ARCHIVES
DE E
NEUROLOGIE
ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CHARLES HÉRISSE Y
ARCHIVES
DE
NEUROLOGIE
REVUE ruz,
DES MALADIES NERVEUSES ET MENTALES
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
.J.-lU. CHARCOT
"-
AVEC LA COLLABOIUT1 OH DE
MM. BAB1NSKI, BALLET, BAUDOIN (MAncEL), BITOT (P.-A.), BLANCHARD,
BLIN (E.), BLOCQ, BONNA1RE (E.), BOUCHEREAU,
LIIIAND (M.), BRISSAUD (E.), BROUAMDEL (P.), CAMUSET, CATSARAS,
CHARPENTIER, CHASLIN, CHRISTIAN, DEBOVE (M.),
UET.ASIAUVE, UENY, UUTIL, DUYAL (Mrrmne), FERRIER, FRANCOTTE,
GILLES DE LA TOURETTE, GOMBAULT, GRASSET, P. JANET, JOFFROY (A.),
KERAVAL (P.), LANDOUZY, LEJARS, LONDE, MAGNAN, MARIE,
MESNET, blIE11ZEJEWSKY, âlUSGRAVE-CIIY, ONANOFF, IARINAU17, PILLIET,
PIERRET, PITRES, POPOFF, QLÉNU, RAOLLT. RAYMOND (F.), RÉGNARD(A.),
REGNARD (P.), RICHER (P.), ROUBINOVITCH, ROTE (V.),
ROUSSELET (A.), SÉGLAS, SEGUIN (E.-C.), SOLLIER, SOXEL. SOUQUES,
SOURY (J.), TEINTURIER (E.), THUL1É (H.), TROISfEII (E.),
VIGOUROUX (R.), VOISIN (J.), WEILL, P. YVON.
Rédacteur en chef : BOU11NEVILLK
Secrétaires de la rédaction : J.-B. CHARCOT FILS et G. GUINON
Dessinateur : LEUBA
Tome XXIII. 1892.
Avec 19 figures dans le texte.
PARIS
BURGAUX DU PIWGI1ÈS MÉDICAL
14, rue des Carmes.
1892
Vol. XXIII. Janvier 1892. N" 67.
ARCHIVES DE NEUROLOGIE
ANATOMIE
ÉTUDE ANATOMIQUE SUR LES VAISSI ? ILJX SANGUINS
DES NERFS
Par MM. QUÉNU et LEJARS.
Jusqu'ici, l'histoire précise des vasa nervorum n'a-
vait pas été faite. A part quelques artérioles, telles que
l'artère du nerf médian, de plus gros calibre et de
dissection plus aisée, .ou ne savait rien de l'irrigation
sanguine du système nerveux périphérique, et jamais
on n'avait recherché à quelles lois elle était soumise.
« Les nerfs sont peu riches en vaisseaux, écrivait, en
1866, dans sa thèse d'agrégation, M. Tillaux1, résu-
mant les connaissances de l'époque; aussi résistent-ils
fortement à l'inflammation. » Et encore : « Les nerfs
reçoivent leurs vaisseaux des branches artérielles voi-
sines, et si les troncs sont volumineux, une artère spé-
ciale leur est destinée, ainsi que le médian, le sciatique,
l'optique nous enoffrentdesexemples. Lesartèress'épui-
sent dans le névrilemme et les cloisons intérieures qui
en partent, elles forment un réseau de capillaires d'où
naissent les veines. Celles-ci peuvent devenir vari-
1 Des affections cltil,lt1'yicales des nerfs. Th. agrég., 1866.
Archives, L. XXIII. 1
? 2 \ ' ANATOMIE,
queuses dans l'épaisseur des gros troncs nerveux, ainsi
que Bichat l'a vu le premier sur le nerf sciatique, et
que M. Verneuil ` l'a signalé depuis Bichat. »
Plus récemment, M. Ranvier avait bien décrit, dans
le sciatique du cobaye, le mode de ramescence et de
terminaison des artérioles et des veinules.
Enfin la pathologie avait fourni son appoint, et
toute une série de faits avaient laissé entrevoir quel
rôle peut être dévolu aux vasa nervorum. En 1885,
M. Otto Zuckerkandl 2, à propos de deux observations,
analysait les conditions et les voies de la circulation
collatérale, et faisait ressortir la part que doivent y
prendre les vaisseaux des nerfs. Déjà, Ilyrtl émettait
l'opinion que la circulation collatérale ne se fait que
peu par les artères musculaires, mais qu'elle prend
surtout la voie des vasa nervorum ? Chaque nerf pos-
sède une artère propre, qui reçoit, de place en place,
une série d'anastomoses des vaisseaux voisins : de là
des voies collatérales toutes prêtes. » De son côté,
Porta avait trouvé les vaisseaux des nerfs largement
dilatés par le sang, dévié de sa route normale, et deux
faits de Holl, un autre de Gruber, confirmèrent encore
cette importance des vasa nervorum, lors d'oblitéra-
tion d'une grosse artère. Aussi de ces observations et
- de son expérience propre, M. Zuckerkandl concluait-il
que la circulation collatérale est assurée par une triple
voie : par les artères musculaires, par les artères cuta-
nées, par les vasa nervorum.
. D'autre part, l'un de nous avait découvert et décrit
1 Probablement dans ses cours, car nous n'avons rien trouve dans les
crits de M. Verneuil.
' Medicin..Jahrb.. Wien., 18&5, p. 272.
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 3
les varices des nerfs et démontré quelle part leur
revient dans la pathogénie des douleurs et des trou-
bles trophiques qui compliquent si souvent les varices
du membre inférieur; sur une série de coupes du scia-
tique, il avait fait voir la dilatation progressive et l'ec-
tasie variqueuse des veinules inter-fasciculaires.
Il devenait donc d'un grand intérêt de soumettre à
une étude complète les vaisseaux des nerfs chez
l'homme. La méthode de la double injection succes-
sive nous permettrait d'obtenir, dans son intégralité,
le système des vasa nervorum. Le sciatique, ainsi
injecté, nous donna un premier aperçu de la richesse
de cette circulation, et l'étude du pneumogastrique
et du grand sympathique au cou nous en révéla la
régularité. Ce sont ces traits essentiels et ces carac-
tères généraux que nous avons cherché à mettre en
lumière, en appuyant d'exemples et de figures tout ce
que nous décrivions.
Artères des NERFS. - La circulation artérielle des
nerfs est la fois très riche et très régulière; l'origine
des vasa nervorum, leur mode d'incidence et de péné-
tration, leur division dans l'épaisseur du tronc ner-
veux, obéissent à certaines lois que l'on retrouve
partout.
I. Découvrez un nerf sous-cutané ou un nerf pro-
fond : vous ne pourrez le suivre sur un segment de
quelque longueur, qu'il ne soit côtoyé par une artériole;
plus loin celle-ci se bifurque pour s'unir en anse à une
branchiole voisine, d'où une série d'arcades accolées au
nerf et qui correspondent à la série des artérioles affé-
rentes.
4 . ANATOMIE.
Cette disposition est frappante sur le plexus cervical
superficiel, qui peut servir d'exemple. A côté des bran-
ches nerveuses on voit émerger de la région sous-
musculaire et contourner le bord postérieur du sterno-
mastoïdien un nombre égal de longs ramuscules arté-
riels, qui adoptent et suivent fidèlement leur trajet.
Sur un cou d'enfant injecté, il est curieux de sui-
vre les minces filets rouges, qui soulignent chaque
ramuscule nerveux. Aux membres, la répartition est
la même : un nerf sous-cutané ne marche jamais sans
une artériole satellite, et l'on peut tout aussi bien
décrire l'artère du musculo-cutané ou du saphène
interne que celle du médian ou du sciatique. Il y a
plus : c'est autour des nerfs que se groupent les divi-
sions principales du système artériel sous-cutané ; ils
en constituent les grandes voies directrices en quelque
sorte, ce qui revient à dire qu'ils représentent les
grandes voies anastomotiques.
II. Ce qui vient d'être dit des nerfs sous-cutanés
s'applique de tout point aux nerfs profonds ; mais il
faut préciser les sources de cette irrigation multiple.'
Or, à ce point de vue, on peut poser une double loi :
1° chaque tronc nerveux tire ses artères d'une origine
constante; 2° elles ne lui viennent jamais d'un seul
tronc artériel, mais toujours de sources multiples.
Quelques exemples mettront en lumière cette double
particularité. -
Le pneumogastrique et le grand sympathique, au
cou, et le récurrent nous fournissent d'abord un très
bel exemple. Nous avons déjà étudié leur circulation
artérielle et veineuse, dans une note que M. le profes-
seur Verneuil nous fit l'honneur de présenter à l'Aca-
Fig. I, Arloi des nerfs grand sympathique et pneumogastrique.
6 ANATOMIE.
démie des sciences l'an dernier. La figure I en dira
plus, à elle seule, qu'une longue description.
L'artère thyroïdienne inférieure se détache de la
sous-clavière et croise les deux nerfs sur leur face pos-
térieure pour gagner le corps thyroïde. C'est à peu de
distance de sa terminaison, que de ses branches irra-
diées émanent une série de ramuscules récurrents des-
tinés au pneumogastrique et au sympathique : chacune
de ces artérioles afférentes décrit donc une anse à con-
vexité interne, et le sang que charrie la sous-clavière
n'aborde les troncs nerveux qu'après un double détour.
Poursuivant leur trajet, les dernières divisions de la
thyroïdienne inférieure vont se jeter dans le nerf récur-
rent, qui reste lui aussi dans le même territoire vascu-
laire.
Plus haut, la thyroïdienne supérieure donne, à son
tour, plusieurs branches au segment supérieur des
deux nerfs, au ganglion cervical supérieur du sympa-
thique et au plexus gangliforme : branches obliques
en dehors, souvent incurvées en anse, et,«pour quel-
ques-unes, ascendantes. A leur extrémité supérieure,
.les deux ganglions recoivent des filets des pharyn-
giennes, et entre eux glisse toujours une longue arté-
riole qui procède de l'une d'elles; l'anastomose de ces
rameaux forme à 1,a surface des deux renflements un
réseau à mailles serrées immédiatement appliqué au
tissu nerveux et que recouvre, en dehors, le plexus
veineux péri-ganglionnaire dont nous parlerons plus
loin.
L'irrigation artérielle du récurrent du pneumogas-
trique et du sympathique, dans leur portion cervicale,
est donc commune : elle est fournie par le système des
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 7
thyroïdiennes, et nous verrons quelles déductions patho-
logiques il est possible d'en
tirer.
Prenons un autre exem-
ple, le sciatique (fig. 2).
L'ordonnance vasculaire est
ici d'observation aisée : une
dissection fort simple suffit
à en rendre compte. Les
longues arcades artérielles
qui règnent sur tout le tra- z
jet du tronc nerveux et se
continuent sur ses deux
branches de bifurcation,
naissent d'une série d'af-
fluents, tous obliques en bas
et en arrière, qui émanent
de l'ischiatique et des per-
forantes. De la troisième
perforante part un gros ra-
meau, qui croise en avant
le sciatique poplité externe,
et descend entre les deux
sciatiques poplités, en se
distribuant à l'un et à l'au-
tre ; ses terminaisons s'anas-
tomosent avec les vasa ner-
vorum artériels du tibial
postérieur et du tibial antérieur, et ainsi se trouve
constitué, le long du sciatique et de ses branches, une
chaîne ininterrompue de la fesse à la jambe; nul
doute* qu'elle ne soit utilisée par la circulation colla-
Fig. 2. - Nerf sciatique.
8 ANATOMIE.
térale, dans les cas d'oblitération de la fémorale.
L'examen des autres
nerfs témoigne du même
fait, de la constance et de
la multiplicité desaffluents
artériels. La figure 3 re-
présente le médian sur tout
son trajet, jusqu'à ses ter-
minaisons palmaires : au
bras, l'humérale qu'il ac-
compagne en satellite lui
abandonne une série de
branches; plus bas, c'est
la collatérale interne et la
récurrente cubitale anté-
rieure qui lui donnent
d'autres filets ; plus bas
encore, à l'avant-bras, la
longue artériole, qui est
devenue classique sous le
nom d'artère du nerf mé-
dian, se détache, d'ordi-
naire, de l'interosseuse an-
térieure et aborde le nerf
dans le tiers supérieur de
son segment antibrachial; -,
d'autres ramuscules lui
viennent de l'artère ra-
diale ; à la paume de la
» ? ™ ? « ? ? r- muni, e est i aruuue uat-
tèrcraJinle ? C ? nrtcrecollnlér,lcinté- Iliaiti, u Ubb 1 ai-cauu pal-
tere radiale. C, artère collatérale inté- ' *
rieure. C\ artèrecubitalc. R', récurrente moira cnnprfir'ÎAlla mii
rieure. -C', artérecubitalc.-Il',récurrente maire superficielle e qui
cubitale antérieure. - P, arcade palmaire lu^11^ bUptil UOIBIIB qui
tinés aux nerfs. fournit un ramuscule as-
hnes aux ncrfs.
Fig. 3. Artères du nerf médian.
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 9
cendant à chacune de ses divisions terminales. En
somme, il y a là autant de chaînons, qui créent, sur
toute la longueur du nerf, une réelle continuité vas-
culaire.
Les plexus offrent une disposition du même genre :
sur le plexus lombaire, par exemple (Feg. 4), des
rameaux des artères lombaires, de l'iléo-lombaire, de
l'iliaque externe, dessinent une série d'anses entre les
cordons nerveux, s'insinuent dans leurs interstices et
jusque dans leur épaisseur, et constituent ainsi de mul-
tiples voies collatérales.
Ces faits anatomiques ont une double importance :
Figez. - Artères du nerf crural.
1t, nerf crural. - 0, nerf obturateur. - F, artère fémorale. - C, couturier. - L, L,
artères lombaires. - II, artère hypogastrique. - K, artère iléo-lombaire. -- I, artère
circonflexe iliaque.-h1, petite musculaire supéiieurc. M', grande musculaire supérieure.
10 O ANATOMIE.
ils assurent l'irrigation artérielle des troncs nerveux
par la multiplicité des sources et des voies d'apport ;
ils préparent les suppléances vasculaires et la circula-
tion collatérale. On avait entrevu déjà, nous l'avons
dit plus haut, ce rôle des vasa nervorum, mais mérite
mieux que le silence qui règne encore sur lui; et dans
les cas d'oblitération des grosses artères, après une
ligature, par exemple, il serait fort intéressant de
rechercher les traces de cette circulation collatérale par
voie nerveuse ou les signes cliniques qui pourraient la
révéler. Mais, dans ce champ d'expériences, il y a
encore tout à faire 1.
III. Arrivons au mode d'incidence des vasa ner-
vorum, à leur division intra-tronculaire ; ici, les ana-
logies deviendront très étroites avec la circulation
artérielle des centres nerveux.
On sait que les artères cérébrales se coudent et s'in-
fléchissent à plusieurs reprises, qu'elles rampent à la
surface de l'organe, et que jamais une incidence per-
pendiculaire ne permet au flot sanguin de faire subir
un choc direct à la masse encéphalique. Pour les
nerfs, il en est de même : les précautions sont aussi
bien prises. Lorsqu'un tronc nerveux reçoit ses arté-
rioles d'une grosse artère dont il est satellite, les
vaisseaux ne l'abordent jamais normalement à sa
surface, ils pénètrent toujours dans son épaisseur sous
une incidence plus ou moins oblique, après avoirdes-
siné des anses ou fourni un trajet récurrent. Les exem-
ples ne manquent pas. Voyez le médian au bras (lïq. 3),
les branchioles qui lui viennent de l'humérale sont
' Peut-être est-ce là la cause des douleurs qu'on observe à la suite
'des' oblitérations voulues ou accidentelles des grosses artères.
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 11
toutes ascendantes, et le courant sanguin doit se briser
et remonter avant de se jeter dans le réseau artériel
intra-nerveux; à l'avant-bras, les artérioles deviennent
descendantes et parallèles au tronc principal qui les
donne, mais elles fournissent un long trajet, à la sur-
face du nerf, avant de s'y engager, et, près de leur
terminaison, elles se recourbent, elles aussi, avant de
plonger dans le cordon nerveux.
Au cou, la direction des vasa nervorum artériels est
encore plus frappante. N'avons-nous pas vu, sur la
figure 1, que tous ils sont récurrents, qu'après s'être
détachés des thyroïdiennes, ils doivent décrire un assez
long trajet et se recourber en dehors pour gagner les
troncs du pneumogastrique et du sympathique.
Trajet récurrent ou incidence oblique : voilà un
premier caractère; ce n'est pas tout. Une artériole ne
plonge jamais d'emblée dans un tronc nerveux ; elle
se divise et se bifurque, avant d'y pénétrer. La circu-
lation des nerfs est essentiellement une circulation par
grandes arcades anastomotiques. Au contact ou près
du tronc nerveux, chaque rameau qui l'aborde se
sépare en deux ramuscules largement divergents, qui,
plus haut et plus bas, se relient en arcades aux ramus-
cules voisins : de là, une suite de chaînons, qui se
continuent le long du nerf, en s'accolant à sa gaine
externe.
De cette dichotomie en arcades, on retrouve plu-
sieurs types : tantôt l'artériole se bifurque, à quelque
distance du nerf, et les deux branches, s'écartant à
angle aigu, le rejoignent un peu plus loin et s'appli-
quent à sa gaine, ailleurs, c'est au contact même du
nerf, sur lui, que la séparation a lieu et que les deux
z2 ANATOMIE.
divisions s'écartent à angle presque droit; ou bien
encore, le vaisseau afférent ne se dichotomise pas, il
s'irradie en éventail, et, si les deux rameaux princi-
paux suivent en long la face externe du nerf, d'autres
branchioles le croisent obliquement, pour devenir le
point de départ d'une autre série d'arcades.
Ainsi divisés, les vasa nervorum rampent à la sur-
face du tronc nerveux, presque toujours parallèles à
son grand axe, reliés pourtant par quelques rares
anastomoses; ils se prolongent plus ou moins loin,
suivant leur volume, et ce n'est qu'après s'être bifur-
qués encore, après avoir beaucoup perdu de leur ca-
libre primitif, qu'ils traversent enfin la gaine fibreuse
du nerf et se perdent dans son épaisseur. N'y a-t-il
pas là une analogie étroite avec ce que l'on trouve à
la surface de l'encéphale, et ce mode de division
des vasa nervorum dans la gaine névrilemmatique
externe ne rappelle-t-il pas les irradiations artérielles
dans la pie-mère ? 2
Il n'est pas rare, en examinant la surface d'un nerf,
de voir une artériole d'assez gros calibre, après un court
trajet, disparaître brusquement entre les faisceaux du
nerf et s'y perdre, semble-t-il. La suit-on dans son trajet
de pénétration, on constate sans peine qu'elle ne
s'irradie pas, en conservant ce gros calibre, dans
l'épaisseur du nerf : par le plus court chemin, elle
gagne le centre, l'axe celluleux du nerf, et c'est là
seulement qu'elle se dichotomise et qu'elle s'épuise
en longues arcades, avant de s'insinuer entre les fasci-
cules nerveux, de dedans en dehors, et de s'y ter-
miner (g. 5).
C'est, du reste, dans cet axe cellulo-graisseux du
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 1,
nerf, dans les grands
espaces du névri-
lemme interne, que
l'on trouve le réseau
de division des vasa
nervorum. Il suffit
d'inciser en long la
gaine fibreuse d'un
nerf et d'en dissocier
les faisceaux, pour
se rendre compte
du fait : les arté-
rioles afférentes pé-
nètrent jusqu'à cette
colonne celluleuse
centrale, et là elles
se divisent en gran-
des mailles, d'où
émanent les divi-
sions plus fines des-
tinées aux fascicules
eux-mêmes. Le nerf,
imprégné de tissu
cellulo-adipeux, est
ainsi parsemé d'un
riche réseau vascu-
laire et comme bai-
gné dans le sang;
aussi, quand la dé-
rivation collatérale
se porte sur un nerf,
la congestion doit-
Fig. 5
Distribution artérielle inler-fasciculaire.
14 ANATOMIE.
elle s'y faire vivement sentir et l'affecter tout entier.
Il résulte de ces irradiations successives, et nous insis-
tons sur ce fait, que les derniers ramuscules artériels
n'abordent les troncules nerveux qu'à un état de
finesse très grande, ce qui constitue une analogie de
plus avec la circulation des centres nerveux.
Voici, en somme, résumés en quelques formules, les
caractères principaux de la circulation artérielle des
nerfs :
1° Les nerfs superficiels sont tous accompagnés,
sur toute leur longueur, d'une artériole, qui leur reste
accolée, et qui se prolonge grâce' à une série d'ar-
cades. Ils forment ainsi les principales voies direc-
trices du système artériel sous-cutané ;
2° Chaque tronc nerveux reçoit ses artères d'ori-
gines constantes, et il en résulte souvent des con-
nexions physiologiques ou morbides de grande impor-
tance (pneumogastrique et sympathique au cou) ;
3° Un tronc nerveux ne reçoit jamais toutes ses
artères d'un seul tronc artériel : la multiplicité des
voies d'apport prépare la multiplicité des suppléances;
4° Toutes les conditions, qui, dans les centres ner-
veux, empêchent l'afflux direct et brusque du sang
artériel, se retrouvent pour les nerfs.
a. Quand un tronc nerveux reçoit ses artères
du tronc artériel satellite, ces vaisseaux ne l'abordent
jamais perpendiculairement, mais toujours suivant
une incidence oblique, ou après avoir décrit un trajet
récurrent ; "
b. Une artère ne plonge jamais d'emblée dans
l'épaisseur d'un cordon nerveux; elle se divise avant
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 15 5
d'y pénétrer, suivant l'un des modes que nous avons
décrits ;
c. Les branchioles, nées de cette bifurcation des
artères afférentes, rampent, à la surface du nerf, se
prolongent plus ou moins loin, suivant leur volume,
et ne plongent définitivement dans l'épaisseur du tronc
nerveux, qu'après une nouvelle division et une nou-
velle réduction de volume. Parfois, une artériole
arrive relativement volumineuse, se perd brusquement
dans le nerf après l'avoir suivi sur une certaine lon-
gueur; mais il suffit de la suivre, pour constater
qu'elle ne fait, en réalité, que traverser l'organe jusqu'à
son centre, par le plus court chemin, et qu'une fois
arrivée dans l'axe cellulo-graisseux du nerf, elle s'y
ramifie, avant de s'immiscer et de finir entre les fas-
cicules ;
d.-Dans l'épaisseur du nerf,les branchioles les plus
grosses se trouvent, en effet, dans les grands espaces
névrilemmatiques et les artérioles ne s'enroulent au-
tour des fascicules qu'à un état de ténuité très grande.'
Veines DES nerfs. Ce que nous venons de dire
des dispositions et de l'ordonnance des vasa nervorum
artériels s'applique de tout point aux vasa nervorum
veineux : eux aussi se divisent en arcades, se prolon-
gent en rampant à la surface du nerf, s'irradient en
plexus dans son axe névrilemmatique; d'ordinaire, on
ne rencontre qu'une veinule par artériole. Mais leur
étude anatomique exige de plus longs développements,
et ici, une fois de plus, l'on reconnaîtra combien il
est insuffisant d'écrire, comme on le fait partout, que
les veines suivent le trajet des artères.
16 U ANATOMIE.
Nous étudierons successivement : '1 les veines des
nerfs superficiels; 2° les veines des nerfs profonds :
plexus, tissus nerveux satellites des gros vaisseaux,
nerfs musculaires.
I. Les nerfs superficiels sont presque tous
accolés à une grosse veine du système sous-cutané,
dont ils portent le nom et dont ils restent satellites sur
tout leur parcours : tels la veine et le nerf saphènes
internes, la veine et le nerf saphènes externes, le bra-
chial cutané interne et la veine médiane basilique, etc.
Les autres, le musculo-cutané, à la jambe, etc., sui-
vent des branches veineuses de second ordre.
Les veines de ces nerfs superficiels devraient se
jeter, semble-t-il, dans les grosses veines qu'ils accom-
pagnent : il n'en est rien. Les veines des nerfs super-
liciels se jettent constamment dans les veines profondes.
Ce fait inattendu, il est aisé de le vérifier dans toutes
les régions, au cou, aux membres, etc. Nous pren-
drons pour types le saphène interne et le musculo-
cutané à la jambe.
Le nerf saphène interne, dans sa portion jambière
(lig. 6), devient sous-cutané à la hauteur du condyle
interne du tibia, et presque aussitôt il s'unit à la veine
saphène interne, qu'il suivra jusqu'au pied; en dépit
de ces étroites connexions, le gros tronc veineux ne
lui fournit aucune branche. Richement vascularisé, le
saphène reçoit ses vaisseaux, en haut de la terminaison
de la grande anastomotique, plus loin, de rameaux
émanés des vaisseaux tibiaux postérieurs, et qui con-
tournent le bord interne du tibia. L'artère grande
anastomotique se prolonge derrière les tendons de la
patte d'oie, en un long ramuscule qui suit le côté
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 17
interne du nerf, et que deux veinules accompagnent;
ces veinules sont reliées à la saphène interne, très
voisine, par quelques
rares et fines anasto-
moses ; d'autre part,
elles donnent au nerf
jusqu'à quatre et cinq
rameaux très peu dis-
tants, et qui s'insinuent
en arcades dans son
épaisseur. Plus bas il
est aisé de retrouver la
série des rameaux qui se
détachent des vaisseaux
tibiaux postérieurs,
émergent de l'aponé-
vrose le long du bord
postérieur du tibia, glis-
sent au-dessous du tronc
de la saphène, en lui
abandonnant une mince
anastomose, et se bi-
furquent, pour plonger
dans le nerf. La figure 6
représente très exacte-
ment ces dispositions
constantes.
Sur l'autre face de la jambe, et au pied, le nerf
musculo-cutané reproduit aussi fort. nettement ce
mode de circulation veineuse, et nulle description
n'en saurait donner de meilleure idée que la figure 7,
dessinée d'après nature. Le nerf est représenté près
Archives, t. XXIII. 2
Fi,y. G. - Serf suphènc interne
à la face interne du genou.
NSI, nerf saphène. - A, grande anastomo
tique et veines qui l'accompagnent. B. 13, vais-
seaux du [ici saphène interne. C. C', anas-
tomose des \ cines grandes, anastomotiques avec
une branche voisine de la saphène interne V.
18 ANATOMIE.
du cou-de-pied, peu après sa division en deux bran-
ches ; disséquée et relevée, la peau laisse voir à sa
face profonde une grosse veine superficielle, branche
fit. 7. Nerf )712LSC2ll(J-CilEd7tC à la jambe.
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 19
de la saphène externe (VV). Les veinules qui émanent
des deux nerfs, très nombreuses et très'riches, se ren-
dent toutes dans une série de veines perforantes
(A. A. A.), qui traver-
sent l'aponévrose jam-
bière et aboutissent
aux veines tibiales an-
térieures. Or, chacune
de ces veines perfo-
rantes se relie par une
anastomose (BBB) à la
grosse veine sous-cuta-
née, branche de la sa-
phène : telles sont les
seules connexions du
système veineux sous-
cutané proprement dit
avec le réseau veineux
des nerfs ; aucun ra-
meau direct ne s'étend
des troncs veineux su-
perficiels aux nerfs qui
cheminent près d'eux.
On retrouve encore
cette disposition, très
nette et très typique,
sur la figure o qui montre une des branches du mus-
culo-cutané, au pied; aucune branchiole directe ne
relie le nerf à la grosse veine sous-cutanée (V) qui le
recouvre; les vasa nervorum veineux aboutissent à un
troncule qui perfore l'aponévrose et gagne la profon-
deur (V') ; c'est de lui que se détachent deux fines anasto-
Fig. S. ? ? ? nt'o-( ? c pied.
V, grosse veine sous-cutanée. V, reines du
nerf se rendant aux veines profondes. - N, bran-
che du niusculo-cutane. B, fines anastomoses
de la veine du nerf avec la grosse \ ci ne sous-
cutanée.
20 ' ANATOMIE.
moses (BB) destinées au tronc veineux superficiel voisin.
Il faudrait nous répéter, si nous voulions mettre en
lumière les mêmes particularités dans toutes les
régions ; mais il sera facile d'en vérifier l'exactitude.
Au membre supérieur, le long du brachial cutané
interne, le long du musculo-cutané, on voit émerger
de l'aponévrose une série de veinules, ou plutôt de
petits groupes artério-veineux, qui s'épanouissent, à
leur sortie, en un bouquet de ramuscules ; de ceux-ci
les plus gros plongent dans l'épaisseur des nerfs voi-
sins, ou, pour mieux dire, se bifurquent à leur contact,
et les suivent sur une longueur variable, avant d'y
pénétrer; les autres se perdent dans le réseau veineux
sous-cutané et dans le derme; quelques-uns, toujours
grêles, poursuivent leur trajet jusqu'aux troncs veineux
superficiels, et figurent autant d'anastomoses.
Ce mode de terminaison profonde des veines des
nerfs superficiels constitue un fait tellement général,
que, même aux doigts, les fines veinules qui émanent
des nerfs collatéraux ne sont pas tributaires du riche
plexus veineux sous-cutané; elles se jettent dans les
veines collatérales, veines d'ordinaire très petites et
qu'on a souvent niées, mais qu'on retrouve constam-
ment, après injection, à côté des artères collatérales
(fi ! }. 9).
Au cou, la veine jugulaire externe, qui longe ou
croise en écharpe la plupart des branches du plexus
cervical superficiel, ne reçoit pas non plus les veines
qui en émanent. Très fines, mais très nombreuses, ces
veinules, qu'une injection fine remplit seule, et qui se
voient bien aussi, simplement injectées par le sang,
sur les cadavres frais d'enfants, convergent vers le
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 21
bord postérieur du sterno-mastoïdien, et là, à la hau-
teur de sa partie
moyenne, elles re-
joignent, à travers
l'aponévrose, les vei-
nes profondes tribu-
taires des cervicales
ascendantes.
La loi ne souffre
donc pas d'excep-
tion : les veines des
nerfs superficiels se
jettent dans les vei-
nes profondes sous-
aponévrotiques, et,
nous pouvons ajou-
ter dès maintenant,
dans les veines qui
sont immédiatement
soumises à l'action
musculaire : il ne
sera pas difficile de
faire ressortir l'im-
portance physiologi-
que d'un pareil fait.
Sur les nerfs pro-
fonds, nous allons
trouver des dispositions protectrices du même genre'.
1 On peut supposer que primitivement, chez l'embryon, la distribution
vasculaire des nerfs était tout autre, et que la facilité plus grande du
courant sanguin vers les veines musculaires a déterminé l'atrophie des
autres vaisseaux, de même que le développement de la deuxième circu-
lation embryonnaire amène la disparition de la première. '
Fig. 9. Nerfs collatéraux des doigts.
N, N, nerfs collatéraux. V, V, vaisseaux colla-
téraux. A, A, A, veines des nerfs collatéraux se
jetant dans les veines collatérales.
22 ANATOMIE.
II. Prenons pour type, ici encore, le pneumo-
gastrique et le grand sympathique, au cou (/%'. 10).
Tous les deux ils sont accolés à la jugulaire in-
terne : or des veinules qui rampent à leur surface ou
qui s'anastomosent en arcades dans leur épaisseur,
aucune n'aboutit à la jugulaire interne. -
Il faut remarquer d'abord l'extrême abondance de
ces vasa nervorum veineux : avec une masse bien
pénétrante, il est assez facile de les injecter, car ils
sont très peu valvulaires, comme toutes les veines du
cou, et se laissent remplir par une injection rétrograde,
poussée dans la jugulaire. Sur une pièce bien
réussie, on trouve le ganglion cervical supérieur et le
plexus gauliforme du pneumogastrique couverts d'un
réseau très serré, à mailles allongées, dont nous dirons
dans un instant les terminaisons; plus bas, le long des
deux cordons nerveux, ce sont de longues arcades,
souvent doubles, qui se succèdent à courte distance :
presque toutes ces branches sont communes aux deux
nerfs, elles se divisent à la surface du premier d'entre
eux, puis se prolongent jusqu'au second, pour s'y
ramifier encore. Où se terminent-elles ?
Celles de la moitié inférieure des deux nerfs gagnent
les veines thyroïdiennes inférieures, au niveau de leur
portion coudée, mais un certain nombre se terminent
aussi dans le réseau des vasa vasorum de la carotide
primitive. Ce réseau péri-carotidien est d'une richesse
inouïe; bien rempli, il dessine autour de l'artère un
lacis de mailles des plus élégants ; d'ordinaire, un
ramuscule longitudinal chemine de chaque côté de
l'artère, et reçoit toute la série de ces branchioles
transversales; de loin en loin, il s'abouche par un
Fig. 10. Veines de* nerfv grand sympathique et pneumogastrique.
24 ANATOMIE.
petit troncule, dans la jugulaire interne. Nous retrou-
verons, sur toutes les grosses artères, ce rete mirabile
des vasa vasorum, dont l'étude précise semble avoir
été négligée. C'est à ce réseau que se rendent, pour
une part, les veines des nerfs satellites des grosses
artères, de là d'étroites connexions sur lesquelles il
nous faudra insister. -
Au cou, le rete mirabile péri-carotidien est donc
l'aboutissant d'une assez grande partie des vasa ner-
vorum veineux du pneumogastrique et du sympathique;
plus haut, les veinules nerveuses se rendent aux veines
thyroïdiennes supérieures; plus haut encore au niveau
des deux ganglions, la circulation en retour suit une
triple voie; en dedans, trois ou quatre ramuscules
gagnent le plexus latéro-pharyngien, c'est-à-dire le
groupe de veines, tributaires à la fois de la thyroïdienne
supérieure et de la pharyngienne inférieure, qui ram-
pent sur les côtés des constricteurs supérieur et
moyen, et se continuent en arrière, avec le plexus
rétro-pharyngé; ce sont là des veines musculaires, à
proprement parler, dont les branches originelles se
détachent toutes de l'épaisseur même de la paroi mus-
culaire du pharynx. Voilà un premier groupe. En
haut, un troncule veineux, qui s'intercale entre les
deux ganglions, et reçoit, à droite et à gauche, une
série de ramuscules émanés des plexus péri-ganglion-
naires, remonte aussi jusqu'à la pharyngienne infé-
rieure ; en dehors, d'autres branchioles, et parmi elles,
une veinule plus grosse, qui glisse obliquement sous
le plexus gangliforme et s'anastomose plus loin avec
la veine inter-ganglionnaire signalée tout à l'heure, se
portent au-devant des muscles profonds du cou, ram-
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 25
pent à la surface, et, sur le bord externe du grand droit
antérieur, rejoignent les plexus rachidiens antérieurs.
De par cette description, qui ne souffre que de
légères variantes, les
veines des ganglions du
pneumogastrique et du
sympathique sont toutes
tributaires de veines
musculaires, veines du
pharynx, ou veines des
muscles pré-vertébraux.
. Il en sera ainsi pour
les autres nerfs pro-
fonds : très rarement
leurs veines se rendent
aux gros troncs, où la
voie est large, mais sou-
vent obstruée, jamais
toutes celles d'un nerf
satellite n'aboutissent
au tronc veineux voi-
sin : une grande part va
toujours rejoindre un
plexus de veines mus-
culaires ou le rete des
vasa vasorum des gros
vaisseaux adjacents. Ce-
ci demande une courte
explication et quelques
exemples.
Qu'on veuille bien jeter les yeux. sur la figure 11,
qui représente le nerf, l'artère, et l'une des veines
Fig. il. - Veines du nerf tibial
postérieur.
A, artère tibiale postérieure. B, B, nffiucul
musculaires. - C, C, veines ncrveuses cub
taires des affluents musculaires. - nf , J, I
muscle jambier postérieur. - V, T, P, vein
tibiale postérieure. - N, nerf tibial postérieu
26 ANATOMIE.
tibiales postérieures, encore accolées à l'un des muscles
entre lesquels elles glissent. Les troncules veineux,
qui émergent du nerf, ne se jettent pas d'emblée dans
la veine tibiale postérieure; ils passent au-devant d'elle,
au-devant de l'artère, et ils vont rejoindre les rameaux
veineux d'origine musculaire. Et le fait se reproduit
sur toute la longueur du tronc nerveux : c'est toujours
par la voie d'un affluent musculaire que les veines
d'origine nerveuse se rendent à la veine principale.
Si, de loin. en loin, quelques veinules échappent à la
loi, et, directement, s'abouchent dans l'une des tibiales
postérieures, c'est encore à la hauteur d'un affluent
musculaire qu'elles l'abordent, et, par suite, elles
bénéficient, comme nous le disons plus loin, de l'im-
pulsion locale due à la contraction du muscle.
En réalité, il existe une association intime des veines
des muscles et des veines des nerfs, et, dans la pro-
fondeur des membres, les unes et les autres se réunis-
sent en une série de petits troncs, qu'on pourrait
qualifier de veines névro-musculaires, et dont la
figure 12 représente le type général. Sans insister
longuement, cet appareil veineux devient aisé à com-
prendre, et l'on saisit bien comment l'expulsion mus-
culaire, en accélérant le cours du sang dans le tron-
cule commun, active aussi la circulation veineuse
dans le nerf lui-même. Voilà donc un premier débou-
ché, le plus important, ouvert aux veines des nerfs;
il en est un second : les vasa vasorum de l'artère voi-
sine.
La circulation des parois artérielles n'a été, semble-
t-il, que peu étudiée; il existe là, pourtant, un sys-
tème tout spécial, d'une richesse toujours extrême, et
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 27
qui n'est pas sans avoir son rôle pathologique. Une
bonne injection dessine, autour des grosses artères,
de l'humérale, de la fémorale, des carotides, un lacis
à mailles étroites, surtout transversales, qui enserre
le tube vasculaire et se loge dans sa tunique adventice.
La double injection colorée permet de reconnaître,
dans ce réseau, des artérioles et des veinules, celles-
ci surtout sont abondantes. Sur les côtés de l'artère,
on voit, de place en place, se détacher de petites
branches, qui résument un territoire de vasa vasorum,
Fig. 12. Typa semi-schématique d'une veine névro-nausculaia·e.
A, affluent musculaire. A', affluent nerveux. R, veine néno-musculaire nais-
sant de la convergence de ces deux afflucnts. C, artère profonde et ses dcw veines,
l'une reçoit la veine névro-musculaire. M, muscle. N, nerf.
28 - - - ANATOMIE.
et, transversalement, se jettent dans l'une ou l'autre
des deux veines satellites.
. Or, c'est à ce rete péri-artériel que se rend une
assez grande partie des veinules émanées du nerf
voisin. La figure 13 mon-
tre ainsi le médian, au
bras, émettant une série
de ramuscules qui se
jettent dans le réseau
péri-huméral : de là naît
une dépendance étroite
entre la circulation du
nerf et celle de l'artère
elle-même. Mais ce
réseau veineux péri-arté-
riel reçoit lui-même, le
plus souvent, l'afflux des
rameaux musculaires voi-
sins ; nous n'en prendrons
pour exemple que ce qui
se passe dans le canal de
Hunter ( feg. 14). La fé-
morale, enlacée d'un
riche réseau de vasa vei-
nules, est côtoyée encore,
sur sa face antérieure.
par cette longue branche, à peu près constante, qu'on
décrit sous le nom de canal collatéral. C'est à ce canal
collatéral que se rendent les troncules terminaux du
rete des vasa vasorum, et lui-même n'est, en réalité,
qu'une veine musculaire; il naît, en bas, dans l'épais-
seur même du vaste interne, dont il se détache au
Pig. 13. - Réseau de vasa vasorum
de l'artère numérale (au bras) rece-
vant les veines d'un tronc nerveux
satellite (nerf médian).
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 29
niveau de l'anneau, pour s'accoler à l'artère. A la
même hauteur, le nerf saphène interne satellite de
l'artère suit sa face externe, et les veinules qui eu
partent aboutissent au réseau des vasa vasorum, dont
le canal collatéral est le centre et le confluent. L'in-
fluence musculaire intervient donc, ici encore, pour
Fzg. Il. - Serf saphène interne au niveau du canal de Hunier.
,\'1nerf saphène interne. M, muscle vaste interne. A, artère fémorale. Il, réseau
des vasa vasorum de l'artère. - V, V, veines du nerf se jetant dans Je réseau des vasa
vasorum. - C, origine du canal collatéral préfémoral, confluent des vasa vasorum, et
qui naît dans l'épaisseur du vaste interne. -
30 ' ANATOMIE.
actionner à la fois la circulation de la paroi artérielle
et celle du nerf satellite.
Nous ne nous arrêterons pas sur les nerfs muscu-
laires : les connexions de leurs vaisseaux avec ceux
du muscle lui-même semblaient toutes naturelles, leurs
veinules se jettent dans les veines du muscle; ils en .
partagent toutes les conditions circulatoires.
Arrivons aux nerfs des plexus. Ici, la complexité est
grande, à première vue. Le plexus brachial constitue
un bon sujet d'étude; une dissection soignée, après
injection complète, permet de constater ce qui suit
( ? i5) :
Des nerfs du plexus, richement vascularisés, émanent
une série de troncules, dont la direction semble, de
prime abord, sans ordre : de ces troncules veineux,
les uns, et ils occupent, en général, la face antérieure
du plexus, descendent, plus ou moins obliquement,
vers la grosse veine axillaire qui les reçoit; mais,
chemin faisant, chacun d'eux émet un ou deux ra-
meaux, qui s'insinuent entre les cordons voisins,
devant ou derrière l'artère, et plus loin, s'unissent à
d'autres ramuscules de même origine et de même
type, pour former, tout le long du plexus, une longue
voie collatérale, souvent dédoublée ou multiple : c'est
à ces voies collatérales que se rendent, pour la plus
grande part, les veinules des cordons du plexus. Or,
elles s'anastomosent, en bas, avec les veines circon-
flexes et, sur tout leur trajet, reçoivent toute la série
des veines qui se détachent des muscles ambiants. On
retrouve donc, là encore, associées les veines des nerfs
et les yeines musculaires. '
Nous n'insisterons pas plus longuement, et nous
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 31
ne cherchons qu'à marquer les grandes lignes de celle
circulation veineuse des nerfs. Quant au mode de
division des affluents veineux dans ¡épaisseur des
nerfs, il leur mode d'émergence, à leurs arcades, nous
renverrons à la description que nous avons donnée
plus haut des vasa nervorum artériels ; nous ne pour-
rions que la répéter. Il suffit, d'ailleurs, d'ouvrir un
grand sciatique bien injecté, pour trouver ces anses
veineuses inter-fasciculaires, qui le parcourent sur
toute sa longueur. Il n'existe, ordinairement, qu'une
veinule par artériole, dans l'épaisseur du nerf. - Assez
souvent, même en dehors de tout état variqueux, ces
Fig. 1j. Vaisseaux du plexus brachial.
32 ANATOMIE.
veinules sont flexueuses, et cela surtout au niveau des
articulations, aux points où les cordons nerveux sont
soumis à des alternatives fréquentes d'extension et de
flexion : le nerf tibial postérieur, derrière la mal-
léole interne, en fournit un très bon exemple (1îq. 11).
Nous pouvons maintenant, comme nous l'avons
fait pour les vasa nervorum artériels, résumer en
quelques mots les caractères généraux des vasa ner-
vorum veineux :
1° Les veines des nerfs superficiels se jettent toutes
dans les veines profondes; quand elles communiquent
avec les veines superficielles, ce n'est que par une
anastomose de petit calibre, et l'aboutissant profond
n'en existe pas moins;
2° Les veines des nerfs satellites d'un paquet arté-
rio-veineux se rendent, soit à la grosse veine voisine,
soit au réseau des vasa vasorum qui entourent
l'artère soit aux collatérales musculaires près de
leur embouchure. Mais elles ne se rendent jamais
toutes à la grosse veine, et la plupart gagnent les
veines musculaires;
3° Les veines des plexus se rendent aux canaux
collatéraux, qui ont une origine musculaire (plexus
brachial);
4° Le mode d'émergence, de division intra-troncu-
laire, des veines des nerfs est le même que celui
des artères.
L'étude qui vient d'être faite nous a révélé toute
une série d'analogies entre la circulation des nerfs péri-
phériques et celle des centres nerveux : en réalité,
si l'on tient compte des différences de masse, de struc-
ture et d'activité, le rapprochement se justifie de tout
ÉTUDE SUR LES VAISSEAUX SANGUINS DES NERFS. 33
point. C'est la même richesse vasculaire, ce sont les
mêmes dispositions, les mêmes procédés de ramescence
et de terminaison, destinés tous à préserver les élé-
ments nerveux du choc de l'ondée artérielle ou de la
stase du sang veineux.
Le nombre des artérioles qui s'échelonnent à courte
distance sur chaque segment d'un cordon nerveux,
leur volume relatif, leurs origines multiples et les voies'
collatérales toutes prêtes qui en résultent suffisent à'
démontrer combien est assurée l'irrigation artérielle des
nerfs. L'incidence oblique, la dichotomie régulière des
vaisseaux afférents et le long trajet que chaque bran-
chiole parcourt à la surface du nerf avant son immer-
gence, les arcades interfasciculaires, etc., arrêtent
toute irruption brusque du sang, du reste, réduit à
des colonnes très fines. Mais la circulation veineuse
est surtout remarquable. '
Nous trouvons ici un nouvel et frappant exemple
du rôle qui est dévolu au jeu musculaire dans la marche
du sang veineux. Les veines des nerfs superficiels se
rendent toutes aux veines profondes, c'est-à-dire à
celles qui sont directement actionnées par la contrac-
tion musculaire ; les veines des nerfs profonds s'anas-
tomosent- constamment et largement avec les veines
musculaires, et, de là, naissent une série d'appareils
névro-musculaires, analogues à celui qui est représenté
figure 2 : le sang, qui se précipite, chassé par le muscle,
entraîne celui qui sort du nerf. Ainsi, tout concourt
à assurer la régularité de la circulation en retour et à
prévenir la stase '. De ces faits, on peut tirer de nom-
' On peut admettre, d'autre part, que la dilatation des artères à
chaque systole cardiaque exerce une action évacuatrice, sinon sur les
Archives, t. XXIII. 3
34 fi. ANATOMIE.
breuses déductions. Nous avons vu déjà quel rôle
était légitimement attribuable au système des vasa ner-
vorum dans l'établissement des circulations collaté-
rales ? -
Il est, dans la pathologie des nerfs périphériques,
tout un groupe d'accidents, essentiellement passagers
et superficiels, qui relèvent, sans doute, d'influences
circulatoires. Certaines formes de névralgies, certains
troubles fonctionnels, s'expliquent par des variations
circulatoires, par des alternatives d'hyperhémie et de
stase ou d'anémie. En veut-on un exemple ? Nous
avons vu que le pneumogastrique et le sympathique
au cou reçoivent toutes leurs artères du système des
thyroïdiennes : n'est-il pas légitime d'admettre que
certains accidents , consécutifs à la thyroïdectomie
(aphonie, accès dyspnéiques, etc.), relèvent de cette
anémie passagère des deux nerfs, brusquement privés
de leur principale source d'irrigation artérielle ? Ce
sont surtout les phénomènes de stase qui se prêtent à
pareille explication, et il y a là toute une théorie vas-
culaire des névralgies.
Existe-t-il une réelle lésion des vasa nervorum, les
désordres seront plus étendus et plus durables : c'est
ce qui arrive dans les varices, quand le processus
d'ectasie s'étend jusqu'aux vaisseaux des nerfs, en
créant autour de lui une véritable névrite interstitielle
chronique. Telle est encore l'origine fort probable des
phénomènes douloureux qui compliquent certains
veines collatérales, comme l'a dit Tigri, au moins sur le collier veineux
qui les entourent : les vasa nervorum qui se jettent dans les lacis vei-
neux périartériels trouveraient ainsi des conditions favorables à leur cir-, ¡
culation.
DES IDÉES DE GRANDEUR CHEZ LES PERSÉCUTÉS. 35
varicocèles et se perpétuent avec une ténacité toute
, .,
particulière 1. : , - - Il 1 c , 1 11 n
Enfin, nous avons signalé les connexions étroites
qui relient les vaisseaux des nerfs aux vasa vasorum de
l'artère voisine : la nutrition des parois vasculaires et
- ,\ - . . t
celle des nerfs voisins sont, par suite, intimenent
associées , et, dans l'athérome , un grand nombre
d'accidents nerveux, reconnaissent, sans doute, une
telle pathogénie. 1
CLINIQUE MENTALE
DES IDÉES DE GRANDEUR CHEZ LES PERSÉCUTÉS»;
Par M. le D' J. CHRISTIAN,
Médecin de la Maison nationale de Charenton.
. 1 !
b). IDÉES DE grandeur alternant avec LES IDÉES DE PERSE-
CUTION. A première vue, les malades de cette catégorie ne
diffèrent pas de ceux dont je viens de parler : leurs idées de
grandeur sont de même nature. m'a semblé cependant qu'elles
. n'acquièrent pas la même fixité, ni la même ténacité : elles
alternent simplement avec les idées de persécution.
Chez ces malades, on ne voit pas non plus survenir la qua-
trième période, celle de pseudo-démence. Tant qu'ils vivent,.et
je parle de ceux qui atteignent un âge avancé, leur délire ne se
modifie pas. Tel était notamment l'officier de marine à propos
duquel nous avons si longuement discuté, M. Dontrebente et
moi. Il avait assurément des idées ambitieuses', et je ne l'ai
1 L'un de nous a observé l'altération des nerfs du cordon sur un paquet
de veines variqueuses, il en fera l'objet d'une communication prochaine.
s Voirleol}o 66, p."32. " , , ? J j^
, Je les avais, déjà signalées en 1881, quand je publiai, à un tout autre
point de vue, l'observation de cet intéressant persécuté. Voir Ann., jan-
vier 1882.
36 CLINIQUE MENTALE.
jamais nié; mais ces idées venaient et disparaissaient. Jusqu'à
la fin de sa vie (il est mort à soixante-douze ans d'un érysipèle
de la face), il était resté le même, et il n'était jamais
tombé dans la pseudo-démence si caractéristique des observa-
tions 12-15. Voici du reste quelques exemples choisis parmi
'd'anciens aliénés :
Observation XVI. L..., négociant, né en 1836, interné depuis
1872. Antécédents héréditaires probables; a fait quelques excès
alcooliques. Depuis son entrée se plaint continuellement d'être
électrisé, brillé, empoisonné, mécanisé; il demande « la liberté ou la
mort», car ce n'est'pas une existence de vivre au milieu de
« coquins et de maboules ». A fait même il y a quelques années une
tentative de suicide. Tel est le thème des incessantes réclamations
de L... Mais ce qu'il y a de curieux, c'est que, tantôt il signe ses
écrits de son véritable nom, et demande simplement à retourner
auprès de sa femme et de son fils, pour reprendre son commerce ;
tantôt il signe Henri de Bourbon, fils du comte de Chambord, héri-
tier du trône de France. Il saura faire valoir ses droits, « fût-ce
même, dit-il, au prix d'une révolution».
Depuis douze ans que j'observe ce malade, il ne s'est produit
chez lui aucun changement. Je sais chaque matin à l'avance ce
qu'il me dira à la visite; mais je ne sais j amais si c'est L... qui me
parlera, ou si au contraire ce ne sera pas Henri de Bourbon. Le ton
se modifie sensiblement selon le cas.
Observation XVIL-V..., néon 1850, entré en 1874. Grand-père
maternel aliéné. Enfant unique, a perdu très jeune son père, a été
élevé par sa mère qui n'avait aucune autorité sur lui. Peu intelli-
gent et peu travailleur, V... a échoué deux fois au baccalauréat; il
a fait un an de service militaire, puis on a essayé de le mettre
dans le commerce. Il n'est arrivé à rien, est devenu de plus en
plus difficile pour sa mère, qu'il a prise en aversion, et à laquelle
il ne pardonnait pas de vouloir régler ses dépenses. Il s'imagine
en effet qu'il possède une fortune énorme et qu'il est allié à toutes
les familles nobles du pays. Les parents de V... possédaient une
petite campagne dans un pays où un grand nombre de châteaux
et de propriétés appartenaient à des nobles de marque. V... cher-
chait à entrer en relations avec ces personnages titrés; il leur
écrivait, leur envoyait des chèques sur Rothschild, rédigeait des
testaments en leur faveur. En même temps, il faisait à sa mère des
scènes violentes, la menaçait, allait même aux voies de fait.
Il a conservé ses idées ambitieuses; il se croit toujours riche
à millions, mais les troubles de la sensibilité générale dominent.
Tout le monde cherche à l'empoisonner, même sa mère, ou du
DES IDÉES DE GRANDEUR CHEZ LES PERSÉCUTÉS. 37
moins la « femme » qui se dit sa mère. Ses vêtements, son
linge, sa literie, l'eau du bain, les aliments, le vin, tout est
rempli de poisons violents qu'on jette sur lui, ou même qu'on
lui respire. Ces idées rendent le malade très difficile pour son
entourage.
Observation XVIII. - Ch..., au moment de son admission (1884),
se disait chargé d'une haute mission; il devait inspecter les maisons
d'aliénés et faire un rapport secret au préfet de police. Il croit
qu'on veut l'empoisonner; il a quelquefois refusé de manger, sous
prétexte qu'il y avait du mercure dans le pain et dans le vin. On
le couvre de Humes, on lui inspire son souffle. Ses idées de gran-
deur sont toujours restées vagues ; le malade est du reste peu intel-
ligent.
c). PERSÉCUTÉS avec IDÉES d'orgueil, DE satisfaction
vagues, non FORMULÉES. -Dans les observations qui précèdent,
les quinze premières sont certainement des exemples de délire
chronique systématique : à la rigueur, on pourrait encore y
comprendre les trois observations suivantes (16-18). J'arrive
maintenant à une catégorie de persécutés chez qui on trouve
seulement « une opinion exagérée d'eux-mêmes, un certain
optimisme, et la conviction qu'ils sont doués de certains pou-
voirs ou de certaines qualités propres à eux seuls » . Camus et
pense que ce sont également des délirants chroniques; Maran-
don de Montyel aussi, en faisant remarquer cependant que l'or-
gueil et la haute idée d'eux-mêmes existaient chez ces malades,
bien avant l'éclosion du délire : cela les différencierait en un
point seulement, puisque les délirants chroniques sont des
sujets normaux jusqu'au début de l'affection mentale (Magnan).
Les persécutés de ce type ne sont pas rares. Je citerai comme
exemple le capitaine A..., ce malade qui s'est attiré une si
triste notoriété en assassinant le docteur Marchand. Depuis
dix ans que je l'observe, j'ai entendu tous les jours les mêmes
récriminations, les mêmes menaces, accompagnées des mêmes
déclamations vagues sur son « honneur, sa dignité d'homme
libre, de citoyen, sa vertu sans tache ». Jamais il n'est arrivé
à une idée de grandeur concrète. L'observation suivante est
plus caractéristique encore : .
Observation XIX. Ce malade, dans un accès de délire, a tué
sa maîtresse, avec laquelle il allait se marier. Reconnu aliéné, il
est, depuis 188C, séquestré à Charenlon. Déjà, avant le crime, il
38 CLINIQUE MENTALE. ,
avait été, pendant plusieurs mois, traité dans une maison de santé.
Fils unique, ayant perdu de bonne heure sa"mère,' II..., qui est
âgé d'environ quarante ans aujourd'hui, vint à Paris, sous pré-
texte de faire son droit; l'héritage maternel fut rapidement dissipé.
Pendant ce temps le père, retiré à la campagne, -dans un de ses
domaines, terminait ses jours en s'alcoolisant. J'ai lieu' de croire
= qu'il y a eu des aliénés dans la famille de X..., et que lui-même
faisait des excès alcooliques.
D'un esprit médiocre, X... a toujours été très fier de la fortune
considérable que'lui avaient laissée se's'parents, etils'en exagérait
singulièrement le chiffre. Cette fortune devait lui ouvrir toutes les
portes. « La place de député de son arrondissement lui revenait de
droit; s'il s'était présenté, son succès était certain. » De tout
temps/le grand bonheur de X... a été de frayer avec les personnages
titrés de son département : se montrer en public à côté de M. de...',
aller à la chasse avec le baron de..., s'habiller chez le tailleur et à
la mode du marquis de..., a toujours été pour lui la suprême féli-
cité. Il est encore tout glorieux d'avoir dépensé de grosses sommes
pour faire réussir l'élection du comte de... Au 10 Mai, il avait
essayé de jouer un rôle ; mais on eut vite pris la mesure du person-
nage, et si on lui permit de s'endetter pour la bonne cause, on
avait dû reconnaître qu'il ne serait jamais possible de l'utiliser
dans un poste quelconque.
MaisX... a conservé le souvenir des services qu'il a rendus, et il
attend la récompense. Ce sera une place dans une ambassade, u.ie
grande ambassade; « il s'est toujours senti une vocation pour
la diplomatie ». Aussi bien ne discute-t-il jamais pour savoir ce
qu'il demandera au gouvernement, mais uniquement pour dire
ce qu'il acceptera. Il ne tarit pas quand il parle de ses talents, de sa
finesse, de sa perspicacité, de son éloquence, de sa facilité de rédac-
tion (il a des caisses remplies de ses écrits); ou bien encore quand
il énumère ses propriétés, la valeur de ses terres. Mais jamais
d'idées de grandeur concrètes, tandis qu'au contraire, le délire de
persécutions est très nettement systématisé.
X... a des collatéraux qui convoitent son immense fortune. Ils
ont pour complice la haute police, dirigée par une ancienne mai-
tresse de X... la marquise. Nous tous, médecins, surveillants, infir-
miers, ne sommes que les agents stipendiés de cette haute police.
Ainsi il sait très bien que je suis chargé de le rendre fou en lui
rétrécissant le crâne, et en diminuent la quantité de sa matière
cérébrale. J'ai déjà notablement diminué son angle facial. Par mes
ordres, et sur les instigations de la « marquise », on met des poi-
sons dans ses aliments (strychnine, opium, nitrate acide de mer-
cure) ; des stupéfiants dans son tabac (stramoine, belladone,
jusquiame). On fait pénétrer des gaz délétères dans sa chambre,
on suscite des provocations pour qu'il attrape un mauvais coup... Sa
\ ...... -... 1 .
DES IDÉES DE GRANDEUR CHEZ LES PERSÉCUTÉS. 39
maîtresse n'est pas morte, elle est tout près d'ici, il l'entend, elle
vient la nuit, mais on l'empêche d'approcher.
' Ce malade est évidemment un persécuté, mais, quoiqu'il ait
de lui-même la plus haute idée, ce n'est pas un mégalo-
maniaque véritable, et je ne pense pas qu'il doive être rangé
parmi les délirants chroniques. Ce serait plutôt un dégénéré
héréditaire.
'Observation XX. -J'ai lu l'observation de ce malade à la Société
de médecine légale, et elle a été publiée dans un des derniers nu-
méros des Ann. d'hyg. et de méd. lég. (juin 1891). P... présente en
effet une particularité curieuse : il s'est pratiqué sur le corps, sur les
bras, une foule de tatouages symbolisant ses idées délirantes. Ici je
ne veux parler que de la forme même de son délire : il présente en
effet à un haut degré l'infatuation de lui-même, et il la traduit
dans un verbiage ampoulé, pompeux, rempli de mots prétentieux
dont je doute qu'il connaisse le sens exact. Veut-il, par exemple,
exprimer cette idée très simple que, s'étant marié, il ne rêvait
qu'une chose, vivre tranquillement avec sa femme, s'occuper de son
art, élever son enfant, il dira : Le sujet d'études (c'est lui) acquiert
par de nombreuses études théoriques et pratiques toute l'expérience
d'un homme de trente ans, il a du raisonnement, du sang-froid,
delà force confiante; son jugement, sa juridiction, sa prudence,
son honneur, sa loyauté, en font un homme redoutable. Cet
homme, ce prétendu propriétaire, cet artiste, cet athlète qui lutte
pour vivre, trouve dans la simplicité de ses moeurs tranquilles tout
le bonheur que la civilisation moderne peut lui offrir, etc. »
Mais il a des ennemis, des jaloux, des envieux : c L'un a dit : je te
ruinerai ; l'autre, je prendrai ta femme; un d'entre eux lui a craché
au visage, l'autre l'a excité pour le rendre criminel, le dernier va
pourrir son enfant, etc. » Mais < on a cru fabriquer un criminel,
faire une veuve, ruiner un pauvre, faire d'un gentilhomme une
espèce de brute, on a fait Minerve. »
P... a écrit des volumes de ce style. Il est généralement calme,
mais je l'ai vu entrer dans des accès de colère terrible, quand on
lui parle de sa femme, ou du médecin qui l'a soigné dans l'asile ou
il a été d'abord enfermé. '
Observation XXI. Le malade de l'observation précédente n'est
à Charenton que depuis six mois, il n'y a que dtx-huillllois eu tout
qu'il est interné. Enfin il n'a encore que trente ans. Je ne voudrais
donc pas affirmer que son délire ne changera pas, qu'il ne sortira
pas du vague et des généralités pour arriver à une conception
ambitieuse nette et définie; cependant cela me semble peu pro-
bable. ,
40 CLINIQUE MENTALE.
· Il en est autrement du malade dont je parle maintenant, et qui
est ici depuis 1867; il avait alors trente-huit ans. Or, si je compare
ses écrits de cette époque avec ceux qu'il me remet journellement,
je suis obligé de convenir qu'il n'existe absolument aucune diffé-
rence entre eux. Ce sont les mêmes plaintes formulées dans les
mêmes termes, les mêmes hallucinations décrites dans le même
style imagé, et enfin et par-dessus tout l'éternelle protestation de
l'homme a tel que lui qui est traité indignement, qui n'est pas à
sa place, pour lequel sa famille paie une pension considérable, et
cependant on le laisse manquer de tout. -
- Ce qui donne une saveur toute spéciale aux écrits de D..., c'est
son style, ce sont les mots qu'il invente, et dont quelques-uns sont
tout à fait pittoresques. Ainsi on le va-nu-pièle indignement; on ne
lui fait que va-nu-piétades. Des femmes s'acharnent après lui; les
unes, les hargneuses de nuit, lui glacent le sang, lui empêchent le
sommeil; les autres, les hargneuses de lieux d'aisances, les l'uffia-
niseuses, vont jusqu'à le polluer. C'est ici une maison à piratages
et à souffre-dolorisades. On voudrait même le pousser à des couteau-
lisades.
Je ne sais rien des antécédents de ce curieux persécuté. 11 a dû
avoir une jeunesse mouvementée, car sa famille, a bout d'expé-
dients, l'avait engagé comme matelot sur un bateau marchand.
Après quelques années de navigation, il était revenu, avait fait des
dettes, et essayé de se suicider. Il prétend s'être tiré un coup de
pistolet dans la bouche; deux balles auraient pénétré dans le crâne
et n'auraient pu être extraites ( ? ). J'ignore ce qu'il en est; il n'existe
rien, aucun symptôme quelconque, qui autorise à ce sujet une
supposition plausible.
d). PERSÉCUTÉS sans IDÉES DE grandeur. Tous les persé-
. cutés finissent-ils par être atteints de délire ambitieux ? Morel
ne le pensait pas. Cependant, dans la discussion à la Société
médico-psychologique, nous avons entendu quelques-uns de
nos collègues affirmer nettement que l'apparition des idées
ambitieuses est de règle, qu'aucun persécuté n'y échappe. S'il
n'y a pas d'idées de grandeur maintenant, il y en aura dans
un mois, dans un an, dans dix ans... Il est bien difficile de
. répondre à une objection de ce genre. Cependant, quand un
délire a duré quinze, vingt ans et davantage, on peut supposer
qu'il s'est constitué définitivement, et si, jusqu'à ce moment,
il n'y a pas eu d'idées ambitieuses, il est permis de croire qu'il
n'y en aura pas. J'ai connu des persécutés qui sont morts dans
la vieillesse, après avoir déliré pendant les deux tiers de leur
existence, pendant trente ou quarante ans au moins; jamais
DES IDÉES DE GRANDEUR CHEZ LES PERSÉCUTÉS. 41
on ne les a surpris..en flagrant délit de mégalomanie. Il y a
mieux : quelques-uns de ces malades, quand je les interrogeais
et que je m'efforçais de les mener sur un terrain ambitieux, se
rebiffaient, et me disaient nettement : « Ah ! çà, docteur,
est-ce que vous me prenez pour un fou, comme MM. X... et
Y... C'est bon pour eux de dire qu'ils sont fils de Napoléon III
ou du comte de Chambord, mais moi, je sais ce que je dis, et je
n'ai jamais eu de ces sottes imaginations ? ... »
On objecte encore que certains persécutés dissimulent soi-
gneusement leur délire de grandeur : M. Falret, si je ne me
trompe, en a connu un, qui avait su le cacher pendant vingt
ans. Il doit exister des faits de ce genre; mais sont-ils fré-
quents ? Le délire ambitieux est de sa nature expansif; les alié-
nés qui sont rois, empereurs, millionnaires, ont plutôt une
tendance à le crier sur les toits qu'à le tenir secret.
Que l'on fasse aussi large que l'on voudra la part des per- -
sécutés qui ne deviendront ambitieux que très tard, ou qui
cachent avec soin leurs idées de grandeur; que l'on admette
encore que chez beaucoup de malades je n'aie pas su démêler
ces idées de grandeur qui existaient réellement, je persiste à
croire cependant que certains pprsécutés ne deviennent pas
ambitieux. -
Dans la discussion, j'étais même allé plus loin; j'avais dit
qu'il « existe une catégorie de persécutés chez lesquels on peut
affirmer que jamais, à aucun moment, il ne surviendra de
délire des grandeurs ; ce sont ceux dont le délire s'alimente
exclusivement dans les troubles de la sensibilité génitale. Ces
malades n'arrivent jamais à la mégalomanie 1 n.
En parlant ainsi, je ne croyais vraiment pas avoir fait une
découverte; je me figurais simplement avoir signalé un fait
d'observation banale, journalière. Mal m'en a pris. J'avais bel
et bien dit une hérésie, et deux ans après, deux de mes distin-
gués confrères sont rentrés en campagne pour attaquer ma
proposition et me démontrer que je m'étais absolument
trompé 2.
Il est assurément flatteur pour moi d'avoir été critiqué avec
tant de science et d'esprit, et je ne manquerai pas de faire mon
profit des sages paroles par lesquelles M. Doutrebente a clos
1 Ann. médic. psychol., sept. 1887, p. 29G.
. Marandon de Montyel, Des Persécutés génitaux à idées de gran-
deur, in Ann., mars 1890. Doutrebente, Id., mai 1890.
42 , .. CLINIQUE MENTALE. > '
son argumentation. J'éviterai à l'avenir les.» affirmations trop
catégoriques », et je ne me risquerai plus à dire « ni jamais,
ni toujours ». Mais me suis-je bien fait comprendre ? Je voulais
soutenir en effet, non pas que les persécutés génitaux ne sau-
raient avoir d'idées de grandeur, mais que chez eux ces idées
ne sont qu'accessoires, qu'elles ne constituent pas le véritable
délire mégalomaniaque. Ce n'est qu'une question de hiérar-
chie de symptômes, mais nécessaire si l'on veut éviter toute
confusion.
Admettons si l'on veut,' que j'aie été trop absolu; admettons
qu'il convienne de ranger parmi les délirants' chroniques les
persécutés génitaux qui ont quelques idées accessoires de gran-
deur, - je resterai en droit de dire que certains persécutés ne
deviennent pas ambitieux, et parmi eux, est-ce un effet du
hasard ? se trouvent précisément des persécutés génitaux.
Je laisse de côté les malades dont l'affection est récente; et
je prends seulement, parmi mes anciens aliénés, ceux qui,
étant persécutés depuis de longues années, sont restés néan-
moins sans aucune velléité ambitieuse. En première ligne, j'en
citerai un, qui rentre dans la catégorie des pel'sécutés-persécu-
teurs, que Magnan range parmi les héréditaires dégénérés.
Observation XXII. M..., cinquante ans, propriétaire. N'a
jamais pu s'entendre avec son père, qui était du reste un homme
singulier. Quand celui-ci mourut, il fit un testament par lequel il
avantageait son frère, auquel il léguait notamment un domaine
important. 111... n'a jamais voulu reconnaître la validité de ce tes-
tament : il a plaidé, a été condamné à toutes les juridictions, mais
persiste à dire qu'il a été volé, et que le domaine est à lui. Un jour
il prend son fusil et va chez son frère, déclarant hautement qu'il
allait se faire justice lui-même et rentrer dans ses droits. On par-
vint à le désarmer, et depuis cette époque, il est séquestré.
M... s'est marié en 1883; mais sa manière d'être avec sa femme
était bizarre; souvent, sans motifs, il la quittait, et pendant plu-
sieurs semaines, on n'entendait plus parler de lui. Puis il revenait
comme si de rien n'était.
M..., entré en 1888, mais traité auparavant dans un asile de
province, est un malade sombre, peu communicatif. Il se plaint
souvent des misères qu'on lui fait, accuse son domestique de
l'espionner. S'anime dès qu'on lui parle de son frère. ·
Je crois que ce serait forcer les analogies que de considérer
comme une idée ambitieuse la revendication du domaine légué
à son frère. C'est là simplement une idée de persécuté qui pré-
DES IDÉES DE ,GRANDEUR' CHEZ LES PERSÉCUTÉS. 43
tend qu'on lui a fait tort, qu'on l'a lésé. Les malades de cette
espèce deviennent facilement dangereux ; j'en ai connu un qui,
à deux reprises différentes, chercha à jeter du vitriol à la figure
d'un notaire, qu'il accusait, sans aucune raison, de lui
avoir fait tort dans une succession. M... aurait, sans aucun
scrupule, tué son frère. , . , ..
L'observation suivante me paraît offrir un intérêt particulier;
il s'agit d'un persécuté, qui a soixante-quatre ans maintenant,
dont'le délire remonte certainement à plus de vingt-cinq ans,
et qui pourtant, jusqu'à présent, n'a manifesté aucune idée de
grandeur : ! ..., , r ? , .
Observation 'XXIII. --Jusqu'en'1879,1 5 ? occupait'une haute
situation dans un ministère. C'est un homme très intelligent, d'un
esprit très cultivé, poète à ses heures. Depuis longtemps sa famille
avait remarqué ses originalités, mais on n'y attachait pas grande
importance, on n'y voyait que des manies de vieux garçon. Il fut
très affecté par les événements de la guerre de 1870; son caractère
devint plus difficile. 11 voyagea beaucoup, et, comme on le sut plus
tard, c'était surtout pour dépister ses ennemis. Il n'y réussissait
pas toujours : à Palerme, il se prit de dispute dans un hôtel, parce
qu'on lui servait de l'eau empoisonnée; la police dut intervenir.
A Dublin, au moment de débarquer, il aperçut, sur le quai, l'émis-
saire déguisé chargé de l'espionner; il n'eut que le temps de se
rembarquer. Depuis quelques années, il changeait sans cesse de
restaurant, allait prendre ses repas dans les quartiers les plus
excentriques, ne manquait jamais de prélever une portion des
aliments et des boissons, qu'il faisait analyser au laboratoire muni-
cipal. Finalement il ne sortit plus qu'armé, et il déclara nettement
qu'il tuerait le collègue dont le bureau était au-dessus du sien,
parce qu'il profitait de ce voisinage pour lui envoyer des décharges
électriques. C'est alors qu'il fut placé à Charenton.
Le délire de S... est parfaitement systématisé : il est poursuivi
par la Camorra (lisez les Jésuites) à la tête de laquelle est un sien
neveu, qui n'a jamais été pour lui que plein d'affection et de défé-
rence. Ce neveu s'est affilié à l'ordre, il en est devenu le « Grand-
Inquisiteur » et il ne lui laisse aucun moment de repos. Tantôt il se
borne à des espiègleries,- comme de lui casser son lorgnon, de lui
déchirer son parapluie, ou la doublure de ses vêtements, tantôt il
intervient d'une façon plus incommodante en mettant du poison
dans ses aliments, en remplissant le tabac que l'on fume ici de
drogues stupéfiantes, et en dirigeant la fumée sur notre malade,
qu'on ne voit jamais qu'avec un mouchoir sous le nez. S... ne
mange pas de viande; il se nourrit surtout de lait et de pain. Été
comme hiver, il couche la fenêtre ouverte; je n'en finirais pas
44 CLINIQUE MENTALE.
d'énumérer ses bizarreries; cependant il est toujours de bonne
humeur. Ce malade est un type de persécuté halluciné (il a même
quelquefois des hallucinations de la vue) ; jamais ni dans ses écrits,
ni dans ses conversations, je n'ai pu surprendre aucune idée ambi-
tieuse.
Une autre observation que je pourrais citer est' celle d'un
capitaine invalide, entré en 1882 et âgé de soixante-quatorze
ans. Le délire de persécution doit être fort ancien chez lui;
car, étant sergent-major, il fut cassé de son grade à la suite
d'une altercation avec son capitaine. Les campagnes de Crimée
et d'Italie lui fournirent l'occasion de se réhabiliter et d'arri-
ver lui-même au grade d'officier. Il se maria une première fois ;
mais, après quelques mois, il renvoya sa femme, sans motif
sérieux; la malheureuse mourut de chagrin. Plus tard B...
devint aveugle, et c'est, paraît-il, de cette époque surtout que
datent les hallucinations multiples dont il est assailli. Depuis
que je le connais, ce malade, chaque matin, quand il m'en-
tend entrer dans la salle, me poursuit des mêmes récrimina-
tions, des mêmes réclamations ; « il veut retourner aux Inva-
lides, au milieu des officiers de la catégorie « Espagne ( ? ) . Sa
place n'est pas ici, on lui met du poison dans le vin, on
lui fait avaler des drogues malfaisantes, etc. Jamais aucune
idée ambitieuse quelconque.
Enfin je viens de perdre d'une affection organique du coeur,
un vieux malade, notre pensionnaire depuis treize ans. Jus-
qu'au dernier souffle il s'est plaint des mêmes tourments, il a
accusé les mêmes individus. « On l'a pris au milieu de son
commerce, sans qu'il sache pourquoi, il n'a jamais manqué à
ses devoirs; on a voulu le forcer de vendre son établissement;
on lui fait des misères de toutes sortes ; on lui met toutes sortes
de saletés dans le corps pour faire croire qu'il est malade. »
Il aurait pu sembler que P... eût des velléités ambitieuses, car il
estimait son fonds de commerce à plus d'un million. Mais des
renseignements précis que j'ai pu me procurer, il résulte que
telle en était la valeur réelle.
Mais de tous les persécutés, ce sont les génitaux qui m'ont
fourni le plus grand nombre de malades réfractaires au délire
des grandeurs '. C'est au moins une concordance avec ce que
1 Voir quelques Observations de mon Etude sur la mélancolie : Obs. 8,
27, 28, 29, etc. Elles ont été publiées en 1876, à une époque où il n'était
pas question de délire chronique.
DES IDÉES DE GRANDEUR CHEZ LES PERSÉCUTÉS. 45 5
je disais dans la discussion, et une preuve nouvelle que, si je
me trompe, mon erreur est pardonnable. 1
Observation XXIV. - B..., né en 1836, mène depuis de longues
années une existence bizarre. Brouillé avec les siens, il s'était retiré
sur une barque où il s'était installé avec une femme; il se faisait
remarquer non seulement par l'étrangeté de ses discours, mais
encore par la bizarrerie de son costume, la singularité de tous ses
faits et gestes. La femme avec laquelle il vivait vint à mourir :
B... prétendit qu'on l'avait assassinée par les ordres de la police;
il divagua de plus en plus, commit des actes répréhensibles; il
fallut l'interner. Dans le premier asile où il fut placé, B... se
montra comme un aliéné extrêmement violent et agressif, et à à
suite de voies de fait graves sur le médecin, il fut transféré à Cha-
renton(1883). -
B... est poursuivi par une bande d'individus policiers, qui ont
machiné le sous-sol de sa chambre, y ont installé des appareils
électriques, et lui lancent dans les bourses des décharges répétées;
quelquefois même, quand les décharges sont trop fortes, ils lui
font perdre. B... est toujours en mouvement; il se compare lui-
même dans son langage imagé, à un « dindon qu'on placerait sur
une plaque de fer rouge ». Il s'ingénie de mille manières pour
échapper à ses persécuteurs; il s'enveloppe les testicules de papier,
de feuilles d'arbres, d'écorces d'oranges, pour empêcher le fluide
d'y arriver. Il raconte en riant, car autant il était violent il y a
quelques années, autant il est devenu gai et sociable, tout ce
qu'on lui fait supporter ; et il s'en étonne d'autant plus qu'il n'a
jamais éprouvé, dit-il, le moindre désir d'un rapprochement sexuel.
Il affirme qu'il n'a jamais eu aucun rapport avec la femme qui a
été pendant des années sa compagne. Il suppose qu'il est mal con-
formé (en apparence les organes sexuels sont normaux), et il
s'étonne tout le premier des manoeuvres qu'on pratique sur lui.
Le délire reste cantonné dans ces limites.
Observation XXV. S..., né en 1833, a une soeur folle, enfer-
mée dans un asile. Un frère est mort alcoolique; la grand'mère a
été aliénée. Ancien restaurateur, S... a quitté les affaires depuis
quelques années, et s'était retiré à la campagne. C'est alors qu'on
lui a fait toutes sortes de misères. Comme il demeurait à côté du
Dépôt des Omnibus, il était en butte aux vexations des employés
qui l'insultaient, qui grimpaient sur le toit pour lui faire descendre
des injures par la cheminée ; enfin ils cherchaient à le monter. Sou-
vent on lui mettait quelque chose dans le vin qui le rendait rouge
et lui coupait bras et jambes. Pourquoi faisaient-ils tout cela ?
C'était pour le rendre sère, par le moyen du Marquis de la Rampe.
Il finit par m'expliquer que être sère, c'est être pris par der-
46 CLINIQUE MENTALE.
rière (pédérastie) : c'est là ce qu'on attend de lui, ou veut le désho-
norer. Ici (depuis 1887) on ne cesse de lui faire des misères ; il est
entouré de gens qui en veulent à son honneur. La nuit, pour l'em-
pêcher de dormir, médecin et surveillant font passer toutes sortes
d'imaginations devant son lit, on le pique, on lui chauffe les pieds,
on remue son matelas, on cherche surtout à le mettre en l'air (c'est-
à-dire à provoquer des érections).Dans la journée, c'est une autre'
affaire : on lui tourne le dos d'un air provocant, on tousse avec
affectation sur son passage. Un jour il se jette à coups de pied et à
coups de poing sur un pensionnaire qui s'était penché pour cueillir
une fleur : « il lui tendait son derrière comme qui dirait à un
enc... ! » Une autre fois il interpelle violemment un garçon qui se
dirigeait du côté des lieux d'aisance : « il donnait à entendre que
c'était bon pour lui, que c'était sa place ».
Observation XXVI. S..., lieutenant d'infanterie, quitte le
poste qu'il commandait au Louvre, et va se jeter dans la Seine.
Aussitôt repêché, il est conduit au Val-de-Grâce et de là à Cha-
renton. Il parait que depuis longtemps S... était triste, sombre,
taciturne; il avait des dettes, et l'on supposait que c'était la cause
de son humeur fantasque. En réalité, S... était tourmenté par les
hallucinations les plus variées; on l'électrisait, puis on agissait sur
lui par le contre-magnétisme. On chuchotait et on sifflotait quand il
passait dans la cour de la caserne; on faisait comprendre qu'il
était impuissant. Il y a quelques années S... a eu la syphilis ( ? )
dont il ne se croit pas guéri : autre source de préoccupations. Il
est généralement tranquille, se montre très réservé dans ses
plaintes. Mais j'ai été obligé de le placer dans la section de sûreté,
parce que, chaque fois que S... voit une femme, il se croit obligé de
se découvrir. Il ne peut pas faire autrement, dit-il, on le pousse à
montrer ses parties sexuelles, afin de prouver qu'il n'a pas cessé
d'être un homme.
Observation XXVII. G ? cultivateur, homme vigoureux et
robuste, dans la force de l'âge. Il y a quelques années, il fut atteint
d'une insolation, à la suite de laquelle se développa une otite :
commencement de surdité. Les hallucinations de l'ouïe datent de
cette époque. Aucune hérédité. Avant d'être placé à Charenton, le
malade a fait un séjour d'un au dans une maison de santé. C'est
dans les caves de cette maison de santé qu'est placé un puissant
appareil électrique, à l'aide duquel le Dry... lui envoie des déchar-
ges, et toujours dans le canal de l'urèthre : il provoque ainsi des
érections, quelquefois même des éjaculations. G... me supplie de
dire au Dru ? de cesser ces mauvaises farces; mais il est le pre-
mier à en rire, et il se borne à dire : « C'est-il pas malheureux dé
faire de pareilles misères à un homme comme moi qui n'a jamais
fait de mail »
DES IDÉES DE GRANDEUR CHEZ LES PERSÉCUTÉS. 47
IY. Il me paraît inutile de poursuivre cette revue, de
nouvelles observations n'ajouteraient rien à celles qui précè-
dent ; je puis conclure et je le ferai en peu de mots. Dans mon
travail j'ai envisagé d'une façon générale tous les aliénés que
nous appelons des persécutés; ils forment, à mon sens, une
grande famille; ils délirent tous de la même façon, par le
même mécanisme, chez tous il est permis d'admettre le même
trouble fondamental de l'intelligence.
Dans cette famille d'aliénés, il convient d'établir des groupes
distincts; chez tous le délire n'évolue pas de la même façon.
Et notamment, les uns deviennent ambitieux, les autres parais-
sent réfractaires aux idées de grandeur.
A l'époque de la fameuse discussion à la Société médico-
psychologique, j'étais persuadé que les idées ambitieuses ne
surviennent qu'exceptionnellement. J'étais dans l'erreur; c'est
le contraire qui semble être la vérité. Sur les quarante persé-
cutés, dont je viens de réunir les observations, j'en trouve
trente et un avec idées de grandeur plus ou moins développées,
soit plus des trois quarts. Je ne veux pas faire dire à ces chif-
fres plus qu'ils ne disent en réalité; les hasards des admissions
peuvent demain changer les proportions. Mais comme mes
observations n'ont pas été choisies arbitrairement, que je les
ai prises telles que je les ai rencontrées actuellement dans mon
service, je suis obligé de leur accorder une valeur non discu-
table au point de vue spécial qui m'occupe.
Il semble que la forme classique, complète, du délire de per-
sécution soit la forme délire chronique systématisé (Magnan) '.
Et, d'après mon observation personnelle, l'évolution du délire
serait généralement rapide. Chez la plupart de mes malades,
les idées de grandeur sont apparues peu après les idées de per-
sécution ; dans certains cas, on aurait pu les croire presque
contemporaines. En dehors des délirants chroniques, d'autres
persécutés présentent également des idées ambitieuses, mais
moins fixes, moins dominantes. '
Enfin il en restera toujours un certain nombre, qui, je le
répète, paraissent réfractaires au délire ambitieux, et, parmi
ceux-ci je trouve en majorité les persécutés génitaux. Pourquoi
en est-il ainsi ? Je ne me hasarderai pas à donner une explica-
tion. Le terrain sur lequel évolue le délire a certainement une
grande importance. Mais, dans la genèse des idées délirantes,
' Toutes réserves faites sur la quatrième période, dite de démence.
48 PATHOLOGIE NERVEUSE.
le rôle principal ne revient-il pas aux troubles si variés de la
sensibilité organique ? En portant nos recherches de ce côté,
nous trouverons peut-être une explication plausible des diffé-
rences d'aspect que la clinique nous fait découvrir chez les
persécutés. -
PATHOLOGIE NERVEUSE
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE
DIABÈTE SUCRÉ';
(TRAVAIL DE LI CLINIQUE DE M. LE PROFESSEUR CHARCOT)
PAR R
Georges GUINON, A. SOUQUES,
Chef de clinique. Interne (médaille d'or) des hôpitaux.
III.
Nous venons de voir jusqu'ici le diabète alterner
avec le tabes chez divers membres d'une même famille.
Nous avons hâte de démontrer que ces deux entités
morbides peuvent s'associer chez un seul individu et
évoluer pour leur compte personnel, sans qu'on ait le
droit de songer au pseudo-tabes diabétique ou à la
glycosurie tabétique.
C'est la partie à laquelle nous avions primitivement
limité notre étude; elle en constitue le chapitre le
plus important en raison de l'oubli dans lequel on
avait paru la laisser jusqu'ici. Les observations que
nous allons rapporter ont été recueillies par nous soit
1 Voir n 66, p. 305.
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 49
à la clinique, soit dans la clientèle privée de M. le pro-
fesseur Charcot.
Observation III.
A. Lem..., cinquante-neuf ans, maçon, entre le 10 juin 1800,
salle Prus, dans le service de M. le professeur Charcot.
Antécédents HÉRÉDITAIRES.- Son père, très obèse et très alcoo-
lique, est mort subitement. Sa mère, atteinte d'asthme avec em-
physème depuis de longues années, est morte à soixante-trois ans
d'étranglement herniaire. Il a eu cinq frères ou soeurs qui sont
tous morts jeunes d'affections inconnues de notre malade.
Il ne peut donner de renseignement sur ses grands parents ma-
ternels ni sur un certain nombre de membres de sa famille. Il sait
cependant que son grand-père paternel était un grand buveur et
un noceur. Il sait aussi qu'une de ses tantes, une soeur de son père
avait des crises de somnambulisme. En somme, son hérédité
pathologique peut se résumer dans le tableau suivant :
TABLEAU XXI
Antécédents personnels. Lem... n'a fait aucune maladie dans
son enfance. A quinze ans, il a appris le métier de maçon, qu'il a
exercé depuis lors. A dix-huit ans, blennorrhagie avec orchite. A
dix-neuf ans il se marie; de ce mariage naissent treize enfants, qui
sont tous morts à l'exception d'un seul.
A vingt-neuf ans, fracture malléolaire du pied gauche. Pendant
dix ans, de trente-neuf à quarante-neuf ans, il a eu tous les ans
au printemps une attaque de rhumatisme articulaire aigu. Presque
toutes les articulations étaient prises et chaque attaque durait de
Ancmves, t. XXIII. 4
80 PATHOLOGIE NERVEUSE.
deux à quatre- mois. Il a été soigné soit à Neckcr, soit à Saint-
Antoine et traité par le salicylate de soude.
Début du diabète. A cinquante-un ans, en 1882, il a eu une
balano-posthite avec paraphimosis qui l'amena dans le semé de
M. Teirier. L'interne aurait pratiqué une incision d'urgence et
trois semaines après notre malade aurait quitté l'hôpital Saint-
' Antoine, non complètement guéri cependant. En effet, deux mois
après il rentrait de nouveau. On lui fit une nouvelle opération sur
le prépuce et comme la plaie ne se cicatrisait point on analysa les
urines et on trouva du sucre. Une analyse faite à cette époque
aurait révélé 80 grammes de sucre par litre, glycosurie énorme
accompagnée de polyurie (8 à 0 litres par vingt-quatre heures),
polyphagie et polydepsie. Le malade fut alors envoyé à Cusset,
ayant toujours sa posthite qui mit encore un an à guérir. A la fin
de sa cure minérale ses urines ne renfermaient plus, dit-il, que
60 grammes de glycose par litre. A son retour de Vichy, il revint
à l'hôpital Saint-Antoine où il fut soumis à un régime approprié
' et d'où il put sortir quelque temps après, très sensiblement amé-
lioré. '
L'année suivante, en 1883, il rentra à l'hôpital Andral pour son
diabète. 11 avait encore, dit-il, 80 grammes de sucre par litre, pis-
sait, mangeait et buvait beaucoup. Apres sept mois de traitement
(viande crue), le sucre ayant notablement diminué, il sortait.
Depuis lors sa maladie ne l'a pas autrement incommodé; il
n'est resté qu'une fois il l'hôpital pour le taenia en 1884. Lorsqu'il
s'est présenté à la Salpêtrière il ne se doutait point qu'il pissait
encore du sucre. Il venait consulter pour des douleurs névralgi-
ques, pour des troubles oculaires, avec une ordonnance des
Quinze-Vingts où on lui avait dit de venir à la consultation de
M. Charcot.
Début du tabès. En juin 1889 il a été pris de diplopie très ma-
nifeste qui a duré un à deux mois; il voyait dans la rue les
hommes, les chevaux, les fiacres en double. Cette diplopie a dis-
paru pour ne plus revenir.
Il y a un mois, sa vue a baissé surtout dans l'oeil droit ; des dou-'
leurs névralgiques se sont montrées dans la région mastoïdienne
gauche. C'est pour cette amblyopie qu'il s'est présenté aux Quinze-
Vingts et ensuite à la Salpêtrière.
Etat actuel (juin 1890).- L'examen des urines révèle la pré-
sence d'une quantité notable de sucre. Le malade a de la poly-
depsie et de la polyphagie modérées cependant. Une analyse
pratiquée le 24 juin par M. Grenouillet, interne en pharmacie du
service, -donne les résultats suivants : urine de vingt-quatre
heures : trois litres, d'aspect louche, de couleur jaune pâle, am-
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 51
moniacale, alcaline, densité 1,020, contenant en totalité 35 grammes
d'urée, 27 grammes de chlorure et G gr. 3 de sulfate, sans albu-
mine, sans peptone, ni acétone, contenant enfin 122 gr. 83 de
glycose par vingt-quatre heures (40 gr. 94 par litre).
Homme obèse. Dents en bon état; pas de gingivite. Pas d'érup-
- tiens cutanées. La peau est de couleur normale sans sécheresse
manifeste. Pas de signe de Romberg. Absence totale des réflexes
rotuliens. La force musculaire générale est affaiblie; le malade se
fatigue plus vite que d'habitude et il se sent incapable de faire les
courses qu'il faisait l'an dernier. Cependant la force musculaire
dans les membres inférieurs est normale; il oppose aux mouvements
passifs une résistance énergique. Au reste, la démarche est à peine
troublée, si ce n'est que les jambes se dérobent de temps à autre
sous lui. La démarche est un peu gênée, mais sans caractère
spécial, et cette gêne semble tenir soit à la fracture ancienne
vicieusement consolidée, soit aux troubles de la vue.
Les troubles delà sensibilité sont multiples. Le malade se plaint
d'engourdissement dans les deux jambes, de la sensation impar-
faite du sol (il lui semble qu'il marche sur un tapis) avec hypéres-
tbésie assez marquée au niveau de la face dorsale des mains et
des pieds, bypérestbésie qui l'oblige parfois à enlever ses couver-
tures.
Pas d'anesthésie. Il n'a pas do douleurs fulgurantes bien nettes
ni dans les membres, ni au niveau de la ceinture. Il accuse sim-
plement quelques douleurs rapides (comme de l'eau qui coulerait)
qui ne sont du reste pas très vives et attirent peu son attention. Il
ressent en outre une sensation de lourdeur. S'il appuie un instant,
ses bras restent pendant quelques minutes « comme morts ».
Il se plaint surtout d'une névralgie caractérisée par des douleurs
vives, continuelles, aussi fortes le jour que la nuit, lancinantes
par moments, exagérées par les mouvements de la tête et l'obli-
geant à tenir sans cesse sa main appliquée contre l'oreille. Cette
douleur siège dans la région mastoïdienne du côté gauche. Elle a
un foyer maximum au niveau de l'apophyse masloïde, un second
à deux centimètres au-dessous de celle apophyse. La zone doulou-
reuse est limitée en arrière à trois ou quatre travers de doigt
du pavillon de l'oreille. Il n'y a en avant de l'oreille, ni en
d'autres points de la tête et du cou, aucun point douloureux. Cette
douleur est parfois sourde, tolérable, mais s'exagère par la pres-
sion, par la marche, par les mouvements.
Du côté de la sensibilité viscérale il nous faut signaler l'impuis-
sance remontant à de longues années et parfois de la sperma-
torrl1e sans érection, la paresse vésicale, qui l'ob ! ige à pousser,
avec arrêt momentané du jet de temps en temps.
l'as de crises vésicales, ni laryngées, ni stomacales, ni rectales,
etc.. -
tJ2 PATHOLOGIE NERVEUSE.
Du côté des sens spéciaux, le goût et l'odorat sont normaux.
L'ouïe est très affaiblie, surtout à gauche où le malade n'entend
pas le"tic tac d'une montre appliquée sur son oreille. A droite le
tic tac n'est pas entendu au delà de trois centimètres.
L'oeil est franchement tabétique. Myosis bilatéral. Signe d'Ar-
yll-Robertson avec absence complète de réaction des pupilles.
Rétrécissement irrégulier du champ visuel (v. fig. 13). Dyschroma-
topsie prononcée. Atrophie nacrée des papilles. Amblyopie encore
peu accusée, le malade voit assez nettement, joue aux cartes, etc...
L'état général est satisfaisant. Lem... est obèse, plutôt vigou-
reux d'aspect. L'appétit est exagéré, la soif augmentée, sans
troubles stomacaux ou intestinaux. Il porte au niveau de la verge
les vestiges cicatriciels de son ancienne baiano-posthite, une
hydrocèle vaginale du côté gauche, avec induration épididymairc
et hydrocèle vaginale du côté droit. Le pouls est normal et les
viscères ne présentent aucune altération appréciable.
Depuis son entrée dans le service delà clinique, le malade a été
soumis au régime et au traitement. Dans les deux premiers mois
la glycosurie a diminué alors que les manifestations oculaires ont
pris une intensité remarquable. En quelques mois l'atrophie est
devenue complète, la cécité absolue.
Dans ces derniers temps le traitement ayant été négligé par
Lem..., le sucre a atteint le même taux qu'à l'entrée. Les chiffres
ci-dessous montreront que le chiffre total de la glycose, sous l'in-
fluence d'une médication appropriée, avait baissé d'un tiers et que
l'abandon presque complet de la médication et du régime s'est
traduit par le retour au taux originel.
Fig. 13.-Rélrécissenzent irrégulier du champ visuel d'origine tabétique
chez un diabétique.
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 53
54 PATHOLOGIE NERVEUSE.
que nous voulons établir l'existence du tabes vrai.
Les troubles vésicaux plaident bien pour l'ataxie
locomotrice progressive : paresse vésicale avec arrêt
momentané du jet, mais ils ne sont pas ici suffisamment
caractéristiques et on pourrait objecter que de pareils
troubles urinaires ont été observés dans le diabète.
Par contre, les troubles oculaires nous semblent lever
ici toute espèce de difficulté; il s'agit d'amblyopie ta-
bétique, d'oeil tabétique au grand complet : myosis
bilatéral, signe d'Argyll Robertson, rétrécissement
irrégulier du champ visuel, dyschromatopsie et atro-
phie nacrée des papilles. Ce sont là incontestablement
des phénomènes qu'on ne trouve point chez les diabé-
tiques. Non pas qu'on ne rencontre point dans le dia-
bète des troubles et des lésions oculaires; mais combien
différents ! On y observe, d'après de Wecker et Landolt,
par ordre de fréquence, les altérations suivantes : 1° la
cataracte; 2° la paralysie de l'accommodation et des
muscles extrinsèques; 3° les troubles hémorrhagiques
du corps vitré; 4° des rétinites et des hémorrhagies
rétiniennes; 5° l'atrophie du nerf optique.
Les quatre premiers n'existent pas chez notre
malade. Quant à l'atrophie du nerf optique,- inutile
de faire remarquer qu'elle est exceptionnelle dans le
diabète. Elle ne ressemble du reste point à celle du
tabes. 111. Parinaud, qui a fait à diverses reprises
l'examen du fond de l'oeil chez Lem... est catégo-
rique sur l'existence, dans notre cas, d'une atro-
phie tabétique. Il n'est, du reste, pas éloigné de croire
que l'atrophie de la papille n'appartient jamais au
diabète. Quoi qu'il en soit, cette atrophie relève ici
du tabes. En outre, le myosis bilatéral, le signe
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE DIABETE SUCRÉ. 55
d'Argyll, la diplopiequi a duré deux-mois ne relèvent
point du diabète sucré. En' somme, nous trouvons
d'une part absence des signes oculaires classiques du
diabète et d'autre part présence des lésions et des
symptômes franchement tabétiques. L'hésitation n'est
point permise. Nous ferons enfin remarquer que le;
développement de l'amblyopie a coïncidé, chez notre
malade, avec l'institution d'un régime et d'un traite-
ment antidiabétique et avec l'amélioration du diabète,
ce qui n'aurait pas dû arriver, sans doute, si cette
amblyopie avait été sous la dépendance de celui-ci.
En résumé, si quelques accidents nerveux : perte
du réflexe rotalien, troubles de la sensibilité, frigidité
génitale, troubles vésicaux même ne peuvent être
équitablement partagés- et peuvent à la rigueur dé-
pendre du diabète aussi bien que du tabes, les trou-
bles oculaires relèvent incontestablement de l'ataxie
locomotrice progressive. Nous ne sommes donc pas
ici en présence d'un cas de pseudo-tabes diabétique
mais bien d'un cas d'association du véritable tabes
avec le vrai diabèle sucré. Et ce tabes à début ocu-
laire semble rester isolé et se cantonner aux yeux. Cet
arrêt du tabes qui débute par les yeux est la règle,
dans l'espèce. Le fait a été signalé par M. Charcot,
par Benedikt et tout récemment étudié par M. Martien.
Joannès '. - .
Observation IV.
E.Kat..., isréalite,. cinquante-six ans, courtier en assurances, se
présente à la consultation externe de la Salpêtrière, le 21 août 1890.
1 Jlartin Joannès. De l'atrophie du nerf optique et de sa valeur pro-,
nostique dans la sclérose des cordons postérieurs de la moelle épiniére
(Th. de Paris, 1890.) - . . ? ....
56 PATHOLOGIE NERVEUSE.
Antécédents héréditaires. Le malade ne peut donner aucun
renseignement précis sur ses grands parents. Son père est mort
dans la démence sénile; il avait des hématuries. Sa mère est
morte âgée; elle était, parait-il, coléreuse et emportée. Il a eu
six frères ou soeurs; trois sont morts d'affections n'ayant rien de
- : -spécial à noter. Parmi les trois qui lui restent, se trouve une de ses
soeurs qui a eu la danse de Saint-Guy, et dont une fille a également
eu la chorée de Sydenham.
Un oncle maternel est goutteux, un autre du côté paternel est
aliéné. Il y a en outre un certain nombre de membres de sa famille
qu'il ne fréquente pas et qu'il ne connaît presque pas. La généa-
logie peut être représentée par le tableau suivant :
TABLEAU XXIII
FAMILLE ISRAÉLITE
Antécédents PERSONNELS.K... n'a jamais été malade, ni dans son
enfance, ni dans son adolescence. A dix-neuf ans, en 1870, il s'est
engagé et a reçu quatre blessures sans gravité dont on voit encore
les cicatrices à l'épaule, au bras et au cou Deux blcnnorihagies, à
vingt-cinq et à trente-cinq ans. Pas de syphilis. Excès alcooliques
durant une quinzaine d'années.
Il s'est marié à vingt-neuf ans. Sa femme a eu neuf grossesses
(cinq fausses couches, quatre grossesses à terme; il reste aujour-
d'hui trois enfants bien portants). Deux ans avant son mariage, il
a eu un eczéma .variqueux à la jambe gauche où on voit actuelle-
ment des varices et une pigmentation accusée.
Début du labes. A vingt-huit ans, six mois avant son mariage,
il a éprouvé les premières douleurs au niveau de la cuisse gauche.
Celte crise douloureuse a duré vingt-quatre heures sous forme de
fulgurations rapides et courtes avec des intervalles de calme de
cinq à six minutes.
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 87 lui
Depuis cette époque ces crises de douleur se sont reproduites
avec des caractères identiques tous les deux ou trois mois environ,
et duraient quarante-huit heures en moyenne. Les douleurs surve-
naient brusquement, siégeant dans les orteils, à la malléole externe,
aux mollets, autour de la ceinture et parfois au niveau de l'épi-
gastre. Il n'en a jamais ressenti dans la face, dans le cou, ni
dans les membres inférieurs. Elles laissaient après elles une hypé-
resthésie cutanée très vive qui rendait la pression du pantalon
et le poids des couvertures intolérables. Elles le forçaient à
crier, à sauter en bas du lit et l'empêchaient complètement de
dormir. « Ce sont, dit-il, des douleurs atroces, intolérables, qui
m'empêchaient de dormir. » 11 a usé contre elles do toutes les
médications, bromure, iodure... morphine.
Il y a vingt ans s'est montrée une incoordination motrice; il
faisait des écarts et menaçait de tomber. Depuis vingt ans il marche
avec une canne.
C'est à la même époque que se sont montrés des troubles uri-
naires caractérisés par une paresse vésicale. Il était obligé de pous-
ser fortement, de se tirailler la verge et de pisser accroupi. Ces
troubles n'ont pas cessé depuis lors; s'il veut résister au besoin
d'uriner, l'urine sort toute seule brusquemenl. Parfois il pisse
involontairement quelques gouttes dans son pantalon.
Depuis une dizaine d'années, les troubles moteurs se sont nota-
blement accrus; fréquemment dans la marche ses jambes se
dérobent sous lui. Il marche, dit-il, comme un homme ivre, et il
est connu dans son quartier sous le sobriquet de a jambe de
laine ».
Début du diabète. En 1883, il y a sept ans, il avait à la jambe
un ulcère variqueux qu'on ne parvenait pas à guérir. On examina
ses urines et on y découvrit du sucre. Deux ans après, une analyse
méthodique indiquait 40 grammes de glycose par litre. Du reste,
à cette époque, il avait toute la symptomatologie du diabète con-
firmé ; il urinait souvent et beaucoup, sans qu'il ait jamais songé à
recueillir la totalité des urines. Il se levait la nuit cinq à six fois
pour pisser. Il buvait en proportion, ayant sans cesse la bouche
sèche et pâteuse. Il se levait la nuit pour pisser et pour boire. Sa
femme, qui l'accompagne, raconte qu'elle a remarqué, il y a dix ans,
une augmentation de la soif et de l'appétit. Son mari faisait six
repas par jour et se relevait même la nuit pour manger. Il avait
des somnolences invincibles, deux ou trois parjour.
K... est impuissant; depuis six ans il n'a eu aucune érection ; il
accuse cependant des désirs et même des éjaculdtions,
Depuis un an ses symptômes se seraient amendés. Lapolyphagie
n'est pas très accusée; il boit aux repas une quantité normale de
liquide; il n'a de polydipsie que la nuit.
00 PATHOLOGIE NERVEUSE.
Dans ces derniers mois son caractère s'est modifié : il est devenu
irritable et impatient. Depuis trois mois il n'a pas eu de crise de
douleurs fulgurantes, mais il éprouve des agacements, des four-
millements permanents dans les jambes, sensations qui n'ont, dit-il,
rien d'analogue aux crises douloureuses qu'il connaît bien; les
fourmillements sont soulagés par la position croisée des membres
inférieurs; aussi ne tient-il presque jamais ceux-ci dans la position
normale. Il accuse encore des crampes douloureuses que le port de
bas à varices ont fait disparaître.
Rien de particulier à noter dans les membres inférieurs si ce
n'est un « énervement» qu'il fait remonter à six mois.
Etat actuel (21 août 1890). K... est un homme de corpulence
moyenne, sans obésité. Il porte aux membres inférieurs des varices
très apparentes compliquées de cicatrices ulcéreuses et de pigmen-
tation brunâtre. Il présente des placards de psoriasis aux deux
mains (dos et paume de la main, pelit doigt et annulaire gauches).
Il est porteur de psoriasis depuis trente ans et en a eu dans dilfé-
rentes régions. "
Pollakiurie et polyurie modérées avec polyphagie etpolydipsiepeu
marquées. Les urines renferment, d'après un examen fait séance te-
nante par M. Oliuéro, interne en pharmacie du service, 15 grammes
de sucre, 8 gr. 15 d'urée, 5 grammes de chlorure, 0 gr. 9 de phos-
phate et 0 gr. 21 d'acide urique, le tout par litre, sans aucune trace
d'albumine. L'urine est trouble, acide, d'une densité normale, et
laisse déposer des phosphates ammoniaco magnésiens.
La bouche ez;t sèche, complètement dégarnie de dents qui sont
toutes tombées depuis une dizaine d'années. La langue est quadrillée
en gaufre, avec quelques plaques blanches, sans contractions fibril-
laires, sans atrophie appréciable.
Pas de troubles de la sensibilité autre que les engourdissements
et les crises de douleurs fulgurantes. Pas d'anesthésie, plutôt un
peu d'hypéresthésie et un peu de retard dans la perception des
sensations. Pas de crises laryngées ni gastriques. Le goût, l'odorat,
l'ouie, sont normaux. La vue est bonne, mais les pupilles sont
inégales et le signe d'Argyll Robertson est très net. Absence des
réflexes rotuliens. Signe de Romberg. L'incoordination motrice
est absolument typique. Le malade appuyé sur une canne progresse
en déviant de la ligné droite, en jetant ses jambes à droite el à
gauche. Cette démarcha qui n'a rien de celle de stepper est encore
plus incoordonnée et même impossible dans l'obscurité.
Le coeur est normal, le pouls a 76. Pas de troubles digestifs.
Troubles urinaires dejà signalés. Rien au foie ni dans les divers
organes. L'état général est très satisfaisant, le caractère gai et
l'humeur joviale.
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 59
Ici encore nous avons à relever la double héré-
dité arthritique et nerveuse. Nous soulignerons en
outre ce fait qu'il s'agit d'un israélite. La race juive
semble plus prédisposée au diabète et aux névropathies
que les autres races. C'est l'opinion de nombreux
médecins, de 11111. Charcot, Bouchard, etc.. et cette
opinion contre laquelle s'est élevé récemment M. Ger-
main Sée ' semble parfaitement établie. Elle repose
du reste sur ce fait d'observation clinique que les
juifs sont particulièrement atteints de maladies arthri-
tiques et névropathiques.
K... a éprouvé les premières douleurs fulgurantes,
il y a près de trente ans. Depuis lors, ces douleurs ont
reparu sous forme de crises absolument classiques
dans les membres inférieurs et autour de la ceinture.
Puis, huit ans plus tard, est survenue une incoordina-
tion motrice, avec des troubles urinaires bien spéciaux.
Ce n'est que vingt ans après, en plein tabes confirmé,
que la présence du sucre a été notée dans les urines
(40 grammes par litre) à propos d'un ulcère qui ne
guérissait point. Du reste cette glycosurie n'était pas
isolée; elle s'accompagnait de tout le cortège classi-
que du diabète : pollakiurie nocturne, polyurie, poly-
dipsie, polyphagie. Sous l'influence d'un traitement
approprié, les symptômes diabétiques s'amendent con-
sidérablement, sans modification parallèle des mani-
festations tabétiques.
En présence de ces divers symptômes, de leur
mode d'apparition, de leur caractère, de leur évolu-
tion, nous pensons qu'il s'agit ici d'une association
' Bullet. de l'Académie de Aféd., septembre 1891.
60 PATHOLOGIE NERVEUSE.
du tabes avec le diabète sucré. Et d'abord le tabes
est avéré, indiscutable, suffisamment établi par les
crises de douleur fulgurantes typiques, la constriction
en ceinture, l'incoordination motrice particulière, l'iné-
galité pupillaire, le signe d'Argyll, les signes de Rom-
berg et de Westphal, les troubles urinaires. Notre
malade est en outre un véritable diabétique.
Deux objections pourraient être opposées à celte
manière de voir :
1° Il s'agit d'un cas de pseudo-tabes diabétique dans
lequel les phénomènes nerveux ont précédé la gly-
cosurie pendant vingt ans.
2° Il s'agit d'une glycosurie tabétique. La première
objection n'est pas soutenable, car, si parmi les acci-
dents nerveux quelques-uns sont communs au tabes
et au diabète, il en est d'autres, comme l'inégalité
pupillaire, lesignedeRobertson, la démarche ataxique,
les troubles vésicaux, qui ne peuvent être mis sur le
compte de la maladie diabétique. Nous nous sommes
déjà expliqués sur la plupart d'entre eux. Quant aux
troubles moteurs, nous ferons remarquer en pas-
sant, qu'il y a loin de la démarche de stepper à l'in-
coordination typique du tabes.
La seconde objection est beaucoup plus sérieuse. Et
pourtant, dans notre cas, la glycosurie ne saurait être
symptomatique d'une lésion tabétique propagée au
quatrième ventricule, comme dans les observations de
Oppenheim, Reumont et Fischer, et cela pour plu-
sieurs bonnes raisons. D'abord, parce que cette glyco-
surie au lieu d'être isolée, s'est accompagnée de la
symptomatologie habituelle du diabète, ensuite parce
qu'elle s'est amendée sous l'influence d'un traitement
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 61
antidiabétique, enfin, et surtout parce qu'elle ne s'ac.
compagne point de cerlains signes habituels, concomi-
tants : fréquence du pouls, troubles sensitifs dans le
domaine du trijumeau, etc., qui, ainsi que nous le
verrons plus loin, semblent être les compagnons ordi-
naires de la glycosurie d'origine tabétique'.
Bref, comme dans l'observation III, il s'agit d'un
cas d'association du tabes vrai avec le véritable dia-
bète sucré. Mais, contrairement au cas précédent,
c'est ici le tabes qui a débuté et le diabète qui a suivi,
soit que celui-là ait servi d'agent provocateur, soit
qu'au contraire cette association soit simplement le
^fait de la prédisposition héréditaire.
Observation V (personnelle).
M. C..., soixante ans, rentier, vu par M. Charcot.
Pas d'antécédents héréditaires.
Syphilis dans la première jeunesse (vingt-deux ans ? ). Obèse.
Début du- tabes à l'âge de quarante-neuf ans par les douleurs
fulgurantes.
ETVT actuel (mai 1889). Signe de Westphal.
Signe de Romberg très accentué.
Myosis avec signe d'Argyll Robertson. Pas de cataracte.
Douleurs fulgurantes autrefois très violentes, maintenant plus
fréquentes mais beaucoup moins sévères.
Troubles vésicaux, rétention d'urine; ne peut uriner qu'à l'aide
de la sonde.
Démarche nettement ataxique. Talonnement, seulement le pied
est un peu mou, mais sans steppage véritable, à cause d'un degré
assez accentué d'atrophie des muscles des jambes avec prédomi-
nance sur les extenseurs du pied.
Diabète constaté il y a au moins trois ans. Le malade a toujours
été et est encore gros mangeur et boit beaucoup. Il y a eu une période
de polyurie, mais ce fait est assez difficile à préciser à cause de la
présence des troubles vésicaux tabéliques qui existaient déjà à
cette époque.
Octobre 1889. La suspension a quelque peu amélioré certains
symptômes tabétiques, les douleurs fulgurantes en particulier et
62 pathologie NERVEUSE.
la démarche. Mais celle-ci reste encore assez ataxique pour que
l'atrophie des extenseurs ne donne pas lieu à la démarche franche
du steppe1', Cependant le genou est toujours fortement élevé dans
l'action de porter le pied en avant. Le sucre a été tout le temps
constaté dans l'urine, examinée une fois par semaine.
Cette observation est à peu près calquée sur la
précédente; elle est justiciable de la même argumen-
tation et des mêmes conclusions : elle a trait à un cas
d'association du tabes avec le diabète sucré. -
Observation VI.
F. de la P..., soixante ans, journaliste, se présente à la consulta-
tion externe de la Salpêtrière, le 2 septembre 189t.
Antécédents héréditaires. Nos recherches sur une tare
névropathique ou arthritique sont restées infructueuses. Jamais
D... n'a entendu parler de maladie dans sa famille. Tous les mem-
bres qu'il connaît n'ont ou n'ont eu ni affection nerveuse, ni
goutle, ni diabète, ni rhumatisme, ni obésité, ni manifestations
arthritiques.
Antécédents personnels. Lui-même est sobre mais s'est pen-
dant de longues années, livré à des travaux intellectuels excessifs;
il a été rédacteur de plusieurs journaux politiques et travaillé céré-
bralement douze heures par jour durant quinze ans. C'est à ce
surmenage intellectuel qu'il attribue sa maladie.
A dix-sept ans, en 18S, après être resté trois heures sur la
glace, il a été pris d'un rhumatisme articulaire aigu qui l'a retenu
trois mois au lit. Depuis cette époque, il a eu deux crises sembla-
bles qui ont duré moins longtemps et enfin depuis 1889 il n'a plus
eu de douleurs rhumatismales.
Début du diabète. Il s'est aperçu qu'il avait du sucre dans
les urines en 1888. Mais le début réel du diabète remonte pro-
bablement au delà. Depuis au moins cinq ans il buvait et urinait
beaucoup, et il avait « un bel appétit ». c Mes deux meubles
essentiels, dit-il, étaient une carafe d'eau et un pot de cham-
bre. Je n'osais plus dîner en ville. » Enfin, il accuse une impuis-
sance qui remonterait à une quinzaine d'années.
Quoi qu'il en soit, en 1888, un examen méthodique des urines
fut fait. On trouva 45 grammes de sucre par litre avec une polyurie
de 10 à 12 litres par jour. Une gingivite se produisit avec expul-
sion de deux dents. Il fut mis tout d'abord au régime sans médi-
action. Deux mois après la polyurie diminuait et l'urine ne conte-
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 63
nait plus que 5 grammes de glycose par litre. Enfin, quatre mois
plus tard la quantité de sucre n'était plus dosable. La soif avait
disparu et la quantité d'urine émise était sensiblement normale.
Définis cette époque, six mois après, le malade a repris son régime
habituel.
En 1889, il eut une bronchopneumonie; on fit examiner et
doser ses urines et on trouva 3 grammes de sucre par litre. Il se
remit au régime et le sucre disparut rapidement. Une analyse
pratiquée en avril 1890 ne révélait aucune trace de glycose.
Début du tabès. - En novembre 1889, alors qu'il n'y avait déjà
plus de sucre dans l'urine, D... fut pris d'engourdissements et de
fourmillements dans les pieds, en même temps que de faiblesse
dans les genoux et do gêne dans la marche. Cette gêne s'accusa
rapidement et en quelques mois l'incoordination était com-
plète.
En juin 1890 se montrèrent des douleurs fulgurantes survenant
par crises, lancinantes ou térébrantes, siégeant dans les membres
inférieurs au niveau des articulations, des cuisses et des mollets.
Ces douleurs sont vives et courtes, quotidiennes, sous forme d'accès
qui durent une heure environ et se répèlent deux ou trois fois par
jour; ces accès n'ont pas cessé depuis lors. Le malade les distingue
très explicitement d'un endolorissement, d'un engourdissement
tolérable qui est continuel. « Sur ce fond d'engourdissement,
.dit-il, se greffent les crises douloureuses. » En outre, il se plaint
de dérobements brusques des jambes, d'effondrements qui joints à
l'incoordination occasionnent des chutes fréquentes.
Depuis le mois de juin et pendant six mois, il « a été tour-
menté par des anthrax dans le dos; le premier qui a duré environ
deux mois avait quarante centimètres ( ? ) de tour. Il en est venu
un second de dimension moindre suivi d'un abcès, puis un troi-
sième. «Pendant ces six mois, ['infirmité de mes jambes, écrit-il,
n'a cessé de s'accroître, et maintenant il m'est à peu près impos- '-
sible de marcher seul. » La recherche du sucre n'a pas été faite
durant cette période.
Etat actuel (2 septembre 1891). Homme d'aspect assez
robuste, d'embonpoint ordinaire. 1
Comme troubles de la sensibilité, il se plaint des douleurs à type
fulgurant que nous avons signalées et d'engourdissement dans les
pieds, les jambes et les mains, qui le gênent pour s'habiller. Il a la
sensation subjective de la perle, de l'absence de ses pieds. a J'ai
conscience d'un corps au bout de mes jambes, mais je ne puis
rien dire de sa forme ni de ses limites. C'est une chose indéter-
minée douloureuse. » Aux mains, l'engourdissement occupe les
deux premières phalanges des doigts. Enfin il accuse une sensa-
tion de gonflement et d'engourdissement dans la moitié inférieure
64 -il PATHOLOGIE NERVEUSE.
du visage. Toutes ces sensations sont purement subjectives et ne
correspondent à aucune anesthésie ou hypéresthésie objectives. Sa
bouche n'est ni sèche ni amère; deux dénis font défaut. Pas de
troubles appréciables de la sensibilité objective, générale ou sen-
sorielle.
Les troubles génito-urinaires sont une impuissance absolue et
une légère incontinence d'urine de temps à autre.
Comme troubles moteurs, incoordination absolument tabétique.
Le malade ne peut marcher sans aide; il jette follement ses
jambes en dehors et talonne fortement. Et cependant il n'y a au-
cune espèce de parésie ; la force musculaire est intacte et le ma-
lade résiste vigoureusement, normalement aux mouvements pas-
sifs effectués dans les divers segments des membres inférieurs. Il
suffit de le voir marcher pour reconnaître la démarche classique
du tabes.
Les réflexes rotuliens sont abolis totalement, même par le pro-
cédé de Jendrassik. Le signe de Romberg est poussé à l'extrême;
le malade est incapable de se tenir debout, les yeux ouverts,
sans osciller et sans menacer de tomber.
Il n'accuse aucun trouble oculaire ; aucun trouble gas-
trique ou laryngé. Le coeur est sain, le pouls bat régulièrement à
80°. Les divers viscères sont normaux. L'état général est bon,
l'intelligence remarquablement lucide. Il n'a rien de l'état mental
des diabétiques.
L'examen des urines n'a révélé aucune trace de sucre ni d'albu-
mine à quinze jours de dislance. La soif, l'urination, l'appétit sont
normaux.
Nous voyons dans l'observation que nous venons
de résumer un homme, sans hérédité connue, sur-
mené infellectuellement, devenir diabétique et rester
- la chose est fréquente plusieurs années sans
s'en douter. Le seul régime suffit en quelques mois à
guérir les accidents. L'analyse du mois d'avril 1890
que nous avons eue sous les yeux et deux examens
pratiqués à la Salpêtrière en septembre 1891, confir-
ment la guérison de la glycosurie diabétique et l'in-
terrogatoire ne révèle plus aucun des signes habituels
au diabète.
Mais, par une coïncidence bizarre à priori et qui,
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 65
en réalité, pourrait bien avoir joué un certain rôle
dans cette guérison, la disparition du sucre et des
symptômes diabétiques coïncide précisément avec l'ap-
parition de phénomènes tabétiques; troubles de la sen-
sibilité, incoordination motrice à évolution rapide, signe
de Westphal et de Romberg. Ces phénomènes s'ins-
tallent rapidement et dominent actuellement la scène.
Que peut-on conclure de cette succession morbide ?
Les accidents nerveux actuels ressortissent-ils au
tabes vrai ? Ne pourraient-ils pas être mis sur le compte
du diabète et ne s'agirait-il pas en vérité de pseudo-
tabes d'ordre diabétique ? Cette dernière hypothèse
est bien difficile à défendre; il est presque impossible
de concevoir l'évolution d'un pseudo-tabes diabétique,
durant depuis deux ans, avec aggravation des phéno-
mènes nerveux, en l'absence de la glycosurie et des
autres signes du diabète. Au surplus, un certain
nombre de signes, entre autres l'incoordination typi-
que, ne sauraient appartenir au diabète sucré.
L'existence actuelle du tabes vrai ne semble donc
pas niable. La coïncidence de son apparition avec la
disparition apparente sinon réelle du diabète est un
fait d'observation intéressant à souligner. Ne sait-on
. ZD
pas que le sucre disparaît des urines dans le cours
d'une affection inflammatoire ? Trousseau ne signale-
t-il pas cette disparition chez un diabétique dont la
glycosurie qui durait depuis dix ans « cessa, dit-il,
subitement et définitivement le jour où le malade fut
frappé d'accidents cérébraux, dus probablement à une
hémorrhagie du cerveau, suivie de ramollissement 1 )) ?
. Trousseau. Clinique médicale, 5° édit., t. II, p. 812.
Archives, t. XXIII. 5
66 PATHOLOGIE NERVEUSE.
Sauvage', ne déclare-t-il pas que lorsqu'un diabétique
devient fou le sucre disparaît parfois de l'urine ? Du
reste, dans les affections du système nerveux, l'atté-
nuation, l'arrêt ou la disparition de la maladie la
première en date, lorsque survient la seconde, n'est
pas chose exceptionnelle. Notre maître, M. Charcot,
nous a dit avoir vu plusieurs fois des faits de ce
genre.
Point n'est besoin, pour interpréter la succession,
chez un même individu, de deux états morbides, de res-
susciter la théorie oubliée de Lony De -Mutationibus
morborum. Il ne s'agit point de mutation dans l'es-
pèce. La parenté héréditaire du diabète avec le tabes
suffit à expliquer cette succession, chez le même
individu, d'affections pathologiques distinctes quoique
unies par des liens de famille 2,
' Soc. de méd. de Goudres, 28 octobre 1889.
1 Les liens de parenté entre le diabète et le tabes ou plus généra-
lement entre l'arthritisme et les névropathies diverses par transformation
héréditaire avaient déjà été notés par Morel (Ai-eh. de méd, 1869, t. I,
p. 589).
« Sans doute, dit-il, il est difficile d'admettre, au premier aspect, que
beaucoup d'arrêts de développement, que diverses infirmités physiques,
que des affections dites organiques du système nerveux, voire même
certaines monstruosités soient le résultat de l'hérédité progressive ou
accumulée. '
«Mais il est impossible de ne pas se rendre à l'évidence lorsqu'il est
possible de prouver qu'une foule d'individus strabiques, porteurs de
pieds bots, affligés de telles ou telles maladies organiques du système
nerveux (ramollissement cérébral, ataxie locomotrice), victimes en outre
de certaines affections diathésiques (goutte, diabète) présentent enfin
certains arrêts de développement, dont quelques-uns constituent des
monstruosités caractérisées; il est impossible, dis-je, de ne pas se rendre
à l'évidence, lorsque l'observation consciencieuse des faits nous apprend
que tous ces êtres pathologiques sont les descendants d'individus qui
souvent n'ont oliert à nos recherches que l'état rudimentaire, pour ainsi
dire, d'une perturbation dans leurs fonctions nerveuses.
« L'étude des phénomènes de l'hérédité morbide progressive a préci-
sément pour objet de formuler les lois en vertu desquelles s'opèrent les
transformations maladives dans la descendance des névropathes. »
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 67
En somme, il s'agit encore ici d'association du tabes
vrai avec le diabète, chez un même sujet. Mais les
deux maladies se sont succédées au lieu de coexister.
Ou, du moins, si elles coexistent, l'une d'elles est à
l'état latent n'attendant peut-être qu'une occasion
pour reparaître.
Ce n'est donc pas seulement dans une même
famille qu'on rencontre la coexistence .du tabes'et du
diabète. Les quatre observations que nous venons de
résumer montrent que cette association existe aussi
chez un seul individu. Et très vraisemblablement ces
cas d'association tabético-diabétique sont plus fréquents
qu'on ne pense. Il est probable qu'un certain nombre
d'entre eux ont été méconnus par les cliniciens, qui
semblent s'être uniquement préoccupés de rattacher
tout le complexus morbide soit au diabète soit au
tabes seuls. Encore une fois, nous ne nions en aucune
manière les cas de pseudo-tabes diabétique ni ceux de
glycosurie tabétique; nous pourrions même en citer
des exemples personnels. Mais nous voulons faire une
place clinique aux cas d'association, qui la méritent
bien. '
Dans les recherches que nous avons faites, nous
n'avons pas trouvé de cas analogue. Nous devons faire
une exception en faveur de Fischer qui mentionne
trois observations intéressantes, malheureusement in-
complètes et incapables d'entraîner la conviction abso-
lue. Sans être catégoriquement affirmatif, l'auteur fait
de prudentes réserves, que nous partageons entière-
ment. Voici comme spécimen le résumé d'un de ces
trois cas : z
L
68 PATHOLOGIE NERVEUSE.
Observation VII. (FiscHER Centralb. fùr Nervenheilk., 1886,
p. 545.)
X..., soixante-dix ans, probablement syphilitique, se plaint de-
puis de longues années de faiblesse dans la jambe droite qui l'em-
pêche de marcher longtemps. Depuis trois ans on a constaté beau-
coup de sucre dans l'urine, sans polyurie ni polydipsie, et depuis
de longues années il présente des dépôts goutteux articulaires.
Il éprouve dans les jambes des douleurs qui ne revêtent point le
caractère lancinant, avec paresthésies dans les orteils et dans les
doigts surtout au pouce. Démarche talonnante, incertaine dans
l'obscurité. Douleurs en ceinture pas très nettes dans la région
abdominale inférieure ainsi que dans la région dorsale. Les urines
et les selles sont si impérieuses parfois que le malade a à peine le
temps de sortir de chez lui. Diminution de l'acuité visuelle consé-
cutive à une cataracte commençante.
En juin 1885, à la suite d'un traumatisme (chute dans l'escalier)
l'état s'aggrave. Furonculose à Wiesbaden.
Etat actuel 1886. Amaurose commençante. Les pupilles sont
étroites mais réagissent à la lumière. Absence de dents. La station
debout, les yeux fermés, est très incertaine. Incoordination mo-
trice très nette. Perte des réflexes aux bras et aux genoux. Anes-
thésie de la plante des pieds. Troubles du tact.
L'urine a une densité de 1,028 et renferme de 10 à 25 grammes
de sucre par litre. L'auteur a souvent vu le malade depuis celte
époque et constata la persistance des signes spéciaux. Le sucre di-
minua sans disparaître.
Pour notre compte, nous admettons très volon-
tiers, dans ce cas, l'association du tabes vrai avec le
véritable diabète sucré. C'est du reste l'opinion à
laquelle semble se rattacher l'auteur, lorsque, sans
affirmer catégoriquement, il écrit : « Dans tous les
cas, rien ne prouve qu'il se soit uniquement agi du
diabète. Malheureusement je n'ai pu ni suivre l'évolu-
tion de la maladie, ni faire l'autopsie. Cependant,
quoique le diagnostic de ces cas ne soit pas ferme, je
pense qu'on ne peut sûrement, dans aucun d'eux,
éliminer le diagnostic de tabes. » (A suivre.)
CLINIQUE NERVEUSE
HOSPICE DE la Salpêtrière. SERVICE DE M. CHARCOT
TOUX ET BRUITS LARYNGÉS CHEZ LES HYSTÉRIQUES, LES
CHORÉIQUES, LES TIQUEUX ET DANS QUELQUES AUTRES
MALADIES DES CENTRES NERVEUX ' ;
MESSIEURS, .
Les hasards de la clinique ont réuni dans le service
un certain nombre de faits intéressants, cohérents
entre eux qui me conduiront à appeler votre attention
sur quelques épisodes encore assez peu connus et
assez insuffisamment étudiés de l'hystérie; je veux
parler de l'émission plus ou moins répétée de sons
laryngés plus ou moins bruyants, qui paraît quel-
quefois constituer à elle seule toute la maladie.
1. J'appelle ces bruits « laryngés » parce que le
larynx prend part nécessairement à leur production,
mais il va sans dire que les muscles d'expiration et
d'inspiration entrent également en jeu, en même
temps parfois que les voies aériennes supérieures, voile-
' Leçon du 22 mars 1886.
La présente leçon a été omise par erreur dans le III' volume des Mala-
dies du système nerveux. Il en a paru un extrait dans la Semaine médi-
cale du 15 septembre 1886. -
70 CLINIQUE NERVEUSE.
du palais, pharynx, etc. Au point de vue du méca-
nisme qui préside de leur production, ces bruits ou sons
peuvent être ramenés à deux chefs. Les uns sont expi-
ratoires et faits sur le modèle de la toux. La toux
consiste, vous- le savez, en une série d'expirations
brusques produisant un bruit particulier par suite du
passage violent de l'air expiré à travers la glotte. La
toux hystérique d'ailleurs, représente un type fonda-
mental dans ce premier groupe. Les autres bruits sont
au contraire inspiratoires et faits sur le modèle du
hoquet, lequel consiste essentiellement, vous le savez,
en une contraction subite du diaphragme suivie d'un
bruit laryngé rauque. '
Mais quel que soit le mécanisme inspiratoire ou
expiratoire du bruit produit, celui-ci, toujours inar-
ticulé, peut, sans changer de caractère nosographique
et de signification clinique, se présenter sous des
formes très variées, très diverses, s'éloignant quelque-
fois beaucoup, en apparence du moins, du type toux
(tussis) ou du type hoquet (sin.qultus). Ces formes sont
désignées communément d'après la ressemblance plus
ou moins exacte qu'elles présentent, avec les bruits,
sons, cris qui servent de moyens d'expression à divers
animaux. C'est ainsi que vous entendrez parler chez les
hystériques : 1°' des aboiements et des hurlements ;
2° des miaulements ; 3° des grognements, des mugisse-
ments, etc., etc., en souvenir des bruits correspon-
dants qui se produisent à l'état physiologique chez les
chiens, chats, porcs, boeufs ou vaches, etc., etc.
Ce rapprochement entre les bruits ou cris physiolo-
giques émis par divers animaux, et les bruits laryngés
pathologiques des hystériques, est, sans doute, le plus
TOUX ET BRUITS LARYNGÉS CHEZ LES HYSTÉRIQUES, ETC. 71
souvent un peu forcé. Quelquefois cependant la res-
seinblance est vraiment frappante et il y a même quel-
ques bonnes raisons de croire que les cris d'animaux
transportés chez l'homme, sont, dans certains cas au
moins, la conséquence d'une imitation involontaire,
automatique, le fait en un mot, de la contagion ner-
veuse, comme on l'appelle. C'est un point sur lequel
d'ailleurs, nous aurons l'occasion de revenir dans un
instant.
Est-ce encore de cette façon, c'est-à-dire par un
phénomène d'imitation inconscient, de suggestion,
' qu'il faut interpréter les faits analogues à celui rap-
porté par M. Blachez dans son travail sur ce qu'il
appelle la chorée du larynx, et où il s'agit d'un enfant
âgé de six ans ? A la suite d'une bronchite légère il avait
été pris tout à coup d'un cri grave, éclatant, tout à
fait analogue au bêlement d'une de ces chèvres méca-
niques avec lesquelles les enfants aiment à jouer. Ici
il s'agirait de l'imitation d'un objet inanimé, ou animé
seulement par un ingénieux mécanisme '.
II. Quelle que soit la forme qu'affectent les bruits
laryngés des hystériques, ils présentent un certain
nombre de caractères communs sur lesquels, en manière
de préambule, je veux appeler votre attention. Ces
caractères les rattachent les uns aux autres et permet-
tent de les considérer comme constituant un groupe
naturel.
Les caractères suivants, empruntés pour la plupart
à la très remarquable description que Lasègue a
' Blachez. Chorée du larynx (Gazette hebdomadaire, n 42, p. 692,
1883). -
12 CLINIQUE NERVEUSE.
donnée en 1854, de
la toux hystérique,
peuvent être appli-
qués aux cas de bê-
lement, de mugisse-
ment, d'aboiement
hystérique enfin, à
peu près sans res-
triction'. -
l°La toux, comme
les autres bruits la-
ryngés hystériques,
se présente souvent
sous forme d'accès
plus ou moins pro-
longés, se montrant
en général à de cer-
taines heures du
jour, surtout le soir,
- toujours les mêmes ;.
mais le plus com-
munément c'est un
symptôme en quel-
que sorte perma-
nent, toujours pré-
sent aux diverses
heures du jour et
ne cessant ,que la
nuit pendant le
1 Lasègue, - Arcla. de
méd. 1851 et Etudes méd"
t. II, p. I.
TOUX HT BRUITS LARYNGÉS CHEZ LES HYSTÉRIQUES, ETC. 73
sommeil qui n'en est habituellement pas interrompu.-
2° Les secousses de toux ou les bruits restent isolés
les uns des autres, ou au contraire ils se groupent en
se répétant successivement au nombre de' trois ou
quatre, par exemple, c'est-à-dire suivant un rythme
tertiaire ou quaternaire. Les secousses isolées d'ailleurs,
comme les groupes de secousses, sont séparées les uns
des autres, comme le montre bien l'emploi de la mé-
thode graphique, par des intervalles sensiblement
égaux. (Voir le tracé ci-contre fig. 16.)
3° Malgré la fréquente répétition de ces bruits ou
leur intensité, le malade, chose remarquable, ne souffre
pas de dyspnée bien marquée, ni de suffocation : il en
est quitte pour un peu de fatigue. D'ailleurs avec les
bruits, pas d'autres phénomènes laryngés concomitants;
pas de secrétion laryngée ou bronchique ; pas de signes
particuliers à l'auscultation. Il ne faut pas oublier
toutefois, à ce propos, que la toux ou les bruits hysté-
riques se développent quelquefois pendant le cours ou
à la suite d'un rhume, qui se traduira de son côté par.
des signes stéthoscopiques plus ou moins accentués ;
4° Ce que ditLasègue, à savoir que la toux, comme
les autres bruits laryngés hystériques, ne se développe
pas après vingt-cinq ans et qu'on la voit habituellement
chez les jeunes filles est parfaitement exact. Mais
il n'est pas exact qu'on ne la voie pas chez les jeunes
garçons; je vais, dans un instant, vous en fournir la
preuve, par la présentation d'un exemple approprié ;
5° Un caractère fort remarquable et dont la connais-
sance est d'importance en pratique, c'est que la toux
et les autres bruits laryngés, sont dans l'acception
la plus étroite du mot des phénomènes d'hystérie
74 CLINIQUE NERVEUSE.
locale. Ils ont, en d'autres termes, une tendance remar-
quée à subsister chez l'hystérique à l'état d'isolement,
sans accompagnement d'autre stigmate ; si bien que
l'hystérie dans laquelle ces accidents existent repré-
sente en quelque sorte une forme anormale, un groupe
à part ; ainsi les attaques convulsives en pareil cas
sont vraiment rares ; rares aussi les autres accidents
d'hystérie locale tels que clou, contractures, para-
lysies, etc. Il semble en somme qu'il y ait une sorte
d'antagonisme entre cette forme et les autres. Et
c'est là une circonstance qui, incontestablement, est
bien faite pour rendre parfois le diagnostic difficile,
en masquant la véritable nature du mal. Je dois dire
cependant que, d'après mon expérience personnelle,
dans un grand nombre de cas de ce genre la recherche
des stigmates sensitivo-sensoriels permanents, anes-
thésie, rétrécissement du champ visuel, lorsqu'elle
est poursuivie très attentivement, permet de recueillir
des indices significatifs ne laissant aucun doute sur la
présence de la diathèse hystérique ;
GO Quoi qu'il en soit, comme des bruits laryngés plus
ou moins analogues à ceux qui se produisent dans
l'hystérie, peuvent se manifester en dehors d'elle,
dans d'autres affections du système nerveux, sans
lésions organiques appréciales, en particulier dans la
chorée de Sydenham, le paramyoclonus multiplex, la
maladie des tics, etc., il y aura lieu d'insister sur les
difficultés que le diagnostic peut présenter;
7° Il nous reste à vous présenter encore quelques
considérations générales relatives à l'évolution, au pro-
nostic des bruits laryngés hystériques. Ils se dévelop-
pent le plus souvent tout à coup, inopinément, et
TOUX ET BRUITS LARYNGÉS CHEZ LES HYSTÉRIQUES, ETC. 75
peuvent cesser de même brusquement, soit spontané-
ment,' soit à la suite encore d'une attaque hystérique
qui aura pu, peut-être, être provoquée à dessein. Mais
c'est, en tous cas, une affection généralement très
tenace, très rebelle, qui peut durer des semaines, des
mois, des années même, et dont un des caractères, on
peut le dire, est de résister de la façon la plus obstinée
à l'emploi le plus énergiquement dirigé des moyens
en apparence les plus rationnels, opium, bromure de
potassium, extrait de belladone, etc., etc. C'est doue
en dehors de ces agents-là qu'il faudra chercher nos
moyens d'action. Un dernier caractère : les récidives
sont fréquentes.
