'assistance dans
des familles étrangères aux malades, à l'imitation de ce qui se fait
à Gheel et à Lierneux, en Belgique. C'est ce que le conseil général
de la Seine a décidé de faire à Dun-sur-Auron (Cher), sur la pro-
position de M. Deschamps.
L'annexion de fermes ou, si l'on veut, de terrains donnant aux
malades du travail horticole et agricole parait avoir été réalisée
pour la première fois par Ferrus. En effet, il avait fait annexer à
Bicêtre la ferme de Sainte-Anne ou s'élève aujourd'hui l'Asile
Clinique. Des malades y habitaient; d'autres y étaient envoyés
chaque jour de Bicêtre.
A Bicêtre même, il y avait une vacherie qui donnait de l'occu-
pation aux malades. Elle a été supprimée à peu près complètement,
bien à tort, par M. Brelet, secrétaire général de l'Assistance pu-
blique.
Auzouy, parlant de l'application des aliénés aux travaux agricoles,
l'appelle la « réforme de lerrus a. Renaudiu ' a nettement résumé
notre opinion commune surce point : La création d'une ferme dans
un asile, dit-il, est aujourd'hui un principe passé à l'état d'axiome.
C'est une conquête définitivement acquise... Tout asile bien orga-
nisé doit donc tendre à arrondir son territoire, de manière à
utiliser toutes les forces disponibles. C'est là qu'Esquirol plaçait la
véritable économie, consistant plutôt dans l'emploi judicieux de
toutes les ressources que dans le retranchement arbitraire de quel-
ques centimes dans le prix de journée. »
Des essais d'annexion de fermes aux asiles ont été tentés à
Vaucluse et à Ville Evrard. Ils ont été mal conduits et ont échoué.
' Commentaires medico-adna, sur les asiles d'aliénés, p. 301.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 299
On est en train d'y revenir. Nous avons réclamé l'achat d'un nou-
veau terrain à l'asile de Villejuif. A Bicêtre, on a diminué le do-
maine ; cependant, en dehors des murs de l'hospice (18 hectares), il
y a encore 7 hectares de terrain qui pourraient être utilisés et
affectés au travail des malades, au lieu d'être ensemencés de
céréales et de plantes fourragères. ,
Pour toutes ces raisons, nous voterons le principe des conclu-
sions du rapport de M. le Dr Hiu, parce que ces colonies ou ces
fermes annexées aux asiles, placées sous la direction des médecins
en chef, procurent aux malades des occupations salutaires et
qu'elles leur donnent bien-être et liberté.
La communication de M. Féré nous amène à parler de l'essai qui
va être tenté par le département de la Seine et le conseil général à
Dun-sur-Auron (Cher). En principe, nous sommes partisan de toutes
les réformes, on le sait du reste; cependant, nous avons quelques
remarques à présenter au sujet de la future colonie dont M. Des-
champs a été le promoteur. :
M. Deschamps s'appuie sur ce qui se fait à Gheel en Belgique et
en Ecosse. Relativement à ce dernier pays, il emprunte certains
renseignements au rapport du médecin inspecteur Fraser. Voici
quelques-uns de ces passages :
« Les avantages qui résultent du transfèrement dans des ménages
privés des aliénés tout d'abord traités à l'asile sont :
« 1° La restitution d'un domicile et d'un entourage habituels;
« 2° Une augmentation proportionnelle de contentement (en
même temps qu'une diminution de prix coûtant) ;
« 3° Un bien-être matériel inhérent à la maison privée;
a 4° Une modification heureuse de l'état mental
« Une amélioration de l'état menlal se produit pour la plupart
des cas envoyés de l'asile en famille. Ce changement peut être
attribué à l'influence inhibitoire du milieu ambiant, une fois que le
malade est soumis à des soins particuliers. La société de personnes
saines, l'exemple des nourricier-, la présence des enfants et diffé-
rentes autres choses, tout, de près ou de loin, influe sur son carac-
stère. » , .
Il semble résulter de ces passages que les placements se font au
moins en pallie pour des aliénés qui sont curables. M. Deschamps
nous semble donc s'être trompé en écrivant qu' : « En 1 Ecosse, au
contraire, le placement familial n'est appliqué qu'à des incurables
soigneusement chosis parmi les aliénés trailés dans les asiles;
l'existence d'un centre médical devient alors superflue, les malades
peuvent être disséminés sans inconvénients et, en fait, ils sont ré-
partis dans toute la province, sous la garantie d'inspections
périodiques. »
Voici comment M. Deschamps expose le but poursuivi par le
Conseil général : « Les asiles de la Seine renferment, en et ! et, à
300 SOCIÉTÉS SAVANTES. ·
côté des aliénés dangereux pour eux-mêmes, pour les autres ou
pour l'ordre public, des malades tels que les séniles qui y sont
gardés uniquement parce qu'il n'est pas possible de les laisser
dans la rue, livrés à eux-mêmes, sans famille, sans ressources d'au-
- eune sorte, matérielles ou morales.
« Sur le désir de la 3e commission, l'administration a fait dresser
l'an dernier, à celte époque, un état numérique des aliénés à qui
il suffirait d'un patronage pour pouvoir vivre en liberté.
« De ce travail il résulte que 653 déments, séniles, imbéciles ou
idiots, seraient avantageusement hospitalisés, soit dans des asiles
de vieillards, soit chez des particuliers. Depuis le nombre s'en est
encore accru, ainsi que nous avons pu le constater au cours de notre
dernière visite annuelle. On aura une idée de l'importance du
nombre de ces malades par ce court extrait du dernier rapport
du docteur Magnan, médecin en chef du service de l'Admission :
. « Les déments de cause organique et les séniles sont au nombre
de 766 : 385 hommes et 381 femmes, le cinquième environ des en-
trées. La plupart de ces malades qui, dans les petites localités, à la
campagne, pourraient, sans danger, vivre en liberté, sont dange-
reux à Paris et dans les grandes villes, pour eux-mêmes et pour les
autres, par les actes inconscients qu'ils commettent journellement. Ces
infirmes de l'intelligence ne sont point des aliénés, etc. ».
D'où il suit que les catégories de malades qu'on veut placer à
Dun sont des séniles, des déments, des idiots et des imbéciles.
Sauf les séniles, dont il faudrait faire le portrait clinique et qui ne
devraient pas être admis un instant dans les asiles s'ils ne sont pas
aliénés, les autres sont des aliénés. Ils sont réputés incurables.
Parmi les raisons à l'appui de sa proposition, M. Deschamps
invoque les suivantes : c L'insuffisance des hôpitaux et hospices
actuels, la désinvolture avec laquelle les médecins des établisse-
ments existants se débarrassent sur les asiles des malades gênants,
les résistances de la préfecture de police à recevoir des séniles à la
maison de Nanterre, dès qu'ils sont impotents ou maspropres, sont
les causes de cette augmentation progressive que nous sommes
décidés à enrayer par une interdiction formelle au chef de l'Admis-
sion de ne recevoir désormais aucune personne non aliénée, au sens
légal du mot. Mais cela, c'est l'avenir. »
L'accusation portée contre les médecins des hôpitaux ne nous
paraît pas justifiée. En effet, en 1890, les hôpitaux n'ont envoyé
dans les asiles que 262 aliénés appartenant à toutes les formes de
l'aliénation mentale et, par conséquent, le nombre des séniles est
de minime importance par rapport au chiffre total des admissions,
qui a été durant la même année de 4.461. Ces chiffres ont leur
éloquence. En ce qui concerne Nanterre, on conçoit les résistances
de la Préfecture de police à augmenter l'encombrement dangereux
qui existe dans cette maison où contrairement à tous les principes
SOCIÉTÉS SAVANTES. 301
de l'assistance et de l'hygiène, on accumule, à côté de prisonniers et
de mendiants, des vieillards, des infirmes, des déments, des para-
lytiques des deux sexes, sans compter les enfants. Nanterre nous
reporte à un siècle en arrière. Revenons à la colonie de Dun.
La plupart des malades qu'on veut y envoyer sont des aliénés,
les séniles même sont considérés comme aliénés; c'est le service
des aliénés qui dirige la colonie; c'est à un médecin aliéniste qu'on
veut la confier. Les dépenses sont payées par le budget des aliénés.
Le prix de journée proposé d'abord, 1 fr. 10 pour les hommes et
1 franc pour les femmes, a été trouvé trop faible, on l'a élevé à
1 fr. 25 et 1 fr. 10.
Le prix de journée réel, fixé par l'administration à 1 fr. 71,
sera, dit-on, de 1 fr. 66, en y comprenant les frais de médecin,
de surveillance, de bureau et de transport. Ce chiffre est de beau-
coup supérieur à celui que le département paie dans les asiles des
départements avec lesquels il a des traités et qui a été en moyenne
de 1 fr. 23 en 1890. La colonie de Dun n'offre donc pas un avan-
tage financier sur le placement des aliénés dans les asiles des
départements.
Ce prix de journée n'est pas très éloigné de celui des asiles de
la Seine, 2 fr. 31 et encore moins du prix de journée payé à la
Salpêtrière, 2 fr. 10. Or, nous doutons fort que les familles de Dun
en voyant qu'ils ne peuvent tirer aucun travail des déments, des
séniles, des idiots et des imbéciles qu'on leur enverra, ne cherchent
bientôt à élever le prix de pension. ,
De ce fait et parce que le chiffre annuel fixé pour la vêture sera
dépassé quand les malades déchireront leurs vêtements ou devien-
dront gàteux, nous verrons le prix de journée se rapprocher du
chiffre primitivement fixé à 1 fr. 71.
Les partisans de la colonie de Dun ont invoqué la difficulté
qu'éprouve l'administration à trouver des places nouvelles dans les
asiles de province. S'il en est réellement ainsi, on ne peut qu'en
féliciter les administrations départementales, car cela semblerait
indiquer qu'elles admettent plus facilement qu'autrefois les aliénés
dans leurs asiles*.
Nous avons insisté à diverses reprises sur une ancienne proposi-
tion qui consistait à envoyer ces incurables tranquilles dans leurs
familles en leur accordant un secours mensuel. Ce secours pourrait
être de 25 ou de 30 francs, selon que le malade serait propre ou
gâteux. Ce mode d'assistance est plus économique que celui de la
colonie de Dun; il est plus familial, puisque le malade serait soi-
' En causant avec nos collègues, nous avons appris que M. le D' Brunet
avait offert 50 places aux aliénés du département dans son asile à Évreux-
et que M. Galoppain en avait offert 75 dans son asile de Fains. On ne leur
a envoyé aucun malade. Pourquoi ? Y (B.).
302 SOCIÉTÉS SAVANTES.
gné dans sa propre famille; il est plus républicain puisque le malade
ne serait pas éloigné de son pays, de sa famille, de ses amis et
que nos principes veulent que le malheureux soit assisté à domicile
s'il y a lieu, et dans le cas contraire le plus près possible de son
domicile. -
Nous avions en second lieu proposé, sans grand enthousiasme,
d'essayer le placement - non pas d'aliénés incurables et déments
mais d'aliénés travailleurs chez les cultivateurs des environs de
l'asile de Villejuif et cela sous la surveillance immédiate des méde-
cins et du directeur de cet asile.
Ni l'un ni l'autre de ces éssais, qui ne donnaient pas lieu à des
transferts, mesure barbare, n'a paru attirer l'attention de l'admi-
nistration ; c'était sans doute trop modeste.
Donc, ni au point de vue financier, ni au point de vue adminis-
lralif - car l'administration aura des difficultés de tous genres et
une grande responsabilité; ni au point de vue social, nous ne
trouvons une réelle supériorité dans l'organisation de la colonie
de Dun sur l'organisation actuelle et surtout sur l'organisation
tant de fois préconisée, souvent appliquée, par des médecins alié-
nistes et qui consiste à annexer aux asiles des colonies agricoles
sous la direction du médecin directeur des asiles.
M. Dcscu4urs (de Paris). Il résulte de cette discussion que
nous sommes tous d'accord pour déplorer l'encombrement des
asiles par des sujets incurables. J'ai consulté tous les médecins des
asiles de la Seine à ce sujet : tous ont été unanimes à reconnaître
qu'ils étaient obligés de garder dans leur service, pour ne pas les
mettre sur le pavé, une quantité considérable de séniles, de déments
et d'idiots, dont beaucoup sont inoffensifs et pourraient être placés
sans inconvénients dans des familles de paysans qui, pour une
somme modique, voudraient bien se charger de les nourrir et de
veiller sureux. J'ai saisi de cette question le Conseil général de la
Seine, et il a été décidé après avis favorable du préfet, qu'un pre-
mier placement de cent déments séniles aurait lieu dans une com-
mune du département du Cher.
Nous basant sur ce qui se passe en Belgique, non seulement à
Gheel mais à Lierneux, nous avons le ferme espoir qne cette tenta-
tive réussira, et que peu à peu nous pourrons fonder sur d'autres
points du territoire. des colonies analogues à celles de Dun, et
donner ainsi satisfaction aux nombreux médecins qui désirent voir
remplacés par des curables tous leurs malades incurables'.
M. DENY (de Paris). Au moment où va être tenté en France
' Des renseignements qui ont été donnés publiquement, hors séance,
par un de mes collègues du Congrès, qui connaît très bien les qualités
et les défauts des habitants de Dun, nous font craindre qu'ils ne
répondent pas aux espérances qu'on s'est failes. (B.)
SOCIÉTÉS SAVANTES. ; : \0 : 1 "i
un premier essai de colonie familiale pour les aliénés, j'ai pensé
qu'il y aurait un certain intérêt à jeter un coup d'oeil sur le fonc-
tionnement des asiles actuels et sur les améliorations que la créa-
tion de colonies libres permettra de leur apporter.
J'ai traité dans mon service, depuis cinq ans, 725 malades, sur
lesquels 306 ont été mis en liberté, 141 sont morts et 69 ont été
transférés dans d'autres établissements.
Sur les 306 malades mis en liberté, 227 seulement doivent être
considérés comme étant des cas de guérison, les 79 autres ayant
été réintégrés à l'asile au bout d'un temps plus ou moins long. Le
pourcentage de ces différents chiffres nous donne les résultats sui-
vants : mortalité, 19,43 p. 100; guérison, 31,3 p. 100.
Cette proportion des guérisons n'est pas très élevée, puisqu'elle
équivaut à peine au tiers des malades traités; elle est cependant
supérieure- à la moyenne de celle des asiles français et elle ne
pourra être plus élevée que lorsque ces asiles seront débarrassés du
grand nombre d'incurables qui les encombrent. Il faut remarquer,
en outre, que les services de Bicêtre ne reçoivent guère de malades
aigus, les. aliénés n'y étant pas admis directement, mais seulement t
après avoir fait un séjour plus ou moins prolongé à Sainte-Anne.
Quant aux mesures les plus propres à remédier à l'encombre-
ment des asiles par les sujets incurables, elles ont été assez sou-
vent discutées parles précédents Congrès pour qu'il soit inutile d'y
revenir à nouveau. Je me borne donc à les transcrire ici sous forme
de conclusions :
1° Création de services spéciaux pour les épilepliques, les idiots,
les imbéciles et les déments';
z Création de colonies libres pour ceux de ces différentes caté-
gories d'incurables qui sont inoffensifs.
M. Marie (d'Évreux) lit une note sur le mode de placement et la
répartition en catégories différentes des malades dans les colonies
familiales d'Angleterre, d'Ecosse et de Belgique. Tandis qu'à Gheel
on reçoit directement et indifféremment des aliénés chroniques ou
aigus, en Ecosse le placement n'est, en principe, appliqué qu'à des
chroniques incurables soigneusement choisis parmi les aliénés préa-
lablement traités dans les asiles; le système belge est donc l'ab-
sence de sélection initiale et d'internement proprement dit, alors
que le système écossais n'est que le dernier terme d'une sélection
préalablement faite dans des asiles fermés où le placement initial
précoce est préconisé. '
M. Charpentier. 11 faut désencombrer les asiles : voilà la ques-
tion première qui s'impose. Que cet encombrement résulte de la
' C'est ce que nous avons demandé bien des fois de notre côté. Il s'agit
naturellement des adultes. (B.) «
304. SOCIÉTÉS SAVANTES.
présence dans les asiles de gens qui ne devraient pas y être placés,
que ce soient des vicieux, des ivrognes, des séniles, des idiots, des
épileptiques, peu importe; ce que je retiens, c'est qu'ils gênent par
. leur graud nombre. Peut-on les placer ailleurs dans de meilleures
conditions ? Si oni; acceptons et encourageons de telles propositions,
quelles qu'elles soient et d'où qu'elles viennent. Trois modes de
placement sont à l'étude.
1° Les colonies annexées aux asiles d'aliénés, partout où cela sera
possible sans nécessiter des acquisitions trop onéreuses de vastes
terrains; c'est laproposition de M. Riu;
2° Les placements des aliénés dans leurs familles; c'est le mode
d'assistance auquel M. Bourneville semble donner la préférence; il
est déjà pratiqué dans le département des Ardennes;
3° Les colonies familiales, telles que celle de Dun-sur-Auron, dans
le Cher, qui n'existe encore que sur le papier. Je ne suis pas
opposé à ce mode de placement : je crois seulement qu'on devra
apporter beaucoup de prudence dans la sélection des malades, afin
d'éviter les accidents, et dans la sélection des familles pour ern-
pêcher le surmenage ou l'exploitation possible des aliénés qui leur
seront confiés.
L'expérience seule pourra décider, quand elle aura été suffisam-
ment prolongée, lequel de ces trois modes d'assistance d'aliénés
inoffensifs et incurables donne les meilleurs résultats. Pour le
moment, rien ne s'oppose à. ce qu'ils soient mis tous les trois raz
l'étude.
M. Charpentier ajoute que : « Après la création de l'asile cli-
nique, il restait les vastes terrains à l'ouest de Bicêtre; malheureu-
sement ils ont été pris par les constructions que M. Bourneville a
fait élever pour le service des idiots, en sorte qu'à l'heure actuelle
les ateliers, d'ailleurs insuffisamment organisés, ne peuvent em-
ployer tous les aliénés qui en seraient susceptibles et qu'au dehors
les quelques terrains restant, insuffisants eux aussi pour motiver
l'organisation d'une ferme, sont affermés ou cultivés en dehors de
la participation des malades qui en retireraient un gland béné-
fice.
M. BOUItNEVILLE demande la parole pour rectifier certains points
de la communication précédente. Il rappelle que la section des
enfants a été créée : 1° sur un terrain qui leur appartenait déjà;-
2° sur le jardin du directeur; 3° sur un vaste champ de luzerne
qui n'avait jamais été affecté au travail horticole fait par les alié-
nés. Pour ce qui est de la non-utilisation des aliénés dans les ate-
liers de l'hospice cela tient à ce que les chefs d'atelier et même les
surveillants des services généraux, comme la buanderie, n'ayant
pour la plupart jamais vécu au milieu des aliénés, les renvoient à
la moindre incartade. C'est pour cela que-nous avons demandé
bien des fois que l'on fasse faire à ce personnel un stage dans les
SOCIÉTÉS SAVANTES. 305
services d'aliénés comme infirmiers et infirmières afin de leur
apprendre à mieux connaître les malades et à leur faire supporter
les écarts dus à leur maladie. Il en résulterait un grand bienfait
par les malades qui ne seraient pas désoeuvrés et un bénéfice pour
l'établissement.
Nous signalons enfin de nouveau à nos collègues de Bicêtre la
possibilité d'utiliser pour leurs malades les terrains voisins de l'hos-
pice. Nous avions pensé à demander l'un d'eux pour les enfants de
notre section en mettant un maître jardinier à leur tête, mais jus-
qu'ici, le projet n'a pas eu de suite.
M. le D1' Samuel G,%RNIE11 (de Dijon). Je n'étais pas préparé à
ce débat, mais les opinions qui viennent de se faire jour m'obligent
à sortir de ma réserve. Et d'abord, on confond, ou plutôt on mêle
la question des colonies d'aliénés avec le système d'assistance qu'on
veut inaugurer à Dun-sur-Auron. En ce qui concerne les colonies
agricoles d'aliénés c'est une utopie si vous voulez qu'à cinq ou six
kilomètres de l'asile existant ou à créer, on établisse une ferme
complète dans laquelle vous déverserez vos déments, vos imbéciles,
vos idiots, parce qu'alors il ne vous restera plus rien pour cultiver
votre potager dont les produits dans la plupart des asiles sont
assez considérables, 30,000 francs environ à l'asile de Dijon.
Annexez donc simplement à votre établissement d'aliénés assez de
terrains pour une culture maraîchère intensive, en réunissant tous
vos travailleurs dans un seul pavillon, et cela suffira amplement
pour remplir l'indication du travail en plein air. Quant à la grande
culture proprement dite, je la rejette pour bien des motifs. Elle
exige en premier lieu un travail excessif et aboutit fatalement à
l'exploitation de l'aliéné peu m'importe au profit de qui et
pour moi c'est capital. Faire espérer qu'avec cette grande culture
et ses rendements il en résultera sinon l'exonération complète, du
moins une atténuation notable des charges départementales de
l'assistance, c'est un leurre.
Pour ce qui regarde la conception de M. Deschamps, qui veut
se faire l'importateur du système belge de Gheel, je la crois in-
applicable. Sans doute il veut diminuer l'encombrement fâcheux
des asiles de la Seine, mais, qu'il me permette de le lui dire : vos
nourriciers de Dun qui pour 1 fr. 60 se chargeront de prendre vos
aliénés et doivent leur donner des soins comparables à ceux qu'ils
reçoivent dans les asiles, me semblent tout à fait extraordinaires,
alors qu'en général on sait que les parents font tous leurs efforts pour l'
se débarrasser de leurs aliénés. Donnez donc plutôt à ces parents,
comme le veut M. Bourneville, une subvention journalière qui les
engagera à reprendre leurs malades qui encombrent vos maisons.
Ce sera beaucoup plus moral, d'abord, etplus légal, ensuite, puisque
tout aliéné non guéri, s'il est inoffensif ou paraît tel, peut être
confié à sa famille, si elle le désire. Cette famille devient respon-
Archives, t. XXIV. 20
306 SOCIÉTÉS SAVANTES.
sable des agissements de ce dément incurable, de cet idiot, de cet
imbécile, qui est ainsi replacé dans les conditions de la vie ordi-
naire, tandis qu'à Dun je me figure difficilement ce que seront, au
point de vue de leur situation légale, ces déments que vous ferez
sortir des asiles. Seront-ils des aliénés placés sous la loi de 1838 ?
Non, puisque leur exeat sera signé et qu'alors ils auront reconquis,
pour la plupart leurs droits civils. De quel droit les placerez-vous à
Dun ? Je me demande enfin pourquoi vous les assisterez au nom du
département, puisque, sortis légalement de l'asile, la charge de
leur assistance devient, endroit, exclusivement communale. Toutes
ces questions ne sont pas résolues au préalable toutefois; faites
l'essai qui vous sourit, puisque votre conviction reste entière. Je
souhaiterais même qu'il soit moins négatif qu'à votre école de
réforme d'Yzeure à laquelle vous avez dû renoucer.
M. BOUCHEREAU (de Paris), rappelant l'exemple des institutions
étrangères, considère qu'on ne doit pas accepter tel système à
l'exclusion de tel autre. Les colonisations agricoles n'excluent pas
la colonisation familiale sous toutes ses formes; les différentesmé-
thodes correspondent seulement à des catégories différentes de
malades pour lesquels elles peuvent être appropriées. On ne peut
donc, a priori, condamner une tentative quand celle-ci a réussi
ailleurs, et a pour but d'ajouter un mode d'assistance aux moyens
actuels insuffisants. La seule question discutable est celle des détails
d'application pratique qu'on pourra juger plus ou moins logi-
quement conçus ; la discussion de ces points rentre dans le
domaine administratif; sur ce terrain, M. Deschamps pourrait mieux
répondre.
M. DOUTREBENTE clôt le débat en faisant observer qu'on s'est
quelque peu écarté delà question et qu'on s'est plus préoccupé du
patronage familial d'incurables que des colonies agricoles d'aliénés;
il expose les résultats qu'il a obtenus à l'asile de Blois sur une cul-
ture de 32 hectares; et il signale les domaines considérables qui
entourent certains asiles de la Seine et qu'après des essais trop
vite abandonnés on a loué à des fermiers dont on s'est ensuite
rendu tributaire pour la fourniture de divers produits d'alimenta-
tion. Quant à l'argument qui consiste à dire que la population
parisienne ne produit pas de travailleurs agricoles, il ne faut pas
lui accorder trop d'importance ; le département de la Seine à défaut
de la ville de Paris peut en fournir quelques uns ; et, du reste, il
en a plusieurs exemples à l'asile de Blois, les meilleurs travailleurs
agricoles ne sont pas nés aux champs et n'ont parfois jamais touché
un instrument de culture avant leur entrée à l'asile. Il conclut
donc à la ferme annexée à l'asile. J. Séglas.
La journée du 3 août a été consacrée à la visite de l'asile
d'aliénés et du pensionnat, puis le Congrès a visité une partie
SOCIÉTÉS SAVANTES. 307
de la prison qui a servi autrefois aux aliénés. Enfin il s'est rendu
au château de Blois où a eu lieu la réception du Congrès par la
municipalité à la tête de laquelle étaitM. Guérite, maire de Blois.
La journée du 4 août a été consacrée à la visite des châ-
teaux de Chambord, Cheverny et Beauregard. Cette excursion,
conduite par M. Doutrebente avec une rondeur et une bon-
homie charmantes, a été à la fois très intéressante et très
agréable. Les congressistes ont déjeuné à Chambord.
« MM. Th. Roussel, Doutrebente, le professeur Pierret, Gilbert-
Ballet, Joffroy, dit ['Indépendant de Loir-et-Cher, ont porté divers
toasts pleins descience, d'humour ou de poésie, le dernier à 11m° Sin-
cère qui avait embelli la promenade de sa présence ».
Le soir, un banquet a eu lieu à l'hôtel de Blois où assistaient
outre la plupart des membres du Congrès, M. Sincère, préfet
de Loir-et-Cher, M. Guéritte, maire de Blois, plusieurs méde-
cins de Blois et du département. Au dessert, divers toasts ont
été portés. Nous en empruntons le résumé à l'Imdépendant de
Loir-et-Cher qui a publié un compte-rendu détaillé et très
exact des travaux du Congrès.
« M. Rousse, dit ce journal, a remercié la ville de Blois de son
accueil dont il emportait un souvenir inoubliable. M. le Préfet a
exprimé le regret de voir le Congrès se séparer; mais la satisfac-
tion d'avoir appris à connaître tant de savants; et, répondant à
toutes les légendes de croque-mitaines que fait courir une certaine
presse, il s'est écrié avec une amusante allusion du sous-préfet de
Daudet : « Mais ça n'est pas méchant du tout les aliénistes ! »
M. RITTI, médecin de Charenton, a pris ensuite la parole, et doué,
comme il l'a dit lui-même, de la bosse de la vénération, il a bu aux
absents, à ceux qui ont tracé la voie, et notamment à Calmeil, ce
vieillard de quatre-vingt-quatorze ans, qui s'intéresse encore passion-
nément à la science dans laquelle il a marqué un sillon lumineux.
« Le Dr Riu a ensuite donné rendez-vous aux assistants, à l'asile
d'Orléans et sur les bords du Loiret, cet enfant sans état civil, a-t-il
dit par allusion à un incident de séance, et qui voudrait bien con-
naître son père.
« Le Dr Régis, comme secrétaire général de la Ligue des dames
présentes, a adressé les plus vifs remerciements et porté une santé,
fort applaudie à Mm0 Doutrebente.
« Enfin le Dr Doutrebente a fait l'éloge des asiles de la Seine.
C'était une façon de forcer le Dr BOURNEVILLE, médecin de Bicêtre,
membre de la Commission de surveillance des asiles de la Seine,
308 SOCIÉTÉS SAVANTES.
à prendre la parole. Il s'est exécuté aussitôt et, avec sa grande
compétence, a fait l'éloge des deux établissements qu'il avait visi-
tés, l'asile des aliénés et l'hôpital général, et profilant de l'occasion
cet apôtre delà laïcisation a rendu justice au personnel laïque de
ce dernier établissement, très heureux de pouvoir s'appuyer sur le
témoignage du Dr Ansaloni, qui l'avait accompagné dans sa visite
et assistait au banquet. Et rappelant les progrès accomplis dans le
domaine de l'assistance publique, le Dr Bourneville a bu à la Répu-
blique »
Séance du 5 août (matin). Présidence DE M. GIRAUD (de Rouen).
M. Samuel GARNIER lit une note sur les Retraites des médecins
d'asile. Les conclusions de son mémoire sont votées par le Congrès '.
M. Gilbert Ballet ? Sur les caractères de certaines idées de per-
sécution observés chez les dégénérés à préoccupations hypochondriaques
ou mélancoliques. Depuis le mémoire de Lasègue, les caractères
qui différencient les unes des autres les idées longtemps confondues
ensemble de persécution et de mélancolie ont été précisés avec
netteté. Il est aujourd'hui de notion courante qu'entre le persécuté
et le lypémaniaque, il y a toute la distance qui sépare le coupable
de la victime; tandis que le premier s'en prend au monde extérieur
des tourments dont il souffre, le second s'accuse lui-même; aussi
celui-ci est-il humble et résigné pendant que le persécuté est plus
ordinairement agressif et révolté. Les distinctions fondamentales
ne sauraient être trop mises en lumière; cependant elles ne sont
pas absolument vraies dans tous les cas : il est telle circonstance où
l'idée de persécution nettement caractérisée pourtant s'associe au
sentiment d'humble résignation, de mésestime du moi qui cons-
titue le fond ordinaire des états lypémaniaques. Les persécutés
dont il s'agit, accusent les autres, se plaignent de leurs agissements
et de leurs manoeuvres, comme il convient à des persécutés; mais
ils s'accusent avant tout eux-mêmes; ils ne se dissimulent pas qu'ils
ont fourni le prétexte de la persécution et qu'à eux reviennent les
premiers torts; ce sont des victimes, mais coupables, et non,
comme les persécutés ordinaires, des victimes innocentes. M. Ballet
rapporte cinq faits. Dans le premier, il s'agit d'un individu à tares
dégénératives, chez lequel on avait dû faire l'ablation de l'un des
testicules, au cours d'une opération de cure radicale de hernie.
Or, depuis cette opération, le malade présente des idées de persé-
cution. Il est convaincu que ses camarades, dans son bureau, ses
collègues, sur les différents points du réseau de la compagnie de
' Voir le compte rendu du Congrès de Rouen (Archives de Nei42-o-
logie, 1890).
SOCIÉTÉS SAVANTES. 309
chemin de fer à laquelle il est attaché, sont au courant de son
infirmité. On chuchote autour de lui, on le regarde d'une façon
très significative. Il a entendu un jour un de ses camarades dire,
en passant près de lui : « Oh ! tu es un eunuque. » Maintes fois on
l'a appelé vieux testicule. Il y a eu, au régiment caserné dans la
ville qu'il habite, une affaire de pédérastie. En diverses circons-
tances, on a fait devant lui allusion à cette affaire, on a murmuré
en passant près de lui : « Tiens, tu es comme ça. » Ce sont bien
là des idées de persécution avec les interprétations délirantes, les
hallucinations auditives, qui accompagnent ces idées d'ordinaire.
Eh bien, ce persécuté, qui ressemble par la physionomie générale
de son délire à tous les persécutés, s'en distingue cependant par
un caractère de premier ordre. C'est à peine s'il en veut à ses per-
sécuteurs. Il ne serait pas impossible qu'il les menaçât ou les
frappât, mais, s'il le faisait, ce serait plutôt sous l'influence d'un
mouvement passager d'impatience ou d'emportement que pour
satisfaire un sentiment de vengeance. Les persécuteurs ne sont pas
ses ennemis, « ils n'ont aucune inimitié contre lui ». Alors pour-
quoi le poursuivent-ils de leurs obsessions ? C'est à cause de l'infir-
mité dont il est atteint, infirmité réelle qui, chez un dégénéré
comme il l'est, a été le point de départ d'un échafaudage d'idées
morbides. Cet homme est désireux de se faire mettre un testicule
artificiel; cette idée l'obsède. « Quand j'aurai mon faux testicule,
dit-il, il suffira que je dise à un de mes amis : ce qu'on dit n'est
pas vrai, pour que mon ami le répéte. Et alors mes ennemis actuels,
qui n'ont aucune inimitié contre moi, seront enchantés de la chose. »
Cette dernière phrase peint très bien les idées de persécution
observées chez ce malade; elle montre ces idées à cheval, d'une
part sur l'idée de persécution telle qu'on l'objet ve couramment,
d'autre part, sur l'idée mélancolique ou plutôt hypochondriaque.
L'individu dont il s'agit se plaint des autres, sans doute, mais il se
plaint surtout de son infirmité. On le persécute, c'est vrai, mais
cette persécution a un motif que le malade reconnaît et dont il exa-
gère considérablement l'importance.
Il s'agit là, on le voit, d'un délire de persécution ayant pour point
de départ une idée hypochondriaque et ajoutant à ce point de
départ certains caractères spéciaux. M. Gilbert Ballet rapporte
quatre autres faits du même ordre. Il est ainsi amené à formuler
les conclusions suivantes : Je n'ai pas eu pour but de faire ressortir
la relation qui relie souvent aux idées hypochondriaques les idées
de persécution. J'ai voulu montrer dit-il, qu'à côté des hypochon-
driaques qui deviennent des persécutés vulgaires, il en est chez
lesquels les idées de persécution offrent des caractères un peu
spéciaux. J'ai cherché d'ailleurs à établir que les idées de persé-
cution à physionomie anormale se rencontrent aussi dans certains
états de dépression mélancolique. Je pense même que s'il était
310 SOCIÉTÉS SAVANTES.
possible plus souvent d'analyser avec précision les caractères que
l'idée de persécution a, quand elle surgit an cours de la mélan-
colie, on constaterait probablement que d'ordinaire elle affecte la
physionomie de celle dont j'ai parlé.
Cette physionomie s'explique par la nature du trouble fonda-
mental d'où l'idée de persécution dérive et qu'elle accompagne.
Les individus que poursuit l'obsession d'une infirmité dégradante
ou d'une culpabilité imaginaire, ne peuvent être que ce qu'ils sont,
des honteux ou des humbles. Sans doute ils n'ont pas toujours la
résignation passive du mélancolique vulgaire, mais ils n'ont pas
non plus les colères et les haines des persécutés ordinaires. Ils
n'acceptent pas de gaieté de coeur et sans protestation les taqui-
neries qu'on leur fait subir, mais tout en protestant ils semblent
reconnaitre que les taquineries sont méritées et dans une certaine
mesure légitimes.
Ces idées de persécution survenant chez des dégénérés ont de la
tendance à affecter la marche rémittente qu'ont d'ordinaire les
troubles mentaux chez ces malades. Leur évolution parait intime-
ment liée d'ailleurs à celle du trouble fondamental (hypochon-
driaque ou mélancolique) qui leur a donné naissance : transitoires
et rémittentes quand l'idée hypochondriaque est susceptible de
rémissions, plus tenaces quand la conviction maladive première
est elle-même plus durable.
M. RITTI (de Paris) rappelle que plusieurs auteurs ont déjà établi
que les malformations diverses des organes génitaux sont très sou-
vent l'origine de préoccupations hypochondriaques se transfor-
mant plus tard en idées de persécution. A partir de ce moment, les
cas évoluent comme un délire de persécution vulgaire.
' M. Ballet répond qu'il n'ignore pas cela et que le but principal
de son travail a été de mettre en relief le caractère particulier des
idées de persécution de quelques-uns de ces malades. '
M. Régis demande si, chez les persécutés qui tiennent à la fois et
des mélancoliques et des persécutés, on noie des tentatives de sui-
cide, contrairement il ce qui se passe chez les persécutés vrais, le
plus souvent portés à l'homicide.
M. Ballet. Un de mes malades a fait une tentative de sui-
cide.
M. SÉGLAS. Le point le plus intéressant de la communication
de M. Ballet est la nature particulière des idées de persécution de
ses malades. On ne les rencontre guère sous cette forme que dans
les délires liés à la mélancolie et c'est là un point signalé déjà par
quelques auteurs, entre autres Schuele, et sur lequel j'ai insisté
pour ma part dans différentes publications. Les idées de persécu-
tion qu'on trouve chez les mélancoliques délirants ne sont pas des'
dées de persécution vraies. Au lieu de reposer sur un fonds d'or-
SOCIÉTÉS SAVANTES. 311
gueil, elles reposent sur le fonds d'humilité particulière aux idées
mélancoliques, elles sont empreintes aussi de ce caractère particu-
lier de résignation qui leur est propre, car le malade trouve ces
persécutions justifiées par son indignité, et cette étiquette de per-
sécution que revêt le délire ne l'empêche pas d'être toujours et
avant tout un auto-accusateur. Or, les malades de M. Ballet ont
des idées de persécution absolument semblables et cependant ils
ne présentent aucun symptôme de mélancolie; les troubles émo-
tionnels et abouliques du début, qui sont la base du délire, ont ici
complètement fait défaut. Au contraire, l'évolution des cas qu'il
rapporte se rapproche de celle qu'on observe chez les persécutés
par l'apparition primitive du délire, sans troubles émotionnels ou
volontaires préalables. Nous ne dirons pas que ces malades sont à
la fois mélancoliques et persécutés : ce sont de simples faits de
transition. Si les caractères des idées de persécution sont ceux des
idées de même nature chez le mélancolique, l'ensemble de la
maladie, l'évolution fait ces cas beaucoup plus voisins des délires
ordinaires de persécution.
J'ai observé un cas, sinon tout à fait semblable, au moins com-
parable, celui d'une femme qui, après une période d'accidents
neurasthéniques et dyspeptiques très marqués, fut prise subitement
d'idées délirantes de persécution, reposant sur un fonds d'humilité
qui lui faisait dire que si on la poursuivait, si on la regardait de
travers, c'est qu'elle avait tout mal fait, qu'elle avait tous les
défauts, qu'elle n'avait pas rempli ses devoirs.
Cette idée de persécution était, en somme, celle des mélanco-
liques, bien que la malade n'eût jamais présenté aucun symptôme
de mélancolie; sauf cela, l'aspect général, la marche de la maladie,
l'eussent fait considérer comme atteinte d'une des variétés de
délires de persécution que nous rencontrons habituellement.
Il était chez elle encore quelques particularités importantes à
signaler, parce qu'elles dénotaient la présence de ce même terrain
psychopathique, signalé par M. Ballet dans ses observations.
D'abord la malade était une émotive au plus haut point : ses idées
délirantes étaient très rémittentes, se présentant par bouffées d'une
durée plus ou moins longue. Les idées étaient presque toujours
conscientes chez elle, mais cependant tout en les jugeant déraison-
nables, elle ne pouvait les dominer; enfin, elles s'accompagnaient
toujours et surtout dans les paroxysmes d'un état d'angoisse très
prononcé. J'ajouterai que les crises délirantes étaient toujours chez
elle en rapport avec une aggravation des désordres neurasthé-
niques et dyspeptiques, ces derniers étant toujours les plus mar-
qués, et que nous vîmes les troubles intellectuels s'atténuer d'une
façon considérable, des rémissions se prolonger sous l'influence
d'une thérapeutique et d'une hygiène appropriées, s'adressant sur-
tout aux troubles des fonctions digestives.
312 ruz) SOCIÉTÉS SAVANTES.
M. F. RAYMOND (de Paris) lit un travail sur les troubles délirants
du goitre exophtalmique dans leurs rapports avec la dégénérescence,
et se résume de la façon suivante : les troubles psychiques de la
maladie de Basedow ne font point partie intégrante de l'affection.
Ils n'ont rien de spécifique et peuvent revêtir toutes les formes.
Ils relèvent en réalité de l'association au goitre de psychoses dis-
tinctes et autonomes. Il y a lieu, croyons-nous, d'opérer le dénom-
brement de ces symptômes psychiques au profit des espèces mor-
bides auxquelles ils doivent être restitués. Une certaine partie a pu
être rattachée à la neurasthénie, à l'hystérie, à l'épilepsie, à la
manie, à la mélancolie, au délire hallucinatoire, au délire alcoo-
lique, etc... Un groupe important est étroitement lié à la dégéné-
rescence mentale que démontrent les antécédents héréditaires
psychopathiques des malades, leur état mental antérieur (déséqui-
libration), leurs stigmates physiques ou psychiques (obsessions et
impulsions), enfin la forme de leurs accès délirants. L'association
de la maladie de Basedow avec la dégénérescence mentale n'est
pas une coïncidence; elle s'explique par les tares héréditaires dont
relèvent les deux ordres de faits. C'est un exemple de la loi de
coexistence simultanée des névroses et des psychoses, et de leur
évolution parallèle et indépendante. La diathèse psychopathique
peut se révéler par l'éclosion d'un délire, soit au cours du goitre
exophtalmique, soit bien antérieurement à son début, ou encore
bien postérieurement à sa guérison, soit enfin successivement dans
les différentes conditions. Le choc moral qui provoque la maladie
de Basedow peut réveiller simultanément les aptitudes délirantes
du sujet. Dans certains cas, le goitre exophtalmique lui-même agit,
chez un prédisposé, pour faire éclore les troubles psychiques au
même titre qu'une cause occasionnelle banale quelconque. Le
goitre exophtalmique est une névrose buibo-protubérantieile, cons-
tituée par l'exagération et la permanence des phénomènes physio-
logiques de l'émotion. C'est une anomalie psychique, l'émotivité
qui est à la base de la maladie. Celle-ci n'est souvent qu'un cas
particulier des troubles fonctionnels qui, chez les dégénérés,
frappent tel ou tel groupe des centres corticaux (psychiques,
psycho-moteurs, sensoriels, sensitifs), bulbaires ou spinaux. Il s'agit,
dans l'espèce, d'une véritable déséquilibration des centres vaso-
moteurs qui coexiste souvent avec des troubles analogues du côté
des autres centres de l'axe cérébro-spinal.
Discussion : M. Joffroy (de Paris) ne nie pas la prédisposition
héréditaire dont l'existence se manifeste sous l'influence de la
maladie de Basedow. Ce fait est commun à bien d'autres cas; mais
ici il y a quelque chose de particulier. La maladie de Basedow
dépend d'altérations du corps thyroïde. Or, toutes les fois que cet
organe est atteint, il y a des troubles mentaux, témoins les crétins,
les myxoedémateux. La maladie de Basedow joue donc, même
SOCIÉTÉS SAVANTES. 313
chez les prédisposés, une influence considérable sur l'éclosion des
troubles délirants par suite de l'intoxication qui résulte de l'altéra-
tion des fonctions du corps thyroïde.
M. RAYMOND ne nie pas que, comme cause occasionnelle, la ma-
ladie de Basedow ne puisse avoir une grande influence ; mais son
rôle se borne là, elle ne crée pas les formes du délire qui sont celles
habituelles aux aliénés, dégénérés héréditaires.
M. JOI'FROY (de Paris) rapporte l'observation d'une malade syphi-
litique atteinte de paralysie générale, ayant présenté de l'atrophie
musculaire, et venant à ce point de vue s'ajouter à une série d'au-
tres (Gullière, Westphal, Magnan, Voisin, Hanot, Liouville, Bail). Ce
casse présente dans des conditions de netteté qui ne laissent aucun
doute sur le mécanisme de l'atrophie musculaire. Elle se développe
suivant le procédé des myopathies spinales avec altération primi-
tive des grandes cellules motrices de la substance grise des cornes
antérieures comme dans la paralysie infantile, ou plus justement
comme la sclérose latérale amyotrophique, avec absence presque
complète de sclérose des faisceaux blancs.
Au point de vue des lésions cérébrales, les vaisseaux sont peu
enflammés, les gaines vasculaires très dilatées et il semble que l'on
ait sous les yeux le résultat de réplétions fréquentes prolougées
des vaisseaux, de congestions répétées, n'ayant que peu retenti sur
la structure des parois, non plus que sur celle,de la névroglie où
l'encéphalite interstitielle est réellement fort peu accusée. Dans un
cas semblable, la théorie de l'étouffement de M. Luys n'est pas
acceptable, pas plus que le résultat du trouble de la nutrition pro-
duit par la lésion vasculaire et l'on doit en venir à la théorie de
l'encéphalite parenchymateuse, de la lésion primitive des cellules
nerveuses. Il est à remarquer que, dans ce cas, on rencontre la
lésion dans l'encéphale dans les grandes comme dans les petites
cellules et que dans la moelle, si la lésion atrophique était prédo-
minante à la région cervicale dans la corne antérieure gauche de la
substance grise, on la rencontrait aussi, quoiqu'à un moindre
degré, dans la corne antérieure droite ainsi que dans les cornes
postérieures. De sorte que dans la moelle ainsi que dans le cerveau
toutes les cellules nerveuses, grandes et petites, psychiques, mo-
trices, sensitives ou autres, sont atteintes primitivement par une
altération qui tond à les atrophier. Nous nous trouvons donc en
présence d'une maladie cérébro-spinale, qui dans la moelle
comme dans le cerveau, dans toute la longueur de l'axe cérébro-
spinal, est essentiellement caractérisée par une altération primi-
tive des cellules nerveuses. Cette conclusion s'impose d'autant plus
que dans l'observation annexée les cordons latéraux sont restés
absolument sains et qu'on ne peut alors subordonner les altérations
de la moelle épinière à celles du cerveau. Cette façon de com-
314 SOCIÉTÉS SAVANTES.
prendre la paralysie générale tend à en faire une variété des atro-
phies chroniques des cellules nerveuses comme la sclérose latérale
amyotrophique.
Discussion : M. Raymond se déclare prêt à se ranger à la théorie
parenchymateuse de la paralysie générale et demande à M. Joffroy
quelques explications complémentaires sur les détails de l'examen
microscopique.
M. MORDREZ (du Mans) a observé récemment un cas de paralysie
générale sans lésions macroscopiques.
M. DoUTRrBENTF,. Le cas que AI. Joffroy vient de rapporter est-il
un cas de paralysie générale type ou de syphilis cérébrale ?
M. JOFF&oY. La syphilis n'est pas en cause dans les lésions ana-
tomiques que je viens de décrire. Que les malades aient ou non
des antécédents syphilitiques, cela n'influe pas sur la forme de la
paralysie générale. Il n'y a pas de paralysie générale de nature,
mais d'origine syphilitique; la syphilis est une simple cause prédis-
posante. La vraie paralysie générale est celle qui répond au type
anatomique que je viens de décrire.
M. PIERRIET (de Lyon). Rapports de la paralysie générale et des
tabès. Je cherche, depuis de longues années, à établir que les
maladies du cerveau et les maladies de la moelle sont toujours
séparées à tort et à prouver que les phénomènes réputés psychi-
ques obéissent aux mêmes lois que les phénomènes sensitifs ou
moteurs.
Au point de vue pathologique et en faisant la synthèse si néces-
saire des fonctions du cerveau, sans en excepter la pensée, on
peut ne considérer que deux grandes maladies. celle du système
centripète de réception, celle du système centrifuge, d'expression.
Il est une maladie que j'ai montré intéresser tous les éléments
du système sensitif : C'est le tabes. Ces malades, disaient les
neurologistes, ne sont jamais fous. Cette erreur fut réfutée surtout
par \1'estphal et Baillarger. Ce dernier a démontré que les tabéti-
ques ont des troubles psychiques semblables à ceux qui caracté-
risent encore la paralysie générale; il avait signalé que les paraly-
tiques généraux pouvaient avoir des délires qui pussentabsolument
disparaitre. D'autre part, j'ai signalé autrefois des points d'atrophie
(encéphalite scléreuse) sur le cortex de tabétiques«qui n'ont pas de
délire, lésion qui a été retrouvée depuis Jendrassik.
La forme délirante vraiment caractéristique du tabès est un délire
de persécution avec agitation maniaque fondée sur des interpréta-
tions délirantes des douleurs dues au labes, c'est-à-dire non sur des
hallucinations, mais sur des phénomènes sensitifs et sensoriels indis-
cutables. De plus, de temps en temps, les malades prennent des
poussées de délire mégalomoniaque accompagné de phénomènes
SOCIÉTÉS SAVANTES. 315
moteurs, tremblement*, trouble de la station ; ces malades devien-
nent déments et l'on retrouve encore alors chez eux des traces de
l'ancien délire.
D'autre part, la forme de trouble mental qui accompagne la
forme de sclérose systématique intéressant tout le système psycho-
moteur, c'est la démence paralytique pure, la paralysie générale
sans délire. Les malades qui en sont atteints ne sont, à vrai dire,
ni mégalomaniaques, ni mélancoliques, ce sont des déments mo-
teurs chez lesquels la pensée ne peut pour ainsi dire plus se mani-
fester par l'une quelconque de ses expressions motrices.
Les deux formes cliniques que je viens de décrire ont été jusqu'à
présent confondues dans le cadre de la paralysie générale due à des
lésions diffuses d'emblée, mais il me parait nécessaire de les décrire
à part désormais.
M. le Dr Ch. Vallon présente une note sur un cas de paralysie
générale vraie consécutive à une encéphalopathie saturnine. Il 11
s'acit d'un homme de trente-deux ans, ouvrier plombier, sans
antécédents héréditaires, qui, il la suite d'une encéphalopathie
saturnine, a présenté les symptômes d'une paralysie générale à la
dernière période. Au bout de quelques mois, les signes du satur-
nisme avaient disparu, il s'était produit également une rémission
complète de la paralysie générale. A s'en tenir à cette première
partie de l'histoire du malade on se trouverait en face'd'un de ces
faits qui ont été décrits sous le nom de pseudo-paralysie générale
saturnine. En effet, on a donné comme caractérisant cette affection
la marche parallèle vers la guérison de l'intoxication et de la
pseudo-paralysie générale elle-même. Si donc mon' malade avait
été repris par sa famille à ce moment, on aurait pu le croire guéri
et de ce fait le considérer comme ayant été atteint d'une pseudo-
paralysie saturnine. Presque toutes les observations publiées sous
le nom de pseudo-paralysie saturnine ne sont que des observations
incomplètes, une page de l'histoire d'un malade et non pas l'his-
toire tout entière.
Après cette rémission de deux mois, tous les symptômes de la
paralysie générale se sont montrés de nouveau. La maladie a suivi
la marche ordinaire de la paralysie générale pour aboutir au ma-
rasme paralytique et à la mort. L'autopsie a montré dans le cer-
veau les lésions très nettes et très accusées qui sont considérées
comme caractéristiques dans la paralysie générale. A mon avis, la
pseudo-paralysie saturnine ne saurait être considérée comme une
entité morbide distincte, mais comme une simple période de l'évo-
lution du saturnisme vers la paralysie générale. On ne peut ad-
mettre le terme de pseudo-paralysie qu'à la condition de le consi-
dérer comme l'expression d'un diagnostic p;-ovisoi-e.
M. Mégis. L'observation de M. Vallon n'est pas une observa-
316 SOCIÉTÉS SAVANTES.
tion de pseudo-paralysie générale saturnine. La vraie paralysie
générale est progressive et ne présente que des rémissions simples,
tandis que dans la pseudo-paralysie générale saturnine on a affaire
aune véritable régression. M. Vallon a dit que ces pseudo-paraly-
tiques ne sont que rémittents et que les malades ne sont pas suivis
assez longtemps; or un de mes malades a été observé pendant
huit ans.
M. Vallon. Aucun des cas de pseudo-paralysie générale pu-
bliés jusqu'ici n'est assez complet pour permettre da décrire à part
une pseudo-paralysie générale saturnine.
M. BOURNEVILLE fait une communication sur le traitement chirur-
gical et le traitement médico-pédagogique de l'idiotie. Le traitement
chirurgical ou la craniectomie a été préconisé par M. le professeur
Lannelongue. Sa première opération a été faite le 9 mai 1890,
chez une petite âgée de quatre ans. Si l'on en croit M. leur Lane
(Voir plus loin), l'opération n'était pas nouvelle. M. Lannelongue a
communiqué le 30 juin 1890 à l'Académie des sciences une note
résumant ses premiers résultats 1, Suivant lui, il y a trois théories
sur la microcéphalie (mot générique sous. lequel il désigne les
formes multiples de l'idiotie) : 1° ossification prématurée des
sutures (Virchow); 2° cerveau normal mais réduit (Vogt);
3° altération foetale, lésions pathologiques (Bourneville, Hill,
Hutchinson). Le but poursuivi par M. Lannelongue, c'est de « donner
un nouvel essor au cerveau en affaiblissant la résistance du crâne. »
Tout d'abord l'opération consistait en une incision à deux travers de
doigt de la ligne médiane, sur le côté gauche -9 9 centimètres sur
6 millimètres. Puis, M. Lannelongue a modifié le siège et la forme
des incisions.
A propos de cette note, M. Verneuil s'est exprimé ainsi : a J'ap-
pelle l'attention de l'Académie sur une opération absolument nou-
' velle qui fait le plus grand honneur au chirurgien distingué qui l'a
imaginée, exécutée et menée à bonne fin.
« Il ne s'agit point ici en effet d'une tentative empirique faite au
hasard, ni d'une sorte de vivisection humaine comme on en exécute
trop souvent de nos jours. La résection partielle des os de la voûte
du crâne, opposée à la microcéphalie est une conception tout à fait
rationnelle, inspirée par l'anatomie etla physiologie pathologiques,
et qui a donné déjà, conformément à l'ti priori théorique, un
résultat fort remarquable. »
Vous verrez tout à l'heure, Messieurs, si les crânes que nous allons
faire passer sous vos'yeux corroborent l'opinion de M. Verneuil.
Plus tard, M. Lannelongue a publié une note plus étendue. Il
1 De la cranieclomie dans la microcéphalie, par M. le professeur
Lannelongue. (Acad. des sciences, 3U juin 1890, p. 1382.)
SOCIÉTÉS SAVANTES. 317
maintient son opinion première sur « l'ossification anticipée des
sutures » chez les « microcéphales. » Les lésions décrites, hydrocé-
phalie, sclérose, etc., « coïncident, dit-il, avec la synostose préma-
turée. » Au point de vue opératoire, il distingue la crctniectomie
linéaire et la crdniectomie à lambeaux. Dans les deux cas, il faut une
brèche plus ou moins longue et large de 8 à 10 millimètres'.
Enfin M. Lannelongue a fait sous le même titre que la note précé-
dente, une communication au Congrès français de chirurgie. (31 mars
1891, p. 73.) Cette communication se termine parle résumé suivant :
c Les résultats opératoires ont été les suivants : vingt-cinq opé-
rations, vingt-quatre guérisons; la moyenne des guérisons opéra-
toires a été de dix jours. Une seule mort au bout de quarante-huit
heures.... Sur les 24 guérisons, il y a trois suppurations minimes
qui ont guéri, deux en quelques jours, la troisième a suppuré trois
semaines; dans aucun cas, il n'y a eu de nécrose.
« Le plus jeune de mes opérés a été un garçon de huit mois et
le plus âgé avait douze ans et demi.J'ai opéré 13 garçons et 12filles.
« Parlerais-je maintenant desrésultats définitifs ? Cela devrait être,
car s'il est encourageant de n'avoir à enregistrer pour ainsi dire
que des succès opératoires, on ne doit pas oublier qu'on vise un tout
autre but. Ce but, on peut le déterminer dans cette formule : Faire
rentrer dans la vie commune des sujets voués à l'existence la plus
misérable, tantau point de vue intellectuel et moral qu'au point de
vue physique. Mais à qui pourrait venir la pensée que ces déshérités
de toutes les manières seront régénérés et transformés subitement ?
» Mes opérés sont suivis avec toute la sollicitude que je puis y
mettre et je possède déjà des documents qui me permettent de
dire que le plus grand nombre d'entre eux sont manifestement
améliorés. Mais comme beaucoup de ces opérations sont encore
récentes, je me borne aujourd'hui à en informer mes confrères en
attendant que je puisse livrer intégralement à lapublicité les résul-
tats obtenus. »
Près de dix-huit mois se sont écoulés depuis les premières opéra-
tions, et il serait très intéressant de connaître exactement la situa-
tion actuelle des opérés. Un tableau détaillé des âges, des particula-
rités, du cas, de la date des opérations, du traitement consécutif, etc.,
ne manquerait pas non plus d'intérêt.
M. Bourneville énumère ensuite un grand nombre de travaux qui
ont été publiés sur la craniectomie, depuis la communication de
M. Lannelongue.
Bien des fois, continue t-il, nous avons eu l'occasion de publier
dans nos Comptes rendus annuels, de 1880 à ce jour, des descrip-
' De la craniectomie chez les microcéphales, chez les enfants arriérés
et chez les jeunes sujets présentant, avec ou sans crises épileplifornaes,
des troubles moteurs ou psychiques. (Nouv. Iconographie de la Salpétrière,
1891, p. 89.)
318 SOCIÉTÉS SAVANTES.
lions des crânes de nos malades décédés, ainsi que dans nos com-
munications au Congrès international de médecine mentale de 1889,
à l'Association française pour l'avancement des sciences de la même
année et au Congrès des aliénistes de Rouen. Nous avons insisté
plus particulièrement encore sur ce point dans les comptes rendus
du service pour 1890 et 1891. Enfin il y a quelques jours, l'un de
nos élèves, M. Tacquet, a pris pour sujet de thèse : De l'oblitération
des satures du crâne chez les idiots. Elle contient la description de
vingt-neuf crânes d'idiots appartenant à presque toutes les formes
de l'idiotie * et d'où il ressort que les sutures ne sont pas ossifiées
prématurément.
M. Bourneville montre alors douze crânes d'idiots en donnant des
détails sur chacun d'eux.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 319 V
Après avoir insisté sur l'écartement pathologique des sutures
chez Berl ? Dufou... et Water, signalé les particularités relatives
à la réossitkation de la brèche osseuse chez l'enfant Slif... (véritable
suture dentelée comme les sutures naturelles), M. Bourneville montre
les photographies des malades dont il présente les crânes, aiiibi que
les photographies de leur cerveau.
Par opposition à cette première série de cas, M. Bourneville fait
voir les photographies prises d'année en année de dix malades
atteints de diverses formes d'idiotie et sur lesquelles il est facile de
se rendre un compte exact des progrès réalisés. A l'appui encore,
il montre les cahiers scolaires de quelques-uns d'entre eux. Il insiste
particulièrement sur le cas de l'enfant Henri Maz..., qu'il a montré
au Congrès international de médecine mentale de 1889. Il rappelle
qu'à l'entrée dans son service en 1887 il avait alors quatre ans
et demi il ne marchait ni ne parlait et était gâteux; qu'à
l'époque du Congrès il commençait à se tenir sur les jambes, ne
gâtait plus que par moments et prononçait quelques mots et qu'il
terminait à son 'sujet en disant qu'en s'appuyant sur les résultats
acquis il espérait que, dans un temps plus ou moins long, Maz...,
serait tout à fait propre, marcherait et parlerait'.
Nos prévisions, dit M. Bourneville, se sont pleinement réalisées :
Henri Maz... marche, court et saute, il est tout à fait propre, aide
à s'habiller, mange seul ; parle de façon à dire le nom de tous les
objets et des personnes qui l'environnent; fait de petites phrases,
connaît le nom de toutes les parties de sou corps, distingue les
couleurs, etc., etc.
Cette seconde série de faits conclut M. Bourneville, nous parait
tout à fait démonstrative et en faveur du traitement médico-pédu-
gogique. '
M. Gilbert-Ballet demande à M. Bourneville s'il a vu un seul cas
où le développement du crâne ait été entravé par des synostoses
prématurées, complètes, des sutures.
M. BOURNEVILLE répond que personnellement il n'a vu aucun cas
d'ossification prématurée de toutes les sutures chez des idiots, des
imbéciles ou des arriérés, mais qu'il y en a dans la science et avec
autopsie.
M. Régis pense que la communication de M. Bourneville est
d'autant plus importante qu'aujourd'hui la craniectomie est de
mode, même en province. Pour sa part, il a eu l'occasion de voir
un de ses malades, atteint d'idiotie méningitique, subir la craniec-
tomie sans aucun résultat.
M. Bouchereau. Je suis absolument convaincu, comme M. Bour-
' Voir le Compte rendu de Bicêtre de 1890, p. 163 et le volume du
Congrès international.
320 SOCIÉTÉS savantes.
neville, de l'inutilité du traitement chirurgical de l'idiolie. Je crois
que le traitement hygiénique et pédagogique, tel que l'a institué
M. Bourneville à Bicêtre, est celui qui mérite toutes nos préfé-
rences. -M. ROUDY (de Dôle) cite le cas d'un de sesjnalades, idiot,
et qui fut également trépané sans aucun résultat.
M. BOURNEVILLE. Dans les cas où la craniectomie semble avoir
produit des résultats favorables, on a parlé trop vite; il faut
attendre un an ou deux, car l'amélioration consécutive à l'opération
est tout simplement due à ce qu'on s'occupe plus à ce moment de
l'enfant qui vient d'être opéré. Si l'on s'en était occupé autant,
avant l'opération, il est probable que, le plus souvent,.on aurait
obtenu les mêmes résultats. Beaucoup d'observations d'idiots cra-
niectomisés sont insuffisantes; il faudrait qu'elles continssent une
description complète, très détaillée, de l'enfant, avant l'opération
et après l'opération, an bout d'un an, de deux ans, une nouvelle
description détaillée comparée à la précédente.
M. PROUST (de Blois) rapporte trois observations, la première est
celle d'un homme de cinquante-neuf ans, jusque-là absolument
sain, qui présenta coup sur coup deux accès d'épilepsie suivis de
vomissements d'aliments non digérés. Un autre malade, d'une
trentaine d'années a eu trois fois des accès d'épilepsie à intervalles
différents et suivis chaque fois du rejet des aliments. La troisième
observation est celle d'une femme atteinte de cancer du pylore
avec dilatation secondaire de l'estomac, habituée à pratiquer des
lavages tièdes et qui, à la suite d'un lavage fait un jour avec de
l'eau froide, fut atteinte de contractures généralisées.
M. TmvFT (de Blois) regrette qu'on n'ait pu connaître l'hérédité
chez ces malades.
M. GILBERT-IALLIST. Kussmaul a signalé des phénomènes de
ce genre dans les dilatations énormes de l'estomac : la pathogénie
de ces cas est sans doute multiple ; l'auto-intoxication y joue cerf
tainement un grand rôle. Pour l'épilepsie gastrique, je ne la crois
pas fréquente. Quand un individu a un accès épileptiforme de cette
nature, ce n'est pas un accident, mais on peut le considérer
comme un épileptique larvé, car il est des cas intermédiaires qui
le prouvent.
M. RAYMOND (de Paris) rappelle aussi le travail de Kussmaul.
Dans le premier cas, il regrette que l'examen de l'urine n'ait pu
être pratiqué, et rappelle, à propos de l'âge de ce malade, qu'il
existe des épilepsies tardives, encore mal connues aujourd'hui et
dont l'observation de M. Proust serait peut-être un exemple.
J. SLGLAS.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 321
Séance du 5 août (soir). - Présidence de M. 13oUCIIEREAU.
M. J. SÉGLAS (de Paris) lit une observation sur un cas d'hystérie avec
automatisme dans la période d'aura des attaques; variations spon-
tanées de la sensibilité et surtout du champ visuel, correspondant aux
phénomènes d'automatisme. Il s'agit d'un jeune homme de dix-neuf
ans, hystérique avec attaques. Ces attaques présentent cette parti -
cularité assez intéressante qu'elles sont toujours précédées par des
phénomènes d'automatisme durant parfois plusieurs jours, allant
en s'augmentant jusqu'à la production de l'attaque dont elles cons-
tituent en quelque sorte la période d'aura, pour disparaître avec
elles, c Il me semble, écrit le malade, qu'il y a alors en moi deux
personnes, l'une qui agit, marche, parle, mais comme si c'était une
autre ; l'autre personne qui regarde agir et faire; mais je ne sais
trop laquelle des deux est celle qui souffre. Elles se mêlent de temps
en temps et, pendant que j'écris, je suis obligé de m'arrêter sou-
vent sous l'intluence de cette fusion qui brouille mes idées; je crois
qu'il y a lutte entre elles.
« Ma tête se vide peu à peu et les idées galopent, galopent
sans que j'en puisse retenir une, si je veux la fixer. Je fais un
grand efiort et j'appelle à l'aide ma seconde personne, l'autre,
celle qui regarde agir pour maintenir la première : elle n'est pas
toujours victorieuse, hélas ! ... Je vois mes mains, mes bras, mes
pieds se mouvoir comme ceux d'un autre. Tout à l'heure j'ai changé
la chaise de place. J'ai vu une main qui tenait un barreau ; j'ai eu
peur. C'était la mienne et je l'ai regardée fixement sans pouvoir
détourner les yeux. J'ai voulu la lâcher, il a fallu que je détour-
nasse avec peine ma vue de dessus pour que mes doigts se déta-
chassent... Le repos me parait insupportable; je voudrais marcher,
aller toujours de l'avant. Je n'ai presque plus conscience de ma
personnalité. Le pis est que j'analyse très bien mes sensations,
mes émotions et que je m'en effraie et m'en réjouis tour à tour.
Enfin il y a en moi un terrible amalgame d'idées, de sensations,
de faits, de gestes : je n'explique plus rien...
« ... J'agis toujours et de plus en plus presque inconsciemment... »
En même temps existent des hallucinations sensorielles multiples,
visuelles, auditives, tactiles, kinesthétiques, génitales, se présen-
tant surtout la nuit, de l'insomnie, de l'inappétence, des vomisse-
ments. Pendant cette période, le fonds émotionnel change, le
malade devient triste, craint de devenir fou, de mourir, a des idées
de suicide. L'attaque survient presque classique, phase épilep-
toïde très accentuée, arc de cercle, grands mouvements, parfois
délire. Elle s'accompagne toujours d'une perte totale de connais-
Archives, t. XXIV. 21
322 ' SOCIÉTÉS SAVANTES.
sauce. A sa suite, tous les phénomènes d'automatisme qui ont
signalé la période d'aura ont complètement disparu.
Il existe chez le malade des troubles de la sensibilité : zones
hyperesthésiques testiculaires, iliaques, sous-mammaire à gauche
rachidienne, céphalique. Diminution de la sensibilité cutanée,
musculaire, articulaire à droite, rétrécissement du champ visuel.
Il est un fait particulier à noter, c'est que les troubles de la sen-
sibilité présentent des variations spontanées en rapport avec les
phénomènes d'automatisme et dans un sens absolument parallèle.
C'est ainsi que, au moment des périodes d'automatisme, on voit le
champ visuel se rétrécir de 30 ou 40 pour revenir ensuite à la nor-
male après l'attaque. M. Séglas présente, à ce propos, quelques con-
sidérations psychologiques et montre que ce parallélisme des
symptômes d'automatisme et des troubles anesthésiques n'a rien
d'étonnant si l'on considère que les anesthésies hystériques ne sont
que des anesthésies par rétrécissement du champ de conscience
personnelle, les sensations pouvant toutefois donner lieu à des
réactions étrangères à la conscience du sujet, dépendant d'une
conscience secondaire automatique. Dès lors il est naturel que les
anesthésies, symptôme d'un rétrécissement du champ de conscience,
s'augmentent chez un hystérique dans les périodes d'automa-
tisme où la désagrégation psychique, ordinaire chez lui, tient à
s'accentuer, car ce sont des phénomènes de même nature.
M. Séglas lit, au nom de M. CHASLIN (de Paris), une note sur une
forme distincte de maladie mentale aiguë, la confusion mentale primitive.
M. Chaslin rapporte dans ce travail, l'observation d'un malade du ser-
vice de M. Deny, à Bicêtre. Les cas de ce genre ne sont pas classés
actuellement en France comme forme distincte. Ils devraient l'être
pourtant, car cette forme est connue en Allemagne sous le titre de
Werwirrtheit ou d'Amentia; et d'ailleurs elle avait déjà été décrite
en France, surtout par M. Delasiauve, sous le nom de confusion
mentale. La conclusion de la note de M. Chaslin est la suivante :
11 existe une forme de maladie mentale, aiguë ordinairement,
qui n'est ni de la manie, ni de la mélancolie, qui doit être attri-
buée à l'épuisement rapide et brusque du système nerveux central
(très souvent consécutif pour les auteurs les plus récents à l'infec-
tion ou à l'auto-intoxication) et qui doit être séparée de ce que
l'on appelle « dégénérescence ». C'est une forme intermédiaire
entre les psychoses et les folies à lésions accentuées et profondes;
elle revêt souvent le caractère d'une véritable maladie, parles phé-
nomènes somatiques, dénutrition, fièvre, qui l'accompagnent.
Au point de vue psychique, elle est essentiellement caractérisée par
la confusion des idées, par suite de l'affaiblissement et de l'incoor-
dination des processus de l'association des idées, de la perception
et de la perception personnelle; elle peut être ou non accompagnée
d'hallucinations; d'agitation motrice, ou de dépression, de stupeur;
SOCIÉTÉS SAVANTES. 323
le ton émotionnel est souvent indifférent ou, au contraire, présente
des variations brusques. Elle a la plus grande analogie avec les
délires par intoxication chronique. Elle parait bien mériter le nom
de confusion mentale sous laquelle elle a été décrite par M. Dela-
siauve, en ajoutant primitive, afin de la distinguer des formes où
il y a aussi confusion, mais secondaire et sur la nature de laquelle
on n'est pas fixé.
M. GILBERT-BALLET n'approuve pas le terme de confusion men-
tale : sans doute, la confusion mentale existe dans bien des cas,
tels par exemple que certaines folies puerpérales; mais pour ceux
qu'a en vue M. Chaslin, il croit qu'il est inutile de créer un vocable
nouveau et de faire une distinction à part, car ils rentrent dans le
groupe de faits que Delasiauve a décrits sous le nom de stupidité.
M. Charpentier (de Paris) considère que la confusion mentale est
un syndrome très fréquent consistant surtout dans un manque
d'association des processus intellectuels, avec participation de la
conscience, angoisse et état vertigineux. On rencontre la confusion
mentale au début ou au cours des différentes vésanies et sa dispa-
rition annonce en général la convalescence; le vertige épileptique
serait en quelque sorte le type de cet état. Les malades qui se
plaignent qu'on leur vole leur pensée en sont aussi des exemples.
M. Régis. Le cas de M. Chaslin pourrait peut-être rentrer
dans le cadre de ce que M. Fournier a décrit sous le nom de
syphilis pseudo-démente ou torpide : ce diagnostic eût mérité
d'être détaillé; je ne vois pas la nécessité de créer une forme à
part pour les faits de confusion qui ne sont souvent que des
troubles délirants justiciables d'un état de neurasthénie.
M. SÉGLAS. -Je ferai observer à M.Régis qu'il faut tenir compte
pour le diagnostic de l'élévation de la température notée chez le
malade, qui ne cadre pas avec l'idée d'une syphilis torpide ou
pseudo-démente. En ce qui regarde les rapports des troubles déli-
rants avec un état neurasthénique, M. Chaslin les a signalés : il dit
même que la confusion mentale est justiciable d'un état d'épuise-
ment rapide et brusque du système nerveux.
Je répondrai à M. Ballet que M. Chaslin ne me semble nullement
avoir eu la prétention de donner, ni un mot nouveau, ni une forme
nouvelle, car il fait tout l'historique de la question, rappelé que
les travaux allemands sur la confusion mentale n'ont fait que
retrouver ce qui avait déjà été décrit en France, surtout par
M. Delasiauve, sous le nom de confusion mentale, stupidité, chaos.
« Je reprendrai, dit M. Chaslin, cette dénomination (confusion
mentale) et il me semble opportun de rappeler l'attenlion sur ces
faits connus autrefois, oubliés maintenant en France. »
Les objections de M. Charpentier me semblent prouver qu'il
applique le terme de confusion mentale à toute une catégorie de
324 SOCIÉTÉS SAVANTES.
faits absolument différents de ceux que M. Chaslin a en vue et que
les différents auteurs ont signalés, ainsi qu'on le voit, dans l'histo-
rique qui accompagne la communication^de M. Chaslin. La compa-
raison n'est, dès lors, pas possible.
M. DOURNEVILLE (de Paris) fait une communication sur le Tout à
l'égout et l'utilisation des matières de vidanges dans les asiles d'alié-
nés. 11 insiste sur l'utilité de cette étude au point de vue de l'assai-
nissement, de la prompte évacuation des matières usées, dange-
reuses pour la santé, au point de vue des avantages financiers des
asiles. Il rappelle ce qui a été fait dans un grand nombre d'asiles
étrangers, décrit l'application faite à Ville-Evrard, à Villers-Caute-
rets, à la Maison de Nanterre, tentée à Vaucluse, projetée à Villejuif.
M. BOUR1VEVILLE fait passer sous les yeux des membres du Con-
grès les plans de ces divers projets, dressés avec le plus grand soin
par M. l'ingénieur en chef Bechmann, et par M. Masson, inspec-
teur de l'assainissement. Il ajoute que sa communication sur une
question qui ne ressortit pas de la pathologie et de la clinique
mentale, a pour but d'encouiager les médecins directeurs des asiles
à venir apporter aux futurs congrès des communications sur l'hy-
giène, l'économie et l'administration des asiles d'aliénés.
Une discussion s'engage à ce sujet entre MM. Samuel Garnier,
Doutrebente, Mordret, Mabille et Marie.
M. GIRAUD (de Rouen), en son nom et au nom de M. Malfilâtre,
fait une communication sur ['étiologie de l'aliénation mentale dans la
Seine-Inférieure. Il insiste sur le fait que les points où naissaient le
plus d'aliénés correspondaient à la ligne de partage des eaux sur
le sommet du plateau.
