ARCHIVES
DE
NEUROLOGIE
t;VREUX, IMPRIMERIE DE CHARLES UËRISSKY
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DE ri
NEUROLOGIE
REVUE
DES MALADIES NlliVl;lISI : S ET MENTALES
PUBLIEE SOUS LA DIHISCT10N DE
.1.-111. CHARCOT
mec LA cot.cmonmov nn
MM. BABINSICI, BALLET, BITOT IILANC.IIAI1), BLOCQ,
B(1\NAIISI's i.), BONNET (11.), ISOlIGl1f31t1 ? AU, BBIAND (M.), BRICON (P.).
ISItISS.4lIU (1 ? ), BIlOliAlIlJEL (l'.), CHARPENTIER, f.IIASLIN, COTAItU, 1)P.130\'Is (M.
I)rLASIAU%'I : , DENI', UUVAL (Aleums), PIsltItllsll,
GILLES DE LA TOUIITTf3, GOMBAlI1.T, GISASST, JOIeFI10Y (A.),
KIÍIIA \' AL (l'.), LANUOUG1', hIAGNAN, DIAltll : , h113\UI : LSSO1W, MI ? II'l.I : Jfs\\'SK1'.
MULLEI1-LYER, hIUSGILA\'1 : l : l.A1', NEUMANN, PAlllNAliU, PIP.ItItl3T, l'11'ItS,
1'01'01'1', IIAOU1.T, ItA1'hIONI) IF.), ])AYHOND (P.),
]tMNA)U)(A.), REGNARI) (P.). ] ! tCHER(P.), BOUBINO\Y1SCEL. \ ? ROTH.
ROUSSELET (A.), SÉGJ,AS, SEGUIN (E.-C.). SOLLIBR, SOREL. 1'ALAM01>,
TEINTURIER (E.), T11UL1É (II.), 1'IIOISII\II (I.),
YIGOUROll.Y (II.), VOISIN (J.).
Rédacteur en chef : I;OUI%NEV91,LL ?
Secrétaire de la rédaction : Cil. 11`slti,`
Dessinateur : LEUBA.
Tome XV. - 1888.
Avec 6 planches et 44 figures dans le texte.
PARIS
BUREAUX DU PHOGHÈS MÉDICAL
1.'i, rue des Canjies.
1888
Vol. XV. Janvier 1888. Nu 43
ARCHIVES DE NEUROLOGIE
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PATHOLOGIE NERVEUSE
SUR UNE DÉFORMATION PARTICULIÈRE DU TRONC CAUSÉE
PAR LA SCIATIQUE;
Par le Dr J. BABINSKI, clief de clinique de la Faculté de médecine
il la-Salpêtrière.
Nous nous proposons d'établir dans ce travail que
dans certains cas de sciatique il se développe une
déformation particulière du tronc qui nous paraît avoir
échappé jusqu'à présent à l'attention des observa-
teurs. Cette déformation donne 'aux malades une
attitude toute spéciale que notre maître M. Charcot
nous semble être le premier à avoir remarquée. C'est
sur un malade de sa clientèle privée que M. Charcot
a observé la première fois cette déformation qu'il a
représentée sur un dessin que l'on trouvera annexé
à l'OBSERVATION IV. Peu de temps après se présentait à
la Salpêtrière un homme atteint de sciatique et offrant
la même attitude (Cas. 1).
Le rapprochement de ces deux cas paraissait bien
montrer qu'il y a entre la sciatique et la déformation
en question non pas une simple coïncidence, mais
Archives, l. XV. 1
2 PATHOLOGIE NERVEUSE.
une véritable relation de cause à effet, et depuis,
nous avons plusieurs fois vu M. Charcot, dans
ses leçons cliniques, annoncer à distance chez les
malades présentant ce symptôme, non seulement
l'existence d'une sciatique, mais encore son siège
sur tel ou tel membre. L'examen plus direct du
malade confirmait ensuite de tous points le dia-
gnostic. M. Ballet a eu dans ces derniers temps
l'occasion de rencontrer un malade de cette catégorie
qu'il a présenté à la Société médicale des hôpitaux
(séance du 8 juillet 1887). L'attitude de ces malades
est, comme nous l'avons dit, toute spéciale, si bien
qu'elle nous semble pouvoir être distinguée des di-
verses déformations que peuvent provoquer d'au-
tres affections, telles que la coxalgie, par exemple,
et qu'elle peut même servir il établir le diagnostic de
la sciatique dans un cas douteux. C'est ainsi que
M. Ballet n'est arrivé chez son malade à reconnaître
la sciatique que grâce à la connaissance de ce carac-
tère.
Les observations que nous publions sont au nombre
de 5, dont 2 nous ont été communiquées par M. Charcot
et dont les trois autres ont été recueillies par nous
dans le service de notre maître à la Salpêtrière. Nous
commencerons par exposer une à une chacune de ces
observations en cherchant à établir qu'il s'agit réelle-
ment de sujets atteints de sciatique et que la défor-
mation qu'ils présentent doit être mise sur le compte de
cette affection. Nous essayerons ensuite par l'étude com-
parative de ces divers cas, de faire ressortir les carac-
tères propres à cette déformation ainsi que sa nature,
DE LA DÉFORMATION DU TRONC. 3
et à la différencier des attitudes vicieuses qui pour-
raient être confondues avec elle et qui sont sous la
dépendance d'autres causes.
Observation I.
(Voir l'caacue I, fig. 1 et 2.)
R..., trente-sept ans, pasteur, entre à la Salpêtrière, dans le
service de M. CHARCOT, le 15 décembre 1886.
Antécédents héréditaires. Mère rhumatisante. Père mort
d'une maladie d'estomac. Frère atteint de lithiase biliaire. Deux
soell1'S bien portantes.
Antécédents personnels. - Dans l'adolescence, deux fluxions de
poitrine et la scarlatine. Vers l'âge de vingt-cinq ans il souffrait
souvent de lumbagos et de névralgies intercostales. Depuis trois
ans il habite dans le Loir-et-Cher, où il exerce la profession de
pasteur. La maison qu'il habite est saine et bien située, mais il
dit que sa profession l'oblige à des visites nombreuses dans des
quartiers et des logements humides et malsains.
En novembre 1884 il a commencéà éprouver les premières dou-
leurs dans la fesse et la hanche gauches, qui ont été sans cesse en
augmentant et ont gagné le creux poplité, la jambe et le pied.
Ces douleurs avaient les caractères suivants : elles étaient presque
continues et sujettes à des exacerbations qui survenaient sous
l'influence de la pression, de la fatigue, et quelquefois sans cause
appréciable. Le malade a continué pourtant à vaquer à ses occu-
pations habituelles. Vers la même époque, le malade commença
à éprouver dos troubles dyspeptiques ; après les repas il se sen-
tait oppressé, somnolent, il avait des renvois, et parfois il res-
sentait, au moment de l'ingestion des aliments, de vives dou-
leurs. '
Un an environ après le début des douleurs du membre inférieur,
la déformation du tronc, sur laquelle nous reviendrons plus loin,
commença à se développer.
Divers traitements ont été essayés successivement, mais sans
produire jamais autre chose qu'un soulagement momentané ;
citons en particulier les vésicatoires, le massage, les pointes de
feu, les douches de vapeur, les pulvérisations avec le chlorure de
méthyle, l'électricité galvanique, le séjour à Aix.
Etat actuel. - Les douleurs ne sont pas continues, mais elles
reparaissent assez fréquemment; elles sont profondes, contu-
sives, durent généralement plusieurs heures de suite et parfois se
présentent sous forme d'élancements apparaissant et disparaissant t
brusquement et rappelant les douleurs fulgurantes. Ces douleurs
4 ' PATHOLOGIE NERVEUSE.
se manifestent surtout quand le malade marche quelque temps
ou que l'on cherche à modifier l'attitude anormale qu'il présente;
s'il cherche en particulier à se coucher sur le ventre et à étendre
la cuisse gauche sur le bassin, il ressent des douleurs. Le malade
en éprouve aussi lorsqu'on cherche à étendre complètement la
jambe sur la cuisse
On réveille les douleurs en comprimant certains points, la ré-
gion sacro-iliaque, la région de l'échancrure sciatique, la partie
postérieure de la cuisse le long du sciatique, la partie externe du
creux du jarret, la partie postérieure de la malléole externe. La
percussion de la région trochantérienne et du talon, lorsque le
membre inférieur est étendu, ne provoque pas de douleurs. La
flexion, l'abduction, l'adduction et la rotation de la cuisse sur le
bassin peuvent être elfectués sans souffrance.
Lorsque le malade est debout, il présente une attitude toute
particulière : le tronc est incliné à droite du côté opposé à la
cuisse où siège la douleur, de telle façon que le corps porte da-
vantage sur le membre inférieur droit; outre l'inclinaison laté-
rale, on observe encore une légère flexion du tronc sur le bassin
et un certain degré de rotation du tronc sur son axe vertical, en
vertu de laquelle l'épaule droite est située sur un plan antérieur
à celui de l'épaule gauche. Les deux épaules sont situées à peu
près à la même hauteur. La crête iliaque gauche est plus élevée
de deux ou trois travers de doigt que celle du côté droit. On
observe au-dessus de la crête iliaque droite plusieurs plis de la
peau dirigés transversalement et correspondant à l'inclinaison
latérale du tronc et le rebord costal droit est très rapproché de
cette crête.
Si l'on examine le dos du malade on constate que la colonne
vertébrale présente deux courbures, l'une occupant la région
lombaire à concavité droite, l'autre dans la région dorsale et à
concavité gauche. La plante des pieds porte à terre de deux côtés,
mais appuie davantage à droite. La jambe droite est légèrement
fléchie sur la cuisse. Cette déformation du tronc ne peut être mo-
difiée, car, dès que l'on cherche à redresser le malade, il éprouve
de la douleur et l'on sent une résistance qui paraît difficile à
vaincre. Dans le lit, la déviation du tronc ne disparaît pas non
plus; l'inclinaison latérale du tronc persiste quand le malade est
couché sur le dos et la cuisse gauche est fléchie sur le bassin ; il
est impossible au malade, en raison de la flexion du tronc sur le
bassin de s'étendre sur le ventre, et même en faisant des efforts
et en endurant des souffrances, il ne peut arriver à prendre,
ne serait-ce que temporairement, l'attitude normale.
Revenons au membre inférieur gauche, siège des douleurs. Les
téguments ne présentent aucune modification; on ne constate ni
d'éruption d'aucune sorte ni de troubles vaso-moteurs. Il y a un
DE LA DÉFORMATION DU TRONC. 5
certain degré d'amyotrophie. Voici le résultat des mensurations :
6 PATHOLOGIE NERVEUSE.
commises. Dans le cas présent, pourrait-il en être
ainsi ? Assurément non, car les caractères positifs et
négatifs relevés dans le cours de l'observation sont,
nous semble-t-il, tout à fait concluants : il suffit de se
rappeler, en particulier, d'une part, que la percussion
de la région irochantérienne et du talon, lorsque le
membre inférieur est étendu, ne provoque pas de dou-
leurs, que la flexion, l'abduction, l'adduction et la ro-
tation de la cuisse sur le bassin peuvent être effectuées
sans souffrance, et, d'autre part, que la pression, sur
certains points particuliers, tels que la région sacro-
iliaque, la région de l'échancrure sciatique, la partie
postérieure de la cuisse le long du sciatique, la partie
externe du creux du jarret, la partie postérieure de la
malléole externe fait apparaître des douleurs. Quanta à
la déformation, elle s'est développée après le début de
la sciatique, et il ne nous paraît pas discutable qu'elle
doive être mise sur le compte de cette affection.
..
Observation II.
(Voir Planche II, fig. 1 et 2.)
L..., trente-cinq ans, cordonnier, entré le 25 janvier 1887 à la
Salpêtrière, salle Bouvier, numéro 4, dans le service de M. Char-
COT.
Antécédents héréditaires. - Rien de spécial à signaler.
Antécédents personnels. - Rougeole à l'âge de trois ans. A l'âge
de six ans, fluxion de poitrine. Bonne santé générale pendant
l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte. En 1870, il est soigné pen-
dant un mois et demi à t'hôpital de Metz pour une fièvre mu-
queuse, à la suite de laquelle il souffre pendant trois mois de
diarrhée avec coliques. Depuis cette époque il est sujet à des co-
liques, surtout pendant l'automne. Depuis quatre ou cinq ans, il
contracte des bronchites tous les hivers; lorsqu'il est enrhumé, il
est souvent pris de céphalalgie. Depuis le même temps, il est
devenu chauve. Il n'est ni syphilitique, ni alcoolique. Depuis trois
ans, il exerce sa profession de cordonnier, au rez-de-chaussée, 3
DE LA DEFORMATION DU TRONC. 7
dans un logement carrelé et humide, où les papiers sont décollés
du mur par l'humidité ; il ypasse neuf à dix heures par jour.
Il y a quatre mois et demi (octobre ] 886), il est reslé pendant
une heure dans une cave humide pour mettre du vin en bou-
teilles ; deux ou trois heures après, il ressentit des picotements
- douloureux dans la région fessière gauche. Ces douleurs étaient
continues, mais cependant supportables, et pondant un mois et
demi le malade continua son travail. Les douleurs devinrent
ensuite plus intenses et se firent sentir non seulement à la fesse,
mais encore tout autour de la hanche, à la partie postérieure de
la cuisse et dans le jarret; il est alors obligé de se coucher, ne
peut plus remuer le membre inférieur gauche, et le poids même
de couvertures est douloureux ; il fait des frictions à l'alcool cam-
phré.
A la fin de décembre 1886, les douleurs persistant, il va à la
consultation de la Pitié; on lui fait une seule pulvérisation de
chlorure de méthyle qui lui enlève complètement la douleur de
la fesse et celle du jarret. Mais il continue à souffrir autour de la
hanche et en avant de la malléole externe, d'où les douleurs
gagnent la partie antéro-intcrne de la jambe et la partie posté-
rieure de la cuisse. U applique alors deux vésicatoires, puis trois
rangées de pointes de feu le long de la partie postérieure de la
cuisse, puis quatre nouveaux vésicatoires en divers points du trajet
du nerf sciatique. Tous ces révulsifs ont un peu calmé les dou-
leurs, mais sans les supprimer. C'est alors qu'il entre à la Salpê-
trière le 23 janvier 1887.
Etat actuel. Le malade ressent dans le membre inférieur
gauche, le long du nerf sciatique, une douleur sourde et continue,
qui devient plus intense quand il marche ou qu'il reste quelque
temps assis. La douleur se fait sentir à la fesse, à la partie pos-
térieure de la cuisse jusque dans le creux poplité, le long de la
partie anléro-externe de la jambe jusqu'à la partie postérieure
de la région dorsale du pied. La pre,sion exagère la douleur aux
points fessier, trochantérien, poplité, péronier et dorsal du pied.
Les douleurs irradient dans la région crurale antéro-supérieure
en dedans et en dehors, au niveau du .muscle droit interne en
dedans, et du tenseur du fascia lata en dehors, le long des nerfs
crural et fémoro-cutané. Les mouvements actifs et passifs
de l'articulation de la hanche provoquent quelques douleurs dans
la fesse et au niveau du pli inguinal, mais ils sont tous aussi éten-
dus que du côté opposé. Le malade n'éprouve pas de souffrances
lorsqu'on percute le grand trochanter ou que l'on presse sur le
talon, après avoir fait étendre la jambe.
Quand le malade est debout, on constate qn'il repose surtout
sur le membre droit et que le tronc est fortement incliné à droite
et légèrement fléchi sur le bassin. L'épaule droite est plus élevée
8 PATHOLOGIE NERVEUSE.
que la gauche. Le rebord costal droit est rapproché de la crête
iliaque. La colonne vertébrale présente deux courbures latérales,
l'une inférieure, à concavité droite, l'autre supérieure, à concavité
gauche. La plante des pieds repose des deux côtés sur le sol. On
ne peut pas modifier cette attitude etla déformation du troncper-
siste quand le malade est au lit ; le malade ne peut se coucher
sur le ventre, et quand il est sur le dos, la cuisse est légèrement
fléchie sur le bassin et la jambe sur la cuisse. La déformation que
nous venons d'indiquer a commencé à se développer deux mois
après le début des douleurs. Le malade souffre quand dans la
marche le membre inférieur gauche vient poser sur le sol ; il
marche plus facilement avec une canne qu'il tient du côté droit,
c'est-à-dire du côté sain. Du côté des téguments, il n'y a pas de
trouble trophique, mais les muscles du membre inférieur gauche
sont un peu atrophiés. L'amyotrophie est surtout accentuée à la
fesse et à la cuisse. Voici les résultais de la mensuration : -.
DE LA DÉFORMATION DU TRONC. 9
trochantérien, poplité, péronier et dorsal du pied.
D'autre part, les mouvements actifs et passifs de l'ar-
ticulation de la hanche sont tout aussi étendus du côté
malade que du côté opposé, et le malade n'éprouve
pas de douleurs lorsqu'un percute le grand trochanter
ou que l'on presse sur le talon après avoir fait éten-
dre la jambe. Les différents caractères que nous ve-
nons d'énumérer suffisent à éliminer l'hypothèse de
coxalgie et à établir le diagnostic de sciatique. La dé-
formation s'est développée après l'apparition des dou-
leurs et elle est liée manifestement à la sciatique.
Observation 111.
(Voir Planche III, fig. 1 et 2.)
M..., trente et un ans, marchande de"journaux, vient à la Sal-
pêtrière à la consultation de M. CHARCOT, le 22 juillet Il 887.
Antécédents héréditaires . Père mort à cinquante-deux ans
d'entérite, dit la malade.- Mère vitet se porte bien. Un frère est
très nerveux, a souvent des cauchemars la nuit, se lève parfois et
marche tout endormi. - Grand'mère maternelle morte à quatre-
vingt-huit ans; elle était paralysée depuis trois ans. Un oncle
paternel a eu un accès de folie furieuse.
Antécédents personnels. La malade a toujours été très ner-
veuse. Elle a eu trois enfants, dont deux morts de convulsions.
L'aînée vit ; c'est une petite fille de treize ans qui est bien por-
tante, mais très nerveuse. La malade tousse un peu tous les
hivers.
La douleur dont souffre actuellement la malade a débuté il
y a trois mois : elle éprouva une nuit une sensation d'engour-
dissement dans tout le membre inférieur droit, puis des dou-
leurs très vives le long du trajet du nerf sciatique droit. Le
lendemain du jour où ont débuté ces douleurs, elle prend un bain
très chaud, au sortir duquel les douleurs névralgiques deviennent
excessivement intenses et la malade tient le tronc fortement
incliné du côté gauche. Elle assure qu'elle se tenait parfaite-
ment droite avant le début de l'affection. Elle garde la chambre
10
PATHOLOGIE NERVEUSE.
huit ou dix jours, éprouve au bout de ce temps une légère amé-
lioration, dont elle profile pour aller, quoiqu'elle souffre encore
beaucoup en marchant, à la consultation de l'hôpital Necker
(fin du mois d'avril 1887) : là, on lui fait, à trois reprises, des
pulvérisations de chlorure de méthylc, mais sans obtenir aucune
amélioration. Elle va ensuite consulter le Dr Kismisson, qui lui
ordonne des douches de vapeur : elle en prend dix-sept. En même
temps, dans le service du professeur Bail, on J'électrise avec des
courants induits et on lui fait deux injections hypodermiques
d'antipyrine. Insensiblement, il y a eu, depuis trois semaines,
une légère amélioration : les douleurs sont devenues un peu
moins vives et la marche plus facile.
Etat actuel (22 juillet 1887). La malade souffre encore beau-
coup tout le long du trajet de son nerf sciatique droit : la douleur
se fait sentir depuis la malléole externe jusque dans la région
lombaire et n'occupe pas du tout le pied; elle est continue et
sourde, mais très violemment exaspérée par le moindre mou-
vement du tronc, le rire, la toux. La marche augmente aussi la
douleur.
Les mouvements provoqués des articulations du cou-de-pied et
du genou droits, sauf l'extension de la jambe sur la cuisse, qui
fait souffrir la malade, n'exaspèrent que très peu la douleur ; il en
est de même de la flexion, de l'extension et de l'adduction de la
cuisse droite; l'abduction de la cuisse est un peu douloureuse;
mais ce mouvement peut être aussi étendu de ce côté que du
côté opposé. La pression sur les points ischiatique et poplité pro-
voque de la douleur. Lorsque la malade est assise, elle ne repose
que sur la fesse gauche. Lorsque la malade est debout, son atti-
tude est la suivante : elle est penchée un peu en avant, mais ce
qui domine, c'est l'inclinaison latérale; le tronc est fortement
incliné à gauche sur le membre inférieur correspondant; l'épaule
droite est un peu plus élevée que la gauche; il en est de même
de la crête iliaque droite par rapport à la crête iliaque gauche.
Dans la station, le malade repose presque exclusivement sur le
membre inférieur gauclie ; cependant la plante du pied droit est
dans toute son étendue en contact intime avec le sol ; on ne pour-
rait placer aucun corps étranger, pas même une feuille de papier,
entre le sol et le talon ou la pointe du pied droit.
La malade étant debout, les talons écartés l'un de l'autre de
dix centimètres, un fil à plomb, dont l'extrémité supérieure est
placée au niveau de l'apophyse épineuse de la septième vertèbre
cervicale, tombe par son extrémité inférieure au niveau du talon
gauche. La colonne vertébrale présente une double courbure
latérale, l'une inférieure à concavité gauche, l'autre supérieure à
concavité droite.
Si l'on cherche à modifier l'attitude de la malade, elle éprouve
DE LA DÉFORMATION DU TRONC. 1'1
de la souffrance. Mais elle dit que l'inclinaison n'est pas toujours
également marquée : c'est ainsi que le matin à son réveil, alors
qu'elle est reposée, elle est moins inclinée que vers la fin de la
journée.
Le membre atteint no présente pas d'autres troubles : la sensi-
bilité est normale; il n'y a pas d'amyotrophie, pas de phénomènes
vaso-moteurs. Rien du côté des viscères. On conseille à la
malade de continuer les bains de vapeur et on lui fait prendre
1 gr. 50 d'acetaniiide par jour.
La malade revient quinze jours après. Les douleurs sont bien
moins fortes ; la déformation est moins accentuée qu'au début, mais
elle existe encore.
Nous ne pourrions, à propos de cette observation,
que répéter ce que nous avons dit au sujet des deux
observations précédentes. Pour des motifs analogues
à ceux que nous avons invoqués, le diagnostic de
sciatique s'impose, et il suffit de lire attentivement
l'observation pour ne conserver aucun doute à cet
égard. La déformation est aussi, comme dans les cas
précédents, manifestement sous la dépendance de la
sciatique.
Les deux observations succinctes qui suivent se rap-
portent à deux malades qui ont été examinés par
M. Charcot en consultation. L'un de ces deux cas est
celui qui a attiré la première fois l'attention de mon
maître sur cette déformation de la sciatique. M. Charcot
a pris brièvement quelques notes sur ces malades et
en a fait des croquis que nous reproduisons ici, qui
font voir les caractères essentiels de la déformation
qu'ils présentaient.
Observation IV.
Malade examiné le 3 septembre 1886.
Sciatique gauche remontant à dix-huit mois. Inclinaison remar-
quable du tronc du côté opposé. Diminution des réflexes tendi-
12
PATHOLOGIE NERVEUSE.
neux du côté gauche. Léger amaigrissement du membre inférieur
gauche,
Observation V. '
Malade âgé de quarante-sept ans et demi, examiné le 8 dé-
cembre 1886. C'est un amateur de pêche qui s'est souvent exposé
à l'humidité. Sciatique gauche. Début remontant à un au. Dou-
leurs intenses depuis trois mois et déformation depuis cette
, Fig. 1.
1,'ig. 2.
DE LA DÉFORMATION DU TRONC. 13
époque. Le tronc est incliné à droite. Le rebord costal droit
touche la crête illiaque correspondante. Les deux pieds portent
à terre dans toute leur étendue. Il y a une légère amyotrophie
du membre inférieur gauche.
Ces deux dernières observations sont évidemment
trop brèves pour qu'il soit possible d'établir avec ri-
gueur, au moyen des symptômes consignés, le dia-
Fig. 3.. .
Fig. t.
il, PATHOLOGIE NERVEUSE.
gnostic de sciatique. Mais est-il besoin de faire
remarquer que le diagnostic ayant été porté par
M. Charcot, après examen attentif, ne peut être mis
en doute ?
Nous croyons avoir établi que les observations pré-
citées ont bien trait à l'affection connue sous le nom
de sciatique et que la déformation présentée par les
malades est sous sa dépendance. Nous devons cher-
cher actuellement, par l'étude comparative de ces
observations, à voir si l'attitude anormale que nous
avons signalée a quelques caractères constants et si
elle peut être différenciée des déformations que l'on
peut rencontrer dans d'autres affections, entre autres
dans la coxalgie. Les anomalies que nous avons signa-
lées en décrivant l'attitude de nos malades portent,
comme on l'a vu, sur diverses parties du corps, et
nous avons indiqué tour autour la position occupée par
les épaules, le thorax, l'abdomen, le bassin, les mem-
bres inférieurs.
Occupons-nous d'abord de la situation des épaules.
Dans t'OBSERVATioN I (sciatique gauche), l'épaule
droite est située sur un plan antérieur à celui de
l'épaule gauche, et les deux épaules sont à peu près à
la même hauteur. Dans l'O13SI ? R'AT10N II (sciatique
gauche), l'épaule droite est plus élevée que la gauche;
aucune autre modification. Dans I'Observation III
(sciatique droite), l'épaule droite est un peu plus éle-
vée que la gauche. Dans l'OBSCRV.1'l'ION IV (sciatique
gauche), le dessin montre que l'épaule gauche est
plus élevée que la droite. Dans l'Onsl : nv.Tios V
(sciatique gauche), le dessin fait voir que l'épaule
droite est plus élevée que la gauche.
DE LA DÉFORMATION DU TRONC. 1e'7
Ainsi donc, ce n'est que dans t'OBSERVATioN 1 que se
trouve indiquée la situation d'une épaule sur un plan
antérieur à celui de l'épaule opposée, et, d'autre part,
l'épaule du côté malade est, dans un cas, sur le même
niveau que l'épaule du côté opposé; dans deux cas,
l'épaule du côté malade est plus élevée que du côté
sain, et, dans deux autres cas, c'est la disposition in-
verse qui s'observe. Aussi, en ce qui concerne la
situation de l'épaule, on ne peut établir aucune règle,
et nous devons chercher ailleurs la caractéristique de
la déformation.
Eludions maintenant l'attitude du tronc et du
bassin. Dans l'OBSERVATION 1 (sciatique gauche) le tronc
est incliné à droite et il est en même temps légère-
ment fléchi sur le bassin.
Au-dessus de la crête iliaque droite, on observe
plusieurs plis de la peau dirigés transversalement, et
le rebord costal droit est très rapproché de cette crête.
La crête iliaque gauche est plus élevée de deux ou
trois travers de doigt que celle du côté opposé. La
colonne vertébrale, présente deux courbures, l'une
inférieure occupant la région lombaire, à concavité
droite, l'autre supérieure, dans la région dorsale et à
concavité gauche. Dans t'OBSERVATtON II (sciatique
gauche) le tronc est fortement incliné à droite et
fléchi sur le bassin. Le rebord costal droit est rap-
proché de la crête iliaque. La colonne vertébrale pré-
sente deux courbures latérales, l'une inférieure à
concavité droite, l'autre supérieure, à concavité
gauche. Dans l'OBSI-1-111AT[ON I I (sciatique droite)
la malade est un peu penchée en avant, mais
ce qui domine c'est l'inclinaison latérale; le tronc est
Il) li 111*1'1101OGIL m : Kw.usL.
fortement incliné à gauche. La crête iliaque droite est
située sur un niveau plus élevé que la crête du côté
opposé. La colonne vertébrale présente une double
courbe latérale, l'une inférieure à concavité gauche,
l'autre supérieure à concavité droite. Dans les Observa-
riows IV et V (sciatiques gauches), on voit d'après les
liq. 1, 2, 3 et 4 que le tronc est fortement incliné du
côté droit et que le rebord costal droit est très rapproché
de la crête iliaque. On observe aussi sur les deux des-
sins une double courbure latérale, l'une inférieure à
concavité droite, l'autre supérieure à concavité gauche.
On peut constater facilement par l'étude compara-
tive de ces cinq cas, que la situation du tronc est
toujours la même dans ses principaux traits. En effet,
dans toutes les observations, on note que le tronc est
incliné du côté opposé à celui où siège la sciatique,
et que le rebord costal du côté où le tronc est incliné
est très rapproché de la crête iliaque. La déviation de
la colonne vertébrale est aussi toujours la même; on
note constamment une double déviation latérale, l'une
inférieure correspondant à la région lombaire à con-
vexité tournée du côté de la sciatique, l'autre supé-
rieure correspondant à la région dorsale à convexité
tournée en sens inverse. La flexion du tronc sur le
bassin est notée dans les trois premières observa-
tions. Il est impossible de voir sur les croquis se
rapporlant aux deux dernières observations s'il y
existe la même disposition. Pour ce motif je ne puis
attacher à cette particularité l'importance que j'ai attri-
buée aux caractères précédents. La crête iliaque dans
tes Otismv.\'no\s t et ni est située sur un niveau plus
élevé du côté malade que du côté opposé. La disposi-
DE LA DÉFORMATION DU TRONC. 1Î 't
tion relative des deux crêtes iliaques n'est pas mention-
née dans les autres observations ; il est vraisemblable
qu'elle était semblable à celle qui a été notée dans les
deux cas où l'attention a été dirigée de ce côté, car
l'élévation de la crête iliaque du côté malade doit être
sous la dépendance de l'inclinaison du tronc en sens
opposé. Mais s'il en est ainsi, ce n'est là qu'une dis-
position accessoire et nous pouvons ne pas en tenir
compte.
Il nous reste à considérer l'attitude des membres
inférieurs. Dans l'OBSERVATiON I (sciatique gauche) la
jambe droite est légèrement fléchie sur la cuisse, et la
plante des pieds porte à terre de deux côtés mais
appuie davantage à droite. Dans l'OBSERVATiON II il
est noté que la plante des pieds repose des deux côtés
sur le sol. Dans l'OBSERVATION III on remarque que
le malade repose presque exclusivement sur le
membre inférieur gauche, mais la plante du pied droit
est dans toute son étendue en contact intime avec le
sol; on ne pourrait placer aucun corps étranger, pas
même une feuille de papier, entre le sol -et le talon ou
la pointe du pied droit (il s'agit d'une sciatique droite).
Dans l'OBSERVATION V les deux pieds portent à terre
dans toute leur étendue. Dans l'OasERVATiON IV il
n'est pas fait mention de l'état du pied. En somme,
comme on le voit dans toutes les observations où
l'attention a été dirigée de ce côté, on a constaté
que le pied du côté malade, quoique appuyant sur le
sol avec moins de force que celui du côté opposé, était
néanmoins en contact intime avec lui. Il s'agit donc
là d'un caractère constant qui nous paraît avoir une
assez grande importance.
Archives, 1. xv. 2
18 PATHOLOGIE NERVEUSE.
Nous venons de voir les signes qui caractérisent la
déformation de la sciatique lorsque le malade se tient
débout. Nous devons encore l'étudier à d'autres points
de vue.
Dans les trois premières observations il est noté
qu'il est impossible de modifier l'attitude en cherchant
à imprimer au tronc des mouvements passifs, et que
la déformation persiste lorsque le malade est couché.
Il serait intéressant de savoir ce que cette déforma-
tion devient pendant le sommeil et sous l'influence de
la chloroformisation; mais nous avons négligé de
faire ces recherches et nous ne pouvons pas, par
conséquent, répondre à ces questions.
Nos observations ne peuvent nous donner des no-
tions complètes sur l'évolution de cette déformation et
en particulier sur son mode de terminaison, car nous
n'avons pas pu suivre les malades assez longtemps.
Voici les quelques renseignements qu'elles nous
donnent à cet égard. Dans l'OBSERVATION I la déforma-
tion du tronc commença à se développer un an environ
après l'apparition des douleurs. Dans l'OBSERVATION II,
deux mois après le début de la sciatique alors que les
souffrances devenaient plus fortes, la déformation ap-
paraissait. Dans l'OBSERVATION III il est noté que le
lendemain du jour où l'affection a debuté, les dou-
leurs névralgiques sont excessivement intenses, et la
malade tient le tronc fortement incliné du côté gauche.
Dans l'OBSERVATION V la déformation ne s'est déve-
loppée que neuf mois après le début de la sciatique,
en même temps que les douleurs devenaient plus
intenses.
DE LA DÉFORMATION DU TRONC. 19
Comme on le voit, la date de l'apparition de la dé-
formation par rapport au moment où la sciatique
commence à se développer est très variable; c'est
un an, neuf mois, vingt-quatre heures après le début
de l'affection que l'inclinaison du tronc peut être
constatée .
Ainsi donc le développement de la déformation
n'est pas lié à la durée de la sciatique, mais il semble
être sous la dépendance de l'intensité des douleurs ;
on peut remarquer en effet, de la façon la plus nette,
que dans trois de nos observations l'attitude vicieuse
a apparu en même temps que les souffrances de-
venaient très fortes.
Il n'est pas sans intérêt de remarquer que la défor-
mation ne présente pas toujours le même degré d'in-
tensité aux divers moments de la journée. C'est ainsi
que dans l'OBSERVATION III la malade est moins inclinée
le matin à son réveil, alors qu'elle est reposée, que
vers la fin de la journée.
En ce qui concerne l'évolution ultérieure de cette
déformation, il nous est impossible de donner d'indica-
tions précises. Nous pouvons dire seulement qu'elle est
susceptible de s'atténuer lorsque les douleurs devien-
nent moins fortes. En effet, dans l'OBSERVA'noN II, il
est noté qu'à la sortie de l'hôpital, vingt jours après
l'entrée, les douleurs sont moins intenses et la dé-
formation un peu moins accentuée. Chez la malade
qui fait le sujet de l'OBSERVATION III, il en a été de
même ; quinze jours après le moment où elle s'est
présentée pour la première fois à l'hôpital, les dou-
leurs avaient notablement diminué et la déformation
était moins accentuée qu'au début. -
20 PATHOLOGIE NERVEUSE.
Cette déformation peut-elle disparaître complète-
ment ? Il y a tout lieu de croire que, dans certains
cas au moins, ce mode de terminaison est possible,
mais cette opinion n'est pas basée, pour le moment,
sur des faits précis. -
Nous devons, maintenant, chercher à déterminer la
cause et la nature de cette déformation. Il faut tout
d'abord remarquer que cette déformation est loin
d'être constante dans la sciatique, et même si l'on con-
sidère qu'elle n'a pas été encore signalée par les pa-
thologistes, on doit être porté à croire qu'il s'agit là
d'une exception..11 nous semble, toutefois, qu'il est
bon de ne pas encore se prononcer à ce point de vue.
On sait, en effet, que, lorsque l'attention n'a pas été
préalablement mise en éveil, bien des choses pas-
sent inaperçues, alors qu'elles semblent manifestes à
un observateur prévenu.
D'autre part, il est vraisemblable, sinon certain,
que, dans bien des cas, l'attitude vicieuse dont nous
nous occupons existe, tout en étant moins accentuée
que chez les malades dont nous avons rapporté les
observations. Or, il est indispensable, pour percevoir
nettement une pareille déformation, lorsqu'elle est
légère, d'examiner le malade tout nu, et l'on n'a guère
l'habitude, surtout lorsqu'il s'agit de femmes, de faire
l'examen dans ces conditions; c'est ce qu'il faudra
faire désormais, si l'on veut déterminer son degré de
fréquence. M. Charcot insiste, dans ses cliniques, sur
l'importance, en neuropathologie, de ce genre d'exa-
men. 11 est vrai que celui-ci exige, pour être vraiment
fructueux, des connaissances relatives à l'anatomie
des formes du corps humain, plus étendues et plus
DE LA DÉFORMATION DU TRONC. 21
profondes que ne le sont celles que possèdent les mé-
decins pour la plupart.
Est-il possible de dire pourquoi cette déformation
atteint certains sujets et épargne les autres ? On pour-
rait répondre qu'il doit en être de cela comme de
beaucoup d'autres états morbides qui ne se dévelop-
pent que sur certains terrains. Il est, en effet,
tout naturel d'admettre que, sous l'influence d'une
même excitation, la réaction puisse être différente
suivant le sujet, et que le tronc s'incline chez un indi-
vidu, reste dans la rectitude chez l'autre, alors qu'ils
sont tous deux atteints de sciatique de même intensité.
- Mais on peut aussi se demander si cette déformation
n'est pas tout simplement l'apanage des sciatiques in-
tenses, car nos observations se rapportent à des cas
de sciatique de cette catégorie. Le membre affecté pré-
sente, chez la plupart de nos malades, un peu d'amyo-
trophie, et la déformation s'est développée lorsque les
douleurs sont devenues violentes. Nous avons déjà
relevé plus haut cette particularité, et il nous semble
certain que l'élément douleur joue, dans la production
de cette attitude anormale, un rôle prépondérant, sinon
exclusif. -Il est, dureste, facile de concevoir comment
la douleur de la sciatique peut amener ce résultat.
En effet, lorsque le tronc est incliné, comme on l'a
vu, tout le poids du corps porte presque uniquement
sur le membre sain, et la compression normale, que le
nerf sciatique doit subir, lorsque les muscles du mem-
bre inférieur entrent en contraction, est supprimée
dans le membre malade par suite du relâchement de
ses muscles. D'autre part, le malade, tout en évitant
d'exercer une pression du côté affecté, laisse son pied
22 ) PATHOLOGIE NERVEUSE.
complètement appliqué sur le sol, car le soulèvement
du membre amènerait un tiraillement du nerf qui se-
rait suivi de douleurs. Il nous semble qu'on peut com-
prendre ainsi le mécanisme de cette attitude toute
spéciale, dont les caractères essentiels sont l'inclinai-
son du tronc du côté opposé ci la sciatique et l'absence
complète de soulèvement du pied du côté malade. Il
s'agit donc là simplement d'un mouvement instinctif
effectué dans le but d'atténuer la souffrance, et l'in-
clinaison est, par conséquent, due, au début, à une
contraction musculaire qui doit cesser lorsque le ma-
lade se met dans la position horizontale. Biais, à la
longue, sous l'influence de l'habitude que le malade
contracte d'incliner son tronc, il se développe sans
doute un état spasmodique des muscles, qui n'est plus
susceptible de se modifier d'un instant à l'autre, et
c'est ce qui fait que, même dans la position horizon-
tale, comme on l'a vu dans nos observations, les ma-
lades ne peuvent modifier leur attitude vicieuse. Enfin,
on peut aussi très bien admettre que, chez certains
sujets prédisposés, il se forme, après un laps de
temps plus ou moins long, comme dans quelques cas
de contracture ou de paralysie, des rétractions
fibreuses'. S'il en est ainsi , la déformation devien-
drait évidemment, chez ces malades, indélébile, même
' si la sciatique venait à disparaître.
Nous avons signalé la double déviation de la co-
lonne vertébrale qui est notée dans toutes nos obser-
1 Voir Bulletin médical, N° 7, I An « Rétractions fiiJro-teI1lEneliscs
dans les paralysies spasmodiques par lésions organiques spinales et
dans la contracture spasmodique hystérique». Leçon de M Charcot
recueillie par M. Babinski.
DE LA DÉFORMATION DU TRONC. 23
vations. La courbure inférieure lombaire présente sa
concavité tournée dans le même sens que l'inclinaison
du tronc, et elle est sous sa dépendance; quant à
la courbure supérieure dorsale, elle est tournée en
sens inverse, et c'est une courbure de compensation.
Il n'y a pas donc lieu de s'arrêter sur ce point.
Il nous reste maintenant à établir le diagnostic diffé-
rentiel de la déformation que nous venons d'étudier.
Il nous paraît inutile d'établir un parallèle entre cette
déformation et celles qui peuvent être consécutives au
mal de Pott, aux fractures de la colonne vertébrale,
au rachitisme. Parfois, les hystériques présentent
une déviation du tronc qui ressemble un peu à celle de
la sciatique et qui pourrait, à première vue, prêter à la
confusion (voir Planche V, fig. 1 et 2); mais ces ma-
lades sont atteints en même temps, le plus générale-
ment, de torticolis spasmodique, et les deux membres
inférieurs exercent sur le sol la même pression, con-
trairement à ce que l'on voit dans la sciatique. Du
reste, la sciatique ne peut guère être confondue avec
les affections que nous venons d'énumérer, et le dia-
gnostic différentiel ne présente pas d'intérêt dans
ces cas.
La sciatique, au contraire , est fréquemment con-
fondue avec la coxalgie qui, de son côté, amène sou-
vent une déviation du tronc. La comparaison des
attitudes vicieuses, produites par ces deux espèces
d'affections, présente donc un plus grand intérêt.
L'inclinaison du tronc dans la coxalgie se fait généra-
lement du côté sain, comme dans la sciatique; mais,
en même temps, il se fait, parfois, une torsion du
tronc en sens inverse, en vertu de laquelle le rebord
'4 PATHOLOGIE NERVEUSE.
costal du côté sain se rapproche de la crête iliaque
(Planche IV), ce qui est l'inverse de ce qui s'observe
dans la sciatique. D'autres fois, la déformation du tronc
est en tout semblable à celle de sciatique; mais, dans la
plupart des cas, le membre malade est légèrement
soulevé, et le talon, de ce côté , n'est pas exactement
appliqué sur le sol (Planche IV), comme dans la scia-
tique. Ainsi, on le voit, c'est la coïncidence de ces deux
caractères, sur lesquels nous avons insisté plus haut,
qui donne à l'attitude vicieuse de la sciatique un aspect
particulier qui permet d'établir le diagnostic.
SUR UNE AFFECTION CARACTÉRISÉE PAR DE L'ASTASIE
ET DE L'ABASIE
(INCOORDINATION MOTRICE POUR LA STATION ET POUR LA MARCHE (ClIAR-
COT ET R1CIIEItI. - ATAXIE MOTRICE HYSTÉRIQUE (V. MiTCHELL).
cot et Riciier). Ataxie motrice hystérique (V. Mitchell). z
ATAXIE PAR DÉFAUT DE COORDINATION' AUTOMATIQUE) (JaCCOUD) ;
Par PAUL BLOCQ, interne des hôpitaux.
Nous désignons ainsi un état morbide dans lequel
l'impossibilité de la station verticale et de la marche
normale contraste avec l'intégrité de la sensibilité,
de la force musculaire, et de la coordination des
autres mouvements des membres inférieurs. En dépit
des néologismes que nous employons, il ne s'agit pas
d'une maladie nouvelle à proprement parler, car déjà,
en 1883, MM. Charcot et P. Richer l'ont décrite sous
le nom « d'impuissance motrice des membres infé-
rieurs par défaut de coordination relative à la station
et à la marche», et, depuis, M. Charcot en a fait à
DE l'astasie ET DE l'abasie. 25 5
diverses reprises le sujet de ses leçons cliniques. Ce
sont, du reste, ces leçons mêmes, jointes aux notes
inédites et aux documents rassemblés par M. Charcot
sur la question, qui forment la base de ce travail dont
notre maître nous a ainsi donné et l'idée et les élé-
ments à l'occasion d'un cas que nous avons observé
récemment dans son service à l'hospice de la Salpê-
trière.
La définition qu'on a lue implique l'idée de para-
lysie de synergies musculaires déterminées, c'est-à-
dire de mouvements systématisés, comparable à ce
qui se passe dans l'agraphie, par exemple. Dans l'a-
graphie motrice pure, comme on sait, l'impuissance
motrice n'est pas due à une paralysie des mouvements
ordinaires, puisque le malade se sert très bien de sa
main pour exécuter les mouvements vulgaires et
même certains mouvements systématisés, comme pour
dessiner, dans quelques cas, mais il a perdu le sou-
venir des mouvements spécialisés nécessaires pour
tracer l'écriture. De même dans l'astasie, l'impuis-
sance motrice ne tient pas à une paralysie des mou-
vements généraux puisque le malade exécute, à l'aide
des membres inférieurs, avec la plus grande préci-
sion, des actes divers et peut même sauter, dans quel-
ques cas, ou «marcher à quatre pattes », mais il a
perdu le souvenir des mouvements spécialisés néces-
saires pour se tenir debout (astasie) et pour marcher
(abasie). '
Aussi nous a-t-il semblé indispensable de stigma-
tiser par un vocable analogue plus court et aussi si-
gnificatif que la périphrase « incoordination motrice
portant exclusivement sur la station et sur la mar-
26 PATHOLOGIE NERVEUSE.
che » ce trouble caractéristique. D'après l'avis'éclairé
de M. Girard, membre de l'Institut, que nous'remer-
cions ici de l'obligeance empressée avec 'laquelle il
nous a accueilli, nous'avons adopté les expressions
qui figurent plus haut ? '
. i - ' . i ,
I. HISTORIQUE. - La littérature médicale ne ren-
ferme qu'un nombre extrêmement restreint de- faits
qu'on puisse. rapprocher de ceux que nous décrivons
et les- leçons de M. Charcot constituent presque à
elles seules les documents actuels sur la matière. Ce-
pendant, nous trouvons, ainsi que M. Charcot l'a fait
remarquer, la. première indication du syndrome qui
nous occupe, dans un livre déjà ancien de M. le pro-
fesseur Jaecoud; la description, pour être sommaire,
n'en est pas moins très explicite, et se rapporte à ce
que l'auteur, appelle « ataxie par défaut de ! coordina-
tion automatique». « Enpa ! ! 1Ogéni; 'dit-il, cette
forme ne' diffère de t'ataxie; complète que par' la con-
- servatiôn de la coordination volontaire,' c'est-à-dire
du sens musculaire ; en clinique elle se distingue par
les résultats négatifs de l'épreuve des yeux et par
l'adaptation régulière des mouvements au but voulu.
Cette forme, très rare, n'a été vue jusqu'ici que chez
les hystériques, et elle paraît tenir à l'exagération de
- ' Voici un extrait, de la lettre que. nous a adressé a ce sujet I. Girard,' C'est L
bien astasie (às-zcniz) etabasie (29zst,-) qui paraissentconvenirle mieux.
Il faut deux mots pour exprimer les deux idées distinctement. Si vous -s
n'en voulez qu'un, il me semble que c'est le premier qu'il' faudrait choisir,
l'impossibilité de se tenir debout entraînant, si je ne me trompe, celle de
marcher. J 1 1 1 '
Le mot astasie a été déjà employé par Gubler. Il appelait « astasie
musculaire ,, une variété de tremblement saturnin précurseur de la
paralysie. Employé dans ce sens le terme n'a pas survécu. 1
DE l'astasie ET DE l'abasie 21
l'excitabilité réflexe de la moelle bien plutôt qu'à la
perturbation des irradiations spinales. Ce qui le
prouve, c'est que les mouvements sont .normaux lors-
qu'ils sont exécutés dans lcz station couchée et assise; ils
ne deviennent ataxiques que dans la station debout et
pendant la marche; on voit alors des contractions in-
volontaires troubler. l'équilibre ou interrompre l'har-
monie de l'acte fonctionnel toutes les fois que la plante
du pied pose sur le sol, c'est-à-dire lorsque les im-
pressions centripètes résultant du contact mettent en
jeu l'hyperkinésie morbide de la moelle'.» Il y a évi-
demment dans cette description la différenciation du
trouble que nous étudions, mais l'interprétation pa-
thogénique de M. Jaccoud ne semble pas applicable,
ainsi que nous le verrons ultérieurement à la majorité
de nos cas.
La première étude où soit affirmée l'existence de
cette affection est un travail de MM. Charcot et
P. Richer publié dans la Medicina Contemporanea, en
1883, sous ce titre : « Sur une forme spéciale d'im-
puissance motrice des membres inférieurs par défaut
de coordination relative à la station et à la marche. »
Cette affection atteint en particulier les enfants et les
jeunes sujets et survient tout à coup, à l'occasion
d'une émotion ou d'un traumatisme. En général, le
lendemain, ou peu après l'émotion ou la chute, sur-
vient une impuissance motrice des membres infé-
rieurs. Rien n'attire l'attention du côté de ces mem-
bres, le malade peut se lever, mais, dès qu'il a les
pieds à terre, il ne peut se tenir debout ou marcher;
. Jaccoud. Paraplégies et ataxie du mouvement . Paris, 18G}, p. 653.
2b PATHOLOGIE NERVEUSE.
cependant, le sujet couché a conservé l'intégrité de la
force musculaire et la précision des mouvements des
membres. On observe quelques variétés; parfois, lors
de la station avec le secours d'un aide, les jambes
s'embarrassent l'une dans l'autre, ou se fléchissent sur
le bassin, ou encore, lors des essais de marche, il y a
des mouvements désordonnés, il arrive enfin que la
progression, en sautant à pieds joints ou en sautant à
cloche-pied, est possible. Le pronostic est générale-
ment favorable, le trouble disparaît lentement ou brus-
quement et est sujet à des récidives. Il paraît en rela-
tion avec la diathèse hystérique. Il ne s'agit pas,
comme le veut Jaccoud, d'un excès de réflectivité
spinal, mais d'un simple défaut de coordination des
mouvements spéciaux relatifs à la station et à la
marche'.
En 1884, M. Charcot revient sur ce sujet dans plu-
sieurs de ses Leçons, publiées par le Dr lliliotti, à
propos de la malade Gom..., dont nous donnons plus
loin l'observation. Il établit le diagnostic différentiel
de ce cas, facile à confondre avec la chorée rythmée,
et montre aussi les différences et les analogies qui
existent entre « cette forme spéciale d'impotence
motrice des membres inférieurs » et les paralysies
psychiques; mais, cette fois encore, nous ne trou-
vons pas là de description didactique à proprement
parler du cas dont il s'agit. On s'en tient à la diffé-
renciation clinique rigoureuse du type morbide et à
son étude approfondie. M. Charcot rappelle à cette
1 Charcot et Richer. Su di una forma speciale d'impotenza motrice
degli arli inferiori par <li/jëtto di coordinazione (.1fcdicina conlempora-
nea, 1883, Nu 1, p. G).
DE l'astasie ET DE l'abasie 29
occasion les faits déjà exposés dans le travail que nous
avons cité '.
M. Weir-Mitchell décrit sous le nom d'ataxie mo-
trice hystérique des troubles analogues et appuie sa
description sur un certain nombre d'observations cli-
niques très intéressantes dans ses Leçons sur les ma-
ladies nerveuses des femmes (1885). Il distingue tout
d'abord deux modes d'incoordination motrice chez
les hystériques. Le premier est la forme étudiée par
Briquet et Lasègue3 3 dans laquelle le trouble est
sous la dépendance de l'anesthésie et ne s'observe
qu'alors que les malades sont privés du contrôle de la
vue. Le second est une forme non encore décrite.
Quelquefois elle est combinée à des phénomènes pa-
ralytiques, mais souvent elle existe sans aucune
espèce de paralysie. La malade, dans ces cas, n'a pas
de troubles de la sensibilité dans les membres infé-
rieurs et conserve le libre usage de ces membres
quand elle est couchée. Mais, debout ou à genoux,
l'absence de coordination se manifeste immédiate-
ment. La malade tombe alors d'un côté, cherche à se
redresser, tombe en conséquence de l'autre côté et
aussi en avant ou en arrière. Elle semble avoir perdu
la notion de l'équilibre ou de degré de puissance qu'il
faut employer pour le rétablir. Les efforts dirigés dans
ce but dépassent la mesure, il paraît y avoir défaut
dans l'action antagoniste normale des muscles. Peut-
' Cliarcot. - Lezioni cliniche dell'anno scolastico 1883-Si. SitUe ma.
lattie del sllstenao nervoso, ,'cdatte del dottore Domenico Jl11liotli, 1880.
2 Briquet. - Traité de l'hystérie, p. 477.
3 Lasèguc. - Aizeslhdsie et ataxie hystériques. (Etudes du Pr Lasègue,
t. II, p. 25.
30 PATHOLOGIE NERVEUSE.
être y a-t-il un retard dans l'incitation cérébrale des
muscles, et alors l'incoordination résulterait de la
lenteur de la perception de la nécessité d'exciter un
muscle antagoniste ou de la lenteur de l'exécution de
cette excitation En général, cette forme intéres-
sante d'incoordination est relative seulement aux
mouvements complexes et n'apparaît pas dans les cas
de mouvements volontaires d'un membre; la faiblesse
n'y est pour rien, car la malade, assise, montre une
force considérable'.
On peut aussi faire rentrer dans le cadre que nous
esquissons l'observation que nous rapportons plus
loin, publiée par Erlenmeyer. Dans son travail, l'au-
teur différencie, sous le nom de convulsions statiques
(Statische reflexlcra.nap fe, les convulsions qui sont
mises en jeu par les mouvements de locomotion du
corps et les distingue des spasmes fonctionnels. Mais
cette distinction ne repose que sur des considérations
d'une valeur discutable. La convulsion statique est
relative seulement aux mouvements du corps, tandis
que la convulsion fonctionnelle ne concerne pas le
corps; de plus, l'excitation corticale qui semble en-
gendrer l'un et l'autre trouble, serait primitive lors
de convulsion statique, secondaire lors de convulsion
fonctionnelle. Erlenmeyer rapproche les convulsions
statiques de la forme décrite par Bamberger sous le
nom de spasme saltatoire2.
Nous ne faisons ici qu'indiquer ce mémoire, sur les
conclusions duquel nous aurons à revenir. '
' Weir Metchell. Lect. of diseuses of the ne¡'vous systeni espezeall
in IVomen, (Philadelphia, 1885, p. 39.)
'Erlenmeyer. Uetier statische Reflexkrantpf. Leipsick, 1885, p. 808.
DE L'ASTASIE ET DE L'ABASIE. 31
Le D' Roméi publie en 1885, sous le titre « Para-
plégie infantile du seul acte de la marche », une
observation que nous reproduisons et la rapproche
des faits de M. Charcot. Elle est, en effet, de tous
points conforme à la description contenue dans les
leçons de cet auteur. Cette observation n'est publiée
qu'à titre de document et n'est accompagnée d'autres
commentaires que de la discussion du diagnostic dif-
férentiel '.
Nous aurons terminé cette rapide revue en citant
deux Leçons de l'an dernier faites à la Salpêtrière par
M. Charcot au sujet de cette même malade Gom...,
dont a été parlé déjà dans les Leçons recueillies par
M. Miliotti. M. Charcot y établit formellement les ca-
ractères cliniques de cette affection en même temps
qu'il en esquisse la théorie. Nous ferons à ces Leçons,
restées inédites, de si larges emprunts, qu'il serait
superflu de les analyser à cette place.
II. Exposé des faits. Les observations que nous
avons rassemblées, et qui forment la base de notre
travail, sont au nombre de onze. C'est encore peu
pour oser aborder la description d'un type morbide,
mais on se convaincra aisément que la plupart de ces
faits ont des caractères nettement tranchés qui ne per-
mettent pas de les classer dans les divisions nosogra-
phiques actuelles, que tous sont unis par un lien com-
mun que fait ressortir leur groupement.
Les différences qui existent entre ces observations
représentent en quelque sorte les divers degrés d'al-
' Dr Serafino Roméi. - Paraplegia infantile ne/solo atto délia imbu-
lazione. (Gazetta degli ospitali, n° 76, p. G03,)
32 PATHOLOGIE NERVEUSE.
tération que peut subir la fonction de la station et de
la marche.
Ainsi, dans les quatre premières observations,
la fonction est complètement absolue; dans l'observa-
tion V, elle n'est qu'affaiblie; dans les observations
VI, VII, VIII, IX et X elle est troublée; enfin, dans la
dernière observation, l'astasie et l'abasie n'intervien-
nent qu'à titre de complication; mais, dans tous les
cas, le trouble fonctionnel est toujours le même, par-
faitement original, et différant à tous égards des di-
vers troubles de coordination jusqu'ici décrits et caté-
gorisés.
Observation 1.
(Rédigée d'après les notes communiquées par M. le professeur Charcot.)
MIlle L... vient consulter M. Charcot, pour sa fille, le 8 juillet
1883.
Antécédents héréditaires. - Grand'mère maternelle atteinte
depuis longtemps de névropathie générale. Le père, né de
parents goutteux, est mort de myélite aiguë; à ce moment,
l'enfant n'était âgée que de six mois, et sa mère la nourrissait;
elle dut cesser l'allaitement. La mère est née d'une famille de
rhumatisants et de goutteux confirmés; elle est rhumatisante
elle-même et de tempérament nerveux; elle a eu des attaques
d'hystérie. Il y a aussi des alcooliques dans la famille.
Antécédents personnels. L'enfant, venue à terme, a eu une
dentition difficile, accompagnée de convulsions. A l'âge de
deux ans et demi, elle eut une fièvre typhoïde accompagnée de
convulsions. A l'âge de cinq ans, elle se plaignait fréquemment
de douleurs névralgiques. Elle n'a eu aucune affection nerveuse
avant le début de la maladie actuelle. 1
Début et marche. Le 2 janvier 1883, en jouant avec ses cama-
rades, l'enfant serait tombée sur le dos sur un amas de branches;
le dos et la nuque auraient porté. Elle serait revenue à la maison
sans trop pleurer, et l'on n'aurait constaté ni plaie ni confusion.
Le lendemain, elle commença à se plaindre du dos et de la
nuque, et assurait ne pouvoir se tenir debout sans difficulté. Elle
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DE L'ASTASIE ET DE l'ABASIE. 33
se couchait sur le ventre, pour éditer le décubitus dorsal doulou-
reux. Sa mère a remarqué qu'alors même qu'elle dormait le
moindre attouchement sur les parties hypereslhésiées la faisait
sauter comme si elle avait été frappée d'une commotion élec-
trique. Le sommeil est de plus habituellement agité.
Depuis quelque temps, vers 7 ou 8 heures du soir, il survient
spontanément une crise douloureuse; en dehors de ces crises,
l'hyperesthesie ne se révèle que sous l'influence des mouvements
et des attouchements. Il y a eu aussi quelques douleurs dans les
deux flancs. Quelques troubles visuels seraient survenus récem-
ment, caractérisés par une sorte de brouillard gênant la vue par
moments.
La marche est devenue peu à peu impossible; et depuis le
début, la jeune L... a passé la plus grande partie de son temps
soit au lit, soit couchée sur un sofa. Depuis le 25 avril, il y a une
exacerbation des douleurs et des phénomènes moteurs, et la ma -
Jade reste constamment au lit.
Etat actuel (8 juillet 1883). - Il s'agit d'une fillette grande
pour son âge, blonde, pâle, d'apparence strumeuse; le bord des
paupières est un peu rouge. Elle repose dans le décubitus latéral
droit ou gauche, elle paraît éviter d'être tout à fait sur le dos.
Elle a une hyperesthésie très marquée de la région vertébrale
depuis la nuque jusqu'à l'extrémité de la colonne vertébrale.
Lorsqu'on appuie légèrement sur ces points, elle donne des
signes de douleur vive et s'écarte. L'hypéresthésie, quoique
moindre, est également perceptible sur les cuisses, mais non
sur la tête et les bras.
Lorsqu'on lui dit de remuer les membres inférieurs au lit, elle
les porte aisément dans toutes les directions. On ne peut im-
primer de mouvements passifs en raison de l'hyperesthésie qui
rend douloureux le fait seul de prendre un segment de membre.
Il n'y a pas de trépidation du pied, ni trace de contracture.
On fait descendre la malade du lit en l'aidant, et elle se tient
debout parfaitement en appuyant chacune de ses mains sur cha-
cune de celles de l'aide. Etant ainsi debout, l'occlusion des
paupières ne produit pas la moindre oscillation.
Si on lui dit de marcher, elle affirme qu'elle ne le peut pas, et,
en effet, les membres inférieurs restent accolés l'un à l'autre. Le
pied droit se détache cependant et se porte en avant, mais le
reste des mouvements ne se produit pas. Lorsqu'on lui dit de
sauter, elle esquisse un saut pieds joints, mais ne va pas jusqu'au
bout. Il est à remarquer que, lorsqu'on la fait lever, il n'y a pas
de mouvements contradictoires.
L'examen ophthalmoscopique, fait par M. Parinaud, donne les
résultats suivants : champ visuel rétréci dans les deux yeux, plus
à droite. Toutes les couleurs sont reconnues à la vision centrale.
Archivas, t. XV. 3
34 PATHOLOGIE NERVEUSE.
On ne peut déterminer le champ des couleurs à cause de la fatigue
et des spasmes musculaires.
Dès le début du traitement, il y eut une améliora-
tion marquée : au bout de huit jours, la situation et
la marche étaient redevenues faciles.
Observation II.
(Rédigée d'après les notes communiquées par M. CHARCOT.)
Charles V..., âgé de quatorze ans, a été soumis à l'examen de
M. Charcot. le 13 avril 1877.
- Sa mère est migraineuse : lui-même n'a jamais été malade.
Il est tombé malade brusquement le 3 mars; à l'occasion d'une
solennité, il fut chargé de faire un discours à l'évêque qui visitait
la pension où il faisait ses études. Il fut très fortement émotionné
et ressentit tout d'abord des maux de tête, et, le même jour, un
affaiblissement marqué des membres inférieurs. Le lendemain,
il ne put se lever. Le médecin qui l'examina à ce moment cons-
tata l'impossibilité de la marche et remarqua que, couché,
Charles pouvait imprimer à ses membres des mouvements de
flexion et d'extension assez rapides.
Les autres fonctions, appétit, sommeil, vue, excrétions, s'ac-
complissaient, du reste, régulièrement, mais la paralysie de la
marche persistant, l'enfant fut amené à la consultation de
M. Charcot qui constata qu'au lit, cependant, la force musculaire
était absolument intacte dans les membres inférieurs, et Ja coor-
dination parfaitement conservée. Le malade, soutenu, ne peut
que se traîner au lieu de marcher. 11 n'y avait pas d'exagération
des réflexes, ni d'anesthéaies. Le champ visuel n'a pu être
examiné.
L'enfant fut traité dans une maison de santé et y séjourna
deux mois loin de sa famille. Au bout de peu de temps, le 8 mai,
un grand changement s'opérait, « l'enfant ne marchait pas
encore, mais il pouvait se servir de ses jambes et sautait comme
une pie, tantôt sur un pied, tantôt sur un autre, parcourant ainsi
toute la maison ». Cet état dura quinze jours, et le 29 mai, subi-
tement, Charles se mit à marcher normalement, et depuis, con-
tinua à se bien porter. Le 4 octobre, il fut repris subitement du
même trouble, sans aucune cause apparente, et se plaignit de
douleurs de tête, en même temps qu'il lui était impossible de se
tenir debout et de marcher : il fut obligé de se coucher. Cette
fois, la guérison survint au bout d'un mois et se maintint défini-
DE L'ASTASIE ET DE l'ABASIE. 35
tive. Du moins en 1882, cinq ans après, le malade n'avait plus eu
aucun accident nerveux depuis.
Observation III.
(Personnelle.)
Henri Gob..., âgé de quinze ans et demi, est entré le 23 juin
4887 à la Salpêtrière et occupe le lit n° 7 de la salle Pruss, dans le
service de M. Charcot.
Antécédents héréditaires. Le père est ordinairement bien
portant, ainsi que les oncles paternels. La mère est rhumatisante,
et a eu une attaque de rhumatisme polyarticulaire aigu. Le grand-
père maternel est rhumatisant. Rien à noter chez les autres
ascendants. Les quatre frères de l'enfant sont en bonne santé.
Antécédents personnels. Goh... n'a jamais été malade pen-
dant sa première enfance. A l'âge de cinq ans, il a eu la rougeole
et, la même année, la fièvre muqueuse. L'année suivante, il eut
la coqueluche.
Début et marche. Au mois de mars 1887, Henri Gob... eut une
bronchite suivie de fièvre typhoïde, qui dura un mois. Lors de sa
convalescence, on s'aperçut, en voulant le faire lever (fin d'avril),
qu'il lui etait impossible de se tenir debout. Depuis, son état
général resta excellent, mais le trouble moteur persista tel quel,
et l'enfant fut conduit à la consultation externe de la Salpêtrière.
Etal actuel (23 juin 1887). 11 s'agit d'un jeune garçon de
constitution moyenne, assez bien développé pour son âge, qui
lépond intelligemment aux questions qu'on lui adresse. Lorsqu'il
est assis sur une chaise ou couché, il ne présente rien d'anormal.
Mais lorsqu'on lui demande de se lever, il déclare que cela lui est
absolument impossible. Lorsqu'on le met debout en le mainte-
nant sous les aisselles, ses jambes fléchissent sous lui comme
impuissantes à le porter, et il s'affaisserait si on ne le maintenait.
Lorsque, étant assi-, on lui ordonne d'exécuter divers mouve-
ments, tels que projeter le pied en avant comme pour donner un
coup de pied, tenir les jambes horizontalement, mettre les pieds
sur les barreaux de la chaise, croiser les jambes l'une sur l'autre,
il accomplit tous ces actes rapidement, et avec force et précision.
On s'assure aisément, du reste, de la conservation de la vigueur
musculaire des membres inférieurs eu lui faisant étendre la
jambe et en lui ordonnant de résister a la flexion qu'on cherche
alors à produire. Etendu sur- le dos, il se redresse aisément.
Henri Gob... peut, de plus, progresser de diverses manières : il se
laisse glisser de sa chaise a terre et marche très bien ci quatre
pattes, ou bien encore, assis sur sa chaise, il la l'ait avancer
36 , . PATHOLOGIE NERVEUSE.
par petits petits sauts. Toutefois, peut peut ni sauter, ni mari lL
cloche-pied. On le porte il un arbre de la cour, en fin lui finir»
de grimper : il monte un peu à l'arbre, mais mal; il nous dit, du
reste, n'êtrp- pas familiarisé avec cet exercice.
DE l'astasie ET DE l'abasie. 37
Depuis qu'il est malade, dit-il, il n'a jamais fait de rêves dans
lesquels il marchait.
Les jambes ne présentent rien d'anormal : ni amaigrissement,
ni troubles trophiques d'aucune sorte. La sensibilité générale et
spéciale est conservée dans tous ses modes. Les réflexes tendi-
neux sont forts des deux côtés; il n'y a pas de trépidation spinale.
Pas de stigmates hystériques : ni points hystérogènes, ni anes-
thésies sensorielles, et pharyngée, ni diathèse de contracture.
Toutefois, il y a un léger rétrécissement du champ visuel. Il n'y a
pas de troubles des réactions électriques.
Les organes génitaux sont normaux. Les sphincters et tous les
appareils fonctionnent bien.
26 juin. A la suite d'une séance de transfert à laquelle l'a
soumis M. Bahinski, Henri Gob... a pu marcher. - Le lendemain,
en se levant, il a encore un peu d'hésitation dans la démarche.
Depuis. le trouble disparaît complètement.
5 septembre. Nous avons vu l'enfant, dont la truérison s'est
maintenue depuis, et qui n'a soutfert d'aucun autre trouble ner-
veux.
Observation IV.
(Dr Serafeno ROME.)
Antoine D. M..., jeune enfant âgé de onze ans, d'une famille
aisée, est d'une bonne constitution physique; il a les muscles et
les os bien développés, n'a aucun défaut corporel, sauf un stra-
hisme congénital, comme l'affirment sesparents. Sa mère est jeune
et jouit d'une bonne santé; son père est mort depuis plusieurs
années. Le petit malade n'a soufferk précédemment d'aucune affec-
tion semblable. Au mois de juillet 1882, il passait avec des cama-
rades dans un petit chemin étroit quand il vit près de lui un âne
chargé de bois qui menaçait de le jeter contre le mur. Il se gara
autant qu'il put, puis, aidé de ses autres camarades il réussit à
éviter le choc en faisant tomber l'âne de l'autre côté. L'ànier fu-
rieux se mit à la poursuite de l'enfant, une hache à la main.
L'épouvante saisit les jeunes écoliers; notre sujet, plus effrayé
que les autres, se sauvait à toutes jambes. Le soir il se relira dans
sa chambre, pâle et un peu préoccupé. Ses parents lui deman-
dèrent s'il n'éprouvait aucun malaise, mais il répondit qu'il se
trouvait bien. Il resta ainsi pendant deux jours, après quoi il fut
atteint d'nne violente douleur de tête qui le contraignit à garder
le lit. Il fut si.igné par le docteurlerrari; au boutde quatre jours
la douleur se calma et l'enfant se sentit mieux. Il voulut se lever,
s'habilla, mais une fois il terre il s'aperçut avec une douloureuse
surprise qu'il ne pouvait pas marcher, ni même se tenir sur ses
00 PATHOLOGIE NERVEUSE.
pieds. Pendant les jours suivants il renouvela à diverses reprises
cette tentative, mais sans succès. Entre temps, je fus invité par
la famille à le visiter.
Au mois de septembre 1883, il souffrit de douleurs avec léger
gonflement à l'articulation du pied gauche; ces douleurs se cal-
mèrent après un certain temps. Au mois d'avril 1884, il com-
mença à marcher un peu courbé et avec une difficulté visible
pour monter l'escalier ; sur les surfaces planes et sur les pentes il
se tenait médiocrement. Interrogé par son oncle, il répondit qu'il
se sentait bien. Mais son plus jeune frère raconta tout. Il dit qu'il
souffrait depuis plusieurs jours, et qu'une fois alors qu'ils étaient
allés se promener (car ils se trouvaient au séminaire de Cosence),
toutd'un coup les jambes lui manquèrent, tellement qu'il lui fut
impossible de marcher, et il fut transporté par quatre de ses com-
pagnons, parce qu'il titubait comme un homme ivre. La pression
était ressentie avec douleur au niveau des vertèbres dorsales. A
ce moment il fut visité par un médecin du lieu qui déclara qu'il
était atteint d'un commencement de xyphose, par ramollissement
d'une vertèbre dorsale. Les professeurs Thomas et Cantani de
Naples, où il fut conduit deux mois après, déclarèrent qu'il était
atteint de rhumatismes : ils prescrivirent les bains thermo-miné-
raux de Bagnoles, et au quatrième bain les douleurs cessèrent
tout à coup.
Quand je fus appelé en consultation auprès de lui au mois de
juillet 1882, avec le docteur Ferrari, la singularité du cas m'en-
gagea à l'observer avec le plus grand soin.
La sensibilité et l'énergie musculaire des deux membres infé-
rieurs étaient normales. le reste des fonctions organiques, dans
de bonnes conditions; seulement, la simple pression provoquait
une légère douleur dans la colonne vertébrale.
Etendu sur un lit, le malade essayait de-- mouvements variés
avec les pieds, il allongeait et ramenait ses cuisses ensemble et
isolément, il les levait toutes deux à la fois et séparément avec
vigueur et sans désordre. Invité à marcher dans la chambre, il
mit les pieds à terre, mais il ne put pas se tenir sur ses jambes,
ni même s'éloigner du bord du lit. Quand on voulait qu'il marchât
il fallait qu'il fût soutenu de chaque côté et il avançait ainsi ;
mais ses jambes faisaient avec son corps une sorte de plan incliné
et paraissaient comme disloquées.
Il avait la bonne volonté de marcher, mais pour faire un pas il
ressemblait à un jeune enfant qui commence pour la première fois à
marcher..le lui fis essayer divers mouvements, non seulement en
se tenant sur son lit, mais encore debout pendant qu'on le soute-
nait ; je lui fis bander les yeux et je remarquai la même faiblesse,
le même désordre dans les mouvements. Leréllcxerotulicn n'était
ni exagéré ni diminué. '
DE L'ASTASIE ET DE L'ABASIE. 39
De toutes ces observations je ne pouvais conclure qu'à une ano-
malie consistant dans le manque d'énergie et de coordination des
mouvements de la marche. Il ne s'agissait pas d'une lésion anato-
mique du système nerveux, mais d'une altération dynamique
fonctionnelle.
Je manifestai à la famille l'espoir que la guérisdn viendrait
bientôt et que la maladie disparaîtrait définitivement sans laisser
aucune trace. Mais je ne pus donner aucune raison d'une forme
clinique aussi étrange. Sur un lit, on voyait un jeune enfant vigou-
reux, a)ant les mouvements des membres inférieurs bien coor-
donnés, lorsqne cet enfant était sur pied on constatait une impuis-
sance motrice qui faisait pitié.
Observation V.
WEIR-IITCHEI.L. (Résumée.)
Mm0 B..., âgée de vingt ans, atteinte d'asthme depuis dix-huit
mois, est prise brusquement de perte de la parole avec incons-
cience et convulsions. Cinq semaines après, se développe la para-
plégie spéciale.
Au lit, la puissance musculaire des membres inférieurs est con-
sidérable, toutefois les mouvements se font par secousses. Debout,
elle oscille à droite et à gauche, et plus encore quand elle marche;
pour se maintenir quand elle penche d'un côté, elle fait des
efforts qui dépassent le but, et la rejettent de l'autre côté.
Observation VI.
(Rédigée d'après les notes communiquées par M. Charcot).
M. Ir..., du Chili, vu à l'hôtel du Louvre le 30 juin 1883. C'est
un garçon âgé de quinze ans, fort et bien musclé. Trois soeurs et
deux frères sont bien portants. Rien. dans les antécédents de fa-
mille, sinon un grand-père goutteux. L'enfanl lui-même n'est pas
rhumatisant et n'a jamais été malade.
L'affection a débuté sans cause morale ou physique appréciable
en novembre 1882 : à cette époque survinrentdes attaques hystéro-
épileptiques qui paraissent avoir eu la forme classique (arc de
cercle, attitudes passionnelles) d'après la description du père.
Les crises, qui au début duraient parfois la journée entière, sont
devenues plus rares, et ont cessé en février 1883.
Peu après, il y eut de l'anorexie et de l'amaigrissement, puis sur-
vinrent les accidents qu'on observe aujourd'hui, dans les membres
inférieurs,
40 PATHOLOGIE NERVEUSE.
Etat actuel. Le malade se tient couché sur un lit ou sur un
soplia et il est dans l'impossibilité absolue de se tenir debout et
de marcher.
Le malade se sert de ses membres supérieurs, mais les mains
sont fermées : le père assure que pendant le sommeil on peut dé-
flécliir les doigts, mais que la flexion revient aussitôt, bien que
le sommeil continue.
Les membres inférieurs sont dans l'extension et se raidissent
quand on veut les fléchir : le malade lui-même peut les fléchir, on
constate alors que les réflexes rotuliens sont exagérés; on ne peut
démontrer le phénomène du pied.
On met le malade à terre : il se tient les genoux fléchis. Il
montre qu'il est capable par un mouvement de ressort de sauter
sur un fauteuil, mais il manque une ou deux fois son coup, et
tombe lourdement à terre. Il est donc capable de sauter, mais ne
peut se tenir debout.
On lui dit de se mettre debout avec l'aide du bras de deux per-
sonnes. On voit alors ses membres inférieurs s'élever au-dessus du
sol et se mettre rigides comme des barres, en flexion à angle
droit sur le tronc. ' .
En somme, il semble que, à part l'acte du saut et celui de flé-
chir les membres inférieurs qui répondent jusqu'à un certain
point la volonté toute coordination volontaire des membres in-
férieurs soit impossible.
Il n'y a pas de contracture, mais l'adaptation musculaire pour
la marche et pour la station sont choses impossibles.
Sur la plus grande partie du corps, le pincement même très
énergique, et l'applicalion d'nn corps froid ne sont pas perçus.
Au contraire, un léger frôlement ou chatouillement, surtout celui
de la plante du pied, sont suivis de sensations désagréables et de
secousses cloniques.
Aucun trouble actuel de la vision : il aurait vu gris (achroma-
topsie) pendant un temps.
L'état général est bon : aucun trouble des autres appareils.
Observation VII.
(Rédigée d'après les notes communiquées par M. Chancit.)
1111° G..., âgée de quatorze ans et demi, a été examinée par
M. Charcot, le 18 décembre 1883.
Le père de la malade, banquier, a été condamné pour attentats
aux moeurs, accusé d'avoir acheté des petites filles. Sa soeur a
treize ans; elle est atteinte d'hystérie à forme anorexique.
bllie G... elle-même est réglée depuis un an : le début de l'af-
DE L'ASTASIE ET DE L'ABASIE. 41
fection actuelle remonte à six mois (juin 1883). Elle ressentit alors
une douleur dans le flanc gauche (qualifiée de péri-ovarite par
le médecin) et fut traitée par des applications de sangsues, etc.
La douleur se calma, mais revint dans la région dorsale, la malade
se tient courbée. Puis survinrent les troubles des membres
inférieurs qui empêchèrent la marche. Les chirurgiens consultés
diagnostiquèrent un mal de Pott, une myélite, etc.
Depuis ce moment, la malade porte un corset. Elle est depuis
plusieurs mois étendue dans son lit, sur le dos, sans bouger, im-
passible et indifférente.
Un jour, à la suite d'une émotion, elle s'est levée et s'est mise
à courir, puis elle est redevenue paralytique.
Etat actuel (décembre 1883). C'est une grande fillette blonde
d'une physionomie plus vieille que son âge. Après lui avoir fait
enlever son corset, un constate tout le long du dos, une hyperes-
tésie considérable. Le doigt promené sur cette région provoque
des mouvements de défense énergiques, sans sensations d'aura.
C'est une zone hyperesthésique et non hystérogène.
Les membres inférieurs ne sont ni mous, ni roides; les réflexes
tendineux sont normaux; il n'y a pas de trépidation épileptoïde.
Il n'y a pas d'anesthésie, ni de diminution du sens musculaire.
Couchée au lit, les membres inférieurs sont fléchis et il
est impossible à la malade de les étendre volontairement; sa
mère dit que ses membres s'allongent pendant le sommeil. Elle
peut cependant lever les jambes de dessus le lit, mais elles re-
tombent rapidement. Dans l'épreuve des mouvements communi-
qués avec résistance dela part du sujet, les segments des membres
ne se laissent pas déplacer indifféremment, mais ils quittent la
position sous l'effort, rapidement et pour ainsi dire sans lutte.
Assise on étend les membres fléchis, sans la moindre diffi-
culté, et la malade résiste quand, la jambe étendue, on veut
la fléchir, mais la résistance cesse tout à coup sans transition.
Quand elle fait effort elle parvient à étendre ses jambes
taudis que dans son lit cela lui est impossible. Debout, soutenue
par des aides les jambes restent à demi fléchies, sans mou-
vements incoordonnés. Il y a impossibilité d'exécuter les mouve-
ments nécessaires pour la marche. Dans la station, à l'aide de
béquilles les membres fléchis restent en l'air.
Observation VIII.
Erlenmeyer. (Résumée.)
A... T..., vingt-huit ans, référendaire, sans antécédents nerveux
héréditaires, ni personnels. Pas d'excès alcooliques ni sexuels. En
1833-1884, excès de travail pendant huit à dix mois, à la suite
42 PATHOLOGIE NERVEUSE.
desquels survinrent des secousses dans tous les muscles du corps,
tantôt localisées à certains groupes, tantôtgéneratisées; en même
tempsT... souffrait d'insomnies, etil commit dès lors desexcèsde
hoissons, surtout de bière.
Un soir, en quittant la brasserie, sans être ivre, il tomba dans
la rue et resta plusieurs minutes sans connaissance; il n'eut pas
de convulsions. On dut l'aider à rentrer chez lui et on le coucha.
A la suite de cet accident,- il resta faible et sans sommeil une
quinzaine de jours; puis reprit la marche peu à peu.
Deux mois après surviennent d'étranges mouvements des mem-
bres inférieurs. Pendant la marclie ordinaire qui n'est pas dou-
loureuse, tout à coup le genou gauche fléchit. Cette flexion d'a-
bord rare et peu intense, devient de plus en plus forte, tandis que
l'extension compensatrice du tronc devient de plus en plus pro-
noncée. Jamais il n'y a eu chute.
Le malade récupérait bientôt le pouvoir de maîtriser ses
muscles et se redressait. Puis le membre inférieur droit fut atteint
à son tour.
Une nouvelle aggravation fut un saut convulsif, ou mieux que
lé malade ne'pouvait empêcher. Aussitôt que les genoux étaient
fléchis tout le corps était projeté en l'air l'aide des deux pieds,
et ainsi se succédaient un certain nombre de sauts très réguliers,
dans lesquels les pieds quittaient le sol.
A proprement parler c'était un saut sur place, mais en raison
de ce que ce mouvement survenait alors que le corps était lancé
en avant. c'était un saut en avant.
D'abord ce saut se produisit le corps étant à moitié étendu, bien
qu'avec flexion des genoux, mais peu à peu la flexion s'exagéra
tellement que le malade était complètement courbé, si bien que
la partie postérieure de la cuisse touchait le mollet. Quand, dans
cette phase, le malade progressait sans soutien, il fléchissait tout
à coup après cinq il six pas snr les deux genoux, et prenait une
position très fléchie vers le sol, exécutait dans cette position un,
deux, trois sauls en avant, se redressait avec effort, faisait quel-
ques pas en avant, pour fléchir encore et se dresser en quelques
sauts... et ainsi de suite. Aucune douleur.
Etat actuel. - Les réflexes palellaires sont très exagérés; la
cuisse se soulève, et il va une secousse générale de tout le corps,
les bras y compris, surtout à gauche. Le clonus du pied n'existe
pas.
Il n'y a aucune modification de la force, aucun trouble de la
coordination. Les membres ne sont pas rigides.
La flexion du genou a lieu au moment où le pied est posé sur
le sol. En conséquence l'axe du corps est momentanément projelé
en arrière. Pour empêcher la chute que ce mouvement amènerait,
DE L'ASTASIE ET DE L'ABASIE. 43
le malade fait un mouvement compensateur en avant, et comme
le saut survient il ce momenl. il a lieu en avant.
Le saut se fait sans exception, la plante du pied tout entière
restant sur le sol. Il ne survient pas, quand le pied porte sur la
pointe, ni quand le corps est étendu. Jamais on ne le voit comme
symptôme primitif convulsif, ', toujours il est précédé par une flexion
du uenou.
C'est un saut dans lequel tout le corps s'élève de plusieurs
pouces au-dessus du sol. Quand le malade s'appuie sur les bras
d'un aide, il ne saute pas, il se redresse, et, môme sans appui étant
redressé, il peut faire quelques pas sans sauter, puis cela revient.
Alors le coeur bat, et le visage rougit.
L'application ordinaire du pied sur le sol ou bien la percussion de
la plante du pied par un corps dur, par exemple dans le lit contre
les barreaux, ne produit également aucun mouvement.
Au contraire, quand le malade est debout, on provoque la
flexion du genou en percutant avec le marteau le tendon du bi-
ceps du serni-tendineux et du semi-membraneux ; les genoux se
fléchissent alors, et le malade est menacé d'une chute. Il n'y a
aucun trouble de la sensibilité cutanée.
Observation IX.
(Rédigée d'après les notes de I. le ]).. B,\UlNSIiI,)
Ceorâette C..., coulurière, âgée de vingt-sept an", entre le
28 février z1886, à la Salpêtrière, dans le service de M. Charcot.
Antécédents héréditaires. - Père, auteur dramatique et acteur,
mort à soixante-trois ans de fièvre typhoïde avec complications
cérébrales, était sujet à des névralgies. - -Mère, actrice très im-
pressionnable, se met facilement en colère, et dans cet état perd
connaissance : elle a quitté ses enfants, et ne s'en est plus occupé.
La malade ne peut donner de renseignements sur ses autres pa-
rents, sinon qu'un frère et une soeur sont bien portants.
Antécédents personnels. - Elle a eu la rougeole à l'â ? e de deux
ans. Depuis son enfance elle a fréquemment des troubles gaslro-
intestinnux légers. Elle a été réglée à dix-sept ans. Depuis l'âge
de dix-huit ans elle est sujette à des attaques de céphalalgie qui
durent trois à quatre jours et qui reviennent à peu près toutes les
semaines. C'est une douleur qui commence entre les sourcils et
que la malade compare une constriction par un lien élas-
tique.
Depuis la même époque elle a des idées tristes, des cauchemars,
. des envies de pleurer, la solilude l'effraye ?
44 PATHOLOGIE NERVEUSE.
Début et marche. Dans les derniers jours de l'année 1883, a la
suite de contrariétés, au moment où elle venait de terminer sa
prière du soir (étant à genoux) lorsqu'elle voulut se relever elle
s'aperçut qu'elle ne pouvait se tenir debout, en raison de mouve-
ments semblables à ceux qu'elle présente actuellement, néanmoins
le lendemain, elle pu sortir, étant soutenue.
Elle enlra à la Salpêtrière en février 48SIr, où elle fut l'objet
d'une leçon de M. Charcot. La station et la marche présentaient
à à cette époque, les mêmes caractères qu'aujourd'hui. Pendant son
séjour à l'hôpital elle a eu deux attaques semblables à celles
qu'elle a maintenant. Elle est sortie en juillet 1884, très améliorée
mais non guérie.
Il y a deux mois, elle a eu une attaque, et c'est à partir de ce
moment que son état a commencé à s'aggraver; dès lors, elle
n'a pas cessé d'avoir deux à trois attaques par semaine environ.
Etat actuel. -Au repos dans la station assise, un ne remarque
rien d'anormal : elle exécute très bien tous les mouvements qu'on
lui commande; mais elle dit que de temps en temps elle éprouve
dans les genoux une sensation particulière qui lui fait croire que
les membres sont agités de secousses alors qu'ils sont au repos.
Dans la station debout il se produit une série de saccades qui
s'accentuent par l'occlusion des yeux. Ces saccades consistent
dans des flexions du bassin sur les cuisses et des cuisses sur les
jambes assez analogues à ce que l'on voit se produire lorsqu'une
personne se tenant raide sur ses jambes reçoit à l'improviste un
coup sec sur le creux du jarret.
Dans la marche les troubles atteignent leur maximum. A chaque
pas que fait la malade elle se baisse et se redresse alternativement
par des mouvements brusques et rapides; à mesure qu'elle avance
ces secousses deviennent de plus en plus rapides; elle est alors
sur le point de tomber; au lieu de continuer à avancer on la voit
alors faire quelques pas de côté ou en arrière présentant l'appa-
rence d'une personne qui s'est butée à un obstacle et qui cherche
à retrouver son équilibre. Les secousses ne consistent pas seule-
ment en des mouvements d abaissement du corps; si on cherche
à les analyser voici ce.qu'on observe : au moment où la malade
se baisse, les cuisses se fléchissent sur les jambes, et le tronc se
fléchit sur le bassin, la tête éprouve, par rapport au tronc, un
mouvement de flexion et de rotation, et les avant-bras se fléchis-
sent sur les bras. La marche est très pénible. 1;... éprouve des
tiraillements dans les genoux et le cou, et est obligée de s'asseoir :
sa figure exprime la fatigue, et elle est couverte de sueur.
Aussi s'est-elle créée une marche spéciale qui lui permet la pro-
gression, c'est une sorte de claudication; mais dès qu'elle veut
marcher comme tout le monde, le trouble réapparaît.
Elle peut également oxéruler snnsincoordinalion d'autres modes
DE l'astasie ET de l'abasie. 45
de progression : elle saule picds joints très aisément, marche
facilement à quatre pattes.
On ne peut provoquer les secousses par aucun procédé lors-
qu'elle est assise : en examinant les membres inférieurs, on cons-
tate qu'il n'y a pas d'atrophie; la force musculaire est conservée,
et les mouvements sont coordonnés.
La sensibilité cutanée est légèrement diminuée du côté gauche.
Le sens musculaire est intact. Les réflexes tendineux sont pres-
que complètement abolis. 11 existe un léger rétrécissement du
champ visuel à gauche. L'ouïe et le goût sont également diminués
du même côté. Dans la fosse iliaque gauche et au-dessous de
la mamelle gauche existent deux zones hystérogènes déterminant
des sensations d'aura, et des attaques. Celles-ci sont ainsi consti-
tuées.
G... a d'abord quelques 'secousses dans les mollets et dans les
bras : celles-ci sont de plus en plus rapides et fréquentes, et res-
semblent un peu aux saccades qu'elle présente dans la marche,
mais les mouvements de la tête sont beaucoup plus accentués, et
sa face est grimaçante. La compression du point ovarien arrête
l'attaque. La malade conserve sa connaissance pendant toute la
durée de l'attaque.
D'habitude la marche»devient plus facile après les attaques. Il
y aurait, au dire de la malade, une sorte de balancement entre
les attaques et la difficulté de la marche.
Observation X.
(Communiquée par mon ami le Dr BABINSKI, chef de clinique de la Faculté.)
Mm0 C..., âgée de vingt-deux ans, mariée depuis quatorze mois,
demeurant en province.
Antécédents héréditaires. Père et mère bien portants. Une
cousine germaine a été internée pendant quelques mois dans un
asile d'aliénés.
Antécédents personnels. A toujours joui d'une bonne santé.
Depuis son enfance elle est très irritable, emportée, mais jus-
qu'au moment de l'apparition de la maladie actuelle, elle n'a
pas eu d'affection nerveuse. Depuis l'époque de son mariage, elle
a eu des contrariétés et des chagrins. Elle est accouchée il y a
deux mois et demi. L'accouchement fut laborieux et nécessita
l'auestllésiecllloroformique. Quelques jours après l'accouchement,
elle a commencé à avoir des crises nerveuses ainsi constituées :
battements dans les tempes, sensations de constriction dans la
gorge, puis perte de connaissance, et raideur des. membres
et de tout le corps ; cela dure dix à quinze minutes, puis la ma-
46 pathologie NERVEUSE.
lade revient à elle un peu l'alignée, mais sans présenter aucun
abattement intellectuel. Ces crises se reproduisent parfois plu-
sieurs fois par jour. En même temps l'appétit est diminué.
Quinze jours après ses couches, lorsque Ja malade voulut se
lever, il lui fut impossible de marcher, et impossible de se tenir
debout plus de quelques secondes. Cet état persista sans modifi-
cations pendant six semaines, après lesquelles elle se décida à
venir à Paris où nous avons l'occasion de l'examiner.
Etat actuel (20 août 1887). Femme de taille moyenne, bien
développée, paraissant jouir d'une bonne santé générale. Elle at-
tire immédiatement l'attention sur l'impossibilité dans laquelle
elle se trouve de marcher et de se tenir debout. Nous l'invitons à
chercher à marcher : elle se lève alors, fait quelques pas dans la
chambre d'une façon à peu près normale, mais au bout de cinq
à six pas la difficulté apparaît, on voit comme des secoussésdans
les membres inférieurs qui vont en s'accentuant rapidement, et
la malade est au bout d'une demi-minute dans l'impossibilité ab-
solue de se tenir debout, elle tomberait si on ne la soutenait ou
si elle ne s'asseyait. Si on analyse avec plus de soin la démarche
de la malade voici ce qu'on observe : au moment où la gêne ap-
pâtait on voit une cuisse fléchir sur la jambe, et le bassin sur la
cuisse, en même temps le talon se soulève une ou plusieurs fois
et vient frapper le sol, la malade cherche alors à éviter une chute
et s'efforce de rétablir l'équilibre au moyen du membre inférieur
opposé, et elle le change de situation; puis, du côté de ce dernier
membre se répètent les mêmes phénomènes, et on voit, à mesure
que la malade continue à faire des efforts pour marcher, les
symptômes sus-énumérés s'acceuluer. La malade porte un pied en
avant puis en arrière, piétinant sur place sans pouvoir avancer,
les jambes fléchissent puis s'étendent, le tronc se porte en avant,
puis en arrière; on entend le bruit des talons qui viennent frapper
le sol, et bientôt la malade s'affais,-e. Il lui est impossible de des-
cendre même quelques marches d'un escalier.
Lorsque la malade est assise, on constate que la force muscu-
laire des membres inférieurs est tout à fait conservée. Il existe
une légère hémi-aneslhésie sensitivo-sensorielle gauche, ainsi que
de l'ovarie du même côté.
Intelligence normale. Viscères thoraciques et abdominaux nor-
maux. '
Séance tenante je cherche à l'hypnotiser et j'arrive à amener
rapidement une torpeur intellectuelle légère sans qu'il y ait au-
cun caractère somatique du grand hypnotisme. Par suggestion je
fais disparaître immédiatement les troubles de la marche, et la
malade peut descendre un escalier de trois étages. Elle fait dans
la journée plus d'une lieue avec l'acuité. Le soir cependant la gêne
DE l'astasie ET DE l'abasie. 47 7
de la marche revient en partie. La SU C-"CSI i 0 Il est l'épétée plusieurs
fois pendant une période de quinze jours. La malade paît com-
plètement guérie : les crises elles-mêmes n'ont pas reparu.
Observation XI.
(Personnelle.)
111°e Ch..., couturière, âgée de cinquante-deux ans, entre le
20 juillet 1887 à la Salpêtrière dans le service de M. Chaucot (salle
Duchenne de Boulogne, n° 16). Ses parents sont morts à un âge
avancé : elle ne connaît pas de maladies nerveuses dans sa fa-
mille.
Elle-même n'a jamais fait de maladies, sinon qu'elle a eu la
rougeole étant enfant. Elle a été réglée à douze ans, et l'a été ré-
gulièrement depuis jusque il y a dix ans. Mariée une première
fois à l'âge de dix-huit ans, elle a eu de cette union deux enfants
aussi en bonne santé. Elle n'est ni alcoolique, ni syphilitique.
Elle n'a jamais été sujette à des crises de nerfs, ou à d'autres phé-
nomènes nerveux.
Début. Le 12 février 1886 elle fit une chute sur le dos sur un
traîneau de menuisier, et perdit connaissance; elle en eut une
entorse qui la tint trois mois au lit.
Au mois d'août de la même année tout à coup, sans cause ap-
parente, émollle tiaumatique, ou autre, elle ressentit de vives
douleurs lombaires, sans fièvre, ni trouble des sphincters, qui la
forcèrent à s'aliter. - Trois jours après le début de ces douleurs,
en voulant se lever, elle tomba du lit, et ne s'aperçut qu'à celte
chute que ses membres inférieurs ne pouvaient la porter. On dut
la recoucher, et dès ce moment elle ne recouvra plus l'usage des
membres inférieurs : à cette même époque alfirnre-t-elle l'état
général restant satisfaisant, les membres supérieurs et la tête
auraient été paralysés au point qu'elle ne pouvait se se; vu' de ses
mains pour rien même pour manger. Cet état de complète impo-
tence dura deux mois, au bout desquels le mouvement revint
complètement dans les membres supérieurs, mais très imparfai-
tement dans les membres inférieurs.
Pendant cette seconde période il y eut aussi de l'anurie pen-
dant trois jours, et en même temps des douleurs et des fourmil-
lements constants dans les membres inférieurs.
Depuis la difficulté de la marche seule a persisté ainsi que les
douleurs lombaires, et la malade vint à la Salpêtrière.
Etat actuel. C'est une femme de constitution moyenne ; elle
répond intelligemment aux questions qu'on lui adresse. Les dou-
48
PATHOLOGIE NERVEUS
leurs lombaires sont assez vives mais supportables, fixes comme
siège au niveau des dernières lombaires et du sacrum, continues,
Fiq, 7.
DE L'ASTASIE ET DE L'ABASIE.
49
s'irradiant parfois à l'épigastre, exagérées parles mouvements, non
par la pression.
, Fi ? S..
Archives, t. XV. 4
o
PATHOLOGIE NERVEUSE.
Les membres inférieurs atteints dans leur leur motilité, dans (
leur sensibilité, existe de plus des troubles de la station et de
la marche paraissent indépendants de ces ces altérations. re-
pos, les jambes ne présentent rien d'anormal, sinon un état vari-
queux assez prononcé.
La sensibilité est abolie dans tous ses modes jusqu'au niveau du
DE L'ASTASIE ET DE L'ABASIE. 51
pli de l'aine (sensibilité cutanée et articulaire et sens musculaire.)
Les réflexes sont normaux. La puissance musculaire est très
diminuée; la malade résiste mal aux mouvements qu'on im-
prime à ses membres inférieurs, et ne peut garder la jambe éten-
due horizontalement : les mouvements qu'elle fait sont toutefois
coordonnés et assez puissants.
La station debout est possible, mais très difficile sans appui.
Dans cet état il se produit des oscillations, et aussi des flexions
brusques du bassin sur les cuisses et des cuisses sur les jambes.
Pendant la marche ces mouvements s'exagèrent considérablement :
la malade iléchit à chaque pas sur les genoux comme si elle allait
tomber, son tronc est en même temps projeté en arrière puis en
avant. Les'secousses sont inégales, et se produisent sur les deux
jambes. Les pieds ne traînent pas sur le sol comme pour les para-
plégiques ordinaires. La station et la marche sont impossibles les
yeux fermés, car alors la malade s'affaisserait si on ne la soute-
nait. Les troubles sont plus prononcés du côté gauche. La malade
marche à l'aide de deux cannes, les yeux fixés constamment à
terre : les mouvements paraissent plutôt maladroits que désor-
donnés tout en présentant les caractères que nous avons décrits.
Les autres appareils organiques n'offrent rien d'anormal.
Mais la malade présente des stigmates hystériques très caracté-
ristiques. Le champ visuel est très rétréci à droite (fig. 9 et 10).
Le goût est obnubilé. Il existe enfin un point hyperesthésique
dans la région dorsale, et une ovarie très accentuée à droite :
(fi.g. 7 et 8) lorsqu'on presse sur cette région la malade sent
« que cela lui remonte et la suffoque ».
4r octobre. Les modes de traitement habituel, n'ont pas
amené jusqu'à présent d'amélioration sensible dans l'état de la'
malade. (A suivre.)
CLINIQUE NERVEUSE
DES ÉPHIDROSES DE LA FACE;
Par M. PADL RAYMOND, interne des hôpitaux.
I.
S'il est dans la pathologie médicale une branche
qui ait été dans ces dernières années étudiée et mer-
52 CLINIQUE NERVEUSE.
veilleusement élucidée, c'est assurément la pathologie
du système nerveux. La gloire en revient tout entière
et sans conteste aux éminents représentants de la mé-
decine française qui, en s'appuyant sur les bases tra-
ditionnelles de l'observation unie à l'expérimentation,
ont su tirer du-chaos et grouper en bon ordre les faits
aussi riches que variés qu'envisageait avant eux sans
les pouvoir expliquer l'école clinique de 1830.
Aujourd'hui les points principaux sont acquis; les
grandes lignes sont tracées; néanmoins, dans ce do-
maine si vaste de la neuropathologie il reste encore
bien des poins obscurs. Nous nous proposons d'étu-
dier ici un trouble assez rare et encore peu connu du
système nerveux : les sueurs localisées de la face, les
épidroses faciales.
Pendant notre année d'internat à l'Hôtel-Dieu dans
le service de notre excellent et très honoré maître
M. Moutard-Martin, il nous a été donné d'observer un
cas intéressant d'éphidrose faciale. Dans les recher-
ches que nous avons faites à ce sujet, nous avons pu
nous convaincre de l'obscurité qui entoure encore
cette question et des difficultés qui surgissent lorsque
l'on cherche à interpréter les différentes observations
publiées. Ces observations d'hypersécrétion sudorale
limitée à la face ne sont pas des plus communes ;
nous avons pu en réunir environ soixante tant dans la
littérature médicale française que dans la littérature
étrangère. Les citer toutes ici ne serait pas d'un grand
profit : les unes sont incomplètes, écourtées, n'ont pas
été suivies d'autopsie; il est difficile de reconnaître les
lésions qui les ont produites. D'autres sont suscepti-
bles d'être interprétées de différentes façons; on pourra
DES ÉPHIDROSES DE LA FACE. 53
les retrouver dans les indications bibliograhiques que
nous donnerons plus loin.
Récemment nous avons pu observer dans le service
de notre savant maître M. le Dr Lancereaux un malade
atteint de tuberculose pleuro-pulmonaire et qui pré-
sentait également une éphidrose limitée à la moitié
droite de la face. Nous avons fait l'autopsie de ce ma-
lade et nous avons pu examiner au microscope le
sympathique cervical. Les faits dans lesquels cet exa-
men microscopique a pu être pratiqué sont rares; en
outre les altérations des ganglions sympathiques
peuvent encore prêter à discussion. Toutes ces raisons
nous ont déterminé à réunir les différentes observa-
tions et à y joindre les deux faits que nous avons
personnellement recueillis.
Lorsqu'on étudie ces observations, on peut remar-
quer que dans toutes, le système nerveux est affecté,
fait qui, pour le dire en passant aurait son importance
si la subordination de la fonction sudorale au système
nerveux était encore à démontrer. On voit en outre
que malgré leur dissemblance apparente, il est possible
de réunir en quelques groupes les cas divers que nous
passerons en revue.
Nous nous proposons donc ici, après avoir relaté
les deux observations qui ont été le point de départ de
ces recherches, de réunir les faits les plus importants
d'éphidrose faciale qui ont été publiés, de les exposer
brièvement en essayant de les classer. Pour ce faire,
nous prendrons comme base la physiologie patholo-
gique dont nous rappellerons quelques points princi-
paux, confirmés eux-mêmes par des expériences fon-
damentales. Nous terminerons enfin en discutant le
51 1 CLINIQUE NERVEUSE.
diagnostic de la lésion qui chez notre premier malade
a pu produire les symptômes relatés.
Nous n'avons eu vue ici que les sueurs de la face,
et particulièrement les sueurs limitées à un côté de
la face. Une éphidrose faciale peut être, en effet, gé-
nérale ou partielle.
Dans le premier groupe rentrent les hypersécrétions
sudorales que l'on rencontre à la suite des violentes
douleurs de l'angine de poitrine, des coliques hépa-
tiques, ou néphrétiques, de l'étranglement herniaire par
exemple. Ges sueurs restent quelquefois localisées à la
face, mais le plus souvent elles coexistent avec des
sueurs sur d'autres parties du corps; ce sont alors des
hypéridroses. Nous ne nous en occuperons pas.
Dans ce groupe, on doit aussi faire rentrer les sueurs
émotives, les sueurs des herpétiques, des alcooliques
qui ne sont parfois que des sueurs frontales, mais qui
deviennent le plus souvent des hypéridroses; les sueurs
que l'on observe à la suite de quelques maladies de
la face, comme cela a été signalé dans l'érysipèle par
exemple, ou enfin des sueurs qui sont généralement
partielles, mais que l'on rencontre dans quelques cas sur
toute la face : telles sont les éphidroses qui succèdent
à l'excitation des nerfs du goût (exemple de M. Brown-
Séquard cité plus loin), ou encore celles qui ressortis-
sent à une lésion nerveuse centrale d'ordre réflexe.
Les éphidroses partielles de la face sont certai-
nement plus fréquentes que les éphidroses totales,
celles-ci coïncidant le plus souvent, comme nous
l'avons dit, avec une exagération de la sueur sur
d'autres parties du corps et rentrant alors dans le
groupe des hypéridroses.
DES ÉPHIDROSES DE LA FACE. 55
Tantôt elles occupent une moitié de la face : éphi-
drose hémilat'érale; tantôt elles n'occupent qu'une
région suivant généralement le trajet de fibres ner-
veuses irritées : éphidroses parotidiennes, éphidrose
du trijumeau (cas de M. Ollivier et de M. Leudet);
tantôt elles sont encore plus localisées, éphidrose
palpébrale de de Graefe.
Enfin, il est des cas où une éphidrose, d'abord loca-
lisée offre une tendance à l'extension : elle gagne le
cou, l'épaule, le membre supérieur. On n'a plus alors
affaire à une éphidrose; ce sont des sueurs unilaté-
rales, des hémidroses.
Nous ne parlerons pas ici des éphidroses faciales
provoquées. On connaît les belles recherches de
M. Straus (1879), dans lesquelles cet auteur a appliqué
au diagnostic du siège de la lésion dans la paralysie
faciale les résultats que donne la sudation par la pilo-
carpine. Dans la paralysie d'origine périphérique, il ya
un retard d'une à deux minutes dans la sudation du côté
paralysé. Les sueurs paraissent aussi persister un peu
plus longtemps de ce côté, tandis que dans la paralysie
d'origine cérébrale la fonction est égale des deux côtés.
Ir
OBSERVATION . - Ephidrose faciale droite. Mydriase du côté
correspondant. Thermanesthésie et troubles de la sensibilité
dans le membre supérieur droit.
Le nommé Emile D..., âgé de trente et un ans, charcutier,
entré le 8 février 1886 à l'Hôtel-Dieu, dans le service de
M. MOUTARD-MARTIN. '
Jusqu'à présent, cet homme n'a jamais été malade. Il y a .
cinq ans cependant il aurait eu une typhlite. Il y a un an, il est
56 CLINIQUE NERVEUSE.
tombé d'une échelle sur le coude : il en est résulté une plaie et
une ostéite du cubitus qui ont nécessité un séjour d'un mois à
l'hôpital Saint-Louis.
Dans son enfance, il a été atteint de scrofule sous forme d'é-
coulement d'oreilles et d'adénopathie cervicale. On ne trouve
chez lui ni syphilis, ni rhumatisme, ni alcoolisme, ni impalu-
disme. -
Lesparents vivent encore et sont bien portants. On ne trouve
chez eux aucune diathèse non plus que chez les grands-parents.
Deux soeurs sont en bonne santé et ne sont pas nerveuses.
Lui-même étant jeune, ne présentait pas de signes de ner-
vosisme, mais des migraines : il est d'un caractère sombre,
taciturne, indolent et parait s'irriter assez facilement.
Il raconte qu'au mois de mai 1880, il s'aperçut que des
sueurs survenaient à la tempe droite lorsqu'il mangeait. Cette
sueur apparaissait une ou deux minutes après la première in-
gestion des aliments et cessait lorsque le repas était fini.
Peu à peu l'éphidrose s'est étendue et a envahi sur la
partie latérale droite de la face, la joue, l'oreille, puis la moitié
correspondante du cuir chevelu, du cou et du moignon de l'é-
paule. Cette dernière n'est le siège d'hypersudation que depuis
quelques mois seulement, tandis que les autres parties ont été
envahies dans l'espace de dix-huit mois environ. On ne trouve
aucune exagération de la sueur dans l'aisselle, au bras, ni à la
main. La fonction sudorale du côté gauche du corps et sur le
tronc semble normale.
Le malade remarque que depuis plusieurs mois il sne davan-
tage et, bien qu'il ne souffre pas, cette affection est assez gê-
nante pour qu'il réclame son admission à l'hôpital.
Il sue en mangeant, environ une demi-minute après que les
aliments ont. été mis en contact avec la muqueuse buccale. En-
viron cinq minutes après le repas il n'y a plus de sueur. L'im-
pression seule des aliments suffit pour amener la sudation et
inconvénients de mastication n'ont aucun effet. Cependant du
sel et du sucre déposés sur la langue n'amènent pas la sueur du
visage. Au contraire, le vin, le lait déterminent l'éphidrose
rapidement. Les aliments chauds produisent plus rapidement
l'hypersudation que les aliments froids. Le malade n'a jamais
remarqué que l'idée de manger, ni la pensée d'aliments sapides
fissent apparaître la sueur à la face. Les mouvements violents
sont également sans influence. Quand il a la tête couverte, le
DES ÉPHIDROSES DE LA FACE. ' -1<
cuir chevelu est en moiteur dans sa moitié droite, mais cette
moiteur se remarque seulement sur les parties recouvertes par
la casquette.
D... a remarqué que l'éphidrose ne se produisait pas seule-
ment sous l'influence de l'alimentation; quelquefois, le matin
en se levant, il a vu la tempe et la partie latérale droite du
front couvertes de gouttelettes de sueur, mais bien moins
abondantes que lorsqu'il mange. D'autres fois, c'est pendant
son travail qu'il s'aperçoit d'une transpiration au niveau des
parties indiquées et dans ces cas l'éphidrose est précédée d'une
série d'étourdissements.
Si l'on fait manger le malade on voit presque aussitôt sourdre
de fines gouttelettes de sueur qui se réunissent pour couler le
long du visage et du cou. Cette sueur occupe la partie mé-
diane et latérale droite du front, la tempe, la partie correspon-
dante du nez. L'oreille et le cou sont seulement en moiteur.
Elle est limpide, claire, fortement acide, contient des chlorures,
ne renferme aucune trace d'albumine. L'éphidrose s'arrête
exactement à la ligne médiane de la face. En passant la main
dans ses cheveux, on sent que toute la partie droite du cuir
chevelu est mouillée, la moitié gauche reste sèche. Jamais
nous n'avons constaté de changement de couleur des tégu-
ments, aucune rongeur, aucune dilatation vasculaire, ni au-
cune anomalie du côté de la conjonctive : celle-ci n'est pas
hypérémiée, il n'y a pas d'exophthalmie. L'ouverture palpé-
brale est égale des deux côtés. Il n'y a pas d'élévation de tem-
pérature : du côté de la muqueuse buccale on ne trouve ni
rougeur, ni hypersécrétion salivaire correspondant à la
moitié droite.
La sueur coule abondamment : il est assez difficile d'en éva-
luer la quantité; elle persiste tant que dure le repas et ne cesse
que cinq ou six minutes après que le malade a fini de
manger.
En plaçant alternativement sur la face dorsale de la langue,
du sel, puis du sucre, on peut se rendre compte que les sensa-
tions générales ou spéciales sont parfaitement perçues par le
malade, mais on ne détermine aucune hypéridrose. Les impres-
sions perçues par la muqueusebuccale sont également normales.
Tous les viscères sont sains : il n'y a aucune lésion du coeur
ou do l'aorte, aucune tumeur appréciable du cou ni du thorax.
Les urines sont normales.
58 CLINIQUE NERVEUSE.
L'état général est bon. D... mange bien, dort bien. Use plaint
seulement d'étourdissements qui surviendraient par moments,
tous les jours et même plusieurs fois par jour, sans cause ap-
préciable, mais surtout lorsqu'il est très fatigué et qui ne durent
que quelques secondes. Le malade dit que sa tète tourne; mais
il n'est pas obligé de s'asseoir ni de se retenir : il n'est jamais
tombé. Il n'accuse ni douleurs de tête, ni perte de mémoire,
ni aucun trouble de sensibilité spéciale. Du côté de la vue no-
tamment, on ne constate rien d'anormal.
Mais il existe une inégalité pupillaire des plus manifestes :
la pupille droite est dilatée et reste plus paresseuse à la lu-
mière. Une semble pas d'ailleurs que cette mydriase du côté
droit ait ralenti sur l'acuité de la vision. L'examen de sensibilité
montre que celle-ci est intacte dans tous ses modes, à la face,
au tronc et aux membres inférieurs.
Mais il n'en est pas de même aux membres supérieurs.
D... a remarqué, depuis quelques années, qu'en plongeant
les bras dans l'eau chaude, il ne sentait pas à la main droite la
température de cette eau, tandis qu'il l'appréciait parfaitement
du côté gauche. Ces phénomènes persistent encore aujourd'hui
et voici ce que l'examen de sensibilité nous revèle.
La sensibilité à la température est égale aux deux bras et aux
avant-bras. Mais déjà au niveau du poignet droit le malade
commence à différencier plus difficilement le chaud du froid.
A la main droite sur ses deux faces, le froid ne donne plus
qu'une sensation de contact, le chaud est à peine perçu et
plutôt encore comme sensation de contact. Aux doigts et sur-
tout à partir de la moitié inférieure des premières phalanges,
le malade ne perçoit plus du tout la chaleur. On peut le
brûler sans qu'il accuse une sensation outre que celle du con-
tact. A la main gauche on ne constate rien de semblable.
La sensibilité, au contact, à la douleur la' sensibilité élec-
trique persistent dans toute l'étendue des membres supérieurs;
mais le malade nous dit qu'il sent moins du côté droit, affir-
mation dont le compas de Weber montre l'exactitude. A la
main droite, D... paraît sentir aussi bien sur la sphère du
cubital que le long du trajet des autres nerfs. Il n'y a pas de
retard des sensations.
D... raconte en outre, que depuis '18"/7 il ressent des douleurs
dans le membre supérieur droit. Ces douleurs ont débuté par
le poignet sous forme de fourmillements, puis elles ont gagné
DES ÉPHIDROSES .DE LA FACE. 39
l'avant-bras et le bras, et actuellement D... ressent dans la
sphère du cubital, principalement dans l'annulaire, des four-
millements, des élancements revenant à peu près tous les
jours et même plusieurs fois par jour, durant environ trois ou
quatre minutes, remontent le long de lapartie interne du bras
pour se perdre dans l'épaule. On ne détermine d'ailleurs au-
cune douleur par la pression sur les nerfs du membre supé-
rieur droit, non plus qu'au niveau du plexus brachial.
Enfin D... se plaint d'avoir, depuis quelques semaines, une
sensation de poids, de gêne, parfois des élancements au niveau
de la partie moyenne et latérale du thorax du côté droit, mais
il n'y a aucun signe de névralgie intercostale. Cependant la
pression provoque de la douleur à la partie moyenne des
côtes le long de la ligne axillaire.
Il n'y a pas d'amiotrophie du membre supérieur droit, les
forces y sont conservées. Les réflexes du coude, des fléchis-
seurs, du genou, sont normaux. La température est normale et
égale des deux côtés du corps.
On ne trouve aucun signe de tabes, de paralysie générale,
de tumeur cérébrale d'hystérie.
12 janvier. On a injecté sous la peau de la joue droite
un milligramme de chlorhydrate de pilocarpine; on voit appa-
raître aussitôt de la rougeur locale, mais sans sudation.
13. -Injection dedeux milligrammes. Même rougeur locale
et appartion sur la tempe, le nez, la joue d'une sueur claire,
limpide, acide qui persiste une demi-heure.
15. -Injection au même point de quatre milligrammes. On
ne constate pas de rougeur locale. La sueur apparaît après une
minute un quart. La sudation dure quarante-cinq minutes,
mais n'atteint que les parties qui suent habituellement. Le
reste du corps est sec.
Une injection d'un centigramme amène une sueur généra-
lisée, plus abondante du côté droit de la face et du cou.
Le traitement par l'atropine, l'ergotine, le tannin échoue.
Les courants continus (7 à 10 milliampères) sur la colonne
cervicale et le sympathique cervical ne donnent aucun ré-
sultat.
Le malade quitta l'hôpital le 15 février.
(Nous avons revu ce malade à la fin de juillet. Son état est
toujours le même. Les douleurs thoraciques ont augmenté et
sont dues à une névralgie intercostale du côté droit.)
60 CLINIQUE NERVEUSE.
lit.
Passons maintenant en revue les principales obser-
vations que nous avons relevées. Elles sont suscepti-
bles d'être ramenées à l'un des quatre groupes que
voici : '
A. Dans une première classe, il y a une altération
matérielle du système nerveux cérébro-spinal. A cette
catégorie appartiennent les observations suivantes :
Bichat cite le fait d'un malade atteint d'éphidrose faciale
gauche avec hémiplégie gauche. Mickle rapporte trois
cas d'éphidrose faciale chez des paralytiques généraux.
Bazire relate l'observation d'un ataxique chez qui,
au moment des paroxysmes douloureux une transpira-
tion abondante survenait sur le côté gauche du front.
Il y avait chez ce malade des troubles oculaires.
Roque rapporte le cas d'un jeune homme qui, à la
suite d'une congestion cérébrale vit survenir des sueurs
du côté droit de la tête et du moignon de l'épaule. Les
repas les émotions augmentaient cette sécrétion et,
quatorze ans après, les parties qui en étaient le siège
s'étaient amaigries : les cheveux avaient blanchi du
même côté.
Anstie a vu un enfant de six ans atteint de crises
épileptiques avec éphidrose partielle de la face.
De même Ramskill a vu un épileptique chez qui se
développait une sudation exagérée d'un côté de la face
lorsqu'il marchait vite.
Meschede signale une observation d'hémidrose, sur-
tout prononcée au visage et datant de vingt ans. A
DES ÉPHIDROSES DE LA FACE. 61
l'autopsie on trouva une hypérostose concentrique des
os du crâne et une atrophie d'une partie des circonvolu-
tions de la base de l'encéphale.
0. Berger rapporte le cas d'un homme atteint d'é-
phidrose latérale gauche de la face et du cou. La peau
n'était pas rouge : il n'y avait aucun trouble pupillaire,
aucun trouble de sensibilité. La pression au niveau des
apophyses épineuses des dernières vertèbres cérvicales
provoquait de la douleur. Kiedemeister a vu chez un
aliéné une éphidrose palpébrale gauche qui a envahi
consécutivement la tempe et le front. Morselli(de Flo-
rence) a publié en 1870 l'observation que nous don-
nons en résumé :
Femme de cinquante-cinq ans qui éprouvait depuis quelque
temps de la faiblesse des jambes, des maux de tête, etc.,
lorsque survint une paralysie de la jambe droite. La céphalal-
gie limitée au côté droit devint de plus en plus pénible et fré-
quente. Des vertiges et des attaques comateuses apparurent.
La malade entre à l'hôpital dans le coma. Le visage est
plus coloré à droite, l'oeil droit est larmoyant. 'Les pupilles
sont également dilatées. Le lendemain le coma a cessé. La rou-
geur intense de la moitié droite de la face s'étend à la con-
jonctive, au cou et à l'oreille. La joue droite est enflée, plus
volumineuse que la gauche et ruisselante de sueur. La tem-
pérature est plus élevée du côté droit. La pupille est con-
tractée, presque insensible à la lumière.
A l'autopsie, on trouva à la partie antérieure de l'hémisphère
gauche un gliome s'étendant jusqu'au corps strié.
On trouva en outre des lésions du grand sympathique cervical.
Le ganglion cervical supérieur du côté droit est notablement
hypertrophié. Au microscope on constate la pigmentation et la
dégénérescence graisseuse des cellules nerveuses ; la proliféra-
tion des éléments conjonctifs. On note une thrombose des
capillaires avec prolifération du noyau de leurs parois ; chez
quelques-uns à une période plus avancée, de l'épanouissement
marqué des parois avec dégénérescence graisseuse de leur con-
62 CLINIQUE NERVEUSE.
tenu. En somme sclérose ot dégénérescence graisseuse des
ganglions.
Nous avons rapporté cette observation avec quelques déve-
loppements. C'est en effet l'un des rares cas où l'autopsie ait
été faite et eu égard aux lésions du sympathique qui y sont
signalées, nous aurons l'occasion d'y revenir plus loin.
B. - Dans une deuxième classe la lésion n'est plus
centrale, mais.elle affecte le grand sympathique dans
sa portion cervicale ou au niveau de son premier gan-
glion thoracique. C'est ainsi que l'éphidrose faciale
a été signalée dans les anévrysmes de la crosse de
l'aorte ou du tronc brachio-céphalique.
Gairdner en a rapporté deux cas : l'éphidrose était
exactement limitée à un côté de la face : il y avait
contraction pupillaire du même côté.
Bartholow rapporte un cas analogue dans lequel il
s'agissait probablement d'un anévrysme : il y avait
également du myosis du côté de l'éphidrose.
Weir Dlitchell rapporte une observation dans laquelle
deux ans après une blessure du cou par un balle, il y
avait une hypéridrose de la face et du cou.
Ogle a vu un malade chez qui à la suite d'une abon-
dante suppuration du côté droit du cou il s'était déve-
loppé une éphidrose faciale du même côté. Il y avait en
outre, pendant les exercices et parfois aussi au repos,
une rougeur plus marquée de ce côté de la face qui était
aussi plus chaud.
Mais un exercice violent ou la fièvre renversaient les
conditions de sudation des deux côtés de la face. Le
côté gauche suait, alors que le côté droit restait sec.
M. Verneuil a vu se développer une éphidrose
facialeà la suite d'une ligature (le la carotide. Il y avait
DES ÉPHIDROSES DE LA FACE. 63
en outre du myosis du même côté avec dilatation vascu-
laire et augmentation de température de cette partie
de la face.
Frankel cite un malade qui, avec une hypertrophie
du corps thyroïde, était atteint d'une éphidrose faciale
gauche.
Nitzelnadel (cité par Rosenthal) rapporte l'observa-
tion d'un malade atteint de goître exophthalmique qui
présentait une éphidrose faciale. 11 y avait de plus du
myosis, de la rougeur des téguments et une augmen-
tation de température.
On peut faire rentrer dans cette classe les deux obser-
vations de M. Fritz dans lesquelles l'éphidrose faciale
survint dans le cours d'une thrombose des sinus crâ-
niens. La distribution des branches afférentes du
nerf vertébral semble donner l'explication de ce
symptôme.
M. Riehl a publié, en 1884, une observation dont
voici le résumé :
Femme atteinte depuis plusieurs années de douleurs dans
le côté gauche de la tête. Ces douleurs survenaient à inter-
valles irréguliers et s'accompagnaient de rougeur, hyper-
thermie et éphidrose de la moitié correspondante de la
tête. Pendant ces accès la pupille gauche était dilatée, mais
non au maximum : elle ne réagissait qu'avec paresse aux
excitations lumineuses. Il existait en outre une diminution de
l'acuité visuelle de ce côté et une légère injection de la con-
jonctive. A l'autopsie on trouva une intégrité absolue du sym-
pathique cervical droit et du sympathique gauche, sauf pour
le ganglion cervical supérieur. Celui-ci atteignait un volume
double de celui du côté opposé. A la coupe il était'injecté et de
coloration rosée. Au microscope on trouva une infiltration de
cellules rondes entre les faisceaux nerveux et les cellules gan-
glionnaires. Les vaisseaux étaient remplis de sang et quelques
veines étaient inégalement dilatées par places. La plupart des
64 CLINIQUE NERVEUSE.
cellules ganglionnaires ne présentaient pas d'altération. Dans
un point cependant les cellules étaient ratatinées. Dans un
autre endroit on trouva une hémorrhagie ponctiforme. Le
noyau des cellules était très net : il y avait une pigmentation
prononcée du protoplasma.
Les fibres du sympathique n'étaient altérées ni au-dessus
ni au-dessous du ganglion.
Cette observation nous paraît être la seule dans
laquelle, avec les symptômes les plus manifestes d'une
paralysie du sympathique cervical, on s'est trouvé en
présence d'une dilatation pupillaire (incomplète, il
est vrai), au lieu du myosis qui est la règle. Peut-
être dans ce cas faut-il admettre que la dilatation pu-
pillaire tenait à une action réflexe déterminée par la
douleur. En effet, d'après les expériences de MM. Vul-
pian et Liégeois, une semblable lésion ganglionnaire
en quelque sorte destructive aurait dû avoir pour
effet d'exagérer le myosis. Peut-être aussi faut-il
admettre une dissociation des fibres irido-dilatatrices et
vaso-motrices, la même cause qui déterminait la para-
lysie de celles-ci ne produisant qu'une phase d'excita-
tion de celles-là. D'après M. Fr. Franck, Schiff a signalé
des exemples de cette dissociation entre ces deux
ordres de fibres'.
Quoi qu'il en soit, M. Riehl ne donne aucune expli-
cation de cette mydriase que l'on ne rencontre pas
habituellement, comme nous le verrons dans les cas
de paralysie du sympathique cervical.
On trouve encore dans cette observation, sur laquelle
nous insistons à dessein, une lésion déjà signalée par
1 Fr. Franck. Art. Grand Sympathique, du Dict. encljclop¡}¡[¡qlle,
3e série, t. 1X, p. fi7.
DES ÉPHIDROSES DE LA FACE. go
Ebsteinet que nous retrouverons plus loin : pigmenta-
tion des cellules ganglionnaires, dilatation des vais-
seaux. M. Riehl cite dans son travail une observation
due à M. Guttmann et qui se rapproche par beaucoup
de points de la précédente :
Il s'agit d'un homme atteint d'une affection pulmo-
naire et qui présente une éphidrose faciale gauche avec
exophthalmie légère de ce côté et dilatation de la
pupille correspondante. Par instants, la sueur gagnait
la partie correspondante du cuir chevelu et du cou.
On voit souvent des phénomènes concomitants de
rougeur diffuse ou bien sous forme de plaques isolées :
cette rougeur peut survenir indépendamment des
sueurs. Il y a aussi de l'hyperthermie et parfois un
peu d'injection de la conjonctive avec de l'épiphorase.
La mydriase varie d'intensité : le diamètre pupillaire
peut augmenter ou diminuer en quelques minutes. La
pupille réagit normalement à la lumière. Une lésion des
ganglions du sympathique cervical reste possible : la
pression sur le sympathique gauche dit Guttmann est
un peu douloureuse.
Dans cette deuxième observation il y a paralysie des
fibres vaso-motrices, comme dans l'observation de
M. Riehl, et, comme dans celle-ci, on se trouve égale-
ment en présence d'une mydriase qu'il faut bien rap-
porter à une excitation des filets oculo-pupillaires. Il
est à remarquer toutefois que les symptômes de para-
lysie ou troubles vaso-moteurs étaient intermittents, ce
qui tendrait à faire admettre qu'à la suite de la période
d'excitation produisant l'éphidrose et la mydriase sur-
venait un stade de paralysie avec les phénomènes
habituels. Les variations successives de diamètre pu-
Ancurves, t. XV. a
66 . CLINIQUE NERVEUSE.
pillaire viendraient corroborer cette opinion. Disons
cependant, par anticipation, que telle n'est pas la
marche habituelle de la paralysie du sympathique
cervical, et que, dans les expériences de M. Nicati, on
ne relève rien de semblable. D'ailleurs, en l'absence
d'autopsie, il serait imprudent d'entrer plus avant
dans cette voie hypothétique. C'est également dans
cette classe que l'on doit ranger notre deuxième
observation.
Le nommé Emile S..., commissionnaire, âgé de trente-neuf
ans, entre le 27 avril 1887 à la Pitié, service de NI. le Dr LAN-
CEREAUX.
Comme antécédents morbides, on relève chez ce malade une
fièvre typhoïde, une pneumonie et une pleurésie, celle-ci da-
tant de deux ans et ayant affecté la plèvre gauche. On note
aussi un léger degré d'alcoolisme.
Il raconte que depuis quelques mois, il toussait et était
essoufflé; il a cessé son travail il y a un mois et depuis il a vu
survenir de l'anorexie, des sueurs nocturnes en même temps
que l'amaigrissement.
Il crache assez abondamment l'expectoration est mu-
queuse, aérée; quelques crachats déchiquetés. Examen du
malade. Thorax aplati et amaigri. Matité aux deux som-
mets, en avant et en arrière. Respiration rude râles caver-
nuleux, surtout à droite. Dans le reste de l'étendue des pou-
mons, râles sous-crépitants avec respiration soufflante; à
droite, tonalité plus élevée qu'à gauche -perte de l'élasticité.
Léger épanchement pleural. Une ponction faite avec la
seringue de Pravaz permet de retirer un liquide citrin qui
coagule par l'acide nitrique. Cependant le murmure vésiculaire
persiste en ce point; il est seulement affaibli pas d'égo-
phonie pas de pectoriloquie aphone pas de frottements.
En résumé, tuberculose pulmonaire à la deuxième période et
pleurésie tuberculeuse à droite.
En outre le malade est couvert d'une sueur abondante sur
toute la partie droite de la figure. Cette hémidrose est nette-
ment localisée à droite et atteint principalement la région
DES éphidroses de la face. 67
frontale. Elle commence à la ligne médiane, envahit la tempe,
la racine du nez à sa partie latérale droite, la région malaire
et s'étend jusqu'au cou, mais ce dernier n'est pas atteint par
l'hypersudation. La sueur est abondante, acide, sécrétée à
tout instant, aussi bien au repos que lorsque le malade est
éveillé, parle ou mange. Elle n'augmente pas sous l'influence
des mouvements de mastication, des émotions ou des mouve-
ments.
Au réveil, le malade est couvert de sueurs générales, et la
sudation de la face est notablement plus considérable à droite
qu'à gauche.
Il n'y a pas de rougeur de cette partie de la face; pas d'aug-
mentation de la température pas de troubles pupillaires.
Les pupilles sont égales; elles semblent toutefois un peu plus
étroites que normalement; mais elles réagissent également
bien à la lumière et à l'accommodation. Pas de troubles de
sécrétion lacrymale. - Rien d'anormal dans la sécrétion sali-
vaire.
Le malade n'accuse aucune sensation subjective; il n'est
gêné que par l'abondance de la sueur. Il est atteint de cette
éphidrose depuis plusieurs mois, mais il n'en peut préciser le
début. On ne trouve sur le trajet du sympathique aucune
tumeur, ni rien qui puisse expliquer cette éphidrose faciale.
Les jours suivants les sueurs augmentent encore; aussi
bien l'éphidrose de la face que les sueurs générales. Le
malade s'affaiblit de plus en plus.
Le 16 mai, il est pris d'une attaque épileptiforme; les mou-
vements convulsifs ont duré quelques instants; le malade a
déliré pendant un quart d'heure, puis il a repris connaissance.
Au début, dit-il, il avait parfaitement conscience de son état,
et il aurait été prévenu de cette attaque par de l'obtusion des
idées.
Dans la nuit, deuxième crise semblable à la précédente. Il
a de nouveau assisté au développement de cet accès ; après
deux minutes d'anxiété, il a perdu connaissance. Cependant, il
accuse une légère amélioration. Les sueurs ont été moindres,
et il ressent un certain bien-être.
Le 18 mai, état stationnaire. - Le malade mange un peu.
Le 19 mai, il meurt subitement. - Ses voisins n'ont pas
remarqué qu'il ait fait avant de mourir le moindre mouve-
ment.
68 CLINIQUE NERVEUSE.
Autopsie. A l'ouverture du thorax on constate que le
péricarde est distendu par un verre environ d'un liquide teinté
par le sang. Pas de fausses membranes de péricardite.
Adhérences pleurales intimes des deux côtés, mais surtout
à droite. Pleurésie multiloculaire avec faible quantité de
liquide séro-fibrineux.
Tandis qu'à gauche les fausses membranes sont faibles, peu
adhérentes, à droite au contraire elles constituent une véri-
table pachypleurite de deux millimètres et plus d'épaisseur et
tapissées de tubercules qui atteignent les dimensions d'un
gros grain de millet environ.
Le long de la colonne vertébrale on ne détache qu'avec
peine cette plèvre qui comprime le tronc du sympathique à sa
partie inférieure toutefois ce dernier est sain. Mais lorsqu'on
arrive au ganglion cervical inférieur, il faut en quelque sorte
sculpter ce dernier qui se trouve en plein tissu de pleurésie
tuberculeuse appliqué étroitement contre le col de la première
côte. Il est allongé, mais aplati et de dimensions bien moindres
que celui du côté gauche. Il ne parait cependant pas plus
rouge que l'autre, mais il est entouré par cette pachypleurite
qui remonte même au-dessus de lui, au niveau du reflet de laplè-
vre. Le tronc du sympathique cervical est sain; le ganglion cer-
vical moyen est un peu plus gros de ce côté que celui du côté
gauche; à gauche le sympathique est également normal. Le
ganglion cervical inférieur est très développé, mesure environ
deux centimètres et demi de large. Il est dur et résistant,
tandis que celui du côté droit semble plus mou à la coupe.
Les deux poumons sont infiltrés de petits tubercules. Aux
deux sommets on trouve de petites cavernules. Conges-
tion et emphysème disséminés. Les autres viscères sont
sains.
Examen microscopique du ganglion cervical inférieur, du
côté malade. (Voir planche V'.) - L'enveloppe fibreuse du
ganglion est normale; elle n'est pas épaissie et les vésicules
graisseuses qui l'entourent ne présentent rien de particulier.
- Les tractus celluleux qui partent de cette enveloppe exté-
rieure du ganglion pour se diriger vers le centre sont plus
volumineux qu'à l'état normal. En certains points de la
' Cette planche paraitra avec le prochain numéro.
DES ÉPHIDROSES DE LA FACE. 69
préparation, ces cloisonnements sont seulement composés de
fibres qui dissocient les éléments du ganglion sans présenter
de cellules de nouvelle formation; mais dans la plupart des
points de la coupe, on trouve dans ces tractus fibreux une
infiltration considérable d'éléments embryonnaires qui entou-
rent à la fois les cellules nerveuses et les vaisseaux, sans tou-
tefois prédominer autour de l'un ou l'autre de ces éléments.
Tandis que les vaisseaux sont sains et ne présentent aucune
trace d'endartérite ni de périartérite, sans qu'on puisse
trouver aucune thrombose veineuse, on trouve au contraire
des altérations manifestes des cellules. - En quelques points
de la préparation, notamment à la périphérie, on trouve une
forte congestion vasculaire. Dans les points où celles-ci sont
à peine entourées d'éléments embryonnaires, elles présentent
leurs dimensions normales, mais elles sont granuleuses et
l'on ne peut distinguer leurs noyaux. Elles sont, en général,
arrondies ou ovoïdes. Dans les points, au contraire, où la
néoformation conjonctive est plus abondante, on voit ces
cellules petites, ratatinées et comme atrophiées par la com-
pression ; elles sont fortement colorées en rouge par le carmin,
tandis que les cellules saines fixent davantage l'acide pi-
crique.
Les fibres nerveuses qui traversent le ganglion sont parfai-
tement saines.
Dans l'intérieur même du ganglion on trouve, au milieu du
tissu conjonctif, quelques vésicules adipeuses bien colorées en
. noir par l'acide osmique. Les autres ganglions cervicaux
du sympathique sont sains. Ils ne présentent non plus que
ceux du côté gauche l'infiltration nucléaire que l'on trouve
dans le ganglion cervical inférieur du côté malade. - Le
tronc du nerf est également normal. En résumé, prolifération
nucléaire abondante, compression des cellules du ganglion
qui s'atrophient : telles sont les deux altérations principales
que l'on observe ici.
C. Dans une troisième classe, ce sont les nerfs de
la face qui sont lésés. 11 y a dans ces cas une irritation
des fibres excito-sudorales qui accompagnent le facial
ou le trijumeau.
70 CLINIQUE NERVEUSE.
On connaît plusieurs exemples d'hypéridrose fa-
ciale dans les névralgies du trijumeau. M. Débrousse-
Latour en rapporte dans sa thèse.
On sait de même que dans la migraine, on peut
observer des faits analogues.
M. Ollivier a rapporté un cas très intéressant
d'éphidrose limitée à la branche maxillaire supérieure
du trijumeau. Au moment où la sudation atteignait son
maximum, il y avait hypérémie de la région. Chez
ce malade, l'affection paraissait être héréditaire : la
soeur en était atteinte, ainsi que trois enfants qu'elle
avait.
A cette classe appartiennent aussi la plupart des
observations d'éphidrose parotidienne. Le plus sou-
vent, en effet, à la suite de parotidites suppurées de
tumeurs de la parotide, d'opérations pratiquées sur la
région, il y a irritation des fibres sudorales et l'éphi-
drose s'ensuit.
On connaît le cas de Bérard qui était atteint d'éphi-
drose parotidienne, depuis une parotidite qui était sur-
venue lors d'une fièvre grave.
On trouve aussi dans la thèse de M. Bézard, dans
celle de M. Bouveret, dans un travail de M. Bergou-
nhioux, des observations semblables de malades trai-
tés dans le service de Nélaton. Ces observations ne
sont pas très rares.
Comme le fait remarquer M. Bouveret, cette éphi-
drose dépasse parfois la région et se manifeste sur les
régions voisines et même sur une étendue considérable
de face. Dans tous les cas, un traumatisme de la région
se rencontre à l'origine du mal. M. Bouveret fait aussi
remarquer que tandis que la joue se couvre de sueurs,
DES ÉPHIDROSES DE LA FACE. Î'1 Il
la moitié correspondante de la muqueuse buccale reste
sèche, mais ce n'est pas là une règle absolue.
Dans ces cas, la sudation est généralement d'ordre
réflexe et elle succède à une excitation des nerfs du
goût. Ces faits vont nous servir de transition pour
passer à ceux que l'on peut ranger dans la classe sui-
vante.
D. - Dans cette quatrième classe, l'éphidrose est
d'ordre réflexe. On la rencontre ordinairement chez des
sujets hystériques, chez des nerveux. L'hyperexcita-
bilité sudorale est mise enjeu par l'impression de cer-
tains nerfs périphériques ou même par des influences
psychiques.
Dans les éphidroses parotidiennes, avons-nous dit,
ce sont les nerfs du goût qui interviennent comme point
de départ du réflexe. Le malade mange, et aussitôt on
voit perler sur la région de la parotide des gouttelettes
- de sueur qui se réunissent et finissent par couler sur la
joue.
Mais en dehors de ces cas, où l'éphidrose limitée à
la région de la parotide ou ayant débuté par cette ré-
gion pour s'étendre ensuite, est consécutive à un trau-
matisme ancien, il en est d'autres où il n'y a eu aucune
lésion antérieure et dans lesquels l'éphidrose est d'ordre
purement réflexe, sans excitation préalable des fibres
sudorales du facial.
En 1740, Kastremsky rapportait le fait d'un malade
qui suait lorsqu'il prenait des aliments salés ou de
haut goût. Barthez a publié l'observation d'un homme
qui suait d'un seul côté de la face, lorsqu'il mettait
du sel sur le côté correspondant de sa langue qui
72 CLINIQUE NERVEUSE.
était excoriée. Hartmann rappelle l'observation d'un
homme qui suait du côté gauche de la face après avoir
mangé. -
M. Bouveret a vu chez M. Gallard un malade atteint
d'éphidrose faciale, lorsqu'il prenait des aliments : la
sueur cessait avec la mastication.
On trouve signalés dans la thèse de M. Bézard quel-
ques faits d'éphidrose faciale, à la suite d'ingestion
d'aliments très épicés ou dans la préparation desquels
il rentrait des acides, du vinaigre, du citron. On con-
naît enfin l'exemple de M. Brown-Séquard, rapporté
par lui dans les Comptes-rendus de la Société.de bio-
logie.
« Chez M. Brown-Séquard, une sécrétion très abon-
dante de sueur au visage a lieu toutes les fois qu'il excite
les nerfs du goût par des aliments très salés, très épicés
ou très sucrés, en un mot d'une saveur très vive. La
sécrétion a lieu également en hiver et en été. Le mou-
vement des mâchoires n'y est pour rien, car avec des
aliments très peu savoureux, mâchés pendant long-
temps, l'effet n'a pas lieu, tandis qu'il se produit alors
même, s'il n'y a pas de mastication etqu'un aliment très
sapide est tenu pendant quatre ou cinq minutes dans
la bouche. M. Brown-Séquard a constaté le même phé-
nomène, mais avec moins d'intensité que chez lui, sur
six personnes. Il fait l'expérience devant la Société de
Biologie : la substance savoureuse est du chocolat. En
moins de cinq minutes, son visage est baigné de
sueur. »
Dans d'autres cas, ce n'est plus une excitation des
nerfs du goût qui détermine l'hypéridrose. Ce sont
alors différents nerfs, soit de sensibilité spéciale, soit de
DES ÉPHIDROSES DE LA FACE. 73
sensibilité générale qui sont le point de départ de l'ac-
tion réflexe et peut-être aussi les filets viscéraux
du sympathique. M. Débrousse-Latour cite le cas d'un
jeune homme dont le front se couvrait d'une sueur
abondante, lorsqu'il respirait du vinaigre.
Tackenberg (in Lyon médical, 1879) a vu un homme
atteint d'une obstruction ancienne de la narine droite,
par déviation de la cloison. Il y avait de l'anosmie de ce
côté et une éphidrose faciale droite, lorsque le malade
parlait. Le cathétérisme amena la guérison de cette
oblitération et une diminution de l'éphidrose.
Erasmus Wilson mentionne le cas d'un malade qui,
après de violentes douleurs gastriques, suait d'un côté de
la face. Il rapporte également une observation intéres-
sante où une éphidrose latérale de la face succéda à
l'ingestion d'une boisson froide. Il s'agissait d'un jeune
acteur qui s'était grimé pour jouer un rôle de vieillard.
La sueur qui coulait d'un seul côté de la face lui avait
rendu ses traits naturels et la double expression de son
visage excitait chez les spectateurs une hilarité que le
malheureux acteur attribuait à son jeu irréprochable.