III. Tels sont, Messieurs, les grands traits com-
muns au groupe tout entier des bruits laryngés hysté-
riques. Je bornerai là ces préliminaires et actuellement
je vais passer à l'examen des divers cas que j'ai sous
la main et à propos desquels je vous présenterai, che-
min faisant, quelques remarques complémentaires rela-
tives à l'histoire de ces bruits laryngés.
- 1 ? Cas. Voici d'abord une jeune fille nommée
S..., âgée de dix-huit ans et chez laquelle nous n'avons
pu reconnaître ni antécédents personnels, ni antécé-
dents héréditaires dignes d'être notés. Il y a environ
six mois, elle eut, dans la maison qu'elle habite, avec
quelques voisins mal élevés, mal embouchés, des désa-
gréments qui se reproduisirent fréquemment pendant
plusieurs semaines; des querelles graves, des menaces
s'en suivirent et à un moment donné les choses furent
au pis. Alors survinrent de l'insomnie, de l'inappé-
76 CLINIQUE NERVEUSE,
tence, des crises convulsives et délirantes dans les-
quelles l'attitude en arc de cercle s'est, paraît-il, plu-
sieurs fois manifestée de la façon la plus classique. En ce
temps-là, c'est-à-dire il y a quatre mois, elle commença
à fréquenter le service électrothérapique de la Salpê-
trière, où elle rencontrait fréquemment une jeune fille
nommée Guel..., âgée de vingt et un ans, que je
regrette de n'avoir pas sous la main aujourd'hui, et qui
présente depuis longtemps un bruit laryngé tout à fait
comparable, tant pour le timbre que pour le rythme,
à celui que nous observons aujourd'hui chez la jeune
S... Y a-t-il eu là un phénomène de contagion ? Je
suis fort disposé à le croire. Toujours est-il que bien-
tôt survinrent une extinction de voix, suivie d'un
mutisme qui dura seulement quelques heures, et fit
place au bruit, au murmure spécial qui s'offre aujour-
d'hui à notre étude. Il est à noter que les crises con-
vulsives et délirantes ne se sont pas reproduites depuis
que le bruit laryngé s'est établi.
Ce bruit consiste, vous le constatez, en petites
secousses respiratoires qui se groupent par séries de
quatre (rythme quaternaire). Les séries en question
sont séparées les unes des autres par des intervalles sen-
siblement tous de même durée. Nous en avons compté
environ 140 à la minute, soit 24.000 en 12 heures.
Cela constitue, vous le voyez, dans l'ensemble comme
uu murmure saccadé rappelant assez bien le bavar-
dage discret et presque incessant que font entendre
les oiseaux 'de basse-cour. Cela ne s'arrête que la
nuit quand la malade s'est endormie, ou encore durant
le jour pendant que la malade est occupée à lire à
haute voix ; mais à peine a-t-elle fini que la série
TOUX ET BRUITS LARYNGÉS CHEZ LES HYSTÉRIQUES, ETC. 77
reprend comme de plus belle. Un effort de volonté
paraît n'avoir aucun effet intribitoire.
Cependant la respiration est précipitée, peu pro-
fonde : on compte environ 56 respirations par
minute. Mais cette précipitation n'entraîne aucune
gêne sensible, aucun malaise, à moins que la malade
ne veuille courir. Pas de douleur, pas de chatouille-
ment à la gorge.
Ici le fonds hystérique est représenté non seulement
par les attaques convulsives et délirantes aujourd'hui
disparues; mais qui ont inauguré la série morbide ; il
est représenté encore par la présence de stigmates
permanents caractéristiques, à savoir : 1° hémianes-
thésie gauche sensitive et sensorielle avec perte du
sens musculaire ; 2° anesthésie pharyngée à droite. Il
n'y a pas de rétrécissement du champ visuel.
Dans ce cas, je l'ai fait remarquer, le bruit laryngé
se produit au moment de l'expiration et appartient
par conséquent au type « toux ». Il est inspiratoire,
au contraire et, par ce côté, se rapproche du hoquet,
chez le jeune garçon que voici.
2C Cas. - Il est âgé de quinze ans, un peu adipeux,
joufflu et pas mal empâté pour le moment. On ne
relève chez lui ni antécédents héréditaires, ni antécé-
dents personnels relatifs à la catégorie nerveuse. Il
vit depuis quelques années dans un collège de frères
religieux, où il prétend n'avoir eu à se plaindre ni de
ses maîtres, ni de ses camarades. II y a dix semaines
environ, sans cause connue, il a été pris de maux de
tête, puis d'inappétence et de divers accidents qui ont
été caractérisés, paraît-il, par le médecin, sous le nom
78 CLINIQUE NERVEUSE.
d'embarras gastrique et c'est huit jours après qu'il a
commencé à ressentir les accidents nerveux qui ont
persisté jusqu'aujourd'hui. Vous l'entendez, à des.in-
tervalles à peu près égaux, donner un bruit aigu qui
rappelle assez bien le jappement, le glapissement
d'un petit chien, avec cette différence toutefois, rela-
tive au mécanisme, qu'il s'agit ici d'un phénomène
d'inspiration brusque. Vous pouvez, en effet, recon-
naître qu'à chaque émission du bruit l'abdomen se
soulève, et en même temps les épaules. Quelques
petits mouvements concomittants de la tète et du tronc
en arrière démontrent que certains muscles autres que
ceux du larynx et de la respiration sont en jeu pen-
dant la production du bruit.
,Pas de chatouillement laryngé; aucun malaise; bon
sommeil,- bon appétit. Rien qui ressemble à des atta-
ques, pas d'aura. Il s'agit donc bien là, si hystérie il
y a, d'hystérie locale, au premier chef, d'après la
définition que j'en donnais tantôt. Cependant la recher-
che des stigmates, tant s'en faut, n'est pas stérile. Il y
a hémianalgésie gauche, et rétrécissement du champ
visuel prononcé surtout à gauche. Aucune anomalie
à signaler du côté des organes génitaux.
- 3° Cas. Voici maintenant un cas comparable au
précédent, mais plus accentué dans sa symptoma-
tologie et à quelques égards plus complexe.
Il s'agit d'une jeune fille de vingt-trois ans, nommée
B. M..., que je vous ai présentée déjà, dans le temps,
comme offrant un exemple de mutisme hystérique,
suivi de bégaiement. Le mutisme a disparu depuis plu-
sieurs mois, mais le bégaiement persiste encore. Il n'y
TOUX ET BRUITS LARYNGÉS CHEZ LES HYSTÉRIQUES. ETC. 79
a pas à signaler, à proprement parler, chez cette jeune
'fille, d'antécédents nerveux héréditaires; mais elle
appartient cependant à une famille de musiciens en-
diablés et pour la plupart sans doute un peu toqués.
Son grand-père était violoncelliste à Valenciennes et
exerçait en même la profession de marchand de
chaussures ; un de ses oncles, établi à Paris, cumule
également; il est à la fois violoncelliste et épicier; son
père, également musicien, avait monté un magasin
d'instruments de musique ; mais il fit de mauvaises
affaires et fut saisi. C'est à la suite de cet événement
au moment où les huissiers pénétraient dans la bou-
tique, que B. M... fut prise de ce mutisme dont je
parlais tout à l'heure et qui fit place au bégaiement
que vous pouvez constater encore aujourd'hui.
La malade a dans son enfance été atteinte de rhu-
matisme articulaire, et elle a été choréique (chorée de
Sydenham). Le bruit laryngé, l'aboiement, comme vous
voudrez dire, que nous avons à étudier avec vous,
date de dix-huit mois; il est survenu sans cause
connue six mois après l'apparition du mutisme.
Le bruit laryngé se répète chez elle, ainsi que vous
pouvez le constater, deux ou trois fois de suite, et il
se reproduit environ trente fois par minute, toutes les
deux secondes. Il rappelle assez bien par le timbre et
la soudaineté de l'émission, l'aboiement d'un petit
chien; et d'ailleurs toutes les fois que dans la cour
de l'hospice elle rencontre un chien, elle le met invo-
lontairement en émoi et le fait aboyer. Ici encore
comme dans le cas précédent, malgré la ressemblance
avec un aboiement, il s'agit d'un bruit inspiratoire et
non expiratoire. Le bruit se répète à toute heure du
80 CLINIQUE NERVEUSE.
jour, sans cesse et sans trêve ; il ne disparaît que la
nuit au moment du sommeil. Remarquez au moment
de chaque* aboiement une légère grimace dans laquelle
les commissures -labiales s'abaissent, en même temps
que les paupières supérieures se ferment un instant.
La malade n'a jamais eu d'attaques convulsives;
' mais la présence des stigmates permanents est très
accentuée : hémianesthésie gauche sensitive et sen-
sorielle avec perte du sens musculaire ; champ visuel
très rétréci des deux côtés. Remarquez cette longue
durée du bruit laryngé; dix-huit mois, et rien ne fait
prévoir qu'on en verra bientôt la fin.
Ces exemples, les seuls que j'aie pour le moment
sous la main, suffiront amplement, je pense, pour
vous donner une idée de ce que l'on doit entendre
sous cette dénomination de bruits laryngés hystériques
que je vous propose d'adopter. Maintenant, pour légi-
timer les généralités que je vous ai présentées au
début de cette étude, je voudrais entrer dans quelques
détails, à propos de la question du diagnostic. Il peut
en réalité, je vous l'ai fait pressentir, présenter des
difficultés; mais celles-ci seront presque toujours
aplanies par la présence bien constatée des stigmates.
Toutefois, ne l'oubliez pas, ceux-ci peuvent souvent
faire complètement défaut.
Voici d'ailleurs l'indication des points qui,, à cet
égard, me paraissent surtout intéressants à signaler.
On peut dire d'une façon générale qu'un bruit laryngé
explosif, un éclat de voix, un cri, peuvent se produire
dans les névroses convulsives les plùs diverses, pour
peu que les muscles du thorax et de l'abdomen soient
TOUX ET BRUITS LARYNGÉS CHEZ LES HYSTÉRIQUES, ETC. 81
intéressés dans l'action spasmodique. C'est ce qui arrive e
par exemple dans la chorée vulgaire, chorée de Syden-
ham, comme je l'appelle volontiers, ce mot paraît
avoir fait fortune, et aussi dans le paramyoclonus
multiplex, dont mon chef de clinique M. Marie vous pré-
sentait naguère un beau spécimen que j'ai fait replacer
sous vos yeux. Vous voyez que chez ce malade, le
nommé Gaub...t, en frappant à l'aide du marteau de
Skoda, sur certaines apophyses épineuses de.la région
cervicale et lombaire mises à nu, .je provoque non
seulement dans les membres, mais encore un peu par-
tout de brusques secousses, qui, si elles sont très
intenses et très généralisées, ne manquent pas d'être
accompagnées d'une expiration sonore. C'est par un
mécanisme analogue que se produisent les éclats de
voix, les cris, les bruits divers que l'on entend quel-
quefois dans la chorée vulgaire intense. On a parfois
désigné ces-bruits-là sous le nom de chorée laryngée;
c'est bien à tort, et il n'y a certainement aucun avan-
tage a employer cette dénomination. Il importe de
savoir en tout cas,' qu'il n'existe en réalité pas de
chorée de Sydenham partielle, limitée au larynx, sans
accompagnement de gesticulations choréiformes dans
les membres; et tous les exemples publiés sous cette
rubrique, il faut bien le savoir, y compris ceux de
M. Blachez, quand on les examine d'un peu près,
échappent à la caractéristique de la chorée vulgaire
et rentrent au contraire très naturellement, dans la
catégorie des bruits laryngés hystériques'. ' .
Les difficultés sont plus grandes quand il s'agit de
* Voir sur ce sujet, Sturges, On Chorea, p. 16, et Ziemssen's Hand-
61(c/i,XXI,Bd. 2, p. 408. , .
Archives, t. XXIII. 6
82 CLINIQUE NERVEUSE.
ne pas confondre les exclamations, cris, aboiements
hystériques avec les phénomènes correspondants
qui s'observent quelquefois dans la maladie des tics.
Et ici, remarquez-le bien, le diagnostic est d'un grand
intérêt pratique, car, les accidents de la maladie des
tics, bien qu'ils paraissent subir des amendements tem-
poraires, ne sont que rarement susceptibles d'une
guérison proprement dite, tandis que les bruits hysté-
riques, quoique persistant parfois des semaines, des
années, finissent toujours par guérir, en fin de
compte.
Je vous présente une jeune fille de vingt ans et
demi, nommée Juli..., dans l'histoire de laquelle
nous n'avons pas pu trouver la marque évidente d'anté-
cédents héréditaires nerveux ou arthritiques; seulement
elle a été élevée par un père brutal qui souvent la
battait et la maltraitait au point qu'elle a dû être
recueillie par des personnes charitables; vous l'en-
tendez donner de temps en temps, à des intervalles
irréguliers, un bruit laryngé aspiratif, assez semblable
a celui que donne, à la vérité d'une façon rythmée,
notre dernière malade de tout à l'heure (Bill...).
Mais veuillez remarquer qu'au moment de l'émission
de chaque bruit et un peu auparavant, il se fait une
série de mouvements, toujours systématiquement les
mêmes, qui consistent en une brusque élévation des
membres du côté droit en même temps que la tête
s'incline vivement sur la droite. Ajoutez que ces tics,
comme l'aboiement, datent de huit années et que
-jamais ils n'ont changé de caractère; que dès l'âge
de quatre ans, c'est-à-dire à une époque de la vie ou
l'hystérie ne se montre guère, existaient des cligne-
TOUX ET BRUITS LARYNGÉS CHEZ LES HYSTÉRIQUES, ETC. 83
ments d'yeux, des grimaces qui ont fait place aux
tics spasmodiques d'aujourd'hui. D'ailleurs pas de
stigmates sensitivo-sensoriels, pas d'attaques. C'est
de la maladie des tics qu'il s'agit chez cette petite
malade, tandis que Bill..., qui lui ressemble à tant
d'égards, est hystérique et guérira très certainement;
je n'oserais pas en dire autant de 11 première.
Le diagnostic serait plus facile s'il s'agissait chez
.Tul... d'exclamations d'un autre ordre, qu'on n'ob-
serve jamais autant que je sache dans l'hystérie et qui
au contraire, se montrent assez fréquemment dans la
maladie des tics. Je veux parler des exclamations dites
éClwlaliques. Je vous rappelle en deux mots en quoi
cela consiste. Le sujet, pourvu qu'il soit surpris, non
préparé, répète malgré lui, automatiquement, les
exclamations qu'il entend proférer près de lui : «Jette-
le, » disait Beard à un sujet atteint de -cette maladie
qui tenait un couteau à la main « Jette-le, » répond
aussitôt le malade et en même temps il jette le cou-
teau, car les-actes en pareil'cas suivent involontaire-
ment les paroles involontairement produites. Remar-
quez qu'il ne s'agit pas ici de bruits simples, mais
bien de sons articulés, de paroles ; rien de tout cela,
je le répète n'appartient à l'hystérie.
On peut en dire autant des , phénomènes que
M. Giiles de la Tourette a ingénieusement groupés
sous le nom de « coprolalie». Ici, sans provocation
aucune, il y a émission plus ou moins brusque et
absolument involontaire, convulsive, automatique, de
paroles souvent grossières, obscènes, proférées à haute
et intelligible voix, alors même qu'il s'agit de per-
sonnes, éduquées, bien élevées. Le nommé Bont...che,
84 CLINIQUE NERVEUSE. : que je vous présente, à ce propos, comme un copro-
- l'alique, n'a pas été peut-être très bien élevé, mais
c'est bien involontairement, je vous assure, qu'il pro-
fère devant vous des jurons, des paroles grossières qui
offensent vos oreilles, et qu'il voudrait retenir. Mais
je le répète à dessein', la coprolalie peut se voir dans
la meilleure société. Témoin le cas communiqué par
'le professeur Pitres, d'une jeune fille de Bordeaux,
âgée de quinze ans, ayant eu une tante aliénée, un
père- tiqueux, . tiqueuse elle-même et qui dans les
paroxysmes émettait les paroles les plus ordurières :
n.. de D..., f..tre, et aussi le mot de Cambronne;
dit venia verbis : Témoin encore le cas de la marquise
de-D..., que j'ai entendue de mes propres oreilles
prononcer hautement en public des paroles du même
genre.' La maladie chez elle a duré plus de soixante
ans. Quelques auteurs, Briquet lui-même, ont mis la
coprolalie sur le compte de l'hystérie. A mon avis,
c'est là une erreur qu'il, importe de relever. Nous
devons nous efforcer de dégager l'hystérie d'une foule
tle matériaux étrangers qu'on voudrait y introduire et
qui -ne font qu'encombrer un domaine nosographique
déjà si chargé. L'hystérie et la maladie des tics,
peuvent coexister, mais celle-ci ne dérive pas de celle-
'là ou inversement.
' Avant d'en finir je voudrais insister encore sur un
point, relatif à l'étiologie des bruits laryngés hysté-
riques. Il existe dans cette catégorie un bon nombre
'd'exemples qui démontrent que ces bruits peuvent se
transmettre d'un. sujet à un autre par une sorte de
contagion nerveuse. On pourrait citer plusieurs épi-
TOUX ET BRUITS LARYNGÉS CHEZ LES HYSTÉRIQUES, ETC. 85
démies d'aboiement, de miaulement produites par ce^
mécanisme, qui ont été observées dans des asiles, desj
couvents, des écoles et ont affecté non seulement des >
filles mais encore des garçons.. Briquet cite plusieurs;
exemples du genre '. Je vous disais en commençant'
que la première malade que je vous ai montrée âl1jour ?
d'hui avait très vraisemblablement contracté ce,syâ-'
drôme hystérique au contact d'une autre hystérique ?
affectée de la même façon. Je sais, par expérience, que :
dans les services ou de nombreux névropathes se trou- :
vent en promiscuité, les bruits laryngés soit hystériques,
soit appartenant à la maladie des tics figurent au prie-
mier rang parmi ceux qui le plus facilement se trans-
mettent par voie de contagion. Je puis citer un cas
de ma pratique où l'origine contagieuse d'un bruit»
laryngé hystérique n'est pas douteuse. 11 s'agit d'un
jeune garçon russe, âgé d'une douzaine d'années, qui :
présent au moment où sa mère, s'étant pris un doigt
dans une porte, poussa un cri de surprise et de dou-
leur, se mit immédiatement à proférer ce même cri;
et à partir de cette époque il a continué à le proférer
involontairement, presque incessamment, pendant le-
jour, à des intervalles à peu près. égaux, s'arrêtant
seulement la nuit, pendant le sommeil ; cela a duré
plusieurs mois.
Je suis en mesure, messieurs, de vous montrer expé-
rimentalement l'une au moins des circonstances ou
cette contagion nerveuse peut s'opérer dans conditions
particulièrement favorables à l'analyse. Voici une
jeune fille hystérique qui, artificiellement endormie,
t Traité de l'hystérie, 1). 317. -
86 CLINIQUE NERVEUSE.
présente les phénomènes du grand hypnotisme avec
trois états classiques. Elle vient d'être placée dans
l'état somnambulique, je la fais asseoir face à face
devant la nommée Bill..., qui pousse son cri rythmé
comme de plus belle : à l'état de veille, remarquez le
bien, Gr...ard a entendu maintes et maintes fois,
Bill... qui vit dans la même salle qu'elle, proférer
son bruit du matin au soir, sans en être particulière-
ment impressionnée; mais dans l'état somnambulique
cela sera, vous allez le constater, tout autre chose.
La représentation mentale d'un acte, a dit H. Spen-
cer, c'est déjà l'acte en puissance, l'acte sous une
forme affaiblie, l'acte en germe. La pensée, a dit Bain,
est une parole ou un acte contenus. Cela est vrai sur-
tout dans les cas particuliers où cette collection d'idées
associées qu'on appelle le moi est obnubilée. Or juste-
ment ce cas se présente à un haut degré dans l'état
somnambulique hypnotique où le jugement est affaibli,
la volonté à peu près impuissante. Les idées suggérées
en pareille circonstance et en particulier les représen-
tations mentales d'un acte, se développent à l'abri de
l'influence de la volonté, de la critique du moi et par ce
fait même elles acquièrent, on le comprend, une inten-
sité énorme, avec une tendance pour ainsi dire invin-
cible à s'extérioriser, à se réaliser par l'acte même.
Notre sujet Gr...rd, placée justement dans les condi-
tions mentales que nous venons d'indiquer, entend les
bruits laryngés proférés par Bill... et en même temps,
elle se remet en mémoire par association d'idées, bien
qu'elle ne la regarde pas en ce moment, les grimaces
que fait cette malade chaque fois qu'elle poussée son
cri. Ces représentations auditives et visuelles acquiè-
TOUX ET BRUITS LARYNGÉS CHEZ LES HYSTÉRIQUES, ETC. 87
rent en ces conditions une puissance de réalisation en
quelque sorte invincible. Elles se réalisent, en effet,
après une légère résistance, bientôt vaincue, du sujet,
et l'imitation, vous le voyez, est à peu près parfaite. Il
en serait de même, ne l'oubliez pas, si notre somnam-
bule se fut trouvée en présence, non plus d'une hysté-
rique, mais bien d'une tiqueuse, d'une coprolalique.
Et ce cas-là est bien intéressant considérer car la
coprolalie, le tic spasmodique ainsi acquis par imi-
tation hystérique, n'auront évidemment pas le même
caractère, le même pronostic que ceux qui se dévelop-
pent spontanément, en dehors de l'hystérie. Ces der-
nières résisteront, hélas ! le plus souvent aux traite-
ments les mieux dirigés, tandis qu'on peut affirmer 'r
que les tics imités, les tics de simulation hystérique
comme on pourrait les appeler, guériront facilement
par la mise en jeu des moyens appropriés. Il y a donc
a établir ici une importante distinction nosographique
et clinique sur laquelle j'appelle toute votre attention.
La démonstration dont je viens de vous rendre
témoins, peut se passer de longs commentaires. Il est
facile d'imaginer que sans intervention d'hypnotisme,
il puisse se produire dans une institution, dans un cou-
vent, sous l'influence de certaines préoccupations reli-
gieuses, ou du récit d'un événement propre à frapper
fortement de jeunes esprits, un état psychique analogue
à celui qui s'observe, sous une forme typique, dans le
somnambulisme artificiel. Et dans ces conditions-là, on
le comprend aisément, l'apparition, chez un des mem-
bres du groupe, d'uae affection reproduisant un aboie-
ment, un miaulement, pourra être l'occasion, d'une
88 RECUEIL DE FAITS.
épidémie d'imitations menaçant d'envahir le groupe
tout entier. Il est clair que la dispersion, la d;ssémi-
nation du groupe est le plus sûr moyen qui, en
pareil cas, devra être opposé à la propagation du mal ;
c'est d'ailleurs là un point sur lequel tous les méde-
cins s'entendent depuis longtemps d'un commun
accord, et l'intervention récente du mot de « sugges-
tion », auquel on semble aujourd'hui conférer un
pouvoir explicatif, magique, à l'interprétation des
phénomènes' de ce genre, ne me semble pas avoir
changé grand'chose à ce qu'on en savait déjà.
RECUEIL DE FAITS
ASTASIE-ABASIE A TYPE CHORË1QUË. ARRÊT INSTANTANÉ
.DE L'ASTASIE-ABASIE PAR LA PRESSION DE CERTAINES
REGIONS,
Parle Dr E. WEILL,
'0 Médecin des hôpitaux, agrégé à la Faculté de Ljon,
Les cas d'astasie-abasie se multiplient de jour en jour. Le
syndrome est déjà suffisamment dégagé pour qu'il soit inulile
de publier des observations qui fassent nombre. Si nous jugeons
convenable de présenter un fait nouveau, c'est pour appeler
l'attention sur un phénomène qui jusqu'à présent n'a été
signalé par aucun auteur.
OBSERVATION. -Lamb., vingt-huit ans, lingère, célibataire, hôpi-
tal Sainl-Polhin, salle Sainte-Marthe, 1. Entrée le 6 juin 1891.
. Antécédents héréditaires. Père mort aliéné dans un asile de
Lausanne. Mère morte à quarante-sept ans d'une tuberculose pull
monaire, n'ajamais eu de crises de nerfs.
Un frère mort à un an de convulsions.
ASTASIE-ABASIE A TYPE CHORÉIQUE. 89
Trois soeurs, ayant une santé délicate, mais sans signes de ner-'
vosisme.. -- '
Antécédents personnels. Rougeole dans l'enfance. Réglée à
dix-sept'ans, irrégulièrement avec leucorrhée intermittente. A été
élevée dans un orphelinat, n'a subi ni privations ni fatigues.
S'est bien portée jusqu'à l'âge de vingt et un ans, malgré des
chagrins et des préoccupations continuels. A vingt et un ans, elle
contracte la variole et pendant la convalescence de celle-ci fut
prise d'un hoquet convulsif, bigéminé, procédant par deux
secousses successives, accompagné d'une sensation de gêne au cou
et à la partie supérieure du sternum. Ce hoquet revenait réguliè-
rement toutes les cinq ou dix minutes. Il persista pendant trois
ans, sans s'accompagner d'aucune autre manifestation nerveuse.
Cela résulte des notes que m'a obligeamment remises mon collègue,
M. Carrier, qui eut l'occasion de l'observer à cette période. Cer-
taines influences cependant le suspendaient momentanément, t,
l'application d'un courant faradique, un pôle au cou, l'autre à la
région épigastriqne, la compression d'un des ovaires qui présentait
d'ailleurs de l'ovarie, et les injections de morphine.
Au bout de trois ans, le hoquet disparut et de vingt-quatre à
vingt-sept ans, Lamb. complètement guérie séjourna dans un
autre orphelinat où sa santé fut assez bonne.
Au mois d'avril 1891, elle prend une fièvre typhoïde, et dans la
convalescence de celle-ci, on voit éclater trois catégories d'acci-
dents : 1° des crises d'hystérie convulsive au nombre de trois, en
l'espace d'un mois, avec conservation de sa connaissance. Ce sont
les seules qu'elle ait jamais présentées; 2° des accès de hoquet
bruyant analogue à celui qu'elle avait eu antérieurement, s'en
distinguant cependant par ce fait que les accès au lieu de com-
prendre deux secousses, comprenaient de vingt à cent secousses, et
qu'au lieu de revenir régulièrement toutes les cinq ou six minules,
ils ne se montraient que quatre ou cinq fois par jour. De plus le
hoquet s'accompagnait de mouvements convulsifs synchrones,
affectant le même rythme, des deux membres supérieurs; 3° Dans
le même temps se sont montrés du côlé des membres inférieurs
des phénomènes d'incoordination motrice, qui ne se surgissaient
qu'à l'occasion de la station debout et de la marche, et sur les-
quels nous allons revenir. 1
Actuellement, novembre 1891, Lamb. présente un teint pâle,
une certaine maigreur. On ne constate rien d'anormal du côté du
coeur, du poumon, du tube digestif ou de l'urine. On ne trouve ni
ovarie, ni zone hystérogène en aucun point du corps. Le réflexe
pharyngien persiste ainsi que la sensibilité cornéenne. La vision-
des couleurs se fait parfaitement. Mais la vue a baissé depuis un
mois au point que la malade no peut plus faire de travaux à l'ai-'
90' . RECUEIL DE FAITS.
guille. Il existe des deux côtés un rétrécissement concentrique très
notable du champ visuel.
La pression est douloureuse à l'épigastre et au niveau de la
colonne, lombaire, sans déterminer de sensation à distance.
Il existe une anesthésie au contact et à la douleur sur les deux
pieds et les deux jambes, s'élevant plus haut en avant qu'en arrière
de façon à dessiner une botte à l'écuyère.
Les réflexes cutanés sont normaux.
Les réflexes du genou et du coude sont très exagérés, de même
l'abaissement brusque de la rotule détermine une trépidation du
triceps; mais il n'y a pas de trépidation plantaire. La percussion
des tendons des fléchisseurs de la jambe et des extenseurs des
doigts n'est pas suivie d'effet.
Au lit, Lamb. présente l'intégrité complète des mouvements de
ses membres inférieurs. Elle résiste aux mouvements communi-
qués et accomplit les mouvements commandés. Lorsqu'on soulève,
au-dessus du lit le membre inférieur droit, il se produit une légère
raideur des muscles postérieurs de la cuisse, raideur qui disparait
si on insiste. La notion de position des membres est conservée.
Si on la fait tenir debout, Lamb. présente immédiatement un
grand désordre musculaire. Les cuisses fléchissent brusquement sur
les jambes (mouvement d'accroupissement), les orteils s'étendent,
quittent le sol et le corps ne repose plus que sur les talons. Très
rapidement il y a un mouvement brusque de redressement du
corps qui se jette en arrière, et la malade tomberait avec force si
on ne la maintenait. Ces phénomènes, si Lamb. est soutenue sous
les deux bras, se répètent sans s'arrêter avec une rapidité singu-
lière, jusqu'à ce qu'elle demande grâce et qu'on la recouche.
La marche est absolument impossible, soit la marche à quatre
pattes, soit le saut, soit la marcue à cloche-pied. L'occlusion des
yeux ne modifie pas ces phénomènes.
Jusqu'ici le syndrome présenté par Lamb. est analogue à ce
que M. Charcot a décrit sous le nom d'astasie choréique et ne
présente rien de particulier, si ce n'est son intensité même, et
aussi son apparition constante dans tous les modes de loco-
motion. Mais ce qui fait son intérêt, c'est qu'on peut par cer-
tains artifices, permettre à Lamb. de se tenir debout et même
de marcher. Pour cela, il suffit de presser sur les épaules, la
partie postérieure du tronc et les régions fessières. Dans ces
conditions, les secousses convulsives des muscles s'arrêtent, la
station et la locomotion s'effectuent avec leurs caractères habi-
tuels. L'effet est instantané, et dure autant que la pression
des zones mentionnées, mais qu'on suspende la pression, ins-
tantanément le trouble de l'équilibre renait.
ASTASIE-ABYS1E A TYPE CHORÉIQUE. 91
Remarquons qu'en aucun des points d'inhibition, on ne
trouve de zones hystérogènes.
Les symptômes que nous venons de décrire ne se sont pas
toujours montrés avec ce développement. Au début de son
séjour, Lamb. faisait quelques pas en chancelant, en oscillant,
mais gardait néanmoins son équilibre. Quand elle avait fait
cinq ou six pas, elle pliait sur ses genoux, puis se redressait et
recommençait à marcher. Ce n'est que depuis un mois et à la
suite d'un embarras gastrique fébrile, que le trouble s'est ac-
centué et est arrivé à son apogée.
Depuis qu'elle est dans le service, Lamb. est sujette aussi à
ses accès de hoquet, accompagnés de mouvements rythmiques
des membres supérieurs, qui tantôt s'écartent et se rappro-
chent du tronc, rappelant un battement d'ailes, tantôt oscil-
lent d'avant en arrière, comme pour prendre un élan. La ma-
lade use de la morphine quotidiennementàladose de centigr.
par jour, et espace ainsi ses accès qui autrement seraient à peu
près continus.
Nous l'avons privée de morphine à plusieurs reprises, et le
hoquet a persisté dix-huit heures de suite par accès espacés
de cinq minutes. La température rectale ne s'était pas élevée
dans ces conditions.
Je dois signaler que l'embarras gastrique fébrile qu'elle pré-
senta au mois de septembre suspendit son hoquet, mais n'exerça
aucune influence sur l'astasie. De plus la pression des zones
postérieures du tronc qui supprime les troubles musculaires
relatifs à la station debout n'exerce aucune influence sur le
hoquet.
Ce phénomène si singulier de la restitution de l'harmonie
musculaire par la simple compression des épaules ou du tronc,
conduisait à supposer qu'il s'agissait là d'une sorte d'arrêt
exercé sur la moelle en état d'hypérexcitabilité. On pouvait
penser que si des spasmes musculaires étaient provoqués par
la station debout, c'est qu'une excitation très vive s'en suivait
dont le point de départ pouvait être rapporté à la région plan-
taire ou aux tendons des muscles. Or les piqûres, les pince-
ments, les pressions sur la plante, n'ont aucun effet. La malade
étant assise, on peut vigoureusement appuyer sur le genou,
sans rien déterminer. D'autre part, si on pince le tendon rotu-
lien et tous les tendons accessibles, ou qu'on agisse plus phy-
siologiquement encore sur eux par une électrisation intense
92 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
des muscles qui s'y relient, on ne constate toujours que des
phénomènes négatifs. ,
C'est donc véritablement d'astasie qu'il s'agit dans notre
cas, c'est le centre automatique spinal de la marche qui est
seul en jeu. Certaines cellules de ce centre présentent une
activité exagérée par rapport aux autres, et la pression du tronc
arrête cet excès d'activité. ,
Y aurait-il des relations physiologiques entre le centre auto-
matique de la marche et les régions cutanées que nous avons
vu être des zones d'inhibition pour les mouvements convulsifs
astasiques, la question ne peut qu'être posée.
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE
I. HÉIIIATROPHIE faciale PROGRESSIVE, par M. le professeur POPOFF.
. (Revue médicale de Moscou, 1890, na 22.)
M. le professeur N. Popoff (de Varsovie) décrit un cas d'hémia-
trophie faciale progressive chez une jeune fille de vingt-cinq ans,
sortant d'une famille complètement indemne d'antécédents neuro
ou psychopathiques. Elle n'était réglée qu'à vingt-deux ans, et à
partir de cette époque, avant chaque période menstruelle, elle
éprouve un malaise général, de la céphalalgie, des bouffées de cha-
leur à la tête, des vertiges. Depuis l'âge de dix-sept ans, la moitié
droite de sa face était toujours plus pâle que la gauche. A vingt et
un ans, la région temporale droite commence à présenter un en-
foncement qui devient de plus en plus marqué, de sorte que, vers
l'âge de vingt-quatre ans, toute la moitié droite de la face parait
manifestement amaigrie; cet amaigrissement était accompagné
d'une forte odontalgie de la moitié droite de la mâchoire inférieure.
A part cette hémialropl11e faciale, la malade est d'une constitution
très forte et sa nutrition générale paraît parfaite. Déjà un coup
d'oeil superficiel suffit pour constater combien son visage est défi-
guré ; la fosse caniné est littéralement creusée à droite; le tissu
cellulaire sous-cutané et tes muscles ont complètement disparu à ce
niveau et le fond osseux est recouvert immédiatement par une
peau très amincie, glabre, sèche, dépourvue de poils. La face pré-
sente une grande asymétrie qui est encore plus manifeste dans les
mouvements mimiques. Les parties profondes ne sont pas épar-
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 93
gnées : la moitié droite de la langue est atrophiée, la carie den-
taire est beaucoup plus prononcée du côté droit, la moitié droite
du voile du palais est plus mince que la moitié gauche. La réaction
électro-musculaire de la moitié droite de la face est nettement exa-
gérée aussi bien avec le courant interrompu, qu'avec le courant
continu. L'excitation de la peau avec le courant interrompu pro-
voque une rougeur beaucoup plus faible sur le côté atrophié de la
face que sur le côté sain. Les deux pupilles sont égales, moyenne-
ment dilatées et réagissent régulièrement à la lumière et à là dis-
tance. Du côté des grands vaisseaux de la face et du cou, on n'ob-
serve pas des modifications notables. La sensibilité cutanée est
normale. Tous les organes sensoriels fonctionnent très régulière-
ment.
Cet ensemble clinique met l'hémiatrophie faciale progressive,
dans ce cas particulier, en rapport avec une lésion probable du
grand sympathique : le début de l'affection par une pâleur d'une
moitié de la face, l'apparition des phénomènes atrophiques deux
ans après ce début, la différence' qui existe encore actuellement
dans la coloration des deux moitiés de la face, sous l'influence d'une
excitation avec un courant interrompu, l'apparition des règles à
une époque tardive, malgré l'état parfait de la nutrition générale
de la malade,- tous ces signes militent en faveur d'une lésion du
sympathique dans le cas de M. Popoff. On sait que l'hémiatrophie
faciale progressive n'a pas toujours pour cause cette lésion; une
névrite périphérique du trijumeau une lésion profonde du même
nerf (comme, par exemple, tumeur de la dure-mère comprimant
le ganglion de Gosser et les branches du trijumeau dans l'observa-
tion de Homen) peuvent également déterminer le même syndrome
clinique. Il est probable qu'une analyse détaillée pourrait permettre
de trouver encore d'autres causes anatomo-pathologiques de l'hé-
miatrophie faciale progressive. J. Roubinovitch.
Il. Contribution A la connaissance DE L'HÉMIATROPHIE faciale et
DE l'origine du trijumeau; par E.-A. HOMERS. (Neurol. CenLrcaLGl.,
1890.)
. Observation montrant que le trijumeau a dégénéré dans son
trajet protubérantiel et qu'il était surtout lésé dans sa portion
sensitive ou grande portion que la racine ascendante du nerf
est surtout sensitive que sa racine cérébelleuse contient princi-
palement des fibres sensitives que sa racine descendante est, au
moins partiellement, motrice, ou, peut-être, trophique, du moins
que la racine issue de la substance ferrugineuse. Le facial et quel-
1 Cas publiés par Virchow et Mendel dans Berl. Klin. Wochensch., 1888,
n° 19.
94 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
ques-unes de ses branches présentaient quelques fibres dégétérées,
probablement parce qu'il reçoit un apport du grand nerf pétreux
superficiel ; ce dernier nerf élait, dans son trajet intercrânien, lésé
'par la tumeur comme le trijumeau, aussi y avait-il un léger
trouble de la motilité et de la moitié gauche de la face et une
diminution considérable des mouvements de l'oeil gauche. P. K.
III. Hémiplégie basale; par E. REMAK. (Nezcnol. Centralbl., 1890.)
Blépharoptose droite avec une parésie du droit supérieur. Hé-
mianopsie gauche avec rotation habituelle de la tête à gauche
- sous la réaction pupillaire de l'hémianopsie. Atrophie partielle du
nerf optique. Légère parésie spasmodique de l'extrémité inférieure
gauche. Tels sont les signes d'un processus chronique progressif
qui dure depuis six ans chez un jeune garçon do treize ans. Dia-
gnostic de la nature de la lésion impossible.. l'. K.
IV. Paralysie isolée du long fléchisseur du pouce par SURMENAGE
(paralysie des tambours); par BRUNN, (Nelll'oi. Centralbl., 1890.)
Début par des douleurs dans l'avant-bras et l'éminence thénar
gauche. Tout à coup, paralysie, immobilité complète du pouce de
ce côté (mouvements voulus de la dernière phalange impossibles,
mouvements passifs subis sans résistance). Impossibilité de main-
tenir la baguette. Le long fléchisseur du pouce reste réfractaire à
toute excitation; tous les muscles innervés par le médian, se con-
tractent excepté lui. Diagnostic : névrite périphérique par excès de
travail. Amélioration par l'électricité et le massage. P. K.
V. Contribution A la question du MYXOEDÈME ; par E. KpOEPELI.
(Nell1'ol. Centralb., 1890.)
Observation de myxoedème au début offrant ceci de saillant :
absence de troubles de la parole et de la voix, de troubles trophi-
ques des cheveux et des dents (à cause de la période initiale de la
maladie). Infiltration sous-cutanée, mais sans sécheresse ni rudesse
de la peau, fréquentes sudations. Démence à peine marquée, mais
anxiété très prononcée. Tremblement rappelant celui de l'alcoo-
lisme, mais en différant (voyez les tracés). Hypérexcitabibté méca-
nique du facial inférieur, comme dans la tétanie. P. K.
VI. Contribution A la THÉORIE DE l'aphasie; par K. Cramer.
(arc. f. Psych., XXII, 1.)
Observation complète (au point de vue clinique et analomo-pa-
thologique) d'aphasie sensorielle. Surdité verbale et paraphasie.
Le malade ne peut parler spontanément, répéter les mols, lire à
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 98
haute- voix, il ne peut écrire spontanément ni à la dictée; il lui
est impossible d'énoncer les nombres complexes mais il opère sur
les nombres dans leur ensemble. Il existe un foyer dans le lobe
temporal gauche ; l'écorce et la substance blanche des deux tiers
postérieurs de la 1 re et de la 2° temporale sont détruits; la partie
profonde de la substance blanche du lobule pariétal inférieur est
sclérosée jusqu'à l'épendyme du prolongement occipital et sphé-
noïdal du ventricule latéral. - P. K. ,
VII. Contribution A la connaissance DE l'ataxie héréditaire ET DE
l'atrophie cérébelleuse; par P. MENZEL. (Arch. f. Psychiat., XXII, 1.)
Observation avec autopsie constituant le tabes de Friedreich; en
sus, lésions des centres de coordination (cervelet, tubercules qua-
drijumeaux, protubérance; pédoncules cérébelleux) et des zones
radiculaires postérieures/ Il est probable que le type se compose
d'une affection systématique de la moelle entée sur un arrêt de
développement (ataxie héréditaire) et d'une lésion coexistante éga-
lement congéniale (7° à 8° mois embryonnaire) du cervelet, de la
protubérance, du bulbe. Le premier facteur anatomique est le plus
important : il entraîne d'une façon immédiate, mais lente et con-
tinue, les phénomènes morbides; l'affection cérébelleuse, joue le
rôle d'un élément pathogénétique adjuvant. P. K.
VIII. Hydrocéphalie : ponctions DES ventricules; par ILUNGWORTH,
(British med. Joum" 4 avril 1891, p. ' ? 5a.)
Les notes du Dr Lowson sur l'importance du drainage après la
ponction m'ont conduit à rapporter le cas suivant :
A. H..., garçon, âgé de trois ans, était hydrocéphale depuis
l'âge de neuf mois, son état s'aggravait lentement, mais n'empê-
chait pas le développement intellectuel. Les parents vinrent me
consulter au mois de mai 1890. Je trouvai que la tête était atteinte
d'une façon marquée, d'une circonférence de 24 pouces; la fonta-
nelle antérieure ouverte et à pulsations visibles.
J'essayai l'effet dérivatif de préparations mercurielles, du chloral
et du bromure contre l'insomnie et les douleurs dont l'enfant
souffrait; ce traitement réussit pendant quelque temps; mais sa
situation s'aggrava tellement que je conseillait aux parents de
lui faire faire la ponction des ventricules.
Le 29 juin, je passai un trocard de Sonthey dans l'angle anté-
rieur et extérieur de la fontanelle antérieure, en bas et en dedans
profondément; l'enfant avait d'abord été anesthésié. Quand j'eus
atteint le ventricule, un jet de liquide clair et séreux jaillit à deux
pieds de la canule. J'en relirai deux onces, et j'introduisis ensuite
une canule à collet à laquelle on pouvait attacher des rubans. 1
96 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
Le pansement employé était une solution de bi-iodure de mer-
cure à 1/2000 dans laquelle on trempait des compresses de toile,
recouvertes de gutta-percha, et changées de temps en temps par
la mère du malade. ' ' , , '
On continua l'usage du drain pendant quelques jours, mais au
bout d'une semaine environ, la canule soitit de la plaie, chassée
- par les progrès de la- cicatrisation. La proéminence de la fonta-
nelle, antérieure fut. remplacée par une dépression marquée, et
l'enfant guérit sans aucun mauvais symptôme. M. D.
IX. LE CHAMP VISUEL DES HYSTÉRIQUES A L'ÉTAT DE VEILLE ET PENDANT
l'état hypnotique; par E. E. Moravcsik. (Neurol. Centt·albl.,l890.)
- Il s'agit d'une jeune fille de vingt-trois ans, hémianesthésique à
gauche, qui présente un rétrécissement concentrique du champ
visuel et des couleurs des deux yeux, mais surtout à gauche. 1
A l'état de veille, les excitants périphériques augmentent le
champ visuel, surtout quand on sollicite l'olfactif (éther), et
l'auditif; cet agrandissement du champ visuel est plus marqué à
gauche; la perception du blanc provoque dans les extrémités supé-
rieures une sorte de convulsion fulgurante. Ce dernier phénomène
se produit également pendant l'hypnose. L'état hypnotique agran-
dit le.champ visuel; les excitants périphériques provoquent dans
cet état les mêmes effets qu'à l'état de veille; une suggestion triste
se traduit par le rétrécissement du champ visuel qui se dilate sous
l'influence d'une suggestion gaie; le champ visuel disparaît du côté
où l'on suggère à la malade qu'elle a perdu la vue. P. K.
- , .
X. NOTES sur QUELQUES cas d'atrophie ET d'hypertrophie du z
cervelet; par BOURSOUT. (Ann. méd.-psychol., mai 1891.) '
Les fonctions du cervelet sont encore aujourd'hui loin d'être
précises.
- Pour servir de documents à l'étude de cet organe, M. Boursout
apporte une série d'observations comprenant quatre cas d'atrophie
du cervelet ét huit cas d'hypertrophie.
Les cas d'atrophie sont pris sur des idiots. Dans l'une des obser-
vations le malade, d'une constitution robuste en apparence, ne
peut en réalité se tenir debout et décrit des zigzags comme un
homme ivre. Deux autres idiots à cervelet atrophiés présentent un
affaiblissement musculaire rendant la locomotion impossible.
Enfin un débile, dont le cervelet ne pesait que 80 grammes, pré-
sentait des accès d'intempérance générique extraordinaire, ce qui
démontre une fois de plus l'inanité de la théorie de Gall, admet-
tant une corrélation entre le développement du cervelet et le pen-
chant à l'amour physique. '
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 97
Contrairement encore au système de Gall, la petitesse de, l'or-
gane cérébelleux n'était pas liée à une altération des parties
sexuelles, car le pénis et les testicules ne laissaient rien à désirer
sous le rapport de la conformation et du développement.
Les observations d'hypertrophie du cervelet, dans lesquelles le
poids de cet organe a varié de 200 à 256 grammes, présentent
aussi plusieurs particularités intéressantes. Tout d'abord, dans
aucun des huit cas, on ne rencontre d'excitation du sens génital,
ce qui vient confirmer les objections faites à la théorie de Gall.
Mais un fait plus curieux est que chez trois des huit malades
ayant présenté de l'hypertrophie du cervelet, il existait un défaut
d'énergie musculaire des plus manifestes avec affaiblissement des
membres inférieurs.
Conclusions : 1° l'influence génitale du cervelet fait totalement
défaut dans ces observations d'atrophie et d'hypertrophie sauf
dans un cas d'exaltation de la sphère génitale chez un individu
dont le cervelet pesait seulement 80 grammes. '
2° Des faits cliniques et anatomo-pathologiques recueillis dans
ce travail, on peut déduire que le cervelet peut créer et équilibrer
les mouvements; mais l'augmentafion du volume du cervelet n'est
pas toujours et nécessairement une garantie pour l'équilibration
des mouvements puisque dans les observations citées, l'hypertro-
phie et l'atrophie entraînent, l'une comme l'autre, une insuffisance
locomotrice. E. B.
'XI. LE mécanisme DE l'ictus apoplectique : l'embolie; par R. GEIGEL,
(Centralbl. f. Nervenheilk . , 1890.) -
L'obturation subite d'une artère cérébrale produit-elle, par suite
des modifications qui se produisent dans le territoire vasculaire
envisagé, un effet mécanique capable d'agir à distance sur les pro-
vinces cérébrales non directement atteintes et d'amener, par suite,
l'ictus apoplectique d'ailleurs transitoire ? La réponse est affirma-
tive, suivant des schémas d'hydrodynamique avec formules mathé-
matiques. P. KERAVAL.
XII. Contribution A la THÉORIE DE L'HYPNOTISME; par A. LEHMANN.
. (Centralbl. f. Nervenheilk., 1890.)
L'hypnotisation, quel qu'en soit le procédé (suggestion, fixation
d'un objet brillant, impression d'un corps sonore, impressions
magnétiques) concentrent sur un point l'attention du sujet. Or que
l'attention soit involontaire (sollicitation extérieur) ou volontaire'
elle est un réflexe vasomoteur qui entraine l'afflux du courant san-
o guin dans l'encéphale et provoque ainsi un excès de travail de
. l'élément pensant du sensorium d'où l'espèce de concentration
. du moi. P. K.
Archives, t. XXIII. 7
vs REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
i. ' *
XIII. Contribution LA pathologie DES TUMEURS cérébrales;
, , par II. OPPENREIM. (Archiv. f. Pschini., XXII, 1.)
Fin du mémoire déjà analysé dans les' Archives de Neurologie.
Cette dernière partie est l'étude analytique des 23 observa-
tions présentées avec entreprise. Dans 20 cas (soit 86 p. 100) on
peut diagnostiquer la- tumeur avec certitude, dans 3 cas le
diagnostic ne put en être établi, surtout parce que l'on ne trouva
la- pupille étranglée. Malheureusement, elle est loin de constituer
un signe du début, il n'est pas rare qu'elle ne se manifeste que
-dans les derniers stades. A cet égard, les conclusions suivantes
sont bonnes à méditer.
1. Les cas dans lesquels le fond de l'oeil est resté normal jusqu'à la
mort sont très rares; et alors on ne trouve pas d'autres signes d'exagé-
ration de la pression intra-cérébrale. 2. Dans l'immense majorité des
cas, il y a névrite optique de pupille étranglée; celle-ci est la plus fré-
quente des deux, elle se développe à la suite de la première et indique
que l'excès de pression intra-cérébrale est déjà ancien.
La pupille étranglée est le signe le plus important d'une
'tumeur cérébrale, après lui viennent l'obtusion intellectuelle et le
'sopor. Les aphasies, les troubles de la motilité, les troubles de la
sensibilité, les paralysies des muscles de l'oeil, la démence sarcas-
tique avec propos triviaux, la sensibilité du crâne à la percussion
permettent de localiser le néoplasme autant que possible.
M. Oppenheim étudie avec soin ces différents éléments morbides.
Il essaie d'asseoir les bases d'une intervention chirurgicale et rap-
porte les cas d'extirpation pratiquée par les auteurs. Il conclut en
.ces termes :
Pour diagnostiquer une tumeur cérébrale, il faut qu'il existe des symp-
* tomes de pression cérébrale, mais ces symptômes n'assurent pas la loca-
'¡¡station. En revanche les cas dans lesquels on constate nettement des
' symptômes de lésions un foyer tandis que les phénomènes généraux
d'origine cérébrale sont peu développés, permettent d'espérer un résultat
d'une opération chirurgicale, mais aussi dans ces cas il peut arriver que
le diagnostic tumeur soit inadmissible ou simplement hypothétique.
P. KERAVAL.
'XIV. Monoplégie HYSTÉRIQUE; par H. DETERMANN. (Neurol. CGIlL>'4lGl.,
c , ' 1890.)
Observation de monoplégie du membre inférieur gauche chez
- -un homme de quarante-deux ans. Paralysie de la motilité avec ? contracture, anesthésie, mais conservation partielle de la sensibi-
lité à la douleur. Zone d'anesthésie nettement délimitée, rétré-
cissement concentrique du champ visuel des deux côtés. Diplopie
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 99
monoculaire de l'oeil droit. Amblyopie, surtout à droite. Traitement
efficace au pinceau galvano-faradique (24 éléments,' très fort cou-
rant faradique).. P. K.
XV. D'UNE paralysie congénitale unilatérale DU trijumeau, DE
L'OCULO-MOTEUR externe ET du facial; par M. BERNHARDT. (Neurol,
Cezztralbl., 1890.) ;
Accouchement normal. Aussitôt après, paralysie de la moitié
droite de la face; impossibilité de téter. Puis l'enfant tette bien :
cinq à six semaines plus tard, kératite neuro-paralytique de l'oeil
droit, anesthésie des trois branches de trijumeau de ce côté, dé-
viation du même oeil en dedans, contracture secondaire en dedans
de l'oeil gauche. C'est tout. Une tante maternelle est atteinte de
paralysie cérébrale spasmodique et d'épilepsie, depuis sa jeunesse.
Un traitement électrique méthodique et prudent ne produit pas de
résultat. L'enfant meurt de bronchite à l'age de huit mois et demi.
On trouve : un ramollissement superficiel de la moitié droite de la
protubérance; un ramollissement profond de tout le tubercule
quadrijumeau inférieur droit et de la plus grande partie des cou-
ches supérieures du tubercule supérieur du même côté. Intégrité
des moyennes des nerfs. P. K. ' '
XVI. D'UNE paralysie isolée du NERF sus-scapulaire gauche; par
SPERLING. (NC ! l1'ol. Ccnt1'albl., 1890.)
Une femme de cinquante ans, sans avoir subi de traumatismes,
indemne de rhumatismes, ressent soudain une violente douleur
dans l'épaule gauche, qui se propage au bras et au coude; il lui
semble qu'elle a une plaie dans les os. Le bras gauche paralysé-ne
peut être levé. Cet état s'améliore en huit jours, mais trois semai-
nes après on constate encore que le membre se porte difficilement
en haut, en avant, et latéralement. Cinq mois de galvanisation
améliorent singulièrement la motilité; des troubles trophiques, qui
s'étaient produits dans l'épaule gauche, cèdent aussi. Réaction
dégénérative partielle du sous-épineux. En somme, trois stades :
1° Paralysie complète du bras gauche;
2° Paralysie du sus-épineux et du sous-épineux;
3° Paralysie avec atrophie du sous-épineux seul, ayant passé ina-
perçue à cause de la fonction compensative du petit rond.
La première période est due à une paralysie (par névrite) du
brachial entier, puis, pour des causes inconnues, la névrite se loca-
lise dans une branche, dans le nerf sus-scapulaire. P. K.
100 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
XVII. D'UNE NÉVROSE PEU commune DE la langue ET DE la cavité
buccale; par M. BERNHARDT. (Neurol. Centralbl., 1890.)
Chez trois femmes et deux hommes âgés de plus de trente ans,
sensation désagréable de picotement et de brûlure dans la langue
(de la pointe à la base) qui s'étend à toute la muqueuse buccale
tantôt sous forme d'accès, tantôt à l'état permanent. Sommeil et
souvent paroles impossibles. Intégrité des organes, excepté dans
un cas (muqueuse buccale plissée et fissurée). Obsessions hypochon-
driaques ; craintes d'un cancer. Le traitement le plus efficace fut
l'électrisation de la langue et du palais à l'aide des courants inter-
millants et continus. P. K.
XVIII. Sur UN cas d'athétose spasmodique; par S.-H. SCHEIBER.
(Arela. f. Psch., XLXII, 1.)
Cas d'athétose spasmodique chez un jeune garçon de seize ans;
hémiplégie consécutive à une hémorrhagie du tiers postérieur de
la capsule interne du côté droit. 11 n'est pas habituel de voir le
facial supérieur pris. Cette complication provient de l'altération
du faisceau pyramidal entier. Action favorable des courants con-
tinus du bromure et de l'iodure de potassium. P. K.
XIX. GONFLEMENT DES phalangettes DES DOIGTS. TROUBLE trophique
encore inconnu; par 0. ROSENBACH. (Centralb. f. Ne1'venheilk.,
1890.)
Augmentation de volume de l'extrémité articulaire de ces
organes des troisième et quatrième doigts (consistance de l'exos-
tose), chez des femmes de trente à quarante ans, aisées, de consti-
tution nerveuse au moment de la ménopause. Douleurs, pares-
thésies, dans l'avant-bras et les doigts, sur le trajet et la sphère
d'évolution du cubital, voire du radial et du médian. Intégrité du
tact. Affection symétrique mais inégalement symétrique quant à
l'intensité. Diagnostic différentiel d'avec les arthrites goutteuses
ou non. C'est une périostose probable mais non une périostite;
d'origine presque certainement nerveuse (prolification du périoste
et des ligaments par trouble trophique). P. K.
XX. Contribution A la casuistique de la SYRINGOMYÉLIE; par P. Ro-
senbach et A. SCliTTSCIIEIIBAC11. (Xeurol. Centralbl., 1890.)
Nouvelle observation caractérisée par l'explosion sourde de l'af-
fection. Il est probable que la maladie existait à l'état latent jus-
qu'au jour où un léger traumatisme lui a donné le coup de fouet
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 101
(parésie subite des extrémités droites), il s'agit dans l'espèce vrai-
semblablement d'une myélite péri-épendymaire procédant par
poussées. · P. K. ,
XXI. Atrophie musculaire ET altération de l'excitabilité ÉLEC-
· TRIQUE DANS LES CAS DE FOYERS CÉRÉBRAUX; pal' C. EISENLOHR.
(Neurol. Ces<)'( ! ;6 ? 1890.)
Voici deux obervations avec autopsie. A une époque peu éloi-
gnée de la paralysie d'origine cérébrale, on constate de l'atrophie
musculaire des membres atteints, de concert avec des anomalies
qualitatives et l'excitabilité galvanique (contraction électrique
lente avec prédominance de an S Z). Les accidents sont particu-
lièrement marqués sur l'éminence thénar et hypothénar. Intégrité
des nerfs et des muscles. C'est à l'altération des faisceaux pyra-
midaux qu'il faut attribuer ces phénomènes. Quant à la région
cérébrale trophique, il est jusqu'à nouvel ordre impossible de la
préciser. P. K.
XXII. DE L4 paraplégie sénile; par W.-R. GowEns. (central. f.
Nervenheilk., 1890.) ,
Mémoire écrit en anglais.
Affection sévissant chez des hommes et des femmes de plus de
cinquante ans.
Elle est caractérisée par une faiblesse graduelle des jambes avec'
rigidité sans spasme paroxystique.
La force musculaire a diminué. Aucun trouble de la sensibilité
ni des réflexes. C'est une affection de même nature que la paralysie
agitante; très souvent on constate la même attitude et un léger
tremblement des mains avec altération de la voix. P. K.
XXIII. LE TABES DORSAL EST-IL UNE AFFECTION SYSTÉMATIQUE ? '
par P. Flechsig. (Neurol. Centralbl., 1890.)
Les altérations du tabes suivent, dans la majorité des cas, l'or-
ganisation foetale et non la marche de la dégénérescence secon-
daire des cordons postérieurs.
Voici d'après l'auteur, suivant l'ordre de développement des
manchons de myéline, l'origine et la terminaison des fibres ner-
veuses dans les diverses zones foetales.
1. La zone des racines antérieures reçoit beaucoup de fibres directement
des racines postérieures, mais il est impossible de constater sûrement
cette origine pour toutes les fibres. Les fibres en question s'infléchissent
après un trajet plus ou moins long dans les cordons postérieurs et gagnent
les cordes postérieures dans la partie antérieure desquelles elles se
terminent, sans qu'on en puisse préciser la terminaison. Elles se détour-
102 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
nent pour la plupart des colonnes de Clarke avec lesquelles elles n'ont
rien à faire. Les libres les plus antérieures paraissent avoir-leur plus
long trajet dans les cordons postérieurs. - 2. Les fibres du premier sys-
tème de la zone radiculaire moyenne émanent, dans leur ensemble, des
fibres radiculaires postérieures; après avoir fourni généralement un court
trajet dans les cordes postérieures, elles aboutissent en grande partie au
réseau des fibres des colonnes de Clarke. Là où il n'y a pas de colonnes
de Clarke, notamment dans les renflements, les fibres se dirigent vers la
zone limitrophe des cordes antérieures et postérieures; impossible de
savoir où elles se terminent. Il est probable qu'elles ont pour équivalents
des trousseaux de fibres qui entrent directement des racines postérieures
dans les cornes postérieures et, après avoir traversé ces dernières, s'inflé-
chissent longitudinalement en avant de la substance gélatineuse, soit en
montant, soit en descendant. - 3. Quant aux fibres placées dans la zone
médiane, impossible d'en savoir plus long. - 4. En ce qui concerne les
cordons de Goll chez le foetus, on n'a pas de preuve qu'ils viennent
directement des racines postérieures. On les voit nettement à l'état de
trousseaux compacts dans la région de la dixième paire dorsale. Puis,
bien plus bas, ils sont disséminés sur toute la surface de la coupe trans-
verse de la zone radiculaire moyenne. Mais il est impossible de savoir par
quelle voie les fibres des cordons de Goll arrivent dans la zone radiculaire
moyenne. Je n'ai pu constater l'assertion de Bechterew d'après laquelle
les cordons de Goll rayonnent de la substance grise ou des colonnes de
Clarke dans les cordons postérieurs. 5. Les fibres de la zone radi-
culaire postérieure médiane proviennent toutes des racines postérieures
qui passent directement dans cette zone. Elles abandonnent les cordons
postérieurs par trois chemins. Les fibres médianes vont en partie dans
le raphé (cloison postérieure), se ^dirigent en avant vers la commissure
postérieure et s'infléchissent en dedans dans les cornes postérieures. Les
libres externes de la zone radiculaire postéro-médiane sortent latéralement
des cordons postérieurs, s'y entre-croisent à angle aigu avec les racines
postérieures qui entrent dans la corne postérieure d'où elles se dirigent t
en avant. La masse principale de la zone radiculaire postéro-médiane
court à travers la. zone radiculaire moyenne et arrive dans les cornes
postérieures à peu près au milieu (entre la commissure postérieure et la
périphérie de la substance blanche). Ces derniers trousseaux pénètrent
dans la substance grise jusqu'à la périphérie des cornes antérieures et
se perdent là entre les racines antérieures qui rayonnent et les grandes
cellules nerveuses. Les fibres de la zone radiculaire postéro-médiane ne
montent donc pas dans les cordons postérieurs jusqu'aux bulbes et pré-
sentent une tout autre allure que les éléments des cordons de Goll
quoique le développcment de ces deux espèces d'organes soit le même.
6. En ce qui regarde la zone radiculaire postéro-latérale, les fibres se
perdent dans le fin réseau placé en avant de la substance gélatineuse
d'où partent les fibres qui se rendent à la commissure postérieure; à la
couche limitante latérale de la substance grise des cordons latéraux,
elles se confondent directement avec les fibres radiculaires postérieures.
Donc, les fibres de la zone radiculaire moyenne entrent princi-
palement en rapport avec les colonnes de Clarke; les fibres de. la
zone postéromédiane s'unissent surtout aux cornes antérieures;
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. '103
celles de la zonepostéro-latéralese perdent dans le réseau défibres
des cornes postérieurs; les cordons de Goll s'unissent aux noyaux
des cordons grêles. Les zones foetales contiennent chacune les élé- :
ments d'un localisation topographiquement systématique,, mais iL
est impossible d'attribuer à chacune d'elle la fonction systématique..
Comment se localise le processus, dégénératif du tabès par rap-
port aux groupes organisés dont nous venons de parler. Sont atteintes : '.
des premières : les zones radiculaires moyennes - les zones,
médianes des cordons postérieurs (dont l'évolution est parallèle).'
Puis, d'habitude, les zones radiculaires postéro-latérales, les cor-;
dons de Goll. Plus tard, les zones radiculaires postéro-médianes
Finalement les zones radiculaires antérieurs. Au sur et à mesure de
la dégénérescence de zones des cordons postérieurs marche la lésion
des fibres radiculaires postérieures correspondantes et des fibres
des cornes postérieures (le réseau des colonnes de Clarke est pris le
première, les fibres les plus fines sont finalement atteintes). '
Tel est l'ordinaire dans la moelle dorsale et dans la moelle lom-
baire : la moelle cervicale présente des variations individuelles.. z
' P. Keraval. '
XXIV. UN cas DE tabès dorsal avec méningite cérébro-spinale SYPHI-.
LITIQUE ; par SIDNEY Kob. (Arch. f. Psych., XXII, 3.) 1
Un homme ayant présenté les accidents primitifs de la syphilis
est affecté de tabes; impotence, absence de douleurs, intégrité des
sphincters et des viscères, réaction lente des pupilles, état normal
de l'intelligence et de la parole, disparition des réflexes patellaires,'
signe de Romberg peu marqué ; hypalgésie des orteils. Améliora-
tion à la suite de soixante-dix-sept séances d'électrothérapie, mais'
accroissement de l'analgésie. Une cure à Nauheim aggrave son
état qui bientôt cependant s'améliore. Puis, soudain, rougeur et'
tuméfaction de la jambe droite depuis le milieu de la cuisse jus-
qu'en bas ; pas de fièvre. Les mouvements des genoux, limités,
provoquent des craquements. K. I. Pendant quelques mois, le
malade se remet à marcher. On essaie de la suspension qui semble
déterminer vertiges et battements de coeur. Mort subite avec sen-
sation d'oppression. L'autopsie décèle : dégénérescence des cordons
postérieurs et de la zone d'entrée des faisceaux radiculaires, épais-
sissement des os du crâne. Sclérose des extrémités articulaires qui
supportent le genou, avec usure des cartilages, épaississement- des
capsules et ligaments. Dans la moelle, les vaisseaux sont épaissis
ou oblitérés, la dure-mère et les méninges ont proliféré, le bulbe
est congestionné et parsemé d'hémorrhagies. Réplétion des -vais-
seaux du cerveau et épaississement des méninges; parois vasculaires
épaissies et infiltrées; accumulation de cellules rondesjusque dans :
la substance corticale. Conclusion : Tabes classique avec arthropa--
104 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
thie tabétique, méningite cérébro-spinale, d'origine syphilitique.
L'auteur croit que le virus syphilitique a agi simultanément sur la
moelle et les méninges. Pour lui, la méningite, plus récente que le
tabes, a passé inaperçue parce que ses symptômes, en ce qui con-
cerne la moelle, se sont confondus avec ceux du second et que,
dans le cerveau elle a atteint surtout la convexité (Oppenheim).
Sans doute, d'autre part, les altérations tabétiques n'ont pas déter-
miné le tableau clinique du tabes syphilitique, mais la présence,
au voisinage de la moelle, de lésions syphilitiques implique, sui-
vant toutes probabilités, l'idée d'une origine commune.
P. Keraval.
XXV. DE certaines attaques DE paralysies prodromiques dans LE
RAMOLLISSEMENT DU CERVEAU NON SYPHILITIQUE; par L. LOEWENFELD.
(Centralbl. f. Nervenheilk., 1890, N. F. I.)
. Il s'agit de ces attaques de paralysie successives et passagères
(quelques minutes) qui précèdent l'installation de l'hémiplégie. Un
cas de l'auteur ; un cas de Pitres (Revue de médecine, 10 avril 1888).
L'observation de Loevenfeld se résume ainsi :
Un foyer de ramollissement par thrombose (artério-sclérose)
localisée, suivant toutes probabilités (pas d'autopsie), aux régions
corticales motrices (intégrité du facial; contracture secondaire).
L'hémiplégie permanente procéda d'une attaque d'hémiparésie qui
n'aboutit à l'hémiplégie grave qu'au bout de plusieurs heures,
tandis que les autres attaques de paralysie transitoires antérieures
n'eurent pas ce caractère. Il est probable que ces dernières pro-
viennent de troubles de nutrition qui déterminent de l'irritabilité
de certaines zones corticales; cette irritabilité, impuissante d'abord,
à raison de conditions spéciales, à produire des convulsions parce
qu'elle n'irradie pas sur les centres sous-jacents, est cependant
suffisante pour suspendre momentanément les fonctions de ces
centres. Puis, les troubles de nutrition progressent et finalement
interrompent les tractus cortico-musculaires ; c'est alors que se pro-
duit l'hémiplégie permanente. P. KERAVAL.
XXVI. DE L'ASTASIE-ABASIE dans la maladie DE BASEDOW;
par A. Eulenbourg. (Neurol. Centralbl., 1890.)
On sait que ce syndrome a pour caractère de ne se manifester
qu'à l'occasion de la station debout et de la marche, tandis que les
autres modes de progression sont intacts (saut, bond) : dansl'ataxie
locomotrice, au contraire, toutes les fonctions de déplacementsont
atteintes. M. Eulenbourg donne un exemple d'astasie-abasie hysté-
riforme chez une jeune fille anémique affectée de goitre exophthal-
mique. P.$ER.1V.1L.
' REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 105
XXVII. Contribution A L'ÉTIOLOGIE du tabès; par M. BERNHARDT.
(Neurol. Centralbl., 1890.)
Dans l'observation présentée, l'auteur invoque les excès de
machine à coudre. Il fait remarquer l'influence de la grossesse sur
la marche du tabes. Sans doute, elle exagère les symptômes dou-
loureux du tabès ? Mais est-il nécessaire, comme on l'a fait ici, de
pratiquer l'avortement ? En effet, dans l'espèce, l'atténuation con-
sécutive des douleurs et autres symptômes pénibles ne fut que
temporaire ; en tout cas, l'avortement ne fit pas cesser la maladie.
De plus, la même malade devient grosse pour la seconde fois ;
comme elle a cessé de travailler à la machine, et qu'elle garde le
repos, elle ne pense plus à accuser la gravidité. Espérons que la
grossesse pourra suivre son cours normal. P. IERAVAL.
XXVIII. CONTRIBUTION A la question DES TROUBLES DE la SENSIBILITÉ
dans les affections EN foyer du CERVEAU; par L. D.1BESCHEIVITSCH.
(Neurol. Centralbl., 1890.)
La sensibilité est troublée quand il y a lésion du segment pos-
térieur de la branche postérieure de la capsule interne. Il est donc
évident que ce segment livre passage à des fibres sensitives qui
unissent l'écorce aux nerfs cérébro-spinaux. Que deviennent ces fibres
plus haut, vers l'écorce ; où s'y terminent-elles ? Les expériences
de physiologie étant contradictoires, interrogeons la méthode ana-
tomo-clinique. Voici, à cet égard, une observation instructive.
Monoplégie brachiale droite; dans le même membre et surtout à
la périphérie, la sensibilité est diminuée dans tous ses modes. La
marche de la maladie et l'ensemble clinique militent en faveur
d'une lésion centt'.1le.A l'autopsie, nous trouvons une.bouillie tuber-
culeuse qui occupe le centre ovale de l'hémisphère gauche, et sur-
tout le territoire de la partie moyenne de la pariétale ascendante.
Comme au microscope il n'y a aucune anomalie de la moelle ni du
tronc du cerveau, pas plus qu'ailleurs dans l'hémisphère en ques-
tion, il appert que la paralysie delà sensibilité et de la motilité du
membre droit est imputable à cette lésion tuberculeuse.
P.KERAVAL.
XXIX. Contribution ,1 L'I.TUDE DES TROUBLES trophiques DES ongles dans
L\ névrite multiloculure ; par 131ELSCIIOWSKY. (Neurol. Ceut1'<1lbl.,
1890.)
On sait que, dans les névrites des nerfs des extrémités, les ongles
sont friables, perdent leur éclat, deviennent inégaux et cannelés,
se rabougrissent ou s'atrophient complètement. Voici un cas chez
un cigarier atteint de névrite, caractérisé par l'apparition sur
106 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
l'ongle de points blancs laiteux qui se réunissent en raies. Au
microscope, on constate que cet aspect est dû à des amas d'air.
P. KERAVAL.
XXX. D'UNE modalité morbide singulière DU SYSTÈME NERVEUX CEN-
TRAL PROPRE A une même famille; par M. Nonne. (Arch. f. Psych.,
XXII, 2.)
Trois frères, actuellement âgés [de quarante-six, quarante-neuf,
quarante ans, sont, depuis l'âge de trente, quatorze, dix ans atteints
d'un complexus symptomatique progressif. Dans la famille, on note
toutes sortes d'anomalies, notamment de nombreux arrêts de
développement; chez l'un de ces malades, le complexus morbide
s'est montré à la suite d'une émotion violente; chez les autres,
sans cause appréciable. Ce complexus comprend : débilité men-
tale avec irritabilité - ataxie des extrémités et de la langue ou
des organes d'articulation ataxie des muscles de la physio-
nomie champ limité des mouvements des yeux, en haut, en
haut et en dehors, en haut et en dedans ataxie statique et loco-
motrice - atrophie des N. 0. absence du signe de Romberg, de
parésies, de contractures, de troubles de la sensibilité, de troubles
des réflexes.
Le frère le plus atteint (quarante ans), ayant succombé à la
tuberculose, on rencontra à l'autopsie, une incontestable atrophie
du cervelet sans lésion inflammatoire, c'est donc un arrêt de déve-
loppement. Le microscope révèle, dans la moelle : une exagération
des fibres fines aux dépens des grosses (racines postérieures et
antérieures, nerfs périphériques).
Comme il est impossible d'établir le diagnostic d'ataxie de Fried-
reich, de sclérose en plaques, d'atrophie cérébelleuse, on ne peut
s'empêcher de reconnaître que le cas ne soit original.
. P. KERAVAL.
XXXI. DE L'OCCURRENCE DES TROUBLES DE la SENSIBILITÉ dans la SCLÉ-
rose EN plaques disséminées; par C. S. fREUND. (Arch. f. Psych.,
XXII, 2-3.)
Trente-trois observations dont trois avec autopsie. Vingt-neuf,
soit 88 p. 10o, dénotent des troubles indéniables de la sensibilité.
Dans 48 p. 100, trente sont temporaires, fugaces.
Généralement, la sensibilité reste normale des mois, voire des
années; puis, tout à coup, comme dans une attaque apoplectique,
arrivent ces troubles qui, quelle que soit la progression dans l'en-
semble de la maladie, disparaissent à leur tour et ne reviennent
plus (Obs. I; XIII) ; ou bien ils reviennent encore au bout de quel-
que temps, soit au même endroit, comme avant (Obs. Il; VII), soit
REVUE DE pathologie NERVEUSE. 107
à un autre (Obs. X). Ce sont des sensations -d'obtusion du tact
avec fourmillements, de frissons, de douleurs en ceinture, de
velouté; des douleurs lancinantes, aux pieds, aux mains, aux doigts,
aux orteils, aux phalangettes, quelquefois à toute une moitié du
corps; ou bien des anomalies qualitatives ou quantitatives de la
sensibilité tactile, du sens de la pression, de la sensibilité doulou-
reuse (analgésie, hypalgésie, hypéralgésies, perversions), du sens
thermique (mêmes espèces), du sens musculaire, des sensations sté-
réognosiques, le malade prenant un couteau pour une cuiller et
inversement, l'impossibilité d'apprécier les mouvements avec ataxie.
Etude de l'hémianesthésie en pareil cas. Ce qui caractérise la sclé-
rose en plaques, c'est le caractère passager, temporaire de ces
troubles. Il en est ainsi pour des troubles de la vue, et de la motilité
(hémiparésie, paraparésie, paralysie du péronier, de la vessie, du
rectum).
Quelle est la genèse de ces accidents ? Il est probable qu'ils déri-
vent de l'épaississement et de la tuméfaction des cylindraxes
englobés dans les foyers scléreux; ces altérations sont susceptibles
de réparation; elles siègent dans les organes des nerfs sensibles,
surtout dans les cordons postérieurs (intégrité du reste de ces
organes et de la substance grise). Il ne s'établit pas de dégénéres-
cences. Quelquefois, cependant, le cylindraxe reste altéré et perd
sa fonction; les troubles de la sensibilité deviennent alors irrémé-
diablement permanents. P. K.
DES hallucinations du souvenir (PSEUDO-RÉMI,41,CENCES) dans
la psychose l'OLYnF VRITIQUE; par S.-S. 110PS : 1KON. (Allg. Zeitsch.
f. Psych., XLVII., 3-r.) .
Les troubles intellectuels qui accompagnent la polynévrite se
traduisent souvent par des hallucinations du souvenir avec délire
basé sur cet élément morbide. Il s'agit d'espèces d'obsessions déli-
rantes mobiles ou de préoccupations univoques stables. Hanté par
exemple par la mort d'une personne, par le souvenir d'un mort,
par des apparitions cadavériques, le malade est tellement affligé
par l'importunité de ces pseudo-réminiscences et leur intensité que
des idées délirantes prennent corps et fournissent une systémati-
sation partielle, par la création de toutes pièces d'une scène fantas-
tique. Presque toujours ces pseudo-réminiscences émanent de sou-
venirs de choses réelles. Les éléments nerveux fournissent les
lueurs d'impressions antérieures dont l'intensité n'est cependant
plus aussi forte. Et ces phosphorescences suffisent pour entraîner
des groupes d'associations d'idées et d'impressions. Ou plutôt, ces
lueurs qui voltigent dans la sphère inconsciente du psukê provo-
quent des associations d'idées fixes qui, à leur tour, font irruption
dans le champ de la connaissance et déterminent l'illusion, l'hallu-
108 REVUE DE PATHOLOIGE NERVEUSE.
cination de souvenirs qui acquièrent les caractères de la réalité.
Ainsi se forment de faux souvenirs, des souvenirs erronés. Cette
genèse suppose très probablement des lacunes dans les trames de
l'association des idées; ainsi les fibres qui nous avertissent de la
réalité de nos perceptions ou de nos souvenirs ne doivent pas, dans
l'espèce, entrer en jeu. C'est pour cela que les pseudo-réminis-
cences se montrent le plus souvent dans les psychoses qui pro-
cèdent d'une altération fonctionnelle des rouages de l'association
des idées. P. K.
XXXIII. NOTE sur les paralysies dans la maladie de Parkinson; par
le Dr Moucorgé (du Mont-Dore). (Lyon méd., 1891, t. LXVI.)
Les conclusions de ce travail basées sur une observation person-
nelle et quelques autres faits déjà publiés sont les suivantes : 1° en
dehors de la cachexie, on peut observer des paralysies avec ou
sans atrophie à la période préterminale de la maladie de Par-
kinson; 2° des paralysies compliquées ou non d'atrophies peu-
vent être également notées au début ou dans le cours de cette
affection ; - 3° la rigidité musculaire indiquant un premier
degré d'altération dans le muscle, il est légitime de rapporter les
accidents parétiques, paralytiques et atrophiques au génie même
de la maladie de Parkinson, et non à des complications étran-
gères à l'affection ; 4° sans pouvoir actuellement se prononcer
sur la nature intime de la maladie (névrites, myopathies, dystro-
phies musculaires, phosphaturie cérébro-spinale de Chéron, phos-
phaturie musculaire de Gauthier, sclérose myélilique de Teissier),
on doit tendre dé plus en plus à rayer la maladie de Parkinson du
cadre des névroses. ' G. DENY.
XXXIV. SUR UN cas DE NÉVRITE périphérique consécutive AL'INFLUENZA
- par le Dr 13ROSSET. (Lyon méd., 1891, t. LXVI.)
Dix jours après le début d'une attaque d'influenza, la malade
qui fait le sujet de cette observation présenta, comme troubles
sensitifs, des névralgies des parties molles de la paume des mains
et de la plante des pieds, sous forme de douleurs térébrantes et
une diminution des réflexes; comme troubles moteurs, une dimi-
nution notable de la force musculaire et des phénomènes de rigi-
dité tendineuse; comme troubles trophiques et vaso-moteurs, des
sueurs, de l'atrophie musculaire et de l'amincissement de la
peau.
La coexistence de tous ces symptômes, siégeant à la périphérie
des quatre membres, semble suffisante pour établir le diagnostic
de névrite périphérique, et, pour écarter toute idée d'une affection
médullaire. La grippe doit donc être rangée au nombre des
REVUE DE pathologie NERVEUSE. 109
maladies infectieuses (variole, fièvre typhoïde, dipthérie, etc.)
susceptibles de déterminer dans certaines conditions des névrites
périphériques. G. D.
XXXV. UN cas d'hystérie traumatique; par le Dr L. BONAMAISON.
. (Lyon méd., 1891, t. LXVI.)
On sait que des divergences d'opinion se sont produites sur la
place qu'on devait assigner dans les cadres neurologiques, aux
accidents nerveux d'origine traumatique. Tandis que l'école alle-
mande avec Oppenheim, Thompson, Strümpell, etc., voulait en
faire une névrose traumatique spéciale, l'école de la Salpêtrière a
démontré que parmi les névroses qui succèdent aux traumatismes,
l'hystérie est la plus fréquente.
A l'appui de cette dernière opinion, le Dr Bonamaison rapporte
l'observation d'un jeune homme de dix-neuf ans, héréditaire, qui
à la suite d'un coup de boule de croquet sur la nuque fut atteint
de grandes attaques convulsives et d'attaques de catalepsie avec
plaque d'hyperesthésie au niveau de la nuque, hémianesthésie
droite, rétrécissement du champ visuel, etc. Un traitement hydro-
thérapique prolongé amena la disparition de tous ces accidents.
G. D.
XXXVI. UN cas DE MYOCLONIE (CHORÉE ÉLECTRIQUE DE BERGERON), RAPI-
DEMENT améliorée par l'antipyrine; par L. BOUVERET et L. CUR-
TILLET. (Lyon méd., 1890, t. LXV.)
XXXVII. SUR UN cas D'HÉMIPLÉGIE CROISÉE DE la face ET DES membres
par lésion limitée DE la protubérance; par MM. LANNOIS et
E. REGNAULT.
Le tableau symptomatique dans ce cas, a été absolument celui
d'une hémorrhagie cérébrale ordinaire : ictus apoplectique chez
un sujet jeune et sans lésions cardiaques, hémiplégie de la face et
des membres du côté droit, déviation conjuguée de la tête et des
yeux du côté sain. La lésion était située à la partie supérieure du
pont de.Varole et dans sa moitié gauche; il s'agissait d'un ramol-
lissement récent.
Aucun des signes qu'on a donnés comme pouvant faire recon-
naître une lésion de la protubérance - contractures primitives,
symptômes pupillaires, etc. - n'étaient présents. La seule conclu-
sion à tirer de ce fait, c'est que les lésions du tiers supérieur de la
protubérance peuvent se traduire, au point de vue clinique, par
les mêmes symptômes que les lésions de la capsule interne.
G. D.
110 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
XXXVIII. Sur un cas d'aphasie motrice ET sensorielle; par
, M. E. LACROIX. (Lyon méd., 1890, t. LXV.) z
On sait que les lésions du faisceau pédiculo-frontal inférieur du
côté gauche déterminent l'aphasie tout aussi sûrement que la des-
truction de l'écorce de la partie postérieure de la troisième circon-
volution frontale gauche. Si la lésion est très exactement limitée
à ce premier faisceau, l'aphasie est le seul symptôme appréciable,
mais le plus souvent la lésion s'étend dans le faisceau voisin, et
l'aphasie est accompagnée d'hémiplégie (Pitres).
L'observation de M. Lacroix est la confirmation de cette donnée :
il s'agit d'un malade atteint d'hémiplégie droite avec aphasie
motrice, surdité et cécité verbales, à l'autopsie duquel on trouva '
trois petits foyers de ramollissement siégeant l'un dans le centre
ovale de Vienssens (aphasie motrice), l'autre, au milieu de la
deuxième circonvolution pariétale (cécité verbale), et le troisième,
à la partie postérieure de la première circonvolution temporale
(surdité verbale). La troisième circonvolution frontale était indemne
de toute altération. G. D.
XXXIX. Remarques complémentaires relatives A l'étude DE
l'atrophie musculaire; par DOEHNH,RDT. (Neurol. Central6l., 1890.)
Il n'est pas toujours possible d'établir un diagnostic différentiel
réellement certain entre la forme névropathique (spinale) et la
forme myopathique de l'atrophie musculaire. Nous ne trouvons de
points de repère précis ni dans les allures des groupes musculaires,
isolés en ce qui concerne l'atrophie, ni dans les douleurs, ni dans
les convulsions fibrillaires, ni dans la réaction dégénérative; l'exa-
men anatomique lui-même ne paraît pas démonstratif. Que de
fois, alors que le type clinique semblait être myopathique, ne
trouve-t-on pas d'altérations de la moelle ? Enfin, souvent on néglige
l'examen des muscles dans la forme spinale et cependant, on y
trouverait des altérations semblables à celles de la forme myopa-
thique. Voici, par exemple, dans une famille jusqu'alors indemne
d'atrophie musculaire, un jeune homme de vingt et un ans affecté
du type Charcot-Marie (Revue de médecine, 1886), tandis que sa soeur
"âgée de dix-neuf ans et demi présente la forme spinale : il existe
dans la famille une tare héréditaire névro et psychopathique ; par
'conséquent la forme myopathique émane aussi du système ner-
veux central. Une autre observation à l'appui de cette assertion,
nous est fournie par un homme de quarante ans; à la suite de
fatigues exagérées, il est porteur du complexus symptomatique de
l'atrophie musculaire myopathique, dans les deux cuisses; la vio-
lence et la persistance des douleurs et la disparition des réflexes
crématériens et abdominaux indiquent qu'il s'agit là d'une lésion
REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. H'1
centrale. Si l'on épluche avec soin les anammestiques, on trouve,
qu'il s'agisse déformes spinales ou non, que les premiers indices
de l'atrophie remontent à la première enfance ; ce qui permet de
supposer que l'origine doit en être rapportée à un trouble médul-
laire datant de la vie foetale ou du travail de l'accouchement.
P. K.
XL. CONTRIBUTION A la syphilis DU système NERVEUX central,
par E. SIEUERLING. (Archiv f. Psychiat., XXII, 1-2.)
Etude clinique et anatomo-pathologique de trois observations de
syphilis du système nerveux central, qui se résument brièvement
ainsi. La première observation s'est présentée cliniquement sous la
forme d'une affection spinale, dans la seconde il semblait qu'on
eût affaire à une affection cérébrale, la troisième paraissait être
une combinaison des deux premières. Mais l'anatomie pathologique
et l'étude microscopique sont venues montrer la dissémination des
lésions syphilitiques, tant en ce qui concerne le système nerveux
qu'en ce qui a trait aux autres organes. Les altérations des artères
et des méninges jouent le rôle principal dans le mécanisme des
lésions viscérales; l'endartérite, la périartérite, la phlébite oblité-
rante syphilitique et les hyperplasies de la pie-mère, provoquent
des ramollissements et des hémorrhagies dans les diverses régions
du cerveau et de la moelle (encéphalite interstitielle de Juergens,
myélites de la substance blanche) ; les dégénérescences descendantes
et ascendantes compliquent le tableau symptomatique, sans déro-
ger aux lois anatomiques que l'on connait.
M. Siemerling insiste, en ce qui concerne le diagnostic d'une
affection syphilitique de la moelle, sur la simultanéité des
symptômes cérébraux, l'évolution par poussées, les oscillations
étant dues à ce que le processus anatomique n'est pas uniforme
en étendue, en intensité, la répartition topographique en est elle-
même inégale ; la réaction pupillaire à la lumière est très variable
suivant les moments où on la détruit, le phénomène du genou est
également loin d'être identique à lui-même; enfin, on constate,
signe important, des phénomènes bulbaires passagers.
P. KERAVAL.
XLI. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE la nature DE la neurasthénie; par
P. J. KOR'ALEVaHY. (Centralbl. f. Ne1'venheilk' N. F. L, septembre-
octobre 1890.)
Etude d'ensemble dont voici les conclusions. Les conditions
modernes de la vie produisent la neurasthénie par un mécanisme
purement chimique, les éléments nerveux sont empoisonnés^ par
les produits de la métamorphose régressive qui, fatiguant le pro-
112 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.
.toplasma, provoquent une inanition générale du système et encom-
brent la substance nutritive, dont ils prennent finalement la place,
de substances impropres à la nutrition. Tel est le mécanisme
le plus net de la neurasthénie acquise chez des gens jusqu'alors
bien portants, à système nerveux indemne. La genèse de la neu-
rasthénie héréditaire est plus difficile à comprendre; quel est
le vice primordial du germe de l'embryon qui préside aux ano-
malies anatomiques ou fonctionnelles des éléments nerveux ? Il est
des cas où ces anomalies se révèlent par des perturbations macros-
copiques ou microscopiques; mais il est d'autres cas où l'on est
obligé de supposer une déviation chimique, moléculaire, qui aboutit
à l'intoxication par les ptomaïnes ou leucomaïnes. L'avenir préci-
sera peut-être la composition chimique des tissus, la fonction
correspondante de chaque élément chimique et anatomique, la fonc-
tion des leucomaïnes dans l'économie, l'action physiologique
de celles-ci sur les organes, la constitution physique et physiologique
des ptomaïnes ainsi que leur action. La thérapeutique dérivera de
ces découvertes. P. K.
XLII. DE l'hypérexcitabilité généralisée DES réflexes produite
PAR la QUININE; par A. ERLENMEYER. (Cent1'alb. f.Nel'venheilkl., 1890.)
Cette hypérexcitabililé est un phénomène exceptionnel qui,
dans l'observation en question, a simulé les convulsions de la troi-
sième période du quinisme ordinaire. En effet le malurien en ques-
tion prend le 20 mars 1 gramme de chlorhydrate de quinine et le
21, 2 grammes. La percussion du tendon putellaire produit non
seulement l'élévation brusque de la jambe au niveau de l'hori-
zontal, mais une secousse convulsive généralisée du corps entier
qui le projette en haut et le renverse en arrière. Qu'on pratique la
percussion des deux côtés, on arrive au même résultat. Tous les
réflexes sont exagérés. On administre 1 gr. 50 de chloral, le ma-
' Jade dort; le lendemain tous les accidents ont cessé. Chose parti-
culière, la même provision de quinine n'a rien produit de sem-
blable sur les autres malades. Le cerveau a dû subir seul dans
l'espèce l'action quinine; on sait que la suppression de l'action
cérébrale se traduit par une exagération des réflexes. Mais pour-
quoi le cerveau seul a-t-il été touché par le médicament, peut-être
parce qu'il s'agissait d'un morphinomane qui depuis quatorze ans
s'injectait de la morphine et qui en était encore à 30 centigrammes
par jour. Ces indications ne donnent pas la solution du problème.
P. KERAVAL.
XLIII. Les progrès RÉCENTS DE L'ATIIROPOGIE criminelle; par
C. Lombroso. (Centralbl. f. NervenheiLk, 1890.)
Mémoire écrit en français. Il s'agit de nouvelles observations
sur : A. Les épileptiques et les criminels. B. Les anomalies mor-
REVUE DE pathologie nerveuse. US
phologiques du cerveau, du crâne, du squelette des vivants. C. Les
fonctions de ces individus. M. Lombroso insiste sur les ressem-
blances du crime et de l'épilepsie, du génie et de l'épilepsie. Il
consigne à cet égard les conclusions de Virgile (G. Passanante, la
natura morbosa deI de/itto. Rome, 1888.)
La transmission héréditaire des tendances criminelles prouve qu'elle
procédait d'une organisation particulière, organisation anormale puis-
qu'elle porte l'empreinte de tous les signes dégénératifs. La criminalité
fleurit sur, un terrain héréditaire plus ou moins voisin de la folie; les
criminels deviennent fréquemment aliénés, et inversement, dans les
diverses maladies mentales apparaissent souvent des tendances crimi-
nelles. P. K.
XLIV. Sur L'DÎ30fE hystérique.
Une jeune juive, R..., âgée de dix-sept ans, se plaint d'un oedème
de l'avant-bras droit. Il y a un an, sans aucun motif appréciable,
elle ressentit au même endroit une douleur d'ailleurs tolérable qui
persista plusieurs mois. Puis, subitement, l'avant-bras et la main
ont enflé, cet oedème dura plusieurs semaines, puis disparut, puis
revint, ces alternatives continuèrent. Enfin, l'oedème ayant duré
plus longtemps que de coutume, la jeune R... entra à l'hôpital
juif de Varsovie, dans le service du D1' Gajkiewicz..
Pas d'antécédents personnels, ni héréditaires, le coeur, les pou-
mons sont sains ; pas d'anémie ; pas d'albumine dans l'urine. La
malade ne peut pas circonscrire le siège de la douleur qui est
continue, augmentant par moment d'intensité ; il n'y a pas de
points douloureux. La peau de l'endroit malade est rose rouge,
luisante, égale, plus chaude que celle du côté opposé (0°,9 de diffé-
rence). Tous les organes du côté droit sont affaiblis; les mou-
vements du bras droit sont plus lents que ceux du bras gauche ; le
froid, la chaleur, la piqûre, sont plus faiblement sentis ; l'électri-
cité réagit moins à droite qu'à gauche De même la sensibilité de
la face et du membre inférieur est affaiblie à droite. Tous les sens
sont affaiblis à droite, la vue est plus basse, le champ visuel est
plus rétréci pour la lumière et pour les couleurs. La pupille droite
est dilatée. La montre est entendue à 19 pas à gauche, et seu-
lement à 15 pas à droite. La quinine, la saccharine, l'acide acé-
tique, l'assa foetida et l'essence de rose sont faiblement perçus à
droite.
En un mot, la malade avait outre la douleur, de l'oedème et la
monoparésie brachiale du côté droit, elle avait aussi une hémia-
nesthésie sensitive et sensorielle.
La malade est restée pendant six mois dans mon service, et on
a vu pendant tout ce temps que l'état de l'avant-bras n'était pas
stable, et que quelques-uns des phénomènes pathologiques chan-
archives, t. XXII. 8
114 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
geaient sans cesse et quelquefois si souvent qu'ils changeaient
toutes les heures. La douleur était le symptôme le moins variable.
L'oedème était plus accentué le matin que le soir; tantôt il siégeait
à l'avant-bras et à la main, à l'un ou à l'autre et rarement à la face.
La peau variait aussi, tantôt rose rouge, bleue ou violette, ou'mar-
brée quelquefois pâle, rarement de couleur normale. Tantôt la
température était très élevée et la malade sentait une vive douleur
du côté droit; au bout de quelques heures tout disparaissait et la
malade se servait de son bras pour différents mouvements.
Cet état alternatif de mieux et de pis dura plusieurs mois; au bout
de cinq mois de séjour dans mon service, la malade ressentant un
mieux sensible, la disparition de la douleur et de l'oedème était
de plus longue durée qu'au commencement. La dilatation de
pupille est restée rebelle à tous les traitements.
Tout l'arsenal thérapeutique, bromure, quinine, morphine, com-
pression, massage, électricité, hydrothérapie, cautérisation avec
le thermocautère de Paquelin ont été employés sans succès. Les
pointes de feu le long de la colonne vertébrale ont paru plus
efficaces, on les a répétées cinq fois. Mme C. Bertillon.
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE
I. CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE QUELQUES formes aiguës d'aliénation
mentale ET DE leurs rapports avec la paranoïa, par M. le
Dl' ROSENB.1CFI.
Les caractères reconnus dès le principe comme constituant la
paranoïa dans le sens de Snell, et qui sont restés essentiels dans
la doctrine contemporaine de la paranoïa typique sont : une
période prodomique très longue; le développement latent du
délire, puis la lucidité de la conscience et la conservation presque
entière de l'intelligence; avec cela l'absence des troubles des sen-
timents, d'excitation motrice et de stupeur, ou du moins l'appa-
rition seulement épisodique et fortuite de complications pareilles;
enfin une durée illimitée sans aucune chance de guérison - West-
phal, en 1876, en examinant les- différents modes du dévelop-
pement de la paronoïa avait indiqué des cas aigus de cette forme
d'aliénation mentale.
A l'assemblée annuelle des aliénistes allemands tenue il Nurem-
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 115
berg, en 1877, sur la proposition du professeur Meynert, la folie
primaire (p1'imoe1'e Verrùcktheit, respective primoere Wahnsinu)
autrement dit la paranoïa, fut reconnue à l'unanimité comme une
forme distincte, tandis que de sa modification aiguë, notée par
Westphal, il ne fut même pas question.
Plus tard, la catégorie de la folie primaire servit presque uni-
quement pour indiquer la forme chronique et de la forme aiguë il
ne fut plus question dans les écoles allemandes, russes et ita-
liennes. - Il en fut de même en France où M. Magnan et ses
élèves démontrèrent l'existence d'une forme d'aliénation mentale,
le délire chronique, caractérisée justement par les mêmes symp-
tômes qui font l'essence de la forme typique de la paranoïa chro-
nique des auteurs allemands.
Cependant l'étude de la forme aiguë a été reprise au cours de
ces dernières années, et, dans la psychiatrie clinique de Schüle,
nous retrouvons de nouveau deux formes de délire systématisé
primitif ou paranoïa, la forme aiguë et la forme chronique, réunies
dans le même chapitre, comme un groupe des psychoses du cer-
veau valide. Mais Schùle montre la nécessité de bien distinguer
les formes aiguë et chronique, la paranoïa chronique rentrant
plutôt dans le cadre de la folie dégénérative alors que la para-
noïa aiguë appartient au groupe des psycho-névroses, cette der-
nière forme étant considérée comme un état hallucinatoire, de
rêve, avec perte du moi comme faculté directrice, provoquée par
des erreurs des sens l'accablant soudainement.
Il ne les réunit qu'à cause des formes intermédiaires qui ne sont,
pour ainsi dire, que la répétition abrégée de la forme chronique et
dans lesquelles la maladie débute par le délire typique de persé-
cution, suivi d'un état expansif, avec un délire religieux, mystique
ou érotique, et la conscience reste assez lucide pour que le délire
puisse se systématiser. En outre, la paranoïa chronique nous offre
dans sa marche des exacerbations qui, en résumé, ne sont pas
autre chose que la folie hallucinatoire aiguë, c'est-à-dire la forme
aiguë de la « Wahsinn ».
L'école française n'est pas tombée dans l'erreur de confondre
les foi mes aiguë et chronique du délire primitif dans une seule
forme moi bide. Mais, d'autre part, la forme aiguë n'a pas été bien
longtemps reconnue comme une psychose spéciale, indépendante,
et les malades qui en étaient atteints furent placés dans divers
autres cadres nosologiques comme la mélancolie, la manie, la
démence, etc.
En dernier lieu, ces formes ont été bien connues sous le nom de
délire d'emblée. Quant à ce dernier, il a été considéré par M. Magnan
comme un des syndromes psychiques de la dégénérescence men-
tale.
Ce point de vue parait trop exclusif à M. Rosenbacli qui fait
116 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
remarquer que ni Kralft, Ebing ni Schüle ne prennent la forme
aiguë de la paranoïa pour une manifestation de dégénérescence
mentale et qu'enfin le délire d'emblée de M. Magnan n'embrasse
pas toutes les variétés de la forme aiguë.
En résumé, à mesure que les observations cliniques se sont accu-
mulées, on a vu se produire la tendance à reconnaître les formes
aiguës comme un groupe indépendant d'aliénation mentale, mais
cette question n'est pas encore suffisamment élucidée pour qu'on
ait pu se former sur elle une opinion admise de tous, de même
que sur le rapport des formes aiguës avec la forme chronique du
délire chronique, du délire systématisé. - C'est pour reprendre
l'étude de ces rapports que l'auteur nous présente une série
d'observations de la forme aiguë prises dans la clinique du pro-
fesseur Mierzejewski.
Le caractère général des observations se présente sous l'aspect
suivant : hérédité dans tous les cas, sauf un. La maladie a été pré-
cédée de secousses morales, de suractivité intellectuelle, -anémie,
fièvre, couches. Le début est aigu : de nombreuses idées délirantes
de grandeur, de persécution ou de culpabilité, ou hypochon-
driaques n'ayant aucun rapport entre elles, surgissent en même
temps : elles se rattachent, paraît-il, à des erreurs des sens dont
une production énorme accable le malade; les idées délirantes
surgissent et se multiplient, à ce qu'il paraît, primitivement, d'elles-
mêmes : l'attention est absorbée par les divers phénomènes psy-
chiques qui remplissent tout à coup la conscience, si bien que celle-
ci devient peu capable de percevoir régulièrement les impressions
du dehors ; le malade s'oriente mal dans ce qui l'entoure et devient
confus dans ses sensations internes. A cet état s'ajoute l'influence
des affections, tantôt sous forme de dépression, de peur ou de déses-
poir, tantôt, au contraire, d'excitation active atteignant la fureur.
La marche est rémittante et même intermittente et la maladie
se compose pour ainsi dire de paroxysmes réitérés très impé-
tueux entre lesquels la réaction de la conscience sur les idées déli-
rantes est moins forte.
Le souvenir de ce que le malade éprouve pendant ces accès est
le plus souvent très confus et parfois se perd entièrement. La plu-
part des cas finissent par la guérison. Dans les cas à durée pro-
longée, il n'existe aucune tendance du délire à la fixation ou à la
systématisation. '
Dans la plupart des cas, la maladie dure des semaines et des
mois.
On voit par ce court résumé des symptômes que les cas décrits
appartiennent bien au groupe qui a été désigné par différents
auteurs sous les termes de paranoïa aiguë, Verrucktheit, confusion
hallucinatoire Wahnsinn, délire d'emblée, etc., et ils appar-
tiennent bien à une catégorie distincte et caractéristique d'alié-
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 117 7
nation, d'où la nécessité de les séparer de toutes les autres, formes
d'affections psychiques.
Dans la mélancolie et la manie, en effet, on voit que le moment
définitif est le changement d'humeur, du sentiment; confor-
mément à cela se modifient les autres manifestations de la vie
psychique, la marche des idées, la sphère motrice; si la mélan-
colie ou la manie se compliquent par de fausses sensations, elles
s'harmonisent avec l'élément fondamental de l'affection psychique,
avec la dépression ou avec l'exaltation.
Quant à la différence entre les formes aiguës étudiées dans ce
travail, avec le délire chronique, elle ressort du précédent exposé
symptomatique respectif des deux affections. 1
Rappelons que la caractéristique du délire chronique consiste
dans la systématisation des idés délirantes, le caractère partiel de
la folie, la lucidité de la conscience et l'absence de la réaction
affective.
Ces formes aiguës ont donc le droit d'être classées dans un
groupe à part, en dehors de la mélancolie, de la manie ou du
délire chronique (paranoïa en Allemagne). On les désigne à
présent par le nom de « Wahnsinn » eu laissant le terme de « Ver-
rucktheit * au délire chronique.- L'auteur préférerait l'appellation
de « folie générale ».
Reste à savoir dans quel groupe des affections psychiques placer
la forme mentionnée ? Doit-on la classer parmi les psycho-névroses
ou parmi les formes de dégénérescence psychique ? La plupart des
auteurs qui ont écrit sur cette forme se prononcent contre le carac-
tère dégônératif de sujets atteints de cette affection mentale. Con-
formément à cette idée, étant donné ce fait que la maladie se pré-
sente le plus souvent chez des gens qui n'ont présenté auparavant,
pour la plupart, aucune anomalie ni du système nerveux en géné-
ral, ni de la sphère psychique en particulier, et qu'elle fait son
apparition immédiatement après l'action de troubles moraux, de
surexcitavité intellectuelle ou d'une maladie générale, il y aurait
lieu de considérer cette forme d'aliénation mentale comme un des
modes de réaction du cerveau valide contre une série d'influences
défavorables et de la placer avec Krafft-Ebing parmi les formes
primitives de l'alfection psychique, telles que la mélancolie et la
manie. ·
Enfin, malgré là nécessité de séparer le délire primitif aigu de la
paranoïa, on ne peut nier qu'il existe quelquefois, soit au début,
soit au milieu de l'évolution de cette dernière un complexus de
symptômes rappelant le délire primitif aigu. Au lieu du délire par-
tiel systématisé, au lieu de la lucidité de conscience et la conser-
vation des opérations logiques, au iieu d'une conduite calme et
égale propre aux paranoïques, on voit chez ces malades un état
épisodique d'une grande excitation, avec un trouble de sentiment
118 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
tres prononcé, une grande production d'hallucinations dans toutes
les sphères et différentes idées délirantes, n'ayant rien de systé-
matisé. Si cet épisode arrive quand la maladie est bien développée,
le délire partiel qui existait avant subit des modifications; si, au
contraire, la paranoïa a débuté de la sorte, le caractère de la
maladie ne se découvre que quand l'impétueux accès des idées
délirantes et des erreurs des sens se calme, et, de leurs restes, se
forme l'un ou l'autre délire stationnaire. Mais puisque les cas de
délire primitif aigu, qui restent incurables, ne se transforment pas
en paranoïa avec délire systématisé et comme d'un autre côté les
complexus de symptômes caractérisés par la confusion, l'excitation,
les erreurs des sens et le délire d'emblée sont propres encore à
d'autres formes psychopathiques, qui n'ont rien de commun avec la
paranoïa, comme l'épilepsie, l'hystérie, une telle marche de la
paranoïa ne peut servir d'appui à l'idée que le délire primitif aigu
et le délire primitif chronique appartiennent au même groupe.
Du reste, ces cas particuliers de paranoïa se distinguent de la paro-
noïa classique, même quand les phénomènes aigus ont passé, par
un délire plus vaste et moins systématisé et par une plus grande
tendance à se changer en démence.
. E. BLIN.
II. D'UN groupe déterminé d'hallucinations SENSORIELLES dans LES
anomalies primitives DE l'humeur; par A. Cramer. (Allg. Zeitsch.
f. Psych., XLVII, 3, 4.) -
Obsessions, articulation irrésistible de la pensée (écholalie),
logorrhée irrésistible par accès (echokinésie, logokinésie), surve-
nant sous la forme d'épisodes avec mouvements impulsifs, dans la
mélancolie simple et la mélancolie anxieuse périodique. Six obser-
vations. '
Théorie. - Si l'on admet que la mélancolie émane de la con-
tracture des fibres lisses des vaisseaux, tandis que la manie résulte
de l'inertie des mêmes tuniques, dans les régions antérieures du
cerveau, on conçoit quelle modification subit de ce fait la chasse
d'irrigation sanguine suivant tel ou tel mécanisme et comment se
forment les symptômes locomoteurs respiratoires et conceptuels
dans les deux formes morbides. D'autre part, il n'y a pas de pensée
sans genèse, au moins silencieuse, des mots (parole intérieure); si
donc le processus des rouages de l'idéation est modifié de telle ou
telle façon par la mélancolie et la manie on conçoit qu'il s'engendre
des conceptions morbides issues de l'appareil locomoteur propre à
l'appareil d'articulation des mots, c'est-à-dire des hallucinations
du sens musculaire de cet appareil. De là des conceptions irrésis-
tibles, des logorrhées automatiques dans la mélancolie.
P. Keraval.
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 119
III. Observations CLINIQUES DE l'asile provincial d'aliénés DE
KREUZ80URG ¡par 0. DORNDLUETH. (Allg. Zeilsch. f. Psych., XLVII,
3,4.)
Etude médicale de trente-six aliénés classés sous les rubriques
de : mélancolie, - folie neurasthénique, démence aiguë (qua-
torze observations) ; folie systématique (paranoïa) chronique
(huit observations) ; imbécillité avec folie systématique (obser-
vation n° 25); folie périodique (observations nos 26-28);
manie périodique (observations n° 29 de folie systématique pério-
dique) ; paralysie générale (quatre observations); folie épi-
leptique (observations n°s 34, 35, 36). Etude analytique; discus-
sion du diagnostic. P. KERAVAL.
IV. Contribution A la' casuistique d'états mentaux DOUTEUX au
POINT DE vue IIsDICO-L1.GAL j par J. PIEUM.\NN. (Alla. Zeitsch. f.
Psych., XLVII, 3, 4.)
Premier cas. On relève : hérédité, tendance à poussées cépha-
liques congestives, surémotivité, intolérance à l'égard de l'alcool,
lacunes de la mémoire, impulsions à des actes délictueux malgré
les plus sévères répressions. Délits commis dans des buts stupides
mal déterminés, souvent sous l'influence de la bière et de l'eau-
de-vie ; attaque d'épilepsie. Second cas. - Emotivité exagérée,
intolérance à l'égard de l'alcool. Dipsomanie probable. Tare héré-
ditaire. Lésion organique acquise du coeur.
Ce sont donc plutôt des dégénérés que des aliénés. La propen-
sion à boire procède elle-même d'une suractivité morbide. L'alcool
devient alors un facteur aggravant qui les conduit sur les confins
de la folie. C'est la répétition des actes délictueux qui a donné
l'éveil de la psychopathie. P. KERAVAL.
V. Des MALADIES mentales dans les U USONS de correction;
par A. Kuehn. (Arch. f. Psych., XXII, 2-3.)
Si la population des prisons et des bagnes donne une propor-
tion d'aliénés bien supérieure à celle de la population ordinaire,
cette proportion est de beaucoup plus fréquente encore dans les
maisons de correction. Et ici la séquestration n'a rien à voir puis-
qu'il y a travail et travail à l'air libre. En excluant les individus à
excitabilité morbide et à neurasthénie, on obtient 8 p. 100 de psy-
choses, c'est-à-dire le double des psychopathies des prisons et des
bagnes ; proportion elle-même vingt fois supérieure à celle de
l'aliénation mentale chez les honnêtes gens non nomades.
120 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
Voici 144 aliénés de ce genre (l'auteur a examiné plus de
10 000 sujets) se décomposant en :
SOCIÉTÉS SAVANTES. 121
VI. De l'aliénation mentale, SUITE d'influenza; par A. SCIIUITZ.
(Allg. Zeitsch. f. Psych., XLVII, 3, 4.)
Sept observations sous le diagnostic : mélancolie aiguë. Il n'y
avait tare héréditaire que dans deux cas. Conclusion. L'influenza
est au premier chef une affection nerveuse épidémique. Pronostic
d'ailleurs favorable à la condition qu'on prescrive des toniques.
· - P. KERAVAL.
SOCIÉTÉS SAVANTES
SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE.
Séance du 27 juillet 1891. Présidence de M. 13oucfiEnnsau.
Revision de la loi sur les aliénés. M. Garnier après avoir examiné
attentivement la proposition de loi de M. Reinach n'hésite pas à
dire qu'elle lui parait illogique et impraticable en certaines de ses
parties. La base du nouveau système est la substitution de l'au-
torité judiciaire à l'autorité administrative : on veut faire d'un
malade un justiciable ; on veut prononcer contre lui un jugement de
collocation Mais après comme avant il faudra toujours recourir à
la science aliéniste.
En principe comme en fait, la loi de 1838 ne mérite aucun des
reproches formulés contre elle par ses adversaires. Les enquêtes
entreprises au sujet des affaires dont M. Reinach s'est fait l'écho
ont démontré que les Sandon, Monastério et Sellières étaient bien
des malades dûment séquestrés. M. Garnier termine son exposé
en demandant que la société intervienne en votant un ordre du
jour par lequel elle déclarerait qu'éclairée par des documents
indiscutables, elle ne saurait admettre comme autant d'exemples
de séquestrations arbitraires les affaires citées dans le projet de loi
de M. Reinach.
. La Société s'associe aux idées émises par M. Garnier et décide
qu'elle nommera une commission pour préparer un rapport sur la
proposition.
M. Charpentier fait remarquer que, pour l'affaire llfonastério, il
y a peut-être des doutes sur la manière dont les faits se sont
passés.
122 sociétés savantes.
M. GARNIER répond que, si dans cette affaire il y a eu certains
incidents spéciaux qui l'ont compliquée, il n'en reste pas moins
un fait acquis à savoir que la personne internée était atteinte de
troubles intellectuels justifiant son placement. La loi de 1838
ne peut donc être incriminée.
M. A. Voisin rappelle que, dans l'affaire Sandon, l'autopsie est
venue donner raison aux conclusions des experts.
M. BOUCUEItREAU croit savoir que la Chambre des députés s'est
déjà inquiétée de l'énorme quantité de jugements que les magis-
trats auraient à rendre si l'on substituait l'autorité judiciaire à l'au-
torité administrative pour le placement des aliénés. M. BRIAND.
Séance du 26 octobre 1891. Présidence DE M. BOUCIIERREAU.
M. Régis écrit qu'il y a plusieurs années il avait aussi préconisé
l'emploi d'une sonde oesophagienne analogue à [celle présentée
par M. Targoula.
Essai d'un plan d'observations. M. MARANDON de IIIONTZEL propose
à la société un plan schématique qu'elle devra adopter. Ce plan,
destiné à faciliter le travail des débutants qui veulent recueillir des
observations, encouragerait les intrus à communiquer les obser-
vations les plus intéressantes de leurs services respectifs. Celles-ci,
comme récompense devraient être publiées dans les An,nalesmédico-
psychologiques.
M. CHRISTIAN ne croit pas qu'il soit nécessaire de faire ces nou-
veaux tableaux. Il y en a dans tous les asiles qui ne servent à rien.
Les internes qui veulent travailler n'ont nullement besoin d'un
plan qui, devant répondre à tous les cas, n'est spécial à aucun et
devient encombrant.
MM. Briand, Christian et Seglas sont chargés d'examiner la pro-
position de M. Marandon.
Curieuse observation de suicide d'un paralytique général. -
M. ROUJLLARD rapporte, au nom de M. Sizaret, l'observation de
du paralytique général qui s'est suicidé en se déchirant l'un des
espaces intercostaux àl'aide d'une croûte de pain desséchée et laiHée
en biseau. Par l'ouverture ainsi pratiquée il s'est introduit sous le
péricarde des petits morceaux de bois pointu qui ont déterminé
des accidents mortels. M. B.
Séance du lunli 30 novembre 1891. PRÉSIDENCE DE M. BOUCHEREaU.
M. SÉGLAS, rapporteur de la proposition de M. Marandon de Mon-
tyel tendant à faire adopter par la Société un plan schématique d'ob-
BIBLIOGRAPHIE. 123 3
vations qui seraient publiées ensuite dans les Annales médico-psycho»
logiques, rend hommage aux intentions de M. Marandon de Mont-
gel, tout en n'adoptant pas sa proposition. La Société, conclut-il,
n'a aucune qualité pour s'immiscer dans la rédaction des Annales.
Les conclusions du rapport sont adoptées.
De l'obsession hallucinatoire et de l'hallucination obsédante.
M. SÉGLAS communique quelques observations de malades qui
l'amènent à formuler les conclusions suivantes : 1° l'hallucination
ne doit pas être exclue du cadre des obsessions; 2° l'hallucination
peut être secondaire à l'idée obsédante (obsession hallucinatoire)
ou être primitive (hallucination obsédante); mais, dans tous les
cas, elle participe des caractères généraux des obsessions; 3° l'hallu-
cination peut alors n'intéresser que les centres perceptifs communs;
4° elle peut intéresser aussi les centres de la fonction du langage
et être verbale, auditive, visuelle, motrice d'articulation, ou même
motrice graphique; 5° toutes ces hallucinations verbales, obsé-
dantes et conscientes doivent prendre place à côté des autres
variétés décrites d'onomatomanie.
M. FaLnET. Dans mon rapport au Congrès de médecine mentale,
j'avais établi que les obsessions n'étaient jamais accompagnées
d'hallucinations. Celte opinion n'est dans ma pensée qu'une for-
mule générale qui comporte quelques exceptions. ' M. -B.
BIBLIOGRAPHIE
1. Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie, d'après l'enseigne-
ment de la Salpêtrière; par M. le Dr Gilles de n TUUnE'l'TC. Pré-
face de M. le professeur CHaRCOT. T. ICI', Hystérie normale ou
itzterparnxystique. Paris, 1891, librairie Pion.
« Le présent traité, dit M. le professeur Charcot, dans la préface
qu'il a écrite pour l'ouvrage de M. Gilles de la Tourette, a été fait
en quelque sorte sous mon immédiate direction. Il reproduit aussi
fidèlement que possible mon enseignement et les travaux que
celui-ci a inspirés à mes élèves... M. Gilles de la Tourette l'a de
plus entouré des discussions qu'il a pu faire naître, des travaux
qui, à l'étranger comme en France, ont contribué singulièrement
à élargir le cadre de l'hystérie... C'est, si je ne me trompe, un
124 ' BIBLIOGRAPHIE.
travail complet qu'il nous présente, résumant parfaitement, en
tout cas, l'état actuel de la science... » Cette appréciation de
M. Charcot vaut certes mieux que tous les éloges que l'on pourrait
faire du livre de M. Gilles de la Tourette qui vient, en outre,
combler une lacune importante. En effet, depuis 1859, date de
l'apparition de l'ouvrage de Briquet, nous n'avions aucun traité
didactique complet de l'hystérie.
M. Gilles de la Tourette s'appuie sur les intéressantes recherches
qu'il a faites sur la nutrition dans l'hystérie pour diviser le traité
de l'hystérie en deux parties, qui font l'objet de deux volumes.
C'est le tome premier qui vient de paraitre, traitant^de l'hystérie
normale ou interparoxystique.
Le livre débute par un intéressant chapitre d'historique. Puis, à
propos de l'étiologie, l'auteur étudie avec grand soin le rôle de
l'hérédité et des agents provocateurs dans la genèse de l'hystérie.
A ce propos il met au point l'état actuel de la question de la névrose
traumatique, qui n'existe pas en tant qu'entité morbide et doit
rentrer pour une bonne part dans l'hystérie. ·
Suivent des chapitres très nourris de faits sur les stigmates per-
manents : anesthésie, hyperesthésie, zones hystérogènes, sur la
diathèse de contracture, l'amoysthénie, le tremblement. Chemin
faisant on trouve des considérations fort importantes sur les arthral-
gies, l'angine de poitrine, la pseudo-méningite, le 'mal de Pott,
les névralgies faciales d'origine hystérique. Il est bon d'ajouter en
passant, que cet exposé n'est pas exclusivement dogmatique, mais
aussi clinique ; les méthodes d'investigation s'y trouvent décrites
avec assez de détails.
A signaler particulièrement les deux chapitres qui ont trait aux
troubles oculaires dans l'hystérie. On y trouvera minutieusement
décrites l'amblyopsie hystérique, les modifications du champ visuel,
le dyschromatopsie et traitée à fond autant qu'elle peut l'être
dans l'état actuel de la science la question si difficile de para-
lysies et des contractures des muscles des yeux dans l'hystérie.
L'ouvrage se termine par un exposé sur la contraction dans
l'hystérie anormale ou interparoxystique et par un chapitre fort
intéressant sur l'état mental des hystériques, dans lequel, par
l'étude de la suggestibilité spéciale à ce genre de maladies, l'auteur
donne la clef de la plupart des phénomènes hystériques
Ce premier volume, illustré de figures dues à M. Paul Richer,
forme un ensemble bien complet. En deux mots c'est l'histoire
naturelle des stigmates permanents de la névrose, de ce fonds
hystérique qu'il est si important de connaître, si l'on veut éviter,
tous les jours, de grossières erreurs de diagnostic.
. Geoacis Guinon.
BIBLIOGRAPHIE. 125
II. L'athétose double et les chorées chroniques de l'enfance; par
AUDITS, médecin des hôpitaux de Lyon. 1 vol. in-81 de 400 pages,
chez J.-B. Baillière, 4892.
Depuis quelques années les observations d'athétose double ont
fait l'objet de plusieurs travaux. M. Andry a rassemblé dans une
monographie très complète et très consciencieuse, tous les docu-
ments relatifs à celte question. Quoique l'auteur y ajoute trois
nouvelles observations, on peut regretter qu'il se soit borné à une
simple compilation où la critique tient très peu de place, et où la
note personnelle manque presque complètement. Il se rattache au
point de vue pathogénique à la théorie suivante. L'athétose double
n'est qu'un syndrome, et ce syndrome peut s'observer dans les
affections cérébrales, dans les maladies de la moelle, dans les
névrites périphériques, dans les névroses. Aussi distingue-t-il l'athé-
tose double d'origine cérébrale, et l'athétose double d'origine
extra-cérébrale. Je crois la distinction au moins discutable. Il
reconnaît lui-même d'ailleurs que les faits d'athétose double dans
les névrites périphériques prêtent à discussion. Quant à l'athétose
chez les ataxiques,il est permis de la rattacher à des lésions céré-
brales, ignorées encore sans doute, mais d'autant plus vraisem-
blables que dans les cas d'athétose double congénitale on en est
encore à être fixé sur ses lésions. Reste l'athétose double d'origine
hystérique, mais qu'a-t-elle de commun avec l'athétose double
décrite par Clay Shaw, et à quel titre peut-on bien la classer dans
les troubles d'origine extra-cérébraux ? Les phénomènes hystériques
ne sont-ils pas essentiellement liés au dynamisme cérébral.
L'auteur repousse l'opinion de l'entité clinique de l'athétose
double, qu'il considère comme une double hémiathétose. Il est
difficile de le contredire et de le suivre dans cette voie, car per-
sonne ne possède encore les éléments du procès, à savoir l'ana-
tomie pathologique. Quoi qu'il en soit, l'athétose double congénitale
conserve une physionomie bien spéciale que, malgré ses efforts,
M. Audry ne parvient pas à lui enlever en rapprochant et confon-
dant avec les mouvements athétosiques qu'on peut rencontrer dans
d'autres affections. L'athétose double d'origine extra-cérébrale n'est
pas plus de l'athélose double que les mouvements choréiformes ne
sont de la chorée, et ces cas-là ne devaient trouver place qu'au
diagnostic.
Il n'en reste pas moins que c'est un livre à consulter pour tous
ceux qui étudieront désormais l'athétose double, car ils y trouve-
ront tous les faits et toutes les opinions qui s'y rattachent. C'est
une excellente mise au point de cette intéressante question, encore
bien obscure. P. S.
126 BIBLIOGRAPHIE.
III. Des folies diathésiqucs; par le De H. MABILLE, médecin en chef
directeur, et le Dr E. LALLEMANT, médecin-adjoint de l'asile de
Lafond.
En proposant pour programme du prix Falret : les folies diathé-
siques, l'Académie de médecine n'entendait assurément pas
demander aux concurrents de décrire une à une des folies diathé-
siques à une époque qui a vu les diathèses succomber l'une après
l'autre devant les progrès incessants de la microbiologie. C'est ce
qu'ont bien compris les lauréats du concours, MM. Mabille et Lal-
lemant. En fait de maladie diathésique, il ne nous reste guère que
l'arthritisme, c'est-à-dire le groupe de ces affections parentes qui,
selon le professeur Bouchard, relèvent d'une cause commune, la
nutrition retardante. L'étude très savante de nos distingués con-
frères envisage donc principalement les troubles mentaux dans
leurs rapports avec l'arthritisme et ses manifestations principales.
Une partie importante du mémoire est consacrée aux folies rhu-
matismales. Le rhumatisme articulaire aigu est-il une manifesta-
tion diathésique ? Ne serait-ce pas plutôt une maladie infectieuse ?
Sans rejeter absolument cette opinion, qui a bien des chances
d'être vraie, les auteurs pensent qu'il n'y a pas lieu, au point de
vue qui les occupe, de distraire le rhumatisme aigu du groupe
arthritique, le terrain spécial préparé par la diathèse étant, quelle
que soit l'hypothèse pathogénique adoptée, nécessaire à son déve-
loppement. Ils nous montrent la folie se développant en même
temps que les accidents articulaires, alternant avec eux, leur suc-
cédant ; variant de forme selon les circonstances, ce qui ne permet
pas d'admettre l'existence d'une forme déterminée de folie rhuma-
tismale, mais présentant, cependant, dans la plupart des cas
quelques traits communs prédominants tels que la dépression
mélancolique et les hallucinations terrifiantes de la vue. Ce dernier
phénomène a une importance que les auteurs ont bien mise en
lumière; il est le signe d'une intoxication générale de l'organisme,
ce qui permet de rapprocher le délire du rhumatisme du délire
alcoolique : d'en faire, en un mot, une folie toxique.
Les folies goutteuses, diabétiques, etc., ne sont que des curiosités
médicales, tant elles sont rares; aussi les auteurs ne s'y sont-ils
guère arrêtés. Ils ont insisté au contraire, sur l'étude des troubles
intellectuels des arthritiques chez lesquels on ne rencontre que les
manifestations fugaces et protéiformes de la diathèse. Ce qui carac-
térise ces manifestations, c'est la périodicité, l'intermittence; et
c'est précisément la périodicité qui paraît à MM. Mabille et Lalle-
mant, le caractère le plus saillant de la folie chez les arthritiques.
Des recherches irrologiques importantes, dont ils fournissent les
résultats, viennent à l'appui de leur opinion; ils ont constaté, en
particulier, que la fin de l'accès de mélancolie, chez les arthri-
VARIA. 127
tiques, était souvent annoncée par de véritables décharges d'acide
urique.
Je reprocherais peut-être aux auteurs d'abonder un peu trop
dans leur sens, de trop grossir le rôle de l'arthritisme, si leur
mémoire ne se terminait par une sorte de profession de foi qui me
donne entière satisfaction; ils déclarent en effet qu'il est souvent
impossible de distinguer dans leurs effets, tant les déterminations
causales tendent à se confondre, la part qui revient au système
nerveux ou au trouble de la nutrition, comme cause première;
mais que pourtant, ils ont une grande tendance à croire à l'action
primordiale du système nerveux dans la production des troubles
de la nutrition.
En résumé, MM. Mabille et Lallemant ont su rajeunir à souhait
cette vieille question des folies diathésiques et leur mémoire est de
tous points digne de la haute récompense que lui a décernée l'Aca-
démie de médecine. A. CULLEItIIE.
VARIA
LES MÉDECINS ADJOINTS.
Si les médecins adjoints, du dernier concours de l'adjuvat des
asiles sont aujourd'hui pourvus d'un poste leur faisant à tous une
situation équivalente en apparence, on peut dire que, dans la
réalité, rien n'est moins comparable que la réception faite à chacun
d'eux.
Tandis que dans la plupart des asiles, les adjoints ont été traités
par leurs chefs de service en véritables confrères, il en est d'autres
où les choses se sont passées tout différemment : croirait-on, par
exemple, qu'un directeur, surtout connu par ses sympathies pour
les communautés religieuses , veut remettre en vigueur une
ancienne coutume, repoussée partout, en réinstallant les fameuses
tables administratives, de si triste mémoire, pour obliger son
médecin adjoint à prendre ses repas en commun avec les sous-
économe, commis de direction, sous-employés, garçons de bureau
célibataires, etc. ? 11 y a lieu d'espérer que la table administrative
sera au moins présidée par le directeur qui donnera le bon exem-
ple en y prenant ses repas !
Nous serions désireux de connaitre l'avis de la commission de
surveillance sur la proposition qui lui sera sans doute soumise,
avant l'exécution de la mesure en question. Si le fait qui nous est
signalé est exact, ce singulier fonctionnaire dont il s'agit a une
façon bizarre de comprendre son rôle et de faciliter le recrutement
des médecins adjoints ! ! ! i
128 VARIA.
Les asiles d'aliénés EN France ; par M. le Dr TIMOFEEFF. Bro-
chure in-8° de 67 pages, avec deux plans des asiles de Villejuif
et de Saint- Yon. Saint-Pétersbourg, 1892.
La brochure de M. le Dr Timofeëff présente une revue critique
des asiles d'aliénés de la Seine, de l'Eure et de la Seine-Inférieure.
Une description moins détaillée est consacrée aux quartiers d'alié-
nés de Bicêtre et de la Salpêtrière. Exacte dans son ensemble,
cette publication, tout en indiquant dans son auteur un observa-
teur scrupuleux et sincère, nous a semblé avoir été composée d'une
manière un peu hâtive, relativement à quelques questions de détail.
Parmi ces dernières deux surtout méritent d'être signalées.
A la page 44, l'auteur condamne le système de la direction de
nos asiles de la Seine par des directeurs qui ne sont pas en même
temps médecins en chef. Il trouve que cette division des pouvoirs
administratif et médical apporte un trouble profond dans le fonc-
tionnement de la maison, affaiblit la discipline du personnel infé-
rieur et donne lieu à des rapports excessivement tendus entre le
directeur et les médecins-chefs. Son désir serait de voir à la tête
de chaque asile un médecin en chef ayant sous ses ordres immé-
diats tout le personnel médical et administratif...
M. Timofeëff oublie probablement que le règlement desasiles tel
qu'il est en vigueur actuellement dans le département de la Seine
a parfaitement bien délimité les attributions respectives de chacun
de ces fonctionnaires et tant que chacun d'eux reste dans la stricte
observation des statuts réglementaires aucun conflit n'est possible.
Une quantité d'inconvénients importants résulterait au contraire
de l'application du système qui consisterait à charger un médecin
en chef de la direction générale d'un asile. Déjà, avec le système,
actuel, un chef de service d'un asile d'aliénés est positivement
encombré d'une paperasserie administrative tellement abondante
qu'à elle seule elle l'oblige quelquefois de négliger les intérêts
médicaux du service, ses intérêts scientifiques personnels et les
intérêts des élèves qui viennent apprendre chez lui la pathologie
mentale ; qu'arrivera-t-il s'il est chargé en plus de la surveillance
générale d'un nombreux personnel inférieur et delà direction éco-
nomique d'une grande maison dont il serait entièrement respon-
sable ? M. Timofeëff nous engage d'imiter les asiles de province.
Malheureusement, les exemples de certains de ces asiles ne sont
que trop démonstratifs à ce sujet en prouvant qu'un médecin en
chef fonctionnant comme directeur, est tellement absorbé par des
questions de ménage de son asile, qu'au bout d'un certain nombre
d'années il ne lui reste de ses qualités d'aliéniste que le nom... z
Mais passons à la seconde question qui doit être relevée dans la
brochure de M. Timofeëff. A la page 59, nous lisons les lignes sui-;
vantes à propos de Bicêtre :
varia. 129
« Le service de M. le Dr Bourneville présente un contraste frap-
pant avec les autres sections de Bicêtre; ce service est destiné pour
les enfants au-dessous de dix-huit ans ; ils sont logés dans des
beaux pavillons nouvellement construits, munis de dortoirs coquet-
tement installés, riches en espace et en lumière, ayant en outre
des salles de jeu, de gymnastique, etc.; l'école, les différents
ateliers sont construits richement; partout règne une propreté
rigoureuse et même un certain luxe dans l'installation inté-
rieure (tables et lavabos couverts de marbre, etc...) ; en un
mot, on voit qu'on n'a pas marchandé les millions pour cette
entreprise ridicule. Aussi, l'impression générale est excessivement
fausse. Il est vrai que tout ici témoigne des soins que l'organisa-
teur a apportés à cette oeuvre, de son désir d'installer tout le
mieux possible; mais il est permis de douter si une dépense si
furieuse des deniers publics est utile, est admissible et dans quel
but ? Pour l'assistance des idiots ! ... Est-il permis de les entourer de
marbre et les loger presque dans des palais lorsque les enfants
bien portants du peuple qui paie tous ces millions meurent par-
tout de faim et de misère ? »
Ainsi s'exprime l'auteur et nous devons avouer que nous
sommes étonnés de voir dans notre ami le Dr Timofeëff cette belle
indignation, derrière laquelle se cache tout simplement une con-
naissance inexacte de l'histoire de l'assistance des idiots en France.
Eh bien, à cette appréciation un peu hasardée, nous allons répondre
par un exposé résumé de toutes les raisons qui militenten faveurde
l'hospitalisation aussi large que possible des enfants idiots et épilepti-
ques. Sans parler des essais de l'assistance et du traitement des enfants
idiots par Itard (1801), par Félix Voisin, par Belhomme, par Esqui-
rol (1838), il faut surtout nous rappeler que c'est à Edouard Seguin,
à un Français que l'humanité est redevable de la méthode de
traitement et d'éducation de ces petits déshérités sous le rapport
de l'intelligence. Nous ne voulons pas reprendre l'histoire de cet
homme célèbre. Disons seulement que ses mémoires de 1838,
1839 et 1841 avaient presque aussitôt attiré l'attention des médecins
étrangers, et en 1842, le Dr Guggenbuhl, en Suisse, et M. Saegert,
en Allemagne, ont appliqué sa méthode. Lorsque, plus tard, en
1846, Seguin publiait son admirable livre intitulé : Traitement
moral, hygiène et éducation des idiots, un véritable mouvement se
produisit en Allemagne, en Angleterre et en Amérique en faveur
du traitement des enfants idiots, et dans ces différents pays, le
nombre d'institutions pour ces malheureux augmentait chaque
année. En France, malheureusement, l'hospitalisation des idiots
est encore assez restreinte, et partout, soit dans les asiles, soit
dans les hospices, leur traitement se borne à des soins purement
matériels, et ceci dans la patrie de l'homme qui a créé le traitement
et l'éducation des idiots... Ce n'est que depuis dix ans que la ques-
Archives, t. XX1U. 9
130 VARIA.
tion de l'assistance et du traitement des enfants idiots a été
reprise en France par le Conseil général de la Seine et le Conseil
municipal de Paris. Dans le quartier des enfants de la Salpêtrière,
on a créé une école, à l'asile de Vaucluse on a fondé une colonie
annexe pour l'éducation des idiots; enfin, on a construit la
section de Bicêtre, grâce à l'initiative énergique et à l'admirable
dévouement du Dr Bourneville.
M. Timofeëff parle des millions dépensés pour la création à
Bicêtre d'une section pour des enfants réputés incurables. Il ne
sait probablement pas que le Conseil municipal a consacré en tout
pour cette oeuvre 2 millions 100.000 francs. A l'exemple de bien
d'autres personnes, il va même jusqu'à poser la question de savoir
s'il est bien nécessaire d'assister ou d'hospitaliser cette catégorie
d'enfants. Cette question aurait été naturelle dans la bouche des
gens peu au courant des choses de l'Assistance et ignorants des
résultats qu'on peut obtenir d'un traitement et d'une éducation
bien compris, mais dans la bouche de M. Timofeëff, un médecin
instruit, possédant une connaissance approfondie de l'organi-
sation des établissements similaires en Allemagne, Autriche,
Italie et Suisse, cette question nous étonne au dernier degré.