M. PIERRE (de Lyon) lit une observation de méningo-encéphalite
infectieuse avec hypothermie survenue à la suite de l'influenza chez
une femme indemne de tout antécédent héréditaire.
M. DENY (de Paris) fait part au Congrès de ses recherches sur le
traitement de l'épilepsie par le bromure de strontium. Ces recherches
ont porté sur 7 malades qui ont été soumis successivement pen-
dant un temps égal (7 mois) au traitement par le bromure de
potassium, puis par celui de strontium; 5 de ces malades ont béné-
ficié du traitement, 2 ont eu plus d'attaques. Les doses ont été
de 4 à 10 grammes. La tolérance du bromure de strontium est plus
grande que celle du bromure de potassium. Avec ce médicament,
M. Deny n'a jamais observé d'accidents de bromisme.
M. Vallon (de Paris) a également essayé ce médicament; tous ses
malades ont eu plus d'accès qu'avant; il est vrai de dire qu'il
s'adressait à un mauvais terrain, car ses malades étaient des épi-
leptiques déments ou imbéciles.
M. MABILLE (de la Rochelle) lit en son nom et au nom de M. Lalle-
- SOCIÉTÉS SAVANTES. * 325
mant un travail sur le Sulfate neutre de Duboisine dans le traitement
de l'aliénation mentale. Les auteurs ont, depuis deux ans, essayé le
sulfate neutre de Duboisine dans le traitement de l'aliénation men-
tale. Ils l'emploient surtout dans les formes maniaques, la méthode
d'action étant la méthode hypodermique et les injections ayant
lieu quatre heures avant ou après les repas. Les auteurs com-
mencent d'abord par un demi milligramme; le sulfate neutre
Duboisine employé provenait de la pharmacie Petit-Mialhe. Us ne
dépassent jamais 3 milligrammes dans les vingt-quatre heures et
conseillent de suspendre le traitement au bout de six à sept jours,
pour le reprendre au besoin une semaine plus tard. Généralement
le calme survient au bout de quelques piqûres et le succès a été
obtenu dans 75 p. 100 des cas, principalement chez les femmes
excitées. Il est même possible, lorsque l'injection est faite au début
de l'excitation, d'arrêter parfois l'accès chez les maniaques inter-
mittents. La dose d'un demi à 1 milligramme produit la sédation,
les doses les plus élevées (2 milligrammes), le sommeil. Pour
MM. Mabille et Lallemant, le sulfate neutre de Duboisine est un
hypnotique excellent et un sédatif puissant. Les résultats sont
d'ailleurs conformes à ceux obtenus par Osbermeyer et Lewald.
M. DOUTREBENTE (de Blois) souhaite que le sulfate neutre de Duboi-
sine n'ait pas le sort des autres hypnotiques et sédatifs, vantés chacun
à leur tour pour le traitement des maniaques et que l'expérience a
montrés bien peu efficaces. Il ne croit pas que ce médicament puisse
avoir de l'action sur les périodes maniaques de la folie circulaire.
M. MABILLE ne l'a expérimenté que chez des maniaques inter-
mittents simples ayant de temps en temps un état passager de
dépression.
M. Marie (d'Évreux) lit une observation d'une femme aliénée hys-
térique, anorexique, qu'on alimentait à la sonde et chez laquelle
le passage de cet instrument provoquait des attaques convulsives.
Le prochain Congrès annuel des Médecins Aliénistes de France
et des pays de langue française aura lieu à la Rochelle.
La dernière journée des congressistes a été employée en
une visite à Orléans, le samedi 6 août. Nous en empruntons le
compte rendu au Républicain Orléanais des 7 et 8 août.
A 11 heures, les membres du Congrès arrivaient à l'hôpital
d'Orléans où ils ont été reçus par le préfet et la Commission
des hospices. Après la visite des divers quartiers des aliénés,
les membres du Congrès se sont réunis en un banquet offert
par le département et les hospices et qui a eu lieu à l'Institut,
sous la présidence de M. le préfet Boegner.
326 . SOCIÉTÉS SAVANTES. - -
Ce banquet comprenait une soixantaine de convives parmi
lesquels un certain nombre de dames. Citons MM. Bourne-
ville et Charpentier, médecins en chef de l'hospice de Bicêtre,
Dr Giraud, directeur de l'asile public de Saint-Yon, Dr Dou-
trebente, médecin-direeteur de l'asile de Blois, M. Galoppain,
médecin-directeur de l'asile de Fains, M. Adam, médecin-
directeur de l'asile de Montdevergues, M. Mordret, médecin
en chef de l'asile du Mans, M. S. Garnier, médecin-directeur
de l'asile de Dijon, Dr Thivet, médecin-adjoint de l'asile de
Blois, Dr Riu, médecin-directeur de l'asile d'Orléans, Dr Hal-
magrand, conseiller général, Dl'8 Boullé, Dufour, Luizy, Veil-
lard, Verdureau, M. Transon, conseiller général, MM. Boullé,
Lepage, Portalis, Biscara, Coudière, conseillers municipaux,
MM. Heurteau, secrétaire général des hospices, Thory, éco-
nome, etc., etc.
Au dessert, après l'excellent déjeuner et les bons vins servis
parle maître Rigault, - fête gastronomique dont MM. Halma-
grand, Portalis et Riu avaient été les aimables organisateurs
- M. le préfet a pris la parole et souhaité la bienvenne aux
membres du Congrès. Après M. le préfet, M. Boullé, membre
de la commission des hospices, a pris la parole en ces termes :
Messieurs,
Je viens à mon tour, au nom de l'administration des hospices,
dont je suis le membre le plus ancien, vous remercier de l'intérêt
que vous nous avez témoigné et du grand honneur que vous nous
avez fait en visitant notre établissement. Nous espérons que
cette visite ne sera pas sans porter ses fruits : croyez d'avance à
notre reconnaissance. En vous dévouant ainsi, au prix de bien
des fatigues, au service de l'infortune et de la souffrance, vous
faites, Messieurs, une belle et noble chose.
On peut médire de notre siècle, en regretter les entraînements et
les erreurs, mais on ne peut méconnaitre ce qu'il y a de grand, de
généreux dans ses tendances humanitaires. Il est loin de nous le
temps où les aliénés étaient laissés dans l'opprobre et l'abandon,
vrais parias dont le sentiment public s'écartait avec dégoût. Pour
nous, nous estimons qu'ils n'ont pas perdu leur titre d'homme, que
s'ils sont déshérités, ils n'en ont que plus de droits à l'intérêt des
gens de coeur et à la protection des lois de la solidarité universelle.
Si le sens de l'humanité s'est ainsi développé et épuré, la science
de son côté, dans ses manifestations multiples, a fait et ne cesse
de faire tous Jes jours des progrès considérables. Celle dont vous
êtes, Messieurs,. les représentants les plus éminonts, l'étude et le
SOCIÉTÉS SAVANTES. 327
traitement des affections mentales, n'est pas restée en arrière de
ce grand mouvement.
Certes, il ne nous appartient pas à nous, hommes d'administra-
tion, de définir ces progrès ni de les apprécier dans leur partie
technique et médicale. Mais nous pouvons en juger les effets, cons-
tater des résultats que nous voyons, ne fut-ce que l'augmentation
des guérisons parmi les malades. Il est d'ailleurs tout un côté qui
ne peut nous échapper, qui nous est d'autant moins étranger qu'il
dépend pour partie de notre administration, je veux parler du côté
matériel, de cet ensemble de soins extérieurs intimement lié aux
données scientifiques dans ces graves et délicates questions.
Ici, Messieurs, dans un cadre restreint, nous avons fait ce que
nous avons pu faire, et je ne crains pas d'affirmer que depuis quel-
ques années la situation de nos aliénés s'est sensiblement améliorée.
J'ajoute, et ce n'est que justice, que cette situation satisfaisante ne
fait que s'accentuer sous la direction intelligente du docteur chef
actuel de l'établissemenl. Nous savons apprécier son zèle et les
heureuses innovations qu'il a introduites dans les services.
Messieurs, nous formons tous, vous n'en doutez pas, les voeux les
plus sincères pour la réussite de la grande oeuvre à laquelle vous con-
sacrez vos efforts. Nous nous associons de coeur à la pensée élevée qui
vous inspire. Puissent vos conseils être entendus, puissiez-vous abou-
tir à un résultat conforme à votre sollicitude. Puissions-nous enfin,
par vos soins, voir s'adoucir progressivement encore le sort de tant
d'infortunés dont le nombre augmente sans cesse, en raison des dif-
ficultés et des excitations de la vie moderne, et auxquels la société
se trouve forcée de retirer le premier des biens, après la vie, la liberté.
Puis, M. COUDIÈRE, au nom de la Municipalité orléanaise, a
prononcé le discours suivant :
Messieurs,
Je suis heureux de saluer, au nom de la ville d'Orléans, les mem-
bres du Congrès des médecins aliénistes de France et des pays de
langue française, de véritables amis de la patrie, en même temps
que des bienfaiteurs de l'humanité.
Nous sommes fiers, messieurs, de notre dix-neuvième siècle, parce
qu'il est le siècle des grandes découvertes; mais nous l'aimons parce
qu'il est le siècle de la rénovation sociale, de l'amélioration du sort
des petits - le siècle qui, en faisant la grande réforme du traitement
des aliénés, a rendu à la société des malheureux jusque-là perdus
pour elle !
Il fut un temps (qui n'est pas loin de nous), où même dans
notre France si intelligente pourtant et si généreuse les infor-
tunés privés de raison étaient plus maltraités que des criminels,
voués à la risée ou aux injures, rédmts en des cachots infectes à
328 SOCIÉTÉS SAVANTES.
une condition pire que celle des animaux, quand ils n'étaient pas
brûlés comme sorciers !
Grâce à vous, Messieurs, grâce à vos travaux, grâce aux persévé-
rantes recherches, au dévouement infatiguable de ceux qui vous
ont précédés depuis moins de cent ans dans la carrière médicale,
les aliénés sont aujourd'hui pour nous des frères malades que nous
entourons de soins assidus, que nous plaignons plus que les autres !
Leur sort présent est adouci et l'espérance leur est rendue !
Vous avez fait beaucoup, Messieurs, l'humanité vous doit un
large tribut de reconnaissance ; mais vous ne voulez pas vous
arrêter en si bon chemin ! Vous travaillez toujours ! Honneur à
vous ! Au nom de la ville d'Orléans, au nom de la municipalité, je
bois à vos succès ! Je bois aux bienfaiteurs des pauvres aliénés !
M. le Dr GIRAUD, vice-président du Congrès, exprime les
remerciements du Congrès vis-à-vis de l'hospitalité orléanaise.
Il expose la nécessité du déplacement de l'asile d'Orléans
aujourd'hui insuffisant, et qu'il serait nécessaire de remplacer
par une colonie médico-agricole qui donnerait aux malades de
l'air et de la lumière les meilleurs agents de guérison.
M. DOUTREBENTE, tout en s'associant au voeu de son collègue
M. Giraud, tient à constater néanmoins les améliorations
faites à l'asile d'Orléans depuis quelques années grâce à
M. le Dr Riu et à l'administration des hospices.
M. le Dr Riu, très flatté de ces compliments, y associe tous
les administrateurs des hospices et remercie particulièrement
M. Boullé et M. Portalis, ce dernier surtout qui l'a amené, il y
a cinq ans, à Orléans, et grâce auquel, à vingt-neuf ans, alors
qu'il attendait un poste d'adjoint, il a été installé chef de ser-
vice. Il croit, lui aussi, à la nécessité du déplacement de l'asile.
L'idée fera son chemin, grâce aux efforts de tout le monde :
des médecins, des administrateurs, de la presse, et ce progrès,
qui semble lointain aujourd'hui, se réalisera peut-être dans un
temps assez court.
M. le Dr BOURNEVILLE, invité par M. le Préfet à prendre la
parole, dit que les choses utiles ont été dites par M. le D'' Giraud.
Oui, la reconstruction de l'asile d'aliénés d'Orléans s'impose.
Vieilli, trop étroit, insuffisant à tous les points de vue, il ne
répond pas aux besoins ni à l'idéal que la science se fait
aujourd'hui des asiles d'aliénés. Il insiste énergiquement
auprès de M. le préfet et de M. le président de la Commission
des hospices pour mener bien cette entreprise nécessaire.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 329
L'assistance publique et l'enseignement public sont, dit-il, les
deux signes auxquels se reconnaît une civilisation véritable,
une civilisation républicaine.
« Les malheureux aliénés s'entassent et s'étouffent dans
l'asile d'Orléans, alors qu'il leur faut de l'espace, de l'air, le
travail agricole, aux champs, dans une liberté aussi grande
que le comporte la sécurité publique.
« Ce sont les meilleures conditions pour amener des guéri-
sons de plus en plus nombreuses et pour diminuer d'autant les
charges financières des départements.
« M. le Dr Bourneville montre ensuite l'utilité des congrès qui
établissent des relations personnelles entre leurs membres, où
l'on constate des faits et on échange des idées et où les mé-
decins se mettent en contact avec les administrateurs des
départements et avec les corps élus auxquels ils disent ce qu'ils
pensent et ce qu'ils désirent dans l'intérêt supérieur des mal-
heureux. Grâce à ce triple avantage des congrès, il en résulte
toujours quelque chose d'utile.
« M. le Dr Bourneville insiste sur la nécessité de réformer la
loi relative au domicile de secours qui sépare trop souvent les
enfants des parents. Pour remédier à ses inconvénients le
Conseil général de la Seine a décidé de garder les enfants nés
hors le département de la Seine dans ses asiles, moyennant le
payement des frais de séjour égaux à ceux que paierait le dépar-
tement à qui incomberait légalement la charge des enfants.
« M. le Dr Bourneville termine en portant la santé de M. le
préfet, à un double titre : parce qu'il est un ferme républicain
et parce qu'il est né sur la terre d'Alsace que nous considé-
rons toujours comme terre française.
« Il boit également à MM. Boullé et Coudière dont les allo-
cutions ont été celles d'hommes dévoués aux idées de progrès
et d'humanité.
M. le Dr GASSOT, de Chevilly, a terminé la série des toasts en
buvant à l'union constante du corps médical avec les adminis-
trations républicaines. '
La journée s'est terminée par une visite à Olivet aux sources
du Loiret. B.
Les Archives de Neurologie inséreront, à l'occasion, toutes les rectifi-
cations que les membres du Congrès jugeront utiles de leur adresser.
330 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.
SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE
Séance du 30 mai 1892. - Présidence DE MM. CH. RoussEr.
ET CHIiISTIAN.
Eloge de Baillarger. M. RITTI, secrétaire général prononce
l'éloge de Baillarger.
Prix : Prix Esquirol. AI. SE1JLLAIGNE donne lecture de son rap-
port dont les conclusions sont adoptées. Le prix Esquirol est dé-
cerné à M. Boissier, interne à Villejuif. Une mention honorable est
accordée au mémoire de M. Guérin, ancien interne du même asile.
Prix Moreau (de Tours). Suivant les conclusions du rapport
de M. CHASLIN, le prix Moreau (de Tours) est décerné à M. Marie,
médecin-adjoint de l'asile d'Evreux. Une mention honorable est
décernée à MM. Colin, médecin-adjoint à Saintes-Gemmes etRoubi-
nowitch.
Prix Aubanel. - M. SOLLIER, rapporteur, propose de ne pas
décerner le prix Aubanel. Une récompense de 800 francs est votée
à M. S. Garnier, médecin-directeur de l'asile de Uijon. Pareille
somme sera partagée entre 1\1111. Malfilâtre et Nicoulau, co-auteurs
d'un même mémoire.
. Prias Aubanel à distribuer en 1893. Des rapports de la para-
lysie générale avec l'ataxie locomotrice. . 1\1. B.
DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE'.
Nous avons donné quelques renseignements sur le traite-
ment chirurgical de l'idiotie hydrocéphalique dans le dernier
numéro des Archives; nous continuons aujourd'hui la publi-
cation des documents auxquels il est fait allusion dans le
résumé de notre communication au Congrès de Blois (p. 316)1
. ' Voir n' 70, p. 131.
' ' Notre travail débute par un historique de la question où sont consi-
gnées les observations françaises et en tête celles de notre ami le pro-
fesseur Lannelongue.
DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 331
§ I. CRANIECTOMIE pratiquée POUR soulager LES malades
ATTEINTS D'IMBÉCILLITÉ MENTALE DUE A LA RÉUNION PRÉMA-
TURÉE DES SUTURES ET la MICROCÉPHALIE; par le Dr L.-
C. LANE. (The med. Journ., 9 janv. 1892, p. 49.)
Au commencement du mois d'août 1888, je reçus une lettre
d'une dame demeurant dans la Californie, me disant qu'elle désirait
me consulter à propos de son enfant, âgé de près de neuf mois,
qui présentait les signes de l'imbécillité mentale. Au jour indiqué,
elle me présenta son enfant. Il était en bonne santé et bien nourri,
mais décidément microcéphale.
Le crâne était symétrique et dévié seulement du type normal
par la-petitesse de son volume. La mère me dit qu'à la naissance
les fontanelles antérieures étaient entièrement fermées, et que l'une
des postérieures était également-presque fermée. La mère voulait
spécialement apprendre si le cerveau de l'enfant était sain; et sur
l'assurance qu'il n'y avait aucune évidence du contraire, elle de-
manda si une opération était possible, opération par laquelle le
cerveau pourrait se développer; ou, suivant ces propres termes, elle
disait : « Ne pouvez-vous pas ouvrir le cerveau de l'enfant pour le
laisser s'accroître. » Je répondis qu'une telle opération n'avait
jamais été faite, et que si on la pratiquait, ce serait purement une
expérience. Je dis en outre qu'elle serait périlleuse et qu'elle pour-
rait avoir un terme fatal, et que, de plus, l'opération était aven-
tureuse et qu'elle ferait mieux de retourner chez elle et de réfléchir,
Elle fit ainsi et au bout de trois semaines revint en disant qu'elle
désirait que l'opération fut faite.
L'enfant fut opéré le 28 août 1888, en la présence et avecl'assis-
tance du Dr R.-H. Plummer, professeur d'anatomie au collège
médical Cooper et du Dr Chas. E. Farnum, professeur d'anatomie.
L'anesthésie fut employée. Une incision fut faite sur le cuir
chevelu dans le plan sagittal, du front à l'occiput, et le cuir chevelu
étant infléchi latéralement, une ouverture fut faite avee un petit
trépan sur le sommet de l'os frontal, de chaque côté du sillon lon-
gitudinal supérieur. A travers ces ouvertures, .de forts ciseaux
émoussés furent introduits et chaque os pariétal divisé antéro-pos-
lérieurement. La bande d'os médiane, qui avait un pouce de large
et s'étendait de la fontanelle antérieure à la postérieure fut aisé-
ment enlevée.
Il y avait de chaque côté du morceau enlevé les sections des os
pariétaux restant; de sorte que l'espace enlevé ressemblait entière-
ment à une croix dont les bras étaient de longueur et de largeur
égale. Dans cette ostéotomie pariétale, la dure-mère fut séparée de
l'os. Il n'y eut qu'une légère hémorrhagie et la blessure fut fermée
au moyen de sutures métalliques.
332 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.
L'enfant ne vécut que quatorze heures après l'opération, et la
mort est due dans une grande mesure à l'effet prolongé de l'anes-
thésique, qui produisit une cyanose, dont l'enfant ne put jamais
revenir.
Ainsi donc, comme on l'a vu, la craniectomie que l'on a essayée
comme un moyen de guérir la démence infantile provenant de
l'ossification prématurée des sutures et de la microcéphalie qui y
concourt, était due à l'inspiration de l'affection maternelle; à la
pensée d'une mère s'étendant dans la région de l'inconnu et des
choses non encore essayées, à la recherche du soulagement pou-
vant être apporté à ces petits infortunés.
Un second cas de craniectomie opéré par l'auteur il y a quelques
mois sur un enfant microcéphale imbécile, chez lequel la partie
enlevée ressemblait à la lettre H, a eu de meilleurs résultats. L'en-
fant vit, et donne des signes non équivoques d'amélioration intel-
lectuelle.
Comme on vient de le dire la craniectomie est à l'essai et quoique
l'instrument du chirurgien puisse découvrir le cerveau, il reste
pour l'avenir à déterminer jusqu'où son oeuvre enlèvera le voile
que la microcéphalie étend sur les facultés mentales de l'enfant.
Cette note de M. Lane est curieuse : 1° parce que sa pre-
mière craniectomie aurait été pratiquée en août 1888, c'est-à-
dire près de deux ans avant la première opération de M. Lanne-
longue ; 2° parce qu'elle en rapporte l'idée à « l'affection d'une
mère s'étendant dans la région de l'inconnu et des choses non
encore essayées ». (Voir p. 346.) .
§. II. La CRANIECTOMIE POUR LA MICROCÉPHALIE;
par KEEN. (Médical News, 29 novembre 1891, p. 557.)
L'opération que je me propose de faire prochainement, est la
première de son espèce qui, autant que je sache, ait été accom-
plie dans ce pays. Elle n'a été faite que deux fois en Europe, par
le Dr Lannelongue (de Paris). (M. Keen donne un résumé de ces
cas.) L'histoire du cas queje suis sur le point d'opérer est la sui-
vante :
M... (E.), âgée de quatre ans et sept mois, fut d'abord examinée
par moi le 3 novembre 1890. Trois grands-parents vivent et sont
bien portants. La grand'mère paternelle a des glandes scrofuleuses.
au cou. La mère est âgée de trente-trois ans, le père trente-cinq
ans, tous deux se portent bien. Elle a une soeur âgée de neuf ans,
bien portante au physique et au moral. L'enfant malade vint au
monde normalement et fut nourrie au sein. A quatre ou cinq mois
DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 333
elle pesait 25 livres, à quinze mois 40 livres; à trois ans 31 livres et
actuellement elle n'en pèse que 30. Elle n'a jamais marché, mais
elle a commencé à se tenir sur ses jambes vers l'âge de deux ans.
Quand elle eut vingt et un mois elle disait : « bébé gentil» « dodo »
et d'autres mots encore, mais depuis'lors elle a perdu complète-
ment l'usage de la parole. Il y a deux ans, elle eut vingt-quatre
convulsions durant la même journée, probablement à la suite delà
dentition, qui était tardive; mais ce sont là les. seules convulsions
qu'elle a eues. Rougeole et coqueluche vers un an, se succédant
d'une façon assez rapide.
Etat actuel. Elle est évidemment bien portante, mais c'est une
enfant chétive et peu développée. Ses os sont petits et sa tête est
très petite et légèrement prognathe, mal développée, surtout dans
la région frontale et occipitale. Deux photographies, l'une prise à
vingt et un mois, l'autre il y a une semaine, montrent la plus
grande différence d'expression, lapremière étant celle d'un enfant
brillant et intelligent, la seconde montrant une face d'idiote. Pas
de contractures ni de paralysie. Elle remue constamment et se
tord les mains, mais ce n'est certainement pas la douleur qui lui
fait faire ces mouvements.
Sa force de raisonnement est difficile à déterminer car elle
est toujours en mouvement et l'intelligence fait défaut. Sa mère
croit qu'elle la reconnaît ainsi que son père et sa soeur. Elle
fait quelque peu attention aux étrangers, mais remarque peu les
autres choses. Elle parait contente d'avoir son chapeau sur la tête,
car elle sait que c'est pour elle le signe qu'elle va sortir. Toutes
les sutures sont fermées. La fontanelle antérieure, qui existait à la
naissance, est entièrement fermée. La percussion donne un bruit
uniforme sur toute la surface du crâne, et n'est pas douloureuse.
De temps en temps l'enfant a des envies de dormir ; plusieurs fois
par jour sa tête tombe et elle s'endort presque, mais se réveille
aussitôt, aussi bien qu'auparavant. Ces crises, chutes de sommeil,
durent deux ou trois secondes. Son intelligence varie considérable-
ment ; parfois elle est plus éveillée que dans d'autres moments.
Mensurations. Taille : 92em,S (36 p. 3/8). Périmètre thora-
cique : 50 cm. (19 p. S/8).
334 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.
Le résultat de l'examen des yeux, qui fut fait par mon ami, le
Dr Hensell, est le suivant : « L'examen fut difficile et se prolongea
à cause du mouvement constant des mains et des bras, et le dé-
faut d'intelligence était loin d'aider dans ce cas. Les pupilles
répondaient à la lumière et'étaient en rapport, celle d'un oeil ré-
pondant en contraction et en dilatation à l'exposition alternative à
la lumière et à l'obscurité. Le fond de l'oeil, les nerfs optiques sont
de bonne couleur. Le louchement interne, qui, dit-on, arrivait
quelquefois, avait disparu. La malade semble avoir une bonne vue. »
La cause inhérente de la microcéphalie nous échappe. Autre-
fois ou supposait qu'elle devait être due à l'ossification prématurée
des sutures du crâne, mais l'examen de plusieurs crânes semblables
a démontré que, si quelquefois cette ossification peut être la cause
déterminante, il y avait cependant, dans les cas observés, rien d'a-
normal dans le développement des os du crâne. D'un autre côté,
nous savons que le développement du crâne augmente avec celui
du cerveau et si la force d'accroissement du cerveau est faible,
une légère résistance de la part de son enveloppe osseuse peut suf-
fire à l'arrêt de son développement. Avec ces raisonnements, Lan-
nelongue conclut que c'était un procédé rationnel d'essayer d'enle-
ver au moins une partie de la force qui empêchait ce cerveau affai-
bli d'atteindre un développement plus grand et plus naturel et
c'est dans ce but qu'il entreprit de faire son opération.
Il est encore trop tôt pour porter un jugement sur l'opération
au point de vue de l'amélioration qu'elle peut amener, car jusqu'ici
nous n'avons que le rapport des deux cas de Lannelongue C'est
là une expérience qui me parait digne d'être tentée.
L'opération elle-même. si elle ne donne pas le résultat espéré,
est peu de chose et n'est pas plus dangereuse que la trépanation.
Elle n'est naturellement applicable qu'aux enfants.
Je propose de faire l'opération avec de légères modifications.
L'incision de Lannelongue fut faite dans le cuir chevelu parallèle-
ment à la ligne de la suture sagittale, commençant en avant de la
lambdoïde et s'étendant devant la suture coronale, puis descendant
par un angle obtus sur le front, avec un pont d'os à la suture coro-
nale. Au lieu de continuer mon incision en avant du front comme
Lannelongue le fit, je ferai une incision courbe dont la con-
vexité sera en arrière et toute entière dans le cuir chevelu. Je sou-
lèverai alors cette languette de peau et couperai l'os au-dessous,
évitant ainsi toute cicatrice du front. L'incision faite dans la peau ne
sera pas sur la même, ligne que celle faite dans l'os, de telle façon
que la plaie du crâne se trouvera recouverte par le cuir chevelu. Je
ne laisserai pas de pont d'os à la suture coronale.
' M. Keen ignorait par conséquent le cas du D' Lane, résumé plus
haut. (B.) '
DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE I : IDIOTIE, : i35- ~
Le but de l'opération est de permettre au cerveau d'avoir si l'on
peut dire ses coudées franches pour se développer. J'irai jusque
dans les frontales et occipitales de façon que ces lobes, principa-
lement le frontal qui est, peut-être, le siège des facultés intellec-
tuelles, puissent se développer. Comme le crâne devient plus fort
et plus dur, il aura encore assez de force pour préserver du danger
qui pourrait résulter pour la vie, des coups ordinaires ou d'autres
traumatismes. Il est indifférent de s'occuper de quel côté sera
faite l'incision, puisque le développement du cerveau est symé-
trique.
La tête a été moulée et, à différentes époques delà croissance de
l'enfant, il sera fait d'autres moulages, afin de déterminer ainsi
l'étendue du développement de la tête. Comme le mode ordinaire
d'opération du moulage par le plâtre liquide est pour ainsi dire
impossible dans le cas présent j'ai proposé la manière suivante : La
tête a été rasée et frottée d'huile d'amandes douces. On appliqua
sur la tête une mince couche de plâtre de Paris, pour obtenir une
surface unie. Par-dessus celle-ci trois ou quatre couches de bandes
imbibées de plâtre commun de Paris, comme un bandage « récur-
rent », suivi d'une mince épaisseur de plâtre fin de Paris et ainsi
de suite jusqu'à ce que le moulage soit complet. Dans le cas où
l'occiput ou le frontal seraient trop proéminents pour empêcher le
déplacement du moule, on peut le couper sur ces endroits mêmes
avant que le plâtre soit complètement sec, en ayant soin de bien
réparer les endroits incisés aussitôt après l'enlèvement du moule.
Mais dans le cas présent ceci a été inutile.
Dans les opérations que je fais sur le cerveau, j'emploie de la
gaze au lieu d'éponges. Cette gaze est soumise à la vapeur dans
l'appareil de Sattegast pendant trois quarts d'heure, sans agents
chimiques, préférant ne pas employer de sublimé corrosif dans
ces cas-là. Tous les instruments sont bouillis dans l'appareil stéri-
lisateur Scliimlnelbusch; on conserve l'eau bouillante dans l'appa-
reil pendant l'opération afin qu'un instrument puisse être purifié
promptement si cela était nécessaire. On ajoute à l'eau 1 p. 100 de
carbonate de soude pour empêcher la rouille des instruments.
J'ai expliqué l'opération aux parents de l'enfant, en leur disant
que c'était seulement là un essai, mais que je le considérais comme
peu dangereux et capable d'amener une grande amélioration. Sur
ces explications ils consentirent à ce que je fisse l'opération.
En pratiquant l'incision du cuir chevelu, parfois il se produit un
écoulement de sang inaccoutumé. Les premières fois que j'opérai
sur le cuir chevelu, je comprimai la tête au moyen d'une bande
étroite d'Esmarch afin d'empêcher l'écoulement du sang, mais c'est
inutile. Ceci ajoute à la longueur de l'opération, et je pense qu'on
peut facilement arrêter l'hémorrhagie au moyen de la pince
hémostatique. Je relève ensuite la peau d'un côté, et j'enlève avec
336 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.
soin avec un trépan d'un demi-pouce une couronne d'os à la dis-
tance à peu près d'un doigt du côté droit de la suture sagittale, de
telle façon qu'il n'y a aucun danger de pénétrer dans le sinus lon-
gitudinal supérieur. La-dure-mère est séparée avec beaucoup de
soin de l'os, et mon avis est que, dans ce cas, elle est plus adhé-
rente que d'habitude. L'instrument dont je me sers pour enlever
l'os est une paire de « rugine forceps » beaucoup plus courbe que
d'ordinaire, et large d'un quart de pouce seulement. En cas d'hé-
morrhagie de la méningée moyenne, je fais de suite la ligature du
vaisseau au moyen d'une aiguille courbe. C'est toujours de cette
manière qu'il faut faire la ligature de la partie moyenne de la mé-
ninge. Ce vaiseau, qui parcourt une membrane étroite et peu éten-
due, ne se rétracte pas ni ne se contracte pas comme les autres
artères et le sang cesse de couler facilement et spontanément. La
malade ayant toutes les chances de guérir, j'opérerai seulement
aujourd'hui un côté, réduisant ainsi le danger de la commotion.
Je ne cesserai de l'observer; si son état mental ne s'améliore pas,
selon mes désirs, j'opérerai ensuite sur l'autre côté. La ligne de
l'incision de l'os est maintenant complète et s'étend de trois quarts
de pouce en deçà du sommet supra-orbitaire et presque en arrière
de l'occipital, mesurant 6 pouces 1/4 de longueur, et un quart de
pouce de largeur.
On voit une branche assez grande de l'artère moyenne de la mé-
ningée qui traverse l'ouverture. On enlève les pinces et on examine
soigneusement la plaie qui ne contient pas de vaisseaux qui cou-
lent. On arrête ordinairement l'hémorrhagie avec des pinces, mais
au cas où je vois quelques points d'écoulement de sang j'y ferai un
point, désirant arrêter toute hémorrhagie avant la fermeture de
la plaie. Le périoste est ensuite enlevé des bords du sillon, de
façon qu'il ne le recouvre pas et n'amène la réunion de l'os. On
place quelques mèches de crins de cheval dans la plaie, et on les
coupe à une longueur suffisante pour prévenir le danger qu'ils ne
glissent sous le cuir chevelu. Au bout de deux ou trois jours,
on enlèvera ces crins, à l'exception de 2 ou 3. En recousantla plaie
je fais attention d'obtenir une absolue coaptation. La plaie est soi-
gneusement pansée avec de la gaze stérilisée et la malade restera cou-
chée sur le côté droit pour favoriser le drainage. Maintenant, mes-
sieurs, l'opération est complètement terminée, et nous n'avons
plus qu'à attendre les événements. Son état mental a été examiné
de près, de façon à pouvoir reconnaître immédiatement s'il s'est
produit quelque changement dans son intelligence.
L'opération dura une heure, et me convainquit qu'on pouvait la
faire en une demi-heure probablement. L'enfant allait tout à fait
bien et les sutures étaient tombées au bout de cinq jours.
DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 337
§. III. La CRANIECTOMIE dans la MACROCéPHALIE; par le
Dr A. WIETH, professeur de chirurgie à la policlinique' de
New-York, chirurgien à l'hôpital du Mont-Sinaï. (Médical
Record, 21 février 1891, p. 233.)
Garçon né à terme, le 2 février 1890, travail normal, sans diffor-
mité, pesant environ 6 livres. Premier enfant de parents âgés d'à
peu près vingt-cinq ans, tous deux bien portants et développés
normalement. La mère remarqua que lorsque son fils avait quatre
semaines le battement de la fontanelle antérieure cessa. A part
ceci, on n'observa rien d'extraordinaire jusqu'au troisième mois;
il eut'alors la coqueluche, devint très nerveux, poussant des cris
comme s'il souffrait et ne dormant pas. Le médecin qui le soignait,
fit remarquer à la mère que l'endroit tendre (fontanelle) situé au
sommet de la tête s'était fermé par ossification et que ce dérange-
ment physique était dû à la compression du cerveau. Au mois de
juillet on lui administra de la morphine et du chloral pour le faire
dormir et cela dura pendant plusieurs mois.
Le 27 septembre à 11 heures 30 du matin, il fut pris d'une atta-
que de catalepsie ( ? ) et resta sans mouvement comme s'il était mort,
jusqu'à 1 heure de l'après-midi.
A la suite de cette attaque, les pieds se rentrèrent en dedans
(lalipes equino varus), le pied gauche était plus affecté ; la main
gauche était aussi plus légèrement repliée. Vers le 21 novembre il
s'était amélioré au point que l'on put cesser l'emploi des soporifi-
ques et l'enfant prit immédiatement de l'embonpoint et grandit.
Cependant le crâne restait toujours le même.
Le 1 ? janvier 1891, il fut confié à mes soins grâce à la recom-
mandation du Dr T.-S. Galbraith. A cette époque, il avait l'appa-
rence d'un enfant bien portant de onze mois. La face était grasse
et rose, les joues pleines et la physionomie bien ouverte. Le crâne
était de : petite dimension, de la grandeur de celui d'un enfant ordi-
naire de deux mois, et terminé en pointe. Par moment les yeux
étaient animés de mouvements convulsifs, les pupilles dilatées;
ils ne semblaient pas se rendre compte des objets. Le regard était
hébété et comme indifférent à tout ce qui se passait autour de lui.
Les mouvements des bras et des mains n'étaient pas réguliers lors-
qu'il s'agissait de saisir les objets qu'on lui présentait, c'était par
saccades qu'il les portait à sa bouche. Chaque fois que le pouce,
à la suite d'une de ces manoeuvres, pénétrait dans la bouche il y
restait et l'enfant le suçait pendant un certain temps jusqu'à ce
qu'un mouvement spasmodique vint le déplacer; il cherchait alors
à le réintroduire dans la bouche. La poitrine et le ventre, les par-
ties génitales et les cuisses étaient tout à fait normales en appa-
rence, et bien développées. Les jambes, un peu petites, et les deux
pieds rentrés en dedans, mais d'une façon moins marquée adroite.
Archives, t. XXIV. 22
338 thérapeutique CHIRURGICALE.
Encouragé par le rapport d'un cas de Lannelongue, travail que
je n'avais vu que dans un article du Médical Record, j'ai conseillé
l'opération et le 7 janvier 1891, je procédai de la façon suivante :
Chloroforme; tête rasée; précautions antiseptiques. Incision sur
la ligne médiane de la base du nez jusqu'au-delà de la protubérance
occipitale. La peau du crâne est écartée d'un pouce environ de
chaque côté de la ligne médiane ; l'ossification des os du crâne
était complète. Pas de cartilage interosseux.
On se servit du petit trépan et deux longues tranchées faites avec
la rugine, larges d'un quart de pouce, s'étendant juste au-dessus
des yeux jusqu'à la protubérance occipitale, laissant un pont de
trois quarts de pouce de large pour protéger le sinus supérieur lon-
gitudinal dans toute sa longueur.
Ensuite, à chaque extrémité de ces deux tranchées, j'enlevai sur
les côtés un pouce de surface et avec les ciseaux de résection je
divisai les pariétaux sur une étendue d'un pouce et demi, à la partie
médiane du sommet de la tète, coupant perpendiculairement dans
la direction de chaque oreille. J'introduisis ensuite mes quatre
doigts en dessous de chaque moitié du crâne mis à découvert et je
détachai ces parties de la dure-mère, les soulevant librement et
élargissant ainsi d'un pouce chaque tranchée. La dure-mère ne fut
pas ouverte. Ligatures au catgut.
Introduction de mèches douces de catgut en guise de drainage
de chaque côté, d'avant en arrière, entre le crâne et la dure-mère.
Injection au 1/50000 de bichlorure de mercure. Suture de l'enve-
loppe du crâne sur la ligne médiane avec le catgut. Pansement
aseptique. Le malade subit promptement l'action du chloroforme
et on cessa de lui en'administrer ; on n'eut pas besoin de recourir
aux narcotiques. Durée de l'opération : une heure trente minutes.
Il revint bien à lui.
Vers le 10 janvier, on remarqua une certaine amélioration intel-
lectuelle. Le huitième jour cela était très marqué. L'enfant remar-
quait ce qui l'entourait, et ses yeux suivaient le déplacement des
objets. Il saisissait ce qu'on lui présentait et dormait sans narco-
tique. 11 mangeait avec appétit. Le dixième jour, on renouvela le
pansement, et la plaie se referma par première intention sans
aucune suppuration.
Le malade quitta la ville pour retourner chez ses parents le
seizième jour après l'opération. Le renversement des pieds est
beaucoup moins visible et les mouvements saccadés des mains ne
sont plus si bien marqués.
Dans une lettre reçue récemment la mère écrit : « L'enfant s'est
beaucoup amélioré. Il s'occupe de tout ce qu'il voit comme tousles
autres enfants. C'est là un réel changement à noter chez lui. »
Je l'ai revu un mois après l'opération et ce qui s'était opéré en
lui était vraiment surprenant et en tout satisfaisant. Les difformités
DU traitement CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 339
des extrémités avaient entièrement disparu, et son intelligence
avait augmenté d'une façon notable. Il faisait attention à tout ce
qui se passait autour de lui, tenait à la main ce qu'on lui présentait,
riait et se comportait comme les enfants d'un développement ordi-
naire à six ou huit mois. Les pupilles n'étaient plus largement
dilatées et semblaient normales. 11 mange et dort bien et l'opéra-
tion a produit chez lui une grande amélioration.
L'opération ne diffère pas de celles déjà faites. Lannelongue,
Keen, et d'autres praticiens coupent une tranche d'environ un quart
de pouce de largeur, et d'un côté dans une seule opération. Il me
semblait que si le cerveau était enfermé par l'ossification préma-
turée des os du crâne, ceux-ci se détacheraient, se soulèveraient et
permettraient ainsi l'entier développement du cerveau.
Si l'opération offrait un avantage même momentané, elle pour-
rait être répétée. L'expérience seule peut démontrer si l'extension
du cerveau permettra aux os du crâne de se développer d'une
façon normale.
L'état de ces malades est si malheureux et si déplorable que, à mon
avis, l'on peut bien risquer de faire intervenir la chirurgie dans
une opération qui peut offrir une certaine espérance d'amélioration.
§ IV. CRANIOTOMIE linéaire (faussement dénommée : craniec-
tomie) dans LES cas DE MICROCÉPHALIE; par le Dr W.-W.
KEEN, professeur de chirurgie, à l'Académie de médecine
Jefferson, à Philadelphie. (American journal of med.
Sciences, juin 1891.)
J'ai intitulé ce travail craniotomie linéaire au lieu de craniectomie,
terme proposé par Lannelongue et employé dernièrement par moi-
même. L'opération consiste en une longue incision faite sur le
crâne, l'ablation d'une partie de la boite osseuse, car ce n'est
simplement qu'accidentellement que le tissu offre une matière
dure au lieu d'être douce. La terminaison : « ectomie » signifie
habituellement et de droit l'action d'enlever entièrement la partie
qui précède cette terminaison : exempta geazeris : Oophorectomie,
omphalectomie, néphrectomie, etc. L'ablation du crâne (comme
le signifie le mot craniectomie) se pratiquant rarement, notre
nomenclature s'applique bien aux faits. Le Dr Bauer emploie le
mot craniotomie à propos de son cas (voir plus loin), mais le mot
trépanation est, je crois, le terme propre qui s'applique à son opéra-
tion.
Dans le AedicalNews, du29 novembre 1890, j'ai publié un cas de
craniotomie linéaire pour la microcéphalie. L'objet de la présente
note est de compléter l'histoire de ce cas, d'en relater deux autres
que j'ai eus, d'ajouter quelques remarques sur un cas semblable
340 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.
qui m'a été fourni parles Drus B. Sachs et A.-B. Gerster (de New-
York) et d'un autre, identique, communiqué par le Dr J.-C. Mac
Clintock, professeur de chirurgie à l'Académie de médecine de
Kansas, faisant, avec les deux cas de Lannelongue et celui de'
Wyeth, huit en tout qui ont été opérés. Je signalerai également
deux autres cas pratiqués avant le mien, pour la même maladie et
dans la même intention, mais par des méthodes que je ne crois
pas devoir être classées comme opérations de craniotomies.
4er Cas. Pour les débuts de l'histoire voir les Médical News,
du 29 novembre 1890. Depuis l'opération, cette enfant a éprouvé
certainement une amélioration progressive et considérable, mais
pas autant que dans le cas de Lannelongue. L'enfant ne crie
presque plus, dort mieux, reconnaît une montre quand on la lui
présente, observe ce qui se passe autour d'elle se sert de quelques
mots par instants, mais pas d'une façon constante. Elle a presque
perdu l'habitude de tordre ses mains, si marquée avant l'opération.
1891. 17 février. Une opération absolument semblable à la
première fut faite sur cette malade à l'hôpital Jefferson. Un perfec-
tionnement opératoire me permit de la faire en trente-cinq minutes
au lieu d'une heure et quart. Au bout de cinqjours, elle allait tout
à fait bien. On n'employa pas le drainage.
24 mars. L'enfant va légèrement mieux. Je n'ai pas vu qu'elle
ait fait plus de progrès depuis la seconde opération qu'après la
première. (Il s'agit de l'enfant dont il est parlé plus haut, IL)
2" Cas. K.-K. fille, malade du Dr F.-X. Dercum. Etat, le
23 mai 1890. Elle avait un an la première fois qu'on la fit voir au
Dr S. Weir-Mitchell à l'hôpital orthopédique et à l'infirmerie des
maladies nerveuse. Très petite, ne fait aucun effort pour marcher
ou s'asseoir; les pieds et les mains sont froids, les muscles sont
flasques.
DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 341
ans, il est fort. Il a été élevé au sein, est hydrocéphale ; circonfé-
rence de la tête : 53e,3.
La malade est née à terme. Le travail dura vingt-quatre heures
et fut très pénible. Pas de forceps. L'enfant était très petit. Pas de
paralysie, mais très faible. On ne trouva pas de fontanelles à la
naissance et sa tête n'a pas- grossi depuis, son corps cependant a
grandi. Elle prit le sein pendant trois mois, et depuis ce temps
elle a pris le biberon. Elle eut un coryza qui dura six mois.
Etat le {or décembre (dix-neuf mois). Ne peut s'asseoir seule,
constamment en mouvement, douze dents.
342 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.
tale, la dure-mère adhérait fortement au crâne, mais sur tous les
autres points elle'se détachait facilement. Lorsque l'on introduisait
la pointe d'une paire de ciseaux, le morceau d'os se détachait et
alors le manche des ciseaux s'abaissait doucement : son simple
poids soulevait l'os d'une façon perceptible. Le périoste correspon-
dant à l'os enlevé fut lui-même coupé. La dure-mère n'avait pas
été incisée et avait une apparence normale. On plaça dans le
sillon quelques mèches de crin de cheval et on pansa la plaie.
L'opération dura une demi-heure. Température à la fin de l'opé-
ration 36°,6.
13 décembre (10e jour après l'opération). La plaie était bien
cicatrisée, on enleva au bout de cinq jours les points de suture.
Pendant les progrès de la cicatrisation, l'enfant montra des varia-
tions anormales de température, la plus haute n'atteignit cepen-
dant que 38°,3 : on ne put en découvrir la cause apparente. Après
avoir- gardé l'enfant quelques jours de plus pour s'assurer de sa
guérison, on la renvoya chez elle. Les médecins de l'hôpital sont
entièrement d'avis qu'elle est plus tranquille; elle se griffe beau-
coup moins la tête qu'elle ne le faisait avant l'opération quoique
pour moi il y ait peu de différence.
1891. 2 mars. Les facultés mentales de l'enfant se sont en
général beaucoup améliorées, mais pas aussi rapidement que je
l'aurais espéré. En conséquence aujourd'hui j'ai pratiqué une crd-
nionomie linéaire de l'autre côté de la tête absolument de la même
manière que la première fois. L'opération fut terminée en vingt
minutes avec les nouveaux instruments.
24 mars. - Le soir de l'opération sa température s'éleva subite-
ment à 40°,3', tombant en quatre jours à une température nor-
male. L'élévation subite de température fut trop grande pour être
attribuée à l'opération. La vraie cause fut bientôt découverte; elle
provenait d'un désordre intestinal prononcé qui avait commencé
la veille de l'opération'; ce fait ne m'avait pas été communiqué par
la mère. On ne se servit pas de drains, la plaie se comporta bien
et on put enlever les points de suture le cinquième jour. La
marche de la guérison est identique à celle du premier cas.
3° CAS : - J.-L. H., garçon âgé de seize mois, vu le 10 janvier \ 891.
Pendant le cinquième mois de la grossesse, la mère fut très
vivement impressionnée par la vue d'un enfant mort d'un de ses
amis; le septième mois elle faillit être écrasée'et eut une grande
frayeur. Le travail fut normal et dura trois heures; pas de
forceps. L'enfant pesait de 7 à 8 livres. La fontanelle antérieure était
très petite à la naissance et se ferma vers le septième mois.
L'enfant fut nourri au sein pendant trois semaines, et ensuite au
biberon. Vers trois semaines, six semaines, trois mois, il eut plu-
sieurs attaques de convulsions. A l'âge de douze mois, il était très
DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 343
maussade et devint irritable; depuis quelque temps, il l'était
devenu beaucoup moins jusqu'à son accident récent qu'on attribue
à sa dentition. Les parents disent qu'il eut le teint violacé pen-
dant un an, mais le Dr S. Slrker, son médecin, m'a dit que cette
couleur particulière n'était pas due à un foramen ovale persistant,
mais à une pigmentation constante et très marquée de la peau pro-
venant de la mauvaise circulation du sang. L'enfant a eu des
attaques provenant de ce mauvais état de circulation, mais elles ont
considérablement diminué dans ces derniers temps. Il était égale-
ment sujet à des accès de mélancolie apparente et d'agitation
continuelle quidurait un ou deux jours.
Etat actuel. 10 janvier 1891. L'enfant vient bien et se porte
bien en apparence ; aucune contracture ni autre difformité autre
que celle de la tête. Vu de face, le crâne est visiblement conique,
la face large, le sommet de la tête est étroit et arqué.
344 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.
fis l'opération en trente minutes. L'os saigna bien, mais non
d'une façon alarmante et l'hémorrhagie s'arrêta spontanément..
Aucun autre incident ne se produisit dans le cours de l'opéra-
tion, si ce n'est que la respiration de l'enfant fut assez précipitée
pendant un moment et qu'il eut en même temps une légère attaque
visible de convulsions. On constata un tremblement des extrémités
pendant l'opération. Il ne fut jamais complètement anesthésié.
Peu après l'opération je laissai l'enfant dans son lit à la garde
d'une infirmière et de sa mère. Il était légèrement pâle mais
moins qu'on aurait pu s'y attendre après une opération et rien
d'inquiétant ne se manifestait du côté de la respiration et du
pouls. Le Dr Taylor ne quitta la maison qu'une heure après l'opé-
ration, lorsque le pouls et la respiration de l'enfant ne lui inspi-
rèrent plus de crainte. Une heure et quart après l'enfant poussa
quelques soupirs convulsifs et mourut instantanément, probable-
ment d'une affection cardiaque. Il n'avait pas repris connaissance
depuis l'opération. Aucune autopsie ne put être faite en dépit des
plus grands efforts.
Cas IV. (Gerster et Sachs.) A. F..., fille âgée de quatre ans et
demi ; accouchement normal; premier enfant ; commença à mar-
cher à deux ans et à trois ans à dire quelques mots; mais elle
savait les employer à propos. A treize mois, rougeole. A quinze
mois, deux attaques distinctes de convulsions, sans paralysie.
D'autres attaques se déclarèrent à vingt-deux et vingt-neuf mois;
aucune depuis. Après ces attaques elle devint plus idiote ; elle
oublia son petit vocabulaire, devint instable, maussade et facile-
ment irritable ; dormait peu. Les fontanelles avaient disparu. Les
mensurations prises sur la tête rasée étaient :
DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 345
Cas VI ET VII. Deux cas rapportés par Lannelongue dans
l'Union médicale du 8 juillet 1890.
Cas VIII. Cas du Dr Mac Clintock. (V. p. 350.)
Si l'on considère ces différents cas, on est frappé par ce fait que
deux, parmi ces derniers, furent suivis de mort rapide. A mon
avis, les enfants atteints d'un développement cérébral aussi faible,
accompagné comme dans mon troisième cas d'une circulation
défectueuse, sont les moins préparés à subir le choc d'une telle
opération. Selon moi, la cause qui a déterminé la mort dans mon
cas, était due à une affection cardiaque, et dans les cas de Sachs
et de Gerster, elle fut attribuée à une anémie aiguë. Cette morta-
lité, qui est tout à fait anormale dans les opérations cérébrales
ordinaires, nous conduit naturellement à dire aux parents qu'il y
a plus de risques certainement que dans un cas ordinaire de trépa-
nation. Quant à moi, je suis d'avis que c'est là une chose plutôt
heureuse, car s'il n'est pas possible de secourir de tels enfants, il
vaut mieux pour eux la mort qu'une existence aussi misérable.
Nous devons cependant apporter tous nos soins surtout à l'admi-
nistration des anesthésiques, et abréger autant que possible des
opérations de ce genre. Les instruments que j'ai inventés pour ces
opérations, répondent certainement beaucoup mieux au but que
ceux dont je me suis servi tout d'abord; la preuve est que la der-
nière opération n'a duré qu'une demi-heure au lieu d'une heure
et quart dans la première. Avec mes instruments, il est préférable
de couper alternativement un peu à droite et à gauche (dans le
sens des orteils pendant la marche), afin d'empêcher le rappro-
chement des chairs. On remarquera que la branche supérieure de
l'instrument est trouée. Cette perforation s'élargit du bord du
tranchant vers le haut, de façon que chaque morceau d'os enlevé
chasse en dehors celui qui vient d'être détaché. Dans un cas récent
de laminectomie spinale, je me servis du même instrument pour
enlever les lames vertébrales, et je le trouvai de beaucoup supérieur
à tous les autres que j'avais sous la main et que j'avais d'abord
. essayés. Je n'ai pas encore opéré des deux côtés du crâne et je ne
conseillerais pas cette façon d'agir dans un cas de craniotomie.
Il est probable que ce mode d'opération serait très peu sage et
augmenterait de beaucoup la mortalité. Reste à savoir si deux
opérations latérales seraient plus efficaces qu'une seule pour l'amé-
lioration de tels enfants.
On peut résumer ainsi qu'il suit les résultats heureux apportés
à la condition mentale dans ces six cas : le deuxième cas de Lanne-
longue a été rapporté presque aussitôt, mais trop vite pour qu'on
puisse juger de ses résultats. De même pour le cas de Mac Clintock.
Chez les quatre autres enfants, il ne peut être question d'amélio-
ration, très rapide dans le cas de Lannelongue, plus lente mais
sûre dans man cas et dans celui de Wyeth. Nous avons en consé-
346 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.
quence, je pense, des raisons suffisantes qui nous encouragent à
opérer dans d'autres cas et c'est pour cela, et à cause du résultat
fatal obtenu dans deux cas, que j'ai été amené à faire connaître si
vite les miens, avant que les résultats définitifs aient été connus.
Cela demandera plusieurs années, et en attendant, nous devons faire
connaître les résultats immédiats pour servir de guide dans les autres
cas.
Dans la clinique des médecins et chirurgiens de Saint-Louis, d'avril
et mai 1890, le Dr Louis Bauër rapporte le cas d'une jeune femme
sur laquelle il a pratiqué la craniotomie pour un cas de microcé-
phalie. On ne donne pas son âge, ni les mensurations de la tête
et la date de l'opération. On enleva deux boutons de l'os pariétal
droit, et la partie du milieu qui les séparait fut enlevée au ciseau.
Le 9 mai, probablement 1890, une seconde opération fut pratiquée
du côté opposé. Avant l'opération, on constata une parésie spas-
modique des muscles accompagnée d'un fort tremblement qui,
apiès l'opération, avait diminué au point de permettre à la malade
d'enfiler une aiguille. On n'a pas de renseignement au sujet de la
condition mentale. Elle guérit de sa seconde opération, mais celle-ci
est encore trop récente pour qu'on puisse juger des résultats.
Dans The Médical News du 3 janvier 1891, le Dr Trimble (de
Baltimore) rapporte le cas d'un enfant âgé de trois ans, auquel il
fit l'opération du trépan le 8 novembre 1890. Il enleva sur le côté
droit de la'ligne médiane, deux boutons d'os, d'un pouce de dia-
mètre et un troisième d'un demi-pouce, de. telle sorte que l'ouverture
mesurait 2 pouces et demi de longueur sur 1 pouce de largeur. Le
6 décembre 1890 on nota quelque amélioration.
Je n'ai pas compris ce cas sous le titre de craniotomie linéaire,
car il me semble que ce sont là de simples cas de trépanation pra-
tiquée pour la microcéphalie et l'idiotie, comme l'ont fait déjà
Fuller et d'autres praticiens. La différence essentielle entre la tré-
panation et la craniotomie linéaire, est celle-ci : dans la cranio-
tomie linéaire on se propose d'enlever du crâne la largeur d'un
sillon entier, pour ainsi dire, tandis que dans la trépanation, pour
les cas cités plus haut, on a simplement enlevé deux boutons d'os
et le pont qui les reliait ; on a ainsi produit une différence dans la
pression du crâne sur le cerveau et simplement au point de trépa-
nation ; on a ainsi permis au cerveau lui-même une plus grande
extension. Quant aux résultats obtenus, quoique dans bien des cas
le temps écoulé soit trop court pour nous permettre d'avoir un
jugement, il me semble que ces résultats sont les mêmes après la
trépanation comme après la craniotomie linéaire elle-même; c'est
sans doute pour c la qu'on se montre indifférent sur cette matière.
Mais actuellement cependant, il me semble plus logique de prati-
quer la craniotomie que la trépanation.
L'opération de Wyetli ne me parait pas sage el par cela même
DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 347
entraîner plus de décès que la simple méthode employée ordinai-
rement. Deux cas ont été déjà suivis de mort; et si l'on fait une
double opération, et que les deux côtés du crâne soient forcément
séparés, le danger me semblerait beaucoup moins grand, la dure-
mère pourrait être facilement déchirée, surtout lorsqu'elle est
adhérente comme chez les enfants. De plus, le cerveau ne peut
suivre immédiatement l'écartement des os, mais il est certain d'ar-
river à occuper un espace plus grand, puisqu'on a ainsi favorisé
son développement graduel. On arrive plus facilement à ce résultat
par mon procédé que par la méthode de Wyeth. Les mêmes remar-
ques s'appliquent au cas de Mac Clintock.
§ V. CRANIOTOMIE linéaire POUR la microcéphalie ; par
le Dr Joseph RANSOHOFF, professeur d'anatomie et de chi-
rurgie clinique à l'académie médicale d'Ohio. (The Médical
News, samedi 13 juin 18 : 11, p. 653, vol. LVIII.)
Il n'y a pas encore un an, Lannelongue rapportait deux cas
dans lesquels, par l'ablation de deux longs morceaux du crâne, il
espérait donner au cerveau des enfants microcéphales plus de
place pour se développer. Soit que la croissance défectueuse du cer-
veau soit le résultat d'une synostose précoce dos sutures crâniennes
ou le contraire, les données à considérer sont celles d'un cerveau
petit avec capsule bien close résistant au peu d'impulsion de déve-
loppement que le premier cerveau pourrait posséder. Réduire
cette résistance par des procédés chirurgicaux parait assez logique.
L'opération ingénieuse de Lannelongue a pour but de rétablir la
tête d'un microcéphale solidement fermée aux conditions infantiles
existant avant que la réunion des fontanelles et l'oblitération des
sutures se produise. D'après un récent article du Dr Keen (American
Journal of the medical Sciences, june 1891), il paraîtrait que six cas
ont déjà été opérés. Au meeting dernier du Congrès français de
chirurgie, M. Lannelongue a rapporté sur 25 cas. Les cas sont
encore relativement peu nombreux, et je vais en citer un qui offre
un intérèt peu ordinaire :
Emma S.... âgée de trois ans sept mois; elle me fut adressée
par le Dr Jenkins (de Newport, Kentucky). Les parents étaient
vivants et bien portants, ayant six enfans ; l'un d'eux, âgé de seize
ans, est imbécile. La mère déclare quela tête de l'enfant se referma
peu après sa naissance. C'est à ce fait qu'elle attribue son arriéra-
tion mentale. Actuellement l'enfant est bien formée, en bonne santé,
d'un développemment corporel normal, et le teint vermeil. On voit
de suite à première vue la dimension relativement petite de la
tête et le tiraillement presque continuel des muscles oculaires. La
malade est incapable de marcher ou de se tenir sur son séant, même
348 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.
si on la soutient. Si on l'appuie contre un oreiller, le corps roule
d'un côté ou de l'autre. L'enfant ne parait pas connaître sa mère
ni avoir conscience de. cequi se passe autour d'elle. Les plus bril-
lants objets placés devant elle n'attirent pas son attention. Le seul
son qu'elle connaît c'est le bruit que fait la cuiller contre le bol de
soupe quand on la lui apporte au lit. Quand elle l'entend, elle sort
le bout de sa langue et fait des efforts pour sucer. La déglutition
se fait avec quelque difficulté et elle vomit une partie de la nourri-
ture. Dans les mouvements incohérents que fait l'enfant de temps
en temps, il est visible qu'elle se sert rarement de son bras gauche,
et que lorsqu'elle veut saisir ou tirer les rideaux du lit, les mouve-
ments du bras gauche sont bien plus limités que ceux du bras droit.
Toutes les heures ou toutes les deux heures, et cela pendant vingt-
quatre heures, la salle où l'enfant est placée résonne d'un cri court
et aigu que pousse la malade et semblable au cri encéphalique qui
précède une attaque d'épilepsie.
La tête est petite et en forme de pain de sucre type de l'oxy-
céphale. La suture sagittale se présente elle-même comme une
crête solide, distincte, avec un sillon bien défini du côté droit.
Durant les progrès de l'ossification le sillon gauche avait recouvert
le pariétal droit. Les mensurations prises sont les suivantes : bi-
frontal (diamètre) 3 pouces; bi-pariétal : 4 pouces 6/8; occipito-
frontal : 6 pouces ; entre les oreilles : 9 pouces 1/4; de la racine du
nez à l'occiput : 10 pouces.
L'opération fut faite le 9 février, au chloroforme. Pansements
antiseptiques sur la tête. Application de la bande d'Esmarch autour
de la tête pour prévenir l'hémorragie du cuir chevelu. L'incision
fut faite parallèlement à la suture sagittale et à un demi-pouce du
côté droit de celle-ci, partant de la suture lambdoïde jusqu'à un
pouce du niveau orbitaire. Les extrémités antérieures et posté-
rieure étaient courbées extérieurement. Il ne se produisit pas d'hé-
morrhagie du cuir chevelu. On enleva un morceau d'os suffisant y
compris le périoste, et au moyen d'un trépan d'un demi-pouee ou
enleva un bouton d'os. On coupa également une bande d'os de
3/8° de large sur 5 pouces 1/2 de long. Il fallut les plus grands
soins pour ne pas attaquer la dure-mère aux endroits d'adhérence.
L'incision de l'os se fit au-dessous de la peau jusqu'à un demi-pouce
de l'orbite. Quoiqu'il y eut une fillration considérable l'hémor-
rhagie céda bien vite à la compression. On enleva ensuite une
bande de périoste correspondant au sillon. On fit les sutures au
catgut après y avoir placé des drains de catgut. L'opération depuis
le commencement de l'anesthésie jusqu'à la fin dura quarante mi-
nutes. La perte de sang éprouvée causa une secousse considérable
à la malade. Dans les vingt-quatre heures elle était mieux.
L'opération ne fut pas suivie d'un rétablissement absolument
« normal ». 11 y eut un peu de suppuration à l'extrémité posté-
DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 349
rieure de la plaie; cela provenait probablement d'une mèche de
catgut imparfaitement stérilisée. La température le troisième et le
quatrième jour s'éleva à 403° dans la soirée (39°,4). A l'extrémité
postérieure de la plaie se déclara une fistule qui dura plusieurs
mois; cependant, la plaie si longue qu'elle fût, se cicatrisa par pre-
mière intention.
Résultats constatés trois mois et demi après l'opération, avant la
sortie du malade de l'hôpital : Les mensurations antéro-posté-
rieures ne montrent aucun changement avec celles prises avant
l'opération ; les mensurations transversales ont augmenté, bi-pa-
riétal : 1/4 de pouce; bi-frontal : près de 3/8 de pouce; le bi-
auriculaire à 9 pouces 3/4.
Quant à l'intellect, l'enfant présente l'intelligence d'une enfant
de six mois. Elle suit des yeux les personnes et les choses qui s'agi-
tent devant elle. Elle prend une montre avec une main ou avec
l'autre, la gauche possédant une force égale de coordination à celle
de la droite. Si on place une montre au-delà du champ visuel,
comme, par exemple, sur le côté de l'oreiller, elle cherche avec ses
deux mains à s'en saisir. La malade s'amuse seule avec un livre
d'images, et quand elle est fatiguée d'en regarder une, elle tourne
la page suivante avec difficulté. Elle reconnaît sa garde et attire
parfois son attention en tirant son tablier, quand elle a le dos
tourné. Elle a évidemment sa raison, quoique à l'état naissant.
La difficulté de la déglutition a complètement disparu. Ce cri quasi-
épileptique qu'elle poussait a cessé de troubler les autres malades
de la salle.
Si on la soutient assise sur un oreiller, elle restera ainsi une
heure à regarder à droite et à gauche avec un semblant d'intérêt.
Les efforts volontaires qu'elle fait pour se lever et pour s'asseoir
ne sont pas encore couronnés de succès quoiqu'elle ne réclame
qu'un peu d'aide pour cela.
REMARQUES, - L'amélioration déjà obtenue dans ce cas jus-
tifie la valeur de l'opération. Si d'ici six mois on constate un
arrêt de développement, il sera nécessaire de répéter du côté
gauche la même opération. On a commencé à opérer du côté
droit à cause de l'usage apparemment limité du bras gauche.
Si l'on est arrivé de cette façon à des résultats brillants, on le
constate par la facilité avec laquelle l'enfant se sert aujour-
d'hui librement de ce membre.
La condition des microcéphales est si déplorable, que l'in-
tervention de la science, ne promettant même que l'ombre
du succès, me semble justifiée. Que leur vie soit grandement
compromise, je ne le crois pas. Sur 26 cas opérés par Lanne-
longue, un seul mourut de septicémie, directement dû à l'o-
350 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.
pération, et deux du croup, un mois ou deux après l'opéra-
tion. Il est possible, quoique peu probable, que les spasmes
laryngiens étaient d'origine méningitique. Les cas de mort,
tout compris, ne sont que de 12 p. 100.
Dans l'article cité de Keen, ce praticien rapporte 6 opérations
faites en Amérique, en excluant deux qui n'étaient pas réelle-
ment des opérations de craniotomie. Sur ce nombre, deux furent
fatales 1 provenant d'affection cardiaque et 1 d'anémie
aiguë. Je suis d'avis que la bande d'Esmarch servira grande-
ment à limiter la fatalité de l'une de ces sources, puisque la
plupart des hémorrhagies proviennent des vaisseaux divisés du
cuir chevelu. Les inspirations de Wyeth conseillant d'opérer
des deux côtés de la tête d'un seul coup, et de séparer de ce
fait forcément la voûte cranienne de la dure-mère située au-
dessous, ne se recommandent pas. Le choc et l'hémorrhagie
que ces deux opérations produisent, ne feraient sans doute
qu'augmenter le danger immédiat et l'agglomération intra-
crânienne du sang ajouterait au danger de l'infection.
§ VI. COMPTE RENDU D'UN cas DE CRANIOTOMIE linéaire
pour MICROCÉPHALIE; par le Dr J.-C. Mac CLINTOCK (de To-
peka). (Journal of nervous and mental diseases, octobre
1891, p. 645.)
Le Dr J.-C. Mac Clintock de Topeka, dans le Kansas Médical
Journal pour le mois d'août 1891, rapporte le cas suivant :
Hélène C..., âgée de trois ans et huit mois, ayant l'apparence
d'un enfant d'un an, est née avant terme (huit mois). La mère dit
que le travail fut rapide, naturel et facile, et qu'on n'eut recours
à l'emploi d'aucun instrument. Pendant les premières semaines,
elle paraissait comme les autres enfants, mais la fontanelle anté-
rieure se ferma de bonne heure, époque à partir de laquelle la
portion frontale du crâne ne se développa pas, et l'enfant parais-
sait idiote. L'effet général de la nutrition ne se produisait pas et la
force musculaire ne se développait pas. Elle pouvait à peine lever
les mains et les pieds, elle n'avait jamais pu se tenir assise, et sa
mère devait s'en occuper constamment et cela depuis sa naissance
jusqu'à l'époque actuelle.
La tête était très étroite, le front bas et la face portait une
absence complète d'intelligence. La profusion de la paupière droite
était sans doute due à l'effort que faisait le cerveau pour s'échap-
per de son enveloppe crânienne étroite, refoulant vers le bas le
plafond orbitaire.
L'enfant prit très bien le chloroforme, et l'opération, d'une façon
DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIÉ. ma
aseptique, fut accomplie le 28 mars 1891. On fit une incision par-
tant de c glabelle jusqu'à l'obélion », sur le cuir chevelu. Puis,
deux trous de trépan furent faits près de l'angle postéro-supérieur
de chaque os pariétal, un de chaque côté du sinus longitudinal;
partant de là, on fit une incision rejoignant le point situé immédia-
tement au-dessus des sourcils, avec l'instrument de Keen, d'un
quart de pouce, puis le sillon fut dirigé directement en dehors. On
pratiqua ensuite un autré sillon en dehors et en bas, et partant
des trous du trépan ; ce qui faisait ainsi deux languettes d'os que
l'on enleva du bout des doigts, introduits daus le trou du trépan, en
baissant et en soulevant, de sorte que le sillon d'un quart de pouce
eut la largeur d'un pouce entier de chaque côté, laissant un point
d'os de la moitié ou trois quarts de pouce de largeur sur le sinus
longitudinal. L'os était très épais; à un endroit du côté gauche, il
avait un quart ou un tiers de pouce d'épaisseur.
Il n'y eut pas d'hémorrhagie pendant l'opération, si ce n'est un
écoulement facile à arrêter par la compression. La dure-mère ne
fut pas ouverte. On fit des injections, on plaça des drains de catgut
de chaque côté, dépassant aux angles antérieur et postérieur de la
plaie, et l'on rapprocha les bords avec des sutures de catgut. On
n'employa pas d'antiseptiques. On fit coucher le malade et le len-
demain matin la température marquait 103 (39°,4). Le pouls était
très rapide. On changea le pansement et on enleva les drains de
catgut. Pendant quelques heures, la température resta normale, et
au bout d'une semaine, on enleva les pansements, qui avaient été
salis par la nourriture renversée sur eux. A cette époque, on
remarque une union parfaite sur toute la longueur de l'incision, et
deux jours après l'enfant sortait de l'hôpital.
La mère dit que, depuis qu'on a fait l'opération, l'enfant
repose mieux qu'avant, elle crie beaucoup moins et nécessite beau-
coup moins d'attention et de soins. Elle prend plaisir à étendre
ses membres, à exercer ses muscles, à soulever son corps, et lorsque
d'autres enfants l'approchent, elle se met à rire et essaie de les
attrapper pour jouer avec eux. La paralysie, si apparente avant
l'opération, a aujourd'hui presque complètement disparu, de sorte
que sa main gauche est presque aussi agile que là droite.
(Ce travail est accompagné de deux figures. Sur la figure 2, prise
deux mois après l'opération, on remarque un changement notable
chez l'enfant.)
§ VII. Trépanation pour microcéphalie ; par HAYEs
AGNEW. (University med. Magazine, oct. 1891.)
Rien ne démontre peut-être davantage l'enthousiasme de la chi-
rurgie moderne que les essais faits pour développer dans les cer-
veaux des idiots les fonctions intellectuelles.
352 THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.
- Le tableau ci-dessous présente sept cas, quatre de garçons et trois
de filles, leur âge est de quatre ans sept mois, seize mois, cinq ans,
six ans et demi, dix-neuf mois, quatre ans et demi, et deux ans et
cinq mois; quatre sont morts et guérirent. Un des décès ne peut
être attribué à juste titre à l'opération, mais bien à une fièvre
scarlatine consécutive à celle-ci. Sur les trois cas qui ont guéri, le
résultat est le suivant : un est assez satisfaisant au point de vue de
l'amélioration ; un autre dans le temps est trop rapproché pour se.
prononcer, l'autre enfin est amélioré. S'il était vrai que dans ces
cas, il y avait un développement défectueux du cerveau et du crâne,
et que, en conséquence, le développement de l'encéphale était
comprimé par la résistance de son enveloppe osseuse, il y aurait
là, en théorie au moins, un motif plausible pour faire disparaître
cette résistance afin de permettre la croissance du cerveau.
Tel n.est cependant pas le cas. La réunion prématurée des su-
tures est tout à fait visible, et dans un des cas notés dans le tableau,
le cerveau ne remplissait pas complètement la cavité crânienne.
Trépanation pour microcéphalie.
DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE 1.'IDIOTIE. 353
Lannelongue rapporte vingt cas de trépanation pour des cas de
microcéphalie. La mortalité suivaut l'opération fut, il est vrai,
très basse, mais les termes dans lesquels on donne les résultats, à
savoir : amélioration générale, sont vraiment trop vagues pour la
logique même du fait.
Je ne crois donc pas que l'excision linéaire, ou craniectomie, pra-
tiquée sur le crâne, pour le développement du cerveau, doive deve-
nir un procédé établi de chirurgie. Quand nous considérons les
résultats merveilleux obtenus à l'HospicE de 131CÉTRE pour l'éduca-
tion des idiots et des enfants arriérés, et aussi dans des établisse-
ments similaires de notre pays, je crois qu'il serait beaucoup plus
sage de reléguer ces types infortunés de l'espèce humaine dans des
Ecoles spéciales d'éducation plutôt que de les livrer au trépan es
aux bistouris. Les seuls cas discutables seraient ceux d'athétose
dans lesquels on pourrait espérer quelque amélioration.
Les travaux qui précèdent nous paraissent prêter à quelques
considérations critiques.
I. Les chirurgiens qui ont pratiqué la craniectomie ne se
sont pas préoccupés sérieusement, avant d'intervenir, de savoir,
par un examen anatomique des crânes, si les sutures étaient
en réalité soudées chez les idiots plus tôt que chez les enfants
sains de même âge. Les uns se sont appuyés sur une opinion
émise autrefois par Virchow, non pas à propos de la généralité
des idiots, mais seulement au sujet d'un groupe, les microcé-
phales,,opinion qu'il a, croyons-nous, abandonnée depuis
longtemps. Les autres, quoique sachant cette opinion mal
fondée n'ont pas hésité à intervenir chirurgicalement. Enfin
presque tous, au lieu d'attendre un temps suffisant pour
apprécier exactement les résultats thérapeutiques obtenus par
M. Lannelongue, et tout en critiquant le chirurgien français
de sa publication hâtive (Keen), se sont empressés d'opérer et
de publier.