On connaît, d'ailleurs, d'autres exemples où l'inges-
tion de certains aliments, de l'alcool, produisent une
hypersécrétion sudorale de la face générale ou unilaté-
rale. Il en est de même dans certains cas d'indigestion,
ou bien à la suite d'états dyspeptiques. Bartholow
rapporte un cas d'éphidrose faciale gauche, survenue
chez un phtisique atteint de gastralgie avec vomisse-
ments.
Il rapporte également un cas d'éphidrose droite avec
nausées et douleurs gastriques. Dans un autre ordre
de faits, c'est une émotion, une excitation psychique
74 1, CLINIQUE NERVEUSE.
qui déterminent l'éphidrose. Parfois même, il n'y a
aucune cause occasionnelle appréciable : les sujets sont
seulement des neurasthéniques.
Tuke rapporte une observation de Gratiolet, dans la-
quelle une excitation émotionnelle fut suivie d'une
éphidrose unilatérale de la tête.
Bartholow cite l'observation d'une femme qui pré-
sentait par instants des accès de rougeur de la face
avec hypéridrose et hyperthermie sans autre trouble
apparent de la santé.
M. Leudet (de Rouen) a rapporté au congrès de Bor-
deaux l'observation d'une femme nerveuse atteinte
d'éphidrose latérale droite de la face, suivant le tra-
jet des deux premières branches du trijumeau. La suda-
tion survenait sous l'influence de toute préoccupation.
Il n'y avait ni rougeur, ni troubles pupillaires, mais
amblyopie du même côté.
En résumé, dans toutes les observations d'éphidrose
de la face, il est possible de noter un trouble dans le
fonctionnement du système nerveux. Ces éphidroses
peuvent rentrer, pensons-nous, dans l'un des quatre
groupes suivants : .
1° Altération matérielle du système nerveux cen-
tral ; ;
2° Lésion du cordon cervical du grand sympa-
thique ;
3° Lésion des nerfs de la face (facial ou surtout tri-
jumeau) ;
4° Trouble réflexe dont le point de départ réside
dans une excitation des nerfs du goût, des nerfs de
sensibilité générale ou spéciale, ou encore dans une
perturbation psychique. Dans quelques cas, l'éphidrose
DE l'épilepsie PROCURSIVF. 75
paraît n'être qu'une détermination locale du nervo-
sisme.
C'est probablement parmi les faits de ce genre que
l'on doit classer les observations où l'on n'a noté aucune
lésion apparente dans les différents organes. M. Bar-
tholow pense que dans ces cas il y a quelque altération
d'un ou de plusieurs des ganglions cervicaux du sym-
pathique. Nous reviendrons plus loin sur cette ques-
tion. (A suivie.)
DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE;
Par BOURNEVILLE et P. BRICON
IV. VERTIGES PROCURSIFS.
Nous avons déjà vu dans les observations précé-
dentes des malades présenter concurremment avec des
accès de type procursif divers des accidents procursifs
dont quelques-uns semblent se rapprocher des verti-
ges. La distinction entre l'accès procursif et le vertige
procursif est souvent fort difficile à établir. Il faut au
surplus se rappeler que la plupart des divisions sont pu-
rement artificielles, que si elles sont nécessaires pour la
compréhension et l'exposé des phénomènes observés,
il ne s'ensuit pas qu'on puisse y adapter chaque cas
particulier. Leurs frontières sont fort mal délimitées.
N'observe-t-on pas, du reste, fort souvent une gradua-
' Voy. Archives de Neurologie, vol. XIII, nez 39, mai 1887, p. 321, et
vol. XIV, Il"' 10 et il, p 55 et 23à, juillet et septembre 1887.
76 . CLINIQUE NERVEUSE.
tion symptomatique entre les différents actes épilep-
tiques, de l'absence à l'accès le plus franc, d'où la
difficulté de classer certains phénomènes considérés
différemment selon les auteurs.
Nous avons dit que dans certains cas nous considé-
rions l'acte procursif comme constituant un accès in-
complet, mais il s'agit alors de malades chez lesquels
on constate la transformation graduelle des accès pro-
cursifs en accès d'épilepsie ordinaire qui, plus tard,
persistent seuls. Il n'en est pas de même pour ceux
où l'accident procursif n'apparaît que longtemps
après le début de l'épilepsie et chez lesquels il paraît
être un accident isolé indépendant de l'accès, Tel est
le cas du malade qui fait l'objet de l'observation sui-
vante :
Observation XXV. -Père, mort phthisique. Mère migrai-
neuse de l'âge de six ans à la ménopause. Grand'mère
maternelle, migraineuse . Une tante et trois oncles mater-
nels migraineux. - Cinq frères morts jeunes de convulsions.
- En fant adultérin.
Convulsions à dix mois. - Début à sept ans à la suite
d'une peur. Diminution rapide des facultés intellec-
tuelles. Vertige procursif isolé en 1886.
Niv... (Louis-Georges), né le 20 mai 1861, est entré à Bi-
cétre le 15 mai 1877 (service de M. BouRNEVILLE).
Renseignements fournis par la mère. Père naturel, plom-
bier zingueur, pas d'accidents saturnins, sobre, mort de
phthisie à l'âge de quarante-deux ans. [Père et mère, soeurs
et frères bien portants. Pas d'épileptiques, pas de suicides,
etc., dans la famille.]
Mère, soixante-deux ans, marchande des quatre saisons ;
migraineuse dès l'âge de six ans ; les migraines ont disparu à la
ménopause; a eu une pleurésie et une pneumonie, mais est
actuellement bien portante. [Père, pas de détails. Mère,
migraineuse, morte du choléra. Une saur et trois frères
DE L EPILEPSIE PROCURSIVE. 7 <
migraineux, morts on ne sait de quoi. Pas d'épileptiques, etc.,
dans la famille.] Pas de consanguinité.
Neuf enfants. De son mari, une fille. De son amant
les six premiers enfants sont morts jeunes à la suite de con-
vulsions ; un autre est mort également jeune d'une fracture de
la colonne vertébrale. Notre malade est né treize mois avant
le décès du père. Grossesse, bonne. Accouchement, normal.
Pas d'asphyxie à la naissance. Bien venant, il a marché
et parlé de bonne heure. A dix mois, il eut des convulsions
sans cause connue et sans troubles physiques et intellectuels
consécutifs. Il était intelligent, allait à l'école où il apprenait
bien. A sept ans, un ivrogne l'a enlevé et porté sur sa tête, il
eut peur. Trois jours après, étant à table, il tape dans son
assiette avec les mains, puis la tête tombe dans l'assiette et il
a un accès. Les accès se répétèrent ensuite fréquemment, au
nombre parfois de neuf à dix par jour; on nota de temps à
autre des intervalles de trois à quatre jours, et une fois seule-
ment de trois ou quatre mois. Les accès avaient lieu avec ou
sans cri, avec ou sans aura. Jamais on n'avait noté de course
avant ou après. Les facultés intellectuelles ont rapidement
diminué. On avait essayé de lui apprendre le métier de
bijoutier sur deuil.
Description d'un accès (1882). Le malade était assis dans un
fauteuil, on entend un cri étouffé, on s'aperçoit qu'il a glissé à
côté du fauteuil, puis, par un autre mouvement brusque sous
le lit. Les membres inférieurs sont écartés, les membres su-
périeurs allongés le long du thorax; il y a de la raideur des
deux côtés. On dégage les jambes de dessous le lit. A ce mo-
ment, la tête se met dans l'extension, la bouche s'ouvre, tout
le corps devient rigide. Cette période de rigidité ne dure que
quelques secondes, et, comme on le voit, elle a été précédée
d'une phase d'un genre particulier. Puis secousses tétani-
formes de la face et des membres.
Période clonique. - 10 La face se tourne à droite, le bras et
la jambe correspondant sont animés de convulsions cloniques
qui se répètent quatre ou cinq fois ; 2° la face se tourne à
gauche, et alors les membres du côté gauche sont pris de con-
vulsions cloniques à leur tour. Durant cette période, le visage
s'est congestionné ; les yeux étaient convulsés en haut directe-
ment, d'abord à droite, puis enfin à gauche.
78 CLINIQUE NERVEUSE.
Période de stertor. Décomposition de la face qui devient
d'une pâleur bleuâtre, livide, résolution complète, écume non
sanglante et abondante. Cette dernière période dure longtemps
et aboutit à un sommeil profond qui permet de prendre la
température du malade sans qu'il réagisse. T. R., 37° 9 1/2.
Pas de miction involontaire. Au bout d'un quart d'heure
environ, il se réveille et, faisant allusion à son accès, il dit que
ce n'est pas vrai.
Ce malade est d'habitude violent, plusieurs fois, on a retrouvé
sur lui des effets appartenant à d'autres. L'an dernier, on a dù
le faire remonter parce qu'il avait souffleté sa soeur au
parloir.
1885. 3 mars. - La mémoire est assez bien conservée; la
parole est libre. Le malade est sujet à des périodes d'excitation
violente après les accès. Dynamomètre à droite : 3J; à gauche :
46. Traitement : capsules de bromure de camphre.
1886. Janvier. - La mémoire est médiocre; le malade est
dans un état de semi-démence. Dynamomètre à droite : 30; à
gauche : 40. Le malade se roule pendant les accès.
{"juillet. Le traitement par les capsules de bromure de
camphre est supprimé.
1887. Janvier. - Description d'un vertige procursif. Le ma-
lade, se trouvant au cbauiFoir se met tout à coup à courir l'es-
pace de sept mètres, puis va se jeter sur le matelas où il se
roule, en se grattant en même temps la tète, pendant trente
secondes environ ; il se relève ensuite et se met à se promener
comme si rien ne lui était arrivé. Il ne se souvient pas de son
vertige. On aurait noté, dans ces derniers temps, plusieurs
accès et vertiges précédés de course ou de marche.
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80 CLINIQUE NERVEUSE. DE l'ÉPILEPSIE PROCURSIVE.
Poids. 1879. Novembre. 44 kil.
1880. Septembre. 4t kil. 500 gr.
1881. Juillet. 45 kil. 400 gr.
1882. Janvier. 45 kil. 300 gr.
- - Juin. 47 kil. 800 gr.
1883. Janvier. 46 kil. 700 gr.
Juin. 4o kil. 600 gr.
1884. Janvier. 46 kil. 800 gr.
- Juin. 45 kil. 500 gr.
1885. Janvier. 43 kil. 700 gr.
Août. 46 kil. 500 gr.
1886. Janvier. 48 kil.
- Août. 45 kil.
Taille. - 1 m. 59.
Cette observation est intéressante à bien des points
de vue. Nous appuierons, dès l'abord, sur l'hérédité
nerveuse hétéromorphe, comme il a été si souvent
noté dans ces derniers temps '. Comme nous l'avons
mentionné dans nos diverses observations que nous
avons publiées, la migraine semble jouer un rôle pré-
pondérant dans l'étiologie héréditaire de l'épilepsie,
tandis que l'hérédité réelle paraît être beaucoup plus
rare. La peur qui avait été l'origine apparente de
l'épilepsie n'est ici, comme toujours, qu'une cause
occasionnelle chez un malade prédisposé. Nous
noterons que, jusqu'à ces derniers temps, c'est-à-dire
pendant une longue période, le malade n'a présenté
aucun phénomène procursif; que ceux-ci, du reste, ne
semblent pas pouvoir être rapprochés des actes procur-
sifs constituant l'épilepsie procursive proprement dite,
qu'ils ne seraient ici que des phénomènes procursifs
accessoires, isolés, constituant plutôt des vertiges que
des accès incomplets. Toutefois, on pourrait se de-
mander si ces actes procursifs ne sont pas liés à la
' Déjérine. - De l'hérédité dans les maladies du système nerveux.
RAPPORT SUR MISTRAL. 81
notable accélération survenue dans ces derniers mois
chez ce malade, amélioration qui s'est encore accen-
tuée en 1887, mais ce n'est là que pure hypothèse.
Rappelons de plus que ce malade avait des accès
accompagnés de tournoiement. (A suivre.)
MÉDECINE LÉGALE
RAPPORT PRÉSENTÉ A M. LE MINISTRE IDE L'INTÉRIEUR
AU SUJET DE L'ALIÉNÉ MISTRAL;
' Par -'DI. CHARCOT et P1ERRET.
Jean Mistral était né dans la petite ville de Saint-Remy
(Provence) en '18lu et appartenait à une famille influente et
riche. Son père, homme énergique et singulièrement tenace,
le destinait au commerce et dans ce but lui fit donner une édu-
cation très complète.
Toutes ces acquisitions cérébrales se dissocièrent un jour,
et après avoir inquiété ses parents par des actes excentriques,
et des dépenses exagérées, après les avoir mis à bout par un
mariage déraisonnable, le jeune Mistral donnant des signes évi-
dents d'aliénation mentale fut, sur la demande de son père,
interné pour la première fois le 28 septembre '1838. Il devait
s'éteindre en 1886 à soixante-douze ans, à l'asile de Pont-
Saint-Côme, après avoir été de nouveau tiré de son refuge
pour subir devant le tribunal civil de Tarascon un dernier et
mortel interrogatoire.
Ce malheureux aliéné, victime de l'intérêt bien mal entendu
qu'il inspirait au public, n'a jamais eu le loisir de délirer à son
aise. La mort seule lui a donné ce genre de tranquillité dont
jouissent également les fous et les raisonnables.
Archives, l. XV. G
82 MÉDECINE LÉGALE. '
Nous aurions hésité à raviver le souvenir de l'histoire
déjà vieillie du fou aux 40 millions, si l'opinion publique ne
nous semblait entraînée à se tromper chaque jour davantage
sur ses devoirs envers les aliénés, et si la révision prochaine,
urgente, de la loi de 1838 ne donnait aux expertises faites sur
les aliénés riches et inoffensifs, la valeur de documents légis-
latifs.
Jamais un aliéné n'a été plus surveillé, plus interrogé, plus
protégé que le malheureux Jean Mistral. Jamais aussi le pu-
blic ne s'est plus complètement fourvoyé qu'il ne l'a l'ait à la
remorque de ceux qui, par un zèle intempestif, ont privé
Mistral d'un bien que la société doit avant tout assurer aux
malades d'esprit reconnus incurables : nous voulons dire le
repos. Au moment où la Chambre des députés, dans un élan de
philanthropie sentimentale, allait peut-être imposer au minis-
tère la mise en liberté de Jean Mistral, l'administration, jalouse
de s'éclairer davantage, voulut bien nous confier une dernière
expertise.
Ce n'était pas la première ; mais le rapport qui suivit fut le
dernier qui ait été rédigé concernant l'état mental de l'opulent
aliéné. Nous le publions aujourd'hui, en le faisant précéder d'un
extrait des minutes du greffe du tribunal de Marseille z1539) et
suivre de fragments des interrogatoires que nous avons fait subir
à J. Mistral. Enfin, nous terminerons cet exposé en transcri-
vant simplement les réponses faites par le malheureux aliéné
quand il dut, pour la dernière fois, comparaître devant le tri-
bunal de Taraseon (1886).
18 juillet 1839.
Interrogatoire de Jean Mistral par le président Regain.
D. Quels sont vos nom et prénoms ? - R. Je m'appelle Jean
Mistral.
D. Depuis la dernière fois que je vous ai vu, avez-vous reçu des
nouvelles de voire père ? - li..\ou, je n'ai icçu de nouvelles de
personne.
D. Avez-vous écrit à votre père ? R. Oui, monsieur, souvent;
je ne compte plus sur lui : lorsque dans la société on n'est plus
utile, on ne peut plus compter sur personne.
RAPPORT SUR MISTRAL. 83
Je vous ai dit que, de ce que mon père ne m'avait pas répondu,
j'eu ai conclu qu'il ne tenait plus à moi.
D. Est-ce qu'il ne met pas quelque condition, il votre sortie
d'ici ? R. Non, monsieur, il ne m'a pas écrit, je ne \ous cache
1 ieu, il ne m'a pas écrit, je n'ai pas de nouvelles de lui -.j'en aoûts
reçu une lettre; depuis, je lui ai écrit plusieurs fois sans avoir reçu
de ses nouvelles.
D. Avez-vous à vous plaindre ? N'êtes-vous pas bien traité, ici ?
li. Je resterai ici jusqu'à ce que je m'en aille
D. Avez-vous des enfants ? R. Non, monsieur.
D. Ou m'a dit que votre femme était enceinte ? - R. C'est un
mensonge, personne ne m'a rien réclamé; je dois croire que per-
sonne n'a besoin de moi.
D. Cependant, vous avez été assez longtemps avec elle pour
avoir des enfants ? R. Qu'importe ça ? on n'a pas besoin tou-
jours de faire des enfants, l'amour ne fait pas d'enfants; ça fait
coucher ensemble, mais je crois que ça se fait par l'opération du
Saint-Esprit, et non par opérations machinales; c'est comme une
machine à vapeur; il faut mettre de l'huile pour que ça marche;
ça marche toujours : c'est un entr'acte.
D. On m'a assuré qu'elle était enceinte ? R. Non, monsieur,
cela n'est pas; si elle l'était, elle serait venue me le dire. Je vou-
drais bien qu'elle lût venue me réclamer, je me serais amusé
avec elle; il y a dix mois que nous sommes séparée, je l'aurais vue
avec plaisir.
D. Vous avez cependant votre liberté ? R. La pensée, c'est le
mouvement, c'est la violence, elle se porte hors des murs; la
nature ingrate nous renferme, nous ne voulons pas vivre comme
des moines. Je n'ai pas le désir de faire le mal ; quelquefois, on
les heurte dans ses désirs, mais ça n'est que momentané, elle
passe; heureux celui qui est libre : tant que je serai libre, je serai
heureux, mais l'esclavage ne vaut rien; on est enclave d'un désir
propre, mais non d'un désir supposé; je ne pense pas vivre sur le
londeinent d'autrui. Monsieur voulait nie débaser : chaque édifice
a sa base. Il n'y a rien de plus désagréable que lorsqu'un ne
s'accorde pas dans ses désirs.
Les bonnes raisons sont pour tout le monde, parce qu'elles repo-
sent sur des désirs naturels; toutes les raisons qui ne donnent pas
la libellé à tout le monde sont mauvaises : l'un aime à boire de
l'eau, l'aulre du vin : chacun son goût.
SI,. MÉDECINE LÉGALE.
Fragments de l'e¡¡rll1èle dirigée par la commission de 188 k
On ouvre devant Mistral un livre trouvé dans sa chambre.
C'est un voyage en Palestine.
u 0
D. Qu'est-ce donc que la Terre sainte ? R. Rli ! eh ! eh ! je ne
sais pas.
D Lisez donc. - R. Mais ce n'est pas écrit.
Fig. 11. Spécimen de l'écriture de Mistral.
(Expertise foute en ISS'I- par ,nI. Charcot, Dl1pl'P, ricJ'I'ct et Y\cs.)
RAPPORT SUR MISTRAL. 85
D. La Palestine ? Il. C'est un endroit qui est opposé à la
mémoire.
On le force à fixer son attention sur une gravure représen-
tant les pyramides d'Egypte et l'obélisque.
D. Dites-moi ce que c'est que cela. - R. (Très vite.) C'est les
pyramides d'Egypte, je crois C'est des palmiers peut-être. Je ne
sais pas On ne peut pas dire. C'est un pays où l'on n'entend
pas les croyables.
D. Et ceci (l'obélisque) ? R. Diable : ce n'est pas un doigt
coupé - je ne sais. Je ne suis pas encore entré au service.
On lui montre une méthode de clarinette.
li. C'est une note de musique qui invite les gens à se lever et à
ne pas croire quand ils ne sont plus.
D. Prenez-la donc. - R. Non. Il faut chercher la boule et la
balle. Ça nous tomberait dessus. Bougre ! C'est le monde.
D. Mais n'êtes-vous pas musicien ? Non.
D. Vous avez un piano, cependant. R. Si le piano nous tom-
bait dessus, nous serions perdus.
D. Que peut-on faire avec un piano ? On attend le renouvel-
lement de l'année.
Rapport adressé par la commission à 111. le Ministre
de l'intérieur.
Nous, soussignés, J. Charcot, professeur de clinique des ma-
ladies nerveuses à la faculté de médecine de Paris, officier de
la Légion d'honneur ; DUPRÉ, professeur de clinique médicale
à la faculté de médecine de Montpellier, sénateur, officier de
la Légion d'honneur; PIERRrT (A.), professeur de clinique des
maladies mentales à la faculté de médecine de Lyon, médecin
en chef à l'asile départemental de Brou ; Dr YvES, médecin de
la faculté de Paris, médecin du ministère de l'intérieur, avons
l'honneur d'adresser à M. le Ministre de l'Intérieur, conformé-
ment au désir qu'il en a manifesté, les résultats de l'enquête à
laquelle nous nous sommes livrés sur l'état mental actuel du
sieur Mistral, pensionnaire à l'asile de Pont-Saint-Côme
(Hérault).
Nos constatations ont été faites avec le plus grand soin pen-
dant les journées du samedi 17 et du dimanche 18 mai de
l'année courante, et nous avons dirigé nos recherches de ma-
nière à pouvoir répondre en toute conscience à la principale
86 MÉDECINE LÉGALE.
question posée : Est-il de l'intérêt bien entendu de l'aliéné
Mistral d'être rendu à son tuteur ? ' ?
Notre enquête a porté successivement sur l'état mental
actuel de l'interné, les conditions matérielles dans lesquelles
il se trouve et les soins qu'il reçoit de l'asile privé de Pont-
Saint-Côme.
§ 1. Etat mental de Mistral. - Mistral se présente à nous
sous l'aspect caractéristique de l'aliéné chronique prédisposé,
avec malformations crâniennes' congénitales. La tête est
longue, le front fuyant et en carène. La physionomie est
d'ordinaire sans expression ; les yeux saillants, demi-clos, la
tête penchée, la lèvre inférieure pendante, Mistral reste de
longues heures immobile. marmottant des paroles indistinctes
qu'il accompagne de gestes d'hésitation. Quand on lui parle et
que son attention est éveillée, il relève ses longues paupières,
jette un regard furtif et répond par des phrases incohérentes,
souvent grotesques, jamais grossières, ou des expressions dubi-
tatives telles que : peut-être ; ou, je ne sais pas : c'est le monde ;
je ne peux pas ; puis, il retombe dans son mutisme et reprend
son air absorbé. Mis en marche, il s'avance sans trop d'hésita-
tion les bras écartés du tronc, le dos arrondi et avec une sorte
de balancement. Il se trompe d'ailleurs de direction et reconnaît
à peine sa chambre. Laissé sans impulsion il s'arrête bientôt,
tourne sur lui-même d'un air inquiet, dérange et replace ce
qu'il trouve à sa, portée, fouille sous les bancs pour en retirer
des insectes et de petits plâtras qu'il écrase avec acharnement,
tout en grommelant, entre les dents.
Les facultés intellectuelles, dans leur ensemble, sont très
gravement atteintes. L'incohérence est complète, portant
sur tout ordre d'idées, et, dans ce chaos, il est impos-
sible de trouver une conception prédominante, sauf une sorte
d'appréhension vague, se traduisant par des phrases de ce
genre : « Il ne faut pas le faire, nous serions perdus ! Si le
ciel nous tombait dessus, nous serions morts, bougre ! » Les
sentiments affectifs sont absolument nuls; Mistral ne s'est
attaché à personne et à rien.
Dans l'établissement, il reconnaît vaguement le directeur et
ne prend aucune part Il ce qui se passe autour de lui. Il ne
parait pas avoir conservé de l'affection pour sa famille; il n'en
parle jamais, et l'évocation du souvenir de sa femme ou de son
RAPPORT SUR MISTRAL. 87 I
frère ne lui arrache aucun signe de sensibilité. Sa volonté est
nulle; il fait exactement et sans retard tout ce qu'on lui de-
mande et n'hésiterait pas à sortir demi-nu si on l'en priait
avec quelque persistance.
La mémoire des noms et des choses est mieux conservée, et
lorsque Mistral est d'humeur gaie, quelques souvenirs classi-
ques, des phrases latines tronquées, des expressions scienti-
fiques isolées, émergent par instants au milieu d'un torrent
d'idées baroques. Pendant tout ce temps, la tenue est bonne
et assez correcte; Mistral salue quand il faut; il est d'ailleurs
soigneux de sa personne et range ses effets avec beaucoup
d'attention. Sans rien faire d'indécent, Mistral manque absolu-
ment de pudeur; il satisfait sans honte ses besoins sur iavoie
publique ou exhibe ses organes génitaux à la première invita-
tion, mais sans paraître y mettre d'intention immorale.
11 était nécessaire de rappeler ces détails non pour contrôler
un diagnostic déjà posé et d'une exactitude incontestable,
mais pour établir le degré d'influence qu'un changement de
milieu pourrait exercer sur Mistral.
Comme les experts qui nous ont précédés, nous déclarons
donc Mistral atteint de démence avec abolition presque com-
plète de la volonté, des sentiments affectifs, du sens moral, du
pouvoir d'association des idées et conservation très incomplète
de la mémoire. L'état mental actuel n'est que la conséquence
d'une longue folie à forme rémittente, accompagnée d'accès
d'excitation et qui s'était développée chez un prédisposé. C'est
à cette dernière influence qu'il convient d'attribuer la marche
extrêmement lente de la démence. '
§ II. Conditions matérielles dans lesquelles se trouve ill. Mis-
tral à l'asile Saint- Côme. M. Mistral occupe au 1°r étage
d'un des bâtiments de la maison de Pont-Saint-Côme, un petit
appartement récemment remis à neuf et très convenablement
meublé. Ce logement comprend un salon, une chambre à
coucher, un cabinet de toilette et une petite chambre où couche
le domestique attaché à la personne de Mistral. Ces différentes
pièces sont saines et bien éclairées et, sauf la façon d'ailleurs
discrète dont le lit est retenu en place, il serait difficile de
deviner que l'on est dans la chambre d'un fou. Le seul
reproche que l'on pourrait faire à cette installation, c'est que
les fenêtres donnent sur ln cour des autres pensionnaires; que
88 MÉDECINE LÉGALE.
Mistral a des voisins, et que l'accès des jardins n'est pas assez
facile.
Sauf ces légers défauts dont Mistral est d'ailleurs incapable
de s'apercevoir, l'installation matérielle est aussi bonne qu'elle
peut l'être, et nous ne voyons pas ce qu'on pourrait faire de
mieux dans l'établissement.
Les repas sont réguliers et suffisants; Mistral paraît préférer
les légumes à la viande, mais, en somme, ne manifeste de
goût marqué pour quoi que ce soit. 11 mange proprement, sans
gloutonnerie; le sommeil est bon, les fonctions digestives régu-
lières et sauf un léger souffle à la base du coeur, on n'observe
chez Mistral aucun signe de déchéance organique.
A en juger par les résultats, on peut donc affirmer que le
régime auquel Mistral se trouve soumis est parfaitement
suffisant. Y aurait-il lieu de le rendre plus luxueux ? nous ne
le pensons pas.
Volontairement, Mistral est incapable de dépenser quoi que
ce soit; il ne désire rien et ne veut rien. Pourquoi soumettre à
une alimentation raffinée un homme physiquement bien por-
tant, et qui, en raison de son âge, se trouverait cent fois
mieux d'une vie simple et d'un régime presque frugal; faut-il
donc ordonner à Mistral parce qu'il est aliéné, ce que tout
médecin consciencieux interdirait à Mistral sain d'esprit ?
En ce qui concerne les promenades au dehors, il suffit à la
conscience publique qu'elles soient régulièrement proposées
par le médecin chaque fois que le temps est beau, et qu'elles
amènent Mistral au milieu d'une population qui l'aime et le
connaît de longue date. 'l'out luxe affiché pendant ces sorties
nepourraitétre l'expression d'un désir formulé par Mistral, mais
le résultat d'une consigne donnée dans un but presque théâtral.
Nous pensons donc qu'il est inutile de dépenser pour Mistral
plus d'argent qu'il n'en est actuellement employé. Les besoins
de ce pauvre aliéné sont très limités, et il est loin de manifester,
comme certains déments, un goût marqué pour la représenta-
tion. L'administration de l'asile, comme elle l'a d'ailleurs
avoué, et l'entourage du malade profileraient seuls d'une
augmentation de dépense.
§ III. Réponse à la question posée par M. le Ministre. -
Maintenant que nous avons étudié d'une façon sommaire l'état
mental de M. Mistral, décrit son installation, apprécié les soins
RAPPORT SUR MISTRAL. 89
dont il est l'objet et leurs résultats, nous devons répondre à la
principale question posée :
Est-il de l'intérêt bien entendu de l'aliéné d'être rendu
à son tuteur ? La réponse est facile.
Dans l'étal de démence où il est plongé, incapable de s'at-
tacher à qui que ce soit et à quoi que ce soit, Mistral ne peut
ressentir, même à un faible degré, les joies de la famille. La
mémoire, qui joue un si grand rôle dans la durée des senti-
ments affectifs, est muette chez lui, en ce qui concerne les
choses du coeur. D'ailleurs, que lui rappellerait- elle ? Ne
serait-il pas comme un étranger dans sa propre famille ?
Dans ces conditions, quel intérêt pourrait-il y avoir pour ce
malheureux insensé, à se voir brutalement imposé aux soins
directs et à l'affection d'une famille dont aucun membre
autorisé ne parait vouloir se charger d'une telle mission.
Mistral échangerait donc les attentions banales peut-être,
mais régulières et sûres tout au moins qu'il trouve dans la
maison de santé, pour les soins problématiques d'une famille
qui entend rester dans la stricte limite des obligations légales.
Qui sait, même, si, comme le fait s'est présenté dans le départe-
ment du Rhône, Mistral, rendu à son tuteur, par un arrêté
préfectoral, ne se verrait pas bientôt replacé dans un asile de
l'étranger, échappant ainsi complètement à la surveillance de
l'administration comme à la protection d'imprudents amis.
Le séjour dans la famille n'est un bien pour un aliéné que si
tous les bras s'ouvrent pour le recevoir, et l'affection ne se
décrète pas.
Nous n'hésitons donc pas à déclarer qu'il n'est pas de l'in-
térêt bien entendu de Mistral d'être rendu à son tuteur. Nous
disons plus : il est de l'intérêt bien entendu de Mistral de rester
dans un asile au moins jusqu'au moment où les Chambres
auront mieux déterminé les devoirs des familles et de la société
envers les aliénés incurables et inoffensifs.
Mistral est de ceux-là : il ne peut guérir et n'est pas un
danger pour la société; mais, la société est pour lui pleine de
périls. 11 ne faut pas que ce pauvre insensé inconscient de la
lutte qui se livre autour de lui, soit exposé à devenir une sorte
de machine de guerre entre les mains de l'un ou l'autre des
partis en présence. Faute de pouvoir mieux faire, la nation doit
assurer au moins le repos de Mistral. Or, c'est dans une
maison de santé seulement, maison publique ou privée peu
90 MÉDECINE LÉGALE.
importe; c'est là seulement que dans l'état actuel des choses,
Mistral peut trouver une retraite ou rester à l'abri de protec-
teurs enthousiastes ou de parents attiédis.
Que les portes de cette maison s'ouvrent pour lui chaque
jour, tout en se fermant devant la curiosité et l'intrigue; que
des promenades journalières permettent aux concitoyens de
Mistral déjuger par eux-mêmes de son état de santé physique
ou morale : cette surveillance anonyme et bienveillante ne
saurait froisser personne.
En terminant, disons-le bien haut, le seul service qu'il soit
possible de rendre au pauvre dément, c'est de le défendre
également contre les déterminations éventuelles d'une famille
exaspérée par une longue polémique, et contre les excès d'un
zèle louable peut-être, mais inconsidéré.
l3roo, le 12 juin 1881. Paris, 17 juin 1881.
Signé : Piisuuet, rapporteur. Charcot, Yves.
18 juin 1881.
DUPIIÉ,
A la suite de ce rapport, Mistral fut très justement main-
tenu dans sa retraite de Pont-Saint-Côme, il y serait mort
tranquillement, si les juges de Tarascon n'avaient cru de leur
devoir d'interroger encore une fois le pauvre dément. Nous
donnons un extrait de cet examen judiciaire à la suite duquel
le malade fut sans hésitation renvoyé dans son asile.
TRIBUNAL CIVIL DE TARASCON
(Etirait du Figaro, 24mai 1886.)
Dernier interrogatoire de D. Mistral.
D. Comment vous appelez-vou= ? - li. Je n'en sais rien.
U. Avz-vous oublié votre nom ? R. Mon nom était comme il
était précédemment.
D. Quel âge avez-vous ? R. Quatorze cent mille ans c'ect
comme l'affiche, un rayon du soleil lui tomba dessus et elle fut
contente de le voir.
D. Où habitez-vous ? R. Les régions modérées.
U. Etes-vous marié' ? - R. La terre n'est pas morte, on peut
vivre encore; c'est un pava perdu.
I). 1),lIh quelle ville ? li. Il y a le soleil; s'il y
RAPPORT SUR MISTRAL. 91 l
avait des planches, des échelles, l'on verrait autre chose que des
cil .'-.
D. Vous n'avez plus votre père ? E<=t-il mort ? R.fH'et cer-
tainement ; si on ne mourait plus, c'est preuve qu'ily aurait cause
à cela.
D. Connaissez-vous les personnes qui vous accompagnent ?
R. Ils ne sont pas dans la fortune.
Il. Voudriez-vous sortir de l'asile où vous êtes ? Oh ! non,
même je n'y suis pas, je n'y pense pas.
D. Y a-t-il longtemps que vous y êtes ? R. Certainement, ils
ne pleureront pas toujours.
D. N'avez-vous jamais voulu vous marier ? R. Il va des livre»,
des encriers entassés quelquefois ; c'est quelque chose ; quelquefois
on ne peut pas en faire usage ; elle viendra ou elle ne viendra
pas; si elle vient, tant mieux pour elle.
D. Avez-vous de la fortune ? - IL Elle doit venir ou elle ne
doit pas venir : dès qu'elle a chaud elle n'a pas froid.
IL Avez-vous des parents ? R. S'il en est venu, il y en a; s'il
n'en est pas venu, il n'y en a pas.
D. Qui vous a lait cadeau de la canne que vous portez ? -R.
C*eet le hon Dieu; il est venu au monde sans avoir nn trou à l'o-
reille ; peut être que ci viendra; c'est l'absence de parenté.
D. Voulez-vous rester ici ? R. Cela ne signifie rien ; ce n'est
pas ainsi que les horloges sont faites, comme on dit.
1). Vous avez un domestique qui vous accompagne ? R. C'est
la terre : on ne peut pas voir ce qu'il y a au delà ; la fortune, que
voulez-vous que jeu f.... ! .
D. Que faites-vous à \Ioutpellier ? - R. Je ne fais rien ; j'ai
laissé tomber cette règle. J'ai laissé tomber cette science en dé-
suétu le.
U..\vez-vous de l'argent sur vous ? R..le ne m'en sers pas.
U. Connaissez-vous Saint-liémy ? - Il. C'est une jolie ville ; elle
vaut : i00-000 fr.; quand les gens se f... d'un 5° étage, ils ne savent
plus que dire.
D. Connaissez-vous M. Fournier ? R. C'est un honnête boni me;
il a eu raison de dire ce qu'il a dit, c'est leur parent à eux ; ils ne
feront pas toujours ce qu ils ont fait.
1). Voulez-vous aller a Saint-Rémy ? R. C'est une ville mo-
dique.
1). SWPZ-VOU5 écrire : ' - R. Ce n'est pas nécessaire d'écrire; il
faut attendre le témoin du monde.
U. N'avez-vous jamais quitté la France' ? - il, Non, ça ne s'est
jamais arrangé.
Le simple rapprochement de documents recueillis à des
dates si différentes ne laisse, il nous semble, aucun doute sur
92 REVUE CRITIQUE.
ce fait que dès l'année 1837 l'état mental de Mistral était déjà
tel que l'incurabilité de la maladie devenait évidente. Mistral
était alors un dément, et comme c'est la règle chez les prédis-
posés, on vit cet état de démence ne progresser que lentement,
et do telle sorte que la différence entre le premier interroga-
toire et le dernier n'est véritablement appréciable que pour
les spécialistes. '
En dépit de l'évidence de son délire, le malheureux Mistral
fut considéré comme une victime de sa famille et de l'adminis-
tration. Sa mort a remis les choses en place, mais elle a
démontré de la façon la plus navrante, combien il est dan-
gereux pour un aliéné de tomber sous la protection d'ignorants.
REVUE CRITIQUE
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE
Par GILLES DE LA TOUHËTTE
Chefde clinique des maladies du S&tèIllL nerveux.
I.
« Un grand anatomiste, je dy grand et célèbre, duquel les
livres réparent aujotird'huy les estudes des hommes doctes,
lequel estant pour lors résidant en Espagne, fut mandé pour
ouvrir une femme de maison qu'on estimoit eslre morte par
une suffocation de matrice. Le deuxiesme coup de rasoir qu'il
luy donna, commença la dite femme à se mouvoir et démons-
trer par autres signes qu'elle Ùvoit encore, dont tous les
assistants furent grandement estonnez; je laisse à penser au
lecteur comme ce bon seigneur faisant cest oeuvre, fut en per-
plexité, et comme on cria Toile après luy, tellement que tout
ce qu'il peut faire fut de s'absenter du pays ; car ceux qui le
devoyeut excuser, c'estoyent ceux qui luy couroyent sus : et
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTERIQUE. 93
optant exilé, tost après mourut de desplaisir : qui n'a esté sans
une grande perte pour la république '. »
La lecture de cette observation, dans laquelle l'illustre Am-
broise Paré prend si chaudement le parti du célèbre André
Vesale, ne permet pas un seul instant de douter que l'anato-
miste italien n'eût l'infortune de se trouver en présence d'un
cas de coma hystérique, d'une attaque de sommeil, comme
nous dirions aujourd'hui.
A la vérité, il existe, ainsi que nous le verrons, des états
pathologiques presque semblables aux précédents, nés en
dehors de l'hystérie, mais A. Paré a bien soin de spécifier que
la femme était morte on le croyait tout au moins d'une
1( suffocation de matrice » et la valeur qu'on attribuait alors à
cette expression toute historique est plus que suffisante pour
corroborer le diagnostic rétrospectif.
On s'exagérait du reste, singulièrement alors, le rôle de
l'utérus dans la production des phénomènes hystériques et,
A. Paré, nourri de la littérature ancienne, adoptait encore les
idées d'un philosophe qui avait écrit2 : 1( La matrice est un ani-
mal qui désire ardemment engendrer. Lorsqu'il reste longtemps
stérile après la puberté, il a peine à le supporter, il s'indigne,
il parcourt tout le corps, obturant les issues de l'air, arrêtant
la respiration, jetant le corps dans des dangers extrêmes, et
occasionnant diverses maladies. » Ces idées, le chirurgien
français les traduit ainsi qu'il suit : « Et si les dites vapeurs
(de la matrice) montent jusqu'au cerveau, causent épilepsie,
catalepsie (qui est quand tout le corps demeure roide et froid
et en mesme figure qu'il est au-paravant que tomber en tel
mal, les yeux ouverts, sans voir et sans ouïr), léthargie, apo-
alexie, et souvent la mort 3. »
Comment du reste méconnaître l'hystérie lorsqu'il ajoute :
« Mais il n'y a rien do plus admirable, qu'à quelques-unes
cette affection (la suffocation de matrice) commence par un ris,
à autres par pleurs, à autres par tous deuxensemble. A ce propos,
M. Holier raconte que les deux filles du Président de Rouen,
qui estoit de son temps, lorsqu'elles commençoient à entrer
1 Les OluV1'es d'A. Paré, Paris 1607, YIVe livre, chap. uv, p. 976 : Les
signet pour cognoistre si une femme est morte ou non par une suffocation
de matrice.
OEuvres de Platon, trarl. Cousin, t. XII, p. 12.
3 Loc. cit., chap. lu, p. 975. De la suffocation de la matrice.
9t REVUE CRITIQUÉ.
en paroxysme de ce mal, estoyent surprises d'un ris qui leur
duroit une et deux heures, lesquelles on ne pouvoit arresler
11 par leur faire peur et terreur, ny par honte et admonitions,
de sorte que, tancées par leurs parents, respondoyent n'estre
en leur puissance de se garder de rire. Autres tombent en
ectase qui est un esvanouissement on ravissement des esprits,
comme si l'âme estoit séparée du corps. Autres disent que c'est
un sommeil par lequel les facultés et. puissances de rame sont
ensevelies, en sorte qu'il semble que l'on soit mort. »
Léthargie, apoplexie, mort apparente, évanouissement, som-
meil, nous retrouvons là les termes employés tour à tour par
les auteurs modernes pour désigner les attaques que nous
allons décrire.
Les auteurs qui, jusqu'au xix° siècle, suivirent A. Paré, pu-
blièrent la vérité des observations de sommeil hystérique, mais
nul mieux que lui ne sut les rapporter à leur véritable cause.
On en trouve en eflet de nombreux exemples dans les relations
de ces épidémies de démonopathie qui désolèrent le xvie et le
xv Il" siècles, ainsi que le prouvent les extraits suivants que
nous empruntons avec P. Richer (Thèse, 1879) à UatIIieu'.
« Catherine de Naguille, dit Delancre", et sa compagne, nous
assurent qu'elles avaient été au sabbat on plein midi, et que
c'était dai.s l'église, où elles étaient endormies, que cela leur était
arrivé.
« Jeannette d'Abadie en dit autant ; elle avait passé plusieurs
l1uib à l'église et s'endotmait pendant la messe à Silzore; c'est
alors qu'elle fut menée au sabbat. »
« l3odin raconte ce fait important : « Je tiens du président de
la Tourelle qu'il a vu, en Dauphiné, une sorcière qui depuis fut
brûlée' vive pendant qu'elle était en extase. Elle n'entendait rien,
ne sentait rien. Son maître la nappait à coups tte verges, et, pour
savoir si elle était morte, on Jui lit mettre le feu aux parties les
plus sensibles; elle ne s'éveilla pas. On la crut morte et on l'aban-
donna; le lendemain on la trouva couchée dans son lit. »
Voici ce que rapporte dom Calmot 4 :
« On lit dans le Marteau des Sorciers qu'une femme s'alla dé-
' Etudes cliniques sur les maladies des femmes, 1817, 1). 197.
7'a&/eaMde< ? tCo ? M<aKcedcsf<eMOMt, hv. Il.
3 Démonomanie, liv. Il, chap. v.
4 De l'apparition des esprits, chap. xiv.
DÈS ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. :
noncer aux inquisiteurs, leur disant qu'elle était sorcière et qu'on
avait heau l'enfermer que Je diable l'emmenait au sabbat. On
l'enferma dans une chambre; aussitôt elle se coucha et parut
morte : on la remua, elle ne le sentit point; on lui approcha du
pied une chandelle avec laquelle on la bt ûld sans qu'elle le sentit.
Quand elle se réveilla elle donna des nouvelles du sabbat ; elle
accusa alors une grande douleur au pied, sans pouvoir dire d'où
cela lui venait. »
Enfin, nous trouvons dans l'autobiographie de soeur Jeanne
des Anges ', cette hystérique dont les accusations contribuèrent
tant à la perte d'UrbainGranier : « Peu de temps après, j'en-
tray dans un grand assoupissement avec de grandes inquiétudes :
je sentois à toute heure comme si un animal eût couru dans
mon lit et m'eust touchée en diverses parties du corps. Cela
dura près d'heure sans que je pusse me retirer de cet assoupis-
sencenl. » ,
Il serait facile de multiplier les faits analogues aux précé-
deutsqui, bien qu'incomplets, présentent par certains côtés un
intérêt qui ressortira encore mieux ultérieurement, mais, il
faut savoir se borner en pareille matière, etnous renvoyons au
Traité de Pathologie interne de Frank 2 où l'on trouvera une
longue bibliographie concernant les faits analogues relatés
dans les différents ouvrages parus au xviiie siècle. Toutefois,
nous devons accorder une mention spéciale il Sydenham qui
décrivit parfaitement en quelques ligues J'apoplexie hystérique.
Cependant ne faudraitpas accorder à ces faits une valeur
plus grande que celle qui leur a été attribuée par les auteurs
eux-mêmes et il faut arriver véritablement aux écrivains mo-
dernespour voir se dégager nettement la notion étiologique, si
importante dans l'espèce. Une attaque de sommeil prolongé, en
effet, ne permet pas ipso (acte de préjuger laquestion de nature
1 Légué et Gilles de la Tourette. Soew' Jeanne des Anges, autobio-
graphie d'une hystérique possédée (\\'11" siècle); préface de N. Charcot,
Paris, 1886.
2 .. Les annales de la science, dit cet auteur, sans parler des autres (ainsi
l'histoire ecclésiastique de Nicéphorc, liv. XLX, chap. XLV, contient le iécit
d'un sommeil qui ne dura pa, moins de 37 ans) contiennent des exemples
où le sommeil a duré, r, 0, 10, 17, 49 joins; 2, \, 6, J8 mois, 4 ans et
plus. Quelques-uns étaient périodiques, les aulles continus. 1'. 111,
chap. vi, p. 28, Pans, 1838, art. Calaphora.
3 Opera medica, Genevce, 1157, t. 1, p. 257. Disserl. epistollll'is ad
Gitil. Cote.
: 1() REVUE CRITIQUE.
et nous verrons que, même en s'aidant des notions les plus
récemment acquises, il est encore de nombreux cas où il est
permis au diagnostic d'hésiter.
Pendant la première moitié du siècle deux auteurs ont sur-
tout contribué à éclaircir la symptomatologie des phénomènes
que nous étudions; nous avons nommé Louyer-Vlllermay et
Landouzy auxquels nous adjoindrons Pl'endler (de Vienne)
dont la thèse ', soutenue devant la Faculté de Paris, est rem-
plie de faits intéressants pour nous, quoique le plus souvent
interprétés d'une façon insuffisante et très peu scientifique.
Louyer-Yillermay 2 place les attaques d'apoplexie hysté-
rique dans sa troisième classe, de toutes la plus grave. « A
l'agitation nerveuse la plus intense, dit-il, aux convulsions
les plus violentes, succède le trouble le plus effrayant delà res-
piration et de la circulation ; tout fait craindre une congestion
cérébrale, une sorte d'apoplexie hystérique; d'autres ibis les
malades tombent dans une espèce de collapsus. Les fonctions
du coeur et des poumons paraissent suspendues ; le pouls
est insensible et la chaleur animale semble entièrement
éteinte; les malades sont froides, pâles, insensibles, immo-
biles et restent dans un état plus ou moins prolongé de mort
apparente qui peut se terminer par l'extinction totale de la
vie. »
Suivent des observations personnelles caractéristiques aux-
quelles nous ajouterons des cas analogues publiés par Fores-
tus dont Louyer-Villermay est le continuateur3.
Les précédentes observations sont soigneusement relevées
par Landouzy qui, dans son Traité complet de l'hystérie (18/f6)
décrit les attaques de sommeil sous la rubrique de « Perte de
connaissance. Syncopes D. Peut-être l'analyse des faits qu'il
rapporte est-elle un peu écourtée, mais la description est
néanmoins assez complète pour qu'on ait lieu de s'étonner
que Briquet ? auquel nous emprunterons tant, ait pu écrire
(p. 413) : « Malgré ce qu'en ont dit les auteurs, les attaques
hystériques avec sommeil sont peu communes et ont très peu
' Quelques observations pour servir H l'histoire de la léthargie. Paris,
1833, sil 309.
Traité des maladies nerveuses ou vapeurs et particulièrement de l'hys-
térie et de l'hypoconclrie, 1816, t., 1., p. 61.
3 De mul. morb. llb. XXXVIII, obs. 35, 36.
* Traite clinique et thérapeutique de l'hystéiie, 1859.
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 97
fixé l'attention ; on n'en trouve pas d'exemple dans les 350 obser-
vations analysées par M. Landouzy. » - - - -r -1
Toutefois, le désaccord est beaucoup plus apparent-que réel
entre ces deux auteurs qui ont tant fait pour l'étude de la né-
vrose ; il s'agit encore là d'une de ces erreurs, basées sur la
différence des termes, qui sont si fréquentes aux premières
périodes de la description raisonnée d'une maladie.
Et pourtant, Briquet emploieunesynonimie assez large puis-
qu'il décrit dans son même chapitre vu les «attaques de som-
meil, de coma et de léthargie » simples « degrés de la même
modification pathologique ». Entre la syncope et le coma hys-
térique la différence est bien peu sensible, surtout lorsque l'on
considère, comme l'a fait Landouzy (p. 67), que «cet état syn-
copal varie de plusieurs minutes à plusieurs jours quant à la
durée et qu'il peut passer par tous les degrés, depuis les simples
phénomènes produits par la diminution des principales fonc-
tions jusqu'à ceux qui résultent de leur abolition momentanée
et qui vont jusqu'à simuler la mort ».
Nous reviendrons sur la description de Briquet. Mais nous
pouvons déjà dire que cette partie de son excellent livre
marque un progrès considérable sur tous les travauxdeses de-
vanciers, progrès qui s'accentue encore avec la thèse de Boutges ' 1
(1875), inspirée par Lasègue.
Il était réservé à M. Charcot et à l'Ecole qu'il a fondée de
faire cesser toutes ces divergences. En effet, jusqu'à la publi-
cation des travaux de notre éminent maitre sur la grande
attaque hystéro-épileptique, travaux présentés avec un talent
et une originalité si remarquables parM. Paul Richer 2, les phé-
nomènes en apparence si variables constitutifs de la grande
attaque étaient le plus souvent décrits sans ordre, bien que
l'analyse de chacun d'eux en particulier eût été déjà poussée
très loin. M. Charcot en montrant que cette attaque présentait
presque constamment quatre périodes dont les unes pouvaient
être plus ou moins atténuées par rapport aux autres, créa
pour ainsi dire une nouvelle entité morbide dont l'observation
et l'interprétation en ce qui regarde les symptômes
devint dès lors relativement facile.
' De l'hystérie comateuse. Paris, 1875.
* Etude descriptive de la grande attaque hystérique ou hystéro-épilep-
tique et de ses principales variétés. Th. Paris, 1879. - Etudes cliniques
sur la grande hystérie ou Ill/siéra-épilepsie, 2- éd., 1885.
Archives, t. XV. Î
98 REVUE CRITIQUE.
A l'étude isolée et partant incomplète d'un phénomène le
. sommeil- succéda celle de l'attaque ordinaire avec immixtion
de phénomènes léthargiques (Richer, chap. vu) et désormais,
à l'aide de cette donnée précieuse, il fut permis de reconnaître
qu'on se trouvait toujours en présence d'une variété d'un même
syndrome, ce qui, on le comprend, est d'une importancecapitale
pour le nosographe.
A ce propos, nous ne pouvons que placer au premier rang
dans le sujet spécial qui nous occupe l'ouvrage si'pré-.
cieux et si documentaire de MM. Bourneville et Regnard :
Y Iconographie photographique de la Salpêtrière ('1877-'1880
dont le troisième volume renferme une description des
attaques de sommeil qui forme la monographie la plus complète
que nous possédions encore sur la question. L'observation XI,
dont la malade qui en est le sujet est encore à la Salpêtrière,
poursuivie par M. Bourneville depuis 1866, peut passer pour
un modèle du genre et les considérations dont l'auteur la fait
suivre, ainsi que les observations IX et X, nous seront d'un
grand secours dans la rédaction de ce travail.
Les ouvrages de1111LBournevilleetRegnardetdeM. P. Richer
ouvrent pour ainsi dire ce que nous appellerions volontiers la
période actuelle de la question, période féconde, comprenant
plusieurs travaux importants que nous aurons l'occasion d'a-
nalyser chemin faisant. Toutefois, nous devons immédiatement
mentionner comme fondamentaux plusieurs leçons de M. Char-
cot sur les attaques de sommeil, recueillies par llillioti'; un
mémoire de M. Pitres =, l'éminent doyen de la Faculté de
Bordeaux, et la thèse récente de M. Achard 3, inspirée par
M. Debove, qui avait précédemment approfondi le sujet dans
plusieurs publications ".
Nous avons eu nous-même l'occasion d'observer plusieurs
cas de ce genre; devant nous borner, nous n'en rapporterons
qu'un seul absolument typique, dont l'observation a été rédigée
sur les notes qui nous ont été obligeamment confiées par M. le
1 Lezioni cliniche dell. anno scolastico, 1883-81, suite malattie dell.
sistema nervoso. Milan, 1885.
Des zones hystérogénes et lzpnogézzes; des attaques de sommeil. Bor-
deaux, 1885.
3 De l'apoplexie hystérique. Th. Paris, 1887.
* De l'apoplexie hystérique . Bull. et mém. de la Soc. m éd. des hôpitaux, £ ,
août 1886, p. 370; et Gaz. hebd. de 11led et de chi ? 20 août 1886, p. 15t
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTERIQUE. 90
Dr Charlier (d'Origny Sainte-Benoîte) auquel nous adressons
tous nos remerciements.
II.
Ainsi que nous l'avons fait pressentir, nous confondrons sous
la même dénomination d'attaque de sommeil, à laquelle nous
adjoindrons l'épithète d'hystérique les cas de syncope, de léthar-
gie, de coma, d'apoplexie, relevant de la névrose. Nous ne I
nions pas pour cela le bien-fondé au point de vue clinique de I
ces diverses appellations, mais nous croyons qu'il serait
oiseux aujourd'hui de s'attarder à une longue discussion pour
démontrer que tous ces états sont de même nature et qu'une
seule question de degré pourrait en apparence les séparer. '
Avant d'aller plus loin, il nous sera permis de rapporter
' l'observation de la dormeuse de Thenelles (près Origny), qui a
si vivement excité l'attention publique. Depuis plus de quatre
ans cette malade est plongée dans le sommeil hystérique; elle
a été l'objet de rapports plus ou moins fantaisistes et même de
polémiques fastidieuses; nous espérons que la relation suivante
réduira toutes ces discussions à leur juste valeur en même
temps qu'elle sera une bonne introduction à l'étude sympto-
matologique des attaques de sommeil'.
1\1[10 M. B..., vingt-cinq ans, habitant le village de Thenelles
près Origny-Sainte-13enoîle (Aisne), adonnée aux travaux des
champs, est née d'un père alcoolique qui a quitté le domicile
conjugal. Sa mère a présenté pendant sa jeunesse des accidents
convulsifs de nature hystérique. M. B... est l'aînée de trois filles.
De ses deux 'soeurs, la cadette, A. B ? a eu dans son enfance des
accès de somnambulisme spontané suivis un peu plus tard d'atta-
ques hystériformes; la plus jeune, J. B..., s'est faite religieuse;
c'est une monomane qui passe une partie de ses nuits en prière,
grelottant la fièvre intermittente sur les dalles de l'église, malgré
les conseils des médecins. Il nous a été impossible de remonter
plus loin dans les antécédents héréditaires.
1 M. le docteur E. Bérillon a publié dans la Revue de l'hypnotisme
(1« août, 1887) qu'il dirige, un excellent article sur la «Léthargique de
Thenelles ». Cet article est illustré de deux planches habilement et
fidèlement dessinées par M. Georges Coutan. Nous adressons à M. Béril-
lon et à son collaborateur nos remercîments pour l'obligeance avec la-
quelle ils nous ont communiqué ces clichés.
100 REVUE CRITIQUE.
M. B... qui fait le sujet de celte observation, bien que délicate
pendant son enfance, n'avait jamais fait de grave maladie. Tou-
tefois elle fut toujours nerveuse et, à la suite d'une peur, - nous dit
la mère elle aurait présenté des phénomènes névropathiques
sur le eompte desquels il est difficile d'obtenir des renseignements
circonstanciés.
Habituellement bien réglée, M. B... devint enceinte dans le con-
rant de l'année 1882 en même temps que sa soeur cadette ; elles
accouchèrent le même jour. L'accouchement de sa soeur ayant eu
des apparences de clandestinité, les gendarmes se présentèrent
(31 mai 1883) dans la chaumière qu'elles habitaient ensemble pour
faire une enquête. M. B... ressentit à leur vue une extrême frayeur
et, une heure environ après leur départ, elle fut prise d'attaques
d'hystérie très violentes et très nettement caractérisées. Cette suc-
cession d'attaques dura environ vingt-quatre heures, et la malade
resta après la dernière dans l'état léthargique où elle est encore
aujourd'hui (7 avril I S8 i).
Le lendemain et les jours suivants, l'état de la malade ne se
modifiant pas, il fallut songer à pratiquer l'alimentation artifi-
cielle, car les dents étaient serrées par un violent trismus et l'in-
troduction d'une sonde oesophagienne ne se faisait qu'avec de
très grandes difficultés. On eut recours aux lavements de lait, de
bouillon, de vin, et enfin de peptone. C'est avec ces derniers
qu'elle se nourrit exclusivement à l'heure actuelle.
Les selles, étaient au début, d'après le dire de la mère, séparées
par un intervalle de plusieurs jours ; elles devinrent de plus en
plus rares; la malade rendit involontairement des matières dures
toutes les deux ou trois semaines et même plus rarement; la mic-
tion, également involontaire, devint aussi très rare; les règles
ne reparurent pas.
L'état de calme léthargique était interrompu à des distances
variables, tous les mois, tous les mois et demi environ, par des
attaques convulsives survenant brusquement pendant lesquelles
la malade se déchirait la poitrine et la figure avec ses ongles ;
plusieurs personnes étaient nécessaires pour la maintenir cou-
chée ; l'arc de cercle fut nettement observé. Ces attaques d'hys-
térie se terminaient par une salivation abondante semblable à
des vomissements ou par des sueurs profuses ; jamais l'intelligence
n'a reparu, la perte de connaissance est toujours restée totale.
L'anesthésie fut générale dès le début. Toutefois, un examen
attentif permit de reconnaître au niveau de la partie moyenne
du sternum une zone hystéi-ogdize très limitée, dont le moindre
attouchement provoquait une attaque convulsive.-Les mouvements
limités d'abord au tronc, qui paraissait par des efforts de torsion
fuir sous la pression du doigt, se généralisaient bientôt à tout le
corps qui était agité par des secousses cloniques très énergiques.
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 101
Un jour, la malade perdit une certaine quantité de sang par
le nez et par la bouche ; à partir de ce moment la zone hystéro-
gène disparut et il devint possible, sans provoquer aucune réac-
tion, d'exercer de fortes pressions sur la partie moyenne du
sternum.
Peu de temps après les mêmes phénomènes se reproduisirent
dans le même ordre de succession : 4 apparition de la zone hys-
térobène ; 2° épistaxis; 3° disparition de la zone; et cela à di-
verses reprises. Cette zone n'existe plus aujourd'hui et il y a plus
de deux mois que la malade n'a pas eu de crises spontanées.
Fig. 12.
102 REVUE CRITIQUE.
7 avril 1887. -Nous trouvons M. B... dans le décubitus dor-
sal ; elle est très amaigrie, les joues sont pâles et creuses, le
ventre excavé en bateau; néanmoins, la physionomie n'est pas ca-
davérique, et, bien que les traits soient sans expression, on ne se
croirait pas en présence d'une femme qui, depuis quatre ans bien-
tôt, ne s'alimente presque exclusivement qu'avec des lavements.
Le tissu cellulo-adipeux a presque complètement disparu ; cepen-
dant, lorsqu'on pince la peau, le pli ne persiste que très peu de
temps.
Parfois, la face se colore légèrement ; elle s'injecte même, mais
ces phénomènes sont de courte durée ; en résumé, le facies est
celui d'une femme amaigrie plongée dans un sommeil calme et
profond. Lorsqu'on ouvre brusquement les paupières, les yeux
apparaissent dans leur situation normale, la pupille moyenne-
ment contractée, mais le plus léger contact, l'impression de l'air,
suffisent à les faire se convulser en haut, en strabisme divergent.
La respiration est calme, légère et lente (16-18). Le pouls est
régulier, assez rapide; il bat en moyenne quatre-vingt-quinze à
quatre-vingt-dix-huit fois par minute. La température prise plu-
sieurs fois dans l'aisselle donne de 37 à 37",8.
L'anesthésie de la surface cutanée et des muqueuses est totale;
la malade ne réagit sous l'influence d'aucune excitation. Toute-
fois, l'introduction de la sonde oesophagienne ou celle de quelques
gouttes de liquide dans la bouche provoque parfois un spasme
très violent ; quelquefois aussi il se produit un spasme convulsif
de déglutition. La sensibilité cependant reparut à un moment
donné, sous l'influence d'injections hypodermiques contenant
chacune environ un milligramme de sulfate d'atropine. La réap-
parilion se fit d'abord au niveau des pieds, qui devinrent sensi-
bles à la piqûre ; pendant plus d'une semaine, ces injections, pra-
tiquées tous les jours, amenèrent une extension ascendante et
symétrique de la zone sensible qui s'étendit au tronc et aux mem-
bres. La tête resta toujours insensible, et cette anesthésie repa-
rut totale pour tout le corps après la cessation des injections
hypodermiques.
En enlevant les oreillers sur lesquels semble appuyée la tête
de M. IL., afin de rechercher s'il n'existe pas à la partie posté-
rieure du tronc quelque zone hystérogène, nous remarquons que
la tête ne repose pas directement sur ces oreillers ; elle reste fixe,
légèrement courbée en avant par suite de la contracture dont les
muscles du cou sont le siège. La malade est du reste éminem-
ment contracturable. Si on soulève un des bras on le voit garder
la position donnée; il est raide, de même les doigts, et cette atti-
tude peut persister des heures entières. Les réflexes rotuliens sont
très exagérés et le simple relèvement du pied donne lieu à la tré-
pidation spinale. Cette trépidation ne tarde pas à se généraliser à
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE.
103
l'autre membre inférieur, et le corps tout entier est bientôt agité par
la trépidation qui l'envahit également. C'est à cette hyperexcita-
bilité musculaire qu'il est logique d'attribuer la convulsion des
yeux en haut qui se produit aussitôt qu'on soulève les paupières.
Fig. 13.
104 REVUE CRITIQUE.
Pendant ces périodes d'excitation provoquée, la face se colore, le
pouls devient plus rapide et la température s'élève à 37°,8.
Les organes thoraciques et abdominaux paraissent sains; la
percussion indique que la vessie est presque complètement vide;
la miction est involontaire, les urines très peu abondantes; de
temps en temps on vide le rectum, toujours peu chargé de ma-
tières dures, à l'aide de lavements appropriés.
Le fait que nous venons de rapporter nous servira, avons-
nous dit, considérablement dans l'étude symptomatologique
des attaques de sommeil, mais, avant d'entreprendre de les
décrire il est nécessaire d'exposer certaines considérations par-
ticulièrement relatives à l'étiologie toute spéciale de cette
variété de l'attaque hystérique.
Nous ne nous arrêterons que fort peu sur les antécédents
héréditaires des sujets. L'hystérie, comme on le sait, appar-
tient à la grande famille neuro-pathologique ' et, en ce qui
regarde spécialement les attaques de sommeil, la lecture des
nombreuses observations rapportées par les auteurs nous
montre que les individus qui en sont atteints n'échappent pas
à la règle commune. De-ci, de-là, on trouve des faits soigneu-
sement étudiés (0ns. I, Achard) dans lesquels ces antécédents
semblent faire défaut, mais ce sont encore des exceptions
qui confirment une règle assez solidement assise aujourd'hui
pour se passer de discussion.
Toutefois, en ce qui regarde les antécédents personnels du
sujet nous devons préciser la date de l'apparition des attaques
de sommeil par rapport aux autres accidents hystériques dé-
veloppés chez le même individu. En un mot, quelle place
occupent les attaques de sommeil au milieu de l'apparition et du
développement des autres phénomènes de la série hystérique ?
Cette question en amène une autre qui lui confine de bien près :
quelle est la fréquence des attaques de sommeil relativement
aux autres variétés de l'attaque hystéro-épileptique ou aux
phénomènes nerveux de même ordre ?
La première question est importante à préciser surtout t
lorsque l'on envisage la forme d'attaque de sommeil plus par-
ticulièrement désignée sous le nom d'apoplexie hystérique. Un
exemplefera mieux comprendre notre pensée. Un médecin est t 11 p-
' Voy. Déjerine. L'hérédité dans les maladies du système nerveux.
Th. agrég., Paris, 1886.
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 105
pelé, ainsi quelefait s'est présenté àplusieurs reprises, près d'un
individu plongé dans le coma le plus profond. Certains signes qu'il
constate peuvent lui faire penser à une affection organique :
il interroge les personnes qui vivent d'ordinaire avec le ma-
lade et celles-ci lui apprennent que le sujet souffre ordinaire-
ment d'attaques convulsives dont la description le met immé-
diatement en éveil sur la nature hystérique des phénomènes
actuellement soumis à son observation. Son diagnostic trouve
donc dans les anamnestiques un point d'appui solide qui lui
permettra de porter immédiatement un pronostic raisonné de
la plus haute importance.
Toutefois, il faut aussi savoir que cette étude des anamnes-
tiques n'est pas toujours chose aisée : un individu est subi-
tement frappé dans la rue, il est amené à l'hôpital, et tous
renseignements font défaut : le diagnostic devra s'établir néan-
moins ; ce qui n'est pas une raison cependant pour négliger
l'étude des antécédents personnels lorsque ceux-ci peuvent
être obtenus.
'Nous plaçant au point de vue nosographiquepur nous dirons
qu'il résulte, pour nous tant de la lecture d'un nombre consi-
dérable d'observations que des opinions émises par les divers
auteurs qui se sont occupés de la question que les attaques de
sommeil sont très rarement les premières en date dans l'évo-
lution des phénomènes de la série hystérique chez un même
sujet.
Ces accidents nerveux antérieurs sont très variés, et il fau-
drait passer en revue presque toute la symptomatologie de
l'hystérie pour les énumérer. Cependant, il en est qui, par leur
fréquence, priment tous les autres; nous voulons parler des phé-
nomènes convulsifs de la grande attaque qui si souvent pré-
cèdent, lorsqu'ils ne s'y mêlent pas, les attaques de sommeil.
« Le plus ordinairement, dit Briquet (p. 416), le sommeil
hystérique n'arrive qu'à la fin des attaques de convulsions. »
« Le sommeil hystérique, dit M. Charcot ', est une attaque
hystéro-épileptique modifiée. » Aussi M. P. Richer a-t-il par-
faitement raison de décrire comme nous l'avons noté ces
accidents sous la rubrique : «Variété de l'attaque par immixti-
tion de phénomènes léthargiques », ajoutant plus loin (p. 260) :
«En résumé, les attaques de sommeil hystérique sont souvent
' Lezioni cliniche; loc. cit., p. 38.
106 REVUE CRITIQUE.
précédées de phénomènesconvulsifs pouvant être rapportés aux
deux premières périodes de la grande attaque. »
Néanmoins, comme on le sait, les phénomènes convulsifs
toniques et cloniques ne constituent que les deux premières
périodes de la grande attaque. Or il est assez souvent donné
d'observer chez le sujet les phénomènes des deux der-
nières : attitudes passionnelles, rêve et délire; de même que
les diverses variétés d'aura peuvent simplement précéder im-
médiatement l'apparition des phénomènes léthargiques. Cette
sorte d'inversion du type tient surtout à ce que le sommeil,
lorsqu'il n'est pas primitif d'emblée, survient souvent, non pas
consécutivement à une attaque isolée, mais bien plutôt à une
série d'attaques dont les symptômes fréquemment frustes
empiètent successivement les uns sur les autres au point de
dénaturer leur expression symptomatique.
Tout ce que nous venons de dire se trouve parfaitement
résumé dans les lignes suivantes empruntées à MM. Bourne-
ville et Regnard (p. 137) : « Quelquefois les attaquesviennent
sans prodromes; le plus souvent on note un certain nombre
de phénomènes : les malades sont de mauvaise humeur, aga-
cées, tristes et pleurent; ou bien elles sont gaies outre mesure,
rient aux éclats sans motifs, ne peuvent se retenir; l'une d'elles
avait des hallucinations de la vue ; la tête est lourde ; elles
ont des secousses, laissent échapper les objets qu'elles tiennent
à la main; par instants, elles sont incapables de parler, quoi
qu'elles fassent ; elles ont une tendance très visible à dormir,
contre laquelle elles luttent; les paupières se ferment. Cotte
situation a une durée qui varie de quelques minutes à plu-
sieurs heures, même une journée. »
Joignons à cela la connaissance d'accidents antérieurs plus
éloignés, d'ordre variable, et la fréquence immédiate des
accidents convulsifs, signalés par P. Richer, et nous pourrons
conclure que les attaques de sommeil ne sont que très rarement
le symptôme de début des accidents de la série hystérique, chez
le sujet qui les présente actuellement.
Abordons maintenant l'étude de la seconde question. Quelle
est la fréquence absolue des attaques de sommeil, comme symp-
tôme dominant, par rapport aux. autres phénomènes hysté-
riques ou mieux par rapport aux autres variétés de la grande
attaque.
« Les attaques de sommeil sontpeu communes », dit Briquet
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. '107
(p. 148), qui, sur 420 malades, a seulement relevé « trois cas
d'hystérie avec des attaques consistant en un véritable som-
merl cinq cas d'attaques comateuses et huit de véritable
léthargie.
L'opinion émise par Briquet et adoptée par MM. Bourne-
ville et Regnard est certainement vraie, mais les conclusions
du premier de ces auteurs sont peut-êtreun peu trop absolues.
Nous avons dit, en effet, qu'une mauvaise interprétation basée
sur une synonimie défectueuse lui avait fait écrire « qu'on
n'en trouve pas d'exemple dans les 350 observations analysées
par M. Landouzy » alors que, sous le nom de syncope et de
mort apparente, cet auteur (p. 67) ne rapporte pas moins de
27 observations tant personnelles qu'empruntées à ses prédé-
cesseurs dont la lecture ne laisse aucun doute sur l'identité des
phénomènes observés avec ceux que nous décrivons. Evidem-
ment, il existe là comme partout ailleurs des questions de
degré et nous ne voulons pas assimiler les syncopes du petitmal
hystérique aux attaques de sommeil, mais enfin, lorsque Lan-
douzy écrit que « cet état syncopal varie de plusieurs minutes
à plusieurs jours quant à la durée » on ne saurait raisonna-
blement lui refuser d'avoir observé un certain nombre d'at-
taques soporeuses. Leur rareté est donc, de ce fait même, un
peu moins grande que ne le dit Briquet.
Pour ce qui est de l'âge et du sexe nous nous en tiendrons aux
données généralement admises en ce quiregarde l'explosion des
accidents hystériques envisagés sous toutes leurs formes. Nous
devons dire cependant que les récentes études de M. Charcot
ont singulièrement étendu chez les hommes le domaine de
la névrose. Aussi, sans chercher à préciser davantage que ne
l'a fait M. Achard, dirons-nous avec lui, en ne considérant que
la forme particulière de l'attaque de sommeil qu'il a étudiée :
z L'apoplexie hystérique frappe aussi bien le sexe masculin
que le sexe féminin. Elle s'observe non seulement chez des
sujets jeunes ou dans la force de l'àge, mais aussi, bien que
plus rarement, chez des vieillards'. » (A suivre.)
i Op. cit., p. 87, obs. XVI, 62 ans; obs. XIX, 65 ans.
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE
I. DES SYMPTOMES DE LA MOTILITÉ DANS LES PSYCHOSES
simples; par Freusbers. (4 ? 'cA. f. Psych., XVII, 3.)
Les phénomènes qui dans la folie se produisent sur le sys-
tème locomoteur sont de six espèces, d'après M. Freusberg :
1" Modifications de l'excitabilité de l'appareil locomoteur ;
2° modifications de latonicité musculaire; 3° phénomènes mo-
teurs paradoxaux; 4° mouvements intentionnels et motilité
en rapport avec les conceptions; 5° mouvements automa-
tiques.
Enfin, il existerait une classe qui mériterait le nom de
décharge motrice paroxystique, Elles se produirait dans les
psychoses aiguës sous la forme de semi-rigidités ou de semi-
convulsions musculaires revêtant l'aspect d'accès n'ayant
rien à voir avec l'hystérie ni l'épilepsie, mais représentant
des phénomènes d'arrêt ou d'excitation de l'appareil muscu-
laire, par conséquent bien localisées. Ces rigidités, mouve-
ments irrésistibles ou convulsions seuls ou associés, de courte
durée, qui n'ont rien à faire avec la conservation ou l'ab-
sence de connaissance, sont absolument différentes de la ca-
tatonie de Kahlbaum, d'abord parce qu'ils ne se produisent
point dans les folies chroniques, en second lieu parce qu'ils
représentent des perturbations paroxystiques passagères des
folies aiguës ou des stades initiaux des folies aiguës; enfin,
parce qu'ils fréquentent indistinctement toutes les modalités
psychopathiques ; ils sont des accidents spéciaux dans les condi-
tions que nous venons d'énumérer. Quatorze observations à
l'appui. On les rencontre plutôt, il est vrai, dans la folie
systématique et dans le désordre des idées hallucinatoire
(délire asthénique), mais, outre qu'ils y sont rares, ils n'ont
aucune importance pronostique, et par suite ne forment pas
un complexus compréhensif autonome. P. IiERAVaL.
REVUE DE pathologie mentale. 109
II. CONTRIBUTION A l'anatomie pathologique DE la démence POST-
FÉBRILE. Remarques sur les fibres nerveuses de l'éeorce cérébrale;
par H. E31MINGHAUS. (Arch. f. Psych., XVII, 3.)
Jeune homme de dix-neuf ans, atteint, à la suite d'une fièvre
récurrente grave, à évolution prolongée, au moment de la
convalescence, de troubles intellectuels, revêtant, le masque de
démence aiguè. Il avait été atteint de fièvre récurrente en février
1884; on l'apportait à la clinique le H juin 1884; il mourait le
9 juillet dans le collapsus, le coma, la cyanose, avec une tempé-
rature de 30° 6; ralentissement de la respiration et du coeur. L'au-
topsie révéla une pneumoniechronique ulcéreuse du lobe supérieur
gauche, de l'oedème pulmonaire, des abcès furonculeux et métas-
tatiques dans les deux reins, un foyer hémorrhagique dans le
péricarde, avec péricardite séro-fibrineuse, des ecchymoses avec
hypérémie du tube digestif, adénome des deux capsules surré-
nales. L'examen approfondi du cerveau décèle une tuméfaction
albumineuse des cellules corticales ; intégrité des fibres ner-
veuses. P. K.
III. UN cas DE NEUROPSYCHOSE mortelle SE combinant avec
DES SYMPTOMES DE LÉSION EN FOYER APPARENTS, SANS ALTÉ-
RATION anatomique ; par R. THOMSEN. (AI'ch. f. Psych.,
XVII, 3.) ,
Jeune homme de vingt et un ans, jusque-là bien portant.
Tare héréditaire. A la suite d'excès de boissons, vertiges,
puis attaques épileptiformes, agoraphobie, accès de delirium
tremens. Un de ces derniers se termina par une folie systé-
matique hallucinatoire (idées de persécution), qui guérit en
plusieurs mois ainsi que l'agoraphobie. En même temps hé-
mianesthésie mixte et stationnaire. Rétrécissement concentri-
que du champ visuel et hémianopsie droite. Quelques mois plus
tard, exaspération de la psychose ; un accès d'angoisse nocturne
se termine par une hémiplégie droite comprenant le facial;
blépharoptose et paralysie du droit interne de ce côté, para-
lysie de l'hypoglosse gauche. Contraction paradoxale. Puis tout
disparaît, mais bientôt la paralysie reparaît sur les extrémi-
tés. Finalement, la paralysie de l'hypoglosse droit remplace
celle de l'hypoglosse gauche, et, à cette seconde hémiplégie
s'adjoignent de violentes douleurs dans les deux jambes et de
l'entéralgie constituant des accès accompagnés de fièvre élevée.
Série d'exacerbations et de rémissions des accidents psychiques
et nerveux; guérison graduelle presque complète. Mort subite
110 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
imprévue. Durée totale : quatre ans et demi. Nécropsie ab-
solument négative, à part une légère dégénérescence des
nerfs périphériques. ' Après avoir étudié, analysé le diagnostic
différentiel entre la sclérose en plaques, et une psychose com-
binée à une névrose (hystérique ou hystériforme), l'auteur
tendrait à l'idée d'une inconnue complète. L'influence de
l'alcool se révèle par des altérations des nerfs périphériques.
P. K.
IV. DE QUELQUES phénomènes initiaux rares dans la démence para-
LYTIQUE ; par PEHZOEUS. (Neurol. CenGralbl., 1886.)
Deux observations : l'une d' hypercrinie salivaire avec douleurs
dans la gorge, et légère dysphagie, ayant précédé de trois mois la
paralysie générale; l'autre de parésie fonctionnelle d'une des cordes
vocales, parésie disparaissant au moment de l'examen laryngosco-
pique, reparaissant aussitôt après, parésie accompagnant et pré-
cédant de trois mois les phénomènes caractéristiques de la pa-
ralysie progressive. P. K.
V. CONTRIBUTION au rapport qui EXISTE ENTRE la paralysie GÉNÉ-
RALE ET la syphilis. Contribution casuistique ; par W. Sommer
(Neural. Centralbl., 1886.)
Paralysie générale chez un jeune homme de vingt ans, qui avait
été infecté au sein par sa nourrice. P. K.
VI. UN cas DE paralysie progressive, compliquée DE sclérose LATÉ-
RALE AMYOTROPIIIQUE; par ZACHER. (Neurol. Centralbl., 4886.)
Paralysie générale avec dégénérescence des faisceaux pyrami-
daux dans les cordons latéraux depuis la moelle lombairejusqu'à
la décussation. Peu d'altérations dans la substance grise des cornes
antérieures si ce n'est dans le renflement cervical. Dégénérescence
des nerfs périphériques et des muscles. Altérations vasculaires et
conjonctives de l'ensemble du système nerveux central et périphé-
rique. L'évolution générale démontre que l'altération des fais-
ceaux pyramidaux dans les cordons latéraux a été la première en
date; d'où une première période de paralysie spasmodique; puis,
les organes périphériques sont, dit l'auteur, devenus malades et
l'atrophie s'est développée, s'opposant à la persistance des trou-
bles spasmodiques. (C'est là ce qui distingue cette amyotrophie
de l'amyotrophie cellulaire du type Charcot.)Tel est le complexe
neuropathique survenu chez un paralytique général. Il est inté-
ressant de signaler que les altérations corticales de la périencé-
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 111
phalite ne se sont pas étendues de proche en proche des ascen-
dantes au faisceau pyramidal du centre ovale, puisque au-dessus
de la décussation on ne constate pas de lésions. Les altérations
vasculaires du système nerveux central et périphérique n'auraient,
d'après Zacher, aucune relation avec l'ensemble du processus
dégénératif cérébro-spinal, puisqu'on ne constate pas de lésions
inflammatoires dans les cordons latéraux, la substance grise, les
fibres nerveuses. P. K.
VII. D'UNE forme TOUTE particulière D'ILLUSIONS DE la VUE ;
par 0. ROSENBACH. (Centmlbl. f. Nervenheilk., 1886.)
Un monsieur parfaitement bien portant à tous égards croit
en sortant dans la rue, à la suite d'une tension d'esprit pro-
longée, que toutes les personnes qu'il rencontre lui sont con-
nues, une attention soutanue lui démontre qu'il y a illusion,
mais il faut qu'il réfléchisse et qu'il se rende compte qu'une
circonstance toute spéciale, la similitude d'un détail, a rappelé
en lui la physionomie d'individus qu'il connaissait, quoique
souvent leur existence lui fût jusque-là tout à fait sortie de la
mémoire. Le mécanisme serait, d'après M. Rosenbach : con-
ceptions erronées, émanant d'une perception sensorielle quel-
conque mal pesée, mal analysée, avec projection somatique
dans le monde extérieur de ces conceptions ou associations
d'idées. L'illusion ordinaire au contraire provient d'une per-
ception incertaine, une image rétinienne obscure conduisant à
une conception fausse. P. K.
VIII. D'un TROUBLE précoce DE L1 sensibilité dans la démence para-
LYTIQUE ; par Tu. ZIEHEN. (neural. Cenlralbl., 1886.)
11 arrive souvent que chez un paralytique général, la sensation
d'une piqûre d'aiguille soit au moment même exactement loca-
lisée ; mais laisse-t-on s'écouler quinze secondes ou davantage
entre le moment de l'application et l'interrogation, on voit se
commettre des erreurs de localisation considérables. P. K,
IX. Paralysie générale associée A DE l'aphasie SENSO-
RIELLE; par A. ROSENTHAL. (Centl'albl. f. Yeruenlaeilk.,1886.)
Il s'agit d'un syphilitique présentant en mai 1881 une atta-
que d'apoplexie suivie de perte complète de la parole; il la récu-
père, mais en ayant perdu la notion des noms qui s'appliquent
aux objets, et se trouve obligé de s'exprimer par des périphrases,
112 C-) REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
estropie les mots en les répétant, ne se rappelle les substantifs
que lorsqu'on lui offre les objets. Amnésie partielle des adjectifs
et des verbes. Pour garder le souvenir des dénominations'qui
lui reviennent se met prendre des notes. Ses phrases sont en-
fantines pour ces motifs. Ne sait compter que jusqu'à dix et se
montre incapable de multiplier quatre par six (il obtient qua-
rante-six) ; lit très lentement, connaît les lettres et les syllabes,
mais embrouille les syllabes les unes dansles autres etne peut
venir à bout d'expliquer le sens de ce qu'on lui lit. Copie l'im-
primé, peut même spontanément écrire une lettre de quelques
lignes, mais son style est périphrastique comme son élocution,
par conséquent peu varié. Intégrité, des viscères; quelques pla-
ques d'anesthésie ou plutôt d'analgésie légère; sensationsretar-,
dées; démarche lente et lourde. S'occupe tranquillement sans
rien comprendre à ce qu'il fait. Démence paralytique graduelle,
marasme, mort après deux ans et demi de maladie. On cons-
tate, de concert avec les altérations de laparalysie générale, que
le lobe temporal gauche est réduit en bouillie : ce ramollisse-
ment commence à l'extrémité antéro-inférieure des Il et IIIe
temporales, se prolonge en s'élargissant en arrière et en haut,
atteint le milieu de la partie moyenne du versant inférieur
de la première et se termine en se rétrécissant à la limite du
pli courbe et de la deuxième occipitale. Ce foyer aune longueur
de dix centimètres ; son plus grand diamètre transverse est de
2 à 3 centimètres, sa profondeur est de 1 à 1,5, l'écorce et
la couche blanche sont intéressées.. P. K. >
X. UN CAS REMARQUABLE DE SYPHILIS CÉRÉBRALE-, par
L. GOLBSTEIN, (Cenlmlbl. f. Nervenheilk. 1886.)
Homme de trente-quatre ans, atteint il ya sept ans de syphi-
lis. Un an après l'infection, ictus apoplectique léger. Trois ans
plus tard, nouvel ictus suivi de diplopie et de difficulté dé
a démarche. Un an encore, et petits accès épileptiformes.
Finalement trouble de la parole consistant en hésitations, ra-
lentissements traînants suivis de précipitation dans l'élocution
avec effort manifeste de l'esprit : efforts inutiles. Lit en com-
mençant couramment, puis s'interrompt, hésite à plusieurs
reprises, laisse de côté certaines lettres et bientôt des syllabes
entières, de sorte que le texte devient absolument inintelligi-
ble. Ecriture tremblée, également incompréhensible par -l'omis-
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. '1'13
sion de lettrés. Désordre dans les idées, agitation, excitation.
Une attaque épileptiforme débutant par la rotation de la tète à
droite, et convulsions de la moitié droite delà face et des deux
extrémités de ce côté, se généralise bientôt ; un état de mal se
déclare. On constate finalement des accès de folie postépilep-
tique alternant avec des accès épileptiformes ou de grandes
attaques épileptoïdes. Gangrène spontanée de tous les orteils
du pied droit. Démence, marasme. Mort après sept ans de ma-
ladie. Autopsie. Artérite syphilitique de l'encéphale ayant
déterminé une anémie cérébrale extrême et rien de plus. L'au-
teur adopte la pathogénie suivante : l'anémie extrême a agi
comme excitant soit sur l'écorce grise, soit sur les centres
profonds. P. K.
XI. UN cas DE dypsomanie guérie par la strychnine;
par ToLViNSKY. (Wratsch, 1886, n°38'.)
11 s'agit d'un boulanger âgé de trente-quatre ans. Excessivement
anémique il a un souffle très net dans les veines jugulaires. Rien
d'anormal du côté des poumons et du coeur. Le foie tuméfié est
sensible au toucher. Pas d'albumine ni de sucre dans l'urine dont
la quantité et le poids spécifique sont parfaitement normaux. La
sensibilité générale et spéciale sont conservées. Dans les anté-
cédents héréditaires on constate que son père était dypsomane
et sa soeur hystérique. Les premiers phénomènes de dypsomanie
se sont manifestés chez notre sujet à l'âge de vingt-cinq ans; il
avait été bien portant jusqu'alors. Les accès de la maladie sur-
venaient irrégulièrement et duraient parfois des mois entiers. Les
prodromes se caractérisaient par une tristesse sans cause et des
palpitations; puis survenait un désir irrésistible de boire, qu'il était
obligé de satisfaire aussi bien le jour que la nuit. Pendant l'ivresse
il avait des hallucinations de la vue (animaux) et de l'ouïe, il dor-
mait très peu, avait des nausées- fréquentes, ne mangeait presque
pas. Ses membres tremblaient; il était très affaibli; il avait des
constipations rebelles. Ce n'est qu'après neuf ans, que ses parents-
ont consulté pour la première fois M. Tolvillsky. au mois d'août
1883. Différents médicaments, tels que le cliroral, l'opium, lebro-
mure de potassium n'ont produit aucune modification dans son.
état. C'est seulement après avoir échoué avec ces remèdes que-
l'auteur se décida d'essayer, en 1886, l'azotate de strychnine en
pilules des gr. 001 milligr. chacune, à prendre trois par jour.
1 Une bibliographie détaillée de la question aétéindiquée parle. Popoff
dans un travail sur le traitement de la dypsomanie (Wratsch, 1886, n° 10).
Archives, t. XV. 8
114 SOCIÉTÉS savantes.
Déjà le lendemain, une amélioration 'était survenue; le malade ne
voulait plus boire, l'insomnie et l'anorexie avaient un peu diminué
d'intensité. Le quatrième jour de ce traitement : amélioration no-
table de l'état psychique, diminution du tremblement, sommeil
et appétit; disparition de douleurs de la région hépatique et de
sa tuméfaction ; plus de nausées ni de vomissements. Le neuvième
jour, il a pu reprendre sa profession. Il a continué de prendre
2 milligrammes de strychnine par jour pendant six semaines.
L'auteur l'a vu trois mois après : le sujet n'a pas d'accès de dypso-
manie, il travaille et n'éprouve aucun désir do boire.
J. IiUUüINOVITC11.
SOCIÉTÉS SAVANTES
SOCIÉTÉ MEDICO-PSYCHOLOGIQUE
Séance du 31 octobre 1887. -- Présidence de AI. Magnan.
M. le Président annonce la mort de M. Bigot, à la mémoire
duquel il rend hommage.
LE Secrétaire général exprime le regret de s'être trouvé dans
l'impossibilité de représenter la Société à ses obsèques.
De l'accumulation de la morphine dans le foie d'une morphiomane.
- 111. BALL communique l'histoire d'une morphiomane guérie de
ses impulsions par la spartéine et décédée tout à coup le dix-
septième jour de sa.... guérison. L'observation a déjà été pré-
sentée à l'Académie, mais ce que M. Ball n'a pas dit à l'Académie,
« dans la crainte des chimistes », c'est qu'il avait trouvé dans le
foie de la malade 4G centigrammes de chlorhydrate de morphine
à l'état libre. Cet emmagasinage expliquerait comment des acci-
dents imputables à la morphine peuvent se produire après que les
malades en ont cessé l'usage.
Dit délire chronique (suite de la discussion). M. Charpentier a
rencontré les idées de persécutions dans plusieurs cas; il estime
qu'ils peuvent se diviser en dix groupes principaux : Premier
groupe : Idées de persécutions traumatiques ou chirurgicales.
Deuxième groupe : Idées de persécutions survenant pendant et
SOCIÉTÉS savantes. 113
après les maladies aiguës. Troisième groupe : Idées de persé-
cutions empruntées à des rêves. Quatrième groupe : Idées de
persécutions dont les manifestations délirantes simulent l'ivresse.
Cinquième groupe : Idées de persécutions chez les pléthoriques
et les congestifs à tempérament sanguin. Sixième groupe :
Idées de persécutions chez les arthritiques mélancoliques à forme
torpide. Septième groupe : Idées de persécutions simples dans
le délire des persécutions ordinaires. Huitième groupe : Idées
de persécutions avec hallucinations et troubles de la sensibilité
générale. (Ce groupe comprend trois variétés : A, les persécutés
sensoriels; B, les persécutés psychiques; C, les persécutés mixtes.)
Neuvième groupe : Idées de persécutions dans la mélancolie
anxieuse (auto-persécuteurs). Dixième groupe : Idées de persé-
cutions aboutissant à la mégalomanie (persécutés par vanité
chronique).
De l'action des médicaments à distance. Suggestion, auto-
suggestion et vivucité du souvenir dans le sommeil hypnotique.
M. J. Voisin fait part à la Société de ses nouvelles recherches sur
l'action des médicaments à distance chez les hystériques. Ses con-
clusions sont identiques à celles qu'il a formulées l'année der-
nière. La suggestion et l'auto-suggestion sont les seules causes des
phénomènes que nous voyons se dérouler sous nos yeux, mais il y
ajoute un nouveau facteur, la mémoire. La vivacité du souvenir
est très nette dans la nouvelle observation qu'il communique.
Elle nous explique la répétition des mêmes phénomènes à une
époque éloignée du début de l'expérience. Elle est consécutive à
la suggestion.
Le médecin de la Salpêtrière profile de cette circonstance pour
réfuter les arguments que MM. Bourru et Burot développent dans
leur nouveau livre sur la suggestion mentale. Il se sert du texte
de leurs observations pour prouver que les sujets sur lesquels ils
ont expérimenté n'étaient pas à l'état de veille, comme le
prétendent les expérimentateurs, mais bien dans un état hypno-
tique et que cet état qui, d'après eux, n'est pas susceptible
de suggestion, est justement le plus favorable à la suggestion.
En terminant, M. Voisin tire une déduction thérapeutique de son
observation : c'est la suppression momentanée (six mois) des
attaques d'hystérie et des vomissements, par la suggestion.
M. LARIIOQUL n'a pas vu les expériences de MM. Bourru et Burot,
mais il a assisté à la réédition qu'en donna M. Luys à la Charité,
et il a remarqué que les sujets étaient prévenus de supercherie,
de l'action attribuée au médicament présenté. Sans même parler
il est bien évident que les malades subissaient tout simplement
une suggestion. M. B.
116 sociétés savantes.
Séance du 28 novembre 1887. Présidence de M. Magnan.
Période pré-délirante de la paralysie générale. - M. Christian,
énumère un certain nombre de troubles morbides qu'il a notés
chez beaucoup de malades atteints plus Lard de paralysie générale
et qui, sous leur apparente diversité, lui semblent constituer un
groupe unique et avoir une signification pathologique bien déter-
minée. Ces troubles morbides sont tantôt des troubles de la vision
(diplopie, strabisme ou ptosis), tantôt des affections viscérales
simulant des lésions organiques graves du côté de l'estomac des
intestins, de la vessie, etc. Il faut y joindre également les
troubles trophiques dont le mal perforant est un eemple et, peut-
être, les ulcérations imaginaires de la langue que M. Verneuil a
récemment signalées à l'Académie de médecine.
Quoi qu'il en soit, tous ces désordres, si graves qu'ils paraissent,
peuvent s'effacer et 's'évanouissent souvent quand éclatent les
symptômes cérébraux qui caractérisent la maladie confirmée.
D'une façon générale, ils ressemblent à ceux que l'on observe
dans le tabès et qui forment les symptômes de la période pré-
ataxique de l'ataxie locomotive progressive, aussi M. Christian
propose-t-il de réunir dans un chapitre nouveau tous les troubles
morbides qu'il a énumérés et d'en constituer la période pré-déli-
rante de la paralysie générale.
M. GARNIER tout eu reconnaissant l'intérêt de la communication
de M. Christian répond que sa description figure chaque année e
dans les lecons de M. Magnan qui en a fait l'objet de sa thèse
dès 1868.
M. Féré rappelle aussi que ces mêmes faits ont été signalés
autrefois par Baillarger.
M. GILBERT Ballet sans nier l'existence de ces symptômes,
répond qu'ils ne se rencontrent que chez les paralytiques jénér
raux à forme ataxique, au moment où les lésions, qu'elles débu-
tent parla moelle ou qu'elles s'y propagent, s'installent dans cet
organe.
M. FALRET. C'est en effet chez des malades de cet ordre que
Baillarger les avait surtout rencoutrés.
M. GtLBERT Ballet fait une communication sur un cas d'hallu-
cinations auditives survenues à la suite de troubles de l'ouïe. il
s'agit d'un malade âgé de trente-trois ans acluellement en obser-
vation à l'hôpital Broussais, qui, à la suite de chagrins de famille,
ressentit au cours de l'année de 188G des bourdonnements de
l'oreille limités au côté gauche, puis bilatéraux. Les hallucinations
apparurent peu de temps après. Elles consistèrent tout d'abord
en des bruits vagues et se caractérisèrent bientôt avec plus de
SOCIÉTÉS SAVANTES. 'H7 I
netteté. Actuellement, le malade entend des voix qui sont tou-
jours de son oncle on de sa femme. Ces voix le « suivent pas à
pas » pendant plusieurs heures de suite. Kilos sont tantôt mena-
çantes, tantôt impératives, tantôt moqueuses. Elles disent, par
exemple, « Nous te surveillons; tu ne tueras personne; tu ne
déshonoreias pas ta famille; ne pense plus à ta femme, c'est une
coquine; pense à ta mère, etc. » Le malade les entend aussi bien
de l'oreille droite que de l'oreille gauche. Il ne s'abuse nulle-
ment sur leur nature et s'est toujours rendu compte qu'il est le
jouet d'une obsession maladive. Les hallucinations sout presque
toujours précédées de bourdonnements d'oreilles.
Ce cas fait observer M. Ballet, semble au premier abord donner
raison aux auteurs qui subordonnent certaines hallucinations aux
troubles des organes des sens. Mais il n'y a là qu'une apparence.
Discutant son observation, M. Ballet montre que son malade était
un nerveux, bien avant d'être un halluciné, que si chez lui les
hallucinations se montrent d'ordinaire à la suite et peut-être à
l'occasion des bourdonnements d'oreille, elles naissent aussi sous
l'influence de diverses impressions d'un autre ordre. Il s'agit là. en
somme, d'un sujet chez lequel la plupart des réactions nerveuses
se traduisent par l'hallucination de l'ouïe comme chez d'autres
elles se traduisent par des impulsions.
M. Ballet ne croit pas qu'un trouble sensoriel puisse de toute
pièce engendrer des hallucinations. Ce trouble intervient au plus
comme cause occasionnelle. C'est la prédisposition nerveuse qui
crée l'hallucination. Dans les cas analogues à celui dont il s'agit,
on a atfaire à des dégénérés qui ont des perceptions fausses tout
comme d'autres ont des impulsions, de l'onomatomanie, de l'in-
version du sens génital. Au point de vue de la physiologie patho-
logique on peut envisager l'hallucination verbale de l'ouïe comme
le résultat d'une excitation morbide du cenlre des images audi-
tives des mots. On serait en droit, dès lors, de les rapprocher de
certaines formes d'onomatomanie qui semblent dépendre d'une
excitation anormale du centre des images verbales motrices. Les
hallucinations auditives analogues à celles observées chez le
malade dont il s'agit, doivent être rangées parmi les stigmates
physiques de la dégénérescence. Elles présentent, en effet, les
deux caractères principaux de ces stigmates : en premier lieu,
elles sont obsédantes et déterminent chez le malade un phéno-
mène d'angoisse des plus pénibles, en second lieu, elles sont cons-
cientes en ce sens, que le sujet ne s'abuse pas sur la réalité des
voix qu'il entend.
M. BALL n'a pas la prétention de dire que les troubles des
organes de l'ouïe suffisent à déterminer des hallucinations. Dans
ses diverses communications et dans les travaux qu'il a inspirés
à Begis, il poursuit un seul but, celui de réfuter la doctrine de
118 SOCIÉTÉS SAVANTES.
ceux qui pensent que l'hallucination de l'ouïe n'est qu'une idée
projetée au dehors. C'est là une doctrine contre laquelle on ne
saurait trop s'élever. Pas d'hallucination sans cause matérielle.
Le malade dont parle M. G. Ballet n'est pas un véritable hallu-
ciné, tout le monde peut avoir physiologiquement des hallucina-
tiuns de l'ouïe; j'en éprouve moi-même quelquefois, ajoute
M. Bail. Pour être un véritable halluciné, il faut encore croire en
ses hallucinations.
M. Ballet ne pense pas que l'hallucination puisse jamais être
considérée comme un phénomène physiologique.
M. B...
CONFÉRENCE ALLEMANDE RELATIVE A L'ASSISTANCE
DES IDIOTS »;
Va SESSION (FR.1NCORT-SUR-LG-lCIN
Séances des 14, 15, 16 septembre 1886.
On compte vingt-neuf collaborateurs présents, dont deux méde-
cins, et vingt-quatre personnes étrangères à l'oeuvre, dont six
médecins.
Séance préparatoire. Présidence de M. SENGELMANN. Le pré-
sident fait l'historique des faits relatifs à l'assistance des idiots
qui se sont passés dans les trois années écoulées.
Il relate la mort de M. l'instituteur en chef PFLUGK (d'Iluber-
tusburp); du Dr Klvn (de Laii,,enlia2eti); le jubilé de vingt-cin-
quième année de Gladbach; les subventions de l'ordre de Saint-
Jean.
Il met en relief la fondation de nouveaux établissements :
en 1879, s'ouvrait l'établissement de Saint-Joseph, à Ilerthen, près
Bade, destiné aux idiots et aux crétins, avec 198 malades : direc-
tion du pasteur Rolfus; le 15 juin 1882, s'installait avec
1 II nous parait indispensable de publier l'analyse de cetle Société qui,
à force de persévérance et d'étude, nous semble traiter d'une façon pra-
tique et tout à la fois scientifique l'ensemble des questions de ions
ordres que soulève l'assistance de l'idiotie. Nous appelons notamment
sur ce congrès l'attention des administrateurs, des instituteurs et des
médecins de notre pays. P. KEXAVAL.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 119
27 arriérés (24 du sexe masculin, 3 du sexe féminin), la maison de
Saint-Joseph à Gmuenden, sur le Mein; - le 10 mars 1884, établis-
sement d'éducation et de traitement pour enfants idiots catho-
liques, à Essen, sur le Rhin. Enfin, on est en train d'installer à
Dessau l'établissement d'éducation pour imbéciles, arriérés et
idiots israélites; on vient d'ouvrir avec 13 enfants l'établissement
de Sayn, près Coblenz. Directeur, M. Jacobi et celui de Hillinghau-
sen, près Stetten.
En même temps, on installe ou l'on augmente les classes muni-
cipales annexes propres à l'instruction des enfants atteints de débi-
lité mentale ' 1 à Brunswick, Géra, Cologne, Hamhurg, Vienne.
Total : 36 établissements assistent actuellement 4,247 idiots, dont
3,800 coûtent près d'un million et demi de marks (1,875,000 fr.).
Première séance. M. l'instituteur en chef municipal, le Dr Miquel,
souhaite en termes des plus cordiaux la bienvenue à l'assistance.
Puis, le Dr Vor.ar (de Langenhagen) examine quels sont les motifs
à faire valoir en faveur d'une alimentation convenable, appropriée
à un but envisagé pour les idiots de nos établissements. La question
de la nourriture occupe un des premiers rangs parmi les desiderata
de l'assistance des arriérés; en effet, ces enfants sont incapables
de discerner la qualité ou la fraîcheur des aliments qu'on leur
donne, et de plus, il faut leur choisir des aliments qui impriment
à leur économie une marche ascendante au double point de vue
matériel et mental. Ce n'est pas tout; il faut absolument adapter
à l'état de chacun d'eux le mode d'alimentation; consulter la sen-
sibilité de leurs organes digestifs afin d'éviter ou de les gaver ou
de les inanitier soit par surcharge, soit par défaut d'assimilation.
Les quantités moyennes de principes alimentaires servis dans
nos établissements aux enfants des deux sexes comportent par
tête et par jour . albumine, 75 gr. ; giaisse, 55 gr. ; - hydrates
de carbone, 360 gr. La proportion générale entre l'albumine
végétale et l'albumine animale est de 1 : 3.
Gardons-nous de leur faire ingérer trop d'hydrates de carbone,
trop de pain, trop de pommes de terre. Donnons-leur des aliments
d'excellente qualité, très soigneusement préparés, une nourriture
mixte (animale et végétale) convenablement alternée dont on
essaiera de produire à l'établissement les matières premières
(c'est la meilleure façon de s'assurer de l'excellente qualité et de
prévenir les falsifications). Faisons-leur faire trois, ou mieux,
cinq repas par jour; on évite ainsi les excès d'ingestion, la sur-
charge des organes digestifs. Chaque repas sera soigneusement
surveillé par des personnes sûres et intelligentes.
' Voyez plus loin.
1120 SOCIÉTÉS SAVANTES.
Discussion. - Opinions contradictoires contre les quantités
moyennes des matières alimentaires énoncées; contre la mul-
tiplicilé des repas; contre les grand» réfectoires; d'aucuns
préconisent le hareng aux pommes de terre et la nécessité de
rassasier les jeunes gens le soir : on spécifie une trentaine de
pommes de terre comme nécessaires en l'espèce. Sous le mérite
de ces observations, le mémoire de M. WulIF est adopté.
Seconde séance. M. le Dr Berman (de Brunswick). Présentation
d'un crâne de crétin adulte de Slyrie. - Rachitisme de la base, ossi-
fication prématurée des sutures entre le sphénoïde et la partie
de la base connue en anthropologie sous le nom d'os basilaire
(splréno-occipital) , ossification qui a déterminé un raccour-
cissement de la base, proéminence de l'épine nasale; grand
nombre d'os intercalaires. Remarques sur la genèse des crânes
d'aztèques. Les progrès de la civilisation et les modifications du
genre de vie en ont réduit le nombre là même où ils étaient
jadis si abondants. '
M. le pasteur PALMER. De l'entretien dans les établissements d'idiots
de la notion des fêtes. Elles ont l'avantage, tout en se prêtant
admirablement à la culture du christianisme, d'égayer les enfants;
utilité de la musique vocale et instrumentale. Il y a lieu de dis-
tinguer la fête mondaine de la fête ecclésiale.
Discussion. Ajoutez-y les fêtes patriotiques, les jeux, et per-
mettez de fumer, surtout la pipe.
A[.le directeur B.I ItTJJOLD (de Gladbach). Devoirs du médecin dans
un établissement d'idiots. 1° L'idiotie consiste en des lacunes et
des anomalies de l'encéphale consécutives à des processus
inflammatoires ayant évolué pendant la vie foetale ou dans la
tendre enfance; de là l'entrave apportée au développement des
facultés intellectuelles; - 2° par conséquent l'idiotie incombe à
la médecine et à la pédagogie; 3° il ne saurait être question
de guérison absolue; - 4° diriger sur l'encéphale un traitement
médicamenteux n'a pas d'objet : mais il est possible d'étendre le
développement des facultés intellectuelles entravées; tel est le but
et le devoir principal de la pédagogie ; - 1° les maladies consti-
tutionnelles associées à l'idiotie (scrofule par exemple), les trou-
bles digestifs et nutritifs, les dyscrasies ne regardent que le
traitement médical; G° les troubles psychiques qui se montrent
chez maints idiots se rattachent au traitement psychiatrique;
7° la complication de l'épilepsie appartient, à la pratique médi-
cale ; il ne faut faire intervenir sa pédagogie que lorsqu'on l'a
améliorée ou supprimée; - 8" dans les maladies intercurrentes
intervient le médecin seul; il ne perdra pas de vue la faible vita-
lité, le peu de résistance de ces individus ; 9° au médecin aussi
SOCIÉTÉS SAVANTES. 121
le devoir spécial de scruter les éléments étiologiques de l'idiotie,
de lutter contre les affections cérébrales de l'enfance dont l'idiotie^
est souvent la conséquence, et par ce moyen, de battre en brèche
l'idiotie. Pédiatrique des petits enfants, éducation et soins des
nourrices, éducation et surveillance des bonnes d'enfants; alcoo-
]isme; voilà ce qu'il faut envisager; - 10° par un traitement spé-
.cial bien approprié (hygiénique ou autre), le médecin contribue
dans une mesure fondamentale -à faciliter la tâche de l'institu-
teur ; de concert avec ce dernier, il arrivera à améliorer le sort
physique et mental des idiots.
Discussion. - Quel sera le directeur de l'établissement ? Un
médecin, un instituteur, un prêtre ? - Cette question est écartée
comme inopportune; quant à la compétence absolue du mé-
decin sur toutes choses en l'espèce, elle est universellement re-
connue.
Troisième séance. M. le Dr n.\RTELS, directeur de l'enseigne-
ment scolaire municipal de Gera, communique le résultat de ses
observations et de l'expérience qu'il a faite des classes destinées
aux arriérés de celle ville. Il en est très partisan. Ces enfants qui,
dans les écoles ordinaires, étaient laissés de côté, tournés en déri-
sion, et ne progressaient pas parce qu'on ne s'en occupait pas,
qui, finalement, devenaient des non-valeurs, se trouvent très bien
et tirent grand profit de leur enseignement spécial. Le plus diffi-
cile est la question des professeurs; il faut à cet égard aviser à
trouver des maîtres solides et à les conserver tels en ne les surme-
nant pas; pour cela, il convient de leur réserver quelques heures
de travail dans les classes d'enfants normaux 1.
M. le directeur 13.ItTIIOLD. Du développement du sens de la forme
chez les idiots. Les enfants que l'on rencontre dans les établis-
sements d'éducation d'idiots présentent une grande diversité
quant aux lacunes ou aux anomalies que l'on constate dans les
diverses forces psychiques ou les divers sens de chacun d'eux.
Autrement dit les sens eux-mêmes considérés individuellement
sont aussi susceptibles d'un développement différent. Ainsi le
sens de la forme est plus capable de développement que le sens
du nombre. D'ailleurs, le sens de la forme se compose de i'intel-'
' Nous ne pouvons nous empêcher de faire remarquer quelle vitalité
dans la voie du progrès chez nos voisins. D'où que vienne la propulsion
matérielle ou morale, on rencontre partout des essais fructueux, quand
il s'agit du perfectionnement de l'homme. Est-il d'ailleurs un terrain plus
passionnant que celui de l'enfance; la soigner par tous les moyens pos-
sibles, n'est-ce pas instituer la prol'hlaie de l'avenir la plus utilitaire
et assurer dans ses sources vices le développement de la race au meilleur
marché. Il. KEltAVH.
122 Cl) SOCIÉTÉS SAVANTES.
ligence (reconnaissance et distinction), de la forme et de la
mémoire de la forme. Suivant qu'existe ou que prédomine chez tel
ou tel individu l'une de ces modalités de la faculté totale ou l'une
des facultés du sens de la forme, l'individu en question est apte à
subir telle ou telle branche d'enseignement; si elles sont toutes
deux développées au même degré, il pourra écrire, dessiner, lire.
La prédominance, chez lui, de l'intelligence de la forme, l'entraî-
nera à apprendre à écrire et à dessiner, mais non à lire. Si c'est
la mémoire de la forme qui tient la tête, l'enfant apprendra bien
à lire, mais non à écrire ni à dessiner. C'est aussi du genre du
sens de la forme que dépendront les progrès dans l'enseigne-
ment visuel et le travail manuel. L'enseignement des idiots doit
donc comporter dans une large mesure la culture du sens de ! a
forme. Enseignement théorique par les démonstrations des formes
et l'ensemble de l'enseignement visuel, enseignement pratique
par l'enseignement de l'écriture, de la lecture, du calcul, du tra-
vail manuel. L'étude plastique et théorique des formes oblige à fixer,
à observer, regarder, comparer, distinguer, assembler, réfléchir,
juger et préparer l'utilisation du reste de renseignement visuel, et
vice vend. Le sens de la forme grandit par l'enseignement de l'écri-
ture, de la lecture, du dessin et prend vie parla nécessité de recon-
naitre, comparer, juger la représentation graphique des formes
matérielles. En combinant ces diverses branches de l'enseigne-
ment, on prépare l'enseignement du travail manuel qui les com-
plète et est, lui, tout à fait approprié à la vie pratique '.
M. le pasteur SENGELMANN (d'Alsterdorf). Que faut-il faire pour
façonner et obtenir un bon personnel propre a l'enseignement et ci
l'assistance des idiots dans les établissements consacrés ci ce genre
de malades' ? Pour avoir un personnel capable de rendre les mul-
tiples services qu'exige l'assistance des idiots, et possédant les
qualités intellectuelles et morales indispensables à ces services, il
faut l'instruire dans un établissement d'idiots étendu et possédant
toute espèce de malades de ce genre (instruction théorique et
pratique). On évitera de changer trop souvent ces infirmiers en les
payant convenablement et en leur procurant des distractions.
Ces distractions consisteront précisément à instituer des réunions
de ces serviteurs dans lesquelles on leur dispensera l'instruction
propre et professionnelle sous forme de cours, de conférences,
1 Cela a été démontré il y a près de cinquante ans par notre compa-
triote E. Seguin, créateur de la méthode à Bc6tru. Mil. Delasiauve et
Bourneville eu ont étendu le champ. Voir d'abord, étudier l'objet tet
quel, puis l'analyser, le reproduire graphiquement; qu'il s'agisse de
formes géométriques, du lettres, de clJill'res, d'ornements, d'hommes,
d'animaux, la France doit rewucliyuer la méthode. Visitez plutôt le ser-
vice modèle de ISicêtre de il. Bourneville. P. KEXAYAL.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 123
d'entretiens; on les exercera au chant, on organisera des jeux en
commun. Mais la première condition, c'est que le directeur et les
fonctionnaires supérieurs prennent en main cette organisation; la
suivent pas à pas, y participent activement.
Enfin, c'est sur la proposition du directeur rarlllold qu'est
abondonnée l'ancienne dénomination de « Traitement curatif de
l'idiotie »; la proposition du président M. Sengelmann fait
adopter celle de « Conférence relative à l'assistance des idiots ».
La réunion se termine par la visite de l'asile d'idiots du grand-
duché de Hesse, près Darrnstadt : population 123 malades, et celle
de l'établissement de Scheuern. près Nassau : population 175 ma-
lades. (Allg. Zeitsch. f. Psych. XLIV, 1.) P. KERAVAL.
XI. CONGRÈS DES NEUROLOGUES ET ALIÉNISTES
DE L'ALLEMAGNE DU SUD-OUEST.
SESSION DE 13.1DB. '.
Séance du 22 mai 1886.
M. le premier curateur l3rr..trut,>;n ouvre la séance. M. le profes-
seur Eiti3 est nommé président; secrétaires : ))rs L\QUER (de Franc-
fort), Hoffmann (d'Heidetherg).
111. le pro fesseur GOLTZ (de Strasbour=). Contribution à la physiologie
f ? dcorccdMeeeau.Présentation de deux encéphales de chiens,
chez lesquels l'expérimentateur avait déterminé de colossales
pertes de substance. Chez l'un, il avait enlevé : à gauche, en deux
séances, le lobe frontal et toute la zone motrice; a droite, outre les
mêmes régions, la plus grande partie de l'écorce du lobe occipital.
Cet animal pouvait encore fléchir la colonne vertébrale à droite
et à gauche, il aboyait, grondait, percevait les sensations en tous
les points du revêtement cutané; il ne présentait aucune paralysie
motrice. Mais il paraissait complètement aveugle, bien que la
sphère visuelle gauche n'eût pas été touchée et que celle de droite
existât encore en partie. Il semblait sourd, quoique la région
auditive n'eût pas été enlevée. Chez l'autre chien, destruction très
'Voy. Archives de Neurologie, X" Congrès, tome XI, p. 302.
124 SOCIÉTÉS SAVANTES.
étendue et très profonde des deux lobes occipitaux; anéantisse-
ment eomplet des deux zones visuelles; et cependant il voyait
parfaitement. Voici maintenant un cerveau de singe chez lequel
on avait déterminé une lésion très étendue des circonvolutions cen-
trales gauches; l'hémiplégie, très complète, n'avait été que passa-
gère ; l'animal récupéra très vite et tout à fait l'usage de ses
membres. Il est vrai que, pour l'habituer à se servir de la main
droite, parésiée, on lui attachait l'autre; ce procédé réussit égale-
ment chez un chien qui présentait après la mort une destruction com-
plète des centres moteurs des membres. Il n'y aurait donc pas dans
l'écorce de centres circonscrits servant obstinément à des fonc-
tions déterminées. Néanmoins, la théorie des localisations n'est
pas nulle, car tous les animaux qui ont survécu à des destructions
symétriques offrent des troubles extrêmement marqués dans l'in-
gestion alimentaire ainsi qu'une grande lourdeur dans les mou-
vements. ·
M. le professeur WIEDERSIIEIM (de Fribourg). Contribution il l'his-
toire des origines des organes sensoriels élevés. - Résultat des
travaux de Blaue, Beard, Froriep, concernant le développement
des nerfs crâniens et des organes sensoriels situés dans le domaine
de la tête. A une certaine période de leur développement, les
nerfs crâniens dits dorsaux engendrent à leur périphérie un
ganglion qui adhère intimement il 1'épiderme. En cet endroit,
les cellules épidermiques ne transforment en neuroépithéliums
qui correspondent aux organes d'un sixième sens découvert par
Leydig. Une partie de ces appareils occupe l'extrémité supérieure
d'une fente branchiale. Exemples : le glosso-pharyngien, le facial,
le pneumo-gastrique. Or, le même processus s'observe pour l'ol-
factif, les nerfs ciliaires, le trijumeau, l'acoustique; on en peut
donc conclure qu'au niveau de ces nerfs se trouvaient jadis autant
de fentes branchiales. Cette hypothèse trouve un important point
d'appui dans ce fait que la fente buccale des poissons résulte de
l'abouchement de deux fentes branchiales et que, d'un autre
côté, les muscles des yeux appartiennent, au point de vue mor-
phologique, à la catégorie des muscles viscéraux (A. Dohrn).
L'appareil de l'adorât n'était, à l'origine, qu'un 0 'gante sensoriel
branchial (organe sensoriel branchial de neal'd), car dans les
embryons de poissons, d'amphibies, de mammifères, la muqueuse
olfactive se compose encore de renflements nerveux semblables à
ceux que l'on rencontre il la peau des poissons et des amphibies
aquatiques. Par conséquent, les organes de l'odorat et du goût
ce dernier appareil présente également les mêmes renflements
nerveux), et probablement aussi l'organe de l'ouïe doivent dériver
d'un sens cutané ditius, répandu sur la surface entière du corps
des poissons. Mention du travail de II. de Graaf, important pour
la morphogénie et la phylogénie de la glande pinéale des verte-
.SOCIÉTÉS SAVANTES. 1 2o la
brés. Le sommet de cet organe affecte, chez les reptiles, les
allures d'un appareil sensoriel qui, d'après sa structure, ne saurait
être comparé qu'à un oeil impair; cet oeil, jadis, émergeait de la
surface du crâne par le trou pariétal qui existe encore chez les
sauriens.
M. le professeur ERB (d'Heidelberg). Etat anatomique des muscles
dans la forme juvénile de la dystrophie musculaire progressive.
(Voy. Neurolug. Centrvlbl., 188G'.)
M. le Dr Laquer (de Francfort). Communication sur un cas d'hy-
2ca'tropleie musculaire généralisée véritable. Il s'agit d'un véritable
homme muscle de trente et un ans, qui s'exhibe dans les foires à
cause du colossal développement de ses muscles, surtout des pecto-
raux, des deltoïdes, des biceps, des grands dentelés, des muscles
du tronc, du cou, de l'épaule. Quand il les contracte, on sent la
dureté du bois, mais d'une façon tout uniforme. Nulle part de
dégénérescence graisseuse, de pseudo-hypertrophie. Même aspect
athlétique des extrémités des membres inférieurs, des mains, des
avant-bras, mais moins accentué que celui du tronc et des extré-
mités supérieures. Aucune anomalie du côté de la face ou de la
langue. L'individu est t) es vigoureux, mais sa force ne correspond
pas à l'excessif volume des muscles hypertrophiés; il se fatigue
aisément quand il s'exerce trop longtemps ou d'uue manière trop
active. Intégrité de l'excitabilité électrique; un peu d'hyperexci-
tabilllé mécanique; intégrité des muscles eux-mêmes ; pas de trace
de maladie de Thomsen; nulle trace de myotonie congénitale.
C'est, en un mot, de l'hypertrophie vraie, complètement géné-
ralisée.
M. le professeur 1 oEns'rwa (d'Ileidelberâ). Lésions spinales dans,
la paralysie progressive. Il y a des cas de paralysie générale
dans lesquels, des années durant, les premiers phénomènes que
l'on constate sont des accidents tabétiques. D'autres, au contraire,
sont exclusivement caractérisés par la dégénérescence des faisceaux
pyramidaux (dégénérescence primitive, d'après Westphal, Zacher,
Schultze). Si, en effet, dans l'immense majorité des cas, les phé-
nomènes spasmodiques apparaissent secondairement, il en est
plusieurs dans lesquels ils ouvrent la scène exactement comme
les accidents tabétiques : telle est, par exemple, l'exagération des
réflexes tendineux si accusés des extrémités; ce n'est alors que
plus tard que le diagnostic des accidents cérébraux apparaît indubi-
table. Dans ces cas-là, il est fréquent d'observer, pendant les der-
niers stades, des contractures des extrémités (exclusivement sur
les fléchisseurs), de la raideur musculaire, une tension très in-
tense et très étendue dans les organes contractilcs (F. Zeicher).
1 Voy. Revues analytiques.
121(7 SOCIÉTÉS SAVANTES..
L'immense majorité des observations dans lesquelles il y avait
dégénérescence limitée aux faisceaux pyramidaux se signala par
une évolution assez rapide (deux à trois ans). Un troisième
groupe comprend les faits dans lesquels la lésion atteint avec les
faisceaux pyramidaux, les tractus latéraux cérébelleux, en laissant
absolument indemnes, les cordons postérieurs. M. luerstnereu
communique deux observations. Evolution très rapide; deux ans
au maximum ; émaciation extrêmement rapide. Quatrième
groupe : les faisceaux pyramidaux sont lésés, mais non dans tous
les systèmes de fibres qu'ils renferment. Cinquième groupe : lé-
sions en plaques des faisceaux pyramidaux. Sixième groupe :
lésion des tractus latéraux cérébelleux, des faisceaux pyramidaux,
des cordons postérieurs. - Septième groupe : lésion combinée
des faisceaux pyramidaux et des cordons postérieurs, etc. En exa-
minant tous ces divers faits, on arrive à cette constatation que,
malgré la lésion des faisceaux pyramidaux, il ne se produit pas
de phénomènes spasmodiques si les zones radiculaires des cor-
dons postérieurs des segments de la moelle correspondants sont
altérées (Zacher, Westphal). Cette proposition est également vraie
pour la dégénérescence secondaire, si l'on s'en rapporte à un fait
de F'uerstner dans lequel il existait, depuis longues années, un
tabès avec absence de réflexes. Plus tard apparurent des accidents
paralytiques du côté droit qui rétrocédèrent quelques mois après ;
finalement, accidents paralytiques du côté gauche permanents.
Mort quelques minutes après le derniers ictus. L'autopsie révéla
deux foyers symétriques dans le segment antérieur de la capsule
interne; dégénérescence descendante bi-latérale; dégénérescence
grise bi-latérale des cordons postérieurs et en particulier des
zones radiculaires postérieures jusque dons la moelle cervicale. A
aucune période de la maladie il ne s'était produit d'accidents
spasmodiques, et notamment d'exagération des réflexes tendi-
neux.
Maintenant est-ce que, étant donné ces diverses lésions spi-
nales, les altérations cérébrales de la paralysie générale sont
toujours itentiques à elles-mêmes ? Y a-t-il par exemple, dans les
cas de tabes avec paralysie générale, celte atrophie des fibres
corticales dont parle Tuczek et présente-t-elle alors des particu-
larités spéciales, quand les faisceaux pyramidaux ont concurrem-
ment dégénéré ? Prenons parallèlement le cas de Zacher 2 caracté-
risé par des accidents spasmodiques extrêmes, les faisceaux pyra-
midaux étant demeurés indemnes; les altérations de la paralysie
générale portaient-elles sur les mêmes parties du cerveau que
1 Voy. Archives de Neurologie, t. VI, Vil, VIII, X.
' Voy. pour tous les faits cités Revues analytiques antérieures.
SOCIÉTÉS SAVANTES. I : ! 7 i
d'ordinaire ? Et lorsqu'on est certain que le paralyptique général
eu question a eu antérieurement la syphilis, les cordons poslé-
lieurs sont-ils prédisposés à la dégénérescence grise ? En ce qui
concerne cette dernière question, depuis plusieurs années Fuert-
ner s'est préoccupé à ce point; son expérience contredirait à
l'admission de cette opinion ; il a notamment observé quatre cas
dans lesquels les anamnestiques révélaient la syphilis; ce furent
les faisceaux pyramidaux et non les cordons postérieurs qui furent
affectés.
M. le Dr Edinger (de Francfort). Des conditions d'origine du nerf
auditif et du «tractus cérébelleux sensoriel direct » . - D'après ses
recherches personnelles sur de nombreux fa.lu, humains,
des embryons de chats, des encéphales d'adulles : 1° la racine
postérieure de l'acoustique émane du noyau acoustique antérieur
en connexion lui-même avec l'olive supérieure du côté opposé,
par l'intermédiaire d'un puissant tractus qui se dirige dans le
corps trapézoïde, avec l'olive supérieure du même côté par l'in-
termédiaire de quelques fibres, avec le noyau acoustique interne
par l'intermédiaire de fibres arcuées qui sont situées au-dessous
des stries acoustiques ; l'olive supérieure est en connexion avec
le cervelet, ainsi qu'avec le noyau de l'oculomoteur externe; ? laracine antérieure de l'acoustique émane du noyau acoustique
interne en connexion lui-même avec l'olive supérieure. L'acous-
tique reçoit encore le segment interne du pédoncule cérébelleux
de Meynert que M. Edinger appelle tractus cérébelleux sensoriel
direct. Ce tractus émane de la 'région des noyaux du toit; il
commence par des fibres assez épaisses qui existent en dedans du
corpus dentatum cerebelli, se sépare nettement de la partie spinale
du corps restiforme qui embrasse latéralement le corps dentelé
cérébelleux, arrive tout contre la commissure antérieure d'entre-
croisement du vermis de Slilling et se divise en deux branches.
L'une de ces branches aboutit à l'acoustique; l'autre descend plu
bas en avant jusqu'au trijumeau. Une troisième même gagne en
arrière les cordons postérieurs; comme on constate dans cette
direction que le tractus s'amincit, il est probable qu'il fournil des
libres au glosso-pharyngien et au pneumogastrique : ce faisceau
qui n'a rien à voir avec l'auditif est identique àce que Roller dé-
signe sous le nom de racine ascendante de l'acoustique ; il est
extrêmement puissant chez les animaux inférieurs, notamment t
chez les poissons. Somme toute, le cervelet envoie des fibres di-
rectes aux nerfs sensoriels périphériques. Le noyau de Deiters se
trouve englobé dans le tractus cérébelleux sensoriel direct; on
s'explique comment la résection des cordons postérieurs entraine
la dégénérescence de ce noyau (llunalcow, Vejas) 1, puisque la sec-
' Voy. Revues analytiques.
'128 SOCIÉTÉS SAVANTES.
lion porte en même temps sur la branche postérieure du trac-
tus cérébelleux sensoriel direct.
M. le professeur Thomas (de Fribourg). S1tI'Wl cas de polynévrite.
Observations d'un homme de trente-deux ans, grand buveur de
bière, qui, après avoir présenté de l'embarras gastrique simple (fév.
1881), fut pris, en mai 1881, de douleurs dans les extrémités infé-
rieures avec un peu de fièvre. Hypéresthésie et émaciation des
membres inférieurs, légères douleurs du tronc et des extrémités
supérieures. En juin, hypéralgésie, amaigrissement prononcé des
jambes et du bras droit; un peu de glycosurie. Fin juin et début
de juillet, les douleurs décroissent, les membres jusque-là para-
lysés reprennent leur motilité; intégrité de l'urine. Diagnostic :
polynévrite rhumatismale compliquée de glycosurie.
M. le docent Rumpr. Contribution à la pathologie des centres
corticaux moteurs. Homme de trente ans, frappé à la tête d'un
coup de fourche à fumier qui l'étend sans connaissance. Pendant
longtemps après, paralysie des extrémités droites et de la jambe
gauche. Exagération des réllexes cutanés et tendineux; intégrité
de la sensibilité dans tous ses modes; intégrité du sens musculaire.
Lésion avec enfoncement des deux tiers supérieurs du pariétal
gauche et de l'extrémité supérieure du pariétal droit. Trépanation
pratiquée par'l'rendelenburg. Rapide amélioration ; quelques se-
maines plus tard, le malade se sert de son bras droit et marche
à l'aide de deux cannes. Démarche spasmodique.
M. le professeur HACK (de Fribourg). Contribution à la thérapeu-
tique opératoire de la maladie de l3asedow. - Il s'agit d'une femme
présentant dès s'a plus tendre enfance de l'exophthalmie, un défaut
de concordance entre le mouvement de la paupière et l'abaissement
du regard, une dilatation de la fente palpébrale; plus tard, hyper-
trophie modérée de la glande thyroïde, battements de coeur très
prononcés. Hypertrophie cardiaque se portail surtout sur la gauche.
La malade vient consulter pour des phénomènes d'obstruction
existant depuis longtemps dans le nez; on constate une hy-
pertrophie considérable des renflements des cornets moyen
et inférieur des deux côtés. Destruction galvano-caustique. Le
lendemain dujour où le côté droit a été opéré, le globe ocu-
laire du même côté rentre complètement dans l'orbite; même
phénomène pour le côté gauche. Avec la disparition de l'exo-
pjlllralmie disparait la fixité du regard, disparaissent les batte-
ments de coeur; l'hypertrophie cardiaque diminue ainsi que celle
de la glande thyroïde. Cette amélioriation s'était maintenue plu-
sieurs mois après. Conclusion pratique. Examinez le nez d'indi-
vidus atteints de goitre exophthalmique surtout quand ils se
plaignent d'accidents du côté de cet organe.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 129
Séance du 23 mai. Présidence du professeur BEnLIN.
Sur la proposition du professeur JOLLY, la prochaine séance du
congrès aura lieu à Strasbourg, à raison de l'intérêt qu'offre la
clinique psychiatrique nouvellement installée. Secrétaires pour
l'année suivante : professeur Jolly (de Strabourg); Dr Fischer
(d'Illenau).
Présenlation par M. RIEGEn du nouveau galvanomètre à res-
sort du professeur KOIILRAUSCH; simplicité, bon marché, retour
rapide à l'état d'équilibre, telles sont les qualités qui recom-
mandent cet instrument dont on trouvera la description dansson
livre (Grundriss der medicinischen Elect2-icitâtsleh ? ,e). % N
Présentation par le Dr EDINGEN des microphotographies et des
épreuves photographiques de la maison Kühl et Ci°, de Francfort.
Méthode orthrochromatique. Clarté, netteté, même pour des pré-
parations qui, comme celles de la méthode à l'hématoxyline de
Weigert, ne sont pas toujours venues avec la précision dési-
rable. Elles supportent l'examen à la loupe; ainsi sur une coupe
de moelle faiblement grossie on saisira, sur le dessin, à l'aide
de cet instrument, toutes les cellules.
M. le professeur KAST (de Fribourg). Contribution à l'anatomie
pathologique de la paralysie infantile cérébrale. On ne connaît
cette maladie que depuis vingt ans; les nécropsies. assez rares, sont
loin d'expliquer rationnellement les phénomènes cliniques. C'est
Bourneville et ICundrat' qui ont fourni la plupart des descriptions
anatomo-pathologiques. Dans ces dernières années, Struempell2 a
proposé la dénomination de polioencéphalitc qui correspondrait,
d'après lui, au complexus clinique observé. Or Kast a observé les
faits suivants :
Observation I. Enfant de six mois pris soudain pendant la nuit de
vomissements et de convulsions du côté droit, nuque indemne. Les con-
vulsions reparaissent pendant plusieurs jours et laissent après elles de
l'hémiparésie droite. Quelques mois après, seconde série deconvulsionssui-
vies d'hémiplégie gauche. D'autres attaques portèrent surtout sur' la moi-
tié droite du corps. Après l'apparition de dix à douze séries, mort à l'âge de
quatorze mois. Autopsie. Abondance de sérosité sous dure-mérienne.
Réduction de volume de tout l'ensemble des circonvolutions et de la subs-
tance blanche; absence d'hydropisie ventriculaire. La région motrice
paraît principalement étriquée; il en est de même, mais à un moindre
degré, des circonvolutions occipitales et frontales. Intégrité du crâne, de
la dure-mère, de la pie-mère. Pas d'encéphalite apparente, mais le mi-
' Voy. « Revues Analytiques antérieures et Sociétés ».
$Id.
Archives, t. XV. 9
130 SOCIÉTÉS SAVANTES.
croscope décèle une sclérose diffuse des circonvolutions cérébrales por-
tant sur la substance blanche comme sur la substance grise. Observa-
tion II. Enfant issu d'une mère nerveuse. Il est, en pleine santé, pris de
convulsions qui portent sur le côté droit et se renouvellent tous les deux
mois. Le second accès laisse après lui une parésie spasmodique de la
moitié droite du corps. Mort à l'âge de trois ans. L'autopsie révèle une
atrophie très accusée d'un hémisphère cérébral sans autre dégénéres-
cence ; pas d'encéphalite.
Comme d'autre part une statistique d'un hôpital de Genève
donne sur soixante autopsies cinq à six cas seulement de cica-
trices encéphaliques, Kast pense qu'il serait prématuré d'adopter
l'idée de Struempell et qu'il faut réserver la question anatomo-
pathologique. Remarquons d'ailleurs que la paralysie infantile
spinale tend, après le premier assaut, à décroître, tandis que la
paralysie infantile cérébrale tend à progresser.
M. le Docent Enrcessen (de Fribourg). Sur un cas de rhumatisme
articulaire aigu compliqué de paralysie spinale. - Homme de cin-
quante-sept ans. Le 18 décembre 1886, angine tonsillaire; le 24,
fièvre (+ 390 C.), rhumatisme articulaire aigu généralisé jusqu'au
29. Le 31, fièvre (+ 390 2) et douleurs très violentes au niveau de
la cinquième lombaire et du sacrum; puis les douleurs s'étendent
à toute la colonne lombaire. Une amélioration très passagère
émane de l'emploi du salicylate de soude, puis les douleurs re-
prennentde plus belle empêchant tout mouvement ; angoisse; l'em-
ploi du salicylate de soude et de l'antipyrine fait disparaître les
douleurs. On en constate bien encore le long du sciatique et des
nerfs cruraux, mais la sensibilité au tact et à la douleur parait
intacte. Le 20 janvier, essai infructueux de marcher malgré l'ap-
pui de deux personnes; parésie musculaire, surtout de la jambe
droite; épuisement des réflexes patellaires à droite, diminution
des mêmes réflexes à gauche, réaction dégénérative sur plusieurs
groupes de muscles qui présentent en même temps de l'hyperexci-
tabilité mécanique. Sous l'influence de l'électrisation galvanique
de la colonne vertébrale et des groupes musculaires traités indivi-
duellement, amélioration lente mais radicale. Cure à Bade-les-
Bains. Aujourd'hui la marche est encore assez pénible ; elle
cause une certaine angoisse, mais le malade peut marcher à l'aide
de deux cannes, sans autre appui, pendant un certain temps, et se
tenir debout les yeux fermés.
Conclusion. Les douleurs du début le long de la colonne ver-
tébrale sont imputables à une arthrite lombosacrée; les douleurs
ultérieures irradiant dans les extrémités inférieures témoignent
d'une méningite lombaire; les phénomènes paralytiques ont été
le signal d'une myélite lombaire des cornes grises antérieures;
l'absence de troubles de la sensibilité implique l'intégrité de la
moelle postérieure. Le processus s'élant limité exclusivement à la
SOCIÉTÉS SAVANTES. 131
moelle lombaire, l'auteur croit que l'inflammation s'est propagée
des articulations vertébrales à la méninge et à la moelle..
M. le U° rncnuavrr (de Stephansfeld). Des altérations histologiques
dans les formes traumatiques de l'encéphalite aiguë. - Résultats
d'expériences sur des lapins et des moineaux. L'inflammation
varie suivant le mode opératoire. Une cautérisation détermine
autour du point nécrosé, dans les premiers jours la formation
d'une charpente conjonctive constituée par de nombreux éléments
fibroplastiques fusiformes et étoilés qui englobent de grosses cel-
lules rondes, la plupart à plusieurs noyaux, cellules contenant
graisse et substance blanche nerveuse dans lesquelles, par un
traitement approprié, on fait apparaître la scission karyokiné-
tique des noyaux; il n'y a pas ou presque pas de cellules de pus.
L'irritation septique est caractérisée parla production précoce de
nombreux extravasats de cellules rondes issues des vaisseaux voi-
sins ; ces cellules préforméës prolifèrent dans le tissu même à la
façon des protoplasmas et non des fibres; il ne se produit pas
d'abcès : la substance conjonctive se détruit et forme avec le pus
des amas cellulaires pleins de micrococcus (méthode de recherche
de Gram). Si, au pourtour du foyer purulent, le tissu conjonctif
se met à se transformer en fibres-cellules, il se produit une mem-
brane. Une irritation purement mécanique parfaitement aseptique
détermine aussi une nécrose centrale ; puis, se montre une zone de
dégénérescence avec amas granuleux assez abondants ; enfin, une
zone irritative moins intense et se limitant essentiellement au tissu
conjonctif et aux parois vasculaires, de sorte que dans les pre-
mières semaines, il ne se forme pas de réseau conjonctif continu.
Donc le premier stade de l'encéphalite aiguë ou ramollissement
rouge présente des différences selon qu'il se produit de la suppu-
ration ou une véritable organisation primitive. Les stades plus
avancés de l'inflammation par cautérisation (quatrième à huitième
semaine) se traduisent par une tendance à l'épaississement con-
jonctif (nombreuses fibres-cellules accolées les unes aux autres en
étoiles ou en fuseaux avec cellules ordinaires disséminées entre
les premières. Toute irritation intense (cautérisation ou inflamma-
tion septique) détermine de but en blanc, et dans le tissu conjonc-
tif, et dans le parenchyme nerveux, des altérations intenses égale-
ment, tandis qu'une excitation faible porte seulement sur la né-
vroglie. Cependant, dans la substance blanche de la moelle, le
premier résultat peut être, même par une lésion mécanique, une
tuméfaction étendue de cylindraxes. Si l'on envisage le point de
vue hi;togéniqtte, on ne perçoit l'existence d'un processus progres-
sif qu'à partir du milieu du second jour; il se traduit d'abord par
l'intrication de fins trabécules formés par des noyaux, puis par
une rapide tuméfaction des cellules mêmes du tissu conjonctif, et
en même temps par la formation des cellules granuleuses. Les
132 SOCIÉTÉS SAVANTES.
través de tissu conjonctif néoformé dérivent dans l'inflam-
mation due à la cautéri sation, principalement de la prolifé-
ration des cellules de la névroglie dont une grande part serait
manifestement en rapport avec les parois des vaisseaux prolifé-
rantes. Ainsi, dans la substance grise, dès le second jour, sur le
bord de la cavité qui renferme des granulations, on voit s'établir
une sorte de demi-lune constituée par le gonflement et la saillie
des cellules endothéliales qui bientôt prolifèrent pour donner
naissance à des cellules du tissu conjonctif. Les cellules à plusieurs
noyaux englobées dans le réseau conjonctif, remplies de graisse
et de substance blanche nerveuse, émanent, au moins pour un
certain nombre, des granulations qui subissent la scission karyo-
kinétique. Quand doit survenir la suppuration, on voit se gonfler
les granulations, qui n'ont pas dès le premier jour subi la
destruction molécule à molécule; les cellules marginales de
la demi-lune que nous avons mentionnée plus haut, s'hypertro-
phient et s'anastomosent entre elles. Mais il est impossible de dé-
montrer que des cellules de pus émanent de cette prolifération.
La prolifération vasculaire parait se produire par l'abouchement
et la canalisation des cellules-araignées et des cellules fusiformes
du tissu conjonctif. La pie-mère et l'épendyme qui avoisine le
foyer inflammatoire participe vivementà toutes les proliférations.
Les cellules nerveuses subissent en même temps la régression : re-
coquillement, sclérose avec perte du noyau, tuméfaction homo-
gène, finalement déchéance granuleuse, formation de cellules
granuleuses. Les cylindraxes ne paraissent pas subir d'hyperplasie.
On constate simplement une tuméfaction homogène, puis ils se
fendent d'abord en gros grains, puis en morceaux; mais ils ne
subissent ni la prolifération nucléaire, ni la prolifération cellu-
laire. Les manchons de myéline augmentent de volume, se cas-
sent très vite et disparaissent en donnant naissance à la forma-
tion de cellules granuleuses.
M. le professeur SCHOLTZE (d'Heidelberg). Présentation de prépa-
rations de selé7@ose ? ntiltiloculaii . .traitée par la méthode de Freud
au chlorure d'or. On y voit, grâce à l'élection double, un grand
nombre de cylindraxes dénuées dans la région scléreuse. Ce qui
prouve bien que le cylindraxe ne prend pas la même coloration
que la substance blanche ni que la névroglie. Présentation de
préparations de ganglions spinaux de chat et de chien et de coupes
de moelles de chiens, afin de montrer que les cellules nerveuses
normales présentent dans les ganglions et la moelle des réactions
colorées différentes même à l'état nurmal. -Courte observation
de tubercule dans la moelle épinière et le bulbe chez un homme de
quarante-huit ans. Paralysie progressive de la motilité et de la sen-
sibilité dans les extrémités inférieures. Le tubercule siégeait dans
la partie la plus supérieure du renflement lombaire dont il occu-
SOCIÉTÉS SAVANTES. 133
pait, à droite, la plus grande partie de la section transverse de
l'organe. La compression qu'il exerçait sur l'autre moitié de la
moelle avait déterminé une dégénérescence ascendante secon-
daire des cordons postérieurs. On trouva encore un tubercule du
volume d'un noyau de cerise dans le corps restiforme d'un côté; i
celui-ci parait n'avoir déterminé aucun accident pendant la vie.
M. le professeur SCHOTTELlUS (de Fribourg). Des vaccinations pré-
servat ? 'ices de Pasteur. - Exposé doctrinaire qui résulte d'un
voyage fait par l'orateur à Paris, pour étudier la méthode et les
recherches du savant français. On ne peut, conclut-il, en considé-
rant les principes théoriques et les preuves pratiques alléguées
par le maître, blâmer Pasteur de s'être adressé à des maladies
infectieuses quelconques, de les avoir manipulées pour les faire
servir de vaccins préservateurs. Mais, pour le moment, on ne sautait
encore décider si les vaccinations antirabiques auront un résultat
utile, pas plus qu'on n'est en droit de les critiquer. Quoi qu'il en soit,
pour nous Allemands, le succès de ces vaccinations n'a pas d'ap-
plication utile, car chez nous, nos mesures sanitaires préventives
sont telles que la rage du chien a, somme foute, été exterminée;
il en est tout autrement en France où la rage joue le rôle de notre
trichinose qui, inversement, n'existe pas en France.