Eh bien ! oui, l'hospitalisation de ces enfants est indispensable et
cela par la nature même de leurs maladies et de leurs infirmités
qui, pour être convenablement traitées, exigent la présence cons-
tante de l'un des membres de la famille, lequel se trouve ainsi
immobilisé et dans l'impossibilité de travailler, de contribuer aux
charges de la famille. Les idiots, les imbéciles, les paralytiques,
les hystériques, les épileptiques, les dégénérés avec perversion des
instincts sont dans ce cas. Leur présence dans la famille est une
source de graves inconvénients pour leur entourage qui, d'ailleurs,
est dans l'impossibilité de leur faire suivre un traitement rationnel
leur donner une instruction appropriée. Sans parler des idiots
au dernier degré qui sont une gêne évidente pour leur famille,
il en est un grand nombre d'autres, imbéciles ou arriérés ou hys-
tériques, ou épileptiques qu'on ne peut garder dans les écoles,
parce qu'ils sont incapables de suivre les exercices de leurs cama-
rades et que leurs tics, leurs crises convulsives troublent la disci-
pline de la classe. Beaucoup d'autres ont des fugues qui les font
condamner pour vagabondage ou pour d'autres actes répréhen-
sibles qui remplissent d'inquiétude et de douleurs leurs malheu-
reuses familles. Et la grande classe des enfants dégénérés avec
leur perversion des instincts, leurs impulsions au vol, au men-
songe, à l'onanisme, à la pédérastie, à l'incendie, au suicide. à
l'homicide, à l'empoisonnement, à la destruction, etc., qu'en
faites-vous, M. Timofeë(i2 Et toutes ces raisons ne vous paraissent-
elles pas démontrer d'une façon irréfutable la nécessité du trai-
ement et de l'hospitalisation aussi large que possible de tous ces
VARIA. '131
enfants ? Quant à nous, nous dirons que ce qu'on a fait jusqu'à
présent pour ces enfants en France est encore peu : la section de
Bicêlre est belle, mais elle doit engager le gouvernement de la
République à organiser dans toute la France des sections sembla-
bles en créant des asiles départementaux pour l'assistance publique
de ces petits déshérités. On sait que notre rédacteur en chef a fait
introduire dans la nouvelle loi sur les aliénés, un article qui rendra
obligatoire la création de ces asiles pour les enfants déshérités de
l'intelligence.
Dr J. ROUBINOVITCII.
Asile d'aliénés DE Villejuif : LES enlèvements d'aliénées.
a Un enlèvement a été accompli dimanche dernier, 22 novembre,
à l'Asile d'aliénés de Villejuif, dans des circonstances tout à fait
étranges. Tandis qu'une division de soixante-quatre femmes et
enfants était conduite à la messe par quatorze gardiennes, quatre
individus se présentaient tout à coup, s'emparaient d'une des pen-
sionnaires, M"° Dourches, âgée de vingt-six ans, et tentaient de
s'enfuir avec elle. Les gardiennes aussitôt se jetèrent sur les agres-
seurs et essayèrent de reprendre MIle Dourches. Il y eut, à ce mo-
ment, une mêlée indescriptible, car les soixante-quatre malades,
prêtant main forte à leurs gardiennes, s'efforçaient, de leur côté,
de reprendre leur compagne. Mais' les quatre ravisseurs, quatre
hercules, dont le chef était le propre frère de Ml'e Dourches, tinrent
bon. Ce fut, pendant quelques minutes, une mêlée indescriptible.
Enfin les quatre agresseurs parvinrent à s'éloigner. Ils firent mon-
ter 51 ? Dourches dans une voiture qui attendait près de là et dis-
parurent rapidement. L'enquête a établi que c'était la famille qui
avait fait procéder à cet enlèvement par le frère' de la pensionnaire
de Villejuif. Il y a eu dimanche quinze jours, un premier enlève-
ment d'aliénée avait eu lieu dans les mêmes circonstances. Cette
fois, c'était un père de famille qui avait enlevé sa fille, âgée de
dix-sept ans. Cet homme était très connu des gardiennes, car il se
rendait souvent à l'asile. Il y a huit jours, il se présentait à l'une
d'elles au moment où elle accompagnait les malades à l'église. Il
causa amicalement avec elle, fit venir sa fille qu'il voulait, disait-il,
accompagner à la messe ; puis, en passant devant une voiture qui
stationnait à un coin de la rue, il y fit brusquement entrer sa fille.
La voiture partit aussitôt, et la jeune fille était enlevée sans lutte
et sans même que les surveillantes eussent eu le temps de s'en
apercevoir. A la suite de ce premier enlèvement, le directeur de
l'asile prévint les malades que, si pareil fait se renouvelait, il serait
forcé d'interdire les promenades hors de l'établissement ; ce qui
mit les malades dans la désolation. Or, dimanche, lorsqu'elles
132 varia.
aperçurent la voiture qui devait emmener l\1l1e Dourches, une des
aliénées s'écria : « Tiens, une voiture arrêtée, encore un enlève-
ment ! » Cette réflexion avait éveillé l'attention des surveillantes,
qui se tinrent sur leurs gardes, d'où la difficulté du deuxième enlè-
vement et la lutte qui s'ensuivit. Dans cette lutte homérique, douze
infirmières et cinq malades furent blessées ou contusionnées plus
ou moins grièvement. -. (Journaux politiques.)
D'après nos renseignements, il s'agit d'une malade atteinte du
délire de persécution, désignant ses prétendus persécuteurs et
partant dangereuse pour eux : un certain Lucien et des armuriers
la font électriser par une cartomancienne ; les armuriers lui
piquent le coeur. Elle se promenait la nuit dans le dortoir, afin
d'empêcher qu'on ne la dépeçât, demandant de l'eau pour calmer
les brûlures qu'elle ressentait dans certaines parties du corps;
souvent elle couchait sur le parquet, couverte d'un drap, pour
conjurer les sortilèges ; elle passait une partie de la journée à inju-
rier des agents de la préfecture de police cachés dans la bouche
du calorifère, etc. 1
Le préfet de police d'une part (il s'agissait d'un placement d'of-
fice) et le préfet de la Seine, d'autre part, ont saisi le parquet de
l'affaire. Jusqu'ici, parait-il, on n'a pas retrouvé la demoiselle
Dourches, cachée sans doute dans un des nombreux couvents de
Paris et des environs, où l'on détient des aliénés, sans qu'aucune
des formalités exigées par la loi soient remplies, au su et vu de
la police et de la magistrature.
Tous nos efforts et ceux de nos amis ont tendu à accorder aux
malades la plus grande somme de liberté possible en leur donnant
des congés dans leur famille, en leur faisant faire des promenades,
en les occupant à l'extérieur à des travaux d'agriculture. Tout cela
a été organisé un peu malgré l'administration, surtout celle de la
préfecture de police. Si des faits aussi scandaleux et accompagnés
de brutalités aussi révoltantes se reproduisaient, il serait à craindre
qu'on ne revint sur les excellentes mesures qui ont été prises et
pour lesquelles, personnellement, nous avons si souvent combattu.
Concours pour les PUCES DE Médecins-adjoints des Asiles d'aliénés.
Pour la circonscription de Paris, le concours s'est ouvert le
15 décembre. Le jury était ainsi composé : Président, Dr Droui-
neau, inspecteur général; D''S Féré, médecin de Bicêtre; Brunet,
médecin-directeur de l'asile d'Evreux ; Camuset, médecin-directeur
de l'asile de Bonneval; G. Ballet, professeur agrégea la Faculté de
médecine ; suppléant, M. Schils, médecin de l'asile de Lesvellec.
Pour la circonscription de Lyon, le concours s'est ouvert le
10 décembre. Le jury était ainsi composé : Président, Dr A. Re-
varia. 133
gnard, inspecteur général ; MM. Lapointe, médecin de l'asile
d'Auxerre; Dufour, médecin de l'asile de Sainl-Robert; Faucher,
médecin de l'asile de la Charité; Pierrot, professeur de clinique
mentale; suppléant, Dr Fabre, médecin de l'asile de Saint-Dizier.
Pour la circonscription de Lille, le concours s'est ouvert le
10 décembre. Le jury était ainsi composé : Président, Dr Droui-
neau ; Dre Pilleyre, médecin de l'asile de Prémontré; Martinencq,
médecin de l'asile de Clermont; Taguet, médecin de l'asile d'Ar-
mentières ; M. Castiaux, professeur à la Faculté de médecine, sup-
pléant, M. Cortyl, médecin, directeur de l'asile de Saint-Venant.
Pour la circonscription de Bordeaux, le concours s'est ouvert le
10 décembre. Le jury était ainsi composé : Président, M. le
D1' Napias, inspecteur général; Drs Reverchon, médecin de Saint-
Luc ; Bessières, médecin de l'asile de Saint-Alban; Pons, médecin
de l'asile de Bordeaux ; Picot, délégué de la Faculté de médecine;
suppléant, Dr Larrieu, médecin de l'asile de Cadillac.
Pour la circonscription de Montpellier, le concours s'est ouvert
le 15 décembre. Voici la composition du jury : Président, Dr Napias;
Drs Campagne, médecin de l'asile de lIlontdevergues j Dauby,
médecin de l'asile d'Aix; Boubila, médecin de l'asile de llfarseille;
Jaumes, professeur à la Facullé; suppléant, D'' 111auuier, médecin
de l'asile de Pierrefeu.
Le concours s'est terminé à Lyon par la nomination de MM. les
Des 1. Bonnet; 2. Paret. Il n'y avait que ces deux candidats pour
deux places. Les épreuves ont été bonnes, quelques-unes excel-
lentes. Le dernier candidat reçu a obtenu plus des deux tiers des
points (le maximum est de 90).
Question écrite traitée : 1. Plancher du 4me ventricule. Les deux
autres, restées dans l'urne : 2. Circonvolutions occipitales; 3. Corps
opto-strié.
Question orale portant sur la pathologie (non spéciale). 1. Trai-
tU1'e du col du fémur; les deux autres questions étaient : 2. Dia-
gnostic et prophylaxie de la fièvre typhoïde; 3. Insuffisance mi-
trale.
Ont été nommés : 1° pour la circonscription de Pans : MM. les
Dra Toulouse, Vigoureux, Livoff; - 2° pour la circonscription de
Lille : 111 : 11. les Des Charon et Chardon; 3° pour la circonscrip-
tion de Bordeaux : M. le Dr Anglade ; 4° et pour la circonscrip-
tion de AloattPellica· : MM. les Drus Campagne (Norbert), et Allaman.
Certains s'étonnent du petit nombre de concurrents qui se pré-
sente pour le concours aux places de médecins-adjoints dans
les asiles d'aliénés. Ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, le
coucours pour premier résultat d'éliminer les candidats, qui,
n'ayant pas suffisamment travaillé, ne se sentent pas en mesure
134 varia.
de soutenir des épreuves publiques. Cela tient aussi à l'insuffi-
sance des traitements. (Voir t. XXII, page430 et 432, en notes.)
Cela tient enfin à ce que, trop souvent, les]postes avantageux, au
lieu d'être réservés aux médecins des asiles, sont donnés à des
hommes qui n'ont aucune expérience des asiles, aussi bien au
point de vue médical-qu'au point de vue administratif. Les
nominations de ce genre sèment le découragement parmi le
personnel médical et a pour conséquence de faire hésiter les
jeunes médecins à se présenter au concours. Il est certain que la
plupartdesasilespourraientétredirigéspar des médecins, comme
ils le sont dans tous les autres pays, et cela au plus grand
bénéfice des malades et des établissements. Il en résulterait
cerlainement une proportion plus considérable des guérisons.
; B.
L'assistance DES aliénés.
« La préfecture de la Seine va soumettre au conseil général un
nouveau mode d'hospitalisation des aliénés, destiné à dégager les
asiles d'une catégorie de malades n'exigeant pas des soins spé-
ciaux. 11 s'agit d'appliquer le système d'assistance familiale des
aliénés déjà en usage dans certains pays étrangers et qui consiste
à placer les aliénés non dangereux dans des familles de cultiva-
teurs. Les cultivateurs qui recevront des aliénés seront surveillés
par les agents de l'administration pénitentiaire. Le premier pla-
cement de celle nature sera fait dans une commune du départe-
ment du Cher dont les conditions climatériques ont semblé les
plus favorables à cette expérience. Cet esrai portera sur cent alié-
nés. Les frais d'entretien s'élèveront à 61,000 fr. par an d'entretien
et les frais de premier établissement à 15,000 fr. » (L'Eclair.)
Le département de la Seine n'ayant pas les asiles qu'il devrait
avoir transférant en province environ 5,000 aliénés, et ne trouvant
plus assez de place dans les asiles, doit chercher les moyens de
faire face à ses besoins. Celui qu'on indique plus haut est-il le
meilleur ? Nous en doutons fort. Il ne remédie pas à celte mesure
barbare des transferts; il la maintient,'ce qui viole ce grand prin-
cipe qui veut que l'assistance soit faite le plus près possible du
domicile du malade afin de ne pas le priver complètement des
visites de sa famille et de ses amis.
En mettant les aliénés placés chez des cultivateurs sous la sur-
veillance de l'administration pénitentiaire si le dire de ['Eclair
est exact loin d'avancer en assistance dans le sens humain, ou
recule de plus d'un demi-siècle et on rétablit ce que la loi du
30 juin 1838 a voulu supprimer. C'est assez déjà de la triste expé-
rience qui se fait au dépôt de mendicité de Nanterre. B.
faits divers 138
UN transfert d'aliénés.
Sous ce titre, la Lanterne du 28 août a publié l'entrefilet sui-
vant : « Les voyageurs prenant le train à la gare Saint-Lazare, hier
soir, vers 10 heures, ont assisté à un spectacle bien pénible.
« Dans la salle d'attente située du côté de la rue d'Amsterdam,
180 aliénes des deux sexes, surveillés par 45 gardiens et gendarmes, .
attendaient le train de Il h. 15, à destination de Caen et Pont-
l'Abbé (Manche,). Ce convoi était dirigé par M. Charles Lefèvre,
interne de l'asile de Villejuif. Ce transfert était ainsi composé : -.
70 femmes venant de Villejuif et 110 hommes de l'asile de Sainte-
Anne. »
Nous reproduisons cette appréciation avec plaisir, car elle
vient fournir un appui à la thèse des médecins qui ont toujours-
protesté contre la pratique barbare des transferts L'auteur
n'en a vu qu'une scène, l'une des moins attristantes : il n'a
pas vu la scène du départ de l'asile même, ni la scène qui suit
l'internement dans l'asile destinataire. Nous souhaiterions que
des journalistes, un peu compétents, puissent assister à la
première scène et à l'embarquement des aliénés. Leurs articles
auraient pour résultat d'émouvoir l'opinion publique et de
montrer la nécessité de la construction d'un certain nombre
d'asiles en nombre suffisant pour supprimer les transferts. B.
FAITS DIVERS
Asiles d'aliénés. - Nominations et promotions. - Arrêté du 23 oc-
tobre 1891. Le D1' Jules Sizaret, médecin-adjoint, nommé de l'asile
public de Châlons à la l2oclie-Gondon (Mayenne), est maintenu
à la 4° classe. Arrêté du 4 novembre. M. Denizet, directeur, est
nommé de l'asile public de Cadillac à l'asile public de Maréville
(M.-et-M.), en remplacement de M. Mirepoix, décédé, et maintenu à
la 2° classe. Arrêlé du 16 novembre. Le Dr Journiac, médecin-
adjoint, nommé de l'asile public de Blois à l'asile de Châlons, est
maintenu à la ire classe. Arrêté du 25 novembre. Le D' Thivet,
ancien interne des asiles de la Seine, interne'à la Maison nationale
de Cbarenton, déclaré admissible aux emplois de médecins-adjoints
des asiles publics (concours de Paris, 25 novembre 1890), nommé
136 FAITS DIVERS.
médecin-adjoint à l'asile public de Blois, est compris dans la
2e classe. - Arrêté du 26 novembre. M. Gauchler, secrétaire géné-
ral de la préfecture de llleurthe-et-llloselle, est nommé directeur de
'asile public de Cadillac et compris dans la 4° classe.
Maison nationale de Charenton. - Le concours pour l'internat de
Charenton a eu lieu les 22 et 23 décembre. Le jury était composé
de M. l'inspecteur général Regnard, président, de M. le D Laburthe,
médecin du Ministère de l'Intérieur, de MM. Christian, Ritti et
Damalix, médecins et chirurgien delaMaison de Charenton. 5 can-
didats étaient inscrits; 4 ont subi les épreuves.
Composition écrite. Bulbe rachidien. Les questions restées dans
l'urne étaient : nerf de la langue; ;nerf spinal. L'épreuve orale
a été : diagnostic de la pneumonie; signes et diagnostic de l'étran-
glement herniaire. Sontrestées dans l'urne les questions suivantes :
insuffisance mitrale, entorse; coliques hépatiques, fracture du col
du fémur. Les 4 candidats ont fait de brillantes épreuves, et ont
été déclarés admissibles dans l'ordre suivant : MM. Berbez, Hamel,
Escat et Lavergne. Ils prendront place au sur et à mesure des
vacances qui se produiront à la Maison nationale de Charenton.
Asiles d'aliénés DE la SEINE. Concours pour l'internat en méde-
cine. - Ce concours a commencé le 7 décembre. Le jury était ainsi
composé : MM. les Dre Deny, Dreyfus-Brissac, médecins des hôpi-
taux ; Picque, chirurgien des hôpitaux ; Boudrié, Briand, Marandon
de Montyel et A. Voisin. 28 candidats se sontfait inscrire. 23 ont
pris part à la composition écrite : Lobes frontaux et pariétaux du
cerveau (anatomie et physiologie). Les questions restées dans
l'urne étaient : portion intra-cr8nienne du facial ; innervation
du coeur. - 6 candidats ont été éliminés. Il en reste 17 à subir
l'épreuve orale. '
Concours pour l'internat en pharmacie. - Ce concours s'est ouvert
le 9 novembre 1881. - Composition du jury : MM. Villejean, Chas-
taing, Prunier, pharmaciens des hôpitaux; Quesneville, pharma-
cien de l'Asile clinique, et Thibault. 19 candidats se sont fait ins-
crire, 6 seulementont déposéune copie.
Sujet de la composition écrite : chimie : sulfates minéraux em-
ployés en pharmacie; - pharmacie : généralités sur la préparation
des sirops;-matières médicales : produits fournis par la famille
des strychnées. - Les questions restées dans l'urne étaient :
1° chimie : carbonates employés en pharmacie; - pharmacie : Exci-
pients employés pour la préparation des pommades; matières
médicales : produits fournis à la pharmacie par la famille des
laurinées. 2° Chimie : phosphates employés en pharmacie;
pharmacie : vins médicinaux ; - matières médicales ; - produits
fournis par la famille des solanées.
FAITS DIVERS. 137
L'épreuve définitive du concours a donné les résultats suivants :
MM. Blouin, 68 points 25; Leduc, 67 p. 25; de Brody de Lamotte,
65 p. 50 ; Henry, 65 p. 50 ; Vallet, 56 p. ; Robin, 54 p.
... t
Asile D'HANWELL. La Commission des Asiles du comté de
Londres, dans son assemblée de mardi dernier, a fait savoir qu'elle
avait reçu avec regret la démission de M. Joseph Peeke Richards,
directeur-médecin de la division des femmes de l'asile de Hanwell,
et qu'il quitterait le service le 31 décembre prochain. 111. Peelie-
Richards a cinquante et un ans, il aété pendant quatre ans médecin-
adjoint dans un service de l'asile, et ensuite médecin-directeur,
pendant plus de dix-neuf années. La Commission, en présence de
ces faits, et suivant les pouvoirs que lui concèdent les statuts, lui a
accordé une pension de retraite annuelle, à partir du 1er janvier sui-
vant, de 633 livres 6 sh. 8 d., soit 15,833 francs par an. (The Lancet,
14 novembre 1891, p. 1095.)
Relevons le chiffre de la pension de retraite : 15.833 fr. pour
vingt-trois années de service ! C'est en donnant des avantages
de cette nature aux médecins qui s'acquittent sérieusement de
leurs fonctions, qu'on assure un bon recrutement, qu'on main-
tient dans les asiles anglais des aliénistes de valeur et qu'on
obtient une proportion de guérisons plus d'un tiers supérieure
à celle des asiles français. (B.)
Tètes ET Chapeaux. - On lit dans le Progrès médical : On se rap-
pelle l'entrefilet que nous avons consacré, le 26 septembre dernier
à la... géniale idée du chapelier Léon. La Revue mensuelle de
l'Ecole d'Anthropologie nous rappelle que cette idée avait déjà
germé sous des crânes plus ou moins savants (ce que nous savions
d'ailleurs) avant de venir en la cervelle dudit industriel. Elle
rappelle, à ce propos, une communication de Broca à la Société
d'Anthropologie (Bulletins, 1879, p. 101) démontrant la fausseté des
résultats céphalometriques obtenus à l'aide du conformateur des
chapeliers. Il nous semble que les critiques lancées contre ce ma-
lencontreux instrument sont bien acerbes ; mais, du moment que
c'est l'Anthropologie qui se plaint, nous n'avons qu'à nous incliner
et nous reconnaissons sans peine qu'il vaut mieux, en effet, laisser
le conformateur à la boutique que l'emporter au laboratoire.
iV'a-t-on pas tenté cependant de mesurer le thorax par un procédé
analogue ? La méthode a-t-elle d'aussi grands inconvénients pour
la poitrine que pour la tête ? Il importerait d'être fixé sur ce second
point.
Les drames de la FOLIE. - Nancy, 16 décembre. Après de
longues recherches, on a enfin retrouve aujourd'hui, à 4 heures,
138 faits divers.
le corps de la fille de M. Tourdes, doyen honoraire de la Faculté
de médecine de Nancy. La fille de M. Tourdes, qui était âgée de
vingt-cinq ans, s'était récemment mariée avec un lieutenant du
8° d'artillerie. C'est dans un accès de folie qu'elle s'était jetée dans
le canal. (L'Eclair.) - Ce fait montre une fois de plus combien il
est difficile de soigner les aliénés à domicile et la nécessité de
leur internement dans l'immense majorité des cas.
- Une famille de fous. Un gamin de onze ans, Jules B..., était
amené hier matin par sa mère au bureau de M. Girard, commis-
saire de police. Ce précoce gamin avait tenté le matin de scier le
cou de sa soeur, âgée de huit mois. Quelques jours auparavant,
profitant du sommeil de sa cousine, âgée de treize ans, il s'était
levé au milieu de la nuit et avait tenté de l'étrangler. Ce malheu-
reux ne rêve que meurtre. A la moindre observation, il entre dans
des colères épouvantables, saisit un couteau ou une hachette et
essaie d'en frapper ceux qui se trouvent à sa portée. Son père est
mort fou il y a un an, sa grand'mère est morte folle, ses oncles et
ses tantes, côté paternel, sont internés dans diverses maisons de
santé comme fous. (L'Eclair.) D'où la preuve qu'il faut hospita-
liser les enfants dégénérés, idiots, imbéciles, pervers, instables, etc.
Nous signalons ce cas à M. Timofeëfl'.
Les drames des asiles d'aliénés. - Assassinat d'un gardien.
La maison de santé dite du Castel d'Andorte, située au Bouscat,
près Bordeaux, vient d'être le théâtre d'un drame sanglant. Un des
aliénés, ancien entrepreneur de travaux publics très connu, depuis
longtemps pensionnaire de l'asile, a réussi à tromper la vigilance
de ses gardiens en pleine nuit. Il a quitté son dortoir, est descendu
dans une cour, où il s'est armé d'une hachette, puis, remontant
dans un couloir où dormait un des gardiens, la gorge nue, il se
précipita sur le malheureux et, le frappant au cou, lui trancha
l'artère carotide. Ce gardien mort, le fou en appela un autre, avec
l'intention visible de lui faire subir le même sort. Mais celui-ci
réussit à le saisir par derrière au moment où il tentait d'enfoncer
une porte et parvint à le maîtriser. (Progrès médical.) -
Meurtre D'UN aliéné par des gardiens. - Un drame s'est
c
* Voir sur la question de l'assistance de ces enfants l'opinion des alié-
nistes de 1792 à 1840 dans le tome I" du Recueil de mémoires sur l'idiotie,
que nous avons publié cette année; notre lettre à M. Poubelle, préfet
de la Seine et au Conseil de surveillance de l'assistance publique :
De l'assistance des enfants dits incurables; nos Comptes rendus du
service de Bicêtre de 1880 à 1890; nos Rapports sur la révision de la
loi du 30 juin 1838 sur les aliénés à la Chambre des députés (1889) et au
Conseil supérieur de l'assistance publique (1891) et divers articles dans le
Progrès médical et les Archivés de Neurologie (B.).
faits DIVERS. 139
déroulé, lundi dernier, à l'asile de Saint-Méen, près de Rennes.
Un fou, devenu subitement furieux a été tué par les gardiens qui
étaient, dit-on, en état d'ivresse. L'autopsie a démontré que le
malheureux fou a succombé à des violences nombreuses ; le corps
portait la trace de plus de quarante coups de pieds ou de bâton.
Les deux gardiens, auteurs'présumés de cet acte de sauvagerie, ont
été mis à la disposition de la justice. (Prog. méd.) Ce qui montre
la nécessité de mieux recruter le personnel secondaire des asiles,
ce qui n'est possible qu'à la condition de les mieux payer, de les
instruire et de leur accorder une pension de repos. C'est là une
réforme qui devrait tenter le directeur de l'assistance publique
en France. Ce que nous demandons existe en Angleterre.
Tentative d'assassinat contre un médecin. - Le Dr Gircourt,
conseiller général de Neuville-aux-Bois (Loiret), revenait la
semaine dernière de la chasse, quand il fut assailli-près de chez
lui par un individu armé d'un énorme bâton. Grâce à son sang-
froid, le Dr Gircourt, quoique ayant reçu de la part de son adver-
saire des coups assez violents, put le tenir en respect et finalement le
mettre en joue. Devant cette menace, l'mdividu, un nommé Amiard,
marchand de miel à Neuville, se retira, promettant de recommen-
cer à la prochaine occasion, Cet homme atteint de la folie de la
persécution est, pour tous les habitants de la contrée, un sujet de
terreur. (Républicain Orléanais.) Cet Amiard est le parent d'un
enfant du service de M. Bourneville, à Bicêtre.
Le LIT A deux. Un argument pour les ménages qui aiment
faire chambre à part : c'est The Lancet qui le leur fournit : a Rien,
dit ce journal, ne détraque autant le système nerveux d'une per-
sonne qui élimine de la force nerveuse, comme de coucher toute
une nuit avec une autre personne, qui absorbe cette même force ner-
veuse. Celle-ci dormira profondément toute la nuit, et se lèvera le
matin allègre et bien reposée, tandis que l'autre passera une nuit
abominable, et se réveillera sans forces, découragée, abattue,
bourrue et irritable. Deux personnes ne devraient jamais coucher
ensemble d'une manière habituelle. L'une gagne ce que l'autre
perd. C'est la loi. * On se demande où 1'he Lancet a découvert
cette loi, et à quoi se reconnaissent les personnes qui éliminent et
celles qui absorbent de la force nerveuse ? Il y a bien quelque
chose d'analogue dans l'histoire du roi David, à qui les médecins
de l'époque conseillèrent de mettre dans sa couche une «jeunesse» »
pour réconforter ses forces défaillantes. Mais cette histoire manque
d'autorité scientifique. Cependant un journal, non moins sérieux
que The Lancet, les Annals of Hygiène, partage l'opinion du jour-
nal : Un grand nombre, dit-il, des malaises nerveux dont on se
plaint souvent le matin au lever sont dus à l'habitude de coucher
à deux. Il se fait pendant la nuit des échanges électriques entre
140 FAITS DIVERS.
les deux organismes en présence et la répartition inégale de ces
forces électriques dégagées finit par amener des résultats fâcheux. »
A la bonne heure ! Et voilà peut-être l'explication de bien des
brouilles domestiques et de ruptures conjugales, l'incompatibilité
nocturne électrique ! Et quelle belle cause à plaider pour les avo-
cats de divorce : la puissance absorbante de madame épuisant les
courants électriques de monsieur ! (La Médecine moderne.)
La MORPHINOMANIE A deux. Il y a déjà longtemps que dans ce
journal nous avons insisté sur la morphinomanie à deux. Un scan-
dale récent en est un nouvel exemple et l'un des plus typiques.
Bien que tous les journaux politiques aient cité des noms, nous nous
en garderons. Qu'on se rappelle seulement qu'un morphinomane
connu, M. G..., à peine marié, enseigna à sa jeune femme
l'agréable façon de se servir de la seringue à morphine. Ce qui
n'empêche pas le ménage d'être des plus unis, malgré la sépara-
tion temporaire ordonnée par la police. En ce moment même, il y
a à la Salpêtrière, dans le service de M. le professeur Charcot, un
ménage de morphinomanes, dans lequel c'est également le mari
qui est le premier coupable.
UNE expérience A faire sur l'hérédité. M. Alexandre Dumas
fils, dans la préface d'un livre intitulé : Le Palais de Justice à Paris,
parle d'une expérience à faire pour résoudre chez l'homme le pro-
blème de l'Hérédité d'une façon vraiment scientifique :
« Nous avons les oreilles rebattues des questions d'hérédité, do
libre arbitre, de responsabilité ; pourquoi ne pas essayer de résou-
dre ces questions in anima vili Au lieu de couper la tête à ce
misérable (le condamné à mort), ce qui ne sert absolument à rien
et ne prouve rien, si nous l'utilisions ? Expédions-le dans une de
nos colonies pénitentiaires, accouplons-le avec une coquine de son
espèce et voyons un peu quel produit ils nous donneront ou plutôt
ce que nous pourrons tirer de leur produit, non pas en le laissant
dans le milieu où il est né, sous l'influence immédiate de ses géné-
rateurs et sous l'autorité de gardes-chiourme qui le traiteront de
fils d'assassin et d'empoisonneuse, mais en le transportant dès sa
naissance dans un milieu sain où rien ne lui révèlera ni ne lui impo-
sera jamais ses origines. Mettons-la aux prises avec la nature et
l'empirisme. C'est une expérience de laboratoire comme une autre ;
c'est de la sélection supérieure. Donnons à cet enfant l'éducation
et l'instruction que nous donnerions à nos propres enfants et
voyons ce que deviendra cette implacable hérédité, objet de tant
de discussions, purement théoriques jusqu'à présent. Si nous
allions obtenir un individu intelligent, moral, utile, quelle décou-
verte, quel pas en avant, quelle réfutation du péché originel de la
religion et des fatalités de la science ! »
FAITS DIVERS. 141
Exercice illégal de la MÉDECINE. L'Institut dynamodermique
du Havre. - Il y a quelque temps, la goélette Marguerite, venant
de Rouen, débarquait au Havre trois messieurs qui s'installèrent
dans le meilleur hôtel et annoncèrent qu'ils possédaient une
méthode spéciale pour la guérison radicale de la plupart des mala-
dies abandonnées par les médecins. Bien entendu, nombreux
furent bientôt les clients, et le « docteur Moron, directeur de
l'Institut dynamodermique c'est sous ce qualificatif qu'il exer-
çait disait gravement aux malades : Appliquez -vous sur la peau
tant de plaques dynamodermiques, et vous guérirez. Moron remet-
tait les plaques avec la manière de s'en servir, signant ses consul-
tations du nom de c docteur de Monplaisir ». Les malades s'aper-
çurent bientôt que les plaques ne produisaient aucun effet. Ils por-
tèrent plainte. Moron, qui avait déjà prudemment levé l'ancre et
pris le large sur la Marguerite, était cité à comparaître hier, devant
le tribunal correctionnel du Havre, qui l'a condamné à 1,000 fr.
d'amende pour exercice illégal de la médecine. Ce n'est pas la
première fois que le directeur de l'Institut dynamodermique a
maille à partir avec la justice. Plusieurs fois déjà, les tribunaux
belges l'ont condamné, toujours pour le même motif. Ses deux
complices n'ont pas été inquiétés (Temps).
INCENDIE DE l'hospice-asile DE Saint-Venant (Pas-de-Calais).
Dans la soirée du 5 novembre, vers 9 heures, l'ancien asile des
aliénés de Saint-Venant, qui avait été transformé depuis 1885 en
hospice départemental, a été presque entièrement détruit par un
incendie. Des passants, ayant remarqué au sommet du bâtiment
central quelques points incandescents, prévinrent immédiatement
le préposé responsable qui, aidé des infirmiers et des employés du
nouvel asile rapidement accourus sur le lieu du sinistre, procéda
immédiatement au sauvetage des malades. Cette opération ne fut
pas exempte de difficultés, car nombre d'entre eux, affolés par la
peur, durent être emportés à bras le corps et non sans résistance
dans les maisons voisines. On les conduisit, pendant une nuit très
froide, à l'asile des aliénés où un logement provisoire et tous les
soins nécessaires leur ont été donnés, en attendant leur réparti-
tion dans les divers hospices de la région. Cet établissement, com-
prenant une population de 137 malades et administré par le direc-
teur et le personnel de l'asile des aliénés, était consacré aux
vieillards et principalement aux jeunes idiots et épileptiques des
deux sexes. L'avenir important qui pouvait lui être réservé et la
rareté, en France, d'établissements de ce genre feront doublement
regretter sa perte. Malgré la rapidité des premiers secours et
l'arrivée successive des pompiers d'Haverskerque, Robecq, Lillers,
Béthune et Aire, tous les bâtiments, sauf quelques annexes, ont été
complètement détruits. On n'a eu à déplorer aucun accident. Tous
142 faits DIVERS.
les malades ont pu être sauvés. Les causes du sinistre sont incon-
nues. L'incendie de cet hospice, celui de l'hôpital de Lorient,
montrent une fois de plus la nécessité d'un large approvisionne-
ment d'eau et d'installations de postes d'incendie dans les hôpi-
taux. A Paris, il est des établissements mal pourvus à cet égard :
nous pouvons citer en tête l'hospice de Bicêtre, qui manque d'eau
(Progrès médical.) <
Accès DE folie furieuse. - Un jeune homme de vingt. ans a
frappé de quatre coups de couteau sa maltresse. Il a agi sous l'em-
pire de la démence. C'était un fou récemment sorti de Sainte-Anne
et qu'à tort on avait cru guéri. Ce meurtre inconscient a été com-
mis hier, 1, rue Poncelet. Le meurtrier, M. Maxime Brouillet,
vivait maritalement avec une jeune femme, Jeanne Gervais, plus
âgée que lui de deux ans. Ils menaient une existence très paisible,
et paraissaient s'aimer beaucoup.
Mais ces temps derniers, le jeune homme donna des signes de
dérangement d'esprit, qui inquiétèrent ceux qui savaient ses anté-
cédents. Il s'irritait hors de propos, à tel point que les intimes
conseillaient à la jeune femme de ne pas demeurer plus longtemps
avec lui. Elle ne tint pas compte de ces avis...
Ce fut au cours d'une querelle extrêmement futile qu'il lui porta
soudain, dans un accès de folie furieuse, quatre coups de couteau
à la tête. Mais l'acte accompli, à la vue du sang, le sentiment de
la réalité lui revint et, redevenu maître de sa raison, il alla, en
pleurant, se constituer prisonnier entre les mains des premiers
agents qu'il rencontra. L'élat do 1111° Gervais est grave. On l'a
transporlée à Beaujon. (Eclair, 2 novembre 1891.) ,
Samedi 4° août, à Saint-Christophe-sur-Condé, on a trouvé
noyée dans une mare la veuve Beulard, une vieille femme de
quatre-vingt-dix ans, qui habitait chez sa nièce, bi ? C... Celle-ci
lui avait apporté au lit son déjeuner, qu'elle avait mangé de bon
appétit, et elle fut très étonnée, quand elle revint une heure
après, pour faire la chambre, de ne pas y trouver sa tante. Presque
au même. instant, les voisins retiraient de l'eau le corps de la
pauvre femme, qu'on essaya en vain de rappeler à la vie. La veuve
Beulard ne jouissait plus, depuis quelque temps, de toute sa raison.
Elle craignait toujours mourir de faim.
Une dépêche de Saint-Etienne en date du 18 avril, annonce
que la femme Bazin, habitant Grand-Croix, qui est atteinte d'épi-
lepsie, tenait son enfant à la fenêtre lorsque, prise subitement d'un
accès, elle le laissa'échapper. L'enfant tomba dans la rue et expira
quelques instants après.
Ces faits, qu'il serait facile de multiplier beaucoup, montrent la
nécessité de traiter dès le début l'aliénation mentale. Ils viennent - =
faits DIVERS. 143
à l'appui d'un prompt internement. Ils devraient faire comprendre
aux administrateurs, et en particulier aux préfets, qu'ils ne
doivent pas attendre qu'un crime ait été commis, qu'un accident
grave soit survenu pour autoriser l'admission dans un asile, mais
qu'ils doivent donner des instructions pour que l'hospitalisation
se passe sans délai, dès que la folie est constatée. Malheureuse-
ment, la plupart de* préfets ont peu de connaissance des questions
d'assistance et considèrent, bien à tort, la loi du 30 juin 1838
comme une loi de police et non comme une loi d'assistance.
Epilepsie ET Mariage. Faut-il permettre le mariage à un ou
une épileptique ? C'est une question à laquelle nous ne voulons pas
répondre aujourd'hui. Mais le document suivant nous parait avoir
une certaine saveur et nous ne résistons pas au plaisir de le mettre
sous les yeux de nos lecteurs. C'est la traduction d'un procès-verbal
original rédigé, en latin, conservé aux Archives de la ville de
Luçon (Vendée). Cette traduction a été publiée par M. P. Marche-
gay. /
Rupture de fiançailles, entre paysans, la fiancée étant atteinte
. de mal caduc (17 mars 1533) : .
... Par-devant nous, officiai et visiteur de l'Evêché de Luçon, ont
comparu Nicolas... lequel nous a exposé que depuis un an, ou environ,
entre les mains d'un prêtre et par paroles de futur, il a contracté avec
Belutelle des fiançailles dont les bans ont été publiés; mais depuis il est
venu à sa connaissance que ladite, sa fiancée, est atteinte de mal caduc.
- L'exposant s'est donc parce motif présenté devant nous pour demander
et requérir la rupture des fiançailles et obtenir la permission de se marier
ailleurs;... et il affirme en outre par serment qu'il n'y a jamais eu entre
sa fiancée et lui aucune copulation charnelle... Lesquelles choses vues
par nous et parties ouïes, nous avons cassé les fiançailles susdites.
Ainsi, dès 1533, la religion catholique considérait l'épilepsie
comme une raison suffisante de nullité pour les fiançailles. Mais,
pour ce obtenir, le fiancé avait dû payer à son ex-fiancée « six
boisseaux de méture, un lit de plume avec traversin, avec une
berne et deux aunes de drap gris ». (Progrès médical.)
Hypnotisme; truc DE SALTIMBANQUE. - Dernièrement, un individu
annonçait, à Arromanches, qu'il donnerait le soir une séance de
prestidigitation sur la place de la Mairie. Cet individu demanda
une personne de bonne volonté pour servir à des expériences.
Un nommé C... fut désigné par l'assistance. Le prestidigitateur le
fit entrer sous une tente, lui passa un cordon rouge autour du cou
et lui maquilla la figure au point de le rendre méconnaissable.
Puis, il lui donna par écrit les instructions nécessaires pour la
séance en lui recommandant d'être sérieux, afin de ne pas lui faire
rater sa représentation. C... affirme qu'il ne dormait pas. Le len-
144 BULLETIN bibliographique.
demain, à la mairie, même séance. (Bonhomme normand du
28 août.)
Désespoir d'un incurable. La nuit dernière, un cocher d'une
voiture de cercle, qui passait sur la place de la Concorde, aperçut
adossé contre la grille du jardin des Tuileries, un homme qui ve-
nait de se tirer un coup de revolver dans la tempe droite. Il prévint t
immédiatement le. commissaire de police du quartier, qui vintpro-
céder aux constations légales. Celui-ci trouva dans les vêtements du
mort, une lettre adressée èiM. Lucien Faucher, juge de paix à Li-
moges. Dans cette lettre, M. Léonce Faucher, son frère, lui annon-
çait que les médecins qu'il était venu consulter à Paris lui ayant
déclaré que la maladie dont il était atteint ne pouvait être guérie,
il était décidé à se tuer. Lecorps de M. Léonce Faucher a été trans-
porté à la Morgue. (Journ. des Débats.)
Société 3fÉDICO-PSYCIiOLOGIQUN. - Cette société a procédé à la
nomination de son, bureau dans sa séance du 28 décembre. Ont
été nommé : Président, M. Th. RoussEL, sénateur ; - Vice-président,
M. CHRISTIAN; - Secrétaire général, M. RITTI ; Secrétaires,
MM. René SEMELAIGNE et P. SOLLIER. ·
Georges GUINON et J.-B CHARCOT.
RITTI (A.). - Congrès international de médecine mentale tenu à Paris
du 5 au 10 août 1889 (Comptes rendus). Volume in-8° de 502 pages, avec
9 planches hors texte. - Paris, 1891. - Librairie G. Masson.
Avis A NOS abonnés. - L'échéance du 1" Janvier étant l'une des plus .
importantes de l'année, nous prions instamment nos souscripteurs, dont
l'abonnement expire à cette date, de nous envoyer le plus tôt possible
le montant de leur renouvellement. Ils pourront nous adresser ce mon-
tant par l'intermédiaire du bureau de poste de leur localité, qui leur
remettra un reçu de la somme versée. Nous prenons à notre charge les
frais de 3 p. 100 prélevés par la poste et nos abonnés n'ont rien à payer
en sus du prix de leur renouvellement.
Nous leur rappelons que, à moins d'avis contraire, la quittance de
réabonnement leur sera présentée le 25 Janvier, augmentée de un franc
pour frais de recouvrement. Nous les engageons donc à nous envoyer de
suite leur renouvellement par un mandat-poste.
Le rédacteur-gérant, BOURNEVILLE.
Evreux, Ch. Hérissey, imp. - 1291
Vol. XXIII. Mars 1892. -. N" 68.
1 s 1 .. , 1
ARCHIVES DE NEUROLOGIE '.
CLINIQUE NERVEUSE
SUR UN CAS DE PARALYSIE GENERALE PROGRESSIVE
A DÉBUT TRÈS PRÉCOCE
(Paralysie générale juvénile1) ;
Pac 111nr. J.-M. CHARCOT et A. DUTIL.
La paralysie générale progressive est une maladie
de l'âge mûr. Tous les auteurs qui depuis Bayle et
Calmeil ont publié les relevés statistiques de leur pra-
tique personnelle, s'accordent à le reconnaître. C'est
entre trente-cinq et cinquante ans qu'elle apparaît en
général. Après cinquante ans elle devient plus rare et
l'on appelle tardifs les cas exceptionnels où on la voit t
se produire après soixante ans. Exceptionnels égale-
ment sont ceux où la maladie fait son apparition
avant la trentième année ; plus rares encore et bien
précoces ceux où elle se développe entre vingt et vingt-
cinq ans. A la vérité les faits de cette dernière caté-
gorie sont si peu communs que quelques médecins,
M. Luys notamment, en ont, mais bien tort, nié
l'existence. C'est donc, a fortiori, un fait remarquable,
étrange, dirions-nous, s'il était absolument sans exem-
' Voir à ce sujet la leçon de M. le professeur Charcot parue dans le
n" G du Mercredi Médical.
Archives, t. XXIII. 10
146 CLINIQUE NERVEUSE.
pie, que de pouvoir constater la paralysie générale
bien caractérisée chez un sujet à peine adolescent.
Tel est le cas d'un jeune garçon de seize ans que
nous avons récemment observé et chez lequel les pre-.
miers signes de la maladie se sont manifestés, il y a
au moins deux années, c'est-à-dire à l'âge de quatorze
ans. Voici le fait.
Observation. Paralysie générale progressive ayant débuté ci l'dge
de quatorze ans chez un jeune garçon actuellement Qgé de seize ans.
Signes somatiques bien caractérisés. Démence simple, sans concep-
tions délirantes.
Edouard G..., âgé de seize ans, a été admis à la Salpêtrière dans
le service de la clinique, le 20 décembre 1891.
Antécédents héréditaires. Côté paternel. Le grand-père était
âgé de cinquante-deux ans à la naissance du père du malade. Il
est mort à soixante-huit ans hémiplégique et aphasique.
La grand'mé1'e est décédée à l'âge de soixante-neuf ans après
avoir été paralysée des quatre membres ( ? ) pendant onze mois.
Un cousin germain est sujet à « des dérangements du cerveau »
qui durent deux ou trois mois, pendant lesquels il s'enferme chez
lui et ne veut voir personne.
Le père du malade est maintenant en parfaite santé, mais il s'est
autrefois, adonné à la boisson ; il aurait eu un accès de délire al-
coolique quelque temps après la naissance du malade. Il n'a jamais
eu d'accidents syphilitiques.
Côté maternel. La mère est morte d'une fluxion de poitrine à
l'âge de quarante-neuf ans ; elle était d'un naturel calme, n'avait
présenté aucun trouble d'ordre névropathique.
Elle a eu quatorze garçons et quatre filles. Sur ces dix-huit en-
fants, quinze sont morts en bas âge de maladies indéterminées.
Tous sont nés à terme. Trois sont encore vivants : notre malade et
deux frères, ses aînés, âgés de 25 à 30 ans, bien développés et
jouissant d'une santé parfaite. Tels sont les renseignements que
nous avons pu obtenir sur les antécédents de famille du sujet.
Antécédents personnels. Dans son enfance, à l'âge de trois
ans, il a eu une rougeole bénigne qui guérit sans complications.
Pas d'autre maladie antérieure à l'affection actuelle.
Il n'a pas eu de convulsions dans le cours de ses premières an-
nées. Il a marché et parlé de bonne heure ; il n'a pas uriné tard
dans son lit. Il n'a présenté aucune anomalie dans son développe-
ment physique, aucun accident névropathique.
CAS DE PARALYSIE GÉNÉRALE PROGRESSIVE. 147 -1
Au dire de ses parents il était gai, vif, jouait et courait avec
les enfants de son âge. A l'école primaire, il apprit aisément à
lire et à écrire. Doué d'une bonne mémoire, studieux et docile, il
était un des mieux notés de sa classe. Ses cahiers d'école témoi-
gnent, en effet, qu'il avait acquis un certain degré d'instruction
primaire et de fait il obtint en juin 1889, après examen, son cer-
tificat d'études ». Jusque-là rien de particulier.
En sortant de l'école primaire, il entra comme apprenti-commis
chez un marchand de cravates en gros (décembre 1889). Il avait
alors quatorze ans. Tout alla bien pendant le premier mois, mais
.en février 1890 son patron écrivit à son père que son fils était inca-
pable de faire du commerce ; que son intelligence baissait, qu'à
de certains jours il était comme abruti, qu'il n'avait pas du tout
d'initiative, qu'il fallait le commander à tout propos, qu'enfin il
écrivait très mal et ne pouvait pas tenir la comptabilité. Le patron
consentit néanmoins à garder l'enfant dans sa maison. Mais il fut,
dès cette époque, considéré comme incapable et son travail consista
à ranger, à épousseter les marchandises dans le magasin et à faire
quelques commissions en ville. Quand on lui donnait une course à
faire il se rappelait assez bien les noms et adresses des personnes
chez lesquelles il devait déposer des paquets. Cependant il lui arriva
à plusieurs reprises de s'égarer, de rentrer très en retard sans qu'il
pût raconter clairement ce qui lui était arrivé, ni par quelles rues
il avait passé.
A la même époque (février et mars 1890), son père et son frère
remarquèrent, en se promenant avec lui, qu'il étaii « tout changé ».
Il se montrait taciturne, ou bien il tenait des propos bizarres,
sans intérêt; il racontait en détail des événements insignifiantes.
Il lui arrivait de temps en temps Je bredouiller, de ne pas pouvoir
finir une phrase, c Quand il était fatigué il tremblait des mains. »
En août 1890, il alla passer la saison des vacances à la campagne,
chez une de ses tantes. Là il eut, un jour, une attaque à laquelle
sa tante a assisté et qu'elle nous a décrite ainsi : Tout à coup il
est devenu très rouge, il titubait comme s'il allait tomber, il était
tout tremblant ; il balbutiait des mots incompréhensibles. On le fit
asseoir, on lui donna de l'éther à respirer et au bout de quelques
minutes la crise était passée. Au sortir de cet ictus, il se plaignit de
sa jambe droite qui lui paraissait lourde ; sa parole était aussi
plus embarrassée qu'à l'ordinaire. Mais cet affaiblissement du
membre inférieur droit, ce trouble de la parole disparurent le soir
du même jour.
Pendant l'année 1891, l'état du malade ne s'améliora nullement.
Tous les troubles que nous avons déjà mentionnés persistèrent.
Mais depuis trois mois les parents ont remarqué que la maladie
fait de rapides progrès, que l'intelligence s'affaiblit de plus en
plus.
148 clinique NERVEUSE.
Il y a deux mois environ, on s'est aperçu pour la première fois
qu'il laissait échapper ses urines dans son lit.
Etat actuel. G... est de taille petite, ses membres sont grêles
de forme. Il n'est point amaigri cependant et son visage est assez
coloré. Il n'a pas l'apparence infantile, mais il est dans sa dix-sep-
tième année, et les marques de la puberté sont chez lui peu appa-
rentes. Il paraît a plus jeune que son âge ». Sa croissance, son
développement physique ont certainement subi un arrêt ou tout
au moins un ralentissement marqué.
Il a l'air hébété. est vrai qu'il se montre attentif aux questions
qu'on lui pose, mais son visage reste morne et jamais sa physio-
nomie ne s'anime, ni ne s'émeut.
Son maintien et sa démarche sont assez particuliers. Il a le dos
voûté; il porte la tête basse, et il tient ses bras arrondis et éloi-
gnés du corps. Il s'avance dans cette posture, d'un pas mal assuré,
les pieds fortement tournés en dehors, en écartant les jambes, avec
un balancement du corps qui rappelle la démarche classique du
matelot. Parfois, il manque de tomber si on le fait se retourner
brusquement. t.
Tous ses gestes sont empreints de gaucherie.
Il est facile de constater chez ce malade l'existence des symptômes
suivants :
Dans l'ordre psychique : .'
1° Un affaiblissement intellectuel très prononcé, sans délire carac-
térisé, et se traduisant par un état d'apathie, d'inertie et d'indiffé-
rence complètes. Il est habituellement triste, silencieux. Jamais il
ne rit, ni ne joue. 1
Sa principale occupation dans la salle est de copier et de façon
bien incorrecte les pages d'un livre d'histoire. Parfois, il répète ce
qu'il a vu ou fait dans la journée, comme le ferait un bébé qui
raconterait sa promenade, avec des « et puis..., et puis..., et
puis... » ;
2° Sa mémoire est notablement affaiblie. L'amnésie porte princi-
palement sur les événements récents.
. Ainsi, le plus souvent, il ne peut répéter correctement une phrase
qu'on vient de lire en sa présence. Il la reproduit en oubliant un
ou plusieurs mots. Par contre, il récite certaine poésie qu'il avait
apprise à l'école primaire. Il serait incapable d'accomplir n'importe
quelle fonction exigeant de sa part un peu d'initiative;
3° Ses qualités affectives sont à peu près anéanties.
Dans l'ordre physique, voici ce que l'on observe chez ce malade :
1° Un tremblement de la langue et des lèvres, entrecoupé de
secousses fibrillaires qui s'étendent parfois aux muscles des joues
et même des parties supérieures du visage, quand le malade ouvre
la bouche ou se dispose à parler;
2° Un embarras de la parole très marqué lorsque le sujet est un
CAS DE PARALYSIE GENERALE PROGRESSIVE. 1119
peu fatigué, lorsqu'on lui fait prononcer une phrase où les con-
sonnes l et r abondent, telle que celle-ci : « Je suis maréchal au
33° régiment d'artillerie. »
Alors l'élocution est hésitante, trémulante, les syllabes semblent
empiéter les unes sur les aulres. Le malade oublie et passe cer-
laines lettres ou syllabes et parfois des mots entiers. C'est le parler
typique de la paralysie générale progressive. Quand il répond sim-
plement aux questions qu'on lui pose, il parle lentement, d'une
voix faible, avec des arrêts brefs qui coupent de temps à autre
l'élocution, mais sans cette trémulation qui, toujours, apparait
dans les conditions sus-indiquées;
3° Un tremblement menu, vibratoire, très prononcé, des deux mains.
Ce tremblement n'existe pas toujours au repos. Il suffit pour le
faire apparaitre de placer les bras du sujet dans l'attitude du ser-
ment, la main ouverte et les doigts écartés.
L'écriture est troublée. Si on la compare à l'écriture du sujet
antérieure au début de sa maladie, on voit que le malade trace
actuellement des caractères plus grands, d'un trait plus gros et
finement tremblé. Dans une page de copie, on constate presque il
chaque ligne des mots, des syllabes oubliés, des lettres mises à la
place d'autres lettres. La main et la mémoire sont en défaut;
4° De l'inégalité des pupilles.
La droite est plus dilatée.
Elles réagissent à l'accommodation, mais le réflexe est aboli pour
la lumière (signe de A. Robertson). Pas de lésions du fond de
l'oeil. Pas de diplopie. Pas de nystagmus ;
5° Des fourmillements qui se montrent de temps à autre en
maintes régions du corps (mains, cuisses, etc.), mais qui, parfois,
se produisent sous forme d'attaque d'épilepsie sensitive. En pareil
cas, la sensation de fourmillement apparaît dans le pied droit,
remonte le long du membre inférieur et du côté correspondant dn
tronc, puis s'étend à la face droite et à la moitié droite de la
langue, en même temps qu'elle descend de l'épaule jusqu'aux extré-
mités des doigts du même côté.
Une fois, cette épilepsie sensitive s'est accompagnée d'une impos-
sibilité de parler qui a duré quelques instants encore après que
l'attaque était passée. Jamais de scotome;
6° Depuis deux mois environ, le malade de temps en temps laisse
échapper ses urines dans son lit;
7° Des accès de céphalées frontales, courtes de durée, sans carac-
tères particuliers.
Tels sont les principaux symptômes que présente G...
Il n'existe chez lui ni parésie, ni paralysie localisée. Seulement
une débilité musculaire générale et une exagération notable des
réilexes rotuliens, sans trépidation spinale.
150 CLINIQUE NERVEUSE.
- On ne constate pas de troubles de la sensibilité autres que les
fourmillements sus-indiqués.
Pas de vertiges Pas de troubles lrophiques. On a recherché
avec soin, et sans en constater un seul, les stigmates de la syphilis
héréditaire.
On le voit, c'est bien la paralysie générale progres-
sive qui est en jeu chez le jeune malade dont nous
venons de relater l'observation. En dépit de l'âge du
patient le diagnostic s'impose véritablement. Rien ne
manque au tableau : Une déchéance profonde de la
mémoire et de l'intelligence, l'embarras de la parole
si spécial, si caractéristique, l'inégalité de pupilles, le
signe d'Argyl Robertson, le tremblement des mains,
et traversant de temps à autre ce syndrome permanent
mais à évolution progressive des ictus congestifs et
des attaques d'épilepsie sensitive. Tous les symptômes
essentiels par lesquels s'affirme chez l'adulte la dé-
mence paralytique se retrouvent en somme chez cet
enfant.
Il y a dans l'histoire pathologique de notre malade
quelques particularités qui méritent d'être soulignées.
Notons, en premier lieu, le ralentissement, et même
l'arrêt qu'a subi son développement physique sous l'in-
fluence de la périencéphalite diffuse qui le tient. Il est
évidemment de taille plus petite, d'apparence plus
chétive, que la plupart des enfants de son âge. Ses
parents sont très affirmatifs à cet égard.
Jusqu'à l'âge de quatorze ans il s'est bien développé
tant au point de vue physique qu'au point de vue in-
tellectuel. Mais depuis qu'il est malade, c'est-àdire
depuis deux ans, il a cessé de grandir, « et il s'est
déformé », suivant l'expression dont s'est servi le frère
aîné du sujet. Cette dernière locution vise l'attitude et
CAS DE PARALYSIE GÉNÉRALE PROGRESSIVE. 151
la démarche très particulières qu'on remarque dès l'a-
bord chez notre malade et que nous avons déjà indi-
quées. Ces modifications dans l'habitude extérieure,
ces troubles de la marche ne sont points étrangers au
tableau de la paralysie générale. Ils s'observent même
assez communément chez les paralytiques généraux.
Marcé les a dépeints de façon très exacte dans ce pas-
sage que nous empruntons à son Traité pratique des
maladies mentales : « En marchant ils écartent les
jambes, se tiennent courbés comme s'ils avaient un
tour de rein, tombent pesamment d'un pied sur l'autre
et les lèvent à peine. Aussi trébuchent-ils facilement
sur un terrain inégal. Si au milieu de leur course on
les appelle pour les faire retourner brusquement, ils
s'arrêtent en chancelant et oscillent quelques secondes
avant de pouvoir changer de direction. »
Une autre particularité que présente notre malade
et qui mérite d'être mise en relief est celle-ci : Parfois
il éprouve tout à coup une sensation d'engourdisse -
ment, de fourmillements dans la jambe droite. Ces four-
millements monlent rapidement le long du membre
inférieur, de la moitié droite du tronc, gagnent l'é-
paule et de là descendent en suivant le membre infé-
rieur du même côté jusque dans la main et les doigts.
C'est là, bien que sous une forme atténuée, un véri-
table accès d'épilepsie sensitive-. On sait que l'un de
nous, en décrivant ce syndrome, a précisément signalé
sa fréquence dans la paralysie générale progressive
dont il est souvent (associé ou non à la migraine oph-
thalmique) un des signes avant-coureurs.
Remarquons enfin, que ni la syphilis, soit hérédi-
taire soit acquise, ni une autre maladie infectieuse ne
152 CLINIQUE NERVEUSE.
sauraient être invoqués dans le cas particulier pour
expliquer l'éclosion si prématurée d'une maladie qui
jusqu'à ces derniers temps semblait appartenir exclu-
sivement à la pathologie des adultes. ,
Une hérédité neuropathique, non pas très accentuée
mais certaine, l'alcoolisme du père, tels sont les seuls
éléments étiologiques auxquels puisse être rattachée,
croyons-nous, cette paralysie générale si précoce.
Ce fait n'est pas sans précédent. Des cas de ce genre
dans lesquels la paralysie générale est apparue avant
la vingtième année, soit au moment de la puberté, soit
dans le cours de l'adolescence, existent déjà; mais ils
sont en bien petit nombre. On en compte à peine une
dizaine parfaitement avérés et authentiques. Ils ont été
publiés en Angleterre par Turnbull1, Wiglesworlh2,
. Clouston3 ; en. France par M. Régis \ par M. Vrain5 5
et tout récemment par M. Ballet.
Peut-on en groupant ces faits et en les comparant
arriver à quelques conclusions permettant de recon-
naître à la paralysie générale très précoce, juvénile;
quelques caractères qui la distinguent de la paralysie
générale venant à son heure, dans des conditions pour
ainsi dire normales ?
Il serait imprudent en présence d'un petit nombre
de faits de chercher à s'arrêter à des formules rigou-
reuses. Voici cependant quelques remarques qui très
' Turnbull. Journ. of mental sciences, oct. 1881.
z \\'iâles\vorth. Ibid., juillet 1883.
'Clouston. - Journal of mental sci., 1877, p. 119, et Edinaburgk med.
journal, 1891, page 1,011 et suivantes.
. * Régis. - Encéphale, 1883 et 1885.
"Vrain. Contribue. à l'élude de la paralysie générale à début pré-
coce, th. doct., Paris, 1887.
M/f CAS DE PARALYSIE GÉNÉRALE PROGRESSIVE. 153
^probablement, autant qu'on en puisse juger recevront
la sanction des observations ultérieures.
C'est le plus souvent (8 fois sur 10) à l'époque cri-
tique de la puberté, entre douze et seize ans qu'appa-
raissent les premiers indices de la maladie. Jusque-là
aucun trouble nerveux, aucun incident particulier.
L'on peut dire que dans le plus grand nombre des cas
le développement physique et intellectuel des sujets
avait suivi pendant leurs années d'enfance, son cours
régulier.
Ce sont les troubles psychiques qui ouvrent la
scène. Les malades perdent leur gaîté, leur entrain,
ils sont apathiques, taciturnes. L'activité mentale s'é-
teint, la mémoire et l'intelligence vont s'affaiblissant
par degré et le malade devient un incapable et bientôt
un dément. Pendant ce temps les signes somatiques
apparaissent et s'accusent à un haut degré. C'est ici le
lieu de noter l'arrêt que subit la croissance, le déve-
loppement physique des jeunes sujets que la maladie
saisitàl'époquede la puberté. Il en été ainsi chez notre
malade. Dans deux cas de Clouston relatifs à des fem-
mes, les règles ne parurent pas, les seins et le système
pileux restèrent à l'état rudimentaire. Dans la période
d'état, quand la maladie est bien confirmée les symp-
tômes physiques l'emportent par leur netteté sur les
signes d'ordre psychique qui restent au second plan.
Le côté mental n'est représenté, en effet, dans la majo-
rité des cas que par de la débilité mentale, un état de
démence simple, tranquille, sans conceptions déli-
rantes, sans excitation maniaque, sans délire ambi-
tieux. Les choses, à cet égard, semblent se passer
comme dans la paralysie générale des femmes. Il en a
154 CLINIQUE NERVEUSE.
été ainsi dans des observations précitées. C'est là, en
ce qui concerne l'évolution de la paralysie générale
juvénile, la seule particularité qu'on puisse relever. La
durée de la maladie varie de deux à cinq ans. Quatre
fois au moins (faits de Turnbull, de Clouston, de
Wiglesworth, de Ballet), l'autopsie a révélé les lésions
caractéristiques de la périencéphalite diffuse.
Au point de vue étiologique, il y a lieu de remar-
quer l'exclusion des causes occasionnelles auxquelles
d'ailleurs on attache trop d'importance, peut-être, dans
l'étiologie de la paralysie générale : les excès alcoo-
liques ou vénériens, le surmenage intellectuel, les
traumatismes, les chutes sur la tête. Nous n'avons a
noter ici rien de tout cela.
Ces éléments contingents et d'ordre banal, étant
écartés, il est facile de constater que, seuls, deux
agents pathogéniques dominent l'étiologie de la para-
lysie générale juvénile comme ils dominent aussi celle
de la paralysie générale des adultes : l'hérédité et la
syphilis.
La syphilis est signalée, mais d'une façon douteuse
dans les deux cas de Régis; elle est certaine dans une
des observations rapportées par Clouston : enfin, chez
le sujet observé par M. Ballet, les stigmates de la
syphilis héréditaire tardive se retrouvaient au complet.
Mais dans tous ces cas, comme toujours, la médication
mercurielle et iodurée mise en oeuvre est restée ineffi-
cace. Et dans l'observation de Clouston comme dans
celle de M. Ballet, l'autopsie n'a révélé que des altéra-
tions anatomiques caractéristiques de la paralysie géné-
rale sans immixtion d'aucune lésion de nature.nette-
ment spécifique. En somme, la syphilis semble agir ici
CAS DE PARALYSIE GÉNÉRALE PROGRESSIVE. 155
comme une cause adjuvante et puissante, mais elle
n'est pas la cause foncière. La paralysie générale des
adolescents non plus que celle des adultes n'est jamais
une maladie syphilitique.
Par contre, l'hérédité névropathique est présente dans
presque tous ces faits, à des degrés divers sans doute,
tantôt discrète, tantôt massive. Associée ou non à
l'alcoolisme du père ou à l'hérédité arthritique, elle
figure d'une façon indéniable dans sept des faits cli-
niques que nous avons pu rassembler. Elle tient le rôle
prépondérant, notamment, dans les cas de Vrain, dans
les deux cas de Régis, les deux cas de Clouston et
dans celui qui nous est personnel. Elle est incontesta-
blement le principal facteur pathogénique.
« Parmi les causes prédisposantes (de la paralysie
générale), l'hérédité, disait Marcé joue un grand rôle
et M. Calmeil est peut-être encore au-dessous de la
vérité en disant qu'on la rencontre dans un tiers des
cas. La folie et la paralysie générale sont bien d'ail-
leurs deux rameaux d'une même famille, car parmi les
parents de paralytiques on rencontre non seulement
des paralytiques, mais encore des maniaques, des mé-
lancoliques, des monomaniaques ou des épileptiques
qui se succèdent d'une génération à l'autre en se trans-
mettant des affections au fond identiques. Il est cu-
rieux néanmoins de voir ces dispositions se traduire
chez les uns par de simples névroses, chez les autres
par une lésion organique constante du système ner-
veux. » -
Nous croyons que cette opinion de Marcé est bien
1 Marcé. - Traité pratique des maladies mentales, 1862, p. 469.
156 CLINIQUE NERVEUSE.
conforme à la réalité des choses, qu'on peut encore
aujourd'hui, et quoi qu'oilen ait dit, la tenir pour juste
et s'y rallier sans réserves. En tout cas, l'examen com-
paratif des exemples de paralysie générale à début
très précoce que nous avons cités n'est- certes pas
pour la démentir.
. L'apparition de la paralysie générale à l'époque de
la puberté ou dans le cours de l'adolescence était jusque
dans ces derniers temps une anomalie à peu près in-
connue dans l'histoire de cette maladie. Depuis que
l'attention des cliniciens s'est fixée sur ce sujet, les cas
vont se multipliant et leur nombre s'accroîtra encore,
selon toute vraisemblance, nous ne saurions prévoir
dans quelle proportion. On s'est demandé à ce propos,
quelles étaient les causes qui font ainsi, depuis quelques
années, éclore si prématurément une maladie jusqu'a-
lors réservée à l'âge adulte, à l'âge mûr.
- J. l'Iicklel estime que l'âge, auquel se développe la
paralysie générale, est aujourd'hui inférieur à ce qu'il
était jadis, au temps de Bayle et de Calmeil et que
c'est là l'effet d'une tendance à la sénélité précoce
chez les individus, indice avant-coureur de la déca-
dence des races.
L'hypothèse est un peu bien pessimiste. Nous serions
plutôt portés à croire que nous sommes mieux prépa-
rés et plus habiles que nos prédécesseurs à diagnos-
tiquer la paralysie générale.
1 1111ckle. - On gênerai paralysis of the insane.
MÉDECINE LÉGALE
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE;
Par le D' C131USET,
Médecin-directeur de l'asile de Bombai.
1. L'homicide n'est malheureusement pas rare
dans la folie, et si la Folie homicide n'existe pas en
tant que entité morbide spéciale, dans nombre de
circonstances cliniques, l'aliéné est poussé au meurtre.
Ces circonstances cliniques, on est arrivé à les bien
limiter, on a reconnu aussi que, selon le genre de
maladie mentale dont il était atteint, l'aliéné meur-
trier procédait selon un mode particulier. C'est ainsi
qu'on peut, dans certains cas, sur le simple récit cir-
constancié d'un homicide commis par un fou, prévoir
l'espèce de maladie mentale qu'on constatera chez
lui après un examen direct.
Prétendre que seuls les aliénés, atteints de cer-
taines psychoses, sont susceptibles de devenir homi-
cides, serait cependant dépasser la réalité. On a dit
liés justement que tout aliéné pouvait, à un moment
donné, devenir dangereux. Mais dans ces cas excep-
tionnels, les malades n'ont même pas parfois conscience
de la gravité des conséquences de leur acte. On sait
l'histoire de ce vieux dément, inoffensif jusqu'alors,
qui, une nuit, assomma son voisin de dortoir, 'parce
qu'il l'empêchait de dormir en ronflant trop bruyam-
158 MÉDECINE LÉGALE.
ment. Il existe aussi d'autres cas analogues, dans
lesquels des vésaniques chroniques, et aux facultés
affaiblies, agissent bien, en tuant, sous l'influence
d'une conception délirante, mais sans comprendre
non'plus la portée de leur action.
Tous ces cas ne constituent, en réalité, que des
accidents, et ils n'empêchent pas qu'on reconnaisse
comme légitime ce principe, dont l'importance en
médecine légale est considérable, à savoir : que la
tendance à l'homicide n'est pas un symptôme banal
qu'on peut observer dans toutes sortes d'affections
mentales, mais au contraire, qu'elle est un symptôme
propre à certaines psychoses et qu'elle ne se manifeste
que dans des circonstances cliniques bien détermi-
nées. ,
Quelles sont maintenant les conditions pathologi-
ques dans lesquelles on observe l'homicide ? Pour
répondre à cette question d'une façon complète, il
faudrait exposer méthodiquement toute la seméiologie
du meurtre dans la folie, ce qui constituerait une
étude très intéressante mais très complexe, et que je
n'ai pas la prétention d'entreprendre. Il suffit d'indi-
quer rapidement ici les divers états psychopathiques
dans lesquels la tendance à l'homicide figure comme
élément.
C'est dans le Délire de persécution qu'on rencontre le
plus souvent des cas d'homicide. Mais ou désigne
en France, sous ce nom, deux entités morbides diffé-
rentes : le délire de persécution de Lasègue (délire
chronique, psychose systématisée à évolution progres-
sive), et le délire de persécution de Falret, qui, lui, ne
s'accompagne pas d'hallucinations.
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. IS9
C'est du premier, du délire de persécution de La-
sègue qu'il s'agit d'abord. Cette entité nosologique est
une des mieux caractérisées qui soient, au point de
vue symptomatique, eu médecine mentale. Elle com-
prend trois périodes. La seconde période se signale
par des idées systématisées de persécution et par des
hallucinations, principalement par des hallucinations
de l'ouïe et de la cénesthésie. Dans la troisième
période, qui manque parfois, aux troubles précé-
dents s'ajoutent des idées de grandeur.
C'est pendant le cours des deuxième et troisième
périodes, particulièrement pendant le cours de la
deuxième, qu'on observe l'homicide. Le malade a
trouvé l'auteur principal des tourments qu'il endure,
des injures dont il est abreuvé. Il connaît son ennemi
et il s'en débarrasse en le tuant. Sa détermination est
guidée par la logique. Du reste, ses facultés mentales
sont conservées, et en dehors de ses idées délirantes,
il raisonne sainement. Il arrive même quelquefois que
l'acte homicide est la première manifestation déli-
rante qui attire l'attention sur le sujet. Jusque-là, on
ne le savait pas aliéné, il dissimulait son état et il se
livrait régulièrement à ses occupations habituelles.
Mais en l'étudiant, on reconnaît vite que la folie, chez
lui, est déjà ancienne ; ses parents, ses amis, s'aper-
cevaient depuis longtemps de ses préoccupations et de
ses idées étranges. - Il faut le bien noter, jamais
dans le délire de persécution de Lasègue les ten-
dances homicides ne se déclarent au début de l'affec-
tion. Elles apparaissent tardivement et comme les
déductions logiques de conceptions délirantes longue-
ment pesées et commentées.
160 MÉDECINE LÉGALE.
Certains persécutés sont plus portés au meurtre
que les autres. Peut-être est-ce là un effet de leur
caractère naturellement violent ( ? ). Alors qu'un grand
nombre de ces malades qui se contentent d'inju-
rier, de menacer ou de frapper leurs ennemis ima-
ginaires, d'autres ne pensent qu'à les tuer. J'ai dans
mon service un persécuté de ce genre, maintenant
âgé et un peu dément, et chez lequel les idées de
persécution ont beaucoup perdu de leur intensité
ancienne. Ce malade a autrefois tué sept personnes
sous l'influence de son délire. Il en voulait spéciale-
ment aux curés, qu'il accusait de le persécuter. Encore
maintenant, quand on le remet sur la voie de son
délire et qu'on lui parle de prêtres, le délire assez
vague et effacé redevient pour un instant net et vio-
lent, sa ligure exprime la colère et il profère des
menaces de mort.
Eu résumé, dans le délire de persécution, l'homi-
cide est relativement fréquent, il ne se manifeste
jamais au début de l'affection, mais bien dans une
période assez avancée et lorsque le délire est nette-
ment systématisé. Enfin il est la conséquence logique
des conceptions délirantes.
Beaucoup de persécutés ont immolé, sous l'influence
de leur maladie, des personnages en vue et ils ont ainsi
acquis une triste célébrité. Bien des régicides n'étaient
que des persécutés, et parmi eux Ravaillac peut-être.
C'est du moins ce qui semble résulter de documents
récemment recueillis et commentés par un médecin
érudit.
Quant aux persécutés du type Falret, qui n'ont pas
d'hallucinations, ce sont des dégénérés intellectuels;
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 161
ce qui ne signifie pas qu'ils soient forcément des
débiles ou des imbéciles, ce qui signifie seulement
qu'ils sont des déséquilibrés. On rencontre aussi
parmi eux des homicides, mais moins souvent que
parmi les persécutés du type Lasègue.
Ces sujets sont naturellement envieux, soupçon-
neux, orgueilleux. Ils arrivent à la folie progressive-
ment et par suite, pour ainsi dire, de l'exagération
excessive de leurs défauts de caractère. A un moment
donné, ils interprètent tout ce qui leur arrive dans le
sens des persécutions, le délire est alors établi. De
persécutés ils ne tardent pas à devenir persécuteurs.
Ils choisissent le personnage qui, selon eux, leur a
fait le plus de mat, et ce choix est souvent guidé par
quelque incident réel dont ils dénaturent la portée. Ils
en font l'objet de leur haine, s'acharnent sur lui et ne
lui laissent ni trêve ni repos. Ces malades qui arrivent
parfois à recourir à l'homicide, sont avant tout des
processifs'. Ils dénoncent, injurient, calomnient; ils
ourdissent des accusations fausses mais très ingénieu-
sement combinées, ou bien ils dirigent de ces sortes
d'entreprises qu'on désigne vulgairement sous le
nom d'entreprises de chantage. Un type remar-
quable de ce genre d'aliénés est fourni par le fameux
Sandon qui parvint, sous l'Empire, à intéresser à son
sort presque toute la presse, et qu'on cite encore
aujourd'hui comme une victime de la loi de 1838.
Comme je l'ai déjà dit, ces persécutés persécuteurs
en arrivent parfois à l'homicide. Il est nécessaire de
noter que chez eux, comme chez les persécutés de
1 Les qucrulents des Allemand».
ARCIILYCS, t. XXIII. 1 1
'J6 . MÉDECINE LÉGALE.' 1
Lasègue, la tendance au 'meurtre n'apparaît que dans
les périodes avancées de l'affection ? i - j i v ' l,
'' Les malades précédents, les persécutés,1 commet-
tent le meurtre, non pas'sous l'influence d'une impul-.
sion brusque, mais sous l'influence d'un raisonne-
ment Jogique. Chez d'autres aliénés homicides, il y a
impulsion dans le sens qu'on donne habituellement à
ce mot, c'est-à-dire que, chez eux, la tendance à tuer
n'est pas raisonnée mais que l'idée du meurtre s'im-
pose à leur esprit; soit sous l'influence de la passion,
soit spontanément et ' sans raison autre qu'un état
pathologique : spécial' du' fonctionnement du cerveau. Il
peut arriver que 'l'impulsion et l'acte soient incons-
cients, ce dernier accompli, les -sujets n'en conser-
vent pas le moindre souvenir. Tels sont, entre autres,
les meurtres accomplis par certains épileptiques. 1 1/
' Après les persécutés,' ce sont très probablement les
épileptiques, les imbéciles et les 'demi-idiots qui four-;
nissent le plus d'aliénés homicides. n I .
' Les épileptiques deviennent homicides dans deux
conditions différentes. D'abord, ils peuvent avoir des
accès délirants à forme maniaque et d'une intensité
extrême pendant le cours desquels ils sont entraînés
au meurtre. Ces accès éclatent 'presque subitement,
mais ils sont transitoires et se dissipent vite. Caractère
essentiel : ils sont complètement inconscients. Ce
n'est pas le lieu de rechercher les rapports qui exis-
tent entre ces accès de folie fui ieuse (fureur épilép-
tique) et la névrose ' épileptique elle-même. Nous
devons nous : naintenir absolument dans le domaine
de la clinique, et nous n'aborderons aucun problème
d'ordre spéculatif, notre but étant seulement d'ès-
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 1631
quisser une1 courte ,étude' médico-légale. > Que ces
1 1 rll1"Jr.IJ Il « )1' If ? 1 , .13, .1".1 . l, 1'11..... .,1 . ".t <'II"
accès maniaques ^transitoires , ,etuaxqJufu soient ou
non des : attaques d'épilepsie, non plus motrices,' mais,
purement intellectuelles,'1'' il importe peu en pratique"'
Ce qui est certain, c'est qu'on les, observe soit avant,
soit plus fréquemment' après les attaques' convulsives, '
i -' ') <'1 lu'| 'JI il 1]- 0 " 'u', ' 1(1. X'IH si "II- 1'( ., ,,
et parfois . dans leur, intervalle ? comme s'ils s'étaient,
substitués' à quelques-unes d'entre elles;' '' ' ' ' ">
Or LI l '.1.") 1 1;1 ')d 'HV-'F 1 ""lli'l "l'
Or, pendant ces accès de ur, m n aque, les épi- i 1
Or, pendant ces accès de fureur, maniaque, les épi ?
leptiques ne commettent que trop souvent 'des' meur-
q. '1 r I¡fH()..J ,fI 1., 1.. "')'fI. ""Ô il 't) 1. t 1 ? .
tres" et alors, ]],s 'r tuent 0 ] ! lop.s¡e.r : nmet, sans raison,
aucune, la première' personne qui seLtrouve à' leur
portée. Tantôt Ils accomplissent leur homicide froide-
ment et sans bruit,- tantôt, et c'est le plus ordinaire,
ils procèdent àvec"fu'reur,'s'acharnànt sur leurs vic- 'j
times et les frappant encore, alors que déjà elles ont
expiré. Des épileptiques ont. ainsi flué'successivement
deux, trois, quatre personnes, qu'ils ne connaissaient
même pas. Les cadavres, des victimes couverts , de
plaies et défigurés ont quelque chose de' caractéris-
tique. A la vue de cadavres ainsi mutilés, Legrand
du Saulle disait : « L'épilepsie les a marqués de son
sceau. » Ces épileptiques calmés,et revenus à eux-
mêmes ne conservent jamais le, souvenir, des actes
qu'ils viennent d'accomplir. . ! .
Voici, relatée en quelques mots, une observation
typique de manie homicide chez un épileptique..
1 ' ' . , · .. ..
Le nommé L..., quarante ans, entré à l'asile de Cadillac en 1886,'
avec le diagnostic : Manie, et sans aucun renseignement sur ses
antécédents. ' i , ,
A son entrée, le malade semble être arrivé à la période finale
d'un accès de manie, ses idées sont troublées, pas de conceptions
délirantes prédominantes. Il.se remet complètement et bientôt il
164 MÉDECINE LÉGALE.
est calme et raisonnant. On l'envoie au travail, c'est-à-dire qu'on
l'occupe à la culture avec les malades tranquilles.- Quelqne temps
après, justement-pendant qu'il est au travail, il se montre par
exception surexcité et colère. Il menace ses camarades. On le fait
rentrer à sa division. Arrivé dans la cour, il devient tout à fait
furieux, et tirant de sa poche un vieux couteau qu'il avait sans
doute trouvé dans les jardins, il se précipite en criant sur le malade
le plus près de lui. Il le frappe avec tant de violence que, malgré
que son couteau ne soit pas très aigu, il lui perfore le coeur; la
mort est instantanée. Ce meurtre accompli, il tourne sa fureur
contre les autres malades qui fuient devant lui et il en blesse un.
. Enfin, les infirmiers parviennent à le maîtriser et à le désarmer,
mais l'un d'eux est sérieusement blessé pendant la lutte.
I,olé en cellule, L... se calme rapidement. Le lendemain l'accès
était tout à fait dissipé et il n'en gardait pas le moindre souvenir.
Par la suite, des accès semblables, mais qui n'eurent pas les terri-
bles conséquences du premier, se reproduisirent à des intervalles
irréguliers. On en compta quatre en six mois. Enfin, un jour L...
eut une violente attaque convulsive d'épilepsie. Depuis, les attaques
convulsives se renouvelèrent de temps en temps et les accès mania-
ques devinrent de plus en plus rares. Le diagnostic était dès lors
fixé.
A la suite des homicides accomplis pendant les
accès de manie épileptique, il convient de citer ceux
commis également par des comitiaux, mais sous l'in-
fluence de la passion plutôt que de la folie dite épi-
leptique. '
L'état mental habituel des épileptiques est bien
connu. On sait d'abord qu'en général, chez ces ma-
lades, les facultés intellectuelles s'affaiblissent pro-
gressivement, et qu'avec le temps, une véritable
démence, la démence épileptique, finit par s'établir.
Mais en plus, le caractère des comitiaux se modifie,
petit à petit, progressivement, sous l'influence des
attaques convulsives et des vertiges qui se répètent
sans cesse. Ces malades deviennent irritables et em-
portés, mauvais, ce qui ne les empêche pas d'affecter
en toute circonstance, une grande sensibilité, ou
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 165
plutôt une grande sensiblerie. La contradiction les
exaspère. Us se montrent pour des motifs futiles d'une
violence extrême, sauf à afficher ensuite un repentir
exagéré. Chez eux, l'acte suit rapidement la menace,
souvent même, acte et menace sont simultanés. Ce
sont des impulsifs. II est évident qu'ils ne possèdent
pas une puissance d'arrêt suffisante sur leurs ten-
dances instinctives et passionnelles. C'est là une véri-
table lésion de la volonté.
Or, il arrive parfois que leur violence les entraîne
jusqu'à l'homicide. Il n'y a pas, dans ces cas, folie
proprement dite, mais cependant le fonctionnement
cérébral n'est pas normal, il est pathologique.
Dans' des circonstances pareilles, les médecins appelés
à examiner l'état mental des accusés concluent sou-
vent à la responsabilité proportionnelle. Pour ma part,
je considère les malades de cette espèce comme étant
réellement irresponsables. Toutefois, il serait impru-
dent de formuler une loi générale à cet égard. En
pratique, tous les cas qu'on rencontre exigent une
étude particulière, car ils peuvent bien se ressembler
mais ils ne sont que très rarement identiques les uns
avec les autres. Ce qui rend parfois l'examen spé-
cialement délicat, c'est que le même malade peut pré-
senter les* deux sortes d'accès furieux; tantôt il a des
accèe de manie épileptique absolument inconscients,
et tantôt il se laisse entraîner à des crises de fureur
qui, elles, sont conscientes et dont il se souvient.
J'observe actuellement un malade de ce genre qu'on
considère, à juste raison, comme un des plus dange-
reux aliénés de l'asile.
166 . M ' MÉDECINE LÉGALE. (
C... (Louis), âgé de trente-trois ans, épileptique depuis l'âge de
dix-sept ans ; antécédents héréditaires à peu près inconnus ; en
traitement à l'asile de Bonneval depuis huit ans. '
Avant son entrée C.- avait subi plusieurs condamnations pour
coups et blessures. Dans son pays, tous le redoutaient, ses parents
plus, encore que les autres. - Aujourd'hui, il présente des ver-
tiges fréquents et des grandes attaques convulsives, ces dernières
moins souvent qu'autrefois,¡ à cause du traitement auquel il est
'. ,. 1 t' · . (
soumis. ' ' t '
' Deux' ou' trois fois par an, à la suite ordinairement d'une série
d'attaques convulsives, il est pris brusquement d'un accès de manie
dont la durée ne dépasse pas quarante-huit heures. Toujours alors
il se livre à des actes dangereux pour son entourage, surtout au
début de l'accès. Il brise les meubles, les fenêtres, il lutte avec les
infirmiers. On doit au plus tôt l'isoler, en cellule. La crise se ter-
mine par un sommeil semi-comateux, et au réveil, le malade ne
se souvient plus.de rien., ' , t 1(. '.ri z
En outre de ces accès qui sont inconscients, C... en présente
d'autres bien'plus nombreux, mais1 ceux-là : tout à fait conscients.
Son' caractère est toujours irritable, mais plus encore à certains
moments, alors pour un motif .léger et même sans motif aucun,
parce qu'un camarade l'a heurté en passant, parce' qu'il croit
que l'infirmier' l'a mal servi au repas,'ou parce qu'il s'imagine
qu'on l'a regardé en riant, il entre en fureur. Ces accès de fureur
présentent bien des degrés, mais quelques-uns ressemblent parfois
tout à fait aux accès de manie inconscients, l'état de conscience
seul les en distingue. Il est très robuste, je l'ai vu une fois briser,
dans la cour de sa division, un jeune arbre déjà assez gros, s'en
faire une arme et se jeter sur les gardiens. Quand sa fureur est
passée, il est repentant, il promet de. ne plus recommencer, mais
il soutient quand même que rien ne serait arrivé si on l'avait laissé
tranquille. - C... n'a, il faut le- dire, jamais commis d'homicide,
mais uniquement parce que les circonstances ne l'ont pas voulu.
.. III r i
. Pour tout ce qui précède; on voit en somme que
quand un meurtre est commis par un aliéné sous
l'influence de l'épilepsie, il existe des signes spéciaux
qui permettent ordinairement de diagnostiquer, sans
beaucoup de difficulté, l'état mental du sujet. , ,
. '" ' ? ' ' , ? ? ' z
. Les imbéciles et les semi-idiots comptent aussi parmi
. ,j, J . t'' tf'i'' 1 1 ( ? ¡ ' ' i Il. ! ' rl . L
les aliénés homicides. Ces sujets sont le plus, souvent
, , '.'< 1 f-dl ? l''t' .i
entraînes au meurtre pendant le cours d'un de ces
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. mu
accès délirants, ordinairement passagers, auxquels ils
sont particulièrement sujets. - Leur cas se confond
-alors avec celui d'autres aliénés à accès ! de folie sou-
' vent brusques et transitoires;, dont il sera question
plus loin. Mais il arrive aussi que des imbéciles et
des semi-idiots non délirants commettent des meur-
tres. Ils sont, ,dans celte circonstance, entraînés par
June impulsion d'ordre passionnel. La haine, la ja-
jalousie, l'instinct génésique, sont les mobiles ordinaires
qui les font agir, car, par suite du peu de développe-
ment de leur sens moral et de l'imperfection de leur
fonctionnement cérébral-, ces mobiles ne sont pas suf-
fisamment contre-balancés. 1 , . t , ?
Les. recueils, spéciaux renferment de, nombreux
exemples d'imbéciles et d'idiots non délirants, auteurs
r ..j 1 1 1 1 1 - , . '
des actes les,plus graves, comme , viols ? incendies; et ! même, meurtres. Les observations se, rapportent, sou-
vent à des enfants ou à des adolescents. , , ; ,
,(1 Voici l'histoire d'un semi-idiot qui a commis un ,viol
et une tentative de, meurtre. Son cas est, un peu com-
plexe, mais, il, eS,t ` assez , ^intéressant pour, 1 être rap-
Porté : - 1 f v r ? t : i < j 1 r ? i : .
,"i \ , 'l ' 1 .'1 J 1 l - i " , , , l ' ri si 1 ? ? i f ,-
H... (Louis), trente-cinq.ans, entre à l'asile de Bonneval en 1888,
atteint de semi-idiotie. Antécédents héréditaires inconnus; riial-
formation crânienne prononcée; asymétrie i faciale ; vice de, pro-
nonciation tel qu'on comprend difficilement, ce qu'il dit. Avec ces
signes physiques de dégénérescence, développement très incomplet
des facultés intellectuelles. Il ne peut répondre qu'aux questions
les plus simples et il est incapable de compter au delà des premiers
- nombres. Mais il a le caractère'gai, il joue avec ses camarades,
.enfin il est docile. On arrive à l'occuper à la ferme aux travaux les
, plus simples. , '" 1 ' ' ' ? 1 ; j
Cet idiot a vécu libre jusqu'à l'âge de trente-cinq ans, et il ne
passait nullement pour être dangereux, il était'même un peu le
bouffon de son village. Mais un jour, rencontrant dans les champs
. ! <,. J 1 i'
168 MÉDECINE LÉGALE.
une fillette de treize ans, il la viola et ensuite lui porta trois coups
de couteau dans le ventre. Les blessures quoique graves guéri-
rent. Reconnu irresponsable, il fut plaoé à l'asile. Depuis plus de
trois ans qu'on l'y maintient, on n'a observé chez lui aucune mani-
festation de nature épileptique, ni non plus aucune impulsion
morbide dangereuse d'aucune sorte. L'impulsion combinée, éroti-
que et homicide (de 1888) constitue donc un fait isolé dans sa vie.
Ce qui prouve, entre parenthèses, qu'il faut toujours surveiller les
imbéciles et les idiots, même ceux qui paraissent inoffensifs.
Quand aujourd'hui on interroge H... sur son attentat, on s'aper-
çoit qu'il n'en a conservé qu'un souvenir confus. Autrefois sa
mémoire le servait mieux, et il racontait, en riant, ce qu'il avait
fait, mais sans en donner les raisons ni sans en comprendre la
gravité.
Le viol s'explique naturellement par une impulsion
érotique, mais la tentative de meurtre ne s'explique
pas facilement. C'est là un cas de sadisme véritable,
puisque la victime n'a été frappée qu'après avoir été
violée. Il ne s'agissait donc pas pour H... de vaincre
sà résistance. 11 ne s'agissait pas davantage pour lui
d'aller au-devant d'une dénonciation. Outre que cet
idiot ne comprenait pas qu'il commettait un crime,
son intelligence n'allait pas jusqu'à lui faire prévoir
les conséquences de son acte. - On pourrait peut-être
faire intervenir là, à l'exemple de certains anthro-
apologistes dans des circonstances analogues, l'hypo-
thèse au moins ingénieuse du réveil atavistique, chez
un dégénéré, d'un état mental antrefois habituel à
l'homme antéhistorique. Les hommes primitifs com-
battaient avec acharnement entre eux pour la posses-
sion des femmes : . satisfactions génésiques et scènes
sanglantes constituaient, par suite, des images inti-
mement unies et associées dans leur constitution
psychique. Mais des considérations de cet ordre
sont étrangères à notre sujet, qui doit rester absolu-
ment pratique, puisqu'il s'agit de médecine légale.
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 169
En résumé, les imbéciles et les idiots peuvent com-
mettre des meurtres en dehors de tout accès délirant
véritable, et par le fait seul d'une impulsion passion-
nelle ou instinctive, déterminée par la haine, la
jalousie, la colère, la surexcitation génésique, etc.,
et quelquefois déterminée seulement par le simple
besoin d'imitation. Quand des cas de ce genre se
présentent, l'analyse des circonstances du meurtre et
l'étude psychologique (et aussi physique, en raison
des stigmates physiques de dégénérescence) des sujets
permet de déterminer l'état mental de ces derniers tel
qu'il était au moment de la perpétration de l'attentat.
Il est certain que la responsabilité légale de beau-
coup de ces individus est tout à fait nulle. D'autres
fois, le médecin expert n'ose pas poser une conclu-
sion aussi absolue. L'imbécillité, en effet, a de
nombreux degrés, et en réalité, de l'homme peu
intelligent à l'imbécile type, il existe une grada-
tion insensible. Le médecin expert se trouve, par
suite, dans certains- cas, amené, presque malgré lui
peut-on dire, à admettre une responsabilité atténuée.
Et cependant, rien ne semble plus en désaccord avec
les principes de la psychologie positive qu'une sem-
blable conclusion, car l'idée de la responsabilité
atténuée est basée sur l'état de défectuosité d'une
entité métaphysique, dont on ne peut plus guère, à
notre époque, soutenir l'existence réelle, le libre
arbitre. J'indique seulement ce point de contro-
verse philosophique pour faire ressortir, en passant,
combien sont délicats et difficiles ces problèmes de
responsabilité, qu'il s'agisse d'aliénés ou même de
normaux.
170 ... . MÉDECINE LÉGALE.
- ,.On.cherche toujours à les résoudre par le moyen de
données métaphysiques, et l'on fait avant tout' inter-
.venir, lanliberté morale, le libre-arbitre,1 l'idée' innée
.du. bien [et- du, mai etc. - Il serait- à souhaiter qu'on
abandonnât définitivement cette méthode métaphysique
ancienne, et qu'on s'en tint» à la méthode' positive.
Dans toutes les. questions dites de. responsabilité
morale, il n'y a qu'uni élément qui soit réel, tangible
et .mesurable, c'est la ¡nuisance. ^'est; donc la .nui-
sance seule qu'il est possible- d'étudier scientifique;
1 ment. Il faut surtout tâcher d'en établir la genèse. En
luttant, en effet, contre les causes réelles dei la' nui-
sance, ce que la science a déjà appris affaire dans
bien des circonstances, on arrive à l'atténuer,' et par-
fois à la faire, disparaître,, ce qui est le. véritable but à
.attendre : < i i 1 1 ->il '.1 Í8'1LL ri'" "
Nous arrivons maintenant à l'homicide- dans les
, r
folies pa11l,intoxication.. " L'homicide n'est..pas rare
dans la folie alcoolique, on' l'a observé aussi dans d'au-
Itrs ,folies, -par <. intoxication,. dans la morphinomanie,
par exemple (quelques cas rares seulement). Il, paraît
aussi',que, les fumeurs d'opium, ;dans ,les1 périodes
.avancées de l'empoisonnement, ,sont,,sujets;-parfois, à
des accès de fureur homicide.; Mais ! nous nous borne-
rons à tracer, en quelques lignes,, les caractères, de
d'homicide dans, la folie .alcoolique, qui est si,fréquente
et qui peut ! servir, de type aux psychoses par empoi-
sonnement chronique.. ,, : il ' 'J .1111 " ." \"1'\ ,
,I(I..Ç'S dans, cette,, forme d'aliénation .appelée . folie
«alcoolique , subaiguë', ,ou' plutôt, alcoolisme,, subaigu
.(Lasègue), qu'on, rencontre surtout l'homicide. Cette
psychose est essentiellement caractérisée par des ter-
. NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 171
reurs, de la, panophobie, des hallucinations et des
illusions de la vue,, et;par des troubles deikisensibi-
lité générale. Je, néglige rémunération des symp-
itômes physiques. -, L'accès débute assez . brusque-
ment, mais il est ordinairement précédé de prodromes
qui, l'annoncent, comme l'insomnie, les cauchemars,
les, (hallucinations nocturnes, le tremblement ' des
extrémités, etc. L'accès établi, le malade tremblant et
terrifié voit des animaux repoussants qui grimpent sur
lui,, des fantômes, des gens qui le menacent et qui le
poursuivent le poignard à la main. Il peut' arriver, il
arrive même souvent, qu'il ne demeure'pas passif et
qu'il réagisse contre les fantômes qui le menacent, et ,
parfois alors il devient, meurtrier.' II tue pour se dé-
fendre,, pour, sauver sa vie qu'il sent menacée. Le
.meurtre n'est donc pas, dans ce. cas, le résultat de la
;fureur,"il est le résultat de, la peur, de la terreur. Il
est, dans le fait, la conséquence d'une erreur intellec-
tuelle et sensorielle, ou pour mieux dire, du délire et
de l'hallucination. ,>... ? 1.. ¡<n" cmj,| - , - i ? ,
i De même; le suicide,, qui, n'est,pas rare non plus
dans,cette, forme, d'alcoolisme, -n'est pas ,le résultat
d'une impulsion, du désir.d'eu.finir,avec la vie, de
s'annihiler, mais¡il est seulement la conséquence d'une
.erreur. pLe¡ malae¡.se', précipite par la ! fenêtre qu'il
.prend pour" la . porte, ou ! bien;Ï1 se jette dans uneiri-
- vière pour échapper aux êtres fantastiques qui le pour-
suivent,1; pour 1, éteindre les=, flammes (qui l'entourent'.
Quand l'accès de délire est dissipé, le souvenir du
JI'l n 1,9Hfr)j(j "t ! jJl Il i -11 -il ('II'} ! il ? t'If p il ? Il 114 9 r ? ". Il
, l' Ce n'est qu'incidemment que je suis amené à parler du suicide dans
- l'alcoolisme et seulement pour signaler une analogie qui se présente ici.
Le suicide est bien. l'aboutissant ? dans certains cas' d'alcoolisme, du
172 MÉDECINE LÉGALE. '
meurtre accompli pendant son cours persiste, mais
souvent d'une façon un peu confuse. Le malade a
parfois comme l'impression d'avoir rêvé. En tout cas,
il n'y a jamais d'inconscience véritable, comme quand
il s'agit de la manie épileptique.
Voilà le processus pathologique cérébral qui aboutit
à l'homicide, chez les. alcoolisés, dans la moitié peut-
être des cas, mais ces malades peuvent encore arriver
à devenir meurtriers selon un autre mode on pour-
rait, à leur égard, établir une division analogue à celle
indiquée plus haut à propos des épileptiques meurtriers.
Sous l'influence de l'empoisonnement chronique
par l'alcool, les facultés mentales s'affaiblissent pro-
gressivement, et le dernier terme de cet affaiblisse-
ment est la démence dite alcoolique. Dans le cours de
l'intoxication surviennent encore chez beaucoup de
malades, non chez tous cependant, des accidents
divers, comme les accès de folie qui viennent d'être
décrits, comme des crises de delirium tremens fébrile,
comme des attaques convulsives épileptiformes et
même épileptiques, des attaques d'apoplexie, etc. Il
résulte, de ces secousses répétées imprimées au sys-
tème nerveux, ainsi que des lésions anatomiques de ce
même système nerveux dues aussi à l'alcool, il résulte,
dis-je, outre la démence alcoolique, certaines modifi-
cations morbides du fonctionnement cérébral. L'alcoo-
lisé qui, avant qu'il ne se fut intoxiqué, avait le carac-
tère doux et tranquille, ie jugement sain, est devenu
processus pathologique que j'indique, mais à d'autres moments de la *
folie alcoolique, il a une genèse toute différente. Ainsi il peut résulter
d'une obsession véritable, du besoin de disparaître ; il peut aussi s'effec-
tuer sous l'empire de la fureur, du remords, etc..
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 173
depuis irascible, emporté, incohérent dans ses entre-
prises. Il était bon, il est maintenant mauvais. A tout
propos il s'emporte, les discussions avec lui dégénè-
rent de suite en querelles. Enfin, surtout quand il a
puisé dans un excès récent une excitation passagère
nouvelle, il peut se laisser entraîner par la colère
jusqu'à l'homicide. La plupart de ces histoires qui
remplissent les faits-divers des journaux, où des
ivrognes ont frappé, blessé, ou même tué, se rap-
portent à des alcooliques chroniques qui ont agi
sous l'influence d'une colère furieuse et irraisonnée.
Un fait assez intéressant pour être signalé en
médecine légale : Dans les grandes villes, dans les
classes ouvrières surtout, le point de départ de ces
drames est fort souvent la jalousie, la jalousie d'un
mari à l'égard de sa femme, jalousie qui se réveille à
chaque excès nouveau, qui est réellement morbide,
qui n'a ordinairement aucun fondement sérieux.
Il est, en somme, certain que l'homicide dans
l'alcoolisme est, dans un nombre important de cas, le
résultat, non d'un vrai délire, mais d'un état mental
pathologique particulier dû à l'empoisonnement chro-
nique. On comprend, sans qu'il soit besoin d'in-
sister, combien il est difficile de s'entendre sur la
responsabilité légale des sujets de cette catégorie.
Ont-ils leur libre-arbitre, ne l'ont-ils pas, ou bien
l'oiit-ils seulement dans une mesure restreinte ?
Alors on discute sur l'intensité de l'accès de colère,
cause immédiate de la catastrophe. La colère (insania
brevis, comme ne manque pas de l'appeler le défen-
seur de l'accusé), a-t-elle été assez violente pour
qu'on puisse admettre que la volonté ait été, par son
174* MÉDECINE LÉGALE. ,
fait, annihiléa momentanément ? ' On évalue aussi la'
gravité du' mobile qui' a' déterminé' la' fureur'. -Il nei 1
faut pas oublier non plus 'que si/pour les uns, l'ivresse ! 1
constitue ' une circonstance atténuante, elle est envi-'
sagée par. les' autres comme une circonstance aggra-'
vante. En .vérité, ces problèmes ne'seront jamais'
résolus d'mie façon satisfaisante, et on finira' par ne 1
plus les poser. On ne' cherchera' plus 1 à savoir si;
l'alcoolique meurtrier a son libre arbitré, ou s'il ne l'a' 1
pas. On ! se contentera d'établir 'qu'il est' nuisible au !
premier chef, et on s'efforcera de le mettre dans ¡'im-)
possibilité d'exercer sa nuisance'. On s'efforcera aussi-
de rendre plus rares les cas semblables au sien ? '
Nous venons de passer eii revue un certain nombre
de maladies mentales qui présentent, comme symp-
tôme plus ou moins fréquent; la tendancé au meurtre.'1
Dans chacune d'elles,' nous 'avons essayé d'établir le
processus psychologique qui avait cette tendance pour
aboutissant : Mais il existe encore d'autres états. psy-
chopathiques qui , peuvent, à un moment donné, se
compliquer d'impulsions homicides. Je dit : qui peuvent
se compliquer, parce que dans ces'cas, l'homicide est
une'complication plutôt qu'un symptôme de la maladie.'
Les aliénés' peuvent se diviser en deux grandes
classes, ceux qui avant l'invasion de l'affection men-
tale; étaient normaux au point de vue psychique, et'
ceux qui présentaient déjà, à ce moment, quelques
irrégularités, quelques troubles'dans leur fonctionne-
ment psychique. Les allemands disent : aliénés à cer-
veau valide, et aliénés à cerveau invalide. En France,'
on dit des seconds qu'ils sont entachés de dégénéres-
cence intellectuelle. Dans toutes- les écoles psychia7
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 175'' i
triques, quelles que soient les divergences des opinions' 1
en '-certains points;, on- retrouvé cettè même' idée son : . r'
dameiitale, 1 la'distinction ide's aliénés en deux grandes
classes. ! t-< ) 'l' ., .1, " foi ? t .fIl il -' 1 fil 1\" Il
Sans entrer, dans aucune discussion dogmatique, on
doit reconnaître comme bien établie cette notion, que
les sujets qui sont entachés, de dégénérescence intël-
lectuelle ne réagissent pas, sous l'influence de' là folie,
de la ! même ! façon qu'elles autres. 'L'irrégularité et
l'imprévu sont les' caractéristiques 'de 'la plupart des
maladies mentales dont ils' sont atteints.* ' ' Il - r '
Il est inutile de rappeler que dégénérescence intel-
lectuelle n'est pas le synonyme de 'débilité mentale.
Les imbéciles, les débiles mentaux rentrent bien dans
la classe des dégénérés,, mais» on 1 trouve dans cette
classe- desthommes à > intelligence 'normale et même
supérieure. Les hommes' de, génie n'y sont pas rares,
et certains veulent même qu'on ne les' rencontre que
là. C'est l'état de déséquilibration des facultés mentales
qui est le' critère de la dégénérescence intellectuelle,
et non l'imperfection en bloc de leur, développement.
En France^ on rattache surtout la dégénérescence
à l'hérédité neuropathique,- ce qui est' exact, mais on'
est porté à faire de l'hérédité morbide la causé unique
de la dégénérescence, ce qui est exagéré. C'est contre
cette exagération que Cotard s'est élevé '. Il a démon-
tré que la dégénérescence était souvent acquise, et
qu'elle pouvait s'établir au moment de la conception,
pendant, la vie intra-utérine, pendant l'enfance et
même pendant l'adolescence. En réalité, des hérédi-
, I ' . 1 \ . .11 . J ', 1 rI ,') l w
1 Société nuJdico-psychologique, séance du 25 janvier 1886. ,
176 ' MÉDECINE LÉGALE.
taires à lourde hérédité quelquefois, ne sont pas tou-
jours des dégénérés, et des sujets nettement dégénérés
ne comptent parfois, parmi leurs ascendants, ni fou,
ni névropathe. Les deux termes, dégénéré et hérédi-
taire, ne doivent donc pas être confondus l'un avec
l'autre, comme il arrive trop souvent.
Un des principaux caractères que la dégénéres-
cence intellectuelle imprime à la folie, le seul qui
doive nous préoccuper ici, consiste dans la manifesta-
tion d'obsessions et d'impulsions diverses. C'est sous
leur influence que la tendance au meurtre complique
irop souvent chez les dégénérés certains accès d'alié-
nation mentale. Mais, chez eux, les circonstances qui
précèdent, accompagnent et suivent le meurtre ne sont
plus celles qu'on observe chez les malades dont nous
venons de parler plus haut. Ainsi, nous avons vu des
persécutés arrivés à une période déterminée de leur
affection, tuer après mûre délibération. Nous avons vu
des alcooliques devenir homicides en cherchant à échap-
per à des ennemis fantastiques. Chez les dégénérés
délirants, l'impulsion homicide n'est provoquée par
rien d'analogue, elle éclate brusquement, à des époques
très diverses de l'affection, sans règle précise, avec ou
sans hallucination ou idée délirante préalables.
La mélancolie chez les dégénérés occupe un des pre-
miers rangs parmi les états vésaniques susceptibles de
se compliquer d'homicide. Cependant, les mélancoliques
sont encore plus souvent entraînés au suicide qu'à
l'homicide. Mais, suicide ou homicide, l'acte, chez ces
sujets, est pour ainsi dire réflexe, qu'il s'accompagne
ou non de l'état de conscience. C'est pendant les pa-
roxysmes de l'angoisse, alors que la souffrance n'est
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 177
plus supportable, que pour s'y soustraire, le malade
se tue, ou bien tue quelqu'un de son entourage. Sou-
vent l'être qui lui est le plus cher devient ainsi sa
victime. Aussi, l'acte accompli, le désespoir qu'il en
éprouve ajoute encore aux souffrances qu'il endurait
déjà. D'autres fois, c'est sous l'empire d'une halluci-
nation ou d'une idée délirante que l'homicide s'accom-
plit, mais il s'accomplit toujours quand même dans
les mêmes conditions d'angoisse, et avec la spontanéité
qui lui conserve le caractère d'un véritable réflexe.
Chez les dégénérés, en outre de la mélancolie vraie,
on observe encore de nombreux états délirants, plus
ou moins partiels, plus ou moins bien systématisés.
Irréguliers dans leur évolution, ces états psychopa-
thiques succèdent parfois à un accès de mélancolie or-
dinaire, parfois à un accès de manie, parfois enfin, ils
s'établissent d'emblée avec leurs caractères définitifs.
Beaucoup d'entre eux se rattachent à la Paranoïa
des allemands, mais en général, en France, on les
englobe tous sous l'appellation de délires mélanco-
liques. Ces délires mélancoliques se compliquent quel-
quefois, à un moment donné, d'actes homicides, les-
quels s'accomplissent toujours avec les caractères
impulsifs précités.
Parmi ces délires mélancoliques, il convient de signa-
ler particulièrement les délires mystiques, dans les-
quels le meurtre peut être la résultante de conceptions
délirantes déduites les unes des autres.
Enfin, certains débiles, imbéciles, et semi-idiots
délirent avec une facilité extrême; la moindre cause
est, pour eux, sujet à hallucinations et à conceptions
délirantes. Ces accès vésaniques, ordinairement Iran-
ARCHIVES, t. XXIII. 12
178 MÉDECINE LÉGALE.
sitoires (auxquels il a déjà été fait allusion à propos de
l'homicide chez les imbéciles), se compliquent aussi
d'impulsions diverses, parmi lesquelles l'impulsion
homicide.
En résumé, tous les homicides exécutés par les
aliénés dégénérés intellectuels, dans le cours d'états
psychopathiques très variables, ont, eux, des carac-
tères invariables qui leur donnent un aspect spécial
et commun, ce qui permet, en médecine légale, de les
réunir et d'en faire une vraie classe bien déterminée.
11 reste à signaler une dernière catégorie de faits
très rares et très remarquables. Des sujets dégénérés
intellectuels, non débiles mentaux, c'est-à-dire d'une
intelligence normale, sont tourmentés par des obses-
sions homicides des plus violentes. Ils n'ont ni hallu-
cination, ni conception délirante vraie, mais ils sont
poursuivis par le désir irrésistible, le besoin impérieux
de tuer. Ils résistent ordinairement autant qu'ils
peuvent, car ils ont la notion exacte de la gravité du
.crime qu'ils sont entraînés à commettre. L'objet de
leur obsession est très souvent un être qu'ils aiment,
.un enfant, un parent, et cependant, si les circonstances
ne s'y opposent pas, malgré l'horreur que l'acte leur
inspire, ils finissent par succomber.
A cette obsession qui procède par accès intermit-
tents, ou qui est au moins paroxystique, se joint tou-
jours l'angoisse. Ces caractères, et d'autres encore
qu'il est inutile.de mentionner, rapprochent ce phéno-
mène d'obsession homicide d'autres phénomènes mor-
bides également étranges, comme l'obsession du sui-
cide, commes certaines perversions du sens génésique
la nécrophilie, par exemple, etc.
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 179
On a beaucoup étudié, surtout dans ces derniers
temps, ces phénomènes bizarres, et on a reconnu
qu'ils étaient unis ensemble par le lien d'une parenté
intime. Ils constituent un des termes supérieurs de la
dégénérescence intellectuelle, et on en trouve presque
toujours l'origine dans l'hérédité morbide. Cependant,
je crois que, même dans ces cas où l'hérédité est la
règle, la dégénérescence peut aussi parfois être acquise.
Je ne pense pas devoir mentionner l'homicide com-
mis parles sujets désignés sous la nom de fous moraux .
La folie morale, malgré le nom qu'on lui donne, est
à mon avis chose étrangère à la folie. Il faut, en effet
en exclure (de la folie morale) les malades dont il
vient d'être question, et qui agissent sous l'influence
de l'obsession ou de l'impulsion ? deux phénomènes
d'ordre foncièrement pathologique. Quels sont alors
les sujets qui restent dans cette folie morale qu'on
veut rattacher, à l'aliénation mentale ? Des individus
qui n'ont pas la notion de l'honneur ni de la probité,
pour qui la vie humaine compte pour peu, dont les
actes sont régis seulement par la passion, par l'ins-
tinct, par l'intérêt, qui, souvent, tirent leur orgueil de
leurs méfaits et qui alors font le mal pour le mal.
Eh bien, de tels individus ne sont pas des aliénés, ce
sont des criminels. Ils appartiennent à la classe des
criminels-nés de Lombroso, et ce savant a lui-même
signalé l'identité qui existait entre son criminel-né et
le fou moral de certains auteurs. , 1
Parmi les raisons qui ont conduit à assimiler le fou
moral à l'aliéné, les unes sont sans grande valeur, ce
sont celles qui reposent sur l'ancienne conception
métaphysique du libre arbitre, les autres sont d'ordre
180 MÉDECINE LÉGALE. NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE.
scientifique. Ainsi, on a observé que les fous moraux
présentaient bien plus souvent que les sujets normaux,
des stigmates. physiques et psychiques de dégénéres-
cence. On a noté aussi que, chez eux, l'hérédité était
fréquente, aussi bien l'hérédité neuropathique que
l'hérédité du crime. Ces deux conditions, on doit le
reconnaître, les rapprochent bien réellement des alié-
nés, mais elles ne suffisent pas pour les identifier à
eux. Elles indiquent seulement que les fous moraux
et les aliénés véritables ont une origine commune.
Cette origine est la dégénérescence qui aboutit,' soit
à la folie, soit à la criminalité.
Nous ne devons donc pas nous occuper de l'homi-
cide dans la folie morale, ce serait quitter le domaine
de la médecine et entrer da'ns celui de la criminologie.
Le fou moral n'est pas un aliéné, il est un criminel-né.
Loin de nous l'idée qu'il soit, par suite, considéré
comme étant responsable de ses actes. Du reste, la
responsabilité comme l'entendent les moralistes, est
une question connexe à celle du libre-arbitre, et la
nuisance seule, comme il a déjà été dit, est suscep-
tible d'être étudiée, mesurée et enfin prévue.
En terminant cet exposé sommaire des circons-
tances et des conditions diverses, dans lesquelles on
observe le meurtre pendant le cours de la folie, j'appel-
lerai l'attention sur un point qui n'est pas sans impor-
tance.
On a pu voir que certains malades non dégénérés -
primitivement, mais arrivés à une période avancée
d'une- affection chronique du cerveau, procédaient
parfois, quand ils devenaient meurtriers, à la façon
de véritables dégénérés intellectuels délirants. Ainsi,
ASSOCIATION DU TABÈS AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 181
les vieux alcooliques quand ils tuent, non pas sous
l'influence du délire, mais sous l'influence de la fureur.
Ainsi encore les épileptiques anciens, quand ils de-
viennent homicides en dehors de leurs accès de manie
dite épileptique. Ces sujets agissent par suite d'une
impulsion, d'unesorte de réflexe; chez eux, les centres
instinctifs ne sont pas suffisamment inhibés par les
centres antérieurs. C'est précisément ainsi que les
choses se passent chez les dégénérés délirants. Il
semble donc que leur cerveau primitivement valide
soit devenu déséquilibré, inférieur, par suite des mo-
difications apportées à la longue dans son fonctionne-
ment par l'affection dont il est le siège. Cette obser-
vation a déjà été faite par Billod. (A suivre.)
PATHOLOGIE NERVEUSE
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE
DIABÈTE SUCRÉ 1 ;
(TRAVAIL DE LA CLINIQUE DE M.' LE PROFESSEUR CHARCOT)
PAR
GEORGES GUI\0, A. SOUQUES,
Cher de clinique. Interne (médaille d'or) des hôpitaux.
IV.
Il' ne nous reste maintenant qu'à signaler et à dis-
cuter les symptômes qui, permettent, à notre avis,
de se prononcer pour l'existence d'une seule espèce
1 Voir no 66, p. 305; n° 67, p. 48.
182 PATHOLOGIE NERVEUSE.
morbide : pseudo-tabes diabétique ou glycosurie tabé-
tique, ou bien-au contraire d'affirmer la présence de
deux espèces distinctes; tabes et diabète, associées
chez un même individu. Sans doute il pourra se pré-
senter des cas où le diagnostic devra rester en suspens, z
mais, le plus souvent une analyse rigoureuse donnera
la solution du problème. Cette solution ressort, nous
semble-t-il, de l'étude que nous venons de faire et
des réflexions qui accompagnent chacune de nos obser-
vations.
- Deux cas peuvent se présenter en clinique : tantôt,
au cours d'un diabète authentique, surviennent des
accidents nerveux tabétiformes; tantôt, chez un tabé-
tique avéré, on constate, à un moment donné, la pré-
sence du sucre dans les urines. Il s'agit, dans le pre-
mier cas, de déterminer si l'on a affaire au vrai ou
au faux tabes, dans le second si l'on se trouve en face
d'une glycosurie symptomatique du tabes ou d'un
véritable diabète, dans les deux cas de savoir, en un
mot, si deux entités distinctes sont en jeu, ou bien une
seule. C'est là un problème clinique dont la solution
exacte intéresse à la fois le pronostic et le traitement.
On sait aujourd'hui que le diabète et le tabes offrent
un certain nombre de signes communs sur lesquels il
est impossible de tabler pour établir le diagnostic
différentiel des deux affections. C'est évidemment sur
les symptômes propres à chacune d'elles qu'il faudra
se baser. Parmi les signes communs, il faut citer :
. 1° Les douleurs fulgurantes. - Elles ont été men-
tionnées dans le diabète par M. Charcot, par MM. Ray-
mond et Oulmont, Bernard et Féré, etc. C'est actuel-
lement un fait bien établi. Tout ce que l'on peut dire
ASSOCIATION DU TABÈS AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 183
c'est que les crises de douleurs fulgurantes semblent
plus courtes et plus rapprochées dans le diabète que
dans l'ataxie locomotrice progressive, mais c'est là un
caractère différentiel de peu de valeur.
2° Les anesthésies, hyperesthésies, dysesthésies de toute
sorte : fourmillements, engourdissements.
3° La perte du réflexe rotalien. Ce symptôme
signalé dans le diabète par M. Bouchard, dès 1881,
est fréquent, très fréquent dans le diabète sucré, et
sa constatation est bien capable d'induire en erreur.
4° Les troubles trophiques : maux perforants (Kir-
misson), chute des dents et des ongles, perte des
sueurs locales.
5° La frigidité et l'impuissance.
G° Le signe de Romberg.
Si tous ces symptômes se trouvaient réunis chez un
diabétique, ils pourraient assurément faire songer au
tabes. Sans doute, ces divers signes offrent bien, dans
les deux maladies, quelques traits différentiels, mais
ce sont le plus souvent de simples nuances incapables
d'entraîner la conviction. Dans ces conditions, le
meilleur caractère distinctif se tirerait de l'influence
produite par le traitement antidiabétique. Si ce traite-
ment faisait disparaître ou amendait notablement les
symptômes classiques du diabète sans influencer paral-
lèlement les signes tabétiformes, on aurait, sinon la
certitude, au moins de fortes probabilités pour l'exis-
tence d'un vrai tabes associé à la maladie diabétique.
Si par contre l'amendement portait aussi sur ces der-
niers symptômes, la question serait résolue en faveur
du pseudo-tabes. ' ,.
184 PATHOLOGIE NERVEUSE.
A côté de cette première catégorie de signes com-
muns aux deux maladies diabète et tabès, il en est
une seconde où les dissemblances l'emportent sur les
ressemblances. Sans parler des névralgies rebelles
souvent bilatérales signalées d'abord par Worms et
ensuite par Buzzard, Drasche, Liemmssen, Rosenein,
etc., il faut souligner :
1° Les crises laryngées. Ces crises sont assez fré-
quentes dans le tabes où elles se présentent avec des
caractères très remarquables. Elles sont exception-
nelles, si toutefois elles existent, dans le diabète vrai.
2° L'incoordination motrice. Les troubles de la
démarche n'ont rien de commun dans les deux affec-
tions. Là il s'agit de la démarche de stepper, ici d'une
incoordination tout à fait spéciale qui, quand elle est
typique, permet de faire le diagnostic à distance.
M. Charcot, dans une leçon déjà citée sur un cas de
paraplégie diabétique, en a tracé, un parallèle
magistral auquel nous renvoyons. Dans le diabète
c'est le steppage que l'on rencontre, « comme dans la
paraplégie alcoolique, tout comme dans les prétcndues
ataxies saturnines, béribériques, arsénicales, dans la
majorité des cas de pseudo-tabes jusqu'ici observés ' i » ;
3° Les troubles vésicaux. Si la rétention d'urine peut
survenir accidentellement, dans le diabète, par surdis-
tension de la vessie (Bouchard, Congrès de Blois, 1884),
si quelques accidents vésicaux peuvent s'y montrer 2,
ils n'ont rien de commun avec les troubles uiinaires
du tabes; il est inutile d'insister sur ce point;
' Charcot, loc. cit., p. 315.
* Bazy. Troubles urinaires chez les glycosuriques, Congrès français
e chirurgie. Paris, 1890.
ASSOCIATION DU TABÈS AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 185
4° Les troubles oculaires. Les différences sont ici ti ès
accentuées et la fréquence de ces troubles dans le.
tabes comme dans le diabète leur donne une impor-.
tance de premier ordre. Appartiennent à l'ataxie loco-
motrice progressive le myosis bilatéral, le signe
d'Argyll Robertson. Fischer signale bien le myosis
chez deux de ses malades mais outre que cet auteur
les met sous la dépendance d'une intoxication taba-
gique, nous avons vu que dans ces cas il s'agissait
probablement d'association tabetico-diabétique.
Pour ce qui concerne les paralysies des muscles des
yeux d'origine- diabétique, Althaus dit : « Actuel-
lement on ne possède pas d'observations très con-
cluantes sur les paralysies des muscles oculaires,
quoique Kiwatkowski en ait rapporté un cas ; on a
relaté une paralysie du muscle droit externe dans des
conditions analogues'. » D'après de Wecker et Landolt,
ces paralysies seraient probablement due à des trou-
bles circulatoires et reconnaîtraient des lésions peu
profondes des noyaux bulbaires des nerfs moteurs de
l'oeil, car, ajoutent-ils, elles ont un caractère générale-
ment bénin et guérissent facilement même sans inter-
vention. M. Lecorché pense également que ces para-
lysies sont par essence mobiles et passagères.
Quant à l'amblyopie et à l'atrophie du nerf optique
dans le diabète, nous avons vu plus haut, à propos des
commentaires de l'observation III, ce qu'il fallait en
penser. Cette atrophie diffère, si toutefois elle existe (Pa-
rinaud),de l'atrophie nacrée du tabès. M. Galezowsky 2
' Althaus. Maladies de la moelle épinière. Traduction française de
J. Morin, 1885.
Galezowsky. Traité des maladies des yeux, 1875.
186 PATHOLOGIE NERVEUSE.
déclare que l'amblyopie diabétique grave est due
tantôt à des hémorrhagies, tantôt à une atrophie
simple, générale ou partielle du nerf optique ou de la
rétine, tantôt à une atrophie avec iridochoroïdite
(Liebreich). Sur ce même sujet, MM. de Wecker et
Landolt s'expriment ainsi : « Reste une troisième
catégorie d'amblyopies (en dehors de l'amblyopie sans
lésion et de l'amblyopie avec scotome), avec rétrécis-
sement plus ou moins considérable du champ visuel et
avec atrophie du nerf optique. Les auteurs signalent
à peu près tous une atrophie simple, sans trouble bien
manifeste de la papille. L'atrophie était assez avancée
dans quelques cas, au point que les artères rétiniennes
étaient filiformes. Dans les cas de cette espèce, on a
trouvé des troubles de l'achromatopsie en somme de
même nature que dans l'atrophie du nerf optique en
général. » Pour Althaus « le renseignement le plus
important est fourni dans ce cas par l'examen ophthal-
moscopique... Mais on n'oubliera pas qu'au début de
la maladie le disque optique n'offre pas la moindre
altération pathologique et que l'amblyopie du tabes
peut par conséquent être confondue à cette période
avec celle du diabète et de l'alcoolisme chronique. On
distingue néanmoins l'atrophie optique du tabes de
l'amblyopie de ces deux dernière maladies, en ce que
l'atrophie commence toujours dans un seul oeil, et dans
le cours ultérieur de la maladie, un oeil est toujours
plus affecté, excepté lorsque le malade est' devenu
complètement aveugle, tandis que dans le diabète et
l'alcoolisme chronique l'atrophie optique est toujours
bilatérale d'emblée ». Et Dreyfous en parle en ces'
termes : « Plus exceptionnellement on voit se déve-
ASSOCIATION DU TABÈS AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 187 I
lopper une atrophie progressive de la papille qui n'a
guère le temps de se compléter et de produire une
amaurose absolue, le malade succombant avant cette
terminaison (Lecorché, Testelin-Piéchaud) '. »
En résumé, les troubles oculaires du diabète n'offrent
qu'une analogie superficielle avec ceux du tabes.
Nous rappellerons pour la seconde fois que, dans le
diabète, ceux que l'on rencontre sont : la cataracte,
les paralysies de l'accommodation et celles des mus-
cles extrinsèques, les troubles hémorrhagiques du-
corps vitré, des rétinites, des hémorrbagies rétiniennes
et peut-être l'atrophie du nerf optique. Or l'oeil tabé-
tique se présente avec des lésions toutes différentes.
Le parallèle que nous venons de tracer peut donc
permettre de répondre à cette première question :
Etant donné un diabétique chez lequel surviennent
des accidents nerveux tabétiformes, déterminer si ces
accidents relèvent du vrai tabes ou du pseudo-tabes
diabétique. Mais le problème clinique se présente
en outre sous cette seconde face : Etant donné un
tabétique chez lequel survient de la glycosurie, déter-
miner si cette glycosurie dépend du tabes ou d'un
diabète vrai surajouté.
La solution repose ici et sur les caractères propres
de la glycosurie en elle-même et ensuite et surtout
sur les symptômes concomitants. Dans la glycosurie
tabétique le chiffre du sucre est en général peu élevé ;
les diverses observations publiées jusqu'ici parlent
toutes en ce sens. Dans le cas d'Oppenheim, la malade
' Dreyfous. PathQ[jénilJ et accidents nerveux du diabète sacré.
Th. agréa., 1883, p. 89. · '
188 PATHOLOGIE NERVEUSE.
rendait de 7 à 13 grammes de sucre par litre, soit de
21 à 39 grammes dans les vingt-quatre heures. Le
malade de Reumont dont la quantité d'urine était
normale rendait 6 à 10 grammes de glycose par litre.
Enfin, celui de Fischer, .non polyurique, éliminait
9 grammes de sucre par litre.
On voit par ces chiffres que la glycosurie d'origine
tabétique, expression du processus scléreux propagé
au bulbe, se comporte comme les différentes glyco-
suries symptomatiques, c'est-à-dire qu'elle est repré-
sentée par un taux assez faible comparativement au
chiffre généralement élevé de la glycosurie des diabé-
tiques. Celle-ci en effet est d'ordinaire abondante.
« Toutes les fois qu'un malade rendra dans les vingt-
quatre heures une quantité de sucre égale ou supé-
rieure à celle que le foie forme journellement à l'état
normal, soit 200 grammes approximativement, d'après
les recherches les plus récentes, on pourra affirmer
que ce malade est atteint de diabète vrai et non de
glycosurie symptomatique '. » Il est vrai d'ajouter que,
chez des diabétiques avérés, le sucre peut momentané-
ment faire défaut ou être représenté par un chiffre
très médiocre. Ce sont les « petits diabétiques ». Il
ne faudrait donc pas se baser sur ce taux peu élevé
pour affirmer l'existence d'une glycosurie tabétique.
Ce caractère n'a donc qu'une valeur relative. Il en est
de même de la constance de la glycosurie dans le
diabète vrai, de son inconstance dans le tabes. Ce
caractère n'a encore rien d'absolu.
La densité des urines tabétiques glycosuriques sem-
' Le Gendre. - Traité de médecine, t. I, p. 407. Paris, 1891.
. ASSOCIATION DU TABÈS AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. t 189
ble moins élevée que dans le diabète. Les chiffres
donnés par Oppenheim, Reumont, dans leurs obser-
vations sont 1.012, 1.015, 1.019, mais ceci n'a pas
grande valeur car, d'une manière générale, la densité
est en rapport direct de la quantité de glycose con-
tenue dans l'urine. Le chiffre de l'azoturie n'a pas plus
de valeur différentielle. Quand il y a azoturie on peut
affirmer la légitimité du diabète, mais son absence n'a
aucune signification pour ou contre, car, M. Bouchard,
sur 100 diabétiques, en a trouvé 46 éliminant une
quantité normale d'urée, 41 azoturiques et 13 anazo-
turiques. ;
De même, en général, la polyurie semble être l'apa-
nage du diabète et cependant le diabète chronique des
arthritiques ne s'accompagne très souvent que d'une
polyurie modérée (2, 3, 4 litres dans les vingt-quatre
heures). '
En somme, la valeur comparative de ce parallèle est
purement relative. Elle est encore amoindrie par ce
fait que les cas de glycosurie tabétique sont encore
trop peu nombreux pour qu'on puisse en déduire des-
règles générales. En vérité, les caractères différentiels
tirés de l'examen des urines n'ont qu'une valeur
limitée, surtout si on les considère isolément; pris en
groupe et réunis chez un même individu, ils permettent
des présomptions. Mais, c'est à la catégorie des phé-
nomènes concomitants qu'il faut s'adresser pour arri-
ver à la probabilité, sinon à la certitude clinique.
La glycosurie diabétique s'accompagne généralement
de polydipsie et de polyphagie, phénomènes qui sem-
blent faire défaut dans la glycosurie' des tabétiques.
Il faut pourtant ajouter que ces phénomènes dépendent
190 PATHOLOGIE NERVEUSE.
soit de la polyurie, soit de la déperdition énorme de
l'organisme en sucre, c'est-à-dire de la quantité de
sucre éliminée, quantité variable dans le diabète vrai,
ce qui enlève à ces phénomènes concomitants une
importance diagnostique. Ils ont pourtant, unis aux
caractères précédents, une certaine valeur. Ajoutez
aux divers symptômes du diabète constitutionnel, à ses
complications ordinaires : anthrax, furonculose, gin-
givite expulsive, etc...'; aux résultats d'un traitement
approprié, ils éclairent le diagnostic et entraînent la
conviction. Mais, en définitive, ces symptômes, ces
complications ordinaires peuvent faire défaut et force
est bien de s'appuyer sur d'autres phénomènes pour
séparer la glycosurie des diabétiques de celle des tabé-
tiques.
Le moment est venu de mettre en relief une série
de symptômes qui semblent propres à la glycosurie de
l'ataxie locomotrice progressive. C'est une série de
phénomènes bulbaires, et cela devait être, étant donné
le siège du niveau du plancher du quatrième ventri-
cule, de la lésion qui entraîne la glycosurie tabétique.
Les phénomènes bulbaires observés jusqu'ici sont :
1° L'anesthésie dans le domaine du trijumeau ; 2° la
fréquence du pouls ; ' .;
. Ce sont là deux symptômes qui semblent constants;
ils existent dans les trois observations de glycosurie
d'origine tabétiques connues de nous (Oppenheim,
Reumont, Fischer). Ils ont donc une importance de
premier ordre et ils doivent toujours être recherchés.
Dans le cas d'Oppenheim, le pouls battait de 100 à
120; dans celui de Reumont, à 100 et il était cons-
tamment accéléré dans l'observation de Fischer.
ASSOCIATION DU TABÈS AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 191 1
Viennent en second ordre les signes suivants :
3° Crises gastriques et laryngées; 4° Troubles dans
les fonctions des cordes vocales; o° Toux convulsive,
éternuement et accès de suffocation.-
Ces trois derniers symptômes concomitants ne sont
mentionnés que dans le cas d'Oppenheim.
La constatation chez un tabétique glycosurique de
ces symptômes plaidera donc pour l'origine tabétique;
leur absence pour l'existence d'un diabète vrai, c'est-
à-dire, dans l'espèce, pour une association tabético-
diabétique. Inutile de faire remarquer que ces divers
- symptômes faisaient défaut dans les observations iné-
dites que nous avons rapportées plus haut.
Nous voici en mesure de répondre aux diverses
exigences de la clinique et du problème qui doit être
posé et résolu de la manière suivante :
A. Etant donné un diabète sucré au cours duquel
surviennent des accidents nerveux tabétiformes, dire si
on se trouve en présence d'un vrai ou d'un faux tabès.
Si les accidents nerveux se bornent à des signes tels
que : pertes des reflxes rotuliens, douleurs fulgurantes,
troubles divers de la sensibilité objective... signes de
la première catégorie, le tabes vrai peut être soup-
çonné mais non démontré. On peut en effet songer
au faux tabes du diabète sucré. Le résultat du trai-
tement anti-diabétique sur ces symptômes nerveux
donnera certaines présomptions pour ou contre le
tabes, mais rien que des présomptions, car, il faut
savoir que le signe de Westphal relevant du diabète,
n'est pas toujours influencé parallèlement aux autres
signes spinaux. Si, par contre, l'amendement de ces
192 PATHOLOGIE NERVEUSE.
accidents est notable et général, il plaidera pour l'exis-
tence d'un faux tabès.
S'il survient au cours d'un diabète des signes de la
seconde catégorie : troubles oculaires, vésicaux, mo-
teurs... le diabète véritable coexiste incontestablement
avec l'affection la première en date. Dans ces cas
d'association, il ne s'agira plus que de départager
entre le diabète et le tabes les symptômes observés.
Aisé pour les signes de la seconde catégorie, ce par-
tage sera très délicat pour ceux de la première : signe
de Westphal, troubles de la sensibilité... L'influence
du traitement pourra fournir des renseignements inté-
ressants dans quelques cas, mais non dans tous.
B. Etant donné un tabes authentique, au cours
duquel l'examen des urines décèle la présence du
sucre, dire si cette glycosurie est symptomatique de
l'ataxie locomotrice ou du diabète vrai.
Si les caractères de cette glycosurie considérée en
elle-même, si les phénomènes qui forment le cortège
habituel des glycosuries symptomatiques coexistent
chez le malade : inconstance, petite quantité du sucre,
densité faible, absence de polyurie, de polyphagie, de
polydipsie, etc., les présomptions seront en faveur
de l'origine tabétique. Ces présomptions se change-
ront en quasi-certitude si on constate en même temps :
l'anesthésie dans la sphère du trijumeau, la fréquence
du pouls et des crises laryngées respiratoires.
Si, au contraire, ces symptômes, presque pathogno-
moniques - nous voulons parler des deux premiers
sont absents, de fortes probabilités s'ensuivent, par le
fait même, en faveur du diabète sucré. Et ces proba-
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 193
bilités deviendront certitude si vient à se montrer le
cortège classique du diabète constitutionnel.
Telle est, nous semble-t-il, la marche à suivre pour
arriver à la solution de ce double problème clinique.
Nous nous croyons, en conséquence, pleinement auto-,
risés, en attendant la confirmation d'une autopsie qui
serait péremptoire et irréfragable, à tirer de cette
étude les conclusions suivantes :
1° Il existe des cas d'associations du tabes vrai avec
le véritable diabète sucré ;
, 2° Cette association du tabes avec le diabète, chez
un même individu comme dans une même famille,
n'est pas une coïncidence fortuite; elle est la consé-
quence des liens étroits de parenté qui unissent les
deux grandes familles arthritique et névropathique en
général, le diabète et l'ataxie locomotrice progressive
en particulier ;
3° Pour établir le diagnostic de ces cas d'association
et les séparer du pseudo-tabes diabétique et de la gly-
cosurie tabétique avec lesquels on pourrait les con-
fondre, il faut procéder de la manière suivante :
a. Il s'agit d'un diabétique avéré avec signes
nerveux tabétiformes. Si le traitement antidiabétique
amende ces signes nerveux en même temps que les
symptômes habituels du diabète, on peut affirmer le
pseudo-tabes. Dans le cas contraire, on aura des pré-
somptions en faveur du vrai tabes. Et l'existence ou
l'apparition ultérieure de certains signes tabétiques :
incoordination spéciale, troubles vésicaux, oculaires,
transformeront ces présomptions en certitude. On sera
alors en présence d'un véritable tabes associé au dia-,
bète sucré.
Archives, t. XXIII. 1 13
194 PATHOLOGIE NERVEUSE.
b. Il s'agit d'un tabétique avéré dont les urines
oontiennent du sucre. Si cette glycosurie s'accompagne
d'anesthésie dans le domaine du trijumeau, de fré-
quence du pouls, de crises laryngées, respiratoires,
elle est sous la dépendance de l'ataxie locomotrice
progressive. Si, au contraire, ces signes concomitants
manquent, il y aura de fortes probabilités le nombre
restreint des cas de glycosurie tabétique empêche d'être
plus affirmatif en faveur de l'origine diabétique de
cette glycosurie, sans parler de l'existence à un moment
ou l'autre des symptômes classiques du diabète sucré.
On se trouvera alors en présence du diabète vrai asso-
cié au tabès.
APPENDICE
Notre travail était déjà sous presse lorsque M. le Dr Latil
(d'Aix) fit au Congrès de Marseille une intéressante communi-
cation sur une famille dont presque tous les membres étaient
atteints de maladie de Friedreich. L'un d'eux était diabé-
tique. M. Latil, avec une grande obligeance, dont nous le
remercions ici, voulut bien nous envoyer quelques notes con-
cernant cette famille et son tableau généalogique. On trou-
vera également plus loin un autre tableau qu'il nous envoya
dans la suite et qui n'est pas moins intéressant.