II. Quelques-uns de nos auteurs donnent sur l'état des
fontanelles des renseignements qui nous semblent sujets à
caution. Les parents n'apportent en général, aucune atten-
tion à l'occlusion des fontanelles, à l'époque où elle est com-
plète ; c'est là, soit dit en passant, une observation que les
médecins devraient leur conseiller. Interrogés, ils répondent
sans se douter de l'importance de ce qu'ils disent. Quelquefois
les parents, qui n'ont aucune notion anatomique, disent que
Archives, t. XXIV. 23
35'f THÉRAPEUTIQUE CHIRURGICALE.
la fontanelle antérieure était petite; qu'elle s'est fermée de
bonne heure. Mieux vaudrait une bonne description, d'après
un examen très minutieux, faite par le chirurgien. Et si nous
disons très minutieux, c'est que nous savons par expérience,
qu'il n'est pas toujours aisé, à travers le cuir chevelu, souvent
épais, de ne pas se tromper. Nous avons commis cette erreur
à l'occasion d'un idiot bien connu, le Pacha. Dans une pre-
mière publication nous avons indiqué que la fontanelle était
ossifiée. Or, à l'autopsie, elle persistait, au contraire, large et
longue. Nous devons dire, pour atténuer notre erreur, que
le cuir chevelu était dur, épais, et que la membrane qui fermait
la fontanelle était très résistante. Donc, il faut examiner les
fontanelles très minutieusement et à diverses reprises avant de
se prononcer.
Quant aux détails donnés sur les sutures, il est difficile qu'ils
soient exacts. Ce n'est pas avec le toucher, même le plus
délicat, que l'on peut constater l'ossification ou la non ossifi-
cation des sutures. Dans son cas, le Dr Ransohoff assure que
la suture sagittale se présentait comme une crête solide, dis-
tincte, avec un sillon bien net à droite. C'est là une disposi-
tion assez rare, mais qui ne correspond pas toujours à une
synostose complète. Wieth écrit : « L'ossification des os du
crâne était complète; il n'y avait pas de cartilage interosseux. »
L'incision limitée du cuir chevelu ou même les incisions
multiples n'autorisent pas des affirmations aussi nettes et,
pour décrire avec exactitude les sutures, il est indispensable
d'enlever le périoste.
En pratiquant au crâne une ouverture de tire-lire, leschi-
rurgiens se sont imaginés que les os a se détacheraient, se sou-
lèveraient » (Wieth) et que cette ouverture permettrait l'entier
développement du cerveau. Or il ne se produit aucun écarte-
ment ; dès le lendemain de l'opération, il se fait un travail de
réparation, tendant à combler la brèche. Même lès brèches
osseuses les plus longues ne peuvent être d'aucune utilité, en
supposant vraie l'hypothèse chirurgicale et les crânes des
idiots enseignent ce qu'il faut en penser, car le crâne reste
fermé, n'est pas rendu plus extensible; le cerveau ne parait
même pas avoir une tendance à faire hernie par la brèche,
retenu qu'il est par la dure-mère. Pour réaliser leur but, les
chirurgiens ne devraient pas se borner à une brèche longeant
la faux de la dure-mère, ils devraient réunir les extrémités de
DU TRAITEMENT CHIRURGICAL DE L'IDIOTIE. 355
cette brèche par une brèche horizontale, passant au-dessus
des oreilles ; alors les os de la voûte tout à fait séparés par une
fontanelle artificielle circulaire ne gêneraient plus l'expansion
du cerveau. Il n'y aurait plus qu'à vaincre la résistance de la
dure-mère. Et c'est là un obstacle de minime importance pour
la chirurgie moderne !
III. La plupart des observations dont nous avons donné
la traduction laissent beaucoup à désirer. La description des
opérés avant l'intervention chirurgicale est toujours, en général,
trop sommaire. Plus sommaire encore est la description des ma-
lades après l'opération et toujours les renseignements sont pu-
bliés à nne époque si rapprochée qu'aucun jugement sérieux ne
peut être porté. Il est du devoir des chirurgiens de nous fournir
maintenant la suite, non plus opératoire mais thérapeutique,
de leurs observations, en nous indiquant également la nature
des soins médicaux et pédagogiques dont leurs craniectomisés
ont été l'objet. Ce qu'il importe d'avoir, ce n'est pas des opi-
nions maternelles, mais des opinions réellement scientifiques.
Il conviendrait aussi de nous donner les mensuralions de la
tête que l'on pourrait mettre en regard des mensurations prises
avant l'opération et comparer avec les mensurations d'enfants
sains et leurs différences durant le même temps. Le jour où
les chirurgiens nous fourniront ces documents nous pourrons
voir si leurs idiots craniectomisés présentent un développement
de la tête plus rapide que celui des idiots soumis à un traite-
ment médico-pédagogique convenable et méthodique. Cet exa-
men sera d'autant plus facile pour nous que depuis plus d'une
douzaine d'années nous'avons noté tous les ans ou tous les
six mois les changements de volume de la tête de nos malades.
IV. D'une façon générale, aussi bien à l'étranger qu'en
France, les chirurgiens nous paraissent peu au courant des
connaissances médicales sur les différentes formes d'idiotie et
sur leur traitement. « L'état de ces malades est si déplorable,
écrit M. Wieth, que l'on peut bien risquer de faire intervenir
le chirurgien dans une opération qui peut offrir une certaine
espérance d'amélioration. » Et M. Keen, voulant atténuer
l'importance de ses décès ne craint pas d'écrire ceci : « Quant
à moi, je suis d'avis que c'est là une chose plutôt heureuse,
car s'il n'est pas possible de secourir de tels enfants, il vaut
mieux pour eux la mort qu'une existence aussi misérable. >
356 BIBLIOGRAPHIE.
C'est là sans doute une pensée chirurgicale « fin de siècle ».
Nous la répudions. Les médecins, nous a-t-on enseigné, ont
pour mission de guérir, d'améliorer ou de soulager les malades
qui leur sont confiés,~et non de remplir les fonctions d'exécu-
teur des hautes-oeuvres. Qu'au point de vue social, une loi
ordonne la mort des idiots, cela n'est pas notre affaire; nous,
médecins, nous céderons la place à M. de Paris.
Mais, cette loi n'existe pas ; les médecins conformément aux
principes qui leur ont été enseignés, ont cherché à améliorer
la situation physique, intellectuelle et morale des arriérés, des
imbéciles et des idiots. Et ils y sont parvenus. Que MM. les chi-
rurgiens visitent les asiles consacrés aux Etats-Unis, en Angle-
terre, etc., au traitement et à l'éducation de ces malheureux;
qu'ils lisent les travaux publiés sur cette partie de la pathologie
et ils se convaincront que leur intervention n'est pas justifiée
dans l'immense majorité des cas.
(A suivre.) BOURNEVILLE.
BIBLIOGRAPHIE
VIII. De l'oblitération des sutures du crâne chez les idiots; par le
Dr Ernest Tnct2osr. Th. Paris, 1892, aux bureaux du Progrès
médical.
Ce travail, entrepris sous la direction du or Bourneville, et basé
sur l'examen des nombreux crânes d'idiots du musée de Bicêtre,
arrive à son heure pour rappeler un peu aux partisans de la crâniec-
tomie les notions exactes sur cette question, notions qu'ils parais-
sent, on le croirait du moins, ignorer. Pour pratiquer cette opéra-
tion ils se basent en elfet sur une théorie de Virchow, qui n'était
d'ailleurs applicable qu'à certains cas, et à laquelle l'auteur lui-
même a renoncé. Des photographies de crânes, dont l'un est
cràniectomisé, montrent bien ce qu'il faut penser de cette oblité-
ration prématurée des sutures comme cause d'idiotie. L'auteur
aurait pu y joindre les cerveaux contenus dans ces crânes pour
nous faire constater les anomalies de développement congénitales
et les lésions qu'ils présentent, et que, malgré tous ses mérites, la
crâniectomie sera toujours impuissante à corriger.
Des examens pratiqués par l'auteur et dont il nous donne un
tableau synoptique très détaillé, on arrive à ces conclusions, que
. bibliographie. 357
l'oblitération des sutures du crâne ne se fait pas plus prématuré-
ment chez les idiots que chez les sujets sains; que l'arrêt de déve-
loppement du cerveau n'est, en aucun des cas observés, la consé-
quence d'un arrêt de développement de la boile osseuse; que la
synostose ne se montre pas plus tôt sur la sagittale que sur la
coronale et que le plus souvent la synostose commence par le
quart inférieur de la coronale alors que l'obélion est libre.
Le fait même que des idiots craniectomisés sont venus se faire
traiter à Bicêtre démontre mieux que toutes les théories l'inanité
de la crâniectomie. La seule chance d'amélioration réside dans un
traitement médico-pédagogique raisonné. P. S.
IX. Un mot' sur Laënnec ; par Fr. Gueumonprez, Lille, Le Quarré,
1892.
Cette brochure est une apologie justifiée de Laënnec comme
professeur de clinique. L'auteur y publie deux lettres du savant
médecin où il prouve combien il appréciait les lourdes responsa-
bilités incombrant au professoral. « Laënnec, dit Henri Roger, est,
avec Dupoytren, son émule, un des fondateurs de l'anatomie palho-
' logique en France. » M. Guermollprez plésente ensuite les dilférentes
façons dont a été jugé Laënnec, notamment par MM. Cornil,
Bouillaud, Charcot qui, souvent, dans ses Leçons, a cité Laënnec
comme un grand observateur, et Chauffard. L'auleur termine enfin
cetle brochure par une série d'intéressantes citations toutes en
l'honneur de ce Breton qui restera une des gloires médicales de la
France. Ajoutons que cette notice est accompagnée de gravures
représentant la statue de Laënnec par Lequesne, des portraits de
Dupuytren, Bouillaud, Charcot et Chauffard et la production du
buste de Laënnec de M. Maillard exposé au salon de Paris de cette
année. ALBIN. Rousselet.
X. Les troubles de la mémoire; par le Dr Paul SOLLIER. (Bibliothèque
médicale Ciiarcot-Dedove. Paris, 1892, J. Rueff et Cie, édit.)
L'auteur s'est efforcé de faire une étude médico-psychologique,
d'indiquer ce qu'on sait ou croil savoir des amnésies, et plus
encore peut-être tout ce qui reste à en connaître, de donner enfin
un guide aussi pratique que possible aux observateurs dans l'exa-
men des amnésiques.
Le livre est divisé en deux parties, dont l'une, la première, est
consacrée à l'amnésie en général, sa définition, son mécanisme,
ses variétés ; et dont l'autre, la seconde, traite des diverses amné-
sies, progressives, à débuts brusques, et du rôle enfin que peut
jouer l'amnésie au cours de plusieurs entités morbides.
M. Sollier a eu pour objectif de donner aux philosophes les indi-
cations nécessaires pour étudier les maladies de la mémoire au
358 bibliographie.
point de vue médical, et de donner aux médecins les notions psy-
chologiquesindispensables pour les examiner cemplèlement. Aussi,
dans l'état actuel de cette question si complexe, devons-nous le
féliciter hautement, et de la manière dont il a posé le problème,
et surtout de la façon brillante dont il l'a résolu, en dépit des diffi-
cultés de tout ordre.
L'exposé psychologique des données que nous possédons sur la
mémoire normale, par laquelle il débute, va servirdebase aux divi-
sions et aux considérations uttétieures, aussi l'auteur ne craint-il
pas d'insister, et de compléter les démonstratious des hypothèses
qu'il propose à l'aide de schémas explicatifs, qui permettent de
suivre les descriptions, quelle qu'en soit la complexité appa-
rente.
En ce qui concerne le mécanisme des amnésies, M. Sollier expose.
successivement quelle est, à son avis, celui de l'amnésie simple, de
l'amnésie rétrograde, et de l'amnésie antérograde, en ayant soin,
chaque fois qu'il s'aventure dans le domaine de l'hypothèse de pré-
venir le lecteur des réserves qui conviennent. '
Il s'autorise des conceptions qui lui semblent les plus acceptables,
pour, après avoir soumis à une analyse critique les diverses classi-
fications qui ont déjà été proposées, notamment par MM. Ribot,
Legrand du Saule, Kussmaul, Rouillard, justifier l'ordre nouveau
dans lequel il les exposera à son tour. Ce seront d'abord les amné-
sies générales, puis les amnésies partielles; et, dans chacun de ces
grands groupes, il distingue, selon que les amnésies sont systéma-
tisées, ou non. Dans les amnésies générales systématisées, il recon-
naît l'amnésie simple, rétrograde, antérograde, la paramnésie de
localisation, de certitude et la dysmnésie organico-fonctionnelle.
Mais avant que d'entrer dans l'étude de chacun des groupes en
particulier, il indique la technique en quelque sorte, à laquelle il
sera bon de se soumettre pour l'examen des amnésiques.
Dans cette seconde partie du livre règne une distinction capitale,
entre les amnésies organiques de la paralysie générale, du satur-
nisme, de l'alcoolisme, etc., et les amnésies fonctionnelles de l'épi-
lepsie, de l'hystérie, etc. Chaque cas particulier est étudié aux di-
vers points de vue de sa production, de son rôle symptomatique, de
son diagnostic, de sa valeur séméiologique tant au point de vue
clinique pur, qu'au point de vue médico-légal.
Certes un livre aussi touffu, et aussi riche d'idées originales,
prêterait à de nombreuses discussions, et c'est là, à notre avis,
encore un de ses mérites que d'inciter à la controverse ; nous pré-
. ferons, toutefois, nous borner dire tout le bien que nous pensons
de cet excellent ouvrage, qui nous semble appelé à rendre les plus
signalés services, tant aux philosophes qu'aux médecins. ,
Paul BLOC(j.
bibliographie. 359
XI. Leçons sur les maladies de la moelle ; par le Dl' Pierre Marie.
Paris, 1892, G. Masson, éditeur.
Les lecteurs des Archives de Neurologie connaissent de longue
date la personnalité scientifique de M. Pierre Marie, et en des
termes tels, qu'il serait presque superflu d'insister auprès d'eux sur
la valeur de l'excellent ouvrage que nous lui devons. Aussi bien,
nous suffirait-il d'indiquer ici l'esprit général dans lequel il a été
conçu, et les principales matières qui y sont traitées. L'auteur étu-
die avec un soin particulier l'étiologie et fait une place prépondé-
rante à l'influence qu'acquerraient à cet égard, les maladies infec-
tieuses dans la pathogénie d'un grand nombre de myélopathies qui
jusqu'alors paraissaient reconnaître pour origine l'hérédité névro-
pathique.
Aussi, sent-on, en toute occasion, cette préoccupation de M. Marie
de faire aux microbes la part qui doit leur revenir, à son avis,
dans la genèse de diverses affections, où leur rôle ne semblait pas
évident jusqu'à présent et de prévoir même que ce rôle ne peut
manquer d'acquérir dans le domaine neuropathologique une im-
portance proportionnée à celui qu'ils jouent en pathologie géné-
rale. Pour opposée que soit cette manière de voir avec la doctrine
de l'influence héréditaire qu'a tant contribué à établir M. le pro-
fesseur Charcot, qu'il n'est excessif de prétendre qu'on la lui doit
' toute, elle n'en est pas moins séduisante, au premier abord, par
son originalité, et, après la lecture des leçons de M. Marie, par l'in-
génieuse logique des arguments dont il se prévaut.
Nous ne saurions nous aventurer sur le terrain de cette grande
discussion doctrinale, et, aussi bien, nous aurons assez à faire que
d'exposer le contenu seul de ce volume. La plus grande partie en
est consacrée d'une part à l'étude des dégénérations secondaires de
la moelle, d'autre part à celle du tabès dorsal. Les autres leçons
traitent du tabes dorsal spasmodique, de la paralysie infantile, de
la sclérose en plaques, de la maladie de F1'Íed1'eich, des scléroses
combinées, et de la sclérose latérale amyotrophique, en somme de
presque toute la pathologie spinale. Parmi les dégénérations descen-
dantes, l'auteur distingue celles qui sont consécutives aux lésions
du cerveau et celles qui sont entraînées par des altérations de la
moelle elle-même. En deux cas, les lésions des faisceaux pyrami-
daux dominent, mais, lors de lésions de la moelle, il existe, en
outre, des dégénérations moins bien connues, portant sur les par-
ties intra-pyramidales des faisceaux médullaires : dégénération du
faisceau en virgule de Schültze, dans les cordons postérieurs, dégé-
nération du faisceau intermédiaire du cordon latéral, et d'un fas-
cicule auquel M. Marie propose le nom de faisceau sulco-murginal
descendant, dans les cordons antéro-latéraux. Les dégénérations
ascendantes sont étudiées avec le même soin, et la même clarté,
360 BIBLIOGRAPHIE.
dans les deux circonstances où elle se présentent : soit à la suite
d'altérations du neuraxe, soit après des lésions des racines posté-
rieures. M. Marie justifie pleinement les longs développements où
il entre à cet égard, par l'intérêt qui s'attache à la constitution de
ces racines, des lésions desquelles dépend une grosse partie de la
pathologie médullaire.
Encore qu'il soit original d'un bout à l'autre, nous devons nous
borner à signaler le chapitre qui a trait aux dégénérations des
nerfs et de la moelle consécutives à une amputation des membres.
M. Marie ne considère comme tabes spasmodique vrai que celle
des variétés de ce groupe morbide, qui survient dans l'enfance, en
raison d'un vice de développement des cordons pyramidaux, et il
en donne une description complète. Il étudie ensuite la sclérose en
plaques dont l'origne infectieuse ne lui parait pas pouvoir être
mise en doute et à l'anatomie-pathologique et à la symptomatolo-
gie de laquelle il fait néanmoins une large place.
Puis vient l'étude du tabes dorsal, véritable monographie de
l'alaxie locomotrice progressive, qui n'occupe pas moins de seize
leçons sur trente-huit dont se compose le livre. C'est dire avec
quel luxe, luxe qui n'exclut pas la recherche, est exposée cette im-
portante myélopathie; clinique et anatomie-pathologique ont
également bénéficié de l'attention compétente et critique qu'a con-
sacrée M. Marie à tracer de la maladie de Duchenne un tableau
aussi complet que bien ordonné. Les diverses théories qui préten-
dent expliquer la nature de l'affection sont soumises à une discus-
sion approfondie, en même temps que M. Marie s'applique à dé-
montrer que le tabes résulte d'une altération primitive des cellules
ganglionnaires périphériques et des ganglions spinaux dont le
primum movens est la toxine d'origine syphilitique soupçonnée par
Strumpell.
L'auteur ne manque pas à l'occasion de la maladie de Friedriech
qui prend les deux chapitres suivants, de donner son avis motivé
sur « l'opinion erronée mise récemment en circulation » par cer-
tains auteurs sur la nature purement neurologique de la sclérose
spinale dans l'ataxie héréditaire.
Il propose une classification nouvelle des scléroses combinées, et,
dans d'intéressantes remarques sur la circulation de la moelle, il
trouve la démonstration de l'opinion qu'il professe sur l'origine
vasculaire de ces scléroses. L'étude de la paralysie infantile permet
ensuite à M. Marie de revenir en l'étayant sur de nouveaux argu-
ments, sur une conception qu'il a déjà formulée et tendant à iden-
tifier cette maladie avec l'hémiplégie cérébrale infantile. L'histoire
de la sclérose latérale amyotrophique termine le volume : nous y
noterons la part que l'auteur accorde aux troubles psychiques dans
cette maladie, ainsi que le rôle prodromique que pourrait parfois
y jouer la neurasthénie.
VARIA. 361
La lecture de ce magnifique ouvrage, que facilite encore la pré-
sence de nombreuses figures, est rendue agréable par un style
aisé en même temps que précis aussi, tant à ce point de vue,
qu'à celui de la méthode anatomo-clinique employée, les leçons de
M. Pierre Marie, offrent-elles un air de parenté qui ne manque pas
de frapper. Il y a là un témoignage que nous aimons à relever,
en faveur d'une hérédité scientifique, qui fait également honneur à
l'élève et au maitre. Paul BLOCQ.
VARIA.
LES Femmes médecins ET LES Asiles d'aliénés DE l'État.
On annonce que la commission civile de l'Etat de New-York fera
passer un examen aux dames canditates, pour l'emploi de méde-
oins dans les asiles d'aliénés de l'Etat, au Capitole, à Albany, le
H juin. Les canditates doivent résider daus l'Etat, et avoir fait un
stage d'une année dans un hôpital ou avoir exercé pendant trois
ans (The New-York Med. Journ., 30 mai 1891). Bien qu'il s'agisse là
d'un fait un peu ancien, nous le reproduisons par ce qu'il fournit
un renseignement intéressant.
La situation DES médecins d'asiles A la NOUVELLE-ZÉLANDE.
Il y a dix ans, la législature de la Nouvelle-Zélande décida que
les asiles de cette colonie seraient dirigés par des médecins direc-
teurs qui auraient, avant leur nomination à cette fonction, acquis
l'expérience et les connaissances nécessaires dans les asiles.
Je propose de discuter celte motion, en vous recommandant de
confirmer cette décision, et de protester à l'avenir contre la nomi-
nation de tout médecin qui, désigné pour occuper la place de
directeur d'un des asiles de la Nouvelle-Zélande, n'aurait pas au
préalable acquis les connaissances voulues pendant son stage de
médecin dans quelque grand asile. En outre, comme il est impossible
qu'un directeur fasse la besogne, sans l'aide de médecins adjoints,
je demande de mettre dans le rapport que chacun des trois grands
asilesde cette colonie (Dunedin, plus de 500 malades; Anckland, près
de 400 ; Christehurch, près de 400), soit pourvu d'un médecin adjoint t
au moins, afin que les malades ne restent jamais sans médecin, et
afin de stimuler en même temps le zèle des médecins,
362 FAITS DIVERS.
Dans l'intérêt des malades ces places seraient permanentes. Vous
imaginez-vous les commissaires anglais ordonnant au médecin
directeur de Colney-Hatch de se rendre à l'asile de West-Riding ! ! !
Les médecins directeurs ont droit à la courtoisie et ne doivent
pas courir la colonie comme un constable de police.
Je vous demande également d'insister auprès du Gouvernement
pour qu'il accorde l'autorisation de pratiquer les autopsies, à moins
d'une opposition de la famille. Le secrétaire colonial sera chargé
de demander au Parlement la levée de cet interdit.
Le Dr Morton Manning (Rapport sur les asiles d'aliénés) dit que
les règlements arrêtés par le gouvernement prescrivent aux direc-
teurs une conduite libérale. Dans la Nouvelle-Zélande, quelles
règles existe-t-il au delà de celles d'un agent civil ordinaire ? Les
appointements seraient égaux aux revenus obtenus par les médecins
qui occupent un bon rang dont le district, et les vacances accordées
seraient au moins de six semaines chaque année.
Au sujet d'un médecin adjoint supplémentaire, le D'' Kirkbude
dit : « Quand le nombre des malades s'élèvera à 250, surtout s'il y
a dans une forte proportion des cas récents, on demandera deux
médecins-adjoints. »
Le Dr Arlidge dit à propos du même sujet : « On demande un
médecin adjoint pour 300 ou 350 maladies chroniques, mais pour
des cas récents et chronique tout à la fois (comme dans la Nouvelle-
Zélande, on demande pour chaque catégorie un adjoint pour un
nombre atteignant de 150 à 200 malades. » The Satellite of thc
Annual of the Universal med. Sciences, du Dr Ch.-E. Sajous, 1890,
nov., p. 42.) .
FAITS DIVERS.
Asiles d'aliénés. Nominations et mutations. M. le Dr Bno-
QUÈIRE, médecin-adjoint à l'asile de Bassens, a été nommé au même
emploi à l'asile de Bracqueville (arrêté du 19 juillet). M. le Dr
Colin, médecin-ajoint à l'asile Sainte-Gemmes, est nommé au même
emploi à l'asile de Lafond (Charente-Inférieure), (arrêté du
13 août 1892). -M. le Dr TOULOUSE est nommé médecin-adjoint à
l'asile Sainte-Gemmes (arrêté du 17 juillet). M. le Dr Pnnnr est
nommé médecin-adjoint à l'asile de Bassens.
BELGIQUE. La Chambre des représentants vient d'adopter il
l'unanimité le projet de loi sur l'hypnotisme, modifié par le Sénat
au mois de décembre dernier (Semaine médicale).
FAITS DIVERS. 363
Distinctions honorifiques. M. le professeur J. M. CaencoT a
été récemment nommé grand' croix de l'ordre de la Couronne de
Roumanie. Notre collaborateur et ami, M. Gilles DE la Tour-
nETTE, ancien chef de clinique de M. le professeur Charcot, vient
d'être nommé officier d'Académie.
Faculté DE médecine DE PARIS, - Clinique de pathologie mentale
et des maladies de l'encéphale. M. Gilbert Ballet, agrégé, a été
chargé du cours, de clinique de pathologie mentale et des mala-
dies de l'encéphale, pendant le semestre d'été.
Faculté DE médecine DE TOULOUSE. M. le Dr RhMOND, agrégé,
est chargé, pendant l'année scolaire 1892-93, d'un cours des
maladies mentales.
Faculté DE médecine DE Berne. il. le Dr W. VON SPEYR, docent
de psychiatrie, est nommé professeur extraordinaire.
Faculté DE médecine DE BERLIN. M. le Dr SIEMERLING, privât
docent de psychiatrie, est nommé professeur extraordinaire.
Faculté DE MÉDECINE de Halle. M. le Dr WOLLENBERG est
nommé privat docent de psychiatrie et de neurologie.
Faculté DE médecine DE \VURZ(iOUEG. - M. le Dr Sommer est
nommé privat docent de psycliiatrie.
JEFFERSON MEDICAL COLLÈGE DE PHILADELPHIE. M. le Dr F. X.
DERCUM est nommé professeur de pathologie nerveuse.
NEw-Yon6 POLICLINIC. M. le Dr HERTER est nommé lecteur
d'anatomie et de pathologie du système nerveux.
LES aliénés de la Seine. Le Conseil général de la Seine a dis-
cuté récemment le rapport présenté par M. Deschamps, au nom
de la 3° commission, sur un projet de placement familial de cer-
taines catégories de malades internés dans les asiles de la Seine.
M. le rapporteur a exposé l'économie du projet et fait ressortir les
expériences concluantes, à son avis, faites à l'étranger, notamment
en Belgique, dans la colonie familiale de Gheel, ville de 12,000 âmes,
où les aliénés, au nombre de 1,800, sont disséminés dans les familles
du pays. Après une discussion à laquelle ont pris part MM. Ileppen-
heimer, Rousselle, le directeur des affaires départementales,
Levraud, Piperaud, G. Berry, Cattiaux, le préfet de la Seine et
Deville, les conclusions du rapport de M. Deschamps invitant l'ad-
ministration à établir à Dun-sur-Auron (Cher) une première
colonie familiale de cent déments séniles exclusivement choisis
parmi les inoffensifs ont été adoptées. Un crédit de 75,625 francs
est mis à cet effet à la disposition de, l'administration (Prog. méd.)
Nos lecteurs ont vu au compte rendu du Congrès de Blois la
discussion de cette affaire.
364 FAITS DIVERS.
Hospitalisation DES enfants IDIOTS ET ÉPILEPTIQUES. Sur la
proposition de M. Régis, la Société de médecine et de chirurgie de
Bordeaux a adopté, à l'unanimité le voeu suivant, qui a été adressé
au préfet de la Gironde. Il est ainsi conçu :
« La Société de médecine et de chirurgie de Bordeaux, sur la pro-
position de M. Régis, émet le voeu :
c il Que l'hospitalisation des enfants idiots, arriérés et épilepti-
ques, destinée à être imposée aux départements par la future loi
sur les aliénés, soit organisée dès maintenant dans la Gironde, en
raison de son urgente nécessité;
sexes, comprenant tous les éléments hygiéniques et pédagogiques
usités dans le traitement et l'éducation de ces malades, soit annexé
à bref délai à l'un des établissements hospitaliers de Bordeaux : -.
hôpital Saint-André, hôpital des Enfants ou asile des aliénés de
Picon. » (Bull. méd.). Comme on le voit, la réforme défendue
depuis longtemps avec tant de persistance par noire rédacteur en
chef fait chaque jour des progrès. Nos félicitations à M. Régis et à
la Société de médecine de Bordeaux.
Prix (3AILLARGER. Par décret en date du 11 août 1892, le secré-
taire perpétuel de l'Académie de médecine est autorisé à accepter,
au nom de cet établissement, aux clauses et conditions imposées,
le legs fait par le Dr Baillarger, consistant dans la somme néces-
saire pour acheter une inscription de rente de 1.000 fr. en 3 p. 100.
Cetle rente servira à fonder un prix bisannuel de 2.000 francs
qui sera décerné à l'auteur du meilleur travail sur la thérapeu-
tique des maladies mentales et sur l'organisation des asilespublics
et privés consacrés aux aliénés.
Société D'HYPNOLOGIE. -Dans la prochaine séance de la Société
'd'hypnolonie et de psychologie, qui aura lieu aujourd'hui il juillet,
'sous la présidence de M. Dumontpallier, à 4 heures et demie. Salon
des Sociétés savantes, on pourra s'occuper d'un curieux cas de folie.
Le 10 mai dernier, un sieur L..., qui avait été chargé par son
patron d'aller encaisser, boulevard Henri IV, une somme de
7,000 francs, disparaissait et, malgré les recherches les plus actives,
on n'avait pu retrouver ses traces. On avait cru qu'il avait été vic-
time d'un guet-apens, il n'en était rien. Voici ce qui était arrivé.
Après avoir encaissé les 7,000 francs, L... avait pris le train à la
gare Saint-Lazare et s'était rendu au Havre. Arrivé dans cette ville,
il était devenu subitement fou, et comme on n'avait trouvé sur lui
aucun papier établissant son identité, il avait été interné dans une
maison sous la mention : « Inconnu. »
Les soins qui lui furent prodigués lui ayant rendu la raison, il
obtint bientôt son « exeat » et il revint à Paris.
Hier soir, il s'est présenté chez M. Evrard, commissaire de police,
FAITS DIVERS. 365
pour se constituer prisonnier. Son patron a été prévenu, mais
ayant retrouvé sur L... les 7,000 francs, moins les frais du voyage,
il s'est désisté de sa plainte contre son employé. Que pense le
Dr Bérillon de ce malade singulier ? (Matin, il juillet 1892.)
Monument A DucHENNE (DE BOULOGNE). - Le conseil général de la
Seine a volé une somme de 200 francs pour contribuer à l'érec-
tion d'un monument à Duchenne (de Boulogne), à la Salpêtrière,
Le syndicat de la presse médicale, sur la proposition de M. le
Dr Joffroy a également contribué à cette oeuvre. Nous transmet-
trons à M. le Dr Joffroy les souscriptions que l'on voudra bien nous
envoyer.
La température ACTUELLE.-Nous venons de traverser une période
de chaleurs exceptionnelles. Les cas d'insolation, tant à Paris qu'en
province, ont été nombreux. Dans la journée du 19 août, une des
plus chaudes, on a relevé à Paris un certain nombre de cas graves.
C'est ainsi que : M. X..., terrassier à la compagnie de l'Ouest, pris
subitement de folie sur la voie, par suite d'insolation, s'est enfui
chez lui où on l'a trouvé dévorant ses souliers; le malheureux a été
transporté à l'infirmerie spéciale de la compagnie.
Mme W..., se promenant à Clichy, a été prise tout à coup d'une
fièvre chaude occasionnée par le soleil et s'est jetée à l'eau.
M. C..., qui péchait à la ligne sur le quai Michelet, à Levallois,
a été également pris de folie furieuse et s'est jeté dans la Seine.
Enfin, M. T..., employé au Jardin d'Acclimation, a succombé vers
dix heures, à une congestion déterminée par un coup d'insola-
tion.
Exercice illégal DE la médecine ; LE magnétisme. La Cour
d'appel de Lyon vient de décider que la loi de ventôse, relative à
l'exercice de la médecine, s'applique à tous ceux qui attirent à eux
des malades, en leur faisant concevoir l'espérance d'une guérison ;
elle ne subordonne, d'ailleurs, l'existence de la contravention
qu'elle entend réprimer, ni au mode de traitement employé, ni à
l'administration d'aucun médicament; ces dispositions s'étendent
manifestement à la pratique de tous les procédés prétendus cura-
tifs (magnétisme, hypnotisme, etc...), alors même qu'ils n'auraient
eu d'autre effet que d'agir sur l'imagination des malades.
Cette décision a été prise à propos d'un M. P... qui attirait chez
lui des malades, qu'il soumettait, sous prétexte de traitement
magnétique, à des pratiques étranges, mais sans administration de
médicaments, ce qui lui permettait de prétendre qu'il n'exerçait
pas la médecine. L'une de ses clientes, la femme N..., est devenue
folle à la suite des passes qu'il lui a fait subir et des propos qu'il
lui a tenus.
La Cour n'a pas admis le bizarre système de défense du
366 FAITS DIVERS.
sieur P..., et l'a condamné, bien qu'il ait eu la précaution de se cou-
vrir de la collaboration d'un docteur en médecine pour légitimer ses
pratiques « magnétiques ».
Nous manquons de place pour donner ici les considérants de cet
intéressant jugement. Quoi qu'il en soit d'après lui, il résulte que
le traitement magnétique (on peut ajouter : l'hypnotisme) cons-
titue, de la part d'une personne non diplômée, une infraction à la
loi sur l'exercice de la médecine. C'est, d'ailleurs, la troisième fois
que P... est condamné pour le même fait; il l'avait été déjà
en 1887 et 1890.
Un singulier médecin. Le tribunal de Cassel vient de condam-
ner M. le Dr Wiederhold, directeur d'une maison de santé pour
maladies nerveuses à Wilhelmshôhe, à trois mois de prison, pour
avoir maltraité violemment et à plusieurs reprises une de ses pen-
sionnaires, sous prétexte que la correction physique était un bon
moyen de traitement contre l'hystérie. Ce médecin a sans doute
voulu rivaliser avec certains chirurgiens américains heureuse-
ment rares qui excusent leurs décès dans les cas de craniecto-
mie, en laissant entendre qu'ils débarrassent la Société (p. 345,
349). (B.)
Le SPECTRE du choléra. De Constantinople au Petit Parisien :
« Une frayeur terrible s'empare du Sultan toutes les fois que
le choléra éclate dans quelque pays limitrophe de ses Etats.
« C'est grâce à cette terreur et aux mesures extraordinaires
qu'il prend dansson empire, dès l'apparition de cette épidémie que
Constantinople a été préservé jusqu'ici de ce terrible mal.
c 11 est donc bien facile de comprendre l'émotion qui s'est empa-
rée de tout le monde au palais du Yildiz, résidence du sultan,
lorsque hier matin, Abdul-Hamid a fait appelerau palaisle Scheikh
Ul-Islam, chef du culte musulman, pour lui ordonner de faire des
prières dans les mosquées, afin' que le prophète préservât l'empire
et le Sultan de ce redoutable fléau.
« En faisant cette prière au Scheikh-Ul-Islam, le sultan tout
ému et pâle, lui dit qu'il avait « vu » pendant la nuit le choléra.
z Je l'ai vu, ajoutait-il, de mes propres yeux vu ! »
« Voici ce qu'on raconte à ce sujet. Le Sultan, qui travaille assez
tard dans. son cabinet, s'élant rendu à une heure après minuit à
son harem, a vu un être enveloppé de blanc, couvert d'un suaire
errer dans le couloir. Il s'arrêta et croyant que c'était quelque
servante du harem, lui donna l'ordre de s'approcher. Mais le fan-
tôme, à l'ébahissement du Sultan, continua sa marche errante et
disparut au détour d'un couloir.
« Les eunuques coururent alors pour retrouver le fantôme, mais
ils ne trouvèrent personne. L'apparition, comme tout vrai fantôme,
s'était évanouie subitement.
FAITS DIVERS. 367 Î
« Or, le revenant n'était autre qu'une odalisque somnambule qui
se promenait, comme elle a l'habitude de le faire, dans le couloir
au bout duquel se trouve sa chambre, où elle était rentrée sans
bruit pour regagner son lit.
« Comme personne n'a osé donner le mot de l'énigme au Sultan,
afin de ne pas provoquer un ordre désastreux pour la malheu-
reuse odalisque, le Sultan croit toujours avoir vu le sceptre du
choléra, et cela lui fait une peur atroce.
« L'odalisque somnambule a été renvoyée immédiatement de
Yildiz dans un autre palais, pour que ses excursions nocturnes
n'aient plus à l'avenir des résultats aussi fâcheux. a (Eclair, 41 juil-
let 1892.)
Le soleil ET la lune. Un pauvre diable de marchand des
quatre saisons, pris de folie, tirait son pantalon hier, au beau
milieu du parc Saint-Cloud, se le roulait autour du cou en guise de
cravate et se promenait au travers des groupes en criant à tue-
tête : « Qui veut voir la lune ? Qui veut voir le soleil ? »
Il fut malmené assez rudement par deux ou trois pères de
famille, puis en fin de compte conduit au commissariat, d'où il a
été dirigé sur l'infirmerie de Versailles. (Eclair, 28 juin 1892.)
Suicide d'un adolescent. Un jeune homme de quatorze à
quinze ans, nommé Delahaye, entré comme apprenti au service
de M. Hartmann, boulanger à Gaillon, s'est donné la mort dans
la soirée du 27 janvier. Il avait, dit-on, reçu des reproches de son
patron et s'en montra affecté et courroucé. Il monta à sa chambre,
emprunta un fusil de chasse à un camarade, s'assit sur son lit, se
mit le canon du fusil dans la bouche et fit partir la détente avec
son pied; c'est du moins ainsi que le drame a pu être reconstitué
d'après la situation du cadavre et la direction du projectile, dont
la trace avec les débris de cervelle se voyait au plafond. (la Vallée
de l'Eure, 4 févr.)
Folie alcoolique. Un homme grièvement blessé se présentait
au poste de l'Opéra : Arrêtez-moi, dit-il, je viens de tuer ma
femme..., son cadavre est chez moi, rue Houdon, à Montmartre...
Après l'avoir assassinée, j'ai voulu me suicider, je me suis frappé à
la gorge d'un coup de couteau, je viens me constituer prisonnier.
On arrêta immédiatement le pseudo-assassin, qui prétendit se
nommer Jules H..., pendant que des gardiens de la paix se ren-
daient dare-dare à la maison du crime >.
Grand fut leur étonnement en trouvant la victime en excellent
état de santé. Elle raconta aux agents que, dans un moment d'accès
alcoolique, son mari avait voulu se tuer et s'était enfui aussitôt.
H... a été envoyé à l'hôpital Beaujon dans un piteux état. (Lan-
terne, 2 juillet 1892.) Georges Guiron et J.-B. CHARCOT.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
BOURNEVILLE. - Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie,
l'hystérie et l'idiotie. Compte rendu du service des enfants idiots épilep-
tiques et arriérés de Bicêtre pendant l'année 1890, avec la collaboration
de MM. C.4MESCASSE, ISCH-WALL, 111ORAX, RAOULT, SÉGLAS et SOLLIER,
1 fort volume de Lx-240 pages, avec 16 figures et 10 planches.- Prix :
6 fr.; pour nos abonnés, prix : 4 fr.
BounNEViLLE. Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'hystérie
et l'idiotie. Compte rendu du service des enfants idiots, épileptiques et
arriérés de Bicêtre pendant l'année 1891, avec la collaboration de
MM. BANZET, ISCH-WALL, RAOULT, Il. SOREL et P. SOLL1ER. Volume in-8°
de cvtn-144 pages, avec 2 planches et 13 figures. Prix : 5 fr. pour
nos abonnés, 3 fr. 50.
CHARCOT (J.-M.). Leçons du mardi à la Salpétrière. Notes de cours de
MM. BLIN, CHARCOT et Colin, Seconde édition, 1 vol. in-4° de 502 pages,
avec 101 figures. Prix : 20 fr. Paris, 1892. - Aux bureaux du
Progrès médical. Pour les abonnés des Archives, 16 fr.
CHARCOT (J.-M.). Clinique des maladies du système nerveux de la
Salpêtrière. Leçons du professeur, mémoires, notes et observations des
années scolaires 1889-90 et 1890-91, publiés sous la direction de Georges
GUINON, chef de clinique, avec la collaboration de MM. Gilles DE la
TOURETTE, BLOCQ, HUET, PAR31ENTIER, Souques, HALLION, J.-B. CUARCOT et
MEIGE. Tome I". Un beau volume de 468 pages, avec 47 ligures et
3 planches. Prix : 12 fr. Aux bureaux du Progrès médical. Pour
les abonnés des Archives, 8 fr.
SHAW (J.). Epitome of mental diseases, with the présents méthodes
of certification of the Insane, and the Existizzq Régulations as to « Single
Patients », for PraclÍlÍ01lel'S and students. Volume in-12 de 345 pages.
London, 1892. Simpkin, blarshall, Hamillon.
SouRy (J.). Des fonctions du cerveau (doctrines de l'école italienne
et de l'école de Strasbourg). 2° édition, revue et corrigée. 1 volume
in-8° de 464 pages, aveu figures dans le texte. Prix : 8 fr.; pour nos
abonnés : 6 Ir.
' STEMBofL.). Akromegalie und akromikrie. Brochure in-8°de 33 pages,
avec 2 planches hors texte. Saint-Pétersbourg, 1891. Buchdrucke-
rei von Wienccki.
SUDNICK (R.). lIIodificaciones cualitatiuas del Reflejo de la Rodilla.
Brochure in-8° de 14 pages. Buenos-Ayres, 1892. Etablecimiente
Grafico de Gunche, Wiebeck y Turtl.
Le rédacteur-gerant, Bourneviue.
tyreux, C. H&I\ISSEV, Imp.- 90 ?
j rchives de Neurologie. ? ... T. XXIV. PU .'
Flg 1
Il Fig 2
il1ha,ad l1al de] et lith.
lmp Ed Bry, Pans
Vol. XXIV.. Novembre 1892. N, 72.
ARCHIVES DE NEUROLOGIE 7;
, *- 'r * * ruz ^ « . : ?
- ? "*->; ? 1 : ? ? ?
PATHOLOGIE MENTALE
" ' DE L'ONOMATOMANIE (suite)1;
Par Mil. CHARCOT et MAGNAN.
IV. - MOTS préservateurs.
Nous venons de voir que sous l'influence du mot
compromettant, les onomatomanes finissent pars'effor :
cer de ne plus penser, évitant de parler, d'écrire, de
lire, de regarder, s'éloignent dès qu'ils entendent
causer, se coufiuent chez eux ou, s'ils sortent, ils
s'empressent, quand ils le peuvent, de se retirer dans
des lieux écartés, loin de toute habitation. Malgré ces
nombreuses précautions, le mot compromettant inter-
vient encore et ils recourent pour le conjurer à des
moyens variés et fatigants; signes de croix, abandon
des vêtements, changement de domicile, etc.
Avec le mot préservateur, ces malheureux déséqui-
librés ont momentanément un répit, mais souvent, ils
trouvent encore moyen de s'inquiéter et de s'angoisser
par l'obligation de répéter un grand nombre de fois
' Voy. AI'ch. de New'ol., n° 29, sept. 1885, p. 157, et n° 70, juillet 189,
p. 1 et 11, 71, septembre 1892, p. 161.
Archives, t. XXIV.. 2't
370 PATHOLOGIE MENTALE.
soit le mot, soit le mot accompagné d'un mouvement
plus ou moins fatigant, qui paraît lui donner plus de
force. Ils finissent~par être tellement obsédés par l'idée
de se protéger ou de protéger les autres que la vie se
passe à répéter puérilement les formules ou les mots
préservateurs. Les uns emploient un mot insignifiant
auquel ils attribuent une influence préservatrice ;
d'autres mettent à contribution des expressions à
caractère favorable; d'autres recourent à une sorte
d'oraison jaculatoire (Bonne sainte, protégez-moi.
Jésus souffrant, agonisant, mourant, expirant ! ) ou de
formule cabalistique : (Etoile 13 bière, linceul,
tombeau); d'autres, enfin, a un mot pénible ou funeste,
opposent un mot agréable ou préservateur : au mot
malheur, par exemple, 'ils s'empressent de substituer
bonheur; à erreur, vérité. Nous verrons encore une
malade se hâter anxieusement de substituer le signe
graphique mouton ou boeuf à celui de chien qui l'épou-
vante ou bien l'image réelle du boeuf à celle du chien ;
l'angoisse ne cesse qu'après cette superposition d'images
dans le centre cortical correspondant, la seconde efface
l'influence pénible de la première.
Une autre malade est dans l'obligation en termi-
nant un ouvrage de le sceller, en quelque sorte, par
un mot (ours, serpent) sans relation aucune avec le
travail accompli, c'est une sorte de moyen mnémo-
technique, une affirmation qui rassure; sans le mot,
tout repos est impossible et le malaise devient si grand
qu'il faut finir par prononcer ce mot.
Toutes ces bizarreries, même les plus étranges, sont
appréciées à leur juste valeur par le malade, tout à
fait conscient de l'absurdité de ses actes; mais'ou
DE L'ONOMATOMANIE. 371
session est là, pressante, impérieuse, tyrannique, et
le patient, honteux, désolé, mais angoissé, est forcé
d'obéir.
Observation XXIV. Dégénérescence mentale. Accès mélancolique.
Onomatomanie, formule préservatrice. Crainte du loucher; doute;
Arilhmomanie.
L... (Berthe), âgée de quarante-un ans, entre à Sainte-Anne
le 16 décembre 1891. La mère très nerveuse avait sans motifs sé-
rieux des accès de désespoir dans lesquels elle se roulait à terre en
pleurant; le père est mort hémiplégique. L... a eu une fièvre ty-
phoïde à dix ans et depuis cette époque, elle a présenté à diverses
reprises de courtes périodes de tristesse, jusqu'à vingt-deux ans. A
cette époque, elle a été prise d'un véritable accès mélancolique
avec préoccupations hypochondriaques et tendances au suicide.
Puis se sont montrés plusieurs syndromes épisodiques, l'onoma-
tomanie avec l'idée obsédante de répéter certains mots pour éviter
un malheur. En se lavant les mains, elle était forcée de dire « mains '
divines » en souvenir des mains du divin crucifié, dit-elle; quand
elle mettait ses bas elle devait répéter « pieds divins » en souvenir
également du Christ, et en se. coiffant, elle devait dire : « divine
tête couronnée d'épines » ; ces souvenirs pieux ainsi exprimés,
devaient la préserver, elle et les siens, d'un malheur prochain ;
parfois encore elle adoptait une sorte de formule préservatrice :
« Jésus souffrant, agonisant, mourant, expirant. » Elle se sent,
malgré elle, poussée à dire ces mots; il le faut, dit-elle; si elle
résiste, elle est énervée, anxieuse, elle a l'estomac contracté, la
gorge serrée, elle voudrait parfois ne plus les dire, mais elle est
forcée de le faire. Tantôt elle prononce ces mots à haute voix,
d'autres fois, elle remue simplement la langue, mais sans émettre
de sons, enfin parfois elle voudrait se contenter d'avoir ces phrases
présentes à son esprit, mais cela ne suffit pas, il faut qu'elle les
prononce, alors seulement elle se sent rassurée et soulagée.
D'autres syndromes épisodiques, la folie du doute, l'arithmoma-
nie, les craintes du toucher, tourmentent la malade tantôt simul-
tanément, d'autres fois à des intervalles éloignés.
Cette malade avait adopté ces formules jaculatoires
en rapport avec ses sentiments religieux; toutefois,
elle affirme nettement que ces phrases se sont pré-
sentées spontanément à son esprit sans qu'elle ait eu
à les chercher. Elle ne comprend rien à ces préoccu-
372 PATHOLOGIE MENTALE.
pations étranges et elle a parfaitement conscience du
caractère maladif de ces obsessions et de ces impul-
sions. '
Observation XXV. Dégénérescence mentale. Folie du doute. Ono-
matomanie : mots préservateurs. Influence funeste des croix.
H... (Marie), âgée de vingt-un ans, entre à l'asile Sainte-Anne le
23 octobre 1888. Son père s'adonne à l'ivrognerie et une de ses
soeurs, émotive, a présenté au huitième mois d'une grossesse, une
attaque d'éclampsie. Dans son enfance, Marie est intelligente, a
une excellente mémoire, fait des progrès à l'école, mais elle ne
comprend rien au calcul et tandis qu'elle est une des premières
pour l'orthographe, l'histoire, la géographie, etc., elle est la plus
faible en arithmétique. A quinze ans, à l'apparition des règles,
elle devient irritable, pleure ou rit sans motifs, a des cauchemars
la nuit, se réveille parfois en poussant des cris.
A dix-sept ans, elle est prise de doute, le soir, avant de se cou-
cher, elle inspecte les portes, pour s'assurer qu'elles sont bien fer-
mées, fait tourner les clefs dix, quinze fois et se rassure seulement
lorsque sa mère consent à venir elle-même visiter la porte et tou-
cher la serrure.
Plus tard, elle est obsédée par l'idée qu'elle doit accomplir plu-
sieurs fois certains actes, ou répéter certains mots préservateurs
pour éviter qu'une maladie grave ne vienne frapper l'un de ses
parents. Elle se croit obligée de répéter plusieurs fois « M. Nicolas »
pour éviter la maladie. Pourquoi ? Elle n'en saitrien, mais elle doit
le répéter et lorsqu'elle résiste, elle est prise de palpitations, son
visage s'empourpre, son estomac se serre, elle éprouve un très
grand malaise, elle s'angoisse, se hâte alors de dire plusieurs fois
le mot et elle se sent soulagée. De même, elle a parfois la crainte
des voleurs et c'est en répétant plusieurs fois « M. Gaquet » qu'elle
se sent protégée, elle et les siens. .
Dès qu'elle aperçoit des couteaux ou des fourchettes en croix.
elle est vivement émue et s'empresse de les déplacer par crainte
de la maladie. Dans la rue, elle fait grande attention sur les trot-
toirs à ne pas poser le pied perpendiculairement en croix sur la
ligne de juxtaposition de deux dalles. Si elle aperçoit des brins de
paille ou des morceaux de bois entre-croisés, elle prend mille pré-
textes pour s'approcher de ces objets et les déplacer, si parfois,
elle a le courage de passer outre, elle est forcée, au bout d'un ins-
tant, de rebrousser chemin pour retrouver les pailles croisées et
les déplacer; elle met à ces recherches une telle attention, qu'elle
ne prend garde à rien et qu'elle a failli plusieurs fois être renver-
sée par des voitures. .
DE L'ONOMATOMANIE. 373
. La déséquilibration mentale de cette dégénérée s'est
révélée dès l'enfance par l'inégalité de ses aptitudes :
très bonne élève pour les études littéraires, elle ne
comprenait absolument rien en arithmétique. Plus tard,
interviennent le doute et l'onomatomanie. Ici, c'est
un nom propre, indifférent par lui-même, qui s'impose
tyranniquement comme. agent préservateur : , ,
. t
Observation XXVI. Dégénérescence mentale. Onomatomanie ; .,
formules préservatrices.
S... (Albertine), âgée de seize ans, entre à l'asile Sainte-Anne le
12 juillet 1886. Sa grand'mère paternelle s'est suicidée par sub-
mersion et sa tante, la fille de cette dernière, s'est également
noyée. Le père est un débile. La mère est aussi d'une faible intel-
ligence.
S... est allée à l'école, mais elle apprenait difficilement et elle
sait à peine lire et écrire.
Depuis un an, on s'aperçoit qu'elle touche plusieurs fois le même
objet en prononçant quelques paroles à voix basse; parfois même,
on la voit s'éloigner ou se retirer dans un coin et prononcer rapi-
dement plusieurs mots. Elle raconte que le plus souvent, elle est
forcée de dire « Non, je n'obéirai pas au diable », ou bien « Bonne
sainte, protégez-moi ». Ces mots, qu'elle accompagne habituelle-
ment d'un mouvement en cercle de la main, ont pour vertu,
pense-t-clle, d'éviter des malheurs et de chasser le démon. Quand
elle les a prononcés, sa physionomie exprime le contentement, elle
se sent soulagée. Lorsqu'elle résiste, qu'elle lutte, qu'elle n'ose pas
prononcer ces mots devant des personnes étrangères, elle éprouve
un très grand malaise et elle finit par être forcée de le dire à voix
basse.
Elle est aussi parfois poussée à toucher les objets, et elle accom-
pagne ce contact d'une de ses phrases habituelles, c'est également
pour conjurer le mal. Elle ne te rend pas bien compte de ce que
peuvent faire ces contacts, mais elle ne peut pas, dit-elle, agir au-
trement. t.
L'éloignement de la famille, l'influence d'un entou-
rage expérimenté et l'hydrothérapie ont, au bout de
trois mois, fait disparaître ces obsessions.
Nous avons trouvé des formules analogues chez un
374 4 pathologie mentale.
malade que nous venons de voir récemment. C...,
Honoré, âgé de trente ans, issu de parents très ner-
veux, est fort ému par l'anniversaire d'événements dra-
matiquesle 27 juillet, depuis la catastrophe du che-
min de fer de Saint-Mandé et l'exécution des assassins
Berland et Doré, est devenu une date funeste qui lui
fait craindre soit un accident, soit un assassinat, soit
un suicide, et il s'empresse de conjurer ce futur mal-
heur par une oraison jaculatoire : « Sainte Marie,
accordez-moi la grâce d'une bonne mort. » « Saints
anges, protégez-nous. » Il en est de même lorsqu'il
passe devant une maison où s'est accompli un crime.
Obsédé par ces idées tristes, il est obligé de répéter
plusieurs fois ces phrases préservatrices.
Le chiffre 13 l'impressionne, de même que les com-
binaisons qui rappellent le nombre 13. Ainsi, il paye
27 sous un objet qu'il achète dans un magasin, aus-
sitôt il lui vient à l'esprit qu'avec le chiffre 13 il arri-
verait à 40, ou bien encore que 2 et 7 font 9 multiple
de 3, également nombre compromettant. « Tout cela est
fort extravagant, dit-il, mais n'en procure pas moins
du souci. »
Chez la malade suivante, le mot pénible est tellement
désagréable, qu'aussitôt entendu, elle lance le mot pré-
servateur pour conjurer l'influence funeste du premier.
Observation XXVII. Dégénérescence mentale. Onomatomanie : .'
mots compromettants et mots préservateurs. Arithmomanie. Crainte
du toucher. Doute.
111me Y... (Adèle), âgée de soixante ans, fille d'un père fort intel-
ligent, mais déséquilibré, est en proie, depuis un grand nombre
d'années, à des syndromes épisodiques multiples. Elle a actuelle-
ment, surtout la crainte du mot exprimant une idée de tristesse
qui pourrait, pense-t-elle, porter mallieur. Aussitôt qu'elle entend
DE L'ON011L1TOJIANIE. 375
le mot compromettant, elle prononce comme correctif le mot à
sens contraire, parfois elle se borne simplement à protester contre
l'emploi du mot. C'est ainsi que si on lui propose d'aller à l'Opéra
entendre Robe2,t le Diable, elle répond : oui, Robert ! Si elle entend
prononcer le mot nuisible, elle réplique immédiatement utile ; noir,
elle dit bleu; malheur, elle dit bonheur et comme elle attribue une
influence néfaste à vendredi, elle répond immédiatement samedi
ou dimanche. Le mois d'avril ayant commencé un vendredi, elle
n'a pas voulu, malgré quelques journées de fortes chaleurs, chan-
ger les vêtements d'hiver contre des vêtements plus légers, le mois
ayant mal commencé, un changement de toilette aurait pu être
nuisible. Elle redoute les nombres 3 et 13 ; le 13 de chaque mois,
elle reste silencieuse, se tient à l'écart, ne rit pas, ne commence
aucun travail.
Dès qu'elle aperçoit 3 bougies allumées, elle en éteint une; si,
elle entend énoncer le chiffre 13, elle s'empresse de dire 14. Elle a
également la crainte du toucher : elle ne porte la main aux bou-
tons de la porte, qu'en la protégeant avec le pan de la robe ; elle a
peur des débris de verre, des verre ? ou des carafes ébréchés.
Elle a du doute, elle ferme elle-même ses armoires, s'assure plu-
sieurs fois de leur fermeture et donne de petits coups sur la ser-
rure. Elle craint de perdre ou qu'on ne lui vole des papiers insigni-
fiants qu'elle collectionne, elle les met sous clef, ou bien elle les
prend sur elle, dans ses poches, dans ses bas, suspendus en paquets
sous sa robe ; elle se retourne fréquemment pour s'assurer qu'elle
n'a rien laissé tomber.
Elle s'arrête quelquefois, ou recule de deux ou trois pas avant
de franchir une porte ; elle hésite avant de s'asseoir, de prendre
un objet; quelquefois ses lèvres remuent et elle prononce quelques
paroles à voix très basse, mais elle ne veut donner aucun rensei-
gnement ; ce n'est rien, dit-elle.
Cette malade a été fort longtemps abandonnée à
elle-même, donnant pleine satisfaction à toutes ses
idées obsédantes; dans sa famille, on fermait les yeux
sur ce qu'on appelait ses petites manies, et elle était
libre d'agir comme elle l'entendait. Elle suivait une
très mauvaise hygiène, elle mangeait mal et ne dormait
presque.plus. Il a été fort difficile de régulariser' un
peu son existence et d'obtenir quelques efforts de sa
part pour se débarrasser des dispositions maladives les
plus pénibles. -
376 pathologie mentale.
Observation XXVIII. Dégénérescence mentale. Crainte de la foudre.
Folie du doute. Arithmoman'e Onomatomanie.
M. M..., dont la mère est nerveuse et très impressionnable et le
père méticuleux et émotif, a deux frères plus âgés que lui; l'aîné
est affecté d'un tic de la face, le second vient d'être frappé d'un
accès mélancolique avec hallucinations, préoccupations hspochon-
driaques et idées de persécution. M. M... s'est adonné à l'onanisme
dans son enfance, et à quatorze ans, il a commencé à subir l'in-
fluence de quelques phénomènes obsédants et impulsifs.
« Une nuit, dit-il, dans une note qu'il a rédigée, je me vis dans
un rêve frappé par la foudre; je me réveille en sursaut très émo-
tionné et à partir de ce moment, je suis très effrayé quand éclate
un orage; c'est dans cet état d'esprit que j'ai fait le premier acte
insensé. Me souvenant, sans doute, des miracles du Christ qui par
l'apposition des mains ressuscite les morts, multiplie les pains, etc.,
j'ai pensé qu'avant de me coucher, l'apposition de mes mainssur les
pantoufles et plus lard sur d'autres objets pouvait me préserver de
la foudre. Je me contentai d'abord de quelques attouchements, mais
je me vis bientôt obligé de répéter l'acte un très grand nombre de
fois et j'en vins à employer des nuits entières à ce manège. Plus je
m'y adonnais, plus il m'était impossible de ne pas m'y livrer. Je
n'en disais rien cependant, j'aurais en honle d'avouer de telles
idées, et je ne me plaignais que d'insommie.
«Puis, mon esprit a été envahi par l'idée de la fatalité du nombre
treize; j'évitais de mettre 13 mots dans une phrase écrite et sou-
vent, il m'arrivait de compter les mots de phrases parlées. Vous
pensez quel travail tout cela me donnait et combien cela devait
me détourner des choses sérieuses et utiles. Enfin, fatigué et voyant
que la raison était impuissante contre mes obsessions, je me pris
à lutter contre ces idées folles par des idées aussi absurdes. J'avi-
sais de me servir du nombre 13 lui-même comme engin de
combat. Et parlant en moi-même comme si le monde m'était
soumis : si je fais d'ici demain un seul acte superstitieux, me dis-je
en moi-même, un soir que je me promenais, que toutes ces étoiles
que je vois soient 13. Et eu même temps je m'imaginais au-dessus
de ma tête tous les astres changés en nombre 13, composés d'une
infinité de molécules ayant pour essence le nombre 13. Je ne com-
prenais pas bien ce que pouvait vouloir dire une étoile treize, mais
j'avais une telle horreur du nombre 13 que je ne fis pas d'actes
absurdes jusqu'au lendemain. Le procédé ayant réussi, j'en usai
tellement qu'il ne réussit plus à la longue. J'en inventais un autre
semblable et je dis en moi-même que « Dieu soit treize », si je fais
un seul acte superstitieux d'ici demain.
« Imaginer Dieu treize n'était pas plus absurde que d'imaginer
DE L'ONOMATOMANIE, 377
les étoiles du ciel ayant pour essence le nombre 13. Et puis absurde
ou non, je ne raisonnais plus. Cette idée de Dieu Treize m'effrayait
et cela suffit pour m'empêcher quelque temps de me livrer à des
actes ridicules. » . '
Parfois le mot erreur s'installe dans son esprit sans qu'il puisse
s'en débarrasser, il s'imagine que toutes ses idées vont devenir des
erreurs, qu'il va être obligé de douter de tout, de la réalité même
des personnes ou des choses qui l'entourent; il éprouve dans ces
conditions un malaise qui va grandissant et contre lequel il invoque
un autre mot, vérité qui combat l'influence du premier. Souvent il
ajoute treize' au mot dont la signification devient ainsi plus éner-
gique ; mais peu à peu, ce mot protecteur ou préservateur, par sa
répétition trop fréquente, devient à son tour une cause de soucis
et de fatigue.
Parfois encore, M. M... adopte une sorte de formule cabalistique
composée du mot bière, linceul, tombeau, expressions auxquelles,
nous l'avons vu, les autres malades attribuent habituellement une
influence maléfique, mais qui, pour lui, au contraire, devient un
moyen de défense, de protection ou de préservation pour conjurer
les divers malheurs. Il prononce ces mots tout bas, au fond du
gosier, il contracte en même temps le frontal et l'occipital et tend
fortement le cuir chevelu. Cette contraction énergique fréquem-
ment répétée n'est pas, à son tour, sans douleur. Toutefois quand
l'angoisse est trop violente, cette formule même avec les contrac-
tions devient une délivrance.
Ce malade dont l'un de nous a déjà eu l'occasion de
s'occuper à propos de l'influence inhibitoire de la for-
mule Dieu treize sur les fonctions sexuelles, est fort
intelligent et se rend entièrement compte des phéno-
mènes étranges qu'il éprouve.
Il a pu obtenir une longue rémission à la suite de
l'éloignement de la famille et d'un traitement hydro-
thérapique ; il a pu reprendre ses études de peinture
pour lesquelles il a beaucoup de dispositions.
Observation XXIX. Dégénérescence mentale. Accès mélancolique;
Ono11 ! atomanie : obsession du mot grossier; nécessité de superposer
à une image et à un mot inquiétants, une image et un mot protec-
teurs.
Une dégénérée de vingt-neuf ans, Marie D..., entrée à l'asile
Sainte-Anne le 16 juillet 1889, à la suite d'un accès mélancolique
378 pathologie mentale.
avec tendances au suicide, présentait depuis plusieurs années,
l'obsession du mot grossier et l'impulsion à le répéter. Pendant
ses prières, des injures adressées à Dieu survenaient brusquement
= dans son esprit et s'échappaient, malgré elle, de ses lèvres. Plus
tard, la préoccupation du mot prend un autre caractère.
Un jour, voyant passer un chien, le désir de copulation avec cet
animal s'empare de son esprit; honteuse, très émue, elle se
reproche vivement de pareilles pensées, mais l'idée venue persiste
et ne disparait que lorsqu'elle a pu voir un autre animal, un cheval,
dont l'image superposée à la première semble l'effacer. A partir de
ce moment, si dans ses lectures se trouve le mot chien, elle est
prise d'angoisse jusqu'à ce qu'elle ait pu lire le nom d'un autre
animal, boeuf, cheval, mouton, etc.; elle a, du reste, la précaution
de tenir près d'elle un dictionnaire qui lui permet de trouver
promptement le mot qui la préserve de son idée extravagante.
Quand elle a pu superposer cette seconde image graphique (cheval
ou mouton) à la première (chien), elle se sent soulagée et se calme
immédiatement. -
Observation XXX. Dégénérescence mentale. Accès mélancolique.
Onomatomanie : mots employés comme moycn mnémotechnique, Doute.
Chez une dégénérée syndromique de trente-deux ans, W...,
femme M..., entrée le 27 mars 1890 à l'asile Sainte-Anne, avec de
la dépression mélancolique, l'onomatomanie s'était traduite
d'abord par la recherche angoissante du mot, puis nous avons vu
le mot intervenir comme constatation concluante d'un acte
accompli. Cette femme, ménagère laborieuse, éprouvait le besoin
d'être rassurée sur l'accomplissement de sa tâche. Dès qu'elle avait
achevé de faire le lit, elle prononçait un mot, le mot serpent par
exemple; cette formalité remplie, elle se sentait tranquille, parce
qu'elle était sûre que l'ouvrage était fait. La vaisselle lavée, elle
disait ours et ainsi de suite pour chaque espèce de travail. Elle
exigeait que sa fille fût présente au moment où elle prononçait le
mot, pour témoigner d'abord que tout était fait et aussi pour
pouvoir lui rappeler le mot dans le cas où celui-ci viendrait pen-
dant la journée à s'effacer de sa mémoire. Lorsqu'elle essaye de ne
pas sceller ainsi chacun de ses actes par un mot, ce qu'elle trouve
elle-même fort ridicule, elle devient inquiète, s'imagine que le
travail est mal fait, elle éprouve des palpitations, ne peut pas so
mettre à table pour prendre son repas, et si c'est le soir, il lui est
impossible de se coucher, sans être assurée par un mot de la bonne
exécution de chaque détail du ménage; le mot prononcé, le calme
revient, et elle se met au lit répétant avec la plus vive satisfaction
le mot qui la rassure.
DE l'onomatomanie. 379
V. Mots DEVENUS POUR LE patient UN véritable
CORPS SOLIDE , INDUMENT AVALÉ , PESANT SUR L'ES-
TOMAC ET POUVANT ÊTRE REJETÉ PAR DES EFFORTS
D'EXPUITION ET LE CRACHEMENT.
Nous avons vu plusieurs onomatomanes chez lesquels
le mot s'accompagnait d'un mouvement, tantôt d'un
véritable tic impossible à réprimer, d'autres fois, d'un
mouvement volontaire (contraction de la tête; mou-
vement de la main; recul, etc.) que le patient était
poussé à faire, mais dont il réglait l'intensité et que,
parfois, il parvenait à supprimer. Lorsque le mot
venait à être prononcé, au mouvement d'articulation
s'ajoutait le mouvement d'une autre région des centres
psycho-moteurs.
Dans le cas dont nous nous occupons, ce n'est plus
seulement un mouvement niais bien un élément sen-
sitivo-moteur qui intervient avec le mot; les mots et
même les bruits se transforment en véritables corps
étrangers qui s'introduisent dans la bouche, che-
minent .dans le pharynx et l'oesophage pour arriver à
l'estomac, provoquant pendant tout le trajet, un ma-
laise qui va croissant.
Dans l'estomac, la sensation devient très doulou-
reuse, les bruits et les mots comme les aliments solides
s'accumulent et donnent le sentiment pénible qui suit
un repas trop copieux. Aussi, le malade s'efforce-t-il,
par des efforts d'expuition et de crachement, de
rejeter ces prétendus corps étrangers comme des subs-
tances indigestes.
De sorte qu'à l'angoisse morale, que provoque habi - z
380 pathologie mentale.
tuellement le mot obsédant, vient s'ajouter dans ce
cas, la douleur physique due aux nouvelles qualités
- attribuées aux mots et aux différents bruits perçus et
déglutis.
Observation XXXI. - Dégénérescence mentale. Mélancolie suicide du
grand-père maternel ; agoraphobie de la mère; onomatomanie du
père. Doute. Crainte du toucher. Onoznatomanie; agoraphobie chez
la malade. Doute chez la fille.
Mme L..., âgée de quarante-cinq ans, a une hérédité nerveuse et
vésanique très chargée. Son grand-père maternel s'est suicidé à
cinquante ans dans un accès mélancolique ; sa tante maternelle
est déséquilibrée ; sa mère, méticuleuse, bizarre, est agoraphobe,
Son père, égoïste, très avare, est onomatomane ; il a eu longtemps
la recherche angoissante du mot, et ainsi que nous l'avons déjà
dit (Obs. VII), quand il ne le trouvait pas, la famille l'aidait, on
lisait le dictionnaire et l'on ne se couchait qu'après le découverte
du mot. La fille aînée de la malade, très émolive, ne peut lire un
fait divers dans un journal sans en être vivement impressionnée et
envahie par des interrogations multiples et les craintes les plus
pénibles. ! lIme L..., dès l'âge de onze ans, s'est montrée méticuleuse, scru-
puleuse, n'était jamais satisfaite de ses confessions et s'imaginait
malgré les assurances de son directeur, qu'elle allait mal commu-
nier.
A dix-huit ans, fiancée à un jeune homme qu'elle aimait, elle
craint de ne pas pouvoir le rendre heureux, de ne pas être capable
de bien remplir ses devoirs de mère de famille, de ne pas être assez
active, assez intelligente ; elle fait part à son futur de toutes ses
appréhensions, elle l'engage à bien réfléchir avant de l'épouser
Quelques années après son mariage, elle est mordue par un chat
et elle est prise de la crainte du toucher, de la craintedu chien en-
ragé et de tout animal. Elle ne veut pas loucher la main de son
médecin, parce qu'il pourrait lui communiquer la maladie des
malades qu'il a touchés, mais elle consent a donner la main au
médecin aliéniste, parce que la folie, dit-elle, n'est pas contagieuse;
elle n'ose toucher aux objets de cuivre et s'enveloppe la main pour
ouvrir les portes. Elle ne veut ni de tapis, ni de tentures, ni de ta-
pisseries de couleur verte, à cause des poisons introduits dans les
teintures de cette couleur. Un jour elle part, se privant de la satis-
faction d'embrasser ses filles, parce qu'elles venaient d'être embras-
sées par une autre personne. Enfin, sa frayeur du chien enragé
prend de telles proportions, qu'elle n'ose pas toucher son porte-
DE L'ONOàfATOMANIE. 381
monnaie touché par sa bonne qui avait touché un canapé sur lequel '
s'était assise une demoiselle mordue par un chien. Elle ne peut plus
voir ni un chien, ni un chat, ni aucun animal à quatre pattes, sauf
le cheval, qui ne lui inspire aucune crainte.
Elle est vivement impressionnée par certains mots « cercueil,
béquille, mort, vendredi, etc. », qu'elle fait tous ses efforts pour
ne jamais prononcer ou écrire. Lorsqu'elle les entend, il lui semble
qu'à l'instar d'un corps étranger, ils entrent dans sa bouche et
pénètrent jusqu'à l'estomac. Un peu plus tard, toutes les paroles,
tous lesbruits, tous les sifflets de chemin de fer lui donnent les mêmes
sensations pénibles et lui chargent l'estomac. Les mots, dit-elle, lui
viennent dans la bouche, il lui semble qu'elle les avale comme des
aliments solides et si elle ne s'empresse de les repousser en les re-
crachant soit à terre, soit dans son mouchoir, elle en est vivement
affectée, elle ressent un poids sur l'estomac qui l'étouffé, elle a une
véritable indigestion, ajoute-t-elle, et elle vomit même quelque-
fois.
Lorsqu'elle se dispose à aller prendre la douche, elle recouvre
sa bouche avec un mouchoir, pour avoir son estomac libre, puis-
qu'on ne doit pas prendre de douche, dit-elle, après avoir mangé.
Dans une note, où elle décrit les divers phénomènes qu'elle
éprouve, elle s'explique ainsi à ce sujet : « La douche m'impres-
sionne encore beaucoup, je n'y vais que parce qu'il le faut, ayant
toujours dans l'imagination, que j'y vais, l'estomac rempli des
bruits, des paroles, des sifflets de chemin de fer que j'entends; je
me crois obligée de mettre mon mouchoir à mes lèvres pour em-
pêcher tous ces bruits de pénétrer dans ma bouche, tout cela est
d'autant plus pénible que je comprends que c'est parfaitement ab-
surde. »
Mmo L... est également agoraphobe, elle est prise de crainte et
de vertiges dans les grands espaces. Un jour même, au Bois de
Boulogne, en voiture, elle s'est sentie étourdie, resserrée, oppres-
sée et a été obligée de fermer les yeux et de se blottir dans un
coin. ' ' '
Cette observation est une des plus instructives au
point de vue de l'hérédité; les ascendants, père et
mère, transmettent à la malade non seulement leur
déséquilibration mentale, mais des stigmates psychiques
similaires, l'un son ollomatomanie, l'autre son agora-
phobie, et la fille de la malade, âgée de seize ans,
éprouve déjà les premières atteintes de la folie du
doute que lui transmet sa mère. La malade, d'ailleurs,
382 1- pathologie mentale.
sous le coup d'une hérédité convergente, accumule de
. nombreux syndromes épisodiques; elle est dans un
-, état d'émotivité perpétuelle, la plupart de ses centres
perceptifs sont dans un tel éréthisme qu'elle ne peut
goûter un instant de repos. Le délire du toucher
acquiert chez elle tout ce que l'on peut imaginer de
plus quintessencié puisqu'elle en arrive à ne pas oser
toucher son porte-monnaie, touché par sa bonne qui
avait touché un canapé sur lequel s'était assise une demoi-
selle mordue par un chien.
. Comme les autres onomatomanes, la malade a pleine
conscience de son état, s'en attriste et, par moments,
sur les conseils du médecin, fait de sérieux efforts
pour lutter et s'affranchir de toutes ces préoccupations
bizarres.
Nous ne regrettons pas ces longs développements
sur l'onomatomanie; il nous est permis d'insister sur un
syndrome fort intéressant au point de vue clinique,
l'obsession et l'impulsion n'ayant pour objet que le
mot et le plus souvent un mot insignifiant. Si bien que
l'obsession et l'impulsion dégagées de toute question
d'intérêt, de tout mobile passionnel apparaissent avec
leur véritable caractère maladif, leur invincible irré-
sistibilité, malgré le complet état de conscience.