M. le Docent TuczET (de Marbourg). Nouvelles communications
sur les troubles nerveux permanents consécutifs à l'ergotisme. - Il
s'agit toujours des fait ? d'ergotisme spasmodique épidémique de
Frankenberg (1879-1880) (Archiv. f. Psych. XI, VIII)1, caractérisés
par des troubles intellectuels, des convulsions épileptiformes, la
lésion des cordons postérieurs (quatre autopsies déjà communi-
quées). Sur les vingt-cinq malades restants, cinq autres ont suc-
combé; il y a eu de nombreuses récidives; deux présentent
encore des convulsions épileptiformes, douze sont atteints de la-
cunes plus ou moins profondes de l'intelligence, quatre sont en
proie à des parèsthésies, neuf à de la céphalalgie. Chez deux seu-
lement le phénomène du genou a reparu des deux côté»; chez un,
d'un côté-; chez les autres, il manque encore. En aucun cas l'on
n'a eu à constater de progression ni dans la démence ni dans la
lésion des cordons postérieurs (analogie avec des lésions semblables
produites par d'autres poisons). Une des quatre moelles décèle
(préparations à l'appui), une atrophie presque complète des
réseaux de fibres nerveuses dans les colonnes de Clarke.
M. le professeur Berlin (de Stutlgarl). Nouvelles observations de
dyslexie avec autopsie. Le terme de dyslexic désigne un accident
intermédiaire à l'alexie et à la paialexie. L'auteur a fait, il y a
' Voy. Analyses des Archives de Neurologie. Volumes antérieurs.
134 SOCIÉTÉS SAVANTES.
trois ans, une communication' qui portait sur cinq malades; trois
étaient déjà morts. Aujourd'hui il a une somme de six cas à sa
disposition ; les six malades ont succombé, dont cinq à l'affection
qui avait débuté par de la dyslexie constituant un des symptômes
du début ou le symptôme vraiment initial, et l'autre à un érysi-
pèle. La dyslexie consiste dans l'impossibilité de lire, qpel que
soit le caractère imprimé, plus de trois, quatre, cinq mots l'un
après l'autre. Ces quelques mots sont lus correctement sans para-
phasie, puis le malade se trouve incapable de continuer; après
une pause de quelques secondes, il reprend, lit de nouveau trois,
quatre, cinq mots et s'arrête encore. De cette fraction d'efforts
il ne peut former un tout satisfaisant, qu'il lise à haute voix ou
des yeux. Intégrité complète de la parole qu'il comprend, qu'il
émet spontanément, qu'il peut répéter. Intégrité de la vision, ou
troubles de la vue n'ayant rien à voir avec cet accident. Soudai-
neté d'ailleurs delà dyslexie survenue chez des hommes jusque-là
bien portants, ce qui permet de la rattacher à une maladie du
cerveau, d'autant plus que, soit de concert avec elle, soit plus
tard, on constate des vertiges, de la céphalalgie, des obnubila-
tions passagères du sensorium, de l'hémianopsie, de l'aphasie,
des convulsions occupant la moitié droite de la face, une sensa-
tion annulaire au petit doigt du côté droit, de la paralysie des
extrémités droites, dans un cas même, des extrémités gauches,
de la perte de connaissance, des convulsions généralisées, etc...
La dyslexie occuperait, d'après M. Berlin, la même situation dans
le centre nosologique que la cécité verbale isolée. D'après le
schéma de Lichtheim', cette dernière émanerait d'une interrup-
tion entre le cadre des images écrites et le centre des images
phonétiques, lescentres eux-mêmes et toutes les autres voies de
transmission ayant conservé leur intégrité. La dyslexie ne devrait
donc pas être rattachée aux aphasies proprement dites; elle
représente une aphasie dans un sens plus large, un trouble de la
faculté signatrix de Kant. Ce qui la différencie de sa cécité verbale
proprement dite, c'est que, dans la dyslexie le malade reconnaît
encore les mots, mais il n'en peutreconnaitre beaucoup; ce serait
donc une cécité verbale incomplète et isolée. Il est probable en
outre que dans la dyslexie tous les tractus propres à la faculté
d'écrire sont intacts (écriture spontanée, écriture sous la dictée,
écriture d'après un modèle); si M. Berlin n'a pas examiné à ce
point de vue ses malades, c'est que ses observations sont anté-
rieures au schéma de Lichlheim. D'ailleurs, il supposait qu'il
serait difficile, en l'espèce, de savoir si la difficulté d'écrire, qui
eût pu se manifester, tenait à la dyslexie, ou avait son autonomie
1 Voy. Archives de Neurologie, t. VIII, p. 375.
' Voy. Archives de Neurologie, t. IX, p. 92.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 135
propre (dysgraphie pure). En tous cas la dyslexie est un symptôme
de lésion en foyer; sa lésion doit résider dans l'hémisphère
gauche, si l'on s'en rapporte à l'observation quasi simultanée
d'accidents paralytiques, convulsifs, sensoriels et sensitifs du côté
droit, ainsi qu'à quatre des nécropsies qu'a vues M. Berlin. Sur les
deux observations qui lui sont personnelles il a vu, en un cas,
absence absolue de toute altération manifeste de la substance
cérébrale, mais en revanche, l'artère sylvienne gauche et celle-là
seule, était athéromaleuse jusque dans ses plus fins rameaux. Dans
l'autre cas, existait un ramollissement étendu de la substance
grise.de la pariétale inférieure gauche, ramollissement englobant
précisément la zone sur laquelle, il y a trois ans il appelait l'at-
tention à propos de l'autopsie après dyslexie dont ou se souvient'.
Mais, comme il existe aussi quelques cas de cécité verbale isolée
avec lésion de la pariétale inférieure, lésion siégeant seulement
un peu plus en arrière, ce siège engage précisément à une grande
réserve, surtout quand on a trouvé, comme dans l'espèce, d'autres
lésions de l'écorce, en matière de localisation, de généralisation;
on hésite alors à dire que l'altération envisagée au lieu indiqué
est fatalement la lésion de la dyslexie. Il convient donc simple-
ment d'appeler l'attention sur le fait en question, et de faire
remarquer que, dans cette forme d'aphasie, c'est sans exception
la moitié gauche du cerveau qui se trouve lésée. Quoi qu'il en soit
au surplus de l'inconstance ou de la constance, de la contradic-
tion même des lésions et de leur localisation clinique dans le
présent ou dans l'avenir, les observations cliniques actuelles
relatives à la dyslexie conduisent incontestablement à ceci. Cet
accident, en apparence si insignifiant, si facile à confondre,
si on ne l'analyse pas à fond, avec un trouble simple de la vue,
qui, dans tous les cas observés, est passager, car il ne dure généra-
ment pas plus de quatre semaines environ, est tout simplement
un symptôme de lésion en foyer du cerveau et comporte sans
exception un pronostic mortel; dans tous les cas, cette lésion a
pris sa source, quel qu'en ait été le mode d'évolution ultérieur,
dans les artères cérébrales.
M. le Dr von HOFF3fAIN (de Bade). Sur un cas de méningite
avec suppuration dans l'espace intravaginal du nerf optique. -
Homme atteint, la septième semaine de son mariage récent, d'a-
bord d'éruption furonculeuse à la nuque; le 12 juin 1886, vio-
lentes céphalalgies, notamment au-dessus de l'oeil gauche, insen-
sibilité morale et intellectuelle, réflexion pénible, ralentissement
du pouls et de la respiration. Température normale. Ne peut
supporter sur la tête la glace qui augmente ses douleurs. Mal-
gré les purgatifs administrés, l'état demeure le même jusqu'au
Voy. Archives de Neurologie, VIII, p. 375, et IX, p. 92.
136 SÉNAT.
15 juin. A ce moment complète cécité de l'oeil gauche, pouls : 44.
21 juin, légère exophtalmie et fièvre (38,7), réponses lentes et
embarrassées. L'oeil gauche présente, outre une exophtalmie ré-
ductible, de la hlépharoplose, une immobilité absolue du globe, de
la mydriase; les milieux sont transparents, la pupille est extrê-
mement gonflée. Le 31 l'oeil est déplacé en bas et en dedans, et
n'est plus réductible. Le 1 juillet, on va à la recherche du pus
sans résultat dans l'orbite; il occupe par conséquent le trajet du
nerf optique; on va déchirer la gaine dont il sourd de l'espace
ampullaire dilaté : un drain est placé. On favorise par la position
de la tête l'écoulement d'une sécrétion d'abord purulente, puis
aqueuse; les choses durent ainsi quatorze jours, la plaie se ferme
- ensuite rapidement. Le 20 juillet, retour à la maison : allure
anxieuse, parole encore lente et embarrassée, disparition de la
fièvre; coeur et appétit normaux. Après avoir fait un trajet de
trois heures et demie pour arriver chez lui, il ressent, à son arri-
vée, des douleurs dans le côté gauche. Huit jours plus tard, au-
dessous des fausses côtes, dans la région dorsale, du même côté,
apparaît un abcès froid. On l'évacué artificiellement le 10 août; un
demi-litre de pus de bonne nature; le doigt atteint une cavité
sise dans la région de la rate (infarctus splénique assez probable);
irrigation; guérison le 23 août. Guérison complète, mais cécité
de l'oeil gauche par atrophie blanche de la papille. Diagnostic :
éruption de furoncles ayant déterminé une méningite suppurée
qui a fusé dans l'espace intravaginal du nerf optique, ainsi qu'un
abcès de la rate.
M. le Dr IIECKER (de Johannesberg). Des conditions d'admission dans
les maisons de santé dites ouvertes pour maladies nerveuses. Le
nombre des maisons de santé ouvertes, correspondant à un réel
besoin, a augmenté considérablement pendant ces dernières an-
nées. Sans doute c'est un abus et une chose regrettable que de
voir la plupart des directeurs de ces établissements déclarer
qu'ils peuvent recevoir les hystériques, les hypochondriaques, les
anxieux, les individus atteints d'obsessions, tandis qu'à.côté de
cela ils disent que les troubles psychiques sont exclus deleurs éta-
blissements. Cette contradiction tient à ce que les prospectus
s'adressent à des profanes qui ne considèrent pas comme aliénés
les malades dont nous parlons. D'un autre côté, il est incontes-
table que tels de ces malades conviennent plutôt à un établisse-
ment fermé, tels autres à un établissement ouvert. Il importerait
par conséquent de trouver une clef pratique propre à rendre
compte' de l'opportunité de placer chaque malade en tel ou tel
établissement. Voici ce que M. Hecker a trouvé :
Peuvent seuls être placés dans une maison de santé ouverte : 1° ceux
qui ont pleine conscience de leur maladie, plein discernement de leur
SOCIÉTES SAVANTES. 137
état morbide; 2° ceux qui viennent d'eux-mêmes se faire traiter par un
médecin ; 3 ceux qui, maîtres de leurs actes, sont capables de donner
suite aux prescriptions médicales; 4° ceux qui n'ont besoin d'aucune sur-
veillance spéciale; 5° ceux enfin qui ne frappent pas leur entourage
parleurs anomalies intellectuelles et qui, parsuite, ne sont aucunement à
charge à personne.
M. Hecker ajoute que, depuis qu'il a vulgarisé ces conditions, il
n'a pas vu commettre d'erreurs. Il faut seulement que le patient
remplisse l'ensemble de ces cinq desiderata, une seule des
conditions prescrites ne suffisant pas. Comme, en outre, l'admis-
sion'des patients qui répondent aux cinq exigences en question ne
présente pas un caractère d'urgence, la chose peut aisément se
traiter par correspondance. Et l'on ne serait craindre de dépeu-
pler nos maisons de santé en en éliminanttous ceux qui ne rentrent
pas dans la catégorie envisagée; des milliers de malades y répon-
dent qui cependant doivent subir un traitement psychologique.
C'est ce que prouve d'ailleurs la fréquence des maisons de santé
ouvertes, se soumettant rigoureusement aux prescriptions sus-énon-
cées. Comme les malades en question doivent être reçus dans des
maisons de santé ouvertes, il faut que les directeurs soient des alié-
nistes ; seuls du reste ils sont en état d'opérer la sélection voulue,
d'assurer toutes les installations de rigueur, d'empêcher que l'é-
tablissement ne soit transformé en un asile d'aliénés déguisé et mal
outillé, de voir si, dans le cours de la maladie, l'une des cinq con-
ditions précédentes ne se trouve plus remplie.
M. le Dr A. 1 ncx (de Bade). De l'influence des bains d'étuve dans
le traitement mercuriel de la syphilis. Nouvelles éludes sphygmo-
graphiques d'après lesquelles la pression et la tension artérielle dé-
croit dans le bain, la fréquence du pouls augmentant. Sous l'in-
fluence des allusions froides, le pouls revient rapidement à la
fréquence normale, tandis que la pression et la tension vasculaire
montant considérablement dépassent de beaucoup les conditions
normales. Le bain d'étuve dans le traitement mercuriel de la sy-
phylis : 1° excite l'appétit et accélère les échanges nutritifs; 2° sert
à assurer le diagnostic dans les cas douteux; 3° accélère l'excrétion
du mercure devenu sans effet pour la neutralisation des bacilles
syphilitiques. Quand, par exemple, il s'agit de savoir si la syphilis
est guérie ou demeure latente, la sudation en mobilisant les
germes latents provoquera une nouvelle éruption. Veut-on se
rendre compte de la nature syphilitique ou mercurielle d'une
éruption donné, la sudation augmentera l'intensité de la première,
améliorera la seconde. La sudation en décomposant les matières
albuminoïdes libère le mercure intimement uni à ces der-
nières. Le meilleur mode de traitement hydrargytique, c'est la
friction à l'onguent, ou, en cas d'urgence, les injections sous-cu-
138 SÉNAT.
tanées de sublime et de chlorure de sodium. En administrant le
médicament, on prescrit les bains d'étuve à intervalles réguliers
suivant le degré de la maladie et la résistance du malade. (Anch.
f. Psych. u. Nerv. XVIII, .) P. KERAVAL.
SENAT
DISCUSSION DU PROJET DE LOI SUR LES ALIÉNÉS
Suite de la séance du jeudi 2 décembre 18S6 '.
M. PAR'S. Je demande la parole.
M. le Président. La parole est à M. Paris.
M. Paris. Messieurs, j'approuve l'amendement présenté par
l'honorable M. Bardoux et accepté par la commission; mais en
môme temps je propose d'y apporter une très légère modification
concernant le paragraphe 2. Il serait, à mon avis, rédigé ainsi :
« Un administrateur nommé par le ministre de l'intérieur sur la
liste dressée par le tribunal civil », je supprimerais, par consé-
quent, ces mots : « des anciens notaires ou avoués ». A cette sup-
pression, je trouve deux avantages : le premier, c'est qu'on évite
d'imposer ainsi à la présentation du tribunal et, par suite, au
choix de M. le ministre de l'intérieur, une trop grande restriction.
Il pourra se rencontrer des circonstances dans lesquelles, pour un
arrondissement, le nombre des anciens notaires ou des anciens
avoués acceptant ces fonctions sera tellement limité que ce sera
pour ainsi dire la carte forcée.
M. DGSMOLE, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous avez
absolument raison ! ·
M. Paris. Et, d'un autre côté, si le tribunal est obligé de porter
sur sa liste tous les anciens notaires ou tous les anciens avoués,
on risquerait quelquefois d'appeler le choix du ministre de l'in-
térieur sur des personnes qui pourraient n'être pas absolument
dignes de sa confiance. Laissons, par conséquent, au tribunal le
' Voy. Arc/¡. de Neurologie. XIII, p. 135, 258, 139 et t. XIV, p. 135, 307,
421.
SÉNAT. 139
soin de dresser sa liste de présentation ; il la composera de toutes
les personnes qu'il jugera, par leur connaissance des affaires,
mériter la confiance du ministre de l'intérieur. En première ligne,
il y placera les anciens notaires et les anciens avoués, s'il en
existe, qui méritent cette confiance, et, à côté, il pourra faire
figurer d'autres personnes de manière à présenter au choix une
plus grande quantité de sujets. Cette proposition, vous le voyez,
messieurs, respecte complètement la pensée qui a inspiré l'amen-
dement de M. Bardoux, et, à mon avis, elle l'améliore. (Approba-
tion sur un grand nombre de bancs.)
M. Bardoux. J'adhère aux observations qui viennent d'être pré-
sentées par l'honorable M. Paris.
M. LE Rapporteur. La commission s'y associe également.
M. le Président. Personne ne demande plus la parole ? ... Nous
nous trouvons toujours en présence de l'amendement de M. Com-
bes, qui, quoique s'en référant à l'avis actuel de la commission,
maintient ces mots « et après un concours public ».
M. B.nnoux. Monsieur le président, vous savez que je me suis
expliqué sur ce point à l'article 6.
M. le Président. Monsieur Combes, vous n'insistez pas, alors ?
M. COM13ES. Non, monsieur le président.
M. le Président. Je donne une nouvelle lecture de la rédaction
de l'article 11 proposée par M. Bardoux et acceptée par la com-
mission : « Art. 11. - Dans chaque département, un docteur en
médecine, nommé par le ministre de l'intérieur, sur une liste de
présentation dressée par le conseil supérieur des aliénés, confor-
mément à l'article 6, surveillera dans sa circonscription, sous l'au-
torité du préfet, l'exécution de la présente loi et des règlements
relatifs aux aliénés, assurera la protection de leurs personnes,
contrôlera leur placement et leur maintien dans les asiles publics
et privés, surveillera leur séjour, veillera à leur sortie... »
Je m'arrête ici, puisque la commission se réserve de discuter la
disposition qui suivait, à propos des articles 20 et 21, et je passe
au deuxième paragraphe : « Un ou plusieurs administrateurs
nommés par le ministre de l'intérieur sur la liste dressée par le
tribunal civil, seront chargés des fonctions d'administrateur pro-
visoire vis-à-vis des personnes non interdites placées dans les éta-
blissements publics ou privés d'aliénés. » Je consulte le Sénat sur
cette nouvelle rédaction de l'article 11. (L'article 11 nouveau, mis
aux voix, est adopté.)
M. le Président. Il est bien entendu que l'article 11 est adopté
sauf la partie réservée pour la discussion des articles 20 et 21.
Nous arrivons, messieurs, à l'article 12. Il y a sur cet article un
ameudement de M. Bardoux ; il est conçu en ces termes : « Les
140 SÉNAT.
honoraires de ces deux fonctionnaires seront réglés ainsi qu'il
sera dit à l'article 48. L'administrateur fera partie de droit de la
commission administrative de surveillance. Un règlement d'admi-
nistration publique déterminera au surplus leurs fonctions. » La
parole est à M. Bardoux.
M. BARDoux. Messieurs, quelques courtes explications vous feront
comprendre la portée du second amendement que j'ai rédigé sur
l'article 12. et qui est également accepté par la commission et par
le Gouvernement. Cet amendement pose un principe : c'est que
les deux fonctionnaires ou les deux agents créés par l'article 11 ne
rempliront pas des fonctions gratuites. Messieurs, l'expérience
apprend, et tout spécialement quand on examine les enquêtes
faites sur la loi de 1838, que tout service exigeant un travail assi-
du, régulier, ne s'exécute bien que lorsqu'il comporte une lému-
nération ou des honoraires.
M. DR Gavardie. C'est une erreur !
M. B : ncoox. Je vous demande pardon, monsieur de Gavardie ;
je vous prie de vouloir bien vous en référer aux enquêtes, aux
déclaiations faites devant la Société de législation comparée par
M. Vaney, ancien substitut à Paris, lequel disait qu'à Paris même,
le magistrat inspecteur ne possédait aucun renseignement sur la
situation des malades. Il est impossible d'obtenir de l'administra-
teur qui a été nommé conformément à la loi de 1838, qu'il s'oc-
cupe avec continuité, avec assiduité, avec vigilance, des intérêts
si nombreux qui lui sont confiés. Qu'arrive-t-il alors ? C'est
qu'on est obligé de laisser un des bureaux de la préfecture du
département de la Seine s'occuper seul de ces fonctions-là. Je lis
dans un document sérieux ces observations aussi vraies que pro-
fondes :
« Les biens des aliénés ne sont pas suffisamment protégés. La
question de l'administration des biens des aliénés a été trop
négligée jusqu'à présent. La plupart des auteurs qui ont écrit sur
la législation des aliénés, admettent sans examen que leur for-
tune est suffisamment garantie. C'est une erreur qu'il faut atta-
quer et détruire. m :
Lorsqu'il s'agit plus spécialement des départements, et que
l'asile n'est pas établi au chef-lieu, qu'il est situé à une extrémité
d'un arrondissement, il est très difficile d'obtenir de ce conseil de
surveillance administrative de se transporter dans l'asile; il est
très difficile d'obtenir même que l'administrateur provisoire s'en
occupe, et la même enquête nous dit que, dans la plupart des
départements, l'administrateur provisoire des biens des aliénés
n'intervient que quand il y est sollicité soit par le préfet, soit par
les notaires, soit par le ministère public.
Le préfet ne réclame l'intervention de l'administrateur provi-
SÉNAT. 141
soire que si l'aliéné interné possède des ressources suffisantes
pour qu'il paraisse légitime de lui imposer une quote-part dans
le payement des frais d'entretien ; le ministère public et les
notaires ne s'adressent à lui que dans les cas où son intervention
est absolument nécessaire pour régler judiciairement des ques-
tions intéressant les aliénés internés. II y a tant d'autres cas inté-
ressants ! On ne peut pas exiger de personnes qui font un travail
gratuit, si honorables, si dévouées qu'elles soient, ce qu'on peut
exiger de quelqu'un qu'on rémunère. J'ai la plus haute estime
pour la plupart des hommes qui font partie, soit des commissions
administratives des hospices, soit des commissions administratives
des asiles d'aliénés ; mais quand on est en présence des faits,
messieurs, on est.bien obligé d'avancer que même le dévouement
et la charité sont impuissants à remplir utilement certaines fonc-
tions. Il faut avoir recours absolument à un agent qui soit res-
ponsable, qui ne fasse que cela, qui soit assidu à sa tâche.
Voilà pourquoi vous êtes obligés d'avoir un administrateur pro-
visoire nommé par le ministre et recevant une rémunération.
Comment le rémunérerez-vous ? Ce n'est pas à propos de l'ar-
ticle 12 que nous devons examiner la question de savoir comment
on rémunérera l'administrateur provisoire, et aussi le médecin
inspecteur. Il y a un article spécial qui crée un fonds commun
d'une part, et qui, d'autre part, dispose qu'une taxe sera prélevée
proportionnellement à la fortune des aliénés et sur les directeurs
des asiles privés. Lorsque l'article 48 viendra en discussion, mes-
sieurs, vous examinerez si, oui ou non, ces dispositions doivent
être retenues ; mais le principe doit être inscrit à l'article 12 ; car
vous ne pouvez pas exiger des deux fonctionnaires que vous venez
de créer qu'ils remplissent leurs fonctions gratuitement, et,
d'autre part, vous ne pouvez pas, dans la situation actuelle de nos
finances, dire, dès à présent, que ce sera l'Etat qui payera direc-
tement ces deux agents.
Messieurs, je désire m'expliquer également sur une observation
qui a été présentée par mon honorable collègue M. Boulanger.
M. Boulanger désirerait voir déterminer d'une façon positive,
dans l'article 12, les fonctions de l'administrateur provisoire...
M. En : EST Boulanger. Pardon, monsieur Bardoux; je désire que
nous réservions la question pour la discuter au moment où l'ar-
ticle 54 sera soumis au Sénat.
M. BARDOUX. Si vous voulez la réserver, réservons-la, mais je
peux vous donner satisfaction dès à présent. Dans la section 5 du
projet, on a défini article par article ce que j'appellerai les fonc-
tions judiciaires de l'administrateur provisoire. Mais, en dehors de
ces fonctions judiciaires, il y a beaucoup d'autres points sur les-
quels l'intervention de l'administrateur provisoire est nécessaire ;
142 SÉNAT.
si on ne les détermine pas dans la loi, on pourra croire qu'il ne
pourra pas remplir ces fonctions-là. Il est donc nécessaire de s'en
référer au règlement d'administration publique dont la nécessité
a été reconnue dans l'article 9. Voilà ma réponse à l'obser-
vation.
Enfin, messieurs, comme nous laissons subsister les conseils de
surveillance de la loi de 1838, nous décidons que l'administra-
teur provisoire en fera partie de droit ; il en sera, en réalité, la che-
ville ouvrière. C'est là, je crois, une innovation extrêmement utile,
et je suis convaincu que le Sénat acceptera l'article 12 comme il a
déjà accepté l'article Il. (Très bien ! sur divers bancs.)
M. LACOMBE. Je demande la parole. -
M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. Lacombe.
M. LAcomBE. Messieurs, en adoptant l'article 11, le Sénat a voté
un double principe : il a décidé d'abord que, dans chaque dépar-
tement, il y aurait un médecin inspecteur, chargé de fonctions
extrêmement nombreuses et qui lui prendraient beaucoup de temps,
mais sur lesquelles nous ne nous sommes pas expliqués parce que
c'est à un article postérieur que se réfèrent, pour la plupart, les
dispositions de la loi nouvelle au sujet de la mission confiée à ce
médecin.
M. le Rapporteur. Cet article est supprimé, c'était l'article 12.
Les fonctions du médecin inspecteur seront déterminées par un
règlement d'administration publique,
M. Lacombe. Je ne fais pas de difficulté sur ce point; mais,
en outre du médecin inspecteur, l'article 11 a prévu qu'un ouplu-
sieurs administrateurs uommés par le ministre de l'intérieur, sur
une liste dressée par le tribunal civil, seraient chargés des fonc-
tions d'administrateur provisoire à l'égard des personnes non in-
terdites placées dans les établissements publics ou privés. Voilà le
second principe qui a été voté par le Sénat. Le Sénat ne s'est pas
occupé jusqu'à présent de savoir quelles seraient les fonctions de
l'administrateur provisoire, dont la nomination est ainsi prévue
par l'article 11, et nous ne savons pas encore quelle sera au juste
sa mission...
M. Oscar DE Vallée. Et sa responsabilité !
M. Lacombe... ni, par conséquent, sa responsabilité.
Dans cette situation, il me semble téméraire de voter l'article
12, même dans ses premiers paragraphes; nous ne pouvons le
faire en connaissance de cause qu'après avoir préalablement réglé
ce que sera le mandat confié à cet administrateur. (Assentiment.)
Notre honorable collègue, M. Boulanger, a demandé que le troi-
sième paragraphe de l'article 12 fût réservé. Je demande, à mon
tour, qu'on réserve également le premier, en tant du moins qu'il
s'applique à l'administrateur provisoire.
sénat. 143
Quant aux observations qui vous étaient présentées tout à
l'heure par l'honorable M. Bardoux, je les connaissais, et je comp-
tais me les approprier ; mais, je dois le dire, je compte tirer de
ces observations, sur lesquelles j'aurai l'honneur de revenir plus
tard devant le Sénat, une conclusion qui n'est pas la même que
celle à laquelle est arrivé notre honorable collègue. L'honorable
M. Bardoux nous disait : Jusqu'à présent, l'administrateur provi-
soire, tel qu'il existe en vertu de la loi de 1838, n'était pas dans
une situation où il pût réellement s'acquitter de son mandat.
On était obligé de supplér à son insuffisance dans une certaine
mesure ; par exemple, à Paris, c'est un bureau spécial de la pré-
fecture qui remplit le mandat confié par la loi aux administra-
teurs provisoires. On ne les voit en réalité intervenir que lorsqu'un
pressant besoin s'en fait sentir et lorsque leur intervention est
obligatoire, et sur la réquisition de la famille ou des intéressés.
Je crois en effet que telle est la véritable situation, dans les dépar-
tements aussi bien qu'à Paris. Mais faut-il conclure de là qu'il soit
nécessaire de créer un fonctionnaire nouveau, avec le mandat
prévu par la commission dans les articles 54 et suivants du pro-
jet de loi ? C'est une tout autre question et qui, pour le moment,
me parait devoir être réservée. Ce n'est pas à l'occasion de l'ar-
ticle 12 que nous pouvons discuter les dispositions projetées par
les articles 54 et suivants. (Approbation.)
J'ajoute que le premier paragraphe de l'article 13 qualifie de
fonctionnaire l'administrateur provisoire. Eh bien, ce sera encore
peut-être une question à débattre que celle de savoir si l'admi-
nistrateur provisoire sera désormais un fonctionnaire (Très bien ! 1
très bien ! à droite), ou s'il ne restera pas ce qu'il a été jusqu'à
présent, une personne privée recevant, soit comme conséquence
de sa qualité de membre de la commission administrative de sur-
veillance, soit parfois par suite d'une désignation faite par le tri-
bunal civil, un mandat spécial, non rétribué jusqu'à ce jour,
mais qui pourrait l'être sans que celui qui est appelé à l'exercer
doive être rangé parmi les fonctionnaires publics. Ce caractère
n'est pas en effet attaché à la dévolution d'un mandat en tout
analogue, par exemple, à la curatelle ou à la tutelle soit de mi-
neurs soit d'interdits. (Nouvelle approbation sur les mêmes
bancs.) De ce que la désignation des administrateurs provisoires
sera faite par le ministre de l'intérieur, sur la liste qui en sera
préalablement dressée parie tribunal civil, il ne résulte pas né-
cessairement qu'ils exercent une fonction publique. C'est ainsi que
les tribunaux dressent des listes d'experts auxquels est confi'é le
mandat de faire les constatations nécessaires sans que pour cela
ces experts deviennent des fonctionnaires publics. (Très bien ! très
bien ! à droite.) Le deuxième paragraphe de l'article 12 me parait,
de son côté, prêter matière à une discussion assez sérieuse. Mais
144 SÉNAT.
je préfère me contenter de poser une question, pour savoir quelle
est l'appréciation, soit de l'auteur de l'amendement, l'honorable
M. 13ardoux, soit de la commission elle-même. Voici comment est
conçu le deuxième paragraphe de l'amendement : « L'adminis-
trateur fera partie de droit de la commission administrative de
surveillance. »
C'était très bien, avec l'ancienne rédaction de l'article H. Il y
avait, en effet, un administrateur nommé par le ministre dans
chaque département, sur la liste dressée par le tribunal civil.
Mais, maintenant que vous avez admis que, à raison de la multi-
plicité de leurs occupations, il y aurait, dans nombre de départe-
ments, plusieurs administrateurs provisoires désignés suivant que
le besoin s'en ferait sentir, je.demanderai si, dans l'intention de
l'auteur de l'amendement ou dans celle de la commission, tous
les administrateurs provisoires qui seront désignés dans un dépar-
tement, en nombre illimité, par le ministre, devront faire partie
de la commission administrative, ou bien, si ce sera seulement
lorsque la commission aura à s'occuper des intérêts de tel aliéné,
qu'on devra convoquer à la réunion de la commission l'adminis-
trateur chargé de veiller aux biens de cet aliéné ?
M. BARDOUX. C'est bien entendu, et il n'en peut pas être autre-
ment. Dans la plupart des départements, il n'y a qu'un adminis-
trateur provisoire ; si, dans le département de la Seine, où il y a
plus de 3,000 aliénés placés dans les asiles publics ou privés, on
nommait 25 ou 30 administrateurs provisoires, vous devez bien
comprendre que ces administrateurs provisoires ne peuvent
prendre part aux délibérations de la commission qu'autant que
ces délibérations portent sur les intérêts spécialement confiés à
chacun d'eux.
M. Lacombe. Je l'admets volontiers, mais vous admettrez bien
aussi qu'il est nécessaire d'apporter une modification au texte du
second paragraphe de l'article 12, tel qu'il est actuellement pro-
posé au Sénat. Qu'on le modifie dans le sens que vient d'indiquer
l'honorable M. Bardoux, c'était en réalité le but de mon observa-
tion, et, par là, j'aurai reçu satisfaction. Pour le troisième para-
graphe, l'honorable M. Bardoux et la commission acceptent qu'il
soit réservé. En résumé, il y aurait alors à réserver les para-
graphes 1 et 3, et à modifier le paragraphe 2 suivant l'interpréta-
tion que vient d'eu donner M. Bardoux. (Très bien ! à droite.)
M. BARDOUX. Je ne fais pas d'opposition au renvoi des para-
graphes 1 et 3 ; quant au paragraphe 2, je pense que les explica-
tions que nous venons d'échanger sont suffisantes ; la modification
réclamée par AI. Lacombe pourra être apportée au texte de ce'
paragraphe dans l'intervalle des deux délibérations.
M. le Président. Vous paraissez être d'accord, messieurs, sauf
SÉNAT. 145
une modification ultérieure de rédaction. Mais si l'on veul réser-
ver deux paragraphes sur trois, il vaut mieux, ce me semble,
réserver l'article tout entier. (Assentiment.) Il n'y a pas d'opposi-
tion ? ... L'article 12 est réservé. Je donne lecture de l'article 13 :
« Le préfet du département est tenu de visiter, une fois au
moins chaque semestre, les établissements publics ou privés situés
dans le département.
« Le procureur de la République de l'arrondissement dans
lequel un ou plusieurs établissements publics ou privés d'aliénés
sont situés, est tenu de visiter ces établissements une fois au
moins chaque trimestre.
« S'il le juge nécessaire, il se fait assister du médecin des alié-
nés ou d'un autre médecin choisi par lui et procède ou fait procé-
der à une enquête sur la situation des personnes placées et sur
les circonstances d'où est résultée la nécessité de leur placement
ou sur celles qui exigent leur maintenue à l'asile.
« Le président du tribunal de l'arrondissement, le juge de paix
du canton, le maire de la commune où est situé l'établissement
public ou privé d'aliénés, peuvent visiter ledit établissement, lors-
qu'ils le jugent convenable. D Quelqu'un demande-t-il la parole
sur l'article 13 ?
M. Paris, de sa place. Voulez-vous me permettre, monsieur le'
président, de présenter de ma place une observation ? Il me parait
nécessaire de retrancher de l'article 13 ce membre de phrase :
« ou d'un autre médecin choisi par lui » ; si je comprends en effet
que vous autorisiez le procureur de la République à se faire assis-
ter, dans ses visites, par un homme de l'art, au moins faut-il qu'il
présente toute garantie. C'est ainsi que vous désignez, dans ce
but, le médecin chargé de la surveillance du service des aliénés.
Mais les termes dont je demande la suppression semblent per-
mettre au procureur de la République de laisser cet agent spécial
à l'écart, et de choisir qui bon lui semble. Telle ne peut être la
pensée de la commission. Je propose donc de restreindre la dési-
gnation faite par le procureur de la République au docteur en
médecine nommé par le Ministre de l'intérieur, en vertu de l'ar-
ticle 41. (Très bien ! très bien ! )
M. le Rapporteur. Ce sont les intentions de la commission.
C'est un oubli matériel commis sur le texte remis à M. le prési-
dent.
M. Paris. Le Sénat me permettra de lui soumettre encore une
observation. Vous savez que, d'après l'article 7, les aliénés qui
sont soignés à domicile par un membre de la famille, sont sou-
mis à la même surveillance que ceux qui sont placés dans des
établissements privés. Eh bien, si le texte de l'article 13 n'était
pas modifié, il résulterait du rapprochement des deux articles 7
Archives, t. XV. 40
lu6 SÉNAT.
et 13 que la visite que le préfet et le procureur de la République
de l'arrondissement sont autorisés à faire, pourrait avoir lieu
dans la maison privée où l'on traite un aliéné aussi bien que dans
les établissements de santé. Je ne crois pas que la commission
veuille pousser l'assimilation jusque-là. Il serait nécessaire, par
conséquent, que le texte qui nous sera présenté en seconde déli-
bération fit disparaître, sur ce point, l'obscurité que je signale.
(Très bien ! très bien 1)
M. le Rapporteur. Il s'agit là d'une assimilation aux asiles pri-
vés ; la commission tiendra certainement compte de l'observation.
Il est évident que le préfet ne peut pas être obligé il visiter des
asiles qui sont assimilés aux asiles privés, Ce sont les asiles pro-
prement dits qui seuls sont soumis à la visite du préfet.
M. Paris. Ma dernière observation est motivée par le désir que
j'ai d'améliorer le texte de la loi en discussion. L'article 14 auto-
rise le procureur de la République « à procéder ou à faire procé-
der à une enquête sur la situation des personnes placées dans un
établissement d'aliénés et sur les circonstances d'où est résultée
la nécessité de leur placement ou sur celles qui exigent leur main-
tenue à l'asile. » Je comprends que sous sa responsabilité le pro-
cureur de la République prenne personnellement les renseigne-
ments qui lui paraissent nécessaires pour s'éclairer à ces ditré-
rents points de vue sur la situation des aliénés qu'il visite; mais
au lieu de procéder par lui-même à l'enquête, la commission lui
permet d'y faire procéder, sans indiquer par quel agent.
M. LE Rapporteur. Par le juge de paix.
M. Paris. 11 faudrait préciser ce point dans le texte et dire :
«... procède ou fait procéder par le juge de paix du canton... ».
L'intervention d'un magistrat nous donnerait des garanties. Au
contraire, si le procureur de la République pouvait déléguer le
soin de faire une enquête à qui bon lui semblerait, ces garanties
feraient défaut.
Un sénateur au centre. Il faudrait dire : « par le juge de paix
assisté d'un médecin. »
M. Paris. Cela est dans l'article.
M. LE Rapporteur. Il sera tenu compte des observations de
M. Paris lors de la deuxième délibération.
. M. LE Président. Les propositions de M. Paris sont fermes, mon-
sieur le rapporteur ; il faut que la commission s'explique. M. Paris
demande, d'abord, la suppression de ces mots : « ou d'un autre
médecin choisi par lui ». 11 fait observer qu'il est suffisant que le
médecin inspecteur des aliénés assiste celui qui fait la visite. Il
demande ensuite^qu'on ajoute aux mots : « Le procureur de la
République procède ou fait procéder », ceux-ci : « par le juge de
paix du canton ». 0
SÉNAT. 147
M. le Rapporteur. La première phrase dont M. Paris demande
la supi-es31oii : « ou un autre médecin choisi par lui », a été mise
dans l'article pour prévoir le cas où le médecin de la commission
permanente serait dans l'impossibilité d'être à la disposition du
chef du parquet. Les circonstances peuvent être pressantes. La
pensée de la commission est respectée, et je crois que M. Paris
accepterait cette rédaction, si l'on mettait ces mots : « ou à dé-
faut... » Il faut, en effet, prévoir le cas où le médecin qui inspire,
le plus de confiance ne pourrait se mettre à la disposition du
chef du parquet.
M. Paris. On pourrait mettre : « ou en cas d'empêchement».
M. le Rapporteur. Si on le préfère, on mettrait : « ou en cas
d'empêchement », ce qui répondrait parfaitement à l'intention
de la commission et de M. Paris. Quant au second point, je disais
tout à l'heure que, dans la rédaction dont M. Paris vient de par-
ler, la commission avait entendu que quand le procureur de la
République ne procéderait pas lui-même à une enquête, il se
ferait représenter par son représentant direct, naturel dans le
canton où se trouve la famille de l'aliéné, c'est-à-dire par le juge
de paix; il n'y a pas {l'inconvénient à le dire expressément dans
l'article et à mettre : « ... ou fait procéder par le juge de paix du
domicile du malade à une enquête... »
M. LE Président. Alors vous êtes d'accord avec M. Paris ? 2
M. le Rapporteur. Oui, monsieur le président.
M. LE Président. Je donne au Sénat une nouvelle lecture, non
pas des deux premiers paragraphes de l'article 13, sur lesquels
on est d'accord, mais du troisième paragraphe, dont la rédaction
serait ainsi modifiée :
« S'il le juge nécessaire, il se fait assister du médecin inspec-
teur des aliénés ou, en cas d'empêchement de celui-ci, d'un autre
médecin choisi par lui, procède ou fait procéder par le juge de
paix du canton à une enquête sur la situation des personnes
placées et sur les circonstances d'où est résultée la nécessité de
leur placement ou sur celles qui exigent leur maintenue à l'asile. »
(Le troisième paragraphe de l'article 13, ainsi modifié, mis aux
voix, est adopte.)
M. LE Président. Je mets maintenant aux voix le dernier alinéa
de l'article 13 : « Le président du tribunal de l'arrondissement,
le juge de paix du canton, le maire de la commune où est situé
l'établissement public ou privé d'aliénés, peuvent visiter ledit
établissement, lorsqu'ils le jugent convenable. » - (Adopté.)
(L'ensemble de l'article 13, mis aux voix, est adopté.)
M. le Président. « Art. 14. - Un décret du président de la' Répu-
blique, délibéré en conseil d'Etat et rendu dans le délai d'un an,
à partir de la promulgation de la présente loi, réglera l'organi-
or48 ? ...¡ SÉNAT.
sation et le fonctionnement ainsi que le cadre du personnel et les
conditions du lerutenleut de l'inspection générale, du service des
aliénés. « Les inspecteurs généraux sont nommés à la suite d'un
concours sur litres dont le Ministre de l'intérieur détermine les
conditions.
« Sont admis à concourir : les membres de l'Académie de mé-
decine, les professeurs et agrégés des lacullés de médecine, les
docteurs en médecine ayant rempli pendant cinq ans au moins
les tondions de directeur-médecin ou de médecin en chef d'un
asile d aliénés, ou de secrétaire d'une commission permanente
des aliénés ; les docteurs en médecine qui, s'etant distingués par
leur enseignement ou leurs écrits sur les maladies mentales,
elaient l'objet d'une présentation du comité supérieur. Chacun
des établissements publics ou privés d'aliénés est visite, au moins
une l'ois chaque année, par un des inspecteurs généraux. J)ans
leurs tournées annuelles, qui doivent comprendre tous les dépar-
tements, les inspecteurs généraux convoquent chaque commission
permanente, se font rendre compte de son fonctionnement et
s'assurent de la bonne exécution des lois et règlements relatifs
aux aliénés, et de la bonne teuue des archives. » Quelqu'un de-
nlaude-t-il la parole sur l'article 14 ? ' !
M. DE Gavardie. Je désirerais savoir si M. le commissaire du
Gouvernement...
M. LE Président. Veuillez monter à la tribune, monsieur de
Gavaruie ; on n'entend pas.
AI. de Gavardie, à La tribune. Messieurs, je désirerais savoir si
M. le commissaire du Gouvernement accepte cet article, s'il le
trouve utile et si réellement ces inspecteurs généraux pourront
servir à quelque chose de sérieux. Nous avons des inspecteurs
'généraux des préfectures ; vous savez ce qu'ils font : ils sont titu-
laires de fonctions, et voilà tout. Je voudrais avoir l'avis de M. le
commissaire du Gouvernement sur ce point, avant de discuter
1 article.
M. LE Président. La parole est à M. le commissaire du Gouver-
nement.
111. LE commissaire du Gouvernement. Messieurs, je défère avec
plaisir à l'invitation de ! Il. de Gavardie qui me demande si le
Gouvernement juge utile de reconstituer l'inspection générale des
aliénés. S'il y a un voeu bien légitime qui ait été formulé par la
commission sénatoriale constituée pour l'examen de la loi en dis-
cussion, c'est surtout la reconstitution de cette inspection géné-
rale. (Marques d approbation.) L'honorable M. Roussel fait remar-
quer dans son rapport que l'instrument principal, le moyen par
lequel le Gouvernement eût pu s'assurer du bon fonctionnement
de la loi de 1838, c'était précisément l'inspection générale ; or,
SÉNAT. 149
cette inspection Générale, la loi avait oublié de la constituer. Il y
avait alors un homme éminent entre tous les aliénistes, qui a
laissé un nom respecté dans la science, M. Ferrus.
M. Ferrus était non seulement inspecteur zéiiéral. mais il ins-
pirait toutes les mesures qui se rapnortaient à l'administration
des aliénés. Après lui, il v eut d'autres médecins énvnents,
Il ! . Parchappe, M. Constant, M. Lunier, et, aujourd'hui, le dernier
qui nous reste comme inspecteur général, M. Foville, qui est aussi
distingué comme savant que comme écrivain, représente tout
seul une institution que nous regrettons de ne pas voir amplifiée.
M. Foville est obligé d'examiner, tout seul, dans le courant d'une
année, c'et-à-dire dans la période de l'année où l'on peut faire
des inspections, nn nombre d'établissements qui s'élève à loft.. Il
est impossible qu'il puisse, dans ce court espace de temps, ren-
seigner le Gouvernement sur l'exécution de la loi dans tous les
établissements.
Nous pensons, eu examinant la chose de près et en ne nous
livrant pas à des exagérations, que, pour assurer le service de
l'inspection générale, il faudra créer cinq postes d'inspecteurs.
Nous croyons, avec la commission sénatoriale, que la visite faite
annuellement dans chacun de ces établissements permettra d'éclai-
rer le comité supérieur qui doit être créé si vous votez l'article 15
du projet de loi, et de renseigner exactement le ministre de l'in-
térieur sur les détails de l'application de la loi et surtout sur les
points qui nous tiennent le plus à coeur et qui ont inspiré les
modifications légales soumises à votre examen : sur toutes les
questions qui se rattachent à la liberté individuelle, Je crois avoir
répondu aux objections de l'honorable M. de Gavardie. Je me
tiens, du reste, à sa disposition s'il en désire de plus étendues.
M. de Gavardie. Je demande la parole.
M. LE Président. La parole est à 111. de Gavardie.
DE Gavardie. Il me semblait, messieurs, que les nombreux
fonctionnaires qui vont être créés, si cette loi est votée, suffiraient
pour garantir tous les droits et tous les intérêts en cette matière.
C'est, en effet, à mes yeux un véritable luxe que cette institution
des grandes inspections. Est-ce que les préfets ne peuvent pas,
aussi bien que les inspecteurs généraux, - et même d'une ma-
nière plus précise et plus pratique, renseigner le Gouvernement
sur les inconvénients et les abus qui se produiront ?
Un sénateur à droite. C'est vrai ! 1
M. de Gavardie. En tout cas. si vous admettiez le principe, je
crois qu'il faudrait s'arrêter aux deux premiers paragraphes de
l'arlicle 14 et supprimer tout le reste. On doit laisser au Gouver-
nement une entière liberté dans le choix de ces inspecteurs gêné- z
'150 SÉNAT.
ranz. Je suis persuadé qu'il serait ainsi meilleur que celui qui
résulterait d'un concours. ' 1 '
AI. I)PLSOL,7nembi-e de la commission. Le con cours a lieu sur litres.
AI. de Gavardie. A mon avis, l'article devrait être rédigé ainsi :
« Un décret du président de la République... » II faudraits'arrê-
ter là et supprimer tout le reste de l'article. Je vois de très grands
inconvénients sur ces concours publics. ! IL Dupré. président de la commission. Ce n'est pas d'un concours
public qu'il s'agit, mais d'un concours sur titres; ce qui est bien
différent.
M. DE Gavardie. Le concours est public par le nombre des per-
sonnes qui sont appelées à y participer. Voilà ce que je voulais
dire. Je retire, du reste, l'expression dont je me suis servi ; elle
n'est pas, je le reconnais, absolument exacte. Il s'agit donc d'un
concours sur titres. Qu'entendez-vous par là ? Y aura-L-il un exa-
men ? S'il y a purement et simplement une comparaison, comme,
en définitive, cette comparaison sera faite d'une façon souveraine
par 11. le ministre de l'intérieur, je retirerai mes observations;
mais si vous déterminez le choix par un examen, pour ma part je
m'y oppose énergiquement. Je voudrais que la commission s'ex-
pliquât sur ce point.
nI. le Rapporteur. Il s'agit d'un concours sur titres, encore une
fois; c'est ainsi qu'on nomme les professeurs des facultés de mé-
decine et des différentes facultés.
M. de Gavardie. J'ai demandé qu'on s'explique purement et
simplement. Ainsi il n'y aura pas d'examen ?
)1. le Rapporteur. Non.
M. de Gavardie. Alors, je n'ai plus rien à dire.
M. le Rapporteur. C'est un concours sur litres, avec des catégo-
ries déterminées, pour ne pas livrer cela au caprice, au libre
arbitre et aux mauvaises chances qui ont fait que ce personnel a
été si inégal et a si peu répondu l'attente même du .Gouvernement.
M. de Gavardie. Du momeut où il n'y a pas d'examen, je retire
tout ce que j'ai dit.
11f. le Président. Quelqu'un demande-l-il encore la parole sur
l'article 14 ?
111, de Gavardie. Seulement, pour la question de principe, je
crois que c'est un rouage absolument inutile ! 1
111. LE Président. Eh bien vous voterez contre. (L'article, mis
aux voix, est adopté.)
M. le Président. « Article 15. Dans le délai fixé à l'article
précédent, il sera constitué, près le ministère de l'intérieur, un
comité supérieur des aliénés composé comme il suit : un membre
SÉNAT. 151
du Conseil d'Etat, élu par le conseil; un memhre de la Cour de
cassation, élu par la cour; le procureur général près la cour
d'appel de Paris ou l'un des membres du parquet de celte
cour, désigné par lui; un membre de l'Académie de médecine,
élu par l'académie; le professeur de la faculté de médecine de
Paris chargé de l'enseignement clinique des maladies mentales;
un directeur du ministère de la justice désigné par le Ministre ;
un directeur du ministère de l'intérieur, désigné par le Ministre ;
les inspecteurs généraux du service des aliéné ? ; les membres
désignés par le Conseil d'Etat, la Cour de cassation et l'Académie
de médecine sont élus pour cinq ans.
« Ce comité recevra communication de tous les documents et
rapports transmis par les préfets; il donnera son avis sur les
règlements particuliers, sur les plans et projets de construction
générale ou partielle des asiles, sur les traités passés par les dépar-
tements pour le traitement de leurs aliénés indigents, sur les
tarifs des prix de journée des aliénés, sur les autorisations à
accorder aux asiles privés et sur toutes les mesures propres à assu-
rer l'exécution des lois et règlements concernant le service des
aliénés; il reçoit chaque année du Ministre de l'intérieur commu-
nication du rapport général qui sera présenté par le Ministre,
publié au Journal officiel et distribué aux Chambres. »
M. DE Gavardie. Mais nous avons tous compris que cet article
n'était pas maintenu.
AI. le RAPPOIITEUR. C'est une erreur M. de Gavardie. J'ai dit,
au commencement, qu'il n'y avait entre la commission et M. le
Ministre de désaccord que sur les articles 11 et 12; que pour les
modifications demandées sur l'article 45 et qui résultent de la
lecture du texte que 11. le président vient de soumettre au Sénat
AI. le Ministre et la commission étaient d'accord.
111, DE GIVARDIE, Je demande la parole.
M. le Président. La parole est à 111. de Gavardie.
AI. de Gavardie. Messieurs, après avoir accueilli autour de moi
bien des observations, je pensais que cet article ne serait accepté
par personne et surtout par le Gouvernement. Comment ! le
Gouvernement accepterait, - car je ne puis pas croire qu'il l'ac-
cepte définitivement encore, - le Gouvernement accepterait un
comité permanent et supérieur.
M. 'l'I.\.11LLE-S.1L1G\Y. Elle conseil supérieur des prisons ?
DE Gavardie... siégeant au ministère de l'intérieur et contrô-
lanl ses actes ? Mais cela est contraire à toutes les notions d'ad-
ministration ! Pour ma part, si j'avais l'honneur d'être ministre,
j'aimerais mieux cent fois m'en aller je sais bien que cela
n'arrive pas très souvent aux ministres que d'accepter un article
pareil !
152 SÉNAT.
M. le Rapporteur. Vous ne l'avez pas lu, 11. de Gavardie ! Ce
comité ne peut rien imposer au ministre. C'est simplement un
comité consultatif qui, comme les autres, éclaire le ministre dans
des cas où il a besoin d'être éclairé.
M. DE GAVARDIE. Il ne manquerait plus que ce comité lui impo-
sât ses ordres ! Sans même lire votre article, je ne pouvais pas
supposer qu'il y aurait cela ! Mais je lis mieux que vous ne pensez.
Messieurs, ce comité-là est absolument inutile. 11 est contraire
aux règles administratives et ne peut créer des embarras. J'espère
qu'à la seconde lecture le Gouvernement ne l'acceptera pas.
M. le commissaire du Gouvkrnement. Je demande la parole.
M. LE Président. La parole est à JI. le commissaire du Gouver-
nement.
M. le commissaire du Gouvernement. Messieurs, j'aurais été
obligé de donner pleinement raison à l'honorable M. de Gavardie...
111. de GAVAItDIE. Cela m'aurait fait bien plaisir ! (Rires.) .
M. le commissaire Du Gouvernement. C'est un plaisir que je ne
puis pas vous faire. J'aurais donc donné raison à 1(. de Gavardie, si
l'article avait conservé la rédaction qui avait été présentée par
la commission. L'article 15, tel que vous le lisez dans le projet de
la commission, faisait partie d'un ensemble de dispositions aux-
quelles le Gouvernement n'a pas pu adhérer. La commission
avait constitué auprès du préfet une commission dite permanente
qui avait des attributions administratives et plaçait en même
temps auprès du ministre un comité supérieur pourvu d'attribu-
tions administratives. Ces attributions ont fait, de la part de M. le
ministre de l'intérieur, l'objet d'une opposition devant laquelle la
commission a consenti à modifier la rédaction de l'article H et
de l'article 15. La rédaction de l'article Il a été modifiée par
l'amendement de l'honorable M. Bardoux. Vous l'avez adoptée.
- La rédaction de l'article 15 a été modifiée par la commission
elle-même, en conséquence de l'adoption que vous avez faite de
l'amendement de 1(. Bardoux. Du moment que cette rédaction est
modifiée dans le sens du texte qui vient de vous être lu, il ne reste
dans les attributions de la commission qu'un rôle qui est celui
d'un nombre déjà important de commissions constituées auprès
des divers ministères.
Il existe des commissions pour les bâtiments civils, pour les
travaux publics; il existe au ministère de l'intérieur une commis-
sion supérieure pour l'application de la loi de 1875 sur le régime
pénitentiaire. Il y a enfin une commission plus récemment entrée
en fonctions pour la protection des enfants du premier âge.
La commission supérieure qui est créée par l'article 15 est pour-
vue d'attributions qui sont toutes consultatives. Pour que celte
commission puisse donner un avis éclairé au Gouvernement, il
VARIA. 153
est bien certain que le Gouvernement devra lui apporter les docu-
ments de l'administration, les rapports des préfets, des médecins
et des inspecteurs départementaux et généraux ; il faut qu'elle ait
tout ce qui peut l'éclairer, elle donne un avis sur des règlements
particuliers, sur les plans et projets de construction générale ou
partielle des asiles, sur les traités passés par les départements
pour le traitement de leurs aliénés indigents.
il n'y a rien là-dedans qui fasse de cette commission une ma-
chine de ziierre contre l'autorité du ministre ; et un ministre, à
moins qu'il ne désire tout trancher par lui-même et ne s'éclairer
aucunement auprès des personnes qui ont une compétence spé-
ciale, - et vous avez composé, dans l'article 15, cette commission
de personnes qui ont une compétence inconteslable, à moins
d'avoir cet esprit d'autoritarisme exagéré, un ministre doit être
heureux de pouvoir s'appuyer dans ses décisions sur l'avis d'une
commission composée comme celle de l'article 1 ? Il reste in fine
une attribution qui consiste à publier chaque année au Journal
officiel un rapport général qui sera distribué aux Chambres. Je ne
vois pas non plus dans cette disposition un acte qu'on puisse qua-
lifier d'acte d'administration. En adoptant l'article 15 tel que la
commission l'a modifié et que le Gouvernement l'a accepté, je
crois que vous rendrez service au Ministre de l'intérieur et que
vous assurerez le bon fonctionnement de la loi. (Très bien ! très
bien ! sur un grand nombre de bancs.)
AI. de G.aVARDIB. Je demande la parole. (A suivre.)
VARIA
JEUNE PRODIGIEUX DE L'ÉVÊQUE DE SPIRE
narration extraite DES OEUVRES
du très illustre Jean PONTAN, docteur ès médecine.
En l'an de grâce 1) \'9, Rodolphe de Franckeinstein,
évêque de Spire, était un des hommes les plus renommés,
par sa piété et son érudition. Dès le commencement de son
épiscopat, il travailla avec une ardeur extrême, et se plongea
154 VARIA.
tout entier dans l'étude et la lecture des Pères de l'Eglise,
pour y puiser toutes les qualités nécessaires à ses fonctions.
Il se livrait à cette besogne, sans relâche, sans repos.
Un jour, un anachorète, de l'ordre des Frères Mineurs, se
présenta à lui. Cet homme à l'aspect froid et ascétique,
troubla, par de pernicieux discours, le cerveau du prélat,
déjà fort ébranlé. Il parvint à lui persuader qu'il n'y avait
plus pour lui de salut possible au monde, s'il conservait les
us et coutumes de ce qu'on est convenu d'appeler la foule des
profanes, s'il n'abandonnait pas, en un mot, tous ses biens et
ne renonçait pas aux habitudes du siècle.
Ainsi endoctriné, notre évêque, après avoir passé de longs
jours dans l'anxiété et la tristesse, tomba dans la mélancolie.
Il vécut seul avec l'anachorète, n'admettant plus autour de
lui aucun de ses conseillers. Ces derniers firent à la fin éloi-
gner le moine. Malgré cela, le prélat s'exclamait sans cesse
qu'il voulait abandonner son évêché. Il essayait même d'at-
tenter à ses jours : on fut obligé de le mettre sous une étroite
surveillance. Des médecins, mandés vers lui, apportèrent un
soulagement passager à sa maladie; mais il retomba presque
aussitôt dans le même état et commença à s'écrier à chaque
instant que personne, sauf le jeûne, ne pourrait arrêter son
ardeur divine.
Aussitôt dit, aussitôt fait : il s'abstint de toute nourriture
et de toute boisson pendant quarante jours et quarante nuits,
durant lesquels il demeura sans dormir, sans s'asseoir, ni
même se coucher. lise tint constamment debout et immobile,
ou se promena de long en large dans sa chambre. Les qua-
rante jours expirés, il se remit à manger et à boire comme
par le passé; mais soudain, ses pieds enflèrent si fortement,
qu'il ne put dès lors faire un pas. A la suite de cet accident,
il recouvra enfin la raison, et, une fois son pied guéri, il reprit
les rênes de son épiscopat.
Vers le commencement du printemps de l'année courante
(i 6o), il retomba dans une mélancolie héroïque ( ? )'
plus grave. Il songeait déjà à réformer tous les statuts
du christianisme. Il alla même trouver l'archevêque de
Mayence, pour l'engager à collaborer avec lui à cette
réforme. Il écrivit une foule de lettres d'un style remar-
1 Le tr : W e [turte : heroicatn.
VARIA. 155
quable, au Pape, à l'Empereur, aux Rois et aux Princes,
mais toutes remplies du délire mélancolique. Ces lettres
traitaient des moyens d'atténuer les abus de l'Eglise.
Enfin, on fut obligé à nouveau de le mettre sous garde. Il
vociférait à chaque instant que sa tête était perdue. En cette
même année I 5 60, le dimanche même du Jubilé, après avoir
bu et mangé copieusement, il recommença à jeûner. Ni ses
frères, ni ses soeurs, ni ses intimes ne purent chasser cette
résolution de son esprit. Il voulait continuer jusqu'au qua-
rantième jour. Mais au bout du trente-cinquième, il eut un
tel affaiblissement de tous les membres qu'il fut, bon gré
mal gré, forcé de se coucher. On appela encore une fois les
médecins qui ne purent, malgré leurs exhortations, arriver
à lui faire absorber un réconfortant quelconque, soit
externe, soit interne. C'était fini : au bout de quarante-
huit jours de jeûne, après qu'on lui eut fait boire de l'eau
de la fontaine acide de Gceppingue (vulgairement Saur-
brunn), près de laquelle il avait été transporté par ses amis,
il rendit son âme à Dieu, après avoir dit ses dernières
prières, dans la ville de Lauterbourg, distante à peu près
d'un jour de marche de ce village, où une certaine jeune fille
de Rhodes avait vécu trois ans, sans boire ni manger.
Il est, parmi les auteurs, nombre d'exemples de longs
jeûnes; mais tous ont été entretenus par la viscosité des hu-
meurs et une douce chaleur. Dans cet homme si patient,
on ne trouve que la mélancolie. Nous recommandons à
toutes les personnes curieuses de s'instruire, de recher-
cher comment les fonctions naturelles et vitales ont pu ré-
sister à ce point, et comment l'évêque de Spire a pu se sou-
tenir si longtemps.
Après avoir fait l'ouverture du corps, on trouva, parmi
les viscères et les intestins, l'estomac ridé et aplati comme un
sac replié. (Traduit du latin par ALB1N Rousselet.)
I : DUC1TION DES ENFANTS FAIBLES D'ESPRIT
On sait qu'un grand nombre d'enfants sont incapables de ré-
pondre aux obligation scolaires, soit à cause de maux de tête
fréquents, soit de chutes épilcptique, de paralysie, de nervosité
extrême. De tels enfanls étant incapables de travailler pour les
156 VARIA.
examens sont souvent dispensés de l'école pendant longtemps, ou
d'une façon permanente. 11 est évident qu'un enfant qui a des ac-
cès d'épilepsie ou de la chorée ne peut pas rester au milieu des
autres enfants. Il n'y a cependant pas de raison pour ne pas pour-
voir à une éducation convenable. Comme nous l'avons déjà dit. il
serait facile qu'une inspection médicale semestrielle des écoles,
décidât quels sont les enfants qui devraient être mie à part. et in-
vitât les maîtres à ne pas permettre la non-assuidité pour cause
de mauvaise santé pendant plus de six mois, et à soumettre les
enfants dans ce cas aux inspecteurs deux fois par an.
L'école serait ainsi débarrassée des membres débiles qui sont
au désavantage de la classe. Les enfants ainsi choisis pourraient
être placés dans une classe spéciale avec un maître spécial. Ils
pourraient être traités dans le but de développer leurs fonctions,
et exemptés des examens ordinaires. De l'ordre, de bonnes habi-
tudes, et l'obéissance peuvent être cultivés, et ceux qui ont le plus
besoin de culture intellectuelle seraient ainsi pourvus, comme c'est
leur droit, et toute excuse de non-assiduité de ces enfants pour
cause d'incapacité, écartée par la même. Une inspection soi-
gneuse de ces enfants serait faite et encouragerait le maitre. Un
tel plan est non seulement praticable, mais encore réclamé
d'urgence. (Brit. mcd. Journal, p. 138. 488î.) C'est là une ques-
tion qui mérite d'atlirer sérieusement l'attention. (Voir Progrès
médical, 1887, 186 et suiv., 2e série, t. VII.)
LES ALIENES DANS LES MAISONS DE CHARITE
La première visite complète dans les maisons de charité du
llfassasuchets a été faite en 1884. Elle a révélé un nombre déplo-
rable de négligences et de traitements injustes. Par économie,
les villes font le moins possible de ce qu'elles ont à faire. Le rap-
port signale que la plupart des malades visités étaient couverts
de vermine. Dans beaucoup de villes, l'état de malpropreté et de
désordre des maisons de charité est tout simplement honteux. On
trouve aussi que des cas aigus accidentels de folie, au lieu d'être
l'objet d"une séquestration légale et d'un traitement dans un asile
à une époque précoce où la maladie est encore curable, sont, par
raison d'économie pour les villes, confinés dès l'abord dans des
maisons de charité. La séparation entre les aliénés et les
sains d'esprit entre les hommes et les femmes n'est pas observée
à proprement parler dans un grand nombre de maisons.
En ce qui concerne les points suivants : sélection des cas;
observations de la maladie et de la mort des aliénés; logement,
propreté, hygiène : séquestration et restraint; nombre et espèce
des « cages » et des cellules; espèce et quantité du régime ali-
faits DIVERS. 157
mentaire; état du couchage, des vêtements, etc., des observations
défavorables ont été faites maintes fois. 1tlals, disons-le, elles ne
s'appliquent pas à certaines maisons des grandes villes.
Les efforts récents de la commission supérieure pour remédier
à ces défauts paraissent être bien dirigés, et on ne peut que re-
gretter qu'ils n'aient pas commencé plus tôt. La nouvelle législa-
tion et en particulier celle qui oblige à transférer les cas qui ne
conviennent pas aux maisons de charité, et les visites annuelles
faites maintenant par la direction de la commission supérieure,
indiquent qu'on a compris la nécessité de la surveillance et qu'on
désire améliorer le sort de ces iniortunés. (The Boston med. jour-
nal, 17 mars 1887, p. 265.) S.
FAITS DIVERS
Asiles d'Aliénés. Nominations et promotions. AI. Pinot,
directeur de l'asile public de Saint-Robert, est admis à laire
va ! oir ses droits à la retraite à partir du 1 cr décembre et est nom-
mé directeur honoraire (arrêté du 9 novembre). Al. le Dr Du-
four, médecin en chef de l'asile de Saint-Robert, est nommé
directeur-médecin (arrêté du 21 novembre). M.]e Dr DUUAS,
directeur-médecin de l'asile public de Dijon, est promu à la pre-
mière classe à partir du 1 cr janvier 1888 (arrêté du 7 décembre).
M. Je Dr 13ELL : 1T, médecin adjoint du même établissement est pro-
mu à la classe exceptionnelle à partir du 1 cl février 1888 (arrêté
du 7 décembre 1887).
Asile d'aliénés du comté DE SUSFEX, A HAYwARD'S HE.1TH. - L'a-
sile contenait 824 malades à la fin de 1886; c'est-à-dire 29 de
moins que l'an dernier. H y a eu 2-10 admissions, sur lesquelles,
40 cas p. 100 ont paru curables à l'entrée. La proportion des
guérisons a été de 41,2 p. 100, et celle des morts de 8,8 p. 4 00.
11 y a eu 19 transferts aux workhouses; les cas aigus et les
agités ont été plus nombreux depuis quelques années. A la fin de
1886, il y avait 80 épileptiques et 16 paralytiques généraux.
(liritish vlled. Journ., 12 nov. 1887.)
Asile d'aliénés du CUMBERLAND ET du WESTMORLAXD, A G.1RL.ND'S.
- Outre les aliénés venant des deux comtés, l'établissement a reçu 33
malades payau chacun par semaine la somme de 14 s. En 1886 il y
'158 faits divers.
avait 1167 malades, 21 de plus que l'année précédente. Il y a eu
une proportion de 43,7 guérisons sur 100 admission ? parmi ces
cas (67), 42 étaient à l'asile depuis moins de neuf mois. Les morts
ont été de 7,4p.t00.0n comptait à la fin de 1886 : 49 épilep-
leptirlues et 21 paralytiques généraux. '
Les malades jouissant d'une certaine liberté dans cet établisse-
ment sont moins portés à des actes de violence, de tapage et de
destruction. Les individus âgés et infirmes ont pour eux des pro-
menades larges et abritées. A l'asile il y a 1 infirmier pour '15 ?
hommes, et une infirmière sur 13,5 femmes, nombre qui parait
largement suffisant. Dans l'année qui vient de s'écouler, il n'y a
eu aucun accident mortel, ni grave; il n'y a eu qu'une seule éva-
sion. On a adopté les cloches de lllillar pour la surveillance de
nuit. (Bi-ilish âietl. Journ.. 12 nov. 1887.)
Institution nationale écossaise pour les enfants imbéciles.
A la réunion annuelle de l'Association auxiliaire d'Edimbourg,
on a exposé des statistiques montrant le bien qu'a produit l'insti-
tution de Larbert. Cette maison compte actuellement 187 en-
fants. Les directeurs regrettent qu'on ne puisse garder les
enfants plus de cinq années, afin de les perfectionner encore;
tandis qu'une fois rentrés dans leurs familles, ils perdent une
grande partie de ce qu'ils ont acquis. L'orateur exprime le désir
de pouvoir ajouter un établissement à celui actuellement existant
pour les imbéciles plus âgés. Les fonds s'élèvent cette année à
11,500 livres. (Britishdled. JOZC1'12., 12 nov. -issu.)
Nécrologie. 111. le Dr Achille Foville ou de Foville1, fils du
savant auteur du Traité complet de l'anatomie et de la pathologie
du système nerveux, né à liouen en 1830, vient de mourir à Paris.
Il était inspecteur général des établissements de bienfaisance
(1880), secrétaire général de l'Association des médecins de France.
M. Foville a été reçu interne en 1853. Il a passé sa thèse
en 1857 (Considérations physiologiques sur l'accès d'épilepsie). Parmi
ses publications nous citerons : Des tumeurs sanguines de l'oreille
(1859); Observation de syphilis constitution avec zona et ictère (Gaz.
hebd., 1858); - Paralysie de certains muscles de l'oeil et rapports
avec l'anatomie et la physiologie de la protubérance annulaire
(Ibid., 1859); Des divers modes de l'Assistance publique uppli-
tuables aux aliénés (1805); - Du detirium tremens, etc. (1807);
- Recherches cliniques et statistiques sur la transmission hérédi-
taire de l'épilepsie (isOS); Etude comparative sur les législations
étrangères en ce qui concerne les aliénés traités à domicile (1884);
1 Ainsi que l'écrit l'Annuaire de l'internat, ou encore Dc1'uville, comme
l'indique sa thèse.
Faits DIVERS. l89
- Les médecins dans les drames de Shalispeare (18S;)); JJis¡Jcn-
saires pour enfants malades (1881); - Différents articles dans le
Dictionnaire de médecine et chirurgie pratiques : Paralysie yéné-
rctle; Nymphomanie; Lypémanic ; Manie; Hypochondrie; Idiotie;
Imbécillité; Folie; Folie instinctive; Folie des actes; Délire; Dé-
mense; Dyhsomatie; Convulsions; Convulsions de l'enfance; Manie
congestive (1880) : Manie avec prédominance du délire des grandeurs
chez un ancien hémiplégique (1880); Mégalomanie terminée par ta
démence avec délire généralisé (1880); - Délire aigu paralytique
(1882); - Contribution à l'étude des rapports entre la syphilis et la
paralysie générale (1879); Symptômes passagers de paralysie
générale chez un épileptique (1879); Des relations entre les troubles
de la motilité dans la paralysie générale et les lésions de la couche
corticale des circonvolutions fronlo-pariélales (1877); -- Les aliénés
voyageurs ou migrateurs ( ! 87'); De la paralysie générale par
propagation (1873); - Moyens pratiques de combattre l'ivrognerie
(lSî2);-Nonzeazclulatre et classification des maladies mcntales (1872);
- Historique du délire des grandeurs (1870); - Aliénés : Elude
pratique sur la législation et l'assistance qui leur sont propres (1870);
- Sur les aliénés aux Etats-Unis; Sur la législation relative aux
aliénés en .inuletel1'e et en Ecosse; Etudes sur les législations écran-
gères en ce qui concerne les aliénés traités à domicile; De la cons-
traction et de l'administration des hôpitaux (188, etc., etc.
1f. Foville était un des principaux collaborateur» des Annales
médico-psychologiques dont il était un des rédacteurs depuis
4 88 f.
D.ms ses fonctions d'inspecteur général, M.-Fovilie aurait pu,
s'il avait suivi les traces de Ferrus et de P,IrcUappe, rendre de
très grands services. Matheureusetnent, au lieu d'avoir les vues
larges et généreuses de ces deux hommes éminents et de cher-
cher sinon à innover, au moins à appliquer les réformes déjà
réalisées à l'étranger, il s'est borné à être un bon inspecteur sui-
vant les idées bornées et routinières de la bureaucratie. Nous
ne connaissons de lui aucune réforme sérieuse. C'est triste à
dire alors qu'il y a tant à faire dans les établissements de bien-
faisance au point de vue de l'hygiène hospitalière et de l'hu-
mamté.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
BOURNEVILLE. - Discours prononcés les 3, 8 et 9 août 1887 aux distri-
butions des prix des Ecoles municipales d'infirmières laïques (dixième
année scolaire), n^ 8 de la collection. Brochure \lI-8° de 56 pages.
Prix : 1 Ir. 50; pour nos abonnés, 1 fr. - Aux bureaux du Progrès rl1lidi-
cal, 14, Rue des Carmes.
Bourru (H.) et BunoT (P.). La suggestion mentale et l'action à dis-
tance des substances toxiques et médicamenteuses. Volume in-12 de
313 pages, avec 10 figures. Prix : 3 fr. 50. - Paris, 1887, librairie
J.-B. Baillière et fils. ,
HEBZEN (A.). Le cerveau et l'activité cérébrale, au point de vue
psycho-physiologique. Volume in-12 de 312 pages. - Prix : 3 fr. 50. -
Paris, 1887.
Marina (A.-R.). Reazioni dei nervi e sei muscoli aile eccilazioni clet-
triche in donna che, per ripet2zte ipnosi, presenlava fenomeni ipnotici in
istalo di veglia. Brochure in-S' de 22 pages. - Regro nell' Emilia, 1887.
Tiporafia Calderini e Fiâlio.
SGoBBo (F.). L'isterismo nell'nonzo e l'isterismo nell'esercito. Bro-
chure in-8° de 53 pages. - Roma, 1887, V. Carlo. ,
VÉTAULT (V.). Etude medlco-légale sur l'alcoolisme. Des conditions de
la responsabilité au point de vue pénal chez tes alcoolises. Volume in-8"
de 237 pages. Prix : 4 fr. Paris, 1887, librairie J.-B. Baillière.
Avis A nos LECTEUIIS.- Nous appelons vivement l'atten-
tion de nos lecteurs sur la discussion, au Sénat, de la
nouvelle LOI sur les aliénés. En reproduisant ces débats,
nous croyons être agréable à tous les médecins des asiles
d'aliénés, de quelque nationalité qu'ils soient. De plus,
nous insérerons dans la mesure du possible, les lettres com-
mentant ou critiquant cette discussion qu'ils voudraient
bien nous adresser. -Enfin, nous prions ceux d'entre eux
dont l'abonnement est expiré avec le dernier numéro, de
bien vouloir nous adresser le montant de leur réabonne-
ment.
Le rédacteur-gérant, Bourneville.
EHCU1, Lu. LIL'ti-Ky, 11,]P. - 1287.
Vol. XV. Mars 1888. N" 44
ARCHIVES DE NEUROLOGIE
, PATHOLOGIE NERVEUSE
s ! 1 u ` ' V
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE SY11P'fOlI1T00GLQÛE
DE LA GLIOMATOSE MÉDULLAIRE1 j
Par WLADIMIR ROTH.
Observation II.
Homme de vingt-deux ans. - A onze ans panaris. - Depuis rage
de dix-neuf ans, scoliose parétique et atrophie progressive des mus-
cles, surtout des scapulaires et des deltoïdes. Therizo-`cnesthésie
des membres supérieurs et du thorax. - Analgésie limitée.
Job Kousmine, paysan de vingt-deux ans, entra à l'hôpital de
Catherine le 20 janvier 1886, se plaignant de la faiblesse des
membres supérieurs.
Le malade naquit dans le gouvernement de Foula, dans un
endroit réputé non fiévreux. Il a été nourri par sa mère : il ignore
s'il est venu à terme. Il était le deuxième; huit de ses frères et
soeurs sont morts à des âges différents. Dans sa famille, autant
qu'il sache, il n'y a eu ni scrofule, ni syphilis. Personne de ses pa-
rents ne présente de phénomènes, de paralysie, de crampes, d'a-
trophies, de psychose, etc. Jusqu'à l'âge de neuf ans, le malade
restait à la campagne, se portant bien et étant aussi fort que
' Voy. Archives de Neurologie, t. XIV, p. 368. - ERRATA. Page 383,
ligne 1 ; au lieu de : S A M. 1 M S... 5 AI S; lisez : 0,8 M A. 1 il A... 5 AI A,
ligne 3; au lieu de : " " lisez : (11) -(11)
Archives, t. XV. 1 1
162 ^ pathologie NERVEUSE.
ses camarades; mais il était chétif avant d'être sevré. Depuis
l'âge de neuf ans, il était apprenti tailleur. Depuis l'âge de onze à
douze ans il travailla chez le harnacheur ; à cette époque, par
suite de cause inconnue, il eut un panaris au médius. Le doigt lui
fit mal près de quinze jours, l'ongle tomba, la plaie guérit assez
vite, on ne fit pas d'incision, il sortit peu de pus. Le malade ne
se souvient pas d'avoir souffert le long de l'avant-bras ou d'avoir
eu du gonflement de la main, mais lorsque le doigt fut guéri, il
arriva que l'extension maxima des doigts dans l'articulation méta-
carpo-phalangienne devint impossible; le médius était en re-
tard sur les autres doigts. En essayant l'extension forcée passive,
le malade éprouvait une douleur dans les tendons des fléchisseurs
sur le tiers inférieur de l'avant-bras; à l'extension passive maxima
se produisaient des mouvements convulsifs dans le médius. Depuis
l'âge de treize ans, le malade travaillait le métier d'enduiseur en
été et de tailleur en hiver. Des tiraillements continuaientà se pro-
duire dans les doigts après la fatigue du travail, de même qu'à
l'extension maxima passive; pendant le dernier temps, ils devin-
rent plus rares et il n'y a pas plus d'une année qu'elles ont cessé.
Jusqu'à l'âge de dix-huit à dix-neuf ans, Job a été bien portant.
Dès l'enfance, il buvait de l'eau-de-vie, parfois avec excès; son
père l'enivrait lorsqu'il était tout petit. Plus tard, il lui arriva de
s'enivrer, mais rarement, surtout les jours de grandes fêtes; il
n'a pas fait d'excès vénériens; onanisme modéré à l'adolescence.
Vers Noël 1883, parut pour la première fois et se répéta depuis,
de temps en temps, un gonflement indolent du dos de la main
droite. Le gonflement durait une journée pour disparaître en-
suite ; il n'était accompagné ni de douleur ni de rougeur de la
peau. En automne 1883, le malade se brûla le dos pour la pre-
mière fois, après s'être endormi sur le poêle; depuis les brûlures
se répétèrent. En hiver 1883, il souffrait de céphalalgie, de con-
gestion des oreilles; sa vue s'obscurcissait par moments; cet état
durait près de huit jours et cessa pour reparaître pendant l'hiver
1885 avec ténacité. Vers l'âge de dix-neuf ans, très épuisé par le
travail et l'insuffisance du sommeil, le malade se rendit chez lui à
pied vers la Noël. Après avoir fait plusieurs kilomètres, il se sen-
tit complètement épuisé, en partie probablement sous l'influence
d'une affection fébrile aiguë déjà commençante, qui l'obligea à
garder le lit pendant huit jours; ensuite il commença à se réta-
blir et se maria au mois de janvier, se sentant parfaitement bien;
mais depuis le printemps (1884), le bras commença à faiblir dans
l'articulation de l'épaule; dans le côté gauche il éprouvait une
douleur sourde, un poids, la sensation qu'on éprouve à une forte
tension musculaire et peu à peu se développa la scoliose. Vers
l'été le bras gauche faiblit également. Le malade ne put plus
s'occuper de son métier, mais continua à coudre encore durant
DE LA GHOMATOSE MÉDHLLAIRE. 163
l'automne et la moitié de l'hiver, mais depuis le commencement
de 1885, il abandonna aussi ce travail.
Etat actuel. - Le malade est de taille moyenne, de com-
plexion faible, la face maigre'; il a la peau et les muqueuses
pâles. Sur la surface postérieure du corps, sur le côté radial ex-
terne des extrémités supérieures et les fesses, il y a de nombreuses
cicatrices superficielles restées, à la suite de brûlures antérieures.
En outre, sur la face antérieure du bras et de l'avant-bras, la
peau est couverte de rayures toutes blanches; ce sont les traces
d'égratignures (ayant été faites pendant un traitement parties
fourmis). Au-dessus des articulations des doigts, du côté de la face
dorsale, il y a une induration calleuse de 1 épidémie. Outre les
cicatrices décrites, il y a une petite cicatrice, située un peu
au-dessous du pli inguinal droit; les ganglions de l'aine sont lé-
gèrement augmentés de volume, ce qui n'existe pas du côté gau-
che ; pas de cicatrices sur le pénis. Les ganglions de la nuque
sont à peine augmentés, ceux du coude ne sont pas perçus au pal-
per. La cicatrice de l'aine est restée après une suppuration anté-
cédente d'un ganglion que le malade rattache à la brûlure de la
fesse. Il porte encore une cicatrice sur le genou gauche et sur le
ventre on observe des taches blanches de forme irrégulière, en-
tourées d'une bordure plus pigmentée, de la grandeur de i 1/2 à
2 centimètres; ce sont les restes des dartres antécédentes; la
peau des mains un peu cyanosée, froide au palper, n'est pas
oedématiée. Les ongles sont bien conformés, à l'exception de ce-
lui du pouce gauche qui, étant tombé s'est reformé, avec fentes
longitudinales; la troisième phalange du médius de la main
droite n'existe pas et l'extrémité de la seconde forme un moignon
un peu épaissi. La colonne vertébrale présente une incurvation sco-
liotique à droite qui ne se redresse pas à la position horizontale
du malade. La courbe est produite par toute la partie thoracique
de la colonne vertébrale; le sommet en est occupé par l'apophyse
épineuse de la huitième vertèbre thoracique, distante de 2 centi-
mètres de la ligne verticale moyenne. Dans la partie lombaire
existe (depuis la première vertèbre lombaire) une scoliose com-
pensatrice dirigée à gauche.
La poitrine est élevée. La cage thoracique présente des alté-
rations consécutives : du côté droit une grande convexité en
arrière et en dehors, surtout dans la partie inférieure ; mais du
côté gauche la partie inférieure de la cage thoracique parait
concave et légèrement proéminente ; en avant le bout inférieur
du sternum regarde légèrement à droite, de sorte que la ligne
moyenne, allant de l'incisure jugulaire vers l'ombilic, forme un
arc, dont la convexité est dirigée à droite. Les os ne présentent
d'épaississement nulle part, ni d'altérations pathologiques indi-
quant le rachitisme. Le malade rattache l'incurvation de la co-
'164 pathologie NERVEUSE.
lonne vertébrale à son travail d'enduiseur. Le malade s'aperçut
pour la première fois d'une déformation marquée de la cage
thoracique il y a trois ans. La position des omoplates correspon-
dant aux déformations de la colonne vertébrale est normale. Le
tissu adipeux sous-cutané est peu développé; il manque presque
complètement.
Les muscles sont par places très atrophiés. Les sous-épineux
sont atrophiés au plus haut degré ; au palper ils semblent avoir
disparu; la peau paraît comme collée sur l'os; pourtant l'existence
des muscles est rendue évidente par l'application du courant
électrique. Les sus-épineux sont aussi considérablement atrophiés.
Les deltoïdes présentent une atrophie marquée des portions pos-
térieures ; les parties antérieures et moyennes ont été légère-
ment atteintes (surtout à gauche); le muscle trapèze est conservé dans
sa portion supérieure et paraît atrophié dans les autres. Les res-
tants des muscles de la ceinture scapulaire ne présentent pas
d'atrophie notable et le muscle pectoral droit paraît même hyper-
trophié en comparaison du gauche. Les muscles du bras présen-
tent le degré moyen de l'atrophie. Elle est plus accusée à droite
qu'à gauche. Le biceps et le brachial antérieur sont plus atro-
phiés que le triceps. A l'avant-bras droit, le long supinateur a
presque disparu et se fait sentir au palper sous forme d'un
mince cordon; en général, tout l'avant-bras dans sa partie supé-
rieure a l'air d'être aminci; du côté gauche,l'avanl-bras est con-
sidérablement plus gros et le long supinateur seul présente une
atrophie marquée, appréciable au palper. Le biceps et le long
supinateur du côté droit présentent une consistance plus molle
et non uniforme, parce qu'ils sont formés de faisceaux pins
solides mollement réunis entre eux. Sur les mains on n'observe
que l'atrophie du premier espace interosseux et un léger amai-
grissement du second. Les muscles des membres inférieurs et les
autres muscles plats du tronc, à l'exception de ceux cités plus
haut, ne présentent pas d'atrophie notable. Les muscles situés le
long de la colonne vertébrale à droite, surtout vers la partie
spinale de la colonne vertébrale, présentent un petit bourrelet
solide proéminent (hypertrophie); du côté gauche les muscles
paraissent ne pas être atrophiés. Les muscles de la face, autant
qu'on puisse en juger, ne présentent pas d'atrophie.
Mouvements. -Le bras droit ne peut être soulevé; des mouve-
ments d'élévation en tous sens du bras gauche ne se produisent
qu'à un angle de o ; dans ces limites, le mouvement est assez
énergique, quoique un peu affaibli. Le mouvement du bras
gauche en arrière se fait avec une certaine force et sans au-
cune en avant; l'adduction est assez énergique, mais elle est
quand même au-dessous de la normale. Du côté droit tous ces
mouvements ne sont que peu affaiblis. A la flexion du coude : à
DE LA GLIOMATOSE MÉDULLAIRE. 1 65
droite, mouvement limité; à gauche, la flexion est étendue, mais
peu énergique. L'extension des deux côtés est suffisamment forte.
Sa supination est affaiblie à gauche et légèrement limitée d'éten-
due ; à droite, elle manque complètement; à gauche, tous les
mouvements de la main et des doigts sont normaux et assez
étendus; à droite, l'extension et la flexion de la main est légère-
ment limitée ; sa flexion radiale est assez considérable; les autres
mouvements delà main et des doigts sont assez faibles. L'oppo-
sition du pouce est incomplète. Le dynamomètre indique 20 à
droite et 35° K. à gauche.
Membres inférieurs. Le malade marche et court bien;
cependant il lui semble que les membres inférieurs sont un peu
plus lourds qu'ils n'étaient auparavant. Dans la sphère des nerfs
crâniens, il n'y a pas d'altérations motrices. Point de crampes,
ni de contractures.
Des mouvements fibrillaires s'observent dans les muscles du bras
et du thorax. Les cordons nerveux et les muscles ne sont pas
douloureux à la pression.
Eleclro-contructilité. Courant constant. Les chiffres en milliam-
pères. L'électrode d'épreuve a 1 centimètre de diamètre; la neutre
se place sur la poitrine, son diamètre est de 50 cent. carré. Cou-
rant induit : appareil à chariot, au grand élément de Grenet ; la
tige métallique est enlevée de la première hélice. Les chiffres indi-
quent en centimètres à combien la deuxième hélice est repoussée.
Recherche du 9 lévrier 1886.
jÔ PATHOLOGIE NERVEUSE.
DE LA GLIOMATOSE MEDULLAIRE.
167
l'omoplate par la sensibilité normale ; dn côté droit une anesthé-
sie modérée du sens de la température se répand jusqu'à la crète
iliaque. Le malade perçoit partout les différences de température
de 4° en 4° sur le dos, a 1 exception de la
région des sus-épineux, où il a une anes-
thésie égale à celle des membres supé-
rieurs. Mais sur la poitrine il ne perçoit
pas de différence moindre de 5° et sur un
certain espace de forme sémi-lunaire,
dont la limite convexe supérieure corres-
pond à la poignée du sternum et dont la
limite inférieure passe horizontalement
par le milieu de la place thermo-anesthé-
sique située sur la poitrine, le malade
ne perçoit même pas la différence de 15°.
La partie supérieure du bras droit et la
partie inférieure du bras gauche ne per-
çoivent pas la différence de température
entre -j- 50° et + 40°. Sur la limite des ra-
mifications périphériques du nerssus-sca-
pulaire (par erreur non indiquée sur le
dessin) se fait une amélioration rapide de
la sensibilité thermique. 11 est à remar-
quer qu'à mesure qu'on se rapproche de
la ligne moyenne du côté droit apparaît
d'abord la sensation de chaleur et des
deux températures sus-indiquées lemalade
commence à percevoir d'abord la t° de
+ 50°, qui ne donne au malade qu'une
sensation de tiédeur, mais du côté gauche
au contraire, la perception du froid a été
moins atteinte et là où + 50° n'éveillent
pas un sentiment de chaleur, + 4° éveillentun sentiment de froid.
Des différences de 1° et moins se perçoivent sur le ventre et les
membres inférieurs.
Le plus léger attouchement au pinceau se perçoit partout et se
localise normalement. Dans les endroits analgésiques et thermo-
anesthésiques, le sens du tact est en aussi bon état qu'ailleurs. A
l'examen par le compas de Weber, on observe un phénomène qui,
d'après mes observations, n'est pas rare : l'épaule supérieure, par
exemple, ne perçoit qu'un seul attouchement les pieds du
compas étant écartés de cinq centimètres, tandis qu'en plaçant
à tour de rôle les pieds du compas sur les mêmes^endroits le
malade indique avec une grande précision l'endroit de chacun de
ces deux attouchements. En général, le sens de localisation est
assez fin, même sur les doigts, où l'épiderme est fort épaissi. Au
Fig. li.
'168
PATHOLOGIE NERVEUSE.
bout des doigts les pointes du compas de Weber donnent la per-
ception double d'attouchement du côté gauche à une distance de
3 mill., à l'exception du pouce où elle est obtenue à 4, du côté
droit sur le petit doigt à 2, sur le quatrième doigt et le pouce
à 4; sur les autres à 3 ; à l'avant-bras droit partout à 45 mill., et
à l'avant-bras gauche du côté radial à 45 et du côté cubital à 50,
sur les épaules à 50, sur le thorax du côté externe des deux côtés
à 3, snr le dos à droite à 65, à gauche à 70.
Durant tout son séjour a inopitai, sur-
tout les premiers temps, Job se plaignait
continuellement de différents symptômes
indéfinis subjectifs et faisait attention à
ses sensations d'une façon peu habituelle
aux gens de'sa classe.
Le plus souvent, il se plaignait de dif-
férentes douleurs, par exemple : dans le
côté droit par suite de la pression des côtes
sur la crête iliaque ; puis dans les mus-
cles de la cuisse, sur le côté gauche de
la nuque, à l'avant-bras gauche, à la par-
tie inférieure du ventre, dans le muscle
deltoïde droit toutes ces douleurs ob-
tuses et de courte durée une cépha-
lalgie tenace généralement obtuse, du-
rant pendant plusieurs jours de suite.
Puis, de temps en temps, il se plaignait de
picotements et simultanément d'une sen-
sation plus forte du froid à l'épaule droite;
cette sensation a été remplacée par un
sentiment de constriction.
En général, la main droite était la plus
frileuse et transpirait davantage.
Le 23 août, il y eut état fiévreux et sur
le côté cubital de la main gauche forma-
tion d'une ampoule, grande comme une
noix, avec rougeur et gonflement oedéma-
teux des parties environnantes; la rougeur
s'étendait jusqu'à la moitié de l'avant-bras.
L'ampoule creva, un liquide séro-veineux
s'épancha ; le gonflement et la rougeur des parties voisines
disparurent en quatre ou cinq jours, et il resta une petite ulcé-
ration granulée qui bientôt se cicatrisa.
Quant aux autres phénomènes qui eurent lieu pendant les
douze mois que le malade passa à l'hôpital, ils ne présentèrent
pas de changements : l'atrophie des muscles demeura station-
naire, le sens de la douleur a la face redevint normal ; mais eu
Fig. 15.
DE LA GLIOMATOSE MÉDULLAIRE. 169
revanche, il se développa un abaissement de la sensibilité dou-
loureuse dans la plus grande partie de la région thermo-anes-
thésiée. La dernière augmenta sur le thorax; une raie de Lher-
mo-anesthésie profonde, parut nettement limitée en haut par le
niveau de l'ombilic, en bas par les expansions nerveuses supé-
rieures du plexus lombaire (fig. 3)'. La thermo-anesthésie se ré-
pandit sur la totalité du corps à un degré plus ou moins élevé
et descendit le long des faces internes et externes des cuisses,
où du reste elle était très peu accusée. On n'observa pas de
perversion des sensations thermiques. Le degré de la thermo-
anesthésie présentait des variations assez considérables à des
moments différents'.
Une difficulté de miction se présenta plusieurs fois, mais sans
qu'elle durât plus de quelques jours; cet accident se passa sans
qu'on ait eu besoin de recourir au cathétérisme. L'état général
du malade s'améliora peu. Le traitement consistait principale-
ment dans la galvanisation de la moelle épinière et des bains
tièdes. Le premier temps, on administrait au malade de l'iodure
de potassium qui agissait défavorablement sur son état général
et fut par suite abandonné.
Dans ce dernier cas, les symptômes sont des plus
caractéristiques. Une analgésie partielle, isolée ou
coïncidant par endroits avec une partie de la région
thermo-anesthésique et se limitant par la partie supé-
rieure du corps ; faiblesse et atrophie musculaire
nettement accusée dans la sphère de l'anesthésie
partielle, des troubles trophiques de la peau, un
panaris dans les antécédents. Autant de symptômes
fondamentaux, caractéristiques de la gliomatose de la
moelle épinière. Une série d'autres symptômes qui
s'associent à ceux-là avaient été remarqués dans le
premier cas' et en partie observés par divers auteurs :
4 Elle est représentée trop bas sur le dessin.
5 Par exemple il la nuque : le degré qu'elle atteignait .d'abord était
comme c'est marqué sur le dessin de I. 87. Dans cet endroit une diffé-
rence thermique de 30" n'était pas perçue des deux côtés et il IV, 87, le
ll1alade prrcevalt la djllérene de 10 ?
170 PATHOLOGIE NERVEUSE.
des soubresauts musculaires, de la scoliose, des
troubles subjectifs de la sensibilité, de la préoccu-
pation de sa santé. Sans parler de la lésion des nerfs
périphériques, nous ne connaissons pas d'autre affec-
tion qui pourrait provoquer une lésion progressive
des cornes postérieures et antérieures de la substance
grise de la moelle épinière, ayant une symptomato-
iogie semblable.
«
Observation III.
Homme de cinquante-quatre ans. Theermo-anesthésie partielle et
analgésie sous forme hémiplégique. Plus tard lésion du coté opposé.
Pa1'eslhésies. Douleurs. IIypocond1'ie. Aggravation sous
l'influence du traitement mercuriel. Amélioration survenue plus
tard.
M. B..., âgé de cinquante-quatre ans, est un militaire en re-
traite. Le père avait souffert de céphalalgies intenses, le frère
s'est suicidé. Le malade avait joui d'une santé parfaite, avait
fait de nombreuses campagnes, s'était impunément exposé à
diverses influences nocives, surtout rhumatismales. Du reste, il
tousse depuis sa jeunesse, par moments très fort, et les accès de
toux sont accompagnés de fortes douleurs à la nuque.
A l'âge de vingt-neuf ans il contracta la syphilis; il s'était ré-
gulièrement soigné et n'a pas eu d'accidents tertiaires. A l'âge
de quarante-cinq ans, chancre mou. La maladie actuelle, à l'avis
du malade, commença depuis le mois d'octobre 1883 par un chan-
gement de sensibilité dans le membre inférieur droit; sa jambe
lui semblait étrangère, il y éprouvait une certaine sensation qui
la lui faisait paraître plus lourde. En été 1884, durant deux, trois
semaines, il se développa dans le bras droit un état semblable à
celui qu'il éprouvait dans la jambe et présentant des variations
d'intensité considérables.
Etat actuel (janvier 1885). Bonne nutrition; la peau, le
tissu cellulaire sous-cutané, les muscles, le squelette n'ont pas
subi de changements. Emphysèmeconsidérable et bronchite chro-
nique. Catarrhe chronique de l'estomac ; tendance à la constipa-
tion ; foie légèrement augmenté; le coeur est normal, les vais-
seaux athéromateux. Pas de traces de syphilis. L'urine n'a pas
subi d'altérations pathologiques.
Motilité. Membres inférieurs. Pas d'altérations objectives; le
DE LA GLIOMATOSE MEDULLAIRE.
171
malade marche beaucoup et bien ; la jambe droite et plus lourde
subjectivement. Membres supérieurs : les petits mouvements de
la main sont moins adroits, l'écriture est restée presque inal-
térée. Il serre le dynamomètre avec une force de 27 k. à droite
et de 34 à gauche. Le triceps droit est un peu plus faible que le
gauche. Tous les autres muscles sont également et suffisamment
. forts des deux côtés. Les fonctions des muscles du thorax, du cou,
de la nuque et de tous les nerfs moteurs crâniens sont complète-
ment normales. Les réflexes du genou
sont conservés ; ils manquent dans les
tendons du triceps brachial; les réflexes
plantaires cutanés n'ont pas subi de
changement; les réflexes abdominaux
sont nettement accusés des deux côtés.
Sensibilité. Une série d'altérations
subjectives : le malade se plaint éter-
nellement de sensations indéfinies dans
les membres droits qui tiennent tou-
jours son attention en éveil; tantôt
c'est un sentiment d'incommodité, de
pesanteur, de chaleur, etc., tantôt de
la pesanteur de la tête, chaleur dans le
côté gauche et le dos au moment de la
toux. Des douleurs presque constantes
à la nuque, tantôt à droite, tantôt à
gauche. Objectivement : Analgésie con-
sidérale dans la sphère de distribution
de nerfs de la partie supérieure de la
moelle épinière du côté droit, nette-
ment limitée par la ligne moyenne
(fig. 4). En haut et en arrière, l'anal-
gésie s'élève jusqu'au milieu de la
nuque, en avant, jusqu'à la région in-
nervée par le trijumeau, descend un
peu au-dessous du mamelon pour se
terminer au même niveau par der-
rière. Sur la partie inférieure du tho-
rax, entre le côté droit et le gauche,
il n'y a presque pas de différence dans
Ja seusibilite a la douleur; sur le membre inférieur droit, cette
dernière est abaissée, plus encore dans les parties périphériques ;
mais ici également la piqûre provoque une sensation de douleur.
Le sens de la température est très abaissé dans la région anal-
gésique ; le membre inférieur droit, par exemple, ne sent pas la
dillérence de 40. Pour la face, elle est de 1 i/3 et moins, de
même que pour toute la moitié gauche du corps. Sur le membre
Fig. 16.
1 I PATHOLOGIE NERVEUSE.
inférieur droit le malade perçoit de petites différences ther-
miques de 2-3°, mais toujours "en comparaison du. côté gauche, il
existe une certaine anesthésie. Le sens de la pression examiné sur
la paume et le dos de la main paraît égal des deux côtés ; le
malade est assez inattentif et ne perçoit que.les différences de
pression de 1/2 ou de 3/4 (au baresthésiomètre de Iiowaewsky).
Il sent bien le plus léger attouchement et localise régulièrement
des deux côtés.
Le compas de Weber ne donue que par places, des chiffres un
peu plus élevés pour le côté droit ; par exemple : côté gauche,
bouts des doigts 2, 3 mil., le pouce - 3, 4. Côté droit, bouts
des doigts du deuxième, troisième 5 mil., quatrième et cin-
quième 2 mil., pouce 3 mil. Paume de la main gauche 12,
droite 30 mil., partie inférieure de l'avant-bras gauche par de-
vant 20, du droit 40 mil. ,
Le sens musculaire est conservé. Organes des sens. La vue,
d'après l'examen de M. Mahlakofi : fond de l'oeil, champ visuel,
ne présentent pas d'altérations; l'étendue de l'accommodation est
diminuée; l'acuité visuelle est normale; les muscles normaux.
L'ouïe est normale ; le malade éprouve dans l'oreille gauche
un bruit synchronique avec le pouls. L'odorat est conservé.
Sphère psychique. Préoccupation de sa santé, douleurs
obtuses, impossibilité de s'abstraire de n'importe quelle sensa-
tion douloureuse quoique légère, une humeur triste ; l'activité
intellectuelle est normale. Le sommeil est bon.
Mois d'août 1885. Au printemps, le malade avait pris de l'io-
dure de potassium et suivi un traitement à la station thermale
d'Essentouky en été. Amélioration considérable des phénomènes
subjuctifs; le bruit d'oreille a disparu. L'analgésie et la therma-
nesthésie du thorax sont descendus de cinq travers de doigts.
Le nerf trijumeau est en bon état; les autres symptômes du
système nerveux n'ont pas subi d'altérations.
Mars. Au mois de décembre 1885, le malade éprouva une
douleur très pénible à la nuque. Il vient de terminer un traite-
ment énergique antisyphilitique, entrepris selon le conseil d'un
autre confrère (friction et KJ.). Les douleurs ont cessé au début
même du traitement ; tous les autres symptômes ont empiré. Le
malade a beaucoup maigri, la bronchite empiré, le foie aug-
menté, le coeur faibli. Membres supérieurs : les mouvements de
l'articulation de l'épaule sont plus faibles, la main gauche ne
s'élève pas du tout au-dessus de la ligne horizontale. Au dynamo-
mètre : main droite, 14; gauche, 15. Douleur .sourde conti-
nuelle, devenant par moments plus aiguë dans l'articulation de
l'épaule gauche ; la motilité passive y est un peu limitée par les
' muscles qui se contractent; point d'altérations anatomiques no-
tables dans les articulations. Le malade se plaint principalement t
DE LA GLI01A'fOSP MÉDULLAIRE. 'lï8
de l'épaule, d'une constriction pénible éprouvée dans la cuisse
droite et des paresthésies antérieures. Les troubles objectifs de la
sensibilité ont considérablement augmenté. (fig. 5.) Dans la
région du nerf grand occipital des deux côtés de tout le nerf tri-
jumeau droit et de la branche supérieure du trijumeau gauche il
s'est développé une thermo-anesthésie et une analgésie considé-
rables. Ces mêmes troubles se sont étendus à la sphère du sus-
scapulaire gauche par derrière. En outre, à droite, l'analgésie
descend par devant et par derrière en
s'affaiblissant jusqu'à la fesse et le pli de
l'aine.
Outre les endroits cités plus haut, une
thermanesthésie, quoique peu profonde,
s'observe sur les membres inférieurs, sur
le membre supérieur gauche et les parties
du thorax restés auparavant libres. Dans
tous ces endroits le malade ne perçoit que
la différence 3-4°. Ainsi un degré plus ou
moins élevé de l'anesthésie du sens ther-
mique a occupé la totalité de la surface
du corps.
L'attouchement par un pinceau de crin
est très bien perçu partout, mais moins
distinctement à droite qu'à gauche sur i
la paume des mains et les doigts. Sur les
paumes de la main, le malade ressent une
pression de 300 grammes comme si c'était
un attouchement. Le malade perçoit
l'augmentationdu poids de 400 à4;)0gram-
mes, tout cela d'une manière égale des
deux côtés. Il sent une pression de 100
à 200 grammes sur le dos et une augmen-
tation de 40 grammes.
Mai 1886. Une amélioration considé-
rable de tous les phénomènes est surve-
nue à la suite de pointes de feu appliquées
sur le dos et le traitement par le courant
constant. Le tnorax au-dessous des ma-
melons, tout le membre supérieur gauche et les membres infé-
rieurs perçoivent maintenant la différence de température de
1 1/2°; à gauche au-dessus du mamelon de 2°. Le degré de la
thermanesthésie de la face et de la nuque avait considé-
rablement diminué, et ce n'est que dans la partie supérieure
de l'épaule gauche qu'elle est comparativement plus grande
que dans les endroits symétriques du côté droit (atteinte plus tôt).
Là une différence de 2° est encore perçue, tandis qu'ici le malade
ne perçoit que 4° de différence. L'état général est bien meilleur.
Fig. 17.
174 PATHOLOGIE NERVEUSE.
4887. Janvier. Point d'altérations motrices nouvelles. La
force des extrémités supérieures a augmenté. Le dynamomètre
indique 34 à droite, 50 à gauche. Sécheresse de l'articulation de
l'épaule gauche, craquement, limitation des mouvements passifs
par la tension des muscles. Point d'épaississements de l'appareil
ligamenteux et d'altérations notables des extrémités articulaires.
Pas d'atrophie musculaire ni à l'épaule gauche, ni dans d'autres
endroits. Pas de troubles trophiques de la peau. La région de
l'anesthésie a de nouveau augmenté, son caractère est resté le
même. L'analgésie coïncide avec une anesthesie thermique. Toute
la face est légèrement atteinte ; la nuque, de même que les
épaules, le sont davantage. Le membre supérieur gauche a été
bien moins atteint; de même la moitié gauche du thorax (en
haut jusqu'à la clavicule) et le pied gauche. Ici, comme à la face,
le malade perçoit la différence t° de 2 à 3° ; des piqûres d'épingles
assez faibles provoquent une douleur aussi bien qu'un courant
induit modéré ; tandis qu'à la partie supérieure de la moitié droite
du thorax, qui perçoit un courant induit faible, le courant le plus
intense ne provoque pas de douleur et qu'une piqûre profonde ne
produit que l'effet d'un attouchement. Le membre inférieur
droit est dans le même état qu'il présentait au premier examen.
Mais sur le thorax, l'anesthésie thermique, l'analgésie du côté
droit sont descendues encore davantage; une zone d'anesthésie
tactile de la largeur de 15 centimètres est venue s'ajouter aux
anesthésies précédentes; cette zone est limitée en haut et en bas
par des lignes horizontales, tandis que par derrière et par devant
elle s'étend jusqu'à la ligne passant par le plan médian du corps.
L'ombilic occupe le milieu ;de sa limite antérieure. Les phéno-
mènes subjectifs sont demeurés dans le même état. Hypocon-
drie marquée; des sensations diverses sont éprouvées dans le dos
et le ventre : le malade est obsédé par la crainte de toutes sortes
de maladies qu'il découvre en lui, comme du cancer, de la
phtisie, etc. L'état général du malade s'est considérablement
amélioré pendant l'été qu'il a passé à Essentouky, où le malade
prenait des bains tièdes et buvait de la source alcaline n° 17 avec
du lait.
Le caractère hémiplégique des troubles existants
chez ce malade dans le premier stade de la maladie,
faisait supposer l'existence d'un foyer (d'origine
athéromateuse) siégeant dans le cerveau. Une appa-
rition plus tardive d'un segment analgésique sur
l'épaule, du côté opposé, fil douter de la justesse de
. DE LA GLIOMATOSE MEDULLAIRE. '173
cette supposition; la délimitation caractéristique des
régions à sensibilité altérée (sur la nuque et le thorax),
des troubles prédominants des membres supérieurs,
la participation du nerf trijumeau des deux côtés, ne
laissaient pas douter que, dans ce cas également, nous
ayons affaire à une lésion des cornes postérieures de
la moelle épinière et de la racine ascendante du tri-
jumeau. Rien que ces phénomènes d'anesthésie par-
tielle à distribution d'abord hémiplégique et ensuite
asymétrique, délimité non par les expansions des
nerfs sensibles, mais par des lignes plus horizontales,
sont, à notre avis, des signes typiques de la glioma-
tose de la moelle épinière. Des paresthésies, des
douleurs excentriques de la nuque, l'arthropathie de
l'épaule sont des signes caractéristiques, confirmant
le diagnostic. A ces derniers, il faut ajouter l'hypo-
condrie qui, chez notre malade, s'était manifestée
à un degré très marqué.
Observation IV.
Demoiselle âgée de vingt-sept ans. - Des douleurs, de l'analgésie et
de la thermo-anesthésie partielle du membre supérieur droit; atro-
phie des muscles de la main; des tiraillements convulsifs.
M110 S..., âgée de vingt-sept ans, vient me consulter le 24 avril
1886 à l'occasion des douleurs qu'elle éprouvait dans la main
droite.
Etat actuel. La malade est pâle, maigre, mais ne présente
pas de troubles du côté des organes de la digestion, de la circu-
lation et de la respiration. Les règles durent une semaine environ
et s'accompagnent de vertiges légers. Le squelette est bien régu-
lier, la peau ne présente pas d'altérations trophiques. Toute la
musculature est amaigrie. Les muscles thénars et hypothénars de
la main droite sont modérément atrophiés. A l'examen par les
courants constants et induits, on n'observe pas de diminution de
l'excitabilité nerveuse et musculaire, comparativement au côté
- 176 6
PATHOLOGIE NERVEUSE.
opposé;- on ne remarque non plus aucune réaction de dégénéres-
cence.
Les mouvements ne sont troublés que dans le membre supé-
rieur droit; ici, ils sont considérablement limités, surtout dans
les parties périphériques du membre, par suite des douleurs qu'ils
provoquent. La parésie parait manquer. De temps en temps, des
mouvements convulsifs et des spasmes se produisent dans les s
muscles interosseux et parfois aussi dans les autres muscles de la
main et de 1 avant-bras. La malade se
plaint d'une douleur sourde et profonde
siégeant dans le membre supérieur droit,
surtout dans la main. Toute secousse, tout
mouvement actif, l'effroi, l'émotion, la
toux provoquent ou augmentent la dou-
leur à un degré plus ou moins considérable
et pour plus ou moins longtemps. La
sensation vague de douleur existant pres-
que continuellement augmente aussi au
moment du refroidissement de la main.
Outre la douleur, existe une forte hyperes-
thésie de la peau : les plis de la robe, la
moindre secousse irritent le bras sans
provoquer de douleur locale, mais en pro-
duisant une agitation sympathique, irra-
diée du centre ; la douleur s'irradie le long
de tout le membre et est ressentie dans ses
parties superficielles et profondes. Le
plexus brachial est douloureux par places
à la pression. Une pression produite sur
lés nerfs et les muscles périphériques
augmente la douleur générale, mais on
ne réussit pas à déterminer l'endolorisse-
ment local de tel ou tel autre organe.
Sensibilité. - Membre supérieur droit.
Le plus léger attouchement est partout
perçu et bien localisé par la malade. La
sensibilité à la douleur est abaissée dans
es parties périphériques au memnre; on la trouve en menteur
état à mesure que l'on observe plus haut et elle est normale à
la partie supérieure de l'épaule. (Fig. 6.)
Le sensde la température est abaissé dans la même région que la
sensibilité générale. Les mains ne sentent pas la différence de
t° entre 17 et 28°. La malade trouve qu'une température de 7° est
plus chaude que celle de 25°. Pourtant elle perçoit la différence
entre 32 et 26°, car 32° provoquent une sensation de chaleur et
une t° de z6^ ne la provoquent point. A l'avant-bras, elle sent la
/'ig. 18.
DE LA GLIOMATOSE MEDULLAIRE. 177
différence de 6°, mais à la partie supérieure de l'épaule elle peut
percevoir une différence moindre de 2°.
Membre supérieur gauche. Toutes les espèces de sensibilité
sont normales ; douleurs sourdes de temps en temps, mais pas de
douleur à la pression.
La sensibilité est normale dans le reste du corps. Les organes
du bassin, les organes des sens et la sphère psychique sont nor-
maux. Les réflexes tendineux sont conservés. A la face, sur la poi-
trine et le dos se produisent facilement des taches rouges. Pas
de changement dans la sécrétion sudorale.
Antécédents du malade. - L'époque à laquelle parut la therma-
nesthésie du membre supérieur droit nous est inconnue. Il y. a
deux ans, au moment où le malade travaillait, une douleur se diri-
geant vers le pouce le long de l'avant-bras droit parut pour dispa-
raître bientôt après. Cette douleur se répétait à un degré plus
élevé et de temps en temps survenaient des mouvements convul-
sifs dans les doigts. Tantôt la douleur disparaissait pour toute
une journée, tantôt elle reparaissait plusieurs fois parjour
et cessait bientôt. Dès le début de l'apparition de la douleur, le
bras commence à faiblir.
L'amaigrissement de la main débuta aussi en même temps que
survint la douleur.
La cause de la maladie nous est inconnue. La malade habite la
campagne du gouvernement de Kalouga et s'occupe d'ouvrage
manuel. Pas de neuropathies, ni de tuberculose, ni de syphilis
dans la famille. Ses parents avaient eu onze enfants : cinq d'entre
eux sont morts à différents âges, les autres jouissent d'une bonne
santé. La malade jouissait en général d'une bonne santé ; les
règles parurent à l'âge de dix-sept ans; dès cette même époque,
elle commença à maigrir sans aucune cause apparente.
D'abord on administra à la malade le traitement par le mas-
sage à la suite duquel l'hypéresthésie des parties périphériques
diminua, mais les douleurs montèrent et parurent dans la région
scapulaire, près de la clavicule et à la partie supérieure du bras
à la moindre secousse. L'articulation de l'épaule restait nor-
male.
On administra des vésicatoires sur la nuque et le plexus bra-
chial : les douleurs se calmèrent un peu, les autres phénomènes'
restèrent sans changement. La malade éprouva une seule fois une
douleur sourde dans tout le membre supérieur gauche; mais cette
dernière avait un caractère légèrement différent de celle du côté
droit. La malade ne passa qu'un mois à Moscou, après quoi elle
partit pour la campagne.
Tous les symptômes (atrophie musculaire, anes-
Archives, t. XV. , 12
178 pathologie NERVEUSE.
thésie partielle, douleurs) se localisèrent ici presque
exclusivement dans un seul membre.
Malgré le tableau clinique simulant une affection
périphérique, nous n'avons pourtant pas affaire à
une lésion des nerfs périphériques : 1) La sensibilité
est altérée plus que le mouvement ; 2) des degrés
différents d'anesthésie et la sphère anesthésiée sont
tous limités par des segments du membre et ne coïn-
cident pas avec la région de la distribution des
cordons nerveux séparés ; 3) on ne saurait admettre
l'action de quelque cause locale d'origine traumatique
ou autre produisant la lésion de tous les nerfs du
membre supérieur droit au-dessous de l'épaule ;
4) nous ignorons l'existence d'une anesthésie par-
tielle du sens de la température dans le courant
d'une affection des nerfs périphériques. Cette cir-
constance parle contre une pachyméningite cervicale
hypertrophique. Une lésion de la substance grise dans
la moitié droite du renflement cervical de la moelle
épinière, ayant le même caractère que celle des cas
précédents, explique parfaitement les symptômes
cliniques. Des altérations trophiques existent proba-
blement dans les muscles, de même que leur hyperé-
mie associée peut-être à celle des cordons nerveux,
ce qui explique leur sensibilité douloureuse à la
pression.
Observation V.
Homme de trente ans. Thermanesthésie partielle généralisée. -
Anesthésie limitée de la main. - Pareslliésies. Atrophie
musculaire progressive de la main. Phelgmon, panaris, etc.,
dans les antécédents du malade.
Mathieu Béliaïeff, âgé de trente ans, jardinier, est né et
demeure à 1'erlcnié-ICottey, à 4 lieues de Moscou.
DE LA GLIOMATOSE MÉDULLAIRE. 179
Il n'y a jamais eu de cas d'atrophie musculaire, de para-
lysies, de psychoses, etc., dans sa famille. Son grand-père était
un vieillard robuste, mort il y a trois ans. Son père est mort
quatre ans plus tôt d'une maladie aiguë. Sa mère vit encore et
donna le jour à quatorze enfants. Dix d'entre eux sont morts à
des âges différents; outre le malade sont restées vivantes deux
filles adultes et un fils, se portant bien. Mathieu se maria à
vingt-un ans et devint père de six enfants, qui moururent dans la
première enfance, à la suite de diarrhées; une seule fille, âgée de
quatre mois, est en vie. Il s'occupe de jardinage, s'expose à
diverses influences atmosphériques nocives, mais ne se souvient
pas d'avoir eu de refroidissement intense; pas de traumatisme du
dos, ni de travail épuisant autant qu'il s'en souvienne. Jamais il
n'a eu ni syphilis, ni fièvre intermittente. Pas d'excès alcooliques
ni vénériens. En fait de maladies antérieures, Mathieu ne se
souvient que d'une hydropisie (oedème des membres inférieurs
et des testicules), dont il était atteint vers l'âge de quinze ans,
à l'hôpital des enfants.
Vers l'âge de vingt ans, vertiges au lever du lit. Durant
quinze jours auparavant, le malade s'était mal nourri (c'était le
carême).
A l'âge de vingt-un ans, il se forma dans le tiers inférieur de
l'épaule, du côté, interne, un abcès de la grosseur d'un oeuf de
poule. Il fut ouvert à l'hôpital ; la maladie se termina au bout de
trois semaines. Le gonflement ne s'était pas étendu à toute la
main. Il y a six ans, le petit doigt de la main gauche enfla en
même temps que la partie voisine de la main (l'enflure ne
s'étendait pas jusqu'au bord radial), il se forma un abcès qui
s'ouvrit entre les doigts et donna lieu à une plaie béante séparant
les parties molles interdigitales et descendant du dos et de la
paume de la main jusqu'au niveau des têtes métacarpiennes. La
maladie dura près de cinq semaines environ. L'enflure de la
paume était considérable et s'étendait jusqu'à la face dorsale de
la main. L'avant-bras n'enflait pas. La douleur avait été parfois
très intense. Le malade ne consultait pas les médecins et se con-
tentait de fermer la plaie à l'aide de la charpie ; tout se termina
au bout de cinq semaines (l'abcès s'ouvrit quinze jours après le
début de l'inflammation). Après la guérison de l'abcès (au prin-
temps), les mouvements de la main étaient encore parfaitement
normaux, mais depuis l'été, commença à paraître une crampe
dans la première et la deuxième phalange de l'index et, vers le
printemps suivant, il s'incurva; il se développa simultanément
une faiblesse dans le petit doigt d'abord et dans tous les doigts
ensuite, faiblesse qui se manifestait d'autant plus franchement
que les doigts avaient plus froid. L'amaigrissement au début ne
sautait pas aux yeux et ce n'est que depuis le moment où le pouce
180 PATHOLOGIE NERVEUSE.
commença à être gêné dans ses mouvements, il y a deux ans de
cela, que le malade s'aperçut d'une petite excavation dans le
voisinage du doigt et de l'amaigrissement des autres muscles
interosseux. Depuis que la main s'était affaiblie, elle éprouvait
des fourmillements et des crampes se produisaient tantôt dans
un doigt, tantôt dans l'autre pour deux ou trois minutes. La
faiblesse de la main continue à augmenter légèrement encore. Il
n'y a pas eu d'augmentation de sueurs; une sensibilité au froid,
se manifesta dès le début de l'affaiblissement. La sensibilité
était bonne ; il n'y avait pas de douleurs. De temps à autre, une
fois par an par exemple, d'après le dire du malade, il se produisait
une contraction idio-musculaire du muscle biceps brachial (appa-
rition d'une petite boule semblable à celle qui se forme à la suite
d'un coup sec sur le muscle). A la main droite, il y a près de deux
ans, une crampe tonique commença à se produire tantôt dans un
doigt, tantôt dans l'autre, rarement dans deux doigts simultané-
ment, pour ne durer qu'une minute ; elle était due à une con-
traction qui se produisait ou dans les interosseux, ou dans les
longs fléchisseurs. Dans le courant de la dernière année com-
mencèrent à se produire simultanément aux contractions des
mouvements fibrillaires : le malade les sent; ils ne se produisent
pas dans les mains seules, mais aussi dans l'avant-bras et
l'épaule, et augmentent d'intensité par le froid. Il y a deux ans,
une faiblesse se fit sentir également dans la main droite, mais au
moment où elle est exposée au froid seulement pas de faiblesse
à une douce température. Depuis cette époque, se développa l'ano-
malie dans le petit doigt.
Etat actuel. - Main gauche. - Entre le pouce et le deuxième
métacarpien, une excavation : les espaces interosseux sont aussi
excavés. Le petit doigt est fléchi sous un angle de 100o dans l'arti-
culation de la première phalange avec la deuxième. Il se redresse
passivement presque jusqu'à 180o; les autres doigts sont aussi
légèrement fléchis dans les articulations correspondantes; ils ne
se redressent pas activement ; mais passivement, cela se fait sans
peine. L'extension active isolée dans les articulations interpha-
langiennes est impossible ; il se produit simultanément l'extension
des articulations métacarpo-phalangiennes. Le thénar est très
aplati, ainsi que l'hypothénar. La peau de la paume de la main
est facilement dépressible ; on n'éprouve aucune résistance au-
dessous d'elle.
Le pouce peut être fléchi dans la première articulation et
ramené vers la paume de la main, mais ces mouvements sont
absolument impuissants. La flexion dans l'articulation métacarpo-
phalangienne et l'opposition sont impossibles. Les autres doigts
se fléchissent très faiblement, leur adduction et leur abduction
sont égales à zéro. Le petit doigt est un peu déjeté et n'est pas
DE LA GLIOMATOSE MÉDULLAIRE. 181
ramené vers les autres doigts. L'extension est forte dans l'articu-
lation métacarpo-phalangienne et manque de force dans les
autres. Les mouvements des articulations radio-carpiennes et les
autres articulations des membres supérieurs ne sont pas atteints.
Contractilité électrique. Courant induit (grand appareil de
Stohrer), le court adducteur du pouce se contracte à 5°, le premier
interosseux à 0, les autres muscles de la main ne se contractent
point. Courant constant. Les nerfs sont normaux dans les muscles
atrophiés, 30 éléments avec l'alternative de Volta ne provoquent
pas de contraction.
Main droite. Il n'existe nulle part de l'atrophie musculaire,
le petit doigt est fléchi dans l'articulation entre les deux pre-
mières phalanges sous un angle de 150° et il est légèrement
déjeté des autres doigts. L'extension passive ne réussit pas com-
plètement. Activement le petit doigt ne se rapproche pas du
quatrième doigt, quoique le quatrième doigt se rapproche de lui.
La flexion du petit doigt dans l'articulation métacarpo-phalan-
gienne est forte. Son extension dans les articulations interpha-
langiennes est considérablement affaiblie, les mêmes mouve-
ments des autres doigts sont légèrement affaiblis en comparaison
de l'état normal. Les mouvements de la main sont libres et forts,
de même que tous les autres mouvements du membre supérieur
droit. Souvent se produisent les mouvements fibrillaires décrits
plus haut dans les extenseurs des pouces, du côté gauche dans
le court abducteur et l'interosseux et parfois aussi dans les
muscles de l'avant-bras. Ils se produisent de temps à autre pour
deux ou trois minutes dans les muscles de la main droite alterna-
tivement des contractures spasmodiques décrites plus haut, mais
à un degré peu marqué.
Point de phénomènes d'hypertonie musculaire. Les réflexes
tendineux sont conservés dans la rotule ; ils sont faibles dans le
tendon d'Achille; les réflexes cutanés sont conservés.
Sensibilité. - Le malade sent et localise partout régulièrement
l'attouchement par un cheveu ; cela est moins bien senti sur les
bouts des doigts, où la peau est légèrement épaissie. L'examen
par le compas de Weber donne partout des chiffres dans les
limites de la normale. Aux membres supérieurs : les bouts des
. doigts des deux côtés, 2 mill. ; le dos de la troisième phalange,
6 ; de la première, 10. Main gauche, première phalange, face
palmaire, 4-5 ; de la deuxième et troisième, 6 et 7 ; la paume de
la main, 12 ; sur Je dos de la main gauche, 2 centimètres et
l'attouchement de chaque pied du compas séparément est très
justement localisé par le malade, de même que l'attouchement
dans chaque espace interosseux ; tandis qu'un attouchement
simultané fait sur deux espaces interosseux ne donne que la
sensation d'un seul attouchement. L'attouchement du tendon
18 PATHOLOGIE NERVEUSE.
extenseur de chaque doigt se définit aussi d'une manière parfai-
tement juste. Le malade se trompe à l'avant-bras dans la locali-
sation d'attouchements séparés à un ou deux travers de doigts
dans la direction longitudinale et ne sent qu'un seul attouche-
ment si on le touche avec les pointes du compas écartés de
5 centim. A droite, au milieu de la face dorsale de l'avant-bras
les pointes du compas étant écartées de 7 centim., pris séparé-
ment, il localise les deux attouchements consécutifs d'une manière
très précise, et à -l'attouchement simultané des deux pointes, il
ne lui parait pas double. Le sens du lieu est très bien développé
sur les membres inférieurs.
La sensibilité à la douleur examinée par de légères piqûres et
par le courant induit parait être parfaitement conservée sur toute
la surface du corps. Le malade détermine infailliblement la diffé-
rence de pression entre 300 et 350 grammes sur les paumes des
mains. Le sens musculaire est conservé.
Le sens de la température est affaibli à un degré considérable
sur toute la surface du corps ; il l'est un peu moins sur le front
et la joue gauche, où le malade sent la différence thermique de
2 à 3°; au maximum dans les membres supérieurs où le malade
ne perçoit pas de différence de 25°, et à la partie supérieure du
bras de 40°, entre 0 et 40°. Aucune de ces températures ne
provoque ici de sensations spécifiques de chaleur et de froid.
Le thorax et les membres inférieurs occupent le milieu dans
l'anesthésie thermique. Il est à remarquer qu'ici la différence de
4e et de 2° et 1/21 parfois est justement définie, et ensuite une
différence de 1 à 20° n'est pas perçue.
Durant tout le temps que le malade a passé à l'hôpital il se
plaignait de toute une série de sensations subjectives : tantôt de
céphalalgie, tantôt d'autre chose ; les douleurs venaient et
cessaient; tantôt il sentait des picotements, tantôt des tiraille-
ments dans la poitrine,- des fourmillements sous-cutanés, d'eau
froide coulant sous la peau des membres inférieurs dans la direc-
tion du nerf sciatique, etc.
En général il suit, avec attention extraordinaire chez un ouvrier,
les sensations les plus insignifiantes et se plaint de quelque chose
au médecin à chaque visite. -
Point d'altérations dans les autres sphères du système nerveux.
Les organes des sens sont normaux, les pupilles sont égales, elles
réagissent bien. Les nerfs moteurs de l'oeil, de la face, la dégluti-
tion, l'articulation et les organes du bassin sont à l'état normal.
Les organes internes sont en bon état. La complexion est solide.
Le malade ne resta pas longtemps à l'hôpital et sortit dans le
même état. De temps en temps il venait se faire voir par moi
dans le courant de l'année suivante.
8 Janvier 1883. Les troubles du mouvement et de la sensibi-
DE LA GLIOMATOSE MÉDULLAIRE.
183
lité ne présentent pas de changements notables. La main droite
est subjectivement plus atlaiblie.
Les muscles de la partie supérieure de
l'avant-bras sont très rudes au palper,
ne sont pas douloureux et « sont comme
brûlants », selon l'expression du malade.
Il lui semble qu'ils sont plus forts. La
main plongée dans une cruche d'eau à40o,
« est comme dans un espace vide». Les
soubresauts persistent ; pendant l'examen
on observe une série de mouvements de
flexion et d'extension non rythmés et non
étendus dans l'articulation interphalan-
gienne du pouce de la main gauche ; si-
multanément il y a un tremblement et
une trépidation rapide des muscles de
la face interne de l'avant-bras; si le ma-
lade, après avoir fortement serré le poing,
ouvre la main droite, l'index reste pour
une minute spasmodiquementfléchi. Mou-
vements fibrillaires comme auparavant.
9 octobre 1883. Depuis le mois de juillet,
le malade sent un affaiblissement du sens
de la douleur et du toucher à la moitié
radiale de la main droite (fig. 7 et 8). Il
occupe les trois premiers doigts et la ra-
diale du quatrième; sa limite va exacte-
ment au milieu de la paume de la main
et de la face dorsale du quatrième doigt
en descendant. Sur la paume de la main
la ligne séparant la partie anesthesiee forme dans le tiers supé-
rieur de la main une courbe qui con-
tourne la partie inférieure du thénar et
vient se joindre à la ligne frontière de
l'anesthésie venant à sa rencontre du dos
de la main, où sa disposition est sem-
blable à celle qu'elle a sur la paume
(fig. 7. et 8). Bientôt après l'apparition de
l'anesthésie, commença à se développer, le
gonflement de la main droite existant jus-
qu'à présent. Le dos de la main est oedé-
matié dans sa partie supérieure, et sur la
limite de l'articulation radio-carpienne;
l'oedème est de consistance plus solide; il
n'existe pas de fluctuation. La peau est
rougeâtre, point de douleur, les mouvements sont peu limites
Fig. 19.
Fig. 20.
184 pathologie NERVEUSE.
par l'oedème; il augmente parle travail ; au repos il ne per-
siste qu'au-dessus de l'articulation. Celle-là est sans changements
appréciables. Dans la première moitié de 1883 une enflure sem-
blable existait au-dessus de la maléole interne d'un côté, il ne
disparaissait pas sous l'influence de l'iodure de potassium et de
frictions, mais disparut tout seul, après avoir existé pendant plus
de six mois.
26 janvier 1884. L'oedème de la main a disparu, mais en re-
vanche, on observe sur les faces palmaires et dorsales de l'articu-
lation radio-carpienne du côté (radial) externe des intumescences
de consistance molle et élastique, sans fluctation. Ils ne sont pas
nettement limités, siègent dans le tissu cellulaire sous-cutané, et
sont de la grandeur d'un sou sur la face palmaire, et de dix
centimes sur la face dorsale; ces tumeurs sont assez plates, la
pression du doigt ne laisse pas de trace, on observe dans les os et
les tendons de cette région rien d'anormal ; il n'y a point de dou-
leurs.
Les sens du toucher et de la douleur sont abaissés, quoiqu'ils
ne soient pas détruits, sur les mains et les doigts dans les limites
antérieures. L'atrophie et la faiblesse de la main gauche sont
restées stationnaires. A la main droite atrophie partielle des
muscles du thénar, surtout dans la partie inféro-externe, et un
commencement d'atrophie du premier muscle interosseux ; tous
les mouvements du pouce sont conservés ; objectivement on n'ob-
serve point de faiblesse, mais le malade se plaint d'un affaiblisse-
ment du pouce et de la main.
28 février. L'affaiblissement de la main droite progresse, il
y a une légère main en griffe, l'extension complète des phalanges
est impossible. Les muscles interosseux sont considérablement
affaiblis et présentent un commencement d'atrophie. Le thénar
et l'hypothénar sont atrophiés, le pouce est faible. Le malade
serre assez fort le poing. L'état de sensibilité est partout demeuré
stationnaire. Les tumeurs sont diminuées et devenues plus
solides.
Le cas cité est très intéressant, grâce à l'extension
de la thermanesthésie isolée, occupant la surface
totale du corps.
Ce tableau remarquable de vaste lésion d'élection,
rigoureusement systématique (au point du vue symp-
tomatique), ne s'est compliqué que vers la fin de la
maladie d'une altération des autres espèces de sensi-
DE LA GLIOMATOSE MÉDULLAIRE. 185
bilité de la main. Ici la région occupée par l'anesthésie
générale n'a pas seulement complètement répondu à
la région innervée par un seul nerf, mais même aux
limites de la distribution de deux ou trois branches
nerveuses ; elle donne peut-être quelque indication de
la distribution topographique dans les cornes posté-
rieures des nerfs sensitifs de la main. Dans ce cas,
nous voyons, outre l'anesthésie partielle les altéra-
tions trophiques caractéristiques décrites par d'autres
auteurs, des tumeurs pâteuses dans le tissu cellulaire,
tantôt paraissant, tantôt disparaissant, le phlegmon,
le panaris, la tendovaginite, etc.
Il est à remarquer que ce malade aussi nous a fait
entendre toute une série de plaintes de sensations
indéfinies et pas bien accusées; on n'entend des
plaintes semblables que des hypocondriaques oisifs ,
elles sont d'autant plus caractéristiques qu'elles par-
tent de la bouche d'un ouvrier. last nos least
atrophie musculaire ayant le caractère de l'atrophie
musculaire progressive protopathique spinale, pour
laquelle elle avait été prise d'abord, lorsque je vis
le malade au dispensaire, et l'examen ne fit pas
découvrir d'anesthésie à la douleur et au toucher, et
lui-même déclara que ses mains sentaient la diffé-
rence entre la chaleur et le froid. Une anesthésie
profonde du sens de la température avait ainsi
échappé pendant très longtemps à l'attention du
malade et ne fut déterminée par moi qu'à l'hôpital,
quoiqu'elle pût être constatée sans aucune peine, si,
n'ayant pas cru au malade, je m'étais contenté au
moins d'une épreuve grossière, faute d'avoir mon
thermesthésiomètre sous la main.
186 PATHOLOGIE NERVEUSE.
Tous ces symptômes permettent à peine de douter
du diagnostic gliomatose spinale et bulbaire à
tel point ils sont nombreux et caractéristiques. A la
vérité, nous nous trouvons là pour la première fois en
présence d'une anesthésie partielle du seul sens de la
température, mais la première et la deuxième obser-
vation nous prouvent qu'elle peut exister seule dans
certaines régions (entre autres dans celle du nerf
trijumeau) en se combinant avec l'analgésie dans
d'autres. Ici nous n'avons que l'absence de ces der-
nières régions (pas toujours grandes dans d'autres cas
aussi), d'anesthésie partielle combinée et une augmen-
tation considérable de la région de thermanesthésie
isolée, occupant un espace considérable dans d'autres
observations également.
L'atrophie musculaire associée à l'anesthésie par-
tielle diffuse confirme le diagnostic définitivement; les
petits mouvements spasmodiques des muscles sont
très typiques et quant aux maladies chirurgicales du
tissu cellulaire, aussi bizarre que cela puisse sembler
de premier abord, leur liaison avec les symptômes
fondamentaux de la maladie, contribue au tableau
clinique de notre observation en lui prêtant ses traits
caractéristiques. (,t suivre.)
DE l'astasie ET DE l'abasie. '18ï I
SUR UNE AFFECTION CARACTÉRISÉE PAR DE L'ASTASIE
ET DE L'ABASIE 1
(Incoordination motrice pour la station ET pour la. marche (Ciiar-
COT et IiICIIE11. Ataxie motrice hystérique (V. nI(TCIIGLL.
Ataxie par défaut DE coordination automatique) .L1CCOUD;
Par PAUL BLOCQ, interne des hôpitaux.
III. Description du syndrome. Les observations
qui précèdent nous permettront de tracer l'esquisse
d'un tableau de cette affection.
Dans la plupart des cas, le début est assez brusque ;
à la suite d'une émotion vive ou d'un léger trauma-
tisme, le trouble s'établit soit d'emblée, soit progres-
sivement en l'espace de vingt-quatre heures. Il n'est
pas rare qu'à ce moment il soit précédé ou accompa-
gné de quelques phénomènes douloureux, tels que
céphalalgie ou rachialgie.
Le désordre porte exclusivement sur les actes asso-
ciés de la station debout et de la marche, qui sont
empêchés à des degrés divers. Mais il importe, tout
d'abord, de constater ce fait commun à tous les cas :
lorsque le malade est assis ou couché, on n'observe
rien d'anormal, quoiqu'il existe cependant quelquefois
des altérations de la sensibilité cutanée des membres
inférieurs. Mais, du moins dans les cas typiques, la
puissance dynamométrique des muscles des mêmes
membres persiste, la conscience musculaire est in-
demne ; enfin, le malade exécute, avec force et préci-
sion, tous les mouvements qu'on lui ordonne. Ainsi
' Tome XV, n° 13, p. 2 1.
188 pathologie NERVEUSE.
peut-on lui faire lancer un coup de pied, croiser ses
jambes sous lui, atteindre avec le pied le but qu'on lui
désigne, etc.
De plus, les membres inférieurs ne présentent ni
mouvements involontaires, ni secousses.
Ce n'est que lorsqu'on commande au malade de se
tenir debout et de marcher que se révèlent les anoma-
lies. Celles-ci offrent, dès lors, quelques variétés dont
il importe de tenir compte dans la description.
Dans certains cas, la station debout et, a fortiori, la
marche sont complètement impossibles. Dès qu'on
met le malade sur pied, en le maintenant sous les ais-
selles de chaque côté, on le voit fléchir comme si ses
jambes étaient de coton, et il s'affaisserait s'il n'était
soutenu. Cependant, contraste saisissant, le même
malade, mis dans la position genu-pectorale, marche
« à quatre pattes » sans aucune difficulté.
Dans d'autres cas, le malade se tient debout lors-
qu'il est faiblement maintenu ; mais, dès qu'il s'agit de
marcher, il ne fait guère que se traîner, soutenu de
chaque côté par des aides : alors, les membres infé-
rieurs restent accolés l'un à l'autre sans raideur, les
pieds se détachant à peine du sol ; ces mouvements
n'ont de la marche que l'alternance des actes des deux
membres et ressemblent beaucoup à ceux d'un petit
enfant qui apprend à marcher.
Il arrive aussi que, lors de ces essais de marche à
l'aide de deux aides ou de béquilles, on constate di-
vers mouvements contradictoires et incoordonnés : les
jambes paraissent comme disloquées et s'embarrassent
l'une dans l'autre, ou bien les membres, souples au
lit et dans la station assise, se raidissent dès qu'ils
DE l'astasie ET DE l'abasie. 189
touchent le sol et se mettent convulsivement en demi-
flexion à angle droit avec le tronc.
Enfin, dans une autre forme, la station et la marche
ne sont plus que gênées au plus haut degré tout en
restant néanmoins possibles.
Les phénomènes qu'on observe alors n'en sont pas
moins caractéristiques.
Pendant la station, il se produit des mouvements de
brusque flexion des genoux suivis d'une extension très
rapide; à chacune de ces flexions des membres corres-
pond une flexion du tronc sur le bassin et, aussitôt
après, un mouvement d'extension du corps. L'en-
semble de ces actes rappelle assez ce qui se passe
lorsqu'on donne, à l'improviste, un coup sec sur le
creux du jarret, le membre étant dans l'extension.
Ces contorsions capitales entraînent des mouvements
secondaires compensateurs des membres supérieurs et
de la tête, destinés à maintenir l'équilibre autant que
possible et à prévenir la chute. Ces troubles s'accen-
tuent de plus en plus pendant la marche en restant
semblables; il y a même flexion de la cuisse sur la
jambe et du tronc en avant, suivis de redressement
ayant lieu à chaque pas. Même alors, l'extension con-
sécutive à la flexion des jambes peut être à ce point
intense qu'elle détermine un véritable saut, pendant
lequel le corps tout entier est projeté à quelques cen-
timètres au-dessus du sol.
En tout cas; ces mouvements sont irréguliers et non
rythmés; quelquefois, ils sont inégaux des deux côtés
du corps. -
On observe aussi qu'il'se produit, seulement pen-
dant la station et la marche, des oscillations du corps
190 pathologie NERVEUSE.
en avant et en arrière ou de droite à gauche, par une
série d'efforts, pour maintenir l'équilibre, qui dépas-
sent le but..
Ajoutons, enfin, qu'à son moindre degré, le trouble
peut ne consister qu'en une sorte d'incertitude de la
station et de la marche, figurant assez la marche pieds
nus, sur un sol'rocailleux, chez des individus inac-
coutumés.
L'influence de l'occlusion des yeux est inconstante;
toutefois, elle paraît d'habitude aggraver le désordre.
Les réflexes tendineux sont normaux dans la majo-
rité des cas, et il n'existe pas non plus de clonus du
pied.
Un point intéressant à relever, c'est que des modes
de progression autres que la marche normale peuvent
persister : tels, le saut, l'acte de grimper, la marche
à cloche-pied , la marche à quatre pattes. Nous
n'avons pu faire d'observations concernant d'autres
combinaisons musculaires comme la danse, la nata-
tion, le patinage, etc.; ces constatations seraient du
plus grand intérêt, et nous les signalons dans ce but.
Il arrive ainsi que quelques malades se créent des
procédés de translation particuliers, par exemple « en
sautant comme une pie » ou à l'aide d'une chaise sur
laquelle le malade s'asseoit et qu'il soulève avec ses
mains en la faisant progresser par petits sauts, mouve-
ment dont nous sommes coutumiers pour, étant assis,
nous rapprocher légèrement d'une table sans nous
lever.
Le fait capital reste, en somme, l'intégrité des actes
musculaires dans le décubitus, et leur non-appropria-
tion à l'accomplissement aux fonctions spéciales de la
DE l'astasie ET DE l'abasie. '19'1
station et de la marche, d'où la justification des termes
astasie et abasie que nous avons proposé d'adopter.