Observation DE la famille A... (Maladie de Friedreich.)
(Dr Latil, d'Aix.)
La famille A... offre un intéressant exemple d'ataxie héréditaire.
Huit de ses membres ont été atteints successivement en l'espace
de quatre générations.
Tous ceux que nous avons pu étudier réunissaient les symptômes
cardinaux décrits par Friedreich : caractère familial de l'affection,
incoordination motrice se manifestant dans les jambes et les bras,
d'abord sous forme d'incertitude, puis avec les caractères ataxi-
formes ; trouble de la parole; absence de douleurs fulgurantes, de
ASSOCIATION DU TABES AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 19J'
crises viscérales, de troubles de la sensibilité. Cependant quelques-
uns des symptômes de l'ataxie héréditaire font défaut chez nos z
malades : c'est le nystagmus et la déviation vertébrale, qui ont été
consignés chez cinq des 9 malades du mémoire de Friedreich. De
plus, contrairement à ce qui a été observé par cet auteur, le con-
trôle de la vue chez deux sujets de notre famille corrige nettement
l'incoordination motrice. Chez l'un d'eux, fait signalé par Mendel,
il existait dès le jeune âge du tremblement de l'écriture. Chez le
même, les réflexes rotuliens sont notablement exagérés.
Examinons maintenant comment s'est faite l'évolution de la
maladie dans la famille A.... L'aïeul, ataxique depuis plus de
vingt ans, est mort à un âge avancé..
La deuxième génération se compose de trois filles et d'un fils.
Parmi ces quatre membres, trois sont ataxiques et le troisième, la
seconde fille, est diabétique.
Actuellement âgée de soixante-deux ans, en 18S4, elle consulta
son médecin pour un prurit vulvaire, c'est ce qui mit sur la trace
du diabète; elle avait alors 40 grammes de sucre par litre; elle a
suivi depuis cette époque le régime classique plus ou moins atté-
nué, et des traitements alcalins ou arsenicaux divers; le sucre
varie de 4 à 10 grammes par litre, mais n'a jamais entièrement
disparu; elle a un assez fort embonpoint et ne présente aucun
autre trouble de santé générale. Sa descendance est particulière-
ment intéressante à étudier. Sa fille ainée, névropathe simple, boit,
aucun phénomène morbide, a une fille unique de dix-neuf ans,
hystérique et astasique-abatique depuis un an (diagnostic porté par
le Dr Grasset). La seconde fille, actuellement bien portante, a eu
à l'àge de dix-sept ans, une chorée grave de longue durée avec
troubles intellectuels.
La troisième génération compte 17 personnes, dont quatre seu-
lement ataxiques, mais parmi elles figurent les trois fils de la
branche ainée. Nous y relevons encore une choréique dont nous
venons de parler.
La quatrième génération se compose de douze enfants dont les
âges varies de vingt à cinq ans, chez aucun.d'eux on ne peut devi-
ner encore l'ataxie : un seul a les doigts en massue et une fille
de dix-neuf ans est hystérique avec astasie-abasie; nous l'avons
citée.
Nous n'avons pu trouver dans la famille A... les traces d'au-
cune diathèse : syphilis, arthritisme, etc., pouvan-t jouer un rôle
étiologique. La goutte et la tuberculose y ont été introduites par
des croisements étrangers et ne peuvent entrer en ligne de compte.
. Toute l'histoire de cetle famille 'se trouve consignée dans le
tableau suivant.
0)
'1 : 1
19
M
o
t-<
0
s
w
z
t4
M.
CI
cn
M
ASSOCIATION DU TABÈS AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 197
Dans la suite nous avons pu encore, grâce à l'obligeance
extrême de notre maître, M. le professeur Charcot, qui s'est
livré à des recherches de ce genre systématiquement chez
presque tous les malades de sa consultation, recueillir un cer-
tain nombre de tableaux généalogiques. Ils peuvent, comme
les précédents, se grouper sous deux chefs : d'une part ceux
qui montrent la parenté, au point de vue héréditaire, du
diabète et des maladies du système nerveux ; d'autre part ceux
qui ont trait principalement à celle du tabes et du diabète.
198 PATHOLOGIE NERVEUSE.
ASSOCIATION DU TABÈS -AVEC LE DIABÈTE SUCRÉ. 199
200 PATHOLOGIE NERVEUSE. TABÈS ET DIABÈTE.
Si tout ce que nous avons déjà dit n'est pas-assez, peut être
cette longue accumulation de généalogies suffira-t-elle par
elle-même à entraîner la conviction.. ,
RECUEIL DE FAITS
SUR LES HALLUCINATIONS, ET EN PARTICULIER LES HALLU-
CINATIONS VERBALES PSYCHO-MOTRICES, DANS LA MÉLAN-
COLIE ;
Par J. SÉGLAS, médecin suppléant de la Salpétrière,
. et PAUL LONGE, interne des hôpitaux.
Dans son remarquable mémoire sur les hallucinations,
Baillarger a nettement distingué des hallucinations qu'il
appelle psycho-sensorielles une variété d'hallucinations dites
par lui psychiques. L'un de nous, dans un précédent travail',
s'est attaché il étudier le mécanisme de cette dernière variété é
d'hallucinations qui seraient en fait des hallucinations verbales
psycho-motrices. En deux mots, nous rappellerons ce qu'on
doit entendre par hallucination psycho-motrice. Se fondant
« sur la théorie qui fait de l'hallucination en général un
trouble fonctionnel des centres corticaux 2 », il est aisé de se
rendre compte que chacun des centres de la fonction du
langage pouvait être le siège de ce trouble fonctionnel, de cet
état d'éréthisme qui provoque l'hallucination. Suivant le
centre excité il y a hallucination verbale visuelle, verbale au-
ditive, verbale motrice et même verbale graphique. L'excita-
tion des centres moteurs du langage produira, suivant le degré
d'excitation : l'impulsion verbale, l'hallucination verbale mo-
trice simple ou enfin à l'état plus faible, la représentation
mentale motrice. Cette manière de voir est acceptée aujour-
d'hui par un certain nombre d'aliénistes (Uann, Cullerre, Tam-
burini, P.Janet, Soury, Ballet).
Ces hallucinations verbales psycho-motrices sont connues
chez les persécutés chez lesquels elles s'ajoutent aux halluci-
nations verbales auditives 3. Nous croyons qu'à ses degrés
' J. Séglas; in Progrès médical, 1888, et Archives de Neu-ologie, 1891.
1 J. Séôlas et P. Bezançon. Annales nrédico-psyclaodogiques, 1889,
note de la page 29. ,
3 Ballet. - Sem. médicale, 1891.
202 RECUEIL DE FAITS.
divers, elles sont fréquentes aussi chez les mélancoliques, et
si on y a peu insisté jusqu'ici, c'est peut-être parce qu'elles
restent souvent chez eux à l'état faible. Mais chez ces malades,
quelle que soit leur intensité, elles semblent avoir beaucoup
plus d'importance que les autres hallucinations et contraire-
ment à ce qui se passe dans le délire des persécutions hal-
lucinatoires à marche progressive, elles précèdent ici l'hallu-
cination auditive qui n'est que secondaire quand elle existe,
que « confirmative du délire ». Nous laissons de côté et à des-
sein la mélancolie avec stupeur dans laquelle les hallucina-
tions visuelles et auditives sont souvent, au contraire, prédo-
minantes. En effet, les cas de stupeur hallucinatoire nous
paraissent devoir être mis à part, ainsi qu'on tend d'ailleurs à
le faire aujourd'hui de plus en plus. : z
Voici tout d'abord une observation de délire mélancolique
déjà publiée par l'un de nous'. Non seulement l'hallucination
verbale psychomotrice y est signalée, mais la malade elle-
même décrit très nettement ce qu'elle ressent.
111 ? P..., née Ch..., trente-huit ans est entrée à la Salpêtrière,
le 22 décembre 1887. 1
Père buvait à l'occasion; mère un peu nerveuse. Développement
tardif, niveau mental faible. 11 y dix ansaccès de mélancolie, ayant
duré deux ans.- L'accès actuel a débuté au cours d'un allaitement
durant déjà depuis dix mois. Son enfant eut alors des convulsions
qui l'effrayèrent beaucoup. Au début, période de tristesse, d'apa-
thie, perte de sommeil; puis au bout de quelques jours, hallucina-
tions de l'ouïe, de la vue, troubles de la sensibilité générale, délire
mélancolique, interprétations délirantes. Elle croit avoir fait le
malheur de sa famille, elle se reproche des fautes imaginaires;
les gestes qu'elle voit faire signifient qu'elle paiera pour tout le
monde. Idées de suicide parce que la religion a dit : si ton pied
est cause de quelque chose de mauvais, il faut l'éloigner. Or elle
. qui cause le malheur de l'humanité doit être- supprimée. Plus tard
la malade a présenté des hallucinations dites psychiques, qu'elle
distingue parfaitement des autres, parce qu'elle ne les entend pas
par l'oreille; « mais ce sont, dit-elle, des mouvements qui se font
en moi qui me disent tout cela. » Quand les voix intérieures par-
lent, on la voit remuer les lèvres et prononcer des mots indis-
tincts qu'elle répète ensuite tout haut. Depuis qu'elle éprouve
ces phénomènes, « elle est obligée de parler sa pensée et de
causer seule tout le temps; auparavant elle pensait sans parler. D r
i i t .
' J. Séglas et P. Bezançon, toc. cil. \
DES HALLUCINATIONS VERBALES PSYCHO-MOTRICES. 203
.
. Un jour, elle a senti quelque chose lui entrer par les sens, comme
un air dans la bouche : c'est son enfant (qu'elle croit mort) qui
s'est emparé d'elle : pendant quelque temps son âme était entrée
dans la sienne et lui parlait intérieurement. Elle a toujours une
voix intérieure qui rappelle des faits passés pour elle ou d'autres
personnes et une autre qui la gronde : c'est celle du bien qu'elle
n'a pas fait. c D'ailleurs, ajoute-t-elle, il y a toujours en moi deux
' idées qui se contredisent. » Une voix intérieure lui dit de me dire :
« Vous avez aimé une femme qui est le diable ; » une autre lui dit
qu'elle a mal fait de le dire c Je suis Jésus en vous, » lui dit
une voix au coeur, et un autre répond à la même place : « Tu es
ironique. » ' '
Voilà donc une mélancolique qui nous offre réunis diffé-
rents degrés de l'hallucination verbale motrice. «Elle est
obligée de parler sa pensée, » ou bien elle remue simple-
ment les lèvres ou bien elle sent une voix au coeur. La
coexistence chez le même individu de ces différentes manifes-
tations des voix intérieures est une preuve qu'elles ont le
même point de départ, et si l'expression de la malade varie, si
elle localise différemment ses voix, si elle établit entre elles
des nuances il y a une chose qui ne varie pas, c'est le point de
départ intérieur de- ces voix. Il faudrait avoir à faire à un
malade bien intelligent et particulièrement conscient pour
préciser les particularités qui peuvent indiquer la nature
psycho-motrice de ces hallucinations.
Cela n'est pas rare cependant et il en est, comme le témoi-
gnent nos observations antérieures, qui rapportent leurs voix
intérieures aux mouvements d'articulation de la langue, d'une
façon précise. Par contre, il peut ne pas y avoir de localisation ;
c'est la simple conversation mentale; c'est ce que les malades
appellent la voix de la conscience, la pensée intérieure. On
conçoit que les malades expriment différemment leurs sensa-
tions suivant leur éducation, leur intelligence, leurs croyances
aussi bien que suivant l'intensité du phénomène hallucina-
toire.
Nous suivrons le développement de l'hallucination psycho-
motrice successivement chez les mélancoliques avec cons-
cience, chez les mélancoliques déprimés et chez les mélanco-
liques anxieux, suivant la division de notre maître, M. Falret.
Nous verrons ainsi en quelque sorte comment se constitue la
voix intérieure chez des malades et nous chercherons à mon-
204 RECUEIL DE FAITS. '
trer comment, chez les anxieux surtout, elle devient si indé-
pendante et si inconsciente pour le sujet, qu'elle peut facile-
ment passer à un examen superficiel pour une véritable voix
' -extérieure. -
Observation Il 1f ? 13..., âgée de cinquante-neuf ans, se pré-
sente à la consultation externe de la Salpêtrière le 10 novembre
1891.
Elle a des idées noires. Il y a deux ans, son mari s'aperçut déjà
de quelque chose. Elle s'ennuyait, ne se plaisait plus chez elle. Elle
avait eu son retour d'âge à cinquante-quatre ans. Elle sortait pour
trouver de la société; mais elle se fatiguait très vite. Elle se plai-
gnait, n'était pas dans son état normal. Elle avait un mouvement
dans les yeux. Elle se sentait faible sur ses jambes.
Ils achètent une maison il y a quinze mois. Ce fut un mauvais
marché, ils y perdirent de l'argent. Et puis elle s'aperçut que le
voisinage ne lui plaisait plus. De là des inquiétudes, des angoisses
même. Elle y p ensait la nuit et « ruminait » cela le matin. On faisait
-des remarques sur sa maison. Elle-même lui trouvait de nouveaux
inconvénients tous les jours. Elle, qui avait l'habitude de voir beau-
coup de connaissances tous les jours, ne voyait plus personne là où
elle se trouvait maintenant. Un jour, visitant une amie, elle vit le
papier de la chambre autrement qu'il était.
A l'église elle trouvait le temps long, s'impatientait. Se sentant
absorbée elle ne pouvait rester en place. Elle se sentait obligée
d'aller voir un voisin malade; elle cherchait un prétexte pour y
-aller.
Alors elle pensait à ses enfants. « Quel mal vqis-je leur faire, se
disait-elle; il n'y a pas deux malades comme moi sur la terre; les
-autres guérissent et moi non. Elle ne voulait plus qu'ils s'occu-
passent d'elle.
Elle éprouva en outre, il y a neuf mois, une contrariété brusque
.et depuis ce moment son état a empiré.
Elle a été prise de crises qui survenaient vers deux heures du
matin. Elle avait une sensation de boule à l'estomac, une douleur
vive au vertex et des battements dans les tempes. Puis elle s'agi-
tait et se raidissait. Ces crises ont duré six semaines à deux mois.
. Elles étaient quotidiennes. Nous n'avons pas d'ailleurs trouvé chez
elle autre chose qui puisse confirmer l'hystérie.
Elle a maigri de trente-cinq livres quoique ayant bon appétit.
L'estomac était bon, mais depuis quelques jours, elle a des renvois
le matin. -
Actuellement elle n'a plus de volonté, plus de goût au travail.
Elle se préoccupe toujours de la peine qu'elle fait à ses enfants en
ne pouvant pas surmonter son mal. Il y a trois semaines, elle se
DES HALLUCINATIONS VERBALES PSYCHO-MOTRICES. 205
frappait l'estomac tant elle s'en voulait à elle-même. « Je ne suis
pas digne de voir le jour ; je suis une mauvaise mère, dit-elle.
Mes enfants ont des attentions pour moi, mais je n'en suis pas
digne. » -
Conversation mentale. - Le matin, quand elle se réveille, elle est
assaillie d'idées. Elle se répète qu'elle aurait dû réfléchir avant
d'acheter sa maison ? qu'elle a été bête. Elle ne peut penser à
'autre chose. A propos de n'importe quoi elle se dit souvent : j'au-
rais mieux fait d'agir autrement, je ferais mieux de changer
d'idée. Il lui arrive de parler toute seule; elle se sent alors réelle-
ment forcée de parler. « Si je reste comme ça, je ne pourrai plus
servir à rien; on sera obligé de me mettre dans une maison. » Si
elle n'avait pas de religion, elle se donnerait la mort. Elle ne
trouve pas à redire à ceux qui le font. Elle souhaite seulement
qu'une bonne congestion vienne la prendre. Pas d'impulsions au
suicide.
Pas d'hallucinations de la vue ni de l'ouïe. Rien au coeur;
artères souples.
Antécédents personnels. - Réglée à quinze ans, elle n'a jamais
été malade. Elle fut facile à élever, elle apprenait bien. '
Etant jeune, elle était très scrupuleuse, avait toujours peur de
mal faire. Après s'être confessée, elle avait peur de n'avoir pas tout
dit. Pourtant elle était gaie et avait du caractère.
Antécédents héréditaires. Son père est mort du choléra à
soixante-seize ans. Sa mère qui a quatre-vingts ans est encore d'un
bon conseil. '
Une soeur morte d'apoplexie à soixante-dix ans. Un frère mort
d'une maladie cérébrale; cela lui était venu quatre ans après un
incendie.
Cette malade est un type de mélancolie avec conscience.
Son caractère l'y prédisposait peut-être un peu. Elle se por-
tait médiocrement lorsque survient une contrariété. Elle s'y
attache, la rumine, devient aboulique, se voit incapable,
indigne et est prise de craintes pour l'avenir, et son état d'in-
décision est tel qu'elle désire la mort sans penser à se la
donner. Elle présente de la conversation mentale très nette et
la preuve que chez elle cette conversation mentale se fait sur-
tout à l'aide de représentations mentales motrices c'est qu'elle
arrive ainsi à se parler à elle-même à haute voix.
Observation Il. - La nommée Marie Fuzer... est entrée à la
Salpêtrière le 5 décembre 1889 (service de M. Falret). Le certificat
206 RECUEIL DE FAITS.
portait le diagnostic de dégénérescence mentale, dépression mélan-
colique. Elle est décédée dans le service le 14 février 1890. '
Cette malade se fait remarquer par une phraséologie préten-
tieuse. Elle aspire à l'idéal. Elle a, dit-elle, une maladie de l'âme.
-(Elle distingue l'âme et le coeur). Son chagrin lui vient de ce qu'elle
n'a pu élever ses enfants comme elle aurait voulu. Et puis son
mari voulait toujours l'enc... Elle avait une passion pour la méca-
nique et a fait de son fils un mécanicien.
Elle est tombée dans la dépression mélancolique et dans une
inertie progressive, par paralysie delà volonté, dit-elle.
Voix intérieure. Une voix de sa conscience lui disait : « Tra-
vaille et prie. » Elle ne fut articulée qu'une fois.
Pas de mauvais génie. Pas d'idées délirantes.
Idées de suicides particulières, Elle voulait donner dix francs à
un mauvais sujet pour qu'il la jette à l'eau. Elle voulait aussi que
ses enfants mourussent avec elle, parce que leur avenir ne lui
semblait pas être ce qu'il aurait dû être.
Antécédents. Mère aliénée.
Cette mélancolique avait donc une voix de la conscience
qui pouvait être articulée, ce qui prouve que c'est bien le
centre moteur d'articulation qui était excité. La façon dont
elle voulait se suicider en se faisant tuer est bien digne d'une
malade qui se disait elle-même paralysée de la volonté.
Observation III. - Mélanie Bac..., veuve Paq..., âgée de cin-
quante-cinq ans, fleuriste, est entrée dans le service de M. Falret,
le 23 août 1890.
Début. La maladie semble avoir débuté il y a deux mois.
Mélanie B... s'est affaiblie à la suite des grandes fatigues que lui
causa son travail et peut-être d'une contrariété qu'elle éprouva à
l'atelier. Au lieu de rester à l'atelier, elle revint travailler chez
elle, et à partir de ce moment, elle se porta plus mal. Déjà depuis
an an, elle n'allait pas très bien. Elle avait éprouvé une déception
à l'occasion de l'héritage d'une cousine qui ne lui a laissé qu'une
rente de 600 francs.
Il y a cinq ans, à la suite d'une période de surmenage, elle parait
avoir eu une première atteinte avec état neurasthénique, idées
noires, préoccupations pour son travail. C'est sans doute ce que sa
famille appelle une crise nerveuse, car elle n'a jamais eu d'attaques
de nerfs. C'est après cette crise que sa faiblesse de caractère s'est
surtout accentuée. Elle était devenue comme une enfant. Ces
mêmes préoccupations l'ont repris peu à peu depuis un an. Elle se
tourmente parce que sa patronne est emportée. Ces deux derniers
DES HALLUCINATIONS VERBALES PSYCHO-MOTRICES. 207
mois elle a vieilli beaucoup, s'est amaigrie, a perdu le sommeil et
l'énergie. Elle était au contraire travailleuse, active, tout en étant
triste. Elle avait mal dans le dos et voulait rester couchée. Il fallait
la faire manger comme un enfant.
Depuis un mois environ, elle a des interprétations délirantes.
Mais elle était déjà malade quand elle a commencé à se faire des
idées. Elle se forçait à manger; elle sentait ses jambes molles
comme des chiffes le matin. Puis elle s'est préoccupée de son fils,
craignant qu'il ne marche pas droit. Enfin, elle a peur, la nuit
surtout. Cette peur lui est venue insensiblement. Elle avait surtout
peur du feu, et cependant elle passait des nuits sans dormir, la
bougie allumée. Elle était comme électrisée. Elle disait à une
petite voisine : Sauve-toi, sauve-toi, je vais te faire du mal. »
c La peur, dit-elle, est venue après la faiblesse, et les mauvaises
pensées après la peur. » En même temps que la peur, elle éprou-
vait déjà des impressions contraires (humeur négative de Grie-
singer). Elle souffrait de voir des lumières, de voir parler un
enfant; tout lui faisait mal, etc.
Il y a quinze jours, elle est venue habiter chez son fils, le plus
jeune, qui est horloger. Elle a vu la situation plus difficile qu'elle
ne croyait. Elle craint de le voir passer pour voleur. Tout lui
déplaît. C'est une sensation de vide qu'elle a dans le gosier qui lui
donne ces mauvaises pensées. Zigzags de feu dans l'estomac. « Mon
Dieu, dit-elle, vaudrait mieux que je meure que de supporter
cela. »
Enfin elle a eu l'idée de se tuer et de se jeter à l'eau. Elle s'est
échappée un soir de chez son fils, mais elle n'a pas eu le courage
de se suicider.
Etat actuel. - Elle aurait désiré mourir.
c Tout le monde me regarde, dit-elle, je fais frayeur à tout le
monde, tellement la terreur est en moi. J'ai peur de penser des
choses qui ne sont pas bien. »
Elle a conscience de son état et ne peut plus pleurer.
Pas d'hallucinations de la vue ni de l'ouïe.
Examen physique. Pas de troubles vaso-moteurs. Dédouble-
ment du deuxième bruit à la base. Un certain degré d'athérome.
Peau froide, sèche, flasque. Etouffements quand elle réfléchit à ses
idées tristes. Champ visuel normal. Fosse iliaque droite très légè-
rement sensible. Lobule de l'oreille adhérent. Voûte palatine ogi-
vale.
Antécédents personnels. Elle n'a pas eu dans sa jeunesse
d'autre maladie qu'une fièvre typhoïde à l'âge de dix-sept ans.
Mais elle se rappelle qu'en pension, où elle fût mise à l'âge de
trois ans, quand on chuchotait près d'elle, elle pensait qu'il y avait
un mystère dans sa famille. Elle voit aujourd'hui qu'elle avait une
208 RECUEIL DE FAITS.
destinée. Elle avait un caractère difficile. On l'enviait aulrefois,
maintenant on a pitié d'elle. j
Réglée à quinze ans. Elle ne voit plus depuis dix-huit mois envi-
ron. Mariée à dix-sept ans et demie.
Elle avait, dit-elle, une santé de fer. Cependant, elle avait des
migraines qui ont disparu depuis longtemps. Elle passait pour
intelligente, mais était peu sympathique. Quand on jouait en
famille, elle aimait mieux prendre sa tapisserie. Elle ne causait
pas beaucoup devant le monde ou bien elle disait tout d'un coup
quelque chose que l'on n'attendait pas. Elle élait un peu préten-
tieuse. Plus tard, elle se laissait traiter comme une enfant, no
connaissant que son métier et ne pouvant s'occuper d'affaires.
Antécédents héréditaires. Son père est mort à trente-cinq ans
d'un refroidissement. Sa mère n'était pas nerveuse. Elle est morte à
quatre-vingt-trois ans à la Salpêtrière. Elle ne l'aimait pas, dit-elle.
Elle avait été surveillante à la Maternité.
Sa grand'mère était surveillante à la Salpêtrière.
Elle a perdu un frère à trente ans de la poitrine et une soeur qui
avait huit ans (elle avait la jaunisse).
Famille personnelle. Son mari est mort à trente-cinq ans de
phtisie pulmonaire. Elle a perdu deux filles l'une à huit mois,
l'autre à deux mois. Il lui reste deux frères dont l'aîné est nerveux
et ressemble à sa mère, avec laquelle il avait de la peine à s'en-
tendre. Aussi aimait-elle davantage le plus jeune qui ressemblait
à son mari. '
1890. 25 août. Elle revient sur son fils. « On ne fera pas impri-
mer les choses que j'ai dites; on punirait mon fils. c Les per-
sonnes qui sont dans la cour sont affolées de voir une physionomie
comme la mienne. »
« Hier j'ai pensé, à propos de ma tristesse, que mon fils m'avait
vendu une montre d'occasion. Je l'ai jugé et je lui ai dit : c Pour
que cela soit régulier, il faut que tu me donnes un reçu. - Cela
« va sans dire, répondit-il. » Et cependant il ne me l'a pas donné.
Vous voyez bien que j'ai lieu de m'inquiéter à son sujet. 11 n'est
pas honnête, » .
27. Voici comment elle expose ses idées de culpabilité, d'hu-
milité ; et comment elle manifeste le phénomène de la conversa-
tion mentale.
« Aujourd'hui, j'ai encore la tête plus lourde. Mon fils est un
vaurien, la pire des choses quand on vend des choses comme celles
qu'il vend (il est horloger). Je crains qu'il n'emprunte et ne couvre
pas ses emprunts. » Mais elle avoue qu'en somme elle n'en sait rien. : Du moment que je lui ai pris celte montre, s'il n'a pas rempli
ses engagements, ni lui ni moi ne méritons de considération. »
Elle se sent changée intérieurement et extérieurement. « je ne
DES HALLUCINATIONS VERBALES PSYCHO-MOTRICES. 209
suis plus rien, je suis écrasée. Je ne vous regarde pas en face,
parce qu'en effet je n'en suis pas digne. Ne vous approchez pas,
mon haleine sent mauvais. Si vous saviez comme dans cette mala-
die on ressent tout péniblement. 1 . '
«Quand je suis couchée, j'ai mal partout; c'est comme une
pesanteur. J'ai dans la gorge comme une respiration aiguë, et c'est z
elle qui me donne des idées mélangées. Le mélange des idées con-
siste à avoir toute espèce de contrariétés et à combattre les ennuis. »
En s'en allant elle se cache la figure pour traverser la cour. Ne
voyant personne, elle dit qu'on a éloigné tout le monde à cause
d'elle. ·
28. Elle a eu de la diarrhée hier et se sent abasourdie. Elle
explique sa diarrhée en disant qu'on a peut-être mis quelque chose
dans ses aliments. Ainsi craintes vagues -d'empoisonnement. Elle
n'a pas d'hallucinations du goût.
- « Il y a du pour et du contre dans tout. Je suis résignée. On fera
de moi ce qu'on voudra. Je suis comme une bûche, je suis un âne,
Je suis le ridicule, je suis une saleté. Je suis une incapable, une
paresseuse. Je suis une bête de somme, je suis rien du tout. On ne
me le dit pas, je le comprends. Je ne suis pas au niveau des
autres; je suis au-dessous des autres. Je devrais être seule et me
traiter comme une bêle. J'aimerais mieux être enfermée que d'être
avec tout le monde. Maintenant, je ne ressens rien, tout me laisse
indifférente. Qu'on fasse c'e qu'on voudra de moi.. Faut croire que
je suis un être inutile.
« Je ne me reproche rien. J'ai été dès mon enfance préparée
comme cela. Je ne sais rien, l'histoire de la montre était une ima-
gination. Je me suis mariée à faux. C'étaient de faux papiers. Mais
on ne voulait pas me faire de mal, j'ai été très heureuse. Je crois
que ma mère n'était pas ma mère. Mon nom n'est pas mon nom.
Je suis comme un monstre physique et moral. Je suis changée du
tout au tout. Mon mari ne devait pas s'appeler P... Je trouve
tout drôle. Je ne sais pas d'où je sors, d'où je pars. Quand je tou-
chais ma rente, je ne sais pas si c'était vrai; ça doit être faux; ça
devait être préparé par tout le monde. C'est peut-être joué contre
moi. Ma mère n'est peut-être pas morte. J'y ai été franchement
parce que je suis un âne.. ,
Conversation mentale. J'étais un sujet préparé contre les idées.
Une voix dit pour, l'autre contre. Je ne les entends pas, je les -coin-
prends. Je cause en moi-méme sans parler cependant. Il m'a fallu
arriver jusqu'à aujourd'hui pour cela. C'est comme des voix inté-
rieures. » (Elle n'a pas remarqué l'articulation mentale.)
Elle n'a pas d'écho de la pensée non plus. c On devrait me
découper; je sais que je serai coupée en- morceaux; d'ailleurs, je
ne sais et je n'ai pas peur. On suit ma pensée, on peut suivre ma
lecture. Je le vois par les réflexions qu'on fait.... ' 1
Archives, t. XXIII. 14
210 RECUEIL DE FAITS.
« Si je fais un rêve agréable, on fait du bruit exprès pour que je
ne repose pas. Les autres ne doivent pas entrer dans ces bruits.
Autrefois, j'avais des cauchemars la nuit. » Mais elle n'a pas de
visions. Elle sembleavoir de la tendance aux idées de négations.
« Je croyais vivre comme tout le monde, mais il faut croire que
ce n'était pas cela. J'ai donc été mal élevée. Je n'étais pas moi-
même, il fallait que je sois guidée. C'est la faute de ma mère.
Alors elle ne m'aimait pas, elle n'était pas ma mère, je ne sais
plus. Mes parents ne sont plus mes parents. Tout mon corps me
semble étrange. J'ai une sensation de vide dans le côté. Tout a été
faux dans ma vie. Rien n'était vrai. Je ne sais pas mon âge, je ne
sais rien. »
Elle est frappée aujourd'hui de bizarreries de noms qui ne la
frappaient pas autrefois.
c Ainsi, dit-elle : ,
Eau bourriquée : c'est pour une bourrique; et ces noms de ma-
lades ou de personnes que je connaissais : Soulier, Desoye, Mantelet,
ça n'est pas des noms ; Grenat, Cramoisi, ça n'est pas des noms,
c'est des couleurs. * z
1891. 9 novembre. Toute son histoire est écrite. Elle voit au-
jourd'hui qu'elle avait une destinée. Elle est indifférente à tout
maintenant contrairement à ce qu'elle était autrefois très heu-
reuse. Tout ce qui s'est passé a été même pour ça. Tout est men-
songe, archi-mensonge. Elle croit que tout est faux. Elle ne parle
que de ce qu'elle sait faussement. Ainsi autrefois elle était bien
accueillie partout, mais faussement. Aujourd'hui elle voit que tout
le passé était faux. Car elle n'est pas traitée comme les autres. Elle
n'a pas d'affection autour d'elle. On devrait faire d'elle une victime.
Elle est tellement âne qu'elle n'ose plus ouvrir la bouche pour
parler.
On devine sa pensée et elle ne devine pas la pensée des autres.
Quand elle réfléchit, les personnes qui sont autour d'elle lui font voir
qu'elles devinent sa pensée par les actes qu'elles font. Il y a eu des
moments où elle prenait tout pour elle, mais maintenant elle les
laisse dire. Elle a entendu murmurer que sa mère l'avait eue avant
son mariage, mais elle n'en sait rien. Elle suppose que ses deux
filles ne sont pas mortes; cependant elle les a crues mortes autre-
fois. Elle semble aussi depuis avoir reconnu sa soeur morte à huit
ans. Nille Dupont (l'ancienne surveillante) est morte dans ses fonc-
tions, mais elle n'est pas morte. Ses fils sont mariés, elle ne sait
pas comment. Les malades du service ne sont pas malddes. Une
chose qui la frappe, c est que les gens ont plusieurs rôles, ainsi
M"°Dupont. Elle est aussi : Bourdon, Toursechoppe (une tante ma-
ternelle), Uelleville... '
Elle est persuadée que les internes sont là pour la brûler.
Ce qui l'a beaucoup tourmentée, c'est l'incertitude de l'existence.
DES HALLUCINATIONS VERBALES PSYCHO-MOTRICES. 211
Elle disait cet hiver à sa bru qu'elle la voyait dans la maison,
ou du moins qu'elle la voyait passer. Elle a dit aussi avoir vu le
père de sa bru, et avoir entendu son amie Amélie. Mais elle avoue
que c'était peut-être des personnes qui leur ressemblaient. « Je me
fais souvent une idée qui s'abat tout de suite, c'est plutôt dans
mes réflexions à moi toute seule. » Elle n'a jamais eu de voix
extérieures. C'est tout ce qu'on peut noter comme interprétation
délirante ressemblant à une hallucination de la vue ou de l'ouïe.
- Elle voit quelquefois double à la lumière. Cela tient sans doute à
la divergence variable de son regard. Quand on lui fait fixer quel-
que chose ses yeux ne divergent pas, ils peuvent même converger
dans une certaine mesure. Mais quand la fixation est difficile par
exemple, quand on porte l'objet très en haut ou très en bas, ou
bien quand elle regarde devant elle sans fixer son attention, on voit
l'oeil droit entraîné en dehors. L'acuité visuelle de cet oeil droit est
moindre que celle de l'oeil gauche. Ces troubles de la vision parais-
sent remonter à l'enfance. Ses amis l'ont toujours connu ainsi.
20. - « On a sans doute besoin de moi, je dois servir à la société
pour un procès. Je suis bonne à tuer. Vous devez savoir. Tout le
monde connaît mes pensées et je ne connais pas celles des
autres. » Quand on l'interroge, elle ne finit presque jamais sa
pensée.
En somme, pour résumer cette longue observation qui à nos
yeux représente un type de mélancolie, Mél. Paq. semble avoir
dès l'enfance donné des preuves d'un état mental spécial.
Du côté affectif, elle trouvait le monde bizarre, elle avait de
la tendance à critiquer ses semblables et à s'isoler d'eux.
Elle avait besoin d'affection et la repoussait : Du côté intellec-
tuel, elle était travailleuse mais bornée, elle manquait de
souplesse. Enfin, elle a toujours montré une volonté au-
dessous de son âge. Cependant mariée, elle fut heureuse jus-
qu'au jour où elle perdit son mari et la mère de celui-ci qui
l'aimaient beaucoup tous deux. A partir de ce moment, sauf
une amie, elle retomba dans son isolement. Elle travaillait
beaucoup et c'est dans un état de dépression physique mar-
quée qu'elle commença à perdre l'esprit. Elle se nourrissait
mal. Elle devint complètement aboulique et indifférente d'où
ses idées de désespoir, d'humilité et de culpabilité. Elle se
fixe dans un scepticisme vague doutant de ses sentiments et
de ses idées noires, de ses actes même, incapable de. faire de
nouvelles synthèses mentales à l'aide de ses nouvelles im-.
pressions.
Au point de vue qui nous occupe, mes. Paq... présente à un
'1 RECUEIL DE FAITS.
très haut degré le phénomène de la conversation mentale à
l'aide des images motrices, puisque la malade « cause en elle-
même » comme si elle parlait « mais sans parler réellement ».
Chez elle il y a une dissociation nette de la personnalité du
dédoublement. Il s'agite' dans son esprit un a mélange »
d'idées contradictoires qui l'empêche de conclure à quoi que .
ce soit. Cette incertitude même rend impossible la produc-
tion d'hallucinations. Il ' ne se produit pas en elle d'ima-
.ges assez vives ni assez durables pour qu'elles puissent être
projetées au dehors. Au contraire, elle semble rapporter ses i
impressions extérieures à ce qui se passe en elle puisqu'il
lui parait qu'on lit dans sa pensée comme si tout ce qu'elle ,
voit, tout ce qu'elle entend était la conséquence de ses
réflexions. Pourtant nous avons vu que ses illusions et ses ;
interprétations délirantes auraient pu être prises aussi pour
des hallucinations. `
Observation IV. La nommée Marie-Anne Tauq..., vingt-neuf
ans, entra à la Salpêtrière le 7 novembre 1888, service de M. Falret, .i
dans un état de dépression mélancolique très accentué avec idées'
bypochondriaques spéciales. : Le début de la maladie actuelle remonte à deux ans et demi.j i
Elle sentait comme une poupée en caoutchouc, monter et des-¡,¡
cendre en elle. Elle a été vingt-sept ans sans savoir qu'elle était
double. Elle avait bien déjà la « France en elle, mais sans le ,
savoir. Elles furent enchaînées toutes deux, dit-elle, par deux vers ' 1
solitaires qui les empêchait de remuer.
Elle n'a su qu'elle était double que quand elle a senti la petite
Marianne remuer en elle, surtout dans l'estomac. Son corps était
creux et la petite Marianne se promenait dedans. Elle venait de
sa bouche sur sa langue pour chercher la nourriture. z
« Quand on a des personnes en soi on subit l'impression de ces
personnes sans le savoir, on s'ennuie. »
Par moments, quand elle était au couvent, la petite Marianne,
en se remuant, la jetait du haut en bas de son lit. Elle ne savait
pas encore que Marianne était en elle.
Aujourd'hui, quand la petite Marianne souffre en elle, elle prédit
à' ses ennemis leur sort futur. Elle devient méchante. La petite
Marianne va toujours du côté droit. La France était du côté gauche.
Voix intérieure. Elle a eu des hallucinations psychomotrices
très nettes. Il était question de lui faire une opération à la jambe.
Alors elle a entendu comme une petite voix. La France disait en
elle : Ce sera moi qui souffrirai et pas toi. Il lui semblait que quel-
que chose d'elle parlait.. ·
DES HALLUCINATIONS VERBALES PSYCHO-MOTRICES. 213
Sa mère était, dit-elle, possédée du démon, mais elle-même ne
l'est pas.
Les hallucinations qui sont signalées sur certains certi-
ficats concernant cette malade, nous semblent ne pas être
autre chose que ces voix intérieures que la malade désigne
d'une façon si bizarre. Car elle a toujours dit qu'elle n'avait
jamais entendu d'autres voix, venant de l'extérieur frapper
son oreille.
Observation V. Jeanne-Marie Cresp..., âgée de quarante ans,
née à Alcigné (Ille-et-Vilaine), entra à la Salpêtrière, fin 1889,
service de M. Falret, avec un certificat de dépression mélancolique
signé de M. Magnan. Elle présente ensuite dans Je service de
M. Falret des alternatives, d'anxiété et de dépression.
Elle avait eu un premier accès de mélancolie en 1885 et fut placée
à Vaucluse. La cause de cet accès semble avoir été la perte de la
' fortune de son amant. Elle s'imaginait qu'elle était enceinte et d'un
autre que son amant. Des gens voulaient lui faire du mal. Elle
croyait que tout le monde parlait d'elle, sans pouvoir désigner
qui. On la méprisait. Elle resta trois mois à Vaucluse et en sortit
sans idées délirantes.
Le deuxième accès a débuté en octobre 1889. Se sentant malade,
fatiguée, elle demanda à son atelier une permission de quinze
jours et s'alita. Elle était toujours aussi très jalouse de son amant.
Elle ne pouvait plus rien faire, ni travail à l'aiguille, ni commis-
sions, ni même sa cuisine. Elle se reprit à délirer : on doit la mé-
priser ; ses voisins parlent d'elle en arrière.
Elle avait de l'insomnie.
Pas d'idées d'empoisonnement.
Pas d'auto-accusation.
Interrogée dans le service, elle présente une certaine anxiété,
du tremblement des mains, surtout à gauche.
Elle ne sait pas où elle est ni ce qui lui est arrivée. Elle a élé
malade et va mieux.
Voix intérieures. Elle dit entendre des voix (mais des voix bien
spéciales) qui lui disent qu'il faut mourir, qu'on va la tuer. Ces
voix sont très loin, elles ne ressemblent ni à la voix d'une per-
sonne parlant haut ni à une personne parlant bas à l'oreille : Elles
partent de dessous le sein gauche. Cela remonte, elle ne sait d'où,
et elle comprend des voix, dit-elle. D'ailleurs, elle saisit mal ce
qu'elles disent.
Antécédents personnels. « Etant toute petite, dit-elle, j'ai su
souffrir par jalousie. »
214 - RECUEIL DE FAITS. '
Vers 1875, on note une maladie d'épuisement, après avoir soigné
un ami.
Elle était très nerveuse sans jamais avoir eu d'attaques. Elle se
mettait en colère pour peu de chose ; elle était vive et laborieuse.
Aimait à se disputer. 'Froid aux pieds, maux de tête, mal réglée.
Elle était orgueilleuse, aimant la discussion et s'occupant tou-
jours de ce qu'on disait d'elle. Elle avait de l'initiative, et voulait
qu'on lui obéisse.
Antécédents héréditaires. Son père était maniaque. Sa mère
avait une maladie de cour. Elle fut élevée chez sa grand'mère. Un
oncle paternel a eu la tête dérangée. Une tante aliénée et en-
fermée.
1891. 19 novembre. Elle présente une certaine incertitude
inquiète dans le regard. Elle parle vite, avec volubilité, en articulant
à peine. Elle porte un paquet de croûtes de pain, soi-disant pour
manger dans le cas où elle aurait faim dans la journée. Voici le
résumé de sa conversation. Elle ne se rappelle pas la date même
approximative de son entrée, ni l'année où nous sommes. Elle s'ap-
pelle Cresp... ne pas confondre avec Crép... Il y a bien des per-
sonnes qui prennent de faux noms. Il y en a bien aussi qui sous
prétexte de faire du bien font du mal. Elle est ici prisonnière d'État
et de guerre, ce n'est prisonnière d'hier ni prisonnière d'Hyères.
Elle a été commencée (conçue en 1848), mais elle n'est née qu'en
1849. Il faut passer par où elle a passé pour savoir ce que c'est que
la souffrance, Quand on lui demande si elle a eu des chagrins, elle
répond : « Mourir d'amour ! Il y a bien des façons de mourir d'a-
mour. Faire vivre quelqu'un par caractère, c'est le faire mourir à
petit feu. On peut faire des canailleries en aimant. » Quant à elle,
elle ne sait pas aimer.
Elle vivait avec le fils du notaire. On disait qu'elle était sa maî-
tresse ; mais elle n'a jamais été maîtresse, toujours dcniestique.
Un médecin lui a dit qu'elle était poitrinaire. Toute sa vie pour-
tant elle s'est bien portée tout en souffrant. « Je souffre pour rien,
dit-elle; c'est-à-dire pour tous. Je ne sais pas ce qui se passe et je
n'ignore pas ce qui se passe. Qu'est-ce qui n'a pas vu ma pensée ? i*
Vous ne savez pas ce que j'ai enduré. Je suis un chiffon, une
putain, une crapule, une canaille. Je n'avais pas su comprendre
mon nom. Je suis Mademoiselle Sans-Gêne. J'ai du poil au cul.
Je ne changerai pas mes idées. Parce que Monsieur a des con-
naissances, je n'aurais pas le droit de discuter. Je ne suis pas
une femme, je suis une demoiselle. Ne m'appelez pas bonne dame,
j'ai toujours fait le mal, je ne vaux sept fois rien. C'est à tort pour-
tant qu'on me prend pour une folle. » Pendant qu'elle expliquait
comment elle avait fait écrire par son amant au contremaître à l'a-
telier pour lui expliquer son absence, elle dit « a parte » après avoir
prononcé le nom de son amant : « Ce n'est pas la peine de cacher
DES HALLUCINATIONS VERBALES PYSCHO-MOTRICES. 215
les choses, » puis s'adressant à nous : « Ce n'est pas à vous que je
parle; est-ce qu'on peut cacher ça, » en montrant sa poitrine.
Elle semble avoir répondu à ce moment à une voix qui lui aurait
reproché d'avoir parlé de son amant, et en frappant sa poitrine,
elle semblait indiquer que la voix partait de là.
On voit que Jeanne-Marie Cresp... tourne vers la démence tout
en conservant des traces très nettes de son délire. Elle dit très bien
qu'autrefois elle avait des voix intérieures, parlant en elle, mais
que cela venait de sa faiblesse, ,
c Vous rappelez-vous si vous entendiez des voix autrefois par
l'oreille, lui demande-t-on. a « Je vous dirai oui que je menti-
rais, » répond-elle. Mais il y a dans ce bavardage diffus, de l'incohé-
rence, des contradictions. Il ya dissociation des facultés et démence.
Elle répète souvent les mêmes phrases en les retournant.
Le fait le plus intéressant de cette observation est l'exis-
tence des voix intérieures auxquelles la malade donne bien'
le nom de voix en leur assignant une origine absolument
intérieure. Mais il faut l'interroger avec soin pour obtenir cet
aveu d'elle-même. Aussi l'on comprend que sur plusieurs
certificats on lui ait attribué des hallucinations de l'ouïe. Aux
yeux de son entourage elle passe aussi pour avoir eu des hal-
lucinations de la vue. Mais voici le fait.
Lors de son premier accès, elle se lève un matin à S heures,
se croyant poursuivie, persuadée qu'il y avait quelqu'un à la
porte et voulant se jeter par la fenêtre. Elle tenait le bouton
de la porte et semblait écouter. Or, son amant nous dit qu'une
fois guérie de son accès, elle se souvenait de tout ce qui s'était
passé et reconnaissait qu'elle n'avait eu que des idées imagi-
naires. Elle n'avait rien vu, ni entendu. Ainsi la malade
guérie momentanément disait d'une façon très précise qu'elle
n'avait pas eu de visions, ni de voix par l'oreille.
Nous-croyons devoir insister sur ce détail parce que dans
les observations de stupeur que rapporte Baillarger en les rat-
tachant à la mélancolie, les malades qui avaient eu de vérita-
bles hallucinations se rappelaient, une fois sortis de leur état de
rêve, les visions qu'ils avaient eues pendant leur maladie. Or,
chez notre malade rien de semblable. Ses craintes ont pu faire
croire qu'elle était hallucinée mais elle n'a eu que des craintes
peut-être exagérées par des illusions. C'était une anxiété dont
la cause était en elle-même, c'était des « imaginations »,
comme elle le disait. Mais elle reconnaissait n'avoir rien vu,
ni entendu qui expliquât son inquiétude.
216 . RECUEIL DE FAITS.
Observation VI. La nommée Victoire Lam..., veuve Pasq...,
femme de ménage, âgée de quarante-sept ans, service de M. Falret.
Entrée à la Salpêtrière le 20 mars 1888 avec le diagnostic : Délire
mélancolique. -
Voix intérieures. - Elle entend des voix depuis un mois. 11
y a deux voix qui causent ensemble. Cela n'est pas agréable de les
entendre, dit-elle, parce qu'il faut qu'elle parle. Ces deux voix
se disputent ensemble, mais c'est pour son bien. L'une est celle
du « bon », l'autre celle du « méchant ». Ils disent qu'ils sont dans
son coeur et qu'il faut qu'ils la soignent. Ils répètent tout le temps
la même chose et la force à répéter ce qu'elles disent avec sa bouche
ou sa pensée. Le méchant dit qu'on va la tuer, la mettre à la cave,
lui tirer les pieds, lui tirer l'âme. Le bon dit de bonnes et mauvaises
choses; cela change. Une voix lui a dit : Fais attention qu'on ne
t'empoisonne pas.
Ces voix intérieures se répercutent parfois jusque dans l'oreille,
'et alors c'est, dit-elle, comme une voix « Pincharde». Mais elles
sont toujours en elle.
Etat anxieux ; affaiblissement intellectuel. Crachotement. Elle
sera perdue si elle crache dans son crachoir.
Tout ce qu'elle fait est mal fait. C'est une gémisseuse perpé-
tuelle.
Ainsi cette mélancolique qu'on peut ranger parmi les
anxieuses présente avec des hallucinations psycho-motrices
du dédoublement de la personnalité. Elle offre aussi un
phénomène très curieux, c'est d'entendre ses voix inté-
rieures en même temps par l'oreille. Sans insister sur le néo-
logisme dont la malade se sert pour désigner cette manifesta-
tion particulière de ses voix, nous ferons remarquer qu'il est
une preuve de plus que ces voix ne ressemblent nullement
aux paroles humaines ordinaires. Si elles étaient compara-
bles au langage habituel, elle n'inventerait pas de mot pour les
caractériser. D'ailleurs, elle dit bien qu'elles sont surtout dans
son coeur. Si le centre auditif est excité chez elle ce n'est que
secondairement et par l'intermédiaire du centre moteur d'ar-
ticulation où se produit primitivement l'hallucination.
11 n'est pas rare d'ailleurs de voir les hallucinations ver-
bales motrices s'accompagner d'une sensation auditive spé-
ciale que les malades distinguent nettement de celles que
produisent les voix extérieures 1. Mais le phénomène auditif
surajouté est bien fait pour tromper et le malade et le mé-
il. Séglas, loc. cit. .
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 217
decin sur le point de départ réel de l'hallucination. Quant à la
voix qui lui disait : « fais attention qu'on ne t'empoisonne pas »,
il est à présumer que c'est bien une voix intérieure puisqu'elle
est tout à fait en rapport avec le sujet de sa conversation
mentale. Cette malade a été considérée comme ayant des'
hallucinations de l'ouïe, de la vue et du goût. Nous avons vu
ce qu'étaient ses voix. Nous pensons que les hallucinations de
la vue et de l'ouïe n'étaient que des illusions ou des interpré-
tations délirantes, car elle n'a jamais accusé à l'interrogatoire
à ce sujet aucune sensation précise. ' (A suivre.)
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE
VII. LE MYXOEDÈME ET sa FOLIE; par J. Cumming MACKENZIE.
(The Journal of mental Science, juillet 1889.)
Le myxoedème est de description récente et il n'est encore
qu'imparfaitement connu; c'est pourquoi l'auteur a pensé
qu'il y aurait quelque intérêt à donner de ce cas la relation
détaillée que nous résumons ici :
Femme de quarante ans, mariée, entrée à l'asile en juin 1884.
Pas d'hérédité névropathique. Elle a eu plusieurs enfants; en 1884,
après avoir nourri le dernier elle a eu une crise d'agitation, et a
été placée dans une maison de santé particulière d'où elle est
sortie au bout de trois mois; mais l'agitation survenue et ses
bizarreries ont nécessité l'internement actuel. Diagnostic :
mélancolie avec agitation. Son état mental, après des hauts et
des bas sans grande importance s'aggrave en novembre. Enjanvier
elle augmente de poids, et cependant sa faiblesse augmente et les
troubles mentaux restent très accusés. Eu avril la peau est froide
et sèche, lisse à la face, mais dure et d'une teinte sale sur le reste
du corps. Les ailes du nez, les lèvres et les paupières sont épaissies :
à la paume des mains la peau est épaissie, sèche, mais lisse. Un
peu d'oedème péri-malléolaire. Les gencives sont atrophiées et
pâles. La langue est pâle, charnue, comme bouillie. Mastication
218 revue DE pathologie mentale.
imparfaite; déglutition difficile surtout pour les liquides, qui res-
sortent facilement par le nez. Pas de vomissements; pas de cons-
tipation. - Matité splénique. Pas de dilatation de l'estomac.
Les lymphatiques superficiels ne sont pas apparents. Il n'y a pas
d'engorgements ganglionnaires. Par moments, douleur à la région
précordiale; palpitations à la moindre fatigue. Syncopes avant
l'entrée à l'asile, 'mais qui ne se sont pas reproduites depuis. Pas
de pouls carotidien. - Jugulaires bleues et saillantes. L'appareil
respiratoire est à peu près sain : la malade se plaint que son nez
grossit et qu'il lui faut un effort pour parler au laryngoscope, les
piliers sont presque réunis par une bandelette rose et mince, et à
gauche par un tissu strié qui ressemble à du tissu cicatriciel. Cordes
vocales épaissies, de couleur gris rougeâlre. Le larynx dans son
ensemble est d'un rose pâle et sale ; l'épiglotte est d'un gris sale.
Le thorax tout entier concourt à l'effort respiratoire. - Pas
d'éruption à la peau, qui est sèche et rude, avec de minces écailles
surtout à l'abdomgn et au-dessous des genoux et des fissures aux
talons et aux bords externes des pieds. L'urine ne présente rien
de particulier. Pas de céphalalgie, de névralgies, d'engourdis-
sement ou de fourmillements; en somme aucune altération sen-
sorielle sauf la sensation d'eau froide le long de la colonne ver-
tébrale. Conservation parfaite du sens de la pression de la
température et du point sur lequel s'exercent ces actions. - Le
sens musculaire est moyennement développé et exact. La vue est
bonne, la perception des couleurs est correcte. Pupilles un peu
dilatées, pas toujours égales, réagissant bien. Le fond de l'oeil est
d'un rose sale. L'ouïe, le goût, l'odorat sont normaux. Les
mouvements volontaires sont faibles, mais nullement entravés.
L'excitabilité électrique des nerfs et des muscles est normale. Les
réflexes plantaire et scapulaire sont les seuls réflexes superficiels
que l'on puisse provoquer. Ils paraissent normaux, mais les autres
ne se produisent pas sous l'influence du stimulus habituelle. On n
provoque facilement le réflexe du genou, qui paraît normal. La
coordination musculaire générale est normale. Pas d'incurvation
spinale, pas de sensibilité à la pression sauf au niveau des dernières
lombaires. Etat normal des articulations et du système musculaire :
mais grande sensation de fatigue, et facilité à se fatiguer..
Au point de vue mental, on pourrait réunir les symptômes
en trois groupes, qui paraissent se succéder périodiquement :
1° Etat soupçonneux et agressif, avec inactivité; - 2° Vanité,'
contentement de soi, rappelant la paralysie générale;
3° Etat de stupeur et d'effarement, avec un peu d'activité. Tou-
tefois ce qui paraît être le substratum de ces diverses phases
c'est l'affaiblissement intellectuel et l'hébétude mentale.-
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 219
Enfin il est intéressant de remarquer que la malade a eu la z
syphilis, et cela au moment de l'apparition des premiers
troubles intellectuels.
Au point de vue de l'état d'anémie de la malade, il faut
signaler non seulement l'augmentation des leucocytes, mais la
diminution de l'hémoglobine qui est proportionnellement bien
plus accusée que'la diminution des globules rouges. La
lenteur des réponses parait due à l'hébétude mentale plutôt
qu'au retard des sensations.
La température est un peu au-dessous de la normale.
La mémoire est bonne, mais lente, comme toutes les autres '
fonctions cérébrales. R. M. C.
VIII. UNE observation d'état CONVULSIF ou d'état épileptique; par
IIAIIRINGTON SAINSDUIIG. (The Journal of mental Science, octobre
1889). ,
Discussion intéressante d'un cas dans lequel la véritable nature
des accidents convulsifs n'a pu, malgré l'autopsie, être déterminé
avec précision. R. M. C.
IX. NOTE SUR UNE atrophie DU nerf OPTIQUE QUI précède LES SYMP-
TÔMES MENTAUX DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE DES ALIÉNÉS; par Joseph
Wiglesworth. (The Journal of mental Science, octobre 1889.)
D'après les faits qu'il a pu observer l'auteur conclut que lorsqu'on
se trouve en présence d'une atrophie primitive du nerf optique,
sans cause appréciable, et qu'à cette lésion se joignent des symp-
tômes mentaux plus ou moins obscurs, il y a probabilité de para-
lysie générale. Il y a une autre maladie à la vérité dont le début
ou l'imminence peuvent devenir une cause d'erreur, c'est l'ataxie
locomotrice; mais dans cette dernière, les troubles intellectuels
sont ordinairement tout à fait caractéristiques. Il y a lieu de
remarquer d'ailleurs que la paralysie générale et l'axie locomo-
trice sont assez communément associées. R. M. C.
X. Une observation DE maladie DE RAYNAUD, consécutive A la
manie aiguë; recueillie par Malhan RAW, dans le service de
W.-C. BLAND. (The Journal of mental Science, octobre 1889.)
Dans le cas dont il s'agit, l'asphyxie locale des extrémités a été
consécutive à une attaque grave de manie aiguë; le froid en avait
élé la cause locale déterminante; l'existence concomitante d'nne
hématurie paroxystique, d'un trouble de la vision et de fortes dou-
1220 REVUE DE pathologie mentale.
leurs lombaires conduit à penser que la maladie reconnaissait pour
cause une lésion nerveuse centrale. L'état général du malade s'est
amélioré. R. M. C.
XI.' Sur la difficulté d'établir UN diagnostic précis chez LES
aliénés ; par llal7at1 RAN.(The Journal of Mental Science, octobre
1889.)
Il s'agit d'uu cas d'étranglement intestinal méconnu pendant la
\ie, chez une femme atteinte de manie chronique et de démence
complète. Les seuls symptômes observés avaient été des vomisse-
menls, mais ceux-ci avaient pu légitimement être rattachés à une
autre cause; la malade en effet souffrait depuis quelque temps
d'un état cachectique déterminé par un cancer du sein avec engor-
gement des ganglions axillaires. R. M. C.
XII. LE cas DE MALTER TAYNTON, accusé DU MEURTRE DE sa SOEUR;
par Geo. H. SAVAGE. (The Journal of Mental Science, octobre
1889.)
Le crime commis par ce jeune garcon de quinze ans sur la per-
sonne de sa soeur âgée de dix ans, sans provocation ou du moins
sans provocation suffisante (elle s'était peut-être un peu moquée
de son frère) a embarrassé à la fois les médecins experts et les
magistrats. Il n'y avait chez l'accusé d'autres antécédents hérédi-
taires que la folie d'un grand-oncle du côté paternel. D'autre part,
le jeune garçon était assez ordinaire à tous égards, seulement un
peu sournois, aimant la solitude (on n'a pas découvert chez lui
d'habitude de masturbation); il lisait beaucoup, sans toutefois
rien retenir de ce qu'il avait lu, et il avait été impossible de lui
apprendre les premiers éléments de l'arithmétique. Il a brisé le
crâne de sa petite soeur à coups de marteau, après quoi il est sorti,
a lavé son gilet, parce qu'il était souillé de sang, et est rentré parce
qu'il pleuvait. Pas une seule fois, ni immédiatement après le
crime, ni plus tard pendant les interrogatoires judiciaires ou les
examens médicaux, il n'a paru se rendre compte du caractère cri-
minel de l'acte qu'il avait commis. Il a été condamné à dix ans
de servitude pénale. L'auteur estime qu'on aurait mieux fait de
l'interner dans un asile, et il a probablement raison. R. M. C.
XIII. Etude sur la STUPEUR; par James K. 'VHITwELL. (The Journal
of Mental Science, octobre 1889.)
Nous devons nous borner à indiquer ici cet intéressant travail,
qui comprend beaucoup plus de choses que ne l'indique son titre, et
que l'analyse ne saurait suivre d'assez près pour en donner une
idée satisfaisante. R. M. C.
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 221 1
XIV. Sur L'ÉTUDE DES conditions DE DÉVELOPPEMENT et.de l'activité
cérébrale CHEZ LES enfants ; par Francis W,\R ! OER. (Tite Journal
of Mental Science, octobre 1889.)
L'auteur s'est proposé dans ce court travail de montrer l'impor-
tance qu'il y aurait à mieux connaître les conditions de dévelop-
pement des enfants, ainsi que leur puissance cérébrale tant phy-
sique que mentale, et l'avantage qu'il y aurait à répandre parmi
ceux qui ont pour mission d'instruire la jeunesse, la connaissance
des méthodes scientifiques d'enseignement et d'étude. R. M. C.
XV. Tentative DE SUICIDE; par URQUIIaRT. (The Journal of Mental
Science, juillet 1889.)
Il s'agit d'un homme de cinquante-neuf ans, ayant dans sa
famille des antécédents névropalhiques, qui entra volontairement
à l'asile en présentant les signes du délire de la persécution : on
ne lui connaissait à son entrée et on ne constata chez lui durant
son séjour aucune tendance au suicide. Profitant un soir d'un relâ-
chement de surveillance que son calme rendait légitime, il se fit,
à l'aide d'un instrument tranchant, cinq blessures plus ou moins
profondes, mais dont aucune n'était mortelle. Il mourut quelques
jours après et l'autopsie démontra qu'il avait succombé à une
pneumonie. On apprit seulement alors qu'il avait, avant son
entrée à l'asile, manifesté l'intention de se suicider. R. M. C.
XVI. DISCOURS présidentiel PRONONCÉ A la réunion annuelle DE
l'Association ? tf : DICO-PS7CHOLOGIQUE, le 25 juillet 1889 ; par
H. H.1YES NEwINGTON. (The Journal of Mental Science, octobre.
1889.) , ,
Comme la plupart des harangues analogues, ce discours échappe
à l'analyse par la multiplicité des sujets auxquels il touche et des
questions de détail qu'il aborde, et dont la plupart se rapportent
à l'hospitalisation des cas récents et curables d'aliénation mentale.
R. M. C,
XV11. Cas DE FOLIE associée DES états pathologiques intéressants ;
par James RORIE. (The Journal of Mental Science, juillet 1889.)
Dans le premier cas, il s'agissait d'un aliéné chez lequel on avait
reconnu une lésion valvulaire du coeur, mais chez lequel on n'avait
découvert aucun signe d'anévrysmes, et qui avait seulement eu
plusieurs syncopes; la dernière de ces syncopes fut suivie de mort,
et l'autopsie révéla un anévrysme disséquant de l'aorte thoracique
et abdominale.
Le second cas était celui d'un malade atteint de manie aiguë qui
222 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
ne tarda pas à devenir chronique : il succomba à une carie des
vertèbres cervicales avec méningo-myélite consécutive. R. M. C.
XVIII. SUR un cas DE manie -AIGUE avec gangrène SYMÉTRIQUE DES
- ORTEILS (maladie de Raynaud) ; par J. M.1CPHERSON. (The Journal
of Mental Science, avril 1889.)
Chez ce malade, atteint de manie aiguë, la gangrène symétrique
des extrémités a présenté très exactement le tableau clinique
décrit jadis par Maurice Raynaud ; il est à remarquer toutefois
que la douleur, qui est un des symptômes à peu près constants de
la maladie, a fait totalement défaut. Les modifications de l'état
mental (substitution d'un calme relatif accompagné d'un léger
degré de stupeur à l'agitation des jours précédents) sont intéres-
santes à noter pour l'aliéniste; ces modifications. d'ailleurs ne sont
pas rares, et elles ont été déjà signalées; Raynaud avait lui-même
insisté sur les modifications mentales que l'on observe en pareil
cas, et avait indiqué les rapports de celte affection avec les états
névropathiques en général. R. M. Q.
XIX. Cinquante ANS A l'asile DE BETHLEM : observation de c a10 ;
par R. PERcY-SMITH. (The Journal of Mental Science, octobre 1889.)
Observation curieuse d'un homme qui, après avoir passé dix ans
dans divers asiles et cinquante ans à l'asile de Bethlem, est mort
dans ce dernier établissement à l'âge de quatre-vingt-deux ans. Ce
malade s'était acquis une certaine notoriété en 1838, en arrêtant
à Hyde-Park le cheval de la reine Victoria, qui venait de monter
sur le trône, et en proposant à la jeune souveraine de l'épouser
pour régénérer l'Angleterre.. R. M. C.
XX. Un cas DE STUPEUR mentale ou DE démence aiguë POST-FÉBRILE ;
par John TUHNER. (The Journal of Mental Science, octobre 1888.)
' Ce cas est celui d'un jeune garçon de seize ans, né de parents
aliénés, ou du moins ayant été tous deux internés dans un asile
(ils s'étaient mariés à leur sortie) qui, à la suite d'une fièvre typhoïde,
a présenté des signes de stupeur ou de démence aiguë : il a été
admis à son tour à l'asile, où il a promptement succombé. L'auteur
n'ignore pas que la valeur du mot «démence aiguë » est très
contestée, aussi bien en Angleterre qu'à l'étranger ; il ne saurait
toutefois, pour désigner l'état de son malade, se contenter du terme
lorsque le cerveau présente des altérations organiques. Or, ici, la
stupeur n'a été que l'un des symptômes observés, et à l'autopsie, on
a constaté les lésions suivantes : 1° adhérence de la pie-mère à la
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 223
couche corticale, au' niveau de la région frontale gauche et de la
région motrice du même côté ; 2° épaississement des parois de
quelques-uns des petits vaisseaux corticaux ; 3° présence de granu-
lations à la surface des tubercules quadrijumeaux. Ces lésions
accompagnent communément les diverses formes de démence,
quelle qu'en soit l'origine. R. M. C.
XXI. Observation D'UN cas DE FOLIE A deux chez CINQ MEMBRES
D'UNE MÊME famille; par Oscar-T. WooDS. (The Journal of Mental
Science, janvier 1889.) .
Il s'agit d'une famille de dix personnes ainsi composée au point t
de vue névropathique : le père, la mère et six enfants étaient
aliénés ou idiots; les deux seuls membres qui aient échappé à
l'aliénation sont, à l'heure actuelle, âgés de moins de douze ans :
la mère et les quatre aînés des enfants sont internés à l'asile pour
avoir assassiné le cinquième enfant qui était idiot et épileptique :
ils ont commis ce crime parce que cet enfant a était une fée et
une mauvaise fée », après le crime ils sont.» allés au ciel » ; les
uns et les autres ont trouvé ce crime tout naturel, l'ont commis
ou regardé commettre froidement sous l'influence de la même
idée délirante et sont également et respectivement convaincus
d'avoir réalisé leur voyage au ciel. Le père, qui paraît surtout
faible d'esprit, et qui est demeuré calme, a été laissé en liberté (il
n'avait pas pris part à l'assassinat); lorsqu'on l'interroge, il demeure
à peu près silencieux et répond seulement qu'il vaut mieux
s'adresser à sa femme et à ses enfants, qui sont plus savants que
lui puisqu'ils ont été au ciel. A l'asile, quatre de ces aliénés se sont
calmés peu de temps après leur internement ; la fille aînée reste
seule agitée ; mais les convictions déliranles persistent chez tous à
un degré plus ou moins accusé. C'est là un curieux et assez rare
exemple de folie communiquée ou de folie collective : notons en
passant que l'auteur aurait pu préférer l'un de ces deux termes à
celui de « folie à deux a, qu'il a employé, puisqu'il s'agit de cinq
personnes. R. M. C.
XXII. NOTES SUR l'urine ET la température dans la paralysie
générale DES aliénés; par John TURNER. (The Journal of Mental
Science, octobre 1889.)
Ce travail, accompagné de tableaux, porte sur un nombre assez
considérable de cas; ce nombre, toutefois, n'est pas assez grand
pour que l'auteur ait la prétention de tirer de ses recherches des
conclusions générales. '
La quantité d'urine émise dans les vingt-quatre heures par les
malades observés a été un peu supérieure à la normale; ou n'a
224 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
trouvé d'albumine que dans un très petit nombre de cas,'et même
alors, en très faible quantité.
- Sur quarante analyses, la quantité d'acide phosphorique éliminée
n'est descendue que deux fois au-dessous de la normale. Les
phosphates alcalins sont éliminés en quantité à peu près normale ;
il n'en est pas de même des phosphates terreux dont la proportion
reste au-dessous de la normale.
11 a été fait fi5 dosages de l'urée, dont 14 à la première période,
42 à la seconde période, et 9 à la troisième période de la paralysie
générale. Chez 8 sur 10 des malades à la première période, l'urée
n'atteignait pas la limite inférieure normale qui est de 30 grammes :
il en a été de même chez 10 sur 14 des malades à la seconde
période, et chez 4 sur 6 des malades à la troisième période.
- C'est un fait généralement reconnu que dans la paralysie
générale, indépendamment de toute complication inflammatoire,
il existe généralement une élévation de la température; mais, en
admettant que ce soit là une règle, elle comporte d'assez nom-
breuses exceptions. L'auteur a constaté que, dans la première
période, la température rectale était à peu près normale. Dans les
deux périodes suivantes, elle n'est pas seulement plus élevée, elle
est en outre instable et susceptible d'être modifiée par les circons-
tances les plus insignifiantes.
L'auteur recherche et discute les causes de cette instabilité, et
termine en disant qu'il est, non pas prouvé, mais vraisemblable
que les bizarreries de la température, dans la paralysie générale,
reconnaissent pour cause la dissolution des centres nerveux supé-
rieurs, dissolution qui atteint un mécanisme régulateur dont la
perturbation rompt l'équilibre thermique, sans toutefois augmenter
la somme de chaleur; il ajoute que cette interprétation est plus
satisfaisante que celle qui invoque un état inflammatoire chro-
nique. R. 111. C.
XXIII. UN cas DE corps étranger DE L'OESOPHAGE; par E. Maziere
COUIITENAY. (The Journal of Mental Science, janvier 1889.)
Ce cas est intéressant à plusieurs litres : 1° il montre la facilité
avec laquelle on peut être trompé et se tromper lorsque l'on a
affaire à des hypocondriaques; en effet, lorsqu'un incident extraor-
dinaire survient, on est toujours tenté d'attribuer à leur imagina-
tion délirante le récit qu'ils en font; 2° il est remarquable par ce
fait que, durant toute une année, la malade a vu sa santé s'amé-
liorer, a engraissé et a vu disparaître toute difficulté de la déglu-
tition, alors qu'elle portait un corps étranger à la partie supérieure
de l'oesophage; 3° il est remarquable aussi par la situation qu'occu-
pait le corps étranger; on'ne conçoit guère, en effet, comment un
corps lisse et arrondi comme une châtaigne a pu s'arrêter et se
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. - 225 5
fixer dans la situation qu'il occupait; 4° il esl remarquable, enfin,
par l'état de conservation de la châtaigne; en effet, bien que les
vertèbres eussent été érodées au point d'être dépouillées de leur
périoste, on ne constatait aucun signe de décomposition, ni d'une
action chimique quelconque sur l'écorce de la châtaigne, bien
qu'elle eût élé fatalement soumise à l'action de la salive et des
liquides de l'estomac. R. M. C.
XXIV. UN cas d'embarras de la parole; par HARRINGTON SAINSI3URd. -
(Tlee Journal of Mental Science, janvier 1889.)
Courte, mais intéressante étude d'une forme un peu spéciale
d'aphasie (peut-être serait-il plusjuste de dire de dysphasie). Le
trouble du langage, reposant ici surtout sur des perversions de
prononciation, ne peut pas être expliqué dans une autre langue
que celle que parlait l'enfant. R. M. C.
XXV. UN cas de chorée associée A la folie; par George P. COPE.
(The Journal of Mental Science, octobre 1888.)
L'auteur relate longuement l'observation d'un cas de folie chez
un jeune homme de dix-neuf ans atteint de chorée; les points les
plus intéressants à retenir dans cette observation sont les suivants :
la chorée était unilatérale gauche, taudis que, dans la plupart des
observations similaires qui ont été publiées, elle est générale; les
antécédents du malade ne révélaient l'existence d'aucune tare rhu-
matismale ou névropathique; l'accès de manie aiguë, associé à la
chorée, a été très intense; la guérison a été rapide; elle a coincidé
avec l'emploi de l'alimentation artificielle; enfin, l'auteur attribue
l'accès de manie et la chorée à l'état de débilité générale et d'ané-
mie du sujet, doublement affaibli par l'habitude invétérée de la
masturbation et par l'insurfisance de son alimentation. R. M. C.
XXVI. Quelques cas DE maladies du cerveau CHEZ LES imbéciles; par
Fletciier Geacu. (The Journal of Mental Science, janvier 1889.)
Ce travail repose sur six observations recueillies et relatées avec
soin, dont l'analyse ne donnerait qu'une idée insuffisante, mais
dont la lecture, jointe à celle des réflexions qui les accompagnent,
ne manque pas d'intérêt. R. M. C.
XXVII. L'Asile des aliénés au CAIRE EN 1888 ; par F.-M. SAXDWITU-
(The Journal of Mental Science, janvier 1880.)
Ce travail donne des renseignements sur le fonctionnement et
le personnel de l'asile des aliénés du Caire, ainsi que sur les prin-
ARCmvES, t. XXIII. 15
226 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
cipales maladies mentales qui y sont traitées et les divers person-
nages qui y ont été admis; il est précédé d'une étude historique
intéressante sur les vicissitudes par lesquelles cet établissement a
passé depuis sa création jusqu'à l'époque actuelle. R. M. C.
XXVIII. DE la FOLIE CONSÉCUTIVE aux opérations CH1RURGICALES; par
C.-T. DENT. (The Journal of Mental science, avril 1889.)
L'auteur pense que la folie consécutive aux opérations chirurgi-
cales, bien que certainement rare, est peut-être plus fréquente
qu'on ne l'admet communément : il n'y a pas de raison en effet
pour qu'une opération n'agisse pas à la manière de tout autre
trouble physique ; or l'intervention chirurgicale agit au point de
vue physique de trois manières : 1° par anticipation; 2° par l'opé-
ration en elle-même ; 3° par ses effets consécutifs. Enfin il existe
un dernier facteur, encore plus important, des troubles physiques,
c'est la réaction mentale, trop souvent méconnue ou passée sous
silence. La raison de cette omission est simple ; c'est que souvent,-
et c'est là le point sur lequel l'auteur insiste et qu'il se propose de
démontrer, les troubles intellectuels ne se manifestent pas
immédiatement après l'opération, mais seulement au bout d'un
temps plus ou moins long. Ainsi, dans l'un des cas rapportés, chez
une dame qui avait subi deux opérations assez graves, les troubles
mentaux ne firent leur apparition qu'au bout de deux mois. Chez
un enfant de dix ans auquel on avait pratiqué la résection du
genou, ils ne se montrèrent qu'après une semaine, sous la forme
d'un accès subaigu de manie, avec mélancolie et hallucinations.
Chez une femme affaiblie, après une amputation de cuisse, motivée
par un épithélioma de la jambe, ils n'apparurent que le onzième
jour et aboutirent à la démence sénile (la malade était âgée de
soixante-cinq ans). L'auteur rapporte plusieurs autres cas ana-
logues, tout en reconnaissant que leur nombre est trop restreint
pour qu'il se croie autorisé à en tirer des conclusions générales. Il
fait remarquer toutefois que dans les cas rapportés, l'hérédité ne
pouvait être mise en cause. Mais dans les opérations pratiquées sur
l'appareil génital, par exemple, que l'on suspecte d'être plus favo-
rables que les autres à la production de la folie, il y aurait lieu de
tenir rigoureusement compte de l'état mental antérieur à l'opéra-
tion. On peut accuser, - et on a accusé, l'anesthésie de jouer
un rôle dans l'apparition des troubles intellectuels; elle ne saurait
cependant être mise en cause, lorsque, comme dans les cas cités
par l'auteur, celte apparition ne se produit que tardivement. On a
aussi accusé l'iodoforme, la morphine, etc. N'est-il pas plus naturel
et plus logique de chercher moins loin et d'incriminer l'opération
elle-même. Un point important à noter, c'est que le pronostic - au
point de vue de la vie est sensiblement plus grave lorsque la
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 227
manie consécutive à l'opération revêt la forme aiguë, que lors-
qu'elle prend la forme chronique. L'auteur souhaite en terminant
que de nouvelles observations de folie post-opératoire soient recueil-
lies avec soin, et puissent servir de base à des conclusions plus pré-
cises que celles qu'il a pu tirer du petit nombre de cas observés
par lui. R. M. C.
XXIX. SUR UNE forme rare d'affection mentale (G)'M6et<C/t<) ; par
CoIVOLLY NORMAN. (The Journal of Mental Science, octobre 1888.)
Il s'agit d'une affection que Griesinger a le premier décrite dans
les Archives de Psychiatrie de 1868 et dont l'auteur rapporte avec
soin et avec détail une observation intéressante. Ce trouble men-
tal a été considéré par quelques auteurs français comme une des
formes de la folie du doute; elle s'en distingue pourlant par quel-
ques caractères importants ; elle a en effet pour trait principal une
véritable obsession mentale, qui se traduit par la manie de ques-
tionner et d'interroger sur toutes choses ; en même temps, on
remarque que les malades qui en sont atteints posent habituelle-
ment des questions qui n'ont aucun caractère pratique et que les
réponses qui leur sont faites conformément à l'étiologie commune
et couramment admise des faits les plus ordinaires ne les satisfont
aucunement; dans l'observation. rapportée, toutefois, les interro-
gations du malade avaient un caractère plus pratique et mieux
fondé, et l'auteur estime, probablement avec raison, que le carac-
tère des questions posées se ressent notablement des habitudes et
des acquisitions intellectuelles antérieures du sujet.
On pourra noter en passant que cette habitude de poser des
questions sans souci de l'utilité ou de la difficulté de la réponse
s'observe chez les jeunes enfants, en sorte que l'on pourrait à la
rigueur voir dans ce trouble cérébral un phénomène de physiologie
régressive des fonctions du cerveau.
Dans le cas rapporté, la maladie avait pris naissance à l'occasion
d'une grossesse. R. M. C.
XXX. LSDYSl01lPII0PII0BIE ET la TAPIIÉPliOBIE dans LEURS rapports avec
LES formes analogues DE folie du DOUTE (Paranoïa 1'tldimentail'e),- /
par le professeur E. Morselli. (La informa medica, 1891, n° 185.)
La dysmorphophobie est caractérisée par l'apparition subite et
persistante de la crainte d'être devenu difforme, déterminant à
sa suite une angoisse indicible. Assailli par ces craintes morbides,
le malade recourt continuellement à son miroir, mesure les diffé-
rentes parties de son corps, examine la direction de ses membres,
leurs proportions, les taches de la peau. Et ce n'est qu'au bout
d'un certain temps, que la crise se termine et que le calme renaît,
238 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
lorsque la conviction d'être toujours bien conformé est désormais
acquise pour l'individu.
. La iaphéphobie consiste dans la crainte subite et angoissante,
- revenant également par accès, de pouvoir être enterré vivant. Le
doute est encore plus intense que dans l'autre cas, parce que le
contrôle est impossible. Le malade n'a d'autre moyen de se ras-
surer que de régler minutieusement tous les détails de sa sépul-
ture : d'où souvent une série de testaments d'un aspect tout
particulier, et dont parfois le malade porte sur lui un exemplaire
dans la prévision de mort accidentelle ou subite sur la voie
publique.
Ainsi que le fait justement remarquer l'auteur, ce ne sont pas là
des maladies spéciales, mais de simples variétés de folie du doute,
devant prendre place dans le cadre des idées obsédantes, dont elles
partagent tous les caractères. Notons à ce propos que l'auteur n'a 1-
met pas que ces troubles psychiques soient toujours et fatalement
des stigmates de dégénérescence mentale. Cela est exact pour bien
des cas ; mais il en est d'autres, plus bénins, dans lesquels ils peu-
vent être considérés comme justiciables d'un état de neurasthénie
acquis. C'est à ceux-là qu'on pourrait appliquer la conception de
la psychasténie aiguë de I. Bénédik l. J. S>JGL.1S.
XXXI. Les épilepsies PSYCHIQUES; par OTTOLENGH1.
(Riv. sp. di /' ? -en., t. XVII, fasc. I-u.)
L'auteur rapporte douze observations qu'il fait suivre de consi-
dérations générales que nous résumons brièvement. Tous ces ma-
lades présentent des caractères communs, anatomiques, fonction-
nels, psychiques.
Les caractères anatomiques sont les différentes' malformations
de caractère dégénératif; le plus particulier est dû à la présence de
cicatrices résultant de chutes au cours des accès, de blessures dues
à des luttes ou à des lentatives de suicide.
Parmi les caractères fonctionnels, citons des altérations variées
de la sensibilité, la précocité du sens génésique, le développement
exagéré de la force musculaire, certains troubles de la iiiotilité
(tremblement, blépharospasme), l'exagération des réflexes 1'01 u-
liens, etc. De plus, l'auteur a pu constater chez les malades
qu'à l'état normal, l'élimination de l'urée était au minimum, et
celle des phosphates un peu plus élevée, dans la journée de l'accès
psychique au contraire, l'élimination de l'urée et de l'acide phos-
phorique atteignait un chiffre beaucoup plus élevé.
Les caractères psychiques consistent parfois dans la présence
d'illusions ou d'hallucinations, surtout au début de l'accès. Mais ce
sont les troubles de la conscience qui sont les plus importants, sur-
tout au point de vue médico-légal. Telles sont ces absences de cons-
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 229 9
cience qui caractérisent l'état désigné sous le nom de « petit
mal », 'et qui, par suite de leur peu de durée, peuvent passer
inaperçues à un examen incomplet, ou être prises pour de la simu-
lation. L'équivalent psychique, le grand accès psychique est celui
qui caractérise l'épilepsie psychique : il se manifeste surtout par
des actes impulsifs, marqués d'une sorte d'empreinte de férocité,
et dirigés soit contre autrui, soit contre les malades eux-mêmes.
La violence extraordinaire de ces actes, l'amnésie plus ou moins
complète qui les suit, le sommeil par lequel ils se terminent, l'ab-
sence de mobiles, ou la disproportion des effets et des causes en
feront souvent reconnaître la nature. « L'état crépusculaire »
qui passe beaucoup plus souvent inaperçu peut être en quelque
sorte interprété comme un état de petit mal, une série de petits
accès psychiques. Il peut précéder le grand accès, le suivre ou être
indépendant; il peut durer quelques heures, quelques jours, des
mois, des années, et constituer alors une sorte d'état second. La
conscience peut n'être pas totalement abolie, et l'on peut voir alors
des individus commettre les crimes les plus variés avec l'appa-
rence d'un homme sain. C'est alors que se rencontre cet automa- z
tisme ambulatoire, cette tendance à voyager qui sont presque,
caractéristiques. Cet état est souvent très difficile à distinguer de
l'état somnambulique. Lorsqu'il dure un certain temps, il peut être
conscient : c'est une sorte d'état second épileptique dans lequel
l'individu a conscience de ce qu'il fait, s'en souvient, mais agit
tout autrement qu'à l'état normal. Le caractère de ces malade-'
est semblable à celui des autres épileptiques (égoïsme, irritabilité
imbécillité). - L'examen de la mémoire peut fournir des rensei-
gnements très précieux. On désigne ordinairement sous le nom
d'amnésies l'oubli des faits qui se sont passés pendant l'état d'in-
conscience. Eu réalité, ce sont des pseudo-amnésies résultant de
l'obnubilation plus ou moins complète de la conscience. Les actes
inconscients ne peuvent évidemment être rappelés à la mémoire.
Lorsqu'elles sont partielles, incomplètes, ces pseudo-amnésies pour-
raient faire croire à de la simulation. On rencontre encore chez ces
épileptiques des amnésies tardives ou posthumes, souvent inaper-
çues et très importantes à connaître pour le médecin légiste. Il
arrive alors ce que l'on observe souvent dans les rêves dont on se
rappelle dans les premiers moments du réveil et qui sont plus tard
totalement oubliés : un épileptique peut de même se rappeler ses
actes immédiatement après l'accès et les oublier ensuite. D'aulres
fois la mémoire subsiste, mais très confuse et pouvant donner lieu
à des contradictions au cours d'interrogatoires différents. - Il est
bon de noter encore chez ces malades les tendances alcooliques,
l'exagération fréquente des sentiments religieux, l'affaiblissement
des sentiments affectifs, la perte du sens moral; cependant les
actes criminels ne sont pas de règle chez les malades et ne seren-
230 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
contrent que chez ceux qui présentent le plus accentués les carac-
tères dégénératifs. ·
Le diagnostic de ces manifestations épileptiques doit se faire
avec l'alcoolisme, qui peut provoquer la crise; mais l'attitude de
l'individu après l'accès,~et un examen attentif de son histoire
pathologique, pourront mettre sur la trace de l'élément épilep-
tique. Dans le cas de raptus mélancolique, outre les données
générales fournies par l'état vésanique, les actes qui précèdent le
ruptus ne sont pas accomplis avec la tranquillité parfaite qui
marque ceux qui précèdent l'accès d'épilepsie psychique. D'un
aulre côté, il suffit que l'accès se répèle, et qu'il y ait eu dans toute
la vie de l'individu un seul phénomène épileptique pour exclure
la possibilité d'un cas de manie transitoire.- Les états de som-
nambulismes, souventdifficiles à différencier, se distinguent surtout
par l'absence de cette violence, de celte impétuosité presque de
règle dans les actes des épileptiques. - Quant aux rapports de
l'épilepsie psychique avec la criminalité, l'auteur trouve une
similitude, une identité même entre ces désordres épileptiques et
la délinquence congénitale.
Quant à la responsabilité de ces malades, elle n'est pas toujours
facile à déterminer. A divers degrés de conscience devraient cor-
respondre divers degrés de responsabilité. Mais en pratique, com-
ment délimiter les divers degrés de conscience ? En règle générale,
un individu qui présente dans sa vie des accès d'épilepsie psy-
chique, ou même des étals d'inconscience très courts, même si
l'on a à juger des actes accomplis dans l'état conscient, ne peut pas
être considéré comme parfaitement sain et doit bénéficier d'une
atténuation de la responsabilité. Il n'y a aucune difficulté dans la
détermination de la responsabilité lorsqu'il s'agit d'actes commis
durant un accès complet, pleinement inconscient, entraînant l'ir-
responsabilité totale. Pour les « états crépusculaires », et « l'état
second épileptique», ils entraînent aussi l'irresponsabilité absolue.
Dans les autres cas, la responsabilité doit être pour le moins nota-
blement atténuée. J. Séglas.
XXXII. Analgésie dans la folie ; par le Dr KENISTON. (American
journal of insanity, octobre 1890.)
L'analgésie, comme symptôme transitoire ou permanent, peut
se rencontrer souvent dans des cas d'aliénation mentale confirmée
et peut même exister dès le début.
Elle peut être générale ou locale, circonscrite ou diffuse, uni ou
bilatérale. En général, ses limites ne sont pas nettement définies
et correspondent rarement à la distribution d'un nerf particulier.
L'analgésie étant -un symptôme négatif qu'il faut rechercher,
peut facilement être méconnue, en particulier chez les aliénés,
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 231
sujets de la part desquels on ne peut trouver que peu ou point d'aide-
La meilleure preuve de son existence consiste dans l'absence de
contractions musculaires, de résistance, de spasmes et de signes de
détresse, lorsqu'on irrite telle ou telle partie du corps avec les
moyens ordinaires. Il est à noter que, dans certains cas, le passage
du stimulus dans le cerveau est retardé et il est quelquefois néces-
saire d'attendre depuis dix secondes jusqu'à une minute avant que
l'on puisse positivement décider si le sens de la douleurfait défaut.
Un des exemples les plus fréquents d'analgésie chez les aliénés
se rencontre dans ces cas de phthisie qui suivent leur cours sans
douleur ni toux, souvent sans expectoration, avec peu ou point de
dyspnée, l'émaciation et l'asthénie étant les seuls symptômes mar-
qués. Il en est de même de certains cas de pleurésie, de pneumo-
nie, de péritonite aiguë, de certaines fractures, luxations, etc.,
dans lesquels l'élément douleur peut faire défaut.
Il est difficile d'établir les relations exactes de l'analgésie avec
chacune des variétés de maladies mentales : tout au moins peut-on
dire qu'on la rencontre à titre transitoire chez les épileptiques au
moment de la crise et un peu après; elle est fréquente dans les
dernières phases de la paralysie générale, et Spitzka cite un cas
dans lequel une remarquable anesthésie du larynx existait plu-
sieurs années avant la découverte de la paralysie générale ; chez les
alcooliques, les anesthésies sont fréquentes ; on peut constater de
''l'anesthésie dans les différentes formes de folie chronique, ainsi que
dans l'imbécillité et l'idiotisme : elle est relativement rare chez les
déments.
Dans certains cas, l'anesthésie est évidemment liée à des lésions
nerveuses périphériques ou centrales, mais dans la plupart des cas
on peut la considérer comme une perversion de la sensibilité sans
lésion nerveuse.
Le diagnostic de l'anesthésie n'est pas ordinairement difficile ;
souvent, du reste, on se trouve aidé par la présence de troubles
trophiques.
La recherche de ce symptôme est importante, car sa présence
est une menace pour le bien-être physique du malade, chez lequel
elle peut masquer des maladies organiques graves. De plus, s'il est
prouvé qu'elle est fréquente dans les premières phases de l'aliéna-
tion, il y aurait là un élément nouveau et précieux de diagnostic.
Les malades chez lesquels l'analgésie existe devront être entourés
de sauvegardes spéciales, dans le but de prévenir les accidents qui
peuvent les atteindre. P. BLIV,
XXXIII. L'activité psychique inconsciente EN pathologie mentale;
par F. de Sarlo (Riu. sp. difren., t. XVII, fasc. i-mn).
Cet intéressant travail, complète en quelque sorte les études
232 1-) REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
récentes de M. Piene Janet sur l'automatisme psychologique, dont
l'auteur examine les manifestations dans les différentes formes
vésaniques. Nous ne pouvons entrer ici dans une analyse détaillée
de ce long et curieux mémoire, qui demande à être là dans son
-entier. J. SÉGL.2S.
XXXIV. ILLUSIONS subjectives ou signification DE certains symptômes
dans LES maladies mentales; par J. Draper. (Amel'ican jou1'11al
of insanity, octobre 1890.)
La folie prend naissance soit dans le système cérébro-spinal, soit
dans le système ganglionnaire, quoique, dans la majorité des cas,
les deux systèmes soient envahis simultanément. t.
Or, dans tous les cas d'illusions subjectives, c'est de prime abord
sur le système ganglionnaire que doit se porter l'attention et, en
général, on n'a pas assez insisté sur le rôle joué par le système
ganglionnaire dans les phases initiales de la folie.
' Le début de beaucoup de troubles mentaux est dû à des épui-
sements locaux de force nerveuse qui produisent tout d'abord une
irritation de l'activité fonctionnelle et dégénèrent par la suite en
activité involontaire.
L'auteur nous montre par quelle transition le neurasthénique,
après avoir négligé son estomac, en arrive, sous l'influence des
troubles de nutrition des nerfs spéciaux ganglionnaires, à ressentir
des sensations morbides contre nature, si bien que peu à peu des
chocs multiples frappant des centres plus élevés, le malade en
arrive à croire réellement à ces sensations anormales et à devenir
la victime d'une illusion subjective. De même chez l'onaniste,
sous l'influence de l'épuisement de la nutrition ganglionnaire sur-
vient l'hyperexcitabilité de la fonction, puis des pollutions invo-
lontaires ; puis, avec une continuelle anxiété qui se concentre sur
les organes génitaux, commence la lutte de l'individu avec lui-
même. En même temps que la fonction primaire, d'autres
fonctions sont envahies par l'intermédiaire du grand plexus, et
les nerfs eux-mêmes, sous le coup d'une stimulation spéciale, s'hy-
péresthésient et donnent naissance à des sensations morbides. Pas
à pas, tout le système sympathique est soumis à des impulsions
et des sensations qu'il n'éprouve pas à l'état sain : ce sont des phé-
nomènes morbides, et quand le malade en devient conscient, son
attention est augmentée et il commence à s'imaginer qu'il est
malade d'une façon particulière. A partir de ce point, ses illu-
sions sont subjectives : elles se rapportent à lui-même. En .dernier
lieu viennent les causes extérieures, les influences occultes, etc.
Les maladies des organes spéciaux, qui amènent la déplétion du
système ganglionnaire peuvent produire à peu près les mêmes
accidents- telle la fièvre typhoïde qui épuise l'alimentation des
. REVUE DE THÉRAPEUTIQUE. 33
nerfs intestinaux et peut donner naissance, après la-convalescence
de la fièvre, à des sensations illusoires, mal comprises par le cer-
veau. En général, la dépression est la première preuve évidente
de complications mentales, et plus tard les illusions marchent de
concert avec elle, dans les cas qui prennent leur origine dans le
systène ganglionnaire. La douleur est un puissant agent d'épui-
sement des forces nerveuses de la vie animale, surtout lorsqu'elle
est en connexion avec les organes viscéraux et il faut en particulier
considérer chez la femme tout trouble, quelque bénin qu'il soit,
des organes de reproduction, comme pathogénique de la folie.
E. B.
REVUE DE THÉRAPEUTIQUE
I. La PARALDÉHYDE considérée comme hypnotique, avec PLUSIEURS
observations; par Morgan FjNuc,iE. (The Journal of Mental
Science, octobre 1889.) "
Le premier mérite de ce médicament, c'est la sécurité parfaite
avec laquelle on peut l'administrer dans les cas les plus divers.
Chez les aliénés, il calme la douleur, provoque un sommeil paisible
et diminue l'agitation. Son action ne parait pas être atténuée par
l'accoutumance. Enfin, c'est un médicament qui agit vite. Son
plus grand inconvénient est d'avoir un mauvais goût et une odeur
désagréable. R. M. C.
Il. Quatre cas DE guérison DE folie chronique, avec UN RELEVÉ DE
QUATORZE AUTRES CAS DANS LESQUELS L GUÉRISON EST SURVENUE DANS
un délai DE plus DE TROIS ANS; par P. Pope. (The Journal of men-
tal Science, janvier 1880.) ,
Ces dix-huit cas, dont quatre sont publiés avec détail, présen-
tent un réel intérêt; ils sont trop dissemblables pour qu'on en
puisse tirer des conclusions générales ; mais ils montrent du moins
que la guérison de la folie chronique n'est pas aussi rare qu'on le
pense et qu'on l'enseigne généralement. R. M. C.
234 REVUE DE THÉRAPEUTIQUE. '
III. SUR l'emploi DU bain TURC dans LE traitement DES TROUBLES
mentaux. (Notes fournies par une expérience de dix années); par
Robert BAKER. (The Journal of mental Science, juillet 1889.) ? L'auteur préconise l'emploi du bain turc :
1° Comme agent curatif : A, dans les différentes formes de folie
alcoolique et dans les autres folies toxiques ; B, dans les cas de
démence partielle que l'on observe fréquemment chez les goutteux
d'un âge mûr ou avancé; C, dans les formes de mélancolie qui
s'accompagnent de sécheresse de la peau et de troubles de la fonc-
tion hépatique; D, dans la folie puerpérale.
2° Comme agent palliatif : A, dans la folie épileptique ; B, dans
la paralysie générale des aliénés, surtout à la première période ;
C, dans la folie chronique. R. M. C.
IV. Notes sur L'EMPLOI du SULFONAL; par W.-R. WATSON.
(The Journal of mental Science, juillet 1889.)
Le sulfonal n'est certainement pas un analgésique absolument
infaillible ; mais il est capable de rendre des services importants.
Il est presque dépourvu de saveur, mais il est insoluble; de là
quelques difficultés d'administration. Son action narcotique est
assez prompte (environ deux heures, en moyenne); elle est durable.
Il ne parait influencer ni la respiration, ni la circulation, ni la
digestion : il n'a jamais donné lieu à aucun accident. C'est en
somme un bon analgésique, un bon narcotique, que son prix peu
élevé rend particulièrement avantageux dans les asiles d'aliénés.
R. M. C.
V. DE L'ANTICIBRINE comme antipyrétique; par W. Julius MICELLE.
(The Journal of mental Science, janvier 1889.)
Les recherches de l'auteur ont porté principalement sur l'action.
de l'antifibrine. dans la phthisie pulmonaire chez les aliénés ; mais
il a étudié aussi son action dans le catarrhe vésical, l'hémiplégie,
les affections organiques du cerveau, la sclérose médullaire, la
méningite, les troubles hallucinatoires, la paralysie générale, la
pneumonie. Il a constaté, sauf des différences qu'il indique
avec soin, que d'une façon générale, l'antifibrine est un bon et
fidèle abaisseur de la température, que ses effets se produisent
assez rapidement et persistent pendant un temps assez long (huit
à neuf heures); il conseille l'emploi des doses faibles ou tout au
moins modérées, et repousse dans presque tous les cas, comme
inutile et parfois nuisible, l'emploi des doses fortes d'emblée.
R. DE MUSGIIAVE-CLAY.
REVUE DE THÉRAPEUTIQUE. 235
VI. DE la GUÉRISON DE la morphiuomanie ET DES habitudes ALCOOLI-
QUES ; par W. S. PLAYFAIR, (The Journal of mental Science, juil-
let 1889. .
Le traitement préconisé par l'auteur est fort simple et il ne lui
a jusqu'ici donné que des succès, soit qu'il s'agît de combattre la
morphiomanie et la chloralomanie, soit qu'il eût à remédier à des
habitudes invétérées d'alcoolisme : ce traitement ne comporte
aucun médicament; il consiste purement et simplement, en même
temps qu'on diminue progressivement les doses de l'agent d'intoxi-
cation, à imposer au malade le repos complet et l'isolement et à le
soumettre au massage et à la suralimentation. R. M. C.
VII. La CUICHOIDINE : contribution A l'étude DE la pathogénie DE
l'épilepsie; par G. GALLEHANI et F. Lussana. (Riv. sp. di (l'en.,
t. XVII, fasce. i-ii.)
Les causes qui peuvent déterminer un accès d'épilepsie sont
d'origine périphérique ou d'origine centrale. Les premières seront
dues à des impressions morales, des excitations physiques; les
secondes consistent directement dans des désordres organiques ou
fonctionnels des centres nerveux moteurs. L'épilepsie provoquée
par lacuichonidine, analysée au point de vue de son mécanisme,
de sa nature, démontre clairement la possibilité du développe-
ment direct d'un accès épileptique sous l'action exclusive des centres
de mouvement, et sans aucune intervention, sinon secondaire, des
autres centres. L'accès épileptique, considéré sous son aspect le
plus abstrait et le plus large, serait l'expression d'un bouleverse-
ment fonctionnel, partiel ou général, du système nerveux central,
sous le conp d'une excitation auormale, et proportionnée pour l'in-
tensité au degré actuel des mêmes centres. C'est, en un mot, pour
les centres nerveux psychiques et moteurs l'analogue de l'accès de
délire aigre pour les centres psychiques et sensoriels. J. SÉ6LAS.
VIII. Contribution A l'étude DE l'action DU BROMURE DE potassium
dans LE traitement DE l'épilepsie; par le Dr CESARE AGOSTINI.
(Riv. sp. di fren., t. XVII, fasc. 1-11,)
. Le bromure de potassium reste toujours pour l'auteur le médica-
ment le plus efficace dans le traitement de l'épilepsie. Il est néces-
saire de l'administrer à doses plutôt élevées et pendant longtemps :
et un tel traitement est parfaitement compatible avec un état floris-
sant de la nutrition générale. Dans la plus grande partie des cas (85
p. 100), la dose moyenne est de 10 à 14 grammes (avec un jour de
suspension pour trois d'administration du médicament), dose cor-
respondant à 20 ou 25 centigrammes par kilogramme du poids de
l'individu. Cette dose, que des expériences physiologiques ont
236 REVUE DE THéRAPEUTIQUE. -
prouves inoffensive, fait cesser ou diminue notablement les accès
convulsifs. On peut au besoin élever la dose à 20 grammes et plus
par jour, et la continuer longtemps sans danger, pourvu que le sel z
soit pur et le filtre rénal parfaitement sain. Les désordres ordi-
- naires qui peuvent se produire durant le traitement bromure,
sont le plus souvent transitoires et facilement curables. Et même
les manifestations les plus sérieuses de l'intoxication bromique
disparaissent assez vite en suspendant l'usage du médicament..
L'usage méthodique et rationnel du bromure de potassium pro-
longe la vie des épileptiques. J. Séglas.
IX. DE l'entraînement physique COMME MOYEN d'amélioration mentale;
par le Dr Dey. (American journal of insanity, janvier 1891.)
Dans toute institution correctionnelle, on rencontre une classe
d'individus paresseux et illettrés qui, par suite d'un développe-
ment nul ou partiel des facultés et d'habitudes vicieuses corpo-
relles ou morales, sont incapables d'application menlale prolongée
et d'action physique, à cause du manque d'empire sur eux-mêmes.
Avec une classe d'individus de celte sorte, les mesures éducation-
nelles ordinaires sont sans valeur et ne peuvent qu'échouer parce
qu'il y a là un défaut de pouvoir réceptif aux impressions du
dehors, et un système nerveux non développé, chargé de ses défec-
tuosités propres.
Or, on peut considérer l'esprit et la morale comme un édifice
d'éducation dont le corps est la fondation. La stabilité de l'édifice
dépend du pouvoir d'endurance et de résistance de sa fondation
qui s'appuie sur l'excellence corporelle , l'intégrité des divers
organes du corps, leur mutuelle adaptation aux diverses conditions
des uns et des autres, et le maintien de leurs rapports réciproques.
Maint jeune criminel est un arriéré corporellement, comme
il l'est mentalemement et moralement; dans ces conditions, un
entraînement physique régulier consistant en mouvements libres
ou avec appareils, en bains fréquents avec massage, en un régime
diététique reconstituant, aura comme résultat un réveil partiel et
une stimulation du pouvoir mental et moral endormi.
Après quelques variations sur le vieil adage : mens sana in
colore sano, l'auteur reconnaît qu'il ne faudrait pas voir dans
l'entraînement physique une panacée pour toutes les maladies du
corps, de l'esprit et du moral. Le point sur lequel il insiste est
que, pour le rétablissement des arriérés et des illettrés, toute ten-
tative d'action primitive sur l'esprit est une erreur : une saison
d'éducation physique, avec la discipline qui force chaque homme
au travail, qui exige qu'il le fasse bien, développe des qualités
d'attention, d'activité et d'obéissance, et marque un acheminement L.
vers l'inteligence. E. l3Lirr.
SOCIÉTÉS SAVANTES
SOCIÉTÉ MED 1CO-PSVCHO LOGIQUE.
Séance du lundi 28 décembre 1891. PRÉSIDENCE DE M. Bouciieiieau.
Elections. - Sont élus pour 1892 : Vice-président : M. Clllt15TIAN;
secrétaire général : M. RITTI ; trésorier : M. A. Voisin; secrétaires
annuels : 11DI. SÉJIELAIGUE et SOLDER, en remplacement de MM. Char-
pentier et Garnier, démissionnaires.
Commission des finances : MM. raLnET el IIIIVIÉ,
Conseil de faculté : 1\DI. BALL et BOUCJOERE,\U, auxquels sont
adjoints les membres du Bureau.
Comité des publications : " l\D1. Falret, Briand et DAGOrOEl'. 11. B.
Séance du lundi 25 janvier 1892.
PRÉSIDENCE DE MM. Bouciiereau ET TH. ROr : 3SEL.
M. Boucuereau, président sortant, énumère dans un éloquent
discours les travaux auxquels la Société a pris part dans le cou-
rant de 1891. Il invite ensuite M. Th. Roussel, qu'il se félicite de
voir lui succéder, à prendre place au fauleuil de la présidence et
lui souhaite la bienvenue.
M. Tu. ROUSSEL remercie la Société de l'honneur qu'elle lui a
fait en le conviant à diriger ses discussions et promet de faire son
possible, malgré ses très nombreuses occupations, pour ne pas
manquer d'assister à toutes les séances. Il est ensuite procédé au
tirage au sort des commissions de Prix. Le scrutin donne les
résultats suivanls :
Prix A ubancl " MM. AI\N,\UD, Falret, Garnier, Seglas et Sollier.
Prix Tsquirol : \111. BoocDEncno, Falret, Mitivié, ItITTI et Séme-
LAIGNE.
Prix Moreau (de Tours) : MM. Cuaslln, Luys, Moreau (de Tours),
Saury el Vallon. M. ]3111 ? ïD.
238 sociétés savantes.
- XVIe CONGHËS-DES NEUROLOGUES
- ET AL1ÉN1STES DE L'ALLEMAGNE DU SUD-OUEST
SESSION DE BADE-LES-BAINS
Séance du 6 juin 1891 '. Présidence DE M. JOLLY.
M. SCIIULTZE. Encore un mot sur les affections nerveuses consécu-
tives au traumatisme. - Depuis le congrès international de Berlin
le professeur a examiné douze malades de ce genre. Onze d'entre
eux ne présentaient aucune anomalie du champ visuel pour le
blanc ou les couleurs, bien qu'ils fussent atteints (pour la plu-
part d'altérations organiques) fonctionnelles du système nerveux.
Un seul d'entre eux présentait un rétrécissement du champ
visuel pour les couleurs dans un ordre insolite et inégal. C'est
donc un signe qui n'a dans l'espèce aucune valeur. Du reste, quel-
ques-unes des personnes examinées racontaient que leur vision
périphérique était également mauvaise pour la vue de près ou de
loin. Par conséquent, il faut se garder d'accuser ci priori de simula-
tion ceux qui, et ils sont nombreux, sont incapables en peu de
temps de fournir des indications précises, exigeant une certaine
attention. Il se peut en effet d'autre part, que les troubles que l'on
croit décéler aient précédé l'accident sans qu'il existe de psychose
proprement dite. N'allez pas non plus imputer à une psychopathic
absente l'inexactitude des indications fournies, car nous n'avons
constaté d'anesthésie qu'en un seul cas.
En revanche, la méthode d'investigation pe ut suggérer au patient l
l'idée de certaines anesthésies ou inversement. Le public s'imagine
par exemple que le côté lésé doit être le siège de troubles de la
sensibilité. Quand il accuse un trouble de la sensibilité, il se peul
par conséquent qu'il n'existe que dans son imagination mais il
n'en faut pas inférer qu'il y a psychose pour cela.
Quant aux réflexes tendineux, leur intensité présente de très
grandes oscillations, selon que l'on examine les malades à la cli-
nique devant les assistants ou seuls; l'anxiété ou l'émotion exagère
ces réflexes. C'est ainsi qu'on provoquera d'une façon passagère
un clonus intense de la patte d'oie ou du pied, et cela, surtout pour
le premier, en excitant des zones qui d'ordinaire ne le provoquent
point. Il en est de même de l'exagération soi-disant pathologique
des réflexes que l'on constate chez les individus affaiblis par des
1 Voy. Archives de Neurologie, Xi Congrès, t. XXI, p. 132.
sociétés savantes. 239
maladies n'ayant rien de commun avec le traumatisme, par
exemple chez les convalescents de pneumonie et les phthisiques,
sans qu'on soit autorisé à admettre que Jes faisceaux pyramidaux
sont affectés.
Quatre fois, M. Schultze a noté, après le traumatisme, le com-
plexus symptomatique de Ménière (vertiges, bourdonnements
d'oreilles, dysacousie, titubation). L'un des malades avait eu une
fracture du crâne. Chez un autre, il y avait rétrécissement consi-
dérable des fosses nasales et le premier accès avait précédé l'acci-
dent. Un homme était atteint de chorée minor ; sa main droite
était mutilée; on ne constatait chez lui aucun trouble du champ
visuel ni de la sensibilité. Une des observations principalement
caractérisées par le syndrôme de Ménière, révélait une lenteur
marquée de la réaction lumineuse qu'il était difficile de considérer
comme un trouble purement fonctionnel.
Le traumatisme peut donc produire des troubles nerveux très
variés. La névrose traumatique n'est pas une maladie autonome.
Il ne la faut regarder que comme un schéma artificiel. On y peut
tout ranger; mais il est tout aussi difficile d'en débrouiller les élé-
ments que de déterminer les perturbations préexistant à l'accident
traumatique. La simulation n'a pu être établie par M. Schultze
qu'en un cas; en trois autres cas; il dut prononcer le diagnostic
d'aggravation par le traumatisme de troubles antérieurs à lui.
Quant aux nuances et à la quotité le tracé en est impossible.
M. J. Steiner. Du sommeil hystérique. En voici deux observa-
tions :
Observation I. Jeune dame de vingt et un ans se plaignant d'an-
goisse et de pleurs nerveux ; céphalalgies ; tremblements convulsifs de la
face et dans les deux bras pendant lesquels les objets lui échappent
des mains. Hérédité. On ne constate pas d'autre anomalie, qu'une zone
hyperesthésique au niveau du bregma. Les tremblements convulsifs sont
de nature choréique. Quelques mois plus tard, à la suite d'une vive ter-
reur (crainte d'incendie), ces symptômes qui avaient rétrocédé repren-
nent une nouvelle intensité; un traitement convenable améliore une
seconde fois la maladie. Enfin, à la suite d'une scène de famille, et aux
approches de la menstruation, attaque de sommeil. Les yeux sont her-
métiquemant feimés, les paupières supérieures sont animées de petites
vibrations continues; les globes oculaires sont tournés en haut et en
dedans. La bouche est immobilisée par les masticateurs fortement con-
tracturés. Les doigts de la main droite sont convulsivement fléchis dans
la paume, l'articulation du genou du même côté est rigide. En compri-
mant la zone hystérogène, on provoque l'entre-bâillement des paupières;
on aperçoit alors un regard dépourvu d'expression ; on cesse la compres-
sion, les yeux se referment. Quelques heures plus tard, elle pousse un
long soupir, et se réveille. La menstruation s'est établie, la malade se
sent bien, elle se plaint de somnolence et de lassitude générales; elle ne
se rappelle plus du tout ce qui s'est passé pendant la crise de sommeil.
Nous constatons une anesthésie presque complète, de tout le côté droit
240 SOCIÉTÉS SAVANTES.
y compris la langue et le nez; la face seule est indemne, champ visuel
normal. Depuis lors, la santé se rétablit complètement, les mouvements
clioréiques disparurent, il ne se produisit plus d'attaques de sommeil.
Observation II. Femme de quarante et un ans, réglée à vingt et un
- ans et ayant depuis cette époque éprouvé quelques troubles nerveux, de
la rétention d'urine, de la dysurie. Mariée à vingt-six ans, grosse au bout
de dix-huit mois, elle éprouve dès les premiers mois de cette grossesse
sa première attaque de sommeil qui depuis s'est renouvelée plus ou
moins souvent. C'est une femme qui ne présente aucune de ces anoma-
lies particulières aux hystériques. Le champ vi,uel est rétréci, surtout à
gauche; la sensibilité générale et spéciale de la langue est diminuée, sur-
tout à gauche; il en est de même pour le pharynx; hémi'hypo-esthésie du
côté gauche du corps. Zones d'hyperesthésie sur la tète, au niveau de la
colonne vertébrale entre les épaules, et dans la région de l'hypochondre
gauche. Aucune lésion organique si ce n'est des foyers de paramétrite
anciens à gauche. La suggestion fait cesser la rétention d'urine. Appelé
sur notre désir pendant une attaque de sommeil, nous constatons les
mêmes phénomènes que chez la première malade; la pression sur la
zone ovarique n'interrompt pas plus le sommeil que dans le premier cas,
mais elle provoque des mouvements d'ensemble. En un mot, ses carac-
tères sont ceux du premier cas.
La malade raconte que l'attaque de sommeil s'annonce quelquefois par
une bouffée de chaleur céphalique et faciale, par des bourdonnements
d'oreilles. En d'autres circonstances, elle ' la surprend subitement,
voire dans la rue. Une fois, dans les premiers temps, elle dormit
deux jours, à telle enseigne qu'un médecin la tint pour morte, son mari
s'opposa aux préparatifs de l'inhumation. Or, pendant cette phase, elle
entendait tout ce qu'on disait dans les deux chambres voisines, bien
qu'on parlât à voix basse, par respect pour ses dépouilles mortelles. Que
d'angoisses n'endura-t-elle pas, elle voulait appeler et ne le pouvait.
Ultérieurement, les attaques de sommeil s'accompagnèrent de perte totale
de connaissance; c'est ainsi qu'elles se manifestent aujourd'hui.
M. JOLLY. Des troubles trophiques dans les maladies de la moelle. -
Voici un jeune hemme qui, à l'âge de vingt ans, est atteint d'un
panaris grave nécessitant l'amputation de l'indicateur de la main
droite; six mois plus tard, l'articulation radiocubitale gauche est
prbe, il se produit même un trouble de la motilité des articulations
de la main qui se subluxe. D'autres panaris apparaissent à la main
droite; ils sont incisés et guérissent; actuellement on constate une
rétraction de l'aponévrose palmaire et des craquements indolores
dans l'articulation radiocubitale jadis atteinte. Sur les deux mains,
on observe entre les doigts des rudiments de membranes inlerdiâi-
tales (palmures). Finalement, scoliose de la colonne dorsale à
droite. La sensibilité est émoussée, même pour la chaleur, le long
du membre supérieur droit, surtout au niveau des doigts de la
main, et, sur le tronc, jusqu'à la sixième côte; mais les fins contacts
sont perçus. La sensibilité est reslée normale, à la partie inférieure
SOCIÉTÉS SAVANTES. 241
du corps et du côté gauche. Intégrité du champ visuel et des fonc-
tions de l'oeil. Le bras droit est dénué de vigueur; le malade accuse
des douleurs dans l'épaule droite. L'examen électrique révèle une
simple diminution de l'excitabilité dans les muscles de la main;
aucune modification qualitative. Il doit y avoir syringomyélie ou
gliomatose de la moelle; en un mot c'est une maladie de Morvan,
car les distinctions établies entre la syringomyélie et ce dernier
type sont bien subtiles; ce sont en tout cas deux affections soeurs.
Peut-être les processus de destruction périphériques qui caractéri-
sent la maladie de Morvan dépendent-ils de la localisation spéciale
des altérations médullaires. Quoi qu'il en soit, on est en droit d'ad-
mettre, en de semblables cas, l'étiologie d'une névrite ascendante
procédant de la blessure préalable d'un membre qui jouerait le
rôle d'agent névropathique.
Passons maintenant à une dame de cinquante-cinq ans, malade
depuis dix-huit mois consécutivement à l'influenza. Elle a succes-
sivement éprouvé des quintes de toux paroxystiques avec étouffe-
ments par accès, des douleurs dans les membres, une immobilité fixe
des pupilles, des douleurs lancinantes dans les extrémités, la tête,
l'oeil gauche. Les éléments du tabès dorsal apparurent avec le signe
de Romberg et de Westphal, les symptômes précédents, la para-
lysie des dilatateurs de la glotte, les anesthésies. Finalement
hémiatrophie faciale gauche, enfoncement de l'oeil gauche, affais-
sement et pigmentation anormale de la joue du même côté.
Mendel et Homen ayant en pareil cas constaté des altérations
névritiques des racines du trijumeau, M. Jolly croit que le tabes
est la cause de l'hémiatrophie ; l'influenza a agi simplement comme
un coup de fouet; il est en effet très rare d'observer la simultanéité
indépendante du tabes et de l'hémiatrophie.
M. MINKOWSKI (de Strasbourg). Contribution à l'anatomie patholo-
gique de la paralysie faciale rhumatismale. - Il s'agit d'un homme
de vingt-sept ans, pris subitement, à la suite d'un refroidissement,
de paralysie faciale complète; les segments antérieurs de la
langue ne perçoivent plus les saveurs; il existe passagèrement de
l'hyperaconsie et de la paralysie du voile du palais; réaction dégé-
nérative d'abord partielle, puis complète. Huit semaines après le
début de la paralysie, le patient s'empoisonne en avalant de l'acide
chlorhydrique. On constate à l'autopsie une dégénérescence très
avancée des nerfs, elle est des plus marquées dans la partie la
plus inférieure de l'aqueduc de Fallope, et se retrouve en s'atté-
nuant jusqu'au ganglion géniculé. Au-dessus du ganglion, le nerf
est tout à fait normal; le ganglion lui-même est intact. Le névri-
lemne ne présente aucune trace d'altérations inflammatoires;
intégrité des part'es qui entourent le nerf, pas trace de compres-
sion. C'est donc une névrite purement dégénérative sans cause
matérielle.
Archives, t. XXIII.. 16
242 SOCIÉTÉS SAVANTES.
M. KNOBHUCH communique les recherches faites par lui en com-
mun avec M. FUERSTNER, sur les phénomènes de la division des noyaux
dans la moelle des chiens et des lapins à la suite de piqûres. Travail
publié in extenso 1.
M. Hoche (de Strasbourg). Des cellules nerveuses des racines
~ antérieures de la moelle de l'homme. C'est le développement de
la note publiée dans la Neurolog. Centralblatt de 1891 2 sur le
groupe, jusqu'alors inconnu, de cellules que l'on trouve dans les
parties lombaire et sacrée de la moelle et qui est en relation intime
avec les fibres des racines antérieures. Mémoire qui sera publié.
M. SCHR.1DER (de Strasbourg). Des foyers d'inflammation expéri-
mentale dans le cerveau des chiens et des pigeons. En inoculant
à ces animaux des microorganismes pathogènes et notamment un
bacille emprunté au sang du coeur d'un jeune homme mort de
noma, l'orateur a, de concert avec M. Kuemmel, provoqué des
foyers d'inflammation'cérébrale. ' ,.
Les expériences avaient pour but d'élucider deux questions. '
¡ t 1" . l ! t ' ' " -
1° Un foyer d'inflammation dans le territoire du faisceau pyramidal
provoque-t-il une hémiplégie chez le chien comme chez l'homme ?
2° Est-il possible de diagnostiquer la localisation d'un foyer d'inflam-
mation cérébrale chez le chien aussi bien que chez l'homme ?
Voici les conclusions de ces recherches. '
1° Un foyer d'inflammation de la zone motrice du cerveau peut
déterminer chez le chien une paralysie croisée complète ; on
observe aussi sur la moitié du corps atteinte des convulsions clo-
niques ; la connaissance n'est pas abolie. Il peut se produire simul-
tanément un trouble de la vue qui occupe la moitié du champ
visuel opposé à la lésion. Si l'on extirpe la partie du cerveau
atteinte avec le foyer inflammatoire qu'elle contient, il est possible
de faire disparaître la paralysie (de lfalinowsky). - 2° Un foyer
inflammatoire identique peut se développer dans la région inter-
médiaire du cerveau et tuer l'animal sans qu'on observe ni para-
lysie, ni trouble visuel. 3° Le même foyer inflammatoire, déve-
loppé dans le lobe occipital du chien, engendre une amaurose
croisée sans troubles moleurs.
Tous ces phénomènes ont terminé leur parfaite évolution avant
que se produise la dégénérescence descendante du bulbe et de la
moelle, bien qu'évidemment le système des faisceaux pyramidaux
soit l'intermédiaire obligé de la paralysie motrice et des phéno-
mènes d'excilation. Cette opinion parait corroborée par l'étude
des pigeons.
' Voyez Archives de Neurologie. Revues analytiques. ! Id.
' Id,
SOCIÉTÉS SAVANTES. 243
Voici, par exemple, l'encéphale d'un pigeon chez lequel un foyer
d'inflammation bacillaire (emprunté au noma) a en vingt-cinq
jours totalement détruit l'hémisphère gauche. On a, à partir du
septième jour, observé chez cet animal les mêmes accidents que si
on lui avait extirpé cet hémisphère. Il n'y a eu à aucun moment
ni paralysie motrice, ni phénomène d'excitation. Or le système
nerveux central du pigeon ne possède pas de système qui, au
point de vue anatomique ou physiologique, soit l'homologue du
faisceau pyramidal de l'homme et des autres vertébrés. Il serait
donc possible que l'absence de tout accident moteur, malgré la
destruction étendue du cerveau, tienne à l'absence de faisceau
pyramidal. '
Il y a en somme analogie entre la clinique humaine et l'expéri-
mentation animale. Il n'est pas possible d'appliquer l'extirpation
cérébrale du chien à la pathologie humaine, parce que ces mutila-
tions manquent chez l'homme, mais la chirurgie du cerveau pourra
nous éclairer dans l'avenir sur cette question. En attendant, il est
intéressant de nous reporter à l'observation d'atrophie complète
d'un système pyramidal communiqué par Zacher; l'homme qui en
était porteur ne fut point paralysé.
M. Friedmann. Contribution à l'étude des conséquences de la com-
motion cérébrale. -11 s'agit de deux observations avec autopsie et
même avec examen microscopique. L'évolution clinique, d'une gra-
vité exceptionnelle, permettait de ranger la maladie sous l'étiquette
de : foyers d'encéphalite ou de méningite occasionnés par un éclat
osseux, ou tout au moins de : complexus symptomatique analogue
à la maladie de Ménière. Eu effet, chez des individus encore jeunes
à la suite d'un traumatisme céphalique de gravité moyenne, cé-
phalalgie localisée, vertiges, paralysie de différents nerfs crâniens,
mydriase unilatérale, puis tout cesse. Puis, des semaines ou des
mois plus tard, les mêmes symptômes reviennent revêtant une forme
grave, à des intervalles périodiques, s'accompagnant de fièvre ou
de paralysie des extrémités. Les facullés mentales disparaissent gra-
duellement ; finalement la mort a lieu dans le coma ; les accidents
ont duré un à trois ans ; on aurait même pratiqué préalablement
la trépanation chez l'un des malades. - Autopsie. Dans ces deux
cas, on ne constate qu'une hypérémie prononcée ; il n'existe pas de 1
lésion du crâne et du cerveau. Le microscope décèle (dans la pre-
mière observation) une lésion disséminée des petits vaisseaux ; leurs
lumières et leurs gaines sont dilatées; ces dernières sont remplies
de cellules migratrices et de pigment sanguin à profusion, la paroi
est atteinte de dégénérescence hyaline. M. Friedmann croit que la
commotion cérébrale a affaibli les centres vaso-moteurs ; de là
les poussées hypérémiques paroxystiques; la dégénérescence des
parois vasculaires se serait produite consécutivement. Quand le.
cerveau a été suffisamment attété, l'hypérémie a provoqué la mort.
244 SOCIÉTÉS SAVANTES.
Si l'on rapproche ces faits de l'observation de Sperling et Kronthai,
il appert que la commotion cérébrale porte avant tout son action
sur le système vasculaire de l'encéphale. L'absence, dans l'espèce,
de troubles sensitifs et moteurs montre qu'ils ne sont pas la con-
séquence d'altérations vasculaires, qu'ils dépendent d'un autre
facteur et qu'ils constituent un groupe nosologique distinct.
Discussion sur les troubles nerveux consécutifs au traumatisme.
M. Ef8E1VL011n. *La diminution du champ visuel n'a aucune valeur
dans le diagnostic de la névrose traumatique. Sans doute, chez
l'hystérique, on la constate de temps à autre, mais elle est si mi-
nime, qu'il est impossible, comme le voudrait Oppenheim, de l'élever
à la dignité de symptôme de valeur. Parmi les troubles nerveux
qui survivent aux traumatismes, il en est beaucoup d'insignifiants
qui, par suite, doivent être rayés du cadre des éléments entraî-
nant l'incapacité de travail. Voici par exemple, un malade présen-
tant dans la jambe blessée une zone d'anesthésie circonscrite; il
en fait son cheval de bataille et s'installe à demeure à l'hôpital.
Mais àl'li0pital même on l'emploie, il y travaille ; de retour chez lui,
il continue à travailler alors qu'il se prétendait impotent. En le
remontant, en le soumettant à l'hydrothérapie et à l'électrothérapie
on est arrivé aie guérir, à.guérirdes troubles traumatiques graves
et légers.
M. SCHULTZE est surpris de la théorie de Friedmann. La mort
n'aurait-elle pas élé plutôt le fait d'une intoxication, notamment
par la morphine.
M. Friedmann. Les malades n'avaient aucune -raison pour s'em-
poisonner, ils n'avaient ni le dégoût de la vie, ni les préoccupations
mélancoliques. Le dénoûment a été brusque. Chez l'un des ma-
lades, c'est en pleine influenza qu'il est survenu; les altérations
anatomiques préalables ont pu constituer un élément auxiliaire de
l'influenza. -
M. HOFFMANN. Le pronostic des troubles nerveux post-trauma-
tiques n'est pas aussi fâcheux qu'on l'a prétendu; on ne peut for-
muler de jugement sur un malade qu'en l'examinant de temps à
autre et même à de longues années d'intervalle. En ce qui re-
garde la simulation du rétrécissement du champ visuel, récemment
l'orateur l'a vu essayer par un ouvrier ; un oculiste avait noté une
cécité à 5o pour le blanc, puis une complète achromatopsie ; on
découvrit la supercherie et patient avoua. Il promit même de
raconter plus tard comment lui était venue l'idée de cette simula-
tion ; il n'a pas tenu parole, ce qui n'a rien d'étonnant.
- 51. 13oEayr;r.n. Le traumatisme est simplement la cause occasion-
nelle des troubles nerveux. Leur persistance tient à certaines in-
fluences extérieures, notamment à l'entourage du malade, à l'exa-
men des médecins, aux débats judiciaires et administratifs. Il faut
- - ? ? 1."
SOCIÉTÉS savantes. 245
observer et examiner les patients qui laissent un doute dans l'esprit
en des établissements spéciaux.
M. Laquer. M. Boeumler a raison sur bien des points. C'est ce
que m'a appris ma pratique comme médecin de la Société contre
les accidents la Zurich. Mais, dans les petits villages, on a moins à
redouter la parenté et les agissements des agents d'affaires à la
recherche de procès des avocats marrons de l'Allemagne du Sud.
Dans une petite ville voisine de Francfort vivaient quatre ma-
çons. Victimes de la chute d'un mur d'une brasserie de la grande
ville, ils avaient eu à souffrir de légères contusions; pendant deux
ans ils maintinrent auprès des tribunaux leur requête d'impotence
permanente, disant qu'ils ne pouvaient même point se rendre à
Francfort pour y être examinés tant ils étaient tourmentés par
l'asthme, la paralysie et d'autres infirmités qui en. faisaient des
invalides. Les certificats médicaux ne manquaient point, mais ils
n'appportaient pas la lumière. M. Laquer se transporta sur les
lieux et mit à néant leurs prétentions. Or, ces quatre maçons
avaient un conseil qui les poussait à réclamer.
nf. JOLLY. Sans doute la névrose traumatique est polymorphe.
Mais on s'explique très bien le rétrécissement du champ visuel.
S'il est rare de constater une abolition de la vision dans les parties
externes du champ visuel rétréci, on comprend qu'il y ait unlcer-
tain émoussement de l'acuité visuelle. Le champ visuel'peut;.du
reste, être rétréci de par une cause matérielle et cependant'les
renseignements fournis par le patient varient d'un jour à l'autre;
ainsi en est-il pour les hystériques et les malades atteints de
névrose traumatique. Il n'est em tout ; cas point facile de'simuler
un rétrécissement typique pour le. blanc et. les couleurs. On con-
naît ce malade de Berlin qui savait tout' simuler, anesthésie,
transfert, épilepsie, etc., à son gré, mais il ne réussit pas à si-
muler un tel phénomène. Le champ visuel que l'on traçait d'après
ses indications présentait des contours bizarres, inaccoutumés.
M. LEBËR. Dans les fractures du crâne, on observe des troubles
nerveux avec diminution de l'acuité visuelle et rétrécissement du
champ visuel : Au bout d'un temps relativement court, la papille
apparaît décolorée. Or jamais on ne voit cela dans la névrose
traumatique. Peut-être celle décoloration papillaire est-elle plus
tardive dans les troubles fonctionnels. Quand à différents éloigne-
ments, le champ visuel présente le même rétrécissement en sur-
face, il y a lieu de soupçonner la simulation : Le rélrécissement
est-il aussi considérable que l'a trouvé Hoffmann, il est très pro-
bable qu'il est simulé. A cet égard tous les ophthalmologistes sont
unanimes.
M. Schultze. Nous sommes en réalité d'accord sur le rétrécisse-
ment du champ visuel dans la névrose traumatique. Que les
246 sociétés savantes.
ophthalmologisles veuillent bien se joindre à nous pour en pré-
ciser les caractères. Les modifications psychiques ne sont point
toujours un point de repère qui permette d'admettre une névrose
.traumatique. L'humeur fantasque et chagrine des malades ne
éprouve point une altération des facultés. ,
Séance du 7 juin 1891. - Présidence DE M. SCHULTZE.
M. Weigert. Modification de sa méthode de coloration des man-
chons de myéline. Elle a pour but d'éviter les précipités qui se
produisent au traitement par le cuivre, précipités qui abîment le
couteau. Elle a l'avanlage d'éviter une différenciation subsidiaire
avec les coupes minces (au quarantième de millim.). Après avoir
donné aux pièces le mordant convenable par l'acide chromique, on
traite comme d'habitude par- la celloïdine et on les colle sur un
liège. On les plonge alors dans un mélange d'une solution d'acé-
tate d'oxyde de cuivre neutralisée et filtrée à froid et d'une solution
de 10 p. 100 de sel de seignette (on fait le mélange des deux solu-
tions à parties égales). Les pièces baigneront dans ce mélange au
bain-marie pendant vingt-quatre heures ; puis on les place vingt-
quatre heures encore dans une solution simple d'acétate de cuivre
(dans l'eau). Si l'on veut éviter la différenciation, on les soumet
à l'action d'un mélange récent d'une partie de solution alcoolique
ordinaire d'hématoxyline (1 : 10) et de neuf parties de solution
faible de lithine (plus fortement alcaline que celles qu'on a jusqu'ici
employées), qui contient pour 100 parties non plus un centimètre
cube de solution aqueuse filtrée de carbonate de lithine mais bien
sept parties de ce sel pour 100. Pour obtenir une clarté parfaite
des plans inférieurs, on peut, après avoir lavé les coupes à l'eau, les
trailer par l'acide acétique à un tiers. voire à un demi pour cent,
mais cette pratique n'est pasindispensable; le simple lavage àl'eau
suffit. Si l'on a affaire à des coupes épaisses et à des séries incluses
dans la celloïdine, ce traitement produit une surcoloration, il faut l
alors avoir recours à la différenciation par la méthode habituelle.
On éclaircit en Irailant à l'alcool à 90, puis au mélange d'hu,le
d'aniline et de xylol (2 : 1) puis au xylolpur, et finalement aubaume
de xylol. ,
M. Thomas (de Fribourg). Un cas d'hémiplégie fonctionnelle. -
Femme mûre ayant élé seize ans auparavant atteinte de rhuma-
tisme articulaire avec insuffisance mitrale, et ayant eu 13 enfants.
Thrombose puerpérale de quelques varices de la jambe droite;
troubles de la respiration soit du fait du coeur soit de par une em-
bolie pulmonaire. Dilatation cardiaque notable; à la base des pou-
mons surtout à droite et en bas, au siège de l'infarctus, et aussi
SOCIÉTÉS savantes. 247 7
ailleurs, râles abondants. Hypertrophie colossale du foie. Deux
cents battements de coeur à la minute, accès d'angoisse avec tachy-
cardie, à plusieurs reprises; la digitale à hautes doses met fin à
ces accidents. La malade se serait levée dans les premiers jours de
cette année, si la douleur de ses thromboses ne l'en eût empêchée.
Le pouls redevenant plus fréquent, on reprend l'usage de la digitale.
Dans la nuit du 7 au 8 janvier elle est agitée; le 8 au matin, sa
parole est inintelligible, on constate une paralysie complète de la
partie inférieure du facial gauche, du bras gauche, de la jambe
gauche; intégrité de la connaissance et de la sensibilité; elle laisse
aller ses urines et ses matières. Le soir la parole est plus distincte;
elle remue plus facilement la main gauche qui redevient tout à fait
immobile le lendemain. Ce jour-là il existe une anesthésie complète
des membres paralysés. Il se produit de nouveaux troubles respira-
toires ; nouveaux infarctus pulmonaires. L'hémiplégie avec l'hé-
mianesthésie subsiste totale jusqu'à la mort qui a lieu le 13 janvier.
- Autopsie. Pas d'embolie des artères cérébrales ;, nulle cause orga-
nique d'hémiplégie ; l'encéphale est simplement un peumdématié.
Infarctus pulmonaires anciens et récents, dilatation considérable
du coeur avec insuffisance mitrale ancienne, endocardite valvulaire
proliférative de daté récente. Intégrité de la moelle et des mé-
ninges. L'hystérie et l'urémie étant exclus, au même titre que l'em-
bolie et l'apoplexie, c'est bien une hémiplégie fonctionnelle ?
Discussion. - M. EOINGER. La préparation a-t-elle été durcie et
examinée au microscope ? 1 N'y' a-t-il pas de prolifération de la
névroglie ? N'était-ce point une encéphalite septique ? ' '. \
M. Kahlden. Ou peutrépondre non à la dernière question. On peut
affirmer qu'il n'y avait pas d'embolie. La pièce est dans le liquide
de Muller; on l'examinera au microscope. '' .
M. J. HOFRMANN (d'Heidelberg). Etat anatomique des muscles dans
un cas d'hypertrophie congénitale. - Il y a deux ans, il y avait à la
'clinique chirurgicale d'Heidelberg une paysanne de dix-sept ans
qui présentait un développement gigantesque du système d'attache de
la ceinture des épaules et des deux membres supérieurs, avec anoma-
lies du squelette, lipomes,'télangiectasies,' petits angiomes thora-
ciques ; elle était atteinte en outre de strabisme convergent, légère
asymétrie faciale ; la langue et les oreilles étaient intactes. Lacein-
ture du bassin et les jambes ne prenaientpas part à l'hypertrophie.
L'examen complet des organes internes, de la sensibilité, des
réflexes cutanés et tendineux, de la tonicité musculaire, etc.,
permet d'affirmer l'intégrité fonctionnelle absolue. On lui excisa
un petit morceau du gastrocnémien normal et du deltoïde hyper-
trophié ; après les avoir fait durcir identiquement dans le liquide
de Muller, on procéda à l'examen microscopique.
Les fibres musculaires du gastrocnémien sont normales; elles
248 SOCIÉTÉS savantes.
ont un diamètre de 33 à 66 jjL et contiennent 2 à 6 noyaux, celles
du deltoïde ont un diamètre moyen de 60 à 100 et. 5 à 12 noyaux;
ie tissu conjonctif de ce dernier un peu plus abondant que norma-
=lement, contient aussi plus de noyaux que d'ordinaire. Quelques
fibres du deltoïde présentent aussi des vacuoles. La multiplication
des noyaux du muscle gigantesque n'est qu'apparente, car, si l'on
compare deux volumes égaux des deux substances musculaires
normales et hypertrophiées, ou des proportions correspondantes,
on voit qu'il n'y a pas plus de noyaux dans le muscle normal que
dans le muscle géant; le même résultat émane de la comparaison
rationnelle des dimensions des fibres et de leur coupe trans-
verse. C'est donc une production gigantesque pure et physiolo-
gique.
M. J. HOFFMANN. Contribution à l'étude de la tétanie. - On cons-
tate parfois (et l'auteur passe brièvement en revue des observa-
tions rares de ce genre) dans la tétanie, l'hypéresthésie galvanique
de l'acoustique (Chvostek jeune). La tétanie peut suivre l'extirpa-
tion du goitre : en un cas, de ce genre une cataracte se développa
également ; un autre cas non moins intéressant a trait à une troi-
sième opération d'extirpation de goitre; la tétanie se produisit,
puis plus tard le syndrome de la myotonie, compliqué de l'hyper-
excitabilité mécanique et électrique des nerfs (phénomène de
Trousseau). Il est du reste inadmissible de croire que, comme le
prétend de Frankl-Hochvart, le phénomène de Trousseau est le
produit, et le produit unique, de l'excitation des nerfs. La réaction
myotomique tient à une modification chimique de la substance
contractile du muscle, elle-même provoquée, dans l'espèce, par des
anomalies de la nutrition consécutives à la perte de fonction de la
glande thyroïde, il en est de cela comme du myxoedème, de la
cachexie pachydermique, de la tétanie, et de l'épilepsie des malades
atteints de lésions de la thyroïde. La cataracte survenue aussi en
pareils cas doit être rattachée à un trouble fonctionnel des nerfs
trophiques. Le mémoire sera publié in extenso'. *
Discussion. - à. KROEPELIN. Dans trois cas de myxoedème obser-
vés par lui, il a constaté des altérations constantes du sang qui
pourraient bien tenir à la suppression de fonction de la glande
typhoïde. Les hématies présentaient partout une augmentation
considérable de diamètre; ce doit être l'altération primordiale.