Au point de vue médico-légal, cette étude n'est pas
sans importance; l'onomatomanie permet de mieux
comprendre les autres syndromes épisodiques dans
lesquels l'impulsion se traduit par un crime ou un
délit.
Le magistrat en présence de faits aussi simples, en
quelquesorte élémentaires, mais néanmoins fort démons-
tratifs, ne sera plus surpris d'entendre parler de l'idée
DE L'ONOMATOMANIE. 383
obsédante du vol et de l'impulsion à voler, d'entendre
parler de l'impulsion homicide et de tous les phéno-
mènes étranges auxquels donnent lieu les obsessions
et les impulsions basées sur les perversions sexuelles.
Il est probable qu'on ne verra plus un président de
cour d'assises dire aux jurés : « Si le médecin vous parle
de la manie du vol de l'inculpé, ayez, vous, la manie
de le condamner. »
Lorsqu'on est témoin de l'angoisse extrêmement
pénible, à laquelle est en proie le malheureux onoma-
tomane qui cherche un mot dont il n'a nul besoin,
lorsqu'on le voit faire des efforts surhumains pour ne
pas projeter au dehors le mot qui l'obsède, et que l'on
assiste à la détente, à l'immense soulagement dont sont
suivies soit la découverte, soit la décharge du mot, soit
la substitution du mot préservateur au mot funeste,
on n'est plus étonné par le langage du kleptomane,
du pyromane, de l'impulsif homicide ou sexuel, du
coupeur de nattes, de l'exhibitionniste, ou du mal-
heureux qu'obsède l'idée de mordre la peau de jeune
fille, quand ils déclarent que malgré tous leurs efforts,
leur ardent désir' de résister, ils ont fini par suc-
comber.
Laissés dans leurs familles, les onomatomanes, de
même que les autres dégénérés syndromiques s'éter-
nisent dans leurs obsessions et leurs impulsions. Ils
contractent, en effet, des habitudes nouvelles, adoptent
des attitudes, des gestes, des mots, des phrases, etc.,
dont ils ne peuvent se départir, malgré les sollici-
tations de l'entourage. Celui-ci d'abord plein de zèle
et d'activité se heurte aux résistances passives des
384 'PATHOLOGIE mentale.
malades, se décourage devant la répétition monotone
de tous ces phénomènes, et à la longue, las de lutter,
finit par fermer les-yeux, laissant ainsi s'installer les
'petites manies chaque jour plus tenaces et qui, d'abord
produites par les obsessions et les impulsions, finissent
elles-mêmes, une fois bien établies, par les solliciter
à leur tour. -
L'intervention du médecin est seule capable de
mettre un frein à ces manifestations de plus en plus
étendues; mais pour qu'elle soit efficace, il faut que
le patient entre dans un établissement spécial où chacun
prendra à tâche de l'encourager dans la lutte qu'il
est obligé d'entreprendre contre ses multiples acqui-
sitions maladives dont il doit successivement se dé-
pouiller. C'est ainsi, par exemple, que les obsédés à la
poursuite du mot ou du nom, commencent par laisser
de côté le carnet, la feuille de papier sur lesquels ils
ont inscrit le nom ou le mot. Lorsque le mot manque,
en l'absence 'du carnet, ou du papier, si l'inquiétude
semble vouloir se montrer, ils s'empressent de venir
auprès du médecin qui, au début surtout, leur doit
son assistance la plus absolue. Il leur rappelle et insiste
sur le caractère entièrement maladif de ce besoin du
mot et il parvient habituellement à les rassurer et à
leur faire négliger, sans trop de réaction émotive, cette
recherche regardée, jusque-là, comme invincible.
Le soir c'est encore le médecin qui doit intervenir
pour assurer le repos de la nuit; c'est lui qui décide
les malades à se dégager de la préoccupation du mot,
à se mettre au lit et à y rester, toute lumière éteinte.
La tâche n'est pas d'abord facile et c'est par une
patiente insistance que le résultat est obtenu, mais au
DE L'ONOMATOMANIE. 385
bout de quelques jours la présence d'un domestique
suffit et un peu plus tard les malades se couchent tran-
quillement sans le secours de personne.
Peu à peu les malades prennent part à la conver-
sation de l'entourage, se décident à lire des journaux,
des livres, et au bout de quelque temps, ils peuvent
entendre répéter, sans trop d'inquiétude, des séries
de noms propres qu'ils laissent passer sans chercher
à les retenir. Ils arrivent progressivement à recon-
quérir toute leur indépendance et à reprendre sans
appréhension leur place dans la société.
Pour ces pensionnaires volontaires , on peut sans
nul inconvénient; faire fléchir la discipline de la mai-
son spéciale, et il est bon que ces malades jouissent
d'une liberté suffisante pour trouver dans des sorties
assez fréquentes des distractions qui leur permettent,
sans ennui, de subir cette tutelle indispensable et de
suivre le traitement.
Dans quelques cas, les onomatomanes, exaspérés
par la ténacité si pénible des obsessions et des impul-
sions qui rendent leur vie insupportable, conçoivent
des idées de suicide et réclament une surveillance par-
ticulière ; toutefois, les tentatives sont assez rares, ces
malades lucides savent qu'ils peuvent s'améliorer et
se raidissent ainsi plus facilement contre le découra-
gement.
' En dehors de l'action morale si puissante du mé-
decin, le traitement dans la majorité des cas se réduit
à l'emploi des bromures qui modèrent, diminuent la
pénible exaltation, la douloureuse émotivité dont
s'accompagne l'angoisse.
Archives, t. XXIV. 25
386 pathologie mentale.
Chez les sujets dont le sommeil laisse à désirer, aux
bromures on peut ajouter le chloral ou le sulfonal que
le malade prendra une heure après le coucher, mais
dont il n'usera pas, toutes les fois qu'il aura pu s'en-
dormir sans le secours de l'hypnotique. Il est rare
qu'au bout de huit à dix jours, les malades n'aient
pas conquis un sommeil naturel qui les repose et leur
donne les forces suffisantes pour lutter pendant le ,
jour contre le retour offensif des obsessions.
L'hydrothérapie complète le traitement : on aura re-
cours à des douches froides de quatre à huit secondes seu-
lement, sur tout le corps, à l'exception de la tête, en ayant
le soin d'insister à la fin de la douche sur les jambes et
sur les pieds que l'on fouettera avec le jet en lance.
Les douches tièdes que des malades craintifs demandent
à la place des douches froides, ne sont d'aucune utilité,
et il est préférable de recourir soit aux affusions
froides, rapidement pratiquées à l'aide d'une grosse
éponge, le malade étant debout dans un tub, soit au
drap mouillé. Après la douche ou l'affusion, on se
trouvera bien d'une friction générale un peu forte, ou
du massage.
En dehors de cette médication générale, on recher-
chera chez chaque malade, les indications spéciales
tirées de sa santé physique habituelle, de son tempé-
rament, de sa constitution, de l'état de ses forces.
Le plus souvent, ces dernières indications pourront
être remplies sans modifications notables aux pres-
criptions générales que nous avons indiquées.
PATHOLOGIE NERVEUSE.
HOSPICE DE la SALPÊTRIÈRE. - M. CHARCOT
CONTRIBUTION AU DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL ENTRE L'HYS-
TÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU;
Notes cliniques recueillies par le D' F. GHILARDUCCI,
, de Fivizzano (ltalie).
Le diagnostic différentiel entre l'hystérie et les maladies
organiques du cerveau constitue un des problèmes les plus
intéressants et parfois les plus difficiles que nous offre la cli-
nique. Mon intention n'a pas été d'exposer dans ce travail
d'une manière méthodique et complète, tout ce qui se rapporte
à ce sujet. Un travail de ce genre ne pourrait être que la repro-
duction de ce que M. Charcot a consigné dans ses leçons clas-
siques ou la compilation des différents écrits de ses élèves sur
l'hystérie. On sait bien aujourd'hui que l'hystérie est suscep-
tible de réaliser la plupart des syndromes par lesquels s'accusent
les maladies organiques du cerveau : l'hémiplégie, les convul-
sions, les contractures, les troubles de la sensibilité générale
et spéciale, ceux du langage et de l'intelligence, etc.
Dans cet ordre de faits, le diagnostic différentiel se réduit
donc essentiellement à la connaissance des différences qui
existent entre les symptômes de la série organique et ceux de
la série hystérique. D'une manière générale, dans chacun de
ces deux groupes les symptômes similaires ont une physio-
nomie clinique spéciale; ils ont même un développement, une
évolution et une façon de s'associer entre eux qui est diffé-
rente. A l'aide de ces caractères, que l'Ecole de la Salpêtrière
a eu le grand mérite de mettre en relief, il sera facile dans la
plus grande partie des cas d'établir le diagnostic.
4 Travail de la clinique de M. le professeur CHARCOT.
388 pathologie nerveuse.
Mais parfois il manque au syndrome hystérique observé ce
cachet spécial que la névrose imprime habituellement à ses
manifestations. Parfois les symptômes se sont associés de façon
Ji former des syndromes tout à fait analogues à ceux de telle
~ ou telle maladie organique de la moelle ou du cerveau. Et
cette ressemblance peut être telle que le diagnostic devient
incertain, sinon impossible.
Ces difficultés de diagnostic, M. le D''Souques les a montrées
dans son excellente monographie sur les syndromes hysté-
riques simulateurs des maladies spinales '.
Dans le présent travail, nous n'avons pas eu l'idée d'entre-
prendre une tâche semblable pour les maladies organiques du
cerveau. Elle serait trop au-dessus de nos forces. Nous avons
voulu simplement apporter à ce sujet si intéressant une mo-
deste contribution, en exposant quelques observations que
nous avons eu l'occasion d'étudier en fréquentant le service de
11. le professur Charcot a. Elles nous ont paru intéressantes
par la gravité des symptômes et par les très grandes difficultés
que présentait, croyons-nous, le diagnostic. Ces observations
concernent : a). Quatre cas d'hystérie à forme d'épilepsie par-
tielle ; b). Un cas d'apoplexie hystérique; c). Un cas
d'hémiplégie hystérique ayant des caractères qui n'appar-
tiennent pas généralement à l'hémiplégie hystérique.
Observation I. Hystérie il forme d'épilepsie partielle sensitive.
Mme Gi... enlre à la Salpêtrière en janvier 1891 (service de M. le
professeur Ciurcot).
Antécédents de famille. Père nerveux, il avait des tics, il
mourut d'une maladie de foie. La mère souffre de coxalgie depuis
trente-six ans. De ses trois frères l'un est mort de maladie chro-
nique de la poitrine à l'âge de quarante-cinq ans, l'autre d'une
broncliorrliagie à l'âge de quarante-deux ans, le troisième est«malade
de néphrite depuis deux ans. Sa soeur aînée succomba à l'âge de
1 V. Souques. Des syndromes hystériques simulateurs des maladies
de la moelle, Paris, 1891.
* Qu'il nous soit permis d'exprimer ici toute notre gratitude à notre
opinent maître, AI. le professeur Charcot ; le souvenir de la généreuse
hospitalité qu'il nous a accordée dans sa clinique ne finira qu'avec notre
vie.-Je saisis avec empressement cette occasion pour remercier vivement
M. Dutil, chef de clinique, dont l'expérience consommée m'a été très
utile dans plusieurs circonstances.
L'HYSTÉRIE ET LES maladies organiques DU cerveau. 389
vingt-sept ans à une phtisie galopante; sa soeur plus jeune souffre
de crises nerveuses.
Antécédents personnels. - J'lotre malade, qui à présent est âgée
de quarante-trois ans, a toujours été dès son enfance très nerveuse
et impressionnable; elle a toujours souffert de douleurs à la
tête, tantôt diffuses, tantôt à forme de migraines : en outre de
cela elle ressentait très fréquemment des fourmillements dans les
membres, particulièrement au bout des doigts, qui survenaient
principalement « lorsqu'elle se trouvait mal placée, » de façon à
ce que ses membres fussent sujets à une pression même peu pro-
longée. A l'âge de huit ans, elle eut un abcès à la légion cervicale
gauche dont on voit encore la cicatrice. Elle fut menstruée à l'âge
de dix-huit ans ; la menstruation s'est maintenue jusqu'à présent,
sans présenter jamais aucune anomalie. A l'âge de ungl-deux ans,
elle s'unit librement à un homme, avec lequel elle vécut jusqu'en
1875; elle n'eut pas d'enfants de cette union. Dans ce laps de
temps, il n'y eut rien à remarquer dans son état de santé, sinon
une espèce de défaillance qui lui survint dans l'année 1872 à la
suite de contrariétés.
A la fin de 1878, elle fut abandonnée par son amant et obligée
de gagner sa vie, en s'employant dans un établissement Duval. En
1882, elle abandonne cet établisement pour entrer connue domes-
tique dans une maison de commerce des environs de Paris. Là
elle se fatigue énormément, elle commence à ressentir des douleurs,
le long de l'épine dorsale, plus fortes à la région lombaire, presque
continues, mais qui s'exacerbaient de temps à autre sous forme de
crises; MmeGi... affirme explicitement que ces crises douloureuses
ne se calmaient pas avec le repos. Les céphalées, dont elle avait
toujours souffert, devinrent plus intenses et plus fréquentes.
En 1887, elle reprend son emploi dans un restaurant Duval et l'oc-
cupe jusqu'au 28 février 1890. Dans cette période son état de santé
empira continuellement; les rachialgies devinrent plus fréquentes,
elle avait des douleurs dans les membres surtout en correspondance
des articulations, les sensations de fourmillements, dont elle souf-
frait depuis sa jeunesse, et qui étaient devenues plus fréquentes
et plus intenses. Dans l'été de 1889, lors de l'Expositon uni-
verselle, à ces phénomènes s'en ajouta un autre : parfois elle
ressentait brusquement ses genoux se fléchir, ses jambes se déro-
baient sous elle, il lui arriva souvent de tomber et elle avait de la
peine à se remettre debout. A cette époque, son travail à cause de
l'Exposition était énorme, elle se sentait très fatiguée : pendant le
jour elle s'endormait pour de courts instants en appuyant sa tête
sur son bras gauche. En septembre de la même année, se mani-
festa la première attaque épileptiforme constituée comme il suit :
lme Gi... annonce une sensation de fourmillements au bout des
doigts de la main gauche, qui après avoir envahi tout le membre,
390 pathologie NERVEUSE.
s'irradia à la moitié correspondante du cou, de la face et de la
langue, et envahit tout le restant de la tête, du tronc et du membre
inférieur du même coté.- La bouche devint sèche, « elle croyait y
avoir le feu », la langue lui paraissait s'enfler, elle ne pouvait pas
parler; la jambe et le bras se raidirent; le bras pendait inerte le
long du corps, impuissant à n'importe quel mouvement; les doigts
de la main étaient contractés en extension. L'attaque ne s'accom-
pagna pas de la perte de la sensibilité; elle dura une dizaine de
minutes; après l'attaque Ai ? Gi... se sentit un peu faible, mais
elle retrouva immédiatement l'usage de ses membres. Au contraire
la langue resta paralysée longuement; M'° Gi... resta huit jours
sans pouvoir parler parce que, dit-elle, sa langue était enflée.
D'autres attaques semblables à celle-ci se répétèrent deux ou trois
fois par semaine, plus fréquemment la nuit et pendantla période de
menstruation avec les mêmes caractères. Dans cette période l'état
mental de Mme Gi... était notablement troublé. Elle avait fréquem-
ment des cauchemars parfois elle croyait être transportée dans
l'air à de grandes hauteurs et puis qu'on la laissait tomber tout
d'un coup dans des abîmes épouvantables : parfois elle croyait être
enfermée dans des fournaises ardentes,... etc. Souvent elle éprou-
vait une sensation de serrement au sommet du sternum; d'au-
tres fois elle avait à la gorge une boule qui la suffoquait. La mé-
moire commença à s'altérer profondément. ! lime Gi... oubliait
presque immédiatement les commandes des clients si bien que
son service lui devenait excessivement difficile. Parfois il lui était
impossible de prononcer quelques mots « parce qu'elle ne les trou-
vait pas » : elle aurait pu les écrire parce qu'elle avait l'idée de ce
qu'elle voulait dire, mais elle ne pouvait pas les prononcer; ces
attaques d'aphasie motrice se répétèrent jusqu'en 1891. Elles ne
suivaient pas immédiatement les accès d'épilepsie sensitive, mais
se manifestaient après un ou deux jours et elles étaient plus fortes,
si l'accès d'épilepsie avait été intense.
La faiblesse des extrémités inférieures s'aggrava encore plus, les
chutes étaient très fréquentes. Bref, en février 1890, )I-e Gi ...
tout à fait impuissante pour un travail quelconque, fut obligée
d'entrer à la Salpêtrière. Ici les attaques qui ont été décrites se
continuèrent. Après quelques jours s'y ajoutèrent d'autres attaques
à type h3·stéro-épileptiqire. Celles-ci survenaient le matin vers
sept heures. Elles étaient précédées d'une sensation de suffocation,
11m° Gi...perdait complètement la conscience et tombait en arrière en
se raidissantavec le tronc de manière à former l'arc de cercle carac-
téristique, elle se débattait violemment, elle émettait des cris
désordonnés et après quelques minutes de respiration ronflante
elle retrouvait parfaitement la conscience en oubliant tout ce qui
s'était passé.
En mai 1890, les grandes attaques disparurent, la santé de
l'hystérie ET LES maladies organiques DU cerveau. 391
Mme Gi... s'améliora considérablement; elle put sortir de la
Salpêtrière et rentrer de nouveau chez Duval pour y reprendre
son travail. Mais bientôt son état empira de nouveau. En jan-
vier 1891, elle fut de nouveau obligée de rentrer à la Salpêtrière
dans le service de M. le professeur Charcot. Son état de santé à
cette époque était très mauvais, elle avait considérablement mai-
gri, elle souffrait d'insomnie, d'anorexie, des éblouissements, une
surdité presque complète, une obnubilation des facultés mentales,
laquelle se manifestait avec une apathie très marquée; aux deman-
des qu'on lui adressait elle donnait des réponses lentes et contra-
dictoires. Elle fut soumise à un traitement hydrothérapique, sa
santé générale commença de nouveau à s'améliorer. L'ouïe. la
vue, les facultés mentales, les forces reprirent; à présent, il n'y a
de tous ces phénomènes alarmants que les deux séries de crises,
lesquelles se manifestent deux ou trois fois par semaine séparé-
ment.
Examen objectif (pratiqué le 1°r avril 1892). -Mme Gi... est une
femme de taille moyenne, bien conformée. Elle a des muscles et de
la graisse suffisamment développés, mais les muscles sont flasques .
L'expression de son visage est triste, son regard un peu vague.
Sensibilité géné1'ale, - Un examen très soigné, qui a été répété
plusieurs fois dans la suite, ne nous a révélé aucune trace d'anes-
thésie. Les impressions tactiles, douloureuses et thermiques sont très
bien appréciées partout. Il y a des zones hypéresthésiques : 1° au
niveau de la septième vertèbre cervicale et de la dernière
lombaire; - ° au-dessous, un peu en dehors des deux marne--
Ions ; 3° sur le crâne et au vertex. Cette douleur est très super-
ficielle, on la réveille avec un très léger frottement de la peau;
tandis que la percussion pratiquée soit avec le doigt, soit avec le
marteau ni ici, ni dans aucun autre endroit du crâne, ne donne
de sensation douloureuse.
Motilité. - Mm° Gi... accuse de la faiblesse aux lombes et
aux jambes. Elle ne peut pas marcher sans l'aide d'un bâton. Pen-
dant la marche elle traine ses jambes à la manière des paraly-
tiques flasques. Si on la fait mettre à genoux, elle ne peut pas se
relever sans l'aide de ses bras. Cependant la force musculaire
explorée dans la position assise, tant dans les extrémités infé-
rieures comme dans les supérieures, se manifeste parfaitement
normale. Il n'y a pas de différence de force entre les deux côtés.
De temps à autre, 1\lm° G... présente un tremblement très léger de
lalèvre supérieure, surtout lorsqu'elle parle; un tremblement ana-
logue se rencontre dans les membres supérieurs. Il est très léger,
très rapide, mais son caractère essentiel est d'être éminemment
intermittent. La langue aussi est parfois animée d'un léger trem-
blement dans le sens transversal : elle ne présente pas cette ondu-
lation dans le sens du diamètre longitudinal, comme on l'observe
392 pathologie nerveuse.
chez les paralytiques généraux. Du reste il n'y a pas de trouble
de la parole.
- Réflexes. Ils sont égaux des deux côtés et parfaitement nor-
maux. Le clonus du pied est absent. Le réflexe pharyngé est très
affaibli. En chatouillant la luette et l'épiglotte on provoque de la
toux, pas de vomissements.
Appareil de la vision. Les globes oculaires sont mobiles nor-
malement dans toutes les directions. Les réactions pupillaires sont
normales. Pas de nistagmus. -
OEil droits Légère discromatopsie. La malade distingue très
bien toutes les couleurs, mais elle appelle claires toutes les cou-
leurs sombres. Léger rétrécissement à 65 degrés. Absence de
micropsie, macropsie et polyopie nonoculaire. Pas de diplopie.
Acuité visuelle normale.
OEil gauche. - Complètement normal. -111me Gi... éprouve de
temps à autre des éblouissements; sa vue se fatigue très facilement.
Elle n'a jamais présenté de diplopie.
Goût. Complètement aboli des deux côtés.
Odorat. Idem.
Ottie. Très affaiblie du côté gauche.
Examen viscéral. - li y a des râles sibilants très rares dissémi-
nés sur les poumons des deux côtés. Les bruits cardiaques sont
un peu faibles mais très nets. L'ictus du coeur est perçu dans le
cinquième espace au-dessous du mamelon. - Il n'y a rien à
noter du côté des viscères abdominaux. ! \lme Gi... se plaint surtout de douleurs vaguantes le long du
corps, qui sont plus fortes au niveau des articulations. Deux ou
trois fois par semaine elle a des accès à forme d'épilepsie sensitive.
Ils ont le caractère du premier accès qui lui prit en 1889. Cepen-
dant il est à remarquer que depuis la première année de maladie
les accès n'ont jamais été accompagnés ni suivis d'aphasie motrice.
Outre ces attaques elle en présente d'autres à type hystéro-
épileptique avec les modalités décrites ci-dessus.
Jamais il ne lui est arrivé que les deux espèces de crises se con-
fondent, s'entremêlent ou qu'elles se suivent l'une l'autre. L'in-
telligence de Mme Gi... ne laisse à présent pas grand'chose à
désirer. Elle répond avec rapidité aux demandes qu'on lui fait,
elle décrit ses sensations avec beaucoup de précision, elle a une
mémoire suffisante de tous les événement : , qui lui sont arrivés.
1
MAItCHE DE la maladie. Les accès à forme d'épilepsie sensitive
continuèrent à se manifester avec les mêmes caractères pendant
tout le mois d'avril. Dans celte époque, Mme Gi... observa qu'ils
se manifestaient plus fréquemment lorsqu'elle se couchait sur le
flanc gauche. En lui ayant conseillé de se coucher sur l'autre llanc,
les accès se présentèrent du côté droit, ne touchant pas à la face
L'HYSTÉRIE ET LES maladies organiques DU cerveau. 393
et à la langue. Au commencement du mois de mai, la sensation
d'engourdissement continua à perdre la tendance à la systématisa-
tion. Parfois elle commençait par une cuisse, elle restait limitée à
la région glutée; d'autres fois après avoir commencé comme d'or-
dinaire par le bout du doigt elle n'allait au delà du poing ou du
bras. En outre, elle se montrait avec une égale fréquence du côté
droit dans des régions très différentes, en restant toujours plus
limitée. Dès le milieu de mai, 111m Gi... n'a plus eu d'accès, mais
seulement de légères paresthésies, qui meurent sur les lieux où
elles naissent. De l'accès supposé d'épilepsie sensitive, il ne reste
plus à ^présent (13 août) que les vagues sensations de fourmille-
ment qu'elle éprouvait depuis son enfance, et qui ont pour carac-
tère d'être très variables de siège et de se réveiller pur la comptes-
sion. '
Pour ce qui est des grandes attaques, elles sont devenues très
rares (une fois tous les dix jours). La paraplégie s'est légère-
ment améliorée. - 11 est à remarquer que, dès le commencement
de mai, 1-0 Gi... a été soumise à l'électricité statique.
Diagnostic. L'observation de ce cas nous paraît extrême-
ment intéressante; on y trouve à une certaine période de son
évolution un type clinique parfait d'épilepsie sensilive : engour-
dissement envahissant toute une moitié du corps, la langue
comprise; paralysie des membres, aphasie motrice, troubles
de l'intelligence, rien ne manquait au tableau : les antécédents
héréditaires et personnels de la malade, sa très mauvaise
condition de santé, paraissaient imprimer à ce tableau le sombre
cachet de la tuberculose. La preuve que nous ne chargeons pas
artificiellement les teintes de ce tableau, c'est que le diagnostic
d'épilepsie sensitive, par lésions de l'écorche, fut posé et main-
tenu pendant longtemps; l'on parla même de la trépanation
du crâne; le pronostic, en conséquence, était des plus sombres,
La présence de la névrose hystérique, démontrée chez Gill....
par ses stigmates et par ses grandes attaques, ne s'opposait pas
à cette manière de voir, car les grandes attaques hystériques
et les crises épileptiformes se manifestaient d'une façon tout à
fait distincte et indépendante.
Or, l'on sait que l'hystérie peut s'associer à toutes les ma-
ladies organiques. C'est là un point de clinique bien illustré
par mon éminent maître et sur lequel il n'y a pas de doute
possible : la maladie organique et l'hystérie évoluent alors
chacune pour son compte en gardant leur individualité clinique.
C'était bien de cette façon que l'on avait interprété le cas de
Gill... : cependant, en étudiant avec soin ses antécédents mor-
394 pathologie NERVEUSE.
bides, nous pûmes démontrer que les accès épileptiformes
étaient, eux aussi, sous la dépendance de la névrose. L'évolution
de la maladie nous a- donné pleinement raison; à l'heure
présente il est évident que tous les phénomènes étaient
imputables à l'hystérie. Il nous paraît intéressant de montrer
par quelle voie nous étions parvenus à cette conclusion :
I. Les accès épileptiformes sont constitués par deux phé-
nomènes : a), une sensation de fourmillement et d'engour-
dissement ; - b), une paralysie de toute la moitié gauche du
corps. Les accès, dans leur expression symptomatique, repré-
sentent donc un équivalent sensitifet paralytique de l'épilepsie
partielle '. Comment les interpréter ?
a). Il est très facile de se persuader que le premier de ces
phénomènes est de nature identique aux paresthésies dont : 41 ? Gill... a souffert dans son enfance. En effet, celles-ci se
manifestaient tantôt spontanément, mais avec plus de fré-
quence, dans ses membres « lorsqu'ils étaient mal placés », de
façon à être sujets à une compression même peu prolongée;
d'autre part, nous avons fait remarquer que l'accès épilepti-
forme se manifestait constamment du côté du corps sur lequel
G... était resté couchée pendant la nuit. Ces sensations, après
être restées pour un certain temps systématisées à une moitié
du corps, ont perdu graduellement leur caractère accessionnel
et systématique, en assumant un type pour ainsi dire erratique,
en changeant avec une fréquence toujours croissante leur siège et
en devenant toujours plus limitées; ainsi à l'heure présente elles
ne sauraient se distinguer en rien des paresthésies, qui ont été
ressenties par G... dès son enfance. Nous nous croyons donc
autorisés à considérer ces troubles de la sensibilité comme de
nature identique : leur durée très longue, leur diffusion, leur
variabilité de siège en démontrent la nature fonctionnelle et
comme il n'y a dans G... d'autre maladie fonctionnelle que
l'hystérie nous devrions logiquement les rattacher à cette
névrose. A présent nous devons nous demander pourquoi cette
sensation anormale s'est systématisée pendant si longtemps
dans une moitié du corps. La raison en est facile. Les accès se
manifestèrent en 1889. A cette époque, à cause de l'Exposition,
1 Pitres. Etudes sur quelques équivalents cliniques de l'épilepsie
partielle. (Revue de Médecine, p. 609.)
l'hystérie ET LES maladies organiques DU cerveau. 395
ilyavaituneaffluenceénorme de consommateurs dans les restau-
rants où ! lime G... servait. Du matin au soir, elle devait servir ses
tables, obligée de porter sur son avant-bras gauche fléchi les vais-
selles contenant les portions qu'on lui demandait, tandis qu'avec
la main elle tenait tout ce qu'elle pouvait des autres objets néces-
saires au service. Parfois, dans le cours de la journée, épuisée
par la fatigue, elle s'abandonnait sur une chaise en appuyant
sa tête sur son bras gauche; elle s'endormait comme cela pour
de courts instants. Ainsi et par son genre de travail et par la
façon dont elle se reposait, Mme G... exposait journellement son
bras gauche et la moitié gauche de la face à une pression pro-
longée. Comme nous avons fait remarquer l'influence que la
pression a toujours manifestée dans la reproduction des troubles
de la sensibilité, je pense que c'est dans les circonstances,
ci-dessus énumérées, qu'il faut chercher la cause de la systé-
matisation de ces troubles à un côté du corps.
b). Pour ce qui est de la paralysie des membres, il est connu
qu'un certain degré de paralysie s'ajoute toujours aux sensa-
tions d'engourdissement. Après, nous ferons remarquer qu'à
l'époque à laquelle les premiers accès se manifestèrent, l'hys-
térie de M"'e G... était en pleine évolution. Outre la céphalée et la
rachialgie, elle éprouvait depuis quelque temps de la faiblesse
aux extrémités inférieures; très fréquemment, elle sentait ses
genoux se dérober sous elle brusquement ; ces phénomènes
étaient le prélude de la paraplégie qui se développa plus tard,
et il n'y a pas à se tromper sur leur nature : les névroses, les
affections dela moelle et des nerfs, qui peuvent les produire ces
phénomènes doivent ici être exclus d'une façon absolue. Ils
ne peuvent être imputés qu'à l'hystérie et plus particulièrement
à cette manifestation spéciale de la névrose, que le Maitre
a décrit sous le nom de « diathèse d'amiosthénie D. Or, l'on
sait que celle-ci peut être généralisée. Y a-t jl à s'étonner que
dans notre cas elle frappât le bras gauche, lequel comme les
jambes était sujet à un travail journalier très rude ?
La raison de ce que les troubles sensitifs et moteurs s'asso-
cièrent pour former un accès, qui avait tant de ressemblance
avec un accès épileptique, est peut-être à rechercher dans les
conditions mentales propres à l'hystérie; nous ne voulons pas
ici faire de la psychologie. Cependant, il n'estpasrare d'observer
des phénomènes, s'étant manifestés pendant un certain temps
séparément, s'associer tout d'un coup pour prendre une forme
396 pathologie NERVEUSE.
d'accès. Dansl'observation suivante, nous trouverons un exemple
remarquable de ce fait.
Maintenant nous devons analyser très brièvement les troubles
de l'intelligence et de la parole. Parmi les troubles de l'intel-
ligence, le phénomène qui tient la première place c'est la perte
de la mémoire. Celle-ci commença à se manifester chez G...
pendant l'exercice de son métier, «elle oubliait immédiatement
les ordres que les clients lui donnaient , et ce fut une des
raisons pour lesquelles elle dut abandonner le service. Or, il
faut réfléchir à nouveau combien cela était fatigant à cette
époque. Ce travail demandait une vigueur physique peu ordi-
naire, et une mémoire prompte et résistant au tapage; et à la
confusion inévitables dans ces circonstances-là. Y a-t-il lieu de
s'étonner que cette tension de l'esprit qui continua pendant
longtemps ait épuisé les facultés mentales de G.. ? Pas du
tout; nous le rappelons encore une fois; la névrose de G...
était encore dans sa pleine évolution : elle frappa les organes
les plus fatigués; c'est dans la règle, ainsi les troubles de la
motilité, de la sensibilité et de l'intelligence se développèrent
presque contemporainement, comme contemporaines avaient
été les causes qui leur avaient donné origine.
Du reste, l'amnésie est loin d'être rare dans l'hystérie. Au
contraire, l'on peut dire qu'elle constitue l'un des attributs de
l'état mental des hystériques; elle nous explique bien des phé
nomènes, principalement leurs fréquentes et bizarres contra-
dictions, sur lesquelles trop souvent l'on s'appuie pour les accu-
ser de simulation : nous ne voulons pas faire ici la psychologie
de l'amnésie hystérique. Nous rappellerons seulement qu'il y
a lieu de distinguer des formes généralisées, localisées et sys-
tématisées '.
C'est parmi celles-ci que nous croyons pouvoir classer des
accès d'aphasie motrice, que G... présenta dans sa première
' L'amnésie hystérique est à présent l'objet dans la clinique de
M. Charcot d'une étude très approfondie. Parmi les cas que j'ai pu y obser-
ver j'ai été frappé par le suivant, qui forma l'objet d'une intéressante
conférence de M. le professeur Charcot. Il s'agit d'une jeune femme,
laquelle après une violente émotion morale, présenta une hystérie con-
vulsive paifaitement caractérisée et un oubli complet de certaines cir-
constances de sa vie antérieure; entre autres elle avait complètement
oublié la langue anglaise qu'elle parlait couramment avant ce moment pour
être demeurée trois ans en Angleterre : dans le somnambulisme hypno-
tique elle réacquérait une partie des conditions perdues et de la façon
la plus parfaite la notion de la langue anglaise, qu'elle parlait sans diffi-
l'hystérie ET LES maladies organiques DU cerveau. 397 Î
année de maladie : « elle oubliait de temps à autre les mou-
vements nécessaires à l'articulation des mots ». Cette hypothèse
nous parait bien être en harmonie avec l'état mental de la
malade, dans lequel la perte de la mémoire comme nous l'avons
remarqué plus haut, tenait la première place. Du reste, l'aphasie
motrice a été observée d'autres fois dans l'hystérie ; Souza-
Leithe en a décrit un cas classique chez une jeune fille de
onze ans 1.
L'on peut dire la même chose pour la surdité ; elle peut être
provoquée par l'hystérie, comme le prouvent les observations
de Fulton, de Zaufall et de Rizu 2.
La guérison survenue est une démonstration qu'il s'agissait
hien d'aphasie et de surdité hystériques.
Pour ce qui est de l'amaigrissement, qui avait été une des
sources d'erreur, il était, lui aussi, sous la dépendance de la
névrose; et il n'y a dans cette interprétation rien d'étonnant.
En effet, l'on sait que la cachexie et le marasme peuvent, dans
l'hystérie, atteindre leurs dernières limites jusqu'à la mort 3.
En résumé, nous avons mis en relief dans G... la présence
de la névrose hystérique : nous avons cherché à montrer que
ses accès d'épilepsie sensitive, ses troubles du langage et de
l'intelligence étaient sous la dépendance de la névrose. Nous
devons maintenant rechercher si cette symptomatologie pour-
rait bien s'adapter avec l'hypothèse d'une lésion organique
culte pendant l'hypnose, tandis qu'au réveil l'oubli le plus complet se
rétablissait. Cela est un exemple classique d'amnésie systématisée.
Voir : Sopra un caso di amnesia retro-antero,gradu. Lezione del Prof
Charcot, in Riforma medica 1891, et les très intéressantes conférences
de M. le D' Janet sur l'anesthésie et l'amnésie hystérique, dans les
Archives de Neurologie, 1892.
1 Souza-Leithe. - Eludes de pathologie nerveuse, Steinheil, Paris,
1889.
V : Strassmann. Ein Fall von hysterischer Aphasie bei einem Knabe,
combinirl mit facialis Paralysie. D. medicinische IV, 1890.
1 Fulton. Ein Fall von hysterischer Thaubheit Zeitschrift sur
Ohrenheilkunde, B. XV, 1886, p. 307-310.
Zaufall. Casuistische 1111tiheilungen aus der K7t ! t ? sur Ohrenkranken
Prager medicinische Wochenschrift, ? ' 22, 23, 21 juin 1880.
Rizu. Surdimutité hystérique chez l'homme succédant à des attaques
de périodicité annuelle. {Bulletin de la Société des médecins de Jussyr
1887.) '
3 Voir dans les Leçons sur les maladies du système nerveux, t. III,
p. 213, la relation d'un cas extrêmement intéressant a ce propos. 1
398 pathologie NERVEUSE.
corticale; dans le cas négatif, nous aurions ainsi une démons-
tration en plus pour appuyer notre diagnostic.
Avant tout, nous ferons remarquer, en général, que l'absence
d'exagération des réflexes, des parésies ou paralysies persis-
tantes, de rigidité pupillaire, de lésions endoculaires, parlent
contre l'hypothèse d'une lésion organique, en considérant par-
ticulièrement que la maladie a duré presque trois ans.
En deuxième lieu, en passant en revue les différentes ma-
ladies qui pourraient avoir donné origine aux accès épilepti-
formes nous allons voir qu'aucune d'elles ne pourrait être
admise sinon à titre d'exception très rare.
En supposant une lésion organique du cerveau, nous devrions
admettre deux foyers, dont l'un dans l'hémisphère droit en
correspondance du centre moteur du bras, l'autre dans l'hémis-
phère gauche en correspondance de la circonvolution de Broca.
Cette multiplicité des foyers, s'étant établie presque contem-
porainement, nous porte tout de suite à discuter en première
ligne l'hypothèse d'une :
a. - Syphilis cérébrale : 1° Ses phénomènes les plus carac-
téristiques sont absents. 11 n'y a pas la céphalée nocturne,
intense, profonde, qui est caractéristique de la syphilis cérébrale.
La céphalée ici est très superficielle; on la provoque avec un
très léger frottement de la peau, tandis que la percussion sur
le crâne reste sans effet. Il manque l'exagération des réflexes
qui est un phénomène presque constant, selon Fournier'. 1.
Enfin l'évolution de la maladie est bien différente dans la
syphilis cérébrale. Ici, les phénomènes ont été plus graves
dans les premières années de la maladie : ils ont eu pour ainsi
dire une explosion tumultueuse, puis, graduellement, ils ont
diminué d'intensité; les accès d'aphasie motrice ne se sont pas
représentés. C'est le contraire que l'on observe dans la syphilis
cérébrale. Si l'on ajoute à cela l'absence de tout signe de l'in-
fection syphilitique, nous aurons un ensemble d'arguments très
solides pour exclure une telle hypothèse.
b. - S'agirait-il de tuberculose ? Les antécédents hérédi-
taires et personnels de la malade, son amaigrissement auraient
bien pu le faire supposer; mais cette hypothèse ne nous parait
pas admissible. En effet, si le foyer cortical eût été unique l'on
1 Fournier. La syphilis du cerveau, Paris, 1889.
L'HYSTÉRIE ET LES maladies organiques DU cerveau. 399
aurait pu supposer un tubercule solitaire, lequel après avoir donné
lieu à des phénomènes irritatifs dans le moment de son déve-
loppement eût subi après la transformation fibreuse ; son atro-
phie et une espèce d'assuéfaction de l'écorce subjacente auraient t
bien pu expliquer la diminution et l'arrêt des symptômes.
Mais cette hypothèse, qui aurait été admissible avec grand
peine si le foyer eût été unique, devient presque absurde dans
notre cas dans lequel les lésions seraient multiples. De plus,
ella n'est pas conciliable avec les très mauvaises conditions
générales dans lesquelles Mme G... s'est trouvée pendant presque
deux ans. Nous ferons, en outre, remarquer que le siège de
prédilection de la tuberculose de l'écorce cérébrale, c'est le
lobule paracentral, à savoir les centres excito-moteurs de la
jambe, tandis que dans notre cas les accès commencent par le
bras '.
c. Les accès épileptiformes seraient-ils la première
manifestation de la sclérose disséminée ? Il n'y a aucun symp-
tôme de cette maladie dans G... c'est vrai que Loewen-
feld 2 rapporte le cas d'une femme de trente-quatre ans chez
laquelle- pendant six ans des convulsions limitées au bras
gauche furent l'unique symptôme de la sclérose en plaques dont
le tableau complet se développa plus tard. Mais ce fait d'une
sclérose en plaques, maladie éminemment diffuse qui se mani-
feste pendant six ans avec un seul symptôme, nous parait tel-
lement exceptionnel, que nous ne croyons pouvoir le prendre
comme base d'un diagnostic.
d. - Aurait-on à faire avec la méningite chronique de
l'adulte à type hystéro-épileptique, décrite par le docteur
J. Lombroso 3 ? - Il manque de cette forme les phénomènes
les plus caractéristiques, la rigidité pupillaire, les altérations
du fond de l'oeil, les vertiges, la céphalée matutinée, etc.
e. - La paralysie générale et les tumeurs malignes ne
pourraient entrer en discussion ici pour des raisons évidentes.
f. Serait-ce l'épilepsie sensitive, dans notre cas l'équi-
1 Loewenfeld. Contribution à l'étude de l'épilepsie Jaclisonienne.
(Arch. sur Psichialrie, XXI. Observation première.)
' V. Charcot. Epilepsie partielle crurale et tuberculose de la région
paracentrale. (Gazette hebdomadaire de Paris, 1891.)
' Della méningite cronica dell' adulto e di una sua forma a lipo
isteroepilettrco. (Lo Sperimentale, 1891.)
400 PATHOLOGIE NERVEUSE.
valent du mal comitial ? Tous les autres phénomènes de
cette maladie sont absents; en outre, l'on sait que son début
au delà de trente ans est très rare.
Comme conclusion, nous voyons que l'épilepsie, soit essen-
tielle, soit de cause organique, ne pourrait être admise, dans
notre cas, qu'en nous basant sur des données exceptionnelles;
tandis que l'hypothèse d'hystérie est en parfaite harmonie avec
tous les phénomènes, avec l'évolution de la maladie et avec
son issue. Nous nous croyons donc autorisé à maintenir dans ce
cas le diagnostic d'hystérie.
Cette observation nous démontre combien M. Charcot est
dans le vrai lorsqu'il affirme que les symptômes sont comme
les lettres de l'alphabet; en les considérant isolément elles
n'ont pas de signification, tandis que, associées, elles acquièrent t
la valeur d'une idée.
Observation II. Hystérie à forme d'épilepsie partielle motrice.
Cha..., âgé de trente-six ans, lithographe, entre le 15 juin 1892
à 1a Jalpélrière (service de 11. le professeur Charcot).
Antécédents DE famille. Ses aïeuls maternel et paternel sont
morts à un âge très avancé, il ne sait si c'est par maladie ou par
vieillesse. Son père est un homme, très vigoureux et très sobre, tout
à fait exempt de nervosisme. Il mourut à l'âge de soixante-cinq
ans, huit jours après avoir subi l'extraction d'un calcul de la vessie
et, paraît il, à la suite de cette opération. Cha... a deux frères, l'un
âgé de quarante-deux ans, l'autre de trente-huit, ils sont couvreurs
de leur étal. Tous les deux jouissent d'une très bonne santé ; l'aîné
aime les boissons alcooliques, le plus jeune est sobre; tous les deux
sont un peu emportés. Une soeur ainée de Cha... de l'âge de cin-
quante-trois ans est obèse, mais elle ne présente pas de troubles
nerveux. La mère au contraire, est très emportée et, parait, un peu
bizarre; à lace de soixante-quatre ans, malgré les désirs de toute
sa famille, elle voulut se remarier; mais cette union ne fut pas
heureuse, les disputes conjugales étaient très fréquentes; dans une
de celles-ci, elle reçut sur l'oeil droit un très fort coup de poing; il
s'en suivit tuméfaction et suppuration qui dans peu de mois, ainsi
affirme Cha..., entraîna la mort. Pour compléter ce croquis sur l'état
de famille de Cha..., je dois ajouter qu'une soeur de sa mère est
très emportée et impressionnable, que deux de ses nièces, filles de
la soeur obèse, soutirent d'attaques hystériques
Antécédents PERSONNELS.- Cha..., dans son enfance n'eut aucune
maladie : il urina au lit jusqu'à l'âge de douze ans, mais dans
cette époque il ne présenta jamais d'accès convulsifs. A l'àge de
L'HYSTHRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 401
quatorze ans, il entre comme apprenti dans une lithographie;
ici pour son caractère très impressionnable et emporté il devient
bientôt l'objet des railleries de ses camarades qui se moquent
de lui et le font l'objet de plaisanteries quelquefois brutales. Son
caractère change, il devient triste, taciturne; des céphalées très
violentes se manifestent ; de temps à autre des crampes aux
doigts de la main droite qui l'obligent à interrompre le travail.
Ceci lui devient de plus en plus pénible ; à la fin de 1877, il aban-
donne la lithographie et il entre dans une fabrique de céramique
comme imprimeur. Dans son nouveau métier il est obligé de
manier des couleurs à base de plomb en poudre. Les effets de
l'intoxication saturnine ne tardent pas à se manifester; des co-
liques violentes, de l'anémie et un amaigrissement notable l'obli-
gent bientôt à abandonner celte fabrique à la fin de l'année 1880.
Il travaille successivement dans deux établissements lithographiques
en maniant le noir d'Allemagne, couleur à base de plomb, mais
qu'il croit moins nuisible parce qu'il est dissous. Dans celle pé-
riode, sa condition de santé s'améliore légèrement, mais l'espoir
de se conquérir une position plus aisée et plus sûre le conduit à
abandonner son métier et il entre en 1883 à l'arsenal de Puteaux
comme cartouchier, en attendant l'emploi plus commode et plus
lucratif d'imprimeur, qui lui avait été promis à brève échéance. '
Là, il eut à subir de violentes émotions morales. Parmi les car-
touches qui lui avaient été confiées, une cartouche Lebel fut sous-
traite ; la peur d'en être accusé le préoccupa énormément jusqu'à
ce que le vrai coupable fut découvert. Après cet incident, les maux
de tête, qui avaient continué à le tourmenter, devinrent plus intenses
et plus fréquents, s'accompagnant très souvent de diplopie et d'étour-
dissements. Cette diplopie lui arrivait soit pendant qu'il était à son
travail, soit dans les autres conditions de la vie. En 1884, il fut
mordu par un chien à un doigt de la main droite; il perdit beau-
coup de sang et la peur que le chien fut enragé le préoccupa pen-
dant plusieurs mois : en outre de cela il soutirait de violentes dou-
leurs à l'endroit de la morsure qui s'irradiaient à la face externe
du bras et à l'épaule. La douleur était plus forte le matin lors-
qu'il se réveillait, la main devenait froide, le bras lourd et faible,
presque complètement paralysé et trois heures environ devaient
s'écouler avant que Cha... pût reprendre son travail. Après quatre
mois Cha... pût se convaincre que le chien n'était pas enragé; les
douleurs et la paralysie transitoires, disparurent; seulement, de
temps à autre, Cha... éprouvait des]faiblesses dans la main et par-
fois les objets, qu'il tenait, lui échappaient. En outre de cela, le
bras droit devint le siège d'un tremblement dont les caractères
seront étudiés plus loin.
Dans le mois de septembre de la même année, Cha ? eut une
très grave hémoptysie, à la suite de laquelle il dut garder le repos
Archives, t. XXIV. 26
402 PATHOLOGIE NERVEUSE.
le plus absolu pendant un mois ; à cette période il commença à tous-
ser, particulièrement le matin, expectorant très abondamment des
matières muco-purulentes. Les accès de diplopie avec étourdisse-
ments s'accompagnèrent de faiblesses qui lui survenaient subite-
ment, il avait la sensation de la défaillance, il était obligé de
s'asseoir; après quelques instants tout rentrait dans l'ordre et
Cha... pouvait reprendre son travail. Il continua comme cela jus-
qu'en 1886. Ce fut en mai de cette année que les attaques consti-
tuées jusqu'à ce moment par la diplopie et les étourdissements se
complétèrent en présentant le tableau suivant :
Très souvent à la suite de contrariétés, mais quelquefois sans
aucune cause apparente, Cha... est pris d'une céphalée très intense,
il ressent comme une boule qui de l'estomac lui remonte à la
gorge, il se sent suffoqué, sa langue lui parait enflée, paralysée, il
ne peut pas parler, il voit les objets ;doubles, ses tempes battent
avec violence et ses oreilles sifflent, son intelligence se trouble, les
idées deviennent confuses; ces phénomènes durent deux ou trois
minutes, après, Cha... émet un cri rauque et il tombe à la renverse
perdant complètement connaissance. La tête est alors dans une
extension exagérée, sa face congestionnée, la bouche est tirée vers
la droite, les membres raidis, les poings fermés; la respiration est
ronflante, de l'écume sanguinolente s'accumule aux angles des
lèvres. Après quinze ou vingt minutes, Cha... reprend parfaitement
la conscience en se sentant beaucoup fatigué. Des attaques sem-
blables à celles-ci se sont reproduites jusqu'à l'époque présente à
des intervalles irréguliers (en moyenne tous les deux ou trois mois),
avec les mêmes caractères. Cependant il est intéressant de noter
que de temps à autre l'attaque est précédée soit d'un léger trem-
blement du bras droit, soit d'une légère parésie du même membre,
soit de tous les deux à la fois. Quelquefois ces légers tremblements.
se continue quelques secondes même après la perte de connais-
sance.
En 1891, Cha... n'espérant plus 'pouvoir obtenir dans l'arsenal
l'emploi d'imprimeur, qu'il attendait depuis si longtemps, en sort
pour aller travailler dans une lithographie. Mais la paye, très mi-
nime, la peur de devenir impuissant au travail, la préoccupation
de ne pouvoir pas satisfaire à ses engagements lui inspire un déses-
poir très grand et l'idée du suicide se présente à son imagination
avec une insistance toujours croissante; il parait qu'une telle idée
occupe son esprit même pendant l'attaque, en effet depuis quelque
temps (et c'est là le phénomène auquel nous faisions allusion
plus haut), pendant l'attaque il sort brusquement du lit en se diri-
geantvers la fenêtre; cet acte, qu'il accomplit, dans la plus profonde
inconscience, a éveillé dans l'esprit des personnes présentes l'idée
qu'il voulait se précipiter dans la rue pour se tuer; du reste, il n'op-
pose pas de résistance lorsque l'on veut le recoucher, il dort pen-
L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 403
dant plus d'une heure et, puis après il retrouve sa conscience en
oubliant complètement tout ce qu'il lui est arrivé.
Cha... depuis douze ans fait vie commune avec une femme pour
laquelle il a beaucoup d'affection. Voici les renseignements que
cette dame nous donne sur le caractere de Cha... : il est très affec-
tueux, triste, surtout avant la crise, il s'émotionne avec une faci-
lité extraordinaire, il est continuellement préoccupé par là crainte
de la misère, il est de caractère faible, il change très souvent de
résolution, toujours anxieux de trouver une situation qui le mette
à l'abri définitivement du besoin.
Examen OBJECT1F.-Ca... est de très haute taille, bien conformé;
la couleur de sa peau est pâle, légèrement terreuse, il est assez
maigre et il donne en somme l'impression d'un individu qui ne
jouit pas d'une bonne santé. Il se plaint de fréquentes faiblesses
avec sensation de défaillance ; il a tous les matins des accès de toux
avec expectoration rare.
Sensibilité. Dans le côté gauche du corps, on observe une
perte absolue de la sensibilité tactile, douloureuse et thermique ;
seulement le sens musculaire est conservé, mais très affaibli.
Le goût et l'odorat sont abolis complètement des deux côtés.
Cha... ne distingue pas l'odeur du sulfate de carbone ni le goût d'une
forte solution saline étalée sur la langue. L'ouïe a diminué à
gauche.
Appareil DE la vision (Examen fait par le Dr PARINAUD). - Les
globes oculaires sont mobiles normalement dans toutes les direc-
tions. Pas de nistagmus. Les pupilles réagissent bien à la lumière
et à l'accommodation. Pas de diplopie à l'examen avec les verres
Fig. 3 et 4. Char... 15 juin 1892.
404 PATHOLOGIE NERVEUSE.
de couleurs. Il y a anesthésie complète des conjonctives des deux
côtés. (Fig. 3 et 4.)
OEIL gauche. Il y a poliopie, macropsie et micropsie ; discroma-
topsie complète pour toutes les couleurs ; rétrécissement du champ
visuel à 60°. Pas de lésion du fond de l'oeil.
OEIL Droit. - Rétrécissement du champ visuel à 65°. Légère dis-
cromatopsie. Pas de lésion du fond de l'oeil.
Motilité. Cha... résiste très bien aux mouvements passifs,
imprimés aux différents groupes musculaires de ses membres. La
station debout, la démarche ne présentent pas d'anomalie. Pas de
signe de Romberg.
Le membre supérieur droit est le siège d'un tremblement qui
change de caractère d'un moment à l'autre ; il est en général à oscil-
lations très brèves et rapides, lesquelles parfois deviennent plus
amples et plus lentes, il se manifeste à l'état de repos, ne s'exa-
gère pas pendant le mouvement, il apparaît et disparait avec
une très grande facilité à la moindre occasion. Par exemple, tan-
dis que Cha... présentait son tremblement au maximum, je l'in-
vite à écrire son nom, ce qu'il exécute avec une calligraphie très
belle et très sûre ; une autre fois, tandis que j'étais en train de
lui prendre le tracé de son tremblement avec l'appareil de Marey,
je n'ai paspu le faire parce que le tremblement s'arrêta tout desuite.
Réflexes. Les réflexes conjonctivaux et pharyngiens sont ab-
sents. Les réflexes tendineux sont tout à fait normaux. Pas de dif-
férence d'un côté à l'autre. Le clonus du pied est absent.
Examen viscéral. ' '- Il nous révèle l'existence d'un emphisème
pulmonaire, d'une bacillose au sommet droit et d'une sténose mi-
trale. En effet, la sonorité est exagérée antérieurement sur toute
la surface de la poitrine. La matité absolue de'la région précar-
diaque a disparu. L'obtusité hépatique commence sur la ligne axil-
laire à la septième côte. Dans la région sous-claviculaire droite
très légère hypophonèse. A l'auscultation l'on observe une respi-
ration exagérée antérieurement et postérieurement dans les 2/3
inférieurs du poumon. Dans le 1/3 supérieur l'inspiration est
faible et rude, l'expiration prolongée avec des ronchus très nom-
breux particulièrement au sommet droit.
Le choc du coeur est apprécié dans le cinquième espace intercostal
un peu en dehors du mamelon. Le ton systolique à la pointe est
dur, frappant. Dans le. deuxième espace intercostal le bruit diasto-
lique est très manifestement dédoublé. Ce dédoublement est très
exactement limité à là base du coeur, et il ne se modifie pas pour les
' mouvements respiratoires. L'examen des viscères abdominaux
donne des résultats négatifs.
Diagnostic - 1° L'interprétation des crises convulsives,
L'HYSTÉHOE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 405
dont Cha... est victime, parait au premier abord presque
banale; en effet, la parésie, le tremblement du bras, l'aphasie
motrice, tous phénomènes qui accompagnent ou précèdent la,
crise,' trouveraient une explication tout à fait naturelle dans
une lésion organique située au niveau de la circonvolution
de Broca ou vers la . moitié de la circonvolution frontale
ascendante : de là partirait l'excitation épileptogène, laquelle
en se répandant à travers de l'écorce cérébrale donnerait lieu
à des phénomènes diffus (perte de la connaissance, contracture
généralisée avec morsure de la langue). Cette succession de
phénomènes n'est pas rare dans l'histoire des lésions corticales
etce n'est pas ici le lieu d'insister. Ce que nous voulons mettre
en relief, c'est que la supposition que nous venons d'exposer
n'avait rien d'invraisemblable; en effet, Cha... avait été envoyé,
à l'institut Pasteur pour y être soumis aux inoculations antiépi-
leptiques ; de là, il fut adressé à la Salpêtrière, comme suspect
d'une lésion organique du cerveau. ,
Ce qui contribuait à rendre le diagnostic très difficile c'était
la morsure de la langue, qui arrivait constamment dans toutes
les attaques. Or, on sait que c'est là un phénomène presque
caractéristique de l'épilepsie, mais il peut arriver aussi dans
l'attaque hystérique ; M. Charcot l'a observé quelquefois.
Du reste, il en est de ce cas comme du précédent : si l'on s'en
tient à l'examen de la crise en elle-même, le diagnostic d'une
grave lésion organique s'impose. Si l'on cherche à interpréter
les phénomènes convulsifs en les mettant en rapport avec les
antécédents morbides du malade, on arrive à une conclusion
diamétralement opposée. C'est ce que nous allons démontrer,
en analysant rapidement l'histoire pathologique de Cha....
2° Avant tout, Cha... est prédisposé par hérédité aux maladies
nerveuses. Cette prédisposition héréditaire se manifeste dès
son enfance par un caractère triste, impressionnable, taciturne
et par des céphalées très fréquentes et persistantes. Cha... a
manié le plomb pendant longtemps, il a même présenté des
phénomènes d'intoxication saturnine, il a eu à une certaine
époque de son existence une forte hémorrhagie, il est atteint
d'une affection cardiaque. Or, on connaît la relation qui existe
entre ces ordres de causes etle développement de l'hystérie grave'.
' V. G. Guinon. Les agents provocateurs de l'hystérie, Paris, 1889.
- Giraudeau. Rél1'écissemellt mitral et hystérie chez l'homme. (Arch.
géu. de méd., nov. 1890.) ,
406 PATHOLOGIE NERVEUSE.
' Nous avons'donc là des causes très puissantes d'hystérie qui
ne pouvaient pas manquer de produire leur effet sur un ter-
rain ainsi'prédisposé par hérédité.
a). A vingt-quatre ans, Cha... est victime d'une violente
émotion morale. Les céphalées, auxquelles il était sujet dès
sa jeunesse, s'aggravent; de temps à autre elles s'accom-
pagnent de diplopie et des étourdissements qui se présentent
sous une forme accessionnelle. Qu'étaient ces accès ?
Etaient-ce des équivalents d'accès comitial ? Manifestations
céphaliques d'une sclérose en plaques au commencement ?
Ebauchess d'attaque hystérique ? La dernière hypothèse nous
paraît la plus vraisemblable; en effet, l'accès comitial n'est
jamais précédé, que je sache, par la diplopie : pour ce qui est
de la sclérose à plaques, tous ses phénomènes sont absents ici,
tandis que les stigmates oculaires de l'hystérie sont au grand
complet. Or, la diplopie n'est pas un phénomène rare dans
l'hystérie et la parfaite fonctionnalité des muscles de l'oeil,
l'absence de phénomènes d'une autre maladie qui pourrait
nous expliquer la diplopie, nous autorisent à la considérer
dans notre cas comme une manifestation hystérique.
b). En or, Cha... est mordu par un chien au pouce de la
main droite; émotion très forte entretenue par la peur que le
chien fût enragé; pendant quatre mois, il a des accès'quoti-
diens intermittents de paralysie au bras droit qui cessent de
se présenter depuis que Cha... est convaincu que le chien
n'était pas enragé, seulement de temps à autre se présentaient
des faiblesses transitoires à la main droite, de laquelle quel-
quefois Cha... laisse échapper les objets.
L'interprétation de ces phénomènes n'est pas douteuse. Le
caractère éminemment transitoire et intermittent, l'absence
absolue d'altération trophique de la main et du bras, l'inté-
grité des réflexes et surtout les circonstances qui leur ont
donné origine démontrent bien qu'il s'agit de simples troubles
fonctionnels.
L'on peut dire la même chose pour le tremblement. Son
caractère intermittent, son rythme changeant d'un moment à
l'autre, sa non-modificabilité par le repos et par le mouve-
ment, son apparition et disparition pour des causes insigni-
fiantes, ne laissent pas de doutes sur sa nature ; évidemment
il s'agit d'un tremblement fonctionnel et comme Cha... est
hystérique, comme nous le démontrons par l'examen objectif,
L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 407
c'est à l'hystérie qu'il faut attribuer tous ces troubles mo-
teurs.
c). Dans la même année, Cha... présente une hémoptysie
très grave. L'examen objectif nous en donne les raisons; en
effet, nous avons trouvé au sommet droit des phénomènes de
bacillose '.
Dès cette époque, Cha... est sujet très fréquemment à des
sensations de défaillance qui l'obligent à s'asseoir et à inter-
rompre son travail; cette sensation se présente sous une forme
d'accès et s'accompagne de céphalée, de diplopie et d'étour-
dissements. Ces sensations sont-elles dues à l'anémie céré-
brale consécutive à l'hémorrhagie ? Il est possible que celle-ci
fut l'interprétation plus juste au commencement; mais com-
ment expliquer leur persistance depuis que Cha... eut réparé
les fâcheuses conséquences de sa bronchorrhagie, de façon à
pouvoir reprendre son travail ? Comment s'expliquer leur
forme d'accès en union aux autres phénomènes qui exis-
taient auparavant ? Il nous paraît plus logique de les inter-
préter comme une forme pas encore complète d'attaques hys-
tériques.
d). En 1886, enfin, des attaques convulsives éclatent et
persistent jusqu'à présent avec le même caractère, sinon que
depuis quelques mois il s'y est ajouté une ébauche de délire.
En résumé, dans la première jeunesse, caractère triste,
impressionnable, céphalées fréquentes, intoxication satur-
nine ; émotion morale grave et aggravation de la céphalée,
diplopie, étourdissements sous forme d'accès ; léger trauma-
tisme : paralysie et tremblement du bras droit ; hémop-
tysie grave et accès de céphalées, diplopie, étourdissements
avec sensation de défaillance; enfin, crises convulsives avec
perte de la conscience. Telle est l'histoire pathologique de
Cha.... Il est très facile de voir qu'elle se compose de tant
d'épisodes pathologiques, chacun desquels par ses caractères
intrinsèques, et par la nature de sa cause occasionnelle et par
son manque de proportion avec l'intensité de cette cause, porte
imprimé le cachet de la névrose hystérique. 11 est intéressant
1 La raison de ce que la tuberculose est restée limitée depuis si long-
temps à l'apex pulmonaire est peut-être à rechercher dans l'emphysème
pulmonaire diffus, dont nous avons trouvé les signes dans Cha.... Du
reste Ziemssen observe que l'évolution de la tuberculose est plus bénigne
dans les cas qui commencent comme celui-ci par une bronchorragie très
grave ?
408 PATHOLOGIE NERVEUSE. ,
de remarquer comment chacun de ces phénomènes s'est
superposé au sur et à mesure aux phénomènes antécédents de
façon à dessiner graduellement une attaque toujours plus
complète.
3° Les attaques actuelles sont donc pour ainsi dire le
résumé de tous les épisodes morbides antécédents. Nous y
retrouvons la céphalée, la diplopie, l'étourdissement, la paré-
sie, le tremblement du bras droit; en plus, s'y sont ajoutés
tous les phénomènes de l'aura hystérique au grand complet,
à savoir la boule qui remonte à la gorge, la sensation de
suffocation, le sitflement dans les oreilles, le battement dans
les tempes. La sensation de défaillance a été poussée jusqu'à
la perte de la conscience, et voilà l'attaque constituée.
Or, pourrions-nous logiquement renier la relation qui
existe entre celui-ci et les antécédents morbides de Cha... ? Et
si nous avions pu démontrer que ceux-ci sont de nature hysté-
rique, comment pourrions-nous admettre pour la crise actuelle
une origine différente ?
En présence de l'évolution de la maladie ainsi nette dans sa
signification étiologique et symptomatique, nous ne pouvons
nous en laisser imposer par un seul symptôme tel que la mor-
sure de la langue. Ceci du reste peut se rencontrer dans les
attaques hystériques ; notre éminent maître en a observé des
exemples. Pour ce qui est de l'aphasie motrice nous savons ce
qu'il faut en penser. Elle peut s'observer dans l'hystérie aussi
bien que dans les lésions organiques.
- Pour confirmer la nature hystérique de la crise, nous avons
encore un autre épisode qui s'y est interposé depuis quelque
temps : Cha..., quelques minutes après avoir perdu la cons-
cience, se lève brusquement en se dirigeant vers la fenêtre ;
cet acte pourrait bien être interprété comme un délire d'ac-
tion, et sa manifestation pendant l'attaque et dans l'état d'in-
conscience parfaite tient plus de la grande attaque hystérique
que de l'épileptique. Il faut noter encore que jamais le malade
pendant l'attaque n'a uriné sous lui, comme il arrive d'ordi-
naire dans l'accès épileptique.
4° Nous avons enfin dans Cha... des stigmates hystériques
b ien caractérisés : : 1° une hémianesthésie sensitivo-sensorielle à
gauche, et un rétrécissement concentrique du champ visuel.
Tous ces phénomènes peuvent être observés dans l'épilepsie,
mais seulement d'une façon transitoire. Le professeur Charcot
L'UYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU . 409
et le Dr Parinaud (Leçons du Mardi, 1889, p. 422) ont dé-
montré, en se basant sur 74 observations d'épileptiques, que
le rétrécissement suit immédiatement les accès, exceptionnelle-
ment il peut les précéder comme une aura; jamais il n'est
permanent, à moins que l'hystérie ne complique l'épilepsie
comme il arrive sur 11 des i cas étudiés par ces obser-
vateurs, ou à moins que les accès ne se succèdent avec une
grande fréquence (chaque cinq ou six jours). Aux mêmes
conclusions est arrivé d'Abundo, lequel, en outre, a observé
que le champ visuel dans l'épilepsie a des contours très
irréguliers.
Dans notre cas, le rétrécissement a persisté pendant tout le
temps passé par Cha... dans la clinique (douze jours), et pen-
dant cette période le malade n'a pas présenté d'attaques. En
outre, la forme du rétrécissement est très régulière comme
on peut s'en convaincre en observant le schéma. Il présente
donc l'évolution et le caractère du rétrécissement que l'on
observe dans l'hystérie.
Pour ce qui est de l'hémianesthésie, les considérations sont
les mêmes, elle peut survenir après l'accès épileptique, mais
d'une façon transitoire. De plus, elle n'est pas aussi complète
et profonde que dans l'hystérie : c'est ce qu'enseigne M. le
professeur Charcot. Contre cette manière de voir se sont élevés
récemment MM. Féré et Déjérine. Dans une récente commu-
nication à la Société de biologie (séance du 2 août 1892,
Semaine médicale, p. 311), Féré rapporte que dans les deux
tiers des épileptiques il a trouvé des altérations de la sensibi-
lité spécifique particulièrement du goût et de l'odorat, en
outre des altérations de la sensibilité générale. Il en conclut,
avec M. Déjérine, qu'il y aunehémianesthésiesensitivo-senso-
rielle épileptique impossible à distinguer de celle qui accom-
pagne l'hystérie. Mais nous ferons observer que pour cons-
tater la modification de la sensibilité spécifique, M. Féré s'est
servi d'un procédé qui consiste à chercher le minimum percep-
tible étudié au moyen de solutions titrées décimales de subs-
tances cristallisables. Or, la délicatesse du procédé employé
par Féré nous parait dénoter que les altérations qu'il cherche
doivent être bien légères, tandis que dans l'hystérie il n'y a
pas besoin de procédés délicats ; les plus fortes stimulations
ne sont pas perçues. Dans notre cas le sulfure de carbone et
une solution saline très forte n'ont produit aucune sensation.
410 PATHOLOGIE NERVEUSE.
L'anesthésie était profonde et le sens musculaire avait presque
disparu. De plus elle a persisté longtemps comme le rétrécis-
sement du champ visuel : nous pouvons donc les considérer
tous les deux comme la caractéristique de la névrose hysté-
risque et pas de l'épilepsie.
En outre de ces stigmates nous en avons d'autres non moins
importants, nous voulons parler des troubles oculaires carac-
térisés par la polyopie, par la micropsie, par la macropsie mo-
noculaire ; ces troubles de l'accommodation, selon le Dr Pari-
naud, dont la compétence dans cette matière est bien connue,
sont presque spécifiques de la névrose hystérique.
Comme conclusion, l'examen objectif en nous révélant des
stigmates très nets de la névrose hystérique confirme notre
diagnostic d'hystérie qui était basé sur l'étiologie et sur l'évo-
lution de la maladie.
OBSERVATION III. - Hystérie à forme d'épilepsie partielle crurale.
Bar..., âgé de dix-sept ans, de Limoges, entre le 3 juin 1892
à la Salpêtrière (service de M. le professeur CHARCOT).
Antécédents de famille. Son père mourut à l'âge de quarante-
cinq ans, après une maladie de deux mois, sur laquelle on ne peut
pas avoir de renseignements précis. Sa mère vit, et jouit d'une
très bonne santé. Ses aïeux sont morts à un âge très avancé; il a
un frère de dix-neuf ans un peu irritable. Sa soeur, âgée de douze
ans, est très bien portante. De ses parents aucun ne soutire de
maladies nerveuses.
Antécédents personnels. - Dès sa première enfance B..., a
exercé le métier de saltimbanque avec sa famille. A cause de son
métier il est tombé très fréquemment de hauteurs parfois consi-
dérables en frappant de la tête : à dix ans il tomba sur son bras
droit en se luxant l'épaule, laquelle fut remise à sa place immé-
diatement ; ni de cette chute ni des autres il ne s'ensuivit pas
d'autres conséquences.
Malgré la dureté de son métier vagabond, B... a toujours joui
d'une bonne santé jusqu'à l'âge de treize ans. A cette époque il se
trouvait un jour sur la place publique pendant qu'un orage très
fort éclatait; la foudre tomba près de lui, B... fut tellement
effrayé qu'il perdit connaissance et tomba à terre. Dans cet état
d'inconscience qui dura quelques minutes, il ne se mordit pas la
langue et n'urina pas sous lui. Lorsqu'il revint à lui, il était simple-
ment un peu étourdi; son étourdissement se dissipa bientôt et pour
un an il n'eut à souffrir aucun trouble digne d'être remarqué. Un
L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 411
an après son premier accident sa maladie actuelle se manifesta de
la façon suivante. Une nuit, tandis qu'il dormait très profondé-
ment, la scène de la foudre se représenta à son esprit; très effrayé
il se réveilla en sursaut avec une très violente angoisse précor-
diale. Il ressentit au mollet de la jambe gauche une crampe très
douloureuse, une sensation de froid qui envahit très rapidement la
partie gauche de son corps; la jambe se raidit en extension et fut
soulevée au-dessus du lit, le bras en extension et en forte adduc-
tion se leva au-dessus du niveau de 'l'horizontale, l'angle labié
gauche s'étira en dehors, après les deux membres successivement
furent pris de convulsions cloniques très rapides, ayant commencé
par la jambe et qui respectèrent les muscles de la face et des yeux.
Après quelques minutes la crise prit fin, enlaissant B... très fatigué.
Des attaques semblables à celle-ci se répétèrent pendant trois
mois tous les huit ou dix jours, en se présentant le matin ordinaire-
ment vers les 5 heures; après, ils survinrent même pendant le
jour; trois fois C... tomba devant le public. Effrayé par ces atta-
ques qui augmentaient de fréquence, son état physique et moral
se troubla; six mois après au commencement de la maladie il fut
obligé d'interrompre son métier. Soumis' à un traitement hydro-
thérapique, il s'en trouva bien; les crises nerveuses s'arrêtèrent et
B... parut guéri. Au commencement de 1890 il reprit son travail;
mais les affaires allaient mal pour la petite troupe; B... s'ali-
mente mal et dort peu; ainsi après quatre mois d'accalmie les
convulsions reprennent avec une intensité plus grande; dans une
journée il présente vingt-huit attaques convulsives; il entre alors
à la Salpêtrière, il y reste trois mois, soigné avec des douches et
du bromure, il en sort guéri. Il reprend son métier; après huit
mois de bonne santé, une nouvelle série d'attaques se représente;
il rentre alors pour la deuxième fois à la Salpêtrière en janvier
1891, il en sort en bonne santé le 11 février. Au commencement
d'avril, nouvelle série d'attaques, il rentre à la Charité où on le
traite par l'hypnose. Sorti de la Charité il se trouve bien jus-
qu'au 29 mai ; ce jour-là, à 5 heures du matin, une de ses attaques
ordinaires le prit. A la fin de l'attaque le bras et la jambe gauche
étaient complètement paralysés, le mouvement le plus léger
même avec le doigt est impossible, le bras pend flasque le long
du corps, la jambe git dans le lit comme une masse inerte. Les
plus fortes excitations, comme les brûlures, les sinapismes ap-
pliqués sur la peau, ne sont pas ressentis; le sens musculaire est
aboli, B... ne sent pas ses membres. A ces attaques s'en ajoutèrent
seize à de brefs intervalles, dans la même journée. Après la der-
nière attaque, qui survint le soir à huit heures, il ressentit dans la
jambe et dans le bras une sensation de chaleur, en peu de minutes
le mouvement revint complètement dans les deux membres et
C... fut en mesure de pouvoir sortir de son lit.
412 PATHOLOGIE NERVEUSE.
Le jour suivant, il eut deux attaques, une le matin à 8 heures et
l'autre le soir. Elles ne furent pas suivies de paralysie.
Le troisième jour il eut une attaque le matin à 5 heures, qui
fut suivie de perte de la connaissance, qui dura vingt minutes.
Cette attaque ne fut pas suivie non plus de paralysie des membres.
Le fait d'avoir perdu connaissance, ce qui lui arrivait pour la
première fois depuis l'accident de la foudre, effraya beaucoup B....
Le jour suivant il entra à la Salpêtrière.