Dans beaucoup de cas, l'examen complet et appro-
fondi du malade ne décèle rien de plus que cette in-
coordination motrice fonctionnelle. Dans une obser-
vation, toutefois, nous avons cru devoir ranger la
malade dans la catégorie que nous décrivons, quoique
les fonctions des membres inférieurs fussent, au repos,
altérées à un certain degré, parce que leur impo-
tence était insuffisante à expliquer-les troubles de la
station et de la marche, qu'on pourrait considérer ici
(Ous. X) comme étant survenus à titre de compli-
cation.
M. Babinski nous a également communiqué un cas
de ce genre, dans la relation duquel il est dit : « Lors-
que la malade, est au lit, elle peut bien étendre la
jambe sur la cuisse, et elle résiste assez énergiquement
lorsqu'on veut fléchir le membre... Cependant, la sta-
tion n'est possible qu'avec des aides. »
Assez fréquemment (5/11 de nos observations), les
désordres du mouvement sont accompagnés des phé-
nomènes révélateurs de la diathèse hystérique, tels que :
ovarie, zones hypéresthésiques, analgésiques, rétrécis-
sement du champ visuel , troubles sensoriels divers,
attaques, qui devront, par suite, toujours être recher-
chés avec le plus grand soin dans les cas semblables.
- Enfin, on prévoit les cas où les phénomènes de
l'astasie et de l'abasie se trouveront entremêlés avec
des symptômes révélateurs d'une affection organique
spinale.
A part cela, toutes les fonctions s'accomplissent ré-
gulièrement et l'état général reste bon.
192 pathologie NERVEUSE.
D'après nos observations et la description que nous en
avons tirée, il est déjà possible de distinguer plusieurs
formes d'astasie et d'abasie correspondant aux divers
degrés auxquels les fonctions station et marche sont
atteintes. Celles-ci sont, en effet, amoindries, abolies ou
troublées, également ou inégalement l'une par rapport
à l'autre, et l'oil rangera aisément nos faits dans l'une
de ces catégories. On conçoit, du reste, qu'il puisse
exister de nombreuses variétés dans l'espèce sans que,
pour cela, l'individualité du type en soit compromise.
La marche de cette affection est assez capricieuse ;
ainsi, le trouble, déjà établi depuis plusieurs mois, a pu,
dans un cas, disparaître complètement pendant vingt-
quatre heures, pour réapparaître et persister ensuite
assez longtemps. Toutefois, d'ordinaire, l'état station-
naire dure et est suivi de la cessation brusque du
désordre. Sa durée a varié entre trois et quinze mois,
mais la guérison a été jusqu'à présent la règle. Le pro-
nostic serait donc à peu près toujours favorable.
Cependant, il faut compter avec les récidives : elles se
sont produites chez deux de nos sujets. Ajoutons que la
bénignité de cette affection ne saurait être sans doute
applicable à tous les cas; il serait prématuré de décré-
ter à ce sujet des règles absolues, et nous avons fait
allusion déjà aux cas où le syndrome abasie-astasie
viendrait se combiner aux symptômes d'une affection
organique.
Diagnostic. Les caractères fondamentaux de l'af-
fection sont assez particuliers et assez saisissants pour,
qu'une fois l'attention attirée sur ce point, il soit im-
possible de la confondre avec toute autre espèce d'im-
DE l'astasie ET DE l'abasie 193
puissance motrice des membres inférieurs , quelle
qu'elle puisse être. Cependant, le diagnostic est difficile
dans quelques cas, et, dans la plupart des relations
que nous donnons, des erreurs grossières ont été com-
mises à cet égard, même par des médecins distingués.
De plus, l'emploi d'un diagnostic différentiel rigoureux
confirmera l'autonomie du syndrome que nous étu-
dions.
Dans le cas où l'impossibilité de la station et de la
marche n'est pas absolue, le contraste entre ce qui
s'observe au repos et lors de la marche peut faire
songer à l'ataxie locomotrice; il y a, en effet, ataxie,
si ce mot est pris dans sa signification la plus large
(de fait, ce diagnostic a été porté au sujet de la ma-
lade de notre observation I), mais ce n'est pas l'ataxie
tabétique. Dans le tabès, les membres inférieurs se
dérobent souvent, mais jamais de façon à constituer
l'obstacle unique à la progression. La marche du tabé-
tique offre des particularités connues bien différentes
(projection du pied en avant). Mais, surtout, le malade
au repos offre toujours de l'incoordination pour tous
les mouvements des membres inférieurs. Enfin, il
existe d'autres signes : absence des réflexes, troubles
oculaires, douleurs fulgurantes, troubles vésicaux, etc.,
tout à fait spéciaux.
Lors de la maladie de Friedreich, l'incoordination se
manifeste également, le malade étant assis ou couché
et affecte aussi les membres supérieurs; de plus, le
nystagmus, l'embarras de la parole, la perte des
réflexes, la marche même de la maladie ne permettront
pas de douter longtemps.
Le trouble que Briquet puis Lasègue ont nommé
Archives, t. XV. 13 3
194 pathologie nerveuse.
ataxie hystérique, c'est-à-dire l'incoordination motrice
qui se manifeste sur des membres privés du sens
musculaire et articulaire lors d'occlusion des yeux,
n'est nullement comparable à l'astasie, de par cette
seule définition.
Lorsque la station et la marche sont complètement
impossibles, il serait permis de croire à une paraplégie
hystérique, et cela d'autant mieux qu'on décèle assez
fréquemment des stigmates hystériques chez nos ma-
lades, et que souvent aussi l'occasion du développe-
ment de l'affection porte à croire à une paralysie
psychique. Or, on sait que la paralysie hystérique se
présente sous deux formes cliniques typiques qui, au
premier abord, semblent séparées, mais qui, en réa-
lité, se rattachent l'une à l'autre par des cas intermé-
diaires qui font la transition. Dans un premier groupe,
la paralysie est avec flaccidité, dans l'autre, la para-
lysie est avec rigidité.
Dans ce dernier cas, la contracture est trop facile
à distinguer pour que l'erreur soit possible. Dans le
premier cas, il s'agit d'une diminution réelle ou d'une
abolition de la force dynamométrique, qui se révèle
aussi bien pendant la station assise et lorsque le ma-
lade est couché que dans le cas où il est debout.
Quand l'affection se présente sous sa dernière
forme, c'est-à-dire qu'il existe des mouvements désor-
donnés et contradictoires, pendant la station et la
marche, leur apparence choréiforme pourrait donner
le change et faire croire peut-être qu'il s'agit là de la
chorée, non de la chorée vulgaire, en tous cas, qui,
entre autres caractères, affecte les membres supérieurs
et la face, et, de plus, ne cesse pas lors de décubitus,
DE l'astasie ET DE l'abasie. 195
mais de la chorée hystérique. La chorée rythmée offre
comme caractères spéciaux le rythme et la cadence
des mouvements, leur intermittence sous forme d'ac-
cès ; de plus, les accès eux-mêmes se produisent pen-
dant que la malade est couchée; enfin, lors de l'accès,
tous les autres mouvements (saut, marche à cloche-
pied) sont empêchés. L'erreur sera donc aisément
évitée.
La confusion serait plus facile avec l'affection dé-
crite par M. Bamberger sous le nom de convulsion
réflexe saltatoire (Saltatorisch Reflexkrampf). Il s'agit
de sujets chez lesquels aussi les mouvements anor-
maux nuls dans la station assise, et si le malade est cou-
ché, se manifestent aussitôt qu'il pose le pied à terre.
Mais les désordres qui se produisent alors consistent
en véritables sauts brusques et très rapides qui sou-
lèvent le corps à 10 et 15 centimètres du sol et qui
ne cessent que quand le malade retombe épuisé ou
s'assied. Dans la majorité des cas, le malade étant
assis ou couché, les mouvements des membres infé-
rieurs reparaissent de nouveau à un certain degré
quand on chatouille la plante des pieds ou quand on
la presse fortement, phénomènes qui diffèrent essen-
tiellement de ceux que présente l'astasie. L'impres-
sion des auteurs qui ont étudié les cas de ce genre
est qu'il s'agit là d'un phénomène relevant de l'exa-
gération des réflexes tendineux et plus précisément,
suivant Erb, d'un phénomène connexe de la trépida-
tion épileptoïde qui se produit chez les sujets atteints
de paraplégie spasmodique par le redressement de la
pointe du pied.
Il n'y aurait pas lieu de distinguer l'affection qui
196 pathologie nerveuse.
nous occupe de celle qu'a décrite Erlenmeyer sous le
nom de convulsion statique, si l'on s'en tenait à l'ob-
servation publiée par cet auteur et que nous avons
reproduite, quoiqu'il la range dans la catégorie des
spasmes saltatoires de Bamberger. Ce fait se rappro-
che, en effet, tellement des nôtres, qu'il est permis de
lui attribuer semblable interprétation. Le malade dont
Erlenmeyer relate l'histoire, offre des phénomènes
presque identiques à ceux de la malade Go..., dont le
cas si typique a été l'occasion de plusieurs des leçons
de M. Charcot. La marche a lieu avec les mêmes alter-
natives de flexion et de redressement des membres
inférieurs et du tronc ; le saut que présente le malade
d'Erlenmeyer, et qui survient après quelques pas,
résulte de l'exagération progressive des mêmes mou-
vements incoordonnés. Ce cas n'a que cette parti-
cularité secondaire de commune avec les spasmes
saltatoires; il s'en éloigne en ce que les sauts ne
se produisent pas immédiatement aussitôt que le pied
a touché le sol, ne se continuent pas ensuite jusqu'à
épuisement du malade, enfin en ce que ni la percus-
sion ni le chatouillement de la plante du pied ne dé-
terminent le phénomène.
On différenciera enfin les rares convulsions fonc-
tionnelles dont sont passibles les membres inférieurs :
spasme des jumeaux chez les ouvriers employés à la
machine à coudre, spasme des rémouleurs décrit par
Duchenne, spasme des chorégraphes, danseuses de
ballet (Schultze). Toutes occupent un groupe de muscles
déterminé et ne se révèlent qu'à l'occasion de l'exer-
cice de la fonction à l'exécution de laquelle ce groupe
musculaire est préposé.
DE l'astasie ET DE l'abasie. 197
Ainsi que nous l'avions fait prévoir, l'astasie et
l'abasie ne peuvent rentrer dans aucune des divisions
nosographiques actuelles. Aussi bien n'existe-t-il pas
d'autre affection dans laquelle les mouvements parti-
culiers normaux quand le malade est couché ou assis,
et encore dans certains actes complexes, comme la
saltation, par exemple, deviennent à ce point incoor-
donnés dans la station et dans la marche qu'ils rendent
ces actes à peu près ou complètement impossibles. Il
s'agit donc en réalité d'un complexus symptomatique
spécial, et ce contraste est pathognomonique de l'asta-
sie et de l'abasie, quelles qu'en soient les variétés.
Causes. L'affection frappe l'un et l'autre sexe :
elle atteindrait plutôt les enfants de dix à quinze
ans, mais les adultes n'en sont pas indemnes,
deux de nos malades avaient vingt-deux et vingt-
cinq ans. Nous avons même constaté l'existence de
ce trouble chez une femme de cinquante-deux
ans. La cause immédiate des accidents paraît être
le plus souvent une émotion plus ou moins vive,
appréhension, frayeur ou encore un traumatisme
de minime importance survenu dans une chute, et
l'on peut se demander si c'est la chute ou l'émotion
qui l'accompagne qui est en jeu. Dans un cas la ma-
ladie a succédé à une couche laborieuse, dans un
autre à la fièvre typhoïde. D'autres fois aucun motif
n'est manifeste. Vraisemblablement, il ne s'agit là
que de causes occasionnelles qui n'acquièrent leur
toute-puissance que parce qu'il s'agit de sujets pré-
disposés ; la concomitance habituelle de stigmates hys-
tériques en fait foi.
'198 PATHOLOGIE NERVEUSE.
Traitement. - Le traitement qui a été institué et
suivi de succès dans la plupart de nos observations
n'est autre que celui que M. Charcot applique d'ordi-
naire aux manifestations hystériques : traitement mo-
ral, isolement, hydrothérapie, etc. Les procédés.mis
en oeuvre habituellement pour la cure des accidents
hystériques, la suggestion hypnotique, notamment,
ont également réussi. Disons que, dans l'un de nos
cas, M. Babinski a obtenu une guérison rapide par
la méthode du transfert d'un sujet à l'autre de l'ai-
mant, qu'il a imaginé. Enfin, il serait logique à l'aide
de travailler à rééduquer les malades et de leur appren-
dre à marcher.
IV. Physiologie pathologique. Les considéra-
tions qui suivent seront peut-être de nature à éclairer
la physiologie pathologique du syndrome astasie-aba-
sie, dont nous avons essayé de déterminer les carac-
tères cliniques.
Il est utile, au préalable, de rappeler ici quelques
points relatifs à la physiologie de la station et de
la marche considérées à l'état normal. Nous em-
pruntons d'abord à M. Mosso un passage qui nous
paraît approprié au but que nous nous proposons
d'atteindre : « Rien que 'pour apprendre à mar-
cher, dit-il, l'homme éprouve de grandes difficultés.
Au commencement, les enfants ont une grande peur
de se laisser tomber, même lorsqu'il ne leur est pas
arrivé de faire de chute. Nous faisons tous nos mou-
vements avec peine et non sans un travail sérieux ;
peu à peu l'acte devient moins raisonné et enfin à
peine volontaire, nous ne saurions dire automatique,
DE l'astasie ET DE l'abasie. 199
car la volonté intervient au moins au commencement.
Mais une fois engagés dans une route pour nous pro-
mener ou pour faire un voyage, nous pouvons mar-
cher longtemps sans nous en apercevoir. Ribot' parle,
d'après Trousseau, d'un musicien qui faisait sa partie
de violon dans un orchestre et qui était pris de ver-
tige épileptique pendant lequel il perdait la cons-
cience. « Cependant, il continuait à jouer en mesure
quoique restant absolument étranger à ce qui l'entou-
rait, quoiqu'il ne vît ni n'entendit plus ceux qui l'ac-
compagnaient. » Il nous arrive à tous de lire à haute
voix sans savoir ce que nous lisons et d'écrire un mot
pour un autre quand nous sommes distraits. Bien des
gens accablés de fatigue ont dormi en marchant. On
pourrait citer en grand nombre des exemples qui
prouvent que des mouvements qui, au début, ont coûté
de grands efforts de volonté, sont devenus tellement
habituels qu'on les accomplit sans en avoir cons-
cience.
Demandons-nous maintenant comment s'opère cette
transformation du mouvement volontaire en mou-
vement automatique ? Lorsque nous faisons pour
la première fois des mouvements compliqués notre
cerveau est le siège d'une grande activité. Rien
ne se fait sans le secours des cellules du plan
supérieur, c'est-à-dire des circonvolutions auxquelles
viennent en aide les organes des sens, afin de dé-
brouiller l'enchevêtrement d'ordres et de contre-
ordres à envoyer aux fibres musculaires. Le travail
s'accomplit sous une direction compétente et éclairée
1 Th. Ribot, Les Maladies de la mémoire.. Paris, 1881, p. 9.
200 pathologie NERVEUSE.
mais, à force de répéter le même travail, les commu-
nications deviennent plus étendues et les voies plus
aisées. A la longue le travail finit par être exécuté
par le plan inférieur et sans le concours de la volonté.
On comprend, en effet, que plus une action est fré-
quente, plus aussi le mécanisme qui sert à l'accom-
plir tend à s'organiser '. »
L'enfant qui commence à exécuter l'acte complexe
de la marche fait d'abord maladroitement les mouve-
ments jusqu'à ce que, à force d'essais et après beau-
coup d'efforts volontaires, il les accomplisse réguliè-
rement. Lorsque l'ensemble des mouvements a enfin
été associé, leur exécution simultanée devient de plus
en plus aisée et finit par être accomplie sans effort et
même sans conscience : la marche est devenue alors,
comme on dit, une action automatique secondaire ou
acquise. L'enfant acquiert avec la même lenteur la fa-
culté de maintenir son corps dans l'équilibre requis
pour se tenir debout 2. Comment se développent ou
mieux se créent ces centres médullaires d'actions
coordonnées ? « A la manifestation de l'énergie ner-
veuse correspondent une modification et une usure de
la substance nerveuse; et, quoique la nutrition régé-
nère peu à peu les éléments usés et rétablisse l'équi-
libre statique, cette réparation même s'effectuant sur
le trajet modifié, sert à enregistrer l'expérience. Ce
n'est pas une simple intégration qui a lieu, mais une
réintégration : la substance est restaurée d'une façon
spéciale, ce qui fait que la modalité fonctionnelle qui a
A. Mosso. - La Peur. Tracl. française. Paris, 188G, p. 42.
' J. Mill. Anal. IIt41n, rni1HI., p. 271.
DE l'astasie et DE l'abasie. 201
eu lieu est pour ainsi dire incorporée ou incarnée dans
la structure de la moelle épinière et y subsiste à titre
de substratum d'un mouvement potentiel ou abstrait.
Il en résulte pour l'avenir, une tendance à la répé-
tition de la même fonction , tendance renforcée par
chaque répétition. Ainsi, toute impression laisse après
elle une trace ou résidu qui est de nouveau mis en jeu
par un stimulus approprié : par là, les facultés de la
moelle s'élaborent et mûrissent graduellement '. »
Ces actions coordonnées s'établiraient, du reste,
avec d'autant plus de facilité que le germe de l'har-
monie des organes de la locomotion semble inné et
prêt à entrer en action à l'époque voulue 2, comme le
démontre ce fait que, longtemps déjà avant de mar-
cher, les enfants font des mouvements alternants avec
leurs jambes lorsqu'on les tient de façon à ce que
leurs pieds touchent le sol \ Vulpian remarque, à cette
occasion, que si l'homme ne marche pas dès sa nais-
sance, c'est vraisemblablement à cause du développe-
ment incomplet de ses centres nerveux. « Si l'en-
fant, dit-il, présentait un degré de développement
égal à celui du cochon d'Inde, il marcherait dès le
premier jour. » La question de mécanisme présente,
du reste, une importance relative, et, se plaçant à un
point de vue moins spéculatif, il est permis de se bor-
ner à considérer que les facultés de la moelle épinière
sont acquises par l'éducation. « L'enfant a certaine-
ment la faculté d'apprendre à marcher, mais le pro-
cédé de l'apprentissage consume beaucoup de temps et
1 Maudsiey, PhysIOlogie de l'esprit, trad. fr., p. HO.
° A. Bain. Les sens et l'intelligence.
3 Maudstey. Loco citato, p. 143.
202 pathologie NERVEUSE.
d'énergie et correspond à un développement progressif
de la moelle épinière; il est, en un mot, le devenir de
sa faculté \ »
Sans entrer trop avant dans le champ des hypo-
thèses, il est permis d'admettre, pensons-nous, qu'il
existe dans l'écorcedes groupes cellulaires différenciés
qui, par des commissures spéciales, entrent en relation
avec des groupes cellulaires correspondants dans les
centres spéciaux. Des groupes corticaux part le stimu-
lus, à l'occasion duquel ces centres spinaux entrent
automatiquement en action.
M. Charcot rend ce mécanisme saisissant à l'aide
d'une image. Il compare les divers centres médul-
laires, relatifs à la marche, à ces rouleaux de cuivre
des boîtes à musique, hérissés de petites pointes, dont
la disposition variable correspond à des airs différents.
Dans le groupe cérébral cortical serait le ressort
qu'il suffit de déplacer pour mettre l'appareil en action.
La comparaison nous parait d'autant plus instructive
en la circonstance que le même ressort a, dans l'orgue,
la double fonction de suspendre le mouvement et de
changer l'air. C'est ainsi que, dans le cas de la mar-
che, les centres spinaux, une fois activés par le centre
cortical, continuent à agir automatiquement jusqu'à ce
que survienne l'ordre d'arrêt ; et l'on conçoit qu'au
lieu de commander soit la station, soit la marche, le
groupe cérébral puisse mettre en jeu les groupes cel-
lulaires spinaux où réside le mécanisme de la course
ou du saut, etc.
Cette théorie de la station et de la marche, envisa-
llfaudsley. In loc. cit., p. 144.
DE l'astasie ET DE l'abasie. 203
gées comme actions automatiques secondaires résidant
dans des centres spinaux, s'appuie, d'ailleurs, sur un
ensemble assez cohérent de faits anatomiques, physio-
logiques et pathologiques.
Il est tout d'abord un certain nombre d'expériences
qui démontrent que, chez certains animaux, le centre
des mouvements coordonnés pour la marche est dans
la moelle.-Si on coupe la tête d'un canard d'un coup
de couteau, il s'agite et bat des ailes comme s'il vou-
lait fuir. On dit que l'empereur Commode faisait,
dans le cirque, trancher la tête à des autruches à
l'aide de faulx et que ces animaux continuaient à
courir pendant un certain temps. Une grenouille
décapitée peut encore nager ou sortir du vase qui la
contient quand on la touche ; mais ce n'est pas là un
acte cérébral, car si on réchauffe l'eau, la grenouille
se laisse- rôtir sans réagir, ce qui n'aurait pas lieu si
les excitations étaient capables de produire des actes
conscients. - Tieel tranche la tête à un serpent d'un
seul coup, puis le touche avec une baguette de fer
rouge ; le serpent, tout en se brûlant, grimpe autour
de la baguette en rampant '. Il s'agit bien là évidem-
ment de mouvements dont le mécanisme est dans la
moelle épinière , mouvements automatiques et non
raisonnés.
Physiologiquement, cette théorie explique comment
une impulsion unique de la volonté suffit pour provo-
quer une longue série de mouvements périodiques
qui se succèdent jusqu'à ce qu'une impulsion nouvelle
de la volonté les arrête. S'il n'en était pas ainsi, nos
1 Messes Loco citato, p. 26 et suivantes.
204 pathologie NERVEUSE.
actes habituels, et en particulier la marche, exige-
raient une multitude d'impulsions qui provoqueraient
la fatigue à bref délai *.
On peut ajouter que, si le mécanisme d'exécution
immédiate était dans l'écorce, un très grand nombre
de fibres nerveuses seraient nécessaires pour trans-
mettre les ordres à chaque cellule médullaire. En ad-
mettant, au contraire, que le cerveau ne transmet
qu'un ordre sommaire, il n'a besoin que de peu de
fibres pour mettre en jeu le groupe cellulaire où
réside le mécanisme d'exécution. Or, précisément,
M. Charcot a eu l'occasion d'observer un fait patholo-
gique qui réalise presque une expérience à cet égard.
Il s'agissait d'une malade qui fut, pendant sa vie,
atteinte de mal de Pott et de paraplégie 2. La para-
lysie des membres inférieurs avait disparu au boutd'un
certain temps et la marche était redevenue possible.
Pendant plus d'un an, on vit la malade marcher régu-
lièrement et sans fatigue, souvent pendant plusieurs
heures consécutives. A l'autopsie, on fut frappé de ce
que le volume de la moelle, sur la longue étendue du
siège de la compression , était réduit à celui d'un
tuyau de plume. De là, pouvait-on conclure, qu'en
raison du petit nombre de fibres nerveuses qui subsis-
taient, un centre cérébral organisé pour la marchen'au-
rait pas disposé d'assez de fibres pour transmettre son
action isolément à chacune des cellules du groupe spi-
nal, que, par suite, le centre des mouvements coor-
donnés pour cet acte subsistait intact dans la moelle
1 Hartmann. Philosophie de l'lncocascienl, t. I, p. 150 (traduction
française de D. Nolen). Paris, 1877.
2 Observation in Th. Michaux.
DE L'ASTASIE ET DE L'ABASIE. 205
lombaire; seulement, pendant la période paraplé-
gique, il ne pouvait être mis en jeu faute d'impulsion
psychique : dès que, par suite de la régénération de
quelques fibres nerveuses, la transmission de cette im-
pulsion fut rendue possible, la fonction reparut. Une
interprétation du même genre a été proposée par
M. Brown-Séquart à propos du cas communiqué par
M. Charcot.
En résumé, la station et la marche s'apprennent, et
l'apprentissage est long. Dans ce mécanisme, des grou-
pes de cellules corticales et spinales sont en jeu; mais,
tout d'abord, les groupes corticaux prédominent.
Toutes les forces de l'attention et de la volonté sont
employées à établir, à organiser et à régulariser ce
mécanisme. Mais, à mesure que le sujet devient de
plus en plus expert, ces phénomènes deviennent de
plus en plus automatiques, inconscients. Le rôle cor-
tical s'efface graduellement, et presque tout se passe
désormais dans les centres spinaux. Dans ces centres
s'est organisé un appareil de cellules reliées entre
elles, qui fonctionne de lui-même suivant de certaines
règles, lorsqu'il est mis en jeu parune influence venue
de l'écorce.
L'impulsion corticale est toujours le phénomène
initial ; mais l'appareil organisé pour la station, pour
la marche, peut opérer de lui-même, sans participation
de l'écorce, réglé qu'il est à l'avance du moment où
il est mis en action. Toutefois, le premier stimulus
cortical est nécessaire. - La représentation mentale
d'un escalier à monter est, par exemple, le phéno-
mène initial, puis l'ascension s'opère à l'aide du mé-
206 pathologie NERVEUSE.
canisme acquis, que ce fait psychique suffit pour ac-
tionner. On peut dire que si les groupes corticaux
ont la mémoire du genre d'impulsion qu'il faut donner
pour déterminer le fonctionnement du mécanisme de
l'ascension, de la descente, de la marche sur un plan,
et, pour tel ou tel mode d'ascension et de descente
(mémoire psychologique), les centres spinaux, eux,
chargés de l'exécution dite automatique, inconsciente,
ont la mémoire des réactions nécessaires pour répon-
dre à ces divers ordres d'origine encéphalique (mé-
moire organique).
Chaque fonction particulière acquise par l'éduca-
tion est automatiquement représentée à la fois par un
centre d'incitation et de représentation cortical et par
un ou plusieurs centres spinaux où seule réside
désormais la mémoire des détails des mouvements
associés qui doivent réaliser et objectiver la repré-
sentation mentale.
Pour en revenir maintenant au mécanisme des phé-
nomènes d'astasie et d'abasie, nous pouvons imaginer
qu'il s'agit ici d'une influence d'arrêt portant son ac-
tion soit sur le centre cortical de la station ou de la
marche - cas dans lequel l'impulsion initiale fera
défaut, soit sur le centre spinal, et alors l'ordre
donné n'est pas exécuté. - Dans l'état de nos con-
naissances sur ce sujet, il serait actuellement témé-
raire d'établir que, dans tous nos cas, uniformément,
le siège de la perturbation est primitivement cortical,
ou, au contraire, spinal. Il est vrai que, dans beau-
coup de nos faits, l'existence d'influences psychiques
qui paraissent avoir présidé soit au développement,
DE l'astasie ET DE l'abasie. 201
soit à la disparition du trouble moteur, plaiderait en
faveur de l'origine corticale; mais il semble, par
contre, que dans l'une au moins des observations (la
dixième), l'affection aurait été primitivement médul-
laire. On sait, en effet, par les détails de l'observa-
tion, que dans l'acte de la marche la malade pouvait
faire quelques pas normalement, et ce n'est qu'ensuite,
en continuant de marcher, que les désordres apparais-
saient et s'aggravaient progressivement ; d'où l'on
pourrait induire que le stimulus venant de l'écorce se
transmettait normalement, mais que l'exécution auto-
matique des actes du centre spinal, en conséquence
de quelque désordre survenu dans celui-ci, cessait
bientôt de se poursuivre avec la régularité habi-
tuelle.
Il est facile de comprendre, en tous cas, que, sous
l'influence de l'action inhibitrice supposée, la station
et la marche seront tantôt impossibles, tantôt difficiles
seulement, ou désordonnées, selon l'intensité même
de l'action d'inhibition. Le rôle du centre cortical
étant, en somme, de mettre en jeu le mécanisme spi-
nal, si l'arrêt est complet il y aura abolition de l'acte,
si l'arrêt est imparfait les ordres seront transmis iné-
galement, d'une façon désordonnée, et, en consé-
quence, il pourra y avoir, dans le premier cas,
suppression totale de la station ou de la marche, et,
dans le second, désharmonie, incoordination plus ou
moins prononcée des mouvements.
.C'est ainsi que, dans la station, alors que les con-
tractions synergiques et immanentes des muscles anta-
gonistes sont nécessaires à l'accomplissement régulier
de l'acte, il pourra y avoir cessation momentanée de
208 pathologie NERVEUSE.
l'action des extenseurs, bientôt suivie d'une action trop
brusque de ces mêmes muscles, ou bien encore d'une
action exagérée des fléchisseurs à laquelle pourra
succéder la contraction excessive des extenseurs, con-
traction qui pourra aller même jusqu'à produire le
saut, ainsi que cela se voit dans quelques observa-
tions. L'appareil où se produit la représentation mo-
trice nécessaire à l'impulsion peut être en défaut,
comme aussi l'appareil d'exécution, et l'on comprend
aisément que par suite des perturbations survenues
dans le fonctionnement de ce double mécanisme il
puisse se produire des contractions musculaires là où
il faudrait un relâchement, et, dans de certaines cir-
constances, des contractions et des relâchements qui
dépassent de beaucoup le but à atteindre et prennent
l'apparence de phénomènes spasmodiques analogues à
ceux qui ont été signalés en particulier dans l'obser-
vation de Gomp..., étudiée par M. Charcot.
Du moment où l'astasie et l'abasie représentent l'af-
fection d'un système organique fonctionnellement
différencié, autonome en quelque sorte, on comprend
que le syndrome se présente en clinique parfaitement
limité et indépendant de toute immixtion de symptô-
mes relevant d'une participation des centres affectés
au mécanisme du saut et de divers autres modes de
progression; on comprend aussi que les mouvements
spécialisés pour la marche et la station soient seuls
affectés alors que les mouvements généraux des mem-
bres inférieurs, quant à la force et à la direction,
restent parfaitement indemnes; on comprend enfin
qu'il se produise dans le syndrome astasie-abasie, des
variétés cliniques et physiologiques nombreuses, en
DE L'ASTASIE et DE l'abasie. 20\J
rapport, d'une part, avec la participation plus ou
moins générale ou partielle de l'appareil, et, d'autre
part, avec l'intensité plus ou moins grande de l'at-
teinte qu'il a reçue.
Une vérification, en quelque sorte expérimentale des
faits qui viennent d'être exposés, peut être obtenue
d'ailleurs par voie de suggestion chez des malades
hystériques plongées dans l'état de grand hypno-
tisme.
Gr... est plongée dans la période somnambulique du grand hyp-
notisme, eton lui suggère « qu'elle ne peut plus marcher, mais
qu'elle peut sauter ». Pendant quelques instants elle boite en
marchant, puis elle se décide à marcher en sautant les pieds rap-
prochés. Quand on lui dit de se tenir debout, elle ploie sur ses
jambes et manque de tomber; elle n'évite la chute que par un
saut. On la fait asseoir, et on constate que, étant assise, la résis-
tance aux mouvements provoqués est considérable et la direction
des mouvements parfaite. Réveillée, la marcheest pendant quelque
temps encore impossible, mais elle saute très bien et très vite.
Ci... étant en somnambulisme, on lui dit ces simples mots :
« Tu ne penses plus marcher. » Aussitôt les jambes fléchissent, et
elle tomberait, si on ne la maintenait. La marche et la station
sont impossibles. Il n'y a pas étant assise de modification de la
force dynamométrique des membres inférieurs, ni de la coordina-
tion des mouvements. Elle progresse très bien en marchant à
quatre pattes et en sautant à pieds joints. Réveillée elle conserve
l'impatience de la marche avec les mêmes caractères. Lorsqu'après
avoir fait disparaître le trouble par suggestion on lui dit : « Tu ne
sais plus marcher, » CI... présente une incoordination delamarche
tout à fait caractérique; elle vacille, ses genoux fléchissent et en
même temps son tronc s'incline en avant et se redresse d'une
façon exagérée alternativement.
Il y a lieu de penser que l'injonction « Tu ne peux
plus marcher » suggère chez ces sujets l'idée d'une
impuissance motrice complète, relative à la marche,
et, de fait, la manifestation consiste en une absolue
impossibilité de marcher; au contraire la phrase «Tu
Archives, t. XV. I i
210 pathologie nerveuse.
ne sais plus marcher » suggère l'idée seulement d'une
impuissance relative, dont l'incoordination est la tra-
duction clinique. C'est de cette façon, du moins, que
suivant notre expérience, la plupart des sujets inter-
prètent ces deux modes de suggestion. Mais, on com-
prendra, du reste, qu'il puisse y avoir 11 cet égard
puisqu'en somme il s'agit d'interprétation des
variations presque à l'infini.
L'étude étiologique nous a montré que la peur, une
émotion quelconque, un traumatisme souvent fort
léger, figurent parmi les causes provocatrices de l'af-
fection qui nous occupe. Or, justement, on sait qu'une
émotion un peu vive, la peur eu particulier, a régu-
lièrement pour effet de produire chez la plupart des
sujets une sorte de parésie avec ou sans tremblement
des membres inférieurs. Ces phénomènes se mon-
trent d'une façon très accentuée chez les animaux et
l'on sait, entre autres, que le singe terrifié ne peut
plus se tenir debout ni marcher; il en est quelque-
fois de même chez l'homme.
Or, il est vraisemblable, et c'est un point sur lequel
M. Charcot a beaucoup insisté dans ses leçons 1, que
cette sorte de paralysie émotive peut dans certains
cas, en particulier chez un sujet psychiquement pré-
disposé, être le point de départ d'une suggestion
d'impuissance motrice se réalisant sous l'une des
formes que nous nous sommes attaché à décrire.
Ne pourrait-on pas invoquer un mécanisme du même
ordre dans le cas même où l'influence émotive paraît
1 Leçons sur les maladies du système nerveux, t. 111, p. 453, sur les Pa-
ralysies émotives.
DE l'astasie et DE l'abasie. 211
n'avoir pas existé ? On sait aujourd'hui, et Leibnitz
savait déjà, qu'il existe des phénomènes de cérébra-
tion, d'idéation inconsciente lesquels peuvent expli-
quer, par exemple, comment un problème se résout
dans notre esprit sans que nous ayons participé
consciemment à sa solution. La seule chose dans ces
cas de rumination inconsciente, comme les appelle
Schopenhauër, qui parvienne à notre conscience, c'est
le résultat obtenu. Ne peut-on pas admettre que
quelquefois au moins l'idée d'impuissance motrice
pour la station et pour la marche se soit développée à
l'insu du sujet, dans un rêve peut-être qui n'aurait
pas laissé de souvenir, et que cette idée, en raison de
la prédisposition native ou accidentelle du sujet, ait
pu acquérir assez d'intensité pour se réaliser sous une
forme objective ?
Il n'est pas douteux, d'après les faits d'ordre
clinique qui forment la substance de notre travail, que
l'incoordination motrice astasique et abasique relève
le plus souvent d'une altération purement dynamique
sans lésion matérielle appréciable, et nos observations
montrent suffisamment qu'elle peut se trouver associee
aux stigmates hystériques vulgaires, ou alterner avec
divers symptômes du même ordre. Mais, tout dyna-
mique qu'elle soit, l'affection n'en occupe pas moins \
dans les centres nerveux certaines régions, certains
organes, qui, secondairement ou primitivement mis
en cause dans un cas de lésoin organique, doivent dé-
terminer cliniquement le même ensemble symptoma- \
tique. C'est là une question intéressante qui ne man-
quera pas d'être résolue sans doute bientôt à l'aide
d'observations appropriées.
CLINIQUE NERVEUSE
DES ÉPHIDROS1 : S DE LA FACE ' ;
Par M. Paul RAYMOND, interne des hôpitaux.
IV
Si l'on cherche maintenant une explication à ces
différents phénomènes, il semble que ce soit aux lé-
sions du système sympathique qu'il faille tout d'abord
s'adresser. Et en effet, même dans les cas où l'etlcé-
phale paraît présider à l'apparition d'une éphidrose, le
rôle du sympathique est mis hors de doute 2.
C'est donc aux expériences portant sur ce nerf
que nous essaierons de demander la solution du pro-
blème.
Lorsqu'on examine les diverses observations d'éphi-
drose de la face, on en trouve plusieurs dans lesquelles
l'hypersécrétion sudorale coexiste avec une hypérémie
et une augmentation de température de la région cor-
respondante, tandis que, dans d'autres cas, ces der-
niers symptômes manquent l'éphidrose existant seule.
C'est là une première distinction qu'il importe
d'établir.
1 Voir tome XV, m 53, page 51.
E Browu-S6quard. - Archires de physiol.
DES éphidroses DE la face. 213
Il y a en effet des éphidroses liées à des modifica-
tions de la circulation capillaire, à des troubles vaso-
moteurs. , '
Il en est d'autres absolument indépendants de toute
perturbation vaso-motrice et qui relèvent de l'excita-
tion des nerfs sudoraux.
Dès 1876, Ostroumow, Luchsinger ont montré l'in-
dépendance des phénomènes vaso-moteurs et excito-
sudoraux, dans leurs expériences sur le sciatique du
chat. Déjà en clinique, Eulembourg avait différencié
les nerfs vasculaires des nerfs sécrétoires.
M. Vulpian a prouvé que les sécrétions sudorales
abondantes ne sont pas en rapport nécessaire avec une
suractivité de la circulation cutanée. L'hypersécrétion
sudorale ne relève donc pas toujours de l'hypérémie
vaso-motrice et elle peut en être parfaitement dis-
tincte, liée alors à une irritation des seules fibres excito-
sudorales.
Dans l'expérience de Luchsinger, après la section
du sympathique abdominal, la sueur ne se produit plus
dans les pattes de l'animal en expérience. Mais la
faradisation du bout périphérique ramène aussitôt des
gouttes de sueur sur les pulpes digitales.
Au contraire, dans l'expérience célèbre de Pourfour
du Petit, reprise par Dupuy (d'Ifort), puis par CI. Ber-
nard, une section du sympathique cervical détermine
chez le cheval une sudation abondante qui cesse dès
que l'on électrise le bout périphérique du nerf.
Il y avait donc contradiction apparente entre ces
expériences.
MM. Vulpian et F. Raymond les reprirent alors et
ils constatèrent que le cordon cervical ne contenait que
214 lë pathologie NERVEUSE.
peu de fibres excito-sudorales, si même il en contenait,
et qu'il n'agissait sur la sécrétion de la sueur que par
l'intermédiaire des filets vaso-moteurs. Les variations
de la circulation capillaire amènent des modifications
parallèles dans l'activité des éléments anatomiques des
glandes sudoripares.
Dans l'expérience de Luchsinger, au contraire, la
sudation est le fait de l'excitation directe des fibres
sudorales.
MM. Vulpian et Raymond pensent que les fibres
excito-sudorales de la face accompagnent le nerf ver-
tébral ou encore émanent des filets bulbaires ou pro-
tubérantiels du sympathique. Elles se répartissent
ensuite entre les diverses branches du facial (Vulpian
et Raymond, Adamkiewicz, Straus) ou du trijumeau '.
Ainsi donc, en résumé, deux ordres de faits cli-
niques distincts, deux groupes d'éphidroses faciales :
1° Ceux dans lesquels, comme dans l'expérience de
CI. Bernard, l'hypersécrétion sudorale correspond à
une action vaso-motrice.
2° Ceux dans lesquels l'éphidrose est le fait d'une
excitation des fibres sudorales;
Dans ceux-ci, la sueur locale existe seule sans phé-
nomènes d'hyperthermie, ni de dilatation vasculaire. Il
y a le plus souvent dilatation pupillaire ou bien les
pupilles restent normales et égales.
Dans les premiers, il y a, outre l'hypersudation,
rougeur et chaleur des téguments, c'est une véritable
'D'après les expériences de Prévost, Jolyet et 1.a(Tont, Dastre et Morat,
et les recherches plus récentes de Luchsinger, Nawrocki, le trijumeau
aurait un rôle prépondérant dans la distribution à la face des filets du
sympathique.
DES ÉPHIDROSES DE LA FACE. 2t5 S
expérience physiologique. Généralement cette para-
lysie du sympathique cervical s'annonce par du
myosis qui peut même être le seul symptôme ; puis
viennent la rougeur et l'hyperthermie et enfin l'hyper-
sudation. Dans beaucoup de cas de paralysie du sym-
pathique-cervical, ce dernier symptôme peut manquer.
On peut donc conclure, lorsqu'on trouve sur un
côté de la face et du cou ce syndrôme clinique, rou-
geur, hyperthermie hypéridrose et myosis que l'on a
affaire à une paralysie du tronc du sympathique cer-
vical.
Mais comment expliquer les cas dans lesquels on ne
trouve que de l'hypersudation avec dilatation pupil-
laire ?
Ici il faut se reporter aux expériences de M. Vulpian
et aux expériences plus récentes de M. Luchsinger
(1880) et de M. Nawrocki.
La dilatation pupillaire peut être, à la vérité, pro-
duite par une excitation du tronc du sympathique
cervical. Toutefois, dans les nombreuses observations
où une phase d'excitation a précédé une paralysie du
sympathique cervical on a bien noté cette mydriase,
mais pas d'hypéridrose concomitante. Les fibres excito-
sudorales et irido-dilatatrices paraissent donc nette-
ment séparées.
De même., il y a des observations où les filets sudo-
raux sont seuls excités (éphidrose), les filets irido-dila-
tateurs restant indemnes (observation de 0. Berger,
notre observation H, par exemple, la plupart des
observations de notre quatrième classe), nouvelle
raison encore pour admettre deux voies distinctes pour
les fibres irido-dilatatrices (suivant on le sait, le
216 6 PATHOLOGIE NERVEUSE.
cordon sympathique) et les fibres excito-sudorales et
cela parait conforme aux expériences de 1'111\1. Vulpian
et Raymond.
Mais en 1880, M. Luchsinger a repris ces expériences.
11 a expérimenté sur un cheval préalablement chloro-
formé et chez lequel il avait injecté une solution de chlo-
ral, supprimant ainsi quelques-unes des nombreuses,
difficultés inhérentes à ce genre de recherches. Or, il
a constaté que l'excitation du bout supérieur du sym-
pathique cervical déterminait une sudation peu abon-
dante, mais très évidente sur la peau de la face préala-
blement rasée.
Ces expériences, renouvelées sur le cochon par
Luchsinger, puis par Nawrocki, ont amené les mêmes
résultats. Il semble donc, que de même que le sympa-
thique thoracique et le sympathique 'abdominal, le
sympathique cervical contient des fibres excito-su-
dorales.
Dès lors, l'excitation de ces dernières jointe à l'exci-
tation des fibres iriennes, donne la raison d'être de
notre deuxième catégorie de faits, éphidrose et
mydriase.
La question est toutefois plus complexe qu'elle ne le
paraît au premier abord.
En effet, outre que, comme nous l'avons dit, on ne
voit pas signalées dans les observations d'excitation
du sympathique, la mydriase et l'éphidrose, outre que
ces résultats ne concordent pas avec ceux de M. Nicati
qui a montré que la première phase d'une paralysie
du sympathique était une période d'excitation caracté-
risée par de l'abaissement de la température de l'exo-
phthatmie, de la mydriase, mais dans laquelle il n'est
DES ÈPHIDROSES DE LA FACE. 217 -1
pas question d'hypersudation; il semble peu probable
qu'une excitation portant sur les fibres sudorales et
iriennes du tronc nerveux ne porte pas également sur
les fibres vaso-motrices du même tronc. Or, l'excitation
de ces dernières déterminerait de la pâleur des tégu-
ments et de l'abaissement de température. C'est ce qui
n'est pas signalé, c'est ce que nous n'avons pas vu.
Il serait donc imprudent, actuellement du moins,
de chercher à expliquer, par une excitation du tronc
du grand sympathique cervical, les symptômes que
nous présentait notre premier malade et qui sont ana-
logues à ceux qui sont signalés dans diverses observa-
tions ; il est préférable d'attendre la continuation des
expériences de Lucksinger, qui, reprises par Nawrocki,
ont déjà donné de si importants résultats.
Que si l'on se reporte maintenant aux expériences
de MM. Vulpian et Raymond, voici ce que l'on cons-
tate.
Les filets irido-dilatateurs naissent par trois groupes
espacés entre la sixième paire cervicale et la cinquième
dorsale'. Le groupe supérieur qui provient des 6% 7°,
8° paires cervicales passe par le nerf vertébral.
Par ce nerf aussi passent les fibres excito-sudorales
de la face 2.
Puis ces fibres un instant unies aux fibres irido-di-
latatrices remonteraient le long de l'artère vertébrale,
tandis que les fibres irido-dilatatrices, après s'être réu-
nies au niveau du premier ganglion thoracique aux
1 Fr. Flanck. - Dict. encyclopéd., arl. Grand sympathique, t. XIV,
p. 6.
'Vulpian et Raymond. - Origine des fibres excito-sud. de la face.
C. R. Acad. des sciences, 1879.
z'18 8 CLINIQUE NERVEUSE.
fibres homologues des deux derniers groupes, remon-
tent le long du tronc du sympathique cervical. Quant
aux fibres vaso-motrices de la face, elles proviennent
des 2e, 3% 4% 5e paires thoraciques, puis se mélangent
dans le tronc du sympathique avec les fibres irido-
dilatatrices, tandis que les fibres excito-sudorales,
nous l'avons vu, n'empruntent pas cette voie'. i.
On est donc conduit à cette déduction que lorsqu'il
y a éphidrose faciale avec dilatation pupillaire du côté
correspondant, sans rougeur ni chaleur de la partie
atteinte, on est en présence d'une lésion irritative
qui intéresse soit le nerf vertébral mais dans ses fibres
descendantes seulement, puisque les fibres qui accom-
pagnent l'artère vertébrale ne contiennent pas de filets
irido-dilaiateurs (Franck), soit plutôt un point de la
moelle ou même des centres supérieurs commun aux
filets sudoraux et irido-dilaiateurs. Une lésion siégeant
en ces points n'intéresse pas le système des filets vaso-
moteurs.
Eu résumé, ce syndrome-mydriase-éphidrose serait
le fait d'une lésion irritative, soit du tronc du sympa-
thique csrvical (expériences de Lucksinger et Nawrocki),
soit d'un point de la moelle ou du bulbe, mais que
nous ne saurions préciser (expériences de Vulpian
et Raymond). Quant à déterminer l'influence qu'exer-
cent sur ces divers ordres de fibres la moelle, l'encé-
phale, la moelle allongée, c'est là une question bien
difficile à résoudre.
Il est cependant probable que les centres supérieurs
1 Dartre et lltorat. - In Dllval, art. Vaso-moteurs, Dict. (le Jaccoud,
p. 475.
DES ÉPHIDROSES DE LA FACE. 219
exercent une action sur la production de tels phéno-
mènes.
Il est, en effet, des cas où la lésion siégeant au ni-
veau du bulbe et même dans l'encéphale a donné lieu à
des troubles vaso-moteurs ou sudoraux. Des observa-
tions telles que celles de Bichat, de Meschede, de Mor-
selli que nous avons relatées en font foi. Nous-même,
nous avons pu observer dans le service de M. Moutard-
Martin le fait d'une femme qui mourut dans le coma
après avoir présenté tous les symptômes d'une hé-
morrhagie cérébrale. Nous constatâmes avec du myosis
de chaque côté une éphidrose limitée au côté gauche
de la face. L'hémiplégie gauche était complète. Mal-
heureusement nous ne pûmes faire l'autopsie.
Il semble donc exister des éphidroses faciales dues
à une lésion de l'encéphale. Elles seraient produites
soit par la lésion directe de l'écorce cérébrale, soit par
retentissement sur les centres bulbaires.
On connaît à cet égard l'opinion de M. Brown-
Séquard, celle de M. Vulpian1; mais malgré leurs expé-
riences auxquelles se sont ajoutées celles de M. Adam-
kievicz3, de M. Blochg, etc., cette question reste en-
tourée d'obscurité et, manquant des éléments néces-
saires à sa solution, nous n'y insisterons pas davantage.
De même, la moelle peut, dans certains cas bien dé-
terminés, donner lieu à la production des symptômes
qui nous occupent4.
Nous ne pouvons mieux faire à ce propos, que de
'C R. Acad. des sciences, 1878. t LXXXVI.
= Die Sécrétion der Schweisses, Berlin, 1878 et C. R. SJc. physiol.,
Berlin, septembre 1819.
3 Thèse citée.
. Voir l'observation de Raymond et (Iieviie de 22zé(leciiie, 18S4.)
-20 CLINIQUE NERVEUSE.
rappeler les recherches de M. Pierret et de citer la
communication qu'il fit en 1882 à l'Académie des
sciences au sujet de certains symptômes secondaires
de l'ataxie locomotrice.
« J'ai été amené, dit-il, à rechercher la cause de
symptômes observés dans le tabes : crises douloureuses
viscérales, crises de diarrhée, troubles sécréteurs ou
vaso-moteurs observés sur le tégument sous forme de
sueurs locales ou de dilatations vasculaires plus ou
moins étendues et quelquefois dimidiées.
Il est dans la moelle un système anatomique inter-
médiaire aux zones motrices et sensitives, qui s'ad-
joint aux fibres ascendantes qui occupent le cervix
cornu posterions et la partie profonde des cordons la-
téraux, région éminemment mixte qui renferme des
tubes nerveux sensitifs, moteurs et vaso-moteurs. Ces
derniers émanent visiblement de la chaîne d'amas
ganglionnaires qui occupe l'angle externe de la corne
antérieure, porte le nom de tractus iutermédio-laté-
ralis et passe avec raison pour représenter les origines
intra-spinales du grand sympathique. Dans le cours du
tabes sensitif, cette région, qui renferme non pas des
nerfs mixtes mais des faisceaux mixtes de nerfs, est
fréquemment intéressée. Alors apparaît toute une série
de phénomènes sensitivo-vaso-moteurs qui viennent
compliquer la marche et obscurcir le diagnostic de la
maladie. J'ai pu m'assurer de ces lésions plusieurs
fois et démontrer que c'est toujours à la sclérose se-
condaire ou primitive de ce système bulbo-spinal, sa-
tellite de nerfs réputés mixtes, que l'on doit attribuer
l'apparition de tous les symptômes qui, de près ou de
loin impliquent un trouble circulatoire ou une alté-
DES ÉPHIDHOSES DE LA FACE. 221 t
ration de la sensibilité des organes splanchniques. »
Les recherches de M. Pierret mettent donc ce fait hors
de doute : c'est que les lésions de l'ataxie locomotrice
portant uniquement sur la moelle suffisent à expliquer
les éphidroses que l'on observe dans cette affection.
L'interprétation que M. Pierret donne de ces phé-
nomènes semble également pouvoir s'adapter à l'ob-
servation personnelle que nous avons relatée. Outre
l'éphidrose faciale que présentait notre malade, nous
avons vu que si les sensibilités spéciale et générale de
la face étaient indemnes, il n'en était pas de même de
la sensibilité du bras droit. Il y avaitde la thermanes-
thésie de la main ainsi que des élancements et des
crises douloureuses dans le membre supérieur droit, et
cela dans la sphère du nerf cubital. On ne peut s'em-
pêcher de rapprocher ces phénomènes douloureux de
ceux que l'on observe dans le tabès et dont le siège iden-
tique répond à un substratum anatomique, la lésion des
bandelettes externes et de la substance grise posté-
rieure. Nous ferons toutefois des réserves pour l'ataxie
locomotrice. Si les symptômes que nous avons passés
en revue sont ceux du tabes sensitif, il faut reconnaître
que ces derniers sont d'ordinaire accompagnés d'une
réunion d'autres symptômes dont le groupement laisse
peu de doute pour le diagnostic. Or ici tout autre
signe fait défaut : quant aux autres symptômes du
tabes moteur, l'observation a montré qu'il n'en existait
aucun.
Il n'est pas jusqu'à certains nerfs qui ne puissent
eux aussi donner naissance au syndrome observé, di-
latation pupillaire et éphidrose. 11. Vulpian a, en effet,
montré qu'après avoir excité le ganglion cervical su-
LI CLINIQUE NERVEUSE.
périeur et premier thoracique, l'électrisation du bout
supérieur du nerf sciatique sectionné amène une di-
latation pupillaire par des fibres provenant du triju-
meau'. Quant aux filets sudoraux, ce nerf en contient
sans aucun doute comme le nerf facial.
Quoi qu'il en soit, en résumé, des expériences de
Luchsinger et Nawrocki, d'une part, de MM. Vulpian
et Raymond, d'autre part, il faut se garder d'y cher-
cher l'explication de tous les faits cliniques. S'il en
est qui se trouvent éclairés par telle ou telle expé-
rience, il en est d'autres qui ne peuvent se plier à la
théorie. Tels sont ceux, par exemple, dans lesquels
on constate une altération des ganglions sympathiques
(notre observation II) et dans lesquels on observe,
suivant les cas, tantôt le syndrome vaso-moteur,
tantôt le syndrome mydriase éphidrose. Constatons
les faits, précisons les inconnues et demandons la
solution du problème à de nouvelles expériences, à
de nouvelles observations.
Quant aux altérations des ganglions du grand sym-
pathique cervical qui ont été signalées en l'absence
de toute lésion correspondante du tronc du nerf, que
faut-il en penser ?
Nous avons vu que Morse ! ) ! , Ebstein, Riehl avaient
noté dans les autopsies de leurs malades certaines
altérations portant sur les ganglions cervicaux et no-
tamment sur le ganglion cervical supérieur du sym-
pathique. Ces lésions peuvent-être ramenées à une
hypertrophie du ganglion avec sclérose, altérations
cellulaires consistant tantôt en une atrophie simple ou
1 Vu'pian. - C. il. Académie des sciences. Août 1878.
DES PIIIDROSES DE LA FACE. 223
pigmentaire, tantôt en une dégénérescence graisseuse
des cellules nerveuses et en altérations vasculaires,
congestion et thrombose veineuse.
Bartholow tend à expliquer par des lésions ganglion-
naires, les faits dans lesquels on ne trouve qu'intégrité
absolue du système nerveux.
M. dans les observations qu'il rapporte d'é-
phidrose faciale survenant chez des paralytiques gé-
néraux, fait remarquer que MM. Poincaré et Bonnet
ont parfois trouvé dans la paralysie générale une
pigmentation marquée et une sclérose des ganglions
du sympathique, et il n'est pas éloigné de chercher
dans une lésion similaire l'explication des phénomènes
morbides qu'il a observés.
Ces lésions des ganglions ne paraissent pas cepen-
dant être toujours en rapport avec l'éphidrose de la
face. M. Vulpian a vu souvent les ectasies veineuses,
les pigmentations ganglionnaires sans qu'il y eût eu
d'éphidrose.
Alarcacci a trouvé une injection des ganglions cer-
vicaux avec une abondante prolifération nucléaire
comprimant les cellules et riche dépôt de pigment, en
faisant l'autopsie d'une malade atteinte d'eczéma gé-
néralisé et morte de bronchite. Il n'y avait eu d'ail-
leurs aucune sorte d'hypersudation non plus que dans
le cas suivant dû à Brigidi. Il s'agissait d'une paralysie
pseudo-hypertrophique et l'on trouva dans les gan-
glions cervicaux une dilatation marquée de vais-
seaux, l'atrophie des cellules nerveuses avec accu-
mulation de granulations pigmentaires cuivrées et
développement exagéré d'éléments fibreux étranglant
les éléments nerveux.
2 CLINIQUE NERVEUSE.
Mais il est probable que, dans ces deux cas, la
phase de destruction des cellules avait remplacé la
période d'excitation et ainsi s'expliquerait fort bien
l'absence des phénomènes qui nous occupent.
Quoi qu'il en soit, on peut voir, sur la planche que
nous ajoutons à ce travail, les altérations que nous
avons trouvées en examinant le ganglion cervical
inférieur de notre malade.
Ce sont justement celles qui ont été signalées par
Jlforselli, Ebstein, Riehl, Mickle; nous nous croyons
donc autorisé à réunir notre deuxième observation
aux faits précédents et à nous rallier à l'opinion des
auteurs que nous venons de citer.
Une lésion des ganglions cervicaux du sympathique
peut amener une éphidrose de la face.
Celle-ci est la conséquence de l'excitation des
cellules du ganglion ou des filets nerveux qui la
traversent.
il est donc avéré, pour conclure, que des lésions de
l'encéphale de la moelle, du tronc et des ganglions du
grand sympathique cervical peuvent déterminer une
éphidrose faciale. Celle-ci répond en clinique à deux
types : 1° syndrome, éphidrose, myosis, troubles
vaso-moteurs; 2° éphidrose seule ou le plus souvent
accompagnée de dilatation pupillaire.
Avant de terminer, nous désirons appeler l'attention
sur deux ordres de faits que l'on trouve dans notre
première observation, comme d'ailleurs dans plusieurs
des cas ci-dessus relatés.
Nous ferons ressortir en premier lieu la persistance
de la mydriase alors que les troubles sudoraux sont
temporaires et passagers. Tandis que la dilatation pu-
DES ÉPHIDROSES DE LA FACE. 225
pillaire reste à peu près invariable, l'éphidrose ne se
produit que sous l'influence d'un mouvement ou
lorsque tout le corps est en sueur ; -le malade remar-
quera alors que la sudation est plus prononcée du
côté atteint. D'autres fois, c'est une perturbation
morale ou le plus ordinairement l'impression d'un
nerf de sensibilité générale ou spéciale qui provoquent
l'hypersudation. A la suite de l'impression des nerfs
du goût, ainsi que cela se voit le plus fréquemment,
survient soit l'éphidrose, soit le syndrome vaso-moteur
et l'on n'aperçoit à ce moment^aucun changement dans
le diamètre pupillaire; la mydriase ou le myosis
n'augmentent pas. Puis bientôt, les troubles sudoraux
ou vaso-moteurs, suivant les cas, disparaissent et les
phénomènes pupillaires persistent seuls.
Nous signalerons, en second lieu, la tendance
qu'offrent certaines de ces éphidroses à envahir les
parties voisines. Tantôt débutant par une région bien
circonscrite comme la région temporale, la sueur
gagne bientôt le front puis la joue, le cuir chevelu et
enfin toute la moitié correspondante de la face, n'em-
piétant sur le côté opposé qu'autant que le permet
l'intrication des filets nerveux qui dépassent la ligne
médiane.
Puis tantôt lentement, tantôt rapidement, l'éphidrose
envahit le cou, la nuque, l'épaule, le bras. Les
exemples ne sont pas très rares de ces hémidroses qui
n'étaient au début qu'une éphidrose faciale. Elles sont
évidemment de même ordre que celles qui atteignent
d'emblée toute une moitié du corps.
Il faut ajouter cependant que le plus souvent ces
éphidroses faciales restent stationnaires et qu'on en a
Archives, t. XV. 15
226 CLINIQUE NERVEUSE.
signalé qui, après plusieurs années, avaient disparu
spontanément.
Quant à la thérapeutique, elle est le plus souvent
inefficace. La sueur n'est ici que la manifestation lo-
cale d'une lésion qui intéresse soit le système grand
sympathique, soit les centres bulbaire ou spinal. Elle se
présente au même titre que les troubles pupillaires et
les phénomènes vaso-moteurs. Ceux-ci n'incommodant
pas les malades, réclament moins impérieusement un
traitement qui pourrait d'ailleurs demeurer tout aussi
inactif. Mais il n'en est plus de même pour cette éphi-
drose, qui survient à tout moment et qui devient pour
le malade une gêne perpétuelle, une préoccupation de
tous les instants. Pour la traiter, c'est à la lésion cen-
trale qu'il faut logiquement s'adresser. Nous avons vu,
en effet, que chez notre malade toutes les substances
dirigées contre le seul symptôme sueur avaient échoué.
En dehors des cas où la chirurgie pourrait intervenir
avec avantage, il y aura lieu d'essayer les courants
continus sur la moelle, les sédatifs du système ner-
veux, l'opium, le bromure de potassium ou encore et
surtout l'iodure de potassium.
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EXPLICATION DE LA PLANCHE V.
Coupe du ganglion cervical inférieur du grand sympathique.
A. Enveloppe fibreuse du ganglion.
B. Tubes nerveux intéressant le ganglion.
C. Tissu cellule-adipeux et vaisseaux.
D. Cloisonnements partant de l'enveloppe et entourant des cellules
ganglionnaires.
E. Cellules normales du ganglion.
F. Prolifération embryonnaire comprimant.
G. Les cellules malades du ganglion.
DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE' ;
Par BOURNEVILLE et P. BRICON
V. Automatisme
Nous avons cru intéressant de rapprocher de Vépilep-
sie procursive et des actes procursifs les phénomènes
1 Voy. Archives de Neurologie, vol. XIII. p. 321; - vol. XIV, nos 40
et 41, p. 5j et 235, juillet et septembre 1887; vol. XV, p. 75.
228 CLINIQUE NERVEUSE.
automatiques que l'on observe si fréquemment chez cer-
tains épileptiques. Nous rejetons, du reste, toute as-
similation étiologique avec la procursion; l'automa-
tisme n'est, en effet, que la répétition inconsciente
d'actes simples accomplis quotidiennement' par le ma-
lade. II se voit le plus souvent à la suite de vertiges
ou d'accès aigus; cette forme est la plus fréquente, et
beaucoup d'auteurs n'admettent même que l'auto-
matisme post-épileptique.
Nous citerons, dès l'abord, quelques cas d'auto-
matisme que nous avons eu l'occasion de relever chez
nos malades de Bicêtre.
I. Automatisme simple. L'automatisme simple
revêt souvent une importance considérable en méde-
cine légale; on comprend en effet à combien d'inter-
prétations peut donner lieu, par exemple, l'acte de se
déshabiller accompli par un épileptique selon le lieu
où il se passe, et les circonstances qui l'accom-
pagnent. Herpin, Gowers, etc., en citent de nombreux
exemples. Herpin rapporte qu'une cantatrice se mit
tout à coup à se déshabiller dans son cabinet; Gowers3,
cite un professeur de musique qui, en donnant une
leçon à une demoiselle, eût un accident épileptique si
léger que son élève ne s'en aperçut pas et qui, aussitôt
après, commença à se déshabiller. Il dut abandonner
sa profession. On attribua cet acte à toute autre cause
1 Disons toutefois que certains épileptiques peuvent exécuter des actes
n'ayant aucun rapport avec leurs habitudes; tel est le cas de la malade
de Herpin qui paraissait imiter un joueur de guitare, quoique n'ayant
jamais tenu cet instrument.
* Herpin. Des accès incomplets d'épilepsie. Paris, 1867, p. 135.
a Gowers. - De l'épilepsie, trad. Carrier. Paris, 1883, p. 485. '
DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 229 9
que la maladie. Une interprétation tout aussi erronée
peut résulter d'actes accomplis par des épileptiques
s'appropriant des objets ne leur appartenant pas, ou
s'introduisant inconsciemment dans des propriétés pri-
vées. L'automatisme ambulatoire, du reste très fré-
quent, s'observe non seulement à la suite de vertiges
et d'accès, mais constitue encore une des formes les
plus communes de l'épilepsie larvée.
Observation XXXVI.
Grand'mère paternelle morte d'apoplexie. Grand-père ma-
ternel alcoolique. - Premier accès à onze ans précédé de
vomissements alimentaires et bilieux comme les suivants. -
Pas d'aura. - Etourdissements. - Accès de colère. - Ten-
tative de suicide. - 7 ? posps<as ? af mal (novembre
1884). - Automatisme. - Mort en état de mal (1SSG).
Autopsie. Atrophie et aspect chagriné de différentes
circonvolutions. Atrophie cérébelleuse. - Anomalies des
circonvolutions et des scissures cérébrales.
Gr... (Martial-Auguste), né le 21 mai 1867, est entré le
30 novembre 1884 à Bicêtre (service de M. BOURNEVILLEJ et y
est décédé le 12 mars 1886.
Renseignements fournis par sa mère (8 novembre 1884). --
Père, tailleur, assez grand, très sobre, calme, mort à cinquante
ans, il y a un mois, probablement d'une tumeur du bassin.
[Père, mort des suites d'un refroidissement ( ? ) en trois jours ;
tisserand, sobre. - Mère, morte à soixante-douze ans, d'une
attaque d'apoplexie. Pas de détails sur les grands-parents.
- Pas d'aliénés, pas d'épileptiques, d'idiots, de difformes, de
suicidés, ni de criminels dans la famille.]
Mère, quarante-quatre ans, couturière, brune, de taille
plutôt petite, impressionnable, assez colère, assez intelligente.
[Père, mort en 1871, de la varioloïde, menuisier. Excès de
boisson. - Mère, bien portante, soixante-six ans, sobre. z
Grand-père et Grand'mère paternels pas de détails. - Grand-
230 CLINIQUE NERVEUSE.
père maternel, mort d'une tumeur abdominale à soixante-cinq
ans, sobre. Grand'mère maternelle, morte de vieillesse à
quatre-vingt-sept ans. Pas d'aliénés, etc., dans la famille.]
Deux enfants etune fausse couche : 1° notre malade; 2° fausse
couche à deux mois et demi ; 3° garçon, cinq ans, intelligent,
n'a pas eu de convulsions.
Notre malade. A la conception qui a eu lieu peu de jours
après le mariage, elle était bien portante ainsi que son mari;
ni émotions, ni discussions. Grossesse bonne, pas de trau-
matisme, pas de peurs, pas d'alccolisme. Accouchement à
terme, naturel. A la naissance, pas d'asphyxie, bel enfant,
fort. Elevé au sein par une cousine. - A deux ans et demi
lorsque sa mère l'a repris, il avait toutes ses dents. De bonne,
heure, il marchait, parlait bien, était intelligent. - Sa santé
a été bonne jusqu'à onze ans; jamais de convulsions.
A onze ans, la nuit, indigestion ( ? ) à la suite de laquelle il
s'est mis à crier, à se détendre, « les nerfs étaient roides ( ? ) ;
c'était un accès comme ceux qu'il a, mais moins forts ». A
dater de cette époque, il a eu des étourdissements qui reve-
naient toutes les deux semaines, tous les mois et de plus
des accès.
Le second accès est venu un mois après le premier. Durant
les six premiers mois, il a eu un accès mensuel et chaque fois
l'accès était précédé de vomissements alimentaires et bilieux.
De onze ans et demi à douze ans, il n'aurait eu qu'un accès
de deux en deux mois ; il suivait alors le catéchisme pour sa
première communion, ce qui fait que sa mère attribue cette
diminution des accès à une « permission de Dieu». Durant cette
année, l'intelligence n'avait pas diminué, il apprenait assez
bien ; allait à l'école. Jamais d'aura. De douze à treize ans,
situation passable, point d'aggravation. - A quatorze ans, on
a cessé de l'envoyer à l'école. Il tombait environ trois fois par
mois. A quinze ans et demi, il est allé en Prusse (en pleine
campagne, dans la famille de sa mère). Il y est resté deux mois;
il a eu peur, il aurait eu beaucoup d'accès; on l'a ramené
parce qu'il s'ennuyait. Les accès ont alors augmenté pro-
gressivement et depuis le mois de mai 1884 ils sont de plus
en plus fréquents. En 1883, il avait un accès par semaine.
Depuis mai z, il a eu en outreplusieurs séries. Le maximum
des accès, cette année, en vingt-quatre heures, a été de sept
et le plus long intervalle a été de trois jours. - Accès diurnes
DE l'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 231
et surtout nocturnes.- Depuis deux ans, les étourdissements
qui ont débuté, ainsi que nous l'avons vu, aussitôt après les
accès, sont devenus plus nombreux; ils ont encore augmenté
depuis mai 1884.
On a noté en outre depuis un an des accès de colère contre
sa mère qu'il prenait par les cheveux, contre son petit frère
(cinq ans), contre les objets qu'il cassait. Un jour, une dame
voyant qu'il se révoltait contre sa mère, l'a souffleté ; alors,
de rage, il a pris un couteau et s'en est donné un coup dans
la région précordiale (hémorrhagie assez abondante). Ceci se
passait à la fin de septembre.
L'intelligence a diminué progressivement depuis deux ans.
Pas de folie avant les accès; parfois il avait la manie de s'en
aller ; c'est ainsi qu'il a été arrêté à Vincennes, puis rue de
Varennes. - Pas de violences après les accès, pas d'halluci-
nations. - Sommeil bon, il s'endormait souvent après les
accès. Pas de cauchemars ; pas de secousses, pas de fièvre,
pas de peurs. '
Il a eu beaucoup de vers étant jeune. Pas d'onanisme. Pas
de traumatisme. On ne sait à quoi attribuer sa maladie. Trai-
tement : Bromure de potassium ; iodure de fer, etc. Il n'a
pas eu la rougeole ni la scarlatine ; pas de varioloïde. Coque-
luche à sept ans.
Etat actuel (décembre z1884). - Tète un peu écrasée dans
son ensemble. Crâne régulier; prédominance des parties
occipitales; bosse occipitale cependant peu saillante; bosses
pariétales également. - Front bas, étroit. La bosse frontale
droite est peut-être un peu plus saillante que la gauche.
232 CLINIQUE NERVEUSE.
gées ; manquent : deux petites molaires et premières molaires
arrachées pour carie. Trois dents cariées. -Mâchoire injë1'ieure :
douze dents; manquent : premières molaires droite et gauche
arrachées pour carie. Gencives en bon état. Articulation nor-
male. Menton bas, retiré en arrière. Régions molaires
saillantes, larges, égales. Oreilles égales, longues (6 cent.);
lobule à demi détaché à gauche, presque entièrement adhérent
à droite. - Cou moyen (circonférence 32 cent.).
Thorax bien conformé (circonférence aux mamelons, 73
cent.), ainsi que l'abdomen et le bassin. Percussion et auscul-
tation normales. Membres supérieurs et inférieurs réguliers-
Peau blanche et fine; les cheveux, rouges, descendent bas sur
le front et avancent beaucoup sur les tempes; sourcils très
marqués, très longs : ils descendent en dehors de l'apophyse
orbitaire externe et se joignent presque en dedans ; ils sont
bien arqués. Cils larges, nombreux. - Très léger duvet aux
joues, à la lèvre supérieure et au menton.
Organes génitaux. Poils dorés, frisés, très abondants au
pénil, à la racine des bourses et sur les bourses. Verge longue
et grosse (circonférence au-dessous du gland, 9 cent.; long.,
10 cent. ) Bourses pendantes, plus à droite qu'à gauche.
Testicules de la grosseur d'une grosse noix. - Pas d'onanisme.
- Hypospadias : à la place de méat normal, orifice allongé se
terminant par la partie supérieure de l'orifice anormal et com-
muniquant avec lui. Entre les deux, en écartant le méat on
constate une bride légèrement saillante et linéaire; l'orifice
anormal à l'état ordinaire a la forme d'un triangle isocèle dont
la base répond à la bride signalée; son extrémité la plus infé-
rieure est angulaire ; la longueur du méat comprenant les deux
orifices dont nous venons de parler est de 14 millim., l'orifice
anormal occupe les deux tiers supérieurs du pénis.
Etat mental. Affectueux, il dit quelquefois au garçon : « Je
vous aime », et cherche parfois àl'embrasser; dit : do voudrais
bien voir ma mère. » Caractère très doux, très obéissant. Il sait
e nom des objets usuels. Les premiers jours de son séjour ici, il
voulait écrire à Jeanne d'Arc. On lui a présenté un tableau noir,
et il n'a tracé que des lignes informes. Après les accès, ou
les vertiges, qui sont plus fréquents, il reste hébété pendant
environ un quart d'heure. Ce matin encore quoique très fatigué,
il s'intéressait à ce qui passait autour de lui ; il a dit distincte-
DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 233
ment : « J'ai soif.» La parole est assez correcte, mais d'une façon
particulière; il ouvre de grands yeux ou plisse le front; quand
il va parler, il semble faire un effort pour ressaisir la notion
dont il va faire usage. Il a tout à fait l'air d'un dément.
Quand il demande quelque chose, par exemple à manger, il
est très tenace, et réitère plusieurs fois sa demande. Il ne
refuse jamais de faire ce qu'on lui ordonne.
Motilité. Avant ses séries d'accès, le malade marchait, en
chancelant un peu, se servait bien de ses bras, mangeait pro-
prement avec la cuiller et la fourchette. Sensibilité générale
et spéciale normales.
Nutrition. - Il redemande très souvent à manger, ne mange
cependant pas gloutonnement. Mastication normale; il
gâte la nuit seulement.
Description des accès. - Cri étranglé, se produisant parfois
à la fin de la période tonique. Chute tantôt en arrière, tantôt
en avant. Rigidité générale, égale. Quelques secousses
cloniques. -Stertor, un peu d'écume. Parfois, il se mord les
lèvres et la langue ; il urine sous lui toutes les fois qu'il a de
forts accès. Sommeil consécutif. Actes automatiques : il bou-
tonne et déboutonne ses habits.
Description des vertiges. Quelquefois cri étranglé, et c'est
fini ; il a un brouillard devant les yeux, clignotement des pau-
pières ; durée : quelques secondes. On n'a remarqué ni pâleur,
ni chute; il lâche les objets.
1884. zzovembre. Soir : T. R. 40°,2. 6 nov. Dans
la nuit, le malade a eu vingt-deux accès; dans la journée, il en
a eu trois, et de 7 à 8 heures du soir, douze. On lui a appliqué,
dès le début, six sangsues aux apophyses mastoïdes, des sina-
pismes aux cuisses ; dans la journée, il a pris 30 grammes d'eau-
de-vie allemande. Le soir, le pouls étant vibrant et rapide, on
a pratiqué une saignée de 300 grammes. Le malade a eu
trois accès pendant les préparatifs de la saignée.
T. R. Matin : 39 ? Soir : 39 ? (9 heures du soir), 38°,9,
de suite après la saignée.- Minuit : T. R. 39o ?
7.-De 9 à 10 heures du soir : douze accès ; trois de minuit à
une heure; cinq de 3 à 6 heures. Malin : T. R. 40°,8; - Soir :
38°,6. - Pas de nouveaux accès.
La sensibilité cutanée avait disparu, le réflexe tendineux
234
CLINIQUE NERVEUSE.
rotulien était conservé sauf de suite après les accès. - Aujour-
d'hui, le malade est agité, prononce des paroles incohérentes,
cherche à se lever. Le pouls est moins fort, plus rapide. La
sensibilité cutanée est revenue. - Pupilles étroites, égales,
sensibles. Traitement : lotions vinaigrées, eau-de-vie alle-
mande, sinapismes, sulfate de quinine.
8. - Pas d'accès. T. R. 38°,8; Soir : 38°,6.
9. - T. R. 38ou. - Soir : 38°.
10. - T. R. 38 ? - Soir : 38°.
11. T. R. 38o,u). - Soir : 37°,8.
12. - T. R. 37 ,8. - Soir : 3-il,6. ( ? 21.)
13. T.R. 38 ? - Soir : 38°. -Lemalade a eu quelques
vertiges, mais pas d'accès; il a bon appétit; la soif est tou-
jours vive. -
1,*ig. 21.
DE 1,'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 235
lr. - T. R. 37°, 8. -Soir : 37°,6. Gr... s'est levé aujour-
d'hui.
15 au 19. La température normale s'abaisse progressive-
ment jusqu'à 36°,8. - Le 17 et jours suivants, le malade a
demandé à aller à l'école, ou chez ses parents, le tout en
pleurant. - 6 Décembre : Série d'accès (7 de jour et de nuit).
1885. Pendant le cours de l'année, la déchéance intellec-
tuelle s'est accentuée ainsi que le montrent les notes de l'école
et son écriture. La parole est un peu traînante ; tremblement
de la pointe de la langue. En décembre, on constate un léger
tremblement de la langue et des lèvres, de l'embarras de la
parole. La mémoire est nulle. La miction est involontaire
depuis trois mois; parfois défécation également involontaire.
Cyanose très prononcée des mains. Il a été soumis au traite-
ment par l'élaxir polyb/'omu7'é.
1886. 9 mars. Le matin, quand on l'apporte à l'infirme-
rie, il avait eu 3 accès et était sans connaissance. Il a eu son
premier accès à l'infirmerie à 10 heures; à partir de là, les
accès sont survenus à un quart d'heure d'intervalle, sans re-
tour de la connaissance.
11 h. 50. Le malade est dans le décubitus dorsal, dans le
coma avec stertor, la face est un peu rouge, les pupilles sont
dilatées. Le pouls est très rapide, incomptable. Les mouvements
respiratoires sont rapides, mais réguliers.
'18" accès. - Subitement le malade tourne la tête vers la
droite, les yeux sont fortement portés de ce côté, puis il reporte
la tête à gauche; la face rougit, la contracture devient générale;
le cou est en extension ; le tronc raidi se dresse à moitié; les
membres supérieurs sont contractures dans la flexion ; le pouce
est dans la main, les doigts fléchis; les membres supérieurs
sont en extension forcée. Tout le corps est ensuite agité de
mouvements rapides. Le membre inférieur gauche se relève à
une distance de 20 ou 50 centimètres du plan du lit; la jambe
droite reste horizontale. La tête se reporte à gauche. Les con-
vulsions continuent. La face devient cyanosée. La contracture
est plus marquée à droite : une écume peu abondante, mais
épaisse, non sanguinolente, vient sur les lèvres. Durée de l'ac-
cès, minutes. Après l'accès, coma et stertor. L'infirmier
raconte qu'au début du 9° accès le malade a poussé un cri. Ce
cri ne s'est pas renouvelé jusqu'à présent. T. R. 39°.
236 CLINIQUE NERVEUSE.
16" accès. En tout semblable au précédent. Pas de cri
initial, mais un bruit étouffé. Au début de l'accès, la tête et les
yeux sont fortement portés à gauche, puis à droite; la mâ-
choire inférieure en abaissement forcé, avec un mouvement
latéral qui la;porte fortement à gauche, puis à droite... Durée :
une minute. Le malade a uriné sous lui. T. R. immédiatement
après l'accès, 39o ?
`6° accès.- Rien de nouveau. Durée moindre (40 secondes).
T. prise sous l'aisselle pendant l'accès ; zip00,4. Pouls, après
l'accès, petit, incomptable. Sueurs abondantes. - Traitement :
lotions vinaigrées, sinapismes, sangsues à l'anus.
44e accès. Période tonique très écourtée. Rien de particu-
lier, sauf une cyanose localisée, dès le début de l'accès, à la
Fig. 22. - o, T. une demi-heure après la mort; H, T. une apiès.
DE L EPILEPSIE PROCURSIVE.
237
main et au poignet droits. Les sangsues n'ont pas pris à l'anus;
on en mettra cinq à chaque apophyse mastoïde.
10 mars. - Gr... n'a eu que deux accès la nuit dernière ; il
reconnaît un peu ce matin l'infirmière. T. R. 38°, 8. P. fréquent,
faible, dépressible, face vultueuse ; respiration courte et gênée,
avec ronchus s'étendant à distance. Il y a eu en tout 47 accès.
Traitement : 60 ventouses ; Jul. acétate d'ammoniaque ; quin-
quina, etc. Soir : T. R. 40°.
Il.- T. R. 39 ? - Soi2- : T. R. 39°,6.
Depuis le 9 mars ni accès, ni secousses. Après les ventouses
les symptômes d'asphyxie ont momentanément diminué, puis
ilsont reparu plus intenses. L'affaiblissement fait des progrès.
112. - T. R. 41°, matin et soir. Symptômes de conges-
tion méningitique. Le malade meurt à 7 h. 45 du matin. T. R.
immédiatement après la mort : 41°,2 ; une demi-heure
après : 4'1° ; une heure après : 39°, ? . ! % ig. 22)
238 ' CLINIQUE NERVEUSE
Poids. - 1886. Janvier. 57 kil. I.
- Mars. Après décès. 48 kil.
Taille. - 1 m. 60.
Autopsie. Symphyse cardiaque ancienne; b¡'anc1w-pneu-
manie double surtout aux bases; on ne constate dans les cavi-
tés thoracique et abdominale aucune autre lésion digne d'être
rapportée.
L'encéphale pèse z160 gr.; le liquide céphalo-rachidien est
légèrement augmenté. - La pie-mèl'e présente une vasculari-
sation aussi prononcée à la base qu'à la convexité, presque
ecchymotique surtout du côté droit. -L'hémisphère cérébelleux
droit pèse 15 gr. de plus que le gauche. Cervelet et isthme,
poids : 160 gr. On ne constate ni adhérence de la pie-mère, ni
lésion en foyer, etc.
Hémisphère gauche. La.-scissure de Sylvius est normale,
et ne présente qu'un prolongement d'un centimètre environ
dans le lobule pariétal inférieur. Le sillon de Rolando est
sinueux, profond. - La scissure perpendiculaire externe se
prolonge en arrière par l'intermédiaire de la scissure interpa-
riétale sur un centimètre de longueur avec le sillon occipital
transverse, la partie postérieure isolée de la seconde scissure
temporale et va former enfin un sillon préoccipital et aboutir à
l'incisure préoccipitale. Il résulte de cette disposition que le
lobe occipital est complètement isolé des lobes pariétal et
temporal. - La scissure interpariétale prend son origine au
fond de la scissure de Sylvius; elle est sinueuse, profonde, en-
voie au niveau de son coude un prolongement en Y formant
ainsi en arrière de la circonvolution pariétale ascendante une
scissure parallèle ; à un centimètre en arrière de son coude,
elle envoie d'abord un rameau ascendant qui, après avoir tra-
versé le lobule pariétal supérieur, va se terminer en encoche sur
la face interne, puis un rameau descendant allant rejoindre la
scissure parallèle temporale, et séparant le lobule pariétal in-
férieur du pli courbe. A quelques millimètres plus loin on
trouve un autre rameau descendant à parcours peu étendu.
Le lobule orbitaire est bien développé, très sillonné.
Face convexe. Lobe frontal. - En avant de la circonvolution
frontale ascendante il existe une scissure parallèle fi'onlalecom-
plète, prenant son origine dans la scissure de Sylvius et se ter-
minant à 2 millim. de la scissure interhémisphérique. - La
DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 239
première circonvolution frontale très sinueuse, fortement dé-
coupée dans tous les sens et bien développée, envoie deux plis
de passage à la seconde circonvolution frontale qui interrom-
pent la continuité de la première scissure frontale qui est si-
nueuse et profonde. La deuxième circonvolution frontale est
également bien développée, très découpée; à sa partie médiane
se trouve un sillon profond allant de la première scissure fron-
tale au sommet de la partie triangulaire de la troisième circon-
volution frontale, ce sillon est bordé au niveau de la deuxième
scissure frontale de deux plis de passage à niveau qui inter-
rompent la continuité de la deuxième scissure en reliant les
parties antérieure et postérieure du cap à la seconde circon-
volution frontale. La troisième circonvolution frontale paraît
assez bien développée.-La circonvolution frontale ascendante,
sinueuse, est bien conformée. - La circonvolution pariétale
ascendante, également sinueuse, est uu peu grêle.
Lobe pariétal. - Les lobules pariétaux supérieur et inférieur
ne présentent pas d'autres particularités que celles résultant
du trajet de la scissure interpariétale ci-dessus décrite. Le
pli courbe est volumineux et relié à la deuxième circonvolution
temporale par un pli de passage à niveau. Le lobe occipital
n'offre pas d'anomalies, mais ses circonvolutions sont un peu
maigres.
Lobe temporal. La première circonvolution temporale peu
développée possède des circonvolutions temporales transverses
très peu développées. La scissure parallèle, interrompue vers le
milieu de son parcours par un pli de passage profond, envoie
en avant de celle-ci un sillon profond qui divise entièrement
la première circonvolution temporale; de ce même point part
obliquement une autre incisure moins profonde qui se ter-
mine à l'incisure préoccipitale, après avoir divisé la seconde
til'convolutz'on tempo1'ale qui est bien développée. - La deuxième
scissure temporale est très irrégulière et tronçonnée. - On ne
saurait distinguer de troisième circonvolution temporale, qui, ici
se trouverait confondue avec la seconde.
Face interne. Lobe temporo-occipital. La première scis-
sure temporo-occipitale est irrégulicre, divisée en tronçons
dont l'un envoie un sillon à la deuxième scissure temp01'o-occi-
pitale à travers la première circonvolution temporo-occipeale
qui, quoique bien développée est par suite très irrégulière et
240 CLINIQUE NERVEUSE.
mal délimitée du lobe temporal. -Toutes les parties situées à
l'entour de l'incisure préoccipitale, mais surtout en arrière,
soit sur la face convexe, soit sur la face interne, soit un peu en
retrait et chagrinées. La deuxième scissure et la deuxième
circonvolution temporo-occipilales paraissent assez bien con-
formées, toutefois la partie médiane de la circonvolution est
légèrement en retrait et chagrinée. La circonvolution fron-
tale interne est bien développée, très sillonnée. Le lobule para-
central est très développé, bien isolé des circonvolutions envi-
ronnantes ; il présente un sillon médian transversal. - La
scissure calloso-marginale est sinueuse et va se perdre sur la
face convexe à deux centimètres en avant de la scissure inter-
hémisphérique. - La circonvolution du corps calleux ne pré-
sente rien de particulier, mais à sa partie la plus postérieure
au niveau du bourrelet du corps calleux, elle est un peu en
retrait. Le lobule quadrilatère, moins bien développé, est
divisé par un sillon vertical, aboutissant à la scissure sous-
pariétale, il n'existe qu'un pli de passage pariéto-limbique
postérieur. - Le coin, la scissure perpendiculaire interne,
la fissure calcarine ne présentent aucune anomalie. Le
corps calleux, le corps strié, la couche optique paraissent nor-
maux. Il en est de même du lobule de l'insula.
Hémisphère droit. La scissure du Sylvius se termine dans
le pli pariétal inférieur où elle atteint presque la scissure in-
terpariétale ; à l'endroit où elle pénètre dans le pli pariétal in-
férieur, on trouve un petit pli de passage un peu en retrait qui
isole sa partie pariétale; il existe deux rameaux antérieurs as-
cendants, l'un situé entre l'opercule et la circonvolution fron-
tale ascendante va se jeter dans le sillon précentral inférieur,
l'autre situé entre l'opercule et la partie triangulaire de
la troisième circonvolution va se perdre dans la deuxième
scissure frontale. Le sillon de Rolando, très profond, a la
forme d'un S. - La scissure perpendiculaire externe n'atteint
pas la scissure interpariétale dont elle est séparée par un pli de
passage à niveau allant du pli pariétal supérieur au lobe occi-
pital. La scissure interpariélale est très irrégulière, forme
en arrière de la circonvolution pariétale ascendante une scis-
sure parallèle presque complète, mais peu profonde à sa par-
tie inférieure; elle envoie un peu au-dessus de son coude un
sillon horizontal profond qui divise presque entièrement la
pariétale ascendante en deux parties, une supérieure, et une
DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 241
inférieure; à un centimètre en arrière de son coude, son traiet
est interrompu par un pli de passage à niveau allant de la
partie postérieure du pli pariétal supérieur au pli courbe; plus
loin la scissure interpariétale va se terminer dans le premier
sillon occipital. Le lobule O1'bifaÙ'e est bien développé, normal.
Face convexe. Lobe frontal. - En avant de la circonvolution
frontale ascendante, on trouve une scissure parallèle qui n'est
interrompue que par un pli de passage un peu en retrait, allant de
la deuxième circonvolution frontale à la frontale ascendante.
- La première circonvolution frontale qui est bien développée,
très sillonnée, envoie à son tiers antérieur un pli de passage
à niveau, grêle, à la deuxième circonvolution frontale qui est
bien développée, mais très irrégulière; celle-ci est très sillonnée;
à son tiers antérieur, elle est divisée par un sillon profond qui
longe la face antérieure du pli de passage ci-dessus et fait
communiquer entre elles la première et la deuxième cÏ1'convo-
lution frontale; à un centimètre et demi environ plus en ar-
rière on trouve un autre sillonprofond qui, après être descendu
d'abord verticalement dans la deuxième frontale, marche en-
suite parallèlement à elle vers son milieu et va se jeter dans la
scissure parallèle frontale, en formant ainsi un dédoublement
de la partie postérieure de la deuxième circonvolution fron-
tale. Un pli de passage légèrement en retrait, allant de la
partie supérieure de l'opercule à la deuxième frontale, inter-
romptla continuité de la deuxième scissure frontale à sa partie
la plus postérieure. - La troisième circonvolution frontale est
bien développée, mais irrégulière; on y trouve encore à sa partie
la plus antérieure un pli de passage se rendant à la deuxième
circonvolution frontale. La circonvolution frontale ascen-
dante, sinueuse, est déprimée à son centre qui est très grêle et
surplombé par la circonvolution pariétale ascendante bien
développée à sa moitié inférieure, mais plus grêle que de cou-
tume à sa moitié supérieure.
Lobe pariétal . - Le pli pariétal supérieur, bien développé
dans ses deux tiers antérieurs, est maigre dans son tiers posté-
rieur isolé du reste du lobule par un rameau ascendant de la
scissure interpariétale, rameau qui, après avoir contourné la
scissure interhémisphérique, se termine sur la face interne. -
Le lobule pariétal inférieur, bien développé, est isolé du pli
courbe, également bien développé, par un sillon descendant se
rendant de la scissure interpariétale, à la scissure parallèle.
Archives, t. XV. G G .
242 CLINIQUE NERVEUSE.
La presque totalité du lobule pariétal inférieur, surtout dans
sa partie postéro-inférieure, est chagrinée ; il en est de même
du pli courbe, mais à un degré moins prononcé.
Le lobe occipital est assez volumineux ; mais ses deuxième
et troisième circonvolutions sont un peu chagrinées.
Lobe temporal. La première circonvolution temporale est
bien développée, présente des circonvolutions temporales
transverses semblables à celles de gauche. La scissure paral-
lèle, très profonde, se divise à son extrémité postérieure en
deux rameaux, l'un antérieur qui se perd dans le pli pariétal
inférieur, l'autre postérieur qui, après avoir pénétré dans la
portion postérieure de la seconde circonvolution temporale, est
coiffé par le pli courbe.-La deuxième circonvolution temporale
est bien développée et chagrinée dans sa moitié postérieure.
- La deuxième scissure temporale est irrégulière, tronçonnée,
mais on peut à la rigueur, surtout postérieurement, distinguer
une troisième circonvolution temporale également un peu
chagrinée et légèrement en retrait vers l'incisure préocci-
pitale.
Face interne. Lobe temporo-occipital. La première scis-
sure temporo-occipitale est assez profonde, sinueuse. La pre-
mière et la deuxième circonvolutions temporo-occipitales sont
bien développées. La deuxième scissure temporo-occipitale
est profonde.
La circonvolution frontale interne, bien conformée, est très
sillonnée. Le lobule pamcentral, bien développé, a la forme
d'une bourse dont l'ouverture siégerait au niveau de la scis-
sure calloso-marginale qui est normale ; un pli de passage à
niveau, maigre, relie la partie inféro-antérieure du lobule
paracentral à la circonvolution frontale interne. - Le lobe
quadrilatère est petit, maigre, possède un petit pli pariéto-
limbique postérieur. - Le coin, la scissure perpendiculaire
interne, la fissure calcarine ne présentent pas d'anomalies.
Le corps calleux, le corps strié, la couche optique n'offrent
rien de particulier. Il en est de même du lobule de l'insula.
Le malade Gr. a présenté des actes automatiques ne
se différenciant guère de ceux qu'on observe ordinai-
rement chez les épileptiques; mais l'on a noté, en
DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE 243
outre, des phénomènes rotatoires qui se rencontrent
également assez souvent chez certains épileptiques`,
soit d'une façon à peu près constante, soit à de rares
intervalles et sur la nature desquels il est encore dif-
ficile de se prononcer. Les lésions portent surtout sur
l'hémisphère cérébral droit dont certaines circonvolu-
tions des lobes pariétaux et temporal offrent un cer-
tain degré d'atrophie et un aspect chagriné.
L'hémisphère cérébelleux gauche était atrophié et
pesait 15 grammes de moins que le droit. Les phéno-
mènes rotatoires présentés par le malade auraient été
sous la dépendance de cette lésion; mais nous ne sau-
rions lui attribuer de même les actes automatiques
simples que nous avons signalés; ajoutons toutefois,
qu'avant son entrée à Bicêtre, Gr... avait la manie de
s'en aller, qu'il a été retrouvé dans différents endroits
de Paris, mais nous ignorons s'il était procursif.
Les circonvolutions et les scissures cérébrales étaient
très anormales; à gauche la scissure perpendiculaire
externe, en se prolongeant jusqu'à l'incisure préocci-
pitale, isolait, comme chez le singe, les lobes pariétaux
et temporal du lobe occipital.
Bien que cela nous écarte un peu de notre sujet, il
est un point de l'histoire de ce malade que nous ne
pouvons laisser passer sans attirer sur lui l'attention
de nos lecteurs : il s'agit des deux états de mal qu'il
a eus en 1884 et en 1886. Dans les deux cas, la tem-
pérature centrale a suivi la marche régulière signalée
souvent par l'un de nous (lïq. 2 1 et 22). Le premier tracé
' « One or iiiv patients alwaw hopped round the room before he
fell in a lit. » ((;owers, On Epilepsg, p. 121.)
: 2M" CLINIQUE NERVEUSE.
montre la marche de la température dans un état de
mal qui se termine par la guérison; le second nous
donne la marche de la température dans un cas d'étal
de mal aboutissant à la mort, avec les deux sommets
classiques, l'un correspondant à la fin de la période
convulsive, l'autre correspondant à la période mél71ll-
gilique terminale. '
Observation XXXVII. Mère, nerveuse. - Grand'mère maternelle,
attaques de nerfs, somnambulisme, migraines.
Conception par viol. - Grande différence d'âge entre les père
et mère. - Premières convulsions Ii six mois. - De quinze mois ri
quatre ans, vertiges. - Premier accès à sept ans. - Débilité
mentale. - Idées mélancoliques après les accès. - Excitation
maniaque, - Onanisme. - Hydrothérapie et bromure de so-
dium. - Kyste hydatique du foie : Ponction ; guérison.
Led... (Charles), né le 13 mars 1863, est entré le 4 mai à Bicêtre
(service de : 'il. BOURNGVILLE).
Led.. n'a que des accès de nuit ; après l'accès, il cherche à faire
son lit, parcourt la salle, puis va se coucher dans le premier lit venu.
Observation XXXVIII. - Pas d'antécédents héréditaires. - Incon-
tinence nocturne intermittente d'urine. - 1s'pilepsie, attribuée à
des coups qu'il aurait reçus d'une employée de son père.
Jarr..., né le 20 mars 18G. Ce malade a des vertiges diurnes
accompagnés de marche. - Après les accès nocturnes il se lève
parfois, va embrasser son père inconsciemment et se recouche.
Observation .T1RI\. - Père mort d'un cancer de la langue. -
Cousine germaine du coté maternel, hystérique Deux frères
morts de méningite. - Asphyxie a la naissance'. - Marche et
parole à quatre ans. - Convulsions à treize mois. - Incontinence
nocturne d'urine jusqu'il seize ans. - Onanisme dès l'enfance. -
Intelligence peu développée. - Sodomie. - Inversion du sens
génital. - Début de l'épilepsie non précisé. - Parfois aura. -
Hallucinations après l'accès. - Hernie inguinale gauche.
Gib... (Arthur-Philibert), né le 22 décembre 48;s0, est entré le
2 septembre IS8 ? à Bicêtre (service de 11. ftOURNl : 1'ILLC),
1 C'est 1;1 une des causes les plus fréquentes des maladies de l'encé-
phale qui produisent l'idiotie, et sur laquelle nous avons souvent appelé
l'attention (13.).
DE l'épilepsie PROCURSIVE. 12115
Ce malade accomplit des actes automatiques après ses accès...
Avant de tomber, il fait trois ou quatre pas en tournant. Après
l'accès, pendant vingt minutes environ, il cherche sous les tables,
les armoires, de prétendus rats et des souris.
Observation XL. Père douteux. Mère débauchée. - Début
des accès a quatre ans. - Chute dans la Seine. -- Roulement,
automatisme. Etourdissements précédant les accès. - Ottca-
nisme. - Kleptomanie, gloutonnerie, herbivore. Clastomanie,
fugues. - Ingestion exagérée de boudin; retour des aliments, in-
troduction dans les voies respiratoires. - Mort.
Autopsie : OEsophage, larynx, bronches remplis de boudin; esto-
7zt«r; plein; thymus persistant. - Atrophie des lobes occipitaux. -
Hémisphère droit 20 gr. de moins que le gauche.
Iaue... (Léon), né le 1 1 juillet 1870; est entré le 17 juillet 1885
à Bicêtre (service de M. BOURNEVILLE) et y est décédé le 2 dé-
cembre 1 SSo . - Ce malade se déchire, se déboutonne, retire son
pantalon, le laisse tomber, prend sa verge, se touche et souvent
s'endort.
Obseuvation XLI.-Grcand'7zèrep«tenzelle, névralgies. - tendance
aux congestions dans la famille paternelle. - Oncle paternel,
mort de convulsions. - Tante paternelle, attaques de nerfs tt
insuffisance intellectuelle. Grand'mère maternelle et deux
oncles maternels, suicide. - Trois morts subites duns la famille
maternelle. Un frère, une 1>(1HlI', une cousine geimaine, morts
de convulsions.
Premières convulsions à six semaines portant exclusivement
sur le côté droit et prédominant au bras. - Vertiges (deux ans
et demi à six ans). - Premiers accès à six ans. - Ült(L7ttS))ie. -
Hémiplégie droite. - Imbécillité. - -IIic2,océph(tlie.
Lacro... (Henri), né le 5 avril 1866, est entré le 14 juillet 1882,
à Bicêtre (service de M. Bourneville).
Après les accès, Lacro... déchire régulièrement ses draps et ses
effets.
Observation -Epilepsie. Légère déchéance intellectuelle.-
Automatisme.
Jaao... (Adolphe-Henri), né le 8 janvier J861, est entré, le
31 mai 1877, à Bicêtre (service de M. Bourneville).
Jaco ? à la suite de ses accès, se déshabille complètemenl,
cherche à se coucher dans le lit de camp, comme si c'élait un véri-
table lit.
246 CLINIQUE NERVEUSE.
Observation XLIII. -Père, mort plzllhisique. Un frère, mort de
convulsions.- Un autre : hémiplégie gauche non infantile.- Peur
pendant la grossesse. Accouchement huit jours après. - Con-
vulsions de six semaines à trois ans. Puis accès convulsifs. -
Aura médiate. - Soubresauts. - Pyromanie. - Excitation ma-
niaque. - Violences. Tlémor1'lwïdes. Diminution des facul-
tés intellectuelles. - Hydrothérapie.
Pla... (François-Dominique), né le 2 janvier 189, est entré le
15 janvier 4815à à Bicêtre (service de M. Bourneville).
Aussitôt l'accès terminé, Pl... saisit les colonnes de la salle du
chauffoir, cherche à les ébranler; il prend ensuite les matelas du
lit de camp, simule l'acte de faire un lit.
Avant son entrée à Bicêtre, on avait constaté qu'après les accès,
PI... cherchait à sortir, il fallait le maintenir, le surveiller.
Observation XLIV. - Père mort phthisique. Un oncle paternel
phthisique. Un autre épileptique. - Mère migraineuse.
Grand'mère maternelle hystérique. - Une tante maternelle
phthisique. Soeur, morte de convulsions. - Gémellarité.
, Premières convulsions a treize mois. Début des accès à vingt-
deux ans. Diminution des facultés intellectuelles. Ona-
nisme. Automatisme.
Louq... (Paul-Denis), né le 29 novembre 1850, est entré le
26 novembre 1881 à Bicêtre (service de M. Bourneville).
Ce malade cherche après l'accès, pendant dix minutes, à ouvrir
toutes les portes avec n'importe quel objet qui lui tombe sous la
main. Il cherche souvent également à se déshabiller.
Etant encore chez sa mère, Louq... accomplissait des actes
automatiques : il voulait s'en aller : c Oh ! ça y est, disait-il, je veux
aller travailler. » Il se déboutonnait, cherchait dans ses poches,
commençait à se déshabiller. Quelques jours avant son entrée à
Bicêtre, il se serait, après un vertige, déshabillé dans la rue Cardi-
nal-Lemoine ; il accrochait ses habits. On l'a reconduit chez lui
(rue Rollin) et on l'a couché sans qu'il s'en doute. Au bout de
quelques minutes, il revint à lui.
Observation XLV. Mère, nerveuse, inconduite, migraineuse,
morte phthisique.- Cousin germain idiot. Frères, morts de con-
vulsions. Premiers accès à douze ans. - Aura nasale. Au-
tomatisme post-épileplique.
Dog... (Jacques), né le 3 janvier 1865. est entré le ,12 août 1880 à
Bicêtre (service de M. BOUftNEVILLE).
DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 247 -1
Ce malade, dont l'un de nous a déjà publié l'observation', pré-
sente de l'automatisme à la suite de ses accès : il se lève, l'air
égaré, traverse toute la salle de l'infirmerie, va à un lit vide,
essaie de l'ouvrir par le pied, finit enfin par relever le drap et se
couche sous la couverture. II répond à peine aux questions et par
monosyllabes : a Je ne sais, mon lit, etc., » puis il s'endort paisi-
blement. C'est sous cet aspect que nous avons observé chez ce
malade l'automatisme à la suite d'un accès le 8 février 1882.
Observation XLVI. - Père diabétique. Grand'mère paternelle
phthisique. Mère hystérique. Deux cousins germains de la
mère du côté paternel, épileptiques. - Vertiges à dix-huit mois,
accès à six ans. Phénomènes cataleptiques. Aura. - Folie et
courses consécutives. - Pyromanie et kleptomanie. Mort dans
un accès.
De Buss... (Gaston-Emile), né le 5 mai 1859, est entré le
16 mars 1874 à Bicêtre (service de M. BOURNEVILLE) et y est décédé
le 8 septembre 1883.
A : < ! 'u.Au début il s'écriait : «Maman, bobo», il se plaignait que
ça lui piquait dans la tête et dans le nez. Il accourait vers sa
mère chez laquelle il ne s'est jamais blessé. Dans son sommeil il
appelait également : « Maman, bobo », poussait un cri très fort ;
rigidité générale, secousses cloniques. Pas d'écume; morsure rare
de la langue. Après les accès, sommeil d'une demi-heure. Quel-
quefois folie consécutive : il criait, gesticulait, courait dans la
chambre, dans l'avenue (à Saint-Mandé), voulait tuer sa mère
parce qu'elle ne voulait pas lui laisser faire tout ce qu'il voulait.
Il voulait se jeter par la fenêtre pour la même raison. Ces
« furies p ne duraient que quelques minutes. Il a mis une fois le
feu dans la salle à manger où il s'était enfermé.
IL Automatisme professionnel. Les actes auto-
matiques professionnels sont presque aussi fréquents
que les précédents, mais leur importance en médecine
légale est bien moindre.
Observation XLVII - Mère, morte d'un cancer au sein.
Début de l'épilepsie vers l'âge de trente-quatre ans.
Crél... (Félix). né le 12 octobre 1825, est entré le 2 : 5 mars 1886,
à Bicêtre (service de M. BOURNEVILLE).
1 Bucon (P.). Du traitement de l'épilepsie; Paris, 1882, obs. X,
p. 97. '
248 CLINIQUE NERVEUSE.
Nous avons ici affaire à un cas d'automatisme professionnel; ce
malade est tailleur; après l'accès il fait semblant de coudre au
moins pendant dix minutes.
Observation X).VU ? P'euCOOMe, céplaulcclqique, rhumatisant,
mort d'apoplexie ainsi qu'un oncle paternel. Un petit-cousin
paternel, imbécile. - Alcoolisme. - Premier accès à vingt-neuf
uns. - Vertiges. - Aura médiate au début. - Diminution de la
mémoire. Périodes de mélancolie et (['agitation.- Rhumatismes.
.Automatisme.
Ru... (Louis-Pierre), néle26avil 1842, est entré le 23 décembre
1880 à Bicêtre (service de M. Bourneville).
Ce malade est occupé à la buanderie; il a présenté de l'automa-
tisme professionnel observé durant uu verlie. était en train de
plier du linge, il pâlit, se lève sans mot dire, prend un drap, le
plie seul, répond machinalement aux questions qu'on lui adresse ;
la face devient pourpre, et le malade se dirige vers le bassin,
prend du imce et une brosse et se met à frotter pendant vingt
minutes tout à fait automatiquement. Revenu à lui, il est tout
étonné de se trouver là et dit aux personnes qui l'environnent :
« ilion Dieu, que c'est bête d'avoir cette maladie ! où suis-je ? » »
Il se remet ensuite paisiblement à son travail. Chez lui Bu...
accomplissait parfois, avant l'accès, des actes automatiques. S'il
était en train de manger, il remuait sa cuiller, écartait son
assiette, chiffonnait avec les mains, faisait mouvoir sa langue
entre les dents.
Observation XLIX. - A ! <M. Diminution des facultés
intellectuelles. - Onanisme.
Tixi... (Victor-Jules), né le 21 juin 1862, est entré le 21 mars
1878, à Bicêtre (service de M. Bourneville).
C'est encore un exemple d'automatisme professionnel. Ce malade
travaille au marais. Après un des accès observés, il se met à se
promener dans le réfectoire et fait le simulacre pendant huit
minutes de semer des pois ou d'autres graines.
III. Automatisme précédant l'accès. L'automa-
tisme préépileptique est assez rare; on en trouve
cependant quelques exemples dans les auteurs. Tels
sont, par exemple, les cas suivants publiés par
Herpin '.
' Herpin. Loc. cil., p. 122.
DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 210
- Une couturière, qui essayait une robe à une dame, 10pèle à
plusieurs reprises la courle phrase qu'elle prononçait au moment
de perdre connaissance ; elle s'assied, l'oeil hagard, elle baise le
verre d'eau qu'on lui présente, se raidit de tous les membres, et
l'attaque se complète.
- Le fils d'un médecin, pris à table un jour devant son père, jette
au loin le verre dont il buvait le contenu au moment de perdre
connaissance ; une autre fois, saisi au milieu d'un jeu, dans la
cour d'un lycée, il entre sans tunique dans une classe qui n'était
pas la sienne, insulte un maître d'étude, puis se roidit et tombe.
- Le neveu d'un autre médecin, étant à table et mangeant, en
présence de son oncle, se lève brusquement et, par des mouvements
désordonnés, mais non convulsifs, renverse les objets qui étaient
devant lui ; bientôt, flexion de la tête en avant, lèvres avancées,
aucun cri, on le retient dans sa chute, contraction générale, figure
pourpre.
A ces cas nous ajouterons les suivants, observés
chez des malades du service de Bicêtre :
Observation L. - Père alcoolique. - Mère phthisique. - Soeurs
et pères ¡¡¡¡¡lfomu;s et convulsifs. - Hydrocéphalie légère. -
Epilepsie consécutive (huit ans). - Aura stomacale et rotatoire ;
alcoolisme. - Vagabondage. - Déchéance intellectuelle. - 1 ? ai-
lC1l1Cllt" divers. Hydrothérapie Bromure de nickel, sans succès.
\for.. (Charles), né le 7 décembre 1865, est entré le 2¡ septembre
1882, à Bicêtre (service de I. BOU1\NEVJLLi : ),
Il s'agit dans ce cas de mouvements automatiques précédant
immédiatement l'accès. - ¡\lor.... se frotte la tête et marche en
disant : « Oh ! j'ai mal il la tète, je vais tomber. » ·
Observa noN Ll. - Père alcoolique, colérique, eczémateux, mort
phthisique. - Grand-père maternel alcoolique. - Frère mort de
convulsions. - Autre frère, convulsions et tumeurs blttliches. -
Première dent « sept mois; parole Ii un an, marche 11.lJuin ? e mois.
Cotlitelzicite ci deux ails et demi, puis fièvre typhoïde et pneu-
monie. Rougeole ci quatre Accitieizis cérébraux deux aux.
- . Scw'latine, premier accès ci dix ans. - Accès surtout noc-
turnes. - Kleptomanie. - Sauts et courses, congestion ménin-
ctitilue, déchéance intellectuelle, onanisme. - Automatisme. -
Bromure d'arsenic, aimant, nitrate de pilocarpine.
Del... (Léon-Jules), né le 19 décembre lsc9, est entré le 10 mars
1881, à Bicêtre (service de 31. Bourneville) et y est décédé le
15 avril 188.
250 CLINIQUE NERVEUSE.
L'observation de ce malade a déjà été publié par l'un de nous*.
Il s'agit dans ce cas d'au toi ? îa lis ine pg,éépilop tique. Qu'il soit endormi
dans son lit ou sur une chaise, il se lève d'un bond; il a peur,
semble regarder un point fixe en l'air, les bras en avant, il va à
reculons, comme pour fuir un danger, profère des cris étouffés;
une fois on l'a entendu dire : « Ils sont deux »; une autre fois, il
tapait sur son oreiller à coups de poings, disant : « Je le tue » :
d'autres fois, il dit : « Ça y est » ; durée : deux minutes ; mais si
à la suite, il y a des convulsions, cela dure plus longtemps ; il
s'affaisse, les yeux se tournent, les membres se raidissent, puis il
a des secousses, de l'écume; il ne se mord pas la langue, mais
urine quelquefois sous lui; enfin il se rendort.
Observation LI ! . -Mère hystérique, intelligence peu développée.-
Grand'mère maternelle, mélancolie, idées de persécution. - Né
avant terme : convulsions ri vingt-deux mois, début de l'épilepsie ci
trois ans. Aura. Etat de mal. Déchéance intellectuelle. -
Violences. Délire qostépileptique. Iileplonzanic, automa-
- Etat de mal. - Mort.
AuTOpsiE.Pe)'S ! Stat : ce du thymus-, épiploon de livésicitle biliaire.
Persistance oblique du trou de Bot,d. Légère induration du bord
libre d'une valvule mitrale. 11Jéningo-encéphalite.
Vissi... (Alexandre-Rapllat : l-feores), né le 30 décembie 1868,
est entré le 13 mars 1885, à Bicêtre (service de M. Buunr`I : \·ILLE),
et y est décédé le 19 avril 1885.
Nous avons affaire ici à un cas d'automatisme préépilcptique.
Tout d'un coup Viss... se levait, marchait ou non et donnait de
violents coups de pieds, ou de violents coups de mains; tantôt
dans le vide, tantôt sur les personnes; un jour, la première fois
qu'on a remarqué ces accidents, il a donné un violent coup de
main sur l'épaule de sa mère. Jamais il n'a frappé son père;
il lui disait : « Papa attache-moi ! «Dans ses mouvements, les objets
étaient brisés.
A Bicêtre, le malade n'avertissait pas, mais on assure que avant
ses accès, il courait une vingtaine de pas, donnait un soufflet à la
personne qui se trouvait devant lui et tombait en accès; la main
ouverte, il frappait où il pouvait; l'infirmier qui nous renseigne
aurait été frappé deux fois.
1 Bricon, - Du traitement de l'épilepsie, 1882, p. 91.
Nous avons eu l'occasion d'observer souvent la persistance du
thymus, même chez des adultes; nous consacrerons prochainement à ce
sujet une note.
' DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 251
Les divers auteurs qui ont traité de l'épilepsie ont,
pour la plupart, parlé de l'automatisme, souvent, il
est vrai, en termes fort concis. On trouve disséminées
dans les journaux et les recueils de médecine des
observations de malades atteints d'épilepsie accompa-
gnée d'automatisme.'
Dans sa thèse sur la -Pathologie des états épileptoïdes,
0. Berger - établit un rapprochement entre une de ses
observations et celle publiée antérieurement par Sem-
mola, qui se rapporte à l'épilepsie procursive propre-
ment dite. Nous n'y voyons, pour notre part, qu'un de
ces cas d'automatisme si fréquemment observés chez
les épileptiques. Nous croyons toutefois utile de le
rapporter entièrement, laissant au lecteur le soin de
juger eu dernier ressort.
Observation LUI. Mère morte maniaque. Signes
légers de dégénérescence. Début à vingt-deux ans. Ver-
tiges. Accès procursifs. - Morsure de la langue.
Irritabilité très prononcée. Déchéance intellectuelle assez
notable.
Johann S..., vingt-sept ans, messager postal, ancien con-
ducteur de chemin de fer, est un individu pâle, un peu chétif.
Son père vit encore, sa mère est morte maniaque à l'âge de
quarante ans. Frères et soeurs bien portants. J... S... n'aurait
1 Nous n'avons pas la prétention de relater ici toutes les observations
d'automatisme publiés par les auteurs; il nous faudrait citer presque
tous les médecins qui se sont occupés de l'épilepsie; nous rappellerons
seulement que c'est peut-être à Herpin que nous sommes redevables du
plus grand nombre d'observations de ce genre. (Loc. cit., p. Hi, 153,
154, 155, 156, 158, 159, 186, 193, 195. 199). - Voir encore pour l'auto-
matisme les observations de Stevens et C. H. Hughes (The A/iellisl and
l1'eurologist., aui11880, analyse dans Archives de Neurologie, t. I, p. 318),
d'Atthaus (B>-'l. nzed. Journal, 1886), de A. Robertson (Brif. med. Jour-
nal, 21 avril 1887), Gowers, p. 185, 186, 187, 188), etc., etc.
2 0. Berger. - Zur Pathologie der epilep/oiden Zuslande nach 25 Beo-
bactungen der Kgl. Charité zu Berlin. Inaugural. Dissertation. Ber-
lin, 1867. Observ. 1, p. 24.
2S2 CLINIQUE NERVEUSE.
été atteint d'aucune maladie en dehors de l'épilepsie. La tète,
par rapport au corps, est fortement développée; lé crâne est
aussi plus développé; le crâne est de même plus développé que
la face. Le front étroit est très proéminent ; une crête assez
marquée indique très manifestement la suture bi-frontale. Au
toucher, on constate que la tète est très sensible dans toutes
ses parties. Les oreilles sont longues et larges, les organes
génitaux sont bien développés. Les'poumons, le coeur, les
organes abdominaux sont normaux. Le malade, les yeux
fermés et les pieds rapprochés l'un de l'autre, a quelque peine
à se tenir debout ; après une demi-minute de station debout,
il risque de tomber en arrière et ressent encore de la gêne
motrice même après avoir ouvert les yeux. Veut-il tourner sur
son axe ? il tombe bientôt en arrière; la chute est plus rapide
s'il essaie de tourner à gauche. On ne note pas de troubles de
la sensibilité et de la motilité. Le malade présente une hyper-
esthésie généralisée à tout le corps, et un examen répété
menace de produire une chute. Le fond de l'oeil est très
pigmenté, les veines sont très dilatées, les pupilles sont nor-
males.
Le malade eut son premier accès, il y a cinq ans, sans
cause connue. Sans aura préalable, il fut pris d'un vertige et
tomba évanoui. Les accès se repétèrent ensuite chaque se-
maine de deux à trois fois ; à leur suite, le malade ne revenait t
à lui qu'après un assez long temps. Depuis son entrée à
l'hôpital, J. S... a eu deux ou trois accès par jour, leur durée
est de deux à trois minutes. Après l'accès, le pouls radial est
intermittent, tout à fait arythmique, modérément plein et
facilement compressible. D'ordinaire, une forte pulsation est
suivie d'une plus longue pose, puis viennent trois ou quatre
pulsations à de courts intervalles. Le coeur n'est hypertrophié
dans aucun de ses diamètres, les tons sont purs.
Les accès sont tantôt légers, tantôt forts. Dans le premier
cas, ils se présentent sous la forme vertigineuse : pâleur de la
face, chute sans mouvements convulsifs. Le pouls est accéléré
et le malade reste à la suite hébété pendant quelques minu-
tes ; il regarde autour de lui d'un air étonné, ne répond pas
aux questions ; toutefois, il revient complètement il lui peu de
temps après.
Les accès ont parfois un tout autre caractère ; en voici un
exemple : Le malade essayait de tirer un tiroir droit à lui, lors-
DE l'épilepsie PROCURSIVE. 253
qu'il pâlit subitement ; la tète s'incline en avant, puis alors il
commence à décrire, avec assez de lenteur, de petits cercles de
droite à gauche ; au troisième tour, il tombe en arrière. Au-
devant de la bouche quelque peu entr'ouverte se trouve une
petite quantité d'écume non sanguinolente. Les yeux sont
directement dirigés en bas, les pupilles moyennement dilatées ;
les extrémités sont, comme à l'ordinaire, en demi-flexion ; on
ne constate ni secousses cloniques, ni secousses toniques.
Après une à une minute et demie environ, le malade complè-
tement hébété se relève, déchire ses effets, ramène vivement
son pantalon jusqu'au-dessus des genoux, ne répond à aucune
question. Un quart après il est à peu près complètement
revenu à lui ; il répond d'une façon assez juste aux questions,
mais d'un ton quelque peu criard. - Ces sortes d'accès alter-
nent irrégulièrement avec les crises vertigineuses décrites
plus haut.
Etal psychique. - Dans les premiers temps de son*séjour à
la Charité le malade ne présentait qu'un léger degré d'affaiblis-
sement intellectuel ; il travaillait avec assez de zèle, était d'une
politesse exagérée. Mais peu à peu il devint très irritable,
cherchant dispute pour la moindre cause. Il élait excité, cir-
culait avec rapidité dans les salles, menaçait et injuriait si
l'on n'exécutait pas ses volontés, et même si l'on s'y
soumettait. Il expliquait d'une voix criarde et en gesticulant
vivement sa maladie au médecin, demandait à ne plus suivre
de traitement « pour se chercher son droit dehors ». En par-
lant au médecin, les mains, toujours en mouvement, sont
placées devant lui ; il prononce tous les mots avec une into-
nation spéciale et forte; il discourt pendant quelques minutes,
d'une voix criarde et animée de toutes choses, mêmes de
celles qui lui sont tout à fait indifférentes. L'affaiblissement des
facultés intellectuelles s'est enfin accru au point que le malade
ne saisit plus bien le sens des questions un peu longues.
Il s'agit ici d'actes automatiques précédant l'accès
suivis de mouvements rotatoires, mais l'on ne saurait
assimiler ces actes à l'épilepsie procursive proprement
dite, dont ils diffèrent de tous points. - Dans le
même travail Oscar Berger rapporte plus loin quel-
254 REVUE CRITIQUE.
ques cas d'épilepsie accompagnés de phénomènes mo-
teurs que nous ne croyons pas utile de rapporter ici;
nous y renvoyons le lecteur.
Il nous resterait à donner l'explication physiolo-
gique de l'automatisme, nous aimons mieux de nous
abstenir de toute hypothèse nouvelle. Nous rappel-
lerons seulement t qu'Anstie, Thompson, Dikson,
Hugh ! ings Jakson, etc., ont attribué l'automatisme
à l'épuisement des centres cérébraux supérieurs par
la décharge, et à la perte temporaire du contrôle que
ces derniers devraient exercer sur les centres com-
plexes qui se trouvent juste au-dessous d'eux et
agissent, par conséquent, d'une façon automatique
et insubordonnée. (1 suivre.)
REVUE CRITIQUE
LA CATATONIE;
Par J. SÉGLAS, médecin-suppléant de la Salpêtrière, et Pu. CHASLIN,
médecin-suppléant de Bicêtre.
On a cherché de tout temps à grouper ensemble quelques-
uns des nombreux faits épars dans le vaste champ de l'aliéna-
tion mentale, à constituer des espèces pathologiques distinctes.
La paralysie générale reste la seule indiscutée jusqu'à présent.
D'autres essais ont été faits plus ou moins justifiés. Nous
avons l'intention d'examiner ici une de ces tentatives suscitée
par le désir de donner un pendant à la méningo-encéphalite et
sur laquelle les auteurs ne sont pas encore d'accord : nous
voulons parler de ce qui a été décrit en Allemagne sous le nom
de Catatonie ou Spannungs-Irresein.
LA CATATONIE. 3
I
Le premier et le principal travail sur la Catatonie date de
1874 et est dû à Kahlbaum ', qui tente, dans une importante
monographie, de délimiter une forme de maladie dans laquelle
certains symptômes somatiques et plus particulièrement mus-
culaires accompagnent, comme dans la paralysie générale, et
aussi fréquemment que dans cette maladie, certains phéno-
mènes psychiques et jouent un rôle capital daus tout le pro-
cessus morbide.
Cette nouvelle forme de vésanie serait extrêmement voisine
de ce qu'on appelle la mélancolie attonita que l'on considère
ordinairement comme une maladie distincte; mais si l'on exa-
mine soigneusement les cas de mélancolie attonita (ou plus
brièvement de Attonitat), on découvrira, d'après Kahlbaum,
très souvent au début de la maladie des attaques épileptiformes
ou d'autres manifestations de crampes arrivant par attaques.
Puis ces états devenus durables atteignent leur plus grand dé-
veloppement dans la flexibilité cireuse de l'attonitat et per-
sistent encore la partie dans la démence terminale. A côté de
ces symptômes que leur importance met en parallèle avec les
phénomènes paralytiques de la paralysie générale, on trouve
encore d'autres caractères somatiques et surtout psychiques,
notamment une espèce particulière d'exaltation que l'on peut
qualifier d'extase pathétique et aussi une tendance à parleren
forme de discours, à déclamer; qui donneraient à la mú ? llle
une physionomie caractéristique à côté des symptômes habi-
tuels de la mélancolie attonita. Tout cet ensemble constitue la
Catatonie. Jusqu'à un certain point, cette forme serait un pen-
dant à la paralysie générale avec ou sans délire des grandeurs;
analogue à celle-ci par la succession des différents états psy-
chiques en relation avec des symptômes musculaires, elle en
différerait au contraire par la qualité de la modification mus-
culaire et psychique et, par suite, par le pronostic.
Si l'on considère l'ensemble des phénomènes psychiques de
la Catatonie on trouve qu'elle présente successivement les
formes principales qu'affectent les troubles intellectuels, mélan-
Kalilbatini. - Die Kataloitie. Berlin, 1874.
1256 REVUE CRITIQUE.
colie, manie, stupeur (flltnnlat), affaiblissement intellectuel
avec conceptions délirantes actives mais peu systématisées et
souvent même incohérentes(Vertuirrlleeit), démence. La durée
de chaque stade est très variable et souvent on voit des alter-
natives de dépression et d'excitation; mais c'est en somme l'é- "
tat mélancolique qui est le plus long. La mélancolie avec stu-
peur suit immédiatement la mélancolie initiale ou en est
séparée par un accès de manie, ce qui est le plus fréquent. Il
est à remarquer que, dans les cas où cet accès maniaque
manque, il y a eu souvent dans les années antérieures un accès
de manie. Dans des cas très rares, c'est la mélancolie avec v
stupeur qui ouvre la scène : ce fait se présente surtout quand
il y a eu des chocs violents physiques ou moraux (frayeur in-
tense, traumatismes, pendaison, etc.). D'autres fois, après une
stupeur de courte durée arrive de nouveau de l'excitation ou un
état de franche mélancolie à laquelle succède la stupeur avec
ou sans stade de manie, ce que l'on peut considérer comme
une recrudescence du processus morbide. Quelquefois au
milieu d'un long stade (semaine ou mois) de manie appa-
raissent quelques jours seulement de stupeur. Dans des cas
plus rares, la stupeur alterneavec un état de Verwirtheit secon-
daire. Les terminaisons peuvent être la démence, la guérison
ou la mort. - Il y a encore des cas où la Catatonie se déve-
loppe au milieu d'un état d'excitabilité nerveuse ou d'un état
de dépression physique générale. Mais alors elle ne débute
plus par de la mélancolie, à moins qu'elle ne soit annoncée
par une légère teinte hypocondriaque : c'est un stade ma-
niaque qui commence la maladie.
Dans la majorité des cas, c'est la stupeur qui l'emporte en >
durée sur tous les autres stades; mais il faut noter cependant
que la transition à la démence se fait d'une manière insen-
sible.
Quoiqu'il en soit, il y a toujours un caractère cyclique mars
que. Ordinairement le début se fait lentement et progressive-
ment ; puis la Catatonie arrive à un stade d'acmé et redescend
se perdre dans la démence. Dans beaucoup de cas après la
stupeur (Attonitat) se développe un état de Verwirtheit secon-
daire ou général avant la démence complète, et avant cette
stupeur se place un état maniaque qui la sépare de la mélan- ^
colie initiale. La stupeur marquerait ainsi le commencement
du stade de décroissance.
LA CATATONIE. 257
Quant au symptômes en particulier, ils n'ont rien de bien
spécial sauf cependant ceux du stade d'exaltation. Comme en-
semble c'est ou bien de la mélancolie agitée ou bien l'excita-
tion la plus violente, ou bien un délire systématisé (Wahnsinn)
plus fixe. On rencontre alors quelques symptômes particuliers
à la Catatonie et qui peuvent servir à faire le diagnostic même
avant le stade de stupeur. C'est d'abord le caractère pathétique .
sous forme d'exaltation théâtrale, d'extase tragico-religieuse
que revêtent les paroles et les actes des malades. Ils déclament
et récitent perpétuellement en gesticulant, arrivant souvent
même à l'idée qu'ils veulent être acteurs ou même qu'ils le
sont. Ils disent des banalités, comme s'ils étaient convaincus
qu'elles sont d'un intérêt capital pour l'humanité ou bien
causent de choses extrêmement sérieuses bien au-dessus de
leur profession, et sans délire de grandeur bien caractérisé ils
en arrivent à croire que le monde est particulièrement inté-
ressé aux petits événements de leur existence. La manie de
lire, de déclamer, de réciter à haute voix (Redesucht) que l'on -
rencontre dans le stade de l'exaltation est très différente du
bavardage et des cris des maniaques ordinaires. Entre autres ca-
ractères propres à la Catatonie, elle présente le fait de la répé-
tition de mots et de phrases sans aucun sens ou ne se suivant
pas, mais prononcés comme si le malade faisait un discours.
Cette « Verbigération » est une crampe coordonnée du centre
cérébr11 des organes de la parole qui est absolument spéciale
à la Catatonie. Il ne faut pas la confondre avec la radoterie des
déments loquaces (Verwirten) et des affaiblis, avec la Redesucht
ordinaire, avec l'idéorrhée (Ideenflucht) avec la Confabulation1 . i
Cependant, au cours de la maladie, la verbigération peut se
transformer en l'une quelconque de ces autres formes. En
outre à côté de la verbigération il faut noter l'hahitude remar-
quable d'employer souvent des diminutifs. Quant au mutisme f
de la stupeur, il peut être absolu ou relatif, partiel, intermit-t
tent. Tantôt il est volontaire (dû à la crainte causée par une »^
idée délirante ou une hallucination), tantôt involontaire (par |
absence d'idée et incapacité d'attention), tantôt il reste inex-
plicable. Tandis que la loquacité déclamatoire (Redesucht)
' La confabulation se distingue de la verbigération par son caractère
d'imagination créatrice et fantaisiste (pliantastiscli-pruductiver Inhalt).
Kahlhaum; loc. cit., p. 39.
Archives, t. XV. 17
-2oS REVUE CRITIQUE.
et la verbigération seraient dues à une convulsion clonique,
le mutisme serait dû, au contraire, à une convulsion to-
nique.
Assez souvent pendant la stupeur il y a absence d'idéation,
arrêt de la pensée. D'autres fois on constate d'une part des
idées délirantes avec hallucinations comme dans la mélancolie
et, d'autre part, des idées de grandeur, de naissance illustre :
quelques malades, durant le stade de stupeur, ne sont pas la
proie d'idées dépressives, mais au contraire ils ont de temps
en temps des idées assez gaies si l'on en juge d'après le rire que .
l'on constate chez eux par instants. Les idées religieuses et éro-
tiques sont très fréquentes.
Il faut encore noter dans la manie catatonique la monotonie
des actes et la résistance, l'opposition des malades lorsqu'on
cherche à faire prendre à ces actes une autre direction. Le cata-
tonique aime à rester au lit, refuse la nourriture même dans
le stade de manie, par peur du changement ou du mouvement,
mais généralement sans raison, délirante ou non.
Signalons enfin une certaine tendance à faire des gestes sté-
réotypé" ouàprendre des attitudes bizarres, à faire des grimaces
spéciales, en particulier à allonger la bouche en museau
(sclmau;;kl'ampf), même dès le début ou pendant les rémissions
quand le délire n'est plus apparent. ,
Quant aux symptômes somatiques, ils* sont tous basés sur
une perturbation de l'innervation motrice. Très fréquemment,
et surtout dans l'état de stupeur, on constate une flexibilité ! ¡
cireuse des membres; on peut trouver aussi et dès le début >
des convulsions choréiformes, épileptiformes, tétaniformes ;
du trismus, des convulsions généralisées ou partielles. Les
convulsions, cloniques ou toniques, doivent être mises sur le
compte en partie de l'état psychique, en partie de l'état phy-
sique. Il n'y a jamais deparalysie motrice : on peut trouver de
l'anesthésie plus ou moins complète, apparente ou réelle : -
hypéresthésie fréquente : la céphalalgie occipitale localisée est - "
assez caractéristique delà Catatonie.
Parmi les autres phénomènes physiques, signalons l'oedème
fréquent des membres inférieurs, quelquefois des paupières ; 1
la desquamation cutanée abondante; l'anorexie, la fétidité de
l'haleine, les troubles de la défécation : la chloro-anémie est
fréquente. Il faut noter enfin l'importance et la fréquence
excessive de la phthisie, rare pour Kahlbaum dans les autres
LA CATATONIE. 2;)V li
formes mentales. Ce fait seraità opposer à la prédominance de
la pneumonie dans la paralysie générale. /
L'étiologie n'offre rien de bien particulier suivant Kahlbaum, "
l'hérédité serait bien rarement à incriminer; le sexe serait in- »
différent, mais la maladie surviendrait surtout dans la jeunesse
et l'âge adulte. Les excès sexuels, l'onanisme dans le jeune âge
créeraient une prédisposition sérieuse; chez la femme, il fau-
drait plutôt incriminer la grossesse, l'accouchement. Les excès
de travail, la religiosité joueraient aussi un rôle important, et
l'on compte parmi les catatoniques une grande quantité d'ins- \
tituteurs, ou de fils d'instituteurs et de théologiens. Enfin S
parmi les causes prédisposantes, l'anémie et la nervosité tien- !
ciraient la première place Les causes occasionnelles sont celles
des autres formes mentales; à signaler encore cependant le
traumatisme, surtout la pendaison. Il nous semble aussi que
l'imitation jouerait un rôle dans l'étiologie de la maladie au (\.
point de vue de Kahlbaum, car il range dans la Catatonie les
épidémies des convulsionnaires et des prédicateurs (Suède...).
Le pronostic de cette affection est assez favorable contraire- - z
ment à celui de la paralysie générale; les habitudes d'onanisme
antérieure l'aggraveraient. En dehors des complications tuber-
culeuses, la Catatonie peut amener la mort par elle-même ;
guérie, elle ne récidive pas et ne crée pas une hérédité fâcheuse
pour la descendance des personnes qui en ont été atteintes.
Disons toutefois en passant que l'auteur nous parait en géné-
ral peu partisan de la dégénérescence avec laquelle pour lui
l'hébéphrénie n'aurait non plus aucun rapport.
Pour ce qui touche à l'anatomie pathologique, Kahlbaum
rapporte très longuement les résultats de sept autopsies de
catatoniques, et il institue une comparaison avec la paralysie
générale. Il y aurait au début de la maladie une stase dans !
tous les vaisseaux cérébraux, avec exsudation séreuse qui\
amène le ramollissement du tissu du cerveau sans rétraction,
mais avec formation d'exsudats à la surface intérieure et sur
les enveloppes, particulièrement l'arachnoïde et surtout à la
base. Dans les cas anciens, on trouve une rétraction du tissu
~et l'organisation des exsudats. Contrairement à ce qui se g
passe dans la paralysie générale, il n'y a ordinairement pas
d'hémorrhagie méningée. Mais l'arachnoïde est régulièrement
le siège de modifications ; dans les cas où la mort est arrivée
tôt, l'arachnoïde était louche à la place du pont étendu du
260 REVUE CRITIQUE.
cervelet à la moelle allongée, derrière le quatrième ventricule..
Dans les autres cas, elle était constamment trouble en cet «
endroit, et, de plus, il y avait une tendance remarquable à la
formation de cet exsudat à la base, ce qui explique le peu de
développement des granulations de Pacchioni.
Pour Kahlbaum, les maladies mentales en général sont
causées par des troubles nutritifs qui, débutant par l'hypé-
rémie, l'exsudation, sont terminés par l'atrophie l'hydro-
pisie et la formation de nouveaux tissus. La Catatonie se
comporte de même, mais avec cette différence que la stase est
éminemment transitoire et faible dans la première partie du
processus; la rétraction et l'atrophie arrivent très tardive-
ment, ce qui empêche l'agrandissement des cavités cérébrales,
contrairement à ce qui se passe dans la paralysie générale.
De plus, la Catatonie a une prédilection pour l'arachnoïde et l
la base, l'exsudat se prolongeant jusqu'à la fosse sylvienne et k
vers les deuxième et troisième circonvolutions frontales. Ce
fait a une grande importance pour l'explication du mutisme /
et de la verbigération. Cependant il faut ajouter que ' 1
l'arachnoïde n'était pas toujours altérée en ces points
spéciaux, el, de plus. dans la majorité des cas, la pie-mère
n'était nullement adhérente au cerveau.
L'examen au microscope n'a pas donné de résultats.
Kahlbaum avoue lui-même que ces constatations sont un
peu insuffisantes, mais qu'elles forment un point de départ
pour des recherches futures.
La tuberculose pulmonaire et l'intestinale sont très fré-
quentes. Cela serait une complication due secondairement à
la Catatonie elle-même, la raideur musculaire amenant une
respiration incomplète qui permet à la tuberculose de se
développer dans un poumon soumis à une gymnastique
insuffisante.
En résumé, la Catatonie est une maladie cérébrale à marche 1
changeant d'une façon cyclique, de telle sorte que les svrn [p
tômes psychiques revêtent successivement la forme de la
mélancolie, de la manie, de la stupeur, de la démence
loquace (Verwirtheit) et enfin de la démence complète. A ce
tableau d'ensemble il peut manquer un ou plusieurs symp-
tômes, tandis que d'un autre côté apparaissent, comme
phénomène capital, les troubles du système nerveux moteur
présentant le caractère général de la crampe. Cette forme v'
LA CATATONIE. 261 t
de maladie ainsi caractérisée se rapproche par sa signification
clinique de la paralysie générale avec ou sans idées de gran-
deur, dans laquelle il y a aussi un habitus symptomatique
changeant d'une façon cyclique et s'accompagnant de troubles
du système nerveux moteur qui, dans ce cas, auraient au
contraire le caractère de paralysies. '
Près de ces deux formes de maladies si distinctes vient s'en
ranger une troisième dont l'évolution symptomatique est
également typique, mais qui ne présente rien du côté- du
système nerveux moteur. Cette dernière forme que l'on ren-
contre souvent dans les asiles dans le stade de la manie et
qui passe souvent alors à la guérison est nommée ordinaire-
ment manie, et en opposition aux formes maniaques mul-
tiples, manie simple ou véritable.
A ces formes à marche cyclique on doit opposer tous les cas
dans lesquels l'ensemble symptomatique reste invariable
(folies partielles) et ceux dans lesquels les symptômes sont
changeants, et la marche non cyclique (folies généralisées
sympathique, fébrile, traumatique).
La Catatonie n'est pas une aliénation partielle, mais elle r
s'étend plus ou moins sur la totalité des manifestations '
psychiques. Elle ne se développe pas à la suite de maladies
physiques, mais plutôt sur un terrain prédisposé (anémie) et
par sa marche cyclique et typique elle se différencie des
aliénations idiopathiques et sympathiques.
On pourrait distinguer des formes de Catatonie épileptique, r
tétanique, choréique, cataleptique, indifférente; mais il vaut
mieux distinguer des cas faibles ou simples, graves ou compli-
qués. Parmi les premiers, on peut ranger la mélancolie
attonita séparée déjà des autres aliénations dans la classifi-
cation ordinaire, mais qui serait pour Kahlbaum un genre de
Catatonie mitis. Car dans l'état de stupeur on peut toujours
reconnaitre quelques symptômes neuro-moteurs et souvent
des états convulsifs antérieurs à l'entrée à l'asile, passant
inaperçus du médecin : de même encore, des moments d'exci-
tation, sorte de raptus passagers, interrompant fréquemment
l'état mélancolique, mais avec tant de rapidité et d'une façon si
transitoire que l'aspect de la mélancolie n'en parait pas changé.
Un second groupe comprendrait les cas dans lesquels, après
un début mélancolique, survient de la manie plus ou moins
accentuée, plus ou moins durable et qui, guérissant avant le
262 ), REVUE CRITIQUE.
stade de stupeur, ont été le plus souvent considérés comme
une manie simple. - Puis viennent les cas où l'on note des
symptômes neuro-moteurs de longue durée et si accentués
que le médecin les considère comme des curiosités et des
complications sans caractère régulier (C. gravis). Enfin, dans
une dernière forme (C. prolongée), les symptômes d'excitation
n'apparaissent pas dans la première moitié de la maladie,
mais dans la suite, et le plus souvent sous forme de rémissions
et d'intermittences.
Le diagnostic de cette maladie serait en somme facile, et
voici ce qu'en dit Kahlbaum : Un cas isolé de convulsions
considéré comme épilepsie, éclampsie, apoplexie, méningite,
encéphalite, qui se présente soit dans un état de santé com-
plète, soit dans un état de trouble mental durant depuis un
certain temps et qui, sans déterminer de phénomènes paraly-
tiques ? se complique d'excitation ou de dépression. émotion-
nelles intenses, conduit sûrement à des états de mutisme non
motivé ou tout au moins à un état cataleptique. Enfin il sera
compliqué de symptômes particuliers d'opposition. Si la gué-
rison ne se fait pas, il surviendra un stade de stupeur. Ou
bien, si l'on voit chez un malade franchement mélancolique
un état pathétique spécial et une attitude d'une raideur parti-
culière, on pourra prédire d'une façon presque certaine le
début de la stupeur (Attonitât). Enfin, si un malade qui parlait
se tait d'une façon continue en avant la tête et les membres
raides, c'est sûrement de la Catatonie. En l'absence de com-
mémoratifs, on ne pourrait confondre que l'apathie avec
les habitudes raides des déments infantiles et les aliénations
passagères survenues à la suite de maladies physiques.
Mais le diagnostic n'est vraiment difficile que dans deux
cas : d'abord c'est dans la première moitié de la maladie, quand
le mutisme n'est pas continu et que les symptômes neuro-
moteurs ne sont pas encore apparus. L'attitude pathétique et
la répétition obstinée d'un mot seront alors caractéristiques.
Le second cas difficile sera celui où chez des individus mélan-
coliques depuis longtemps sans symptômes neuro-moteurs, il
se développe du mutisme sans raideur musculaire et sans
changement des troubles intellectuels mélancoliques. Des
signes importants pour le diagnostic seront alors la répétition
d'un mot ou d'un discours, les gesticulations et les habitudes
stéréotypées, l'entêtement, la résistance.
LA CATATONIE. 6X
Depuis la publication du travail de Kahlbaum, nous en
trouvons un certain nombre. les uns admettant au moins dans
les grandes lignes, les autres critiquant les descriptions et les
conclusions de l'auteur. Ce sont des premiers que nous nous
occuperons tout d'abord.
IIeclcer' rapporte, à l'appui des idées de Kahlbaum, deux
observations de Catatonie, passibles cependant de sérieuses
objections et sur lesquelles nous aurons à revenir.