M. A. Schmidt a noté d'autres anomalies indiquant un trouble
profond dans la constitution chimique du sang chez les mêmes
malades; il les décrira. Quelles que soient les espèces morbides
qui paraissent dépendre d'altérations de la glande thyroïde (trem-
blement, hyperexcitabilité neuro-musculaire, troubles mentaux) il est
' Voir Archives de Neurologie, Revue analytique.
sociétés savantes. 249
certains symptômes qui reparaissent invariablement ; il y a donc
lieu de croire qu'à l'état normal de la glande thyroïde rend inof-
fensifs certains produits de décomposition de l'organisme dont la
toxicité indéniable provoque quand ils subsistent tels quels dans le
sang, une perturbation chronique dans la composition de ce
liquide et entraîne, de ce fait, les symptômes sus-mentionnés.
M..J{AHLDEN (de Fribourg). De la maladie d'Addison. Deux
questions nous intéressent au point de vue anatomo-pathologique,
dans la maladie d'Addison. Ce sont : 1° celle de la genèse et de la
fonction du pigment ; 2° celle des relations des symptômes avec
l'altération si fréquente des capsules surrénales. La maladie
dépend-elle directement de cette altération, ou bien émane-t-elle
de la propagation de l'inflammation des capsules surrénales aux
tissus du voisinage, et notamment au. grand sympathique et au
ganglion semi-lunaire.
La première question parait, provisoirement au moins, résolue.
Sur la seconde question, les opinions sont encore très partagées.
Il y a trois ans, M. Kahlden (Yirchow's Archiv., t. CXIV) a publié
deux observations dans lesquelles les ganglions étaient fortement
altérés. L'un des cas était caractérisé par la dégénérescence du
ganglion entier ; de nombreux vaisseaux y étaient atteints de dé-
générescence hyaline de leur paroi ; on y trouvait des foyers
inflammatoires à petites cellules; les parois vasculaires étaient à ce
point épaissies que la lumière des conduits était obturée et que les
ganglions étaient parsemées d'hémorrhagies. Depuis cette époque
nombre d'examens ont été publiés; dans la plupart de ces faits,
le ganglion semi-lunaire était intact.
M. KAHLDEN n'a cessé de poursuivre ses recherches. Sur huit cas
de caséification des capsules surrénales qu'il a examinés, il a enre-
gistré deux faits de maladie d'Addison typique. Dans ces deux faits,
il n'y avait pas de lésion des ganglions semi-lunaires, ni d'autres
ganglions sus-jacents du grand sympathique. En revanche, dans
quelques-uns des cas de caséification des capsules surrénales, sans
maladie.d'Addison, il existait des altérations marquées des gan-
glions.
L'orateur ne peut donc conclure que la maladie d'Addison soit
produite par des altérations des ganglions semi-lunaires et du
grand sympathique, quoi qu'il ne puisse nier que l'un ou l'autre
des symptômes ne soit influencé par ces altérations.
On a récemment essayé de rattacher la maladie d'Addison à des
altérations de la moelle. On se rappelle les expériences de Tittoni
qui, après avoir extirpé les capsules surrénales, a observé des
troubles de circulation de la moelle, des hémorrhagies et des phé-
nomènes inflammatoires suivis de la dégénérescence des fibres
nerveuses. M. Kalilden n'a, dans l'ensemble de ses observations,
250 SOCIÉTÉS savantes.
constaté que des dégénérescences insignifiantes de la moelle; il
- n'a pu en faire un élément spécifique de la maladie d'Addison, il
les a plus volontiers rapprochées des altérations rencontrées par
Licli ! heim dans les affections générales chroniques (anémie per-
nicieuse, etc.).
Ces altérations existent-elles chez les tuberculeux ? Huit cadavres
de phthisiques ont été successivement examinés à ce point de vue.
On a pris à leur moelle des segmenls de diverses parties de cet
organe; on les a durcis. Chez six d'entre eux, on a trouvé en effet
des dégénérescences de la moelle; elles étaient surtout marquées
dans les racines postérieures, mais se rencontraient également dans
la substance grise, et se manifestaient au niveau des cloisons et
des espaces péri-vasculaires sous la forme de cellules granulo-
graisseuses accumulées; les cellules nerveuses des cornes antérieures
contenaient des granulations noires de diverses sortes.
Discussion : M. FLEINER. - Les altérations décrites par l'orateur
dans les ganglions semi-lunaires, il les a trouvées, mais l'interpré-
tation en est délicate. On est aussi frappé de la dégénérescence
des fibres myéliniques et des altérations des ganglions spinaux
(infiltration de cellules rondes, pigmentation accusée). Il n'a pu
constater que l'altération se propage aux racines de la moelle.
M. SCHULTZE. Les lésions du système nerveux central, chez les
phlhisiques ne sont pas encore suffisamment élucidées; gardons-
nous donc encore d'une interprétation anatomo-pathologique.
M. EDINGER (de Francfort). Contribution la théorie de la douleur.
- Nous savons, à n'en pas douter, que la douleur peut être engen-
drée par l'application d'excitants appropriés sur l'appareil terminal
de la sensibilité, sur le nerf lui-même, et probablement aussi sur
les ganglions et les racines spinaux. Mais, y a-t-il une douleur
centrale, c'est-à-dire une douleur qui, prenant naissance dans
l'organe central, soit ressentie à la périphérie. Il est évident que
l'animal ne peut nous renseigner. 11 n'y a que peu de faits qui
puissent nous éclairer sur l'existence de douleurs vraiment cen-
trales. Et cependant, la question est importante, puisque nous
connaissons des douleurs chez les hypochondriaques, les hystériques
et les épileptiques (état préépileplique) dont la nature est pro-
bable, mais incertaine. Voici une observation suggestive. Une
femme de 48 ans est atteinte d'un ictus apoplectique très léger,
qui ne laisse que pour très peu de temps une perte de connaissance.
Dès le jour suivant, il existe une hyperesthésie du côté droit. Dès
les semaines ultérieures se développent en cet endroit des douleurs
très vives. Parésie passagère du côté droit. Les douleurs persistent
à un haut degré dans tout le côté droit jusqu'à la mort qui a lieu
deux ans après. La malade s'est tuée pour échapper à ces douleurs
redoutables que rien ne pouvait calmer. On avait constaté longtemps
SOCIÉTÉS SAVANTES. 2S1
après l'attaque une légère athétose du bras et de la jambe affectés,
Plus tard encore il se produisit de l'hémianopsie, absente dans la
première année qui suivit l'attaque. Autopsie : Examen attentif du
cerveau par des coupes en série. On trouve un ancien foyer de
ramollissement occupant la partie la plus supérieure du noyau
externe de la couche optique gauche; il s'était étendu en arrière
jusque dans le pulvinar. La localisation exacte porte directement sur
les fibres sensorielles de la capsule interne. Par places, il empiète
très peu sur les systèmes voisins. Au milieu de la partie supérieure
du ruban de Reil, du même côté, il existe une atrophie des fibres,
que l'on constate en descendant jusque dans la région des olives.
Toutes les autres parties de l'encéphale sont normales.
Telle était la cause des douleurs prenant naissance dans l'organe
central, et réfléchies, senties à la périphérie. Remarquons que le
complexus symptomatique (hyperesthésie-douleur) remonte au
début de la maladie et que, par suite, il n'a rien à voir avec les
douleurs des vieux apoplectiques, qui sont toujours la conséquence
de processus anatomiques secondaires se produisant à la périphérie.
M. Edingeh présente un nouvel appareil à dessiner pour les gros-
sissements faibles (2 à 15 diam.) dont on se sert le plus souvent
quand on veut dessiner les préparations cérébro-spinales en séries
des coupes embryogéniques. L'appareil à projection en question,
envoie l'image sur une feuille de papier sous-jacente, où l'on n'a
qu'à en suivre les contours. Avec lui on n'éprouve pas la fatigue que
cause l'action du prisme sur lequel repose le principe des autres
appareils à dessiner. Un tube métallique dont l'orifice antérieur
est muni d'une lentille, concentre la lumière d'une lampe à pétrole
sur un miroir qui en occupe le fond à une inclinaison de 45°.
Ce miroir renvoie la lumière, à travers une ouverture pratiquée
sur la paroi inférieure du tube, à la platine du microscope qui porte
la préparation. Une ou plusieurs loupes disposées au-dessous de la
platine projettent sur la table de travail une image des plus nettes,
au pied même du microscope. En variant la hauteur de l'appareil
et en combinant avec cette manoeuvre l'orientation et le foyer des
loupes, on obtient les différents grossissements de 2 à 15. M. Lez
de Wetzlar, fabrique cet instrument au prix de 50 marks (muni
de 2 lentilles), ou de 60 marks (muni de 3 lentilles).
M. I\hNZ. Examen anatomiques d'un cas d'embolie de l'artère cen-
trale de larétine. -Il s'agit d'une dame âgée, atteinte d'une lésion
organique du coeur, qui en se réveillant, sans prodromes, s'aperçoit
qu'elle n'y voit plus de l'oeil gauche. Le jour même on l'examine a
l'ophthalmoscope, on constate, en outre de quelques altérations
tenant à une myopie ancienne, la vacuité des artères, la pâleur de
la papille, un très léger trouble de la rétine autour de la papille et
de la macula qui se présente ici sous la forme d'une plaque d'un
Touge cerise. La perception lumineuse a disparu dans cet oeil; tou-
252 SOCIÉTÉS savantes.
tefois sur une petite zone du côté de la tempe le champ visuel est
conservé mais l'acuité n'y est que faible. Dix mois plus tard la
cécité y était devenue totale; un glaucome aigu était développé. La
malade mourait un an après l'embolie, des suites de son affection
cardiaque (oedème, congestion pulmonaire, cachexie).
Le globe oculaire présente au voisinage de l'équateur, plusieurs
bosses ainsi qu'un ulcère cornéen superficiel récent, en voie de gué-
rison. Surla paroi postérieure on constate une excavation profonde
et irrégulière de la papille ; derrière elle, dans l'artère centrale ou-
verte existe un bouchon rond. Il parait avoir une consistance solide
et ferme partout la lumière du vaisseau, sans toutefois adhérer
à ses parois. L'artère présente en arrière de l'embolus un rétrécis-
sement accentué mais sans cesser d'être perméable ; elle n'est guère
altérée dans sa structure, et contient, derrière ce bouchon, un
thrombus hyalin allongé très délicat.
De chaque côté de l'artère obturée et de la veine affaissée, le
nerf optique est atrophié ; cette atrophie très marquée prend vers
la macula de telles proportiùns qu'il n'en reste plus que la char-
pente. Les vaisseaux qui gagnent cette région sont les uns per-
méables, les autres thromboses.
L'atrophie de la rétine se limite aux couches profondes de la
membrane; les cellules y sont notamment en très petit nombre; il
en est de même des granulations internes; la couche des fibres du
nerf optique est très amincie; néanmoins, au voisinage de la pa-
pille, on reconnaîtencore beaucoup de fibres. Les vaisseaux rétiniens
sont ici gorgés de sang, là tout à fait vides. -
Dans la choroïde au niveau des bosses déjà signalées (ectasies)
atrophié très marquée, çà et là hémorrhagies. Ces altérations, de
même que celles que l'on trouve dans le segment antérieur du
globe, sont imputables à la myopie et au glaucome. Quant à l'atro-
phie très incomplète de la rétine, elle est en contradiction avec les
hypothèses jusqu'ici émises sur des conditions de nutrition de cette
membrane, mais elle s'explique par des expérimentations toutes
récentes. En revanche l'atrophie si prononcée du nerf optique tient
à l'obstruction par thrombose des petits vaisseaux qui siègent en
arrière de l'embolie.
M. GILBEItT (de Bude). Du sulfonalisae. Il s'agit de quatre ma.
lades qui présentaient, en outre des accidents toxiques que l'on con-
naît, cette particularité de former en écrivant une ligne ascendante;
de gauche à droite les caractères étaient tracés d'une main mal
assurée et le corps en était anguleux ! C'est donc un médicament
dangereux. Il y a cependant un moyen d'empêcher l'accumulation
et la fatigue qui suit son ingestion. C'est de verser sur la dose que
l'on prescrit de l'eau bouillante; on remue jusqu'à ce que le
liquide soit un peu refroidi, mais il faut que le malade le boive
aussi chaud que possible. De cette manière il ne se forme que peu
SOCIÉTÉS savantes. 253
de précipité et l'absorption s'effectue immédiatement par l'esto-
mac. Le sommeil a lieu d'ordinaire en quinze à vingt minutes.
M. EisNLOUR. Contribution à l'anatomie pathologique du tabes
syphilitique. - Il s'agit d'un syphilitique (période tertiaire) atteint
simultanément de lésion syslématique typique des cordons posté-
rieurs, leptoméningite spinalepostérieureclirunique, syringomyélie
Voici comment l'orateur explique la pathogénie de la syringomyélie.
La lésion systématique des cordons postérieurs tient naturellement
à une prolifération du tissu conjonctif, celte prolifération a poussé
une pointe dans la substance grise postérieure et dans les cornes
postérieures; c'est alors qu'il s'est formé une cavité ou, si l'on veut,
la syringomyélie, par le mécanisme habituel. Il y a donc pas eu de
combinaison accidentelle du tabesà nnesyringomyélie préexistante.
(Archiv. f. Psychi(tt., XXIII, 2.) P. KERAVAL.
SOCIÉTÉ DES MÉDECINS ALIÉNISTES ET NEUROLOGISTES
DE MOSCOU.
Séance du 15 février 1891.
MM. les Drs TscuEnNicHEFF et 11;O¡OR présentent deux malades
adultes atteints de tétanie, chez lesquels, outre les symptômes habi-
tuels, il y avait abolition des réflexes patellaires. Ces observateurs
ont dans leur service, deux autres malades également atteints de
tétanie; au début de la maladie, on constatait l'abolition des
réflexes patellaires, et, l'amélioration étant survenue, leur réap-
parition.
L'apparition simultanée de quatre cas de tétanie, tandis qu'on
n'en avait pas vu se manifester pendant un long espace de temps,
prouverait l'influence du genius épidémicus sur la genèse de la
maladie.
M. le Dr Minor, dans sa communication sur la sciatique el les
tumeurs de la moelle épinière, appelle l'attention sur des cas d'affec-
tions de la cauda equina, au début desquelles la maladie ne se
manifeste que par une sciatique unilatérale. Comme exemples, il
cite les faits suivants : ' -
a). Une paysanne, âgée de soixante-six ans, souffre depuis plus
d'un an et demi d'une sciatique gauche sans complication ; les der-
niers temps seulement, elle prend le caractère de la névrite du
nerf sciatique. Plus tard, surviennent des symptômes de para-
plégie avec lésion de la vessie, et ensuite une hémiplégie droite
254 SOCIÉTÉS SAVANTES.
avec surdité verbale. L'autopsie a constaté une abondante hémor-
rhagie au lobe temporal gauche; la pie-mère spinale présentait
trois tumeurs de la grosseur d'un pois : l'une à la sortie de la
douzième racine spinale, la seconde à gauche, au renflement lom-
- baire, la troisième au cône médullaire du même côté. Une qua-
trième tumeur de la grosseur d'une noisette, pendait librement à
l'une des racines de la cauda equina, dont le bout plongeait dans
une tumeur en voie de désorganisation et parlant de la prostate et
du rectum. L'examen microscopique a démontré la nature cancé-
reuse de ces tumeurs. '
b). Une malade de vingt-un ans est depnis un mois et demi
atteinte d'une sciatique gauche. Dans ce cas, on avait constaté un
ostéosarcome du bassin, qui atteint bientôt des dimensions énormes ;
elle se propage à travers l'os ilei en comprimant le nerf sciatique,
et, après avoir pénétré dans le canal sacré, comprime également
la cauda equina.
Outre cela, M. le D' Minor a présenté une préparation anato-
mique de la partie inférieure de la moelle qu'il avait reçue soi-
disant normale, mais dans laquelle il avait trouvé de petites tumeurs
de la grosseur d'un grain de chanvre, ayant pour siège les racines
antérieures de la cauda. L'examen microscopique a prouvé que ces
tumeurs étaient des myofibromes.
Pour conclusion, M. Minor revient sur la conviction qu'il a que
la sciatique est, plus souvent qu'on ne le suppose, soit le symptôme
d'une maladie constitutionnelle générale, soit celui d'affections
locales de la cauda, ou bien encore d'une hypérémie ou d'une
inflammation circonscrite des enveloppes de la moelle.
M. le Dr Econow : Cas de paralysie spinale spnslique. - Il s'agit
d'un syphilitique de vingt-huit ans, atteint d'une sclérose combinée
des faisceaux pyramidaux, des faisceaux de Goll et, en partie, des
faisceaux de Burdach. Il y avait en outre de petits foyers de sclérose
disséminés et une altération des vaisseaux, symptômes propres à la
syphilis du système nerveux. Le rapporteur considère la sclérose
combinée de son cas, comme une lésion systématique primitive.
MM. les Drs KOJEV1\JKOFF, D.ItFSCIII : 1'ITSCH, ROTH et AIOURATOFF
voient plutôt dans ce cas un exemple de sclérose pseudo-systé-
matique.
Séance du 15 mars 1891.
M. le Dr P. PRÊOBRAJENSKY. Cas d'lzémiatrophie faciale. La
malade présentée à la société est une paysanne de vingt ans, sans
prédisposition héréditaire. A l'âge de quatorze ans, il s'était formé
un abcès derrière l'oreille gauche, après l'opération duquel la joue
gauche avait bientôt commencé à maigrir. Chaque année, amai-
SOCIÉTÉS SAVANTES. 255
grissement progressif. Etat actuel : Côté gauche de la face d'un
aspect sénil et plissé, peau amincie, disparition complète de la
couche graisseuse sous-cutanée, tous les os apparents de la face
plus ou moins atrophiés à la tempe gauche, où le cuir chevelu
commence plus en arrière qu'à la tempe droite.
Les muscles masticateurs et mimiques du côté atteint fonc-
tionnent normalement, et leur contractilité est normale. Tous les
modes de la sensibilité intacts. Les sécrétions salivaires, lacrymales
et sudorales, égales des deux côtés. La langue dévie à gauche, et
le côté gauche en est considérablement atrophié; contractilité élec-
trique normale. Aucune lésion des autres nerfs cérébraux. Pupilles
égales; à la lumière leur réaction est conservée; point d'exophthal-
mie. Léger souffle à la pointe du coeur. Derrière l'oreille gauche,
une cicatrice résultant de l'acès mentionné.
L'auteur considère ce fait comme un cas d'hémiatrophie faciale
proprement dite, sans aucune complication de la part du nerf sym-
pathique, et rattache les cas de ce genre il une affection du triju-
meau et spécialement des fibres trophiques qu'il contient.
MM. les Drs KOJEVNIKOFF' et Minor sont d'avis que la marche
progressive de la maladie ne peut être déterminée qu'en continuant
à observer la patiente, et, qu'en attendant, tous les symptômes
peuvent être considérés comme un arrêt du développement du côté
gauche de la face. ' 1 ,
M. le Dr KORNILOFF n'admet pas que l'hémiatrophie faciale soit
provoquée par une lésion des nerfs trophiques, leur existence n'étant
pas prouvée.
Al.`le D1' llooisnTOrr.. Cas d'hémiatrophie faciale, accompagnée de
sclérodermie. Il présente une malade de trente-quatre ans, sur
la face et le dos de laquelle, dix-sept ans auparavant, il était apparu
des taches blanches qui, plus tard s'étaient pigmentées. Dans la
région occupée par les taches, la peau s'était durcie et raidie, les
veines étaient fortement injectées. Cinq ans auparavant, des
spasmes tantôt cloniques, tantôt toniques, s'étaient parfois mani-
festés, d'abord dans le muscle masséter droit, puis dans celui de
gauche. Il y a quatre ans, la malade s'aperçoit que sa joue droite
maigrit, et, une année après, que sa langue diminue de plus en
plus de volume. La sensibilité de la face est normale. Contractilité
électrique un peu exagérée du côté droit. Pupilles égales. Les
particularités du fait cité consistent dansla combinaison de l'hémia-
trophie faciale avec la sclérodermie et le trisme.
L'auteur admet dans ce cas l'existence d'une hypertonie des vaso-
moteurs, liée à une excitation des centres de la cinquième paire de
nerfs. La cause excitante pourrait agir soit directement sur le
centre, soit par l'intermédiaire des nerfs centripètes.
M. le Dr D : IItKSCIIEVITSCII. En admettant la dépendance d'une
256 SOCIÉTÉS SAVANTES.
affection du nerf trijumeau, il serait plus exact de localiser la
lésion à la périphérie et non au centre, à en juger d'après les
données anatomiques et expérimentales (Tséléritziey).
M. le Dr Rorx supposeune altération dynamique des centres'
moteurs et vaso-moteurs, dépendante d'une lésion périphérique du
trijumeau. ' >** ^ .
M. le Dr KORNILOFF. Il est impossible d'attribuer il une certaine
partie du centre nerveux une influence trophique simultanée sur
le tissu, les muscles et les os d'une certaine partie du corps.-
MM. les Drs DARKSCBEVITSCH et PMBYTKOFF..Z)M systèmes des fibres
au fond du troisième ventricule du cerveau. Ils distinguent trois '
systèmes de fibres : la commissure de Gudden, celle de Meynert et
l'entre-croisement de Forel. La commissure de Gudden consiste en
fibres réunissant les noyaux lenticulaires avec les corps géniculés
internes des côtés opposés.... , z
La commissure de Meynert est formée de deux systèmes de fibres : ♦
a). Des fibres du ruban de Reil médians, qui se dirigent vers le
noyau de Luys et vers le noyau lenticulaire du côté opposé; b). De
fibres reliant les noyaux de Luys avec les noyaux lenticulaires des
côtés opposés, , .
L'entre-croisemenl de Forel consiste en fibres reliant le noyau
rouge du legmentum avec le noyau lenticulaire du côté opposé.
Séance du 12 avril 1891.
M. le Dr PRÉOBRAJENSKY communique deux cas de paralysie
saturnine observés par lui à l'hôpital Catherine. Les deux malades
(seize et vingt-trois ans) sont ouvriers lapidaires dans le même
atelier. Ils ont eu des coliques, et les gencives présentent le liseré
caractéristique. A une certaine période, dans l'un et l'autre cas,
le tableau symplomatique rappelait plutôt celui de la sclérose
latérale amyotrophique. Cependant, l'anamnèse et la marche ulté-
rieure de la maladie ont mis hors de doute l'exactitude du diagnostic
porté par l'auleur. Chez le premier malade, outre la paralysie
(incomplète) et l'atrophie des extenseurs des doigts et de la main
des deux côtés, on observait que les muscles du ténar et de l'bypo-
ténar, ainsi que le biceps, étaient atteints du côté gauche. La
contractilité galvanique et faradique n'était que diminuée. Tous
les réflexes des muscles atrophiés et sains des extrémités supérieures,
ainsi que les réflexes rotuliens sont exagérés; celui du tendon
d'Achille est normal.
Dans le second cas, presque tous les muscles de l'extrémité supé-
rieure droite étaient parétiques et atrophiés. A gauche, la paralysie
est moins marquée; les muscles de la main sont intacts. Contrac-
tilité faradique et galvanique considérablement diminuée. Exagé-
SOCIÉTÉS SAVANTES. · 257
ration des réflexes tendineux, périostiques et aponévrotiques dans
les extrémités supérieure»; réflexes plantaires, patellaires et du
tendon d'Achille exagérés.
Dans les deux cas, le réflexe de la mâchoire inférieure était assez
prononcé. Pas d'autres symptômes du côté du système nerveux.
L'exagération des réflexes tendineux serait, d'après la pathogénie
généralement admise de ce symptôme, en contradiction avec les
altérations anatomiques de la paralysie saturnine.
1\I1. les professeurs KOJEVNIKOFF et KORSAKOFF. L'existence de
l'exagération des réflexes tendineux dans des cas de névrites mul-
tiples, est prouvée. Elle s'explique facilement par l'irritation des
centres réfléchissants.
M. le Dr DARKSCHÉVITSCH l'attribue à l'irritation exagérée des nerfs
sensitifs si, en même temps, la fonction des nerfs moteurs n'est pas
complètement abolie.
M. le Dr MOUR.ATOFF présente une étude clinique et anatomique
détaillée d'un cas de paralysie atrophique subaiguë des extrémités
inférieures et supérieures, chez une femme de cinquante ans,
morte de dysenterie, une demi-année après le début de la mala-
die. A son entrée à la clinique : nerfs douloureux à la pression et
oedème des pieds. Sensibilité et sphincters normaux, réflexes tendi-
neux abolis, atroph'e et faiblesse des muscles du tronc, et de
préférence des parties centrales des extrémités. Plus tard, l'atro-
phie envahit aussi les parties périphériques et le diaphragme.
Contractilité faradique des muscles, directe, surtout aflaiblie.
NFC=FFC. C. '
A l'autopsie, moelle et racines normales; altération parenchy-
mateuse peu prononcée des nerfs périphériques. Atrophie à un
haut degré et dégénérescence granuleuse des faisceaux musculaires
avec prolifération des noyaux. '
L'auteur suppose que les altérations musculaires et nerveuses
sont indépendantes les unes des autres.
Toutes les paralysies atrophiques aiguës et subaiguës de nature
périphérique sont, selon le degré de l'affection du système muscu-
laire, divisés par M. Mouratoff en cinq groupes : 1). polyneuritis
acutissima (paralysie de Landry); 2). Polyneuritis subacuta et
chronica cum myositide consecutiva; 3). Polyneuritis acuta et
subacuta cum atrophia muscularis primaria; 4). Polyneuritis et
polymyosilis interstitialis acuta ; 5), Polymyositis acutissima pro-
gressiva.
M. le Dr RORSAK(1FF trouve que, pour compléter cette classifica-
tion anatomique, il faudrait encore y ajouter la classe des polymyé-
lites. En général, il ne s'attache pas à la classification anatomique
car, dans la plupart des cas, il arrive que l'agent toxique agitsimul-'
tanémentsur les divers éléments du système neuro-musculaire. En
Archives, t. XXIII. 17
258 bibliographie.
clinique, il importe avant tout de déterminer le locus morbi de
chaque symptôme. L'oedème, par exemple, n'est pas dans tous les
cas en rapport direct avec la névrite. Dans plusieurs cas de para-
lysie atrophique, l'oedème dépend d'une altération directe du
système lymphatique cutané par l'agent toxique.
M. le Dr Rota. L'altération primitive du système musculaire,
dans le cas rapporté, n'est pas prouvée, l'état des dernières ramifi-
cations et des terminaisons nerveuses n'étant pas indiqué. M. Roth
ne voit non plus aucun avantage dans la classification anatomique
du Dr Mouratoff. Un certain ensemble de symptômes cliniques
caractérise mieux l'action d'un agent morbide que le plus ou
moins d'extension de la lésion le long de l'appareil neuro-muscu-
laire, et pourrait mieux nous guider dans la classification des cas
dont la pathogénie est obscure.
MM. les Drs ROSSOLIMO et KORNILOFF partagent l'avis de MM. Kor-
sakoff et Roth.
M. le Dr D,\RKSCHÉVITSCII insiste sur l'importance de la classifi-
cation anatomique pour une appréciation clinique plus exacte de
différents cas. P. KËRAVAL.
BIBLIOGRAPHIE
IV. Etude sur les syndromes hystériques «.simulateurs» des maladies
organiques de la moelle épinière (sclérose en plaques, paraplégie,
tabes, amyotrophie, et syringomyélie) ; par A. Souques. Thèse,
de Paris, 1891. - Lecrosnier et Babé, éditeurs.
Dans ce travail, fait à la Salpêtrière, sous l'inspiration de M. le
professeur Charcot, l'auteur s'est proposé d'étudier certaines formes
rares de l'hystérie dont l'ignorance pourrait conduire à de regretta-
bles erreurs de diagnostic. En guise de préambule il examine
comment l'association de certains troubles moteurs, sensitifs et
trophiques de l'hystérie peut simuler la symptomatologie de quel-
ques malades organiques de la moelle. Ces associations, ces « syn-
dromes simulateurs » peuvent reproduire, avec une fidélité parfois
très frappante, les traits de la sclérose en plaque, du tabès, etc.
L'auteur a pu réunir 80 faits de ce genre : une trentaine sont
inédits, les autres ont été recueillis par lui dans la littérature médi-
cale où la plupart avaient été classés par erreur sous des rubriques
très différentes.
Cet intéressant travail est divisé en cinq parties, d'après un plan
BIBLIOGRAPHIE. 259
uniforme. La première a trait aux syndromes hystériques « simu-
laveurs de la sclérose en plaques; après avoir exposé les analo-
gies que le tremblement, les vertiges, les attaques apoplectiformes
offrent dans l'hystérie et dans la sclérose multiple, l'auteur met en
relief leurs différences. Dans la deuxième il étudie de même les
ressemblances et les dissemblances qui caractérisent la paraplégie
spinale et la paraplégie hystérique spontanée ou traumatique. Les
trois dernières parties sont consacrées à l'hystérie simulatrice du
tabes, de l'atrophie musculaire, et de la syringomyélie.
Dans chacune de ces parties, l'auteur réserve une place impor-
tante aux associations hystéro-organiques (Charcot). Cette asso-
ciation est chose fréquente ; aussi est-il nécessaire de démontrer
que le malade est hystérique et rien qu'hystérique. Des erreurs
commises par des cliniciens distingués montrent que la solution
du problème offre parfois des difficultés quasi insurmontables. Il
est vrai de dire qu'à l'heure actuelle, la connaissance de l'hystérie
mâle, de plus en plus approfondie par M. le professeur Charcot, est
venue faciliter la tâche. En tous cas, c'est pour avoir méconnu ou
mal interprété les stigmates de l'hystérie que des médecins ont été
conduits à créer un groupe d'affections dites : pseudo-sclérose en
plaques, pseudo-tabes, etc., qui, d'après ces données, doivent en
majeure partie rentrer dans le cadre de l'hystérie.
En résumé, il ressort de cette étude les notions suivantes : 1° Il
existe des syndromes hystériques qui peuvent simuler les maladies
organiques de la moelle ; 2° ces syndromes simulent de toutes
pièces la sclérose en plaques, les paraplégies traumatiques ou spon-
tanées, le tabes, l'amyotrophie spinale et la syringomyélie ; 3° il
est souvent difficile, mais toujours possible de dépister la simula-
tion par l'examen méthodique, systématique et plusieurs fois répété
des antécédents, des commémoralifs, des signes actuels et de
l'évolution, et par suite de faire la part, dans les cas complexes
d'associations hystéro-organiques, des symptômes qui appartien-
nent à la névrose et de ceux qui relèvent de l'affection spinale;
4° le pronostic et le traitement sont intimement liés à la solution
exacle de ces problèmes cliniques.
Cette question des syndromes hystériques « simulateurs ne
fera évidemment que s'élargir à mesure que le diagnostic de l'hys-
térie deviendra plus facile et plus sûr. L'ouvrage de M. Souques
tient une bonne place dans ce point particulier de l'histoire de
l'hystérie et ne fait pas moins d'honneur à son auteur qu'à l'école
de la Salpêtrière à laquelle il appartient. Georges Guinon.
V. Psychologie de l'idiot et de l'imbécile; par Paul Sollier.
1891. Bibliothèque de philosophie contemporaine, F. Alcan,
éditeur. '
M. Sollier définit l'idiotie : « une affection cérébrale chronique
260 BIBLIOGRAPHIE.
à lésions variées, caractérisée par des troubles des fonctions intel-
lectuelles, sensitives et motrices, pouvant aller jusqu'à leur abo-
lition presque complète, et qui n'emprunte son caractère spécial
particulièrement en ce qui concerne les troubles intellectuels, qu'au
~ jeune âge des sujets qu'elle frappe * Pour l'auteur, la clef de voûte
du développement intellectuel; c'est l'attention; d'où, on le com-
prend tout de suite, diverses catégories d'idiotie : l'idiotie absolue :
absence complète et impossibilité de l'attention ; idiotie simple :
faiblesse et difficulté de l'attention; imbécillité : instabilité de
l'attention.
Partant de cette idée directrice, qu'il développe d'ailleurs parti-
culièrement dans un chapitre spécial où il traite également de
l'éducabilité des idiots et des imbéciles, presque aussi difficile chez
ceux-ci que chez ceux-là, l'auteur passe en revue toutes les mani-
festations morales et intellectuelles de l'idiot et de l'imbécile. Dans
le domaine de la sensibilité, il étudie les troubles de la vision, depuis
le simple regard vague, qui ne fixe rien, jusqu'à la cécité absolue,
la surdité vraie et la pseudo-surdité par défaut d'attention, les
troubles et perversions du goût, la voracité si fréquente chez ces
malades. Pour lui l'anesthésie tactile plus ou moins profonde que l'on
observe chez eux tient surtout au défaut d'attention, parce qu'elle
disparait dans bien des cas où « ils sont susceptibles d'éducation,
''est-à-dire d'attention . Grande est la différence à ce point de vue
wec les imbéciles, chez qui les troubles de la sensibilité « sont sous
la dépendance d'une complication nerveuse, telle que l'hystérie
surtout, et ne prennent aucune part à l'arrêt du développement
intellectuel ). A propos du sens musculaire, l'auteur parle des tics
et des mouvements involontaires et sans but que l'on rencontre
si fréquemment chez l'idiot.
Dans le chapitre qui traite des instincts, l'auteur passe en revue
l'instinct de conservation, le besoin de sommeil et d'activité mus-
culaire, l'instinct génésique et ses perversions (onanisme, sodo-
mie, etc.). Puis vient l'étude des sentiments : plaisir, douleur, atta-
chement à la personne qui les soigne, sentiments filiaux, sociabilité,
commisération, courage, amour de la propriété, amour du travail.
L'auteur fait ressortir les différences notables qui existent à ces
différents points de vue entre l'idiot et l'imbécile et qui ne sont pas
en général en faveur de ce dernier, qui est paresseux, voleur,
égoïste, dangereux en un mot la plupart du temps. Mais s'il est
menteur, il est aussi d'une crédulité invraisemblable. A côté de cela,
il est plus susceptible que l'idiot de sentiments esthétiques. A la fin
de ce chapitre se trouve un intéressant parallèle entre le caractère
des idiots, des crétins et des imbéciles.
Un chapitre tout entier est consacré au langage et ce n'est pas le
moins intéressant. Langage parlé et écrit, dessin, sont étudiés dans
leur rapport avec le développement intellectuel et illustrés par des
BIBLIOGRAPHIE. 261
fac-similés placés à la fin du volume et reproduisant des pages d'écri-
ture, de calcul, de dessin recueillies par l'auteur et qui sont bien
instructifs. En ce qui concerne l'intelligence proprement dite, le
rôle que joue l'attention dans l'acquisition des idées, et dans-la
mémoire est tel quel'auteur a pu faire du degré de trouble de cette
faculté la base de sa classification. Ce trouble se manifeste bien
nettement dans les degrés divers de la mémoire chez les divers
idiots et chez l'imbécile, dans le rappel des émotions, l'appréciation
des ressemblances, la faculté de généralisation, d'abstraction,
l'association des idées, l'imagination, etc., tous phénomènes qui
sont minutieusement étudiés par l'auteur. Enfin, dans un dernier
chapitre, M. Sollier s'occupe spécialement de la volonté, de la sug-
gestibilité, de la conscience et de la responsabilité morale et civile
des idiots et des imbéciles.
° Il est difficile de donner en quelques lignes une idée exacte de
cet ouvrage, fait à Bicêtre dans le service de M. Bourneville, qui
. renferme la synthèse de plusieurs années de pratique et d'obser-
vation. Il intéresse les philosophes aussi bien que les médecins à
plus d'un titre et il a de plus le mérite d'être le premier de ce
genre qui ait été publié. Georges GUINON.
VI. Recueil de mémoires, notes et observations sur l'idiotie; par
BOURNEVILLE. T.I. (Bibliothèque d'éducation spéciale.) Bureaux
du Progrès médical, Paris, 1891.
Ce livre, le premier d'une série qui promet d'être intéressante,
comprend un certain nombre de travaux sur l'idiotie publiés de
1770 à 1840 dans divers recueils par divers auteurs qui se sont
occupés de cette question. Il n'entre pas dans notre intention de
donner un résumé de chacun de ces articles empruntés à Sau-
vages, Pinel, Fodéré, Esquirol, Belhomme, Foville, Calmeil, F.
Voisin, etc., etc... Pris à part, chacun d'eux n'a évidemment qu'un
intérêt historique, qui, à vrai dire, n'est pas sans importance pour
les spécialistes. Mais, en les réunissant, M. Bourneville n'a pas
voulu se borner à faire une sorte de compilation, d'index bibliogra-
phique de l'idiotie. Son but a été tout autre.
Depuis qu'il est à la tête de la section des enfants idiots et épi-
leptiques à Bicêtre, dans ce service qu'il dirige de main de maître,
et dont la chronique est chaque année publiée par lui et- ses
élèves, M. Bourneville s'est attaché à montrer quels sont les devoirs
de la société vis-à-vis de ces pauvres êtres, dangereux pour eux-
mêmes, dangereux pour les autres lorsqu'ils sont livrés à eux-
mêmes, susceptibles d'éducation et d'instruction jusqu'à un certain
point lorsqu'on s'occupe d'eux. D'où nécessité absolue de l'hospita-
lisation des enfants idiots et imbéciles, comme mesure de protection
générale et individuelle, et comme moyen d'éducation dans la
262 . varia.
mesure du possible. Or, la collection de ces vieux travaux sur
l'idiotie et les idiots (sans parler de l'intérêt qu'ils présentent ainsi
réunis, au point de vue de la pathologie, de la clinique, de l'ana-
tomie pathologique, etc.) contribue pour une large part à la justi-
fication des idées de l'auteur.
Au point de vue de la protection et de l'hospitalisation des idiots,
on trouve à chaque page des faits qui en démontrent clairement
la nécessité : attentats commis par des idiots sur eux-mêmes, sur
les autres, ou sur d'autres imbéciles; leur entière irresponsabilité,
qui fait que des malfaiteurs se servent d'eux, en les séduisant par
la satisfaction de leurs sens ou de leurs appétits, pour commettre
quelque action coupable, etc... Autant d'exemples qui viennent à
l'appui des idées de l'auteur et qui contribueront, espère-t-il, à
vaincre la résistance qu'a toujours rencontrée auprès des autorités
cette question de l'assistance des idiots.
Cette résistance vient aussi en partie de ce que l'on ne croit pas
possible une amélioration sérieuse de l'état de ces pauvres êtres.
Telle n'est pas l'opinion des spécialistes en la matière, ainsi qu'on
le voit sans peine par la lecture des travaux publiés dans ce livre. '
Telle n'est pas non plus l'opinion de M. Bourneville, et pour con-
vaincre le lecteur, il lui suffira de regarder à la première page du
volume où il verra qu'il a été imprimé à Bicêtre même par ces
enfants imbéciles et arriérés, que le traitement a rendus ainsi
aptes à fournir au monde scientifique la preuve de leur éducabilité.
Georges GUINON.
VARIA
CRÉATION DE SOCIÉTÉS DE PATRONAGE POUR LES ALIÉNÉS
SORTANT DES ASILES
L'an dernier, nous avons présenté au conseil supérieur de
l'Assistance publique un rapport sur la création de sociétés de
patronage pour les aliénés sortant des asiles, guéris ou amé-
liorés. Les conclusions de ce rapport, après quelques modifi-
cations, ont été adoptées par ce conseil. Le ministère de
l'intérieur qui avait provoqué l'étude de cette réforme, alors
qu'il était occupé par M. Ch. Floquet, a décidé d'en poursuivre
la réalisation et, dans ce but, a adressé aux préfets la circu-
laire suivante dont nous devons la communication à M. Monod.
varia. 263
Paris, le 9 février 1892.
Monsieur le Préfet, Il arrive assez fréquemment que les médecins
des asiles d'aliénés hésitent à provoquer la mise en liberté d'indi-
vidus dont l'état mental leur parait suffisamment amélioré pour
rendre inutile leur maintien en traitement, ou qu'ils considèrent
même comme guéris, dans la crainte que ces malheureux, livrés
brusquement à eux-mêmes sans surveillance et souvent sans
ressources, reprennent les habitudes d'existence qui ont été par-
fois la cause déterminante de leur maladie, et se trouvent, d'autre
part, dans l'impossibilité de se procurer du travail par suite des
préventions trop répandues, auxquelles sont en butte les personnes
ayant passé par un établissement d'aliénés.
Mon administration, qui se préoccupe depuis longtemps des
moyens de remédier à cette situation, a toujours été portée à les
chercher dans l'intervention de sociétés de patronage, dont l'oeuvre
consisterait à surveiller et à aider l'aliéné pendant les premières
phases de son retour à la vie commune. Saisi de la question, à
l'occasion de l'examen du projet de loi portant revision de la légis-
lation sur les aliénés, le Conseil supérieur de l'Assistance publique
a formulé, dans sa seconde session de 1891, une série de proposi-
tions dont voici le texte : ,
Sociétés de patronage.
Résolutions votées par le Conseil supérieur, au sujet de la création
des Sociétés de patronage pour les aliénés sortant des asiles.
I. - Le Conseil émet le voeu qu'il existe dans chaque départe-
ment une ou plusieurs sociétés de patronage, chargées de seconder
les malades à leur sortie des établissements d'aliénés publics ou
privés, et que M. le Ministre de l'Intérieur, dans une circulaire aux
préfets, invite ceux-ci à favoriser, par tous les moyens, la création
de ces sociétés.
II. Les sociétés de patronage viendront en aide aux aliénés
convalescents ou guéris, par les moyens suivants : secours en
argent, en linge, en vêlements, outils (ces secours peuvent être
hebdomadaires, mensuels, trimestriels); dégagement des objets
mis au Mont-de-Piété; paiement du loyer, placement des malades
dans des asiles de convalescence, dans des cottages intermédiaires
entre l'internement complet et la vie libre, ou encore, s'il y a lieu,
dans les hospices; placement définitifs dans les ateliers et les mai-
sons de commerce, d'agriculture, etc., surveillance de l'aliéné
guéri dans la place où il est occupé.
111. Il y a intérêt à établir un lien entre les différentes sociétés
de patronage.
: 264 varia.
IV. Les sociétés de patronage pourront être autorisées à
toucher le pécule de sortie de l'aliéné, de façon à le lui remettre
en temps utile et au besoin par fractions.
- , ..
En émettant ces résolutions, le Conseil était assuré de me trouver
prêt à seconder la réalisation de vues qui répondent absolument
aux miennes, et touchent à un des plus intéressants parmi les
problèmes que l'Assistance publique doit se donner mission de
résoudre.
Je n'hésite donc pas à me conformer à un des voeux du Conseil,
en appelant toute votre sollicitude sur la question de l'organisation
de sociétés de patronage pour la protection des aliénés sortant des
asiles. *- , ·
Comme l'établissait le rapport présenté au Conseil supérieur et
que vous trouverez reproduit dans le fascicule 36 des travaux de
cette Assemblée, ces sociétés sont bien peu nombreuses en France
malgré certaines initiatives généreuses. Il y a là un progrès très
désirable à poursuivre. J'attache la plus sérieuse importance à ce
que vous recherchiez quels éléments d'organisation, quelles res-
sources particulières peut présenter à cet égard votre département,
comme aussi quelles causes spéciales d'insuccès, la tentative pourrait
être exposée à y rencontrer.. , , 1 ,
Je prendrai connaissance avec un grand intérêt des résultats de
cette étude que je vous prie de me communiquer le plus prompte-
ment possible, en y joignant les observations personnelles que
pourra vous suggérer la question.
Recevez, Monsieur le Préfet, l'assurance de ma considération la
plus distinguée.
Le Ministre de <'7n<e')' : eM ?
CONSTANS.
CONGRÈS ANNUEL DES MÉDECINS ALIÉNISTES DE FRANCE
ET DES PAYS DE LANGUE FRANÇAISE
. Session de Blois, 1892.
, Blois, le 1" mars 1892.
Monsieur et très honoré Confrère,
Le Congrès annuel des Médecins aliénistes de France et des pays
de langue française devant se réunir en 1892 à Blois, le Comité
d'organisation de cette Session, composé du bureau du Congrès de
Lyon auquel ont été adjoints les Médecins aliénistes de Blois, a
l'honneur de vous demander votre adhésion. La date de la réunion
est fixée au Lundi 1er août.
Le programme comprendra : 1° La mise à l'ordre du jour des
VARIA. 265
questions suivantes : Du Délire des négations, sa valeur diagnostique
et pronostique; Le Secret Médical en médecine mentale; Les colonies
d'aliénés. Un rapport sera fait sur chacune de ces questions et sera
envoyé à chaque Membre adhérent dans le mois de juillet ;
"2° La lecture des mémoires ou les communications orales des
Membre du Congrès sur des questions diverses touchant la méde-
cine mentale; 3° Les visites aux hôpitaux de Blois, à l'ancien
hospices des aliénés et à l'asile départemental actuel. Inaugu-
ration d'une infirmerie et du nouveau service des épileptiques non
aliénés.
Ce programme sera rempli d'après le règlement ci-joint : La
cotisation est de 20 francs. Vous voudrez bien nous faire connaître
dans le plus bref délai le titre des travaux ou des communications
que vous avez l'intention de nous présenter pour nous permettre
de préparer le programme définitif. Veuillez agréer, etc.
. Le Président du Comité d'organisation,
Dr BOUCHEREAU.
Le Secrétaire de la Commission locale,
Dr DOUTREBENTE.
Le Règlement du Congrès est le même que celui des Congrès
de Rouen (1890) et de Lyon (1891). Nous ne doutons pas que ce
Congrès n'ait un succès égal aux deux précédents.
LES EXPLOITS D'UN FOU
' : r
Vers 2 heures de l'après-midi, avant-hier, l'un des inspecteurs
d'un magasin de la rue du Pont-Neuf, apercevait un passant glisser
dans sa poche un paquet de mouchoirs qu'il venait de dérober à
l'étalage. Le voleur s'enfuit etl'inspecteur s'élança naturellement àsa
poursuite. Avec l'agilité d'un acrobate consommé, le filou franchit
d'un bond deux personnes qui tentaient de l'arrêter.
Les cris de : » Au voleur ! » poussés par deux agents de la
sûreté, éveillèrent sur la place Dauphine, l'attention d'un agent
de ce service qui se jeta sur l'indélicat personnage.
D'un formidable coup de pied dans le ventre, le malfaiteur le
renversa et, lui passant sur le corps, il poursuivit sa roule. Arrêté
enfin par plusieurs agents, sur le quai des Orfèvres, l'individu fut
conduit au commissariat de M. Dhers.
Interrogé par ce magistrat, il déclara se nommer Antoine Ferrés,
Age de vingt-cinq ans, évadé depuis quinze jours de l'asile de Ville-
Evrard, où il avait été interné comme fou.
1 Immédiatement conduit à l'infirmerie du dépôt, Ferrés, profi-
tant d'un moment où ses gardiens le laissaient seul, gagna une
cour intérieure, escalada le mur et, s'aidant des pieds et des mains,
266 varia. -
atteignit le toit, d'où il redescendit dans la cour de la Perma-
nence. En deux bonds, malgré le garde qui voulait s'opposer à son
passage, Ferrés avait franchi la pote du quai de l'Horloge, et s'en-
fuyait à toutes jambes.
Plusieurs agents se mirent Il sa poursuite, mais ce n'est que place
Dauphine qu'ils rejoignirent le fuyard. Le fou opposa une résis-
tance désespérée aux agents; cependant ceux-ci parvinrent à le
maîtriser et à le ramener dans la cellule, préparée à son intention
à l'infirmerie. (Radical, 9 janvier 1892.)
Il s'agit, dans ce cas, d'un aliéné dangereux, évadé de l'asile
de Ville-Evrard depuis quinze jours. En pareil cas, c'est-à-dire
lorsque des aliénés se sont sauvés des asiles, il serait néces-
saire que la police s'occupât de les retrouver avec plus d'acti-
vité. Le plus souvent, ce n'est qu'au bout d'un temps assez
long que les malades sont réintégrés, après avoir commis des
actes plus ou moins analogues à celui dont il est question plus
haut.
impulsions génitales précoces
Sous le titre « Un satyre de treize ans », l'Eclair du 12 fé-
vrier a publié le récit suivant :
A treize ans et demi, Don Juan lui-même n'en avait certes pas
fait aulaut que le petit Léon, de la rue Séguin. Ce précoce subor-
neur en conte aux fillettes qu'il voit sur sa route et ne trouve que
peu de cruelles. Il a obtenu, à des prix variant entre deux sous et
un bonbon, les faveurs de onze candides créatures dont les noms
sont connus et qui ont fait des aveux, mais combien d'autres que
les parents contraignent à se taire, pour s'éviter d'avoir à faire
publiquement des déclarations humiliantes.
Léon est le fils d'un brave homme qui cumule : allumeur de gaz
et à la fois cordonnier. Il est souvent absent de la maison, et le
jeune Léon - dont la mère a déserté le foyer conjugal reste
seul et en abuse. Il attire dans l'atelier les petites filles des envi-
rons, une à une, et polissonne. Qui s'imaginerait à quel degré de
perversité est descendu cet être malingre, souffreteux, dont les
treize ans en paraissent neuf ? 2
Un jour, il rencontra la petite Marie L..., une fillette de cinq ans,
qui, accompagnée de son frère Georges, de deux ans plus vieux,
allait faire une commission.
Laisse-moi ta soeur, dit Léon à Georges. Je vais l'emmener
chez nous et lui donner du chocolat pendant que tu iras faire ta
course.
VARIA. 267 Î
Georges accepta, mais, pris de scrupule, il voulut voir ce que
faisait Léon. Il pénétra daus la cour, se hissa jusqu'à une fenêtre
d'où il pouvait tout apercevoir, et voici ce qu'il vit : Léon, désha-
billé devant Marie, posait pour le torse. Georges ayant révélé sa
présence, il se vêtit à la hâte et remit la fillette à son frère en lui
disant : Surtout, tais-toi ! ...
Il y a deux jours, le frère et la soeur eurent une querelle au sujet
d'un jouet. La discussion s'envenima. Georges menaça de raconter
à sa mère ce qui s'était passé. La mère entendit le propos, ques-
tionna ses enfants et apprit tout.
Une autre fillette de neuf ans, Marie R..., avoua également à sa
mère avoir visité fréquemment la maison de Léon. Ce dernier rému-
nérait la visiteuse, lui octroyant dix centimes ou quelques bonbons.
Marie R... a dû être l'objet de quelques soins médicaux.
Le commissaire de police du quartier, M. Douçot, fut informé de
ces faits et son enquête a révélé que l'ignoble gamin avait aussi
abusé, au sens adulte du mot, d'une dizaine de petites filles du
quartier. 11 réunissait même quelques vauriens de sa trempe chez
lui, et Casanova en herbe, il organisait des parties de plaisirs à
son âge d'ordinaire interdites. Malgré son jeune âge, ce précoce
passionné a été mis à la disposition de la justice.
Les cas de ce genre sont moins rares qu'on ne le suppose,
peut-être moins encore à la campagne qu'à la ville. Nous avons
publié dans le Progrès médical et reproduit dans le compte
rendu de Bicêtre, pour 1884, l'observation d'un malade atteint
d'instabilité et de débilité mentales avec perversion des ins-
tincts, qui avait des rapports sexuels avec six petites filles de
la même famille, dont l'ainée avait treize ans et la plus jeune
quatre. Alors il n'avait que douze ans.
Mort dramatique D'UN aliéné.
Un tragique événement vient d'avoir lieu à l'hospice du village
de La-Tour-de-France. Depuis le 8 décembre dernier, un malheu-
reux aliéné, âgé de trente-cinq ans, François Cros, était enfermé
dans un des cabanons d'aliénés de cet établissement.
Hier soir, après un accès de folie furieuse, il dut être mis en
cellule. La porte n'était fermée sur lui que depuis un moment,
que l'on entendit le malheureux pousser des cris affreux, qui ne
cessèrent que vers minuit.
Ce matin, les gardiens en venant lui rendre visite, aperçurent le
corps de l'aliéné accroché à la grille à air de la cellule, une moitié
du cadavre pendait en dehors.
268 VARIA.
Pour tenter de s'enfuir, Cros avait hier soir-grimpé jusqu'au
grillage de la petite fenêtre de la cellule. Il passa d'abord les
jambes et les cuisses, le bassin et une partie du corps à travers les
' barreaux qui n'avaient que douze centimètres de largeur, puis il
voulut passer la poitrine, la tête et les bras. Mais les barreaux trop
étroits l'en empêchèrent et il ne put plus avancer. Il voulut rétro-
grader et ne le put davantage.
Se voyant emprisonné entre les barreaux de la fenêtre, le fou fit t
des efforts désespérés; à chaque mouvement, les tringles de fer
entraient plus profondément dans ses chairs. Finalement, il se dé-
mena de si malheureuse façon que sa poitrine fut défoncée et le
coeur atteint par les fers du grillage.
Cette affaire a causé à Perpignan le plus vif émoi. Le gardien,
qui avait manqué à son devoir en n'allant pas surveiller le fou com-
mis à sa garde, a été renvoyé. ,*
Le procureur de la République veut donner suite à cette affaire
et il a l'intention de poursuivre correctionnellement le surveillant
et peut-être les administrateurs de l'hospice Saint-Jean comme
coupables d'homicide par imprudence. M. le maire de Perpignan,
président de la commission de surveillance, et deux administra-
teurs de service ont été mandés hier au parquet et très longue-
ment interrogés.
On ne sait si, après instruction, les poursuites seront définitive-
ment décidées, mais vu la condition des personnes mises en jeu,
l'opinion publique est vivement surexcitée. (Bataille, 10 jan-
vier 1892.)
Cette affaire s'est terminée par l'acquittement de l'infirmier.
Personne autre que nous sachions, n'a été poursuivi. Cet infir-
mier n'étant qu'un agent subalterne. Il doit y avoir, dans cet
hospice quelqu'un au-dessus de lui; la religieuse de sa salle et
la supérieure de la communauté de la maison, à défaut d'agent t
administratif laïc. Nous ne voyons figurer ni l'un ni l'autre
au procès. Il n'en a pas été de même à Paris dans une affaire
où une infirmière avait administré un lavement d'acide phé-
nique qui a eu des conséquences graves : non seulement l'in-
firmière a été poursuivie et condamnée, mais encore la sous-
surveillante, qui n'y était pour rien et celle-ci même à une
peine plus grave que celle-là. Si nous rappelons ces condam-
nations ce n'est pas pour demander des poursuites contre qui
que ce soit, mais pour montrer combien la justice est parfois
injuste et que l'égalité est souvent un vain mot.
D'ailleurs la responsabilité de ce fait tient-elle à la mauvaise
organisation de l'hôpital de la Tour-de-France. Il est pro-
VARIA. 269
bable que là, comme dans un très grand nombre d'hôpitaux
de province, les cabanons destinés aux malheureux aliénés
sont écartés loin de toute surveillance. Si de tels faits, ou des
faits analogues, ne sont pas plus fréquents, c'est pur hasard.
Nous avons autrefois rapporté dans les Archives (1887,
p. 172, 1888, p. 137), puis dans le Progrès médical (1889,
p. 31), le résultat à ce point de vue, de nos visites dans un
grand nombre d'hôpitaux et montré la situation abominable
qui était faite aux aliénés, en attendant leur envoi dans les
asiles. Nos" assertions ont été confil'mées par M. Napias, puis
par M. Monod. Une circulaire a été adressée par M. Fallières
aux préfets le 1er août 1887. L'année suivante, dans d'autres
hôpitaux, nous constations la même situation indigne. Nous
l'avons signalée dans nos rapports sur la revision de la loi sur
les aliénés. Depuis lors nous n'avons pas eu l'occasion de
visiter les hôpitaux de province. La situation a-t-elle changé ?
Nous l'ignorons car, contrairement à ce qui devrait être, l'ad
ministration ne publie pas chaque année un rapport sur l'état
de nos établissements de bienfaisance, et en particulier sur les
asiles. '
BOURNEVILLE.
SERVICE DES aliénés DE la SEINE
Personnel médical et administratif.
Sous-directeur des affaires départementales : M. LE Roux (Annexe
Est de l'Hôtel de Ville, caserne Lobau). Infirmerie spéciale du
Dépôt de la Préfecture de police : M. GARNIER (P.) ; Médecin-
adjoint : M. Legras; Internes : Lutas et ViGouRoux.
Asile clinique (Sainte-Anne), Directeur : M. le DT TAULE ; -
Service de M. Magnan. Internes : MM. PÉCIIARYAN et TARGOWLA. -
Service de M. le P BALL (clinique). Chef de clinique : M. P.\CTET;
Chef de clinique adjoint : M. SOLDER ; Interne : M. BOETEAU.
Service de M. BOUCiIEREAU. Internes : MM. LEFÈvRE et TOULOUSE. -
Service de M. Duduisson. Interne : M. PRIBAT. Service hydro-
, thérapique externe : M. DAGONET, médecin-adjoint de l'Asile. -
Laboratoire de la clinique. Chef : M. le Dr BLIPPEL ; Aides :
MM. BOETTAU et Champion.
Asile de Villejuif. Directeur : M. BAnnOUx. - Service de
M. BItIAND. Médecin-adjoint : M. Sérieux; Internes : MM. Bois-
sTEn et LACE(AUX. Service de M. Vallon. Médecin-adjoint :
M. ROUILLARD; - Internes : MM. HANNION et LEFILIATRE.
270 VARIA.
Asile de Vaucluse. Directeur-médecin en chef : M. Boudrie ;
- Division des hommes M. RAMADIER, médecin-adjoint j Interne :
M. CROUSTEL; Division des femmes ; M. BLIN, médecin-adjoint;
- Interne : M. Laroussime. Service de M. LEGRAIN (Colonie d'en-
fants idiots). Interne : 111.-111.1Ue.lTÉ. '
Asile de Ville-Evrard. - Directeur : M. Balet. Service de
M. MARANDON DE MUNTYEL. Internes : MM. ESCAT et LAVERGNE.Ser-
vice de M. KÉHAVAL. Interne : M. DESFossE. Service de M. FEBVRÈ.
Interne : M. j[OUNIC.
Discours SUR la médecine psychologique PRONONCÉ au CONGRÈS
INTERCOLONL1L DE iIIELBOUBNEi par F. N. iILINNING. (The Journal of
mental Science, juillet 1889.) 1
On trouve dans ce discours, que complètent de nombreux ta-
bleaux statistiques, des renseignements intéressants sur l'aliéna-
tion mentale et la psychiatrie dans les colonies anglaises. Nous
retiendrons seulement ce fait que, dans les asiles d'Australie, la
paralysie générale est beaucoup plus rare que dans les asiles
d'Angleterre (1,8 p. 1U0 du chiffre total des malades au lieu de
8,6 p. 100). Dans les asiles de la Nouvelle-Galles du Sud, cette
même proportion est de 3,4 p. 100, tandis que, pour la période
quinquennale correspondante elle était en Angleterre de 8,4 p. 100.
Il est à remarquer aussi que la paralysie générale paraît plus
commune dans les vieilles que dans les jeunes colonies : il sera
intéressant de rechercher si elle augmente de fréquence dans ces
dernières. Enfin on notera que l'épilepsie est beaucoup moins
fréquente dans les asiles australiens que dans les asiles anglais.
R. AI. C.
Description DU NOUVEL hôpital DE l'asile royal DES aliénés
DE h10\TROSE; par James C. IIowDEN. (The Journal of Mental
Science, janvier 1889.) ,
Ce court mémoire, accompagné d'un plan, donne une idée
exacte de la disposition que présente la nouvelle infirmerie de
l'asile des aliénés de Montrose : dans cette création, dont le besoin
se faisait vivement sentir dans l'asile, les règles de l'hygiène pa-
raissent avoir été intelligemment observées, la facilité du net-
toyage, du chauffage et de la ventilation a été l'objet d'une atten-
tion toute particulière; il est à noter toutefois que le prix de revient
de cette infirmerie est très élevé, puisqu'il s'élève au chiffre de
13,000 livres sterling pour 100 malades (soit 3,250 francs par lit),
sans compter les peintures et l'ameublement. R. M. C.
varia. 271 1
DE l'assistance DES aliénés pauvres dans l'avenir ; par D. HACK-
TUKE. (The Journal of mental Science, octobre 1889.)
Etude intéressante et consciencieuse comme toutes celles que
l'auteur a consacrées à ce sujet ou à des sujets analogues; nous ne
saurions toutefois l'analyser ici, parce qu'elle concerne surtout le
comté de York, et que d'ailleurs le mode d'assistance et de place-
ment des aliénés pauvres en Angleterre est trop différent de ce
qu'il est en France pour qu'on rencontre en pareille matière des
analogies instructives ou des exemples suggestifs. R. M. C.
SUR la MISE EN PENSION DES aliénés pauvres EN DEHORS DES asiles
EN Ecosse; par D. HACK-TuKE. (The Journal of Mental Science,
janvier 1889.) -
Nous résumons ici, en les abrégeant un peu, les conclusions de
cette très consciencieuse étude sur un mode d'assistance qui est
sérieusement expérimenté en Ecosse :
Le succès dépend entièrement du soin avec lequel on choisit les
malades qui peuvent bénéficier de ce genre d'assistance, et du soin
non moins grand avec lequel on choisit les personnes ainsi prépo-
sées à la garde des aliénés; on doit tenir compte de la disposition
des locaux, des facilités qu'ils offrent pour recevoir le malade, et
enfin, suivant le sexe et l'âge de celui-ci, de la composition de la
famille où il entre; de fréquentes visites d'inspection sont en outre
indispensables.
Ce serait une grande erreur de croire que le mode d'assistance
soit indistinctement applicable à tous les déments et à tous les
idiots; il en est beaucoup au contraire dont la place est exclusi-
vement à l'asile.
Les qualités qu'il faut exiger des personnes ainsi préposées à la
surveillance des aliénés sont assez rares pour qu'on ne puisse guère
compter que l'on rencontrera beaucoup de personnes capables de
les réunir dans le périmètre assez restreint où l'on peut disséminer
les aliénés ainsi assistés; la même observation s'applique aux con-
ditions de logement, etc., ci-dessus indiquée^.
La nécessité de fréquentes visites d'inspection pour éviter de la
part des gardiens volontaires toute négligence et toute cruauté à
l'égard de leurs pensionnaires, est manifeste; il faut reconnaître
que, malgré ces visites, l'application de ce système a eu dans quel-
ques circonstances de très fâcheux résultats, et il faut peut-être
s'étonner que ces fâcheux résultais ne soient pas plus fréquents.
La composition de la famille où entre un aliéné a une impor-
tance évidente ; il est manifeste par exemple qu'un ménage âgé
peut sans inconvénient héberger un malade dont la présence dans
une maison où il y aurait des enfants ou de jeunes femmes serait
loin d'être sans inconvénient. A côté des intérêts de l'aliéné, et au
272 varia.
même rang, on doit placer la sécurité physique et morale de la
famille qui le reçoit.
Si ces préceptes sont rigoureusement observés, il résultera de
l'application (d'ailleurs toujours et forcément limitée) du système
dont il s'agit, une augmentation de bien-être pour les malades et
-~un dégrèvement considérable, pour le budget de l'asile; mais si
elles ne devaient pas l'être intégralement, l'aliéné devrait sans
hésitation être maintenue à l'asile. R. M. C.
QUI doit prendre soin DES aliénés indigents ? par le Dr MOULTON
(American journal of insanity, octobre 1890.)
L'auteur, après un historique intéressant des différents procé-
dés de thérapeutique de la folie employés depuis l'antiquité jus-
qu'à nos jours, en arrive à cette conclusion, que l'Etat doit pren-
dre à sa charge les soins à donner aux aliénés indigents et les
dépenses à faire dans ce but. Les aliénés seront mieux traités et les
guérisons plus fréquentes que dans les cas où il ne sont soumis à
aucune surveillance professionnelle, comme cela se passe dans les
petits hospices. E. B.
NOUVELLE législation POUR LES aliénés dans l'Etat DE NEW-YORK;
par le Der MACDONALD. (American journal of insanity,janvier 1891.)
De toutes paris les gouvernements se préoccupent, à juste titre,
de la législation des aliénés et des modifications à apporter à la
condition et au traitement de cette classe intéressante de malades.
L'Etat de New-York, où sont traités 16,000 aliénés plus 1,500
idiots, a promulgué en 1889-90 une récente législation mise en
vigueur depuis plus d'un an. Les principales réformes ont été les
suivantes :
1° Augmentation du nombre des hôpitaux d'Etat, et, en parti-
culier, création d'un nouvel asile pour les aliénés criminels, pou-.
vant contenir 450 malades.
2° Création d'une commission d'Etat pour la folie, destinée à
exercer une surveillance gouvernementale, indépendante, sur les
aliénés et toutes les institutions tant publiques que privées des-
tinées à leur garde : l'Etat ayant pourvu à l'internement des aliénés,
il est de son devoir de maintenir une surveillance systématique sur
la direction des institutions qu'il a établies, dans le double but de
prévenir les abus qui pourraient s'y commettre et d'assurer au
public que leurs hôtes sont traités humainement et convenablement.
Cette commission est composée de trois membres, un médecin, un
homme de loi et un citoyen, nommés par le gouvernement avec
l'avis et le consentement du sénat. Le médecin président est
nommé pour six ans, le magistrat pour quatre, et le citoyen pour
VARIA. 273
deux, chacun pouvant être renommé pour des périodes subsé-
quentes de six ans. 1 ' , ,
Cette commission, logée dans le capitule d'Etat, à Albany, est
assistée d'un secrétaire, d'un sténographe, d'un agent télégraphi-
que et de tous employés nécessaires.
Au siège de la commission' est un bureau d'enregistrement
où sont collectés les certificats, les renseignements et notes indivi-
duelles concernant tous les aliénés de l'Etat. C'est à ce bureau que
tout directeur d'asile ou surveillant d'une institution soit publi-
que, soit privée, devra, dans le délai de dix jours après l'admission
d'un malade, produire une copie du certificat médical ou de l'ordre
en vertu duquel cette personne doit être reçue, en même temps
que tous autres détails requis par la commission.
La commission possède les pouvoirs les plus étendus pour exa-
miner l'état des asiles tant publics que privés, pour se rensei-
gner sur les méthodes de direction, de surveillance etde traitement
de leurs hôtes. ,
Les membres de la commission d'Etat réunissent de temps en
temps en conférence les directeurs, administrateurs ou autres
autorités responsables de chaque institution, pour examiner en
détail toutes les questions relatives à ces institutions.
C'est de la commission d'Etat que dépend toute autorisation
d'établir ou de diriger une institution destinée au traitement des
aliénés.
En cas de séquestration arbitraire, de mauvais traitements ou de
négligence d'un ordre quelconque, la commission désigne un de ses
membres pour faire une enquête, et ce membre exerce alors des
pouvoirs analogues à ceux des rapporteurs nommés par la cour
suprême. Si les faits sont prouvés, la commission est autorisée à
publier, au nom du peuple de l'Etat, et revêtu de son sceau, un
ordre adressé au directeur de l'institution en cause, le requérant de
modifier tel traitement ou d'appliquer tel remède, suivant le cas
spécifié : cet ordre, avant d'être publié, doit être approuvé par un
juge de la cour suprême. La commission prescrit des formules don-
nées, nécessaires à la délivrance des certificats d'aliénation men-
tale. Ces formules, à l'occasion, ont force de loi, et l'internement
d'un aliéné par des formules de certificats médicaux autres que
celles prescrites par la commission, sera regardé comme illégal.
En résumé, la surveillance et les pouvoirs de la commission en
ce qui regarde les aliénés et la direction dés institutions, au point de
vue des soins à leur donner et de leur traitement, sont en pratique
illimités, car cette commission détermine, à sa discrétion, le type
des soins médicaux, le nombre des assistants, le régime, les vête-
ments, la discipline les formules des archives et des comptes ren-
dus, articles et règlements de toute institution pour les aliénés, en
même temps qu'elle règle, avec l'approbation du gouverneur, la
Archives, t. XXIIL . ls
274 VARIA.
-nomination et la promotion d'officiers médicaux dans les hôpitaux
de l'Etat. La commission, qui fonctionne depuis dix-huit mois, a
élaboré dé nombreux règlements relatifs au transfert des malades
d'une institution à une autre, sans renouvellement des certificats ;
à l'établissement d'un tarif uniforme de paiement hebdomadaire
(4 dollars 25) à effectuer par les Comtés pour le maintien de leurs
malades ; au transfert des malades ; à l'abolition des distinctions
entre malades privés et publics sous le rapport de l'installation et
des soins, aux sorties temporaires et aux évasions.
3° Une des réformes les plus belles de la nouvelle législation est
de déclarer les ^malades pupilles de l'État et de pourvoir au trans-
fert des aliénés dépendant des refuges des Comtés dans les hôpitaux
de l'Etat, mettant ainsi un terme aux abus et scènes scandaleuses
que la fausse économie, la parcimonie, la cupidité et l'intérêt
personnel avaient pu déterminer dans certains refuges de Comtés.
Afin de placer dans le plus bref délai ces malades indigents des
refuges de Comtés, des corps de bâtiments séparés, d'étendue mo-
'dérée, seront construits sur les terrains des hôpitaux d'Etat déjà
existants : on n'installera dans ces constructions pas moins de 10,
et pas plus de 150 malades, et le coût de ces constructions avec
l'installation complète, mobilier et matériel, ne devra pas excéder
550 dollars par tête.
L'État est divisé en districts ayant chacun un hôpital d'Etat où
seront traités tous les aliénés du district.
4° Une dernière réforme de la nouvelle législation est de pour-
voir à la création, dans chaque hôpital d'Etat, d'une femme mé-
decin ayant qualité d'adjointe au corps médical régulier. E. BLIN.
Obligations DE la PROFESSION médicale ENVERS la société ET LES
aliénés ; par le Dr EVERTS. (American journal of insanity,
octobre 1890.) \ '
Le devoir du médecin est de protéger la société contre l'invasion
- des causes qui peuvent amener la maladie, d'en arrêter les progrès ;
' il y a pour lui obligation générale de connaître tout ce qui doit être
évité, et, dans la limite des capacités personnelles, tout ce qui
doit être connu.
' Ces conditions sont-elles appliquées en ce qui concerne l'étude
de l'aliénation mentale 2 - Sans nier qu'il y ait, pour un praticien,
; dans ses relations journalières et officielles avec la société, des
branches de connaissances médicales plus importantes que celles
qui portent directement sur l'aliénation mentale, cette dernière
* présente cependant un intérêt pratique assez grand pour condam-
- ner l'état actuel non seulement d'ignorance, mais encore d'indiffé-
rence, avec laquelle elle est traitée par le plus grand nombre des
' praticiens. ' '
VARIA. 378
Il est permis de se demander en effet, si des connaissances plus
approfondies qu'elles ne le sont d'ordinaire sur ce point particulier
de la pathologie ne permettraient pas aux médecins des familles,
en les mettant sur leurs gardes, en leur donnant les qualités
suffisantes pour découvrir, dans certains cas, les premiers indices
,d'un désordre cérébral, d'entraver dès son origine le 'processus
morbide avant qu'il ait atteint tout son développement, et avant
qu'il se soit définitivement installé en maître. E.'B.
Confession D'UNE JEUNE buveuse de laudanum (dose quotidienne
quatre onces, en deux fois). (The journal of mental Science, jan-
vier 1889.)
Autobiographie intéressante d'une jeune fille qui absorbait quatre
onces de laudanum par jour et qui, sans avoir recours à l'interne-
ment dans un asile qui avait été conseillé, a réussi, avec le concours
intelligent et dévoué de sa mère, à se guérir de son redoutable
penchant pour l'opium : la jeune malade décrit, d'une façon très
imagée, les états douloureux et pénibles par lesquels elle a passé
au moment de la suppression du poison habituel; elle signale ce
fait intéressant que, à un certain moment de la cure, elle aurait
pu aisément se procurer du laudanum, en raison du relâchement
de la surveillance dont elle était l'objet; mais déjà elle avait recou-
vré une force de volonté suffisante pour vouloir gnérir, et elle s'est
abstenue. Un point à noter : durant la période d'intoxication chro-
nique par l'opium, elle avait perdu toutes les mémoires, sauf la
mémoire musicale : elle parait, il est vrai, avoir été excellente mu-
sicienne.. R. M. C.
LES Asiles d'aliénés DE NEW-YORK.
La Commission nommée par le Maire d'York pour visiter les pa-
villons des aliénés dans les îles de Ward et Blackwell, a trouvé que
dans les onze constructions aménagées pour les malades atteints de
folie à des degrés différents, on peut y loger au plus 1,091 pension-
naires, bien qu'actuellement 1,817 aliénés y soient entassés. Chaque
pièce particulière de l'asile principal contient de 4 à lits, alors
qu'elle ne devrait en contenir qu'un seul. Les corridors eux-mêmes
qui étaient pourvus, dès l'origine d'alcôves destinées à- servir de
lieu d'attente, sont garnies de lits rangés le long des murs, ils sont
si près les uns des autres que les malades sont obligés de se servir
d'escabeaux pour grimper dans leur lit.
Dans le pavillon, désigné sous le nom de (Pavillon des fous dan-
gereux », environ 280 infortunés sont entassés dans des chambres
qui ont élé à l'origine aménagées pour 190 personnes. (The Boston
med. and Surg. Journal, 4 fév. 1892, 1). 128.)
276 varia.
. Comme on le voit ce n'est pas seulement en France, en par-
ticulier dans le département de la Seine, que les asiles sont
encombrés. -
'1 ..
DE l'aliénation mentale CHEZ LES GENS de. COULEUR aux états-unis;
par A.-H. VITUEa. (Allg. Zeitsch. f. Psychiiat., XLVII, 5.)
Avant la guerre de 1861-1865, il n'y avait si l'on en croit les allé-
. gâtions de ceux qui possédaient des esclaves, parmi les gens de
couleur, que des idiots et des épileptiques, mais pas d'aliénés. Et,
en effet le recensement général de 1860 donne 760 aliénés de cou-
leur, sur une population totale de 4,441,830. Celui de 1870 fournit
sur 4,880,009 individus de couleur, 1822 aliénés. En 1880 sur une
- population de couleur de 6,580,793, on note, 6,157 aliénés. L'alié-
nation mentale a donc continuellement progressé chez les gens de
couleur depuis l'abolition de l'esclavage; la proportion s'en rap-
proche de celle des blancs qui d'après le recensement de 1880 est
de 1 : 500. On conçoit du reste que, devenus libres, les nègres aient
surtout au début, eu plus à souffrir que les blancs ou, tout au moins,
autant qu'eux, des éléments psychoperturbateurs de la lutte pour
la vie et de la civilisation. Les formes psychopathiques sont à peu
près les mêmes chez les gens de couleur et les blancs. Les tenta-
tives de suicide sont rares chez eux.
Statistique du Government Hospital for the Insane
Du 1" janvier 1855 au 30 juin 1889.
VARIA. 277 Î
Voyage DE psychiatrie agricole EN Suisse ; par FLAMM. (Jahrbiich.
f. Psychiat., X, 1.) - ..
Narration toujours poétique et souvent humoristique. Parti de
Pfullingen dans les derniers jours de mai, l'auteur gagne Gattin-
gen et Waldburg d'où il visite l'asile de Weissenau en reconstruc-
tion pour 500 aliénés chroniques, passe à Saint-Pirmnisberg où il
étudie la colonie alpine de Saint-Margurethenbesq, annexe de l'as
sile de curables et d'incurables de Saint-Gall, et le voilà à Zurich.
Il loue fort l'asile de Moenigsfelden, à Langenthal; il consacre une
journée à l'asile de Saint-Urbain (du canton de Lucerne) ainsi qu'à'
sa colonie d'aliénés près Berne, c'est l'asile de traitement et d'hos-
pitalisation de Waldau qu'il l'occupe. Il s'arrête encore à l'asile de
Soloshurn et présente comme un modèle le nouvel asile cantonal
de Bâle. Puis il se dirige sur Fribourg-en-Brisgau et consacre de
longues pages à l'asile agricole de traitement et d'hospitalisation
d'Emmendingen construit et organisé, dit-il, sur le modèle de
celui d'Alt. Scherbitz. On peut écrire un livre sur cet établissement
sans arriver à le décrire. Tous les organes d'hygiène médicale rela-
tifs à l'air, à l'eau, au sol, à la destruction des germes morbides, le
choix de l'emplacement, le système de construction, des pavillons
des malades, le chauffage, la ventilation, l'alimentation d'eau et la
canalisation sont conformes aux indications les plus modernes.
Tout y est grand et scientifique, c'est un institut mis au service de
l'humanité dans lequel on a mis en pratique les grandes idées
médicales, hygiéniques,[sociales, administratives. On lui a consacré
bien des peines; on y a dépensé beaucoup d'argent; ces sacrifices
sont amplement récompensés. Les badois peuvent s'en enorgueillir
Citons : deux pavillons d'isolement pour maladies contagieuses, les
ateliers d'hommes et de femmes, des habitations à rez-de-chaussée
pour épileptiques, des habitations de malades tranquilles, bien
séparées des agités et du va-et-vient de l'établissement, enfin l'ins-
tallation d'une étuve de désinfection. Une colonie séparée est reliée
à l'asile par un téléphone et des moyens de transport, dans la-
quelle une bonne discipline facilite le fonctionnement des rouages
administratifs; la même largeur de vues, la même précision scien-
tifique a présidé à son organisation et à son agencement. Levoyage
se termine par l'étape de Fribourg et l'arrêt de M. Flamm à Stras-
bourg où se tient du 5 au 11 juin l'exposition agricole. Il ne quitte
pas l'Alsace sans examiner l'annexe de Stephansfeld, l'asile de
Hardt, qu'il admire. P. KERAVAL.
ALIÉNÉ ASSASSIN.
Un assassinat a été commis, en septembre 1891, à l'asile d'aliénés
de Kieil (Russie). Un nommé Tichansky, ancien étudiant en méde-
278 varia.
cine de la Faculté de Wladimir, interné depuis cinq ans dans la
section des agités, a tué un autre pensionnaire de cette section, un
nommé Gontscharoff, âgé de cinquante-trois ans. La veille du crime
rune vive discussion, accompagnée de coups, s'est élevée entre les
deux malades, mais ils ont été aussitôt séparés. Calmes en appa-
rence, ils se sont couchés comme d'habitude. Le lendemain matin,
les deux malades sont sortis au jardin, mais, quelques minutes
après, Gontscharoff est rentré au dortoir et s'est couché dans son
lit. Lorsque, pendant la visite, le médecin du service s'est approché
de Gontscharoff, celui-ci n'était plus qu'un cadavre. L'examen du
corps a démontré l'existence de plusieurs blessures sur la tête et
la fracture de toules les côtes du côté droit. Il paraissait évident
que le malade avait succombé à la suite des coups qui lui ont été
portés parTichanski. Ce dernier est sequestré, comme nous l'avons
dit, depuis cinq ans, et on n'a aucun espoir pour sa guérison. Il ne
supporte pas la moindre contradiction, il s'irrite aussitôt et se
jette comme un impulsif sur son interlocuteur. Il manifeste d'ail-
leurs la plus grande indifférence pour le crime qu'il a commis.
J. ROUBINOVITCH.
- L AFFAIRE DOURCHES : Hier, devant la dixième chambre correctionnelle du tribu-
nal civil de la Seine, comparaissaient deux des personnes qui
ont pris part, le 22 novembre dernier, à l'enlèvement de Ville-
juif : Achille Dourches, dix-neuf ans, frère de Louiez Dour-
ches, et Eugène Dourches, trente-cinq ans, son cousin. Ils
étaient poursuivis pour violences et voies de fait.
La prévention leur reproche d'avoir, en procédant à l'enlèvement
de 11111e Dourches, malmené onze surveillantes ou infirmières de
l'asile de Villejuif, dont quelques-unes auraient été assez griève-
ment blessées, et trois pensionnaires de l'asile. Voici, d'après la
procédure-, les faits qui sont reprochés aux prévenus : . ·
Le 22 novembre, à neuf heures du matin, au moment où
soixante-quatre pensionnaires, surveillées par quatorze infirmières,
se rendaient à l'église de l'asile de Villejuif, la femme Dourches.
son fils Achille, âgé de dix-neuf ans, Eugène Dourches, son parent,
Vincent Ardizon, camarade de celui-ci, et Wallinger, loueur de
voitures, se tenaient au coin de la rue Moustier, attendant le
moment favorable. Toutes les dispositions étaient prises, une voi-
ture attendait, préparée pour recevoir la fugitive et la ramener
rapidement à Paris. - - - 1 -
VARIA 279
Puis le document judiciaire montre la scène de l'enlèvement que
nos lecteurs connaissent déjà (voir n° 67, p. 131) et continue en
ces termes :
Eugène Dourches s'est montré si violent qu'il a atteint et blessé
onze infirmières : la dame Piquet a eu la lèvre coupée, la dame
Laget une contusion au front, la femme Rouvray a été atteinte
dans la région dorsale et a subi une hémoptysie assez abondante;
quant aux femmes Bastien, Course, Guillemot, Pougelard, Eon,
Enaux, Ledeur et Liourne, elles ont des contusions sans gravité.
Trois pensionnaires ont été blessées dans la bagarre. Eugène
Dourches a joué le rôle le plus actif dans cette inqualifiable agres-
sion. , - z
Quinze témoins, neuf infirmières, une ancienne pensionnaire de
l'asile, quatre médecins-aliénistes et le directeur de l'asile de Ville-
juif, sont assignés à la requête du ministère public.
141° Maupoix et Me Fontaine de Rambouillet sont au banc de la
défense. M. le substitut Trouard-Riolle occupe le siège du ministère
public. Les débats sont présidés par M. Richard. '
M. et Mmo Dourches, le père et la mère de Louise, n'ont pas été
compris dans les poursuites. Ils vont, paraît-il, introduire, devant
le tribunal civil, une requête en autorisation d'assigner le préfet
de la Seine, et, en tant que besoin, le directeur de l'asile Sainte.
Anne, où leur fille se trouve en ce moment enfermée, aux fins
d'obtenir la mise en liberté de la prisonnière. Sous réserve de
dommages-intérêts à l'égard de qui de droit.
A une heure et demie, l'affaire est appelée. Tout d'abord,
M. Eugène Dourches reconnaît différentes condamnations pour vol
et violences.
J'étais un enfant à cette époque, dit-il, et, depuis, j'ai bien
racheté ce triste passé ! - -
C'est vrai, réplique M. le président; mais cela prouve une cer-
taine violence de caractère. Saviez-vous dans quelles circonstances
M ? Dourches mère avait fait interner sa fille ?
R. Je les ignorais. Je ne savais qu'une chose, c'est qu'elle l'avait
fait enfermer pour maladie.
D. Etiez-vous allé voir votre cousine à l'asile ? i
R. Oui, et elle ne m'avait point semblé folle.
D. Mime Dourches vous a-t-elle parlé des démarches qu'elle avait
faites pour reprendre sa fille ?
R. Oui, et comme on la lui avait refusée, elle me dit : «Nous
pourrons la prendre facilement, à Villejuif même, au sortir de
l'asile, quand elle va à l'église. Tu te présenteras pour l'embrasser
dans la rue, comme font journellement les parents, et comme tu
8 0 VARIA.
es.grand, tu la prendras facilement d'ans tes bras et tu l'en-
lèveras. » ' .
D. Et qu'avez-vous fait ? , :
R. Tout ce que ma cousine' m'avait dit. A peine ai-je eu embrassé
Louise, toutes les surveillantes se sont jetées sur moi pour m'étran-
gler. Bref, je n'ai plus pu bouger. ,
; D. Vous avez frappé les infirmières ?
R. Ma foi, je ne sais pas ce que j'ai.fait, tant j'étais suffoqué par
cette multitude d'au moins quatre-vingts femmes ! ... Bref, je n'ai
eu d'autre ressource que la fuite ! (Hilarité prolongée.)-
D. Vous avez entraîné MUe Dourches dans cette fuite ?
R. Ce n'est pas moi, car j'étais mort aux trois quarts. (Nouveaux
rires.) . .
. D. Et qui donc ?
R. Son frère, venu à mon secours.
D. Vous auriez dû savoir que les actes de l'autorité sont respec-
tables quand ils sont éclairés. , , ,
. Achille Dourches reconnaît à son tour avoir été condamné pour
vol à l'étalage, en 1890.
J'ai rachelé cette faute, dit-il. '
, M. LE Président. - En abandonnant votre famille et en com-
paraissant aujourd'hui pour la seconde fois en policé correction-
nelle.
R. Cette fois, je ne crois pas avoir commis de délit. Ma mère m'a
dit : « Ta soeur est guérie, on refuse de me la rendre, allons la
chercher ! » J'y suis allé. Je ne crois pas avoir mal fait.
. Achille -Dourches n'est d'ailleurs intervenu dans l'enlèvement
qu'au moment où il a vu son cousin entouré par les-infirmières.
Je n'ai pas cogné, dit-il. C'est moi qui ai reçu des coups telle-
ment violents qu'il m'en est résulté des abcès.
;. M. LE Président. Ma foi, les infirmières se sont défendues.
.' .Le premier témoin entendu est Mm0 Dourches, la mère de Louise.
M. LE PRÉSIDENT ? En 1890, votre fille s'est éprise d'un chanteur
de café-concert, nommé Lucien, qui était, la première fois qu'elle
l'a vu, affublé d'un magnifique costume de mousquetaire. Ce cos-
tume a produit sur elle une grande impression. Bien qu'elle n'eût
jamais parlé à ce chanteur qui ignorait la passion qu'il avait ins-
pirée, elle se mit en tête de devenir sa femme.
' -Lorsqu'elle apprit qu'il était marié, il se manifesta chez elle des
troubles cérébraux. Elle n'eut plus conscience de ses actes. Elle
s'imagina être victime d'une cartomancienne qui lui transperçait
'VARIA. 281 1
le coeur à coups d'épingles et qui tenait sequestré l'homme qu'elle
aimait.
Dans la journée, elle poussait des cris : « On tue Lucien Il faut
prévenir la police, » disait-elle. Elle s'imaginait que des voisins
l'électrisaient de loin et la magnétisaient pour la dominer. Alors,
sur le conseil de M. Robin, votre propriétaire, et de M. Jaillard, un
de vos amis, vous avez, à l'insu de votre mari, qui travaille à
Puteaux, sollicité au mois de novembre l'internement de votre fille
à l'Asile clinique. Est-ce exact ? .
R. Oui, monsieur. -
111 ? Dourches, en compagnie de M. Robin et de M. Jaillard, se
présenta, le 19 novembre, chez le commissaire de police du quar-
tier du Père-Lachaise. Elle raconta au magistrat que sa fille tenait
depuis quelque temps des propos tout à fait déraisonnables. Aussi
sollicitait-elle le placement de Louise dans un asile d'aliénés.
Sur le certificat du Dr Arduin, la jeune fille fut conduite au Dépôt.
Là, elle fut aussitôt l'objet de l'examen du Dr Legras, qui recon-
nut que la malade était atteinte tout à la fois d'hallucinations très
vives et du délire de la persécution. Le rapport du Dr Legras
parvint le 20 novembre entre les mains de M. Lozé qui, immédiate-
ment, prit un arrêté ordonnant le transfert de 1\plue Louise Dourches
à l'Asile clinique où elle fnt examinée par le D'' Magnan, puis
envoyée à l'Asile de Villejuif. Aussitôt arrivée dans cet établisse-
ment, la malade y fut examinée par M. le Dr Briand qui, comme
les autres médecins, conclut à la folie de la jeune fille. *
Mm° Dourches déclare qu'à la suite de l'internement de sa fille et
de son transfèrement de Sainte-Anne à Villejuif, il y eut des scènes
violentes entre son mari et elle.
M. LE PRÉSIDENT. Vous avez dit à votre mari que la guérison
serait une affaire de peu de temps ?
R. Oui monsieur. Je croyais que, dans un mois, ce serait fini.
J'attendis. Au bout d'un an on ne m'avait pas rendu ma fille,
malgré plusieurs demandes. Un jour, j'ai appris qu'un enlèvement
avait eu lieu à Villejuif. Ça m'a donné l'idée d'en faire autant.
M. le PRÉSIDENT constate que le témoin s'est adressé non pas à son
mari, mais à son-cousin et à son jeune fils. Il ajoute :
Le fait d'avoir détourné un malade d'un asile ne constitue
pas un acte contraire au code pénal. Vous êtes citée ici comme
témoin seulement et non comme prévenue, parce que, personnelle-
ment, vous n'avez pas usé de violences.
Mu. Dourches raconte la scène de l'enlèvement. Elle est connue
de nos lecteurs (V. p. 131). , , ,
282 9 VARIA.
' M. LE président. Ce n'est pas la préoccupation absolue de la
santé de votre fille qui vous a guidée. Vous vouliez surtout rame-
ner le calme dans votre ménage.
zoo Dourches affirme que du jour de l'enlèvement au jour où
on lui a repris sa fille, Louise n'a donné aucun signe de dérange-
ment mental... ' '
Elle travaillait comme une négresse. '
Sur interpellation de ! \le Fontaine de Rambouillet : ..
Ma plus jeune fille m'a fait remarquer qu'Eugène et Achille
étaient enveloppés par les infirmières et les malades. Alors je me
suis approchée ; il y avait un tas de femmes, une trentaine au
moins, accrochées après Louise; je leur ai dit : « C'est ma fille !
Donnez-moi ma fille. s de la leur ai arrachée.
Le témoin se plaint des procédés employés par la police, le 7 jan-
vier dernier, lorsque l'administration a remis la main sur la jeune
fille.
Le matin, à cinq heures et demie, on a frappé à ma porte.
Il y avait là six hommes. Un d'eux m'a dit : « Nous sommes de la
police. Ouvrez votre porte; si vous ne l'ouvrez pas, nous l'enfon-
çons. » J'ai ouvert. Ils ont ordonné à mon fils Achille et à Louise
de s'habiller.
Le président donne lecture du rapport des agents qui déclarent
qu'après les avoir menacés d'aller se plaindre au Petit Journal,
Mme Dourches les remerciés « du tact et du ménagement » apportés
par eux en cette circonstance.
Les deux cloches n'ont pas le même son.
M. Barroux, directeur de l'asile de Villejuif, déclare qu'aussitôt
que l'enlèvement a été connu de lui, il a télégraphié à la préfec-
ture de police en signalant Louise Dourches comme une malade à
réintégrer. - '
C'est ensuite le défilé des surveillantes et infirmières auxquelles
Eugène et Achille Dourches ont fait des blessures plus ou moins
gravés. Une ancienne pensionnaire de Villejuif, sortie depuis peu
de l'asile, raconte les faits du 22 novembre. Elle a, dit-elle, été
frappée à la tête.
Tenez ! dit Eugène Dourches en la montrant ça lui a donné
une commotion telle qu'elle a été guérie. (Hilarité.)
Le pr ésident rappelle le prévenu aux convenances. On entend le
brigadier de gendarmerie de Villejuif, M. Dietrich, qui a maintenu
14Lme Dourches à sa disposition toute la journée. Enfin M. Robin,
un de ceux qui, en 1890, ont assisté la mère dans la demande d'in-
ternement, déclare qu'il a entendu dire -que- pendant les sept
. VARIA. 283
semaines qu'elle a passées dans sa famille, après l'enlèvement,
Louise était très calme, très travailleuse et n'avait aucunement
l'esprit dérangé. , .
Aux médecins, maintenant. Le Dr Briand, après quelque temps
de séjour à l'hospice a constaté chez la malade une certaine amé-
lioration.
Le Dr Vallon. Vers le mois de septembre 1891, M ? Dourches
mère, prétendant que sa fille était guérie, sollicita de l'administra-
lion la mise en liberté de Louise. Le préfet de la Seine prescrivit
immédiatement un examen des facultés mentales de la jeune fille.
Le 14 septembre 1891, j'ai rédigé un rapport aux termes duquel
M110 Louise Dourches était déclarée toujours atteinte d'hallucina-
tions et du délire de la persécution. En conséquence, la demande
de mise en liberté formée par la mère de la malade fut repoussée.
Le Dr Garnier. Aujourd'hui Louise Dourches se tient conve-
nablement. Mais, à mon. avis, ce n'est que par suite d'une illusion
que certaines personnes déclarent qu'elle est guérie. C'est là une
illusion dangereuse à la fois pour la malade elle-même et la sécu-
rité des personnes, car rien n'est fait pour la traiter et la surveiller,
alors qu'il s'agit de troubles intellectuels qui, par leur nature,
peuvent provoquer des actes dont MUe Dourches ne pourrait être
déclarée responsable. J'estime que, soustraite par la violence à un
traitement et à une surveillance que le désordre de ses facultés
mentales rendait absolument nécessaires, elle devait être réinté-
grée dans un asile d'aliénés.
Le Dr MAGNAN. - Louise Dourches va mieux, mais elle conserve
des idées délirantes, il faut donc qu'on la laisse tranquille. C'est
pourquoi je me suis énergiquement opposé, par crainte de pro-
voquer chez elle une excitation dangereuse, aux visites de la mère
et à celles de l'avocat (Hilarité.) ,
111 Fontaine DE Rambouillet. M. le Dr Magnan pense-t-il qu'il
soit salutaire pour la malade d'aller l'arracher de sa famille à cinq
heures du matin ?
M. MAGNAN. - En agissant ainsi, on a commis une faute égale à
celle qu'on avait commise en procédant à son enlèvement. Si on
n'avait pas surexcité cette pauvre fille, il est probable qu'elle serait
aujourd'hui guérie et en liberté.
M. Dourches père travaille à Puteaux. Il va chez sa femme tuus
les huit ou quinze jours. Le témoin déclare qu'il n'a pas connu, au
mois de novembre 1890, la demande d'internement adressée par
'sa femme.
Je n'ai, dit-il, jamais rien remarqué dans l'état meutal de ma
fille. A ma connaissance elle n'a commis aucune sottise. Elle a
284 FAITg DIVERS.
voulu se marier avec un homme qui lui plaisait. Que voulez-vous ?
Ce n'est pas une raison de folie.
De nombreux voisins ou amis de la famille Dourches, des per-
sonnes qui ont employé Louise pendant ses sept semaines de liberté,
affirment qu'elle ne leur paraissait pas folle. '
M. le substitut Trouard-Riolle demande au tribunal de' faire un
exemple. Les infirmières et les surveillantes chargées d'un service
public ont été brutalement maltraitées pour avoir courageusement
accompli leur devoir. Un châtiment s'impose.
L'honorable organe du ministère public estime qu'Eugène
Dourches, en raison de son âge et du rôle prépondérant qu'il a
joué en cette affaire, doit être plus sévèrement puni que son cou-
sin. Ce dernier a d'ailleurs été influencé par sa mère.
, ! \le Fontaine de Rambouillet, dans sa défense d'Eugène Dourches,
tombe à bras raccourcis sur les procédés employés par la police
pour s'emparer de nouveau de Louise Dourches. Il donne lecture
d'un arrêt de la cour de Besançon qui dit :
Lorsqu'une personne est sortie ou s'est évadée d'une maison
d'aliénés et qu'il s'est écoulé quelque temps depuis lors, la liberté
reconquise devient pour cette personne un droit auquel on ne peut
porter atteinte sans remplir toutes les conditions et formalités
requises par la loi pour un internement.
. ! \le Maupoix présente ensuite la défense d'Achille.
Le tribunal condamne Eugène Dourches à trois mois et Achille
Dourches à quinze jours d'emprisonnement. -
FAITS DIVERS
Asiles d'aliénés. Nominations et mutations. - Arrêté du
30 décembre 189 1. -Le Dl BONNRT (Joseph), interne de l'asile public
de Villejuif, déclaré admissible aux emplois de médecins-adjoints
des asiles publics (concours de Lyon du 10 décembre 1891), nommé
médecin-adjoint à l'asile public de Saint-Robert (Isère), est com-
pris dans la 2° classe. - Arrêté du 10 janvier 1892. M. le Dr Charon,
interne à l'asile public de Bonneval (Eure-et-Loir), déclaré admis-
sible aux emplois de médecins-adjoints des asiles publics (concours
de Lille du 10 décembre 1891), nommé médecin-adjoint à l'asile
faits DIVERS. 285
public de Bailleul (Nord), est compris dans la 2° classe. Arrêté
du 19 janvier. M. le Dr Chardon, ancien interne à l'asile public
d'Armentières, déclaré admissible aux emplois de médecins-
adjoints des asiles publics (concours de Lille du 10 décembre 1891),
nommé médecin-adjoint.à l'asile public de Saint-Venant (Pas-de-
Calais), est compris dans la 2° classe. Arrêté du 19 janvier. Sont
promus à partir du 1er janvier 1892 : à la 1 ? classe : M. BAnRoux,
directeur de l'asile public de Villejuif; M. le Dr Camuse, direc-
teur-médecin à l'asile public dé Bonneval (Eure-et-Loir). A la
classe exceptionnelle : M. le D1' VERNET, médecin-adjoint à l'asile
public de Saint-Luc (Basses-Pyrénées). Arrêté du 22 janvier.
Sont promus à la 1e classe : M. le Dr ROUILLART, médecin-adjoint
à l'asile public de Villejuif, à partir du 1er janvier 1892; M. le
D'' SÉRIEOx, médecin-adjoint à l'asile public de Villejuif à partir du
1er avril 1892.
Asile d'aliénés DE la SEINE. Le concours pour la nomination
à huit places d'internes eu médecine dans les asiles d'aliénés de la
Seine s'est terminé par les nominations suivantes. Internas titu-
laires, MM. : 1. Lachaud ; 2. Escat; 3. Lefilliâtre; 4. Mounlie;'
5. Croustel; 6. Lersergne; .7. Maupâté ; 8. Desfaise. - Internes
provisoires, MM. : 1. Gosselin ; 2. Ecart; 3. Nollet; 4. Lemaitre.
CONGRÈS international DE PSYCHOLOGIE expérimentale. La
deuxième session du Congrès international de psychologie expéri-
mentale se tiendra du 2 au 5 août prochain, à Londres, sous la
présidence de M. Henry Sigdwick.
ONZIÈME CONGRÈS allemand de MÉDECINE INTERNE. Dans ce Con-
grès, qui se tiendra à Leipzig du 20 au 23 avril 1892, les questions
intéressant la neuropathologie seront les suivantes : Thérapeutique
suggestive (M. Binswanger). Suites de l'excision de gros fragments
de la moelle épinière (MM. Goltz et Ewald). Traitement de l'alcoolisme
(M. Vucetic). Diabète pancréatique expérimental (M. Minkowski).
Académie royale DE MÉDECINE DE BELGIQUE. Parmi les sujets
proposés aux concours se trouve : Histoire, indications et contre-in-
dications, technique et résultats de la trépanation crânienne, prix,
800 francs; clôture du concours : 15 septembre 1892. Faire l'étude
des fonctions du corps thyroïde, prix 500 francs; clôture du concours :
1er février 1893. Elucider par des faits cliniques et au besoin par des
expériences, la pathogénie et la thérapeutique de l'épilepsie, prix,
4.000 francs; clôture du concours : leur février 1894. Des encoura-
gements de 300 à 1 000 pourront être décernés à des auteurs qui
n'auraient pas mérité ce prix, mais dont les travaux seraieut jugés
dignes de récompense. Une somme de 25 000 francs pourra être
donnée, en outre du prix de 4 000 francs, à l'auteur qui aurait réa-
lisé un progrès capital dans la thérapeutique des maladies des cen-
286 FAITS DIVERS.
tres nerveux, telle que serait, par exemple; la découverte d'un
remède curatif de l'épilepsie.
Délire alcoolique. -La nuit dernière, à minuit, les passants
fuyaient affolés devant un individu qui, installé place Voltaire et
tenant un revolver il la main, déchargeait son arme à tort et à tra-
vers. Tournant ensuite sa fureur contre la statue de Ledru-Rollin,
installée à cet endroit, l'homme se mit à tirer sur le bronze. Des
agents s'emparèrent du forcené. C'est un nommé Gustave L...,
âgé de vingt-six ans, demeurant à Charonne. 11 était ivre et a
allégué pour sa défense que Ledru-Rullin l'avait insulté.
Asiles pour aliénés CRIMINELS EN ITALIE. La semaine dernière,
le Sénat a voté la loi sur les aliénés, aux termes de laquelle
(art. 38) il est établi des asiles pour criminels (manicomi giudizia1'i)
(Sem. méd.).
Musée d'anthropologie ET d'ethnologie DE Florence. Sur l'ini-
tiative de M. Mantegazza, il vient d'être annexé au Musée d'anthro-
pologie et d'ethnologie de Florence une section psychologique dans
laquelle seront réunis tous les objets, documents et appareils rela-
tifs aux divers sentiments humains : amour, cruauté, esprit reli-
gieux, luxure, orgueil, etc. (Sem. méd.) -
LES Bègues. - M. le Dr Chervin, dont les travaux sur le bégaie-
'ment sont bien connus, a fait récemment, dans le service de
M. Raymond à Lariboisière, une très intéressante leçon sur les
symptômes caractéristiques de cette affection spéciale. M. Chervin
.s'est efforcé d'apporter de la précision dans l'expression de bégaie-
ment qui a des acceptions aussi élastiques que possible, puisqu'elles
vont depuis les premières hésitations du langage de l'enfant jus-
qu'à la parole embarrassée des paralytiques généraux.
Pour M. Chervin, les symptômes caractéristiques du bégaiement
proprement dit sont au nombre de cinq, savoir : 1° début dans
l'enfance; 2° troubles respiratoires plus ou moins marqués; 3° inter-
mittence; 4° disparition totale dans le chant; 5° indépendance
absolue avec les troubles quelconques des organes sensitivo-
moteurs. ZD
En terminant, M. Chervin a rappelé la méthode suivie à l'Insti-
tution des bègues de Paris pour la guérison du bégaiement.
(Fr. méd.)
L'interdiction DES séances publiques d'hypnotisme. Nous lisons
dans l'Eclair du 25 janvier : Le docteur Bérillon a donné hier
matin, à neuf heures, à la clinique de la rue Saint-André-des-Arls
une très curieuse séance d'hypnotisme. Nous avons reconnu dans
l'assistance l'infante dona Eulalia de Bourbon, le marquis de llijar
-et plusieurs personnes de la suite'de la princesse. L'infante dona
FAITS DIVERS. ' '287
Eulalia a paru prendre un vif intérêt à cette séance. - Sans com-
mentaires.
UNE fâcheuse expérience d'hypnotisme. M. X... dort depuis
trois jours, depuis' que le professeur Z... l'a endormi dans une
séance d'hypnotisme qu'il donnait dans un café. Cette séance eut
lieu au cours de laquelle le professeur Z... hypnotisa plusieurs con-
sommateurs avec des fortunes plus ou moins heureuses. M. X... se
montrait sceptique; ce magnétiseur se piqua au jeu, il lui fit les
passes traditionnelles, et le patron vaincu tomba dans un sommeil
dont le professeur lui-même n'a pu encore le tirer. Les médecins,
qui ont été appelés, n'ont pu avoir raison de ce dormeur qui
inquiète son entourage, car il a des crises nerveuses qui semblent
le faire beaucoup souffrir. Voilà un incident qui va renforcer les
arguments des médecins qui demandent l'interdiction des séances
publiques d'hypnotisme. (L'Eclair.)
Crime ET FOLIE. - On se rappelle le drame de Chantelle, à la
suite duquel Delphine Prévost, femme Achet, née à Paris en 1857,
accusée d'assassinat commis le 17 octobre 1890 sur la personne du
notaire Lépine, avait été condamnée par la Cour d'assises de l'Al-
l'ier, à douze ans de travaux forcés. Elle avait été envoyée, le
27 juin 1891, à la maison centrale de Montpellier. Elle y tomba
malade à plusieurs reprises. Depuis quelque temps, elle donnait
des signes de dérangement d'esprit. Après examen médical, il fut
constaté qu'elle était atteinte d'aliénation mentale. En consé-
quence, elle a été conduite à l'Hôpital général, quartier des folles.
(Progr. méd.)
Hôpital pour épileptiques. Le Gouverneur du Massachusetts a
envoyé un message au parlement dans lequel il demande la cons-
truction d'un hôpital de l'État pour les épileptiques adultes, en y
joignant le rapport du comité de la société médicale du Massachu-
setts, nommé pour étudier la question. Le bureau du Conseil d'É-
tat chargé des établissements d'aliénés et de charité a tenu compte
de la recommandation. Le Gouverneur dit en concluant : « Selon
moi, les faits établis et les raisons données dans la communication
de la commission donnent droit à une action favorable et prochaine.
Je recommanderais surtout que l'établissement, s'il est fondé, fût
érigé sous forme de Cottage Hospilals. » (The Boston med. and surg.
Journ., 4 fév. 1892. p. 129.)
Nécrologie. M. le D'' Despine (de Marseille), à qui l'on doit de
nombreuses et intéressantes études de psycho-physiologie et de
pathologie nerveuse (la psychologie naturelle; étude scientifique sur
le somnambulisme; de la contagion morale; de l'imitation, etc., etc.).
M. Ar.FnEU l41aunY, ancien professeur d'histoire et de morale au
Collège de France, directeur général des Archives nationales,
88 BULLETIN bibliographique.
membre de la Société médico-psyc)oloyique, et auteur de nombreux
travaux interprétant les sciences et la médecine, entre autres :
le sommeil et les rêves; la magie et l'astrologie dans l'antiquité et au
moyen âge; croyances et légendes de l'antiquité; légendes pieuses au
moyen âge; responsabilité partielle; c1'étinisme,. écrits des aliénés,
etc., etc..
Asile d'aliénés. Le tribunal civil d'Avignon vient de con-
damner M. Bresson directeur de l'asile d'aliénés de Mont-de-Ver-
gues, et M. Bret, préfet de Vaucluse, à 400 francs d'amende pour
une méprise administrative des plus regrettables. Il y a quelque
temps, la famille Réboul, de Roquemaure, était informée de la
mort d'un de ses membres qui y était interné. Les obsèques eurent
lieu et les parents prirent le deuil. Or, on s'aperçut quelques jours
après l'enterrement, que Réboul, de Roquemaure, était vivant;
c'était un autre aliéné du même nom qui était mort ! De là plainte
de la famille et condamnation. GEOnGES Guinon et J.-B. CHARCOT.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
BLOCQ (P.) et ONANOFF (J.). - Maladies nerveuses (séméiologie et dia-
,qnostic). Volume in-12 cartonné de 531 pages, avec 88 figures. - Prix :
5 fr. Paris, 1892. Librairie G. Masson.
BuzzARD (Th.). On lhe simulation of hysteria by organic diseuse of
the nervous system. Volume in-12 cartonné de 113 pages. London,
1891. J. et A. Churchill.
Index-Catalogue of the library of the surqeon-general's office Uni-
ted States Army. Vient de paraître le volume XII : REGER SHUTTLEWOA711.
Volume in-4° cartonné de 1004 pages. Washington, 1891. Gover-
nment printing office. c
Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie, l'hystérie et l'idio-
tie. Compte rendu du service des enfants idiots, épileptiques et arriérés
de Bicêtre pendant l'année 1890, par Bourneville, médecin de Bicêtre,
avec la collaboration de 11lllL Camescasse, Isch.Vall,Dlorax, Baoult, Semlas,
et Sollier. Un fort volume de Lx-240 pages avec 16 figures et 10 plan-
ches. Prix : G fr. ; pour nos abonnés, prix : 4 fr.
VIZIOLI (R.). Conlribuzione alla neuropatologia del diabète. La clau-
dicazione intermittente corne mezzo diagnostico nei casi di diabète deci-
pions. Brochure in-8° de 8 pages. Napoli, 1891. Stabiimento Tip.
A. Tocco et C.
Le rédacteur-gérant, BOURNEVILLR.
vreux,C6. IlFmsssv, imp.- 32.
Vol. XXIII. Mai 1892. Nu 69,
ARCHIVES DE NEUROLOGIE-
CLINIQUE MENTALE.
SOMNAMBULISME SPONTANÉ DANS SES RAPPORTS .
AVEC L7[IYI,;TÉItIE;
Par' D' Ernest MESNET,
Membre de l'Acadéiiiie de médecine, Médecin honoraire de l'Hôtel-Dieu.
En 1872, il y a vingt ans, alors que les troubles
nerveux du somnambulisme, loin d'être acceptés
comme une réalité, étaient considérés comme fan-
taisies de malade, et illusion du médecin, j'avais dans
mon service à l'hôpital Saint-Antoine quelques malades,
qui par la singularité des phénomènes nerveux qu'elles
présentaient, ne furent tout d'abord, pour mes col-
lègues, qu'un objet de curiosité, jusqu'au jour où une
observation plus attentive leur démontra la vérité des
faits pathologiques qu'ils avaient sous les yeux. Con-
vaincu que la démonstration scientifique reposait tout
entière sur l'étude clinique, je cherchais de nou-
veaux malades pour multiplier mes observations, quand
un médecin du voisinage, qui suivait ma visite, fut
frappé de l'analogie des phénomènes que je signalais
à son attention, avec les accidents que présentait une
jeune malade de sa clientèle dont il voyait l'état s'ag-
ARCU1VES, t. XXIII. 19
290 CLINIQUE mentale.
graver chaque jour; et me demanda de la prendre
dans mon service pour lui donner mes soins.
r- Quelques renseignements, pris à la volée, me don-
nèrent à penser qu'il s'agissait d'un cas de somnam-
bulisme spontané dont les crises intercalées entre
deux accès d'hystérie ressemblaient à celles de la
malade 111me B... que j'avais observée en 1855, dont
j'avais publié l'histoire eu 1860 '.
Je pressai l'entrée de cette malade dont l'étude me
semblait devoir être d'une importance de premier
ordre dans la question si controversée des névroses,
à savoir : s'il existe quelques rapports de famille
entre le somnambulisme spontané et l'hystérie ? et
quels sont ces rapports ? Elle me vint quelques jours
après en juillet 1872.
C'est une jeune fille de dix-sept ans, d'une constitution délicate,
lymphatico-scrofuleuse, décolorée, anémiée, toujours souffrante ;
- dans sa première jeunesse, elle a eu une coxalgie, suivie de luxa-
.tion, qui la laisse boiteuse avec un raccourcissement du membre.
En mars 1872, âgée alors de seize ans et demi elle a pré-
senté pour la première fois quelques troubles nerveux, assuré-
ment de nature hystérique, bien qu'elle n'ait point de convulsions,
tels que : .
Affaiblissement de la sensibilité dans les membres inférieurs,
avec un certain degré de faiblesse musculaire;
Sensibilité excessive (hyperesthésie) le long de la colonne verté-
brale vers le milieu de la région dorsale, au point que le plus
léger contact lui donne une sensation si pénible qu'elle se dérobe
au toucher, et pousse des cris de douleur;
Elle a depuis longtemps une légère toux nerveuse, sans troubles
appréciables à l'auscultation. Sa menstruation pauvre, mais assez
régulière, est établie depuis deux ans.
Vers le mois d'avril, on remarque que le caractère de mule F...,
habituellement triste et peu communicative, se modifie brusque-
ment ; elle se trouve mieux, se dit très heureuse, est d'une gaité
exagérée, fait mille projets de fêtes, de plaisirs, de parties de
- ' Archives générales de médecine, février 1860.
somnambulisme spontané ET hystérie. 291
campagne; en un mot se montre si différente d'elle-même qu'on
peut croire à un léger degré d'excitation cérébrale. Le 24 avril
apparaît la première crise. '
J'extrais d'une note fort détaillée, et fort bien faite du Dr Aubrun,
son médecin ordinaire, les renseignements qui vont suivre :
Le 24 avril, après avoir déjeuné en famille avec beaucoup
d'entrain, avec une grande gaité et un fort bon appétit, elle est
prise brusquement, en sortant de table, de perte absolue de con-
naissance avec résolution complète des membres, et semble tombée
dans un profond sommeil - sa respiration à 27 - son poulsà66-
sa température normale. Elle n'a aucun signe de souffrance;
l'expression de sa physionomie est calme, les yeux sont fermés
avec un léger mouvement vibratoire des paupières, on lui parle,
elle n'entend, ni ne répond; si on la pince, elle a un léger dépla-
cement du membre qui semble indiquer une certaine sensibilité
obtuse.
L'application des sinapismes des inspirations d'étlier des
lotions d'eau froide sur la face ne produisent aucun effet, l'immo-
bilité persiste.
Après une heure de durée de ce sommeil léthargique, cette
jeune fille porte la main à ses yeux, se frotte les paupières, fait un
grand et profond soupir, ouvre les yeux, sourit à ses parents qui
l'entourent, et demande avec un accent de surprise : pourquoi elle
est couchée sur son lit ? Elle n'a aucun souvenir de ce qui s'est
passé, ni de ce qu'on lui a dit, ni de ce qu'on lui a fait ; elle se
lève sans ressentir ni fatigue, ni malaise, et passe le reste de la
journée avec sa gaité habituelle.
25. La nuit a été bonne, le sommeil calme. Elle se lève le
matin avec son entrain de tous les jours; à midi, elle se met à
table, déjeune bien, et ci une heure est brusquement reprise, comme
la veille, de perte subite de connaissance avec résolution complète
des membres, abolition des sens, apparence d'un sommeil calme
et profond qui dure une heure comme la veille. Après quoi, elle
se réveille en se frottant les yeux, sans souvenir de sa crise, et en
manifestant le même étonnement de se voir étendue sur son lit.
26, 27. La crise se répète à la même heure, dans les mêmes
conditions, invariablement semblable à elle-même.
28. - Même crise à une heure de l'après-midi, en sortant de
déjeuner. Mais, ce même jour, le soir, à 8 heures, après son
dîner, elle est reprise d'une seconde crise léthargique avec l'en-
semble symptomatique des accès précédents, caractérisés par la
résolution des membres et l'obtusion momentanée de toutes les
expressions de la vie de relation.
La solution de cet accès, loin de ressembler aux précédents, fut
la transition de la crise léthargique à une crise somnambulique
dont nous allons retracer les caractères les plus manifestes.
292 ' ' clinique mentale.
Après une demi-heure de sommeil, la jeune fille fait plusieurs
grandes inspirations, se frotte les yeux comme d'habitude; on crut
qu'elle allait s'éveiller. Mais non... elle entre dans un tout autre
-ordre de phénomènes; à l'immobilité succède le mouvement, à
l'inertie l'activité physique et intellectuelle, à l'obtusion des sensi-
bilités et des sens, des hypéresthésies partielles.
Elle se plaint de souffrir; elle porte les mains sur le sternum en
disant ressentir de ce côté des douleurs très aiguës; elle demande un
couteau pour ouvrir son estomac; elle se plaint de la tête à laquelle
elle s'est faite une légère contusion dans une chule au moment de
la crise; elle se tord les bras, en répétant qu'elle souffre cruelle-
ment ; elle a, dit-elle, une boule de feu dans la tête, un fer rouge
dans l'estomac. -
Sa famille et les personnes qui l'assistent essaient de la consoler,
lui prodiguent les plus affectueuses paroles, mais elle ne les entend
pas, on lui crie dans les oreilles, son ouïe est fermée; elle n'a
aucune communication avec son entourage.
La sensibilité de la peau est à ce moment fort exagérée; lors-
qu'on la touche, elle se retire brusquement, disant qu'on lui fait
mal.
Les paupières sont fermées, et les yeux convulsés en dedans, ce
qui semble lui être douloureux, car à chaque instant elle cherche
à ouvrir ses paupières avec ses doigts, et, impatientée de ne pou-
voir réussir, elle dit avec aigreur : 4 Je ne pourrai donc pas les
ouvrir ! C'est triste, je ne vois que du rouge ! »
Elle ne voit pas ses parents qui entourent son lit; elle es
mécontente de leur absence, et se plaint de ce que personne ne
lui parle, 4 Vous êtes donc tous devenus muets ! ... Pourquoi ne
me parlez-vous pas ? »
Elle ne sait avoir quelqu'un près d'elle qu'à la condition de tou-
cher de sa main la personne, mais elle ne la reconnaît pas lors
même qu'elle l'interpelle ; elle porte prestement les mains sur les
habits, sur la figure, et dit : Cela ressemble à mon frère, cela à tel
ou tel..., mais elle ne désigne jamais nominativement la personne.
Après vingt minutes de plaintes et de gémissements, elle s'est
btusquement assise sur son lit en disant :
» C'est ennuyeux de toujours s'occuper de ses souffrances; je
vais aller me promener pour les faire cesser. » .
Aussitôt elle descend de son lit, se vêtit à la légère, et toujours
les yeux fermés, se dirige vers la porte pour sortir. Ses parents lui
faisant obstacle, elle les bouscule avec force, avec rage, et leur
dit en riant : «Vous voulez m'empêcher de sortir ! Nous allons bien
voir, je serai la plus forte ! » Et alors commence une lutte violente
dans laquelle cette jeune fille grêle et délicate aux prises avec trois
ou quatre personnes, les bousculait avec une énergie dont elle ne
semblait pas capable.
SOMNAMBULISME SPONTANÉ ET HYSTERIE. 293
Après avoir lutté en vain, elle leur dit : « Ah ! vous voulez m'en-
pêcher de sortir par la porte, eh bien, je vais m'en aller par la
fenêtre, » Et sans plus tarder, d'un pas rapide, elle se dirige de
ce côté.
Un de ses parents arrive en toute hâte près de la croisée, s'assure
qu'elle est bien fermée, et laisse agir librement la jeune fille. Elle
prend l'espagnolette, et, la tirant de toutes ses forces, produit un
léger entre-bâillement de la fenêtre, bien qu'une main appliquée
sur la tige de fer, la maintint vigoureusement. En sentant ce faible
mouvement de va-et-vient, elle redouble ses efforts en disant :
« Allons ! courage, elle va s'ouvrir ! » et tout en insistant, elle ne
senlait ni ne voyait la personne qui lui faisait obstacle. Après dix
minutes de tentatives infructueuses, elle eut l'idée qu'on pouvait
avoir barricadé la croisée; elle en fit l'inspection avec ses mains
qu'elle promenait du haut en bas; elle rencontra la main qui
tenait la tige de fer : a Encore de grosses mains', dit-elle, qui
me dérangent, c'est ennuyeux ! mais j'en viendrai à bout tout de
même;» et elle recommença à tirer avec plus de violence que
jamais.
Vers 10 heures, elle abandonne son idée de sortir. «Puisqu'on
ne veut pas que j'aille me promener, je vais aller me coucher, dit-
elle. » Elle vient à son lit, enlève brusquement les couvertures, les
draps, qu'elle jette sur le parquet, et tire son lit en avant. Puis,
reprenant successivement draps, couvertures, elle refait son lit
avec méthode, bien qu'elle ait les paupières closes, les yeux con-
vulsés ; elle étendait légèrement ses mains sur chaque objet, recon-
naissant par le toucher l'endroit de l'envers des draps; la marque
lui indiquait le côté de la tête et le côté des pieds, elle avait en ce
moment une finesse du toucher qui suppléait à la vue, complète-
ment absente.
Quelqu'un à ce moment sort de la chambre, elle saute d'un bond
vers la porte, l'ouvre, se sauve en simple jupon; on la rapporte
sur son lit, elle rit aux éclats de sa tentative avortée, en déclarant
que c'est fini, qu'elle ne veut plus sortir ! Elle parte de mille choses
en rapport avec ses habitudes et ses goûts, la parole est rapide,
sur un ton qui n'est pas le sien. Elle monte sa voix et dit : Je
vais dormir ! » ,
Aussitôt elle tombe dans le sommeil profond du début de la
crise, avec résolution des membres, calme parfait des traits, ralen-
tissement du pouls et de la respiration. Après cinq minutes de
cet état léthargique, elle se frotte les paupières, fait un grand
soupir, s'assied sur son lit, bien éveillée, très surprise du désordre
de sa chambre, demandant ce qui s'était passé, sans avoir la plus
légère impression, le moindre souvenir de cette longue crise d'agi-
tation et de violences. Le désordre de sa chambre lui est désa-
gréable,.elle se lève pour tout remettre en place, puis se couche à
294 CLINIQUE MENTALE. ,
côté de sa mère, et passe une excellente nuit dans le sommeille
plus calme. -
- 29. - Le lendemain matin, elle insiste près de sa mère pour
savoir ce qui s'est passé la veille, on le lui raconte, et en appre-
nant le désordre de ses actes) elle se désole, fond en larmes, et
demande pardon à toute sa famille d'avoir été aussi déraison-
nable.
Jusqu'à 1 heure, tout est bien. A 1 heure, crise de sommeil
léthargique copiée sur les précédentes, d'une durée de vingt
minutes; puis agitation, bavardage délirant dans lequel elle
exprime les idées les plus grotesques, besoin de mouvements
excentriques, elle veut faire de la gymnaslique sur son ! il; elle
veut faire comme au cirque de l'équilibre sur une chaise, elle
bouscule tout ce qui la touche, et jette à terre tout ce qui lui
tombe sous la main ; debout sur son lit, elle veut se jeter la tête
en avant comme ferait un baigneur pour plonger; le besoin im-
pulsif de locomotion est tel qu'on ne peut la quitter un instant.
A 2 h. 50, elle dit qu'elle veut se coucher, s'étend sur son lit, est
reprise de son sommeil léthargique, et à 3 heures, se réveille après
s'être frotté les yeux, ignorant tout. Le reste de la journée se passe
dans le calme parfait, elle s'occupe raisonnablement, dîne en
famille, mange d'un bon appétit.
- A 8 heures du soir, deuxième crise comme le jour précédent.
Après vingt minutes de sommeil léthargique, période d'agitation
avec déclamations incohérentes, et luttes incessantes contre tout
- obstacle opposé à ses volontés déraisonnables ; à 10 heures et demie,
- retour du sommeil léthargique, réveil cinq minutes après dans
^un état d'inconscience parfaite. ' : dater de ce jour, la périodicité - caractère essentiel des
grandes névroses - est définitivement établie. Pendant deux mois
'consécutifs, du mois de mai à juillet, notre jeune malade présente
- chaque après-midi, deux crises régulières de somnambulisme, la
première à 1 heure, la deuxième à 8 heures, toutes crises semblables
à elles-mêmes, et invariablement intercalées entre deux accès de
sommeil léthargique. Il n'y aurait donc nul intérêt à continuer au
jour le-jour cette intéressante observation dont les conditions élé-
mentaires restent les mêmes. Les seules variantes' à signaler, et
vraiment importantes se rapportent : '
- 1° A la durée plus ou moins longue des crises;
2° A l'intensité plus ou moins grande de l'agitation dans quel-
ques-unes d'entre elles; - '
3v Et surtout à l'influence que les impressions de la malade à
l'état de veille, avaient sur le mouvement de son esprit en état de
-somnambulisme.
- Le médecin de ma jeune malade, pensant-qu'il pouvait exister un
-'rapport de cause à effet, entre les- heures des repas et la répéti-
SOMNAMBULISME SPONTANÉ ET HYSTERIE. 295
tion de ses crises, changea les heures de ses repas, en même temps
qu'il modifia son régime alimentaire; il avança de plusieurs
heures le déjeuner ainsi que le dîner. Aucune modification ne se
produisit; la périodicité se maintint telle qu'elle était depuis le
début, aux- mêmes heures les mêmes accès.
C'est en vain qu'il fit appel à tous les médicaments anti-pério-
diques, anti-spasmodiques employés en pareille circonstance :
Inspirations de chloroforme pendant les accès; sulfate de qui-
nine, polybromures, valérianates d'ammoniaque, de quinine, de
zinc, dans la période d'accalmie... la série des crises ne fut point
interrompue, peut-être la durée de quelques-unes fut légèrement
abrégée, mais il se produisit alors une crise supplémentaire, je
dirais volontiers compensatrice, sous forme de sommeil somnam-
bulique, qui survint pendant la nuit, aux dépens du sommeil
normal.
C'est ainsi que le 6 mai, l'accès de 8 heures terminé depuis
quelque temps, elle se, réveilla à 1 heure du matin et dit à sa
mère : .
« Je sens que je m'en vais... » ce qui signifiaitje sens que je perds
la direction de mes idées, que je n'ai plus la libre disposition de
mon esprit. ' ,
En effet, elle se remet au lit, y reste calme, sans agitation, sans
mouvement, parlant sans cesse, bavardant à demi-voix, mais avec
la demi-conscience que c'était la nuit, que sa mère dormait près
d'elle, qu'elle ne devait pas la réveiller. Elle disait à voix basse :
« C'est l'heure du sommeil de maman... Je ne dois pas faire
de bruit... » .
Elle n'avait aucune idée de sortir, tout au plus quelques mouve-
ments des bras, quelques déplacements de la tête, mais elle ne
cessait de parler de choses incohérentes et déraisonnables parmi
lesquelles la pensée de sa mère était l'idée dominante. Cette crise
surajoutée s'est répétée pendant les trois ou quatre jours suivants,
différant des crises régulières par l'absence de période léthargique,
par l'état de demi-conscience dans lequel elle était et par l'obtu-
sion moins grande des sensibilités et des sens, qui restaient, dans
une certaine mesure, accessibles aux impressions du dehors,
comme en témoigne le fait suivant.
Tel jour, lui ayant présenté un morceau de pain pendant un de
ces accès supplémentaires, elle le touche de sa main/ s'assure par
le contact de sa réalité et le mord à belles dents ; une assiette con-
tenant un morceau de viande rôtie étant mise au contact de sa
main, elle prend connaissance par le toucher de l'assiette et de
ce qu'elle contient, et dit avec une voix de satisfaction : « Quelle
chance ! ... je ne mangerai pas mon pain sec... je vais me
mettre à table... vite un couteau, une fourchelte ? -
. Sur ce, elle se lève rapidement, se couvre d'un jupon, approche
296 CLINIQUE MENTALE.
une chaise de sa table, et mange avec toutes les apparences d'une
personne éveillée, tout en bavardant de mille choses, et sans con-
naitre ceux qui l'entourent.
Son père met à son insu un peu de vin dans son verre, elle le
porte à ses lèvres en faisant une horrible grimace et dit : « On veut
doncm'empoisonner... mais je ne le boirai pas ! ... »
Elle devient aussitôt soupçonneuse, tourmentée, et cette idée
d'empoisonnement qui l'avait vivement préoccupée, n'existe pas
dans les périodes calmes, mais reparait avec intensité dans les
crises des quelques jours suivants.
Ces manifestations si évidentes de la sensibilité tac-
tile et du sens du goût sont la règle générale dans
toutes les attaques de somnambulisme superficiel.
- Dans ses grandes attaques, au contraire, dans les-
quelles l'obtusion des sensibilités et des sens étaient
complètes, elle dépensait UDe activité, une force de
volonté et de résistance incroyables, au moment des
luttes qu'elle engageait avec les personnes qui s'op-
posaient à ses idées déraisonnables; et -malgré ces
scènes de violences et d'efforts elle conservait son
teint ordinaire, une expression le plus souvent sou-
riante, la coloration de ses joues ne variait pas, sa
respiration restait calme, sa peau fraîche, jamais
- de transpiration, alors que les personnes qui lui
résistaient étaient haletantes, ruisselaient de sueurs,
fatiguées, endolories de tous leurs membres. Elle
semblait, elle, ne rien sentir de cette violente dépense
de forces musculaires ; toujours en mouvement, et prête
à l'action, elle ne se plaignait jamais, n'accusait de
fatigues qu'après la crise terminée.
Découragée de l'insuccès de toutes ces tentatives
thérapeutiques qui n'avaient eu aucun résultat satisfai-
sant, qui peut-être avaient allongé la durée, peut-être
augmenté l'intensité de quelques-uns de ses accès, son
SOMNAMBULISME SPONTANÉ ET HYSTÉRIE. 297'
médecin eut la pensée d'essayer l'action hypnotique
comme agent perturbateur du système nerveux, et de
substituer aux crises périodiquement établies des crises
artificiellement provoquées, dont le médecin aurait
la direction, et dont il disposerait à sa volonté.
C'était, dans sa pensée, Ja substitution du somnam-
bulisme provoqué au somnambulisme spontané, faite
dans un but thérapeutique.
Il demanda donc à M. le Dl' Puel qui était à cette
époque, à Paris un des rares médecins qui s'occu-
paient de ces questions de venir voir sa malade.
Pendant six jours consécutifs, M. Puel mit en oeuvre
toutes ses ressources et toute son activité pratique pour
modifier l'état de la jeune malade, soit qu'il essayât de
l'endormir à l'état de veille en cherchant à la con-
vaincre qu'il la guérirait si elle lui donnait sa confiance,
soit que pendant ses crises il s'efforçât d'agir directe-
ment sur l'accès en le transformant, toutes ses tenta-
tives furent inutiles, et, après six jours d'essais infruc-
tueux, il dut se retirer.
Un autre médecin vint après lui sans être plus
heureux; et la jeune fille, fatiguée, agacée de toutes
ces épreuves, ne tarda pas à lui signifier elle-même
qu'elle ne voulait plus le revoir, ni se soumettre à ses
expériences.
Cette nouvelle tentative thérapeutique eut un résul-
tat tout opposé au but qu'on s'était proposé, car elle
apporta un élément nouveau aux préoccupatious qu'elle
avait dans la période active de ses crises. Elle décla-
mait contre l'intervention de ces deux nouveaux méde-
cins dont elle critiquait là science et la pratique; elle
se riait de leurs efforts, et ridiculisait très spirituelle-
298 CLINIQUE MENTALE.
ment leurs personnes. Son médecin lui-même,- qu'elle
affectionnait tout particulièrement, y perdit quelque
-peu de sa confiance, elle déclarait qu'elle ne croirait
plus en lui, puisqu'il lui jouait d'aussi mauvais
tours.
Tel est l'ensemble des faits qui se sont succédé du
1er au 15 juin.
A partir de cette époque, une aggravation notable se
produisit dans l'ensemble de tous les symptômes, la
périodicité des crises étant d'ailleurs toujours la
même.
Le sommeil léthargique du début qui durait d'or-
dinaire de quinze à vingt minutes, est maintenant
d'une heure un quart à une heure et demie de durée.
La crise d'une heure se prolonge jusqu'à 6 heures
du soir; celles de 8 heures jusqu'à 6 heures du matin.
La durée des accès s'est donc étendue au point
qu'il n'y a plus que neuf heures de calme contre quinze
de désordre somnambulique , sur les vingt-quatre
heures de la journée.
Le délire des crises prend lui aussi un autre caractère ;
une nouvelle idée domine l'esprit de la malade; pro-
fondément troublée par l'impuissance des médecins
appelés près d'elle, découragée par l'aggravation de
son mal dont elle se rend très bien compte elle
veut s'étrangler ! ...
Ace sujet, elle discute avec calme, dans son som-
meil somnambulique les questions de droit et de devoir.
Elle ne reconnaît qu'à son médecin le droit de disposer
de sa vie; quant à elle, elle n'en a pas le droit. Aussi
répète-t-elle à chaque instant dans ses crises : quand
SOMNAMBULISME SPONTANÉ ET HYSTÉRIE. 299
mon médecin voudra m'étrangler, laissez-le faire
personne-ne peut s'y opposer..... lui seul en a le
droit ! ... -
Du 15 au 20 juin, cette idée a dominé toutes ses
crises, pendant toute leur durée.
La situation devenue de plus en plus critique, le
médecin crut devoir proposer à la famille l'entrée soit
à l'hôpital, soit dans une maison de santé; cette pro-
position entendue par la jeune fille la troubla au point
qu'abandonnant le jour même l'idée du suicide, elle
n'eut plus d'autre préoccupation que celle de départ
dont elle parlait sans cesse. Dans ses crises, elle récri-
minait contre sa mère qui avait consenti, disait-elle, et
peut-être sollicité cette mesure; contre son médecin
qui n'avait pas de coeur, et dont elle ne voulait pas
suivre les ordonnances; que, du reste, elle ne voulait
aller ni dans un hôpital, ni dans une maison de
santé ! -
Mon nom ayant été prononcé devant elle, dans sa
période calme, elle le chercha dans l'almanach de
Paris, et le trouva accolé au mot de maison de santé.
Elle en ressentit une si violente impression qu'un phé-.
iiomèné nouveau vint s'ajouter à ses crises bi-quoti-
diennes.
Trois et quatre fois par jour, à dater du 23 juin,
elle fut prise d'un accès subit de perte de connaissance,
dans l'intervalle de ses crises régulières; elle tombait
sans mouvement, sans trace de sensibilité, n'ayant
-aucun signe de souffrance, point d'altération des traits,
ni oppression, ni bavardage, eu un mot dans un état
tout semblable à la période léthargique qui précédait
les crises, à cette différence près que ce sommeil ne
300 CLINIQUE MENTALE.
durait jamais plus de cinq minutes, puis elle en sor-
tait instantanément, sans en avoir le souvenir.
Il en fu ainsi jusqu'au 1er juillet.
C'est à cette époque-que son médecin, de plus en
plus inquiet, vint me voir, me parler de cet état, et me
demander si je ne craignais pas qu'en insistant sur
la nécessité du déplacement nous provoquions de nou-
veaux troubles, comme il était arrivé à chaque contra-
riété. Depuis le jour où il a été question de son départ,
et d'entrer dans votre service, me disait-il, ses accès
sont plus violents, et de plus en plus longs; ne suc-
çombera-t-elle pas à la violence de ses crises ! ...
Ne partageant pas cette inquiétude, j'insistai sur
l'opportunité de la mesure, et sur l'urgence de cette
détermination que je considérais comme la seule indi-
cation rationnelle, étant donné les mutations qui
s'étaient produites dans l'état mental de cette jeune
fille, chaque fois qu'un événement nouveau l'avait
préoccupée. Et, en effet, je savais par expérience per-
sonnelle, que le déplacement, que le changement de
milieu et de direction, que l'influence d'autres soins,
d'un autre entourage, ont parfois une action perturba-
trice assez puissante, pour interrompre la continuité
des accès, et rompre le cercle vicieux dans lequel
tourne fatalement l'esprit des malades.