Examen objectif. (Pratiqué le 4 juin 1892.) - B... est un garçon
pâle et maigre, il a l'apparence d'un enfant de douze ans, tandis
qu'il en a dix-sept. Il a le crâne très développé, le cou long et
maigre, les yeux vifs et intelligents. Dans l'ensemble, il ne donne
pas l'impression d'une santé très bonne. ,
SE\$IB1LITÉ ? La sensibilité a la douleur, tactile et thermique est
abolie complètement dans toute la moitié gauche du corps. On
n'obtient pas de sensation de chaleur avec le. thermo-esthésio-
mètre chauffé à 60 degrés. L'anesthésie est profonde : on peut
tordre les articulations sans que B... montre de la souffrance. Le
sens musculaire est absent. B... ignore absolument les diverses
positions imprimées à ses membres gauches. Les conjonctives et
le pharynx sont insensibles des deux côtés. Le goùt.et l'odorat sont
abolis complètement. Leur abolition est bi-latérale.
Appareil de la vision. 11 y a à gauche un rétrécissement con-
centrique du champ visuel à 40 degrés. La perception chromatique
est affaiblie. La perception du violet est abolie complètement. Le
contraste qui existe entre les deux côtés est frappant : tandis
qn'avec l'oeil droit il reconnaît rapidement les plus légères grada-
Fig. 5 et 6. -Bar... 20 juin 1892.
L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 413
tions de toutes les couleurs, le violet compris, du côté gauche il
donne un jugement exact seulement sur les gradations d'intensité
moyenne et encore avec beaucoup de peine. Il appelle le violet
noir ou bleu. (Fig. 5 et 6.)
L'acuité visuelle est normale. Pas de micropsie, de macropsie,
de poliopie monoculaire. Les pupilles réagissent très bien à la lu-
mière et à l'accommodation. Les mouvements des globes oculaires
sont normaux dans toutes les directions.
Motililé. La démarche, la station debout, ne présentent aucune
anomalie. Le signe de Romberg est absent. La force musculaire est
presque égale des deux côtés : l'index dynamométrique marque 23
à la main droite, 23 à la main gauche. ,
Réflexes. - Sont absents les réflexes du poignet, le clonus du
pied, le réflexe conjonctival et le réflexe pharyngien des deux côtés.
Le réflexe olécranien est absent à gauche, très faible à droite; le
réflexe abdominal crémastérique, le glutée et les patellaires bien
développés des deux côtés.
B... est resté à la Salpêtrière jusqu'aux premiers jours de juillet.
Dans cette période il a présenté des attaques en tout semblables
aux dernières. Il est à remarquer que ces attaques lui survinrent
dans deux nuits successives à des journées passées par B... dans sa
famille'.
Dans ces attaques, pendant la phase comateuse, ses voisins de
lit ont entendu qu'il criait : maman ! maman ! La sensibilité ne
s'est pas modifiée notablement. Les conditions générales au con-
traire se sont améliorées considérablement.
Diagnostic Le tableau d'une épilepsie motrice crurale
est ici d'une netteté remarquable. Crampes au mollet gauche,
sensation de froid qui gagne rapidement toute une moitié du
corps, ensuite convulsions toniques et chroniques des deux
membres, débutant par l'extrémité inférieure; c'est bien là le
syndrome qui correspond à une lésion du lobule parencentral.
Et tel en effet fut le diagnostic porté du premier coup, main-
tenu pendant longtemps. Cependant, même pour ce cas, le
diagnostic d'hystérie peut être affirmé en se basant sur les argu-
ments suivants :
1° Depuis trois ans que la maladie dure, on n'observe pas
des lésions de motilité ni de l'exagération des réflexes. La
force musculaire pour, vrai dire est un peu affaiblie, mais elle
1 Cette circonstance me rappelle un fait fort intéressant relaté par
M. Charcot (Leçons sur les maladies du système nerveux, t. III, p. 80),
qui démontre combien le milieu de famille est, favorable à l'entretien
des accidents hystériques. ' ' * J
414 4 PATHOLOGIE NERVEUSE.
l'est des deux côtés; cette faiblesse est en harmonie avec les
conditions générales et avec le développement de Bar... qui
est au-dessous de la proportion désirable pour son âge. Pour
ce qui est des réflexes, non seulement ils ne sont pas exagérés,
mais le réflexe olécranien est absent à gauche.
2° L'attaque est toujours précédée par un aura psychique;
le malade rêve toujours à l'éclat de foudre, à la suite duquel
il eut la première attaque. Or, cette modalité de l'aura nous
paraît bien plus en harmonie avec l'hystérie qu'avec l'épilepsie.
En outre de cela, pendant la période comateuse de l'attaque,
Bar... crie : « Maman ! maman ! » comme s'il appelait au
secours; or, il nous paraît que cette ébauche de délire, en
union avec l'aura indiquée ci-dessus, nous révèle des conditions
mentales plus propres à l'hystérie qu'à l'épilepsie : du reste,
nous reviendrons sur ce point.
3° La paralysie survenue après la première attaque, dans la
série qui s'est présentée à la fin de mai, disparut complète-
ment après la seizième attaque survenue le même jour. Or il
est caractéristique des paralysies hystériques de se manifester
et de disparaître après les attaques; tandis qu'après les accès
épileptiques, peuvent survenir desparalysies, mais je ne crois pas
qu'après l'un de ces accès, se manifeste la disparition brusque
d'une paralysie préexistante, comme il est arrivé dans notre cas.
4° Dans la dernière série d'attaques, il est encore à remar-
quer la particularité suivante : Le premier jour, il ne se mani-
feste pas de perte de la connaissance, et après la première
attaque une paralysie suivit; le deuxième jour, après la phase
convulsive de l'accès, Bar... perdait complètement la connais-
sance (ce qui, dans l'hypothèse d'une lésion organique, aurait
dû constituer un signe non douteux de son aggravation), tandis
que ni après ceci, ni après les autres accès consécutifs, jamais
ne se manifestèrent les troubles moteurs. Or cette incohé-
rence parmi les phénomènes, nous parait déposer en faveur de
l'hystérie.
fin Il est à remarquer que les attaques ont toujours disparu
après l'entrée de Bar... dans les hôpitaux, à la suite du traite-
ment hydrothérapique ou hypnotique.
6° Nous devons enfin considérer l'absence de tous les phé-
nomènes de lésions organiques du cerveau, et d'un autre côté
la présence des stigmates hystériques, à savoir l'anesthésie
complète tactile, à la douleur et thermique à gauche, la perte
L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 413
du sens musculaire du même côté, l'anesthésie des conjonc-
tives, du pharynx, l'abolition de l'odorat et du goût, la dischro-
matopsie, le rétrécissement du champ visuel, tous phénomènes
persistant, même plusieurs jours après la crise, comme nous
l'avons pu constater lors du séjour de Bar... à l'hôpital. Pour
toutes ces considérations, nous nous croyons autorisé à émet-
tre, même pour ce cas, le diagnostic d'hystérie.
Pour ce qui est de l'étiologie de ce cas, elle nous parait très
intéressante. Les causes prédisposantes ont été créées par la
chétive constitution physique de Bar..., non proportionnée
aux dures exigences de son métier fatigant et vagabond.
L'éclosion de la névrose a été déterminée par la frayeur, de
laquelle Bar... fut victime lors de l'éclat de la foudre; nous
avons au moins de bonnes raisons pour l'affirmer.
Il existe, en effet, des cas d'hystérie bien avérée, provoqués
par l'éclat de la foudre. Le professeur Charcot, dans ses Leçons
du mardi1, en rapporte un cas très beau, en l'illustrant avec
d'autres cas tirés de la littérature. L'on peut m'objecter que
dans notre cas furent absents les signes les plus caractéris-
tiques de la fulguration, à savoir le délire et les troubles de la
sensibilité, de la motilité, consécutives au choc électrique;
mais dans l'espèce, cette absence ne nous paraît pas très impor-
tante. 'En effet ce qui ne manquait pas. ici fut une très forte
frayeur et un ébranlement psychique qui se traduisit par une
perte de connaissance de quelques minutes. Maintenant, qui
ignore que les émotions violentes figurent parmi les agents
provocateurs, pour ainsi dire banals de l'hystérie ?
Une deuxième objection pourrait être fournie, parce que les
crises convulsives se développèrent chez Bar... un an après
l'accident dont il fut victime. Je répondrai par les exemples
cités par le professeur Charcot dans la leçon dont il s'agit.
Le premier appartient au professeur Nothnagel2. Il concerne
un forgeron âgé de trente-six ans qui fut observé pour la pre-
mière fois le 24 octobre 1879. Six ans auparavant, il fut frappé
par la foudre et resta sans connaissance. Lorsqu'il revint à lui,
sa main droite était insensible et complètement paralysée.
Après six semaines, la sensibilité et les mouvements réappa-
rurent brusquement. Six ans après, pendant qu'il était occupé
1 Policlinique du Mardi, 1888-1890, p. 435.
' Virchow's.- Archiv., 1880, t. LXXX, p. 345.
416 PATHOLOGIE NERVEUSE.
à son travail, le marteau lui parut lourd et la paralysie du
mouvement et de la sensibilité dans la main se produisit rapi-
dement comme la première fois. La guérison survint quatre
mois après, à la suite de l'application de l'aimant.
Un autre exemple nous est fourni par l'observation de Gibier
de Savigny '. Un homme de vingt-huit ans, infirmier de son
état, fut frappé par la foudre; il perdit connaissance; lorsqu'il
revint à lui, son membre supérieur droit était paralysé, insen-
sible et flasque. La guérison survint après six mois. Cependant,
après cette époque, à l'approche des orages, la paralysie de
la sensibilité et de la motilité réapparaissait dans le bras pen-
dant quelques heures. D'autres fois, le malade était sujet à des
crises convulsives débutant par la main droite et suivies de
perte de la connaissance (attaques hystériques à forme d'épi-
lepsie partielle). Dans les intervalles, santé parfaite, pas de
troubles de la motilité, ni de la sensibilité.
L'hystérie, dans ces cas, saute aux yeux, comme dit M. Char-
cot. Ils démontrent non seulement que la fulguration peut
provoquer l'hystérie, mais que ses effets immédiats ont eu de
l'influence sur les modalités cliniques ultérieures de la névrose.
Même sous ce rapport, notre cas est analogue aux précédents.
A ce propos, il suffit de se rappeler que le rêve de la foudre
précède constamment les attaques et qu'il s'accompagne tou-
jours d'une profonde sensation de frayeur. Bal'... se réveille
en sursaut, terrifié. En considérant cet aura psychique et cer-
tains phénomènes du syndrome qui la suivent, l'on serait
même tenté d'interpréter ceci comme une attaque émotion-
nelle ; en effet l'angoisse précordiale, le refroidissement et le
tremblement des membres figurent bien parmi les manifesta-
tions communes des états émotifs; mais nous ne voulons pas
pousser l'interprétation au delà des limites qui nous sont assi-
gnées par l'observation rigoureuse des faits. Il nous suffit
d'avoir fait remarquer le rapport qu'il y a entre les attaques
de Bar... et l'accident de la foudre. Ce rapport montre que cet
accident a été la cause provocatrice de la névrose, et il nous
révèle en même temps dans Bar... un état mental hystérique
des plus caractéristiques.
1 Revue médicale française et étrangère, 19 mars 1891.
L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 417
Observation IV. Hystérie à forme d'épilepsie partielle motrice
simulant l'évolution de la syphilis cérébrale.
Fiq... âgé de trente-cinq ans, graveur sur cuivre, se présente à
la consultation externe de la Salpêtrière, le 21 juin 1892.
Antécédents DE famille. Son père est mort à quatre-vingt-
trois ans, d'un cancer à la face; sa mère à un âge très avancé et,
parait-il, d'apoplexie. Un oncle maternel est hémiplégique, dès
l'âge da huit ans.
Antécédents personnels. - F... n'a jamais eu de maladies graves.
Pas de syphilis ni d'alcoolisme. Il est marié depuis onze ans; ce
mariage qu'il a contracté contre la volonté de sa famille lui a causé
beaucoup de chagrin et de discussions avec ses parents. Il a deux
fils, l'un âgé de six ans, l'autre de onze ans. Tous les deux sont
maladifs, ils présentent des engorgements glandulaires. Sa femme
est sujette au moins une fois par mois à des crises nerveuses ayant
le caractère hystérique.. ' *
F... a toujours été d'un bon caractère jusqu'à il y a cinq ans.
Depuis cette époque, à la suite de discussions plus vives avec ses
parents, son caractère changea complètement. Il devint triste,
taciturne, brutal jusqu'à frapper sa femme.
Il y a deux ans, il eut une première attaque d'influenza qui se
passa sans laisser de conséquences. En juin 1891, il eut une
deuxièmealleinte d'influenza à la suite de laquelle il resta très faible.
Depuis celte époque sa santé n'a plus été bonne. La faiblesse que
lui avait laissé la maladie infectieuse réagit sur son esprit et la peur
de ne pas récupérer les forces nécessaires à l'entretien de sa famille
commença à le préoccuper. Il souffrait, en outre, depuis l'iu-
fluenza, de céphalées continuelles, qui s'exacerbaient pendant la
nuit, devenant presque intolérables. Dans la nuit du 12 septembre,
il eut une céphalée tellement atroce qu'elle lui arracha des cris.
Tandis qu'il était descendu de son lit pour chercher de l'eau froide,
il fut pris subitement d'une faiblesse, il se sentit s'affaisser et
tomba la face sur le lit, en restant avec les jambes appuyées sur
le sol, en perdant complètement connaissance. Après quelques
minutes il revint à lui, la céphalée continua pendant quarante-
huit heures en l'obligeant à garder le lit. Le troisième jour il
s'aperçut qu'il bégayait et bredouillait. Ces troubles du langage
persistent même à présent.
Le 24 septembre, il eut une deuxième crise nerveuse. Cette
fois, après avoir perdu connaissance, il eut une contracture succes-
sive des deux extrémités supérieures; les bras se contractèrent
dans une forte adduction, l'avant-bras et les poings dans la
flexion maxima, les doigts à demi fléchis. La perte de connaissance
dura quelques minutes, comme la première fois, et lorsqu'il
Archives, t. XXIV. 27
418. PATHOLOGIE NERVEUSE.
revint à lui, aucun phénomène digne de remarque ne suivit son
accès. Après cette crise, F... entre à l'hôpital Tenon, où il est
soigné pendant quatre mois avec des frictions mercurielles et des
iodures.
Au commencementde janvier il eut une troisième crise : celle-ci
eut le même caractère que la deuxième, elle fut suivie par une fai-
- blesse de la jambe droite qui persista jusqu'à présent. Enfin vers*
le milieu de mai, F... fut victime d'une dernière crise après
laquelle il ressentit de la faiblesse au bras droit tandis que
celle de la jambe devint plus forte. Après celte crise il resta
vers la moitié du pli de l'aine droite une zone hypérectbésique, dont
la. pression provoque des douleurs qui s'irradient dans le ventre.
Dans cette période de temps, il avait de temps à autre des accès
d'aphasie motrice; il cherchait les mots et il ne pouvait les trouver,
il restait quelques minutes impuissant à exprimer sa pensée avec
le langage parlé. Parfois il lui était possible de se faire comprendre
en écrivant, mais d'autres fois la faculté d'écrire paraissait elle-
même supprimée pour quelques minutes.
. Les céphalées continuèrent toujours avec le même caractère; la
faiblesse de ses membres droits s'accrut tellement que son travail
, lui devint impossible, ainsi il se présenta à la Salpêtrière pour
entrer à l'hôpital. Malheureusement, il n'y avait pas alors de lits
. disponibles et je n'ai pu suivre le malade minutieusement comme
je l'aurais désiré. Cependant je pus l'examiner deux fois et voici ce
que j'ai trouvé : .
. Examen objectif. (Pratiqué le 21 juin 1892.) Il est de petite
taille, avec de rares cheveux rougeâtres sur le crâne, des yeux
grisâtres et une physionomie un peu hébétée. Il présente une
gibbosité à la partie supérieure de la colonne vertébrale, gibbosité
qui apparut dans son enfance.
Sensibilité. La sensibilité à la douleur est complètement abolie
sur toute la moitié droite du corps. On peut soulever la peau en
plis et y passer des épingles sans y provoquer la moindre sensa-
. lion douloureuse. La sensibilité thermique est atteinte à un très
fort degré. Une pièce de glace promenée sur la surface de la
peau à droite ne provoque aucune sensation de froid. L'applica-
tion du thermo-esthésiomètre chauffé à 55 degrés ne donne pas de
sensation de chaleur; à 85 degrés il réveille par-ci par-là une très
légère sensation de chaud, qui n'est même pas douloureuse. Il y a
,un mois, F... reçut une brûlure à la main droite sans s'en aperce-
voir.
Au contraire, la sensibilité tactile est très bien conservée. Le
contact d'un morceau de papier frotté tiès légèrement sur la sur-
face du corps est perçu avec toute la rapidité et la netteté dési-
rables. '
L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 419
Sensibilité spécifique. L'odorat est très altéré, le sulfure de
carbone lui produit une impression agréable, il le prend pour
de l'éther. Le goût est aboli complètement à droite, l'ouïe très
affaiblie.
Appareil de la vision.- Rétrécissement concentrique du champ
visuel à droite à 70 degrés. La notion du violet est perdue des deux
côtés, absence des autres stigmates oculaires. Pas d'altération dans
les muscles externes et internes de l'oeil. Pas d'altération au fond
de lui).
Motilité. - La force musculaire dans les membres est au-dessous
de la normale, particulièrement à droite. L'index du dynamo-
mètre donne 25° pour les deux mains. Cependant la faiblesse des
deux membres de droite devient bien plus forte après un exercice
musculaire même peu prolongé. Par exemple, F... pendant deux
ou trois minutes peut écrire avec une calligraphie très belle et
très sûre, mais après ce laps de temps, sa main se fatigue et la
plume s'échappe de ses doigts. La même chose arrive pour les
membres inférieurs droits. Si F... marche peu d'instants, on
ne remarque rien d'anormal, mais après une marche un peu
prolongée, il traîne sa jambe droite d'une façon tout à fait
caractéristique, il présente à ne pas s'y tromper la démarche
de Tood.
Réflexes. - Le réflexe du poignet, l'olécrânien et le patellairebieu
conservés, un peu plus vifs à droite, sans être exagérés ; le réflexe
conjonctival est aboli à droite, très faible à gauche; les crémasté-
riques sont très faibles des deux côtés.
Troubles de la parole. - F... présente un bredouillement et
un bégaiemennt qui datent de sa première crise. Ils sont parfois
tellement intenses que F... ne réussit pas à se faire comprendre.
D'autres fois ces troubles disparaissent presque complètement et F...
parle comme un individu qui a la langue sèche par la soif. Du reste
pas de trace d'aphasie sensorielle ou motrice.
Diagnostic. - Ce cas nous offre un tableau extrêmement
ressemblant à celui de la syphilis cérébrale : céphalée atroce
s'exacerbant la nuit, persistant pendant des mois, ictus apo-
plectiforme suivi de troubles du langage écrit et parlé, attaques
convulsives avec paralysie consécutive de la jambe et du
bras : c'est bien là le tableau classique qui a été si bien décrit
par M. Fournier dans son livre sur la syphilis cérébrale; et
en effet, les médecins de l'hôpital Tenon eurent certainement
le soupçon de cette affection, puisqu'ils soumirent Fiq... au
traitement spécifique. Et cependant, même dans ce cas, le dia-
420 ' PATHOLOGIE NERVEUSE.
gnostic d'hystérie nous parait le plus rationnel. Il s'appuie
principalement :
1° Sur les troubles du langage; 2° sur le caractère de la
paralysie consécutive à l'un des accès convulsifs; 3° sur la
présence des stigmates : "-
1° Pour ce qui est des troubles du langage, l'aphasie mo-
trice et l'agraphie pourraient nous laisser incertains sur la
nature de l'affection qui leur a donné origine. Tous les deux
peuvent se rencontrer aussi bien dans l'hystérie ', que dans les
affections organiques,.sans que dans un cas ou dans l'autre il
y ait des caractères différentiels précis; mais en outre de ces trou-
bles, nous en avons rencontré un autre chez Fiq... et ceci est
absolument de nature hystérique; nous faisons allusion au
bégaiement et au bredouillement; en effet, pendant que nous
examinions Fiq... nous pûmes constater que ces phénomènes
changeaient d'un moment à l'autre d'intensité, parfois ils dispa-
raissaient tout à fait, parfois ils devenaient tellement intenses
quele langage de Fiq... était presque impossible à être compris.
Or, on ne retrouve pas cette allure-là dans le bredouillement
symptomatique des lésions organiques. En outre, dans notre cas,
il n'y avait pas de trace de paralysie de la langue, ni des lèvres.
Nous nous croyons donc autorisé à considérer ces troubles du
langage comme purement fonctionnels et comme Fiq... est un
malade à stigmates hystériques et qu'il n'a pas de phénomènes
se rapportant à d'autres névroses, nous pouvons les considérer
comme des phénomènes hystériques. Maintenant, ilfaut noter
qu'ils se mani- festèrent après une céphalée très forte qui se
continua pendant trois jours, Or, n'est-il pasiogique de considérer
celle-ci comme de même nature hystérique ? M. Charcota montré
comment la céphalée' hystérique peut simuler de toute pièce la
céphalée syphilitique 2. En outre, la perte de la connaissance
que Fiq... présenta dans la même occasion nous parait avoir
plutôt le caractère d'une attaque hystérique à forme syncopale
que d'un ictus apoplectiforme ou d'un accès comitial; «fit ?
descendit dulitpourchercherdel'eau, il fut prisparunesensation
de détail- lance, il sentit ses jambes se dérober sous luiet il tomba
la face sur le lit, les jambes restant appuyées à terre ». Or, il
1 V. Lepine.J)/M<Mn ! oa)'a/M[ ed,Emiplegia istel'ica-allolise in Riforma
medica, 1891, n° 177.
* Charcot. - Leçons cliniques sur les maladies du système nerveux,
recueillies par le D' G. Guinon. Paris, 1892. . -
L'HYSTÉRIE ET LES MALADIES ORGANIQUES DU CERVEAU. 421
nous paraît y avoir de la différence entre cette perte de con-
naissance venue graduellement et l'instantanéité de l'ictus
apoplectiforme ou comitial. ,
2° Comme l'examen du bredouillement, en nous en démon-
trant la nature hystérique, nous a porté à considérer comme
de même nature la crise de céphalalgie après laquelle il s'é-
tait manifesté, de même la paralysie, survenue après la
crise convulsive suivante, nous porte à, considérer celle-ci
comme de nature hystérique. En effet, cette paralysie de la
jambe a bien tout le caractère de la paralysie hystérique,
qui se manifeste avec une démarche de Todd aussi typique
que possible. Or, n'est-il pas logique de considérer comme de
même nature la crise convulsive qui lui donna origine ?
3° Nous avons enfin des stigmates hystériques on ne peut
plus nets. Parmi ceux-ci nous rappellerons l'hémianesthésie.
Elle est complète pour toutes les sortes de sensibilité. Seule,'
la sensibilité tactile est conservée; or, cette dissociation de la
sensibilité on ne l'a observée, quant à présent, que dans la
syringomyélie, dans les névrites, dans la lèpre et dans l'hys-
rérie. Serait-il nécessaire de démontrer que les trois premières
de ces affections doivent être éliminées ici ? Nous ne le
croyons pas, tous les phénomènes de ces maladies sont
absents, il n'y a que l'hystérie qui nous puisse expliquer ces
phénomènes.
En analysant à présent ce cas au point de vue de son étio-
logie, nous rappellerons que la prédisposition à la névrose
existait dans notre malade par le fait de l'hérédité nerveuse.
De plus, le terrain était préparé par des phénomènes névras-
théniques, dus. à des chagrins prolongés, qui précédèrent,
comme cela arrive souvent, les manifestations de l'hystérie.
La cause occasionnelle doit être recherchée dans l'infection
grippale, de laquelle Fiq... fut affligé deux fois. Or, il faut se
rappeler que l'influenza a une élection toute particulière sur
le système nerveux; les cas d'hystérie, d'aliénation mentale.
de myélite, de polynévrite consécutives à cette maladie infec-
tieuse sont désormais très nombreux ; ce n'est pas ici le lieu
d'y insister; plus la grippe doit avoir agi dans ce cas à la
manière de toutes les autres infections, à savoir en débilitant -
toutes les fonctions organiques '.
' V. Georges Guinon. - Les agents provocateurs de l'hystérie, Paris,
1889.
422 PATHOLOGIE NERVEUSE.
En plus de cette manière d'action pour ainsi dire générale,
l'influenza dans notre cas a donné leur forme à certaines
manifestations de l'hystérie. Nous rappelons, en effet, qu'en
outre de la faiblesse générale, qui le rendait inhabile au tra-
vail, Fiq... souffrit pendant l'infection grippale d'une céphalée
persistante qui ne l'a plus abandonné jusqu'à ce moment.
Cette céphalée a,, à l'heure présente, le caractère de la cépha-
lée hystérique; elle a donc remplacé graduellement la céphalée
qui est si commune dans la grippe ; ce fait de phénomènes
hystériques, se greffant sur des phénomènes organiques et
s'y substituant, est encore une chose fréquente dans l'histoire
de l'hystérie et nous n'y insisterons pas. Ce qu'il importe de
mettre en relief, c'est la persistance et l'intensité de la cépha-
lée ; elle était parfois tellement atroce qu'elle arrachait des
cris au patient; l'on peut dire que la céphalée domina long-
temps la scène; ce fut par elle que les attaques commencèrent.
Maintenant, y a-t-il dans la crise convulsive quelque chose
qui nous montre ses relations avec la céphalée ? C'est possible;
nous rappelons, en effet, l'attitude des membres supérieurs
pendant l'attaque; le bras en forte adduction, l'avant-bras, les
poings et les mains au maximum de la flexion; or, cela repré-
sente une attitude prise communément par des individus qui
souffrent d'une céphalée très forte ; en effet, l'on voit fréquem-
ment ces individus avec. les coudes appuyés sur une table se
serrer fortement les tempes avec les poings pour chercher du
soulagement à la douleur. Or, Fiq..., nous le répétons, ce
qui domine la scène, c'est le mal de tête. Il persistait depuis
plusieurs mois. C'était lui qui donnait origine à l'attaque, son
image devait occuper l'état psychique de Fiq..., même durant
la perte de la connaissance ; et il n'est pas illogique de suppo-
ser que pendant celle-ci Fiq... prenait une attitude qui lui
devait être commune, comme elle l'est à tous ceux qui souf-
frent de' céphalées très intenses et prolongées.
Nous savons bien que cette supposition n'est qu'une hypo-
thèse, mais elle nous paraît très vraisemblable et conforme à
la nature de la névrose hystérique, En effet, si celle-ci est,
en grande partie, comme l'enseigne M. Charcot, une maladie
delà personnalité, il nous semble très probable que ses mani-
festations doivent être produites plus par des images psychiques,
parfois inconscientes, que par des altérations localisées dans
tel ou tel centre nerveux. (A suivre.)
CLINIQUE NERVEUSE.
L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE ? 1
contribution A l'étude DES TROUBLES VISUELS dans LES maladies '
nerveuses; .
par le D' ALBERT ANTONELLI.
§ III. - PHYSIO-PATHOLOGIE DE L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE
a). Si nous avons insisté dans les paragraphes précédents sur
les formes de l'amblyopie transitoire et sur les autres syndromes
nerveux qui peuvent s'y rattacher, nous pouvons maintenant
déduire par la vaste symptomatologie, la physiologie patholo-
gique de l'affection.
Toutes les publications dont j'ai pu prendre connaissance
m'ont semblé insuffisantes sur ce sujet.
Les opinions des différents auteurs sont mieux d'accord sur
la nature du trouble visuel dont nous parlons, que sur son siège.
En effet, il est facile de reconnaître dans l'amblyopie transi-
toire un trouble passager fonctionnel, maintes fois de nature
réflexe, provoqué par un trouble de la circulation. Mais, tandis
que les uns affirmaient que le siège de ce trouble résidait dans
l'appareil optique même (rétine, nerf optique, tractus), les
autres, l'attribuaient aux centres cérébraux de la vision.
C'est ainsi, que Parry et Fothergill considéraient le scotôme
scintillant comme un trouble réflexe lié aux troubles de la
digestion, et Baralt dans sa thèse (1880) soutient la même opi-
nion, affirmant que les troubles gastriques ou la migraine sont
le point de départ du réflexe qui provoque le trouble vaso-
moteur dans l'appareil optique. '
« L'Ù'1'itation périphérique du pneurno-gast1'ique et du grand
sympathique se transmettrait aux centres médullaires, pour être
' goy. Arch. de Nei41,ol., n° 72, sept. 1892, p. 203.
424 4 CLINIQUE NERVEUSE.
réfléchie sous forme d'incitation vaso-motrice jusqu'aux vais-
seaux optiques.
« Dans le cas des accès migraineux, l'irritation partirait
du cordon cervical du grand sympathique ou du centre cilio-
spinal, pour déterminer, en même temps que le scotôme scintil-
lant, les divers troubles vaso-moteurs qui caractérisent l'accès
de migraine. »
Il suffit de réfléchir un instant à ces paroles de Baralt, pour
voir comme la théorie des réflexes s'y trouve mal déterminée,
ce qui ressort encore davantage lorsqu'il se demande : « Cette
irritation qui détermine tant de troubles vaso-moteurs pendant
l'accès de migraine, est-elle primitive ou secondaire ? c'est-à-
dire, nait-elle dans le cordon sympathique lui-même, ou dans
le centre cilio-spinal ? Ou bien est-elle produite secondaire-
ment par une névralgie du trijumeau ? »
Evidemment, d'après les lois physiologiques des réflexes,
tout ce que l'on pourrait avancer serait que : l'irritation péri-
phérique sensitive (sur le pneumogastrique en cas de troubles
digestifs, 'sur le trijumeau en cas de migraine) puisse provo-
quer le réflexe moteur sur les vaisseaux des organes de la vision.
Cette explication pourrait encore subsister, telle que Galezowski
l'affirmait pour la véritable migraine ophtalmique, lorsque les
troubles de la digestion ou de la migraine précèdent l'amblyo-
pie transitoire; mais, quand la migraine succède (et c'est le
cas le plus fréquent) aux troubles de la vue, comment croire
que la névralgie est le point de départ de l'arc réflexe ? Et
quand les nausées et le vomissement marquent la fin de l'ac-
cès, ce qui arrive presque toujours, comment méconnaître dans
ces troubles moteurs de l'appareil digestif, la décharge du
réflexe provoqué par les troubles sensitifs de l'appareil optique
et du trijumeau ? .
M. Baralt confirme encore, avec les données ophtalmosco-
piques et avec l'analyse du phénomène scintillement, que le
siège des troubles circulatoires (contraction ou dilatation des
vaisseaux) se trouve dans la rétine ou le nerf optique.
Discutons brièvement ces arguments : -
En effet,Brewster (6) et Quaglino (9) auraient vu (et plus tard
Galezowski l'aurait confirmé), le spasme des vaisseaux du fond
de l'oeil pendant l'accès de scotôme scintillant. A part la diffi-
culté de cet examen, c'est-à-dire d'un jugement sûr quant à
une diminution de calibre anormale et- temporaire des vais-
l'amblyopie transitoire. 425 5
seaux rétiniens, nous trouvons d'autres observateurs, comme
Mollendorf, qui aurait constaté la dilatation de ces vaisseaux
pendant les crises; d'autres encore, plus nombreux (Forster,
Dianoux, Parinaud, etc...), n'ont rien remarqué d'anormal
dans le fond'de l'oeil pendant l'amblyopie transitoire,.
Donc, même en admettant que l'affection puisse quelque-
fois être accompagnée de spasme des vaisseaux rétiniens, ce
spasme n'est pas forcément la cotise du scotôme ou du scintil-
lement.
Il resterait, pour s'expliquer ces contradictions de l'examen
ophtalmoscopique, l'hypothèse que le trouble vaso-moteur
puisse porter sur le chiasma, les bandelettes ou les centres
, visuels de la base du cerveau; mais nous verrons tout à l'heure
combien d'arguments plaident pour le siège cortical de l'am-
blyopie transitoire.
Quant à la physiopathologie du scintillement, Baralt s'ef-
force de démontrer, comme déjà Brewster l'avait affirmé,
qu'il s'agit là d'un phénomène rétinien.
Il la regarde comme dû l'hypéoesthésie de la rétine, ou
pour mieux dire, à l'excitation de cette membrane, comme
dans la provocation des phosphènes. Il considère le scotôme
scintillant comme un phosphène de nature particulière, en le
comparant au scintillement chloroformique, signalé par Dia-
noux. Mais, justement l'examen de ces photesthésies dans la
période initiale (d'excitation) de la narcose par chloroforme,
nous confirme de considérer, comme nous le verrons, le scin-
tillement comme un épiphénomène de l'amblyopie transitoire,
d'origine corticale comme celle-ci et de l'ordre des hallucina-
tions.
Ce sont les troubles associés de l'amblyopie transitoire qui
ont permis d'abord d'en envisager plus justement la physiopa-
thologie. '
Bientôt on écarta l'irisalgie de Piorry, l'anesthésie de la
rétine par la conslriclion des vaisseaux dans une partie du fond
de l'oeil (Brewster et Quaglino), la névrose partielle (vaso-
motrice) du trijumeau (Galezowski) ou la névrose du nerf
optique ou des tractus de Dianoux; on admit le trouble vaso-
' 111. Parinaud a eu l'occasion (1882) d'examiner à l'ophtalmoscope,
pendant une de ses crises monoculaires, un confrère atteint de migraine
ophtalmique, et il n'a pu constater aucune différence appréciable entre le
fond de l'oeil des deux côtés. " .
426 . CLINIQUE NERVEUSE.
moteur dans le cerveau, par excitation du sympatique (du
Bois-Reymond), amenant la contraction spasmodique des vais-
seaux et une anémie momentanée et limitée de la substance
- cérébrale, qui peut être suivie dans certains cas d'une période
de congestion (Latham). Cette hypothèse fut reprise par Ball,
à propos de certains faits d'aphasie transitoire; il envisagea le
phénomène comme étant analogue à l'asphyxie locale décrite
par M. Raynaud, analogie qui nous permettrait de comprendre
en même temps la pathugénie des troubles transitoires et des
troubles qui deviennent quelquefois permanents. Latham,
pour démontrer que les troubles visuels, en particulier,
dépendent bien d'une excitation du sympathique, rapprocha le
scotôme scintillant de la migraine, accompagnée de sensations
visuelles, que Purkinje et Brunton ont décrite dans l'intoxica-
tion par la digitale.
Même les phénomènes qui précèdent, accompagnent et
suivent les cas les plus simples de scotôme scintillant (ceux
dans lesquels l'accès n'est pas migraineux et tient le plus sou-
vent à des troubles de la digestion) devaient conduire bientôt
à l'idée de troubles circulatoires dans le cerveau. Ce sont les
troubles du langage et de l'intelligence, la sensation de vague
et de vide, parfois le vertige, c'est-à-dire en général les mêmes
signes que pour l'anémie cérébrale, et ils s'effacent aussi vite
que les troubles visuels, tandis que la migraine (dont la patho-
génie est probablement autre que le spasme vaso-moteur) peut
se prolonger bien plus longtemps.
Mais, si l'on était arrivé de la sorte, comme le montrent le
travail de Féré (1881) et la thèse de Raullet (1883), à déduire
des caractères et phénomènes associés de la migraine ophtal-
mique, le siège cérébral de l'affection, il restait encore à préci-
ser davantage la localisation du trouble circulatoire.
Raullet dit : « L'anémie transitoire siège-t-elle à la surface
des circonvolutions, ou dans les masses centrales, vers le car-
refour des fibres sensitives ? »
« La dernière hypothèse a pu paraître tout d'abord plus vrai-
semblable, en raison de l'association fréquente des troubles
de la sensibilité générale et, spéciale, qui ne pourraient, dans
le cas de trouble de la circulation corticale, coïncider avec
l'aphasie, sans être suivis en même temps de troubles moteurs,
à moins d'admettre des troubles circulatoires localisés, mais
occupant plusieurs zones à la fois. »
L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 427
Du reste, la forme del'hémiopie, on plutôt de certains cas de
rétrécissement latéral du champ visuel, que l'on observe dans la
migraine ophtalmique, se rapproche des troubles de la vision
que l'on rencontre chez plusieurs hémiplégiques, à lésion céré-
brale permanente et localisée. » i
b). Pour discuter le siège cortical de l'amblyopie transitoire,
commençons par examiner brièvement la nature du phénomène
« scintillement ». , -
La description soigneuse de plusieurs cas de scotôme seintil-
lant démontre que l'amblyopie etles photesthésies commencent
dans des points symétriques du champ visuel des deux yeux : .'
donc, cette forme d'amblyopie transitoire peut être rangée
parmi les hémiopies latérales partielles. Cette variété d'hémio-
pie (hémiopie incomplète, parfaitement ou même imparfaitement
symétrique) ne pourrait nullement s'expliquer par une lésion
des bandelettes ou des nerfs optiques, et il faut absolument la
rapporter aux lésions hémisphériques corticales ou sous-corti-
cales. Nous savons que plus la lésion est proche de l'écorce
(dans la partie postérieure du pli courbe et la partie adjacente
du lobe occipital), plus les scotômes hémianopiques sont symé-
triques : et, puisque plusieurs observations (par exemple, celle
rapportée par M. Javal, ou encore le cas personnel de Baralt)
nous montrent parfaitement symétrique le scotôme hémio-
pique scintillant, nous sommes conduits à admettre dans ces
cas une lésion corticale, dans un foyer où vont aboutir les
points identiques de chaque rétine.
Le scintillement peut accompagner n'importe quelle forme
d'amblyopie transitoire, monoculaire ou binoculaire, centrale
ou hémiopique ; il peut, dans les différentes crises d'amblyopie
transitoire chez un même individu, se présenter complet ou à
l'état rudimentaire (simples étincelles), ou même manquer,
tandis que le scotôme reste toujours bien constitué; presque
toujours le scotôme dure encore quelque temps après que le
scintillement a disparu; bien souvent, chez les épileptiques et
les hystériques, les attaques sont précédées par des visions
colorées, des scintillements,. des véritables hallucinations
visuelles, sans que l'amblyopie transitoire présente une formo
et une durée appréciable. Or, ces faits nous autorisent à con-
sidérer le scintillement comme un phénomène accessoire de
l'amblyopie transitoire, épiphénomène qui pourrait rentrer, il
nous semble, dans l'ordre des hallucinations.
428 . CLINIQUE NERVEUSE.
En effet, rien ne s'oppose à cette manière de voir. Les pho-
testhésies du scotôme scintillant ne sont pas toujours iden-
tiques, mais quand même elles nous présenteraient une cer-
taine constance (le mouvement de l'air chauffé, les étincelles,
les lignes brisées lumineuses, etc...), ce caractère ne peut pas
nous faire nier la nature de l'hallucination; car, maintes hal-
lucinations de l'ouïe ou de la vue peuvent présenter une cer-
taine constance de forme (toujours la même voix, la même
vision), et proprement dans les crises de ces maladies ner-'
veuses (hystérie, épilepsie) auxquelles l'amblyopie transitoire
peut se rattacher.
En considérant le scintillement comme une hallucination,
nous trouvons encore un argument bien sûr en faveur du siège
cortical de l'amblyopie transitoire. z
En effet, le siège des hallucinations est placé par nombre
d'auteurs (Tamburrini le premier) dans les centres sensoriels
corticaux, s'expliquant par un état irritatif des écorces céré-
brales, de la même manière que l'irritation morbide des
centres psycho-moteurs provoque les convulsions jackso-
niennes.
Westphal, à l'autopsie d'un individu qui souffrait de sensa-
tions subjectives de couleurs, trouva un foyer de ramollissement
dans le lobe occipital droit; analogues sont les observations de
Jowen, Monakow, Tamburini et Ruva. Enfin, puisque le sco-
tôme scintillant apparaît le plus souvent dans les deux yeux et
du même côté du champ visuel (hallucination visuelle à forme
hémiopique), le phénomène se rapporte aux cas pathologiques
de Wetter, de Pick et autres, en nous prouvant la lésion uni-
latérale des centres visuelles de l'écorce occipitale.
c). Considérons maintenant en quoi les formes hémiopiques
de l'amblyopie transitoire peuvent encore en faire mieux
reconnaître la pathogénie. Il faut avant tout remarquer que,
puisqu'il ne s'agit pas, dans la plupart des cas typiques, d'une
véritable amaurose dans la moitié du champ visuel, mais bien
d'une simple amblyopie, la perception lumineuse étant con-
servée dans la moitié atteinte du champ visuel, nul doute que
l'amblyopie transitoire à forme hémiopique ne se rapporte pas
' Parmi les observations intéressantes de scolôme central transitoire,
accompagné de scintillement, citons les observations XVI et XXIII de la
thèse de Raullet (31).
l'amblyopie transitoire. 429
à une lésion des bandelettes ou des centres visuels bruts, pla-
cés dans les ganglions de la base du cerveau. Quant à la
couche optique, quelques auteurs (Nothnagel) nient que ses
altérations puissent provoquer des troubles visuels. Même en
admettant possible ce cas, l'hémianopsie devrait s'accompagner
d'hémiplégie et de convulsions hémichoréiques, par lésion
concomittante de la couche zonulaire. Quant aux tubercules
quadrijumeaux, leur extension, leur contiguité sur la ligne
médiane, pourraient bien difficillement donner lieu à des
troubles visuels monoculaires ou hémiopiques, et ces troubles
devraient s'accompagner d'une mydriase maxima, avec aboli-
tion du réflexe pupillaire et de troubles de la motilité des yeux.
Il doit donc s'agir, dans l'amblyopie transitoire, de simples
lésions dans les centres visuels de l'écorce, d'accord en cela
avec les observations de Samelsohn, de Brandenburg et de
Gowers'; et c'est surtout dans l'amblyopie transitoire à forme
hémianopique qu'il sera intéressant d'examiner toujours si, pen-
dant les accès, il y a cécité verbale ou surdité verbale ou
d'autres troubles analogues.
Une observation de Charcot (rapportée par Féré) et quelques
autres de Raullet, démontrent l'existence de ces troubles, dont
on pouvait déjà se douter d'après les troubles de la parole, de
la mémoire et de l'intelligence, maintes fois observés pendant
les crises d'amblyopie transitoire. Or, tous ces troubles sont
encore un signe du siège superficiel (centres et fibres corticaux)
de la lésion. La cécité verbale est très souvent accompagnée
de l'aphasie, même lorsque la lésion principale siège, comme
dans le cas de l'amblyopie transitoire, dans le lobe occipital
(Samelsohn) 2..
Et, même les troubles de la parole, si souvent observés pen-
dant les crises d'amblyopie transitoire, doivent s'attribuer non
pas au trouble de l'activité psychique pour l'articulation des
1 Les cas publiés par cet auteur (hémianopsies passagères à la suite
d'apoplexies dont les foyers n'intéressaient aucunement les fibres op-
tiques) démontrent que les phénomènes d'hémiopie peuvent aussi sur-
venir par retentissement à distance, des centres visuels corticaux. Seule-
ment lorsque la lésion d'une hémisphère est profonde, et atteint les
fibres envoyées par le lobe occipital aux ganglions visuels de la base,
l'hémianopsie totale survient, par arrêt des fonctions des ganglions inter-
calaires de la vision.
1 Ce serait la cécité verbale à forme sensorielle, selon Angelucci (42),
c'est-à-dire liée à la perte de la mémoire (graphique) des mots.
430 . CLINIQUE NERVEUSE.
mots (pied de la circonvolution de Broca), mais bien aux trou-
bles de la mémoire optique, dont les centres occupent le lobe
occipital. '
En effet, il semble, d'après les nombreuses observations,
que les troubles de la parole accompagnant l'amblyopie tran-
sitoire ne vont pas jusqu'à l'aphasie complète, telle qu'on la
rencontre par lésion de la circonvolution de Broca, ou des voies
qui unissent cette circonvolution au centre de la mémoire
optique.
La plupart des cas d'hémiopie transitoire (complète ou par-
tielle, avec ou sans scintillement) intéressent, d'après les nom-
breuses observations enregistrées, le côté droit du champ
visuel.
Cela prouverait, d'accord avec les troubles de la parole et
avec les observations d'épilepsie sensitivo-sensorielle accom-
pagnés par l'amblyopie transitoire (Charcot, Féré, Raullet),
que le plus souvent la lésion siège dans l'hémisphère gauche '.
Ajoutons, que puisque la migraine (lorsqu'il y en a dans
les crises) part d'ordinaire du pourtour de l'orbite du côté où
le champ visuel fut atteint de scotôme (ou de scintillement),
elle siège le plus souvent du même côté où les troubles moteurs
et sensitifs vont se déclarer, dans le cas d'épilepsie partielle.
Cette hémicranie semblerait donc en rapport croisé avec
l'hémisphère atteinte. Le renseignement serait précieux pour
la pathogénie de la migraine (corticale ? ), encore si peu
connue.
On rapporte des cas d'amblyopie transitoire, où le trouble
de la vue occupait la moitié supérieure du champ visuel des
deux veux.
- L'explication de cette hémiamblyopie verticale serait plus
Il Il en était de même dans un cas de Spiérer, très démonstratif (On.
llonalsbl. f. Augenh., juin 1891). Un individu, après une frayeur causée
par un tremblement de terre (choc psychique), tomba en syncope et fut
atteint de violente migraine et de vomissements. Au bout de quatre
heures il s'aperçut que dans la moitié droite du champ visuel des deux
yeux il voyait un nuage épais, qui l'empêchait de voir les objets et les
couleurs. Il guérit, bien vite, entièrement. Il est juste de penser aussi,
que cette hémiamblyopie homonyme droite, survenue à la suite d'un choc
psychique était d'origine corticale. L'examen d'autres observations
encore (par exemple les particularités de celle de Galézowski, relatée par
Baralt : amblyopie centrale monoculaire à droite, accompagnée de mi-
graine) nous a prouvé que le plus souvent le trouble siège dans l'hémis-
phère gauche. .
l'amblyopie transitoire. 431
difficile, étant admis le siège cortical de l'affection, si l'on ne
pensait que nombre de ces cas appartiennent à l'hémiupie par-
tielle, c'est-à-dire qu'il s'agissait de scotôme symétrique, plus
ou moins étendu, dans la partie supérieure ou inférieure du
champ visuel. L'examen attentif de l'observation de Baralt,
par exemple, qui pourrait tout d'abord sembler un cas typique
d'hémiamblyopie verticale, confirme notre idée.
Pour quelques autres observations, où l'hémianopsie ver-
ticale semblait complète et bien constituée, nous pourrions
admettre la même explication donnée par Boé pour l'hémi-
anopsie verticale permanente, c'est-à-dire penser que l'affection
intéresse tout de même un seul lobe occipital du cerveau, mais
qu'il y a anomalie de distribution des fibres optiques. Toujours
est-il, que les crises d'hémiamblyopie verticale, complète ou
incomplète, ont les mêmes caractères essentiels et concomit-
tants que les autres formes de l'amblyopie transitoire, de sorte
que rien ne pourrait nous autoriser à admettre d'autre locali-
sation que dans l'écorce cérébrale.
Quant aux formes plus rares de l'hémiopie transitoire, l'hé-
miopie latérale monoculaire ne nous étonnera pas si, au lieu
de penser à une lésion partielle de la bandelette, du chiasma
ou du nerf optique, nous admettons que les deux faisceaux
appartenant à chaque oeil, dont se compose la bandelette, se
séparent en un endroit quelconque du cerveau 1. Dans le cas
de Charcot-Féré (hémiopie nasale), les phénomènes de l'épi-
lepsie partielle démontraient que le trouble cortical intéressait
les deux hémisphères.
d). Nous ne saurions mieux placer qu'ici quelques considé-
rations générales sur les rapports entre l'amblyopie transitoire
et la migraine, qui nous semblent très intéressantes.
Avouons, tout d'abord, que les cas dans lesquelsl'amblyopie
transitoire est accompagnée de migraine sont sans doute plus
nombreux que ceux dans lesquels le scotôme scintillant, ou
n'importe quelle forme d'amblyopie, constituent à eux seuls
toute l'attaque.
Ce fait nous indique la raison du nom de migraine ophtal-
Ce serait l'explication des cas relatés par Parinaud et par Coursserant
(hémiopie latérale typique monoculaire, probablement congénitale), très
bien représentée par le schéma de Charcot. ,
432 - CLINIQUE NERVEUSE.
mique donné à la presque unanimité, pour indiquer les trou-
bles nerveux de cette espèce.
Mais, d'autre part, le nombre de cas de migraine vulgaire
non accompagnée de troubles visuels est beaucoup plus con-
sidérable que le cas d'amblyopie transitoire, accompagnée ou
non de migraine : de telle sorte, que si nous envisageons le
syndrome migraineux et l'amblyopie transitoire comme des
formes rudimentaires de troubles nerveux, le plus souvent
stigmates élémentaires de névrose , ces rapports de fréquence ne
nous étonneront pas.
En d'autres termes, étant donné ces deuxformes de 2zév2,oses
rudimentaires, la migraine et l'amblyopie transitoire, dont la
première est beaucoup plus fréquente et pour ainsi dire plus
rudimentaire que la seconde, il n'y a rien d'étrange à recon-
naître que l'amblyopie transitoire survient le plus souvent
chez des sujets déjà migraineux, et puisse se combiner ou s'al-
terner avec la migraine. Et, encore, les cas d'amblyopie tran-
sitoire simple seraient bien plus nombreux parmi les observa-
tions enregistrées, si le syndrôme migraineux n'était le trouble
pour lequel le malade plus facilement est amené à consulter.
Mais, même chez les sujets qui sont à la fois migraineux et
atteints d'amblyopie transitoire, la dissociation entre ces deux
syndrômes, ou leur substitution réciproque dans les différentes
crises, et d'autres arguments encore, nous démontrent que
leur concomillance n'a pas pour signification de liens étroits de
cause à effet. - .
Rappelons, à ce sujet, que le syndrôme migraineux peut
s'attarder d'une heure et même plus sur le trouble visuel ; et
que, chez les individus où ce trouble précède de quelque temps
la migraine, dans les crises, l'amblyopie transitoire reste sou-
vent seule à constituer la crise entière, par suite de l'âge et de
l'amélioration de la santé. (Exemple, les cas de Du Bois-Ray-
mond et de Tissot, relatés par Baralt.)
Quelquefois, au contraire, c'est l'amblyopie transitoire qui
disparait avec l'âge, dans les accès de migraine ophtalmique,
en laissant la migraine vulgaire suivre sa marche ordinaire.
La pathogénie de la migraine reste encore très obscure,
peut-être n'est- elle pas la même dans tous les cas; notre
intention n'est pas de discuter ce point-là. Le syndrôme
migraineux ne parait pas constituer une entité, une unité mor-
bide, et parmi ses différentes formes tellement différentes,
l'amblyopie transitoire. 433
qu'on les a séparées comme des espèces distinctes, nous trou-
vons la sick head-ache et la blind head-ache des auteurs clas-
siques anglais. Dans cette dernière (migraine à amblyopie), la
physiopathologie semble se rapprocher du trouble de circula-
lion cérébrale que nous avons admis pour expliquer l'amblyopie
transitoire. En effet, pendant la période des prodromes et le
premier temps de la douleur, on remarque tous les signes du
spasme artériel (Pembester Peake), suivi plus tard par la
dilatation des mêmes vaisseaux (artère temporale, carotide
et artères rétiniennes).
e). En considérant à un point de vue général, les rapports
entre l'r.mblyopie transitoire et les différentes maladies ner-
veuses, tels que nous les avons fait ressortir dans la seconde
partie de ce travail, nous devons dire avant tout que ces rap-
ports peuvent représenter, maintes fois, plutôt une simple
concomittance ou succession morbide, qu'une éclosion de syn-
drôme prodromique ou accessoire lié à la maladie principale.
En effet, abstraction faite des cas où l'amblyopie transitoire
'est sûrement de nature hystérique ou intimement liée aux
troubles superficiels du cerveau qui provoquent l'épilepsie et
marquent le début de la démence paralytique, nous pouvons
penser que la simple prédisposition (héréditaire ou acquise)
d'un individu aux névropathies, commence par lui infliger les
stigmates rudimentaires, les névroses plus simples (migraine,
amblyopie transitoire ou autre), auxquelles peuvent s'ajouter
plus tard, soit des névroses plus complexes, telles que l'hys-
térie ' et l'épilepsie, soit des maladies organiques du système
nerveux.
En admettant la distinction que M. Levillain esquisse, entre
gensnerveux, névropathes et véritables malades d'un type noso-
logique bien défini, nous trouvons que l'amblyopie transitoire,
avec ou sans migraine, peut se présenter dans chacune des
trois classes d'individus.
Chez les gens nerveux, c'est-à-dire surexcitables, sensitifs,
1 Insistons sur l'intérêt qu'il y aurait à étudier encore mieux les rap-
ports entre les amblyopies hystériques, dans le sens général du mot, et
l'amblyopie transitoire. Il est vrai que la forme hémiopique, si fréquente
.dans l'amblyopie transitoire, ne se rencontre presque jamais dans l'anes-
thesie rétinienne des hystériques ; mais, combien de fois encore avons-
nous dans l'amblyopie transitoire, plutôt un rétrécissement concentrique
temporaire du champ visuel qu'une véritable hémiopie !
Archives, t. XXIV. ' 28
434 CLINIQUE NERVEUSE.
simplement prédisposés au trouble du système nerveux, il
n'est pas très rare de voir que la migraine ophtalmique peut
être le seul symptôme vraiment morbide.
Chez les névropathes, c'est-à-dire chez les individus qui sont
' atteints de troubles nerveux plus ou moins graves et fugaces,
très variés et ne constituant pas une affection nerveuse à type
défini et persistant, l'amblyopie transitoire se rencontre déjà
plus souvent : elle constitue, dans ses différentes formes liées
avec la migraine, ou avec d'autres névralgies, ou bien encore
avec les troubles passagers de la sensibilité, de la palpitation
nerveuses, de l'insomnie, etc., les petites souffrances de ces
sujets, que l'on ne pourrait pourtant encore classer dans
aucune catégorie nosologique.
Enfin, chez les malades proprement dits, le syndrome de
l'amblyopie transitoire est assez fréquent, et les rapports que
nous venons d'indiquer, qui existent entre la neurasthénie,
l'hystérie, le tabès, l'épilepsie sensitivo-sensorielle et la para-
lysie générale, nous le démontrent.
Pour éviter toute répétition, nous n'insisterons pas davan-
tage pour démontrer de quelle manière ces rapports patholo-
giques plaident tous, et vaillamment, pour le siège cortical du
trouble fonctionnel qui provoque l'amblyopie transitoire.
Le trouble, très probablement circulatoire (anémie tempo-
raire, suite de spasme des vaisseaux sylviens), doit intéresser
l'une ou l'autre, ou encore plusieurs à la fois, des régions pos-
térieures de l'écorce lobe occipital, pariétal et temporal -
où se trouvent surtout les centres optiques et les diverses
localisations du langage. L'observation de Babinski, dans
laquelle chez une hystérique des crises de mutisme alternaient
avec des crises d'amblyopie transitoire, plaide aussi dans ce
sens, d'une façon très éloquente. Lorsque l'épilepsie sensitivo-
sensorielle s'unit à l'amblyopie transitoire, il est clair que les
troubles gagnent d'autres centres psycho-sensitifs et psycho-
moteurs, comme dans le début de la démence paralytique.
Lorsque l'amblyopie transitoire remplace les crises d'épi-
lepsie partielle, comme dans mon observation à la page 10,
c'est que le trouble cortical a changé de territoire, se trans-
portant sur l'écorce visuelle. Même dans le territoire visuel, le
trouble peut changer d'endroit. Chez cette malade, les crises
d'épilepsie partielle étaient alternantes, bilatérales, et plus tard,
l'amblyopie transitoire était binoculaire (hémiopie verticale ou
l'amblyopie transitoire. 435
amaurose complète, pendant dix à quinze mois, dans les deux
yeux). Dans d'autres crises, l'obscurcissement commençait du
côté temporal, simultanément dans les deux yeux. Souvent, les
deux points de fixations étaient respectés, c'est-à-dire que
dans chaque hémisphère les troubles gagnaient de préférence
l'écorce visuelle destinée à la vision périphérique.
Voilà, ci-dessous résumés, les arguments qui plaident en
faveur du trouble circulatoire, plus probablement anémie tem-
poraire :
1° L'apparition et la disparition soudaine des troubles
visuels ;
2° Le fait, que même dans le début d'un évanouissement
(anémie cérébrale) apparaissent des phénomènes assez sembla-
bles au scotôme scintillant, c'est-à-dire que les personnes
voient du vert ou du bleu devant leurs yeux, et même du scin-
tillement et de l'obscurcissement (Fuchs) ;
3° Le fait, que la position déclive de la tête ou l'impression
du frais sur la figure (Dianoux), c'est-à-dire que les mêmes
moyens qui peuvent interrompre un évanouissement, peuvent
aussi faire avorter ou interrompre l'accès d'amblyopie transi-
toire.
4° Les phénomènes de spasme observés dans d'autres vais-
seaux de la tète, tels que l'artère temporale, la carotide, les
vaisseaux du fond de l'oeil. L'observation de Hilbert est pour
cela bien démonstrative ;
5° Les rapports de l'amblyopie transitoire avec des mala-
dies nerveuses (neurasthénie, hystérie) où les troubles vaso-
moteurs (phénomènes vaso-constricteurs et vaso-dilatateurs)
jouent un grand rôle ;
6° Le fait que l'anémie générale est certainement capable
de produire des troubles visuels passagers, de même que lacon-
gestion comme cela s'observe chez les personnes pléthoriques
sous l'influence de l'effort et de toutes les causes qui entravent
brusquement la circulation céphalique. Dans les anémies pro-
noncées, dans les affections cardiaques (insuffisance aortique
en particulier), l'obscurcissement de la vue a évidemment pour
cause l'anémie cérébrale. Cet obscurcissement peut être
encore le symptôme d'une congestion de la tète et précéder
l'hémorrhagie de l'encéphale.
La fugacité des accès (par exemple, du scotôme scintillant)
confirme qu'il s'agit de spasme vaso-moteur.
436 . CLINIQUE NERVEUSE.
Nous savons, en effet, que le spasme des vaisseaux ne
pourrait pas se prolonger, puisque à l'irritation vaso-cons-
trictrice doit suivre la paralysie du sympathique, l'état de
. congestion neuroparalytique. Or, voilà les faits qui confirment
cette notion dans le cas spécial des accès de migraine ophtal-
mique : la face, l'oreille et la conjonctive du côté de l'hémi-
cràne deviennent bientôt (peu de temps après le début de la
douleur sourde), rouges, tandis qu'ils étaient auparavant plus
pâle que d'ordinaire ; la muqueuse de la fosse nasale et du
conduit auditif, du même côté est sèche ; la pupille est sensi-
blement rétrécie, surtout du côté, affecté de migraine, et plus
paresseuse à la réaction provoquée par la lumière; la fente
palpébrale est un peu rétrécie (paralysie du muscle de iI1üJler).
Telle est la description que M. Baralt nous donne, relative-
ment à ces accès, tels sont les faits mis en évidence par Hil-
bert Chalmers (51), De ! Costa (41) et d'autres.
f). Insistons encore brièvement sur ce point, que : a Il n'est
pas un des phénomènes habituellement transitoire du syn-
drôme migraine ophtalmique, qui ne puisse s'établir à l'état
permanent. Ainsi l'aphasie, l'hémiopie, la parésie d'un mem-
bre, après s'être manifesté d'une manière transitoire, persistent
nombre de fois définitivement, à la suite d'un nouvel accès. »
Il nous semble que cette affirmation de Charcot se trouve
surtout confirmée chez les hystériques. Il en existe en outre
un exemple frappant chez les épileptiques, où l'amblyopie qui
succède aux attaques et s'efface d'ordinaire assez rapidement,
peut passer à l'amaurose complète, dans l'intervalle qui sépare
les accès, si ceux-ci sont courts et rapprochés (Fano-Com-
pérat).
Nous pouvons bien supposer que les lésions purement dyna-
miques, circulatoire et par suite fonctionnelles, de l'amblyopie
transitoire (surtout lorsqu'elle est accompagnée par le syn-
drôme migraineux ou par l'épilepsie partitlle) peuvent par
leur répétition fréquente devenir l'occasion de lésions organi-
ques permanentes.
C'est ainsi, que les artérioles mises en cause peuvent, à la
suite de spasmes prolongés et fréquents qu'elles subissent
pendant les accès, devenir le siège d'un trouble de nutrition
Leçons sur les maladies du système nerveux, tome III.
l'amblyopie transitoire. 437
de leurs parois, d'une-endartérite et d'un vice de canalisation
plus où-moins grave et prolongé.
En conséquence, la vitalité de ces éléments nerveux que ces
artérioles nourrissent pourra se montrer plus ou moins sérieu-
sement, et parfois définitivement, compromise.
C'est comme cela que l'on pourrait justifier l'observation
de M. Galézowski, montrant une thrombose de l'artère cen-
trale de la rétine survenue à la suite d'accès répétés de migraine
ophtalmique.
Une observation qui m'a été verbalement communiquée par
M. Charcot, plaide dans le même sens. Un enfant migraineux,
et quelquefois atteint de scotôme scintillant, dont la mère a
souffert d'amblyopie transitoire à forme hémiopique et parfois
scintillante, se présente avec une hémianopsie permanente,
survenue soudainement, c'est-à-dire avec un vaste scotôme
empiétant sur toute la moitié gauche (point de fixation res-
pecté et Y = I) du champ visuel de chaque oeil.
D'autres exemples encore fournissent les observations de
Trousseau, G. Sée, Swanzy ' et Fitzgérald 2, concernant des "
troubles visuels persistants chez des choréiques, et enfin les
cas de Naftel ' et de Fûrstner , cités par Robin 5.
g). Enfin, étant admise la localisation corticale de l'am-
blyopie transitoire, considérons rapidement les différentes
formes de ce trouble, pour les mettre d'accord avec leurpatho-
génie commune. '
Plusieurs cas, entre autres celui de Dianoux et de Javal,
démontrent à l'évidence la nature hémiopique du scotôme
scintillant.
Le cas de Dianoux et autres semblables, où le scotôme
' gagnait encore, après l'hémiopie droite, le point de fixation,
rendant le malade parfaitement aveugle, démontrent que le
trouble fonctionnel dans la même hémisphère (plus souvent la
gauche) peut s'étendre des centres visuels périphériques
(moitiés homolatérales des deux rétines) au centre de la vision
maculaire.
1 Ophtalmie hospital Reports, 1875.
. Annales d'oculistique, t. L1VI; p. 224.
arcs. f. Psychial., t. VII, 1877, p. 121.
. Arch. f. Psclaiat., 1876, p. 142.
5 Robin. - Troubles oculaires dans les maladies de l'encéphale. Paris,
1880, p. 357-358.
438 CLINIQUE NERVEUSE.
Et tout cela, même sans migraine et autres troubles acces-
soires ! 1
Si, dans le scotôme scintillant, le point de fixation reste le
.plus souvent respecté, c'est justement parce que le trouble
visuel a, dans ce cas, la forme hémiopique, et nous savons que,
dans l'hémiopie, la ligne de démarcation empiète le plus sou-
vent sur la moitié amblyope du champ visuel (double inner-
vation de la macula).
Mais le cas de Parry (scotôme central binoculaire et scin-
tillement périphérique monoculaire) démontre la complexité
des centres binoculaires et monoculaires dans la même hémis-
phère, et les cas d'amblyopie transitoire monoculaire (cas
rares, en comparaison des binoculaires) prouvent que chaque
rétine est encore en rapport avec un foyer cortical distinct'.
Le fait, que lors de l'amblyopie binoculaire centrale et péri-
phérique, les sensations de nuage, de scintillement, etc.,
sont plus fortes du côté où l'hémiopie va se déclarer, ou bien
dans l'oeil du même côté où les phénomènes d'épilepsie par-
tielle peuvent éclore, démontrerait que les rapports croisés de
chaque hémisphère (soit pour la vision centrale, soit pour les
points symétriques du champ visuel), sont plus nombreux et
plus importants que les rapports homolatéraux; ce qui serait
encore d'accord avec l'amblyopie croisée d'origine corticale et
avec ce que nous savons sur l'anesthésie rétinienne (ou pour
mieux dire anesthésie cortico-visuelle) des hystériques.
Le plus souvent le trouble de l'amblyopie transitoire atteint
une seule hémisphère ; mais, il y a des cas où nous pouvons
déduire sûrement, de la forme de l'amblyopie, une affection
des deux hémisphères à la fois.
Ce sont les cas d'amaurose temporaire complète bilatérale.
1
1 Cette même observation de Parry démontre bien la nature accessoire
(épiphénomène) presque accidentelle du scintillement. En effet, l'amblyo-
pie transitoire, centraient binoculaire, devait tenir à un trouble dans l'écorce
visuelle centrale des deux hémisphères, tandis que le scintillement le
long du bord supérieur du scotôme dans un seul oeil devait tenir à l'irri-
tation de l'écorce visuelle périphérique d'une seule hémisphère. Si c'est
vrai (Parinaud et d'autres) que la région maculaire de la rétine (cônes)
sert surtout à la vision des formes et les parties périphériques (bâton-
nets) à la vision des couleurs, on se rendrait bien compte pourquoi le
scintillement est toujours périphérique. L'irritation de l'écorce visuelle
périphérique, c'est-à-dire en rapport avec les parties périphériques de la
rétine, serait seule capable, d'après la loi de l'extérioration des sensa-
tions, de donner les phénomènes de photesthésie colorée. -
L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 439
(voir notre observation, p. 26 bis), ou les cas rares de restric-
tion concentrique brusque du champ visuel, comme dans nos
observations, pages ,10 et 12.
En effet, il nous semble juste de considérer ces derniers cas
comme une hémiopie double, et de les rattacher l'observation
très intéressante de Forster '. Même l'explication donnée par
cet auteur serait bien d'accord avec les caractères de l'am-
blyopie transitoire ; puisque, s'il est vrai que le centre cortical
de la vision maculaire est mieux vascularisé que le reste de
l'écorce occipitale visuelle, nous pouvons comprendre pour-
quoi l'amblyopie transitoire centrale est bien plus rare que le
scotôme périphérique ou l'hémianopsie, et pourquoi, dans
l'amblyopie transitoire avec abolition complète du champ
visuel (hémianopsie double), la vision eentrale est respectée.
S'il est vrai que l'hémianopsie typique, complète et perma-
nente, doit se rapporter à une lésion directe ou indirecte d'une
bandelette (Charcot), il est vrai aussi que l'hémianopsie tem-
poraire, totale ou partielle, est en accord avec quelques autres
observations cliniques mises de côté comme non expliquées
par Charcot même 9, avec les observations de Gowers (hémi-
anopsie fugace du côté hémiplégie dans presque toutes les
attaques d'apoplexie) et avec les expériences de Hitzig, Munk,
Ferrier, Goltz, Locb, Tamburini, Luciani et Seppilli, Ange-
bricci et d'autres, pour démontrer l'hémiopie d'origine céré-
brale, et les rapports complexes 'que chaque hémisphère a
avec l'oeil du même côté, l'autre oeil et les deux à la fois.
RÉSUMÉ
10 Puisque dans la plupart des cas qualifiés de migraine
ophtalmique ce sont les troubles visuels qui ouvrent la marche,
' Forster. Ueber Rindblindheit (et v. Gme(e's Arcli., t. XXXVI, 1,
p. 24). Il s'agissait d'un individu de trente-neuf ans, atteint d'liémiopie
complète à droite. La ligne de démarcation empiétait, dans la région
centrale, comme d'ordinaire, du côté hémianopsique. Au bout de cinq
ans, l'hémianopsie gauche complète vint s'y ajouter. L'individu se pré-
sentait comme étant aveugle, mais l'examen démontra la persistance
d'un champ visuel central, très limité (3 à 5 degrés de diamètre), où la
vue était de un tiers. La mémoire topographique et le sens chromatique
étaient abolis. Réaction pupillaire bien faible à la lumière. Rien au fond
de l'oeil. '
'Observations de Hosch, Wernicke, Forster, etc..
440 . CLINIQUE NERVEUSE.
puisque les cas de migraine vulgaire sont sûrement plus nom-
breux que les cas de migraine ophtalmique, puisque les trou-
bles visuels peuvent se présenter en l'absence de syndrome
- migraineux. il nous semblerait plus juste de substituer défini-
tivement le nom d'amblyopie transitoire, aux autres dénomi-
nations (migraine ophtalmique, scotôme scintillant, théicopsie,
etc.) adoptées jusqu'à présent. De telle sorte, qu'au lieu de
devoir distinguer, comme M. Féré le proposa, des migraines
ophtalmiques simples, frustes, dissociées ou accompagnées, on
aurait simplement à noter dans les cas d'ambliopie transitoire,
quelle forme ce trouble visuel présente (scotôme périphérique
scintillant, scotôme central, hémiopie, etc.) et s'il est accom-
pagné ou non par d'autres troubles nerveux (migraine, aphasie,
épilepsie partielle, etc.).
En effet, bien souvent c'est le symptôme amblyopie transi-
toire qui a la valeur la plus grande, quelle qu'en soit la forme :
seulement, lorsque le syndrome migraineux, ou celui de l'épi-
lepsie partielle, précède les troubles oculaires et s'impose
davantage par sa gravité, l'on pourra ajouter au diagnostic de
migraine ou d'épilepsie partielle, l'amblyopie transitoire consi-
dérée comme épiphénomène. Les formes dissociées de migraine
ophtalmique, sur lesquelles Charcot a insisté, sont des cas où
l'amblyopie transitoire (soit simple, soit accompagnée) s'alterne
ou se confond avec les attaques migraineuses ou autres trou-
bles nerveux.
- L'amblyopie transitoire serait compliquée (plus qu'accom-
pagnée) lorsque dans les accès il y a encore des troubles de
la parole, de l'intelligence, ou de l'épilepsie partielle ou com-
plète.
110 L'amblyopie transitoire doit être rangée, dans la plupart
des cas, comme la migraine, parmi les troubles nerveux pure-
ment dynamiques.
Même dans les cas où les accès d'amblyopie accompa-
gnent ou précèdent une maladie nerveuse organique, telle que
le tabès ou la démence paralytique, ces accès sont dus à un
trouble fonctionnel passager du cerveau. L'analogie entre la
migraine et les accès d'amblyopie transitoire, considérés
comme des névroses rudimentaires, pouvant rester les seuls
stigmates nerveux du sujet, ou pouvant encore précéder ou
accompagner d'autres névropathies fonctionnelles (neuras-
thénie, hystérie, .épilepsie) ou organiques (tabès, paralysie
L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 441
générale), est démontrée soit par la fréquence avec laquelle
les deux troubles se présentent ensemble (migraine ophtal-
mique), soit par les cas où les deux troubles s'alternent et se
substituent l'un à l'autre.
III. L'amblyopie transitoire est essentiellement caractérisée
par des troubles oculaires différents, tels que l'hémiopie, les
- scotômes périphériques symétriques (hémiopie partielle), le
scotôme central monoculaire ou binoculaire, l'amblyopie ou
même l'amaurose totale, l'hémianopsie double, etc. La vision
périphérique est plus souvent intéressée que la centrale, et lés
deux yeux à la fois plus souvent qu'un seul oeil; de sorte que
la forme la plus fréquente de l'amblyopie transitoire est l'hé-
miopie, soit complète (hémiopie horizontale homonyme), soit
incomplète, comme dans les cas typiques de scotôme scin-
tillant. t..
Le trouble visuel se déclare et disparait plus ou moins sou-
dainement. Le scintillement doit êlre considéré comme un
épiphénomène dans l'ordre des hallucinations, dû à l'irrita-
tion des centres corticaux visuels où le trouble circulatoire a
lieu. Puisque le plus souvent le scintillement entoure le sco-
tôme symétrique d'une hémianopsie incomplète, nous pour-
rons le considérer comme dû à l'irritation périphérique
(anémie incomplète ? ... hypérémie collatérale ? ...) de la région
de l'écorce visuelle où le trouble circulatoire provoque le sco-
tôme (centre des fibres destinées aux deux moitiés rétiniennes
du même côté). ·
Parfois d'autres troubles oculaires accompagnent l'amblyopie
transitoire. Ainsi, les pupilles peuvent se montrer contractées
(quelquefois inégalement, celle du côté affecté étant la plus
petite) ou dilatées, tandis que le disque optique se présente
anémique pendant l'accès. Quelquefois encore apparaissent
des névralgies oculaires, ou une sensation de tension dans l'oeil,
qui pourraient faire songer à une attaque de glaucome (Dia-
noux).
Les troubles visuels sont souvent accompagnés par le syn-
drome migraineux (véritable migraine ophtalmique), qui peut
éclore après un intervalle de quelques minutes à une heure et
même plus. Les douleurs de tête, compliquées parfois d'une
sensation de vertige, surviennent généralement sur un point
limité de la tempe, du côté des troubles visuels, et s'irradient
plus ou moins intenses et étendues dans la moitié du crâne.
442 CLINIQUE NERVEUSE.
L'accès de migraine est souvent suivi de nausées et vomisse-
ments. La durée de l'attaque varie le plus souvent entre un
quart d'heure et une demi-heure, exceptionnellement plus.
-Les crises les plus courtes, presque avortées, se voient de
préférence lorsque l'affection dure depuis longtemps.
Au lieu de la migraine, ou en même temps qu'elle, des trou-
bles vaso-moteurs du côté de la face, des phénomènes divers
du côté des membres, des troubles plus ou moins localisés de
la sensibilité ou de la motilité, des altérations des fonctions
cérébrales, notamment de la parole et des activités psychi-
ques analogues, peuvent accompagner l'amblyopie transitoire.