Brosius' insiste à propos de la Catatonie sur l'importance
de la verbigération, sur l'absence de changements brusques
de l'état émotionnel, sur l'amnésie qui suit les états d'agi-
tation. Il n'y aurait pas de vraie manie dans la Catatonie; dans
la période de stupeur, il n'y a pas toujours émotion triste,
mais souvent une sorte d'extase ou de l'indifférence vide.
l3rosius croit que déjà on peut distinguer trois formes de Ca-
tatonie : 1° une forme méningitique dont la marche prolongée
est liée à des restes de méningite ; 2° une autre liée à de l'arzé-m
mie cérébrale comme on le voit en clinique d'après l'amélio-
ration de la Catatonie marchant parallèlement à celle de l'état
général. Enfin l'oedème cérébral décrit par Etoc-Demazy3
serait une troisième forme.
Kiernan1, dans deux mémoires consécutifs sur la question,
reproduit en somme les idées de Kahlbaum. Il signale parti-
culièrement l'hérédité de la diathèse scrofuleuse; la facilité de
la simulation àcause des symptômespeu réguliers delà maladie.
Il s'étend très au long sur l'anatomie pathologique. Il con-
firme par ses propres autopsies celles de Kahlbaum qui mon-
trent une ancienne hydropisie guérie et une méningite basi-
laire. Les déductions de Meynert d'après les cas de Kahlbaum z
le portent à penser que la maladie a été précédée par un pro-
cessus méningitique localisé à la base du cerveau ou dans la
scissure de Sylvius. Pour Kiernan, la Catatonie a été précédée
fréquemment dans l'enfance par une méningite de la base de
nature tuberculeuse s'étendant aussi à la scissure de Sylvius
et au quatrième ventricule. A propos de cette méningite, il
' Hecker. - illl.7. Zei(sclt. f. Psclt., 1877. Bd. XXXIII, p. 602.
Brositis. - Die KataGonie. (,(Llg. Zeissch. f. Psych., 1887. Bd. XXXIII.
S. 770.)
3 Etoc-Demazy. - Th. de Paris, 1838.
1 Kiernan. Alienisl and neul'ologist, t, 18S2 et Détroil-Gancet, 1884.
26 lé REVUE CRITIQUE.
rapporte les opinions de quelques auteurs sur la genèse des
phénomènes moteurs, convulsifs et autres, accompagnant la
méningite basilaire. Il note de plus, en passant, que J\1eynert,
deux ans avant Kahlbaum, avait décrit la Catatonie comme
une forme particulière de mélancolie attonita, et il cite les
idées de Meynert sur la physiologie pathologique de cette af-
fecticn, bien ingénieuses certainement, mais peut-être un peu
hypothétiques. Mais, en outre, il donne des détails sur une
autopsie suivie d'examen microscopique, retrouve les restes
d'une méningite tuberculeuse, une stase veineuse d'origine
vaso-motrice avec diapédèse; pas d'autre altération, sauf une
légère sclérose des cordons blancs de la moelle. Il trouve une
grande analogie de l'état du cerveau avec celui qu'on observe
dans la fièvre typhoïde, mais la caractéristique pathologique
pourKiernan serait un trouble primitif dans les centres vaso-
moteurs, amenant une stase sanguine qui est le point de
départ de toute l'évolution morbide.
Hammond ' décrit la Catatonie comme une vésanie spéciale
caractérisée par des périodes alternatives, se présentant avec
plus ou moins de régularité, de manie et de mélancolie et par
des états épileptoïdes et cataleptoïdes avec conceptions déli-
rantes primitives (délusions) d'un caractère exalté et à ten-
dances dramatiques. Mais, en somme, cet auteur n'ajoute
rien à la description de Kahlbaum dont il accepte les idées.
Spitzlca2 classe la Catatonie dans le groupe des vésanies
pures, n'étant pas la manifestation essentielle d'une consti-
tution neuropathique, ni en rapport avec les périodes biolo-
giques. Elle figure dans la classe des maladies sans lésions
démontrables du cerveau, parmi celles qui sont primitives
(prima^y insanities) dans le sous-ordre des états caractérisés
par un trouble émotionnel fondamental expansif : (manie), J
dépressif (mélancolie), pathétique (Catatonie).
Neuendorff rapporte deux observations qui lui ont été com-
muniquées, présentant d'ailleurs certaines lacunes, et qu'il
rapproche de la Catatonie de Kahlbaum, sans conclure bien
nettement et après une discussion assez confuse.
. Hammond. Renzarks on cases of Katatonia. (Amer. Journ. orne¡¡-
'olog. and psch., 1883, p. 302.)
' Spitzka. - Am. Journ. of. neur. and pych., 1883, p. 313.
1 Neuendorff. - (Ceutralblatt. f. Nervenheillc., 1883, n" 23, p. 5` ? 9.)
LA CATATONIE. 2<M
Schute' consacre tout un chapitre de son livre à la Cata- ?
tonie, mais l'envisage d'une façon un peu différente de celles
des auteurs que nous venons de citer. Pour lui, la Catatonie
est une forme spéciale du délire systématisé aigu hallucina- r
toire (A culel' 'hallucinat01'ische, Wahnsinn2) caractérisée par t
une névrose de la tension motrice tantôt permanente, tantôt
intermittente irrégulière, en même temps que la conscience i
du sujet en proie à des hallucinations et des illusions se ferme \
plus ou moins complètement aux perceptions extérieures. La i
raideur motrice peut revêtir un caractère physiognomonique ; ',
et comme telle exprimer plastiquement une idée délirante J
(attitude de combattant, de prédicateur, de crucifiement), ou ,
être purement somatique (cataleptique ou tétanique), ou sug- f
gérer l'idée. L'état psychique peut se limiter à l'état du t;
Wahnsinn aigu ou descendre jusqu'à la démence temporaire
véritable (stupeur). La guérison est possible dans les deux cas,
» mais dans le dernier elle arrive après un stade d'affaiblissement
intellectuel spécial avec réminiscences catatoniques par in-
'tervalles. La marche de la maladie est cyclique et s'accom-
pagne d'une participation significative du système vaso-
moteur qui en fait une vraie psychoneurose : les états variables
d'excitation, de dépression, de raideur que l'on rencontre
semblent, au point de vue de leur relation et de leur succes-
sion, être liés à la marche de la névrose vaso-motrice. Au
point de vue clinique, cette forme de Wahnsinn peut se di-
viser en Catatonie expansive ou dépressive (avec délire reli-
gieux ou démoniaque) et enfin en Catatonie reposant sur un
fonds hystérique. D'ailleurs, en traitant de l'hystérie, Schüle
revient sur cette question et parmi les formes que peut affecter
la folie hystérique il décrit le Wahnsinn catatonique. Cette
forme très fréquente du Wahnsinn hystérique a de règle pour
début un état d'excitation maniaque. Il s'agit toujours alors
de constitutions invalides (de naissance ou acquises) le plus]
souvent avec de l'anémie. Il faut noter aussi l'importance de
la puberté, l'onanisme, etc.
Un travail tout récent de Clemens Neisser vient encore -
soutenir l'existence de la maladie qui nous occupe. Neisser
s Schule. - Klinische P.sve/t'x ? Specielle Pathologie und Thérapie
- (les heisteskrankeiten. - (Leipsick, 1886.)
* Voir à ce propos, J. Srg-Jas. - La Pa¡'(/T1oia. (Arch. de .'l'e1l1 ? 1887.)
3 Clemens Neisser. Ulbei, die Katatonie. Stuggart, 1887.
266
REVUE CRITIQUE.
n'admet que la Catatonie de Kahlbaum et rejette la description
de Schtile qui en fait une forme de délire systématisé (Wahn-
sin). Car, pour lui, les troubles moteurs sont primitifs et fon-
damentaux, les modifications psychiques étant secondaires et
subordonnées, comme l'indique Roller ', et d'ailleurs peu im-
portantes. Il admet aussi que la stupeur n'est pas un signe
forcé de dépression mélancolique, mais qu'elle fait partie,
comme phénomène moteur essentiel, de la Catatonie et de la
Catatonie seule. Tout en voulant rester exclusivement sur le
terrain clinique et même « empirique », il s'aventure aussi
dans des explications physiologiques et il tente en suivant les
idées de Rieger2 de ramener les phénomènes cataleptiques et
autres, les signes d'opposition, etc ? à la même cause, c'est-à-
dire à l'innervation pathologique des muscles antagonistes à
ceux qui doivent accomplir un acte donné. Il rapporte d'ail-
leurs un certain nombre d'observations intéressantes qui le
mènent à conclure que ce ne sont pas seulement quelques
symptômes spéciaux, mais leur ensemble, qui constituent un
tout frappant « pour l'oeil et le tact.» du clinicien. Cet en-
semble est la Catatonie. Neisser ne fait pas le diagnostic diffé-
rentiel, ni l'étiologie, ni l'anatomie pathologique de la ma-
ladie et il ne s'occupe nullement du terrain sur lequel elle
peut se développer. (A suivre.)
DES ATTAQUES DU SOMMEIL HYSTÉRIQUE3;
Par GILLES DE LA TOURETTE
Chef de clinique des maladies du sleIl1C : fier% eux.
III.
Il nous faut désormais aborder la description de l'attaque de
sommeil hystérique, et nous englobons sous cette dénomina-
' Holler. - Ue{¡el' Uislorisehe Slol'Üngen beill einfachen Irresein. (,Il/g.
Z. f. Psych. Bd. XLII, IL I, 1885.)
2 Ilieer. - Ueber Normale and Holalepttscke Bewegungell. (.fi-eh. f.
Psych. und. Ne/'v. Bd. XIII, H. 2. 1882.)
3 Voir t. XV, 11 - S3, p. 92.
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSrÉRIOUE. ? 6ï
tion les cas où la conscience est suffisamment anéantie, la
résolution musculaire assez complète et prolongée pour que
ces phénomènes priment tous les autres symptômes ordinaires
de l'attaque. Mais, par ce fait même que le cadre est large-
ment tracé, nous donnerons surtout la description d'un cas-
type, quitte à revenir ultérieurement sur diverses variétés, par-
ticulièrement sur l'attaque dite apoplectique, surtout lorsque
celle-ci s'accompagne d'hémiplégie.
Les modes de début sont, ainsi que nous l'avons déjà fait
pressentir, assez variables. Souvent, l'individu s'endort à la
suite d'une attaque ou d'une série d'attaques convulsives;
quelquefois, il est frappé soudainement sans autresphénomènes
prémonitoires; quelquefois aussi, et surtout dans les cas légers,
le sommeil survient graduellement, débutant par une sorte
d'assoupissement dont il devient de plus en plus difficile de
tirer le sujet. ,
Quoi qu'il en soit, et pour prendre le cas de tous le plus
fréquent, à la suite de phénomènes hystériques hallucinatoires
délirants ou convulsifs, l'individu tombe dans le sommeil et
lorsque celui-ci dure depuis déjà quelque temps, le malade
offre l'aspect suivant.
Il semble endormi profondément dans l'acception rigou-
reuse du mot, ainsi que le note Briquet (p. 422). A la vérité,
la face se décolore à mesure que le sommeil poursuit son cours,
mais l'aspect n'est pas cadavérique. Parfois la figure se colore
plus ou moins et ces poussées congestives sont assez souvent
l'indice de la prochaine apparition de phénomènes hystériques
surajoutés.
L'état des muscles est très important à considérer, surtout,
lorsqu'on cherche à rapprocher ces attaques du sommeil phy-
siologique. On sait que pendant celui-ci la résolution muscu-
laire est complète : le membre soulevé retombe - lorsque
l'individu ne se réveille pas flasque sur le plan horizontal
du lit. Or ici, il n'en est plus de même et en analysant les
nombreuses observations publiées par les auteurs, nous pou-
vons dire qu'en cherchant bien on trouvera qu'il existe
presque toujours une contracture de quelques muscles, si même
le système musculaire n'est pas contracturé en totalité. Cette
constatation est extrêmement importante, car, ainsi que l'afait
voir M. Charcot, les hystériques présentent au suprême degré
les phénomènes inhérents à ce qu'il a appelé la diathète de
268 REVUE CRITIQUE.
contracture, et les sujets qui sont en proie aux attaques de
sommeil ne diffèrent pas des malades en butte aux accidents
hystériques d'un autre ordre. Si même la résolution muscu-
laire semble complète au moment de l'observation, on sera
presque certain de voir apparaître une contracture, tout au
moins partielle, le lendemain ou les jours suivants (Boutges,
OBS. XI).
Il est des cas, avons-nous dit, où la contracture est pour ainsi
dire totale. Notre malade était très intéressante à ce point de
vue. Au moment de notre examen les muscles antérieurs du
cou contracturés empêchaient la tête de reposer sur l'oreiller;
si on levait un bras, celui-ci restait en l'air pendant des heures,
jusqu'à ce que la fatigue physiologique des muscles rompit la
contracture; il présentait ainsi les phénomènes de la fausse
catalepsie. Tous les réflexes étaient exagérés : la simple per-
cussion d'un tendon rotulien produisait la trépidation spi-
rale du muscle, trépidation qui ne tardait pas à envahir le
membre du côté opposé, se généralisant en outre bientôt à tous
les muscles du tronc qui devenaient rigides.
Mais, avons-nous dit, dans les cas moins accentués, ceux-là
même où la résolution musculaire semble complète (Obs. de
Gairdner), il existe toujours un certain groupe musculaire où
se localise très spécialement la contracture : nous avons nom-
mé les muscles masticateurs. Dans presque tous les cas, on
observe que les dents sont serrées les unes contres les autres,
au point qu'il devient parfois impossible d'ouvrir les mâchoires.
Ce phénomène est important à signaler, car on comprend les
obstacles que peut apporter le trismus à l'alimentation artifi-
cielle, la seule à laquelle il soit généralement possible d'avoir
recours.
Nous placerons sur le même plan une sorte de contracture
intermittente des muscles orbiculaires des paupières produisant
un battement rapide, un frémissement noté dans nombre d'ob-
servations. Si l'on rompt cette contracture des orbiculaires par
l'ouverture forcée des paupières, et si rapidement on expose
le globe de l'oeil au contact de l'air extérieur, on peut quelque-
fois surprendre ce globe dans sa position ordinaire et observer
que le plus souvent les pupilles paraissent normales ou dans
un état variable decontraction ou de dilatation. Mais aussi, dans
la majorité des cas, il semble que ce léger traumatisme exercé
sur le globe oculaire par l'air ambiant soit suffisant pour faire
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 269
entrer en contracture les muscles de l'oeil, car, lorsqu'ils n'y
sont pas d'emblée, on voit alors les yeux se porter en perma-
nence, le plus souvent en haut et en dedans en strabisme con-
vergent. Ces deux phénomènes : frémissement vibratoire des
paupières et convulsion des globes oculaires s'observent éga-
lement et fréquemment comme on le sait, dans les autres va-
riétés de la grande attaque hystéro-épileptique.
La respiration participe généralement à ce calme général de
l'économie. Elle est de 10,'la, 20, 22 par minute; quelquefois
moindre, elle peut descendre jusqu'à 3; quelquefois, elle offre
aussi des irrégularités et prend le type de Cheyne-Stokes
(Achard, OBS. XI); quelquefois aussi 'elle est « à certains mo-
ments précipitée, ce qui correspond à des rêves » (Bourneville
et Regnard, p. '138). C'est dans ce dernier cas que la face peut
devenir «rouge, chaude, parfois sudorale ». En résumé, res-
piration calme, légère, parfois difficile à constater même par
l'auscultation, comme on l'a vu dans certains cas de mort ap-
parente qui n'étaient autres que des attaques de sommeil hys-
térique.
Le pouls est également calme et régulier, battant de '10 à 80
fois par minute; parfois il peut descendre beaucoup plus bas
(60, Briquet), de même qu'exceptionnellement il atteint 128 bat-
tements (OBs. VIII, Achard). Dans l'observation de Pfendler,
où la léthargie dura 18 mois, le pouls varia de 78 à 93; ce sont
approximativement ces chiffres qui ont été notés par le
Dr Charlier dans notre observation, pendant près de quatre
années consécutives,
L'étude de la température est extrêmement importante; elle
est même capitale au point de vue du diagnostic, ainsi que
nous le verrons ultérieurement. Il ressort clairement de toutes
les observations que si la température centrale est le plus sou-
vent élevée de quelques dixièmes de degré à 1 degré (3-il,6;
3S ? ? ), elle nedépassejamais ces derniers chiffres. Ce sont encore
là les caractères que M. Charcot et M. Bourneville ont assigné
à la température pendant l'attaque ou les séries d'attaques
hystériques. « L'attaque hystérique tonique. dit M. Charcot2,
pour peu qu'elle ait quelque intensité, élève la température
1 Bourneville. - Etudes Ihel'/llOmell'iqltes sur les maladies du système
nerveux, p. 117.
' Leçons sur les maladies du système nerveux, t. I, 3e et)., p. 376.
Paris, 1877.
270 0 REVUE CRITIQUE.
d'un degré, voir même d'un degré et quelques dixièmes (38°;
3S°,SVaâ.)n.llais notre maître a bien soin de faire ressortir qu'à à
l'inverse de ce qui se passe dans l'épilepsie, dans l'état de mal
hystérique, latempératurenes'élève pas au-desus de38° ,5. Etant
donné la disposition constante à la contracture que nous avons
notée, il ne faut donc pas s'étonner que l'attaque de sommeil
se comporte, quoiqu'un pen plus faiblement peut-être, vis-à-
vis de la température comme une attaque tonique d'hystérie.
Connaissant l'état'de la respiration, de la circulation et
de la température chez nos malades, il nous est permis, avant
de parler des diverses sensibilités, d'étudier l'état de la nutri-
tion générale, résultante directe des zngesta et des excréta.
L'alimentation, on le comprend, est toujours beaucoup plus
difficile qu'irrégulière, car étant artificielle elle peut être assez
facilement régularisée surtout lorsque le malade est couché
dans un service d'hôpital, ainsi qu'il arrive le plus souvent.
Nous dirons même qu'elle est toujours artificielle, car nous
supposons que l'individu ne reprend pas connaissance, queson
attaque est continue et que partant, il ne peut s'alimenter lui-
même.
Lorsqu'on peut vaincre le trismus on réussit assez bien
quelquefois (Bourneville et Regnard, Ons. XI) à alimenter le
malade en lui introduisant dans le fond de la bouche divers
aliments liquides : bouillon, lait et oeufs délayés, qui sont pour
ainsi dire avalés automatiquement. D'autres auteurs (Gaird-
ner) préfèrent avoir recours à la sonde oesophagienne. Dans
notre observation, la sonde qui ne pouvait être introduite que
par les narines causait par son contact avec le pharynx un
spasme tel que les liquides pénétraient dans les voies res-
piratoires et amenaient des accès de suffocation. On dut donc
renoncer à ce procédé d'alimentation et, à part quelques rares
cuillerées de liquide introduites par l'ouverture laissée libre
par deux dents brisées, la malade fut et est encore alimentée
tous les jours àl'aide de lavements nutritifs, composés de lait,
oeufs, bouillon et surtout de lavements depeptones.
Dans ces conditions, la nutrition générale est évidemment
en rapport direct avec la quantité et la qualité des aliments qui,
introduits dans le tube digestif, semblent toujours être absor-
bés. La nutrition souffre d'autant moins que le sujet absorbe
plusetlamalade de MM. Bourneville et Hegnard (Ons. XI), après
six semaines de sommeil, conservait encoreun certain embon-
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. : 2; i
point, alors que la nôtre, après un temps beaucoup plus pro-
longé il est vrai, présente les signes d'un amaigrissement con-
sidérable. Cet amaigrissement, toutefois, ne nous a pas paru
être en rapport direct avec la longue durée du sommeil et avec
l'alimentation toujours insuffisante par le rectum.
La nutrition dépend encore des épiphénomènes qui peuvent
entrecouper l'attaque : on comprend qu'a priori le malade qui
dort sans interruption d'une façon calme dépense moins que
celui dont le sommeil est coupé par des crises convulsives.
Mais un fait très intéressant, serait de savoir combien de temps
un individu dormant du sommeil hystérique pourrait ainsi
rester sans manger. Sous ce rapport, les documents nous
manquent, car, aujourd'hui que le diagnostic des attaques de
sommeil s'établit le plus souvent dès leur début, d'une façon
précise, on se garde bien de laisser de pareils sujets sans ali-
mentation. Il faut donc se reporter aux observations anciennes
et celles-ci sont bien insuffisantes à ce point de vue.
En effet, négligeant même la question très précise du
diagnostic, il est à se demander si véritablement, dans ces cas
anciens, les malades ne s'alimentaient pas à l'insu de leur
entourage.
Pfendler (p. 13) emprunte au Journal des savants de 1846
l'observation d'une dame anglaise qui resta pendant 7 jours
dans un état qui n'était évidemment autre que la léthargie
hystérique. Elle fut veillée comme morte et partant ne dut pas
manger; cependant elle revint à la santé.
L'observation suivante, que nous empruntons au Diction-
naire des sciences médicales (art. Cas rares, t. IV, p. ? 0, 1S13),
paraitbien se rapportera l'hystérie. La malade resta à plusieurs
reprises quarante jours sans manger; mais ce fait, un des
meilleurs cependant parmi les anciens, est loin d'entraîner la
conviction.
Il II existait encore, il va douze à quinze ans, à Saiut-Ilarcel,
près d'Avignon, une folle très pieuse qui vivait dans un jeûne tel-
lement frugal que tout son corps desséché ressemblait à un sque-
lette ou à un spectre ambulant. Constamment au pied des autels,
elle ne voyait et n'aspirait qu'à la félicité de l'autre vie; pendant
plus de vingt ans. elle s'endormait le premier jour de carême et
ne s'éveillait qu'à Pâques. Uurant ce sommeil religieux, cette
catalepsie volontaire, elle était dans un état de mort apparente;
les incrédules lui enfonçaient des épingles dans les jambes et
->7-7
REVUE CRITIQUE.
dans les cuisses, sans qu'elle se montrât sensible par le moindre
mouvement de contractilulité à des épreuves aussi douloureuses.
Ce fait est attesté par une foule d'habitants de la Provence et du
Comtat; un homme d'esprit et très véridique qui en fut témoin
nous les a certifiés de manière à ne pas nous permettre d'en dou-
ter. Il est présumable que ce sommeil était le résultat d'une
affection nerveuse, d'une volonté puissante qui commandait à
toutes les actions animales et organiques de cette illuminée. La
première fois qu'elle fut prise de cet etonnaut sommeil, on la crut
morte ; comme elle était infiniment pieuse, son corpsfut exposé à
la vue du public qui se portail en foule pour voir les restes de ce
pieux personnage. Cependant, au bout de plusieurs jours, nuls
signes de putréfaction ne se manifestant, il transpira parmi le
peuple qu'elle était morte en odeur de sainteté : cette opinion
devint universelle dans le canton ; les fanatiques s'opposèrent à ce
qu'on inhumât la défunte. Le nonce du pape fut informé d'un
prodige si rare dans les siècles modernes; ce ministre fut moins
crédule, dit-on, que la multitude; il exigea des enquêtes, des for-
malités qui prirent du temps; enfin, les quarante jours s'écou-
lèreut et la béate se réveilla. L'année suivante elle se rendormit
à la même époque et pour le même temps ; cette scène se renou-
vela pendant une vingtaine d'années. »
Il serait plus intéressant encore, et surtout plus concluant,
d'examiner l'état des sécrétions pendant les attaques de som-
meil même lorsque le sujet est alimenté artificiellement. Mais
cette étude est entourée de difficultés presque insurmontables.
Pour peu que le sommeil se prolonge un ou deux jours la
miction devient souvent involontaire, de même les selles, qu'il
faut fréquemment néanmoins solliciter par des lavements.
Toutefois la sécrétion urinaire difficilement appréciable à la
vérité, nous a paru presque toujours ralentie; notre malade
urinait peu, et, lorsque nous l'avons examinée la percussion et
la palpation permettaientdereconnaitreque la vessie était vide
d'urine ; de plus, c'est à peine si tous les huit ou dix jours les
lavements donnaient issue à quelques boulettes dures de ma-
tières fécales.
Il faudrait donc s'astreindre à sonder les malades régulière-
ment pour ne pas perdre d'urine, à recueillir les selles et à
faire des analyses que l'on comparerait avec la quantité d'ali-
ments ingérés. Mieux encore, si l'on pouvait laisser les ma-
lades pendant quelques jours sans alimentation on arriverait
peut-être à des résulats positifs. Or il n'est pas donné d'obser-
ver fréquemment des attaques de sommeil.
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 273
Ces recherches ont été cependant tentées sur un malade du
service de M. Charcot qui, sorti de la Salpêtrière, s'était endor-
mi brusquement dans un restaurant de Greek Street, londrès'.
M. le Dr Keser, qui l'observa, a eu l'extrême obligeance de nous
transmettre les résultats de l'examen des urines qu'il pratiqua
à plusieurs reprises, mais on jugera par les renseigne-
ments mêmes fournis par notre distingué confrère, combien
par suite de circonstances indépendantes de sa volonté, l'é-
tude put être difficilement approfondie. Toutefois nous pu-
blions ces documents in extenso, car nous croyons que ce sont
les premiers de cet ordre qui aient été recueillis. M. Keser
nous écrivait à la date du 25 mai z1887 :
«... Mon observation a été rendue difficile et incomplète par
le refus de l'aubergiste de laisser transporter le malade à l'hôpi-
tal. J'aurais voulu étudier l'urine au point de vue de sa quantité
et de sa composition pendant toute la durée du sommeil, mais
les circonstances ne m'ont point permis de le faire.
c Lasécrétiun urinaire fortement diminuée pendantlesdeux pre-
miers jours est ensuite devenue normale comme quantité; jus-
qu'au cinquième jour j'ai du sonder le malade, mais à partir de
ce moment il a uriné, par suggestion. J'ai fait analyser l'urine
à deux reprises et vous envoie la copie du rapport qu'on m'a
remis.
« La sécrétion de la bile a dû être peu abondante pendant le
sommeil ; ce malade n'a eu que deux selles et la seconde était t
grisâtre.
« La bouche était en général sèche et pâteuse, bien que tenue
complètement fermée; la peau était le plus souvent sèche mais
le moindre effort mental suffisait à produire une transpiration
abondante des deux côtés du corps et surtout à la tête... »
Voici maintenant les deux analyses que nous a transmises
M. Keser et qui ont été faites par M. Woodland, fellow de
la Société des chimistes.
' Voy. pour l'observation de ce malade, le nommé Chauffât, qui a été
surtout étudié au point de vue du mutisme hystérique : Revilliod : Du
mutisme hystérique. Revue médicale de la Suisse romande, 15 octobre
1883. - Cartaz : Du mutisme hystérique, Progrès médical, 13, 27 février,
C mars 1880, obs. I. - Keser : Un cas de sommeil prolongé chez un
hystérique. Semaine médicale, G avril 1887, p. 139.
Archives, t. XV. 18 8
'274 4 REVUE CRITIQUE.
ANALYSE D'URINE DE CHAUFFAT
Première analyse (lor avril, septième jour de sommeil).
Urine trouble, très colorée, très acide; légère odeur.
Poids spécifique, 1029.
Contient une très forte proportion d'urée : 4,13 p. 100.
Acide urique, 0,481 p. 100.
Acide hipurique, 0,431 p. 100.
Chlorures, 0,01 p. 100.
Phosphates, 0,21 p. 100.
Albumine \
Mucus I
Pus n
Bile J
Sucre : traces.
Cristaux d'acide urique très abondant*.
Deuxième analyse, faite le dixième jour de sommeil.
Poids spécifique 1028.
Urée, 1,002 p. 100.
Acide urique, 0,312 p. 500.
Acide hippurique, 0,221 p. 100.
Chlorures quantité normale.
Phosphates (quantité normale.
Albumine, néant.
Sucre : traces.
Ce qui nous frappe le plus dans cette observation, c'est la
différence entre les analyses du septième et du dixième jour
au point de vue du percentage de l'urée. Celle-ci est de 4,13
p. 100 le septième jour et de '1,002 p. 100 le dixième jour. Où
trouver la raison de ces écarts, surtout lorsque nous sommes
si peu fixés sur la quantité totale du liquide sécrété 1 ?
Le 19 juin 1887 nous avons eu l'occasion de faire pratiquer
l'analyse de l'urine d'une malade du service de M. Charcot en
proie depuis 28 heures à une attaque de sommeil accompagnée
de contractures généralisées. Le cathétérisme évacua 200 gram-
' Depuis l'époque où il nous écrivait, M. Keser a publié l'observation
complète de Chauffât dans « The journal of mental science », juillet 1887,
p. 267, À case of prolonged sleep.
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 575 j'
mes d'urine, ce qui est peu si l'on songe que la malade n'avait
uriné, depuis le début de l'attaque, ni volontairement ni invo-
lontairement. L'analyse faite par M. Viron, pharmacien en
chef de la Salpêtrière, donna : «Densité, z6, urée 20 gr. 496
par litre, proportion considérable d'urate acide de soude. »
La malade n'avait donc excrété que 4 grammes d'urée dans les
24 heures. Elle se réveilla du reste dans lajournée ne gardant
de son attaque qu'un fort sentiment de lassitude.
Nous l'avons dit, il est très difficile d'être fixésurles diverses
sécrétions pendant l'attaque de sommeil; toutefois elles nous
paraissent ralenties. Ce ralentissement tient-il à la difficulté et
à l'insuffisance de l'alimentation, cela est probable, mais il y a
quelque chose de plus et nous pensons que véritablement,
pendant cet état, les hystériques brident peu, se dénutrj-
tionnent peu, ce qui permet d'expliquer la conservation de
l'existence, alors que l'alimentation artificielle ne suffirait pas
par exemple aux échanges qui se font pendant les périodes
normales de l'existence. C'est du reste l'opinion admise par
M. Charcot dans ses Leçons sur les attaques de sommeil'.
Nous venons de voir, par la lecture même de l'observation
de M. Keser, que, dans certains cas tout au moins, les malades
étaient influençables, suggestibles en un mot2, en employant
ce terme dans sa plus large expression. Ceci nous conduit à il
parler de l'état des sens chez les individus atteints de sommeil
hystérique.
Supposons toujours, pour un moment tout au moins, que le
sujet est plongé dans le sommeil le plus profond et que tous les
procédés d'excitation qui s'adressent à son activité physique
restent sans résultat et ne peuvent le faire sortir de ce coma
d'une nature particulière. Dans ces conditions, on peut dire
d'une façon générale que l'insensibilité à la piqûre, au froid,
à la chaleur est complète ; les malades sont des anesthésiques
totaux. Cette insensibilité se trouve particulièrement notée, et
dans les cas modernes et dans les cas anciens, dans les faits
dits de mort apparente. C'est même là, on le comprend, un
des signes sur lesquels on s'appuyait le plus autrefois pour
conclure à la mort réelle. On peut traverser les membres
1 Lezioni clilliche dell anno scolastico 1883-84, etc., p. 27.
' Voy. ]'ob. d'Albertine dans Pitres, Des zones hystérogènes et hypno-
gènes; des attaques de sommeil. Bordeaux 1885, p. 58.
276 REVUE CRITIQUE.
avec de longues épingles sans qu'aucun muscle de la face ne
tressaille.
Les sens spéciaux ne semblent pas moins atteints; le bruit
le plus violent ne peut réveiller le malade ; il reste insensible
à l'inspiration de vapeurs irritantes; quant au goût et à la vue
leur sensibilité paraît également abolie.
Toutefois, il ne faudrait pas se livrer à des conclusions
excessives et prématurées. Ce qui domine chez le dormeur hys-
térique c'est, d'une façon générale, l'impossibilité où il se
trouve de réagir volontairement, dans la majorité des cas au
moins, vis-à-vis des excitations physiques ou psychiques aux-
quelles il est en butte de la part de l'observateur. Mais, est-ce
à dire pour cela qu'il n'a aucune conscience tant morale que
physique de ces excitations; nous ne le croyons pas. Il est
incontestable qu'il a été publié un certain nombre d'observa-
tions où les malades ne se souvenaient nullement au réveil des
diverses tortures auxquelles on avait pu les soumettre pendant
le sommeil : c'est là, du reste, la règle générale, mais il en est
également d'autres, que nous avons déjà étudiées dans un pré-
cédent travail sous le nom de léthargie lucide*, dans lequel
il n'en a certainement pas été ainsi.
En ce qui regarde encore la sensibilité générale, rappelons-
nous que, très fréquemment, longtemps avant l'attaque, les
hystériques présentent presque toujours des troubles de la sen-
sibilité, qui se traduisent le plus souvent par des anesthésies
partielles ou totales, dans la majorité des cas, comme l'a fait
remarquer M. Charcot par de l'hémianesthésie sensitivo-sen-
sorielle. Cette hémianesthésie ne disparait en aucune façon
pendant le sommeil, bien au contraire, et les excitations por-
tées sur le côté atteint devront donc par cela même ne pas
être perçues. Toutefois, le sommeil n'entraîne pas forcément
par lui-même, bien que cela existe réellement dans nombre de
faits, une anesthésie complète. Dans les cas légers, les dor-
meurs peuvent encore par action réflexe mise en oeuvre par
la perception sensitive, retirer le membre piqué. Enfin il
arrive assez souvent que l'on peut constater nettement la pré-
sence de zones hypéresthésiques. C'est ce qu'a très bien noté
M. Keser (Sein, méd.) dans l'observation deCh... « A la jambe,
' L'hypnotisme et les étals analogues au point de vue médico-légal,
in-8°, 1887, chap. vu, Les états hystériques.
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 277 -i
entre le genou et la cheville, dit-il, il y a anesthésie complète;
partout ailleurs analgésie sauf en trois points bien limités où
l'on constate de l'hyperesthésie; ces points sont situés à la
cheville, au genou et dans la région inguinale gauche. »
Or, on sait, aussi que ces points hypéresthésiques sont sou-
vent en même temps des zones hystérogènes et la recherche
ou la connaissance de ces zones inaugurée par M. Charcot et
récemment très étendue par M. Pitres est dans l'espèce de la
plus haute importance. En effet, comme nous le verrons bien-
tôt, les malades sortant le plus souvent de leur sommeil, à
l'aide d'une attaque convulsive, comme ils y sont entrés du
reste, on aura donc tout'intérêt à provoquer cette attaque et la
connaissance d'une de ces zones deviendra capitale. Ces zones
pouvaient exister avant l'apparition de l'attaque de sommeil,
mais elles peuvent aussi se développer pendant sa durée; du
reste, comme on le sait également, elles ne sont pas toujours
fixes et peuvent disparaître comme elles ont apparu sans raison
déterminante appréciable.
Ces zones hystérogènes ont été expressément notées dans
l'attaque de sommeil par M. Charcot, ainsi qu'on en pourra
juger par la lecture de l'observation X rapportée par Bourne-
ville et Regnard. Nous citons textuellement :
« 23 juin 1879. - D... s'est endormie sans attaques, le-20,
à 10 heures du soir. Elle dort encore ce matin à la visite. Par
la pression au-dessous du sein gauche (zone hystérogène) M. Char-
cot provoque qua ! re petites attaques; après la dernièreD... est
réveilée.
« ... 3 et 5 août. La malade s'est endormie le 3, à
10 heures du soir et s'est réveillée le z, à 10 heures du matin;
immobilité complète, légère raideur des membres, pas de cata-
lepsie. Elle est réveillée, sans attaques, par la pression sous-
mammaire. D
Nous avons dit que les zones hystérogènes pouvaient exister
avantl'apparition de l'attaque; nous répéterons qu'elles peuvent
disparaître pendant le sommeil lui même. Notre observa-
tion est à ce point de vue très concluante. Pendant plus de
trois ans, M. B.. présenta au creux épigastrique une zonehypé-
résique, dont la pression déterminait des attaques convulsives.
Au bout de trois ans et demi cette zone disparût un beau jour,
' Des zones /t ! /s<<;')'oyene6', etc.
978 ô REVUE CRITIQUE.
sans raison apparente et les recherches minutieuses que nous
fimes à ce sujet sur la malade ne nouspermirentpas de déceler
la réapparition decette zone ou d'aucune autre de même nature.
Du reste, pendant l'attaque de sommeil, l'hystérie ne perd
nullement ses droits, et, outre les phénomènes convulsits dont
nous avons parlé il peut en survenir d'autres, alors que le ma-
lade est profondément endormi : telles, par exemple, que les
épistaxis, véritables hémorhagies nerveuses qui existaient aussi
dans notre observation'.
La meilleure preuve que les dormeurs hystériques ne
perdent pas, pour ainsi dire, pendant le sommeil le contrôle
inconscient de leur sensibilité générale, pervertie ou non, c'est
que cette sensibilité est susceptible de modifications sous l'in-
fluence des agents esthésiogènes, quels qu'ils soient d'ailleurs. Ce
point a été bien mis en lumière dans les travaux déjà cités de
MM. Debove et Achard. Ces auteurs ont particulièrement étudié
le phénomène si complexe du transfert et, dans des conclusions
sur lesquelles nous aurons à revenir en traitant du diagnostic
différentiel des attaques de sommeil, M. Achard nous dit (p. 92) :
« Il est toutefois une remarque que nous croyons devoir faire
à l'égard de ce phénomène du transfert. D'une manière géné-
rale, parmi les faits d'apoplexie que nous avons cités, il s'est
montré dans les cas relatifs à des malades nettement hystéri-
ques, présentant plusieurs accidents de la névrose. »
Sur le même plan que le transfert, nous placerons les re-
marques faites par M. Keser sur Chaufat (Semaine méd.).
« L'application d'un aimant à la cuisse droite, dit-il, abolit la
sensibilité dans tout le côté droit sans faire disparaître les
troubles de sensibilité à gauche (hémianesthésie). »
Si l'on observe parfois et le transfert et la production d'une
hémianesthésie complétant la perte totale de la sensibilité, il
est aussi donné de voir la réapparition presque complète de
cette sensibilité générale sous l'influence d'injections sous-
cutanées de sulfate d'atropine, par exemple 2, jouant dans la
circonstance le rôle d'un agent esthésiogèue. C'est ce qu'a noté
M. Charlier dans l'observation que nous avons rédigée sur ses
notes : « L'anesthésie de la surface cutanée et des muqueuses
' Voy. à ce sujet : Soew' Jeanne des Anges; loc. cit., p. 101.
* Voy. à ce sujet : Lanuois : De l'action esthésiogène de la pilocarpine.
(Journal de thérapeutique, 1880, p. 241.)
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE, 279
est totale; la malade ne réagit sous l'influence d'aucune exci-
tation... La sensibilité toutefois reparut à un moment donné
sous l'influence d'injections hypodermiques contenant chacune
environ un milligramme de sulfate d'atropine. La réapparition
se fit d'abord au niveau des pieds qui devinrent sensibles à la
piqûre ; pendant plus d'une semaine ces injections pratiquées
tous les jours amenèrent une extension ascendante et symé-
trique delazone sensible qui s'étendit au tronc et aux membres.
La tête resta toujours insensible et cette anesthésie reparut
totale pour tout le corps après la cessation des injections hypo-
dermiques. »
Tout cela forme un faisceau de faits dont nous verrons en-
core l'importance s'exagérer en traitant, ainsi que nous l'avons
dit, du diagnostic différentiel.
Abordons maintenant l'étude de l'élai men lai et de ses modifi-
cations pendant l'attaque : ici les malades doivent être groupés
sous plusieurs chefs. Il en est un certain nombre - et ce sont
peut-être les plus nombreux qui, lorsque l'attaque a duré
longtemps sans interruption, disent ne se souvenir absolument
de rien : il s'est fait une lacune dans l'existence et leurs der-
niers souvenirs datent du début de l'accès.
Il en est d'autres qui font pour ainsi dire leurs attaques de
sommeil comme ils feraient une attaque ordinaire d'hystéro-
épilepsie aux quatre périodes. C'est chez ceux-ci qu'on observe
ces phases diverses entrecoupées de phénomènes hystériques
nettement convulsifs, les salutations rappelant les grands
mouvements comme l'a montré M. Charcot', etc.
« A des intervalles variables, disent MM. Bourneville et Regnard
(p. 138), on observe des mouvements automatiques. Ces malades
semblent lutter, faire des efforts pour écarter des êtres ou des
objets imaginaires; elles poussent des plaintes étouffées, appellent
au secours à haute voix; la physionomie exprime la terreur.
Quand les malades conservent le souvenir de leurs rêves, elles
racontent qu'elles ont eu des rêves agréables et des cauchemars. »
Enfin, comme dans l'observation de Pitres et dans celle de
Keser, on peut voir les malades conserver jusqu'à un certain
point la faculté d'entendre, ce qui les rend susceptibles
d'accepter diverses suggestions. C'est encore là une preuve à
1 Lezioni cliniche, loc. cit., p. 39.
280 REVUE CRITIQUE.
l'appui des rapports qui existent entre les attaques de léthargie
hystérique et celles de léthargie hypnotique spontanées ou
provoquées ' .
Briquet avait déjà noté la conservation de l'ouïe. « Une de
ces malades, dit-il (p. 423), celle qui avait eu l'attaque la plus
forte, a déclaré que pendant son sommeil elle avait toujours
conservé la faculté d'entendre. La plupart se rappelaient de ce
qui s'était passé pendant leur sommeil ; quelques-unes n'en
avaient aucun souvenir. »
Nous ne pouvons à ce sujet nous empêcher de rapporter une
observation de Pfedler (loc. cil., p. 11), qui nous semble
caractéristique et destinée à faire comprendrel'importance dans
l'espèce de la conservation du sens auditif :
1111 J.II ! ..., âgée de quinze ans, réglée à quatorze ans, d'une
santé parfaite, n'avait jamais éprouvé de maladies graves; son
père et ses trois enfants n'avaient jamais eu de maladies ner-
veuses. La malade était forte, bien faite, tempérament sanguin ;
très blanche, et des couleurs fraîches et vermeilles. On soupçonna
qu'elle s'était livrée à la masturbation, le clitoris étant d'une loti-
gueur très-prononcée. Le 13 décembre 1880, quatre mois après
que les règles se sont formées, la malade a ressenti une céphalalgie
intense, une grande sensibilité et irritabilité, peu de sommeil, con-
vulsions générales sans écume à la bouche; la force musculaire
était augmentée d'une manière étonnante; cinq ou six hommes
ne pouvaient la retenir.
Cet état dura trois semaines, après lesquelles la chorée se dé-
clara ; après la chorée, la catalepsie et un véritable tétanos,
avec forte raideur musculaire, trismus et impossibilité de la déglu-
tition ; après le tétanos, un rire nerveux et des hoquets, puis des
palpitations qui ont terminé avec des convulsions; ensuite la
léthargie s'est déclarée; elle a duré trois ou quatre jours et s'est
répétée dix à douze fois. Toutes les médications ont été essayées...
sans obtenir aucune amélioration. Dans une dernière consulta-
tion donnée par les premiers médecins de Vienne, tels que
MM. Pierre Franck, Mal/'atti,... on déclara que la malade étant
épuisée du côté de ses foices, ne laissait aucun espoir et qu'après
l'emploi inutile'de tous les médicaments usités, la maladie, dont
le siège était reconnu dans la moelle épinière et le système gan-
glionnaire, étant trop avancé, elle n'avait que deux ou trois
jours à vivre. En effet, le jour suivant, comme j'étais auprès de
son lit, elle fait un mouvement, se relève, se jette sur moi comme
1 Vizioli. - Del morbo ipnolico, ipnotismo spontaneo, aulononzo. Na-
ples, 188fi, p. 42.
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 281
pour m'embrasser et retombe ensuite comme frappée par la mort.
Pendant quatre heures je ne pouvais observer aucunsouftle d'exis-
tence et je fis avec 11\I. rrazl : et Seize ! ' tous les essais pos-
sibles pour exciter en elle une chance dévie : ni miroir, ni plume
brûlée, ni ammoniaque, ni piqûres ne purent nous donner aucun
signe de sensibilité; le galvanisme fut employé sans que la
malade montrât quelque contractilité. M. Frank même la jugea
morte, mais en conseillant toutefois de la laisser dans le lit. Pen-
dant vingt-huit heures, aucun changement; on croyait déjà sfn-
tir un peu l'odeur de la putréfaction; la cloche des morts était
sonnée, ses amies viennent de l'habiller en blanc et de la coiffer
de couronnes de fleurs, tout se disposait autour d'elle pour l'en-
terrement. Pour me convaincre des progrès de la putréfaction,
je reviens auprès de M110 de M... ; mais elle n'était pas plus avan-
cée qu'auparavant ; au contraire, quel fut mon étonnement
lorsque je crus apercevoir un faible mouvement de respiration je
l'observai de nouveau, et je vis que je ne m'étais pas trompé. Je
pratiquai de suite des frictions, des irritants, et, après une heure
et demie, la respiration augmente, la malade ouvre les yeux, et
frappée par l'appareil de la mort elle revient à la connaissance et
me dit en riant : « Je suis trop jeune pour mourir. » On la trans-
porta de suite dans un autre appartement où elle fut bientôt
prise d'un sommeil qui dura dix heures. La convalescence marcha
assez vite par l'emploi des bains aromatiques et des toniques, et
la malade, dont le système nerveux était débarrassé entièrement
de son état morbide, parut aussi fraîche et aussi bien portante
qu'auparavant. Pendant son état léthargique, où toutes les fonc-
tions paraissaient suspendues, les forces se concentraient sur
l'ouïe, puisqu'elle a entendu et eut connaissance de tout ce qui se
passait autour d'elle, et me cita ensuite des mots latins de
M. sa plus affreuse position était d'entendre les prépara-
tifs de mort sans pouvoir sortir de son état. Elle a vécu encore
treize ans; le mariage et trois accouchements n'ont pas altéré sa
santé. Trois mois avant sa mort elle était enceinte; elle fit une
chute de cheval qui pour le moment n'eut pas de suites fâcheuses,
mais six semaines après elle est morte dans l'espace de six heures.
Mon absence ne m'ayant pas permis d'assister à l'autopsie, j'ai
seulement appris qu'elle avait dû succomber à une rupture du coeur;
le système nerveux n'a pas été observe, à mon grand déplaisir.
Peut-être pourrait-on songer à la simulation, mais le fait
nous parait assez bien observé pour qu'il soit permis au doute
de s'établir. Nous reviendrons, du reste, quelque peu sur ce
sujet particulier en faisant ressortir l'intérêt que présentent
les attaques de sommeil au point de vue médico-légal.
28 ? . REVUE CRITIQUE.
. L'observation de Pfendler concerne plus particulièrement la
conservation de l'ouïe; il n'est pas douteux aussi que la vision
ne puisse être également conservée dans certains cas, très
rares à la vérité. Cependant. l'analyse des faits ne nous fournit
rien de probant à cet égard. Il en est de même en ce qui
regarde le goîct et l'odorat, véritables sens végétatifs, rentrant
. dans la circonstance bien plutôt dans le domaine de la sensi-
bilité générale que dans celui de la sensibilité spéciale et
nous savons que dans le plus grand nombre de cas, celle-ci est
presque toujours complètement abolie pendant un certain
temps tout au moins.
La durée des attaques de sommeil est éminemment variable;
elle s'étend de quelques heures à plusieurs années. Mais ici
encore, il faut établir une division et considérer à part la
durée relative et la durée absolue.
Il est rare, avons-nous dit, que l'attaque, lorsqu'elle se pro-
longe, ne s'entremêle pas d'autres phénomènes hystériques
d'ordre convulsif en particulier, qui interrompent le sommeil
pour un certain temps. De ce fait, le malade ne reprend pas
davantage connaissance et, au sortir de l'épiphénomène, il se
rendort. La durée relative comprend l'ensemble de l'attaque,
épiphénomènes inclus ; la durée absolue comprend la période
de sommeil comprise entre deux convulsions, car. en somme,
lorsqu'il survient une crise, on peut dire rationnellement que
c'est une autre attaque de sommeil qui va commencer.
Les auteurs, avec raison du reste, n'ont eu le plus souvent
en vue que la durée relative et pour en finir immédiatement
avec la durée absolue, nous pouvons dire qu'à plusieurs
reprises, elle fut, dans notre observation, de deux mois et
plus. Quant à sa durée relative, elle est actuellement (juil-
let 1887) de plus de quatre ans, puisque la malade s'est endor-
mie le 31 mai 1883. C'est du reste, à notre connaissance, la
plus longue attaque de sommeil qui ait été observée, et dans
la circonstance la durée relative et la durée absolue se confon-
dent, étant donnée la faible ingérence d'autres phénomènes
hystériques et la perte ininterrompue de la connaissance. ,
En dehors de ce cas, on a noté des attaques de 2, 3, i, 5, 6,
8 jours (Briquet); cent heures (Laufenauer)' ; plusieurs jours,
cinq à six semaines (Charcot, Bourneville et Regnard) ; vingt-
'1élpnotischeAitfalle um Anscltluss fin eine hystero-epileptische 11eIll'OSe;
analyse in centralblatt sur klinische mettent.; 1885, n" 15, p. 775.
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 283
trois semaines (Gairdner); dix-huit mois (Pfendler, Ons. 1); -,
quatre ans, trois mois et onze jours-(id., mais cette observation
est peu concluante).
De plus, les récidives sont fréquentes et nous considérons
ici les cas où les rémissions entre deux attaques sont assez
longues pour qu'on ne se trouve plus en présence d'un même
état de mal hystéro-épileptique. On sait en effet que l'hysté-
rique fait presque toujours ses attaques dans le même moule
et une première attaque de sommeil reste bien rarement
isolée.
« Chez une malade cependant, dit Briquet (p. 422), l'attaque
léthargique a paru avoir épuisé la source des accidents, car il y
a eu de l'amélioration d'une manière notable, et il n'est plus sur-
venu d'attaques d'aucune espèce.» Il est vrai qu'il écrit immédia-
tement au-dessus : « Il n'y avait eu qu'une attaque chez trois ma-
lades ; il y en avait eu deux à trois chez quatre; la dernière
malade en avait eu un nombre qui n'a pas été noté. »
L'observation XI de MM. Bourneville et Regnard est surtout
instructive à ce point de vue, car la malade, depuis 1870, n'a
pas passé d'années sans avoir au moins deux attaques, dont
quelques-unes ont duré de quarante à cinquante jours.
Comment se termine l'attaque de sommeil ? comment le
malade sort-il du sommeil hystérique et quelles sont les
conséquences de ce sommeil en ce qui regarde sa santé
ultérieure ?
A ce propos, nous ne pouvons complètement souscrire à l'opi-
nion de Briquet basée sur la statistique insuffisante de seize cas.
« Le réveil, dit-il (p. 422), chez le plus grand nombre s'était
fait tout simplement comme lorsqu'on sort du sommeil.... »
Il est beaucoup plus dans le vrai, quoique son opinion soit
encore trop peu accentuée, lorsqu'il ajoute « ..Chez les autres,
il y avait eu soit du délire, soit du trouble dans les idées, soit
de la pesanteur de tête. » z
En somme, les malades sortent fréquemment du sommeil
hystérique comme ils y sont entrés, par une autre attaque, /
le plus souvent d'ordre convulsif. Y
Nous avons déjà vu que M. Charcot avait observé que la
pression d'une zone hystérogène faisait cesser le sommeil en
provoquant une attaque. Assez souvent, en outre, ce fait
est fréquemment noté - cette attaque prend le caractère
284 -il REVUE CRITIQUÉ.
'délirant, ce qui s'observe également au sortir des séries d'at-
taques convulsives, tant il est vrai que l'hystérie se com-
porte toujours de la môme façon. A l'inverse donc de Briquet,
MM. Bourneville et Regnard nous paraissent avoir donné
la note exacte :
« Tantôt, disent-ils (p. 139), l'attaque de sommeil se termine
par une attaque convulsive ou bien par des lèves, des pleurs, de
l'excitation. Les malades sont étonnées, paraissent ne plus se sou-
venir du lieu où elles se trouvent; elles se plaignent de coulba-
ture. de douleurs de tète, ont la vue troublée, refusent de par-
ler. Des crises avortées, des rires inextinguibles de plus en plus
rapprochés annoncent chez H... (Cas. XI) la fin de l'attaque de
sommeil. Dans ce cas aussi il se produit un véritable délire de
parole. »
M. Landouzy a publié une observation dans laquelle le
réveil, ainsi que le sommeil du reste, était précédé de mouve-
ments convulsifs. Ce fait présentait ceci d'intéressant, ainsi
que l'a fait remarquer M. P. Richer(2° édit., p. 259) que l'at-
taque de sommeil pouvait être provoquée par l'action d'un cou-
rant et l'occlusion des paupières et cesser par l'ouverture des
yeux et l'enlèvement de l'aimant, la notion des phénomènes
convulsifs ne laissant aucun doute sur la nature de l'attaque.
L'attaque de sommeil peut laisser après elle ou favoriser
l'apparition à courte échéance de divers phénomènes hys-
tériques ; en cela elle ne diffère pas des autres variétés de
l'attaque et nous venons de dire que c'était souvent les con-
vulsions qui rompaient le sommeil.
Dans toute une série de faits étudiés par M. Achard, le sujet
sort de son attaque hémiplégique et hémianesthésique sensi-
tivo-sensoriel, que l'anesthésie soit directe ou croisée, que
l'hémiplégie s'accompagne ou non d'une participation spéciale
de la face. Une paraplégie flasque avec rétention d'urine peut
également se montrer et persister plus ou moins longtemps
(Boutges, OBs. VIII). Enfin, il peut survenir de l'aboiement, du
mutisme (cas de Chauffât), des tremblements choréiformes ;
nous n'en finirions pas du reste si nous voulions énumérer
toutes ces complications, car il faudrait passer en revue presque
toute la série des phénomènes hystériques. Nous insistons
1 Progrès médical, 25 janvier 1879, p. 61.
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTERIQUE. 283
cependant, sur la contracture, phénomène fréquent qui se
montre tantôt et à la fois sur la face et sur les membres.
Quel est maintenant le pronostic des attaques de sommeil ?
Il est facile à formuler : ainsi que toutes les autres variétés,
l'attaque de sommeil peut laisser après elle nombre d'accidents
plus ou moins tenaces; mais, pas plus que les autres égale-
ment, elle ne semble par elle-même entrainer la mort.
Cette opinion n'a pas toujours été adoptée, mais il faut
savoir aussi que les auteurs dont nous allons parler étaient
guidés par cette considération, peut-être réelle, qu'on avait
avant eux enterré des hystériques en état de mort apparente,
ce qui n'est plus à craindre aujourd'hui.
Louyer-Villermay (1816) place, ainsi que nous l'avons dit,
les attaques de sommeil hystérique dans sa troisième classe,
de toutes la plus grave, et ajoute que « les malades sont
froides, pâles, insensibles, immobiles et restent dans un état
plus ou moins prolongé de mort apparente qui peut se ter-
miner par l'extinction totale de la vie ». Landouzy (p. 68),
après avoir parlé de la mort apparente, dit nettement :
« Tantôt, enfin, l'attaque est réellement suivie de mort. »
Briquet, plus expert que ses devanciers, n'adopte pas leur
opinion. Bien qu'il connaisse les faits d'inhumation précipitée
précédemment publiés, cela ne l'empêche pas de dire (p. 427) :
« Le pronostic des attaques soporeuses n'est pas aussi grave
que les apparences le feraient craindre. Ces attaques se termi-
nent toujours spontanément, et. tant qu'il ne s'y jointpas, soit de
l'asphyxie, soit de l'éclampsie, l'on a peu à craindre, attendu que
la mort n'a jamais lieu par le fait de la syncope. En parcourant
les auteurs, on trouve toujours que les prétendues mortes ont
été rappelées à la vie. »
Et il ajoute (p. 538) dans le chapitre où il traite des terminai-
sons de l'attaque hystérique en général :
« Les fortes syncopes et les léthargies dans lesquelles toutes les
fonctions de la vie semblent suspendues pendant plusieurs jours
ne sont pourtant jamais suivies d'une terminaison fatale. »
Nous connaissons cependant un cas récent dans lequel la
mort survint à la suite d'une attaque syncopale, aussi, vu sa
rareté, ce fait mérite-t-il d'être analysé. ,
286 REVUE CRITIQUE.
Il s'agit d'une femme de quarante-quatre ans, malade depuis
longtemps, observée par M. Martinenq*. Le diagnostic porté le
17 mai 1878 avait été : « Folie hystérique maniaque avec agita-
tion et violence ".
En octobre 1884, «sans autre phénomène prodrumique qu'une
légère hémicrânie avec exagération de l'amblyopie, J... présente
un matin tous les symptômes d'une attaque d'apoplexie céré-
orale, à savoir : hémiplégie complète accompagnée d'hémianes-
thésie sensitivo-sensorielle et de légère contracture principale-
ment au bras, paralysie hémiaciale incomplète du même côté que
l'hémiplégie avec inégalité pupillaire et aphasie. L'intelligence
est intacte, la conscience entière....
Un mois arpès, tout est rentré dans l'ordre, mais l'inégalité
pupillaire et un léger embarras de la parole persistent. L'état
mental et l'état physique se maintiennent encore très satisfai-
sants jusqu'au mois de janvier 1886.
Le 6 janvier 1886, J... a une légère bronchite avec embarras
gastrique. Elle est placée à l'infirmerie, et le 10, elle va très bien,
s'occupe avec raison et gaité, ne se plaint de nulle part, s'ali-
mente bien et cause avec intelligence.
Le 41, après une excellente journée pendant laquelle elle
n'accuse aucun malaise, J... est prise subitement, à neuf heures
du soir, d'un engourdissement général avec oppression cardiaque,
constriction au creux épigastique et état syucopal. Elle s'affaisse
sans proférer une parole et meurt vers onze heures dans un
coma apoplectique. »
Si l'autopsie n'avait pas été faite, on aurait pu penser que
la malade avait succombé à toute autre chose qu'à une atta-
que d'hystérie : à une hémorrhagie cérébrale, à une at-
taque apoplectiforme dans le cours de la paralysie générale,
vu les symptômes d'aliénation mentale et son internement
dans un asile, à une lésion du coeur, insuffisance aortique, etc.
Mais nous publions la nécropsie et celle-ci fut * négative.
Or, comme on le sait, c'est un des caractères les plus impor-
tants de l'hystérie de ne produire, lors des phénomènes les
plus graves et les plus persistants, que des troubles dyna-
miques inappréciables, tout au moins avec nos moyens ac-
tuels d'investigation. Nous avons assisté à la Salpêtrière à
l'autopsie de Ler..., qui était atteinte depuis plus de vingt ans
d'une hémianesthésie observée par M. Charcot. Cette ma-
' Cas d'apoplexie hystérique avec autopsie : Annales méd. 1,3ych.,
mars 1887, p. 25t.
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 128-1 i
lade mourut de pneumonie et l'examen le plus minutieux ne
révéla aucune lésion du système cérébro-spinal. Quoi qu'il en
soit, on lira avec intérêt le complément de l'observation de
M. Martinenq :
Autopsie (vingt-quatre heures après la mort). - Bicéphale. -
L'examen attentif et à la loupe de toutes les parties du cerveau
et de ses enveloppes ne révèle aucune lésion appréciable autre
qu'un léger épaississement avec demi-opacité et traînées laiteuses
le long des vaisseaux dans les parties de la pie-mère qui recou-
vrent les régions motrices, surtout à droite. A part cela, pas la
moindre trace de congestion ou d'hémorrhagie ancienne ou ré-
cente ; lesvaisseaux sont partout en parfait état, il n'existe aucune
adhérence pathologique.
Les circonvolutions cérébrales sont remarquablement dévelop-
pées et saines. Le cerveau pèse 1,292 grammes qui se répartis-
sent ainsi : hémisphère gauche, 552; hémisphère droit, 565 ;
bulbe et protubérance, 24; cervelet, 151.
De nombreuses coupes faites avec soin, suivant la méthode de
Pitres, nous montrent la cavité corticale partout normale comme
epaisseur, comme coloration et comme consistance; la substance
blanche et les noyaux centraux dans un parfait état ; enOn la
protubérance, le bulbe et le cervelet dans un état irrépro-
chable.
Poumons. - A l'ouverture des plèvres, il s'écoule environ
250 grammes d'un liquide clairet citrin. On note quelques adhé-
rences pleurales et pleuro-costales au sommet gauche principale-
ment. Il existe aux deux sommets quelques amas superficiels de
tubercules fibreux et crétacés avec induration fibreuse du paren-
chyme pulmonaire sous-jacent. Cette lésion ancienne et silen-
cieuse affecte surtout le sommet du poumon gauche. Les autres
parties sont absolument saines.
Le coeur, le foie, la rate, le pancréas et les reins n'offrent rien
de particulier.
Nous rapprocherons du fait de Martinenq et du cas de
Ler... la première observation de Pfendler. Elle est relative à
un hystérique de quarante-deux ans (qualifié du reste d'épi-
leptique), qui tomba dans une léthargie qui dura dix-huit
mois, d'où il sortit avec une : < paralysie du pied gauche ». La
léthargie ne récidiva pas ainsi qu'il est d'usage ; mais au bout
de deux ans la mort survint par suite d'une tuberculose pul
monaire à laquelle l'attaque par la dénutrition qu'elle avait
amenée n'avait peut-être pas été tout à fait étrangère. L'au-
8H REVUE CRITIQUE
topsie, en dehors des lésions de tuberculose avancée, ne ré-
véla rien du côté du système nerveux.
Cette dénutrition et les complications qui suivent si fré-
quemment le réveil sont les seuls points sombres dans le pro-
nostic des attaques de sommeil.
IV.
I. Si le pronostic des attaques de sommeil hystérique est
facile à établir, il n'en est pas toujours de même, loin delà,
du diagnostic, et, nous n'hésitons pas à le dire, ce sont les
travaux de 11. Charcot et de ses élèves qui seuls ont permis de
l'asseoir sur des bases solides. Le diagnostic positif découle
du reste des considérations que nous venons d'exposer et nous
avons vu combien l'Ecole de la Salpêtrière avait fait pour
l'étude de l'attaque hystéro-épileptiqueen général etpour celle
de l'attaque de sommeil en particulier.
Il est en effet un grand nombre d'affections dont les mani-
festations peuvent simuler l'attaque de sommeil, de léthargie,
de coma hystérique, ces divers termes étant synonymes dans
la circonstance. Qu'on ouvre un Traité de pathologie générale
et l'on verra combien chacun de ces états prête à l'étude sé-
méiologique.
Ici encore il nous paraît indispensable d'établir quelques
distinctions et, nous plaçant uniquement, comme toujours,
au point de vue clinique, nous distinguerons deux groupes de
faits : ceux dans lesquels l'attaque de sommeil se présente
sous la forme apoplectique avec hémiplégie, ceux dans lesquels
l'hémiplégie faisant défaut, la résolution musculaire étant
plus ou moins complète, la paralysie ou la contracture ne se
limitent pas exactement à un côté du corps.
Ceci nous amène à dire quelques mots complémentaires sur
la forme apoplectique de l'attaque de sommeil récemment
bien étudiée par MM. Debove et Achard. Nous n'en retien-
drons que ses particularités, car, pour la description générale,
elle se confond, nous l'avons dit, avec l'attaque de sommeil-
type, celle que nous avons eue surtout en vue dans notre des-
cription.
Le début semble soudain et, dans les cas accentués, le ma-
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 289
lade paraît plongé dans un véritable état apoplectique d'origine
cérébrale, d'autant plus, qu'au sortir du coma, le sujet conser-
vera bien souvent une hémiplégie. Or, si nous nous reportons
au pronostic relativement bénin de l'attaque de sommeil et si
nous songeons à la gravité extrême de l'apoplexie d'origine
cérébrale, gravité aussi immédiate qu'ultérieure, il deviendra
facile de comprendre de quel intérêt capital est le diagnostic
de l'hystérie, tant à la période d'apoplexie qu'à la période qui
suit le au réveil.
1° L'individu est dans le coma : ce coma a-t-il une origine
hystérique, dynamique, ou bien est-il sous la dépendance
d'une lésion cérébrale : hémorrhagie, ramollissement, tu-
meur, attaques apoplectiformes de la paralysie générale,
etc. ?
Evidemment, en matière d'hystérie, la connaissance des
antécédents sera toujours d'un précieux secours et nous sa-
vons que l'attaque de sommeil n'est que très rarement la pre-
mière manifestation éclatante de la névrose; mais il faut sup-
poser aussi que le malade a été ramassé dans la rue, apporté
à l'hôpital, et qu'on ne peut obtenir aucun renseignement
sur son passé pathologique.
L'aspect général de l'individu peut déjà fournir quelques
renseignements et Briquet, relatant (p. 416) une observation
d'apoplexie hystérique, disait : « Marie B... n'a pas sur la face
l'empreinte de stupeur que M. Rochoux donne comme un ca-
ractère d'apoplexie ; au contraire, elle a l'expression d'un
sommeil paisible qui éloigne toute idée de souffrance ; il n'y a
pas cette sterteur si ordinaire dans l'apoplexie. » Il réagissait
ainsi contre l'opinion trop exclusive de Sydenham, qu'il cite
en ces termes : « Quand l'hystérie attaque le cerveau, elle
produit quelquefois une apoplexie entièrement semblable à
l'apoplexie ordinaire et qui se termine comme elle par une
hémiplégie. »
A ne s'en tenir qu'au phénomène de stertor, textuellement
synonyme de ronflement (Littré et Robin), on pourrait s'y
tromper, car il est des sujets qui, à l'exemple du malade
Gairdner, peuvent présenter du ronflement (snorizg) bien
que ce phénomène soit uniquement noté dans cette seule ob-
servation.
Passons, du reste, car nous croyons qu'il existe de bien
meilleurs signes en dehors de l'aspect du malade, qui, d'ail-
Archives, t. XV. 19
290 REVUE CRITIQUE.
leurs, prête un peu trop à l'appréciation individuelle. Ces
signes sont tirés : 1° de l'état de la température ; 2° de
l'état de la sensibilité ; 3° de la participation diverse de la
face aux autres phénomènes observés.
L'étude de la température est du plus haut intérêt : elle seule
même donne, comme l'ont démontré MM. Charcot et Bourne-
ville, des résultats véritablement précis, en dehors de toute
contestation.
On peut en effet poser la règle suivante : dans l'attaque de
sommeil, la température reste normale ou s'élève à peine
d'un demi à un degré ; dans les lésions du cerveau : hémor-
rhagie, ramollissement, tumeurs ; dans les attaques apoplec-
tiformes de la paralysie générale ou de la sclérose en plaques;
dans l'état de mal épileptique ou éclamptique elle s'élève à
39, 40, 41 et même 43 degrés, comme nous l'avons observé
nous-mêmes dans un cas, surtout lorsque la terminaison doit
être fatale à bref délai.
Dans la première période de l'hémorrhagie cérébrale, la tem-
pérature descend au-dessous de la normale , fait important
lorsqu'on est appelé au début des accidents. A rapprocher de
cette hypothermie celle que l'on observe dans les attaques
d'urémie comateuse (Bourneville). ,
On peut donc déjà, par l'étude seule de la température cen-
trale, alors que la connaissance est encore abolie, affirmer
presque à coup sûr que l'on se trouve en présence d'une
attaque de sommeil.
De même, pendant cette période, les phénomènes qui se
passent du côté de la face pourront également éclairer le dia-
gnostic ; mais ces signes paraitront surtout évidents et plus
précis si nous supposons l'individu sorti du coma et présen-
tant alors une hémiplégie.
On pourrait nous objecter que, lorsque le malade est ré-
veillé, le diagnostic de l'attaque de sommeil est parfaitement t
inutile, mais il ne nous semble pas cependant qu'il en soit
ainsi, car ne nous faudra-t-il pas établir encore si, dans ce
cas, l'attaque apoplectiforme de la veille qui a laissé l'hémiplé-
gie du lendemain a été ou non d'origine hystérique. Le dia-
gnostic doit du reste être fait rapidement pour établir la
gravité présente et ultérieure du cas. Disons aussi que, dès
ce moment, il peut de part et d'autre exister de la contrac-
ture ; ce phénomène n'est pas rare dans les attaques de som-
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. et 1
meil et dans l'hémiplégie hystérique ; le pronostic en est
bénin. Au contraire, la contracture rapide des membres dans
les lésions organiques du cerveau est rare; de plus, elle en-
traîne un pronostic extrêmement grave, car elle est l'indice
d'une inondation ventriculaire (Brissaud) ou d'une excitation
méningée périphérique. La mort survient alors dans le coma,
accompagnée d'une haute élévation de la température, tandis
que l'hystérique contracturé vit avec sa contracture et une
température normale.
Supposons donc, après cette digression, que l'hémiplégie
est flasque. Si elle est d'origine hystérique, on peut admettre
en principe qu'elle s'accompagnera le plus souvent d'hémi-
anesthésie sensitive et fréquemment sensorielle, en un mot
d'une hémianesthésie sensitivo-sensorielle.
Mais cette hémianesthésie n'est pas l'apanage exclusif de
l'hystérie, car on l'observe aussi (Raymond') dans les lésions
en foyer siégeant dans la région lenticulo-optique de la cap-
sule interne au niveau du carrefour sensitif.
Cela est vrai, mais il est certain aussi que les hémianesthé-
sies sensitivo-sensorielles à la suite de lésions cérébrales sont
extrêmement rares ; elles tendent de jour en jour à perdre du
terrain. Celles qui en perdent encore davantage ce sont les
anciennes hémianesthésies toxiques, alcoolique et saturnine,
car M. Charcot a récemment montré 2 que les faits de cet
ordre soigneusement observés avaient trait à des sujets hysté-
riques qui n'en étaient pas moins, du reste, saturnins ou
alcooliques, le plomb et l'alcool favorisant singulièrement
l'apparition de l'hystérie chez les sujets prédisposés.
Nous nous en tenons donc à l'hémianesthésie organique par
lésion du carrefour sensitif. Eh bien, si celle-ci existe vérita-
blement - et M. Charcot en a montré un fait indubitable
dans une récente clinique nous ajouterons qu'elle présente
des caractères qui lui sont tout à fait particuliers.
Nous savons d'abord que l'hémianesthésie hystérique est
presque toujours, ou à peu près, à la fois sensitive et senso-
rielle ; nous savons aussi (Keser) que l'anesthésie sensorielle
' Etude anatomique , physiologique et clinique sur ? tf'n ! : c/t0)'e'e, l'hé-
mianesthésie et les tremblements symptomatiques. Th. Paris, 187G.
2 llémiancsthésie hystérique et hémianesthésie toxique. Leçon recueillie
par 111. llabinsl.i. (Bulletin médical, iio 2S; 25 mai 1887, p. 387) - Voy.
aussi : Uebove et Achard, loc. cit.
292 REVUE CRITIQUE. ,
peut être croisée par rapport à l'anesthésie sensitive, ce qui ne
saurait avoir lieu dans l'hémianesthésie organique. Déplus, il
est un phénomène qui, lorsqu'il existe, permet au diagnostic
de s'établir : l'hystérique peut être amaurotique avec rétrécis-
sement du champ visuel, l'hémiplégique sensitif organique
a aussi du rétrécissement, mais il est hémiopique.
Il existe d'autres considérations tirées encore de l'étude de
la sensibilité que l'on pourrait invoquer pour établir le dia-
gnostic différentiel ; elles sont relatives aux esthésiogènes et
aux phénomènes de transfert par l'aimant. On sait, en effet,
que l'application d'un aimant ou l'emploi d'un esthésiogène
quelconque peuvent chez les hystériques : 1° faire reparaître
(ou disparaître) la sensibilité ; 2° transférer l'hémianesthésie
du côté opposé.
Ces phénomènes se montrent-ils dans les hémianesthésies
réputées organiques ?
Nous répondrons : généralement non dans l'immense ma-
jorité des cas (et ils sont bien peu nombreux), n'allantpas tou-
tefois aussi loin que M. Achard, qui nous dit (p. 52) : « Il
nous paraît impossible d'admettre que les agents esthésio-
gènes puissent restaurer la sensibilité abolie par une lésion
organique. » En effet, M. Vulpian a montré que dans cer-
tains cas, rares à la vérité, la faradisation de la peau pou-
vait faire reparaître momentanément tout au moins la
sensibilité chez des ataxiques, chez des hémiplégiques hémi-
anesthésiques par lésion cérébrale. M. Grasset2 a rapporté
également un cas de même ordre relatif à un hémiplégique
hémianesthésique par lésion du cerveau. Il résulterait même
d'une observation inédite de M. Charcot relative au malade
précédemment cité, qu'on pourrait obtenir le transfert par
l'aimant d'une hémianesthésie organique. Mais ce cas est en-
core unique et nous pouvons dire en matière de conclusion :
que ce qui est la règle dans l'hystérie est la très grande
exception dans les affections à subtratum anatomique s'ac-
compagnant d'hémianesthésie.
Nous arrivons maintenant, en dernière analyse, à l'étude
1 De l'influence qu'exerce la faradisation de la peau dans certains cas
d'anesthésie cutanée. (Archives de physiologie, t. VII, 1875, p. 877.)
1 Note sur les effets de la faradisation cutanée dans l'hémianesthésie
d'origine cérébrale. (A¡'cltives de physiologie, t. VIII, 1876, p. 764.)
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 293
des cas dans lesquels la face participe à l'hémiplégie, que le
malade soit encore plongé dans le coma ou qu'il en soit sorti.
Jusqu'à ces derniers temps, on s'en tenait à l'opinion émise
par Todd :
« Dans l'hémiplégie hystérique, ni la face ni la langue, ne sont
prises; la paralysie est limitée au membre supérieur et inférieur
et souvent n'est pas complète; les muscles sont, généralement,
dans le relâchement, mais ne souffrent pas dans leur nutrition
lorsqu'on les compare avec ceux du côté opposé; de temps en
temps un ou deux membres peuvent être affectés de spasme de
quelques-uns de leurs muscles et peuvent avoir de la tendance à
devenir rigides. Dans la promenade, quand cette paralysie est
complète, le malade tire sa jambe après lui, comme si elle était
morte, balayant le sol'. »
Si la description de Todd mérite encore de rester classique,
il n'en est pas moins vrai que sa première proposition doit
être rejetée, car la face et la langue peuvent parfaitement être
prises dans l'hémiplégie hystérique, mais elles le sont d'une
toute autre façon que dans l'hémiplégie organique.
Chez l'hémiplégique organique, chaque expiration soulève
l'orbiculaire des lèvres du côté paralysé, de même que la
commissure labiale s'entr'ouvre à ce moment de ce côté, la
tonicité musculaire faisant défaut; du côté sain, la commissure
est relevée par prédominance de l'action musculaire; enfin, la
langue est tirée du côté paralysé.
L'étude de plusieurs cas récents a montré que si, dans
l'hémiplégie hystérique, la face et la langue étaient envahies,
elles l'étaient tout autrement que dans l'hémiplégie orga-
nique.
Ainsi que l'a établi M. Charcot 2, et avec lui MM. Brissaud
et P. Marier ce n'est plus de paralysie, mais bien de spasmes
dont il s'agit ici. La commissure atteinte n'est plus abaissée,
mais bien relevée par le spasme qui entr'ouvre largement la
commissure ; la déviation de la langue qui est excessive, tou-
1 Clinical lectures ou paralysis, certain diseases of brain. Londres,
1856, 2° éd., p. 267.
2 Spasme glosso-labié unilatéral des hystériques. Diagnostic entre l'hé-
miplégie capsulaire et l'hémiplégie hys/él'ique. (Semaine medicale, ni 5,
2 février 1887, p. 37.)
'De la déviation faciale dans l'hémiplégie hystérique. (Progrès mé-
dical, 29 janvier; 12 février 1887.) .
294 REVUE CRITIQUE.
jours par spasme, se fait le plus souvent du côté atteint, bien
qu'il puisse en être autrement, ces deux phénomènes, à l'in-
verse de ce qui se passe dans l'hémiplégie organique pouvant
être dissociés.
Ce spasme glosso-labié occupe tantôt le côté paralysé, tantôt
le côté sain ; enfin, il peut être reproduit par suggestion, tandis
que la paralysie faciale d'origine centrale ne peut être obtenue
à l'aide de ce procédé de recherches.
L'analyse des observations publiées par les auteurs qui ont
eu à traiter de l'hémiplégie hystérique (Brodie, Lebreton,
Hélot, Boutges, Achard) ne laisse aucun doute sur la valeur
diagnostique de ces différents signes. Pas un de ces auteurs ne
signale, en effet, une paralysie véritable du facial inférieur :
on trouve même, parmi ces faits, des paralysies du facial supé-
rieur (Lebreton', Dumontpallier2), évidemment indépendantes
d'une lésion centrale.
Pour terminer, nous ne confondrons pas les attaques de
thargie hystérique avec les attaques provoquées de la
léthargie hypnotique. Si la notion de provocation fait défaut,
on aura pour se guider la constatation de l'hyperexcitabilité
musculaire spéciale à ce dernier état. Nous savons néanmoins
que l'hypnotisme peut être spontané, ainsi que M. Vizioli en
a rapporté une si remarquable observation 3. Dans ce cas, le
diagnostic différentiel sera de minime importance, car les faits
établissent que c'est encore un hystérique en présence duquel
on se trouvera le plus souvent.
Il. - Les diverses affections ou mieux les symptômes
cliniques que nous venons de passer en revue, sont de beau-
coup ceux qui pourront en imposer par une attaque de
sommeil. Ces faits sont du reste fort intéressants, car ils
semblent former tout naturellement un même groupe
dans lequel le diagnostic a besoin de se faire d'une façon
immédiate. Il n'en est plus de même de ceux que nous allons
étudier maintenant au même point de vue du diagnostic
différentiel.
1 Des différentes variétés delà paralysie hystérique. Th. Paris, 1868,
obs. XVI.
2 Apoplexie et hémiplégie hystériques . (Bull. et Mém. Soc. méd. des
hôpitaux, 6 avril 1887, p. 110.)
3 De/ naorbo ipnotzco, ipnotismo sponlaneo, aufonomo. - Naples, 1886,
p. 2 Î.- ' -
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 295
Ea premier lieu, nous devons parler d'une affection, d'un
syndrome bizarre, encore mal classé, appelé tour à tour
maladie du sommeil, narcolepsie et bien étudiée par Gelineau 1
et Ballet 2. Les malades sont encore des héréditaires, comme
toujours, mais le sommeil n'est plus accompagné ou suivi
d'attaques convulsives ou d'autres accidents hystériques. Il
survient brusquement, de lui-même pour ainsi dire, il cède de
même et tout est fini jusqu'à la prochaine invasion. Les frag-
ments de l'observation suivante, que nous devons à l'obligeance
de notre ami Hugues Le Roux, feront mieux comprendre ce
qu'est cette affection que toute description raisonnée. L'obser-
vation est d'autant plus intéressante que, sous forme de lettre,
le malade nous fait pénétrer lui-même dans l'intimité de son
mal.
« Je suis atteint d'une affection tout à fait spéciale nommée
narcolepsie par quelques médecins qui depuis plusieurs années
ont pu m'observer. Je dors ou je m'endors à toute heure du jour
sans que la volonté et l'énergie dont je suis capable puissent s'y
opposer. Je suis pris parfois presque instantanément et cela dans
quelque situation que je me trouve.
J'ai dormi en cueillant des cerises, en marchant, pendant que
l'on me causait, et, étant enfant, apprenti mercier à Paris, en
servant les clients. Un jour entre autres, je fus réveillé par un
employé de magasin pliant du fil et restant tout à coup immobile
au grand ébahissement de la cliente qui se retira en riant. Ce
qu'il y a de plus curieux c'est que les personnes près desquelles je
me trouve ne s'en aperçoivent pas ou très rarement.
J'ajouterai que lorsqu'on me réveille à ces moments-là je
souffre beaucoup de battements de coeur, mais j'éprouve en même
temps une sensation de douleur et de soulagement à la fois de-
puis la nuque jusqu'en,bas, comme si on me descendait un mor-
ceau de glace.
Aujourd'hui (30 mars 4887), j'ai trente-six ans, je souffre
moins, mais mon affection m'empêche et m'a toujours empêché
de ne rien faire et d'occuper aucune place. J'étais taxé de paresse
et de fainéantise... »
La lecture de cette observation permet de comprendre que
le diagnostic différentiel entre la narcolepsie (sans préjuger de
1 De la narcolepsie, 1881.
5 Contribution à l'étude du sommeil pathologique (quelques cas de nar-
colepsie). (Revue de médecine , 1882, t. II, p. 915.)
296 REVUE CRITIQUE.
la nature de ce syndrôme) et la léthargie hystérique ne saurait
être longtemps hésitant. La seule possibilité d'obtenir à
volonté le réveil juge suffisamment la question. Il en est de
même à ce dernier point de vue du somnambulisme spontané
que nous ne signalons que pour mémoire.
Il n'en est plus ainsi dans certains cas de stupeur mélanco-
lique à forme léthargique ou dépressive. Ce sont encore là, du
reste, des cas sur la pathogénie desquels les auteurs paraissent
mal fixés. Rappelons de plus, que certains délirants hysté-
riques (cas de Martinenq) peuvent être sujets à des attaques
de sommeil.
En 1869, M. Legrand du Saulle publiait dans la Gazette des
Hôpitaux un mémoire intéressant sur ce sujet encore à
l'étude aujourd'hui. Il rapportait l'observation d'un individu
âgé de trente-deux ans, chez lequel le sommeil apparent
retenons ce terme - n'avait pas discontinué pendant sept
mois consécutifs. La sonde oesophagienne fut introduite
750 fois; la température ne dépassa pas 37° 5 ; l'autopsie
ne révéla aucune lésion. M. Legrand du Saulle analysait à
ce propos une brochure de Timermans 2, traitant du même
sujet et, à la suite de laquelle, la question avait été portée
devant l'Académie de Turin. Les savants italiens ne parvin-
rent pas, du reste, à s'entendre et la discussion 3 ressembla
singulièrement à celle qui avait eu lieu sur les Névroses
extraordinaires, en 1858, devant la Société médico-psycho-
logique, à l'instigation de Cerise.
De cette discussion, il résulta néanmoins que chez ces
malades le sommeil, lorsqu'il existe véritablement, est dis-
continu ; ce sont de véritables aliénés, des délirants chro-
niques, et Timermans nous semble avoir donné la note juste
en disant qu' « une idée mélancolique fixe portait son sujet à
une léthargie maniaque avec abstinence complète b. Ces
aliénés, guidés par leur idée fixe, raisonnent pour ainsi dire
leur stupeur qui n'est pas un véritable sommeil, ce qui suffit,
' Sthpeur mélancolique à forme léthargique. Sommeil apparent et non
discontinué pendant plus de sept mois. Simulation de la mort. (Gazette
des hôpitaux, 1869, nos 128, 130, 131.)
2 Sloria di una encefalopatia con letargo maniaco (sonno di semensi)
con osseruaaioni ecomn : M< ! . Turin, 1869.
3 Olivetti. Il letargo ela mania possono coesisteoe. -Turin, 1869.
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 297 1
en dehors même des autres signes propres aux dormeurs hys-
tériques, pour établir le diagnostic.
Nous avons dit que l'autopsie n'avait révélé aucune lésion
du système nerveux chez le malade de Legrand du Saulle ; de
même chez le sujet de Timermans. Toutefois, il en fut autre-
ment chez cet individu observé par Semelaigne', qui rentrait,
à ce qu'il nous semble, dans la même catégorie, et chez lequel
le sommeil, ou mieux la stupeur mélancolique, ne dura pas
moins de quatre ans et sept mois et demi. L'autopsie révéla les
lésions de la paralysie générale.
Nous en tenant exclusivement à la question du diagnostic
différentiel avec les attaques de sommeil hystérique, nous
n'avons pas à nous prononcer sur la valeur relative de ces
différents cas, mais on pourrait peut-être nous faire remar-
quer qu'il en est d'autres dans lesquels l'hystérie et la para-
lysie générale se superposent, ainsi que M. Ph. Rey en a rap-
porté des observations2. Ne pourrait-on pas alors observer la
coexistence d'attaques de sommeil hystérique ?
A cela, et sans vouloir aller plus avant dans cette discus-
sion à l'heure actuelle si hérissée encore de difficultés, nous
répondrons par la dernière conclusion de M. Rey : « L'hystérie
s'atténue ou disparaît dans le cours de la paralysie générale ;
il est probable que dans beaucoup de cas elle s'atténue ou dis-
parait au moment de l'invasion de l'affection paralytique. »
Il ne nous reste plus maintenant qu'à dire quelques mots
de ces cas de léthargie hystérique pour lesquels le terme de
mort apparente a été prononcé par les anciens auteurs. Le
diagnostic devra s'établir dans ces cas avec la mort réelle et,
aller plus loin, ce serait énumérer tous les signes de la mort.
Nous croyons avoir assez fait pour l'étude symptomatologique
de la léthargie hystérique pour nous abstenir de donner cette
énumération. Nous pensons qu'aujourd'hui les phénomènes
hystériques sont suffisamment connus et analysés pour qu'on
n'ait plus à craindre ces inhumations précipitées dont, à com-
mencer par l'histoire de Vesale, on trouve un certain nombre
1 Contribution à t'élude du sommeil pathologique chez les aliénés.
(Annales médico-psychologiques, 1885, t. I, p. 20.)
' Note sur la paralysie générale chez la femme; de l'hystérie chez les
femmes atteintes de paralysie générale. (Annales médico-psychologiques,
1885, t. II, p. 421.)
298 REVUE CRITIQUE.
d'exemples dans les auteurs précités. Qu'on en juge, du reste,
par la troisième observation de Pfendler :
Racliel N..., ââée de vingt-huit ans, mariée, était depuis deux
ans sujette à la catalepsie et fut traitée par un médecin très ha-
bile de Vienne. Après plusieurs médicaments employés, la cata-
lepsie a cessé, mais ensuite une léthargie s'est déclarée quia duré
plusieurs mois, la malade a dormi de quarante-huit à soixante-
huit heures, mais dans une des dernières attaques, elle fut prise
pour morte; déjà enterrée le fossoyeur voulant s'emparer des vête-
ments, ouvre dans la nuit son cercueil; mais, pendant son opéra-
tion, celle-ci revient subitement à la vie. Le fossoyeur, épouvanté,
veut fuir. Rachel l'appelle et lui dit de la faire conduire chez le
médecin qui l'avait soignée. Celui-ci informe le mari de la résur-
rection de son épouse. La malade conserva depuis une parfaite
santé ; j'ai eu moi-même l'occasion de lui parler plusieurs fois
dans la suite, et on l'appela la belle Juive ressuscitée.
Enfin, une attaque de léthargie hystérique peut-elle être si-
mulée ? Nous pourrions répondre : Autrefois, peut-être ; au-
jourd'hui, certainement non; tout au moins le simulateur
n'en imposerait pas pendant longtemps. Que dire cependant
encore de cette trente-deuxième observation de Pfendler que
nous rapportons comme étant la seule de cet ordre que nous
ayons trouvée dans les auteurs, sans y attacher, d'ailleurs,
plus d'importance qu'elle n'en mérite.
Léthargie simulée. Adam Phinéas, âgé de dix-huit ans, ser-
vait depuis deux ans dans les armées autrichiennes, lorsqu'il
abandonna son corps. Repris le 26 avril 1811, il devait subir la
peine des déserteurs (garsen lnufen), peine qui consiste à faire
passer le coupable dans une haie formée par trois cents soldats
armés d'une baguette pour recevoir cinq à six mille coups sur le
dos. Quelquefois, quand le jugement est plus gracieux, on n'in-
flige que cent coups sur les fesses. Cette punition existe encore
dans quelques Etats de l'Allemagne et rarement un vendredi se
passe à Vienne sans que trois ou quatre exécutions de ce genre
n'aient lieu. Cette coutume, qui tient de la barbarie la plus
affreuse des nègres, déshonore notre siècle et prive les gouver-
nements des soldats robustes qui, après cette infâme punition,
succombentsouvent à des maladies de poitrine. Pour se soustraire
à cette correction, Phinéas simula un état léthargique pendant
quarante-trois jours. Aucun moyen irritant n'avait de l'efficacité :
si on lui relevait un membre, il retombait sans vie, le teint était
pâle, mais la respiration et le pouls étaient normaux. On lui
DES ATTAQUES DE SOMMEIL HYSTÉRIQUE. 299
donna des oeufs avec du vin, quelquefois du thé, par les ouver-
tures des dents absentes, car il simulait même un trismus. Il ne
montrait aucune sensibilité, lorsqu'on lui enfonçait des aiguilles
sous les ongles. On soupçonna que le siège de la maladie était
dans le crâne, le malade ayant déclaré auparavant à ses amis
qu'il avait fait une chute. On proposa de fendre le cuir chevelu
avec un scalpel pour reconnaître si le crâne était réellement at-
teint. Cette opération fut annoncée à ses parenls assis à côté de
son lit, pour que le malade l'entendit. On pratiqua trois incisions,
le cuir chevelu fut enlevé et le crâne ratissé. Pendant cette opé-
ration, le malade ne manifesta aucun signe de douleur; seule-
ment il soupira d'une manière presque inappréciable lorsqu'on
lui ratissa le crâne. La maladie étant déclarée incurable, le ma-
lade reçut son congé et fut renvoyé dans ses foyers. Deux jours
s'étaient à peine écoulés depuis son arrivée chez lui, qu'il parlait
avec tous ses amis et aida même son père à découvrir les toits.
Sans vouloir insister sur ce fait qui, nous l'avons dit, nous
parait unique dans son genre, il nous sera permis de dire que
le sujet n'était peut-être pas un simulateur. La léthargie était
survenue à la suite d'une prétendue chute et l'on sait.le rôle
que joue le traumatisme dans l'apparition etle développement
des accidents hystériques. Nous ferons remarquer encore que
l'insensibilité était complète et surtout qu'il existait du tris- ? nus, mais nous risquerions de nous égarer en allant plus loin
dans l'étude d'un fait manquant de tant d'éléments d'appré-
ciation raisonnée. Ajoutons cependant que Briquet (p. 427)
considère lui aussi cette observation comme un exemple de
léthargie réelle et non simulée.
Il nous resterait à présenter quelques considérations métlico-
légales sur les attaques de sommeil. C'est un sujet que nous
avons déjà traité dans notre travail sur l'Hypnotisme et les
états analogues au point de vue médico-légal et dans une com-
munication à la Société de médecine légale ' ; nous y renvoyons
donc le lecteur.
Toutefois, il nous sera permis de dire qu'il résulte de di-
verses observations, particulièrement de celle rapportée par
l41abille s, que les malades peuvent être violées pendant l'état
'Le viol dans l'hypnotisme et dans les états analogues; communication
du 2 août 1886.
- Rapport médico-légal sur un cas de viol et d'attentat à la pudeur
commis sur une jeune fille atteinte d'hystcre avec crises de sommeil. (Ait-
nales Medieo ? c/i., Ce série, t. II, janvier 188t, p. 83.)
300 REVUE DE THÉRAPEUTIQUE.
de léthargie hystérique. Bien plus, il résulte même d'un fait
très intéressant qui s'est déroulé devant les assises de la Seine
(d7 juin 1886) et dont le rapport médical fut confié à notre
éminent maître, M. le professeur Brouardel', qu'une hysté-
rique à attaques de sommeil put accuser faussement un indi-
vidu de l'avoir violée pendant cet état. Nous l'avons dit, nous
n'insisterons pas davantage sur ces faits particuliers auxquels
nous avons donné ailleurs le développement qu'ils compor-
taient.
Quel traitement doit-on appliquer aux attaques de sommeil ?
« La léthargie, dit Briquet (p. 707), qui était pour les anciens
un sujet d'effroi, doit être abandonnée à elle-même, jamais
une hystérique n'a péri dans un accès de léthargie ; il faut
donc laisser les malades dormir et l'on attendra tranquille-
ment leur réveil ; tout au plus faudrait-il appliquer des topi-
ques chauds ou des révulsifs sur le tronc ou sur les membres
'si la circulation ou la respiration paraissaient se faire trop
faiblement. »
Nous ne serons pas aussi exclusif que Briquet ; l'attaque
de sommeil, pour peu qu'elle se prolonge, est par elle-même
un danger par la dénutrition qu'elle entraine. Or, sachant
que la pression d'une zone hystérogène, par l'attaque convul-
sive qu'elle amène, suffit parfois pour faire cesser le sommeil,
nous nous croirons toujours autorisé à rechercher l'existence
de.ces zones et à nous en servir, une fois constatées, au mieux
des intérêts du malade confié à nos soins.
REVUE DE THÉRAPEUTIQUE
I. CONTRIBUTION A l'action DE l'uréthane ; par E. KE-
roepelin. (11'eurol. Cent7,albl., 1886.) CONTRIBUTION A
l'action DE L'URÉTHANECHKZ les aliénés; par R. OTTO et
W. Koenig. (Centralbl. f. Nervenheilk., 1886.) CONTRIBU-
1 Voy. L'hypnotisme et les états analogues..., p. 519-524.
REVUE DE thérapeutique. 301
TION A l'action DE L'URÉTHANE EN INJECTIONS sous-cutanées ;
par H. ROTTENBILLER. (Ceatralbl. f. Ne ? ,venheilk., 1886.)
Contribution A l'action DE l'uréthane EN INJECTIONS sous-
cutanées^ par W. Koenig. (Centralbl. f. Nerveî ? heillc., 1886.)
Une dose moyenne de 2 à 3 grammes détermine en un
quart d'heure un sommeil calme de quatre heures sans incon-
vénient dans la majorité des cas (70 p. 100) à la condition qu'il
ne s'agisse pas d'une agitation trop intense. Ce médicament
serait indiqué dans les agitations modérées de la paralysie
générale, mais son triomphe est la mélancolie anxieuse, chez
les individus du sexe féminin, anémiés, à la période de con-
valescence des affections fébriles dénutritives. Dans ces con-
ditions il agit plus longtemps que la paraldéhyde et n'a
pas les inconvénients de goût, d'odeur, d'élimination de cette
dernière..Tel est l'avis de Kroepelin. Otto en a obtenu
de bons résultats dans les agitations vives des paralytiques
généraux (3 à 8 gr.), chez les épileptiques déprimés et anxieux
(2 à 6 gr.), chez les idiots très agités (0,50 - 3 gr.), dans les cas
d'agitation extrême et d'angoisse prononcée chez les déments
séniles et les fous systématiques (3 à6gr.); Koenig également ;
leur conclusion est que l'uréthane convient surtout dans les agi-
tations modérées (3 à 4 gr.) ; sinon, il vaut mieux s'adresser
à la paraldéhyde. Dans les mêmes conditions, ou à peu près,
Rottenbiller se rattache à l'ingestion gastrique de 2 à 4 grammes
pour avoir un sommeil calme de sept à huit heures ; à doses
plus élevées, l'uréthane ne serait pas bien supportée. Chez cinq
déments, un épileptique, trois paralytiques généraux, une
à trois injections sous-cutanées de 0,25 l'une aurait provoqué
6 à 8 heures de sommeil, sans accident local, ni général. Koenig
préfère l'ingestion gastrique (contrôle sur 10 paralytiques gé-
néraux). P. KERAVAL.
II. Contribution A L'ÉTUDE DE la suggestion A l'état DE VEILLE
au point DE vue thérapeutique ; par le Dl J. Couturier.
(Loire méd., 1886.)
Ce travail contient les observations de plusieurs malades qui
ont été guéris d'accidents divers (névralgies, vomissements, toux
nerveuses, anesthésies, contractures, spasmes de 1'urèthre, trou-
bles psychiques, etc...,) par la suggestion à l'état de veille.
L'auteur croit, avec Grasset, qu'on peut employer sans aucun
inconvénient l'hypnotisme chez les sujets qui s'y montrent ra-
302 revue DE thérapeutique.
pidement et facilement accessibles. Pour le reconnaître, le
Dr Couturier, à l'exemple d'un magnétiseur de passage à Saint-
Etienne, a l'habitude d'appliquer la main sur le dos du patient
en lui disant : « Vous sentez de la chaleur, cette chaleur aug-
mente, etc... « Si le sujet est hypnotisable, il répond affirmative-
ment et se trouve dès lors apte à subir les effets de la suggestion
à l'état de veille. G. D.
III. Contribution A l'action DE la paraldéhyde ; par W. Sommer.
IVeu ? ,ol. Centralbl., 1886.)
Emploi depuis deux ans et demi, chez des aliénés du sexe mas-
culin, de 1100 doses de ce médicament. La paraldéhyde dure
agit toujours à la plus grande satisfaction de chacun; 3 à 5 gr.,
additionnés au besoin de 2 à 4 gr. de bromure de potassium
dans beaucoup d'eau n'ont aucun inconvénient. Il faut se défier
des troubles vaso-moteurs, causés par la paraldéhyde, surtout
quand on 'a affaire à des individus dont les vaisseaux seront
soupçonnés de fragilité, notamment à des alcooliques. L'auteur
cite une observation d'éruption scarlatiniforme due à l'inges-
tion de ce médicament (4 gr. par jourpendant )6 jours). P. K.
IV. CONTRIBUTION au traitement ou A la préservation PROPIIYLAC-
TIQUE DES AUTOMUTILATIONS IMPULSIVES CHEZ LES ALIÉNÉS; par
RABOW. (Centralbl. f. Nervenheik, 4886.)
En immobilisant les deux articulations du coude dans le sein de
l'extension, à l'aide d'un appareil simple ou amovo-inamovible,
ou d'un cylindre de fort carton, on met l'individu à surveiller
dans l'incapacité de se servir de ses bras et par conséquent de se
mutiler. Cela vaut mieux que la camisole. On peut traiter le
somnambulisme nocturne par l'immobilisation des articulations
du genou ; le malade ne pouvant se lever est réveillé et par con-
séquent prévenu de son accès. P. K.
V. Cas DE tétanos traumatique subaigu traité ET guéri par L'EU-
PLOI du bromure DE potassium a hautes doses; par M. F. MONTAGNON.
(Lyon, méd., 1886, t. 52.)
Homme de quarante-huit ans qui, à la suite d'une blessure de
la plante du pied présenta, un tétanos généralisé avec crises de
contractures très douloureuses. Le bromure de potassium fut
administré à la dose de 6 grammes et porté progressivement à à
celle de 20 grammes par jour ; dès le début de ce traitement,
la température se mit à baisser et le malade se rétablit cornplè-
tement. G. D.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 303
VI. L'.ETH0XYCAFÉINE COMME SUCCÉDANÉE DE LA CAFÉINE DANS L'HÉ111-
CRANIE; par \V. Filkhne. (Arcïe. f. Psch., XVII, 1.)
Administration de ce médicament à des malades auxquels
la caféine avait antérieurement rendu de bons services, à titre de
comparaison. Pour obtenir les mêmes effets, il faut donner une
dose plus élevée d'xthoxycaféine que de caféine, sans que sa dose
totale dépasse cependant 0,60 dans la journée. On la donne en
poudre dans du pain azyme. P. K.
SOCIÉTÉS SAVANTES
SOCIÉTÉ 1111 ? DICO-PSYCHOLOGIQUE
Séance du 26 décembre 1887.
Le secrétaire général donne lecture du discours qu'il a pro-
noncé sur la tombe de M. Foville ; il communique ensuite une
note de M. llfahille, sur l'hématome de l'oreille ; pour l'auteur,
l'épanchement se ferait entre la peau et le périchondre.
M. Motet rappelle qu'il a autrefois démontré qu'au contraire,
l'épanchement avait toujours lieu sous le périchondre.
Du délire chronique (suite delà discussion). M. SAuRy expose
que l'évolution spéciale du délire chronique suffit à le distinguer
des autres formes mentales, dont la symptomatologie peut com-
prendre également des conceptions ambitieuses et des idées de
persécutions. Chez les dégénérés surtout, l'état délirant accuse
le plus souvent une irrégularité qui permet, à elle seule, d'éta-
blir le diagnostic différentiel; cependant on a pu s'y tromper. Il
rapporte, à ce propos, une observation concluante : il s'agit d'un
malade âgé de quarante-deux ans, dont la dégénérescence intel-
lectuelle se trouve nettement confirmée, aussi bien par les anté-
cédents que par l'existence de syndromes épisodiques (obses-
sions et impulsions conscientes). Le délire greffé sur ce fonds de
dégénérescence n'est pas moins caractéristique ; polymorphe et
mobile, il constitue un mélange ondoyant et variable dont les
incidents multiples ne se prêtent à aucune disposition régulière.
304 SOCIÉTÉS SAVANTES.
Des idées de persécution, hypochondriaques, mystiques ou ambi-
tieuses se montrent et disparaissent de la manière la plus im-
prévue. La plupart des arguments que l'on a invoqués contre le
délire chronique reposent sur des observations analogues. Or, ces
exemples, non seulement n'infirment point la doctrine soutenue
par RI. Magnan et ses élèves ; ils servent, au contraire, à la mieux
définir. Ces cas appartiennent à une autre espèce morbide et,
dans sa communication, M. Saury n'a pas manqué de faire res-
sortir les différences radicales qui séparent le délirant chronique
des dégénérés. Malgré certains signes communs, l'on ne saurait
assimiler, sans erreur, deux étals distincts, surtout au point de
vue de la marche, de la durée et de la terminaison.
M. CAMUSE communique plusieurs observations de délire am-
bitieux survenu après une longue période de délire des persécu-
tions, ce qui constitue des cas très nets de délire chronique.
M. DOUTn6BENTE. - Dans l'observation qui vient de nous être
communiquée par M. Saury, il est dit que le malade n'avait pas
d'hallucinations auditives : d'après la doctrine de 111. Magnan, et
de ses élèves, cet individu ne pouvait donc être considéré comme
délirant chronique.
bl. SAunv ne sait pas si son malade aurait pu être confondu
avec un délirant chronique, mais ce qu'il sait, c'est que MM. Da-
gonnet et Ball ont produit des observations absolument sembla-
bles pour démontrer la mégalomanie d'emblée dont nous n'avons
jamais nié l'existence chez les dégénérés. Il ajoute que dans les
derniers temps son sujet avait des hallucinations de l'ouïe.
Ai. Doutrebente ne fait pas d'objection à la doctrine du délire
chronique qu'il accepte très volontiers.
M. Falret demande la continuation de la discussion actuelle,
qu'on pourra facilement faire suivre par la question de la mélan-
colie anxieuse. M. B.
Séance du 30 janvier 1887. Présidence DE MM. MAGNAN et COTARD
Ai. MACNAN, avant de quitter le fauteuil delà présidence, passe en
revue les travaux de la Société pendant le courant de l'année qui
vient de s'écouler et procède ensuite à l'installation du nouveau
président, auquel il souhaite la bienvenue.
M. Corann remercie ses collègues qui l'ont appelé à diriger
leurs travaux. r
Commission des prix. -Après élections, les commissions des prix
sont ainsi composées. Prix Aubanel : MM. Briand, Charpentier,
Falret, Féré etSéglas.Pt-MSUH-o : MM. Baillarger, Blanche,
sociétés savantes. 305
Alitivié, Ritti et Rouillard. Prix Moreau (de Tours) : MM. Bail,
Chaslin, Christian, Dubuissôn et Moreau.
Dédoublement de la personnalité chez une hystérique. M. Madame
donne communication de l'histoire d'une hystérique prise d'accès
de somnambulisme spontané d'assez longue durée pour constituer
une double vie.
Du délire chronique (suite de la discussion). M. J. Séglas,
rappelle que dans les communications antérieures les partisans
du délire chronique font de cette vésanie une espèce nosologique
bien distincte, autant par son évolution que par le terrain sur
lequel elle repose, indemne de toute tare dégénérative. Mais, en
clinique, la distinction ne semble pas être aussi absolue et à ce
propos, M. Séglas rapporte huit observations de délire chronique
diagnostiqué par MAI. Magnan, Garnier, Briand. L'une de ces
malades n'avait pas d'hallucinations, mais de simples interpré-
tations délirantes. Chez toutes, une hérédité aussi chargée que
celles des dégénérés les plus avancés se manifeste par l'alcoolisme,
les paralysies, les altérations du caractère, la déséquilibration et
la débilité mentales, les névroses hystériformes, le bégaiement,
l'aliénation caractérisée, le suicide, les obsessions... Avec de pa-
reils antécédents on ne doit*pas être étonné de rencontrer chez
les malades la preuve de cette hérédité : myerocéphalie, acro-
céphalie, asymétrie cranio-faciale, malformations de la voûte
palatine, déformations auriculaires multiples, le tic facial, le
bégaiement, la menstruation tardive. Ce sont bien des stigmates
physiques et même, si l'on en croit MM. Saury et Legrain, plus
particuliers aux états inférieurs. Du côté psychique on a pu noter
dans les observations le retard de développement dans l'enfance,
la parole tardive, l'instabilité et la faiblesse d'esprit, les altérations
du caractère, des sentiments et même les états émotifs spéciaux
réunis par M. Magnan sous le nom de syndromes épisodiques des
héréditaires.
D'ailleurs, dans les lésions cliniques de M. Magnan et dans les
thèses faites sous son inspiration, on retrouve des faits absolument
semblables. C'est ainsi que M. Gérente, dans sa thèse sur le délire
chronique (1883), reconnaît qu'au début de l'affection il y a un
fonds primitif de débilité dû le plus souvent à quelque dégénéres-
cence héréditaire. 11 ne sépare donc pas les délirants chroniques
des dégénérés et réunit d'ailleurs sous le nom de délire chronique
les faits les plus dissemblables (persécutés ordinaires, persécutés
sans hallucinations, dégénérés de toute espèce, nombre de mélan-
coliques anxieux, hypocondriaques, légateurs, etc...). Cette opi-
nion est aussi celle de AI. Boucher, qui rapporte d'ailleurs (Arch.
de Neurologie, 1884) une observation de délire chronique reconnue
par AI. Magnan, chez un malade ayant eu des convulsions de
Archives, t. XV. 20
306 sociétés savantes.
l'enfance et ayant présenté au début de l'affection mentale des
symptômes analogues à ceux de la folie du doute. Les mêmes
idées se trouvent encore exprimées dans une leçon de M. Magnan,
publiée dans la Revue de Médecine et de Chirurgie 1883 où l'on
voit aussi que le délire chronique peut s'accompagner ou non
d'hallucinations. AI. Déricq (thèse de Paris, 1886) admet, de
son côté, qu'il n'est pas rare de rencontrer chez des débiles le
véritable délire chronique et il en rapporte trois exemples. Cette
coexistence possible du délire chronique avec les états dégénéra-
tifs est encore mise en évidente dans la thèse de àl. Respaut(1883)
qui rapporte deux observations de coexistence du délire chronique
avec des manifestations épileptiques de caractère varié. M. Ma-
gnan, lui-même, dans ses leçons cliniques sur l'épilepsie résu-
mées par M. Briand cite le cas d'un individu qui, sous l'influence
d'une hérédité- complexe, était à la fois épileptique et délirant
chronique. Cela ne laisse pas que d'étonner de rencontrer unies
chez un même sujet ces formes morbides d'ordre si différent, délire
chronique, débilité mentale, épilepsie ; surtout si l'on pense avec
M. Magnan que l'épilepsie est une maladie essentiellement héré-
ditaire, tandis que le délire chronique serait distinct des états de
dégénérescence, à ce que prétendent M. Magnan, dans des
leçons récentes et MAI. Garnier et Briand dans leurs communica-
tions.
Au point de vue de l'évolution, ce qui, pour AI. Séglas, serait
caractéristique dans le délire chronique ce ne serait pas tant la
succession des périodes qu'on peut aussi rencontrer chez les dégé-
nérés (délire chronique galopant de M. Briand) que leur lon-
gueur. M. Séglas rappelle que, dans une de ses observations, le
délire chronique est arrivé en moins d'un an à la troisième pé-
riode. Mais, inversement, il est des délires chez des dégénérés
qui évoluent aussi lentement que le délire chronique (délire à
évolution chronique des dégénérés de AI. Legrain) et qui peuvent
se présenter sous l'aspect d'un délire chronique vrai. Si l'on
admet avec M. Legrain que ce délire chronique vrai peut aussi se
trouver chez les dégénérés, on voit que la question est beaucoup
plus embrouillée qu'on pourrait le croire d'après les communica-
tions des partisans du délire chronique qui ne l'opposent qu'aux
- bouffées délirantes des dégénérés déjà décrites par Morel. D'un
autre côté, au point de vue du pronostic, les délires à évolution
chronique des dégénérés peuvent aboutir à la démence, tout
comme le véritable délire chronique.
En résumé, pour AI. Séglas, les observations qu'il rapporte et
es opinions des auteurs qu'il cite, tous cependant partisans du
délire chronique, sont en opposition formelle avec les théories
émises devant la Société, et, en tout cas, montrent dans le délire
chronique la même confusion que ses partisans reprochent à
SOCIÉTÉS SAVANTES. 307
Lasègne, More), Foville, SchueieKrapfEbing; il n'y a que l'éti-
quette de changée. AIARCEL 13111 ? ND.
SOCIÉTÉ PSYCHIATRIQUE DE BERLIN
Séance, du 15 mars 1887'. Présidence DE AI. Loehr.
AI. R1CHTER (de Dalldorff). Démence paralytique ou tumeur céré-
brale ? L'observation concerne un homme de quaranteet un ans,
entré àDalldorf avec le diagnostic de paralytique général. On cons-
tatait en effet de la démence, des paroles sans suite, une immo-
bilité fixe et rigide de la pupille, du tremblement de la parole,
comme s'il allait pleurer; mais l'affaiblissement de l'intelligence
du jugement et de la mémoire présentait des interruptions, des
irrégularités discontinues. Parce point, il ressemblait à un malade
affecté de tumeur cérébrale. Les symptômes contraires à l'idée
d'une paralysie générale étaient le contraste entre cette profonde
démence apparente et le peu d'accidents somatiques (aucune hé-
sitation dans la démarche, aucune alaxie). Le diagnostic de
tumeur avait contre lui : l'absence de vertiges et d'attaques épilep-
tiformes ; il avait, au contraire, pour lui la constatation d'une
névrorétinile de la papille optique (papille étranglée). Au milieu
de janvier 1887, paralysie de la jambe et du bras droits; mort fin
janvier dans le stertor. Autopsie 8 heures et demie après la mort.
Vaisseaux de la base présentant des exsudats circonscrits, pie-mère,
trouble à la base se détache à droite en gros lambeaux faciles à
enlever sans léser la substance corticale. Pie-mère cérébelleuse
trouble ne se détache qu'en petits morceaux. Hémisphère cérébral
gauche, dépourvu de consistance dans les régions inférieures; en
essayant de détacher la pie-mère, on déchire complètement les
lobes frontal et temporal; la substance nerveuse apparaît écrasée,
- jaune, et, par places, blanche; la convexité est également ra-
mollie, presque fluctuante. Somme toute, il n'y a que l'extrémité
des lobes frontal et occipital qui soit demeurée indemne, et ce
ramollissement s'étend à la moitié antérieure du corps calleux.
On peut, de l'hémisphère droit, détacher la pie-mère à la con-
nexité, sans léser la substance corticale; intégrité de cet hémis-
phère ; la substance corticale en estseulement un peu pâle. Lésions
de la dysenterie. Au microscope, on trouve dans le tissu ramolli
' Voy. Archives de Neurol., séance du 25 janvier 1887.
308 SOCIÉTÉS SAVANTES.
de l'hémisphère gauche des cellules granulo-graisseuses, des
fibres nerveuses fracassées; aucun élément cellulaire ne dénote
l'existence d'un néoplasme. - Conclusion. Ramollissement de cause
inconnue : ni thrombose, ni embolie.
Discussion :
M. Jastrowitz. D'après la description de l'allure psychique du
patient, il me semble y avoir eu de la surdité verbale. L'autopsie
concorde avec cette idée, car la pie-mère présente une altération
au niveau du lobe temporal, et le cerveau est à ce point ramolli
qu'il se déchire quand on enlève la méninge. Chez un très grand
'nombre de paralytiques dont j'ai examiné le fond de l'oeil à
l'oplithalmoscope, je ne me souviens pas d'avoir vu de papille
étranglée ordinaire, nettement marquée. Il y a lieu cependant
de penser dans l'espèce à une embolie, en considérant l'insuffi-
sance valvulaire.
M. R1CHTER. Le patient ne paraissait pas atteint de surdité ver-
bale, car celle-ci est continue, persistante, et ne permet pas de
récupérer, par instants, la perception.
M. Jastrowitz. Dans les cas de tumeurs, on remarque d'ordi-
naire de grandes oscillations dans les symptômes psychiques.
' Aujourd'hui le malade paraîtra d'une lucidité étonnante; demain,
ce sera un vrai dément. Comme les segments antérieurs du lobe
frontal étaient, ainsi que certaines parties du lobe occipital, abso-
lument indemnes, je crois à une embolie ou à une thrombose de
la sylvienne, car les parties intactes ne sont justement pas irri-
guées par cette artère.
M. MUFLLER. Les formes initiales de la paralysie générale ne
sont pas toujours aussi faciles à établir; à propos de plusieurs
d'entre elles, où le diagnostic paraissait fixé, on obtint cependant
une guérison durable. Ceci s'applique en particulier aux paraly-
sies générales syphilitique et alcoolique, et à celles qui succèdent
à un travail psychique, à une tension d'esprit exagérés et passa-
gers. En quelques cas, le résultat favorable se prolongea plus
d'un an, jusqu'à ce que le retour des mêmes causes nocives eut
déterminé une rechute; par suite se posait la question de savoir
si la guérison qui, remarquez-le bien, n'était pas une simple rémis-
sion, ne se serait pas affirmée à jamais dans des conditions favo-
rables. Une expérience de plusieurs années m'a imposé la conviction
que des formes tout à fait initiales peuvent se terminer par la
guérison parfaite. Je reviendrai plus tard sur ce sujet en commu-
niquant à l'appui des observations frappantes.
Ai. RICHTER. Ce n'était pas une embolie, puisqu'on ne trouvait
par tout l'hémisphère, aucun résidu de globules sanguins, alors que
la maladie existait depuis peu de temps relativement. Et pour que
SOCIÉTÉS SAVANTES. 309
l'on ait eu affaire à une embolie sylvienne, il faudrait admettre
encore qu'il y avait eu oblitération simultanée de l'artère cérébrale
postérieure et de l'artère du corps calleux, car le ramollissement
dépassait le milieu du corps calleux et n'avait épargné que la corne
la plus externe des lobes frontal et occipital.
M. KNEcHr. Cas d'aphasie amnésique avec cécité graphique.
Homme de cinquante-quatre ans, dépourvu de toute tare héré-
ditaire, jusque-là bien portant. Le 18 juillet 1884, à la suite de deux,
attaques apoplectiformes, n'ayant pas laissé de paralysie après
elles, agitation, activité improductive, désordre et confusion dans
les idées. Le ? 3 septembre, on constate de l'affaiblissement psychi-
que, sans idées délirantes ni phénomènes paralytiques; tran-
quille pendant deux mois, il vaque aux occupations intérieures de
l'asile et lit volontiers. Dans la nuit du 15 au 16 novembre, attaque
épileptiforme suivie d'aphasie qui, d'abord, consiste uniquement
dans l'impossibilité de fournir des renseignements sur sa person-
nalité ; puis, l'accident augmente à ce point, au cours des quatre
semaines suivantes, qu'il ne trouve plus à sa disposition que quel-
ques monosyllabes, tels que y<t, 7MM : , in mir, hier, itch Gott. Mais
il est capable de répéter les mots que l'on prononce devant lui et
de consigner par écrit les réponses à des phrases proposées; à
côté de cela, il ne peut lire l'écriture, quoique l'on ne puisse cons-
tater de gros troubles de la vue. A partir du jour où survint
l'aphasie, on ne le vit plus de livre en main. L'aphasie dura jusqu'à
la fin de janvier 1885, sans changement, puis l'affaiblissement
psychique s'accrut progressivement. Au début de mars, série de
syncopes avec pertes de connaissance assez prolongées. La pre-
mière est marquée par un chute dans laquelle il se fracture le col
du fémur. Il survient rapidement les accidents gangreneux du
décubitus, des frissons, de la fièvre, mort le 13 avril. Autopsie.
Leptoméningite cérébro-spinale suppurée; pachyméningite hé-
morrhagique au niveau de tout l'hémisphère gauche; atrophie
corticale des deux hémisphères. M. KNECHT insiste sur la différence
qu'il y a entre l'aphasie ataxique, qui résulte de la destruction du
centre de coordination moteur de la parole articulée, et l'aphasie
amnésique dans laquelle le centre acoustique des images phoné-
tiques se trouve détruit. Les lésions portaient dans l'espèce sur
l'hémisphère gauche; c'est la pachyméningite qui doit être tenue
pour la cause des attaques et de j'aphasie. Impossible, comme
en d'autres cas d'ailleurs, d'arriver à une localisation plus précise.
- Voici, comparativement. un cas d'aphasie ataxique chez un gar-
çon de six ans et neuf mois, Pendant plusieurs semaines, abat-
tement ; puis le 9 mai 1885, céphalalgie, vomissements, inappé-
tence, fièvre légère. Le 15 mai, brusquement, paralysie incomplète
du bras droit, aphasie ; le malade ne peut émettre que quelques
monosyllabes, il altère au plus haut point les autres mots, mais
310 SOCIÉTÉS SAVANTES.
comprend tout ce qu'on lui dit et manifeste clairement sa pensée
par une pantomime expressive. Telle demeura la situation
jusqu'au 25 mai ; à cette époque, convulsions cloniques dans le
bras droit et la moitié droite de la face, plusieurs fois par jour,
d'abord sans, puis avec perte de connaissance. Depuis le 5 juin,
sopor à la suite' d'augmentation de la fréquence du pouls et
d'hyperthermie avec rigidité de la nuque; mort le 10 juin. On
ne put pratiquer l'autopsie. Diagnostic probable; tubercule occu-
pant l'extrémité postérieure de la troisième frontale gauche et la
partie limitrophe de la frontale ascendante.
M. H. La : un. Contribution à l'histoire de la psychiatrie dans la
seconde moitié du siècle précédent. En érigeant sur la place de
la Salpêtrière de Paris une statue à Ph. Pinel, la France a ho-
noré la mémoire d'un homme qui, quatre-vingt-sept ans aupara-
vant, s'est rendu immortel dans la médecine mentale. Ce n'est
d'ailleurs pas le premier aliéniste français qui ait reçu les hon-
neurs d'un semblable triomphe. Foderé (1846) et Esquirol (1862)
ont aussi leurs statues. En Allemagne, on a moins de tendance à
payer aini les dettes de gratitude ; toutefois à Dalldorf, près Berlin,
on trouve sur le frontispice de l'asile quatre médaillons qui conser-
vent à la postérité les figures de Langermann, Ideler, Griesinger,
et Pinel. M. Loehr examine les titres de Pinel à la reconnaissance
du monde, en se fondant sur la bibliographie de la psychiatrie
dans la seconde moitié du siècle dernier, bibliographie dont il
prétend se servir pour tracer le développement de l'assistance
des aliénés en tous les pays dans le même laps de temps, par
ordre de date. Il y ajoute des notices biographiques sur les
hommes qui, en divers pays, ont imprimé une puissante impulsion
à la psychopathologie et à l'assistance des aliénés, notamment
sur Greding, Glawnig, Langermann, Reil, Daquin, Ph. Pinel,
W. Tuke, Chiarugi, Benjamin Rush, et résume leurs écrits et leur
oeuvre. Il prétend que la réforme solennelle de Pinel, effectuée
d'un bloc le 24 mai 1798, à la Salpêtrière n'est qu'une légende.
Que Pinel ait patiemment, lentement, progressivement amélioré
le sort des aliénés à Paris, dont les asiles étaient en piteux état, et
qu'il ait paru accomplir dans la capitale delà France une réforme
unique et merveilleuse pour qui ignorait les travaux des autres
nations, voilà, dit M. Loehr, l'exactitude. Il cite à l'appui Tenon
(1786), l'état encore piteux des services de Pinel, en 1808 (rap-
port de Schweigger; rapport d'Esquirol en 1818). C'est en réalité,
selon lui, la loi du 30 juin 1838 qui réalisa la révolution en ques-
tion. En travaillant et luttant pour obtenir peu à peu l'améliora-
tion rêvée, Pinel s'est élevé au rang des aliénistes les plus mar-
quants, il a conquis la reconnaissance publique de tous les pays,
maisil n'est pas leseul. Et du reste, dans les divers Etats, indépen-
damment les uns des autres, ont simultanément commencé les
SÉNAT. 314
réformes de la psychiatrie parce que la médecine interne, tronc
commun de toutes les connaissances pathologiques, avait, par son
développement, préparé l'avènement de la branche qui nous oc-
cupe et qui désormais pouvait conquérir son autonomie parmi des
nations suffisamment cultivées pour en concevoir l'application
pratique. Dès lors philanthropes et médecins purent, en se débar-
rassant des errements du vieux monde, dépenser des trésors
d'enthousiasme, de vigueur et de persévérance au profit des
réformes et ouvrir des voies nouvelles.
(Ally. Zeitschr. f. Psyclc., XL.IV, 3.) - P. 6enavaL.
SENAT
DISCUSSION DU PROJET DE LOI SUR LES ALIÉNÉS
Suite de la séance du jeudi 2 décembre 1886 '.
M. le Président. La parole est IL M. deGavardie.
111 : de Gavardie. Messieurs, je suis véritablement effrayé de la
lumière que l'on veut faire sur ces malheureux aliénés dans tous
les points de la France. On convoque des quatre coins du pays
une foule de fonctionnaires; on leur livre le secret des familles...
A gauche. Allons donc !
AI. DE Gavardie. Allons donc ? ... Ecoutez ceci : « Ce comité est
chargé de coordonner tous les documents... »
M. le Rapporteur. Cela n'y est plus.
M. LE Président. La rédaction a été modifiée, monsieur de
Gavardie.
M. de Gavardie. D'abord, on ne nous a pas communiqué celte
nouvelle. rédaction, et, par conséquent, nous n'avons pas pu l'étu-
dier.
LE Rapporteur. M. le président vient d'en donner lecture.
M. DE Gavardie. Vous croyez qu'on entend toujours ? (Rires.) Je
1 Voy. Arch. de Neurologie, t. XII, p. 135, 258, 439; t. XIV, p. 135, 307,
î2l; t. XV, p. 138.
312 SÉNAT.
suis allé vous consulter à votre banc, monsieur le rapporteur, et
je vous ai dit : « Y aura-t-il un répertoire général des aliénés ? »
Lit. LE Rapporteur. Oui !
M. DE Gavardie. Oui ! Et vous permettez cela ?
M. TESTELirr. On ne le publiera pas au Journal officiel ! /
M. DE Gavardie. Il ne manquerait plus que de le mettre dans le
Journal officiel ! J'espère bien que cela n'y sera pas ! Est-ce qu'il y
a aujourd'hui un répertoire des aliénés ? Est-ce qu'il y a trace
aujourd'hui de ce secret des familles que vous livrez aux quatre
vents du ciel ? Ah ! vous voulez que je compte et nous allons
nous expliquer là-dessus sur le secret, lorsque tous les jours
les fonctionnaires les plus élevés livrent à la publicité les secrets
des familles ? Je ne veux pas entrer dans des détails, mais vous
devez comprendre à demi mot, sans que je sois obligé de citer des
faits, le danger qu'il y a à créer cette complication de commis-
sions qui s'étalent sur des commissions ! Autrefois, il y avait un
certain nombre de fonctionnaires qui veillaient suffisamment, qui
assuraient tout : et l'intérêt des malades, et l'intérêt des familles,
et l'intérêt des biens. Tout cela était sauvegardé sans cette com-
plication oui, je me sers du mot cette fois avec intention cette
complication chinoise, barbare, cruelle !
Plusieurs sénateurs à gauche. Calmez-vous ! (Rires.)
M. de GAVARDIE. Calmez-vous ? Ohl je suis bien calme ! C'est
toujours la même observation. Je voudrais que vous fussiez aussi
calmes que moi. C'est précisément parce que vous ne l'êtes pas,
parce que vous sentez les atteintes de la vérité, parce que vous
vous redressez souvent sous la parole vengeresse signalant les
torts et les violations continuelles de la loi dans notre pays, que
vous dites que je ne suis pas calme. C'est vous qui ne l'êtes pas, au
fond de votre conscience ! (Exclamations à gauche.)
Eh bien ! je dis que vous créez là un arsenal dangereux, que le
ministre de l'intérieur, non seulement par des raisons d'adminis-
tration supérieure, ne doit pas souffrir le contrôle même consul-
tatif d'une commission, mais, par des raisons de haute moralité
sociale, ne doit pas permettre que ce grand conseil s'introduise
au ministère de l'intérieur et puisse, à un moment donné, je le
répète, livrer à la publicité le secret des familles.
M. le Président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Hui. LE Rapporteur. Je demande à répondre à M. de Gavardie.
1li. LE Président. La parole est à 111. le Rapporteur.
Lut. le Rapporteur. Messieurs, je demande à dire un mot au
sujet de ce répertoire sur lequel M. de Gavardie vient de
prononcer des paroles qui pourraient semer des alarmes qui
seraient très naturelles si ce répertoire des aliénés était ce qu'il
SÉNAT. 313
vient de dire. Le répertoire das aliénés n'est pas une innovation.
C'est bien, en effet, une sorte de casier judiciaire, mais un casier
judiciaire particulier, qui, dans tous les Etats où il existe, rend à
la justice les plus grands services et n'occasionne aucun des incon-
vénients que l'honorable ni. de Gavardie vient d'indiquer à cette
tribune...
AI. de Gavardie. Vous êtes un peu naïf !
M. LE Rapporteur. Nous avons vu le fonctionnement de ce réper-
toire des aliénés en Angleterre, où il rend à la justice les services
dont je parlais tout à l'heure. L'aliénation mentale- est une mala-
die très sujette aux rechutes et qui se trouve souvent intimement
liée avec des crimes. Il arrive très fréquemment, quand on doute
de la nature de l'état mental d'un prévenu, qu'on cherche à con-
naître ses antécédents...
111. DE GAVARDIE. Ses états de service intellectuels !
M. le Président. N'interrompez donc pas, monsieur de Gavar-
die ; vous parlez assez souvent.
AI. LE Rapporteur Oui, monsieur de Gavardie, ses états de
service au point de vue mental. La magistrature est parfois à ce
sujet dans un grand embarras et, en France, ce sont les magis-
trats, ceux notamment du parquet de la Seine et d'autres grandes
villes qui ont plusieurs fois réclamé ce rouage qui existe en
Angleterre.
Je dois dire que ce répertoire est secret et que les fiches sont
détruites. Comme on suit les aliénés qui forment une partie delà
population placée sous l'oeil de la police, il se fait un travail sur
les fiches tous les ans pour leur destruction, et ainsi les familles
ne sont pas à jamais marquées sur ces papiers qui pourraient, si
on les conservait, devenir des moyens de porter atteinte aux
familles.
Voici, messieurs, ce qui a été dit en peu de mots sur ce casier
dans le rapport. Malheureusement, on l'a dit avec raison, le rap-
port est très volumineux ; c'est un inconvénient qui fait que beau-
coup deses parties ne sont pas connues : « On ne conteste pas,dit
le rapport, la grande utilité en raison de l'extrême fréquence des
rechutes de la folie et en particulier des formes de folie les plus
dangereuses d'une mesure qui serait pour les aliénés ce que le
casier judiciaire est pour les condamnés en justice. La seule diffé-
rence consiste en ce que le répertoire des aliénés devra être un
casier secret, tenu à la disposition de la justice et de l'adminis-
tration seules, » l'administration l'a sous la main, mais ne l'em-
ploie qu'avec une réserve extrême. « C'est un complément
nécessaire des dispositions nouvelles concernant les aliénés dits
criminels. » « Si le travail qu'exige l'exécution de cette me-
sure, etc. » C'est, on peut le dire, un travail facile et très simple
314 SÉNAT.
qui sera fait par le médecin inspecteur et transmis à Paris. Comme
cela se fait à Londres, un seul fonctionnaire peut l'avoir entre les
mains, et il est consulté ensuite par la justice, quand il y a lieu.
AI. le Président. Mais, monsieur le Rapporteur, je crois que vous
êtes dans l'erreur ! Je vois que dans le paragraphe dernier on a
supprimé ces mots : «... d'examiner les rapports des commissions
permanentes des départements; de constituer, à l'aide de ces do-
cuments, un répertoire général des aliénés... »
111. LE Rapporteur. Je ne suis monté à la tribune qu'à cause des
alarmes que pourraient concevoir les personnes qui n'auraient pas
examiné cette partie de la loi. Dans le texte que le Sénat va voter,
il ne s'agit pas de répertoire des aliénés. Les explications que
M. le ministre a bien voulu donner sur la commission qui sera
chargée de faire, avec les documents du ministère, le répertoire
font que votre commission du Sénat a consenti à supprimer le
paragraphe. Je n'ai parlé de ce point, je le répète, qu'à cause des
impressions qui auraient dû en résulter.
AI. DE Givardie. Cette commission aura-t-elle communication
des dossiers ?
AI. DE Rapporteur. Le comité supérieur pourra en avoir com-
munication.
M. LE Président. Monsieur de Gavardie, vous demandez la sup-
pression de l'article ?
M. de Gavardie. Oui, monsieur le président, de l'article tout
entier.
M. le Président. Personne ne demande plus la parole sur l'ar-
ticle 15... ? Je le mets aux voix. (L'article 15 est adopté.)
111. LE Président. Nous devons revenir au paragraphe 5 de l'ar-
ticle 4 et au paragraphe 3 de l'article 6, qui avaient été réservés
jusqu'au vote sur l'article 15. Monsieur le Rapporteur, voulez-vous
donner au Sénat quelques explications ?
111. LE Rapporteur. Messieurs, c'est à l'occasion de la partie de
l'amendement de AI. Combes, qui était relatif au concours, que
nous avons dit que cette question serait réservée. Elle nous rame-
nait à l'article 6 ; mais la rédaction de cet article...
AI. DELSOL. Le conseil supérieur était visé à l'article 4 ; ce con-
seil est voté ; par conséquent, il y a lieu de maintenir le para-
graphe réservé de l'article 4.
- AI. LE Président. Le paragraphe 5 de l'article 4 a été réservé
jusqu'après le vote de l'article 15.
AI. DELSOL. Je fais observer, monsieur le président, que le para-
graphe en question visait l'avis du conseil supérieur des aliénés.
Or, ce conseil supérieur étant voté maintenant par le Sénat, il y
a lieu de maintenir ce paragraphe tel qu'il est rédigé.
sénat. 315'
NI. LE Président. Je vais alors donner lecture du paragraphe 5,
qui avait été réservé jusqu'après le vote de l'article 15. Il
est conçu en ces termes : « Toutefois, le ministre peut, après
avoir pris l'avis du conseil supérieur des aliénés institué en vertu
de l'article 15 ci-après, ordonner la disjonction des fonctions de
médecin en chef et de directeur d'un asile public, ainsi que celles
de médecin en chef et de préposé responsable d'un quartier
d'hospice. » Je le mets aux voix. (Le paragraphe est adopté.) '
111. le Président. Je mets aux voix l'ensemble de l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
M. le Président/Nous arrivons à l'article 6, dont le paragraphe 3
a été réservé.
M. LE Rapporteur. Le paragraphe réservé est celui-ci : « Les
médecins en chef sont nommés sur une liste de présentation
dressée par le comité supérieur des aliénés. Les candidats inscrits
sur cette liste sont pris, pour les trois quarts, soit parmi les mé-
decins secrétaires des commissions permanentes instituées en
vertu de l'article 11 ci-après, soit parmi les médecins adjoints. »
Le changement obligé est celui-ci ; au lieu « des médecins
secrétaires des commissions permanentes, il faut mettre : les mé-
decins inspecteurs des aliénés ». Nous avons à donner ensuite
satisfaction à l'honorable M. Combes, pour le paragraphe de son
amendement, accepté par le Gouvernement et par la commission,
et relatif au concours pour les fonctions de médecin inspecteur
des aliénés. Cette satisfaction était pleinement donnée dans le
texte de l'article 11 de la commission, où se trouve un paragraphe
relatif au concours et ainsi conçu :
« Un docteur en médecine, nommé par le ministre de l'intérieur
sur une liste de présentation dressée par le comité supérieur des
aliénés et comprenant des candidats pris, pour les trois quarts,
parmi ceux qui ont subi le concours public mentionné à l'article 6
ci-dessus. Ce paragraphe, ou du moins une disposition relative
au concours, aurait dû être reproduite dans l'amendement de
Ai. Bardoux, pour que cet amendement contienne toutes les par-
ties de notre article 11 dont le maintien a été décidé d'accord
avec le Gouvernement. Il y a là une omission à réparer. Elle au-
rait dû l'être dans l'article de AI. Bardoux, que le Sénat a déjà
voté à l'article 11 ; mais, comme l'autre partie de l'amendement,
c'est-à-dire l'article 12, à été réservé, le complément dont il s'agit
n'est lui-même qu'un complément de l'article 11.
Je pense que M. Bardoux s'associera à la pensée que j'exprime
ici au nom de la commission, et que M. Combes, ainsi que les
auteurs de l'amendement, y trouveront satisfaction. Nous ne pou-
vons, en effet, ni revenir sur le vote de l'article 11, ni chercher
à en modifier la rédaction à la tribune. (Très bien ! )
316 SÉNAT.
M. le Président. Ainsi, d'une part, vous modifiez le paragraphe
3 pour le rendre conforme aux dispositions qui viennent d'être
votées, et vous demandez la suppression'des secrétaires des com-
missions permanentes, puisqu'il n'y a plus de commissions perma-
nentes. Mais il me semble que vous devez aussi demander la sup-
pression des mots « et des médecins adjoints », puisqu'il n'y en a
plus ?
Au banc de la commission. Mais si.
Bu. RIG.4L, membre de la commission. Les médecins adjoints
existent toujours.
M. LE Rapporteur. Oui, ils existent toujours. Il n'y a donc ab-
solument qu'à remplacer ces mots : « les médecins secrétaires des
commissions permanentes », par ces mots : « les médecins ins-
pecteurs d'aliénés D.
M. le Président. Voici, messieurs, la nouvelle rédaction propo-
sée parla commission. « Les médecins en chef nommés sur une
liste de présentation dressée par le comité supérieur des aliénés.
Les candidats inscrits sur cette liste sont pris, pour les trois quarts,
parmi les médecins inspecteurs institués en vertu de l'article 11
ci-après ou parmi les médecins adjoints. » Je consulte le Sénat sur
ce troisième paragraphe. (Ce paragraphe, mis aux voix, est
adopté.)
M. le Président. Quant au changement que le premier para-
graphe doit subir, il est réservé sur un autre article. Nous
arrivons à l'article 16 : « Art. 16. Les chefs responsables des
établissements publics et privés consacrés aux aliénés ne peuvent
recevoir une personne présentée comme atteinte d'aliénation men-
tale, s'il ne leur est remis : .
« 1° Une demande d'administration contenant le nom, profes-
sion, age et domicile, tant de la personne qui la forme que de
celle dont le placement est réclamé, et l'indication du degré de
parenté ou, à défaut, de la nature des relations qui existent entre
elles
« La demande est écrite et signée par celui qui la forme; elle
est visée par le juge de paix, le maire ou le commissaire de police.
En cas d'urgence, le visa n'est exigible que dans les quarante-huit
heures de l'admission. Si l'auteur de la demande ne sait pas
écrire, celle-ci est reçue par le fonctionnaire dont le visa est ré-
clamé, qui en donne acte.
« Si la demande est formée par le tuteur d'un interdit, il doit
fournir à l'appui, dans un délai de quinze jours, un extrait du
jugement d'interdiction et un extrait de la délibération du conseil
de famille pris en vertu de l'article 510 du Code civil ;
« 2° Un rapport au procureur de la République sur l'état mental
de la personne à placer, signé d'un docteur en médecine. Ce rap-
sénat. 317 't
port doit être circonstancié ; il doit indiquer notamment : la date
de la dernière visite faite au malade par le signataire, sans que
cette date puisse remonter à plus de huit jours; les symptômes
observés et les preuves de folie constatées personnellement par le
signataire; les phases de la maladies ainsi que les motifs d'où
résulte la nécessité de faire traiter le malade dans un établisse-
ment d'aliénés et de l'y tenir enfermé.
« Ce rapport ne peut être admis s'il a été dressé plus de huit
jours avant la remise au chef responsable de l'établissement ; s'il
est l'oeuvre d'un médecin attaché à l'établissement à un titre quel-
conque, ou si l'auteur est parent ou allié au second degré inclu-
sivement du chef responsable, pu du propriétaire de l'établisse-
ment, ou des médecins qui y sont attachés, ou de la personne qui
fait effectuer le placement, ou delà personne à placer.
« En cas d'urgence, l'admission peut avoir lieu sur la présen-
tation d'un rapport médical sommaire ; mais le médecin certifi-
cateur doit, dans le délai de deux jours, produire un rapport
détaillé, conformément aux dispositions ci-dessus, sous l'une des
peines portées à l'article 67 ci-dessus.
« 3° L'acte de naissance ou de mariage de la personne à placer
ou toute autre pièce propre à établir l'identité de cette personne.
Les pièces qui ne rempliraient pas les conditions ci-dessus pres-
crites doivent être rectifiées ou complétées dans un délai de
quinze jours, sur la demande du directeur de l'établissement ou
sur celle de la commission permanente. » Quelqu'un demande-t-il
la parole sur l'article 16 ?
M. de Gavardie, de sa place. Il me semble, monsieur le prési-
dent...
Lui. LE Président. Montez à la tribune, je vous prie ; vous avez la
parole.
M. de Gavardie, à la tribime. Il me semble impossible de sta-
tuer sur l'ensemble de cet article-là, tant que le Sénat n'aura pas
voté l'article 8 qui est réservé. Si vous n'admettiez pas cette assi-
milation dans les termes où la commission la pose ; si vous n'ad-
mettiez pas, dis-je, cette assimilation, si dangereuse à mon sens,
il y a une foule de formalités qui ne trouveraient pas leur appli-
cation. Il faut donc absolument réserver cet article.
Lui. le Président. L'observation de M. de Gavardie a quelque
chose de fondé. Nous avons, effectivement, réservé le paragraphe 3
de l'article 8 ; ce paragraphe est conçu en ces termes : « Le pro-
cureur de-la République, après avoir transmis ces pièces au secré-
tariat de la commission permanente des aliénés et pris l'avis de
cette commission, peut, tant qu'il n'aura pas jugé nécessaire de
recourir aux moyens de surveillance établis par la présente loi,
décider que le tuteur, conjoint ou parent qui fait traiter un aliéné
318 SÉNAT.
dans les conditions ci-dessus indiquées est tenu seulement d'en-
voyer un nouveau rapport médical à des intervalles déterminés
et qui ne pourront pas excéder trois mois.
Un sénateur à gauche. Pourquoi ne le discute-t-on pas ?
Ru. LE Président. Nous pourrions le discuter.
11L. Tenaille-Saligny. On peut le discuter immédiatement.
M. le Président. Il n'avait été réservé qu'en raison de l'institu-
tion du médecin inspecteur. Nous avons voté cette institution.
Donc, si personne ne demande la parole, je vais mettre aux voix
ce paragraphe et nous en aurions ainsi fini avec l'article 8, sauf à
donner la parole sur l'ensemble.
M. de Gavardie. J'avais réservé mon droit. '
M. le Président. Soyez tranquille, vous n'avez pas besoin de le
réserver, je vous l'accorde.
Ai. de Gavardie. Je vous remercie, monsieur le président.
M. LE Président. Je consulte le Sénat sur l'ensemble. Ce para-
graphe 3 est une disposition qui est la conséquence de ce que
nous avons voté tout à l'heure.
1VL, de Gavardie. Je demande la parole.
1VI. LE Président. Vous avez la parole.
M. de GAVARDIE. Je vous en supplie, messieurs, que votre
patience ne se lasse pas. Vous avez le temps...
Un sénateur à gauche. Ce n'est pas une raison pour le perdre !