J'avais vu, dans des circonstances plus ou moins
semblables, des guérisons rapides, quelques-unes
subites, se produire ainsi, par substitution.
J'insistai donc près du médecin, je le gagnai à mon
opinion, et la jeune fille entra dans mon service à
l'hôpital Saint-Antoine, salle Sainte-Cécile, n° 14, le
1er juillet 1872.
SOMNAMBULISME SPONTANÉ ET HYSTÉRIE. 30'1
Son départ de chez elle se fit sans difficultés; elle monta d'elle-
même dans la voiture qui devait la conduire, elle était à ce
moment très pâle, la face couverte d'une sueur froide, à ce point
qu'elle semblait prête à s'évanouir sous le coup de l'émotion.
Depuis son lever elle avait eu trois petites crises de sommeil
léthargique de cinq minutes.
Pendant le voyage, elle fut calme et silencieuse, protestant par
son mutisme et par sa mauvaise humeur, contre son enlèvement.
Arrivée à l'hôpital, elle témoigna d'un grand mécontentement en
voyant les malades de la salle venir près d'elle, l'interroger, et la
regarder avec curiosité.
A 10 heures et demie, on lui présenta son déjeuner qu'elle refusa
avec aigreur, en disant : « Que tout cela était de la comédie...
qu'elle ne mangerait pas ! »
Mais, encouragée par les attentions et les bonnes paroles de ses
voisines, elle consentit à déjeuner, et mangea une partie des ali-
ments qu'on lui avait servis.
Sa première grande 'crise du matin vint comme d'habitude,
précédée de sa période léthargique, et ne différa en rien de celles
que nous avons précédemment décrites, à cela près qu'elle se ter-
mina à 4 heures au lieu de 6, elle avait donc été abrégée de
deux heures.
Dans la soirée, une heure après son dîner, elle eut sa crise habi-
tuelle, semblable aux précédentes, mais pendant la période de
loquacité et de bavardage elle ne cessa de protester contre son
entrée à l'hôpital, se révoltant contre ses parents, contre son
médecin, et disant avec énergie :
« »Non, je ne veux pas rester !
« Je me trouve mal ici !
« Je ne suis pas à ma place dans cette salle ! »
Cette deuxième crise fut moins longue; elle se termina à
10 heures et demie, au lieu de durer jusqu'à 6 heures du matin,
comme celles des jours précédents.
La nuit fut bonne; le sommeil calme. J'avais, le matin, ordonné
un bain sulfureux qu'elle ne put prendre, ses règles ayant paru
quelques heures avant. '
Encouragé par ce premier résultat, conforme à mes espérances,
je pris à part ses voisines, et leur demandai de m'aider dans la
guérison de cette jeune fille, en l'assistant, en lui donnant de
bonnes paroles, en se montrant affectueuses pour elle.
D'autre part, je donnai mes instructions à la religieuse de la
salle, femme intelligente, habituée aux maladies nerveuses que
j'avais toujours en assez grand nombre dans mon service, je lu
recommandai de s'occuper activement de cette jeune fille, de la
prendre avec elle dans son cabinet, de la contredire si elle lui par-
lait de la singularité de sa maladie; de lui répondre si elle lui
302 CLINIQUE MENTALE.
disait qu'elle ne guérirait pas - qu'elle avait vu souvent, bien
souvent, des crises comme les siennes, que toutes avaient guéri, et
rapidement guéri, à la condition que les malades soient dociles,
confiantes, et ne se torturent pas l'esprit de mille idées déraison-
nables ; qu'elle m'avait entendu dire à mes élèves, en quittant
l'hôpital, qu'il en serait de même pour elle, que j'en avais la cer-
titude.
J'ajoutai à ces recommandations une prescription sans valeur,
dans le but d'occuper la malade : une cuillerée de sirop d'iodure
de fer... du vin de quinquina.
Le % juillet, je trouvai la jeune fille plus calme, dans de meil-
leures dispositions. Elle dit, en m'abordant le matin, qu'elle se
sentait plus rassurée 1... Je ne restai pas longtemps près d'elle dans
la crainte de quelque question troublante... Je la quittai en lui
disant : .
« Vous guérirez promptement... J'en ai la certitude ! »
Dans la journée elle eut ses deux crises; celle du matin dura
deux heures, celle du soir deux heures un quart.
A dater du lendemain, 3 juillet, les crises bi-quotidiennes qui,
depuis le 24 avril, se reproduisaient invariablement chaque jour,
ne reparurent plus. Elle était guérie.
Elle-même chantait sa guérison, en se riànt de quelques petits
accès léthargiques, qu'elle appelait son petit sommeil, qui lui
revinrent de temps en temps jusqu'au 8 juillet. Je la gardai dans
mes salles quelques jours encore pour confirmer cet heureux résul-
tat.
Elle quitta l'hôpital le 14 juillet et rentia dans sa famille, heu-
reuse de sa guérison, reconnaissante des soins qu'on lui avait
donnés.
Le lendemain de sa sortie, elle m'écrivit une lettre pleine de
gratitude, pour me remercier des soins assidus que je lui avais
prodigués, pour me dire combien elle me savait gré maintenant de
l'insistance que j'avais mise à demander son entrée à l'hôpital ;
que tout avait été, pour elle, une surprise, et que la cause de sa
guérison avait été l'assurance qu'on lui avait donnée qu'elle gué-
rirait promptement.
Pendant les mois qui suivirent, j'eus fréquemment de ses nou-
velles, toujours satisfaisantes. ' .
DÉDUCTIONS. L'étude et l'analyse de cette obser-
vation se prêteraient assurément à des considérations
intéressantes : '
Sur les troubles multiples des sensibilités et des
sens;
SOMNAMBULISME SPONTANÉ ET HYSTÉR IE. 303
Sur les troubles de la locomotion tantôt abolie,
tantôt surexcitée;
Sur l'éveil partiel de tel ou tel sens dans ses rap-
ports avec l'idée dominante qui captive la malade;
Sur la pathogénie du délire de la crise somnam-
bulique : soit qu'il vienne des impressions de l'état
de veille; soit qu'il ait pour origine l'excitation céré-
brale spontanée de la malade, pendant sa crise.
Il est entre tous ces faits un enseignement d'un
ordre supérieur, qui se déduit de l'ensemble de l'ob-
servation elle-même, et du mode d'être des accès.
Déjà en 1855, j'avais vu le somnambulisme se pro-
duire entre deux accès d'hystérie convulsive accom-
pagnés d'extase cataleptique, et se répéter ainsi pen-
dant plusieurs mois, côtoyant l'hystérie, marchant
parallèlement avec elle.
Aujourd'hui 1872, nous avons sous les yeux un
fait de même nature, dans lequel l'accès de somnam-
bulisme spontané commence et se termine invariable-
ment par une crise léthargique, dont il semble n'être
qu'un épiphénomène.
N'avons-nous pas là un trait d'union, un lien de
famille, qui nous conduit à l'unité, à la consanguinité
de ces manifestations multiples, d'allures si différentes,
que Cérise, dans son pittoresque langage, avait bap-
tisées du nom d'extraordinaires ! ! !
Basés sur ces études cliniques, sur ces observations
et sur quelques autres du service de Charcot à la Sal-
pêtrière, nous pouvons aujourd'hui, sans crainte de
l'avenir, affirmer l'idée, qu'il y a trente ans, nous
avions émise avec quelques réserves, à savoir : que
ces manifestations multiples dérivent de la grande
304 CLINIQUE MENTALE.
névrose; et dire que : quelle que soit leur forme : exta-
tique, cataleptique, - syncopale, léthargique,
somnambulique, elles doivent être considérées comme
l'expression de variétés morbides identiques par leur
nature et par leur origine, qui germent et se dévelop-
pent sur un fonds commun, l'hystérie.
Asile clinique (SAINTE-ANNE). M. Magnan
HÉRÉDITAIRES DEGENERES',
Messieurs,
Les héréditaires dégénérés constituent une grande
famille pathologique nettement définie, à caractères
propres qui la distinguent de toutes les autres espèces
morbides. De même que dans la paralysie générale,
nous avons trouvé comme fonds une démence géné-
ralisée tout à fait remarquable, de même chez les
dégénérés, tous les symptômes psychiques reposent
sur un fonds spécial, la déséquilibration mentale. Les
héréditaires dégénérés sont les seuls aliénés chez les-
quels se montre la déséquilibration mentale. Sur ce
terrain spécial, se développent des épisodes maladifs
ayant pour base l'obsession, l'impulsion ou l'inhibi-
tion ; épisodes tellement caractéristiques que j'ai pu
les désigner sous le nom de stigmates psychiques de la
1 Leçon recueillie par le Dr V1GOtTROUX, médecin-adjoint dps Asiles de
la Seine.
HÉRÉDITAIRES dégénérés. H05
folie héréditaire. Les délires, à leur tour, ont leur
physionomie particulière et, de même que dans la
paralysie générale, les délires empruntent au fonds de
démence leur principal caractère, de même chez les
héréditaires dégénérés, les délires ont tantôt l'insta-
bilité de la déséquilibration des héréditaires, tantôt au
contraire, la ténacité obsédante de certaines de leurs
tendances maladives.
On s'est élevé contre l'expression de folie hérédi-
taire, expression assurément impropre, puisque l'héré-
dité exerce son action, rayonne sur toutes les formes
vésaniques : qui dit. psychoses, dit maladies éminem-
ment héréditaires, mais cependant l'hérédité s'exerce
sur celle-ci à un degré beaucoup plus considérable.
Elle en est le facteur principal et je n'entends pas
parler simplement de l'apparition du dissemblable,
c'est-à-dire de la forme progressive ou transformée de
More), mais on trouve, plus souvent qu'on ne paraît
le croire, l'hérédité similaire et notamment l'hérédité
de ces phénomènes étranges, des syndromes épiso-
diques dont nous nous entretiendrons plus tard, qui
en sont, nous venons de le dire, les stigmates psy-
chiques. Lorsqu'on voit en effet, la recherche angois-
sante du mot poussée au point que le malade non
seulement veille lui-même anxieusement des nuits
entières, à la recherche du terme qu'il poursuit, mais
qu'il entraîne toute sa famille dans cette bizarre occu-
- pation, et lorsqu'on retrouve chez la fille du malade
la même préoccupation morbide, on peut dire que cette
dernière est bien et dûment la fille pathologique du
père. Et à ce propos je rappellerai l'histoire d'un de
nos malades, qui fut emprisonné pour avoir, poussé
Archives, t. XXIII. DU
30() CLINIQUE MENTALE.
par sa perversion sexuelle, volé des chemises blanches
et chez la mère duquel se retrouvait la singulière
tendance à saisir les~rubans rouges; si bien qu'elle
s'abstenait de sortir les'jours de tirage au sort pour
éviter de succomber au désir de prendre les rubans
rouges flottants sur le chapeau des conscrits. Nous
pourrions rapporter encore plusieurs autres exemples
et pour le délire du toucher en particulier, nous avons
vu récemment deux malades à hérédité similaire : la
mère de l'un d'eux ne pouvait pas toucher les mon-
naies de cuivre, le père de l'autre avait la crainte du
contact du chien.
Nous avons donc conservé l'expression de folie
héréditaire parce qu'elle comprend un groupe de
malades nettement défini et parce qu'un terme nou-
veau pourrait faire perdre de vue les descriptions pre-
mières qui, sous tous les rapports, méritent de fixer
l'attention.
D'autre part, si ces dégénérescences mentales sont
héréditaires, dans quelques circonstances elles peuvent
êtres acquises. En effet, à la suite d'affections aiguës
chez les jeunes sujets, on observe des cas d'arrêt de
l'intelligence et de dégradation mentale analogues à
l'idiotie, à l'imbécillité, à la débilité mentale et même
à la déséquilibration de l'héréditaire. Donc il suffit de
l'apparition d'une maladie aiguë et notamment d'une
fièvre typhoïde, d'une variole, d'une scarlatine; ce
sont là les facteurs habituellement en cause, pour
pervertir et anéantir à tout jamais l'intelligence d'un
enfant jusque-là bien pondéré. Que s'est-il donc passé ?
La réponse est facile si l'on veut se reporter aux tra-
vaux publiés depuis une trentaine d'années sur les
HÉRÉDITAIRES DÉGÉNÉRÉS. 307
troubles nerveux consécutifs aux maladies aiguës.
Fritz, Roger et Damaschino, Wesphal, Vulpian, Déje-
rine, Popoff, Marie, Landouzy, etc., qui ont étudié
l'état de la moelle et du cerveau à la suite de variole
et de fièvre typhoïde ont constaté des lacunes prove-
nant de petits foyers hémorrhagiques ou de ramollis-
sement. Ces lésions sont analogues à celles qui se
développent pendant l'évolution foetale chez les héré-
ditaires dégénérés et sur l'axe cérébro-spinal de jeunes
sujets en voie d'évolution, les résultats sont identiques.
On doit donc faire entrer dans le groupe des hérédi-
taires ces faits que la clinique désigne, quoique assu-
rément la dénomination d'héréditaires ne leur con-
vienne pas. Tous ces faits sont caractérisés d'ordinaire
par des stigmates physiques et les lésions dans l'en-
fance qui laissent, surtout après elles, des paralysies.
et de la faiblesse intellectuelle, ne. déterminent pas
habituellement ces stigmates psychiques si significatifs
qui, dès la première enfance, avant que toute éduca-
tion ait pu modifier ces jeunes sujets, se présentent
avec des obsessions, des impulsions, des perversions
sexuelles, un trouble fonctionnel en un mot, que
l'influence héréditaire seule peut bien expliquer. Il
n'est pas rare, en effet, de voir chez les héréditaires
dégénérés un stigmate très net dès l'âge de quatre ou
cinq ans. Chez un malade, à l'heure actuelle, profes-
seur de Faculté, l'inversion génitale s'était montrée
à six ans, déjà il éprouvait une voluptueuse curiosité
pour les nudités masculines, un attrait irrésistible pour
les garçons; à cinq ans, il présentait un entraînement
inexplicable au vol, un peu plus tard, il était irrésisti-
blement poussé à compter et à recompter les fleurs,
: 'iU8 CLINIQUE MENTALE.
les lignes d'une tapisserie, et il eut la recherche an-
goissante du mot.
Ces stigmates psychiques se développent bien avant
que le milieu ou une éducation vicieuse aient pu
exercer sur eux la moindre influence. L'expression
d'héréditaires dégénérés nous semble concilier toutes
les opinions.
Les caractères' symptomatiques de la folie des dégé-
nérés se divisent en trois groupes : les stigmates phy-
siques, les stigmates psychiques et les délires. Les
caractères physiques sont quelquefois très légers; un
faux trait de la vue, un strabisme peu apparent, la
division de la choroïde laissant à nu la sclérotique,
l'émergence irrégulière de l'artère centrale de la ré-
tine, unnoevus, quelques tics. Chez d'autres, on trouve
des troubles beaucoup plus accentués : c'est la con-
tracture des quatre extrémités avec porencéphatie, des
paralysies avec contracture, par sclérose ayant détruit
les zones psychomotrices; le bec-de-lièvre, la gueule
de loup, le strabisme divergent ou convergent, des
tics généralisés et persistants, des doigts palmés ou
même la réunion complète d'une main ou d'un pied.
Toutes ces anomalies sont la traduction de déviations
nutritives.
Je tiens à ce propos à vous présenter un malade
chez lequel on rencontre un grand nombre de ces
stigmates que je viens de vous énumérer.
Sa tête est complètement contournée, il semble que
l'extrémité céphalique soit tordue sur elle-même. Le
crâne dans son ensemble est plagiocéphale, il a la
forme d'une boule irrégulière asymétrique, aplatie
d'avant en arrière.
HÉRÉDITAIRES DÉGÉNÉRÉS. 309
310 CLINIQUE MENTALE.
Le front est plat sur toute son étendue sauf dans
le milieu où il présente une concavité. La. face est
aplatie, asymétrique; le nez gros, épaissi, fortement
déjeté à gauche. Les lignes des sourcils sont très
obliques en bas et en dehors. Les fentes palpébrales
prolongées se rencontreraient sous un angle de
120 degrés environ. Les yeux, très saillants, sont
comme pédiculés. Le cercle irien est visible dans son
entier : on aperçoit la sclérotique à une certaine dis-
tance de l'iris en haut et en bas.
La lèvre supérieure est dirigée en avant, la lèvre
inférieure très allongée aune direction en haut et en
avant, de sorte que les sinuosités de la bouche sontmal
dessinées. L'oreille gauche est implantée plus bas et
plus en avant que la droite. L'ourlet est interrompu
par places. Les lobules, courts et épais, sont adhé-
rents.
Quand le malade ouvre la bouche, on voit que les
dents de la mâchoire supérieure sont implantées irré-
gulièrement sur trois rangées, leur nombre est cepen-
dant normal. Les parties internes des bords alvéolaires
se réunissent en se soudant, ce qui donne lieu à la
production d'une voûte palatine garnie en quelque
sorte. d'une soupente. Derrière et en haut des arcades
dentaires, commence immédiatement le voile du palais
qui descend plus bas qu'à l'état normal et se termine
par .une luette bifide.
Les métacarpiens sont soudés entre eux : la forme
de la main rappelle celle que prendrait une main nor-
male dont les doigts seraient fortement serrés pour ne
pas laisser échapper un liquide déposé dans le creux.
Les métatarsiens sont également soudés et les orteils
HÉRÉDITAIRES DÉGÉNÉRÉS. 311
réunis et l'extrémité du membre inférieur ressemble à
un pied amputé de ses quatre orteils.
Les antécédents héréditaires nous montrent du côté
maternel un grand-père ivrogne, une grand'mère ner-
veuse, convulsivante, un oncle alcoolique, un autre
oncle onaniste, mort à dix-huit ans dans un état'com-
plet de démence traversée de temps à autre par de
l'excitation.
Les caractères intellectuels sont plus intéressants à
étudier. Le fond est la déséquilibration mentale. Pour
bien comprendre ce défaut d'équilibre des facultés, il
est bon de suivre le développement de l'intelligence,
depuis la dégradation complète de l'idiot, jusqu'aux
simples anomalies offertes par les héréditaires. Au plus
bas de l'échelle, les idiots sont réduits à la vie végéta-
tive, ils restent étrangers à la vie de relation, ils voient
mais ne regardent pas, entendent mais n'écoutent pas,
ont des appareils d'olfaction et de gustation, mais ne
flairent pas ni ne goûtent. Ils sont réduits à un tube
digestif qui reçoit les aliments et les digère. S'ils sont
ainsi oblitérés, c'est que sur la région antérieure et pos-
térieure de leur cerveau se trouvent des lésions diverses,
des foyers hémorrhagiques ou des foyers de ramollisse-
ment, des méningo-encéphalites, de l'épendymite.ven-
triculaire avec hydrocéphalie, des scléroses hypertro-
phiques ou tubéreuses, des scléroses atrophiques, des
tumeurs, etc. Ces lésions offrent, suivant les sujets, des
variétés infinies comme distribution et étendue et c'est
ce qui explique la multiplicité d'aspect de l'état mental
de l'idiot, dont les aptitudes s'étendent se complètent
à mesure que le territoire devient libre sur la zone
des centres sensoriels et des instincts.
3t2 CLINIQUE MENTALE.
Les physiologistes ne sont pas d'accord sur le siège
précis des différents centres perceptifs; mais la clinique
et l'anatomie pathologique ont fourni déjà de précieux
'renseignements dans l'étude de la cécité et de la sur-
dité verbales. Quand un individu qui n'est pas sourd
ne comprend plus ce qu'il entend, mais continue à
parler, à écrire, à exprimer par des signes ce qu'il
pense, on sait aujourd'hui que cet état correspond à
une lésion de la couche corticale située sur la première
temporale et que la région touchée est toujours la
même. A la partie moyenne de la première temporale
réside donc le centre sur lequel viennent se déposer
toutes les perceptions tonales.
Il en est de même pour le centre dépositaire des
images visuelles que la clinique permet de localiser
sur le pli courbe. Quand ce centre est lésé, le signe
représentatif de l'écriture ne peut plus être perçu, le
malade peut écrire, mais il lui est impossible de lire
même ce qu'il vient d'écrire. On est donc tenu d'ad-
mettre l'existence de ces centres perceptifs au même
titre que celle des centres psychomoteurs.
Tous les centres, qu'ils appartiennent à larégion'aiité-
rieure (idéation), à la région moyenne (psycho-mo-
trice), ou à la région postérieure (appétits et ins-
tincts), sont mis en communication les uns avec les
autres par le système de fibres d'association et de pro-
jection signalé déjà par Gratiolet, mais que les beaux
travaux de Meynert nous ont bien fait connaître et sur
lesquels je n'ai pas à insister.
C'est dans la région postérieure que se trouvent
déposées les images mnémoniques de toutes nos im-
pressions sensorielles, c'est-à-dire tous les matériaux
HÉRÉDITAIRES DÉGÉNÉRÉS. 3)3 i
nécessaires à l'élaboration intellectuelle, à la formation
de nos idées : ces images passant dans la région fron-
tale deviennent les schémas, les signes représentatifs
de la pensée. Toutes les fois qu'une détermination part
de la région postérieure, sans*le contrôle des centres
supérieurs, on a une détermination sensori-motrice, un
acte instinctif.' Quand le point de départ émane de la 0
région antérieure, il produit une détermination idéo-
motrice, un acte volitionnel.
Cette distinction va nous permettre d'établir une
ligne de démarcation entre les idiots d'une part, les
imbéciles, les débiles et les déséquilibrés de l'autre.
Voici une petite idiote, réduite à la vague perception
de quelques sensations : elle est étrangère presque à
tout ce qui l'environne, elle entend, mais ne comprend
rien, elle ne prête aucune attention aux personnes qui
l'entourent, toutefois elle remarque certains objets
dont elle s'empare et qu'elle rejette, elle perçoit aussi
la saveur de quelques aliments; elle est incapable de
marcher, mais, placée à terre, elle pousse des cris; s'agite
et brusquement elle se traîne en s'aidant des bras et
des jambes et parcourt, sans but, différentes parties de
la salle. Chez cette enfant, non seulement la région fron-
tale est annihilée, mais la région postérieure est en
grande partie compromise.
A mesure que la région postérieure devient libre,
l'intégrité successive des différents centres perceptifs
permet aux idiots d'entrer en relation plus intime avec
le monde extérieur; mais cette amélioration dans leur
état, cette perception plus étendue des diverses sensa-
tions, développent leurs appétits et leurs, instincts et
comme ils sont privés du contrôle et de l'action modé-
314 CLINIQUE MENTALE.
ratrice des centres -supérieurs, ils se montrent gour-
mands, voleurs, salaces et deviennent conséquemment
des êtres fort dangereux. '
Pour mieux comprendre les troubles fonctionnels
observés dans les différents groupes de dégénérés, il
est bon de rappeler ce qui se passe à l'état normal. Si
l'on examine, en effet, l'enfant qui commence à jouir
du contrôle distinct de ses mains, on surprend assez
vite des phénomènes d'attention. Un schéma de Mey-
nert montre bien les différents temps d'une opération
mentale très simple : l'image de la flamme d'une
bougie, déposée par l'appareil de la vision dans le
centre cortical postérieur, transmet sa représentation
dans la région frontale et provoque immédiatement un
mouvement volontaire du bras vers l'objet brillant,
l'impression douloureuse, à son tour, suivant un trajet
analogue, actionne en sens inverse la région psycho-
motrice, un mouvement de recul s'effectue, les deux
sensations agréable et douloureuse sont enregistrées,
comparées, et, à partir de ce moment, la flamme est
regardée, mais non touchée. C'est par des expériences
successives que se fait l'éducation des centres modéra-
teurs, que dans la conscience se développe l'attention
et que les actes volitionnels des enfants perdent peu
à peu leurs apparences impulsives pour acquérir l'as-
pect de la délibération.
Les divers modes d'activité cérébrale (sentiments,
volonté, attention, mémoire, jugement, raisonne-
ment, etc.), qui constituent les facultés des psycho-
logues, se développent, se perfectionnent successive-
ment par le concours harmonieux de toutes les parties
de l'encéphale; l'évolution progressive des facultés
HÉRÉDITAIRES DÉGÉNÉRÉS. 315
mentales aboutit à cet état de conscience qui nous
permet de discerner le vrai du faux, le bien du mal,
à ce témoignage intime qui donne l'approbation aux
actions bonnes et fait reproche des mauvaises, et qui
est, en définitive, la caractéristique du sens moral.
Par suite, on peut comprendre comment la rupture de
l'un de ces rouages, une lésion des agents de commu-
nication entre ces différents centres donne parfois
naissance chez nos héréditaires dégénérés à des perver-
sions morales et affectives et aux troubles fonctionnels
les plus étranges.
L'idiot chez lequel certains centres delà région anté-
rieure deviennent libres cesse d'être un idiot, s'élève
dans l'échelle intellectuelle et se range dans l'imbé-
cillité. Les déterminations ne sont plus exclusivement
sensori-motrices, elles reçoivent un certain contrôle de
la région antérieure, elles commencent à devenir idéo-
motrices.
L'intégrité de quelques-uns de ces centres chez
différents sujets explique comment certains idiots,
certains imbéciles peuvent avoir des aptitudes parti-
culières que mettent à profit leurs éducateurs. On a
même pu qualifier de génies partiels certains idiots. En
effet, ceux chez lesquels, par exemple, le centre de la
vision est intact ou même très développé, ont la notion
du coloris, deviennent peintres; avec l'intégrité du
centre auditif, nous avons les musiciens; avec l'inté-
grité des zones motrices, les sculpteurs, etc. A l'état
normal, la fonction ne fait pas l'organe, mais celui-ci,
étant intact, peut prendre de l'extension avec l'exercice
et le perfectionnement de la fonction. Chez Gambetta,
notre grand patriote, notre puissant orateur, quoique
316 ' CLINIQUE MENTALE.
le poids du cerveau ne dépassât pas la moyenne, la
troisième circonvolution gauche était très développée
et présentait trois plis à sa surface extérieure.
. L'étude des idiots nous amène à expliquer ce qui se
passe chez les dégénérés supérieurs. Les cerveaux des
débiles ne nous présentent déjà plus que des modifica-
tions morphologiques, des plis moins nombreux, des
anfractuosités moins profondes; chez les dégénérés
supérieurs, l'aspect extérieur du système cérébro-
spinal est normal et nous n'y trouvons aucune lésion
apparente, du moins avec nos moyens actuels d'inves-
tigation, car les troubles fonctionnels que la clinique
révèle sont tellement nets, ils ont un tel air de famille
chez les différents sujets, qu'il n'est pas possible qu'ils
ne se rattachent pas à une même modification patho-
logique de l'organe. .
Rappelons à ce propos une déséquilibrée de trente-
deux ans, chez laquelle aucune région de l'axe cérébro-
spinal ne fonctionnait d'une façon régulière. Tantôt
elle avait, en pleine conscience, des mouvements d'une
main, d'un pied que ne pouvait régler la volouté.
D'autres fois, se produisaient des phénomènes inhi-
bitoires : debout, la malade ne pouvait plus s'asseoir;
assise, elle ne pouvait plus se relever. La moelle
n'obéissait plus à l'influence psycho-motrice.
Dans d'autres circonstances, c'est toute la mimique
d'un état passionnel, rires ou pleurs, qui surgit, en
désaccord avec l'état cénesthésique du sujet. Elle riait
aux éclats à l'enterrement de son grand-père qu'elle
avait, cependant, beaucoup aimé. Chez elle, la protu-
bérance qui, d'après les expériences de Vulpian, est
l'organe des expressions émotionnelles,, échappait au
\
HÉRÉDITAIRES DÉGÉNÉRÉS.. 3'H j
contrôle de la région frontale. Par moments, elle'pro-
nonce des mots le plus souvent grossiers, qu'elle ne
voudrait pas dire; si elle essaye de résister, elle éprouve
du malaise, elle est angoissée; elle les prononce alors
à voix basse ou elle remue la langue sans les pronon-
cer ; d'autres fois, elle se retire dans un lieu écarté,
les prononce à haute voix et se sent soulagée. Le centre
auditif de l'écorce (première temporale) est dans un
tel état d'éréthisme, que l'image vient solliciter le
centre moteur d'articulation qui l'expulse au dehors.
Le centre auditif, le centre moteur d'articulation
agissent encore ici indépendamment des centres supé-
rieurs.
Parfois, enfin, ce n'est plus un mot, mais une série
de faits divers, tout un discours qu'elle devait répéter,
témoignant ainsi de la déséquilibration des centres
corticaux antérieurs. Ce n'est pas tout; parfois elle
est poussée à frapper un inconnu, un ami, un parent,
elle résiste, s'isole, demande à être enfermée dans une
chambre, restant parfois très longtemps sous le coup
d'une décharge de la région psycho-motrice.
Elle avait encore des perversions sexuelles : d'abord
elle se sent poussée à l'onanisme en dehors de toute
idée de rapprochement sexuel, c'est une spinale simple.
Plus tard, elle éprouve un besoin impérieux de rappro-
chements sexuels, et, se conduisant en spino-cérébrale
postérieure, elle se donne, sans choix, au premier
venu. Puis elle est prise d'une vive affection pour un
ouvrier avec qui elle voudrait se marier, et ce senti-
ment nouveau la rapproche de la normale et en fait
une spino-cérébrale antérieure. De plus, elle était
épileptique et avait des crises qui étaient suivies de
318 CLINIQUE MENTALE.
délire et d'actes inconscients. Enfin, pendant une
période de sa vie, s'étant adonnée aux abus de bois-
sons, elle a rapidement présenté un accès de délire
alcoolique. -
Cette femme, vous le voyez, était un type de déséqui-
libration cérébro-spinale; chez elle, en effet, des
troubles fonctionnels distincts, désignaient successive-
ment les différents segments de la moelle, du méso-
céphale et des hémisphères cérébraux qui étaient ainsi
mis en jeu de la façon la plus indépendante..
Tous les déséquilibrés appartiennent à la même
famille, on ne constate pas chez eux de lésions anato-
miques définies, mais des modifications fonctionnelles
de même nature : le phénomène saillant est la déséqui-
libration mentale. Chez des individus intelligents,
érudits, accomplissant des fonctions importantes dans
la société, on trouve souvent une absence complète de
sens moral, ce sont des génies au point de vue intel-
lectuel et des idiots au point de vue moral. Chez
d'autres, au contraire, de moralité élevée, l'intelligence
proprement dite offre de profondes lacunes, tantôt pour
le calcul, tantôt pour la musique, tantôt pour les
arts, etc. Leurs centres perceptifs sont inégalement
aptes à recueillir toutes les impressions, certaines ne
s'enregistrent pas d'une façon régulière et ne laissent
pas d'image durable.
En résumé, chez certains sujets dont l'intelligence
est parfaite, l'état moral est défectueux ;'Chez d'autres,
l'état moral est parfait, mais certaines aptitudes intel-
lectuelles, certaines facultés leur font entièrement
défaut. Enfin un troisième groupe comprend des indi-
vidus qui, à l'état ordinaire, sont bien pondérés, intel-
HÉRÉDITAIRES DÉGÉNÉRÉS. 319
ligents et moraux, mais chez lesquels, sous l'influence
de la moindre fatigue, la déséquilibration apparaît
avec ses défectuosités intellectuelles ou morales.
Pour compléter cette étude des héréditaires dégé-
nérés, nous examinerons ensemble un malade obsédé
et impulsif, en proie aux aberrations sexuelles les plus
étranges.
Il s'agit d'un garçon de vingt-un ans qui se fit un
jour arrêter sur un banc, pendant que, d'un coup de
ciseaux, il détachait de son bras gauche un large frag-
ment de peau. Interrogé sur les motifs de cette muti-
lation, il déclare que depuis plusieurs heures il était à
la poursuite d'une jeune fille à la peau blanche et fine,
avec l'ardent désir de lui tailler au cou un lambeau
de peau et de le manger.
Ses antécédents héréditaires sont très chargés : son
grand-père paternel était alcoolique. Son père est mort
d'apoplexie et pendant sa vie il avait été sujet à des
accidents épileptiques : c'étaient des accès de sommeil
qui survenaient subitement; quelquefois des absences
pendant lesquelles il ne savait plus ce qu'il faisait; il
pâlissait tout à coup et se laissait aller à terre; un jour,
il a été ramassé par un factionnaire devant lequel il
venait de s'affaisser. La première nuit de ses noces,
il aurait eu une attaque avec perte de connaissance et
secousses dans les membres; et le premier mois du
mariage s'est passé sans approches sexuelles qui, du
reste, ont toujours été fort rares.
Une soeur du malade a toujours été déséquilibrée,
n'a pu apprendre aucun métier, a mené une vie
déréglée et plus tard, changeant brusquement de con-
duite, elle est entrée dans uu' couvent. La mère est
320 CLINIQUE MENTALE.
bien portante. L... aurait eu le carreau dans son
enfance et il a uriné au lit jusqu'à l'âge de dix-sept
ans. - .
Dès son jeune il a été considéré comme un être
malfaisant : placé chez un boucher, il s'amuse à ouvrir
tous les becs de gaz, provoque une explosion qui
blesse une femme. L'abbé Roussel, dans la maison
duquel il était entré, a dû le renvoyer après une esca-
pade. Dans une maison de correction, il a failli tuer
un de ses jeunes camarades.
. A plusieurs reprises, il se fait arrêter pour vaga-
bondage ; toutes les fois que sa mère lui adresse quel-
ques reproches, il est poussé, dit-il, à la frapper, mais
ne l'a jamais fait. Il s'est adonné de très bonne heure
à l'onanisme et plus tard il s'est livré à la pédérastie.
Dès l'âge de six ans, la vue d'une jeune fille ou d'un
jeune garçon, à la peau fine et délicate, provoquait
chez lui une certaine excitation génitale et le désir de
mordre et de manger un morceau de leur peau. A
partir de treize ans les jeunes filles seules, à condition
qu'elles soient jolies, deviennent l'objet de ses con-
voitises. Cependant, un jour, en caressant la tête d'un
cheval, il ne put résister au besoin de mordre, après
l'avoir léchée, la peau fine des naseaux. Plus tard, les
souvenirs de la peau fine, léchée et mordue de ce
cheval, le poussait à l'onanisme.
Vers l'âge de quinze ans, il a commencé à se piquer
en se masturbant, la douleur augmentai ! l'érection et
hâtait l'éjaculation. Il se piquait le ventre avec une
épingle, un couteau, un sabre baïonnette et, au moment
de l'orgasme génital, il enfonçait l'instrument le plus
profondément possible.
HÉRÉDITAIRES DÉGÉNÉRÉS. 321
L'idée obsédante de mordre et de manger la peau
n'est pas provoquée seulement par la vue d'une jeune
fille, la vue des lames tranchantes et brillantes comme
les couteaux, les ciseaux -qui peuvent servir à couper
la peau font naître cette obsession ; cela lui porte sur
le système nerveux, suivant son expression. Quand il
résiste à cette force qui le pousse, il est énervé,
angoissé; il a une sensation de contraction dans la
région épigastrique, enfin il est couvert de sueurs
quand la lutte se prolonge.
Il a toujours résisté à cette obsession, et jamais il
n'a mordu la peau d'une jeune fille, mais il a dû
beaucoup lutter et, pour ne pas succomber, il n'a pas
hésité, dit-il, depuis huit mois, à tourner sa rage sur
lui-même et à se couper la peau; c'est au moment où
il allait sauter sur la jeune fille, qu'il a eu assez
d'énergie pour interrompre sa poursuite, s'asseoir sur
le banc où il a été arrêté, et tourner les ciseaux
contre lui-même. Un autre jour, son patron l'envoie
faire une commission avec une ouvrière qu'il trouvait
fort jolie, mais pour ne pas se livrer à un acte de muti-
lation sur cette jeune fille, il a répandu, au moment
de sortir, de l'essence de térébenthine sur une plaie
encore vive qu'il s'était faite au bras, espérant être
détourné par cette douleur aiguë de sa terrible ten-
tation.
Sur sa photographie, on remarque cinq plaies
récentes : (a) deux sur le bras gauche, une sur le ventre
et deux à la face interne du mollet gauche; huit autres
plaies (b) en voie de cicatrisation, quatre sur le bras
gauche et quatre sur le ventre; on aperçoit, en outre,
de petites cicatrices presque entièrement effacées.
Archives, t. XXIII. 21
322 CLINIQUE MENTALE. HÉRÉDITAIRES DÉGÉNÉRÉS.
Quelquefois, il ne se contente pas d'enlever la peau et
de la manger, il coupe ensuite les parties sous-jacentes
- et un jour même, il s'est fait une plaie très profonde
qui atteignait presque l'os.
La poursuite de la jeune fille choisie pour subir la
section cutanée provoque l'érection, mais ne s'accom-
pagne pas du désir de posséder la jeune fille, de coha-
biter avec elle; c'est l'appétit de la peau fine et blanche
qui pousse L... Dès qu'il tient le lambeau de peau
entre les dents et qu'il peut la mâcher, il a une éjacu-
lation. Celle-ci peut se produire aussi, en dehors de
la masturbation, au moment où une lame est enfoncée
dans la peau. Dans tous les cas, la mutilation est pré-
cédée d'angoisse et suivie d'un grand soulagement.
Le caractère de ce malade est d'une mobilité
extrême. Tantôt gai, heureux, travaillant avec bonne
humeur, tantôt, pour la raison la plus futile, déprimé,
triste, hanté par des idées de suicide. Il a même fait
dans le service une tentative très sérieuse de strangu-
lation à la suite d'une simple observation du sur-
veillant.
Il présente en même temps des idées mystiques, il
est dévot et superstitieux et parfois, la crainte salu-
taire de l'enfer suffit à mettre un frein à l'onanisme.
Examiné au point de vue physique, le malade ne
présente pas de stigmates physiques de dégénérescence,
on remarque seulement comme chez les onanistes la
forme en massue de la verge; ses autres organes ne
nous montrent rien d'anormal.
L'alcoolisme du grand-père, l'épilepsie du père ont
préparé chez L... le fond de dégénérescence sur
lequel nous voyons, dès l'âge de six ans, surgir l'ob-
l'anesthésie hystérique. 323
session bizarre de mordre et de manger la peau fine
et blanche. La résistance s'accompagne d'angoisse et
l'impulsion le pousse, en définitive, à se mutiler lui-
même ; l'acte accompli, même dans ces conditions
douloureuses, provoque l'éréthisme génital et est
suivi d'un grand soulagement. Ce sont bien là, on le
voit, tous les caractères du syndrome épisodique, tou-
jours les mêmes, quelle que soit l'étrangeté de ce syn-
drome.
CLINIQUE NERVEUSE.
Clinique DES Maladies DU système NERVEUX. M. CHARCOT.
L'ANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE;
CONFÉRENCE FAITE A LA SALPÊTRIÈRE LE VENDREDI 11 MARS 1892,
Par M. Pierre JANET,
Professeur agrégé de phitosophie, docteur ès lettres, élève du service.
MESSIEURS,
Vous êtes sans doute très surpris de voir un simple philoso-
phe prendre la parole dans ces conférences du vendredi, qui ont
été déjà illustrées par d'éminents cliniciens.il ne faut pas trop
m'en vouloir; c'est mon maître vénéré, ou plutôt c'est notre
maître à tous, M. Charcot, qui a pensé qu'une leçon de
psychologie pathologique ne serait pas ici entièrement dépla-
cée. Cette opinion de M. Charcot ne vous étonne pas : vous
savez qu'il n'a jamais.voulu séparer l'étude de l'esprit humain
de l'étude du système nerveux et que par son influence et ses
propres recherches il a fait faire des progrès à la psychologie
comme àla pathologie. Ily ades doctrines proprement psycho-
324 CLINIQUE NERVEUSE.
logiques qui sont passées dans l'enseignement officiel même
des lycées et qui lui appartiennent : voici bien des années que
tous les professeurs de philosophie parlent tous les ans à leurs
élèves des différents types de mémoire, des visuels, des audi-
tifs, des moteurs, des troubles du langage, et font au tableau
noir un schéma célèbre que vous connaissez bien. Pour ne
parler que du sujet qui doit nous occuper spécialement, vous
savez que M. Charcot a démontré la nature morale, psy-
chologique, des paralysies hystériques, qu'il a eu l'audace de
présenter certaines paralysies flasques d'apparence toute phy-'
sique comme de simples phénomènes de pensée. Par là, il a
indiqué le chemin que l'on devait suivre pour étudier de la
même manière d'autres symptômes de l'hystérie. Aussi est-il
tout naturel que M. Charcot ait désiré entendre exposer
dans l'amphithéâtre de la clinique des études nouvelles sur
l'état mental des hystériques qui venaient simplement conti-
nuer les siennes. Quant à moi, je suis très fier que M. Charcot
m'ait choisi pour vous exposer des questions qui l'intéressent
si fort, je suis fier surtout qu'il ait en moi assez de confiance
pour croire que mes analyses psychologiques ne s'écarteront
pas de la vérité médicale, de la vérité clinique, à laquelle tout
ici doit être subordonné. Je suis heureux aussi de cette occa-
sion de lui témoigner ma reconnaissance : il y a déjà dix ou
douze ans, quand j'étais professeur de philosophie en province,
je suis venu sans titre et sans raisons demander quelques con-
seils à M. Charcot pour les études de psychologie expérimentale
que je voulais aborder. M. Charcot l'a sans doute oublié, mais
je me souviens encore de la bienveillance avec laquelle il m'a
accueilli et des conseils précieux qu'il m'a donnés : je suis un
de ses élèves plus qu'il ne le croit lui-même. Quand plus tard
je suis venu travailler dans son service, la sympathie, l'amitié
de tous que j'ai rencontrées ici, m'a rendu cher le service de la
clinique, et si mes humbles travaux peuvent ajouter quelque
petit détail aux belles recherches qui ont été faites dans ce
service, je suis heureux de les lui offrir.
'Messieurs, j'ai l'intention de vous parler de l'état mental de
certains malades, mais il faut d'abord nous entendre sur ce
mot. Autrefois, dans les ouvrages de médecine,' on réunissait
sous ce titre « étal mental du malade » quelques remarques
plus ou moins générales et plus ou moins banales sur le carac-
tère et sur la conduite. On disait par exemple, en parlant des
l'anesthésie hystérique. 35
hystériques, qu'elles rient et qu'elles pleurent sans motifs suffi-
sants, qu'elles se fâchent à tout propos et sans propos, qu'elles
ont un caractère insupportable, ce' qui est assez vrai, ou bien
qu'elles sont toujours menteuses, ce qui est absurde. C'est là
.une description trop superficielle, c'est ce qu'on peut appeler
une psychologie de salons, ou, pour employer l'expression de
mon excellent maître M. J. Falret, c'est une psychologie d'infir-
mières. La servante de la salle sait mieux que vous combien les
hystériques ont le caractère insupportable; des médecins doi-
" vent étudier autre chose. Le mot état mental d'une malade »
.doit désigner aujourd'hui pour le savant toutes les modifica-
tions qui peuvent survenir dans tous les phénomènes psycho-
logiques, dans les sensations, les souvenirs, les perceptions, les
associations d'idées, etc. Plus tard, au vingtième siècle peut-
être, tous les malades, depuis le simple rhumatisant jusqu'au
paralytique général, auront leur psychologie minutieusement
.étudiée dans tous ses détails. Nous allons voir, malheureuse-
ment, par les difficultés que présente l'étude psychologique des
hystériques qu'un pareil idéal est encore loin d'être atteint.
I. Je vous propose de prendre comme point de départ de
notre étude des hystériques, l'analyse de leur anesthésie : ce
choix se justifie à la fois par des motifs pratiques et des raisons
théoriques. Ce qui rend souvent difficile l'examen des fonctions
intellectuelles, c'est que par leur nature même, elles sont ren-
fermées dans l'esprit du sujet et ne se manifestent guère à
l'extérieur par des symptômes palpables, accessibles à l'obser-
vation. Au contraire, la sensibilité et l'insensibilité sont des
phénomènes psychiques qui semblent posséder facilement des
manifestations extérieures. On peut assez bien vérifier du de-
hors par des opérations faciles si un membre est sensible ou ne
l'est pas et l'anesthésie est le fait psychologique le plus com-
mode à étudier expérimentalement. Au point de vue théorique
d'ailleurs, il suffit de vous rappeler le rôle immense que tous les
psychologues ont fait jouer aux sensations dans la formation
de l'intelligence, et vous' comprendrez l'importance de l'anes-
thésie dans la psychologie pathologique. C'est donc l'anes-
thésie hystérique qui doit être l'objet de notre première
étude psychologique. Je dis étude de psychologie, rassurez-vous
cependant, je tiens trop à suivre les exemples qui m'ont été
donnés ici même pour rester toujours dans la spéculation abs-
l'
326 ' CLINIQUE NERVEUSE.
traite. Je vous décrirai des faits et je vous en montrerai; ce
n'est que pour expliquer ces faits que nous nous permettrons
quelques hypothèses et d'ailleurs, nous reviendrons bien vite.
à l'expérience pour vérifier nos suppositions. Partir de la cli-
nique et revenir à la clinique en traversant pour un moment le
champ des hypothèses psychologiques, tel est le plan que nous
' suivrons ensemble dans l'étude de l'anesthésie hystérique.
Soyez certains, messieurs, que je n'ai pas la prétention de
vous décrire tous les caractères cliniques de cette anesthésie
que vous connaissez parfaitement; je me contente de vous rap-
peler certains faits dont nous aurons peut-être à nous servir.
Ainsi, vous savez que l'anesthésie est très fréquente chez les
hystériques et qu'il est rare de rencontrer les autres symptômes
de cette maladie sans qu'il y ait trace de celui-là. M. Pitres, dans
son ouvrage si précis et si utile, ne compte que p. 100 de
malades sans anesthésie' ; dans le service de M. Charcot, je
n'en connais en ce moment-ci qu'une seule qui soit de ce genre.
Peut-être aurons-nous à faire allusion à ces hystériques sans
anesthésie et à vous montrer qu'elles ont cependant un symp-
tôme moral à peu près équivalent à celui-là. Vous savez aussi
que cette insensibilité peut être plus ou moins complète, et
qu'elle peut atteindre toutes les parties de la peau, toutes les
muqueuses accessibles et tous les organes des sens. On pour-
rait dire sans exagération que, si les psychologues découvrent
- un jour un sens nouveau que l'on n'avait pas encore remarqué,
les.médecins verront le lendemain qu'il existait une forme
d'anesthésie hystérique non soupçonnée. Le sens tactile avec
toutes ses variétés, sens de la douleur, de la température, du
contact, le sens musculaire, le sens du goût, celui de l'odorat,
l'ouïe même et la vue peuvent être séparément ou simultané-
ment affectés. Je n'ai pas besoin non plus de vous rappeler
que certaines anesthésies, celles de la vue par exemple, peu-
vent amener des phénomènes complexes, la diminution de
l'acuité visuelle, la dyschromatopsie et le rétrécissement du
champ visuel. Ce dernier fait, pardonnez l'expression de ce sen-
timent naïf, me cause une certaine admiration; je trouve que
.c'est un beau phénomène psychologique. L'étendue de l'es-
pace qui est visible d'un seul coup d'oeil, pendant que l'oeil est
immobile, est rétrécie, c'est-à-dire que le nombre des phéno-
A. Pitres. - Lefolts climqueasur l'hystérie, 1891, t. 1, j). 125.
L'ANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE. 327
mènes visuels qui peuvent, pendant un instant donné, pénétrer
dans la conscience est considérablement diminué. Ce petit
schéma de champ visuel rétréci que je vous montre est peut-
être l'emblème de l'esprit tout entier des hystériques ,
Ces anesthésies, quelles qu'elles soient, peuvent se présenter
sous des formes innombrables que nous rangerons dans cer-
taines classes; la division n'est sans doute pas bien précise,
mais elle permettra de faire sur chaque catégorie quelques
remarques psychologiques. Les anesthésies peuvent être systé-
matisées, localisées ou générales.
Les anesthésies systématisées sont, à mon avis, plus fréquentes
qu'on ne croit généralement, car on ne les remarque pas tou-
jours. Elles ne portent pas sur toutes les sensations venant d'un
certain sens, mais sur un groupe de sensations formant un
système, en laissant parvenir à la conscience la connaissance
de tous les autres phénomènes fournis par ce même sens'. Ce
genre d'insensibilités, très intéressant, est facile à constater
pendant le sommeil hypnotique et à produire par des suggestions
appropriées. Le sujet, par exemple, verra toutes les personnes
de la salle, mais ne pourra plus voir ni entendre une certaine
personne qu'on lui aura désignée; il pourra voir des objets, des
papiers qu'on lui présente, mais ne pourra plus voir un certain
papier marqué d'une croix. L'analyse de ce phénomène a été
pour moi le point de départ de l'étude des anesthésies hysté-
riques, mais il n'y a pas lieu d'y insister ici, car je dois surtout
vous montrer des phénomènes produits naturellement par la
maladie. Cette anesthésie systématisée se rencontre aussi et
naturellement pendant les somnambulismes, quelle que soit
leur origine. Le somnambule ne peut voir qu'une certaine
categorie, un certain système d'objets en rapport avec son
rêve, et il semble absolument anesthésique pour tous les autres.
L'automate, si bien décrit par 'M. Mesnet, ne voyait que son
allumette et non celles qui étaient présentées par d'autres per-
sonnes 2. Une somnambule, que j'ai décrite, voyait fort bien
1 Sur les anesthésies systématisées, consulter deux études précédentes :
Pierre Janet. L'Anesthésie systématisée et la dissociation des phénomènes
psychologiques, in Revue philosophique, 1887, t. 1, p. 119, et l'Auto-
matisme psychologique, 1889, p. 271. Nous demandons la permission de
renvoyer quelquefois le lecteur à ce dernier ouvrage dans lequel cer-
taines questions psychologiques sont traitées avec plus de développe-
ment qu'il n'est possible de le faire dans une leçon.
'Mesnet. - Automatisme, 1871, p. 19.
32 CLINIQUE NERVEUSE. '
que la lampe apportée par elle avait besoin d'être remontée,
mais ne voyait pas les personnes présentes cherchant en vain
à attirer son attention '. Le même fait peut enfin se présenter
même pendant la veille des hystériques. Je viens de lire dans
l'ouvrage de M. Gilles de la Tourette une observation précise
de ce genre : des hystériques, nous dit-il, continuent à sentir
certains goûts quand elles semblent avoir perdu tous les autres;
une malade ne savait plus reconnaître que le goût du jus d'oi-
gnons 2. J'ai vu moi-même, autrefois, une malade qui m'avait
semblé fort singulière : elle avait les deux mains absolument
anesthésiques, mais elle reconnaissait toujours au contact deux
ou trois objets seulement, appartenant à sa toilette habituelle,
ses boucles d'oreille et ses épingles à cheveux en écaille. Tout
autre objet mis dans ses mains, une pièce d'or ou un crayon,
n'étaient absolument pas sentis. Une autre malade, ayant éga-
lement les mains absolument anesthésiques, savait toujours,
par le simple contact et sans miroir, si sa coiffure était bien ou
mal disposée, selon ses goûts. Il semble qu'ici la sensibilité et
l'insensibilité soient réparties, non pas d'après des causes phy-
siques, mais d'après certaines idées qui déterminent le choix
des impressions senties ou non senties.
Parmi les anesthésies localisées, nous insisterons surtout sur
celles qui ont été autrefois décrites par M. Charcot, sous le
nom d'anesthésies en segments géométriques 3. Des organes
entiers, ou des parties d'organes, un doigt, la main ou la cuisse,
deviennent anesthésiques dans toute leur superficie, et l'insen-
sibilité est limitée par des lignes assez régulières, perpendicu-
laires le plus souvent à l'axe du membre. Ces répartitions de
l'anesthésie ne correspondent évidemment pas à des régions
anatomiques, ce n'est pas le territoire innervé par le cubital ou
le médian qui est anesthésique, c'est la main ou le poignet.
Un malade actuellement dans le service a conservé, à la
suite d'une monoplégie hystérique envoie de guérison, un bra-
celet d'anesthésie occupant exactement la région du poignet,
tandis que la sensibilité est intacte à la main et à l'avant-bras.
- ' Electivité ou- esthésie systématisée , 111 Automatisme psychologique,
p. 287.
'Gilles de la Tourette. - Traité clinique et thérapeutique de l'hysté-
l'ie, 18 ! H, p. 183.
3 Leçons sur les maladies du système nerveux, 1887, t. III, p. 3411,
. L'ANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE. 329 9
Ce n'est pas là évidemment le territoire d'un nerf spécial. Ce
n'est pas non plus une aire vasculaire irriguée par une même
artère, ainsi que l'avait autrefois supposé Briquet, pour expli-
quer ces répartitions de l'anesthésie. Non, la localisation n'est
pas anatomique, elle est physiologique, comme le dit justement
M. Charcot. Mais je voudrais ajouter un mot, cette répartition
correspond à une physiologie bien grossière, bien populaire. \
Quand une hystérique a la main paralysée, où devrait être son 1
insensibilité ? Sur les muscles qui ne fonctionnent pas, c'est-
à-dire sur l'avant-bras. Et cependant, l'anesthésie est presque I
toujours limitée à la main elle-même et au poignet. Dans la ¡
cécité hystérique, l'anesthésie ne porte pas seulement' sur la/
rétine, mais sur la conjonctive et même sur les paupières :
l'hystérique amaurotique a une lunette d'anesthésie sur la face.
Elle a perdu l'oeil, non pas seulement dans le sens physiolo-
gique, mais dans le sens populaire du mot, c'est-à-dire tout ce
qui remplit l'orbite. Il semble donc que, même dans ces anes-
thésies localisées, les associations habituelles de nos sensations,
les idées que nous nous faisons de nos organes, jouent un rôle
important et déterminent ces répartitions.
En troisième lieu, les anesthésies peuvent être générales,
envahir toute la surface du corps et supprimer plus ou moins
complètement telle ou telle catégorie de sensations. Nous avons
ici encore une remarque importante à faire, qui s'appliquait
déjà aux faits précédents, mais qui maintenant devient bien
plus frappante. Les anesthésies hystériques ne sont ni dange-
reuses, ni gênantes. Elles ne s'accompagnent pas, du moins à
l'ordinaire, de troubles de la circulation, de la nutrition des
parties, elles semblent ne troubler aucunement les fonctions
normales. Cela est si vrai que le plus souvent, et c'est un point
capital, le sujet ignore ses propres anesthésies '. Peut-être ne
vous rendez-vous pas bien compte de ce caractère, quand vous
l'examinez ici dans le service. La plupart des malades qui
viennent ici ont déjà été examinées par des médecins suffi-
samment instruits pour rechercher les stigmates hystériques,
et elles vous avertissent elles-mêmes qu'elles ne sentent pas
du côté gauche. C'est qu'on le leur a appris ; quand on observe
une hystérique pour la première fois, ou bien quand on étudie
des malades venant de la campagne, on constate, comme je l'ai
t Gr, Pitres, op. cit., t. I, p. î 4, et Gilles de la Tourelle, op. cit.. p. 161.
330 CLINIQUE NERVEUSE.
fait souvent autrefois, qu'elles portent sans s'en douter et
sans en souffrir les anesthésies les plus profondes et les plus
étendues. Il est loin d'enêtre ainsi pour les anesthésies de
cause organique, et il suffit de vous rappeler quelques exemples
bien connus. Vous savez comment se présentent dans le ser-
vice, les malades atteints de cette affection intéressante et
nouvellement étudiée, la syringomyélie. Ils ont des traces de
brûlures aux doigts et ils se plaignent de se brûler à chaque
instant sans le sentir. Est-ce que les hystériques ont souvent
des brûlures aux mains ? Evidemment non, et cependant la
thermo-anesthésie est loin d'être rare dans l'hystérie. Vous
connaisse/, également ce symptôme particulier du tabes, que
M. Charcot a été l'un des premiers à décrire, et qu'il a appelé
le masque tabétique. Les malades perdent la sensibilité d'une
partie plus ou moins étendue de la face, mais ils s'en rendent
compte subjectivement, ils se plaignent qu'une partie de leur
figure a disparu et déclarent éprouver à ce propos une impres-
sion horrible. Demandez donc aux hystériques qui ont de
l'anesthésie de la face et qui sont légion, si elles éprouvent une
sensation horrible, et elles vous répondront toutes que cela
leur est bien égal.
A propos de cette différence entre les sensations subjectives
produites par l'anesthésie hystérique et celles qui accom-
pagnent l'anesthésie de cause organique, permettez-moi de
vous raconter une petite anecdote. Je ne l'ai pas recueillie
moi-même, mais elle m'a été rapportée par mon frère, le
Dr Jules Janet. Quand il était interne à la Pitié, chez M. le
Dr Polaillon, il eut l'occasion d'observer le cas suivant : Une
jeune fille d'une vingtaine d'années avait été victime d'un
accident assez grave; elle était tombée au travers d'une porte
vitrée et si malheureusement, qu'un fragment de verre lui fit
une profonde entaille à la face inférieure du poignet droit,
juste au-dessous de l'éminence thénar. On arrêta l'hémor-
rhagie et la plaie se cicatrisait tant bien que mal, quand la
jeune fille peu de jours après l'accident se présentait à la
consultation ; elle éprouvait un certain engourdissement dans
la main droite, mais la paralysie n'était pas manifeste. Elle
se plaignait surtout d'une insensibilité persistante et des plus
gênantes siégeant à la paume de la main : cette anesthésie
faible aux doigts était en effet complète au niveau de l'émi-
nence thénar. Il s'agissait évidemment d'une section plus ou
L'ANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE. 331
moins complète du médian et surtout de ses filets superficiels.
Mais en prenant l'observation de la malade, on fit une singulière
découverte : c'était une hystérique et elle avait surtout le côté
gauche, du haut en bas, une anesthésie complète dont elle
n'avait pas dit un mot. Le médecin se moqua d'elle et lui dit :
« Comment, mademoiselle, venez-vous gémir pour une insen-
sibilité qui occupe une toute petite région de la paume de la
main droite, tandis que vous ne vous apercevez même pas que
vous ne sentez absolument rien sur tout le côté gauche. » La
pauvre fille fut interloquée et très honteuse ; à mon avis, elle
aurait pu répondre avec plus d'assurance et dire au médecin :
« Que voulez-vous ? Je constate ce que j'éprouve, mon insen-
sibilité de la paume de la main droite me gêne et mon insensi-
bilité de tout le côté gauche ne m'a jamais gênée. Quant à vous,
médecin, expliquez cela comme vous pourrez. »
La même remarque peut se faire, je crois, pour tous les
sens, même pour le sens visuel. Il est une maladie bien connue
des oculistes, la rétinite pigmentaire, qui consiste en une sclé-
rose de la rétine, progressive et marchant de la périphérie
vers le centre. Naturellement, une lésion pareille produit un
rétrécissement progressif et concentrique du champ visuel.
Mais ces malades sont extrêmement malheureux ; ils arri-
vent à peine à se conduire dans la rue et font de perpétuels
efforts pour remuer dans tous les sens leur oeil dont le champ
visuel est rétréci. Ces efforts exagérés amènent des souffrances
et des troubles dans les mouvements des paupières et de l'oeil.
Est-ce que les hystériques ont des souffrances et compensent-
elles leur rétrécissement par des convulsions du globe oculaire ?
Dimanche dernier, en venant dans le service, j'ai rencontré
plusieurs des jeunes malades qui jouaient au ballon dans la
cour. Il ne faut jamais perdre une occasion de faire une obser-
vation psychologique et j'ai remarqué que, parmi les plus
animées au jeu et les plus habiles, se trouvait une jeune fille
que je vais d'ailleurs vous présenter tout à l'heure. Elle a aux
deux yeux un rétrécissement énorme, le champ visuel à droite
et à gauche n'est pas plus grand que 5°, c'est-à-dire qu'il est
réduit à un point. Comment se fait-il que les malades atteints
de rétinite pigmentaire aient peine à se conduire dans la rue,
quand ils ont un rétrécissement de 20 à 1b°, tandis qu'une
jeune hystérique court après un ballon et le rattrape en l'air
avec un rétrécissement double de 1° ? Est-ce que Messieurs les
332 ' CLINIQUE NERVEUSE.
.médecins oculistes ont suffisamment médité sur ce petit pro-
blème ? .
Les remarques précédentes sur la systématisation, la répar-
tition intelligente et le peu de gravité des anesthésies hysté-
'riques nous montre déjà que nous avons affaire à un phéno-
mène tout particulier qui ne ressemble pas aux autres lésions
nerveuses. Un certain nombre d'observations que nous avons
eu l'occasion de faire autrefois et que beaucoup d'entre vous
ont dû faire également de temps à autre vient confirmer sin-
gulièrement ces remarques et augmenter notre embarras.
' Il y a déjà quelques années, j'observais des malades hysté-
riques dans un service de l'hôpital du Havre que m'avait si
obligeamment ouvert mon excellent ami le Dr Powilewicz.
J'étudiais à peu près seul et sans guide et je m'embarrassais
à chaque instant d'une manière peut-être excessive : vous allez
en juger. Pour me rendre utile dans le service, je m'étais
chargé d'électriser les jambes d'une malade atteinte de para-
plégie hystérique. Elle était complètement anesthésique, ainsi
que je l'avais vérifié cent fois, elle avait un rétrécissement
considérable du champ visuel, une achromatopsie complète
des deux yeux, enfin tous les symptômes classiques. Dans ma
naïveté, je m'intéressais aux contractions musculaires provo-
quées par le contact de l'électrode négative et je promenais
mon tampon sur les cuisses et sur les jambes ; quand tout à
coup, une remarque accidentelle fit tomber tout mon enthou-
siasme. Les deux fils qui rattachaient les tampons à l'appareil
étaient tombés peut-être depuis longtemps et j'électrisais en
réalité avec de simples morceaux de bois. Mon premier mou-
vement fut de m'écrier et de rattacher les fils aux bornès ;
. mais je me souvins à temps du conseil que M. Charcot
m'avait donné peu de temps auparavant. « Avec les hysté-
riques ne vous étonnez jamais de rien : aail admirari, doit être
votre devise. » Eh bien, soit, ne soyons pas surpris et puisque,
après tout, les contractions musculaires se produisaient bien
tout à l'heure, continuons. Je pris seulement la précaution de
détourner la tête de la malade et de cacher les yeux par un
écran : les contractions se produisirent de plus belle au simple
contact du tampon. Ce n'est pas, direz-vous, une chose bien
merveilleuse; il y a là une sorte d'habitude, une suggestion
qui s'exécute. C'est bien aussi mon avis, mais je voudrais seule-
ment savoir comment cette malade qui avait toute la peau du
L'ANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE. 333
corps absolument insensible pouvait sentir le moment où mon'
tampon touchait ses jambes, pour produire un mouvement à
ce moment et seulement à ce moment.
A peu près, au même moment, je fis une autre observation
également embarrassante, mais il s'agissait cette fois des sen-
sations musculaires et non des sensations tactiles. J'étudiais
non plus à l'hôpital, mais chez, elle une jeune femme de vingt-
deux ans que j'ai souvent décrite sous le nom de Lucie. Elle
avait à peu près tous les jours dans la soirée une grande atta-
que hystérique qui se prolongeait plus de cinq heures. Per-
mettez-moi de vous décrire en deux mots cette attaque inté-
ressante à plusieurs points de vue. Après une aura assez
longue, la malade tombait brusquement à la renverse, immo-
bile, entièrement contracturée, elle paraissait respirer diffici-
lement et sa face devenait violette. Suivaient de grands mou-
vements, arcs de cercle, salutations, coups de pied, etc., et
brusquement la malade se dressait les yeux ouverts. Elle
regardait fixement les rideaux de sa fenêtre et gardait les bras
en l'air dans la position de la terreur. J'ai appris plus tard
qu'elle avait alors une hallucination terrifiante et croyait voir
des hommes cachés dans ces rideaux. Cette attitude, presque
sans modifications, se prolongeait sans exagération pendant
une heure. Puis la malade remuait de plus en plus et entrait
dans une sorte de délire somnambulique fort curieux, pendant
lequel elle avait la singulière habitude de descendre à la cui-
sine et de se faire un dîner sommaire qu'elle mangeait de bon
appétit, tandis qu'elle refusait de manger pendant la veille.
Cette crise est remarquable, commme vous le voyez, par son
caractère en quelque sorte classique ; n'oublions pas que cette
pauvre femme de vingt-deux ans habitait les faubourgs d'une
ville de province, qu'elle n'avait jamais été dans un hôpital et
que même elle n'avait été examinée par aucun médecin. Pour
le moment, nous n'avons à insister que sur un seul détail :
j'avais remarqué que pendant la veille la plus normale, il suffi-
rait de lui lever les deux bras et de les placer dans la posture
de terreur qu'ils prenaient pendant la crise pour provoquer
aussitôt une attaque. Rien de plus simple et de plus connu,
me direz-vous, vous éveillez par la notion de la position des
bras l'idée principale de l'attaque et le. reste se déroule. C'est
vrai, mais il y a un petit détail : Lucie était anesthésique de
tout le corps et ne présentait plus nulle part aucune trace du
334 CLINIQUE NERVEUSE.
sens musculaire. Comme une malade que l'on vous a présentée
ici dernièrement, elle tombait brusquement dès qu'on lui fer-
mait les yeux. Or, j'ai souvent pris la précaution de lui fermer
les yeux avant de placer les bras et la crise n'en commençait
'pas moins, dès que les membres avaient la position voulue.
Comment donc la notion de cette position a-t-elle été appréciée
par un sujet aussi insensible ?
Le procédé précédent qui consiste à provoquer la crise d'hys-
térie au moyen de ces sensations en apparence disparues de
l'esprit du sujet m'a permis de reproduire ici une expérience
analogue, non plus sur le sens musculaire, mais sur le sens
visuel. Il y avait dans le service, au mois d'octobre dernier, un
jeune homme de seize ans qui avait eu sa première attaque
d'hystérie à la suite d'une forte frayeur qu'il avait éprouvée
pendant un incendie. Comme vous le devinez, il reproduisait
cet épisode à chacune de ses attaques, criait 0[ au feu 1 »,
appelait les pompiers, se débattait dans les flammes. En outre
il suffisait, quand il était bien calme, de lui parler d'incendie
et surtout de lui montrer une petite flamme pour provoquer
aussitôt le retour de l'attaque. Un jour, je le plaçais en face du
périmètre, comme pour lui mesurer le champ visuel, je lui fis
fermer l'oeil droit et fixer avec l'autre oeil le point central. Il
s'attendait à voir avancer sur l'arc de cercle noirci un morceau
de papier comme il l'avait vu souvent. Mais je tenais soigneu-
sement cachée derrière son dos une allumette enflammée et
je l'approchai doucement de l'extrémité de l'arc. L'allumette
était à peine vers le degré 80, que le malade poussa un cri
0[ au feu ! » et se renversa en convulsions. Rien d'étonnant sans
doute, puisque vous savez que la vue d'une flamme amenait
la crise. Mais ici encore une question obscure, ce malade
avait du côté gauche, ainsi qu'on l'avait mesuré plusieurs fois,
le champ visuel rétréci à 30°, au maximum 33°, et mon allu-
mette étant à 80° se trouvait évidemment placée dans la partie
du champ visuel qui était invisible, son image se projetait sur
la partie anesthésique de la rétine. ,
Cette étude de l'anesthésie oculaire chez les hystériques
peut se faire d'une autre façon, qui a conduit déjà plusieurs
observateurs à faire des remarques analogues à celles que
nous venons d'exposer. Les hystériques présentent souvent,
quand on les examine, une amaurose complète d'un oeil. Mais
cette perte d'un oeil semble les gêner si peu, comme d'ailleurs
L'ANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE.. 335
les autres insensibilités, que l'on a été conduit à examiner ce
symptôme avec quelque sévérité. Les médecins majors dans
les régiments, très experts dans l'art de démasquer les super-
cheries médicales, ont appliqué aux hystériques amaurotiques
les procédés qui leur servaient dans les conseils de revision.
L'un de ces procédés consiste à faire regarder les sujets dans
la boîte de Fiées ; c'est un petit instrument, que vous voyez,
très ingénieux : grâce à un jeu de miroirs, le sujet qui regarde
dans la boîte en tenant les deux yeux ouverts voit à sa droite
un objet, un pain à cacheter rouge par exemple, qui est vu en
réalité uniquement par l'oeil gauche et il voit à sa gauche un
pain à cacheter blanc qui est vu uniquement par l'oeil droit.
Supposons un simulateur non prévenu prétendant n'y pas voir
de l'oeil gauche, il dira qu'il ne voit pas le point qui lui apparaît
à gauche, il supprimera le point blanc et ne parlera que du
point rouge qui lui apparaît à droite; or justement ce point
rouge ne peut être vu que par l'oeil gauche. Eh bien, montrons
cette boîte à une hystérique amaurotique de l'oeil gauche, elle
va tomber dans l'erreur des simulateurs, comme fait une
jeune fille que je vais vous montrer, ou bien elle verra plus
naïvement encore les deux pains à cacheter, comme faisait
une malade de M. Pitres '.
M. Charcot et M. Regnard ont constaté, il y a déjà long-
temps, un fait analogue à propos de la dyschromatopsie hys-
- térique. Une malade ne distinguait que le rouge et ne voyait
pas les autres couleurs, mais si on faisait tourner devant ses
yeux une roue de Newton sur laquelle étaient peintes les sept
couleurs du prisme, le sujet voyait se former une teinte blanc
grisâtre, comme si toutes les couleurs eussent produit sur elle
leur effet habituel 2. Plus tard M. Parinaud, l'éminent chef du
laboratoire d'oculistique, reprit cette étude de l'amaurose
unilatérale avec une grande précision 3. M. Bernheim a repris
et confirmé ces expériences en comparant l'amaurose hysté-
rique et l'amaurose suggestive *. M. Pitres a également pour-
' Pitres, op. cit., t. I, p. 102.
* Gilles de la Tourette, op. cit., 346.
3 Cf. Thèse d'agrégation de M. Grenier : Des localisations dans les
maladies nerveuses, 1886; M. Parinaud : Anesthésie de la rétine, etc., bulle-
tins de l'Académie royale de médecine de Belgique, 1886, et'du même
auteur : Sur une forme rare d'amblyopie hystéro-traumatique, bulletin
médical, 1889, p. 777.
1 Revue de l'hypnotisme, 1887, p. 68.
336 CLINIQUE NERVEUSE.
suivi des recherches dans le même sens et les résultats auxquels
il est parvenu ont été d'accord avec les conclusions des auteurs
précédents. Je ne parlerai pas de l'interprétation proposée par
- ces auteurs, elle me paraît sinon inexacte, au moins incom-
plète ; mais je retiens le fait que leurs travaux ont mis en
lumière. L'hystérique ne paraît aveugle que si on l'interroge
d'une certaine manière ; un grand nombre de recherches
prouvent que l'oeil en apparence aveugle voit parfaitement en
réalité.
J'étais parvenu moi-même en 1888 à un résultat identique par
des procédés moins précis. Une jeune fille de l'hôpital du Havre
semblait absolument aveugle de l'oeil gauche; elle prétendait
être dans l'obscurité absolue quand on lui fermait l'oeil droit.
Un jour,j'étais placé à sa droite et je luimontrais des images sur
lesquelles elle faisait des commentaires : je passai doucement
à sa gauche en continuant à causer et je pus retirer les images
fortement du côté gauche, sans qu'elle cessât de les voir. J'ai
même montré, ce qui est bien plus curieux, que le sujet garde
le souvenir d'un objet uniquement montré à l'oeil gauche pen-
dant que l'oeil droit était fermé ' , mais nous aurons à vous
parler plus tard de ce souvenir. Concluons seulement que les
malades amaurotiques continuent à, voir de leur oeil aveugle ;
cela est bizarre, mais certain. Mais ne nous figurons pas que ce
caractère n'existe que dans les anesthésies oculaires et doive
s'expliquer par la différence de la vision monoculaire ou bino- '
culaire. Ce caractère contradictoire, nous l'avons déjà rencontré
dans toutes les anesthésies hystériques ; c'est là un problème
général et non un problème propre au sens visuel. -
Avant d'entrer dans la discussion de ce problème, je vou-
drais, Messieurs, vous le rendre bien sensible et pour cela, je
vais vous présenter quelques-uns des phénomènes embarras-
sants que je vous ai signalés. Vous aurez ensuite plus de cou-
rage pour en chercher avec moi la solution. Voici, Messieurs,
une jeune fille de vingt ans, Isabelle, qui nous présente le type
de l'hystérie la plus banale : père alcoolique, accidents névro-
pathiques dans l'enfance, mouvements choréiques, puberté
retardée et pénible, chloro-anémie à seize ans et à la suite de
chagrins.et d'émotions, tristesse continue, petites crises d'hys-
térie, anorexie et petites contractures disséminées. Elle est
1 Automatisme psychologique, p. 295. · .
' L'ANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE. 337 -1
anesthésique du côté gauche, incomplètement à la jambe,
absolument au hras, au thorax et à la figure, elle a une dimi-
nution très marquée du goût et de l'odorat, et une amaurose
de l'oeil gauche. Je vérifie soigneusement et sévèrement devant
vous tous ces symptômes, vous voyez que l'aiguille traverse la
peau de son bras gauche sans qu'elle paraisse s'en apercevoir'.
Eh bien, nous allons lui proposer une petite convention, pour
vérifier rapidement son anesthésie. Nous la prions de répondre
« oui » toutes les fois qu'elle sera pincée dans une partie sen-
sible et « non quand elle sera pincée sur une partie insen-
sible. Comme elle est fort naïve, elle accepte sans sourciller.
Et vous voyez ce singulier spectacle, quoiqu'elle ait les yeux
soigneusement cachés par un écran, elle ne se trompe jamais
et crie toujours « oui» quand je pince la main droite et « non» p
quand je pince la main gauche. Elle est aveugle de l'oeil gauche
et se plaint de se trouver dans l'obscurité absolue quand je
ferme l'oeil droit : je la fais regarder dans la boîte de Fiées et
elle nous déclare gravement qu'elle a vu un pain à cacheter
rouge. Vous savez qu'il ne peut être vu que par l'oeil gauche.
Voici maintenant une autre jeune fille, Berthe, âgée de
dix-huit ans, qui présente une histoire à peu près semblable à
celle de son amie Isabelle : antécédents héréditaires, somnam-
bulisme nocturne dans l'enfance, contractures passagères aux
membres, attaques de diverses espèces, qui sont quelquefois
suivies d'une cécité complète des deux yeux heureusement
passagère. Elle est hémianesthésique gauche, mais je n'expé-
rimenterai que sur le bras, car c'est le seul endroit où l'anes-
thésie soit tout à fait complète et indiscutable, comme vous le
voyez. Elle a complètement perdu le goût et l'odorat et elle pré-
sente surtout un rétrécissement du champ visuel intéressant.
Il est le même pour les deux yeux et il est certainement
inférieurà 10°, nous disait M. Parinaud, qui l'a examinée der-
nièrement. Vous voyez qu'elle ne voit un papier que s'il est
tout près du point central du périmètre, à une distance de 5° au
plus.
Nous allons d'abord essayer de reproduire avec elle l'obser-
vation qui m'a tant frappé en 1887 et que l'on pourrait appeler
l'électrisation imaginaire. Je lui donne dans la main droite
1 Nous étudions l'anesthésie banale des hystériques, telle qu'on la cons-
tate et qu'on l'admet couramment dans les observations cliniques.
Archives, t. XXIII. 22
338 CLINIQUE NERVEUSE.
un tampon à tenir et avecl'autre tampon, je lui touche légère-
ment la peau de l'avant-bras gauche sans qu'elle puisse voir à
quel moment je touche. Voyez les belles secousses muscu-
laires, et comme la main se relève brusquement dès le plus
léger contact. Inutile de vous faire remarquer, messieurs, que
la pile ne marche pas, comme vous le voyez, le zinc n'est pas
baissé ' .
Je ne puis pas répéter devant vous l'expérience qui consis-
tait à provoquer la crise de ce jeune homme en lui montrant
une allumette dans la partie invisible du champ visuel, le
malade n'est plus dans le service. Mais je puis reproduire sur
cette jeune fille une expérience à mon avis'tout aussi démons-
trative. Je l'ai habituée à s'endormir quand elle voit mon doigt
levé devant elle, c'est une de ces suggestions à point de repère
que vous connaissez bien. Eh bien ! je la place au périmètre,
l'oeil droit fermé et l'oeil gauche fixé sur le point central,
j'avance lentement mon doigt sur l'arc de cercle, il n'est pas
encore au degré 80 que Berthe est déjà tombée en arrière hyp-
notisée.
n Que pensez-vous de ces observations ? Quel est votre avis
sur l'état de la sensibilité de ces deux jeunes filles ? Si vous
aviez un rapport à faire sur elles, quediriez-vous ? Sont-elles
sensibles du côté gauche ? On peut traverser leur peau avec
des épingles sans qu'elles le sachent. Sont-elles insensibles ?
Elles répondent dès qu'on les touche, même légèrement. Isa-
belle est-elle aveugle ou ne l'est-elle pas ? Berthe a-t-elle un
champ visuel rétréci ? Ce sont des questions cliniques que je
.vous pose et vous voyez que leur intérêt est très réel si l'on
veut comprendre l'hystérie. Vous n'hésiterez donc pas à me
suivre dans quelques études de psychologie bien simple qui
nous sortiront peut-être de cet embarras.
Il. L'esprit humain n'admet pas la contradiction absolue
dans les phénomènes qu'il étudie, il a besoin de comprendre
c'est-à-dire de rétablir l'unité en apparence compromise. Mais
pour mettre de l'unité au milieu de faits divers il faut une idée,
une théorie : les hypothèses peuvent avoir des défauts et des
1 On devine que ce fait n'est pas ici aussi naturel que dans mon
observation foi tuile de 1887 : il est obtenu ici par une suggestion dont
l'exécution est intéressante.
l'anesthésie HYSTÉRIQUE. 339
dangers; elles sont inévitables. Renoncer aux hypothèses,
c'est renoncer à comprendre et même à penser. C'est par elles
que la science ressemble à l'art et à la poésie, elles forment
cette partie de lui-même que l'esprit humain doit mettre dans
les faits pour les rendre intelligibles à des hommes. Il nous
faut donc une hypothèse pour comprendre l'anesthésie hysté-
rique.
Ce besoin est si réel que depuis longtemps, les observateurs
superficiels ont expliqué à leur façon et par un procédé com-
mode les contradictions présentées par ces malades. Elles pré-
tendent ne pas sentir et par des artifices on prouve qu'elles
sentent parfaitement. Donc leur insensibilité est simulée et vos
procédés ne sont que des moyens de tromper un trompeur et
de démasquer la supercherie. Il faut avouer que les hysté-
riques n'ont pas de chance : autrefois, on les brûlait comme
sorcières et on les accusait de cohabiter avec le diable ; puis
on leur a attribué toutes les débauches imaginables et pour
le peuple, elles sont encore le type de la passion érotique;
nous croyons être plus avancés et nous inventons la simula-
tion hystérique.
Peut-être serez-vous un jour convaincus que cette fameuse
simulation n'existe que dans l'esprit des médecins incapables
de comprendre un fait moral. Je me contente de vous montrer
en peu de mots combien cette explication est ici grossière et
insuffisante. Ont-elles un intérêt quelconque à simuler l'anes-
thésie pour le seul plaisir de se faire traverser le bras avec des
aiguilles ? Ces jeunes filles passent-elles au conseil de revi-
sion, pour simuler l'amaurose unilatérale ? Cette supercherie
compliquée est-elle d'accord avec la simplicité naïve de ces
deux petites jeunes filles que je viens de vous montrer ? Com-
ment dans tous les pays civilisés les hystériques se sont-ils
entendus pour simuler la même chose depuis le moyen âge
jusqu'à aujourd'hui ? Si les hystériques simulaient, se laisse-
raient-ils prendre à des pièges aussi grossiers que ceux qui
leur sont tendus ? Enfin est-ce qu'ils sont venus se vanter de
leurs anesthésies ? Mais je vous ai dit que ces malades les igno-
rent. C'est nous qui les leur révélons et ils pourraient nous
dire' : c Si vous n'êtes pas content de notre insensibilité, n'en
parlez pas, ce n'est pas nous qui vous l'avons signalée et nous
ne tenons pas à passer pour insensibles. »
Il faut sortir de ces explications grossières et puisque l'in-
340 ' CLINIQUE NERVEUSE.
sensibilité comme la sensibilité sont des faits psychologiques,
il faut demander à la psychologie quelques notions sur les sen-
sations. Ce phénomène de la sensation a été défini d'une
manière fort vague : la plùpart des psychologues admettent
d'une façon plus ou moins explicite des définitions analogues
à celles de Wundt : « les sensations sont des états de conscience
primitifs qu'il est impossible de décomposer en phénomènes
plus simples' ». En un mot, les sensations seraient en psycho-
logie ce que sont les atomes en chimie, et cette notion semble
d'une manière générale assez satisfaisante. Mais immédiate-
ment la plupart des psychologues ajoutent une autre formule
pour compléter et préciser la première. « La sensation, disent-
ils, c'est le phénomène qui se passe en moi quand je puis dire :
Je sens, je vois 2. » Cette seconde définition, loin d'éclaircir la
première, nous semble en complète contradiction avec elle. -
Les mots a je vois, je sens », loin de pouvoir s'appli-
quer à un phénomène simple, désignent au contraire un
phénomène fort complexe. L'un des deux mots que con-
tiennent ces expressions « sentir, voir », peut à la rigueur
s'appliquer à un phénomène simple, à un atome psychologique.
Un physiologiste, Herzen 3, disait que l'on peut comparer le
cerveau à une vaste salle remplie d'une quantité innombra-
ble de petits becs de gaz. De temps, en temps, certaines
petites lampes s'allumeraient de côté et d'autre, c'est ce que
désigne ce mot isolé a sentir, voir ». Mais il est loin d'en être
ainsi pour les mots « je, moi », ce sont des termes éuormé-
ment complexes. C'est l'idée de la personnalité, c'est-à-dire la
réunion des sensations présentes, le souvenir de toutes les
impressions passées, l'imagination des phénomènes futurs,
c'est la notion de mon corps, de mes capacités, de mon nom,
de ma situation sociale, de mon rôle, c'est un ensemble de
pensées morales, politiques, religieuses, etc., c'est un monde
d'idées, le plus considérable peut-être que nous puissions
jamais connaître, car nous sommes loin d'en avoir fait le tour.
Il y a donc dans le « je sens », deux choses en présence, un
' Wundt. - Psychologie physiologique. Traduct. 1886, t. I, p. 305.
'Sur ces discussions psychologiques, consulter Automatisme psycholo-
gique, p. 39 et p. 305.
' Herzen. - Le cerveau et l'activité cérébrale, 1887. Consulter tout le
chapitre excellent sur la conscience et la personnalité, p. 197.
L'ANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE. 341
petit fait psychologique nouveau, une petite lueur qui s'al-,
lume « sens » et une énorme masse de pensées déjà constituées
en système « je ». Ces deux choses se mélangent, se combinent,
et dire < je sens », c'est dire que la personnalité déjà énorme
a saisi et absorbé cette petite sensation nouvelle qui vient de
se produire. Si j'osais, et ce n'est pas tout à fait absurde, je
vous dirais que le « je » est un animal vivant extrêmement
vorace, une sorte d'amibe étalée sur le tableau qui envoie un
prolongement pour saisir et absorber un tout petit être, la
petite sensation qui vient de naître à côté de lui.
Cette opération d'assimilation et de synthèse se répète pour
chaque sensation qui naît en nous et il en naît à chaque
moment une quantité qui ont leur origine dans toutes ces
mille impressions que reçoivent incessamment tous nos sens.
Nous pouvons alors nous représenter ce qu'on appelle vulgai-
rement la sensibilité comme une opération à deux temps.' Pre-
mier temps : il se produit dans l'esprit, dans les cellules cor-
ticales du cerveau, si vous voulez, un très grand nombre de
petits phénomènes psychologiques élémentaires à la suite des
innombrables excitations extérieures : ce sont des phénomènes
dus au sens tactile TT'T", au sens musculaire MM'M", au sens
visuel VV'V", auditif AA'A", pour ne prendre que ceux-ci
comme exemple. Appelez ces phénomènes comme vous vou-
drez, des sensations élémentaires, des états affectifs, pour em-
ployer l'expression d'un célèbre psychologue français, Maine
de Biran, que les élèves de l'école de médecine auront quelque
jour à étudier, ou simplement des phénomènes subconscients;
rappelez-vous seulement que ce sont des faits psychologiques
simples sans l'intervention de l'idée de personnalité. Deuxième
temps : il s'opère une réunion, une synthèse de tous ces phéno-
mènes élémentaires qui sont combinés entre eux, et surtout
combinés avec la notion vaste et antérieure de la personnalité :
Fig. 1.
342 CLINIQUE NERVEUSE.
C'est seulement après cette opération que nous avons cons-
cience de sentir telle ou telle impression, que nous pouvons
dire : « Jesens ». Je vous propose de désigner cette nouvelle
opération sous le nom de perception personnelle PP c'est
bien une perception, c'est-à-dire une conscience plus com-
plète et plus claire; le mot personnelle vous empêchera de con-
fondre cette opération avec la perception extérieure, dont nous
n'avons pas à parler ici, et vous rappellera que son caractère
essentiel est l'adjonction de la notion de personnalité.
La description et le schéma que nous venons d'étudier sont
évidemment théoriques et ne peuvent s'appliquer qu'à un
homme idéal et non à un homme réel. Aucun homme en effet
n'est capable de réunir ainsi, à chaque instant, dans une même
perception personnelle, toutes les sensations élémentaires qui
naissent en lui de tous côtés. Chez l'homme le mieux constitué,
il doit y avoir une foule de sensations élémentaires produites
par la première opération et qui échappent à la seconde. Ces
phénomènes tels que T ou M dans la figure 2, restent ce qu'ils
sont, des sensations subconscientes; réelles sans donte, et pou-
vant jouer un rôle considérable dans la vie psychologique de
l'individu, mais ne sont pas transformées en perceptions per-
sonnelles et n'arrivent pas à faire partie de la personnalité. La
personne a je » dira donc : « Je sens » à propos des phéno-
Fig. 2.
l'anesthésie HYSTÉRIQUE. 343
mènes V ou A qu'il saisit et perçoit, mais n'appréciera pas
l'existence de ou de et dira à leur propos : « Je n'ai rien
senti. » Quel est le nombre normal des phénomènes de sensa-
tion élémentaire qu'un homme peut ainsi réunir dans une per-
ception personnelle ? Je n'en sais rien, mais je le crois très
variable suivant mille circonstances, et je vous propose d'ap-
peler étendue du champ de la conscience, le nombre maximum
de ces phénomènes dont un individu peut, àun moment donné,
avoir la perception personnelle.
Supposons que ce champ de conscience soit chez un indi-
vidu fortement rétréci, il ne pourra par exemple, à chaque
moment, percevoir plus de trois sensations élémentaires telles
que VV'A et il laissera le reste dans la subconscience. 11
semble que cela produise dans son esprit un vide considérable.
Non, pas forcément, car, l'instant suivant, il pourra facilement,
en dirigeant autrement son attention, avoir la perception de ces
sensations tactiles qu'il avait laissées de côté et, dans un troi-
sième moment, il pourra former une perception personnelle
même avec des sensations musculaires.M. Par exemple, au
premier moment, il regardera et écoutera une personne qui
lui parle, sans se préoccuper des impressions tactiles qui con-
Fig. 3. '
344 CLINIQUE NERVEUSE.
tinueront à l'assaillir; au deuxième moment, il regardera un
objet en le touchant et il appréciera le contact cette fois-ci sans
avoir conscience des bruits environnants. Au troisième mo-
ment, il écrira sous la dictée, ayant la perception du son de la
voix, de la vision des lettres et des mouvements musculaires.
Vous voyez donc que, dans ce cas, il n'y aura pas de véritables
anesthésies; si on examine successivement chaque sens en atti-
rant sur lui l'attention du sujet, on verra qu'il peut avoir la
perception de toutes les impressions. Cet individu qui a déjà
le champ de conscience très rétréci n'est pas un anesthésique,
c'est simplement un distrait..
Mais allons plus loin, et supposons que le champ de conscience
se rétrécisse encore; le malade ne peut plus percevoir à la fois
que deux sensations élémentaires. Par nécessité même, il réserve
cette petite perception pour les sensations qui lui semblent
à tort ou à raison les plus importantes, les sensations de la vue
et de l'ouïe. Il faut avoir conscience de ce que l'on voit et de
ce que l'on entend et il néglige de percevoir les sensations tac-
tiles et musculaires dont il croit pouvoir se passer. Au début,
il pourrait peut-être encor se tourner vers elles, les reprendre
dans le champ de la perception personnelle, au moins pour un
moment. Mais l'occasion ne s'en présente pas et lentement la
mauvaise habitude psychologique est prise. Mille circons-
tances, les exemples, les suggestions, les investigations médi-
cales mêmes peuvent avoir une grande influence pour déter-
miner, pour fixer de telles habitudes. Rien n'est plus grave,
plus résistant que ces habitudes morales, il y a une foule
de maladies qui ne sont que des tics psychologiques. Un
beau jour le malade, car vous devinez qu'il est devenu un
malade, est examiné par le médecin. On lui pince le bras
gauche, on lui demande s'il sent le pincement, et à sa grande
surprise, le patient constate qu'il ne sait plus sentir consciem-
ment, qu'il ne peut plus, si j'ose ainsi dire, rattraper dans sa
perception personnelle des sensations trop longtemps négli-
gées : il est devenu anesthésique'. 1.
Ce sont là, messieurs, des hypothèses, mais elles ont été
imaginées pour expliquer le plus simplement possible les faits
que nous avons constatés. Elles consistent à supposer un petit
' On trouvera la discussion plus précise de ces théories psychologiques
dans l'Automatisme psychologique, 1889, p. 30b.
L'ANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE. 345
nombre de choses importantes dont voici, je crois, les deux
principales : 1° les sensations existent dans l'esprit humain
sous deux formes différentes, sous forme de perceptions per-
sonnelles, caractérisées par la conscience complète et la notion
de personnalité et sous forme de sensations élémentaires, sub-
(*3nbui.entes, sans être rattachées à la personnalité; 2° la per-
ception personnelle peut disparaître, tandis que les sensations
élémentaires persistent; cette disparition de la perception per-
sonnelle se fait par un mécanisme analogue, ne me faites pas
dire identique, à celui qui est connu sous le nom de la distrac-
tion. -
III. - Une hypothèse doit toujours pouvoir être vérifiée par
ses conséquences, et il est facile de prévoir que les propositions
précédentes, si elles ont quelque vérité, doivent amener avec
elles des conséquences nombreuses, accessibles à l'observation.
La supposition principale que nous avons faite est celle de
l'existence permanente des phénomènes élémentaires, des sen-
sations subconscientes, malgré les distractions et les anesthésies
hystériques. Si de telles sensations existent, direz-vous, elles
doivent pouvoir se manifester, car des sensations mêmes élé-
mentaires jouent toujours un certain rôle. Cela est incontes-
table et nous devons chercher maintenant ces manifestations
sur les sujets que je vous ai présentés. '
Vous savez, sans que j'insiste sur la théorie de ce phéno-
mène, que les sensations amènent à leur suite des mouve-
ments ; eh bien, les sensations dont nous parlons même non
senties par le sujet se manifestent par des mouvements souvent
très visibles. D'abord vous n'ignorez pas que la plupart des
réflexes sont conservés dans l'anesthésie hystérique. M. Charcot
nous a montré dernièrement un homme absolument anesthé-
sique du côté gauche. Il suffisait d'elfleurer, même à son insu,
la peau insensible de la paroi abdominale du côté gauche pour
provoquer la contraction des muscles sous-jacents. C'est le
réflexe abdominal de Rosenbach dont la conservation était évi-
dente. Le réflexe crémastérien se manifestait aussi bien, quand
on touchait la face interne de la cuisse gauche insensible'. Les
réflexes circulatoires vaso-moteurs sont aussi parfaitement
intacts, ainsi que mon ami M. Hallion l'a démontré l'année
'Cf. Pitres, op. cit., t. I, p. 71. 1.
346 CLINIQUE NERVEUSE.
dernière au moyen d'un appareil fort ingénieux. Les réflexes
pupillaires à la lumière et à l'accommodation sont intacts,
comme vous pouvez le -voir, même pour l'oeil amaurotique
d'Isabelle et cependant ces réflexes dépendent de la sensibilité
rétinienne. Vous savez aussi que, dans l'état normal, la pupille
se dilate, quand on excite un organe sensible quelconque et,
sur ces deux jeunes filles vous pouvez constater ce fait curieux
signalé, si je ne me trompe, pour la première fois par M. Pitres.
Leur pupille se dilate quand on vient à pincer fortement même
leur bras gauche anesthésique 1.
Ce sont là des réflexes que vous considérez comme tout à
fait organiques, quoiqu'ils soient liés cependant à la sensibilité.
Je vais vous montrer des faits du même genre qui vous paraî-
tront peut-être plus curieux. Dans la main insensible de Berthe,
je mets un objet sans la prévenir et sans qu'elle le puisse voir.
Vous constatez ce qui s'est passé, elle a saisi et tâté la paire de
ciseaux que je lui avais mise dans la main, elle a glissé les doigts
dans les anneaux, et sa main se met à ouvrir et à fermer alter-
nativement les ciseaux. Dans les mêmes conditions, je lui place
dans la main un objet plus petit; vous voyez que la main fait
des mouvements de va et vient comme pour coudre une étoffe,
elle tient une aiguille. En un mot, ces sensations en apparence
non senties amènent régulièrement le mouvement qui les sui-
vrait dans les conditions normales.
Les sensations sont aussi, et très souvent même, le point de
départ de ce qu'on appelle en psychologie des associations
d'idées. Une sensation devient une sorte de signe, à propos
duquel naissent dans l'esprit des souvenirs ou des images
variées. C'est ce qui arrive, quand nous voyons un drapeau,
quand nous entendons la cloche qui nous fait penser à l'arrivée
du chef de service, ou simplement quand nous regardons des
lettres écrites sur un papier. Eh bien, j'établis dans l'esprit
de cette jeune fille une association de ce genre, je lui affirme
qu'au moment où je toucherai son pouce, elle verra devant
elle un papillon, et qu'au moment où je toucherai son polit
doigt, elle verra un oiseau bleu. C'est une suggestion évi-
demment, mais remarquez un peu la façon dont elle
s'exécute. Je détourne sa tête et la cache par un écran, et,
cela fait, je touche légèrement le petit doigt de la main
Cf. Pures, cil., 1. 1, p. 73.
L'ANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE. 347
gauche, la main anesthésique, ne l'oublions pas, et Berthe
s'écrie : «Oh ! le bel oiseau bleu ! » Sans la prévenir, j'ai
touché maintenant son pouce, et elle s'est écriée : « Ce n'est
plus un oiseau, c'est un papillon. » Elle ne se trompe jamais;
il faut donc que la sensation du contact au petit doigt ou au
pouce existe d'une façon quelconque, pour amener aussi régu-
lièrement l'image à laquelle elle est liée. Voulez-vous répéter
cette expérience d'une autre manière : Voici Isabelle qui est
aveugle de l'oeil gauche. Je lui fais une suggestion du même
genre : « Quand je te montrerai une couleur bleue, tu enten-
dras sonner des cloches. » Fermons-lui bien l'oeil droit et mon-
trons à son oeil gauche, aveugle, des laines de couleur. Aux
premières laines elle ne dit rien, sinon qu'elle est dans l'obscu-
rité complète. La voici qui s'écrie : « Ah ! j'entends des cloches ! »
Regardez, c'est que je lui ai mis une laine bleue devant l'oeil
aveugle. Cette expérience pourrait être répétée de cent manières
sur ces malades et sur d'autres, elle aurait toujours le même
résultat.
Enfin, messieurs, des sensations ont une autre consé-
quence encore, qui peut être bien plus importante, elles lais-
sent des souveuirs. J'ai démontré autrefois que les impressions
faites sur des organes anesthésiques laissent des souvenirs
que l'on peut plus ou moins facilement faire réapparaître 1.
Ces anciennes expériences n'étaient pas toujours simples à
reproduire rapidement, en voici une qui peut se faire assez
vite. Je cache la tête de Berthe par un écran, et je lui mets un
petit objet dans la main gauche; elle le tàte, mais ne peut
savoir ce que c'est, elle déclare ne rien sentir. Je fais passer
sous son nez un flacon d'odeurs, elle aspire et ne sent pas, vous
savez qu'elle est absolument anosmique. Cela fait, je la fais
entrer en somnambulisme. C'est chez elle un somnambulisme
tout particulier qui se produit, cela ne vous surprend pas, car
mon ami, M. Guinon, vous a dit ici dernièrement qu'il y avait
une quantité d'états somnambuliques différents. Vous me per-
. mettrez, aujourd'hui, de me servir de ce somnambulisme sans
vous expliquer sa nature. Maintenant qu'elle est bien endormie,
je lui demande ce qu'elle avait dans la main gauche tout à
l'heure, et ce qu'elle a senti sous son nez. Elle répond sans
hésiter : « Vous m'avez mis dans la main gauche un petit bou-
1 ri 1/1011/. l ? ych,, p, 295.
348 CLINIQUE NERVEUSE.
quet de fleurs, et vous m'avez fait sentir un flacon d'eau de
fleurs d'oranger. » Le souvenir est parfait, j'ai donc le droit de
supposer que la sensation avait existé.
Je m'aperçois, messieurs, que je vous ai montré des exemples
de sensations subconscientes empruntées à divers sens, et que
j'ai laissé* de côté un sens extrêmement important, le sens mus-
culaire. C'est peut-être parce que les deux jeunes filles que je
vous ai présentées n'ont pas d'anesthésie musculaire assez pro-
fonde pour que les expériences soient intéressantes. Nous
n'avons qu'à faire venir une autre malade qui présente une
anesthésie musculaire plus indiscutable. Voici Marguerite, une
jeune fille de vingt-trois ans dont je ne vous raconterai pas
l'histoire un peu compliquée. Je ne vous la présente que pour
un symptôme, elle est absolument anesthésique du côté droit,
et quand je remue son bras droit sans qu'elle le voie, elle ne
sait plus même son existence. Quand elle ne le regarde pas, elle
ne peut absolument plus remuer le bras droit; c'est là, à mon
avis, une sorte de paralysie hystérique, qui n'est pas apparente
à l'état normal, grâce à une suppléance psychologique, celle
des mouvements au moyen des images visuelles. Je n'insiste
pas sur ces faits si intéressants, je me contente de vous faire
remarquer qu'ils démontrent l'anesthésie musculaire absolue
de son bras droit.
Eh bien ! je prétends vous montrer qu'en réalité les sensa-
tions musculaires se produisent et qu'elles laissent même des
souvenirs capables de réapparaître. Pour vous le montrer avec
précision, nous pourrons nous servir d'un petit appareil aussi
simple qu'ingénieux. M. Jean Charcot, qui était interne l'année
dernière dans le service de son père, a construit ce petit ins-
trument pour étudier certains cas d'agraphie. C'est surtout,
comme vous voyez, une longue tige suspendue à la cardan et
mobile dans tous les sens. Le sujet tient la tige par son milieu
comme il tiendrait un porte-plume, et après lui avoir détourné
la tête, je prends cette même tige par la partie inférieure et je
suis avec la pointe un mot tracé sur le papier. La main du
sujet, si elle était sensible, aurait senti tous les mouvements
nécessaires pour écrire ce mot; l'appareil m'a permis de lui
faire éprouver avec précision toutes ces petites sensations déli-
cates, et d'en conserver pour ainsi dire le graphique dans le
mot que j'ai écrit. Mais Marguerite nous déclare qu'elle n'a rien
senti du tout. Nous savons ce que cela veut dire, elle n'a eu la
l'anesthésie HYSTÉRIQUE. 349
perception personnelle de rien; n'a-t-elle eu aucune sensation
élémentaire ? Pour le vérifier je mets un crayon dans la main
droite complètement.insensible et je détourne la tête du sujet.
Vous voyez d'abord les doigts, entourer le crayon et se placer
dans la position voulue pour écrire. C'est le même phénomène
que nous avions déjà remarqué quand Berthe tenait les ciseaux.
Mais voici la main droite qui se met à écrire. Comment ce
mouvement délicat peut-il se faire, tandis que tout à l'heure le
sujet ne pouvait pas remuer sans regarder ? Permettez-moi,
messieurs, de ne pas vous expliquer ce phénomène aujourd'hui,'
il est trop complexe : constatons seulement les résultats. La
main a écrit le nom de Jean, le nom de l'inventeur de l'appareil.
Constatez, messieurs, que j'avais écrit moi-même ce même mot
et avec les mêmes formes de lettres. N'est-ce pas une bonne
preuve de la persistance du souvenir, et ce souvenir lui-même
ne montre-t-iL pas que les sensations musculaires ont existé
d'une manière quelconque, bien que le sujet n'en ait eu aucu-
nement la perception personnelle ?
Notre hypothèse prétendait également que la perte de cette
perception personnelle était un phénomène analogue à la dis-
traction ; mais alors, me direz-vous, l'attention doit pouvoir
modifier les anesthésies hystériques. Parfaitement, messieurs,
je suis de votre avis et c'est encore une conséquence à vérifier;
seulement vous n'oubliez pas qu'e l'attention est très difficile à
fixer chez l'hystérique et que cette expérience peut ne pas
toujours réussir. Sur la main gauche anesthésique de Berthe,
je colle un pain à cacheter rouge : la voici étonnée, et en
contemplation devant sa main. Laissons-la un instant, puis
maintenant quand elle a la tête tournée, pinçons légèrement
cette main tout à l'heure si insensible. Voici Berthe qui crie
que je la pince et qui sent parfaitement. Il est vrai que cette
belle sensibilité ne durera pas longtemps : j'enlève le pain à
cacheter et un instant après elle ne sent déjà plus rien.
Si l'attention fait disparaître pour un instant des anesthé-
sies déjà existantes, la distraction devra produire momentané-
ment des insensibilités nouvelles, analogues aux anesthésies
hystériques. Cela ést encore exact. Je prends Berthe à part et
je lui cause d'un sujet qui l'émeut beaucoup en ce moment, du
bal de la mi-carême et du beau costume qu'on lui mettra.
Pendant ce temps, vous le voyez, je pince et je pique son bras
droit, qui était tout à l'heure sensible, et elle ne s'en aperçoit
350 clinique nerveuse.
aucunement. Son champ de conscience si petit a perdu momen-
tanément les sensations tactiles du côté droit qu'il contient d'or-
dinaire, quand il n'est pas rempli par d'autres images. Est-ce
que les principales conséquences que l'on pouvait déduire de
nos hypothèses ne viennent pas de se vérifier devant vous ?
Avant de conclure, messieurs, une seule réflexion générale.
Peut-on répéter facilement sur une hystérique quelconque
toutes les expériences que je viens de faire devant vous ? En
un mot, quel degré de généralité faut-il accorder aux hypo-
thèses précédentes sur l'anesthésie hystérique ? Je vous dirai
très sincèrement que j'ai observé à ce propos trois catégories
de malades différentes : 1° le groupe qui m'a le plus intéressé
formé par des malades comme ces deux jeunes filles, sur les-
quelles on peut répéter toutes ces expériences et bien d'autres
encore. J'en ai étudié et décrit autrefois, en 1887 et 1889,
cinq de ce genre que j'avais étudiées au Havre, j'en ai trouvé
quatre autres absolument semblables depuis que je suis à
Paris; mon frère le Dr Jules Janet a répété ces expériences sur
deux malades dont il m'a donné l'observation. M. A. Binet' les
a reproduites également sur plusieurs sujets avec des variantes
intéressantes. M. J. Onanoff 2 a étudié'indépendamment ces
1 M. A. Binet, dans son travail sur les altérations de la conscience chez
les hystériques {Revue philosophique, 1889, 1. p. 35), a montré un procédé
intéressant pour mettre en évidence les sensations subconscientes des
membres anesthésiques. Les associations anciennes et naturelles entre
ces sensations en apparence disparues et les autres pensées du sujet
subsistent toutes, dans certains cas, malgré l'anesthésie; il est possible,
par exemple, de provoquer dans l'esprit du sujet telle ou telle pensée,
rien que par les mouvements imprimés au membre insensible.
1 M. J. Onanoff, dans son étude sur la perception inconsciente (Archives
de Neurologie, 1890, p. 364), a cherché à déterminer le temps de réaction,
c'est-à-dire le temps qui s'écoule entre le moment d'une excitation
perçue inconsciemment et un acte inconscient qui peut être considéré
comme une réponse, dans les conditions de l'expérience à l'excitation
produite Il a trouve que ce temps était plus court qu'il ne serait
normalement, quand l'excitation est faite sur une partie sensible. Il y
aurait ainsi un moyen de reconnaître objectivement une réaction sub-
consciente d'une réaction consciente. Nous craignons seulement que le
temps de réaction des phénomènes subconscients ne soit fort variable
suivant mille conditions, mais nous sommes heureux de constater cette
nouvelle preuve de l'existence des sensations subconscientes dans les
anesthésies hystériques. Les mêmes études sont encore résumées dans le
dernier livre de Mil. P. Blocq et J. OnanolT, 5'èmeiologie et diagnostic
des maladies nerveuses, 1892, p. 199.
l'anesthésie hystérique. 351
phénomènes avec plus de précision encore, puisqu'il a fait
inscrire sur le cylindre enrégistreur ces mouvements sub-
conscients des hystériques provoqués par l'attouchement de
leurs membres anesthésiques. Enfin, plusieurs auteurs étran-
gers, Mil. Gurney et Myers en Angleterre, M. Max Dessoir à
Berlin, ont publié des observations tout à fait analogues.
Je crois qu'il ne serait pas difficile de réunir aujourd'hui
une trentaine d'observations d'anestbésie hystérique se com-
portant absolument de cette façon. Ce sont pour moi les cas
typiques de l'anesthésie hystérique, comme je la comprends.
Dans un deuxième groupe, je rangerai les malades fort nom-
breux qui, par certains caractères, sont analogues aux pré-
cédents, mais chez qui toutes ces expériences ne peuvent pas
être répétées avec le même résultat. Par exemple, on met
facilement en relief chez eux la persistance de la sensation
visuelle dans l'oeil amaurotique quand les deux yeux sont
ouverts, on ne réussit pas aussi bien à le manifester quand
l'oeil sain est fermé. Ce sont pour moi des malades frustes ou
mieux complexes qui pourront sans trop de difficulté se ratta-
cher au type précédent.
Mais il y a une troisième catégorie de malades dont je ne mets
pas en doute l'existence et chez qui on n'arrive jamais à mani-
fester aucune trace de la sensation subconsciente. Eh bien,
messieurs, je vous laisse libres d'adopter à propos de ces malades
la supposition que vous voudrez. Vous pouvez dire qu'ils sont
absolument différents des précédents et que chez eux l'anesthésie
n'est plus un trouble de la perception personnelle, mais une
.suppression de toute sensation. Mais réfléchissez bien aux con-
séquences de votre supposition : Vous allez créer une catégorie
d'hystériques tout à fait différentes des précédentes, vous allez
leur imaginer une anesthésie analogue à l'anesthésie organique
et alors je vous demanderai de m'expliquer, la répartition
intelligente de cette anesthésie, l'indifférence complète avec
laquelle le sujet la supporte, la conservation des réflexes, etc.
Je vous demanderai de quel droit vous séparez ces malades des
autres et vous créez deux maladies dans l'hystérie. Vous pou-
vez aussi supposer que ces malades nouvelles sont comme les
précédentes'et que pour une raison quelconque vous ne réus-
sissiez pas à manifester l'existence de la sensation subcons-
ciente. Il y a là mille conditions, le degré de suggestibilité, l'élec-
tivité, le groupement plus ou moins grand des phénomènes
3n2 CLINIQUE NERVEUSE.
subconscients qui peuvent faire varier les expériences. Vous
êtes libres de choisir, mais je ne vous dissimule pas ma préfé-
rence pour la dernière supposition.
Les hypothèses psychologiques que je vous ai présentées me
paraissent en effet avoir de sérieux avantages. Elles expliquent
les anesthésies systématisées, la répartition des anesthésies
localisées, l'indifférence des malades, puisque la maladie ne
trouble que la perception consciente et laisse intacts tous les
phénomènes automatiques de la vie courante. Elles expliquent
les bizarreries que l'on avait constatées depuis longtemps dans
l'étude des amauroses et des anesthésies, elles nous permettent
d'éliminer cette supposition absurde de la simulation hystérique
à laquelle on avait incessamment recours pour expliquer ce que
l'on ne comprenait pas.
Nous pouvons donc conclure : l'anesthésie hystérique n'est
pas pour nous une maladie organique, c'est une maladie men-
tale, une maladiepsychologique. Elle existe non dans les mem-
bres, ni dans la moelle, mais dans l'esprit représenté, si vous
voulez, par les régions corticales du cerveau. Dans l'esprit lui-
même, elle porte sur un phénomène tout particulier ; ce n'est
aucunement une altération des sensations élémentaires qui
restent ce qu'elles doivent être et qui conservent toutes leurs
propriétés. Elle porte sur une opération très spéciale, sur la
perception personnelle qui nous permet à chaque moment de
la vie de rattacher entre elles et de rattacher à la notion de la
personnalité les sensations nouvelles. Elle est due à une fai-
blesse de cette synthèse des éléments psychologiques que j'ai
appelée autrefois la désagrégation psychologique. L'anes-
thésie hystérique est une maladie de la personnalité.
PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE,
RECHERCHES SUR L'ALBUMINURIE POST-PAROXYSTIQUE
' CHEZ LES ÉPILEPTIQUES;
Par Jules VOISIN, médecin de la Salpêtrière,
et A. PÉRON, interne des hôpitaux.
La question de l'albuminurie post-paroxystique, chez les
épileptiques est encore très discutée. Certains auteurs préten-
dent avoir trouvé constamment de l'albuminurie dans l'urine
à la suite des paroxysmes ; d'autres affirment n'avoir jamais
vu se produire ce trouble de sécrétion à la suite des manifesta-
tions comitiales.
Plus nombreuses encore sont les controverses, dès qu'il
s'agit de la quantité d'albuminurie, de son mode d'apparition,
des causes qui peuvent faire varier ce phénomène, etc.
Seyfert, (1854) dit qu'elle existe en très grande quantité
immédiatement après les attaques, mais non d'une manière
constante, ni chez tous les malades. Sievelcinh2, Revnolds3,
Sailly*, ce dernier d'après les recherches faites à la Salpêtrière
en 1861, refusent d'admettre son existence. Dans un travail
consciencieuxfait àBicêtre en 1868 dansle service de lI. J. Falret,
Bazin étudiant surtout l'albuminurie dans les accès en série,
la considère comme fréquente; il reconnaît sa variabilité, sa
fugacité, et présente des considérations intéressantes sur sa
pathogénie. Huppert6 de Witt7 la croient en rapport avec l'in-
1 Seyfert. - Dublin Qualerly Journal, 1854.
' Sieveking. -OnEpilepsy, 2*'édition, 1861.
' Reynold. - On Epilepsy, 1861.
' Sailly. - Th. de Paris. 1861.
8 Bazin. Th. de Paris, 1868.
0 Huppert. Virchows Archiv, Bd. Livet Ârchiv sur Psych., Bd. VII.
1 De Witt. Albuminurie as a symptom of the epilepsia paroxym.
(The Americ. Journal ot med. se, april 1875.)
Archives, t. XXIII. 23
334 physiologie pathologique.
tensité des accès. Nothnagel'au contraire, l'a vue très abon-
dante à la suite d'accès peu intenses; elle manquait par contre
après de grands accès chez le même malade.
- Furstner2, Rabow3, Ott04, Piori5, Hallager6, la- consi-
dèrent comme rare et irrégulière dans son apparition chez les
mêmes sujets. Richter7, Rabenau8, Karrer9, Christian'0,
Mabille ", Bovell 12, d'après 40 observations fournies par
M. Bourneville, Saundby 13 la nient. Kleudgen 14 qui regarde
l'albuminurie comme fréquente à l'état normal, ne l'a pas vue
plus souvent chez les épileptiques que chez les individus
sains. Feré 15 signale seulement ces opinions.
Les recherches qui suivent, encore incomplètes sur certains
points, ont été faites à la Salpêtrière dans le service de l'un
de nous. Voici dans quelles conditions :
- Dès qu'une malade, à la suite d'un grand accès, revenait à
elle, on la faisait uriner. Urine n° 1. Puis dans les quatre
heures consécutives, autant que possible, d'heure en heure, sans
qu'il ait pu y avoir, bien entendu, de régularité parfaite, on la
mettait sur le bassin. On parvenait à recueillir ainsi S urines
qui étaient examinées séparément. Les cas dans lesquels
l'urine a été fournie dans ces conditions entrent seuls dans notre
statistique. Nous n'avons fait qu'indiquer les analyses incom-
plètes sans en tirer aucune conclusion. Nous n'avons pas tenu
'Nothnagel. Ziernssen Handbuch, art. Epilepsie.
"Furstner. - Archiv. far Psych. Bd. YI.
3 Rabow. - Archio. für Psc)z., Bd. VII.
4 Otto. Berlin Klin iloch., 1876. -
. Fiori. Italia medica, 1881.
° t ! aUarger.Pos<epf<ep<M ? t/<'t<') : MM ? (Nord. Méd. Aïk, Stockholm,
1889.) . ,
' Richter. Archiv. sur Psych., Bd. VI.
" Rabenau. Archiv. {il}' Psych., Bd. VII.
'' Karrer. Beolin Klin 11'och, 1875.
'° Christian. - Gaz. méd. de Paris, 1881.
"Mabille. Ann. nzédico-psyck., nov. 1880. ? Bowell. TI. de Paris, 1877 : Di quelques accidents de l'épilepsie
et de l'hysté7'o-épilepsie.
11 Saundbv. On the alburninuria o/ epilepsy. (àled. Times and Gaz,
1882). '
" Kleudgen. )'e/t. sur Psych., 1881, Bd. XI.
"' Feré. Les Epilepsies et les Epileptiques, 1800.
albuminurie POST-PAROXYSTIQUE ET épileptique. 311t)
compte de la miction survenue pendant l'attaque. Outre ce fait
bien connu de savoir que la miction survient au début de
l'accès, nous ferons remarquer que l'urine rendue alors, est
exclusivement proe-paroxystique. Elle ne doit donc pas pré-
senter, et elle ne présente pas en réalité - nous renvoyons
pour ce fait à plusieurs de nos observations - de principes
anormaux.
La recherche de l'albuminurie a été faite parle procédé clas-
sique : l'urine est acidulée avec une goutte d'acide acétique;
on chauffe l'extrémité supérieure du liquide. Le moindre
trouble indique sûrement la présence de l'albumine. On peut
reprocher à ce procédé, avec M. Lecorché et Talamon, de ne
pas déceler des quantités d'albumine très faibles.
Sans doute il aurait mieux valu neutraliser d'abord l'urine
puis l'acidifier à l'acide acétique. Nous ferons remarquer qu'en
tout cas on ne pourra nous accuser que d'une seule chose ;
c'est d'avoir laissé passer des urines faiblement albumineuses,
la proportion que nous donnons plus loin serait donc encore
au-dessous de la réalité.
L'albuminurie doit être' étudiée : 1° Après l'attaque convul-
sive isolée; 2° Après le petit mal; 3° Le délire; 4° Pen-
dant et à la suite des accès en série; 5° Dans l'état de
mal. '
ALBUMINURIE POST-PAROXYSTIQUE CHEZ LES EPILEPTIQUES.
Après l'attaque convulsive. L'albuminurie est fré-
quente à la suite des accès convulsifs. 20 cas d'albuminurie sur
40 malades. C'est-à-dire dans la proportion de 50 p. 100 exac-
tement. Nous ne comptons dans cette statistique : a) que les
malades chez lesquelles les urines ont été recueillies à temps,
et en dehors de toute cause d'erreur; b) que les malades ayant
présenté un seul accès au maximum un second accès pendant
qu'on recueillait les 8 urines. Nous verrons plus loin les résul-
tats obtenus par l'examen d'une ou plusieurs urines recueillies
dans d'autres conditions. :
Cette albuminurie est très variable, comme quantité, suivant
les individus. Ne pouvant disposer d'un nombre de tubes d'Es-
bac suffisant pour doser l'albumine de toutes nos urines,
386 PHYSIOLOGIE pathologique.
nous nous sommes contentés du dosage approximatif que
donne l'opacité plus ou moins grande du nuage albumineux.
Ce procédé a d'ailleurs, autrefois, été considéré comme relati-
ment satisfaisant par le professeur Potain. Nous divisons ainsi
l'albuminurie en : 1° Albuminurie intense : nuage épais corres-
pondant approximativement à 1 gramme ou 2 grammes par
litre; 2° Albuminurie moyenne : de 50 centigrammes à
1 gramme ; 3° Albuminurie légère, traces : au-dessous de
50 centigrammes.
A. Sur 20 malades, S ont présenté une albuminurie intense
au moins dans l'une des cinq urines :
24 ans, Cib..., 1 accès : .
Nuage intense dans la lre urine;
Albumine moyenne dans la 2°;
Traces dans les 3 dernières.
42 ans, Duj...,1 accès : -.
Nuage épais dans les 2 premières;
Albumine moyenne dans la 3e;
Traces dans les 2 dernières.
49 ans, Roi..., 1 accès : -
Nuage épais dans les 2 premières;
Traces dans les 3 dernières.
16 ans, Fol..., 1 accès :
Albumine moyenne dans la 1 ?
Intense dans la 2e;
Traces dans les 3 dernières. '
28 ans, Saul..., 1 accès :
Albumine intense dans les 2 premières;
Traces dans la 3e;
Pas d'albumine dans les 2 dernières.
B. L'albuminurie est d'intensité moyenne dans 9 cas sur 21 :
24 ans, Gau..., 1 accès, 5 urines :
Nuage moyen dans la 110 urine;
Traces dans les 4 dernières.
45 ans, Barth..., i accès, 5 urines :
Nuage moyen dans la 1" urine;
Traces dans les 4 dernières.
37 ans, Bod..., 1 accès, 5 urines :
Albumine moyenne dans la ire urine;
Traces d'albumine dans la 2" et 3e;
Pas d'albumine dans les 2 dernières.
albuminurie POST-PAROXYSTIQUE ET ÉPILEPTIQUE. 3S7
20 ans, Tac..., 1 accès suivi d'excitation, 5 urines :
Albumine moyenne dans la l'° urine;
Traces dans la 2°;
Pas d'albumine dans les 2 dernières.
34 ans, Bern..., 1 accès. A eu un 2° accès pendant qu'on
recueillait l'urine n° 5 :
Albumine moyenne dans la ire urine;
Traces dans la 2e et 3°;
Pas d'albumine dans les 2 dernières.
33 ans, Diet..., 1 accès, 5 urines :
Traces d'albumine dans la 1 ro urine ;
Albumine moyenne dans la 2°;
Pas d'albumine dans les 3 dernières.
La première urine aurait été recueillie d'après les rensei-
gnements fournis par la fille de service, immédiatement
après l'attaque, quinze minutes au plus après le début des
convulsions; la période de trouble mental ayant été extra-
ordinairement courte, la malade n'avait pas uriné pendant
l'accès.
26 ans, Deman..., 1 accès d'épilepsie :
Dans les 3 premières urines, nuage moyen d'albumine;
Traces dans les 2 dernières.
36 ans, Leco..., 1 accès, 5 urines :
Albuminurie moyenne dans les 3 premières urines;
Traces dans les 2 dernières.
17 ans, Rous..., 1 accès, 5 urines :
Nuage moyen d'albumine dans les 5 urines.
C. Dans 6 cas, l'albumine était il l'état de traces :
49 ans, Vev..., 1 accès, 5 urines :
Traces d'albumine dans les 5 urines.
19 ans, Eud..., 1 accès, 5 urines. Un second accès pendant qu'on
recueillait les urines : 1
Traces d'albumine dans les 2 premières urines;
Rien dans les 3 dernières.
51 ans, Boul..., 1 accès, 5 urines :
Traces d'albumine dans les 3 premières urines;
Pas d'albumine dans les 2 dernières.
17 ans, Vaud..., 1 accès, 5 urines :
Traces d'albumiue dans la Ira urine seulement.
358 PHYSIOLOGIE pathologique.
23 ans, Gou..., 1 accès, 5 urines : : ' - -. '
Traces d'albumine dans la 1"° urine seulement.
14 ans, Viol..., 1 accès, 5 urines :
C~ Traces d'albumine dans les 5 urines.
Les malades n'ayant pas présenté d'albumine dans leur
urine sont t
albuminurie POST-PAROXYSTIQUE ET épileptique. 3M 9
Urines albumineuses : Cir..., 4 examens; Dur..., 2 examens;
Dict..., 2 examens.
Urines non albumineuses : Bieuv..., 3 examens; Goii ... 3 exa-
mens ; Chai ... , 2 examens.
Les restrictions que nous faisons au paragraphe précédent
visent en effet les cas dans lesquels deux examens faits à des
jours différents ont donné des résultats différents chez la même
malade. Exemples : Eud..., Lug..., Broch...
Il est donc habituel alors, de voir l'urine rester seulement à
l'état de traces chez les malades dont l'urine à un premier exa-
men ne contenait rien d'anormal.
De même la quantité d'albumine, qui d'ordinaire varie peu,
présente suivant les accès, dans certains cas, des modifications
appréciables. Telle malade, Diet..., qui avait, après un premier
accès, une urine notablement albumineuse, n'a présenté à la
suite d'un second, que des traces d'albumine.
L'albuminurie post-paroxystique est toujours plus intense
dans la première urine que dans celles qui suivent : très sou-
vent, elle a complètement disparu dans l'urine n° 5 ou dans
celles qui précèdent. 11 n'y a eu que deux exceptions à cette
règle. Ce sont les cas de Diet... et de Foll... Nous en avons eu
l'explication pour Diet... (voir plus haut); la première urine
était mélangée aune notable quantité d'urine proe-paroxystique.
Il en a été probablement de même pour Fol... Nous avons
recherché dans les périodes non convulsives, si nos malades
présentaient encore de l'albuminurie. Toutes nos recherches
ont été négatives, sauf pour Roi... et Cir... Chez ces deuxma-
lades, même après plusieurs jours de calme, les urines conte-
naient des traces d'albumine. Or, nous ferons remarquer que
Roll... et Cir... sont justement deux malades classées-parmi
celles dont l'albuminurie était très intense.
L'âge parait avoir peu d'importance. Bazin fait remarquer
que l'albuminurie est très rare avant seize ans; on ne l'aurait
jamais vue avant neuf ans; il y trouve une vérification de ce prin-
cipe établi par Gubler, à savoir que les albuminuries tempo-
raires sont beaucoup plus rares chez l'enfant que chez l'adulte.
Nous n'avons pas assez d'observations pour conclure sur ce
point : nous dirons seulement qu'une de nos malades auxquelles
on pourrait donner le nom'de « grandes albumineuses » est
360 physiologie pathologique.
âgée de seize ans. L'albumine manque d'ailleurs chez des sujets
d'âge mur, elle existe au contraire chez de robustes filles de
dix-huit à vingt-cinq ans. Nous croyons donc que ces questions
d'âge sont secondaires. ,
Il semble en effet que pour s'expliquer cette albuminurie
post-paroxystique il faille tenir compte de deux facteurs :
1° de l'intensité des phénomènes de vaso-dilatation qu'il est
possible d'évaluer approximativement en clinique par le cya-
nose de la face; - 20 d'idiosyncrasies rénales. ,
Voici le cas le plus frappant que nous ayons observé à
l'appui de notre première hypothèse.
Dem... présente à la suite de ses grands accès convulsifs une
albuminurie moyenne. Le 16 septembre, elle a sous nos yeux un
accès incomplet.
Elle tombe brusquement en avant et perd immédiatement con-
naissance. Après quelques secondes de calme commencent des
mouvements irréguliers des membres supérieurs, puis des membres
inférieurs. Les bras, sans raideur, balayent le sol; les mains s'ar-
rêtent surle tronc, et suivant l'expression consacrée, «chiffonnent n,
Les jambes se soulèvent alternativement et lentement non con-
tracturées. Pendant ce temps, les yeux sont mi-clos; les pupilles,
dilatées, sont convulsées en haut et en dehors. La malade se mord
la langue, écume un peu, pisse sous elle. Quelques secousses clo-
niques font tressauter la commissure labrale gauche et la jambe
droite. Le tout dure cinq minutes environ. Puis la malade se
réveille inconsciente, hébétée.
Pendant tout l'accès, il n'y a pas eu la moindre cyanose de la face.
L'urine recueillie à la suite de cet accès incomplet ne contenait
pas d'albumine.
Nous croyons en effet qu'ici, se trouve en partie, la solution
du problème sur les variations individuelles de l'albuminurie
chez les épileptiques. On est trop tenté d'admettre que les
accès sont toujours semblables à eux-mêmes. Les épilepti-
ques présentent souvent des accès incomplets, tels que celui
dont nous venons de relater l'observation. Un élément essen-
tiel du grand accès manque. Tantôt c'est la phase tonique,
tantôt la phase clonique. Non seulement les convulsions peu-
vent manquer dans ces accès avortés, mais encore les phéno-
mènes vaso-moteurs peuvent être plus ou moins atténués. Quelle
que soit l'explication donnée, qu'on admette avec Vulpian que
la cyanose de la face est due à une paralysie des vaso-constric-
ALBUMINURIE POST-PAROXYSTIQUE ET ÉPILEPTIQUE. 361
teurs, ou bien que, avec Claude Bernard on la considère
comme le résultat de l'excitation des nerfs vaso-dilatateurs. On
doit reconnaître que dans l'épilepsie les phénomènes vaso-
moteurs sont au premier plan. Il est impossible, en effet, de
regarder comme purement mécanique les phénomènes conges-
tifs de l'accès. Sans doute, la gêne des mouvements respira-
toires due aux convulsions les accentue; cela paraît indis-
cutable. Mais la rapidité de leur évolution, leur spontanéité
proteste contreleur origine exclusivement asphyxique. Or, nous
le répétons, chez la même malade, d'un accès à l'autre, l'inten-
sité de ces phénomènes congestifs peut varier. La cyanose de
la face permet en quelque sorte de mesurer le degré de la vaso-
dilatation générale. Il est probable, en effet, que les phéno-
mènes d'ordre congestif manquant au visage, ils manquent
aussi dans les autres parties de l'organisme, dans les reins en
particulier; la vaso-dilatation est alors insuffisante à laisser
filtrer l'albumine.
Donc, peu ou pas de cyanose de la face, peu ou pas de vaso-
dilatation rénale, pas d'albuminurie, et réciproquement vaso-
dilatation intense de la face, vaso-dilatation des reins, albumine
plus ou moins prononcée.
Nous croyons que ces considérations s'appliquent non seu-
lement à l'albuminurie qui suit l'accès isolé, mais à fortiori,
à l'albuminurie consécutive aux accès en série et à l'albumi-
nurie dans l'état de mal. Nous n'y reviendrons donc pas.
Les phénomènes vaso-moteurs doivent-ils cependant entrer
seuls en ligne de compte ? Nous ne le croyons pas. En effet,
telle malade a une période stertoreuse très accentuée qui n'a
pas d'albuminurie, telle autre a une période stertoreuse rela-
tivement courte et son albuminurie est considérable. Nous
croyons qu'il faut admettre ici des idiosyncrasies rénales dues
vraisemblablement aux résistances individuelles variables des
épithéliums.
L'albuminurie des épileptiques, tout en restant un fait insi-
gnifiant en apparence, quand les malades n'ont qu'un seul
accès, est peut-être une véritable complication dans l'état de
mal où, nous le verrons plus loin, elle paraît constante. Peut-
être joue-t-elle son rôle dans la terminaison fatale, si fréquente
au cours de cette « épilepsie aiguë ». Il serait intéressant de
savoir si les malades albuminuriques d'ordinaire meurent
plus facilement que les autres épileptiques d'état de mal.
362 ' PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
Nous n'avons aucune observation sur ce point. Tout ce que
nous pouvons affirmer c'est que les épileptiques albuminuri-
ques sont loin d'être régulièrement des sérielles, bien que la
répétition des accès dans un laps de temps relativement court
amène l'albumine dans les urines ; c'est ce que nous étudierons
dans l'un des chapitres suivants.
II.
Petit-Mal. Nous possédons un nombre très restreint
d'examens d'urines recueillies à la suite des vertiges. Ces exa-
mens ne sont pas de nature à entraîner des convictions. Aussi
.nous nous proposons de reprendre cette question, de même que
celle de l'albuminurie dans les cas de délire épileptique. Il est
en outre, pour le vertige, un certain nombre de causes d'er-
reurs que nous tenons à signaler et dont il est difficile de se
débarrasser. Les épileptiques n'ont pas de manifestations
comitiales dans un ordre indéterminé, au hasard en quelque
sorte. Il suffit de jeter les yeux sur les cahiers tenus dans les
services spéciaux pour reconnaître que ces manifestations se
groupent toujours dans un certain ordre. Si l'on fait exception
de certaines malades démentes chez lesquelles les attaques se
répètent tous les jours et plusieurs fois par jour on voit que
chez les autres, et c'est la très grande majorité, les attaques
s'échelonnent de la façon suivante dans le courant d'un mois
par exemple : quatre à cinq jours pendant lesquels survien-
nent des manifestations accès ou vertiges suivant les sujets
puis une période de calme de quatre, sept, huit, quinze
jours. Une seconde période d'accidents, suivie elle-même d'une
seconde période de calme, etc., etc... Or, nous tenons à faire
remarquer que les vertiges surviennent eux aussi au moment
des périodes d'accidents, ils s'entremêlent plus ou moins aux
attaques, de sorte qu'il devient très difficile de faire la part de
ce qui revient aux uns et aux autres.
Il faut en outre, tenir compte de ce fait que forcément, dans
les services, avec un personnel restreint surtout la nuit, bon
nombre d'accès passent inaperçus ; on est exposé à chaque ins-
tant à regarder comme consécutive à un vertige une albumi-
nurie résultant d'une attaque antérieure.
Il faut avouer en outre, que presque tous des vertiges, cons-
tatés par les gens de service chargés de la tenue des cahiers,-
ALBUMINURIE POST-PAROXYSTIQUE ET ÉPILEPTIQUE. 363
ne sont autre chose que des accès véritables plus ou moins
incomplets. On comprend qu'il est impossible de surveiller
d'assez près des malades, quel que soit le zèle apporté, pour
reconnaître des manifestations aussi passagères, aussi fugaces
que le vertige épileptique. '
Aussi lorsqu'on cherche à se procurer des urines recueillies à
la suite de vertiges, s'expose-t-on le plus souvent à n'avoir que
des urines d'accès; ces considérations ont beaucoup plus d'im-
portance dans l'épilepsie que partout ailleurs, le médecin
n'assistant que rarement aux paroxysmes.
III.
- Les examens d'urines d'épileptiques présentant une période
délirante consécutive aux accès ou les précédant nous ont
donné des résultats variables.
2 aoÛt. Broch... a été excitée tout la nuit, elle a eu ce matin
un accès vers 8 heures et demie. A Il 1 heures, on recueille une
urine : traces d'albumine. '
Thé..., quarante-sept ans : excitation violente. On est obligé de
la camisoler et de la passer aux cellules. Pas d'attaques constatées.
Une urine, pas d'albumine. ,
Gon..., vingt-deux ans : ne présente pas d'albuminurie, post-
paroxystique. :
. Deux jours de trouble mental consécutif aux accès. Une urine
recueillie le 2° jour : pas d'albumine. , ' '
Le 12 août, Vill... est excitée toute la journée.
Pas d'attaques, pas d'albumine.
' ? 3. Vill... ert encore excitée. La surveillante affirme qu'elle
n'a pas eu d'accès depuis le matin; la veilleuse affirme d'autre part
qu'elle n'a pas eu d'accès la nuit.
2 urines : Iraces d'albumine dans les deux urines. Reste enfin
l'examen fait par M. Olivier, interne en pharmacie du service.
Vill..., pendant une période d'excitation violente, aui ait eu un jour
4 grammes d'albumine' par litre d'urine.
"Dans la thèse signalée plus haut, Bazin donne plusieurs
observations de malades atteints de délire ou même de fureur
épileptique chez lesquels il a constaté de l'albuminurie.
Nous renvoyons à sa thèse pour le détail des observations. Il
semble résulter des faits réunis par. cet auteur. que l'albumi-
364 - PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
nurie pourrait survenir chez des épileptiques en dehors des
paroxysmes convulsifs.
Cependant nous ferons remarquer que, dans la plupart de
ses observations, le délire a été précédé d'attaques plus ou
moins nombreuses; ce délire était un délire fébrile qui, dans
quelques cas même, s'est terminé par la mort. N'ayant pas eu
l'occasion d'observer des cas de ce genre, nous nous abstien-
drons de conclure, jugeant qu'un bien plus grand nombre
d'examens, est nécessaire.
IV.
Nous arrivons maintenant à l'étude de l'albuminurie chez
les épileptiques présentant des accès en série au sens classique
du mot série. Nous donnerons d'abord les observations des
malades chez lesquelles les urines ont été recueillies avec tout
le soin nécessaire :
Dans la nuit du 29 au 30 août, vers 5 heures du matin, KI... a
eu 3 attaques coup sur coup.
De 5 heures du matin à midi, elle a eu 10 autres accès espacés
d'une façon variable. Hier, la malade n'a rien présenté d'anormal,
disent les personnes du service. Ce matin, outre une hébétude
complète, la langue est jaunâtre, l'haleine fétide. La malade sue
abondamment. T R : 38°4.
Une première uriue, recueillie à 9 heures du matin, ne présente
pas traces d'albumine.
Ail heures, 2° urine : albuminurie moyenne.
A 2 heures de l'après-midi, 3° urine : traces d'albumine.
Deux autres urines ont été recueillies dans la nuit du 30 au 31.
Bien que la malade n'ait pas eu d'accès depuis le 30 à midi, ces
deux urines contiennent des traces d'albumine. Une dernière
urine, recueillie le 31 vers 9 heures du matin, ne présente rien
d'anormal.
Le même jour, 30 août, Lem..., quarante-deux ans, entre en série.
Ses règles sont terminées depuis deux jours.
La série actuelle a été précédée de troubles gastriques. Diminu-
tion de l'appétit, bouche pâteuse et amère, constipation opiniâtre
depuis quatre jours. Céphalalgie assez intense; myosis.