IV. L'amblyopie transitoire est une affection assez fréquente.
Si elle ne se montre pas encore plus souvent dans les clini-
ques, c'est que les malades n'y attachent pas grande impor-
tance, puisque, dans la grande majorité des cas, les accès sont
assez espacés, ont une durée très courte et ne laissent aucun
trouble persistant, même lorsque les accès reviennent pen-
dant de longues années. -
Seulement si les accès sont fréquents (se produisant jusqu'à
plusieurs fois dans la journée) ou accompagnés de violentes
migraines ou d'autres troubles nerveux, le malade se présente
à la consultation. Il peut aussi être amené à consulter, à cause
de la persistance du trouble visuel ou de quelque trouble ner-
veux qui en complique les accès. Ce passage des troubles ner-
veux occasionnels à l'état permanent, est à craindre surtout
chez les hystériques, ou lorsqu'une névropathie organique va
se déclarer.
En envisageant l'amblyopie transitoire comme nous l'avons
fait, c'est-à-dire à un point de vue général, et en y considérant
toutes les différentes formes symptomatologiques, il est très
facile de reconnaître l'affection et de la rapporter à l'état ner-
veux plus ou moins manifeste du sujet. Les accès d'amblyopie
transitoire qui se rencontrent chez les goutteux, les hémor-
roïdaires, les femmes enceintes, les anémiques, et même chez
des personnes qui ne révèlent aucun autre état morbide, tien-
nent toujours à des troubles passagers dans lesquels les trou-
bles vaso-moteurs cérébraux jouent un grand rôle. Les condi-
tions physiopathologiques qui diminuent d'une façon si ra-
pide la circulation des parties du cerveau en rapport avec
l'organe visuel (territoire de l'artère sylvienne) sont encore
très peu connues.
L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 443
L'influence du sympathique (du Bois-Reymond) serait bien
démontrée par quelques observations, comme celle d'Hilbert,
résumée ici, et par l'analogie existant entre le scotôme scintil-
lant et les phénomènes de certaines intoxications (comme la
digitale), qui paraissent intéresser surtout le sympathique
(Latham) .
A côté de la prédisposition constitutionnelle pour les atta-
ques, il faut en considérer les causes occasionnelles (un travail
intellectuel prolongé, un excès quelconque, des troubles de la
digestion) et dans plusieurs de ces cas le trouble vaso-moteur
cérébral peut être envisagé comme un phénomène réflexe.
Dans d'autres cas, par exemple lorsque l'accès survient après
un jeûne prolongé et pendant la sensation de faim, ou même
sans cause appréciable, le trouble circulatoire des centres cor-
ticaux est idiopathique, pour ainsi dire, en constituant à lui
seul la maladie, qui pourra tout au plus se rapporter à un état
neurasthénique latent ou fruste. ,
En raison de l'étiologie et de la nature de l'amblyopie tran-
sitoire, nous la rencontrons presque toujours chez les adultes
(de trente à soixante ans); néanmoins, il y en a plusieurs ob-
servations chez de jeunes individus de dix à vingt ans et quel-
ques-unes chez des vieillards, où le plus souvent le trouble
visuel a remplacé les attaques migraineuses.
L'affection est ainsi plus fréquente (ainsi que la migraine)
chez le sexe féminin, et l'hérédité nerveuse (goutte ou diabète)
y joue un grand rôle.
V. Le trouble fonctionnel qui cause l'amblyopie transitoire
siège sans doute dans l'écorce cérébrale. L'anesthésie ou l'irri-
tation de ces centres visuels corticaux (surtout le cuneus et la
circonvolution occipitale superieure), à la suite de troubles
circulatoires, donnerait au malade, d'après la loi de la projec-
tion extérieure de nos sensations, le phénomène du scotôme
et parfois du scintillement dans le champ visuel.
Les deux formes, monoculaire et hémiopique, de l'amblyopie
transitoire, constituent (Parinaud) un argument sérieux en
faveur de la double connexion des nerfs optiques avec les
hémisphères. Selon le foyer (d'une même hémisphère) inté-
ressé, nous aurions ou l'amblyopie monoculaire croisée ou
l'hémiopie. L'amblyopie passagère présente encore, en compa-
raison des amblyopies et hémiopies persistantes (par suite de
lésions organiques) plusieurs particularités qui établissent
444 CLINIQUE NERVEUSE.
entre elle et les faits expérimentaux (Munk, Ferrier, etc..)
une analogie plus grande, favorable sans aucun doute à la
localisation de l'affection dans la substance grise de l'écorce
cérébrale.
Le plus souvent, le centre cortical de la vision périphérique
de l'hémisphère gauche (scotôme scintillant ou hémianopsie à
droite) est atteint; mais, les autres formes de l'amblyopie tran-
sitoire nous démontrent que le trouble peut commencer ou
s'étendre dans n'importe quel endroit de l'écorce visuelle, pour
la vision centrale ou pour la périphérique, pour la vision d'un
seul oeil ou pour la vision binoculaire. D'autres cas (hémia-
nopsie double, amaurose transitoire bilatérale) et l'examen
attentif des observations d'amblyopie transitoire liée à l'épi-
lepsie sensitivo-sensorielle (surtout les cas relatés par Féré)
démontrent la possibilité que le trouble atteigne les deux
hémisphères, alternativement dans le même accès ou dans les
différents accès, ou bien encore à la fois.
En ce qui concerne les syndrômes souvent concomittants de
l'amblyopie transitoire, c'est-à-dire la migraine et l'épilepsie
partielle, la pathogénie de cette dernière semble être la même
que pour l'amblyopie transitoire (asthénie ou irritation de
différentes régions corticales psycho-motrices et psycho-sensi-
tives), tandis que la pathogénie de la migraine reste obscure.
Dans la plupart des cas, l'amblyopie transitoire représente,
de même que la migraine avec laquelle elle est si souvent
unie (migraine ophtalmique), une simple névrose, stigmate rudi-
mentaire d'un sujet qui pourra plus tard entrer dans la caté-
gorie des véritables névropathes. Mais, lorsque les crises d'am-
blyopie transitoire sont certainement de nature hystérique, ou
liées à l'épilepsie partielle dans la période prodromique de la
démence paralytique, le syndrome a une signification plus
grave, surtout dans ce dernier cas, où les troubles corticaux
tiennent à des lésions qui vont devenir organiques.
VI. Au point de vue du diagnostic des maladies nerveuses,
l'amblyopie transitoire est rangée parmi les troubles subjectifs
de la vision, puisqu'ils sont perçus par le malade, tandis que
l'observateur n'en peut rien apprécier. Seulement, dans quel-
ques cas (comme celui d'hémiopie ou de rétrécissement con-
centrique du champ visuel), si l'accès se prolonge assez long-
temps et si l'on a l'occasion d'examiner le sujet pendant sa
durée, on peut en contrôler au périmètre la forme et l'étendue.
L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 445
Le diagnostic différentiel entre l'amblyopie transitoire et
d'autres affections, telles que les maladies des membranes de z
l'oeil, glaucome, etc., est trop grossier pour qu'il soit néces-
saire d'insister sur ce sujet.
Plus difficile, sans doute, est le pronostic, quant à la marche,
la durée et la signification de l'affection. Rien de caractéris-
tique dans la marche et la durée, puisque la fréquence et l'in-
tensité des accès peut varier extrêmement, selon les différents
individus et aussi chez le même sujet aux différentes époques
de sa vie. Tantôt les attaques reviennent périodiquement
toutes les semaines, tous les mois, tous les jours, même plu-
sieurs fois par jour (notre observation plus haut), tantôt il n'y
en a qu'une seule pendant toute la vie. Il peut arriver que, par
suite de l'âge, il survienne une amélioration, mais il peut
arriver aussi qu'une simple amblyopie transitoire se complète
plus tard, même au bout de plusieurs années, avec le syn-
drôme migraineux, pour constituer une migraine ophtalmique
plus ou moins grave et fréquente. Si nous considérons la pos-
sibilité que le syndrôme de l'épilepsie partielle survienne
encore, que quelque symptôme des attaques reste permanent,
que ces attaques peuvent marquer le début de la paralysie
générale ou être associées à nombre d'autres maladies ner-
veuses ou même être suivis de mort (un cas de Féré), nous
comprendrons la difficulté et l'importance d'un pronostic.
VIL,Le traitement de l'amblyopie transitoire doit viser :
1° Aux conditions générales du malade, pour prévenir le
retour des accès et en diminuer la fréquence; .
2° A faire avorter ou à couper les accès mêmes, lorsqu'ils
sont intenses et de longue durée.
Pour empêcher le retour des accès, les bromures, l'hydro-
thérapie, les purgations fréquentes et légères, le sulfate de
quinine et la digitale, etc., rendront service, étant employés
selon la cause constitutionnelle (hystérie, neurasthénie, épi-
lepsie, dyspepsie, anémie etc...) dont ces attaques tirent leur
origine.
Il faudra, en outre, en interrogeant le malade, rechercher
toutes les causes occasionnelles des accès, afin de les éviter.
Pour mitiger l'accès même, ou l'interrompre, le moyen le
plus simple et le plus sûr est de faire garder au malade le
repos en décubitus horizontal avec occlusion des yeux.
446 CLINIQUE NERVEUSE.
Souvent le bromure de potassium ou de camphre, à la dose
de 2 à 6 grammes (pris en une ou deux fois) pourra éviter
l'attaque de migraine ophtalmique, lorsque le malade en pré-
sente les signes avant-coureurs (Baralt), qui lui permettent,
- d'avoir recours à temps au médicament. Un verre de vin ou de
spiritueux, rapidement pris au commencement de l'accès, peut
souvent le faire avorter, surtout s'il survient après un jeûne
prolongé ou après un trouble de la digestion à peine com-
mencée. Il en est de même pour le café bien fort (ou l'injection
de caféine, qui pourra encore être très utile contre la migraine),
ou pour une sensation instantanée de froid sur le visage.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE.
1. Wollaston. - Philosoplaical transactions, 1824 (trad. par Arago),
1824.
2. Parry. Collections rrom the writings, 1825.
3. Pelletan. - Coup d'oeil sur la migraine. (Paris, 1830.)
4. Piorry. Mémoires sur la migraine (1831) et traité de médecine
pratique, t. VIII, p. 75. .
5. Tyrrel. Cyclopedia of pî-actical surgery, 1841.
6. Brewster.- Philosophical magazine, 1865.
7. Airy. Philosophical magazine July, t8G5.
8. Forster. Ueber nmaurosis partialis fugax. (Société d'Heidel-
berg, 1867.)
9. Quaglino. Annali di ottalmol., 1871.
10. Latliam. On nervous-or sick head-ache, its vcat·ieties and
treatment, Cambridge, 1873.
11. Liveing. On migrain and sick head-ache, 1873.
12. Alhutt. - Dérangement or vision and their relation to migrain.
(Brit. and form. med. chir. rev., 1874, p. 452.)
13. Dianou. Du scotôme scintillant ou amaurose partielle tempo-
raire. (Th. de Paris, 1875.)
14. Testelin. Trois observations de migraine ophtalmique dans le
supplément au traité des maladies des yeux de Mackenzie, 1876.
15. Listing et Ruette. Observations de migraine ophtalmique.
(lilinische monatsbl., 1877.)
16. Galezowski. Comptes rendus du Congrès de Genève, 1877.
17. \Varlomont, Bonnal. - ilIigi,aii2c ophtalmique datant de vingt-
cinq ans, guérie par les bains d'air chaud. ( Rev. mois, de
méd. et chir., 1878.)
L'AMBLYOPIE TRANSITOIRE. 447 î
18. Baron. - Etude clinique sur les troubles de la vue chez les
hystériques. (Th. de Paris, 1878.) .
19. Gowers. - The Lancet, 1879. - .
20. Il. Baralt. - Contrib. il l'étude du scotôme scintillant ou amau-
rose partielle temporaire. (Th. de Paris, 1880.)
21. A. Robin. Des troubles oculaires dans les maladies de l'encé-
phale. (Th. d'agrég.,1880.) ,
22. Manthner. Vel'trage au{ der gesammte gebiete der augenheilk,
1881.
23. P. Bert. - Observations sur le siège du scotôme scintillant.
. (Société de biologie,juillet 1891.)
24. Féré. - Contribution à l'étude de la migraine ophtalmique. (Rev.
de médecine, 1881.)
25. Abadie. Du vertige oculaire. (Progrès médical, 1881-82.)
26. Féré. - Contribution à l'étude des troubles fonctionnels de la
vision par lésions cérébrales. (Th. de Paris, 1882.)
27. Charcot. - Leçons sur les maladies du système nerveux. (Paris,
1882 ) -
28. H. Parinaud. - Des rapports croisés et directs des nerfs op-
tique savec les hémisphères cérébraux. (Société de biologie,
séance du Il mars 1882.) -
29. Galezowski. (Recueil d'ophtalm., 1881 et 1883.)
. 30. Raullet. Etude sur la migraine ophtalmique. (Le Mans, 1883.)
31. Raullet. - De la migraine ophtalmique. (Th. de Paris, 1883.)
32. Féré. Note sur un cas de migraine dpthalmique à accès
répétés suivis de mort. (Revue de médecine, 1883.) -
33. Parinaud. - Migraine ophtalmique au début de la paralysie
générale. (Archives de Neurologie, 1883, t. V, p. 57.)
34. Robiolis. Contribution à l'étude de la migraine dite ophtal-
mique. (Th. de Montpellier, 1884.)
35. Sarda. - Des migraines. (Th. d'agrég., Paris, 1886.)
36. H. Parinaud. Aneslhésie de la rétine, 1886.
37. L. Thomas. - La migraine. (Paris, 1887.)
38. Galezowski. Traité des maladies des yeux. (Paris, 1888,
p. 562.)
39. Charcot. - Leçons du ntqi-di la Salpétrière, ;1881-88. (Policli-
nique du 10 janvier 1888, p. 10.) .
40. P. Blocq. - Migraine ophtalmique et paralysie générale.
(Archives de Neurologie, 1889.)
41. Chalmers da Costa. A case of ophtalmie migrain. (Journal des
connaissances médicalcs, 8 mai 1890.)
42. A. Angelucci. Recherches sur la fonction visuelle de la rétine et
du cerveau. (Rec. d'opht., novembre 1889 et janvier 1890.)
448 CLINIQUE NERVEUSE.
43. Babinski. De la migraine ophtalmique hystérique. (Archives
de Neurologie, 1890.)
44. A. Marie. - Contribution ci l'étude des troubles oculaires dans la
paralysie générale. (Th. de Paris, 1800.)
45. A. Mazra. Osservaiol11 di emianopsia omonima. (Rendicouls
del XII Cong. dell' Assoc. Oltalmol. Italiana, 1890-91.)
46. Fuchs. -Le7zrbuch der At<;/fK/t<;t7t : f) ! e, 1891; p. 495.
17. Lemos. L'épilepsie sensitive et la démence paralytique. (Con-
grès international de Berlin, 1891.)
48. Gilles de la Tourelle. - Traité clinique et thérapeutique de
l'hystérie. (Vol. 1, Hystérie normale, Paris, 1891.)
49. Greco. - Dell'emianopsia islerica. (Pisa, Il ,11ol'gagni, n° 8 del
' 1891.)
50. Levillain. La neurasthénie. (Paris, 1891.)
51. Hilbert.- Contribution à la pathologie du scotôme scintillant.
(Ccîzt2-(tlb. r. p ? -ali. uugenh., novembre 1891.)
52. Fink. Des rapports de la migraine ophtalmique avec l'hystérie.
(Th. de Paris, 1891.)
53. Charcot. Sclérose en plaque et paralysie générale. (Leçons
à la Salpêtrière, Semaine médicale, 27 janvier 1892.)
54. P. Blocq et J. Onanoff. - Maladies nerveuses (sémiologie et
nosdiagtic). Paris, 1892, p. 131.
CLINIQUE DES maladies DU système NERVEUX. - M. CHARCOT.
LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES;
3° CONFÉRENCE FAITE A LA SALPTlt1) : EE LE 1°r AVRIL 1892.
Par M. Pierre JANET,
Professeur agrégé de philosophie, docteur ès lcltres, élève du service.
MESSIEURS,
En apprenant que j'allais vous parler aujourd'hui de la sug-
gestion, beaucoup d'entre vous ont dû se sentir très effrayés,
et s'attendent sans doute à une étude aussi vague qu'inter-
minable. Pour beaucoup, en effet, le mot suggestion a perdu
tout sens précis et s'applique à une quantité de choses diffé-
LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 449
rentes; suggestion toute la thérapeutique, suggestion toute la
pathologie nerveuse, suggestion surtout toute la psychologie.
Rassurez-vous cependant, le mot suggestion n'a pas pour moi
un sens aussi vaste et aussi indéfini. Il désigne à mes yeux un
phénomène très réel, très important, mais un phénomène
tout particulier, qu'il faut éviter de confondre avec tous les
autres. D'ailleurs, l'objet de ces études est restreint et suffit
amplement à mon ambition : je me contente d'étudier devant
vous les hystériques et rien de plus. J'ai l'intention de vous
exposer un phénomène psychologique particulier qui se pré-
sente chez ces malades et que je vous propose d'appeler la
suggestion. Libre à vous de penser que chez l'homme normal
la suggestion est plus importante et qu'elle revêt d'autres
caractères. Je cherche uniquement à préciser le sens de ce
mot quand on l'applique à des hystériques et à vous montrer
les conditions dont ce phénomène parait dépendre.
I. Contentons-nous, pour le début, d'une définition très élé-
mentaire et très vague qui se précisera peu à peu. L'obser;
vation la plus superficielle des hystériques a permis à tous les
médecins de faire une remarque banale : c'est que, chez elles,
et plus particulièrement chez quelques-unes d'entre elles, cer-
taines idées prennent très facilement une importance exagérée.
Cette importance exagérée se manifeste de plusieurs façons,,
par la fréquence avec laquelle ces idées se présentent à leur
esprit, par la durée pendant laquelle ces idées persistent, par
les actes extérieurs qui les accompagnent, par l'apparence de
réalité, d'objectivité enfin qu'elles prennent aux yeux du sujet.
On constate très souvent des phénomènes de ce genre pen-
dant les attaques d'hystérie. C'est là un fait d'observation dans
lequel l'expérimentation n'entre pour rien, certaines crises-
répètent tous les huit jours et quelquefois même tous les jours
avec une précision extraordinaire, un fait, un accident, une-
idée quelconque qui ont vivement impressionné l'esprit du.
malade.
Un petit jeune homme de seize ans voit un incendie,
et quel incendie, la flamme de quelques copeaux dans la cui-
sine, et voici que depuis trois ans, il passe une heure tous les.
jours à voir du feu, à crier au secours, à entendre la corne des.
pompiers, à se débattre en les appelant; c'est un peu abusif
vous l'avouerez. Une femme, dont je vous parlais dernière-
Archives, t. XXIV. 29
450 CLINIQUE NERVEUSE.
ment, a vu, une fois dans sa vie, un homme caché derrière les
rideaux pour faire une plaisanterie, et, depuis deux ans, elle
a, tous les soirs, une crise d'hystérie formidable et passe une
heure tes yeux fixés sur les rideaux, en posture de terreur.
Tous les exemples se ressemblent, car, presque toujours, toutes
les péripéties des attaques de ce genre reproduisent ainsi
un incident de la vie dont l'importance est exagérée. Vous
connaissez dans le service cette malade bizarre que nous appe-
lons quelquefois la femme-chameau, parce qu'elle a été impres-
sionnée, en Algérie, par cet animal, et qu'elle parait repro-
duire son cri pendant l'attaque; elle ne fait pas un geste qui
n'ait une raison de ce genre. Ainsi, elle s'arrête au milieu de
ses cris et lève le bras droit en l'air, c'est qu'elle prend la pos-
ture du tableau qu'elle a regardé autrefois dans sa chambre,
la Vérité, de Jules Lefèvre; puis elle se couche et crie miaou,
miaou, c'est parce qu'un petit chat, bien innocemment, lui a, un
jour, léché le bout des doigts; elle contrefait la voix des
enfants et répète zou, zou, ma nounou, patapan, ta, tata, zo, zo...,
etc : , c'est qu'elle imite la voix d'un petit pâtissier idiot qu'elle
a vu dans les rues d'Alger, et ainsi pour tout ce qu'elle fait.
Nous retrouvons la même importance exagérée de certaines
idées dans les rêves : Une jeune fille de vingt-trois ans rêve
toutes les nuits qu'elle tombe dans l'eau; parce que, à l'âge de
dix ans, elle a failli se mouiller les pieds dans un ruisseau.
D'autres accidents, en dehors des crises et des rêves, mani-
festent le même phénomène. Soeur Jeanne des Anges, dont
M. Gilles de la Tourette nous a fait connaitre les intéres-
santes confessions, rêve qu'elle a cohabité avec le diable et à
la suite présente tous les symptômes de la grossesse, même la
sécrétion lactée des mamelles'. J'ai eu l'occasion, d'ailleurs,
de voir deux cas analogues, quoique moins complets. Un indi-
vidu, qui travaille dans le plomb, imite la paralysie des exten-
seurs de son camarade. Un homme assiste à l'enterrement de
son neveu qui a eu le bras droit coupé après un accident de
machine, il rentre avec une paralysie hystérique du bras. Une
femme, nous raconte M. Gilles de la Tourette, donne une gifle
à son enfant et la main reste paralysée avec une anesthésie
en manchette Une autre, que j'ai décrite autrefois, lève le
, G. Légué et Gilles de la Tourette. Soeur Jeatne des Anges (biblio-
thèque diabolique, 1886,' p. 81). ? -Gilles de la Tourette. - Traité de l'hystérie, 1891,522.
LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 451
poing contre son mari et, par une punition céleste, son bras
reste contracturé dans la position du coup de poing'. Faut-il
ajouter que j'ai vu une hystérique se trouver fortement purgée
parce qu'elle avait apporté une purge à un malade.
En dehors de ces accidents extérieurement visibles, ces
malades ont sans cesse dans la tête des idées d'une impor-
tance exagérée. Je trouve un jour la petite Berthe, immobile,
absorbée dans une contemplation imaginaire : « Que c'est
beau, dit-elle tout bas, que c'est beau, » et je ne peux pas en
tirer autre chose. On me dit que depuis la veille elle est ainsi
en extase, qu'elle n'a pas pu se coucher et qu'elle a passé la
nuit assise sur son lit, en admiration. « C'est bien beau, dit-elle
enfin, cette statue, ce grand paysan. Tout s'explique, elle a
été aider une infirmière à épousseter un laboratoire où M. Richer
mêle les belles oeuvres d'art aux études scientifiques, et elle a
été saisie d'admiration pour une statue. Elle n'a pas tort et cela
prouve qu'elle a bon goût, mais deux jours d'extase continue,
c'est exagéré. Un autre jour, elle ne peut plus arriver à parler,
parce que sa bouche chante tout le temps malgré elle, on a
voulu lui apprendre une chanson et on a trop bien réussi, puis-
qu'elle ne peut plus s'en débarrasser. Célestine, une autre
malade, se fâche un jour contre un fonctionnaire de la Salpê-
trière et ne pense plus qu'à le rosser d'importance. Elle pleure
et trépigne et me dit : « C'est ridicule, c'est désolant, on va
me mettre encore aux folles, mais cela ne fait rien, il faut
que je le rosse. » Vous comprenez que j'aie dû prendre quel-
ques précautions, d'ailleurs faciles. ,
En effet, on peut changer leurs idées ou reproduire soi-même
artificiellement ces idées d'une importance exagérée qui nais-
saient spontanément. On peut les faire agir, leur faire croire,
même leur faire voir tout ce que l'on veut, et j'ai recueilli autre-
fois de nombreux exemples de cette crédulité qu'il serait trop
long de vous raconter2. Rappelez-vous seulement, qu'en général,
il ne faut pas hypnotiser les hystériques pour leur suggérer quel-
que chose, c'est là une grosse erreur qui a eu de l'influence sur
la conception que l'on s'est faite du somnambulisme. Affirmez-
leur pendant la veille, c'est tout aussi commode et beaucoup
plus sûr et vous remarquerez que les suggestions dont je vais
' Pierre Janet. Les actes inconscients et la mémoire pendant le
somnambulisme. (Revue philosophique, 1888, I, 224.) , ! Automatisme psychologique, 203.
452 CLINIQUE NERVEUSE.
vous montrer quelques exemples sont faites à l'état de veille.
De semblables suggestions sont fort graves et peuvent per-
sister fort longtemps. Il y a deux ans, quand j'étais élève chez
. mon éminent maître, M. Landouzy, je déclarai à une hysté-
rique pendant la veille que je lui faisais cadeau d'une belle
rose. Elle la vit fort bien, par hallucination, et la plaça déli-
catement dans un verre d'eau. Je partis sans enlever la sug-
gestion, pour voir ce que la rose deviendrait. La malade
changea l'eau de son verre et soigna sa belle rose qui ne se
fanait jamais, malgré les railleries des infirmières et des
malades, et douze jours après je me décidai à enlever la rose
parce que je commençais à être inquiet de cette sorte de folie
persistante. On peut faire aux hystériques bien d'autres sug-
gestions beaucoup plus graves encore; toujours on verra ces idées
prendre une importance énorme, se répéter, durer, se mani-
fester par des actes réels, par des images objectivées de véri-
tables hallucinations.
En quoi donc consiste l'importance que prennent ces idées ?
Une première explication a été fournie souvent depuis des
siècles, par tous les philosophes 1. Chez tous les hommes,
dit-on, les idées ont une tendance à se transformer en acte,
une musique nous fait danser, les enfants suivent le tam-
bour en marchant au pas, la vue d'un bâillement nous fait
bâiller, etc. Les idées semblent aussi se transformer en sen-
sation, la pensée de la démangeaison nous fait sentir un
prurit véritable; nous croyons voir au microscope ce que l'on
nous décrit, etc. Tout cela est juste, quoique exprimé d'une
manière trop vague. Voici une façon un peu plus précise de
répéter cette même explication. Toute idée bien comprise,
bien claire, est en réalité dans notre esprit un ensemble, un
système d'images différentes, ayant chacune des propriétés
spéciales et diversement coordonnées. Prenons, par exemple,
cette pensée très simple qui s'exprime par ces mots : * faire le
tour de la chambre » . Cette pensée renferme des images
visuelles ou musculaires suivant les cas du mouvement des
jambes, des images visuelles de l'aspect de la chambre au
moment où l'on part, puis d'autres images motrices et d'autres
images visuelles d'un nouvel aspect de la salle et ainsi une
longue suite de représentations variées jusqu'à une dernière
1 Relire, par exemple, les chapitres si curieux de \falebrauche et d'au-
tres cartésiens sur l'influence de l'imagination.
LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 453
qui reproduira le premier aspect de la salle. La pensée d'un
bouquet de roses ou la pensée d'un chat renferme de même
de nombreux éléments groupés les uns autour des autres dans
une dépendance très étroite. Nous n'avons qu'à signaler dans
ces idées, la notion de la couleur des fleurs, la couleur et la
forme du chat, puis de nombreuses images d'odorat, de tact,
d'ouïe, etc., en un mot, comme je le disais, ces idées sont de
véritables systèmes d'images. Le plus souvent, ces systèmes
se reproduisent dans notre esprit d'une façon tout à fait par-
tielle et abrégée : par exemple, l'image sonore ou kinesthé-
sique du mot « fleur » ou du mot « chat » se reproduira
seule, ou à peu près seule et suffira pour représenter tout
le système complexe dont elle n'est qu'un petit élément.
Dans les cas de suggestion que nous cherchons à analyser,
nous voyons, au contraire, que des systèmes de ce genre, s'ils
commencent une fois à se développer dans l'esprit, ne restent
pas incomplets. Tous ces détails constituants, images visuelles,
images tactiles, images kinesthésiques, réapparaissent à leur
place de manière à reconstituer le système dans son ensemble.
Or, chacune de ces images a un rôle dans l'esprit, l'une pro-
voque des émotions et des sentiments, l'autre est accompagnée
de mouvements réels des membres. Le système reproduit dans
son ensemble provoque donc certains grands phénomènes
psychologiques comme l'exécution d'un acte réel ou la croyance
à l'existence réelle et extérieure des objets auxquels on pense.
Les actes réels et l'objectivité apparente des objets ne tiennent,
comme on sait, qu'à la précision et à la complexité des images
qui ressuscitent dans l'esprit'.
Je n'ai pas l'intention de vous montrer de nombreux exemples
de la suggestion que vous connaissez trop bien; mais je vais
vous faire remarquer, en vous montrant quelques faits, ce
caractère important du développement des images contenues
dans une idée. J'emploie la parole pour faire aux malades,
que vous connaissez, des suggestions rapides, d'autres moyens
pourraient également faire pénétrer dans leur esprit l'idée qui
va se développer. Je dis à Isabelle, sur le ton le plus simple :
« Tiens, regarde donc sur cette chaise le beau bouquet de
roses. » J'éveille dans son esprit par ces mots le système
d'images qui constitue l'idée d'un bouquet de roses. Ordinai-
1 Voir une étude sur la puissance de semblables phénomènes dans
l'Automatisme psychologique, 1889, p. 200.
454 . CLINIQUE NERVEUSE.
rement, chez une personne normale, ce système resterait
extrêmement incomplet, réduit à un ou deux termes et il
n'amènerait aucun mouvement extérieur et aucune croyance
à l'existence réelle du bouquet. Mais, voyez Isabelle, elle se
lève, prend le bouquet, tient les mains écartées comme si elle
sentait entre elles une résistance, abaisse la tête et respire
l'odeur; elle a dans l'esprit une énorme quantité d'images
tactiles, visuelles, olfactives, etc. Elle décrit les roses, leur
couleur, leur nombre, etc. En un mot, chez elle le système
d'images, qui constitue ce que nous appelons un bouquet de
roses, s'est reconstitué dans son intégrité.
Permettez-moi de vous montrer un second exemple que je
trouve plus curieux et plus décisif encore. Je vais vous mon-
trer chez Marguerite un phénomène de suggestion très singu-
lier que j'ai constaté chez elle tout à fait par hasard en cherchant
autre chose, mais que je vais essayer de reproduire devant
vous. Vous avez déjà vu cette jeune fille, vous savez qu'elle
a vingt-trois ans, qu'elle est à la Salpêtrière depuis plus d'un
an et que, par conséquent, elle nous connaît tous très bien.
Vous n'avez pas oublié les divers accidents hystériques, con-
tracture, oedème bleu, attaques qui l'ont amenée à l'hôpital et
vous pouvez vérifier encore une fois ses stigmates permanents,
anesthésie tactile tout à fait complète de tout le côté droit,
anesthésie musculaire telle qu'elle est incapable de remuer son
bras droitsans le voir et qu'elle le laisse dans des postures cata-
leptiques quand on le déplace à son insu, rétrécissement du
champ visuel à 35°, etc. Eh bien, je lui dis simplement, en
insistant un peu, ce simple mot : « bonjour Margot t. Elle a,
comme vous voyez une petite secousse et elle change de visage.
Comme elle me regarde d'un air étonné, je lui demande ce
qu'elle a et ce qui l'inquiète : « Mais, je ne vous connais pas,
monsieur. - Comment, tu viens de me voir ce matin. -
Mais non, ce matin, j'étais en classe et j'ai fait mes devoirs. »
Si vous êtes surpris de ces réponses et si vous examinez la
malade, vous allez voir qu'elle a complètement oublié la Sal-
pêtrière, sa propre maladie, tout ce qu'elle a fait dans ces
dernières années et que, au contraire, elle se souvient de son
enfance avec une précision étonnante. Si nous allons plus loin,
nous voyons qu'elle n'a plus aucun stigmate hystérique : elle
crie dès que je pince son bras droit, elle le remue sans le voir
et ne garde plus les poses cataleptiques, elle a un champ
LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 455
visuel qui est devenu absolument normal. Que s'est-il passé ?
Il suffit de lui demander son âge. « J'ai huit ans, » nous dit-
elle. Voici probablement ce qui est arrivé, par hasard la pre-
mière fois et ce qui se répète aujourd'hui : le mot a llargot »
est le nom qu'on lui donnait à la pension, quand elle avait
l'âge de huit ans, et ce mot prononcé par nous a réveillé dans
son esprit tout le système énorme de souvenirs, d'images et
même de sensations auquel il était lié. Même la sensibilité tac-
tile et musculaire du côté droit, qui semble disparue de la
conscience, mais qui existait latente, comme nous le savons,
s'estréveillée, s'est rattachée à la conscience personnelle pour
reconstituer le système complet de Margot à huit ans, à la
pension. Voici, je crois, un bel exemple, quoique assez rare,
de ce développement automatique de tous les éléments qui
entrent dans une idée. Ces faits nous expliquent déjà une partie
de la suggestion, ce que nous avons appelé l'importance prise
par certaines idées.
Nous avons encore à insister sur une autre expression, ce
qui caractérise la suggestion, c'est, disons-nous, l'exagération
de ce développement, c'est son caractère anormal. Un homme
bien portant présente certainement des phénomènes psycho-
logiques où le développement automatique des idées se mani-
feste jusqu'à un certain point; la mémoire, l'association des
idées, l'habitude, sont des faits de ce genre bien décrits, depuis
longtemps. Mais, quand deux faits présentent quelques points
communs, ce n'est pas une raison pour les confondre. Pré-
tendre que la leçon d'un maître est identique à la suggestion
faite aux malades, que le rêve d'un homme qui dort est iden-
tique à l'hallucination de l'aliéné et conclure que la suggestion
n'est rien, que l'hallucination ou le délire n'existent pas, c'est
vouloir, sous prétexte de psychologie, nous plonger, dans la plus
complète confusion.
Dans un esprit bien équilibré, le développement automatique
des idées présente toujours deux caractères, il est soumis à
l'action de la volonté et il est réglé par les faits réels, par les
circonstances au milieu desquelles nous nous trouvons. Je ne
cherche pas à vous faire comprendre ce que l'on entend par le
mot c volonté *, je me contente du sens banal. Un acte est
volontaire quand nous avons conscience de l'accomplir, quand
nous le rattachons à notre personnalité. c C'est moi qui fais
cet acte, disons-nous, et je pense que cette action est en rap-
456 CLINIQUE NERVEUSE.
port avec mon caractère, mes sentiments, mes idées ; je garde
le souvenir de l'avoir faite et je la considère désormais comme
faisant partie de ma personne. » nous idées sont aussi déter-
~ minées par les circonstances extérieures, par les sensations
que nous éprouvons, par tout ce que nous pouvons savoir du
lieu et du temps où nous nous trouvons. Si, 'actuellement,
vous pensez à un ballet de l'Opéra, cette idée ne se déve-
loppera pas en vous parce que vous avez devant les yeux, en
regardant cette estrade, un spectacle tout différent et que
l'idée d'un ballet de l'Opéra ne s'accorde pas avec les sensations
visuelles que vous éprouvez. Le développement de vos idées est
donc raisonnable, harmonieux, en accord avec les faits pré-
sents, et vous n'avez alors que des souvenirs et non des sug-
gestions. Quand ces deux caractères existent, il ne faut pas
parler de suggestion. Quand vous dites à un malade souffrant,
pauvre, humble devant vous : « Allons, mon ami, pensez à
guérir, pensez que vous êtes guéri, tenez les yeux fermés,
faites semblant de dormir, etc. » Le malade fera tout ce que
vous voudrez, et il aura raison ; mais c'est de la complaisance
volontaire, tout à fait raisonnable, tout à fait en accord avec
les désirs, la personnalité et la situation présente du malade.
Je ne parle pas, bien entendu, de la question thérapeutique;
de bons conseils et des consolations sont toujours des choses
excellentes même pour la santé des malades, mais, je dis
qu'au point de vue psychologique, ce n'est pas le même phé-
nomène que ce que je viens de vous montrer chez ces jeunes
filles.
Chez elles, en effet, ces idées, dont je vous ai parlé, ces
attaques, ces rêves, ces mouvements sont involontaires et en
complet désaccord avec la personnalité de la malade et les cir-
constances extérieures. Prenons un exemple et choisissons
pour l'étude le cas le plus complet. J'affirme à Berthe qu'elle
a sur ses genoux son petit chien Finaud. Vous voyez, comme
précédemment, le développement automatique de l'idée, elle
voit son chien, le caresse, sent ses poils, lui parle, etc. Mais
remarquez donc que cette jeune fille est maintenant dans un
état tout à fait anormal. D'abord, elle n'a plus aucune sensi-
bilité tactile, elle ne s'aperçoit pas que je la pince du côté
droit, qui d'ordinaire est sensible; si vous essayez de lui parler
vous verrez qu'elle ne vous entend pas et ne vous voit pas.
J'arrive un peu, moi-même, à attirer son attention sur moi et
LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 457
à obtenir quelques réponses, car je fais pour ainsi dire partie
de son rêve. D'après ses réponses, vous voyez qu'elle ne sait
plus rien, ne se souvient plus du lieu où elle est, de sa vie
passée, du chagrin qu'elle a eu à la mort de Finaud, de sa
situation actuelle. Il semble qu'il n'y ait plus de personnalité,
dans son esprit il n'y a qu'une idée envahissante, celle de
son petit chien. Et quand elle sort de cette espèce de délire,
vous remarquez qu'elle n'en a aucun souvenir. Tout ce déve-
loppement automatique s'est fait totalement en dehors de la
personnalité actuelle. Sans doute, c'est un cas énorme de sugges-
tibilité que je vous montre, c'est une jeune fille qui, sponta-
nément, se fixe de cette manière pendant vingt-quatre heures
sur une même idée et qui, pendant ce temps, perd toute cons-
cience et du monde extérieur et de sa propre personnalité.
Mais les cas les plus nets sont les plus instructifs, et nous
voyons chez elle les caractères fondamentaux de la suggestion
qui subsistent plus ou moins altérés dans les autres cas.
Je vous disais, en commençant, que les suggestions sont
chez nos malades des idées d'une importance exagérée. Nous
avons analysé cette définition vague et nous pouvons la pré-
ciser maintenant. Le phénomène de la suggestion est, pour
moi, le développement automatique de tous les éléments con-
tenus dans une idée, développement qui se produit sans par-
ticipation de la volonté ni de la personnalité, sans rapport
avec les circonstances présentes.
II. - Un phénomène de ce genre existe-t-il chez tous les
hommes d'une manière constante ou bien demande-t-il pour se
produire certaines dispositions mentales toutes particulières. Je
n'hésite pas à dire qu'il faut pour la suggestion ainsi entendue
un état d'esprit tout particulier soit momentané et acci-
dentel, soit permanent. C'est à votre bon sens que je fais
appel. Est-ce que nous subissons tous la suggestion comme
ces jeunes filles que vous venez de voir. Est-ce qu'il suffit de
vous dire, sans modification préalable, que vous avez dix ans
pour vous ramener à l'enfance. Voyons, messieurs, faisons
l'expérience; je vous affirme qu'il y a un petit chien sur cette
table, est-ce que vous le voyez, est-ce que vous jouez avec lui,
est-ce que vous le prenez ? Non, eh bien, alors, il y a donc
chez Berthe quelque chose de spécial qui doit expliquer la
suggestion. Je répète cela, car c'est capital, nous avons tous
mis CLINIQUE NERVEUSE.
des habitudes, des souvenirs, des associations d'idées, mais si
je vous parle d'un bouquet, vous ne le voyez pas, vous ne le
sentez pas, donc j'ai raison de dire que les habitudes, les sou-
- venirs, les associations d'idées normales ne suffisent pas à
nous faire voir un bouquet dès qu'on nous en parle. Puisque
Berthe le voit, dès que je le lui dis, c'est qu'il y a en elle
quelque chose de plus, et c'est ce fait nouveau qui lui est spé-
cial et que nous devons chercher en elle.
C'est dans l'état de leur volonté que nous devons chercher
ce phénomène maladif. Les hystériques se présentent, au
premier abord, sous deux aspects différents, les unes sont
remuantes, agitées, gaies, comme Marguerite, les autres sont
calmes, rêveuses, mélancoliques, comme Berthe. Celle-ci se
rapproche, en effet, du type qui a été appelé l'hystérie mas-
culine, mais qui existe aussi chez la femme. Au fond, ces deux
types reviennent à peu près au même. Elles ne sont plus
bonnes à rien, ni l'une ni l'autre, elles ont perdu toute acti-
vité sérieuse et utile. Si vous interrogez les parents sur le
début de l'hystérie, le récit est toujours le même : on a com-
mencé à s'apercevoir qu'elles ne pouvait plus faire leur
ouvrage, qu'elles ne travaillaient plus, qu'elles n'avaient plus
de courage, plus de résolution, plus de volonté. Un médecin
anglais, William Page, a exprimé ce caractère d'une manière
saisissante : « L'état hystérique, dit-il, est constitué essentiel-
lement par la perte du contrôle et l'affaiblissement du pouvoir
de la volonté... le défaut se trouve plutôt dans une faiblesse
de la volonté que dans une obstination de ne pas vouloir. Le
malade dit souvent : « Je ne peux pas, » c'est comme s'il
disait : « Je ne veux pas », mais cela signifie : « Je ne peux
pas vouloir '. ' Ce que le médecin anglais exprime ainsi, les
malades le disent à chaque instant à leur manière. « Je vais,
je viens, je crie, me dit Marguerite, mais sans rien faire, sans
arriver à rien, sans rien vouloir, je suis comme une machine
qui n'a plus de ressort. « « Il me semble que je marche, que
je parle, disait Berthe, mais je ne sais pas ce qui marche, ce
qui parle en moi, car moi, je ne fais plus rien, je ne suis là
que pour représenter... je laisse perdre ma robe sans avoir le
1 The patient says, as all such patients do : I I can not, it looks.
like : « 1 will not, » but it is : « I can not will.. Pige. Injuries of
the spine and spinal cord without apparent mechanical lésion and ner-
vous shock ni their surgical and medico-legal aspects. 1883.
LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 459
courage de faire un mouvement pour la soigner, je ne m'oc-
cupe plus de rien, tout m'est égal... je suis comme un polichi-
nelle dont vous tenez la ficelle ». -
Ce caractère se retrouve dans toutes les opérations de leur
esprit, elles ont également perdu toute décision, toute certi-
tude dans leurs croyances et leurs perceptions, comme toute
résolution dans leurs actes. « Est-ce que c'est vraiment demain
la Mi-Carême ? Est-ce que je vais à ce bal ? J'y vais sans en
être sûre. Tout cela est comme un rêve. » Berthe rencontre
son frère qui vient la voir et le regarde avec étonnement :
Est-ce que c'est vraiment toi, lui dit-elle, je ne suis pas sûre
de te reconnaître. » J'ai toujours, me disait-elle, comme un
brouillard devant les yeux, je ne reconnais pas bien les choses...
Je ne comprends pas bien ce qu'on me dit, ma tête est devenue
trop dure et les paroles ne peuvent pas pénétrer... je me perds
dans mes idées comme dans un filet, comme dans une toile
d'araignée une pauvre mouche. » Cette faiblesse se manifeste
encore mieux si on examine ce qu'est devenue chez ces
malades la principale manifestation intellectuelle de la vo-
lonté, la faculté d'attention. L'attention est très profondé-
ment modifiée chez toutes les hystériques et d'une manière si
curieuse que nous ne pouvons en faire maintenant l'étude
détaillée. Je vous rappellerai seulement que l'effort d'attention
devient chez elles pénible, rare, de courte durée et qu'il s'ac-
compagne de toutes sortes de symptômes, de fatigue psy-
chique, augmentation des anesthésies, rétrécissement plus
grand du champ visuel, etc ? Quelquefois l'attention est
absolument perdue et les malades sont incapables de fixer leur
esprit sur aucune idée nouvelle. Par exemple, comme je l'ai
montré souvent, elles ne peuvent pas comprendre ce qu'elles
1 J'ai déjà signalé autrefois, au Congrès de psychologie de 1889, ce
phénomène intéressant du rétrécissement du champ visuel provoqué par
l'attention. Dans le compte rendu du Congrès (1890, p. 55) le résumé
très incomplet de cette petite observation a été publié sous le nom de
M. Ballet. M. Ballet sera sans doute heureux que je le décharge de la
responsabilité de cette observation qui pèse indûment sur lui. Sans étu-
dier ici ce phénomène, je me contente de rappeler que je l'ai encore
constaté chez deux malades du service de M. Charcot. Je crois savoir
que M. Séglas l'a constaté aussi de son côté, spontanément sans
connaître ma première communication, chez une malade du service de
M. Falret. C'est un signe de plus de la faiblesse de l'attention chez les
hystériques. '
460 CLINIQUE NERVEUSE.
lisent, elles n'ont jamais l'esprit à ce qu'elles font, comme si
toute attention volontaire était impossible.
Cette faiblesse de la volonté et de l'attention, qui est tout à
fait extraordinaire se manifeste par un second caractère en
apparence inverse du précédent et cependant très logique. De
même qu'elles sont incapables de commencer une action, une
croyance ou une perception, de même elles sont incapables de
les arrêter quand elles ont commencé. Je vous surprendrai
peut-être en vous disant une chose qui est cependant juste : la
plupart des accidents hystériques sont, au début, presque
volontaires. On commence à rêver, c'est qu'on le veut bien,
on pourrait s'arrêter, mais c'est si agréable. On commence à
manger peu, c'est pour maigrir, pour avoir la taille fine. On com-
mence une petite colère, une émotion est bien permise. Tout
cela, et les malades vous l'avouent, on aurait pu le faire cesser au
début. Mais l'action continue et la malade ne peut plus s'arrêter.
C'est un délire, c'est une anorexie, c'est une attaque. « Quand
j'ai commencé quelque chose, disaitunemalade, ilfautqueje e
continue malgré tout, je casserai les carreaux pour sortir,
me tuerai plutôt que de m'arrêter. » « Je tombe dans une idée
comme dans un précipice, me disait Berthe, et la pente est
bien dure pour remonter. » c Mon idée me poussent me chasse
sans que je puisse résister, me dit une autre. »
Cette impuissance à s'arrêter, vous la constatez tous les jours.
Vous connaissez ces malades qui viennent tous les matins,
quand vous entrez dans la salle, vous montrer un bras ou une
jambe contracturés et vous dire : « Défaites-moi cela. » Il n'y
a presque rien à faire, mais ce rien elles ne sauront jamais le
faire toutes seules. Elles viennent souvent, quand elles ont
confiance en vous, demander un secours moral du même
genre. Marguerite vient un matin me trouver et me dit : « Oh !
je suis en colère depuis ce matin, je voudrais battre et casser,
je voudrais bien m'arrêter, mais je ne peux pas. Défaites-moi
cela. Une autre petite me dit : Je me suis fâchée contre
mon amie, je boude depuis hier, c'est bien ennuyeux de
bouder; je voudrais bien cesser, mais je ne peux pas; défaites-
moi cela. » Alors il faut défaire la colère de l'une, la bouderie
de l'autre et le rêve de la troisième. C'est-à-dire qu'il faut aider
leur volonté absolument défaillante pour s'arrêter comme pour
commencer.
Tous les caractères précédents ont été souvent constatés,
LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 461
mais on les rattache d'ordinaire à une autre maladie mentale.
Beaucoup d'entre vous voudraient me dire : « Vous décrivez
là les symptômes de l'aboulie, une des formes de la folie du
doute, et les sujets dont vous rapportez les paroles sont des
malades complexes chez qui se sont développées simultané-
ment et indépendamment l'une de l'autre deux maladies; d'un
côté l'hystérie avec ses anesthésies, ses amnésies, ses attaques
et sa suggestibilité; de l'autre le délire des dégénérés avec sa
distraction, ses doutes, ses idées fixes et son aboulie. » Mes-
sieurs, je n'ai pas l'intention d'entreprendre ici incidemment
la discussion de cette grosse question, en général si mal com-
prise, celle des rapports entre l'hystérie et la folie du doute.
Je me contente de vous livrer mon opinion, afin de pouvoir
continuer notre étude sur la suggestibilité des hystériques. Je
n'admets pas qu'un sujet comme Berthe, qui présente de la
distraction et de l'anesthésie, du doute et de l'amnésie, des
attaques, des idées fixes et de l'aboulie soit en proie à deux
maladies mentales différentes. Il n'y a là qu'une seule et
même maladie mentale dont les manifestations diffèrent légè-
rement suivant les circonstances. D'abord, tous ces symptômes
s'accompagnent beaucoup plus souvent qu'on ne le croit. La
plupart des hystériques qui sont ici, présentent de l'aboulie et
du doute; en outre, nous avons compris par nos études précé-
dentes que ces divers symptômes dépendent l'un de l'autre,
que la distraction est la raison d'être de l'anesthésie, comme
l'aboulie est la raison d'être de la suggestibilité. La seule chose
importante à reconnaître, c'est que les symptômes prédomi-
nants ne sont pas les mêmes chez tous les malades. Quoiqu'il
y ait partout une certaine faiblesse dans la volonté, dans la
perception des sensations et des souvenirs, il y en a chez qui
l'amnésie prédomine, d'autres chez lesquelles l'aboulie est
capitale. Et il est important de constater que c'est chez les
abouliques que la suggestion prend son plus grand développe-
ment. .
J'ai étudié, il y a quelques années, chez mon éminent maître,
M. J. Falret, une malade de cette dernière catégorie qui était
presque exclusivement une aboulique', de même que la malade
précédemment étudiée, Mmo D..., est presque exclusivement
une amnésique. Je suis resté fort embarrassé, non sur l'inter-
t Pierre Janet. Etude sur un cas d'aboulie et d'idées fixes. (Revue
philosophique, 1891, t. I, p. 258 et 384.)
462 CLINIQUE NERVEUSE.
prétation des symptômes, mais sur le diagnostic médical de
cette malade. Mais aujourd'hui, après avoir étudié les nom-
breuses formes d'hystérie qui se rencontrent dans ce service,
après avoir suivi les leçons de M. Charcot, je n'hésite plus.
' Marcelle était une hystérique, comme M"10 D... en est une. Il
faut admettre qu'il y a des hystéries monosymptomatiques au
moral comme au physique, et qu'une certaine forme d'aboulie
ou d'amnésie est caractéristique de cette maladie mentale aussi
bien que l'anesthésie ou l'attaque. Retenons donc cette notion
importante : le symptôme de la suggestibilité ne se présente
pas seul, il s'accompagne d'une altération considérable de
l'attention et de la volonté, d'une aboulie en un mot. Il nous
reste à étudier cette aboulie dont nous avons constaté l'exis-
tence, à montrer qu'elle présente les mêmes caractères déjà
étudiés dans l'anesthésie et l'amnésie et qu'elle peut expliquer
la suggestibilité.
III. Quand vous étudierez un cas d'aboulie, vous serez, je
crois, frappé comme moi d'une contradiction entre les paroles et
les actes de la malade. Elle déclare qu'elle est incapable de bou-
ger, de faire aucun mouvement, de se lever de sa chaise, de
prendre un objet, et elle fait devant vous les efforts les plus
infructueux pour lever un doigt. Cependant, si vous faites mine
de quitter la malade, si vous la regardez à son insu et surtout
sans qu'elle puisse penser qu'on l'observe, vous constaterez
qu'elle remue en réalité beaucoup et qu'elle accomplit la
plupart des mouvements qu'elle se déclarait incapable de faire.
Ici encore, un peu d'attention; ne concluez pas trop vite que
la malade vous a trompés et qu'elle vient pour son plaisir se
faire enfermer dans une salle de folles. Songez que les mêmes
mouvements peuvent être accomplis de bien des manières, et
qu'une de ces façons de se mouvoir peut être perdue, taudis que
les autres sont conservées. - .
J'ai pu, dans l'étude du cas typique dont je vous parlais,'
établir une distinction entre les mouvements qui étaient con-
servés et les mouvements qui étaient perdus, et nous retrou-
verons cette distinction chez les malades que je puis vous
montrer. Les mouvements physiologiques : respiration, diges-
tion, n'ont jamais été changés. Les réflexes restent tout à fait
normaux aux genoux, aux yeux, à la bouche; elle tousse, cligne
des yeux, etc. Les mouvements qui, par l'exercice, sont devenus
LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 463
instinctifs, sont également intacts; elle remue sur sa chaise,
change de position, chasse une mouche du visage, se gratte, se
mouche sans l'ombre d'une hésitation. Les mouvements habi-
tuels se font de même; elle fait quelques travaux à l'aiguille
et exécute au crochet d'interminables bandes d'une dentelle
qui est, il est bon de le remarquer, toujours la même. A ces
diverses catégories de mouvements conservés, il faut en ajou-
ter d'autres plus étranges. De temps en temps, elle déchire
des objets, elle griffonne indéfiniment sur un papier, elle se
ronge les ongles ou bien elle se précipite pour exécuter certains
actes déraisonnables. Mais alors elle n'hésite plus : elle qui
s'arrête devant une porte pendant une demi-heure sans pou-
voir l'ouvrir, l'ouvre rapidement, comme avec fureur, quand
il s'agit d'un de ces actes impulsifs.
Voilà beaucoup d'actes conservés ; quel est leur caractère
commun ? Ce sont tous des actes automatiques, et les actes
qui sont perdus sont, comme il est facile de le comprendre
maintenant, tous des actes volontaires. Mais en quoi consiste
cette différence des actes automatiques et des actes volon-
taires ? Un premier caractère s'offre d'abord à notre analyse;
les actes automatiques sont des actes anciens, exécutés déjà
autrefois, organisés dans le passé, mais qui ne sont pas créés,
combinés pour des besoins présents. Les actes volontaires sont
des actes présents, combinés aujourd'hui même en vue des
circonstances actuelles. Un second caractère vient s'ajouter à
celui-ci et le compléter : les actes automatiques et anciens sont
impersonnels, ils ne se rattachent pas à la personne présente.
Nous ne disons pas à leur propos : « je, moi, M. un tel, je fais le
mouvement de marcher, de manger, d'écrire, ils ne provoquent
que des phénomènes de conscience isolés, et ne rentrent pas
dans cette perception d'ensemble qu'on appelle une personna-
lité présente ». -
Ces différences en amènent beaucoup d'autres avec elles :
les actes automatiques sont faciles, rapides, incohérents, car
ils ne sont pas en accord les uns avec les autres ; ils sont
absurdes, car ils ne sont pas en rapport avec la situation nou-
velle du personnage, avec les circonstances nouvelles; les
actes volontaires sont plus lents, plus difficiles, cohérents entre
eux, puisqu'ils font partie d'un système clos, raisonnables,
puisqu'ils dépendent de la personnalité entière telle que les
circonstances dernières l'ont faite. Ces deux catégories d'actes
464 CLINIQUE NERVEUSE.
existent toujours en nous, et notre santé morale dépend de
leur équilibre; quand la puissance volontaire diminue, l'auto-
matisme l'emporte, le passé écrase le présent. L'homme très
âgé, le vieillard, n'est plus capable de s'adapter aux situations
et aux choses nouvelles, il ne peut plus que répéter ses idées
anciennes, sans rapport avec des temps nouveaux. Tant qu'un
homme, quel que soit son âge, est capable d'inventer, de com-
prendre, de combiner les idées anciennes avec des idées nou-
velles, il n'a pas l'esprit d'un vieillard.
Eh bien ! nos abouliques ont sur ce point comme sur beau-
coup d'autres, l'esprit d'un vieillard. Elles ne sont plus capables
de se développer ; tout semble fini pour elles dès le début de
leur maladie, elles n'apprennent plus rien, ne comprennent plus
rien de nouveau. Elles ne s'adaptent plus aux circonstances
nouvelles, ou plutôt, puisque la plupart ne sont pas absolument
inertes, elles ne comprennent, et ne font rentrer dans leur
personnalité que très peu de choses à la fois. Il en est de leurs
actes comme de leurs sensations et de leurs souvenirs. Ainsi que
nous l'avons vu, elles ne sentent que peu de choses à la fois et
sont énormément distraites pour la plupart des impressions
périphériques, de même elles ne peuvent faire avec volonté
que très peu de choses, des actes très simples avec peu de
combinaisons de mouvements et d'images. Une petite hysté-
rique, au bal de la Salpêtrière, me disait : « Je ne puis pas
voir les costumes, je n'en ai pas encore vu un seul. - Eh !
pourquoi donc ? Parce qu'on me fait danser; dès que je
veux regarder, je cesse de danser et dès que je veux danser, je
ne peux plus regarder. Quand je veux danser, je ne vois plus
rien du tout, je n'ai plus qu'une seule idée en tête, danser. »
D'ailleurs j'avais déjà vu chez elle le même caractère, j'ai été
obligé de lui interdire de causer en déjeunant, parce qu'elle ne
pouvait plus manger. Quand elle veut manger, il faut qu'elle
ne pense absolument qu'à cela et à rien d'autre. Sa puissance
pour les actes présents, volontaires et personnels est extrê-
mement réduite; chez une aboulique complète comme était
Marcelle, cette même puissance était absolument supprimée.
Quelquefois, de semblables personnes arrivent cependant à
effectuer des actes assez nouveaux et assez difficiles, mais elles
les font alors d'une manière toute particulière. Elles ne réflé-
chissent pas, elles ne cherchent pas à se rendre compte de ce
qu'elles font; au contraire elles agissent d'une façon incons-
LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 465
ciente. « Vous voulez que je pense à ce que je fais, disait
Berthe, mais c'est impossible. Je n'y comprends rien, je le veux
pendant un instant, puis mon idée est partie; si je cherche ce
que je voulais, je n'arrive à rien. Non, il faut que je laisse mes
mains et mes jambes marcher toutes seules; quandje marche, je
suis comme un ballon qui rebondit tout seul, ce n'est pas moi
qui marche... Quand je veux chanter moi-même c'est impos-
sible ; d'autres fois j'écoute ma bouche qui chante très bien cette
chanson... Quand je veux écrire, je ne trouve rien du tout à
dire, il faut que je laisse ma main faire ce qu'elle veut et alors
elle écrit quatre pages. » Ce qu'il y a de plus curieux, c'est
qu'elle fait ainsi de fort jolies choses; qu'elle fasse un costume
ou qu'elle écrive une lettre, elle déploie un réel talent, mais
tout cela est effectué dans un état bizarre. Elle se fixe sur son
travail, n'est plus en relation avec le monde extérieur, n'a plus
de notion de sa personnalité, ne possède en un mot dans l'es-
prit que les images essentiellement nécessaires à son travail
et ne garde aucun souvenir quand elle a fini.
N'insistons pas sur ce travail curieux de Berthe qui provo-
querait bien des réflexions. Contentons-nous de constater que
nous retrouvons chez les abouliques trois lois psychologiques
que nous avons déjà constatées à propos des anesthésies et des
amnésies hystériques. 1° Le sujet a perdu le pouvoir d'exécuter
consciemment les actes nouveaux, de même que les amnésiques
ont perdu le pouvoir d'évoquer consciemment le souvenir des
événements récents. 2° Le malade a conservé le pouvoir d'exé-
cuter consciemment les actes anciens déjà organisés, l'amné-
sique aussi avait conservé le souvenir conscient des faits
anciens. 3° Le sujet a conservé le pouvoir d'exécuter tous les
actes, même nouveaux, inconsciemment, sans les rattacher à
sa personnalité. A1 ? D..., de même, avait conservé inconsciem-
ment tous les souvenirs. Vous voyez bien, d'après ces trois lois,
que ce nouveau symptôme est identique aux précédents, qu'il
est bien de nature hystérique. Car il dépend lui aussi du rétré-
cissement du champ de la conscience, de la faiblesse de la per-
ception personnelle.
Je crois que nous pouvons maintenant comprendre facile-
ment le pouvoir énorme que la suggestion exerce sur de pareils
esprits. Nous cozstaterons d'ahord qu'une aboulique, incapable
de rien faire volontairement remue, très bien et fait tous les
actes facilement à la suite d'une suggestion. Une expérience
Archives, t. XXIV. 30
466 ' CLINIQUE NERVEUSE.
curieuse, faite autrefois sur la malade de M. Falret, peut
servir à mettre ce point en lumière. Je lui avais suggéré qu'à
un signal donné, un coup sur la table, elle prendrait mon cha-
peau et le mettrait sur une patère. Cette suggestion faite, et
en apparence oubliée, je lui demandai poliment : a Il4ademoi-
selle, vous devriez bien enlever ce chapeau qui me gêne pour
écrire et le mettre sur une patère. Je ne demande pas
mieux, dit-elle. » Et la voici qui essaye de se lever, se secoue,
étend les bras, a des mouvements incoordonnés, s'arrête,
recommence. Je l'ai laissée travailler ainsi vingt minutes sans
qu'elle ait pu accomplir cet acte si simple. Puis j'ai frappé un
coup sur la table : aussitôt, elle se lève brusquement, prend le
chapeau, l'accroche et revient s'asseoir. L'acte avait été fait
par suggestion en un instant, il n'avait pu être fait par volonté
en vingt minutes.
Comment s'expliquer cette différence ? C'est que les deux
actes, malgré l'apparence, ne sont pas les mêmes. L'acte
volontaire de prendre mon chapeau demande, dans l'esprit de
la malade, la notion de sa personnalité : Il faut savoir que c'est
elle, à tel âge, dans telle situation qui fait l'action, qu'elle la
fait en face de moi, par politesse, pour me rendre service, etc.,
toutes synthèses compliquées qu'elle est incapable de faire. Au
contraire, l'acte exécuté par suggestion est simple, il est accom-
pli sans notion de sa personnalité (quand elle a fini et que je
la remercie, elle dit d'un air boudeur : c Ce n'est pas moi, »
sans notion de but, sans intelligence de la situation. C'est un
acte abstrait en quelque sorte et surtout impersonnel. Tous
les actes suggérés sont de ce genre, ce sont des actions anciennes
habituelles qui sont répétées sans rapport avec la situation
présente, sans notion de personnalité.
Non seulement l'action suggérée est simple et facile pour
un aboulique, mais elle est chez lui irrésistible. En effet, sa
personnalité présente se réduit au minimum, sa volonté affai-
blie n'est pas capable de résister au développement automatique
des anciennes perceptions. Au moindre choc, à la suite de
l'émotion légère produite par le ton de ma voix, la perception
personnelle d'aujourd'hui s'anéantit, leur personnalité fragile
disparait et l'acte automatique trouve le champ libre et se
développe suivant les lois précédemment indiquées. Regardez
en effet comment s'exécute une suggestion : quand vous
affirmez à une de ces malades une idée bizarre, en contra-
LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 467
diction avec la réalité, elle reste surprise, elle semble rece-
voir un choc et pendant quelque temps, elle résiste, c'est-à-dire
que pendant quelque temps, elle conserve dans sa conscience
la notion de sa personnalité, la connaissance des objets exté-
rieurs réels, et ces idées justes s'opposent à la pensée contra-
dictoire que notre parole éveille dans l'esprit. Ensuite, comme
le disait Marguerite quand je l'interrogeais sur ses impressions,
leur attention se fatigue extrêmement vite et elles ne peuvent
conserver tant de choses à la fois dans l'esprit. c Que mon
attention se détourne un moment, une seconde, et je suis
perdue, je ne sais plus rien, je suis absorbée dans ce que vous
me dites. » Traduisons ce langage, et disons : sa conscience
trop étroite ne renferme plus les souvenirs et les sensations
antagonistes, elle oublie qu'elle est l'hôpital, qu'elle a vingt-;
trois ans, etc., et tous les éléments contenus dans l'idée sug-
gérée se développent en liberté '.
Les mêmes conceptions relatives à la suggestibilité peuvent
se vérifier d'une manière en quelque sorte inverse. Au lieu
d'étudier ce qui se passe, et les altérations de la pensée qui
existent au moment où les suggestions réussissent, examinons
les modifications qui surviennent quand une malade cesse
d'être -suggestible. Je sais bien que certains auteurs préten-,
dent que tous les hommes sans exception sont perpétuellement
suggestibles et n'admettent pas que l'on puisse étudier l'ab-
sence de suggestibilité. Pour moi, je n'ai pas une influence,
aussi formidable, et j'ai cru remarquer que les hystériques
elles-mêmes n'étaient pas toujours suggestibles. Je vous com-
munique avec naïveté le résultat de mes observations.
Souvent, je le sais bien, elles ne sont pas suggestibles parce
qu'elles ont une autre idée en tête; rien n'est difficile comme
de suggestionner une personne qui a déjà reçu une suggestion
ou qui a une idée fixe. Mais je ne parle pas de cela. Certaines
hystériques que personne n'a touchées, qui n'ont certaine-
ment pas d'idées fixes, deviennent peu à peu de moins en
moins suggestibles. A quel propos ? Tout simplement quand
elles guérissent. Je l'ai observé deux fois, et dans des circons-
tances si particulières, que je désire vous le raconter en quel-
ques mots. Une hystérique avait des crises tous les jours, ne
mangeait pas et ne dormait pas, elle était suggestible au plus
1 Sur le rôle de l'amnésie dans la suggestion et sur le rétl écissement
du champ de conscience. Voir Automatisme psychologique, 1880, p. 185.
468 CLINIQUE NERVEUSE.
haut point, Un peu grâce àmoije le dis toutbas, elle se calme,
n'a plus d'attaques, mange et dort, elle se renforcit, reprend
ses souvenirs, puis sa sensibilité. Eh bien ! je ne pouvais plus
rien lui commander. Entendons-nous, elle m'obéissait très doci-
lement par consentement volontaire, mais n'avait plus ce déve-
loppement automatique des idées, sans conscience personnelle
et sans souvenir. Tout avait disparu. Huit mois après, elle
revient me trouver, se plaignant de migraines, d'insomnies,
de cauchemars, elle était de nouveau distraite, anesthésique et
amnésique. Il suffit d'un mot pour la suggestionner comme je
voulais. Une autre hystérique à peu près complètement guérie
ne pouvait plus être suggestionnée que pendant trois jours
chaque mois, vous devinez lesquels, et pendant ces trois jours
elle reprenait les stigmates de la désagrégation psychologique.
Mieux que cela encore. Vous avez tous remarqué que, au
cours même de la maladie, sous toutes sortes d'influences, les
hystériques changent beaucoup d'état psychologique. Après
une crise, après un sommeil prolongé naturel ou artificiel,
après une émotion quelconque, ou bien pendant certains états
anormaux que l'on provoque ou qui surviennent spontané-
ment, les malades se trouvent momentanément transformées.
Le voile épais qui les empêchait de comprendre les choses se
déchire, elles ont des instants clairs comme me disait autrefois
Marcelle. Eh bien ! pendant ces instants clairs, vous remar-
querez deux choses simultanées : 1° la suggestibilité a diminué
considérablement ou même a disparu, plus d'actes automa-
tiques et impersonnels, plus d'hallucinations en contradiction
avec les sensations réelles ' ; 2° en même temps, vous voyez que
l'anesthésie a disparu, que le sujet n'est plus ni distrait, ni
amnésique, ni aboulique 2.
Vous vous souvenez du somnambulisme complet que je vous
ai fait constaté dernièrement chez Wiltm. Vous savez que l'on
peut la maintenir pendant quelque temps dans un état qui,
pour elle, est extraordinaire et dans lequel elle ne conserve
aucun des stigmates hystériques qui la caractérisent pendant
la veille. Eh bien ! cet état présente un caractère de plus
auquel je n'ai pas pu faire allusion en parlant des amnésies.
1 M. Pitres a remarqué aussi que tous les sujets ne sont pas également
suggestibles dans les différents sommeils hypnotiques. (Leçons sur l'hys-
térie, 1891, II, 166.)
* Voir une observation complète de ce phénomène. Aut. psych., 178.
LA SUGGESTION CHEZ LES HYSTÉRIQUES. 469
Cette personne si suggestible pendant toute sa vie, si malléa-
ble, reprend toute sa liberté, elle cède quand on lui commande
quelque chose, mais par cette complaisance dont j'ai déjà parlé,
elle ne présente plus le phénomène de la suggestion propre-
ment dite.
Les faits précédents me semblent constituer un véritable
i experimentum crucis » comme le demandait Bacon, et nous
montrer la relation étroite qui unit la suggestion aux tares hys-
tériques. Ce développement automatique des éléments ren-
fermés dans une idée ancienne ne peut se produire sans volonté
personnelle et sans rapport avec les perceptions présentes,
qu'au moment seulement où la volonté personnelle et la
perception des choses présentes est extrêmement diminuée.
Messieurs, vous savez qu'il est impossible de faire ici, en
une séance, une étude complète de la suggestion; j'ai été
obligé de laisser bien des points de côté. Les formes variées
que la suggestion peut prendre, ses effets singuliers, les limites
de son pouvoir, ses dangers, ses conséquences en pathologie
mentale, toutes ces questions et bien d'autres sont forcément
omises. Je n'ai voulu étudier devant vous qu'un seul point
précis, celui qui intéresse des médecins. J'ai tenu à séparer le
phénomène de la suggestion proprement dite de certains faits
de la psychologie normale plus ou moins analogues ; j'ai
étudié la suggestion pathologique, la suggestion qui est un
symptôme d'une maladie mentale. J'ai essayé de remonter aux
causes plus profondes de ce symptôme et je vous ai montré
qu'il dépendait, non pas seulement des lois générales de l'asso-
ciation des idées telles qu'elles s'appliquent chez tous les
hommes, mais d'un trouble particulier de la volonté. Ce trou-
ble, cette aboulie existe dans plusieurs maladies mentales, et
en particulier dans l'hystérie dont il forme un symptôme
essentiel. Cette aboulie n'est pas la disparition de tous les
actes en eux-mêmes, elle est de la même nature que l'anes-
thésie et l'amnésie hystériques que nous connaissons déjà. En
considérant la suggestion de cette manière, en évitant de la
confondre avec toutes sortes d'autres faits, en l'analysant
comme un symptôme clinique, nous croyons être fidèle à la
méthode qui a fait la gloire de l'école de la Salpêtrière. Si la
psychologie doit pénétrer dans la médecine, ce n'est pas pour
y apporter la confusion. M. Charcot nous a appris à étudier
470 0 RECUEIL DE FAITS.
l'hystérie en savant, il a toujours voulu mettre de l'ordre dans
ce chaos, choisir des types, établir des classes, soumettre à des
lois des faits considérés comme protéiformes. En un mot, il a
soutenu toute sa vie qu'il y a un déterminisme rigoureux, même
dans l'hystérie. Si on considère aujourd'hui ces malades à un
point de vue un peu différent, si on examine leurs caractères
psychologiques, il faut cependant le faire avec la même mé-
thode. Il ne suffit pas de prendre au[hasard une notion psycho-
logique pour expliquer tout, il faut analyser, classer et chercher
le déterminisme des phénomènes. Notre leçon eut été plus
facile et plus claire, si nous avions dit que la suggestion est
tout et qu'elle explique tout; il nous a semblé plus vrai de
dire que la suggestion est un fait pathologique qui ne s'explique
pas lui-même et qui suppose bien des conditions antérieures'. j.
RECUEIL DE FAITS
SYNDROME HYSTÉRIQUE SIMULATEUR DE LA SCLÉROSE EN-
. PLAQUES,
par le Dr A. Cochez,
Ancien interne des hôpitaux de P,tris, médecin-adjoint de l'hôpital de Mustapha.
Bien que les observations d'hystérie simulant la sclérose en
plaques ne soient pas rares, (Charcot, Rendu, Souques, Michel
et Tiercelin, Cantacuzène... etc.,) le cas que nous avons pu
suivre nous a paru intéressant à plus d'un point de vue et
digne d'être rapporté en détail.
Trois attaques d'apoplexie hystérique chez un homme de quarante-
quatre ans ; mutisme, amaurose, hémiplégie, tremblement intentionnel
(observation recueillie dans le service de AI. le professeur Gros,
1 Les autres études qui complètent ces premières conférences seront
publiés dans un ouvrage qui paraîtra prochainement dans la collection
Charcot-Debove, l'état mental des hystériques.
SYNDROME HYSTÉRIQUE DE LA SCLÉROSE EN PLAQUES. 47-1
d'Alger). G... (John), quarante-quatre ans, jockey, né à l'tieMau-
rice, en Algérie depuis cinq mois.
Entré à l'hôpital de Mustapha, salle Trousseau, n° 18, le 7 mars
1892.
Antécédents héréditaires. Grand-père et père morts tous deux
d'apoplexie. Grand'mère maternelle morte à soixante-dix-neuf ans
d'une attaque de paralysie; mère morte à soixante-six ans de la
même maladie. Cette dernière était sujette aux névralgies, < vive
comme la poudre », se mettait facilement en colère. Un grand
oncle maternel vit encore, mais il est paralysé. Un frère, mort de
la pierre, était très nerveux et « très rageur ». Une soeur bien por-
tante mais très nerveuse.
Antécédents personnels. - John a toujours été très vigoureux e
ne se rappelle aucune maladie. C'est un jockey très connu et très
apprécié, car il a gagné plusieurs grands prix. Il a mené une vie
assez aventureuse, a voyagé un peu partout. Il connaît toutes
les capitales de l'Europe, a parcouru les Amériques et séjourné à
Madras, Bombay, Calcutta, Chandernagor, etc. Il a été au Mexique,
en Australie, mais c'est en France, en Angleterre et en Russie
qu'il a fait ses plus longs séjours.
Il a été au service de Napoléon III, du roi Alphonse XII d'Espagne,
de la princesse Amélie, de la baronne de Rothschild comme piqueur
ou courrier. A quitté la plupart de ces emplois à la suite de discus-
sions à cause de son caractère emporté. Est devenu alors entraîneur
public à Lisbonne, ce qui lui a fait manger son petit pécule qu'il il
avait amassé. De retour en France, il monte à forfait tous les che-
vaux que les propriétaires lui confient.