111. de Gavardie. Plus j'examine cette loi, plus je l'étudié, plus
je la trouve détestable et impraticable. Vous voulez assimiler les
maisons particulières, quelque sacrées qu'elles soient, aux asiles
publics et aux asiles privés ! Mais, messieurs, il faut être, per-
mettez-moi de le dire, complètement étranger à la pratique de la
vie, aux notions même les plus élémentaires de la médecine
légale, pour adopter un pareil article. S'il y a un traitement par
excellence de l'aliénation mentale, c'est je vais vous citer des
faits - le traitement de la famille.
Plusieurs sénateurs à gauche. C'est tout le contraire.
M. DE GAVARDIE. C'est une erreur ! C'est ce que nous allons dis-
cuter. Remarquez que, quand je parle du traitement de la
famille, je ne parle pas seulement du traitement matériel dans
l'intérieur de la famille; je parle du traitement qui se fait, sous
la surveillance morale, affectueuse, dévouée de la famille, parles
soins d'un médecin investi de la confiance de la famille. Voilà le
traitement par excellence. Et quand on nous dit que ce n'est pas
dans les asiles publics que les abus se sont produits, que c'est
dans les asiles privés et dans les maisons particulières, je déclare,
moi qui, en définitive, ai quelque expérience de ces matières...
sénat. 319
.(Exclamations et rires à gauche) je vais vous le prouver tout à
l'heure je déclare que les abus dont on parle se sont passés
dans les asiles publics.
Je voudrais savoir, par exemple, si jamais dans un asile privé,
et surtout dans une maison particulière, on a laissé brûler vifs,
dans des baignoires, des aliénés ? C'est dans les asiles publics que
nous avons vu de malheureux aliénés brûlés vifs. Voilà ce qui se
passe dans les asiles publics, pour ne citer qu'un fait.
Certes, je ne veux pas incriminer pour cela la direction des
asiles publics; il y a d'excellents directeurs ; tout ce que je veux
dire, c'est qu'il n'y a pas de garantie meilleure, au point de vue
des maladies mentales, dans les asiles publics que dans les asiles
privés etsurtout dans la famille. J'ai souvent eu l'occasion de dire
qu'on écrivait singulièrement l'histoire dans notre pays. Mais,
messieurs, dans ce moyen âge tant calomnié, où M. le rapporteur
vous disait qu'on ne faisait qu'enchaîner les aliénés comme des
criminels, savez-vous ce qui se passait ? Je prends, par exemple,
l'Espagne au treizième siècle, au quatorzième siècle et au'quin-
zième siècle. On y traitait les aliénés à la campagne, on leur
imposait le travail, restaurateur de l'intelligence au suprême
degré...
M. LE Rapporteur. Je les y ai vus enchaînés, dans des cabanons,
en 1848.
M. DE Gavardie. Je croyais que vous les aviez vus enchaînés au
treizième siècle. (On rit.)
M. le Rapporteur. Je parle de 1848; c'est encore plus fort.
Hui. LE Président. Permettez-moi, monsieur de Gavardie, de
vous faire une simple observation. Pour le moment, vous ne de-
vriez discuter que le paragraphe 3 de l'article ; mais, comme je
sais que vous deviez parler sur l'ensemble, il est bien entendu
qu'en ce moment vous voulez faire d'une pierre deux coups : vous
parlez et sur le paragraphe 3 et sur l'ensemble de l'article.
AI. de Gavardie. Parfaitement, monsieur le président; je parle
contre l'article tout entier, parce que cet article tout entier est
détestable.
M. LE RAPPORTEUR. C'est la loi de 1838, article 8.
M. le Président. N'interrompez pas, monsieur le Rapporteur.
M. DE GAVARDIE. La loi de 1838, dites-vous ? Comment ! Il y a
dans la loi de 1838... mais c'est à vous faire bondir.au-des-
sus de la tribune (Hilarité) il y a, dans la loi de 1838, cette
assimilation de la maison particulière à l'asile public ? Alais où
avez-vous vu cela ? D'ailleurs, vous avez déclaré vous-même que
c'était une innovation, et Au. le ministre de l'intérieur àf. le
commissaire du Gouvernement est là pour attester la même
320 SÉNAT.
chose AI. le ministre de l'intérieur a dit que c'était la princi-
pale innovation de la loi. Eh bien, je dis, moi, que cette innova-
tion est dangereuse au suprême degré.
Dans l'article de li. du Bled, que je citais l'autre jour, il y a
cette circonstance bien remarquable dont ont parlé les historiens
du temps : lorsqu'on voulait imposer le travail manuel à ce qu'on
appelait alors les nobles, on rencontrait de leur part une résis-
tance provenant, vous le savez, de certains préjugés qui n'exis-
taient pasau point qu'on a dit (Exclamations ironiques à gauche),
mais qui existaient un peu, surtout en Espagne; et les historiens
remarquent que c'était précisément la catégorie qui guérissait le
moins, tandis que les indigents qui acceptaient ce travail répara-
teur étaient précisément ceux qui guérissaient le mieux et le
plus vite. Or, dans vos asiles publics, vous ne pouvez pas avoir le
travail agricole ou, du moins, vous ne pouvez l'avoir qu'au prix
de dépenses infinies.
M. S6DLINE. C'est une erreur absolue.
M. Testelin. Attendez, je ne suis pas au bout. On me dit : C'est
une erreur. Je ne dis pas que dans tous les asiles publics il n'y ait
un certain travail...
Un sénateur à gauche. Travail agricole ! 1
AI. de Gavardie... Oui, on cultive des fleurs...
Ai. LE Rapporteur. Le travail est un des plus grands moyens de
traitement.
AI. de Gavardie. On cultive des fleurs... le terrain manque.
M. Bozérian. Pas partout.
Ai. de Gavardie. Voici, d'ailleurs, ma principale raison. Dans les
asiles publics, le traitement religieux sera de plus en plus exclu.
Je sais bien que les petits journaux disent : « Ah 1 AI. de Gavar-
die a parlé du traitement religieux. Qu'il en use ! 1 Il y a même
de grands journaux qui se permettent ces plaisanteries indécentes.
(Exclamations et lires.)
Ils ne connaissent pas le premier mot de ces choses-là. Tenez,
un jour, dans une garnison d'Afrique, il y avait une épidémie de
démence parmi les soldats. Cela arrive quelquefois dans les
casernes, les militaires savent cela. Déjà, cette terrible con-
tagion du suicide faisait des ravages. Les médecins, malgré tout
leur dévouement et toute leur habileté, étaient dans l'impuis-
sance.
Le général Lamoricière inspecte cette caserne. Il avait non
seulement des éclairs d'esprit militaire, mais aussi souvent des
éclairs d'intelligence... (Hilarité prolongée à gauche) vous ne
laissez pas achexer ma phrase, je voulais dire des éclairs d'in-
telligence pratique...
sénat. 321
M. Paris. Des intervalles lucides.
11. DE GAVARDIE... plus pratique que celle des médecins. Voilà
ce que je voulais dire, mais vous ne m'en avez pas donné le
temps. Eh bien, le général Lamoricière a une inspiration. Il écrit
à Alger : Envoyez-moi des soeurs de charité. Les soeurs de charité
arrivent, colombes blanches... (Nouveaux rires à gauche.) Muon
Dieu ! vous ne comprenez même pas cette allusion aux livres
bibliques que vous ne lisez pas colombes blanches portant le
rameau d'espérance et de salut. Cela n'est pas risible, et vous
allez le voir. A peine les soldats il y a peut-être ici certains de
mes amis de la droite qui ont entendu le général Lamoricière
raconter cette histoire avec sa verve étincelante à peine ces
pauvres soldats avaient-ils vu les cornettes blanches, qu'ils
étaient guéris. (Exclamations et rires sur les mêmes bancs.) Là où
la science de vos médecins aliénistes est impuissante, la religion
seule avait fait ce miracle.
Bu. le baron Le GuAY. C'est pour cela qu'on chasse les soeurs
des hôpitaux ! 1
NI. DE GAVARDIE. Oui, c'est précisément pour cela qu'on les
chasse des hôpitaux.
Si je pouvais parler du conseil municipal de Paris... (Hilarité.)
Messieurs, je vous en supplie, n'entrez pas dans ces innovations
téméraires. Le traitement dans la famille ou sous l'influence de
la famille n'est-il pas supérieur à tout autre ? Est-ce que, dans
beaucoup de cas, ce ne sont pas des organisations blessées dans
leur sensibilité même et qui auraient besoin du visage doux et
charmant des femmes ? Les malheureux aliénés rencontreront les
figures bestiales des gardiens !
Et puis, vous ne savez donc pas que, lorsqu'on met les aliénés
en contact les uns avec les autres, il se produit une espèce de con-
tagion, et que l'aliéné devient de plus en plus aliéné ; tandis qu'en
les isolant dans la famille, sous la protection des soins vigilants
d'un médecin qui a sa confiance, tout est concilie, et l'intérêt de
l'ordre public, et le secret des familles, et l'intérêt des malades ?
Tenez, je parlais tout à l'heure d'un général. Il me vient à l'es-
prit une comparaison saisissante tirée de l'art militaire. On parle
aujourd'hui, vous le savez, de ce qu'on appelle l'ordre dispersé,
qu'a rendu nécessaire dans les armées le tir plus juste et plus
prolongé de l'artillerie. Eh bien, dans les asiles d'aliénés, il y a
des troupeaux, des armées d'aliénés qui ne peuvent pas avoir
l'ordre dispersé; l'aliénation sévit sur eux comme l'artillerie sévis-
sait autrefois sur les rangs compacts. Voilà, messieurs, la vérité
pour ceux qui connaissent un peu la question.
Ai. TESTELIN. 11 y en a si peu qui la connaissent.
M. DE Gavardie. Mais oui, il y en a très peu ; il n'est pas néces-
Archives, t. XV. 21
322 1) BIBLIOGRAPHIE.
saire d'avoir étudié dans les livres les livres n'apprennent
absolument rien.
Un sénateur à gauche. Au contraire ! 1
M. DE Gavardie. Vous trouverez dans les livres quel est le carac-
tère général des maladies mentales; le caractère, on ne peut pas
le définir; il est protéiforme le mot est bien fait, et les méde-
cins n'en ont pas toujours d'aussi bons que celui-là. Et puis, il y
a tant de catégories de maladies mentales : il y a le délire de la
persécution, le délire des grandeurs, etc... Mon Dieu ! on n'a pas
besoin de lire les livres de médecine. Tous les ministres, excepté
ceux qui, comme hl. le ministre de l'intérieur, ont voulu donner
leur démission, ont le délire des grandeurs. Eh bien, messieurs,
tout cela n'est pas sérieux...
Voix nombreuses. Oh ! non.
M. de Gavardie. Les médecins aliénistes qui vont dans les asiles
publics voient leur science absolument impuissante. Ce n'est pas
dans les asiles publics qu'ont lieu, toute proportion gardée, les
cas de guérison les plus nombreux; c'est dans les asiles privés, et
surtout dans l'asile de la famille. Je vous demande donc de voter
contre l'article'tout entier.
M. LE PRÉSIDENT. Je mets aux voix le 3° paragraphe.
(Le 3° paragraphe est adopté.)
M. LE Président. Je mets aux voix l'ensemble de l'article 8.
(L'article 8 est adopté.) (A suivre.)
BIBLIOGRAPHIE
1. Etude médico-légale sur l'alcoolisme; par V. VÉTAULT.
Thèse. Paris, 1887.
Le but de cette thèse très remarquable est d'examiner au
point de vue criminel les conditions de la responsabilité chez
les alcoolisés. Quoique l'abus des boissons fermentées remonte
très loin dans l'histoire des peuples, en raison des progrès
véritablement effrayants de l'alcoolisme et de l'introduction
chaque jour nouvelle d'alcools toxiques dans la consomma-
tion, c'est là une question encore d'actualité. Les travaux
publiés tout récemment sur ce sujet à divers autres points de
vue en font foi.
, bibliographie. 323
Les rapports qu'affecte la criminalité avec l'alcoolisme ne
sont plus à démontrer, mais les conséquences qu'entraînent
au point de vue médico-légal les actes de violence commis
dans ces conditions sont d'une appréciation très délicate, et
qu'on ne saurait assez préciser en raison de leur intérêt de
premier ordre. Aussi convient-il de féliciter M. Vétault de n'a-
voir pas hésité à aborder cette tâche, en cherchant à éclairer
la voie du médecin légiste dans ces cas malaisés.
C'est sur un nombre assez considérable d'observations choi-
sies et groupées avec ordre que l'auteur s'appuie pour formu-
ler ses conclusions.- On ne peut, il est vrai, poser en la
matière aucune règle fixe et absolue; mais, en tenant compte
des restrictions quo comportent les faits particuliers, on peut
néanmoins établir les données suivantes : la responsabilité
est nulle toutes les fois que le crime appartient à la période
délirante aiguë ou subaiguë d'un accès d'alcoolisme. La res-
ponsabilité est nulle encore lorsque le crime a été commis par
un homme atteint d'alcoolisme chronique, chez lequel des
lésions cérébrales définitives ont compromis l'intégrité de
l'organe, et déterminé le trouble de la fonction. La responsa-
bilité peut être atténuée chez les individus faibles d'intelli-
gence chez lesquels la tolérance pour les boissons alcooliques
est diminuée par les conditions d'infériorité de leur organisa-
tion cérébrale. Elle ne saurait disparaître tout entière, surtout
lorsque ces individus savent qu'ils ne peuvent pas boire sans
danger pour eux-mêmes. Et ce cas se rencontre plus souvent
qu'on ne pense. La responsabilité peut être atténuée encore
lorsqu'il est démontré que l'individu a été involontairement
surpris par l'ivresse. Elle existe au contraire tout entière :
dans les cas d'ivresse simple qu'il était au pouvoir du délin-
quant d'éviter; lorsque l'excitation alcoolique a été recherchée
pour se donner l'entrainement à commettre un crime ou un
délit. Paul BLOCQ.
II. Rapport sur le service médical du quartier d'aliénés, de l'hospice
général de Nantes, 1886; par le D BI.UTE.
111. le Dr Bianle discute dans ce rapport la question de l'admis-
sion des enfants, des épileptiques et des vieillards dans les asiles
d'aliénés. Il pense que les enfants âgés de moins de quinze ans, imbé-
ciles ou idiots, mais non aliénés, avec ou sans épilepsie, devraient
être gardés dans les hospices. Dans les asiles de province, il n'existe
pas de quartier spécial pour eux. Ils ne peuvent y être que gardés
324 bibliographie.
et non éduqués. Ils seraient beaucoup mieux dans les hospices où
il existe déjà des enfants qui ne sont guère mieux partagés qu'eux
sous le rapport cérébral, bien souvent. Ce sont avant tout des
infirmes et les infirmes doivent être placés dans les hospices. En
outre, dans les asiles, ils ne peuvent que difficilement être séparés
des autres aliénés.
Il en est de même pour les vieillards qui tombent dans la dé-
mence et dans la gâtisme. De ce qu'ils ont besoin de plus de
soins et de surveillance, ce n'est pas une raison pour qu'ils soient
séquestrés dans des asiles dans un but de sécurité publique qu'ils
seraient bien incapables de troubler.
Quant aux épileptiques, ceux qui sont enfants devraient être
comme les idiots gardés et traités dans les quartiers d'hospice.
Il en est de même pour les épileptiques adultes qui sont atteints
d'infirmité cérébrale, d'affaiblissement intellectuel, qui les met en
état de nuire, et en fait des incurables.
Il est du reste impossible, dans le cas particulier de l'asile de
Nantes, de recevoir toutes ces catégories d'individus, et il est re-
grettable que la nouvelle loi ne soit pas encore applicable, car il
y aurait alors des établissements spéciaux pour pourvoir à leur
placement'. P. S.
III. Procès criminel de la dernière sorcière brillée à Genève, publié
par le Dr Ladame. (Bibliothèque diabolique, tome VI). Aux bureaux
du Progrès médical, 1888.
Les publications complètes de procès de sorcellerie sont rares
et, cependant, il s'y attache un intérêt tout particulier aujourd'hui
que tous ces phénomènes que nos pères regardaient comme sur-
naturels sont rentrés dans le domaine de la pathologie ner-
veuse et mentale. M. le docteur Ladame (de Genève) a eu l'heu-
reuse idée de publier les pièces originales d'un de ces procès qui
eut lieu à Genève en 1652 et dont le résultat fut la condamnation
de la sorcière à être pendue, puis brûlée. Cette sorcière n'était
d'ailleurs pas autre chose qu'une hystérique avec hémianesthésie
droite complète, ainsi que le prouvent les rapports des médecins
et chirurgiens qui furent commis pour l'examiner et qui conclu-
rent que c'était bien là le sigillu71t diaboli qui caractérise la pré-
sence des démons dans le corps humain. Un seul médecin mit en
doute que ce fût une véritable sorcière, considérant que ce stig-
mate n'était pas exactement semblable à ceux qu'ont d'ordi-
naire les sorcières, mais son avis ne suffit pas à la sauver. Les
interrogatoires enfantins qu'on lui fit subir ne sont pas moins
'Nous avons souvent iudiqué le remède : c'est la construction d'Asiles
interdépartementaux pour les enfants idiots, paralytiques et épilep-
tiques. (B).
bibliographie. 32S
curieux que les rapports médicaux pour donner une idée de ce
que peuvent produire d'absurde les préjugés religieux et plus
encore les sciences qui y prennent leur point d'appui. Il est triste
de se dire que ce sont des médecins qui étaient les premiers à
soutenir de leur autorité de pareilles sottises et faisaient cause
commune avec les théologiens et les jurisconsultes pour condam-
ner de malheureux malades.
IV. Les anesthésies hystériques des muqueuses et des organes des
sens, et les zones hystérogènes des muqueuses; par Licnwtiz.
Th. Bordeaux 1887.
C'est de Bordeaux que nous vient cette contribution à l'histoire
de l'hystérie, faite sous l'inspiration du professeur Pitres. Ce tra-
vail comprend deux parties. Dans la première l'auteur traite de
l'anesthésie hystérique de quelques muqueuses, encore peu étu-
diées à ce point de vue, telles que la muqueuse des voies
aériennes supérieures, la conjonctive et le tympan, et l'anesthé-
sie de plusieurs organes des sens, goût, odorat, ouïe. Dans la
seconde partie il s'occupe des zones hystérogènes de ces mu-
queuses. Onze observations, à la vérité soigneusement prises,
forment la base de ce travail. Peut-être n'est-ce pas suffisant pour
affirmer à plus d'une reprise des résultats contradictoires à ceux
de la majorité des auteurs. On trouvera néanmoins un certain
nombre de faits intéressants et capables de provoquer de nou-
velles recherches. Telles sont, par exemple, les conclusions de
l'auteur à propos des rapports entre l'anesthésie tympanique et
l'orientation auditive, rapports qu'il nie, contrairement à M. Gellé.
L'étude de la sensibilité galvanique est bien faite et conduit à
conclure que la diminution de cette sensibilité n'a aucun rapport
avec celle des autres maladies de la sensibilité.
Quant aux zones hystérogènes des muqueuses, elles paraissent
très fréquentes puisque sur onze cas l'auteur trouve six ma-
lades en présentant. La plus fréquente serait niveau de la mu-
queuse nasale où il les a rencontrées six fois. Il en a même
observé sur la cornée, la conjonctive et le conduit lacrymal infé-
rieur. Ces zones sont ordinairement symétriques. L'auteur leur
attache une grande valeur diagnostique, mais il va un peu loin
lorsqu'il leur en donne une plus considérable qu'aux zones exté-
rieures et prétend qu'elles sont plus faciles à découvrir. En
somme, travail intéressant et consciencieux renfermant beaucoup
de points bien étudiés, mais où l'absence d'un assez grand
nombre de cas de même nature n'a pas permis à l'auteur de tirer
des conclusions assez probantes et assez générales. P. S.
VARIA
ASILES D'ALIÉNÉS DE LA SEINE :
MOUVEMENT DE LA POPULATION EN 1887
I. Asile Sainte-Amie. 1° Service de l'admission : Les malades
présents au 1" janvier étaient au nombre de 169 (87 H., 82 F.).
Entrés directement pendant l'année, 3,453 (1,974 H., 4,479 F.).
Venus de la Clinique, 109 (58 H., 51 F.).Total des malades traités :
3,î2l (2,109 II. et 1,612 F.). Les causes des sorties sont les
suivantes : Guérisons, 14 H., 17 F. Améliorations : 33 H.,
28 F. Décès : 59 H., 49 F.- Transfert dans les asiles de la
Seine, 1,827 H., 1,352 F. Transfert dans les départements et à
l'étranger, 10 H., 22 F. Changement de service, 95 H., 62 F.
- Evasions, 3 H., 1 F. - Reste au 31 décembre, 149 malades.
(68 H., 81 F.). 2° Asile proprement dit : Les malades
présents au le, janvier étaient au nombre de 638 (321 H.
et 317 F.); 229 malades (196 H., 133 F) sont entrés du le, janvier
au 31 décembre 1887. 343 sont sortis (207 H., 136 F.). Les causes
des sorties sont les suivantes : Guérisons, 37 IL, 3 F. -Amélio-
rations, 56 H., 60 F. Décès, 78 H., 38 F. Transfert dans
les asiles de la Seine, 26 Il., 32 F. Transfert dans les dépar-
tements, 5 H., 3 F. Evasions, 5 H. Reste au 31 décembre
624 malades (310 H., 314 F. et 4 lits vacants). 3° Clinique : Ma-
lades présents au 1" janvier 1887. 152 (101 Il., 51 F.). Entrées
du 4 ? janvier au 31 décembre, 265 (170 H. 95 F.) Les causes
des sorties sont les suivantes : Guérisons, 40 (29 H., 11 F.).- Amé-
liorations, 52 (37 H., 15 F.) Décès 42 (29 IL, 13 F.). Transfert
dans les asiles de la Seine, 15 (12 H., 3 F). Transfert dans les
départements, 10(6 H., 4 F.). Changement de service, 109 (58 H.,
51 F.). -- Reste au 31 décembre, 148 malades (99 H., 49 F.).
Lits vacants, 11.
IL Asile de Vaucluse. Les malades présents au ler janvier
1887 étaient au nombre de 860(385 H., 365 F., 110 idiots à la
colonie). 694 malades sont entrés depuis le ler janvier 1887
(247 IL, 379 F., et 68 idiots). Les causes des sorties sont : Guéri-
son, 103 (53 H., 49 F., 1 idiot). Améliorations, 126 (58 H.,
58 F., 10 idiots). Décès, 185 (97 H., 86 F., 21 idiots). Trans-
ferts collectifs, 203 (25 H., 157 F., 21 idiots). Dans les départe-
ments, 42 (24 H., 9 F., 9 idiots). Evasions, 33 (20 H., 4 F.,
varia. 327
9 idiots). Autres causes, 61 (20 H., 26 F., 15 idiots). Reste au
31 décembre 1887, 801 lits (335 H., 355 F., 111 idiots). Travail-
leurs, 295 (136 H., 159 F.).
III. Asile de Ville-Evrard. 1° Asile : Malades présents au
1er janvier 1887, 931 (582 H., 349 F.). Entrées au ler janvier au
31 décembre, 745 (388 H., 357 F.). Causes de sorties : Guérisons
77 (66 H., 11 F.). Améliorations, 179 (110 H., 69 F.). Décès,
288 (204 H., 84 F.). Transferts, 221 (76 H., 145 F.). Autres
causes, 14 (10 IL, 4 F.). Evasions, 32 (31 IL, 1 F.). Reste au
31 décembre, 865 malades (473 H., 392 F.). Lits vacants,
(109 d'hommes, 37 femmes couchent sur des lits supplémentaires;
2o Pensionnat : Malades présents au 1er janvier 1887 : 195 (82 H.,
i 13 F.).- Entrées du ler janvier au 31 décembre 1887 : 97 malades,
(56 H., 41 F.). Causes de sorties : Guérisons, 5 (2 IL, 3 F.)
Améliorations, 44 (22 H., 22 F.). Décès, 36 (21 H., J5 F.)
Transferts, 8 (5 H., 4 F.). Autres causes, 17 (11 H., 6 F.).
Evasions, 1 homme. Reste au 31 décembre 1887 : 181 malades
(76 H., 105 F.). Pas de lits vacants.
IV. Asile de Villejuif. - Malades présents au ler janvier 1887,
509 (114 H., 315 F.). Entrées du ler janvier au 31 décembre,
1887 : 1,457 (949 IL, 08 F.). - Sorties en liberté, 424 (310 IL,
114 F.). Décès, 367 (249 H., 118 F.). Transferts, 168 (74 H.,
94 F.). - Fvasions, 25 (20 H., 5 F.). - Reste au 31 décembre,
982 malades (410 H., 572 F.). Lits vacants, 160.
La colonie d'épileptiques DE Bielefeld; Ecole de garde-malades
Dans le Médical Record du 23 avril 1887, le Dr Frederick Peter-
son, médecin d'Hudson River-State hospital, nous donne les ren-
seignements suivants sur la colonie de Bielefeld en Westphalie,
qu'il il vient de visiter, il y a peu de temps. Cet établissement a été
fondé, il y a environ vingt ans, par le pasteur luthérien von
Bodelsctnvingh, qui acheta une ferme, et avec quatre épilep-
tiques installa cette colonie. Ce petit noyau s'accrut de plus en
plus, et actuellement les malades sont au nombre de 845, et on
compte plus de soixante maisons sur la ferme. Le fondateur avait
longuement considéré la triste situation de ces malheureux qui
sont ordinairement à charge à leur famille. Les écoles publiques
leur sont fermées; nul ne veut les employer soit comme ouvrier,
soit comme apprenti. Souvent, ces infortunés sont privés du com-
merce avec leurs camarades, à cause de la nature de leur mala-
die et ils ne trouvent asile que dans les établissements destinés
aux idiots et aux aliénés. Le fondateur crut pouvoir créer un
refuge où ces malades seraient soignés et guéris s'il était pos-
sible, et où, sinon, il trouveraient un home, où enfin ils pour-
328 varia.
raient apprendre un métier et être instruits, afin de devenir des
individus travailleurs et utiles à la société. -
Le visiteur est tout de suite saisi de l'air de prospérité et de
bonheur qui règne parmi les habitants de cette colonie d'épilep-
tiques. Depuis sa fondation, plus de 2,000 malades y ont été soi-
gnés ; plus de 150 ont été guéris, et plus de 450 sont partis amé-
liorés.
Le travail améliore les conditions physiques et intellectuelles
des épileptiques, et les incurables sont munis d'un métier, qu'ils
peuvent continuer à exercer ailleurs. Une école où l'on enseigne
toutes les branches de la science, fournit l'instruction à environ
150 enfants des deux sexes. La laiterie et la ferme occupent un
grand nombre de malades, surtout pour la récolte des graines de
végétaux et de fleurs. On a construit des ateliers pour les char-
pentiers, les ébénistes, les peintres et vernisseurs, les imprimeurs,
les relieurs, les forgerons, les fondeurs, les tailleurs et, de plus,
une épicerie, une pharmacie, un dépôt de graines et de livres. Les
charpentiers aident dans la construction et l'aménagement des
maisons nouvelles. Les livres sont imprimés, reliés et vendus par
la colonie; ce sont surtout des livres d'instruction religieuse et mo-
rale. Les plans de nouvelles constructions sont faits dans l'atelier
des architectes. Des chromos et des photographies religieuses et
patriotiques sont produites par l'établissement. Les enluminures
des lettres, la coloration de tableaux peints, sont d'un travail très
perfectionné. La buanderie, la cuisine, les ateliers de couture et
de tailleur et les travaux de fantaisie occupent beaucoup de ma-
lades.
On distribue par an environ 20,000 onces de bromure de potas-
sium aux épileptiques qui ne peuvent payer le médicament, et qui
en font la demande ; d'autres fois, cette substance est vendue par
paquets de 20 grammes à ceux qui paient, au prix de revient de la
vente en gros. Dernièrement, un office a été établi pour la collec-
tion et la vente d'objets de musée, tels que : antiquités, articles
concernant l'ethnographie et l'histoire, autographes d'hommes
illustres, médailles, estampes, bronzes, pierres précieuses, gra-
vures, etc..., spécimens de collections d'animaux, de végétaux et
de minéraux. On voit combien d'efforts ont été faits pour multi-
plier et varier les métiers des membres de la colonie. Pour les
hommes seulement, on en compte actuellement trente diffé-
rents.
En cas d'accès, chaque boutique et chaque école possède un
matelas ou un lit, à portée de la main. Plusieurs médecins de la
ville de Bielefeld visitent l'institution et surveillent le traitement
médical.
- - L'établissement tout entier est construit sur le plan d'un « cot-
tage». Les maisons diffèrent entre elles par l'architecture et la
VARIA. 329
position ; elles sont bien séparées par de grands jardins, comme
dans certaines campagnes.
Une partie qui n'est pas la moins intéressante de la colonie,
c'est l'école préparatoire de garde-malades, qui existe depuis long-
temps. Là sont instruits avec soin des hommes et des femmes,
ordinairement des classes élevées de la société allemande, qui se
vouent aux oeuvres de charité, et qui sont spécialement éduqués
pour soigner les aliénés. La plupart des asiles d'Allemagne sont
entièrement desservis par des personnes venant de cette institu-
tion ; ils subissent cinq années de préparation. L'établissement
tout entier avec les malades et les différents employés compte
1,500 habitants. Ce chiffre augmente sans cesse; les malades
arrivent des différentes parties de l'Europe et des divers Etats de
l'Allemagne.
Il résulte de l'expérience faite pendant nombre d'années que
l'on a adopté le plan général de traitement suivant : Io travail
intellectuel et physique; il agit très bien ; le meilleur est celui
fait au grand air; 2° la nourriture doit être simple, pas trop
abondante et un peu acide; les liqueurs alooliques sont évitées.
Le café et le thé doivent être faibles et mêlés avec beaucoup de
lait. (On permet de fumer modérément). Un bon régime lacté est
préférable à la viande et à la soupe. Le souper doit être léger et
fait de bonne heure; 3° des douches froides en pluie, graduel-
lement prolongés, et des épongeades froides sont d'un excellent
effet; 4° médicaments : le médicament produisant le meilleur
effet est, dit l'auteur, le bromure de potassium; il peut être pris
pendant plusieurs années sans occasionner des troubles de l'esto-
mac. D'après lui, il guérit quelques cas, diminue la fréquence des
accès dans d'autres, apaise les nerfs, prévient souvent l'imbécillité,
et quelquefois raffermit les facultés intellectuelles, spécialement la
mémoire ( ? ). Dans la colonie, on se sert d'une solution à 10 p. 100,
dont on donne trois cuillerées à bouche par jour, pendant la pre-
mière semaine, quatre pendantla seconde, cinq la troisième, et ainsi
de suite jusqu'à huit par jour. L'assoupissement, la pesanteur de
tête, les éruptions indiquent la nécessité de diminuer la dose pen-
dant quelque temps. Cette quantité est pour les individus âgés de
plus de seize ans. De dix à seize, on commence par trois cuillerées
à bouche et on ne dépasse pas six. Avant dix ans, la dose est de
deux à quatre ou cinq cuillerées. Le médicament est continué
encore pendant huit ou neuf mois après la cessation des acci-
dents, en diminuant peu à peu la dose.
11 y a une dépendance de la colonie, où sont placés les épilep-
tiques avec folie douce ou périodique, tandis que les cas les plus
graves sont placés dans des asiles d'aliénés.
D'autres colonies construites sur ce modèle ont été créées récem-
ment dans plusieurs provinces de Prusse, dans la Saxe, dans le
330 varia.
'4ürtemberg, en Suisse, en Hollande. Le Dr Peterson exprime, en
terminant, le voeu qu'on établisse aux Etats-Unis des colonies
semblables, afin de donner asile aux 100,000 épileptiques qu'on
y compte, au lieu de les enfermer dans les asiles d'aliénés. Nous
ne pouvons aussi que nous associer à ce voeu pour la construction
en France de tels -établissements. où les épileptiques seront mieux
soignés, et où on pourra utiliser les facultés et le travail dont ils
sont capables, tout en leur laissant une certaine liberté, qu'on ne
peut accorder aux aliénés, au milieu desquels ils sont confinés dans
notre pays. A. Raoult.
Quelques IDÉES sur la construction ET l'organisation des hôpitaux
d'aliénés; par Sanger-Brown, ancien médecin assistant à l'asile
de Bloomingdafe. (New-York.)
Je ne me propose pas de discuter en détail l'organisation et la
construction d'un hôpital, mais simplement d'appeler l'attention
sur certains défauts existant dans les deux services, etqui, jepense,
ontbesoin d'être étudiés avec soin par les personnes qui s'intéres-
sent au traitement et aux soins à donner aux aliénés. Aies observa-
tions s'appliquent pour la plupart aux hôpitaux principalement
destinés aux cas récents de folie, et où un grand nombre de cas in-
curables ne doivent pas s'accumuler. Mais avec quelques modifi-
calions, elles s'appliquent également à tous les hôpitaux et asiles
d'aliénés. Depuis dix à quinze ans; il s'est fait en Amérique une
véritable révolution dans le traitement des aliénés. Et tandis que
dans les révolutions, apparaissent souvent des doctrines et des
actions erronnées, on est ici d'accord sur le réel progrès qui a
été fait.
Quand les malades ont été bien classés et subdivisés, et qu'ils
sont sous la surveillance d'infirmiers compétents et bien discipli-
nés, on s'aperçoit qu'il se produit rarement des cas intraitables.
Après quelques semaines de traitement, ils se conforment à la
routine et aux exigences hospitalières avec plus ou moins de faci-
lité. Mais, si une surveillance constante et soigneuse d'infirmiers
compétents est de la plus haute importance dans le traitement des
aliénés, cette surveillance, dis-je, est d'un accomplissement très dif-
ficile. Diverses causes démoralisantes sont plus graves; des accidents
arrivent plus souvent parmi les malades, pendant que se fait le
service de la maison. En effet, avec le système actuel, les malades
doivent souffrir plus ou moins, étant abandonnés à eux-mêmes,
pendant que l'attention des infirmiers est occupée a la garde de
l'établissement. Les manifestations de la maladie ne se peuvent
conformpt aux règles de l'hospice, et ces règles sont indispen-
sables pour les soins de la maison.
Le service de l'asile et les soins à donner aux malades sont
VARIA. 331
deux facteurs invariables à considérer dans l'organisation d'un
hôpital. Le travail de l'hospice peut bien être fait par des individus
d'une culture intellectuelle et morale comparativementinférieure
à celle qu'on doit attendre d'un infirmier qui a été longtemps et
avec soin instruit à cet effet. Avec le système d'organisation
actuelle, les deux travaux sont effectués par les mêmes personnes,
qui trop souvent sont loin sous le double rapport moral et intel-
lectuel de ce que l'on désire d'un infirmier. En séparant les deux
genres d'ouvrage, on pourrait arriver à un résultat meilleur et
plus économique. Il se formerait une classe plus relevée d'infir-
miers, qui seuls seraient employés à la surveillance constante des
malades ; tandis que le gros ouvrage serait fait par des serviteurs
ordinaires; et cette dernière classe ne serait pas en contact inces-
sant avec les aliénés '.
Avec quelques modifications peu importantes d'architecture, le
type des hôpitaux actuels est construit sur un plan adopté il y
y a trente ans, lorsque les idées et les méthodes de traitement et
de direction étaient très différentes de celles actuellement en
vogue. Et si les édifices actuels prouvent de la part des architec-
tes un grand crédit de la part des corps législatifs une grande
libéralité, on doit penser, qu'on peut demander actuellement des
réformes plus modernes pour le traitement des aliénés.
Ainsi, pour l'organisation, le seul changement que je désire
voir produire, consiste dans l'emploi d'une classe plus élevée
d'individus, spécialement instruite, en vue d'obtenir des infirmiers
plus perfectionnés, et dans celle d'une classe inférieure, destinée
au gros ouvrage de la maison. Il serait encore utile de construire
des chambres dejour pour les malades, pendant que se fait le
nettoyage des chambres à coucher et des corridors. Il est à peine
besoin de montrer combien l'existence des chambres s'accorde
avec les meilleures conditions hygiéniques. Il serait encore dé-
sirable de voir établir des salles à manger contiguës aux cuisines.
De cette façon, la nourriture pourrait être servie sous une forme
plus appétissante; une moins grande quantité en serait perdue,
et les malades seraient surveillés plus attentivement pendant le
repas. Celui-ci pris dans un hall spécial apportera trois fois par
jour un changement à la monotonie de la vie de l'hôpital. Comme
il est nécessaire de diviser les malades par catégories pendant le
repas, comme pendant le reste du temps, on ne peut approuver
l'établissement d'un seul réfectoire commun, mais le groupement
d'un certain nombre de salles, permettant la classification adoptée
dans les différents quartiers. Pour les quelques malades, qui, pour
des raisons différentes, ne peuvent aller dans les réfectoires, et
' C'est la une distinction sur laquelle nous appelons l'attention depuis
une dizaine d'années. (B.)
332 VARIA.
qui seraient' obligés de rester sans cesse à l'infirmerie ou dans les
cellules, la nourriture peut être apportée de la cuisine par une
voie souterraine. Cette même voie serait utilisée pour le passage
des malades pour aller et venir du réfectoire lors du mauvais
temps.
. Enfin, il est nécessaire d'établir des cellules séparées pour le
traitement des malades dangereux et mutins, en plus grand nom-
bre que d'ordinaire, afin de pouvoir isoler temporairement les
malades plus excités que leurs compagnons. Un grand nombre
de guérisons sont obtenues au moyen de ces cellules; il faut donc
que les malades soient soustraits, le plus possible, à toute
influence qui pourrait retarder cette guérison. Il se présente sou-
vent, dans les quartiers d'aliénés, que la plupart des malades sont
troublés le jour et tenus éveillés la nuit par un ou deux d'entre
eux qui sont turbulents. Un certain nombre de cellules d'isolement
est donc nécessaire pour de tels malades, celte question a été
déjà élucidée, afin d'obtenir que les malades les plus tranquilles
ne soient pas troublés ou tenus éveillés, de même que pour ob-
tenir le plus grand calme pour les malades turbulents. L'impor-
tance de cette question donnera toujours de grandes difficultés à
un médecin consciencieux, mais pour le plus grand bien du plus
grand nombre; il trouvera qu'il est de son devoir de proscrire ce
qu'il peut considérer comme un danger pour un malade, lorsque
c'est pour le bénéfice des autres.
Un plan joint à cette étude montre quelles transformations
peuvent être effectuées. Ni les dimensions des dortoirs ni l'agen-
cement des différentes salles n'ont été considérés comme étant
nécessaire à la présente étude. On remarquera toutefois qu'il est
utile de donner à chaque malade huit cents pieds cubes d'air
dans les salles du jour et les dortoirs.
On objectera que la dépense d'un tel hôpital serait plus con-
sidérable que celle d'un des établissements généralement adoptés;
je répondrais à ceci, que cette différence ne serait pas grande,
et pourrait être contrebalancée et au delà par les économies de
l'administration. En effet, l'absence des réfectoires dans les
quartiers produirait une grande économie d'hommes de peine,
de domestiques, de paneteries, etc., aussi bien qu'une écono-
mie de travail et de nourriture. Si l'avantage pour les malades
peut être aussi grand que je le pense, le nombre des guérisons
s'accroîtra, et le nombre des malades furieux et turbulents dimi-
nuera ; pour cela, il est désirable d'atteindre la perfection au point
de vue humanitaire et économique. (The Journad of mental science.
London, avril 1887, p. 54.) A. 11.10uLT.
CORRESPONDANCE
GUÉRISON DE LA SCLÉROSE EN PLAQUES
Nous avons reçu de M. Catsaras la lettre suivante :
« Muon très cher et savant confrère,
« A la fin de mon travail : « De la curabilité de la sclérose en
plaques-», qui a paru dans les Archives de Neurologie, n° 28, 1885,
j'ai mis le post-scriptum suivant :
« Si la guérison de notre malade se démentait plus tard, chose
« que nous ne croyons pas, nous nous empresserons de le publier. »
«Je suis bienheureux de vous annoncer qu'aucun des symptômes
qui ont figuré au tableau clinique si net et si saillant du malade,
à savoir : les vertiges, le tremblement pendant les mouvements
intentionnels, le nystagmus, les paralysies associées des yeux,
paralysie de la convergence, l'insuffisance des droits internes, le
regard vague, les symptômes spasmodiques, les accès apoplecti-
formes et épileptiformes, et les symptômes psychiques, aucun de
ces symptômes, dis-je, n'a plus réapparu et, par conséquent, la
guérison complète qui date déjà du 10 février 1884, soit de trois
ans et plus de neuf mois, doit être considérée comme définitive.
«En vous priant d'insérer cette lettre dans le prochain numéro
des Archives de Neurologie, veuillez recevoir, etc.
«Paris, le 20 novembre 1887.
« M. Catsaras.
FAITS DIVERS
Asiles d'aliénés. Nominations et promotions. AI, le Dr Rous-
SEL est nommé médecin-adjoint, à l'asile public de Saint-Robert
(Isère), poste créé et compris dans la 2e classe (arrêté du 24 dé-
cembre 9887). - lf. le Dr Aubry est nommé médecin-adjoint à
l'asile public d'Armentières (Nord), en remplacement de Lui. le
Dr PETIT, démissionnaire. (Arrêté du 5 janvier 1888.) Sont pro-
mus à la classe exceptionnelle à partir du 11, janvier 1888,.MM. le
Dr Bécoulet, directeur de l'asile public de Dôle (Jura); MiREpoix,
directeur de l'asile public de Maréville (Vieurthe-et-llloselle);
LLANTA, directeur de l'asile public de Montdevergues (Vaucluse);
334 FAITS DIVERS
Dr PETRUCCI, directeur de l'asile public de Saint-Gemmes (Maine-
et-Loire). (Arrêté du 5 janvier 1888). Sont promus à la classe
exceptionnelle à partir du fer février, MM. le D'' GUILLEMIN, méde-
cin-adjoint à l'asile de Dôle (Jura); le Dr Paris, médecin-adjoint à
l'asile public de Chatons. (Arrêté du 5 janvier.) Sont promus à
la 3° classe, MM. le DI-BOUDRIE, directeur-médecin de l'asile de
Bassens (Savoie), à partir du ter janvier; le Dr ûenizel, directeur
de l'asile public de Cadillac, à partir du le, mars 1888. (Arrêté du
5 janvier 1888.) - Par arrêté, en date du 13 janvier 1888, hl. le
Dr UONNET, médecin en chef de l'asile public d'aliénés de Bor-
deaux, est nommé directeur-médecin en chef de l'asile public
d'aliénés de Vaucluse, en remplacement de M. le D1' Bigot, décédé.
M. le Dr DoNNET est maintenu dans la première classe du grade.
- Par arrêté, en date du 13 janvier 1888, ont été nommés à l'emploi
de médecins en chef de l'asile public d'aliénés de Ville-Evrard,
créés par l'arrêté du 7 janvier 1888 : M. le Dr MARANDON DE MoN-
TYEL, médecin en chef de l'asile public d'aliénés de Marseille.
Ai, le Dl FEBVRE, médecin-adjoint de Ville-Evrard. M. le Dr REY
est nommé médecin en chef de l'asile d'aliénés de Marseille.Les
fonctions de directeur et de médecin en chef de l'asile d'aliénés de
Ville-Evrard sont séparées. M. le D' Pâté est nommé directeur-
médecin de l'asile de Ville-Evrard et placé dans la troisième
classe de son grade (5.000 fr.). M. le Dr C.IUUSE1', médecin en
chef à l'asile public de Clermont (Oise), est nommé directeur-mé-
decin de l'asile public de Bonneval (Eure-et-Loir), en remplacement
du Dr IIILDENBRAND, décédé (maintenu à la troisième classe). (Arrêté
du 21 janvier 1888. AI. le Dr Reverchon, directeur-médecin de
l'asile public de Sainte-Catherine (Allier), est nommé aux mêmes
fonctions à l'asile public de Saint-Lac (Basses-Pyrénées) (maintenu
à la classe exceptionnelle). (Arrêté du 27 janvier 9888.) - lI, le
Dr BELLE, médecin en chef de l'asile public de Bailleul (Nord),
est nommé directeur-médecin de l'asile public de Sainte-Catherine
(Allier) (3° classe). (Arrêté du 27 janvier 1888.) Hui. le Dr AIarti-
NENQ, médecin-adjoint à l'asile public de Saint-I'on (Seine-Infé-
rieure), est nommé médecin en chef à l'asile public de Clermont
(Oise), 3° classe. (Arrêté du 27 janvier 1888.) àl. le Dr PONS,
directeur-médecin de l'asile public de Saint-Luc (Basses-Pyrénées),
est nommé médecin en chef de l'asile public de Bordeaux (main-
tenu à la reclasse). (Arrêté du 30 janvier 1888.)
Asile d'aliénés DE SAINTE-CATIIERINR [Allier). La Chambre des
députés a adopté un projet de loi autorisant le département de
l'Allier à contracter un emprunt de 150,000 francs applicable aux
travaux d'agrandissement de l'asile d'aliénés de Sainte-Catherine.
Recrutement des médecins adjoints des asiles par Lie concours.
Le conseil des inspecteurs des établissements de bienfaisance
BULLETIN bibliographique. 335
a été saisi dernièrement par nI. Monod, directeur de l'Assistance
publique au ministère de l'intérieur, de l'examen d'un projet
tendant à instituer le concours pour le recrutement des médecins
adjoints des asiles d'aliénés. Le conseil a adopté les conclusions
conformes d'un rapport de AI. le Dr A. Regnard, établissant le
concours par circonscriptions régionales qui auront pour chefs-
lieux, certaines villes possédant des Facultés ou des Ecoles prépa-
ratoires de médecine. Le département de la Seine formera une
région, avec l'adjonction des seuls asiles de Clermont et d'Evreux.
Le concours sera ouvert toutes les fois qu'il y aura lieu de pour-
voir à deux vacances. Les épreuves comprendront une question
écrite, éliminatoire dans les cas où le nombre des candidats dé-
passera trois pour une place et une question orale. Il sera tenu
compte des travaux antérieurs des candidats.
Société DE Biologie. Prix Ernest Godard, en 1888. Confor-
mément aux termes du testament d'Ernest Godard, la Société de
Biologie décernera, à la fin de l'année 1888, un prix de 500 francs
au meilleur mémoire qui lui sera adressé sur un sujet se l'attachant
ci la Biologie. Aucun sujet de prix ne sera proposé. Dans le cas où,
une année, le prix n'aura pas été donné, il sera ajouté au prix qui
serait donné deux années plus tard. Les mémoires devront être
envoyés au secrétaire général de la Société avant le 15 octobre;
passé cette date, ils ne seront plus admis au concours.
Anciens aliénés. Un sieur Florentin, de L3roiis-la-Forêt (Eure),
ancien pensionnaire d'un asile d'aliénés, s'était suicidé, il y
a quatre jours, en se tirant un coup de fusil en plein visage. Son
chien était resté enfermé avec le cadavre. Hier, lorsqu'on s'aperçut
de la disparition du malheureux, on enfonça la porte de sa chambre
et on constata que le chien avait dévoré la moitié d'une cuisse de
son maître défunt (Le Temps, 29 décembre 1887.)
Le nommé Harel, de Beaubray, est atteint d'épilepsie. Avant-
hier, sous l'influence d'un accès qu'il sentait venir, il se porta
plusieurs coups de couteau et tomba en avant dans sa cheminée.
Le feu prit à ses habits, et il eût infailliblement péri si ses voisins
n'étaient accourus à son secours. Ses blessures mettent cependant
sa vie en danger. Conclusion : nécessité d'assister les épileptiques.
BÉRILLOIN (E.). De la suggestion et ses applications à la pédagogie.
Brochure in-8° de 16 pages avec 4 figures. Prix, 1 fr. Paris, 18S.
Aux bureaux de la Revue de l'hypnotisme.
Charcot (J.-11.). - Leçons sur les maladies du système 7te''t) ? M, pro-
fessées à la Salpêtrière et recueillies par 5m. BABENSKi, BEHNARD, Féré,
Guinon, Marie et Gilles DE la Tourette. Tome IIL, 2° fascicule. Un
volume in-8 de 380 pages, avec 6t figures dans le texte. Prix : 9 fr. ;
pour nos abonnés, prix : 6 fr.- Ce fascicule complète le tome troisième.
336 BULLETIN bibliographique.
Doré (G.). Recherches expérimentales sur l'influence de la tenzpé-
rature des femelles en gestation, sur la vitalité du /'OEs et la marche de
la grossesse. Brochure in-8° de 40 pages. Paris, 1883. Librairie
Asselin et CI*.
DUFOUR (E.). -Asile public d'aliénés de Saint-Robert (Isère). Compte
rendu du service médical pendant l'année 1885. Brochure in-8° de
19 pages. Grenoble, 1886. Imprimerie F. Allier.
Grasset (J.) et Brousse (A.). Histoire d'une hystérique hypnolisable.
(Contribution à l'étude clinique des caractères somatiques fixes des
attaques de sommeil spontané et provoquées chez les hystériques). Bro-
chure in-8° de 34 pages. Prix 1 fr. 50. Pour nos abonnés, 1 franc.
HOVELACQUR (A.) et HpnvÉ (G.). Précis d'anthropologie. Volume in-8"
de 655 pages, avec 20 figures. Prix : 10 fr. Paris, 1886.- Librairie
A. Delahaye et E. Lecrosnier.
InDEx-eaa/o.Me ofthe Library of the Stzrgeon-General's office United
slates arnzy. Vol. VIII, Legier-Medicine (naval). Vol. in-8° cartonné de
1078 pages. - Washington, 1887. Government priztting Office.
LtDAME, Procès criminel de la dernière sorcière brûlée à Genève, le
6 avril 1652, publié d'après les documents inédits et originaux conser-
vés aux archives de Genève (Sixième volume de la Bibliothèque dtabo-
lielue, collection Bourneville. Un volume in-8» de 60 pages. Prix
2 fr. 50). Pour nos abonnés : 1 fr. 75; numéro 1 à 50, papier Japon,
prix : 5 francs; pour nos abonnés : 4 fr. ; numéro 51 à 100, papier par-
cheminé, prix : 3 fr 50 ; pour nos abonnés : prix, 2 fr. 75.
1`IATAIEU-SICAUD (H.). De l'étiologie héréditaire de la paralysie spi-
nale infantile aiguë. Brochure in-8- de 80 pages. Paris, 1887.
Librairie Coccoz.
Obersteiner (H.) Antleilung beitz Studium des Bancs der Nervdsen
cenwnlorgazre nin gesuztdezwnd Kranlen Zustande, Volume in-8° de
406 pages, avec 178 figures. Leipsig und Wien, 1898. Toeplitz und
Deuticke.
Publications du « Progrès 2fÉDICAL ».-SiIT Jeanne des Anges, supérieure
des Ursulines à Loudun, X I'll siècle. Auto-biographie d'une hystérique
possédée, d'après le manuscrit inédit de la Bibliothèque de Tours.
Annotée et publiée par MM. les D™ G. Lncoé et G. DE la ToupETTE.
Préface de M. le professeur Charcot, membre de l'Institut. Un beau
volume in-8° de 330 pages. Papier vélin, prix : 6 fr.; pour nos abonnés :
4 fr. Papier Japon, prix : 25 fr. ; pour nos abonnés : 20 fr.
ROLLAND (E.). De l'épilepsie jacksonienne. Mémoire couronné par la
Sociélé de médecine et de chirurgie de Bordeaux, revu et considérable-
ment augmenté. Précédé d'une notice sur les asiles « John Bost» par
le D, E. Aloiiod et d'une introduction par le Dl Arnozan. Volume in-8"
de 192 pages, avec 22 figures et 2 planches lithographiées. - Prix : 3 fr. ;
pour nos abonnés : 2 fr. Paris, 1888. Librairie du Progrès Médical.
Smox (L.-Al.). Le monde des rêves. Le rêve, l'hallucination, le
somnambulisme et l'hypnotisme, l'illusion, les paradis artificiels, le ragle,
le cerveau, et le rêve. Paris, 1888. Librairie J.-B. Baillière et fils.
VIBRRT (Ch.). -Etude ntédico-légale sur les blessures produiles par les
accidents de chemins de fer. Volume in-8" de 118 pages.- Prix : 3 fr. 50,
Paris, 1888. Librairie J.-B. Baillière et fils.
Le rédacteur-gérant, Uourncville.
Evreul. IiEItm9uY, IIOp. - 388.
Vol. XV. Mai 1888. N" 45
ARCHIVES DE NEUROLOGIE
CLINIQUE NERVEUSE
SUR UN CAS DE PSEUDO-TABES
(symptômes DE l'ataxie locomotrice progressive persistant pendant
dix ANS. A l'autopsie, absence DE sclérose DES cordons postérieurs
DE la moelle épinière; intégrité complète DES racines rachidiennes
ET DES nerfs périphériques) ; ,
Par le Dr A. PITRES,
Professeur à la Faculté de Médecine de Bordeaux.
Quand Duchenne (de Boulogne) tira l'ataxie locomo-
trice progressive du chaos dans lequel étaient con-
fondues avant lui, sous la dénomination commune de
myélites chroniques, la plupart des affections de la
moelle épinière, il s'occupa uniquement de déterminer
la symptomatologie de l'espèce morbide qu'il voulait
isoler. « Abolition progressive de la coordination des
mouvements et paralysie apparente contrastant avec
l'intégrité de la force musculaire, tels sont, disait-il,
les caractères fondamentaux mais incomplets de la
maladie que je me propose de décrire. Ses symptômes
et sa marche en font une espèce morbide parfaitement
Archives, L. XV. 22
338 CLINIQUE NERVEUSE.
distincte'. » Pour lui, la spécificité nosologique de
l'ataxie locomotrice reposait exclusivement sur un
ensemble de symptômes se succédant dans un certain
ordre, mais la nature du tabes restait indéterminée;
son anatomie pathologique était toute entière à faire.
Plus tard, l'occasion de pratiquer des autopsies de ta-
bétiques se présenta et ces autopsies révélèrent l'exis-
tence d'une lésion habituelle, toujours semblable à
elle-même : la sclérose systématique des cordons pos-
térieurs de la moelle, avec atrophie des racines posté-
rieures des nerfs rachidiens. La plupart des auteurs con-
sidérèrent alors la lésion médullo-radiculaire comme
le substratum anatomique nécessaire de l'ataxie loco-
motrice progressive et on en vint à lier si intimement
les deux termes, que dans le langage scientifique cou-
rant on employait indifféremment pour désigner la
même affection les mots de sclérose des cordons posté-
rieurs ou d'ataxie locomotrice progressive.
Cette manière de comprendre la subordination des
symptômes nettement définis du tabès à certaines alté-
rations systématiques de la moelle épinière était, il
faut bien le reconnaître, conforme à la majorité des
observations anatomo-cliniques. Cependant elle était
en contradiction manifeste avec un certain nombre de
faits, relativement exceptionnels, cela est vrai, mais
très bien constatés, et que personne n'avait le droit de
repousser a priori. Quelquefois, en effet, on rencon-
trait, à l'autopsie de sujets qui n'avaient eu pendant
leur vie aucun des symptômes caractéristiques du tabes,
des scléroses évidentes des cordons postérieurs. D'autres
'Duchenne (de Boulogne). De l'Llech·isalioa localisée, 2e édit
Paris, 18G1, p. 548.
sur un cas de pseudo-tabès. 339
fois au contraire, à l'ouverture des cadavres de malades
ayant présenté de leur vivant toute la série des symp-
tômes typiques de l'ataxie locomotrice progressive, on
ne trouvait aucune altération appréciable des centres
nerveux'.
. Que fallait-il penser de ces faits contradictoires ? ` ?
Trousseau en conclut jadis que l'ataxie locomotrice
progressive était essentiellement une maladie sine
materiâ, une névrose; qu'elle n'avait pas de lésions
spécifiques primitives et que les altérations rencontrées
dans la plupart des autopsies étaient les effets et non
les causes des symptômes observés2. D'autres, plus
réservés dans leurs déductions, convenaient que ces cas
étaient inexplicables et conseillaient d'attendre leur
interprétation des recherches ultérieures. « Ce sont là,
disaitAxenfeld, des faits exceptionnels dont il convient
d'ajourner l'interprétation; n'a-t-on pas eu la sagesse
de faire ainsi pour certains cas d'apoplexie cérébrale,
dite nerveuse, dont l'obscurité n'a porté aucune atteinte
à ce que l'histoire de l'hémorrhagie cérébrale ou du
ramollissement renfermait d'enseignements clairs et
précis3. » L'événement a montré combien étaient légi-
times les réserves d'Axenfeld, et depuis l'époque où il
1 Quelquefois aussi on rencontrait à l'autopsie de sujets ayant pré-
senté pendant la vie des symptômes plus ou moins analogues à ceux du
tabes, des altérations des cordons postérieurs autres que la sclérose sys-
tématique, par exemple, des tumeurs ou des îlots étendus de sclérose en
plaques. Les laits de ce genre n'ont pas d'importance théorique. Si on
accepte l'idée que les cordons postérieurs de la moelle sont les organes
de l'ataxie, on conçoit très bien que les lésions étendues de ces organes,
quelle que soit du reste leur nature, donnent lieu à des symptômes rap-
pelant, dans une certaine mesure, ceux de l'ataxie locomotrice pro-
gressive.
- Trousseau. - Clinique médicale de l'Hôtel-Dieu, t. II.
Axeiifeld. Article : Ataxie locomotrice progressive du Dictionnaire
encyclopédique des Sciences médicales. 1877, t. VII, p. 69.
340 CLINIQUE NERVEUSE.
écrivait ces lignes on est parvenu à classer et à com
prendre un bon nombre des cas qui l'embarrassaient.
Tout d'abord les travaux de MM. Charcot et Pierret
ont démontré qu'au point de vue des réactions patho-
logiques il fallait distinguer, dans les cordons posté-
rieurs de la moelle, deux régions tout à fait distinctes :
l'une centrale (cordons de Goll), qui peut être sclérosée
dans toute son étendue sans que les symptômes de
l'ataxie se manifestent, l'autre périphérique (zones radi-
culaires externes), qui est, si on peut s'exprimer ainsi,
l'organe du tabes, car c'est avec les lésions de cette
région que coexistent les symptômes caractéristiques
de la maladie. Les altérations systématiques des cor-
dons de Goll se montrent dans d'autres conditions
pathologiques; elles s'accompagnent d'autres symp-
tômes. Et voilà comment des scléroses non douteuses
des cordons postérieurs peuvent être rencontrées à
l'autopsie de sujets n'ayant présenté pendant leur vie
aucun des signes habituels du tabes.
Plus récemment les recherches entreprises par divers
auteurs sur la pathologie des nerfs périphériques ont
fourni l'explication de quelques-uns des cas dans les-
quels la moelle est indemne de toute altération chez des
malades qui, de leur vivant, ont eu des accidents d'ap-
parence tabétique. Des névrites multiples, disséminées
çà et là, sur différents points du corps, peuvent don-
ner lieu à des douleurs aiguës, lancinantes, analogues
aux douleurs fulgurantes des ataxiques; elles peuvent
produire des crises viscéralgiques ; elles peuvent enfin
déterminer des troubles de la coordination des mouve-
ments ressemblant un peu à ceux que l'on observe
dans le tabès. C'est sur des faits de ce genre que sont
SUR UN CAS DE PSEUDO-TABES. 341
basés le travail de M. Déjerine sur le nervo-tabes
périphérique et les recherches de 111111. Krücke a,
Lôwenfeld3, Bernhardt', Pribram', etc., etc.
Mais les scléroses des cordons de Goll et les névrites
périphériques ne paraissent pas devoir fournir l'expli-
cation de tous les cas contradictoires auxquels nous
faisions allusion au début de ce travail. Il y a, croyons-
nous, une variété de faux tabes dans laquelle les symp-
tômes ordinaires de l'ataxie locomotrice progressive se
manifestent pendant des années consécutives, sans qu'à
l'autopsie on découvre aucune altération des centres
nerveux, des racines rachidiennes ni des nerfs périphé-
riques.
Déjà quelques auteurs ont été conduits à peuser que,
dans certaines circonstances, l'irritation spinale peut
revêtir une symptomatologie analogue à celle du
tabes.
M. Rockwill' estime que plusieurs malades consi-
dérés comme des ataxiques guéris n'avaient que de l'ir-
ritation spinale. M. Kowalewski' a rapporté, sous le
nom caractéristique de Tabes cloî,sualis illusoria une
curieuse observation de faux tabes développé à la suite
1 Dejérine. Etude sur le Nervo-Tabes péripJtériqtte. (Archives de
Physiologie, 1881.)
. 2 Krùcke. Die Pseudo-Tabes de;' Alcoholiker. (Dezttsche ièe(l. Zeili41lg,
18Si.)
1 Lôwenfeld.- Ueber Spinallahntung mit Alaxie. (Archiv. fiir Psychia-
li-ie und Nervenkrankhciten, 1881.)
4 Iloriiliardt. - Ueber dic multiple Newitis der alcoholiste71. (Zeilscli.
f. 6lit. Aledicitt, 1886.)
s Pribram. Et ? ; Fait voit netclliplctt Neuritis. jNetcrol. Cenfralb., 1886,
p. 212.)
'" Rockwill. ilezv-1-o ? ,k médical Journal, 1881.
7 Kowalewski. Ce71ti-alblait sur Nerucnkeillacnde, von Erlenmeyer,
1881.
342 CLINIQUE NERVEUSE.
des émotions résultant de la vie en commun avec un
vrai tabétique.
M. Leval-Piqueclief consacre un chapitre de sa
thèse à l'étude du pseudo-tabes des névropathes. Il rap-
porte quatre observations inédites de malades se plai-
gnant de douleurs fulgurantes, de crises gastralgiques,
d'incoordination des mouvements, etc. Au point de vue
symptomatique, c'étaient des tabétiques, mais c'étaient
des tabétiques sans lésions organiques, car ils gué-
rirent tous après quelques semaines ou quelques mois
de traitement.
Dans l'observation dont je vais rapporter les détails,
les symptômes tabétiques persistaient depuis une di-
zaine d'années. Ils étaient si nombreux et paraissaient
si précis que tous les médecins qui ont vu le malade
ont porté, sans réserves, le diagnostic d'ataxie loco-
motrice progressive. J'ai moi-même partagé cette
erreur et à diverses reprises j'ai montré ce malade à
ma clinique comme un exemple d'ataxie confirmée.
Aussi ai-je été fort surpris de ne trouver à l'autopsie
aucune altération appréciable de la moelle ni des
racines postérieures. Je pouvais encore supposer qu'il
s'agissait, dans l'espèce, d'un cas de pseudo-tabes
névritique. Je recueillis, pour m'en assurer, un grand
nombre de nerfs périphériques; j'en fis l'examen his-
tologique avec tous les soins possibles, et, à mon
grand étonnement, je n'y pus constater aucune lésion
inflammatoire ou dégénératrice.
Quelle que soit l'interprétation qu'on veuille donner
à ce fait, il me paraît assez curieux et assez imprévu
' Lcvat-Piqueehef. Des Pseudo-Tabes. Th. doct. Paris, 1885.
SUR UN CAS DE PSEUDO-TABES. 343
pour mériter l'attention, car, à ma connaissance, il
n'existe pas encore dans la science un seul exemple de
pseudo-tabes névropathique ou par irritation spinale
ayant eu une durée aussi prolongée, s'étant terminé
par la mort et ayant été suivi d'une autopsie régulière
avec examen histologique des centres nerveux et des
nerfs périphériques.
Observation.
Homme de quarante-quatre ans. Pas d'hérédité névropathique. Pas
de syphilis ni d'alcoolisme. Excès vénériens habituels.
En 4 876, à l'âge de trente-cinq ans, crises de courbature muscu-
luire. - En 1877, crises de douleurs aiguës, lancinantes siégeant
primitivement dans la hanche droite et s'étendant plus lard ci la
gauche. Polyurie. En 1880, douleurs en ceinture . Incertitude de
la marche. Sensations de gonflement des pieds et de dénivellement.
Signe de Rorn6eg. Excitation génitale suivie de frigidité. De
1 88 ci 886, troubles de la miction, tenesme rectal, crises gastriques.
Douleurs fulgurantes types. Persistance de l'incoordination motrice.
Pas de troubles de la vue, ni de troubles trophiques. Réflexes rotu-
liens conservés. Mort de pleurésie tuberculeuse.
Autopsie. Pas de sclérose de la moelle. Pas d'atrophie des racines
postérieures. Intégrité des nerfs phériphériyues.
Pur.. (Jean), né en 1 842, contre-maître dans une forge, est
entré dans mon service à l'hôpital Saint-André de Bordeaux, le
27 avril 4881, pour des crises douloureuses et de l'incoordination
des mouvements des membres inférieurs.
Antécédents héréditaires Pare, mort en 1856, de la fièvre jaune
dans les colonies. Mère, morte d'un accès de fièvre pernicieuse,
contractée à Talaliassec (Floride). Ni l'un ni l'autre n'était atteint
d'affections nerveuses. Pas de renseignements sur les grands
parents.
Antécédents personnels. Pur.. a passé une partie de son
enfance danz la Louisiane. Plus tard, il a navigué pendant trois
ans, dans les mers du Sud et de l'Inde. I ! s'est ensuite fixé au
Sénégal où il est resté deux ans et demi, sans avoir aucune des'
maladies endémiques si fréquentes dans ce pays. Il n'a eu, en
particulier, ni fièvre jaune, ni fièvres intermittentes.
Rappelé en France pour faire son service militaire, il a eu, à
vingt ans, deux blennorrhagies sans gravite. Il affirme qu'il n'a
344 CLINIQUE NERVEUSE.
jamais eu de chancres. Pendant la guerre franco-allemande, il
a été rappelé sous les drapeaux comme ancien militaire et incor-
poré dans le 34° régiment de marche. Frappé d'un coup de sabre
au combat de Beaune-la-Rolande, il fut renversé et foulé aux
pieds par des chevaux; mais ses blessures furent peu graves, car,
après quinze jours du traitement, il put quitter l'ambulance et
rejoindre son régiment qui faisait alors partie de l'armée de
l'Est. Durant les derniers temps de la campagne, il coucha pres-
que toutes les nuits sur la neige, avec ou sans feu, et eut beau-
coup à souffrir du froid. Néanmoins, sa santé ne fut pas sérieuse-
ment ébranlée, puisqu'aussitôt qu'il fut licencié il entra en qualité
de contre-maître dans une fonderie des environs de Bordeaux.
Jusqu'en 1876 (c'est-à-dire jusqu'à l'âge de trente-cinq ans), il
se porta parfaitement bien. Doué d'une intelligence remarquable,
parlant couramment cinq langues vivantes, actif, laborieux,
il ne faisait, assure-t-il, aucun excès de boisson; mais il aimait
beaucoup les femmes et abusait des plaisirs vénériens.
Début et marche de lamalaiie. -Le premier symptôme morbide
apparut dans le courant de l'année 1876, et fut constitué par des
crises de courbature musculaire. Sans avoir fait de travaux pénibles
Pur.. éprouvait de temps en temps une sensation de fatigue qui
augmentait rapidement et l'obligeait à appuyer son dos sur un
plan résistant ou à se coucher. Après trois quarts d'heure ou
une heure de repos, la courbature se dissipait et Pur.. reprenait son
travail. Ces crises survenaient aussi bien dans la matinée que dans
l'après-midi; elles se reproduisaient tous les deux jours en moyenne,
sans régularité. Quelquefois, par exemple, il en arrivait plusieurs
dans la même journée, tandis que d'autres fois il s'écoulait quatre
ou cinq jours entre deux crises successives. La sensation de cour-
bature siégeait uniquement dans les lombes ; jamais elle ne
s'étendait aux membres. « J'éprouvais, dit Pur ? sans avoir fait
aucun exercice exagéré, un sentiment de fatigue, de brisement
musculaire tout à fait semblable à celui que j'avais ressenti
quelquefois pendant la guerre après de longues étapes faites le
sac au dos. » Mais il n'attachait aucune importance à un phéno-
mène qui se dissipait toujours spontanément après un moment
de repos.
Ces crises de courbature musculaire persistèrent pendant les
mois d'avril, mai, juin et juillet 1876. Puis elles disparurent sans
que le malade ait fait aucun traitement, et durant l'hiver de 1876-
1877, Pur... n'éprouva aucun symptôme nouveau :
Dans les premiers mois de 1877, il commença à ressentir des
douleurs aiguës dans la hanche droite. Ces douleurs survenaient
habituellement le matin, au saut du lit, et elles s'apaisaient assez
rapidement par le fait de la marche. Elles étaient très vives,
SUR UN CAS DE PSEUDO-TABES. 345
instantanées et si brusques qu'elles faisaient souvent tressauter le
malade. Elles siégeaient, pendant les premières semaines qui
suivirent leur apparition, sur la hanche droite seule, mais plus
tard, elles s'étendirent à la hanche gauche. Vers le mois de juin
1877, Pur... souffrit en outre de picotements désagréables siégeant
à la région lombaire de la colonne vertébrale. Comme à cette
époque il rendait une quantité excessive d'urines (jusqu'à quatre
litres par vingt-quatre heures), on pensa qu'il avait une affection
rénale(quoiquel'analyse de l'urine ne révélât rien d'anormal dans
la composition de ce liquide) et on le soumit à un traitement
approprié : cautères le long de la colonne vertébrale, bains de
vapeur, iodure de potassium à l'intérieur.
Sous l'influence de ce traitement, les douleurs rachialgiques et
la polyurie parurent s'atténuer. Pur...reprit son travail, souffrant
toujours de temps en temps de ses douleurs aiguës dans les
hanches, et resta sans accidents nouveaux jusqu'au mois de mars
1880. A cette époque, les crises douloureuses devinrent plus
violentes et plus rapprochées. En outre, dans leurs intervalles, le
malade commença à souffrir d'une douleur fixe constrictive, for-
mant ceinture autour de la partie inférieure du ventre et du
bassin. a J'avais, dit-il, le bas du ventre et le haut des cuisses
oorume serrés dans un filet à mailles étroites. A certains moments
la constriction devenait extrêmement violente, puis elle dimi-
nuait, mais elle ne disparaissait jamais complètement. »
En même temps apparut un symptôme important : l'incertitude
de la marche. Le malade s'aperçut d'abord qu'il lui était difficile
de monter les escaliers ; il lançait ses pieds au delà du but à
atteindre ; il s'entravait ; il n'avait plus d'équilibre. Ses pieds
étaient le siège d'une sensation bizarre ; ils lui paraissaient tou-
jours enflés. Un peu plus tard, il lui sembla que le sol était mou
«comme du coton ». Enfin il éprouva une sensation encore plus
désagréable qu'il décrit sous le nom de sensation de dénivellement,
et dont voici les caractères : chaque fois qu'il appuyait les pieds
par terre, il sentait le sol s'enfoncer de trois à six centimètres et
c'est seulement après avoir subi cet enfoncement que le pied lui
paraissait solidement fixe sur un plan résistant. Les troubles de
la coordination motrice augmentaient considérablement dans
l'obscurité. Quand le malade voulait marcher les yeux- fermés,
ses jambes se dérobaient sous lui, la sensation de dénivellement
augmentait et, en fin de compte, il était obligé de s'accrocher à
un soutien solide pour ne pas tomber.
Une violente excitation génitale coïncida avec l'apparition des
symptômes que nous venons d'énumérer. De mars à juillet 1880,
Pur.. avait des érections interminables et comme il vivait avec
une maîtresse, il se livrait avec une ardeur excessive aux plaisirs
de l'amour. Vers le mois d'août les érections devinrent incomplètes
346 CLINIQUE NERVEUSE.
et inefficaces, mais il y avait de fréquentes éjaculations noctur-
nes survenant à la suite de rêves érotiques ou même sans rêves,
et non accompagnées de sensations voluptueuses.
Vers la fin de 1880 et le commencement de 4881, le malade
eut à plusieurs reprises de la difficulté à uriner et de faux besoins
d'aller à la garde-robe. Quand ces accidents survenaient, il ne
pouvait pisser debout; il était obligé de s'accroupir et de faire des
efforts prolongés. Il lui semblait aussi que son rectum était rempli
de matières dures prêtes à sortir, et quand il se présentait à la
garde-robe, il faisait d'inutiles efforts pour expulser des matières
qui n'existaient pas. Des traitements variés ayant été employés
sans succès pour combattre ces divers accidents, Pur.. se décida à
entrer à l'hôpital Saint-André le 27 avril 1881.
Etat actuel en mai 1881. Pur., est un homme robuste,
vigoureux, puissamment musclé. Son intelligence et sa mémoire
n'ont subi aucune altération. Il fait avec une lucidité parfaite le
récit des souffrances qu'il a éprouvées depuis 1876. Il se plaint
surtout de la violence et de la fréquence des crises douloureuses
siégeant dans les hanches, et de la difficulté constante qu'il
éprouve à se maintenir en équilibre dans la station verticale ou
dans la marche.
Les douleurs surviennent par crises tous les deux à six jours.
Elles sont d'une violence excessive. « Il me semble, dit le malade,
qu'on m'arrache tout à coup l'os de la cuisse et qu'aussitôt après
on le remet en place avec une brutalité excessive. Cela ne dure
qu'un instant, moins d'une seconde assurément, mais c'est atroce-
ment douloureux. Et puis cela se reproduit toutes les minutes
ou toutes les deux minutes pendant des heures entières.» Quand
la crise est terminée, il ne reste après elle aucun retentissement
douloureux dans la hanche : la pression sur les trochanters est
indolente ; l'articulation coxo-fémorale ne parait être le siège
d'aucune lésion.
L'incoordination motrice existe seulement dans les membres in-
férieurs. La marche n'est pas impossible, mais elle est difficile.
Pur., se promène cependant une partie de la journée, en s'ap-
puyant sur une canne. Il s'avance alors les jambes très écartées,
comme s'il n'était pas sûr de conserver l'équilibre, le corps voûté
en avant. Il lance les pieds au delà du but à atteindre et laisse
retomber fortement ses talons sur le sol. Il a toutes les peines du
monde à monter un escalier. Si on le prie de marcher les yeux
fermés, il chancelé et est incapable de progresser. Il lui est égale-
ment impossible de marcher à reculons que les yeux soientouverts
ou fermés. Avec le secours de la vue, il peut se tenir un instant sur
une seule jambe, mais aussitôt qu'il ferme les paupières, il perd
l'équilibre et est obligé, pour ne pas tomber, de se remettre sur les
deux jambes. ,
SUR UN CAS DE PSEUDO-TABES. 347
L'énergie de la contraction des muscles des membres inférieurs
est normale. Quand on dit à Pur.. de tenir ses jambes étendues et
qu'on essaie de les fléchir de force, il oppose une résistance con-
sidérable. Le dynamomètre placé dans le jarret marque, quand
le malade fléchit la jambe sur la cuisse, 19 kilos du côté droit
et 24 kilos du côté gauche. Malgré cette conservation apparente
des forces, le malade se fatigue rapidement etserait incapable de
faire une longue course.
Il n'y a pas d'atrophie musculaire, ni d'adipose sous-cutanée, ni
de troubles trophiques de la peau ou des ongles.
La sensation de position des membres inférieurs est bien con-
servée. Les yeux fermés, le malade se rend très bien compte des
déplacements qu'on imprime à ses jambes, il reconnaît les posi-
tions qu'on leur donne, mais il dit que cette sensation est un peu
lente à se produire. Tandis qu'il sait toujours la position dans
laquelle on place ses membres supérieurs, il a besoin d'un instant
d'attention pour avoir la notion précise de la position qu'occupent
ses membres inférieurs. Il ne lui arrive pas de perdre ses jambes
dans son lit.
La sensibilité cutanée est obtuse. Les piqûres pratiquées sur
les pieds et les jambes sont perçues avec un léger retard et avec
un dédoublement des sensations par suite duquel le malade per-
çoit d'abord un contact simple, puis une piqûre. Ces deux sensa-
tions successives sont séparées par un intervalle très court, un
dixième de seconde environ. C'est peut-être à ce phénomène du
dédoublement des perceptions qu'il faut rapporter la sensation de
dénivellement, qui contribue pour une large part à rendre la mar-
che incertaine et hésitante. Dans tous les cas, si on fait marcher
le malade sur les genoux il éprouve la même sensation d'affaisse-
sement du sol que lorsqu'il appuie sur les pieds.
Le chatouillement plantaire est bien perçu et les réflexes consé-
cutifs à ce chatouillement sont normaux. - Le réflexe crémas-
térien est conservé : le soulèvement du testicule est plus fort à
droite qu'à gauche. Les réflexes rotuliens ne sont pas abolis. Ils
persistent même après l'élliérisation locale, jusqu'à insensibilité
absolue, delà peau qui recouvre les tendons rotuliens. La percus-
sion des muscles triceps donne lieu à une contraction brusque,
comme chez les sujets sains. Il n'y a rien d'anormal dans les
membres supérieurs.
Les pupilles sont égales, mais rétrécies. Elles réagissent norma-
lement à la lumière et aux efforts d'accommodation. Lemalade n'a
jamais eu de diplopie. Sa vue est bonne.
Après un séjour de quelques mois dans le service, Pur... quitta
l'hôpital et reprit ses fonctions dans une fonderie. Il éprouvait
beaucoup de peine à se diriger dans l'usine, au milieu des
348 CLINIQUE NERVEUSE.
machines, des foyers et de la fonte en fusion. Il fit souvent des
chutes dangereuses. On utilisa alors son activité dans les ateliers
de dessin où il pouvait rendre des services, sans être exposé à des
accidents.
Il revint à l'hôpital en octobre 1883 et les notes recueillies à cette
époque signalent quelques modifications importantes dans les
symptômes de la maladie. J'y trouve consignées les particularités
suivantes : « Depuis un an environ, le malade a dans les membres
inférieurs de véritables crises de douleurs fulgurantes. Elles sur-
viennent à des intervalles irréguliers, et ne durent jamais plus de
quelques heures. Elles éclatent surtout le soir, après le coucher,
quand la chaleur du lit commence à se faire sentir. Les douleurs
ont le caractère de fulgurations très rapides partant de la région
des fesses et éclatant tout à coup « comme des fusées » dans les
jambes et les cuisses. Dans leurs intervalles, il y a souvent des
crampes très pénibles dans les muscles des membres inférieurs.
Depuis que ces crises fulgurantes ont fait leur apparition, les
tiraillements des hanches ont disparu. La douleur en ceinture est
plus fréquente qu'autrefois, mais moins violente. »
En mars eten juillet 1883, le malade a eu deux grandes crises
gastralgiques. La première a duré six jours, la seconde quinze.
Ces crises étaient caractérisées par des douleurs intolérables,
accompagnées de vomissements glaireux peu abondants. Pendant
toute leur durée il y eut une sialorrhée abondante et du ténesme
rectal.
Dans l'état actuel, rien à signaler, si ce n'est la persistance des
symptômes constatés en 1881. La démarche est toujours incertaine.
La sensation de dénivellement persiste. Le signe de Romberg
est très net. Les réflexes rotuliens sont conservés. Les piqûres
sont toujours perçues en deux temps (-1 contact, 20 piqûre). Pas
de troubles de la vue. Pas de troubles trophiques. Etat général
bon.
Dans le courant de l'année 1884, les symptômes précédemment
indiqués persistèrent sans modifications notables. Il y eut cinq ou
six crises gastralgiques. En 1885, le protocole de l'observation
signale que la sensibilité cutanée est plus obtuse qu'en 1883. Les
piqûres et les pincements pratiqués sur les membres inférieurs
sont perçus avec des retards considérables et de grosses erreurs
de lieu. Les sensations de chaleur sont mal appréciées. Un jour,
le malade se chauffant les pieds devant le feu, laissa brûler ses
chaussons sans s'en apercevoir. Les crises de douleurs fulgurantes
sont, en revanche, moins fréquentes et moins violentes. Les pico-
tements rachialgiques persistent ainsi que les douleurs en cein-
ture ; ces dernières ont même augmenté d'intensité.
La miction est habituellement facile. Pas d'appétence génésique.
SUR UN CAS DE PSEUDO-TABES. 349
Les érections sont rares, sans désir érotique. Pas de pollutions
nocturnes. Le testicule droit est beaucoup plus petit que le
gauche. Sa consistance est plus molle et sa sensibilité à la pression
et au choc est très affaiblie. Le malade ignore à quelle époque a
débuté cette atrophie testiculaire, mais il assure très catégorique-
ment qu'elle n'existait pas avant le début de sa maladie. 11 n'a eu,
du reste, ni orchite, ni variole, ni scarlatine, ni oreillons,
ni syphilis qui puissent en être la cause. Le testicule gauche
n'a pas diminué de volume. Sa sensibilité à la pression et sa con-
sistance sont normales.
Le réflexe au chatouillement plantaire est aboli. Le réflexe
rotulien est normal à gauche et légèrement affaibli à droite.
Pas de dystrophie de la peau ou des ongles. Pas d'atrophie mus-
culaire. Le goût, l'ouïe, l'odorat sont normaux. Pupilles égales,
réagissant bien à la lumière et à l'accommodation, myosis légère.
Après être sorti de l'hôpital dans les premiers mois de 1886,
Pur... y revint une dernière fois en novembre. Il fut admis dans
le service de M. Riquard et présentait, parait-il, les mêmes symp-
tômes tabétiques qu'autrefois. Quelques joursaprès son admission,
il se plaignit d'un violent point de côté. Puis il fut pris de fièvre,
de dyspepsie intense avec tendances à la syncope et finalement
il succomba le 5 décembre 1886. M. Riquard voulut bien m'au-
toriser pratiquer son autopsie le lendemain.
Autopsie. En enlevant le plastron sternal, on remarque que
le tissu cellulaire du médiastin antérieur est oedémateux, infiltré
de sérosité louche, blanchâtre et parsemé de nombreux gan-
glions lymphatiques tuméfiés au point d'avoir souvent le volume
de grosses amandes. La cavité pleurale droite renferme un épan-
chement enkysté de un litre environ de liquide sanguinolent. La
loge formée en bas par le plan supérieur du diaphragme, en
haut par le poumon refoulé, en dedans par le médiastin, et en
dehors par la cage thoracique, est tapissée de fausses membranes
épaisses, très vasculaires, renfermant des milliers de granulations
tuberculeuses. Les deux poumons sont également infiltrés de
tubercules miliaires. Le foie a son volume normal; il renferme
dans un de ses canaux biliaires un calcul arborisé dont la branche
principale a le volume d'une plume d'oie. Le coeui, est sain. Les
reins ne présentent pas d'altérations appréciables. Les muqueuses
de l'estomac et de l'intestin sont normales.
Les méninges céphaliques, le cerveau, le cervelet, la protubérance,
le bulbe rachidien ont toutes les apparences de l'état normal. On
ne remarque pas de dégénérescence grise des nerfs crâniens.
La moelle épinière est enlevée avec précaution. Après incision
longitudinale de la dure-mère, on aperçoit les méninges rachi-
diennes qui paraissent tout à fait saines. Pas d'épaississement
350 CLINIQUE NERVEUSE.
de la pie-mère. Pas de néo-membranes de l'arachnoïde. -Les
racines postérieures ont le volume et l'aspect chatoyant qu'elles
présentent dans les conditions normales. La moelle elle-même
est ferme. Ni à sa surface ni sur les coupes transversales on ne
distingue de teinte grisâtre au niveau des cordons postérieurs. Les
substances blanche et grise sont bien distinctes ; elles paraissent
inaltérées. Plusieurs ganglions rachidiens, enlevés avec la gouge
dans les trous de conjugaison se 'présentent avec la forme, le
volume et la consistance de ganglions normaux.
La moelle a été plongée aussitôt après l'.autopsie dans une solu-
tion de bichromate d'ammoniaque à 2 p. 100, où elle est restée
jusqu'à ce qu'elle soit assez dure pour qu'on y puisse pratiquer
des coupes minces destinées à l'examen histologique. Un grand
nombre de tronçons de nerfs périphériques, plusieurs paires de
racines rachidiennes et quelques nerfs viscéraux ont été placés
pendant vingt-quatre heures dans de petits flacons soigneusement
étiquetés et renfermant chacun quelques centimètres cubes
d'acide osmiquè en solution aqueuse à 1 p. 150. Ils ont été ensuite
lavés, dissociés, colorés au picro-carmin ou à la glycérine éosinée
et montés en préparations persistantes.
Examens histologiques. 1° Moelle épinière. Sur les coupes
transversales provenant des différentes régions de la moelle (cer-
vicale, dorsale et lombaire), colorées au carmin ou à l'hématoxy-
line de Weigert et clarifiées par les procédés ordinaires, on ne
trouve nulle part de taches scléreuses. Les cornes dé substance
grise et les cordons blancs ont les apparences de l'état normal :
cellules et tubes sont également sains. Le tissu conjonctif inter-
tubulaire n'est pas épaissi. Dans les cordons de Goll et les zones
radiculaires externes, en particulier, rien n'indique l'existence
d'une sclérose confirmée ou d'un début d'altération scléreuse.
La seule particularité digne d'être signalée, c'est que les parois
des vaisseaux sanguins sont, dans toutes les hauteurs de la moelle,
plus denses et plus épaisses qu'à l'ordinaire. Il semble qu'il y ait
une légère périartérite diffuse. faut ajouter que les artères ainsi
altérées ne forment pas des centres d'où s'irradient des travées con-
jonctives élargies : l'altération est limitée aux parois vasculaires ;
elle ne s'étend pas au delà. Ajoutons encore que cet épaississement
des parois vasculaires est peut-être un peu plus manifeste dans le
segment postérieur de la moelle (cordons et cornes), mais qu'il
existe aussi dans les cordons latéraux et dans les cornes antérieures.
2° Racines rachidiennes. Quatre paires de racines rachidiennes
provenant des régions dorsale et lombaire de la moelle ont été
dissociées et soumises à l'examen : Il a été impossible d'y consta-
ter la moindre altération. Les racines postérieures renferment,
aussi bien que les antérieures, des fibres nerveuses intactes, pour-
SUR UN CAS DE PSEUDO-TABES. 351
vues de gaines de myéline saine, sans 'fragmentation ni atro-
phie.
3° Nerfs périphériques. - Douze fragments de nerfs périphériques
ont été dissociés après l'action de l'acide osmique et examinés au
microscope. Ils provenaient des nerfs suivants : 1° cubital droit ;\
2° dixième nerf intercostal droit; 3° sciatique gauche; 4° crural gauche;
5° et 6° sciatiques poplités interne et externe gauches; 70 et 80 scia-
tiques poplités interne et externe droits; 9° tibial antérieur gauche ;
10° tibial antérieur droit; 11 - mîiscitlo cutané gauche; 4 2' musculo-
cutané droit.
Tous ces nerfs, sans exception, sont dans un état parfait d'inté-
grité, Quelques filets cutanés, recueillis dans la peau du scrotum,
sont également tout à fait normaux.
Nerfs viscéraux. Parmi les nerfs viscéraux soumis à l'examen
histologique, les grands splanchniques , les pneumo-gastriques, les
laryngés supérieurs droits et gauches, le récurrent droit et le phi,é-
nique droit sont sains.
Le récurrent gauche, au contraire, présente de grosses altérations.
Il ne renferme pour ainsi dire plus de tubes nerveux à myéline.
Il est composé presque exclusivement de fibres atrophiées, d'aspect
ruhanné, très difficiles à isoler les unes des autres par la dissocia-
tion.
Les nerfs de l'estomac et du coeur paraissent également altérés.'
Les quelques fibres rnyéliniques qu'on y rencontre à l'état normal
ont disparu ; on n'aperçoit que des fibres sans myéline.
Quant aux fibres de Remak qui se trouvent toujours en grande
abondance dans ces nerfs, les procédés que nous avons employés
ne permettent pas de déterminer avec précision si elles sont saines
ou altérées.
En résumé, un homme de trente-cinq ans, fort,
vigoureux et d'une bonne santé antérieure est pris, sans
cause connue, d'accidents nerveux variés analogues à
ceux qui caractérisent l'ataxie locomotrice progressive :
douleurs à type fulgurant, incoordination motrice des
membres inférieurs, crises gastralgiques, etc. Ces acci-
dents persistent pendant près de dix ans. Le malade
meurt d'une affection tuberculeuse aiguë intercurrente
et, à son autopsie, on ne découvre aucune altération
organique de la moelle, ni des racines rachidiennes,-
352 CLINIQUE NERVEUSE.
ni des nerfs périphériques. A peine trouve-t-on quelques
lésions dans certains nerfs viscéraux. Tel est le fait
brutal.
On pourrait peut-être, en analysant après coup les
symptômes présentés par ce malade, faire des réserves
sur la légitimité du diagnostic porté durant sa vie; dire,
par exemple, que la conservation des réflexes rotuliens,
l'absence de troubles des réactions pupillaires auraient
dû faire écarter l'hypothèse du tabes. En fait, l'objec-
tion ne serait pas très sérieuse, car jamais on ne trouve
réunis sur un même malade tous les symptômes tabé-
tiques connus.
On pourrait supposer encore qu'il s'agissait, dans
l'espèce, d'un simulateur se jouant de la crédulité des
médecins qui lui donnaient des soins, mais il suf-
fira d'un instant de réflexion pour écarter cette sup-
position. Une simulation de ce genre, prolongée pen-
dant dix ans, impliquerait une telle habileté, une telle
force de volonté que vraiment il est impossible de croire
à sa réalité. Et dans quel intérêt Pur... aurait-il dé-
pensé tant d'astucieuse persévérance ? C'était un homme
fort intelligent, actif, parlant et écrivant cinq langues
vivantes. Il lui était très facile de trouver hors de l'hôpi-
tal des moyens d'existence. Pourquoi donc se serait-il
appliqué pendant si longtemps à simuler des souffrances
qu'il n'éprouvait pas ? 2
Notre malade présentait bien réellement, cela est
certain, les symptômes tabétiques dont il se plaignait.
Cependant l'autopsie n'a pas permis de découvrir les
lésions habituelles du tabes. En faut-il conclure que
l'ataxie locomotrice soit une névrose ? Non, assuré-
ment. Mais il faut admettre qu'il existe, dans certains
UN CAS DE PSEUDO-TABES. 353
cas, des troubles fonctionnels susceptibles de donner
lieu à un ensemble de symptômes analogues à ceux
qui caractérisent le tabes. L'anatomie pathologique
a rendu assez de services pour qu'on puisse sans
inconvénients avouer que, dans l'état actuel de la
science, elle est impuissante à fournir la raison maté-
rielle de tous les phénomènes morbides. On possède
déjà plusieurs observations dans lesquelles des méde-
cins expérimentés, ayant posé, durant la vie du malade,
le diagnostic de sclérose en plaques ou de paralysie
bulbaire progressive, ont été surpris de ne découvrir
à l'autopsie aucune altération appréciable du cerveau
ou de la moelle épinière'. Rien n'est plus difficile,
du reste, que de reconnaître si un symptôme nerveux
quelconque est déterminé par une lésion organique
préexistante ou s'il est le résultat d'un simple trouble
fonctionnel. Les accidents qui paraissent relever le plus
sûrement des lésions organiques, tels que l'hémiplégie,
l'hémianesthésie, l'hémichorée, l'hémiathétose, l'épi-
lepsie jaclesonienne, etc., sont, dans un bon nombre
de cas, indépendants de toute altération matérielle des
centres nerveux. L'apoplexie elle-même est quelquefois
le résultat d'un simple trouble dynamique de l'encé-
phale et rien ne ressemble plus à l'état apoplectique
causé par une vaste hémorrhagie cérébrale, que l'état
malades atteints de paralysie générale, de sclérose en
' Voir à ce sujet : Westphal, Ueber eiize ? 7z dent Bilde dei, cerebro-
spinalen grauezt Degeneration Ch2liche Eiki-an4-ii ? zg des cett<)'s7 ! 11'eruen-
syste ? ? zs oh ? ie a7zatomische ? z Befund (Archiv. sur Psychiatrie und Nerven-
ke-ankheilen, t. VIII, 1833) ; J. Babinski, Etude analonzique et clinique sur
la sclérose en plaques (Th. doct. Paris, 1885); Oppenheim, Ueber einent
Fait von chronischer progressive)- l3zslbfirpnz·alyse oh7ze anatontischen
Refiiiid (V2,chows Archiv., Il·1 108, 1887), etc.
Ancmves, t. XV. 23
354 CLINIQUE NERVEUSE.
plaques ou de tabes, quoiqu'on ne trouve à l'autopsie
de ces derniers aucune lésion en foyer pouvant expli-
quer le coma et la mort.
Somme toute, il n'est pas plus étonnant de rencon-
trer des pseudo-tabes que des pseudo-scléroses en
plaques, des pseudo-paralysies bulbaires ou des pseudo-
apoplexies. Nous ne comprenons pas encore le méca-
nisme de ces troubles fonctionnels, mais qu'importe ? 2
Nous en sommes encore à la période d'élaboration pré-
paratoire dans laquelle on recueille des documents sans
savoir à quelle synthèse ils pourront servir plus tard.
Ne nous hâtons pas trop d'expliquer et de conclure;
ayons plutôt la sagesse d'attendre que des recherches
ultérieures fournissent l'interprétation des faits qui
nous semblent aujourd'hui inexplicables.
NOUVELLES ÉTUDES SUR LE ROLE DE LA PRÉDISPOSITION
NERVEUSE DANS L'ÉTIOLOGIE DE LA PARALYSIE FACIALE
DITE A F,11[GOIiE,-
Par le Dr E. NEU)IANN.
Au mois de juillet dernier, nous avons publié, dans
cette revue, un mémoire consacré à l'Etude des condi-
tions êliologiques de la paralysie faciale. Laissant de
côté les hémiplégies de la face provoquées par une
hémorrhagie ou par un ramollissement du cerveau,
les paralysies de la septième paire placées sous la
dépendance de la syphilis cérébrale, celles qui peu-
vent être occasionnées par un traumatisme ou par
DE LA PARALYSIE FACIALE. 355
une carie du rocher, en un mot toutes les paralysies
se rattachant à une lésion bien déterminée, nous
n'avons visé que les hémiplégies de la septième paire,
dites périphériques, appelées aussi à frigore ou rhuma-
tismales et nous avons cherché à démontrer, en res-
tant exclusivement sur le terrain de la clinique, que
dans toutes ces paralysies faciales, connues autrefois
sous le nom d'idiopathiques, la part étiologique pré-
pondérante revenait toujours à la prédisposition ner-
veuse héréditaire.
Les 17 cas rapportés dans notre travail nous avaient
paru suffisamment démonstratifs pour entraîner notre
conviction et légitimer notre manière de voir ; néan-
moins nous ne croyons pas devoir passer sous silence
les observations nouvelles que nous avons pu recueil-
lir ; loin d'infirmer nos premières conclusions, ces
faits nouveaux viennent, au contraire, les corroborer
de tous points et prouver que la théorie du froid, qui
n'a pour elle que l'ancienneté et la tradition, est en
contradiction flagrante avec l'observation clinique. Si
cette doctrine, qui consiste à mettre au premier plan
le froid ou toute autre cause occasionnelle, a jusqu'à
présent régné sans partage, cela tient à ce que l'action
des circonstances extérieures et celle du froid en
particulier, sont, en apparence, chez un certain nom-
bre de sujets, les seules influences étiologiques sai-
sissables. Mais une analyse rigoureuse des faits et
surtout une étude attentive, portant sur les antécé-
dents des malades, sur leurs antécédents de famille,
nous apprennent que toutes les causes habituellement
invoquées pour expliquer l'origine de la paralysie
faciale, sont purement secondaires et qu'elles se trou-
356 CLINIQUE NERVEUSE.
vent entièrement subordonnées à ce facteur puissant
qui s'appelle l'hérédité nerveuse.
Si, au lieu d'établir l'étiologie de la paralysie
faciale avec des hypothèses banales, on veut la faire
avec des réalités, ce n'est pas dans les influences exté-
rieures, mais dans le sujet lui-même, dans sa famille
qu'il faut chercher la source du mal. Ces enquêtes sur
l'hérédité, il faut bien le dire, ne sont pas faciles. A
l'hôpital, on est en présence d'individus ignorant très
souvent les tares physiques qui ont pu entacher leur
famille et incapables de donner aucune indication pré-
cise. Il importe alors de s'enquérir avec soin des anté-
cédents personnels du sujet et de s'attacher aux
moindres faits de son existence : Presque toujours, on
est en présence de névropathes, qui antérieurement à
leur hémiplégie de la face, avaient eu d'autres acci-
dents nerveux, tels que des tics, des convulsions, des
névralgies, des migraines, etc. En ville, on se heurte
à une autre difficulté : c'est la discrétion voulue des
malades qui s'efforcent de dissimuler au médecin les
affections nerveuses et surtout les affections vésani-
ques qui ont pu frapper certains membres de leur
famille. Mais si, au lieu de se contenter d'un seul
examen et de s'en tenir à un premier interrogatoire
qui ne donnent en général que des résultats négatifs,
on se livre à des enquêtes et à des investigations
répétées, on arrive à recueillir des renseignements
précieux et à obtenir des confidences qui éclairent
d'un jour nouveau l'origine de la maladie. Le dossier
des antécédents de chaque sujet se complète peu à
peu et le dépouillement des observations apprend au
médecin qu'il y a dans la famille des hystériques, des
DE LA PARALYSIE FACIALE. 357
choréiques, des épileptiques, des individus atteints de
paralysie générale ou d'aliénation mentale sous une
forme quelconque, etc. Et alors cette paralysie faciale
qui apparaissait, au premier abord, comme un accident
imputable au froid, à une émotion ou à tout autre
facteur banal, n'est plus qu'un épisode nerveux en
parfaite connexion avec le passé du sujet et intime-
ment lié aux maladies de ses ascendants et de ses
collatéraux.
Telles sont les déductions auxquelles nous avait
conduit l'étude des faits relatés dans notre premier
mémoire, tels sont aussi -les enseignements qui se
dégagent pour nous des documents cliniques dont
l'exposé va suivre.
Observation I. L... (Catherine), quarante-huit ans, blanchis-
seuse, se présente au service d'électrothérapie de la Salpêtrière le
4 juillet 1887, avec une paralysie faciale du côté droit.
Pas de renseignements au point de vue des antécédents de famille.
Antécédents personnels : Bien réglée, depuis l'âge de quatorze ans;
n'a jamais eu d'enfant; à l'âge de vingt ans, sciatique du côté
droit qui a persisté pendant cinq mois environ. Cette malade, très
impressionnable nous dit qu'elle souffre habituellement de maux de
tête ; depuis trois ans environ elle a des douleurs névralgiques
occupant le côté gauche de la face et revenant fréquemment, mais
à des périodes irrégulières; ces douleurs ont disparu complète-
ment depuis deux mois. Il y a quinze jours, le 27 juin, elle a été
prise sans cause connue d'une paralysie faciale occupant le côté
droit. L'hémiplégie porte sur toutes les branches du facial droit.
Il résulte de l'exploration électrique que les réactions faradiques
sont légèrement diminuées. Pas d'altérations soit qualificatives
soit quantitatives de la contraction galvanique.
Observation II. G... (Louise), couturière, âée de trente ans,
vient nous consulter le 5 octobre 1887. Pas de renseignements
précis sur les antécédents de famille. Antécédents personnels :
Rougeole et coqueluche dans la première enfance. Réglée à
quinze ans, Louise G... a toujours été très nerveuse depuis l'époque
de la menstruation ; tendance facile au rire et aux larmes; n'a
jamais eu d'attaques de nerfs, ni de perte de connaissance; ? ni-
358 CLINIQUE NERVEUSE.
graines fréquentes. Mariée depuis dix ans, elle a eu deux enfants
dont l'aîné, âgé de douze ans, a actuellement la chorée ; l'autre
enfant, âgé de cinq ans, a déjà eu plusieurs fois des convulsions.
Il y a deux mois environ, elle a été prise brusquement, sans
cause connue pour elle, d'une paralysie faciale occupant le côté
gauche de la face. Tous les muscles innervés par le facial gauche
sont paralysés ; à l'exploration électrique on ne constate qu'une
légère diminution de la contractilité faradique.
Dans les deux observations qui précèdent, nos
recherches sur les antécédents n'ont pas abouti à des
résultats très précis et la question de l'hérédité ner-
veuse est restée en suspens, mais, malgré les lacunes
qu'elle présente, l'histoire de ces deux malades n'en
est pas moins probante et instructive. Les névralgies
faciales dont la malade de la première observation a
souffert à diverses reprises, la sciatique dont elle a été
atteinte, sa vive impressionnabilité ne laissent aucun
doute sur la susceptibilité native de son système ner-
veux. La paralysie faciale n'a pas été chez elle un
accident isolé, c'est un trouble nerveux de plus à
ajouter à ceux qui l'avaient précédée et qui consti-
tuent sinon des preuves absolues, du moins de fortes
présomptions en faveur de l'existence d'une tare
familiale.
Dans la deuxième observation, le terrain nerveux
apparaît plus manifestement encore; les antécédents
personnels suffiraient d'une part à prouver qu'il s'agit
d'une névropathe; d'autre part, si l'enquête a été
négative en ce qui concerne les ascendants et les col-
latéraux, les accidents nerveux dont ont été frappés
les deux enfants de la malade (le mari de celle-ci
n'étant ni nerveux, ni issu de souche névropathique)
sont là pour attester l'existence delà diathèse nerveuse
chez la mère.
DE LA PARALYSIE FACIALE. 359
Dans tous les faits dont la relation va suivre les
indications sur les antécédents de famille sont nettes
et concluantes et les preuves abondent en faveur de la
prédisposition nerveuse héréditaire.
Observation III. F... (Pauline), sans profession, quarante-un
ans, se présente à l'hospice de la Salpêtrière le 9 juin 1887. Elle a
une paralysie faciale du côté gauche qui date du 35 août 4881;, soit
depuis deux ans environ.
Antécédents de famille : Père bien portant, mère très nerveuse.
Un oncle maternel est épileptique, une sceccr de la malade est
morte de méningite à l'âge de cinq ans.
Antécédents personnels : Rougeole dans l'enfance. F... est très
nerveuse, elle a souvent des étouffements {boule hystérique), rêves et
cauchemars, insomnies fréquentes. Mariée depuis dix-huit ans, la
malade n'a eu qu'un enfant, qui est mort de méningite à trois ans.
F... croit avoir pris froid la veille du jour où elle a été paralysée;
elle ne sait toutefois, ajoute-t-elle, si c'est à un refroidissement ou
aux contrariétés vives qu'elle a éprouvées à ce moment-là qu'elle
doit rapporter l'hémiplégie faciale.
L'exploration électrique nous apprend que les muscles innervés
par le facial inférieur gauche, quoique paralysés, fonctionnent à
peu près normalement (légère diminution de l'excitabilité fara-
dique); il n'en est pas de même pour les muscles placés sous la
dépendance du facial supérieur et en particulier pour l'orbiculaire
des paupières, qui est manifestement contracturé.
Observation IV. D... (Jeanne), quarante-deux ans, employée
dans une manufacture, se présente au service d'électrothérapie,
le juin 1887, avec une paralysie faciale du côté gauche.
Antécédents héréditaires : Père mort à cinquante-neuf ans à la
suite d'une attaque d'apoplexie; mère très nerveuse, âgée aujour-
d'hui de soixante-dix ans, a été enfermée pendant quelque temps
dans un asile pour aliénation mentale. Un oncle maternel mort
aliéné, deux scezcrs de la malade mortes à la suite de maladies ner-
veuses ( ? ).
Antécédents personnels : Convulsions dans l'enfance. D... a eu, à
plusieurs reprises, des poussées d'eczéma à la face; elle affirme
n'avoir jamais eu d'attaques couvulsives, mais elle avoue qu'elle
est très nerveuse; elle se plaint surtout d' étouffements et d'une sen-
sation de construction ci la gorge. Les régions ovariennes sont un
peu sensibles sans être, à vrai dire, douloureuses; pas d'a-
nestliésie.
360 CLINIQUE NERVEUSE.
L'hémiplégie faciale date du mois d'octobre dernier; la malade
ne s'est pas exposée au froid et ne sait à quelle cause elle doit
rapporter la paralysie. L'impotence fonctionnelle porte sur tous
les muscles innervés par le facial gauche, à l'exception de l'orbi-
culaire des paupières qui, loin d'être paralysé, est, au contraire.
contracturé. La coutractilité faradique est diminuée dans tous
les muscles du côté gauche de la face; contractilité galvanique
normale.
Observation V. S... (Françoise), cinquante-cinq ans, cuisi-
nière, vient au service d'électrothérapie le 21 juin 1887; elle est
paralysée du côté gauche de la face.
Antécédents de famille : Père mort depuis dix ans à la suite d'une
maladie nerveuse ( ? ). Su mère, qui souffrait habituellement de mi-
graines et de névralgies, est morte, il y a huit ans, après être restée
hémiplégique du côté droit pendant trois ans. Grand'mère mater-
nelle, morte aliénée. Un frère de S... est paralysé depuis son en-
fance.
Antécédents personnels : Rougeole et coqueluche dans l'enfance.
Depuis l'âge de vingt ans, migraines revenant une ou deux fois par
mois. Il y a quelques années la malade a eu, à diverses reprises,
des attaques convulsives avec perle de connaissance. Ces crises con-
vulsives ne se sont pas renouvelées depuis deux ans environ ; niais
S... est toujours restée très nerveuse et très impressionnable . La
paralysie date de deux mois environ ; elle est survenue brusque-
ment sans raison apparente pour le malade. Tous les muscles
innervés parle facial gauche sont paralysés; réaction de dégéné-
rescence très nette dans les muscles frappés de paralysie.
Observation VI. C... (Louis-François), employé de commerce,
trente-quatre ans, vient au service d'électrothérapie le 21 juin
1887; il est atteint d'une paralysie faciale droite.
Antécédents de famille : Père a eu il y a trois ans une hémiplégie
du côté gauche dont il est aujourd'hui incomplètement guéri; un
oncle paternel est aliéné; un autre oncle du côté du père souffre
habituellement de névralgies de la face. La mère est bien portante.
C... a deux soeurs qui jouissent également d'une bonne santé.
Antécédents personnels : Le malade n'a jamais eu aucun acci-
dent nerveux; interrogé sur les causes de sa paralysie, C... nous
dit qu'il ne sait a quoi l'attribuer; il n'a pas pris froid et l'hémi-
plégie, d'après lui, est survenue spontanément il y a deux mois.
L'examen électrique pratiqué par M. le Dr Vigouroux, chef du
service d'électrothérapie, révèle l'existence de la réaction, de dégé-
nérescence dans tous les muscles innervés par le facial droit.
DE LA PARALYSIE FACIALE. 361
Observation VII. B... (Désirée), quarante ans, marchande de
vins, vient au service d'électrothérapie de la Salpêtrière le
12 juillet 4887.
Antécédents héréditaires : Père mort, il y a dix ans, à l'âge de
soixante ans à la suite d'une maladie de coeur. Mère épileptique
morte il y a neuf ans; un frère de la malade est choréique; un
autre frère est épileptique. B... a une soeur qui est atteinte d'une
maladie nerveuse ( ? ), d'une maladie noire, nous dit-elle.
Antécédents personnels : La malade nous raconte que depuis son
enfance elle a toujours été très nerveuse, qu'elle a des migraines
qui reviennent environ une ou deux fois par mois.
Le 1" juillet, elle s'est couchée laissant la fenêtre ouverte et le
lendemain, elle s'est réveillée avec la face paralysée du côté gauche.
L'exploration électrique nous apprend que la contractilité faradique
est abolie et qu'il y a augmentation de l'excitabilité galvanique
avec prédominance de l'anode (réaction de dégénérescence com-
plète).
Observation VIII. B... (Eugénie), couturière, vingt-sept ans,
vient au service d'électrothérapie le 3 novembre 1887; elleestpara-
lysée du côté droit de la face.
Antécédents héréditaires : Père mort il y a cinq ans à la suite
d'une maladie du cerveau ( ? ). La malade ne peut préciser davantage.
Mère bien portante, trois frères en bonne santé; une soezii, âgée de
quatorze ans atteinte de chorée depuis dix-huit mois.
Antécédents personnels : Rougeole et variole dans la première
enfance; à vingt ans, fièvre typhoïde; depuis cette dernière alfec-
tion la malade est restée très impressionnable, mais elle n'a jamais
eu d'attaques convulsives. L'hémiplégie de la face qui siège à
droite date de deux mois; la malade l'impute au froid; elle nous
raconte qu'elle a été exposée pendant une demi-heure à un vif
courant d'air, que le soir même elle a eu des douleurs derrière
l'apophyse mastoïde et le lendemain elle s'est réveillée paralysée
du côté droit de la figure. Tous les muscles innervés par le facial
droit participent à 1 hémiplégie ; réaction de dégénérescence com-
plète.
Observation IX. L... (Eugénie), âgée de vingt ans, employée
dans une fabrique de caoutchouc, se présente au service d'électro-
thérapie le S janvier 1888 ; elle est atteinte depuis huit jours d'une
paralysie faciale qui occupe le côté droit de la face.
Antécédents héréditaires : Père bien portant. 31èi,e âgée aujour-
d'hui de quarante ans; a fréquemment des attaques de nerfs; il y a
trois uns elle présenta des troubles vésaniques qui nécessitèrent son
admission dans une maison de santé, où elle resta pendant trois mois.
362 CLINIQUE NERVEUSE.
Antécédents personnels : Irrégulièrement menstruée depuis l'âge
de quatorze ans, la malade a eu dans la première enfance la rou-
geole, plus tard la fièvre typhoïde et la variole. L... nous dit qu'elle
est impressionnable et qu'elle souffre très souvent de violentes dou-
leurs de tête. Pas d'autre accident nerveux à signaler.
La paralysie faciale est survenue sans motif apparent; c'est le
matin, au réveil, que L... s'en est aperçue. La paralysie est totale
avec réaction de dégénérescence complète.
Observation X. P... (Marrien), trente-trois, ans, cocher, se
présente à la Salpêtrière le 24 janvier 1888 ; il est atteint d'une
paralysie faciale siégeant du côté droit.
' Antécédents héréditaires : Son père, très nerveux, s'est noyé il y a
treize ans (les renseignements que nous donne le malade au sujet de
la mort de son père permettent de conclure au suicide) ; sa mère est
bien portante.
Antécédents personnels : Le malade n'a jamais eu d'accidents
nerveux ; mais il nous dit qu'il est très impressionnable et qu'il se
frappe facilement.
L'hémiplégie faciale est survenue il y a onze jours; le malade
s'en est aperçu le matin au réveil; il croit devoir rapporter l'hémi-
plégie à un refroidissement; la paralysie porle sur tous les mus-
cles innervés par le facial droit. Réaction de dégénérescence
partielle.
Observation XI. H... (Julien), se présente à la consultation de
M. Charcot le 7 février 1888; il est atteint depuis trois semaines
d'une paralysie faciale gauche; le malade croit pouvoir l'attribuer
au froid. Les renseignements qu'il nous donne sur les antécédents
de sa famille et sur les siens sont les suivants :
Antécédents de famille : Son père est bien portant. Sa mère, nous
dit-il, a eu, durant de longues années, des crises nerveuses qui se le ? --
minaient par un sommeil se prolongeant pendant une (t deux heures.
Frère rhumatisant qui est également névropathe.
Antécédents personnels : II... est très nerveux, d'une impression-
nabilitê excessive; il pleure facilement. il y a deux ans, à la suite de
préoccupations, il eu des idées noires; cet état psychique a persisté
pendant trois mois.
La paralysie faciale est totale, elle s'accompagne de troubles du
goût. A l'exploration électrique pratiquée par M. le docteurVigou-
roux, on trouve tous les caractères de la réaction de dégéné-
rescence complète. -
Dans les faits précités, ce sont surtout les grandes
névroses et les affections du groupe psychopathique
DE LA PARALYSIE FACIALE. 363
qui occupent la première place parmi les maladies
des ascendants et des collatéraux. Il en est encore
ainsi dans les deux observations suivantes, mais nous
y trouvons de plus l'ataxie locomotrice dont les affini-
tés avec les psychoses sont aujourd'hui bien connues
et nettement établies.
Observation XII. - D... (Marie), trente ans, employée dans
une maison de commerce, vint nous consulter le 1 octobre
1887.
Antécédents héréditaires : Mère morte phtisique, père ataxique.
La malade a trois soeurs qui toutes sont très nerveuses; l'une
d'elles (t fréquemment des attaques convulsives.
Antécédents personnels : Rougeole dans l'enfance. Depuis deux
ans, D... u un engourdissement dans la main droite et particulière-
ment limité dans la région innervée par le nerf cubital. Cet engour-
dissement se manifeste exclusivement le matin au réveil. La
malade n'a pas eu d'autres accidents nerveux et parait, du reste,
jouir d'une bonne santé.
La paralysie faciale qui occupe le côté gauche de la figure est
survenue sans cause connue pour D... Elle date de six mois en-
viron (20 avril 1887). La malade s'était couchée très bien portante,
le lendemain elle se réveillait avec la face paralysée du côté
gauche. Tous les muscles innervés par le facial gauche sont para-
lysés; la contractilité électrique est normale.
Observation XIII. R... (Mariette), soixante ans, vient nous
consulter le 30 juin 1887.
Antécédents de famille : Grand-père paternel mort après avoir
été enfermé pendant dix ans dans un asile d'aliénés. Père mort
ataxique à l'âge de cinquante-huit ans, mère, très nerveuse, est
morte à l'âge de soixante ans à la suite d'un cancer utérin.
Antécédents personnels : La malade, bien réglée depuis l'âge de
quinze ans, a toujours été très nerveuse ; elle souffre habituelle-
ment de migraines. Il y a douze ans, elle a été prise sans cause
connue d'une paralysie faciale du côté droit ; cette hémiplégie de
la face a duré deux mois et s'est terminée par la guérison
complète.
11 y a quinze jours Mariette R... s'est réveillée le matin avec
une nouvelle paralysie faciale occupant cette fois-ci le côté gauche.
Tous les muscles innervés par le facial gauche sont paralysés, les
réactions électriques sont normales.
364 CLINIQUE NERVEUSE.
En dehors de la valeur que les antécédents hérédi-
taires du sujet donnent à cette dernière observation,
il convient de signaler une autre particularité; c'est
la récidive de la paralysie de la septième paire. Ces
récidives, qui ne sont pas signalées par les auteurs-
classiques dans l'histoire de la paralysie faciale, sans
être très communes, ne doivent néanmoins pas être
considérées comme des faits exceptionnels. M. Charcot
nous en a cité quelques-uns. Nous en avons mentionné
deux exemples dans notre premier travail : il s'agis-
sait dans l'un des cas d'un malade qui, après avoir eu,
à l'âge de treize ans, une hémiplégie faciale du côté
droit, en eut une autre du même côté à l'âge de
trente-sept ans; le second cas se rapportait à un
sujet qui, en moins de trois ans, fut atteint de trois
paralysies faciales l'une du côté droit et les deux
autres du côté gauche de la face. Mobius, qui avait
déjà fait connaître un cas de paralysie faciale récidi-
vante ( ? J ? ? t. CCVII), rapporte deux nouveaux
faits de ce genre (Cel2lîalbl. f. Nerven7aeilk., 1886).
Dans l'une de ces observations, il est question d'un
homme de cinquante-huit ans qui, à la suite d'un
refroidissement, avait eu en 1868 une paralysie faciale
à droite. Puis, en 1876, il avait été pris d'une nouvelle
paralysie faciale, mais cette fois à gauche. Enfin en
1886, après une course dans une voiture ouverte, il
vit se développer encore une fois la paralysie faciale
à droite.
M. Charcot nous a cité le cas d'une femme qui a eu
jusqu'à quatre accès de paralysie faciale, alternant à
droite et à gauche. Tout récemment le professeur
Troschel (de Kiew) communiquait à M. Charcot l'his-
DE LA PARALYSIE FACIALE. 365
toire d'un malade hystéro-épileptique qui a été
atteint deux fois de paralysie faciale. Voici le résumé
de cette observation dont M. le professeur Charcot a
bien voulu nous donner connaissance :
Observation XIV. David F..., rabbin, âge de trente-six ans,
appartient à une famille juive orthodoxe.
Fièvre typhoïde à l'âge de dix ans. Il y a huit ans, première pa-
2-alysie de la face du côté gauche dont il ne reste plus de trace;
il y a quatre ans, deuxième paralysie faciale du côté droit, incom-
plètement guérie.
Depuis deux ans, le malade est en proie à des attaques hysléro-
épileptiques qui reviennent environ toutes les six semaines et se
montrent toujours le soir. Ces attaques présentent les phases
classiques de l'hystéro-épilepsie : période épileptiforme, période
des grands mouvements, etc.
Les faits dont il vient d'être question montrent bien
que la paralysie faciale peut récidiver et que ces réci-
dives, ainsi que nous l'avons déjà dit, sont loin d'être
aussi rares qu'on l'avait cru jusqu'à présent.
Chez les deux malades des Observations XII et XIII,
nous avons relevé l'ataxie locomotrice parmi les affec-
tions nerveuses des ascendants; dans l'observation
suivante, nous verrons encore figurer la sclérose des
cordons postérieurs, mais ce n'est plus chez les ascen-
dants, mais chez le sujet lui-même que nous retrou-
vons le tabes. Voici le résumé de cette très intéressante
observation prise dans le service de M. le professeur
Charcot par M. Blocq, interne des hôpitaux, qui a
bien voulu nous en donner communication :
Observation XV.P... (Joseph-Bertrand), â-é de trente-sept
ans, télégraphiste, entre au service de M. Charcot le 24 octobre
1887.
Antécédents héréditaires : Grand-père et grand'mère paternels
sans affection nerveuse ; père rhumatisant mort d'une affection
366 CLINIQUE NERVEUSE.
cardiaque. Grand-père maternel aurait eu une affection nerveuse
qu'on cachait dans la famille; grand' mère maternelle très nerveuse ;
mère morte diabétique ; une tante maternelle migraineuse et morte
hémiplégique ; un cousin germain de la mère mort aliéné.
Antécédents personnels : Rougeole, scarlatine et fièvre typhoïde
dans l'enfance. En 1880 le malade a contracté la syphilis. Au
mois de mars 1881, trois mois après l'apparition des accidents
syphilitiques, le malade s'est aperçu qu'il ne pouvait plus ouvrir
qu'incomplètement l'oeil droit ; le ptosis dura cinq mois environ.
En 4883, trois ans après le début de la syphilis, ont paru les pre-
mières douleurs fulgurantes, se manifestant surtout dans la cuisse
droite; depuis ce temps, ces crises douloureuses n'ont pas cessé
de se reproduire plusieurs fois par jour en augmentant de fré-
quence et d'intensité. A ces phénomènes tabétiques, il convient
d'ajouter l'affaiblissement des organes génitaux, des troubles
vésicaux (incontinence d'urine) et de la diplopie qui ne s'est mon-
trée qu'en 1886.
Il y a huit jours, le malade a été pris d'une paralysie faciale
gauche qu'il croit devoir rapporter au froid, se trouvant exposé
à un courant d'air perpétuel dans le bureau où il travaillait.
L'hémiplégie de la face est complète, les réactions électriques sont
normales.
L'observation qui précède est instructive sous tous
les rapports. La question de l'hérédité nerveuse s'y
trouve parfaitement élucidée; le sujet est de souche
névropathique, les affections vésaniques qui ont pré-
dominé chez tous ses parents du côté maternel ne
laissent subsister aucun doute à cet égard. Cet homme,
ainsi prédisposé, devient ataxique, et au cours de la
maladie, il prend une paralysie faciale. Il est à peine
besoin de dire qu'il ne s'agit pas ici d'une hémiplégie
faciale d'origine tabétique; on sait, en effet, que l'hé-
miplégie de la septième paire ne figure pas au nombre
des phénomènes céphaliques du tabes. La paralysie
de la face est également indépendante de la syphilis,
car dans la syphilis cérébrale,, si le facial vient à être
touché, la paralysie est presque joujours partielle et
le facial supérieur reste indemne; tel n'est pas le cas
DE LA PARALYSIE FACIALE. 367
de cet homme qui a été frappé d'une paralysie faciale
complète. Quelque sceptique que l'on soit à l'endroit
du rôle de la prédisposition nerveuse dans l'étiologie
de la paralysie faciale, il faut cependant convenir
que, dans l'espèce, le froid a eu beau jeu pour déter-
miner une hémiplégie de la face; nous pourrions en
dire tout autant, quoique cela sorte de notre sujet,
de l'action de la syphilis qui a trouvé les voies bien
préparées et bien favorablement disposées pour l'évo-
lution de l'ataxie locomotrice.
Voici un autre cas non moins intéressant. La
famille névropathique y est encore plus largement
représentée que dans le précédent; on y rencontre à
la fois la consanguinité des parents, le bec de lièvre,
l'hystérie, l'ataxie locomotrice, la paralysie générale
et la folie :
Observation XVI. D... (Adrienne), âgée de quatorze ans, a
été atteinte il y a cinq mois d'une paralysie faciale du côté droit.
Cette hémiplégie est survenue brusquement le 5 février 1887 sans
cause connue. Ni la malade, ni les parents ne savent à quoi rap-
porter l'hémiplégie.
Antécédents héréditaires : Adrienne D... est née de parents
consanguins {cousins germains); le père est bien portant, la mère est
nerveuse, a eu souvent des crises hystériques ; une sceun de la malade
est morte à la suite de l'opération d'un bec de lièvre double compliqué.
Un oncle paternel est mort il y a deux ans paralytique général ;
une soeur du père, atteinte d'aliénation mentale, s'est suicidée ; un
oncle du père est tabétique.
Antécédents personnels : Adrienne D... a toujours été très ner-
veuse, mais n'a jamais eu de crises convulsives; rougeole dans
l'enfance.
La paralysie faciale intéresse tous les muscles innervés par le
facial droit, faible-diminution de la contractilité faradique : les
muscles zygomatiques sont légèrement contracturés.
L'arthristisme, la goutte et le diabète coïncident
fréquemment avec les maladies du système nerveux et
368 CLINIQUE NERVEUSE.
leur combinaison avec les névropathies n'est pas rare,
on le sait. Les deux observations qui vont suivre en
sont des exemples frappants :
Observation XVII. Th... (Louis), charcutier, âgé de dix-sept
ans, se présente au service d'électrothérapie le 9 juin 1887 avec
une paralysie de la face {côté droit).
Antécédents héréditaires. Grand-père paternel, mort d'hémorrhagie
cérébrale; père arthritique, a souvent des poussées d'eczéma de la
face; une tante paternelle est atteinte de rhumatisme noueux. Mère
nerveuse, souffre fréquemment de maux de tête et de douleurs zzévral-
giques dans la figure; une sevur du malade est hystérique, une autre
soeu)' est rhumatisante.
Antécédents personnels : Rougeole et varicelle dans l'enfance,
n'a jamais eu de convulsions. Depuis deux ans,poussées d'eczéma à
la jambe gauche. La mère de Th.... qui accompagne son fils, nous
dit que celui-ci est d'une impressionnabilité très vive et qu'il se
.met facilement en colère.
Tous les rameaux du facial droit sont paralysés, l'hémiplégie
date de quinze jours ; elle est survenue sans cause apparente pour
le malade. L'examen électrique nous révèle l'existence de la réac-
tion de dégénérescence complète.
Observation XVIII. M... (Louise), vingt-huit ans, vient nous
consulter le 3 novembre 1887 ; elle est atteinte d'une paralysie
faciale du côté droit ; la malade nous donne les renseignements
suivants sur ses :
Antécédents de famille : Grand-père paternel goutteux, père éga-
lement goutteux, un oncle paternel rhumatisant, un autre oncle
paternel diabétique, mère rhumatisante, une tante maternelle
migraineuse, une autre tante du côté de la mère atteinte d'eczéma
chronique; la malade a une sceur plus jeune qu'elle qui est cho-
réique. Elle nous dit qu'elle a toujours été très impressionnable,
quelle s'emporte facilement; convulsions dans l'enfance, névralgies
faciales fréquentes.
La paralysie faciale date de cinq jours, lamaladene sait quelle
cause incriminer; le 28 octobre, elle s'était couchée très bien
portante et le lendemain elle se réveillait avec la figure paralysée.
L'hémiplégie faciale est complète; réactions électriques normales.
Nous avons déjà indiqué dans notre premier travail
que la paralysie faciale (c'est là encore un caractère
important qui la rapproche de certaines autres mala-
DE LA PARALYSIE FACIALE. 369
dies héréditaires du système nerveux) pouvait se ren-
contrer à l'état d'affection familiale et nous avons
rapporté, à l'appui, une triple observation concernant
une jeune fille et ses deux frères qui, tous trois,
avaient été frappés d'hémiplégie de la septième paire.
Voici encore un fait du même genre :
Observation XIX. -D... (Alexandre), vingt-cinq ans, papetier,
vient au service d'électrothérapie de la Salpêtrière le 16 juillet
188î. Il est atteint d'une paralysie faciale gauche.
Antécédents héréditaires : Père mort à la suite d'une tumeur
abdominale; mère, âgée de soixante ans, très nerveuse, a des atta-
ques convulsives qui reviennent tous les quinze à vingt jours ; une
tante maternelle épileptique. Soeur, âgée de trente-trois ans, a eu, il
y a huit ans à la suite d'une émotion vive, une paralysie faciale du
côté droit qui a duré trois semaines environ. Une autre soeztî, de D...,
âgée de vingt ans, a eu l'année dernière une hémiplégie de la face
survenue sans causé connue et qui, après avoir persisté pendant
deux mois, s'est terminée par la guérison.
Antécédents personnels : Rougeole et convulsions dans l'enfance.
D... nous affirme qu'il a toujours été bien portant, quoique ner-
veux. La paralysie faciale chez ce malade date de trois semaines;
il ne s'est pas exposé au froid et ne sait à quelle cause la rappor-
ter ; l'exploration électrique nous apprend que les réactions fara-
dique et galvanique sont conservées.
Il nous reste maintenant à parler d'un fait bien
plus curieux encore que tous ceux qui précèdent; il
s'agit de l'histoire d'une famille de névropathes voués
pour ainsi dire à la paralysie faciale. Cette remarqua-
ble observation, dont nous sommes redevable à M. le
professeur Charcot, ne comprend pas moins de cinq
cas de paralysie de la septième paire, observés chez
des membres de la même famille. Ce n'est plus seule-
ment, comme dans les autres cas relatés jusqu'à pré-
sent, la diathèse nerveuse qui se manifeste sous une
forme plus ou moins éclatante, c'est l'hérédité directe,
similaire, mise en pleine lumière, c'est la paralysie
Archives, t. XV. 24
370 CLINIQUE NERVEUSE.
faciale se montrant sans interruption dans trois géné-
rations successives.
Pour mieux faire ressortir les points saillants de
cette observation, nous avons préféré la reproduire sous
forme de tableau généalogique.
DE LA PARALYSIE FACIALE. 371
est une affection fortuite, accidentelle, pouvant surgir
inopinément chez un sujet quelconque. Les choses ne
se passent pas ainsi; les malades atteints de paralysie
de la septième paire sont tous ce qu'on pourrait appe-
ler des nerveux de race, chez lesquels on retrouve,
sous des aspects plus ou moins variés, l'empreinte
manifeste et irrécusable de l'hérédité neuropathique.
Dans de pareilles conditions, avec un organisme ainsi
approprié, avec un terrain ainsi longuement préparé,
tous les prétextes seront bons, toutes les causes seront
efficaces pour réveiller la diathèse nerveuse; il suffira
d'une perturbation physique, intellectuelle ou morale
pour déterminer l'explosion, mais ces facteurs occa-
sionnels, dont nous ne contestons pas d'ailleurs l'in-
fluence secondaire, ne constituent que des causes tout
à fait accessoires et ce ne sont, à vrai dire, que des
comparses, auxquels on avait à tort, jusqu'à présent,
attribué les premiers rôles. Ces causes sont, du reste,
inconstantes et essentiellement variées : tantôt c'est
un froid qui parait avoir provoqué la paralysie; d'au-
tres fois, c'est une émotion; d'autres fois encore, c'est
une fatigue intellectuelle. Dans la majorité des cas,
l'origine apparente de l'hémiplégie échappe au
malade et au médecin, et la maladie semble alors être
née de toutes pièces ; ces agents provocateurs ne sont
donc pas indispensables, et leur concours, n'étant pas
absolument nécessaire, leur appoint, dans les cas où
réellement ils entrent en jeu, ne peut être que minime
dans la genèse de la maladie. Seule la prédisposition
nerveuse se retrouve dans tous les cas, parce que
seule, sans aucune autre intervention, sans autre
levier, elle peut faire éclore le mal.
372 CLINIQUE NERVEUSE.
Dans cette étude sur l'éliologie de la paralysie
faciale, nous avons jusqu'ici laissé complètement de
côté l'influence de l'âge et du sexe; le nombre des
observations que nous avons pu recueillir n'est, du
reste, pas assez grand pour nous permettre de con-
clure à cet égard d'une façon précise. Pour ce qui
concerne l'age toutefois, il semble bien certain, et en
cela nous sommes d'accord avec les auteurs clas-
siques, que si la paralysie faciale peut surgir à tout
âge, elle est plus fréquente chez les jeunes sujets et en
particulier de vingt à quarante ans, qu'à toute autre
époque de l'existence.
Quant au sexe, il paraît avoir une influence plus
marquée et l'ensemble des faits qui se sont offerts à
notre observation tendrait à prouver que la maladie
est plus fréquente chez la femme que chez l'homme.
Les cas que nous avons rapportés peuvent, en effet, se
décomposer de la manière suivante : nombre total des
sujets, 41 : femmes, 23 ; hommes, 18. Est-ce là une
simple coïncidence ? Nous ne le croyons pas, et, sans
vouloir être trop affirmatif, nous serions volontiers
disposé à admettre que ces chiffres représentent exac-
tement les proportions d'après lesquelles la maladie
se répartit entre les deux sexes. Les hommes étant,
de par leur condition sociale, plus souvent exposés
aux atteintes du froid que les femmes, la fréquence
plus grande de la paralysie faciale chez celles-ci
serait, d'une part, un argument de plus à faire valoir
contre l'étiologie a frigore et, d'autre part, elle vien-
drait plaider en faveur de l'essence nerveuse de la
maladie.
Il est incontestable, en effet, que la femme est plus
DE LA PARALYSIE FACIALE. 373
entachée de nervosisme que l'homme et que certaines
maladies nerveuses, les névroses en particulier, trou-
vent chez elle un champ plus favorable à leur déve-
loppement. Nous ne pensons pas devoir insister
davantage sur cette question de l'influence des sexes,
car, ainsi que nous l'avons déjà dit, notre statistique
ne porte pas sur des faits assez nombreux pour per-
mettre de formuler des conclusions fermes et défini-
tives. Il n'est, du reste, pas besoin de cette nouvelle
preuve, qui ne serait qu'une preuve d'ordre secon-
daire, pour mettre en lumière la vraie cause de la
paralysie faciale. L'histoire des malades, l'histoire de
leurs ascendants et de leurs collatéraux, le caractère
d'affection familiale que la maladie peut revêtir dans
certains cas, la possibilité de la transmission hérédi-
taire directe dont nous avons rapporté un exemple si
frappant, ne laissent subsister aucun doute sur le
rôle capital que joue la prédisposition nerveuse dans
l'étiologie de la paralysie faciale dite a frigore.
Après avoir établi la véritable origine de l'hémiplégie
de la face, il reste à préciser davantage les liens qui
l'unissent aux diverses affections du système nerveux.
Confinant'à l'arthritisme, se rattachant par de nom-
breux traits d'union à toutes les maladies nerveuses,
la paralysie faciale est parente à un degré beaucoup
plus rapproché des vésanies et des névroses que des
autres membres de la famille neuropathologique. Il
suffit, pour s'en assurer, de jeter un coup d'oeil sur
les faits consignés dans ce travail : on est frappé de
voir que, parmi les maladies relevées chez les ascen-
dants ou chez les collatéraux des sujets atteints de
paralysie de la septième paire, on retrouve toujours,
' 374 CLINIQUE NERVEUSE.
soit les grandes névroses, comme l'épilepsie, l'hystérie
ou la chorée, soit les vésanies, soit enfin la paralysie
générale progressive. Les maladies de la moelle épi-
nière n'y figurent que très rarement, seule la sclérose
des cordons postérieurs fait exception à cette règle,
mais ne sait-on pas que les troubles psychiques sont
fréquents dans le tabes et que la paralysie générale
vient souvent se greffer sur l'ataxie locomotrice pro-
gressive ? l'exception n'est donc qu'apparente. Si
après avoir considéré les maladies des ascendants ,
nous regardons du côté des sujets eux-mêmes, nous
rencontrons encore la chorée, puis les migraines, les
convulsions, le tic convulsif, nous nous trouvons en
face d'individus atteints de neurasthénie, d'individus
irritables, émotifs, impressionnables à l'excès, tout
semble concorder pour dire à l'observateur que chez
les sujets frappés de paralysie de la face, c'est le cer-
veau qui constitue le locus minoris resistentioe.
Ce n'est là assurément qu'une hypothèse, mais nos
connaissances sur l'anatomie et la physiologie patho-
logiques de la paralysie faciale ne nous autorisent pas
à aller au delà. Les autopsies faisant défaut, les don-
nées que nous avons sur ce point sont encore très res-
treintes. L'exploration électrique, il est vrai, peut nous
guider, au moins dans certains cas, et nous révéler
que le nerf facial est lésé, qu'il y a une altération
dégénérative, dont l'intensité plus ou moins marquée
se traduit par une série de modifications dans les
réactions électriques. C'est sur ces variations dans
l'état électrique des nerfs et des muscles qu'Erb a
basé sa classification des paralysies faciales qu'il a
divisées en trois groupes : dans le premier groupe
DE LA PARALYSIE FACIALE. -375
(forme légère), il n'y a aucune anomalie dans l'excita-
bilité faradique ou galvanique des nerfs et des mus-
cles ; c'est la forme essentiellement bénigne dont la
guérison ne demande habituellement qu'un délai de
vingt à vingt-cinq jours. Au deuxième groupe se rat-
tachent les hémiplégies de la face d'intensité moyenne :
vers la fin de la première semaine on peut constater
une légère diminution de l'excitabilité des nerfs;
puis dans le cours de la deuxième et de la troisième
semaine apparaissent dans les muscles les modifica-
tions caractéristiques de la réaction de dégénérescence
(secousse lente avec prépondérance de la secousse de
fermeture à l'anode). Là le pronostic est encore rela-
tivement favorable et la maladie guérit dans l'espace
de un à deux mois. Dans le troisième groupe vien-
nent se ranger les paralysies à forme grave avec
réaction de dégénérescence complète; diminution,
puis abolition de l'excitabilité galvanique et faradique
des nerfs; perte de l'excitabilité faradique des mus-
cles ; augmentation quantitative et altération qualita-
tive de l'excitabilité galvanique des muscles; augmen-
tation de leur excitabilité mécanique. La guérison
sera lente, elle demandera des mois entiers et plus
encore; très souvent elle sera incomplète.
Telle est la classification très judicieuse établie par
Erb. Mais si l'on ne veut pas s'exposer à des surprises
et à des mécomptes il ne faut pas oublier qu'elle com-
porte de nombreuses exceptions. Brenner rapporte un
exemple de paralysie faciale guérie en peu de temps
et qui cependant dès les premiers jours présentait
une légère diminution de l'excitabilité galvanique et
faradique. Le même auteur relate un autre cas qui
376 CLINIQUE NERVEUSE.
avait les apparences d'une forme grave avec tous les
caractères de la réaction de dégénérescence totale et
qui guérit cependant complètement dans l'espace de
six semaines. M. Déjerine a communiqué à la Société
de biologie (séance du 9 août 1884) un cas de para-
lysie faciale grave suivi d'autopsie dans lequel il a
signalé l'absence presque totale de modifications
des réactions électriques. La paralysie faciale
chez ce malade, complète dès les premiers jours,
durait depuis plus d'un mois, sans que la contractilité
musculaire et l'excito-motricité du nerf fussent modi-
fiées d'une façon marquée; la différence entre le côté
sain et le côté malade était minime et nullement en
rapport avec l'intensité et la durée de la paralysie;
au lieu de trouver la réaction de dégénérescence
complète, on constatait au contraire un état presque
normal de la contractilité faradique. L'examen histo-
logique du nerf facial qui permit de reconnaître l'in-
tégrité de la grande majorité des tubes nerveux ren-
dait compte du peu d'altération de la contractilité
électrique, mais n'expliquait en rien l'intensité de la
paralysie. M. Déjerine terminait ainsi sa communica-
tion : « Il est difficile, pour ne pas dire plus, de com-
prendre une paralysie faciale par compression, persis-
tant plus d'un mois (jusqu'à la mort), sans que tous
les faisceaux nerveux participent à la dégénération.
En d'autres termes, dans ce cas, le nerf facial était
soumis à une compression suffisante pour empêcher la
volonté de passer mais cette compression était impuis-
sante pour amener la dégénérescence du nerf, et
partant des troubles marqués dans l'état de la con-
tractilité. »
DE LA PARALYSIE FACIALE. 377
Nous avons eu également occasion d'observer des
hémiplégies de la face dans lesquelles les résultats
fournis par l'examen électrique ne s'accordaient en
aucune façon avec l'intensité et la durée de la maladie;
et nous avons vu des paralysies faciales ne s'accom-
pagnant d'aucun changement dans les réactions élec-
triques persister pendant des mois entiers et ne se
terminer que par une guérison incomplète.
Il ressort de ces faits que tout en reconnaissant,
tant au point de vue du pronostic que du diagnostic,
une grande importance à l'exploration électrique, il
ne faut pas s'en exagérer la valeur et ne pas lui
demander des indications d'une rigueur absolue. Il
n'y a pas lieu de s'étendre plus longuement sur cette
question incidente de l'exploration électrique et si
nous avons fait cette digression, c'est uniquement
pour montrer qu'en l'absence d'autopsies et avec les
moyens d'investigation que nous possédons, il est
difficile de pénétrer la nature intime de la paralysie
faciale dite a frigore.
En présence de ces incertitudes, en présence de ces
données encore si obscures sur l'anatomie et la phy-
siologie pathologiques, est-il vraiment légitime d'en-
glober, sans réserves aucunes, sous le nom de para-
lysies faciales périphériques, toutes les hémiplégies
de la face qui s'offrent à notre observation à l'état de
paralysies isolées ? Nous ne le pensons pas. Il y a là
des divisions à établir et si le classement ne peut se
faire dès à présent, il est du moins à prévoir qu'il
s'opérera dans l'avenir et qu'on arrivera à distraire de
ce groupe de paralysies faciales, réputées périphéri-
ques, un certain nombre d'hémiplégies de la septième
378 CLINIQUE NERVEUSE.
paire dont le point de départ semble être plutôt dans
les centres nerveux que dans la périphérie.
En réalité la physiologie et l'anatomie pathologi-
que de la paralysie faciale sont encore à faire et dans
l'état actuel de la science nous en sommes réduits aux
hypothèses, mais quel que soit exactement le substra-
tum anatomique de la paralysie faciale, la question
étiologique n'en reste pas moins la même. Nous insis-
tons sur ce point, ne serait-ce que pour répondre à
une critique qui nous a été adressée, au sujet de
notre premier mémoire, par un auteur allemand,
M. Edinger. « Il est difficile, dit M. Edinger
(Fortschitte der 111edicin. Dec. 1887), d'admettre l'in-
fluence de la prédisposition nerveuse dans une mala-
die s'accompagnant de lésions anatomiques qui, nous
le savons, consistent en une altération totale ou par-
tielle des fibres nerveuses comme nous l'enseigne
d'ailleurs l'étude des réactions électriques. »
En quoi l'existence de lésions anatomiques, alors
même que celles-ci seraient constantes, peut-elle infir-
mer notre manière de voir ? La paralysie générale
progressive, l'ataxie locomotrice, la paralysie infan-
tile, ne sont-elles pas des affections à lésions bien
déterminées et nettement caractérisées ? est-ce une
raison pour dénier à l'hérédité la part prépondérante
qui lui revient dans la genèse de ces maladies ? Assu-
rément non. Les objections de M. Edinger sont donc
mal fondées et elles ne peuvent atténuer en rien la
valeur des arguments et des preuves cliniques qu'il
nous a été donné de produire dans le cours de ces
études.