Lem... a eu, la nuit du 29 au 30, 5 accès. La veilleuse a recueilli
l'urine après chaque accès. Les 2 premières urines ne renferment
rien d'anormal. La 38 urine présente des traces d'albumine. Dans
la 4e et la 5°, pas d'albumine.
ALBUMINURIE POST-PAROXYSTIQUE ET ÉPILEPTIQUE. 365
Le 30 août, au matin, on recueille d'heure en heure, après un
accès de jour, 5 urines. Peu de temps avant la 3e urine, Lem... a
eu un second accès de jour.
Dans la ire et la 2° urine, pas d'albumine. A la 3e urine, traces
d'albumine. Dans la 4e et la 5° urine, pas d'albumine.
3 septembre. La série s'arrête. Le 4, on recueille, vers 9 heures
du matin, de l'urine de Lem... Pas d'albumine.
Le 1er septembre, Lei..., quatorze ans, a 5 attaques presque coup
sur coup dans l'après-midi. Uue 6e vers 8 heures du soir, l'autre
dans la nuit :
Après la ire attaque, on recueille de l'urine : pendant qu'on prend
d'heure en heure 5 urines, Lei... a 5 accès.
11 n'y a des traces d'albumine que dans la 4e urine. Les autres ne
présentent rien d'anormal.
5 septembre. La série de Lei... continuant, on recueille, après
une attaque de jour, une seule urine qui renferme des traces d'al-
bumine. Lei... a eu 2 attaques dans la nuit précédente.
L'examen de l'urine de Lei..., fait en dehors de ses séries, ne fait
pas constater d'albuminurie.
Le 3 septembre, Albruz..., quatorze ans, a 4 attaques presque
coup sur coup à deux heures d'intervalle. 5 urines sont recueillies :
albuminurie intense dans les 2 premières; albuminurie légère
dans les 2 suivantes; rien dans la 5e urine. Les urines d'Albruz...,
en dehors de ses séries, ne contiennent pas d'albumine.
Le 5 septembre, Pet..., quatorze ans, a 3 attaques coup sur coup.
Une heure après la dernière de ces attaques, on recueille l'urine.
Elle présente un nuage léger d'albumine.
D'autre part, voioi des observations dans lesquelles la présence
de l'albuminurie n'a pas été constatée :
Le 18 août, Vill..., vingt et un ans, a 11 accès dans la nuit.
4 urines sont recueillies, mais le matin seulement : pas d'albumine.
Le 5 août, Sept..., vingt ans, a 3 accès : à 7 heures du matin, à
1 heure, à 4 heures de l'après-midi. Une urine est recueillie après
chaque accès : pas d'albumine.
Le 25 août, Rong..., neuf ans, aurait eu 11 accès dans la nuit.
5 urines sont recueillies dans la matinée : pas d'albumine.
De ces recherches sur l'albuminurie chez les malades pré-
sentant des accès en série, nous croyons pouvoir conclure :
En même temps que le nombre des accès augmente; on voit
augmenter la fréquence de l'albuminurie. Au lieu d'avoir une
proportion de 50 p. 100 on trouverait probablement, avec un
nombre de faits plus considérable, une proportion beaucoup
366 . PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE. z
plus forte, 75 à 80 p. 100 environ. Les trois exemples
de Vill..., de Rou... et de Sep... ne sont pas de nature à modi-
fier nos conclusions. En effet, pour Sép... les trois accès ont
été espacés sur neuf heures ; c'est à peine si l'on peut admettre
une série vraie pour cette malade. .
Quant aux deux autres, nous avons noté expressément que
l'urine avait été recueillie le matin seulement. Or nous voyons
par les exemples de Vill... et de Kl... combien peut être
transitoire l'albuminurie chez dés malades présentant un
nombre considérable d'accès.
Il est donc vraisemblable d'admettre que si les urines de
Vill... et de Rou..., avaient été recueillies la nuit immédiate-
ment après les accès on aurait pu y constater des traces d'albu-
mine. 11 est curieux en effet de noter que, à part Albruz ? la
quantité de l'albumine sécrétée par ces sérielles a toujours été
très minime. Ce sont toujours des traces d'albumine qu'on a
trouvées.
La pathogénie de l'albuminurie chez des malades présentant
des accès en série nous semble être absolument la même que
pour l'albuminurie qui suit les accès isolés. La répétition des
convulsions amène à la longue une congestion des reins qui
peut être insuffisante aux premiers accès pour laisser filtrer
l'albumine'mais qui finit par amener des troubles sécrétoires
suffisants pour que l'albumine apparaisse dans l'urine.
Nous voulons seulement retenir ce fait : à mesure que les
accès augmentent de nombre la fréquence de l'albuminurie
augmente.
Nous ne parlons pas de quantité. Il est curieux en effet de
voir que les malades auxquelles on pourrait donner le nom de
grandes albuminuriques ne sont point' forcément des sérielles.
17.. . .
Albuminurie dans l'état DE MAL épileptique. Les états
de mal épileptique étant assez rares, même dans un service
spécial comme celui de la Salpêtrière, le nombre de nos obser ?
vations est relativement restreint. Nous devons ajouter que
notre attenlion n'ayant été attirée sur l'albuminurie des épi-,
leptiques que récemment, nous n'avons pu trouver de rensei-
gnements dans bon nombre de nos observations antérieures,*
albuminurie POST-PAROXYSTIQUE ET épileptique. 367
l'examen des urines n'ayant pas été fait. Ce que nous pouvons
affirmer, c'est que depuis que nous recherchons systématique-
ment l'albuminurie chez des épileptiques en état de mal, nous
l'avons toujours rencontrée : nous ne prétendons pas cepen-
dant qu'il ne puisse y avoir des exceptions. Voici un exemple
typique :
Le 23 juillet 1891, Hemmer..., seize ans, entre en état de mal à
10 heures et demie du matin. Nous assistons au début des acci-
dents : elle tombe brusquement sans'pousser un cri. Perte immé-
diate de la conscience.
L'accès débute par des contorsions de la face dont la durée est
considérable : une minute et demie environ. Les muscles du facial
supérieur, les muscles des ailes du nez s'agitent les premiers, les
paupières battent avec force. Puis le facial inférieur se prend, les
commissures sont tiraillées soit ensemble, soit alternativement.
Pendant ce temps, phase tonique dans les membres.
Les bras présentent des mouvements de circumduction avec
flexion forcée du pouce dans la paume de la main. Les secousses
cloniques se généralisent enfin, prédominantes cependant, du côté
droit : stector, cyanose considérable de la face, écume très abon-
dante. Sueurs diffuses perlant en gouttelettes sur tout le corps et
particulièrement sur la face.
Les accès se répètent toutes les deux minutes environ. Perte
complète de la connaissance dans l'intervalle des accès. Nous pre-
nons la temp. rectale : 36° 6. - On sonde la malade : urines claires,
ne contenant pas d'albumine.
A midi et demi, nous voyons la malade pour la seconde fois.
Depuis une heure, les attaques sont devenues subintrantes; il est
presque impossible de les compter. La face est d'un bleu noirâtre,
elle est agitée presque sans interruption de secousses. Une écume
extrêmement abondante, teintée en rose, sort de la bouche, et
rend la respiration très difficile. La malade fait de bruyants mou-
vements de déglutition. Sueurs inondant le lit.
, On a donné, il y a une heure environ, un lavement purgatif à la
malade. Il a été rendu immédiatement sans garde-robe. T R, 40° 2.
Pouls très précipité et faible à 140.
Devant cet état général grave, on pratique une saignée de
350 grammes. Le sang est liés noir et rougit difficilement à l'air.
Dans les dix minutes qui suivent le pansement, les attaques rede-
viennent distinctes les unes des autres : un intervalle de deux à
trois minutes les sépare. La malade est sondée à une heure moins
le quart. Les urines contiennent un très léger nuage d'albumine.
A 4 heures, nous voyons de nouveau la malade. Les accès se sont
arrêtés vers deux heures de l'après-midi. La connaissance revient
368 PHYSIOLOGIE pathologique.
un peu. Les urines recueillies à ce moment contiennent une quan-
tité considérable d'albumine : T R = 39° 8". A 6 heures du soir,
4e urine. T, 38° 6. Nuage léger d'albumine.
26 juillet. La nuit a été bonne. Ce matin, 37° 6. Urines assez
abondantes : pas traces d'albumine.
Nous avons rapporté ce cas en détail, parce qu'il montre
bien l'évolution de l'albuminurie dans l'état de mal.
ALBUMINURIE POST-PAROXYSTIQUE ET ÉPILEPTIQUE. 369
Le 21 juillet, après 16 accès de nuit, traces d'albumine dans
l'urine. Le soir, après 8 accès de jour, plus d'albumine. T R, 37° 8'.
Tantôt les malades sont mortes : '
23 ans, Pet... Etat de mal de trois jours, 135 accès.
Albuminurie intense.
54 ans, Court... Etat de mal de trois jours, 228 accès.
Albuminurie intense.
16 ans, Thér... (1889). On trouve dans l'observation : « albumi-
nurie très abondante».
Peut-être l'albuminurie joue-t-elle un rôle dans la termi-
naison fatale; on connaît depuis longtemps l'influence heureuse
de la saignée dans certains cas. Quoi qu'il en soit, l'albuminurie
ne peut pas servir toujours à différencier, à elle seule, l'état
de mal épileptique de l'éclampsie. C'est une affinité de plus
entre ces deux affections dont la pathogénie est encore si obs-
cure, mais dont l'analogie paraît certaine.
RÉSUMÉ
De ces recherches, nous pouvons tirer les conclusions sui-
vantes :
L'albuminurie post-paroxystique se trouve dans la moitié des
cas des épileptiques.
Elle se rencontre dans tous les modes de l'épilepsie, aussi
bien après les accès rares qu'après les accès en série. A la suite
des vertiges et du délire, elle paraît exister également, mais
nos observations sur ce point ont besoin d'être multipliées et
étudiées à nouveau.
L'état de mal épileptique paraît toujours être accompagné
d'albuminurie. La présence de l'albumine dans certains cas,
pourrait être une cause d'erreur de diagnostic avec l'éclampsie.
L'albuminurie chez les épileptiques est constante chez les
mêmes malades, mais elle est très fugace et très variable en
quantité. Elle se montre surtout dans les deux premières
heures qui suivent l'accès convulsif et elle paraît avoir un
rapport constant avec la congestion de la face; d'où les consi-
dérations physiologiques que nous en avons déduites au point
de vue de la pathogénie de cette albuminurie. ♦
Archives, t. XXIII. 24
MÉDECINE LÉGALE.
.. NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE';
Par le D' CAMUSET,
Médecin-directeur de l'asile de Bonneval.
. II. - En médecine légale, il ne suffit pas d'affirmer
qu'un meurtre donné, a été commis sous l'influence
de la folie, il faut encore montrer que le meurtre en
question est un phénomène clinique, faisant partie
d'un état mental morbide connu, étudié et bien carac-
térisé, et qu'il n'a rien d'insolite au point de vue de
la pathologie mentale. Il faut aussi tacher d'établir sa
genèse, c'est-à-dire de suivre le processus psycholo-
gique qui l'a fait se manifester. J'ai essayé, dans
l'exposé sommaire qui précède, d'indiquer les princi-
pales circonstances pathologiques dans lesquelles il
est, pour ainsi dire normal, de constater la tendance
à l'homicide. Si donc, en pratique, l'homicide se ren-
contre en dehors des entités nosologiques et des états
morbides que j'ai signalés, on doit considérer le cas
comme anormal et rechercher s'il en existe d'autres
exemples dans la science. Mais le plus souvent, en étu-
diant plus attentivement le sujet, on reconnaît que
l'anomalie supposée n'existe pas et que le cas qui sem-
blait exceptionnel rentre dans la règle commune. En
,
' Voy. t. XXIII, n° 68, p. 157.
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 371 1
voici une preuve fournie par l'observation d'un aliéné
le nommé A... auteur de quatre homicides successifs.
Ce malade semblait de prime à bord n'appartenir à aucune des
classes psychopathiques dans lesquelles on observe le meurtre
comme symptôme ou comme complication. Mais après un examen
plus attentif, et avec l'aide de la connaissance de ses antécédents,
il devint facile d'établir qu'il était dans les mêmes conditions de
déséquilibration que les dégénérés intellectuels et, qu'en somme,
son cas n'avait rien d'anormal. C'était un cérébral, comme
Lasègue appelait cette sorte de malade. En d'autres termes, il était
atteint de dégénérescence intellectuelle non héréditaire, mais
acquise dans l'âge adulte. - Je fus chargé par le juge d'instruc-
tion de Châteaudun de l'examiner et de faire un rapport sur son
état mental. C'est ce rapport, légèrement modifié dans quelques-
unes de ses parties, que je transcris ici.
Je crois devoir exposer d'abord les antécédents de A..., puis les
meurtres par lui commis, avec les particularités qui les ont pré-
cédés et accompagnés, en insistant seulement sur les points
qui peuvent fournir des indications quant à l'étude de son état
mental. Ensuite, je décrirai les symptômes présentés par A...
depuis qu'il est en observation à l'asile; enfin les divers éléments
du problème de psychiatrie à résoudre se trouvant ainsi méthodi-
quement classés, je discuterai leur valeur, je ferai ressortir l'im-
portance de plusieurs d'entre eux, et j'établirai un diagnostic basé
sur leur ensemble, ce qui constituera la conclusion de mon rapport.
A... est un homme de trente-deux ans, d'une taille peu élevée,
mais fortement musclé et d'une force exceptionnelle. Il ne présente
pas le plus léger signe de dégénérescence physique. D'après les
renseignements les plus sérieux, il appartient à une famille dans
laquelle on n'a jamais observé ni folie, ni épilepsie. Son père et sa
mère sont morts assez jeunes et tous deux de fièvre typhoïde, les
parents qui lui restent : oncle, frères, etc., sont bien portants et ne
se font remarquer par aucune originalité de caractère, par aucune
tare intellectuelle. 11 a quatre enfants en bas âge, tous sains et
robustes, les aînés ont la physionomie intelligente.
Lui-même, jusqu'au mois de janvier de cette année (1891), n'a
jamais été malade. Depuis cette époque, il souffre beaucoup, je
reviendrai sur les symptômes qu'il présente. Il n'a pas eu de con-
vulsions pendant son enfance, il n'a jamais été atteint de fièvre
typhoïde, ni de fièvre maremmatique.
Il se peut cependant qu'il ait eu la syphilis avant son mariage,
c'est du moins ce qu'il prétend. Mais ses quatre enfants sont très
bien constitués, ils ne présentent aucun stigmate de syphilis héré-
ditaire et sa femme n'a jamais eu de fausse couche. On peut donc
372 MÉDECINE LÉGALE.
supposer que s'il a bien, comme il le dit, été atteint autrefois
d'une maladie des organes génitaux, il s'agissait seulement d'une
maladie vénérienne peu grave. Quoi qu'il en soit, on doit noter
l'existence, sinon probable au moins possible, de la syphilis dans
ses antécédents. - .
Au point de vue mental, A... a toujours été normal. C'est ce qui
ressort des renseignements recueillis auprès de sa femme, des
patrons qui l'ont employé, de ses voisins, du maire de sa commune,
etc. D'une intelligence moyenne, il avait les goûts et les habitudes
des gens de sa classe. Il buvait un peu quelquefois, mais il n'était
pas un ivrogne. Père de famille rangé, laborieux, doux et serviable,
il avait l'estime de tous. Pas querelleur, on ne lui connaissait pas
d'ennemis. ;
En résumé, A... était un homme robuste et exempt de toute tare
névropathique héréditaire ou acquise. Au moral, c'était un garçon
bien équilibré, d'une intelligence ordinaire, d'une bonne conduite,
vivant en bonne intelligence avec tout le monde.
Mais il y a neuf mois, en janvier 1891, sa santé jusqu'alors très
bonne, commença à s'altérer. Il fut pris d'accès de céphalalgie qui
devinrent de jour en jour plus fréquents et plus violents. 11 consulta
plusieurs médecins, mais aucune des médications qui lui furent
prescrites ne réussit. En même temps, sa vue s'affaiblissait, surtout
du côté droit, et il finit par ne plus pouvoir lire ni écrire. Les choses
en arrivèrent au point que tout travail lui devint impossible. Il
entreprenait une tâche, mais presque aussitôt il était obligé de
l'abandonner, ses maux de tête l'empêchaient de continuer. Pen-
dant les paroxysmes des accès, il avait, parait-il, des étourdisse-
ments et des vomissements.
Ces souffrances presque continuelles ne tardèrent pas à influer
sur son caractère, il devînt préoccupé, triste, sombre même. Il
parlait peu et ses réponses étaient sèches et brusques, il devenait
irritable. C'est sa femme qui m'a donné ces derniers rensei-
gnements ; en même temps, elle m'a fait connaître une particula-
rité importante : la mémoire de A... s'affaiblissait, la chose était
évidente pour les personnes qui vivaient dans son intimité. Un
exemple, entre autres, de cet affaiblissement de la mémoire : une
de ses parentes lui demandait le nom de son dernier enfant, cela
deux jours après qu'il l'avait fait baptiser. Il lui fut impossible de
répondre, il avait absolument oublié le nom de l'enfant, il ne se
souvenait même plus du nom de famille du parrain. Ce fait
m'a été rapporté par la parente même de A..., laquelle en avait
été très frappée.
On voit, en somme, que A... était atteint depuis environ neuf
mois d'une affection qui était toujours allée en s'aggravant, et qui,
à la fin, était caractérisée par les symptômes suivants : accès
violents et fréquents de céphalalgie frontale, avec étourdissements
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 373
et vomissements ; modification du caractère qui était devenu
sombre et irritable ; amblyopie double, mais surtout marquée à
droite ; enfin, troubles de la mémoire.
Nous arrivons maintenant à la relation des quatre meurtres
commis dans la matinée du 10 septembre 1891. La veille, A...
qui habite un petit hameau de la commune de Dampierre, dans le
département d'Eure-et-Loir, était allé voir un médecin dans une
ville voisine, il était aussi allé consulter un empirique qui a la
réputation, parait-il, « d'enlever les sorts ». - Cette idée, qu'il
pouvait bien être ensorcelé, avait donc, dès avant le jour de la
catastrophe, germé dans sa tête. Mais depuis quand ? - Je n'ai pu
le savoir, ni lui ni sa femme ne peuvent, ou ne veulent, répondre
catégoriquement à ce sujet.
1 Le soir, il rentrait chez lui. Plusieurs personnes qui le virent à
ce moment, qui lui parlèrent même, n'ont rien remarqué d'extra-
ordinaire, ni dans sa personne, ni dans ses allures; il n'était pas
ivre. Pourtant, il avait fait quelques libations dans la journée. Le
dossier de l'affaire renferme l'énumération de toutes les boissons
qu'il avait absorbées dans divers cabarets, et l'on voit qu'il n'avait
pas en tout bu une dose d'alcool bien considérable.
Rentré dans sa maison, il passa une nuit terrible, pendant
. laquelle il fut en proie à l'angoisse, aux hallucinations et au délire.
C'est ce qui ressort d'une façon évidente de l'interrogatoire de
sa femme. Lui-même se rappelle très bien, aujourd'hui encore, des
divers incidents de cette nuit, et il les raconte volontiers.
D'abord il se couche et s'endort, mais il ne tarde pas à se
réveiller tourmenté qu'il est par de violentes douleurs de têle, et
aussi par un sentiment d'angoisse. « On l'étouffe, on lui sert la
gorge, c'est horrible ce qu'il souffre. » Ces souffrances, il croit
en trouver l'explication daus ce fait qu'il a mal pris les médica-
ments qu'on lui a ordonnés. Alors il est perdu, il est empoisonné,
il va mourir. Il pense que peut-être, en priant, il sera délivré,
sauvé. Et alors il se met à faire une prière à haute voix, et il exige e
de sa femme qu'elle fasse comme lui. C'était là un acte en
dehors de ses habitudes, il ne se livrait d'ordinaire à aucune prati-
que religieuse, jamais il ne faisait de prières.
Après quelques instants, il se sent un peu soulagé ; alors, il se
recouche et se rendort, mais pour quelques minutes seulement.
La souffrance le réveille à nouveau. Cette fois, à la terreur et à
l'angoisse s'ajoutent des hallucinations de la vue et de l'ouïe, et
une idée délirante nait tout à coup dans son cerveau. Des voix
lui parlent, lui disent qu'il est perdu ; il étouffe, sa tête va éclater;
sa gorge est bouchée. Il voit près de lui un de ses voisins, M...
Puis cette idée surgit : C'est « son sort» qui l'étouffe, et c'est M ?
qui le lui a donné. 11 se mord les bras (on voyait encore la
marque de'la morsure quinze jours après), tâchant de diminuer
374 MÉDECINE LÉGALE.
ses souffrances internes, morales, en provoquant ainsi une autre
souffrance externe, physique. Mais l'angoisse persiste aussi forte,
les hallucinations continuent, il voit et entend toujours il se
lamente, il gesticule, il est couvert de sueur.
A ce moment survient une impulsion subite : Il faut qu'il tue
M... qui est là, sous sa main, M... qui lui a jeté un sort. Après, il
sera délivré, tranquille, il ne souffrira plus. - A partir de cet
instant, tout lui devient étranger, il n'a plus qu'un but, une
pensée, tuer M... Toute son activité psychique est dirigée dans ce
sens, cette impulsion homicide ne subit l'influence d'aucun con-
trôle. Il ne sait même plus, au bout de quelques secondes, pour-
quoi il faut qu'il tue. La conscience est tout entière remplie par
l'appétit de tuer, il n'y reste de place pour aucune autre idée.
Voici ce qui s'est passé ensuite. A..., à demi vêtu, prend son
fusil et tire, à travers la fenêtre, sur M..., qu'il croit voir dehors.
Plusieurs carreaux sont brisés. Ensuite, il sort et se met à la pour-
suite de son ennemi qu'il aperçoit fuyant devant lui. A plusieurs
reprises il fait feu, et enfin, son fusil en mauvais état et que dans
sa précipitation il charge mal, lui éclate entre les mains. il se
débarrasse de la crosse et ne garde que les canons, dont l'un,
celui qui a éclaté, présente au niveau de la déchirure des bords
tranchants et des aspérités aiguës.
C'est avec cette arme redoutable entre les mains d'un homme
de sa force que, dans une maison où il s'était introduit, courant
toujours à la poursuite de M..., il tue une femme et un jeune gar-
çon, la mère et le fils, une autre femme accourue au secours des
deux premières victimes, et un vieillard enfin qu'il trouve sur son
chemin en sortant de la maison.
Ce quatrième meurtre accompli, il cherche encore à s'introduire
dans une autre maison où deux femmes s'étaient réfugiées,
effrayées, refusant d'ouvrir. 11 ne fait, du reste, pas de grands
efforts pour forcer la porte, les femmes lui ayant, à sa demande,
donné leurs noms, ce qui semble le satisfaire. Enfin, il se calme,
et il rentre chez lui où il raconte à sa femme tout ce qui vient de
se passer.
Sa fureur était tombée, il était encore très ému, très tremblant,
la figure couverte de sueur, mais il parlait sans divaguer et il se
rendait très bien compte de ce qui venait d'arriver et des meurtres
qu'il avait commis. A ce moment, il répondait froidement : « Qu'il il
avait le regret d'avoir ainsi assassiné quatre personnes, qu'il les
avait prises pour M..., qu'il ne voulait tuer que M... »
Les quatre meurtres avaient été accomplis de la même façon,
A... s'acharnant sur ses victimes et les frappant à tour de bras
avec ses canons de fusil. Elles avaient toutes quatre la tête broyée.
Chose bizarre, il comptait à haute voix les coups qu'il leur don-
nait ; son idée était de leur en donner à chacune soixante.
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 375
Quand on lui demande la raison pour laquelle il a agi ainsi, il
répond qu'il n'en sait rien, « mais que ça lui disait de faire comme
cela ». '
Il parait aussi qu'après avoir tué sa première victime, il voulut
que le petit garçon de celle-ci, qu'il devait tuer également quel-
ques instants après, embrassât sa mère, et il le traîna vers le
cadavre de cette dernière. - Il se souvient très bien de ce fait,
mais il ne peut nous en donner l'explication. Ça lui disait de
faire comme cela. » - '
Le surlendemain, 12 septembre, A... fut envoyé en observation
à l'asile de Bonneval. Il avait, la veille, à la prison de Châteaudun,
cherché à s'étrangler avec son mouchoir. Je résume ici les notes
médicales prises chaque jour sur lui. ·
12 septembre. A... a l'aspect mélancolique, il est déprimé, il
s'exprime lentement et non sans difficulté, ses idées sont troublées,
et il lui faut un certain effort pour arriver à les fixer sur un point
quelconque et pour répondre aux questions. Aussitôt qu'on cesse
de l'interroger, abandonné à lui-même, il devient muet, il soupire
fortement, il gémit, ou bien il répète sans cesse cette phrase : « Je
veux mourir. » - Pourquoi ? « Pour échapper à la justice, il
faut que je meurs. »
On arrive pourtant à lui faire raconter les diverses circonstances
de son attentat, mais il le fait d'une façon diffuse et peu claire. Il
faut, pour maintenir son attention, répéter continuellement les
questions et sans cesse le remettre sur la voie; sinon, il s'arrête, il
recommence à geindre et il revient bientôt à son monotone : a Je
veux mourir, il faut que je meurs. »
Eu dehors de son quadruple assassinat, dont l'idée l'absorbe, il
est très difficile d'obtenir de lui des réponses à peu près satisfai-
santes. En réalité, ses facultés intellectuelles sont en partie obnu-
bilées. Le soir cependant, il se plaint du bruit que l'on fait
autour de lui, il prétend qu'on le regarde à travers les fentes de
la porte. Il a évidemment encore des hallucinations et surtout des
illusions de la vue et de l'ouïe, on s'aperçoit qu'il interprète d'une
façon délirante les bruits réels qu'il entend ou les objets qu'il voit
réellement. ·
La santé physique est bonne. I ! n'a pas de tremblement des
doigts ni de la langue. Il a peu mangé jusqu'à présent et il a abso-
lument refusé de boire du vin, il dit qu'on veut l'empoisonner.
13. Même état à peu près que hier. Je lui demande le
nom de sa femme, il ne peut d'abord le trouver et il n'arrive à le
donner qu'après un moment de recherches 11 n'y a là ni amné-
sie véritable, ni amnésie simulée. Le malade ne peut fixer rapide-
ment son attention sur ce que je lui demande, il lui faut d'abord
faire un effort qui exige un certain temps. Ce phénomène est dû
à ce qu'il est très absorbé par la pensée des meurtres qu'il. a-com-
376 IDLCI\L LÉGALE.
mis, par des craintes de toutes sortes, particulièrement par celle
qu'on veut lui faire du mal, et aussi par son désir d'en finir, d'être
débarrassé de la vie en même temps que de ses souffrances - Si
cet état se prononçait davantage, le malade entrerait dans une
période de stupeur.
14. 11 se plaint davantage encore que les jours précédents, il
est de plus en plus préoccupé par la crainte qu'on lui fasse
du mal, qu'on l'empoisonne. Il mange à peine. On ne peut tirer
de lui que ses paroles habituelles : « Je veux mourir, il faut que je
meure. On veutme faire du mal, on veut m'empoisonner ! a Impos-
sible de lui faire saisir l'illogisme qui existe entre ces deux concep-
tions. - Plus sombre encore qu'à l'habitude.
15. - Dans la matinée, sans que rien puisse faire prévoir cet
acte, A... se jette sur le gardien chargé de le surveiller et cherche
à l'étrangler. Mais le gardien aidé par ses camarades accourus
à son secours le maintient. A..., très agité, l'air hagard, crie
qu'on veut le tuer, l'empoisonner. On l'isole dans une cellule. A
peine enfermé, il se précipite de toutes ses forces, la tête en avant,
contre les murs qui sont recouverts de bois. Il ne s'en fait pas
moins une plaie grave à la tête et il tombe sur le plancher. La
plaie saigne abondamment, le mur de la cellule est ensanglanté et
il y a une mare de sang par terre.
On est obligé de le fixer solidement et on pans £ sa blessure. Il
devient pendant ce temps de plus en plus agité et incohérent, mais
on retrouve quand même, dans ses divagations, les mêmes craintes
d'empoisonnement, les mêmes idées de suicide, qui reviennent
toujours. Il devient impossible de lui rien faire prendre. Dans
la journée il parvient à rompre ses liens et à déchirer sa camisole.
On ne le quitte plus un instant de vue, trois infirmiers qui se
relaient à tour de rôle sont exclusivement préposés à sa garde.
16. La journée est mauvaise. L'agitation persiste aussi vio-
lente. Le malade ne prend en tout que quelques gorgées d'eau.
Je crains un accès de délire aigu, et malgré la résolutions.prise au
début d'abandonner le sujet à lui-même, sans aucun traitement,
afin de ne modifier en rien la forme des symptômes qu'il. pourrait
présenter, ni leur marche, ni leur succession, on est obligé d'in-
tervenir et de tâcher de calmer cette agitation excessive qui
menace d'aboutir au délire aigu. Je pratique donc quelques piqûres
de morphine et l'on administre de force un purgatif énergique.
17. L'agitation est beaucoup moins vive. L'état mental est
redevenu ce qu'il était avant la crise de surexilation des deux der-
niers jours.
48, 99 et 20.- Peu de changement, cependant, on constate une
certaine tendance à l'amélioration. Le malade commence à mieux
accepter la nourriture ? On cherche à se rendre compte de l'état
des sentiments affectifs. On lui parle de sa femme et de ses
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 377
enfants. Il dit qu'il voudrait bien les voir, que e c'est malheu-
reux, qu'il voudrait mourir, qu'on lui envoie un prêtre pour se
confesser ». Mais il ne se rend pas exactement compte de la triste
situation qu'il a faite aux siens.
On lui énumère les noms des quatre personnes qu'il a tuées. Il
répète encore que « c'est malheureux, qu'il faut qu'il meure, qu'il
était fou, qu'il croyait que c'était M..., qu'il ne voulait tuer que
M..., qu'il ne veut pas qu'on lui fassede mal, ni qu'on l'empoisonne».
Il s'apitoie évidemment bien davantage sur son sort, à lui, que
sur celui de ses victimes. - On observe, chez ce malade, cette
perversion des sentiments affectifs, habituelle dans la mélancolie.
Il ne se préoccupe pas beaucoup des souffrances des autres,
encore bien que lui-même en soit l'auteur. Il ne pense qu'à lui,
à ses chagrins, à ses douleurs, a ses craintes ; ses remords sont
légers.
A... présente un symptôme fréquent chez les mélancoliques, il
recherche, dans son passé, les faits répréhensifs qui peuvent s'y
trouver, et il les avoue, soit tels qu'ils ont existé, soit en les modi-
fiant. On sait que parfois, les mélancoliques inventent même des
fautes qu'ils n'ont pas commises et qu'ils finissent par mettre, de
bonne foi, à leur actif. (Sentiments de culpabilité imaginaire.)
A..., lui, dit avoir volé autrefois, à un camarade, une somme de
quatorze francs qu'il a jetée, quelques heures après, dans la rivière.
Que le fait soit vrai, ou qu'il soie faux, peu importe. Ce qui est à
noter, c'est que, comme gravité, il fait aller de pair le vol avec les
meurtres, et il n'a pas conscience de la différence qui existe entre
ces deux sortes d'actions. Le tout contribue seulement à satisfaire
ce véritable besoin de souffrance morale, de tristesse propre à la
mélancolie (qu'on appelle aussi très justement, pour cette raison :
hypémanie). C'est là un caractère psychologique intéressant au
point de vue du diagnostic, et qui peut être utile dans la recherche
de la simulation.
Enfin, toute la journée, sitôt qu'on s'approche de lui, A... vous
tient les mêmes discours, ou plutôt vous répète les mêmes phrases :
« J'étais fou quand j'ai assassiné quatre personnes. Je suis bien
malheureux. Ce n'était pas ma faute, puisque j'étais fou. Je vois
bien qu'on veut me faire du mal. Je ne veux pas qu'on m'em-
poisonne. - Je veux m'en aller d'ici. n .
On cherche à le faire s'expliquer sur le sort que M... lui a jeté.
Tantôt il est sûr qu'on lui a réellement donné un sort, tantôt il dit
qu'il le croyait, mais qu'il ne le croit plus. 11 est toutefois certain
que l'idée de sortilège ne l'a pas abandonné. Elle occupe toujours
sa pensée, elle est moins absorbante que ces jours derniers, elle
ne remplit pas toute la conscience, mais elle subsiste encore, et
elle se réveillerait il la première occasion, aussi intense que la
première fois. Et de fait, il lui arrive assez souvent de dire froide-
378 MÉDECINE LÉGALE.
ment « que c'est M... qu'il aurait dû tuer, qu'il recommencerait
. encore, quand il souffre, parce que c'est bien un sort qu'il a ».
21 septembre et jours suivants, - L'amélioration persiste, mais
sans se prononcer davantage. En somme, l'état reste stationnaire.
On retrouve encore des hallucinations, des illusions, et aussi des
idées délirantes, mais moins intenses. Il y a surtout beaucoup moins
d'excitation. On doit cependant toujours craindre de nouvelles
crises d'agitation et de nouvelles impulsions. Une fois même, parce
qu'un infirmier voulait l'obliger à prendre soin de sa personne, à
se laver, il s'est emporté, sa figure est devenue mauvaise, mais l'in-
cident n'a pas eu de suite, il est vite redevenu calme, la crise a
avorté.
On peut définir ainsi brièvement l'état mental actuel
de A... : Dépression mélancolique légère, trouble dans
les idées, préoccupations un peu vagues et mal systé-
matisées dans le sens des idées de persécution, et spé-
cialement crainte qu'on l'empoisonne ; quelques hallu-
cinations et illusions de la vue et de l'ouïe; en plus
sentiment de désespoir, préoccupation absorbante de
la pensée de l'acte qu'il a commis ; et enfin, désir de
mourir et tendance prononcée au suicide. Au-
jourd'hui, 1er février 1892, la situation est encore la
même.
Résumons maintenant l'histoire pathologique de A...
Jusqu'à l'âge de trente et un ans, A... est bien portant au phy-
sique et au moral, sans tare névropathique héréditaire ou acquise.
A cette époque de son existence, il tombe malade. Sa maladie est
caractérisée par de violentes douleurs de tête siégeant à la région
frontale, et survenant par accès, lesquels s'accompagnent parfois
d'étourdissements et de vomissements ; par l'affaiblissement rapide
de la vue ; par des troubles de la mémoire ; enfin par certaines
modifications du caractère.
L'affaiblissement de la vue est probablement dû à une atrophie.
de la papille. A l'examen à l'ophthalmoscope, on trouve la
papille droite avec des contours irréguliers et d'un blanc nacré,
que l'examen comparatif avee la pupille gauche rend évident. En
outre, il y a dilatation permanente de la pupille, également à
droite. ·
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 379
Il est important de rechercher quelle peut être cette
maladie qui va sans cesse en s'aggravant. Il est
certain qu'il s'agit d'une maladie du système nerveux
qui intéresse spécialement les parties antérieures du
cerveau, les symptômes l'indiquent. Mais c'est là tout
ce qu'on peut affirmer. En cherchant à préciser le dia-
gnostic, on ne fait que des suppositions plus ou moins
plausibles.
Y a-t-il une lésion, tumeur ou autre, développée
primitivement dans le cerveau, ou bien développée
dans son voisinage et n'ayant atteint cet organe que
consécutivement ? - Il se peut qu'il en soit ainsi, et
c'est ici que doit intervenir la pensée .de l'existence
possible de la syphilis dans les antécédents du malade.
Mais rien ne la démontre d'une façon certaine. On n'a
jamais observé ni attaque d'apoplexie, ni symptômes
paralytiques, et c'est ce qui contribue à rendre ainsi
obscure la question du diagnostic.
Y a-t-il seulement lésion profonde, élémentaire,
et ne se manifestant que par des troubles fonctionnels ?
C'est peu probable, mais on ne doit pas rejeter
absolument cette supposition.
La seule chose, encore une fois, qui soit cerlaine,
c'est que les divers symptômes observés chez le malade
ont leur raison d'être dans une modification morbide
des parties antérieures du cerveau, et cette donnée
pathogénique est suffisante dans le cas actuel.
Il en résulle, en effet, que A... qui n'est porteur
d'aucune tare héréditaire se trouve cependant, par le
fait de son affection cérébrale qui date de neuf mois,
dans les mêmes conditions qu'un névropathe hérédi-
taire, car, que 'la névropathie résulte de l'hérédité
380 MÉDECINE LÉGALE.
morbide, ce qui s'observe le plus généralement, ou
qu'elle soit acquise, les conséquences en sont les
mêmes. - Le cerveau de notre malade est devenu un
cerveau infirme, par accident, et sous l'influence de la
folie, il réagira à la façon des cerveaux infirmes par
hérédité morbide. On a parfois caractérisé les sujets de
cette sorte en disant qu'ils étaient héréditaires d'eux-
mêmes. ,
A..., parle fait de son affection cérébrale, est donc
devenu un dégénéré intellectuel, et je dois insister sur
ce point parce que là se trouve l'explication de l'im-
pulsion homicide qui éclate au début d'un simple accès
de mélancolie.
On peut comprendre maintenant ce qui s'est passé :
A... atteint de dégénérescence intellectuelle, suite
d'une maladie des parties antérieures du cerveau, a
tout à coup, pendant la nuit du 9 au 10 septembre un
accès de délire mélancolique, accès préparé depuis de
longs mois déjà, et caractérisé par de l'angoisse, de la
terreur, des troubles de la sensibilité générale, des
hallucinations et des illusions diverses, et par une idée
délirante de sortilège. Presque de suite, une impulsion
homicide surgit dans son esprit, et devant elle tout
disparaît; le malade devenu étranger à ce qui l'en-
toure s'y livre tout entier.
C'est là que se manifeste la réaction pathologique
du cerveau infirme dont je viens de parler, du cerveau
en dégénérescence.' La clinique apprend, en effet, que
les impulsions de ce genre ne naissent que dans les
conditions de dégénérescence cérébrale, dégénéres-
cence héréditaire le plus souvent, mais dégénérescence
acquise aussi parfois, comme dans le cas actuel.
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 381
Les parties antérieures du cerveau, momentanément
. au moins, perdent leur puissance de contrôle et d'ar-
rêt sur les parties postérieures, siège'des centres ins-
tinctifs. L'actuation devient alors, pour ainsi dire
automatique'. 1.
L'acte consommé, un équilibre relatif s'établit dans
le fonctionnement du cerveau, le délire peut persister,
mais l'impulsion a disparu de la conscience. - C'est
ce qui est arrivé chez A... qui, ses quatre meurtres
consommés, en a gardé le souvenir, les a expliqués,
et a même regretté de les avoir commis, tout en con-
servant cette idée, qui fut la cause originelle de l'im-
pulsion, que M...., son voisin, lui avait donné un sort.
Telle est l'explication médicale du quadruple assas-
sinat commis par l'accusé.
Quelques mots encore au sujet du diagnostic de
l'accès d'aliénation mentale présenté par A.... Tout
d'abord, mis en présence de ce quadruple assassinat
consommé dans les conditions que l'on connaît, il
était naturel de le supposer dû à la folie épileptique,
à la folie alcoolique ou au délire de persécution.
L'examen, même superficiel de A..., a de suite fait
reconnaître qu'il ne s'agissait, chez lui, d'aucune de
ces entités morbides. Il n'est pas même utile, tant la
chose est évidente, d'exposer un diagnostic différentiel
' Dans beaucoup de circonstances, ces phénomènes morbides d'inhibi-
tion, ou mieux, ces phénomènes morbides dépendant d'un défaut d'm-
Iiibitioii, sont peut-être dus à un arrêt de développement de certaines
parties de l'encéphale, ou a un développement défectueux de ces parties
(libres de conjonction, qui relient entre eux les différents territoires),
dans les cas congénitaux ; et à une désorganisation pathologique de ces
mêmes parties, dans les cas acquis. C'est là une vue théorique qui
concorde avec bien des données acquises aujourd'hui à la science, suries
localisations, mais qui n'a pas encore pu être contrôlée par l'observation
directe, par l'anatomie pathologique.
382 MÉDECINE LÉGALE.
et d'énumérer les caractères distinctifs qui existent
entre ces différentes maladies mentales et l'accès de
délire mélancolique dont notre malade a été atteint,
quelques heures seulement avant la scène des meurtres.
On a pu noter, pendant cette scène de meurtre,
deux particularités étranges. D'abord, pourquoi A...
a-t-il choisi, parmi ses autres voisins, M.... pour en
faire son ennemi, celui qui l'avait ensorcelé ?
Ensuite, pourquoi a-t-il cherché à donner, en les comp-
tant à haute voix, soixante coups de son arme à cha-
cune de ses victimes ? z
A... a pensé que c'était M... qui l'avait ensorcelé
par suite d'un travail intellectuel inconscient, d'une
cérébration inconsciente, comme on désigne ce phéno-
mène psychique. La mère de M... avait conseillé au-
trefois à A... d'aller consulter un empirique qui gué-
rissait les maladies inconnues et qui enlevait les
sorts. Ce simple fait est devenu, pour le malade, le
point de départ d'une association d'idées, qui s'est
déroulée plus ou moins à son insu, et sans que son
moi y prit peut-être la moindre part. Le dernier
terme de cette association d'idées a été cette concep-
tion absolument consciente, celle-là, que son sort lui
avait été donné par M... fils. Il est souvent facile
d'expliquer ainsi, à l'aide des cérébrations incons-
cientes, les conceptions et les actes les plus bizarres
des aliénés, on s'aperçoit alors que, conceptions et
actes, si anormaux qu'ils paraissent, n'en ont pas
moins une origine, un point de départ logique.
La circonstance des soixante coups donnés à chaque
victime est plus difficile à expliquer. On peut cher-
cher la raison de ce fait dans quelque hallucination
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 383
mpérative de l'ouïe. Il serait peut-être plus rationnel
de faire intervenir l'influence de quelque conception
délirante intimement combinée avec l'impulsion homi-
cide, née en même temps qu'elle dans l'esprit du
malade et lui restant associée jusqu'à la fin. L'idée
de faire embrasser le cadavre de la mère par l'en-
fant se rattacherait aussi à quelque sentiment mys-
tique contemporain également de l'impulsion. On a
vu que A..., peu avant la scène des meurtres, avait
prié à haute voix, il était donc sous une influence
mystique étrangère à sa vraie nature. - Mais il faut
reconnaître que ce sont là des considérations tout à
fait hypothétiques.
Je crois, en résumé, avoir démontré par tout ce qui
précède, que A... atteint d'un accès de délire mélan-
colique, dans la nuit du 9 au 10 septembre, a été
pris, dans la matinée du 10, d'une impulsion homi-
cide subite et irrésistible.
Aujourd'hui, 1er février 1892, l'accès de mélancolie
dure encore, mais il est moins intense. Cependant des
pensées de suicide et de meurtre continuent toujours
à hanter l'esprit du malade, lequel reste encore assez
déprimé, et, chez lui, des impulsions dangereuses
pourraient d'un moment à l'autre se réveiller aussi
violentes que celles du début de l'accès.
Quelle sera maintenant la marche ultérieure de
l'affection ? L'accès actuel guérira peut-être, la
guérison de la mélancolie n'est pas rare ; mais le cer-
veau du malade, outre qu'il est le siège de la psychose
actuelle, est dans un état pathologique particulier, sur
lequel nous avons à plusieurs reprises insisté, et cette
circonstance rend bien improbable la guérison réelle
384 MÉDECINE LÉGALE.
de la psychose.- On doit plutôt admettre que l'accès
vésanique se prolongera et qu'il deviendra chronique;
il subira sans doute alors des modifications, quant à
ses symptômes et à sa forme, il se systématisera peut-
être davantage et se transformera en un délire mélan-
colique avec idées de sortilège et de persécution. Mais
on doit prévoir que des impulsions irrésistibles, ana-
logues à celles qui se sont déjà produites, se produi-
ront encore dans l'avenir.
En conséquence, je suis amené à formuler ainsi les
conclusions de mon rapport :
1° A... est atteint d'aliénation mentale (délire mé-
lancolique). Il était déjà aliéné quand, sous l'influence
d'une impulsion irrésistible, il a commis quatre meur-
tres successifs ;
2° Il est, par conséquent, complètement irrespon-
sable de son action;
3° A... est un aliéné très dangereux qui doit être
maintenu dans un asile spécial.
Ces conclusions ayant été admises par le juge d'ins-
truction, A... bénéficia d'une ordonnance de non-lieu
et fut envoyé à l'asile de Bonneval, où il est en ce
moment. Son état mental (leur février 1892) n'a
encore subi aucune modification remarquable.
Les quelques principes de médecine légale des
aliénés, que j'ai rappelés dans cette note, y sont
exposés très succinctement, et il est, par conséquent,
inutile que je les reproduise en terminant sous forme
d'un résumé.
Mon but principal a été de relater un cas d'homi-
cide par un aliéné, consommé dans des circonstances
qui semblaient différentes de celles dans lesquelles
NOTE SUR UN ALIÉNÉ HOMICIDE. 385
les fous deviennent meurtriers, et de démontrer qu'il
n'en était rien. L'observation détaillée d'A..., jointe à
la connaissance de l'état mental réel de ce malade,
ne peut, au contraire, que corroborer les données
acquises aujourd'hui sur les impulsions homicides
dans l'aliénation mentale. La pathologie mentale
ne possède encore de bases anatomo-pathologiques
qu'en quelques-unes seulement de ses parties, elle
n'en est pas moins, dans son ensemble, constituée
d'après les règles d'une méthode rigoureusement
scientifique, qui s'appuie à la fois sur l'observation et
sur l'expérience, c'est-à-dire sur la clinique et sur la
physiologie cérébrale.
La forme de ce court travail m'obligeait à présenter
d'abord un aperçu de la sémeiologie de l'homicide
dans la folie, c'est ce que j'ai fait en m'efforçant de ne
retenir que les notions réellement acquises à la
science, et en laissant de côté toutes celles qui sont
encore controversées. J'ai même dû m'abstenir, pour
cette raison, de signaler l'homicide dans la paralysie
générale, quoiqu'il en existe des cas incontestables.
Mais ces cas sont peu nombreux, et ils sont surtout
trop insuffisamment étudiés pour qu'il soit, dès à pré-
sent, permis d'en déduire des conclusions cliniques.
.Archives, t. XXIII. 25
RECUEIL DE FAITS.
SUR LES HALLUCINATIONS, ET EN PARTICULIER LES HALLU-
CINATIONS VERBALES PSYCHO-MOTRICES, DANS LA MÉLAN-
COLIE (Suite) 1 ;
Par J. SÉGLAS, médecin suppléant de la Salpêtrière,
et PAUL LOKDE, interne des hôpitaux.
Observation Il[ ? La nommée Marthe Carr..., âgée de cin-
quante-six ans, est une mélancolique anxieuse, entrée dans le ser-
vice de M. Falpet le 3 octobre 1889.
Elle est très loquace et forte agitée. Elle ne peut rester en
place, « J'ai été une ignorante, dit-elle, je me suis perdue ; j'ai volé
le pain de tous les hôpitaux. Je suis devenue comme un monstre;
je l'ai vu en me regardant dans une. glace. J'ai des grouillements
dans le corps, ce doit être le diable. J'ai abandonné la grâce de
Dieu et Dieu m'a abandonnée... Il faut me purifier comme un
animal. Je voudrais ne pas manger. C'est cela qui m'a corrompue.
J'aurais dft ne pas manger le pain des autres malades des hôpi-
taux. Je suis pleine de vers, je les ai sentis grouiller et cela faisait
du bruit. Quand on est devenue un animal qu'est-ce qu'on peut
faire. Je suis stupide, je ne veux pas manger et je mange. Il n'y a
pas de grâce pour des horreurs comme moi. Je ne mérite rien. Dieu
ne me pardonnera jamais. Tuez-moi, ne me soignez pas. »
«J'ai livré le sanginnoceul; je suis Judas Iscariote. Dieu m'a ôté
le pouvoir de travailler et l'intelligence, je suis incapable de tout.
Je corromps tout lé monde.» Phraséologie mystique; parle comme
si elle prêchait. Rhumatisme déformant. Athérome généralisé.
Voix intérieures. Elle est malade depuis un an et demi. Elle se
dit possédée depuis un an. Elle ressent des voix intérieures. Ce sont
des inspirations mauvaises ou bonnes. Les premières les plus fré-
quentes partent à gauche de la région du coeur. Les bonnes inspi-
rations plus rares viennent du côté droit et ne durent pas.
Transférée en province le 30 novembre 1889.
' Voirn" 68, p. 201.
DES HALLUCINATIONS VERBALES PSYCHO-MOTRICES. 381
Nous retrouvons ici un dédoublement de la personnalité
caractérisée par la lutte entre l'idée de bien et l'idée de mal.
Ici chaque voix a sa localisation. Cela a sans doute peu d'im-
portance. Mais ce qui est plus intéressant, c'est que cette pos-
sédée mélancolique a été regardée comme ayant des halluci-
nations de l'ouïe. Or il est plus que probable qu'elle n'a jamais
eu d'autres voix que les voix intérieures. Au moins est-ce la
conclusion des recherches que nous avons faites à ce propos
dans son interrogatoire. ,
Observation IV. Mme X... entrée dans le service de M. A. Voi-
SIN comme atteinte de mélancolie anxieuse.
« Il y a quatre mois, j'étais gaie ; je suis tout à fait changée. Cela
m'a pris par une peur de mourir. Quelque chose me saisissait à la
poitrine et cela m'a donné peur de mourir.
Voyez ma figure comme elle est; voyez comme cela me travaille.
Je suis endurcie. Le coeur est dur au physique comme au moral. Le
bon Dieu manifeste cela par de la folie. On a l'air d'être folle. Je ne
suis plus rien. Je sens que je vais mourir bientôt. Je sens cela dans
mon corps. Le diable est dans mon âme.
Rien ne plaît aux endurcis; ni les parents, ni les amis.
Je vais jaunir; je jaunis déjà. Vous verrez mon coeur à l'autopsie.
Je suis un monstre. Je vais mourir comme une damnée et c'est
pour l'éternité.
On fait tout ce qui doit être à l'envers. Il faut que je mange avec
le poison; quelle contradiction ! si je crachais, vous verriez que
c'est du poison, à moins que le diable ne diminue pour faire croire
que c'est des crachats. Voyez comme ma figure est changée. Je
souffre du corps et du moral. »
Voix intérieures.- Voix la nuit : « Perdue pour l'éternité ; tou-
jours dans l'éternité malheureuse ! Je sentais cela dans mon âme et
je le disais. J'entendais comme si je parlais moi-même. C'étaient des
voix intérieures ; c'était de l'autre vie. »
Il n'y a pas chez elle de sensation auditives, car lorsqu'on
lui demande dans quelle direction venaient ces voix, si elle
les entendait par l'oreille ? - Mais je ne connaissais pas cela,
répond-elle.
En résumé, nos observations peuvent se répartir de façon
suivante : ,
Sur nos deux mélancoliques avec conscience, l'une a de la
conversation mentale, l'autre a une voix de la conscience.-Sur
nos deux mélancoliques avec dépression, l'une a une conver-
388 RECUEIL DE FAITS.
sation mentale si accentuée qu'elle parle elle-même de voix
intérieures qui se contredisent, l'autre a une voix intérieure
-très nette. - Sur nos quatre mélancoliques anxieuses, trois
ont [des voix intérieures qu'elles localisent 'dans la poitrine,
l'autre a une voix intérieure qu'elle ne localise pas.
Nous ne prétendons pas résoudre la question de savoir si les
mélancoliques ont toujours soit des voix intérieures, soit de la
conversation mentale. Nous ferons remarquer seulement que
l'état faible de l'hallucination psycho-motrice demande à être
recherché sous peine de passer inaperçu. Nous en donnerons
comme exemple l'observation suivante.
La nommée Julie-Lucie Lamb..., âgée de vingt-huit ans, exa-
minée le 30 mars 1888, dans le service de M. Falret, se présente
dans l'état suivant.
Début. Depuis six mois elle n'est pas réglée, après l'avoir été
assez mal plusieurs mois auparavant. Elle se plaint de leucorrhée
quoiqu'elle ait une conduite « régulière ». Elle a aussi de la dys-
pepsie flatulente; mais elle mange assez bien en se forçant un
peu.
Dans cet état de santé assez médiocre, elle se mit à commettre
quplques extravagances qu'elle qualifie maintenant de méchan-
cetés envers sa mère. Elle ne voulait pas manger à table disant
que cela la ferait mourir. Puis elle mangeait en cachette quantité
de pain « pour s'étouffer ' » et buvait de l'eau de vaisselle pour se
brûler la langue. Elle ramassait des croûtes de pain dans la rue
pour les manger. Elle feignait de vouloir se sauver de chez elle;
elle partait et revenait aussitôt.
Elle se mit à parler tout le temps en répétant des mêmes phrases.
Elle marmottait des prières à la sainte Vierge. La nuit, elle dor-
mait peu, ayant des cauchemars, mais ne causait pas. Elle avait des
envies de pleurer en s'accusant de ne pas écouter sa mère. Les
prières ne semblent qu'une conséquence des fautes qu'elle s'accuse
d'avoir commises. Elle a bien été religieuse de tout temps; mais
elle l'est devenue davantage. Elle demandait qu'on priât pour elle
en disant qu'elle n'aurait pas été coupable si elle avait prié davan-
tage.
Depuis la même époque, c'est-à-dire depuis environ six mois,
elle croyait qu'on la regardait dans la rue, mais non pas qu'on lui
parlait. r Je marche si bêtement, dit-elle, que les petites filles
riaient de moi. J'aurais dû verser des larmes de sang. »
Aujourd'hui elle se présente marmottant des prières. Elle a peur
d'être damnée.
Antécédents. - Voici quels sont ses antécédents personnels. Elle
DES HALLUCINATIONS VERBALES PSYCHO-MOTRICES. 389
a toujours été timide, émotive, sauvage, se cachant de ses beaux-
frères et des hommes en général. Son caractère était sérieux. Elle
apprenait assez facilement à l'école, dit-elle. Réglée à treize ans;
elle est devenue triste vers quinze ans. Elle ne voulait pas sortir
avec les autres.
Ses antécédents héréditaires sont les suivants : sa mère a soixante-
cinq ans et se porte assez bien. Son père mort à soixante-dix-huit
ans avait vingt-un ans de plus que.sa femme. Il avait cinquante ans
quand la malade est née. C'était un asthmatique et un alcoolique
avéré. Il a eu des idées de suicide répétées sans tentatives. Il
n'était jamais content, son caractère était difficile.
La malade a deux frères alcooliques et deux soeurs bien portantes.
Nouvel examen le 4 août de la même année. Elle se met à
pleurer en arrivant et ne cesse de sangloter pendant tout le temps
que dure l'interrogatoire. Elle se plaint qu'on'ne la laisse pas sortir.
C'est pour la punir des misères qu'elle a faites à sa mère qu'on l'a
enfermée ici. Elle trouve qu'elle a des bras de poitrinaire ; quel-
quefois le sang lui vient à la bouche. Et comme on lui fait remar-
quer qu'elle a engraissé, elle répond que c'est de la mauvaise
graisse, qu'elle est enflée. Si elle avait été pieuse elle ne serait pas
ici. Le bon Dieu l'a punie. Sans cela, on l'aurait laissée sortir.
Elle a quelquefois des cauchemars, mais elle n'a jamais vu le
diable. Elle e«t une misérable d'avoir fait des bêtises, sachant que
ça faisait de la peine à sa mère. Elle n'a jamais entendu de voix
qui lui causaient.
Elle est sortie le 24 septembre 1889 avec le certificat suivant :
niveau intellectuel peu élevé; délire mélancolique avec idées
mystiques prédominantes ; depuis plusieurs mois aucune trace de
son délire.
23 nov. 1891.- Aujourd'hui Julie Lamb... vit avec sa mère mais
elle est toujours mélancolique. Elle ne veut voir personne ; elle est
contrariante surtout au moment de ses époques et pourtant elle
aime bien sa mère. Elle fuit surtout les hommes; elle n'aime pas
les propos légers de l'atelier et se trouve malheureuse quoique elle
ait toujours été d'un caractère sauvage et triste. Elle est incer-
taine sur ce qu'elle doit faire. Voudrait bien mourir et en même
temps qu'elle craint l'avenir, elle revient quelquefois sur le passé
en disant : j'aurais dû ne pas faire ça ; ou j'ai eu tort de dire telle
chose. Elle se parle continuellement ainsi à elle-méme et tout haut en
se faisant de continuels reproches. Elle se sent forcée de se parler
ainsi. Elle a toujours ses idées religieuses. Elle n'aime pas le bruit,
le mouvement, ni les rires qui lui cassent la tête, dit-elle.
La malade elle-même dit seulement qu'elle a des craintes,
qu'elle se fait des reproches. Mais il faut insister au besoin,
390 RECUEIL DE FAITS.
questionner sa mère pour savoir qu'elle se parle continuelle-
ment à elle-même et qu'elle s'y sent forcée.
Si l'état faible de l'hallucination psycho-motrice peut passer
inaperçu, l'état fort, en quelque sorte l'hallucination confirmée,
peut être pris, nous le croyons du moins, pour des hallucina-
tions de l'ouïe. Souvent l'entourage ou les malades eux-mêmes
signalent simplement des voix. Il faut pousser minutieusement
l'interrogatoire pour reconnaître que ces voix ne sont que des
voix intérieures. Nous croyons avoir démontré que la méprise
était possible notamment chez les mélancoliques anxieux.
En effet, dans notre première observation de mélancolie
anxieuse, nous voyons que la malade elle-même dit n'avoir
pas eu les hallucinations qu'on lui supposait; dans la deuxième,
nous avons insisté sur ce qu'il fallait entendre par la
voix «Pincharde» ; dans la troisième, nous n'avons trouvé que
des voix intérieures chez une malade qui avait passé pour
avoir des hallucinations sensorielles. Il nous est arrivé aussi
souvent de croire à des hallucinations de l'ouïe chez des
malades que nous avons reconnu ensuite n'avoir que des
voix intérieures, des hallucinations verbales motrices.
. Nous avons été amenés ainsi à rechercher l'opinion des
auteurs sur les hallucinations de l'ouïe dans la mélancolie.
Elles nous ont paru très diverses. Dans les traités classiques
on voit seulement signalée la présence plus ou moins fré-
quente d'illusions et d'hallucinations dans la mélancolie, mais
sans qu'il y ait rien de spécifié à ce sujet. Cependant, parmi
les auteurs allemands Schuele parait avoir cherché à appro-
fondir la question. « Il faut noter, dit-il, que les hallucina-
tions véritables ne sont pas aussi fréquentes dans les mélan-
colies pures que les pseudo-hallucinations et les illusions. »
Nous pensons que les pseudo-hallucinations dont parle Schuele
ne sont autre chose que les voix intérieures, les hallucinations
verbales psycho-motrices. Peut-être la recherche constante de
celles-ci aurait-elle pour résultat la diminution du nombre
des mélancoliques qui passent pour hallucinés. Souvent d'ail-
leurs on signale pour des hallucinations des phénomènes qui
sont décrits dans les observations comme des illusions ou des
interprétations délirantes, comme l'une de celles que l'on peut
lire dans le traité de Krafft-Ebing.
Dans la récente discussion sur la mélancolie, ouverte à la
Société médico-psychologique, en 1890, MM. Legrain et Saury
DES HALLUCINATIONS VERBALES PSYCHO-MOTRICES. il
ont émis sur ce point particulier de la fréquence des halluci-
nations sensorielles dans la mélancolie, des opinions très
divergentes, le premier les regardant comme exceptionnelles,
le second pensant qu'elles sont au contraire fréquentes et que
les mélancoliques avec conscience sont les seuls à n'en pas
avoir. Nous inclinerions très volontiers vers l'opinion de
M. Legrain et si M. Saury a pu formuler un avis contraire,
c'est sans doute parce qu'il fait rentrer dans la mélancolie,
les cas de stupeur hallucinatoire, décrits jadis par Baillarger
et que l'on tend aujourd'hui à regarder comme des faits très
distincts de la mélancolie ordinaire.
En somme, les faits que nous rapportons ci-dessus sont en
faveur de l'opinion des auteurs qui regardent comme rares
les hallucinations dans la mélancolie « pure ». Cette opinion
d'ailleurs est bien en rapport avec l'idée que l'on se fait de
l'état cérébral des mélancoliques. Ce qui domine chez eux c'est
l'aboulie; c'est sans doute là le phénomène primitif. La
douleur, la tristesse semble n'être que la conséquence natu-
relle de l'inaction. « Les phénomènes douloureux, dit J.
Cotard', auxquels on est tenté d'assigner la première place,
font quelquefois défaut et il n'est nullement prouvé, quand
ils existent, que la dépression psycho-motrice leur soit subor-
donnée. » Il est vrai de dire que si la douleur morale succède
à l'aboulie, celle-ci est ordinairement sous la dépendance d'un
état physique défectueux et pénible. Si le mélancolique manque
de spontanéité, c'est qu'il manque de vitalité. Quoi qu'il en
soit, cet état de dépression conduit ce genre de malades au
doute et à l'incertitude. Le monde extérieur n'a plus d'in-
fluence sur eux, parce qu'ils ont perdu eux-mêmes l'influence
qu'ils avaient dans le monde extérieur. Ils s'isolent et leurs
centres psycho-moteurs, lorsqu'ils ne cessent pas de fonction-
ner, épuisent en quelque sorte leur activité sur place comme ces
ressorts qui se déroulent sans donner d'impulsion à la ma-
chine. Chez les déprimés comme chez les anxieux ce n'est
donc pas tant le travail cérébral qui fait défaut, qu'un travail
qui manque d'ensemble de cohésion.
Le mélancolique n'agissant plus utilement perd le sentiment
de sa personnalité qui se dérobe et se dissocie. Il assiste lui-
même à cette dissociation; il sent que le mal réside en lui, con-
1 Etudes sur les maladies cérébrales et mentales, p. 425.
392 RECUEIL DE FAITS. '
trairement aux persécutés qui, suivant l'expression de Cotard,
« objectivent l'automatisme dans le monde extérieur ». Aussi
comprend-on facilement que les mélancoliques soient peu sujets
à l'hallucination sensorielle; leurs préoccupations sont toujours
subjectives et incertaines ; et cette incertitude même s'oppose
à ce que leurs idées revêtent une intensité suffisante pour que
les images représentatives surtout verbales puissent passer à
l'état hallucinatoire. Il se passe chez eux l'inverse de ces phé-
nomènes que M. Chaslin a bien étudiés et mis en lumière
chez les persécutés.
D'un autre côté, on s'expliquerait aisément la présence des
hallucinations verbales motrices à l'état fort ou faible, véri-
tables phénomènes d'automatisme psychologique dans une
maladie comme la mélancolie où l'on trouve aussi accentués
des désordres du côté moteur de la vie psychique.
Loin de nous la pensée de dire qu'il n'y a pas d'halluci-
nations sensorielles dans la mélancolie ; nous croyons seule-
ment qu'il est nécessaire de bien préciser le phénomène hallu-
cinatoire quand il existe. On emploie peut-être trop volontiers
le terme d'hallucinations de l'ouïe pour désigner des faits qui
rentrent soit dans les hallucinations verbales psycho-motrices,
soit dans les illusions et les interprétations délirantes; et si la
confusion est possible pour les troubles de l'ouïe elle l'est aussi
pour la vue, le goût et l'odorat.
Pour les hallucinations auditives, lorsqu'elles existent, elles
sont en général passagères, reléguées au second plan vis-à-vis
des hallucinations motrices.
Dans les cas où elles prennent un plus grand développe-
ment chez les mélancoliques, et l'on doit se demander s'il n'y
a pas lieu de distinguer des mélancoliques ayant ces halluci-
nations de ceux.qui ne les ont pas. Dans certains cas en effet, on
ne peut pas dire que les hallucinations sensorielles en général
soient accessoires; elles peuvent alors modifier considérable-
ment le tableau clinique de la mélancolie. Peut-être bien qu'ici
il ne s'agit plus de mélancolie pure, comme dit Schuele. La
question s'éclaircirait si l'on pouvait mettre ces hallucinations
sur le compte d'une autre affection combinée à la mélancolie,
l'hystérie, par exemple.
C'est ainsi que nous avons pu observer une jeune femme
qui fut prise subitement à la suite d'une terreur violente
occasionnée .par une explosion de dynamite dans son voisinage.
DES HALLUCINATIONS VERBALES PSYCHO-MOTRICES. 393
d'hallucinations terrifiantes de la vue et de l'ouïe, d'idées
mélancoliques, crainte de la ruine, de la mort de ses enfants,
état d'inertie allant presque jusqu'à la stupeur ! Cette dame
allaitait à ce moment et de plus, elle présentait des signes
d'hystérie (boule, ovarie gauche, diminution de la sensibilité
de ce côté).
Sous l'influence d'un traitement approprié, une améliora-
tion se produisit; mais il persista un état de dépression mélan-
colique avec découragement général, et par paroxysme de
l'anxiété, des idées de désespoir et de suicide. A ce moment, il
n'y avait plus d'hallucinations, mais seulement des interpréta-
tions délirantes à, propos de phénomènes auditifs. Le mari de
la malade faisait même à ce propos la distinction avec les an-
ciennes hallucinations, et il assurait que les bruits divers exis-
taient réellement, mais revêtaient pour sa femme une signifi-
cation particulière, tandis qu'au début lorsque sa femme
prétendait entendre des bruits ou des voix, lui n'entendait
absolument rien. De plus, cette malade a maintenant de la
conversation mentale très nette et elle cause toute seule
« dans sa tête », parfois même, il lui arrive de parler haut
sans pouvoir s'en empêcher.
Il est évident qu'on a affaire ici à un accès de délire à forme
mélancolique non pure, mais enté sur un terrain spécial, de
nature hystérique et c'est à ce terrain qu'on pourrait, à notre
avis, rapporter le début rapide et la présence des hallucina-
tions sensorielles, auditives et visuelles.
Conclusions : -Les hallucinations verbales psycho-motrices
existent chez les mélancoliques ; elles semblent être chez eux
très fréquentes et constituer un des caractères importants de
leur état mental avec lequel elles cadrent bien.
- Elles peuvent être prises à un examen superficiel pour
des hallucinations verbales auditives et peut-être celles-ci
seraient-elles considérées comme plus rares si avant de les
admettre on éliminait la possibilité des voix intérieures, des
illusions et des interprétations délirantes.
D'une façon générale, l'état mental du mélancolique n'est
pas propre au développement de l'hallucination verbale au-
ditive ; quand celle-ci existe et imprime de même un caractère
spécial au tableau clinique, il y a lieu de rechercher si la
mélancolie n'est pas associée à une autre maladie mentale.
L'étude des hallucinations psycho-sensorielles chez les
394 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.
mélancoliques conduirait peut-être à rejeter du groupe des
mélancolies pures celles qui sont accompagnées d'hallucina-
tions et c'est ainsi que l'on tend aujourd'hui à distinguer la
stupeur hallucinatoire de la stupeur proprement dite.
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE
PATHOLOGIQUES.
I. CONTRIBUTION A l'histologie pathologique DE la paralysie PRO-
GRESSI%R ' par A. PicK. (Neurol. Cenlralbl., 1890.)
Cerveau d'un paralytique général durci dans l'alcool coloré par
la méthode de Nissl. On trouve dans l'écorce des espèces de vir-
gules dans l'axe longitudinal des cellules, formant des rayons par
rapport à la surface. Ces virgules n'ont rien à voir avec les vais-
seaux ; elles proviennent des fibres et correspondent à des tumé-
factions circonscrites du cylindre axe sclérosé. P. K.
. II. Des capillaires lymphatiques du cerveau ; par P. KpONTtIAL.
(Neurol. Cenlralbl., 1890.) .
Méthode d'étude des capillaires cérébraux en général.
A un cerveau frais, on prend un morcelet de la grosseur d'un
pois que l'on met dans 20 centimètres cubes d'une solution d'acide
lactique à 0,50 p. 100. Au bout de vingt-quatre heures ce morceau
gonflé et d'aspect velvétique permet de très bien distinguer la
substance grise de la substance blanche. Au bout de quarante-huit
heures on en retire gros comme une tête d'épingle que l'on place
sur le porte-objet ; de chaque côté de lui on place un couvre-objet
laissant un intervalle libre de 2 millimètres; on recouvre la pièce
d'un couvre-objet dont les bords portent sur ces deux lamelles.
Dans cette cellule on introduit une à deux gouttes de solution du
.picrocarmin; une légère compression par petits coups en déter-
mine la dissociation.
L'excès de liquide colorant est pompé à l'aide de papier-filtre ;
on instille alors parties égales de glycérine et d'eau distillée. On
monte par le procédé que l'on désire. Le microscope révèle alors
une substance jaune rouge dans laquelle les éléments nerveux sont
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 395
plus ou moins distincts ; des vaisseaux plus ou moins volumineux
apparaissent nettement colorés. Sur les limites de la masse tran-
chent des vaisseaux ténus.
Les plus nets sont les plus petits : rectilignes ou curvilignes, rarement
sinueux, ils ont des parois minces qui échappent à toute mensuration,
et ressemblent, à un grossissement de 400 à 500 diamètre, à de légers
voiles, non colorés ou d'un rose clair qui peuvent aussi tirer sur le
jaune. Cette paroi contient des noyaux nombreux, bien que l'on ne puisse
à cet égard donner des chiffres exacts, car leur nombre dépend en grande
partie du nombre des rameaux vasculaires; ainsi, dans l'un des angles
que forme une branche avec le tronc, il y a toujours un noyau, mais il
en existe aussi sur la conduite principale. Les noyaux sont ronds ou
ovoïdes; les premiers ont pour diamètre 8 à 5 fI-; les seconds mesurent
8 de large sur 15 de long. La lumière de la branche principale est
aussi grande que celle du conduit secondaire; elle est en moyenne de
2 [Jt; les noyaux de la paroi étant de deux à cinq fois plus gros que la
lumière du vaisseau, il faut que la paroi subisse une expansion capable
de loger le noyau sans diminuer le calibre intérieur du conduit; c'est en
effet ce qui a lieu; aux endroits où l'on constate une dichotomie, le
noyau se loge en dedans de l'ouverture et paraît souder à plein canal
la branchiole sur la branche. Les hématies ayant 1 à 7 fI-, et les leuco-
cystes, 4 à 14 F, il est évident que, quelles que soient l'élasticité des
parois, et la compressibilité des éléments figurés du sang, quelle que
soit aussi sous l'influence des réactifs la rétraction des parois qui aurait
pour effet de faire paraître sous le microscope les vaisseaux plus étroits
qu'ils ne le sont pendant la vie, ces conduits ne peuvent contenir du
sarig; d'ailleurs on n'y trouve aucun élément de ce dernier, le liquide
qu'ils renferment n'a rien à faire avec le sang; c'est de la lymphe.
Voilà, conclut M. Kronthal, un nouveau système formé de lym-
phatiques, inconnus jusqu'ici, à ajouter aux espaces lympha-
tiques adventices, périvasculaires et péricellulaires. Nous n'en con-
naissons point encore les modes de communication. P. K.
III. DÉGÉNÉRESCENCE DES VAISSEAUX CAPILLAIRES DANS LA PARALYSIE
progressive DES aliénés, par P. 11RONTIL1L. (Neu1'olog. Cent1'Ctlbl., : 1890.)
En examinant comparativement les capillaires sanguins par la
méthode sus-indiquée et un morceau voisin du cerveau durci dans
le bichromate de potasse, sectionné et coloré, M. Kronthal a trouvé
que toujours, où il y a dégénérescence des capillaires, il y a dispa-
rition des fibres nerveuses. Les capillaires lymphatiques restent
intacts. Ainsi, dans l'écorce du lohe frontal, les capillaires san-
guins sont toujours altérés; ils le sont le plus généralement dans
l'écorce du cervelet. Les altérations consistent en ; dilatation irré-
gulière et variable des vaisseaux, dont les parois sont épaissies ou
affectées d'hypergénèse des noyaux ; au degré le plus avancé, le
396 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.
capillaire est devenu un tuyau rigide, sombre, dépourvu de struc-
ture, ou dont la paroi épaisse est farcie de noyaux. P. IERAVAL.
IV. DES accidents QUI SUCCÈDENT A la DESTRUCTION DES DIVERSES par-
TIES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ANIMAUX NOUVEAU-NÉS ET DU DÉVELOP-
PEMENT DES FONCTIONS CÉRÉBRALES DE CES ANIMAUX; par BECHTEREW.
(Netrol. Celzlralbl., 1890.)
Ce mémoire n'est que la synthèse des précédentes communica-
tions de l'auteur'. Il compare les phénomènes produits par la vivi-
section chez les animaux adultes et ceux que les mêmes mutilations
dans les mêmes régions déterminent chez les animaux nouveau-
nés. Ainsi la destruction ou la résection de la zone motrice corti-
cale qui se traduit chez l'adulte par une hémiplégie et une hémia-
nesthésie croisée, demeure impuissante chez le nouveau-né ; en
vain détruira-t-on chez ce dernier les parties externes des hémis-
phères cérébelleux, tandis que la lésion de ces organes provoquera
chez l'adulte des mouvements circulaires irrésistibles, du nyslag-
mus, de la titubation. En revanche, si le nouveau-né est doué à sa
naissance d'un développement bistolopique suffisant des organes
envisagés (exemple : le cochon d'Inde), on obtiendra les mêmes
phénomènes que chez l'adulte. Enfin, si l'on compare l'animal en
expérience à l'homme, pour qu'on obtienne les mêmes phéno-
mènes que chez celui-ci, il faut et il suffit que dans la région
tourmentée les fibres nerveuses soient revêtues de leur myéline.
Conclusion : - Le revêtement des fibres nerveuses par des manchons
de myéline correspond à peu près à la période de parfait développement
d'un organe, c'est-à-dire à la période où cet organe va se mettre à fonc-
tionner. Mais il est encore impossible de dire si la fonction dépend
réellement de la présence du manchon de myéline ou d'autres particu-
larités morphologiques se produisant dans les fibres au moment où elles
s'entourent de myéline. " P. KERAvAL.
V. Examen du cerveau d'un FOU systématique (paranoïker) ;
par B. FEIST. (Neurol. Centralbl., 1890.)
Il s'agit d'un hypochondriaque qui tenait les propos suivants :
« On lui a infecté la syphilis en lui en déposant le poison sur son
« mouchoir... On l'a rendu aveugle en l'électrisant...On l'a empoi-
z sonné par l'ordre des illuminés de Sicile... » Pas d'idées de gran-
deur apparente. Aliéné à cinquante ans il est mort à soixante-
quinze ans. L'autopsie révèle une artério-sclérose des vaisseaux de
la base. La seule altération des éléments nerveux est la suivante :
Tandis que le carmin ammoniacal colore normalement noyaux et corps
des cellules de l'écorce, l'hématoxyline ne prend que peu ou ne prend
1 ' Voyez Archives de Neurologie, t. XX, p. 431, 85.
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 397
pas du tout sur le corps de l'élément même des grandes cellules pyrami-
dales et de leurs prolongements, tandis qu'elle en colore très nettement
le noyau et le nucléole. 11 en est de même de la nigrosine. Cette parti-
cularité est générale. Mais les ganglions du cerveau, le cervelet, les
régions les puis diverses du tronc du cerveau, qui du reste ne présentent
aucune anomalie pathologique, n'offrent rien de semblable.
L'auteur ayant examiné comparativement le cerveau d'un vieil-
lard de soixante-seize ans psychiquement sain, a constaté les
mêmes caractères. C'est par conséquent un effet de l'âge. P. K.
VI. CONTRIBUTION A l'anatomie pathologique DE la DÉMENCE PARALY-
TIQUE ; parL. MEYER. (Neural. Cenlralbl.. 1890.)
Il est une catégorie de faits caractéristiques dans lesquels la
paralysie générale évolue par exacerbations fébriles; c'est la mé-
ningo-encéphalite dont les lésions sont : une dégénérescence vas-
culaire par prolifération des noyaux et cellules de la paroi, - une
altération consécutive des cellules nerveuses, finalement, l'atro-
phie cérébrale. Or, c'est au début qu'il faut surprendre les lésions
sur le fait, afin d'en saisir le mécanisme. Ce sont les premières
altérations en rapport avec les premiers symptômes évidents de
paralysie générale qui sont palhognomoniques de cette affection.
Si l'on examine de bonne heure le cerveau hypérémié, à écorce
tuméfiée des paralytiques, on voit que les capillaires sont gorgés
de sang et que les cellules des parois vasculaires prolifèrent ; l'as-
pect en est flétri et anévrysmatique ; on conçoit que l'écore s'atro-
phie consécutivement. Telle est l'inflammation du début de la
paralysie générale.
La méningite chronique n'existe pas toujours nécessairement à
cette période; il n'y a pas encore d'altération de la substance céré-
brale ni des cellules nerveuses. P. K.
VII. DES différentes situations ET dimensions DES pyramides ET DE
LEURS organes CONSTITUTIFS CHEZ L'HOMME ET LES animaux ; DE LA
PRÉSENCE A L'INTÉRIEUR DE CES FAISCEAUX DE FIBRES QUI SONT CARAC-
TÉRISÉES PAR UN DÉVELOPPEMENT PRÉCOCE ; par W. BECHTEREW.
(Neurol. Centralbl., 1890.)
Chez l'homme, Flechsig a démontré qu'il y a un rapport de réci-
procité entre le faisceau direct des pyramides dans les cordons
antérieurs de la moelle et le faisceau croisé du cordon latéral ; de
sorte que, quand le faisceau pyramidal d'un cordon latéral est très
développé, le même faisceau pyramidal du cordon antérieur de
l'autre côté est moins développé et vice verset. On constate égale-
ment des variations de position quant au faisceau pyramidal du
cordon latéral, mais elles ne dépassent pas certaines limites.
398 REVUE d'anatomie ET DE physiologie pathologiques.
Chez le nouveau-né (Bechterew,), il y a souvent irrégularité du
développement des pyramides ; le plus souvent c'est celle de gauche
qui présente le plus grand développement, si bien que lapyramide
gauche est d'un tiers plus volumineuse que la pyramide droite; ce
volume s'explique par celui du faisceau qui gagne le cordon laté-
ral du côté opposé et par celui du faisceau direct qui gagne le
cordon antérieur homonyme; tous deux correspondant à la pyra-
mide la plus grosse. Il existe aussi des différences de longueur, le
faisceau pyramidal s'en allant parfois jusqu'au milieu de la moelle
dorsale oubien s'arrêtant la partie supérieure du même segment,
tandis qu'en d'autres cas il cesse dans la moelle cervicale ; l'ana-
lyse des longueurs respectives des composantes croisées ou directes
des pyramides témoigne également de différences sans qu'il soit
possible de formuler une loi ni pour l'un ni pour l'autre.
Chez les animaux, les grandes différences de développement rela-
tif des pyramides sont en rapport, non pas avec le degré corres-
pondant du développement des extrémités, mais plutôt avec la
fonction spéciale de celles-ci (main) et avec l'activité des zones corti-
cales motrices. Nulles ou à peu près chez les cétacés, les pyramides
n'existent pas (dans le bulbe et la moelle) chez l'éléphant ; elles
constituent de minimes fascicules exclusivement localisés aux cor-
dons latéraux. Très faibles sous cette même disposition chez leslièvres
et les lapins, elles augmentent chez les souris blanches dont les
membres antérieurs servent à de fines appréciations et à d'ingé-
nieuses fonctions et sont de mieux eu. mieux développées chez les
chiens et les chats.
Situation. Chez les chiens et les chats, il n'existe pas de pyra-
mides antérieures; on ne les trouve que dans les cordons latéraux.
Chez le lapin, toute la pyramide, chétive, occupe exclusivement le
segment postérieur du cordon latéral. Chez quelques nègres, la pyra-
mide occupe non les cordons antérieurs ou latéraux, mais seulement t
le segment antérieur des cordons postérieurs de la moelle; elle est à
l'état de faisceau compact immédiatement en arrière de la com-
missure postérieure le long de l'adossement des cloisons longitu-
dinales. Chez les souris blanches et les cochons d'Inde, l'entre-croi·
sement des pyramides se fait non dans les cordons antérieurs et
latéraux, mais entre les cordons antérieurs et postérieurs. Chez
les cobayes, les pyramides, après s'être entre-croisées dans le bulbe,
forment, dans les cordons postérieurs, principalement au voisinage
de la substance grise, des fascicules .disséminés. On en a des
preuves anatomo-pathologiques et embryogéniques dans les dégé-
nérescences descendantes et l'analyse des diverses époques du déve-
loppement des manchons de myéline.
Embryons de cerveaux humains. Au commencement du milieu
du neuvième mois intra-utérin, dans la région où se devraient trou-
ver les pyramides, et où l'on rencontre des fibres amyéliniques, on
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 399
constate, au milieu de ces dernières, des fibres à myéline. On
trouve encore de celles-ci dans les prolongements cérébraux des
pyramides. Mais il ne faut pas les confondre avec les fibres des
trousseaux de la moelle qui traversent les pyramides. En effet, chez
les foetus moins âgés, à une époque où sont déjà revêtues de myé-
line les fibres du faisceau fondamental, du faisceau cérébello-
latéral direct de la moelle, du trousseau limitrophe de substance
grise, on constate, à la région qui sera plus tard occupée par les
pyramides encore dans les limbes, une absence totale de fibres
myéliniques ; toutefois, à la périphérie, on voit un plus ou moins
grand nombre de ces éléments appartenant à des systèmes voi-
sins. Dans les segments de moelle sous-jacents, plus bas (renfle-
ment lombaire) la région qui représentera plus tard la suite des
pyramides ou qui en émanera est occupée par quantité considérable
défibres appartenant, elles aussi, à des systèmes voisins, et situées
surtout, comme celles que nous venons de signaler, à la périphérie
des zones pyramidales supposées. Les fibres des systèmes pyrami-
daux ont au contraire, pour caractère, d'occuper assez uniformé-
ment toute la coupe de la zone pyramidate. Les autres fibres cons-
tituent-elles des trousseaux indépendants ? Leur intégrité dans la
dégénérescence descendante des pyramides, non seulement dans
la moelle et les pyramides, mais au niveau de la protubérance et
dans les pédoncules cérébraux, quels qu'aient été le volume et l'in-
tensité des lésions cérébrales ou spinales, est en faveur de cette opi-
nion. - P. KERAVAL.
VIII. Contribution A la connaissance DES TROUBLES fonctionnels
DE L'ÉCORCE du cerveau; par K.-O. DEES. (Allg. ZeitSCh. f. PSyCh.,
XLVII ; 3-4.)
Journal écrit par un fou systématique sur ses hallucinations. On
y trouve que sa sensibilité anormale provoque des hallucinations
de l'ouïe etque, réciproquement, celles-ci engendrent des sensations
psychiques (sentiments) anormales. En un mot, pour M. Dees, la
perversion de la sensibilité générale (alternatives d'byperesthésies,
de paresthésies, de dysesthésies, d'hypesthésies, d'anesthésies) qui,
naturellement, ressortit aux centres du cerveau provoque des hal-
lucinations ; les troubles de la connaissance qui, eux, sont insi-
gnifiants et secondaires, émanent d'irrégularités de l'innervation
vasomotrice, les troubles du jugement dérivant des hallucinations
sensorielles. P. K.
IX. DES TROUBLES vaso-moteurs DE la peau dans la NÉVROSE TBAU-
MAT1QUE; par H. KRIEGER. (Arch. f. Psych., XXII, 2.)
. L'hystérie traumatique de Charcot produit trois groupes d'acci-
dents de cette sorte :
400 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.
1° Les congestions céphaliques avec hypéridrose d'origine arté-
rielle. C'est l'émotivité (examen du médecin) qui les engendre;
elles se produisent toutesjleux en même temps. Genèse : excitation
des centres vasomoteurs.
2° Exanthème ortié; rougeur avec exsudation et oedème local.
Au plus léger contact, à la plus minime excitation thermique ou
autre. Deux observations.
3° Cyanose locale, surtout aux mains et aux pieds.
Observation. III. Elle survient par accès, à la suite de
l'impression du froid, et se traduit successivement par : douleurs,
paresthésies, sensation de froid avec pâleur des doigts, puis, colo-
ration bleue envahissant toute la main. Elle se montre aussi sponte
quand il fait chaud. La température cutanée s'abaisse. Rien de la
gangrène symétrique. Dans le cas en question, c'est, à six mois de
distance, un traumatisme, puis une blessure qui provoque l'acci-
dent local et finalement le complexus de la névrose traumatique.
Pas de névrite. P. K.
X. CONTRIBUTION A la connaissance DU GLIOME cérébral ;
par BUC880LZ. (Arch. f. Psych., XXII, 2.)
Observation avec autopsie et examen histologique. Diagnostic
anatomique : gliosarcome diffus de la moitié antérieure des deux
hémisphères cérébraux. Hydrocéphalie interne. Compression céré-
brale. On y trouve : les cellules pauvres en noyaux de la subs-
tance fondamentale (Gierke) ou des cellules assez semblables ; de
gros éléments ronds analogues à ceux du sarcome. Les premières
ne sont pas encore corniflées parce que la tumeur était jeune; c'est
pour cela aussi que les prolongements n'eu sont ni fort brillants
ni fort résistants. En revanche, un assez grand nombre d'entre
elles ont chacune deux à trois prolongements assez vigoureux,
ondulés et même spiraloïdes. Mais il est impossible de décider si
ces prolongements vont s'unir aux cellules de la tunique adventice
des artères ou à des cellules de la névroglie accolées aux parois des
vaisseaux... Les cellules rondes en nids sont manifestement issues
des cellules araignées. En tout cas, nous avons certainement affaire
ici aux cellules desoutènement du système nerveux central. Comme
il existe en outre une prolifération vasculaire, il s'agit d'un gliome
télangiectoïde. Les éléments nerveux n'ont en rien pris part au pro-
cessus.
Au point de vue clinique, tare héréditaire, symptômes d'hyper-
pression cérébrale. Quoique la tumeur ait un certain volume, et que
ses éléments aient pénétré entre les fibres de la capsule interne, il
n'y a pas eu de symptômes somatiques accusés. Simplement quel-
ques mouvements convulsifs des bras qui différaient et de ceux du
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 401
tremblement alcoolique et de ceux de la paralysie agitante et de
ceux de la sclérose en plaques ou de l'athétose, sur le caractère et
la genèse desquels on ne peut rien dire de précis. P. KERAVAL..
XI. DEUX cas d'atrophie musculaire progressive infantile HÉRÉ-
DITAIRE PRÉCOCE A FORME DE DYSTROPHIE, MAIS OCCASIONNÉE PAR UNE
LÉSION DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL; par G. WERDNIG. (Archiv.
f. Psych., XXII, 2.)
Il s'agit de deux enfants pris à dix mois brusquement de faiblesse
dans les jambes, puis d'atrophie avec parésie des muscles de la
cuisse et du bassin, et, finalement, des muscles du tronc. Symp-
tômes symétriques. L'affection gagne les membres supérieurs, il
s'y joint du tremblement des mains. La seconde observation est
plus particulièrement caractérisée par des convulsions fibrillaires,
la réaction dégénérative et des symptômes bulbaires. Cette dystro-
phie musculaire à évolution rapide a pour lésion (autopsie du pre-
mier enfant) une dégénérescence systématique des cornes anté-
rieures avec atteinte légère des cordons antéro-latéraux, dégéné-
rescence des racines antérieures. P. K.
XII. CONTRIBUTION A la connaissance DE la marche DES FIBRES dans
LE PIED DU PÉDONCULE ET DES RELATIONS ENTRE L'ÉCORCE DU CER-
VEAU ET LE CORPS GENOUILLÉ INTERNE; par TH. ZACHER. (A1'ch, /.
Psychiat. , XXII, 3.) .
Quatre observations de dégénérescence descendante.
Si l'on divise la coupe transverse du pédoncule en quatre zones,
on voit que le quart externe renferme des fibres qui vont des lobes
temporal et occipital à la protubérance. Le quart voisin con-
tient les faisceaux des pyramides. Dans la troisième zone adja-
cente, c'est-à-dire en dedans de ce dernier, existent les fibres
du corps strié, des circonvolutions frontales (segment postérieur)
et de la frontale ascendante ; les fibres immédiatement en arrière
du genou de la capsule passent dans le tiers supérieur de la
capsule interne. Enfin, la zone la plus interné du pédoncule ne
contient ni les fibres du lobe frontal ni celles du noyau lenticu-
laire, mais l'on y trouve celles de la région de l'insula ou de la
base du noyau lenticulaire qui vont se terminer dans la couche
supérieure de la protubérance. Le corps genouillé interne affecte
avec l'écorce du lobe temporal les mêmes relations que le corps
genouillé externe avec le lobe occipital. Flechsig et d'autres ayant
signalé les connexions directes du tubercule quadrljumeau inférieur
avec l'auditif par l'intermédiaire du ruban de Reil latéral, le corps
genouillé interne joue un rôle dans l'audition.- Wernicke a dit que
le corps genouillé interne, est, par la couronne rayonnante, uni à
Archives, t. XXIII. 26
402 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.
la première temporale et à la région de l'insula. Or, chez un
malade (Obs. Il), des coupes horizontales, qui comprennent à la
fois la première temporale et le corps genouillé interne, montrent
qu'un ruban dégénératif part de la première temporale ou des cir-
convolutions postérieures de l'insula pour aller au corps genouillé
interne et aux couches inférieures du pulvinar ; on trouve aussi des
tractus dégénératifs dans le bras inférieur gauche des tubercules
quadrijumeaux; comme ces fibres ne paraissent pas tirer leur ori-
gine du corps genouillé interne (les fibres d'origine de celui-ci
étant intactes), ce sont évidemment des fibres qui, suivant Meynert,
unissent les tubercules quadrijumeaux inférieurs avec l'écorce
(temporale du cerveau). Quant au corps genouillé externe, il
semble (Obs. I) que la lésion de certaines régions de l'écorce du
lobe occipital (coin première occipale) ou l'interruption des
fibres blanches antéro-postérieures qui correspondent à ces organes,
entraine la dégénérescence du corps genouillé externe, du pulvi-
nar, du tubercule quadrijumeau antérieur; en effet, dans l'obser-
vation II ces régions sont intactes de même que le corps genouillé
externe. (Opinion de Monakow.)
Au point de vue fonctionnel, étude de la surdité verbale (para-
lysie avec aphasie optique, hémianopsie droite (Obs. I). Aucun de
ces troubles n'existant dans l'observation II, il s'ensuit qu'il y avait
dans le premier cas interruption entre le centre de la vue et celui
de la parole, entre le lobe occipital et les première et deuxième
temporales; suppression du mélange des images commémoratives
d'ordre optique (lobe occipital) avec les images coordonnées d'arti-
culation (lobe temporal). P. KERAVAL.
XIII. La GENÈSE DES circonvolutions cérébrales ; par F. SCHNOPF-
HAGEN. (Jahrbuch. f. Psych £ at., IX, 3.)
Expliquer la forme de la surface externe du cerveau par la
texture de la couche blanche immédiatement sous-jacente à l'écorce
c'est-à-dire de la couche blanche, intermédiaire à l'écorce et aux
ganglions, qui rayonne dans le premier segment du système de
projection, telle est la tentative anatomique de l'auteur de ce
mémoire qui forme les neuf dixièmes du présent cahier. M. Schnopf-
hagen, après avoir coloré la matière cérébrale au chlorure d'or et
de potassium et au chlorure de palladium, procède à une dissec-
tion méthodique. Il enlève la substance grise et suit pas à pas les
faisceaux qui se présentent comme s'il s'agissait de groupes mus-
culaires ; il les distingue et les décrit avec une minutieuse précision.
On ne peut que donner une idée imparfaite d'un semblable tra-
vail qui doit être lu en entier. La lecture en est d'ailleurs agréable
et commode, grâce aux figures parfaites qui l'accompagnent. La
scissure de sylvius et la région de l'insula sont d'abord examinées.
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 403
Les fibres blanches qui participent à l'édification des circonvolutions
de l'insula, appartiennent, dit M. Schnopfhagen, sans exception, au sys-
tème des fibres d'association; leur trajet et leur direction permettent
de les diviser en deux espèces : les fibres longues ou insulo-operculaires;
les fibres courtes ou insulaires. Quand on a ejilevé l'écorce, avec les
fibres courtes, il reste trois crêtes. La crête postérieure, substratum de
la circonvolution postérieure de l'insula, occupe l'angle postérieur du
triangle insulaire, composé de deux branches se dirigeant en avant et
en bas et dépassant les limites de la région pour gagner le lobe temporal.
La crête moyenne, parallèle à la crête postérieure, participe à la forma-
tion de la partie la plus élevée de l'insula (monticule) pour se réunir à
une crête antérieure au niveau de l'angle antérieur du triangle insulaire.
La crête inférieure ou basale, insignifiante, est constituée par des fibres
d'association de la troisième frontale. En résumé, les circonvolutions de
l'insula ne fournissent, par ces crêtes, qu'un très petit nombre de fibres
d'association qui, traversant l'avant mur, pénètrent le corps calleux...
Quant a la capsule externe, elle unit les deux territoires corticaux de
l'insula de chaque côté, à l'aide de son irradiation dans l'avant-mur; elle
unit aussi l'écorce de l'insula d'un côté avec les territoires voisins de
l'autre hémisphère par l'intermédiaire du faisceau arciforme sous-claus-
tral qui occupe le territoire de la capsule externe et appartient aussi au
corps calleux.
Vient ensuite l'analyse de la couronnne rayonnante dans ses
rapports avec le corps calleux les frontales - le noyau caudé -
le noyau lenticulaire la capsule externe. Voici comment
l'auteur résume l'anatomie du corps strié :
L'existence scientifique de cette masse grise uniforme est justifiée.
Elle se compose d'un noyau caudé et d'un article externe ou troisième
article du noyau lenticulaire, dont l'aspect strié est dû à la dissociation
de la capsule interne. Il est rationnel de conserver les expressions de
noyau caudé et de noyau lenticulaire pour les deux parties du corps strié
séparées par la capsule interne, mais il faut introduire cette restriction
que : sous le nom de noyau lenticulaire, il faut ne comprendre que l'ar-
ticle externe ou putamen, c'est-à-dire la coque du ganglion appelé jus-
qu'ici noyau lenticulaire; on réservera une place à part aux deux articles
internes de cet organe sous le nom de globzzs pallidus.
Après avoir traité des irradiations optiques de la capsule interne
vers l'écorce et des irradiations du corps strié, M. Schnopfhagen
montre que les fibres pédonculo-corticales directes participent à
la contexture de la couronne rayonnante autant que de la cap-
sule interne, et exercent, au même titre que les autres fibres de pro-
jection, une influence indéniable sur le développement des hémis-
phères. Il montre encore que les fibres du corps calleux rejoignent
non pas, comme on l'a cru jusqu'ici, des régions de même nom et
de même volume, mais des territoires des hémisphères différents
et comme situation et comme fonction. Il existe aussi des fibres
d'association unilatérales.
Quoi qu'il en soit de ces détails anatomiques, toutes les fibres de
404 REVUE D'ANATOMIE ET DE~ PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.
projection précédemment décrites forment un éventail dont les tiges,
constituées par des trousseaux de fibres, poussent, en se dévelop-
pant, l'hémisphère et surtout l'écorce qui en émane, dans le sens et
sous la forme qui résulte de leur direction. Ainsi, les fibres de la
couronne rayonnante', considérées dans leur ensemble, tracent des
lignes droites dont la fonction est de s'allonger latéralement ;
celles qui viennent du corps calleux tracent des lignes circulaires
ayant leurs points fixes sur la ligne- médiane antéro-postérieure,
qui, par conséquent, brident au centre les lignes projetées laté-
ralement et se développent d'avant en arrière. Les premières sou-
lèvent l'écorce en bourrelets (circonvolutions) dont les courbes sont
subordonnées aux inégalités de longueurs des trousseaux. Les
secondes règlent en quelque sorte les actions périphériques et, en
les bridant, assurent la forme ovoïde des hémisphères. Les sillons
de l'écorce proviennent de ce que, en quelques points, la substance
blanche cesse de progresser (en ces points se forment des rainures);
tandis qu'elle continue à progresser en d'autres à des intervalles
variés; en d'autres termes, les sillons se produisent le long des
lignes dont l'énergie d'accroissement est la plus faible, c'est-à-dire
là où les points de la ligne des fibres d'association unilalérales
sont tangents aux lignes de projection périphériques ou radiaires
par rapport aux ganglions d'où elles elles rayonnent.
P. KERAVAL.
XIV. D'UN cas d'atrophie musculaire PRÉCOCE D'ORIGINE cérébrale ;
par A. BORGÜBRINI. (Neurol. Centi-(tlbl., 1890.)
Hémiplégie brusque de toute la moitié droite du corps, sans
autres phénomènes antécédents, atrophie assez notable de l'extré-
mité supérieure droite complètement paralysée, atrophie moindre
de l'extrémité inférieure du même côté d'ailleurs simplementparé-
siée ; atrophie extrême des muscles de l'épaule, moindre des
éminences thénar et hypothénar et des interosseux (mais égale à
' celle du bras et de l'avant-bras), qui ne présente du reste point le
type Duchenne-Aran ; atrophie des muscles du tronc (pectoraux,
sous et sus-épineux) ; atrophie de la peau de l'extrémité supérieure
et surtout du dos de la main (aspect de la pellagre). En somme, si
l'atrophie est adéquate au degré de la paralysie. suivant les
diverses régions examinées, elle n'estsûrementpas proportionnelle
au degré de l'atrophie des muscles; hyperalgésie, intégrité de la
sensibilité tactile et thermique. Diminution des réflexes superfi-
ciels du côté malade, exagération des réflexes tendineux contras-
tant avec la flaccidité des muscles paralysés. Rien de bien mar-
quant du côté de l'examen électrique. Notons encore que l'atrophie
est survenue juste deux mois après l'apparition de la paralysie, et
qu'elle a affecté une marche rapidement progressive.
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 405
C'est à l'écorce des circonvolutions ascendantes de l'hémisphère
gauche qu'il faut imputer l'ensemble des accidents. A ce niveau,
il existe un sarcome du volume d'une noix qui a perforé la dure-
mère et les os, mais qui n'a pas pénétré dans la substance ner-
veuse de plus de un centimètre et demi à deux centimètres; en
revanche, il y a déterminé des troubles congestifs et de petiteshé-
l1Jorrhagies, Il s'agit d'un sarcome secondaire dont l'origine est le
rein droit. Dégénérescence descendante des faisceaux moteurs de
la moitié droite de la moelle. Et c'est tout. P. KERAVAL.
XV. Hémorrhagie cérébrale CONSÉCUTIVE A UNE EMBOLIE hydatique
des artères cérébrales; par DOEHNHARDT. (Neurol. CM<;'a/6 ?
1890.)
Une fillette de douze ans parait atteinte d'une indigestion; le len-
demain, elle est dans le plus profond coma; on constate les signes
d'une convulsion épileptiforme, des troubles vaso-moteurs, une tem-
pérature de 39°, la disparition du pouls radial gauche et 120 pulsa-
tions de la radiale droite. Elle meurt le soir. On pense à une hémor-
rhagie méningée. On trouve à l'autopsie une vésicule hydatiqueobli-
térantl'artère cérébrale postérieure gauche, et les artères sylviennes
du même côté sont, ainsi que la basilaire/remplies d'échinocoques.
Foyer hémorrhagique dans la couche optique droite avec irruption
dans le ventricule. Il est probable (on n'a pu ouvrir le thorax) que
le corps du délit occupait le coeur gauche; la vésicule hydatique
qui y siégeait s'est rompue ou a élé lancée dans le courant san-
guin. P. K.
XVI. UN TROUBLE DE l'innervation DE L'OESOPHAGE dû A UNE tumeur
cérébrale occupant l'espace postérieur du crâne ; par J. NEU-
MANN. (Neu1'ol, Centralbl., 1890.)
Il s'agit d'une sorte de mérycisme irrégulier, mais sans que le
malade arrive à faire redescendre, malgré tous ses efforts, les ali-
ments qui, malgré lui, remontent dans la cavité buccale. On cons-
tate à la sonde un rétrécissement fonctionnel du conduit oesopha-
gien au niveau, tantôt de la huitième vertèbre dorsale, tantôt de la
cinquième, tantôt de la quatrième, ce qui prouve l'ascension de la
crampe musculaire. Intégrité des muscles pharyngo-oesophagiens
supérieurs (sous la dépendance du glosso-pharyngien). Au début,
la digitale et le strophantus calment les accidents y compris la fré- .
quence du pouls qui les accompagne, ce qui prouve qu'ils dépen-
dent de la parésie du nerf vague et de l'accessoire. L'autopsie
révèle l'intégrité du système musculaire de l'oesophage; la tumeur
fibreuse dont il est question dans la suscription, en comprimant le
bulbe au-dessus de rentre-croisement des pyramides, avait aplati
406 REVUE d'anatomie ET DE PHYSIOLOGIE pathologiques.
les premières paires cervicales et les deux parties des racines de
l'accessoire qui affectent en cette région la forme d'une anse. On
sait que, chez la grenouille,- la destruction des deux pneumogas-
triques provoque une hyperexcitabilité de l'oesophage et de l'eslo-
mac. Le nerf vague et l'accessoire ont donc pour fonction de régu-
lariser les mouvements péristaltiques, de les coordonner en une
poussée de haut en bas qui coïncide avec l'ouverture du cardia.
, P. K.
XVII. TUMEUR INTRA-CBANIENPIE avec absence DE SYMPTÔMES DIAGNOS-
TIQUES ; par le Dr 13URR. (Amel'ican journal of insanily, avril
1891.) -
On a cité des cas de tumeurs intra-crâniennes d'un volume con-
sidérable, c'est-à-dire existant depuis des années, découvertes à
l'autopsie, sans avoir été soupçonnées du vivant du malade.
L'observation citée par le Dr Burr peut être rapprochée de ces
faits, rares du reste : il s'agit d'une démente alcoolique, âgée de
soixante-six ans. Elle était en traitement à l'asile depuis cinq ans
lorsque apparut chez elle, au niveau de la bosse frontale droite, un
léger gonflement ayant l'apparence d'une contusion.
Quoique démente, la malade pouvait rendre compte des troubles
subjectifs qu'elle ressentait; or, jusque-là elle n'avait accusé ni
vertiges, ni maux de tête, ni nausées, pas plusqu'on n'avait remar-
qué chez elle aucun trouble oculaire ni des sens spéciaux, aucun
signe de paralysie.
' L'apparition de ce gonflement fut le premier signe objectif d'une
tumeur qui grossit rapidement, se ramollit, fut enlevée jusqu'au
niveau des os que l'on trouva perforés, la tumeur pénétrant par
un pédicule à l'intérieur de la cavité crânienne. La récidive fut
rapide et l'autopsie permit de constater à l'intérieur de la cavité
crânienne, dans la dure-mère, une tumeur aplatie, de 10 centi-
mètres de diamètre, occupant la face externe du lobe frontal droit
envahi lui-même en partie, au niveau de la première frontale,
tumeur ayant détruit la lame criblée de l'ethnoïde et déterminé
sur le frontal, au niveau de la bosse frontale droite, une large
perforation.
Il s'agissait d'un carcinome de la dure-mère dont aucun des
symptômes présentés par la malade avant la perforation du frontal
et l'apparition de la tumeur à l'extérieur, n'avait pu indiquer la
présence. E. B.
XVIII. Recherches SUR la circulation cérébrale pendant l'hypnose;
par de SARLO et BERNARDIN). (Riv. sp. di f1'G11., t. IX-X11-XVIL)
- La circulation cérébrale diffère suivant les états hypnotiques :
il semble qu'il y ait hyperhémie dans l'état léthargique et anémie
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 407
dans l'état cataleptique. Tout mène à croire qu'il n'existe pas,
dans les états hypnotiques, d'antagonisme entre les circulations
cérébrale et périphérique. Le pouls augmente de fréquence et les
oscillations respiratoires sont à peine marquées. Les fonctions psy-
chiques, pendant l'hypnose, provoquent des réactions vasculaires,
identiques à celles qui se produisent dans l'état de veille, mais moins
marquées par suite de la constriction des vaisseaux. Les états hypno-
tiques ne doivent pas être considérés comme ayant une existence
indépendante, mais ils servent seulement à mettre en évidence
des phénomènes existant auparavant. Les manoeuvres hypnotiques,
de quelque espèce qu'elles soient, ont seulement pour effet d'aug-
menter l'excitabilité de certains centres nerveux qui sont comme
un locus minoris résistentiae, et de scinder, de désagréger quelques
éléments nerveux du complexus qui forme la base organique d'un
esprit sain. J. SÉGLAS.
XIX. CONTRIBUTION A l'étude DE l'activité fonctionnelle DU cervelet;
par BORGHERINI et Gallerani. (Riv. sp. di (l'en., t. XVII, fasc. 111.)
Le cervelet est un organe essentiel à la coordination des mouve-
ments volontaires; et toute lésion suffisamment profonde de cet
organe détermine le même cadre symptomatique que l'ataxie loco-
motrice. Ces phénomènes disparaissent lorsqu'il reste en place une
portion de l'organe, à condition que les rapports qui existent nor-
malement entre les différentes parties du cervelet soient con-
servées. Une lésion superficielle à la partie postéro-supérieure
donne comme fait constant le tremblement de la tête et du cou;
la destruction complète produit l'ataxie permanente de tous les
mouvements volontaires, surtout de la tête et du cou. La vue peut
remédier jusqu'à une certaine mesure à la défectuosité des mou-
vements volontaires. Les lésions du cervelet peuvent déterminer
des troubles trophiques, mais ne s'accompagnent ni de modifica-
tions de la force musculaire, ni d'altérations de la sensibilité géné-
rale ou spéciale. J. SCCLas.
XX. DE L'INDIDITION CARDIO-RESPIRATOIRE DE BROWN-SQUARD;
par A. TAIASTIa. (Iliv. sp. di (1'en., t. XVII, fasc. r,n.)
Chez les animaux supérieurs (lapins, chiens), l'action inliihitoire
sur le coeur et les poumons admise par Brown-Séquard comme con-
sécutive aux excitations de la peau et de la région cervicale anté-
rieure, ne provoque pas la mort instantanée ni des désordres per-
manents graves. Les cas de mort peuvent s'expliquer plutôt par
l'asphyxie, les troubles de la circulation encéphalique, les lésions
et les commotions des centres nerveux que par cette inhibition.
Des troubles fonctionnels transitoires très marqués comme la dimi-
408 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.
nution de l'activité cardiaque et respiratoire, peuvent bien s'ob-
server à la suite d'excitations de la région antérieure du cou et
^des organes sous-jacents : mais ils ont leur origine dans l'ensemble
- de causes dues à cette compression ou à ces excitations. L'anal-
gésie peut aussi s'expliquer sans le secours de cette inhibition, et
doit être prise dans un sens très restreint. Chez l'homme, à la
suite de violences portant sur les mêmes régions, on peut voir
survenir des états de dépression psychique dus à une diminution
subite de l'activité cardio-respiratoire, et qui par eux-mêmes peu-
vent avoir une certaine importance en médecine légale, sans aller
cependaut jusqu'à déterminer à leur suite une mort immédiate.
J. Séglas.
XXI. NOTE SUR UN cas d'atrophie D'UN HÉMISPHÈRE AVFC PACHY3fÉNIN-
GITE consécutive; par J,. W, PLUTON. (The Journal of mental
Science, janvier 1889.)
Les renseignements recueillis sur ce malade (un nègre du
Congo), sont d'autant plus incomplets, qu'il parlait à peine quel-
ques mots d'anglais : il est entré à l'asile de la Jamaïque en 1874 ;
il avait de la manie chronique avec idées de grandeur. Douze ans
plus tard, en 1886, il commença à présenter les symptômes d'une
lésion corticale étendue de l'hémisphère droit (affaiblissement
musculaire unilatéral et mouvements convulsifs du même côté) ;
l'affaiblissement alla en augmentant, mais les convulsions ces-
sèrent. Trois mois après le début, survint de la contracture mar-
quée des extrémités à gauche, qui ne tarda pas à devenir perma-
nente ; il n'y eut jamais de perte de connaissance. Le malade
s'affaiblit et mourut sept mois après le début de ces accidents. A
l'autopsie, on constata diverses altérations intéressantes : - à la
région bregmatique du côté droit, la table interne du crâne était
poreuse et épaissie. La dure-mère se détachait facilement, mais
à droite, au niveau de la tente du cervelet, elle était revêtue d'une
masse épaisse, gélatineuse, de nouvelle formation, plus épaisse au
niveau de la convexité de l'hémisphère; la fausse membrane con-
tenait une quantité considérable de sérum sanguinolent, et entre
cetle fausse membrane et le feuillet viscéral de l'arachnoïde, on
trouvait un épanchement abondant de liquide séreux roussâtre.
L'hémisphère droit n'offrait, à vue d'oeil, guère plus de la moitié
du volume de l'hémisphère gauche; il était revêtu de ses mem-
branes propres, épaissies, résistantes et opaques, surtout au
niveau des lobes frontal et pariétal; plusieurs circonvolutions
étaient jaunes et ratatinées, dures et grenues au toucher;
c'étaient celles qui constituent le territoire cérébral irrigué par la
cérébrale moyenne droite. Le pédoncule droit, la moitié droite de
la protubérance et de la moelle allongée offraient un volume
REVUE d'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 409
notablement moindre que celui des parties symétriques du côté
opposé. Les artères de la base étaient athéromateuses, et la
cérébrale moyenne droite, ainsi que ses branches, étaient infé-
rieures en volume aux artères similaires du côté gauche. Par
contraste, les membranes de l'hémisphère gauche paraissaient
minces, bien qu'elles fussent en réalité plus épaisses qu'à l'état
normal. Il n'y avait aucune trace de lésion de la dure-mère;
pas de pachyméningite de ce côté. L'auteur pense que ce
cas vient à l'appui de la théorie par laquelle Huguenin a contesté,
l'interprétation donnée, antérieurement à lui, des processus pa-
chyméningitiques. R. M. C.
XXII. LES MOUVEMENTS musculaires CHEZ L'HOMME ET LEUR
ÉVOLUTION DANS LA PREMIÈRE ENFANCE; ÉTUDE DU MOUVE-
MENT CHEZ L'HOMME ET DE SON ÉVOLUTION, AVEC QUELQUES
INDUCTIONS RELATIVES AUX PROPRIÉTÉS DES CENTRES NER-
VEUX ET A LEURS MODES D'ACTION DANS L'EXPRESSION DE
la PENSÉE; par Francis WARNER. (The Journal of Mental
Science, avril 1889.) -
Il est impossible de résumer ce très intéressant et très
important travail : nous n'avons d'autre ressource, pour ne
pas le laisser ignorer entièrement du lecteur, que d'en traduire
presque intégralement la troisième et dernière section, qui est
d'ailleurs la plus importante; mais comme elle repose sur les
données fournies par les deux premières sections, nous sommes
forcés de nous excuser d'avance auprès de l'auteur et du lec-
teur des quelques lacunes que cette manière de procéder rend
inévitables : nous conserverons aux paragraphes les numéros
qu'ils portent dans le texte original.
Les sections I et II ont été principalement consacrées à faire
connaitre la nature des observations sur lesquels reposent les
faits qui vont maintenant être exposés; les faits observés ont
été définis, classés, et en partie expliqués. On n'a guère tenté
qu'une simple description des faits physiques, en prenant
scrupuleusement soin dans cette description d'éviter l'emploi
du terme de métaphysique.
(68). Des propriétés des centres nerveux et de leurs modes d'action.
Des caractères que nous avons précédemment attribués aux
mouvements, nous pouvons tirer quelques inductions relatives aux
propriétés et aux modes d'action des centres nerveux.
(69). Impressionnabilité. Elle est un des caractères fondamen-
taux des centres nerveux; elle est en opposition avec la .-ponta-
4'10 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.
néité, état dans lequel ces centres ne subissent que très faiblement
l'influence des impressions reçues par les organes des sens.
. (70). Imitation. La vue de certains mouvements chez une
autre personne paraît être suivie chez le sujet qui observe d'une
action sur les centres nerveux qui correspondent à ceux dont
l'action chez le sujet observé a produit les mouvements visibles
qui sont imités. -
- (71). Liberté des centres nerveux. Les centres nerveux, lors-
qu'ils ne sont que légèrement stimulés, paraissent être plus impres-
sionnables que lorsqu'ils le sont énergiquement.
(72). Conservât mité. C'est la tendance qu'ont les centres ner-
veux à la répétition d'actes semblables sous l'influence d'excitations
semblables aussi. Cette propriété parait comparable à l'inertie en
mécanique. '
(73). Retard dans l'expression. C'est le rapport qui existe, dans
l'ordre du temps, entre l'impression produite sur les centres et
l'expression visible que provoque cette impression. La conserva-
tivité conserve l'impression, jusqu'à ce qu'elle se traduise par un
mouvement visible.
(74). Double action dans les centres nerveux. Il semble que les
centres nerveux affectés par une impression puissent à la fois
subir certaines modifications moléculaires locales et envoyer aux
muscles des courants efférents, capables de produire des mouve-
ments visibles.
(75). Cérébration complexe. Une excitation primitive peut être
suivie de courants allant de certaines cellules à d'autres groupes
cellulaires, et finalement aboutir à des mouvements exactement
adaptés à la circonstance qui a déterminé l'excitation primitive.
(76). Renforcement. - Un centre nerveux, stimulé par une impul-
sion afférente peut transmettre son impulsion efférente à plus
d'un centre, de telle manière que les courants nerveux soient ren-
forcés à mesure qu'ils aboutissent aux muscles qui produisent les
mouvements visibles. Ce renforcement s'observe aux premières
périodes de l'existence tandis que la cérébration complexe appar-
tient à des périodes plus avancées du développement.
(77). Action diatactique. Nous entendons par là la mise en
préparation des cellules- nerveuses en vue d'une action com-
binée.
(78). Psychose. - Nuus désignons sous ce nom les modifications
physiques du cerveau qui correspondent à une « pensée » et que
nous ne connaissons qu'au moment où elles se traduisent ulté-
rieurement par un mouvement.
(79). Inhibition cérébrale. L'inhibition cérébrale et ses suites
nous conduisent à supposer qu'il se forme entre les cellules ner-
yeuses des groupements qui les préparent à des actions ou à des
séries d'actions combinées, lesquelles se' traduisent par des séries
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 411
définies de mouvements visibles. Des séries définies de mouvements,
non observées antérieurement, paraissent succéder aux impressions
capables de produire une période d'inhibition du mouvement; des
combinaisons et des séries de mouvements sont dues à des cou-
rants efférents émanant des centres. L'hypothèse, c'est que « durant
« la période d'inhibition, il se forme entre les cellules nerveuses
« des groupements fonctionnels » ; la preuve, c'est qu'il en résulte
de nouvelles combinaisons et de nouvelles séries de mouvements.
(80). Action diatactique et pensée. On peut déduire de cette
hypothèse qu'une « pensée » ou un acte psychique, qui ne nous
est connu que par une combinaison ou une série de mouvements,
est physiquement représenté, ou, si l'on veut, correspond physi-
quement à la formation d'un groupement de cellules (action dia-
tactique). Si le groupe ainsi formé décharge des courants efférents
vers les muscles, l'acte psychique se traduit par un mouvement.
Le passage des courants qui émanent d'un tel groupe peut ne se
produire que tardivement après sa formation. Le groupement
peut aussi donner lieu à des courants qui ne vont pas directement
aux muscles, mais bien à d'autres cellules parmi lesquelles ils déter-
minent de nouveaux groupements, et ainsi de suite, de série en
série, jusqu'à ce que, du dernier groupe, partent des courants qui
aboutissent aux muscles et provoquent des mouvements visibles.
(81). Théorie de la psychose. Dans l'expression de la psychose
ou acte psychique par les mouvements qui lui sont consécutifs,
nous distinguons une série d'actes dont les rapports sont complexes;
ces actions peuvent s'accomplir avec une très faible quantité de
travail mécanique, mais elles peuvent avoir des antécédents et
des suites d'un grand intérêt. Les mouvements qui indiquent
l'intelligence ne paraissent se distinguer par aucun caractère
intrinsèque particulier, mais bien par certains rapports de temps
et de quantité d'action à l'égard des antécédents, des circonstances
ambiantes, et de leurs conséquences.
(82). Intelligence. L'intelligence n'est pas une propriété du
cerveau p6 ! ' se : elle est un fait physique, accessible à l'observa-
tion, mais non susceptible de corrélation avec les modalités de la
force. D'après la manière de voir qui vient d'être exposée, les con-
ditions physiologiques du cerveau qui lui permettent de révéler
les signes de l'intelligence sont les suivantes : 1<* Une activité qui
s'exerce dans de nombreux petits territoires, sans qu'il soit néces-
saire que ceux-ci aient été directement stimulés par des forces
actuelles ou immédiatement antérieures; 2° La conservativité et le
pouvoir de retarder l'expression sous l'influence d'une stimulation
ultérieure; 3° L'aplitude à la formation, sous l'influence d'excita-
tions légères, de groupements capables d'envoyer avec précision,
sous l'influence d'un stimulus, des courants efférents à certains
centres ou à certains muscles.
412 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.
(83). Remarque sur la quantité d'usure cérébrale dans l'action
mentale. Le déploiement de l'intelligence ne dépend pas de la
somme d'usure du cerveau, mais de la susceptibilité de cet organe
à l'égard des influences ambiantes et des impressions passées.
(84). Conclusion : - L'auteur espère avoir fourni de nouveaux
signes à l'observation physique : les postures et les mouvements
du corps sont des signes produits par l'action des centres nerveux
et l'auteur a tenté depuis plusieurs années d'en rendre la repro-
duction plus exacte à l'aide de la méthode graphique. Il a essayé
aussi, mais le succès n'a répondu qu'incomplètement à ses efforts,
d'énumérer ces mouvements ainsi que leurs combinaisons particu-
lières.
Dans l'étude de la microkinèse, on voit les manifestations
les plus précoces de la faculté d'expression de l'action mentale.
La sensibilité graduellement croissante des centres nerveux à
l'égard de l'action immédiate ou retardée, sous l'influence des
forces ambiantes, parait déterminer la production des signes
de l'intelligence active.
Enfin certaines propriétés et certains modes d'action des
centres nerveux paraissent être démontrés par l'observation et
l'analyse des mouvements R. M. C.
XXIII. TUMEUR DE la glande pituitaire; par James-B ? VHITwELL.
(The Journal of mental Science, juillet 1889.)
Ces tumeurs sont rares et les symptômes par lesquels elles se
traduisent sont ordinairement vagues et peu caractéristiques; aussi
l'auteur a-t-il jugé intéressant de publier in extenso l'observation
que nous résumons ici : -
Femme de trente ans, mariée, entrée à l'asile en 1888, avec de la
dépression, de l'anxiété, de l'incohérence, des hallucinations de la
vue et de l'ouïe : elle souffrait depuis longtemps de maux de tête.
Sa mère a été dix ans dans un asile. Pas de syphilis. A son entrée,
elle est calme, se tient volontiers à l'écart, manque de spontanéité.
Elle a de la peine à rassembler ses idées pour répondre aux ques-
tions, à moins qu'elles ne soient très simples et très précises. Elle
ne parait pas savoir où elle est. Cinq semaines après son entrée,
céphalalgie et vomissements de nature manifestement cérébrale,
rebelles à tout traitement; quatre jours plus tard, attaque convul-
sive de quelques minutes, avec prédominance des convulsions à
droite; léger strabisme; le tout suivi d'un état semi-comateux :
bouche légèrement déviée à gauche ; rigidité du bras droit ; exten-
sion tonique de la jambe gauche; exagération du réflexe rotulien
à gauche. Dans l'après-midi, la malade redevient consciente, et tire
la langue, qui n'est pas déviée, quand on le lui ordonne : elle
REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES. 413
comprend ce qu'on lui dit, mais ne répond que par monosyllabes.
Tout rentre à peu près dans l'ordre. Le lendemain, convulsions
généralisées. La sensibilité est intacte sur le visage et sur tout le
corps. Grincement de dents. A la suite d'une nouvelle attaque con-
vulsive, la malade meurt dans le coma.
A l'autopsie, on a tout d'abord quelque peine à découvrir une
lésion; enfin on constate l'existence d'une tumeur de la glande
pituitaire s'étendant de chaque côté dans le sinus caverneux, sur-
tout à gauche où elle intéressait la carotide interne dont les parois
étaient amincies par la tumeur et le calibre un peu dilaté. Du
même côté le nerf de la sixième paire était atteint par la tumeur
avec laquelle il était intimement associé. A droite, il y avait sim-
plement contact avec le nerf et l'artère, et non continuité orga-
nique comme à gauche. Dans son grand diamètre, la tumeur
mesurait 29 millimètres, et 13 dans son petit diamètre : elle était
de consistance semi-gélatineuse et ne contenait aucune trace
d'hémorrhagie. Histologiquement, elle offrait les caractères d'un
myxosarcome à développement peu rapide.
Il eut été très difficile dans ce cas, alors même que la malade
aurait été soumise à une plus longue observation (elle n'a pu être
observée que durant cinq semaines). Il est à remarquer que l'acro-
mégalie, constatée dans deux des cas publiés de ce que l'on a appelé
l'hypertrophie de la glande pituitaire, faisait ici absolument défaut.
R. M. C.
XXIV. DES altérations DE la PIE-MÈRE cérébrale CHEZ LES aliénés;
par Francesco del GRECO. (Riv. sp. di fren., t. XVII, fasc. ni.)
A l'autopsie des paralytiques généraux, on rencontre de la péri-
artérite des plus petits vaisseaux de la pie-mère et de la substance
cérébrale, et une infiltration nucléaire diffuse de la pie-mère,
spécialement du côté qui est en rapport avec les circonvolutions :
en général, les signes de leptoméningite fibreuse chronique. -Par-
fois, dans les petits vaisseaux de ces mêmes régions, outre de la
péri-artérite, on trouve de l'endartérite oblitérante, et dans les
vaisseaux de moyenne grandeur, un épaississement ou une dégé-
nérescence graisseuse de la tunique musculaire. La régularité
avec laquelle on rencontre, chez les paralytiques généraux, la
péri-artérite des petits vaisseaux, même chez les individus morts
au début de la maladie, alors que la substance cérébrale ne pré-
sente pas de signe de sclérose et d'atrophie, porte à faire accepter
l'idée de Meyer, Rumpf, Mendel, que les lésions des vaisseaux, à la
suite d'hyperhémies persistantes, représentent le fait initial de la
série des lésions histologiques du cerveau, dans la paralysie géné-
rale, et que les altérations de la névroglie et des cellules nerveuses
ne sont que consécutives.
1
414 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUES.
Chez les aliénés pellagreux, on trouve à l'autopsie, des opacités
diffuses de la pie-mère, une hypertrophie de son tissu conjonctif,
souvent avec une légère infiltration nucléaire, diffuse ou localisée
autour des petits vaisseaux de la pie-mère ou de la substance céré-
brale. Dans certains cas de typhus pellagreux, et spécialement
dans ceux de délire aigu, on trouve, dans la pie-mère, des traces
d'hyperhémie récente. ,
Dans les autres formes d'aliénation mentale (folie périodique,
épileptique, démence consécutive, etc.), la pie-mère peut être légè-
rement épaissie, les parois des vaisseaux, rigides et tortueuses :
altérations semblables à celles que l'on trouve à l'autopsie d'indi-
vidus sains d'esprit, mais morts très âgés ou dans le marasme. Dans
des cas plus rares, l'épaississement s'accentue et la substance céré-
brale est atrophiée, indurée, les ventricules latéraux dilatés etrem-
plis de sérosité.
Dans toutes les formes d'aliénation, l'épaississement de la pie-mère
débute ordinairement par la face, qui est en rapport avec les cir-
convolutions cérébrales. J. SÉGLAS.
XXV. Les substances albuminoïdes phosphorées du cerveau ; par
MM. DANILEVSKi et Oumikoff. (Recueil de Physiologie, t. Il, 1891.)
. La chimie biologique contemporaine-a établi solidement le rôle
très important des substances albuminoïdes dans l'activité vitale
des éléments cellulaires. On doit conclure de ce fait que les divers
processus chimiques qui ont lieu dans les cellules existent, grâce à
la présence des substances albuminoïdes. Il est donc très naturel,
dans l'étude des rapports entre la composition chimique d'un tissu
et ses fonctions vitales, de porter l'attention principalement sur la
nature de ses formes albuminoïdes. Cette idée générale doit sans
doute trouver son application intégrale dans l'étude du tissu céré-
bral. MM. Danilevski et Oumikoff étudient surtout la substance
grise du cerveau. Cette substance présente une composition plus
compliquée que beaucoup d'autres tissus. Outre les substances
albuminoïdes elle contient une grande quantité de cholestérine,
de cérébrine et de leucithine. La cholestérine et surtout la lecithine
se rencontrent aussi dans les autres tissus; quant à la cérébrine,
elle constitue une propriété exclusive du tissu cérébral. Ces trois
substances présenlent une propriété caractéristique du proto-
plasme nerveux, et quoiqu'elles n'aient rien de commun avec les
albuminoïdes, elles jouent très probablement un certain rôle dans
les phénomènes de l'activité vitale. Cependant, il ne faudrait pas
conclure de là que ces substances non albuminoïdes de la masse
cérébrale présentent seules la base matérielle du protoplasme ner-
veux en état de fonction. Sans doute, la présence d'une grande
quantité de choleslérine, de cérébrine et de leucithine dans ce pro-
REVUE D'ANATOMIE ET DE PATHOLOGIE PHYSIOLOGIQUES. 418
toplasma exerce une certaine influence sur l'apparition, la marche
et la terminaison des processus chimiques dans les éléments ner-
veux. Mais dans tous ces cas, ce sont des substances albuminoïdes
qui constituent la base matérielle nécessaire pour le développe-
ment de tous les processus physico-chimiques. Il importe donc de
porter les recherches non seulement sur les combinaisons chi-
miques non albuminoïdes de la substance grise, mais aussi et sur-
tout sur les combinaisons albuminoïdes. Tous les éléments consti-
tutifs de la substance cérébrale peuvent être divisés en plusieuis
groupes naturels, notamment en : substances azotées albumi-
noïdes, substances azotées non albuminoïdes et substances inor-
ganiques y compris H2o. La présence dans la substance cérébrale
des combinaisons organiques contenant du phosphore, donne lieu
à la formation d'un groupe spécial des substances phosphorées,
constituant des éléments constants dans cet organe. En se fondant
sur les faits entièrement établis, on considérait toutes les subs-
tances phosphorées du cerveau comme appartenant à des combi-
naisons non albuminoïdes, les unes azotées, les autres non azotées.
Parmi les substances albuminoïdes du tissu cérébral deux jusqu'à
présent ont été établies : la nucléine et la neurokératine. Le pro-
toplasma du corps de la cellule en général, contient au moins trois
formes albuminoïdes : l'albumine, la globuline et la stromine. Les
recherches très-détaillées sur la substance grise y ont démontré
d'une façon indiscutable la présence de toutes les formes albumi-
noïdes : globuline, stromine et nucléïne comme base matérielle
du protoplasma nerveux. En même temps, on a remarqué que les
substances albuminoïdes se trouvent non-seulement dans les cel-
lules nerveuses, mais aussi dans la névrogie, d'où les auteurs
tirent l'hypothèse que la névrogie est par essence une substance
purement nerveuse, un élément nerveux d'un ordre tout particu-
lier pour lequel il est encore impossible d'iudiquer le genre d'ac-
tivité qui lui soit propre. La globuline de la substance grise, qu'il
s'agisse des cellules nerveuses ou de la névrogie, tout en présen-
tant les mêmes propriétés physico-chimiques que la globuline des
autres tissus, en diffère cependant par la présence du phosphore
dans sa constitution. La globuline phosphorée est une propriété
exclusive de la substance grise du cerveau des vertébrés à sang'
froid ou à sang chaud et de l'homme. Les auteurs dénomment
celle globuline du terme de neuroglobuline. Ils pensent que les
neuroglobulines des différentes espèces animales se distinguent
par la richesse en phosphore, et à chaque espèce animale corres-
pond très probablement une neuroglobuline avec une quantité
déterminée de phosphore, La stromine cérébrale contient aussi du-
phosphore, et les auteurs l'appellent du nom de neurostromine.
Enfin, les auteurs ont pu obtenir la neurokératine qui, elle, est
totalement dépourvue de phosphore. J. ROUDINOVITCH.
SOCIÉTÉS SAVANTES
SOCIÉTÉ MÉDIl : O-PSYCHOLOGIQUG.
Séance du 29 février 1892. Présidence de M. ROUSSRL.
Les aliénés à séquestrations nombreuses. - M. Charpentier. Les
asiles sont souvent encombrés par une catégorie de pensionnaires
qui mettent le désordre dans les services, je veux parler de ces
alcooliques à séquestrations multiples et plus ou moins simula-
teurs : ces sujets ne commencent à apparaître à Bicêtre qu'en 1838 ;
avant 1825 les sujets à deux ou trois séquestrations sont très
rares. Leur nombre augmente d'autant que les ivrognes séquestrés
augmente; ils commettent tous les mêmes délits et souvent, leurs'
délits vont graduellement en augmentant de gravité. Leurs certi-
ficats de première séquestration mentionnent rarement le délit;
presque tous prétendent avoir oublié le délit commis; ils simulent
l'épilepsie, la stupeur, la mélancolie, l'excitation maniaque, les
idées vagues de persécution ou de grandeur. A l'asile, on ne peut
constater leurs attaques, les délires sont simulés pour échapper à
la culpabilité qui leur serait imputée; en prison, ils simulent la
folie; à l'asile l'honnêteté. Ils arrivent en évoluant à une période de
cynisme dans laquelle ils avouent leur simulation intérieure, la
modifient et s'en font gloire. A l'asile, ils se recherchent et com-
plotent, nuisent aux malades, se plaignent de tout et entassent les
calomnies les unes sur les autres; ce sont les sujets dont les éva-
sions sont les plus nombreuses et les plus fréquentes; ils ne devien-
nent pas déments et meurent rarement dans les asiles; ils finissent
toujours par être mis en liberié. Depuis 1840 jusqu'à nos jours, ils
'ont été désignés comme atteints de manie chronique, folie inter-
mittente, périodique, dipsomanie, épilepsie larvée, délire vertigi-
neux, délire d'accès, folie raisonnante, folie morale, folie hérédi-
saire, folie des dégénérés. Ils partagent leur existence en trois
états : liberté, prison, asile. Ils sont tous ivrognes et, chose bizarre,
ceux qui seraient épileptiques continuent à être alcooliques et
cessent d'être épileptiques, ce qui prouve bien la simulation. Ce
sont des ivrognes sans domicile connu, à faux nom et sans profes-
sion réelle.
Ces sujets doivent être considérés conflue des vicieux et non
SOCIÉTÉS SAVANTES. 417 Î
comme des aliénés. S'il n'est pas possible de faire mieux que de
les séquestrer dans un asile, il faut les assimiler aux aliénés dan-
gereux, et les garder toujours. Mais alors, il importe que le texte
de la nouvelle loi définisse les aliénés dangereux et les maladies
mentales ou à défaut de définition continue une énumération
équivalente. Si le vice finit par être considéré comme une mala-
die, il est à craindre de voir les sept péchés capitaux transformés
en autant de maladies mentales.
En un mot, pour M. Charpentier, les séquestrations nombreuses
d'un même individu par placement d'office dans un asile d'aliénés
doivent éveiller les soupçons de simulation; elles constituent
plutôt le signe du vice que l'indice de folie.
M. CHRISTIA1V. Si l'on voulait résumer la communication de
M. Charpentier, en exagérant sa pensée, on pourrait dire : Tout
aliéné, qui présente un grand nombre d'accès de courte durée,
cesse d'être un aliéné; c'est un simulateur. Je ne veux pas nier la
simulation de la folie, mais il faut reconnaître qu'elle est beau-
coup moins fréquente que ne semble le croire M. Charpentier.
Il ne nous donne pas d'ailleurs la preuve que les sujets dont il nous
entretient appartiennent à cette catégorie d'individus.
M. Charpentier leur reproche d'arriver dans un service avec des
certificats calqués les uns sur les autres, et de ne présenter à l'asile
aucun des symptômes annoncés. Comment pourrait-il en être
autrement s'ils sont arrêtés dans des conditions identiques ? Nous
savons d'autre part que tel épileptique, dont les attaques sont fré-
quentes quand il boit, n'en aura que peu ou pas s'il cesse ses
excès de boissons. Ce même malade sera considéré soit comme
alcoolique, soit comme épileptique suivant, que tels ou tels symp-
tômes prédomineront.
M. Charpentier reconnaît qu'il s'était fait les mêmes objections
au commencement de ses recherches; mais il a passé outre, parce
qu'en consultant les dossiers volumineux et caractéristiques des
fréquentes entrées, il n'a trouvé l'épilepsie signalée que dans les
premiers certificats, et encore ceux-ci ne donnaient-ils l'énuméra-
tion d'aucun symptôme.
M. GARNIER. M. Charpentier semble reprocher à certains de ses
collègues de considérer comme aliénés des gens dont l'étal mental
ne justifierait pas la séquestration. J'admets très volontiers que le
médecin soit accidentellement la dupe d'un simulateur; mais que
ce même simulateur le trompe dix ou quinze fois de suite, cela me
paraît difficile à accepter ! L'erreur de M. Charpentier provient de
ce qu'il ne voit pas les malades à la même période que nous les
voyons à l'infirmerie du Dépôt ou à l'admission de Sainte-Anne.
Un de nos confrères, que je ne nommerai pas, me demandait un
jour, pourquoi dans certains certificats relatifs à des alcooliques, je
Archives, t. XXIII. 27
1'18 8 SOCIÉTÉS SAVANTES.
signalais l'existence de sueurs profuses qu'il n'avait jamais obser-
vées. Je lui fis la même réponse que je fais aujourd'hui à M. Char-
pentier. Les alcooliques n'ont de ces sueurs qu'au Dépôt et à Sainte-
Anne. Les jours suivants elles disparaissent. De ce que certains
épileptiques n'ont pas d'attaques à Bicêtre, il ne faut pas conclure
qu'ils n'en ont jamais eu. Beaucoup d'entre eux n'ont d'accès que
s'ils boivent. Enfin, je ne vois pas trop pourquoi ces individus-là
cesseraient à Bicêtre de simuler l'épilepsie, puisque, grâce à elle,
ils ont pu s'y faire placer et qu'on les renvoie dès qu'ils n'ont plus
d'attaques.