C'est un homme fort intelligent, à l'esprit vif et délié. Il avoue
son faible pour les boissons alcooliques en affirmant d'ailleurs que
les libations sont nécessaires au jockey «pour lui donner du coeurs.
11 supporte fort bien l'alcool et s'enivre rarement; pourtant, il
absorbe chaque jour quatre ou cinq verres de cognac le matin
(verres d'une contenance de soixante grammes environ ! ), rarement
de l'absinthe, une bouteille de vin à cbaque repas, et quinze à vingt
bocks dans l'intervalle ! 11 a toujours fait un usage immodéré des
femmes et attribue même à des excès génésiques la maladie qui
l'amène à l'hôpital. Pas de syphilis.
L'accident actuel est le troisième du même genre.
La première attaque a eu lieu à Mustapha le 2 février 1890. Jus-
que-là, notre jockey n'avait éprouvé aucun malaise pendant ses
courses ni dans leur intervalle. Pas de maux de tête, pas de ver-
tiges, jamais d'attaque de nerfs. A cette date, comme il entraînait
un cheval sur le champ de courses de Mustapha, il se trouva tout à
coup en face de zouaves qui manoeuvraient. Pour éviter un acci-
dent, John veut arrêter son cheval qui se dérobe : la tête du cava-
472 RECUEIL DE FAITS.
lier est projetée contre un arbre. Chute de cheval et perte de con-
naissance. On transporte le jockey à l'hôpital de Mustapha dans un
service de chirurgie. Le malade revient à lui au bout de trois jours;
il n'a pas de paralysie, mais il éprouve de violentes douleurs dans
la région occipitale, et présente un tremblement généralisé, surtout
accusé dans la marche qui est impossible sans bâton.
A partir de cette époque, vertiges fréquents caractérisés par des
bourdonnements d'oreilles, des battements dans la tête et dans les
tempes. Ces vertiges se produisent surtout à l'occasion du roulement
des voitures. John ne peut s'engager seul sur la rue, car il irait se
jeter sous les pieds des chevaux. Les nuits sont devenues mauvaises,
insomnies, rêves fantastiques, tels que chutes de chevaux, graves
accidents..., etc. Troubles gastriques, constipation, douleur de
ventre, douleur à la nuque et dans les reins. Il séjourne environ
deux mois à l'hôpital et se trouvant très amélioré, il fait les courses
de Marseille et de Lyon. Tout se passe bien, mais les vertiges appa-
raissent fréquemment.
Deuxième attaque. - Le 11 mai, à Tonnerre, occupé à entraîner
un cheval, il est pris subitement et sans raison d'un vertige. Chute
de cheval; perte de connaissance. On le transporte à l'hôpital de
Tonnerre où il aurait présenté du délire des persécutions pendant
quarante jours. Il s'est fait, en tombant, une plaie au niveau du
sourcil gauche, plaie dont on voit encore la cicatrice. Il sort de
l'hôpital en octobre avec une paralysie du côté gauche (la langue
n'aurait pas été prise ? ).
II se rend en Angleterre pour se faire soigner et entre à l'hôpital
Saint-Georges de Londres. Là on le traite par l'électricité et on a
même recours à l'hypnotisme. L'amélioration est rapide/si bien que
le malade ne tarde pas à revenir à Paris. Mais on a su qu'il avait
été paralysé et l'on hésite à lui confier des chevaux ; d'ailleurs, John
étant resté faible du bras gauche ne peut courir les steeple-chase.
Il se décide donc à prendre un engagement pour les courses d'Al-
gérie qui sont des courses plates et de petit parcours.
Troisième attaque. Il arrive à Blidah pour faires les courses de
Pâques, et c'est là que dans un café, à la suite de libations, il
tombe subitement sans connaissance. Un médecin, appelé en
toute hâte, pratique la saignée. Quelques jours plus tard, le malade
est dirigé sur l'hôpital de Mustapha, où il entre le 7 mars 1892.
Etat à son entrée à l'hôpital. John est absolument muet. Il lui
est complètement impossible, malgré ses efforts visibles et le mou-
vement de ses lèvres, de prononcer une parole, pas même d'émettre
un son (aphasie motrice et aphonie). A peine peut il produire un
bruit très faible lorsqu'il tente de siffler. Il peut pourtant mouvoir
la langue et les lèvres. L'intelligence est intacte, elle est même res-
tée très vive, car le malade saisit très rapidement le sens des paroles
(pas de surdité verbale) et des phrases écrites (pas de cécité ver-
SYNDROME HYSTÉRIQUE DE LA SCLÉROSE EN PLAQUES. 473
baie) et répond d'abondance par écrit à toutes les questions qu'on
lui pose (pas d'agraphie). Il abuse même de l'écriture et crayonne
sans cesse phrases sur phrases à propos de la question la plus
simple. Il écrit assez couramment, mais tremble légèrement. Ce-
pendant, par intervalles, il semble que la mémoire fasse défaut
pendant quelques instants; John se frappe alors le front d'un air
désappointé comme pour rassembler ses idées, puis il reprend le
crayon et se remet à écrire avec une nouvelle ardeur.
Hémiplégie gauche. - Les deux membres de ce côté, incapables
d'exécuter le moindre mouvement, sont complètement flasques. Le
bras gauche présente un centimètre de tour en moins que le droit.
A l'avant-bras, différence de 1/3 de centimètre en faveur du côté
droit. - Réflexes rotuliens normaux.
Troubles de la sensibilité. Hémianesthé51e gauche très accusée.
portant sur les trois modes de sensibilité (tact, douleur, tempéra-
ture). Le malade est dans l'impossibilité de reconnaître les objets
qu'on place dans sa main gauche. Les pincements et les piqûres
doivent être très accusés pour être perçus et encore y a-t-il retard
dans la perception.
Sensibilité des fosses nasales très obtuses à gauche. Conjonctive
gauche légèrement insensible par rapport à la droite. De même
pour le côté gauche de la langue : Hypoacousie des deux côtés. Sens
du goût très diminuée à gauche. De même pour l'odorat.
Cécité complète de l'oeil gauche qui ne peut distinguer la lumière
du jour des ténèbres de la nuit. Pas de nystagmus. Aucun trouble
apparent des membranes de l'oeil. Rétrécissement du champ visuel
droit :
474 RECUEIL DE FAITS.
constamment passer devant lui des chevaux de course, il rêve chutes,
accidents, etc.
Les jours suivants, il arrive à prononcer quelques syllabes avec la
plus grande difficulté; mais le 11 mars, il dit assez distinctement
les "mots « John « « France ». Peu à peu, le mutisme est remplacé
par un véritable bégaierneut, le malade ne pouvant prononcer que
quelques mots très courts, et encore reste-t-il le plus souvent à la
première syllabe qu'il répète plusieurs fois.
Le il avril, on a recours à l'hypnotisme. Le malade est assez faci-
ment endormi par la fixation d'un objet brillant. On lui fait pro-
noncer d'abord une syllabe à la fois, puis deux, puis trois sans se .
reprend re. On lui commande alors de ne plus bégayer à son réveil
et on lui suggère de percevoir les sensations à gauche. Dès qu'il
est réveillé, il prononce très distinctement : «cela va très bien ; j'ai
sommeil ».
12 avril. John a été très fatigué durant toute l'après-midi d'hier.
Ce matin, il parle parfaitement sans la moindre difficulté.
La sensibilité est en partie revenue dans la moitié gauche du
corps. La paralysie s'est sensiblement amendée et permet quelques
mouvements limités.
' 13 aviil. Nouvelle séance d'hypnotisme. On lui suggère de voir
de l'oeil gauche complètement amaurotique et on tente de [ramener
la sensibilité et les mouvements. C'est alors qu'apparaît un nou-
veau symptôme, le tremblement. y
Tremblement. Dans le décubitus dorsal, aucun tremblement
perceptible. Les mouvements du membre supérieur droit s'accom-
pagnent de quelques oscillations peu marquées, mais il n'en est
pas de même du membre supérieur gauche, qui, à l'occasion du
moindre mouvement, est animé d'un tremblement rythmique si
intense qu'il se propage aux autres membre. L'action de porter un
verre plein d'eau à la bouche accroît très manifestement l'ampli-
tude des oscillations; le malade amène la bouche au-devant du
verre afin d'atteindre le but cherché. Même tremblement et même
généralisation, si on prescrit au malade de lever le membre infé-
rieur gauche au dessus du plan du lit.
Dans la position assise, il ne se produit rien,à moins que les deux
genoux soient rapprochés avec effort : letremblementreparait alors.
John est dans l'impossibilité de sortir seul du lit et de se tenir
debout sans aide. Dans la position verticale, le tremblement est
extrêmement marqué et propagé du tronc à la tête qui oscille dans
le sens antéro-postérieur. (Il semble y avoir quatre à cinq oscilla-
tions à la seconde.) Les secousses s'accroissent encore par la marche
qui est d'ailleurs très difficile : John fortement penché en avant,
avance avec peine le membre inférieur droit et embrasse la cuisse
gauche de ses deux mains pour porter en avant le membre gauche
qui reste inerte et balaie le sol (démarche de Todd).
SYNDROME HYSTÉRIQUE DE LA SCLÉROSE EN PLAQUES. 475
L'occlusion des yeux ne parait pas augmenter sensiblement les
secousses, mais le malade perd immédiatement l'équilibre.'
Le lendemain, l'oeil gauche a retrouvé entièrement ses fonc-
tions, mais l'amélioration de l'anesthésie et de la paralysie est à
peine marquée.
On essaie encore, mais en vain, les jours suivants d'obtenir le
retour des mouvements ainsi que la disparition du tremblement
par la suggestion hypnotique. On n'obtient rien de plus que la gué-
rison du bégaiement et de l'amaurose.
On soumet lemalade à une séance journalière d'électricité fara-
dique. Il y a une amélioration progressive et le 8 juin, on constate
que le volume des deux membres supérieurs est sensiblement le
même alors que, à l'entrée de John à l'hôpital (7 mars), il y avait
une prédominance de un centimètre pour le bras droit et de 1/3
de centimètre pour l'avant-bras du même côté. Le mouvement est
revenu dans les membres gauches et le malade peut marcher
avec l'aide d'une canne, bien que le tremblement persiste aussi
accusé 1.
Le 16 juin 1892, on mesure de nouveau les deux champs visuels :
476 RECUEIL DE faits.
et nous aurons au complet tous les signes qui, pour M. Char-
cot, caractérisent le mutisme hystérique. Les caractères seuls
de l'aphasie faisaient donc éléminer d'emblée l'idée de ramol-
lissement cérébral droit chez un gaucher du cerveau (hémi-
plégie gauche et aphasie.) Il y avait, d'ailleurs, un spasme
glosso-labié, caractéristique de la grande névrose, spasme qui
intéressait surtout les deux orbiculaires (celui des paupières et
celui des lèvres).
Mais quand le bégaiement eût remplacé le mutisme, les
symptômes divers présentés par le malade pouvaient faire
songer à la sclérose en plaques : vertiges, attaques apoplecti-
formes, troubles oculaires, troubles de la parole, tremblement
intentionnel. Cependant, par l'analyse détaillée de ces symp-
tômes, il était aisé d'éliminer cette maladie organique. Les
vertiges présentaient, en effet, les caractères du vertige hys-
térique : battements dans les tempes, bourdonnements d'oreilles;
les attaques apoplectiformes rentraient dans la descriptton de
Debove et Achard, les troubles oculaires étaient caractérisés
par une amorausose monoculaire restée latente et guérie rapi-
dement par la suggestion hypnotique. Quant au bégaiement
hystérique sur lequel Ballet et Tessier ont appelé l'attention,
il ne rappelle que de très loin la parole scandée des malades
affectés de sclérose multiloculaire. Enfin, à propos du trem-
blement intentionnel, est-il besoin de rappeler son existence
fréquente dans l'hystérie (Charcot, Rendu, Pitres, Dutil, Sou-
ques). Ainsi donc le diagnostic d'hystérie ne nous semble pas
douteux, mais rappelons-nous que les combinaisons de la
grande névrose avec les maladies organiques du système ner-
veux, et en particulier avec la sclérose en plaques, ne sont pas
rares, et recherchons si tous les symptômes que présente notre
malade sont exclusivement imputables à l'hystérie. Il est facile
de mettre la sclérose en plaques hors de cause, car nous ne
trouvons ici aucun symptôme lui appartenant en propre :
vertige spécial, nystagmus, exagération des réflexes, etc. De
plus, il n'y a dans les antécédents personnels de notre malade
aucune maladie infectieuse (Charcot et Marie) ; au contraire,
on trouve une tare névropathique puissamment aidées par des
habitudes alcooliques pour justifier l'existence de l'hystérie.
Au point de vue étiologique, faisons remarquer que la pre-
mière attaque est survenue à l'occasion d'un traumatisme.
Elle a fait éclore non seulement l'hystérie mais encore, comme
- REVUE DE MÉDECINE LÉGALE. 477
c'est l'ordinaire, des phénomènes neurasthéniques : agora-
phobie, douleur de la nuque et des reins, troubles digestifs.
Les deux autres attaques apoplectiques ne reconnaissent pas
un traumatisme pour cause provocatrice et pourtant les acci-
dents qui ont suivi n'ont guère dffféré des- premiers, ce qui
prouverait une fois de plus, s'il en était besoin, que la névrose
traumatique ne diffère guère de l'hystérie banale.
Relevons dans notre observation la coexistence du mutisme
et du délire des persécutions, coexistence signalée par M. Troi-
sier dans un cas de mutisme hystérique, rapporté récemment
à la Société médicale des hôpitaux (séance du 8 avril). S'agis-
sait-il de délire hystérique ou de délire alcoolique ? La ques-
tion nous paraît difficile à résoudre.
Chez le malade que nous avons observé, la suggestion hyp-
notique a eu raison du mutisme et de l'amaurose. Faut-il en
conclure que, dans les cas analogues, on doive toujours compter
sur un résultat aussi rapide et aussi frappant ? Evidemment
non, car on sait combien l'hystérie mâle est d'ordinaire tenace
et résiste aux traitements les plus variés et les mieux dirigés.
REVUE DE MÉDECINE LÉGALE
I. L'hypnotisme ET LE droit; par le D1' A. CULLEnE.
Dans un article intéressant et humoristique, l'auteur retrace
rapidement l'histoire du péril hypnotique, dénoncé, au point de
vue légal, par M. Liégeois à l'Académie des sciences morales ej.
politiques en 1884. Après avoir montré à nouveau combien ce péril
signalé est exagéré en pratique et que, à part les viols dont
peuvent être réellement victimes les personnes hypnotisées, la
réunion des circonstances propices à l'accomplissement d'un crime
hypnotique est à peu près impossible, il en arrive à rappeler l'in-
tervention malencontreuse de M. Liégeois dans le procès Eyraud-
Bompard.
« En attendant sa revanche, dit-il, le péril hypnotique continue
à vivre tant bien que mal et il se trouve de temps à autre quelque
fidèle pour le galvaniser. Ce pieux devoir vient d'être rempli par
M. A. Bonjean ». '
478 REVUE DE MÉDECINE LÉGALE.
M. Bonjean, avocat, considère comme un devoir de raconter ce
qu'il a vu et de venir au secours du « magnétisme judiciaire, com-
promis par les préjugés de la science officielle. »
C'est un mystique, un croyant plein d'enthousiasme. Quelques
phrases donneront une idée*le l'esprit dansllequel a été conçu son
livre : « la suggestion, nous dit-il, est une bonne foi qui fait des
miracles. Dans le domaine religieux, les protestations de la raison
se courbent tous les jours humblement devant l'autorité domina-
trice de la foi. La suggestion ne possède pas une puissance moindre
et rien ne peut échapper, vraisemblablement à son influence. »
(Annales médico-psychologiques, 1892.) E. B.
II. RÉFLEXIONS SUR LES THÉORIES DE LA CRIMINALITÉ ; par le Rév.
W.-D. Morrison. (The Journal of mental Science, avril 1889.)
Partant de ce principe que dans l'étiologie d'un acte criminel on
trouve, soit isolées, soit associées, des causes anthropologiques,
des causes sociales et des causes cosmiques, l'auteur a appliqué à
un crime récent la méthode d'investigation qui résulte de ces don-
nées ; il a successivement examiné l'acte criminel en lui-même, les
antécédents personnels et les antécédents de famille du criminel,
ses caractères anthropologiques, et, au point de vue psychologique,
l'état de ses sens, de son intelligence, de ses émotions et de sa
volonté; cela fait, et prenant pour point de départ les notions ainsi
obtenues, il a examiné les facteurs actifs et les facteurs potentiels
de l'action criminelle, et il est parvenu à mettre en lumière la
logique, si l'on peut ainsi parler d'un crime qui semblait inexpli-
cable. Il pense que si l'on soumettait tous les crimes et tous les cri-
minels à une rigoureuse investigation de ce genre, on arriverait à
la fois, dans chaque cas particulier, à une appréciation plus équi-
table de la culpabilité, et, au point de vue général, à une théorie
plus juste de la criminalité. R. M. C.
III. Observations DE FOLIE incendiaire, avec commentaires; par
- b John Baker. (The JOlli'1lal of mental Science, avril 188 ! J,)
L'auteur a rassemblé dans ce mémoire plusieurs cas intéressants
de folie incendiaire, et l'étude de ces cas le conduit à repousser
l'existence de la folie spéciale jadis décrite sous le nom de pyro-
manie ; les aliénés incendiaires peuvent en effet appartenir aux
diverses catégories de l'aliénation mentale. Il cite en outre dans son
travail quelques chiffres intéressants fournis par l'asile des aliénés
criminels de Broadmoor : en vingt-deux ans (1861886),. cet asile a
reçu 107 incendiaires, dont 99 hommes et 8 femmes, soit 7,5 p. 100
pour les homme», et 2 p. 100 pour les femmes du nombre total des
aliénés criminels internés à cet asile. Rapportés aux diverses formes
REVUE DE MÉDECINE LÉGALE. 479
d'aliénation mentale auxquelles ils se ropportent, les chiffres
ci-dessus énoncés se décomposent de la façon suivante : imbécillité
congénitale : 36 (dont 35 hommes et 1 femme); épilepsie con-
génitale : 4 (tous du sexe masculin) ; paralysie générale : 6 (tous
du sexe masculin); manie aiguë (généralement d'origine alcoo-
lique) : 6 (dont 5 hommes et 1 femme) ; - manie récurrente : 4
(tous du sexe masculin); manie chronique : 7 (dont 6 hommes
et 1 femme); mélancolie : 21 (dont 17 hommes et 4 femmes);
monomanie : 9 (dont 8 hommes et 1 femme); démence : 10 (tous
du sexe masculin). R. M. C.
IV. La responsabilité légale ET DE H séquestration des
aliénés persécuteurs ; par le Dr Henry COUTAGNE.
Le persécuteur devra être déclaré irresponsable sans restriction,
lorsqu'il le sera devenu dans le cours du délire de persécution
classique.
Mais pour les autres variétés d'aliénés persécute urs, la question
n'est plus aussi simple. Le fond pathologique du persécuteur rai-
sonnant est d'une contexture moins solide que celui du persécuteur
persécuté les dégénérés héréditaires supérieurs, les fous moraux,
les névropathes hystériques sont remarquables par l'inégalité de
leurs manifestations psychiques.
A côté de lacunes parfois énormes, la conservation et même le
développement anormal de certaines facultés cérébrales sont alors
propres à dérouter l'observateur, la facilité et la lucidité de la
conversation, les caractères souvent séduisants de l'habitus général, T
l'absence presque indéfinie de tout symptôme démentiel sont des
éléments diagnostiques peu favorables. C'est dans ces cas que
l'expert sera heureux de pouvoir abriter ses incertitudes cliniques
derrière une conclusion mitigée d'irresponsabilité. Lorsque le
caractère pathologique de l'inculpé sera affirmé par la coïncidence
d'antécédents héréditaires, de stigmates physiques de dégénéres-
cence et d'actes cérébraux anormaux, nous devrons aller plus loin
et déclarer ces persécuteurs aussi irresponsables que ceux de la
variété précédente. Mais à partir des états mitoyens qui témoignent
d'une organisation pathologique incomplète, le médecin fera une
oeuvre à la fois scientifique et utile en énonçant l'atténuation de la
responsabilité.
En ce qui concerne la séquestration des aliénés persécuteurs, elle
se présente comme la mesure la plus conforme aux intérêts de
l'aliéné et à ceux de la société. Considérée au premier point de vue,
elle soustrait le malade à des chances de suicide et le fait bénéficier
de tous les autres avantages thérapeutiques de l'asile. Au point de
\ue du danger pour autrui, il est difficile de méconnaître les
avantages uniques de la séquestration car le persécuteur est tou-
480 REVUE DE MÉDECINE LÉGALE.
jours dangereux, soit qu'il commette un crime logique et préparé
de longue date, soit que, brusquement, il rencontre sur sa route une
circonstance d'apparence insignifiante qu'il fera entrer dans le
cycle de ses conceptions délirantes et qui le transformera en un
persécuteur des plus redoutables.
Parmi les dangers presque spéciaux au persécuteur, qui créent
encore une indication plus décisive pour son internement, il faut
signaler les chances de contagion mentale dans son entourage,
dont les observations de folie communiquée offrent de beaux
exemples.
Au point de vue de la durée delà séquestration, si l'on reprend
les deux grandes variétés d'aliénés persécuteurs, on voit que le
persécuteur persécuté étant, avant tout, un chronique, son délire
stéréotypé peut se prolonger pendant de longues années, sans
diminution de sa virtualité daugereuse, à peine atténué par le
régime de l'asile. Les persécuteurs raisonnants, au contraire, une
fois soustraits aux excitations de la vie commune et soumis à un
régime disciplinaire régulier s'améliorent, parfois très rapidement,
et manifestent un équilibre cérébral qui fait illusion, et même ne
permet pas légalement au médecin de maintenir leur séquestra-
tion. Il va sans dire que leur mise en liberté sera le signal de la
reprise soit des mêmes actes et des mêmes idées délirantes, soit
d'autres syndromes épisodiques, d'où renouvellement de la néces-
sité de l'internement, avec ou sans l'intermédiaire de la prison.
L'aliéné persécuteur est destiné, en somme, à être soustrait à la
vie commune et placé dans un asile pendant la période la plus
longue de l'évolution de sa maladie. Mais les conditions matérielles
danslesquelles se fait en France l'hospitalisation de ces sujets laissent
un peu à désirer : il est certain que la séquestration des persécu-
teurs gagnerait en efficacité s'ils étaient soustraits au voisinage de
certains malades incommodes ou agressifs et soumis, au moins par
intermittence, à un régime pénal que celui de nos grands asiles.
Dans les réformes de l'avenir, il y aurait à tenir compte de l'in-
fluence que pourraient exercer sur leur état mental d'autres formes
d'assistance, telles que la colonie agricole. Enfin pour les persécu-
teurs signalés par un caractère dangereux, intense et incurable, il y
aurait avantage à les transporter très loin des lieux où s'est orga-
nisé leur délire. (Annales médico-psychologiques, 1891.) E. BLIN,
V. L'aliénation mentale CHEZ LES dégénérés Psychiques;
par le Dr H. DAGONET.
A un point de vue général, on peut admettre pour l'aliénation
mentale chez les dégénérés psychiques deux catégories principales,
l'une dans laquelle prédominent des troubles intellectuels et des
manifestations délirantes nettement accusées, l'autre dans laquelle
REVUE DE MÉDECINE LÉGALE. 481
on observe plus particulièrement les anomalies et les désordres de
la sensibilité morale; dans cette catégorie rentrent naturellement
les folies morales que caractérisent la perversion des sentiments
affectifs, les aberrations du sens génital, etc.
Enfin, on trouve des formes mixtes dans lesquelles on rencontre
à la fois les troubles de l'intelligence combinés avec ceux de la sensi-
bilité morale.
Troubles intellectuels chez les dégénérés psychiques. - En tête des
manifestations délirantes que présentent les individus atteints de
dégénérescence psychique, se trouve la folie du doute, affection
qui se- rencontre spécialement chez les malades soignés dans leur
famille : une fois l'obsession créée, le repos moral est perdu ; tout
est, pour le malade, un motif de questions et d'anxiété pénible. Il
a des remords, se fait des reproches sur sa coupable indifférence :
rien ne peut le soustraire à son angoisse.
De même pour la maladie du toucher, l'idée d'une souillure pos-
sible torture son esprit : parfois il se rend compte du ridicule de
ses actes, mais il ne peut éviter de les accomplir.
Les extravagants constituent l'une des formes les plus souvent
observées de dégénérés : ces deux aliénés sont pour leur famille et
la société un véritable fléau.
L'état nerveux crée nécessairement chez les dégénérés les dis-
positions morales les plus diverses; les formes d'aliénation mentale
qui en résultent présentent, elles aussi, les variétés les plus nom-
breuses. On retrouve chez les uns la dépression mélancolique, chez
d'autres, l'exaltation mégalomaniaque; mais chez le plus grand
nombre, de véritables accès maniaque; dans tous les cas, on cons-
tate une empreinte de la dégénérescence psychique qui a préexisté.
La brusquerie des accès et leur guérison rapide caractérisent, en
général, chez les dégénérés nerveux, les formes d'aliénation men-
tale qu'ils présentent.
L'accès maniaque chez les dégénérés à conduite extravagante
peut d'ailleurs prendre les formes les plus diverses; on observe
quelquefois un véritable délire hallucinatoire, avec conservation de
la conscience; les hallucinations se reproduisent dans qnelques
cas par le seul fait de la volonté de l'individu.
Dans cette catégorie de maniaques à type anormal que présen-
tent les dégénérés névrosés, on peut ranger les malades décrits par
Trélat, qui délirent dans leurs actes mais ne délirent pas dans
leurs paroles, malades parmi lesquels se trouvent un grand nombre
d'individus tantôt considérés comme aliénés, tantôt comme malfai-
teurs.
Troubles moraux chez les dégénérés psychiques. - La perversion,
l'affaiblissement du sens moral caractérisent toute une catégorie de
dégénérés psychiques; on retrouve dans ce cas, chez ces individus,
lorsqu'ils deviennent aliénés, les diverses manifestations de la folie
Archives, t. XXIV. 31
482 REVUE DE MÉDECINE LÉGALE.
morale. Dans cette forme de délire rentrent les obsessions et les
impulsions dangereuses.
La folie impulsive est certainement le type le plus remarquable
de la folie morale : les déterminations les plus imprévues, réalisées
dans des conditions absurdes et sans aucune des précaution s prises
par les criminels ordinaires, causent notre profond étonnement par
l'absence de motifs et sont même en désaccord avec l'éducation,
les sentiments, la conduite antérieure. Rien, à l'extérieur, ne trahit
la compromission intellectuelle. Le malade regrette le fait acco mpli,
mais il ne manifeste aucun remords. C'était une chose fatale, il
était poussé par une force irrésistible.
Les conceptions multiples, le mélange de folie morale et intel-
lectuelle forment également un signe caractéristique de dégénéres-
cence chez une certaine catégorie d'aliénés.
Les dégénérés sont souvent, par accès, absolument incapables de
résister à des obsessions pathologiques : aussi longtemps que l'accès
dure, l'obsédé subit, sans résistance possible, l'entraînement mor -
bide dans les moments d'exaltation, l'individu perd sa présence
d'esprit, il n'est plus maître de diriger ses facultés. Cet état d'exal -
tation que le dégénéré est incapable de réprimer est, dans quel-
ques cas, provoqué à l'état normal par le simp 1 e fait de la volonté
chez des individus nerveux et sous l'influence de circonstances
particulières.
Dans la classe des dégénérés avec folie morale peuvent encore se
placer ces jeunes gens, ces jeunes filles qui répandent sur les per-
sonnes les plus honorables les accusations les plus perfides. Il en est
de même de ces malheureux ènfants dont les accusations graves
- rendent quelquefois nécessaires des expertises mé dico-légales.
En résumé, on peut observer chez les dégénérés les formes d'alié-
nation mentale les plus diverses lesquelles revêtent, en général,
une physionomie particulière rappelant par quelques-uns de ses
traits l'espèce de dégénérescence psychique do nt l'individu a été
atteint.
L'aliénation mentale revêt elle-même une forme insolite dans
ses phases comme les manifestations délirantes qui la caractérisent;
on peut observer par exemple la conservation de la conscience
avec le trouble psychique le plus accentué. La solidarité qui relie
entre elles les facultés morales et intellectuelles fait le plus souvent
défaut : les troubles sont prédominants tantôt du côté moral,
tantôt du côté de l'intelligence.
Le délire présente une manière d'être anormale : ainsi on observe
la folie du doute, le dédoublement de la personnalité, l'agorapho-
phie, la claustrophobie, les impulsions instinctives, etc... à l'exclu-
sion de manifestations délirantes nettement accusées. (Annales
médico-psyciaologiqzies, 1891.) E. B.
REVUE DE MÉDECINE LÉGALE. 483
VI. Cas IÉDICO-LÉGL; par le D' ÂNDREWS. (American journal
of insanit, octobre 1890.) ,
Il s'agit du meurtre d'un policeman de Rochester par un
nommé W. M..., le 29 décembre 1888. L'histoire de W. M...
montre clairement qu'on avait affaire à un délirant chronique qui,
sous l'influence de ses idées délirantes, tira un coup de revolver
sur le policeman chargé de l'arrêter.
Cette observation, des plus intéressantes au point de vue médico-
légal, ne l'est pas moins en ce qui concerne la pathologie mentale
proprement dite. ,
On y voit M... entrer sur le terrain de la folie onze ans avant son
arrestation, par une période d'inquiétude des plus manifestes avec
jalousie morbide. Peu à peu, les idées de persécution ont fait
leur apparition avec un cortège imposant d'hallucinations multiples
de l'ouie, de l'odorat, du goût, etc... et ce n'est que dix ans après le
début de la maladie que se montrent les premiers signes d'idées -
ambitieuses.
En somme, un cas type de délire chronique. E. B. ,
VII. Crime ET responsabilité; par le Dr Clark (American journal.
' ofinsanity, avril 1891.) '
Les conclusions de ce mémoire sont les suivantes :
1° L'histoire naturelle du crime montre que les cerveaux des
criminels chroniques sont déviés du type normal et se rappro-
chent de ceux des êtres inférieurs. '
2° La plupart de ces individus sont aussi impuissants que les
aliénés à se détourner du crime.
3° L'absence de sens moral peut être cachée par la ruse, même
chez les brutes, jusqu'à ce qu'elle soit évoquée en quelque sorte
par les circonstances.
4° Aucun homme ne peut s'affranchir des conditions physiques
qui l'entourent.
5° Le crime est un sujet d'études morales en dehors de ses
rapports avec la pénalité. '
6° Folie et responsabilité peuvent coexister. ¡
7° Un insensé peut exprimer des volontés raisonnables, parce
qu'elles sont rationnelles.
8° Le monomaniaque peut être responsable lorsqu'il commet des
actes en dehors de la voie de ses idées délirantes. "
9° Beaucoup d'aliénés sont influencés dans leur conduite par
l'espoir d'une récompense ou la crainte d'un châtiment, tout comme
le sain d'esprit : ils conservent donc des rudiments de libre
arbitre. ' "
484 REVUE DE MÉDECINE LÉGALE.
10° Beaucoup d'aliénés ont des idées correctes sur le bien et
le mal, dans l'abstrait comme dans le concret.
il° Beaucoup d'aliénés peuvent résister 3 l'influence de leurs
- idées délirantes : par conséquent l'irresponsabilité et la folie ne se
rencontrent pas toujours sur le même terrain. E. B.
VII. La responsabilité morale ET pénale devant L'EXPERTISE MÉDI-
cale ; par le Dr SEV AL (Bldl, de la Soc. de Méd. ment. de Bel-
gique, 1891.)
Il résutte des considérations développées dans ce travail : 1° que
le médecin aliéniste n'est pas, en tant que médecin, pourvu d'une
compétence spéciale pour se prononcer sur la responsabilité
morale ou pénale d'un délinquant;
2° Toutefois, le rapport médico-légal doit non seulement établir
l'existence ou la non-existence d'une maladie mentale ou d'un
trouble psychique, il peut et doit préciser les rapports que ces con-
ditions pathologiques peuvent avoir avec les faits incriminés;
3° En aucun cas l'expert aliéniste n'est fondé à pousser à des
atténuations ou aggravations de peine, dont l'action est exclusive-
ment l'apanage du juge. Il convient même que les conclusions du
rapport s'exonèrent de toute préoccupation relative aux consé-
quences du jugement à intervenir;
4° Toutefois conformant ses recherches à l'orientation moderne
des sciences pénales qui poursuivent l'amendement du délinquant
en l'unissant au souci de la sécurité publique, le médecin aliéniste
pourra fréquemment fournir des indications sur le mode de trai-
tement à instituer. z
Il convient qu'il saissise toute occasion de démontrer l'inellec-
table nécessité de recourir à un procédé mixte de traitement pénal
où la discipline pénitentiaire et l'orthopédie psychique et morale
s'unissent et s'influencent réciproquement (prison, asile, asiles
spéciaux.
Cette conclusion parait surtout s'imposer dans les cas où sous
prétexte de responsabilité partielle, on recourt à une mesure aussi
impuissante à redresser l'anomalie morbide du délinquant que
compromettante pour la sécurité publique, et qui consiste à dimi-
nuer le quantième de la peine en proportion de l'indigence psy-
chique du délinquant; 1
5° Comme corollaire des conclusions précédentes, il est désirable
que dans la question posée à l'expert on s'écarte aussi peu que
possible du texte légal qui justifie l'intervention médicale; le juge
pourrait par exemple requérir en ces termes :
Procéder à l'examen de l'état mental du prévenu ou accusé.
aux fins de déterminer si, au moment du fait, il était en état de
folie, ou s'il a été contraint par une force morbide à laquelle il n'a
REVUE DE MÉDECINE LÉGALE. 485
pu résister. Préciser le cas échéant, l'influence que ces conditions
pathologiques ont pu exercer sur l'accomplissement des faits incri-
mines et déterminerles mesures qu'il conviendrait de prendre dans
l'iniérét de la sécurité publique et du délinquant. G. D.
IX. Nouvelles contributions A l'anthropologie criminelle; par
J. MopEL et Kurella. (Centrnlbl. f. Nervenheilh., N. F. Il (1891.)
Revue analytique, notamment des ouvrages de :
E. Laurent : Les habitués des prisons de Paris. Lyon, 1891.
Francotti : L'anthropologie criminelle. Paris, 1891.
Dorsel : L'ulzthropol. crimilz. et la responsabil. médico-lég. Paris,
1891.
Tardes : Philosophie pénale. Lyon, 1891.
Corre : Crime et suicide. Paris, 1891.
S. Sighele : La folla delinquente. Turin, 1891.
Sollier : Psychol. de l'idiot et de l'imbécile. Paris, 1891.
Lombroso : Le criminel politique et la révolution (trad. d'17,rlen-
meyer). Hambourg, 1892. P. K.
X. LE ROLE DE LA SUGGESTION A L'ÉTAT DE VEILLE AU POINT DE VUE
3fÉDICO-LG;G.4L; par J. vAN DEVENTER. (Centl'albl., f. Nervenheilk.,
N. F. II, 1891.)
Deux cas de suggeslion étrange. L'une est particulièrement
typique. Une femme qui, depuis quatorze ans, vivait en parfaite
intelligence avec son mari était, depuis deux ans, atteinte d'hystéro-
épilepsie avec délire extatique. Un beau jour, elle se croit ensor-
celée par sa voisine. Elle enjoint à son mari et à sa fillette âgée
de douze ans, de la frapper elle-même à coups de pieds et de
poings, de toutes leurs forces, pour rompre le charme. La répé-
tition de cet acte finit par faire croire au mari qu'il frappe sur la
voisine; la voisine lui apparaît, et, bien qu'elle parle exactement
comme sa femme, il frappe à tour de bras. Quand sa femme est
calmée, elle lui semble reprendre sa forme ordinaire. Tant et si
bien qu'à force de frapper la sorcière, le bonhomme et sa fille
tuent la malade. - Autre histoire d'un homme qui (c'est un chel
de bureau de poste) s'avoue, bien que convaincu de son innocence,
coupable d'une violation de correspondance. A partir de cet aveu,
sommation complète. Très suggestible et très hypnotisable. On
parvient à convaincre les magistrats de cette anomalie et on leur
montre qu'il avait subi l'impression de l'accusateur, du bourg-
mestre. P. K.
REVUE DE THÉRAPEUTIQUE.
I. MÉTlIYLAL CHEZ LES ALIÉNÉS ET DE SON ACTION COMPARATIVE
avec LE chloral; par le Dl IAR1\DON DE MONTYEL.
Depuis quelque temps, les hypnotiques se multiplient. Parmi ces
hypnotiques nouveaux, un des derniers nés est le méthylal dont
M. Marandon de Mont} el a expérimenté l'action thérapeutique dans
les diverses espèces d'aliénation mentale : folie simple, folie para-
lytique, démence sénile et athéromateuse, folie épileptique et
folie alcoolique, le méthylal ayant tonjours été administré de la
même manière, en une seule fois le soir, au moment du coucher.
L'auteur a eu le soin d'administrer aux mêmes malades le chlo-
ral, de telle sorte qu'il a obtenu des résultats comparatifs permet-
tant d'apprécier chez le même individu et dans les mêmes'condi-
tions l'efficacité des deux hypnotiques. Folie simple : dans 1G cas,
la moitié est franchement défavorable; le chloral expérimenté
comparativement sur les mêmes individus a donné onze succès
pour treize cas.
Paralysie générale : sur quinze cas, quatre à peine sont favo-
rables ; ici encore, tandis que le méthylal échouait, le chloral réus-
sissait ; en effet sur quatorze cas traités par le chloral, il y eut dix
succès.
Démence sénile et démence arthéromateuse : d'après les pre-
mières expériences sur le méthylal, c'est surtout dans ces formes
vésaniques que cet hypnotique aurait réussi. M. Marandon de
Monlyel n'a pu l'expérimenter que dans trois cas, et a eu un succès
pour deux insuccès. Folie épileptique : pas de résultat précis.
Folie alcoolique : dans deux cas d'insommie persistante, les résul-
tats du méthylal n'ont pas été trop mauvais.
En résumé le méthylal est sans conteste un hypnotique, mais un
hypnotique faible : il procure plutôt un supplément de repos qu'il
n'impose celui-ci de toutes pièces à un organisme rebelle. Ce qui
le condamne irrémédiablement, c'est, même dans les cas les plus
favorables, la rapidité de l'accoutumance.
On doit lui préférer le chloral dont on peut masquer le goût avec
du sirop de menthe, dont on peut écarter l'action perturbatrice sur
le tube digestif en l'administrant trois ou quatre heures après le
repas : le chloral ne devra cependant pas être donné aux individus
porteurs d'une maladie de coeur à cause de son action déprimante
sur le coeur.
' REVUE DE THÉRAPEUTIQUE. 487
Chez trente malades qui n'avaient retiré aucun bénéfice du
méthylal, le chloral a fourni vingt-trois succès. Enfin le sommeil
chloralique est continu et par conséquent très réparateur. Le mé-
tliylal trouvera peut-être sa seule indication dans certaines mala-
dies physiques où il faut, pendant un laps de temps assez court,
régulariser ou augmenter le sommeil plutôt que le créer. (Annales
médico-psychologiques, octobre 91.) E. B.
II. L'iIYOSCINE COMME SÉDATIF CHEZ LES FEMMES AFFECTÉES DE
psychopathies chroniques, parNOECKE. (Allg. Zeitsch. f. Psychiat.,
XLVIII, 4.)
Vingt-neuf malades. Doses,' par la voie gastrique, de 1 à 6, et
même de 8 milligrammes. Six fois résultat parfait, quatorze fois, de-
mi résultat. Deux cas seulement de succès durable. Six fois, aucun
résultat. Très mauvais calmant, et, en revanche, il est toxique,
peut produire le collapsus. En tout cas son action n'est pas persis-
tante. P. K.
III. Du CHLORURE D'OR ET DE SODIUM DANS LA PARALYSIE GÉNÉRALE
progressive; par le Dr BouBILA et MM. Hadjès et Cossa.
Les discussions sur les rapports de la syphilis et de la paralysie
générale sont loin d'être terminées. Dans le Nord de l'Europe,
l'accord paraît exister sur la nature spécifique de la paralysie
générale : il n'en est pas de même en France.
Laissant dans l'ombre les arguments de la statistique, certains
auteurs sont venus demander des arguments à la thérapeutique.
Dans cet ordre d'idées, les auteurs, après avoir soumis métho-
diquement les paralytiques au traitement classique de la vérole,
n'ont pas obtenu de résultat répondant à leurs espérances. Cet
insuccès les a incités à expérimenter un médicament, l'or, dont
les vertus antisyphilitiques, aujourd'hui oubliées, ont joui autre-
fois d'une certaine vogue. La dose de chlorure d'or et de sodium
a été de 2 milligrammes au début, augmentée tous les quinze
jours d'une dose égale jusqu'à la dose maxima de 1 centigramme;
repos pendant un mois, puis reprise du traitement. Si les auteurs
n'ont pas trouvé dans le chlorure d'or et de sodium une panacée
contre la vérole, pas plus que dans les résultats un argument
bien net en faveur ou contre la spécificité de la paralysie générale,
ils sont loin cependant d'avoir fait oeuvre inutile. N'ayant aucun
inconvénient, le traitement par le chlorure d'or et de sodium
présente des avantages réels.
Le poids des malades augmente et, chose intéressante, l'aug-
mentation des globules du sang marche parallèlement à l'aug-
mentation du poids.
488 REVUE DE THÉRAPEUTIQUE.
De l'ensemble des observations, il résulte que le chlorure d'or
et de sodium pourrait agir avec plus d'efficacité dans la première
période du mal, en permettant des rémissions; dans les dernières
en retardant la fin. Il est utile quand même dans la deuxième,
en augmentant les chances de résistance. (Annales médico-psycho-
logiques, 1892.) E. B.
IV. DE L'EXCISION DE l'écorce; contribution A L1 thérapeutique
CHIRURGICALE des PSYCHOSES; par G. BURC6H.1RDT. (Allg. Zeitsch¡'.
f.Psychiat., t. XLVII, p. 5.)
Six observations de manie chronique, démence, folie systéma-
tique, montrant qu'en enlevant à l'un des hémisphères des seg-
ments de l'écorce des diverses régions du cerveau en rapport avec
les localisations sensorielles, on peut couper court (c'est le mot
propre) aux hallucinations de la vue et de l'ouïe, ou les atténuer.
Résumons-les.
Obs. I. Manie chronique (ou dèmence avec agitation), durant
depuis seize ans. Malade très impulsive sous l'influence de l'émotivité.
Le problème est ainsi posé : la transformer en démence simple tranquille,
en soustrayant aux rouages du cerveau, l'élément provocateur (halluci-
nations de la vue et de l'ouïe). Première opération, 29 décembre 1888.
A la curette tranchante, on résèque sur uné largeur de 2 centimètres,
5 grammes d'écorce, appartenant au lobule pariétal supérieur et à la
partie médiane du lobule pariétal inférieur (supramarginal) de l'hémis-
phère droit, tout près de la pariétale ascendante. Une légère attaque
d'hémiplégie, consécutive à l'opération, disparaît en un mois,. la malade
devient calme, mais les hallucinations reviennent bientôt, et avec elles
l'agitation. Deuxième opération le 8 mars. Résection de l'écorce de la
partie postérieure des première et deuxième temporales, soit 2 gr. 50
de cerveau. Troisième opération le 29 mai. On résèque une bande-
lette corticale qui part du lobule pariétal supérieur gauche, ou
plutôt du sillon interpariétal, et vient à travers le lobule pariétal
inférieur, et le pli courbe gagner l'extrémité occipitale de la scissure
de Sylvius. Quatrième opération le 12 février. Résection de la portion
triangulaire de la circonvolution de Broca, dose 1 gr. 50. Cette fois, le
résultat est acquis.
Obs. II. Aspect delà démence, probablement consécutive à un délire
de grandeurs et de persécutions se manifestant par des actes de défense.
Hallucinations de l'ouïe. Excision de l'écorce des première et deuxième
frontales gauches; on trouve en cet endroit un foyer de lepto-méningite.
Calme consécutif, mais bientôt attaques syncopales et cortico-convul-
sives. Administration de 3 grammes de KBr., guérison. L'auteur fait
remarquer que l'agraphie, contrairement à l'opinion de certains savants,
ne siège pas en cet endroit, puisque le malade guéri, a continué à
écrire.
Obs. IV (erreur de numérotation). Folie systématique chronique
REVUE DE THÉRAPEUTIQUE. 489
datant de longues années. Hallucinations de l'ouïe. Tendance à l'agita-
tion permanente. Excision de la circonvolution temporale de Wernicke.
Amélioration radicale.
Obs. III (erreur de numérotage). Folie systématique, aiguë, pri-
mitive. Hallucinations de l'ouïe. Délire passif des persécutions. Actes de
défense. Démence avec agitation; peisistance des hallucinations. Excision
de la partie postérieure de la premiere temporale, et de la moitié mé-
diane de la deuxième, c'est-à-dire d'une partie de la région affectée à la
mémoire sensorielle des mots. Amélioration.
Obs. V. - Folie systématique chronique. Hallucinations de l'ouïe, de
la vue, du toucher. Démence. Première opération : excision de l'écorce
du champ verbal de l'acoustique. Deuxième opération : excision de
l'écorce du champ moteur des mots. Calme notable et atténuation des
hallucinations.
Obs. VI. - Tare héréditaire très chargée. Folie systématique, hallu-
cinations de l'ouie. Malade dangereux, Excision de l'écorce du champ
verbal de l'acoustique. Consécutivement, surdité verbale, disparition
totale des hallucinatious. Quatre jours après, convulsions, mort.
Ainsi que le fait remarquer l'auteur, pour aller disséquer des cer-
veaux vivants, il faut être un mécanicien, un localisateur convaincu
et non un partisan de la théorie des psychoses par trouble
fonctionne] généralisé,'de l'unité du psuké. Du reste,lfeynert a fait
faire un grand pas à la question en distinguant les psychoses d'as-
sociation et les psychoses de projection. Dans ces conditions on a
le droit ( ? ) de réséquer de vivo les cases de l'écorce que l'on peut
considérer comme les génératrices ou les foyers de troubles psy-
chiques, ou bien, si l'on préfère, comme les carrefours par lesquels
passent les voies de communication qui forment le noeud de pro-
cessus pathologiques. Mais il faut être un opérateur de premier
ordre, un strict observateur de l'anatomie topographique et de
l'asepsie. Enfin, il convient de créer une chirurgie cérébrale phy-
siologique propre à l'homme ( ? ). Le mémoire, d'ailleurs, très
détaillé, contient de précieux détails au point de vue de l'inter-
vention opératoire. M. Burckhardt conclut.
Voilà évidemment des malades perdus ; vous les améliorez trans-
formant des agités en des aliénés calmes (OGs. I, III, IV, V), au
besoin vous complétez votre cure par l'administration d'un médica-
ment (Obs. II), donc vous avez le droit de les exposer aux risques
d'une intervention sanglante ( ? ). P. KERAVAL.
SOCIÉTÉS SAVANTES
SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE
Séance du 27 juin 1892. Présidence de M. Tu. ROUSSEL.
Les aliénés à séquestrations multiples. M. 1\hRANDON de Mon-
TYEL. L'idée mère de la communication de M. Charpentier, que les
asiles de la Seine sont remplis d'une foule d'individus plus vicieux
que malades est rigoureusement exacte. Notre collègue croit que
c'est par la simulation qu'ils arrivent à se faire isoler un nombre
incalculable de fois. Je ne nie pas que de temps à autre il en soit
ainsi, mais je crois que c'est l'exception. Néanmoins, M. Charpen-
tier a encore raison quand il dit que les aliénés à séquestrations
multiples constituent dans nos asiles une classe à part. Ce sont tous
des vicieux. Les arguments qu'il invoque à l'appui de la simulation
se résument à deux : leur vice et leur cynisme, croissant à mesure
que les isolements se multiplient. L'évolution de leurs troubles
intellectuels qui n'est point conforme aux enseignements de
la clinique. Le premier ne peut rien prouver ou plutôt militerait
de préférence en faveur de la folie puisque le vice est souvent fac-
teur étiologique des maladies mentales. Le second aurait plus de
valeur mais, recevant les malades en troisième main, il nous est
bien difficile d'apprécier en toute connaissance l'évolution du mal.
Mieux vaut donc s'en rapporter à l'observation directe, aux rensei-
gnements fournis par la famille. Or de l'observation ditecte, il appert
que c'est par l'alcool, à l'aide de l'ivresse délirante, que ces sujets
vicieux entrent dans les asiles. Le tableau dressé par M. Charpentier
de leur manière d'être dans le service est bien exact. Ils n'entra-
vent pas seulement le traitementdes vrais aliénés par les désordres
qu'ils fomentent; par l'encombrement qu'ils occasionnent, ils
oblirentà transférer en province de véritables aliénés. Or, leur pré-
sence dans des asiles n'est nullement justifiée; l'ivresse délirante,
en effet, ne constitue pas une espèce à part; elle est comparable à
toutes les autres, la gaie, la triste ou la violente, qui ne diffèrent
que par la prédisposition de chacun. Un seul buveur est à sa place
chez nous, le dipsomane, mais les autres quels qu'ils soient doivent
supporter les conséquences de leur inconduite. D'ailleurs les argu-
ments invoqués par Lasègue, en faveur de l'ivresse délirante considé-
SOCIÉTÉS SAVANTES. 4U1
rée comme une maladie, ne résistent pas à l'examen : faiblesse de
volonté;-ces sujets savent être très sobres quand c'est leur intérêt
égarement intellectuel durant la crise; il se rencontre le
même dans toutes les ivresses; durée de la crise; quand ces
individus nous arrivent, ils sont déjà sains d'esprit; -faible résis-
tance aux alcools;- elle est si bien connue d'eux qu'elle est la pre-
mière excuse qu'ils invoquenl à leur décharge. Pourquoi alors ont
ils bu ? Même en admettant avec Lasègue que l'ivresse délirante né-
cessite la prédisposition neuropathique, rien ne permet de voir en
elle une maladie mentale. Il est donc à désirer que ces individus
ne soient pas considérés comme des aliénés et, dans tous les cas,
qu'ils ne soient jamais envoyés dans les asiles de la banlieue, car
ils n'apportent avec eux que leurs vices et le désordre.
M. GARDER j'accepte très volontiers qu'on enferme l'ivrogne à
Mazas, mais l'ivrogne seul qui ne doit pas être confondu avec l'al-
coolique délirant. M. Marandon de Montyel appelle peut-être ivresse
délirante ce que nous appelons délire alcoolique. L'homme qui dé-
lire à besoin de soins spéciaux qu'on ne peut lui donner dans un
poste de police. J'entends parler du délirant alcoolique dont l'affec-
tion se tradait par des symptômes spéciaux, et non de l'ivresse
simple. Supposez-le placé dans un service hospitalier ordinaire,
Commen L lui donnera-t-on les soins qui lui sont nécessaires puisqu'on
n'a même pas les moyens de l'empêcher de se tuer ou de chercher
à tuer ses voisins ? On ne pourrait pas l'y conserver. Comment
voulez-vous alors qu'on le conserve à Mazas. Il doit donc être
envoyé à Sainte-Atine-pour la raison qu'on ne peut le placer ail-
leurs. '
M. Marandon DE Montyel. Ma communication ne saurait s'appli-
quer qu'à l'ivresse délirante que je distingue du délire alcoollique.
M. GaisNtea se défend d'avoir jamais envoyé dans les asiles un seul
cas d'ivresse délirante, dans le sens qui lui est donné par M. Ma-
randon. Il ne sequestre que des délirants alcooliques.
M. 1 : 1R.1NDON DE Montyel' fait observer qu'à leur arrivée dans son
service ces malades n'ont pas un seul des symptômes du délire alcoo-
lique classique et semblent plutôt sortir de l'ivresse délirante qui
n'est pas une maladie mentale.
M. Garnies. Peut-être le délire a-t-il cessé quand ces malades
arrivenl;a'yille-Evrard, après leur séjour plus ou moins prolongé à
Sainte-Anne, mais ils avaient un délire actif au moment de leur
passage à l'infirmerie du Dépôt.
M. Briand demande ce que M. Marandon de Montyel entend z
exactement par ivresse délirante.
M. MARANDON de Montyel. J'appelle ivresse délirante celle qui
492 SOCIÉTÉS SAVANTES.
est caractérisée par la rapidité et la fugacité du délire. Les hallu-
cinations se dissipent avec les fumées de l'alcool.
M. S1URY. Vous avouez que -votre ivrogne a du délire et des
hallucinations; donc il est momentanément aliéné. Que voulez-vous
qu'on en fasse si on ne le place pas à l'asile.
M.Bouchereau. L'ivresse actuelle n'est plus ce qu'elle était il y a
trente ans. L'ivrogne d'autrefois avait le vin gai et jamais d'hallu-
cinations, d'impulsions violentes, ni de délire. Il mourait par le
rein ou par le foie. Que les temps sont changés ! Depuis qu'on a
pris l'habitude de remonter le vin avec des alcools de mauvaise
nature, nous avons vu délirer .l'ivrogne; il est devenu un alcoo-
lique. Ses enfants sont aussi des alcooliques. Ainsi s'explique, selon
moi, l'encombrement de nos asiles.
M. G. BALLET.- La discussion actuelle repose sur une question de
mots ; elle peut être envisagée à deux points de vue : Cliniquement,
il est incontestable que l'alcoolique est un malade et que des soins
spéciaux lui sont nécessaires; administrativement, il doit être isolé,
quelque part où une surveillance active l'empêchera de nuire à
autrui.
M. GARNIER partage la même opinion.
M. Charpentier rejette la responsabilité de l'encombrement des
services par les alcooliques, sur le Bureau d'Admission qui devrait
les garder au moins quinze jours en observation et ne transférer
que ceux dont le délire persisterait apiès ce temps écoulé. Les
autres seraient rendus à la liberté ou à la prison.
M. VOISIN.- Autrefois les alcooliques avaient cuvé leur vin après
trente-six ou quarante-huit heures, mais pendant ce temps un trai-
tement spécial leur était nécessaire pour calmer les accès de fureur
auxquels ils étaienl sujets.
M. LE Président. Il résulte de cette discucsion que le Bureau d'Ad-
mission devrait être agrandi pour qu'on puisse y conserver plus
longtemps certains alcooliques en observation. M. B.
Séance du 25 juillet. Présidence DE M. ÇnnISTIA1V.
Observation d'un cas de maladie de tics convulsifs avec mouvements
par obsession. M. Roubinovitch. Il s'agit d'une femme entachée
de dégénérescence héréditaire grave : frère liqueur et épileptique,
oncle maternel somnambule, cousin maternel suicidé. La malade
elle-même présente deux espèces de mouvements convulsifs : les
uns conscients, les autres inconscients. Les premiers, résultant
d'une véritable obsession sont représentés par de la tendance à se
frapper et à frapper les objets environnants. Les autres, incons-
cients, sont remarquables par leur forme systématique et coor-
SOCIÉTÉS savantes. 493
donnée, par des phénomènes d'écholalie et de caprolalie qui les
accompagnent. Les mouvements conscients sont précédés d'un sen-
timent d'anxiété précardiale ou épigastrique, de rougeurs de la
face et d'une lutte plus ou moins prolongée. Ils sont irrésistibles et
le sentiment de la satisfaction finale indique bien la participation
d'un facteur psychique. Jusqu'à ce jour on n'avait pas décrit l'état
psychique particulier qui motivait ces mouvements impulsifs.
M. Roubinovitch connaît cependant l'observation de Railton citée
dans la thèse de Catron où- le malade se frappait sur le nez et le e
front, mais ces mouvements n'étaient pas précédés d'une lutte
interne. Ils étaient involontaires. Le mot gronomanie pour lequel
l'auteur réclame toute l'indulgence, conviendrait assez bien pour
désigner ce groupe particulier des mouvements résultant de l'ob-
session de cogner. Il s'agit là d'une nouvelle forme de dégénéres-
cence intéressante à signaler. La suggestion sur laquelle on comp-
tait beaucoup pour améliorer la situation est restée sans effet, la
malade n'ayant pu être endormie [malgré de nombreuses tenta-
tives.
M. Charpentier reproche à M. Roubinovitch d'avoir fait une péti-
tion de principes : Il a énuméré des,syndromes épisodiques chez
une dégénérée dont il n'a pas démontré la dégénérescence et
ensuite il a conclu à la dégénérescence parce que sa malade pré-
sentait ces symptômes.
M. ROUDINOVITCH. - J'ai dit que l'hérédité de ma malade était très*
chargée. C'est ce qui explique sa dégénérescence mentale.
M. G. Ballet insiste sur ce fait à une époque où l'on croit tout
guérir par la suggestion, malheureux pour que la malade n'a put
être endormie. Cet insuccès est bien regrettable pour la doctrine
pan-suggestive parce que le cas paraissait bien choisi parmi ceux
susceptibles d'être améliorés par l'hypnose. Marcel Briand.
CONGRÈS DE LA SOCIÉTÉ PSYCHIATRIQUE
DE LA PROVINCE DU RHIN.
quarante-huitième SESSION A BONN;
Séance du 14 novembre 1891. - Présidence de M. Pelman.
Il y aura le 6 juillet 1892, vingt-cinq ans qu'existe la Sociélé.
C'est le 6 juillet 1867 qu'elle a tenu sa première séance. La séance
1 Voy. Archives de Neurologie, 47» séance, t. 000, p. 000.
494 SOCIÉTÉS savantes.
actuelle est donc la quarante-neuvième, parce que pendant l'au-
tomne de 1880, il n'y a pas eu de séance à cause de la guerre.
M. NISSL. Des altérations expérimentales des cornes antérieures de
la moelle chez le lapin avec présentation de pièces microscopiques. -
Méthode de coloration au bleu de méthyle et à l'hématoxyline
alunée pour étudier le corps et le noyau de la cellule. Intoxication
des lapins par le plomb, le phosphore, l'arsenic, la strychnine et
l'alcool ; infection de la moelle par des cultures pures de staphylo-
coccus p3ogenes aureus; dissociation du la substance du même
organe par l'huile; ligature de l'aorte abdominale.
L'auteur fait remarquer qu'il existe toute une variété de formes
de cellules dans le cerveau et dans la moelle. Il en est une carac-
térisée par l'existence : dans le protoplasma du corps cellulaire, de
granulations oblongues et irrégulières; dans les prolongements de
nodosités fusiformes et bacilliformes. Entre ces éléments existe une
substance inaccessible aux agents colorants ou peu colorable
(achromatique) ; le noyau lui-même est peu coloré arroadi. La cel-
lule dans son ensemble prend l'aspect .tigré. Ce sont ces cellules
granulées qui chez les vertébrés et, en particulier, le lapin, le chien,
le chat, sont, dans les cornes antérieures de la moelle, préposées
à leurs fonctions motrices. Ce sont elles qui font le sujet de celte
communication.
Dans l'intoxication arsenicale, la première altération qui se pro-
duit est l'augmentation de volume des granulations en question ;
en même temps elles s'arrondissent et la substance achromatique
du corps de la cellule s'imprègne deagents colorants. Puis, chacune
d'elles pâlit, s'émiette, tandis que la substance achromatique se
constellent de granules d'une finesse extrême, et d'une pâleur
caractéristique. Le corps de la cellule s'effrite de cette façon; les
granules disparaissent comme si le protoplasma s'était liquéfié et
des lacunes se montrent. Tout à la noyau se recoquille et apparaît
comme mangé dans ses contours.
Quoi qu'il en soit, l'arsenic agit d'abord sur le'corps de la cellule.
Lapremière altération nucléaire apparaisous laforme d'unezone
périphérique étroite, peu coloriée, également distincte du corps
même des noyaux qui paraît bien plusépaisetcomme groupé autour
nucléole plus pâle ; cette zone que l'on peut considérer comme la
membrane nucléaire finit par disparaître. Le corps du noyau qui à
l'état sain se compose d'une charpente renforcée par place par des
granulations et contenant un suc spécial incolore présente,alors les
modifications suivantes : le suc disparait, et la charpente se résout
en une substance finement grenue, compacte, bien colorée, au
milieu de laquelle se voit le nucléole de plus en plus pâle. Cette
substance granue n'est pas d'une égale épaisseur partout ; à côté
de parties plus denses il y a des zones plus claires qui pourraient
bien représenter le suc nucléaire. Puis le corps du noyau se résorbe,
sociétés savantes. 495
devient discoïde et sinueux ; finalement, il est réduit, à l'état d'un
petit grumeau coloré contenant, en son milieu, un nucléole simple-
ment indiqué.
Dans l'intoxication phosphorée on assiste aux mêmes altérations
dans les cellules et dans les noyaux, mais elles sont moins accusées
dans les noyaux.
Dans l'intoxication, saturnine les altérations se comportent diffé-
remment. Les granulations du corps de la cellule se rapetissent et
semblent plus homogènes ; on y voit fjéquemment apparallre des
espèces d'étoiles dont les angles émettent de petits prolongements.
Les fuseaux et les bâtonnets des prolongements cellulaires se héris-
sent de sortes de nodosités. Dans la substance achromatique qui reste
incolore dans son ensemble, on assiste à la genèse de granules
arrondis, très nets, très colorés qui lui donnent un aspect de semis
des plus fins. Puis les granulations s'amoindrissent de plus en plus,
comme s'il s'effectuait une coagulation moléculaire, de sorte que le
corps de la cellule est parsemé à un moment donné de grains
plus nets, plus volumineux, plus colorés que dans l'intoxication
arsenicale et phosphorée. Le noyau s'altère très rapidement parle
même procédé que celui que nous avons décrit; mais sa'totalité
se transforme en une matière cohérente qui d'un bloc se rétracte,
échappe aux agents colorants de même que son nucléole central.
Çà et là dans cette masse se produisent des lacunes. La rétraction
progressant, on n'a plus finalement qu'un grumeau faiblement
coloré prenant les formes les plus différentes. En regardant bien,
on aperçoit encore dans ces débris un organite qui n'est autre que
le nucléole rapetissé.
M. BRIE. Des symptômes de lésions en foyer dans la paralysie géné-
rale. Les attaques congestives tiennent souvent à des lésions en
foyer, d'ailleurs cliniquement caractérisées par des symptômes
qui indiquent leur localisation. Voici un paralytique général qui
pendant près d'un an a eu toutes les semaines ou tous les mois des
convulsions toniques et cloniques de la main droite. L'autopsie
montre, outre les lésions de la paralysie générale, une atrophie
extrême du segment supérieur de la pariétale ascendante gauche.
M. HuBEMY.ComH ! Ut ! : Mt<M ? M relatives à quelques asiles d'aliénés
français et à l'assistance des aliénés en France (Mémoire publié à
part).
Discussion : M. PELMAN prétend que les asiles français sont remar-
quables par leur malpropreté et l'abus des moyens de contrainte
et, qu'ainsi que le dit Tukker, les asiles anglais .sont, à ce point de
vue, supérieurs. M. Huberty signale il est vrai que les moyens de
contrainte sont en France trop employés, même dans les asiles
neufs, mais qu'ils sont remarquablement bien tenus.
M. STEINER, à l'exemple de M. Huberty, se loue de l'urbanité des
496 SOCIÉTÉS savantes.
collègues français, à quelques exceptions près, exceptions d'ailleurs
rares.
M. PELMAN rend compte de la décision de la Société des aliénistes
allemands relative au projet de loi de l'Etat contre l'ivresse (séance
de septembre 1891). ' *
Discussion : M. ScHROETER. Il faut absolument interdire les buveurs
avant de les faire admettre dans un asile spécial.
M. OEBEKE. Fonder des asiles pour buveurs dans lesquels on
traitera ceux-ci comme malades et où ils seront guéris quand la
chose sera possible, et en même temps les décréter d'incurabilité
en les interdisant, c'est une contradiction etinhabJe. En tout cas ce
serait un singulier moyen d'achalander ces établissements. Quand
l'individu atteint d'alcoolisme est incapable et imbécile, c'est dans
un asile d'aliénés qu'il faut le mettre. Au surplus, n'attendez pas
des classes aisées une clientèle productive surtout si vous commen-
cez par prononcer l'interdiction. et par rendre publique la mesure
de séquestration. De buveurs pauvres et incapables de travailler
vous n'en manquerez pas, mais alors vos asiles pour buveurs consti-
tueront des établissements de décharge qui serviront à désencombrer
les asiles pour chroniques et les sections d'infirmes des hôpitaux.
M. ScHMrrz. Ce qu'il faut, c'est amener les buveurs malgré eux
(ils n'y viendraient jamais de leur plein gré) dans un asile pour
buveurs et cela rapidement. L'interdiction préalable va tout à fait
à l'encontre du but qu'on se propose, mais il convient d'armer la
loi du pouvoir de les séquestrer et de les rendre irresponsables des
actes délictueux qu'ils ont pu commettre.
M. TIGGES. En Suisse, dans le canton de Saint-Gall et dans l'Etat
de New York, on séquestre les buveurs dans un asile spécial sans les
avoir préalablement interdits.
L'assemblé vote les propositions de la Société des aliénistes alle-
mands (session de Weimar), mais elle ne vote pas sur la question
d'admission sans interdiction préalable. (Allg. Zeitschr. f. Psy-
{Jhiat., YLVIII, 6.) P. KERAVAL.
SOCIÉTÉ PSYCHIATRIQUE DE BERLIN
Soixante-treizième réunion;
Séance du 15 décembre 1891 1. - Présidence DE M. LoeHR aîné.
M. HEBOLD. DP l'entrecroisement des nerfs optiques chez l'homme.
- L'orateur montre des préparations empruntées à deux cas d'a-
z Voir séance du 15 juin 1891, Archives de Neurologie.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 491
trophie de l'oeil qui mettent en évidence lasemi-décussation incon-
testable des nerfs optiques de la chiasma. Il exalte les avantages de
la méthode Nissl au rouge magenta pour les coupes de la moelle.
Les cellules se voient d'une merveilleuse façon ; leurs prolonge-
ments nerveux sont des plus nets. Le mémoire sera publié in
extenso.
M. ASCIIER. De l'aphasie dans la paralysie progressive. - Il s'agit t
d'un paralytique général qui présenta l'ensemble symptomatique
suivant. Il ne lui restait plus qu'un catalogue restreint dont il ne
se servait que rarement d'ailleurs. Il comprenait peu ce qu'il disait
estropiait les mots assez fréquents, et comprenait mal ce qu'on
lui disait. Il désignait un objet qu'on lui nommait mieux qu'il ne
le nommait. Mais il répétait correctement les phrases. Ecrivant
mal spontanément, mal sous la dictée, il copiait relativement bien.
Encore capable de lire, il comprenait peu ce qu'il lisait. D'après le
schéma Lichtheim et Wernicke, il s'agissait d'une aphasie motrice
transcorticale avec lésion des faisceaux sensoriels transcorticaux.
On trouva à l'autopsie : de la pachyméningite hél11orrhagique, une
leptoméningite chronique, une atrophie modérée du cerveau, une
dilatation des ventricules latéraux, avec granulations épeudy-
maires. Atrophie remarquable de la première temporale gauche.
Le microscope révèle une atrophie considérable des fibresnerveuses
avec multiplication très accusée des cellules araignées, dans les
première et troisième frontales, gyrus rectus, frontales ascen-
dantes, première et deuxième temporales, du côté droit comme
du côté gauche. Dans la première temporale gauche, on était
frappé de la disparition des cellules nerveuses au sein des première
et deuxième couches de Meynert,.
Le président propose à la Société, qui l'accepte, de fêter avec la
Société de psychiatrie et maladies nerveuses de Berlin, l'anniver-
saire de la vingt-cinquième année de l'existence de ces deux
sociétés qui poursuivent le même but par des voie différentes, d'au-
tant plus qu'une grande partie des membres de la Société psychia-
trique appartiennent aussi à la société de psychiatrie et de mala-
dies nerveuses. (Allg. Zeitsclt. f. Psychint., XLVIII, fui.)
P. KRRAVAL.
Archives t. XXIV. " 32
498 SOCIÉTÉS SAVANTES.
SOCIÉTÉ DE PSYCHIATRIE ET MALADIES NERVEUSES
- DE BERLIN.
Séance du 12 janvier 18911.
Présidence DE M. SANDER, puis de M. Jolly.
M. Krontiial. De la subordination des dégénérescences des nerfs
périphériques cL l'altération dégénérative de leurs noyaux d'origine,
avec démonstration. (Mémoire publié dans la Neurolog. Central-
blatf.)
M. Oppenheim. Communications relatives aux névroses traumatiques.
(Publié à part.)
Discussion Il. MeNDEL. - Sur les soixante-huit observations en
question, j'en ai, en commun avec Oppenheim, examiné dix-sept;
bien d'autres malades ont été vus par nous deux, bien que l'un de
nous ait seul signé le'rapport.
M. OppKN)iEiu maintient l'exactitude des indications données par
lui dans son mémoire.
Séance du 9 mars 1891. Présidence de M. JoLLY.
M. JOLLY présente une malade chez laquelle le tabès existe combiné
à l'atrophie musculaire. - Il s'agit d'une femme de cinquante-deux
ans, atteinte il y a sept ans de diplopie et d'accès vertigineux.
Depuis quatre ans, elle éprouve de la faiblesse dans les jambes; il
lui semble qu'elle marche sur du feutre.
A ces accidents se sont successivement ajoutés de l'affaiblissement
et de l'engourdissement des mains, une ataxie caractérisée des
membres inférieurs, de la dysurie. Actuellement, on constate de
l'ataxie statique et locomotrice, le signe de Westphal, de l'atrophie
de certains muscles dans les jambes et dans les bras. Le long
péronier latéral gauche ne réagit plus à l'électricité, le jambier
antérieur du même côté est affecté de réaction dégénérative : il
en est de même pour l'opposant du pouce des deux côtés et, à un
degré moyen, pour les extenseurs de la main et des doigts. Immo-
bihté absolue des pupilles. Les muscles des yeux ne sont pas para-
' Voy. Archives de Neurologie, séance de décembre 1890, t. XXII,
p. 425.
* Voy. Archives de Neurologie, revues analytiques.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 499
lysés. M. Jolly pense que les cornes antérieures ne sontpas en cause;
l'atrophie dépend d'une névrite périphérique en rapport avec le
tabès.
M. POEDEKER décrit un cas de pamlysie p1'ogl'essive des muscles des
yeux chez un paralytique tabétique avec autopsie. L'affection a duré
plus de huit ans. Au début n'existait qu'une parésie bilatérale de
l'oculo-moteurexterne.'l'eu après, on constatait l'immobilité, la fixité
des pupilles. Plusieurs années plus tard apparurent simultanément
les accidents du tabès et de la paralysie générale : diminution du
réflexe patellaire douleurs lancinantes signe de Romberg z
vertiges - troubles de la parole affaiblissement de l'intelli-
gence.
A l'ophtalmoscope, on trouva- successivement : une décoloration
des segments temporaux des papilles, bientôt étendue à l'ensemble
des disques papillaires quoique plus accusées sur les secteurs
externes. Scotome central pour le rouge et le vert. Peu de temps
avant la mort, les autres muscles de l'oeil furent aussi atteints de
parésie (l'élévateur des paupières demeura cependant épargné) ;
finalement, paralysie des mouvements de convergence.
Les altérations macroscopiques sont celles de la paralysie géné-
rale. Au microscope, on rencontra la dégénérescence du faisceau de
Krause, celle des fibres qui en sortent pour s'adjoindre au pneu-
mogastrique, celle d'une partie de la racine ascendante du triju-
meau, celle du noyau et des fibres émergentes du pathétique et de
l'oculo-moteur externe. Dans la région du noyau de l'oculo-moteur
commun, l'atrophie portait sur les groupes de cellules supérieurs,
inférieurs, centraux et anUéro-latérax. Les altérations dégénéra-
tives étaient également indéniables dans les troncs périphériques
des nerfs oculaires, notamment celui de l'oculo-moteur externe,
et dans les muscles des mêmes organes.
Une névrite intertistielle avait en partie détruit les nerfs optiques,
elle occupait surtout la région située derrière la papille etla moitié
externe du diamètre transverse, tout en empiétant sur le segment
interne; plus loin vers le cerveau le foyer dégénératif gagnait
l'axe du nerf. Cette localisation rapprochée de l'étude clinique
permet de conclure à une amblyopie nicotinique ou alcoolique.
Dans la moelle, l'altération portait sur les cordons postérieurs
surtout dans les régions dorsale et lombaire.
Discussion : M. Siemetiling. Le groupe de cellules que Westphal
qualifia d'abord de noyau postérieur du pathétique n'a rien à voir
avec ce nerf. D'après les recherches de Schuetz, il faut le rattacher
aux noyaux de la substance grise centrale. En ce qui concerne le
noyau de l'oculo-moteur commun, le mieux est de le séparer en
deux régions : une région antérieure, une région postérieure. La
région antérieure serait la limite antérieure du noyau au niveau
500 SOCIÉTÉS SAVANTES.
du troisième ventricule. Le]groupe antéro-latéral de D91tKSCItEIVITSCA
existe certainement, mais il n'est pas certain qu'il soit en rapport
avec le noyau de l'oculo-moteur commun. ·
. Quant aux rapports du noyau du pathétique et du noyau de l'o-
culo-moteur ccmmun, ce dernier n'est point du tout la continuation
du premier. Le noyau de l'oculo-moteur commun commence, au
niveau de la constitution, du noyau du pathétique par un groupe
nucléaire placé dans le faisceau longitudinal postérieur lui-même.