Quoi qu'il en soit, que la paralysie faciale dite a
DE l'épilepsie PROCURSIVE. 379
frigore soit organique ou sine materia, qu'elle puisse
toujours être rattachée à une altération du nerf ou que
parfois son origine première doive être cherchée dans
l'encéphale, la cause dominante n'en est pas moins la
prédisposition nerveuse héréditaire.
L'histoire de la paralysie faciale, si improprement
appelée a frigore, vient ainsi se modeler sur celle des
autres maladies du système nerveux et l'étude des
conditions étiologiques qui président à son développe-
ment nous montre une fois de plus qu'en pathologie
nerveuse, il n'y a qu'une seule cause constante et
nécessaire, c'est l'hérédité, dont le rôle prépondérant
a, depuis de longues années déjà, été mis en relief
par M. le professeur Charcot, dans ses leçons de la
Salpêtrière.
DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE' :
Par BOURNEVILLE et P. BRIDON.
VI. AnATOMIE PATHOLOGIQUE.
Le nombre des autopsies de malades atteints d'épi-
lepsie procursive ou d'accidents procursifs est assez
restreint, soit parce que les cas en sont peu nombreux,
soit parce que la transformation parfois complète de
l'épilepsie procursive en épilepsie commune ne per-
met pas souvent, faute de renseignements suffisants,
1 Voy. Archives de Neurologie, vol. XIII, p. 321; vol. XIV, 1105 40
et 41, p. 55 et 235, juillet et septembre 1887; vol. XV, n°' 43 et 44,
p. 75 et 227, janvier et mars 1888.
380 CLINIQUE NERVEUSE.
de porter un diagnostic rétrospectif. Nous avons déjà
parlé incidemment des lésions rencontrées à l'autopsie
de malades dont nous avons rapporté l'observation;
voici maintenant un cas d'épilepsie procursive pro-
prement dite, observé assez longuement et suivi
d'autopsie ayant montré, outre des lésions cérébrales
plus ou moins disséminées, une lésion cérébelleuse
à laquelle il nous semble possible de rattacher les
phénomènes procursifs observés pendant la vie.
Observation L1V. Tante paternelle scrofuleuse. Mère migrai-
neuse. Grand-père maternel alcoolique. Grand'mère mater-
nelle morte phthisique.
Vertiges à cinq ans. Accès procursifs avec aura à sept ans.
- Déchéance intellectuelle à partir de douze aiis. Rougeole à
quatre ans. Nitrate de pilocarpine; curare. Démence; -
grincement de dents. Gâtisme; affaiblissement progressif;
état de mal. Pyo-piieuino-thoi-ax consécutif. Mort.
AUTOPSIE. - Ganglions iléo-crecaux calcifiés; - pyo-pneumo-
thorax ; péricardite purulente; athérome de l'espace sous-aortique.
TM6e ? 'cMepu/mo ? ! 0 ! ? 'ec)'acee.
Quelques adhérences pie-méi,ienizes atrophie et sclérose du
lobe cérébelleux gauche;-inégalité de poids entre les hémisphères
cérébraux et entre les hémisphères cérébelleux.
Duch... (Pierre-Nicolas), né le 26 février 1861, est entré le
18 décembre 1876 à Bicêtre (service de M. Boubneville) et y est
décédé le 16 septembre z.
Renseignements fournis par le père et la mère (7 septembre 1885).
Père, cinquante-neuf ans, cocher, assez corpulent, aurait eu
en 1867 une « fièvre cérébrale » 1 ; n'aurait jamais fait d'excès de
boisson ; pas de migraines, pas de maux de tête, épistaxis fré-
quentes vers l'âge de douze ans. [Père, journalier, mort à l'âge
de soixante et onze ans, on ne sait de quoi. Mère morte de
vieillesse ( ? ) à l'âge de soixante-dix ans environ; elle était sujette
à des maux de tête. Une soeur, soixante-quatre ans, abcès
scrofuleux. Frère, mort à soixante-deux ans environ, a eu deux
enfants très bien portants. D'autres soeurs sont mortes l'une de
' Début par un tremblement, pas de délire.
DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 381
la coqueluche et l'autre d'une affection qu'on ne peut préciser;
celle-ci a laissé des enfants bien portants. Pas d'aliénés, pas
d'épileptiques, pas de suicides, etc., dans la famille.]
Mère, soixante ans, assez grande, brune, fait son ménage,
tenait un garni avant la guerre ; toujours bien portante, ni
migraineuse, ni nerveuse ; elle a eu, il y a deux ans, un abcès à
la jambe droite avec fistule. [Père, enfant naturel, mort alcoolique,
à l'âge de soixante ans environ.- Mère morte à trente-cinqans de
bronchite. Pas d'aliénés, pas d'épileptiques, pas de suicides, etc.,
dans la famille.] Pas de consanguinité.
Notre malade.- Grossesse bonne.-Accouchement normal, à terme,
sans chloroforme. L'enfant était bien conformé, il a été nourri
au sein par sa mère jusqu'à deux ans ; il a commencé à parler
de bonne heure; il parlait convenablement et marchait bien à
dix-huit mois ; plus tard on le mit à l'école où il apprenait bien.
Il n'aurait jamais eu de convulsions. Les vertiges auraient débuté
dès l'âge de cinq ans. Les parents nous les décrivent de la ma-
nière suivante : « Ça venait comme un étouffement, il cherchait à
respirer, la face se décomposait, ça ne débordait pas. » « Ala
femme le prenait, ça passait. » Les vertiges se montraient sans
aura, environ tous les huit jours; s'il marchait, il s'arrêtait tout
d'un coup.
Les premiers accès se seraient montrés vers sept ans. Duel...
prévenait alors en disant : « Papa, maman »; il criait, puis courait.
La procursion était très courte, quelques mètres, jusqu'à ce qu'il
trouvât un objet ou une personne à qui s'accrocher; s'il ne trou-
vait rien, il tombait. Il était comme poussé violemment et la pro-
cursion n'était pas une simple marche. Les accès survenus, les
vertiges ont disparu en grande partie, quelquefois cependant « la
crise ne débordait pas»; s'il s'accrochait à quelque chose il pous-
sait un soupir et c'était fini quand on arrivait à temps pour lui
frapper entre les deux épaules. *
Les accès ont augmenté progressivement ; ils revenaient d'abord
toutes les trois semaines, puis tous les quinze jours. Vers douze
ans la mémoire a commencé à faiblir; il tombait alors fréquem-
ment de nuit et de jour jusqu'à cinq fois dans les mêmes vingt-
quatre heures (tête à gauche, ronflement, bave) '.
Avant les accès il devenait méchant, coléreux. A son entrée
à Bicêtre la parole se bornait aux mots : « Merde, sale vache. » Il
crachait au visage des gens sans être en colère.
Il est très difficile d'obtenir des renseignements bien précis, le père
et la mère étant d'une intelligence au-dessofls de la moyenne. De plus
la mère parle mal le français.
382 CLINIQUE NERVEUSE.
Rougeole vers trois ans, puis beaucoup de dartres. Fracture
de la jambe droite à huit ans (chute d'une charrette).
Etat actuel (21 mai 1883). Tête carrée, symétrique, sans
proéminence de l'occipital qui est surmonté par un méplat médian
et régulier; les bosses pariétales et frontales sont peu dévelop-
pées, les apophyses mastoïdes sont assez développées, régulières,
symétriques et de même volume de chaque côté. Cheveux châ-
tain foncé ; cicatrices de 4 à 5 centimètres à gauche à l'union
du pariétal et de l'occipital, une autre plus petite vers la partie
médiane et s'étendant à gauche à la partie supérieure de l'occi-
pital. Front peu développé (avec nombreuses rides transver-
sales), fortement déprimélatéralement; ces dépressions régulières,
symétriques, partent environ d'un à un etdemi centimètre du bord
interne du sourcil; de ce fait les arcades sourcillères paraissent
proéminentes. Cicatrice oblique de haut en bas partant de la
partie médiane au niveau delà suture fronto-pariétale gauche.
DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 383
que les canines ne présentent plus leur aspect caractéristique et
ressemblent, vues antérieurement, aux incisives voisines. Voûte
palatine très élevée; ogivale.
Cou : 36 centimètre ? . Respiration normale. Pouls 60.
Digestion bonne. Duch... est grand gâteux, mais généralement
sans diarrhée, il mange avec voracité, malproprement avec ses
doigts. - Circulation, rien de particulier. Musculature du tronc
et de l'abdomen bien développée.
Organes génitaux bien développés ; prépuce assez long, recou-
vrant en partie le gland. Testicules bien conformés, le droit est
un peu plus élevé que le gauche. Le malade paraît se masturber
pendant l'examen ; il se frotte le gland par un mouvement circu-
laire du pouce et de l'index'.
Les extrémités supérieures et inférieures sont bien développées ;
les mains et les pieds sont cyanosés, froids. Sur les bras, cica-
trices de vaccin ; trois cicatrices sur le dos du pied gauche : une
près de la rotule à gauche. Périonyxis de l'orteil médian droit;
sur le 4° orteil gauche, légère ulcération croûteuse; plusieurs
cicatrices dont quatre surtout sont assez larges, à la face externe
et au quart supérieur de la cuisse droite. Le tissu cicatriciel est
ferme, assez dur ; une, la plus antérieure, est nummulaire, à centre
un peu déprimé, lisse, blanche, à bords légèrement plissés en-
tourés d'un cercle brunâtre ; elle est mince et non adhérente.
Cicatrices de même nature, violacées au-dessous du grand tro-
chanter gauche; cicatrices multiples du dos à droite et à gauche,
et aussi sur les apophyses épineuses, qui sont proéminentes. -
Cicatrices multiples des deux fesses ; quelques petites cicatrices
sur les coudes ; et quelques autres cicatrices ailleurs, entre autres
sur les doigts.
Les sens sont difficiles à examiner vu l'état de démence coi7z-
plète du malade ; l'ammoniaque le fait tousser, mais il ne se dé-
tourne que lentement. Il mange avec assez de facilité le sucre, le
sel et la coloquinte ; puis il rouvre la bouche pour en redemander ;
la sensibilité à la douleur parait bien conservée, quoique
perçue avec assez de lenteur. Parole nulle.
' 1881. Organes génitaux. Poils rouges au pénil; verge bien déve-
loppée ; gland découvert; méat étroit, rouge, sa base droite est excoriée;
bourses pendantes : testicules normaux. Erythème sur la verge et surtout
les bourses. Onanisme.
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DE l'épilepsie PROCURSIVE. 383 ' *
386 CLINIQUE NERVEUSE.
- On ne peut le faire parler, ni lui faire tirer la langue. Il
mange seul, mais avec les mains.-
20 décembre. -Pupilles égales; un peu dilatées; parfois grince-
ment de dents, ou encore il ouvre et ferme alternativement la
bouche. · `
1885. 17 juillet. - Démence complète. Gâtisme. - Il faut le
faire manger, l'habiller, le déshabiller. - Il baveetsuce. Pupilles
égales. Pas de tremblement de la langue. Aucune parole;
il ne se rend nullement compte de ce qu'on lui fait; on essaye
de lui remettre sa pantoufle, il regarde de. tous côtés et ne cède
pas. Pour le faire avancer il faut le tirer par les bras. -
Attitude. Corps incliné en avant, les bras un peu écartés du
tronc, les avant-bras à angle droit transversalement. '
5 septembre. Soir : T. R. 37°,8.
6. Dans la journée, 7 accès; vers midi, il a poussé des cris
pendant une heure, et a refusé de manger. Dans la nuit du 5
au 6 septembre, 5 accès et cris renouvelés. T. R. 38o,4.
Soir : 40°.
7. Le matin, 3 accès coup sur coup (durée : demi-heure), il
n'a pas repris connaissance à la suite. Aucune évacuation, malgré
un lavement purgatif. A onze heures, deux nouveaux accès.
Duch... est resté toute la journée dans un état de prostration
complète.. - T. R. 380,8. - Soi ? , : 39o,g. - - - z
8.. Pas d'accès nouveaux, pouls fort, plein, 120. Sueurs '
abondantes, évacuation involontaire d'urine; il n'est pas allé
à la selle depuis le 5 ; il n'a rien pris, il faut lui ouvrir la
bouche pour lui faire avaler quelques gouttes de lait. Dents à
demi serrées, bouche sèche. Il ne vomit pas. Le ventre est excavé,
rétracté, indolent à la pression. Respiration à 42, entrecoupée
de gémissements, pas de toux.A la percussion, résistance augmen-
tée au doigt ; respiration un peu obscure, pas de souffle, ni de
râles ; gémissements transmis à l'oreille, résolution des membres.
Lait, purgatif, vésicatoire à la base du poumon droit, injections
d'éther. T. R. 37°,3. Soir : 39°,2.
9. Mieux très notable. P. 72. R. encore un peu préci-
pitée. Evacuations abondantes. Etat de somnolence d'où
il sort facilement. T. R. 38°,8. Soir : 39°.
10. T. R. 38°,4. Soir : 390,6.
11. T. R. 39°. Soir : 39°,6. Purgatifs.
42.- Le mieux, qui avait continué jusqu'àhiermatin le malade
avait pris du lait et du bouillon et n'avait pas eu d'accès n'a pas
persisté. L'abattement a beaucoup augmenté dans l'après-midi ;
plaintes entrecoupées. Face pâle ; nez, lèvres et extrémités froides
et cyanosées. - Yeux excavés, respiration plus fréquente, la
bouche ouverte. Pas de paralysie des membres, mais résolution
DE l'épilepsie PROCURSIVE. 387
complète. Le pouls est faible et les bruits du coeur sont sourds.
Constipation. Ventre excavé. Vessie en demi-replétion.
Peau chaude et sèche. Raies méningitiques étroites; mais persis-
tantes. (Lavement, potion de Todd, vésicatoire.)
Du côté de l'appareil respiratoire mêmes signes que précédem-
ment et, de plus, râles, assez fins à la base du poumon gauche et
en avant à droite. T. R. 39°,2. Soir : 39°,8.
13. - T. R. 40°,6. Soir : 41°.
14. T. R. 390,6. Soir : 41°.
15. Même état avec des alternatives de mieux relatif et d'ag-
gravation. T. 41°,4, ce malin. Respiration fréquente, courte ;
gémissements continuels ; abattement plus prononcé. Bouche
sèche, pâteuse. Duch... prend bien le lait et la potion de Todd,
moins bien le bouillon. Constipation opiniâtre. 40 ventouses
sèches. Lavement purgatif. Potion de Todd et lait. Soir :
T. R. 42°. Le malade meurt le 16 septembre à une heure du
matin. Température après la mort : 43°,2.
Autopsie (17 septembre 1885). Rigidité cadavérique en partie
disparue; coloration verdâtre de l'abdomen et de la partie infé-
rieure du thorax. Amaigrissement assez prononcé, musculature
sèche; tissu cellulo-adipeux peu abondant. - A l'ouverture de
l'abdomen on constate : 1° que le foie est repoussé à droite, que
son lobe gauche atteint tout juste la ligne médiane, que son bord
antérieur ne descend pas jusqu'au rebord costal; 2° que le dia-
phragme remonte à droite jusqu'au bord supérieur de la quatrième
côte ; qu'il est refoulé en bas vers la cavité abdominale et forme
une voussure fluctuante qui se trouve au niveau du rebord costal.
L'intestin grêle est congestionné, recouvert par les colons, surtout
le colon transverse, qui sont dilatés par des gaz. Le grand épi-
ploon, non adhérent, descend normalement. Pas de liquide
anormal dans la cavité abdominale. Sur le mésentère on trouve
trois ganglions iléo-coecaux complètement calcifiés. L'estomac
n'est pas dilaté, la vessie rétractée est vide. L'ouverture sous
l'eau d'un espace intercostal laisse dégager de nombreuses bulles
de gaz.
Thorax. A l'ouverture du thorax, on constate à gauche que
le poumon, refoulé latéralement et en arrière, laisse entre lui et
les parois une grande cavité recouverte de pseudo-membranes
purulentes et contenant deux verres environ de pus. Le ven-
1 ? ,ictile gauche est refoulé à droite. Le péricarde est recouvert sur
sa moitié °-auche de pseudo-membranes. Le poumon gauche est
adhérent, latéralement en arrière et en bas. Le poumon droit
est adhérent en haut et en arrière dans presque toute son éten-
due. Cceur en systole (245 gr.). Il existe un peu de liquide
roueâtre dans la cavité péricardique. La pointe du coeur est
388 CLINIQUE NERVEUSE.
formée par le ventricule gauche surtout. Le ventricule gauche
est un peu dilaté. Quelques plaques d'athérome dans l'espace
sous-aortique ; léger épaississement de l'endocarde sous l'orifice
aortique; myocarde pâle, trou de Botal obturé. - Poumon gauche
(550 gr.). Les adhérences se détachent facilement sans résistance;
au sommet il existe une cicatrice ancienne et quelques tubercules
crétacés. Il n'existe pas d'autres tubercules et.on ne découvre pas
de perforation. Le poumon droit (555 -r.) présente également
au sommet une grande cicatrice, des tubercules crétacés et montre
quelques petites cavernules.
Abdomen. - Le foie (420 gr.) est hypérémié. La vésicule
biliaire, l'estomac, le pancréas, les uretères, les capsules surrénales,
les intestins et les testicules sont sains. Le canal oholédoque est
perméable. Rate (85 gr.) un peu molle, capsule plissée. Rein
gauche (85 gr.), lobule, hypérémié (étoiles de Vehreyen), se décor-
tique bien ; la substance corticale est un peu jaunâtre par places.
Le rein droit (55 gr.)-a le même aspect que le gauche.
Tête. Voûte et base du crâne symétriques. A l'ouverture du
crâne il s'écoule une grande quantité de liquide céphalo-rachidien.
Les artères de la base sont symétriques; toutefois, la cérébrale
postérieure paraît un peu plus volumineuse à droite. Les tuber-
cules mamillaires sont symétriques. La pie-mère cérébrale est
très notablement hypérémiée; elle a une coloration rouge diffuse
sur la face externe et offre un léger épaississement sur les bords de
la scissure interhémisphérique. A part quelques légères adhé-
rences entre les deux lobes frontaux (face interne), la décortication
est facile. Le pédoncule cérébral gauche paraît plus petit que
le droit; il en est de même de la partie correspondante de la
protubérance . Il n'existe aucune différence de volume entre les
deux moitiés du bulbe. La pyramide droite est moins large et
moins proéminente que la gauche. L'olive droite est également
moins proéminente et éraflée.
Le lobe cérébelleux droit arrive au niveau de la partie postérieure
du lobe occipital, mais le lobe cérébelleux gauche est en retrait de
près de 3 centimètres; il est manifestement atrophié. Ses lamelles
sont plus blanches ; leur consistance n'est pas notablement plus
grande qu'à droite ; toutefois, en passant le doigta leur surface, on
a nettement la sensation de crêtes successives ; en avant sur le
bord circonférentiel, cette consistance est bien plus grande ; les
lamelles y sont rigides et d'une face à l'autre, en pressant, on a
la notion d'une induration résistante mais diffuse et non circons-
crite. Les pédoncules cérébelleux ont leur consistance normale.
On ne constate pas de lésions macroscopiques des hémisphères
cérébraux. Les ventricules latéraux et les cornes d'Ammon n'offrent
rien de particulier. ,
DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 389
Encéphale, 1,300'gr. L'hémisphère cérébral droit pèse 25 gr. ..
de plus que le gauche. Cervelet, protubérance et bulbe, 140 gr.
Hémisphère cérébelleux droit, 65 gr. ; hémisphère cérébelleux gauche',
35 gr. -
. - Cerveau. Hémisphère droit. La scissure de Sylvius s'arrête à
quelques millimètres en arrière de la pariétale ascendante ; elle
envoie deux rameaux ascendants antérieurs, l'un entre le pied de
la troisième circonvolution frontale et la circonvolution frontale
ascendante, l'autre entre le pied et la partie triangulaire de la
troisième circonvolution frontale ascendante. Le sillon de Ro-
lando, sinueux, profond, se termine au fond de la scissure de
Sylvius ; il fournit vers son quart inférieur un pli antéro-inférieur
qui va se perdre dans le pied de la circonvolution frontale ascen-
dante. La scissure perpeiidiculaire externe, dont les deux lèvres
sont très écartées au niveau de la grande scissure interhémisphé-
rique et sur un parcours de deux centimètres sur la face convexe,
va rejoindre. la partie postérieure de la scissure interpariétale et
par son intermédiaire le sillon occipital'transverse. La scissure
interpariétale forme en arrière de la circonvolution pariétale
ascendante une scissure parallèle complète qui, à son quart supé-
rieur, envoie un rameau postérieur oblique de bas en haut divisant
entièrement le lobule pariétal supérieur; avant d'arriver à la
scissure perpendiculaire externe, la scissure interpariétale est
interrompue par un pli de passage à niveau allant de l'extrémité
postérieure du lobule pariétal supérieur à la circonvolution de
passage qui réunit le pli courbe aux deuxième et troisième cir-
convolutions occipitales. Le lobule orbitaire est bien conformé.
Face convexe. Lobe frontal. Il existe une scissure parallèle
frontale complète, empiétant en haut sur la face interne et se
perdant en bas au fond de la scissure de Sylvius. La première
frontale, dédoublée dans son tiers postérieur, présente également
des indices de dédoublement sur les autres parties; elle est bien
développée et comme renflée vers son extrémité antérieure.
La première scissure frontale est sinueuse et profonde. La
deuxième circonvolution frontale est volumineuse surtout à sa partie
postérieure ; elle s'insère à la frontale ascendante par un petit
pli de passage très en retrait qui n'interrompt la continuité de la
scissure parallèle frontale que dans sa profondeur ; elle envoie en
avant deux plis de passage à niveau à la troisième circonvolution
frontale; l'un se continue directement avec la partie médiane de
la portion triangulaire. La deuxième scissure frontale est inter-
rompue en avant par ces deux plis de passage. La troisième
circonvolution frontale est bien développée. La frontale ascendante
est assez grosse ; trois sillons transversaux antéro-postérieurs la
divisent presque entièrement, l'un même, médian, atteint' son
390 CLINIQUE NERVEUSE.
bord postérieur ; il semble en ce cas que la deuxième circonvo-
lution frontale ait eu tendance à se continuer à travers les
circonvolutions ascendantes, fait que l'on observe quelquefois.
La pariétale ascendante est volumineuse et normalement con-
formée.
Les plis pariétaux, sont assez bien développés, très découpés;
il en est de même du pli courbe. Le lobe occipital est bien déve-
loppé, mais les scissures et les circonvolutions sont irrégulières.
Lobe temporal. La première temporale sinueuse, un peu
maigre, possède des circonvolutions temporales transverses peu
développées. La scissure parallèle, sinueuse, profonde, communique
à la base du lobe pariétal par deux sillons transverses avec la
deuxième scissure temporale qui semble se terminer dans le pli
courbe par un rameau parallèle à la terminaison de la première
scissure temporale. La seconde temporale assez bien développée est
sinueuse ainsi que la troisième temporale qui est bien conformée.
Face interne. Lobe temporo-occipital. Les première et deuxième
circonvolutions tenaporo-occipitales sont normales. La circonvo-
[;<t07t frontale interne est bien développée ainsi que le lobule para-
central. La scissure c(illoso-i ? iai,gi7tale est sinueuse, profonde. Le
lobule quadrilatère très développé est très découpé et présente un
pli pariéto-limbique antérieur et un pli pariéto-limbique postérieur.
La scissure perpendiculaire interne, très profonde, va se terminer
un peu au-dessous du bourrelet du corps calleux. Le coin, la
fissure calcarine, le corps calleux, le corps strié, la couche optique,
paraissent normaux.
Hémisphère gauche. La scissure de Sylvius se divise à la
partie postérieure de la circonvolution pariétale ascendante en
deux rameaux, l'un ascendant, et l'autre descendant, ayant chacun
un trajet de deux centimètres environ, durant lequel ils séparent
la pariétale ascendante et la première circonvolution temporale
du pli pariétal inférieur. Le rameau ascendant antérieur traverse
entièrement la troisième frontale et contribue à former une sorte
de scissure précentrale en se continuant avec un sillon supérieur
qui divise presque entièrement la deuxième circonvolution fron-
tale. Le sillon de Rolando est très profond, assez sinueux.
La scissure perpendiculaire externe, très profonde, est interrompue
au niveau de la scissure interpariétale par un pli de passage à
niveau reliant le pli pariétal supérieur au lobe occipital. - La
scissure interpariétale ne possède qu'un petit rameau descendant
en arrière de la pariétale ascendante, mais elle a un rameau
ascendant très profond formant encoche sur la scissure interhé-
misphérique. A quelques millimètres au delà de son coude, elle
fournit un rameau descendant à travers le lobule pariétal infé-
rieur qu'il divise entièrement en atteignant la partie moyenne
du rameau descendant de la scissure de Sylvius ; elle
DE l'épilepsie PROCURSIVE. 391
fournit également au même niveau un rameau ascendant oblique
d'avant en arrière à travers le lobule pariétal supérieur ; elle
continue son chemin jusqu'au sillon occipital transverse.
Le lobule orbitaire est normal, très développé.
Face convexe. Lobe frontal. En avant de la frontale ascen-
dante et parallèlement à elle sur sa moitié supérieure, on trouve
une scissure profonde empiétant en haut sur la face interne et
communiquant avec la première scissure frontale ; elle se termine
en bas en séparant presque entièrement la deuxième circonvolu-
tion de la frontale ascendante en s'entre-croisant avec la scissure
précentrale inférieure dont il a déjà été parlé et qui se trouve plus
en avant. La première frontale, assez bien développée, reçoit vers
son quart antérieur un gros pli de passage au niveau de la deuxième
frontale qui est très large, sinueuse, très sillonnée et s'insère par
un pli de passage à niveau, à la frontale ascendante ; à son
extrémité la plus antérieure, elle reçoit un pli de passage à niveau
de la troisième frontale qui est bien développée, mais irrégulière,
son pied se confond avec celui de la frontale ascendante. Les
deux scissures frontales supérieure et inférieure sont sinueuses,
profondes. La frontale ascendante est assez maigre surtout vers
sa partie moyenne ; la. pariétale ascendante est grosse, sinueuse,
reliée à son tiers inférieur au pli pariétal inférieur par un pli de
passage à niveau.
Lobe pariétal. Les <o6u'sp(H't(( ! <a;SMp ? eu)' et inférieur, le
pli courbe sont volumineux, mais irréguliers par suite de nom-
breux sillons qui les découpent.
Le lobe occipital, dont lés circonvolutions paraissent un peu
grêles, est également très sillonné; il est, pour ainsi dire, isolé
des parties environnantes par une scissure irrégulière, sinueuse,
qui prolonge le sillon transverse occipital jusque vers l'incisure
préoccipitale.
Lobe temporal. La première temporale plissée envoie un pli
de passage à niveau à la partie la plus postérieure du lobule pa-
riétal inférieur et un autre pli de passage à niveau à la deuxième
temporale qui interrompt vers son quart antérieur la continuité
de la scissure parallèle, sinueuse, profonde, assez normale. Les
tempono-pariétales transverses sont peu marquées. La deuxième
et la troisième temporales sont assez bien développées, irrégulières,
très découpées. La deuxième scissure temporale est interrompue
postérieurement par un pli de passage à niveau allant de la
deuxième à la troisième temporale. Un sillon profond réunit la
scissure parallèle à la première scissure temporo-occipitale.
Face interne. Lobe temporo-occipital. Les première et
deuxième circonvolutions lemporo-occipitales sont bien dévelop-
pées, mais un peu chagrinées. Les scissures sont profondes et
sinueuses.
392 CLINIQUE NERVEUSE. - DE l'épilepsie PROCURSIVE.
La circonvolution frontale interne est bien développée, reçoit à
son quart postérieur un petit pli de passage presque à niveau de la
circonvolution du corps calleux qui, elle, est peu développée, clcci-
grinée, comme atrophiée; la partie la plus antérieure de la cir-
convolution frontale internée ! dans sa partie moyenne, sa moitié
inférieure présentent également le même aspect, mais à un degré
moins prononcé. La scissure calloso-marginale est sinueuse, très
profonde, envoie de nombreux sillons transversaux à la circonvo-
lution frontale interne. Le lobule quadrilatère est moins bien dé-
veloppé, un peu grêle, comme un peu atrophié; il possède un
pli pariéto-limbique antérieur long, s'insérant obliquement à la
circonvolution du corps calleux vers le sommet du triangle para-
central. existe également un pli pariéto-limbique postérieur.
La scissure perpendiculaire interne est très profonde. Le corps
calleux est peut-être un peu moins développé que normalement.
Le'cotK,Ia/tSM ! '6cahM ? 'M).c, la couche optique, le corps strié ne
présentent rien de particulier. : La pyramide antérieure et l'olive droite sont atrophiées.
La.-moelle ne présente à l'eeil nu aucune altération.
. Duch... a d'abord été un épileptique procursif dont
les accès se sont progressivement transformés en accès
vulgaires. Il a succombé à un pyo-pneumo-thorax et à
une péricardie purulente, qui se sont développés à la
suite d'un état de mai'.
1 L'hémisphère cérébral droit ne présente que quelques
anomalies- de peu d'importance, soit au point de vue
de ses circonvolutions, soit au point de vue de ses
scissures. On peut le considérer comme normal.
Il hémisphère cérébral gauche, qui pèse 25 grammes
de moins que le droit, est dans son ensemble un peu
plus irrégulier; mais en outre nous y notons la pra-
cilité de la partie moyenne de la circonvolution frontale
ascendante, du lobe occipital, l'état chagriné des pre-
.' Nous ferons remarquer que Duch... a eu pendant les deux premières
années de sa maladie des vertiges sans phénomènes procursifs; la pro-
cdrsion n'a débuté qu'avec les accès, et par suite dans le cas particulier
on peut considérer les accidents procursifs comme constituant des accès
incomplets.
DU VERTIGE marin. 393
mière et deuxième circonvolutions occipito-temporalès,
des parties antérieure, moyenne et inférieure de la
circonvolution frontale interne, de la circonvolution du
corps calleux, la gracilité du lobule quadrilatère et du
corps calleux.
- La lésion la plus importante et paraissant la plus
ancienne est celle que l'on constate sur le cervelet.
L'hémisphère cérébelleux gauche est atrophié, sclérosé
et pèse 30 grammes de moins que le droit, soit près
de moitié [hémisphère cérébelleux droit, 65 grammes,
gauche 35 grammes). C'est là incontestablement la
lésion initiale, la plus prononcée de toutes celles obser-
vées sur l'encéphale de Duch.. '. (A suivre.)
PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE
ÉTUDE PATHOGÉNIQUE ET EXPÉRIMENTALE
' SUR LE VERTIGE MARIN
Par le Dr P.-S. PA11POUKIS,
En mission scientifique pur l'Université d'Athènes.
Ce que tout le monde connaît sous le nom de mal
de mer, vague expression ne nous donnant aucune
idée de la nature ou du siège de la lésion, nous l'ap-
pelons nous vertige marin, espérant que l'analyse ulté-
1 Notons en passant la tuberculose crétacée et les cicatrices pulmo-
naires.
394 PHYSIOLOGIE pathologique.
rieure des symptômes et l'étude de sa physiologie
pathologique justifieront notre innovation, en nous
forçant de placer le vertige marin à côté des autres
vertiges de la pathologie encéphalique.
Si nous insistons un seul instant sur la définition,
qu'on a donnée jusqu'à présent du vertige marin, nous
verrons que pour M. Rey « c'est l'ensemble des phé-
nomènes morbides que présentent la plupart des per-
sonnes qui vont sur mer o. Pour M. Rochas, « c'est
l'ensemble des symptômes morbides qu'éprouvent les
nouveaux embarqués ».
Nous ne tenons pas à donner, pour le moment,
une définition du vertige marin, car si nous nous
bornions à nos connaissances actuelles, nous serions
forcé de suivre l'exemple des autres auteurs, qui se
sont occupés de la question, à savoir de donner un
terme théorique, toujours contestable. Mais quand un
fait est prouvé par les expériences, alors toutes les
théories cèdent la place aux conclusions expérimen-
tales. C'est ainsi que nous avons formé la pensée que
pour réussir à étudier et à définir scientifiquement le
vertige marin, il fallait essayer de le reproduire par
des expériences sur des animaux. Alors cette question
s'impose immédiatement : les animaux sont-ils sus-
ceptibles de vertige marin ? Si oui, quels sont les plus
prédisposés et sous quels symptômes se manifeste la
maladie ? C'est ce que nous allons étudier.
I. Vertige marin des animaux. D'après les divers
renseignements que nous'avons obtenus des marins
hellènes, il est prouvé que. la plupart des animaux
sont susceptibles de vertige marin, mais ils s'habi-
DU VERTIGE marin. - 395
tuent à la mer après quelques jours, tandis que pour
les hommes il faut plus d'un an en moyenne; de plus,
les animaux ne ressentent que des symptômes lé-
gers.
Eu 1884, le capitaine C... voyageait en voilier;
pendant une tempête qui a duré deux jours, son
chien n'a plus paru ; il resta dans un coin du bateau
bien triste, sans bouger et sans vouloir manger. Mais
aussitôt que la tempête cessa, il reprit sa bonne humeur.
En 1885, un bateau à vapeur transportait de Braïla à
Constantinople 80 chevaux et buffles; vingt-quatre
heures avant d'arriver au port, une forte tempête s'étant
élevée, on remarqua que les chevaux et les buffles ne
mangeaient pas; ils avaient appuyé la tête sur le
rebord de leur cage, comme accablés d'une grande
lassitude, et de leur bouche on voyait s'écouler une
sorte d'écume filante.
Dans un autre voyage on remarqua que les mou-
tons avaient souffert, mais sans salivation. Les porcs
souffrent aussi. - Les poules ont du vertige et de l'ano-
rexie, accompagnée quelquefois d'écoulement de
quelques gouttes de liquide. -Les chats ont de l'ano-
rexie avec vomissements rares.
11 . Expériences faites à bord du carrousel « La mer
sur terre » à Paris, au mois de mars 1887 . Ce que
nous venons de relater à propos du vertige marin
des animaux ne provient que de renseignements.
Pour mieux nous persuader, il a fallu entreprendre
des expériences au laboratoire. Un instant nous avons
pensé à l'expérience en rivière. Nous n'y avons pas
fait d'essai, car les. eaux de la Seine n'ont pas de cou-
396 PHYSIOLOGIE pathologique.
rants rapides; et puis, on n'aurait pu appliquer les
instruments nécessaires. Avant toute autre recherche,
nous avons voulu nous servir, pour expérimenter, des
bateaux « La mer sur terre ». C'est ainsi que nous
nous sommes adressés- à M. Laubé, l'un des direc-
teurs, qui a bien voulu mettre un bateau à notre dis-
position.
Expériences. Le 10 mars 1887, à 4 heures du soir, nous
avons soumis un petit chien à notre première expérience. Nous
l'avons attaché avec sa laisse à la pointe de la proue. Pendant le
deuxième tour de la barque, nous avons constaté que les pupilles
commençaient à se dilater. Plus le bateau marchait, plus la dilata-
tion augmentait, de sorte que vers la quatrième minute les
pupilles s'étaient complètement dilatées. Avec les premiers mou-
vements, le petit chien commença à perdre son équilibre; le
regard est devenu inquiet, le chien a perdu sa gaieté.
Vers la deuxième minute, nous avons constaté un tremblement
des muscles bien visible, surtout dans ceux des cuisses. Le trem-
blement augmentant, l'animal ne pouvait plus se tenir sur ses
pattes postérieures, qui tremblaient plus que les autres. C'est alors
qu'il a fléchi ses jambes sur le plancher, tandis qu'en même
temps, il a levé les deux pattes antérieures en se cramponnant
aux rebords, la tête soulevée. Après une demi-minute, nous avons
constaté que le tremblement a sensiblement diminué pour que
l'animal puisse se tenir debout en soulevant les pattes posté-
rieures. Après la fin de cette expérience, les pupilles ont com-
mencé à se contracter, et dans l'espace de quarante secondes elles
ont repris leur état normal. Quant au tremblement, il persistait
encore avec prédominance dans les cuisses.
Durant la troisième expérience, le tremblement a été plus intense
qu'aux précédentes. Dans l'intervalle des expériences, les
pupilles se contractent plus lentement; pour revenir à l'état
normal, elles mettent plus de deux minutes, tandis que dans les
premières expériences elles mettaient environ une demi-minute.
Le tremblement s'est propagé aux oreilles, lesquelles, après les
cuisses, tremblent le plus.
Sixième expérience. La dilatation commence une demi-minute
après le début des mouvements. Le tremblement se produit après
la première minute. Après la fin de l'expérience, le chien avale
quelques morceaux de viande avec avidité.
. DU VERTIGE MARIN. 397 Î
Septième expérience. Nous avons offert de la viande immédia-
tement avant l'expérience. Dès que les mouvements commencent,
il avale quelques morceaux. Mais les mouvements du bateau aug-
mentant, l'animal renonce à manger, de sorte que vers la
deuxième minute, non seulement il ne mange plus, mais il
détourne-la tête pour ne pas voir l'aliment.
Onzième expérience. Nous enlevons sa laisse; le chien ne peut
pas se tenir et il reprend sur le rebord la position d'après laquelle
l'axe céphalo-rachidien forme un angle aigu avec la barquette.
Douzième expérience. Nous forçons le chien à rester dans la cale
de la barque. Mais ne pouvant pas s'y tenir debout, il fait des
essais, en écartant les pattes postérieures et en montant les au-
tres sur la banquette. Il garde ainsi celte position, pendant toute
l'expérience, malgré que nous le déplacions. Enfin, nous faisons
passer le chien à la poupe. Dans toutes les expériences, les symp-
tômes déjà mentionnés étaient moins accentués.
Nous expérimentons alors avec un gros bull-dogde
huit mois, n'ayant jamais monté sur la barque. Nous
le plaçons à la cale. Aussitôt que les mouvements de
la barque commençant, l'animal prend la même posi-
tion que le petit chien. Les symptômes ont été les
mêmes, sauf le tremblement qui était moins pro-
noncé.
M. Laubé nous a raconté que tous les chiens qu'on
a fait monter dans les bateaux prenaient cette posi-
tion, d'après laquelle le corps s'incline pour former un
angle aigu avec la barquette. Cela est très important
pour nous. Nous voyons, en effet, que les chiens,
pour éviter le vertige, donnent au corps une inclinai-
son qui occuperait la bissectrice de l'angle aigu d'un
triangle rectangle. C'est surtout l'axe céphalo-rachi-
dien qui s'accommode dans cette nouvelle position.
Les chiens ne vomissent jamais dans ces bateaux.
Il y a un an, un chien, du quartier de la Villette, a
été introduit dans une barque. Au premier tour, il
398 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
aboyait; au second, son regard change, l'animal
devient furieux et se jette sur un monsieur qu'il mord.
Une chienne, quoiqu'elle fût mise plusieurs fois sur
les barques, voulait se sauver et semblait ivre.
Résumé. - Si nous résumons en peu de mots les
résultats de ces expériences, nous verrons que le pre-
mier symptôme était la dilatation des pupilles, laquelle
augmentait progressivement, de sorte que dans quatre
minutes on ne voyait plus l'iris. Quarante secondes
après la fin de la première expérience, les pupilles
redevinrent normales. Mais dans les expériences sui-
vantes les pupilles mirent deux minutes à se remettre.
Avec les premiers mouvements, l'animal commence
à perdre son équilibre; son regard devient inquiet.
Puis viennent les tremblements des muscles et surtout
ceux des cuisses et des oreilles.
Chaque expérience durait quatre minutes avec
intervalle d'une minute et demie. Vers la sixième
expérience, la dilatation a commencé une demi-
minute après le début des mouvements, et le tremble-
ment après la première minute. Au début de l'expé-
rience, le chien avale quelques morceaux de viande.
Mais une minute plus tard, non seulement il refuse
de manger, mais il détourne aussi la tête : Le trem-
blement, s'accusant vers la fin des expériences, devient
plus intense dans leur intervalle. Les chiens ne
vomissent jamais pendant les expériences dans ces
bateaux.
III. - Expériences faites sur divers animaux au la-
boratoire physiologique de la Sorbonne. - Le but des
DU VERTIGE MARIN. 399
expériences qui précèdent était de nous persuader
qu'en effet les animaux sont également susceptibles
au vertige marin. Le détail des symptômes que nous
venons d'exposer ne laisse aucun doute sur cette
question. Le moment était donc opportun de com-
mencer des expériences au laboratoire et d'essayer
de reproduire le vertige marin expérimentalement.
Notre maître, M. le professeur Cornil, et M. Chan-
temesse ont eu l'extrême obligeance de nous présenter
à M. Dastre, professeur de physiologie expérimen-
tale à la Faculté des sciences, en lui communiquant
le but de nos expériences. M. Dastre a bien voulu
mettre son laboratoire à notre disposition, en nous
offrant aussi son concours pour la partie physiologique
des expériences.
La première difficulté qui devait se présenter était
celle-ci : comment pourrions-nous reproduire au
laboratoire le vertige marin ? Il fallait inventer un
appareil' qui nous donnât des mouvements sem-
blables à ceux d'un navire. Mais en attendant que
nous parvenions à cela, nous avons réfléchi, avec
M. Dastre que nous pouvions tenter quelques expé-
riences sur la table à vivisection, en y attachant
l'animal et en imprimant des mouvements antéro-
postérieurs, les seuls réalisables avec cette table.
D'ailleurs, ces mouvements nous faciliteraient beau-
coup l'étude ultérieure, car nous aurions ainsi étudié
les mouvements du roulis isolé, et n'étant pas influencé
par les mouvements du tangage ou par les mou-
vements mixtes du bateau à vapeur en tempête.
400 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
PREMIERE PARTIE.
Expériences sur la table à vivisection. - Balancement
antéro postérieur. - Tous les appareils nécessaires à
enregistrer les respirations thoracique et diaphragma-
tique et les battements du coeur sont en position.
I. Expériences sur LES CHIENS. - Le chien au début de
l'expérience n'aboie pas. Deux minutes après le début
du balancement nous avons vu par les tracés que les
respirations et les battements du coeur ont changé.
Ainsi, en étudiant les tracés, nous voyons que les res-
pirations sont devenues deux fois plus fréquentes
qu'avant l'expérience; en même temps elles sont
devenues moins amples et plus superficielles. Ce sont
surtout les respirations diaphragmatiques qui ont subi
ce changement.
Nous avons aussi constaté des respirations tantôt
plus profondes, tantôt plus superficielles.
Mais cette fréquence de respiration se trouve bientôt *'
interrompue. Plus le balancement continue, plus les.
respirations deviennent profondes et moins fréquentes.
C'est alors que le chien commence à aboyer. Les
battements du coeur continuent d'accord avec les
mouvements'respiratoires.
En résumé, au début des balancements nous avons une
augmentation du nombre des respirations et une diminution
de leur amplitude. Mais peu de temps après, les respi-
rations deviennent de plus en plus profondes et moins
fréquentes.
Pendant les grands mouvements avec descente
DU VERTIGE MARIN. 401
brusque de la table du côté de la tète de l'animal, la
respiration s'arrête en expiration; l'animal commence à
inspirer après la montée de la table. Sur les chiens
que nous avons ainsi balancés, nous avons vu quel-
quefois de la salivation, même abondante. Mais nous
n'avons pas osé la considérer comme le résultat du ba-
lancement, car nous appliquions toujours la muselière.
Balancement d'un chien et anémie cérébrale absolue.
- Nous avons balancé un
chien, qui préalablement a
été opéré par MM. Dastre
et Loye, en comprimant
les deux carotides d'abord, puis les vertébrales, afin de
1 La lettre'D signifie : respiration diaphragmatique.La lettre T signifie :
. respiration thoracique.
Archives, t. XV. 26
Fig. 23. -- Tracé de deux respirations
d'un chien, ayant les deux carotides
et vei tébrales comprimés. L'animal est
en repos sur la table '.
Fig. ? }. Tracé au début du balance-
ment. Le chien se trouve dans les mêmes
conditions.
4o. PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
provoquer l'anémie cérébrale. Pendant le balance-
ment nous avons voulu étudier l'influence de l'anémie
cérébrale sur ce chien. La respiration est devenue
plus ample et Jes battements du coeur déplus en plus
faibles. Quant aux tracés que nous avons obtenus,
nous tenons à en reproduire ici quelques-uns.
Ensuite, pour contrôler ces résultats, nous avons
supprimé la compression des carotides et des verté-
brales. Tout d'abord, nous avons pris les tracés en
repos; ensuite, les tracés avec la tête en haut ou en
bas; enfin, les tracés du balancement soit rapide,
Fig. 25. - Suite du balancement.
Fig. `3vi. - tracé pris immédiate-
ment après le balancement, le
chien étant en repos.
DU VERTIGE MARIN. 403
soit lent. Nous relatons ici quelques-uns de ces tracés,
afin que chacun soit à même de les étudier.
Expériences sur un chien mort. - Nous avons
exécuté sur un chien mort des balancements. Nous
avons constaté que le tracé diaphragmatique donnait
des courbures beaucoup plus vastes que le tracé tho-
racique. Cela provient de l'action des mouvements
intestinaux sur le diaphragme, lequel monte du côté
du thorax, en déplaçant les poumons. Ensuite, nous
avons insufflé les poumons par la trachée, que nous
avons alors bien liée. Les mouvements de balance-
ment ont donné des tracés diaphragmatiques avec des
lignes superficielles, peu étendues, à peine visibles;
les tracés thoraciques manquaient complètement.
1,'Ig. '11. Trace pris après la suppression de la
compression, le chien étant en repos.
( ? -8-9- balancement rapide.
Les carotides et les vertébrales
ne se compriment plus.
404 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
L'étendue que nous donnions au balancement,
influençait beaucoup les tracés. Ainsi, dans le balan-
cement complet, dans lequel la table descendait aussi
bas que possible, le tracé diaphragmatique était bien
visible et très net, car les intestins par leur pesanteur
agissaient sur le diaphragme et le forçaient en mou-
vements.
Ces expériences nous montrent combien le dia-
phragme est influencé par les organes intestinaux.
Sur le vivant, le diaphragme, malgré sa résistance et
sa contractibilité, subit cette influence, surtout quand
les mouvements intestinaux sont brusques, comme
cela a lieu dans le tangage ou roulis des bateaux en
tempête. D'ailleurs, pour bien nous assurer de ces
mouvements du diaphragme, après avoir insufflé les
poumons, nous avons ouvert une fenêtre dans la cage
thoracique, immédiatement au-dessus des insertions
diaphragmatiques, et à gauche. Eu exécutant alors
des balancements, nous avons entrevu très nettement
qu'à chaque chute de la tête, le diaphragme se sou-
levait en repoussant les poumons et le coeur. Ensuite
nous avons ouvert une autre fenêtre sur le ventre,
sans attaquer le péritoine. Eh bien ! pendant le balan-
cement nous avons entrevu, à travers le péritoine,
les intestins qui remontaient vers le diaphragme à
chaque chute de la tête, et redescendaient du côté
opposé à chaque soulèvement du corps.
Nous ne voulons pas nous étendre davantage sur
cette question si importante, car très prochainement
nous publierons, M. Dastre et moi, un mémoire sur
le déplacement énorme que les viscères abdominaux
subissent pendant ces balancements et sur l'accommo-
DU VERTIGE MARIN. 405
dation de la respiration aux mouvements de l'appareil
ou du navire en tangage ou roulis.
Balancement des chiens avec les yeux bandés. -
Etudions maintenant une autre série d'expériences.
Pour nous assurer si la vue avait quelque influence
sur les résultats du balancement, nous avons bandé
les yeux d'un chien. Ensuite nous l'avons balancé,
en prenant des tracés.
2. Expériences sur LES lapins. - Nous avons ef-
fectué ces expériences de balancement sur des lapins
avec les yeux bandés. Voici quelques tracés relatifs à
la question.
Dans l'expérience dont nous venons de rapporter
le tracé (u° 30), on verra que les mouvements respira-
toires s'accommodent aux mouvements de la table,
sur laquelle repose l'animal, pendant le balancement.
Là où le tracé commence (à gauche), la tête était
en haut; ensuite la tète descend par l'abaissement de
la table ; on voit que le tracé fait une inclinaison.
Alors, la table dépassant la ligne horizontale descend
Fig. 29. - Tracé pris sur un lapin eu repos (jeux bandés).
406 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
un peu brusquement; nous avons ainsi la chute. Ce
mouvement est marqué
sur le tracé par une ligne
droite de haut en bas sans
courbure, ce qui signifie
Fit. 30. - Balancement du lapin (yeux bandés).
tig. 31. balancement lent
(yeux bandés).
1,*ig. 3 ? - Tracé des respirations du
lapin en repos immédiatement après
un long IJ 11aLlcellJelll (yeux bandés).
DU VERTIGE MARIN. 401
que la respiration s'arrête pendant la descente brusque.
Alors les courbures de la respiration reparaissent et
marchent de bas en haut, à mesure que la table
monte. Les ligues ver-
ticales indiquent des
espaces semblables
marqués à l'aide du
métronome.
Ayant pris ce der-
nier tracé, nous avons
balancé de nouveau le
lapin, après quoi nous
avons pris le tracé
suivant dans 1 intervalle du balancement.
Enfin, nous avons fini l'expérience en balançant de
nouveau l'animal et en prenant le tracé suivant.
l'ig. 33. - Lc lapiu esl en repos
(yeux bandés).
Fig. 3'r. - Fin de l'expérience. Balancement du lapin (yeux bandés).
408 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
Balancement simple. - Pendant le balancement, les
lapins ont la tête appuyée sur la planche; les oreilles
dressées; les pupilles dilatées, les membres en tremble-
ment. Après le balancement, leur démarche est lente
et assez difficile; ils se refusent à manger et à mar-
cher. Un jour nous nous sommes aperçus qu'après un
balancement de trente minutes, la température rectale
est descendue à 37° et puis à 36°.
Le tremblement des membres qui s'observe souvent
pendant le balancement se produit peut-être par le
refroidissement qui survient à l'abaissement de la
température. Sur un lapin qui est resté attaché à la
table pendant quatre heures, la température à la fin
de l'expérience était de 37° 8. Mais durant ces quatre
heures, l'animal n'a été balancé que pendant quinze
minutes seulement, et cela par intermittence. Donc,
malgré une immobilisation si longue, nous n'avons
pas eu d'abaissement notable de la température.
Le balancement d'une demi-heure auquel nous avons
soumis le lapin, après l'immobilisation de quatreheures,
n'a pas abaissé la température, ce qui est en contra-
diction avec l'expérience précédente durant laquelle
la température s'est abaissée de deux degrés et même
plus. Il faudrait, par conséquent, de nouvelles recher-
ches pour nous assurer si le balancement prolongé
des lapins contribue à leur refroidissement par abais-
sement de la température normale. De plus, il faudrait
fixer à partir de quel moment l'abaissement de la tem-
pérature se manifeste.
DU VERTIGE MARIN. 409
Faradisation des pneumogastriques . - Arrêt de la res-
piration. - Balancement. - Réapparition des tracés
respiratoires.
Nous allons relater une série d'expériences dont les
résultats ont été
bien satisfaisants.
Après avoir mis à
nu les deux pneu-
mogastriques d'un
lapin, nous avons
pris, tout d'abord,
des tracés de la res-
piration normale.
En voici un :
Ensuite nous avons balancé le lapin, sans toucher,
aux pneumogastriques.
Après mi balancement de quelques minutes, nous
avons laissé le lapin en repos.
Fig. 35. - Tracé d'un lapin en repos.
Les pneumogastriques sont à nu.
Fig. 36. - B,laucemrnt du lapin.
410 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
Alors, nous avons commencé la faradisation par le
courant n° 5, pendant dix secondes. Les changements
de la respiration ont
été insignifiants. Après
un repos fixe, nous
excitons par le n° 4
pendant dix secondes.
(Voir le tracé fig. 38.)
Ensuite, nous exci-
tons avec le n° 3, pen-
daut dix secondes tou-
jours. Les respirations
deviennent plus am-
ples. Nous avons remarqué de plus que les respira-
tions diaphragmatiques étaient régulières, tandis que
les thoraciques étaient tantôt plus courtes, tantôt plus
vastes. Nous faisons- remarquer aussi que sur sept
respirations du diaphragme correspondent neuf du
thorax. Pendant les dix secondes, immédiatement
après la faradisation nous avons compté sur huit dia-
phragmatiques, douze thoraciques. -
F(1. 37. - Le lapin en repos, après
le balancement. t.
Tig. 38. - Faradisation des pneumogastriques avec le no 4,
pendant 10".
DU VERTIGE MARIN. 4H
Alors nous avons faradisé avec le n° 2 pendant dix
secondes. La respiration diophrasmatique s'est presque
arrêtée, tandis que la respiration thoracique est de-
venue très ample et très irrégulière. Après un balan-
cement de quelques secondes, nous répétons la fara-
412 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
disation avec tes" 2 et en même temps nous balançons
pendant cinq secondes;' nous avons observé alors que
la respiration diaphragmatique était ample et régu-
lière, tandis que la respiration thoracique fût arrêtée
en expiration. -
Après un nouveau balancement, nous avons excité
en repos avec le n° 2. Nous avons alors obtenu
l'arrêt complet de la respiration diaphragmatique et tho-
racique en inspiration.
Immédiatement après, pendant que l'excitation
électrique continuait, et que les respirations étaient
en arrêt, nous balançons. Nous obtenons alors le tracé
diaphragmatique bien net, sans le tracé thoracique.
Nous cessons le balancement et nous continuons tou-
jours la faradisation; alors la respiration diaphragma-
tique s'arrête de nouveau. Enfin nous arrêtons l'exci-
tation faradique et le tout redevient normal. Ces
expériences ont été répétées plusieurs fois, toujours
avec les mêmes résultats.
Nous rapportons un tracé, sur lequel on verra très
nettement l'arrêt de deux respirations pendant l'exci-
tation électrique; leur réapparition dans l'excitation
avec balancement; leur nouvel arrêt dans la suite de
l'excitation sans balancements; et enfin la réappari-
tion de courbures dans le balancement pendant l'exci-
tation. (fin. 39.)
Le tracé suivant commence à gauche par les deux
respirations en balancement simple. Ensuite, par la
faradisation n° 2, nous avons obtenu les lignes droites
sans courbures, à savoir l'arrêt complet de respira-
tions. Enfin, nous avons balancé en continuant
l'excitation, et alors nous voyons d'abord des lignes
DU VERTIGE MARIN. 413
tout à fait irrégulières à cause des efforts que l'animal
faisait; ensuite, les deux courbures, dont la dinphrap-
414
PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
matique rapproche beaucoup de celle du début (qu'on
ne voit pas ici), au simple balancement, tandis que la
thoracique est rapprochée du centre du tracé en deve-
nant moins ample que celle du côté gauche, avec
simple balancement.
Dans le tracé suivant (n° 41), figurent trois respira-
tions. Le tracé inférieur représente la respiration
prise directement sur le diaphragme, par le diaphrag-
matographe, au moyen d'une aiguille accrochée à la
face inférieure du diaphragme. Le tracé moyeu donne
la respiration thoracique. Le tracé supérieur, repré-
sente la respiration diaphragmatique prise indirecte-
ment sur la peau. A gauche du tracé, on voit une
courbure de respiration, l'animal étant en repos.
Ensuite, par l'excitation faradique, nous avons obtenu
l'arrèt complet des respirations : Tout à fait à droite,
Fig. 41. Ligne supérieure : fespiration diaphragmatique. Ligne
moyenne : respiration thoracique. Ligne inférieure : respiration dia-
phragmatique directe. § Arrêts des respirations par la faradisation.
DU VERTIGE MARIN. 410
l'on constate la fin du courant et les secousses que
l'animal ressent après l'excitation.
Après cette faradisation simple et l'arrêt complet
des respirations, nous avons balancé l'animal, en con-
tinuant aussi la fara-
disation. Par le tracé
n° 42, l'on voit que les
respirations réappa-
raissent, mais pas à
leur état normal.
Le tracé n° 43 nous
donne, par la courbure
supérieure, la respira-
tion thoracique, et par
la courbure inférieure,
la respiration du dia-
phragme prise direc-
tement. Le tracé a été
pris l'animal étant en
repos..
Le tracé suivant, n" 44, lepreel1Le les mêmes respl-
rations que le tracé n° 43,
mais eu balancement et
non pas eu repos.
Dans une autre expé-
rience, qui a duré 36 ? tes
12" ont été avec arrêt com-
plet et sans balancement;
les autres 24" ont été avec
excitation et balancement,
durant lequel les 111011\ l'llIClils s respiratoires ont
réapparu.
hry. 42. - Ttacé des trois respirations .
dont l'inférieur donne les mouvements
diapliragmatiques directes. Faradl-
salin et balancement.
Fig. 43. - Respiration diaphrag-
matique directe et resp. thora-
cique, l'animal étant en repos.
416 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
Toutes les expériences que nous venons de relater
et les tracés relatifs qui précèdent nous prouvent que,
quand les respirations
s'arrêtent par la fara-
disation des pneumo-
gastriques, et qu'en
même temps nous ba-
lançons l'animal, alors
le diaphragme, la fa-
radisation continuant,
subit le premier des
mouvements pathéti-
ques par les secousses
intestinales qui se font
sentir à l'abaissement
de la tête, en pressant
sur le diaphragme.
Donc, l'influence des intestins sur les mouvements du
diaphragme est prouvée par nos expériences et tracés sur
le sujet vivant {lapin) et sur les cadavres {chien)..
Trachéotomie. - Section des pneumogastriques.
Arrêt de la respiration par la faradisation. - Balan-
cement. - Réapparition des respirations.
Ayant pratiqué la trachéotomie, nous avons sec-
tionné les deux nerfs pneumogastriques. En irritant
leur but central, nous avons obtenu l'arrêt de la
respiration, chose bien démontrée, d'ailleurs, par les
expérimentateurs.
Durant l'arrêt de la respiration par la faradisation,
nous avons balancé l'animal, et alors nous nous
Fzy. Vi. Respiration diaphragmatique
(courbure inférieure) rt resp, thora-
cique. Balancement du lapin.
DU VERTIGE MARIN. 417
sommes aperçus que le tracé diaphragmatique repa-
raissait sous l'influence du balancement et cessait avec
lui. - Donc, l'excitation du but central des pneumo-
gastriques, comme aussi leur irritation à l'état normal,
donne les mêmes résultats, soit réapparition du tracé
diaphragmatique, pendant le balancement, quoique
ce tracé ait été en arrêt par le courant faradique.
Nous aurions pu obtenir le même résultat par les
nerfs phréniques, qui naissent de la quatrième et
cinquième paire cervicales et agissent sur la contrac-
tion du diaphragme. Leur section enlève les mouve-
ments du diaphragme. Or, Paul Bert a bien montré
que la contraction du diaphragme a pour double effet
d'agrandir le diamètre transversal du thorax à sa
région inférieure et de le rétrécir à sa région supé-
rieure. Quant à l'expiration, c'est un acte passif, un
retour à l'état de repos, d'où l'inspiration a fait sortir
le poumon et le thorax. Les muscles de l'abdomen
n'entrent qu'assez rarement en action. C'est surtout
par l'élasticité des poumons et en partie par l'élasti-
cité thoracique que l'expiration s'accomplit. En outre
Paul Bert a démontré que le tissu pulmonaire est
contractile et que sa contraction est sous la dépen-
dance du nerf pneumo-gastrique.
La section des pneumo-gastriques augmente- beau-
coup la vitesse du sang et la pression dans les artères,
car la section des pneumo-gastriques augmente la
fréquence des battements du coeur. - La section de
la moelle épinière à la région occipito-atloïdienne
imprime à la circulation une rapidité extraordinaire.
Les pulsations sont plus fortes et plus nombreuses. En
supprimant l'action des nerfs vaso-moteurs, on produit
Archives, t. XV. 27
418 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
le relâchement des vaisseaux et l'on rend plus faible
le passage du sang des artères aux veines.
- M. Brown-Sequard enseignait dernièrement que
l'excitabilité rythmique du coeur existe dans son
arrêt, après l'excitation des nerfs vagues par le cou-
rant induit; comme preuve, il cite que, si durant la
faradisation, nous passons le courant continu, alors le
coeur commence à battre. Cette explication ne pour-
rait pas se prêter à propos de nos expériences, où les
tracés réapparaissent avec le balancement, malgré que
la faradisation continue ?
Compression du ventre par la bande d'Esbach.
Refoulement des intestins. - Action sur la respi-
ration.
Vers la fin d'avril 1887, nous avons essayé, dans
une série d'expériences sur des chiens et des lapins,
l'action de la compression du bas-ventre par la bande
d'Esbach, pour refouler les intestins et les autres
viscères vers le diaphragme, et empêcher ainsi leur
déplacement pendant le balancement. Ensuite, nous
avons porté la compression jusqu'aux insertions du
diaphragme, en comprimant la moitié inférieure du
thorax.
Ces expériences ont eu pour objet d'étudier si la
compression directe du diaphragme, ou celle par le
refoulement des intestins, pouvait nous renseigner sur
les changements de la respiration et de la contraction
diaphragmatique. Nous publierons très prochainement
les résultats de ces études avec les tracés relatifs, en
collaboration avec M. Dastre.
PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE. - DU VERTIGE MARIN. 419
La température rectale, pendant que la bande d'Es-
bach fonctionnait, est descendue jusqu'à 35°,5. Dix
minutes après la suppression de la bande, la tempé-
rature est remontée à 36°,2.
Résumé de nos expériences sur la table à vivisection.
a). Chiens. - Pendant le début du balancement,
les respirations et surtout la diaphragmatique, devien-
nent plus fréquentes et moins amples. Mais plus l'ex-
périence avance, plus les respirations deviennent
profondes et moins fréquentes. - Sur un chien chez
lequel nous avons arrêté la circulation cérébrale par
la compression des carotides et vertébrales, le balan-
cement a donné des respirations très amples avec des
battements de coeur faibles.
Par des expériences sur des chiens vivants et morts
nous avons constaté sur les tracés respiratoires la
grande influence qu'ont les intestins sur les mouve-
ments du diaphragme pendant le balancement.
b). Lapins. Pendant le balancement, les lapins
ont les oreilles dressées; ils ne veulent pas manger :
leurs pupilles se dilatent; ils ont souvent le tremble-
ment des membres. La température rectale descend
de 1° à 2° et même de plus; mais cet abaissement de
la température n'a pas été constant. Après un balan-
cement prolongé, la démarche devient difficile et
lente. Les lapins préféreraient plutôt rester immobiles
pendant quelques minutes. Malgré une immobilisation
longue (de quatre heures), sans balancement, sur la
table à vivisection, la température rectale des lapins
est restée normale.
420 REVUE CRITIQUE.
Quand les respirations s'arrêtent par la faradisation
des pneumo-gastriques, et qu'en même temps nous ba-
lançons, alors, malgré la faradisation, le diaphragme
subit des mouvements pathétiques par la pression intes-
tinale, qui se fait sentir pendant la chute de la tête.
Nous avons obtenu le même résultat parla section des
pneumo-gastriques, l'excitation de leur but central et
le balancement du lapin. Les respirations s'arrêtant
par la faradisation réapparaissent par le balancement
quoique la faradisation continue. (A suivre.)
REVUE CRITIQUE '
LA GAT ATOME ;
Par J. SÉGLAS, médecin-suppléant de la Salpêtrière, et Pn. CIIASLIN,
médecin-suppléant de BiC'être,
II.
Mais à côté de ces auteurs qui admettent la conception de la
catatonie', il en est d'autres qui sont d'un avis tout opposé.
' Voy. Archives de Neurologie, n° H, p. 2H.
* Nous citerons encore quelques travaux sur la catatonie que nous n'a-
vons pu nous procurer, Rush, Diss. inauô, 1879. - Rebs : Ein (ail von
Katatonie. Diss. Erlangen, 1877. - Jensen : Allg. Encycl. Bd. XXIV.
- Dans une des dernières séances (2 nov. 1887) de la Société de méde-
cine de Berlin, à propos d'une communication de AI. : 11011, sur l'hypno-
tisme, 1·f.Jensen a rappelé la catatonie de Kalhbaum qui se range près
des états épileptiques et inconscients, et qui a aussi une certaine res-
semblance avec l'hypnotisme. (Deitische mediz. Zeit., 10 nov. 1887,
p. 1026.)
LA CATATONIE. 421 Il
Arndtr rejette l'existence comme forme essentielle, de la
folie de tension (Spannungs-Irresein).
Westphal2 admet, comme l'auteur de la catatonie, que la
stupeur n'est pas forcément accompagnée de mélancolie et
qu'elle se produit quelquefois dans la « Verrùcktheit » (folie
systématisée) avec le délire des grandeurs le mieux caractérisé,
mais la catatonie n'est pas une forme spéciale d'aliénation,
elle n'est qu'une verrucktheit aiguë un peu particulière, les
troubles moteurs ne sont pas des crampes et ils n'ont pas l'im-
portance que veut leur donner Kalhbaum.
Tigges donne à l'assemblée des aliénistes allemands à
Nuremberg, en ! 877, une statistique de cas divers d'aliénation
dans lesquels il trouve des signes qu'on attribue à la catatonie : -.
il n'admet nullement cette forme et pour lui la stupeur et les
autres phénomènes catatoniques proprement dits ne sont que
des symptômes.
Von Rinecker lit à l'assemblée des aliénistes de 1880, à
Eisenach, un travail de Fink sur l'hébéphrénie. Dans ce
mémoire, Fink donne trois cas d'hébéphrénie qui ressemblent
beaucoup, dit-il, à la catatonie et en présentent à peu près
tous les symptômes. 11 cite Hecker (Allg. Z. f. Pych.,
Bd. XXXIII, S. 612) qui rapporte un cas de catatonie suivie
d'hébéphrénie. Mais pour lui Fink, la catatonie est d'un pro-
nostic bénin, la folie de la puberté est très grave. Une discus-
sion s'engage à ce sujet. Sander n'admet pas l'existence de
l'hébéphrénie et conteste l'interprétation de Hecker. Mendel
rejette, à la fois, la folie catatonique et celle de la puberté.;
Sander reprend et dit que ce sont des tentatives nuisibles à
une bonne classification. Enfin Rinecker déclare admettre
l'hébéphrénie et pas la catatonie.
Krafft Ebing fait de la catatonie de Kalhbaum une variété
' Arndt. - Ueber Tétanie und Psychose (Allg. Z. f. Psych., 1871.
Bd. XXX, S. 28) et Ueber Katalepsie und Psychose. (Ibid. S. 53.)
' Westphal. - Ueber die Veii,iic4-theit. (Allg. Z. f. Psych., Bd. XXXIV,
1878. S. 252.)
3 Tigges, - Kahlbaum's Katatonie. (Allg. Z. f. Psych. Bd. XXXIV,
1878. S. 731.)
' v. Rinecker. - Ueber die Bedezitu71g der Hebephrenie, etc. (Allg. Z.f.
Psychiatrie. Bd. 37. S. 570. - Fink. - Beitrag ZW' Kenntniss, etc. id.
S. 490.
1 Krafft Ebnig. Lehrb, 2' éd. t. II.
422 REVUE CRITIQUE.
de la folie circulaire. Tamburini ' au cinquième congrès de la
Société phréniatrique de Sienne, en septembre 1886, a rapporté
quelques observations de catatonie et de mélancolie atto-
nita avec phénomènes cataleptiques. Il se demande si les cas
décrits comme typiques méritent de constituer vraiment uue
forme morbide spéciale parce que les phénomènes calatoni-
ques se peuvent rencontrer ailleurs et parce que la marche est
celle des vésanies typiques. Pour lui, la rapportant aux formes
acceptées dans nos classifications, il incline à la considérer
comme une folie circulaire avec phénomènes catatoniques.
Telles sont en somme les principales tentatives qui ont été
faites pour isoler la catatonie des formes vésaniques voisines.
Nous avons pu déjà être frappés des dissidences qui existaient
entre les auteurs non seulement sur des points de détail, mais
sur la façon même d'envisager la maladie dans son ensemble,
l'opinion de Schüle notamment différant assez de celles expo-
sées dans les autres ouvrages que nous avons analysés. D'un
autre côté nous avons vu que beaucoup d'aliénistes rejetaient
dans son ensemble la conception de la catatonie. Nous en cite-
rons enfin d'autres qui, sans émettre une opinion quelconque
sur la catatonie, rapportent cependant des observations ana-
logues mais sous des étiquettes différentes. D'ailleurs même
avant le mémoire de Kalhbaum 2, on rencontre dans les livres
spéciaux de nombreux cas de catatonie non différenciés et
classés dans la manie, la mélancolie, l'extase, la stupeur, les
phénomènes catatoniques proprement dits n'ayant pas frappé
les observateurs autrement qu'à titre de complications
(Hardy3, Clevenger., Burrow, Kelp6, Guislain', Griesinger8,
Morel 9),
. Tamburini. Sulla Cntatonia. (l21v. sp. di fren, 1886,)
- D'après Hammond (loc. cit.) un des premiers cas de catatonie se
trouve dans les croquis de Bedlam.
3 Hardy. Ana. fo 1l1'1l , of nell1', and Psych., t. III.
. Clevenger. Ibirl.
5 Burrow. Commentaries, 1S28.
6 Kel(1, Co,2,esp. blatt. f. Psych., 1863, p. 3j7 et 1861, p. 322.
' Guislain. -- Leçons orales sur les P/t)'e' ! Mpa</t : 'M, 1852.
' 8 Griesinger, - Traité des malade. ment. (trad. franc, de Doumic,
1865.)
9 More). - Etudes cliniques, t. Il, p. 27.'j et suiv. 292, 293.
LA. CATATONIE. 423
Mais de l'avis même des partisans de la catatonie, c'était
sous le nom de stupeur que l'affection avait été pour la plupart
du temps diagnostiquée et décrite surtout en France (Bail- r
larger'.) Aujourd hui encore, depuis le travail de Kalh-
baum, beaucoup d'aliénistes continuent, comme par le passé,
à rapporter ces faits comme des variétés de différentes
maladies. -
M. Cullerre 2 publié une observation de catalepsie chez un
hypochondriaque persécuté que nous trouvons mentionnée
par les auteurs allemands, ainsi qu'une autre observation de
Lagardelle3 d'un cas de catalepsie consécutive à nne manie
aiguë. Ces observations à notre avis ne rappellent que de bien
loin la catatonie de Kalhbaum.
M. Dagonet1 semble rattacher ces faits à la stupidité : les -
mêmes idées se trouvent exprimées dans le livre récent de
Kroepelin 5. Parmi les observations de mélancolie avec stu- -
peur et phénomènes cataleptiques, publiées sous ce titre
depuis le mémoire de Kalhbaum et que nous avons pu
recueillir, nous citerons celles d'Angelucci°, Wiglesworth7,
J. Voisine, Wagner9. Dans d'autres analogues (J. Adam ?
Sankey") l'hystérie parait évidente mais n'a pas été mise en
relief. Dans un autre cas semblable, Fritsch 13 insiste sur l'in-
fluence de la dégénérescence et de l'hystérie.
L'influence de la dégénérescence est aussi admise par
' Baillarger. Ann. nzed. psych. 1813 et 1853. ,
2 Cullerre. - Anu. med. psych. 1877, p. 177.
3 Lagardelle. -Ann. med. psych. 1871, p. 38.
. Dagonet. Traité des maladies mentales, 187G.
" Kroepelin. - Camp, der Psych, Leipzick, 1883.
° Augelncci. Losperimentale, mai 1880.
J. Wiglesworth, - On the pathology of certain cases of melancolia
attonita or acute denzenlia (Journ. of meut. se, 1883, p. 355.) -
8 J. Voisin. - Notes sur un cas de mélancolie avec stupeur à forme
cataleptique, etc. (Archiu. de new'olog, 1877, t. XIII, p. 35î.)
. magner. - Anal, in Semaine médicale, 6 juillet 1887, p. 280.
'° J. Adam. A case of melancolia witll stupor and catalepsy (Journ.
of mcnt, sc" 188 p. 508.)
" Sankey. Lectures on mental diseases. 2o et). lS81`, p. 208,
case XIII.
" Fritsch. Zur Kenntniss der melancholia altonita. (lVicuer med,
Presse, 1878. S. 1,477, 1,512, 1,57t.)
424 REVUE CRITIQUE.
-Maudsley1 qui donne à propos de l'hébéphrénie une descrip-
tion comparable à celle de la catatonie et citée d'ailleurs par les
partisans même de celle-ci.
Enfin dans son livre sur la folie à double forme, M. Ritti 2/'
signale la présence des états cataleptiques dans la période I
mélancolique; il en rapporte quelques observations., Plusieurs \
sont empruntées à Krafft-Ebing, dont l'auteur semble, par
suite, adopter la manière de voir.
III.
En résumé, nous nous trouvons en face de ces deux opi-
nions : 1° ou bien la catatonie est une forme morbide essen- -
tielle ; 2° ou bien les cas rangés sous cette étiquette ne sont «-
que des variations de types déjà connus et décrits. Examinons
donc la première opinion qui fait de la catatonie une vésanie
spéciale.
Parmi les caractères donnés comme pathognomoniques
nous voyons figurer au premier rang les phénomènes catato- \
niques d'aspects les plus divers, puis certains symptômes parti-
culiers tels que la verbigéralion, les attitudes pathétiques, les
gestes stéréotypés, souvent bizarres, l'entêtement souvent
systématique et enfin la marche cyclique de la maladie sur
laquelle cependant quelques auteurs (Neisser) insistent moins
que les autres.
Ici une question se pose, ces phénomènes catatoniques ainsi
que d'ailleurs les autres énumérés ci-dessus sont-ils véritable-
ment caractéristiques d'une forme mentale spéciale ? Consi-
dérons-les d'abord en eux-mêmes et isolément et commençons
par les plus importants, les symptômes catatoniques propre-
ment dits.
A. - Comme on peut le voir par la description de
Kalhbaum, ces symptômes peuvent être des plus nombreux
et des plus variables, spasmes généraux ou partiels, convul-
sions épileptiformes, hystériformes, choréiformes, tétani-
1 Siaudsley. - Pathologie de l'esprit (trad. franc, de Germont, 1883,
p. 4 ï8.)
* Ritti. - Traité clinique de la folie à double forme, 1883, Obs. XI,
XII, XIII.
LA CATATONIE. 425
formes ou états cataleptiformes et même les simples raideurs
musculaires. En somme nous rencontrons là, isolées ou même
réunies chez le même sujet, à peu près toutes les perturbations
possibles dans le domaine du système nerveux moteur et des
fonctions musculaires (sauf pourtant les paralysies). Sans con-
sidérer les cas où ces symptômes peuvent se montrer liées à
des affections diverses (rhumatisme, fièvre typhoïde) et nous
restreignant au domaine de la pathologie mentale, nous pou-
vons voir que chacun d'eux peut se rencontrer dans les formes
psychopathiques les plus variées (Arndt, Krafft-Ebin-1, Freus-
berg2, Edel3.)
En premier lieu, nous pouvons placer les psychoses hysté-
riques. L'hystérique aliénée n'en reste pas moins hystérique
et le délire ne suspend pas ou ne remplace pas fatalement
chez elle les manifestations somatiques de la névrose, convul-
sives, choréiformes ou tétaniformes. De même que les convul-
sions ou les contractures, les états cataleptiques sont aussi
très fréquents chez les hystériques en dehors des attaques
de catalepsie et de l'état hypnotique. En effet, si à l'état de
veille les hystériques peuvent présenter 1'liyperexcital)illté
neuro-musculaire de la léthargie, l'hyperexcitahilité cutano-
musculaire du somnambulisme, on peut rencontrer aussi
chez eux la plasticité musculaire de la catalepsie. Lasègue ''
avait déjà signalé le fait de la catalepsie à l'état de veille chez
les hystériques. M. Charcot dans ses leçons sur les para-
lysies hystéro-traumatiques, a parlé d'un sujet hystérique qui
préséntait à l'état de veille l'immobilité cataleptique des mem-
bres placés .dans les positions les plus variées. MM. Binet et
Féré ont repris dernièrement ces études dans un intéressant
mémoire et ont rapporté de nouveaux exemples de ces faits de
plasticité musculaire à l'état de veille.
' Krafft-Ebing. Lelarbuch. B. I. ! Freusberg. Ueber motorische symptôme bei einfachen Psychosen
(Arch. f. Psych. Bd. XVII, 1886. S. 757.)
3 elle ! . - (Allg. Z. f. Psych. Bd. XLII, 1886.)
1 Lasègue. - Catalepsies partielles et Passagéres, in Etudes médicales,
1. 1, p. 899. Anesthésie et ataxie hystérique. Ibid., t. Il, p. 85 et suiv.
5 Charcot. - Leçons sur les maladies du système nerveux, t. III, p. 357.
6 A. Binet et Cl. Féré. - Recherches expérimentales sur la physiologie
des mouvements chez les hystériques, in Arch. de physiolog., le' octobre
1887, p. 323.
426 REVUE CRITIQUE.
Ces phénomènes peuvent aussi se rencontrer dans les états
dégénératifs avec délire surtout du contenu mystique (Morell)
ou érotique et même en dehors de tout trouble délirant, dans
l'imbécillité, par exemple; on les trouve aussi chez les épilep-
tiques. Nous en rapporterons ici deux exemples que nous avons
pu observer dans le service de notre excellent collègue M. Ch.
Féré à Bicôtre.
Observation I. - L..., vingt-ans; a été élevé dans le service des
enfants, attaques fréquentes d'épilepsie diurne et nocturne qui
ont amené un affaiblissement intellectuel de plus en plus pro-
noncé. Morsures de la langue. Aura en forme de boule; aucun
signe d'hystérie, pas de perte de la sensibilité au tact, à la dou-
leur, à la température. Pas de troubles du sens musculaire. Ce
malade a la faculté singulière de conserver indéfiniment (plus
d'une demi-heure) sans tremblement, ni sensation de fatigue les
positions que l'on imprime passivement à ses membres ou qu'il il
veut lui-même prendre et garder et cela les yeux ouverts. Dans
cet état les muscles présentent seulement une légère raideur.
Observation II. - F..., vingt-six ans. Epileptique depuis l'âge
de dix-neuf ans. Petites secousses musculaires. Même propriété
que l'autre malade, même plus prononcée : il reste, parait-il, plus
longtemps dans la même position. Pas de raideur chez lui quand
un membre est étendu. D'ailleurs aucun signe d'hystérie, aucune
perte de sensibilité ou du sens musculaire.
Ces troubles moteurs sont encore accentués dans la mélan-
colie et surtout dans la stupeur. Nous reviendrons plus tard
sur ce point important de la nature de la stupeur : nous rap-
pellerons seulement en passant que c'est sous ce nom que
beaucoup d'auteurs ont décrit et décrivent encore la catatonie
de Kahlbaum.
Guislain 2 signale aussi la fréquence de ces symptômes dans
l'état qu'il décrit sous le nom d'extase, différent de l'extase de
certains autres malades, surtout hystériques, pouvant aussi
présenter les phénomènes que nous étudions (Morel3, Micl1éa 1).
' Morel. Traité des mal, ment., 1860. Note de la page 191 et Etudes
cliniques, t. 2 p. 178.
2 Guislain. -Loc. cit.
3 Morel. Traité clinique des maladies mentales, 1860, p. 191.
4.\lichéa. - Dict. de Jaccoud. Art. Extase.
LA CATATONIE. 42
Ils peuvent aussi accompagner les états de mélancolie symp-
tomatique : on les rencontre par exemple dans les périodes de
dépression de la folie circulaire (ilitli) et dans les différentes
formes de l'intoxication alcoolique où ils sont pour ainsi dire
la règle, se présentant sous forme de secousses, de crampes, de
convulsions. Nous avons eu encore récemment l'occasion
d'observer une femme alcoolique atteinte de stupeur panopho-
bique qui présentait ces manifestations sous trois formes diffé-
rentes, secousses musculaires, raideurs généralisées et aussi
de l'immobilité cataleptiforme provoquée. M. B. Battalia' a a
observé aussi des états cataleptiformes chez un individu
intoxiqué par le haschich et il émet dans ce cas l'hypothèse
de l'hystérie primitive.
Dans les autres formes de mélancolie, qui ne présentent pas
l'état de depression mais des symptômes d'anxiété simple, on
rencontre aussi des phénomènes de même espèce, bien diffé-
rents d'ailleurs, des tremblements si fréquents delà mélancolie
anxieuse. L'un de nous a pu recueillir un cas de ce genre et
bien que l'observation soit fort incomplète, il nous semble
intéressant de la rapporter, car elle présente plusieurs parti-
cularités qui la rapprochent de celles publiées par Kalhbaum
dans le mémoire que nous avons analysé.
Observation III. - In1-0 C..., trente-quatre ans, soumise à notre
observation le lor septembre, est en proie depuis quinze jours à un
accès de mélancolie anxieuse qui serait le quatrième. Nous n'a-
vons aucun renseignement sur les antécédents. Anxiété très
grande, terreurs panophohiques ; hallucinations nombreuses de
la vue et de l'ouïe : elle voit des bêtes effrayantes, elle entend
des voix qui lui disent qu'elle est un-assassin, qu'elle a tué ses
enfants. Idées de culpabilité; elle doit s'empoisonner, elle a peur
pour les siens : gémissements continuels : elle ne reste pas en
place et se promène continuellement comme une femme ivre, les
les bras ballants, toujours prêle à tomber. D'autres fois elle
s'agite comme une désespérée. Elle répète toutes les paroles
qu'on lui dit ou qu'elle entend autour d'elle. Secousses dans
le bras droit imprimant au membre un mouvement à peu près
rythmé qu'on pourrait comparer a celui delachorée malléatoire :
nous n'avons d'ailleurs constaté chez elle aucun stigmate
hystérique.
' B. Battaglia. - Sul hascich e sua azione. (La Psychiatria, 1887.
Anno V, fasc. 1, p. 21.
428 REVUE CRITIQUE
30 septembre. - Elle n'est plus anxieuse, mais déprimée, con-
servant cependant ses idées mélancoliques, travaille un peu. Plus
de mouvements du bras.
20 octobre. - Redevient hallucinée et anxieuse; répète conti-
nuellement : « Afes pauvres enfants, mes pauvres enfants. » Marche
ci reculons; mouvements saccadés du bras droit.
Novembre. - Mu0 C..., se dit criminelle, on va la guillotiner,
la faire bouillir. Très anxieuse, a tout l'aspect d'une maniaque :
cris, gémissements; continuellement en mouvement, elle a la
démarche chancelante d'une personne ivre. Elle déclame et
chante d'un ton pathétique toutes les petites circonstances de sa vie.
- Mêmes mouvements saccadés du bras droit, presque con-
tinuels.
Cette malade, que nous avons perdue de vue, a guéri quel-
ques semaines plus tard.
Ces phénomènes particuliers peuvent aussi se rencontrer
dans les délires hypochondriaques (Cullerre), où More] les
avait déjà signalés '. Ils peuvent aussi être surajoutés aux
états maniaques (Lagardelle). On sait d'ailleurs que dans les
formes plus graves d'excitation, et en particulier dans le délire
aigu, les troubles du système nerveux moteur peuvent être
des plus accentués. Krafft-Ebing signale aussi les états cata-
toniques chez les déments.
Il n'est' pas même jusqu'à la paralysie générale qui ne
puisse aussi, dans son cours, se présenter avec des phéno-
mènes catatoniques variés. A côté des symptômes dits de
paralysie, on peut rencontrer des phénomènes convulsifs
variés, et des états de raideur signalés par Kalhbaum chez ses
catatoniques. Nous avons eu encore récemment l'occasion
d'observer à la Salpêtrière deux paralytiques générales, chez
lesquelles ces raideurs, simulant la contracure, étaient des
plus développées. Chez l'une d'elles, surtout, qui avait l'habi-
tude de tenir ses membres en flexion forcée, on s'était vu
obligé d'appliquer des appareils appropriés aux bras et aux
mains, afin d'éviter les ulcérations qu'auraient pu produire
les ongles. Il n'y avait d'ailleurs ni contractures, ni rétrac-
tions. Les exemples de ce genre sont des plus communs : nous
n'y insisterons pas. Cependant nous rappellerons ici un inté-
4 Morel. Traité des mal. ment., p. 712.
1 Kralft. Ebing. - Loc. cit" Bd. I.
LA CATATONIE. - 429 9
ressant travail de Knecht 1, rapportant des cas de combinai-
son de paralysie générale et de catatonie. M. Sage 2 a, de son
côté, étudié les mouvements choréiformes chez les paralytiques
généraux.
Nous voyons donc qu'en somme, pris isolément, les phéno-
mènes catatoniques n'ont rien de caractéristique, car ils se
rencontrent dans une multitude d'affections vésaniques.
Outre les désordres moteurs accidentels, spasmes, crampes;
que l'on rencontre en dehors de l'aliénation mentale propre-
ment dite, les désordres moteurs eux-mêmes, qui sont plus
spéciaux à la folie et que Morselli 3 divise en états d'excitabi- 1
lité réflexe exagérée des muscles (tétanie), états d'exagération
du tonus musculaire (catalepsie), et états de distribution anor-
male de l'impulsion centrale motrice (paracinèse, tels que
raideurs au début d'un mouvement), ces désordres eux-mêmes
peuvent se rencontrer dans les états vésaniques les plus diffé-
rents. En sorte que nous pouvons dire avec Arndt" que la folie
de tension (spannungs-irresein) n'est pas une maladie, mais
peut se développer sur les terrains les plus divers et sous les
causes les plus variées.
D'ailleurs, même, en ne les considérant que dans les cas
dits de catatonie, leur mode de développement, leur marche,
leurs rapports avec les autres symptômes n'ont rien de spéci-
fique et ne présentent aucun caractère régulier. On peut les
rencontrer à toutes les périodes, dans toute la durée de la
maladie, ou à une seule période : ils peuvent dominer la
scène ou être considérablement effacés. Et dans leurs rapports
avec les autres phénomènes, ils ont été considérés comme pri-
mitifs aux idées délirantes, ou comme secondaires, ou comme
indépendants. Ajoutons, d'ailleurs, que dans leur essence
même ils semblent, pour nous, différer complètement les uns
des autres; d'abord, leurs manifestations extérieures ont des
modes très variés, puis ils peuvent être spontanés ou non,
et nous admettons fort bien que, s'ils sont le plus souvent la
conséquence d'idées délirantes, il n'y a rien d'impossible à ce
qu'ils puissent d'autres fois en changer la direction, en sug-
' Knecht. - Ueber die katatonische Erscheinungen in de,' Paralyse,
(Allg.Zeitsch, f. Psych., Bd. XLII, 1886.)
. Sage, - Thèse de Lyon, 188 i.
' lllorselli.- Manuale di senzejotica délie maze mentalie, Turin 1886.
. Arndt. - Loc. ctt.
430 REVUE CRITIQUE.
gérer de nouvelles. D'autre part, ils peuvent être indépen-
dants de toute idée délirante; et l'on peut voir que, chez
certains malades, ils semblent soumis à l'influence de la
volonté et n'être qu'un simple phénomène d'attention se pro-
duisant d'ailleurs en dehors de tout symptôme d'effort, ou
avec un effort minime, mais disparaissant si l'on fixe sur un
autre point l'attention du sujet. C'est là un fait qui a été
constaté sur un des malades de M. Ch. Féré et sur une femme
que nous avons observée à la Salpêtrière. Dans d'autres cas,
ces phénomènes semblent être en dehors du domaine de la
volonté, indépendants de l'attention du malade, inconscients
et pouvant, comme dans notre dernière observation, s'expli-
quer par des altérations du sens musculaire.
B. - Mais à côté de ces symptômes il en est d'autres en
rapport plus étroit avec les troubles psychiques et que Kalh-
baum donne également comme caractéristiques de la cata-
tonie. Et même il les considère au point de vue pathogénique
comme étant de la même nature que les précédents. Citons la
verbigération, le mutisme, les gestes stéréotypés, les attitudes
pathétiques, la résistance systématique. C'est ainsi que,
dominé par l'idée de l'élément spasmodique capital dans la
forme qu'il veut décrire, Kalhbaum fait de la verbigération
une crampe du centre cérébral des organes de la parole; il en
serait de même du mutisme, qui serait dû à une convulsion
tonique, à l'inverse de la verbigération, due à une convulsion
clonique. De même encore les gestes stéréotypés seraient des
faits de crampes combinées. Il nous suffira de signaler ces
faits : de telles hypothèses physio-pathologiques ne sont même
pas à discuter; si ce sont des vues de l'esprit ingénieuses, ce
n'est pas une base assez solide pour y édifier une nouvelle
forme nosologique. D'ailleurs, quelle que soit l'explication de
ces phénomènes, et en les considérant au point de vue pure-
ment clinique, ils n'ont pas, à notre avis, l'importance que
leur donne Kalhbaum. Nous remarquons tout d'abord qu'après
avoir donné la verbigération comme un signe diagnostique
important, Kalhbaum ajoute qu'au cours de la maladie elle
peut se transformer en l'une quelconque des formes dont il la
distingue auparavant (redesucht ordinaire, radolerie des
affaiblis, idéorrhée, confabulation). D'un autre côté, à notre
avis, cette verbigération n'a rien de caractéristique, car on
peut la rencontrer souvent ailleurs, en particulier dans les
LA CATATONIE. 431
états d'affaiblissement intellectuel primitifs ou secondaires.
Vogelgesang et Jastrowitz la signalent aussi dans la paralysie
générale. Les gestes stéréotypés, comparables à des tics, sont
aussi fréquents dans les mêmes cas d'affaiblissement mental 2
avec ou sans coexistence d'un délire qui, lorsqu'il existe, les
explique souvent sans qu'il soit besoin d'invoquer pour cela
une crampe coordonnée de certains centres cérébraux. Un
exemple bien connu est celui du gémisseU1', de Morel 3. Quant
aux attitudes pathétiques, bizarres, parfois comme cabalis-
tiques, elles sont des plus fréquentes dans les vésanies, surtout
lorsqu'elles sont entées sur un fonds dégénératif dont elles
seraient même toujours caractéristiques pour certains auteurs *.
L'entêtement et la résistance systématique n'ont rien non
plus de bien particulier, car ils sont le plus souvent l'apanage
de tous les états mélancoliques, si bien même qu'on a pu
donner à la mélancolie le nom de folie d'opposition (Guis-
lain 5), Le mutisme aussi se rencontre dans les mêmes états,
surtout de mélancolie profonde, dont il est presque un symp-
tôme obligé, et sans qu'il y ait coïncidence du moindre
phénomène catatonique.
C. - La marche dite cyclique de la maladie ne présente
non plus rien de caractéristique : car les états variables par
lesquels passe le malade n'ont rien de régulier dans leur
mode d'apparition ou de succession. On peut s'en convaincre
en lisant les descriptions et les observations de Kalhbaum
qui, pour retrouver les mêmes phénomènes, va jusqu'à cher-
cher dans la vie antérieure du malade un accès de manie
survenu plusieurs années avant, afin d'établir la suppléance
avec une période maniaque d'un accès de catatonie propre-
ment dite, sans compter que ce n'est pas toujours cette
période maniaque qui ouvre la scène de la catatonie. Outre
que cette excitation maniaque nous parait être souvent de
l'anxiété mélancolique, bien des malades observés se présen-
Allg. Zeitsch, f. Psych., Bd. XLII, 886. S. 331.
1 R. Brugia e S. Marzocchi. - Dei movimenti sistematizzafl in alcllne'
forme diindebolirnento mentale. (Arch, ital. per le mal. nerv., sep-
tembre 1887.) ,
3 Morel. - Eludes cliniques, t. 1, et Traité des mal. ment., p. 713.
à Tanzi et Riva. - La Parazzoia, contributo alla storia délie dégénéra
Zzoni psichiche. (Riv. sper. di fren., l8Sf-8,ï-86.) ,
" Guislain.- Loc. cit.
432 REVUE CRITIQUE. - LA CATATONIE.
tent aussi tout d'abord comme des mélancoliques déprimés.
D'un autre côté, le cycle de la maladie n'a rien de véritable-
ment régulier. On remarque plutôt simplement, comme le
dit Hammond ', des alternatives plus ou moins régulières
d'excitation se présentant aussi bien sous la forme d'excitation
maniaque que d'anxiété mélancolique, puis de dépression
pouvant aller jusqu'à la stupeur. Prise dans son ensemble, ce
serait, en somme, la marche générale par phases succes-
sives des vésanies signalées par Guislain, Zeller, Griesinger.
Ajoutons que Kalhbaum reconnaît « que les maladies men-
tales en général, ainsi que la catatonie, commencent par la
mélancolie, continuent par la manie, puis passent à la Ver-
wirtheit et enfin à la démence ». Autre part, il dit « que la
mélancolie attonita, qui a été considérée jusqu'à présent
comme une forme spéciale, ne se développe cependant primi-
tivement que très exceptionnellement, et en général suit
plutôt un état de mélancolie simple, ou un état de mélancolie
qui suit une manie, de telle sorte que la mélancolie attonita
est la troisième phase du processus complet qui se termine par
guérison ou démence. » C'est là un fait clinique incontes-
table, signalé d'ailleurs depuis longtemps et souvent vérifié
(Morel2, Guislain, Griesinger3, Dagonet4). Si bien que «pour
la même attaque de maladie il y a -quatre phases constitu-
tives. 11 s'ensuit, en accord avec Guislain, Zeller, Griesinger,
que les vésanies ont différentes phases et que, pas plus que la
mélancolie simple, la manie ou la démence, la mélancolie
attonita ne doit être considérée comme une forme particu-
lière. » L'argument est peut-être excellent pour Kalhbaum,
qui veut considérer la mélancolie attonita simple comme une
catatonie mitis; mais pour nous, qui admettons difficilement
une catatonie sans phénomènes catatoniques et qui espérons
n'être pas contredits en disant que bien des cas de stupeur
observés dans les asiles ne présentent pas les phénomènes
catatoniques de Kalhbaum, pour nous, donc, l'argument ci-
dessus nous semble de peu de poids. Et comme nous venons
de voir plus haut qu'il assimile aussi la marche de la catatonie
' Hammond. Loc. cit.
' More). - Traité des mat. ment., p. 489, et Études cliniques, t. II,
p. 257.
3 Griesinger. - Loc. cit., p. 295.
* Dagonet. Loc. cit.
DEUX CAS D'ATHÉTOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ, 433
à celle des vésanies en général, nous en disons ce qu'il dit de
la melancolia attonita, à savoir qu'elle ne doit pas être consi-
dérée comme une forme particulière, au moins pour sa marche.
Nous avons vu, d'ailleurs, ce qu'on pouvait dire de ses symp-
tômes en particulier.
En somme, isolément, aucun des signes que nous venons
de passer en revue ne peut à lui seul caractériser une forme
psychopathique spéciale. En est-il autrement de leur ensemble ?
(A suivre.)
RECUEIL DE FAITS
DEUX CAS D'ATHÉTOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ ;
Par BOURNEVILLE et PILL1ET' 4
Il nous faut maintenant faire ressortir l'analogie du début,
des symptômes et de la marche de la maladie dans nos deux
observations.
1° Les phénomènes d'athétose auraient été remarqués dès
les premiers jours de la naissance chez D... et ils auraient, par
conséquent, une origine intra-utérine; ils sont survenus vers le
milieu de la première année chez Lem... à la suite de convul-
sions (trois à six mois).
2° Les facultés intellectuelles se sont développées lentement t
et sont toujours restées au-dessous de la moyenne, surtout
chez Lem... Sous ce rapport, ils rentrent l'un et l'autre dans
la catégorie des imbéciles. L'imbécillité est toutefois plus pro-
noncée chez Lem... que chez D... ; tous deux ont de la mémoire
et leur physionomie est niaise, mais nullement hébétée. - Ils
ont marché tardivement, et ce n'est qu'à force d'exercices
répétés qu'on est parvenu à ce résultat. Encore ne peuvent-ils
le faire que d'une manière imparfaite. Lem... ne s'avance que
1 Voir Arch. de Neurol., t. XIV, 1887, p. 386 (novembre).
Archives, t. XV. 28
434 RECUEIL DE FAITS.
soutenu des deux côtés ou à l'aide du chariot. A cet égard,
D... l'emporte notablement sur Lem..., car il lui est possible,
quoique très lentement et très péniblement, de marcher
seul.
La parole, réduite à quelques mots chez ce dernier, est, au
contraire, développée chez le premier qui est capable d'entre-
tenir une conversation. La voix est nasonnée, gutturale et la
parole est scandée; tous les deux sont obligés d'exercer un
effort avant de parler. La parole s'accompagne chez tous les
deux de contractions et de contorsions des lèvres auxquelles
prennent part d'autres muscles de la face.
Lorsqu'ils sont assis, on observe quelques mouvements des
membres, de la face ou de la tète. Ces mouvements augmen-
tent lorsqu'ils se mettent debout, ce qui exige une violente
contraction des muscles, les cuisses se rapprochent, les genoux
sont en contact, les jambes très écartées. Dans la marche les
membres inférieurs sont demi-fléchis, les cuisses toujours rap-
prochées ainsi que le genou et l'un des membres supérieurs est
élevé, servant en quelque sorte de balancier. Les pieds se sou-
lèvent parfois plus haut qu'il ne convient et ils ne reposent pas
en totalité sur le sol. La marche s'effectue à peu près en ligne
droite et se complique presque toujours demouvements d'athé-
tose, qui sont très évidents aux orteils, lorsque les malades
marchentpiedsnus, ce qu'ils déclarent moinsbien faire qu'avec
leurs souliers. La marche n'est pas modifiée par l'occlusion des
yeux.
La sensibilité générale, la sensibilité spéciale, la notion de
position, la direction des mouvements, la force musculaire sont
conservées. Il en est de même du réflexe à la lumière et du
réflexe d'accommodation.
Dans l'acte de la préhension (saisir une cuiller ou un verre et
les porter à la bouche), la main droite décrit des oscillations
assez grandes, avec conservation de la direction du mouve-
ment, l'objet est saisi énergiquement et porté presque sans
oscillations jusqu'à la bouche : en un mot, mouvements cho-
réiformes prononcés dans la première partie de l'acte (du point
de départ à la préhension de l'objet) et presque nuls dans la
seconde (du moment où l'objet est saisi jusqu'à son arrivée à
la bouche). Ni l'un ni l'autre de nos malades n'a de vertiges et
n'offre de nystagmus.
La marche de l'atleétose double offre des caractères tout à fait
DEUX CAS d'aTHÉTOSK DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ. 435
particuliers. Sous l'influence des exercices musculaires, on
parvient d'abord à faire tenir les malades debout, puis à les
faire marcher en les soutenant sous les bras, enfin, on perfec-
tionne la marche â l'aide du chariot. Chez nos deux malades
nous avons eu recours, en outre, à l'hydrothérapie. 11 est cer-
tain aussi que chez des malades plus jeunes on obtiendrait
une amélioration beaucoup plus considérable en y adjoignant
la gymnastique. Les facultés intellectuelles peuvent être égale-
ment cultivées dans une mesure qui varie avec l'intensité de la
maladie, c'est-à-dire le degré d'imbécillité ou d'idiotie. En
résumé, il s'agit là d'une affection susceptible d'être modifiée
très avantageusement, mais non d'une maladie qui suit une
marche progressivement ascendante du début à la mort.
Les maladies qui paraissent se rapprocher le plus de l'athé-
tose double, sont la sclérose en plaques, l'alaxie locomotrice,
l'ataxie héréditaire et la chorée.
Dans la forme cérébro-spinale de la sclérose en plaques, on
observe des troubles de la vue : diplopie, amblyopie, nystagmus,
exagération des réflexes pupillaires sous l'influence de la
lumière, qui tous font défaut dans l'athétose double. Les ver-
tiges, fréquents dans la dernière maladie, sont absents dans la
seconde. Les troubles psychiques (hallucinations, délire mélan-
colique, etc.), l'affaiblissement des facultés intellectuelles, les
attaques apoplecliformes qui sont assez fréquentes dans la
sclérose en plaques ne paraissent pas se rencontrer dans
l'athétose double.
Les troubles de la parole se ressemblent au premier abord.
Toutefois, un examen attentif fait bientôt reconnaître des
différences. Dans l'athétose double, l'émission des mots s'ac-
compagne de mouvements convulsifs des lèvres et des autres
muscles de la face qui n'existent pas, chez les malades atteints
de sclérose en plaques et tandis que les troubles de'la parole
vont en s'aggravant dans la sclérose en plaques, ils restent
stationnaires dans l'athétose double. Nous croyons même que
chez des sujets jeunes et soumis à des exercices méthodiques,
ils pourraient s'atténuer dans une certaine mesure.
Les symptômes moteurs sont également très différents. Com-
parons, par exemple, l'acte de boire ou de porter une cuiller à
436 RECUEIL DE FAITS.
la bouche : à partir du début de l'acte, dans la sclérose en pla-
ques, le tremblement va sans cesse en augmentant et souvent
les malades ne peuvent atteindre le but. Chez nos malades,
au contraire, le tremblement parait moins accusé à partir de
l'instant où le verre est saisi, jusqu'à son arrivée à la bouche.
Enfin, le tremblement s'aggrave de plus en plus à mesure que
la sclérose en plaques fait des progrès, tandis qu'il reste le
môme, ou peut diminuer chez les malades atteints d'athétose
double.
Dans la sclérose en plaques, on note au début une parésie
affectant une seule jambe, puis gagnant l'autre; plus tard une
paraplégie, qui peut s'améliorer au point de rendre la marche
possible, mais qui reparaît après une rémission plus ou moins
longue, devient alors très prononcée et se complique de con-
tl'aclu7'e dans l'extension et souvent d'épilepsie spinale (para-
plégie spasmodique). Ces phénomènes paralytiques diffèrent
trop de ceux que nous avons consignés chez nos malades pour
qu'il soit nécessaire d'insister. Enfin, la marche des deux affec-
tions n'est pas la même; d'une façon générale, la sclérose en
plaques tend à s'aggraver de plus en plus pour aboutir, parfois
après des rémissions, à une issue fatale. Nous avons vu que
l'athétose double était au contraire susceptible d'un amende-
ment d'autant plus sérieux que le traitement était institué à
une époque plus rapprochée de la période d'invasion de la
maladie. Passons maintenant à la comparaison de l'athétose
double avec l'ataxie locomotrice.
Le début après vingt ans, les symptômes oculaires (diplopie,
strabisme, amaurose, induration grise, inégalité des pupilles),
les douleurs fulgurantes, les plaques anesthésiques ou hypc-
resthésiques, la perte de notion de la position des membres et
de la résistance du sol, la difficulté ou l'impossibilité de se
tenir debout dans l'obscurité complète ou quand les yeux sont
fermés, qui caractérisent l'ataxie locomotrice manquent tous
dans l'athétose double.
L'inco01'dinalion motrice tabétique ne ressemble pas à l'in-
coordination athétosique : en ce qui concerne les membres
inférieurs, si l'athétosique et l'ataxique soulèvent les pieds
plus qu'il ne convient, l'athétosique ne projette pas brusque-
ment ses jambes de côté à l'instar d'un polichinelle et ne
s'écarte pas de la ligne droite comme l'ataxique. Quant à
DEUX CAS D'ATHÉTOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ. 437
l'incoordination motricedes membres supérieurs chez l'ataxique
elle se distingue de l'incuordination athétosique en ce que le
désordre moteur est de plus en plus marqué à mesure que
l'index, par exemple, se rapproche du nez, et que l'occlusion
des yeux l'exagère considérablement, tandis que chez l'athéto-
sique le tremblement ne va pas en s'accroissant du point de
départ au but, qui est toujours atteint et que l'occlusion des
yeux n'a pas d'influence.
On n'a pas encore observé, que nous sachions, dans l'athé-
tose les troubles viscéraux (crises gastriques, laryngées, néphré-
tiques, vésicales, parésie vésicale, cystite), les troubles 12-oplti*-
ques (arthropathies, fractures, atrophie musculaire, eschares)
qui compliquent si souvent l'ataxie locomotrice. Enfin la
marche des deux maladies ne présente aucune analogie.
Dans l'ataxie héréditaire, maladie de la puberté et non de
la première enfance, les troubles moteurs, qui ont le caractère
ataxique et ne s'observent, au moins durant longtemps, qu'à
l'occasion des mouvements, débutent par les jambes envahissent
plus tard les membres supérieurs et vont en augmentant progres-
sivement. La marche, peu modifiée àl'origine, devientde plus en
plus difficile; au bout d'un certain temps, la station debout et la
déambulation avec lesyeux fermés ne sont plus possibles et enfin,
aux périodes les plus avancées, la force musculaire s'affaiblit et
les malades demeurent confinés au lit (paraplégie). Dans l'athé-
tose double, même au repos, on note des mouvements des
doigts, des orteils, de la face, etc. ; les désordres de la motilité
sont généralisés ; la marche s'améliore et n'est pas modifiée
par l'occlusion des yeux.
Les troubles de la parole qu'on remarque chez les athéto-
siques dès qu'ils commencent à parler ne se manifestent qu'un
temps assez long après l'apparition de l'incoordination motrice
chez les malades atteints d'ataxie héréditaire. On voit enfin se
produire, chez eux, des vertiges, du nystagmus etdes douleurs
fulgurantes, symptômes qui ne se montrent pas chez les athé-
tosiques. Disons enfin que l'évolution de l'ataxie héréditaire, si
elle est lente, n'en est pas moins fatalement progressive ' .
' Consulter sur ce sujet, Brousse : De l'ataxie héréditaire (maladie de
I'rleireicll), 1882. CII, Féré : Progrès médical, 1882. (Bibliographie
détaillée). J.-11. Charcot : Gaz. des hôpitaux, t88t,et Progrès médical,
1887, 2' série, t. V, p. t53, - Voir aussi dalls les Archives de Neuro-
438 RECUEIL DE FAITS. - DEUX CAS D'ATHÉTOSE.
Il ne nous reste plus qu'à établir le diagnostic différentiel
entre la chorée et l'athétose double. La chorée vulgaire est
exceptionnelle avant l'âge de six ans; le plus souvent, à l'ori-
gine, elle est limitée à une partie du corps, surtout au côté
gauche, elle se généralise ensuite plus ou moins rapidement;
dans l'athétose double le tremblement paraît atteindre son
maximum d'intensité et d'étendue dès le début.
A la période d'état, le choréique est agité par les mouve-
ments les plus désordonnés. Assis, il porte brusquement la
tête de tous côtés, grimace étrangement, ouvre ou ferme
convulsivement la bouche qui est tirée en divers sens, allonge
la langue malgré lui, fléchit et détend violemment les bras ou
les jambes et souvent glisse de sa chaise. La brusquerie et
l'étendue des mouvements du choréique, diffèrent tout à fait
des mouvements lents et circonscrits que l'on observe dans la
situation assise chez les athétosiques.
Debout ou dans la marche, l'agitation est encore plus pro-
noncée : le choréique fléchit subitement tantôt sur une jambe
tantôt sur l'autre ; il est projeté de côté en avant ou en arrière,
se cogne contre les objets environnants, se contusionne, soit
dans ses mouvements incohérents, contradictoires et illo-
giques, soit dans ses chutes répétées.
L'athétosique est en quelque sorte maître de sa langue, qu'il
ne mord pas, qu'il peutporter dans tous les sens et maintenir
hors de la bouche. Il n'en est pas de même du choréique, dont
la langue sort ou rentre, se porte à droite au lieu de se porter
à gauche quoiqu'il fasse pour la diriger, et qui est souvent
blessée par le rapprochement intempestif des mâchoires.
Dans les actes intentionnels du choréique, des gesticula-
tions violentes, contradictoires, troublent la direction générale
du mouvement et font manquer le but, tandis que chez l'athé-
tosique la direction générale du mouvement est conservée.
Les troubles cardiaques, la diathèse rhumatismale, si com-
muns dans la chorée vulgaire, nous semblent manquer dans
l'athétose double. Enfinla chorée, si elle affaiblit un peu l'intelli-
gence des enfants ou des adolescents, qu'elle fait parfois revenir
logie l'analyse des travaux de Sclimid (t. I, p. 695), Gowers (t. IV, p. 90),
Hammond (t. V, p. 117), et l'observation de M. P. Blocq (t. XIII, p. 217);
le mémoire très intéressant de M. P. Marie sur la Sclérose en plaques chez
les enfants (Revue de médecine) et enfin la thèse de M. de Souza : Estudo
clinico da ataxia hededitaria de Friedreich. Rio de Janeiro, 1888 (112 cas).
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 439
en arrière, elle ne coexiste pas avec l'imbécillité ou l'idiotie.
La marche des deux maladies n'est pas non plus compa-
rable. Le tremblement reste à peu près toujours le. même
chez l'athétosique; il offre, au contraire, des exacerbations et
des rémissions chez le choréique, présente une période d'ag-
gravation progressive, une période d'état, puis décroit avec
une plus ou moins grande rapidité.
La chorée rhythmée, caractérisée aussi par des mouvements
involontaires, impulsifs, cadencés, se reproduisant suivant un
rhythme régulier, imitant certains mouvements d'expression,
tels que ceux de la danse, ou bien certains actes profession-
nels, comme les mouvements des rameurs ou des forgerons ',
et liée d'ordinaire à l'hystérie, diffère trop de l'athétose double
pour qu'il soit utile d'établir un parallèle minutieux entre les
deux affections.
Là se terminent les considérations que nous avons à pré-
senter à propos de nos deux malades. De nouvelles observa-
tions nous fourniront prochainement l'occasion de revenir sur
ce sujet encore peu connu 2.
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE
XII. TABES ACCOMPAGNÉ DE FOLIE SYSTÉMATIQUE ; PARALYSIE GÉNÉRALE
terminale; par W. Sommer. [AU. Zeitsch. f. Psych., XLII, 4.)
Observation très intéressante. Tabes suivi de folie systématique
hallucinatoire; douze ans plus tard, paralysie générale.- Anato-
mie pathologique. Lésions tabétiques; lésions de la folie systéma-
tique (Ieptoméningite chronique, atrophie de l'écorce, hydrocé-
1 Charcot. - Leçons sur les maladies du système nerveux, t. I, p. 220,
et t. III, p. 216.
2 Consulter : Clay Shaw. On athetosis or mibeulletz with ataxia
(St Barlholomew's Hospital Reports, vol. IX, p. 130, 1873); - Dulmont,
Etude clinique sur l'athétose, 1878; - Cliffort-Albutt (Med. Tinter and,
Gazette, 1872); - Purdon British med. Journ., 1873; - Kurella, Atlie-
lose bilatérale (Centralblatt f. Neruenheilkunde, Psychutrie, se, juillet
1887, p. 3G6);-Richardière, thèse de Paris, t886;-P. Blocq et E. Blin,
Note sur un as d'athétose double (Revue de médecine), 1888, p. 10.
440 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
phalie; oedème chronique diffus); stade congestif de paralysie
générale (hypérémie des méninges et de l'ensemble de l'encé-
phale surtout au niveau des lobes frontaux). L'individu est mort
avant qu'il ait pu se former des épanchements sanguins pachy-
méningiliques, des pseudomembranes, de la périencéphalite.
, - P. K.
XIII. Considérations DE pathologie générale sur l'occurrence ET
L'IMPORTANCE DU GATISME CHEZ LES ALIÉNÉS; par H. L1\DENllORN.
(Arch. f. Psych., XVII, 2.)
- Il y a deux espèces de gâteux. Les uns perdent simplement
sous eux urine et matières fécales. Les autres jouent en outre
avec leurs produits de déjection, s'en imprègnent, s'en frottent.
C'est de cette dernière catégorie de gâteux que l'auteur fait une
étude psychopathologique. Il en distingue trois classes : la pre-
mière comprend le gâtisme par excitation pathologique, pas-
sager, épisodique, étranger la personnalité; on en distingue
trois catégories, suivant la région où siège l'excitation; excitation
psychomotrice (impulsion organique centrifuge)- excitation sen-
sitive, périphérique et psychique (réflexe centripète) - excitation
véritablement inlrapsychique, intracenlrale (idée délirante). La
seconde classe a trait au gâtisme faisant corps avec l'individu
lui-même, qui constitue la manifestation logique de l'anomalie
de la personnalité : tantôt il s'agit d'une psychopathie chronique
ayant transformé la personne (aberration des processus intel-
lectuéls, des sensations); tantôt on a affaire à une prédisposition
psychopathique, à un terrain constitutionnel, à une dégénéres-
cence héréditaire (lacunes et perversions des sentiments); quoi
qu'il en soit, ces gâteux-là sont des gâteux de parti pris, contents
de leurs actes; il y faut joindre les idiots. La troisième classe est le
produit artificiel d'un isolement imprudent, trop prolongé, et
des moyens de contrainte exagérés. Il va de soi que chaque
classe comporte un pronostic et un traitement particuliers. La
prophylaxie générale se rattache à la surveillance, au nettoyage
et au lavage de l'intestin. La vie en liberté et les occupations
restreignent le gâtisme; tableaux et indications statistiques à cet
égard. P. K.
XIV. UE l'existence ET DE l'importance DE l'anesthésie MIXTE (Se ? 2St-
.' tioo-sensorielle) cnEz LES aliénés ; par R. Thomsen. (Archiv, f.
Psych., XVII, 2.) ,
. ' L'expression d'anesthésie mixte (sensitivo-sensorielle) est celle
qui désigne le plus nettementle complexus symptomatique observé
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 441
et qui ouvre le moins la porte aux fausses interprétations ; elle
embrasse l'émoussement ou la disparition de la sensibilité cutanée
soit dans tous ses modes, soit dans plusieurs, sous la forme bila-
térale, hémilalérale, disséminée (en plaques), stationnaire ou
passagère, de concert avec des troubles semblables des fonctions
sensorielles (vue, ouïe, odorat, goût), avec ou sans l'atteinte con-
comitante du sens chromatique et du sens musculaire. Sous le
titre d'aliénés, M. Thomsen entend désigner en bloc des troubles
psychiques passagers ou permanents, idiopathiques ou transformés
Chez dix-huit hommes psychopathes, malades depuis quelques
jours ou quelques années, et séquestrés pour cette cause se divi-
sant en huit déments, six fous systématiques chroniques, quatre
états d'angoisse et de désordre dans les idées greffés sur un
terrain de démence ou de folie systématique, il a trouvé, en ce
qui regarde la sensibilité cutanée, - hémianesthésie totale et com-
plète (treize faits), quelquefois passagère, (douze faits), ou incom-
plète (treize faits de zones épargnées, deux faits de ligne médiane
dépassée ou non atteinte) - hémianalgésie simple (un cas) -
hémianesthésie brachiale ou crurale (deux cas) anesthésie en
plaques se rapprochant de l'hémianesthésie (un cas) - anesthésie
en plaques bilatérales (cinq cas) - émoussement de la sensibi-
lité pour toutes les propriétés de lafonction ou pour quelques-unes
seulement (deux cas).
Chez le même individu, ces perturbations varient, quant à la
forme, à divers moments; elles sont dans leur ensemble générale-
ment statiounaires, mais ne durent que dans quelques cas pendant
des années; il est fréquent aussi d'observer des disparitions,
des réapparitions, et surtout, des oscillations en intensité et en
étendue. La vue est toujours atteinte en même temps (rétrécisse-
ment concentrique du champ visuel ordinaire et coloré); huit
dyschromatopsies, trois achromatopsies; troubles uni ou bi-lalé-
raux, parfois passagers; le rétrécissement concentrique est presque
toujours bilatéral; fréquemment l'acuité visuelle a en même temps
diminué. Dans les cas de diminution de l'acuité auditive, les
parois osseuses ne conduisaient plus le son ; dans le cas de troubles
du sens musculaire on a toujours noté l'anesthésie du même côté,
l'inverse n'étant d'ailleurs pas toujours vrai. Il existe une étroite
relation entre le sens musculaire et la finesse du tact à l'égard
des menus objets. La rareté des anesthésies si prononcées chez
les aliénés indique qu'elles ne sont pas en rapport direct avec les
psychoses. Le relevé dans les anamnestiques de l'alcoolisme, des
troubles céphaliques, de l'épilepsie, qui constituent, dans presque
tous les cas, des facteurs pathogénétiques de premier ordre, ets'ac-
compagnentaussi presque toujours l'un l'autre, cette particularité
indique l'origine réelle du complexus sensitivo-sensoriel qui nous
occupe, quoique l'étude analytique et critique des observations
442 Gaz) REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
n'en permette encore aucune théorie exacte. Il émanerait d'après
M. Thomsen, de phénomènes centraux fonctionnels, en attendant
qu'on en ait indiqué, démontré la lésion; en tout cas, l'hystérie
doit être résolument écartée'. P. K.
XV. LE cardiopatie NEI PAZZI; par le D1' Salemi-Pace. (Palerme.)
Les maladies du coeur chez les aliénés seraient beaucoup plus
fréquentes que ne l'indiquent la plupart des auteurs classiques.
On rencontre parfois chez les cordiaques, mais à titre de phé-
nomène secondaire et exceptionnel, des formes de manie et de
délire qu'on a pu ranger sous le nom de folie cardiaque. Par contre,
l'origine de certaines affections du coeur serait bien mieux établie.
Dans les nombreuses autopsies qu'il a faites à l'asile de Palerme,
l'auteur trouve soixante-quinze fois des lésions de coeur sur cent
aliénés. L'hypertrophie du ventricule gauche, l'atrophie du ven-
tricule droit, la surcharge et la dégénérescence graisseuse du
myocarde, sont les lésions qu'on observera le plus souvent. Ces al-
térations du parenchyme constituent pour le Dr Salemi-Pace une
dystrophie cardiaque par innervation anormale. Plusieurs chro-
molithographies accompagnent ce travail consciencieux.
J. CO1BY.
XVI. DE QUELQUES PHÉNOMÈNES SURVENANT A LA SUITE DES ATTAQUES
épileptiques ET APOPLECTIFOfIlLES; par J. Thomsen. (Arch, f. Psych.,
XVII, 2.)
Revue, sans observation, des accidents somatiques ou psychi-
ques suivants, survenant chez des épileptiques et des paralytiques
généraux : 4° mydriase unilatérale permanente très considérable avec
parésie faciale très accentuée survivant des heures et même des
jours aux accès d'épilepsie chez les épileptiques ordinaires;
2° bradylalie, bradyartliie, bégaiement, lenteur de la parole,
changement de timbre de la voix, vociférations, paraphasies,
comme symptômes post-épileptiques; 3° états d'excitation moteurs
(corticaux) soit dans le stade postparoxystique des attaques con-
gestives, soit dans les psychoses postépileptiques. Telles les
petites convulsions cloniques, fibrillaires, limitées, atteignant au
maximum la moitié du corps, l'hémichorée, l'hémiathétose, les
1 M. Thomsen poursuit, comme on le voit, l'idée d'après laquelle
M. Charcot et l'Ecole de la Salpêtrière auraient formulé des lois
inexactes sur l'hémianesthésie hystérique chez la femme et chez l'homme.
Si nous avions à faire l'étude critique de ses mémoires et de ses faits,
nous ne serions pas long à démontrer l'insanité de ses prétentions, en
regard de la netteté des mémoires et des faits de M. Charcot (Voy.
Archives de Neurologie, t. IX, p. 258 ; XI, 81, etc. (Rédaction.)
REVUE DE PATHOLOGE MENTALE. 443
mouvements automatiques divers; 4° l'excitation maniaque, dési-
gnée par Samt sous le nom de moria postépileptique, est plus fré-
quente que ne le pensait Samt ; elle se montre non seulement à
la suite des accès épileptiques constitutionnels, mais encore
après les attaques congestives apoplectiformes des paralyti-
ques généraux ou des malades atteints d'affections organiques
du cerveau. L'allure générale est, de par l'état d'hébétude, d'ob-
nubilation psychique concomitant, celle d'un somnambule qui
exécuterait, d'une façon incohérente, des opérations souvent
dangereuses, toujours inconscientes, assez fréquemment sales et
salaces, en les accompagnant de paroles sans suite ; 5- obnubila-
tions partielles, consécutives aux attaques congestives apoplecti-
formes et aux accès d'épilepsie. P. K.
XVII. Observations sur l'ivrognerie ET SON hérédité ;
par J. Thomsen. (Arch. f. Psych., XVII, 2.)
Exposé de doctrines d'un vieux Kreisphysikus ayant pratiqué
dans la même région de longues années. Il parle de cinquante
années et rappelle son mémoire de 1850. Ueber die Berauschungs-
mittel des Menschen (Zeitsch.. f. die Gesammte Medicin XLIV, 2, 4).
D'après lui, l'ivrognerie n'est que l'exagération pathologique d'un
instinct naturel. La preuve, c'est que toute civilisation se traduit
par la confection de liqueurs enivrantes. L'ivrognerie patholo-
gique est tantôt périodique (dipsomanie), tantôt continue. Cette
dernière aboutit à la dégénérescence somatique et psychique, et
mène au delirium tremens, qui tue le patient ou terrasse l'in-
toxiqué par d'autres processus morbides. Le dipsomane au contraire
reste sain d'esprit et souvent de corps dans l'intervalle des accès;
la périodicité de la maladie, et sa transmission héréditaire fatale
en confirment l'autonomie nosologique. Il existe des types d'ivro-
gnerie intermédiaires à ces deux formes. Signalons en un, se
rapprochant de la forme continue, daus lequel la propeusion à
boire n'est pas toujours d'une égale violence, mais revêt de temps
à autre une intensité plus grande; les sujets succombent alors à
la déchéance organique. Description pour ainsi dire anecdotique
de quelques exemples divers. L'ivrognerie se transmet par héré-
dité directement ou en sautant plusieurs générations; elle ne se
transformerait ni en épilepsie ni en aucune autre névrose. P. K.
XVIII. Epilepsie ET folie systématique; par P. VÉJAS,
(Arch. f. Psychiat, XVII, 1.) .)
Quatre observations d'épilepsie compliquée de folie systéma-
tique. Dans les deux premières, les accès d'épilepsie ne se sont
plus reproduits après l'explosion de la maladie mentale, mais il
If 14 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
semble qu'il y ait eu simplement coexistence et non corrélation
de deux affections différentes. La troisième observation concerne
une femme de vingt-deux ans : tare héréditaire, épilepsie, folie
postépileptique caractéristique; finalement mélancolie, érotisme,
mégalomanie, idées de persécution systématisées. '08s. IV se
résume dans une profusion d'hallucinations de l'ouïe et de la
.vue et des idées délirantes intensives chez un homme ayant eu des
accès d'épilepsie; il est l'antéchrist. On constate une démence
très prononcée, entremêlée d'excitation maniaque, de phases hy-
pochondriaques ; relation pathogénétique entre l'épilepsie et la
folie plus ou moins systématique. P. K.
XIX. Contribution A la pathologie DE la mémoire ; par A. P¡CK.
(Arch. f. Psych., XVII, 1.)
Observation très détaillée permettant d'établir les lois de retour
de la mémoire. Il s'agissait d'une amnésie pure générale et pro-
gressive avec lacune persistante du souvenir. Déficit étendu des
images commémoratives de la vue et autres nécessaires au dis-
cernement des individus et des objets (domaine de l'écorce), de
nature asthénique, remontant peut-être à la puerpéralité. Com-
paré aux faits de Marcé et Skae, ce fait montre que la première
période de l'amnésie a été de l'asymbolie, que l'amnésie plus
profonde est venue ultérieurement. Quand s'est produite l'amé-
lioration, la malade a récupéré d'abord les plus anciennes images
commémoratives, celles qui avaient, pendant l'éducation, été le
plus souvent répétées, celles qui ont trait aux objets de chaque
jour. Or, ce sont celles-là qui avaient disparu les premières. La
localisation du souvenir ou de l'image commémorative dans le
.temps, la malade la puisait dans le degré de vivacité, d'intensité
du souvenir, tandis que normalement l'époque des souvenirs est
surtout obtenue à l'aide de l'association des idées. Parallèlement
aux perturbations sus-énoncées, apathie de la sensibilité morale ;
dès le début de l'amélioration, la patiente reprend son caractère
normal, sa tendance à la dépression ; on constate chez elle la
dissociation des images commémoratives optiques et auditives,
parce que dans sa jeunesse elle avait possédé une bonne mé-
moire pour l'audition. Elle indique elle-même comment elle est
arrivée à distinguer le temps écoulé, en récupérant la réflexion,
la direction de ses pensées, de la recherche personnelle. P. K.
XX. DE l'influence qu'exercent LES aliénés SUR LEUR entourage.
(Uontugion psychique. Folie à deux. Folie induite ou commu-
niquée) ; par GRAF. (tilla. Zeitsch. f. Psych., XLIII, 3.)
La transmission de la folie peut n'être qu'apparente; c'est
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 445
ainsi que des parents ou des personnes vivant avec les fous se-,
raient, à raison de prédispositions spéciales, devenues folles sans
que cette circonstance fût intervenue. La contagion, au sens rigou-
reux du mot, s'applique aux cas dans lesquels la seconde personne
atteinte n'est pas parente; et alors, ou bien l'explosion de la
psychopathie age comme une émotion brusque (si on cherchait
bien, on trouverait peut-être un facteur prédisposant, comme le
veut de Krafft-Ebing), ou bien on constate que le délire lui-même
imprègne la personne contaminée, l'infecte pour ainsi dire.
M. Graf communique sept observations de contagion chez des
époux ou sur le personnel employé au traitement des malades.
P. K.
XXI. Contribution A la question DE l'influence favorable exercée
PAR LES MALADIES AIGUËS SUR L'ÉVOLUTION DES TROUBLES PSYCHIQUES ;
par G. Leiimann. (Allg, Zcilsclv. f. Psy ch., XL111, 3.)
Observation I. Mélancolie guérie par un érysipèle de la face.
- Observation II. Mélancolie guérie par une hématémèse. P. K.
XXII. NOUVELLES communications sur l'assistance 15ES aliénés EN
ESPAGNE; par A. SCH1/ITZ. (Allg. Zeitsch. f. Psych., XLIII, 3.)
Traduction allemande du règlement du manicome modèle de la
casa de dementes de Santa Isabel à Leganès (près Madrid) et de
la loi espagnole sur les aliénés. P.K.
XXIII. Démence paralytique ET syphilis; par C. DIETZ.
(Allg. Zeitsch. f. Psych., XLIII, 3).
Sur 539 malades hommes entrés à la Clinique deLaipzig pendant
les années in et 1885, il y a eu 88 paralysies générales vraies.
Dans ce nombre, 5 avaient eu certainement la syphilis antérieu-
rement, soit une proportion de 61,4 p. 100. Si l'on y ajoute 9 cas
suspects dans lesquels l'infection syphilitique était probable, la
proportion devient 71,6 p. 100. Sur les Si syphilitiques avérés, il
s'était écoulé soit une dizaine d'années entre l'infection et l'appa-
rition de la paralysie générale (20 cas), soit entre dix et vingt ans
(17 faits), soit plus de 20 ans (2 faits). Il est à noter que sur les
88 paralytiques généraux, 39 étaient porteurs de la syphilis seule
comme facteur nocif, soit une moyenne de 44,6 p. 100. C'est entre
34 et 45 ans qu'apparaît le plus souvent la paralysie générale.
On y trouve les deux tiers ou les trois quarts de syphilitiques. Sur
58S paralytiques, il y avait 18 tabétiques, dont 14 syphilitiques.
Il n'existe pas, d'après la statistique, de forme clinique particu-
lière de paralysie générale syphilitique. Le traitement spécifique
a déterminé 7 rémissions complètes persistantes, 9 intermittences
446 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.
de un an à 4 mois, 10 rémissions incomplètes; total : 26 résiliais
sur 88. P. Keraval.
XXIV. DE L'INFLUENCE NERVEUSE dans la PRODUCTION DU vitiligo ;
par le Dr ÛHMANN-DuMEsNiL.
Les phénomènes de nutrition sont sous la dépendance des cen-
tres nerveux, par l'intermédiaire des nerfs, quand les uns ou les
autres de ces derniers sont détruits ou lésés, il se produit des
troubles dans les différents phénomènes de cette nutrition. La
forme arrondie des plaques de vitiligo, et la marche excentrique
de celles-ci, avec leur centre décoloré et leur pourtour foncé,
sont bien faites pour faire penser à une action nerveuse, comme
cause de ce trouble de la pigmentation cutanée. De nombreux
auteurs du reste ont cité des faits concordant avec cette opinion :
Cazenave, Reed, Morris, Hyde, Tilbury Fox, Dulsring, Leloir et
Chabrier. En 1881, Déjérine trouva dans un cas, des altérations
nerveuses, à l'examen histologique. Le Dr Ohmann-Dumesnil cite
deux observations, recueillies par lui, d'individus nerveux, chez
lesquels apparurent des plaques de vitiligo; celles-ci guérirent par
l'application de courants galvaniques.
On retrouve du reste dans l'aspect du vitiligo de nombreux
traits de ressemblance avec certains faits de troubles de la pig-
mentation cutanée, dans lesquels l'action nerveuse est indéniable.
Tels sont : les points de décoloration des cheveux à la suite d'une
émotion; la perte du pigment au niveau des plaques de lèpre
anesthésique; le chloasma, ce dernier étant un type d'augmenta-
Lion du pigment cutané. Dans le vitiligo, il y a, en effet, à la fois
perte et augmentation de ce dernier : une sorte dé déplacement.
D'autre part, la symétrie des plaques de vitiligo est en faveur de
la théorie. Les individus qui en sont atteints sont le plus souvent
des nerveux, des gens ayant des affections nerveuses bien carac-
térisées, ou présentant des antécédents nerveux héréditaires. L'u-
sage des médicaments agissant sur le système nerveux ont donné
des résultats sérieux, et c'est surtout l'action des courants galva-
niques qui a donné les meilleurs résultats. Enfin on a pu, dans
quelques cas, trouver des altérations des nerfs dans le vitiligo.
(Alienist and Neurologist, 4886, p. 298.) A. RAOULT.
XXV. Changements dans la pigmentation DE la peau CHEZ LES
, aliénés; par le Dr 111ERN : 1N (de Chicago).
Les trois cas cités par l'auteur viennent à l'appui de l'opinion
exprimée par le Dr Ohmann-Dumesnil, sur les influences ner-
veuses dans la production du vitiligo. Dans le premier cas, il
s'agit d'un jeune homme âgé de dix-huit ans, s'adOl1nant à la
REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 447
masturbation depuis longtemps, et qui se présenta au Dr Kier-
nan, atteint de délire des grandeurs avec idées de persécution.
Bientôt il fut atteint de symptômes ressemblant au petit mal,
puis on remarqua chez lui de l'hémiatropliie faciale, avec exo-
phthalmie et hypertrophie du côté thyroïde. Du côté gauche, la
peau présentait des taches brunes ou noires sur la face et le bras,
et les cheveux étaient gris par places de ce côté. Ces derniers phé-
nomènes étaient apparus trois semaines après l'apparition de
mouvements choréiques du côté gauche à l'âge de seize ans.
La seconde observation est celle d'un nègre âgé de cinquante-
six ans, atteint de paralysie générale qui, trois ans auparavant,
avait présenté de l'hémiopie, puis avait eu une hémiplégie
gauche accompagnée d'aphasie. Six mois après ce dernier acci-
dent, la peau devint blanche par places, et en certains endroits
les cheveux devinrent gris du même côté que la paralysie. Dans
le troisième cas, les plaques d'atrophie pigmentaire apparurent
en même temps qu'une maladie de graves avec aphasie tempo-
raire. Le Dr Kernan a observé des faits semblables chez dix para-
lytiques généraux, chex dix malades atteints de folie circulaire,
huit atteints de paranoia, dix lunatiques, quatre épileptiques. Il
cite un cas dans lequel les troubles de coloration se montrèrent,
là où le malade ressentait des douleurs ; il semble admettre que
des phénomènes vaso-moteurs accompagnent les changements
dans la pigmentation, et donnent lieu à ces sensations.
Le Dr Yiuaur a montré que, chez les aliénés, on trouvait une
atrophie du bulbe pileux des cheveux, fait qui explique bien les
troubles de coloration exposés plus haut. (The alienist and neuro-
logist, 188G, p. 474,) A. Raoult.
XXVI. Psychologie DE l'ironie ; par H. JACKSON.
(Brit. méd. Journ., 1887, p. 870.)
Le processus de toute pensée est double et consiste à établir
les relations de ressemblance et de différence, depuis la plus
simple perception jusqu'au plus abstrait raisonnement. La
formule de la caricature du processus normal de la pensée est
l'apparence de quelque ressemblance entre des choses très
différentes, depuis le jeu de mots où les ressemblances appa-
rentes et les différences réelles sont d'un ordre simple, jusqu'à
l'humour, où les deux sont habilement combinées. Nous avons
trois degrés d'évolution dans le « jeu d'esprit » : le calembour,
le bon mot et l'humour. Dans tous ces cas, il y a une diplopie
' Gancet, mai 1886.
448 sociétés savantes.
mentale manifeste, tout comme en ophthalmologic on consi-
dère des images vraies et fausses dans la diplopie oculaire.
Je pourrais montrer, dit l'auteur, que cela s'applique aux
symptômes mentaux de maladies sérieuses. Tous les états
morbides mentaux sont des subdivisions des états mentaux
normaux dans des voies différentes. Par exemple, le processus
mental chez les maniaques de la « mentation » stéréoscopique
ou diplopique chez les gens bien portants. - La réminiscence
est en réalité placée entre un processus mental parfaitement
normal et un nettement anormal, car la réminiscence survient
dans les accès d'une certaine variété d'épilepsie, comme le
font d'autres états mentaux (auras intellectuelles). - En
conséquence de cette théorie, l'auteur demande une étude
comparée de toutes ces maladies du système nerveux.
il. S.
SOCIÉTÉS SAVANTES
SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCIIOLOGIQUE
Séance du 27 février 1888. - PRf : SIDENCE de M. Cotard.
M. ROUILLARD communique l'observation d'un cas de glycosurie
chez un paralytique général.
M. Charpentier a déjà communiqué un cas semblable à la
Société de médecine.
M. Féré. - La glycosurie dans la paralysie générale n'a rien qui
doive surprendre. Ne sait-on pas, en effet, que le travail cérébral
peut parfois déterminer l'apparition du sucre dans les urines ?
M. Briand. - Pendant mon internat dans le service de l'admis-
sion, recherchant quelle pouvait être l'influence des lésions du
quatrième ventricule sur la production du sucre, j'ai faitl'analyse
de l'urine d'un grand nombre de paralytiques généraux et je suis
arrivé à cette conclusion que la glycosurie dans cette affection
n'était ni plus ni moins fréquente que chez les individus ne pré-
sentant aucune altération des centres nerveux. J'ai cependant
SOCIÉTÉS savantes. 449
constaté qu'à certaines heures de la journée, certains paralyti-
ques éliminaient un peu plns de sucre. Eu regardant de plus près,
il m'a été facile de me convaincre que cette manifestation se pro-
duisait à la suite de repas copieux.
M. KLEIN lit une note sur l'origine des idées délirantes dans la
paralysie générale.
Du délire chronique. (Suite de la discussion.) - l\I, 11f.\GN,\ : "I ne
veut pas aborder aujourd'hui la discussion générale sur le délire
chronique; il se réserve de le faire dans la prochaine séance, se
bornant, quant à présent, à répondre aux critiques présentées
par M. Séglas d'après l'examen de huit malades actuellement à
la Salpêlrière. Comme ces aliénées pourraient être transférées en
province, il croit utile de ne pas différer cette partie de la discus-
sion puisqu'on possède à la Salpêlrière le meilleur moyen de con-
trôle, les malades elles-mêmes.
M. Séglas, dit-il, dans une partie de son argumentation, s'est
placé sur un excellent terrain, celui de la clinique, et il nous
donne- le résultat de son observation. J'ai voulu naturellement
revoir les huit malades de la Salpêlrière choisies par notre con-
tradicteur; pour la plupart d'entre elles, je ne les avais eues sous
les yeux que peu de temps, conséquemment une erreur de dia-
gnostic eût été possible, le certificat immédiat étant, vous le savez,
délivré dès l'entrée de l'aliéné à l'asile, en l'absence de tout ren-
seignement. Dans ces conditions, un délire chronique pouvait être
facilement confondu avec un délire systématisé de toute autre
espèce.
Sur les huit malades j'en ai trouvé sept encore dans les services
de nos collègues, \I11. ralret et A. Voisin, une seule, celle qui fait
l'objet de l'Observation VII, a été transférée en province. Je l'ai
regretté parce qu'elle eût pu faire l'objet d'une discussion spéciale
à propos des dégénérés persécuteurs sur lesquel, je reviendrai plus
tard, en vous communiquant deux faits dont j'ai eu à m'occuper
particulièrement : il s'agit de deux aliénés persécuteurs qui m'ont
pris pendant longtemps comme point de mire dans leurs revendi-
calions maladives.
La critique de M. Séglas portant principalement sur les faits, il
est indispensable de les reprendre successivement pour les analyser.
Mais avant d'entrer dans le détail de ces faits, je dois rappeler que
l'hérédité rayonne sur toute la folie, qu'elle n'est pas l'apanage
exclusif de la folie des héréditaires ou dégénérés, que ceux-ci
dont l'hérédité esl, sans doute, habituellement très chargée, peu-
vent néanmoins, ainsi que cela a été démontré lors de la discus-
sion sur la folie héréditaire peuvent, dis-je, devoir leur tare céré-
brale non point à la folie des ascendants, mais à un état passager l'
des parents au moment de la conception (ivresse par exemple),
Archives, t. XV. 29
450 SOCIÉTÉS savantes.
aux affections développées pendant la vie foetale, et même aux
maladies du jeune âge.
D'autre part, il n'est pas rare de trouver une hérédité très
chargée chez des paralytiques, des aliénés intermittents, des mé-
lancoliques, des maniaques simples, parfois même chez des névro-
pathes, et enfin, vous n'ignorez pas que le fils d'un aliéné n'est
pas, ce qui du reste est fort heureux, voué fatalement à la folie.
La clinique, sous ce rapport, fournit même des exemples très
curieux d'ascendance vésanique fortement accentuée avec un seul
aliéné parmi de nombreux descendants; ou bien encore d'un seul
frère plein d'esprit au milieu de quatre uu cinq aliénés, comme
j'ai eu l'occasion d'en rapporter moi-même des exemptes'. Consé-
quemment, une hérédité chargée chez un délirant chronique ne
saurait le faire entrer dans le groupe des héréditaires dégénérés.
Ce qui caractérise la folie des héréditaires ou dégénérés, c'est
surtout l'état mental du sujet, les syndromes épisodiques dévelop-
pés sur cet état mental et enfin l'évolution, l'allure particulière et
les caractères spéciaux des délires multiples qui se produisent.