M. Voisin confirme l'opinion émise par M. Garnier en ce qui
concerne les sueurs de délirants alcooliques.
M. JOFFROY, A l'appui de ce qui vient d'être dit que tout excès
peut rappeler l'épilepsie latente. Je rapporterai une observation
personnelle. Il s'agit d'un fils et frère d'épileptique atteint lui-
même de la même affection et qui était resté pendant sept ans à
la campagne sans avoir aucune attaque. Un jour, à l'occasion
d'une élection, il but un peu, et fut repris tout à coup d'une série
de crises convulsives d'une très grande intensité.
M. Charpentier se défend d'avoir voulu adresser la moindre cri-
tique à ses collègues de l'infirmerie du Dépôt ou de l'Admission
de Sainte-Anne. Il reconnaît aussi que certains épileptiques n'ont
d'attaques qu'après avoir bu; mais à côté de ceux-ci, on doit
reconnaître qu'il en existe d'autres dont l'alcoolisme vient à point
pour les rendre irresponsables d'un délit. Si leur place n'est pas à
la prison, ils sont encore plus mal placés dans les asiles. La légis-
lation devrait prévoir la création d'établissements spéciaux pour
cette catégorie peu intéressante d'individus. '
M. CARNIER se rallie à cette proposition.
M. FALRET. La rigueur scientifique manque à la communication
de M. Charpentier qui s'est borné à compulser des dossiers. Pour
amener la conviction, il aurait fallu que le même observateur
ait pu suivre les malades depuis leur première jusqu'à leur der-
nière entrée et en prendre l'observation détaillée,
La superstition du renard au Japon. -1\1. Barre fait l'exposé
humoristique d'une histoire de possession très répandue, au Japon,
et qui consiste à se croire possédé par un renard. Cet animal,
d'après la croyance populaire, s'insinuerait par les ongles dans le
corps de toutes sortes de gens; mais plus habituellement des
jeunes filles. Ce sont surtout les convalescents de fièvre typhoïde
qui croient ainsi servir d'habitacle au rusé compagnon. La maladie
n'est pas mortelle et les patients arrivent assez facilement à se
débarrasser de leur parasite. L'idée de possession est tellement
anracinée chez les Japonaises qu'elle confine à la folie. M. B.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 419
Séance du 28 mars 1892. Présidence DE M. TE. ROUSSEL.
De la sortie des aliénés persécutés. - M. SOLLIER : A l'occasion des
prétendues séquestrations arbitraires qui reviennent périodique-
ment dans la presse politique, je demande à la société de discuter
la question de la sortie des aliénés persécutés. Si le délirant per-
sécuté peut guérir, à quels signes certains peut-on reconnaître sa
guérison ? S'il n'est qu'une rémission, dans quelles conditions sa
sortie peut-elle être accordée ? Ce sont les deux points qu'il serait
intéressant de discuter.
M. GARNIER ne croit pas que ces questions qui paraissent si sim-
ples puissent être résolues par une formule générale. Les condi-
tions de la sortie d'un persécuté sont particulières à chaque cas.
Elles dépendent autant du malade que du milieu dans lequel il se
trouvera en quittant l'Asile.
M. Sollier ne voudrait pas qu'on lui dictât une formule géné-
rale applicable à tous les cas ; il reconnaît qu'elle est impossible à
trouver ; mais il demande qu'on détermine les signes qui permet-
tent d'affirmer que tel malade peut être rendu à la liberté, alors
que tel autre doit être maintenu.
M. GARNIER répond que l'examen direct du malade peut seul
donner la certitude de sa guérison. Il reconnaît que le cas est sou-
vent très embarrassant. Le Rudelier, ajoute-t-il, m'a affirmé qu'il
n'avait jamais renoncé à sa prétendue dette de cinquante mille
francs et cependant, il a bien dû paraître très amélioré, puisque sa
sortie a été signée par M. Ritti.
M. RITTI se défend d'avoir pris seul la responsabilité de cette sor-
tie. Quand il a examiné Le Rudelier à Bicêtre, le malade lui a
déclaré avoir renoncé à l'indemnité qu'il réclamait autrefois. C'est
sur l'affirmation réitérée de sa guérison par le médecin traitant,
M. Deny, qu'il a proposé la sortie.
M. CHRISTIAN estime aussi qu'il est impossible d'établir une règle
fixe applicable à tous les persécutés.
M. Vallon. Le cas est surtout difficile quand il s'agit de malades
à délire partiel et limité. Us apprennent bien vite à dissimuler ce
qu'il ne faut pas avouer pour obtenir leur mise en liberté.
M. Brigand. S'il est impossible de déterminer à l'avance tous les
cas dans lesquels la sortie devra être accordée, on peut, au moins,
donner en partie satisfaction à M. Sollier en établissant quels sont
ceux en face desquels le médecin devra se montrer très réservé. On
pourrait m'objecter que je ne réponds pas à la question si je disais
qu'on ne doit pas rendre à la liberté un malade dangereux, aussi
420 sociétés savantes.
me hâterai-je d'ajouter que les aliénés sont dangereux tant qu'ils
désignent leurs persécuteurs. A côté de ceux-ci, je place les réti-
cents, qu'avec un peu d'habileté, l'aliéniste finit toujours pardémas-
. quer. Ces deux catégories d'aliénés ne doivent, à mon avis, quitter
l'Asile qu'après guérison confirmée. Pour les autres persécutés dont
le délire est diffus, il ne saurait y avoir de règle fixe.
. M. ROUILLARD serait désireux de voir nommer une commission
qui établirait un questionnaire auquel le médecin devrait répondre
par oui et par non avant que la sortie des aliénés ne soit accordée
par l'autorité publique. Ce questionnaire serait reproduit dans la
nouvelle loi en préparation.
M. CHRISTIAN ne pense pas qu'un semblable questionnaire puisse
trouver place dans un texte de loi.
M. JoFFRoy. M. Briand estime qu'un persécuté dangereux ne peut
pas être remis en liberté. Je suis de son avis ; mais je vais plus loin
et j'ajoute qu'avant de signer une sortie, le médecin doit avoir la
certitude que le persécuté actuellement inoffensif ne deviendra
jamais dangereux. Or quelqu'un de nous peut-il affirmer que tel
persécuté restera toujours calme ? Conclusion : un persécuté ne
devrait jamais quitter l'Asile. Sinon, dans le cas où il commettrait
un crime, le médecin pourra être rendu pécuniairement respon-
sable de la mise en liberté.
. M. GARNIER distingue le danger immédiat du danger futur. La
loi de 1838 est ainsi faite que tout malade guéri doit être rendu à
la liberté sans que le médecin ait à se préoccuper de l'avenir.
M. JOFFROY. Combien avez-vous vu guérir de persécutés ?
M. GARNIER. Cette question ramène à la discussion des guérisons
et des rémissions. Si la rémission dure dix ans, on dit : c'était une
guérison. Ce qu'il y aurait à faire, ce serait d'insérer dans la nou-
velle loi qu'aucun aliéné criminel ne pourrait sortir sans l'avis, non
plus d'un seul médecin, mais d'une commission médicale parta-
geant la responsabilité.
M. CHRISTIAP1. Cette innovation ne résoudrait pas la question. Que
la mise en liberté soit sollicitée par un ou plusieurs médecins cela
revient au même !
. Plusieurs MEMBRES. La loi devrait dire simplement : Tout indi-
vidu ayant commis un crime pour lequel il aura été reconnu irres-
ponsable, sera maintenu dans un asile d'aliénés.
M. Voisin cite des cas de guérison survenue chez des aliénés per-
sécutés très dangereux.
M.' JOFFROY. Si la place d'un persécuté guéri ou paraissant tel
n'est plus à l'Asile, il faut reconnaître qu'elle ne l'est pas davan-
tage au milieu de la société, à cause de la possibilité de rechutes.
SOCIÉTÉS savantes. 421
On devrait enfermer ces sortes d'individus dans des colonies où tout
en étant surveillés, ils jouiront d'une liberté relative.
M. TH. RoussEL. La conclusion qui découle naturellement de cette
discussion est que la législation actuelle est insuffisante à protéger
la société contre les aliénés. Dans le projet voté par le Sénat, nous
nous étions inspirés de la loi anglaise en ce qui concerne les alié-
nés criminels qui sont à la disposition du bon plaisir de la Reine.
Cette formule veut dire qu'ils restent enfermés jusqu'à ce que le
lord chancelier en décide autrement; comme la décision n'est
prise qu'à bon escient, les intérêts de la société sont sauvegardés.
MARTEL BRIAND.
SOCIÉTÉ PSYCHIATRIQUE DE LA PROVINCE DU RHIN
XLVIle session A BONN.
Séance du 13 juin 1891 1. -PRÉSIDENCE DE M. Pelman.
M. JoLLx remercie par télégramme la Société de l'adresse de féli-
citations qu'elle lui a envoyée à l'occasion de sa nomination comme
professeur à Berlin. 11 l'invite à participer au Congrès des psychiâ-
tres allemands du mois de septembre (session de Weimar).
Sur la proposition de M. Oebeke, la Société décide d'activer la
publication de ses procès-verbaux.
M. SCHMIrz. Contribution à la législation anglaise sur les aliénés.
Il s'agit de l'ancienne loi entrée en vigueur à partir du
1er mai 1890, sous le titre de An actto consolidate certain of the Enact-
ments 1'especting Lunatics. L'orateur montre pièces en main que
le but poursuivi est d'empêcher les admissions dans les asiles privés
qui n'ont que deux ou trois pensionnaires. D'après lui, ainsi que
l'a montré la medico-psychological Association dans son mémoire
intitulé : Observations and suggestions on the Lunàcy acts. Amende-
ment Bill, de tels dispositifs sont plus propres à nuire aux aliénés
qu'à leur être utiles.
Discussion : M. PELMAN. En effet, partout actuellement, sous pré-
texte d'empêcher des séquestrations arbitraires, on multiplie les
difficultés dans les admissions. C'est une lutte continuelle entre
jurisconsultes et psychiatres.
M. ERLENMEYER. Sur une affection cérébrale produite par la syphilis
' Voy. Archives de Neurologie, XLVI" session de 1890, t. XXII, p. 416.
422 sociétés savantes.
congénitale. Chez cinq petits malades, trois garçons de douze
quinze et seize ans et deux fillettes de, 'quinze et seize années, l'au-
teur a constitué l'état clinique suivant. Epilepsie Jacksonnienne
unilatérale avec atrophie marquée des extrémités atteintes compa-
rées aux extrémités du côté indemne. Intégrité complète de la
motilité; ni parésie, ni phénomène spasmodique, ni modification
de l'excitabilité électrique ou de la réaction musculaire; on cons-
tate simplement qu'à raison de leur diminution de volume et de
longueur les membres malades sont moins vigoureux. Par contraste
il existe un affaiblissement de la sensibilité, et, en particulier, du
sens musculaire; les malades localisent mal les sensations, appré-
cient moins distinctement la position des extrémités, et jugent
difficilement des poids. Joignons à cet ensemble de l'hémiatrophie
de la langue et des muscles de la face correspondants aux extré-
mités affectées, ainsi que de la blépharoptose homonyme (deux
observations) et nous aurons esquissé le complexus morhide.
L'étude des anamnestiques décèle l'évolution que voici : les petits
sujets auraient été atteints dans la première ou dans les premières
années de la vie d'une maladie fébrile à la suite de laquelle se
seraient installées les attaques épileptoides; le médecin qui les
soignait prononça en un cas le diagnostic d'encéphalite, que semble
établir en effet l'existence à cette époque de grincements de dents,
strabisme, raideur de la nuque et la prescription de vessie de glace
emplâtre crânien à la cantharide.
Il y aurait donc lieu de penser qu'il s'est produit de la méningo-
encéphalite au niveau des centres corticaux, que ceux-ci ont subi
un arrêt de développement et que, par suite, parle mécanisme que
l'on connaît, se sont manifestées, convulsions unilatérales croisées
et localisées et trouble dans le développement des membres du côté
opposé. Seulement, on conçoit difficilement que, le corps du délit
subsistant qui détermine l'épilepsie Jacksonnienne, l'atrophie con-
tinue à évoluer de concert avec les phénomènes d'excitation, car,
atrophie centrale signifie, paralysie périphérique. Et d'autre part,
un syphilome, un tubercule solitaire, une esquille osseuse engendrent
des convulsions sur un membre normalement développé. De là à
penser qu'il s'agissait d'un exsudat méningitique qui, après avoir
atrophié les régions corticales, subsistait et continuait à irriter
ceux des éléments qui avaient échappé à l'atrophie, il n'y avait
qu'un pas. Nous l'avons franchi. Et aussitôt, nous avons conçu l'es-
poir de provoquer la résorption de la plaque exsudative par l'io-
dure de potassium, et les bains de salines. Ce traitement a déjà
réussi. Du reste peut-être se'ra-t-il indiqué d'intervenir chirurgica-
lement.
Quelle était maintenant la nature de l'encéphalite qui nous
occupe ? Dans trois de nos observations, le père avait eu la syphilis
avant son mariage. Deux de nos petits malades étaient des pre-
SOCIÉTÉS SAVANTES. 423
miers nés, mais leur mère, avant cette grossesse normale, avait
fait une fausse couche. Enfin, tous trois avaient, sans aucun doute,
présenté dès la naissance ou dans les premières années de la vie,
des signes certains de syphilis congénitale. Par conséquent, il n'est
pas téméraire de croire, dans l'espèce, à une méningite ou à une
périencéphalite syphilitique.
Cette modalité morbide ressemble évidemment à la paralysie
infantile cérébrale, moins la paralysie et la contracture. Il se
pourrait du resle qu'elle n'en fût qu'une atténuation ; c'est affaire
d'extension des lésions et de localisation des foyers pathologiques.
Pourquoi n'y aurait-il pas une paralysie infantile syphilitique ? Il
ne faut pas oublier qu'une syphilis congénitale peut demeurer
latente et ne se manifester qu'à l'occasion d'une maladie fébrile
telle que scarlatine ou toute autre maladie infectieuse, et que, par
suite, c'est la syphilis, et non la scarlatine, qui devient responsable
de la méningite.
Discussion : M. THOMSEN appelle l'attention sur les lésions du
centre ovale (porencéphalie) dans la paralysie infantile d'origine
cérébrale. En des cas tout à fait semblables à ceux d'Erlenmeyer,
il a observé de la parésie, du moins à la suite des accès d'épilepsie
Jacksonnienne. Chez un de ces malades, les accès convulsifs légers
étaient suivis d'hémiparésie; les accès convulsifs graves, de parésie
bilatérale avec suppression de la connaissance; il n'y avait pas, en
ce cas, de lésions anatomiques.
M. Erlenmeyer. Vous n'avez pas observé non plus à la suite des
accès, des troubles de la motilité dans les extrémités atteintes.
M. OEBEKE se rappelle avoir observé un malade atteint d'épilepsie
Jacksonnienne avec parésie des extrémités du côté droit et aphasie;
intégrité du facial. On fit le diagnostic de syphilis héréditaire par
les indications du père, car il n'y avait aucun élément d'infection,
aucun symptôme de syphilis; en tout cas, l'iodure de potassium
et le mercure n'agirent pas favorablement. Ici aussi, il y avait atro-
phie du côté atteint. A l'autopsie, on trouva les méninges adhérentes
à l'écorce sur une étendue du diamètre d'une pièce de un franc, à
la base de la pariétale ascendante et du lobule pariétal supérieur
du côté gauche; l'écorce était amincie. Au-dessous de cette plaque,
la substance blanche présentait une cavité de la grosseur d'une
prune, communiquant par une ouverture ronde avec la corne
postérieure du ventricule latéral gauche dilaté.
. M. TiGGES. Contribution à la théorie des hallucinations.
1° Hallucinations dans le domaine des sens. Ce qui domine,
dans leur genèse, c'est l'hypérexcitabilité des centres sensoriels.
llfeynert localise ces hallucinations dans les centres sous-corticaux.
Mais Munk, par la physiologie, et les médecins, par la clinique
montrent que, lorsque les centres sous-corticaux sont séparés de
424 SOCIÉTÉS SAVANTES.
l'écorce du cerveau, c'est en vain qu'on sollicite les sens, on n'ob-
tient plus de perception, les mouvements ne sont plus modifiés
par la volonté. Et cependant, il se peut encore produire des hallu-
cinations sensorielles, des illusions conceptuelles (d'origine mné-
monique) ; il faut doncbien localiser les hallucinations dans l'écorce.
Les grosses lésions anatomiques de l'écorce ne favorisent géné-
ralement pas le développement des hallucinations. Elles paraissent
plutôt troubler l'organisme de la perception qu'influencer ces
processus moléculaires auxquels se rattachent les perceptions sen-
sorielles normales et les hallucinations. Toutefois, dans les cas de
foyers corticaux, il existe des hallucinations.
De même que la perception normale, l'hallucination ne peut être
comprise que par ses rapporls avec l'ensemble des phénomènes
de la conscience. D'un côté, nous voyons une excitation locale d'un
centre sensoriel, suivant les dispositions du sujet, produire l'hallu-
cination et provoquer de nombreuses associations d'idées, se fondre
avec tout un monde d'images commémoratives de telle ou telle
espèce de perceptions identiques ou semblables. D'autre part, l'hallu-
cination apparaît comme le résultat de processus cogitatifs inté-
rieurs, qui ne revêtent de couleur sensorielle que par l'hyperexci-
tabilité du centre sensoriel et, par suite, forment un tableau.
Enfin, c'est par l'élément de la conscience morbide et des concep-
tions provocatrices, que l'hallucination est imposée au moi et, par
suite, autonome.
Non seulement, dans l'hallucination, le centre sensoriel est excité,
mais les tractus sensoriels périphériques peuvent également être
sollicités. Ce qui le prouve, ce sont les signes pathologiques de
l'atteinte de l'organe sensoriel correspondant, et cette observation
que l'hallucination est précédée et accompagnée de sensations élé-
mentaires. Ne sait-on pas que l'hallucination peut survenir et
disparaître quand le patient ferme l'oeil, l'oreille, qu'il existe des
hallucinations unilatérales, et que, dans les hallucinations de l'ouïe,
l'oreille correspondante éprouve des sensations présentant tous les
caractères des sensations réelles ; de même il existe des hallucina-
tions centrales, à caractère fixe ou à caractère mobile, comme des
visions immobiles ou se déplaçant avec le champ visuel.
Quelques faits paraissent confirmer l'ébranlement centrifuge
des tractus sensoriels périphériques, y compris l'organe des sens,
au moment où se produit l'hallucination purement centrale.
2° Hallucinations motrices. Tout mouvement est normalement
provoqué par une sensation qui est l'expression d'un besoin, d'un
effort, celui de déterminer un sentiment de plaisir ou d'éloigner
un sentiment de peine. Dès que ce sentiment a atteint une suffi-
sante intensité, les cellules sensitives de l'écorce surmenées, trans-
mettent leur fatigue aux cellules motrices qui engendrent le
mouvement voulu. Cette volition et le mouvement commandé
SOCIÉTÉS SAVANTES. lf2ti 5
sont perçus; c'est là l'innervation motrice, l'impulsion volontaire.
Cette impulsion psychique affecte avec les autres fonctions de
l'appareil d'association, les mêmes rapports que la perception des
nerfs sensibles et sensoriels. Les actes qui procèdent de la coordi-
nation adaptée des innervations, correspondent aux perceptions
sensorielles complètes. De même que la perception sensorielle laisse
après elle des images commémoratives ou conceptions représen-
tatives, de même la perception motrice ou l'acte laisse après lui
la conception motrice ou image commémorative de l'acte; aucune
de ces espèces d'images n'a par elle-même la puissance de provo-
quer un mouvement.
Les sensations kinesthésiques sont la conséquence des mouve-
ments qui renseignent la connaissance sur le résultat de l'inner-
vation, exercent une action régulatrice sur elle et, d'accord avec
elle, organisent un système de sensibilité motrice. Qu'un centre
moteur soit, de par son hyperexcitabilité, sollicité, il s'en suivra,
sa fonction étant l'innervation, une impulsion motrice d'origine
pathologique; celle-ci en entraine d'autres, et provoque la mise en
jeu de conceptions conscientes et inconscientes, de sorte que, paral-
lèlement à son essence même, il s'effectue tout un monde d'asso-
ciations d'idées qui lui donnent sa couleur ou la complètent. Telles
sont les hallucinations des centres psycho-moteurs, dont le méca-
nisme est adoequat à celui des hallucinations sensorielles.
. Des mouvements anormaux peuvent, ainsi qu'on l'observe chez
les mélancoliques, émaner d'une anomalie du facteur sensible, des
conceptions représentatives et des sensations kinesthésiques.
On peut plus ou moins probablement accuser l'excitation anor-
male des centres moteurs, dans la manie, la folie systématique
aiguë, la folie impulsive, l'automatisme épileptique, la logorrhée
irrésistible de la folie systématique chronique, les impulsions, la
catatonie.
Cramer prétend que les voix intérieures, les conceptions irré-
sistibles ou obsessions, la logorrhée impulsive, la résonnance arti-
culée de la pensée, proviennent de modifications pathologiques
dans les tractus centripètes de la sensibilité musculaire de l'appa-
reil d'articulation. Voici ce qu'on pourrait objecter à cette façon
de voir. Les thèmes sur lesquels portent les sens supérieurs provo-
quant des conceptions représentatives qui sont souvent suffisam-
ment claires sans qu'elles se formulent sous forme de parole
intérieure. Dans le cas qui nous occupe des conceptions verbales, il
n'est pas besoin de donner le pas aux excitations pathologiques de
la sensibilité centripète des muscles du langage, sur les halluci-
nations centrifuges du même système; la preuve en est aux voix
intérieures et aux obsessions. Le centre verbal sensoriel a autant
d'importance que le centre verbal moteur, et chez les petits en-
fants, et dans l'aphasie corticale motrice. La perception et l'hallu-
426 SOCIÉTÉS SAVANTES.
cination du mot doit être'considérée comme une fonction auto-
nome du centre acoustique du langage.
Quand l'homme a atteint son parfait développement, c'est l'écorce
du cerveau qui doit être tenue pour le siège des innervations et des
impulsions volontaires.
M. ALZIIEIMER. Sur un cas d'atrophie musculaire spinale progressive
compliqué de lésion des noyaux bulbaires et de l'écorce. 11 s'agit
d'un négociant de trente-trois ans, indemne de tares héréditaires,
atteint de l'affection spinale en question en 1879. En 1881 il prend
un chancre induré. A la fin de l'année 1889, la maladie spinale
progresse très rapidement, en février 1890 le voilà vésanique; un
désordre extrême des idées et des actes se montre, et, huit jours
après le début de cette psychose aiguë, il meurt par épuisement
cérébral. A l'autopsie, on constate : d'abord des altérations médul-
laires, de l'atrophie musculaire progressive, puis une lésion des
noyaux du bulbe, enfin une atrophie étendue des cellules ner-
veuses de l'écorce. Dans le bulbe, les noyaux moteurs sont épar-
gnés ; la destruction porte sur les groupes cellulaires sous-jacents
au plancher du quatrième ventricule, c'est-à-dire sur le noyau
postérieur du pneumogastrique, les noyaux externes, internes et
antérieurs du nerf auditif, les cellules de l'éminence grêle (eminen-
tia teres); en même temps, tout autour, il existe une infitration de
petites cellules et de très graves altérations dans les vaisseaux. Dans
l'écorce, partout, notamment dans les ascendantes et le lobe fron-
tal, de très nombreuses cellules ont dégénéré, principalement au
niveau de la troisième couche; pas de lésions notables sur les
vaisseaux, ni dans la névroglie. Il serait possible que l'on fût en
droit d'incriminer la syphilis dans les altérations du bulbe. Les
altérations corticales se distinguent cliniquement et anatomique
ment de celles de la paralysie générale.
La prochaine séance est fixée au 14 novembre 1891. (Allg.
Zeitsch. sur Psychiat., XLVIII, 4.) P. IiER.1'AL.
XXVO CONGRÈS DES ALIÉNISTES DE LA BASSE SAXE
. ET DE WESTPHALIE.
SESSION DE HANOVRE.
Séance du 1e'' Mai 1891 '. Présidence de M. SNELL
M. WAHRIVDOIIFF. De l'assistance familiale des aliénés 2. Ce
' Voyez Archives de Neurologie, XXIV session (notée par erreur typo-
graphique XXIX'), t. XXI, p. 292.
* Sujet à l'ordre du jour en Europe. Consulter à ce piopos Archives de
SOCIÉTÉS SAVANTES. 427 Î
mémoire est le résultat d'une pratiqué de dix années à l'asile
d'Ilten. Que ce mode d'assistance soit possible dans des proportions
de plus en plus étendues, cela résulte de l'extension qui lui a été
donnée en Belgique et en Ecosse. Mais il est bon de faire remar-
quer qu'entre la colonie de Gheel, que la tradition a développée,
et l'assistance familiale telle que nous la pratiquons aujourd'hui, il
y a une grande différence. La première constitue un modèle gran-
diose dont il faut savoir se servir afin de n'en point imiter les fai-
blesses et les fautes; il faut en séparer ce qu'il y a de bien et d'inu-
tilisable pour en faire un système pratique, D'ailleurs, la Belgique
ne s'en est pas tenue à Gheel, elle a installé de toutes pièces une
seconde colonie d'aliénés plus étendue, à Lierneux.
L'assistance familiale des aliénés constitue, sous certains rap-
ports, une question sociale, car elle se propose, ou si vous aimez
mieux, nous nous proposons d'assister et d'hospitaliser, à l'aide
des ressources et de l'administration de l'Etat ou des départements,
une partie des malades affectés de psychopathies chroniques,
quel qu'en soit le nombre, qui, dépourvus de moyens, ont tout à
gagner de la systématisation de la bienfaisance, et qui, devenus
calmes ou étant améliorés, ne peuvent trouver, en dehors des asiles,
l'aide dont leur seraient redevables les communes ou leurs propres
familles. Voici un malade dont les facultés ont baissé, qui a subi
des hauts et des bas dans les symptômes morbides que décelait sa
vésanie, qui, après avoir été agité, halluciné, délirant, impulsif,
émotif, plus ou moins, peut jouir d'une existence relativement
libre, mais, pour qu'il échappe à la protection et à la surveillance
d'un asile fermé, il lui faut des conditions d'existence favorables,
jusqu'à ce qu'il soit en état de gagner sa vie, jusqu'à ce que ses
forces mentales, sa vitalité intellectuelle, sans doute rétablis, sor-
tent d'une léthargie à laquelle les condamne pour plusieurs années
l'assaut qu'elles ont subi, en attendant qu'elles récupèrent pleine-
ment leur vigueur définitive. Est-ce dans sa propre famille ou dans
un hospice ordinaire qu'il trouvera le confort moral qui lui est indis-
pensable ? recueilli par des gens incompétents, il sera le plus sou-
vent considéré comme une charge ou comme un ennemi. C'est ce
que démontre une expérience indéniable; c'est pourquoi il s'est
fondé en plusieurs endroits des Sociétés de patronage qui se propo-
sent d'assister les aliénés sortants. Eh bien, l'assistance familiale
des aliénés remplit une partie du but.
La question envisagée au regard des finances départementales, pro-
vinciales ou gouvernementales, mérite également qu'on s'y arrête,
Neurologie, t. IX, p. 414, t. V, p. 125 et 266, t. XIX, p. 411. Congtes
international d'assistance publique. Paris, 1889, t. II, p, 305 et procès-
verbaux, p. 61. - Année médicale de Bourneville, 1889-1890-1891. -
Conseil général de la Seine, 1891.
428 SOCIÉTÉS SAVANTES.
surtout, si comme à llten, l'assistance familiale se complète d'une
colonie d'aliénés capable d'être agrandie. Voici du reste ce que
disent les chiffres. -
- J'ai jusqu'à ce jour, avec l'assentiment des autorités provinciales
et régionales, assisté par l'existence libre, 536 aliénés, surtout des
hommes atteints de vésanies chroniques. Nos malades comprennent
aujourd'hui 326 hommes et 20 femmes.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 429
vation convenable, nous envoyons à la colonie d'Ilten ou à Koethen-
wald, les malades auxquels il est indiqué d'accorder une liberté et
une indépendance plus ou moins grandes. La troisième catégorie
d'aliénés, (et nos chiffres montrent que la proportion en est notable)
est dévolue à l'assistance familiale; nous leur assurons une exis-
tence qui se rapproche tout à fait de celle qu'ils menaient quand
ils n'étaient point malades 1.
Puisse-t-on ne pas m'accuser d'optimisme et, encore moins, d'é-
goïsme, si je me permets de qualifier notre procédé de parfait, c'est
certainement traitement le plus idéal. Sans doute, il comporte des
faiblesses, des erreurs, des tâtonnements, des fautes, mais les résul-
tats en sont encourageants, car, en dépit des imperfections inhé-
rentes à nos expériences premières, nous n'avons eu d'autres mal-
heurs à déplorer qu'un suicide. Aussi chacun s'y intéresse. Médecins
et fonctionnaires visitent à tout instant notre oeuvre, ou nous
demandent des renseignements. L'impression qu'en remportent les
visiteurs est toujours excellente. Les projets qu'ils forment relati-
vement à l'installation d'une assistance familiale dans leur pays,
m'ont amené à fixer mes idées sur les conditions générales à rem-
plir àcet effet en tels ou tels endroits. Nous les résumerons ici.
Une tentative de ce genre ne peut être faite que dans une région
habitée par une population aisée et sensée. De prime abord, on
écartera un pays pauvre; en effet nos malades sont habitués dans
nos établissements à un bien-être dont on ne saurait les priver.
Il ne faut pas que la population soit disséminée en des bourgs écar-
tés l'un de l'autre et de peu d'importance, sinon la surveillance
médicale et le contrôle des nourriciers sont impossibles ou inef-
ficaces. Il ne faut pas non plus choisir de gros districts ; on leur
confiera 150 ou 200 malades au plus. La Campine est une déplorable
localité pour cette raison, de plus, les colonies d'aliénés de Gheel
assistent toute espèce de formes vésaniques, même à leurs périodes
primitives : c'est un asile, ou pour être plus exact, vu son étendue,
une collection d'asiles agglomérés dans la Campine.
On préférera des territoires agricoles à une ville ou à une petite
ville. Il faudra qu'au centre du district, et pas trop loin de cha-
cune des localités (condition sine qua non) existe un asile plus
ou moins important dans lequel habite le directeur-médecin^ qui
doit en même temps être le directeur de l'assistance familiale. Il
vaut mieux que ce soit un asile de l'Etat parce qu'il est plus facile d'y
choisir les aliénés à confier aux nourriciers, et qu'entre cet asile et
les établissements provinciaux les rapports facilitent et activent
l'assistance familiale. S'il n'en est pas ainsi, on installera dans
l'endroit qui constituera le centre cherché une sorte de wurkhouse ;
1 C'est le plan que nous avons tracé nous-même dans notre mémoire au
Congrès d'assistance publique de Paris en 1889. Voir ces documents. P. K.
430 SOCIÉTÉS SAVANTES.
ou l'on utilisera dans ce but des constructions déjà existantes. A
Ilten nous n'avons eu qu'à nous louer de l'affectation de construc-
tions anciennes. Il est toujours aisé, selon les besoins, de les agrandir
ou de les transformer.
Naturellement, la direction de l'asile central et de l'assistance
familiale annexe incombe à un psychiatre expérimenté. Rien n'em-
pêche, quand les circonstances s'y prêtent, d'utiliser la bonne
volonté d'un médecin établi dans la région qui s'intéresse à cette
assistance, par exemple du Ki-eisphysikus. La collaboration d'un
praticien qui connaît dès longtemps le pays est souvent précieuse,
en ce qu'il possède à fond la population et les familles propres à
faire des nourriciers. La même réflexion s'applique au pasteur de
l'endroit, à la condition qu'il soit intelligent, dévoué à l'humanité
et à la cause des aliénés et compétent en ces matières; il exercera
une surveillance précieuse et exercera sur le mode d'assistance une
influence favorable.
Nous n'avons rien eu à modifier dans les conditions d'agence-
ment de l'assistance familiale, non plus qu'à l'instruction donnée
aux nourriciers. La réglementation est demeurée ce qu'elle était
jusqu'ici.
Les malades ont de plus en plus gagné à ce mode de traitement.
Ils en apprécient le bien-être peu de temps après leur entrée dans
les familles et se défendent toujours de retourner à l'asile. Appré-
ciés bien vite du nourricier, ils se réjouissent de leurs nouvelles
conditions, se mettent aux soins du ménage de même qu'aux tra-
vaux agricoles, s'attachent aux enfants qu'ils gardent, et souvent,
plus tôt qu'on ne s'y serait attendu, acquièrent une habileté remar-
quable à la culture. Sous l'action de la vie de famille, leur aspect
extérieur se modifie; ils se refondent pour ainsi dire, reprennent de
la spontanéité et de l'énergie : leur attention s'éveille à la vie et ils
s'intéressent aux choses qui les entourent. 11 va de soi que cette
amélioration dépend de la forme, du degré, de la période de leur
perturbation mentale. La plupart d'entre eux augmentent de poids.
Cela ne veut pas dire que nous enregistrions beaucoup de guérisons
parmi les aliénés qu'on nous envoie et qui sont presque sans excep-
tion des incurables. Nous n'avons pas la prétention de guérir des
lésions cérébrales organiques dont l'évolution est irrévocablement
terminée. Mais il est certain que nous avons enregistré quelques
guérisons et des améliorations inattendues.
Quoi qu'il en soit, l'assistance familiale des aliénés consiste, tout
bien pesé, à débarrasser nos malades de l'existence monotone et
lugubre des asiles fermés et à leur créer une vie plus riante, se
rapprochant de celle qu'ils menaient quand ils étaient bien por-
tants. En cela nous avons pleinement réussi.
Nous compléterons cet exposé par quelques détails intimes.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 431
Quelles sont les professions de nos nourriciers ?
432 SOCIÉTÉS SAVANTES.
Etude des formes morbides. Les aliénés actuellement en trai-
tement dans les familles sont atteints ou ont été affectés de :
SOCIÉTÉS SAVANTES. 433
type très net du symptôme de de Groefe; quand le malade regarde
tout à fait en bas, la paupière supérieure reste encore bien au-
dessus du bord de la cornée.
Enfin, M. Bruns rapporte deux cas d'obsession par des mots,
notamment par des mots obscènes et par des blasphèmes, liée, dans
ces deux exemples, à des impulsions.
M. ROLLER. (Communications casuistiques). Ce sont : i°Un cas
de mérycisme; 2° Deux observations d'inversion des idées sexuelles
qu'il ne faut pas confondre avec l'inversion du sens génital ou des
sensations génitales. Il s'agit ici de délire, de conceptions déli-
rantes dans la folie systématique ou le désordre dans les idées
hallucinatoire et la démence. Dans l'espèce, il n'y a point de
recherche, de satisfaction génitale d'individus de même sexe
l'un pour l'autre. Sans doute, dans sa psychopathie sexuelle, de
Krafft-Ebing dit que, même dans l'inversion congénitale du sens
génital, l'anomalie se borne pendant longtemps à la simple per-
version de la sensation sexuelle et que l'occasion seule provoque
l'impulsion à la satisfaction immorale d'appétits jusque là pure-
ment psychiques, ou que celle-ci ne se montre qu'à la suite d'une
névrose complicatrice. Le professeur mentionne aussi des épisodes
caractérisés par la disparition de l'inversion des appétits sexuels
et le retour de la vie sexuelle normale.
Les présentes observations n'ont rien à voir avec l'inversion du
sens génital. Dans l'espèce, il s'agit de débiles, d'héréditaires dégé-
nérés à facultés affaiblies qui délirent. Ils croient appartenir à un
autre sexe que le leur; c'est plutôt une erreur de la sensibilité
physiologique malade que de la sensibilité psychologique. Ou bien
c'est un jeune homme qui se croit en état de grossesse, qui dit avoir
ses règles et autres allégations rappelant les délires viscéraux.
3° Hystérie chez un enfant. La névrose s'est développée isolément
che un petit garçon de dix- ans, dans un milieu très simple, à la
campagne, à la suite d'une affection fébrile. Les symptômes furent :
l'aphonie, des accès convulsifs, relativement longs, représentés
par des cris spasmodiques, avec troubles de la connaissance, tym-
panite, paralysie des jambes. En dehors des crises, intégrité de l'état
mental, l'enfant est rangé, affectueux, modeste. La guérison s'effec-
tue, mais cela ne préjuge aucunement de l'avenir chez un sujet
qui, à un âge si tendre, est affecté d'une si grave névrose, et encore
moins de sa postérité.
Allg. Zeitsch. f. Psychiat., XLVIII, 4. P. Keraval.
Archives, t. XXIII. 28
434 SOCIÉTÉS SAVANTES.
CONGRÈS DES ALIÉNISTES DE LEST
DE L'ALLEMAGNE.
LIVE SESSION A BRESLAU. -
Séance du 2 décembre 1890 '.
M. KAHLBAUM. Ce qu'on appelle la paranoïa. Ce mémoire qui
comporte encore des développements sera publié in extenso.
M. KIEFER communique une observation d'hébéphrénie (type Kahl-
baum-Hecker). Jeune homme jusque làbien portant, ne présentant
que de très faibles éléments d'hérédité, est, à l'âge de dix-huit ans,
atteint d'une affection mentale caractérisée par : débilité mentale
avec puérilité originale dans ses façons de parler et d'écrire, allures
extérieures et attitude bizarres et conceptions délirantes rappelant
le délit des persécutions et la mégalomanie. Mais il ne s'agit
point d'un système organisé ; il accuse son professeur , le-
médecin de la pension, l'inspecteur des études, de lui en vouloir,
ment à plaisir, et monte ses camarades contre le personnel ensei-
gnant, il essaie d'obtenir l'appui de ses parents et menace de l'in-
fluence puissante des siens, de sa force, de ses talents spéciaux (il
parle, dit-il, sept langues, a des connaissances philosophiques et
psychiatriques étendues). C'est, en somme, la caricature d'un délire
chronique systématique.
M. FIIEUND. Présentation de quelques malades atteints de névrose
traumatique. De cette étude clinique, M. Freund tire que, de
même que Charcot, il ne voit pas que la névrose traumatique soit
une entité morbide sui generis. Dans la majorité des cas, c'est une
hystérie traumatique qu'il convient de ranger dans le cadre de
l'hystérie mâle. Il propose d'en distinguer trois catégories princi-
pales.
1° Les faits dans lesquels il n'existe que des anomalies sensitives
ou sensorielles;
2° Ceux dans lesquels les anomalies sensitives et sensorielles
sont combinées à des troubles de la motilité;
3° Ceux où il n'y a que des troubles fonctionnels de la motilité.
(Irritabilité considérable du coeur et de l'appareil respiratoire,
1 Voy..4rchives de Neurologie, session de Leubus, juin 1890, t. XXII,
p. 277.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 435
diminution de la force motrice ou tremblements dans les extré-
mités qui, souvent, ne sont accusés que d'un côté.)
Cette troisième catégorie confine à la neurasthénie simple qui,
contrairement à l'hystérie mâle, a pour caractéristique l'absence
de tous symptômes objectifs. '
La majorité des cas relève de la seconde catégorie, toutefois,
sur 18 cas d'hystérie mâle qu'a personnellement observés M. Freund,
il en trouve deux de la première catégorie, et deux de la seconde.
Dans la monographie d'Oppenheim existent des exemples typiques
pour chacun des trois groupes.
M. Freund présente sept observations d'hystérie mâle,'se décom-
posant en deux de la première catégorie, une de la troisième,
quatre de la seconde. Il insiste sur la multiplicité des examens de
la sensibilité, à l'aide d'appareils précis inconnus du malade, et la
nécessité, par la répétition des recherches précises, de dresser la
géographie de la sensibilité du patient. Le rétrécissement concen-
trique du champ visuel exige pour qu'on puisse en affirmer l'exis-
tence, l'emploi du périmètre et l'épreuve de plusieurs séances.
Chose particulière, quelque réduit que soit le champ visuel de la
périphérie au centre, jamais les malades ne perdent la vision péri-
phérique au point de ne pouvoir s'orienter et se mouvoir. L'orateur
a également observé le type du déplacement du rétrécissement du
champ visuel signalé par Foerster. Enfin, il signale que l'hémia-
nosmie et l'hémiageusie locales s'accompagnent de l'impossibi-
lité totale de distinguer sur la langue et sous le nez, quelque soit
le côté exploré, les mets et les odeurs alimentaires.
La thérapeutique doit être basée sur l'électrisation au pinceau,
en employant de forts courants d'induction; mais il faut faire des
séances fréquentes et prolongées. Peu à peu, on arrive à rappeler
l'intégrité de la sensibilité, à faire disparaître presque toute la
parésie, à restituer de l'ampleur au champ visuel.
M. HAHN présente un malade atteint de folie chronique consécu-
tive à des excès prolongés d'alcool. Il s'agit d'une femme de trente-
six ans, adonnée continuellement à la boisson depuis sept années,
qui présenta successivement les phénomènes suivants :
4° Démence, impotence fonctionnelle, tremblements ataxiques,
anarthrie, troubles de la déglutition, sans accidents hémilatéraux.
2° Amélioration faisant espérer la guérison. 3° Irritabilité, mélan-
colie avec idées de persécution provoqués par des hallucinations de
l'ouie; tendances aggressives; mégalomanie fabuleuse.
M. FREUND montre un certain nombre de préparations obtenues
par la méthode de Golgi et de Ramon y Cajal, sur l'écorce du
cerveau et du cervelet, ainsi que la moelle d'embryons.
MM. Saclls et Lissauer projettent des coupes d'encéphale.
436 SOCIÉTÉS SAVANTES.
1.V° SESSION A BRESLAU.
Séance du 2 mars 1881.
M. Lissauer. Elude clinique et anatomique des symptômes de lésions
en foyer dans la paralysie générale. Comme il est rare que les
lésions en foyer du cerveau revêtent une allure aiguë et soient en
rapport avec les attaques congestives apoplectiformes ou épilepti-
formes, il est évident qu'en en étudiant les symptômes, on peut
éclairer la' pathogénie de l'ictus. Sous le nom de symptômes de
lésions en foyer, nous désignerons : l'hémiopie, qui se montre si
fréquente à la suite des attaques; la monoplégie brachiale, caracté-
risée non par une paralysie des mouvements en masse, mais par
la perte de la finesse dans l'exécution des mouvements, et l'oblité-
ration du toucher, est probablement due à un trouble du sens
musculaire. L'hémiopie accompagne souvent la monoplégie en
question, et l'on observe parfois pendant des mois ces deux symp-
tômes d'une façon continue, ce qui permet de les localiser.
. Les adhérences de la pie-mère à l'écorce n'en sont pas l'origine.
Ce sont des phénomènes auatomu-palhologiques infidèles, qui du
reste, peuvent être des produits artificiels. C'est au microscope qu'il
convient de s'adresser. Sur des coupes épaisses de préparations à
l'acide chromique, on rencontre des couches d'une transparence
insolite; cette transparence provient, comme le montrent des pré-
parations à l'alcool, d'une atrophie plus prononcée des cellules
nerveuses en des couches déterminées, notamment dans les seconde
et troisième couches de Meynert. Celles-ci peuvent même presque
totalement disparaître. L'altération atteint aussi les autres éléments
cellulaires, à l'exception de la couche granuleuse (externe) très
résistante, par places tout à fait indemne.
Cette dégénérescence par couches occupe le coin, le lobe occi-
pital et le lobe pariétal, jusqu'au voisinage de la pariétale ascen-
dante. Elle explique, d'une part, l'hémiopie observée pendant la
vie, d'autre part, la maladresse de la main qui, probablement,
doit.êlre rapportée au lobe pariétal. Elle se manifeste par plaques
irrégulièrement disséminées et irrégulières. C'est l'exagération du
processus de dégénérescence systématique propre à la paralysie
générale qui frappe, non pas seulement les fibres, mais aussi
(méthode de Nissl) les cellules de l'écorce. Qu'il sévisse avec une
intensité spéciale sur telle province d'ordinaire moins frappée,
comme le coin, et voici venir les symptômes de lésions en foyer du
cerveau dans le cours de la paralysie générale. Tantôt la poussée
dégénérative de certains territoires corticaux est brusque et violente.
Tantôt elle marche lentement; c'est ce qui arrive dans les endroits
qu'elle affectionne, comme le lobe frontal, la circonvolution du
SOCIÉTÉS SAVANTES 437
corps calleux, l'insula : dans ce dernier cas, nous avons affaire aux
symptômes classiques de la paralysie générale, sans symptômes de
lésions en foyer proprement dits. -
La même dégénérescence corticale engendre la dégénérescence
en plaques et en cordons de la couche blanche des hémisphères,
décrite par Friedmann, et les altérations de la couche optique
consécutives aux attaques congestives (Lissauer).
Enfin, il peut arriver que l'on observe des paralysies générales à
complexus ordinaire peu accusé, tandis que l'aspect clinique sera
celui de l'épilepsie Jacksonnienne, de l'aphasie sensorielle. Dans ce
cas, il y a prééminence de foyers d'altérations, comme celles que
nous venons de passer en revue, dans un lobe, par exemple le lobe
temporal, tandis que les lésions du lobe frontal sont très minimes.
On pourrait les appeler paralysies générales à localisation anor-
male.
M. HAHN présente un cas de folie aiguë chez un enfant. Il s'agit
d'un garçon de dix ans qui, à la suite d'un coup de canne sur la
tête (région temporo-pariétale gauche) est pris de violentes douleurs
(il lui semble qu'en cet endroit les os sont mous et qu'il lui roule une
balle dans le crâne), puis de mélancolie anxieuse avec quelques
convulsions cloniques dans les extrémités, hallucinations de l'ouie
et de la vue, délire anxieux. Alternatives d'agitation gaie ou triste
et d'angoisse extrême. Désordre dans les idées. Ces accidents
durent huit jours, puis graduellement, ils disparaissent. La maladie
ne dépasse pas deux mois.
M. HAHN présente aussi un cas de désordre aigu dans les idées,
qui est en somme un délire général avec agitation, désordre des
actes. L'orateur nie qu'on puisse affirmer l'existence d'hallucina-
tions ou de sensations physiques anormales, mais il reconnaît les
illusions. Il insiste sur l'élément, primordial d'après lui, caractérisé
par désordre et incohérence dans les idées et les actes et qui se
différencierait nettement du désordre maniaque et de l'hyperidéa-
tion manigène, en ce qu'il persiste sans interruption, sans rémis-
sion aucune, le malade englobant dans son délire les personnes,
les objets et les événements qui parviennent encore à sa connais-
sance (hypermétamorphose), De sorte que les impressions.senso-
rielles normales encore accessibles au moi, dérivent de l'idéation
dans un sens ou dans l'autre; ce mécanisme serait spécial.
LVI° SESSION A L'ASILE DE RYBNIK.
Séance du 21 juin 1891. -
M. Zander présente un cas d'anomalie crânienne consécutive à un
ostéome. 11 s'agit d'un homme de vingt-sept ans. La tumeur occupe
assez exactement le frontal droit. Elle s'étend surtout en haut et
438 SOCIÉTÉS SAVANTES.
latéralement. Dure et parsemée de sillons, elle n'est point sensible
à la pression. Elle repousse la voûte de l'orbite droite en bas; l'oeil
de ce côté parait plus enfoncé d'un centimètre que le gauche. Peut-
être cette tumeur remonte=t-elle à la naissance; en tout cas elle se
borne au frontal el proémine principalement en haut. Depuis que
le malade est à l'établissement, la circonférence horizontale du
crâne s'est accrue de deux centimètres.
L'état mental se résume ainsi : depuis l'âge de dix-huit ans seule-
ment, dégénérescence intellectuelle et morale, paresse, excès d'al-
cool, il est devenu incendiaire, voleur, violent et meurtrier. Actuel-
lement, grande excitabilité ; d'un abord difficile, il est maussade,
souvent violent et aime à détruire.
M. BUTTEèIBEIiG montre un corps étranger de l'oesophage trouvé à
l'autopsie. C'était un malade atteint de grande chorée et de
démence à allures étranges et désordonnées, qui avait coutume de
mettre danssa bouche et d'y conservertoute espèce de choses, voire
des grenouilles vivantes. Son appétit était demeuré excellent quand,
un beau soir, il refusa de manger. En l'examinant, on trouva une
élévation de température, avec tuméfaction et légère sensibilité de
la gorge. La tuméfaction progressa, la fièvre monta à 39, la bouche
ne peut plus s'ouvrir, on crut à un phlegmon du cou. Afin de pro-
céder à un examen plus complet, on résolut de lui donner le chlo-
roforme. Mais il mourut subitement le lendemain. Voici ce que
révéla l'autopsie.
Le péricarde, normal, contenait une quantité considérable d'un
]iquidejaunâLre paraissant être du pus. Coeur normal. Le médiastin
antérieur était en complète suppuration. Suppuration verdâtre,
sanieuse, de forte odeur dans la plèvre droite. Tuméfaction pro-
noncée des ganglions du cou, du reste non suppurés. Pas de suppu-
ration non plus dans le larynx ni dans le pharynx. L'oesophage
retient, au niveau du cartilage cricolde, un morceau de porcelaine
quadrangulaire, provenant d'une tasse qui mesure centimètres de
longueur, 2 centimètres et demi de large, 2 millimètres et demi
d'épaisseur; un des angles, fiché dans la paroi oesophagienne, y a
déterminé une perforation. Une seconde perforation, provoquée
par un autre angle, siège en arrière et en haut. Il existe encore
une troisième déchirure à 2 centimètres au-dessous du cartilage
cricoide, un peu à droite de la ligne médiane ; elle est déterminée
par un crochet du morceau en question qui n'est autre chose que
l'anse brisée de la tasse Tout autour de cette triple perforation, des
Ilots de pus odorants coulent jusque dans le médiastin postérieur
qu'ils remplissent; l'abcès par congestion inonde l'espace pleural
droit et le médiastin antérieur.
M. DICTER. Des troubles intellectuels d'origine épileptique. Dan
la Silésie supérieure; les psychoses évoluent autrement qu'en d'air
1 SOCIÉTÉS SAVANTES. 439
tres régions. L'orateur a examiné à ce point de vue la folie épilep-
tique, d'autant qu'à l'asile de Rybnik, il y a un grand nombre d'épi-
leptiques.
Il a trouvé que la folie transitoire des épileptiques ne présente,
quant à la marche, à Rybnik, aucune différence de la même moda-
lité morbide observée ailleurs. Il n'en est pas de même en ce qui
concerne la folie épileptique chronique. Par exemple, les épilepti-
ques travailleurs. Dans les autres régions, ils témoignent d'une
fougue, d'une résistance au labeur, remarquable. A Rybnik, dès
que vous constatez cette activité, vous pouvez dire qu'il ne s'agit pas
d'un malade de la Silésie supérieure : c'est un épileptique de
Breslau. La raison, c'est que les individus de la Silésie supérieure
sont dès l'enfance lents et nonchalants.
M. Kurella. Un cas de psychopathie relevant de la maladie de
Basedow. C'est un fait de médecine légale qui n'est pas commun.
Il s'agit d'un magistrat de trente-un ans arrêté au mois de sep-
tembre pour soustractions et falsifications des plus raffinées dans sa
caisse ; au mois de décembre il était pris d'une attaque d'épilepsie
et présentait, consécutivement, des troubles intellectuels. Le mé-
decin de la prison le tenait pour un simulateur ; mais quelques
semaines après, transféré dans une autre prison, il était, par un
autre médecin, déclaré épileptique, et atteint de débilité mentale
compliquée de dégénérescence morale. Une se produisit plus d'ac-
cidents psychiques aigus jusqu'à son transfert définitif, à la fin du
même mois, à l'asile de Kreuzbourg. C'est là que se manifesta
le complexus symptornatique du goitre exophthalmique; tachy-
cardie ; goitre; exophthalmie. On constata successivement : une
myopie rapidement progressive une diminution concentrique
du champ visuel un affaiblissement des muscles et des globes
oculaires (rigidité, fixité du regard) une parésie manifeste des
deux droits externes (divergence des axes oculaires) une béance
accusée des deux fentes palpébrales, une rétrartion des deux pau-
pières supérieures et inférieures- la disparition du clignottement
normal (épiphora, symptôme de de Groefe). Du côté de la motilité,
tremblement à ondes rapides, un accès d'épilepsie très court. De
temps à autre, tendance à la sudation, taches cérébrales, urti-
caire factice. En outre, violentes céphalalgies, insomnie, maintien
embarrassé et [dépourvu de souplesse. Pendant six semaines.
retour à l'état normal ; le malade a conscience de sa siluation, bien
plus, il expose des idées philosophiques d'un fatalisme des plus
cyniques et prétend avoir commis ses délits de propos délibéré et
en parfaite connaissance. Mais en même temps, on peut établir
qu'on a sous les yeux un individu irritable, un jouisseur qui, par
ses dissipations a été entraîné aux malversations dont il est coupable,
malversations commises en l'espace de cinq mois et habilement
dissimulées. Pendant cette période délictueuse, on ne trouve pas
440 SOCIÉTÉS SAVANTES.
trace de facteur pathologique. C'est pendant la détention cellulaire
de la période d'instruction que, sous l'influence d'hallucinations de
la vue et de l'ouïe survenues la nuit, se montrèrent les troubles intel-
lectuels ; ils disparurent après la suppression de la séquestration
cellulaire. Les attaques convulsives, précédemment notées, ne
paraissent pas tenir à l'épilepsie proprement dite ; il n'en a eu que
deux légères pendant la période, si défavorable pour lui, qui s'é-
tend de son arrestation à la fin de son observation à l'asile : en
tout huit mois; pendant tout le cours de son existence antécédente,
elles auraient été si rares que ses chefs et ses collègues les ignorent.
Il convient de mentionner que le père de l'accusé était un misan-
thrope original, que son enfance s'est écoulée monotone, sans plai-
sirs, sans amitiés, que sa soeur semble également être affectée de
maladie de Basedow.
En conséquence, M. Kurella conclut à la responsabilité. Les con-
vulsions, de même que la psychose due à la détention, doivent être
considérées comme des épisodes d'une névrose sympathique, d'une
dégénérescence héréditaire ; mais, ni à l'époque de l'acte incriminé,
ni pendant la période d'observation à laquelle il a été soumis, on
ne peut le tenir pour un aliéné ou pour un épileptique. Il s'agit
médicalement parlant, plutôt d'une névrose générale sous la dépen-
dance du goitre exophthalmique que d'une polio-encéphalite supé-
rieure. (Allg. Zeilsch. f. Pschiat., XLVIII, 4.) P. ICEa waL.
SOCIÉTÉ DES MÉDECINS NEUROLOGISTES ET AL1ÉNISTES
. DE MOSCOU.
Séance du 17 mai 1891.
M. le D' E. KAGAN. Contributions à l'élude de la pathologie des
nerfs du larynx. Le rapporteur présente un malade qui souffre
depuis deux ans d'une dyspnée inspiratoire et des accès de laryn-
gisme, tandis que la fonction phonétique des cordes vocales est
intacte. Les accès du laryngisme commencent par la toux et
sont accompagnés par des mouvements de déglutition et
renvois. Ils surviennent pour la plupart pendant la nuit, tantôt
spontanément, tantôt provoqués par des irritations minimes de la
muqueuse du larynx. Le rapporteur indique la possibilité de l'ori-
gine du laryngisme pareil à la suite d'une paralysie des muscles
postérieurs; il explique pourtant les phénomènes cliniques qui
BIBLIOGRAPHIE. 441
viennent d'être mentionnés plutôt par un spasme réflexe de tous
les muscles du larynx, spasme, qui pourrait être occasionné par
l'irritation des fibres sensitives du nerf vagus par deux tumeurs
symétriques, qu'on peut sentir dans les deux fosses rétromaxil-
laires du malade. Au cours de la discussion M. le professeur Kojew-
niltoff et les Drs Korniloff et Netschaeff ont pris la parole. Le pre-
mier suppose, que dans le cas en question, il ne s'agissait vrai- .
semblablement pas du spasme, mais plutôt d'une paralysie des
muscles postérieurs.
l1L- le Dr DAIICHENITCH. Sur les affections articulaires et muscu-
laires chez les hémiplégiques. Le rapporteur constate d'abord la
présence dans ces conditions des arthropathies et des amyotrophies.
L'affection articulaire aux extrémités supérieures dépend le plus
souvent directement de la lésion cérébrale. C'est une synovite qui
peut être aiguë ou subaiguë. L'atrophie musculaire précoce qui
apparaît pendant les premières dix à douze semaines, depuis le com-
mencement de la maladie, envahit lous les muscles de l'extrémité
atteinte ; son évolution n'a aucun rapport avec la présence ou l'ab-
sence de l'arthropathie et des troubles de la sensibilité. Il n'y a
qu'une modification quantitative de l'excitabilité électrique. Au
microscope, il y a un simple amincissement des fibres musculaires,
tandis que les nerfs périphériques aussi bien que les cellules
nerveuses de la, moelle sont complètement intactes. L'atrophie
musculaire est causée par la localisation spéciale de la lésion
cérébrale.
BIBLIOGRAPHIE.
VII. Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie, l'hystérie
et l'idiotie ; par Bourneville, avec la collaboration de MM. Cames-
casse, Isch-Wall, Morax, Raoult,Séglas, P. Sollier. Aux bureaux
du Progrès médical, Paris, 1891.
Ce volume est le onzième des comptes rendus des travaux de
M. Bourneville dans son service de Bicêtre. Il marque une étape.
En effet la première partie, sous la rubrique : Histoire du service
pendant l'année 1890, nous monlre l'achèvement de la section mo-
derne des idiots, et les débuts de l'installation de la fondation Val-
lée, affectée aux filles éducables.
Nous avons, entre temps, insisté sur les difficultés de tous ordres
442 BIBLIOGRAPHIE.
contre lesquelles notre maître a eu à lutter pour faire quelque
chose. Grâce à son infatigable persévérance, il a réussi et il a fait
grand au point de vue.technique. Il n'est pas douteux qu'entre ses
mains le nouvel institut médico-pédagogique Vallée ne prospère
comme a prospéré la nouvelle section, et que les idiotes éducables
ne profitent rapidement de ce legs. Nous recommandons la lec-
ture de l'historique de celle fondation, des plus instructives. Qu'on
ne vienne plus nous dire que nos efforts sont vains dans celte voie
thérapeutique.
La seconde partie du mémoire, intitulée : Clinique et anatomic
pathologique, fourmille d'observations complètes, intéressantes au
plus haut point. Telle, en particulier, l'observation IV, Idiotie
symptomatique d'une tumeur cérébrale. On y voit que, sous l'in-
flnence de tumeurs cérébelleuses, le quatrième ventricule s'est
oblitéré ; le troisième ventricule a subi une expansion modérée, et
les ventricules latéraux se sont considérablement dilatés. L'hydro-
céphalie était représentée à l'autopsie, par 600 grammes de liquide
céphalo-rachidien. C'est alors que s'est produit un phénomène qui
renverse complètement l'indication, par trop systématique des par-
tisans de la craniectomie. Alors que les fontanelles et les sutures
semblaient ossifiées, chez cet enfant de douze ans, les sutures fronto-
pariétales et intra-pariétales se sont écartées de 2 millimètres à
25 millimètres. Aussi les phénomènes de compression ont-ils
affecté une grande lenteur, et même des rémissions dans leur
marche. Qui sait si, l'affection n'aurait pas rétrocédé sans une
chute qu'il fit sur la tête et qui le tua en cinq jours. Avant, donc,
d'intervenir chirurgicalement, au hasard, et de risquer de préci-
piter les accidents par des complications expérimentales, il con-
viendrait, au préalable, de se rendre compte du mécanisme exact
des compensations intra-cérébrales. Ces réflexions s'appliquent
aussi à la craniectomie chez les microcéphales. Il ne faut pas croire
que le cerveau cesse invariablement de se développer, parce que la
boîte osseuse l'enclave ; avant de réséquer la calotte crânienne, il
faudrait faire la lumière sur cette question de pathogénie déjà
ancienne, mais encore irrésolue. (Voyez 3" partie, p. 133.)
Les autres observations sont intitulées :
Obs. I. Imbécillité ; syndactilie; hypospadias; tuberculose intesti-
nale. Obs. II. Idiotie et épilepsie symptomatique (atrophie, sclérose).
Obs. III. Idiotie symptomatique de sclérose cérébrale atrophique.
Obs. V. Idiotie symptomatique de méningo-encéphalite. Obs. VI. Idio-
tie complète, épilepsie, mal de Pott vertébral. Obs. VII. Cas d'hys-
térie chez l'homme. '
On voudra bien faire attention àla notation de l'idiotie. Il n'y a
pas qu'une idiotie. De même qu'il y a des paraplégies, il y a des
idioties. L'idiotie est le complexus clinique ultime qui succède à
BIBLIOGRAPHIE. 443
des lésions plus nettement définies que jadis, j'allais dire à des
mutilations de jour en jour mieux localisées. Voyez du reste la
troisième partie qui termine le volume (classification). Des travaux
non moins substantiels y trouvent place sur la microcéphalie, la
parencéphalie, l'idiotie myxoedémateuse, l'idiotie polysarcique.
L'analyse, trop imparfaite de ces travaux inédits jusqu'alors, ne
saurait remplacer la lecture attentive. Nous avons tenté le plus
brièvement possible, d'en exprimer le suc. P. Keraval.
VIII. Séméiologie et diagnostic des maladies nerveuses; par le
D'' Paul BLOCQ et J. ONANOFF,. 1 vol. avec 88 figures. Chez G.
Masson, 1892.
Cet ouvrage comble une lacune que l'extension qu'ont prise les
maladies nerveuses depuis un certain nombre d'années rendait
indispensable de remplir. Malgré la difficulté de ce travail prove-
nant de la complexite des symptômes d'ordres divers que présen-
tent les affections du système nerveux, les auteurs s'en sont tirés
à leur honneur, et leur ouvrage sera certainement accueilli avec
faveur par les nombreux médecins que les nombreuses monogra-
phies ou les traités didactiques spéciaux peuvent effrayer, et qui
seront heureux de trouver là sous une forme concise toutes les
méthodes d'examen et de diagnostic nécessaires.
Se basant exclusivement sur la clinique, MM. Blocq et Onanoff
ont suivi l'ordre dans lequel se présentent tout naturellement les
symptômes à l'examen du médecin. Dans la première partie, ils
étudient les signes présents, et dans la seconde les signes commé-
moratifs. Dans les signes présents, ce qui frappe d'abord, ce sont
les troubles de l'intelligence, puis ceux qu'accuse le malade, c'est-à-
dire les troubles de la sensibilité. Viennent ensuite ceux constatés
par le médecin, ceux de la motilité et des réflexes qui tous consti-
tuent les signes directs. L'étude des signes indirects, troubles tro-
phiques. signes généraux et anttliropologigues vient après. Quant à
la seconde partie, elle comprend l'étude des causes prédisposantes et
des causes déterminantes. Comme on le voit, les auteurs ont pro-
cédé cliniquement et logiquement.
Dans la plupart des chapitres, on trouvera, à côté de considéra-
tions purement cliniques, un examen critique des opinions pro-
fessées par les autres auteurs, qui relève singulièrement l'ouvrage
et d'un simple manuel le place au rang d'une oeuvre originale et
personnelle. Le point de vue psychologique qui prend de plus en
plus de place dans certaines affections nerveuses n'a pas été laissé
de côté par les auteurs et quelles que soient les opinions émises
par eux, quelle que soit la valeur qu'on leur accorde, il n'en reste
pas moins que c'est une excellente chose que d'avoir montré l'im-
portance réelle de ces considérations d'ordre philosophique, que
beaucoup regardent à tort comme inutiles à la clinique.
444 VARIA .
On trouvera tout particulièrement intéressants à cet égard les
chapitres consacrés aux sommeils pathologiques, à l'asymbolie qui
comprend tous les troubles du langage, et où l'aphasie est pré-
sentée sous un jour assez nouveau, srâce au rôle que les auteurs
font jouer au sens musculaire dans sa production. '
Une étude également intéressante est celle du faciès, de l'atti-
tude et de la marche qui est rendue plus vivante par l'adjonction
de nombreuses figures représentant les différents types en vue. Du
reste un grand nombre de figures illustrent cet ouvrage et facili-
tent ainsi la compréhension des procédés employés pour l'examen
des malades, car ces figures qui sont toutes originales ne se bor-
nent pas à représenter certains troubles objectifs ou à certains
schémas, mais encore certains instruments nécessaires pour
l'examen complet et la manière de s'en servir. Par là encore l'ou-
vrage de MM. P. Blocq et Onanoff rendra de véritables services
aux praticiens. P. S.
VARIA.
BANQUET OFFERT A M. LE PROFESSEUR CHARCOT.
Le samedi 5 mars, les élèves de M. le professeur Charcot,
réunis autour du Maître, au restaurant Durand, ont fêté sa
récente promotion au grade de commandeur dans l'ordre de la
Légion d'honneur. Les invitations avaient été strictement
limitées aux anciens internes et chefs de clinique de M. Charcot
et aux chefs de services auxiliaires de la clinique des maladies
nerveuses (électrothérapie, ophtalmologie, otologie, etc.).
Les convives étaient au nombre de 35. En voici la liste d'après
l'ordre chronologique (année d'internat chez M. Charcot) :
V. Cornil (1863); - Bouchard (1864 et 1866); - Bournevillc
(1868); -Joflroy (1869); Gombault (1871); Debove (1871);
Pierret (1874) ; F. Raymond (1875); Pitres (1876) ; -Oul-
mont(1877);-P. Richer (1878); - Brissaud (1870); - Ballet (1880);
Féré (1881) ; Marie (1882); - Gilles de la Tourette (1884) ;
G. Guinon (1885) et l3abinslci, chef de clinique; Berbez (1886);
Blocq (1887); - Huet (1888) - Dutil (1889); - Parmenlier et
Souques (1890); J.-B. Charcot et Hallion (1891); Gasne,
Guyon, Lamy (1892); Londe (1893); Collinet (189jr); --Lan-
VARIA . 441l
dowski (1895) 1. Voici maintenant les noms des chefs des ser-
vices auxiliaires : Vigouroux (électrothérapie); Parinaud (oph-
talmologie) ; - Gellé (otologie); ;- Galippe (odontologie) ; - Londe
(photographie).
A la fin du diner, M. le professeur Cornil, le plus ancien des
internes présents, se lève et adresse ainsi la parole à son
maître :
MON cher Maître ,
Messieurs, -
Je dois au triste privilège de l'âge l'honneur de porter en votre
nom la santé de notre illustre maître, M. Charcot. Le premier in-
terne de M. Charcot, en 1862, était mon camarade et ami M. Soulié,
professeur de thérapeutique à la Faculté de Lyon, retenu par une
affection douloureuse et heureusement peu grave. Je lui succédais
à la Salpétrière en 1863, il y aura bientôt trente ans. Ce fut assuré-
ment, de mes années d'apprentissage de la vie et de la science, la
plus féconde et la plus heureuse. M. Charcot avait ouvert et commen-
çait à exploiter cette mine inépuisable de recherches pathologique',
de la Salpêtrière, où s'entassent en couches pressées les maladies
chroniques incurables, les affections nerveuses et mentales, avant
de révéler leurs secrets. A cette époque, M. Charcot était le pré"
mier arrivé dans le service qui durait tard, qui se prolongeait indé-
finiment par les autopsies. Peu d'élèves suivaient alors ce travail
obstiné, si intéressant, si passionnant pour l'interne qui y était
associé; mais les externes nous abandonnaient et le service se fai-
sait presque toujours avec le chef de service et son interne tête à
tête. Il faut dire que, celte année là, M. Charcot et M. Vulpian
constituaient un répertoire des Archives de la Salpêtrière, en pre-
nant une à une les observations des administrées dans leurs dor-
toirs et que nous y passions des journées entières. On jetait les
larges assises de l'Ecole de la Salpêtrière avec un travail acharné.
On faisait de l'anatomie pathologique, en prenant comme sujet le.;
apoplexies et ramollissements du cerveau, l'ataxie locomotrice, les
myélites, la paralysie infantile; on prenait des observations d'at-
tente en vue de la localisation des fonctions cérébrales. On menait
de front, se completant, s'expliquant l'une par l'autre, la clinique
et l'anatomie pathologique. La pièce qui nous servait de laboratoire,
assainie après l'enlèvement des bocaux de votre prédécesseur,
'Pour compléter la liste des internes de M. Charcot, nous donnons les
noms de ceux qui, empêchés, se sont excusés : Soulier (186 ); Lépine
(1867); Pierret (1874); Oulmont (1877); et enfin la liste de ceut
qui sont décédés : Gotard (1865), Michaud (1870) et Bernard (1883).
4l6 VARIA.
Cazalis, voyait aussi avec étonnement des microscopes, chose rare,
et il en sortait des examens histologiques bien faits, ce qui était
encore plus extraordinaire, car notre outillage en France, notre
organisation scientifique, étaient à peu près nuls.
Permettez-moi de vous le rappeler, mon cher maître, cette année
' de 1863 a dû rester aussi profondément gravée dans votre coeur,
car c'est à cette date que vous avez lié votre destinée à la compagne,
dont l'esprit élevé, l'intelligence ouverte à tout ce qui est beau
dans les sciences et dans les arts, vous a donné le charme et les
joies de l'intérieur et de la famille.
Depuis lors, mon cher maître, votre maison a été le rendez-vous
de vos élèves qui y trouvaient le gracieux accueil et le réconfort
moral, presque une famille. Que nos paroles ailées portent à
Madame Charcot le profond témoignage de notre respect et de
notre gratitude !
Vous avez fondé à la Salpêtrière une école incomparable de cli-
nique des maladies nerveuses, comme il n'en existe nulle part ail-
leurs.
Et ce n'est pas seulement parce que tous les sujets intéressants
de la ville de Paris s'y donnent rendez-vous, non, c'est à vos ad-
mirables qualités propres de clinicien, d'observateur pénétrant,
clairvoyant, à qui rien n'échappe, que ce résultat est dû.
Vous personnifiez parmi nous le clinicien hors pair qui sait voir
et trouver, le successeur direct de nos grands médecins, et dont le
plus éminent est Laënnec.
La clinique pure est aussi, elle, une science, car elle possède ses
méthodes propres. Une méthode d'investigation des malades étant
donnée, une série de maladies nouvelles seront déterminées; mais
là, le plus souvent, nos méthodes cliniques n'ont pas la rigueur
des méthodes employées en géométrie ou en physique. Elles de-
mandent polir être poussées dans la voie du progrès que l'observa-
teur possède une sorte d'intuition, une rare perfection des sens et
du jugement unie à la ténacité qui surmonte tous les obstacles.
Vous avez ces dons mon cher maître, et c'est ce qu'en toute
langue, dans toutes les branches de la pensée humaine, on appelle
le génie, la faculté de trouver les faits cliniques nouveaux, de les
comparer entre eux et avec les lésions, d'en déduire un processus
morbide, de synthétiser et de créer ainsi un type pathologique.
C'est ce que vous avez réussi à faire pour un grand nombre de
maladies du système nerveux inconnues jusqu'a vous ou peu étu-
diées.
Pour celles qui étaient déjà connues, vous en avez si profondé-
ment remanié l'étude qu'on est tenté de croire que vous les avez
décrites le premier.
Aussi l'Ecole de la Salpêtrière, où tant de jeunes hommes, qui
vous entourent, sont venus se former, est-elle l'Ecole clinique par
VARIA. 447
excellence des maladies nerveuses, aussi connue, aussi estimée
dans tout le Monde qu'elle l'est parmi nous.
Et si l'on songe au peu de progrès que la médecine proprement
dite a faits par la clinique pure depuis cinquante ans, on admire
davantage encore ceux que vous avez réalisés.
A part la chirurgie et les branches spéciales qui se sont dévelop-
pées par l'application d'un instrument nouveau, comme laryn-
goscope ou l'ophtalmoscope, la médecine clinique proprement dite
est restée très stationnaire. Je ne parle pas, bien entendu, des pro-
grès de la pathologie générale résultant de l'application de l'histo-
logie ou de la bactériologie, mais j'entends la clinique proprement
dite. Eh bien ! quels progrès a-t-elle faits depuis trente ans ? je ne
vois guère d'acquisitions nouvelles que dans l'Ecole de la Salpê-
trière.
Vous n'attendez pas, Messieurs, que je vous énumère dans le dé-
tail ces découvertes; vous les connaissez mieux que moi. Si j'ai
assisté et pris part aux débuts, vous en avez suivi mieux que moi
l'évolution progressive.
Vous me dispenserez aussi, Messieurs, de vous dire quel clinicien
est M. Charcot ; si je hasardais sur ce point quelques paroles, vous
trouveriez tous qu'elles sont par trop au-dessous de ce que vous en
pensez vous-mêmes, car vous l'avez vu à l'oeuvre et cela suffit pour
en conserver le souvenir inoubliable.
Ce que je puis dire en votre nom à tous, Messieurs, c'est la libé-
ralité admirable avec laquelle M. Charcot nous a toujours associés
à ses travaux, à ses publications; c'est le soutien de tous les instants
qu'il nous a prodigué après nous avoir instruits par son exemple,
ses conseils, son enseignement journalier. Ce n'est pas seulement
en instruction médicale que nous avons tous gagné à son contact,
Messieurs, mais aussi en éducation intellectuelle, politique et philo-
sophique.
J'en juge par moi-même, Messieurs, car je lui dois ce que je
suis. Il est descendu de sa chaire d'anatomie pathologique en me
la donnant. Il est difficile de concevoir une transmission plus par-
faite d'héritage, car elle avait lieu enlre deux personnes vivantes
et bien portantes. C'est ainsi, Messieurs, que tous, nous pouvons
témoigner à M. Charcot notre profond dévouement, notre éternelle
reconnaissauce.
Mon cher Maître, tout vous a souri, parce que vous étiez labo-
rieux, autant qu'admirablement doué^ vos travaux ont déterminé
la fortune et les honneurs; votre étoile parcourt son orbe ascen-
dante ; vos disciples vous entourent d'une affection profonde et ils
sont heureux de votre gloire qui rayonne sur eux.
M. Cornil s'est à peine rassis que M. Charcot, très ému, lui
dit : Je suis trop ému pour vous répondre, mon cher Cornil,
448 VARIA.
laissez-moi vous embrasser. » Et ainsi le Maître donne l'ac-
colade à chacun des orateurs qui ont pris la parole au banquet.
Vient après M. Joffroy, qui parle au nom des élèves devenus
agrégés : -
MON CHER Maître,
Au dernier moment, mes camarades de l'Agrégation me deman-
dent de prendre la parole en leur nom. Je ne me dissimule pas
le danger d'une improvisation, mais c'est pour moi un tel hon-
neur et un si grand plaisir de lever mon verre dans cette circons-
tance, que je suis heureux de braver le danger pour avoir le plai-
sir. .
Je ne vous adresserai pas de longues félicitations pour une dis-
tinction que nous avons trop longtemps attendue et qui, du reste,
ne vous grandit pas à nos yeux. Ce que nous apprécions le plus en
elle, aujourd'hui, c'est qu'elle sert de prétexte à cette charmante
réunion et qu'elle nous permet de vous dire toute notre respectueuse
affection et toute notre vive reconnaissance. Si nous sommes
agrégés (puisque c'est au nom des agrégés que je parle), c'est à vous
que nous le devons. Quand nous étions vos internes, vous nous
avez appris à travailler, vous' nous avez inspiré l'amour de la
science, vous nous avez animés du feu sacré, et quand, pleins de
tristesse et de regrets, nous quittions la Salpêtrière, vous nous
suiviez d'un coeur vigilant sans jamais nous abandonner, tant que
nous n'avions pas atteint le but. Et, dans les moments de lassitude,
d'abattement, parfois de désespérance, survenant au cours de la
lutte, nous trouvions toujours, à votre foyer, la parole qui ranime,
qui réconforte, qui rend l'ardeur et entraîne au succès.
Ils sont déjà nombreux vos élèves qui sont ainsi arrivés, mais
ce n'est encore qu'un commencement. Derrière nous, voici toute
une phalange de jeunes dont les prochains triomphes contribueront
bientôt à glorifier encore davantage cette grande famille des élèves
de la Salpêtrière, dont vous êtes le patriarche aimé et vénéré.
Dans l'intérêt des jeunes, pour la satisfaction des aînés, restez
de longues années a la tête de cette famille, c'est le voeu fervent
que nous formons tous et pour la réalisation duquel nous buvons
de grand coeur.
Puis M. le professeur Pitres (de Bordeaux) prend la parole
au nom de ceux qui ont été chercher gloire et fortune hors
Paris et qui, bien qu'éloignés du Maître, sont toujours restés
ses élèves dévoués et reconnaissants. .
VARIA 449
CHER MAITRE,
Dans les familles nombreuses, il y a presque toujours des en-
fants que les hasards de l'existence obligent à s'éloigner du toit
paternel. Il y en a aussi dans votre famille scientifique. Plusieurs
de vos élèves, non des moins dévoués, ont été contraints d'aller
planter leur tente loin de Paris. Séparés de vous, ils n'oublient
cependant ni les services que vous leur avez rendus, ni la recon-
naissance qu'ils vous doivent. Et quand un événement heureux
réunit, comme cela a lieu aujourd'hui, l'Ecole autour de son Chef,
ils s'empressent de venir prendre part à la fête, afin de vous appor-
ter, eux aussi, l'expression de leur inaltérable affection. En leur
nom, je bois à votre santé et à celle de tous ceux qui vous sont
chers.
Après quelques mots de 111. Galippe et de M. Dutil,M. CHARCOT
prend la parole en ces termes :
« MES CHERS Amis,
« Je veux remercier tout d'abord ceux d'entre vous qui, à
l'occasion de ma promotion à un grade supérieur dans la
Légion d'honneur, ont eu l'heureuse idée d'organiser cette
fête.
« Ils. m'ont ainsi procuré la joie de me voir aujourd'hui
entouré de tous ces vaillants qui, à des titres divers internes,
chefs de clinique, chefs de laboratoire, etc. se sont, depuis
trente ans, groupés autour de moi pour travailler au succès de
ce que nous appelions la bonne cause.
« Il s'agissait, c'est encore presque une nouveauté, dans ce
temps-là, d'éclairer la clinique et de la transformer même, si
possible, sans jamais toutefois la violenter, sans mécon-
naître jamais sa prééminence pratique ; il s'agissait, dis-je,
de l'éclairer par l'intervention largement acceptée des sciences
anatomiques renouvelées par l'histologie et de l'expérimenta-
tion physio-pathologique dans les affaires de la médecine.
« Oui, c'était la bonne cause, et aujourd'hui que, depuis
longtemps, elle a triomphé sur toute la ligne, nous avons bien
quelque droit de nous féliciter de la part qui nous revient dans
le succès.
Archives, t. XXIII. 29
450 VARIA.
Il me semble, Messieurs, que nous célébrons aujourd'hui
le 30° anniversaire de la fondation de l'oeuvre. C'est en 1862,
en effet, que Soulier, aujourd'hui professeur de thérapeutique
à la Faculté de Lyon, a été, à la Salpêtrière, le premier de
mes internes. Puis cela été le tour de mon cher ami Cornil,
actuellement professeur à la Faculté de médecine de Paris,
président de la Société anatomique. Il a été mon maître en
histologie. : Ensuite vient un nom, illustre entre tous : celui du pro-
fesseur Bouchard, mon cher confrère à l'Institut de France,
fondateur à son tour d'une Ecole prospère, adonné pour l'ins-
tant surtout aux études pathogéniques, dont les travaux, d'une
originalité puissante, commandent l'admiration de tous, et qui
a grandement contribué déjà à rehausser, dans ces dernières
' années, l'éclat de la Médecine française.
« Après M. Bouchard, que j'ai eu l'insigne honneur de voir
à mes côté à titre 'd'interne, pendant deux ans, se sont succédé :
Cotard, hélas ! trop tôt enlevé à la science, comme devait l'être
plus tard le regretté Michaud, chirurgien, des hôpitaux de
Lyon ; Lépine, membre correspondant de l'Institut, l'une des
grandes illustrations de la Faculté lyonnaise, Bourneville,
Joffroy, Hanot, Gombault, médecins des hôpitaux ou agrégés :
Debove, mon collègue de la Faculté de Paris ; Pierret, profes-
seur à la Faculté de Lyon; Pit.res, enfin, doyen de la Faculté
de médecine de Bordeaux qui, malgré ses occupations pres-
santes, n'a pas hésité à venir se réunir à nous ; ce dont je lui
serai toujours reconnaissant.
c J'en passe, et des meilleurs, tels que Oulmont, médecin
des hôpitaux, Richer, chef de laboratoire dans mon service,
Brissaud, Ballet, médecins des hôpitaux et agrégés, Féré,
médecin de Bicêtre, Marie, médecin des hôpitaux et agrégé,
Babinski, médecin des hôpitaux, etc., car, malgré toute la joie
que je ressens à étaler nos richesses, je me vois obligé d'arrêter
cette énumération.
c Il est temps, en effet, maintenant, que je me tourne vers
les jeunes, les nouveaux venus, ceux de l'avenir, pour leur dire
en leur montrant les anciens, ceux d'hier et d'autrefois : suivez
leurs exemples; marchez sur leurs traces ; je retrouve en vous
l'enthousiasme et la foi qui les ont animés ; la méthode est
sûre et éprouvée; travaillez, soyez patients ; sachez attendre ;
le succès ne manquera pas tôt ou tard de couronner vos efforts.
wam. Hil 1
« En terminant, mes chers amis, permettez-moi de vous
témoigner toute ma gratitude pour l'incomparable plaisir que
vous m'avez fait en vous réunissant aujourd'hui autour de moi.
En vous voyant tous, les anciens comme les nouveaux, si
pleins de force et de vitalité, j'éprouve, à votre contact, comme
un rajeunissement, et je me sens plein d'espoir.
« C'est pourquoi, levant mon verre, je bois à la prospérité
passée, présente et future de l'Ecole de la Salpêtrière. »
Cette fête véritablement intime puisque, suivant le désir de
M. Charcot, elle ne comprenait que ses anciens internes et
chefs des services auxiliaires actuels, laissera un souvenir des
plus agréables dans la mémoire de tous ceux qui ont eu le plaisir
d'y assister. Tous se souviendront combien le Maître était heu-
reux de se trouver entouré de tous ses collaborateurs les plus
directs et les plus dévoués. Des fêtes comme celle-là sont de
nature, nous en'avons la conviction, à maintenir et à resserrer
les liens qui ont toujours uni les élèves de l'Ecole de la Salpê-
trière.
Les préfets ET l'assistance DES aliénés..
Dijon, le 25 novembre 1891.
Monsieur et cher Collègue,
Il résulte des renseignements recueillis que le jeune Duponn...
Alexis, qui a fait l'objet de votre communication du 9 novembre
courant, est effectivement né à Dijon. Mais, avant de reconnaître le
droit aux secours dans mon département pour un enfant âgé seule-
ment de sept ans, je désire avoir communication des documents
sur lesquels vous vous êtes appuyé pour prononcer sa séquestration
comme un aliéné dangereux. J'ajoute que le Conseil général de la
Côte-d'Or n'est pas disposé à prendre à sa charge des dépenses
d'entretien d'aliénés, s'il n'est pas démontré que ces aliénés pré-
sentent de réels dangers pour la sécurité publique.
Agréez, etc..
M. le préfet de la Côte-d'Or ne parcourt pas les faits divers
des journaux. Sans cela, il verrait à chaque instant citer des
accidents occasionnés'par des enfants idiots, aliénés ou épilep-
tiques, ou raconter des actes graves ou odieux commis sur eux,
et qui justifient l'hospitalisation de ces enfants. Nous ne vou
452 '. varia.
Ions pas faire ici un exposé de la question de l'Assistance de
cette catégorie de malheureux, nous nous bornerons à citer un
fragment d'une circulaire ministérielle, en date du 5 août 1839,
qui fera voir à M. le préfet de la Côte-d'Or qu'il n'a pas une
connaissance complète des obligations que lui impose la loi du
30 juin 1838' :
..... La loi du 30 juin 1838, dit le ministre, n'est pas seule-
ment uue loi de police, c'est aussi une LOI DE bienfaisance. Il est
des aliénés dont la condition est trop déplorable, quoi qu'ils ne
menacent point la sécurité des citoyens, pour que la société ne
leur vienne pas en aide. Tous ceux surtout qui sont en proie aux
premiers accès d'un mal que l'on peut dissiper, doivent être admis
à recevoir les secours de la science et de la charité. Lorsque, sur
tous les points de notre territoire, des hôpitaux sont ouverts aux
diverses maladies qui affligent l'humanité, la plus cruelle de toutes,
l'aliénation mentale, ne saurait être privée de ce bienfait. »
Dès que l'occasion s'en offrira, nous continuerons à placer,
sous les yeux des préfets, des documents officiels instructifs.
(Voir p.460.) B.
Distractions dans LES asiles d'aliénés, LES pupazzi A bicêtre.
M. Darthenay est venu le jeudi 31 mars à Bicêtre, donner aux
aliénés adultes et aux enfants de l'établissement une intéressante
matinée. Aux applaudissements enthousiastes de son auditoire
composé d'environ 300 adultes, 250 enfants, il a fait jouer à ses
pupazzi trois comédies enfantines du comique le plus bouffon.
La loterie des Bati,qnofles tel était le titre de la première pièce.
Lamarotte de M. Dupiton, en deux actes, a continué le spectacle,
qui s'est terminé par l'Avare et son trésor, comédie-bouffe en trois
tableaux.
Pendant les entr'actes, llfiie Darthenay s'est fait entendre dans
La véritable manola de E. Bourgeois et la Sérénade du Passant de
Fr. Coppée. Un charmant monologue de Bilhaud, l'Ane, poésie
d'une moralité enfantine, qui a provoqué l'admiration des petits a
encore mieux fait ressortir les talents d'artiste de Mille Darthenay.
Au commencement et à la fin de la matinée, la fanfare des
enfants a joué quelques morceaux de son répertoire. La fête,
commencée à 2 heures et demie, s'est terminée à 4 heures et demie.
Les enfants de la fondation Vallée sont venus, comme d'habi-
tude, assister à la représentation.
' Législation sur les Aliénés et les Enfants assistés, 1.1", p. 65.
VARIA. ' 4B3
Les aliénés EN LIBERTÉ
Une arrestation des plus dramatiques, dit le Rappel de l'Eure
(3 fév.), a été opérée, jeudi dernier, au hameau de la Troudière
(commune de Breux). A la suite d'un incendie qui avait détruit
une grange appartenant à M. Etienne Digard, cultivateur, et
estimée 800 fr., deux gendarmes de la brigade de Nonancourt
vinrent procéder à une enquête sur les causes de ce sinistre. Tout
le monde, dans le pays, désignait comme l'incendiaire le fils
Adrien Digard qui depuis quelque temps, donnait des signes
d'aliénation mentale et terrorisait les habitants en tirant des
coups de revolver.
Adrien Digard, interrogé par les gendarmes, protesta de son
innocence, et, après les avoir inutilement sommés de s'en aller au
plus vite, il s'arma d'un couteau et menaça de larder le premier
qui s'approcherait. Bientôt, joignant le geste à la menace, il
s'élança sur l'un d'eux et lui effleura le nez avec son couteau, qui
trancha presque une de ses aiguillettes. En présence de cette
attaque, les gendarmes se jetèrent sur le fou, qu'ils désarmèrent,
aidés par un voisin, et qu'ils confièrent au maire, après l'avoir
réduit à l'impuissance. Le pauvre insensé a été mis en lieu sûr en
attendant que les démarches faites pour obtenir son internement
aient abouti. On a trouvé dans ses poches un revolver, des balles,
une boite de poudre et des culots de cartouches qu'on a eu soin
de lui retirer.
Une brave femme, la dame Grandet, âgée de quarante-neuf
ans, qui tenait un débit de vins rue Amélie, avait cru bien faire
en plaçant ses économies une quinzaine de mille francs sur
le Panama. Mais, hélas ! son petit pécule, comme celui de tant
d'autres fut englouti dans un gouffre sans fond.
Depuis la catastrophe, la pauvre dame était en proie à d'ef-
frayantes hallucinations et atteinte du délire de la persécution :
elle se figurait n'être entourée que d'assassins. Or, hier, vers huit
heures du soir, à la suite d'un accès de folie furieuse, elle s'empara
d'une barre de fer et frappa à tort et à travers tous les consom-
mateurs qui se trouvaient dans son débit. Puis, tout en courant,
elle se dirigea vers le poste de police situé en face de chez elle, en
continuant toujours à manoeuvrer son redoutable instrument. Ce
. n'est qu'avec les plus grandes peines du monde qu'on parvint à se
saisir de la malheureuse, que le commissaire de police a dirigée
sur l'infirmerie du Dépôt. (Radical, 12 août 1891.) -
Une dame d'un certain âge, rue Fontaine-au-Roi, s'est
asphyxiée hier. Elle donnait des signes d'aliénation mentale. Elle
4â4 VARIA .
se prétendait sorcière et commettait de nombreux actes d'excen-
tricité. Ce sont ses enfants qui, inquiets de ne pas la voir depuis
-quelques jours, ont fait ouvrir sa porte et ont trouvé leur mère
morte. -
L'ancienne bonne du curé de l'hôpital du Perpétuel secours
à Levallois-Perret, une demoiselle Victoire Scheirer, âgée de cin-
quante ans, était depuis quelque temps en proie à une grande
exaltation mystique. Elle avait transformé en une véritable cha-
pelle ardente la chambre qu'elle occupait à Levallois, au numéro 70
de la rue Danton. En dernier lieu, la folie s'emparant d'elle peu
à peu, elle s'imaginait être sainte Victoire de Levallois ( ? ) une
sainte, parait-il, très en vogue dans la localité.
Avant-hier enfin, convaincue que les ailes lui étaient poussées,
elle ouvrit sa fenêtre et, étendant les bras, en extase, elle se lança
dans le vide, s'attendant sans doute à gagner le paradis d'un coup
d'aile ; elle ne réussit qu'à se faire des blessures assez graves, con-
séquences, comme on peut le croire, de la chute qu'elle fit du
premier élage...
Hier, elle pensait renouveler l'expérience, mais en l'entourant
cette fois d'une mise en scène plus complète et d'un luxe inusité
de bougies Les voisins commençaient à redouter qu'elle ne mît
le feu à la maison, c'est ce qui serait infailliblement arrivé si l'on
ne s'était introduit chez elle assez tôt pour éteindre les premières
flammes.
M. Guilhen, commissaire de police de Levallois-Perret, fut pré-
venu et, lorsqu'il se présenta pour adresser des remontrances à
notre illuminée, celle-ci le prit pour Dieu le père et se jeta à
genoux avec de grandes démonstrations de piété. Comme il vou-
lait l'emmener, craignant quelque nouvelle équipée, elle lui
opposa une résistance effarée, se cramponnant aux meubles, pous-
sant des cris épouvantables. M. Guilhen s'avisa alors d'un ingé-
nieux expédient : il lui promit de la présenter à saint Pierre
lequel, détenant, comme on le sait, les clefs du paradis, lui en
ouvrirait les portes à deux battants. Convaincue, la folle le suivit
alors de grand coeur et ce furent naturellement les portes de l'iii-
firmerie spéciale du Dépôt qui s'ouvrirent... et se refermèrent sur
elle. (Radical, 4 janvier 92.)
Tous ces faits, qu'il serait malheureusement très facile de
multiplier, montrent d'une façon évidente la nécessité de pro-
céder à l'internement des aliénés aussitôt que possible après le
début. C'est le seul moyen d'éviter des accidents graves, soit
pour les malades eux-mêmes, soit pour les autres citoyens.
Nous ajouterons que plus l'internement est fait vite, plus il y a
de chances de guérison.
VARIA . 455
Un \L1ÉNÉ mort dans UNE armoire.
a Un suicide qui ne manque vraiment pas d'originalité vient
d'être découvert dans la petite commune d'Ailleville, dit le Petit
Troyen (26 mars). Depuis quelques années, un pauvre vigneron,
Lutrat Arthur, donnait fréquemment des signes d'aliénation men-
tale. De plus, ce malheureux, persécuté sans cesse par la croyance
qu'on l'accusait d'être l'auteur d'un' incendie qui remonte à plus
de quinze ans, s'adonnait à la boisson et était presque continuelle-
ment ivre. Torturé enfin par la terrible maladie qui le minait lente-
ment et par toutes sortes de souvenirs fantasques et lugubres
qu'elle évoquait à son esprit, Lutrat chercha un refuge dans la
mort.
« Dans la nuit du 20 mars, le malheureux fou, s'étant muni de
toutes les choses nécessaires à l'exécution de son funeste dessein,
entra dans une armoire et s'y installa commodément, après avoir
mis le feu à un réchaud placé entre ses pieds.
« Fermant ensuite les deux panneaux, il les assujettit fortement
en dedans à l'aide de ficelles et de clous. De nombreuses, fissures
laissaient passer l'air et une partie du gaz acide carbonique aurait
pu se perdre, Lutrat trouva le moyen d'y remédier en calfeutrant
les issues avec des chiffons et du papier. Toutes les mesures pour
assurer son sinistre projet, le malheureux les avait prises et il s'é-
tait ensuite recroquevillé sur lui-même, attendant la mort.
« Le lendemain matin, le jeune Calle Albert, inquiet de ne pas
voir soitir son patron, un sinistre pressentiment lui vint. Il le
chercha paitout, mais vainement. L'idée lui étant venue plus tard
de forcer l'armoire, il exerça une forte pesée sur les portes et
recula terrifié. Il avait aperçu Lutrat ayant cessé de vivie et déjà
rigide. La nouvelle fut bientôt répandue et la gendarmerie appelée
vint faire son enquête. » (Petit Troyn, 26 mars )
Dans beaucoup de départements, les préfets ne veulent signer
l'admission des aliénés, que lorsqu'ils sont déclarés dangereux
pour la sécurité publique. Ils attendent souvent qu'il y ait un
accident. Au lieu de donner les places dont ils disposent dans
l'asile de leur département aux aliénés de ce département,
pour lesquels il faut payer; ils préfèrent réserver des places
aux aliénés des autres départements, en particulier de la Seine,
dont ils tirent bénéfice. Il y aurait tout intérêt de la part du
directeur de l'Assistance et de l'Hygiène publiques en France,
M. Monod, à leur apprendre quels sont leurs devoirs en fait
d'Assistance.
486 VARIA.
Assistance DES épileptiques.
Nous avons raconté, dans un de nos précédents numéros, dit le
Petit Provençal du 25 mars, et sous ce litre : A la Porte de nos
Hôpitaux, qu'un certain Gonzalès aurait été refusé à la Conception
et à l'Hôtel-Dieu. La commission des hospices nous informe que
cet individu, sans profession, â-é de dix-neuf ans, espagnol d'ori-
gine, a été admis, à quatre reprises différentes, à l'Hôtel-Dieu, et
deux fois à la Conception. Si on lui a refusé un lit tout récemment,
c'est que les lits vacants avaient été donnés à des malades plus
graves que lui ; d'autre part, ce malade, atteint d'épilepsie, est un
danger pour les aulres malades et compromet la sécurité des
salles. Néanmoins, Gonzalès se trouve actuellement à l'Hôtel-Dieu
jusqu'à ce que le médecin traitant signe son exeat. Nous regrettons,
avec la commission des hospices, que les malheureux de ce genre
ne puissent trouver des secours permanents dans un asile spécial.
Nous espérons que la question des épileptiques dans les hôpitaux
sera bientôt résolue dans un sens qui donne satisfaction à l'hu-
manité.
A une des dernières sessions des Assises des Bouches-du-
Rhône, comparaissait le nommé Truphème Paul, inculpé de vol
qualifié. A la suite d'un rapport de médecin qui concluait à l'irres-
ponsabilité, cet individu fut acquitté. Il était en proie à des atta-
ques d'épilepsie qui, d'après les hommes de l'art, avaient très
sérieusement oblitéré ses facultés mentales. A peine acquitté, il
recommence à voler. Arrêté, il comparaissait devant notre tribu-
nal correctionnel, qui l'acquitta. Interné à l'asile des aliénés, il
parvint à s'évader, et vole encore.
Hier, il était amené de nouveau devant les juges correctionnels
qui, en vertu des précédents, furent obligés de l'acquitter, bien dé-
fendu qu'il a été d'ailleurs par M. Weyl. Comme les deux premières
fois, il a eu une terrible attaque qui a nécessité sou transport en
cellule. Ce n'est pas tout. Truphème a commis antérieurement trois
autres vols pour lesquels il sera jugé de nouveau, et, détail curieux,
parmi les volés figure un des membres du jury qui l'acquittèrent
aux Assises. (Petit Provençal, 25 mars.)
Répartition DU SERVICE médical DES Asiles publics d'aliénés
DE la Seine POUR l'année 1892.
(Médecins en chefs. Médecins adjoints. Internes.)
po Infirmerie spéciale du dépôt de la Préfecture de police.
Service de M. GARNIE1\. Int. : MM. Lucas et Vigoureux.
faits DIVERS. 457
2,° Asile clinique (Sainte-Anne). Service de M. Magnan (admis-
sion). Int. : MM. Pécharman et Targowla. Service de M. le prof.
BALL (clinique;. Chef de clinique : M. Pactet. Chef de clin. adj.,
M. Sollier. Int. : M. Boëteau. - Service de M. DUBUISSON. Int. :
M. Pribat. Service de M. BOUCUEREAU. Int. : MM. Toulouse et
Lefèvre. - Service hydrothérapique externe. - Méd.-adj., M. DA-
GaN ET. Laboratoire de la clinique. Chef, M. KLIPPEL. Aides :
MM. Boëteau et Champion.
3° Asile de Villejuif.- Service de M. Briand. Méd-adj., M. Sé-
rieux. Int. : MM. Boissier et Lacliaux.-Service de M. Vallon. Méd.-
adj., M. ltouillard. Int. : MM. Hannion et Lefiliâtre.
4° Asile de Vaucluse. - Se ? -vice des femmes, médecin en chef,
M. BOUDRIE. Int. : M. Laroussinie. Service des hommes, médecin
en chef M. KERAVAL. Int., M. Croustel. Service de la colonie d'en-
fants idiots, M. BLIN. Int. : M. hiaupâté.
5° Asile de Ville-Evrard.- Service de M. IIIARANDON DE hi0.ITHYEL.
Int. : MM. Escat et Lavergne.. Service de M. LEGRAIN. Interne,
M. Desfosse. - Service de III, FEBVRE, Int. M. lioundlic.
FAITS DIVERS
Asiles d'aliénés. Nominations'' et promotions. Disjonction
des fonctions de directeur et de médecin en chef à l'asile public de
Vaucluse. Suppression des emplois de médecins-adjoints. Création
d'un emploi de directeur et de trois emplois de médecins en chef.
(Arrêté du 24 février 1892.) Sont nommés médecins en chef :
le D1' BOUDRIE, qui remplissait les fonctions de directeur-médecin,
maintenu à la 2° classe, et le Dr Keraval, précédemment médecin
en chef à l'asile de Ville-Evrard, maintenu à la 3° classe. Le
Dr Rauamen, médecin-adjoint à l'asile de Vaucluse, emploi sup-
primé, est nommé directeur-médecin de l'asile public de Rodez
(Aveyron), en remplacement du Dr Campan, décédé, et compris
dans la 3° classe. (Arrêté du 24 février.) Le Dr PACTET, chef de la
clinique des maladies mentales à l'asile Sainte-Anne (1er novembre
1891), est nommé médecin-adjoint et compris dans la 2° classe.
(Arrêté du 26 février.) M. BAUDABD, ancien directeur de l'institu-
tion nationale des sourds-muets de Chambéry, est nommé à l'em-
ploi de directeur de l'asile de Vaucluse créé par l'arrêté du 24 février,
et compris dans la 2° classe. (Arrêté du 26 mars.) Le Dr LEGRAIN,
458 FAITS DIVERS.
médecin-adjoint à l'asile de Vaucluse, emploi supprimé, est nommé
médecin en chef à l'asile de Ville-Evrard, en remplacement du
Dr Keraval, et compris dans la 3e classe. (Arrêté du 28 mars.)
CONGRÈS international d'anthropologie CRIMINELLE EN 1892.
La troisième session du Congrès international d'anthropologie
criminelle aura lieu à Bruxelles du 28 août au 3 septembre 1892.
Faculté DE médecine DE BERLIN. M. le Dr Karl Mueli, privat-
.docent de psychiatrie et de neurologie, est nommé professeur
extraordinaire.
UNE statue A DUCHENNE (de BOULOGNE).-Le Conseil municipal
de Paris a voté, sur la demande de M. le Dr Joffroy, une subven-
tion de 400 fr., en vue de l'érection, à la Salpêtrière, d'un monu-
ment au D1' Duchenne (DE BoULOGNE).
INSTITUT municipal DEL&CTROTHÉRAP1E.- MM, Dubois et Vaillant
avaient déposé sur le bureau du Conseil municipal, dans la séance
du 22 mars, un projet tendant à organiser, à Paris, un institut
municipal d'électrothérapie pour le traitement des malades et
l'enseignement de l'électrothérapie. Ils ont fait connaître depuis
les raisons qui militent en faveur de leur projet : c'est l'insuffi-
sance matérielle du service d'électrothérapie de la Salpêtrière, qui
y fonctionne pour tous les hôpitaux. Le local est, d'après eux, trop
exigu, les instruments sont altérés par l'humidité, les formalités
pour l'admission des malades sont compliquées et tracassières, les
deux élèves qui sont attachés au service ne peuvent pas suffire à
exécuter des traitements qui dépassent parfois 300 par séance.
Les auteurs de la proposition estiment, en outre, que le chef du
service devrait avoir l'obligation de faire des cours ou des confé-
rences. Aux termes, en effet, des règlements actuellement en
vigueur, le maître n'a, strictement, ni le droit de recevoir un
malade ni celui de faire une leçon. L'initiation des nombreux mé-
decins français et étrangers à l'électrothérapie constitue donc, à
la Salpêtrièle, une infraction au règlement. Il convient, d'après
MM. Vaillant et Dubois, de faire cesser cette hizarrerie et de doter
une science, fondée il y a quarante ans par Duchenne (de Bou-
logne) et, par conséquent, essentiellement française, d'un Institut
digne de son importance et des promesses qu'elle contient en
germe. La proposition a du bon, mais quelques-uns des motifs
sur lesquels elle s'appuie montre qne ses auteurs ne connaissent
pas très bien le service de la Salpêtrière.
Séance DE MAGNÉriSNE INTERDITE. Du Figaro (6 avril 1892) :
Grand émoi chez les adeptes du magnétisme ! La réunion men-
suelle de la Société mesmérienne a été interdite hier soir par la
préfecture. Cette réunion se tient d'ordinaire dans l'atelier d'un
faits DIVERS. f¡59
sculpteur connu, rue d'Amsterdam. Lundi soir, pour la première
fois, les sociétaires étaient convoqués dans la salle du petit théâtre
de la rue Vivienne, faute de place dans l'atelier hospitalier pour
contenir tous les adhérents dont le nombre augmente de mois en
mois. Le commissaire de police, dûment prévenu, n'avait pas
refusé son autorisation, mais quand la séance fut ouverte, il donna
lecture d'un arrêté du préfet de police interdisant aux assistants
toute expérience de magnétisme t vraie ou simulée » .
UN guérisseur. Nous lisons sous ce titre dans l'Eclair du
31 mars :
Le Havre, 29 mars.- Après deux audiences, le tribunal correc-
tionnel a prononcé son jugement dans l'affaire du cordonnier
havrais Philippe Bloche, devenu célèbre dans la région par les
guérisons soi-disant miraculeuses qu'il opérait. Il prétendait voir
dans l'intérieur du corps humain comme s'il eût été en verre; ses
mains, disait-il, étaient attirées par une force invincible vers la
partie malade et ses attouchements étaient souverains. Plusieurs
témoins ont déclaré au tribunal avoir été réellement guéris. Une
demoiselle Wolff, entre autres, atteinte de paralysie, raconte
qu'après avoir été soignée sans succès par le docteur Charcot, elle
est venue au Havre consulter Bloche et qu'elle est aujourd'hui
complètement guérie. Le tribunal a condanné Bloche à 10 francs
d'amende pour exercice illégal de la médecine.
Ce n'est pas cela qui empêchera Ville Wolff de croire que son
cordonnier est beaucoup plus fort que M. Charcot.
Consultations électriques GRATUITES, - M. N... fils, rhabilleur
à V... (Isère), prévient le public que son cabinet est ouvert tous
les dimanches, mercredis et vendredis. Il guérit aussi en quelques
minutes et sans rechute toutes sortes de névralgies et maux de
tête par son fluide électrique. Consultations et renseignements
gratuits. Commentaires inutiles.
Drame DE la FOLIE. - Lyon, 18 mars. - M. Porleret, âgé de
trente-deux ans, docteur en médecine, ancien chef de clinique
ophtalmologique, habitant Lyon, rue Saint-Joseph, avec sa femme,
qu'il avait épousée il y a deux ansàSaint-Etienne, était malade depuis
quelque temps. Il s'adonnait à la morphine, dont il absorbait de
fortes doses ainsi que des narcotiques violents. Son état s'était
beaucoup aggravé depuis quelques jours. Il était très surexcité et
avait des hallucinations. Hier il se donna trente injections de
chlorhydrate de morphine. Il prit aussi de la cocaïne. -il était très
surexcité et, en rentrant chez lui, à sept heures, il eut une discus-
sion avec sa femme. A une heure du matin, il en eut une nouvelle
plus violente, à la suite de laquelle il tira sur elle trois coups de
revolver. Une balle lui traversa le coeur. La mort fut instantanée.
460 FAITS DIVERS.
M. Porteret tourna alors l'arme contre lui et se tira une balle à la
tempe droite. Le malheureux a été transporté à l'Hôtel-Dieu dans
un état désespéré. (L'Eclair.)
UN enfant assassin. On mande de Saint-Etienne, 24 mars : Un
meurtre a été commis ce matin, dans le quartier Saint-François, à
Saint-Etienne. Deux enfants de quatorze ans, les nommés Faure et
Gagnière, qui se rendaient à lcur travail, se sont pris de querelle
dans un petit chemin désert et en sont venus aux mains.
Au cours de la rixe, Gagnière a tiré son couteau de sa poche eten
a porté deux coups dans le flanc gauche de Faure qui a pu faire
encore quelques pas et s'est affaissé en criant : « Au secours ! » Le
pauvre enfant a été transporté mourant à l'hôpital. Son meurtrier a
pris la fuite. La police est à sa recherche. (Petit Toyen, 26 mars.)
UN FOU QUI assassine son gardien. Un véritable drame s'est
déroulé hier à l'hospice des aliénés de Tours. Un fou avait prié un
gardien de lui dégager un bras. Aussitôt libre, l'aliéné se précipita
sur son gardien, le saisit au cou et le jeta contre un arbre. Quand
on vint au secours du gardien, il était mort. Les autorités prévenues
ont ordonné l'autopsie du cadavre. (Le Paris, 31 mars.)
LE comble du REPORTAGE, - Du Figaro : Un de nos confrères de
New-York, attaché à l'Evening Telegram, voulant se rendre compte
des procédés policiers et médicaux employés à l'égard des victimes
d'accidents, feignit de se trouver mal dans la rue. On le transporte
à l'hôpital, où une véritable torture commence. Les médecins,
diagnostiquant à vue de nez un cas d'hypnotisme hystérique,
pincent, giflent, le malheureux, lui enfoncent de longues aiguilles
dans les chairs, lui brûlent même la plante des pieds. L'héroïque
patient supporte tout et, une fois sorti des mains de ses tortion-
naires seulement, proteste contre le corps médical, en demandant
« qu'on n'expédie plus que des morts aux hôpitaux new-yorlcais» x
Veuves DE médecins. Le Ministre des finances vient de com-
muniquer à la Commission du budget, suivant l'usage annuel, la
liste de» bureaux de tabac concédés durant l'année 1891. Ces
bureaux sont donnés, sauf deux ou trois hommes, à des femmes,
veuves ou filles de fonctionnaires civils ou militaires. Nous relevons
dans cette liste le nom suivant : Mmo Ricordeau, veuve d'un méde-
cin tué par un aliéné. (Progr. méd.)
UN cas singulier. Un artiste peintre, M. D..., rentrait avant-
hier soir à son domicile, boulevard Richaid-Lenoir. Il s'étonna de
ne pas voir à sa rencontre venir sa femme, comme de coutume. Il
pénétra dans la chambre à coucher; il la trouva étendue à terre, à
demi déshabillée, évanouie. Les meubles étaient bouleversés, l'ar-
moire à glace forcée, le linge, sur le sol, épars; une impurtante
FAITS DIVERS. 461
somme d'agent manquait. Le peintre se porta au secours de sa
femme et appela à l'aide. Les voisins accoururent; on donna des
soins à Mm D.. ,, qui fit le récit de ce qui s'était passé.
- Je m'étais couchée dans la journée, me sentant indisposée-
111 D... est enceinte de six mois Vers quatre heures, j'entendis
ma porte s'entre-bâiller doucement. J'ouvris les yeux. Deux hommes
entraient : un grand et un petit. Le grand, me voyant éveillée,
jura; l'autre bondit sur moi, me serra à la gorge, puis m'étouffa
en quelque sorte avec l'oreiller. Je m'évanouis. C'est alors qu'ils
durent me poser à terre et voler.
M. D... courut chercher le commissaire de police, à qui ! lime D...
refit la même déclaration, précisant les faits, donnant un signale-
ment minutieux des deux agresseurs. Les voisins, le concierge
n'avaient rien vu ni rien entendu. L'enquête dura jusqu'à deux
heures du malin sans résultat. De guerre lasse, on se coucha.
M. D... dormait depuis quelques instants, lorsqu'il fut réveillé
parsa femme qui, endormie, elle aussi, disait :
Regarde dans le tiroir, là, à droite. L'argent y est.
M. D... se leva et regarda. En effet, la somme d'argent était là,
intacte. Plus de doute, cette histoire d'agression, de voleurs, n'é-
tait que le résultat d'un accès de somnambulisme. C'était M"" D...
qui avait bouleversé ses meubles, fracturé les serrures et caché
l'argent. On avait prévenu à tort M. Goron : l'affaire était du res-
sort de M. Charcot. (L'Éclair, 19 mars 1892.)
Ce cas n'est évidemment pas très clair, et aurait besoin de quel-
ques éclaircissements. Mais, tel qu'il est, il peut se rapprocher du
cas d'une jeune fille qui se trouvait en 1890 dans le service de M. le
professeur Charcot. Pendant des crises somnambuliques nocturnes
(hystériques, épileptiques ou noctambuliques simples ! on n'a
jamais pu savoir), elle allait prendre dans la maison de son père,
jusque dans les poches du pantalon de celui-ci, tout l'argent qu'elle
pouvait trouver, et le cachait. Le lendemain, il lui était impossible,
à elle comme aux autres, de retrouver la mystérieuse cachette.
Elle avait ainsi en quelque temps fait disparaître une somme de
300 fr. (et ses parents étaient de simples ouvriers ! ). Pendant le
séjour d'un mois environ qu'elle fit à la Salpêtrière, on essaya,
mais en vain, de l'hypnotiser. On employa alors la suggestion à
l'état de veille, mais sans connaître le résultat obtenu, car la ma-
lade, une fois sortie de l'hôpital, ne revint plus donner de ses nou-
velles. Pendant le temps de son séjour, les crises de somnambu-
lisme ne s'étaient pas produites une seule fois.
Nécrologie. M. le Dr CAYPAN, médecin de l'asile d'aliénés de
Rodez. M. le Dr James Ross, professeur adjoint de médecine à
Otten's College, Manchester.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
CHAHCOT (J.-\L). - Leçons dumardi à la Salpétrière. Notes de cours de
MM. Blin, CHARIOT et Colin, Seconde édition, 1 vol. in-4° de 502 pages
avec 101 figures. - Prix : 20 fr. - Paris, 1892. - Aux bureaux du
Progrès médical. Pour les abonnés des Archives, 16 fr.
CHARCOT (J.-M.). Clinique des maladies du système nerveux de la
Salpétrière. Leçons du professeur, mémoires, notes et observations des
années scolaires 1889-90 et 1890-91, publiés sous la direction de Georges
GUION, chef de clinique, avec la collaboration de MM. GILLES DE la
TOUHE1'TE, BLOCQ, HUET, PAR3fE\TIER, Souques, Hallion, J.-B. CIIARCOT et
MEIGE. Tome 111. Un beau volume de 468 pages avec 47 figures et
3 planches. Prix : 12 fr. Aux bureaux du Progrès médical. Pour
les abonnés des Archives, 8 fr.
Bourneville. Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie
l'hystérie et l'idiotie, compte-rendu du service des enfants idiots épilep-
tiques et arrivés de Bicêtre pendant l'année 1890, avec la collaboration
de MM. CA11ESCASSE, ISCH-WALL, MORAX, RAOULT, SÉGLAS et SOLLIER,
9 fort volume de Lx-240 pages avec 16 figures et 10 planches. Prix :
6 fr.; pour nos abonnés, prix : 4 fr.
Souny (J.). Des fonctions du cerveau (doctrines de l'école italienne
et de l'école de Strasbourg), 2° édition, revue et corrigée. 1 volume
in-8° de 464 pages, avec figures dans le texte. Prix : 8 fr.; pour nos
abonnés : 6 fr.
DUCHESNEAU (G.). Contribution à l'étude anatomique et clinique de
l'acromégalie et en particulier d'une forme amyotrophique de cette
maladie. Volume in-8° de 208 pages, avec figures. Prix : 5 fr.
Paris, 1892 ? J.-B. Baillière et fils.
GAJKIEWICZ (W.) : Syphilis du système nerveux. Volume m-8° de
210 pages. Prix : 5 fr. Pans, 1892. J.-B. Baillière et fils.
VOULGRE (A.). De l'élimination des phosphates dans les maladies du
système nerveux et de l'inversion de leur formule dans l'hystérie. Bro-
chure in-8° de 75 pages. Prix : 2 fr. Pans, 1892. J.-B. Baillière
et fils.
CRESPIN (J.). Essai d'interprétation pathogénique de certaines
névroses post-infectieuses. Brochure in-8° de 87 pages. Lyon, 1891.
Imprimeme Pitrat.
DEBIERRE (CI).) et Doumer (E.). Album des centres nerveux. Brochure
in-12 oblong de 21 pages, avec zig figures. Prix de l'album : 1 fr. 50.
Prix des photographies avec l'album : 20 fr. Paris, 1892. Librairie
¡ ? Alcan,
Grasset. - Un cas de maladie de Moruan. Leçons recueillies par
GUIBERT (H.). Brochure in-8° de 26 pages, avec 3 planches hors texte.
Paris, 1892. - Librairie G. Chanon.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 463
Grasset. - Quelques cas d'hystérie mâle et de neurasthénie. Leçons
recueillies par Jeannel (S.). Brochure in-8° de 88 pages. Paris,
1892. - Librairie G. Chanon.
KRAUSS, Polio-myelitis acuta adultorunz. Brochure il-81 de 4 pages.
New-York, 1892. Journal o/' zieruous and mental disease.
KRAUSs. - Rhus aroznatica in the lreatment of incontinence of urine.
Brochure in-8° de 4 pages. New-York, 1892. Journal of nervous
ond mental disease.
KBAUSS. A neuro-topographical bust. Brochure in-8° de 3 pages.
New-York, 1892. Journal of nel'vous and mental disease. ·
L¡;FORT (A.). Le type criminel d'après les savants et les artistes.
Volume in-8°de 96 pages, avec 20 planches hors texte. Lyon, 1892.
A. Storclc.
Oliver (Ch.-A.). Analysais of the sensory changes and conditions of
lhe ocular apparatus as /ound in inzbecitily epilepsy, and gênerai para-
ilsis of the insane. Brochure in-8° de 12 pages. Chicago, 1891.
l'rinted lit the office of the association.
RosczoL (R.).- La pae-alisi progressiva uell'Italia méridionale. Studio
climco e stalistico. Brochure in-8° de 42 pages. Nocera-Inferiore, 1891.
Tipografia del Manicomio.
S.4\KA-SALAR ! S. Valore terapeutico dell'idroclorato d'iosrina nelle
malatlie mentali. Brochure in-8° de 45 pages. Torino, 1891. Tipo-
grafia Spandre a Lazzari.
Séglas (J.). De l'obsession hallucinatoire et de l'hallucination obsé-
dante. Brochure in-8° de 12 pages. Paris, 1892. Extrait des An-
nales médico-psychologiques. 0
Le rédacteur-gérant, Bourneville.
TABLE DES MATIÈRES.
AnnISON (maladie d'), par Kahlden,
249.
Affaire DOURCHES, 278.
Albuminurie POST-PAROXYSTIQUE chez
les épileptiques, par J. Voisin et
Pércm, 353.
ALIFNATION, aiguë ET paranoïa, par
Rosenbach, 114 ; - chez les gens
de couleur aux Etats-Unis, 276.
aliénés, révision de la loi sur les-,
par Garnier, 121 ; enlèvement
d' -, 131; assistance des -, 13,
451; - transfert d' -, 135 ; -
homicide, par Camuset, 157,370;
par Savage, 220; difficutté du
diagnostic chez les -, par Raw,
220; -société de patronage des,
262 ; service des de la Seine,
269; - législation des - dans
l'Etat de 1\ew-Yorl : , 272 ; légis-
lation anglaise sur les -, par
Schmitz, 421 ; assistance fami-
liale des -, par Wahrendorf,
426 ; les en liberté, 452.
Anesthésie HYSTÉRIQUE, par Janet,
323.
Anomalie crânienne, par Zander,
437.
ANTIFÉBRINE, par Mickle, 234.
Anthropologie criminelle, par Lom-
broso, 112.
Aphasie, théorie de Il -, par Cra-
mer, 94 ; -motrice et sensorielle,
par Lacroix, 110.
Asiles d'aliénés, rie Kreuzbourg, par
Dornblueth, 119; - en France,
par Timoféeff, 128 ; nomina-
tions et promotions dans les -,
135, 284, 456 ; internat des ,
136 : du Caire, 275 ; de New-
York, 275 , distraction dans les
- , 431.
Astasie-abasie, à type choréique,
par Weill, 88 ; dans la mala-
die de Basedow, par Eulenburg,
104.
Ataxie héréditaire et atrophie cé-
rébelleuse, par Mené),95.
Athétose spasmodique, parScheiber,
100.
Atrophie musculaire, dans les foyers
cérébraux, par Eisenlohr, 101 ; -
par IJoenhaL'rlt, 110; - infantile
progressive héréditaire, par Wer-
ding, 40 ; précoce d'origine cé-
rébrale, par Borgherini, 404 ;
par Alzheimer, 426.
Bains turcs dans les troubles men-
taux, par Baker, 234.
Banquet à M. le professeur Charcot,
411. 1.
BASEDOw (maladie de), psychopa-
thie dans la , par Kurella, 439.
Bibliographie : traité clinique et
thérapeutique de l'hvstérie, par
Gilles de la Tourette, 123; -
ainétose double et chorées chro-
niques de l'enfance, par Audry,
125 ; folies diathésiques, par
Maxille, 126 ; syndromes hys-
tériques simulateurs des maladies
organiques de la moelle, par
Souques, 258 ; psychologie de
l'idiot et de l'imbécile, par P. Sol-
lier, 259; - recneil de notes, mé-
moires et observations sur l'idio- ! ie, par Bourneville, 261 ;
recherches cliniques et thérapeu-
tiques, sur l'épilepsie, l'hystérie
et l'idiotie, par Bourneville, 441 ;
séméiologie et diagnostic des
maladies nerveuses, par P. Blocq
et Onanoff, 443.
BULLETIN bibliographique, 288, 457.
CELLULES nerveuses des cornes an-
térieures de la moelle, par Hoche,
242.
CÉHÉBBOPATHIE, due à -la syphilis
congénitale, par Edenmever, 421.
Cerveau, foyer d'inflammation expé-
table DES matières. 465
rimentale du -, par Schrader,
242 ; - fibres du troisième ven-
tricule du-, par Dai-lsche%vitscli,
256; - capillaires lymphatiques
du -, par Kronthal, 39f;
troubles fonctionnels de l'écorce
du , par Dees, 399; -hydatides
du - avec hémorrhagie cérébrale,
par Doenhardt, 405 ; ;- substances
albuminoïdes phosphorées du -,
par Danilewski, 414.
Cervelet, atrophie et hypertrophie
du -, par Boursuut, 96; - acti-
vité fonctionnelle du -, parBor-
gherini et Gallerani, 't07.
Champ visuel des hystériques, par
Moravcsik, 96. '
CHORÉE et rOLIE, par Cape, 225.
Circonvolutions cérébrales, genèse
des -, par Schnopfhagen, 402.
Coloration de la myéline, par Wei-
gent, 216.
Commotion cérébrale, par Fried-
mann, 243.
Congrès ries neurologues et alié-
nistes de l'Allemagne du sud-
ouest, 238 ; - des médecins alié-
nistes de France et des pays de
langue française, 261 ; - des alié-
nistes de l'est de l'Allpmagne,
431;- des aliénistes de Basse-
Saxe et de Westphalie, 426.
Convulsions, par Sall1sburg, 219.
Diabète sucré ET tabès, par G. Gui-
non et Souques, 48, 181.
Douleur, par Edinger, 250.
DYSIIORPUOPIIODIE, par 31oL'seJli, 228.
Encéphale, destruction des diverses
parties de l' - chez les animaux
nouveau-nés, par Bechterew, 396.
Enfants, développement de l'intel-
ligence chez les -, par Warner,
22te *
Entraînement physique dans les ma-
ladies mentales, par Wey, 236.
Epilepsie, psychique, par Ottolen-
ghi, 229; pathogénie de 1' ,
par Gallerani et Lussana, 235; -
bromure de potassium dans 1 ?
par Agostini, 235; - troubles in-
tellectuels de l ? par DII1 ! er, 138.
Epileptiques, assistances des, - 155.
1 .
Faits divers, 135, 456.
Folie, associée à des états patholo-
giques divers, par Ilorie, 221; -
consécutive aux opérations chirur-
Archives, t. XXIII.
gicales, par Dent, 226; - à forme
rare, par Norman, 227; - à cinq,
par Woods, 223; - analgésie
dans la -, par Keniston, 230; -
guérison de la - chronique, par-
Pope, 233; - alcoolique chro-
nique, par Hahn, aiguë
chez un enfant, par Wahu, 437. - '
Glande pituitaire, tumeur de la-,
par Wliitweil, 412.
Gliome cérébral, par Buchholz, 400.
Hallucinations, du souvenir dans
la psychose polynévritique, par
Korsakow, 107; - sensorielles
dans les anomalies primitives de
l'humeur, par Cramer, 118 ; - et
obsessions, par Séglas, 123 ; -
verbales psyclo-motrices, par Sé-
glas et Londe, 201, 386; Tigges,
423.
IIÉ13ÉPIIRINIE, par Kiefer, 434.
IIÉ1(IlTROI'lIIE FACILE PROGRESSIVE,
par Popoff, 92; Homers 93; Préo-
prajenski; 251; Iouratoff, 255.
Hémiplégie basale, par Remak, 94;
croisée, par Lannois et Re-
gnault, 109; - fonctionnelle, par
Thomas, 246; affections articu-
laires dans l ? par Darkche-
witsch, 411.
Hémisphère, atrophie d'un - avec
pachymémngite consécutive, par
Plaxton, 408.
HÉRÉDITAIRES DÉGÉNÉRÉS, par Ma-
gnan, 304.
Hydrocéphalie, ponction des ventri-
cules dans 1 ? par Illingworth,
95.
Hypertrophie congénitale, par Hoff-
mann, 247.
Hypnose, circulation cérébrale pen-
dant l ? par Sarlo et Borgherini,
406.
Hypnotisme, par Lehmann, 97.
Hystérie traumatique, par Bonamai-
son, 109. ,
Ictus apoplectique, par Geigel, 97.
Illusions subjectives, par Draper,
232.
Imbéciles, maladies du cerveau chez
les-; par Fletcher Beach, 225.
Impulsions génitales PRÉCOCES, 266.
INFLUENZA ET ALIÉNATION, par Schmiz,
119. -
Inhibition CARDIO-HESPIRATOIRE, par
Tamastia, 107.
30
Mj6, TABLE DES MATIÈRES.
Langue, névrose peu commune de
la -, par Bernhardt, 100. -
Larynx, nerf du -, par Kagan,440.
Maladies mentales, dans les maisons
de correction, par Kuelm, 119.
Médecins adjoints des asiles, 127;
- concours des -, 132.
Mérycisme, par Roller, 433.
Moelle, troubles trophiques dans
les maladies de la -, par Jolly,
240.
Monoplégie hystérique, par Deter-
mann, 98.
l10liPHINO,IAN'IE, traitement de la, -
z par Playfair, 235.
Mouvements musculaires chez l'hom-
me, par Warner, 403.
DIYOCLONIE, par Bouveret et Cur-
tillet, 109.
Myxoedème, par Krepelin,'91; -et
sa folie, par Mackenzie, 217.
NÉCROLOGIE, 287.
Nerfs, vaisseaux sanguins des -,
par Quénu et Lejars, 1.
Neurasthénie, par Kowalewski, 111.
NÉVRITE, troubles trophiques des
ongles dans la- multi-loculaire,
par Bieechowsky, 105; périphé-
rique consécutive à l'influenza,
par Brosset, 108.
NÉVROSESTRAUMATIQUES,parSchultze,
238; - troubles trophiques de la
peau dans la-, par Krieger, 399;
Freund, 434.
Obsessions ET hallucinations , par
Séglas, 123.
OEDÈME hystérique, par Bertillon,
113.
OESOPHAGE, corps étranger de 1' -,
par Courtenay, 224; Buttemberg,
438.
Optique, atrophie du nerf -, par
Wiglesworth, 219.
PARALDÉHYDE, comme hypnotique,
par Finucane, 233.
Paralysie, du long fléchisseur du
pouce, par Bruns, 9î; - du tri-
jumeau, de l'oculo-moteur externe
et du lacial, par Bernhardt, 99;
du sus-scapulaire gauche, par
Sperling, 99; - anatomie patho-
logique de la faciale, par Min-
kowski, 241 ; spinale spastique,
Egorow, 25t ; - saturnine, par
Préobrajenski, 256; prodromi-
que dans le ramollissement céré-
bral, par Lôwenfeld, 104; gé-
némle à début très précoce, par
Charcot et Dutil, 145; - urine et
température dans la -, par Tur-
ner, 223; histologie pathologi-
que de la -, par Pick, 394;
dégénérescence des capillaires
dans la -, par Kronthal, 395;
anatomie pathologique de la -,
par Meyer, 397 ; symptômes des
lésions en foyer dans la -, par
Lissauer, 436. .
Paraplégie SG\ILr, par Gowers,
101.
Paranoïa, cerveau d'un fou atteint
de , par Feist, 396; Kalhbaum,
434.
Pabkinson (maladie de), paralysie
dans la - par Noncorgé, 108.
Parole, embarras de la -, par
Samsburg, 225.
PÉDONCULE, fibres du-, par Zacher,
401.
Persécutés, idées de grandeur chez
les -, par Christian, 35; sortie
des aliénés -, par Sollier, 419.
Phalangettes des doigts (gonfle-
ment des), par Rosenbach, 100.
Pie-mère, altérations de la , chez
les aliénés, par Del Greco, 413.
Prix de l'Académie de Belgique, 285;
de la Société médico-psycholo-
gique, 237.
Psychique, activité -, inconsciente
en pathologie mentale, par Sarlo,
231.
Pyramides, chez l'homme et les ani-
maux, par Bechterew, 397.
RAYNAUD (maladies de), par Raw,
219; Macpherson, 222
Réflexes, exagérés par la quinine,
par l : rlenmeyer, 112.
Rétine, embolie de l'artère centrale
de la par Manz, 251.
Sensibilité, troubles de la dans
les foyers cérébraux, par Darksche-
witsch, 105; dans la sclérose en
plaques, par Freund, 106.
SEXUELLE, inversion, par Roller, 433.
SOCIÉTÉ médico- psychologique, 121,
237 ; psychiatrique de la pro-
vince du Rlun, 421 ; des méde-
cins aliénistes et neurologistes de
Moscou, 253.
TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS. 467
Sommeil 111STÉflIQLE, par Steiner,
239.
Somnambulisme spontané et hystérie,
par ¡esnct, 289.
STUPEUR, par Whitwell, 220; Tur-
ner, 222.
Suicide, chez un paralytique géné-
ral, par liouillard ; - par Urqu-
hart, 221.
SBLFOE.1L, par Natson, 231.
SULFO\.1LISSIC, par Gilbert, 252.
Surdité verbale, par Bruns, 432.
Syringomyélie , par Rosenbach et
Schttscherbach, 100.
Système nerveux, modalité Inor-
bide familiale du -, par Nonne,
106.
Tabès et diabète sucré,' par G. Gui-
non et Souques, 48, 181 ; - le
est-il systématique, par Flech-
sig, 101 ; avec méningite céré-
bro-spinale syphilitique, par Syd-
ney Kuh, 103 ; - étiologie du,
par Bernhardt, 105; - anatomie
pathologique du , par Eisen- ! ohr,253.
TÉTANIE, par Hoffmann, 248; par
Tschernitcheff et Minor, 253.
Toux ET bruits laryngés des hysté-
riques, par Charcot, 69.
Tumeurs- cérébrales, par Oppen-
heim, 98; troubles de l'inner-
vation de l'oesophage dus à une
, par Neumann, 405 ; sans
symptôme, par Burr, 406.
Varia, 415.
TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS.
Agostini, 235.
Alzheimer, 426.
Audry, 125.
Baker, 234.
Bechterew, 396, 397.
Berdardini, 406.
Bernhardt, 99, 100, 10ü.
Bertillon, 113.
Bilchowsky, 105.
Blin, 97, 118, 231, 233,
236,272,274,275,406.
Blocq, 443.
Bonamaison, 109.
Borgherini, 404, 107.
Bourneville, 131, 135,
261, 269, 441. '
Boursout, 96.
Bouveret, 109.
Briand,96,122,123,237,
418, 421.
Brosset, 108.
Bruns, 9;,432.
Buchholz, 100.
Brrr, 406.
Buttemberg, 438.
Camuset, 157, 370.
Charcot, 69, 145.
Christian, 35.
Cope, 275.
Courtenay, 224.
Cramer, 94, 118.
Cullerre, 126.
Curtillet, 109.
Danilewski, 414.
Darlcschevitsch , 105.
256,441.
Dees, 399.
Deny, 108, 109, 110.
Dent, 226.
Determann, 98.
Dinter, 138.
Doehnhardt, 110, 405.
Dornblueth, 119.
Draper, 232.
Dutil, 145.
Edinger, 250.
Egol'ow, 254.
Eisenlohr, 101, 253.
Erlenmeyer, 112, 121.
Eulenbourg, 104.
Feist, 396.
Finucane, 233.
Flechsig, 101.
Fletcher-Beach, 22b.
Friedmann, 243.
Freund, 106, 434.
Gallerani, 235, 407.
Garnier, 121.
Geigel, 97.
Gilbert, 252.
Gilles de la Tourette,
123.
Gowers, 101.
Greco(del), ils.
Guinon (G.), 48, 124,
181, 259, 260, 261.
Hahn, 435, 437.
Hoche, 242.
Hoffmann, 247, 248.
Homers, 93.
Ilhngworth, 95.
Janet, 323.
Jolly, 240.
Kagan, 440.
Kahlhaum, 431. i.
Kahlden, 249.
Kellistol1, 230.
468 .' table DES auteurs ET DES collaborateurs. -
Kéraval, 94 à 108,111,
112, 118 à 121, 253,
- 258, 277, 394 à 404,
- 426, 433, 440, 443.
Kiefer, 434. -
Korsakow, 107.
Kowale\vski, 111.
Krieer, 399.
Kroepehn, 94.
Kronthal, 391, 395.
Kuehn, 119;
Kurella, 439.
Lacroix, 110. i
Lallemant, 126.
Lannois, 109.
Lehmann, 97.
Lejars, 1.
Lissauer, 436,
Lombroso, 112.
Londe, 201, 386.
Lowel1fe1d, 104.
Lussana, 235.
Mabille, 126.
M âckenzie, 217.
Alackpherson, 222.
Magnan, 304.
Manz, 251.
Mené),95.
Mesnet, 289. -
Mever, 397.
Mickle, 234.
Minkowski, 241.
Minor, 253.
Moncorgé, 108.
lforavcsik, 96.
Morselli, 227.
llfouratoff, 255.
Musgrave-Clav, 219 à
227, 233, "234, 235,
270, 271, 272, 275,
409, 412, 413.
ineumaiiii, 119, 405.
-Nonne, 106
Norman, 227.
Onanoff, 443.
Oppenheim, 98.
Ottolenghi, 229.
Oumikoff, 111.
Péron, 353.
Pick, 394.
Plaæton, 408.
l'layfair, 235.
Pope, 233.
Popoff, 92.
Préobrajenski, 254, 256.
Haw, 219, 220.
Itegnault, 109.
Reniait, 9f. .
Baller, 433,
Itorie, 221.
Rosenbach, 100, 11 '¡,
Boubll1ovltch, 92, 131,
278. -
ltouillard, 122.
Sainsburg, 219, 225.
Sarlo, 231, 406.
Ravage, 220.
Scheiber, 100.
Schmiz, 119, 421.
Schnopfharen, 402.
Schrader, 212.
Schltscherbach, 100.
Schultze, 238.
Séglas, 123, 201, 228,
230, 232, 235, 236,
386, 406, 407, 408.
Siemerling, 111.
Sollier, 125, 259, 419.
Souques, 48, 181, 258.
sperling, 99.
Steiner, 239.
Sydney Kuh, 103.
Tamastia, 407.
Thomas, 246.
Ti"O"es 423.
'l'imoféefi. 128.
Tschernitcheff, 253.
Turner, 222.
Urlluhart, 221.
Voisin (J.). 353.
Warendorf, 426.
Warnel', 221, 409.
Watson, 234.
Wei¡(ert, 246.
Weill, 88.
Weriling, 401
\ver,236.
Whitwell, 219.
Wouds, 223.
7.acher, 10 1.
Zziii(lei-, 437.
Qvreux , Ch. tiEmsaeY, fmp. - on2.