Ce groupe de cellules paraît commander à l'élévateur de la pau-
pière supérieure, moins il y a de hlépliaroptose, mieux ces cellules
là sont conservées.
Séance du 11 mai 1891. Présidence DE M. JOLLY.,
M. JOLLY. Chorée héréditaire, présentation d'une malade. Publié ' 1
dans le Neurol. Centralb.
M. Remak présente plusieurs choréiques. Voici d'abord l'oncle de
la malade que vient de présenter M. Jolly. Affecté de vingt-trois à
trente-un ans d'une épilepsie primitivement sérieuse (états de mal)
qui guérit, il était à l'âge de quarante ans atteint de chorée.
Puis, c'est le tour d'un jeune garçon de onze ans et demi. Il s'agit
ici d'une athéthose bilatérale primitive des membres inférieurs;
l'affection a débuté d'une façon insidieuse par la jambe droite (il
avait à cette époque huit ans) sans qu'il y ait eu de phénomènes
paralytiques. C'est, d'après l'orateur, une chorée atypique héréditaire,
car il a trouvé chez la mère du jeune homme, qui est de nationalité
russe, une chorée progressive du bras droit et des spasmes choréi-
ques des muscles de la nuque. Publié dans le Neurol. Centralbl.
M. MENDEL présente un homme de quarante-sept ans, porteur
d'une chorée d'lluntington. Le cas est publié dans la thèse d'Esser
(avril 1891).
M. SE1VATOIi. Le second malade de M. Remak est particulièrement
intéressant. Le cas ressemble très peu à la chorée d'Huntington, il
ne ressemble que de très loin à la chorée Minor. J'en ai en 1876
présenté un fait tout à fait semblable (Société de médecine de
Berlin, 18 octobre), dont Westplial a publié l'observation détaillée
(Charité Annalen, t. IV, 1879). Depuis lors, j'en ai vu plusieurs cas à
quelques détails près. Il est impossible de les ranger dans les caté-
gories connues (chorée d'Huntington chorée commune - ataxie
de Friedreich myoclonie- chorée électrique etc.); mieux vaut,
à l'exemple de Westphal les désigner provisoirement, d'après leurs
caractères, sous le nom de paralysie spasmodique ChOI'éiforme.
Il est évident qu'ailleurs on les a dénommés autrement, surtout
' Voy. Archives de Neurologie, revues analytiques.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 501
en tenant compte de l'élément héréditaire. On en rencontre dans
le mémoire de Ruprecht sur la rigidité spasmodique congénitale des
membres, ainsi que dans celui de J. Ross (paralysie spasmodique de
l'enfance) qui fait notamment. remarquer leur ressemblance avec
l'athétose.
M. OPPENHEim. Quand je vis le malade pour la première fois, il
y avait une simple contracture des muscles du mollet droit qui
déterminait l'abaissement caractéristique de la pointe du pied.
Comme il ne s'agissait point d'une contracture paralytique, il y
avait lieu de penser à l'hystérie. J'appliquai l'aimant; le petit
patient se mit tout aussitôt à marcher en appuyant à terre la plante
du pied entière. Mais je ne le tins pas pour cela pour guéri. En
effet, quelques jours plus tard, la contracture s'était reproduite; les
orteils étaient atteints d'athétose à un léger degré. Nos collègues
en chirurgie essayèrent de la ténotomie du tendon d'Achille avec
application d'un appareil; résultat nul. Je formulai le diagnostic
d'athétose avec unpoint d'interrogation ( ? ). Aujourd'hui, l'obscurité
n'est pas dissipée. Mais, M. Sénator appelle, à juste titre, notre
attention sur certaines formes de rigidité spasmodique des membres
congénitales ou précoces. Parmi ces faits, il y en a un petit nombre
témoignant de la simultanéité d'accidents parético-spasmodiques,
et choréico-athétosiques, J'en ai vu quelques-uns caractérisés par ce
fait qu'il y avait parésie spasmodique des jambes en même temps
que les extrémités supérieures étaient affectées d'athétose.
M. REMAK qui, lui aussi, a vu l'athétose compliquer la paralysie
infantile spasmodique, croit que dans les cas de ce genre, il s'agit
de lésions cérébrales organiques congénitales ou se produisant
dès la plus tendre enfance, et présentant une marche aiguë, le
plus souvent accompagnées de convulsions, mais dont' les symp-
tômes rétrocèdent, au moins en partie, le plus ordinairement. Le
cas présenté dans l'espèce n'a qu'une vague ressemblance avec ces
paralysies spasmodico-choréïques, il s'en distingue notamment par
ce point que la contracture et l'athétose se sont d'emblée déve-
loppées sans aucune paralysie, et cela seulement à l'âge de huit
ans.
Séance du 8 juin 1891. Présidence DE M. JOLLY.
Discussion sur la chorée héréditaire. M. Bernhardt. Sur 92 cho-
réiques observés par lui (thèse de Gallinck, 1889), dix malades pré-
sentaient une tare nerveuse des plus accentuées = 10,8 p. 100;
7,6 p. 100 comptaient dans'leurs ascendants des névropathies (épi-
lepsie- nervosisme -maladie de Basedow). Il n'a jamais observé
la transmission directe de la chorée des parents aux enfants.
Quant à la chorée chronique des adultes, l'orateur donné ses
soins à une dame de quarante ans, célibataire, affectée de cette
502 SOCIÉTÉS SAVANTES.
maladie depuis l'âge de vingt-sept ans. La malade, très nerveuse,
pâle, présentait des mouvements désordonnés, involontaires, de la
tête, des extrémités, du tronc. Bien que déprimée, elle avait l'in-
telligence indemne, la parole saine. Pupilles très larges, égales,
réagissant promptemont à la lumière, fond de l'oeil normal. Dévia-
tion en dedans des deux yeux, surtout de l'oeil gauche; difficulté à
les amener en dehors. Persistance du phénomène du genou ; pas
de clonus podalique; le pouls, même au repos, dépassait cent pul-
sations par minute.
Antécédents. Mère anémique, morte de pneumonie à cinquante-
neuf ans. Père, encore vivant, épileptique, original accentué.
Grand-père paternel épileptique. Cousin paternel (fils de la soeur
de son père) épileptique. La malade a eu deux frères et doux soeurs
qui ont été atteints de tremblements convulsifs.
M. MEYER.- Il est indispensable de séparer la chorée de l'enfance
de la chorée des adultes.
M. JOLLY. -Il Il suffit pour cela d'employer les termes : aigu ou
chronique, en effet il y a des cas de chorée chronique qui ont dé-
buté à l'âge de six, sept, huit, dix ans.
M. SENATOR. Qu'il y ait chorée infantile ou chorée d'Huntington,
c'est l'élément spasmodique qui nous intéresse. Chez un garçon de
sept ans affecté de mouvements athétoïdes et spasmodiques dans
toutes les extrémités, on constatait une sclérose des cordons laté-
raux, des pyramides jusqu'à la moelle dorsale, et des faisceaux de
Goll dans la partie moyenne de la moelle dorsale. Les ascendantes
étaient atrophiées. Mais il faut s'attacher à distinguer la chorée,
infantile et la chorée d'lluntington des syndromes spasmodico-
choréiques.
M. LEwN. Un cas médico-légal d'inversion du sens génital.
(Publié dans le Neurolog. Ccntralblalt.)
Discussion : M. MENDEL. Etablir l'existence d'une psychopathie
sexuelle, c'est rétrograder, c'est revenir aux monomanies. Ce qu'il
faut examiner, c'est si l'individu atteint d'une perversion de l'ins-
tinct sexuel est aliéné ou non. Que d'hommes sont tourmentés par
des anomalies du sens génital sans dévoyer, sans commettre
d'actes délictueux. Réciproquement, que d'êtres dégradés par
leurs passions et leurs habitudes vicieuses devraient, à raison
de l'intégrité de leurs facultés, porter la peine de leurs actes
immoraux !
M. Sander. L'homme de M. Lewin présente de la perversion et
non de l'inversion du sens génital, puisqu'il éprouve encore du pen-
chant pour la femme.
M. Senator". La loi défend-elle l'accouplement des femmes entre
elles ?
SOCIÉTÉS SAVANTES. 503
M. LEwiN. -Elle défend la sodomie et la pédérastie, mais point
l'amour lesbien.
M. MOELI. - La perversion génitale tient souvent à des désagré-
ments ; on a, par exemple, contracté la gonorrhée et l'on préfère,
par mesure d'hygiène, s'abstenir d'aller avec des femmes. Ceci ne
s'observe jamais dans l'inversion génitale; en outre on constate
chez ces sujets-là des troubles nerveux, de la neurasthénie, du
moins chez la plupart d'entre eux, sinon chez tous.
111..IOLLY. De même que MM. Mendel et Moeli, je ferai remarquer
que la perversion sexuelle n'est pas une maladie mentale quand il
n'existe pas de troubles du système nerveux d'un autre ordre ou
d'accidents psychiques. Il n'y a pas lieu d'admettre l'existence
d'une entité morbide sous le nom de psychopathie sexuelle.
Séance du 13 juillet 1891. - Présidence DE M. JOLLY.
M. HIRSCEIBERG. 'Des troubles de la vue par tumeur cérébrale avec
présentation de malades. (Publié dans le Neurolog. Cenircilblatt '.)
M. BRASCII. Des lésions artérielles dans la syphilis cérébrale avec
présentation de malades et préparation. (Publié dans le Neurolog.
Centralblatt 2.)
M. Bernuardt complète l'histoire de la malade affectée de tabès
qu'il a présentée à la Sociélé le 10 novembre 1890 et dont il a
publié l'observai ion dans le Neurolog. Centralbl. de 1890 Cette
malade, devenue grosse pour la seconde fois, est heureusement
accouchée d'un vigoureux garçon le 11 juin 1891; l'ataxie locomo-
trice n'a exercé aucune influence désavantageuse sur aucune des
phases de la grossesse, du travail, des suites de couches. La patiente
est encore ataxique, elle ne peut toujours point marcher dans les
ténèbres, il lui est encore très difficile de monter les escaliers. La
pupille gauche, très dilatée, plus large que la pupille droite, reste
insensible à l'action de la lumière et de l'accommodation, ce qui
n'a pas lieu pour la pupille droite. Les douleurs lancinantes ont
disparu.
M. QpPErOECnI. Contribution au chapitre de la myélite. (Publié dans
la Berlin, Klin. IYochensclwift., 1891, no 31.)
Séance du 1G novembre 1891. PPÉ31DENCE DE M. JOLLY.
M, SPERLING présente un malade atteint de paralysie bilatérale du
grand dentelé. (Publié dans ]eNeui,olog. Centrulblnlt3.)
1 Voir aux Revues analytiques.
2 Voir aux Revues analytiques.
1 Voir aux Revues analytiques.
504 SOCIÉTÉS SAVANTES.
Discussion : \I. JOLLY.- Je pense que le malade en question a plu-
tôt une déviation à droite de la colonne cervicale qu'une subluw-
tion. ' - .
M. SPERLING présente des photographies d'une jeune fille qui, à la
suite d'une piqûre dans la région del'aisselle droite fut atteinte d'une
paralysie franche du grand dentelé. L'omoplate ne s'écarte pas
forcément du tronc, parce que le muscle trapèze peut, par son seg-
ment inférieur maintenir cet os, tandis que par sa partie supérieure,
il contribue à l'élévation du bras.
M. 13ERiOEARDT communique les résultats des recherches par lui
entreprises à la machine statique et signale l'action des courants élec-
triques de cette nature sur l'excitabilité des nerfs et des muscles chez
l'individu sain ou malade.
Les sujets en expérience étant isolés ou non (en ce dernier cas, les
réactions étaient atténuées), on les soumet aux étincelles ou à l'ac-
tion des effluves (décharges obscures) en interposant entre le corps
du patient et l'électrode sphénque de 2 centimètres de diamètre
les tables de Franklin. L'excitation est toujours monopolaire. Dans
l'opération des effluves (décharges obscures), le pôle positif est plus
actif que le pôle négatif.
Etudions les cas reconnus antérieurement à l'examen galvanique
et faradique comme présentant tous les signes de la réaction démé-
néralive complète ou moyenne. Et notamment les types de para-
lysies périphériques graves, par exemple de paralysies saturnines,
paralysies des nerfs'des extrémités supérieures, des nerfs des extré-
mités inférieures, du facial. Nous constatons que, quand le courant
faradique demeure impuissant alors que le courant galvanique
direct agit encore mais d'une manière plus lente ou exagérée, on
n'obtient aucun résultat ni du faisceau d'étincelles ni des effluves
obscures. Un seul cas a fait exception à cette règle ; il s'agissait
d'une paralysie traumatique du médian et du cubital; sous l'in-
fluence des étincelles électriques, les muscles se contractèrent len
tement en un faisceau des plus nets (réaction dégénérative de Fran-
klin). Quelques autres exemples du même genre pourraient être
invoqués, soit à propos d'une grave paralysie radiale traumatique,
soit eu ce qui concerne une paralysie saturnine des extenseurs,
mais c'était plutôt une tendance à la contraction qu'une contrac-
tion certaine.
Passons maintenant aux formes moyennes de la réaction dégé-
néralive dont nous rappellerons les caractères. Conservation de
l'excitabilité galvanique et faradique indirecte, mais diminuée.
Conservation de l'excitabilité faradique directe avec contraction
musculaire rapide. Réaction dégénérative (lenteur de la contrac-
tion, inversion de la formule), a l'excitation galvanique directe.
- Ce genre de malades soumis aux courants de tension (dé-
SOCIÉTÉS SAVANTES. 505
charges obscures ou flots d'étincelles) fournissent des contractions
toujours rapides. Par conséquent la lenteur de la contractilité
musculaire des muscles dégénérés dans la franklinisation ou, en
d'autres termes, la réaction dégénérative de Franklin est très rare,
même quand la paralysie grave est de date encore récente, quand
elle date de trois à quatre semaines.
Chez un malade affecté de maladie de Thomsen, chaque étincelle
provoquait de rapides contractions musculaires, mais elles ne
duraient pas, elles passaient comme l'éclair, à l'égal des contrac-
tions provoquées par le courant d'induction quand on ouvre le
courant. Le même résultat avait lieu à l'excitation directe ou indi-
recte, à la décharge obscure ou à la pluie d'étincelles. En vain
accélérait-on la rotation du disque de la machine; on obtenaitbien
une succession pressée de contractions, mais les muscles se con-
tractaient isolément par points séparés sans entraîner d'ondes con-
tractiles.
Enfin l'auteur rappelle les cas de névrite multiloculaire qu'il a a
décrits dans la Zeitsch. f. KliazJleclic. (t. XVII, Supplément band). Les
nerfs, même le facial, n'ont jamais été paralysés, et cependant
maintenant encore les plus forts courants électriques, faradiques
et galvaniques, restent muets, notamment aux extrémités infé-
rieures. Or les effluves obscures provoquent une contraction
rapide des muscles tandis que la décharge d'étincelles ne produit
rien.
M. SJCJCnJ.wc présente des préparations de lésions anatomiques
dans la paralysie infantile spinale. Mémoire publié dans les -lr-
chiv. f. Paychiat.
Séance du 14 décembre 1891. - Présidence DE M. JuLZ.o.
Discussion sur les courcarzts frarz7clinirlues ou de tension.
M. Neisseu. L'éleclrici lé statique ne peut avoir de valeur électro-
diagnostique. En quelques cas de réaction dégénérative à évolution
graduelle, il a vu disparaître d'abord l'excitabilité faradique, puis
l'excitabilité statique. Généralement, l'électricité statique fournit les
mêmes caractères que l'électricité faradique.
M. Jolly rappelle ses rapports de 1883 sur ce sujet ('t; ! H'o<. Ccn-
tralbl.). Il ne saurait reconnaître de valeur électro-diagnostique à la
franklinisation dans l'examen des nerfs et des muscles dégénérés;
mais la valeur thérapeutique en est inappréciable dans l'hystérie,
surtout comme agent suggestif. En certains cas de névrite grave,
où les autres courants ne sont pas supportés, la franklinisation
(vapeur électrique) agit comme palliatif, calme la douleur; mais ne
guérit pas. ·
M. l3Lnsn.J;ui. Schwanda et, après lui, Eulenburg ont indiqué
506 SOCIÉTÉS SAVANTES.
l'identité d'action des courants faradiques et frankliniques sur les
nerfs et les muscles.
M. JoLLY rapporte ses essais au moyen de la thymacéline. Nouvel
agent chimique de M. L. IIofmann (de Leipzig), étudié par Boehm.
C'est un dérivé du thymol analogue à la phénacétine. Poudre cris-
talline, difficilement soluble dans l'eau, elle n'a à la dose de
2 grammes pas d'action toxique chez le chien. Dans la migraine,
elle n'a réussi qu'une fois sur sept cas. Dans les névralgies cépha-
liques continuelles ou survenant par accès, elle agit à peu près
comme la phénacétine, tantôt promptement et sûrement, tantôt
d'une façon passagère ou pas du tout. Dans la céphalée d'oiigine
organique (lésions cérébrales), elle exerce une atténuation parfois
remarquable. Chez un tabétique qui présentait des crises gastriques
graves et qui, entre parenthèse, prenait encore de'la morphine, il y
eut action calmante passagère mais on ne put abandonner la mor-
phine. La thymacétine n'a pas agi chez les mophinomanes atteints,
à la phase de sevrage, de douleurs dans les extrémités. On dut,
dans tous ces cas, administrer de 20 centigrammes à 1 gramme.
Accidents physiologiques^ : congestions céphaliques; accélération
du pouls; élancements et pesanteur uréthraux ; somnolence.
La thymacétine administrée comme narcotique à la dose de
50 centigrammes à 1 gramme chez 26 aliénés, paralytiques géné-
raux ou délirants, produisit chez 16 d'entre eux un sommeil satis-
faisant à part quelques interruptions, mais moins profond que
celui qui succède à l'administration de 2 grammes de chloral. z
En résumé, la thymacétine agit comme la phénacétine et autres
préparations semblables ; si elle est un peu plus narcotique que la
phénacétine, il conviendrait de faire d'autres recherches avant de
décider de son degré d'action.
M. PLACZEK. De l'association de la paralysie agitante [et du tabès
dorsal. Il s'agit d'un négociant de cinquante-deux ans, atteint de
syphilis. Le tabès se manifesta par l'immobilité réflexe des pupilles,
la chute des dents, l'impuissance, des douleurs lancinantes, le signe
de Romberg, l'incontinence d'urine, le signe de Westphal. Ni
ataxie, ni trouble de la sensibilité. La paralysie agitante se révéla
par l'immobilité du masque, l'attitude caractéristique de la tête et
des mains, les oscillations prononcées des extrémités, un mouve-
ment de propulsion peu marqué du corps, mais un mouvement de
rétropulsion très accentué. C'est le tabès qui ouvrit la marche ; la
paralysie agitante suivit.
M. MENDEL. Contribution ci l'anatomie pathologique de la maladie de
Basedow. - En 1887, un professeur de quarante-huit ans présen-
tait du goitre, de l'exophtalmie, des palpitations de coeur. Plus tard
surviennent des tremblements, de la polydipsie, de la tendance
aux sudations. Le octobre 1890, il mourait d'une pleurésie. L'au-
SOCIÉTÉS SAVANTES. 507
topsie ne révéla qu'une atrophie du corps restiforme et du faisceau
solitaire droit. Or les expériences de Filehne, Durdufi et Bienfait
ont montré qu'en lésant le corps restiforme chez les lapins et les
chiens on peut provoquer les symptômes de la maladie de Base-
dow. (Al'chiv f,1>sychiat" XXIV, 1.) P. KEIIAV.\L.
Séance du 11 janvier 1892. Présidence DE M. JOLLY..
Discussion sur les lésions anatomiques dans la paralysie infantile :
M. HISSLEII a examiné les pièces de malades atteints de poliomyélite
chez lesquels les noyaux des nerfs oculo-moteur externe, pneumo-
gastrique, hypoglosse, étaient lésés. La mort était survenue dans la
première semaine au moment où la maladie avait atteint sa phase
d'acnée, mais il ne s'agissait pas de poliomyélite purement spi-
nable. *
Discussion sur l'anatomie pathologique de la maladie de l3asedow :
M. Siemerling a fait l'autopsie du malade présenté en décembre 1887
par M. Oppenheim (maladie de Basedow compliquée de maladie
d'Addison). Les corps resliformes étaient intacts, il y avait des
hémorrhagies dans les noyaux du pneumogastrique et de l'hypo-
glosse ; le grand sympathique présentait une dégénérescence mani-
feste. -
M. KOEPPEN dans un cas de maladie de Basedow a trouvé une
légère rougeur dans la substance grise, rien de plus.
M. GOLDSCIIEIDER a trouvé simplement en pareil cas une différence
de coloration des deux sympathiques ; il n'y avait pas de lésion
des pneumogastriques ni des corps restiformes. Dans un autre
cas il n'y avait aucune anomalie.
M. Oppenheim. Mes remarques ne contrecarrent pas les résultats
obtenus par M. Mendel. Je me fonde sur la même méthode de
démonstration (au moyen de l'appareil de projection) pour pré-
senter quelques observations. Ainsi je ne crois pas que les anoma-
lies mentionnées soient réelles. Peut-être sont-ce des altérations
trop minimes pour apparaître sans conteste. Peut-être la méthode
de démonstration est-elle vicieuse. Peut-être n'ai-je pas assez l'ha-
bitude de cet appareil dont je ne me sers pas d'habitude. Quoi qu'il
en soit dans l'espèce, j'ai quelquefois rencontré dans le tabès
une atrophie du faisceau solitaire, quelquefois aussi l'atrophie du
corps restiforme. Mais il n'y avait pas en ce cas de phénomènes
ressortissant à la maladie de Basedow, ou bien il se présentait isolé-
ment de la tachycardie, des crises laryngées, de la dyspnée.
M. MENDEL. L'appareil de projection pour démonstration ne con-
vient pas aux fins détails d'histologie.
508 SOCIÉTÉS SAVANTES.
M. Oppenheim. La petitesse du faisceau solitaire d'un côté ne
prouve pas qu'il y ait atrophie. En effet, ce faisceau se compose de
substance blanche et de substance grise dont les rapports entre
elles sont quantitativement très variables; si, d'un côté, la substance
grise concomitante est plus développée, la méthode de coloration
de Weigert (à l'hématoxyline) fait paraître le faisceau (la partie
colorée en noir) plus petit que celui de l'autre côté. J'ai dans ma
collection une série de préparations normales dans lesquelles cette
différence ressort vivement.
M. MENDEL,. Il faut pratiquer les coupes de façon que les deux
côtés soient à la même hauteur.
M. Oppenheim. Evidemment, il ne s'agit point de coupes obliques,
il s'agit de coupes absolument symétriques pratiquées à travers le
bulbe.
M. JOLLY. L'appareil de projection convient quand on veut mon-
trer à un grand nombre d'auditeurs et de spectateurs à la fois des
altérations nettes.
M. LEYDEN. De la myélite chronique et des lésions systématiques
de la moelle. Entre la sclérose, la dégénérescence grise et le tissu
granulo-graisseux secondaire, il n'y a aucune différence au fond.
Ces trois formes sont de la sclérose. C'est l'atrophie des fibres ner-
veuses à myéhne qui est le phénomène principal, la multiplication
consécutive du tissu interstitiel, celle des cellules de Deiters, la
genèse de corps amylacés et de cellules granulo-graisseuses, la
dégénérescence des vaisseaux sont constants et d'importance
subordonnée.
Ce qui est spécial à la pathologie de la moelle, c'est la dégéné-
rescence en cordons, en bandes. Le processus anatomique du tabes
se propage suivant la fonction des fibres nerveuses, il n'a rien à
voir avec un processus d'inflammation interstitiel. M. Vulpian avait
distingué deux espèces de processus dans la moelle ceux qui s'éten-
dent en suivant les tissus et ceux qui s'orientent d'après la fonction
physiologique ; ces derniers, Vulpian les appelait lésions systémati.
ques. Telle est la naissance des lésionssyslématiques de la moelle.
Tout autre processus scléreux appartient à la myélite chronique. Ou
constate d'ailleurs;que toute espèce d'altération myélitique, même
quand elle revêt le masque de myélite aiguë, laisse après elle au
delà de plusieurs années, un processus scléreux. Chez le chien, la
myélite artificielle aiguë prend, après une durée de dix mois, un
aspect scléreux.
La clinique vient à l'appui de cette opinion. La myélite chro-
nique est une maladie suffisamment caractérisée au lit du malade ;
il n'y a pas à s'y tromper. Eh bien ! en pareil cas, l'autopsie révèle
l'existence de lésions scléreuses. D'autre part, la sclérose dans la
moelle se propage exactement comme la myélite aiguë; à l'état
, SOCIÉTÉS SAVANTES. 509
de foyer scléreux - sous la forme multiloculaire et disséminée
sous la forme diffuse, à son tour en rapport avec les lésions systé-
matiques.
En ce qui regarde les lésions systématiques, elles reposent sur un
édifice dogmatique qui va plus loin que la constatation scientifique
des faits ; on en a tiré un schéma artificiel des maladies de la
moelle, on a sacrifié la clinique à l'analyse anatomique des états
cadavériques et l'on a rejeté presque complètement la myélite
chronique.
L'étude des observations des malades montre qu'il n'y a que
deux maladies qui doivent être désignées sous le nom d'affections
systématiques de la moelle. -
Ce sont : a le tabès; .6 l'atrophie musculaire spinale progressive
et la paralysie bulbaire, qui correspondent à la notion de la fonc-
tion physiologique.
Les observations communiquées sous^le nom d'affections systéma-
tiques combinées appartiennent soit au tabes dorsal, soit à la myé-
lite chronique diffuse, qui correspondent au tableau morbide de la
paralysie spinale spasmodique.
Mais la maladie de Friedreich est une espèce à part de maladie
de la moelle.
Enfin la maladie de Morvan (syringomyélie) est une cinquième
forme des affections chroniques de la moelle.
Séance du 8 février 1892.
Consacrée à la fête anniversaire de la fondation de la Société
qui date aujourd'hui de vingt-cinq ans, cette séance s'ouvre par
l'historique de cette création due à l'initiative de Griesinger et de
Croner, Ehrenhaus, Jastrowitz, Loehr. Mendel, W. Sander survi-
vants et présents à la réunion. A Griesinger succéda C. Westphal,
qui pendant vingt-un ans, jusqu'à sa mort, conduisit les débats.
Sander, successeur de Westphal mourait, à son tour. Jolly président
actuel, exalte les mérites des maîtres et du corps savant qui au
début portait le nom de société médico-psychologique de Berlin.
(A1'ch.f. Psychiat., XXIV, 1.) .) P. KERAVAL.
CORRESPONDANCE.
LE CONGRÈS INTERNATIONAL DE PSYCHOLOGIE
EXPÉRIMENTALE.
Monsieur LE rédacteur en chef,
Vous m'avez demandé de résumer pour les Archives les princi-
pales communications qui ont été faites au congrès de Londres.
Je l'aurais fait très volontiers, mais je viens de publier dans un
autre recueil un compte rendu assez complet de ce congrès ' et il
m'est impossible de le reproduire. Je désire seulement signaler aux
lecteurs des Archives quelques communications qui ont un réel inté-
rêt pour leurs études. Ils les trouveront dans un ouvrage qui
paraîtra prochainement et qui réunira les travaux du congrès.
Au moment de l'Exposition de 1889, la Société de psychologie phy-
siologique de Paris a organisé le premier congrès de ce genre,
lequel s'est réuni au mois d'août, iL l'Ecole de médecine. L'expé-
rience acquise n'a pas été perdue et le deuxième congrès de psycho-
logie, qui s'est réuni à Londres, le 4lv août 1892, sous la pré-
sidence de M. le professeur Sidgwick, a prouvé, par un succès
éclatant, la vitalité de notre nouvelle science.
Le président, M. Sigwick, professeur de philosophie, à Cam-
brigde, les deux secrétaires, M. F. W.-H. Myers et M. James Sully,
les membres de la Society for psychical researche ont consacré un
travail considérable à préparer le congrès dans ses moindres détails.
Us ont rendu faciles et intéressantes les discussions, et en même
temps, ils n'ont rien oublié de ce qui pouvait rendre agréables à
leurs hôtes leur séjour en Angleterre.
Le congrès s'est réuni, le lundi 1er août et les trois jours suivants,
dans les salles de l'University Collège, obligeamment prêtées par
le directeur, et nous avons été agréablement surpris en voyant le
nombre considérable de personnes, appartenant à tous les pays,
qui étaient réunies, le premier jour, pour écouter le discours de
bienvenue du président. Le nombre total des membres du congrès
a été a peu près de 300. La plupart des médecins neurologistes et
psychologues anglais, beaucoup de médecins et de professeurs
1 Le Congrès international de psychologie expérimentale. (Revue géné-
rale des sciences pures et appliquées, dirigée par M. L. Olivier, 15 sep-
tembre 1892, p. 009.)
CORRESPONDANCE. 511
étrangers, appartenant à tous les pays, sont venus assister à ces
réunions. L'abondance des communications rendit nécessaire une
division en sections, l'une consacrée plus spécialement à la neuro-
logie et à la psycho-physique, l'autre à l'étude de l'hypnotisme, et
des notions connexes. Mais, le plus souvent, l'après-midi était oc-
cupée par une réunion générale où l'on discutait des questions
moins spéciales.
Comme nous ne pouvons suivre dans leurs travaux ces différentes
sections, il nous paraît utile de grouper les communications suivant
la nature des problèmes afin d'indiquer les diverses directions
suivies dans les recherches de psychologie expérimentale. Pour des
raisons que nous avons indiquées dans notre travail précédent, on
peut distinguer les quatre classes suivantes : 1° psychologie des-
criptive ; 2° psychologie physiologique; 3° psychologie mathéma-
tique ; 4° psychologie pathologique ou psychiatrie.
1° Psychologie descriptive. Nous donnons ce nom faute d'un
meilleur à l'étude des esprits normaux, soit que le psychologue
essaie de la faire sur lui-même au moyen de la conscience, soit
qu'il observe les autres hommes, sans user d'instruments ou de pro-
cédés spéciaux. M. le professeur Alexandre Dain a précisément exposé
au congrès la différence de ses deux méthodes, leur rôle et leurs
limites. M. Charles Richet nous a fait entrevoir l'avenir des études
psychologiques fondées désormais sur les méthodes scientifiques.
M. Beaunis a envoyé une note sur les questionnaires individuels. Il
propose un plan d'études pour décrire complètement un individu,
analogue aux questionnaires de M. Bourneville, en usage à Bicêlre
pour l'examen des idiots. Le professeur M. Lange, d'Odessa, insiste
sur une loi de la perception. Ce phénomène passerait par divers mo-
ments successifs avantd'êtrecomplet. M. leprofesseur Ribota envoyé
une note résumant ses travaux récents sur les idées générales; le
Dr Newbold expose les caractères et les conditions les plus simples de
la croyance; leprofesseurBadwin,de l'université de Toronto cherche à
déterminer les rapports entre la suggestion et la volonté, il décrit la
suggestion comme un fait primitif dont la volonté ne serait que le
développement; M. le Dr Wallescheck lit une communication fort
curieuse sur une petite question d'esthétique qui se rattache de près à
la psychologie : l'effet de la sélection naturelle sur le développement
de la musique. Le Dv Gruber a communiqué au congrès ses nouvelles
recherches sur l'audition colorée. Enfin, le professeur Lloyd Morgan
montre les limites de l'intelligence animale, bornée aux opérations
mécaniques et inférieures.
2° Psychologie physiologique. - La recherche des localisations
cérébrales a été l'objet de communications très importantes qu'il il
sera nécessaire de connaître pour connaître pour discuter cette
question. Le professeur Ho rsley a montré les incertitudes qui existent
encore quand on cherche ci localiser avec précision les mouve-
51 CORRESPONDANCE.
ments et les sensations corrélatives. Le D'' W. B. Ransom a rapporté
une observation d'épilepsie jacksonienne et certaines expériences
dans lesquelles l'électrisation de l'écorce fut faite après la trépa-
nation. Les résultats de ces expériences, qui ont rarement pu être
faites sur l'homme ont été des plus nets pour la théorie des locali-
sations. Le Dr A.-D. Waller a lu un grand travail sur les fonctions
attribuées à l'écorce cérébrale : il insiste surtout sur le mélange et la
dépendance mutuelle des fonctions sensorielles et motrices, il veut
que le rôle de chaque point de l'écorce soit sensorio-moteur. Il est
curieux de remarquer que les études de psychologie expérimentale
sont souvent arrivées par une autre voie à une conclusion iden-
tique, c'est que les phénomènes de sensation et les phénomènes de
mouvement sont inséparables.
Le professeur A. Schefer rapporte ses recherches expérimentales
sur les fonctions des lobes préf ? ,o7îtaux. Si sans enlever les parties du
cerveau, on se contente de sectionner complètement les connexions
de ces lobes avec le reste de l'encéphale, on ne constate par la suite
aucun trouble appréciable dans l'attitude de l'animal.
Le D'' II. Doneldson présente la description du cerveau d'une
personne célèbre dans l'histoire de la psychologie, Laura Bridgmen,
aveugle, sourde et muette. Certains points de l'écorce étaient nota-
blement frappés d'atrophie, ils correspondent aux centres admis
pour les sens qui manquaient à la malade.
Le D'' S. E. Hanschen, d'Upsals, a étudié les voies suivies par les
impressions visuelles et le centre visuel, il localise ce centre avec
une grande précision dans l'écorce de la scissure calcarinc.
Le D'' H. Hebbinghaus, de Berlin, résume et discute les der-
nières études sur la théorie de la vision des couleurs; une dame,
Mra Ladd Francklin, présente une autre étude sur le même sujet.
Le D'' E.-B. Titcbener, de Leipsig, montre les effets binoculaires
d'excitations monoculaires. M. Binet a envoyé une courte note sur
les nerfs des ailes chez quelques insectes. Le Dr Verriest, de Louvain,
explique le rythme de certaines pensées et de certaines paroles et
le rattachent au fonctionnement rythmé de certains organes.
Je n'insisterai pas sur la psychologie mathématique, qui cherche à
imposer aux phénomènes de pensée l'ordre et la mesure numéri-
ques. Leprofesseur Hymens explique la loi de Wéber au phénomène
de l'inhibition des 7,ep ? -ésentatioizs, le Drlendelssohli, de Saint-Péters-
bourg applique une loi de Fechner, dite la loi parallèle, aux modi-
fications pathologiques de la sensibilité. Le professeur W. Tschisch,
de Dorpat, étudie le rapport entre l'étendue de la perception et le
temps de la réaction. Le Dr A. Lehmann fait connaitre les résultats
de ses recherches expérimentales sur le rapport entre la respiration
et l'attention. Le professeur H. Umensterberg expose quelques expé-
riences sur les modifications des mouvements dans les émotions. Citons
également le travail du professeur M. Preyer (d'Iéna), sur l'ori-
CORRESPONDANCE. 513
gine des notions de nombre et l'étude du Dr Lightner sur La valeur
esthétique des proportions mathématiques des figures simples.
4° Psychologie pathologique, psychiatrie. M. Lombroso a en-
voyé au congrès une étude sur la sensibilité des femmes, normales,
aliénées et criminelles, le D'' Goldscheider, des recherches sur le
sens musculaire des aveugles; le Dr Bernheim a lu une étude sur
l'amaurose unilatérale des hystériques. M. F. W. Myers, l'un des
membres lesplus actifs de la Société des recherches psychiques et l'un
des organisateurs du congrès, a décrit un phénomène assez curieux,
que je considère comme un trouble de l'attention. Certaines per-
sonnes ne peuvent fixer longtemps une surface éclairée et brillante
sans voir une véritable hallucination visuelle se dessiner sur la sur-
face vide qu'elles regardent. C'est là un phénomène analogue à
l'écriture automatique, des médiums et il peut servir de la même
manière à pénétrer plus profondément dans l'analyse de certains phé-
nomènes subconscients dont le sujet lui-même ne se rend pas compte.
Les hallucinations naturelles ont été l'objet, en Angleterre, d'un
grand travail. La' Société des recherches psychiques a entrepris
depuis qùelques années de dresser une statistique des hallucinations,
en notant le nombre des hallucinés que l'on pouvait rencontrer
parmi les personnes saines ou prétendues telles. Plus de 17.000 ré-
ponses ont été dépouillées et les résultats de ce long travail ont été
présentés au congrès par M. Sidgwick et par M. Marinier. 9,9 sur
100 personnes seulement ont donné une réponse affirmative. En un
mot, cette enquête a fourni une riche collectien de matériaux qu'il
sera nécessaire d'utiliser pour l'étude des hallucinations mais qu'il
faudra savoir interpréter. .
- M. Liégeois a présenté une étude médico-légale sur M ? Weiss,
l'empoisonneuse d'Aïn-Fezza.- M. Hihig a montré comment dans
bien des cas les attaques naturelles de sommeil peuvent être modi-
fiées puis supprimées par la suggestion hypnotique. MM. Liébault
et Liégeois ont raconté l'histoire d'une monomanie du suicide gué-
rie par suggestion pendant le sommeil provoqué. M. Bérillon a
exposé les applications de la suggestion hypnotique à l'éducation et
M. Van Eeden a parlé de la théorie de la psycho-thérapeutique d'une
manière plus générale. Enfin, j'ai présenté moi-même au Congrès
une étude sur quelques cas d'annésie antérograde dans la maladie
de la désagrégation psychologique.
La psychologie transcendantale, comme disait justement M, Ch.
Richet, a tenu peu de place dans les discussions du Congrès; il
serait injuste cependant d'oublier ces spéculations un peu aven-
tureuses peut-être qui cherchent à ouvrir des voies nouvelles pour
les recherches futures. M. Delbeuf nous parle d'une faculté inconnue
d'apprécier le temps qui existerait chez les somnambules et MM. H.
Sedgwick nous a rapporté les résultats des dernières recherches
sur la suggestion mentale.
Archives, t. XXIV. 33
514 BIBLIOGRAPHIE.
Ces indications, si incomplètes, indiquent seulement le nombre
et la variété des travaux qui ont été présentés au Congrès et peu-
vent encourager quelques chercheurs à lire les travaux eux-mêmes
dont beaucoup sont indispensables à connaître pour suivre les
progrès de la psychologie expérimentale. Pierre JANET.
BIBLIOGRAPHIE
XII. Du mal perforant; par le Dr H. BERNARD, (Extrait du Bulletin
de la Société scientifique et médicale de l'Ouest, Rennes, 1892.)
L'auteur trace successivement, guidé par une heureuse sélection
qui le fait ne tenir compte que des données les mieux établies par
ses devanciers, l'historique, l'anatomie pathologique, la sympto-
matologie et l'étiologie du mal perforant. Il lui reconnaît deux
grandes causes au point de vue pathogénique : les dégénérations
nerveuses et la compression mécanique. Ce sont là, à son avis, les
processus qui, combinés à doses variables, méritent d'être rendus
responsables de l'apparition du mal. Un nombre respectable d'oh-
servations personnelles et originales, donnent aux opinions très
judicieuses qu'il est conduit à émettre une importance incontes-
table. Il s'agit en somme là d'une excellente monographie du mal
perforant, très digne du prix Portal que lui a décerné l'Acadé-
mie de médecine, et qui sera consultée avec fruit par les observa-
teurs qui s'intéressent à celte question. Paul BLOCQ.
XIII. Thérapeutique psychique ou Traitement par l'hypnotisme et la
suggestion; par C. LLYOD TUCKEY, traduit de l'anglais par
J.-P. DAVID. (Paris, 1893. Société d'éditions scientifiques.)
Ce petit livre est gracieusement dédié au DrLiébeault (de Nancy), en
admiration de son génie. Dans l'esprit de son auteur il est destiné à
vulgariser la thérapeutique suggestive dans la pratique de nos con-
frères anglais, en en donnant la technique et les indications. A
cet égard il nous parait parfaitement remplir le but auquel il est
destiné ; mais en France nous possédons semble-t-il des livres ana-
logues en nombre suffisant, pour qu'il nous paraisse que cette
traduction soit au moins superflue. Ce n'est pas que nous ne lui
reconnaissions certaines qualités, l'enthousiasme et la foi, bien
que celles-ci soient plutôt celles d'oeuvres de propagande, que d'ou-
vrages scientifiques, mais nous n'y trouvons rien que nous aient
répété maintes fois les hypnotiseurs de Nancy. Paul Btocg.
FAITS DIVERS
Asiles d'aliénés. - Nominations et mutations. - JI. le D1' Calés,
directeur médecin de l'asile d'aliénés de Bordeaux, est promu à la
classe exceptionnelle. - M. le D'' llfonnnEx, médecin en chef de
l'asile du Mans, est promu à la classe exceptionnelle (arrêté du
1 CI' septembre). - M. le D1' Germa, médecin adjoint à l'asile Saint-
Yon, est nommé directeur médecin à l'asile Saint-Luc en rem-
placement de M. le Dr Reverchon, retraité. - M. le Dr PICIIENAUD,
médecin adjoint de l'asile d'Auxerre, est nommé médecin en chef
de l'asile de Montdevergues, en remplacement de M. le Dr CAM-
pagne, retraité (arrêté du 16 septembre). M. le Dr GILBERT-
hI9RTIN, médecin adjoint de l'asile d'Alençon, est nommé en la
même qualité à Saint-Gemmes, en remplacement de M. le DrTou-
LOUSE, non acceptant (arrêté du 27 septembre). M. le Dr Tou-
Lause, médecin adjoint à l'asile Saint-Yon est maintenu dans la
deuxième classe (arrêté du 30 septembre). - M. le De ViGoUROUX,
est nommé médecin adjoint à l'asile d'Evreux, en remplacement
de M. le Dr Marie, nommé à Odin-sur-Orou.-111. le Dr LEvoFF est
nommé médecin adjoint à l'asile d'Auxerre en remplacement de
M. le D1' PICUEnaun, nommé à MontdeVergues (arrêté du 31 oc-
tobre).-111. le Dr ANGUDE, interne à l'asile de Bordeaux, est nom-
mé médecin adjoint à Bazas, en remplacement de M. le D'' pAREL,
décédé, (arrêté du il novembre).
Asiles d'aliénés DE la SEINE. - Par arrêté ministériel, en date
du 30 août 1892, rendu sur la proposition du directeur de l'Assis-
tance et de l'Hygiène publique : M. le Dr MARANDON DE hfOhTYEL,
médecin en chef à l'asile d'aliénés de Ville-Evrard, est promu à la
classe exceptionnelle du cadre. Cette décision recevra son effet à
partir du 1cr juillet 1892, M. MARANDON DE MONTYEL recevra, en
conséquence, à partir de la date ci-dessus, outre les avantages en
nature dans l'établissement qui lui ont été précédemment accor-
dés, le traitement de 8,000 francs déterminé par le décret du
4 février 1875.
Par arrêté ministériel, en date du 30 août 1892, rendu sur la pro-
position du directeur de l'Assistance et de l'Hygiène publiques :
M. le Dr DAGONET, médecin-adjoint à l'asile d'aliénés de Sainte-
Anne, est promu à la classe exceptionnelle du cadre. Cette décision
recevra son effet à partir du 1er juillet 1892. M. le Dr Dagonet
516 FAITS DIVERS.
recevra, en conséquence, à partir de la date ci-dessus, outre les
avantages en nature dans l'établissement qui lui ont été précé-
demment accordés, le traitement de 4,000 francs déterminé par
le décret du 4 février 1875.
Par arrêté ministériel, en date du 30 août 1892, rendu sur le
rapport du directeur de l'Assistance et de l'Hygiène publiques,
M. BALET, directeur de l'asile public d'aliénés de Ville-Evrard, est
promu à la deuxième classe du cadre. Cette décision recevra son
effet du i juillet 1892. M. BALET recevra en conséquence, à par-
tir de la date ci-dessus, outre les avantages en nature dans l'éta-
blissement, qui lui ont été précédemment accordés, le traitement
de 6000 francs déterminé par les décrets de 5 juin 1803 et 4 février
1875. .
Maison nationale DE CUARENTON.- Un concours pour l'internat
en médecine aura lieu le 5 décembre prochain.
Asile SAINT-YON (Seine-Inférieure), - Une place d'interne en
médecine est vacante à l'asile d'aliénés de Saint-Yon, près Rouen.
Les candidats doivent produire un certificat de scolarité. Aux
termes du règlement, on exige dix inscriptions et vingt et un ans
d'âge. Les internes sont nommés pour trois ans et leur traitement
est de 700 francs la première année, 800 la deuxième et 900 la
troisième. Ils sont logés et nourris à l'asile. Il y a trois in-
ternes à l'asile Saint-Yon (femmes), et deux à l'asile Quatre-
Mares (hommes). Etablissement limitrophe.
NÉCROLOGIE.- M. le D' DAHNARDT, privat-docent de neurologie à
- la faculté de médecine de Kiel. M. le Dr PARET (Louis), médecin
adjoint de l'asile de Bassens. M. le Dr ONANOFF, vient de suc-
comber, à Varsovie, d'une attaque de choléra. M. Onanoff, qui a
longtemps travaillé à la Salpêtrière, était bien connu des neuro-
pathologistes tant français qu'étrangers. On lui doit un certain
nombre de travaux importants parmi lesquels nous trouverons à
' citer des recherches sur la déformation du crâne chez les myopa-
thiques (en collabaration avec M. Pierre Marie), sur le rapport qui
existe entre le développement des muscles et leur envahissement par
l'atrophie myopathique (en collaboration avec M. BABINSKI; le réflexe
bulbo-caverneux; etc., etc. Cette perte est vivement ressentie en
particulier à la Salpêtrière, où M. Onanoff ne s'était fait que des
amis. Georges GonvoN et J.-B. CHARCOT.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
BLOCQ (P.). Les troubles de la marche dans les maladies nerveuses.
Volume m-12, cartonné de 176 pages, avec 21 figures. Bibliothèque
CHARCOT DEBOVE. Rueff, éditeur. - Prix : 3 fr. 50.
BOURNEVILLE. - Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie,
l'hystérie et l'idiotie. Compte rendu du service des enfants idiots épilep-
tiques et arriérés de Bicêtre pendant l'année 1890, avec la collaboration
de MM. CAMESCASSE, ISCH-WALL, MORAX, RAOULT, SÉGLAS et SOLLIER,
1 fort volume de Lx-240 pages, avec 16 figures et 10 planches. Tome XI
de la série.- Prix : 6 fr.; pour nos abonnés, prix : 4 fr. Aux bureaux
du Progrès médical.
BoURNEvILLE. Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'hystérie
et l'idiotie. Compte rendu du service des enfants idiots, épileptiques et
arriérés de Bicêtre pendant l'année 1891, avec la collaboration de
MM. BANZET, ISCH-WALL, RAOULT, R. SonEL et P. SGLLIER. Volume in-8°
de cvm-144 pages, avec 2 planches et 13 figures. Tome XII de la sé-
rie. - Prix : 5 fr. pour nos abonnés, 3 fr. 50. Aux bureaux du Progrès
médical.
CnAPMAN (J.). Résumé d'une communication sur l'origine nerveuse
des maladies et de leur traitement efficace par l'action directe sur le sys-
tème nerveux, faite à l'Académie de médecme de Paris, le 14 juin 1892.
Brochure in-8° de 16 pages. Paris, 1892. - Asselin et Houzeau.
1 CHAroAV (J.). - Le traitement efficace de la diarrhée et du choléra.
Brochure in-8" de 4 pages. Paris, 1892. - Chez l'auteur, 31, avenue
de l'Opéra.
CHAPMAN (J.). L'origine nerveuse des maladies et leur traitement effi-
cace par l'action directe sur le système nerveux. Brochure in-8° de
16 pages. - Paris, 1892. Asselin et Houzeau.
CHARCOT (J.-M.). Leçons du mardi à la Salpêtrière. Notes de cours de
MM. BLIN, CHARCOT et Colin, Seconde édition, 1 vol. in-4° de 502 pages,
avec 101 figures. - Prix : 20 fr. Paris, 1892. Aux bureaux du
Progrès médical. Pour les abonnés des Archives, 16 fr.
CHARCOT (J.-M.). - Clinique des maladies du système nerveux de la
Salpêtrière. Leçons du professeur, mémoires, notes et observations des
années scolaires 1889-90 et 1890-91, publiés sous la direction de Georges
Guignon, chef de clinique, avec la collaboration de MM. GILLES DE la
TOURETTE, BLOCQ, HUET, PAREfENTIER, SOUQUES, HALLION, J.-B. CHARCOT et
MEIGE. Tome Il'. Un beau volume de 468 pages, avec 47 figures et
3 planches. - Prix : 12 fr. Aux bureaux du Progrès médical. Pour
les abonnés des Archives, 8 fr.
COLELLA (R.) ? La atterazioni dei nervi periferici nella paralisi gene-
rale progressiva in rapporto con i loro nuclei centrait di origine. Vo-
lume il-41 de 88 pages, avec une planche hors texte. Napoli, 1891.
Tipografica A. Tocco e C°.
GOLELLA (R.). - La paralisi spinale atro fzca infantile in rapporta con i
centri cortzcali motori del cervello e con i movimenti associait. Brochure
de 78 pages, avec 4 planches hors texte. Napoli, 1889 ? Tipografico
lVicola Joven e G°.
518 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
COLELLA (R.). Contributa alla filosofia'dei lobri pre-fronlali del cer-
vello e alla chirurgia cérébrale. Volume in-8° de 118 pages, avec
2 planches hors texte. - Napoli, 1890. - Tipografico dell' Unione.
COLELLA (R.). Sulla degenerazione e sulla reginerazione dei ganglii
del sislenza nervoso simpatico. (Nota I)reve ? ztiva). Brochure in-8° de 22 pages,
avec une planche hors texte. Napoli, 1891. - Detken editore.
COLELLA (R.) e STANZIALE (R.). Ricerche islologiche e batlerioscopiche
sul sislema nervoso centrale periferico nella lepra. Brochure in-8° de
43 pages, avec une planche hors-texte. - Napoli, 1890. Tipografico
A. Tocco.
CULLEIiRE (A.). De la transfusion nerveuse chez les aliénés. Brochure
n-8° de 15 pages. - Paris, 1892. Typographie A. Davy.
DERVILLE et GuEHMONpREz. Sarcome à petites cellules de l'avant-bras
droit. Brochure in-8° de 4 pages. Lille, 1892. Librairie Quarré.
DEItVILLE et GOERMOKPREZ. Papillome des raflinettrs de pétrole. Deux
brochures in-8° de 38 pages. Lille, 1892. Librairie Quarré.
GEASSET et Castor. - Un cas de pseudo-tabès post-iiifectieux. - Para-
lysie symétrique post-êrisypèlateuse du tibial antérieur. Brochure in-8° de
27 pages.- Montpellier, 1892. -Typographie et lithographie Ch. Bochm.
Grasset et GUIBEAT (H.). - Un cas de maladie de Morvan. Brochure
in-8° de 26 pages. Paris, 1892. G. Masson.
Grasset et C1STAN. - Des associations hystéro-orgauiques. Un cas de
sclérose en plaques et hystérie associées avec autopsie. Brochure in-8° de
28 pages, avec deux planches hors texte. ilontpellier, 1892. - Typo-
graphie Ch. Bochm.
GUEn110NPItEZ. - Autoplastie de la main par desossement d'un doigt.
Brochure in-8° de 10 planches. - Lille, 1892. Librairie Quarré.
Gh'ERvoxpREZ. Un cas de suture du poumon. Brochure in-8° de 7 pages,
avec 2 figures. - Lille. 1892. - Librairie Quarré.
GuERMoxpREz. Gangrène du pouce. (Amputation partielle, résultats.)
Brochure in-8° de 4 pages. Lille, 1892. -- Quarré.
Guermonprez. -Note complémentaire sur l'usage chirurgical du crin
de Florence. Brochure in-8° de G pages. Lille, 1892. Quarré.
GuERMOKpREZ. Luxation mélacarpo-phalan,gienne du pouce droit en
arrière, réduction très laborieuse. Brochure in-8° de 15 pages, avec 12 fi-
gures. - Lille, 1892. - L. Quarré.
GUER.10 ? PREZ. - Résection partielle des deux os de l'avant-bras droit
après les traumatismes graves limités aux parties molles. Brochure in-8'
de 36 pages, avec 31 figures. - Lille, 1891, L. Quarré.
GL'EtntOKpREz. Une erreur de sexe avec ses conséquences. Brochure
in-8° de 32 pages, avec 7 figures. Lille, 1892. - L. Quarré.
. GUERMONPREZ et AZiGIEn. - L'actinonycose en Flandre. Brochure in-8°
de 26 pages, avec 4 figures et une planche. Lille, 1892. - L. Quarré.
GUERMOXPREZ et CoCHERIL. Deux opérations d'épithélioma au pavil-
lon de l'oreille suivies d'autoplastie. Brochure in-8° de 11 pages, avec
7 figures. Lille. 1892. L. Quarré.
GIJERAIOPnEZ et DUVAII. Hystérectomie abdominale totale. Brochure
in-8° de 36 pages. Lille, 1892. L. Quarré
GuERMoNpnrz. - De l'abus de l'opération de Battey ou de Tait. liro-
chure in-8° de 6 pages. Lille, 1892. L. Quarré.
. Le rédacteur-gérant, Bournevilie.
TABLE DES MATIÈRES
Aliénés, Société de patronage des
- , 142, 145; - suicide d'une -,
150; - Il - de la rue Etienne
martel, 151.
Amblyopie, transitoire, par Anto-
nelli, 201, 423; - toxique avec
paralysie progressive chronique
des muscles des yeux, par Boe-
deker, 276..
Amnésie hystérique, par P. Janet,
29.
Anthropologie criminelle, par Morel
et Kurella, 485.
Anxiété neurasthénique, par Sté-
fani, 67.
Aphasie, sensorielle transcorticalé,
par Pick, 79; - sensorielle, par
Adler, 82; - état actuel de la
question de l' -, par Moeli et
Wernicke, 116; - dans la para-
lysie progressive, par Ascher,
497.
Arriérés, enfants, par Bourneville,
148.
Asiles, mutations dans les - d'a-
liénés, 157, 362; - pour les épi-
leptiques et les idiots, 157 ; -
d'aliénés de la Seine, 363.
Assistance, des infirmes de l'intel-
ligence, par Gauster, 88; - judi-
ciaire des aliénés en Autriche,
par Svetlin, 90, Boeck, 95; des
épileptiques, par Wiidermuth et
Lcehr, 109; des idiots et im-
béciles, 152; - des idiots et des
épileptiques, 364; des aliénés
en france, par Iluberty, 495.
Atrophie musculaire, progressive,
par Both, 129;- spinale progres-
sive, par Alzheimer, 266; - pré-
coce chez un héII11plégiqne, par
Darkschevitch, 269; - arthropa-
thique, par Darkschevitch, 275;
- combinée au tabes, par Jolly,
498.
Automatisme ambulatoire, chez un
dipsomane, par Souques, 61 ; -
dans l'hystérie, par Séglas, 321.
Bibliographie : Mémorrhagie, ramol-
lissement du cerveau, hypno-
tisme, par Charcot, 136; - Epi-
tome des maladies mentales, par
J. Shaw, 137 ; Leçons du mardi,
par Charcot, 138; -Clinique des
maladies du système nerveux,
par Charcot, 139; - Troubles du
langage chez les aliénés, par
Séglas, 140; Syphilis du sys-
tème nerveux, par Gajkiewicz,
141 ; Oblitération des sutures
du crâne chez les idiots, par
Tacquet, 356; - Un mot sur
Laënnec, par Guermonprez, 357;
- 'Troubles de la mémoire, par
Sollier, 357; - Leçons sur les
maladies de la moelle, par P. Ma-
rie, 359.
Bulletin bibliographique, 159.
CELLULES nerveuses, dans le seg-
ment le plus inférieur du canal
vertébral, par Hoche, 262.
CENTRES COIITICO-h[01'EURS, expé-
riences sur les - après ligature
des uretères, par Spanbock, 259.
Cerveau, rapport du poids du à
celui du corps, par Snell, 265;-
photographie combinée du crâne
et du -, par Sommer, 269.
Cervelet, Etat somniforme après
l'ablation du -, par IJorgl.erim,
259.
Champ visuel, des épileptiques et
des criminels congénitaux, par
Ottolenghi, 68.
Chorée héréditaire, par Remak,
275, Jolly, Remak, Senator, op-
penheim, 500.
Circonvolutions CIinÉBH9LES, genèse
des , par Jelgersma, 257.
520 TABLE DES MATIÈRES.
Clitoridectomie , pour nympho-
manie, 158.
Collapsus, injection de chlorure
de sodium dans le -, par Merc-
klin, 74.
COLONIES d'aliénés, par Riu, Chris-
tian, Bourneville, 297.
Confusion mentale primitive, par
Chaslin, 322.
Congrès, austro-hongrois de la
Société de psychiatrie et de psy-
chologie médico-légale de Vienne,
87; - annuel des aliénistes alle-
mands, 101 ; des aliénistes
français,147, 280;- de la société
psychiatrique de la province du
Rhin, 493.
CORPS étrangers, moyen pour en- 1
lever les - du tube digestif, par 1
Jastrowitz, 101.
CRANiECTOMiE dans la microcéphalie,
par Bourneville, 330, L. Lane,
331, Keen, 332, 339, Wieth, 337,
Bansohoff,347, Mac Clintock,350,
IIager Agnew, 351.
Criminalité, et responsabilité, par
Pelman, Mendel, 102, Clark, 483 ;
théorie de la-,par Morroson,
r78.
DÉGÉNÉRÉS, aliénation mentale chez
les -, par Dagonet, 480.
Dipsomane, automatisme ambula-
toire chez un -, par Souques,
61.
Dipsomanie, et responsabilité, par
Roller et Jolly,105; - par Mendel,
106.
DUBOISINE, chez les aliénés, par
Keiminger, Lewald,75, Lallemant,
325.
DYSLEXIE, par Pick, 80.
Écorce cérébrale, excision de Il-,
par Burckhardt, 488.
ELECTRICITÉ statique, effet de l'-
sur les nerfs et les muscles chez
le malade et le sujet sain, par
Bernhardt, 504.
ELECTROPHTHALMIE, par Noiszenski,
258.
Energies spécifiques, par Meynert,
99.
EPILEPSIE, ancienne traumatique
avec trépanation, par Maunoury
et Camuset, 55; traumatique,
par Bobrow, 128; - d'origine
gastrique, par Proust, 320 ; -
traitement de l ? par le bro-
mure de strontium, par Deny,
324.
Epileptiques, champ visuel des ,
par Ottolenghi, 68; - assistance
des -, par Wildermuth et Loehr,
109; toxicité urinaire chez les
- , par J. Voisin et Péron, 178.
Folie, drames dé la -, 151.
FOLIE, à deux, par Nolau, 68.
Folie gémellaire, par Ostermayer,
75.
Folie systématique et obsession,
par Mercklin, 69.
GOITRE EXOPHTHAL311QT7E, troubles
délirants dans le , par Ray-
mond, 312; anatomie patholo-
gique du -, par Mendel, 506.
Hallucinations sensorielles, par No-
lau, Klincke, 68.
HÉMiANOPSiE, bilatérale d'origine
centrale, par Graenouw; - bila-
térale inférieure, par Hoche, 279.
Hémiplégie consécutive à l'intoxi-
cation oxycarbonique, par PopoIT,
78.
Hydrocéphalie , ponctions capil-
laires dans l ? par Giraldès,
131 ; paracentèse des ventri-
cules, par Spencer Smith, 132;
- ponction par Unverricht, 132;
- trépanation et drainage, par
Broca, 132; trépanation et
ponction lombaire, par Quincke,
133; - trépanation, par Ilayès,
Agnew, 133; - craniectomie,
ponction et drainage, par Phocas,
134; - trépanation, drainage,
par Audry, 135.
Hydromyélie et syringomyélie, par
Schaffer et Preisz, 278.
IIYOSCI ! OE, chez les aliénés chro-
niques, par lVeecke, 487.
Hypnotisme, utilisation de l'- dans
les asiles d'aliénés, par Bins-
wanger, 120; et droit, par
Cullerre, 477.
HYSTÉRIE, diagnostic différentiel
entre l'- et les affections orga-
niques du cerveau, par Ghilar-
ducci, 387.
Hystérique, amnésie-, par J. Janet,
29 ; température élevée chez
une -, 271; - états de sommeil
- , par Loewenfeld, 279; auto-
TABLE DES MATIÈRES. 521
matisme , par Séglas, 321;
suggestion chez les -, par P. Ja-
net, 448; - syndrome -, simu-
lateur de sclérose en plaques,
par Cochez, 470.
IDIOTIE, traitement chirurgical et
médico-pédagogique, par Bour-
neville, 316.
Impulsion pathologique, parFritsch,
99.
Incendiaire (folie), par Baker, 478.
Influenza, psychoses consécutives
à Il -, par Krypiakiowicz. 72 ; -
psychoses de Il -, par Kéru, 73.
KATATOMIE, par Serbsky, 73.
Lacrymale (sécrétion), centres cé-
rébraux de la -, par Bechterew
et Mislanski, 263.
LECTURE, troubles de la -, par
Weissenberg, 76.
Localisations cérébrales, par Fer-
rier, 238.
Magnétisme, 365.
Médecins, femmes américaines, 361 ;
- d'asiles à la Nouvelle-Zélande,
361.
Médico-légal (cas), par Andrews,
483.
lIIÉTHYLAL chez les aliénés, par Ma-
randon de Montyel, 486.
1\IICROCÉPHALIE (voir Craniectomie,
Trépanation).
Moelle, réduplication et hétéro-
topie partielles de la -, par Ja-
cobson, 261 ; altérations expé-
rimentales des cornes antérieures
de la chez le lapin, par Nissl,
494.
Myélite, altération des cellules
dans la-aiguë, par Friedmann,
260; Oppenheim, 503 ; - chro-
nique, par Leyden, 508.
NÉCROLOGIE, Meynert, 158.
Négations (délire des), par Camuset,
280; Régis, 284; Séglas, 286;
Falret,290.
NERFS, dégénérescence des nerfs
périphériques, par Kronthal, 498.
Neurasthénique, anxiété par Sté-
fani, 67.
NÉVRITE multiloculaire, par Brasch,
264.
NÉVROSES traumatiques, par Oppen-
hein, 498.
Noyau lenticulaire, lésions en foyer
du , par Kébold, 285,
Nymphomanie ET Clitoridectomie,
158.
Obsessions et folie systématique,
par Mercklin, 67.
ON0lfA'rOivIANIE, par Charcot et Ma-
gnan, 1, 161, 369.
Oputhalmoplégie externe polyné-
vritique, par Rossolino, 80.
OPTIQUE, racine médiane du nerf
chez les oiseaux, par Perlia,
363; -entrecroisement des nerfs
chez l'homme, par Hebold,
496.
OXYCARBONIQUE, hémiplégie consé-
cutive à l'intoxication -, par
Popoff, 78. -
Paralysie générale, à forme circu-
laire, par Rottenbiller, 72; -
troubles de la parole par accès
dans la par Koenig, 100; -
aiguë, par Zacher, 275; JolTroy,
313;-et tabes, par Pierret, 314;
- vraie consécutive à une encé-
phalopathie saturnine, par Val-
Ion, 315; - chlorure d'or et de
sodium dans la , par Boubila,
IIadjès et Lossa, 487; lésions
en foyer dans la-, par Brie, 495;
- aphasie dans la-,par Ascher,
497.
Paralysie générale spinale diffuse
subaiguë de Duchenne, est elle
un type distinct, par Leroy, 18.
Paralysie BULBAIRE avec sclérose
latérale amyotrophique, par Kron-
thal. 260.
Paralysie de Brown-Séquard, par
Kiver, 274; - des tambours, par
Bruns, 80; - infantile spinale,
par Siemerling, 505; - agitante
et tabes, par Placzek, 506; -
faciale périphérique, par Gold-
flam, 275 ; -bilatérale du grand
dentelé, par Sperling, 503; -
ostéomalanique, par Koeppen,
280.
PARA3fYCLONUS MULTIPLES, par IIomen,
83.
Parole (troubles de la) insuffi-
sance des localisations pour ex-
pliquer les , par Sommer, 118.
PERSÉCUTEURS (aliénés), responsa-
biiité légale et séquestration des
, par Coutagne, 479.
Persécutions, idées de - chez les
522 TABLE. DES MATIÈRES.
hypochondriaques ou mélanco-
liques, par G. Ballet, 308.
Poison de l'intelligence, par Le-
grain, 267.
Polarisation des electrodes en élec-
trothérapie, par Marchando, 74.
POLIOENCÉPHALITE avec poliomyélite,
par Godflam, 8; par Schaffer,
271.
Prix Belhomme, 84; Esquirol,
Moreau de Tours, Aubanel, 330;
Baillarger, 364.
Protubérance, lésions en foyer de
la, par Markowski, 264.
PSYCHOSES POLYNÉVRITIQUES, par Kor-
sakoff et Serbski, 71; - Consé-
tives à l'influenza, par Krypia-
kewicz, 72; - transmission des
, par Schlmss, 73 ; éléments
somatiques des aiguës, par
Wagner, 87.
PTROMAl'OE, rapport médico-légal sur
un devenu homicide, par Gar-
nier, 85. '
QUEUE de cheval, compression de
la -, par Laquer, 8
Responsabilité et criminalité, par
Pelman, 102; Mendel, 104; et
dipsomanie, par Roller et Jolly,
105; morale et pénale devant
l'expertise médico-légale, par
Semai, 484.
SCLÉROSE latérale AIIYOTROPIIlQUEpar
Muratoff, 259; - paralysie bul-
baire avec -, par Kronthal, 260.
SCLÉROSE EN plaques, cérébro spi-
nalechez l'enfant, par Nolda, 276;
Syndrome hystérique simula-
teur de -, par Cochez, 470.
Secret médical, par Thivet, 293.
Sens musculaire (troubles du), par
Auton, 98.
SENS génital (inversion du), par
Lew in, 502.
Séquestration multiples, aliénés à
, par Marandon de Montyel,
490.
Simulation d'aliénation mentale,
par Leppmann, 100.
SOCIÉTÉS : médico-psychologique,
84, 330, 490; - psychiatrique de
Berlin, 100, 496 ; - de psychiâ-
trie et de psychologie médico-
légale de Vienne, 98;- des mé-
decins neurologistes et aliénistes
de Moscou, 127; - de psychia-
trie et des maladies nerveuses de
Berlin, 498,-d'hypmologie, 364.
SOCIÉTÉ DE patronage des aliénes,
- 142, 147.
Sommeil HYSTÉRIQUE, par Loewenfeld,
279.
Sominforme (état), chez les animaux
après l'ablation du cervelet, par
Borgherini, 259.
Suggestion chez les hystériques,
par Janet, 448; au point de
vue médico-légal, par Deventer,
485.
Syphilis, et tabes, par Minar, 128 ;
affections cérébrales produites
par la congénitale, par Erlen-
meyer, 274; lésions artérielles
dans la , par Brasch, 503; -
du système nerveux central, par
(Ebeke, 277.
Système NERVEUX central, coloration
du, - par Ziehen, 261.
Tabès dorsal, anatomie patholo-
gique du - par Mayer, 99; -
combiné à l'atrophie musculaire,
par Jolly, 498; Bernhardt,-503;-
et paralysie agitante, par Plac-
zeck, 506; - et syphilis, par Mi-
nar, 128 ; traumatique, par
Ilinz, 271.
TIIYNAIÉTINE, par Jolly, 500.
Tics convulsifs, maladies des -
avec mouvements par obsession,
par lioubinovitch, 492.
Topothermoesthlsie, par Mois-
zewski, 266.
Torticolis, asymétrie du crâne
dans le -, par Kurella, 264.
Toxicité urinaire chez les épilep-
tiques, par Voisin et Péron, 178.
Tremblement juvénile héréditaire,
par Nagy, 79.
Trépanation, pour épilepsie an-
cienne traumatique, par Mau-
noury et Camuset, 55; - pour
microcéphalie, par liages Agnew,
351 ; pour tumeur cérébrale,
par liages Agnew, 272.
Tumeur cérébrale, troubles vi-
suels par -, par Hichsberg, 83,
par Christian, 84.
Uretères, expériences sur les cen-
tres cortico-moteurs après la li-
gature des-, par Spaulock, 259.
VENTRICULE, fibres du plancher du
TABLE DES AUTEURS ET DES (COLLABORATEURS.
3° par Darkschevitch et Ri-
bytkow, 263.
Yeux, paralysie progressive des
muscles des-chez un tabétique,
par Boedeker, 499.
TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS.
Adler, 82.
Algheimer, 266.
Andrews, 483.
Anton, 98.
Antonelli, 201, 423.
Ascher, 497.
Audry, 135.
Baker, 478.
Ballet, 308.
Bechterew, 263.
Bernhardt, 503, 504.
Binswanger, 120.
Blin, 267, 478, 480, 482,
483, 484, 487.
Blocq, 140, 142, 358,
360.
Bobrow, 128.
Boedeker, 278, 499.
Borgherini, 259.
Boubila, 487.
Bourneville, 136, 148,
150,152,297,31G,330.
Brasch, 264, 503.
Briand, 87, 330, 493.
Brie, 495.
Broca, 132.
Bruns, 80.
Burckhardt, 488.
Camuset, 55, 281.
Charcot, 1, 136, 138,
139, 161.
Charcot (J : B.),158, 367,
516.
Chaslin, 322.
Christian, 84, 297.
Clark, 483.
Clintoch (Mac), 350.
Cochez, 470.
Cossa, 487.
Coutagne, 479.
Cullerre, 477.
Dagonet, 480.
Darkschevitch, 127,
263, 269, 275.
Deny, 324, 485.
Deventer, 487.
Erlenmeyer, 274.
Falret, 290.
Ferrier, 238.
Friedmann, 260.
Fritsch, 99.
Garnier, 85.
Gauster, 88.
Ghilarducci, 387.
Gilles de la Tourette,
137.
Giraldès, 131.
Goldflam, 81, 275.
Groenouw, 276.
Guermonprez, 357.
Gumon (J.), 158, 367,
516.
Hadjès, 487.
Ilayès-Agnew, 133, 272,
351.
Hébold, 265, 496.
Hinze, 271.
llirschberg, 83. 503.
Hoche, 262, 279.
liomen, 83.
Huberty, 495.
Jacobson, 261.
Janet, 29, 448.
Jastrowitz, 101.
Jelgersma, 257.
Joirroy, 313.
Jolly, 105, 498, 500, 506.
Keen, 332.
Keininger, 75.
Kéraval, 68 à 84, 87 à
130, 138, 140, 258 à
267, 270 à 280, 485,
487, 489 à 509.
Kioev, 274.
dru, 73.
Klinke, 68.
Koenig, 100.
Koeppen, 280.
Korsakoff, 71.
Kronthal, 260, 498.
Krypiakewicz, 72.
Kurella, 271, 485.
Latlemant, 325.
Lane, 331.
Legrain, 267.
Leppmann, 100.
Leroy, 18.
Lewald, 75.
Lewin, 502.
Leyden, 508.
Loehr, 109.
Loewenfeld, 279.
Magnan, 1, 161.
Marandon de Montyel,
486, 490.
Marchando ,74.
Marie, 359.
Markowski, 264.
Maunoury, 55.
Mayer, 99.
Mendel, 104, 106, 506.
Mercklin, 69, 74.
Meynert, 99.
Minor, 128.
MisIawsld, 263.
Moeli, 116.
Morel, 485.
Morrison, 478.
luratoff, 229.
Musgrave Clay, 68, 478,
479.
Nagy, 79.
Nissl, 494.
S24 TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS.
Noecke, 487.
Noetel, 108.
Noiszenski, 258, 266.
N61au, 68.
Nolda, 276,
Oebeker, 277.
Oppenheim, 498, 501,
503.
Ostermayer, 71.
Ottolenghi, 68.
Pelman, 105.
Perlia, 263.
Péron, 178.
Pick, 79, 80.
Pierret, 314.
Phocas, 134.
Placzek, 506.
Popoff, 78.
Preisz, 278. ,
l'roust, 320. '
Quincke, 133.
Ransoholï, 347.
Raymond, 312.
Régis, 284.
Remak, 275, 500.
Ribytkow, 263.
Riu, 297.
Roller, 105.
Rossolimo, 80.
Roth, 129.
Rottenbiller, 72.
Roubinovitch, 492.
Rousselet, 357.
Schaffer, 271, 278.
Schloess, 73.
Séglas, 68, 138, 286, 320.
321.
Semai, 484.
Senator, 500.
Serbski, 71, 73.
Siemerling, 505.
Snell, 265.
Sollier, 139, 357.
Sommer, 118, 269.
Souques, 61.
Spanbock, 259.
Spencer Smith, 132.
Sperling, 503.
Stéfani, 67. '
Svethn, 90.
Taequet, 356.
'l'bivet, 293.
Unvterriebt, 132.
Vallon, 315.
Voisin, 178.
Wagner, 87.
\Veissenberg, 7G.
Wernicke, 116.
\\'ietb, 337.
Wildermuth, 109.
Zacher, 275.
Zichen, 261.
Zinn, 108.
EXPLICATION DE LA PLANCHE.
Fig. 1. Foyer de ramollissement jaune, occupant le pied de la
troisième circonvolution frontale gauche.
Fig.'2. Foyer de ramollissement plus récent, de l'hémisphère droit.
&vroux,Cti. IIÉRISSEY, Imp - B02