Je ne reviendrai donc pas à chaque observation sur cette ques-
tion d'hérédité, puisque pour lescas ou cette hérédité est très chargée,
je n'aurai qu'à répéter ce queje viens de dire. Dans la première obser-
vation, il s'agit d'une femme de cinquante-six ans, persécutée depuis
douze an s, a m bilieuse depuis deux an s. Les symptômes et l'évolution
de la maladie, dit M. Séglas, nous paraissent ressembler assez àce
qui a été dit du délire chronique. Nous n'insisterons donc pas sur
les symptômes pour passer immédiatement aux antécédents per-
sonnels de la malade sur lesquels M. Séglas nous parait avoir été
mal renseigné : Mils M... n'aurait parlé qu'à sept ans, tandis qu'en
réalité, elle parlait au moins à cinq ans et dans une circonslance
facile à retenir, lors du départ deson'oncle, elle a témoigné ses
regrets de le voir partir. Elle s'exprime, du reste, aujourd'hui très
facilement, sa prononciation est nette, il n'y a pas la moindre
blésité et cette intégrité de la parole serait, vous en conviendrez,
bien extraordinaire chez une personne qui n'aurait parlé qu'à sept
ans. - « Elle est allée, ajoute M. Séglas, plusieurs années à
l'école mais n'a jamais appris à lire. » Or, elle n'allait à l'école
que très irrégulièrement et pendant deux ou trois mois de l'année
et néanmoins elle a appris et elle sait lire.
« Elle jouait, dit-on, presque toujours seule et n'avait pas des
idées de petite fille; elle jouait comme un garçon; elle n'aimait
que les chevaux, les chiens, plus tard, elle n'a jamais aimé s'oc-
cuper de ménage, mais elle préférait les travaux d'homme. » Ce
passage ferait supposer des dispositions à l'inversion du sens
'Magnan. - Du délire des persécutions. (Gaz. med., nov. et
dée. 1877.)
SOCIÉTÉS SAVANTES. 451
génital, mais rien de semblable n'a jamais existé. Enfant, elle
allait jouer en compagnie de camarades avec les jouets qu'on lui
donnait, chevaux, chiffons ou poupées. Elle ne tenait pas à faire
le ménage, mais elle aimait coudre. «A douze ans je me raccom-
modais, dit-elle, moi-même toutes mes affaires. »
« Elle n'a jamais aimé les hommes, ajoute-t-on encore, et elle
les fuyait ou leur disait des sottises. » La misère qui existait dans
sa famille l'avait fait réfléchir, elle a refusé de se marier avec des
individus mal élevés et grossiers, mais elle a eu, dit-elle, des
épanchements de COEur pour des jeunes gens convenables et si elle
eut pu les épouser, elle en eût été heureuse.
« Jamais, dit-on encore, elle n'est restée plus de quatre mois
en place; même étant jeune, elle changeait toujours. » Elle est
restée dans la même place chez la soeur du Dr Tabouret, de dix-
huit à vingt-deux ans et demi, près de cinq ans, et, à diverses
reprises, elle est restée chez différents patrons, dix, treize et
quatorze mois.
« Notons enfin au point de vue des idées actuelles que, il y a
nne vingtaine d'années, sa mère ayant voulu racheter son frère
du service, elle lui fit à ce propos des scènes violentes, préten-
dant qu'on donnait tout aux autres, rien à elle, qu'on était injuste,
etc. » - Le rachat du frère (3,800 fr.) a ruiné la famille, i bien
qu'elle avait été obligée elle-même de prêter 300 fr. qui ne lui ont
pas encore été entièrement rendus et c'est à cette occasion qu'elle
aurait écrit, il y a quelques années à sa mère. Les règles, se sont
montrées à douze ans et non à seize ans.
Si nous résumons nous voyons d'après l'observation de M. Séglas :
Débilité mentale, troubles de la parole; ignorance profonde,
inversion sexuelle, perversion morale, paresse et incapacité de
travailler. - Si vous examinez la malade, vous trouverez une
femme intelligente, à la parole facile, aux réponses nettes et pré-
cises ; elle sait lire et n'offre pas traces d'anomalie sexuelle, elle
explique ses difficultés avec la famille, elle offre, en un mot, l'etat
mental d'une délirante chronique.
Dans la deuxième observation, il s'agit d'une domestique âgée
aujourd'hui de quarante-neuf ans, ayant appris à lire et à écrire,
en allant à l'école du village comme y allaient les enfants il y a
quarante ans, c'est-à-dire très irrégulièrement. Elle s'exprime
correctement, ses réponses sont nettes et précises et son svstème
délirant s'enchaîne logiquement; il n'y a donc pas de faiblesse
d'esprit.
M. Séglas passe ensuite à l'examen physique et la dépeint
comme microcéphale, prognathe asymétrique, acrocéphale,
tandis que nous n'apercevons pour notre part, qu'un front fuyant
sur une tête un peu allongée. L'examen de la bouche nous fait
voir sur la voûte palatine, à droite du sillon médian, une dépres-
452 SOCIÉTÉS SAVANTES.
sion linéaire antéro-postérieure ressemblant à une cicatrice et
tirant légèrement la muqueuse de ce côté. Si, après un nouvel
examen, il restait encore un doute, M. Falret pourrait nous auto-
riser, sans doute, à joindre la photographie de la malade à cette
discussion et chacun pourrait ainsi s'assurer que )Il'- D... n'est
point le spécimen tératologique dont parle M. Séglas (^symétrie,
p1'ognatisme, microcéphalie, ucrocéphalie.
M. SÉGLAS. C'est fait; j'ai là les photographies; l'acrocéphalie est
notable. - II -es fait circuler.
M. Magnan. M. Séglas nous présente deux photographies de la
malade D... : sur l'une, la tête est fortement fléchie, l'occiput très
relevé, si bien que l'axe antéro-postérieur se trouve presque ver-
tical. Dans celle position forcée d'une tôle dolicocéphale, à front
fuyant, toute la région postérieure devient saillante. Cette saillie,
résultat d'un artifice, pourrait en imposer à ceux qui ne sont pas
familiarisés avec les examens anthropométriques, mais un peu de
réllexion suffit à faire reconnaître que ce n'est point là la tête en
pain de sucre, la tête acrocéphale dans laquelle, on le sait, le
bregma soulevé devient saillant en entraînant lefrontvers la ver-
ticale. Du reste, par la seconde photographie, dans laquelle la tête
est laissée libre, dans sa position naturelle, on s'assure aisément
qu'il n'y a pas d'acrocéphalie. La conformation de la tête de
111'"e D", (aplatissement frontal et dotycocéphalie) n'est pas un
type rare en France et les anthropologistes pensent devoir l'attri-
buer, en général, à l'habitude que les matrones ont dans certains
pays de serrer la tête des jeunes enfants pour assujettir la
coiffure.
La troisième malade, à son entrée à l'asile Sainte-Anne, était à
la seconde période du délire chronique ; elle avait des halluci-
nations et des idées de persécution nettement systématisées ;
aujourd'hui, elle commence d'après l'observation de M. Séglas à
présenter quelques idées ambitieuses. C'était là la marche prévue
du délire, je n'y insiste pas.
111me S... a été réglée à dix-sept ans et non à dix-huit ou vingt
ans ; elle n'était pas sujette aux attaques de nerfs, comme on le
prétend ; elle s'est trouvée mal une seule fois dans des circonstances
particulières : elle était allée sans manger à l'église au milieu
d'une foule compacte, un jour de grande cérémonie. Cet accident
ne s'est jamais renouvelé.
Au point de vue psychique, on lui attribue à tort un syndrome
épisodique, le délire du toucher. « Elle a toujours eu, dit M. Sé-
' glas, la manie de la propreté, un peu comme son père. » Or,
qu'avait le père ? « Celui-ci avait l'habitude, quand on le touchait,
de se secouer et de s'essuyer; il ne voulait pas toucher les boutons
des portes, parce que quelqu'un aurait pu y laisser de la saleté ;
SOCIÉTÉS SAVANTES. 453
il se réservait une chaise spéciale, et si quelqu'un s'y asseyait, il
l'essuyait de suite après; jamais il ne voulait manger hors de chez
lui. »
M. Séglas a encore été mal informé sur le compte de celte
malade, elle n'a jamais eu la manie de la propreté; dans le service,
jamais personne, ni surveillantes, ni infirmières, n'ont observé
aucun acte rappelant de près ou de loin des appréhensions de
cette nature : j'ai placé dans les mains de la malade des pointes,
des épingles, du cuivre, toute sorte d'objets, elle a touché à tout
ce qui nous environnait et tout cela le plus naturellement du
monde sans la moindre hésitation ; interrogée sur les lavages
fréquents auxquels elle se serait livrée, elle a répondu simplement :
« J'avais dans mon ménage autre chose à faire qu'à passer mon
temps à me laver et je n'en éprouvais, du reste, nullement besoin. »
Or, vous savez, messieurs, combien est pénible la crainte du tou-
cher et quand un malade a été sous le coup de cette obsession,
il en conserve le ouveiiir toute la vie, dans le cas même où il
vient à guérir. Mm° S... est donc une délirante chronique ordi-
naire, intelligente, sans stigmate d'aucune sorte.
Pour la quatrième observation, M. Séglas fait la réflexion sui-
vante : « Je ne dirai que peu de chose de cette malade, qui est
peut-être, à mon avis du moins, au point de vue des symptômes
et de l'évolution de la maladie, le type le plus parfait du délire
chronique tel qu'il nous a été décrit ici. »
Les trois périodes, en effet (inquiétude, délire de persécutions
et délire ambitieux) se sont succédées de la façon la plus régulière.
C'est un bel exemple de délire chronique, et si, dans son enfance,
Mm0 B... a eu de la chorée, pendant quelques semaines, si elle
bégaie, elle ne s'en est pas moins montrée toujours intelligente,
économe, bonne ménagère, bienveillante pour son mari jusqu'à
l'apparition du délire ; elle n'a présenté, en un mot, aucune tare
psychique et nous connaissons tous des personnes qui bégaient
dont l'intelligence est intacte.
La cinquième malade est un exemple assez net de délire chro-
nique. Cette malade, qui jusqu'ici n'aurait eu que des idées de
persécution, commence à présenter quelques idées ambitieuses.
Elle entend les messieurs, personnages qui agissent sur elle, lui
dire que M. Putaux, son ancien patron, lui laissera une grande
partie de sa fortune.
L'examen que j'ai fait de la malade diffère de la description de
M. Séglas, en ce que l'asymétrie de la face, si elle existe, n'est
guère appréciable et que la malade m'a parue intelligente ; c'est
aussi, d'ailleurs, l'avis de M. A. Voisin qui la soigne, en ce mo-
ment, et dont elle rétorque, m'a dit notre collègue, tous les
arguments avec beaucoup de vivacité, de logique et d'esprit.
J'ajouterai que les règles se sont montrées à quatorze et non à
454 SOCIÉTÉS SAVANTES.
seize ans. Enfin, pour ne rien omettre, je ferai observer qne, si la
malade remue trois fois les doigts; c'est pour obéir aux lialluci-
nations ; les messieurs lui disent de remuer trois fois; il n'y a là
rien de comparable à l'obsession du nombre.
La sixième malade présente les symptômes habituels du délire
chronique, des hallucinations surtout auditives et des idées systé-
matisées de persécution ; depuis peu de temps apparaissent des
idées ambitieuses.
M. Séglas signale un tic facial persistant encore aujourd'hui.
J'ai examiné Mmu G... pendant trois quarts d'heure environ et j'ai
remarqué simplement, à de rares intervalles, un peu de serrement
des lèvres et un léger claquement; la malade, qui venait de
parler, a prétendu ne pas le faire habituellement et expliquait
ce mouvement par le besoin d'humecter, en ce moment, la bouche.
- Je n'ai pas constaté non plus de bégaiement.
M. Séglas avait noté ensuite quelques phénomènes assez impor-
tants pour être contrôlés : « Elle avait la manie de tout ranger à
l'excès ; si l'on touchait à quelque chose, elle criait et allait le
remettre en place. Quand on lui donnait de l'argent, elle s'essuyait
les mains après ; de même elle se secouait quand on la touchait. t.
Très souvent aussi elle prenait des voitures, y restait un quart
d'heure et descendait avant d'arriver à destination. » La malade
prétend qu'elle n'était pas assez riche pour payer ainsi inutilement
des voitures ; il va sans dire qu'elle pourrait ne pas convenir d'une
bizarrerie de ce genre qui pourrait d'ailleurs n'être que la tra-
duction d'une idée de persécution, mais il n'en est pas de même
pour la crainte du toucher : nous lui avons remis diverses mon-
naies d'argent et de cuivre qu'elle a prises dans la main sans
la moindre appréhension ; elle a touché sans hésitation des bou-
tons de porte, des morceaux de cuivre, des aiguilles, un couteau.
« S'il lui est arrivé parfois, dit-elle, de s'essuyer, c'est après avoir
tenu longtemps des sous dans la main ; le cuivre, ajoute-l-elle,
enfermé dans la main chaude et humide, dégage une certaine
odeur qui ne lui est pas agréable.» Quant aux pièces d'argent, ça
lui est indifférent puisqu'elle n'ont pas d'odeur. Vraiment, est-ce
là le délire du toucher ? Assurément personne ne le reconnaîtrait.
Cette malade ebl très hallucinée et il lui arrive parfois de s'ar-
rêter court en marchant ou bien de se détourner de la route.
Interrogée sur cette manière de faire, elle nous a répondu que
les voix changeant quelquefois de direction, elle était obligée de
les suivre pour mieux les entendre. 11 n'y a encore là, vous le
voyez, rien qui rappelle les syndromes épisodiques, les phéno-
mènes d'arrêt des dégénérés.
L'aliénée qui fait l'objet de la septième observation a été transfé-
rée en province ; je ne m'y arrête donc pas aujourd'hui. Du reste,
j'aurai probablement plus tard à rappeler ce fait, en parlant des
SOCIÉTÉS SAVANTES. 455
persécutés persécuteurs, chcz lesquels ou peut trouver passagère-
ment des hallucinations de l'ouïe qui rendent le diagnostic parfois
très difficile.
Je laisse de côté des détails secondaires du huitième cas pour
en venir immédiatement à l'évolution de la maladie qui est l'objet
principal de la critique de AI. Séglas. Pour notre collègue, les
idées de persécution chez cette femme datent du mois d'avril 1884
et comme le délire ambitieux apparaît en juin 1883 pendant le
séjour à l'asile de Vaucluse, il trouve, avec juste raison, cette
marche un peu rapide. J'avais, pour ma part, sur cette malade
entrée dans mon service en novembre 1884, quelques notes d'après
lesquelles le début du délire remontait non pas à 1884, mais
à 1881. A cette époque, en effet, M°" B... se brouille avec une
voisine qui lui bat froid et la regarde de travers, qui bientôt après
lui met des ordures devant la porte; lui fait des malices; puis elle
a mal aux yeux, des rougeurs sur le corps, elle trouve des amer-
tiiines dans les pruneaux ; c'était certainement sa voisine. Plus
tard, c'est cette même voisine qui lui adresse de grossières
injures.
Mais admettons, si vous le voulez, que nous n'ayons pas de
renseignements. Est-ce qu'il nous serait permis d'adopter l'inter-
prétation que M. Séglas donne des phénomènes observés chez
cette malade ? Voilà une femme atteinte de délire de persécution
qui au mois d'avril 1884, présente des hallucinations de l'ouie :
elle entend des propos injurieux chez le bouclier, dans la rue,
dans sa maison à travers le mur du logement voisin ; elle porte
plainte au commissaire. Est-ce qu'en présence de tels accidents,
d'un délire aussi nettement systématisé, de cette affirmation pré-
cise des offenses, de la désignation de l'ennemi déterminé (ce
n'est plus on, mais bien NI-, X...). Est-ce qu'il ne vient pas à l'esprit
de vous tous que c'est là une grave maladie, un délire vigoureux
dont les racines sont déjà très profondes ? Voilà, ce que dit la
clinique et conséquemment l'observation VIII ainsi complétée
reste un délire chronique à évolution systématique tel que nous le
comprenons.
Après avoir passé en revue les observations, M. Séglas, en bon
calculateur, additionne les stigmates physiques qu'il a rencontrés :
« Microcéphalie, acrocéphalie, asymétrie crânio-faciale, malfor-
mation de la voûte palatine, déformations auriculaires multiples,
tic facial, bégaiement, menstruation tardive. » Puis pour le côté
psychique : « Retard de développement dans l'enfance, la parole
tardive, l'instabilité et la faiblesse d'esprit, les altérations du ca-
ractère, des sentiments et même ces écrits émotifs particuliers
réunis par M. Magnan sous le nom de syndromes épisodiques des
héréditaires. »
Messieurs, pour ces derniers stigmates, les syndromes épiso-
456 SOCIÉTÉS SAVANTES.
diques nous avons vu, il est bon de le rappeler, qu'ils n'exis-
taient pas chez ces aliénés; mais malgré leur absence, il est évi-
dent que tous ces signes réunis "Ill' une seule et même tête
suffiraient à caractériser une dégénérescence des plus complètes.
Toutefois, il n'en sera plus de même si nous jetons les yeux, non
point sur ce malade synthétique de M. Séglas, mais sur chacune
des malades que nous avons examinées; sur chacune d'elles nous
ne trouvons plus cet ensemble de stigmates, mais seulement l'un
ou l'autre d'entre eux; et il ne viendra à l'idée, de personne de
faire entrer forcément dans le cadre des dégénérés tout individu
dont l'une des bosses frontales sera aplatie, ou dont le vertex ou
le maxillaire inférieur seront proéminents, ou bien encore tout
homme qui bégaiera ou louchera, ou dont le caractère sera iné-
gal, emporté, violent, etc. Non, nous savons que l'un ou l'autre
de ces signes considérés isolément ne saurait impliquer la dégé-
nérescence et qu'une intelligence bien pondérée peut s'associer à
du strabisme ou du bégaiement.
Après cette discussion clinique, M. Séglas cherche à mettre en
contradiction les opinions émises d'un côté par 1111. Garnier et
Briand dans leur communication et par moi dans mes leçons, et,
d'un autre côté, par quelques autres de mes anciens internes, dans
diverses publications. Dans leurs travaux personnels mes élèves
conservent, M. Séglas n'en doute pas, leur complète indépendance,
si bien que j'ai eu moi-même à critiquer certaines parties du tra-
vail, d'ailleurs fort intéressant, de M. Gérente. Je n'admets nulle-
ment et je n'ai jamais admis un délire chronique à base hypo-
chondriaque; l'hypochondrie n'est point la première période du
délire chronique. J'ai déjà eu l'occasion, l'année dernière, de
m'expliquer à ce sujet dans une leçon publiée dane le Journal des
Connaissances médicales et j'y reviendrai encore dans la prochaine
séance.
Plus loin 11. Séâlas me fait dire d'après un compte-rendu d'une
de mes leçons, auquel je ne puis souscrire, « que le délire chro-
nique peut être accompagné ou non d'hallucinations». C'est là
évidemment une erreur, l'hallucination auditive est un des élé-
ments essentiels du délire chronique; lors du passage de la pre-
mière à la seconde période, c'est-à-dire de l'inquiétude, des inter-
prétations délirantes aux idées arrêtées de persécution, il peut se
faire que 1 idée nette de persécution s'installe la première sans
l'hallucination, mais cette idée par son caractère obsédant ne
tarde pas à stimuler, à exciter le centre cortical et il éveiller ainsi
l'image tonale, l'hallucination en retard. C'est là, sans doute, ce
qui a fait supposer que j'admettais un délire chronique sans hal-
lucinations. J'ajouterai qu'à la seconde période (période de persé-
cution) je n'ai pas uu seul cas de délire chronique sans hallucina-
tions.
SOCIÉTÉS SAVANTES. zizi
M. Séglas rappelle, enfin, une observation que j'ai citée de
délire chronique chez un épileptique'. Cette coexistence ne prouve
nullement que le délire chronique soit l'oeuvre d'un débile. Il est
des épileptiques- non pas ceux des asiles, mais ceux que l'on ob-
serve dans la famille, qui, en dehors des manifestations parfois
très rares de la névrose convulsive, n'offrent absolument aucun
trouble intellectuel.
J'ai eu récemment l'occasion de donner des soins à un négo-
ciant fort intelligent, âgé de quarante ans, qui depuis plusieurs
années présente très irrégulièrement des attaques épileptiques.
Les accès se montrent habituellement la nuit, laissant entre eux
des intervalles de deux, trois, quatre mois quelquefois même da-
vantage et depuis 1883, où il a eu recours à une médication bro-
murée, il n'aurait eu que trois attaques seulement. Il est d'un
caractère très égal, bienveillant pour tout son entourage; il ap-
porte dans ses affaires tous les soins, l'activité et l'habileté né-
cessaires ; il est instruit et sa culture intellectuelle depasse celle
que l'on trouve habituellement chez les commerçant'.
Puisque l'épilepsie peut ainsi se présenter chez un individu in-
telligent et bien pondéré, rien ne s'oppose, il me semble, à ce
que dans des conditions données, elle puisse coexister avec le dé-
lire chronique dont le développemcntréclame toujours une certaine
activité intellectuelle. Du resle, ces cas sont très rares et ce n'est
pas sur des faits complexes et exceptionnels que nous désirons
établir le délire chronique; j'en parle ici simplement pour répon-
dre à l'objection de notre collègue.
L'argumentation de l\I. Sérias porte ensuite sur l'évolution du
délire chronique et il donne comme exemple contradictoire de
sa marche lente, progressive, méthodique, l'observation VIII sur
laquelle je me suis déjà arrêté et où nous voyons le délire ambi-
tieux se développer cinq ans et non deux ans après le début de la
maladie. '
Plus loin, M. Séglas, fouillant dans l'excellente thèse de M. Le-
grain sur « le délire chez les dégénérés , relève quelques points
faibles et s'en fait une arme contre le délire chronique. Maisje
dirai à M. Séglas que je n'ai pas attendu son argumentation pour
critiquer chez M. Legram l'expression de délire à évolution chro-
nique des dégénérés, d'autant mieux que les observations données
par M. Leb : am montrent surabondamment que cette évoluliondes
dégénérés est tout autre que celle des délirants chroniques.
Puis encore M. Séglas s'empare avec empressement de cette
idée émise par M. Legrain que le délire chronique peut se mon-
' Magnan. Leçons cliniques sur l'épilepsie recueillies et publiées par
M. Briand. Librairie du Progrès médical, p. 31 et 71.
458 SOCIÉTÉS SAVANTES.
trer chez le dégénéré. Il s'agit là de faits tellement exceptionnels
qu'ils ne peuvent en rien modifier les grandes lignes assignées
au délire chronique. Cette espèce pathologique se développe seu-
lement chez des sujets dont le niveau mental est assez élevé, aussi
ne se voit-elle jamais chez l'imbécile; toutefois les dégénérés supé-
rieurs, les simples déséquilibrés qui sont intelligents, pourraient
sous ce rapport, prétendre au délire chronique, mais ils y sont
rendus réfractaires par certaines dispositionsqui leur sont propres
et notamment par l'instabilité prédominante de leur caractère et
par cette inégalité si curieuse et si remarquable de leur intelli-
gence. C'est ainsi que je m'explique pourquoi le délire chronique
est une rare exception même chez le simple déséquilibré.
Arrivé à la fin de son discours M. Séglas nous dit qu'il ne com-
prend plus rien au délire chronique. Ce n'est pas étonnant, car
dans son argumentation, j'allais dire dans sa plaidoirie, il a fait,
en véritable avocat adverse, tout son possible pour embrouiller
la question. Mais, messieurs, ce qui vaut mieux que les théories et
les raisonnements, ce sont les observations elles-mêmes et certai-
nement vous avez été frappés de ce fait que plusieurs des malades
choisis justement par M. Séglas, examinés il y a 2, 3, 4 ans par
M\I. Garnier et Briand et par moi s'étaient présentées à cette
époque avec des hallucinations et un délire de persécution d'une
nature particulière, délire qui nous avait permis de prévoir que
ces malades persécutées deviendraient ambitieuses. C'est précisé-
ment parce que la clinique nous permet de reconnaître un groupe
déterminé de malades qui par des étapes successives passent de
l'inquiétude, des interprétations délirantes aux hallucinations et
aux idées de persécution, puis aux idées ambitieuses et finalo-
ment à la dissolution mentale ; c'est parce que dès le début du
délire, nous pouvons prévoir cette longue et méthodique évolu-
tion, que nous avons pensé qu'il fallait désigner cette espèce pa-
thologique sous un nom particulier, « le délire chronique »,
auquel nous ajoutons, à évolution systématique pour bien indiquer
sa marcheet les modifications successives et constantes qu'elle
présente.
M. J. Séglas. - Messieurs, les objections que me fait M. Magnan il
ne laissent pas que de me surprendre étrangement à bien des
points de vue. Tout d'abord les considérations qu'il émet à propos
du rôle de l'hérédité dans les dégénérescences diffèrent assez, ce
me semble, de ce qu'il disait ici même l'an dernier à propos des
folies héréditaires. Car pour lui aujourd'hui, l'action de l'hérédité
ne serait plus prépondérante et il fait intervenir, dans une large
mesure, les causes diverses mises d'ailleurs en relief par plusieurs
de nos collègues. Les antécédents héréditaires, cependant assez
chargés de mes malades, n'ayant par suite plus pour lui d'impor-
tance, je n'y reviendrai pas.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 459
En ce qui concerne mes observations, l'enquête particulière à
laquelle M. Magnan a soumis mes malades, le soin tout spécial
avec lequel il cherche à réfuter la plupart des faits que j'ai avan-
cés, me prouvent que mes arguments ont bien pu porter juste.
J'ajouterai que, pour moi, ils ne m'ont semblé ébranlés en rien et
je crains bien que mon honorable contradicteur, en voulant inter-
préter ma pensée au lieu de s'en tenir à la lettre même de ma
communication, n'ait par suite fait fausse route dans son argumen-
tation.
Et en effet, en passant en revue les critiques de détail adressées
à des points différents de chacune de mes observations, on verra
que souvent M. Magnan, développant le texte même de mou tra-
vail, me reproche, à mon grand étonnement, des faits que je n'ai
même pas signalés ; l'observation 1 en est un exemple, surtout en
ce qui concerne la parole et l'instruction de la malade qui n'a
appris à lire que vers vingt ans, une fois sortie de l'école. Pour
l'Otzr : uv.·nou 11, les photographies de la malade que j'ai eu l'honneur
de vous soumettre ainsi que les mesures de sa tête vous renseignent
sur la réalité des faits que j'ai avancés. Je n'ai jamais dit d'ailleurs
que la malade.de l'U11SLIt\'1TIOY 111 ait eu de la folie du duute; et
M. Magnan, s'il eût lu exactement mon texte, n'eût pas pris un
renseignement pour une constatation. Dans J'OnsERvA110N IV, M. Ma-
gnan oublie de rappeler que toute la famille de la malade était
bègue comme elle. La malade de l'ÛBSERVA'noN V manifeste dans
différentes circonstances l'importance qu'elle attache au chiffre 3,
(compter les doigts, ouvrir trois fois les yeux, boire trois verres
d'eau, marcher d'une façon spéciale, etc.). En admettant môme
que ce soit le fait d'hallucinations, comme la malade entre bien
pour quelque chose dans la couleur que revêt ce phénomène sub-
jectif l'mporlance donnée au chiffre 3 me paraît devoir être si-
gnalé. Son état de débilité mentale a été, d'un autre côté, constaté
par M. Legrand du Saulle. - Pour la malade de l'ODSERYATiON VI,
on lui a toujours connu ses façons spéciales de mai cher, même
avant qu'elle ne délirât. Elle « faisait le rond» partout oùelleallait,
quittant même les personnes avec lesquelles elle se trouvait pour sa-
tisfaire sa manie; elle marchait au centre des pavés : elle a en.
core une sorte ce délire du toucher, qu'une de ses amies a vu se
produire encore dernièrement en lui donnant un bouquet de vio-
lettes. Son lic facial a existé de tout temps et été constaté parles
personnes de son entourage qui trouvent qu'il lui a « rétréci la fi-
gure. » Il en est de même du bégaiement. Enfin elle a été obligée
une fois de laisser en gage des bijoux pour payer une de ces courses
de voiture qu'elle avait la manie de faire hors de propos. - En
ce qui concerne 1'Oiisfc.RVA'noN YJI, elle a été rédigée d'après des
notes fournies par l'interne du service et M. Falret et moi avons
pu constater la réalité des faits qui y sont avancés. La malade
460 SOCIÉTÉS SAVANTES.
de l'OnS¡¡RVA11ON VIII enfin nous ayant dit que sa voisine en 1881
lui passait la poussière sous sa porte « non par malice, mais par
négligence », nous ne voyons pas là le début du délire, mais un
délire rétrograde, la malade d'ailleurs, ambitieuse aujourd'hui,
faisant aussi remonter ses idées à une substitution, dans l'en-
fance, etc..
A un point de vue plus général, j'attacherais, suivant M. Magnan,
une importance trop grande aux stigmates physiques. Mais je ferai
remarquer que je n'ai fait à ce sjjet aucune réflexion spéciale
dans mes observations, ni mis en relief un symptôme plutôt qu'un
autre. Pour moi, elles ne valent que par leur ensemble ; cela n'em-
pêche pas de noter en passant un phénomène anormal, fût-il
même d'importance secondaire. C'est comme les hachures dont
la réunion dans un dessin arrive à former une ombre. D'ailleurs
si, en terminant, j'ai énuméré les tares rencontrées chez mes ma-
lades, je n'ai fait qu'exposer un résumé et non créer un type syn-
thétique.
Si, d'un autre côté, les stigmates pris isolément ne sont pas très
accentués, cela tient justement à ce que nous avons affaire ici à
des gens déjà élevés dans l'échelle des dégénérescences. Mais, si
iaibles qu'ils soient, cela n'est déjà pas mal de rencontrer chez
eux des vestiges de ces tares physiques presque caractéristiques
des états inférieurs, de l'idiotie par exemple. Quant à ne pas exis-
ter chez mes malades, je me permettrai de faire observer à M. Ma-
gnan que sa constatation n'a pas pour moi force de loi. Je les ai
vus pour ma part, à plusieurs reprises, je les ai fait contrôler par
plusieurs personnes du service, M. Falret a lui-même constate la
présence de la plupart d'entre eux et j'ai eu soin de ne noter que
ceux dont l'existence par suite d'examens répètes et faits par dif-
férentes personnes, me paraissait indiscutable.
D'ailleurs, qu'importe leur existence puisque, lorsqu'il les trouve
chez mes malades M. Magnan ne les signale pas ou nie leur impor-
tance dans l'espèce. Cela ne laisse pas que de m'étonner, car l'an
dernier dans les discussions sur la folie héréditaire, M. Magnan
admettait, sans réserves, les stigmates physiques mis en lumière
par Morel et cités par M. Faire[, et décrivait même des anomalies
du fond de l'ail. Aujourd'hui, pour être dégénéré, il faut présen-
ter des stigmates psychiques, les syndromes épisodiques. C'est là
un principe que M. Magnan pose, mais tout le monde n'envisage
pas la question au même point de vue que lui. Et, tout en recon-
naissant que dans les délires émotifs on rencontre le plus souvent
l'hérédité, il y a loin de là à faire des stigmates psychiques, les
seuls caractéristiques de la dégénérescence. Il y a une différence
entre un syndrome et un stigmate. De plus, je rappellerai même
que certains auteurs admettent la présence des idées fixes en dehors
de l'hérédité. Enfin je ferai remarquer que l'idiot, ce type des dégé-
SOCIÉTÉS SAVANTES. 461
nérés, qui a des stigmates physiques si apparents, ne présente pas
d'habitude les syndromes épisodiques ou stigmates psychiques de
M. Magnan, que nous trouvons d'ailleurs chez deux de nos déli-
rants chroniques.
Je terminerai en disant qu'en ce qui concerne les renseigne-
ments sur certaines particularités de la vie antérieure des malades,
je crois plutôt à ceux qui m'ont été donnés de différents côtés par
les familles qu'à ceux qu'a pu recueillir M. Magnan qui n'a vu que
les malades seules.
Quant à la seconde partie de ma communication, celle à laquelle
je tiens le plus, puisque j'ai dit considérer mes observations comme
« supcdlues », M. Magnan n'y répond guère. Il laisse ses élèves
responsables de leurs opinions et des faits observés dans son ser-
service, passe complètement sous silence les observations sem-
blables aux miennes de MM. Boucher et Déricq qui pour sa part a,
comme je l'ai dit précédemment, rapporté dans sa thèse trois cas
dedébititémentateavoc délire chronique. M. Magnan critique aussi
les délires à évolution chronique des dégénérés de M. Legrain
sans dire cependant sa façon de comprendre ces faits-là, car je ne
pense pas qu'il songe à nier leur existence. Enfin il déclare ne pas
admettre du tout le délire chronique tel que l'a décrit 11. Ué-
rente. Il y a donc plusieurs théories du délire chronique. C'est en
somme ce que je tenais à faire constater et il me semble ne ré-
sulter, comme je l'ai déjà dit, qu'il y a bien de la confusion
parmi les partisans eux-mêmes du délire chronique au sujet de
cette forme psychopalhique prétendue si simple et si claire.
M. Féré. - i'\ous discutons maintenant sur des faits objectifs,
il me semble que le meilleur moyen d'entraîner une conviction
dans un sens ou dans l'autre serait de nommer une commission
qui examinerait si les malades présentent oui ou non des stig-
mates physiques manifestes.
AI. Magnan. Les quelques lares qui peuvent exister ne sont
que des tares microscopiques et M. Séglas les grossit à la loupe ce
qui leur donne une importance hors de proportions.
M. Briand pense que cela ne prouve pas grand chose contre la
doctrine en discussion, que huit malades classées improprement,
suivant M. Séglas, dans la catégorie des délirants chroniques aient
ou n'aient pas de tares héréditaires accusés par des signes de dé-
générescence. On peut les considérer comme l'exception que con-
firme la règle.
M. Falret ne voit dans tout cela qu'une question d'interprétation,
car personne ne conteste que dans le délire des persécutions il y a
quelquefois des signes de dégénérescence. M. B.
462 SOCIÉTÉS SAVANTES.
Séance du 26 mars 1888. - Présidence de 11. Falret.
Du délire chronique (suite de la discussion). M. CoTAm croit à
l'existence d'un faux' délire des grandeurs qu'on ne doit pas con-
fondre avec la mégalomanie. A une période plus ou moins an-
cienne du délire anxieux il se produit souvent une mégalomanie
caractérisée par des idées d'immortalité, d'immunité, etc., pseu-
do-mégalomanie qu'il propose de désigner sous le nom de délire
d'énormités pour la distinguer du vrai délire des grandeurs. Ce
délire d'énormité peut aboutir dans des cas très cliniques à de
véritables idées de grandeur; l'apposition d'idées de grandeur à
une période avancée d'un délire chronique n'est pas spéciale au
délire des persécutions.
M. Magnan. Les adversaires du délire chronique lui ont fait les
honneurs d'une longue, minutieuse et savante discussion; il faut
s'en féliciter puisque nous avons été amenés à préciser avec plus
de soin certains côtés difficiles de cette espèce pathologique. La
question avait été nettement posée par M. Garnier, reprise ensuite
à un autre point de vue par M. Briand; d'où vient que cet
exposé qui répond d'une manière si complète à l'observation a
trouvé des contradicteurs ?
Assurément les discussions ne changent rien, aux faits; après
comme avant, nous aurons des mjdades qui d'abord soupçonneux,
inquiets, préoccupés, se montreront hallucinés, persécutés puis
ambitieux, puis enfin après un temps plus ou moins long, s'ache-
mineront vers la démence. Faut-il laisser ce groupe de malades à
physionomie si personnelle à marche si régulière, à pronostic si
constant, faut-il les laisser confondus au milieu de tous les persé-
cutés, de tous les mégalomanes, ou bien au contraire, faut-il en
faire une espèce particulière dont on déterminerait de plus en
plus les caractères spéciaux ? Pour ma part je n'ai pas hésité un
seul instant etje fais tous mes efforts pour reconnaître et distin-
guer parmi les persécutés ceux qui sont appelés à devenir méga-
lumanes sans retour en arrière, ceux au contraire, qui ne doivent
pas s'engager dans cette route sans fin ou qui peuvent impuné-
ment être tour à tour persécutés, ambitieux, hypochondriaques,
mystiques, etc. et dont le pronostic est tout différent. Pourquoi ce.
qui parait si clair et presque indiscutable aux partisans du délire
chronique est-il considéré, au contraire, comme très obscur par
ses adversaires ? Pour comprendre ces dissidences, il est indis-
pensable de remonter à la source et de se bien pénétrer de ce que
nos maîtres éminenls Lasègue, Morel et notre regretté Foville
ont décrit.
SOCIÉTÉS SAVANTES. 463
Lasègue dans sa monographie (Du délire de persécution, Arch.
génér. deméd., février, 1852) a eu le rare mérite de détacher du
grand complexus symplomatique désigné par Esquirol sons le
nom de lypémanie un groupe de malades présentant un délire
partiel dont il fait une espèce pathologique nouvelle qu'il appelle
délire de persécution. Pour bien établir le type, il s'en est tenu à
la période d'état, négligeant ainsi la marche de la maladie. Il a
indiqué, toutefois, la période prodromique, mais il fait observor
que si certains persécutés arrivent lentement, progressivement il
construire leur roman systématique, il en est d'autres chez les-
quels ce travail de formation du délire est si rapide qu'on saisit
avec peine le premier degré. Si Lasègue ne se fût pas arrêté à la
période de floraison, comme il le dit, et s'il eût continué à suivre
l'évolution et la terminaison de la maladie, il serait arrivé à ce
résultat inévitable que les persécutés chez lesquels la période pro-
dromique fait défaut, sont justement les persécutés dont il eût
constaté la guérison assez promple, et par suite, il n'eût pas
rangé dans une même espèce pathologique, d'une paît, des ma-
lades qui guérissent presque toujours, d'autre part, des malades
qui ne guérissent presque jamais.
Ces persécutés hallucinés qui guérissent rapidement sont, pour
la plupart, des héréditaires dégénérés et quelquefois aussi des
alcooliques subaigus, plus rarement des intermittents ou môme
des hystériques. Ils ont les apparences d'un délirant chronique à
la seconde période, mais ils en diffèrent totalement par leurs
antécédents, par le mode de début du délire et surtout par son
évolution ultérieure. Ils n'offrent jamais la marche systématique-
ment méthodique du délire chronique.
Une seconde assertion que nous devons relever puisqu'elle a été
cause de fréquentes erreurs, c'estque le délire de perséculion pour-
rait s'accompagner ou non d'hallucinations. Après avoir parlé
des illusions et des interprétations délirantes du début, Lasègue
ajoute : « Jusque-là, le malheureux persécuté s'est maintenu dans
les limites des sensations vraies sur lesquelles il a fondé ses in-
ductions délirantes; un certain nombre de malades ne va pas
au delà. Ce qu'il a entendu il a pu, il a dû l'entendre et bien qu'il
ne dépasse pas cette mesure, il peut parcourir tous les échelons et
arriver au terme le plus avancé de lamvlecdie, d'autres au contraire,
sont poursuivis par des hallucinations sans être ni plus ni moins
gravement malades, p. 139. » Plus loin nous voyons encore :
« L'hallucination de l'ouïe n'est ni la conséquence obligée, ni
l'antécédent nécessaire du délire de persécution, mais elle est la
seule qui soit compatible avec lui, p. 140. »
En admettant ainsi dans le même groupe des cas de délire de
persécution sans hallucinations, on ouvre la porte à un certain
nombre de malades, notamment aux persécutés persécuteurs que
464 SOCIÉTÉS SAVANTES.
pour notre part, d'accord en cela avec M. Falret, nous repoussons
du cadre du délire chronique.
Lasègue ayant compris dans le délire des perséculions, des
persécutés sans période prodromique, des persécutés sans hallu-
cinations,c'est-à-dire, je le répèle, des persécutés souvenlcurables,
s'est trouvé naturellement porté à admettre une période de dé-
croissance du délire de persécution, comme il ressort du passage
suivant : «J'ai suivi le délire de persécution depuis son début jus-
qu'à sa période d'état.Comme je ne veux qu'établir un type et
détermmer les caractères qui doivent entrer dans sa définition, il
sérail hors de propos d'étudier sa marche décroissante ou de cher-
cher des indications thérapeutiques (p. 1 2). »
Du reste, d'après la statistique de Lasèue, la proportion des
femmes atteintes de délire de persécution s'élèverait à ;i p. 100,
au quart des entrées, y compris les idiotes- et les imbéciles. Ce
chiffre énorme prouve éloquemment que Lasègue comprenait dans
ce groupe un grand nombre des cas qui ne lui appartiennent pas.
Cela est si vrai que plus lard ce maître avec sa vaste intelligence,
entrevoyait lui-même les imperfections dé son et à propos
du délire alcoolique subaigu, insistait particulièrement sur le
diagnostic avec le délire de persécution. Plus tard encore ayant
eu à s'occuper de plusieurs aliénés persécuteurs et notamment de
Teulat, le persécuteur de la princesse de B..., il pressentait un
groupe spécial de persécutés persécuteurs distinct du délire de
persécution. Le mémoire se termine par quinze observations très
écourlées sans doute, mais dont la leclure cependant vient con-
firmer ce que nous avons dit et montrer côté les uns des autres
des faits dénature très différente.
En résumé, le délire de persécution de Lasègue a marqué un
pas en avant en séparant des lypémaniaques d'Esquirol un pre-
mier groupe de malades; mais celte espèce pathologique basée
presque exclusivement sur un caractère symptomatique, l'idée
nette de persécution, a dû englober des faits disparates. De là,
une confusion regrettable qui n'est pas sans exercer encore une-
certaine action sur les débats actuels.
Aujourd'hui il fallait nécessairement faire un choix parmi les
persécutés de Lasègue, caries uns sont hallucinés, d'autres ne le
sont pas, les uns arrivent d'emblée à l'idée systématisée de persé-
cution, d'autres n'y aboutissent qu'après une longue préparation,
les uns guérissent, les autres sont voués à l'incurabilité. De là la
nécessite, pour la détermination de ce nouveau groupe, de faire
intervenir non seulement le caractère du détire, mais aussi les
antécédents du malade et la marche de la maladie. Voyons à
présent ce que pensait More] des délirants persécutés.
Morel en 1860 (Traité des maladies mentales, p. -103 et suivantes)
à propos du délire et des actes consécutifs à l'hypochondrie né-
SOCIÉTÉS SAVANTES. 465
vrose, décrit le délire hypochondriaque et, dans un chapitre spé-
cial, parle des persécutés qui deviennent des ambitieux. (Dudélire
des idées et des actes qui est la conséquence de l'hypochondrie,
folie hypochondriaque, délire de persécution, p. 703. Transformation
du délire des persécution ? stymatisation des conceptions déli-
rantes : transition à l'idée qu'ont ces malades d'être appelés à de
grandes destinées, p. 714.)
S'il n'admettait que des persécutés devenant ambitieux, il s'en
trouverait certainement parmi eux beaucoup qui seraient des
délirants chroniques; mais pour Morel il faut qu'ils soient hypo-
chondriaques d'abord; or, l'hypochondrie, nous le savons, est le
plus souvent une manifestation des héréditaires dégénérés et
comme le délire chronique est très rare chez ces derniers, il ne
paraissait guère probable que {'hypochondriaque persécuté ambi-
tieux pût présenter des caractères assez fixes pour entrer dans Je
cadre du délire chronique.
M. Magnan donne lecture de deux observations que Morel con-
sidère comme des exemples types et qui s'appliquent manifeste-
ment à des dégénérés. Ni l'un ni l'autre des cas ne rentre donc
ni dans le cadre du délire des persécutions tel que le comprend
M. Falret, ni dans celui de notre délire chronique et cependant
la grande autorité de More], ajoute M. Magnan, a pesé certaine-
ment sur quelques-unes des opinions présentées dans notre dis-
cussion.
Examinant ensuite le remarquable mémoire de Foville' sur la
folie avec prédominance d'idées de grandeurs, nous trouvons,
'continue111.n1agnan, dans ce consciencieux travail la contre-partie
du délire de persécution de Lasègue. Foville s'approprie quelques-
uns des hallucinés persécutés de Lasègue devenus des hallucinés
ambitieux et il les range dans une nouvelle espèce patholo-
gique, la mégalomanie. Si Fovitte s'étaitcontenté de comprendre
les seuls persécutés devenus ambitieux, nous serions bien près de
nous entendre; mais la mégalomanie de Foville ne contient pas
seulement les délirants chroniques (persécutés hallucinés àlongue
éclosion, devenus plus tard ambitieux), cet auteur fait entrer
aussi dans le cadre de la mégalomanie des sujets qui d'emblée ont
des hallucinations et des idées ambitieuses ; d'autres, qui ont des
idées ambitieuses et pas d'hallucinations; d'autres chez lesquels
les délires de grandeur et de persécution sont contemporains, et
enfin, des cas dans lesquels le délire des grandeurs se montre le
premier et est suivi de délire de persécution. Si bien que nous
nous trouvons encore en présence des mêmes difficultés, nous
avons un groupe clinique, la mégalomanie, qui réunit des sujets
' A Foville. - Etude clinique de la folie avec prédominance d'idées de
grandeur. Paris, 1871.
Archives, t. XV. 30
466 SOCIÉTÉS SAVANTES.
très différents, non seulement au point de vue des caractères
même du délire, mais aussi au point de vue du début et de l'évo-
lution de la maladie.
Foville étage la mégalomanie sur douze observations; dans les
quatre premières, il s'agit manifestement d'héréditaires dégéné-
rés de la catégorie de ceux auxquels je faisais allusion à propos de
Morel.
Après avoir fait ressortir dans les travaux de nos devanciers,
les causes d'erreur qui pourraient encore exercer leur influence,
j'en viens à la communication de M. Falret. Notre savant collègue
indique tout d'abord en quelques mois l'évolution du délire de
persécution tel qu'il le comprend. A une période d'incubation que
nous admettons comme lui, succède une deuxième période carac-
térisée par des hallucinations auditives et des idées systématisées
de persécution, puis vient une troisième période avec des halluci-
nations de l'ouïe, du goût, de l'odorat, des troubles de la sensibi-
lité générale et des idées stéréotypées de persécution, enfin sur-
vient le délire ambitieux.
Que notre excellent collègue nous permette de faire observer
que les troubles de la sensibilité générale se montrent assez sou-
vent dès le début de la deuxième période : avec les premières
injures, tel malade se plaint de démangeaisons, qu'il attribue à la
vermine, qu'on lui lance dans la rue, tel autre se dit tourmenté
par des décharges électriques, etc. Quelquefois aussi on observe
de bonne heure des hallucinations du goût et de l'odorat'.
D'autre part, le délire stéréotypé est un phénomène habituellement
très tardif et quand il se présente, des modifications beaucoup
plus importantes se sont déjà produites : les idées ambitieuses et
les erreurs de la personnalité. Aussi nous parait-il plus simple de
comprendre le délire de persécution dans la deuxième période et
le délire ambitieux dans la troisième période; c'est à ce moment
que les idées délirantes tendent à se stéreotyper; cette période
précède la dernière étape, celle de la déchéance intellectuelle ou
de démence. Quant au délire ambitieux, M. Falret ne partage
nullement l'opinion des partisans du délire chronique. Ce délire
ambitieux s'observe à peine, dit notre savant contradicteur, dans le
tiers des cas et c'est un simple délire surajouté qui ne change rien
au fond de la maladie.
Dans une discussion clinique, je ne puis assurément répondre que
par les faits et je demande la permission d'invoquer les observa-
tions d'un adversaire qui n'est pas suspect de tendresse pour le dé-
lire chronique, de notre collègue M. Séglas qui, du reste, a choisi
plusieurs de ces observations, dans le service même de M. Falret.
' Magnan, Du délire des persécutions. Leçons faites' l'asile Sainte-
Anne. (Gaz.11u ! d, Oct.-nov. 1877.)
SOCIÉTÉS SAVANTES. 467
Que voyons-nous chez ces sept malades ? six ont du délire am-
bitieux et sur les six, quatre n'avaient, il y a deux, trois, quatre
ans, au moment de leur entrée au bureau d'admission, que des
hallucinations et du délire de persécution et pour ces quatre, il faut
bien le remarquer, en disant délire chronique, nous comprenions
implicitement le développement ultérieur du délire ambitieux. Il
est probable que si M. Falret se donne la peine de faire une nou-
velle statistique en ne comprenant que les vrais délires chroni-
ques, le désaccord sur ce point cessera entre nous.
Quant au délire ambitieux, il ne peut rien changer au fond
même de la maladie. Comme le délire de persécution, il se dé-
veloppe le plus souvent sous l'influence d'une hallucination; d'au-
tres fois, au contraire, il est déduit logiquement suivant le méca-
nisme indiqué par Foville, du délire de persécution, mais
quelquefois aussi, il se développe brutalement en quelque sorte,
sans nul raisonnement de la part du malade, il semble que le ter-
rain soit devenu propice à l'éclosion des idées ambitieuses, le
patient comme l'a fait observer M. Christian, subit son délire et
le subit passivement.
Le délire ambitieux ne change pas assurément la nature de la
maladie; le délire de persécution persiste, mais les idées ambi-
tieuses tendent peu à peu à devenir prédominantes et donnent au
sujet non seulement une personnalité nouvelle, mais aussi une
physionomie toute différente de celle du début. Dans quelques
cas d'hallucinations bilatérales à caractère différent suivant le
côté affecté, les hallucinations d'abord très nombreuses dans
l'oreille que nous pourrions appeler persécutée, tendent à dimi-
nuer à mesure que se développent les hallucinations dans l'oreille
ambitieuse 1. Cette période fait donc corps avec le délire chronique
au même titre que la suppuration dans l'éruption variolique.
M. Falret ne veut pas de la période de démence et cependant,
s'il est vrai que certains délirants chroniques soient encore au
bout de vingt ou trente ans capables de causer raisonnablement t
sur beaucoup de sujets étrangers à leur délire, il en est d'autres
chez lesquels le niveau mental a notablement baissé, leur activité
cérébrale se borne à ressasser quelques conceptions délirantes
stéréotypées. De temps à autre, leur esprit se réveille sous l'in-
fluence d'hallucinations, d'images tonales qui continuentàs'écliap-
per presque automatiquement du centre curtical. Ils se montrent
indifférents à ce qui les entoure; on les voit adoptant par-
fois des attitudes spéciales se tenant à l'écart, tantôt immobiles,
d'autres fois parlant seuls à voix basse, faisant tout à coup cer-
tains gestes toujours les mêmes en rapport avec des conceptions
' Magnan. - Des hallucinations bilatérales à caractère différent sui-
vant le côté affecté. (Arch. de Neural., n° 18., nov. 1883.)
468 SOCIÉTÉS SAVANTES.
délirantes qui ne changent pas non plus. Si vous les interrogez ils
ne répondent pas d'abord, puis, si l'on insiste ils regardent comme
étonnés et ne donnent souvent que des réponses incomplètes.
C'est bien là une déchéance reelle de l'intelligence que nous dési-
gnons du nom de démence, ce terme s'adressant, d'une manière
générale, aux états intellectuels en voie de déclin.
M. Falret craint aussi que le délire chronique ne comprenne
des faits plus nombreux et plus complexes que ceux que l'on
admet dans le cadre du délire de persécution. Il peut se rassurer
sous ce rapport, car le délire chronique tel que nous le compre-
nons laisse en dehors de lui des faits qu'embrasse, au contraire,
le délire des persécutions beaucoup moins limité et beaucoup plus
compréhensif.
Enfin faut-il conserver le nom de délire de persécution sous lequel
Lasègue comprend cette immense classe de délirants persécutés ?
Dans ce cas, pourquoi ne l'appelerions-nous pas mégalomanie avec
Foville puisque, du moins, nous aurions sous ce vocable les trois
périodes : incubation, persécution, ambition. Mais M. Falret me
répondrait sans doute, qu'à côté des persécutés mégalomanes,
Foville a rangé des mégalomanes d'emblée et d'autres mégalo-
manes très dillérents; c'est bien aussi mon avis et c'est pour cela
que je crois devoir désigner ce groupe bien limité de malades
sous le nom de délire chronique à évolution systématique.
Ce que j'ai dit des travaux de Lasègue, de Morel, de Foville,
ma réponse à M. Falret et les objections présentées par MM. Gar-
nier, Briand et Doutrebente à MM. Dagonet et Christian, ne me
permettraient d'argumenter les savantes communications de mes
deux distingués collègues qu'en reproduisant des opinions déjà
émises; j'insisterai d'autant moins que MM. Dagonet et Christian
sont l'un et l'autre d'excellents cliniciens, qu'ils ont l'un et l'autre
un magnifique service et qu'ils pourront aisément contrôler
de nouveau les assertions émises sur le délire chronique.
Un mot seulement sur la communication de M. Bail ; notre
honorable collègue a rapporté deux observations intéressantes de
délire ambitieux systématisé chez des dégénérés; dans l'une
d'elles notamment, le délire ambitieux remonte à l'âge de huit
ans. Ces faits prouvent une fois de plus combien il était néces-
saire de tracer nettement les limites du délire chronique pour ne
pas confondre avec lui des cas de ce genre très différents aussi
bien par les caractères spéciaux du délire que par leur origine et
leur évolution.
Quant à M. Charpentier, il a fait une étude séméiologique fort
étendue des idées morbides de persécution qu'il a classées en
neuf groupes; mais le dernier groupe seulement « persécutés qui
aboutissent à la mégalomanie » se rattache à notre discussion.
Les principales objections de M. Charpentier rappelant celles qui
SOCIÉTÉS SAVANTES. 469
ont déjà été présentées ne réclament pas de nouveaux arguments
de ma part; aussi je demande la permission de passer à la com-
munication de M. Cotard.
L'argumentation de M. Cotard repose principalement sur une
nouvelle manière d'envisager l'origine du délire. Suivant notre
érudit contradicteur, le délire ambitieux par exemple, est tout
autre, selon qu'il repose sur des lésions psycho-motrices, lésions
de la volonté, ou sur des lésions psycho-sensorielles, lésions de
la sensibilité.
Analysant le délire ambitieux du paralytique général, du circu-
laire, il pense qu'en dehors des caractères généraux signalés par
il. Falret, ce que ce délire ambitieux a de spécial, il le doit à son
origine psycho-motrice et à l'idée prédominante de toute puis-
sance. Il rappelle l'acte absurde du paralytique qui, s'imaginant
avoir des ailes, se jette bravement par la fenêtre. L'absurda, dit-il,
ne l'arrête pas, il est tout-puissant.
Je demande à M. Cotard la permission de faire observer que
l'idée, de puissance ne suffirait pas à elle seule pour expliquer un
tel acte, car l'aliéné circulaire qui est aussi tout-puissant ne se
jette pas par la fenêtre pour prendre son vol.
D'autre part, au contraire, le paralytique est coutumier du fait ;
il est absurde dans tous ses actes. S'il veut se tuer, il le fait à sa
manière : une femme paralytique qui entendait des injures
(délire à origine psycho-sensorielle) raconte qu'on l'embête et
qu'elle veut en finir avec la vie. Elle allume un réchaud de
charbon dans sa chambre, mais comme la fumée enveloppe les
rideaux, elle se lève, va ouvrir la fenêtre et se remet au lit atten-
dant l'asphyxie qui ne vient pas. Voilà donc un acte tout aussi
naïf, tout aussi absurde que celui du paralytique tombé par la
fenêtre. Peu importe, il me semble, l'origine motrice ou senso-
rielle de ces conceptions délirantes, car ce qui rapproche ces deux
actes de paralytiques, c'est avant tout l'état mental, c'est le fond
de démence sur lequel reposent toutes leurs conceptions.
Pour M. Cotard, l'origine psycho-sensorielle donnerait au déli-
rant persécuté son caractère particulier. Assurément, il ne faut
rien négliger dans l'étude pathogénique du délire, mais pour le
clinicien, il y a d'autres éléments qui sont des guides plus sûrs :
un exemple va vous le faire comprendre.
«Si nous examinons, dit M. Cotard, un autre malade et que
celui-ci, dans le courant de la conversation, nous avoue confiden-
tiellement qu'il est l'héritier légitime des Bourbons, et qu'il est
appelé à monter sur le trône de France, il est piobable, si nous
l'interrogeons adroitement qu'il ne tardera pas à ajouter que ses
ennemis le maintiennent dans une maison de santé où ils lui
font subir mille tortures. »
Notre cher président semble croire que ce délire ambitieux
470 O SOCIÉTÉS SAVANTES.
systématisé avec les idées de persécution suffirait à poser un
diagnostic. Ce serait là une erreur, car cet héritier des Bourbons
persécuté pourraitêtre tout aussi bien un délirant chronique qu'un
mégalomane dégénéré, distinction fort importante pour le clini-
cien, puisque le premier, nous le savons, est incurable tandis que
le second peut guérir. ,
Par conséquent, le contenu même du délire, la formule,
pour me servir de l'expression de M. Cotard, ne suffit pas au
diagnostic, il faut aussi s'enquérir de la marche et de la succes-
sion des idées délirantes. Cet aliéné ne sera délirant chronique
que tout autant qu'il ne sera devenu l'héritier des Bourbons,
qu'après une période d'incubation et d'interprétations délirantes
suivie elle-même d'une longue étape de persécution.
Si, au contraire, c'est un héritier des Bourbons de fraîche date,
s'il est devenu ambitieux et persécuté en même temps, ou bien si
les idées de persécution se sont développées longtemps après un
délire ambitieux systématisé, il s'agit d'un dégénéré dont les anté-
cédents fournissent habituellement d'autres troubles nerveux. Le
pronostic devient dans ce cas beaucoup moins sombre.
Ce sont donc des malades tout différents et je dirai volontiers,
comme M. Cotard, il n'a pas une mégalomanie, un délire des gran-
deurs et nous pourrions ajouter un délire de persécution, mais la
clinique nous enseigne, et c'est par là que je termine, qu'il y a
bien réellement un délire chronique a évolution systématique.
M. CHIiISTIAN. Lorsque MM. Garnier el Briand ont ouvert cette
description, j'avais cru comprendre que la forme nosologique dési-
gnée par Lasègue de délire des persécutions devait toujours pré-
senter les quatre périodes signalées par nos deux collègues, d'après
la doctrine de M. Magnan; j'ai alors répondu et je persiste à croire
qu'il existe un certain nombre de persécutés qui restent toujours
persécutés et qui ne deviennent pas fatalement ambitieux ni dé-
ments, car on ne peut appeler démence l'affaiblissement intellec-
tuel consécutif et la cristallisation du délire. Il existe aussi des idées
de persécution chez certains vieillards et je voudrais qu'on séparât
encore plus nettement le délire des persécutions de la lypémanie,
car dans la lypémanie le délire vient du dedans, tandis que chez
les persécutés, il vient toujours du dehors^
il. Magnan. C'est précisément ce que nous avons voulu faire en
séparant du groupe général des persécutés un certain type à
marche lente et progressive et c'est pour le même motif que j'ai
proposé de le désigner du nom de délire chronique.
M. RITTI. Mais, en face d'un persécuté, à quoi reconnaissez-vous s'il
est un simple dégénéré ou bien qu'il deviendra délirant chronique ?
M. Magnan. D'abord, d'après les antécédents héréditaires et
personnels et ensuite d'après la marche de la maladie. Si la famille
sociétés savantes. 471
me raconte que depuis quelques semaines le malade se plaint
qu'on lui fait des misères et qu'auparavant il ne présentait aucun
trouble intellectuel, j'écarte l'idée du délire chronique ; mais si, au
contraire, on me raconte de plusieurs années auparavant, il s'est
montré inquiet, préoccupé, soupçonneux et que depuis plus ou
moins longtemps il se plaint d'être tracassé par des ennemis ima-
ginaires, je pense au délire chronique, lequel devient évident pour
tous le jour où se montrent les tendances ambitieuses.
M. Féré fait remarquer qu'on ne fait alors qu'un diagnostic
rétrospectif. '
M. Briand. Rétrospectif dans une certaine mesure, mais qui n'en
comporte pas moins un pronostic à longue échéance. D'ailleurs
tous les diagnostics ne sont-ils pas plus ou moins rétrospectifs ?
Quand nous sommes appelés près d'un malade qui a un frisson,
ne sommes-nous pas obligés d'attendre ce qui adviendra pour
nous prononcer avec certitude; de même, en face du délire chro-
nique dont les étapes successives se manifestent, non plus par
jours, mats par années, pourrions-nous attendre plusieurs mois
après le début de l'affection pour nous faire une opinion ? D'ail-
leurs, qu'importe pour la doctrine qu'on fasse le diagnostic de
cette affection à telle ou telle période ? Le délire chronique est ou
n'est pas. Si on peut le diagnostiquer, c'est qu'il existe.
MARCEL L3RIAND.
SOCIÉTÉ DE PSYCHIATRIE ET MALADIES NERVEUSES
DE BERLIN
Séance du 11 janvier 18861. - Présidence DE M. WESTP9AL.
Le président rappelle que la fête anniversaire de la fondation
de la Société tombe en février et sera célébrée par un banquet.
M. Thomsen lit son mémoire sur les troubles de la sensibilité
chez les aliénés. Il sera publié ailleurs2. La discussion qui s'y rat-
tache met en lumière la rareté des achromatopsies (Uhthotf), -
la dyschromatopsie qu'on observe ne s'étant manifestée que dans
six à sept cas (Thomsen), - enfin, l'intégrité de la sensibilité des
organes génitaux chez les paraplégiques à lésions spinales (Westphal).
M. Siemerling. Des asiles d'aliénés franques et écossais : rapport
de voyage, a été publié3.
' Voy. Archives de Neurol., tome XII, p. 110.
q /d., Revues analytiques.
3 ld., Kev. anal.
472 SOCIÉTÉS SAVANTES.
Séance du 8 mars 1886. - PRÉSIDENCE DE M. WESPH4.L
M. RE ? 4.K, pour régler exactement la densité du courant galva-
nique, a fait fabriquer par Hirschmann une série de lames dis-
coides pour électrodes qui sont graduées d'après leurs dimensions
superficielles conformément au système décimal et portent leurs
numéros respectifs sur leurs hampes. On sait que M. Erb choisit
pour électrode normale un carré de 10 centimètres dont le diamètre
mesure 3 cent. 5. Remak prendra, selon les cas, 15, 20, 30, 40 cen-
timèlres carrés correspondant à des tables de 4,4; 5, 6, 7, 8 centi-
mètres.
M. Bernhardt communique : Un cas de paralysie périphérique
isolée du nerf sus-scapulaire gauche. - Un cas de parésie de presque
tous les muscles de l'extrémité supérieure gauche à étiologie reniai -
quable. - Deux cas de paralysie faciale périphérique présentant
certaines particularités 1,
M. Westphal. Deux cas de tabès dorsal avec conservation du phé-
nomène du genou. Autopsie'.
Séance du 10 mai 1886. - Présidence de M. Westphal.
M. Oppenheim. Contribution à la pathologie du tabès.
M. REMAK présente un cas d' hémiatrophie saturnine de la langue.
Saturnin franc de quarante-deux ans, atteint de paralysie des
extenseurs du côté droit avec paralysie bilatérale des cordes
vocales (raucité de la voix), parésie de la moitié droite du voile
du palais, hémiatrophie du côté droit de la langue, réaction dégé-
nérative partielle, légère blépharoptooe gauche, nystagmus des
globes oculaires quand le centre de la pupille est, pendant l'excur-
sion du côté droit arrivé à latin de sa course, immobilité fixe et rigide
de l'iris. Il ne s'agit donc ni d'un tabétique, ni d'un paralytique
général, et l'alcool n'expliquerait pas ces accidents. Donc c'est un
saturnin qui, de par sa profession, parlait beaucoup (il avait le
service économique des outils d'une grande fabrique) et chiquait
en conservant par habitude la chique à droite (V. Be1'lin clin,
Wochensc7vi ft) .
Séance du 7 juin 1886. - Présidence de M. Westphal.
il. Thomsen. Un cas de paralysie isolée du regard en haut, avec
' goy. Archives de Neurologie. Revues analytiques.
Id.
sociétés savantes. 473
autopsie ! . - M. IIIAItTIUS. Recherches expérimentales pour servir ci
l'électro-diagnostic 2.
Séance du 12 juillet 1886. - Présidence de M. \VES1'Pti,L.
M. 1\IENDKL présente un jeune homme de dix-huit ans intoxiqué
par le sulfure de carbone dans une fabrique de caoutchouc vulca-
nisé. Depuis neuf mois, il plonge l'objet tenu de la main gauche
dans le liquide vulcanisateur. Aussi a-t-il ressenti dans la main
gauche d'abord de l'engourdissement, du fourmillement, de la
raideur, puis de l'immobilisation en extension de l'ensemble des
doigts. Bientôt l'extrémité inférieure gauche s'est prisedela même
façon ; finalement a la raideur ont succédé des crises de tremble-
ments à l'occasion des mouvements voulus et d'une émotion, et
même de violentes secousses, surtout prononcées dans le membre
supérieur. En même temps parésie gauche. Intégrité des nerfs
crâniens, de la sensibilité, des réflexes, de l'excitabilité élec-
trique.
Discussion : M. LHTHOFF fait ressortir combien les troubles de
la vue de ces malades ressemblent à ceux des saturnins (névrite
optique, scotome central). Et cependant le plomb n'a rien à faire
dans les manipulations de cette industrie. - M. MENDEL rappelle
que M. Bernhardt a vu en pareil cas de l'ataxie, de très grands
troubles de la sensibilité, de la démence psychique (Berlin Klin.
Wochensc/¡¡'îft, 1871).
M. Folk. Des suites d'un accident de chemin de fer.- Le mécani-
cien F... projeté par un choc de trains, s'en va, le 18 mars 1885,
donner de l'occiput du côté droit contre la toiture de sa locomo-
tive. 11 n'est pas blessé, ne perd pas connaissance, et cependant se
montre très effrayé. Visiblement mal à l'aise, anxieux, distrait,
agité depuis cette époque, il lie consulte toutefois pas. Le 4 dé-
cembre 1885, négligeant un signal d'entrée en gare, il occasionne
presque une rencontre. Huit jours après, le médecin le voit et
soupçonne une affection organique du cerveau en voie de déve-
loppement. Il rédige un rapport médico-légal qui fait remon-
ter la maladie au 18 mars. On constate, en effet, de la fatigue,
des céphalalgies, de la tendance aux vertiges subjectifs, une exa-
gération déjà marquée des réflexes, de l'impotence sexuelle, de
l'incapacité de travailler, de l'amnésie, de la dépression du côté
de la sensibilité morale, du changement de l'humeur, de l'excita-
bilité.
1 Voy. Archives de Neurologie. Revues analytiques.
` Id.
474 SOCIÉTÉS SAVANTES.
Séance du 8 novembre 1886. Présidence DE M. W. Sonder.
M. iVIEnDEL présente un homme de quarante ans, chez lequel on
trouve simultanément : absence du phénomène du genou; clonus
podalique des deux côtés. Contraction paradoxale du pied gauche.
Pas de syphilis. La maladie a débuté, à la fin de 1877, par des
douleurs dans la hanche gauche ayant varié d'intensité et ayant
finalement envahi la jambe droite, depuis peu même l'épaule
droite. Affaiblissement graduel de la motilité. Intégrité des bras.
Dans les extrémités inférieures, troubles considérables de la sensi-
bilité et du sens musculaire. Atrophie de la jambe gauche dans les
régions de la cuisse et du mollet; atrophie moindre à droite. iné-
galité pupillaire (mydriase gauche). Un peu de parésie faciale
gauche. Diagnostic : sclérose en plaques. Une plaque occupe l'ap-
pareil réflexe, qui suivant le nerf crural gagne le quadriceps fémo-
ral, puisque le réflexe tendineux rotulien a disparu. Une autre
plaque lèse les fibres sciatiques dans les cordons latéraux (clonus
podalique).
M. SIEMERLING. D'une callue légitime, régulièrement coordonnée
des racines de la moelle épinière aux diverses hauteurs. Voici les
conclusions de l'auteur : i° les racines antérieures de la moelle
cervicale et de la moelle lombaire regorgent de grosses et larges
fibres nerveuses. Elles mesurent en épaisseur 0'°m,018 à 0,02,
il n'y en a que peu de 0,004; 2" les racines postérieures des deux
mêmes régions contiennent un grand nombre de tubes nerveux
fins en faisceaux isolés ou en petits groupes; 3° les racines de la
moelle dorsale contiennent un très grand nombre de petites fibres
réunies en assez gros faisceaux qui cheminent entre les fibres
larges.
Séance du 13 décembre. - Présidence du M. W. SANDER.
M. Moeli a continuellement employé le procédé de Jendrassik sur
vingt-cinq malades. Sur quinze paralytiques généraux présentant
le signe de Westphal, le phénomène du genou ne put être pro-
voqué par ce procédé chez dix.
M. Bernhardt. Contribution à la pathologie de la paralysie satur-
nine. Il s'agit de six tailleurs de limes. On constata, en effet, la
paralysie et l'atrophie des muscles de l'éminence thénar et du
premier interosseux, mais il ne faut pas croire que chez ces ou-
vriers ce soit la main gauche qui soit de préférence ou presque
exclusivement atteinte. Ne voit-on pas chez les saturnins exerçant
les professions plus différentes, la paralysie classique commune
des extenseurs de concert avec l'atteinte de l'éminence thénar et
du premier interosseux et même de plusieurs interosseux.
SOCIÉTES SAVANTES. 478 ¡)
M. Thousen. Contribution à la névrite alcoolique multiloculaire.
Six observations dont trois avec autopsie. En voici un type
magnifique. Boucher de vingt-quatre ans, très vigoureux, ni
syphilitique, ni tuberculeux, mais buveur acharné. A la Noël : 18S : ;
débauche. A la fin de 1885, refroidissement suivi d'affaiblissement et
de raideur des extrémités inférieures sans douleur. Diplopie.
Alité le 3 février 1886 : parésie des jambes, bras pendants, délire.
Le 26, désordre très prononcé dans les idées, délire. Intégrité
physique des viscères de la vie végétative. P. = 120 140, sans
fièvre. Nystagmus. Parésie des deux oculo-moteurs externes. Blé-
pharoptose. Conservation delà réaction pupillaire. Légère névrite
optique. Paralysie des membres inférieurs. Parésie des membres
supérieurs, surtout dans les extenseurs. Pas d'ataxie. Mouvements
automatiques. Anesthésie associée à de l'hypéralgésie. Ralentisse-
ment de la conductibilité des impressions. Paresthésie. Trouble
accusé du sens de position. Absence de réflexes cutanés et tendi-
neux. Disparition de l'excitabilité mécanique des extenseurs des
doigts et des vastes de la cuisse. Réaction dégénérative du terri-
toire du radial, des extenseurs des jambes, et, mais moindre,dans
les muscles des membres intérieurs et dans les vastes de la cuisse.
Intégrité du facial à tous égards. Légers oedèmes ; accidents du dé-
cubitus progressifs, malléolaires, marasme, pneumonie, mort le 26
novembre 1886. Aucune altération à l'oeil nu; au microscope, dégé-
nérescence très avancée des nerfs, atteignant du plus au moins les
nerfs saphène, péronier et tibial postérieur - crural, sciatique et
radial - médian et cubital. Les petites branches musculaires sont
très affectées. La lésion consiste en une atrophie dégénérative
avec multiplication des noyaux, hyperplasie vasculaire isolée,
tuméfaction du périnerf, petites hémorrhagies. Intégrité du
pneumo-gastrique, de l'oculo-moteur commun; foyers dégénéra-
tifs circonscrits sans multiplication des noyaux dans les oculo-
moteurs externes. Dégénérescence musculaire correspondante.
Séance du 10 janvier 1887. - Présidence DE M, Westphal.
M. WESTPHAL. Lésion anatomique en un cas de phénomène du genou
n'existant que d'un côté. - Un paralytique général ne présentait
pas du tout de réflexe tendineux rotulien à gauche; ce réflexe
subsistait à droite. Le microscope révéla qu'à gauche, dans le
segment de la moelle qui constitue la limite entre les régions
dorsale et lombaire, la lésion des cordons postérieurs avait atteint
la zone d'entrée radiculaire, tandis qu'elle avait respecté cette zone
du côté droit.
AI. Westphal présente des préparations d'utrophic du noyau de
l'ieypoqlosse et de ses racines. Absence presque complète de cellules
476 sociétés savantes.
du côté gauche; en ce point, transparence du tissu fondamental;
aux alentours du noyau, peu de fibres nerveuses à myéline; les
racines sont amincies. Cette altération va de l'extrémité inférieure
du noyau jusqu'au point limite entre le tiers inférieur et le tiers
moyen; au-dessus, intégrité parfaite. On avait constaté, pendant
la vie, l'atrophie de la partie antéro-latérale de la moitié gauche
de la langue, ainsi qu'une paralysie progressive des muscles de
l'oeil (opthalmoplégie externe). Le même malade était atteint de
dégénérescence grise des cordons postérieurs.
M. KOENIG. Deux cas de lésion de la zone motrice du cerveau. -
Ces deux cas ont été examinés au point de vue des questions sui-
vantes. Quand la zone motrice est lésée : 1° l'atteinte seule de la
substance grise, sans participation de la substance blanche, est-elle
capable de déterminer des troubles moteurs ? 2° Y a-t-il trouble
de la sensibilité ? - 3° La dégénérescence secondaire est-elle la
règle ? L'orateur conclut affirmativement sur le premier point;
la sensibilité à la douleur peut être diminuée; il survient une
dégénérescence secondaire. On peut, il est vrai, ne pas trouver cette
dégénérescence, quoiqu'il se soit écoulé le temps voulu ; c'est
qu'alors elle est trop minime pour que nos procédés de coloration
actuels puissent la déceler.
Discussion. - M. OPPENHE1M déclare les deux faits mal choisis.
L'un concerne un processus anatomique diffus (hématome dure-
mérien étendu avec lésion corticale également étendue). Dans
l'autre, il s'agit d'un néoplasme. Enfin, quand l'histologie ne
révèle pas d'altérations secondaires, c'est qu'il n'y en a pas.
,,1. WESTPIIAL. Les tumeurs cérébrales ne peuvent servir à l'étude
des localisations cérébrales; quand le microscope ne decèle pas
de lésions secondaires, c'est qu'il n'y en a pas.
M. OTTO présente une série de préparations rares. Ce sont d'a-
bord trois exemples d'leétérotopie de la substance grise; deux ont
trait à l'existence de cette substance daus la paroi du ventricule
latéral, chez une paralytique générale de trente-huit ans et chez
une démente épileptique de soixante et un ans; l'autre concerne
une démente sénile de soixante-douze ans ayant de cette substance
dans sa protubérance. C'est ensuite un exemple d'hyperplasie de
l'écorce du cerveau, chez une démente sénile de soixanle-quatre
ans ; on trouve sur le lobe frontal et la frontale ascendante du
côte droit de petites saillies grises, ayant le diamètre de demi-
lentilles : en ces endroits, les petites cellules normales de la couche
corticale exlerne ont augmenté de nombre et sont distribuées un
peu irrégulièrement; un plus grand nombre de libres nerveuses
en parlent, elles sont plus touffues, plus pressées qu'ailleurs; c'est
pourquoi la substance grise se montre a l'oeil nu rayée de stries
anches.
sociétés savantes. 477
Séance du 14 mars 1887. PRÉSIDENCE DE M. WESTPHAL.
M. WESTPHAL. Des groupes de cellules nerveuses ganglionnaires au
niveau du noyau de l'oculomoteur commun. Publié à part 1.
M. Joseph. Recherches relatives à la physiologie des ganglions
spinaux. Conclusions. - 1° Les fibres motrices ont un centre tro-
phique dans la moelle. - 2° Un certain nombre de fibres ner-
veuses directes qui traversent le ganglion, sans entrer en relation
avec les cellules de cet organe, et se rendent ensuite à la péri-
phérie, ont aussi leur centre trophique dans la moelle. Ainsi
s'explique la dégénérescence partielle dans le ganglion et le nerf
périphérique après la section centrale des nerfs, et la dégénéres-
cence de la racine postérieure avec celle du ganglion après la
section périphérique des nerfs. - 3° Le ganglion spinal confient
un centre trophique autonome pour les fibres nerveuses sensitives,
mais il n'y a pas d'argument sérieux à l'appui de l'opinion que
le ganglion contient un centre pour les organes périphériques.
4° Toute cellule nerveuse ganglionnaire est en connexiou aussi
bien avec le centre qu'avec la périphérie.
M. Sn ? 1lmLING. Contribution casuistique aux localisations céré-
brales. - Femme de soixante-quatre ans, jusque-là bien portante;
ictus apoplectiforme suivi de paralysie des extrémités, surtout de
l'extrémité supérieure du côté droit, avec aphasie mixte. Ceci
persiste des mois avec de légères rémissions. Finalement, en sus,
parésie faciale à droite, et, à plusieurs reprises, attaques épilepti-
formes avec trouble de la connaissance (convulsions cloniques du
côté paralysé) ; ces convulsions irradient au côté gauche de la
face et l'on constate encore pendant plusieurs jours des contrac-
tions cloniques allant de l'extrémité supérieure à la paroi muscu-
laire de l'abdomen du même côté. Elle succombe dans une
attaque épileptiforme. Athéromasie des vaisseaux de la base ; un
foyer de ramollissement ancien, gros comme un lentille, occupe
la tête du corps strié gauche; un autre foyer de ramollissement
jaune, récent, siège dans le lobe occipital gauche, traversant
l'écorce et la substance blanche de cette région pour joindre la
corne postérieure du ventricule latéral. On trouve au microscope,
en divers points du lobe temporal, de la frontale ascendante,
et de la troisième frontale, de l'hémisphère gauche, soit dans
l'écorce, soit dans la substance blanche, des foyers de cellules
granuleuses.
M. OPPENHEIM. Sur un cas de paralysie bulbaire chronique pro-
gressive sans lésion anatomique. - Jeune fille de vingt-neuf ans.
' Voy. Archives de Neurologie. Revues analytiques. -
478 8 sociétés savantes.
Faiblesse des extrémités ; troubles de la parole comme ceux des
lésions bulbaires, troubles de la mastication et de la déglutition,
aggravation graduelle de la paralysie ; pas d'atrophie; intégrité
de la vie mentale, de la sensibilité, des fonctions vésico-rectales.
Durée : deux ans, puis aggravation, pneumonie, mort. Absolument
pas de lésion. Donc névrose à symptômes bulbaires.
Séance du 9 mai 1887. - PRÉSIDENCE DE M. W. SANDER.
M. HUMA6 présente un homme de trente-neuf ans, atteint de
tabès caractérisé, qui, il y a quelques semaines, a vu se développer
graduellement de la paralysie avec atrophie musculaire de l'érni-
nence thénar droite due certainement à une névrite dégénérative
périphérique du nerf médian, car les accidents, y compris la
réaction dégénérative, n'ont pas dépassé le territoire de ce nerf
à la main, et les troubles de la sensibilité se sont limités à ce
domaine exclusivement. C'est un cigarrier continuellement occupé
à tourner des bouts entre le pouce et l'index. Le surmenage de
la fonction a donc donné un coup de fouet aux altérations péri-
phériques dont le tabes est coutumier (travaux de Oppenheim et
Siemerling). (Voy. Berlin. klin. Wochenschrift., 1887.)
M. H. Wirchow. Sur un cerveau dépourvu de corps calleux. -
Présentation de photogrammes et de préparations microsco-
piques. Chez un enfant de six semaines, hydrocéphalie interne,
absence de corps calleux, microgyrie et circonvolutions radiaires.
Légères malformations crâniennes qui sont sous la dépendance
des anomalies cérébrales. Les causes de ces anomalies sont une
lepto-méningile chronique (inflammation avec adhérences) allant,
à la base, des tubercules quadrijumeaux à la lame terminale et
d'une insula à l'autre, et ayant déterminé l'aplasie de toutes les
tubérosités de ces régions. La mikrophthalmie simultanée et le
trouble des nerfs olfactifs marquent l'époque à laquelle a débuté
l'affection. Mais, dans tous les cas, l'absence de corps calleux ne
peut être que pathologique. On n'a pas encore démontré que
cette anomalie lût atavique. On comprend au contraire très bien
que des processus pathologiques nés au cours de la vie infra-
utérine guérissent si bien pendant la même période qu'on n'en
voit plus de traces et que l'arrêt de développement cérébral qu'ils
ont déterminé soit à la naissance le seul reste de la maladie in-
flammatoire.
M. H. Wirchow parle encore des cellules qui existent dans la
substance gélatineuse de Rolando et présente des préparations mi-
croscopiques correspondantes. Ce mémoire sera publié ailleurs '.
' llevues analytiques.
SOCIÉTÉS savantes. 479
Séance du 13 juin 1887. - Présidence de M. W. SANDER.
M. Bernhardt présente un malade ayant une paralysie trauma-
tique du radial (voy. Centralbl. f. Nervenheilk, 1887) 1.
Discussion. - M. REMAK a eu l'occasion d'examiner ce même
malade fin octobre dernier, au moment où il venait de subir son
opération qui, probablement par suite de la compression exercée
par l'appareil, avait entraîné la complication de la paralysie
presque complète de tous les autres nerfs du plexus brachial. Mais
ceux-ci présentaient une excitabilité électrique normale tandis
que celle du radial était totalement éteinte et que les muscles
qu'il innerve étaient affectés de réaction dégénérative. Au com-
mencement de février, la paralysie surajoutée ayant déjà rétro-
cédé, M. Remak dirigea un traitement galvanique régulier contre
la paralysie parfaite du radial ; à la fin du même mois, le pre-
mier radial externe commença a se contracter. Il y avait cinq
mois que le blessé avait reçu son coup de couteau. Dans un cas
analogue qui nécessita une résection du nerf écrasé par une frac-
ture (Berlin. klin. Wochensch., 1884, n° 16, p. 254), la guérison
fut complète et plus rapide. Ici la direction de la cicatrice et sa
situation laissaient supposer l'intégrité du radial qui, en fait, a dû
être piqué.
M. B¡;;RNHART. La cicatrice de la blessure faite par le couteau
lancé à toute volée et aussitôt retombé, siège, en effet, à 3 centi-
mètres en arrière de la cicatrice due à l'intervention opératoire,
mais elle est au-dessus du point le plus élevé de cette ligne. En
somme, il n'est guère possible de savoir ce qui est advenu du
radial mais une paralysie si complète et si grave n'appartient pas
à une simple piqûre.
M. Bernhardt présente une malade atteinte d'accidents faisant
penser à une (altération centralegliomateuse ? ) localisée aucôtégauche
de la moelle cervicale (Voy. Centralbl. f. Nervenheilk, 1887)*.
Discussion : M. Oppenheim rapporte un cas semblable. Il s'agit
d'une femme de vingt ans ayant graduellement et progressive-
ment présenté une atrophie des petits muscles de la main du côté
droit, de la parésie de la jambe du même côté avec des accidents
spasmodiques, de l'anesthésie de la jambe gauche (analgésie
partielle et anesthésie à à l'égard de la température); du myosi-
avec rétrécissement de la fente palpébrale à droite (lésion du cen.
tre ciliospinal), de l'anhidrose du côtédroit de la face. Diagnostics
' Voy. Revues analytiques.
1 in.
480 SOCIÉTÉS savantes.
Gliose de la moitié droite de la moelle cervicale inférieure et
dorsale supérieure portant principalement sur la substance grise.
M. REMAK a présenté un exemple de ce genre à la Société de
médecine intere. Ces types hémilatéraux restant hémilatéraux
pendant de nombreuses années sont toujours caractérisés par la
co-existence de l'atrophie musculaire et d'une paralysie partielle
de la sensibilité du même membre, paralysie généralement très
étendue. Dans le cas de M. Oppenheim,le bras atrophié ne pré-
sente pas de trouble de sensibilité non plus que l'extrémité supé-
rieure ; c'est à l'extrémité inférieure du côté opposé qu'on le ren-
contre ; il s'agit donc d'une lésion transverse hémilatérale localisée
au segment le plus inférieur du renflement cervical, ainsi que
dans les deux observations de traumatisme avec hématomyélie
hémilatérale décrite par lui il y a plusieurs années.
M. RiciiTER.De la cydopie, de l'arhinencéphalie, et d'uncerveau uni-
vésiculaire. - Voici des préparations provenant d'une chèvre cyclo-
péenne don lie cerveau antérieur secondaire n'avait pas produit (mé-
canisme du retournement) les nerfs olfactifs et avait donné nais-
sance aux hémisphères sous la forme d'une vésicule unique. Le cer-
veau antérieur primaire n'avait fourni par retournement qu'un seul
nerf optique, unique sur toute l'étendue de son parcours. L'animal
possédait un oeil avec ses paupières supérieure et inférieure, une
rétine, un corps vitré, deux cristallins; le globe oculaire était
bridé sur toutes ses faces par des muscles difficiles à disséquer,
mais qui étaient innervés par les nerfs correspondants : oculo-mo-
teur commun - oculo-moteurs externe - pathétique. L'unique
vésicule hémisphérique remplissait complètement la boite crâ-
nienne ; pleine d'un liquide transparent, elle avait une paroi
antérieure forte, une paroi postérieure mince. Après l'avoir
ouverte, on se trouvait en face des tubercules quadrijumeaux au
bord antérieur desquels s'abouchait l'aqueduc de Sylvius : en
avant, un organe dont le développement asymétrique quant à ses
moitiés, représentait le corps opto-strié. Au milieu de cet organe
la vésicule venait s'accoler, marquant ainsi la limite entre les
noyaux striés issus du cerveau antérieur et les couches optiques
provenant du cerveau intermédiaire. Latéralement et en bas la
vésicule hémisphérique fournit un sorte d'arc marginal. Base
normale. - Suture frontale ossifiée; le frontal forme en avantun
angle aigu ; en arrière la calotte est plus aplatie et forme un
plan oblique très escarpé, tête trigonocéphale, à base relative-
ment courte et large. Une seule cavité orbitaire ronde et grande
limitée : en bas, par les maxillaires supérieurs, latéralement par
les os malaires, en haut par les portions latérales du frontal. Les
portions antérieures du frontal, de l'ethmoïde. de la lame criblée,
manquent, de même que la portion du proesphénoïde qui siège
sociétés savantes. 48 t
en avant du nerf optique et ses ailes orbitaires. Aussi, de l'inté-
rieur du crâne le regard tomhe-t-il directement sur les renfle-
ments que forment en arrière les maxillaires supérieurs. Ce sont
eux qui, presque adossés, constituent le plancher de l'orbite; la limite
antérieure de ce plancher est faite par un étroite lisière; absence
de choanes, le palatin étant en arrière transversalement obturé. Le
nerf optique s'allonge sur ce qui reste du presphénoide en se diri-
geant directement d'arrière en avant ; absence des os lacrymaux et
nasaux, des cornets du nez, du vomer, des intermaxillaires ; aussi
le maxillaire supérieur est-il arrondi et non pointu en avant.
Partie supérieure du maxillaire inférieur arquée en forme de
croc. L'animal, autrement normal, avait été artificiellement
nourri au lait pendant neuf jours. La nature' ayant pour la for-
mation des nerfs optiques et olfactifs adopté le principe 'du retour-
nement, la cyclopie résulte de ce qu'un seul des nerfs a été
formé par retournement, tandis que dans l'arhinencéphalie il n'y
a pas de renversement du tout. Pour que le cerveau demeure uni-
vésiculaire, il suffit que la vésicule des hémisphères, simple il'
l'origine, continue à s'accroître telle quelle sans se diviser en
deux hémisphères. Peut-être, comme le veut Dareste, convien-
drait-il de tenir compte de l'amnios dans la genèse de cette
malformation.
Discussion. M. 13.1DLICH. C'est l'absence de la zone médiane de
l'encéphale qui détermine l'étendue delà malformation totale, y
compris le non-développement des vésicules.
M. SANDER. Le cas de M. Richter ne permet pas de croire à
l'adhérence, à la soudure de deux moitiés.
M. Thomsen. Des foyers formés dans les nerfs crâniens par des cel-
iules nerveuses altérées. Préparations microscopiques empruntées à
l'oculo-moteur commun, au facial. De nouvelles recherches lui ont
appris que ces foyers, qu'il considérait jadis comme des foyers de
dégénérescence circonscrits, appartiennent à un état normal. On
les trouve surtout au point où le nerf sort du cerveau; ils sont
formés de cellules nerveuses modifiées. C'est au jeune âge que
doit remonter le processus, car chez le nouveau-né on ne rencontre
que des cellules nerveuses normales, et c'est chez l'adulte et l'en-
fant de quatre ans qu'on trouve ces foyers à côté de celiules
nerveuses isolées.
Séance du 14 novembre 1887. Présidence DE M. WËSPHAL.
M. Oppenheim. De la poliomyélite antérieure chronique. Obser-
vation très longue avec autopsie et étude bislologi(lue confirma-
tives. C'est décidément la lésion des cornes antérieures de la moelle
Archives, t. XV. 31
482 sociétés savantes.
et l'atrophie des cellules multipolaires, ici presque totale, qui est
le point de départ de la maladie. Dégénérescence modérée des ra-
cines antérieures, faible des nerfs périphériques, même dans
leurs branches musculaires.
M. Remak présente un malade atteint de parésie bilatérale du
pathétique. Homme de vingt-six ans, indemne de syphilis, de
tuberculoses présente, depuis des années, des vertiges quand il
regarde fortement en haut; depuis un an il présente encore ces
accidents sur un sol uni, ainsi que des céphalalgies occipitales, une
titubation légère, des troubles peu accentués de la déglutition, de
la faiblesse des jambes et des troubles dans l'évacuation de l'u-
rine. A l'examen, on constate un léger vertige pendant la station
debout, un peu d'embarras de la déglutition, une exagération
considérable du phénomène du genou, une simple esquisse du
phénomène du pied. A l'époque de l'admission, le pathétique
droit est parésié; l'oeil est pris de convulsions nyslagmiformes
quand il arrive à l'extrémité latérale de sa course, intégrité de
la pupille et du fond de l'oeil. Graduellement l'évolution des
doubles images révèle que les deux pathétiques sont atleints. Vu
la disposition anatomique du noyau de ces nerfs et la marche de
leurs fibres, il ne peut guère y avoir qu'une lésion fasciculée de
leur tronc au niveau de l'entrecroisement connu sous le nom
d'entre-croisement pathétique de la valvule de Vieussens. Peut-
être, comme l'a vu Nieden, s'agit-il d'une tumeur de la glande
pinéale en voie d'accroissement ? ...
Discussion. M.MENDEL. C'est plutôt un cérébelleux. M. UnTttOPF.
Il y a aussi une double paralysie de l'oculo-moteur externe,
M. Remak ne connaît pas de lésion cérébelleuse (issue du vermis
supérieur et comprimant la valvule) dans laquelle on ait noté
une parésie bi-latérale du pathétique. Rien ici ne vient plaider en
faveur d'une affection cérébelleuse; pas d'accidents témoignant
d'une action à distance, aucun phénomène de compression tel que
ralentissement du pouls, névrite optique, vomissements.
M. BER1VHARDT parle de quelques paralysies des extrémités supé-
rieures intéressantes au point de vue étiologique. Il s'agit d'un
exemple de paralysie du radial et de trois faits de paralysie, soit
uni, soit bi-latérale, portant sur tous les nerfs du bras (compres-
sion d'une ceinture de voltige et d'un appareil d'Esmarch). Il
traite enfin d'une forme de convulsion musculaire idiopathique,
rappelant le tétanos, mais en différanl et occupant l'extrémité
supérieure d'une jambe. Sera publié en détail '. P. Keraval.
' V. Revues allalli4ues.
BIBLIOGRAPHIE
V. Leçons sur les fonctions motrices du cerveau et sur l'épilepsie
cérébrale; par le Dr François FRANCS, professeur suppléant
au Collège de France. - Octave Doin, éditeur. Paris, 1887.
M. Fr. Franck vient de publier les leçons qu'il a faites ces
trois dernières années au Collège de France, tandis qu'il sup-
pléait M. le professeur Marey. Elles sont consacrées à l'Etude
expérimentale des fonctions motrices du cerveau et reposent
surdes recherches entreprises dans le but de vérifier, par les mé-
thodes physiologiques modernes, la grande question des locali-
sations cérébrales. Les matériaux qui ont servi à la rédaction
de ces leçons proviennent presque tous de travaux poursuivis
en commun par l'auteur et par M.le professeur Pitres (de Bor-
deaux). C'est dire que le côté clinique de la doctrine localisatrice
est loin d'avoir été mis àl'écart ; et les avantages de cette combi-
naison sont manifestes, dans certaines leçons où il s'agit de
l'étude des lésions destructives du cerveau. Enfin M. le pro-
fesseur Charcot a bien voulu présenter au public l'ouvrage de
M. Franck. Patronné par de tels maîtres, le livre dont nous
allons essayer d'analyser les parties principales sera certaine-
ment accueilli avec joie par tous ceux qui s'intéressent à la
physiologie et la pathologie cérébrales.
Le plan en est facile à saisir : la première partie est consa-
crée à l'exposé des principaux faits expérimentaux et cliniques
accumulés dans ces dernières années et relatifs aux effets des
excitations et des destructions localisées du cerveau; la seconde
partie contient la critique des théories. Les effets moteurs pro-
voqués par l'excitation expérimentale du cerveau ont été ana-
lysés de la façon la plus rigoureuse en appliquant à ces
recherches la méthode graphique du professeur Marey. En
utilisant toutes les ressources que fournit ce précieux procédé,
l'auteur a pu étudier une foule de réactions fugitives, quan-
tité de phénomènes qui sans cela seraient passés inaperçus :
c'est un grand mérite pour MM. Pitres et Franck d'avoir me-
484 bibliographie.
ployé ainsi ce nouveau moyen d'investigation sur les conseils
du professeur Charcot. Les résultats obtenus montrent qu'ils
n'ont pas en vain apporté une grande précision dans leurs
constatations expérimentales.
Au début, l'auteur rappelle les principaux faits qui servent
de base à nos connaissances sur les fonctions motrices du cer-
veau, résume les recherches de Fritz, Hitzig, Ferrier, etc., et
montre, grâce à M. Charcot, l'intervention de la clinique qui
vient confirmer pleinement les recherches physiologiques an-
térieures ; puis il expose la topographie motrice cérébrale,
d'après la méthode des excitations. Une note intéressante
relate les magnifiques opérations récentes et bien connues
d'Horsley (de Londres), pratiquées sur l'homme et curieuses à
noter parce qu'elles montrent qu'il y a similitude complète
entre la topographie motrice du cerveau humain et celle du
cerveau des singes supérieurs'.
On voit qu'il existe à la surface du cerveau une zone exci-
table entre deux zones non excitables; la première correspond
chez les singes et l'homme à la région rolandique, chez les
autres animaux à la région sigmoïdienne; la seconde (zone
inactive) comprend les lobes frontal et occipital. Par ses
recherches personnelles, M. Franck a montré d'abord qu'il
existe cinq centres distincts dans le pied de la couronne
rayonnante de Reil, faisceaux blancs correspondants à la
zone motrice et seuls excitables. Ce sont d'avant en arrière :
1° un centre pour les mouvements bilatéraux d'ouverture des
paupières et de dilatation de la pupille; 2° un centre pour
les mouvements du membre antérieur du côté opposé ;
3° un centre pour les mouvements des deux membres du côté
opposé; 4° un autre pour les mouvements du membre posté-
rieur du même côté; 5° enfin un dernier pour les mouvements
de l'oreille du côté opposé.
Si maintenant on analyse les mouvements d'origine céré-
brale provoqués par les excitations électriques soit à la sur-
face des circonvolutions, soit sur la coupe des faisceaux
blancs, on constate : 1° lorsque l'excitation est brusque,
comme celle due à la rupture ou à la clôture du courant
d'une pile, on a une secousse brusque, simple; 2° s'il y a une
série de clôtures ou de ruptures du courant, on obtient un
1 Voir Archives de Neurologie, 18R7.
bibliographie. If 8 1")
tétanos plus ou moins complet. Ce tétanos diffère suivant qu'il 1
est fourni par une excitation d'origine corticale ou une excita-
tion d'origine centro-ovalaire; 3° si l'on prolonge l'action, on
obtient une convulsion épileptiforme et des réactions orga-
niques. C'est l'étude de ces deux derniers ordres de phéno-
mènes qui constitue les premiers chapitres de la première
partie de l'ouvrage. Il faudrait citer surtout les principales
réactions organiques constatées sur les organes respiratoires
et circulatoires, sur ceux de la sécrétion salivaire, urinaire,
biliaire et gastro-intestinale, et les phénomènes oculo-pupil-
laires. Elles ont été étudiées avec le plus grand soin et de la
façon la plus minutieuse. On y trouvera des données nouvelles
qui un jour jetteront peut-être un peu de clarté dans l'obscure
question de l'épilepsie larvée.
M. Franck passe ensuite à l'examen des résultats fournis
par les lésions destructives, localisées, du cerveau; mais ici la
clinique ne doit pas céder le pas à l'expérimentation, car elle
abonde en documents précieux, à l'opposé de ce qui concerne
les excitations cérébrales. Les troubles moteurs consécutifs
aux lésions expérimentales produites chez divers animaux sur
la substance blanche et sur la substance corticale sont étu-
diés successivement; puis l'auteur s'adresse à l'homme, et
alors on entre de plein pied dans le domaine de la pathologie
cérébrale. Il expose l'état actuel de la question, tel qu'il res-
sort des travaux publiés depuis une dizaine d'années, et décrit :
1° la topographie corticale motrice et non motrice, détermi-
née en se basant sur l'étude des lésions circonscrites; 2° les ré-
gions du centre ovale qui correspondent à ces deux portions
de l'écorce cérébrale.
La seconde partie de ce volume est consacrée, comme nous
l'avons dit, à la discussion des théories soulevées par l'étude
des fonctions motrices du cerveau. Elle est subdivisée en trois
parties qui traitent : la première de l'excitabilité propre de
l'écorce cérébrale, la seconde de la nature fonctionnelle des
régions excitables, et la dernière des localisations motrices dans
le cerveau.
Un appendice, que le physiologiste de profession consultera
avec fruit s'il veut se livrer à des recherches analogues, a été
placé à la fin de ces leçons. On y trouvera décrite la technique
des principales expériences de M. Frank, relatées avec tous les
détails désirables. Marcel BAUDOUIN-.
,186 bibliographie.
VI. Hystérie et traumatisme (paralysies, contractures . arthralgies,
hystél'o-traumatiques); par M. BERBEZ, Th. Paris, 1887; aux
bureaux du Progrès médical.
La thèse de M. Berbez est l'exposé de la question de Vhystéro-
traumatisme dont 1\1. Charcot a récemment doté la pathologie.
Des faits de ce genre avaient, il est vrai, été déjà décrits par Brodie
et par Reynolds, mais c'est à M. Charcot surtout qu'on doit la
connaissance approfondie et l'interprétation ingénieuse des ac-
cidents de cet ordre. Il arrive qu'un traumatisme peu intense,
négligeable au point de vue chirurgical, ébranle assez certains
organismes prédisposés pour déterminer des accidents divers : ce
sont les paralysies flasques ou rigides, ou encore les arthralgies,
dites psychiques ou hystéro-traumatiques. Au point de vue éliolo-
gique il est intéressant de noter la fréquence de ces accidents
chez l'homme, alors que les diverses manifestations hystériques se
rencontrent de préférence chez la femme. Les paralysies revêtent
la plupart des formes connues, hémiplégie, paraplégie, mono-
plégie, celle-ci étant la plus ordinaire; mais elles sont aussi par-
tielles, et alors frappent des segments de membre. Leurs carac-
tères sont, outre la flaccidité habituelle, l'existence d'une anes-
thésie complète, absolue,superficielle et profonde,du sens muscu-
laire et des articulations, rayonnant autour des jointures, comme
centre quand il s'agit de paralysies segmentaires et limitées par
une ligne que sa configuration permet de nommer, avec M. Char-
cot, ligne d'amputation. Du reste, les réactions électriques des
muscles sont normales, quelle que soit la durée de la paralysie.
Lors de paralysies rigides, avec exaltation des réflexes tendi-
neux, les membres se contracturent dans la flexion, et très rare-
ment dans l'extension. Les arthralgies ou contractures doulou-
reuses se localisent ordinairement à l'articulation de la hanche,
et s'accompagnent d'une zone hypéresthésique des téguments
très caractéristiques. Le diagnostic doit être fait d'avec les para-
lysies organiques d'origine centrale ou périphérique, et sera faci-
lité parla recherche des stigmates hystériques sensitifs ou moteurs.
Au point de vue pathogénique M. Berbez énonce la théorie pro-
posée par AI. Charcot : le traumatisme est perçu par un cerveau
déséquilibré par le shock lui-même; il occasionne aussi un engour-
dissement local qui provoque la suggestion de la disparition du
membre atteint. Cette notion est acceptée sans contrôle en raison
de l'état cérébral que nous avons dit, et il en résulte la suppres-
sion de toutes les représentations cérébrales motrices relatives
au membre. Le chapitre consacré au traitement rappelle les
moyens thérapeutiques dirigés contre l'hystérie en général : mé-
dication tonique, hydrothérapie, etc., et conseille de plus des
exercices répétés du membre sain. P. B.
SÉNAT
DISCUSSION DU PROJET DE LOI SUR LES ALIÉNÉS
Suite de la séance du jeudi 2 décembre 1886 '.
M. le Président. Nous arrivons à l'article 16.
Quelqu'un demande-t-illa parole sur cet article ?
M. Paris. Je la demande, monsieur le président.
M. LE Président. La parole est à M. Paris.
M. Paris. Messieurs, la commission demande, dans l'article 16,
que le rapport adressé par un docteur en médecine au procureur
de la République sur l'état mental de la personne à placer dans
un établissement d'aliénés soit circonstancié. La commission a
raison. 11 ne suffit pas, pour la sauvegarde de la liberté indivi-
duelle, qu'un médecin constate simplement que telle personne est
atteinte d'aliénation mentale. Le rapport circonstancié devra in-
diquer notamment « les phases de la maladie ». Ces expressions
supposent que l'état du malade aura compris des périodes succes-
sives de recrudescence et d'accalmie, et que le médecin rédacteur
du certificat aura fait plusieurs visites, dans lesquelles il les aura
constatées. Mais il arrivera fréquemment que la folie, dès son
début affectera ce caractère aigu qui rendra nécessaire son inter-
nement immédiat, et que le docteur en médecine n'aura vu
qu'une fois son malade. Comment décrira-t-il alors des phases
qui n'auront pas existé ?
La question que je soulève n'a pas seulement d'importance au
point de vue de la justice des termes. Si le médecin ne présentait
pas «un rapport détaillé conformément aux dispositions ci-dessus]»,
lisons-nous dans le septième paragraphe de l'article 16, il sera
passible de « l'une des peines portées à l'article 67 ci-après. » La
commission ne trouverait-elle pas bon de remplacer ces mots :
« les phases de la maladie » par une expression générale : « la
marche de la maladie » ? Ce serait, je pense, plus correct au point
de vue du texte et de l'application des pénalités !
Voy. Arch. de Neurologie, t. XII, p. 13.ï, 28, 439; t. XIV, p. 135, 307,
z21; t. XV, p. 138, 311.
488 SÉNAT.
M. LE Rapporteur, de sa place. Messieurs, je dois dire que ce
texte est celui de l'article 16 du Gouvernement. La commission
l'avait adopté et n'avait pas cru nécessaire de le modifier sur ce
point. Mais il est certain que l'observation de M. Paris est juste.
Une maladie, à son début, a des phases qu'il n'est pas possible de
décrire. Je disais tout à l'heure à M. Paris : Alors même qu'il y
aurait le mot « marche », ce mot serait à peu près l'équivalent
de l'autre. Néanmoins, la commission ne fait pas d'opposition à la
substitution. Je demanderai à M. le commissaire du Gouverne-
ment, -car c'est Je texte du Gouvernement qui est en question,
- s'il accepte la substitution proposée par M. Paris.
M. le Commissaire du Gouvernement. Je n'y fais aucune objection.
M. Delsol. Si la folie est aiguë, il n'y a pas plus de marche que
de phases ! 1
M. Paris. Il y a toujours, au moins, un pas !
M. de Gavardie. Il reste bien entendu que le parquet ne pourra
pas pénétrer dans le domicile privé, même lorsqu'il se sera écoulé
un délai de plus de trois mois.
Un sénateur à droite. Cela a été dit !
M. le Président. M. Paris propose de substituer le mot « marche» »
au mot « phase J, La commission accepte-t-elle la modification ?
Je voudrais avoir une réponse précise ; je ne puis pas deviner les
intentions.
M. PAYE. La marche suppose des phases !
M. LE Rapporteur. Une maladie marche toujours. Pour qu'il y
ait des phases, il faut que la marche ait été assez longue, qu'il y
ait eu augmentation ou diminution dans la marche. En patholo-
gie, c'est là précisément le sens du mot « marche ». Je trouve
que l'observation de M. Paris est parfaitement juste. Le mot
« marche » est peut-être plus médical. Quant au mot « phase »,
je le répète, il nous avait paru suffisamment clair. Nous l'avions
pris dans le texte du Gouvernement, et nous n'avions pas cru
qu'il pût prêter à l'équivoque ; il nous avait paru évident que le
médecin ne pourrait pas tomber sous le coup de la loi pour
n'avoir pas décrit des phases qui n'ont pas existé.
Plusieurs sénateurs. C'est évident !
M. LE Rapporteur. Néanmoins, la commission accepte le mot
proposé par M. Paris, lequel me parait, à moi, plus convenable.
M. le Président. La commission accepte le mot « marche » au
lieu du mot « phase » ; le Gouvernement ne s'y oppose pas ?
LE COMMISSAIRE du Gouvernement. En aucune façon, monsieur
le président.
SÉNAT. 489
M. DE Gavardie. C'est surtout l'article qui ne marche pas !
(Rires.)
M. le Président. Je mets aux voix l'article 16, avec le change-
ment proposé par M. Paris. (L'article 16 ainsi modifié est mis aux
voix et adopté.)
M. le Président. « Art. 17. - Lorsque les formalités nécessaires
pour le placement d'une personne dans un établissement d'aliénés
auront été remplies, si cette personne s'oppose par la force a son
transport dans cet établissement, le maire ou le commissaire de
police doit être requis d'assurer son transport. Le fonctionnaire
ainsi requis doit faire procéder à l'exécution du placement, en
prenant les précautions voulues pour éviter des accidents. Il
dresse un procès-verbal des faits et le transmet, dans les vingt-
quatre heures, au procureur de la République. Ces dispositions
s'appliquent aux placements effectués sur demande des particuliers
et aux placements ordonnés par l'autorité publique. Il est pro-
cédé de même dans le cas de réintégration après évasion prévu
par l'article 53 ci-après. » -(Adopté.)
« Art. 18. - Toute personne majeure qui, ayant conscience de
son état d'aliénation mentale, demande à être placée dans un
établissement d'aliénés, peut y être admise sans les formalités
prescrites par l'article 16. Une demande signée par elle est suffi-
sante. Si elle ne sait pas écrire, la demande est reçue conformé-
ment aux prescriptions du paragraphe 3 de l'article 16. La per-
sonne ainsi admise est soumise aux prescriptions de l'article 20
ci-après, et aux autres dispositions de la présente loi concernant
les placements faits sur demande des particuliers. » - (Adopté.)
« Art. 19. - Nul ne peut être conduit à l'étranger pour être
placé dans un établissement d'aliénés, ni être traité à l'étranger
comme aliéné, sans que, dans le délai d'un mois à partir du jour
du placement, la déclaration n'eu soit faite par la personne qui
l'a provoqué au procureur de la République, du domicile du ma-
lade.
« Nul étranger conduit en France pour être placé dans un éta-
blissement d'aliénés ne peut être admis dans cet établissement
sans une demande et sans un certificat médical, légalisés dans
son pays d'origine ou par un représentant diplomatique de ce
pays en France. Si la demande et le certificat ne sont pas écrits
en français, il y est joint une traduction française certifiée con-
forme.
« Dans les trois jours de la notification de ce placement, faite
conformément au paragraphe 2 de l'article 20 ci-après, le préfet
en donne avis au représentant diplomatique du pays d'origine de
la personne placée. Le même avis de placement, doit être donné,
dans le même délai, au représentant diplomatique du pays d'ori-
490 SÉNAT.
gine de tout étranger résidant ou de passage en France, dont
l'état d'aliénation aurait exigé le placement conformément aux
termes, soit de l'article 16, soit de l'article 29 de la présente
loi. »
M. le Rapporteur. Je demande la parole.
M. le Président. La parole est à M. le rapporteur.
M. LE Rapporteur. M. le commissaire du Gouvernement demande
que le paragraphe où il est dit : « Le préfet en donne avis au
représentant diplomatique du pays d'origine de la personne pla-
cée " soit ainsi rédigé : « Le préfet en donne avis au Gouverne-
ment, qui prévient le représentant diplomatique du pays d'origine
de la personne placée. » Le Gouvernement désire que le préfet
l'avise directement.
M. Tenaille-Saligny. Il est évident qu'un préfet ne peut pas
avoir de rapports directs avec un représentant diplomatique
étranger !
M. LE Président. Le Sénat a entendu la modification qui est
demandée parla commission, d'accord avec le Gouvernement, au
paragraphe 3 de l'article 19. Au lieu de : « Le préfet en donne
avis au représentant diplomatique du pays d'origine, etc. », ce
texte doit porter : a Le préfet en donne avis au Gouvernement,
qui prévient le représentant diplomatique du pays d'origine, etc. »
Quelqu'un demande-t-il la parole ?
M. de Gavardie. Je la demande, si personne ne la demande.
(Rires et exclamations à gauche.)
M. le Président. La parole est à M. de Gavardie.
M. DE Gavardie. Messieurs, je demande la suppression de cet
article. C'est encore une innovation. Je voudrais qu'on me dit,
non pas par ces déclarations générales qui ne prouvent absolu-
ment rien, mais par des faits précis, quels sont les inconvénients
révélés par l'application de la loi de 1838 relativement au place-
ment d'aliénés en pays étranger. Comment ! vous voulez empêcher
une famille de dépayser un de ses membres malades dans les
conditions terribles que vous savez ? Mais c'est souvent le seul
moyen d'assurer précisément le secret de cette situation lamen-
table, qui a des conséquences sociales quelquefois épouvantables !
Les voyages, messieurs, c'est par excellence un traitement curatif
pour les aliénés. Ils sont bons même pour les personnes dont l'es-
prit est sain; ils sont surtout excellents pour les malheureux
atteints de maladies mentales. Et vous empêchez ces voyages...
A gauche. Pas du tout.
M. de GAVAfiDIft... ou vous les rendez plus difficiles, ce qui
revient au même, en définitive. Comment ! j'aurais besoin de
sénat. 491
faire une déclaration au procureur de la République pour placer
mon enfant, ou ma femme, ou ma soeur dans un asile étranger.
Vous nous vantez les asiles étrangers; vous nous dites qu'ils
offrent plus de garanties que les asiles français, - ce que je con-
teste, - mais vous au moins vous ne devriez pas vous épouvanter
de ce qu'il soit permis à une famille de placer dans un de ces
établissements un de ses membres qui est l'objet de leur sollici-
tude et de leur dévouement.
Après tout, est-ce que ces asiles étrangers, s'ils ne sont pas
supérieurs aux asiles français, ne sont pas encore bien administrés
et n'offrent pas des garanties très certaines ? Assurément si, ils
offrent des garanties suffisantes. Et d'ailleurs, est-ce que la
famille ne saura pas choisir ? ... Je dis que cet article est mauvais,
qu'il n'est justifié par aucun précédentsérieux, et je vous demande
de le rayer.
M. LL Rapporteur se lève pour répondre.
Voix nombreuses à gauche. Aux voix ! aux voix ! 1
M. DE Gavardie. Que prouvent ces mots : Aux voix ! Il faut ré-
pondre ! ,
LE Rapporteur. Je demande la parole.
A gauche. Non] Ne répondez pas !
M. le Président. La parole est à M. le rapporteur.
M. le Rapporteur. Assurément, messieurs, les voyages peuvent
être un moyen de traitement quelquefois. Mais l'article ne vise
pas les voyages à l'étranger, il vise des faits et des faits nombreux.
Les délégués de la commission ont été témoins de faits lamen-
tables à l'étranger, de Français oubliés, abandonnés dans des
asiles de Belgique; ces malades, venus d'abord dans des conditions
d'aisance et de luxe, avaient été bien traités au commencement,
puis abandonnés par la suite. Ces faits, dont nous avons été té-
moins, existent non seulement en Belgique, mais ailleurs ; -
M. Testelin sait ce qui se passe du côté de la Baltique - on envoie
les malades en voyage dans ce pays pour s'en débarrasser.
Nous en avons trouvé également en Angleterre, dans tous les
grands asiles, et les autorités du pays à qui ils appartiennent, pas
plus que celles du pays où ils sont internés ne savent dans quelles
conditions se trouvent ces aliénés. (Marques d'approbation.) Il y
a eu, à cet égard, des plaintes nombreuses, et, aujourd'hui, quand
on revise la loi sur les aliénés, comme les facilités de transport à
l'étranger se sont multipliées, on commence, dans les lois nou-
velles, à introduire des dispositions destinées à empécherlerenou-
vellement de ces faits malheureux dont je viens de parler. Lors-
qu'on voit ces lois se perfectionner à l'étranger, lorsque plusieurs
caillons de la Suisse, lorsque le Luxembourg prennent des me-
492 SÉNAT.
sures de ce genre, il est bon que la France imite ces exemples. 11
s'agit donc simplement de mesures qui fassent que ces malheureux
ne puissent plus tomber dans la condition que je viens de rappeler
et qui permettent aux autorités de leur pays de connaître leur
sort et de les tirer de la situation déplorable où ils se trouvent.
(Très bien ! à gauche. Aux voix ! )
M. DE Gavardie. Je demande la parole. (Réclamations à gauche.)
M. SCIIEUItER-1ESTNEIL. Voilà ce que c'est que de répondre !
M. DE Gavardie. Voilà ce que c'estque de répondre ? J'avais par-
faitement le droit de monter à la tribune pour répondre à des
observations de M. le rapporteur. Par conséquent, vous n'aurez
pas cela à ajouter votre nouveau règlement dont vous avez
pris l'initiative, à cause de moi - il est de le dire en passant...
(Rires à gauche.)
M. Testelin. Cela ne plaide pas en votre faveur ! 1
M. le Président. Monsieur de Gavardie, veuillez vous tenir dans
la discussion de l'article 19.
M. DE Gavardie. Mais, monsieur le président, il y a, à mon
égard, un système de provocation de ce côté ! ... (L'orateur désigne
la gauche.)
M. SCIIIeUREII-1ESTNER. Est-ce une personnalité ?
M. de Gavardie. Oui, c'est une personnalité !
M. Scusunsa-hrsrrrca. C'est bien, monsieur ! ... Malheureuse-
ment, on ne vous trouve pas dans ces cas-là.
M. DE Gavardie. Vous me trouverez quand vous voudrez ! Si
monsieur le président veillait un peu plus... (Vives réclamations
à gauche et au centre.)
M. LE Président. Monsieur de Gavardie, je ne vous permets pas
de reproches à mon endroit. Il n'y a pas de président au monde
qui fasse ce que je fais à votre égard. (Marques nombreuses d'ap-
probation.)
A gauche. C'est vrai ! très bien ! 1
M. DE Gavardie. Je ne m'en aperçois guère. (Exclamations.
Un sénateur à gauche. Nous nous en apercevons, nous !
M. de Et, pour le dire en passant, monsieur le prési-
dent, vous avez, contrairement à tous les précédents, laissé figurer
au Journal officiel des choses qui ne peuvent pas atteindre un
homme comme moi, mais que vous n'auriez pas dû tolérer.
M. le Président. Je vous rappelle encore une fois à la discus-
sion de l'article 19, monsieur de Gavardie.
' SÉNAT. 493
DE Gavardie. J'y arrive ! Messieurs, je demande que cet
article soit renvoyé à la commission, et je le demande pour que
M. le ministre des affaires étrangères soit entendu. Si les abus
dont parle M. le rapporteur existent véritablement, il doit y en
avoir trace dans nos relations diplomatiques avec la Belgique
dont on a parlé, et avec l'Angleterre dont on a parlé également.
Ces inconvénients, ces abus, j'en nie la réalité.
M. EMILE LENOEL. Il y en a dont l'existence a été démontrée dans
des causes judiciaires portées devant la cour de Paris.
M. de Gavardie. Vous ne pouvez donc pas statuer, messieurs,
tant que vous n'aurez pas entendu M. le ministre des affaires
étrangères.
M. le Président. M. de Gavardie demande le renvoi de l'article 19
à la commission. Je consulte le Sénat. (Le renvoi n'est pas pro"
nonce.)
M. le Président. Je mets cet article aux voix avec la modification
au paragraphe 3 proposée par le Gouvernement et acceptée par
la commission. (L'article 19 ainsi modifié, mis aux voix, est
adopté.)
M. le Président. Je vais donner lecture de l'article 20.
M. Testelin. II y aura une discussion sur cet article, monsieur
le président ; je demande le renvoi à la prochaine séance.
(Appuyé ! )
M. LE Président. Il n'y a pas d'opposition ? ... La discussion est
renvoyée à la prochaine séance.
(A suivre.)
VARIA
ETAT RECAPITULATIF DES TRAITEMENTS DES INTERNES DANS LES DIVERS
- ASILES D'ALIÉNÉS EN FRANCE.
VARIA. 495
Récapitulation :
496 Varia.
Dr Turner qui avait imaginé et construit cet hôpital, lui avait
consacré pendant un quart de siècle son temps, ses efforts et sa
propre fortune, partagea le sort des réformateurs et des bienfai-
teurs de l'humanité et tomba en disgrâce.
Bientôt il se produisit une réaction dans l'enthousiasme qui
s'était manifesté pour l'hôpital de Binghamptou et les moralistes
qui, dès le principe,s'étaient opposés au mouvement comme étant
un « effort infidèle » pour diminuer la responsabilité humaine,
usèrent de tous les moyens pour répandre l'insuccès et anéantir
tous les autres efforts faits dans le même but. Mais le caractère
pratique de celte idée avait jeté de profondes racines dans l'esprit
public et bientôt une douzaine d'autres hôpitaux furent fondés
en Amérique.
Parmi ces hôpitaux, beaucoup furent convertis en asile pour les
maladies du système nerveux, surtout à cause du manque d'expé-
rience dans l'aménagement et le traitement, comme nécessaire-
ment cela se produit pour toutes les entreprises nouvelles. Une
trentaine de ces hôpitaux existent encore en Amérique, d'autres
ont caché leur spécialité sous le nom d'asiles pour les maladies
nerveuses.
Il n'y a pas moins de deux mille intempérants dans les hôpi-
taux d'Amérique, plus de mille sont dans les hôpitaux spéciaux.
Ils représentent dans une mesure très large les cas incurables;
ce sont des victimes de l'ivrognerie qui à la suite de cinq à trente
ans d'excès présentent les degrés les plus complexes et les plus
variés de la dégénérescence physique et mentale. Malgré cela,
les résultats obtenus dans les hôpitaux scientifiques spéciaux
sont très encourageants. Les statistiques portant sur plus de
trois mille cas indiquent une moyenne de 40 p. 100 de guérison
maintenue après la sortie de l'hôpital pendant une période de six
à huit ans. Le contrôle légal et la législation des intempérants
sont imparfaits en Amérique.
La plupart des hôpitaux spéciaux sont organisés par des com-
pagnies privées qui reçoivent de temps en temps un secours de
l'Etat. Quelques-uns reçoivent des dons ou des lits des Etats.
D'autres vivent sur le prix que paient les malades, ou de dona-
tions privées. Très peu de pauvres sont reçus dans ces maisons.
L'Etat de Connecticut avait projeté un hospice pour les criminels
intempérants dont l'emprisonnement était de trois ans, mais le
manque d'argent a empêché la réalisation de ce projet.
L'étude exacte et scientifique de l'ivrognerie a révélé des faits
et des conclusions qui ont soulevé des discussions amères parmi
ceux qui en avaient d'abord proclamé l'exactitude. En 1878, il se
forma une société qui avait rapport aux asiles d'intempérance ou
qui s'intéressait à la question; c'était l'Association américaine
pour la guérison des intempérants. Cette association s'est réunie
FAITS DIVERS. 497
tous les ans ou tous les six mois depuis et ses communications et
ses transactions formèrent la première littérature sur le sujet.
En 1877, fut fondé le Journal of hiebriety, organe de l'Association
et c'est par cet organe que furent publiées presque toutes les
études sur ce sujet en Amérique. La curabilité de l'intempérance
en des hôpitaux spéciaux a été le but principal de l'association.
Les docteurs Parrish et Wright ont publié des ouvrages spéciaux
sur l'intempérance, qui ont donné une grande impulsionà l'étude
scientifique de ce sujet.
Le Dr Crother termine son article par les conclusions suivantes :
L'histoire du mouvement qui s'est produit en Amérique pour la
fondation des hôpitaux spéciaux a passé par les trois phases régu-
lières de tout progrès; d'abord la propagande, ensuite l'opposition
et enfin le succès. Des hôpitaux scientifiques pour la cure de l'ivro-
gnerie sont institués ; mais il existe encore des institutions et des
méthodes empiriques. Une grande partie du public, ne se conten-
tant plus des remèdes moraux, fait appel aux médecins avec une
conviction croissante que, de ce côté, on trouvera le vrai remède
contre le mal. On doit étudier le sujet en dehors de toule opinion
ou théorie métaphysique jusqu'à ce que la curabilité ou la pro-
plylaxie du mal soit devenue une réalité pratique. On réclame
partout des lois sur l'intempérance permettant sa guérison et des
règlements assurant le service régulier des hôpitaux spéciaux, et
on espère que le temps n'est pas éloigné où on pourra prendre
un ivrogne chez lui ou dans la rue pour le placer en quarantaine
dans un hôpital spécial, comme s'il était atteint d'une maladie
infectieuse. ROBEllT Soal ?
FAITS DIVERS
Asiles d'aliénés. - Nominations : M. le Dr CORTYL, directeur de
l'asile public de Bailleul, est nommé directeur-médecin en chef
(arrêté du 16 mars 1888). - AI. le or Malfilatre, ancien interne
des asiles publics d'aliénés de la Seine, est nommé médecin-
adjoint à Bailleul (poste créé) (arrêté du 16 mars 1888). - M. le
Dr 1\ICOULGAU, interne de l'asile public d'aliénés de Bordeaux, est
nommé médecin-adjoint à Saint-Yvon en remplacement du
Dr Martinencq, précédemment promu médecin en chef et compris
dans la deuxième classe. - M. le Dr Ramadier, médecin-adjoint de
l'asile public de Lafond (Charente-Inférieure), est nommé aux
Archives, t. XV. 32
498 FAITS DIVERS.
moines fondions à l'asile de Vaucluse, en remplacement de
.\1. bey (arrêlé du 12 avril).
Promotions. Sout promus à partir du 1 ? janvier : à la pre -
mière classe, M. le D TAULE, directeur de Sainte-Anne ; à la
deuxième classe, M. le Dr BRIAND, médecin en chef à l'asile de
Villejuif (arrêté du 29 mars). -A la classe exceptionnelle à partir
du leur mars : M. le Dr CHAMBARD, médecin-adjoint à l'asile de
Ville-Evrard (arrêté du 29 mars).
Asile d'aliénés DE MARSEILLE. - Jeudi soir a eu lieu, à la grande
joie des pensionnaires de l'établissement, le concert que nous
avons annoncé. La gracieuse Allie Clary, M110 Berthaud, Mmo Dick
et 11. Volnay, dans Dormez Grand'Mère, le joli acte de M. Castelain,
des Variétés ; la toute séduisante Mlle 1\11ller, le joyeux comique de
Béer et M. Lebreton, du Gymnase : le dessus du panier de l'opé-
retle à Marseille ; M. ¡¡'ronli, du Grand-Théâtre, prêtaient le gra-
cieux concours de leur talent. M. Francescati, un violoniste de
beaucoup de mérite, et M. Latombe, l'excellent chef d'orchestre
du Gymnase, au piano, complétaient un ensemble parfait. L'or-
phéon des malades de l'asile et deux pensionnaires MM. A... et
X..., ont eu aussi leur grande part du succès. Toutes nos félicita-
tions à ces aimables artistes. C'est une bonne action de plus à
l'actif de leur généreuse phalange. Il sont de ceux qui donnent
sans compter. Un lunch plein de galté a terminé cette charmante
fête. (Petit Provençal, 18 mars.)
- Lundi soir, 14 mai, a eu lieu à l'asile des aliénés, le dernier
concert de la saison. De nombreux artistes, parmi lesquels deux
pensionnaires de la maison, se sont fait chaleureusement applau-
dir par les malades et les invités du directeur : M. le Ur Dubief.
(Petit Provençal.)
Le secret professionnel. - Le tribunal civil de Dôle vient t
de juger une affaire qui a eu un certain retentissement dans le
Jura. Voici, en quelques mots, le résumé des faits : Le Dr R...
tient à Dôle une maison de santé. Il a eu comme pension-
naire, du 31 mai au 6 juin 1887, une dameX..., qui parvint à
s'évader après dix jours de traitement.
Après son évasion, Mmo X... fut soumise à l'examen de trois
spécialistes, conformément à une ordonnance du tribunal de
Dôle. Ces trois médecins déclarèrent, dans leur rapport, que
Aime X... ne devait pas être réintégrée dans la maison de santé du
Dr R..., son état ne présentant aucun danger pour la société.
Le Dr R... fit alors paraître une brochure intitulée : Observations
sur la manie raisonnante, dans laquelle Mme X... était .suffisamment
désignée pour que le parquet poursuivit d'office l'autour pour
violation du secret professionnel. Cent dans ces conditions que
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 49'J
l'affaire est venue devant le tribunal de Dôle. M. Billot, procureur
de la République, a requis une condamnation.
1\1" Hougé, du barreau de Dijon, soutenait les intérêts de
Mme X..., qui s'était portée partie civile. Le Dr R..., qui, dit-on,
s'était tout d'abord adressé à .\le Thévenet, député du Rhône, était
défendu par M0 Harent, du barreau de Lyon. Le tribunal, recon-
naissant le Dl' R... coupable du délit de violation du secret pro-
fessionnel, l'a condamné à 200 francs d'amende et 2,000 francs de
dommages-intérêts.
Nouveau journal. Nous venons de recevoir le premier
numéro de. la Rivista de nevrologia e psychialria, publiée à Lis-
bonne par le DrHodrlgllezBellencourt, membre correspondant de la
Société médico-psychologique de Paris. C'est le premier journal de
ce genre fondé eu Portugal, de même que le cours de pathologie
mentale et nerveuse, créé il y a deux ans à l'asile d'aliénés de
Lisbonne, par M. Bettencourt, est le premier qu'on professe en
Portugal sur cette branche de la médecine. Nous souhaitons la
bienvenue à la Revista de nevrogliae psychalria, persuadé d'avance
qu'elle aura le plus grand succès.
Avis aux Auteurs et aux Editeurs. Tout ouvrage dont il nous sera
envoyé un seul exemplaire sera 'annoncé. Il sera fait, s'il y a lieu, une
analyse de tout ouvrage dont nous recevrons deux exemplaires.
Bourru (H.) et BUIIOT \P.). Variations de la personnalité. Volume
in-18 de 316 pages avec 13 photographies. Prix : 3 fr. 50. Paris,
1888. Librairie J.-B. Baillière et fils.
Ciiazarain et DICLF. Les courants de la polarité dans l'aimant et
le corps humain. Base scientifique de l'électricité dans les maladies rhu-
matismales, nerveuses, mentales, etc. Volume iu-8° de 99 pages.
Paris, 1887. Chez les auteurs.
COMBEMALE (1 ? .). - La descendance des alcooliques. Volume m-8° de
213 pages. - Montpellier, 1888. Imprimerie centrale du Midi.
CULLEIIIIE (A.). Les Frontières de la folie. - Volume in-18 de
360 pages. Prix : 3 fr. 50. Paris, 1888. Librairie J.-B. Baillière et
fils.
Féré (Cu.). - Dégénérescence et criminalité. Essai physiologique. Vo-
lume in-12 de 179 pages. Prix : 2 fr. 50. Paris, 1888. Librairie
F. Alcan.
Kraft- Ebing (IL V.). Lehrbuch der psychiatrie auf Klinischer
0)-M7td<<Me sur Pralctaclae ivzte und Studirende, 3. édition. Volume
in-8° de 735 pages. - Stuttgard, 1888. Verlag von F. Enke.
Moreau (de Tours). - La folie chez les enfants. Volume in-tS de
411 pages. Prix : 3 fr 50. - Paris, 1888. Librairie J.-B. Baillière et
fils.
500 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
AIORICOUIIT (J.). - Manuel de nzétallnthérapie et de metalloseopie, appli-
quées au traitement des maladies nerveuses, au diabète et aux maladies
épidémiques. Burquisme et magnétisme animal (grand et petit hypno-
tisme). Volume in- 18 de 2H pages. Prix : 3 fr. 50. Librairie
A. Delahaye et E. Lecrosnier.
Paris (A.). De la mélancolie. Brochure in-8o de 55 pages. Chàlons-
sur-Marne, 1887. -1mprimerip-lilJrairie Le Boy.
11EG1VABLT (P.). - Bourbon-V Archambault, ses eaux minérales et ses
nouveaux thermes. - Gui de pratique et médical du baigneur et du zne-
decin. Brochure in-8" de 106 pages. Prix : 2 fr. Paris, 1886. z
Librairie G. Masson.
Remak (E.). - Elecf1'odiagnostl" und elel.trothe1'apie. - Brochure in-8°
de 94 pages. Wien und Leipzig, 1886. Urban et Schwarzenberg.
RICAIIDO Joacs. - De t'électrométrie et de t'électl'o-rliagnoslic il propos
de la paralysie faciale de Ch. Bell. Volnme in-8° de 9 pages avec
2 planches hors texte. Paris, 1888. Librairie 0. Berthier.
SCIIULI (H.). - Traité clinique des maladies mentales, 3e éclitioll (1886).
Traduite par les docteurs J. Dagonet et Duhamel, revue et augmentée
par l'auteur, avec une préface du docteur II. Dagonet (1°' fascicule).
Volume in-8» de 220 pages. - Paris, 1888. A. Delahaye et E. Lecros-
nier.
Srcum (E.-C.) A contribution to the pcttTcolo,7d of hemianopsia of
central origin (roi-ler-henii(i7topsia. Brochure in-S° de 38 pages.
1\ew-York, 1886. Journal of ? t6 ? 't)o;M and mental diseases.
SOARES de Souza. Escudo clinico da atnxia lacreditania de Fried-
reich. Volume in-8° de 126 pages. Rio-de-Janeiro, 1888. Imprunsa
nacional.
Stewart (R.-S.). - Observations on the spinal cord in the Insane. -
Brochure in-8° de 79 pages, avec figures. -- Glascow, 1886. Printed
by Alex. 111acdouâalt.
Avis A NOS LECTEURS. - Nous appelons vivement l'atten-
tion de nos lecteurs sur la discussion, au Sénat, de la
nouvelle LOI sur LES aliénés. En reproduisant ces débats,
nous croyons être agréable à tous les médecins des asiles
d'aliénés, de quelque nationalité qu'ils soient. De plus,
nous insérerons dans la mesure du possible, les lettres com-
mentant oit critiquant cette discussion qu'ils voudraient
bien nous adresser. - Enfin, nous prions ceux d'entre eux
dont l'abonnement est expiré avec ce numéro, de bien
vouloir nous adresser le montant de leur réabonnement.
Le 1'éúactew'-gérant, UOUHNEVILLE.
TABLE DES MATIÈRES
Aliénés (dans les maisons de cha-
rité), 15G; - (lir5servatiou pro-
Ílhylactique des auto-mutilatlolls
impulsives chez les), par ltabow,
302 ; - (anciens), 335 ; - (gu-
tisme chez les), par Lindenboin, ! r ! r0;-(uuestltésie miWC clezles),
par'fhomsen,'rt0;-(cardtopatlties
chez les), par Salemi Pace, f'r2 ;-
(assistance des en Espagne),
par Scltmitz, 'r45; - (pigmenta-
tion chez les aliénés), par Kier-
nan, 416.
Asiles (nominations et promotions
dans les), 157, 333,191;-(anglals),
957 ; - (mouvement de la popu-
lation dans les - de la Seine),
326; constiuction et organisa-
tion des d'aliénés), par Sanger
Brwvn, 330; - (recrutemettt les
médecins adjoints des - par le
concours), 331.
Astasie et abasie (affection caracté-
risée par de )' - et de l' -), par
Blocs,2\,187.
Athétose double avec imbécillité,
par Bourneville et l'illiet, 433.
Bibliographie : Etude médico-légale
sur l'alcoolisme, par Vétault, 32;
- rapport médical sur le quartier
d'aliénés de Nantes, par Biaute,
32>; - procès criminel de la der-
nière sorcière brûlée à Genève,
par Ladame, 321; des anes-
thésies hystériques des llluqueu-
ses, par Lichtwitz, 325.
Bulletin bibliographique, 335, 493.
Calatonie, par Séglas et Chaslin,
21Í, If20.
Congrès allemand des neurologues
et aliénistes, 123.
Contagion lvsycLiyue, Itar Graf, 'r'rS.
Démence (anatomin pathologique de
la post fébrile), par Emmin-
jltaus, 109; - (plténomènes ini-
tiaux rares dans la parât) ti-
que), par Pelizoens, 110; - (sen-
sibilité dans la démence paralyti-
que), par Zieben, 111 ; - (para-
lytique et syphilis), parDietz,445.
Dipsomanie guérie par la strychine,
par 1'olvinsl : y, 113.
Ephidroses de la face, par P. Ray-
mond, 51,212.
Epilepsie procursive, par Bourne-
ville et llricon, 75, 227, 37\J;-
(et folie systématique), par Véjas,
413.
Epileptiques (colonie d' de Bel-
f<JId), 327; - (phénomènes consé-
cutifs aux attaques épileptiques et
apoploctilbimes), par Thomsen,
î 12.
Esprit (éducation des enfants fai-
bles d'), 155.
Gliomalose médullaire, par Roth.
161. '
Idiots (assistance des), 118.
Ironie (psychologie de l'), par Jack-
son, 417.
Ivrognerie et son hérédité, par Thom-
sen,443.
Jeûne prodigieux de l'évêque de
Spire, 153.
Jounnl nouveau, 493.
Mémoire (pathologie de la), par
Pick, 414.
Nécrologie, 158.
Neurupsvchose mortelle, par Thom-
sen, 109.
Olallwycafoine dans l'hémicranie,
par Wilerne, 302.
Paraldéhyde, par Sommer, 302.
Paralysie faciulu a frigore, par Neu-
lllallll, 3J'1.
Paralysie générale et syphilis, par
Son])))er,HO;(et aphasie sen-
sorielle), par Rosenthal, 111;
(compliquée de sclérose latérale
amyotrophique), pal' Zachrr, 1 JO.
Psfxdo-tabes, par Pitres, 33 ?
zou
TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS.
Psychiques (trouhles - et maladies
aiguës), par Lehmann, 415.
Psychoses (des symptômes de la
motilité dans les - simples), par
Frensberg, 108.
Rapport sur l'aliéné Mistral, par
Charcot, 81.
Revue critique, par Séglas et Chas-
lin, 251.
Sciatique (déformation du Ironc cau-
sée par la), par Babinski, 1.
Sclérose en plaques (guérison delà),
par Catsaras, 333.
Secret professionnel, 492.
Sénat(loi sliries aliénés au), 138, 311.
Société (médico-psychologique), ll-1,
303, 448 ; (psychiatrique de Ber-
lin, 307, 471; (prix de la - de
biologie), 335.
Sommeil (attaques de- hystérique),
par Gilles de la Tourette, 93, 200.
Suggestion au point de \ue théra-
peutique, par Couturier, 303.
Syphilis (cas remarquable de - cE-
rébrale), par Goldstoin, 112.
Tabès suivi de folie systématique,
par Sommer, 439.
Tétanos traumatique et bromure de
potassium, par Afontagnon, 302.
Uréthane, par Kroepelin, Otto, Koe-
nig, Rotenbiller, 30.
Varia, 133, 326.
Vertige-marin, par Pampoukis, 393.
Vitiligo (influence nerveuse dans la
production du), par Dumesml,
4t6.
Vue (illusions delà vue), par Rosen-
bacb,111.
TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS
Babinslti, 101.
Biotite, 321.
lllocq, 2+, 187, 322.
Bourneville, 75, 227, 379, 433.
Bnand, 114, 303, 448.
Bricon, 75, 227, 379.
Catsaras, 412.
Charcot, 81.
Chaslin, 254, 420.
Combe, 412.
Deny,y302.
Dietz, 415.
Dumesnil, 446.
Emminghaus, 109.
Frensberg, 108.
Gilles de la Tourelle, 93, 2gag.
Goldstein, 112.
Graf, 441.
Jackson, 447.
Kéraval, 108, 109, 110, 111, 112, 113,
118, 123, 301, 302, 307, 440, 412,
443, 41, 445.
Kiernan, 416.
Koenig, 301.
Kroepelin, 301.
Ladame, 324.
Lehmann, 415.
Lichtwitz, 325.
Lindenborn, 440.
Montagnon, 302.
Neumann, 354.
Otto, 301.
Pelizoens, 110.
Pick.4tt.
Pilhet,433.
Pitres, 437.
Rabow, 302.
ltaoult, 327, 330, 450, 117.
Raymond, P., 51, 212.
RosenbaclJ, '111.
Rosenthal, 111.
Roth, 161.
Rottenbiller, 301.
Itouhinovitch, 113.
Salemi Pace, 442.
Sanger Brown, 330.
Scillnitz, 415.
Séglas, 251, 420.
Sollier, 321, 325. 417.
Sommer, 110, 302, 439.
Thomsen, 109,440, 442, 443.
Tolvinskv, 113.
Véjas, 'r'f3.
Vétault, 322.
Zacher, 110.
Zielieti, 111.
Archives de Neurologie T.XV. PI,.I
Fig. 1 Fi¿- 2
EXPLICATION DES PLANCHES
PLANCHE PREMIÈRE
DÉFORMATIONS PATiTICULIliItES DU TRONC CAUSÉES PAR LA SCIATIQUE
504 EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE Il
DEFORMATIONS PARTICULIÈRES DU TRONC CAUSÉES PAR LA SC1ATIQUK
Archives de Neurologie
T.XV PZ.11
F18' 1
hg.2
Archives de Neurologie T.XV. PL.III
F18.1
F.2 2
EXPLICATION DES PLANCHES. 505
PLANCHE [il *
Dl : FUIDI111O ? S PARTICULIERES DU TRONC CAUSËLS PAR L\ SC1AT1QUE
506 EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE IV
DEFORMATIONS PARTICULIÈRES DU TRONC CAUSÉES PAR LA SCIATIQUE
Archives de Neurologie " T.XV.PL1V
Fg,1 1 FI3' 2
Archives de Neurologie T XV PL V
Eg 1 Ils 2
EXPLICATION DES PLANCHES. 507
PLANCHE V
DEFORMATIONS PARTICULIERES DU TRONC CAUSEES PAR LA SCIATIQUE
508 EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE VI
DES Jl'lllDJ\OS¡¡S DE LA FACE
Coupe du ganglion cervical inférieur du grand sympathique.
A. Enveloppe fibreuse du ganglion.
B. Tubes nerveux intéressant le ganglion.
C. Tissu celliilo-adipeux ut vaisseaux.
D. Cloisonnements partant de l'enveloppe et entourant des cellules
ganglionnaires.
E. Cellules normales du ganglion.
F. Prolifération embryonnaire comprimant.
G. Les cellules malades du ganglion.
Ê%Ieux. I.b. ILbIt183hY, nup. - 588.
Archives de Neurologie
TomeXVPlV
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